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La tâche d’être soi

Sur l’ontologie égologique d’Emmanuel Lévinas


1.2 L’emphase de l’anonymat

- Interroger le paradoxe d’une philosophie qui met le sujet au centre, mais qui commence par l’il
y a — expérience de sa propre destruction.
- Montrer que ce paradoxe est celui d’une phénoménologie qui commence par ce qui ne saurait
relever d’aucune expérience — par là d’aucune intuition — puisqu’aucun sujet pour la faire.

Comment la phénoménologie lévinassienne impose la réduction de la subjectivité comprise


comme être-au-monde ?

Objet de la notion d’il y a : promouvoir une notion d’être sans néant, qui ne laisse pas d’ouverture,
qui ne permet pas d’échapper » (Le temps et l’autre).

Comparaison avec le bergsonnisme :


« Lorsque, dans le dernier chapitre de L’évolution créatrice, Bergson montre que le concept du
néant équivaut à l’idée d’être bi é, il semble entrevoir une situation analogue à celle qui nous
mène à la notion de l’il y a. » (De l’ex…)

Mise au jour de l’il y a : « une négation qui se voudrait absolue, niant tout existant — jusqu’à
l’existant qu’est la pensée e ectuant cette négation même (contre Bergson, ici) — ne saurait
mettre n à la « scène » toujours ouverte de l’être, de l’être au sens verbal » (ibid).

La démarche de Lévinas est d’inspiration bergsonnienne => exercer une négation pour souligner
les limites et faire surgir un plein dans ce vide laissé par elle.
Mais la démarche de Lévinas en di ère radicalement : la négation de Lévinas qui se heurte à la
positivité de l’être n’emporte pas seulement une partie de l’étant, mais sa totalité = étant subjectif
+ étant objectif
Lévinas tente de mettre au jour une positivité qui n’est pas d’ordre ontique, mais bien la positivité
du pur fait d’être, de l’il y a séparé de l’étant.

L’évolution créatrice, Bergson => celui qui imagine l’abolition de la totalité des choses est
nécessairement reconduit à lui-même ; s’il s’abolit, il se ressuscite par là même : « Je ne me vois
anéanti que si, par un acte positif … je me suis déjà ressuscité moi-même. »

La négation de Lévinas va contre ce sujet inamissible.


« La critique bergsonnienne du néant ne vise que la nécessité d’un étant … il aborde l’être comme
un état et aboutit à un étant résiduel » (De l’ex…).
C’est parce qu’il méconnaît la di érence être/étant que Bergson envisage une positivité ontique et
non ontologique.
Dès lors que la séparation être/étant est prise en vue, la relativité de la négation prend un autre
sens. S’exerçant contre la totalité de l’étant, elle se heurte à la plénitude de l’être lui-même.
L’e cace de la négation ontique se heurte à l’impuissance de la négation ontologique : une
négation radicale, au sens où elle chasserait la totalité de l’étant, se heurterait à une positivité du
rien lui-même, dont l’absence retourne comme une présence.

Ce qui fait retour au sein de toute négation n’es pas la présence d’un étant, mais la présence de
l’absence de tout étant — irrémissible présence de l’absence. Ainsi la présence à laquelle je suis
reconduit n’est pas celle du moi qui e ectue la négation, mais celles l’être qui défait tout étant,
moi y compris.

Pour Bergson, il y a impossibilité de la disparition du sujet, impliquée par la négation ontologique.


La nuit n’est jamais totalement obscure, puisque je suis là pour en parler, et, déjà, l’éclairer. Je
suis encore là pour assister à ma propre dissolution dans cette nuit de l’il y a.
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Cette objection, Lévinas la connaît et l’assume : « si le terme d’expérience n’était pas inapplicable
à une situation qui est l’exclusion absolue de la lumière, nous pourrions dire que la nuit est
l’expérience de l’il y a ».

L’insomnie est l’expérience-limite de ma dépersonnalisation, du fait de mon exposition à l’il y a.


Les pensées qui la remplissent sont suspendues à rien, en ce que cette veille est anonyme et
posé à l’être. L’ego est objet plutôt que sujet du ux. Lévinas concède que je fais l’expérience
d’être objet et que je prends conscient de cette « vigilance anonyme », toutefois, c’est dans un
mouvement de détachement et d’un abandon de la conscience.
L’imagination de ma propre disparition est rigoureusement impossible — Lévinas l’admet. Je suis
toujours là pour y assister et pour me saisir moi-même comme objet d’une pensée anonyme.

Mais Lévinas ne se laisse pas embarrasser par l’injection. Il revendique s’a ranchir de la
phénoménologie descriptive, car, en e et « l’anonyme vigilance dépasse le phénomène qui
suppose déjà un moi ».

Paradoxe => phénoménologie égologique qui commence par l’expérience de la destruction du


sujet — donc par la ruine de toute phénoménalité.
Paradoxe assumé par Lévinas. Il doit être compris comme le paradoxe d’une phénoménologie à
la limite qui décrit des phénomènes-limites — « situation limite de l’impersonnelle vigilance ».

D. Franck, dans Dramatique des phénomènes, se demande si la phénoménologie ne se


caractérise pas par cet incessant écartement de soi — ces écarts nissent en un sens à lui
appartenir.

L’oeuvre de Lévinas est marqué par cela qu’il excède sans cesse la méthode phénoménologique.
Il fait de cet excès la méthode même de la phénoménologie. La pratique de la phénoménologie
comme exaltions ou comme emphase (terme à dé nir).

De même que la variation eidétique husserlienne (qui correspond à l’imagination en ce qu’elle


nous reconduit à la positivité de l’eidos) se heurte à un invariant, de même, la négation de
l’existant se heurte à l’exister indéniable. Si à l’égard de l’existant nous sommes libres, nous nous
découvrons englués dans l’exister.

Pourquoi ce besoin d’excéder ?


« Si en partant d’un thème je vais vers les manières dont ont accède, la manière dont on y accède
est essentielle au sens de ce thème même » (De Dieu qui vient à l’idée) ; or, j’accède là au sujet en
l’excédant et en le détruisant. La perte de soi est essentielle au sens même de la subjectivité.
Nouvelle subjectivité dont l’être-au-monde n’est plus la structure stable et permanente.

La négation qui met au jour l’il y a n’est pas une réduction-limite, mais une réduction (+
heideggerienne que husserlienne) au sens où il y va avec elle d’une reconduction de la totalité de
l’étant aux pur fait d’être anonyme — mais réduction à la limite : elle détruit en même temps le
sujet qui la met en oeuvre.
Aucune réduction ne fait ça. Si la réduction ne laisse pas inchangé le sujet qui l’e ectue — c’est
le cas chez Husserl : le moi doit sacri er son être mondain, moi psychophysique, pour s’élever à
son moi transcendantal et non mondain —, elle ne le détruit jamais purement et simplement.

1er chapitre De l’existence à l’existant => commence par une ré exion sur la signi cation de la
situation limitée de la disparition/annihilation du monde : « la divergence entre les événements et
l’ordre rationnel … l’impossibilité pour le moi de rejoindre le toi … autant de constations qui, dans
le crépuscule d’un monde, réveillent l’antique obsession de la n du monde ».
Fin du monde : sens ici spéci que pour Lévinas => correspond au pur fait d’être anonyme et mis
au jour par une négation exercée à l’encontre de la totalité de l’étant.
La n du monde est un moment-limite, donc riche d’enseignement. Dans cette interruption du
« jeu perpétuel de nous relations avec le monde », on ne trouve pas la mort ou le « moi pur », mais
« le fait anonyme de l’être ».
« La relation avec un monde n’est pas synonyme de l’existence. Celle-ci est antérieure au
monde. »
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Cette destruction du monde ≠ Husserl => ø subjectivité transcendantale

Réduction limite à l’il y a => à comprendre comme réduction de la réduction phénoménologique.


- de l’époché husserlienne
- De la réduction opérée par l’angoisse de S&Z (réduction au pouvoir-être le plus propre : être
pour la mort — Heidegger et la phénoménologie, Courtine)

« La relation avec un monde n’est pas synonyme de l’existence. Celle est antérieur au monde.
Dans la situation de la n du monde se pose la relation première qui nous rattache à l’être » (ibid).

La relation avec l’exister est relation avec le pur fait d’être. Cette relation ≠ transcendance => ø
structure dedans-dehors, comme nos relations avec le monde.

Ce qui se trouve réduit n’est pas seulement le monde — aussi le rapport au monde comme tel.
Aussi bien la gure husserlienne de l’intentionnalité que celle heideggerienne de la transcendance
de l’être-au-monde.
La pensée lévinassienne, si elle est une pensée de la transcendance, aura commencé par la
contester elle-même.

La venue en soi du moi n’est possible qu’à partir d’un certain abandon de soi, le moi n’est lui-
même qu’à la condition de ne pas tenir à soi par tout son être, mais de reconnaître, dès le départ,
une dimension de non-présence à soi.
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