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« Paysage » (1952), de Nicolas de Staël (38 × 55 cm, huile sur
carton). COLLECTION PARTICULIÈRE/ADAGP, PARIS, 2023
COURTESY VERSAILLES ENCHÈRES/FRANÇOIS MALLET
Ceux qui pensent connaître la peinture de Nicolas de Staël vont avoir une sacrée surprise : sur les
quelque 200 œuvres qu’expose le Musée d’art moderne de Paris, 70 n’ont jamais été, ou très rarement,
montrées dans un musée français. D’autres sont difficilement accessibles au commun des mortels, sauf
à aller en Uruguay, par exemple, ou dans certains chalets très huppés de Gstaad, en Suisse. Comme
l’écrit Fabrice Hergott, le directeur du musée, « on se dit que l’on connaît, avant de croire connaître, puis
de se rendre compte que l’on ne connaît pas ».
Nicolas de Staël (1914-1955) comme on ne l’a jamais vu, c’est déjà formidable. Nicolas de Staël comme
on ne l’a jamais lu, c’est encore mieux : les recherches menées ont été aussi fructueuses pour
l’élaboration du catalogue de l’exposition, appelé à devenir un ouvrage de référence. Il a bénéficié de
l’aide d’une descendante de l’artiste, Marie du Bouchet, qui coordonne le Comité Nicolas de Staël,
chargé de veiller sur l’œuvre, et qui est la conseillère scientifique de l’exposition.
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Paysage de Provence, 1953, huile sur toile, 33 x 46 cm,
Museo Thyssen-Bornemisza, Madrid
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Arbres et maisons, 1953, huile sur toile, 65 x 81 cm,
collection privée
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sortir des limites du cadre. » Christie’s / ADAGP PARIS
2018
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Le soleil, 1953, huile sur toile, 16 x 24 cm, collection
privée
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ONSTAD KUNSTSENTER, HÖVIKODDEN,
NORWAY/ADAGP PARIS 2018
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bleus et de verts. » Jean-Louis Losi / ADAGP PARIS
2018
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mer verte à un ciel
rouge. Les bateaux sont
ici de simples aplats de
jaune, de violet, de
rouge et de bleu.
L’abstraction permet de
rester dans
l’immédiateté de la
perception. » Applicat-
Prazan / ADAGP PARIS
2018
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Vraie pépite
Pour l’anecdote, mais pas seulement, on y établit le rôle de Jeanne Polge, celle pour laquelle le peintre
est allé vivre à Antibes (Alpes-Maritimes), et pour l’amour de laquelle il aurait mis fin à ses jours – pense-
t-on, les raisons d’un suicide étant trop complexes pour pouvoir être liées à un simple désordre
amoureux. Le nom était connu des spécialistes et de certains conservateurs de musée, mais divulguer le
fil de cette passion contrariée les exposait à la colère, bien compréhensible, de l’épouse légitime de
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l’artiste, Françoise de Staël, avec laquelle il aurait été malvenu de se fâcher. Le décès de cette dernière,
en 2012, a libéré bien des langues. Jeanne Polge étant morte à son tour, en 2014, la correspondance de
l’artiste, rééditée par Germain Viatte quelques mois plus tard, a mis au jour leurs échanges épistolaires
(Nicolas de Staël. Lettres 1926-1955, Le Bruit du temps, 2016). Désormais, on peut enfin en écrire
l’histoire.
L’autre découverte est une vraie pépite, une capsule temporelle : il s’agit du journal que le poète Pierre
Lecuire (1922-2013) a consacré dix ans durant, de 1945 à 1955, au peintre, qui était son ami. On
connaissait son existence, mais pas son contenu, et personne ne savait où il était. En fait, il attendait
patiemment dans les rayons de la Bibliothèque nationale qu’une main heureuse se pose dessus. Cela a
été celle de Charlotte Barat-Mabille, et il faut l’en remercier, car la lecture en est passionnante, touchante
aussi.
C’est ainsi que la description que fait Lecuire après la visite d’une exposition à la galerie Jeanne Bucher,
à Paris, en 1945, des tableaux de Staël, pas encore soumis au pathos de sa biographie ultérieure, vaut
encore, ou à nouveau, aujourd’hui : « Non figuratifs, abstraits, somptueux, si sensuels de couleurs, peints
avec colère, mysticité et mécontentement, charnels avec des rouges de géraniums exacerbés, et
d’autres gris, verdâtres, bruns, assourdis, en cercles étroits, butés, et d’autres, dessins mystiques,
rayonnants comme une rade éclairée de projecteurs avec Dieu qui tombe du ciel… » C’est de peinture
qu’il est ici question. Toutes ces recherches permettront, on l’espère, de briser le mythe du « prince
foudroyé » et, par-delà la légende, de regarder enfin sa peinture autrement : disons-le, de la regarder
tout court, comme Lecuire avant nous !
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de l’extérieur vers l’intérieur, on dirait plutôt qu’il exprimait quelque chose en sortant d’un abîme
personnel – on va dire le fond de la toile vierge – et qu’il montait du dedans, par-derrière le tableau. »
Découvrir
Il faut scruter de près, après l’éblouissement – ou le choc, tant l’artiste peut parfois être à la limite du
suave ou au contraire du brutal – du premier regard, les tableaux de Nicolas de Staël : ces couches
superposées, ces ajouts qu’on hésite à qualifier de repentirs dans la mesure où, le plus souvent,
l’ancienne couleur sous-jacente a été préservée sur le rebord de la nouvelle, qui peut être radicalement
différente. Les matières aussi et la touche, qui peuvent prendre mille aspects dans la même œuvre et
que ce diable d’homme parvient à faire cohabiter, tout comme il est capable de faire tenir ensemble des
harmonies de couleurs apparemment improbables – roses nacrés ou oranges violents.
Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Redécouvrir Nicolas de Staël, à Brioude
Mais ses débuts, c’est tout le temps : quand il arrive à une formule, il en change. Chaque salle est une
exposition en soi, chacune pourrait être suffisante à la carrière honorable d’un peintre moyen. Moyen,
satisfait, il ne le sera jamais. Chacune de ses « périodes » est une réaction à la précédente. L’abstraction
glisse vers le paysage, mais elle lui a enseigné au préalable l’économie de moyens. Les commissaires
de l’exposition ont ainsi habilement accroché quelques collages à proximité des tableaux qui les ont
suivis, et on voit à quel point la querelle abstraction/figuration, si vivace à l’époque, n’a déjà plus aucun
sens pour de Staël. Ce qui le travaille, ce qui parfois le torture, c’est la peinture.
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« Sicile » (1954), de Nicolas de Staël (114 × 146 cm, huile sur
toile). ADAGP, PARIS, 2023/VILLE DE GRENOBLE/MUSÉE DE
GRENOBLE/J.-L. LACROIX
Et ce qui l’inspire, les horizons lointains. « Tous les départs sont merveilleux pour le travail », écrit-il en
mai 1953. C’est la Sicile, Agrigente, un moment d’incandescence. C’est Antibes, déjà évoqué. Jean-
Louis Andral, directeur du musée local, avait titré merveilleusement l’exposition qu’il avait consacrée, là-
bas, en 2005, aux derniers moments de Staël, « Un automne, un hiver ». Hélas, qui peut dire, après la
visite de cette rétrospective, qu’il ne peut regretter ce qu’aurait produit un printemps de plus ?
« Nicolas de Staël ». Musée d’art moderne de Paris, 11, avenue du Président-Wilson, Paris 16e.
Jusqu’au 21 janvier 2024. Du mardi au dimanche, de 10 heures à 18 heures. Catalogue édité par Paris
Musées (312 pages, 49 euros). Mam.paris.fr
Harry Bellet
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