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Ecrit 1A Vous Sentez ?

Intro

Ma sensibilité aux odeurs a toujours été présente, mais je ne me suis jamais réellement penchée sur
le sujet. À la bibliothèque, j'ai découvert “L'odeur de l'art” de Sandra Barré. J'ai lu, annoté, aimé et
enfin j'ai compris. Tout faisait lien dans mon esprit. Toutes mes pratiques étaient, d'une manière ou
d'une autre, liées au domaine olfactif. J'ai donc commencé à prêter attention à chaque odeur,
effluve ou légère senteur qui passait par mon nez. Voici un panorama des odeurs les plus
marquantes de cette année.

(Avant-propos ?

J'achète une grenade. Arrivée au dessert, je l'épluche. C'est un carnage, la couleur rouge
flamboyante s'étend sur ma table, mon sol, mon plaid, mes mains, j'en ai partout. Je dois avouer que
j'aime ça. J'attrape un carnet et je dessine directement avec mes mains, elles teintent la feuille grâce
à la grenade. Quelques minutes plus tard, la feuille, auparavant d'un rouge éclatant, est devenue
violette. Étrange. Un nouvel artisanat s'ouvre à moi, ça me plaît, je me lance dans ce nouveau jeu de
teinture naturelle.)

Avocat

La couleur rose m'obsède. On dit que l'avocat crée du rose, c'est parti : "Maman, à partir de
maintenant, tu gardes chaque pelure et noyau d'avocat."

350 g de déchets alimentaires, je lave et prépare ma toile à l'alun, je sors la marmite rouge, je plonge
les pelures, j'allume le feu.

J'attends, je me concentre, j'inspire. Fermez les yeux, sentez !

C'est surprenant, je ne m'attendais pas à ça. Je ne dirais pas que les effluves sont agréables, mais je
les trouve assez douces. Ce n'est pas une odeur enivrante, j'ai l'impression qu'elle détient des notes
sucrées et je pourrais même dire qu’il y a des notes florales. Quelque chose d'aromatique se diffuse.
À la fin, une touche citronnée persiste. Je ne pensais pas que la décoction de l'avocat pouvait créer
une odeur aussi particulière. Cela me surprend sincèrement, d'une simple odeur, je suis épatée.

Colocation

3 chambres, un couloir central avec une kitchenette et une seule fenêtre dans la salle de bain, LOIN.

Je rencontre Pangha, 40 ans, et Alya, 18 ans. Très vite, je comprends qu'elles cuisinent épicé, gras et
coloré. C'est sûrement très bon, je n'en doute pas, et on est toujours happé par l'odeur d'une bonne
cuisine quand on rentre chez soi. Mais là, rien de tel. Tous les matins et tous les soirs, j'ouvre la
porte et immédiatement une bouffée m’atteint, elle prend de l’ampleur. Les haut-de-cœur arrivent,
les relents de friture et d'épices se mélangent et chargent l'air de ce couloir encastré. Vite, il faut que
j'ouvre ma chambre et que j'aille à la fenêtre. Tous les jours c’est la même histoire, avec des notes et
aromes différents, de nature plus au moins forte. L’odeur rance de l’huile usagée, le curry, la sauce
soja, les aliments caramélisées, le poulet frit, l’odeur de soufre du chou cuit...L’hiver arrive, ce n’est
pas grave j’ouvre la fenêtre de ma chambre et celle de la salle de bain pour faire des courant d’airs
coûte que coûte. Par miracle la porte de ma chambre fait barrière à ces émanations, je peux
respirer.

L'expérience quotidienne des odeurs dans cet espace étroit et clos est devenue un défi pour mes
sens. Je me rends compte que l’environnement olfactif à une importance/incidence sur mon bien-
être quotidien. Cette année de colocation, que j’ai vécu comme aventure m'a poussé à approfondir
mes recherches sur les odeurs et leurs impacts sur notre vie de tous les jours.

OLIVIER

C’est parti pour une deuxième teinture. Première mission, récupérer des branches d’olivier. Il y en a
un, juste en bas, dans la cour, mais avec les voisins, j’ai honte. Je ne sais pas pourquoi, il n’y a rien de
mal à tailler légèrement cet olivier, je crois que c’est mal vu, j’ai peur d’être jugée, parce que, en
effet les voisins ne sont pas commodes.

00H30, l’adrénaline, le sécateur, je descends, il faut que personne ne me voit.

Mission réussie, je coupe mes feuilles, je refais le processus de préparation de la fibre. Je suis
impatiente de découvrir l’odeur qui va se dégager.

J’attends, je me concentre, j’inspire. Fermez les yeux, sentez !

C’est étrange, je crois que je n’aime pas. Pour le coup l’expérience n’est pas satisfaisante, c’est acide,
sulfureux, repoussant. L’odeur pique, il faut que je parte, mais je ne peux pas, le feu est allumé. Les
émanations m’entourent, me prennent et m’engloutissent, cette teinture est un supplice. L’odeur
s’empare de la pièce, elle est amère. Les effluves sont puissantes, elles ont du caractère. C’est
encore plus surprenant que la dernière fois.

Comment la simple ébullition d’une molécule peut engendrer une métamorphose olfactive aussi
radicale ! C’est un changement chimique qui modifie l’arôme, comme une décomposition, un
réarrangement ou encore la formation d’une nouvelle molécule. La magie et la joie de cette
découverte liée aux teintures m’encourage à continuer mes explorations et à mieux comprendre les
complexités de notre perception olfactive.

Novembre Térébenthine

3 mois que nous sommes arrivés, nous prenons nos marques dans l’atelier, on commence à réfléchir
aux projets personnels. C’est l’hiver, on est dans le sud mais pour les sudistes il fait froid. On met le
chauffage et surtout quand on est là, on n’ouvre pas les fenêtres.

Jeudi matin, 9H, ouverture de la porte.

De la térébenthine, elle m’agresse, elle m’englobe le crâne, que se passe-t-il ?

Que se passe-t-il, cela m’agresse, m’englobe-le crane, de la térébenthine !

Qui a osé faire de la peinture à l’huile, en hiver, dans une salle fermée où l’on passe 8H de nos
journées ?

Les preuves sont encore là, les pinceaux, les toiles et le bocal encore ouvert. Je maudis légèrement
et intérieurement mon ou ma camarade dont je ne connais pas encore l’identité. L’odeur est
capiteuse et insistante, malheureusement, nous sommes là toute la journée. On se bouche le nez, on
ouvre les fenêtres et on met nos doudounes. L’odeur sera restée pratiquement 1 mois.

Après réflexion je me dis que sentir cette odeur était un passage obligatoire des beaux-arts. Une
formalité inévitable.
Train

8H34 je vais à Monaco – 18H19 je rentre

Je retrouve les joies du train tous les jours, comme beaucoup, ce qui implique une multitude
d’odeurs corporelles, alimentaires ou encore mécaniques qui se mélangent le temps du trajet.
Toutes se combinent, se réunissent et créent un ensemble pas forcément heureux.

À ce moment je suis étouffée et petit à petit le mélange s’installe et occupe chaque partie du wagon.
Le mieux est d’essayer de faire abstraction, c’est dur, très dur même, notre sphère est
complètement réduite voire inexistante.

A cette personne qui a un creux, qui décide de manger sa mandarine, à celle-ci qui a travaillé dur
toute la journée, à celle-là qui a un parfum fort et à nous tous qui avons notre propre odeur. Cette
odeur crée un espace temporel, et nous y sommes pour quelque temps, bloqué, il faut être patient,
dans 10 minutes on arrive à la prochaine station, les portes s’ouvrent et l’air entre pour me soulager.
Ce flux humain crée quelque chose d’intense olfactivement, je crois que je ne saurais exactement le
décrire, même si chaque jour il se ressemble. Les effluves se mélangent, dansent, s’agrippent, vous
pouvez les imaginer, elles sont tenaces. Je les vois.

Les odeurs influencent notre perception de l'environnement et nos interactions. Envahissantes et


évocatrices, elles participent à la création d’ambiances uniques, éphémères et parfois éternel. Je
continue d'explorer et de m'émerveiller devant les multiples facettes des odeurs qui se déploient
dans notre quotidien, unissant les gens, les lieux, d'une manière singulière et indélébile.

Arômes sudistes

Mamie veut des pochons pour mettre dans les placards, il faut se lever tôt, la lavande est plus
parfumée le matin, une fois arrivée, on coupe la fleur à la base des tiges, juste au-dessus des petites
feuilles. À la maison on les fera sécher sur une bâche, au soleil, dans le jardin.

Après un jour pluvieux je sens la roche rouge, les herbes sont plus présentes que les fleurs, en
supplément l’odeur de la pluie vient englober le tout.

Sous un soleil ardent, c’est un autre paysage qui se crée. Ça suinte et le tout cohabite très bien,
chacun avec sa sphère d’émanation plus ou moins grande. Parfois il faut s’approcher et parfois elle
est environnante. On retrouve la pinède et sa senteur résineuse et boisée qui crée l’ambiance de
l'Esterel. De même pour le romarin et sa légère note d’amertume.

Sur le bord, le majestueux figuier embaume le passage, reconnaissable entre mille, son odeur sucrée
me réconforte, il détient une certaine fraicheur différente de celle des agrumes. Lorsque la fragrance
parvient à mon nez immédiatement dans mon esprit une image se crée, elle est floue, seulement, je
suis apaisée.

La garrigue, les jardins, l’arrière-pays, l'Esterel

Dans ces lieux les senteurs me transportent, elles me conduisent dans ces petits chemins, de nature
différente en fonction de la météo et du moment de la journée. Je suis guidée par mon nez, je
renifle, je trouve que c’est un exercice amusant. Et puis on rentre “ tiens va chercher du basilic pour
la salade” avec plaisir, juste avant, j’arrache une feuille, je la frotte entre le pouce et l’index en la
plaçant sous mon nez : j’inspire. C’est agréable, c’est singulier, c’est anisé.

En retraçant ces arômes cette année, je me suis demandée, jusqu’où la mémoire olfactive pouvait
me faire voyager.

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