Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
ScienceDirect
www.sciencedirect.com
Article de recherche
i n f o a r t i c l e r é s u m é
Historique de l’article : Introduction. – La cyberaddiction, phénomène relativement nouveau, relève d’un champ de recherches
Reçu le 17 septembre 2018 récentes en santé mentale, particulièrement juvénile. Elle paraît interagir avec plusieurs facteurs indivi-
Accepté le 6 mai 2019 duels et environnementaux.
Disponible sur Internet le 14 août 2019
Objectifs. – Repérer la cyberaddiction dans une population d’adolescents tunisiens, et d’étudier ses rap-
ports avec les facteurs personnels, familiaux ainsi qu’avec les comorbidités anxieuses et dépressives.
Mots clés : Sujets et méthodes. – Nous avons mené une étude transversale portant sur 253 adolescents recrutés dans
Cyberaddiction
des lieux publics dans la ville de Sfax, en Tunisie. Nous avons recueilli les données sociodémographiques
Adolescent
Famille
ainsi que celles décrivant la dynamique familiale. La cyberaddiction a été évaluée par le questionnaire de
Dépression Young et les éventuelles comorbidités anxieuses et dépressives à l’aide de l’échelle HADS.
Anxiété Résultats. – La prévalence de la cyberaddiction était de 43,9 %. L’âge moyen des cyberdépendants était de
16,34 ans. Le sexe masculin était lié au risque de cyberaddiction. La durée moyenne de connexion ainsi
que les activités à vertu socialisante étaient significativement associées à la cyberaddiction. Les conduites
rappelant les addictions sans substances étaient significativement associées à la cyberaddiction. L’attitude
restrictive des parents et l’usage d’Internet par les parents et la fratrie étaient significativement associés
au risque de cyberaddiction. La dynamique familiale était un facteur déterminant dans la cyberaddic-
tion. L’anxiété était significativement corrélée au risque de cyberaddiction. Il n’y avait pas de corrélation
significative entre la dépression ce risque.
Conclusion. – L’adolescent tunisien semble à grand risque de cyberaddiction. Une action ciblée sur les
facteurs modifiables notamment ceux touchant les interactions familiales serait d’une grande utilité
dans la prévention.
© 2019 L’Encéphale, Paris.
a b s t r a c t
Keywords: Introduction. – Internet addiction, a relatively new phenomenon, is a field of recent research in mental
Internet addiction health, particularly within young populations. It seems to interact with several individual and environ-
Adolescent mental factors.
Family Objectives. – We aim to spot internet addiction in a Tunisian adolescent population, and to study its
Depression
relationship with personal and family factors, as well as with anxious and depressive comorbidities.
Anxiety
Methods. – We conducted a cross-sectional study of 253 adolescents recruited in public places in the city
of Sfax in the south of Tunisia. We collected biographical and personal data as well as data describing
family dynamics. The internet addiction was assessed by Young’s questionnaire. Depressive and anxious
co-morbidities were assessed using the HADS scale. The comparative study was based on the chi-square
test and the Student’s test, with a significance level of 5 %.
https://doi.org/10.1016/j.encep.2019.05.006
0013-7006/© 2019 L’Encéphale, Paris.
J. Ben Thabet et al. / L’Encéphale 45 (2019) 474–481 475
Results. – The prevalence of internet addiction was 43.9 %. The average age of internet-addicts was 16.34
years, the male sex was the most represented (54.1 %) and increased the risk of internet addiction (OR
a = 2.805). The average duration of connection among Internet addicts was 4.6 hours per day and was signi-
ficantly related to internet addiction; P < 0.001). Socializing activities were found in the majority of the
internet-addicted adolescents (86.5 %). The type of online activity was significantly associated with inter-
net addiction (P = 0.03 and OR a = 3.256). Other behavioral addictions were frequently reported: 35.13%
for excessive use of video games and 43.25 % for pathological purchases. These two behaviors were signi-
ficantly associated with internet addiction (with respectively P = 0.001 and P = 0.002 with OR = 3.283). The
internet-addicted adolescents lived with both parents in 91.9 % of cases. The mother’s regular professional
activity was significantly associated with internet addiction risk (P = 0.04) as was the use of the Internet
by parents and siblings (with respectively P = 0.002 and P < 0.001 with OR = 3.256). The restrictive attitude
of the parents was significantly associated with internet addiction risk (P < 0.001 OR = 2.57). Family dyna-
mics, particularly at the level of adolescent-parent interactions, were a determining factor in internet
addiction. Anxiety was more frequently found than depression among our cyber-dependent adolescents
with frequencies of 65.8 % and 18.9 %, respectively. Anxiety was significantly correlated with the risk of
internet addiction (P = 0.003, OR a = 2.15). There was no significant correlation between depression and
the risk of internet addiction.
Conclusion. – The Tunisian adolescent seems at great risk of internet addiction. Targeted action on modi-
fiable factors, especially those affecting family interactions, would be very useful in prevention.
© 2019 L’Encéphale, Paris.
Tableau 1
Facteurs personnels associés à la cyberaddiction.
Âge moyen (ans) 16,28 ans 16,34 ans 16,2 ans 0,6
Genre
Masculin 48,2 54,1 43,7 0,1
Féminin 51,8 45,9 56,3
Type d’activité sur Internet
Socialisantes 80,6 86,5 75,5 0,03
Autres 19,4 13,5 24,5
Temps de connexion/jour 3,57 heures 4,6 heures 2,76 heures < 0,001
Activités de loisir (à part le net)
Oui 69,2 57,66 78,17 < 0,001
Non 30,8 42,34 21,83
Loisir avec les amis
Oui 73,5 70,27 76,05 0,3
Non 26,5 29,73 23,95
Achats pathologiques
Oui 32,8 43,25 24,65 0,002
Non 67,2 56,75 75,35
Usage excessif de jeux vidéo sur console (> 3 h/j)
Oui 25,3 35,13 17,6 0,001
Non 74,7 64,87 82,4
Consommation de tabac
Oui 26,13 19,72 0,22
Non 73,87 80,28
Consommation d’alcool
Oui 10,8 10,56 0,9
Non 89,2 89,44
Consommation d’autres substances psychoactives
Oui 5,4 2,1 0,18
Non 94,6 97,9
La navigation sur Internet était considérée comme l’unique selon l’échelle HADS. La comorbidité cyberaddiction/anxiété était
moyen de loisir par 30, 8 % des participants. Quant aux activités diagnostiquée dans 29,2 % des cas et celle de la cyberaddic-
de loisir hors ligne, un quart de notre population jouait de façon tion/dépression dans 8,7 % des cas. L’anxiété chez les adolescents
excessive (> 3 heures par jour) aux jeux vidéo sur console et un était significativement corrélée à la cyberaddiction (p = 0,003).
tiers devrait passer beaucoup de temps à des conduites rappelant Cependant, on n’a pas trouvé de corrélation significative entre
les achats pathologiques, avec une corrélation significative avec dépression et cyberaddiction.
la cyberaddiction (p respectivement = 0,001 et 0,002). Par ailleurs, Dans l’analyse multivariée, les facteurs qui ont été retenus dans
73,5 % partageaient des activités de loisir en groupe avec leurs amis. le modèle final ont été: le genre, le type de l’activité sur Inter-
Concernant la consommation de substances psycho-actives, celle net (socialisante ou autre), les achats pathologiques, l’utilisation
de tabac concernait plus souvent les adolescents cyberdépendants d’Internet par la fratrie, l’absence de communication avec les
que non dépendants (26,13 % versus 19,72 %). Il en est de même pour parents, la restriction du champ de liberté donné à l’adolescent,
la consommation d’autres substances psycho actives (café, solvants et l’existence d’une anxiété. Plusieurs facteurs étaient ainsi asso-
organiques, colle, psychotropes) (5,4 % versus 2,1 %), sans différence ciés à la cyberaddiction chez les adolescents. Les plus importants
significative entre les deux groupes. La consommation d’alcool était étaient les achats pathologiques et l’usage de la fratrie de l’Internet
similaire (10,8 % versus 10,56 %) (Tableau 1). (OR ajusté successivement de 3,283 et 3,256). Viennent ensuite le
Les sujets de notre étude vivaient en famille en présence de genre masculin de la population, le type d’activités socialisantes sur
leurs parents dans 86,5 % des cas. La monoparentalité était asso- le net et certains paramètres étudiant la dynamique familiale, dont
ciée au moindre risque de cyberdépendance. Les pères des sujets la communication avec les parents et le champ de liberté donné
étaient professionnellement actifs dans 92,5 % des cas, leurs mères aux adolescents avec des odds ratios ajustés oscillant autour de 3,
ne l’étaient que dans 52,6 % des cas. L’activité professionnelle de la et enfin l’anxiété avec un OR ajusté de 1,99 (Tableau 3).
mère était significativement corrélée avec le risque de cyberaddic-
tion (p = 0,04). Leurs parents utilisaient Internet au quotidien dans 4. Discussion
39,5 %, et la télévision de façon excessive (> 3 heures par jour) dans
64 % des cas. Les membres de la fratrie étaient décrits comme des 4.1. Résultats de l’étude
usagers excessifs du net (> 3 heures par jour) dans 64 % des cas.
L’usage parental d’Internet ainsi que celui de la fratrie étaient aussi 4.1.1. Prévalence de la cyberaddiction
significativement associés à la cyberaddiction (avec p respective- La prévalence de la cyberaddiction chez les adolescents était de
ment 0,002 et < 0,001). 43,9 %. Dans la littérature, les chiffres sont très disparates, avec des
Concernant la dynamique familiale, la quasi-totalité des para- prévalences variant fortement (Tableau 4). Le taux relativement
mètres étudiant la dynamique familiale selon la perception des élevé de cyberaddiction dans notre étude pourrait être expliqué
participants étaient très significativement corrélés à la cyberad- par la démocratisation et la facilité de l’accès à l’internet. L’internet
diction. Les liens entre les différents facteurs familiaux et la est devenu de plus en plus accessible à toutes les catégories sociales
cyberaddiction sont résumés dans le Tableau 2. surtout après la révolution de 14 janvier 2011 et la levée de la
Dans notre échantillon, 55,3 % des participants répondaient censure imposée par l’ancien régime politique. En effet, la parole
aux critères de l’anxiété et 16,2 % aux critères de la dépression s’est libérée dans la rue, sur les places, dans des lieux ouverts, à
J. Ben Thabet et al. / L’Encéphale 45 (2019) 474–481 477
Tableau 2
Facteurs familiaux associés à la cyberaddiction.
Tableau 3
Facteurs associés à la cyberaddiction.
OR p OR ajusté IC 95 % p
l’université et aussi bien sur l’internet et les réseaux sociaux. Ces facilement être résolus via la connexion aux sites du réseau dédiés à
derniers ont joué un rôle important lors des événements de la révo- l’éducation des adolescents et par l’anonymat du net où les préjugés
lution tunisienne et continuent à jouer ce rôle dans la vie sociale et liés à l’âge ne peuvent exister.
politique tunisienne [3].
4.1.2.2. Le genre. Il s’est avéré dans notre étude que le sexe mas-
4.1.2. Facteurs personnels associés à la cyberaddiction culin contribuait à augmenter le risque de cyberaddiction avec un
4.1.2.1. L’âge. La moyenne d’âge des cyberdépendants était de OR ajusté = 2,805. Des résultats similaires ont été objectivés dans
16,34 ans sachant que nous nous sommes exclusivement intéressés d’autres études [6–8]. Il est établi que les femmes font un usage
à une population d’adolescents âgés de 12 à 20 ans. Cette tranche des TIC qui diffère sensiblement de celui des hommes. Ces derniers
d’âge parait plus à risque de cyberaddiction que les adultes [4,5], surfent plus fréquemment que les femmes sur Internet [9] et ils ont
notamment du fait de ses particularités psychoaffectives. La pré- une longueur d’avance sur elles en ce qui concerne la pratique de
gnance de la problématique identitaire liée à l’adolescence génère jeux sur écran [10,9]. Certains travaux remettent en question cette
de profonds questionnements, une préoccupation par la maturité prédominance masculine en matière de cyberdépendance [11,12].
et un désir d’être traité comme adulte. Ces problèmes pourraient L’étude de Young (1996) [1] n’a montré aucune différence en
478 J. Ben Thabet et al. / L’Encéphale 45 (2019) 474–481
Tableau 4
Prévalence de la cyberaddiction chez les adolescents selon certaines études.
Nom de l’auteur Pays Test diagnostic Âge moyen des adolescents Prévalence (%)
IRABI : Internet-Related Addictive Behavior Inventory ; YQ : Young Questionnaire ; IAT : Internet Addiction Test ; CIAS : Chen Internet Addiction Scale.
fonction du sexe. Il pourrait même y avoir une prédominance fémi- significativité du lien entre la cyberdépendance et la consomma-
nine quant à certains types d’activités sur Internet qui pourraient tion des substances psychoactives pourrait être expliquée par le
être pourvoyeuse de dépendance [13]. fait que dans notre étude il s’agissait justement de consommation
contrairement aux autres études où on trouve des addictions
4.1.2.3. Les activités de loisir. Les adolescents cyberdépendants véritables. En plus, on pourrait envisager que les adolescents par-
avaient significativement moins d’activités de loisir autres ticipants à notre étude ont dissimulé certaines de leurs conduites
qu’Internet comparativement aux usagers normaux du média. On addictives, sévèrement jugées dans notre contexte socioculturel,
pourrait expliquer ce résultat par le fait que les cyberdépendants par crainte d’une éventuelle réaction rejetante. On peut postuler
éprouvent un plaisir particulier procuré par l’expérience d’Internet. aussi que notre adolescent tunisien se serait orienté vers Internet
Cette sensation de plaisir serait plus facile à atteindre qu’avec comme objet de dépendance au détriment des substances. Ceci
d’autres moyens de loisir. Selon Chou et Hsiao [14], plus l’adolescent pourrait s’expliquer par la grande facilité d’accès à cet outil, son
vit cette expérience comme divertissante et interactive plus il y a acceptabilité voire l’encouragement à l’usage de l’ordinateur et
de risque d’en faire une utilisation abondante. D’ailleurs, le diver- l’Internet par les parents, et enfin par le manque d’information et
tissement et le loisir ont été recensés par Wan et Chiou [4] en de sensibilisation quant aux risques de cyberdépendance.
tête des besoins auxquels répondent les jeux en ligne. La difficulté
d’accès aux activités de loisir engendre chez les adolescents l’ennui
4.1.2.6. Les activités privilégiées sur internet. Les activités en ligne à
et le sentiment de vide qui les poussent à plonger dans le monde
vertu socialisante captivaient significativement plus l’adolescent
d’Internet. Le coût relativement élevé des autres moyens de loisir
cyberdépendant que non dépendant. L’activité en ligne la plus
ainsi que la peur des conséquences d’éventuelles mauvaises fré-
fréquemment pratiquée par les adolescents de notre étude était
quentations de leurs enfants pourrait expliquer la répugnance des
Facebook (75,1 %). Selon Ferron B [10], les cyberdépendants appré-
parents tunisiens conservateurs à encourager leur enfant de parti-
ciaient les applications hautement interactives. Ces applications
ciper à ces activités en ligne. Les parents se sentiraient ainsi plus
sont toutes accessibles via Facebook, ce qui pourrait expliquer
rassurés en voyant leur enfant devant un ordinateur [15], que de
l’intérêt majeur de nos adolescents cyberdépendants pour ce site.
les savoir « traînant » dans la rue et ne sachant pas ce qu’ils y font.
Dans notre étude, les jeux vidéo en ligne paraissaient intéresser
les adolescents de façon moindre que le Facebook. Une étude tuni-
4.1.2.4. Les autres addictions comportementales. La cyberaddiction sienne menée sur des étudiants [19], a conclu au même résultat.
chez nos adolescents était significativement corrélée à la pratique L’usage des jeux vidéo en ligne semble moins popularisé en Tuni-
excessive de jeux vidéo sur console et à des conduites rappelant les sie qu’ailleurs. Griffiths a montré la nature addictive des jeux vidéo
achats pathologiques. Selon la littérature, elles paraissent partager sur console et en ligne en offrant au joueur de fortes récompenses
certains facteurs de risque avec la cyberaddiction et contribueraient psychologiques [20,21]. Toutefois, les jeux en ligne à plus grand
à augmenter le risque de la cyberdépendance [16,17] Semaille potentiel addictif peuvent relever d’un système d’abonnement
(2009) [18] a rapporté la parenté entre les divers troubles cor- payant [13]. Ceci pourrait expliquer la limitation de l’accès de
respondant aux addictions comportementales, et aussi entre les l’adolescent tunisien à ce type de jeux.
addictions comportementales et aux substances. D’où l’intérêt de la
recherche systématique de polyaddictions chez tout sujet souffrant
de n’importe quelle forme d’addiction. 4.1.2.7. La durée de connexion sur internet. La durée de connexion
était fortement corrélée à la cyberaddiction. Les recherches à ce
4.1.2.5. La consommation de substances psycho-actives. sujet donnent des résultats relativement variables. Pour Sherer
L’association de la cyberaddiction à la consommation ou l’addiction (1997) [22], le meilleur signal d’alerte de dépendance est le fait
aux substances est documentée dans la littérature. Selon plusieurs de passer deux fois plus de temps en ligne qu’un non dépendant.
auteurs [18], les abus de substances figurent parmi les pathologies Nos résultats paraissaient répondre à ce critère. Toutefois, rappor-
les plus fréquemment associées à la cyberaddiction. Cette associa- ter la dépendance à la seule durée de connexion est non significatif
tion fréquente a été expliquée, entre autres, par les caractéristiques selon d’autres auteurs [16,23]. Le critère temps devrait donc être
communes des addictions: neurobiologiques, cliniques et psycho- manié avec prudence; il s’agit plutôt de prendre en considération un
pathologique ainsi que les facteurs socio-familiaux communs. La ensemble d’aspects de l’usage du média comme la perte de contrôle
disparité de nos résultats avec ceux de la littérature quant à la durant la connexion et ces conséquences négatives.
J. Ben Thabet et al. / L’Encéphale 45 (2019) 474–481 479
4.1.3. Facteurs familiaux associés à la cyberaddiction D’une autre part, la cyberdépendance permettrait l’expression, et
4.1.3.1. Parents et fratrie. La majorité des cyberdépendants de souvent l’aggravation de troubles psychiatriques latents [16].
notre échantillon vivaient avec leurs parents. Paradoxalement, la
monoparentalité semblait significativement associée à un moindre 4.2. Concepts de la cyberaddiction
risque de cyberdépendance. Cette situation particulière du couple
parental était décrite comme un des facteurs de risque environne- 4.2.1. Controverses sur la définition de la cyberaddiction
mentaux de la cyberdépendance [15]. Bien au contraire, il parait Le concept de la cyberaddiction n’a pas fait l’objet d’une défini-
que le parent tunisien, lorsqu’il se trouve seul serait plus préoc- tion consensuelle. Cette variabilité pourrait être partiellement en
cupé par la sécurité de son enfant aussi bien dans la vie réelle rapport avec l’ambiguïté et l’imprécision du concept de l’addiction
que virtuelle, comme s’il essaye de compenser l’absence de l’autre au sens large dont la définition n’a cessé d’évoluer [30]. Young [1] a
parent. fait la première présentation sérieuse concernant la cyberaddiction.
Dans notre population, le rapport de la famille avec les médias Les critères diagnostiques de Young de la cyberaddiction inspirés
de masse paraît aussi conditionner le risque de la cyberdépen- de ceux du jeu pathologique du DSM IV paraissent simples, clairs
dance. En effet, l’usage d’Internet aussi bien par les parents que et très utilisés d’autant plus qu’il n’y a pas encore de consensus sur
la fratrie était significativement associé au risque de cyberdé- le sujet.
pendance chez nos adolescents. Ceci vient conforter le rôle de Même dans le DSM V, la notion de cyberaddiction n’est pas
l’entourage dans l’initiation de l’adolescent à Internet. Le phéno- encore répertoriée comme une entité à part entière. Le sujet paraît
mène d’appartenance groupale a été décrit comme un facteur de nécessiter encore plus de recherches et le terme Internet Gaming
renforcement positif de cette addiction [24]. Disorder [31] ou trouble de jeux sur Internet paraît faire allusion
à la cyberaddiction. Cependant, les critères de cette condition sont
4.1.3.2. Cyberaddiction et dynamique familiale. Le lien entre la limités aux jeux sur Internet et ne comprennent pas l’utilisation
dynamique familiale et la cyberdépendance des adolescents était générale de l’Internet. Cette nouvelle entité est rapportée dans la
clair. La grande majorité des paramètres étudiant la dynamique section III du DSM V dans la rubrique des conditions nécessitant
familiale étaient significativement corrélés à la cyberaddiction. des études plus approfondies.
Les parents étaient plus permissifs que restrictifs par rapport En effet, les controverses et les difficultés de classification de
à l’usage d’Internet. Cette attitude restrictive et la limitation des ce trouble dans un cadre nosographique caractérisé ne cessent
champs de libertés étaient significativement associées à un plus de s’imposer. Dans ce sens, plusieurs auteurs [16] s’accordèrent à
grand risque de cyberdépendance. Dans une étude longitudinale considérer la cyberaddiction comme une dépendance comporte-
sur 3 ans à Hong Kong, le contrôle parental était un facteur pré- mentale vis-à-vis de l’utilisation d’Internet. D’autres [12,32,33] ont
dictif de cyberaddiction [25]. L’attractivité de l’interdit pourrait pu l’identifier comme étant un désordre de contrôle des impulsions
sous tendre ce phénomène. Cette attitude restrictive pourrait éma- reliées à certaines applications d’Internet. Certains [6] ont consi-
ner d’un manque d’information des parents par rapport aux règles déré la cyberdépendance comme un trouble d’ordre obsessionnel
d’usage et aux mesures de protection de l’enfant sur le net [21]. et compulsif.
D’ailleurs, selon Auxéméry [26], dans tous les cas d’un usage patho-
logique du net, le fonctionnement de la dynamique familiale met 4.2.2. Instruments et mesures utilisés pour retenir le diagnostic
fréquemment en évidence une difficulté des figures parentales à de la cyberaddiction
imposer les règles d’usage d’Internet. Les données de la littérature illustrent le grand nombre des
La qualité de la relation des parents avec leurs enfants et au sein instruments de dépistage et de diagnostic de la cyberdépendance
même du couple parental est déterminante. Plus elle est conflic- proposés depuis l’introduction de ce concept. Il n’existe cepen-
tuelle, plus l’adolescent se réfugie dans son monde virtuel, comme dant pas, à l’heure actuelle, d’échelle validée pour le dépistage et
cela était objectivé dans notre population où les conflits familiaux l’évaluation de la cyberaddiction [18] ce qui pourrait être à l’origine
étaient associés à un plus grand risque de cyberdépendance. L’effet de la disparité des résultats de la littérature.
des conflits entre les parents sur la cyberaddiction serait médié par Dans notre étude, nous avons utilisé le questionnaire de Young
l’anxiété et la dépression [27]. à huit items. Étant conçu par analogie aux critères du diagnostic du
jeu pathologique, ce fut le premier test diagnostique de la cyberdé-
4.1.4. Anxiété, dépression et cyberaddiction pendance et a été fréquemment adoptée par diverses études [18].
L’anxiété était significativement corrélée au risque de cyberdé-
pendance mais ce n’était pas le cas pour la dépression. L’anxiété 4.2.3. Populations étudiées et méthodes de recrutement
et la dépression sont parmi les comorbidités psychiatriques les Les importantes différences constatées dans la littérature
plus largement recherchées avec la cyberdépendance. La dépres- concernant la prévalence de la cyberaddiction pourraient aussi
sion, la phobie sociale, l’hostilité, l’hyperactivité et le déficit de s’expliquer par la nature des publics cibles, les contextes socio-
l’attention sont les pathologies le plus souvent associées à la cybe- culturels dans lesquels ils évoluent et les méthodes de sélection.
raddiction chez les enfants et les adolescents [6,8]. Une revue de Selon plusieurs études sur l’usage d’Internet menées en population
20 études intéressées aux corrélations entre l’usage problématique générale [34], les adolescents semblent plus touchés par la cybe-
d’Internet et divers troubles mentaux [28] a révélé que 75 % ont raddiction que les adultes, ce qui pourrait expliquer, en partie, la
trouvé des corrélations significatives avec la dépression et 57 % avec prévalence plutôt élevée de ce phénomène dans notre population.
l’anxiété.
L’adolescence est une période de réorganisation interne, de 4.2.4. Outils statistiques utilisés pour l’analyse des données
tensions importantes, d’angoisses, de sentiment de dévalorisation D’une façon générale, les outils statistiques, de part leurs diversi-
ou, à l’inverse, de survalorisation [29]. Le monde virtuel d’Internet tés, pourraient influencer les résultats des plus grandes études ainsi
sert à l’adolescent de refuge de la souffrance psychologique et que leur comparabilité. En effet, il faut toujours en évaluer l’utilité
d’un espace de renforcement narcissique. La nature du lien de du test statistique dans la pratique [35]. Concernant notre sujet
cause à effet entre la cyberaddiction et ces deux comorbidités reste d’étude « la cyberaddiction », et comme l’a montré la méta-analyse
difficile à établir. D’une part, l’une d’elles ou les deux pourraient de Byun et al. (2009) [11], la plupart des études étaient descrip-
conduire à un usage compulsif et abusif d’Internet au point de tives explorant les divers aspects de ce phénomène. La régression
l’addiction dans la quête d’une solution aux troubles primaires. logistique était la forme la plus fréquente des méthodes statistiques
480 J. Ben Thabet et al. / L’Encéphale 45 (2019) 474–481
[37] Laxenaire M. Psychanalyse et addictions sans substances. Ann Med Psychol Rev Amp Behav Impact Internet Multimed Virtual Real Behav Soc 2008;11:
Psychiatr 2010;168:524–7. 731–3.
[38] Leung L. Net-generation attributes and seductive properties of the Internet [44] Reda M, Rabie M, Mohsen N, et al. Problematic Internet users and psychia-
as predictors of online activities and Internet addiction. Cyberpsychol Behav tric morbidity in a sample of Egyptian adolescents. Psychology 2012;03:
2004;7:333–48. 626–31.
[39] Johansson A, Götestam KG. Internet addiction: characteristics of a question- [45] Hawi NS. Internet addiction among adolescents in Lebanon. Comput Hum
naire and prevalence in Norwegian youth (12–18 years). Scand J Psychol Behav 2012;28:1044–53.
2004;45:223–9. [46] Ferreira C, Ferreira H, Vieira MJ, et al. Epidemiology of Internet use by
[40] Siomos KE, Dafouli ED, Braimiotis DA, et al. Internet addiction among Greek an adolescent population and its relation with sleep habits. Acta Med Port
adolescent students. Cyberpsychology Behav Impact Internet Multimed Virtual 2017;30:524–33.
Real Behav Soc 2008;11:653–7. [47] Li L, Xu D-D, Chai J-X, et al. Prevalence of Internet addiction disorder in Chinese
[41] Jee Hyun Ha SYK. Depression and Internet addiction in adolescents. Psychopa- university students: a comprehensive meta-analysis of observational studies.
thology 2007;40:424–30. J Behav Addict 2018:1–14.
[42] Canbaz ATS. Prevalence of the pathological Internet use in a sample of Turkish [48] Mellouli M, Zammit N, Limam M, et al. Prevalence and predictors of Inter-
school adolescents. Iran J Publ Health 2009:38. net addiction among college students in Sousse, Tunisia. J Res Health Sci
[43] Lily Ghassemzadeh MS. Prevalence of Internet addiction and comparison of 2018;18:e00403.
Internet addicts and non-addicts in Iranian high schools. Cyberpsychology