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SCIENCES | FABRIQUE DE LA SCIENCE | NEWS


Publié le 29 décembre 2022 17:00. Modi�é le 01 janvier 2023 16:32.

A-t-on encore besoin du français en sciences?


par Agnès Vernet

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Aujourd'hui, c'est l'anglais qui est la langue des sciences. Ce qui n'est pas sans poser
problème, notamment en Afrique, où résident quelque 140 millions de francophones.

Climat, biodiversité, pandémie, énergie, espace, migration… les problèmes globaux se


multiplient. Pour les décrire, on utilise le plus souvent l’anglais, devenu langue
internationale par excellence. Le monde des sciences n’échappe pas à la règle, d’un bout à
l’autre de la chaîne — de la production de savoirs jusqu’au journalisme scienti�que.

Où est le problème? Le rouleau-compresseur anglophone peut appauvrir le paysage. C’est


particulièrement vrai en Afrique, où l’on communique souvent sur les sciences… en
anglais. Une perte pour les quelque 300 millions de locuteurs du français dans le monde —

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dont 140 millions en Afrique —, qui ne lisent pas tous l’anglais.

Comme le souligne la philosophe et membre de l’Académie française, Barbara Cassin:

«Chaque langue est le produit d’une culture et d’un certain monde.»

L’émergence d’une Lingua franca. L’anglais est aujourd’hui considéré comme la langue
commune des sciences, la lingua franca du savoir scienti�que. Mais ce n’a pas toujours été
le cas: le latin puis le français ont d’abord joué ce rôle, d’un point de vue historique.

A l’origine, le terme lingua franca décrivait le sabir de français, d'italien, d'espagnol et


autres — notamment quelques mots d’arabe et de turc —utilisé par les marins et
marchands du bassin méditerranéen à partir du Moyen Âge. La lingua franca est alors une
«langue véhiculaire» — langue utilisée pour la communication, par opposition à la «langue
vernaculaire», celle que l’on parle tous les jours.

A partir de la Renaissance, l’usage du français dans la littérature savante remplace peu à


peu le latin — pour connaître son apogée pendant les Lumières au 18e siècle. Il a permis le
développement international des sciences, en favorisant les échanges entre scienti�ques
de différentes nationalités. Au 19e, l’usage de l’anglais, de l’allemand et du français
coexistent en Europe. Puis à la �n de la Seconde guerre mondiale, c’est l’anglais qui
l’emporte.

Lire aussi: Pourquoi la domination de l’anglais en sciences pose problème

Mais tout le monde n’est pas égal face à l’anglais… Être anglophone natif, ou l’apprendre
jeune constitue un avantage considérable. Si les Etats-Unis comptent autant de lauréats
du prix Nobel, l’explication ne tient pas seulement au système académique. L’aspect
linguistique peut aussi entrer en compte.

Traduire ne suf�t pas. En 2019, un article posait le problème dans The Lancet Globat
Health. Publié en français — une première pour une revue scienti�que de cet ordre — il
rappelle que la domination de l’anglais exclut un grand nombre de scienti�ques.

«Les appels d'offres des bailleurs de fonds, les revues médicales les plus in�uentes,
les conférences internationales les plus prestigieuses auxquelles il est important de
participer, sont dans leur grande majorité anglophones», écrivent les auteurs.

En effet, la plupart des revues importantes sont en anglais. Certes, il est parfois possible,
pour un auteur, d’associer en annexe de son article un résumé de celui-ci traduit par ses

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soins, voire une traduction de l’ensemble. Mais dans la pratique, il est dif�cile d’accéder à
ces sources plurilingues dans un océan d’anglais.

Certaines initiatives cherchent à corriger cela. C’est le cas de Global Africa, une revue de
sciences humaines créée récemment, qui publie des articles dans plusieurs langues
africaines a�n de les aider à se constituer en langues de recherche et de travail. Les textes
sont ensuite traduits en français, arabe, anglais, swahili et espagnol.

Les sciences exactes s’écrivent en anglais. Du côté des sciences exactes toutefois, les
contre-exemples restent rares. Pour être visibles, les travaux des chercheurs doivent être
référencés dans des bases de données — on parle d’indexation.

Or, deux bases sont hégémoniques: Web of Science et Scopus, toutes deux anglophones,
qui peinent à laisser de la place à d’autres langues.

Cet écart entre l’anglais et le français existe aussi dans le journalisme scienti�que. Kossi
Balao, journaliste scienti�que basé au Togo et fondateur de The Con�dential Report,
précise :

«L’anglais occupe une place inégalée dans le journalisme scienti�que en Afrique. Les
revues, magazines, journaux académiques et scienti�ques d’édition anglaise sont
plus nombreux que ceux que l’on retrouve dans l’espace francophone.

En outre, les journaux francophones ne jouissent pas d’une meilleure santé


�nancière et ils sont in�uencés doublement par le contexte politique et le faible
budget alloué à la recherche. Ce sont des réalités qui ne favorisent pas le
développement du journalisme scienti�que.»

Les dé�s de la science et de la francophonie en Afrique. Kossi Balao a fondé le premier


réseau de journalisme scienti�que francophone, en 2019 à Lausanne, à l’occasion de la 11e
conférence mondiale de journalisme scienti�que. Il raconte les raisons qui l’ont conduit à
fonder le Réseau des Journalistes Scienti�ques d’Afrique Francophone (RJSAF).

«J’étais membre de plusieurs associations et organisations anglophones et je ne


trouvais pas normal qu’il y ait si peu d’initiatives de réseautage entre les journalistes
scienti�ques d’Afrique francophone.

Le RJSAF comble ce fossé et va plus loin en encourageant la diffusion de


l’information scienti�que au sein des médias francophones qui n’offrent que très peu
de places aux contenus scienti�ques.»

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de places aux contenus scienti�ques.»

Il vient d’organiser la première conférence de journalisme scienti�que francophone à


Dakar. Même si l’anglais est maîtrisé par bon nombre de journalistes traitant de science en
Afrique, il reste un obstacle pour certains.

C’est le cas de Fanta Diakaté, qui tient une chronique santé, en français et en bambara, sur
Radio Kledu, la deuxième radio du Mali en termes d’audience.

«Je travaille avec des médecins [francophones] et des documents en français. Si le


sujet est intéressant, mais que le document n’est pas disponible en français, je
cherche des références avec des auteurs ou des experts capables d’en parler en
français. Mais ce n’est pas toujours possible.»

D’autant que la journaliste doit vulgariser les concepts à la fois en français et en langue
nationale.

«Ce n’est pas toujours simple, mais c’est indispensable. La population a besoin de
connaître les résultats de la recherche!»

Traduire en langues africaines. Pour surmonter l’obstacle, la fondation Hirondelle (au


conseil duquel Serge Michel, fondateur de Heidi.news, a siégé), une organisation suisse à
but non lucratif qui soutient les médias et journalistes des populations en crise, a imaginé
un «hub éditorial Covid-19».

«Pour certains journalistes africains, il était dif�cile de trouver de l’information �able en


ligne pendant la pandémie, explique sa directrice générale, Caroline Vuillemin. Nous
avions dédié deux journalistes pour chercher et traduire en langues nationales les
informations sur le Covid a�n que les journalistes locaux puissent s’en emparer.»

Pour Barbara Cassin, les algorithmes de machine learning seront utiles pour automatiser
les traductions, dans toutes les langues, pas seulement vers l’anglais:

«Je mets beaucoup d’espoir dans la traduction assistée par l’IA. Mais il faut cesser de
nourrir ces machines uniquement avec du globish [contraction de global et english
utilisée pour décrire la forme d’anglais simpli�é qu’on pratique dans les espaces
internationaux]… Nous avons besoin de textes techniques et juridiques dans toutes
les langues pour que cet outil devienne intéressant.»

Lire aussi: Pourquoi la traduction reste un dé� pour l'intelligence arti�cielle

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De la linguistique à la politique. «Les enjeux linguistiques sont éminemment politiques,


rappelle Barbara Cassin. La suprématie de l’anglais dans les sciences est liée au
capitalisme mondial.»

Reste qu’on ne pense pas de la même manière en anglais, en français ou en swahili, toutes
les personnes plurilingues le savent. Et l’Académicienne ne manque pas de le rappeler:

«Les mots ne sont pas des concepts. En sciences exactes, faire des maths en polonais
n’équivaut pas à les faire en anglais. Même quand on discute de médecine ou de climat, la
différence est �agrante. Le rapport au corps varie d’une langue à l’autre, de même que les
nuances entre nature et culture.»

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