Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
DOI : 10.4000/books.pulg.26214
Éditeur : Presses universitaires de Liège
Lieu d’édition : Liège
Année d’édition : 2023
Date de mise en ligne : 22 janvier 2024
Collection : Jeu / Play / Spiel
EAN électronique : 978-2-87562-406-2
http://books.openedition.org
Référence électronique
DJAOUTI, Damien. Jeux vidéo et informatique In : Introduction aux théories des jeux vidéo [en ligne].
Liège : Presses universitaires de Liège, 2023 (généré le 12 mars 2024). Disponible sur Internet :
<https://books.openedition.org/pulg/26214>. ISBN : 978-2-87562-406-2. DOI : https://doi.org/10.4000/
books.pulg.26214.
Le texte seul est utilisable sous licence . Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés)
sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Jeux vidéo et informatique
Damien DJAOUTI
Université de Montpellier
1. INTRODUCTION
L’informatique est un des berceaux de naissance du jeu vidéo, et les deux
mondes restent aujourd’hui intimement associés. Les premiers ordinateurs,
ainsi que le développement de l’informatique en tant que science et industrie,
remontent à la fin des années 1940. Durant la seconde guerre mondiale et la
guerre froide, de nombreuses innovations et inventions ont posées les bases
de l’informatique actuelle. En particulier, dans les années 1950, plusieurs uni-
versités autour du monde ont construit des ordinateurs destinés à des applica-
tions civiles (calculs scientifiques) et militaires (gestion de systèmes de défense).
Ces premiers ordinateurs, dont les coûts de recherche et développement se
chiffraient en millions de dollars, n’étaient clairement pas destinés à des usages
récréatifs.
Et pourtant, dans plusieurs universités, quelques étudiants et étudiantes
ont réussi à détourner ces ordinateurs pour y développer les premiers jeux vidéo
connus à ce jour. Pour cela, ils ont été contraints de venir lorsque les machines
n’étaient utilisées par personne : la nuit. Le résultat le plus marquant de ces
nombreuses nuits blanches est OXO (jeu du morpion), un des premiers jeux
vidéo. Créé en 1952 pour l’ordinateur EDSAC de l’université de Cambridge
en Angleterre, il ne tourne que sur cette machine. L’influence d’OXO reste
cependant limitée aux étudiants du campus de l’université britannique, car
l’ordinateur EDSAC n’existe alors qu’en un seul exemplaire. Dix ans plus
tard, en 1962, le jeu SpaceWar! est créé sur l’ordinateur PDP-1 du constructeur
DEC. Grand succès commercial pour l’époque, 53 exemplaires du PDP-1
sont construits et vendus à des entreprises ou universités. Leurs employés et
étudiants peuvent donc l’utiliser pour travailler, mais aussi, clandestinement,
pour jouer à Spacewar! et aux quelques autres jeux disponibles. Grâce à cette
diffusion à un public relativement large, bien que limité aux États-Unis,
128 Damien DJAOUTI
Spacewar! est généralement considéré comme le premier jeu vidéo. S’il n’est
pas techniquement le premier jeu vidéo à avoir existé, il est sans conteste le
premier à avoir été suffisamment influent pour être considéré comme le point
de départ de l’industrie du jeu vidéo. Il a notamment inspiré beaucoup d’étu-
diants, dont Nolan Bushnell, futur cofondateur d’Atari, ou encore Silas Warner,
futur créateur de jeux vidéo emblématiques des premiers réseaux universitaires
(Empire, Conquest et Air Race sur le réseau PLATO) puis des débuts de la
micro-informatique (Escape et Castle Wolfenstein sur Apple II).
Mais l’informatique ne représente pas que le berceau de naissance du jeu
vidéo. Comme nous allons le voir, les évolutions informatiques en matière de
matériel et de logiciel ont grandement influencé l’histoire du jeu vidéo. Et elles
continuent de le faire aujourd’hui. Ainsi, d’un point de vue culturel, l’infor-
matique et le jeu vidéo sont deux mondes très proches, aux nombreux échanges
aussi bénéfiques que réciproques.
2. ÉTUDE
2.1. L’innovation matérielle comme moteur de l’évolution des jeux vidéo
Depuis ses débuts, l’évolution des jeux vidéo est portée par les avancées en
matière de technologie informatique. L’arrivée de nouveaux ordinateurs sans
cesse plus performants, moins encombrants, et moins chers permet à plus
de gens de pratiquer les jeux vidéo, mais aussi de les créer. L’exemple le plus
marquant de cette démocratisation est l’arrivée des micro-ordinateurs au début
des années 1970. On pense notamment au français Micral N en 1973 ou à
l’américain Altair 8800 en 1975. À l’origine, aucun des constructeurs informa-
tiques majeurs (IBM, HP, DEC, etc.) ne croyait à l’avenir de telles machines.
Destinés au grand public, ces ordinateurs pas chers et peu encombrants ont
donc été inventés et mis sur le marché par des start-ups. Le modèle qui a
lancé la révolution et connu un véritable succès commercial est l’Apple II.
Sorti en 1977, il s’est vendu à plus de 6 millions d’exemplaires, et même 16
millions d’exemplaires si on compte toutes les variantes de la gamme. Il fut
suivi par d’autres ordinateurs tout aussi populaires : le Commodore PET (1977),
les ZX80 (1980) et ZX81 (1981), le NEC PC-8801 (1981), le Commodore 64
(1982), le Thomson TO7 (1982), le ZX Spectrum (1982), la gamme MSX (1983),
l’Amstrad CPC (1984), etc. et surtout l’IBM PC (1981) dont les évolutions et
les clones ont posés des bases encore d’actualité dans la quasi-totalité des
ordinateurs actuels.
La principale révolution technologique qui a permis l’apparition des
micro-ordinateurs est l’invention du microprocesseur. Auparavant il fallait
JEUX VIDÉO ET INFORMATIQUE 129
L’avènement du micro-processeur :
Western Gun, Gun Fight et Space Invaders
Western Gun est un jeu d’arcade créé en 1975 au Japon par Tomohiro Nishikado,
pour la société Taito. Comme tous les autres jeux d’arcade de l’époque, le jeu
est construit à base de composants électoniques dit TTL (Transitor to Transistor
Logic). Le circuit électronique du jeu comporte de très nombreuses puces qui
gèrent son fonctionnement. Après sa sortie au Japon, Western Gun a été acheté
sous licence par l’américain Midway pour le diffuser aux États-Unis, une pratique
courante à l’époque. Mais au lieu de sortir le jeu tel quel sur le continent américain,
Midway a décidé de refaire le jeu en utilisant une nouvelle technologie : le
microprocesseur, en l’occurence un Intel 8080.
Cette version reprogrammée du jeu sort sous le titre de Gun Fight (1975) :
c’est le premier jeu d’arcade à utiliser un microprocesseur. Ce jeu vidéo n’est donc
plus le fruit d’un montage électronique complexe, mais bel et bien d’un véritable
programme informatique exécuté par un ordinateur construit uniquement pour
ce jeu. Au-delà de l’avancée technologique qu’il représente, Gun Fight a surtout
permis à Nishikado de découvrir les microprocesseurs. Ce fut un véritable choc
pour le créateur nippon, qui avait à son actif plusieurs jeux d’arcade électro-
mécaniques et quelques jeux vidéo basés sur des circuits électroniques TTL. Il
passe alors plus d’un an à s’auto-former à l’utilisation du microprocesseur Intel
8080. Puis, il utilise cette technologie révolutionnaire pour créer Space Invaders
(1978), un des plus grands succès de l’histoire des jeux vidéo ! Cela incitera bien
entendu tous les autres fabricants de jeux d’arcade à se tourner eux aussi vers
les microprocesseurs, qui deviendront la norme dès 1978–1979. Le dernier grand
jeu vidéo d’arcade à utiliser la technologie TTL est Monaco GP (1979) de SEGA,
dont l’immense circuit électronique comporte plus d’une centaine de puces.
ordinateur. Tout d’abord réservés aux professionnels, ces outils sont par la suite
devenus accessibles au grand public grâce à l’arrivée des micro-ordinateurs.
En parallèle, cela contribue à la mise en place d’un accompagnement de
plus en plus efficace de la part des constructeurs de matériel envers les déve-
loppeurs de jeux vidéo. Par exemple, au début des années 1990, les créateurs
de jeux sur des consoles comme la Super Nintendo et la Mega Drive doivent
se débrouiller avec très peu de soutien de la part des constructeurs. La plupart
des « studios tiers » (c’est-à-dire n’appartenant pas à des constructeurs de
consoles) ne reçoivent pour seule aide qu’une documentation technique laco-
nique. C’est à eux d’élaborer leur propre matériel et logiciel de développement.
Du coup, certaines entreprises se spécialisent dans la création de kits de déve-
loppement officieux pour consoles, qu’elles revendent ensuite aux studios tiers.
On pense notamment à SN Systems et à Cross Products, toutes deux britan-
niques. En 1994, quand Sony entre dans le secteur du jeu vidéo avec la pre-
mière PlayStation, il adopte une attitude radicalement différente. Tout d’abord,
il rachète SN Systems, à qui il confie la création d’un kit de développement
PlayStation facile d’utilisation. Sony fourni ensuite ces outils à tous les studios
tiers qui souhaitent créer un jeu pour sa console. Le constructeur crée même
une branche destinée au support technique et à l’accompagnement des studios
tiers, fait alors inédit dans l’industrie. Il y a bien évidemment une raison com-
merciale à cette attitude : contrairement à Sega et Nintendo, à l’époque Sony
ne possède pas en interne d’équipe de développement de jeux vidéo. L’entre-
prise se repose donc uniquement sur des studios tiers pour alimenter la Play-
Station en titres de qualité. Mais cela est aussi lié à une différence culturelle.
Sega et Nintendo sont des sociétés qui opèrent depuis leurs débuts dans le
secteur du divertissement, tandis que les ingénieurs et ingénieures de la Play-
Station viennent en grande partie de la division informatique de Sony. On peut
donc voir dans cette attitude un héritage de la culture de l’industrie informa-
tique : quand un constructeur d’ordinateurs vend une machine à un autre
professionnel, il fait tout pour l’accompagner et le soutenir (moyennant
finances). À l’inverse, dans l’industrie du divertissement, quand un cons-
tructeur vend ou licencie sa plateforme à une autre société, il le laisse se
débrouiller tout seul… En 2001, quand Microsoft, un géant de l’informa-
tique, entre sur le marché des consoles avec la Xbox, il adopte d’ailleurs une
attitude similaire à celle de Sony sur ce point.
132 Damien DJAOUTI
1. Voir le chapitre de Pierre-Yves Hurel : « Créer des jeux vidéo : une pratique culturelle
et éducative ».
JEUX VIDÉO ET INFORMATIQUE 133
Dans un registre plus sérieux, les jeux vidéo sont aussi un excellent terrain
d’expérimentation pour la recherche scientifique en informatique. Par exemple,
la société britannique DeepMind est un des leaders de l’intelligence artificielle,
rachetée en 2014 par Google. Parmis ses nombreux programmes, on retiendra
Agent57, qui a appris tout seul à jouer à des jeux Atari 2600. Mais aussi AlphaStar,
qui a réussi à atteindre le statut de « GrandMaster » sur le serveur européen de
StarCraft II en 2019. Hasard ou non, le co-fondateur et CEO de Deepmind, Demis
Hassabis, a commencé sa carrière en créant des jeux vidéo : chez Bullfrog (Syndicate,
Theme Park), chez Lionhead Studios (Black & White), puis dans son propre studio
Elixir (Republic: The Revolution, Evil Genius).
Enfin, le jeu vidéo est une source d’influence importante, et contribue à sus-
citer des vocations d’informaticien et d’informaticienne pour de nombreux
jeunes. En effet, quand l’on interroge des informaticiens, qu’ils travaillent dans
l’industrie ou dans la recherche scientifique, il n’est pas rare qu’ils mention-
nent avoir découvert l’informatique grâce aux jeux vidéo. Parfois, c’est même
l’envie de créer leurs propres jeux qui les a incités à se lancer dans la program-
mation. Et une fois qu’ils ou elles ont appris à programmer, de nombreux
champs d’applications s’offrent à eux : informatique industrielle, bancaire,
communication, etc. Les salaires y sont d’ailleurs généralement plus attractifs
que ceux de l’industrie du jeu vidéo. C’est sans doute une des raisons qui
explique que des employés de Google ont créé une version de Pac-Man
jouable sur la page d’accueil du moteur de recherche pour fêter les 30 ans du
titre, ou encore qu’ils aient temporairement déployé une version spéciale de
Google Maps aux graphismes basés sur le premier Dragon Quest sur NES !
Ne s’agit-il pas de la meilleure illustration des nombreux échanges culturels
et technologiques entre le monde du jeu vidéo et celui de l’informatique ?
3. EN RÉSUMÉ
– L’informatique est un des berceaux de naissance du jeu vidéo.
– L’innovation technologique de l’informatique est un moteur d’évolution
des jeux vidéo : elle leur permet de devenir plus grands, plus beaux, plus
complexes, etc.
– La puissance accrue des machines permet aussi de démocratiser la création
de jeux vidéo. Elle devient ainsi accessible à des personnes ayant peu, voire
pas du tout, d’expérience en matière d’informatique.
– On recense de nombreux échanges culturels réciproques entre jeu vidéo et
informatique : culture hacker (mouvement open source, etc.), recherche
JEUX VIDÉO ET INFORMATIQUE 135
Entre autres sujets, ce livre aborde la stratégie de Sony pour entrer sur le
marché du jeu vidéo, et notamment le recrutement et l’accompagnement de
studios tiers. Un chapitre est également consacré à l’histoire de SN Systems,
de ses premiers kits de développement officieux à la réalisation des outils
officiels de développement PlayStation pour Sony.
DJAOUTI D. et MONTERRIN R. (2016), La Guerre des 32 bits : PlayStation vs Saturn,
Éditions Pix’n Love.
5. LUDOGRAPHIE
Scratch 3.0 (2019), SCRATCH FOUNDATION, Multi-plateformes (HTML5).
Conçu par le Lifelong Kindergarten Group du MIT Media Lab.
Sans conteste un des meilleurs outils pour faire découvrir la création de jeux
vidéo à des débutants, quel que soit leur âge. Ce logiciel open source, dont la
première version remonte à 2002, est très largement utilisé à travers le monde
pour enseigner la programmation informatique aux enfants. Reposant sur la
technologie HTML5, il est utilisable sur tout appareil pouvant se connecter à
internet. Fidèle à la tradition du logiciel libre, les quelques 80 millions de
réalisations partagées sur le site de Scratch sont open source.
Vintage Game Shop (2016), LudoScience, Web, Android, iOS. Conçu et réalisé
par Dr. Ludos.
Ce jeu documentaire vous permettra de découvrir l’histoire du jeu vidéo (période
1972–1998) à travers une soixantaine de jeux et machines emblématiques. En
parcourant ainsi rapidement l’histoire, vous verrez l’influence de l’évolution
technologique sur les jeux en eux-mêmes : premiers jeux d’arcade et consoles
basés sur des composants TTL, premiers circuits intégrés (consoles Pong),
premiers microprocesseurs (Channel F), augmentation de la puissance de
calculs des microprocesseurs centraux des machines (8 bits, 16 bits, 32 bits, 64
bits), etc.
138 Damien DJAOUTI
MetaHuman Creator (2021), EPIC GAMES, Windows. Conçu et réalisé par Epic.
Voici un excellent exemple de l’apport de la recherche en informatique, notam-
ment en intelligence artificielle et en cloud computing, pour améliorer les jeux
vidéo. MetaHuman Creator est un outil de création de personnages virtuels hyper-
réalistes, qui s’appuie sur des réseaux de neurones hébergés dans une infra-
structure cloud. Le logiciel permet de créer en seulement quelques minutes des
personnages virtuels graphiquement à la pointe de l’art en matière de réalisme.
En comparaison, atteindre un tel degré de réalisme avec un outil de modélisa-
tion 3D standard nécessiterait des dizaines d’heures de travail manuel par un artiste
3D expérimenté. Les personnages créés avec MetaHuman Creator sont ensuite
utilisables directement dans Unreal Engine, un des moteurs de jeu les plus utilisé
dans l’industrie.
6. BIBLIOGRAPHIE
AKAGAWA R. (2013), La Révolution PlayStation — Les Hommes de l’ombre, Éditions
Pix’n Love.
BAGNALL B. (2006), On the Edge: The Spectacular Rise and Fall of Commodore, Variant
Press.
CAMPBELL-KELLY M. (2003), Une histoire de l’industrie du logiciel : Des réservations
aériennes à Sonic le Hérisson, Vuibert.
DEAR B. (2017), The Friendly Orange Glow: The Untold Story of the PLATO System
and the Dawn of Cyberculture, Pantheon.
DJAOUTI D. (2019), La Préhistoire du jeu vidéo, Éditions Pix’n Love.
GORGES F. (2018), Space Invaders — Comment Tomohiro Nishikado a donné naissance
au jeu vidéo Japonais !, Omaké Books.
KENT S. (2001), The Ultimate History of Video Games, Three Rivers Press.
KING B. et BORLAND J. (2003), Dungeons and Dreamers, Osborne/McGraw-Hill.
KUSHNER D. (2003), Les Maîtres du jeu vidéo, École des Loisirs.
LEVY S. (1984), L’Éthique des hackers, Globe.
MOUNIER-KUHN P. (2010), L’Informatique en France de la Seconde Guerre mondiale
au Plan Calcul — L’Émergence d’une science, Presses de l’université Paris-
Sorbonne.
POGGIASPALLA G. (2015), Machines de jeux : Architecture des consoles de jeux vidéo
— Génération 8 bits, Books on Demand.
SZCZEPANIAK J. (2014–2018), The Untold History of Japanese Game Developers, 3 vol.,
SMG Szczepaniak.
WILTSHITE A. (2015), Britsoft: an Oral History, Read-Only Memory.