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net/publication/271317363
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Serge Edouard
Université Paris-Saclay
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Résumé
Abstract
Les écosystèmes d’affaires (notés par la suite EA) tentent de dépasser le cadre
d’analyse traditionnel de l’économie industrielle et du management stratégique,
à savoir l’analyse sectorielle. Dans son ouvrage séminal, Moore (1996) voit l’EA
comme « une communauté d’affaires et d’individus qui co-évoluent, partagent
une ou plusieurs ressources sur la base d’une destinée stratégique collective ».
Un EA transcende les frontières, et de l’organisation, et du secteur, et modifie la
nature même de la concurrence (Moore, 1996, 1998). Gueguen et Torrès (2004)
inscrivent les EA comme une approche complémentaire des théories en place,
54. ANNE GRATACAP, Université Paris 1 Pantéon-Sorbonne, PRISM Sorbonne, anne.gratacap@sfr.fr
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Dans un contexte d’innovation forte, où l’on voit se multiplier les EA, se pose
la question de l’identification des processus technologiques, organisationnels et
institutionnels susceptibles d’assurer la robustesse et la fiabilité de la relation entre
des centaines, voire des milliers d’organisations partenaires qui ne se connaissent
pas forcément, mais qui doivent travailler ensemble. Iansiti et Levien (2004) ont
dénombré pas moins de 38 338 organisations membres de l’EA de Microsoft,
appartenant à 32 segments industriels. En effet, un des enjeux dans un système
d’innovation ouverte est d’établir une relation partenariale, d’échange réciproque
entre les contributeurs à l’EA afin de faire naître un avantage concurrentiel
susceptible d’assurer sa pérennité. Comment ce système complexe de relations
inter-organisationnelles variées parvient-il à émerger et à se maintenir dans le
temps ? L’EA est donc d’abord confronté à un problème d’adéquation entre des
comportements sans logique a priori convergente : comment être certain que les
membres de l’EA, l’entreprise leader en premier chef, s’engageront à atteindre les
objectifs communs ? Ensuite à un problème de coordination : sous l’hypothèse
de comportements coopératifs, qui fait quoi ? Enfin, à un problème de cognition :
comment ? La résolution de ces problèmes correspond à ce que Surowiecki
(2008) dénomme « la sagesse des foules » ou « l’intelligence collective ».
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plateformes techniques inter-organisationnelles (Iansiti et Levien, 2004 ; Evans et
Schmalensee, 2007). La question sous-jacente est la suivante : comment un EA
parvient-il à collecter des informations disséminées en interne et à l’extérieur, à
les transformer en connaissances partagées, puis en connaissances actionnables
venant supporter la vision stratégique de la communauté, et ceci dans un contexte
de coopétition ? Autrement dit, il est intéressant de comprendre comment des
entreprises davantage habituées à s’affronter sur les marchés, à se surveiller,
à se surprendre, voire à se défendre, parviennent à cohabiter et à partager de
l’information critique en vue de renforcer la rente pour l’EA55 et de développer
cette intelligence collective. L’objet de cet article est de présenter les sources
de l’intelligence collective d’un EA, répondant ainsi en partie à la question de sa
robustesse dans le temps et de sa performance.
Dans un premier temps, nous définirons ce que nous entendons par intelligence
collective pour une communauté d’organisations, terme qui a surtout foisonné
dans la littérature managériale et sur les relations intra-organisationnelles (Zara,
2008). La seconde partie abordera les trois variables identifiées dans la littérature
comme facteurs de production de cette intelligence collective : coopétition,
management des connaissances et confiance institutionnelle. L’enjeu est ici
d’expliciter un modèle synthétique (intégrant l’ensemble des variables pertinentes)
des sources de l’intelligence collective au sein des EA. La construction de ce
modèle d’intelligence collective pour les EA s’appuiera également sur plusieurs
illustrations qui traduisent des configurations d’EA très différentes : Microsoft,
Linux et Apple.
55. Il faut comprendre la rente d’EA comme une quasi-rente organisationnelle, ici celle d’un réseau stratégique constitué d’organisations
réunies par des relations de coopétition. Quelles en sont les sources ? Le déploiement et l’utilisation d’actifs spécifiques communautaires,
l’exploitation de capitaux relationnels, les économies de coûts de coordination, etc. Elle résulte de l’avantage concurrentiel d’un EA.
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Cette dernière s’appuie notamment sur de la confiance interpersonnelle
contextualisée à une situation d’interaction (trust) ou la propension
individuelle à faire confiance (confidence), mais pas seulement comme
nous allons le voir.
La plateforme communautaire
57. Les externalités de réseau indirectes se distinguent des externalités de réseau directes, qualifiées également de rendements
croissants d’adoption d’une technologie par exemple (Arthur, 1994).
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Tableau 1b. Exemples de plateformes sur des marchés multifaces : le cas d’Amazon.
com
Editeurs Librairies Critiques littéraires
Plateforme
Lecteurs Développeurs d’applications
Amazon.com (web services)
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Schmalensee, 2007). L’enjeu pour le leader est de trouver un équilibre entre
maîtrise et ouverture de la plate-forme. Microsoft multiplie ainsi les plate-formes
selon les communautés d’utilisateurs ciblées : dans l’EA du PC avec Windows,
l’EA du cloud computing (informatique à distance) avec la plateforme Azure, l’EA
du jeu vidéo avec la Xbox.
Un modèle d’affaires est performant à deux conditions : d’une part, il est créateur
de la valeur et, d’autre part, il capture une partie de cette valeur. Sa vocation est
donc d’assurer la cohérence entre création de valeur et partage de la valeur,
autrement dit, de décrire les rôles et les relations qu’entretiennent les acteurs
sur la valeur à créer et à partager. Cette mission suppose de définir les flux
d’informations, de connaissances et de compétences, de revenus et de produits
entre l’entreprise pivot, les fournisseurs, les consommateurs, les complémenteurs,
etc. Le modèle d’affaires, proposé par l’entreprise leader, doit permettre à tous
les membres de vivre de leurs innovations et d’exploiter les opportunités de
marché. Un EA ne survit, à long terme, que s’il offre un milieu d’abondance à ses
membres (ressources, opportunités, revenus).
L’exemple de l’iPad peut nous éclairer sur l’enjeu lié au modèle d’affaires. L’iPad,
lançé en mars 2010, est une tablette numérique tactile sur laquelle on peut jouer
(44% des applications testées), lire des livres et des journaux, regarder des films
et des photos, surfer sur Internet, consulter des mails, etc., ce qui laisse entrevoir
des perspectives de développement florissantes pour les différents acteurs de ce
large marché. Mais ce qui apparaît comme véritablement nouveau d’un point de
vue stratégique c’est l’opportunité qu’elle offre en autorisant le renouvellement
à la fois du marché du livre et de la presse numériques qui, jusqu’alors, n’ont
jamais rencontrés de modèles économiques rentables. La force d’Apple et de
son écosystème est de concentrer, dans un produit technologique comme l’iPad,
une réelle promesse de marché. Comme l’iPod l’avait fait dans le monde musical
et l’iPhone dans le monde des télécommunications, l’offre iPad, en tant que
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184
v
best-sellers
!"
"
#$%
185
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Le leadership
Moore (1996) fait du leadership d’un EA l’une des sources principales d’un
avantage concurrentiel des grandes entreprises actuelles. Comment ce leadership
s’obtient-il ? Avec le temps, à travers les étapes du cycle de vie de l’EA. Mais
aussi par l’aptitude de l’entreprise à combiner et partager des compétences
clés dispersées et définir des valeurs « holistiques » (Moore, 1996, p. 52). Trois
modes de configuration inter-organisationnelle sont identifiés en fonction du type
de leadership (Iansiti et Levien, 2004).
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à développer des niches innovantes (niches players) et à recruter
d’autres acteurs, à développer des compétences écosystémiques. Les
plateformes collaboratives hybrides ou ouvertes sont au cœur d’un tel
leadership en permettant à chacun de développer des applications,
des services qui profiteront à l’ensemble des membres. La plateforme
d’Amazon.com ou de Linux en sont deux illustrations.
Moore (1998) définit une nouvelle forme organisationnelle, celle qui mobilise
une plateforme, parvient à proposer un modèle d’affaires communautaire et, de-
59. Source : Présentation de Roberto di Cosmo aux Journées Nationales des MIAGES, 12-13 mai 2011, Faculté des Sciences d’Orsay.
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La robustesse des EA s’appuie sur trois pratiques fortement ancrées dans ces
communautés et qui leur sont originales : un management des connaissances
communautaire, de la coopétition et une confiance écosystémique. Ces trois
éléments constituent les sources de l’intelligence collective, ceux qui permettent
de résoudre les trois problèmes de cognition, coordination et coopération.
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L’intelligence collective est un processus de transformation informationnel qui
s’appuie sur deux dimensions. D’une part, ils reposent sur une infrastructure
technique, non plus seulement orientée vers l’optimisation des processus, mais
aussi vers leur adaptation à travers la plateforme communautaire. D’autre part, ils
se fondent sur des « capacités cognitives collectives » permettant la collecte des
données, l’interprétation des informations, leur transformation en connaissances
actionnables et, sur cette base de connaissances, la prise de décision. La figure
2 permet de schématiser ce processus.
Processus Connaissances
Données Informations Connaissances Décisions
informationnels actionnables
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Intelligence Knowledge
collective management
Management
communautaire des
connaissances
Infrastructure
technique,
Technologies de
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Lors du processus de management communautaire des connaissances,
l’intelligence collective apparaît comme la capacité à unir les intelligences
individuelles des différents partenaires de l’EA afin de réaliser un objectif
(innovation, commercialisation), ainsi que la capacité de ce collectif à s’interroger
et à fournir conjointement des réponses. De façon complémentaire, le knowledge
management sera lui plutôt orienté vers la capitalisation des connaissances et
leur partage à travers des processus de diffusion ayant notamment comme
soubassement technologique une plateforme d’échange communautaire.
Celle-ci organisée notamment autour de technologies de l’information, d’outils
de collaboration, etc., facilitera les flux relationnels et informationnels entre les
différents acteurs. La plateforme joue un rôle considérable dans l’accessibilité à
l’information, dans son stockage et son partage entre membre de l’EA.
Il est important d’observer, tout comme le fait Zara (2008) pour « l’organisation
intelligente », mais ici à un niveau que nous pouvons qualifier de méta-
organisationnel, puisque nous ne parlons pas « d’entreprise intelligente » mais
d’un ensemble d’entreprises intelligentes regroupé au sein d’un EA, que ces
trois piliers sont tout autant indispensables l’un que l’autre au processus de
management communautaire des connaissances. Nous insistons d’autant plus
sur cet aspect, que, si l’on reprend une des caractéristiques fondamentales de
l’EA qui est la co-évolution (voir ci-dessous), alors agir sur l’un des piliers, « c’est
faire évoluer les autres pour rétablir la cohérence de l’ensemble des piliers
(…) ». Si un des piliers fait défaut, ou n’a pas d’impact sur les autres, il convient
de s’interroger sur la notion même de management communautaire, qui plus est
au sein d’un EA ; en effet cela signifierait que les acteurs ne s’impactent pas les
uns les autres via les trois piliers décrits ici et qui ont pour vocation notamment
de structurer l’EA et de le pérenniser.
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La coopétition peut être gérée par la firme leader, lui permettant d’organiser les
relations entre les membres de son EA. Pour Moore, la coopétition est un mode
de management des relations de l’EA par le leader. Par exemple, au sein de l’EA
de conception Boeing, pour le 787 Deamliner, les équipementiers du monde entier
ont été sollicités pour faire des propositions créatives sur les matériaux, le design,
les composants futurs. Concrètement, chaque proposition doit être compatible
avec les autres, à travers des plateformes de conception virtuelle en temps réel
et, de l’autre, les propositions retenues donnaient à l’équipementier le marché en
phase de production. Il y avait donc une association séquentielle et organisée par
Boeing entre une coopération nécessaire sur la conception et une compétition
pour emporter le contrat de co-traitance (Edouard et Gratacap, 2010). Un autre
exemple est le « sponsorship » dans le secteur de l’Internet. Cette stratégie
consiste à construire un réseau de sites web affiliés (et d’organisations) à travers
le sponsoring d’événements virtuels, la création de bandeaux publicitaires sur un
site partenaire (avec une commission sur tout achat faisant suite à un clic sur le
bandeau), etc. (Maître et Aladjidi, 1999 ; Drennan et Cornwell, 2004).
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« je gagne, tu gagnes et le reste y gagne aussi »60. Il s’agit du jeu du Win-Win
de la théorie des jeux auquel on rajoute un troisième acteur, souvent inconnu
des protagonistes directs, pour intégrer la dimension collective (le territoire, le
milieu, l’EA). Ici, tous les acteurs de l’EA vont gagner aux relations dyadiques
coopétitives qui vont se développer. On rejoint l’idée avancée par Moore (1996)
qui assimile l’EA à une communauté productrice de « biens publics » tangibles
(infrastructures techniques, financements) et intangibles (vision stratégique,
opportunités, innovations)61.
60. P. Baudry (2007), Français et Américains. L’autre rive, 3ème édition, Village mondial, Pearson Editions. Nous remercions un
évaluateur de cette référence.
61. Dans cet article, le recours au concept de bien public (« public good ») vise à défendre les EA aux yeux des autorités de la
concurrence. Pour rappel, un bien public au sens de Paul Samuelson repose sur deux critères : le non-rivalité (la consommation du bien
par un agent n’empêche pas la consommation par les autres agents) et la non-exclusion (tous les agents ont libres accès au bien).
62. Le recours à l’analogie écologique par Moore (1993, 1996) et Iansiti et Levien (2004) peut expliquer l’absence de recours aux
approches économiques et sociologiques de la confiance.
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63. www.fsf.org.
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La confiance écosystémique désigne ici le fait que c’est l’ensemble des membres
de l’EA qui se font confiance parce que les dispositifs internes à l’EA de régulation
et d’assurance sont crédibles. Il ne s’agit pas seulement d’une confiance par des
dispositifs pour les utilisateurs, mais aussi pour les fournisseurs, développeurs,
complémenteurs. « La confiance systémique se construit sur le fait que l’autre fait
également confiance et que cette communauté de confiance devient consciente.
(…) La base rationnelle de la confiance systémique se trouve dans la confiance
des autres » (Luhmann, 1968, p. 82), et cette dernière ne peut s’ancrer que
sur des piliers institutionnels (règles endogènes ayant acquis le statut de règles
extériorisées) propres aux EA.
A partir de ces deux niveaux, il nous est possible de jeter les bases d’un modèle
synthétique d’émergence et de développement de l’intelligence collective de l’EA
en introduisant la confiance institutionnelle, la coopétition et le management
des connaissances comme leviers d’action respectifs des trois dimensions de
coordination, de coopération et de cognition.
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Constitution d’un
réseau de valeur
Partage d’informations
permettant à un
et de connaissances.
grand nombre de Transparence de
Compatibilité et
complémenteurs l’information, émergence
Plateforme développement de
de s’identifier, de d’une base de
standards en favorisant
s’interconnecter connaissances partagée.
les externalités de
et d’identifier les
réseau indirectes.
contributions des
autres.
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collectifs. Il repose à la fois sur l’indépendance de chacun des membres
tout en reposant sur une multitude de relations inter-organisationnelles
(alliances, accord de R&D, entreprises virtuelles, contrats de long terme
ou de court terme).
Problèmes
Modalités de
gestion au sein de
l’EA
Instruments de
gestion de l’EA
Références bibliographiques
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Surowiecki J. (2008), La sagesse des foules, JC Lattès.
Zara O. (2008), Le management de l’intelligence collective, M2 Edition, Paris.
Zucker L.-G. (1986), « Production of Trust : Institutional Sources of Economic Structure
1840-1920 », in Staw B.-M. et Cummings L.-L., (eds), Research in Organizational Behavior,
8, p. 53-111.
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