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LÉA GIRARDOT / « LE MONDE »

• MAGIC : L’HÉRITAGE

Il y a trente ans, la
révolution ludique de
Magic : l’assemblée
Par Damien Leloup

Publié hier à 06h00, modifié hier à 14h47

Lecture 6 min.

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RÉCIT | « Magic : l’héritage » (1/5). Lancé en 1993 aux Etats-Unis, le


plus célèbre des jeux de cartes à collectionner a rapidement
conquis la planète. Ciment fondateur d’un empire ludique, il a
entraîné dans son sillage de nombreux jeux lui empruntant son
concept de base.

Le 5 août 1993, aux Etats‐Unis, les premières boîtes d’un jeu d’un
nouveau genre arrivent dans les magasins. Dans des paquets aux allures
de pochettes‐surprises, quinze ou soixante cartes, distribuées au hasard.
Chaque joueur doit choisir avec soin lesquelles composeront son deck, le
paquet de cartes avec lequel il affrontera ses adversaires, qui, comme lui,
incarnent des sorciers pouvant faire appel à cinq types de magies
différentes.

Il n’y a quasiment pas eu de publicité pour le lancement de Magic :


l’assemblée (Magic : The Gathering, en anglais). Si Peter Adkison,
l’éditeur, sent tout de suite le potentiel de cet étrange jeu qui se
collectionne presque autant qu’il se joue, il est loin d’imaginer que,
trente ans plus tard, Magic sera toujours l’un des jeux de société les plus
populaires au monde, la fondation d’un empire ludique et le père
spirituel de plusieurs dizaines d’autres jeux lui empruntant son concept
de base. A ce moment‐là, les créateurs ne conçoivent pas qu’une même
personne puisse acheter plus d’une dizaine de paquets : les plus
passionnés les achèteront bientôt par boîtes entières de trente‐six.

Magic n’est pas le premier projet de son créateur, Richard Garfield, alors
jeune professeur de mathématiques. Quand, en 1991, il rencontre Peter
Adkison, un ingénieur chez Boeing à Seattle qui vient de créer sa PME
d’édition de jeu, Wizards of the Coast, c’est en effet pour lui présenter un
autre prototype : celui de Robo Rally. Adkison adore le concept, mais son
édition serait trop onéreuse pour sa jeune entreprise. Il décline (Robo
Rally sera publié en 1994, et connaîtra son propre succès) et demande à
Garfield de travailler sur un jeu un peu moins ambitieux, aux parties
courtes, qui pourrait se jouer sur une table de café ou dans les files
d’attente des conventions de jeu de rôle.

Garfield commence alors à travailler sur un projet mêlant l’idée d’un jeu
de cartes à un univers de jeu de rôle qu’il a développé. Il emprunte au jeu
de plateau Rencontre cosmique l’idée que les cartes puissent ajouter de
nouvelles règles en cours de partie ou contredire les règles générales, et
imagine un jeu évolutif dans lequel chacun pourrait optimiser sa
stratégie par le choix de ses cartes. En quelques mois, il développe un
premier prototype, qu’il affinera ensuite jusqu’à la publication, près de
deux ans plus tard.

Un empire ludique
Le succès commercial et critique est immédiat. En quelques semaines, le
premier tirage d’un peu plus de deux millions de cartes est épuisé. Les
rééditions successives puis les premières extensions (Arabian Nights,
Antiquities, Legends) connaissent le même engouement.

Wizards of the Coast devient, en quelques années, un géant du jeu de


société, jusqu’à racheter l’éditeur du jeu de rôle Donjons & Dragons, TSR,
en 1997, avant d’être à son tour acquise en 1999 par Hasbro pour
325 millions de dollars (310 millions d’euros, à l’époque).
Un stand dévolu à Magic : The Gathering, lors du Taipei International Game Show, à Taïwan, le
24 janvier 2022. SOLOMON203 CC BY 4.0

Magic inspire, en quelques années, une toute nouvelle catégorie de jeux,


les trading card games (TCG, jeux de cartes à échanger). Au milieu des
années 1990, des dizaines de concurrents se lancent, oscillant entre la
catastrophe industrielle (Spellfire), les jeux qui connaîtront un succès
modeste (dont deux autres jeux de Richard Garfield, Netrunner et
Vampire : The Eternal Struggle) et son seul véritable concurrent grand
public, Pokémon, lancé en 1996, et toujours une locomotive économique
aujourd’hui.

Chaque jour de nouvelles grilles de mots croisés, Sudoku et mots trouvés.


Jouer

« Sur douze mois, à fin mai 2023, nous comptabilisons 2,6 milliards d’euros
de ventes sur l’ensemble du marché des jeux de cartes à collectionner,
relève Frédérique Tutt, spécialiste du jeu et du jouet pour le cabinet
Circana. Non seulement c’est une croissance de 19 % par rapport à l’année
précédente, mais c’est aussi la catégorie de jeux qui progresse le plus en
vente », ajoute‐t‐elle, notant que Pokémon tire largement les ventes,
suivi par Magic.

Lire aussi : Donjons & Dragons face à une double menace


existentielle

Au sein du géant du jeu et du jouet Hasbro, Magic représente environ un


quart du chiffre d’affaires – un peu plus de 200 millions d’euros au
premier trimestre 2023 –, faisant du rachat de Wizards of the Coast l’une
des acquisitions les plus rentables de l’histoire du jeu. Le nouveau
patron de Hasbro, Chris Cocks, est d’ailleurs l’ancien patron de Wizards
of the Coast.

Tournois et renouvellement
Comment expliquer cette longévité ? D’une part, au fil des années,
Magic s’est structuré. Après un premier championnat du monde
organisé de manière un peu chaotique en 1994 – et dans lequel un
Français, Bertrand Lestrée, parviendra en finale –, Wizards of the Coast
met sur pied un système de tournois officiels, dotés de prix en argent qui
permettent à des « joueurs professionnels » d’émerger, avec un
classement mondial inspiré du système de notation Elo des échecs.
L’entreprise sponsorise aussi des avant‐premières des nouvelles
extensions et des soirées jeu dans les boutiques.

Avec ce système de « jeu organisé », précurseur, Magic s’inscrit dans la


durée, malgré son lot de critiques : prix des cartes trop élevé ; parents
paniqués de voir leurs ados se ruer sur ce que la presse américaine
dénomme le cardboard crack (la drogue en carton) ; amateurs de jeux de
rôle qui se désolent de voir ce nouveau jeu « remplacer » leur loisir ;
pessimistes qui pensent que le jeu n’est qu’une mode, a une trop grande
part de hasard, et qui voient des faiblesses structurelles dans ses règles
qui finiront, ils en sont sûrs, par lui valoir d’être remplacé par un autre…
Une partie de Magic : l’assemblée, lors d’un tournoi organisé à Rouen, en juin 2014. TOURTEFOUILLE -
CC BY-SA 4.0 VIA WIKIMEDIA COMMONS

En parallèle d’un circuit « pro », destiné aux joueuses et joueurs


compétiteurs, Wizards of the Coast a aussi fait des efforts marqués pour
s’adresser aux « amateurs », qui ne jouent que pour le plaisir, entre amis.
La stratégie n’est pas secrète : en 2002, Mark Rosewater, qui dirige le
département de recherche et développement, publie un article passant
en revue les trois catégories de joueuses et joueurs, « surnommés en
interne, explique‐t‐il, Timmy, Johnny et Spike ». Timmy aime les cartes
puissantes aux effets majeurs ; Johnny aime la créativité, les
combinaisons originales ; Spike est le joueur de tournoi, compétitif par
essence, qui adaptera son deck et son style de jeu à ce qui est le plus
efficace à un moment donné.

Dès le début des années 2000, chaque extension propose des cartes
conçues pour plaire à ces différentes populations, et Wizards of the
Coast accompagnera aussi avec des produits spécifiques l’émergence de
modes de jeu alternatifs, amusants et moins compétitifs.

Surtout, Magic a su se renouveler sans briser ses fondamentaux. Le jeu a


introduit des dizaines de nouvelles mécaniques au fil des années, mais
ses concepteurs ont, après des erreurs initiales, réussi à maintenir une
forme d’équilibre. « Une condition indispensable », note Kelvin Breuer, un
spécialiste des données (data scientist) néerlandais qui a consacré sa
thèse de fin d’études à l’analyse de l’équilibrage de Magic (diversité des
cartes au sein des extensions, compatibilité des innovations avec les
cartes anciennes).

Sur la durée, les jeux de cartes à collectionner « ont un problème


classique : ils doivent convaincre de nouveaux consommateurs mais aussi
garder les anciens », affirme M. Breuer. Il faut donc que les nouvelles
cartes offrent de nouvelles possibilités intéressantes, sans rendre
totalement obsolètes les plus anciennes, ce que Magic a plutôt bien
réussi à faire, notamment en maintenant des formats de compétition
autorisant les « vieilles cartes » mais en privilégiant les formats dans
lesquels seules les dernières extensions sont autorisées.

Influence majeure
Trente ans après sa création, l’héritage de Magic est aussi numérique :
dans ses versions dématérialisées, Magic Online puis Magic Arena, et
dans l’influence qu’il a eue sur quantité de jeux vidéo (Hearthstone, Slay
the Spire, Marvel Snap, etc.). Dans les formations à la création de jeux
vidéo, la création de prototypes de jeux de cartes du même genre fait
désormais partie des exercices classiques.

L’étude de Magic a aussi permis le développement de plusieurs théories


d’analyse stratégique, dont les leçons s’appliquent à bien d’autres
pratiques ludiques : le « tempo », la manière dont une partie se gagne
par le contrôle de la situation et l’estimation correcte de son évolution
dans le temps ; « l’inévitabilité », le fait d’atteindre une situation qui
assure une victoire à terme ; ou encore le « metagame », le fait de tenir
compte des stratégies prisées des autres joueurs pour mieux s’y adapter,
même si cela suppose de jouer un jeu moins « fort » dans l’absolu.

Mais les raisons de son succès sont probablement à chercher du côté de


sa variété (23 000 cartes différentes éditées depuis sa création) et du fait
que, malgré des règles complexes, cela reste un jeu dans lequel on
s’amuse réellement, que l’on cherche à gagner des tournois ou
simplement à se divertir entre amis.

Loin de s’étioler avec le temps, Magic : l’assemblée n’a fait que grandir –
le jeu revendique aujourd’hui quarante millions de pratiquants.
Lire aussi : De « Magic » à « Hearthstone », les jeux de cartes
face au casse‐tête du long terme

Retrouvez tous les épisodes de la série « Magic : l’héritage » ici.

Damien Leloup

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