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Histoire de la propagande - Dal | Axelle Douillet

HISTOIRE ET HISTOIRE DES IDEES


Histoire de la propagande

I. Comment définir la propagande ? Comment envisager l’histoire de la


propagande ?

PROPAGANDE : c’est la diffusion en masse d’une idéologie par tous les moyens disponibles
dans le but d’influencer l’opinion publique sur un sujet politique, social ou religieux.
C’est donc le contrôle des esprits exercé de façon méthodique et réfléchie.
Attention : toute tentative de persuasion politique n’est pas de la propagande et tout message
diffusé en masse n’est pas de la propagande non plus.
à essayer de convaincre n’est pas nécessairement du bourrage de crâne (expression apparue
lors de la première guerre mondiale lorsque les journalistes racontaient n’importe quoi car ils ne
savaient pas ce qu’il se passait).

Aujourd’hui, ce mot est mal vu, il est péjoratif.


On décrypte la propagande car on n’est pas « dupe ». On qualifie la propagande de convictions
que l’on ne partage pas, c’est le point de vue de l’autre. Et on appelle informations les
convictions que l’on partage.

Mais ici, on parle de l’histoire de la propagande, c’est-à-dire la propagande « à l’ancienne », celle


des dictateurs du 20e siècle qui se revendiquait comme telle. Les autorités assumaient
parfaitement le mot « propagande ».
Exemple :

• la Pravda, journal officiel du Parti Communiste en URSS, dont le nom était Komsomolskaïa
Pravda qui signifiait « la vérité du Kosmomol » (nom de l’organisation de la jeunesse
communiste du Parti communiste de l’Union Soviétique) s’assumait comme un organe de
propagande.
à De son point de vue, la propagande est la vérité. (le marxisme se présentant comme
une discipline scientifique)
• Ministère de l’Education du peuple et de la Propagande du Reich avait pour but officiel et
revendiqué de contrôler l’ensemble du secteur culturel et médiatique, afin de le mettre au
service de l’idéologie nazie.

ð Il s’agit de propagande « évidentes », décomplexées, « à l’ancienne ». À l’inverse, la


propagande actuelle, quand on croit la repérer, passe pour sournoise, diffuse, vicieuse.

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Les bases de la propagande « à l’ancienne » :

- Culte du chef meneur d’hommes et infaillible.


à suscite une unification et homogénéité excessive. « Notre cause est noble, voire même
sacrée »
- Monde simplifié réduit à « eux » et « nous ».
à « Nous sommes unis contre un ennemi commun »
- Assertions (affirmations) multiples censées démoraliser l’ennemi et galvaniser le
courage de ses propres troupes.
- Diabolisation de l’ennemi.
à c’est le mal absolu, barbare, animal. « L’ennemi seul commet des atrocités ». La peur
est utilisée pour mobiliser les foules.
- Référence multiples à des personnages importants, célèbres ou respectés, des
experts, des comités de scientifiques.
à science soviétique >< science bourgeoise, le terme « lyssenkisme » venant de Trofim
Lyssenko, désigne une science corrompue par l’idéologie, où les faits sont dissimulés ou
interprétés de façon scientifiquement erronée.
- Appel à l’histoire nationale, aux mythes fondateurs.
à la Rome antique (SS en croisade contre le bolchévisme), Napoléon pour le combat
contre les Anglais,…
- Glissements sémantiques introduisant un certain vocabulaire qui n’est pas innocent,
pour décharger certaines expressions de leur contenu émotionnel et les vider de leur
sens. Utilisation intensive de l’euphémisme ou de la dissimulation.
à Frappes aériennes (= bombardements), dommages collatéraux (= victimes). On accole
aussi des étiquettes péjoratives.
- Symboles nationaux ou imagés.
à valorise l’union, la cohésion nationale
- Utilisation de l’argument du bon sens et de la banalité pour emporter l’adhésion de
tous.
à Effet moutonnier, ancrant la conviction que le nombre fait la force et démontrant la
pertinence d’une idée.

La propagande privilégie les mots d’ordre clairs, les notions simples, les solutions évidentes,
faisant appel à l’émotion plutôt qu’à la raison. La propagande est le contrôle des esprits
exercé de façon méthodique et réfléchie. Depuis l’Antiquité, la maitrise écrite et orale commence à
être perçue comme un moyen politique dans les premiers systèmes de démocratie.

è Le message à faire passer est répété en boucle, les enjeux sont exagérés, question de vie ou
de mort.
è La parole est un outil majeur depuis l’Antiquité
è C’est avec l’invention progressive de la démocratie que la maitrise écrite ou orale des mots
commence à être perçue comme un moyen politique.

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è Alternative à la violence physique, la maitrise du discours est une qualité essentielle pour la
conquête du pouvoir.

Le problème est que la parole n’échappe pas à une autre forme de violence plus sournoise : à
l’instant où nait le discours, nait aussi son détournement.

Rhétoriciens : maitrisent l’art de bien parler.


Sophistes : maitrisent l’usage des arguments faux malgré une apparence de vérité.
Politiciens professionnels : dévoient la puissance de la parole et la retournent contre elle-
même.

Des guides sont élaborés pour apprendre à maitriser des techniques oratoires qui rappellent les
éléments de langage contemporains. Ce qu’on n’appelle pas encore communication est devenu
un impératif.
Exemple :

• De Petitione Consulatus, manuel de campagne électorale signé Cicéron

De nos jours, on est libre de dire ce qu’on veut donc on dit à notre interlocuteur ce qu’il veut
entendre pour l’amadouer.

L’image comme la parole sont importantes. Elles sont travaillées pour envoyer un signal, obtenir
un avantage, gagner l’adhésion populaire,…
Exemple :

• Lors de la guerre des Gaules, César exagère sur ce qu’il écrit afin de séduire le Sénat. Tout
ce qu’il raconte n’est pas faux mais il se peint en génie militaire. Il trouve un juste milieu
entre la véracité des faits et leur présentation.
• Cité par Marc Ferro, une archive montre une jeune femme filmée souriante et entourée de
liasse alors que l’Allemagne vient de perdre la guerre. C’est parce que le communiqué du
haut commandant disait « les soldats reviennent invaincus des champs de bataille »,
comme si l’Allemagne avait gagné ou obtenu un statu quo.

Difficultés en abordant l’histoire de la propagande :

- Il ne suffit pas qu’une œuvre ait un contenu politique, ou qu’un chef vise à influencer, pour
parler de propagande.
- Dangers d’anachronisme (phénomènes comparables, mais pas identiques).
- On n’a du passé que les traces qui en furent conservées (qui ne sont pas « neutres ») et
que nous interprétons à la lumière de notre époque.

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II. Décrypter le mensonge mène-t-il pour autant à la vérité ?

La réponse est NON. La vérité est très hétérogène, il n’y en a pas qu’une.
Propagande = mensonge et manipulation
Chaque propagande se présente comme une lutte contre la propagande adversaire. (gilets jaune
>< Macron)

ð La propagande d’aujourd’hui, c’est le discours de l’autre

a) Vidéo dénonçant la propagande gouvernementale à propos de la question du


coronavirus

Paradoxes :

- Se plaindre de l’impossibilité de critiquer l’action gouvernementale… alors qu’on vient de le


faire.
- Se plaindre d’atteinte à la liberté d’expression… alors qu’on vient d’en user.
- Dénoncer la mise en scène du pouvoir… en pratiquant soi-même des mises en scène.
- S’insurger contre le principe de « communication du pouvoir »… alors que le pouvoir
communique.
- Citer toute source abondant dans son propre sens comme une « vérité révélée » et toute
source abondant dans le sens opposé comme « à la botte du pouvoir ».
- Ne pas prendre en compte la multiplicité des oppositions au pouvoir qui ont droit au
chapitre.
- S’exprimer comme s’il y avait eu une seule bonne manière d’agir, et comme si seul un
contre-pouvoir vigilant avait vocation à éclairer l’opinion publique.
- Imposer sa vérité comme une évidence.
- Simplifier à outrance la complexité du problème.
- Formules théâtrales : « du jamais vu », forcément puisque la crise est nouvelle.

Cependant, il y a aussi des vertus :

- Témoignage du boulanger : il faut savoir qui parle et il est fâcheux (et tendancieux) de ne
pas le préciser.
- Mise en scène (applaudissements) : Macron a peut-être été applaudi par certains et hué
par d’autres.

b) Vidéo Konbini – effet Dunning Kruger

Il est bon de faire œuvre d’esprit critique sans pour autant tomber dans la paranoïa et les
scepticisme de principe.
Il est plus facile de décrypter des documents anciens, à la lumière de ce que l’Histoire nous a
appris, que des documents actuels.

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c) Deux vidéos décryptant la propagande soviétique

Étant si flagrante, comment cette propagande a fonctionné avec tant d’efficacité ?


Elle tient dans l’efficacité redoutable de sa splendeur, car parfaitement adaptée à l’air de son
temps et aux mentalités de l’époque. Il y a un facteur de peur.

d) Deux vidéos de propagande soviétique

Avec ces vidéos, ils veulent décrédibiliser les opposants. Ils doivent la faire sous forme de dessin
animé car ils ne peuvent pas filmer des vraies images, c’est de la propagande par le mensonge.
Les Koulaks sont les agriculteurs auxquels les communistes s’en sont pris. Ils montrent une
version utopiste de l’URSS. Ils se ventent de leur progrès.

La vidéo est présenté comme une reconstitution historique de la révolution Bolchevik. Utilisation
d’une musique solennelle pour évoquer le « pouvoir dangereux ». Le changement de pouvoir est
symbolisé par le déboulement de la statue d’Alexandre III. Ils ne montrent ni opposants, ni morts,
la révolution est « purifiée » et tout le monde se sentait proche de la grosse masse qu’on peut
apercevoir.

ð Aujourd’hui, on utilise notre intelligence pour trouver toutes les ficelles qui sont tirées.
ð La propagande se présente comme une lutte contre la propagande de l’adversaire

e) Vidéo de Raymond Aron

La plupart des grands intellectuels français (XXe siècle) ont fait de la lutte contre la propagande.
Raymond Aron est de droite (très rare pour les intellectuels) et lutte contre la propagande de
gauche à la sortie de la seconde guerre mondiale car il estime que le communisme est une
illusion. Il est décrit par la gauche comme « réactionnel » (= contre le progrès).
Son œuvre majeur est « l’Opium des intellectuels » 1955. Raymond Aron interroge l’évolution des
mots « gauche », « révolution » et « prolétariat ». Il répond également à Sartres qui l’accuse
d’avoir cédé, par pu conformisme social, aux sirènes du communisme. Alors que Sartre, lui,
prétend s’en prendre aux tenants du conformisme social.

Sartre est anticapitaliste et veut viser l’universel mais la propagande capitaliste l’en empêche.

f) Vidéo de Roland Barthes

Pour Barthes, un objet parle. C’est un système de signe. Quant au mythe fabriqué par les médias
et la publicité, il change un signe en vérité. Nos coiffures, nos habits, nos objets font part d’une
propagande insidieuse dont il faut prendre conscience. Une mythologie est efficace quand elle ne
nous permet pas de penser qu’autre chose est possible. L’objet mythifié véhicule les valeurs
bourgeoises sans jamais le dire. Il s’attaque aux symboles, soulève le fait que chaque objet de
notre quotidien symbolise une certaine propagande nous forçant à voir la vie d’une certaine

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manière. Barthes n’échappe pas au mythe : celui du pur esprit pourfendant le matériel. Barthes
est un dé constructeur et s’attache à décrypter la propagande de partout.

De nos jours, ils faut prouver qu’on est pas dupe pour montrer notre bonne foi. Énormément de
gens décryptent la propagande, comme ça on sait différencier le vrai du faux. Mais faut-il croire
tout ce que les décrypteurs disent ? Les grands penseurs se posent souvent des questions sur
les principes/mœurs/courants de pensées majoritaires. Il faut décrypter le décryptage.

g) Vidéo ARTE

Il n’y a pas toujours de la manipulation. Il y a des vidéos qui simplifient des domaines très
complexes, donc ça donne une illusion de clarté mais il ne faut pas tout prendre à la lettre. Ce
genre de vidéo utilise souvent les mêmes armes qu’elle dénonce (humour, s’exprimer « à la
cool »,…). On y utilise des extraits qui sont là pour prouver un point de vue et non l’ensemble de
la situation.

Il y a donc deux gros problèmes :

1) Simplification : faire « le tour » d’une question complexe en quelques minutes


2) Faire preuve de mauvaise foi : sortir une phrase de son contexte
Bref, c’est toujours bien de décortiquer.

Cependant, il ne faut pas croire qu’une vérité se cache derrière tous les artifices décryptés. Celui
qui dénonce certaines méthodes ne veut pas dire qu’il est détenteur d’une vérité implacable.

h) Vidéo rhétorique et politique

Importance des figures de style : stratégies dialectiques utilisées afin de gagner l’opinion.
à L’utilisation de figures de style dans les discours politiques est normale et justifiée, attention au
scepticisme de principe.

Métaphore : remplacer la réalité par une image qui lui ressemble


Énumération : donne l’impression que ce qu’on dit est important
Hyperbole : utiliser pour exprimer une situation gênantes
Anaphore : phrases qui commence toujours par les mêmes mots, et permet d’avoir l’air très
solennel.
Epiphore : utilisation des mêmes mots en fin de phrase
Paronomase : mettre des mots qui se ressemble mais qui sont différents, proche les uns des
autres dans une phrase. Sert à faire penser que les mots qui compose la phrase veulent +- dire la
même chose.
Aposiopèse : s’arrêter de parler en milieu de phrase pour laisser un suspens.

Décryptage = rarement objectif car dépend de l’œil du décrypteur.


Dans quel but décrypte-t-on ? Mettre l’accent sur le côté normé du langage ou des choses.

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Deux siècles de rhétorique réactionnaire (A.Hirschman) 1992 :

- Hirschman est intéressé au discours réactionnaire : qu’est-ce qu’ils (les gens qui étaient
contre la révolution, le siège social,…) ont trouvés comme argument ?
- Trois types :
o Inanité : ça ne sert à rien, ne changera rien, ne veut pas améliorer la situation des
gens. Même s’ils votent, ils ne seront pas forcément entendus.
o Mise en péril : ça va casser des chose qui existent sous la monarchie et n’existeront
plus => destruction de principes importants.
o Effet pervers : ça va produire l’effet contraire, ils font croire qu’il y aura une plus
grande liberté mais celle-ci se voit être restreinte.

Rhétorique progressiste n’est pas exempte de mécanismes :

- Sens de l’histoire
- Corrélation entre intentions et résultats
- Gentils >< méchant

Les limites de la déconstructions :

Cela devient rapidement incompréhensible (où veut-il en venir ?). Les décrypteur ont une vision
parfois trop déstructurée des choses.
En conclusion, quand on voit des décryptages, il faut également les décrypter et toujours faire
preuve d’esprit critique.

i) Vidéo de Jacques Derrida (1930-2004) et la déconstruction

Il est le penseur de la déconstruction.

Il n’est pas le plus grand ami des définitions et déclare qu’une définition de la déconstruction
est impossible ou peu crédible. Toute définition de la déconstruction se prête elle-même à un
exercice déconstructeur qui consiste à développer une méfiance vis-à-vis des mots, des concepts
et des certitudes. La déconstruction se caractérise dès lors par « une certaine attention aux
structures », mais même ce concept apparait suspect.

j) Vidéo de Michel Foucault, « Les mots et les choses » 1966

Selon lui, c’est récemment que « l’homme » a fait apparition dans notre savoir. C’est une erreur de
croire qu’il était objet de curiosité depuis des millénaires : il est né d’une mutation de notre culture.
En bref, l’intérêt de la déconstruction est de mettre l’accent sur le côté normé, artificiel du
langage ou des choses. Il n’y a pas nécessairement de vérité derrière le décryptage.

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ð La grande question : comment savoir si les mots sont utilisés à bon escient ?

Exemple :

• Frédéric Lordon, à propos d’Emmanuel Macron.

« Vous détruisez le langage. Quand Mme Buzyn (ministre des Solidarités et de la Santé) dit
qu’elle supprime des lits pour améliorer la qualité des soins ; quand Mme Pénicaud (ministre du
Travail) dit que le démantèlement du code du travail étend les garanties des salariés ; quand Mme
Vidal (ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation) explique
l’augmentation des droits d’inscription pour les étudiants étrangers par un souci d’équité financière
; quand vous-même présentez la loi sur les fake news comme un progrès de la liberté de la
presse, la loi anti-casseurs comme une protection du droit de manifester, ou quand vous nous
expliquez que la suppression de l’ISF s’inscrit dans une politique de justice sociale, vous voyez
bien qu’on est dans autre chose – autre chose que le simple mensonge. On est dans la
destruction du langage et du sens même des mots. (...)

(...) Si des gens vous disent « Je ne peux faire qu’un repas tous les deux jours » et que vous leur
répondez « Je suis content que vous ayez bien mangé », d’abord la discussion va vite devenir
difficile, ensuite, forcément, parmi les affamés, il y en a qui vont se mettre en colère. (...)
Il y a peu encore, vous avez déclaré : « Répression, violences policières, ces mots sont
inacceptables dans un Etat de droit ». Mais M. Macron, vous êtes irréparable. Comment dire :
dans un Etat de droit, ce ne sont pas ces mots, ce sont ces choses qui sont inacceptables. À une
morte, 22 éborgnés et 5 mains arrachées, vous vous repoudrez la perruque et vous nous dites : «
Je n’aime pas le terme répression, parce qu’il ne correspond pas à la réalité ». La question – mais
quasi-psychiatrique – qui s’en suit, c’est de savoir dans quelle réalité au juste vous demeurez. »

ð Il reproche à Macron de faire de la propagande pour manipuler et avoir le pouvoir. Il part dans
l’idée qu’au pouvoir il peut y avoir du mensonge mais pas des fake news. On est dans la
destruction du langage et du sens même des mots.
ð On peut noter qu’au prétexte de « décrypter » un langage, on le remplace par un autre tout
aussi subjectif et non par « la réalité ». Une fois qu’on a dit tout ça, on n’a rien dit… vu qu’on a
fait que remplacer un point de vue par un autre.
ð On entend souvent que libéralisme moderne = capitalisme sauvage, réformes nécessaires =
recul social, décisions courageuses = décisions réactionnaires.

Il n’y a pas de langue de bois contre la vérité, mais une opinion contre une autre. Et bien
souvent, lorsqu’on reproche à certains mots de dissimuler une vérité, on en impose une autre tout
aussi discutable que la première.

- Quand on dénonce le « politiquement correct », on ne fait en général que dénoncer ce avec


quoi on n’est pas d’accord soi-même.

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- Quand on en appelle à « résister au conformisme ambiant », on ne fait qu’en appeler à penser


comme on le fait soi-même.
- Quand on s’en prend à « la nouvelle doxa », on ne fait que s’en prendre à tout ce qui nous
énerve nous-même.

En d’autres termes, on peut débusquer les arnaques de langage.

Bref, on peut toujours remplacer une formule par sa traduction dans la même langue, mais ce
faisant, on n’aura jamais fait qu’envisager un autre aspect d’une même réalité, et certainement
pas dévoilé la vérité face à l’enfumage. On présente juste un point de vue contre un autre, on ne
fait pas accoucher la vérité.
Déconstruire un discours ne le disqualifie pas nécessairement.

k) Vidéo « La désintoxication de la langue de bois, qu’est-ce que c’est ? »

C’est une langue de bois lorsqu’on voit ce que vous avez voulu dire mais vous n’avez rien dit.
C’est lorsqu’un discours n’a pas d’incident, lorsque l’on réfute un discours politique.
La langue de bois parvient grâce à une série de « trucs » et de tics de langage à transformer celui
qui en fait bon usage en génie de la répartie.
La langue de bois a des apparences de phrases normale, qui voudrait dire quelque chose alors
que ça ne veut rien dire.
Dans une dictature, la propagande est là pour dire que tout va bien.
Dans une démocratie, la langue de bois est là pour dire que tout va mal.
Pourquoi ? Dans une dictature, le chef sait ce qui est bon pour vous (c’est ce qu’il dit), tandis que
dans une démocratie, l’élu se veut votre humble porte-parole et vous fait croire qu’il vous
comprend pour être élu. Il doit noircir le tableau pour montrer son degré d’empathie car autrement,
il sera qualifié de « déconnecté des réalités ».
Cette impression que rien ne va dans les démocraties est accentué par le fait que les opposants
au pouvoir parlent davantage que ceux qui le détiennent.

La langue de bois agit comme une sorte de propagande inversée, qui nous répète chaque jour
que rien ne va, et que si on dit le contraire, on ne vit pas dans la réalité.

Règles pour ceux qui souhaite pratiquer la langue de bois, et la décrypter :

- Dire qu’on est contre la langue de bois.


à supposer le « parlé vrai » qui est une langue de bois elle-même. « je refuse la langue de
bois, qui ne sert qu’à contourner les vrais problèmes ; voilà pourquoi je suis un farouche
partisan du parler vrai, et je dis donc qu’il faut s’attaquer aux vrais problèmes ». Sans en dire
plus.

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- Complimenter le journaliste tout en répondant à une autre question qu’il n’a pas posé.
à « La question que vous me posez à propos du chômage est une vraie question... mais
avant d’y répondre, j’aimerais, si vous me le permettez, insister sur un point qui me tient tout
particulièrement à cœur. Et ce point, c’est... » Et là, vous parlez d’autre chose.
- Se poser soi-même les questions.
à Cette technique est perfectionnée par le tour de passe-passe consistant à imposer de
fausses logiques. Une option efficace consistant à procéder à des surenchères anxiogènes, à
insister pour dire que tout va mal. Le simple fait de poser des questions donne
l’impression que vous connaissez la réponse. « Et qu’est-ce qu’ils me demandent, les
gens, sur les marchés? Eh bien je vais vous le dire... » Alors que personne ne vous a posé́ la
question!
- Placer un problème dans un contexte plus vaste.
à « Comment je compte faire pour renflouer les caisses de l’assurance- pension? Écoutez, je
pense qu’il faut replacer cette question dans un contexte plus vaste : nous vivons en ce
moment une véritable crise de civilisation. »
- Reprochez à vos adversaires leurs « indignations sélectives ».
à Quand un de vos adversaires s’indigne à propos d’un sujet et que vous ne savez pas bien
quoi lui répondre, reprochez-lui ses « indignations sélectives » ; par exemple, s’il se plaint de
l’augmentation des impôts sous votre législature, rétorquez-lui d’un ton indigné que « vous ne
l’avez pas entendu s’indigner avec une telle véhémence du sort des lions massacrés au
Zimbabwé »... ce qui prouve bien qu’il a des « indignations sélectives » !
- Expliquer que tout, pour vous est une priorité.
à Si vous tenez à passer un cran au-dessus, parlez de « priorité absolue ». Puis ensuite à «
priorité parmi les priorités ». Et puis à « priorité parmi les
priorités des priorités », et à « priorité des priorités parmi les priorités prioritaires ».

III. Contexte général de l’installation de la propagande

1. Gustave le Bon et la « psychologie des foules », 1895

Dans son livre, il montre que le comportement d’une masse d’hommes diffère de ceux
d’individus isolés. Selon lui, la fin de l’Ancien Régime a entrainé un changement radical dans
l’âme du peuple et a fait entrer la société dans « l’ère des foules ». La foule est très manipulable
par la personne devant qui elle s’excite.
La psychologie des foules se caractérise par une unité mentale. Pour Gustave le Bon, ce n’est
pas un simple agrégat d’individus, elle doit être perçue comme une entité indivisible, distincte de
la simple addition des éléments isolés qui la composent. L’unité mentale est telle que la foule est
assimilable à une « âme collective » transitoire, constituée par la fusion des âmes individuelles.
Un être suggestionné est quelqu’un à qui on a inspiré une croyance sans qu’il en ait conscience.
L’ordre social s’est effondré parce qu’on a considéré les inégalitaires. La population n’étant plus
bloquée par la fatalité (fils de forgeron deviendra forgeron), ça créera une âme collective et aura
une incidence sur la façon dont le pays est géré.

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L’âme du groupe est l’ensemble des caractères communs que l’hérédité impose à tous les
individus appartenant à un groupe.
Il y a donc une hypnose émotionnelle et intellectuelle collective qui réduit à néant la moindre
impulsion de volonté individuelle et l’esprit critique. Au sein d’une foule, tout le monde a les
mêmes valeurs.

Les foules sont facilement manipulées par des meneurs.


à La psychologie des foules révèle qu’elles sont influençables, impulsives et irritables. Leur
conscience est momentanément anesthésiée.
Il se produit dans la foule un phénomène de contagion.
à l’idée dominante se répand dans les esprits galvanisés par l’émotion commune jusqu’à
substituer l’intérêt collectif à l’intérêt individuel. La foule perçoit les évènements dans une totale
subjectivité, elle agit comme un esclave consentent.

Seule une idée simple, vague, absolue et présentée sous la forme d’une image impressionnante
peut réussir à contaminer une foule, car son esprit primitif est incapable de traiter une théorie
élaborée, ni même une nuance ou une relativité, qui seraient une entrave à son désir immédiat.

Son « raisonnement » consiste en l’association d’idées et d’images sans liens logiques. Elle est
dotée d’une imagination puissante et fortement impressionnable, qui tend à conférer une
dimension mystérieuse et légendaire aux évènements collectifs.

La psychologie des foules les rend dépendantes d’un meneur. En raison de leur irritabilité et de
leur impulsivité, elles ne peuvent pas réussir à s’auto-discipliner.
Le meneur doit être un leader fédérateur personnifiant leurs aspirations qui leur permette de
dépasser leur insécurité psychologique. Il doit être éloquent, doté d’une foi inébranlable dans
l’idéal répandu dans la foule, pour lequel il est prêt à tout sacrifier. Ses paroles sont perçues
comme sacrées, ses ordres comme indiscutables, il est érigé en légende.
Il évoque une image du guide capable de mener la foule vers son destin chimérique.
Cependant, il suffit d’un signe de faiblesse ou d’une moindre réussite pour faire vaciller
l’ascendant du prestige sur les âmes.

Exemple :

• Gustave le Bon donne l’exemple de Napoléon 1er, meneur d’hommes hors pair. Un tel
leader réussit à convertir les foules à la foi de son projet en affirmant et en répétant un
même message jusqu’à enclencher la contagion. Sa puissance de persuasion repose en
grande partie sur son prestige, qui le rend capable de dominer émotionnellement les
masses en paralysant le jugement des individus.

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2. Hannah Arendt et le totalitarisme

Intellectuelle, philosophe du 20e siècle, elle a écrit la banalité du mal qui parle d’Adolph Eichmann.
Pour Hannah, le totalitarisme est davantage qu’un régime politique. Elle pose ainsi que les
similitudes entre le fascisme et communisme sont plus importantes que leurs différences ; tous
deux peuvent être rangés dans la catégorie du totalitarisme.
Elle va se pencher sur 2 cas, l’Allemagne nazie et l’URSS stalinienne.

Le totalitarisme, selon elle, est un phénomène de masses. Elle définit ces « masses » comme
des groupes déstructurés, amorphes, et prêts en cela à toutes les transformations et toutes les
aventures. C’est le capitalisme qui a rendu possible la transformation du peuple en masse en
détruisant les solidarités traditionnelles
Ceux qui appartiennent aux masses sont les gens qui ne peuvent plus s’intégrer dans une
organisation fondée sur un intérêt défini. Le terme s’applique seulement à ceux qui, soit du fait de
leur seul nombre, soit par indifférence, soit pour ces deux raisons, ne peuvent s’intégrer dans
aucune organisation fondée sur l’intérêt commun (partis politiques, conseils municipaux,
organisations professionnelles ou de syndicats).
Il y a un système de corporation, le sort de certains était déjà scellé dès la naissance (fils de
bucheron sera bucheron).

Elle caractérise le totalitarisme par la dilution de l’individu. Le totalitarisme assure la


prédominance d’un parti. Ces partis sont caractérisés par une idéologie et une structure
sectaire. Ils véhiculent un discours fataliste qui ressemble, par certains traits, aux mythes des
sociétés primitives.
L’adhésion populaire (jusqu’à 90% de sympathisants) repose sur une folie collective entretenue
par de grands rites collectifs, et non pas sur une conviction personnelle ou rationnelle.
Pour le membre du parti, le parti est tout, si bien qu’il n’existe que dans la mesure où il appartient
au parti. Celui-ci prend toute la place dans son esprit. Tout devient politique, plus aucune
action n’est neutre et on trouvera toujours le moyen de justifier que nos actes sont bons.
Les partis favorisés par le totalitarisme forment d’autre part une communauté organisée
spécifiquement, par des degrés d’initiation, à tel point qu’ils sont des « sociétés établies au grand
jour ».

Le totalitarisme trouve son essence dans la « désolation ». Hannah Arendt définit ce concept
comme la situation collective caractérisée par la conjonction de la terreur, de l’idéologie et des
masses.
La terreur correspond à la suppression de la « liberté extérieur »
à Ne plus pouvoir faire ses propres choix
L’idéologie totalitaire supprime la « liberté intérieur »
à faculté de penser par soi-même
L’idéologie, avec des prétentions omniexplicatives et ésotériques (qui ne « parle » qu’aux initiés),
s’affranchit de la confrontation des idées et de l’expérience que requiert la recherche de la vérité.

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Indispensable au parti pour gagner des masses, elle se caractérise à la fois par la priorité donnée
à la cohérence de son message (en dépits des faits) et par la justification de l’action présente par
un prétendu sens de l’Histoire.
C’est un cercle vicieux car nous sommes convaincus d’avoir raison donc on ne remet pas nos
convictions en cause. Il ne faut pas d’expérience pour vérifier ce que l’on sait car on a intégré la
logique de l’état totalitaire donc on a fatalement raison.

En pratique, l’idéologie totalitaire condamne des catégories d’hommes, « ennemis objectifs »


du régime. Pour Hannah, cette double fermeture des espaces extérieurs et intérieurs a une
incidence métaphysique : elle déshumanise l’homme.
En le privant de liberté, le totalitarisme instaure la mort de l’humain.

3. Le « conformisme langagier »

Eugène Ionesco, en 1940, est retourné en Roumanie (son pays) où sévissait une dictature
fasciste. Il avait éprouvé une frayeur en constatant qu’aucun de ses proches ne réagissaient, ils
étaient métamorphosés, devenus étrangers, rhinocéros (= fascistes).
Ils ne parlaient plus un langage commun.

Une langue familière peut donc se métamorphoser ; elle est encore reconnaissable mais pourtant
méconnaissable.

Exemple :

• Témoins horrifié du parler nazi. C’était de l’allemand, mais ce n’était plus de l’allemand.
D’où un travail philologique, consistant à observer et analyser les phénomènes
linguistiques nouveaux, de les désamorcer et de retrouver les conditions d’un « bon
langage ».

Comment contrecarrer ce processus de « détournement du langage », ou lui résister


lorsqu’il est déjà engagé ?

La langue de bois impose une manière de nommer la réalité, qui s’effectue en imposant l’emploi
d’un certain vocabulaire.
La langue se rétrécit et s’appauvrit. C’est l’une des raisons du succès d’une idéologie : chacun se
met, sans s’en apercevoir, à adopter sa manière de nommer, et donc de voir la réalité.

Certains mots s’imposent comme obligatoires et tout se passe comme si on n’avait plus qu’un seul
vocable à sa disposition. Il semble impossible et exclu d’employer un autre mot pour dire la même
chose. Le Langage est symptomatique à la société.

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Histoire de la propagande - Dal | Axelle Douillet

Où situer la différence entre l’usage des stéréotypes (formule toute faite, arbitraire,
conventionnelle, nécessaire au langage) et la langue de bois ?

Hannah Arendt, dans Eichmann à Jérusalem (1963), a observé comment le fonctionnaire nazi
était prisonnier de ses énoncés stéréotypés, préexistants ou forgés par lui-même.

Il peut exister es situations où ne circulent que des stéréotypes, sans que l’on doive parler pour
autant d’une langue de bois.
Exemple :

• Les paysans de l’ancien temps communiquaient entre eux et ne faisaient pratiquement


qu’énoncer des proverbes dans différentes situations. Ils utilisaient des formules toutes
faites. On peut affirmer que ce n’est pas de la langue de bois car il y a un lien entre ce
qu’ils disent et ce qu’ils voient, une relation a autrui. Il y a un arrière-plan de réalité.

Les composantes fondamentales de la parole ne sont donc pas atteintes comme elles le sont
avec la langue de bois.

L’implication du sujet est une caractéristique importante d’une parole vivante.


Or, l’une des caractéristiques de la langue de bois est qu’il s’agit d’un discours qui n’est plus
tenu par personne, qui circule et devient omniprésent, sans qu’il n’y ait plus de sujet vivant pour
l’énoncer.

Orwell a bien observé ce phénomène, notamment dans sa description d’un orateur qui parle le
duckspeak, la « canelangue ». Souvent, des gens utilisent des mots et sons en pensant que ce
sont les leurs mais ce sont ceux de leur entourage. Ce qui sort de la bouche de l’homme sont des
mots, mais ce n’est pas un langage dans le vrai sens du terme.

IV. La fabrique du consentement et la « propagande capitaliste »

Les techniques de manipulation de l’opinion n’existent pas uniquement dans les régimes
autoritaires. En effet, la désinformation et la propagande existent aussi dans les démocraties.
Une bonne partie des procédés contemporains sont nés aux États-Unis et doivent beaucoup à la
naissance de la réclame (la publicité).
Utilisés par tous, ces procédés sont depuis, un poisson pour la lucidité, conçu et travaillé pour
troubler le jugement de chacun, qu’il s’agisse de « fabriquer du consentement » ou de « violer
les foules par la propagande ». Il est cependant possible de garder un esprit critique.

Plus concrètement, la théorie de la manipulation de l’opinion publique est née au 20e siècle. Son
inventeur et théoricien est Edward Bernays (1891-1995), considéré comme le père de la
propagande politique institutionnelle et de l’industrie des relations publiques, ainsi que du
consumérisme (pousser les gens à acheter des biens dont ils n’auraient pas besoin s’ils
n’existaient pas) américain.
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Histoire de la propagande - Dal | Axelle Douillet

Il a passé sa vie à faire plier les volontés des « masses » aux desseins des élites, en toute non-
violence.
C’était le neveu de Sigmund Freud et a su exploité les avancées de son oncle, ainsi que le
rayonnement scientifique de ce dernier dans le domaine de la connaissance de l’irrationalité, à
des fins économiques et politiques.

Il considère sa tâche comme un effort à long terme destiné à l’avènement forcé d’une
démocratie basée sur l’économie et le commerce dirigé par une élite. Tout au long de sa vie, il va
user d’une doctrine froide et assez cynique doublée d’une justification idéologique basée sur le
long terme, afin de justifier ses agissements.
Il dit que la masse est incapable de parvenir à un état de paix collective et de bonheur par elle-
même, et que cette masse a donc besoin d’une élite qui la contrôle et qui la dirige à son insu
(principe des publicités).

Sa discrétion est inversement proportionnelle (contrairement à un dictateur ou un tyran) à


l’ampleur de sa tâche : il était un fervent partisan d’une « gouvernance de l’ombre ».
Selon lui, il fallait convaincre les gens qu’ils étaient maitres de leur destiné. Un de ses leitmotivs
fut « créer du besoin, du désir et créer du dégoût pour tout ce qui est vieux et démodé (préhistoire
de l’obsolescence programmée) ». C’est lui qui a instauré l’idée que tout ce qui est vieux est
démodé, entrée dans un monde où prône le « bougisme ».

Le système consumériste est obligé d’instaurer tout le temps de la nouveauté : « Fabriquer du


consentement », « cristalliser les opinions publiques », « dompter cette grande bête hagarde qui
s’appelle le peuple ; qui ne veut ni ne peut se mêler des affaires publiques et à laquelle il faut
fournir une illusion » furent ses propres mots.
à culte de la nouveauté

Bernays va passer maitre dans l’art de manipuler l’opinion dans un environnement


démocratique et « libre », que ce soit à des fins politiques ou publicitaires. Il est considéré
comme :

- L’un des pères de l’industrie des relations publiques


- Le père de ce que les Américains nomment le « spin », la manipulation des nouvelles, des
médias, de l’opinion, ainsi que la pratique systématique et à large échelle de la présentation
partisane des faits.

Bernays va notamment contribuer à faire basculer l’opinion publique américaine en faveur de


la guerre en 1917. Cette année-là, la population américaine est largement pacifique et n’a
aucunement l’intention d’entrer en guerre, alors que le gouvernement est fermement décidé à
s’engager dans le conflit. Pour la première fois dans l’histoire, une commission sera créée par un
gouvernement pour faire changer une opinion publique. Et c’est précisément au sein de cette
commission que Bernays va gagner ses premiers galons.

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Histoire de la propagande - Dal | Axelle Douillet

La commission Creel va mobiliser un grand nombre d’intellectuels, de journalises, de penseurs,


qui vont tenter un coup d’éclat : ils vont mettre en place tout un ensemble d’outils et de
méthodes destinées à faire basculer rapidement l’opinion. Et ils vont réussir, les bases de la
propagande moderne vont y être jetées.

Walter Lippmann, un des membres influents, souvent donné comme le journaliste américain le
plus écouté au monde après 1930, a décrit le travail de cette commission comme étant « une
révolution dans la pratique de la démocratie », où une « minorité intelligente », chargée du
domaine politique, est responsable de « fabriquer le consentement » du peuple. Cette « formation
d’une opinion publique saine » servirait à se protéger « du piétinement et des hurlements du
troupeau dérouté (du peuple)», cet « intrus ignorant qui se mêle de tout », dont le rôle est d’être
un « spectateur » et non un « participant ».

L’idée qui a présidé à la naissance de l’industrie des relations publiques était explicite : l’opinion
publique devait être scientifiquement fabriquée et contrôlée.

Par ailleurs, après la Première Guerre mondiale, la machine industrielle dont les capacités ont été
démultipliées doit trouver des marchés afin de continuer à fonctionner. Il faut donc créer des
besoins, car à l’époque, le citoyen occidental de base consomme en fonction des besoins vitaux,
et n’accorde que peu de dépenses à la frivolité. Le but est donc d’exacerber le désir de
consommer et de rendre les frivolités obligatoires. Il y a une apparition de la publicité, de la
presse.

Entre les deux guerres mondiales, Edward Bernays va créer différents concepts :

- Le petit déjeuner américain « eggs and bacon », mettant sur pied un comité de médecins
qui va prôner les valeurs d’un fort apport calorique au lever. Car jusque-là, les Américains
étaient adeptes d’un petit déjeuner frugal, ce qui ne faisait pas les affaires de l’industrie du
porc qui croissait plus vite que la demande. Le comité de médecins n’a pas seulement prôné
un apport calorique important, il a spécifié qu’il faut manger du bacon.
- La mode des pianos chez soi. Il biaise en infiltrant les milieux architectes qui vont influencer
leurs clients avec l’adjonction d’une salle de musique dans les maisons. Car que faire quand il
y a une pièce dédiée à la musique dans une maison ? La remplir. Et quel est l’objet qui va le
mieux en donnant du cachet ? Le piano.
- Il fera de même pour les maisons d’édition en « forçant » l’insertion des bibliothèques
incrustées aux murs des maisons.
- Le petit déjeuner du président des États-Unis avec des vedettes du showbiz, afin de
transformer l’image austère et distante de ce dernier.

Dans les années 20, il est employé à l’année par l’American Tobacco Company. À cette époque,
le marché de la cigarette stagne mais grâce à la vente de milliards de cigarettes à l’armée
américaine qui les intégrait au paquetage du soldat, l’image de la cigarette autrefois jugée « pour
les mauviettes » au profit du cigare, était devenue le « symbole de l’Amérique fraternelle et
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Histoire de la propagande - Dal | Axelle Douillet

virile ». Maintenant, les cigaretiers veulent que les femmes fument et ils confient cette mission à
Bernays.

Ce dernier analyse la situation, soumet ses observations à un psychiatre de New York qui
confirme ses soupçons : la cigarette constitue pour les femmes un symbole phallique qui
représente le pouvoir de l’homme. Alors, il se dit qu’il faut d’abord leur faire conquérir des
positions occupées par la gente masculine et orchestre un des grands coups de marketing de
l’histoire en détournant une marche catholique (procession de Pâques) pour en faire un
évènement politique au profit des suffragettes.

Une dizaine de jeunes instruites du plan de bataille se présentent au-devant de la procession,


exhibent leur cigarettes et les allument devant les photographes des journaux. De là, Bernays
lance le slogan aux journalistes présents : « elles allument des flambeaux pour la liberté ».
Plus tard, il fera en sorte que les experts disent que la santé de la femme, c’est la minceur et la
cigarette est le meilleur moyen d’y parvenir.

a) Vidéo documentaire Brut qui parle de Bernays, en tâchant de repérer ses « ficelles »

- Le choix de Noam Chomsky comme témoin « unique » (à charge), partial. Il est militant et
ce qu’il dit n’est pas parole d’évangile, donc ce qu’il dit n’est pas une vérité réelle. Il raconte
« qu’il a conduit le pays dans l’hystérie » mais qui dit qu’une autre politique n’aurait pas fait
pareil ?
- Absence de mention de l’identité de l’autre témoin lors de son premier passage, on ne
précise qui il est seulement lors de son deuxième passage. Or, le fait de ne pas préciser
directement qui parle, n’incite pas à se demande d’où il parle. En l’occurrence, ici, c’est son
biographe donc forcément il va aller dans le sens de Bernays.
- La formule « c’est en partie lui qui… » passe inaperçue du fait de tout l’arsenal mis en
place. Notre cerveau ne lit pas le « en partie » et donc pense directement qu’il est le seul car
on parle uniquement de lui dans le documentaire.
- Les lettres de couleur, musique « relax » sont là pour emporter l’adhésion du spectateur et
se placer sous le sceau de l’évidence. Mais il faut pouvoir remettre en question ce qu’on
entend, même si c’est présenté avec tous les atouts modernes. Cela peut être apliqué par des
propos politiques extrémistes…
- Il utilisait des films, affiches, tracts… mais le camp adversaire faisait de même. Bernays
bourrait le crâne des autres.
- Forte possibilité que Bernays se vante, « se fasse mousser », dans ses témoignages face
caméra. Il a eu une grande influence sur les relations publiques et il s’est montré sous son
meilleur jour. Toute personne qui s’exprime, montre les choses qu’elle veut montrer.
- « Gouvernement démocratique du Guatemala », « propagande anticommuniste et fausses
nouvelles ». Ce sont des points e vue et non des vérités. Ce n’est pas parce qu’un
gouvernement se dit démocratique, que c’est vrai.

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Histoire de la propagande - Dal | Axelle Douillet

Conclusion :

Beaucoup de forts incitants font et ont fait usage de cette psychologie et ont (eu) pour but de faire
de la majorité ce qu’ils veulent en faire. A l’époque, il y avait beaucoup de raisons d’influencer les
gens. Aujourd’hui, on est dans un monde de l’offre donc il faut essayer aussi de convaincre les
autres pour obtenir ce que l’on veut d’eux. Il faut qu’une élite dirige une majorité à son insu et
que les autres ne se rendent compte de rien ; si on se fait prendre, on ne parviendra pas du tout à
la convaincre. Il y a tout un récit à inventer pour donner l’impression à la majorité qu’ils ont des
besoins, des envies. Personne n’a idée de ce qu’il veut ; si on le lui impose, on parviendra à
obtenir d’eux ce qu’on veut obtenir.

Ceci étant exposé, il est également bon de voir en quoi Bernays s’inscrit dans une dynamique qui
le dépasse. Pour voir pourquoi il agit de la sorte dans ce monde qui évolue.

A. USA, début du XXe siècle : les pionniers e la propagande en tant que discipline
« scientifique »

Après la révolution industrielle de 1845, les taux d’alphabétisation des populations


occidentales grimpent en flèche - au Royaume Uni - entre 1840 et 1900, le taux
d’alphabétisation passe de 30 à 97%. La France suit le mouvement avec une évolution à la
hausse, avec 40% pour les hommes et 45% pour les femmes en 1866 jusqu’à 97% pour les deux
sexes en 1911. Les Américains, quant à eux, jouissent d’un taux d’alphabétisation de 90% dès
1795.
à Ne pas retenir les chiffres mais bien l’ampleur

Dans ces démocraties (nouveau système politique), en grande partie définies par la liberté
d’expression, les ventes de papier imprimé explosent, mais la multiplication des opinions et des
plateformes journalistiques a des effets imprévus : le ton monde rapidement, les positions se
radicalisent, les invectives (insultent, critiquent) noient les débats et des mouvements
protestataires radicaux émergent.
à Il ne s’agit pas encore de fake news mais beaucoup refusaient la presse bourgeoise à cause
de leurs idéaux politiques.

Pour les gouvernements et au premier chef celui du principal pays capitaliste, les États-Unis, il va
s’agir d’harmoniser ces voix et d’étouffer celles qui pourraient mettre en danger leur puissant
secteur privé, par exemple celles du parti communiste, de la gauche populiste ou encore des
anarchistes.
De leur côté, les entreprises privées, qui ont découvert depuis les débuts de la presse écrite à
quel point la publicité augmente leurs profits, souhaitent en prendre le contrôle. Ce qui amènera
les uns et les autres, au début du 20è siècle, à recruter des journalistes d’opinion dans le cadre de
l’apparition d’une nouvelle discipline, les relations publiques/la communication d’entreprise/ la
publicité - autrement dit, la propagande.

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Histoire de la propagande - Dal | Axelle Douillet

« Les origines des relations publiques étaient une réponse à la montée d’une classe ouvrière remuante à la
fin du 19è siècle », Anne Bernays, romancière et fille du propagandiste Edward Bernays.

Bien entendu, ces pionniers de la manipulation de masse ne feront que structurer, codifier et
développer quelque chose qui existait déjà, mais ce faisant, ils donneront une forme à un secteur
indispensable au maintien de l’économie capitaliste : sans les constantes incitations à la
consommation par la publicité et le soutien quotidien de sa propagande politique, sociale et
sociétale, il est en effet probable que l’économie de marché s’effondrerait en quelques semaines.

B. Ivy Lee (1877-1934), les débuts du communiqué de presse et de son utilisation à des fins
de propagande

Au début du 20è siècle, Ivy Lee, propagandiste de premier plan (ce n’était pas un terme péjoratif
à l’époque), conseille le milliardaire John D. Rockefeller et à partir de 1929, la corporation de
l’Allemagne nazie IG Farben. Il introduira son invention, le communiqué de presse, en réponse à
un accident.

à Le 28 octobre 1906, un train de la Pennsylvania Railroad à Atlantic City déraille. Pour la


compagnie, c’est une catastrophe, elle est confrontée à la perte brutale de sa crédibilité et
demande donc au journaliste Ivy Lee (faisant parti de la firme de relations publiques) de lui redorer
son image. Jusque-là, les compagnies ferroviaires répondaient à ce genre d’accidents en
minimisant les faits ou en les occultant, en couvrant les responsables et en refusant de répondre à
la presse.

Lee choisira la stratégie inverse !


D’abord, il demandera à la compagnie d’envoyer une déclaration à la presse, puis il invitera des
reporters et des photographes à se rendre sur place dans un train spécialement affrété pour eux.
Sur les lieux de l’accident, il tiendra des conférences de presse, distribuera des fiches
d’information et organisera des rencontres et des interviews avec des ingénieurs experts et des
cadres de la compagnie. Le public, la presse, et les officiels du gouvernement seront
unanimement séduits par la bonne fois apparente, le souci de sécurité et la transparence de la
Pennsylvania Railroad. Dans les années suivantes, toutes les compagnies des chemins de fer
emboiteront le pas aux méthodes d’Ivy Lee, et d’autres secteurs rapidement.
à Il faut communiquer et ne pas cacher ou nier.

En 1914, la Colorado Fuel and Iron Company, compagnie minière appartenant au milliardaire
John D. Rockefeller Jr, fait tirer à balles réelles sur des mineurs grévistes et incendie leurs
habitations dans un incident connu sous le nom de Massacre de Ludlow. Ce ne fut pas évident à
rattraper car les gens étaient déjà au courant, la presse existait déjà.

La réaction outrée de l’opinion publique pousse Rockefeller à recruter Ivy Lee. Avec sa stratégie
habituelle de franchise et de bonne volonté apparentes, Lee enverra des communiqués de presse
factuels à divers officiels et à des journaux, qu’il couplera à des opérations de séduction : il

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Histoire de la propagande - Dal | Axelle Douillet

enverra John D. Rockefeller Jr dialoguer et manger avec les mineurs, danser avec leurs épouses
et distribuer des piécettes à leurs enfants. Inconscients de la manipulation, les mineurs, la presse
et le public sont encore une fois conquis.
Lee invitera ensuite les entreprises, et en tout premier lieu Rockefeller, à entretenir une bonne
image auprès du public et des médias finançant des fondations à but ostensiblement
philanthropiques et en ouvrant leurs propres départements de relations publiques. La
communication d’entreprise est née (communication de séduction, car le but est de vendre son
image).

En 1929, Ivy Lee devient conseiller en relations publiques de la corporation IG Farben, avec
pour mission (entreprise de métaux allemands) de désamorcer les critiques contre l’entreprise
nazie aux USA. L’affaire finira mal pour Lee : en 1934, le congrès lui demande de répondre
d’accusations d’antisémitisme et de propagande nazie. Le décès de celui que l’écrivain Upton
Sinclair appelait « Poison Ivy » depuis l’affaire du massacre de Ludlow interrompra l’enquête.

Selon Anne Bernays, Ivy Lee est probablement le « vrai père » des relations publiques. Il était
motivé par le « caractère divin de la richesse privée et le danger représenté par la foule (fouteuse
de trouble et riche) ».

C. Walter Lippmann, les débuts du concept d’interventionnisme humanitaire et le triomphe de


l’élitisme

Journaliste de gauche libérale modérée, Walter Lippmann (1889 - 1974), aujourd’hui considéré
comme l’un des plus grands chroniqueurs politiques au monde, rejoint Woodrow Wilson au
cours de sa campagne de réélection de 1916. Malgré son pacifisme, les conseillers de Wilson
persuaderont Lippmann de collaborer à la Commission Creel et de s’engager dans la cause de la
guerre (si la guerre est « juste (humanitaire) », il faut y participer). Il la considèrera comme un
moyen privilégié d’exporter les valeurs libérales.

En 1922, Lippmann publie Public Opinion, un livre dans lequel il expose ses idées sur ce qu’il
nomme « la fabrique du consentement ». Le peuple étant par nature, selon ses vues, « un
troupeau irrationnel sans but » et le citoyen lambda un « intrus ignorant qui se mêle de tout »,
l’opinion publique doit être encadrée par un petit nombre d’administrateurs, d’experts et de
politiciens, en d’autres termes pas une oligarchie.

Cette élite d’experts compenserait par son savoir/sa compétence la lacune principale des
démocraties : le citoyen trop ignare pour voter de façon éclairée ou faire des choix rationnels.

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Histoire de la propagande - Dal | Axelle Douillet

V. Le « modèle » Victor Klemperer et la LTI, et son dévoiement dans les


« fake news » et « l’ère post-vérité »

Cas le plus emblématique de propagande que l’on connait. Victor Klemperer est allemand des
années 1930.
à Ce n’est pas parce qu’on décrypte qu’on a raison.

A. Victor Klemperer et la LTI

Présentation du livre de Frédéric Joly, La langue confisquée. (Pour lire Victor Klemperer
aujourd’hui, édition Premier Parallèle, 2019).
Klemperer est juif allemand, qui a force de persécution, de subir l’horreur nazie et ne plus
comprendre le monde dans lequel il vivait, a commencé à déconstruire le langage nazi pour le
décortiquer et ne pas sombrer dans la folie. Il a noté dans son journal toutes les distorsions
infligées à la langue allemande par le nazisme. Dès qu’il y avait un mot utilisé pour une autre
signification que la signification propre, il le notait. Il a instauré un autre mode de réflexion : la
déconstruction. Les enseignants sont soumis à une révision nationale et politique (mécanisation).
On parle de « système » pour désigner le régime des années de Weimar, vilipendé en tant que
régime parlementaire et démocratique « enjuivé ». Quant à l’adjectif « fanatique », i passe du
registre péjoratif au registre laudatif, positif. Le terme « libéral », lui, devient péjoratif, avant de
disparaitre tout à fait au profit de « libéraliste ».

Klemperer assiste en fait à une sorte d‘inversion sémantique généralisée, dont il note chaque
manifestation dans son journal. Il tirera le LTI, grand livre sur la manipulation de la langue par
l’idéologie.

La langue confisquée restitue sa démarche, ce geste critique qui aide à comprendre comment on
adhère à un langage, quel qu’il soit. Car la langue est un révélateur. Elle ne ment jamais : c’est
elle, toujours, qui dit la vérité de son temps.

L’idée de Klemperer : la langue du IIIe Reich a altéré l’allemand. Il montre à quel point le pouvoir
nazi a travesti la parole.

Parodiant les abréviations du 3è Reich, la LTI (Lingua Tertii Imperii) est la langue d’un
groupuscule qui, arrivé au pouvoir, l’a imposée à la société tout entière. Éminemment
déclamatoire, elle supprime les différences entre l’oral et l’écrit, le public et le privé, afin de
dissoudre l’individu dans la masse et de ne plus s’adresser qu’à celle-ci, la fanatiser et la
mystifier. « Le hurlement remplace la parole, décrit Victor Klemperer, le cri se substitue au verbe.
La langue n’est plus. »
Si le pouvoir nazi a forgé relativement peu de mots (il en a même importé certains), il a surtout
modifié leur valeur et leur fréquence d’utilisation. Le philologue met plus précisément en
évidence certaines caractéristiques de la LTI :

- Elle fait un usage abondant des abréviations et favorise spontanément un style


déclamatoire, au point de condamner le point d’exclamation à l’inutilité
- Elle revalorise des mots originellement péjoratifs, comme l’adjectif « fanatique »
- Elle crée quelques néologismes (mot qui n’existait pas avant, qui n’était pas usuel dans le
langage courant) : « sous-humanité », « déjudaïser », « aryaniser », etc.
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Histoire de la propagande - Dal | Axelle Douillet

- Elle encourage « l’euphémisme mensonger » et le superlatif.

C’était un langage déclamatoire, une langue orale qui se base sur l’émotion. Il n’y a pas
d’argumentation, il s’agit juste d’imposer des vérités.

Pour Victor Klemperer, la LTI a contribué à propager l’idéologie nazie parce qu’elle est
l’instrument idoine d’une rhétorique dont les phrases et les symboles privilégient les sensations et
les sentiments par rapport à la rationalité.

Ainsi, Hitler s’en est servi pour obtenir la fidélité des masses populaires en matraquant des idées
simplistes fondées sur le mépris et l’épouvante. La LTI lui a permis, en particulier, de leur faire
intérioriser la discrimination raciale grâce à la répétition du substantif singulier « le Juif » et du
préfixe « Judée ».

Son incidence ne se limite cependant pas à la sphère sociale et politique, car elle atteint en
réalité́ , de manière insidieuse, jusqu’aux sphères de la vie privée. « Les mots, écrit Victor
Klemperer, peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre
garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà̀ qu’après quelque temps l’effet toxique se fait
sentir ». Ainsi, la LTI s’insinue dans le langage courant, jusque dans l’intimité́ de l’individu, en le
contaminant par les nouveaux mots, expressions et formes syntaxiques imprégnés de l’idéologie
nazie. Avec un peu de réflexion, on pourrait se dire que c’est n’importe quoi, mais ils ne s’en
rendaient pas compte.

Processus de réflexion de Klemperer - extraits du livre de Fréderic Joly :

« Lisant une monographie consacrée par un confrère à Mme de La Fayette, dépouillant aussi la
presse du jour, Klemperer note en juin 1933 que « des mots actuels appartenant à une sphère
particulière pénètrent dans d’autres sphères ».
C’est là son tout premier commentaire sur l’usage des mots sous le nazisme ‒ et la sphère
concernée est celle de la mécanisation.
Alors qu’il n’était question, sous la République de Weimar, que de « relance » de l’économie, alors
qu’une telle rhétorique n’était jamais, en aucun cas, appliquée aux autres domaines du monde
vécu, le philologue ne tardera pas à constater un « accroissement du nombre des termes
techniques » et, surtout, l’empiètement de ces tournures sur des domaines ne relevant en rien de
la technique, « où elles ont ensuite un effet mécanisant ».
« Empiéter en permanence d’un domaine sur l’autre, filer la métaphore technique, s’en griser », tel
est l’un des axiomes fondamentaux, relèvera-t-il, du nouveau langage. »
à Effet Klemperer et effet LTI.

Slide non vu en cours, mais peut être utile pour une meilleure compréhension :
// « Le 13 juin 1934, le professeur de philologie apprendra lors d’une soirée entre amis que les
enseignants sont désormais censés être soumis une fois par an à une « révision nationale et
politique ». Il relèvera ainsi « encore une fois la terminologie mécaniste ».
On révisait jusqu’à présent les voitures à partir d’un certain kilométrage, dorénavant on révisera
aussi les enseignants, non pas afin d’évaluer leurs compétences professionnelles, mais leur
conformité́ nationale et politique. » //

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Histoire de la propagande - Dal | Axelle Douillet

« Ce qui le frappe, et l’inquiète horriblement, c’est à quel point cette terminologie s’immisce dans
les esprits a priori les plus rétifs et hostiles au nouveau pouvoir. Le 17 juin 1934, un dimanche, il
note ‒ après avoir passé́ une soirée chez un confrère ‒ « à quel point la terminologie des nazis
contamine aussi ses adversaires ».

C’est là un point essentiel et qu’il ne cessera plus de souligner : les mots les plus nocifs de la
phraséologie nouvelle sont bien souvent repris sans réflexion aucune, avec une facilité
déconcertante, par des personnes qui non seulement abhorrent et méprisent le nouveau
régime, mais ont aussi tout à craindre de lui.

Pour ne prendre qu’un exemple ‒ très ultérieur ‒, il relèvera le 27 janvier 1943 que l’adjectif
« caractériel » (Charakterlich) (qui est tout sauf péjoratif dans la langue nazie, car il désigne celui
ou celle qui montre une grande force de caractère et donc son ancrage national-socialiste) est
utilisé par des connaissances parties en exil en Amérique du Sud. « C’est ainsi que le mot le plus
venimeux de la LTI s’insinue dans les lettres juives », constatera-t-il. »

« Le 11 septembre 1934, Klemperer cite un extrait d’un discours du Führer datant de la veille. La
jeunesse, a affirmé Hitler, « aime la clarté et la détermination de notre commandement, et elle ne
comprendrait pas qu’un passé momifié s’avise soudain d’avoir des prétentions, lui qui, dans ses
paroles mêmes, renvoie à une époque étrangère dont la langue n’est plus parlée ni comprise
aujourd’hui ».

Au motif que la langue du passé, d’un passé « momifié », serait donc devenue inaudible (en vérité
afin d’effacer cette langue encore parlée et comprise), c’est un nouvel idiome qui est façonné et
imposé. »

« Alors qu’un an et demi s’est écoulé depuis l’accession des nazis au pouvoir, le philologue établit
un lien direct entre la prétendue « langue » du Troisième Reich et ce qu’il appelle « la langue
de la Première Guerre », qu’il connaît bien puisqu’il est de la « génération des tranchées » et
qu’il a servi tout au long du premier conflit mondial. Qu’est-ce que cette « langue de la Première
Guerre »? C’est celle de la Fronterlebnis, de l’expérience du front.

(...) Ce langage est partagé par une communauté mâle charismatique soudée par le combat, par
le sang versé, prônant les valeurs héroïques et s’estimant non corrompue par les rapports
d’échange capitalistes, une communauté surtout humiliée par la défaite. Le langage de
l’expérience du front est celui d’une « communauté du sang » (Blutgemeinschaft) (...), d’une
communauté héroïque qui n’a pas toléré la reddition, ni le traité de Versailles, ni l’interdiction faite
à la nation de se réarmer, et moins encore l’effondrement économique et moral de la nation, dont
elle impute la responsabilité à des élites dénuées de tout honneur et de tout sens patriotique. Il est
donc le langage d’une « communauté du sang » bien décidée à prendre sa revanche. »
à Vocabulaire d’un groupuscule, minuscule qui est parvenu à imposer sa façon de voir les
choses à tout le monde.

« Ce sont les discours du Führer qui, seuls, importent, et qu’il ne s’agit d’ailleurs pas seulement
d’écouter, mais d’« éprouver dans sa chair ». Le 28 juin 1937, Hitler annonce à une foule en
délire : « La Providence nous guide, nous agissons conformément à la volonté du Tout-Puissant.
Nul ne peut entrer dans l’histoire des peuples et du monde s’il n’a pas la bénédiction de cette

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Histoire de la propagande - Dal | Axelle Douillet

Providence. » Ces interventions du Führer, ces « cérémonies d’État » (Staatsakten), il faut les
« vivre » dans sa chair, submergé par les émotions et même en transe.

Le philologue note l’omniprésence du verbe erleben (faire l’expérience de quelque chose, vivre un
évènement). Que faire contre ce chantage perpétuel au vitalisme et aux émotions ? Contre la
haine de toute pensée, systématiquement dénigrée comme « intellectualisme » ? Relever
méthodiquement, comme Klemperer le fait, tous les mots utilisés, qui disent la vérité de ce temps
‒ car tous les mots, toujours, disent la vérité de leur temps. »

Slide non vu en cours, mais peut être utile pour une meilleure compréhension :
// « Le 25 avril 1937, il confiera d’ailleurs dans une lettre que la devise de l’étude qu’il entend bien
désormais mener sur cette question sera In lingua veritas. Ces mots et ces tournures toxiques, le
philologue constate par ailleurs qu’ils pénètrent la littérature non politique. Loin de se cantonner,
tant s’en faut, aux pages des quotidiens et des hebdomadaires asservis, à celles d’une publication
aussi sordide que le Stürmer, dont les unes sont affichées à chaque coin de rue, ces mots sont
maintenant partout. Grand lecteur de littérature étrangère, il les découvre, consterné, dans les
traductions allemandes encore disponibles des romans américains qu’il dévore. » //

« Klemperer, dès lors, va s’astreindre quotidiennement à scruter le langage du pouvoir, qui


devient aussi celui de la rue. En dépit de sa profonde répugnance, il dépouille les journaux sur
lesquels il lui est possible de mettre la main, il écoute attentivement la radio, autant que le lui
permettent le dégoût et l’effroi qu’elle lui inspire.

Le 19 février 1938, après avoir entendu la veille Hitler déblatérer sur l’essor économique et les
« fautes et crimes » des gouvernements précédents, il a confié dans le Journal avoir « compris le
principe de base de toute la langue du Troisième Reich : la mauvaise conscience ; son triple
accord : se défendre, se vanter, accuser ‒ jamais la moindre déclaration paisible ». Et c’est le 18
avril suivant qu’il utilise pour la première fois l’acronyme LTI. Lingua Tertii Imperii, donc. »

« Si chacun considère pouvoir échapper à une « langue de croyance », personne en vérité ne le


peut vraiment. Alors même qu’il garde en permanence tout cela à l’esprit, il arrive aussi au
philologue d’y succomber, de perdre la mémoire des usages véritables. Certes, lui au moins en
a conscience, mais cette conscience n’y change rien. Le locuteur de la « langue de croyance », lit-
on dans LTI, est comme le passager d’un navire ébranlé par la tempête et qui croit naïvement
pouvoir échapper au mal de mer qui s’empare alors de tous : « Je me disais qu’il existait bien
quelque chose comme une observation objective et que j’y avais été formé, qu’il existait une
volonté ferme, et je me réjouissais à la perspective du petit-déjeuner ‒ cependant, mon tour arriva
et je fus contraint de me précipiter au bastingage exactement comme les autres. » »

Slide non vu en cours, mais peut être utile pour une meilleure compréhension :
// « La réponse (de Klemperer à l’horreur) sera (donc) le travail sur le langage, qu’il voit alors ‒
recourant à un terme judiciaire de circonstance ‒ comme « le mandat d’arrêt le plus général, le
plus indubitable et le plus ample » délivré contre cette misérable
époque.
Et c’est une simple conversation impromptue, dans les derniers jours de la guerre, avec une jeune
mère rencontrée par hasard, qui convainc définitivement le philologue de la nécessité d’écrire LTI
‒ alors qu’il en venait à douter de la pertinence de l’entreprise, craignant de pécher par vanité : «
Pourquoi étiez-vous donc en taule ? demandai-je. ‒ Ben, j’ai dit des mots qui ont pas plu. » La

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Histoire de la propagande - Dal | Axelle Douillet

femme en question, une ouvrière berlinoise, « avait offensé le Führer, les symboles et les
institutions du Troisième Reich ». « Ce fut l’illumination pour moi », écrira Klemperer dans LTI. «
En entendant sa réponse, je vis clair. “Pour des mots”, j’entreprendrais le travail sur mon journal. »
« (...) L’efficacité était redoublée par la répétition : le philologue va montrer que la LTI, qui était
sciemment indigente et qui ne pouvait que l’être, ne parvenait à s’ancrer dans les esprits qu’en
répétant, en matraquant toujours la même chose. La répétition « obsessionnelle et décalée », qui
tue littéralement le sens, s’impose lorsqu’il s’agit de contredire la langue commune, de retourner
littéralement le sens des mots (le passage du registre péjoratif au registre laudatif de l’adjectif
« fanatique » étant ici un exemple remarquable). Elle est aussi invocation magique puisqu’elle doit
concourir (...) à ancrer dans les esprits les contours d’un mythe aussi invulnérable qu’imperméable
aux arguments rationnels. »
« Si la tâche est (...) si délicate, ce n’est pas seulement en raison des circonstances, pesantes,
incertaines. C’est que la LTI est indigente jusqu’à décourager, jusqu’à écœurer, et qu’il faut donc,
afin d’établir ses traits caractéristiques, afin de mettre à jour ses mécanismes, comprendre son
efficacité, étudier surtout ses manifestations et ses effets, aller au-delà de cette indigence, ne pas
s’y arrêter. Ce qui suppose un effort ‒ physique, même ‒, parfois délicat à fournir. (...)
L’une des convictions majeures déployées dans LTI ‒ et sans doute l’idée-force du livre, déjà très
présente dans les Journaux (de Klemperer) ‒, évoquée dès les premières premières pages, est la
capacité de la langue de dire la vérité sur son
temps : « Car tout comme il est courant de parler de la physionomie d’une époque, d’un pays »,
écrit très vite Klemperer, « de même, on désigne l’esprit d’un temps par sa langue. » Si la langue
est un révélateur imparable, c’est parce qu’elle dévoile ce que le locuteur croit cacher ou porte en
lui sans le savoir. Klemperer rejette une phrase bien connue de Talleyrand, selon laquelle la
langue aurait pour tâche de dissimuler les pensées d’un locuteur bien décidé à ce qu’elles le
restent. » //

« L’une des convictions majeures déployées dans LTI ‒ et sans doute l’idée-force du livre, déjà
très présente dans les Journaux (de Klemperer) ‒, évoquée dès les premières pages, est la
capacité de la langue de dire la vérité sur son temps : « Car tout comme il est courant de
parler de la physionomie d’une époque, d’un pays », écrit très vite Klemperer, « de même, on
désigne l’esprit d’un temps par sa langue. » Si la langue est un révélateur imparable, c’est parce
qu’elle dévoile ce que le locuteur croit cacher ou porte en lui sans le savoir. Klemperer
rejette une phrase bien connue de Talleyrand, selon laquelle la langue aurait pour tâche de
dissimuler les pensées d’un locuteur bien décidé à ce qu’elles le restent. »

« C’est très exactement le contraire qui, à ses yeux, est vrai. « Ce que quelqu’un veut
délibérément dissimuler, aux autres ou à soi-même, et aussi ce qu’il porte en lui inconsciemment,
la langue le met au jour. Tel est sans doute aussi le sens de la sentence : Le style, c’est
l’homme ; les déclarations d’un homme auront beau être mensongères, le style de son langage
met son être à nu », affirme-t-il contre Talleyrand.
Et de montrer ainsi combien le style national-socialiste disait tout de ceux qui l’avaient adopté.
Dans toute son emphase, sa morgue, ce style venait dire la certitude d’un destin sans équivalent,
la certitude aussi de devoir se débarrasser d’un peuple parasite pour mieux vivre un tel destin.
Ainsi du style ésotérique et solennel, pseudo-profond, d’une certaine philosophie académique qui
put consolider son assise au sein de l’université allemande toutes ces années-là, et dont il suffit
de lire la prose censée être la plus neutre idéologiquement pour deviner, à ses accents ronflants,
les errements. (...)

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Histoire de la propagande - Dal | Axelle Douillet

« (...) Ainsi du brillant juriste Carl Schmitt répondant à l’adjoint du procureur de Nuremberg :
« Étant un homme supérieur, j’avais l’intention... » Ainsi du médiocre bureaucrate Adolf Eichmann
lors de son procès, à Jérusalem, dont Hannah Arendt montra qu’il n’avait pas cessé, du début à la
fin de chacune des audiences, de s’enliser dans son rapport catastrophique au langage.
Eichmann s’excusa alors à plusieurs reprises de parler comme il le faisait, avançant pour
explication que le langage administratif était devenu son seul langage. « Mais, comme l’écrira
Arendt, le langage administratif était devenu son langage parce qu’il était réellement incapable de
prononcer une seule phrase qui ne fût pas un cliché ».

On le voit, Victor Klemperer utilise l’analyse de la langue pour dissocier le vrai du faux, ce qui
est une démarche ô combien séduisante et nécessaire. Mais comment savoir si, aujourd’hui,
quand on décortique des habitudes de langage, on dissocie le vrai du faux... ou on cherche juste
des poux à des idées qu’on ne partage pas ? (Étant entendu, comme nous l’avons vu plus haut,
que tout langage, fût-il le plus humaniste et le plus enthousiasmant, comporte son lot de
raccourcis et d’habitudes... et que ce n’est pas parce qu’on peut le décortiquer qu’il est pour
autant l’incarnation du faux).

B. Dissocier le vrai du faux, ou lutter contre des idées qu’on réprouve ? Tous des « petits
Klemperer » dans l’univers actuel du décryptage

Pour creuser cette question, intéressons-nous à 4 ouvrages récents (dont celui de Frédéric Joly,
que nous venons de citer), qui traitent tous de l’histoire de la propagande :

- Fabrice d’Almeida, Une histoire mondiale de la propagande, éd. la Martinière, 2013


- David Colon, Propagande. La manipulation de masse dans le monde contemporain, éd.
Belin, 2019
- Frédéric Joly, La langue confisquée. Lire Victor Klemperer aujourd’hui, éd. Premier
Parallèle, 2019
- Jean-Paul Fitoussi, Comme on nous parle : L’emprise de la novlangue sur nos sociétés, éd.
Les Liens Qui Libèrent, 2020

Dans leurs présentations respectives, ces ouvrages insistent tous sur le fait que l’analyse de la
propagande d’hier ne doit pas occulter l’attention à la propagande d’aujourd’hui. Ils
semblent donc, en s’en prenant à la « propagande d’aujourd’hui », plus s’inscrire dans une logique
du « vrai contre le faux » que dans une logique de critique d’un point de vue adverse.
Novlangue = langue imposée pour modifier les esprits.
Qu’est-ce qu’on entend par propagande aujourd'hui? L’utilisation du vocabulaire. Cependant, nous
avons pleins de types de vocabulaire de nos jours ; Parti de gauche n’utilise pas le même
vocabulaire qu’un parti de droite.

Et, de fait, on ne trouvera, aujourd’hui -et c’est heureux- aucun ouvrage à prétention intellectuelle
qui fera l’éloge explicite de la propagande (associée à trop de pénibles souvenirs, à de la basse
manipulation, etc.)
Chacun voudra, au contraire, décrypter la propagande... au risque, parfois, de caricaturer le point
de vue adverse, pour le réduire artificiellement à de la propagande.
Attention, tout discours qu’on ne partage pas, n’est pas nécessairement PROPAGANDE.
Lobbyiste : personne à la tête d’un groupe de pression qui défend ses valeurs et intérêts auprès
des décideurs politiques ≠ de quelqu’un qui fait de la propagande.

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Histoire de la propagande - Dal | Axelle Douillet

- Présentation de l’ouvrage de Frédéric Joly :

« Frédéric Joly, lisant Klemperer, nous aide ainsi à faire face à notre temps, ce temps de repli
identitaire et de « post-vérité », un temps d'inquiétantes résurgences sémantiques aussi, où se
voit brouillée la distinction essentielle entre le vrai et le faux. »
à Allusion à Donald Trump entre le vrai et le faux. Si on n’y prend pas garde, on peut se faire
attraper par un discours néfaste. Ce que les autres disent n’est pas faux, mais c’est juste un point
de vue.
Le vocabulaire qu’on critiquerait aujourd’hui est flou, on ne sait pas à quelle propagande nous
sommes soumis. Sensibilité de gauche è soumis à propagande libérale. Sensibilité de droite è
autre propagande. Un discours qu’on n’aime pas, on dira que c’est une propagande. Cependant,
une propagande prend des mesures contre ceux qui la critiquent. Gardons bien en tête la
différence entre le vocabulaire nazi et le vocabulaire d’aujourd'hui.
Oui, il faut un esprit critique mais nous ne sommes pas tous des « petits Klemperer ».

- Présentation de l’ouvrage de Fabrice d’Almeida :

« La propagande n'appartient pas au passé, bien au contraire ! Elle s'est recyclée dans nos
agences de communication pour le meilleur et pour le pire. Dans ce livre chronologique et
thématique, Fabrice d'Almeida revient sur les principales techniques et les outils élaborés par les
différents régimes (totalitaires ou démocratiques) pour conquérir les opinions publiques, pénétrer
les esprits et finalement gouverner les comportements. Et ce dans toutes les parties du globe.
S'appuyant sur de nombreux documents (affiches, photographies d'époque, tracts, campagnes
publicitaires), il raconte le passé pour mieux décrypter le présent, démontrant que la propagande
demeure une arme fatale et que les images sont ses meilleures munitions. »
à Il faut rester critique. Il est toujours intéressant d’analyser la façon dont fonctionnent les gens,
mais il ne faut pas voir la propagande partout.
S’il n’y avait que un canal de diffusion avec une idée transmise à tous et qu’on ne pouvait pas la
contester, alors oui, il y a propagande !
Si tout le monde sait qu’il s’agit d’une propagande, alors la propagande est nulle.

- Présentation de l’ouvrage de David Colon :

« « Fake news », « infox », « post-vérité » : le monde contemporain ne cesse d’être confronté aux
enjeux de l’information de masse. On croyait la propagande disparue avec les régimes
totalitaires du XXe siècle mais, à l’ère de la révolution numérique et des réseaux sociaux,
elle est plus présente et plus efficace que jamais. Chaque jour apporte ainsi son lot de
désinformation, de manipulation, de rumeurs et de théories du complot. Loin de se résumer à la
sphère politique et à la « fabrique du consentement », la propagande imprègne aujourd'hui tous
les aspects de notre vie en société, les spécialistes du marketing, du storytelling ou les théoriciens
du nudge ( = méthode douce de persuasion, par suggestion indirecte) s’efforçant d’influencer nos
choix et comportements. »
à Il y a diverses techniques pour influencer sur nos comportements de lecteurs et
consommateurs. Mais ce n’est pas la propagande. Celle-ci doit être un bloc structuré, homogène
et cohérent qui s’attache à nos esprits.
On croit ne pas être dupe alors qu’on est peut-être soumis à une autre propagande plus sournoise
qui nous change notre manière de réfléchir.

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Histoire de la propagande - Dal | Axelle Douillet

- Présentation de l’ouvrage de Jean-Paul Fitoussi :

« La façon dont on nous parle des problèmes économiques, sociaux et même politiques nous
laisse peu de chances de comprendre ce que l’on veut nous dire. Et encore moins les
phénomènes qui nous blessent. L’invention d’une néo-novlangue (langage rigide et contenu
destiné à dénaturer la réalité) est passée par là.
à On est tous soumis comme des moutons à un vocabulaire qui nous échappe.

Pourquoi nous répète-t-on à l’infini que le chômage est inadmissible pour finir par le laisser
persister ? Pourquoi dit-on que le travail est notre avenir alors qu’on se garde, depuis longtemps,
de le valoriser ? Pourquoi accepte-t-on de voir croître démesurément les inégalités alors que l’on
dit vouloir les combattre ?

La langue que nous utilisons, à force d’être contournée, a transformé la réalité à laquelle nous
sommes confrontés, jusqu’au déni de la souffrance. Il faut, si l’on veut revenir à une vision
moins fataliste du monde, déconstruire la novlangue pour reconstruire un langage dans lequel
chacun se reconnaisse. Ce n’est qu’à cette condition que l’on pourra vraiment agir sur le monde
et sur le destin des populations. Ce n’est qu’à cette condition que l’on pourra déjouer le piège
politique que nous tend la novlangue et retrouver le chemin d’une démocratie moins fragile
que celle qui nous enjoint à la résignation. »

On le voit, traquer la propagande contemporaine fait partie des passages obligés pour qui
s’intéresse à la propagande « en général ». Mais n’est-ce pas, parfois, une facilité ? Ne se pose-t-
on pas vite en héritier de Klemperer, alors qu’on défend simplement un point de vue contre un
autre ?

Arrêtons-nous, par exemple, à l’extrait suivant de Fitoussi : « Pourquoi nous répète-t-on à l’infini
que le chômage est inadmissible pour finir par le laisser persister ? Pourquoi dit-on que le travail
est notre avenir alors qu’on se garde, depuis longtemps, de le valoriser ? Pourquoi accepte-t-on
de voir croître démesurément les inégalités alors que l’on dit vouloir les combattre ? »
à Il y a un vice dans la façon de voir les choses.

• « Pourquoi nous répète-t-on à l’infini que le chômage est inadmissible pour finir par le
laisser persister ? » Mais... le laisser persister n’est pas un choix ! Par ailleurs, l’usage du
« on » est trop vague pour être pris au sérieux : ce ne sont pas nécessairement les mêmes
qui répètent que le chômage est inadmissible, et qui le laissent persister.
• « Pourquoi dit-on que le travail est notre avenir alors qu’on se garde, depuis longtemps, de
le valoriser ? » Mais... ne pas valoriser le travail n’est pas un choix ! Par ailleurs, l’usage du
« on » est trop vague pour être pris au sérieux : ce ne sont pas nécessairement les mêmes
qui disent que le travail est notre avenir, et qui se gardent de le valoriser.
à ce n’est pas une idéologie, c’est juste qu’on n’y arrive pas. On réduit la réalité à un bloc
homogène comme si que quelques personnes décident de tout alors que c’est juste
complexe .
• « Pourquoi accepte-t-on de voir croître démesurément les inégalités alors que l’on dit
vouloir les combattre ? » Mais... accepter de voir croître démesurément les inégalités n’est
pas un choix ! Par ailleurs, l’usage du « on » est trop vague pour être pris au sérieux : ce
ne sont pas nécessairement les mêmes qui acceptent de voir croître démesurément les
inégalités, et qui disent vouloir les combattre.

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Histoire de la propagande - Dal | Axelle Douillet

Attention : ceci n’empêche qu’un oeil critique sur des habitudes de langage et des marques de
« conformisme linguistique » peut se révéler du plus grand intérêt.

Exemple, extrait du même Fitoussi (pp. 63-64) : « En 1930, Keynes publia un essai intitulé
« Perspectives économiques pour nos petits-enfants ». Il y montrait, à partir de calculs simples et
d’hypothèses plausibles sur l’évolution de la productivité, que nos petits-enfants, si la croissance
par tête était de 2 % l’an, auraient un revenu par tête huit fois plus élevé que le nôtre.

Son horizon temporel était donc d’un siècle. Huit fois plus riches que leurs grands-parents, pensait
Keynes, ils n’auront plus besoin de travailler. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité,
nous aurions résolu le problème économique. « Le problème économique n’est pas, si nous
considérons l’avenir, le problème permanent de l’humanité », nous dit Keynes. La dynamique
en cours de la productivité fera bien que, à un moment donné, nous nous jugerons suffisamment
riches pour arrêter de travailler. (...) »

« (...) Le problème sera d’apprendre aux gens à vivre sans travailler, puisque leurs besoins
fondamentaux seront satisfaits. Ils s’adonneront alors à l’art de la conversation, à la lecture, à la
musique, au théâtre, au sport, bref à toutes ces activités qui réjouissent l’esprit et le corps.
La vision de Keynes est plutôt aristocratique : la culture finira, au terme d’un long
apprentissage, par se substituer au travail. La fin du travail n’est donc pas, dans cette
conception, le drame que l’on nous présente aujourd’hui, bien au contraire ! Elle est
l’aboutissement du combat victorieux contre la rareté, combat qui définit l’activité économique. Ce
n’est pas la fin du travail dans une économie robotisée, mais la fin de l’économie elle-même. (...) »

« (...) Keynes ne s’est pas trompé dans son évaluation des perspectives macroéconomiques :
dans les pays industrialisés, le revenu par habitant est au moins huit fois plus élevé qu’il ne l’était
en 1930. Mais sa répartition est très inégale, de sorte que, pour une grande partie de la
population, le problème économique est loin d’être résolu. »
à Il y a eu une croissance économique mais il n’y a pas eu de répartition égale. Donc l’économie
reste un grand problème pour beaucoup de gens.

On le voit, il s’agit ici d’un œil critique, nécessaire, stimulant, sur le monde actuel... mais pas d’un
décryptage de propagande. Pourquoi? Parce que le discours et les principes qui sont critiqués
ne se sont pas imposés par l’autorité physique et arbitraire d’une minorité qui se serait concertée.

Il s’agit plutôt d’une philosophie, de valeurs qui se sont imposées au fil du temps, de façon
diffuse et sournoise sans doute... mais qui ne constituent pas pour autant un bloc homogène et
cohérent (= propagande), qu’il suffirait de dégonfler comme une baudruche pour que tout aille
bien.

Refuser ce constat, refuser de voir la complexité du monde, en le schématisant grossièrement


pour prétendre le combattre, prête le flanc au règne des « fake news » et de l’ère post-vérité.

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Histoire de la propagande - Dal | Axelle Douillet

VI. CONCLUSION

On l’a vu tout au long du cours, chacun souhaite, aujourd’hui, décrypter la propagande... au


risque, parfois, de caricaturer le point de vue adverse, pour le réduire artificiellement à de la
propagande.

Or, quand l’esprit critique se mue en paranoïa, et la vigilance à l’encontre du pouvoir en défiance
de principe, on fait le lit des « fake news » et de l’ère post-vérité.
à Quel que soit le discours qu’on tient, du fait que ce soit un « discours officiel », on pense que
c’est de la propagande è Alors, on sombre dans la paranoïa.

Il est de bon ton, aujourd’hui, de se poser en « petit Klemperer », croyant « ne pas être dupe »,
se vivant comme « vigilant », doté d’un « solide esprit critique », exempt de toute « naïveté »...
alors que souvent, ce faisant, on ne fait que balayer d’un revers de la main tout ce avec quoi on
n’est pas d’accord.

Klemperer a disséqué le langage ; il l’a analysé, étudié, percé à jour... et tout ça l’a amené, à
terme, à rejeter en bloc un système dont il a théorisé la perversité et la sournoise efficacité.
Mais lui pouvait prouver ses dires; il était en mesure d’argumenter. Il a, en somme, démontré en
quoi que le langage s’était brouillé avec la vérité. Ce qui n’est pas le cas de bien des
contempteurs autoproclamés de la « propagande » actuelle (propagande dont le contenu, les
ressorts et les instigateurs sont bien souvent extrêmement flous dans la bouche de ceux qui la
critiquent).
à Donc évidemment l’esprit critique est important, mais Klemperer a disséqué le langage
pendant des années et il a montré la perversité de l’efficacité du langage, il pouvait le prouver, il a
démontré en quoi le langage était brouillé avec le vérité. Ce qui n’est pas le cas de ceux qui se
proclament décrypteur de propagande aujourd'hui. Ils n’ont pas de preuves. Remettre en question,
tout, c’est toujours bien et nécessaire MAIS il ne faut pas confondre un travail légitime avec une
outrance paranoïaque (partir du principe que le discours est faux parce qu’il est dominant).

Bref : remettre en question, envisager avec recul, déconstruire, faire oeuvre d’esprit critique, c’est
toujours bien et nécessaire... mais ne confondons pas légitime travail critique avec outrance
paranoïaque.

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