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Prise de note « 

Abus sexuels de mineurs dans une relation pastorale dans l’Eglise de Belgique »
Nov 2021
 Suite au rapport Sauvé (France 2021)
 Suite au rapport de la Commission de l’Eglise belge C
 Les errements de l’évêque de Bruges, révélés en 2010, ont été un déclencheur.
o L’Eglise de Belgique a fait la lumière sur son passé douloureux et pris des mesures multiples :
Centre d’arbitrage (en lien avec les autorités civiles), puis points de contact pour les abus
sexuels sur mineurs.
o Voyez à ce sujet le volume : « Abus sexuels de mineurs dans une relation pastorale dans
l’Eglise de Belgique » (Les Evêques et les Supérieurs majeurs de Belgique, 12 février 2019).
o Vous pourrez l’obtenir en vous tournant vers M. le Professeur Manu Keirse, Président de la
Fondation Dignity, 0475/90 90 37, emmanuel.keirse@kuleuven.be, ou vers
o l’Evêque référent, Mgr Guy Harpigny, évêque de Tournai, tournai@catho.be, ou encore vers
o Mgr Herman Cosijns, Secrétaire de la Conférence des évêques, 0479/45 07 89,
ce.belgica@interdio.be.

Brouillon 24 Nov

Monsieur Emmanuel Keirse, Président de la Fondation Dignity

Monsieur Guy Harpigny, Evêque de Tournai

Matthieu 10:26
Ne les craignez donc point; car il n'y a rien de caché qui ne doive être découvert,
ni de secret qui ne doive être connu.

Osée 8:13
Ils immolent des victimes qu'ils m'offrent, Et ils en mangent la chair: L'Eternel n'y prend point de plaisir. Maintenant l'Eternel se souvient de
leur iniquité. Et il punira leurs péchés: Ils retourneront en Egypte.

Messieurs,

Je vous adresse ce message à la suite de la publication du « Rapport Sauvé », qui vient de nous révéler toute
l’ampleur des agressions sexuelles sur mineurs commises en France par des membres du clergé depuis 1950.

Ce rapport est déjà fort critiqué par un groupe d’intellectuels catholiques, à vrai dire, c’est une attaque en règle
- fallait-il s’en étonner ?

Si ce n’est pas toute la lumière, au moins une lumière a-t-elle éclairé le nombre impressionnant et
certainement sous-estimé, de victimes. Au fait, le Rapport Sauvé ne compte pas les victimes des victimes
devenues agresseurs – à l’impossible nul n’est tenu ?

Dans un désir de compréhension et d’information de ce qui a été entrepris en Belgique pour éclairer cette
question sociétale grave, j’ai écrit, début novembre 2021, au diocèse de Namur afin de me renseigner.

Mgr Watrin m’a répondu laconiquement de prendre connaissance du document « Abus sexuels de mineurs
dans une relation pastorale dans l’Eglise de Belgique » (Les Evêques et les Supérieurs majeurs de Belgique, 12
février 2019) » et d’éventuellement vous contacter pour obtenir plus ample information.
J’ai téléchargé et imprimé ce document. Je l’ai lu. J’ai également lu un rapport de la Conférence épiscopale de
Belgique, sur le sujet des agressions sexuelles sur mineur commises en Belgique, rédigé en 2020, qui était en
pièce attachée au courriel de Mgr Watrin.

Je vous remercie de porter votre attention sur les points suivants.

A propos de ma démarche

Je vous écris au titre d’enfant de victime d’abus sexuel sur mineur dans le cadre d’une relation pastorale, la
victime étant mon père. Ce dernier est décédé le 24 décembre 1992, le suicide étant la cause probable du
décès.

Je vous écris en tant que frère cadet d’un enfant très probablement agressé sexuellement, de manière précoce,
dans le cadre familial. L’agresseur est probablement notre père, qui de victime serait devenu agresseur. Ce
frère aurait ensuite été sexuellement agressé, entre ses douze et ses quinze ans, par un ou des prêtres ou
personnel d’encadrement du pensionnat (internat) auquel il avait été confié. L’école et internat étaient ceux
dans lequel notre père fut agressé, ainsi qu’il l’a affirmé à de nombreuses reprises. Cet internat, géré par
l’institution catholique, était situé dans la ville de Namur, d’où mon courriel initial au diocèse de Namur.

Je vous écris en tant que victime d’agressions sexuelles précoces (moins de 6 ans) perpétrées par diverses
personnes de mon entourage familial.

Je vous écris en tant que victime d’agressions sexuelles et inceste sur mineur perpétrées par mon frère aîné,
mentionné plus haut. J’avais 12 à l’âge des premiers faits. Il avait 15 ans.

Je vous écris en tant qu’oncle d’un neveu sexuellement agressé par son père alors qu’il avait l’âge de 8 ans. Cet
enfant est l’aîné de mes deux neveux.

Je vous écris en tant qu’enfant scolarisé, entre l’âge de 6 et 12 ans, dans une école gérée par l’institution
catholique. Dans cette école mariste, j’ai été la victime de nombreuses agressions verbales, physiques et
psychologiques, et, possiblement, d’agressions sexuelles.

Je vous écris en tant que citoyen en colère et rempli d’une immense tristesse face à l’impunité de milliers de
crimes de pédomanes issus de l’Eglise.

La première victime

Laissé aux soins d’une institution religieuse dès le début de sa scolarité, mon père a été interne dans une école
située à Namur. Il me semble que l’établissement était (et est peut-être encore) situé rue de Fer. Je m’y suis
rendu lorsque mon frère y a été résidant à son tour, cependant, je ne me souviens pas du nom de
l’établissement, ni de son adresse exacte – cela remonte à plus de 45 ans et par ailleurs, je souffre d’une
mémoire traumatique défaillante sur certains sujets, alors qu’elle est par ailleurs excellente et précise.

Notre père a toujours clamé son statut de victime. Il le hurlait même, tant cette blessure était vive.

Les faits, impossibles à partager avec ses parents, sœur ou amis, furent de nature à briser son existence et celle
de la famille qu’il a fondée avec son épouse. Nous en fûmes les dépositaires, au cours de longs monologues
remplis de haine et de colère, très souvent débordant d’alcool et de fureur, souvent accompagnés de violence
verbale et physique sur les enfants.

Les faits ? Des attouchements et caresses dans la chambre d’un professeur et religieux, un homme « très
gentil. » L’identité de l’agresseur n’était qu’un prénom, pas même un nom de famille. J’ai oublié ce prénom.
Cependant, je ne saurais oublier les accès de fureur violente, l’insondable folie et l’immense tristesse de
l’auteur de mes jours. Folie avérée, soit de la maniaco-dépression, aujourd’hui nommée bipolarité. Insondable
schisme dans cette personnalité frappée par l’innommable perversité d’un pédomane actif.

Je ne saurais oublier l’alcoolisme, la violence, les jeux pervers, les intrusions dans notre vie sexuelle, les sous-
entendus scabreux, l’impossible filiation et les conséquences de ces multiples agressions par lui subies et
répétées sur la génération suivante.

Porter plainte lui fut impossible. Se soigner fut impensable. Les médecins qu’il a consultés n’ont été bons qu’à
lui prescrire des tranquillisants, alors qu’il était notoirement alcoolique. Pas un de ceux-là ne s’est non plus
inquiété de la santé des enfants, alors que des signes évidents de dysfonctionnements étaient visibles.

Cet homme a vécu l’enfer. Chaque jour. Et chaque jour, ou presque, cet enfer écoulait sur nous sa lave.

Agé de 58 ans, il a pris une surdose d’alcool et de médicaments. Il s’est éteint le soir du 24 décembre 1992.
C’est moi qui ai trouvé le corps. Le certificat de décès indique que la mort a été naturelle.

Une première victime, donc.

La seconde victime, mon frère aîné, mon futur agresseur pervers et agresseur de son fils aîné.

Condamné à devenir élève interne dans le même établissement que celui qui avait funestement marqué notre
père, mon frère aîné a intégré l’internat dès l’âge de 12 ans. Il y a passé 3 années.

Enfant déjà brutal et manipulateur, mon aîné est devenu de plus en plus étrange à mesure qu’avançait le
temps et son immersion dans cette école namuroise catholique. Etrange, distant, secret, et de plus en plus
violent avec la victime toute désignée que j’étais.

Il me semble très probable que mon aîné a rencontré des situations déviantes au sein de l’internat. De quelle
nature ? Je ne saurais le dire, mais je peux imaginer le pire. Lui seul détient la vérité. Il ne la divulguera jamais.

Frère victime supposée d’agressions sexuelles. J’use du conditionnel, car il n’a jamais été clair (ni au clair) avec
ce passage de son histoire scolaire. Je garde en mémoire des allusions et confidences brumeuses, également
des actes d’inceste répétés sur ma personne.

Ce frère a été jusqu’à prétendre à ses amis d’école (après l’internat, il a rejoint l’athénée où j’étais élève) que
j’étais « son esclave sexuel ». Quel adolescent irait prétendre une telle chose à ses camarades de classe sous
l’abri du préau alors qu’il fume ses premières cigarettes ?

Il est devenu par la suite un pervers avéré, ce de source de plusieurs victimes, dont mon neveu, son fils aîné,
victime de 3e génération si l’on compte à partir de la victime initiale, mon père.

Une 3e victime.

J’ai déjà mentionné les violences et les agressions de mon frère aîné.

Je désire vous dire combien je reste choqué de la violence que j’ai connue lors des six années primaires, comme
externe dans un établissement de frères maristes.

Violence verbale, physique (gifles, chocs répétés avec des trousseaux de clés, punitions corporelles),
harcèlement moral et psychologique (dénigrement, insultes), intrusion via la confession, visites forcées lors de
décès des « frères » (vision de la dépouille mortelle), comportement insanes de domination, etc. Je ne puis en
établir une liste exhaustive, mais les raisons de haïr encore cet ordre amateur de pédagogie noire ne me
manquent pas.
L’agression majeure a-t-elle eu lieu ? Je le pense plausible.

Voici pourquoi.

Elèves de primaire, nos instituteurs ne faisaient pas partie de l’ordre mariste. Les questions de discipline
majeure (entendez qui méritaient un véritable sermon, voire l’avis circonstancié aux parents) étaient gérées
par les maristes. Il y avait donc un frère pour faire régner la terreur au sein de cet établissement de plusieurs
centaines d’élèves. De la terreur, non de la discipline.

Je fus déféré devant cette personne au moins à deux reprises. Ce qui me surprend est d’en avoir gardé un si
mince souvenir, justement.

Je fus amené dans son bureau par un certain M. Plovier, vieil instituteur stupide et violent. Une présenté, avec
le résumé succinct des faits reprochés, je suis demeuré seul devant cet homme imposant. Je ne vois que le bas
de son corps dans un souvenir flou et désagréable. Ensuite, c’est le vide. Que s’est-il passé ? Aucune tentative
mémorielle, y compris avec l’aide de thérapeutes, n’a pu m’éclairer sur ces deux événements.

La 4e victime, l’ainé de mes neveux.

Il y a quelques années nous avons assisté à la dislocation de la vie de mon neveu. Un épisode psychotique a
exigé une hospitalisation. Par la suite, un diagnostic sévère de psychose (schizophrénie paranoïde) a été
prononcé, lors d’un second internement suite à une tentative de suicide. C’est alors qu’il a parlé.

Les actes, du fait de son père, sont si ignobles que je ne peux les mentionner ici. Il y a eu plainte, classée sans
suite faute de preuves. Ignominie et impunité.

Depuis la vie de ce jeune homme est une misère de solitude et de tristesse. Il travaille courageusement, mais à
la moindre crise, on le licencie, alors qu’il est relativement bien stabilisé. Des désirs de suicide émaillent ses
soirées.

Quelles conclusions ?

L’intention principale est de souligner à quel point un agresseur peut être destructeur sur plusieurs
générations. Vous ne l’ignorez pas, cependant, en lisant le rapport édité par vos soins, j’ai lu peu de
mentions à ce sujet.

Faut-il donc encore préciser qu’un seul loup touche toute la bergerie, ce sur une lignée importante
qui portera longtemps la marque du loup, ou de l’ogre, si vous préférez.

Comment réparer les générations touchées suite à l’agression initiale, qu’elle ait été l’œuvre d’un
membre du clergé, de la famille, de l’armée ou des scouts ?

Comment comprendre une impunité qui a prévalu jusqu’en 1997, s’agissant des agressions sexuelles
sur mineurs du fait de prêtres, frères ou personnel éducatif sous les ordres des membres du clergé ?

Quelle prière pourrait laver cela ? Quel pardon pour ces actes, en est-il un ?

Lorsqu’un acte d’une telle gravité surgit, c’est l’entièreté de la famille qui est touché, que les faits
soient divulgués ou non. Par ailleurs, on pourrait dire parallèlement, une mécanique perverse
s’active si la victime n’est pas soignée. L’agresseur doit être pris en charge, il doit souvent être
entendu comme agresseur et comme victime, il est impossible de faire l’économie de toute
l’ambigüité de sa situation. Toute paroles et soins nécessaires pour protéger les générations futures
et pour permettre à la victime de trouver un chemin que l’on espérera serein, permettre à l’agresseur
de prendre conscience de ses actes, de s’amender et parcourir, lui aussi le sinueux parcours de la
guérison, si toutefois celle-ci est possible.

Lorsque je considère les destructions imposées à 3 générations par les faits d’un seul agresseur, je
reste sidéré de la puissance traumatique qui peut s’abattre sur une famille. L’analyse de toutes les
conséquences est a priori impossible, tant les radiations de l’acte primal imprègne le substrat d’une
famille, au sens large du terme ; il s’agit bel et bien d’une pollution majeure et durable.

Dédommager les victimes directes est certainement noble, mais il s’agit d’un arrangement, non
d’une réparation. Il n’est de réparation qu’à dire « stop » aujourd’hui, maintenant et à l’avenir à la
perpétration de toute agression sexuelle sur mineur. C’est le vœu de toutes les victimes, après
l’application de la juste punition de l’agresseur, si ce dernier est en vie.

De la réparation proposée

N’étant pas une victime directe avérée, mais supposée, je n’appartiens à aucune des catégories que
vous avez établies.

Mais aussi, l’argent ne peut-être qu’un pis-aller pour la victime, en tous les cas c’est ce que je
considère, alors même qu’une somme d’argent est toujours bienvenue dans la vie de celles et ceux
qui souffrent.

Je songe plutôt à vous condamner à instruire, instruire et instruire encore, avec l’aide directe des
victimes, car, elles savent.

En comptez-vous parmi vos instructeurs ? Au-delà de l’écoute de leurs tragédies personnelles,


écoutez-vous leurs conseils, de manière régulière, sinon quotidienne ?

Les experts non-victimes ont leurs limites, tandis que les victimes capables de discours, si peu
nombreuses qu’elles soient, l’effet de sidération étant quasi permanent chez la plupart, vous seront
d’une aide irremplaçable.

Soyez condamnés à protéger avec bienveillance et sagacité. Car, pour sortir du trauma, la résilience,
ce concept devenue fourre-tout, ne suffit pas. Un cadre des plus rassurant est nécessaire pour croître
avec le trauma et non pas « rebondir sur », ou « construire sur », plutôt construire à côté !

Enfin, à l’avenir, merci de remplacer le terme « abuseur » par celui de pédocriminel ou pédomane
actif, il n’y a pas d’abus en la circonstance du viol, ni par ailleurs de relation entre la victime et son
agresseur, veuillez y songer.

À la mémoire de mon père


Dans l’espoir de la sérénité pour les vcitimes

Didier Robert

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