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Africanistes
Holas B. Fondements spirituels de la vie sociale sénoufo. In: Journal de la Société des Africanistes, 1956, tome 26. pp. 9-31;
doi : https://doi.org/10.3406/jafr.1956.1940
https://www.persee.fr/doc/jafr_0037-9166_1956_num_26_1_1940
B. Holas
A. Position de la question
Les présentes lignes — fruits des observations datant pourtant
d'une dizaine d'années — ne sont qu'une première approche, fort
simplifiée et en tout cas provisoire, de la structure socio-religieuse
d'un important groupement de peuplades, d'origine diverse et parfois
obscure, qu'il est convenu de désigner par le terme Sénoufo. Il s'agit
en l'espèce d'une civilisation de type mixte \ avec une large dose
d'influences paléo-soudaniennes, dont l'étude reste encore à faire.
C'est alors qu'il sera possible d'apporter des retouches nécessaires
à notre esquisse.
Voici donc quelques éléments, plutôt échantillons, de la bâtisse
philosophique de ce monde insuffisamment connu, assez statique sinon
hostile à tout changement brusque d'un monde qui — dans une
Afrique en transformation — semble se suffire à lui-même et dont la
vie quotidienne est réglée, jusqu'au moindre détail, par les préceptes
religieux sans doute d'une grande ancienneté.
B. Cosmologie
Comme tout Homo sapiens, le Sénoufo ressent le besoin
d'interpréter le monde qui l'entoure. Les versions de la Genèse sont aussi
nombreuses que différentes, et la tradition orale y ajoute en outre
1° Création du monde
1. Nous étant imposé de nous tenir au niveau du compréhensible, nous ne nous étendrons pas
ici sur le symbolisme de ces gestes. D'ailleurs, une pareille tentative dépasserait le cadre de notre
esquisse.
12 SOCIÉTÉ DES AFRICANISTES
ci, portant le nom de Wulo No, Notre mère, Aïeule, est blanche comme
Wolu To et, comme lui dans ses débuts, nue. Pour se faire comprendre
d'elle, l'homme commence à parler. La femme lui répond puis se
sentant honteuse de sa nudité, imite Wulo To et se vêt de feuilles.
Elle se met aussi à l'aider au labour. Quand le soleil leur sèche la
gorge — c'est la soif — ils s'en vont ensemble boire au marigot,
car il n'y a pas encore de poteries pour transporter l'eau.
Dixième jour : c'est le dernier jour de la Création. Wulo No prend
de la terre, la pétrit avec de l'eau, et fabrique le premier pot. Seule,
tandis que Wulo To se repose, elle va à la rivière et apporte de l'eau
pour servir à la fabrication de briques (travail d'homme) séchées
ensuite au soleil. Avec ces briques, Wulo To — aidé de sa femme —
construit la première maison. C'est lui seul qui monte ensuite,
utilisant à cette fin des herbes sèches, le toit, et qui place le feu au foyer.
Ainsi le travail de Création proprement dite est fini.
2° Evolution
1. Il est curieux de retrouver, dans certains cycles mythologiques sénoufo, l'idée d'un être
primordial composé de deux individus, mâle et femelle, soudés par leurs parties lombaires. C'est
d'ailleurs une figure cosmologique bien répandue dans les civilisations ouest-africaines, et nous
l'avons rencontrée — très nettement tracée — par exemple chez les Bété, où elle symbolise le stade
d'indiflérentiation sexuelle dans l'élaboration progressive de l'humanité.
Dans les civilisations voisines du type soudanien apparaît parfois un Premier ancêtre
bisexué. C'est ainsi que, dans une étude récente, Germaine Dieterlen signale l'existence chez les
Bambara d'un « être unique androgyne », équivalent mythologique du Couple primordial (Les rites
symboliques du mariage chez les Bambara (Soudan Français), p. 817.
Selon toute probabilité, le kulo syelo (matérialisé par une statue à deux faces) ayant une
fonction importante dans les rituels initiatiques, appartient à un autre circuit de symboles.
FONDEMENTS SPIRITUELS DE LA VIE SOCIALE SENOUFO 13
C. Religion traditionnelle
1 . L'Administrateur Vendciv, dans un chapitre peu approfondi de son article, trouve à la religion
sénoufo un aspect étrangement complexe :
» A l'examen, on s'aperçoit que le caractère fantaisiste du Noir et plus particulièrement des Sénoufo
» s'adapte parfaitement aux trois formes de religions et l'on peut dire que les Sénoufo sont en même
» temps : fétichistes, animistes et naturistes.
» Ils sont fétichistes ayant un culte marqué pour les idoles qu'ils fabriquent afin d'avoir devant
» leurs yeux l'image de certains dieux protecteurs. Ils attachent également certaines vertus à des
» objets susceptibles de les protéger.
» Ils sont animistes, croyant ;\ l'esprit des morts qui, selon eux, habitent une vague région ou ils
» ont le repos, pas de travail et peuvent se livrer à des libations sans fin d'hydromel et bière de rail.
» L'âme des défunts erre parmi les vivants, les protégeant et les avertissant de certains malheurs.
» Quelques esprits de morts sont possédés du démon et ne cherchent qu'à jouer de mauvais tours
» aux gens du village. D'aucuns croient à la métempsycose, qui est une forme de l'animisme.
» Ils sont naturistes, obéissant aux forces de la nature, qu'ils craignent, adorant celles-ci sous formes
» variées (Nouvel esbai..., p. 638)
Pour Ferréol, un autre observateur administratif,
» Les Sénoufo sout des fétichistes ; ils poussent très loin la superstition des génies bons ou mauvais.
» C'est ainsi que les tas d'immondices situés prés des villages ou carrefours des ruelles sont consi-
» dérés par eux comme des lieux sacrés, fréquentés la nuit par les génies protecteurs de la famille.
» Aussi, gratifient-ils ces tas d'ordures d'ex-voto tels que : coquilles d'œufs, os d'animaux sacrifiés
» aux génies, plumes de volailles mêlées à du sang, etc.
» Les champs de culture, les habitations, les routes, les arbres des marchés, les arbres producteurs
» de fruits de cueillette, ont chacun leurs fétiches pour attirer la faveur des bons génies et en éloi-
» gner les mauvais. »
(Ferréol, Essai historique et ethnographique sur quelques peuples de Banfora. p. Í05, chapitre
« Religion ».)
Planche I
Photo : B. HOLAS
FONDEMENTS SPIRITUELS DE LA VIE SOCIALE SÉNOUFO 17
1. In litt., 1955. Nous profitons de cette occasion pour remercier notre ami et « frère rituel »
Bochet, non seulement de ses très intelligentes suggestions, mais d'un grand nombre d'informations
précises.
2. Ou, comme de simples « prescriptions magiques », d'après l'avis de Bochet.
3. Qui ne doivent pas être confondus avec ceux de la Genèse au degré supérieur, opérant dans
le domaine de la symbolique, qui n'est révélée qu'au cours des initiations dans le collège fermé du lo .
FONDEMENTS SPIRITUELS DE LA VIE SOCIALE SENOUFO 19
Plus tard vient une brève phase que l'on pourrait envisager dans
une certaine mesure comme pré-initiatique, durant laquelle le jeune
individu est mis sous l'influence éducative de ses aînés déjà initiés
au premier degré. Les différentes étapes de cette période préparatoire
portent alors respectivement des noms dont le symbolisme reste
assez difficile à saisir : les années « de la mouche», «de l'oiseau», etc.
La « connaissance parfaite » est ensuite enseignée au lo. C'est
une institution extraordinairement complexe qui varie suivant les
diverses fractions sénoufo et à l'intérieur même de celles-ci. Dans
le Nord, par exemple chez les Minianka, elle a une forme peu
perceptible, doublement floue à cause des deux ou trois grands cultes
parallèles à caractère quasi initiatique (le nya en premier chef). C'est
dans le secteur sud que le poro revêt sa forme typique, la plus
perfectionnée.
L'organisation des cycles typiques du lo varie souvent à l'intérieur
d'un même village, où chaque groupement familial suit d'habitude
son propre thème rituel : dans cet état des choses, on est réduit à
des simplifications substantielles dès qu'on essaye d'en brosser le
schéma, et l'observateur ne peut espérer obtenir, en fin de compte,
qu'une vue plus ou moins fragmentaire du problème.
En vérité, l'expérience montre combien trompeuse peut se révéler
une pareille étude. Après un accès relativement facile des
installations matérielles de l'enclos sacré, toute pénétration dans les secrets
du poro se heurte à de très nombreuses difficultés. Afin de garder
à l'abri du profane les vérités dogmatiques de l'enseignement religieux,
un véritable système « trompe-l'œil » s'est ainsi institué, comme un
barrage courtois mais ferme contre les insistances des missionnaires,
des administrateurs, des touristes. La réponse, conformément à
l'étiquette civique de l'Africain, est rarement refusée : elle peut
cependant être fausse... D'ailleurs, il s'agit en l'occurrence d'une
obligation de l'interrogé vis-à-vis de son organisation; il serait considéré
comme ayant commis une faute rituelle grave s'il en faisait confiance
au non-initié. Cette règle est rarement enfreinte chez les vieux Sénoufo,
encore de nos jours, tout au moins dans les cas où il est question
des choses importantes. Cette remarque est, pensons-nous, bien à sa
place pour que le lecteur des travaux consacrés à ce sujet y apporte
toujours son correctif.
En ce qui concerne les documents de ce genre, nous devons à
Delafosse une des premières descriptions, malheureusement trop
sommaire, des bois sacrés de laquelle on retiendra surtout le
signalement de l'existence d'un « cône à sacrifices » fait de terre battue et
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1. G. Bochet, (in litt., 1955J nous rappelle à cette occasion qu'il existe dans la mémoire des
Sénoufo contemporains d'autres phases encore, telles que le nyugbo gère, le fidyini ou le nowarat
mais elles ne sont que très rarement pratiquées et tombent vite dans l'oubli,
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chacune de sept ans ; le stage proprement dit dans tel ou tel stade
intermédiaire ne dure que ce qu'il est indispensable pour
l'accomplissement des rites prescrits, c'est-à-dire d'un jour à un mois. Au
terme de chaque stage a lieu une cérémonie de sortie, ce qu'on
pourrait appeler une « fête de promotion », au cours de laquelle l'adepte
se voit octroyé un nouveau degré dans la hiérarchie du poro ; il
portera le grade jusqu'à la fin de la cérémonie suivante.
Les phases intermédiaires, d'assez courte durée, se trouvent
cependant séparées par des espaces de temps non sacré, réservés à l'exécution
de différents travaux collectifs au profit surtout des dignitaires du
poro.
En ce qui concerne maintenant le système initiatique des Nafara,
on distingue, comme dans le cas précédent, une phase prénubile,
une phase de l'adolescence et une phase de l'âge mûr.
1° Suivant Bochet, à la première phase (le «.poro noir») se
rapporte les noms катит et nyara, cette dernière se décomposant en
plusieurs stades portant les noms suivants : nyâma, nu (?), nasolo
et nôgbara.
2° Quant à la phase de l'adolescence, celle-ci comporterait trois
grades, à savoir : nu, plâgi, et kwonro.
3° Comme les Kiembara, les Nafara donnent le nom de tyologo
à la phase d'initiation définitive, et celle-ci ressemble point par
point à ce que nous avons dit à ce sujet dans le premier cas.
Toutefois, les Xafara pratiquent en plus une cérémonie-phase
supplémentaire dite kagba.
Tout ceci n'est qu'un tableau trop simplifié pour qu'il puisse
évoquer l'ampleur réelle de cette étonnante organisation. Espérons par
ailleurs que des études ultérieures permettront d'effectuer des
retouches utiles de notre schéma et d'y apporter des compléments.
D'ores et déjà, on peut cependant estimer comme exagérées les
impressions des premiers observateurs sur le rôle exclusif attribué
aux âmes des ancêtres dans la vie des groupements initiatiques et
dans la vie religieuse en général.
Il est sûr que les âmes des morts jouissent d'une vénération
particulière chez les Sénoufo, et certaines institutions religieuses sont
même mises sous leur égide ; tous les actes du poro ne font en réalité
que reproduire la volonté des aïeux morts ; les ancêtres président,
peu s'en faut, tous les rites agraires ; l'attention des membres vivants
de la famille est centrée sur la personne de l'ancêtre-fondateur ; la
cérémonie fondamentale de l'année sociale sont les funérailles,
organisées en honneur des morts...
Cela est sans doute vrai ; mais aller, comme l'a fait Pelafosse,
FONDEMENTS SPIRITUELS DE LA VIE SOCIALE SENOUFO 25
D. Cultes nouveaux
Dans cette atmosphère de malaise spirituel, l'affaiblissement des
traditions a nécessairement conduit à des substitutions, afin de
remédier à la sorte de vacuité qui s'en est suivie. On observe ainsi une
recrudescence du prosélytisme religieux, une tendance accrue aux
conversions, à des éclosions sporadiques de courants religieux
nouveaux.
Parmi ceux-ci c'est surtout le culte de la Corne, fondé par un homme
minianka, dans le Cercle de San (Soudan Français), qui a réussi à
bouleverser, quelques années durant, la vie religieuse sénoufo 2.
Le côté le plus faible de la doctrine du Mpéni Dembélé (c'est le
nom de l'inspiré de San) résidait sans doute dans ses insuffisances
dogmatiques, circonstance qui a joué en faveur de la victoire finale
du poro, alors sérieusement engagé dans la lutte.
1. Cf. Rapport politique annuel du cercle de Korhogo, 1953, IIe partie, p. 67 du manuscrit.
2. M. Cardaire, L'Islam..., p. 35-45 ; nous-même avons consacré à ce sujet une étude intitulée
provisoirement : Le culte de Masa : sa forme sénoufo (en préparation).
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1. A ne pas confondre avec les « magiciens » devins dits sandogo, ou sandugu, qui se placent au
contraire du côté positif de la société.
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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES