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La vie avec une personne atteinte de maladie d’Alzheimer est difficile. Les sollicitations et les
besoins de votre parent sont multiples, nécessitant du temps, de la disponibilité et de la patience, 24
heures par jour et 365 jours par an durant plusieurs années. L’évolution de la maladie est lentement
progressive, sollicitant toujours plus l’entourage, qui, lui-même, vieillit, se fatigue, se décourage et
s’épuise. Être l’aidant est un rôle crucial dans le maintien à domicile. La prise en charge d’une
personne en perte d’autonomie est lourde, jalonnée d’obstacles propices à l’épuisement physique et
psychologique. Sans y prendre garde, vous négligerez votre vie personnelle, votre santé, vous
oublierez de vous occuper de vous, vous retrouvant souvent isolés de vos amis et de vos autres
parents.
La qualité de l’aide que vous êtes et serez en mesure d’apporter, dépend et dépendra de la durée de
votre santé physique et psychique.
Le fait de devenir aidant peut s’avérer être un atout afin de développer de nouvelles relations
familiales. Lorsque l’aide est apportée à un membre de la famille, l’aidant estime davantage ne pas
avoir la possibilité de refuser. Il n’aurait moralement pas d’autre choix que de venir en aide.
Si vous apportez ce soutien de manière spontanée et volontaire, nombre d’entre vous rapportent un
choix qui ne fut en rien naturel, et qu’ils furent investis de ce rôle « d’aidant désigné » comme
poussés par le cercle familial, désirant répondre ainsi à une dette, par devoir de loyauté.
Chaque individu avec ses valeurs et ses croyances va se constituer une représentation de sa famille
et du rôle qu’il y joue. Ce « mythe familial », c’est-à-dire cette représentation de la famille qui
s’instaure au cours du temps, dessine également l’image interne que la famille se donne d’elle-
même et participe au maintien d’un équilibre auquel tous les membres contribuent fortement. Cette
représentation fonctionne comme moyen de résistance aux changements et permet de prendre
conscience de notre place et de notre rôle dans la famille et dans la société, de notre destinée et de
notre mort.
L’annonce d’un diagnostic de maladie d’Alzheimer chez un des membres de la famille est un
cataclysme interne. La famille est attaquée dans son équilibre et l’ajustement qui avait été trouvé
entre ses différents membres va être remis en cause. La maladie d’Alzheimer n’est plus celle d’une
seule personne mais devient la maladie d’un système familial, qui doit se réorganiser en fonction de
la maladie et se trouver de nouveaux repères. La maladie réveille parfois, dans les fratries, des
conflits très anciens. Les difficultés et les souffrances morales rencontrées alors par l’entourage sont
2- Pourquoi ce rôle d’aidant et comment ?
si importantes qu’elles mènent souvent à l’éclatement familial. Mais parfois certaines personnes
considèrent « cette responsabilité » comme une façon de se rapprocher de leur parent malade. Leurs
soins sont basés sur un amour inconditionnel et elles ne voient pas leur nouvelle tâche comme un
poids. Le parent souffrant de démence * (p17) est capable de le percevoir et cela permet de stimuler
leurs émotions d’une façon positive. Même si pour beaucoup, aider le conjoint ou le parent est de
l’ordre du naturel ou du devoir, ceci n’empêche pas d’éprouver la satisfaction de ce que l’on a
accompli. Les aidants sont convaincus de leur aide et de faire au mieux de leurs possibilités. Ils
peuvent en ressentir une certaine fierté : fierté du devoir accompli, fierté de faire le maximum, fierté
d’éviter à la personne dépendante le placement en institution. L’aide s’inscrit donc dans la durée :
une aide que l’on croyait temporaire devient une aide permanente ne prenant fin qu’au décès de la
personne aidée.
Toutefois, nous verrons que ces valeurs ne suffisent pas à expliquer les raisons concrètes et réelles
de venir en aide à une personne en perte d’autonomie. D’autres dimensions, plus contraignantes,
telles que le sentiment du devoir accompli et l’obligation morale, entrent en ligne de compte.
Heureusement, il y a déjà des aides de mises en place, mais elles ne couvrent pas tout. Le coût d’un
tel choix amène aussi à le différer le plus longtemps possible. Encore un point, qui a toute son
importance : quelle personne âgée n’a jamais partagé son inquiétude de voir les fruits de ses efforts
et de ses privations, ses économies, même son patrimoine vendu, « dilapidés » dans le paiement de
son loyer d’EHPAD.
Trop souvent, l’aidant se trouve « désigné » par le fait de circonstances, de façon précipitée à
l’occasion d’un événement (accidents, décompensation psychique, décès d’un proche, chute,
maladie, hospitalisation, déménagement…) puis il s’y maintient afin de préserver le nouvel
équilibre de la famille qui s’est mis en place à son insu.
Toutefois, pour répondre au mieux aux besoins affectifs, relationnels et physiques de votre parent
atteint de maladie d’Alzheimer, et gérer au mieux la situation de la dépendance, il va vous falloir
acquérir quelques compétences sans lesquelles vous ne pourrez pas faire face.
Comme vous le savez, cette prise en charge lourde n’est pas sans obstacle et encore moins de
conséquences sociale, familiale et économique sur votre vie. Mais les répercussions peuvent aussi
être positives. L’aide représente un nouveau rôle pour vous et peut devenir une source
d’enrichissement dans la réussite d’un véritable challenge. Les sacrifices que font les aidants
représentent un cadeau précieux pour ceux qui sont dans le besoin. Cet altruisme amplifie les vertus
les plus nobles, comme la loyauté, le respect et la compassion. L’aide que vous offrez est souvent
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sans retour et même ignorée par les autres, par peur d’avoir à s’impliquer davantage ou par des
croyances discriminatrices à l’égard de l’engagement.
Avant de détailler ce qui motive votre dévouement, vos ressentiments et l’épuisement qui guette
tous les aidants, nous aborderons ce qui semble être un changement radical à effectuer dans votre
façon de voir l’aide que vous apportez : le choix.
Prendre soin d’une personne atteinte de la maladie d’Alzheimer implique inévitablement d’éprouver
des émotions contradictoires. Vous pouvez dans la même journée vous sentir tour à tour satisfait, en
colère, frustré, coupable, heureux, triste, affectueux, embarrassé, effrayé, amer, rempli d’espoir puis
complètement désespéré. Toutes ces émotions sont difficiles à vivre en même temps : sachez
toutefois qu’elles ne sont ni bonnes ni mauvaises mais simplement normales. S’occuper d’un
malade Alzheimer est une tâche immense : il ne faut pas se culpabiliser quoi qu’on fasse ou ne fasse
pas.
Acceptez ce que vous ressentez
Dans le chapitre 28 « Comprendre vos émotions » nous reviendrons de façon plus approfondie sur
ce que vous ressentez, pourquoi, à quel moment et comment l’accepter. Je tiens à rappeler la notion
de choix qui régit chacun de vos engagements. Que rien n’est définitif et qu’à tout moment un
choix peut être révisé. Ce n’est pas « faire marche arrière » que de pouvoir désirer s’arrêter et passer
la main, car ce que vous avez déjà fait est déjà plus que de ne pas l’avoir fait. Il faut savoir
reconnaître en cela une preuve de courage et d’intelligence que de s’apercevoir à un instant donné
que vous avez atteint vos limites ou bien les limites que vous vous étiez fixées et de reconnaître que
vous n’êtes plus forcément celui qui répondra au mieux aux besoins que présente votre parent.
Reconnaître que vous devez déléguer à des professionnels une prise en charge technique,
spécialisée et ne garder pour vous ce qu’aucun aidant professionnel ne saura lui donner mieux que
vous, l’affection et la connaissance du proche.
Il faut donc revenir sur la notion de choix, celui d’être devenu l’aidant principal de votre parent en
insistant sur le : « Suis-je vraiment libre d’avoir fait ce choix » ?
Le choix
Qu’est-ce qu’avoir le choix ?
Le choix est un éventail d’options dans une même situation, il se réfère à la variété, à la
multiplicité… Les aidants, eux, estiment ne pas avoir d’autre possibilité que de venir en aide.
Vous ne le dites pas de façon explicite mais l’analyse met en évidence le fait que vous vous sentez
redevable vis-à-vis de la personne que vous aidez, comme si vous considériez « l’aide » comme un
juste retour des choses.
N’avez-vous jamais dit ou pensé au plus profond de vous : « je n’ai pas le choix »,
– M. J nous a dit un jour « Non, nous n’avons pas le choix et donc quand on n’a pas le choix on
subit ! »
Ne vous êtes-vous jamais senti prisonnier de la situation dans laquelle vous n’avez pas d’autre
choix que de vous laisser envahir. Ce qui jusque-là pouvait donc a priori passer pour un choix
intentionnel est en réalité une décision contrainte et contraignante.
« L’aide est vécue comme une obligation morale » ; c’est alors que vous ne vous situez plus dans
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une logique du choix où la raison guide la pensée mais du sentiment du devoir accompli.
Nous considérerons qu’être libre c’est avoir le choix entre plusieurs situations, et conviendrons que
celui qui n’a pas le choix est contraint d’agir d’une certaine manière et pour qui aucune autre
possibilité se présente. Mais seriez-vous prêt pour autant à tout abandonner ?
Analysons le fait que se sentir prisonnier d’une situation sert aussi à camoufler une certaine peur
que l’on ressent face au changement, peur qui ferme la porte à l’exploration des autres possibilités
d’aménager la relation « aidant/aidé » que vous vivez. Quelles sont les exigences que je m’impose
sous le masque de cette dépendance ?
Vous pensez ne pas avoir le choix compte tenu des exigences qui pèsent sur vous tant de votre
entourage que celles que vous vous imposez. Vous avez souvent ressenti la « pression » de certains
membres de votre famille, s’exerçant de telle façon que personne ne remet plus en cause votre rôle
d’aidant et que, bien plus encore, on compte sur vous.
– « On te fait confiance, tu es tellement plus habile que nous pour en prendre soin. »
– « Vous vivez ensemble, on ne se mêlera pas de vos affaires »
– « C’est toi qui as commencé à t’en occuper. Moi je travaille, j’ai des enfants… »
– « Tu es plus proche… »
– « Ça se passe bien puisque tu ne nous demandes jamais d’aide… »
Mais ce sont les exigences que vous vous imposez à satisfaire qui pèsent le plus dans le fait de vous
sentir prisonnier de la situation. Elles s’appuient sur des valeurs morales et justes qui guident
l’ensemble de nos vies. Elles sont difficiles à repérer et surtout à remettre en question…
– « Je ne veux pas paraître inhumaine et indifférent… »
– « J’ai le devoir de m’en occuper, je lui dois la vie. »
– « Il n’y a que moi… ou bien il n’y a que moi qui peux le faire, je connais ses besoins, ses goûts et
ses habitudes. »
– « J’ai fait la promesse. »
Finalement, il faut désormais accepter ce rôle qu’on n’avait pas nécessairement l’intention
d’endosser et apprendre à composer avec une dualité de rôles, selon l’état de notre parent. L’aidant
qui se voit dans l’obligation de prendre en charge l’intendance du ménage de son parent endosse le
rôle de responsable. Mais ce sentiment de responsabilité ne doit pas cependant faire de l’aidant le
parent de son parent.
Prendre conscience que l’on peut avoir une part de choix dans la manière dont on se représente une
situation est une nuance qui fait toute la différence entre « subir et agir ».
Vous pourrez tenter cette petite expérience :
vous détestez vous lever tôt et dès le réveil votre première pensée « je suis obligée de me lever ! »
À cette simple évocation, vous vous sentez déjà lourd rien qu’à envisager votre réveil dans ces
termes. Ou bien vous pouvez vous dire : « je choisis de me lever » et même si vous n’êtes pas
matinal vous vous êtes mis dans une dynamique, plus active.
Le poids des mots a une importance cruciale.
Ceci pour vous illustrer ce que l’on appelle un choix de représentation, on favorise une plus grande
ouverture d’esprit. C’est une façon d’élargir l’étendue des possibilités de réaménager vos
contraintes plutôt que de rester à croire de façon résignée que vous n’avez pas le choix.
Mais pour avoir le choix il va vous falloir accepter que choisir : c’est vouloir prendre le risque de
changer quelque chose. Se sentir prisonnier d’une situation est parfois vivable et sert à dissimuler
une certaine peur du changement, peur qui ferme la porte à l’exploration de bien d’autres
possibilités d’aménager la relation « aidant-aidé » que vous vivez.
Le désir de changement demande de la volonté et cette dernière demande de l’énergie. Difficile de
vous demander de faire preuve d’énergie à un moment où vous vous sentez épuisé par de
nombreuses années de prise en charge de votre parent malade (voir chapitres 12 et 22 sur
« l’Épuisement »).
Dans le but d’éviter une situation d’épuisement néfaste au maintien de votre santé, ce guide vous
donnera les moyens de réévaluer votre investissement d’énergie selon les situations données et de
recharger vos batteries. Moyens que nous aborderons plus précisément dans les chapitres 12
« Motivations », 21 « Ressources » et 23 « Répit ».
Mais rares sont les aidants qui sont préparés à ce rôle qui leur est attribué. Votre rôle auprès de votre
parent malade, vous l’avez compris, est et sera d’une importance considérable, mais il est aussi et
avant tout très important que vous compreniez que vous êtes le pilier du maintien à domicile. Parce
que votre parent a besoin de vous, il sera nécessaire de comprendre comment alléger les
conséquences d’un tel investissement.
Soyez curieux et demandez-vous comment les autres pourraient résoudre le même problème, cela
vous fera prendre du recul et éclaircira votre réflexion et votre pratique.