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A la recherche du Fondement 

: discours sceptique, discours mythologique.

La question de l’essence des choses est la question métaphysique par


excellence. Discerner l’essence « vraie » derrière l’apparence et ainsi fonder la vérité
a toujours été l’ambition de la métaphysique traditionnelle. Selon cette position la
philosophie est distance, surplomb, absence d’appartenance. Le geste philosophique
consiste toujours à rejoindre la position d’un observateur absolu ayant rompu tout
lien avec le monde, à prendre une distance infinie vis-à-vis de ce qui est, afin
précisément de l’interroger quant à son être. La question qui se pose alors sur la
véracité de la détermination a trouvé sa réponse, depuis Descartes, que même si on ne
peut pas donner une réponse définitive sur le monde extérieur, on connaît la structure
intentionnelle de la représentation (l’existence du monde intérieur). En effet,
Descartes a posé une asymétrie épistémique entre la chose pensante (res cogitans) et
chose étendue (res extensa) qui nous permet à affirmer qu’il y a des représentations,
que la mesure d’être c’est l’apparaître.

Une telle ontologie est commandée par une soumission non questionnée au
principe de la raison suffisante. La réalité est caractérisée du point de vue de cette
question préjudicielle : « Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? ». Dans
cette perspective, quelque chose est toute positivité, est pleinement ce qu’il est. Ainsi,
le réel est pure détermination car si la chose n’était pas ce qu’elle est, elle ne serait pas
du tout. Donc une chose n’est pas du tout dés qu’elle comporte le moindre non-être.
Le néant qui est impliqué dans le principe de la raison suffisante n’exprime rien
d’autre que ce désengagement du penseur, cette rupture avec le monde. En niant toute
appartenance, en mettant le monde à distance, la philosophie se donne le moyen de
totaliser le réel, c’est-à-dire de le faire émerger du néant.

Notre relation aux objets, c’est-à-dire l’intentionnalité, est exposée au néant,


selon la remarque de Heidegger. Néanmoins, ce néant est le monde lui-même. Si le
monde n’existe pas, alors comment peut-on croire que les domaines inclus dans ce
monde peuvent exister ? Est-ce qu’il y a un moyen pour éviter le nihilisme
ontologique ? Notre but sera de montrer que l’échec du langage vis-à-vis un néant
englobant fait émerger des forces créatives qui renversent le néant : c’est pour cette
raison qu’il y a quelque chose plutôt que rien. Le néant devient quelque chose pendant
notre activité de nommer le vide. Ce ‘vide’ se trouve en dehors tout environnement
apophatique. La différence entre le langage et le domaine paradoxale de l’absolu (le
domaine tout englobant) génère le discours.

Quelle nécessité règne dans les expériences dues au langage (discours,


logos) ? Quelle nécessité a lieu dans l’expérience du logos ? N’existe-t-il pas déjà une
discipline qui nous parle des nécessités liées au logos ? Il y a un logos, discipline qui
parle des nécessités qui règnent dans le logos. Les nécessités qui règnent dans le logos
ne règnent pas de même dans l’être. Il y a un type de nécessités qui est réservé aux
signes. Les mathématiques et le logos et tout le reste est contingent. La nécessité se
conçoit de ce côté-là, et pas ailleurs. S’il y a une nécessité, finalement, c’est dans le
logos. Du moment que le sujet émerge à partir de l’introduction du langage ou du
logos, il fait des expériences grâce au logos, mais le logos lui, est un système régit par
des nécessités. Par conséquent, les expériences que le sujet peut faire par le logos
doivent aussi être régies par une certaine nécessité. Il y a quelque chose comme une
nécessité dans ces expériences là, parce que le logos est lui-même régi par une
nécessité. La nécessité est une structure du logos.

Toute tentative de déterminer notre position dans le monde et donc le rattraper


dans le langage génère un ensemble de présuppositions inaccessibles qui gouvernent
le discours. Néanmoins, le discours doit stabiliser ses conditions pour se défendre
contre le danger de l’indétermination absolue. Celle-ci est l’origine des récits
mythologiques sur l’origine du monde. Ce genre des récits articulent les conditions de
possibilité d’un langage en transposant sa différence interne entre forme et contenu,
dans un ordre naturel qui est supposé de déterminer le langage de l’extérieur. Dans ce
contexte là, tout système des valeurs crée une « mythologie » ou une image du
monde.

Schelling et Heidegger sont d’accord sur le point que la réflexion est liée à un
ensemble des expressions discursives, finies d’elle-même et elle génère des cadres
imaginaires, mythologies. L’incomplétude ne peut pas être surmontée car elle est la
condition de possibilité de la détermination et donc de la complétude. La différence
entre Schelling et Hegel se trouve sur leur conception de la relation entre être et
réflexion. Selon Schelling la réflexion dépend sur l’être impensable (unvordenkliches
Seyn). Ainsi il souligne le fait que la réflexion indique nécessairement le fait brut de
l’existence, qu’il est per se inexplicable (indéterminé) en termes logiques.

En général, le problème qui se pose c’est comment peut-on distinguer entre


essence et illusion, l’essentiel et l’inessentiel. Le problème avec l’essentiel et
l’inessentiel c’est que l’essentiel est déterminé contre l’inessentiel sans en même
temps reflétant l’acte constitutive qui sépare l’essentiel de l’inessentiel. L’essentiel
tout simplement semble être essentiel. Apparence et réalité apparaissent dans la
réalité dans la mesure où, comme Fichte, Schelling et Hegel ont remarqué, la réalité
n’est rien d’autre que le processus de sa propre réduplication. La réalité est ce qui se
divise en réalité et apparence, ce que Hegel nomme essence. La réalité
essentiellement se divise, produisant représentations d’elle-même.

Il y a une étape à franchir de Kant à l’Idéalisme allemand : l’écart qui sépare


la multiplicité pure du réel de l’apparence d’un « monde » dont ses coordonnées sont
donnés dans une série des catégories qui prédéterminent son horizon, c’est le même
écart qui, chez Kant, sépare la Chose en-soi de la réalité phénoménale, c’est-à-dire du
mode que les choses nous apparaissent comme objets de notre expérience. Donc, la
question qui se pose maintenant c’est : comment cet écart entre la multiplicité pure de
l’être et son apparence dans une multitude de mondes vient au jour ? Comment l’être
apparaît à soi-même ?
Selon Hegel, quand l’en-soi est différencié de son apparence c’est le cas de la
structure qui appelle essence, pour ajouter que l’essence n’est rien que le vide dans
lequel cette distinction se produit. Le point crucial c’est que la distinction entre
apparence et réalité, entre l’inessentiel et l’essentiel, est nécessairement réfléchi en-
soi. L’inessentiel occupe la position de l’essentiel précisément parce qu’il met
l’essentiel à notre disposition. L’essentiel est médiatisé par l’inessentiel de telle
manière qu’il devient l’inessentiel. L’essence donc, se réfléchi dans l’apparence, dans
la mesure où elle n’est rien d’autre que la réflexion – dans – soi de l’apparence.

Le mouvement de la réflexion donc consiste, pour Hegel, dans la négation de


la négation. La première négation consiste à la position de l’essence en face des
apparences, le monde phénoménal. L’Un est opposé à la multiplicité de l’être.
Cependant, cette négation des apparences est de même le noyau de l’apparence.
L’immédiateté des apparences, le fait qu’elles sont trompeuses, est déjà un
redoublement des apparences, ce qui nous amène à la structure de la réflexion, le
mouvement de néant à et par là à soi-même en retour, structure que Hegel nomme : le
devenir dans l’essence.

La réflexion est négativité pure et par conséquent liberté. C’est l’activité


d’établir l’autonomie par le démantèlement de l’au-delà. L’Etre n’est plus opposé au
devenir mais en revanche il est explicitement identifié avec le devenir de l’essence (et
ultérieurement avec l’universalité du Concept). La révélation de l’essence des choses
n’est pas un au-delà de l’apparence, mais le mouvement de la réflexion, la pensée qui
les constitue. Comprendre l’ « essence » de l’apparence, c’est comprendre dans
quelle totalité des déterminations elle prend son sens. Tout l’exposé hégélien de la
contradiction consiste à supprimer l’autonomie illusoire des choses. L’idée c’est
l’application du principe hégélien du renversement par autoréférence. Les opposés
comme identité et différence, universel et particulier, apparence et réalité sont
appliqués à eux-mêmes de telle manière que l’hiérarchie implicite entre les termes est
inversé, dont le résultat est la contradiction dans le sens hégélien. La contradiction
apparaît quand toutes les déterminations de la réflexion (Reflexionsbestimmungen)
reproduisent le schéma de la double négation de la réflexion. La réflexion – dans – soi
et la réflexion – dans – l’autre coïncident en révélant leur fondement commun (zu
Grunde gehen). Ainsi l’essence comme fondement devient un être posé, un devenu
(ein Gesetztsein, ein Gewordenes).

L’effondrement veut dire que c’est un retour au fondement. Ca s’effondre pour


se fonder : « zur Grunde gehen, in dem Grund zurück gehen“, jeu de mot dans la
logique : s’effondrer et retourner dans le fondement. Les ruines sont ici un fondement.
Comment le deviennent-elles ? Ce qui s’effondre est une structure simple. Rapport
immédiat au réel par exemple. Il devient un rapport médiatisé par une abstraction,
mais l’effondrement est lui-même quelque chose, par exemple découverte de la
négativité. Au début de la Phénoménologie de l’Esprit par exemple, au chapitre sur la
certitude sensible, la conscience dit et ce rend compte qu’elle ne dit pas. Elle découvre
l’universel, et c’est sur cet universel qu’elle repart : elle devient perception. Ce n’est
plus l’objet unique, mais la qualité. La conscience découvre cette structure qui fait
effondrer et qui est l’abstraction. Non seulement ça s’effondre et reconstitue, mais
l’effondrement lui-même révèle quelque chose à travers cette expérience. Ce qui se
révèle à travers l’effondrement sera le fondement de la deuxième construction. On
pourrait dire que l’acte de s’effondrer est le fondement. On a besoin de le faire
s’effondrer pour qu’il puisse devenir fondement. Si cela ne s’était pas effondré, pas de
fondement. L’abstraction est un accident, mais il faut qu’elle se passe pour que je
puisse la découvrir et qu’elle devienne fondement. Ce qui est important est que le
fondement est un performatif, c’est quelque chose qui se crée dans l’action. Ce qui
fait que si on veut savoir quel est le fondement absolu de tout cela, il n’y en a pas. Le
premier terme ne tient pas debout puisqu’il s’effondre, mais l’effondrement est
l’effondrement du premier terme, et cela devient comme un cercle, une bulle qui se
soutient elle-même sans fondement, et cela est la critique hégélienne de l’origine.
L’origine est un fondement absolu.

Quand Hegel parle d’absolu, il parle de cette structure là. Une structure qui se
fonde par un mouvement d’effondrement. L’absolu de Hegel n’est pas du tout un sol
sur lequel on peut s’appuyer. L’absolu nomme un dispositif logique. Autonome par
défaut, parce qu’il n’y a pas d’origine et non parce que c’est la plénitude de l’être qui
s’impose comme surpuissance… L’absolu hégélien est une absence, un néant ou un
dispositif logique. Hegel le définit comme une méthode dans la Logique. C’est la
méthode, et c’est la définition la plus puissante de l’absolu selon Hegel. A la fin du
développement de la logique. L’absolu est la méthode.

On a parlé d’une logique, d’une nécessité à l’intérieur du discours. La


syllogistique aristotélicienne est un bon exemple d’une logique close. C'est-à-dire
que l’on a des termes du jugement qui sont ordonnés dans une triade (trois phrases,
trois propositions) : deux qui servent de préambule, et une de conclusion. La
syllogistique aristotélicienne définit les rapports possibles entre ces trois termes. Cela
donne parfois des syllogismes irrecevables, rarement cela fonctionne, et tout le reste
est du non-sens, mais des différents types de non-sens qu’Aristote décrit un par un,
mais il s’agit toujours du rapport entre les termes. Ce qui est très important pour cette
syllogistique est qu’elle ne dit rien sur les contenus : on peut y fourrer n’importe quel
contenu. Ce qu’on fait après quand on applique la syllogistique aristotélicienne : on
essaye de reconnaître, dans un raisonnement, par voix d’abstraction, une des figures
de la syllogistique, et du coup, on essaye de décider si ce raisonnement est valable ou
pas d’un point de vue logique. Cette logique ne dit rien sur le contenu ; elle fait
l’abstraction du contenu. Elle parle de variables, les termes sont des variables : ce sont
A, B, C. La logique suit ce schéma. La conception hégélienne est différente : c’est un
rapport à l’objet, conscience qui pense à un objet, et qui doit dire ce qu’il est, elle doit
le nommer. Elle doit formuler quelque chose qui nomme cet objet, or, ce qu’elle
formule, c’est : « ceci est », puisqu’elle ne peut pas dire ce qu’il est pour une raison
précise : elle ne dirait plus le ceci et le dirait par une abstraction. Pour dire le ceci
dans son individualité, je ne peux rien faire, même le ceci est peut être plus abstrait
que de dire que c’est une table. Pourquoi est-ce que l’on ne peut pas ? Où se situe la
nécessité dans l’expérience du discours ? Elle ne se situe pas exactement au même
niveau qu’une nécessité à l’intérieur du discours, pour laquelle le paradigme est la
syllogistique aristotélicienne. Dans la syllogistique, on a des variables, et ce qui est
essentiel pour cette syllogistique est que les termes ne disent rien. Le A et le B
doivent être vides de sens. A = A et B, et B est C. Donc A est C. Pour formuler cela, il
est essentiel que les termes ne disent rien. Dans la logique traditionnelle, on décrit
seulement le rapport entre des signes, et le rapport avec les objets n’est pas un thème
logique. Alors qu’ici, c’est justement cela qui est un thème logique. La différence
entre la logique hégélienne et la logique traditionnelle est celle-là, c’est que Hegel
traite la logique comme rapport à un objet, et c’est le rapport de nomination. Le
discours est un nom selon Hegel, et c’est cela qui structure le discours. Selon la
logique traditionnelle, on fait abstraction de cela, et c’est cela qui engendre un tas de
différences techniques dans la description même du calcul logique. Particularité de la
logique hégélienne dans son rapport à la contradiction par exemple. Le rapport à la
contradiction hégélien est dû au fait que pour lui, la nomination est un problème
logique, tandis que dans la logique traditionnelle, non.

Pour clarifier le statut ontologique du discours et du sujet. Le sujet est fonction


de son rapport avec le signifiant. Cela veut dire que le sujet n’existe pas. Il n’a pas
une existence, il n’est pas une chose, il est une fonction. Cela veut dire que toute la
longue tradition philosophique de l’immortalité de l’âme, platonicienne et néo-
platonicienne, est infirmée par cela. Si le sujet n’est pas une substance, il n’a aucun
espoir d’être immortel. Car toutes ces théories dépendent d’une substantialisation de
l’âme. Le sujet fait des expériences avec le langage, elles se situent au niveau de la
nomination, du langage par rapport à ce qu’il dit, ce qui est un rapport qui régit aussi
le comportement des signes entre eux. On a une sorte de verticale qui régit le rapport
du langage à la chose, et ensuite une horizontale qui est l’agencement des signes entre
eux, qui fait que tout cela peut se référer à quelque chose. Pour Hegel, ces deux
rapports sont articulés. Donc la syllogistique hégélienne ne sera pas la syllogistique
aristotélicienne. Il va penser le rapport entre les termes autrement, le penser comme
déplacement. La logique hégélienne pense le jugement comme déplacement, alors que
la logique aristotélicienne pense le jugement comme tautologie. Pour Hegel, tout
raisonnement est un déplacement, alors il peut y avoir des contenus (ce qui fait
scandale : une logique qui créé quelque chose, comme s’il créait quelque chose à
partir de rien)… Le jugement, le syllogisme, tout raisonnement logique est un
déplacement de sens, sinon, il n’y a pas de sens. Le sens n’existe pas en dehors de
cette forme de déplacement. C’est presque comme cela que Lacan décrit la
constitution du sens comme déplacement.
Bibliographie indicative

Doz, A. (1987), La logique de Hegel et les problèmes traditionnels de

l’ontologie, Vrin.

Henrich, D. (1971), Hegel im Kontext, Frankfurt am Main, Suhrkamp Verlag.

 (2008), Between Kant and Hegel. Tr. D. S. Pacini. Cambridge, MA :

Harvard University Press.

Longuenesse, B. (1981), Hegel et la critique de la métaphysique, Vrin.

Lebrun, G. (1972), La patience du concept. Essai sur le discours hégélien,

Gallimard, Paris.

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