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GENRE, SAVOIRS

ET DYNAMIQUES DE DÉVELOPPEMENT
AU CAMEROUN
Plaidoyer une valorisation des potentialités locales

1
Natali KOSSOUMNA LIBA’A
Clément DILI PALAI
(Sous la Direction de)

GENRE, SAVOIRS
ET DYNAMIQUES DE DÉVELOPPEMENT
AU CAMEROUN
Plaidoyer une valorisation des potentialités locales

2
Cet ouvrage a été publié avec l’aimable soutien financier
de la Faculté des Arts, Lettres et Sciences Humaines de l’Université de
Maroua

Les Éditions du Schabel


ISBN : 978 – 9956 – 637 – 34 - 3

Photos de couverture de Kossoumna Liba’a Natali et Njomaha Charles.

3
COMITÉ SCIENTIFIQUE

Ahidjo Paul Jakson (Université de Maroua)


Baïmada Gigla François (Université de Maroua)
Balga Jean Paul (Université de Maroua)
Datouang Djoussou Jean Marie (Université de Maroua)
Fogou Anatole (Université de Maroua)
Gormo Jean (Université de Maroua)
Hamadou Adama (Université de Ngaoundéré)
Mbanga Lawrence Akei (Université de Bamenda)
Ndamé Joseph Pierre (Université de Ngaoundéré)
Nizesete Bienvenu Denis (Université de Ngaoundéré)
Pahimi Patrice (Université de Maroua)
Saotoing Pierre (Université de Maroua)
Tassou André (Université de Yaoundé I)

4
Accès à la terre et sécurité alimentaire : cas des
femmes rurales de l’Extrême Nord du Cameroun
(1972 – 2014)
Armel SAMBO
Université de Maroua
Résumé : L’article se penche ainsi sur la contribution des femmes rurales à la
sécurité alimentaire malgré les contraintes structurelles persistantes qui ne leur
garantissent pas toujours l’accès à la terre. Il vise à démontrer que vivant dans un
environnement soumis à la récurrence des sécheresses, le dynamisme des femmes
rurales en matière de production agricole ne s’accompagne pas de leur émancipation
foncière. La méthodologie s’appuie sur des sources écrites (archives, rapports, travaux
scientifiques, etc.), orales (entretiens, questionnaires) et iconographiques, étayées par
des observations de terrain. Ainsi, à la faiblesse du statut de la femme, s’ajoute la
méconnaissance par la grande majorité d’entre elles des procédures de sécurisation des
terres agricoles. Bien que n’ayant pas les mêmes facilités que l’homme à accéder à la
terre, elles contribuent activement à la sécurité alimentaire. Il importe dès lors
d’élaborer une politique qui promeuve la sécurisation foncière en faveur des femmes,
faisant d’elles des actrices principales ayant le contrôle de leurs activités économiques.

Mots clés: femmes rurales, accès à la terre, sécurité alimentaire, Extrême Nord,
Cameroun.

Abstract: The article looks at the contribution of rural women to food security
despite persistent structural constraints that do not always guarantee their access to
land. It aims to demonstrate that living in an environment subject to the recurrence of
droughts, the dynamism of rural women in agricultural production is not accompanied
by their emancipation land. The methodology is based on written sources (archives,
reports, scientific works, etc.), oral (interviews, questionnaires) and iconography,
supported by field observations. Thus, to the weakness of the status of women, is
added the lack of knowledge by the vast majority of them procedures for securing
agricultural land. Although not having the same facilities as humans to access the land,
they actively contribute to food security. It is therefore important to develop a policy
that promotes land tenure security for women, making them key actors in control of
their economic activities.

Keywords: rural women, access to land, food security, Far North, Cameroon.

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Introduction

Selon le 3è Recensement Général de la Population et de l’Habitat, les


femmes représentent 50,6% de la population ; 50,0% d’entre elles
résidant en zone rurale. Sur le plan économique, elles contribuent pour
plus de 55,8% à la production agroalimentaire nationale de subsistance
nécessaire à la vie des communautés (INS, 2010). D’ailleurs des études
ont révélé qu’au Cameroun, les femmes fournissent plus de 80% de la
production agricole sur des parcelles familiales ou des parcelles de terres
louées (PAM, 2011). Ces produits sont utilisés pour satisfaire les besoins
familiaux et pour les marchés locaux. Elles assument l’essentiel des
fonctions qui consiste à mettre de la nourriture à la disposition des
ménages. Toutefois, des difficultés telles que l’accès à la terre, la
raréfaction de l’eau due à la sécheresse dans le sahel depuis 1972, la
difficile sécurisation foncière et surtout, la discrimination entre l’homme
et la femme relative à l’accès au pouvoir et au foncier, entrainent la
paupérisation de ces dernières.
Depuis 2008, la flambée des prix des produits agricoles a ramené la
sécurité alimentaire comme l’une des préoccupations essentielles pour le
développement des États africains. L’analyse de cette crise n’a pourtant
pas mis en évidence le rôle des femmes qui ont un impact réel sur la
sécurité alimentaire dans la plupart des pays. Bien que considérées
comme « des cadettes sociales », les femmes rurales au Cameroun,
comme dans certains pays dans le monde, jouent un grand rôle pour
l’approvisionnement alimentaire et la lutte contre la pauvreté. Les
femmes rurales dans cette étude sont celles qui, vivant en zones rurales,
ont pour principales activités l’agriculture, la pêche et l’élevage. Dans la
région de l’Extrême Nord, les véritables mains d’œuvres dans les travaux
agricoles sont les femmes. Et de ce fait, les femmes rurales sont la clé de
la sécurité alimentaire: elles constituent une part importante des
producteurs agricoles et jouent un rôle crucial dans l'alimentation de
leurs familles et de leurs nations 6 . Depuis 1996, année au cours de
laquelle s’est tenu à Rome le Sommet mondial de l’Alimentation organisé
par la FAO, « la sécurité alimentaire est assurée lorsque toutes les
personnes ont, à tout moment, accès économiquement, socialement et
physiquement à une nourriture en quantité et qualité suffisantes, qui
satisfait leurs besoins nutritionnels et leurs régimes alimentaires, leur

6 ONU, « les femmes rurales » en ligne


http://www.un.org/fr/events/ruralwomenday/background.shtml consulté le 09 avril
2015.

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permettant de mener une vie active et saine ». Le foncier quant à lui est
d’une importance dans la survie de l’homme et dans la création de la
richesse tout comme dans les activités agro-sylvo-pastorales ont pour
socle la terre. De ce fait, l’accès au foncier reste un problème crucial et
influence de façon déterminante la sécurité alimentaire. Enfin, la «
sécurisation foncière » est entendue ici comme étant l’ensemble des
processus, actions et mesures de toute nature, visant à permettre à
l’utilisateur et au détenteur de terres rurales de mener efficacement leurs
activités productives, en les protégeant contre toute contestation ou
trouble de jouissance de leurs droits. On estime qu’une fois la terre
sécurisée, le détenteur à la possibilité de mieux produire.
Des travaux scientifiques ont déjà fait état de la question d’accès des
femmes à la terre et même de leur contribution à la sécurité alimentaire
en Afrique. Lavigne Delville (1998) a dirigé un ouvrage qui étudie la
problématique des politiques foncières en zone rurale en Afrique. Il met
en exergue les questions des coexistences de multiples systèmes de
normes foncières, le rôle des autorités locales dans la régulation foncière,
le lien entre sécurité foncière et production agricole, etc. Muthoni
Wanyeki (2003) aborde à travers son ouvrage une réflexion sur les
femmes et la terre en Afrique en établissant un rapport entre la culture, la
religion dans un objectif de promouvoir le droit des femmes. Cet
ouvrage s’appuie sur l’expérience de sept pays parmi lesquels le
Cameroun. L’accent n’est pas toutefois orienté vers la question de
sécurité alimentaire. À ce niveau, pour Kako Nubuko (2000), l’insécurité
alimentaire est la conséquence d’une certaine forme de gestion de
l’incertitude des acteurs. Il analyse le comportement des acteurs
(producteurs, commerçants, États, bailleurs de fonds) et la persistance de
l’insécurité alimentaire en Afrique. Il établit à cet effet, un lien entre
sécurité alimentaire et libéralisation des prix. Il propose qu’assurer la
sécurité alimentaire exige des politiques ciblées sur les acteurs et adaptées
à la diversité des contextes dans lesquels ils s’inscrivent. L’ouvrage
coordonné par Guetat-Bernard (2014) analyse les agricultures familiales
selon l’angle des rapports féminin-masculin et des constructions sociales
organisant ces relations de pouvoir. De nombreux travaux insistent aussi
sur le rôle primordial que jouent les femmes dans le processus de
production agricole et soulignent les difficultés qu’elles rencontrent dans
l’accès à la terre et aux ressources productives. (Courade, 1985 ; Bissillat
et al., 1992 ; Whitehead et Tsikata, 2003).
Les femmes rurales travaillent pour aider leurs ménages à atteindre la
sécurité alimentaire et nutritionnelle. Leur action soulève cependant

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quelques questionnements relatifs à la sécurisation foncière : quel est
l’impact du difficile accès à la terre sur la contribution des femmes à la
sécurité alimentaire dans la région de l’Extrême Nord du Cameroun de
1972 à 2014 ? Comment celles-ci s’approprient-elles les processus de
sécurisation de terres de nos jours? Autrement dit, comment la coutume
et l’organisation socio-économique des populations freinent-elles le
dynamisme des femmes rurales et, partant, nuisent à sécurité alimentaire ?
Le choix de l’année 1972, point de départ de la présente analyse, fait
référence à une sécheresse catastrophique qui a sévi et qui a eu des
incidences énormes sur la sécurité alimentaire dans le sahel en général et
dans les régions septentrionales du Cameroun en particulier. La
production vivrière a connu une chute vertigineuse entre 1973 et 19747.
Enfin, l’année 2014 marque la persistance de la vulnérabilité foncière des
femmes dans la région de l’Extrême-Nord. L’objectif de cet article est de
démontrer que vivant dans un environnement soumis à la récurrence des
sécheresses, le dynamisme des femmes rurales en matière de production
agricole ne s’accompagne pas de leur émancipation foncière. Malgré les
difficultés qu’elles éprouvent à acquérir des terres, les femmes
contribuent de façon significative à la sécurité alimentaire dans la région
de l’Extrême Nord du Cameroun.
La phase de collecte des données a mobilisé des sources écrites, orales
et iconographiques, étayées par des observations et entretiens de terrain.
Les sources écrites constituées des ouvrages, articles scientifiques,
mémoires, rapports et archives traitant de ce sujet ont été collectées dans
plusieurs centres de Documentation et dans plusieurs dépôts d’archives
(Maroua, Yaoundé, etc.). Les sources orales sont les résultats des
entretiens que nous avions menés dans certaines localités de la région de
l’Extrême-Nord (Miskine, Moutourwa, Kaélé, Maga, Koza, Maroua,
Salak, Pouss, etc.) où plusieurs femmes rurales (agricultrices, pêcheurs,
commerçantes, etc.) ont été interviewées. Nous nous sommes aussi
entretenus avec les experts, les scientifiques et les responsables des ONG
(Organisations Non Gouvernementales) qui maîtrisent la situation des
femmes rurales, leur contribution à la sécurité alimentaire et les
contraintes liées à l’accès à la terre dans la région de l’Extrême Nord du
Cameroun. À cela, s’ajoutent l’observation et la collecte des sources
iconographiques. L’analyse a exigé une vue pluridisciplinaire notamment
la vision de l’histoire, de la géographie, des gender studies, de la sociologie,
etc. de manière à mieux saisir le rapport entre genre, sécurisation

7Parent et Morales, « Définition de la sécurité alimentaire » en ligne http://www.droit-


economique.org/?p=2434, consulté le 10 avril 2015.

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foncière et sécurité alimentaire dans la région de l’Extrême-Nord du
Cameroun. L’article est organisé en trois parties. D’abord, l’analyse porte
sur le faible niveau d’accès des femmes rurales à la terre dans la région de
l’Extrême-Nord du Cameroun; ensuite, l’article présente les femmes
rurales et la problématique de la sécurité alimentaire ; enfin, il analyse les
initiatives des femmes en matière d’accès à la terre et en matière de
sécurité alimentaire depuis 1990.

1. Faible niveau d’accès des femmes rurales à la terre


Les femmes rurales dans le contexte de cette étude sont celles qui,
vivant en zones rurales, ont pour principales activités l’agriculture, la
pêche et l’élevage. L’accès des femmes à la terre est une condition
essentielle pour répondre à leurs besoins productifs dans les zones
rurales d’Afrique. Pourtant, la situation des femmes au Cameroun en
général et dans la région de l’Extrême-Nord en particulier est plus que
dramatique si on prend en compte les contraintes liées aux pesanteurs
socio- culturels de la région qui limitent l’accès de celles- ci à la terre.

1. 1. La persistance du poids de la tradition dans les sociétés


Dans la conception des populations de l’Extrême-Nord du Cameroun,
le foncier n’est plus seulement un bien économique, il a également
d’importantes dimensions sociales, politiques et culturelles qui fondent
son accès, son exploitation et son contrôle. Pour mieux comprendre les
difficultés des femmes à disposer de la terre, il est intéressant de
questionner l’environnement anthropologique et sociologique de
l’Extrême-Nord du Cameroun. Les considérations ou les pesanteurs
socioculturelles ont encore une forte influence sur l’émancipation de la
femme (Yoda, 2015).
L'exploitation des terres de façon spécifique dans cette région se
heurte à la résistance du droit coutumier qui accorde très peu
d’importance aux femmes rurales et ne permettent pas de sécuriser
l’accès de ces dernières à la terre (Charlier., Diop Sall et Lopez, 2014 : 53).
Les systèmes fonciers agricoles apparaissent distincts en fonction des
ethnies et des lieux ; mais dans l’ensemble les femmes sont marginalisées
(Bigombé et Bikie, 2003). C’est ainsi que dans la société Moundang par
exemple les femmes sont tenues en marge de l’opération de partage de la
terre au nom de la tradition8. Bigombé et Bikié (2003 : 55) le confirment
en précisant que les femmes sont disqualifiées dans la gestion de la terre

8 Entretien avec Yougouda Moussa, agriculteur, Kaélé le 22 mai 2015.

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dans la plupart des sociétés camerounaises. Tel est également le cas chez
les Toupouri, où la femme est exclue de la gestion du patrimoine foncier
lignager. Ainsi, les femmes rurales n’ont pas accès au foncier non pas
seulement du fait de l'insuffisance des terres cultivables, mais aussi du
fait d’un système traditionnel de gestion des ressources naturelles qui
privilégie les hommes et exclue les femmes. Les rapports sociaux inégaux
persistent entre l’homme et la femme.
Dans des sociétés patriarcales comme celles du Nord Cameroun, il est
difficile de faire accepter aux hommes que les femmes aient droit à la
terre. Considérant les différentes coutumes et traditions dans
pratiquement toutes les sociétés (Moundang, Toupouri, Podoko, Guiziga,
etc.), les femmes n’ont pas le droit de disposer de la terre. Bien plus, les
femmes n’héritent pas de la terre selon ces différentes sociétés. Même
lorsqu’on prend en considération les différentes formes d’accès à la terre
(allocation familiale, legs, héritages), les hommes sont toujours privilégiés.
Les coutumes en matière de gestion des terres restent largement
discriminatoires à l’égard des femmes. Malgré l’évolution du droit foncier
(avec les dispositions de l’ordonnance n°74- 1 du 06 juillet 1974 relative
au régime foncier), la marginalisation des femmes persiste. À propos
Bigombé et Bikié (2003: 53) affirment « Camerounian land law recognises and
protects women’s rights to access land, both as full property and for use. For
acquisition as full property with titled land, the owner can sell it to any purchaser of
his/ her choice ». Elles peuvent acquérir par elles même les terres qu'elles
veulent exploiter sans qu'il y ait un blocage relatif au genre cette
marginalisation des femmes en zones rurales est bien ancrée dans
l’univers socio-mental et socio- culturel des populations bien
qu’aujourd’hui le droit camerounais donne la possibilité à la femme
d’hériter de la terre. À cela, la situation économique des femmes marquée
par la pauvreté ambiante ne facilite pas leur autonomisation9.

1. 2. Le faible pouvoir économique de la femme rurale et accès


limité aux moyens de production
Selon le Document de Stratégies pour la Croissance et l’Emploi
(DSCE) du Cameroun élaboré en 2010, le taux de pauvreté dans la
région de l’Extrême Nord avoisine 41%. Le taux de pauvreté des
femmes en zones rurales est encore plus élevé. L’Extrême-Nord

9 Yoda, F. « Les inégalités de genre dans l'accès à la terre au Burkina Faso : État des
lieux. », troisième atelier du projet FAO-Dimitra, « Accès à la terre en milieu rural en
Afrique: stratégies de lutte contre les inégalités de genre » en ligne
ftp://ftp.fao.org/docrep/fao/011/ak159f/ak159f32.pdf consulté le 18 mai 2015.

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enregistre la proportion la plus élevée de femmes pauvres au Cameroun,
soit près de 63% en 2007. Le taux de pauvreté varie selon le milieu de
résidence ; il est plus important en milieu rural. Pour une année donnée,
la différence entre les milieux urbain et rural peut atteindre un
pourcentage de 50 points. En 2007 par exemple, dans la région de
l’Extrême-Nord, on a 20,7 % pour le milieu urbain contre 72,6% pour le
milieu rural (INS, 2010). Par ailleurs, la femme fait le plus souvent un
travail non rémunéré et reste donc en « dehors des circuits
économiques ».
À cela s’ajoute le faible niveau d’éducation des femmes. Seulement
14% des femmes rurales sont alphabétisées selon la dernière enquête
camerounaise auprès des ménages (ECAM III) réalisée en 2007. Cette
situation entraine dans la région, une faible capacité des femmes, même
en zones urbaines, de disposer des ressources financières. Elles ont de ce
fait un accès limité à la terre
Dans les localités de Mindif, Moulvoudaye et Lara par exemple, les
véritables mains d’œuvres dans les travaux agricoles sont féminines. En
plus de ces tâches agricoles, elles s’occupent de celles propres à leur foyer
et à leur communauté. Malheureusement, les femmes rurales ne sont pas
autonomes compte tenu du déséquilibre entre les sexes. Pourtant,
donner aux femmes les moyens d'agir et de développer leur activité
revient à soutenir toute la communauté qu'elles entretiennent. C’est dans
ce sens qu’Ève Crowley, Conseillère principale de la Division de la parité,
de l'équité et de l'emploi rural de la FAO, affirme que « Pour lutter
contre la faim dans le monde, nous aurons besoin de l'énergie des
hommes et des femmes. Dans le monde, les femmes rurales sont la clé
de la sécurité alimentaire: elles constituent une part importante des
producteurs agricoles et jouent un rôle crucial dans l'alimentation de
leurs familles et de leurs nations »10.

2. Les femmes rurales et la sécurité alimentaire


Bien que n’ayant pas les mêmes facilités que l’homme quant à l’accès à
la terre, les femmes contribuent activement à la sécurité alimentaire.
Toutefois, le fait qu’elles n’ont pas accès à une terre fertile et sécurisée
impacte sur la production agricole. Des impacts des sécheresses de 1972
aux émeutes de la faim de 2008 en passant par les crises politiques des
années 1990 qui ont des répercussions sur la productivité des femmes,

10 ONU, « les femmes rurales » en ligne


http://www.un.org/fr/events/ruralwomenday/background.shtml consulté le 09 avril
2015.

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elles ne sont en aucun moment, restées en marge de la production
agricole.

2. 1. Impact de l’environnement et de la vulnérabilité foncière


des femmes sur la sécurité alimentaire de 1972 à 1990
La situation de la région de l’Extrême-Nord du Cameroun dans une
zone en proie aux caprices écologiques de toutes sources sortes
(sécheresses, inondations, etc.) a un impact sur la productivité agricole
des femmes. Il en est de même de leur vulnérabilité foncière.

2. 1. 1. Faible productivité dû aux chocs climatiques depuis 1972


Au cours des quarante dernières années, la région de l’Extrême Nord
du Cameroun a connu, comme aucune autre région au monde la chute la
plus importante et la plus durable de sa pluviométrie. Ces baisses de la
pluviométrie ont entraîné une récurrence des sécheresses dans cette
région. Ainsi, les années 1982 à 1984 enregistrent des précipitations
encore plus faibles que celles de 1972-1973, avec pour conséquence une
faible capacité productive des femmes sur le plan agricole (Beauvilain,
1989). Des études qui existent ont montré que cette région est
particulièrement vulnérable aux changements climatiques actuels du fait
qu’elle est située pour l’essentiel dans une zone aride et semi-aride
(Watang Ziéba, 2011 : 9-22.). Certains chercheurs établissent l’impact
négatif des chocs climatiques (exemples de sécheresse ou d’inondation)
sur la « capacité des populations à agriculture pluviale et à assurer leur
sécurité alimentaire » (Nubuko Kako, 2000 : 55).
Entre 1994 et 1998, on a assisté par exemple à une fluctuation
importante de la production du sorgho et de son prix sur les marchés
locaux. Durant la même période, la pluviométrie a également connu des
fluctuations importantes laissant penser à une corrélation étroite entre les
deux variables. La grande sécheresse de 1972- 1973 « a provoqué une
réorientation de la politique alimentaire ; l’objectif prioritaire fut alors
l’autosuffisance alimentaire, par augmentation de la production céréalière
au détriment des cultures de rente » (Alpha Gado, 2012 : 21)
De ce fait, les diverses responsabilités familiales des femmes les
rendent plus vulnérables au changement de leur environnement et elles
glissent profondément dans la pauvreté. Elles ont tendance à avoir moins
accès aux revenus dans les ménages et même dans certains cas, il leur
devient difficile d’obtenir de la nourriture, de l’eau et de l’énergie pour
leurs maisons. Ce cycle de la misère, de la pauvreté et de l’inégalité
limitent leur capacité pour lutter efficacement contre le changement

90
climatique. Les effets de ces changements sont incontournables ; cela
implique une adaptation de nos sociétés à leurs conséquences. Ce qui
implique la mise en place de politiques d’ajustement mettant en œuvre
des stratégies d’adaptation pour les couches socio-économiques sensibles
comme les femmes. Il faudra, pour faire face à la menace des
changements climatiques accroître la résilience des femmes en améliorant
leur capacité d’adaptation.
C’est ainsi que pour pallier au déficit conjoncturel de la production
agricole par exemple, les femmes se sont reconverties à des nouvelles
activités génératrices de revenus qui ne faisaient pas partie de leur tâche
traditionnelle à savoir le commerce. Elles s’adonnent de plus en plus au
séchage, au fumage et à la commercialisation des poissons et à la vente
du bil- bil (boisson locale faite à base du mil)11. D’autres aussi s’activent
dans les cultures vivrières. De nos jours, les femmes demeurent plus
représentées dans le secteur informel que les hommes. À cela, on peut
ajouter la migration des femmes qui, de plus en plus, suite à la raréfaction
de l’eau dans certaines localités prend de l’ampleur. Toutes ces stratégies
peuvent de nos jours constituer si elles sont bien organisées, soutenues et
structurées des facteurs indéniables de développement. Car il existe des
possibilités d’intégrer ces stratégies dans des cadres stratégiques formels
afin de renforcer la capacité d’adaptation des femmes dans la région de
l’Extrême Nord du Cameroun.

2. 1. 2. L’impact de la vulnérabilité foncière des femmes rurales


sur la sécurité alimentaire
La notion de sécurité alimentaire prend de l’ampleur avec les grandes
périodes de sécheresse qu’a connues le sahel dans les années 1970. À
cette époque, ce concept désignait une disponibilité physique des denrées
alimentaires, c'est-à-dire une accessibilité physique au niveau des
ménages vulnérables pouvant être assurée selon Dembélé (2005 : 24) par
« une combinaison des offres intérieures, des importations et des aides
alimentaires et de stocks ». Cette définition intègre en plus de la
production locale, la capacité d’un pays d’importer la nourriture et même
les appuis extérieurs.
La région de l’Extrême-Nord est fortement affectée par l’insécurité
alimentaire comme l’a relevé l’enquête dénommée Vulnerability Assessment
Mappi (VAM), conduite par le Programme Alimentaire Mondial (PAM,
2004). Il importe de préciser que l’une des difficultés majeures est la

11Entretien avec Aboukar Mahamat, coordonnateur de l’Association Camerounaise


pour l’Education Environnementale (ACEEN), Maroua le 10 décembre 2014.

91
situation des femmes, au centre des toutes les activités, mais très
marginalisés à cause de leur difficulté à avoir accès à la terre. La
sécurisation foncière est devenue l’outil incontournable pour augmenter
la production en milieu rural. Elle permet une exploitation sereine des
terres par les populations.
On estime qu’une fois la terre sécurisée12, le détenteur a la possibilité
de mieux produire. À propos, Delville Lavigne (1998 : 63) précise que
« les paysans ont besoin d’une certaine sécurité foncière pour investir
dans la terre et pratiquer une agriculture performante ». Il va plus loin
dans l’analyse en affirmant que : « le besoin de sécurité foncière se pose
tant pour un « propriétaire » ou un détenteur de droit permanent et
transmissible que pour un détenteur secondaire (locataire, métayer,
emprunteur), même si les droits dont ils disposent, et donc, le contenu
de cette sécurité ne sont pas les mêmes (…). La question de sécurité
foncière se pose différemment pour les différentes catégories sociales. Ce
n’est pas les mêmes règles d’accès à la terre pour un chef de famille, une
femme, un enfant ». C’est pourquoi « il existe différents niveaux de
sécurité foncière, qui ne sont pas des degrés sur une échelle linéaire »
(Delville Lavigne, 1998 : 76-77). De manière générale, on peut considérer
qu’assurer la sécurisation foncière d’une productrice rurale, c’est mettre
celle-ci en situation d’utilisation paisible de la terre tout en lui
garantissant la possibilité de tirer profit des investissements qu’elle aura
réalisés sur la terre. Malheureusement, les populations pour la plupart ne
connaissent pas la notion d’immatriculation foncière. Pour elles,
l’occupation de la terre obéit aux règles et pratiques coutumières. Elles
ne sont pas conscientes de cette occupation précaire qui les expose aux
conflits fonciers et à l’expropriation de l’État pour ses grands projets
(Kouekam, 2014).
Suite à nos enquêtes de terrain réalisées dans les localités de Koza et
Miskine, la possession de titres de propriété individuelle par les femmes
augmenterait la volonté et la capacité des celles - ci à investir dans le
domaine agricole. Le titre foncier, lorsqu’on le possède, contribue à
motiver l’agricultrice 13 . La sécurisation de l’accès à la terre entraine
forcément des gains de productivité. Des exemples abondent dans ce

12 Nous entendons par terre sécurisée, la terre ayant fait l’objet d’une immatriculation et
ayant donné lieu à un titre foncier au nom de son exploitant.
13 Entretien avec Mariam Haman Adama, Coordinatrice de CROPSEC, Maroua le 25

mai 2015.

92
sens selon le CROPSEC 14 qui appuie les associations des femmes au
Nord Cameroun. Lorsque la sécurité foncière est assurée aux femmes,
elles peuvent cultiver sereinement et produire davantage15. Lorsqu’elles
produisent plus, elles contribuent à l’alimentation de la famille.
L’insécurité foncière dans ce contexte renforce la détérioration de son
statut social en tant que femme et freine son accès à d’autres ressources
tel que les crédits, les intrants agricoles, etc.
Enfin, les femmes rurales ne pratiquent pas une agriculture durable
parce qu’à tout moment elles peuvent perdre leur terre. Il s’agit ici par
exemple de l’utilisation des Composts, le reboisement des champs,
l’usage de la fumure, etc. pour fertiliser le sol. À ce propos, certaines
femmes rapportent qu’elles ont entretenu des terres pendant des années,
mais qu’elles l’ont perdu plus tard à cause de cette situation d’insécurité
foncière. Il suffit par exemple dans ce cas qu’un homme épouse une
nouvelle femme pour récupérer et rétrocéder le champ de la première à
la nouvelle16.
L’impact de ces chocs climatiques et la vulnérabilité foncière, bien
qu’ils influencent la capacité productive des femmes depuis les années
1990, elles restent et demeurent au centre de la production agricole dans
la région de l’Extrême Nord.

2. 2. Malgré cette situation, les femmes demeurent au centre de


la sécurité alimentaire
La réalisation de la sécurité alimentaire durable en Afrique
subsaharienne demande une croissance rapide du secteur agricole. Les
femmes rurales contribuent aux travaux agricoles en tout genre et font
fonctionner les économies locales. Selon des estimations de la FAO
(FAO, 1995), les femmes assurent plus de 50 pour cent de la production
alimentaire agricole dans le monde. Le PAM (2011), souligne qu’au
Cameroun, la production alimentaire est assurée à 90% par les
exploitations familiales et les femmes y contribuent pour 80%. À propos,
Bounou Gninty (1988 : 74) signalait déjà que, « du reste, il est prouvé
aujourd’hui que dans beaucoup des pays la femme travaille plus que
l’homme notamment dans les pays en voie de développement ».

14 Conseil Régional des Organisations Paysannes de la Partie Septentrionale du


Cameroun.
15 Entretien avec Fanta Françoise, ménagère, Maroua le 20 mai 2015.
16 Entretien avec Mariam Haman Adama, Coordinatrice de CROPSEC, Maroua le 25

mai 2015.

93
La participation des femmes aux activités de production agricoles
s’observe dans les travaux des champs familiaux, l’entretien des champs
personnels et des champs collectifs. Bien plus, elles interviennent dans
pratiquement toutes les sociétés de l’Extrême-Nord à tous les niveaux
des activités (les semis, le sarclage, l'épandage d'engrais, la récolte et le
battage, la transformation alimentaire, le transport et la
commercialisation, etc.).
Dans la région de l’Extrême-Nord, elles jouent un rôle crucial
notamment dans la production vivrière et la sécurité alimentaire. L’on a
constaté une prédominance des femmes sur les cultures vivrières,
principalement pour la recherche de l’autosuffisance alimentaire (Mbetid
et al, 2006). Les femmes sont principalement chargées des cultures
vivrières : l’arachide, le maïs, l’oignon, le mil-sorgho et, dans une certaine
mesure, le riz, les produits nécessaires à la consommation quotidienne
des familles. Les femmes paysannes sont donc les premières utilisatrices
de la terre pour l’agriculture de subsistance (Mbata et Amadi, 1990). Les
femmes assurent la disponibilité des produits agricoles et investissent une
grande partie de leur revenu à la sécurité alimentaire.

3. Les initiatives des femmes en matière d’accès à la terre et en


matière de sécurité alimentaire depuis 1990
Le contexte politique des années 90 a aussi eu une influence sur la
situation des femmes au Cameroun. La libéralisation de la vie politique a
entrainé une prolifération des associations et des organisations. C’est
dans ce contexte que les femmes pour faire face à plusieurs difficultés se
regroupent au sein des associations, des Groupes d’initiatives communes
(GIC) et des Organisations Paysannes (OP) ; ce qui augmente leurs
possibilités d’exploiter durablement les terres agricoles. Depuis l’année
2012, le Ministère de l’Agriculture et du Développement Rural
(MINADER), encourage les GIC à muter en coopératives. C’est ainsi
que dans nos enquêtes empiriques, la contribution des femmes
regroupées au sein des GIC, des unions des GIC, des organisations
paysannes en matière de sécurisation foncière et de sécurité alimentaire
n’est pas négligeable.

3. 1. Les initiatives des femmes en matière d’accès à la terre


Les GIC, bien répandus dans tous les villages de l’Extrême-Nord, ont
été impulsés pour répondre à la nécessité de constituer une force de
travail commune, sur la base de critères de proximité dont le but, dans le
domaine agricole, est d’accroître la production. Pour contourner la

94
discrimination des femmes à l’accès à la terre, certaines femmes ont
décidé de se constituer en GIC, ce qui augmente leurs possibilités
d’exploiter durablement des parcelles. De plus « l’appartenance aux
groupements et une certaine solidarité permettent de se positionner
socialement, de développer plus de confiance en soi, un empowerment »
(Charlier, Diop Sall et Lopez, 2014 : 50). À Salak, par exemple, plus de
70% des femmes sont dans les GIC. Tel est aussi le cas de l’union des
femmes Kaoudeye d’Ouazzang dans l’arrondissement de Meri qui loue
des vastes espaces pour la culture du mil, du maïs, Niébé, etc. Cette
union a accru sa production de maïs sur 15 hectares en 2012. L’on peut y
ajouter le cas de l’Union des coopératives des femmes de Koza qui, grâce
à l’appui du CROPSEC, est propriétaire de l’espace qu’elle loue depuis
des années. Le CROPSEC a facilité l’acquisition de ces terres en faisant
du lobbying auprès du chef traditionnel17.
Ainsi, il y a une nouvelle classe des femmes qui émergent et qui
s’émancipent de plus en plus. Le tableau n’est pas totalement noir, car il
y a des femmes qui à titre personnel ont pu avoir accès à des vastes terres
sécurisées pour améliorer leur revenu agricole18. Il s’agit pour l’essentiel
des femmes qui vivent en zone urbaine, politiquement engagées
(sénatrices, députés, maires, etc.), cadres dans l’administration, des
femmes intellectuelles, etc.

3. 2. Les stratégies des femmes pour assurer la sécurité


alimentaire
Sur le plan de la sécurité alimentaire, les GIC des femmes ont fait leur
preuve à travers le développement des champs et des greniers
communautaires. Outre la pratique des champs communautaires
permettant à plus de la moitié des femmes rencontrées d’espérer toujours
assurer la disponibilité des denrées alimentaires, de plus en plus des GIC
adoptent également l’aménagement des greniers communautaires dans le
Diamaré. Nous avons effectué une étude dans ce sens en 2012 et il est
donc démontré que la pratique des champs communautaires permet
d’assurer la disponibilité des denrées alimentaires dans les greniers
pendant la soudure. Ensuite, l’on a constat » que les OP (Organisations
Paysannes) vulgarisent de plus en plus l’aménagement des greniers
communautaire dans le Diamaré. La construction des greniers
communautaires se présente l’une des actions fondamentales de la lutte

17 Entretien avec Madame Mariame Haman Adama ; Coordinatrice de CROPSEC,


Maroua le 25 mai 2015.
18 Entretien avec Fadimatou Issa, Mokolo le 28 mai 2015.

95
contre l’insécurité alimentaire dans la Diamaré. En effet, « plus ces
greniers ont une capacité de contenance allant de moins de 100 à 300
sacs, plus ils facilitent la disponibilité des denrées alimentaires en temps
de soudure. La capacité de stockage des greniers assure un maximum de
stockage et assure une disponibilité des denrées alimentaires. Plus les
greniers ont une forte capacité de stockage, plus les GIC sont incités à y
stocker leurs denrées et tout ceci garantit la disponibilité de la nourriture
lors de la soudure (Tchatchoua, Sambo et Kouebou, 2014 : 248-249).
Certains GIC, à l’instar des GIC Ndjouma’Ai, Dynamia 1et Gal Djabi de
Gayak font dans la culture, le stockage et la commercialisation des
produits tels que le Niébé, l’arachide, le coton, le mil, le Muskuari, etc.
Ces groupements des femmes rurales, notamment dans les zones
périphériques de Maroua (Gayak, Salak, Miskine, etc.), ont permis
l’exploitation des grandes surfaces qui varient pour la plupart entre 5 à 10
hectares, avec pour objectif de rehausser la productivité dans le domaine
agricole. La création des champs communautaires ne les empêche pas de
disposer individuellement de leur propre plantation. Cependant, les
travaux collectifs, selon certaines de ces femmes, sont des solutions
palliatives et permettent à ces dernières d’entretenir des grandes parcelles
sans trop de peine. Les récoltes des champs communautaires sont
conservées généralement pour les périodes de soudure, et pour certains
GIC, dans les greniers communautaires. La production des céréales et
des légumineuses est généralement stockée dans des greniers et des
magasins communautaires. En effet, il ressort des entretiens que, plus les
greniers ont une forte capacité de stockage, plus les productrices sont
incitées à y stocker leurs denrées et tout ceci garantit la disponibilité des
denrées en période de soudure. Ces greniers communautaires placés sous
la gestion de Groupements d'initiatives communes (GIC) fonctionnent
sur le modèle des tontines traditionnelles. Les bénéfices de produits de
récoltes vendus en période de soudure a permis à l’Union des femmes de
Koza d’acheter des parcelles de terre pour la production du mil19.
Selon certaines études, les pratiques des champs communautaires et
des greniers communautaires ont permis de rehausser l’économie rurale
dans certaines localités de l’Extrême Nord du Cameroun, tout en
permettant la consolidation des moyens de subsistance et
l’autonomisation des femmes. (Tchatchoua, Sambo et Kouebou, 2014 :
248-249). À côté des greniers communautaires, dans la plupart des

19
Entretien avec Madame Mariame Haman Adama ; Coordinatrice de CROPSEC,
Maroua le 25 mai 2015.

96
concessions, on retrouve des greniers familiaux. La gestion de ces
greniers est pour l’essentiel l’affaire des femmes.

Conclusion
Les femmes rurales restent marginalisées et leur discrimination sur le
plan foncier demeure une réalité malgré le discours officiel qui leur
reconnait une contribution majeure à la productivité céréalière. L’état des
lieux de la problématique de l’accès des femmes à la terre dans la région
de l’Extrême-Nord laisse apparaître qu’elles sont utilisatrices de la terre,
pilier du développement agricole, mais, que de façon générale, elles n’ont
pas le même accès que les hommes à cette ressource. Elles sont
quotidiennement confrontées à des contraintes structurelles persistantes
qui les empêchent de jouir pleinement de leurs droits humains et sapent
les efforts déployés pour améliorer leur vie et celle des personnes qui les
entourent. Parmi ces contraintes l’on note la difficulté d’accès à la terre
malgré la possibilité pour elle aujourd’hui de l’acheter. La législation
foncière au Cameroun ne fait pas une différence entre le sexe masculin et
féminin, mais les femmes rurales présentent un faible pouvoir
économique.
Marginalisées par le droit foncier traditionnel, les femmes rurales
n’arrivent pas, à cause de leur faible pouvoir économique, à sécuriser les
terres qu’elles utilisent pour satisfaire l’alimentation dans les ménages.
Bien que n’ayant pas les mêmes facilités que l’homme à acquérir la terre,
elles contribuent activement à la sécurité alimentaire. Depuis plus de 40
ans, la sécurité alimentaire des populations reste un défi permanent.
Depuis les années 1990, pour contourner leur difficile accès à la terre, les
femmes se regroupent au sein des associations, des Groupes d’initiatives
communes (GIC) et des Organisations Paysannes (OP). Elles
commencent par louer les parcelles et progressivement deviennent des
propriétaires grâce à l’appui de certaines ONG de la société civile. Les
GIC des femmes ont adopté plusieurs pratiques agricoles incluant entre
autres la pratique des champs communautaires, l’aménagement des
greniers communautaires, la diversification et la vulgarisation des
nouvelles cultures. L’adoption de ces différentes pratiques par les Unions
des GIC reçoit une réponse globalement positive quant à leur
contribution pour la disponibilité des stocks alimentaires en période de
soudure.
Enfin, pour améliorer l’accès des femmes à la terre et pour sécuriser
leurs droits fonciers, il est souhaitable d’appuyer ces GIC par le
renforcement des capacités des femmes rurales pauvres. L’on peut aussi

97
suggérer qu’il faut accroître le pouvoir financier des femmes rurales pour
leur permettre de mener à bien leurs activités agricoles, notamment en
faisant face aux dépenses qu’exige l’accès à la terre et la sécurisation de
celle-ci. Cet accroissement du pouvoir financier pourrait passer par la
facilitation de l’accès au crédit par les établissements financiers et
bancaires, de petites ou grandes envergures.

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18 mai 2017.

Cet article a bénéficié de l’appui de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de


l’Université de Maroua et du CODESRIA à Dakar à travers notre participation à
l’institut du genre.

100
TABLE DES MATIÈRES

Natali KOSSOUMNA LIBAA et Clément DILI PALAI


Introduction générale……………………………………………….7-14

Daniel Valérie BASKA TOUSSIA, Natali KOSSOUMNA LIBA’A et


Boniface GANOTA
Usage et valorisation des plantes médicinales antipaludéennes à Maroua
(Extrême-Nord Cameroun)……………………………………………....15-31

Rémy DZOU TSANGA


Dynamique des techniques de la métallurgie du fer dans le Diamaré (Extrême-
Nord, Cameroun)…………………………………………………….......33–48

Paul Ulrich OTYE ELOM


L’usage thérapeutique des aliments d’origine végétale dans l’Extrême-Nord
Cameroun : une analyse ethnoanthropologique de l’aliment-médicament
(alicament) en zone sahélienne…………………...………...…………….49–60

WANIE Clarkson MVO


Land suitability resource evaluation for ecotourism development in Limbe,
Cameroon………………………………………..………………………61–82

Armel SAMBO
L’accès des femmes rurales à la terre et sécurité alimentaire dans la région de
l’Extrême Nord du Cameroun de 1972 à 2014…………..…………….83–100

Paul SALATOU
Genre et développement dans les Églises chrétiennes : cas de l’Église
Évangélique Luthérienne du Cameroun et son mouvement Femmes pour
Christ (FPC) de 1975 à nos jours………………………………….…...101–134

Théophile KALBE YAMO


Représentations du territoire dans la chanson populaire urbaine au Cameroun.
Entre ethnidentité et nationalité……………………………………….135–157

Natali KOSSOUMNA LIBA’A, LAOUMAYE Merhoy et Charles


NJOMAHA
Économie locale et développement des territoires : analyse à partir de la
commune de Kaélé (Extrême-Nord, Cameroun)…..………………….159–179

283
Garakchémé GIGLA
Nationalisme musical en Afrique noire contemporaine : entre résistance et
instrument de propagande. Analyse à partir des expériences camerounaise et
ivoirienne……………………………………...………………………181–199

OUSMANOU Adama
Zakat in Maroua: the irrelevance models for socio-economy and justice
(Northern Cameroon)…………………………………...…………….201–219

Paul AHIDJO
L’aide alimentaire à l’épreuve de la démocratie au Cameroun :
instrumentalisation et propagande politique……………………………221-236

Roger FOPA KUETE


Lamentations et chansons de deuil en pays bamiléké : de l’expression des
passions au travail de l’oubli…………………………………….237-248

Crépin WOWE
Conflits hommes-éléphants autour des aires protégées de l’Extrême-
Nord du Cameroun de 1930 à 2012…………………………….249-263

François BAIMADA GIGLA


On killer languages, language killers and linguistic genocide in Far North
Cameroon: the fate of some Chadic languages…………………..267-282

Dépôt légal : 1er trimestre 2018


Achevé d’imprimer pour le compte des Editions du Schabel
sur les presses des imprimeries Le Grandes Editions
B.P. : 5057 Yaoundé – Cameroun
Tel : (237) 242 21 60 87 – 699 27 69 11 – 699 74 37 99 – 696 57 32 92
E-mail : lgeother@yahoo.fr
2018

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