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Apprenons à penser comme Eric Zemmour (en 9


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On a lu "le Suicide français", attentivement. Ça vaut le détour.

Par David Caviglioli


Publié le 17 octobre 2014 à 18h56
Mis à jour le Mis à jour le 21 novembre 2014 à 09h01

Temps de lecture 22 min


Quelque chose a changé chez Eric Zemmour. L’ancien chroniqueur qui réclamait
la parole en sautillant s’exprime désormais avec la gravité d’un prophète. Il était
intervieweur ; le voilà interviewé. Faisant la tournée des médias pour promouvoir son
nouveau livre, il a plusieurs fois déclaré que les thèses qu’il y défend sont «majoritaires
dans le pays». Zemmour, porte-parole du Peuple, remue les lèvres, mais c’est la France
qui chante.

«Le Suicide français» s’est immédiatement placé en tête des ventes. On l’a lu,
consciencieusement. Pendant ce temps, Zemmour passait à la télévision. Il racontait ce
que Zemmour raconte. Les journaux et les sites d’informations se couvraient de contre-
argumentaires factuels, sur Pétain et les Juifs, sur les chiffres de l’immigration en
France.

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La lecture du livre nous a persuadés que ces honorables entreprises de «fact-checking»


ne font pas suffisamment honneur à l’extraordinaire nullité intellectuelle du livre.

Eric Zemmour dispose ici de plus de 500 pages pour exposer sa pensée, puisqu’il pense
être un penseur. Or «le Suicide français» est un très long pamphlet, parfois intéressant,
mais le plus souvent hâtif, brutal et illogique.

Certains ont reproché aux médias d’avoir fait le succès du livre. C’est un peu court.
Zemmour est loin d’être le seul zemmourien de France. Son livre compile les plus
grands tubes de la doctrine identitaire récente. On peut même dire que son originalité
est d’être au premier rang de tous les cortèges réactionnaires. En lui, tous les
mégaphones hurlent, tous les courants se versent. Il est la multi-prise de l’extrême-
droite.

Zemmour, lui, reproche souvent à ses contradicteurs de lui «faire la morale». En ce qui
nous concerne, et depuis plusieurs années, on lui reproche surtout de raconter
strictement n’importe quoi. Quand par exemple il écrit, dans «le Premier sexe»:

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[Les femmes] ne créent pas, elles entretiennent. Elles n'inventent pas, elles
conservent. Elles ne forcent pas, elles préservent. Elles ne transgressent pas, elles
civilisent. Elles ne règnent pas, elles régentent. En se féminisant, les hommes se
stérilisent, ils s'interdisent toute audace, toute innovation, toute transgression,

le problème n’est pas tant la misogynie du propos que son absence de validité logique,
donc de signification.

On se propose donc d’observer la mécanique formelle et argumentative du livre. Son


éclatement extrême rend l’exercice un peu compliqué, mais ce sera peut-être une
occasion d’entrevoir le fonctionnement de la pensée identitaire. L’illogisme de
Zemmour, les biais de sa pensée, on les retrouve, à des degrés divers, chez Elisabeth
Lévy, Renaud Camus, Alain Finkielkraut, Richard Millet, ou François-Xavier Bellamy.

Lisons attentivement «le Suicide français», et apprenons à penser comme Eric


Zemmour.

1. Parler de tout et de n’importe quoi

«Le Suicide français» comporte 79 chapitres, plus ou moins courts. Chacun de ces


chapitres est associé à une date, et chacune de ces dates est présentée comme un
nouveau clou planté dans le cercueil national – pot-pourri de moments charnières où la
mort du général de Gaulle côtoie la première diffusion d’«Hélène et les garçons», le
Watergate, l’attentat de la rue Copernic, la fin de la parité dollar-or, la sortie des
«Divorcés» de Michel Delpech, la loi Evin, la diffusion de «Dallas», la création de NRJ,
l’affaire de Bruay-en-Artois, l’apparition de NTM, la nomination de Louis Schweitzer à
la tête de Renault, la mort de Malik Oussekine, la loi Royer sur les hypermarchés,
l’affaire des colonnes de Buren ou l’instauration du RMI.

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Il est entendu dès le départ que l’enjeu du «Suicide français» sera de relier l’intégralité
de ces événements très divers à une seule et même idée: la destruction méthodique de
la France par la génération de l'après Mai 68.

2. Ne douter de rien

Dans son livre, Eric Zemmour ne doute pas. Il ne lui arrive jamais de tomber sur une
opinion dissidente qu’il juge suffisamment intéressante pour être discutée. Pas un seul
passage où il s’interroge sur les prérequis de son discours. On est face au dogmatisme le
plus pur, le plus aveugle, le plus inébranlable.

Tentons de résumer le raisonnement d’Eric Zemmour. Il part d’une hypothèse: la


France ne peut exister qu’en tant que nation. Pour survivre, cette nation a besoin d’un
Etat fort. Charles De Gaulle, conscient de la chose, a tenté d’instaurer une «monarchie
républicaine», sorte de restauration bonapartiste qui seule pouvait sauver la France de
la «décadence».

Mais après la mort de De Gaulle (ou avant, ça dépend des chapitres), l’Etat s’est rallié à
«l’idéologie dissolvante» de Mai 68. Il s’est dépouillé de sa puissance d’antan. Infiltré
par les libertaires, il a cédé à toutes les lubies sociétales: féminisme, antiracisme, etc.,
avatars de l’individualisme triomphant, alliés objectifs du capitalisme mondialisé, dont
l’objectif est de pulvériser les nations en mosaïques de consommateurs amnésiques.

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Pour Zemmour, l’Etat qui ratifie une évolution sociétale est un Etat qui cède. Or un Etat
qui cède, c’est un Etat faible. Puisque l’Etat est faible, la France n’est plus une nation. Et
si la France n’est plus une nation, la France est morte. Elle s’est suicidée.

Ce qui frappe, c’est le caractère circulaire du raisonnement, qui ne repose que sur
l’acceptation totale de l’hypothèse première. Généralement, une hypothèse est destinée
à être vérifiée, interrogée, précisée. Chez Zemmour, il s’agit plus d’un postulat fixe, qui
sera de temps en temps vaguement étayé par des exposés historiques flous et sélectifs.

L’Etat-nation, la France, le lien qui unit les deux: ce ne sont pas chez Zemmour des
objets de langage, susceptibles de varier dans leur définition. En quoi, par exemple, la
France est-elle «une nation avant d’être une société»? Mystère. Comme l’identité, la
culture ou la famille, ces mots sont des blocs de granit, des vérités monolithiques et
immuables...

3. Ne rien définir

... qu'il est par ailleurs totalement inutile de chercher à définir. Zemmour manie un
grand nombre de concepts. Le matriarcat, l’individualisme, la virilité, la féminité,
l’histoire, l’identité, la nation, le consumérisme, l’assimilation, etc. Il ne les définit
jamais précisément. Il les convoque quand ça lui chante, et les tord à merci.
Nécessairement, son livre finit par en dire plus sur Eric Zemmour que sur l’histoire
française.
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On pense à sa vision de la féminité, renvoyée sans autre procès au romantisme, au


«bovarysme», à la faiblesse de caractère, aux «pulsions consommatrices», voire à
l’enfance.

Les garçons sont transformés en bonnes copines des filles. (…) Tout est rose
bonbon, mièvre, acidulé. L’objectif n’est plus : «Tu seras un homme mon fils !»,
mais plutôt : «Tu seras une femme, mon fils !»

Pour prendre un autre exemple, la victoire sans partage de «l’individualisme» est


présumée tout au long de ce «Suicide français». C’est un pivot important du livre,
puisque l’individualisme a tué l’Etat, donc la France.

Selon Zemmour, notre époque s’est donc dissoute «dans les ‘eaux glacées’ de
l’individualisme», dans le culte du «Moi tout-puissant». Mai 68 est le moment de
«l’irruption de cet individualisme arrogant et nihiliste», qui amène avec lui «l’angoisse
existentielle, la solitude, le désarroi et le déracinement», puis l'islam.

Mais Zemmour ne consacre pas une ligne à la définition du mot. Que nomme-t-il
«individualisme»? Le sentiment subjectif d’avoir un «for intérieur» indépendant de la
norme collective? La reconnaissance objective par les institutions de l’individu comme
unité sociale et administrative de base? L’attribution à la personne individuelle de
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Suivant la définition qu’on adopte, l’individualisme est tantôt une représentation


culturelle subjective, tantôt une réalité institutionnelle. Son histoire varie en
conséquence. On peut défendre qu’il naît avec la division du travail (comme le
sociologue Norbert Elias), ou avec la reconnaissance institutionnelle totale du droit de
propriété («l’individualisme possessif» du XVIe siècle dont parle l’anthropologue David
Graeber). (1)

On peut aussi questionner, comme le sociologue Bernard Lahire (2), l’idée que


l’individualisme connaîtrait un essor particulier. Lahire note par exemple que
l’éducation des enfants était majoritairement individuelle jusqu’au XIXe siècle (le
précepteur), et qu’elle est depuis collective (la classe, le programme scolaire).

Plus fondamentalement, Lahire montre que l’individu est de toute manière une création
collective, fruit de normes multiples, et pose cette question: «Qu’est-ce qu’un individu
sinon une production de part en part sociale (…)?»
Cela ne veut pas dire que l’individualisme est un mythe. Eric Zemmour peut tout à fait
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trouver notre société individualiste. Mais à se dispenser de définir l’idée etSANS
deENGAGEMENT
démontrer
FIL INFO sa pertinence,
société il s’expose
politique au danger
écologie de produireéconomie
international du non-sens. Surtout quand
opinions cu
il se retrouve à jongler avec une quinzaine de macro-concepts du même genre.

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4. Se contredire d'une page à l'autre

Un des grands récits zemmouriens est donc l’abandon de «l’assimilation» des


immigrés, bien entendu jamais définie, «au bénéfice de l’expression libérée du Moi
tout-puissant» - ce fameux individualisme, donc.

Dans l’exposé glorieux qu'il fait de l’ancienne assimilation à la française (dont on doute
fortement de la véracité historique), les Italiens et les Juifs sont présentés comme un
«exemple rare d’assimilation réussie». Leur humilité, leur «respect des codes de
l’assimilation» («francisant leur patronyme, et n’évoquant guère leurs origines»),
«leur permit d’obtenir un accueil chaleureux du public français et une immense
réussite professionnelle».

L’«accueil chaleureux» réservé à l’immigration juive fera le délice de beaucoup


d’historiens. Mais restons sur l’exemple italien. Une page plus loin, Zemmour nous
apprend tout de même
qu’à la fin du XIXe siècle, les ouvriers français n’hésitaient pas à monter de
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violentes expéditions punitives contre les «Ritals» accusés de leur «voler leur
pain». société
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Les «expéditions punitives» entrent-elles aussi dans le cadre de «l’accueil chaleureux»?


Zemmour ne cherchera pas à résoudre la contradiction. Il continuera à brandir, tout au
long du livre, l’exemple italien, pour l’opposer à la mauvaise volonté des Maghrébins.

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Rappelons un peu à quoi les Italiens de France ont fait face. L’historien Pierre Milza,
pourtant cité par Zemmour, parle de «vives tensions xénophobes»:

Ils incarnaient, aux yeux des populations du cru, toutes les «tares» de
l’immigration nouvelle – l’instabilité, l’acceptation de conditions de vie et de
travail insupportables aux travailleurs français, la délinquance, etc. (…)

Jusqu'au début du siècle, les Transalpins ont dû, sur fond de dépression
économique et de saturation du marché de l'emploi, affronter des réactions
xénophobes qui ont fréquemment dépassé les frontières du verbe et de l'écrit. A
Marseille en 1881, à Aigues-Mortes en 1893, à Lyon l'année suivante, ainsi que
dans nombre d'incidents moins spectaculaires, ils ont fait l'expérience de ce que
nous appelons aujourd'hui «ratonnade». (3)

Le massacre d’Aigues-Mortes a officiellement fait 8 morts et 50 blessés. Pierre Milza


poursuit:
L'intégration, puis l'assimilation des immigrés italiens et de leur descendance
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ne
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sont pas, on le voit, le résultat d'une conversion miraculeuse à la francité. Elles sont
au contraire
FIL INFO le produit
société d'uneécologie
politique longue histoire. Elles passent
international par les expériences
économie opinions cu
douloureuses d'au moins deux générations de migrants.

5. Ignorer l’histoire quand elle nuit à la cohérence du propos

« Plus rien ne serait comme avant», «la véritable rupture, la borne idéologique, la
césure historique», «la nouvelle ère»: «le Suicide français», c’est la bascule historique
permanente. On change d’ère tous les trois mois. Zemmour fabrique des ruptures
civilisationnelles à un rythme industriel. Il finit par donner l’impression au lecteur
d’être au bord de milliers de précipices («l’invasion» africaine, «la désintégration
familiale») qui, paradoxalement, mènent tous au fond du même ravin: la «dissolution»,
la «déstructuration», etc.

A tel point qu’on finit par penser que, loin d’identifier des séries historiques
véritablement pertinentes, le discours de Zemmour repose sur sa certitude absolue de
vivre une époque où tout bascule constamment dans le chaos.

Il y a chez lui une idéalisation manifeste du passé. Le temps de «la structure


hiérarchique qui donnait sa colonne vertébrale à la société française». Cette histoire
heureuse, c’est principalement l’histoire pré-révolutionnaire, l’Empire et la
«restauration» gaulliste. Après, on entre dans l’apocalypse. Zemmour cite De Gaulle,
qui disait: «J’ai pu écrire les dernières pages de l’histoire de France.»

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Y a-t-il une raison dans l’histoire zemmourienne ?

La première partie du livre s’intitule «L’histoire n’est pas notre code». Comprendre: la
fameuse «génération 1968» arrivée au pouvoir entendait s’affranchir de l’histoire et de
la tradition nationale. Mais Zemmour ne peut pas non plus ignorer que 1968 est aussi,
en toute logique, l’aboutissement de l’histoire française. Ainsi, son travail d’historien va
consister à délégitimer, voire ignorer sciemment, des pans entiers de notre histoire.

Quand on le lit, on a parfois l’impression étrange que la France contemporaine sort du


néant, en plus d’y aller. Il dénonce par exemple «le culte germaniste de l’Etat de droit»
et le «gouvernement des juges», deux coups d’Etat aux intitulés menaçants qui
auraient renversé le pouvoir en France dans les années 1970, supplantant la
traditionnelle hiérarchie monarcho-républicaine qui faisait notre bonheur.

Mais Zemmour ignore, ou feint d’ignorer, que l’Etat de droit, en France, s’enracine dans
l’Ancien Régime, remonte à la réglementation des adjudications et des expropriations, à
l’inaliénabilité de la Couronne, aux Lois fondamentales du Royaume. C’est aussi
l’histoire révolutionnaire, avec la création de la bureaucratie moderne, invention
française. (4) C’est aussi notre XIXe siècle, avec la juridiction administrative qui se
donne le pouvoir de juger les affaires où la responsabilité de l’Etat est en cause. C’est
enfin notre XXème siècle, qui achève de soumettre la puissance publique au droit.

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Par définition, tout ce qui arrive à la France est un legs de son histoire et sera légué à sa
postérité. Chez Zemmour, il y a deux histoires de France: la légitime, qui est
principalement caractérisée par sa disparition; et l’illégitime, qui prospère et usurpe
notre destinée nationale.

Comme beaucoup de ses comparses et beaucoup de ses adversaires, Zemmour tient un


discours résolument hémiplégique. Il parle beaucoup d’immigration, mais ne s’intéresse
pas vraiment à son fondement colonial. Il ne manque pas une occasion de dire, sur de
longues pages, la nocivité de l’antiracisme des années 1980, mais il n’évoque qu’une
seule fois, en passant, et sur un ton particulièrement débonnaire, le racisme délirant des
années 1970 et les ratonnades meurtrières qui les ont rythmées (on a compté 70
assassinats racistes entre 1971 et 1976). Les violences urbaines sont décrites par le
menu; jamais les violences policières.

Cette obsession de taire la moitié de l’histoire de France nous rappelle cette phrase
d’«Histoire et Utopie» où Cioran, avec son ironie habituelle, évoque «ce que tout
homme attaché à son pays souhaite au fond de son cœur: la suppression de la moitié
de ses compatriotes».

Lire
Renaud Camus, maître à tweeter du "Printemps français"
6. Faire de la métaphore

Comme Millet, Finkielkraut ou Camus, Zemmour se flatte de bien écrire et d’aimer la


belle langue. Qui le lui reprocherait? Amateur d’aphorismes et de citations, grand
générateur de formules, Zemmour a la plume un peu plus lourde, un peu plus
journalistique, que les trois auteurs précités. Mais après tout, c’est un style, et il ne
manque pas de savoir-faire.

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Un problème se pose, cependant, lorsque la langue remplace la pensée, l'entrave, ou
camoufle ses faiblesses.

On l’a déjà vu avec les «destructions», le Kosovo français et autres «champs de ruines»:
le vocabulaire de Zemmour est total. «Le Suicide français» est une compilation
d’images wagnériennes et de tableaux désolés. Zemmour ne cherche pas à convaincre. Il
cherche à sidérer. Pour raconter l'histoire de la grande distribution, il file ainsi la
métaphore… du massacre de masse.

Les technocrates français de l’après-guerre lancèrent la «dékoulakisation» des


petits commerçants et paysans. Les grandes surfaces furent le bras armé de cette
«épuration sociale». Ils liquidèrent les petits commerçants, et asservirent les rares
paysans qui survécurent à l’industrialisation de l’agriculture. Les petits
commerçants et paysans devaient mourir pour que meure l’ancienne France.

Zemmour personnifie la France à outrance, souvent pour la déclarer morte. «Avec De


Gaulle, c’est la France qu’on enterre.» En Mai 68, le Général, «veuf inconsolé de la
France», «saisit son échec à réveiller le corps défunt de sa bien-aimée».

Ces licences poétiques ont une grande utilité: elles dissimulent la faiblesse de
l’argumentaire. Elles sont un efficace cache-misère. Comme ici:

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L’avilissement des soldats dans la boucherie de la Première Guerre mondiale


encouragea les hommes à jeter aux orties le fardeau qu’ils avaient entre les jambes.

Ni avant, ni après, cette phrase ne sera expliquée. Or, si on la dépouille de ses


nombreuses moulures stylistiques, on se retrouve avec cette thèse: «La violence de la
Première Guerre mondiale a poussé les hommes à abandonner leur virilité.»

L’idée ainsi formulée, le lecteur attendrait un développement, ou un renvoi à un


ouvrage qui attesterait ce revirement historique de première importance.

La métaphore, ça peut aussi être la psychanalyse de comptoir, omniprésente dans le


livre: Zemmour creuse avec fièvre le filon symbolique du Père. La France d’avant
reposait «sur l’impérium du père, à la maison comme à la tête de l’Etat». De Gaulle
était le Père de la France, et sa mort a sonné la mort de tous les pères. Tout cela nous
donne de grands moments de pensée Shadok :

A partir du moment où la puissance paternelle est abattue par la loi, le matriarcat


règne. L’égalité devient indifférenciation. Le père n’est plus légitime pour imposer
la loi.

On admire l'absence de lien logique entre chaque phrase, ainsi, encore une fois, que la
structure parfaitement circulaire du propos. On ne peut pas s’empêcher de citer un
autre passage, particulièrement flou et croquignol:

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Le rejet haineux du père est sans doute le point commun fondateur entre une
homosexualité narcissique qui transgresse sexuellement la loi du père et un
capitalisme qui détruit toutes les limites et les contraintes érigées par le nom du
père autour de la cellule familiale, pour mieux enchaîner les femmes et les enfants
– et les hommes transformés à la fois en enfants et en femmes – à sa machine
consumériste.

7. Prophétiser l'apocalypse

Mais tout l’édifice zemmourien s’effondrerait si Zemmour échouait à montrer l’ampleur


de l’apocalypse française. On ne peut pas se contenter de disserter ad nauseam sur la
délinquance, le terrorisme ou la misère, qui n’ont rien de neuf en France. Notre ruine
doit être profonde, civilisationnelle. Le livre regorge donc de références à «la folie
destructrice de l’époque», à des «déstructurations anthropologiques». On trouve des
phrases comme :

L’avenir de notre cher Hexagone se situe entre un vaste parc d’attractions


touristiques et des forteresses islamiques, entre Disneyland et le Kosovo.

Ou :

L’univers mental de nos contemporains devint un champ de ruines.

Répétées page après page, ces prophéties et ces lamentations déclamatoires soutiennent
le propos de Zemmour comme la béquille soutient le boiteux. Elles sont suffisamment
vagues pour que chacun croie y reconnaître quelque chose. C'est le principe de
l'horoscope. Les psychologues appellent ça l’effet Barnum. Celui qui prétend ne pas voir
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la France comme un champ de ruines est aveugle, ou malhonnête. Ça ne se prouve pas,
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l’apocalypse.
FIL INFO Ça se ressent.
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Les cocasseries démonstratives de Zemmour sont nombreuses. A l’entrée «22 février


1973», Zemmour évoque la sortie de «Elle court, elle court la banlieue», le film de
Gérard Pirès dans lequel la banlieue est belle et paisible. Il en tire cette conclusion:

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Toutes les théories échafaudées depuis lors par des géographes, urbanistes,
sociologues s’effondrent en quelques images: ce ne sont pas l’urbanisme en
hauteur, les cages d’escalier, l’absence de rues qui provoquent la violence, les
bandes, les ghettos ; mais la violence, les bandes, les trafics qui transforment le
paradis en enfer. Ce ne sont pas les structures qui forgent la superstructure ; c’est la
population – et les changements de population – qui façonnent l’environnement.

Les questions de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire sont réglées. Tout cela


repose sur un travail d’enquête incontestable: le visionnage d’un film de fiction, vieux
de quarante ans, mis en scène par le réalisateur de «Taxi». Avec un corpus d’une telle
épaisseur, Zemmour n’a plus qu’à humilier Marx et ses superstructures, puis à conclure
que les immigrés ont une nature criminogène et détruisent notre «paradis».
Notons que la valeur historique et sociologique de la fiction varie dans le livre. Quand
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une œuvre ne fait pas plaisir à Zemmour, comme le «Dupont-Lajoie» d’Yves Boisset,
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Zemmour
FIL INFO ysociété
voit une «mythologie» forgée par
politique écologie une «conscience
international de gôche»
économie pour laquelle
opinions cu
«la réalité importe peu».

8. Créer des agents historiques abstraits

Il est fréquent de lire, dans la presse ou dans des essais, que «le capitalisme a fait ceci»,
ou que «la modernité a fait cela». Zemmour abuse de ces petits jeux de langage. Il parle
par exemple du «travail de sape réalisé par le capitalisme américain pour abattre la
figure du père». Il ajoute au procédé l’emploi du passé simple, qui donne un côté «récit
historique»:

Ces vagues de féminisation et d’universalisme postchrétien brisèrent les digues


d’une France encore patriarcale.

Ces idées personnifiées ont un grand mérite: elles font passer des évolutions historiques
pour des destructions intentionnelles de l’histoire française. L'enjeu n'est donc pas de
les analyser, mais d'en démasquer les coupables. Ils sont nombreux, des «élites
administratives» à «l’extrême-gauche juive» en passant par Canal+. On ne les cite pas
tous.

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Zemmour utilise souvent l’énumération ternaire pour désigner les assassins de la


France («géographes, urbanistes, sociologues»), et crée des alliances entre ces entités
floues qui agissent on-ne-sait trop comment. Voici, pour rester sur l'exemple cité plus
haut, comment le «capitalisme américain» a «abatt[u] la figure du père»:

Les publicitaires, sociologues, psychologues s’allièrent aux femmes et aux enfants


contre les pères qui contenaient leurs pulsions consommatrices. Les mêmes, alliés
aux féministes, firent campagne pour que les femmes aient un accès égalitaire aux
dépenses du foyer.

Lire
"Lorànt Deutsch a une vision
quasi-maurrassienne de l’histoire"
9. Citer n’importe comment
Eric Zemmour déclare avoir «beaucoup lu» pour écrire «le Suicide français», qui ne
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comporte pourtant pas de bibliographie. On trouve une soixantaine de notes de bas de
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page renvoyant
FIL INFO à un ouvrage,
société politique pour 518 pages
écologie d’un texte quiéconomie
international évoque desopinions
sujets on necu
peut plus divers. Ces notes se bornent à indiquer l’éditeur, parfois l’année de parution.

On sait que Zemmour cite comme d’autres réfléchissent. Chez lui, la citation est
normative. Un aphorisme bien tourné de Renan peut clore un débat. Il cite
abondamment les célébrités: Chateaubriand, De Gaulle, Nixon, Marc Bloch, Pompidou.
Il convoque quelques savants moins fameux, aussi, dont il ne présente jamais le travail.
On ne sait jamais d’où ces citations viennent, elles sont souvent contestables, mais elles
scandent le texte et lui prêtent leur autorité.

Zemmour s’accommode aussi très bien des auteurs avec lesquels il n’est pas d’accord.
Dans la page la plus surprenante de son ouvrage, il se range avec Foucault parmi les
ennemis du biopouvoir, lui qui veut interdire la fécondation in vitro aux lesbiennes. Il
triture Fanon pour lui faire dire que les jeunes de banlieue veulent nous persécuter.

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Il reproduit l’extrait d’un article (ou d’un entretien – Zemmour ne le précise pas) du
sociologue Hugues Lagrange :

Le 9-3 ce n’est pas la France, c’est même très différent. (…) Le département est
extrêmement jeune, la pyramide des âges tout à fait comparable à celle des pays
d’Afrique du Nord (…).

Zemmour en déduit que les «islamistes» (alliés aux «libéraux mondialistes») veulent
«contraindre la France à s’auto-détruire». Il estime que Lagrange est «un de nos
sociologues les plus avisés». Il doit toutefois noter que, pour Lagrange,

faire vivre ensemble des minorités religieuses et linguistiques comme les parties
d’une totalité plus vaste n’est pas plus incompatible avec l’idée de faire société que
d’articuler les intérêts sociaux divergents.

Effectivement, se dit-on: pourquoi une nation pourrait-elle rassembler un ouvrier et un


patron, et pas un athée et un musulman? Ainsi, selon ce «sociologue avisé», la France
n’est pas condamnée à l’auto-destruction. On a le cœur qui bat: Zemmour va-t-il
changer d’avis? Non, il congédie alors Lagrange, qui cesse d'être avisé à l’instant où il
n’a plus besoin de lui: «Derrière le jargon sociologisant, cette réflexion a le mérite de
dessiller les yeux des bien-pensants (…).»
Drôle de procédé : citer, à l’appui d'un argumentaire, un texte qui le contredit.
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Zemmour semble voir les livres comme des suites de phrases logiquementSANS disjointes,
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des catalogues
FIL INFO de formules
société en libre-service.
politique écologie international économie opinions cu

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A propos de la question des genres, il cite une phrase du sociologue Eric Fassin, qui le
met dans tous ses états :

Ce qui est en cause, c’est l’hétérosexualité en tant que norme. Il nous faut essayer
de penser un monde où l’hétérosexualité ne serait plus normale.

Eric Fassin a lui-même relevé que la phrase a été tronquée. Voici la phrase complète:

Ce qui est en cause, c’est l’hétérosexualité en tant que norme. Il nous faut donc
essayer de penser un monde où l’hétérosexualité ne serait pas normale – sinon,
probablement, au sens statistique.

L’incise finale a tout de même une certaine importance. Mais Zemmour ne se contente
pas de mal recopier. Il comprend mal, aussi. Voici comment il traduit la phrase de
Fassin:

Un monde où l’hétérosexualité deviendrait anormale, et où l’homosexualité


deviendrait la norme.

Il n’y a pas besoin d’être docteur en logique pour voir la différence entre les deux
propositions. Ici, on s’interroge. Zemmour a-t-il été débordé par sa paranoïa? Ou est-ce
tout simplement de la malhonnêteté intellectuelle?

La suite après la publicité

On se permet enfin de partager une impression plus générale de lecture à propos de ce


«Suicide français». Il s’ouvre, on l’a dit, sur la mort de De Gaulle, en 1970, et raconte les
dernières années de son règne. Ces pages sont extrêmement mélancoliques, violentes et
contrastées. Elles sont rendues sentimentales par le recours permanent à la figure du
Père. Le monde d’avant 68 est nettoyé de toutes ses imperfections. Il est peuplé de
géants.
Suit la description des années 1970. Les grands personnages sont un peu moins grands.
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Les fossoyeurs de la France sont déjà à l’œuvre, mais ils pèchent par naïveté et
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insouciance.
FIL INFO A partir de
société l’annéeécologie
politique 1972, Zemmour prête une économie
international attention extrême
opinionsà la culture
cu
populaire, à la chanson, au cinéma, au football. En 1972, Eric Zemmour, né en 1958, a
14 ans. Il parle des Stones, de Michel Delpech, de Jacques Dutronc, des «Valseuses», de
Gérard Pirès.

Le deuxième chapitre s’ouvre en 1984. Le récit devient maussade, beaucoup plus


anecdotique, plus précis aussi. Il se peuple de personnages antipathiques. Au fil du
temps, plus personne ne trouvera grâce aux yeux de Zemmour. La chanson française se
résume au rap, que Zemmour vomit. Quant aux années 1990 et 2000, elles sont un
repaire de dirigeants médiocres, de technocrates crapules, de footballeurs racailles.

Il est tout de même frappant de voir que la grandeur française cesse avec l’enfance de
Zemmour, et que la déchéance nationale s’accentue à mesure qu’il avance en âge. «Le
Suicide français» a quelque chose d’une autobiographie mal déguisée en essai. Et
puisqu’on espérait tirer de tout cela une idée un peu générale sur l’extrême-droite, on se
dit qu’il faut se méfier de ces Français qui se prennent pour la France.

David Caviglioli

La suite après la publicité

Le Suicide français
par Eric Zemmour
Albin Michel, 534 p., 22,90 euros.

Lire
LEXIQUE. Parlez-vous le néo-facho ?
1)   «Des fins du capitalisme», par David Graeber (Payot)
2)   «Dans les plis singuliers du social», par Bernard Lahire (La Découverte)
3)   «L’intégration des Italiens en France : ‘miracle’ ou vertu de longue durée ?», revue
"Pouvoirs", numéro de novembre 1988 (consultable ici)
4)   A ce sujet, lire: «Le Démon de l’écriture», par Ben Kafka (Editions Zones Sensibles)

David Caviglioli
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