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« A partir du 11 mars 2011, deux désastres successifs se sont produits par réaction en chaîne : un
séisme de magnitude 9 suivi d'un tsunami de 39 mètres et une catastrophe nucléaire. Le cataclysme
initial était déjà colossal causant 15 899 morts, 6157 blessés, et 2529 personnes portés disparues. »
Selon un rapport de deux ONG fondées par des médecins militant contre l'énergie nucléaire,
« Physicians for social responsability » (PSR) et « International Physicians for the Prevention of
Nuclear War » (IPPN), on peut attendre entre 9 600 et 66 000 cancers supplémentaires au Japon à
cause des radiations.
Parmi les travailleurs de la centrale, la radioactivité serait à l’origine de quatre maladies et d’un
possible décès. Possible parce que pour que le décès par cancer du poumon d'un travailleur d'une
centrale nucléaire soit reconnu comme étant lié au travail selon les directives actuelles, la personne
doit avoir été exposée à 100 millisieverts ou plus de rayonnement et le développement de la maladie
doit survenir cinq ans ou plus après l'exposition.
L'opération Tomodachi est une opération d'aide humanitaire des Forces armées des États-
Unis au Japon à la suite du séisme de 2011 de la côte Pacifique du Tōhoku.
« Après leur retour du japon les marins de l'USS Ronald Reagan ont commencé à connaître des
problèmes de santé rare et gravissimes pour des personnes aussi jeunes : leucémies,
dégénérescence du nerf optique, cancer de la thyroïde, des appareils génitaux et du cerveau. En
avril 2012, le lieutenant Steve Simmons, un marathonien, a dû être hospitalisé pour une
inflammation des ganglions lymphatiques. Bientôt ses jambes ont cessé de le porter ; il a été mis à
la retraite anticipée pour raison médicale en avril 2014, et , à 35 ans, se déplace désormais en
fauteuil roulant. Mathew Bradley, lui, a contracté une maladie dégénérative de la colonne
vertébrale. Une femme de la Navy affirme quand à elle :
Pendant l'opération Tomodachi, j'ai commencé à avoir des migraines, et ensuite des cycles
menstruels irréguliers. Après j'ai dû avoir recours à des opérations du genou, du sein et de la
jambe pour enlever des excroissances.
L'épouse d'un marin a rapporté qu'à la suite de cette exposition son fils qui est né le 14 novembre
2012 a été diagnostique à 8 mois comme souffrant d'un cancer du cerveau et de la colonne
vertébrale
(…) Cinq ans après, il apparaît que ce n'est pas seulement l'USS Reagan qui a été contaminé mais
seize des vingt-cinq navires qui ont participé à l'opération Tomodachi.
Pour en savoir plus sur les conséquences psychologiques, lire « Fukushima, dix ans après –
Sociologie d'un désastre » de Cécile Asanuma-Brice.
Tsunami tendenko : Quand le tsunami arrive, prend tes jambes à ton cou.
Chapitre 1 page 71
« Certains ont suggéré qu'en un sens, la maxime tsunami tendenko préfigurait l'exode des gens de
Fukushima, et interprété l'évacuation comme une méthode pour échapper aux radiations, ce qui ne
pourrait être rendu possible que par la volonté d'individus déterminés à préserver leur bien être
sans égard à l'attachement et à la loyauté qu'ils ressentent vis à vis de leur communauté. (Pourtant)
Cette ligne de pensée ne doit pas être considérée comme une restauration de l'individualisme. Elle
met plutôt en relief la nécessité de décomposer les anciens assemblages relationnels – familles,
amitiés et communautés, pour faire face à la catastrophe. Il est parfois nécessaire de suspendre
temporairement les relations sociales existantes pour préserver le bien être de chacun, dans
l'attente d'une nouvelle recomposition de ces relations. Les activistes qui soutenaient l'évacuation
étaient motivés par l'idée qu'elle mènerait à la création de nouveaux territoires autonomes contre et
en dehors de la société consumériste de Tokyo. A leurs yeux, le mot d'ordre de tsunami tendenko
était un contre-discours opposé au conformisme national du régime post-Fukushima, qui maintient
la population en place pour assurer le bon fonctionnement de l'économie et du gouvernement
local. »
Extrait de Fukushima, dix ans après – sociologie d'un désastre de Cecile Asanuma-Brice
page 172-183
La résilience : une injonction à se résigner ?
Dès 2012 le MEXT (Ministère de l'Education, la Culture, les Sports, la Science et la Technologie
au japon) intitulait son livre blanc : « Vers une société durable et résiliente »
Le colonel et Dr. Ostfeld, chirurgien commandant dans l'armée israélienne propose l'usage d'une
technique utilisée en temps de guerre en Israël pour atteindre cet objectif : la formation de petits
groupes de résidents dispersés sur le territoire, menés par un individu présentant
psychologiquement des capacités d'adaptabilité, un esprit « flexible et positif » le rendant peu sujet
à l'anxiété, et cet individu serait en charge de rassurer la population avoisinante. Ce fut la tâche que
se fixa le projet « Ethos Fukushima ».
(…)
Dans un article du monde de 2016, la sociologue Eva Illouz mettait en garde contre ces pratiques
pronant la résilience à tout va. Sa tribune intitulée « gare aux usages idéologiques de la résilience »
analysait les travaux du psychologue Mertin Seligman, père de la psychologie positive.(...) Dans sa
tribune, Eva Illouz souligne que l'application de la résilience à divers champs de nos activités avait
pour conséquence principale de priver de « légitimité les sentiments négatifs pourtant inévitables,
et même nécessaires dans beaucoup de situations sociales. (…) Son deuxième constat est que la
résilience ne tolère pas une pensée collective de remise en cause des structures sociales qui
peuvent être à l'origine des souffrances, ni ne permet la solidarité entre personnes en souffrance : la
non-résilience aux évènements négatifs étant interprétée comme un échec individuel.
(...)
Projet ETHOS
Chapitre 1 page 83
Chapitre 1 page 27
« Entre temps l'esprit national s'était proposé de court-circuiter et de reléguer aux oubliettes ce que
les évènements avaient révélé en invoquant le sentiment du lien national qui a pour fonction de
favoriser le contrôle et les développements futurs.
Après Fukushima, l'âme collective assuma la fonction critique d'une révélation – dans le sens
biblique de l'apocalypse – de la substance de notre société : celle-ci était maintenue sous le
contrôle et la protection du pays qui avait été jadis son assaillant – les Etats-Unis – et carburait à la
catastrophe – son invention. »
Chapitre 1 page 56
« En mars 2011, des substances radioactives détectées dans l'eau potable de Tokyo provoquèrent
une ruée de la population dans les supermarchés pour acheter de l'eau en bouteille. Les médias
critiquèrent ce comportement « antisocial », alors que les nationalistes accusaient le peuple
« d'alimenter les rumeurs » en continuant à se plaindre. L'expression fūhyō higai commença à
circuler dans les médias, reflétant l'intérêt du gouvernement à réduire ces plaintes au silence. »
« Dans la vie de tout les jours, les mères et les personnes qui s'occupent des enfants durent inventer
une panoplie de stratégie pour faire face aux effets nocifs potentiels des retombées radioactives :
choisir des aliments en évitant ceux qui provenaient des régions affectées, inventer des procédés de
cuisson qui réduisent la contamination, trouver des lieux de vie sûrs, etc. Ces stratégies furent
souvent dénoncées comme irrationnelles, émotives ou hystériques par les autorités et les hommes.
(…) on leur affubla l'étiquette de Hōsha Nō (cervelle radioactive), un jeu de mot qui se moque de
la peur des radiations en suggérant que le cerveau deviendrait radioactif.
Fukushima et ses invisibles, page 96 « Journal d'une cervelle radioactive » - Yoko Hayasuke
« Les nouilles instantanées contiennent beaucoup d'additif alimentaires et sont mauvaises pour la
santé. Mais cette junk food bas de gamme est souvent fabriquée avec des produits importés de
l'étranger, où le cout de main d'oeuvre est considérablement moins cher et où la production
massive est possible. On peut donc les consommer sans se soucier de la contamination radioactive.
(…) Plus vous comprenez l'endroit où vous êtes, plus vous vous sentez étrangère. Si la vie
quotidienne qui vous entoure est elle-même déréglée, comment savoir si vous êtes parfaitement
lucide ou complètement folle ?
(…) A. vous propose de manger dehors ce soir. Il n'y a pas beaucoup d'endroit à Tokyo où vous
pouvez dîner sans inquiétude. A. qui vous accompagne aime boire du sochu (alcool distillé) au
comptoir d'un bar crade fréquenté par les ouvriers après leur boulot à l'usine. Mais A. doit vous
suivre dans le quartier chic, où il y a un Coach, un Apple Store, un John Master Organics pour
manger un dîner bio chic et sain entourés de gens chics et sains. »
Mushubutsu : l'objet sans maître
« Le terme japonais mushubutsu se traduit par « objet sans maître » ou « objet sans propriétaire »
et correspond au concept de res nullius (chose qui n'appartient à personne) dans le droit romain. Il
se rapporte à toute chose – terre, plantes, animaux, esclaves, feu, etc. - qui n'est pas encore qui
n'est plus l'objet d'un quelconque sujet dans le sens légal. (…) TEPCO a avancé que dans la
mesure où la radioactivité est essentiellement un objet sans maître ne lui appartenant pas, la
compagnie ne saurait être tenue responsable du nettoyage des radionucléides libérés par ses
réacteurs perforés. (…) En mobilisant le concept de mushubutsu, TEPCO déclarait implicitement
que sa propriété de l'énergie comme marchandise – les atomes fissurés d'uranium – se limitait à la
situation où l'énergie nucléaire était confinée par le capital fixe, c'est à dire lorsque les réacteurs
nucléaires fonctionnaient normalement et généraient des profits. (…) Pour le dire simplement,
TEPCO arguait que lorsque l'énergie atomique ne se comporte pass comme prévu, l'entreprise n'est
plus obligée, ni même capable d'en prendre soin. »
« Comme l'a révélé sans le vouloir l'utilisation par TEPCO du concept d'objet sans maître pour se
déresponsabiliser, les radiations constituent moins un objet qu'un mode d'existence ou un
événement, celui d'atomes d'uranium qui, une fois fissionnés, fusionnent avec l'environnement au
niveau nano-dimensionnel, suivant la complexité des flux planétaires. »