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COUP DE CŒUR
Editions Harlequin
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ALEXIS VINCENT
HARLEQUIN®
est une marque déposée du Groupe Harlequin et Coup de Cœur
® est une marque déposée d’Harlequin S.A.
Photo de couverture
Couple : © ROYALTY FREE / WESTEND 61 / GETTY
IMAGES
***
Comme prévu, elle passa le week-end à Little Bossington, triant
et rangeant les affaires de son tuteur. Le souvenir de Caleb
Masterson ne la quitta pas un instant pendant ces deux jours, et elle
se surprit à attendre le lundi matin avec une certaine impatience.
Caleb Masterson n’était pas en vue lorsqu’elle se présenta au
siège de Brown and Jones le lundi. Elle se rendit directement au
bureau de Donnie et se demandait par où commencer lorsqu’un
homme d’environ trente ans la rejoignit.
Vous devez être Sorrel White, dit-il avec un grand sourire. Je
m’appelle James Tew et je dirige l’équipe d’audit. Voulez-vous que
je vous fasse visiter les locaux?
C’est ainsi que commença la journée. Serviable et sympathique,
James lui montra l’ensemble du service, avant de la laisser inspecter
en personne le bureau qui allait être le sien pendant cinq semaines.
Lorsque arriva l’heure de sa pause déjeuner, Sorrel avait
compris ce que « capharnaüm » signifiait. En réalité, le désordre le
plus complet régnait dans tous les papiers.
Donnie et elle avaient fait leurs études dans la même école, mais
son amie semblait avoir adopté une méthode très personnelle de
classement. Sorrel espérait que ce système lui avait été imposé par
Trevor Simms afin de couvrir ses malversations... Quoi qu’il en soit,
le seul moyen d’y comprendre quelque chose était de tout reclasser
d’une manière plus orthodoxe. Ainsi, il lui serait possible de trouver
les documents dont l’équipe d’audit pourrait avoir besoin sans
perdre des heures chaque fois.
La journée passa très vite, et il était près de 17 heures lorsque
le téléphone sonna.
Service des finances, j’écoute.
Comme s’est passée votre journée?
Caleb Masterson ne s’embarrassait pas de formules de
courtoisie telles que « Bonjour » ou « Comment allez-vous ? » ou
même « Masterson au téléphone »...
Sorrel pinça les lèvres, sans être surprise pour autant.
Très bien, merci, répondit-elle.
Pas trop ardue, j’espère?
Mieux valait éviter de lui parler du système de rangement très
particulier de Donnie; de toute façon, quelque chose lui disait qu’il
en avait une idée assez précise. Non, il fallait au contraire montrer
que tout allait très bien.
Ça a été très intéressant, monsieur Masterson.
Cale.
Pardon ?
Tous mes collègues m’appellent Cale.
Ah, bien...
Cale? Cela la changeait du ton plutôt acide de leur première
rencontre, juste une semaine plus tôt. Et... des « collègues » ?
J’espère que l’équipe d’audit ne vous a pas trop ennuyée,
reprit-il avant qu’elle n’ait eu le temps de s’interroger davantage.
Non. Ils sont tous très agréables et nous nous entendons très
bien.
C’était la stricte vérité. James lui avait apporté un café en milieu
de matinée, et William un thé vers 16 heures. On ne pouvait rêver
de conditions de travail plus sympathiques.
Tant mieux. Prévenez-moi si vous avez besoin de quoi que ce
soit.
Sur ce il raccrocha, sans un mot d’au revoir. Un peu
déconcertée, Sorrel raccrocha à son tour et commença à mettre de
l’ordre sur son bureau. Elle se rendit brusquement compte qu’elle
souriait. Bonté divine ! Il n’y avait tout de même pas de quoi se
réjouir parce que l’homme qui avait usé de coercition pour lui faire
accepter ce poste lui passait un coup de téléphone pour s’enquérir
du déroulement de sa journée ! Cette brute avait aussi un côté
humain, certes, mais cela justifiait-il sa soudaine bonne humeur?
En tout cas, cette invitation à l’appeler par son prénom semblait
indiquer qu’il lui faisait désormais confiance, décida-t-elle sur le
chemin du retour. Ce devait être le cas, sans quoi il ne lui aurait
jamais demandé de travailler chez Brown and Jones, et encore
moins de passer ses journées à farfouiller dans les documents
financiers.
Pourtant, lorsqu’elle se coucha ce soir-là, Sorrel avait la
certitude que la prochaine fois qu’ils se rencontreraient Caleb
Masterson se montrerait aussi peu courtois que d’habitude.
***
Il ne se manifesta pas le lendemain. Comme les semaines
précédentes, Sorrel partit le vendredi soir pour Little Bossington.
Le manoir lui paraissait de plus en plus solitaire et l’oncle Lionel lui
manquait terriblement, aussi son week-end fut-il assez morne. Le
dimanche, en rentrant, elle retrouva son appartement également
vide, et l’absence de Donnie, avec son rire et sa bonne humeur
permanente, lui pesa encore plus que d’habitude.
Tard dans la soirée, le téléphone sonna. C’était Helen Pargetter,
que Sorrel aimait comme une mère. Helen, qui s’appelait désormais
Mme Gilbert, revenait d’une longue croisière avec son mari et
n’avait pas donné de ses nouvelles depuis le départ de sa fille pour
l’Afrique.
Je suis tellement contente de t’entendre ! s’exclama Sorrel en
reconnaissant sa voix.
Moi aussi, ma chérie ! répondit Helen.
Comment allez-vous, tous les deux ?
Nous allons très bien, et ce voyage a été merveilleux. Je t’en
parlerai plus tard. Pour l’instant, je dois t’avouer que je suis un peu
inquiète pour Donnie.
Pourquoi ? Que se passe-t-il ?
Oh ! rien de très précis, sinon que j’ai trouvé en arrivant une
carte postale où elle me parle sans cesse d’un certain Adrian. Qui
est ce garçon ? Tu le connais ?
L’anxiété de Sorrel disparut aussitôt. Helen n’avait qu’une
inquiétude bien légitime de mère poule au sujet du compagnon de sa
fille unique.
Oui, je l’ai rencontré. C’est un zoologiste, un garçon très
gentil.
Tu crois qu’il est bien pour elle ? Tu sais qu’il lui faut quelqu’un
de spécial. Tout comme à toi, ma chérie.
D’après ce que j’ai pu constater, oui, je pense qu’il est
l’homme idéal pour Donnie.
La remarque de Sorrel calma les inquiétudes de Helen Gilbert à
propos de sa fille. Elles discutèrent encore un petit moment, puis
raccrochèrent. Sorrel se sentit de nouveau déprimée.
Elle avait été incapable de faire part à Helen des soupçons qui
planaient sur Donnie à propos de ce détournement de fonds. A quoi
bon ? Helen vivait maintenant de l’autre côté de l’Atlantique et ne
pouvait rien y faire du tout. Apprendre que sa fille avait signé des
papiers compromettants sans même les lire et qu’elle avait accordé
sa confiance à son escroc de patron l’aurait sans doute plongée
dans une angoisse bien pire que celle que lui inspirait sa liaison avec
Adrian.
Le maître de Mallarinka
COUP DE CŒUR
Editions Harlequin
Cet ouvrage a été publié en langue anglaise sous le titre :
MASTER OF MALLARINKA
***
De retour dans sa chambre, Victoria avait pleuré toutes les
larmes de son corps jusqu’à ce que, épuisée, elle sombre dans un
profond sommeil.
Cette journée si riche de promesses avait tout à coup tourné au
cauchemar, lui laissant un goût de cendre dans la bouche.
Contrairement à ce qu’elle avait été amenée à croire, elle n’était pas
séduisante. Pas même un peu. Elle n’inspirait aucun désir. Du moins
à Haddo. De toute évidence, elle avait mal interprété le regard qu’il
avait promené sur elle lorsqu’elle avait descendu les marches.
Pourtant, même si elle s’était rendue ridicule à ses yeux, elle se
souviendrait sans doute de ces instants magiques aussi longtemps
qu’elle vivrait.
C’était son secret. Tout comme l’était le fait que, depuis quatre
ans, elle avait le cœur en miettes…
1
***
Les deux filles avaient pris l’habitude de monter à cheval
l’après-midi. Chrissy, sur la calme jument qu’on lui avait choisie,
n’avait pas été longue à trouver un réel plaisir à ces promenades
dont Tori planifiait l’itinéraire le matin.
Aujourd’hui, elles avaient décidé d’être un peu plus
aventureuses que d’ordinaire et d’aller visiter un campement
d’élevage à Cobbi Creek. Lors du dîner, la veille, Haddo avait
mentionné le fait qu’une partie des gardiens de bestiaux devaient
partir pour les rudes contrées de collines arides et revenir avec
autant de bétail qu’ils le pourraient.
Une tâche qui durerait probablement plusieurs jours, ce qui
voulait dire qu’il leur faudrait prendre des chevaux supplémentaires
avec eux — au moins trois ou quatre par homme, les bêtes
pourraient ainsi se reposer à tour de rôle ou être remplacées si,
comme cela arrivait parfois, elles se blessaient. Les rassemblements
étaient épuisants, tant pour l’homme que il pour l’animal.
Une fois parvenues au campement qu’entouraient un mur
presque solide d’eucalyptus coolabahs et des zones humides
regorgeant de nénuphars roses odorants, toutes deux mirent pied à
terre et attachèrent leurs montures à l’ombre. Immédiatement, Tori
repéra la haute silhouette de Haddo qui lui tournait le dos. Il
discutait près du corral avec Snowy, leur meilleur traqueur et
gardien de bestiaux aborigène, qui dirigerait vraisemblablement
l’expédition. Une bonne trentaine de chevaux attendaient déjà
calmement dans l’enclos.
Les apercevant, Haddo vint à leur rencontre de cette démarche
pleine d’énergie virile qui le caractérisait. Le bandana rouge vif noué
autour de son cou bronzé le rendait encore plus sexy aux yeux de
Tori, pour autant que ce soit possible.
Comment ça va? demanda-t-il en les gratifiant d’un de ses
irrésistibles sourires.
Visiblement subjuguée, Chrissy sourit à son tour.
Bien, dit-elle. Très bien, Haddo. C’est vraiment super ! Et je
commence à me sentir de nouveau à l’aise sur une selle. On peut se
baigner, dans ce ruisseau ? ajouta-t-elle en désignant du menton le
petit cours d’eau.
C’est possible, mais il y a des endroits mieux que ça pour
nager. Tori te les montrera.
Son regard saphir glissa sur Tori qui portait son akubra blanc
nonchalamment incliné sur les yeux.
Salut, dit-il.
Salut, répondit-elle, profitant de l’abri que lui procurait le
chapeau pour le dévorer des yeux.
J’aime bien ce nom de Tori, déclara Chrissy. Au refuge, tout le
monde l’appelle Vicki.
Pour moi, elle est Tori depuis si longtemps que je serais
incapable de l’appeler autrement, expliqua Haddo en se tournant
vers le campement. Les hommes vont bientôt se mettre en route.
Vous n’avez qu’à rester pour la distribution de thé et de scones.
Avec plaisir ! s’exclama aussitôt Chrissy en quêtant
l’approbation de Tori.
Tori esquissa une grimace comique.
D’accord pour le thé, mais je me passerai des scones.
Haddo secoua la tête avec un petit sourire amusé.
Ils ne sont pas si mauvais qu’elle le laisse entendre, Chrissy.
Ne te laisse pas influencer.
Son regard se reporta sur Tori. Elle avait tressé ses longs
cheveux auburn en une natte soyeuse qui lui tombait dans le dos et
portait une chemise de soie ivoire, assortie à son jodhpur écru ; ses
bottes de cuir havane étaient parfaitement cirées. Elle aurait été
parfaite pour une photo de mode. L’élégance de sa mince silhouette
aurait pu porter à croire qu’elle prenait la pose, mais ce n’était pas
le cas. La grâce de Tori était innée.
Tu as un problème? demanda-t-il.
Non, rien, assura-t-elle un peu sèchement.
Ce n’est pas ton habitude d’être aussi peu loquace...
Elle soupira, visiblement agacée.
Pourquoi faut-il toujours que tu adoptes ce ton moqueur avec
moi ?
Il eut une moue désabusée.
C’est involontaire, je t’assure. Venez avec moi, toutes les
deux. Tout le monde te connaît, Tori, mais je vais présenter
Chrissy.
Il tourna les talons, les laissant lui emboîter le pas.
Tori vit soudain les grands yeux bruns de Chrissy s’allumer et
suivit son regard. La plupart des hommes du campement
approchaient la quarantaine, mais son amie venait manifestement de
repérer un jeune type blond, portant chemise à carreaux, jean
moulant et akubra noir repoussé en arrière.
C’est qui, le blond, là-bas? murmura-t-elle en posant la main
sur le bras de Tori. Il est franchement craquant. Il ressemble à un
acteur de western dont je ne sais plus le nom, tu ne trouves pas ?
Pour être franche, non.
Oh, allez ! Je t’assure que si ! insista Chrissy.
Devant son enthousiasme, Tori finit par se radoucir.
Bon, si tu veux. Peut-être une très vague ressemblance...
Le jackeroo — c’est-à-dire un apprenti gardien de troupeau
—, Shane McGuire, n’avait pourtant de son point de vue vraiment
rien d’une star de cinéma, même si elle reconnaissait qu’il était
plutôt agréable, avec ses yeux bleus et ses boucles dorées. Et puis
tout le monde l’aimait bien. Cependant, elle ne pouvait ignorer que
Chrissy avait subi ces deux dernières années les violences d’une
brute. Son amie ne devrait-elle pas se montrer plus prudente ?
C’est quoi, son nom ? s’enquit Chrissy sans paraître se soucier
de sa réticence.
Chrissy... Ne t’emballe pas comme ça.
D’un autre côté, si cela pouvait l’aider à oublier Zack... Elle
risquait fort de ne pas perdre au change.
D’accord. Il s’appelle Shane McGuire. C’est le jackeroo.
Il n’est pas marié, au moins ? Si tu me dis que si, je me roule
par terre en hurlant.
Chiche ! s’exclama Tori, amusée. Je regretterais presque que
ce ne soit pas le cas, mais Haddo n’embauche jamais de jackeroos
mariés. Il veut qu’ils apprennent le métier avant de penser à fonder
une famille. De toute façon, Shane n’a que vingt ou vingt et un ans.
On commence tout juste sa vie, à cet âge.
Elle savait de quoi elle parlait... Ne s’était-elle pas rendue
totalement ridicule à seize ans ?
Pour moi, la vie que je mène a commencé quand maman est
morte, commenta Chrissy, balayant d’un haussement d’épaules
fataliste des années de chagrin et de misère.
Je sais. Je suis désolée, Chris.
Tori, qui avait elle-même traversé de douloureuses épreuves, ne
pouvait que compatir.
Ce n’est pas grave, j’ai trouvé un copain, dit Chrissy en
souriant. J’ai le droit de lui parler?
Naturellement.
Chrissy observa d’un air émerveillé un vol de cacatoès blancs à
crête jaune qui se posèrent dans les eucalyptus coolabahs sur
l’autre rive.
Je veux dire... même quand tu n’es pas là ?
Tu n’as pas besoin de ma permission quand tu veux parler à
quelqu’un, répondit Tori. Mais pas de bêtises, d’accord?
Compte sur moi ! promit Chrissy en l’étreignant fugacement.
« Que se passe-t-il ? s’interrogea Tori. Un coup de foudre ? »
Son grand regret était de ne pas avoir eu le temps d’emmener
Chrissy chez un dentiste pour remplacer sa dent cassée. Mais qui
sait... Shane serait peut-être trop ébloui par les grands yeux marron
pétillants de Chrissy pour s’en formaliser. Peut-être qu’il ne la
remarquerait même pas !
Chrissy n’avait pas caché qu’elle adorerait rester à Mallarinka si
Haddo lui trouvait un emploi. Elle était prête à faire tout ce qu’on lui
proposerait, dans la maison ou au campement. Son rêve serait de
devenir une jillaroo — les jillaroos constituaient la main-d’œuvre
féminine dans un ranch —, mais ça, c’était hors de question.
Mallarinka était un monde d’hommes. Le poste d’institutrice n’était
pas non plus dans ses cordes. Sans foyer fixe et sans parents
adoptifs pour la motiver réellement, Chrissy n’avait eu que peu
d’intérêt pour l’école, et son niveau d’éducation était insuffisant.
C’était une autre des préoccupations de Tori. L’école
reprendrait le lendemain matin à 9 heures — autant dire à l’aube,
pour elle...
Finalement, elle n’eut pas le cœur à refuser un scone fourré à la
confiture de prunes. Les pruniers sauvages poussaient en
abondance à la lisière du désert, et on en faisait d’excellentes
confitures, ainsi que de délicieuses tartes. Le scone, toutefois, lui
resta un peu sur l’estomac. Un autre gobelet de thé aiderait sans
doute à le faire passer.
Tandis que Chrissy engouffrait des scones avec un appétit qui
faisait plaisir à voir, Tori se leva du tronc couché qui leur servait de
banc et se dirigea vers Lliam, le cuisinier mi-irlandais, mi-chinois. Le
soleil aveuglant la fit grimacer et elle se dit qu’elle aurait dû remettre
ses lunettes teintées.
Elle levait la main pour se protéger les yeux quand, soudain, elle
sentit une main la pousser si brutalement sur le côté qu’elle craignit
un instant d’en avoir les côtes brisées. Perdant l’équilibre, elle
tomba à genoux.
Pousse-toi de là, espèce de sale bourricot !
Elle reconnut la voix de Snowy qui laissait échapper un long
chapelet de jurons. Au même moment, elle entendit Haddo pousser
un cri de douleur.
Oh non ! Immédiatement, elle comprit ce qui s’était passé.
Comme une idiote, elle s’était avancée sans s’en apercevoir
derrière les ânes, et bien trop près d’eux. Ils étaient attachés tous
les quatre, les uns à côté des autres. C’étaient des animaux
intelligents, capables de transporter les vivres et le matériel sur les
terrains les plus rudes, mais d’humeur irascible et qui n’attendaient
que l’occasion de mordre ou de décocher un bon coup de sabot à
celui ou celle qui aurait l’imprudence de les approcher.
Haddo avait dû se rendre compte qu’elle était en danger et sans
doute s’était-il précipité à sa rescousse. Le mulet n’avait pas pu la
mordre, elle, mais il n’avait pas hésité à planter ses dents dans le
bras de Haddo.
Comment avait-elle pu être aussi étourdie ? La honte lui donnait
envie de disparaître dans la terre rouge. Haddo payait cher
l’inattention dont elle avait stupidement fait preuve. Cet âne avait dû
passer sur lui sa nervosité et sa mauvaise humeur...
Consciente que tout le monde courait vers elle, elle rejeta la tête
en arrière, les yeux fermés, et prit une longue inspiration.
Oh ! mon Dieu, Vicki !
Chrissy s’agenouilla à côté d’elle, la mine atterrée.
Tori ? Ça va ? s’enquit Haddo sur un ton brusque.
Lui aussi s’accroupit devant elle pour la scruter avec insistance.
Tori se sentait particulièrement pitoyable... Lentement, elle
releva la tête.
Je suis désolée, Haddo, murmura-t-elle d’une petite voix
éteinte. J’ai honte... Je ne voyais rien, avec le soleil, et... Est-ce qu’il
t’a mordu ?
Il ne s’est pas gêné, confirma Haddo avec un sourire ironique.
Son bras gauche portait en effet les marques des dents de
l’animal.
Je suis tellement désolée, répéta-t-elle, les larmes lui montant
aux yeux.
Ce n’est pas grave.
Il l’aida à se relever et remarqua la grimace qu’elle ne put
retenir.
Je t’ai fait mal, tout à l’heure ?
Dans le feu de l’action, il n’avait pas été très doux, c’était
certain, mais il n’avait pas eu le choix.
Tu m’as seulement broyé deux ou trois côtes, s’efforça-t-elle
de plaisanter.
Ne t’inquiète pas. On va t’examiner sérieusement.
Le connaissant assez pour savoir qu’il ne plaisantait pas, elle
secoua la tête.
Je vais bien, Haddo. Vraiment... Pourquoi n’as-tu pas laissé
cette sale bête me mordre?
Son sourire amusé la rassura. Son humour était intact.
Parce que j’ai besoin de toi à l’école.
Oh! je vois...
Elle fit mine d’être vexée, mais ne put s’empêcher de lui sourire
à son tour. Ce qu’elle n’avait pas fait depuis très longtemps. ..
Tu as le droit d’être en colère contre moi.
Je ne le suis pas, répondit-il d’un air troublé.
J’espère que tous tes vaccins sont à jour?
Oui, ne t’inquiète pas. Tout va bien, Tori. Fin de l’histoire.
Il faudra mettre quelque chose là-dessus, Haddo, intervint
Chrissy, la mine soucieuse.
Tori approuva d’un hochement de tête.
C’est vrai.
Par chance, la morsure avait à peine entamé la peau. Haddo en
serait quitte pour une belle ecchymose.
Snowy me trouvera quelque chose, dit-il avec un haussement
d’épaules.
Snowy était un medecine man réputé de près de soixante ans
qui connaissait nombre de remèdes de brousse que plus d’un
médecin aurait été heureux de posséder. Il s’approcha d’eux avec
un sourire radieux.
Une chance que j’avais un bon bâton à la main, hein, boss?
Snowy, qui devait son nom à la masse de boucles blanches qui
encadraient son visage sombre, tenait encore la baguette dont il
avait dû assener quelques coups sur la croupe de l’âne furieux pour
le convaincre de lâcher le bras de Haddo.
Ce n’est pas la première fois que tu viens à mon secours,
Snowy, répondit Haddo avec une affection sincère.
Snowy se frappa le torse de son pouce.
Snowy ne laissera jamais personne te faire du mal, boss.
Maintenant, je vais aller chercher quelque chose à mettre là-dessus.
Merci, Snowy, dit Tori avec reconnaissance. Vaccins ou non,
il n’est pas question de laisser cette plaie s’infecter...
Haddo eut droit à un accueil royal. Alors qu’il roulait sur la piste
en direction du hangar, il put voir Tori, près d’une des jeeps du
ranch, qui agitait les bras vers lui. C’était une habitude qu’elle avait
prise depuis des années. Cette fois, néanmoins, il eut l’impression
de percevoir dans son geste quelque chose de plus que de la joie,
et espéra qu’elle ne s’était pas inquiétée de son retard.
Meryl, la femme de Jack Jensen, avait insisté pour le retenir à
déjeuner et, malgré son désir de rentrer au plus vite, il n’avait pas
pu refuser. Une fois sur place, il s’était attardé à bavarder plus
longtemps que prévu. Le fils des Jensen était parti en pension à la
ville afin de pouvoir continuer ses études, et ses parents avaient
éprouvé le besoin de confier à Haddo combien leur garçon leur
manquait.
Tori courut vers lui, et il s’émut de la voir aussi radieuse.
Haddo!
Dans ce cri, il perçut ce qu’il avait toujours espéré entendre :
l’amour. Oui, c’était un grand cri d’amour et de soulagement qu’elle
lui adressait.
Il l’attrapa par la taille quand elle se précipita dans ses bras et la
fit tournoyer en la serrant contre lui.
Mon pauvre ange ! Tu t’es fait du souci ?
Un peu, répondit-elle en faisant pleuvoir de légers baisers sur
son visage.
Puis elle s’arrêta pour le regarder avec le plus beau sourire qui
fût.
Je t’aime, Haddo ! Je t’aime, je t’aime...
Je sais.
Il ne put contenir un rire heureux avant de la reposer sur le
tarmac. L’enlaçant, il plongea son regard dans ses yeux émeraude.
Il n’y aura jamais personne d’autre que toi dans ma vie,
ajouta-t-elle d’une voix chargée d’émotion.
Je le sais aussi, dit-il avec tendresse en se penchant pour
l’embrasser. Je le sais, parce que c’est exactement ce que
j’éprouve pour toi.
C’est vrai ? Alors, pourquoi est-ce que tu ne m’épouses pas ?
demanda-t-elle avec un air de défi. Je ne veux pas finir vieille fille !
En riant de nouveau, il la prit par les épaules pour l’entraîner
vers la jeep.
Pourquoi pas pour tes vingt et un ans, dans quelques mois ?
suggéra-t-il. Je ne pourrais pas attendre plus longtemps, de toute
façon. Mais il nous faudra bien cela pour tout planifier. Il va y avoir
des centaines d’invitations à envoyer et puis, le plus important, il
faudra que tu choisisses ta robe...
Ma robe?
Cette perspective la remplit d’une joie pure.
Bien sûr. Quel homme n’a pas envie de garder éternellement
de sa femme l’image d’un ange de pureté en robe blanche ?
Ses yeux bleus souriaient, mais son expression était on ne peut
plus sérieuse. Tori en fut émue au plus profond d’elle-même.
D’accord, dit-elle. Je te promets que tu ne seras pas ! déçu...
Je te fais confiance, murmura-t-il contre sa joue.
Il lui ouvrit la portière de la jeep.
Viens, rentrons. Pip sera la première à apprendre la nouvelle.
Mais je ne pense pas qu’elle en sera trop surprise...
COUP DE CŒUR
Editions Harlequin
Cet ouvrage a été publié en langue anglaise sous le titre :
THE BILLIONAIRE CLA1MS HIS WIFE
***
Jacqueline Callaghan se réveilla en sursaut, le cœur battant à tout
rompre, et tourna la tête vers son réveil : 1 heure. Elle cligna des
yeux en réalisant que c’était le martèlement de la pluie sur le toit en
tôle ondulée qui l’avait tirée du sommeil. Shep, allongé au pied de
son lit, n’avait pas bougé d’un poil.
Elle s’apprêtait à se rendormir lorsqu’elle entendit de nouveau
du bruit, quelques secondes plus tard. Cette fois, Shep leva la tête.
Ce n’était sûrement pas la pluie qui frappait ainsi à sa porte. Elle
soupira et sortit de son lit. Etre réveillée en pleine nuit faisait partie
de son travail, mais elle ne put s’empêcher de se demander quelle
urgence pouvait faire qu’on lui amène un animal au milieu d’une telle
tempête.
Elle enfila la robe de chambre rouge en coton qu’elle gardait
près de son lit, justement en cas de situation de ce genre, tout en
essayant de s’éclaircir les idées. Elle s’était couchée très tard après
avoir passé une bonne partie de la nuit auprès d’un cheval malade,
dans une propriété voisine. Elle était épuisée et tout son corps
réclamait une bonne nuit de sommeil.
On frappa une nouvelle fois.
Oui, oui, j’arrive, grommela-t-elle tout en commençant à
descendre l’escalier aussi vite que ses membres engourdis le lui
permettaient, Shep à ses côtés.
Elle alluma la lanterne extérieure et ouvrit la porte.
II fallut un moment pour que son cerveau reconnaisse l’homme
sur son perron. Il ruisselait d’eau, ses cheveux bruns étaient plaqués
en mèches sur son front et des gouttes lui tombaient dans les yeux.
Ses vêtement étaient complètement trempés.
Elle l’observa avec plus d’attention. Quelque chose en elle lui
disait qu’elle savait qui il était, tandis que son côté raisonnable, qui
voyait l’aspect ridicule d’une telle supposition, lui soufflait que ce
n’était pas possible.
Nathan ? dit-elle enfin.
Jacqueline...
Elle le regarda avec méfiance. Nathan Trent, richissime
spécialiste de la fécondation reconnu par tous ses confrères et à
l’origine de milliers de bébés, se tenait là, sur son seuil.
Que... que fais-tu là? demanda-t-elle.
Il frissonna.
Je suis désolé, Jacqui. J’ai... J’ai froid. Je ne me sens pas très
bien. Est-ce que... est-ce que je pourrais entrer me mettre au chaud
?
Jacqui cligna des yeux. Il n’avait pas répondu à sa question et
elle était encore abasourdie de le voir ainsi, en plein milieu de la nuit.
Toutefois, le ton de sa voix et la manière dont il chancela en tentant
de se redresser lui firent comprendre qu’il ne plaisantait pas.
Wow ! s’exclama-t-elle en s’avançant pour l’aider. Qu’est-ce
qui ne va pas ?
Puis elle s’effaça pour le laisser entrer et ferma la porte derrière
elle.
Il ferma les yeux et resta silencieux, semblant apprécier la
chaleur, ainsi que le silence relatif qui régnait dans la maison.
Nate ?
Il sursauta et posa son regard sur elle en fronçant les sourcils.
La grippe, murmura-t-il, tout en essayant d’ôter sa veste
trempée. Je ne me sens vraiment pas bien.
Jacqui l’aida à la retirer et le soutint par la taille lorsqu’il vacilla
de nouveau. Sa chemise à manches longues était trempée et
pourtant elle sentait la chaleur émaner de son corps. Elle tendit la
main et la posa sur son front.
Il était brûlant.
Viens, dit-elle. Allons te sécher.
Nathan lança un regard vers l’escalier et soupira.
Je ne peux pas. J’ai à peine la force de tenir debout. Je ne
pourrai pas monter ces marches.
Accroche-toi à moi. Je vais t’aider.
Jacqui n’était pas une femme fragile et délicate. Certes, la plus
grande partie de son travail consistait à s’occuper de chiens, chats,
perroquets et autres poissons rouges, mais il lui arrivait aussi de
soigner de plus gros animaux, ce qui demandait force et endurance.
Malgré cela, lorsqu’il passa le bras autour d’elle et s’appuya contre
elle, elle oscilla.
Elle avait toujours apprécié sa haute taille et ses larges épaules,
qui la faisaient se sentir plus féminine. Sentir ses muscles fermes
sous ses doigts et le battement de son cœur contre sa paume la
troubla, tout comme ses grandes mains, dont la gauche naguère
arborait une alliance. Elle secoua la tête afin de chasser ces pensées
et se prépara pour la lente ascension de l’escalier.
Lorsqu’ils furent arrivés en haut, elle le guida jusqu’au salon.
Assieds-toi, ordonna-t-elle, avant d’aller chercher des
couvertures dans la commode du couloir.
Une centaine de questions se bousculaient dans son esprit, mais
elle décida que ce n’était pas le plus urgent. Nate n’avait vraiment
pas l’air en forme ; savoir pourquoi il avait sonné à sa porte après
dix ans d’absence pouvait attendre encore un peu.
Serviettes et couvertures, annonça-t-elle en revenant, les bras
chargés de linge.
Elle s’arrêta devant lui. Assis sur le canapé et tout en reniflant, il
essayait, les doigts tremblants, de déboutonner sa chemise mouillée.
Quand il leva les yeux, Jacqui crut y lire une sorte de
découragement.
Je suis désolé. Je n’y arrive pas.
Elle observa l’homme qui se trouvait dans son salon, trempé et
aussi désemparé qu’un chaton nouveau-né. Elle savait qu’avouer sa
faiblesse n’avait pas dû être chose aisée pour lui.
Elle soupira et s’agenouilla devant lui.
Laisse-moi t’aider.
Faisant son possible pour ignorer le torse qu’elle avait si bien
connu, il y avait de cela dix ans, elle défit rapidement les boutons
puis fit glisser la chemise le long des épaules et des bras de Nathan.
Attrapant alors l’une des serviettes, elle l’en enveloppa avant d’en
prendre une autre pour lui sécher les cheveux.
Nathan se laissait faire sans un mot. Peu à peu, le tremblement
de ses lèvres cessa et il ferma même les yeux. Il les rouvrit presque
aussitôt. Shep venait d’entrer dans la pièce et avait posé le museau
sur sa main.
Tu l’as toujours, dit-il en caressant la tête du chien.
Elle se souvint du jour où il lui avait offert ce golden retriever,
pour son anniversaire, il y avait de cela bien longtemps.
Oui, répondit-elle, en continuant de frotter ses cheveux.
Il s’assit alors plus confortablement, la main toujours sur la tête
de Shep, et sembla se laisser aller à une douce torpeur.
Tu jouais souvent avec mes cheveux, murmura-t-il, après un
moment.
La main de Jacqueline s’immobilisa. Elle plongea ses yeux dans
ceux incroyablement verts de Nathan. Ils étaient brillants de fièvre
et elle comprit qu’il n’était plus vraiment maître de ce qu’il disait.
Faisant comme si elle n’avait rien entendu, elle lui retira ses
chaussures.
Tu vas devoir te mettre debout, pour que je t’enlève ton
pantalon.
Tu aimais bien enlever mon pantalon, aussi ! dit-il, en éclatant
de rire.
Elle serra les dents, se répétant que c’était la fièvre qui le faisait
parler ainsi.
Allez, debout ! ordonna-t-elle.
Obéissant, il se leva lentement et s’appuya contre elle. Elle
commença alors à lui descendre sa fermeture Eclair. Il rit encore, ce
qui la fit soupirer. Tout en lui enlevant son pantalon et son slip, elle
se forçait d’afficher une indifférence de mère supérieure.
Il ne bougea pas lorsqu’elle commença à l’essuyer
énergiquement, frottant ses jambes avec le détachement le plus
professionnel possible, ignorant la partie de son anatomie qu’elle
avait si bien connue autrefois.
Il chancela tout à coup et elle le soutint d’une main tandis que,
de l’autre, elle arrangeait les coussins sur le canapé, afin qu’il puisse
se reposer.
Tu peux t’asseoir maintenant, murmura-t-elle.
Nathan se laissa tomber sur le canapé et s’allongea, ramenant
les jambes vers sa poitrine.
Je suis gelé, dit-il d’une voix faible, en enroulant ses bras
autour de ses genoux.
Il semblait terriblement vulnérable, ainsi nu et en position fœtale,
son superbe corps bronzé éclairé par la lumière du plafonnier.
Jacqui voyait en cet instant le Nathan qu’elle avait rencontré à
l’université, et non l’un des hommes les plus influents du pays.
Désireuse de chasser cette image, elle le couvrit prestement d’un
duvet en plumes d’oie.
Elle l’observa ensuite pendant un long moment.
Que fais-tu ici, Nathan Trent? demanda-t-elle à voix basse.
Une heure plus tard, tous deux étaient allongés sur le dos,
envahis par une sorte de béatitude, les yeux fixés au plafond. La
main de Nathan se promenait de haut en bas sur le bras nu de
Jacqui.
Nous aurions dû nous réconcilier depuis des années, murmura-
t-il.
Elle sourit.
Si j’avais su que faire l’amour allait être si bon, j’y aurais
réfléchi.
Riant, il se tourna et se mit sur le coude.
C’était bon, n’est-ce pas?
Puis, laissant descendre ses doigts jusqu’à la taille de Jacqueline,
il joua avec les sequins de sa ceinture, qu’il fit tinter.
Le sexe n’a jamais été un problème entre nous, Nate,
répondit-elle calmement. Cela, nous savions faire. C’est juste le
mariage que nous ne savions pas faire.
Tu sais pourquoi, toi ?
Nous étions sans doute trop différents...
Même dans la semi-obscurité de la chambre éclairée par le seul
clair de lune, il perçut une lueur de tristesse dans les grands yeux
noisette de Jacqui. Il se pencha pour poser un baiser sur
ses lèvres. A leur contact, son sang se mit à bouillonner dans ses
veines, et son estomac se noua. Elle passa alors les bras autour de
son cou et il put sentir ses tétons, durs, contre son torse. Il voulait
les embrasser. Il voulait l’entendre gémir quand il les mordillerait.
Le souffle court, il se redressa. Elle était nue et magnifique, ses
boucles auburn étalées sur l’oreiller. Il était tout surpris du brusque
désir de possession qui venait de l’assaillir avec une intensité
sauvage.
Tu ne retournes pas dans la chambre d’amis, dit-il
brusquement.
Il savait qu’elle aurait pu protester. Le sexe ne faisait pas partie
de leur marché. Leur marché consistait en une réconciliation
publique contre des papiers de divorce signés pour mettre un point
final à une union.
La chambre d’amis ? Quelle chambre d’amis ? demanda-t-
elle.
Il caressa alors ses lèvres du bout des doigts et les fixa
intensément quelques instants.
Bonne réponse, chuchota-t-il.
***
Une minute plus tard, ils pénétraient dans l’une des salles de
consultation de la clinique. Là les attendait une femme au ventre
rond, au visage anxieux et aux yeux rouges et gonflés.
Je suis désolée, Nathan. Je sais que c’est totalement irrationnel
et stupide, mais je ne peux pas perdre un autre bébé. Je ne le peux
pas !
Jacqui s’émut de voir cette femme si vulnérable alors que par
ailleurs tout dans son apparence, du tailleur élégant aux cheveux
impeccablement coiffés, témoignait d’un caractère battant et
dynamique.
Nathan entoura de son bras les épaules de sa patiente.
Ce n’est rien, Sonya, tu as bien fait de m’appeler. Nous allons
faire une échographie et tu seras rassurée. Je suis sûr que tout va
bien.
Jacqui observait la femme qu’il venait d’appeler Sonya. Trente
secondes plus tôt, elle était sur le point de s’effondrer, mais elle
reprenait manifestement courage, grâce aux paroles apaisantes de
Nathan. La couleur revenait à ses joues. Soudain, elle sembla
prendre conscience de sa présence dans la pièce.
Bonjour, dit-elle en se tournant vers Jacqui. Je suis désolée,
Nathan, je t’ai sans doute dérangé.
Pas du tout, assura celui-ci en souriant. Jacqueline, je te
présente Sonya, une amie médecin. Sonya, je te présente
Jacqueline, ma... femme.
Sonya sembla perplexe pendant un instant puis se ressaisit et
tendit la main à Jacqui.
Oh ! je n’avais pas réalisé... En fait, je ne savais pas... Oh !
mon Dieu, je suis vraiment désolée, je ne sais même plus
m’exprimer ! J’ai l’impression que mon Q.I. baisse de jour en jour,
ces derniers temps.
Jacqui eut un sourire. Elle trouvait cette femme sympathique.
Il n’y a pas de problème, répondit-elle en lui tendant à son tour
la main.
Vous êtes médecin, vous aussi?
Un peu. Je suis vétérinaire.
Oh ! j’adore les vétérinaires ! Si je n’étais pas si heureuse en
ménage et si enceinte, je m’autoriserais bien une escapade avec le
mien. Il a sauvé notre cher Jock lorsque, à cause des tiques, il a été
paralysé.
Euh... oui, cela peut vite dégénérer, convint Jacqui, surprise
par les propos plutôt directs de Sonya.
Elle regarda Nathan ; il semblait lui aussi très surpris.
Est-ce que Brian va venir? demanda-t-il.
Non, dit Sonya en faisant la moue. Il a dû s’envoler pour Perth
très tôt ce matin.
Nathan hocha la tête et lui tapota doucement la main.
Bien. Je vais appeler une infirmière pour nous assister. Nous
allons faire l’échographie et...
Attends, l’interrompit Sonya avant de se tourner vers Jacqui.
Pensez-vous pouvoir faire l’infirmière?
Jacqui regarda la femme qui était encore pour elle une parfaite
étrangère, moins de dix minutes auparavant. Et qui l’était toujours,
d’ailleurs.
Euh... je pense, oui, répondit-elle en jetant un regard à Nathan.
Etes-vous sûre que c’est ce que vous voulez?
Absolument, assura Sonya, l’air ravi.
Puis elle sembla se raviser et se mordit la lèvre.
Je suis désolée. Ce n’est probablement pas une très bonne
idée. Je ne sais pas ce que j’ai en ce moment, je ne me reconnais
plus.
Sa candeur et sa franchise touchèrent Jacqui.
Ne vous inquiétez pas, dit-elle doucement. Il n’y a aucun
problème.
Sonya la prit alors dans ses bras et sa spontanéité la fit rire. A ce
moment-là, elle croisa le regard de Nathan, par-dessus l’épaule de
la jeune femme.
A moins, bien sûr, que Nathan préfère que je ne vous
accompagne pas ?
Je n’ai aucune objection, répliqua-t-il.
Là-dessus, tous trois se dirigèrent vers son bureau.
Jacqui fut agréablement surprise en le découvrant. Elle
s’attendait à une décoration aussi minimaliste que celle du hall de la
réception, dans les tons beiges, avec de discrètes mais coûteuses
œuvres d’art et quelques plantes d’intérieur.
En fait, le bureau était plein de couleurs. Plein de vie. Des clichés
d’Anne Geddes représentant des bébés en couches ou dans des
jardinières ornaient les murs. La table d’examen avait été placée
dans un coin de la pièce, juste à côté d’un appareil à ultrasons des
plus modernes. Une grande caisse à jouets était poussée dans un
autre coin. Le bureau de Nathan, quelque peu encombré, trônait au
milieu.
Il enleva alors sa veste et aida Sonya à s’installer, tandis que
Jacqui continuait d’observer les lieux. Ses yeux furent rapidement
attirés par un large tableau en liège, accroché à l’un des murs et sur
lequel étaient punaisées de nombreuses photographies.
Elle s’en approcha pendant que Nathan, qui avait posé son
stéthoscope sur le ventre de Sonya, attendait que la machine se
mette en route. Son cœur rata un battement : c’étaient des photos
de Nate. Et de bébés. De beaucoup de bébés. Et de beaucoup de
couples heureux, aussi. Il y avait tant de photos qu’il ne restait plus
le moindre espace libre sur le panneau.
Sur certains clichés on le voyait avec sa blouse de chirurgien, et
les bébés, tout juste nés, clignaient des yeux en découvrant ce
monde nouveau. Sur d’autres, les bébés avaient été lavés et étaient
enveloppés dans une chaude couverture, et Nathan les tenait tout
contre lui. Sur d’autres encore, il posait en compagnie de couples
rayonnants de bonheur, leurs précieux trésors endormis dans de
petits lits d’hôpital, à leurs côtés.
Jacqui reconnut quelques couples célèbres parmi les visages,
mais surtout elle remarqua à quel point Nathan avait l’air heureux.
Sur chacun des clichés. Il irradiait de joie, le regard posé sur les
petits êtres dont il venait d’aider la venue au monde. Et, lorsqu’il
posait à côté de leurs parents, ses sourires étaient larges et
éclatants. Il semblait parfaitement, profondément, totalement...
épanoui.
Elle n’avait rien vu de tel sur son visage, au cours de ces
dernières semaines. Ni lorsqu’il volait dans son hélicoptère privé, ni
lorsqu’il parlait, avec l’élite des affaires, de sa prochaine entrée en
Bourse.
Même au lit il n’avait jamais eu l’air si rayonnant.
A ce moment-là, Nathan eut un petit rire. Elle se tourna vers lui
et la vit de nouveau. Elle vit cette expression qu’il avait sur les
photos. Elle retrouva l’aisance, le professionnalisme, l’assurance
des photos, tandis qu’il commençait à ausculter Sonya. Il était
détendu, dans son élément.
Elle l’observa discrètement alors qu’il parlait à Sonya en
pointant son doigt sur l’écran de la machine. Les peurs de celle-ci
parurent s’évanouir instantanément, comme si elles n’avaient jamais
existé.
Puis il se pencha en avant, appuya sur un bouton et, soudain, la
pièce entière fut emplie du son fascinant d’un cœur de bébé qui
battait. Bam, bam, bam. Rapide et régulier. Jacqui frissonna.
C’était là une joie qu’elle ne connaîtrait jamais.
Elle le regarda serrer très fort la main de Sonya et lui passer un
mouchoir, comme les yeux de sa patiente se remplissaient de
larmes.
Ta petite fille s’en sort à merveille, la rassura-t-il. Son cœur bat
à la perfection et elle a l’air particulièrement bien, là où elle est.
Sonya hocha la tête, tout en se mouchant.
Merci, Nathan. Merci. Donc, tu ne crois pas que je devrais
avoir une césarienne?
Elle n’en est qu’à sa trente-cinquième semaine de gestation,
Sonya. Laisse-lui un peu plus de temps, d’accord?
Bien sûr. Bien sûr. Oh ! je suis désolée de t’avoir dérangé
pour rien !
Hé ! protesta-t-il, tout en essuyant le gel de son ventre. Tu
viens passer une échographie quand tu veux. Tu n’as qu’à appeler.
Sonya se redressa et remit son chemiser en place.
Vraiment?
Vraiment. C’est pour ça qu’on est là.
Elle jeta ses bras autour de son cou et le serra dans ses bras.
Tu n’as pas idée de ce que cela représente pour moi,
murmura-t-elle avec reconnaissance.
Jacqui le regarda sourire, puis s’extraire doucement des bras de
Sonya. Celle-ci se leva alors et se tourna vers elle.
Ne le laissez pas partir. C’est un homme en or.
Oui, Ma’am.
Quelques minutes plus tard, Sonya quittait la clinique.
Je suis désolé, dit Nathan lorsqu’ils furent seuls. Mais Sonya et
Brian sont de vieux amis. Ils ont déjà perdu un bébé alors que,
après des années de traitement contre la stérilité, elle était enceinte
de trente-sept semaines. C’est pour ça qu’elle est très angoissée.
Jacqueline pouvait tout à fait comprendre. Elle avait entendu
beaucoup de sympathie dans la voix de Nathan lorsqu’il parlait de
ses amis et en fut curieusement touchée.
C’est terrible, Nate.
Il acquiesça d’un hochement de tête puis essuya la sonde, la
désinfecta pour la patiente suivante et attendit que le système
informatique s’éteigne.
Jacqui patientait, les bras croisés sur sa poitrine. Elle le fixait et
attendait qu’il comprenne. Elle attendait qu’il comprenne que
recevoir Sonya et faire ce qu’il avait fait pour elle avaient été l’acte
d’un praticien particulièrement concerné par le bien-être de ses
patients.
Il lui jeta un coup d’œil.
Qu’y a-t-il ?
Tu as été très bien, avec elle.
Elle avait seulement besoin d’être rassurée, répondit-il en
haussant les épaules.
Mais tu ne vois donc pas, Nate?
Il soupira, l’air agacé.
Jacqui, je n’ai pas de temps pour les devinettes ! Nous
sommes très en retard pour le déjeuner, et j’ai une réunion
importante cet après-midi.
Tu étais bien, là. Détendu. Tu étais toi-même. Pour la première
fois, depuis que je suis revenue.
Il la dévisagea sans paraître saisir où elle voulait en venir.
Regarde-toi, Nate, sur ces photos. Tu as l’air... ravi.
Elle désigna du doigt un cliché sur lequel une petite fille de
quelques mois, vêtue d’une petite robe rose, cherchait à toucher
son visage. Nathan semblait toujours ne pas comprendre. Puis il
regarda la photo en question. Et celles autour.
C’étaient des moments agréables, mais je n’ai plus de temps
pour cela. Que cherches-tu à me dire?
Oh ! Nate ! N’est-ce pas évident? Ce sentiment de manque
dont tu me parlais autre jour ! Ce qui te manque, c’est la pratique
de la médecine.
Comment pouvait-il avoir ces photos sous les yeux et ne pas le
réaliser?
Regarde, insista-t-elle. Regarde-les bien. Ça transparaît sur
chacune d’elles. Et je l’ai vu, encore aujourd’hui, avec Sonya. C’est
ta vocation.
Elle parcourut la petite distance qui les séparait, attrapa le
stéthoscope et le passa délicatement autour du cou de Nathan.
Redeviens un médecin.
6
***
Le lendemain matin, Jacqui serrait nerveusement le volant de sa
voiture de location qui parcourait rapidement les quelques
kilomètres la séparant de Serendipity. Elle était tellement en colère
contre Nathan que le poids qu’elle avait sur la poitrine lui faisait
l’impression de métal en fusion, la brûlant et l’opprimant.
Elle n’avait pas pu rester à ses côtés, après ce qu’il lui avait dit
pendant la nuit. Elle s’était donc réfugiée dans la chambre d’amis et
la vision d’une petite fille aux bras potelés et à la frange blonde
l’avait poursuivie toute la nuit.
Je peux te donner un bébé.
Juste comme ça. Comme s’il lui suffisait d’aller dans son
laboratoire et de lui en fabriquer un ! Ce qui, bien sûr, était
exactement ce qu’il pouvait faire. Mais comment pouvait-il oser se
servir d’un bébé ? L’utiliser comme monnaie d’échange ? L’agiter
devant elle comme une carotte ?
Certes, la découverte de sa stérilité avait été son plus grand
chagrin. Toutefois, elle n’allait pas pour autant le laisser la
manipuler, ni se servir de la vie d’un enfant pour combler un vide
dans son existence de millionnaire.
Elle avait beau être en colère contre Nathan, elle l’était plus
encore contre elle-même. Parce que partir, s’éloigner de lui, était
douloureux. Très douloureux. Plus douloureux encore que l’insulte
de la nuit précédente. Il était temps de s’avouer la vérité : elle était
retombée follement amoureuse de Nate.
De frustration, elle appuya plusieurs fois sur le Klaxon de toutes
ses forces. « Idiote, idiote, idiote ! » Sentant les larmes lui monter
aux yeux, elle se mordit la lèvre pour ne pas les laisser couler. Elle
refusait de pleurer sur la chose la plus stupide qu’elle ait jamais
faite. Comment avait-elle pu se mettre de nouveau dans une telle
situation ?
En fait, pour être complètement honnête, elle devait admettre
qu’elle n’avait jamais vraiment cessé de l’aimer, même si elle l’avait
souhaité. Elle l’avait tellement souhaité qu’elle avait fini par se
convaincre qu’elle y était parvenue.
Bien sûr, si on lui avait demandé si elle aimait toujours Nathan,
elle aurait répondu « oui ». Mais d’un amour tendre et affectueux,
comme celui que l’on éprouvait pour un vieux pull que l’on adorait,
ou le vieil ours en peluche tout rafistolé de notre enfance. Pas de cet
amour vibrant, passionné et forcément douloureux.
Passer du temps avec lui, retrouver la chimie qui les liait,
percevoir de nouveau fugitivement des expressions de l’étudiant en
médecine dont elle était tombée amoureuse des années auparavant,
avaient réveillé en elle des émotions qu’elle avait pris soin d’enfouir.
Elle soupira. Comment pouvait-elle? Comment pouvait- elle être
non seulement de nouveau terriblement attirée par son ancien mari,
mais aussi par cette nouvelle version, qui était encore plus éloignée
d’elle et de ce qu’elle voulait que le Nathan qu’elle avait connu
naguère ?
Un homme qui lui avait proposé un bébé... en échange de sa
compagnie ! Aucun mot comme « amour » ou « famille ». Juste un
marché froid et sans état d’âme, pour un rôle qu’il avait soudain
décidé qu’elle seule pouvait tenir.
Bon sang ! Elle n’aurait jamais dû l’inviter chez elle, cette nuit-là.
Elle aurait dû lui claquer la porte au nez et retourner se coucher. Elle
aurait dû savoir qu’il allait être synonyme d’ennuis. Avec un grand
E.
***
Shep l’accueillit avec toute l’exubérance dont était capable un
golden retriever de douze ans, au bassin fatigué. Elle s’agenouilla
devant lui, enfouit son visage dans ses longs poils blonds et,
brusquement, éclata en sanglots.
Oh ! Shep, j’ai fait quelque chose de complètement stupide !
murmura-t-elle.
Shep gémit et lui lécha le visage. Elle le serra plus fort contre
elle.
Allez, mon vieux, dit-elle au bout de quelques minutes en se
redressant, allons faire une promenade.
Shep remua la queue et lança un jappement joyeux, ce qui fit rire
Jacqui.
Ils passèrent beaucoup de temps ensemble, au cours des deux
jours suivants. En fait, Jacqui passa beaucoup de temps avec tout le
monde. La nouvelle de son retour s’était vite répandue et les gens
venaient de tout le voisinage pour la saluer, animal malade ou non.
Il y avait quelque chose d’apaisant dans le fait d’être entourée
de personnes qui l’aimaient et de faire un travail qui la comblait. La
douleur dans sa poitrine était toujours présente, mais elle riait. Elle
vivait.
Du moins dans la journée.
Lorsque la nuit tombait et que les gens s’en allaient, il n’y avait
plus rien pour la distraire. Même sa colère contre Nathan ne
remplissait pas sa solitude. Cela n’avait duré que quelques
semaines, mais elle s’était habituée à dormir de nouveau à son côté.
A se réveiller à son côté. A être tirée de son sommeil au milieu de la
nuit par ses caresses sur ses hanches, ses lèvres dans son cou.
Leurs années de séparation lui avaient fait oublier la puissance
des sentiments que pouvait éveiller Nathan. Et c’était un réveil
qu’elle aurait souhaité ne jamais avoir.