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Le truc d'Octave : pièce en un

acte / Daniel Jourda

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Jourda, Daniel (1867-1952). Auteur du texte. Le truc d'Octave :
pièce en un acte / Daniel Jourda. 1912.

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LE TRUC D'OCTAVE
Daniel JOURDA
...
PERSONNAGES

ERNEST TATZY MM. PAULEY.


..
OCTAVE MALIN GEO'S.

ISABELLE TATZY Mmes LINE RUZZO.

HORTENSE DU MOUILLARD..... REB-DARCY.


EUPHÉMIE..... DELILLE.

Mise en scène de M. MAURAISIN.


DANIEL JOURDA

LE TRUC D'OCTAVE
Pièce en un Acte

Au lever du rideau, Mme du Mouillard et sa fille Mme Tatzy, li-


sent attentivement chacune un livre. Ernest Tatzy, regarde le pla-
fond, se tourne les pouces, bâille, regarde les deux femmes, rebâille,
enfin il manifeste son prodigieux ennui par des jeux de scène bien en
situation. Puis, tout à coup, il se met à chanter.

SCÈNE PREMIÈRE
Ernest, Mme du Mouillard, Mme Tatzy
Ernest (3), chantant, assis sur le canapé à droite
Et pendant ce temps-là, la fille de la concierge
etc., etc.
Mme du Mouillard, hargneuse, assise à droite du guéridon
Vous ne savez pas autre chose?
Ernest
Si, si !... Je ne suis jamais à court. (Il chante :)
Nous avons tous eu cinq francs.
C'est la moitié de dix francs,
La thune.
Mme Tatzy (1), assise à gauche du guéridon
Voyons... tais-toi, Ernest... Je ne m'entends pas lire.
Ernest
Ah tu ne t'entends pas lire... (Se lève.) Eh bien, moi, j'entends
!

pousser ma barbe.
Mme du Mouillard
Est-ce à dire que vous vous ennuyez avec nous?
Ernest
Plutôt ! (Descend à droite.)
Mme du Mouillard
Goujat !
Ernest, allant à elle
Belle-maman, vous employez un terme dont vous ne connais-
sez pas la valeur. Le duc d'Elbœuf...
Mme du Mouillard
Ditesque je suis une imbécile.
Ernest
Je ne le dis pas, mais je le pense.
Mme du Mouillard, se levant, pose son livre sur le guéridon
Monsieur !...
Ernest
Madame !...
Mme Tatzy
Là !... Ça y est !... Voilà la scène quotidienne qui commence.
(Se levant, prend le milieu 2.) Vous ne pouvez donc pas passer une
journée sans vous...
Ernest (3)
Engueuler?... Tu peux dire le mot.
Mme du Mouillard (1)
Je n'ai pas une gueule, moi, Monsieur !

Ernest
C'est vous qui le dites !...
Mme du Mouillard
Monsieur !...
Ernest
Madame !...
Mme Tatzy (2)
Ernest, tu lasseras ma patience... Je te défends de manquer de
respect à maman.
Ernest
Prie ta mère de me respecter, d'abord.

Maman est une femme.... Mme Tatzy

Ernest, à lui-même
Oh si peu !...
!

Mme Tatzy
...Tu ne dois pas l'oublier, elle est ma mère, souviens-t'en...
Ernest
Je n'ai garde de l'oublier, je t'en réponds.
Mme Tatzy
...Et à ce double titre, elle a droit à des égards. (Lui se dirige
vers la porte.) Où vas-tu ?
Ernest
Je sors. « Je dirige mes pas vers des yeux plus cléments ». Un
beau vers, hein ?... Il est de moi, la mère à ma femme. ( Il remonte.)
Mme Tatzy
Où vas-tu?
Ernest
Je sors.
Mme Tatzy
Je le vois bien, parbleu ! Mais où diriges-tu tes pas?
Ernest
Oh sois sans crainte, je ne vais pas me noyer... malgré tout
!

le plaisir que cet acte saugrenu ferait à ma belle-mère.


Mme du Mouillard
Monsieur va sans doute au café?
Ernest
Que vous dites.
Mme du Mouillard
;
Prends garde, ma fille; ces endroits sont des lieux de perdition
si j'étais à ta place...
Ernest
Que feriez-vous, aimable et douce créature?
Mme du Mouillard
Je vous défendrais de sortir.
Ernest
Vous me défendriez... (Descend extrême droite.)
Mme du Mouillard
Parfaitement. (Elle s'assoit au guéridon.)
Ernest, à sa femme
Et qu'est-ce que tu dis, toi?
Mme Tatzy
Rien.
Ernest
C'est fort heureux. (Il s'assied sur le canapé, à droite.)
Mme Tatzy, allant à lui, au-dessus du canapé
Tu ne sors plus?
Ernest
Non.
Mme Tatzy
Ah ! ça, c'est gentil.
Ernest
Gentil?... peut-être... cela dépend. Non... je ne sors plus; et
cela pour deux raisons. La première de ces raisons est que tu ne
m'as pas ordonné de rester, comme te le conseillait ta mère; la
seconde est que l'heure est arrivée de s'expliquer sur une situation
qui devient absolument intolérable.
Mme Tatzy
Ernest...
Ernest
Ne m'interromps pas. Voilà bientôt trois ans que j'eus l'insigne
honneur de t'épouser...
Mme Tatzy
Oh ! insigne...
Ernest
Si, si... insigne ! En abandonnant ta particule, ton titre de com-
tesse, ton nom noble de « du Mouillard » pour l'échanger contre ce-
lui de Tatzy, qui est le mien, je comprends facilement que tu m'as
fait là un sacrifice énorme — sacrifice dont je te sais un gré infini.
Mais, si, en t'épousant, ta particule disparaissait, il en restait une
autre : celle de ta mère. Elle vint s'installer dans notre foyer, y
prit une place énorme, car, chère amie, il faut bien l'avouer, chez ta
mère la particule domine. Elle domine à un tel point que tout ce
qui n'est pas noble devient pour elle de la racaille.
Mme du Mouillard
De la racaille...
Ernest
Ne m'interrompez pas ! Donc, comme je suis un sale plébéien,
ta mère, me considérant comme quantité négligeable, me traite
depuis ce temps comme tel.
Mme du Mouillard, railleuse
Guillaume ?...
Ernest
Ne faites pas de l'esprit, ou plutôt si, faites-en, si vous pouvez.
Et, puisque vous faites allusion à Guillaume Tell, sachez donc,
chère Madame, que si celui-ci délivra l'Helvétie de son tyran, je
veux, à mon tour, me délivrer du mien.
Mme du Mouillard
Vous n'allez pas me tuer comme Gessler?
Ernest, se levant, allant à elle, passe 2
Est-ce que « Gessler » d'un assassin?... Il me faudrait un arc
trop solide. Et puis, ce n'est pas de la flèche que je me servirais,
mais bien du bois de l'arc. Non... je me contenterai de vous enle-
ver la poire que je suis; j'en ai assez d'être votre souffre-douleur,
Assez, entendez-vous !

Mme du Mouillard
Je ne suis pas sourde.
Ernest
Tant mieux pour vous. Alors ouvrez vos esgourdes.
Mme du Mouillard (1), se lève, descend à gauche
Esgourdes ! Ah ! pouah !... que cet homme est commun ! Ah !
ma fille ! pourquoi faut-il que tu sois la femme de cet homme !
Ernest
Oui,... je me le demande. Pourquoi? (A sa femme.) Et toi, tu ne
te le demandes pas ?
Mme Tatzy
Mon Dieu, non !... Moi... je suis très heureuse comme ça.
Ernest
Ah !... tu es heureuse !... Tu n'es pas difficile Eh bien, si tu es
!

heureuse, moi je ne le suis pas... et je veux l'être !... Et pour que


je le sois, il faut que ta mère décanille d'ici, sans retard.
(Il descend extrême droite, 3.)
Mme du Mouillard
Mais...
Ernest
Sans retard Notre vie à trois est absolument impossible. Un
!

de ces jours, je ferai un malheur. Je la boufferai, ta mère, tu en-


tends : je la boufferai. Ah je bénis le ciel de n'avoir pas d'en-
!

fants !... Quand je songe qu'un jour tu pourrais, toi aussi, devenir
un de ces êtres malfaisants, qui n'ont de la femme que le nom,
mes cheveux se hérissent d'épouvante.
Mme Tatzy (2)
Voyons, Ernest, calme-toi. Tu n'es pas méchant au fond, et
maman t'aime bien.
Ernest (3)
Oui, comme un chien aime les coups de fouets.
Mme du Mouillard (1)
Mais non, grand dadais (Passe 2.) Allons... venez ici... qu'on
!

vous embrasse.
Ernest
Qu'on me morde, voulez-vous dire?
Mme Tatzy (1)
Là ! c'est toi qui recommence. Allons, faites la paix... Embras-
sez-vous.
Ernest
Heu... je ne sais si je dois...
Mme du Mouillard, agressive
Ne vous faites pas violence, vous savez.
Ernest
Vous n'y tenez pas?
Mme du Mouillard
Pas plus que vous, sans doute.
Mme Tatzy
Voilà que vous recommencez.
Ernest
C'est elle qui...
Mme du Mouillard
Pardon... c'est vous.
Ernest
Moi?... Ah ! ben, elle est raide, celle-là!

Mme du Mouillard
Vous n'avez pas tiqué pour m'embrasser?
Ernest
Si, là, j'ai tiqué Si, si ! Finissons-en, ban Dieu Tendez vos
! !

joues. (Il l'embrasse et crie.) Mes seigneurs, je meurs empoi-


sonnné ! (Descend à droite.)
(Mme Tatzy rit.)
Mme du Mouillard, pincée
Charmant ! c'est d'un goût charmant !

Mme Tatzy, riant


Il plaisante, voyons, maman.
Mme du Mouillard
Ah ! tu trouves que c'est une plaisanterie à faire, toi.
Mme Tatzy
Mon Dieu...
Mme du Mouillard
Ça t'amuse qu'il se moque de ta mère, hein?
Mme Tatzy
Mais il ne se moque pas de toi, maman.
Mme du Mouillard, en larmes
Si, si, il se moque de moi. Vous vous moquez de moi tous les
deux.
Mme Tatzy
Mais, maman...
Mme du Mouillard
Laisse-moi. Tu es une fille sans cœur... et quant à lui...
Ernest, allant à elle
Quant à moi?...
Mme du Mouillard
Il suffit... Je sais ce que je pense.
Ernest
Pensez donc tout haut, on saura ce que c'est.
Mme du Mouillard
Ah ! ne m'énervez pas, ou...
Ernest
Ou...? (Mme du Mouillard lui donne une gifle.) Nom de Dieu !

(Descend extrême gauche, 1).


Mme Tatzy, au milieu
Oh ! maman !...
Ernest
Nom de Dieu Giflé par elle !... (Bondissant.) Ah ! ça, par
!...
!

exemple
Mme Tatzy, lui barrant le chemin
Ernest ! Ernest
Laisse-moi... il faut que je la bouffe.
Mme Tatzy
Ernest !

Mme du Mouillard
Ne m'approchez pas...
Ernest
Je vais me gêner.
Mme du Mouillard
Je crie à l'assassin.
Mme Tatzy
Maman !

Ernest
Criez tout ce que vous voudrez; ça ne m'empêchera pas de vous
ficher la fessée.
Mme du Mouillard
Une fessée à moi !

Ernest
Et à nu; comme à une gosse.
( Elle se sauve, il la poursuit.)
Mme Tatzy
Voyons, Ernest !
Ernest
Une gifle Ah ! sacrée garce sacrée femelle belle-mère
! ! ! ! ! ! ! !

Mme du Mouillard
A moi ! Au secours ! A l'assassin !...
Mme Tazy
Maman !... Ernest !... Je vous en prie!...
Ernest, gueulant
La fessée !

Mme du Mouillard
La fessée, à moi, une du Mouillard ! Faites donc, si vous l'osez !
Ernest, calme
C'est vrai, je n'oserai pas : «la particule» m'arrête. Mais ce que
je vais oser, par exemple, c'est vous foutre à la porte. Décampez...
et vivement parce que je ne réponds plus de ma patience. (Se-
!

couant sa main.) Je sens s'agiter une giroflée à cinq feuilles... Dé-


campez !...
Mme du Mouillard, prend le milieu (2)
Je sors, Monsieur, je sors...
(Elle sort à droite.)
Mme Tatzy
Je te suis, maman.
Ernest
Tu la suis?
Mme Tatzy
Parfaitement.
Ernest
Mais je la chasse pour tout à fait.
Mme Tatzy
Ernest, prends bien garde à ce que tu dis. Tu sais que je ne puis
pas vivre sans maman...
Ernest
Mais moi je peux très bien vivre sans elle.
Mme Tatzy
Tu ne m'aimes donc pas?
Ernest
Je t'ai prouvé que si.
Mme Tatzy
Voyons, mon chéri, ne me cause pas une peine pareille. Maman
a eu tort, je le sais. Eh bien, oublie ces torts... Je te le demande
en grâce. Je te promets que dorénavant, maman te laissera tran-
quille, qu'elle ne t'asticotera plus.
Ernest, passe à droite (2)
Non, non, c'est fini. Je veux la paix, la paix, la paix !
Mme Tatzy
Je te promets que tu l'auras. Je vais lui laver la tête. Voyons,
si elle vient à résipiscence, lui pardonneras-tu?
Ernest
Mais aussitôt que je lui aurai pardonné, ça sera à recommencer.
Je la connais... hélas !

Mme Tatzy
Je te jure que non. Fais ça pour me faire plaisir, dis?
Ernest
Tu y tiens ?
Mme Tatzy
C'est mon vœu le plus cher.
Ernest
Ah faut-il que je t'aime ! (Passe 1.) Allons... appelle-la.
!

Mme Tatzy
Comme tu es bon.
Ernest
Tu es sûre de ne pas te tromper d'adjectif?
Mme Tatzy, souriant
J'en suis sûre. (Appelant) Maman! (Pas de réponse.) Maman !...
(Même jeu.)
La bonne Euphémie, criant, cantonade
Madame, elle est montée dans sa chambre.
Ernest (1), allant à la porte droite, passe 2
Dites donc, Euphémie, vous ne pouvez donc pas venir nous dire
ça ici au lieu de le crier comme si vous étiez dans une ferme?
Euphémie (3), même jeu
Je vas vous dire, M'sieu : je suis entrain de récurer les castero-
les... alors !... (Elle paraît, figure barbouillée, mains sales, une cas-
serole à la main.) Monsieur veut-y que j'aille vouër?
Mme Tatzy
Non, restez, j'y vais. (Elle sort à droite, 1er plan.)

SCÈNE II
Ernest, Euphémie
Ernest (1)
Euphémie, je ne veux pas vous entendre hurler comme ça.
Vous êtes une excellente domestique, mais vous manquez d'édu-
cation.
Euphémie (2)
Ben, moi je fais comme ici : on gueule, alors je gueule. J'savais
point.
Ernest
Cette fille, quoique tourte, ne manque pas d'une certaine logi-
que. Tiens, voilà cent sous.
Euphémie
Pour mé?
Ernest
Bien sûr. Seulement ces cent sous, il faut les gagner,
Euphémie
Quoi qui faut faire ?
Ernest
Répondre à mes questions.
Euphémie
Allez-y, M'sieu.
Ernest
Dis-moi : écoutes-tu aux portes, quelquefois?
Euphémie
Oh ça, jamais, M'sieu jamais
! ! !

Ernest
Alors, rends-moi mes cent sous.
Euphémie
J'écoute aux portes, M'sieu, j'écoute aux portes.
Ernest
Bon. Quand je ne suis pas là, que fait ma belle-mère? Ne parle-
t-elle pas de moi à sa fille?
Euphémie
Oh que si, M'sieu.
!

Ernest
Et que lui dit-elle?
Euphémie
Oh ça, M'sieu, c'est pas des choses à dire.
!

Ernest, lui redonnant cent sous


Dis-les tout de même.
Euphémie
Du moment que M'sieu insiste pour savouër.
Ernest
Voyons, que dit-elle?
Euphémie
D'abord qu'all ne comprend point que Madame ne fasse pas
Monsieur cocu.
Ernest
Rien que ça?
Euphémie
Que si all était à sa place all lui en ferait voir de toutes les cou-
leurs... que Monsieur est grossier, mal élevé, laid et parfaitement
ridicule... que si qu'on l'a épousé c'est pour sa galette... que main-
tenant qu'all s'a fait reconnaître une dot all devrait bien plaquer
Môssieu... Qu'alle connaissait quequ'un du grand monde qui avait
la pastille pour elle...
Ernest
La pastille?
Euphémie
Oui... Cheux noue quand quéqu'un il en pince pour quéqu'une,
on dit : Tu sais, le gros Zidore, il a la pastille pour la Roussotte...
Vous seusissez?...
Ernest
Oui... oui... Et que répond Madame?
Euphémie
Elle rit et l'appelle « Belle-mère ».
Ernest
Bon merci. Tu peux te retirer.
(Elle sort.)
Ernest
C'est pas chic ce que j'ai fait là, mais, maintenant, je suis fixé.
Je la boufferai, je la boufferai.
(On sonne.)
Ernest, criant
Euphémie, allez ouvrir.
Euphémie, criant, cantonade
J'y vas, M'sieu.
Ernest
Mais ne criez donc pas comme ça ! Non, restez.. j'y vais moi-
même. Et fermez la porte de votre cuisine. (Il sort fond droite,
3e plan. Un temps.)

SCÈNE III
Ernest, Octave, puis Euphémie
(Ils entrent de droite 3e plan.)
Ernest (1), cantonade
Eh c'est ce vieil Octave.
!

Octave (2), cantonade


Lui-même. Comment vas-tu?
Ernest
Mais bien. Entre donc.
Octave, entrant
Pardon. Ta femme n'est pas là?
Ernest
Si. Elle va venir. Assieds-toi, vieux. (Il lui désigne le canapé.)
Octave (2),il s'assoit sur le canapé
Dis donc, je viens te demander à dîner, sans façon,
Ernest
Excellente idée.
Octave
Oui, ma femme dîne chez sa mère, ce soir; alors, j'en profite
pour passer la soirée avec toi. Ta femme va bien?
Ernest (1)
Très bien. (Il s'assoit sur la chaise, à droite du guéridon.)
Octave
Et Mme du Mouillard, ta belle-mère ?
Ernest
Trop bien.
Octave
Mes « condoléances ». Toujours aussi gentille pour toi, la belle-
mère?
Ernest
On en mangerait.
Octave
Tu veux donc devenir enragé?
Ernest
Oh il n'y a pas à le devenir; je le suis.
!

Octave

? ?
Eh ! pas de blagues, hein ne mords pas !... Alors comme ça,
tu es belle-mèrophobe Ça se guérit, tu sais...
Ernest
Je ne crois pas.
Octave
Mais si, mais si Veux-tu que je te dise?... tu n'as pas su la
!

prendre, ta belle-mère. Regarde la mienne : j'en fais ce que je


veux. On ne se dispute jamais.
Ernest
Tiens, parbleu ! Vous ne vous voyez pas.
Octave
Ah non ça jamais On s'écrit... une fois tous les ans... pour
! ! !

le premier Janvier... et encore, ce n'est pas moi qui décachette


la lettre : c'est ma femme.
Ernest
Mais comment as-tu fait pour te débarrasser d'elle?
Octave
Oh c'est très simple : je lui ai fait la cour.
!

Ernest
La cour? Tu lui as fait la cour?
Octave
Parfaitement. J'ai feint d'avoir pour elle une passion profon-
de !... Quand elle venait à la maison, je n'avais d'yeux que pour
elle; je poussais des soupirs impressionnants; puis, un jour, à
brûle-pourpoint, je lui ai dit que je l'aimais. Elle a été flattée,
dans sa vanité de femme, tu comprends; car jamais une femme
n'est froissée qu'on lui tasse la cour... qu'on lui dise qu'elle est
belle et qu'on l'aime... Elle m'a lavé la tête gentiment ; et, pour
couper court à cette passion funeste, m'a déclaré entre deux bai-
sers, qu'il ne fallait plus nous revoir pour son repos à elle et pour
le bonheur de sa fille. J'ai feint un profond désespoir; puis, me
jetant à ses genoux, je lui ai juré par notre amour de ne la revoir
jamais et de me consacrer au bonheur de sa fille. Depuis, elle
m'adore... de loin... et je le lui rends bien, va !

Ernest
Octave, tu m'ouvres un horizon de délices. L'agnelet qui suce
la tétine de sa mère éprouve moins de joie que ton serviteur n'en
éprouve en buvant tes paroles. Octave tu es... tu es mon sauveur,
laisse-moi te serrer la main.
Octave, tendant la main
Serre.
Ernest, reniflant, son front
Mâtin tu sens bon. Tu as le front odorant. C'est naturel?
!

Octave
Non. C'est de la brillantine.
Ernest
Aussi, je me disais... Ah ! cher vieux ! Quelle bonne idée tu as
eue de venir me demander à dîner.
Octave
Mais m'expliqueras-tu?
Ernest
Comment ! tu ne devines ? Mais ce qui t'a sauvé peut me
pas
sauver aussi
Octave
Tu vas faire la cour à ta belle-mère?
Ernest
Une cour, dis-tu?... Un quinconce, une esplanade, un champ
de Mars. Je la réduirai, ou je ne m'appellerai plus Ernest.
Octave
Ne la chauffe pas trop.
Ernest
Chez le fleuriste, acheter un bouquet de violettes. Je veux
commencer illico. Ah mon bon cher, tiens tu es le plus chouette
! !

des amis. Deux minutes. Ne t'impatiente pas. Tu as des journaux


amusants, là. Et puis ma femme et ma belle-mère, ma passion,

phémie ! Euphémie !
!
veux-je dire, ne vont sans doute pas tarder à descendre. Je vole
et je reviens. Merci, mon gros, merci (Criant à droite.) Eu-
Euphémie
M'sieu !
Ernest
Donnez un verre de malaga à M. Octave. (Il sort fond droite,
3e plan.)

SCÈNE IV
Octave, Euphémle, puis Mme Tatzy, Mme du Mouillard,
puis Ernest
Octave, se lève, va s'asseoir à droite du guéridon
Ce brave Ernest ! Il exulte !... Voyons ces journaux.
Euphémie, entrant avec le malaga, le pose sur le guéridon
et prend le milieu 2
V'là l' malaga, M'sieu.
Octave (1)
Merci, Euphémie... Dis-moi, Euphémie, comment que ça va ici ?
?
Ça n'a pas l'air de bicher, hein (Euphémie ne répond rien et tend
la main.) Eh bien, tu ne m'entends pas?
Euphémie (2)
Si M'sieu; mais M'sieu me donne cent sous chaque foués...
Octave
Ah ! Monsieur...
Euphémie
Mais-z-oui...
Octave
Eh bien, tiens; les voilà.
Euphémie
Eh ben, ça va très mal... très très mal... Monsieur a voulu
donner une fessée à sa belle-mère... A nu, qui disait, à nu !
Octave, riant
Non !... Et alors?... (Euphémie tend à nouveau la main.) En-
core?
Euphémie
Monsieur, il le fait, lui...
Octave, lui donne cent sous
Allons... faisons comme Monsieur.
Euphémie, met les cent sous dans sa poche et parle
Alors, Mme du Mouillard, il lui z-y a dit comme ça : « Une fes-
sée à moi, Madame du Mouillard? Faites donc si que vous l'osez ».
Octave
Et alors?... (Euphémie tend la main.) Ah non ! !

Euphémie
C'est vrai. M'sieu ne m'a donné que dix francs. Alors, Monsieur
a dit : « C'est vrai... j'oserai jamais... la partie cul m'arrête. » Et
pis, il l'a fichue à la porte... Pschutt, v'là Madame (Octave rit.)
!

N'avez plus besoin de rien, M'sieu ?


Octave
Merci, Euphémie.
(Entrent Mme Ernest et sa mère de droite, 1er plan.)
Euphémie, sort, saluant
Mesdames !

Mmes Tatzy et du Mouillard


Monsieur Octave !...
Mme du Mouillard
L'heureuse surprise.
Mme Tatzy
Comme c'est aimable... Ernest n'est pas là?
Octave
Il vient de sortir à l'instant... Deux minutes, m'a-t-il dit. Je
suis venu vous demander à dîner, sans façon.
Mme Tatzy
Voilà qui est gentil... Madame va bien?
Octave
Très, très bien. Elle dîne ce soir chez sa mère...
Mme du Mouillard
Vous ne vous voyez pas avec Madame sa mère?
Octave
Très peu... Madame, très peu. Mais ça n'empêche pas que nous
nous adorons.
Mme du Mouillard
Moi, je ne demanderais qu'à m'entendre avec mon gendre. Mais
il y a incompatibilité d'humeur.
Octave, inconsciemment
Divorcez. Oh pardon... je... excusez-moi.
!

Mme Tatzy
Si maman voulait y mettre du sien...
Octave
?
Pourquoi pas Ernest est un charmant garçon, Madame... Te-
nez, il me parlait de vous, tout à l'heure, en des termes... vrai-
ment...
Grossiers.... Mme du Mouillard
Octave
Mais pas du tout. Je vous affirme que non. Il me disait : « Ah !
si Mme du Mouillard voulait Car enfin elle est encore char-
!

mante ma belle-mère Elle a de l'allure... elle est racée, en dia-


!

ble Capable d'inspirer des passions... Mais, voilà... elle ne peut


!

pas me souffrir... Si elle savait, pourtant »... (Ernest entre.)


!

Ah ! voilà Ernest.
Ernest, entre du fond droite, 3e plan ; il porte
deux bouquets de violettes
Bonjour, ma femme. Bonjour, belle-maman. Voulez-vous me
permettre de vous offrir ce modeste bouquet de violettes?...
Mme du Mouillard
Ce bouquet,... à moi?
Ernest, galant
A vous, ma très charmante belle-maman.
Mme du Mouillard
Je suis vraiment touchée...
Ernest
Moins que moi, croyez-le bien, de vous le voir accepter.
Mme du Mouillard
Elles sont exquises... (A part.) Qu'est-ce qu'il lui prend?...
Ernest
Et à toi celui-ci, ma jolie.
Mme Tatzy
Merci, mon grand. Tu ne peux savoir le plaisir que tu viens de
me faire. Encore merci. Décidément, tu es un mari délicieux.
Ernest
Un verre de malaga, belle-maman?... Oh belle-maman ! Vous
!

ne trouvez pas que ce nom a quelque chose d'agressif Si vous


étiez bien gentille, nous le supprimerions entre nous.
?
Mme du Mouillard, gracieuse
Mais... je veux bien... Appelez-moi maman.
Mme Tatzy
Ça serait gentil ; mais gentil tout plein.
Ernest
Maman?... Oh ! non !... Voyons... vous êtes bien trop jeune...
trop... sœur aînée de votre fille... Maman ça vieillit tout de
!

suite... Tu ne trouves pas, Octave?


Octave
Si, si, évidemment... Ernest a raison... Il faudrait trouver
quelque chose de respectueux et de gentil à la fois.
Mme Tat zy
Tune peux pourtant pas appeler maman : Hortense.
Ernest
Non... évidemment, ce serait trop familier. Mais ne pourrais-je
?
pas donner à ta mère une preuve respectueuse et amicale à la fois
en l'appelant : Marquise Ce titre lui appartient et il a quelque
chose de vaporeux, de Louis quinzième, d'irisé, qui lui siérait
bien. Décidément, je m'arrête à celui-là... si toutefois, Marquise,
vous voulez bien m'y autoriser. (Il baise la main à sa belle-mère.)
Mme du Mouillard
Mon gendre, vous êtes délicieux.
Ernest
Ah non plus de gendre Appelez-moi Ernest:
! ! !

Mme du Mouillard
Ernest, pourquoi n'avez-vous pas toujours été comme vous
êtes aujourd'hui. Que de belles journées perdues...
Ernest
Ah ! Marquise, si je vous le disais...
Mme du Mouillard
Dites-le
Ernest, bas
Ceci ne peut se dire qu'en tête-à-tête.
Mme du Mouillard, même jeu
Hein ?
Ernest, bas
Pschutt on nous observe. (Il lui jette un regard amoureux.)
!

Mme du Mouillard, à elle-même


Comme il m'a regardée...
Mme Tatzy, à Octave
Vous permettez que j'aille donner mes ordres à la bonne ?
Octave
Je vous en prie, Madame. (Elle sort à droite, 1er plan.) Dis donc,
mon vieux, je voudrais téléphoner à ma femme. Elle doit être
arrivée chez sa mère... Puis-je?
Ernest
Mais oui, ami. Entre dans mon bureau... Tiens... par ici...
Veux-tu que je t'accompagne?
Octave
Inutile, mon vieux, je connais ta maison comme ma poche...
Mes excuses, Madame...
Mme du Mouillard
De rien, Monsieur.
(Il sort à gauche, 1er plan.)

SCÈNE V
Ernest, Mme du Mouillard
Ernest
Un coussin. Marquise?...
Mme du Mouillard
Merci.
Ernest (1), à part
Tiens, vieux chameau (Il lui met un coussin sous les pieds,
!

qu'il prend sur le fauteuil au fond, à droite, devant la cheminée.)


Mme du Mouillard (2)
Venez vous asseoir près de moi (Elle lui désigne une place sur le
canapé), Ernest, et dites-moi quoi vous a changé ainsi.
Ernest, sans s'asseoir
Ah belle-m... belle Marquise, je ne suis pas changé. J'ai tou-
!

jours été comme je suis... toujours...


Mme du Mouillard
Non, certes.
Ernest
Si, si... Seulement des raisons d'ordre tout à fait intime m'obli-
geaient à jouer le rôle que je jouais. Ah !... Marquise !... si vous
saviez... Ah !... (Bas.) ça va être dur Jamais je ne pourrai dire
!

à cette vieille bique que je l'aime.


Mme du Mouillard
Que marmottez-vous tout bas?
Ernest
Des mots sans suite qui dépeignent bien mon état d'âme.
Mme du Mouillard
Et ces raisons d'ordre tout à fait intime, pourrais-je les con-
naître ?
Ernest
Mais... certainement... Quand je dis certainement... cela veut
dire : ça dépend. (A lui même.) Oh oui, ça dépend !...
!

Mme du Mouillard
Cela dépend de quoi?...
Ernest
De... certaines circonstances... de... la manière que... la chose
va s'emmancher... de... d'un tas de choses, enfin...
Mme du Mouillard
Mon Dieu que de réticences !...
!

Ernest
Ah ça, pour des réticences, il y en a
! Il y en a même
!

beaucoup, je l'avoue.
Mme du Mouillard
C'est donc si difficile à dire?
Ernest
Si c'est difficile !... Ah ! Mama... Ah ! Marquise !

Mme du Mouillard
Voyons... Asseyez-vous là près de moi... et ouvrez-moi votre
cœur.
Ernest
Que je vous ouvre... (A lui-même.) C'est bien ce que je crai-
gnais... Eh bien ! oui, Madame Je vais vous l'ouvrir ce cœur...
!

ce cœur que vous ignorez. Fasse le ciel que ça ne soit pas en vain.
(A part.) Non de Dieu qu'est-ce que je vais dire. (Haut.) Mar-
!

quise, connaissez-vous Phèdre?


Mme du Mouillard
De réputation, oui !... Si je ne me trompe, c'est d'un nommé
Racine, n'est-ce pas?
Ernest
Racine, parfaitement... (A lui-même.) Si je pouvais lui en ap-
pliquer une sur le dos, en ce moment, je crois que je serais plus
à mon aise... (Il s'assoit près d'elle sur le canapé.)
Mme du Mouillard
Eh bien ? Ernest
Vous connaissez sa passion criminelle pour son beau-fils Hip-
polyte. Elle avait le pépin pour lui, quoi. En un mot, elle voulait
se l'offrir.
Mme du Mouillard
Ernest, votre langage devient peuple... Prenez garde, vous dé-
choyez.
Ernest
Je vous demande pardon, Marquise... Mais en ce moment,
je n'ai plus ma tête à moi... L'émotion... le... le enfin, vous com-
prenez !... (A part.) Dieu que j'ai chaud. (Haut.) Ah et puis,
! !

zut ! je vais prendre la vache par les cornes.


Mme du Mouillard
La vache?...
Ernest
Oui... c'est-à-dire... que je vais vous dire... tout de go, ce que
j'ai... à vous dire.
Mme du Mouillard, pincée
C'est donc moi la vache.
Ernest
Oui Non !... C'est un terme, une expression... Loin de moi la
!

pensée... Vous m'excusez, Marquise.


Mme du Mouillard
Je vous excuse.
Ernest
Donc, je prends la vache par les cornes et je lui dis : Madame !...
Je suis Phèdre à l'envers... Je suis comme elle « tout entier à ma
proie attaché ». Phèdre avait le pépin pour son beau-fils Hippo-
lyte; moi j'ai le pépin pour ma belle-mère. Hortense !... Hortense,
je t'aime, Hortense, je suis fou de toi, Hortense, je te veux.
Mme du Mouillard
Hein !... Mais vous êtes fou. Il est fou...
Ernest (1)
Fou, oui ! tu l'as dit. Quand je te vois, je ne me connais plus :
un cricri trotte dans ma mansarde; j'ai l'envie de te prendre dans
mes bras et de t'y étouffer : Je t'abho... je t'adore !... (Il veut la
prendre dans ses bras.)
Mme du Mouillard (2), se lève, fait le tour du canapé
en descendant à l'extrême droite
A moi ! Au secours !...
Ernest
Tais-toi... ne crie pas... Hortense ma petite Hortense...
!

Mme du Mouillard (1)


Ne m'approchez pas...
Ernest (2)
Je te veux, je te dis... je te veux ! (Allant à elle.)
Mme du Mouillard, lui donnant un soufflet
Tiens !...
Ernest
Oh mille-z-yeux !... (Descend à droite.)
!
Octave, qui est rentré de gauche, 1er plan, au moment
où Ernest reçoit la gifle, prend le 1
Oh ! sapristoche !...
Mme du Mouillard, criant
Isabelle Isabelle !
!

Voix d'Isabelle, 1er plan, à droite


Maman !
Mme du Mouillard, même jeu
Viens!...
Ernest
Me voilà propre.
Octave (1)
C'est l'instant critique.
Isabelle, entrant de droite, 1er plan
Qu'est-ce qu'il y a?...
Mme du Mouillard (2), furieuse
Il y a que ton mari est un monstre, un Polyphème, un vampire,
un satyre, un cochon en un mot.
Isabelle
Qu'est-ce qu'il a fait?
Mme du Mouillard
Ce qu'il a fait?... Il a voulu me prendre de force... de force, en-
tends-tu?...
Isabelle
Ernest?...
Mme du Mouillard
Lui !...
Isabelle
Allons donc !...
Mme du Mouillard
C'est comme j'ai le déshonneur de te le dire.
Isabelle
C'est vrai, Monsieur Octave ?... Et vous avez permis...
Octave
Je n'étais pas là, Madame. Je téléphonais...
Isabelle, à son mari
Et toi, tu ne dis rien?
Mme du Mouillard
Violée, à mon âge !...
Isabelle, à son mari
Eh bien, répondras-tu?
Ernest
J'avoue.
Isabelle
Tu as voulu prendre de force ma mère?...
Ernest
Comme un bastion.
Isabelle
Misérable !...
Octave, à part
Le drame commence.
Isabelle, à Octave
Mais pourquoi, Monsieur Octave, pourquoi ?
Octave
Ça, je me le demande.
Mme du Mouillard, à part
Insolent !
Isabelle, à Ernest
?...
Et toi... m'expliqueras-tu Pourquoi?...
Ernest, bravement
Parce que je l'aime, et qu'il me la faut
Isabelle
Tu aimes maman, toi?...
Ernest
Hélas !

Isabelle
Maman, ma rivale !... Ce n'est pas possible !...
Ernest
Cela est.
Isabelle
Alors?...
Ernest
Eh bien, ma fille, il faut divorcer. Je veux épouser ta mère...
Il me la faut, il me la faut.
Isabelle
Divorcer ?...Tu n'y penses pas !...
Ernest
J'y pense au contraire, avec énergie.
Isabelle, en larmes
Mais je t'aime, moi... je t'aime... c'est fou...
Ernest
Je sais bien... seulement... tant que ta mère sera là... entre
nous... je ne verrai plus qu'elle... je n'aimerai plus qu'elle.
Octave
Oh le roublard !...
!

Mme du Mouillard, passe 3


Supposez-vous que je veuille rester encore ici?... Je pars,
Monsieur, je pars !

Ernest, à part
Enfin !...
Mme du Mouillard, criant
Euphémie ! allez me chercher une voiture.
Euphémie, coulisse, 1er plan droite
Bien, Madame.
Mme du Mouillard, à sa fille, qui ne bouge pas
Ne me retiens pas, mon enfant. Non, non, c'est inutile. Je dois
me sacrifier à ton bonheur. N'insiste pas, te dis-je. Mon cœur de
mère ne saurait résister à tes prières. Laisse-moi, laisse-moi : il le
faut, Ne m'attendris pas par tes larmes. Et vous, Monsieur mon
gendre, pas un mot. Je vous demande seulement de rendre ma
fille heureuse. Et pour vous arrcher à jamais du cœur la passion
funeste que j'y ai fait involontairement naître, je vous déclare
que vous me voyez aujourd'hui pour la dernière fois.
Ernest
Vrai?
Mme du Mouillard
Sur mon honneur de du Mouillard.
Ernest, s'affaissant dans un fauteuil
Ah je m'évanouis... (Il se trouve mal. A lui-même) de joie...
!

Isabelle
Comme il l'aime !...
Mme du Mouillard, à elle-même
Pauvre garçon.
Octave, tapant dans les mains d'Ernest, passe 3
Reviens à toi, mon vieux.
Ernest, bas à Octave
Attends qu'elle soit partie.
Octave
Ah bon !... (Il lui tape toujours dans les mains.)
!

Mme du Mouillard
Adieu, ma fille... (Elle l'embrasse.)
Isabelle, froidement
Adieu, maman.
Ernest, à Octave
Tape moins fort, mon vieux.
Euphémie (3), entrant du 1er plan droite
La voiture est en bas. (Elle sort 1er plan droite.)
Mme du Mouillard, à sa fille
Je t'enverrai mon adresse : tu me feras parvenir mes affaires.
Isabelle, même jeu
Oui, oui... je t'accompagne. (A Octave.) Occupez-vous de lui.
Octave
Soyez sans crainte.
(Elles sortent fond, 3e plan droite.)
Isabelle, à sa mère
Passe, maman.

SCÈNE VI
Octave, Ernest
Ernest, se redressant comme mû par un ressort, passe à gauche 1
Partie?
Octave (2)
Partie.
Ernest, fou de joie, exultant
Ah Octave !... Ah mon vieux !...Ah c'est à devenir fou de
! ! !

joie !... Tiens, vois, j'en pleure. (Il pleure bruyamment.) Ah !


non... c'est pas possible... je peux pas y croire... Redis-le moi...
redis-le moi qu'elle ne foutra plus jamais les pieds ici.
Octave
Plus jamais !...
Ernest, exultant
Ah ! Octave !... Je suis plus heureux que si j'avais pris la Bas-
tille. (Il chante :)
Allons enfants de la Patrie, etc.
(Parlé.) Plus jamais !! !...
(Il prend Octave par les mains et chante :)
Dansons la Carmagnole,
Vive le son, le son
Etc., etc.
Isabelle, entrant du fond
Comment ! tu danses et tu chantes?...
(Il reste un pied en l'air.)
Octave
Ne faites pas attention, c'est la fin de la crise. C'est la dernière
phase de sa folie.
Isabelle
Comment, il a été fou ?
Octave
Complètement.
Isabelle
Alors, ce qui s'est passé tout à l'heure, c'était de la folie?
Octave
Pure.
Ernest
Que s'est-il passé?
Isabelle
Tu sais bien, avec maman.
Ernest, pousse un cri
Ah ! ! !...
Octave
Malheureuse ne parlez pas de ça, vous allez lui faire avoir une
!

autre attaque.
Isabelle
Soyez tranquille, elle ne remettra plus jamais les pieds ici.
Ernest
Jamais ?...
Isabelle
Jamais !...
Ernest, sanglotant à la blague
Oh ! c'est horrible !... horrible !...
Euphémie (3), annonçant
Madame est servie. (Elle sort.)
Isabelle
Monsieur Octave... Allons, viens, mon chéri.
Ernest
Je n'ai pas faim.
Octave
Il faut te faire une raison.
Ernest
Allons... Ça sera donc pour vous faire plaisir. Qu'est-ce qu'il
y a pour dîner?
Isabelle
Un tourne-dos-belle-maman.
Ernest, pousse un cri et simule un évanouissement. Il tombe
sur la chaise qui est à droite du guéridon
Ah !
Isabelle
Qu'est-ce qu'il y a, mon Dieu, qu'est-ce qu'il y a?
Octave
Vous avez dit : belle-maman. Ne prononcez jamais plus ce mot
ici... Voyez l'effet qu'il produit.
Isabelle, tapant dans les mains d'Ernest
Reviens à toi, mon chéri; reviens à toi. (Elle remonte.)
Ernest, bas
Dans un instant.
Isabelle, criant à la porte
Euphémie ! du vinaigre. (Elle redescend à Octave et à Ernest.)
Mon chéri ! mon chéri !...
Octave
Le voilà qui remue.
Ernest, semblant sortir d'un rêve
Où suis-je?
Isabelle
Dans mes bras, mon amour, dans mes bras.
Euphémie (4), rentrant et criant
Madame, tout le vinaigre est dans la salade. Mais j'ai apporté
du pouèvre. En voulez-vous t'y?...
Ernest, à Euphémie, passe 3
O huître précieuse ! Où donc as-tu caché ta perle?... Tiens, je
t'adore !

Isabelle, à Octave
La bonne, maintenant?...
Octave
Silence !... Le tourne-dos nous attend.
Isabelle
C'est juste.
(Octave lui offre le bras. Ils remontent vers le 2e plan gauche.)
Ernest
Qu'est-ce que je vais m'envoyer !
(Ils sortent 2e plan gauche.)
Euphémie, pendant que le rideau baisse

Imp.LEBOISFrères. — Bar-sur-Aube

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