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LES RUMEURS

Introduction :
Les thèmes récurrents des rumeurs :

o Paniques alimentaires et menace d’empoisonnement, maladies (grippe porcine, grippe


aviaire, COVID 19, etc.) – Forts enjeux
o Techno-peur : peur des avancées technologiques. Apparition des nouvelles
technologies. Rumeurs téléphones portables
o Rumeurs sur internet. Menaces de suppression de comptes, menaces d’hacking,
etc.
o Légendes comiques (antiracistes, humour, examens...). La rumeur apparait sous forme de
blagues
o Légendes sexuelles : x couche avec Y…
o La violence urbaine : les histoires qui circulent sur le danger dans les villes
o Les animaux sauvages : les crocodiles dans les égouts, les serpents dans les
toilettes, la bête du Gévaudan, le monstre du Loch Ness…

1. La rumeur : qu’est-ce que c’est ?

o Produit collectif, elles se construisent dans l’interaction (produit social, collectif)


o Elles se nourrissent de faits, d’évènements concrets
o Elles fonctionnent par raisonnement analogique (on part de la conclusion et on interprète la
réalité à partir de cette conclusion)

Exemple : La chute d’Anvers (1914) :


o Le point de départ de la prise de conscience de l’impact des rumeurs.
o Arthur Ponsomby (homme politique, écrivain britannique) analyse des dépêches parues
dans les journaux de l’époque pour illustrer l’effet boule de neige des rumeurs.
o La première dépêche publiée par le journal allemand « La Kölnische Zeitung » a
donné lieu à celle du journal du Matin puis à celle du Times…
ð L’information se dénature de parution en parution…

Les 5 dépêches
1. « À l'annonce de la chute d'un verre virgule on a fait sonner les cloches en Allemagne ». La
Kölnische Zeitung
2. « Selon la Kölnische Zeitung, le clergé d'Anvers a été contraint de sonner les cloches lorsque la
forteresse a été prise ». Le Matin
3. « Selon les informations que le matin tient de Cologne, les prêtres belges qui ont refusé de sonner
les cloches à la prise d'Anvers ont été écartés de leurs fonctions ». Le Times
4. « Selon le Times, citant des informations de Cologne, via Paris, les malheureux prêtres qui ont
refusé de sonner les cloches à la prise d'Anvers ont été condamnés aux travaux forcés ». La
Corriere della Sera
5. « Selon une information du Corriere della Sera, via Cologne et Londres, il se confirme que les
barbares conquérant d'Anvers ont puni les malheureux prêtres belges de leur refus héroïque de
sonner les cloches en les pendant à celles-ci la tête en bas comme des battants vivants ». Le Matin
ð La rumeur née de la rumeur !

Arthur Fonsomby publie ces informations sans les vérifier.

ð Le point de départ des études sur les rumeurs vient de la rumeur elle-même !

Autres exemples de rumeurs célèbres dans l’histoire …


o La rumeur d’Orléans (1960) : le bruit court que des femmes disparaissent dans
les cabines d'essayage de magasins tenus par des Juifs. Ces femmes seraient
enlevées pour être livrées à un réseau de traite des Blanches. Il s'agissait en fait
d'une vague d'antisémitisme basée sur de faux bruits (cf. vidéo, INA Edgar Morin)
o Pendant l’année 1942, après le choc porté par la défaite de Pearl Harbor, les
américains ont colporté un grand nombre de rumeurs et c’est à ce moment-là, que
l’on a pris conscience des dangers que pouvait entrainer ce phénomène. Cet
évènement traumatisant constitua le terrain le plus fertile qu’il soit pour la
propagation des rumeurs.

Gordon Allport et Leo Postman sont deux psychologues américains qui ont été les premiers
(1943) à s’intéresser aux rumeurs et à mettre en lumière les processus psychologiques qui
expliquent leur propagation

2. Quelles sont les conditions de propagation des rumeurs

o Importance du sujet (crises, guerres, maladie)


o Implication : quand on se sent concerné, on véhicule d’autant plus favorablement
la rumeur car on va y être plus attentif. On est également plus enclin à
transformer l’information.
o Ambiguïté et manque d’information : lorsque l’information est floue ou
défectueuse, on est attentif à tout ce qui peut nous en apporter (ou du moins nous le faire
croire). On est aussi plus facilement à son tour un relai de la rumeur (quitte à rajouter
d’autres « informations »)

3. Les types de rumeurs


Catégorisation d’Allport et Postman
o Ils ont analysé plus d’un millier de rumeurs pour établir cette classification :
§ 66 % de rumeurs hostiles (haine envers des personnes ou des groupes sociaux)
§ 25% de rumeurs qui diffusent la peur (accidents grossis, etc.)
§ 2% de rumeurs qui reflètent le désir (« on va sortir de la crise très vite… »)
§ 7% de rumeurs inclassifiables
4. Les fonctions des rumeurs
A quoi servent-elles ?
Pour Emmanuel Taieb (2001) : « les rumeurs sont un récit qui véhicule sous forme
symbolique des peurs des fantasmes, des espoirs et tout ce qui ne peut pas être dit
autrement ».
o Expliquer, donner du sens. On diffuse la rumeur car on a besoin d’interpréter de
comprendre notre environnement (quitte à être dans l’erreur)
o Soulager des tensions internes, des peurs. On se sent mieux quand on partage ses
angoisses…
o Transfert d’agressivité. En transmettant des rumeurs sur des groupes sociaux,
c’est comme si on libérait de l’agressivité. Par ailleurs la rumeur peut éviter de
passer à l’action.
o Création d’un lien social. Le plaisir de transmettre un « scoop » (« tu ne savais pas
que… »)

o Manipuler (aspects intentionnels). On transmet délibérément une rumeur pour observer


ses effets ou pour déstabiliser une population ou encore par intérêt personnel

Exemple : les rumeurs sur les marchés financiers.

5. Etudes expérimentales sur les rumeurs (Allport & Postman, 1943)


Etude 1

Le contexte de Pearl Harbour (étude sur l’impact du discours de Roosevelt sur la force de la rumeur)

Les rumeurs étaient tellement foisonnantes que le 20 Février, le président Roosevelt a dû


faire un démenti à la radio. Allport et Postman ont mesuré auprès de 200 étudiants
américains l’impact du discours présidentiel (mesures avant / après) sur la persistance des
croyances dans les rumeurs.
1. Avant le discours de Roosevelt :
68 % des étudiants avaient accordé aux rumeurs plus de crédit qu’au rapport
officiel (rapport militaire Knox) et estimaient que les pertes subies étaient plus
grandes que ne l’admettait Washington.
2. Après le discours de Roosevelt :
La même étude a été réalisé auprès de :
a) Des étudiants qui n’avaient pas écouté le discours (75 % se fit à la
rumeur)
b) Des étudiants qui l’avaient écouté (44% continuent à se fier à la
rumeur).
Étude 2

Mise en place d’une procédure expérimentale pour reproduire la création d’une rumeur et
mettre en lumière les processus mentaux de leur propagation.

Les étapes de l’expérience


a) Projection d’une image (riche en détail- cf. scène du bus)
b) Description de l’image par les personnes participant à l’expérience
c) Transmission immédiate de la description à une autre personne. (Au total : 7
transmissions)

6. Les biais de l’expérience


La reproduction de la rumeur de manière artificielle (expérimentale) induit des biais (c’est-à-dire
des résultats qui peuvent être faussés par la situation). Il est important de les identifier.

Cette expérience a permis à Allport et Postman de dégager 3 processus cognitifs permettant


d’expliquer le phénomène de rumeur.

7. Les processus cognitifs de construction des rumeurs


o Le processus de réduction : entre la première transmission et la dernière, il y a une
perte informationnelle importante.
Ebbinghaus : « La mémoire sociale accomplit en quelques minutes une réduction
équivalente à celle accomplie par la mémoire individuelle en quelques semaines »

o Processus d’accentuation c’est-à-dire un « focus attentionnel » (effet de mémorisation)


particulier sur :
§ Les mots inhabituels
§ Les chiffres
§ Ce qui se passe dans le présent
§ Les mouvements (exemple, départ d’un train)
§ La taille des objets
§ Effet de primauté –récence (on retient mieux ce que l’on entend en premier et en dernier
dans une histoire)
§ Le familier, le connu, ce qui nous intéresse

o Le processus d’assimilation (transformation)

§ Assimilation au scénario suite d’actions prévisibles et toujours accomplies


dans le même ordre et de façon automatiques. Il existe des scénarios pour
toutes nos actions de la vie quotidienne.
Exemple 1 : scénario du bus : j’attends le bus, je fais signe au
conducteur, je monte dedans, j’achète un ticket, je vais m’assoir…
Exemple 2 : scénario du restaurant : je réserve une table, j’arrive à
l’heure, je donne mon nom, le serveur me place, j’attends un peu, il
amène les menus, je commande…
Il y a assimilation au scénario quand j’ajoute un détail qui ne fait
pas partie de l’histoire qu’on m’a racontée mais qui est cohérent
avec le scénario.

§ On termine l’histoire en lui donnant une bonne suite


§ Assimilation par condensation (on fait des regroupements, on construit des catégories).
Exemple : pommes, poires, bananes = fruits
§ Assimilation par généralisation stéréotypée (on reproduit un stéréotype existant).
Exemple : dans la scène du bus, l’agresseur devient le noir alors
qu’en réalité c’est le blanc. Stéréotype = noir agresseur

8. La transmission de la rumeur
Ce triple processus de transformation de l’information participe au processus de
consolidation, par lequel l’information va se consolider en mémoire et circuler de personnes
à personnes

On constate qu’à partir de la 5ème transmission, il y a eu 70% de


perte informationnelle.

Ensuite, on observe un effet plancher. L’information est tellement


réduite qu’on ne peut pas la réduire davantage. L’information se
consolide en mémoire.

Dès lors, elle va circuler plus facilement car elle sera courte et simple.

ð Les réseaux sociaux accélèrent la diffusion des rumeurs


9. Vers une définition de la rumeur
Allport et Postman : « Affirmation générale que l’on présente comme vraie sans qu’il n’y
ait de données concrètes permettant de vérifier son exactitude »
ð Présenter l’information comme vraie consiste à crédibiliser autant que possible
l’information (apparemment selon le ministère des affaires étrangères… D’après une source sûre proche du
gouvernement, il paraitrait que…)

10.Des rumeurs à la théorie du complot


Keelev. 1999 : « La théorie du complot est une explication d’un évènement historique fondée
sur le rôle causal d’un petit groupe agissant en secret »
o Les Inrockuptibles (2019) « Un français sur 4 pense que les Illuminati nous
manipulent »
o Le 11 septembre 2001 : Complot américain pour justifier l’attaque de Afghanistan?
o Assassinat de Kennedy (1963) : Un coup monté par la CIA ?

Pourquoi ça marche ?

o Ils n’ont pas fait ça au hasard. Il y a forcément une raison.

o Donne du sens, apporte des réponses simples.

o Elle montre que les puissants, les médias nous manipulent.

11. La force de la théorie du complot


o La théorie du complot théorie naïve, Taguieff. 2005 : « Un récit explicatif
permettant à ceux qui y croient de donner sens à ce qui arrive, en particulier ce qui
n’a pas été ni voulu, ni prévu »
o Difficile de démentir le complot... malgré tous les efforts. Quoi que l’on dise… Il en
va de même pour la rumeur
Exemple : En 1987, une rumeur disait que l’actrice Isabelle Adjani avait le SIDA. Elle fait
un démenti au journal de 20h. Elle a en permanence sa main sur la joue. Dans l’esprit du
grand public, elle a une tache … sans doute parce qu’elle a effectivement le SIDA !

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