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L'homme qui inventa n'était pas des plus élégants mais, en tout cas,

il fonc tionnait trés bien.


le jeu vidéo Lécran présentait un terrain de tenn is vu de
côté, un" T" renversé figurant le filet. Chacun
Bell, Edison, Fermi; ces noms vous disenHls des deux spectateurs désirantjouertenait à la
quelque chose? Et celui de Higinbotham? main un boîtier muni d'une manette et d'un
-Non? Pourtant, c'est cet homme qui, par une
journée de 1958, en faisant apparaître une
bouton. La manette servait à commander
l'angle de tir et le bouton à déclencher la
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image sur son oscilloscope, inventa le jeu frappe de la balle En outre, le jeu tenait
vidéo. J e dois avouer que, pour en arriver à compte de certains éléments physiques
cette con clusion, il m'a fallu consulter des inhérents au jeu réel: ainsi, quand la balle arri­
montagnes de manuscrits et me faire une vait dans le filet, elle rebondissait moins fort et
Idée plus claire de l'histo ire du jeu vidéo. Si moins longtemps que lorsqu'elle frappait le
vous entendiez parler d'un jeu vidéo antérieur sol.
à 1958, faites -le moi savoir; sinon, ac ceptez En dépit de sa simp li cité, ce jeu était passion­
que Willy Higinbotham occupe la place qui lui nant. Les collégues d'Higinbotham se sou­
revient dans l'Histoire. Car c'est bien lui qui a viennent encore de l'enthousiasme des étu­
inventé le jeu vidéo, n'en déplaise aux gran­ diants qu'il n'y avait plus moyen de fa ire partir
des sociétés qui s 'en disputent la paternité. Je m'imagine sans aucune difficulté mon
chef, Dave, les yeux rivés sur l'écran, to tale­
, * * ment captivé par le déroulement du jeu. La
Dans les années 1950, les visites guidées de balle et les limites du terrain étaient sans
laboratoires de recherche étaient plutôt cesse redessinées sur lécran, à un rythme tel
ennuyeuses: on se bornait à vous montrer qu'o n ne percevait pas le scintillement de
quelqu es photographies pour illustrer tel ou l'image. Le procédé est toujours utilisé
tel aspect des travaux. aujourd'hui. En revanche, le système
C'est pourquoi Willy, qui avait déjà pris c ons ­ employé pour représenter le déplacement de
cience de ses do ns de physicien à la Cornell la balle n'a pas èté repris Nous allons essayer
University et d'electronicien au MIT (Massa ­ d'en expliquer brièvement le princip e.
chusetts Institute of Techno logy), décida de On peut utiliser un oscilloscope pour vis ualiser
les rendre un peu plus vivantes. " Pourquo i ne des graphiques animés : un poinllumineux dont
pas faire participer les visiteurs à des p etits les coordonnées sont proportionnelles à la
jeux sur un écran, afin qu'ils puissent toucher valeur des tensions appliquées aux entrées x et
des instruments et s 'a muser à appuyer sur y: se déplace sur l'ecran. Partant de ce principe,
des boutons?" se demandait-il. Sitôt dit, Higinbotham utilisa des amplificateurs opéra­
sitôt fait: Willy et ses collégues mirent au tionnels pourréaliserun circuit qui simulait la tra­
point le déroulement d 'une partie de tennis jectoire d'une balle et son impact sur le lerrain.
destinée à l'écran de cinq pouces d'un Au moment du choc, un relais étail mis en
oscilloscope. action, et inversailla polarilé d'un autre amplifi­
caleur. Ainsi, la balle repartail en arrière en don­
A lépoque, les premiers ordinateurs numéri­ nant /'impression de rebondir Elémentaire mais
ques avaient déjà fait leur appa rition et l'unité efficace, cette mélhode permettait même de
de rech erche où trava illait Willy en avait juste­ déterminer si la balle avai/touché le filet carelle
m ent con struit un. 1/ utiiisa, cependant, pour rebondissait alors à une vitesse différenre (infé­
son p etit jeu, un ordinateur analogique qUi rieure), ce qui conférait au jeu lapparence de la
affichait les informations grâceà des tensio ns réalité. La vitesse de la baffe diminuait constam­
de va leur différente, et non à des impulsIO ns ment à cause de la vitesse du vent et était
ON/OFF (ouvert-fermé). Lbrdinateur était simulée directement par une résistance de
connecté à un ensemble non programmable 10megohms.
de relais électromécaniques, de potentiomé­ La hauteur du filet et la longueur du terrain
tres, de résistances, de condensateurs et étaient réglables, et une manette permellait aux
d'amplificateurs opérationnels. Willy recon ­ joueurs de choisir le côté du setvice. Grâce à
naît lui-même que ce rapide "bricolage" une pression surie bouton du bOÎtierles joueurs

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étaient assurés de frapper la balle, mais il fal­ succês, et alors connue sous le nom de
lait, toutefois, s'y prendre au bon moment et Radio Detecting and Ranging. Cela ne vous
adopter le bon angle de frappe, sinon la balle dit peut-être rien, mais le sigle - RADAR - uti­
n'allait pas dans le camp adverse. lisé par la suite, vous est certainement plus
Ces détails avaient été si bien étudiés que le familier f Willy collabora ensuite au Manhattan
jeu fut, deux années durant, le point fo rt des District Project et consacra ses talents de
Laboratoires de Brookhaven et le "clou" de physicien à urie nouvelle technologie qui
toutes les visites. Un jour, pourtant, il fin it par semblait fort prome tteuse. En 1945, il était à la
être démonté. tête du Département Electroniq ue et con­
cevait les circuits temporisateurs qui allère'lt.
J 'ai demandé à Willy comment il était possible quelques années plus tard, égrener les der­
qu'il n'ait pas songé alors à faire brevetercette nières millisecondes précédant l'explosion
invention, lui qui était déjà détenteu r de plus de la première bombe atomique
de vingt brevets dont le gouvernement était, Ouand la bombe explosa à Los Alamos, Willy
depuis, devenu propriétaire. "Et bien, c'est se trouva it à une quarantaine de kilomètres de
peut-être mieux ainsi, sinon, aujourd'hui, on là. Aussi put-il observer les différentes phases
ne pourrait produire de jeu vidéo que sous de l'explosion. /1 finit par me dire qu'il était
licence gouvernementale". Cette idée remonté en voiture, ainsi que tous les autres
semble amuser Willy. observateurs, et que le trajet du retour sëtait
La société Magnavox, en revanche, ne trouve fait dans le plus grand silence. "Personne
pas cela drôle du tout car les droits suries jeux n'avait rien à dire ".
vidéo représentent des millions de dollars, et Durant les deux années qui suivirent, Willy
elle a déposé une demande de brevet pour occupa à Washington le poste de secrétaire
des jeux vidéo basés sur le rebondisseme nt de la fédération des Chercheurs américains
d'une balle ... Higinbotham n'a pas l'intention et il milita activement en faveu rde la non-pro­
de tirer profit de cette affaire, mais il est tout de lifération des arm es nucféaires, en qualité
même décidé à défendre sa réputation et son d'intermédiaire entre le Congrès et les cher­
prestige personnels. cheurs. Avec ses COllègues, Willy qui est
aujourd'hui doyen des Laboratoires de
Brookhaven, a rassemblé la documentation
Voyons d'un peu plus près qui est cet homme. la p lus complète au monde sur les systèmes
Higinbotham venait de décrocher son de protection nucléaire.
dipiôme de physique à la Cornell University Et dire que c'est le même homme qui a inventé
lorsque la Seconde Guerre mondiale éclata. le jeu vidéo f
Invité à participer aux recherches du MIT sur
les radiations, il travailla à la mise au point (D'après John Anderson, extrait de DATA MANAGER, avril
d'une technique nouvelle, promise à un large 1983. © CREATIVE COMPUTING MAGAZINE.)

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