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Audrey Fromageot
Florence Parent
Yves Coppieters

Femmes, cultures maraîchères et recours aux soins en Afrique


de l'Ouest
In: Sciences sociales et santé. Volume 23, n°4, 2005. pp. 49-70.

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Fromageot Audrey, Parent Florence, Coppieters Yves. Femmes, cultures maraîchères et recours aux soins en Afrique de
l'Ouest. In: Sciences sociales et santé. Volume 23, n°4, 2005. pp. 49-70.

doi : 10.3406/sosan.2005.1665

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Résumé
Résumé. Depuis les années quatre-vingt, les femmes sont au cœur des projets de développement rural
en Afrique subsaharienne. Elles apparaissent souvent majoritaires parmi les acteurs de ce que les
Documents stratégiques de réduction de la pauvreté désignent laconiquement sous le sigle d'AGR
(activités génératrices de revenus). Cette reconnaissance accompagne celle de leur rôle dans la prise
en charge des besoins de santé domestiques. Pourtant, les femmes sont encore citées pour leur faible
recours aux centres de soins primaires. Plus que les hommes, elles fréquentent d'abord les services de
soins coutumiers ou informels. Mise en regard de leur autonomie financière accrue par leurs activités,
cette réalité remet en cause l'explication de leur accès réduit aux centres de soins en simples termes de
coûts. L'étude du maraîchage des femmes sénoufo à la frontière de la Côte-d' Ivoire et du Burkina Faso
interroge leur rôle dans les modes de sécurisation sanitaire des familles et tout spécialement des
enfants, ainsi que ses conséquences sur les itinéraires thérapeutiques et les modalités de recours aux
soins.

Resumen
Mujeres, cultivo de hortalizas y recurso a los tratamientos médicos en el Africa occidental
Desde los años 80 las mujeres están en el centro de los proyectos de desarrollo rural en Africa
subsahariana. A menudo aparecen como mayoritarias entre los protagonistas de lo que los
Documentos Estratégicos de Reducción de la Pobreza definen de manera lacónica con la sigla AGR
(Actividades Generadoras de Recursos). Este reconocimiento va de par con el de su función de
encargarse de las necesidades de salud domésticas. Sin embargo, las mujeres también son
mencionadas por su baja frecuentación de los centros de atención de salud primaria. Aún más que los
hombres, recurren primero a los servicios de salud familiares o informales. Si se tiene en cuenta su
mayor autonomía financiera lograda gracias a sus actividades, parece poco convincente la explicación
que atribuye la baja frecuentación femenina de los centros de salud a meras razones de costo. El
estudio de las tareas de horticultura de las mujeres de la etnia senufo en la frontera de la Costa de
Marfíl y Burkina Faso se interroga sobre la función desempeñada por ellas en los modos de atención
sanitaria de las familias y sobre todo de los niños, como también sobre las consecuencias que tiene
este modo sobre los itinerarios terapéuticos y en las modalidades del recurso a los tratamientos
médicos.

Abstract
Women's involvement in market-gardening and the resort to health care in West African savannahs
Since the 1980s, women have been at the heart of rural development projects in Sub-Saharan Africa.
They often make up the majority of the actors involved in what the Strategic Documents for Reducing
Poverty rather laconically refer to as IGA (Income-Generating Activities). Such institutional recognition
goes with the acknoweldgement of the major part played by women in catering for basic food and health
needs. However, African women still hardly resort to first-aid units. More than men, they turn to
traditional or informal modes of care first, if not exclusively. Given their increased financial autonomy
thanks to their activities, their limited access to care-units cannot be explained in terms of cost alone.
The study of the Senufo women's involvement in market-gardening on either side of the border between
Ivory Coast and Burkina Faso raises the question of their contribution to improving sanitary conditions
for families — children especially — , as well as of its consequences on therapeutic pathways and the
various modal ities of resorting to primary care.

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Sciences Sociales et Santé, Vol. 23, n° 4, décembre 2005

Femmes, cultures maraîchères

et recours aux soins

en Afrique de F Ouest

Audrey Fromageot*, Florence Parent**, Yves Coppieters*

Résumé. Depuis les années quatre- vingt, les femmes sont au cœur des
projets de développement rural en Afrique subsaharienne. Elles apparais
sent souvent majoritaires parmi les acteurs de ce que les Documents str
atégiques de réduction de la pauvreté désignent laconiquement sous le
sigle d'AGR (activités génératrices de revenus). Cette reconnaissance
accompagne celle de leur rôle dans la prise en charge des besoins de santé
domestiques. Pourtant, les femmes sont encore citées pour leur faible
recours aux centres de soins primaires. Plus que les hommes, elles fr
équentent d'abord les services de soins coutumiers ou informels. Mise en
regard de leur autonomie financière accrue par leurs activités, cette réalité
remet en cause l'explication de leur accès réduit aux centres de soins en
simples termes de coûts. L'étude du maraîchage des femmes sénoufo à la

*Audrey Fromageot, géographe, Université de Dunkerque et UMR CNRS 8586 ;


Institut de Géographie, 191, rue Saint-Jacques, 75005 Paris, France ;
e-mail : audrey.fromageot@laposte.net
** Florence Parent, médecin de santé publique, Département d'Épidémiologie et
Promotion de la Santé Publique de l'Université Libre de Bruxelles, CP 596, route de
Lennik 808, B-1070 Bruxelles, Belgique
*** Yves Coppieters, épidémiologiste, Département d'Épidémiologie et Promotion de
la Santé Publique de l'Université Libre de Bruxelles, CP 596, route de Lennik 808,
B-1070 Bruxelles, Belgique ; e-mail : yves.coppieters@ulb.ac.be

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frontière de la Côte-d' Ivoire et du Burkina Faso interroge leur rôle dans


les modes de sécurisation sanitaire des familles et tout spécialement des
enfants, ainsi que ses conséquences sur les itinéraires thérapeutiques et
les modalités de recours aux soins.

Mots-clés : Afrique de l'Ouest, maraîchage, économie familiale, itinérai


resthérapeutiques.

Dans le contexte des populations subsahariennes ayant un faible


recours aux structures sanitaires, les femmes sont souvent citées parmi les
plus faibles usagers des centres de soins curatifs (Ekwempu, 1990 ;
Harrison, 1995, 2001 ; Izugbara et Ukwayi, 2003). Ce constat est fr
équemment mis en regard du bas niveau socio-économique des femmes
associé à leur faible indépendance financière. Pourtant, depuis les années
quatre-vingt, les femmes sont au cœur des projets de développement. Ces
actions se marquent notamment par la diffusion des micro-crédits en
faveur des activités féminines. Les femmes sont ainsi souvent majoritai
res parmi les acteurs de ce que les Documents stratégiques de réduction de
la pauvreté désignent laconiquement sous le sigle d'AGR (activités géné
ratrices de revenus). L'expression discutable (existe-t-il des activités non
rémunératrices ?) favorise surtout le flou dans les études qui leur sont
consacrées, laminant la diversité des statuts individuels, des objectifs per
sonnels et limitant leur rôle à la réduction de la pauvreté monétaire. Les
études récentes soulignent combien les stratégies d'autofinancement des
femmes sont concomitantes de leur rôle accru dans la prise en charge, au
moins partielle, des besoins alimentaires et sanitaires de leur famille et, en
particulier, des enfants (De Plaen, 2001 ; De Plaen et Geneau, 2000 ;
Uyanga, 1980). La multiplication des activités personnelles rémunératri
ces des femmes, associée à leur responsabilité dans l'organisation domest
iquedes dépenses sanitaires, semble aller dans le sens des objectifs de
recouvrement des soins énoncés en 1987 lors de la déclaration de
Bamako. Les activités rémunératrices féminines donneraient les moyens
financiers à celles qui ont en charge une partie des dépenses de santé des
familles.
La participation des femmes aux activités commerciales, leur
inscription spatiale et économique dans des systèmes d'échanges locaux
mais aussi nationaux et internationaux en rapport avec l'urbanisation des
sociétés et l'internationalisation des économies ne correspond pas pour
autant à un recours facilité aux structures sanitaires. Plus que les hommes,

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MARAÎCHAGE, FEMMES ET SANTÉ 5 1

elles fréquentent d'abord, sinon exclusivement, les services de soins cou-


tumiers ou informels (Baxerres et Le Hesran, 2004 ; Izugbara et al., 2005).
Mis en regard de l'augmentation de leur autonomie financière par leurs
propres activités, cette réalité remet en cause les explications avancées en
simples termes de coûts.
À travers l'exemple de l'investissement des femmes dans le maraî
chage à la frontière de la Côte-d'Ivoire et du Burkina Faso, l'article inter
roge les liens entre l'accès des femmes à des revenus personnels et leur
accès, ainsi que celui des enfants dont elles ont la charge, aux structures
sanitaires. Les relations de genre qui structurent les activités et les écono
miesfamiliales éclairent les écarts entre les gains des femmes et le maint
iende leurs recours limités aux centres de soins curatifs. L'étude propose
une réflexion pour avancer dans la compréhension des facteurs explicatifs
des distances socio-économiques inégales aux structures sanitaires dans
les campagnes soudaniennes.

Le maraîchage marchand des populations rurales sénoufo

Les cultures maraîchères de saison sèche


dans les systèmes de production

L'article restitue partiellement les résultats d'une recherche en géo


graphie de l'UMR PRODIG (1) sur le développement du maraîchage mar
chand individuel dans les campagnes sénoufo (2) de part et d'autre de la
frontière entre la Côte-d'Ivoire et le Burkina Faso (Fromageot, 2003).
Dans ces savanes arborées, les populations sont majoritairement rurales et

( 1 ) UMR PRODIG : Unité mixte de recherches 8586 CNRS en partenariat avec le pr


ogramme « Petits barrages » du centre de recherches IRD (Institut de recherche et de
développement) de Bouaké en Côte-d'Ivoire.
(2)Les populations à la frontière ivoiro-burkinabée sont majoritairement sénoufo avec
la présence de communautés dioulas, principalement concentrées dans les villes. Les
populations sénoufo se répartissent elles-mêmes en plusieurs sous-groupes dont les
principaux sont : les Kiembaras, les Nafaras, les Niarafolos, les Pallakas et les Gouins
en Côte-d'Ivoire, les Gouins, les Karaboro ou encore les Turka dans l'Ouest burkinabé.
Cette diversité socioculturelle est peu marquée au niveau de l'organisation des systè
mesde production agricoles associant cultures commerciales et vivrières, rythmés par
l'alternance entre saison pluvieuse et sèche, et répartis entre de grands champs fami
liaux et de petits champs personnels.

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agricoles. Les campagnes, à plus de 400 km d'Abidjan et de


Ouagadougou, s'organisaient jusqu'à une date récente dans l'ombre por
tée d'Abidjan et des axes routiers méridiens(3). Depuis le milieu du
XXe siècle, les paysanneries sont passées d'une économie de relative abon
dance en ressources (terre, main-d'œuvre) à une économie de la raréfac
tion (Raison, 1993). Pour autant, leurs évolutions depuis les années
quatre-vingt, loin d'un repli sur des systèmes d'autoconsommation, se
marquent par la multiplication et la diversification des activités person
nelles rémunératrices (Chaléard, 1996).
Les structures de production sénoufo sont représentatives des agri
cultures pluviales soudaniennes (Pourtier, 2003). Elles s'organisent dans
le cadre de familles élargies à plusieurs ménages et combinant, pendant la
saison pluvieuse, des grands champs communs et de plus petits indivi
duels. Les travaux des grands champs et de l'entretien de la maisonnée
sont réalisés par l'ensemble de la main-d'œuvre domestique gérée par un
aîné, chef de famille. L'identification des chefs de famille comme centre
de décision et de gestion des cellules de production n'empêche pas l'exis
tence d'activités menées par des cadets pendant la saison des pluies et sur
tout pendant la saison sèche. Les petits champs pluviaux relèvent de ces
activités individuelles. Ces dernières sont cependant plus spécifiques de la
saison sèche. Elles visent l'acquisition de revenus personnels et l'exercice
d'une autonomie monétaire et sociale comme l'illustre, depuis les années
quatre-vingt-dix, le développement des productions maraîchères.
Conditionnés par un accès en eau pérenne pendant la saison sèche,
les sites de production maraîchère demeurent limités aux zones topogra
phiques basses et humides, en particulier les bas-fonds équipés de petits
barrages en terre (Cecchi, 1998). Les espaces maraîchers sont localement
de superficies réduites. Leur dispersion et leur multiplication à l'échelle
régionale constituent une nouvelle spécialisation dans une production
commerciale quelque peu inattendue pour des campagnes éloignées des
métropoles, Abidjan et Ouagadougou, pôles de consommation de légumes
frais (Fromageot, 2005). La généralisation du maraîchage dans les sava
nessénoufo est issue d'une combinaison de contraintes (dégradation de la
pluviométrie, revenus diminués du coton, budgets domestiques en baisse

(3) Bien que prépondérants, ces axes ne sont pas immuables. La multiplication des
contrôles et l'instabilité politique entraînent une perte d'influence du corridor ivoirien.
Le monopole d'Abidjan est contesté. Ouagadougou se tourne vers les ports d'Accra et
de Lomé. Il reste que, en 2000, les dynamiques des campagnes sénoufo s'appuient
autant sur un dense réseau de marchés locaux que sur l'influence des grandes villes du
sud de la Côte-d'Ivoire : Abidjan et Bouaké.

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MARAÎCHAGE, FEMMES ET SANTÉ 53

mais besoins monétaires accrus) et d'opportunités (demande croissante


des villes en légumes frais dans des pays en voie d'urbanisation rapide,
disponibilité des terres de bas-fonds et aménagements hydrauliques des
années soixante-dix/quatre- vingt).

Collecte des données sur le maraîchage marchand

L'étude s'appuie sur le traitement de données recueillies de 1999 à


2001 et articulant trois niveaux : celui des maraîchers, de leurs familles et
de leurs communautés de résidence associées à un espace de production ;
vingt-et-un sites de production, relevant de campements de culture, de
villages ou de petites villes ont été sélectionnés sur la base de pré-enquêt
es effectuées en 1997-1998 (Fromageot, 1998). La diversité des sites
reflète celle infra-régionale entre les communautés rurales, entre les
modes d'aménagement des bas-fonds (à l'écoulement naturel ou barré de
petites ou grandes retenues d'eau) et entre des situations géographiques
inégales selon l'accessibilité des producteurs aux villes et aux axes de cir
culation.
Les enquêtes ont d'abord concerné les maraîchers. Des séjours de
plusieurs semaines dans les villages ont permis d'établir des relations de
confiance avec les producteurs, leurs familles et les autorités locales. Les
maraîchers limités à quelques dizaines par village n'ont pas nécessité de
recourir à un échantillonnage. Les producteurs recensés dans chacun des
sites retenus ont constitué l'échantillon (4). Les questions ont été mises au
point précisément lors des pré-enquêtes. Les investigations ont été réali
sées sous forme de questionnaire « invisible » combinant questions fe
rmées, ouvertes et temps de discussions. Le recueil des données a été
réalisé avec le souci de ne pas brusquer ni brider le rapport enquêteur-
enquête par l'emploi de questionnaires formels. C'est pourquoi aucun
questionnaire n'était apparent aux yeux des producteurs, les informations
étant recueillies sur de petits carnets. L'emploi de cette méthode
« légère », n'en a pas moins permis l'analyse d'un corpus de données
recueillies auprès de cinq cent trente-quatre exploitants et des deux cent
quatre-vingt-cinq chefs de leur famille de rattachement. Les individus

(4) Seul le site de la plaine irriguée de Douna au Burkina Faso regroupe plusieurs cen
taines de maraîchers. Le recours à un sous-échantillonnage a donc été nécessaire. Les
exploitants de la plaine se répartissent entre quatre villages : Douna, Tourny, Sindou
et Niofila. En l'absence de recensement, les enquêtes ont été menées par tirage au sort
dans un des villages, celui de Niofila.

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relevant d'une cellule domestique de production et de consommation ont


été recensés comme membres d'une même famille. Il arrive toutefois que
les groupes commensaux et de production ne coïncident pas. Dans ce cas,
ce sont les unités de production qui ont été privilégiées, c'est-à-dire les
familles constituées des personnes travaillant sur des champs communs
pour l'acquisition de stocks vivriers et d'un budget collectifs.
Les analyses se sont appuyées sur les tests statistiques du chi 2 de
Pearson et de la loi normale dans leurs conditions d'application. Les dif
férences sont déclarées significatives avec un risque de 5 %. Le traitement
des données a permis la distinction de catégories d'acteurs aussi fines que
les rapports sociaux et économiques sont subtils. La catégorisation des
individus a été réalisée en croisant leur situation (célibataire, fiancé,
marié, veuf) avec leur statut familial (chef de famille, épouse, enfant ou
neveu du chef de famille, etc.). Les distinctions majeures entre aînés et
cadets sociaux, entre hommes et femmes déterminent les marges de
manœuvre des individus et leurs capacités à mener des activités person
nelles ou à exercer des responsabilités collectives, sans interdire pour
autant des évolutions transformant ces mêmes organisations sociales.
L'étude répondant originellement à des problématiques de géogra
phie rurale, les données portent précisément sur la culture et la commerc
ialisation des légumes, l'accès aux espaces maraîchers et aux facteurs de
production, les relations de dépendance familiale dans la gestion du temps
personnel et de la main-d'œuvre familiale, etc. Lors des enquêtes auprès
des chefs de famille, le niveau et les usages des revenus maraîchers ont été
systématiquement resitués dans les budgets et les dépenses domestiques.
Bien que ne portant pas précisément sur les relations aux structures de
santé, la richesse des informations et le partage du quotidien dans les villa
gespermettent d'interroger, dans leurs dimensions économiques et social
es,les liens entre l'accès des maraîchers — en particulier des maraîchères
— à des revenus personnels et leurs accès aux structures sanitaires.

Maraîchage personnel et objectifs familiaux

Revenus maraîchers inégaux selon le genre et le statut des producteurs

En 1999-2000, les revenus nets maraîchers sont très inégaux selon le


genre et les statuts familiaux (5) (Tableau I). Ils sont décroissants des

(5) En 2000, 100 F.CFA équivalent à 1 FF soit 0,15 €.

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MARAICHAGE, FEMMES ET SANTE 55

hommes aux femmes et des chefs de famille à leurs mères. D'un statut à
un autre, les écarts significatifs révèlent les liens étroits entre la position
d'un individu dans sa famille et ses capacités à mener un jardin maraîcher.
Les hommes, et parmi eux les chefs et les aînés des maisonnées, conser
vent le contrôle de la main-d'œuvre familiale, du temps de travail des
cadets ainsi que la maîtrise des règles d'accès aux facteurs de production
(terre, rives des petits barrages, mais aussi engrais et produits phytosani-
taires utilisés pour les cultures pluviales comme le coton, etc.). Ce
contrôle explique que le maraîchage leur profite d'abord, tandis qu'ils
peuvent troquer un accès aux jardins contre du travail. Le maraîchage
dans sa version marchande pour les villes du sud de la Côte-d'Ivoire n'est
plus une simple activité typiquement féminine pour la consommation des
familles. Les femmes, épouses des chefs de famille, mais aussi filles, bel
les-filles et autres cadettes, bien que majoritaires dans l'activité, ne dispo
sentni du temps personnel, ni des moyens de production suffisants pour
en tirer des bénéfices du niveau de ceux des hommes. Les hiérarchies
familiales et les relations de genre se retrouvent dans l'ordre des revenus
des unes et des autres.

Tableau I
Statuts familiaux et revenus maraîchers (en F. CFA saison 1999-2000)

Effectifs Revenus nets moyens Écart- type

Chef de famille 159 54 645 37 985


Cadet masculin 97 34 652 31 060

Épouse du Chef de famille 23. 14 473 21 012


Cadet féminin 39 11 694 10 546
Mère du Chef de famille 8 6 194 26 10
Total 534 29 773 33 557

Seuls les écarts de revenus entre les deux cent trente et unes épouses
des chefs de familles et les trente-neuf cadettes ne sont pas significatifs.
Quel que soit leur statut familial, les femmes, par leur position sociale et
leur charge quotidienne de travail, sont pénalisées pour mener une activité

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notablement rémunératrice. La part des femmes parmi les maraîchers


n'est pas proportionnelle à leur poids économique (6).
Si l'autonomie financière que procure le maraîchage aux femmes
semble limitée, elle doit cependant être appréciée en fonction de ses
objectifs, moins orientés vers des dépenses personnelles que collectives.

Maraîchage individuel et objectifs collectifs

Géré individuellement, le maraîchage ne sert pas des intérêts strict


ementpersonnels. En 2000, les exploitants désignent un ou plusieurs object
ifs à l'origine de leur activité. La diversité des réponses a été réduite en
six types répartis en trois catégories (Tableau II).

Tableau II
Objectifs déclarés en 2000 par les maraîchers au démarrage de leur activité

Objectifs Femmes Hommes


Catégories Types Effectifs en% Hommes en % Total
Acquisition
0 0 4 1,7 4
d'un bien précis
Personnels
Autonomie et bien-
28 9,5 49 20,6 77
être personnels
Dépenses familiales 37 12,5 119 50,0 156
Familiaux Dépenses
223 75,3 1 0,4 224
pour la sauce
Fiançailles 0 0 51 21,4 51
Les deux
Faire comme les autres 8 2,7 14 5,9 22
Total 296 100 238 100 534

(6) Les faibles bénéfices des maraîchères sont à nuancer quelque peu avec la part des
légumes autoconsommés. Les revenus des femmes sont dans l'ensemble sous-estimés
si les légumes autoconsommés ne sont pas pris en compte. L'autoconsommation repré
sente en moyenne 4 170 F.CFA, soit 32 % de leurs revenus globaux (somme des reve
nus nets et de l'autoconsommation). Au-delà du faible niveau apparent des bénéfices,
l'intérêt du maraîchage pour les femmes réside aussi dans sa participation saisonnière
à l'alimentation domestique. Toutefois, même en incluant l'autoconsommation, les
gains des femmes restent inférieurs à ceux des hommes.

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MARAICHAGE, FEMMES ET SANTE 57

La première catégorie correspond aux individus recherchant l'acqui


sitiond'un bien précis et d'usage personnel comme un moyen de transport
(vélo, mobylette ou moto) ou la capacité de se procurer, en toute autono
mie, des biens variés : vêtements, aliments, radio, piles, etc. Certains
exploitants affichent des buts à la fois personnels et collectifs. Il s'agit, par
exemple, des jeunes hommes qui doivent s'acquitter des frais de leurs
fiançailles. Leurs revenus leur permettent de réaliser un objectif personnel
tout en dégageant leur chef de famille du paiement de la dot.
La majorité des exploitants poursuit des objectifs moins individuels.
Le maraîchage participe à la diversification des activités commerciales
individuelles pour répondre à des besoins et des dépenses communes
accrues : frais d'habillement, de soins, d'entretien de l'habitation et de
l'outillage, etc. C'est en particulier le cas des femmes. Les différences
sont marquées entre les maraîchères et les maraîchers, puisque 87,5 % des
premières sont motivées par des intérêts familiaux contre 50,4 % des
seconds.
Le maraîchage marchand de contre-saison apparaît dans les paysa
ges comme une activité éminemment personnelle avec la succession de
petits jardins clos différemment cultivés par des individus en fonction de
leurs choix culturaux et commerciaux. Tous recherchent une certaine
autonomie, en particulier financière par rapport aux budgets domestiques
gérés par les chefs de famille. Cependant, dans cette quête d'autonomie
les femmes semblent limitées par des revenus modestes et par la prise en
charge accrue de dépenses collectives.

Revenus maraîchers individuels et budgets domestiques

Le maraîchage : des revenus marginaux ?

Les revenus maraîchers peuvent apparaître comme marginaux par


rapport aux budgets domestiques gérés par les chefs de famille. Nous
n'ignorons pas les difficultés d'évaluation des budgets des ruraux en
Afrique subsaharienne. En plus des bénéfices de l'agriculture pluviale
familiale, beaucoup de sources de revenus ont été prises en compte pour
leur estimation selon les déclarations de leurs responsables. Les budgets
ont été évalués en fonction des revenus nets issus de la vente pour la sai
son 1998-1999 du coton, des productions vivrières commercialisées en
totalité ou en partie (maïs, sorgho, mil, arachide, haricot, riz, etc.), des
bénéfices des vergers, des activités d'élevage, de cueillette, et de toute
autre activité rémunératrice du chef de famille pratiquée à l'année ou sai-

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58 AUDREY FROMAGEOT, FLORENCE PARENT, YVES COPPIETERS

sonnièrement : maçonnerie, couture, location d'un logement ou de matér


ielagricole, etc. Compte tenu de la diversité des sources de revenus, les
résultats ne donnent qu'un ordre de grandeur. On peut supposer que ces
montants sont plus fiables dans le cas des familles précaires qui disposent
de peu de moyens pour diversifier leurs revenus. À l'inverse, des activités
rémunératrices sont souvent passées sous silence par les chefs des familles
aisées, en particulier en ce qui concerne la location de logements en ville
ou la possession et la vente du gros bétail.
En 1999-2000, les budgets ainsi déclarés par les chefs de maisonnée
s'élèvent en moyenne, pour les deux ccent quatre-vingt-cinq familles, à
336 430 F.CFA, soit 38 070 F.CFA par personne. Les écarts sont très
importants : pour les familles les plus modestes, le budget se limite à
7 000 F.CFA par membre et pour l'année, contre 244 000 F.CFA pour les
plus aisées. Ces forts contrastes confirment les résultats d'autres études et,
en particulier, le lien entre les structures familiales étendues et les bénéfi
ces notables des activités agricoles et rurales (Tersiguel, 1995).
Pour apprécier l'utilité du maraîchage pour les familles, il faut éva
luer la proportion de ses gains par rapport au budget des maisonnées.
Cette proportion varie : d'insignifiante (0 % à 5 % du budget) à plus de la
moitié du budget (Tableau III). Pour 17,9 % des familles, les revenus
maraîchers représentent plus de 50 % du budget. Dans près d'un tiers, les
maraîchers ont dégagé des profits représentant 11 % à 25 % du budget.
Ces proportions, associées aux objectifs collectifs des producteurs, souli
gnent la place importante du maraîchage dans les familles. En revanche,
son rôle dépend du niveau des revenus familiaux. Des bénéfices maraî
chers similaires n'ont pas la même utilité ni économique, ni sociale selon
un budget familial faible ou élevé.

Utilité économique et sociale des revenus maraîchers dans les familles

Les revenus moyens des familles sont significativement décroissants


à mesure que les bénéfices de leurs maraîchers sont plus importants et en
représentent donc une proportion plus grande (Tableau lit). Ces évolu
tions inverses illustrent le principe de l'utilité décroissante des gains mar
ginaux dans les économies familiales. Dans les situations où le
maraîchage ne représente que des gains mineurs par rapport au budget
d'ensemble, il ne suscite guère l'intérêt des individus. Inversement, dans
les familles aux faibles budgets, le maraîchage des individus constitue une
source cruciale de revenus supplémentaires.
Le maraîchage s'inscrit alors dans trois situations d'économies famil
iales. Les cas extrêmes sont, d'une part, les familles au budget faible et

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MARAICHAGE, FEMMES ET SANTE 59

Tableau III
Revenus maraîchers nets et budgets familiaux en 2000

Revenus maraîchers
Proportion nets moyens*
Revenus
des revenus Nombre En % des
familiaux
maraîchers de 285 De l'e En%
par rapport au familles familles moyens*
nets nsemble des par rapport
budget familial maraîchers au budget
par famille familial
de 0 % à 5 % 53 18,6 708 400 17 640 2,5
de 6 % à 10 % 37 13 412 935 32 120 7,8
de 1 1 % à 25 % 89 31,3 305 730 52 400 17,1

de 26 % à 50 % 55 19,3 176 300 62 290 35,3


de 51 %à99% 34 11,9 135 250 102 210 75,6
100% et plus de 100% 17 6 91 400 130 050 142,3
Ensemble 285 100 336 430 55 800 16,6
* en F.CFA pour la saison 1999-2000

aux revenus maraîchers les plus élevés et, d'autre part, les familles finan
cièrement aisées où le maraîchage rapporte peu. La dernière situation, la
plus courante, est celle des familles aux revenus moyens tant familiaux
que maraîchers.
Le maraîchage marchand dans ses objectifs et le niveau de ses reve
nus peut donc traduire des trajectoires familiales ascendantes, mais aussi
et surtout descendantes. La présence, dans les familles, d'exploitants, en
particulier de maraîchères, ne dégageant que de très faibles revenus, est
souvent moins un signe de précarité que de vitalité financière des mai
sonnées. Dans ces dernières, le chef de famille conserve la prise en charge
des principales dépenses — vestimentaires, alimentaires et sanitaires —
pour toutes les personnes sous sa responsabilité. Les femmes n'y produi
sent que quelques légumes aux revenus d'autant plus faibles que leur jar
din est cultivé tardivement dans le mois de janvier, après les récoltes des
vastes superficies familiales de l'agriculture pluviale : coton et cultures
vivrières. Inversement, lorsque les gains maraîchers représentent un
niveau non négligeable par rapport au budget domestique, ils traduisent
des trajectoires individuelles et collectives d'appauvrissement.

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60 AUDREY FROMAGEOT, FLORENCE PARENT, YVES COPPIETERS

Revenus maraîchers des femmes et dépenses de santé

Nouvelles responsabilités des maraîchères


dans les organisations domestiques des soins

Le maraîchage marchand procure donc des revenus personnels qui


répondent à des intérêts familiaux. Ces objectifs s'organisent en fonction
des responsabilités des individus selon leur genre et leur statut. Toutefois,
les responsabilités de chacun sont renouvelées par l'accès à des revenus
personnels associés à la nécessité de pallier la baisse des budgets domest
iques et le désengagement concomitant des chefs de famille d'une partie
des dépenses communes. Ainsi, comme toutes les femmes, les maraîchèr
es doivent assurer la confection des sauces accompagnant les plats quo
tidiens. Les dépenses alimentaires de « la sauce » représentent l'un des
objectifs les plus répandus parmi les exploitantes. Pour autant, beaucoup
de femmes poursuivent des buts secondaires et/ou non quotidiens notam
menten ce qui concerne leurs propres dépenses de santé et celles des
enfants âgés de moins de 7 ans. Ainsi, en 2000, la répartition des femmes
selon les principales dépenses effectuées avec les revenus de leur maraî
chage montre que 13,2 % d'entre elles se sont acquittées de frais de santé
personnels et collectifs {Tableau IV).

Tableau IV
Principal type de dépenses déclaré en 2000 par les femmes
à l'aide de leurs revenus maraîchers

En % des 296
Types de dépenses Effectifs
maraîchères
Investissements dans l'agriculture 93 31,4
Achats alimentaires, scolaires et vestimentaires 74 25
Commerce 57 19,3
Santé 39 13,2
Sans réponse 24 8,1
Funérailles 9 3
Total 296 100

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MARAÎCHAGE , FEMMES ET SANTE 61

En effet, si les responsabilités alimentaires sont présentées comme


anciennes, les maraîchères soulignent leurs charges domestiques récem
mentaccrues. Depuis les années quatre-vingt-dix, la diminution des bud
gets familiaux, liée à la baisse des prix d'achat du coton compensée très
aléatoirement par les cours variables du maïs, explique le désengagement
des chefs de famille des charges d'habillement, de scolarité et de santé des
très jeunes. Si, dans les discours, l'essentiel des dépenses sanitaires d'une
maisonnée relève en principe des responsables familiaux, dans les faits,
ces derniers les assurent de moins en moins. Ce désengagement concerne
notamment les frais de santé des enfants et, avec eux, les choix et les it
inéraires thérapeutiques.

Distances économiques et sociales des femmes aux centres de soins

Le maraîchage des femmes, en participant aux dépenses sanitaires


des jeunes, représente un nouveau « filet de sécurité » pour les populat
ions.On peut toutefois s'interroger sur l'efficience de sécurisations col
lectives par cette activité puisque c'est dans les familles financièrement
déprimées que les maraîchères doivent plus particulièrement assurer, en
plus de leurs charges alimentaires, des dépenses sanitaires personnelles et
collectives (Tableau V). Plus les budgets familiaux sont réduits, plus les
gains personnels des femmes participent à des dépenses collectives
comme les frais de santé des enfants.
Par ailleurs, l'autonomie financière que leur procure le maraîchage
ne crée pas nécessairement une autonomie d'accès, c'est-à-dire une réduc
tiondes distances non seulement spatiales mais surtout sociales aux struc
tures de soins. La redistribution des charges individuelles dans les
« groupes domestiques organisateurs de la santé » (Janzen, 1978 ;
Phillips, 2003) soulève des questionnements quant à l'efficacité des
maraîchères pour assurer les soins des enfants dont la plus faible scolari
sationest déjà un des moteurs de l'essor du maraîchage.
En effet, des études ont souligné le rôle des activités rémunératrices
des femmes dans la prise en charge des dépenses sanitaires des enfants
(De Plaen, 2001 ; De Plaen et Geneau, 2000) (7). Si, en termes écono
miques, le maraîchage contribue à maintenir un niveau de prise en charge

(7) Dans le nord de la Côte-d'Ivoire, le rôle des revenus des femmes dans la prise en
charge des soins des enfants est évalué par rapport à des situations empêchant toute
activité personnelle des femmes pendant la saison sèche dans le cadre de périmètres
irrigués à deux saisons de cultures de riz.

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62 AUDREY FROMAGEOT, FLORENCE PARENT, YVES COPPIETERS

Tableau V
Répartition des femmes par type de dépenses réalisées
avec leurs gains maraîchers et selon le niveau des revenus familiaux
par personne et par an en 2000

Catégories de revenus familiaux


Type de dépenses principal nets par personne et par an
en 2000 des maraîchères (en F.CFA)
< 30 000 30 000-55 000 > 55 000
Sans réponse 9 7 8
Achats alimentaires, scolaires et vestimentaires 47 15 12
Investissements dans l'agriculture 45 25 23
Commerce 30 11 16
Funérailles 6 0 3
Santé 31 7 1
Total 168 65 63

des soins des enfants, le transfert de responsabilités des chefs de famille


aux femmes s'accompagne d'une modification dans les modalités des
recours aux centres de soins. En effet, ces responsabilités s'inscrivent dans
des distances sociales inégales aux structures de soins curatifs. Dans les
campagnes sénoufo, il demeure fréquent que les chefs de famille consul
tent en première instance les centres de santé primaire pour eux, mais
aussi pour leurs femmes et leurs enfants. Les femmes ont plus aisément
recours aux « pharmacies par terre » des marchés locaux ou des vendeurs
ambulants. Le transfert de responsabilités implique alors un changement
des itinéraires thérapeutiques et des modalités de soins pour les enfants,
sur la qualité duquel on peut s'interroger tant les circuits d'approvisionne
ment en médicaments des pharmacies itinérantes fonctionnent en l'ab
sence de contrôles. Selon leurs situations (célibataire, mariée...) et leurs
statuts (épouse du chef de famille, belle-fille, fille...), les femmes n'ont
pas les mêmes degrés de liberté, ni pour réaliser leurs activités personnell
es et en gérer les revenus, ni pour répondre à leurs besoins de santé et à
ceux de leurs enfants.

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MARAÎCHAGE, FEMMES ET SANTÉ 63

Du maraîchage aux dimensions sociales


et économiques de l'accès aux soins curatifs

Maraîchage et empowerment ?

L'intersectorialité de la recherche interroge, au-delà des usages


immédiats des revenus maraîchers, leurs conséquences plus globales,
notamment en fonction des distances économiques et sociales des femmes
aux structures de soins curatifs, facteurs de risques ou du moins de nou
velles vulnérabilités des populations (Coppieters et al., 2004). Les fem
mes, qui ont une certaine indépendance financière et ne sont pas plus
distantes géographiquement des structures de soins primaires que les
chefs de famille, peuvent en rester plus éloignées, techniquement (par
manque d'accès aux moyens de transport) et socialement. Cela montre,
dans les questions de recours aux soins curatifs, l'importance des tran
sformations de l'organisation des économies familiales et l'inertie des dis
tances sociales qui les accompagnent (Baxerres et Le Hersan, 2004).
L'indépendance financière relative des maraîchères ne leur donne
pas pour autant une autonomie pour assurer leurs nouvelles charges col
lectives. Ces décalages rappellent l'intérêt d'une acception plurielle et
complexe de la notion d' empowerment en promotion de la santé
(Rappaport, 1984 ; Rissel, 1994 ; Wallerstein, 1992). Si les revenus du
maraîchage entraînent des processus sociaux de reconnaissance indivi
duelle marqués par le transfert de responsabilités sanitaires aux femmes,
les capacités financières accrues de celles-ci ne suffisent pas nécessaire
ment à assurer la prise en charge de leur santé et celle des enfants selon
des itinéraires thérapeutiques efficaces. Le maraîchage accorde de nouvell
es capacités aux femmes mais qui s'exercent sous les contraintes des
organisations sociales et économiques englobantes. Les comportements
individuels demeurent organisés par les cadres familiaux qui déterminent
des distances sociales inégales aux ressources : que ce soient les facteurs
de production agricole comme la terre, l'eau ou les engrais, mais aussi les
transports, les structures de soins, etc. Autant de facteurs qui participent,
tout autant que les capacités économiques accrues des femmes, aux modal
itésde leurs recours aux soins en Afrique subsaharienne.

L'espace-temps des femmes et leurs recours aux structures de soins

Avancer dans la compréhension des comportements dans le recours


aux centres de soins suppose, en plus de l'évaluation des coûts de santé et

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64 AUDREY FROMAGEOT, FLORENCE PARENT, YVES COPPIETERS

de leurs représentations (Weil et al., 2003), la prise en considération des


distances géographiques (même diminuées dans le cadre des politiques de
décentralisation et d'aménagement des districts sanitaires), des évolutions
des organisations familiales de prise en charge des soins domestiques, et
du suivi de la redistribution des rôles individuels dans ces organisations et
ses conséquences en termes de recours aux soins. La réduction des dis
tances des individus aux structures de soins peut ainsi passer par des
actions concrètes et non directement sanitaires comme l'amélioration,
pour les femmes, de l'accès et de l'usage des transports collectifs comme
individuels. Ceux qui détiennent et utilisent les transports personnels —
vélos, mobylettes ou plus rarement voitures — sont encore et d'abord les
hommes. La question n'est pas seulement anecdotique. Une femme peut
préférer ne pas consulter un centre de santé mais plutôt un commerce
ambulant de médicaments situé hebdomadairement dans un marché rural
au croisement de pistes. Les femmes, qui sont aussi des cuisinières et des

om
ménagères fréquentant ces marchés, choisiront ces lieux de vente pour
leur proximité à pied, les rendant ainsi moins coûteux en temps personnel

.c
dépensé que le dispensaire. Cela ouvre sur les questions des coûts directs
ys
et surtout indirects de la santé inégalement répartis selon le genre et les
@

statuts individuels.
11

Tout en récupérant des charges sanitaires, les femmes demeurent


11

contraintes dans l'usage de leur temps car elles disposent de moments per
12

sonnels comptés et de rapports plus contraignants à l'espace et aux dis


21

tances. Elles cumulent les charges de cultivatrices, mais aussi de


46

ménagères, de cuisinières ce qui leur laisse moins de marges de manœuv


22

re pour faire face aux problèmes de santé souvent traités sur les lieux fr
e-

équentés pour leurs tâches domestiques, à l'exemple des marchés locaux.


o nn
ab

Les maraîchères dans les groupes domestiques


organisateurs de la santé et leurs recours aux soins

Le maraîchage marchand apporte de nouveaux revenus aux femmes.


Il traduit leur intégration croissante dans les circuits commerciaux locaux
et régionaux animés par le dense réseau de marchés ruraux et les flux mar
chands pour l'approvisionnement des métropoles (Chaléard, 1996). Cette
intensification des productions et des échanges locaux ne se retrouve pas
pour autant au niveau du recours à d'autres services de proximité. C'est le
cas des structures de soins primaires, alors même que les revenus du
maraîchage sont en partie utilisés pour des dépenses de santé. L'accès et
le recours aux soins dits modernes sont certes, dans les campagnes
sénoufo comme ailleurs, une question de coûts et de capacités financières

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MARAÎCHAGE, FEMMES ET SANTE 65

pour y faire face (Audibert et al., 2003). Le maraîchage y répond en part


ie. Cependant, et comme le soulignent de récentes études, les coûts de
santé ne suffisent pas à expliquer les formes des recours aux soins curatifs
(Audibert, 2004), pas plus que la distance géographique aux services de
soins. Les politiques de décentralisation initiées à la fin du XXe siècle ont
rapproché les communautés des structures de soins primaires.
En effet, depuis les années quatre-vingt/quatre-vingt-dix, les poli
tiques de décentralisation se généralisent en Afrique subsaharienne, avec
la diffusion des structures de soins primaires dans le maillage territorial
des districts sanitaires (Brunet-Jailly, 2000 ; Grosdos, 2004). Il s'opérerait
un rapprochement, au moins géographique, entre les structures de soins et
les populations locales. En revanche, avec les évolutions économiques et
sociales révélées par le maraîchage, les responsables domestiques de la
santé changent et se diversifient. De nouveaux acteurs comme les maraî
chères deviennent gestionnaires de leur propre bien-être et de celui d'une
partie de la population : enfants, mais aussi petits frères et sœurs, ou
encore parents âgés.
Si les revenus personnels des maraîchères les associent plus étroit
ementà la gestion des dépenses communes de santé, les femmes présentent
une familiarité inégalement « acquise » avec les structures de soins. Dès
lors, ces transferts de responsabilités peuvent se traduire, dans les pra
tiques, par un recours moins fréquent ou différé aux centres de santé, ainsi
que par le choix de thérapies de proximité (automédication familiale),
coutumières (en premier recours notamment) et/ou informelles (usage de
médicaments modernes mais distribués par les filières informelles et non
contrôlées des pharmacies ambulantes). À l'exemple du maraîchage, la
promotion d'activités génératrices de revenus personnels auprès des fem
mes ne suffit pas à garantir un recours plus fréquent ou immédiat aux
structures de soins curatifs.

Conclusion

Dans les campagnes sénoufo du nord de la Côte-d'Ivoire et de


l'ouest du Burkina Faso, l'essor du maraîchage marchand, en majorité
pratiqué par des femmes, répond tout à la fois aux objectifs des program
mes de promotion économique et sociale des femmes, et aux attentes des
projets de santé publique articulés sur le principe de recouvrement des
soins énoncé à Bamako en 1987. Une réflexion sur les enjeux de promot
ion de la santé ne peut se limiter à soutenir la plus grande autonomie
financière des femmes dont on reconnaît le rôle croissant dans la prise en

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66 AUDREY FROMAGEOT, FLORENCE PARENT, YVES COPPIETERS

charge des dépenses de bien-être (charges alimentaires et sanitaires) des


populations, en particulier de celui des enfants. L'étude souligne les art
iculations complexes entre l'accès des femmes à des revenus personnels et
leur accès aux structures de santé primaires, compte tenu de l'inégale
réduction entre distances économiques et distances culturelles et sociales
aux centres de soins. L'essor du maraîchage marchand rend compte d'une
activité personnelle, majoritairement féminine, qui, par ses acteurs, ses
bénéfices et son utilité sociale, traduit autant la croissance du degré de
vulnérabilité des communautés rurales que leurs capacités de réponse,
d'empowerment, ou leur résilience à des contraintes croissantes.
Au-delà du suivi des dynamiques des groupes domestiques organi
sateurs de la santé, l'étude invite à qualifier le temps et l'espace des
acteurs dans leurs inégalités. Les nouvelles configurations familiales de la
prise en charge de la santé font sens aussi et surtout selon les qualifica
tions spatiotemporelles des individus. C'est également, en matière de
santé, rendre l'histoire des sociétés africaines à ses acteurs et dépasser les
évaluations des systèmes sanitaires et de leurs dysfonctionnements par la
seule référence à des normes internationales.

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MARAÎCHAGE, FEMMES ET SANTE 69

ABSTRACT

Women's involvement in market-gardening


and the resort to health care in West African savannahs

Since the 1980s, women hâve been at the heart of rural development pro-
jects in Sub-Saharan Africa. They often make up the majority of the
actors involved in what the Stratégie Documents for Reducing Poverty
rather laconically refer to as IGA (Income-Generating Activities). Such
institutional récognition goes with the acknoweldgement of the major
part played by women in catering for basic food and health needs.
However, African women still hardly resort to first-aid units. More than
men, they turn to traditional or informai modes of care first, if not exclu-
sively. Given their increased financial autonomy thanks to their activities,
their limited access to care-units cannot be explained in terms of cost
alone. The study of the Senufo women's involvement in market-garde
ning on either side of the border between Ivory Coast and Burkina Faso
raises the question of their contribution to improving sanitary conditions
for families — children especially — , as well as of its conséquences on
therapeutic pathways and the various modal ities of resorting to primary
care.

Reproduction et diffusion interdite.


Reproduction et diffusion interdite.

70 AUDREY FROMAGEOT, FLORENCE PARENT, YVES COPPIETERS

RESUMEN

Mujeres, cultivo de hortalizas y recurso a los tratamientos médicos


en el Africa occidental

Desde los anos 80 las mujeres estân en el centro de los proyectos de


desarrollo rural en Africa subsahariana. A menudo aparecen como mayo-
ritarias entre los protagonistas de lo que los Documentos Estratégicos de
Reducciôn de la Pobreza definen de manera laconica con la sigla AGR
(Actividades Generadoras de Recursos). Este reconocimiento va de par
con el de su funcion de encargarse de las necesidades de salud domésti-
cas. Sin embargo, las mujeres también son mencionadas por su baja fr
ecuentacion de los centros de atencion de salud primaria. Aûn mas que los
hombres, recurren primero a los servicios de salud familiares o informa-
les. Si se tiene en cuenta su mayor autonomia financiera lograda gracias
a sus actividades, parece poco convincente la explication que atribuye la
baja frecuentacion femenina de los centros de salud a meras razones de
costo. El estudio de las tareas de horticultura de las mujeres de la etnia
senufo en la frontera de la Costa de Marfîl y Burkina Faso se interroga
sobre la funcion desempenada por ellas en los modos de atencion sanita-
ria de las familias y sobre todo de los ninos, como también sobre las
consecuencias que tiene este modo sobre los itinerarios terapéuticos y en
las modalidades del recurso a los tratamientos médicos.

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