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Małgorzata Kowalska, Uniwersytet w Białymstoku

Un irréductible rien. Réflexions sur le concept sartrien de la conscience

En définissant la conscience comme néant, néantisation, ou simplement comme un „rien”, Sartre


joue avec plusieurs acceptions de ces termes: indétermination, négativité et négation, déchirure,
distance, irréductibilité... Le néant de la conscience prend un sens ontologique: c’est un
„arrachement” à l’être-en-soi, une transcendance entendue comme capacité de transcender ce qui
est, tout en gardant un sens épistémologique: c’est ce qui ne peut pas être déterminé de manière
positive comme „quelque chose” ou comme une propriété d’être parmi d’autres, matémathique,
physique, biologique ou sociale. D’autre part, sur le plan épistémologique comme sur le plan
ontologique, c’est bien de „quelque chore”, de l’être physique et social, que le néant de la
conscience tire son existence et ses capacités.

Dans mon intervention, je vais examiner différents sens qu’on peut donner au „rien” de la conscience
à la lumière de la pensée de Sartre lui-même, en prenant en compte des considérations plus récentes
et venant de sources différentes, notamment chez les chercheurs comme Chalmers, Damasio,
Gallagher et Zahavi.

L’oppositon de l’être et du néant sur laquelle Sartre appuie son „essai d’ontologie
phénoménologique” peut sembler outrée, abstraite, dogmatique, métaphysique au sens plutôt
désuet et péjoratif du terme, en tout mal adaptée à l’ambition de décrire le concret de l'existence
humaine ce qui pourtant, de l'aveu de Sartre lui-même serait le plus grand avantage de la
phénoménologie husserlienne. Il est aisé de montrer quecette opposition pousse Sartre à tomber (ou
retomber) dans une sorte de dualisme ontologique qui, sans être identique à celui de Descartes, lui
ressemble pourtant à certajns égards, notamment dans sa structure générale: l’être en soi
(pleinement positif, non-conscient, assimilable à celui des choses, à la matière) d’un côté, la
conscience, réservée à l’homme, de l’autre. Assimilée au néant, la conscience n’est certes pas une
substance, un autre type d’être. En tant que néant, elle, à proprement parler, n’est pas, elle – dira
Sartre - se néantise, ce qui veut dire qu’elle ne fait que décomposer, dissocier l’etre, creuser une
fêlure voire un trou dans sa plénitude sourde, aveugle et inerte. Il n’empêche que la région de l’être
où ce processus de néantisation se produit, la région du pour-soi, se distingue radicalement et,
finalement, s’oppose à la région où il ne se produit pas, disons: à la nature. (De lá vient d’ailleurs le
pessimisme ontologique de cette philosophie, soit la thèse de l’incompatibilité fondamentale entre
l’homme et l’être en général ou en tant que tel: l’homme serait une anomalie, une maladie de l’être,
une „passion inutile”.)

A y regarder de plus près, on voit que le concept sartrien du néant n’est pas univoque, qu’il embrasse
plusieurs sens. On peut dire aussi qu’il est équivoque. Est-ce sa faiblesse? Oui, dans la mesure où
l’équivoque, surtout involontaire ou inavoué, trahit un manque de rigueur analytique, un glissement
dans le raisonnement, un défaut logique. Mais dans la plurivocité et même dans l’équivoque on peut
voire aussi la force du concept dans la mesure où, dans un faisceau de sens, il est possible de
distinguer ceux qui sont moins et ceux qui sont plus viables, crédibles, défendables. C’est la tâche
que je me propose de faire ici.

Quels sont donc les sens qu’on peut repérer dans le concept sartrien du néant?

Commencons par rappeler que le néant n’est pas quelque chose, pas même le vide si l’on entend par
lá une sorte d’objet (comme dans l’image de l’espace vide). Le néant n’est nulle sorte de chose ni
d'espace. S’il faut le qualifier dans le langage approprié à nommer l’être, il est mieux de dire qu’il
s’agit de l'acte (avec des réserves auxquelles je viendrai plus loin) – d’où le terme de néantisation qui
indique bien une sorte d’action. Ensuite, comme souligne Sartre, en polémiquant contre Hegel, le
néant n’est pas le contraire ou l’antithèse de l’être si l’on entend par là une contrepartie symétrique,
une sorte de renversement du concept de l’être, à la valeur opposée, mais à la même portée. Puique
seul lêtre est et le néant n’est pas, ces concepts ne sont pas symétriques: !e néant implique l’être, il
est secondaire, c’est à l’être qu’il doit sa quasi-existence, sa néantisation même dans la mesure où
celle-ci s’exerce de fait, fait partie du réel. En forgeant le néologisme, la voix passive du verbe „être”,
Sartre dira que le néant „est été” par l’être – j’y revindrai plus !oin. En ce moment, deux points nous
importent. D’abord, le caractère secondaire, non autonomd du néant tel que Sartre le conçoit. Mais
d’autre part et ensuite, le maintient dans ce concept de sa valeur négative, du moment d’opposition
à l’être conçu comme positif. Tout secondaire qu’il est par rapport à l’être, le néant s’oppose à lui en
tant que sa négation.

Nous arrivés ainsi à l’idée de la négation. Le problème c’est qu’quelle n’est pas univoque elle non
plus. Il y aurait long à dire des distinctions entre différents types de négation dans la logiwue
formelle, p!us encore des distinctikns hégéliennes entre la négation détermjnée et indétefminée ou
encore entre la négation extérieure et intérieure. Je me contenterai ici de la distinction la plus
générale entre la négation qu’on peut appeler forte, qui équivaut à l’opposition, et celle qu’on peut
appeler faible ou indéterminée et qui équivaut à l’altérité ou simplement à la différence. Exemlles....

Différentes nuances du concept du néant chez Sartre.... Elle se laissent repértir en sens plus faibles et
llus forts...

Sa tendance à passer du sens faible au sens fort....

Or, c’est le sens faible qui me semble essentiel et qui continue de déterminer les difficultés que,
aujourd’hui comme au temps de Sartre, nous avons à dire ce que c’est, en elle-même, la conscience
puisqu’il est sans doute plus facile de dire ce qu’elle n’est pas quede dire ce qu’elle est.

La négation comme antithèse, comme le contraire (la plus grande différence selon La formule dr
Deleuze) et comme différence ou altérité tout court ou indéterminée: a) le non-a est le contraire du
a, comme le faux est le contraire du vrai dans la logique formelle binaire, b) le non-a est simplement
autre chose que le a, un b ou un c, mais surtout „on ne sait quoi”, „quelque chose d’autre et
d’inconnu”. Sartre joue sur ces deux sens de la négation et en ajoute d’autres, plus, pour ainsi dire,
qualitatifs et non plus purement logiques: l’indétermination, l’indépendance, la transcendence,
l’arrachement ou le détachenent... – mais ils développent ou précisent d’une certaine façon le sens
(b), celui de la négation comme différence, altérité, plutôt que celui de la négation comme opérateur
de la contradiction. Même si la tendence constante de Sartre est de rapprocher les deux sens et,
souvent, de se concentrer sur l’antithèse (d’où son révolutionisme, son éloge de la révolte, comme si
gloire de l'homme consistait dans son refus du monde tel qu’il est; mais de là aussi son pessimisme
ontologiczne, l’idée de l’homme comme passion inutile puisque irréconciliable avec l’être en
général), c’est od sens plus faible ou indéterminé de la négation qui semble plus fécond pour
examiner le raport de la conscience à l’être non conscient. Son synonyme le plus général c’est
l’irréductibilité: dire dr la conscience qu’elle est négation de l’être entendu comme en-soi c'est dire
qu'elle nr s'y réduit pas ou, au moins, que nous ne savons pas comment l’y réduire.

La présence à soi comme manifestation la plus fondamentale du „rien” de la conscience. Elle illustre
bien le sens faible de la négation. Tout d’abord, il faut bien comprendre que ce que Sartre appelle la
présence à soi n’est pas la prise de conscience de son ego, de son moi (ni même de son „je” si l’on
tient compte de la distinction de ces deux termes, propre à certaines approches du problème – majs
c’est à discuter, tout dépend, enfin,du sens qu’on donne à ce „je”). Le „soi” en question est certes
toujours individuel, mais Sartre insiste que, au jiveau irréfléchi, il est privé de „moi” (qui n’apparait
qu’au niveau de la réflexion et surtout de la réflexion dite impure, c’est-à-dire médiée par l’autre), on
dirait anonyme. C’est donc seulement le soi d’un acte déterminé de la conscience, p.ex. celui de voir
quelque chose. Si je vois une table, cette vision s’accompagne d’une conscience non-thématique,
non-intentionnelle, comme latérale, de voir. Elle forme l’un avec la vision elle-même: il est impossible
de voir quoi que ce soit sans être conscient de voir (le phénemène de „voir sans voir”, comme c’est le
cas dans....., ne contredit pas cette nécessité structurelle, mais la confirme, puique celui qui „voit”
sans avoir la conscience de voir voit seulement au sens appauvri et impropre du terme, à proprement
parler il ne voit pas). La vision et la conscience de la vision sont donc un seul acte. Mais cet acte
unique est comme intérierement dédoublé ou scindé. Qu’est-ce qui sépare la vision, l’acte devoir, de
la conscience de voir? Eh bien, dit Sartre, rien. La conscience est justement ce rien qui s’insinue dans
la positivité de la vision et qui la rend possible. Autrement dit, c’est un irréductible qui fait la
différence entre la simple impression, l'impact du stimulus sur les récepteurs sensuels et le cerveau,
et la vision proprement dite en tant que vécu subjectif, qualitatif et intentionnel, donc doté d’un
sens. Il est bien évident qu’entre l’un et l’autre, entre la vision comme impression, comme, peut-on
dire, l’effet exercé par l’être vu sur l’être de mon corps et de mon cerveau, et la conscience de cette
vision il n’y ait nulle opposition, serait carrément absurde de dire que la conscience de voir s’oppose
à la vision, se révolte contre elle ou en constitue l’antithèse. Mais il semble tout-à-fait légitime de
dire qu’elle transcende la vision ou qu’elle ne s’y réduit pas. On peut dire même, dans un langage
plus figuratif, que la conscience de la vision s’arrache à la visiion, à condition de préciser que cet
arrachement n’est pas une fuite vers un au-delà qui laisse la vision derrière, mais qu’il en est
constitutif, qu’il est même sa condition de possibilité.

Arrêtons-nous un instant sur la question de l’intentionnalité. On sait l’importance que Sartre lui
accordait: c’est le thème de l’un de ses premiers essais sur la phénoménologie et ce qu’il considère
comme la plus grande découverte de Husserl (quoi que, avant Husserl, en ait dit Brentano). Dire de la
conscience qu’elle est intentionnelle c’est dire, tout d’abord, qu’elle se rapporte à quelque chose.
Sartre interprétera ce „quelque chose” de façon réaliste: c’ est de l’être qui précède la conscience.
Ainsi, dire que la conscience est intentionnelle, c’est dire qu’elle se rapporte à l’être en soi. Mais en
quoi consiste ce rapport et comment est-il possible? La réponse rapide à la première partie de la
question est que ce rapport consiste dans la transformation de l’être de la vision, soit du donné brut
de l’impression matérielle, en un sens, ou en la vision consciente de quelque chose. Or, à la lumière
des remarques précédentes il doit être clair qu’une telle transformation n’est possible que si la
consience de quelque chose est en même temps conscience non-intentionnele de soi, une présence
à soi irréfléchie. Il s’ensuit que le rien de la conscience qui la sépare de son être quand elle re
rapporte à quelque chose (par exemple dans la vision) est la condition de ce rapport même, la
condition de l’intentionnalité. En effet, comment expliquer l’intentionnalité sans recourir à ce qui est
irréductible aux seules relations causales au sein de l’être matériel?

Ouvrons une parenthèse pour comparer brièvement le concept phénoménologiqie de la conscience


avec ce qui, dans une autre tradition, analytique et naturaliste, on appelle la conscience
phénoménale...

Le concept phénoménologique de la conscience, chez Sartre comme chez Husserl, est loin de la
limiter aux „qualia”, des vécus qualitatifs subjectifs du genre „comment c’est que de ressentir le
rouge”. En fait, pour ressentir le rouge comme rouge et non comme une impression indéfinie, il faut
l'identifier comme tel, lui donner le sens du rouge, ce qui implique l'intentionalité. Or, l’intentionalité
est une transcendence, irréductible au rapport de cause à effet; le vécu orienté, visant son objet et
faisant „sens” lá où, sur le plan matériel examiné en troisième personne, n’y a qu’un processus
biochimique et physique. Voici l’énigme.

La négation comme indétermination et la liberté comme indétetminstion = irréductibilité des choix


conscients aux effets entrainés par des causes – la négation su sens faible donc, même si Sartre a
tendance à le radicaliser (en parlant de la liberté absolue), à pousser vers le sens fort selon lequel la
liberté se présente comme une rupture totale avec l’être, ou avec un état détetminé de l'être, et
comme une révolution prmanente. Cependant, examinée dans son sens premier, la liberté ou
l’indétermination de l’être humain veut dire seulement (mais ce n’est pas peu) que son avenir ne se
laisse pas déduire de son passé, même s’il est bien conditionné ou situé, c’est-à-dire même si le
nombre de choix est toujours limité et la prise de décision jamais arbitraire, toujours déterminée par
un projet motivé, car enraciné dans ce qui est et dans ce que je suis déjà moi-même en tant qu’être.

En effet, ce qui est tout aussi important que le néant, c’est la facticité de la conscience, son
enracinement dans l’en-soi, le corps, la matière, sa „situation”, son conditionnement par l’être non
conscient dont Sartre affirme nettement la prorité: il n’y a de conscience que sur le fondement de
l’être assimilable à la matière (même si c'est seulement dans „Critique de la raison dialectique” que
Sartre fait ouvrrtement cette assimilation).

Voici le noeud de la difficulté, le paradoxe, si l’on veut: La conscience serait à la fois entièrement
dépendante et essentiellement indépendante de l’être dans lequel elle apparait.

Peut-on conciler le concept sartrien de la conscience avec les recherches plus contemporaines
consacrées à ce phénomène, notamment celles qui s’appuient sur la psychologie empirique et sur la
neurobiologie, mais sans éliminer la dimension proprement consciente du vécu subjectif? Celle donc
qui tentent de relier les résultats des recherches empiriques à la description phénoménllogique. A un
certain niveau de généralité, je crois bien que oui, même s’il est bien rare que les chercheurs
contemporains s’occupant de la question de la conscience se réfèrent explicitement à Sartre. Pour
ceux qui veulent tenir compte des concepts et des trouvailles phénoménologiques c’est l’oeuvre de
Merleau-Ponty qui est la référencd préférée pour des raisons qu’il est facile de comprdndre: en effet,
Merleau-Ponty lui-même postulait la prise en considération par la phénoménologie des recherches
effectuées par la psychologie empirique, la psychiatrie, la physiologie, la biologie – et vice versa. Bref,
bien avant un Gallagher il envisageait „l’éclaircissement mutuel” de la phénoménologie et
desscuences empiriques naturelles. Ce n’est pas le cas de Sartre qui, de ce point de vue, a été un
„pur philosophe”, préoccupé par les méthodes d’analyse spécifiquement philosophiques et peu
soucieux de confronter sa propre philosophie aux découvertes et aux méthodes des sciences
naturelles. Ce qui ne veut nullement dire qu’une telle confrontation et un éclairage mutuel qui en
résulte ne sont pas possibles.

Commençons par examiner la question de la „naturalisation de la conscience”, réclamée par les


chercheurs comme Antonio Damasio, Francisco Varela, Shaun Gallagher ou Dan Zahavi. Que signifie
ce postulat en général et qu’ect-ce qui en résulte dans le contexte de la philosophie de Sartre? En
général, le postulat de la naturalisation peut pendre un sens métaphysique et un sens
méthodologique. Sur le plan métaphysique, naturaliser la conscience veut dire lui refuser l’origine
supra-naturelle, miraculeuse, divine, la considérer comme produit de la nature telle qu’elle se
manifeste dans ce monde, donc matérielle. C’est aussi – ce qui n’est pas la même chose – lui refuser
le statut transcendental, c’est-à-dire le rôle de fondement absolu non seulement de toute science, de
toute connaissance, mais du monde et de la nature elle-même en tant qu’ensemble organisé de
phénomènes. On sait bien que c’est justement ce statut transcendental de la conscience qui a été
mis en relief par Husserl. Qu’en est-il chez (dans) Sartre? Avant d’y regarder, disons encore que, sur
le plan méthodologique, naturaliser la conscience veut dire tenter d’en expliquer les caractères et
l’origine à l’aide des concepts et des méthodes uti!isés dans les sciences naturelles, y compris les
sciences formelles, la logique et les mathématiques, mais surtout les sciences naturelles empiriques.
Ou bien, c’est tenter d’expliquer le phénomène de la conscience exclusivement à l’aide des lois
découvrrtes par ces sciences, lois phydsiques, chimiques, biologiques, puis psychologiwues et
sociologiques s’il y en a (ce qui n’est pas du tout certain, en tout cas, il s’agit apparemment de lois en
un sens différent que celui des lois en physique). Indépendamment du degré auquel une telle
explication naturaliste de la conscience est possible (et elle n'est, du moins pour le moment, que fort
partielle et imparfaite), cela ne tranche pas la question métaphysique du statut de la conscience.

En quel sens le concept sartrien de la conscience est-il compatible ou non avec l’approche
naturaliste?

Rappelons d’zbord que Sartre refuse de spéculer sur l’origine ou la génèse de la conscience (ce serait
faire de la métaphysique et non plus l'ontologie; curieusement, les sciences cognitives cherchant à
répondre à la question de la génèse seraient donc métaphysiques par excellence). Il se tient à la
constation de „l’évenement absolu” comme fondement de toute description phénoménologique.
Est-ce à dire qu’il est prêt d’accodder à la conscience miraculeuse et, dn ce sens, non naturelle?
Sûrement pas. Il est clair que, pour lui, la conscience n’a pas d'existence en dehors de l’être en soi
entendu comme être matériel, naturel au sens usuel du terme. C’est bien de lui qu'elle tire toute sa
force, y compris sa faculté de transcender l’être, de le néantiser, de projetter du non-être
dansl’imagjnaire ou dans un projet d’avenir. Les chercheurs naturalistes développent ce point, en
montrant comment différents vécus conscients ou actes intentionnels sont conditionnés par l’activité
de tels ou tels réseaux néuronaux, mais aussi celle des hormones, des musc!es etc. Autrenent dit,
comment ils sont rendus possibles par certains processus biologiques, chimiques et physiques.
D’autres y ajouteront le conditionnement social et culturel, lui aussi s’imprimant dans le corps
matériel et se traduisant en processus biologiques, chimiques et physiques. Qu’en dirait Sartre?
Imaginons l’auteur de L’être et le néant lire Le mystère de la conscience de Damasio ou, plus
radicalenent, ..... de Daniel Dennett, un naturaliste achevé... Il est possible qu’ il rejette unebonne
partie de leurs explicstikns comme purement spéculatives, métaphysiques au sens dont il ne veut
pas. Mais il est peu probable qu’il disqualifie a priori tout ce qu’il y a, dans ces explications, de
matériel empirique scientifiquement établi. Il pourrait admettre aussi sans problème la thèse
générale que c’est dans différents processus matériels que la conscience puise son existence et son
activité. Ce n’est rien d’autre, après tout, qu’une concrétisation de sa thèse propre de la priorité de
l’être en soi sur le pour-soi. Mais en même temps il est certain qu’il dise qu’une telle explication du
phénomène de la conscience, quoique plausible, possible et même nécessaire, est insuffisante
puisqu’elle intact justement ce qui fait la différence entre un état de l’être ou un prkcessus matériel
et un vécu conscient, qualitatif, intentionnel et présent à soi. Autant dire sans doute que c’est les
concepts et les méthodes des sciences naturelles (y compris des sciences humaines et sociales dans
la mesure oû elles tentent de se modeler sur les naturelles) qui se trouvent insuffisants pour
vraiment expliquer la spécificité de l’être conscient.

Peut-être faut-il en tirer la conclusion que les concepts et les méthodes des sciences naturelles telles
qu’elles sont aujourd’hui sont loin d’épuiser les possibilités de ces sciences et leur développement
futur. Peut-être ce que, grâce à ces sciences, nous connaissons aujourd’hui comme lois de la nature,
n’est-ce qu’un pauvre fragment de toutes les lois naturelles que nous pourrons connaitre un jour. Ou
bien que nous ne connaitrons jamais, mais qui n’en sont pas moins naturelles. C’est la manière de
penser proposée par David Chalmers pour qui ce qu’il qualifie de „problème difficile de la
conscience” ne saurait être expliqué par des !ois naturelles connues et exige la conception d'une lois
ou de lois nouvelles, encore inconnues. Il se met même à esquisser ce qu’une telle loi pourrait être,
en partant de la physique quantique. En vertu de cette nouvelle loi naturelle non seulement les
humains et non seulement les animaux, mais la matière ou la nature en tant que telle serait dotée
d’une dimension de conscience. Mais c’est de la pure spéculation et Sartre devrait rester très
méfiant à son égard.

La théorie de l’émergence proposée par les chercheurs comme Damasio réussit-elle à expliquer
l’énigme? Pas vraiment tant qu’elle n’arrive pas à comprendre le mécanisme ou la nature de la
transformation des processus neurophysiologiques en des données vécues. Qu’il y ait une corélation
entre les uns et les autres, cela parait indéniable, mais comment et pourquoi elle a lieu, cela reste
incompréhensible. La corélation explique d’autant moins qu’elle n’équivaut nullement à la relation
causale qui constitue un vrai énigme. Comment en effet un procesus physique peut-il causer des
vécus conscients et, selon toute apparence, vice versa? Des rapports de sens entre les pensées
semblent bien causer des changements au niveau matériel du cerveau et du corps, mais comment
est-ce possible? A un certain niveau, nous continuons de butter contre le problème cartésien du
rapport de l’âme au corps...

La théorie de l’émergence rappelle à certains égards la dialectique hégélienne sans se servir de son
vocabulaire, sans recourir, en particulier, au concept de la négation et de la négativité entendue
comme négation immanente à l’être même. L’idée sartrienne de la négation quant à elle est-elle
hégélienne? Non, dans la mesure où Sartre refuse d'accorder le caractère négatif à l’être en général,
en le réservant à seul l’être humain. Mais peut-être oui dans ce domaine plus restreint quoique ce ne
soit pas explicite. Il est certes possible d’interpréter la néantisation dans les termes du dépassement
qui nie l’être tout en le conservant. Mais cette formule, quoique ingénieuse, ne nous avance pas
beaucoup puisque on ne comprend toujours pas comment cette opération d’Aufhebung est possible,
comment le moment de la négation et celui de la conservation sont articulés et pourquoi il en résulte
le vécu conscient.

Qu’en est-il donc de la possibilité de naturaliser la conscience à la lumière de la pensée sartrienne? Il


semble que, sans doute à la différence de Husserl, Sartre accepte le naturalisme métaphysique à titre
d’une hypothèse générale qui correspond à son réalisme (la thèse de la priorité de l’en soi) et à son
matérialisme (l’assimilation de l’en-soi à la matière), enfin à son athéisme. En même temps, sa
description de la conscience met en relief l’insuffisance, voire l’incapacité des sciences naturelles à
saisir la spéciificité du phénomène conscient. Il en résulte que le naturalisme métaphysique est
scientifiquement improuvable, ce en quoi consiste justement son caractère métaphysique.

Mais le concept phénoménologique de la conscience n’est-il pas lui-même métaphysique? Etne l’est-
il pas d’autant plus qu’on le fonde sur le concept du néant? En fait, tout dépend de la manière dont
en le comprend. On peut lui donner non seulement le sens faible, mais aussi le statut seulement
épistémologique: il serait le signe de ce que nous ignorons et, peut-être, ignorerons à jamais: une loi
profonde de la nature ou bien un fondement dernier transcendant qu’on peut qualifier non d’anti-
naturel, mais de supra-naturel. C’est une position agnostique. Mais on peut aussi lui donner un sens
ontologique ou métaphysique (dans ce contexte, les deux termes sont synonimes): le néant serait
une réalité sui generis, une force qui perturbe l’être et le transforme, qui le rend multiforme,
dynamique, processuel et ouvert, bref, qui lui donne la complexité et l’histoire. C’est, en gros, la
vision hégélienne du rapport de l’être au néant. Sartre, quant à lui, ne se contente sans doute pas du
sens ou du statut seulement épistémologique du concept, il lui donne bien aussi et surtout le sens
qu’il appelle lui-même ontologique, mais qu’on peut appeler aussi bien métaphysique. La
particularité de sa conception consiste en ceci qu’il réserve le statut du néant à la seule conscience
humaine, en refusant de le concevoir comme composante, comme moment de l’être tout court.
C’est la conséquence de son approche phénoménologique de la question de l’être, la trace de
l’attitude transcendentale postulée par Husserl. Dans la perspective transcedentale, il est insensé de
dire quoi que ce soit de l’être indépendant de la conscience, de la manière dont il se manifeste à elle.
Mais le transcedentalisme sartrien, à la différence de celui de Husserl, est inconséquent, et
délibéremment. En effet, Sartre refuse le transcendentalisme conséquent dans la mesure où il mène
à l’idéalisme. C’est pourquoi il combine une perspective transcedentale, conformément à laquelle la
conscience est le point de départ absolu, premier et irréductible, à la thèse réaliste de la priorité de
l’être indépendant de la conscience. Et le sens réaliste donné à l’être le pousse à donner un sens tout
aussi réaliste au néant, tout en le réservant à la conscience comme fondement non certes de l’être,
mais du monde des phénomènes.

Cette position inconséquente et même carrément contradictoire (et d’une contradiction qui n’est pas
dialectique au sens hégélien, c’est-dire médiable et dépassable) est bien contestable et difficile à
tenir. Si Sartre tente de dépasser à la fois l’idéalisme transcedental et le simple réalisme naturaliste, il
ne réussit pas à dn faire une vraie synthèse, ne faisanf, après tout, que justapoxer les deux
perspectives. Mais que pourrait être une „vrai synthèse”? L’idéa!isme dialectique de Hegel ou le
matéria!isme dialectique d’Engels sont-ils plus convaincants? Ou bien les conceptions
contemporaines évoquées plus haut, celles de Damasio, de Varela, de Chalmers ou d’autres? En fait,
la plupart des chercheurs contemporains (mis à part quelques réductionnistes naturalistes radicaux
comme Patricia et Paul Churchland ou encore Daniel Dennett) accordent que, malgré tous les progrès
effectués dans le domaine des recherches empiriques sur la conscience, nous sommes bien loin d’en
comprendre la nature et la génėse. Dans ce contexte, la philosophie sartrienne de la conscience et du
rapport paradoxal du pour-soi à l’en-soi aurait du moins le mérite de montrer, pour sinsi dire, du doit
les difficultés que nous avons, et aurons peut-être toujours, à expliquer et à comprendre cette
question.

Il est sans doute risqué et peut-être inutile de donner au concept du néant le sens réaliste et
métaphysique. Tout comme il est risqué et inutile de lui donner le sens fort de l’opposition, de
l’antithèse de l’être. Il vaut peut-etre mieux renoncer au concept même du néant pour ne conserver
que celui de la négation et lui donner un sens d’abord faible, celui de la différence ou de
l’irréductibilité, ensuite seulement ou surtout épistémologique, selon lequel le „ne pas” de la
négatikn et même le „rien” sont surtout les signes de notre incertitude et/ou de notre ignorance qui
condamnent notre jugement à rester indéterminé. En effet, à la lumière de tout ce qu’on sait
aujourd’hui des corrélats neuronaux et, p!us généralement, matériels des vécus conscients, de tout
ce qu’on sait du fonctionnement du cerveau et, plus généralement, de la matière aux niveaux
physique, chimique, biologique, de tout ce qu’on sait aussi des mécanismes sociaux, il est toujours
légitime de dire que cela n’explique pas suffisamment le phénomène de la conscience. Il semble bien
que pouvoir vraiment expliquer et comprendre la conscience équivaudrait à pouvoir dxpliquer et
comprendre tout, à avoir le savoir absolu (au sens plus fort encore que celui de Hegel), un vrai savoir
divin.

Il n’est sans doute pas vrai que nous ne savons toujours rien de la conscience (et Sartre ne dit jamais
cela). Mais il reste vrai que tout ce que nous en savons laisse beaucoup de place à ce que nous n’en
savons pas et, peut-être, ne sauront jamais. En ce sens la conscience est bien ou, en tout cas se
présente bien comme un rien irréductible.
(Dodać przy wątku naturalizacji, co wiemy o zależnościach świadomości od stanu mózgu i całego
organizmu, a pośrednio także otoczenia; o zmianach i deficytach świadomości, o jej tymczasowych
zanikach i ostatecznym zaniku po śmierci mózgu. Trochę rozwinąć koncepcję Damasio i, dla
kontrastu, koncepcję Dennetta i krótko odnieść obie do Sartre’a.)

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