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Aujourd'hui, c'est l'anglais qui est la langue des sciences. Ce qui n'est pas sans poser
problème, notamment en Afrique, où résident quelque 140 millions de francophones.
L’émergence d’une Lingua franca. L’anglais est aujourd’hui considéré comme la langue
commune des sciences, la lingua franca du savoir scienti�que. Mais ce n’a pas toujours été
le cas: le latin puis le français ont d’abord joué ce rôle, d’un point de vue historique.
Mais tout le monde n’est pas égal face à l’anglais… Être anglophone natif, ou l’apprendre
jeune constitue un avantage considérable. Si les Etats-Unis comptent autant de lauréats
du prix Nobel, l’explication ne tient pas seulement au système académique. L’aspect
linguistique peut aussi entrer en compte.
Traduire ne suf�t pas. En 2019, un article posait le problème dans The Lancet Globat
Health. Publié en français — une première pour une revue scienti�que de cet ordre — il
rappelle que la domination de l’anglais exclut un grand nombre de scienti�ques.
«Les appels d'offres des bailleurs de fonds, les revues médicales les plus in�uentes,
les conférences internationales les plus prestigieuses auxquelles il est important de
participer, sont dans leur grande majorité anglophones», écrivent les auteurs.
En effet, la plupart des revues importantes sont en anglais. Certes, il est parfois possible,
pour un auteur, d’associer en annexe de son article un résumé de celui-ci traduit par ses
soins, voire une traduction de l’ensemble. Mais dans la pratique, il est dif�cile d’accéder à
ces sources plurilingues dans un océan d’anglais.
Certaines initiatives cherchent à corriger cela. C’est le cas de Global Africa, une revue de
sciences humaines créée récemment, qui publie des articles dans plusieurs langues
africaines a�n de les aider à se constituer en langues de recherche et de travail. Les textes
sont ensuite traduits en français, arabe, anglais, swahili et espagnol.
Les sciences exactes s’écrivent en anglais. Du côté des sciences exactes toutefois, les
contre-exemples restent rares. Pour être visibles, les travaux des chercheurs doivent être
référencés dans des bases de données — on parle d’indexation.
Or, deux bases sont hégémoniques: Web of Science et Scopus, toutes deux anglophones,
qui peinent à laisser de la place à d’autres langues.
Cet écart entre l’anglais et le français existe aussi dans le journalisme scienti�que. Kossi
Balao, journaliste scienti�que basé au Togo et fondateur de The Con�dential Report,
précise :
«L’anglais occupe une place inégalée dans le journalisme scienti�que en Afrique. Les
revues, magazines, journaux académiques et scienti�ques d’édition anglaise sont
plus nombreux que ceux que l’on retrouve dans l’espace francophone.
C’est le cas de Fanta Diakaté, qui tient une chronique santé, en français et en bambara, sur
Radio Kledu, la deuxième radio du Mali en termes d’audience.
D’autant que la journaliste doit vulgariser les concepts à la fois en français et en langue
nationale.
«Ce n’est pas toujours simple, mais c’est indispensable. La population a besoin de
connaître les résultats de la recherche!»
Pour Barbara Cassin, les algorithmes de machine learning seront utiles pour automatiser
les traductions, dans toutes les langues, pas seulement vers l’anglais:
«Je mets beaucoup d’espoir dans la traduction assistée par l’IA. Mais il faut cesser de
nourrir ces machines uniquement avec du globish [contraction de global et english
utilisée pour décrire la forme d’anglais simpli�é qu’on pratique dans les espaces
internationaux]… Nous avons besoin de textes techniques et juridiques dans toutes
les langues pour que cet outil devienne intéressant.»
Reste qu’on ne pense pas de la même manière en anglais, en français ou en swahili, toutes
les personnes plurilingues le savent. Et l’Académicienne ne manque pas de le rappeler:
«Les mots ne sont pas des concepts. En sciences exactes, faire des maths en polonais
n’équivaut pas à les faire en anglais. Même quand on discute de médecine ou de climat, la
différence est �agrante. Le rapport au corps varie d’une langue à l’autre, de même que les
nuances entre nature et culture.»