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Dracula ou la genèse d’un mythe littéraire

Marie-Cécile Rat-Cadars

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Marie-Cécile Rat-Cadars. Dracula ou la genèse d’un mythe littéraire. 2020. �hal-02639972�

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Preprint submitted on 28 May 2020

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Dracula ou la genèse d’un mythe littéraire

Marie-Cécile Rat-Cadars

CERES TR1 mars 2020

« Avec Dracula, Bram Stoker a donné au mythe du vampire sa dimension définitive. Il en a fixé
l’archétype auquel il est désormais impossible de ne pas se référer : pour l’imiter, le contester ou le
renouveler. » 1

Cette intervention se tient alors que Dacre Stoker, arrière-petit neveu de Bram Stoker et J-D Barker
ont écrit Dracul, traduit et paru en France fin 2018 sous le titre Dracula, Les origines, préquel du
roman de Dracula, inspiré de pages inédites du journal de l’auteur et supposé raconter la Genèse du
roman mais aussi l’histoire de Stoker lui-même.

Dans mes recherches actuelles, je voudrais donner du sens aux origines du mythique personnage
Dracula. Pour cela, au fil de mes lectures, j’ai dégagé plusieurs axes dont j’ai vérifié la crédibilité et
j’en ai retenu 7.

1. L’indigestion de Bram
2. La lecture de The land beyond the forest d’Emily Gerard et les 26 ouvrages consultés par
l’auteur à la Marsh’s Library et à la London Library
3. Vlad Tepes Drakul
4. Les amitiés de Stoker avec Irving et Vambery
5. Les mythologies, croyances et légendes
6. La porphyrie
7. Jack l’Eventreur et La Golden Dawn

Certaines pistes seront peut-être abandonnées car menant à une impasse, notamment la dernière
qui, en l’absence de sources fiables et disponibles, s’avère plus spéculative qu’effective, d’autres
parce que n’apportant rien de significatif ni de nouveau. A l’heure actuelle, je travaille conjointement
sur la démarche créatrice de Bram Stoker et l’origine chronologique et historique du vampire
puisqu’il semble que l’auteur ait œuvré de la sorte !

1- La légende

Pour justifier les horreurs écrites dans le roman de son père, la légende dit que l’un de ses fils a
prétexté une indigestion au crabe qui aurait occasionné un affreux cauchemar que Stoker ne serait
parvenu à exorciser qu’en l’écrivant/

Or, les 10 années de préparation du roman tendent à invalider cette écriture pulsionnelle et
cathartique. De même que le nombre considérable d’articles, d’ouvrages, de conférences que Stoker
a utilisé pour concevoir son roman. Nous le verrons ultérieurement, contrairement aux auteurs
gothiques qui usaient principalement de leur imagination et de schémas narratifs préconçus du
genre, Stoker a cédé à la mode du document dans une volonté d’ancrer son œuvre dans une logique
quasi naturaliste. C’est d’ailleurs dans cette optique qu’il écrit dans la préface originale et écartée de

1
LACASSIN, F., Vampires de Paris, Paris, union générale d’édition, 1981, p.14

1
la première édition que Dacre Stoker a récemment retrouvé : « Je suis convaincu, sans le moindre
doute, que les événements ici relatés, si incroyable au premier abord, se sont réellement déroulés. »

Pour faire croire que tout était vrai il a donc utilisé des sources scientifiques nombreuses, sérieuses
et variées et écrit non pas un roman linéaire mais un écrit morcelé ou les points de vue se croisent et
s’éclairent mutuellement : lettres, articles de journaux, extrait de journaux intimes, rapports
médicaux…

2- La lecture de The land beyond the forest d’Emily Gerard et les 26 ouvrages consultés par
l’auteur à la Marsh’s Library et à la London Library

Les carnets de Bram Stoker indiquent qu’il a compulsé et résumé 32 ouvrages pour documenter son
roman. Cela sans compter les informations moins scientifiques ou les autres plus secrètes recueillies
dans les milieux occultes.

Parmi les livres empruntés, sur lesquels Stoker a écrit, on trouve The book of were-wolves de Sabine
Baring-Gould, mais il va délaisser cette idée, notant que les loups-garous n’ont aucun pouvoir en
dehors de leur bestialité. Et comme il voulait un personnage cruel, immortel et extrêmement
puissant, il a rapidement balayé le lycanthrope de la liste des possibles.

On trouve également, Transylvania de Charles Boner, qu’il va annoter, dont il va marquer de


nombreuses pages et qui va grandement lui servir, notamment pour donner la couleur locale des
premiers chapitres, avant le voyage du Comte à Londres. Il note, au chapitre « Wallachia and
Moldavia » le nom d’un Voïvode valaque, DRACULA mais il ne le retiendra pas tout de suite.

A la bibliothèque il consulte et prend de nombreuses notes sur Necromancy-Divination of the dead


de Thomas Browne et s’intéresse au mystère de la mort et des revenants.

On a dit que le roman devait également beaucoup à Emily Gerard et son libre The land beyond the
forest (1888) et aux chapitres consacrés aux superstitions et croyances de Transylvanie et des
Carpates C’est dans cet ouvrage que Stoker rencontre pour la première fois le Nosferatu, cette
créature inconnue ou presque des Britanniques, ce vampire « qui vit après la mort, et continue à
aspirer le sang d'autres personnes innocentes jusqu'à ce que son esprit ait été exorcisé en ouvrant la
tombe de la personne suspectée, et en conduisant un pieu à travers le cadavre ou dans des cas très
obstinés de vampirisme, il est recommandé de couper la tête et la replacer dans le cercueil avec la
bouche remplie d'ail. »

Il est aussi certain que Stoker a lu et apprécié Carmilla de Sheridan Le Fanu, un autre Irlandais
talentueux et épris de vampirisme, et Le Vampire de Polidori. Ces deux sources auraient contribué à
faire de Dracula un aristocrate et non pas un homme du peuple comme la plupart des vampires des
légendes d’Europe de l’est.

Enfin, on sait de source sûre puisque Stoker le mentionne explicitement dans ces notes
préparatoires, qu’il a beaucoup appris des manifestations vampiriques par le biais des rapports de
Dom Augustin Calmet pour Louis XVI au sujet des contagions de vampires en Europe.

Pour ce qui est de la genèse, on sait que les connaissances de Stoker sur la Transylvanie n’est que
livresque : il n’est jamais allé sur place mais s’est si bien documenté que, notamment la description

2
géographique du col de Borgo est rigoureusement exacte. Pour autant, aucune source n’atteste que
le vrai Voïvode Dracula ait habité ni même voyagé de ce côté des Carpates.

On peut donc en conclure que la piste documentaire et spécifiquement livresque est indubitable
dans la genèse du roman. D’ailleurs c’est par les livres que Stoker a connu le prince Valaque qui l’a
inspiré. Mais là encore, il faut distinguer le faux du vrai, la source de la fiction même si au chapitre
XVIII, dans son journal Mina Harker écrit : « Notre ennemi doit être, sans doute, le voïvode Dracula,
qui a gagné son surnom pendant la guerre contre les Turcs qu'il alla porter de l'autre côté du grand
fleuve, sur le territoire turc lui-même. »

3- Vlad Tepes Drakul

Celui que nous prenons pour un tyran sanguinaire et cruel est pour les Roumains, un héros national,
que l’on pourrait comparer à Jeanne d'Arc ou à Charles Martel. Un grand guerrier, qui n’hésitait pas à
faire couler le sang des ennemis de la nation pour garder à son peuple la liberté et la dignité. En
Europe, la confusion entre deux seigneurs valaques a engendré une créature monstrueuse et Dracula
repose justement sur cet être hybride composé du père Vlad Dracul - "dragon", "diable", ou "pieu"
selon qu'on privilégie l'étymologie latine (draco) ou vieille-slave (dr'kol) ; et le fils, Vlad Tepes, dit
l’Empaleur".

Pour les éléments historiques, les travaux de l’historien roumain Matei Cazacu2 sont d’une grande
richesse et pour résumer, Vlad, né en 1431 à Sighisoara, passe une bonne partie de son enfance à la
cour du sultan ottoman, où il est retenu en otage. Il parvient à s’échapper en 1448, reprend le trône
de son père quelques temps mais est renversé. Sous la protection du roi hongrois Jean Hunyadi, qui a
bouté les Turcs hors de Belgrade en 1456, il se remet à la lutte. Vlad anéantit les villages turcs et
bulgares, torture, viole, brûle et surtout empale jusqu'à 25 000 adversaires. Cela lui assure une
réputation de souverain sans scrupule. Vlad Tepes meurt au combat ou assassiné en 1476.

Ces faits de guerre ont subi, comme souvent à cette époque, un grandissement épique et une
surenchère de cruauté et de violence qui ont fait passer Vlad du statut de héros à celui de tyran
assoiffé de sang. Cette légende noire a fait de lui un être cruel, un justicier sans limite, un héros
national, un ennemi redouté mais à aucun moment un vampire, même si les chroniques de Brodoc,
dès 1462 font courir dans toute l’Europe la rumeur qui prétend que Vald aime prendre son déjeuner
devant les suppliciés du pal pourrissant au soleil et qu’il va même jusqu’à tremper son pain dans leur
sang pour agrémenter son repas… Au début du XIXe siècle, cette thèse a été relancée par la
publication en allemand des Histoires de la Moldavie et de la Valachie de Johann Christian Engel, qui
présente Vlad Tepes comme un tyran sanguinaire. De là à ce que la légende en fasse un vampire, il
n’y a qu’un pas que Stoker franchit allègrement.

4- Les amitiés de Stoker avec Irving et Vambery

Dans les années 1880, une vague d’immigration d’Europe de l’Est vers l’Angleterre fait connaître et
propage le folklore et la culture de cette zone jusque là inconnue des Occidentaux. La plupart des
migrants d’Europe orientale s’installent dans l’East End et précisément à Whitechapel où les loyers

2
CAZACU, M. Dracula, éd.Tallandier, coll. « Texto », Paris, 2011

3
sont moins chers et les employeurs peu regardants. Ils apportent avec eux leurs superstitions, leurs
croyances et leur culture.

A tel point que l’université de Londres accueille en 1890 Arminius Vambery, géographe orientaliste et
voyageur et professeur à l’Université de Budapest. Bram Stoker assiste à une conférence lors de
laquelle le professeur parle des légendes de l’Est. C’est également lui qui portera à sa connaissance
l’ouvrage de Browne sur Pseudodoxia epidemica qui analyse les croyances populaires telles que : les
faiblesses de la nature humaine, la facilité et l’aisance à se tromper, les déductions fausses, le respect
aveugle de l’autorité, la crédulité, l’influence du diable. Cet ouvrage servira les ressorts de la fiction
dans les différentes fausses pistes que Seward et son équipe suivront avant l’éclairage savant
apporté par Van Helsing. Van Helsing qui mentionne explicitement Vambéry, « son ami de
l’université de Budapest ».

La critique récente semble néanmoins relativiser l’influence réelle de Vambéry sur l’œuvre de Stoker,
même si ce dernier aurait pour partie servi de modèle au savant hollandais lui-même expert en
vampires, et autres phénomènes occultes, grand voyageur, et à la tête de la chasse au monstre.

Si Vambéry entre dans la fiction de Stoker sous le trait de Van Helsing, c’est un autre personnage
réel, de l’entourage proche de l’auteur, qui va prêter certains de ses traits physiques et moraux au
Comte Dracula lui-même : l’acteur Henry Irving du Lyceum theatre. Dans sa biographie de Stoker,
Barbara Belford3 établit des relations convaincantes entre l’acteur célèbre et le vampire des
Carpates, décrivant Irving comme un homme égocentrique, doté d’un charisme saisissant voire
hypnotisant, et un employeur exigeant. Elle poursuit en disant : « Quelque part dans le processus de
création, Dracula est devenu une sinistre caricature d'Irving en tant que vampire psychique, un
artiste drainant ceux qui l'entourent pour nourrir son ego. C'était un hommage étonnant mais
vengeur."

Ainsi, on peut noter que, dans la construction de son œuvre, Stoker se sert non seulement des
connaissances encyclopédiques mais aussi de son entourage direct, de manière consciente mais aussi
inconsciente. Et en donnant à Irving avec lequel il vit une relation fondée sur l’attraction/répulsion
les caractéristiques de son monstre, et inversement, il remet au goût du jour une créature terrifiante
qui hante l’imaginaire mondial depuis des milliers d’année.

Car les vampires ne sont pas des créatures récentes comme nous allons le voir dans le point suivant.

5- Les origines chronologiques du vampire

L’histoire des vampires ne commence pas avec les contagions vampiriques d’Europe de l’Est au
XVIème siècle ni avec Bram Stoker en 1897. Dès l’Antiquité, on trouve des monstres suceurs ou
buveurs de sang, généralement entités féminines qui se nourrissent de la substance vitale des
humains. On les rassemble sous le terme générique de « strigiformes » et regroupent les lamies, les
empuses, les stryges…

Chez les Etrusques, le vampire est intéressant car, j’ignore si tel est le cas, mais on peut y voir des
germes de notre Dracula moderne : Le vampire se nomme Vanth, la messagère de la mort. C’est un

3
BELFORD, B., Bram Stoker, a biography of the author of Dracula, éd. Knopf, London,1996

4
démon femelle dont le char est tiré par des dragons, femelles également, accompagnée d’un loup à
trois têtes. On trouve là, certains avatars employés par Stoker dans sa conception du vampire.

Chez les peuples nordiques, il existe une dimension tierce entre l’équivalent du Paradis et les Enfers,
un plan médian où il existe des morts-vivants, des non-morts l’univers des Vélès, sur lequel règne la
Vanth locale. Dans cette dimension errent les non-morts ou les non-vivants, les Velniai qui sont des
revenants ayant gardé leur corps.

Chez les Germains et les Saxons, y compris chez les Allemands, on trouve les Nachzeher,
littéralement « celui qui vit après » et Nacht « la nuit », humain qui, frappé d’une mort violente
pratique soit l’autophagie, soit l’anthropophagie ou l’hématophagie sur ses proches. Dans la tradition
allemande, cet état n’est pas transmissible. On se débarrasse de lui par décapitation en plaçant une
pièce de monnaie dans sa bouche pour payer son passage. Il est facile à repérer parce qu’il grignote
son linceul ou se mange lui-même dans sa tombe, attirant l’attention par les bruits de mastication.

En Roumanie, si les gens affirment que c’est la Dictature de Ceausescu qui a monté le business du
vampire, mais dans le folklore, la légende des Strygoï sert bien l’essor populaire des vampires. Dans
les superstitions roumaines, ces créatures sont des non-morts, des personnes dont l’âme, au
moment du dernier souffle se matérialise en chauve-souris ou en oiseau de nuit pour se mêler aux
vivants. Ce revenant, qui ne trouve pas le repos, revient surtout hanter ses proches. Selon les
versions, il aspire leur énergie vitale ou carrément leur sang. Ce qui a contribué à faire glisser le
strygoi vers la figure du vampire. Les légendes insistent sur le fait particulier qu’en s’en prenant à sa
famille le strigoi cherche surtout à récupérer son propre sang.

Le Livre des superstitions4, mentionne les premiers cas de vampire en Chine au Vème siècle.

Jean Marigny, spécialiste des vampires, mentionne en 19935 que l’on trouve des occurrences du
vampire en Grande Bretagne dès le XIIème siècle, dès le XIVème en Allemagne et à partir du XVIIème
siècle dans les pays d’Europe de l’Est, notamment celles qui sont restées sous domination turque.

En effet, il semble qu’au Moyen-âge, les vampires se concentrent particulièrement en Europe de l’Est
et en Europe centrale, où on les nomme les « revenants en corps » contrairement aux fantômes et
aux spectres, immatériels. On trouve des traces de récits de vampire au XIIème siècle.

En 1764, Voltaire a beau s’exclamer : « il n’y en a plus ! » dans le Dictionnaire philosophique, c’est
sous le règne de la Raison et des philosophes des Lumières qu’on compte le plus de vampire, ou du
moins de rapport sur les vampires en France comme en Europe.

Car cette créature qui défie les lois de la nature en revenant d’entre les morts, dont la pastorale
chrétienne s’est servie pour exhorter les croyants à mener une vie exemplaire, qui se nourrit du sang,
interdit alimentaire absolu et qui se reproduit sans sexualité et pratique le sexe sans fin
reproductrices, effraie et fascine depuis la nuit des temps.

On les retrouve dans toutes les civilisations avec des caractéristiques communes mais aussi des
différences sensibles. Stoker dont la culture était à la fois classique comme tous les gens de son

4
MOZZANI, E. Le livre des superstitions, mythes, croyances et légendes, éd. Robert Laffont, coll. « Bouquins »,
Paris, 1995
5
MARIGNY, J. Sang pour sang, le réveil des vampires, éd. Gallimard, coll. « Découvertes », Paris, 1993

5
époque mais aussi bercé par les contes terrifiants que sa mère lui relatait quand il était enfant,
contes émaillés de malades du cholera, de victimes de la grande famine Irlandaise, des massacres de
Cromwell et des légendes de banshees et de Dearg Due, le vampire rouge, la femme méprisée qui
lave son malheur dans le sang de son mari et de son père et qui hante les cimetières assoiffée de
vengeance envers les hommes.

Du côté historique, le Dalmate Jure Grando est recensé comme le plus ancien vampire connu en
Europe ayant terrorisé, en sa qualité de strigoi, tous les villageois de 1656 à 1672 où il a subi le rituel
d’éradication par décapitation.

On compte également en1725, le Serbe Peter Plogojowitz et 1727 l’Autrichien Arnold Paole qui
furent éliminés par le pieu dans le cœur car coupable de vampirisme post-mortem.

Dans les sources écrites, les traces sont nombreuses et prennent donc une valeur historique. Ce sont
ces cas que Don Calmet a recensé et analysé à l’aulne des saintes Ecritures.

La source mythologique et historique s’avère donc intéressante puisqu’intarissable. Mais il est une
autre piste exploitable : celle de la médecine.

6- La porphyrie

Cette maladie parasitaire pourrait être à l’origine du mythe. Dans un article paru dans Medical
Xpress, Barry Paw, du centre Dana-Farber, à Boston a posé cette hypothèse en 2010.

En effet, l’ensemble des symptômes de cette maladie fait véritablement écho avec les
représentations physiques et psychiques du vampire. : anémie, pâleur extrême, hypersensibilité à la
lumière du jour, au bruit, irritabilité, rougissement des gencives, des dents et du blanc des yeux,
épaississement des ongles, et même allergie à l’ail qui déclenche des catalepsies ! Les remèdes sont
la réclusion, les sorties nocturnes, l’ingestion ou la transfusion sanguine pour pallier l’anémie.

Les gens enterrés en état de catalepsie n’étant pas vraiment morts, certains d’entre eux réussirent à
s’extraire de leur tombeau et la légende était née.

Si on ajoute à cela les méconnaissances médicales médiévales et les superstitions prégnantes dans
les sociétés de l’époque, cette piste est tout à fait exploitable, ce qui n’est pas le cas de la dernière.

7- Jack l’Eventreur

Cette piste n’a aucune influence explicite dans le roman outre dans la construction du personnage
peut-être. Cela fait longtemps que j’essaie de trouver des corrélations tangibles entre les deux
personnages. Mais rien de réellement saisissable. Pourtant, l’intuition du chercheur reste vive.

Les meurtres imputés à Jack l’Eventreur en 1888 dans le quartier de Whitechapel dans l’East End
londonien ont véritablement traumatisé l’Angleterre et il est peu probable que Stoker ait échappé à
l’engouement pour ce tueur en série anonyme. Le climat de terreur et de tabous sexuels règne sur la
prude Angleterre victorienne et prouve l’incompétence de la police à enrayer la folie meurtrière de
cet être nocturne, évanescent, bestial et assoiffé de sang. Ce Jack semble terrifiant, insaisissable,
immortel et insatiable. Ce sont des caractéristiques que nous retrouvons dans les intentions

6
créatrices de Stoker au début de son travail. Selon les témoignages, Jack serait un gentleman, comme
le sera le comte.

De sa relation orageuse et peu orthodoxe avec sa femme, on sait que Stoker fréquentait les
prostituées. Comme le souligne Jacques Sirgent : « Le personnage de Jack l'Eventreur symbolise et
réunit toute l'hypocrisie, la frustration et le mépris des femmes que représente l'ère victorienne. »6

Il représente aussi toutes les peurs et toutes les superstitions de la bonne société victorienne. Ces
peur qui se cristalliseront, 9 ans plus tard dans le personnage insaisissable et tout puissant du
vampire Dracula.

On soupçonne, mais sans preuve irréfutable, que Stoker connaissait, par le biais de son engagement
à la Gloden Dawn, société secrète et occulte proche des Rose-Croix, Kean Benet, inspecteur à
Scotland Yard. Ce dernier aurait, dans la confidence de la fraternité, donné des éléments notables de
l’enquête à l’auteur et ce dernier s’en serait inspiré pour élaborer certains des épisodes de la chasse
Dracula organisé par Van Helsing. La bande des vampires slayers serait une métaphore des membres
de Scotland Yard impuissants à mettre fin aux crimes monstrueux du tueur en série. Il aurait
également utilisé ces éléments pour l’ambiance et des aspects propres à Dracula.

Avérée ou pas, cette piste pourrait être pertinente à creuser, mais elle supposerait des recherches
dans les archives du Yard, ouvertes récemment, mais aussi les archives de la Golden Dawn, bien plus
difficiles à trouver.

Tout cela, mais aussi d’autres entrées, comme les influences personnelles, littéraires, entrent dans la
genèse d’un mythe littéraire. Un mythe littéraire si on considère Dracula mais aussi un mythe si on
en croit son ancrage mythologique et historique. Dracula, comme mythe littéraire est une
construction de l’imaginaire d’un auteur, Bram Stoker mais il appartient également à l’imaginaire des
hommes depuis la nuit des temps. Comme tous les mythes, il a tenté d’expliquer des phénomènes
inexplicables, qu’ils soient physiologiques, spirituels, ou sociaux. Bram Stoker a élaboré un mythe sur
divers mythologies et mythification et à son tour, Dracula a servi de base génétique à toutes une
variation de vampires littéraires et filmiques qui cherchent toujours, et chacun à sa façon, à expliquer
le monde et à nous expliquer nous-mêmes.

6
SIRGENT, J., « Aux origines de Dracula de Bram Stoker » in Les mondes de l’étrange, n°4, septembre 2006

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