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Audrey Fromageot
Florence Parent
Yves Coppieters
Fromageot Audrey, Parent Florence, Coppieters Yves. Femmes, cultures maraîchères et recours aux soins en Afrique de
l'Ouest. In: Sciences sociales et santé. Volume 23, n°4, 2005. pp. 49-70.
doi : 10.3406/sosan.2005.1665
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/sosan_0294-0337_2005_num_23_4_1665
Résumé
Résumé. Depuis les années quatre-vingt, les femmes sont au cœur des projets de développement rural
en Afrique subsaharienne. Elles apparaissent souvent majoritaires parmi les acteurs de ce que les
Documents stratégiques de réduction de la pauvreté désignent laconiquement sous le sigle d'AGR
(activités génératrices de revenus). Cette reconnaissance accompagne celle de leur rôle dans la prise
en charge des besoins de santé domestiques. Pourtant, les femmes sont encore citées pour leur faible
recours aux centres de soins primaires. Plus que les hommes, elles fréquentent d'abord les services de
soins coutumiers ou informels. Mise en regard de leur autonomie financière accrue par leurs activités,
cette réalité remet en cause l'explication de leur accès réduit aux centres de soins en simples termes de
coûts. L'étude du maraîchage des femmes sénoufo à la frontière de la Côte-d' Ivoire et du Burkina Faso
interroge leur rôle dans les modes de sécurisation sanitaire des familles et tout spécialement des
enfants, ainsi que ses conséquences sur les itinéraires thérapeutiques et les modalités de recours aux
soins.
Resumen
Mujeres, cultivo de hortalizas y recurso a los tratamientos médicos en el Africa occidental
Desde los años 80 las mujeres están en el centro de los proyectos de desarrollo rural en Africa
subsahariana. A menudo aparecen como mayoritarias entre los protagonistas de lo que los
Documentos Estratégicos de Reducción de la Pobreza definen de manera lacónica con la sigla AGR
(Actividades Generadoras de Recursos). Este reconocimiento va de par con el de su función de
encargarse de las necesidades de salud domésticas. Sin embargo, las mujeres también son
mencionadas por su baja frecuentación de los centros de atención de salud primaria. Aún más que los
hombres, recurren primero a los servicios de salud familiares o informales. Si se tiene en cuenta su
mayor autonomía financiera lograda gracias a sus actividades, parece poco convincente la explicación
que atribuye la baja frecuentación femenina de los centros de salud a meras razones de costo. El
estudio de las tareas de horticultura de las mujeres de la etnia senufo en la frontera de la Costa de
Marfíl y Burkina Faso se interroga sobre la función desempeñada por ellas en los modos de atención
sanitaria de las familias y sobre todo de los niños, como también sobre las consecuencias que tiene
este modo sobre los itinerarios terapéuticos y en las modalidades del recurso a los tratamientos
médicos.
Abstract
Women's involvement in market-gardening and the resort to health care in West African savannahs
Since the 1980s, women have been at the heart of rural development projects in Sub-Saharan Africa.
They often make up the majority of the actors involved in what the Strategic Documents for Reducing
Poverty rather laconically refer to as IGA (Income-Generating Activities). Such institutional recognition
goes with the acknoweldgement of the major part played by women in catering for basic food and health
needs. However, African women still hardly resort to first-aid units. More than men, they turn to
traditional or informal modes of care first, if not exclusively. Given their increased financial autonomy
thanks to their activities, their limited access to care-units cannot be explained in terms of cost alone.
The study of the Senufo women's involvement in market-gardening on either side of the border between
Ivory Coast and Burkina Faso raises the question of their contribution to improving sanitary conditions
for families — children especially — , as well as of its consequences on therapeutic pathways and the
various modal ities of resorting to primary care.
en Afrique de F Ouest
Résumé. Depuis les années quatre- vingt, les femmes sont au cœur des
projets de développement rural en Afrique subsaharienne. Elles apparais
sent souvent majoritaires parmi les acteurs de ce que les Documents str
atégiques de réduction de la pauvreté désignent laconiquement sous le
sigle d'AGR (activités génératrices de revenus). Cette reconnaissance
accompagne celle de leur rôle dans la prise en charge des besoins de santé
domestiques. Pourtant, les femmes sont encore citées pour leur faible
recours aux centres de soins primaires. Plus que les hommes, elles fr
équentent d'abord les services de soins coutumiers ou informels. Mise en
regard de leur autonomie financière accrue par leurs activités, cette réalité
remet en cause l'explication de leur accès réduit aux centres de soins en
simples termes de coûts. L'étude du maraîchage des femmes sénoufo à la
(3) Bien que prépondérants, ces axes ne sont pas immuables. La multiplication des
contrôles et l'instabilité politique entraînent une perte d'influence du corridor ivoirien.
Le monopole d'Abidjan est contesté. Ouagadougou se tourne vers les ports d'Accra et
de Lomé. Il reste que, en 2000, les dynamiques des campagnes sénoufo s'appuient
autant sur un dense réseau de marchés locaux que sur l'influence des grandes villes du
sud de la Côte-d'Ivoire : Abidjan et Bouaké.
(4) Seul le site de la plaine irriguée de Douna au Burkina Faso regroupe plusieurs cen
taines de maraîchers. Le recours à un sous-échantillonnage a donc été nécessaire. Les
exploitants de la plaine se répartissent entre quatre villages : Douna, Tourny, Sindou
et Niofila. En l'absence de recensement, les enquêtes ont été menées par tirage au sort
dans un des villages, celui de Niofila.
hommes aux femmes et des chefs de famille à leurs mères. D'un statut à
un autre, les écarts significatifs révèlent les liens étroits entre la position
d'un individu dans sa famille et ses capacités à mener un jardin maraîcher.
Les hommes, et parmi eux les chefs et les aînés des maisonnées, conser
vent le contrôle de la main-d'œuvre familiale, du temps de travail des
cadets ainsi que la maîtrise des règles d'accès aux facteurs de production
(terre, rives des petits barrages, mais aussi engrais et produits phytosani-
taires utilisés pour les cultures pluviales comme le coton, etc.). Ce
contrôle explique que le maraîchage leur profite d'abord, tandis qu'ils
peuvent troquer un accès aux jardins contre du travail. Le maraîchage
dans sa version marchande pour les villes du sud de la Côte-d'Ivoire n'est
plus une simple activité typiquement féminine pour la consommation des
familles. Les femmes, épouses des chefs de famille, mais aussi filles, bel
les-filles et autres cadettes, bien que majoritaires dans l'activité, ne dispo
sentni du temps personnel, ni des moyens de production suffisants pour
en tirer des bénéfices du niveau de ceux des hommes. Les hiérarchies
familiales et les relations de genre se retrouvent dans l'ordre des revenus
des unes et des autres.
Tableau I
Statuts familiaux et revenus maraîchers (en F. CFA saison 1999-2000)
Seuls les écarts de revenus entre les deux cent trente et unes épouses
des chefs de familles et les trente-neuf cadettes ne sont pas significatifs.
Quel que soit leur statut familial, les femmes, par leur position sociale et
leur charge quotidienne de travail, sont pénalisées pour mener une activité
Tableau II
Objectifs déclarés en 2000 par les maraîchers au démarrage de leur activité
(6) Les faibles bénéfices des maraîchères sont à nuancer quelque peu avec la part des
légumes autoconsommés. Les revenus des femmes sont dans l'ensemble sous-estimés
si les légumes autoconsommés ne sont pas pris en compte. L'autoconsommation repré
sente en moyenne 4 170 F.CFA, soit 32 % de leurs revenus globaux (somme des reve
nus nets et de l'autoconsommation). Au-delà du faible niveau apparent des bénéfices,
l'intérêt du maraîchage pour les femmes réside aussi dans sa participation saisonnière
à l'alimentation domestique. Toutefois, même en incluant l'autoconsommation, les
gains des femmes restent inférieurs à ceux des hommes.
Tableau III
Revenus maraîchers nets et budgets familiaux en 2000
Revenus maraîchers
Proportion nets moyens*
Revenus
des revenus Nombre En % des
familiaux
maraîchers de 285 De l'e En%
par rapport au familles familles moyens*
nets nsemble des par rapport
budget familial maraîchers au budget
par famille familial
de 0 % à 5 % 53 18,6 708 400 17 640 2,5
de 6 % à 10 % 37 13 412 935 32 120 7,8
de 1 1 % à 25 % 89 31,3 305 730 52 400 17,1
aux revenus maraîchers les plus élevés et, d'autre part, les familles finan
cièrement aisées où le maraîchage rapporte peu. La dernière situation, la
plus courante, est celle des familles aux revenus moyens tant familiaux
que maraîchers.
Le maraîchage marchand dans ses objectifs et le niveau de ses reve
nus peut donc traduire des trajectoires familiales ascendantes, mais aussi
et surtout descendantes. La présence, dans les familles, d'exploitants, en
particulier de maraîchères, ne dégageant que de très faibles revenus, est
souvent moins un signe de précarité que de vitalité financière des mai
sonnées. Dans ces dernières, le chef de famille conserve la prise en charge
des principales dépenses — vestimentaires, alimentaires et sanitaires —
pour toutes les personnes sous sa responsabilité. Les femmes n'y produi
sent que quelques légumes aux revenus d'autant plus faibles que leur jar
din est cultivé tardivement dans le mois de janvier, après les récoltes des
vastes superficies familiales de l'agriculture pluviale : coton et cultures
vivrières. Inversement, lorsque les gains maraîchers représentent un
niveau non négligeable par rapport au budget domestique, ils traduisent
des trajectoires individuelles et collectives d'appauvrissement.
Tableau IV
Principal type de dépenses déclaré en 2000 par les femmes
à l'aide de leurs revenus maraîchers
En % des 296
Types de dépenses Effectifs
maraîchères
Investissements dans l'agriculture 93 31,4
Achats alimentaires, scolaires et vestimentaires 74 25
Commerce 57 19,3
Santé 39 13,2
Sans réponse 24 8,1
Funérailles 9 3
Total 296 100
(7) Dans le nord de la Côte-d'Ivoire, le rôle des revenus des femmes dans la prise en
charge des soins des enfants est évalué par rapport à des situations empêchant toute
activité personnelle des femmes pendant la saison sèche dans le cadre de périmètres
irrigués à deux saisons de cultures de riz.
Tableau V
Répartition des femmes par type de dépenses réalisées
avec leurs gains maraîchers et selon le niveau des revenus familiaux
par personne et par an en 2000
Maraîchage et empowerment ?
om
ménagères fréquentant ces marchés, choisiront ces lieux de vente pour
leur proximité à pied, les rendant ainsi moins coûteux en temps personnel
.c
dépensé que le dispensaire. Cela ouvre sur les questions des coûts directs
ys
et surtout indirects de la santé inégalement répartis selon le genre et les
@
statuts individuels.
11
contraintes dans l'usage de leur temps car elles disposent de moments per
12
re pour faire face aux problèmes de santé souvent traités sur les lieux fr
e-
Conclusion
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ABSTRACT
Since the 1980s, women hâve been at the heart of rural development pro-
jects in Sub-Saharan Africa. They often make up the majority of the
actors involved in what the Stratégie Documents for Reducing Poverty
rather laconically refer to as IGA (Income-Generating Activities). Such
institutional récognition goes with the acknoweldgement of the major
part played by women in catering for basic food and health needs.
However, African women still hardly resort to first-aid units. More than
men, they turn to traditional or informai modes of care first, if not exclu-
sively. Given their increased financial autonomy thanks to their activities,
their limited access to care-units cannot be explained in terms of cost
alone. The study of the Senufo women's involvement in market-garde
ning on either side of the border between Ivory Coast and Burkina Faso
raises the question of their contribution to improving sanitary conditions
for families — children especially — , as well as of its conséquences on
therapeutic pathways and the various modal ities of resorting to primary
care.
RESUMEN