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Camp de Grenoble
Le Chevalier Kadosh
Prince de la dualité
Lors de mon initiation, lorsque le bandeau est tombé la première fois, ce ne sont pas les épées dirigées
vers moi qui ont retenu toute mon attention, mais le symbole au pied duquel j’étais placé, c’est-à-dire le
« Pavé mosaïque ». Par la suite, lors des séminaires d’Apprenti, les explications ampoulées du 2e Surveillant ne
m’éclairèrent pas vraiment : devais-je rejeter le noir et me cantonner au blanc ? Devais-je me faufiler entre les
deux, sur le fil du rasoir qui séparait les deux tons en prenant garde de ne tomber ni d’un côté, ni de l’autre ? Ou
bien devais-je privilégier une fusion des deux et me noyer dans le gris ?
Progressivement d’autres dualités me frappèrent : les deux Colonnes, les couples d’Officiers, les oppositions
cardinales (Midi - Septentrion, Orient - Occident, Zénith - Nadir), le Soleil et la Lune, etc. Mais « je ne
comprenais pas bien, de même que je ne voyais pas bien » !
Pourtant, j’avais subi l’épreuve du Feu au centre, sous le Fil à Plomb qui était une invitation, non
seulement à descendre au fond de moi, mais également à m’élever au-dessus du Pavé Mosaïque. Mais je n’avais
que trois ans...
Arrivé au grade de Maître, je pressenti que la notion d’Élévation était essentielle : ce relèvement, cette
verticalisation, le mot même « Élévation » me conduisaient irrémédiablement à vouloir quitter le sol duel, à
vouloir me situer dans une autre dimension, une autre perspective : la mort se tenait au niveau du sol, la vie était
au-dessus ; mais de quelle mort et de quelle vie était-il question ?
Puis la Grande Lumière commença à paraître. Progressivement, j’intégrais une approche plus philosophique
de mon univers ; la pensée de nos grands anciens m’invitait à penser par moi même, à me faire ma propre idée,
à « accueillir toutes les opinions mais ne les déclarer juste que si elles apparaissaient telles à mon examen propre »,
bref à conquérir ma liberté de penser, à laisser vivre mon esprit, paradigme confirmé par une des paroles clefs
du Maître Parfait : « Vous êtes libre, mon Frère. L’Esprit a surmonté la mort (ancienne rédaction : La mort n’a plus
d’emprise sur vous.) » S’élever, surmonter : j’étais dans la bonne direction... La mort (celle de l’Esprit) était sur le
pavé mosaïque, au sein de la dualité ; pour que mon Esprit vive, il fallait que je surmonte cette dualité, que je
m’élève au-dessus. La marche du Maître Parfait me le confirmait, deux pas du pied gauche et deux pas du pied
droit... Au niveau du sol, prisonnier de ma dualité, je tournais, non pas en rond, mais en carré ! Il me fallait
résoudre cette quadrature.
Le Secrétaire Intime me confirma dans ma voie : je devais dépasser la dualité (écouter les deux rois) pour
me joindre à eux et reconstituer le ternaire qui avait été détruit pas la mort d’Hiram.
Passé la nouvelle introspection de l’épisode de la caverne au 9e degré et des degrés de vengeance, nouvelle
descente infernale dans mon noir intime, je remontais comme Grand Maître Architecte, maintenant titulaire
de la capacité de tracer des plans, c’est-à dire dessiner la route qui me convenait le mieux pour me rapprocher
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du divin, en dehors de tout dogme religieux imposé. Je pouvais maintenant tracer mon propre chemin pour
m’élever et collaborer déjà à la loi divine ; mais ça, je ne le savais pas encore...
Puis vint la « descente ascensionnelle » du Chevalier de la Royale Arche. De nouveau la dualité représentée
par les deux personnages1 de « Johaber » et « Stolkin » qui ne peuvent accéder aux secrets de la Voûte Sacrée que
dans la mesure où ils sont conduits par un troisième, plus « élevé » qu’eux, « Guibulum », dont le nom même
nous indique la méthode à suivre ; ce nom, rencontré dans plusieurs rituels, est parfois donné comme une
déformation de « Guiblim » (Saint-Gall 2001, p. 45) dont le sens est « excellent maçon » ; il semble plutôt qu’il
faille chercher du côté de « Zévouloun » ( zĕvulûn NVlb5z$ ou NVlVbz$ ou Nl5Vbz$ ), par l’intermédiaire de
« Jibulum », qui qualifie un lieu de présence divine. C’est bien parce que « Guibulum » est conscient d’une
présence divine en lui qu’il a la capacité d’ouvrir les porte et de sauver les deux autres lorsque leur manque de
discernement leur fait ouvrir la 11e porte.
Très clairement, dans cette phase rituélique, l’ascension vers le divin, de Malkhout à Kether, est décrite
comme une descente dans les profondeurs de notre être, pour découvrir la pierre d’agate, c’est-à-dire contempler
le Centre de l’Idée, pour ne pas dire Dieu, dans son aspect immanent. L’échelle du Ch\ K\, comme celle de
Jacob, nous fera faire un voyage similaire, mais pour l’aspect transcendant.
J’ai apparemment atteint la « Perfection », mais pourtant le rituel me rappelle de nouveau que « j’ai à me
perfectionner ». Alors nous changeons de cycle, ou de paradigme, et nous voici dans les grades capitulaires. Là, le
message semble différent, mais la dualité du pavé mosaïque est toujours présente : je franchis le Pont de Gandara
qui conduit du noir (Babylone) au blanc (Jérusalem). Puis au 16e degré nouveau voyage du blanc au noir, puis
retour du noir au blanc. Il semble que je sois vainqueur à chaque fois, mais vainqueur de quoi, puisque je reste
prisonnier de cette dualité ?
Le 17e degré enfonce le clou et me décrit toutes les horreurs du noir, « j’erre toujours dans les ténèbres » mais
me laisse entrevoir un espoir, la Jérusalem Céleste, qui flotte quelque part au dessus de moi. Qui m’en ouvrira
les portes ?
C’est bien sûr l’Amour - Agapé, message central du grade de Ch\ R-C\, seul moyen de garder l’Espérance.
Là aussi, le message semble différent, mais plein de petits détails nous rappellent notre condition duelle :
les deux Temples, le Noir et le Rouge, nos décors à double face, d’un côté croix noire sur fond rouge, de
l’autre croix rouge sur fond noir, les deux côtés du bijou, aigle et pélican, les deux faces de celui du T\ S\ A\,
etc.
1. Dans les versions précédentes du rituel, on parle de trois mages, deux « disciples » et leur chef. La symbolique
2+1 reste la même, enrichie de la notion de « mage ».
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J’explore un nouveau mythe ; le feu-shin et la rose, tous deux symboles de l’amour, sont les pivots des deux
faces de mon être : je suis à la fois Henry Jekyll et Edward Hyde ; Agapé peut seule me sortir de cette situation : si
j’aime les deux faces de mon être, alors je vais pouvoir aimer les autres qui ne sont que des images de moi-même.
C’est le seul chemin pour m’élever hors de ma condition duelle.
Cette Espérance que me laissait entrevoir le 18e degré, est-elle donc vaine ?
Et là, je vois l’Échelle : elle est enracinée dans ma dualité, juste à la lisière entre le noir et le blanc, ce fil du
rasoir dont me parlait mon Second Surveillant (finalement, il n’avait peut-être pas tout à fait tort...).
Elle m’indique la seule sortie possible : pour que mon Esprit vive, il faut que mon Âme, symbolisée par
le pentagramme lors de la Consécration, grimpe les échelons, péniblement, étape après étape, explorant les
mondes mystérieux des Archontes, à la manière des hypostases divines de l’arbre des Sephirot, en suivant les
indications du T\ P\ G\ M\ :
« L’initiation nous apprend à franchir les limites, à les surmonter. Elle nous apprend à transformer les obstacles
en échelons de l’Échelle Mystique. Le but d’aujourd’hui sera l’échelon de demain dans la marche ascendante. Mais,
sachez-le, mes Frères, la solution du binaire ne se trouve jamais dans le même plan que les termes, eux-mêmes opposés
et contraires. Il faut s’élever toujours à un plan supérieur. »
Mais le message est double, car il me faut ensuite redescendre à travers les sept cieux du monde manifesté,
ce monde manifesté symbolisé par le carré, la marche du Maître Parfait, où je reste prisonnier de ma dualité,
même si j’ai eu la chance de contempler le divin.
Mais je suis maintenant armé de l’Épée – Caducée de Mercure (caractérisé par la symétrie des deux
serpents...) qui transforme tout en or pur, cette arme qui me permettra enfin de « conjurer le sortilège de la
matière » duelle !
Et je porte les « ailes de l’Aigle Blanc et Noir qui plane, couronné, au-dessus des contraires. »
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BIBLIOGRAPHIE
RÉSUMÉ
Durant toute sa progression à travers les degrés successifs, le Franc-Maçon qui suit la Voie Écossaise est
continuellement mis en face de sa réalité duelle. À travers les mythes parcourus, le Rite insiste sur la nécessité de
s’élever, non pas physiquement, mais par le truchement de notre Âme, pour accéder, ou tout du moins essayer
de s’approcher de l’Unité qui résout la Dualité par le chiffre Trois.
C’est au grade de Chevalier Kadosh que l’évocation du problème lié à notre condition terrestre est la plus
détaillée et sa solution la plus originale.