Vous êtes sur la page 1sur 3

Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 18 octobre 2016, 14-24.

248, Inédit

Cour de cassation - Chambre commerciale Audience publique du mardi 18 octobre 2016


N° de pourvoi : 14-24.248 Décision attaquée : Cour d'appel de Basse-Terre, du 07 avril 2014
ECLI:FR:CCASS:2016:CO00885
Non publié au bulletin
Solution : Rejet

Président Avocat(s)
Mme Mouillard (président) SCP Spinosi et Sureau, SCP Yves et Blaise Capron

Texte intégral
RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 7 avril 2014), rendu en matière de référé, qu'à la suite de la résiliation par la société L'Amandier du contrat de location-gérance
qui la liait à M. X..., celui-ci l'a assignée en cessation du trouble manifestement illicite résultant de son éviction du fonds de commerce et en paiement d'une indemnité
provisionnelle ;

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche :

Attendu que la société L'Amandier fait grief à l'arrêt de lui ordonner de permettre à M. X... l'accès au fonds de commerce et de lui en remettre les livres de comptes jusqu'à
sa restitution ainsi que de lui interdire d'en troubler la jouissance, sous astreintes, alors, selon le moyen, que le président peut, dans les mêmes limites et même en
présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit
pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; qu'en l'espèce, en relevant, pour retenir l'existence d'un trouble manifestement illicite, que l'interdiction d'accès au
local loué s'analysait en une éviction illicite, quand la question de la licéité de l'éviction supposait pourtant qu'il soit préalablement statué sur la validité du contrat de
location-gérance pour méconnaissance des dispositions figurant aux articles L. 144-1 à L. 144-9 du code de commerce, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au
regard de l'article 873 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'à l'égard des parties à un contrat de location-gérance, la sanction de la nullité, prévue par l'article L. 144-10 du code de commerce, n'est attachée qu'à la
violation des prescriptions légales impératives, concernant la conclusion de ce contrat, au nombre desquelles ne figure pas l'immatriculation du locataire-gérant au
registre du commerce et des sociétés ; que la cour d'appel n'était pas tenue de procéder à une recherche qui n'était pas de nature à influer sur la solution du litige ; que le
moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu que la société L'Amandier fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. X... une somme provisionnelle à valoir sur la réparation du préjudice subi alors, selon le
moyen :

1°/ que la censure qui s'attache à un arrêt de cassation est limitée à la portée du moyen qui constitue la base de la cassation, sauf le cas d'indivisibilité ou de dépendance
nécessaire ; qu'en censurant la décision d'appel sur le fondement de la troisième branche du premier moyen, à raison du caractère contestable de l'obligation en cause, la
Cour de cassation censurera également, par voie de conséquence, le chef de l'arrêt ayant accordé une provision d'un montant de 10 000 euros à valoir sur la réparation du
préjudice subi, en application de l'article 624 du code de procédure civile ;

2°/ que dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier ; que l'allocation d'une
provision suppose toutefois nécessairement que la preuve d'un préjudice soit faite, quand bien même il ne pourrait être liquidé à hauteur de référé ; qu'en octroyant à M.
X... une provision de 10 000 euros destinée à réparer un préjudice qu'elle reconnaissait pourtant comme inexistant, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de
ses propres constatations et a, dès lors, violé l'article 873, alinéa 2, du code de procédure civile ;

Mais attendu, d'une part, que le rejet du premier moyen, pris en sa troisième branche, rend sans portée le grief de la première branche ;

Attendu, d'autre part, qu'ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que l'obligation à réparation incombant à la société L'Amandier à la suite de l'éviction illicite du
fonds subie par M. X..., n'était pas sérieusement contestable en son principe, c'est dans l'exercice des pouvoirs qu'elle tient de l'article 809, alinéa 2, du code de procédure
civile, que la cour d'appel a déterminé le montant de la provision qui devait lui être accordée ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches, qui n'est manifestement
pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société L'Amandier aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit octobre
deux mille seize.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour la société L'Amandier

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir ordonné à la société L'AMANDIER de remettre à Monsieur X... l'ensemble des clés permettant l'accès au local où est exploité le fonds
de commerce ainsi que tous les livres de compte du restaurant pour la période courant du mois d'août 2012 jusqu'à la restitution du fonds, et ce sous astreinte de 300
euros par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance du 11 janvier 2013, et d'avoir fait interdiction à la société L'AMANDIER de troubler, directement ou par
toute personne agissant de son chef, la jouissance du fonds de commerce, et ce sous astreinte de 500 euros par infraction constatée ;

Aux motifs que, « C'est par de justes motifs, que la cour adopte, que le premier juge a retenu que les agissements de la société L'AMANDIER était constitutif d'un trouble
manifestement illicite qu'il convenait de faire cesser.

Cela pouvait dispenser le premier juge de rechercher s'il y avait urgence à prendre les mesures sollicitées.

En présence d'une clause claire concernant les conditions de résiliation du contrat, le juge des référés, qui n'avait pas le pouvoir de juger de sa validité, pouvait
effectivement constater que le non-respect de la clause de résiliation, qui fait la loi des parties, et les manoeuvres entreprises par la bailleresse pour interdire l'accès au
local loué, s'analysaient en une éviction illicite.

Les moyens invoqués par l'appelante sur la validité du contrat sont donc inopérants dans le cadre de la présente instance.

L'obligation à réparation incombant à la société L'AMANDIER n'est pas sérieusement contestable en son principe.

Au moment où la cour statue les parties n'indiquent pas ce qu'il en est de l'exploitation du fonds.

L'intimé ne produit, en appel, aucune autre pièce que celles déjà examinées par le premier juge, pour justifier de sa demande de provision.

Cette demande a été justement fixée, en son montant, à la somme de 10. 000 euros en considération des éléments contradictoirement débattus.

En définitive, il convient de confirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions » ;

Et aux motifs non contraires des premiers juges, expressément adoptés :

« Il y a lieu de rappeler que le juge des référés apprécie souverainement l'urgence requise et que contrairement aux prétentions de la société L'AMANDIER, le défaut
d'urgence ne peut se déduire de l'ancienneté de la situation critiquée ou du plus ou moins de diligence de la partie demanderesse, mais de la nature de l'affaire.

En l'espèce, s'agissant d'une affaire concernant l'éviction d'un locataire-gérant en violation des stipulations expresses du contrat de location-gérance liant les parties et de
nature à compromettre ses intérêts et à conduire à un préjudice irrémédiable, l'urgence se trouve caractérisée.

Le contrat de location-gérance liant les parties stipule expressément qu'à défaut par le locataire-gérant d'exécuter une seule des conditions du contrat, le « contrat de
location sera résilié de plein droit un mois après un commandement de payer ou d'exécuter fait par exploit d'huissier resté sans effet et contenant déclaration par le
bailleur de son intention d'user du bénéfice de la présente clause ». La clause résolutoire insérée au contrat dispose en outre que « lorsque la résiliation aura été encourue,
pour quelque cause que ce soit, et si le locataire-gérant refuse de quitter les lieux, il suffira, pour l'y contraindre, d'une simple ordonnance de référé rendue par le
Président du tribunal compétent, laquelle ordonnance sera exécutoire par provision nonobstant appel ».

Il ressort du dossier qu'en violation des stipulations susvisées, la société L'AMANDIER n'a nullement notifié à Monsieur X... un commandement par exploit d'huissier et s'est
également abstenue de saisir le juge des référés pour contraindre le locataire-gérant à quitter les lieux. Il est en effet établi que la société L'AMANDIER n'a adressé à
Monsieur X... qu'un courrier recommandé l'informant de la résiliation immédiate du contrat. Un procès-verbal de constat en date des 13 et 14 août 2012, versé au dossier
par Monsieur X..., démontre en outre qu'à cette date, la société L'AMANDIER avait déjà pris possession des locaux loués.

Force est de constater qu'en s'adressant à Monsieur X... le courrier en date du 8 août 2012 emportant résiliation pure et simple du bail et en prenant immédiatement
possession des locaux loués, la société L'AMANDIER non seulement n'a pas respecté les stipulations susvisées du contrat de location-gérance mais encore a délibérément
causé un trouble manifestement illicite au sens des dispositions de l'article 873 du code de procédure civile.

L'action en référé introduite par Monsieur X... est bien fondée et il convient de faire droit à ses demandes tendant à la remise des clés et des livres de compte sous
astreinte. Il sera également fait défense sous astreinte à la société défenderesse de troubler la jouissance du fonds de commerce.

C'est avec justesse que Monsieur X... fait observer que l'éviction illicite dont il est victime lui cause un préjudice certain dans la mesure où il se trouve de fait dans
l'impossibilité d'exploiter le fonds de commerce. Toutefois, il ne produit aux débats, pour établir le montant du préjudice allégué, que des fiches de paye des salariés
concernant le mois de juillet 2012 et un simple suivi des encaissements et recettes. Il s'abstient de verser au dossier les justificatifs des sommes effectivement réglées aux
salariés à compter du mois d'août 2012 ainsi que des autres charges fixes. Il ne produit aucun élément de preuve du montant de la perte d'exploitation alléguée. Il s'ensuit
que seule une provision limitée à la somme de 10 000 euros doit être allouée au requérant » (ordonnance, pp. 3-4) ;

Alors que, d'une part, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal de commerce peut, dans les limites de la compétence du tribunal, ordonner en référé toutes les
mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend ; qu'en l'espèce, la société L'AMANDIER demandait à la Cour d'appel de
rechercher si, en faisant assigner en référé le 28 novembre 2012 la société L'AMANDIER pour faire cesser une situation de fait qui existait dès le 14 août, l'absence d'urgence
ne se trouvait pas caractérisée au regard des circonstances de la cause ;
qu'en se bornant à énoncer de manière générale et abstraite, par adoption des motifs non contraires du premier juge, que « le défaut d'urgence ne peut se déduire de
l'ancienneté de la situation critiquée ou du plus ou moins de diligence de la partie adverse » (ordonnance, p. 3), sans rechercher concrètement et au regard des
circonstances de la cause si l'absence de diligence de Monsieur X... ne révélait pas une absence d'urgence, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de
l'article 872 du code de procédure civile ;

Alors que, d'autre part, en appel comme en première instance, la juridiction de référé doit se placer, pour apprécier l'urgence attributive de sa compétence, à la date où
elle prononce sa décision ; qu'en l'espèce, en adoptant les motifs des premiers juges ayant caractérisé l'urgence, la Cour d'appel n'a pas apprécié l'urgence au jour où elle
a statué, violant ainsi l'article 872 du code de procédure civile ;

Alors que, enfin, le président peut, dans les mêmes limites et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise
en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; qu'en l'espèce, en relevant, pour retenir
l'existence d'un trouble manifestement illicite, que l'interdiction d'accès au local loué s'analysait en une éviction illicite, quand la question de la licéité de l'éviction
supposait pourtant qu'il soit préalablement statué sur la validité du contrat de location-gérance pour méconnaissance des dispositions figurant aux articles L. 144-1 à L.
144-9 du code de commerce (conclusions, p. 6), la Cour d'appel a encore privé sa décision de base légale au regard de l'article 873 du code de procédure civile.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la société L'AMANDIER à payer à Monsieur X... la somme provisionnelle de 10. 000 euros à valoir sur la réparation du
préjudice subi ;

Aux motifs que, « L'obligation à réparation incombant à la société L'AMANDIER n'est pas sérieusement contestable en son principe.

Au moment où la cour statue les parties n'indiquent pas ce qu'il en est de l'exploitation du fonds.

L'intimé ne produit, en appel, aucune autre pièce que celles déjà examinées par le premier juge, pour justifier de sa demande de provision.

Cette demande a été justement fixée, en son montant, à la somme de 10000 euros en considération des éléments contradictoirement débattus.

En définitive, il convient de confirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions » ;

Et aux motifs non contraires du premier juge, expressément adoptés :

« C'est avec justesse que Monsieur X... fait observer que l'éviction illicite dont il est victime lui cause un préjudice certain dans la mesure où il se trouve de faite dans
l'impossibilité d'exploiter le fonds de commerce. Toutefois, il ne produit aux débats, pour établir le montant du préjudice allégué, que des fiches de paye des salariés
concernant le mois de juillet 2012 et un simple suivi des encaissements et recettes. Il s'abstient de verser au dossier les justificatifs des sommes effectivement réglées aux
salariés à compter du mois d'août 2012 ainsi que des autres charges fixes. Il ne produit aucun élément de preuve du montant de la perte d'exploitation alléguée. Il s'ensuit
que seule une provision limitée à la somme de 10. 000 euros doit être allouée au requérant » (ordonnance, p. 4) ;

Alors que, d'une part, la censure qui s'attache à un arrêt de cassation est limitée à la portée du moyen qui constitue la base de la cassation, sauf le cas d'indivisibilité ou de
dépendance nécessaire ; qu'en censurant la décision d'appel sur le fondement de la troisième branche du premier moyen, à raison du caractère contestable de l'obligation
en cause, la Cour de cassation censurera également, par voie de conséquence, le chef de l'arrêt ayant accordé une provision d'un montant de 10. 000 euros à valoir sur la
réparation du préjudice subi, en application de l'article 624 du code de procédure civile ;

Alors que, d'autre part, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier ; que
l'allocation d'une provision suppose toutefois nécessairement que la preuve d'un préjudice soit faite, quand bien même il ne pourrait être liquidé à hauteur de référé ;
qu'en l'espèce, en octroyant à Monsieur X... une provision de 10. 000 euros destinée à réparer un préjudice qu'elle reconnaissait pourtant comme inexistant, la Cour
d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a dès lors violé l'article 873, alinéa 2, du code de procédure
civile.ECLI:FR:CCASS:2016:CO00885

Vous aimerez peut-être aussi