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LES CAHIERS

CENTRE D'ÉTUDES ET DE RECHERCHES MARXISTES

QUALITE QUANTITE

REVERSIBILITE IRREVERSIBILITE

DANS LES SCIENCES DE LA NATURE ;

pAR

Pierre JAEGLÉ

CENTRE D'ÉTUDES ET DE RECHERCHES MARXISTES


N° 115 - 1974
64, Boulevard Auguste Blanqui, PARIS'13e
Distributeur • ODÉON-DIFFUSION, 24, rue Racine PARIS-ô*1
Centre d’Etudes et de
Recherches marxistes
64,bd Auguste Blanqui
75013>Paris

QUALITE ET QUANTITE

REVERSIBILITE ET IRREVERSIBILITE DANS LES SCIENCES. DE LA

NATURE;

par Pierre Jaeglé


Plan de 1»exposé :

Introduction:

1ère Partie: QUALITE ET QUANTITE

A* La qualité
a) Propriété directe?
b) Rapport extérieur

Bi La quantité.
a) Le dénombrement
b) La mesure

C. Les lois de conservation.


a) Lois de conservation et identité des contraires.
b) Lois de conservations et réversibilité des
processus.

2ème Partie: REVERSIBILITE ET IRREVERSIBILITE.

A. La réversibilité.
a) un exemple: la conservation de la valeur dans
l’échange des marchandises
b) La réversibilité en physique
c) Passé et Futur en mécanique.

B; L’irréversibilité.
a) Qu’est-ce que l’entropie?
b) Entropie et accumulation des changements
quantitatifs
c) l’irréversibilité dans les sauts qualitatifs.
- 2 -

INTRODUCTION

” ••• Nous avons la certitude -écrit F.Engels ~ que, dans


toutes ses transformations, la matière reste éternellement
la même*»." Cette idée unit deux notions contradictoires,
celles de conservation et de transformation, qui occupent
une position centrale dans les sciences.

La transformation, le changement, 1Ȏvolution, le mouvement


concernent la science au sens le plus large: science de la
matière inerte, science de la vie, science de la société,
science de la pensée. La transformation peut être reconnue
par le changement qualitatif seul. Elle peut être irréver­
sible. liais la conservation ne quitte la sphère des catégo­
ries philosophiques pour devenir concept scientifique que
là où règne la mesure. Ce qui est conservé n’est pleinement
connu que par des déterminations de quantités. Or la quan­
tité peut augmenter, diminuer, s’annuler; elle peut-être
positive ou négative. La quantité implique donc des proces­
sus comportant un retour à l’état antérieur, c’est-à-dire
sa variation au cours des transformations au terme desquelles
elle reprend sa valeur initiale.

La question de l’irréversibilité possible ou nécessaire de


certaines transformations est posée aussi bien par les scien­
ces de la nature que par l’histoire. Elle entraîne avec
elle celle de la réversibilité. D’une part qû’entend-on
par irréversibilité et par réversibilité dans chaque science
particulière? D’autre part quel lien ces notions entretien­
nent-elles avec la théorie générale du qualitatif et du
quantitatif? Enfin en quoi la réversibilité et l’irréversibi­
lité sont-elles à la fois absolues et relatives? Autrement
dit, comment le processus réel réalise-t-il l’unité du réver­
sible et de l’irréversible?

On apportera ici des éléments de réflexion prélevés pour la


plupart à l’inépuisable réservoir des sciences physiques.
Auparavant, dans l’espoir de fournir une base commune à des
travaux relevant d’autres disciplines, nous tenterons une
mise au point du statut théorique des catégories de qualité
et de quantité.

1ère Partie; QUALITE ET QUANTITE.

La dialectique considère comme une loi générale que toute


transformation, tout changement, est à la fois qualitatif
et quantitatif. On peut certes expliquer ce que sont la
qualité et la quantité et la transformation de l’un en 1’
autre par des exemples pris dans des domaines divers de la
connaissance. Mais de l’accumulation d’exemples au concept
un pas reste à franchir.

On sait que la définition du qualitatif et du quantitatif


ainsi que l’étude de leurs rapports réciproques tiennent une
place très importante dans la Science de la Logique de Hegel
à laquelle nous renvoient les Cahiers Philosophiques de
Lénine. Mais le renversement matérialiste de cette partie
de la philosophie de Hegel n’est qu’à l’état d’ébauche;
- 5 -
du moins le pensons nous.

Rappelons que l’Etre constitue l’abstraction la plus poussée


de l’idée d’existence. A l’Etre s’oppose le Non-Etre.
Dans l’abstraction totale où l’Etre est vidé de tout con­
tenu précis, il s’identifie au Non-Etre qui est tout aussi
vide de contenu. Cette identification ne serait qu’un
jeu de mots si elle ne constituait l’abstraction la plus
poussée de l’idée de Devenir. Le Devenir (changement,
transformation, évolution, processus...) c’est l’apparition
et la disparition, le "naître ” et le "périr”, le Devenir
est l’unité de l’Etre et du Non-être, leur identité au sein
du processus. Une conquête majeure de la philosophie de
Hegel est précisément cette abstraction du changement comme
unité de contraires.

La critique marxiste ne se porte pas, bien au contraire


cpntre cette abstraction et par conséquent n’a pas de raisoh
de rejeter celles de l’Etre et du Néant (le Non-être).Elle
se porte contre le fait que, pour Hegel, la réalité n’est
que "la forme phénoménale de l’idée" (2j. Ce qui est en
question c’est le rapport de la pensée à l’Etre"••.question
londamentale de toute philosophie, et spécialement de la
philosophie moderne..." (2). Dans 1’Anti-Duhring Engels
désigne par l’Etre "le monde extérieur" (3)

Cette précision essentielle apportée, rien ne s’oppose semble-


t-il, à prendre la Logique de Hegel pour point de départ
d’une étude de la qualité.

A. La qualité

L’abstraction de l’Etre une fois admise se pose la question


de sa "détermination" (de son contenu, de ses propriétés,
de ses rapports...) Nous n’avons plus affaire maintenant à
l’Etre totalement abstrait du début mais à un être précis,
"déterminé". "Un être déterminé, un être fini - écrit Hegel -
est un être qui se rapporte à autre chose; il est un contenu
qui se trouve dans des rapports nécessaires avec d’autres
contenus, avec le monde entier." (4) Ce qui définit l’être
"déterminé" est sa QUALITE. H convient encore de noter
que l’être "déterminé" (concret) est lui-même un produit
du Devenir, une unité d’Etre et le Non-être et que c’est
seulement comme tel qu’il existe en tant qu’être déterminé.
Dans la Logique de l’Etre, l’être déterminé apparaît donc
comme concrétisation de l’unité de l’Etre et du Néant,
soit du Devenir.

Le sens général de la démarche de Hegel le fait aller ici


du général au particulier, du plus abstrait au moins abstrait.
Le point de vue opposé fait apparaître la qualité comme la
dernière abstraction possible avant l’abstraction ultime
qui produit 1’Etre pur.

a) Propriété directe?

Ceci étant, par opposition à la quantité, Hegel dit de la


qualité qu’elle "constitue la propriété directe et c’est
- 4 -

pourquoi c’est par elle qu’on doit commencer”•(5) K nous


paraît difficile de décider si cette proposition a une valeur
purement logique qui rendrait nécessaire un examen critique
détaillé du passage de la qualité à la quantité chez Hegel.
Mais nous avons noté le fait selon lequel la détermination
des quantités s’effectue actuellement dans un champ des
connaissances moins large que celui des études qualitatives.
Ce fait peut contribuer à donner un sens moins spéculatif
à l’idée selon laquelle la qualité “constitue la propriété
directe” de ce qui existe.

h) Rapport extérieur

D’autre part, dit Hegel, “Par sa qualité, une chose s’oppose


à d’autres choses" (6) et il effectue ce commentaire: “La
qualité ne devient durtout propriété que tout autant qu’elle
se révèle, dans un rapport extérieur, comme une détermina­
tion immanente. Par propriétés des plantes, par exemple, on
entend non seulement des déterminations propres, d’une façon
générale, à une plante donnée, mais aussi pelles par les­
quelles elle se maintient dans certains rapports particuliers
avec d’autres plantes, grâce auxquelles elle se ressent des
influences qu’elle subit de la part de ces plantes et leur
fait subir ces propres déterminations, sans toutefois se
séparer de celles-ci" .(7)

H nous paraît essentiel de saisir ce double caractère de la


qualité. En effet, une façon courante de penser qui consi­
dère les choses comme telles et non comme manifestations du
mouvement contradictoire, comme processus, tend à ne voir,
dans la qualité, que les "déterminations propres", à la
réduire en somme à un seul de ses aspects, àelui de propriété
intrinsèque de l’objet considéré. La dialectique met au con­
traire l’accent sur la qualité prise comme rapport d’une
chose aux autres choses.

B; La quantité

Pour Hegel la quantité doit émerger comme pur produit du


mouvement autonome des concepts mais Lénine exprime plùs*t
que de la méfiance —..."tout cela donne l’impression d’être
très forcé et très vide"..(8) - à l’égard de la théorie
hégélienne de l’UN, clé de voûte de la Logique pour ce qui
est du passage de la qualité à la quantité.

Le point de départ matérialiste de l’étude du qiantitatif est


formulé par Engels de la manière suivante: "Les concepts de
nombre et de figure ne sont venus de nulle part ailleurs que
du monde réel; Les dix doigts sur lesquels les hommes ont
appris à compter, donc à effectuer la première opération
arithmétique, sont tout ce qu’on voudra, sauf une libre créa­
tion de l’entendement; Pour compter, il ne suffit pas d’ob­
jets qui se comptent, mais il faut aussi déjà la faculté de
considérer ces objets, en faisant abstraction de toutes leurs
autres qualités sauf leur nombre ,- et cette faculté est le
résultat d’un long développement historique, fondé sur l’ex­
périence." (9) Telle est l’interprétation matérialiste de
l’affirmation hégélienne: "La quantité est.;;ia qualité
devenue négative. La grandeur est une propriété qui ne fait
plus un avec l’être, mais en est devenue distincte: elle
- 5 -

est la qualité supprimée, devenue indifférente*. J’(10)

Pour le matérialisme les rapports entre qualité et quantité


ne se réduisent donc pas à un simple jeu conceptuel au cours
duquel l’une se transforme en l’autre. Ainsi Engels donne-
t-il de la loi du passage de la quantité à la qualité ET
INVERSEMENT un énoncé qui la fonde sur 1’ expérience:..;
“dans la nature, d’une façon nettement déterminée pour chaque
cas singulier, les changements qualitatifs ne peuvent avoir
lieu que par addition ou retrait quantitatifs de matière ou
de mouvement”...(11)

Toutefois il semble que jusqu’à présent la dialectique maté­


rialiste ait considéré les rapports entre qualité et quantité
seulement sous deux de leurs principaux aspects: celui du
dénombrement - dénombrement de quelque chose de défini, donc
dénombrement associé à une qualité - et celui du bond quali­
tatif lié à une accumulation de changements quantitatifs.
Quoiqu’il en soit de l’importance de ces deux formes de la
relation qualité-quantité, il subsiste un vide qu’il nous pa­
raît nécessaire de combler. En effet la Logique de Hegel
consacre à la théorie de la mesure de longs développements
qui viennent buter sur une question lucide en même temps que
significative des limites du système hégélien:"Mais d’où
viennent ces nombres, de quoi dépend l’apparence directe,
donc empirique, d’une mesure, c’est là un point que les scien­
ces concrètes n’ont pas encore réussi à élucider. ” (12) En
effet il ne s’agit plus là du nombre en général dont Engels
nous dit que la notion vient directement de l’expérience, mais
de la valeur numérique de grandeurs qui ne s’offrent pas d’-
elles-mêmes, directement, à la possibilité du dénombrement;
H suffit de citer parmi ces grandeurs la valeur marchande,
en économie, et l’énergie, en physique, pour que soit évidente
l’importance de la question.

a) Le dénombrement.

Chacun sait ce que signifie dénombrer. Le dénombrement s’appli­


que à des objets réunis par une qualité commune et qui se
distinguent les uns des autres de façon immédiate ou quasi-
immédiate. Le dénombrement est par exemple à la base de toute
étude de caractère statistique.

Afin de ne pas créer de confusion avec les problèmes de la


mesure, précisons que ce qui caractérise le dénombrement n’est
pas l’utilisation des nombres entiers. Dénombrer les parties
d’un tout, c’est-à-dire former des nombres fractionnaires,
c’est toujours dénombrer.

L’étude de dénombrement offre un terrain de recherche concer­


nant un aspect particulier du rapport qualité-quantité,
celui des propriétés qualitatives des nombres eux-mêmes,
indépendamment de la qualité de ce qui est dénombré. Hegel
fait à ce sujet des remarques qui méritent d’être approfondies,
telleszaue celle-ci: ...“la quantité apparaît tout d’abord
comme étant en opposition avec la qualité; mais en réalité,
la quantité elle-même est une qualité, une précision (c’est-
à-dire quelque chose de défini, P.J.) se rapportant d’une
façon générale à elle-même, distincte de cette autre préci­
sion qu’est la qualité comme telle." (13) M.Margenstern a,
- 6 -
suggéré par ex mple d’étudier les différences qualitatives
résultant des propriétés ordinales et cardinales des nom­
bres. De telles recherches contribueraient sans doute à
notre compréhension des changements qualitatifs qui se pro­
duisent historiquement dans l’art du dénombrement: de 1*en­
tier positif au réel, en passant par les négatifs, les ra­
tionnels et les irrationnels et du réel au complexe, en pas­
sant par les imaginaires.

b) La mesure .

En quoi la mesure doit-elle être distinguée du simple dénom­


brement? C’est à notre avis une question essentielle pour
l’étude des rapports qualité-quantité, une question aussi
des plus complexes.

La physique en ce qui la concerne établit une nette distinc­


tion entre les grandeurs dénombrables et les grandeurs mesu­
rables, quoiqu’au niveau du vocabulaire la confusion soit
relativement fréquente. Leur différence s’exprime par le
fait que les secondes sont affectées d’une DUffiNSÏON alors
que les premières n’interviennent que comme nombre purs.
Nous avons déjà cité le rôle de ces derniers dans ce qui
relève de la statistique. Un exemple fréquent de grandeur
dénombrable, apparaissant comme nombre pur dans les équations
physiques, est le nombre total de particules qui entrent en
jeu dans un processus déterminé. Une longueur, au contraire,
n’apparaît jamais comme nombre pur mais toujours avec la
dimension "longueur” spécifiée.

H peut sembler tentant de rechercher la cause de cette dif­


férence dans des propriétés immédiates de ce qui est soit à
dénombrer, soit à mesurer. Par exemple la mesure se rappor­
terait aux grandeurs qui ne se présentent pas directement
sous la forme d’objets matériels distincts, à des grandeurs
peut-être plus abstraites que les grandeurs dénombrables.
Ce faisant nous ne pourrions guère que nous enliser dans la
multitude des cas particuliers.

Donnons un exemple. La mesure d’une longueur peut être rédui­


te à un dénombrement grâce à l’utilisation d’un étalon de
longueur, qui est un objet de matériel dont la longueur est
prise comme unité. Nous voyons bien sûr par là que la mesure
est tout aussi fondée sur l’expérience que le dénombrement
lui-même. Nous devons nous rendre compte aussi de ce que,
dans l’exemple choisi, notre grandeur peut être comparée
directement à une autre grandeur de même nature mais qu’elle
n’en est pas moins une mesure. Supposons maintenant que
nous voulions comparer, non plus des longueurs, mais des
vitesses; Nous devrons obligatoirement passer par l’inter­
médiaire de mesures de longueurs et de temps car il n’existe
pas d’étalon de vitesse qui puisse être comparé directe­
ment à une vitesse donnée. Par conséquent la possibilité
ou l’impossibilité de comparaison directe ne peuvent être
retenues comme ce qui distinguerait les grandeurs dénombra­
bles des grandeurs mesurables. Encore pourrait-on penser
qu’une longueur, bien que directement comparable à son éta­
lon, est une mesure parce qu’elle intervient &ans d’autres
mesures non susceptibles, elles, de comparaison directe com­
me les vitesses, hlais l’on serait aussitôt démenti par le
- 7 -

fait que les angles, jouant un rôle comparable, restent tou­


jours à Vétat de nombre pur.

Ces remarques permettent cependant de préciser le concept de


DIMENSION d’une grandeur car, bien qu’insuffisantes pour le
fonder théoriquement, elles sont l’expression pratique de
sa néoesrité; Dans l’exemple pris ici, la vitesse, mesurable
seulement par 1 -intormédJ aire d’une longueur et d’un temps,
a pour dimension le rapport d’une longueur à un temps. Ainsi
à défaut de disposer d‘un étalon de vitesse, pourrait-on
définir une DNDTE de vitesse afin d’introduire à nouveau le
dénombrement dans la mesure au moeyn de cette unité abstraite.
Mais alors le dénombrement ne peut plus s’effectuer sans ré­
férence explicite à la dimension de ce qui est dénombré. Nous
voyons ainsi la DIMENSION se substituer, dans la mesure, à
la DESIGNATION DE L’OBJET dans le dénombrement simple.
LA DIMENSION CONSTITUE DONC UNE NOUVELLE SORTE DE QUALITE,
SPECIFIQUE DE LA MESURE.

Pour Hegel non seulement ”la mesure est une relation, non la
relation en général, mais la relation précise de la qualité
à la quantité" (14) et "la mesure se présente-t-elle comme
un rapport de qualités, qui ont d’abord une mesure, laquelle
se spécifie par la suite en se transformant en mesures dif­
férentes” (15) mais surtout "tout ce qui existe a une mesure,
tout ce qui existe a une grandeur, laquelle fait partie de
la nature môme de la chose; c’est à elle que la chose doit
sa nature et son ôtre-en-soi. La chose qui possède une certai­
ne grandeur n’est pas indifférente à celle-ci; si cette
grandeur varie, la chose ne reste pas ce qu’elle était, mais
la variation de la grandeur change la qualité de la chosei"
(16) Cela souligne que le problème de la mesure n’est pas
l’affaire de quelques cas particuliers et nous ajouterons qu’
il ne concerne pas seulement les sciences aujourd’hui inexac­
tement désignées comme sciences exactes, qui ne sont rien
d’autre que les sciences qui se sont déjà appropriées la
science de la mesure;

Qu’y a-t-il donc d’autre à prendre en considération que la


qualité, les propriétés immédiates, pour comprendre le contenu
profond de la mesure qui la différencie du dénombrement sim­
ple? Hegel se tournait vers les sciences concrètes dont il
nous disait qu’elles n’avaient "pas encore réussi à élucider
ce point”; Son époque n’est pas encore celle de la découver­
te des lois de CONSERVATION. Ce n’est qu*après sa mort que
Helmolz formule la loi de l’équivalence du travail mécanique
(égal au produit d’une force par la longueur du parcours sur
lequel elle est appliquée) et de l’énergie cinétique (demi
produit d’une masse par le carré)de sa vitesse) qui exprime
l’une des premières lois de conservation que la physique ait
connues; Cependant la maîtrise de la pensée dialectique foui*-
nit à Hegel des réflexions qui ont, à l’époque, valeur pro­
phétique: ”;..ce qui est supprimé est à la fois ce qui est
conservé, mais a seulement perdu son immédiateté, sans être
pour cela anéanti” et "on ne supprime une chose qu’en faisant
en sorte que cette chose forme une unité avec son contraire.
(17)

Faire en sorte que chaque chose forme une unité avec son con­
traire, donc reconnaître d’abord les aspects contraires au sein
du processus puis les réunir en ternes d’une loi de conser­
vation, telle est la condition fondanentale du développement
de la mesure, c’est-à-dire de la définition de quantités
affectées de qualités appelées dimensions. Par conséquent
la compréhension de la mesure, comme concept, nous conduit -
au contraire au dénombrement simple - à revenir à 1* étude de
la matière sous l’angle du processus, de la transformation,
du c hangenent, du mouvement.

Ci Les lois de conservation.

a) Lois de conservation et identité des contraires.

Que "ce qui est supprimé est en même temps ce qui est conser­
vé trouve une illustration très directe dans un phénomène bien
connu en physique, 1*anihilation d’une paire électron-positron.
L’électron est une particule chargée électriquement et possé­
dant une masse. Le positron est une particule de même masse
mais dont la charge électrique est égale à celle de l’élec­
tron, changée de signe. De la rencontre de ces deux particu­
les résulte leur disparition et leur remplacement par des pho­
tons (c’est-à-dire du rayonnement électromagnétique) qui ne
possèdent ni charge électrique, ni masse. Par conséquent
charge électrique et masse disparaissent au cours du proces­
sus. Mais elles sont en même temps conservées s la charge totale
était nulle au début du processus puisque nous avions la somme
de deux charges égales et de signes opposés et elle est nulle
à la fin puisque les photons n’ont pas de charge; quant à
la nasse, elle a perdu son ”immédiatété” comme dirait Hegel
mais elle sè retrouve intégralement sous la forme de l’énergie
des photons;' Pour parvenir à une expression aussi parfaite
de l’identité des contraires il a fallu, dans ce cas. suivre
tout le chemin qui passe par l’électromagnétisne (qui a fondé
le concept de charge), par la relativité (qui établit la re­
lation entre ma.sse et énergie) et par 1 ’élcctrodynanique
quantique (qui permet d’exprimer les quantités mesurables
sur de tels systèmes de particules).

Ce que montre un tel exemple est que les lois de conservation


donnent une forme précise à l’identité des contraires en défi­
nissant à la fois en quoi qualité et quantité changent et
restent, en même temps, identiques à elles—mêmes au cours du
processus •

Le point qui mérite ici de retenir le plus fortement l’atten­


tion^ est le suivant; dans un changement qualitatif il y a
aussi^conservation de la qualité. C’est cela même qui a
imposé à _la, physique, le concept de dimension d’une grandeur.»
Le fait,pour une grandeur, d’être par exemple de l’énergie
confère à la,quantité correspondante une qualité, celle préci­
sément que définit le mot énergie. Mais l’énergie se présente
sous les formes les plus variées! chaleur, énergie cinétique,
©Je. c’est-à-dire que la qualité qu’elle représente est elle-
même susceptible de ”déterminations” variées qui lui confèrent
des propriétés qualitatives différentes. L’existence d’une
dimension, qualité nouvelle de la qualité “énergie”, confère
a cette derniers la permanence qualitative dans ses changements
qualitatifs. Quelque soit sa forme précise et momentanée
l’energie restera toujours le produit d’une masse par le carré
d’une longueur, divisé par le carré d’un temps. Ce rapport
- 9 -

précis.de plusieurs qualités constitue la dinension de l*éner-»


gie» Par conséquent le concept de dimension d’une grandeur —
qui distingue la mesure du dénombrement simple — exprime sur
le plan de la qualité, ce qui est conservé dans ce qui est
supprimé «

t> ) Lois de conservation et réversibilité des processus.

Comment maintenant faire apparaître, dans le processus, la


permanence de la qualité dans le changement de la qualité afin
de disposer d’une mesure? En d’autres termes sur quoi se fonde
la découverte d’une loi de conservation qui est nécessairement
aussi qualitative que quantitative? A de telles questions il
n’existe évidemment pas de réponse exhaustive puisque l’affaire
appartient dans chaque cas concret une science concrète#
Mais il semble possible de mettre en valeur un trait caracté­
ristique de la démarche impliquée par cette forme de l’appro­
priation du quantitatif»

En effet, pour autant que nous sachions, il n’existe pas de


loi de conservation qui ne soit, en quelque manière, reliée
à des processus comportant un caractère de REVERSIBILITE; On
voit mal, au demeurant, quel sens cela aurait de parler de la
conservation d’une grandeur si les transformations ' qu’elle
subit écartaient toute possibilité d’un retour à l’état ini­
tial. En dernière analyse la conservation ressort de ce que,
après un cycle de transformation, ce qui était au début est
aussi à la fin et de ce que l’on peut le constater;

Toutefois la notion de réversibilité d’un processus est tout


le contraire de simple. Elle revet des formes aussi variées
que les processus concrets auxquels elle s’applique. H arrive
que l’on puisse la traduire en langage courant mais à un cer­
tain niveau théorique elle se présente sous forme abstraite,
fortement mathématisée parfois, comme dans le cas de la théorie
des groupes de symétrie. (18)

L’un point de vue très général il nous paraît possible de dire


qu’une transformation réversible est une transformation qui
porte eh elle sa propre négation. Cette proposition n’est
nullement destinée à en finir -philosophiquement parlant -
avec la question de la réversibilité mais plutôt à préciser
le contenu dialectique du mouvement de la pensée qui aboutit
à la formulation d’une loi de conservation: transformation,
puis transformation inverse, c’est-à-dire négation, puis né­
gation de la négation et découverte de ce qui se conserve dans
ce qui est supprimé à chaque extrémité du va—et—vient.

Parlant de réversibilité, il ne nous est pas permis d’oublier


que la transformation considérée a lieu parmi beaucoup d’autres
dont elle n est isolée que par une opéra-fcion mentale; Ces
autres transformations, en nombre infinie ne sont évidemment
pas ^toutes tenues de satisfaire à des critères de réversibi­
lité. Elles peuvent^ être de telle nature que nous soyons in­
capables de décider à coup sûr de ce qu’il en est; mais nous
savons, de science pure, qu’il existe des transformations ir­
réversibles. Par conséquent l’importance qu’il faut accorder
à la notion de réversibilité dans ses raibports avec Kla mesure
de chaque chose” ne doit pas nous faire iperdre de vue son
caractère relatif. Celui-ci est manifestes en physique lors de
la spécification des quantités considérées comme négligeables
au cours d’une transformation réversible.

2ème Partie: REVERSIBILITE ET IRREVERSIBILITE

A. La réversibilité

Jusqu’ici nous n’avons parlé de la réversibilité qu’en termes


généraux. Pour être plus explicite il est nécessaire de dire
maintena-nt quelques mots de la notion d’état. En effet, si une
transformation fait passer quelque chose d’un état à un autre, i
il est clair que dans le cas d’une transformation réversible
nous devons savoir avec précision en quoi consiste l’état,
sous peine d’être incapables de reconnaître’à la fin d’un cycle,
le retour à l’état initial. Or la notion d’état est sujette
à variations et éliminer toute ambiguité dans la description
d’un état n’est pas l’un des moindres problèmes posés aux scien­
ces. Un état est en effet toujours défini de façon concrète,
par exemple par la valeur particulière de certaines grandeurs
impliquées dans la loi du processus. Mais dans cette définition
n’entrent pas toutes les grandeurs susceptibles de varier au
cours du processus, fait qui est à l’origine de bien des discus­
sions sur le ”déterminisme” ou la “nécessité”; En fait nous
trouvons ici une abstraction de nature identique à celle qui
isole mentalement une transformation donnée de l’ensemble des
transformations qui s’accomplissent en même temps. L’état, quoi­
que défini concrètement, est une abstraction qui réduit le pro-
vessus à l’un de ses aspects.

XL faut encore ajouter que le fait de permettre ou d’imposer


le retour à l’état initial n’est pas une propriété suffisante
pour caractériser une transformation réversible; Le passage
d’un état initial à un état final identique à l’état initial
définit simplement un cycle. Si leschangements qui affectent
les grandeurs non-explicites dans la description de l’état ne
sont pas négligeables, la transformation n’est pas réversible
car les conditions qui président à la réalisation d’un nouveau
cycle sont modifiées. Par contre, pour autant que nous sa­
chions, il n’existe pas de transformation réversible qui ne
contienne comme possibilité ou comme nécessité la réalisation
d’un cycle, c’est-à-dire du retour à l’état initial.

a) exemple; la conservation de la valeur dans la circulation


des marchandises

Avant d’aller plus loin nous allons soumettre à la réflexion


un exemple pris en économie. Ainsi verrar-t-on que les notions
de mesure et de conservation, ainsi que leur relation avec
celles de cycle et de réversibilité, sont beaucoup plus géné­
rales que ne le laisserait supposer le recensement des domaines
de la connaissance qui y ont ordinairement recours. Nous espés?
rons aussi que cet exemple augmentera l’intérêt de ceux que
leurs activités habituelles ne mettent pas en contact avec le
vocabulaire spécialisé des sciences de la nature pour le thème
de cette étude.

Les premières pages du Capital de Marx exposent très précisé­


ment ce que nous appelons une loi de conservation; ”Une mar—
chandise particulière, un quarteron de froment, par exemple,
s’échange dans les proportions les plus diverses avec d’autres
articles. Cependant sa valeur d’échange rest_e jjnmuable de
quelque façon qu’on l’exprime...” Dans ce chapitre Marx déve­
loppe, non pas une théorie de la mesure, mais la théorie de la
valeur. Mais la valeur constituant une mesure particulière se
rapportant aux marchandises, l’analyse de Marx peut être utile­
ment considérée sous l’angle de son apport à la solution du
problème général de la mesure.

H faut alors avoir présente à l’esprit la remarque suivante:


"Nous connaissons..; la substance de la valeur: c’est le travail.
Nous connaissons la mesure de sa quantité: c’est la durée du
travail...", mais: "Une chose peut être utile et produit du
travail humain, sans être marchandise. Quiconque, par son pro­
duit, satisfait ses propres besoins, ne crée qu’une valeur
d’usage personnelle. Pqux* produire des marchandises, il doit
non seulement produire des valeurs d’usage mais des valeurs
d’usage pour d’autres, des valeurs d’usage sociales.” (20)
Donc la durée du travail nécessaire à la production d’un objet
n’est pas de façon immanente la mesure de la valeur de cet
objet.

La durée du travail devient mesure seulement pour autant que


l’objet devienne marchandise, c’est-à-dire qu’il commence à su­
bir une série d’échanges, appellation spécifique de ce que
nous avons nommé jusqu’ici, en termes généraux, processus ou
transformation. Puisque nous avons affaire à une loi do con­
servation, celle de la valeur, en quoi consiste la réversibi­
lité de la série des échanges et quel rôle joue-t-elle dans
l’apparition d’une mesure des objets échangés? Telles sont
les questions qui oht un rapport direct avec la théorie de la
mesure.

Rappelons que Marx exprime les rapports de valeur sous forme


d’équations du type:

20 mètres de toile = 1 habit (21)

et recourt à plusieurs étapes de son analyse à leur réciprocité,


en d’autres termes à la réversibilité des actes d’échange qu’
elles traduisent. O’est ainsi que, dans l’équation précédente
la valeur relative de la toile est exprimée en équivalent
"habit” et que "si maintenant on lit à rebours cette équation,
la toile et l’habit changent tout simplement de rôle”...(22)
Mais cette réversibilité n’a pas grande signification si l’on
considère un seul acte d’échange. Aussi bien Marx hous dit—il
qu’il est "difficile de fixer ici l’opposition entre les deux
termes"•

H en va autrement si l’on prend en considération l’ensemble


des échanges possibles pour les 20m de toilei C’est ce que fait
Marx pour définir la forme développée de la valeur relative,
exprimée par la série d’équations (22):
- 12 -

20 mètres de toile = 1 habit


20 mètres de toile =10 livres de thé
20 mètres de toile = 40 livres de café
20 mètres de toile = 2 onces d’or
20 mètres de toile = 1/2 tonne de fer

A chaque équation correspond ici un échange faisant intervenir


la toile. De cette série Marx nous dit qu’elle n’est jamais
close car de nouvelles marchandises apparaissent sur le marché.
Cependant, considérant le marché à un moment donné, il est
clair que le nombre de marchandises avec lesquelles peuvent
s’échanger 20 mètres de toile, si grand soit-il, n’est pas in­
fini. Par conséquent, si nous faisons momentanément abstraction
de l’apparition ou de la disparition de marchandises, la valeur
relative s’exprime par un nombre fini d’équations du type ci-
dessus. Lorsqu’est écrite la liste complète do ces équations,
la totalité des possibilités d’échange des 20 mètres de toile
se trouve du même coup épuisé® «Un acte d’échange de plus et
les 20 mètres de toile reviennent à leur point de départ, à
leur premier propriétaire. Cet acte supplémentaire s’exprimera
donc justement par l’une des équations précédentes “lue à
rebours”, par exemple:

40 livres de café = 20 mètres de toile.

Nous avons alors un cycle fermé, un retour à l’”état initial”


qui annule tous les échanges antérieurs subis par les 20 mètres
de toile. Cette fermeture du cycle, négation de la circulation
des marchandises, exprime complètement la conservation de la
valeur en ceci que le premier propriétaire récupère exactement ce
ce qu’il avait au début.

Fermeture du cycle d’achange et réversibilité des actes d’échan­


ge sont donc en étroite relation. Saisissant le processus dans
son ensemble, Marx inverse simultanément toutes les équations
de sa série, c’est-à-dire écrit toutes les façons possibles de
fermer le cycle, c’est-à-dire encore exprime dans sa totalité
la réversibilité du processus d’échange (25):

1 habit = J

10 livres de thé

40 livres de café _ ( 20 mètres de toile

2 onces d’or

1/2 tonne de fer

et parvient ainsi à la forme générale de la valeur, une marchan­


dise unique servant d’équivalent général à toutes les autres.
Nous voyons ici comment un processus - la circulation des mar­
chandises — qui se réalise do façon irréversible sous peine
de se nier lui-même et, dans le cas présent, de perdre sa signi­
fication sociale, contient cependant la propriété de réversi­
bilité pour chacun de ses éléments (ici chaque acte d’échange)
comme pour le processus tout entier qui tendrait à chaque ins­
tant à se refermer sur lui—même si de nouvelles marchandises
- 13 -

ne faisaient leur apparition sur le marché. Nous constatons aus­


si que Von ne saurait se passer de cette propriété de réversi­
bilité pour l’étude quantitative du processus.

b) La réversibilité en physique (x)

Revenant maintenant à la physique qui est, par excellence, la


science quantitative de la nature, nous n’avons pas lieu d’ôtre
surpris de la place qu’y tient le concept de réversibilités
Celui-ci y revêt ta$it de formes que nous ne tenterons môme pas
d’en dresser le catalogue. Nous ne nous intéresserons qu’à
quelques aspects ài problème ayant trait à la conservation de
l’une des plus fondamentales des grandeurs physiques, l’énergie.

D’une part la loi de conservation de l’énergie est bien connue;


d’autre part la plupart des lois de la physique sont réversibles
par rapport au temps, c’est-à-dire, si l’on nous permet l’expres­
sion, qu’elles ignorent l’existence d’un passé et d’un futur.
Ce cas est celui des lois de la mécanique classique, des équa­
tions de propagation du champ électromagnétique, de l’équation
de Schrodinguer etc. Qu’est-ce que cela signifie et quel lien
existe-t-il entre les deux faits?

La mécanique classique a pour objet l’étude des trajectoires,


des vitesses et des accélérations des corps macroscopiques pos­
sédant une masse; Elle connaît deux formes d’énergie et deux
seulement: l’énergie cinétique qui, comme son nom l’indique,
exprime le mouvement et l’énergie potentielle dont les manifes­
tations ne sont pas immédiates mais qui est toujours prête à
se convertir en énergie cinétique. Par ailleurs, en mécanique
classique la notion d’état d’un système est particulièrement
simple. Si le système est formé de points matériels, - et l’on
peut toujours se ramener -à ce cas _ sont état est entièrement
défini par les positions et les vitesses de ces points. Par
conséquent il est également très simple de définir un cycle.
Un cycle aura, été accompli lorsque tous les points du système
auront retrouvé leurs positions initiales et;simultanément,
repris leurs vitesses initiales. De tels cycles sont réalisés
de façon continue dans les mouvements à caractère périodique.

Lorsque la mécanique considère des systèmes qui décrivent un


cycle de façon continue, elle n’a nullement en vue des systèmes
auxquels on fournit de l’énergie pour ce faire. En fait le
mouvement perpétuel constitue un concept théorique essentiel
de la mécanique; H est fondé sur l’abstraction selon laquelle
un système en mouvement peut être considéré copme énergétique­
ment isolé de tout autre système. La justification de cette
abstraction est expérimentale; elle est suggérée d’abord par
le mouvement des corps célestes et notamment des planètes;
elle trouve une autre justification dans la possibilité de
liser des mouvements, par exemple pendulaires, dont les oscil­
lations sont entretenues au moyen d’une quantité d’énergie très
faible, beaucoup plus faible que l’énergie des mouvements eux-
mêmes •

(x). Cet exposé n’est évidemment pas exhaustif; les questions


de thermodynamique notamment ne sont abordées que plus loin,
dans les paragraphes sur l’irréversibilité.
- 14 -

Considérons donc un système ne recevant ni ne perdant d1énergie


mais animé cependant d’un mouvement cyclique. Pour la simpli­
cité supposons que ce système soit l’extrémité pesant d’un
pendule décrivant alternativement un arc de cercle vers la
droite? puis un arc de cercle vers la gauche etc. Au point le
plus bas de sa course l’extrémité du pendule possède sa vitesse
maximale, à laquelle est éttachée une certaine valeur de l’éner­
gie cinétique. Mais en haut de la course, à droite ou à gauche,
la vitesse est nulle et, par conséquent, l’énergie cinétique
aussi. Or lorsque, au cours de l’oscillation suivante, le pen­
dule repasse au point le plus bas il retrouve l’intégralité
de son énergie cinétique comme peut le montrer n’importe quelle
mesure dj sa vitesse. Comme rien ne lui est fourni ni Ôté
durant son mouvement c’est que l’énergie cinétique, lorsqu’elle
disparaît, se transforme en ce que l’on nomme énergie poten­
tielle, susceptible à son tour de se reconvertir en énergie
cinétique; D’où l’une des formes du principe de conservation
de l’énergie: l’équivalence de l’énergie cinétique et de l’éner­
gie potentielle.

Nous voyons avec cet exemple le rapport intime qui existe entre
cycle et loi de conservation'; Nous pouvons en tirer autre
chose encore; Dans le cas particulier du mouvement pendulaire
le cycle se décompose en cbux parties identiques mais parcourues
en sens inverses: la même courbe est décrite alternativement
de gauche à droite puis de droite à gauche; Or que se passe-t-
il lorsque l’on inverse le signe du temps dans les expressions
mathématiques décrivant ce mouvement? La trajectoire reste la
même mais la direction du mouvement s’inverse; Par conséquent
changer le signe du temps - remplacer le futur par le passé -
c’estéchanger les deux demi-cycles du mouvement mais ce n’est
pas changer le mouvement lui-même. Autrement dit, dans un mou­
vement comme celui que nous venons de décrire, les notions de
passé et de futur n’ont pas de sens. Le "sens d’écoulement"
du temps peut être choisi arbitrairement. On dit que les équa­
tions du mouvement sont symétriques par rapport à une inversion
du temps;

Nous approchons ici du fond de la notion de réversibilité.


Lorsque nous considérons le cycle accompli dans un mouvement
pendulaire nous obtenons la conservation de l’énergie de façon
globale, pour un cyle complet. Mais la transformation de 1’
énergie cinétique en énergie potentielle s’effectue de façon
continue au cours de ce cycle. La conservation de l’énergie
doit donc apparaître, non seulement pour l’intervalle de
temps, peut-être assez grand, correspondant à un cycle mais
pour tous les intervalles de temps infinitésimaux en lesquels
le cycle peut être décomposé. Pour cela il faut qu’à chaque
déplacement infiniment petit dans un sens puisse correspondre un
' déplacement inverse afin que, théoriquement au moins, un cycle
infiniment petit soit possible. Cela signifie que les équations
du mouvement doivent être construites de façon telle que "si
dans un système un mouvement quelconque est possible, le mou­
vement inverse sera toujours possible, c’est-à-dire un mouve­
ment tel que le système passe à nouveau par les mêmes états
dans l’ordre inverse." (24) C’est ce qu’exprime l’invariance
des lois de la mécanique par rapport à un changement de signe
du temps, invariance dont la portée est, bien entendu, géné­
rale et non limitée à l’exemple traité ici;
- 15 -

La mécanique met en évidence d*autres rapports entre la conser­


vation de l’énergie et les propriétés du temps. Nous ne nous y
arrêterons pas car cette étude concerne, non pas l’énergie ou
le temps en général mais la réversibilité des processus et que
l’énergie et le temps n’y apparaissent que dans la mesure où
ils se rapportent à cette question.

c) Passé et Futur en mécanique.

De ce qui précède résulte que si les lois de la mécanique


étaient des lois universelles du mouvement de la matière le
Passé pourrait être indifféremment pris pour le Futur et récipro­
quement. Les notions de Passé et de Futur s’impriment-dans le
concept de temps parce qu’existent des processus irréversibles
d’autant plus apparents à l’homme qu’ils concernent directement
sa vie. Mais il convient, pensons-nous, de reconnaître que la
base objective de la réversibilité du temps est aussi forte
que la base objective de son irréversibilité; La réversibilité
du temps est en effet l’un des fondements de la "relation pré­
cise" du quantitatif au qualitatif, c’est-à-dire de la mesure.
H n’y a donc pas à choisir entre temps réversible et temps
irréversible; Le temps est un concept contradictoire en ce
qu’il reflète certain aspect du mouvement, lui-même contradic­
toire •

Disons cependant quelques mots des limites de la réversibilité


telles qu’elles apparaissent en mécanique. Nous avons déjà \
indiqué que c’est seulement par abstraction qu’un système est
considéré comme énergétiquement isolé du milieu ambiant. Tout
gain ou toute perte d’énergie, si petite soit-elle, modifie
le système qui cesse alors d’etre parfaitement cyclique. Son
évolution preçid un caractère irréversible mais aAteirréversibi-i
lité peut ne se manifester que très lentement; C’est à quoi 1’
on assiste avec les satellites artificiels de la terre lente­
ment freinés par les gaz raréfiés de la très haute atmosphère.
D’autre part les mouvements réels les mieux décrits par les
lois de ma mécanique subissent de fortes perturbations dues
à des causes étrangères. Par exemple lors de la chute d’un
corps sur le sol l’énergie cinétique se transforme en chaleur
et la fin du mouvement est donc régie par des lois qui sont
extérieures à la mécanique. De même la cause initiale d’un
mouvement peut—elle mettre en jeu des transformations énergé­
tiques qui ne sont pas purement mécaniques mais par exemple
cbimiqu.es comme dans le lancement d’une fusée. La mécanique
reconnaissant cela l’introduit abstraitement dans la descrip­
tion du mouvement sous la forme de "conditions initiales" et
de "conditions finales".

Une autre sorte de limitation, beaucoup plus subtile, est ap­


portée par la Relativité Restreinte. Nous l’exposons briève­
ment mais on peut se passer de lire ce paragraphe qui n’a pas
de rapport direct avec les problèmes de l’irréversibilité qui
seront traités ensuite. D»expace-temps de la relativité est
séparé en deux parties par une surface appelée "cône de lumiè­
re". Les événements, localisés dans l’espace et le temps, .
peuvent se produire soit à l’intérieur , soit à l’extérieur
de ce cône; Or l’ordre chronologique des événements survenant
à l’extérieur du cône dépend du choix du système de référence;
de deux événements survenant en des points différents de l’es-
! ■ ■ “
- 16 -

pace, l!un peut être le premier et 1»autre le second et vice


versa, ce qui est un nouvel aspect de la réversibilité du
temps, ^ais pour des événements se produisant maintenant à
1»intérieur du cône l’ordre chronologique ne peut pas changer.
H est le môme dans tous les systèmes de référence. Ce qui
change dans ce cas c’est le sens du déplacement qui conduit
de l’un à l’autre. Or la succession des positiçns, dans 1’
espace, d’un corps effectuant un mouvement réel constitue au­
tant d’événements situés à l’intérieur du cône; leur ordre
chronologique est donc indestructible. Pour la mécanique rela­
tiviste, il y a donc un Passé et un Futur. Cela tient à ce que
espace et temps sont en quelque sorte "balisés" par les ondes
électromagnétiques et que celles-ci ont un sens de propagation
déterminé aussi bien dans l’espace que dans le temps. Cepen­
dant les équations de l’électromagnétisme sont elles-mêmes
réversibles par rapport au temps et l’exploration théorique
des conséquences do cette réversibilité est possible. Elle
entraîne à considérer des particules de vitesse supérieure à
la vitesse de la lumière que la physique ne tient pas pour
réelles.

Signalons enfin qu’au niveau quantique apparaît aussi une


limitation particulière do la réversibilité• Elle se présente
dans l’interaction entre un système macroscopique et un sys­
tème microscopique et à des conséquences décisives pour la
notion de mesure en microphysique.

B. 1 ’ irréversibilité

Nous allons voir maintenant que ces limitations à une réversi­


bilité absolue des processus naturels ne constituent pas le
seul apport de la physique à la notion d’irréversibilité. H
semble toutefois que, fortement préparée par son incomparable
expérience du quantitatif à démêler les évolutions cycliques
et réversibles, la physique n’avance pas sans trébucher lors­
qu’elle quitte son terrain favori. En témoignent les ava,tars
du concept d’entropie!

Contrairement à l’énergie, l’entropie n’est pas une grandeur


dont les manifestations soient immédiates pour l’expérience
la plus courante. H est donc plus difficile d’en faire saisir
la signification par des exemples simples. Mais l’entropie
est la grandeur que la physique a découverte pour caractériser^
1’évolution irréversible des systèmes qu’elle étudie. H s’avè
re que l’étude des variations de cette grandeur est d’une
grande efficacité pour comprendre nombre de phénomènes physico-
chimiques et que son champ d’application s’étend de plus en
plus à la biochimie, voire à la biologie. Nous ne pouvons
donc nous passer d’un bref examen de ce qu’est l’entropie, do
ses rapports avec les sauts qualitatifs, afin de préciser ce
que l’on entend actuellement par irréversibilité dans les
sciences de la nature.

a) Qu’est-ce que l’entropie?

H nous paraît important de commencer par noter que, quant au


fond, l’entropie n’est pas une mesure, au sens donné à ce mot
- 17 -

jusqu’ici, mais une grandeur relevant du dénombrement (x) •


S’il s’agit de dénombrement c’est que l’on compte quelque
choseo Mais quoi? Nous avons déjà parlé de la notion d’Etat;
il nous faut y revenir car le dénombrement porte ici sur des
états microspopique différents, susceptibles de réaliser un
même état macroscopique.

Par état macroscopique on entend par exemple ceci: un gaz


occupant un volume donné, à une pression donnée, se trouve à
une température donnée. Volume, pression, température sont
des grandeurs dont la valeur détermine un état macro scopique.
Mais ce gaz est composé d’un très grand nombre de molécules
que nous supposons, à l’échelle macroscopique, être de minus­
cules points matériels possédant une masse et auxquelles s’ap­
pliquent les lois de la mécanique que nous avons évoquées
précédemment. A tout instant chaque molécule a une position
et une vitesse et se trouve donc dans un état tel que nous
l’avons défini à propos de la mécanique. L’ensemble des états
de toutes les molécules constitue l’état micrpscopique du gaz
qui est donc défini par les positions et les vitesses de
toutes ses molécules.

H est facile de comprendre que l’état microscopique du gaz


détermine son état macroscopique: la pression du gaz n’est
qu’une manifestation de la vitesse de ses molécules et sa
température, une expression de leur énergie moyenne. Mais
l’inverse n’est pas vrai car un très grand nombre d’états
microscopiques différents produit le même é¥at
Cela vient de ce que pression et température sont des gran­
deurs moyennes et qu’il existe un nombre énorme de combinai­
sons de vitesse ou d’énergies des molécules qui donnent les
mêmes valeurs moyennes de pression et de température du gaz.
Ce nombre -plus précisément son logarithme -est l’entropie
du milieu considéré.

b) Entropie et accumulation des changements quantitatifs

Ceci dit, il existe une relation entre Le degré d’ordre d’un^


système et son entropie parce que plus un système est ordonné
et moins est grand le nombre de combinaisons de positions et
de vitesses qu’il est susceptible de réaliser à l’échelle
microscopique. L’exemple extrême serait celui d’un corps au
zéro absolu de température: toutes ses molécules seraient
immobiles aux positions régulièrement espacées, fixées par
l’état cristallin; du point de vue des seules vitesses, le
nombre d’états microscopiques possibles serait égal à un,
puisque une seule vitesse serait permise et qu’elle serait
nulle; Augmentons la température: les molécules commencent
à osciller autour de leurs positions initiales et leurs vi­
tesses peuvent se combiner de toutes lest façons possibles
au sein d’un même état macroscopique; l’entropie croit alors
comme le logarithme du nombre de ces combinaisons. Augmentons
encore la température: le cristal se liç|uéfie car les oscil-

x.En thermodynamique classique l’entropie a une dimension,ce


qui lui donne l’apparence d’une mesure;m,ais ceci résulte du
fait contingent que les températures son*t indiquées en degrés
et non en unités d’énergie;!’entropie a alors la dimension de
la constante de Boltzmann; avec le développement de la physi­
que des très hautes températures, celles-oi sont de plus en
plus souvent exprimées en unité d’énergie?.
~ 18 «
lations ont pris trop d’amplitude pour que les molécules res­
tant au voisinage de leurs anciens emplacements• De nouvelles
possibilités apparaissent pour les états microscopiques et
cela se traduit par une nouvelle augmentation de l’entropie.
Celle-ci peut donc être comprise comme un indice du degré
d’ordre du système.

D’autre part le degré d’ordre d’un système est étroitement re­


lié à ses propriétés qualitatives. Dans l’exemple ci-dessus,
l’ordre rigoureux des molécules dans le solidê se transforme
en un désordre relatif dans le liquide. Le saut qualitatif
consiste dans une transformation des lois macroscopiques aux­
quelles obéit le système, par exemple lois de l’hydrodynamique
pour l’écoulement du liquide, mais lois de l’élasticité pour
les propriétés mécaniques du solide. L’entropie, disions-
nous, est un indice du degré d’ordre qui lui-môme conditionne
l’état qualitatif du système. Il en résulte qye la variation
d’entropie doit être considérée comme l’expression - non 1’
expression en général mais l’expression "précise” - de l’accu­
mulation des changements quantitatifs microscopiques qui
provoque les sauts qualitatifs au niveau macroscopique • (x)

c) L’irréversibilité dans les sauts qualitatifs.

Nous pouvons aborder maintenant la discussion des lois d’irré­


versibilité telles qu’elles se présentent dans les sciences
de la nature. Ces lois sont énoncées d’une façon extrômement
concise, sous la forme du SecordPrincipe de la Thermodynamique
qui dit que la variation d’entropie d’un système isolé ne peut
jamais être négative. Autrement dit, pour un système qui n’
échange ni matière, ni énergie avec son environnement, l’entro­
pie est soit croissante, soit constante.

Dans ce dernier cas, on dit du système qu’il esta l’équilibre.


Dans ^système à l’équilibre s’accomplissent d’innombrables
processus microscopiques mais le système global n’évolue pas.
Bn particulier il ne subit pas do transformations qualitatives.
Mais l’état d’équilibre peut être réalisé par la présence si­
multanée et durable de deux formes qualitativement différentes,
normalement appelées à se transformer l’une en l’autre. Cette
remarque a son importance pour préciser la notion de saut quali­
tatif. H est commun d’associer à la notion de saut l’idée de
soudaineté, voir de violence.En fait la notion de saut traduit
seulement une rupture qualitative, le passage d’un type de
propriétés à un autre type de propriétés. Que cette rupture
s’effectue de façon lente et progressive dans le temps ou
avec rapidité et brusquerie est une affaire de cas d’espèce.
Dans l’état d’équilibre les deux phases coexistent indéfiniment.

x. Cette accumulation ne peut être exprimée que pour autant que


les états microscopiques sont bien définis. Pour généraliser
la loi de l’accumulation quantitative aux changements quali­
tatifs s’opérant au niveau microscopique il faut connaître un
niveau submicroscopique. Actuellement il existe une limite au
niveau des particules "élémentaires”. C’est en ce sens que
j’ai écrit dans la préparation du Colloque d’Orsay, que la loi
de l’accumulation quantitative est battue en brèche au niveau
quantique.
- 19 -

Nous no nous attarderons pas sur les applications du Second


Principe qui dérivent directement de l’énoncé donné plus
haut, en dépit de l’importance que semble retrouver périodique­
ment leur extrapolation philosophique prédisant ma lort ther­
mique de l’Univers. Des éléments de réflexion d’un intérêt
très supérieur nous sont en effet fournis par une branche
récente de la physico-chimie sur laquelle Joli Martinan a
déjà attiré l’attention.(25). Il s’agit de la Thermodynamique
des processus irréversibles (26,27).

Considérons à nouveau la question des sauts qualitatifs. Pour


tous les cas étudiés jusqu’à présent par la physique et la
chimie, un saut qualitatif peut, en principe du moins, s’opérer
dans les deux sens. Ainsi peut-on passer de l’état liquide à
l’état solide et inversement autant de fois qu’on le veut.
De même peut-on synthétiser ou dissocier une molécule « Mais
qu’en est-il de l’entropie dans des transformations aller -
retour de cette sorte? On ne peut plus raisonner ici sur 1’
entropie d’un système isolé car ces transformations successi­
ves nécessitent un apport extérieur d’énergie, voire de matière.
Puisque le système est ouvert aux échanges, il échange aussi
de l’entropie avec l’extérieur. L’irréversibilité se manifeste
alors par le fait que les modifications internes d’un système
en cours d’évolution sont PRODUCTRICES D’ENTROPIE. Leur con­
tribution à l’entropie totale du système est toujours positive
si elle n’est pas nulle.

Que cela signifie-t-il? Que des sauts qualitatifs peuvent


s’effectuer dans les deux sens et que l’état qualitatif primi­
tif peut être reproduit nais aussi que chaque saut qualitatif
apporte •une modification définitive à l’ordre nicrospopique
des choses; T’augmentation d’entropie produite par l’évolution
du systene —entropie dont tout ou partie est évacuée vers le
milieu extérieur — est l’empreinte indélébile de cette évolution
sur le milieu. Non seulement 1^ accumulation quantitative re­
présentée par l’accroissement d’entropie provoque des sauts
qualitatifs nais ceux-ci, en retour, contribuent à l’accumu­
lation de nouveaux changements quantitatifs, accumulation que
n’efface pas le saut qualitatif inverse s’il se produit. Tel
est, pensons-nous, le sens profond de l’irréversibilité thermo­
dynamique.

L’augmentation d’entropie consécutive à l’évolution des systè­


mes a été considérée longtemps conne un phénomène purement
négatif parce qu’elle semblait conduire inéluctablement vers
des états d’équilibre où l’entropie cessait de croître et le
système d’évoluer. Cette difficulté vaut la peine qu’on s’in­
terroge un instant sur les raisons qui l’on rendu si malaisée
à surmonter. Nous avons dit que la valeur de l’entropie est
donnée par le dénombrement des états microscopiques suscepti­
bles de donner un même état macroscopique; Le contenu de l’en­
tropie c’est uniquement ce nombre. La connaissance de l’entro­
pie ne dit rien sur la nature - la qualité — des états micros­
copiques dénombrés. Elle ne permet donc pas de prévoir ce qui
rés-ultera dans tel ou tel cas concret d’une addition extérieu­
re d’entropie car, dans chaque cas, ce qui se passe dépend à
la fois du système récepteur d’entropie et de la nature des
états microscopiques en cause.
- 20 -

Mais on connaît et on étudie un nombre croissant de situations


physico-chiniques qui témoignent de la réutilisation de l’ac­
cumulation quantitative exprimée sous forme d’un accroisse­
ment d’entropie» Ainsi étudie-t-on des réactions "couplées”
se produisant au sein d’un système globalement producteur
d'entropie mais au séin duquel un des processus chimiques
"consomme" une partie de l’entropie produite par l’autre» H
peut même se faire que l’entropie totale du système reste
constante, l’entropie produite s’évacuant complètement vers
l’extérieur. Des structures stables MACROSCOPIQUEMENT ORDON­
NEES parviennent alors à se former dans des conditions -com­
plètement différentes do l’équilibre thermodynamique» Ce sont
les "structures dissipatives", étudiées notamment par Pri-
gogine, qui constituent un nouveau type d’états qualitatifs
de la matière. Afin do marquer la limite actuelle des con-
naissances et les horizons qu’elles découvrent, citons Pri-
gogine lui-même: "Même si jusqu’ici nous n’avons pas une
véritable théorie systématique, l’existence très réelle d’ins-
talibilité conduisant à des structures dissipatives est, nous
le croyons, d’une portée considérable.•.il est difficile d’
éviter le sentiment que de telles instalibilités reliées aux
processus dissipatifs pourraient jouer un rôle essentiel
dans les processus biologiques et spécialement dans les pre­
mières étapes de la biogenèse." (26)

Résumons-nous. L’analyse des rapports qualité-quantité à 1*


aide de matériaux postérieurs à l’oeuvre de Hegel comme à
celle d’Engels suggère d’établir une nette distinction entre
dénombrement et mesure. La mesure fait apparaître une qua­
lité nouvelle, la dimension d’une grandeur, dont on ne peut
dire qu’elle soit une propriété aussi immédiate que la qualité
en général, telle que la définit Hegel» La mesure se fonde,
en dernière analyse, sur ce qu’il y a de réversible dans un
processus, dans le processus réel, réversibilité et irréver­
sibilité sont étroitement unies. Ce double caractère a des
conséquences pour le concept de temps. Ce que nous avons dit
vient en complément d’une étude antérieure »(28)

Les processus que nous isolons par la pensée sont plus ou


moins fortement marqués par l’un ou l’autre des caractères
de réversibilité et d’irréversibilité. H s’agit non seule­
ment de découvrir, dans chaque cas, ce qui l’emporte - ce
qui suppose une définition précise des états, des systèmes
étudiés -mais plus encore, de découvrir ce qui est réver­
sible dans le processus réel, même alors que la réversibilité
ne serait que son caractère secondaire, afin de pouvoir déve­
lopper l’étude quantitative du processus jusqu’à la forme
achevée de la mesure.

De plus l’accumulation quantitative nous apparaît comme l’ex­


pression précise de l’irréversibilité puisque, comme le montre
le comportement dz l’entropie, elle n’est pas effacée par
le retour, à son état primitif, d’un système qui a subi des
rupture qualitatives d’apparence réversible. On peut s’inter­
roger sur les chances que l’entropie, ou une grandeur dérivée,
possède de devenir une mesure au vrai sens du terme. Cette
- 21

question est notcunnent posée par le développenent de la biolo­


gie qui formule de façon encore imprécise une loi diinvarian-
ce génétique. Parmi les difficultés que l’on peut s’attendre
à rencontrer s’on trouve une que nouscavons mentionnée: une
estimation de l’accumulation quantitative par l’augmentation
d’entropie ne dit rien, ou presque, sur la qualité, la nature
des changements quantitatifs accumulés. Nous nous trouvons
peut-être en présence d’un nouvel aspect des rapports qualité-
quantité que des recherches à venir devront élucider. L’aspect
mathématique de la question existe aussi dans la. théorie de
l’information pour laquelle l’évaluation d’une quantité d’in­
formation. en bits, ne dit rien par elle-même sur la nature
de l’information transmise ou à transmettre.

Décembre 1972
22 -

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. F.Engels, Introduction à la Dialectique de la Nature, ed.
1952, p.46
2. KeMarx, La Méthode dialectique, Etudes philosophiques, ëd.
1969, pp.114
2* . F» Engels, Ludwig Feuerbach, Etudes philosophiques, ed«
1969, P»24
3» F*Engels, Anti-Duhring, ed.1971, p.65
4. G.W» Hegel, Science de la Logique, tome I,p.77
5. ibid. p>70
6. ibid. p«104
7. ibid. p.110
8. V.I. Lénine, Celliers philosophiques, ed.l955,p.95
9. F.Engels, Anti-Duhring, ed. 1971, p.68
10. G.W.HiHegel, Science de la Logique, tone I, p.70
11. F.Engels, Dialectique de la Nature, ed.1952, p.70
12. GiWiH. Hegel, Science de la Logique, tone 2, p.592
15. ibid. p.364
14. ibidi tone 1, p.70
15. ibid; tone 2, p.376
16. ibid; p.377
17. ibid. Tone I, p;i02
18. E.I. Bitzakis, colloque Lénine, Orsay 1971
19. K.Marx, Le Capital, Livre I, tone I, ed.l967,p.53
20» ibid; p.56
21. ibid. p;63
22. ibid. p.80
22*.ibid. p.76
23. ibid. p.78
24. I.Landau, E.Lifchitz, Mécanique, Ed.Langues Etrangères,
I960, p.18
25. J.L. Martinand, Colloque Lénine, Orsay 197i
26. I.Prigogine, Introduction à la Thermodynamique des Proces­
sus Irréversibles, Dunod, 1968.
27. P.Glansdorf, i;Prigogine, Structure, Stabilité et Fluctua­
tions, Masson, 1971
28. P.Jaeglé, Essai sur l’espacé et le temps, Colliers du
C.E.R.M. ,1971.
BULLETIN D»ADHESION AU C.E.R.M»

Je désire adhérer au C^E.R.M. et participer aux travaux de la

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