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ISBN : 978-2-226-42214-9
Ouvrage paru en 2006 sous le titre :
Un corps pour me soigner, une âme pour le
guérir
DU MÊME AUTEUR AUX ÉDITIONS ALBIN
MICHEL
Dis-moi où tu as mal, je te dirai pourquoi, 2002.
L’Harmonie des Énergies, 2002.
Cheveu, parle-moi de moi, 2002.
Dis-moi où tu as mal, le Lexique, 2003.
La Phyto-énergétique, 2004.
L’Animal en nous, 2011.
Dis-moi quand tu as mal, je te dirai pourquoi, 2013.
Shiatsu fondamental - tome 1 - Les techniques, 2014.
Shiatsu fondamental - tome 2 - La théorie, 2015.
Shiatsu fondamental - tome 3 - la philosophie, 2015.
Dis-moi pourquoi cela m’arrive maintenant, 2016.
Ouvrage publié sous la direction de Laure
Paoli
« Le médecin du futur ne prescrira pas
de médicaments. Ses soins consisteront
essentiellement à éveiller l’intérêt de
ses patients pour l’alimentation ainsi
que pour les causes et la véritable
prévention des maladies. »
Thomas Edison
CHEZ LE MÊME ÉDITEUR
OUVRAGES PUBLIÉS SOUS LA DIRECTION DE
MICHEL ODOUL
Aroma Minceur, mincir en 21 jours
grâce aux huiles essentielles,
par le Dr Jean-Pierre Willem, 2004.
Aroma Stress, 50 stress de la vie quotidienne
traités par les huiles essentielles,
par le Dr Jean-Pierre Willem, 2005.
Aroma Famille, 100 petits maux de la vie quotidienne
traités par les huiles essentielles,
par le Dr Jean-Pierre Willem, 2005.
Aroma Allergies,
180 allergies traitées par les huiles essentielles,
par le Dr Jean-Pierre Willem, 2006.
Se guérir grâce à ses images intérieures,
par Marie Lise Labonté et Nicolas Bornemisza, 2006.
Préambule
Un ancien déporté à qui l’on
demandait : « Mais comment peut-on
croire en Dieu quand on voit qu’il
accepte de telles horreurs ? » avait
répondu : « Ce n’est pas Dieu qui était
absent, c’était l’homme. »
Bonne lecture
Introduction
Ce livre s’inscrit totalement dans la continuité de Dis-
moi où tu as mal, je te dirai pourquoi1, ou plutôt il
s’inscrit à la fois en amont et en aval, mais aussi en deçà
et au-delà. Il apporte la dimension explicative des
mécanismes décrits dans ce précédent ouvrage ainsi
qu’une dimension philosophique et spirituelle plus large.
Il vient en fait le compléter, l’enrichir. Au-delà de
l’idée que dans notre culture occidentale la maladie est
une fatalité, une défaite, une chute (dans le langage
courant, ne dit-on pas « tomber malade » ?) et de la
nécessité majeure de lui donner un sens, il apporte un
éclairage novateur essentiel sur les origines de cette
maladie et sur celles de la guérison. Si l’on accepte le
paradigme proposé, on découvre alors que la maladie
n’est vraiment plus due au « hasard », mais qu’elle est
plutôt la conséquence et en même temps la manifestation
d’une fragilisation du terrain physique et psychique.
Ce livre expose les raisons de cette fragilisation, qui
sont nombreuses. Il décortique en quoi les modes de vie,
la pollution, les stress, les conflits psychiques, etc.,
participent à cela et finissent par dégrader ce corps qui
n’a d’autre issue que la maladie pour exprimer et
évacuer.
L'autre particularité de ce livre réside dans le fait qu’il
montre que les processus de la maladie et ceux de la
guérison ont des structures identiques même si leurs
directions sont inverses. C'est pour cette raison que je l’ai
construit sur leur logique. Cela permet au lecteur, à
travers son cheminement, de comprendre et de
s’approprier les sources de sa souffrance et d’envisager
qu’il puisse faire de même pour celles de sa guérison.
Car je suis intimement persuadé que :
• connaître les processus qui conduisent à la
souffrance,
• connaître les origines profondes de la maladie,
• découvrir les mécanismes qui se mettent en jeu et
pourquoi ils le font,
• accepter enfin la part de responsabilité qui nous
incombe
sont les clés essentielles de la redécouverte de ce qui
peut, en nous, avoir le pouvoir de nous guérir. Le malade
n’est plus alors une victime mais un acteur de ce qui se
joue en lui. Il redevient actif et participe ainsi à la
reconquête de l’état de santé. Il intègre au plus profond
de lui que son corps qui souffre cherche à le soigner mais
que seule son âme, à travers une essentielle acceptation
du sens, peut le guérir. Nous sommes à l’essence même
de la vie et de cette idée majeure que l’on retrouve dans
toutes les traditions du monde : l’état d’équilibre se
nourrit de la paix, la dynamique de la vie se nourrit de
tension, mais cette tension est noble car elle nous tire
vers le haut. C'est ce qui la différencie du conflit qui,
parce qu’il procède d’une logique d’opposition, nous tire
toujours vers le bas.
Nous entrons par conséquent ici dans le vif du sujet,
par le dramatique échec des sociétés actuelles. Parce
qu’elles ont cru et voulu nous faire croire que le sens du
progrès humain était la conquête de la facilité, elles nous
ont conduits dans une impasse majeure dont le prix est
exorbitant. Nous ne sommes plus des vivants mais des
survivants.
Je souhaite que ce livre, dont j’ai voulu une lecture et
un accès aussi aisés que pour Dis-moi où tu as mal, je te
dirai pourquoi, ait la même force et le même impact. Au-
delà de toutes les attentes de sens satisfaites par ce
précédent ouvrage, en offrant des clés permettant
d’accéder à sa propre guérison, en comprenant pourquoi
l’on a trébuché, je souhaite qu’il crée chez chaque lecteur
un sursaut d’humanité qui va faire redresser la tête à tous.
La barbarie alimentaire
La prévalence du « corps machine » et la négation de
l’invisible et du sens des êtres manifestent leur violence
insidieuse partout, et notamment dans un domaine qui
n’est pas sans rapport avec notre santé : l’alimentation.
Là aussi, tout est forcé, violenté, dopé. Plantes et bêtes ne
sont plus que des machines à fabriquer de la matière
nutritionnelle. Nos sociétés modernes en sont arrivées à
une telle négation de l’être que nos animaux d’élevage,
par exemple, ne sont plus que des usines à viande. Les
méthodes d’élevage, de transport, d’abattage de l’agro-
industrie sont d’une barbarie digne des époques les plus
noires de l’humanité. On nourrit des herbivores avec de
la viande, on enferme leurs corps, habitués naturellement
à courir dans la nature, dans des cages métalliques juste
assez larges pour qu’ils puissent respirer, etc. Ces
animaux ne sont-ils que des corps ? Que sommes-nous
donc devenus pour agir de la sorte ? On peut parfois en
arriver à se demander si ce qui différencie l’homme de
l’animal, c’est son âme ou sa cupidité. L'être humain a
réussi à rendre agressifs des animaux aussi paisibles que
les vaches et les poules, au point que l’on doive couper
les cornes aux vaches et le bec aux poules dans les
élevages intensifs. Nous avons réussi à les contaminer
avec notre propre violence. En pleine crise de la vache
folle, Jacques Julliard écrivait dans Le Nouvel
Observateur : « Il n’y a pas si longtemps les vaches
avaient un nom. Quand on appelait Marquise ou Bijou,
elles répondaient à ce nom… Aujourd’hui, l’agriculteur,
à son corps défendant, a cessé d’être l’ami des bêtes. Il
est devenu leur geôlier et parfois leur tortionnaire… »
C'est vrai qu’il n’y a pas si longtemps, les paysans
étaient des éleveurs et cette notion d’« élever » est
majeure. Elle porte en elle le sens étymologique qui doit
être associé à tout acte d’élever. Traditionnellement, on
était un « éleveur » de volailles ou de bovins.
Aujourd’hui on produit, on est donc un « producteur » de
volailles ou de bovins. Cela se passe de commentaires. Et
lorsque le système dérape, comme ce fut le cas lors de la
crise de la vache folle ou pour celle de la grippe aviaire,
on immole alors sans vergogne et, pire parfois, avec
fierté. Ainsi on « rassure », on montre combien on
maîtrise. Quelle misère, quelle pauvreté d'âme ! Des
millions d’animaux sont incinérés sur des bûchers bien
similaires à ceux des grandes épidémies moyenâgeuses.
Cette barbarie a choqué une grande partie de l’humanité
qui n’a pas su ou qui n’a pas osé l’exprimer. Sauf les
tribus massaï! Devant le massacre généralisé des bovins
en Europe, ces peuplades africaines se sont
particulièrement émues du traitement infligé aux
animaux. Les Massaïont manifesté leur incompréhension
devant notre irrespect de la vie de ces bêtes, si
importantes pour eux et par conséquent dignes de leur
respect. Ils ont créé des comités de village afin de cotiser
et de réunir les fonds nécessaires pour acheter le plus
possible de bovins et leur éviter la fin pitoyable que nous
leur infligions. Serait-ce là une leçon d’humanité donnée
par des « sauvages » ? On peut s’interroger sur qui est
réellement le « sauvage » !
En tout cas, tous nos comportements blessent la vie et
par incidence nos âmes et nos corps. Notre violence
barbare s’inscrit dans les vibrations du monde mais aussi
dans nos chairs. Une expérience faite aux États-Unis à la
fin des années 1960 va nous permettre d’envisager de
quelle façon et à quel point les animaux ne sont peut-être
pas que des corps.
Un chercheur, le Pr Mac Connell, s’intéressait aux
« philosophies anthropophages » dans leurs
fondamentaux conceptuels. Pour simplifier, dans ces
cultures, on pense que si l’on mange des parties d’un
corps humain, on s’appropriera les caractéristiques
qualitatives qui lui sont associées. Par conséquent, si l’on
mange le cœur d’un guerrier valeureux, on s’appropriera
son courage ; si l’on mange le cerveau d’un sage, on
s’appropriera sa sagesse. Le Pr Mac Connell souhaitait
pouvoir vérifier si, derrière ces principes empiriques et
traditionnels existant encore chez certains peuples, il
pouvait y avoir une parcelle de vérité démontrable.
Cependant, afin d’établir un protocole scientifique
cohérent, il avait besoin de cobayes permettant d’élaborer
un processus expérimental, comme cela se fait avec des
souris par exemple. Il lui fallait trouver des animaux
ayant un comportement « cannibale », c’est-à-dire
mangeant leurs propres congénères morts et ayant, au
minimum, une ébauche de système nerveux. Il finit par
choisir une variété de vers qui répondait à ces critères,
des vers planaires, sensibles à des stimuli comme la
lumière ou la douleur. Il sélectionna une population de
100 vers planaires qu’il répartit (cinquante-cinquante)
dans deux boîtes similaires, A et B, ouvertes sur le haut
et ayant un fond métallique. Il plaça au-dessus de
chacune de ces boîtes une lampe de bureau.
Il relia ensuite électriquement le fond métallique de la
boîte A à la lampe située au-dessus, alors que le fond de
la boîte B restait non connecté. Ainsi, lorsqu’il allumait
les lampes au-dessus des deux boîtes, la connexion à la
boîte A envoyait une légère décharge électrique aux vers
placés dans cette même boîte. Ces vers se
recroquevillaient du fait de la douleur ressentie. Les vers
placés dans la boîte B, quant à eux, ne recevaient aucun
courant et par conséquent aucune douleur. Ils percevaient
la lumière mais ne se recroquevillaient pas.
Le Pr Mac Connell répéta l’opération de nombreuses
fois afin de créer, chez les vers planaires placés dans la
boîte A, un réflexe conditionné, mécanisme bien connu
depuis les travaux de Pavlov (chaque fois qu’il donnait à
manger à son chien, Pavlov faisait sonner une clochette.
Le chien, qui voyait arriver sa gamelle de pâtée, salivait.
Au bout d’un certain temps, il suffisait à Pavlov de faire
sonner la clochette pour que le chien salive. Il avait
conditionné le réflexe clochette-salive).
Une fois le réflexe « éduqué » chez les vers planaires
de la boîte A (lumière = douleur), le Pr Mac Connell
déconnecta totalement cette boîte de la lampe. Lorsqu’il
allumait la lumière, par réflexe éduqué et non par douleur
puisqu’il n’y avait plus de décharge électrique, les vers
planaires de la boîte A continuaient à se recroqueviller,
alors que ceux de la boîte B ne réagissaient toujours pas.
Ayant constaté le fonctionnement incontestable du
réflexe conditionné, le Pr Mac Connell tua les vers de la
boîte A et les donna à manger à ceux de la boîte B.
LE SYNDROME DE L’IDOLE
Moïse et le Veau d’or : du « lieu tenant » au
« tenant lieu »
La nature a horreur du vide et il en est de même pour
la nature humaine. Le manque de sens de la vie moderne,
la peur du néant, l’état de survivance conduisent les êtres
à la recherche de palliatifs, d’ersatz.
Lors d’un débat sur l’hypermédiatisation de la mort du
pape Jean-Paul II, le philosophe Alain Finkielkraut
expliquait, avec beaucoup de justesse, que l’on a, dans
tous les plans de la société dite « moderne », perdu le
sens ou plutôt le bon sens de la vie. Les obsèques de
Jean-Paul II donnèrent lieu à une médiatisation et à une
exacerbation du sentiment religieux fort troublantes.
Alain Finkielkraut proposait une explication à ce
phénomène à travers l’idée que nos sociétés ont perdu le
sens basique de la « représentation » ou du
« représentant », dans tous les domaines.
Traditionnellement, le représentant (prêtre, chamane,
médium, seigneur, délégué, député, etc.), est censé être
une sorte d’interface entre les individus et des
dimensions qui leur sont difficilement accessibles parce
que subtiles, élevées, complexes ou distantes. Le
philosophe expliquait que ces représentants ont
aujourd’hui totalement changé de statut dans
l’inconscient collectif. Ces représentants, qu’il nomme
« lieu tenants » (le lieutenant était celui qui faisait le lien
entre le commandement et les troupes), ont perdu leur
dimension d’intermédiaires, car ce qu’ils étaient censés
représenter (l’Église dans le cas de Jean-Paul II, mais
c’est ce que l’on constate malheureusement avec les
institutions en général) s’est vidé de son sens, de son
contenu. C'est ce vide qui a éloigné les individus des
institutions. Ceux-ci ont alors projeté leur attente vers
leurs représentants. On a oublié alors le sens du « lieu
tenant » (celui qui se tient entre) pour lui préférer le sens
du « tenant lieu » (celui qui remplace). Mais il s’agit d’un
remplaçant vulgaire, d’une sorte de fac-similé, vide de
sens et seulement porteur des apparences.
Cette notion magistrale du « lieu tenant » devenu
« tenant lieu » éclaire d’une lumière crue ce qui se passe.
La négation de l’invisible, dimension si difficilement
acceptable pour une culture uniquement sensorielle,
conduit à la nécessité de fabriquer un « visible ». Le pape
décédé est ainsi passé, dans le cœur des croyants
catholiques, du statut de « lieu tenant » de Dieu à celui de
« tenant lieu ». Ce fut à un point tel que, alors qu’il
n’était même pas mis en terre, de nombreuses voix
réclamaient sa béatification. Cela était inconcevable,
même pour l’Église. Elle a cependant cédé au chant des
sirènes et accepté de lancer une procédure accélérée. Las,
l’identification, la projection comme disait Jung, le
messager ont pris la place du message. L'idole est
devenue icône.
Notre tradition judéo-chrétienne, qui savait déjà cela,
a tenté de nous le transmettre, pour nous en prévenir, à
travers l’histoire de Moïse. Que nous dit cette histoire ?
Je ne prétends pas être exhaustif sur le sujet ni faire
œuvre de théologie bien entendu. Cependant une lecture
particulière de nos textes traditionnels, dont la Genèse et,
dans le cas de Moïse, l’Exode, peut nous aider à
comprendre ce qui se joue pour nous aujourd’hui et que
je qualifie de « syndrome de l’idole ».
Dieu, ayant appris que son peuple souffrait sous le
joug de Pharaon, demanda à Moïse d’aller en Égypte
pour chercher ce peuple et le reconduire vers la Terre
promise (cela symboliserait-il le retour à soi, à la source,
aux origines ?). Je ne reviendrai pas sur les péripéties,
toutes porteuses de symboliques très puissantes, qui
permirent à Moïse de quitter l’Égypte avec son peuple
(les dix plaies, le miracle de la mer, etc.).
Après avoir quitté les abords de la mer Rouge, Moïse
et son peuple rencontrèrent, sur leur chemin, trois déserts
qu’ils durent traverser. Ces traversées furent l’occasion
d’épreuves pour le peuple, dont chacune porte un sens
symbolique (ne seraient-ce pas les traversées du désert
bien connues de toutes les personnes qui cherchent leur
« terre promise » en travaillant sur elles-mêmes afin de
quitter l’esclavage des sens ?).
Lors de la traversée du premier désert, celui de Shur,
le peuple fut confronté à la soif. Or la seule eau qu’ils
trouvèrent, à Mara – qui signifie « amer » en hébreu : la
saveur amère est associée, en énergétique, au cœur, au
Feu, aux émotions –, n’était pas bonne à boire (l’eau
symbolise entre autres le monde émotionnel et
inconscient. Les émotions négatives peuvent-elles
empoisonner ?). Le peuple « murmura contre Moïse »
(gronda) et manifesta, dès ce premier obstacle, sa
difficulté à accepter les épreuves, à « payer » le prix de
sa liberté (voir p. 182). Il montra ainsi qu’il n’était pas
encore prêt à accepter d’accueillir la « grâce » (la
confiance dans la vie ?) dans son âme. L'intervention de
Moïse qui toucha l’eau avec un bâton permit, grâce à
l’aide de Dieu, de rendre l’eau douce (la disparition de la
souffrance émotionnelle se fait par l’ouverture de l’esprit
et sa « purification » par l’accès à la dimension invisible,
spirituelle). Face à cette première rébellion, Moïse fixa
au peuple de Dieu les premières règles à respecter, les
premiers devoirs (le sens des responsabilités, le prix des
choses, le coût des actes?) qui lui permettraient de
progresser sans peine (sans subir les plaies d’Égypte).
Son peuple put étancher sa soif, reprendre sa marche et
arriva à Elim où il trouva douze (!) sources et put camper
au bord de l’eau.
Moïse et son peuple reprirent la route et rencontrèrent
bientôt un deuxième désert, le désert de Sîn. La traversée
de ce nouveau désert (nouvelle épreuve) réveilla le
« murmure » des anciens esclaves qui manifestèrent,
cette fois, non pas leur soif mais leur faim auprès de
Moïse (les émotions étant calmées, on se reporte sur la
matière et la satisfaction du corps). Ils allèrent jusqu’à
regretter le temps « béni » où ils étaient en Égypte,
« auprès de la marmite de viande et mangeant du pain à
satiété » (ils étaient ainsi prêts à redevenir esclaves, à
perdre leur liberté pour obtenir la sécurité !). Dieu fit
pleuvoir chaque jour la manne céleste et les cailles afin
de nourrir son peuple, demandant à chacun de ne
« prendre qu’en fonction de ses besoins », ni plus ni
moins (il s’agit d’un nouveau test de la confiance dans la
vie et dans sa capacité à « pourvoir à tout »). Tous ceux
qui « ramassaient plus » afin de faire des provisions ne
purent les conserver car les vers « s’y mirent et
infestèrent tout » (l’avidité, le besoin de posséder, la
peur de manquer pourrissent tout). Ce fut la première
colère de Moïse contre son peuple et « tout rentra dans
l’ordre » (cela symbolise la nécessité, malheureusement,
pour l’autorité de se manifester avec force).
Ils quittèrent ensuite le désert de Sîn pour arriver,
après d’autres péripéties, dans le désert du Sinaï. Moïse
installa son peuple au pied du mont Sinaïoù lui-même
monta (tout ce qui est divin est élevé et, pour s’élever,
tout individu doit « monter »). Arrivé au sommet, Moïse
reçu de Dieu les Tables de la Loi (qui représentent les
devoirs de tout être humain face à la vie, les bases de la
morale sociétale, le sens des vertus qui le
« verticalisent »). Cette démarche auprès de Dieu fut
longue car elle allait bien au-delà de la transmission des
Dix Commandements. Toujours est-il que cette attente
(absence, désert d’information, d’action, épreuve
nouvelle sur la confiance) fut trop longue pour le peuple
qui attendait au pied de la montagne. L'absence du guide,
du leader, du chef, du lieutenant de Dieu fut
insupportable et le peuple demanda à Aaron (qui
accompagnait Moïse depuis le début) de lui trouver un
substitut, de lui créer un « tenant lieu ». Aaron céda avec
une étonnante facilité (cela signifie combien la véritable
autorité est rare et condamnée à la solitude). Il demanda
à chacun d’« ôter les anneaux d’or aux oreilles de sa
femme, ses fils et ses filles » et de les lui donner (cela
symbolise que pour obtenir le Veau d’or, chacun doit
abdiquer la seule richesse qu’il possède et qui pourtant
participait à le rendre « beau » ; pour le peuple esclave,
il s’agit de cette liberté qu’on venait de lui offrir). Il en
fit un Veau d’or, que le peuple adora comme son Dieu.
Le « lieu tenant » (Moïse) ayant disparu (à leurs yeux), il
fut remplacé par un « tenant lieu » (le Veau d’or) obtenu
en abandonnant sa seule richesse (la liberté). La
déception de Moïse fut grande. Il « s’enflamma de
colère, il jeta de sa main les Tables et les brisa au pied de
la montagne ».
Que pouvons-nous tirer comme enseignement de ce
passage de l’Exode ? Moïse a lutté avec force et
conviction pour sortir son peuple de l’esclavage. Il a pu
le faire avec l’aide de l’invisible (Dieu). Il a réussi dans
son combat. Cependant, la conquête de la liberté et de sa
part d’humanité conduit toujours celui qui la mène à une
grande solitude et ceux qui le suivent à une traversée du
désert. Moïse vécut la solitude et son peuple vécut avec
lui la traversée du désert. Mais l’épreuve fut trop dure
pour ces esclaves qui, petit à petit, finirent par se dire que
finalement l’Égypte, ce n’était pas si mal. Moïse perçut
bien la tension existante et il ressentit le besoin de donner
à son peuple un « cadre de référence ». Mais à peine eut-
il tourné le dos pour aller, en tant que « lieu tenant » de
Dieu, chercher les Tables de la Loi, que son peuple se
reconstruisait un « tenant lieu », le Veau d’or. Cette idole
de transfert, après ce passage du désert (vide, manque de
repères) était plus facile à adorer qu’un Dieu, distant ou
immatériel et transcendant. Cette idole était rassurante et
facilitante parce que plaçant la loi « dehors » et donnant
une forme à l’autorité. Les Tables de la Loi, symboles
des règles intérieures comportementales, étaient plus
difficiles parce qu’abstraites et demandant l’effort d’une
autorité propre et individuelle. C'est l’idée de cette
abdication face à l’effort et à la responsabilité
individuelle que je qualifie de « syndrome de l’idole ».
Car il s’agit bien d’un véritable syndrome, l’imposture du
« tenant lieu » par rapport au « lieu tenant » étant ce qui
fait le lit de la déchirure entre l’âme et le corps et par
conséquent celui de la maladie.
Nous vivons de nos jours ce syndrome de l’idole de
multiples façons (ainsi que nous allons le voir dans la
suite de ce livre) et nos consciences en sont malades. Or
ce sont elles qui font vibrer nos corps à l’unisson. Les
Anciens avaient sans doute compris ce lien profond. C'est
pour cela qu’ils élaborèrent des rituels et des protocoles
destinés à organiser nos consciences issues du chaos
intérieur. Malheureusement, les dissonances générées par
nos modes de vie nous ont ramenés vers ce chaos que les
Anciens avaient tant cherché à ordonner. De ce fait, nos
corps n’ont plus d’autre issue que de répondre par la
cancérisation, chaos physique s’il en est. C'est la seule
alternative qui reste à la vie intérieure pour s’inscrire,
selon les modulations d’une pensée en perdition, dans le
phénoménal, le monde incarné et charnel. Le vide de
sens et de finalité produit le chaos des âmes, et le vide
des règles et des comportements conduit à manifester ce
chaos dans la réalité de nos corps.
Les conséquences sont nombreuses. À l’instar du
peuple juif, sorti de l’esclavage par Moïse, les peuples
modernes ont été fascinés par le rêve du progrès matériel
censé rendre tout facile et dû. Ils ne supportent plus le
sens de la quête et de la conquête, ne se rendant pas
compte qu’ils sont redevenus des esclaves. Ils ont perdu
de vue le sens du « sacré » pour se rassurer avec le
« magique ». La vie ne doit plus être complexe et digne
de respect, elle doit être faite de recettes, de « digest » et
d’immédiateté. Le sens de l’abstrait, dans ce qu’il évoque
l’âme et la transcendance, a laissé la place au sens du
virtuel dans ce qu’il provoque comme sensation. L'outil
est devenu le but et le moyen est devenu la finalité. Nous
sommes revenus à l’âge du Veau d’or. De cette
dichotomie entre le corps et l’esprit naissent les
conditions nécessaires à la maladie. C'est là l’une des
premières conséquences du syndrome de l’idole.
SIGMUND FREUD
Le premier grand défricheur de la psyché humaine en
Occident fut Sigmund Freud. Même s’il a été
accompagné ou précédé de grands chercheurs comme
Georg Groddeck, par exemple, Freud a su établir les
premières bases solides d’une analyse concrète et
opérative de cette dimension particulière de l’esprit
humain qu’il a qualifiée d’« inconscient ». Sa
conceptualisation de cet inconscient, même si elle a été
enrichie depuis, reste malgré tout la référence de base
dans le milieu universitaire et dans celui de la
psychanalyse. Nous aurons l’occasion d’évoquer plus
loin la manière dont il conceptualisait la structure de
l’inconscient.
En ce qui nous concerne, que disait Freud ? Il
considérait que tous les vécus et toutes les mémoires
émotionnelles s’enregistrent toujours et de façon
permanente dans l’inconscient des individus et que,
même si nous n’en avons pas ou plus le souvenir
conscient ou accessible, ces mémoires existent en nous. Il
a d’ailleurs utilisé pendant quelque temps l’hypnose pour
aller chercher ces mémoires bloquantes qu’il appelait
« refoulements », mais il a abandonné cette technique
après avoir constaté qu’un individu était capable
d’inventer, de fantasmer des « souvenirs » qu’il n’avait
pas effectivement vécus. En dehors de cela, Freud
considérait que ces mémoires émotionnelles pouvaient
être à la base de comportements inconscients ou
incontrôlables, qu’elles pouvaient générer des
compensations comportementales pouvant aller jusqu’à
la maladie ou l’accident, à travers entre autres ce qu’il
qualifiait d’« actes manqués ».
Freud disait : « Les enfants sont des cires vierges sur
lesquelles tout s’inscrit. » Tous les vécus des enfants
s’inscrivent en eux, certains étant conscients, d’autres à
demi conscients et à demi inconscients et, enfin, d’autres
totalement inconscients mais existants et agissants
malgré tout. Essayons d’illustrer cela à travers une
histoire inventée.
Imaginons que je puisse retourner dans le temps et
rencontrer Freud. Je vais le voir pour discuter avec lui de
cette théorie et m’étonner du fait, par exemple, qu’un
souvenir puisse être en partie conscient et en partie
inconscient. Il me propose d’en étudier un pour voir
comment cela peut se comprendre. « Donnez-moi un
souvenir conscient de votre prime enfance et nous allons
l’étudier. » Je réfléchis puis je lui raconte mon souvenir
conscient : « Quand j’étais petit, j’étais un petit garçon
vif, joueur et gourmand et il y avait une chose que
j’adorais par-dessus tout, c’étaient les confitures que
faisait ma maman. Mmmm, qu’elles étaient bonnes ! Et
la pauvre femme, elle pouvait les cacher où elle voulait,
je dénichais toujours ses petits pots. Oh, bien sûr, de
temps en temps, je me faisais prendre en train d’en
chaparder et je prenais la correction méritée, mais qu’est-
ce que j’ai pu me régaler quand j’étais petit ! » Voilà le
souvenir conscient que je propose à Monsieur Freud.
« Très bien, me dit Freud, nous allons voir maintenant
s’il n’y a pas une partie inconsciente, différente et peut-
être moins agréable attachée à ce souvenir. » Il me fait
allonger sur le célèbre canapé du n° 19 de la Berggasse à
Vienne et me conduit en état hypnotique vers la mémoire
engrangée du souvenir conscient que je viens de lui
narrer. Et voilà ce que je raconte : « Quand j’étais petit,
j’étais un petit garçon vif, joueur et gourmand et il y avait
une chose que j’adorais par-dessus tout, c’étaient les
confitures que faisait ma maman. Mmmm, qu’elles
étaient bonnes ! Et la pauvre femme, elle pouvait les
cacher où elle voulait, je dénichais toujours ses petits
pots. » Nous voyons donc que pour l’instant la base de
départ est la même. Mais je continue : « Un jour,
d’ailleurs, que je jouais dans la maison familiale, je
traversais le couloir en courant lorsqu’un détail
insignifiant attira mon attention de petit malin. Je
m’arrêtai et fis marche arrière pour vérifier ce que mon
flair particulièrement développé m’avait fait percevoir.
Du dessus de l’armoire qui était dans le couloir dépassait
un tout petit morceau de tissu blanc avec des petites
rayures rouges. Mes yeux de fin limier m’avaient fait
capter ce détail qui se traduisit aussitôt dans mon esprit
par “tissu blanc avec des rayures rouges = confiture”.
Prenant un peu de recul (il paraît que dans la vie, on voit
mieux en prenant du recul…) et montant sur la pointe des
pieds, je découvre effectivement un pot de confiture que
ma mère avait placé sur l’armoire du couloir, le croyant
sans doute à l’abri. J’étais en effet trop petit pour arriver
à saisir ce pot tant convoité. Qu’à cela ne tienne ! Je
regarde s’il n’y a personne dans la maison puis vais dans
la cuisine chercher un tabouret sur lequel je monte pour
atteindre le pot de confiture. Mais c’est encore un peu
juste et c’est sur la pointe des pieds que j’arrive à le saisir
à peine. Mais juste à ce moment-là, ma grand-mère fait
irruption dans la maison et me découvre en train de tenter
mon forfait. Cela me surprend, me déséquilibre, je fais
glisser le tabouret et je tombe sur le carrelage où je me
fais très mal au genou (le droit, bien sûr2et où le pot de
confiture explose. Quelle catastrophe ! Cette délicieuse
confiture dont je suis privé, et cette douleur au genou qui
me fait pleurer : quelle punition ! Et malgré cela, en plus,
ma grand-mère me gronde avec force, me donne une
fessée et me punit en me mettant au coin, dans la cuisine.
Vous imaginez combien mon vécu est désagréable et
teinté d’un sentiment profond d’injustice. Dans ma tête
de petit enfant, je tourne et retourne tout ça. Ma grand-
mère n’est vraiment pas juste. Et ma mère, pourquoi
cache-t-elle les confitures ? Pourquoi m’a-t-elle donné
cette grand-mère ? Elle non plus n’est pas juste ni
gentille. Et si toutes les femmes étaient pareilles ? L'idée
s’inscrit alors en moi ! Il faut se méfier des femmes ! À
tout jamais car elles font mal. » Et Freud de me faire
revenir à moi et de m’expliquer que c’est pour cette
raison que je suis encore célibataire aujourd’hui.
À travers cette histoire du pot de confiture, j’ai voulu
illustrer comment un souvenir, en partie conscient, peut
être porteur d’une dimension inconsciente radicalement
différente de celle restée en « mémoire officielle ». Or
Sigmund Freud a, le premier, démontré combien c’est
cette partie inconsciente qui est la plus porteuse
d’énergie, de force, notamment du fait que, comme nous
n’en avons pas conscience, elle peut agir en profondeur.
Il expliquait ainsi comment des traumatismes de la
prime enfance induisaient des comportements voire des
pathologies très profondes, même si ceux-ci étaient
principalement articulés, dans sa vision, autour des
tensions liées à la libido et à son énergie, la sexualité,
conduisant notamment au complexe d’Œdipe.
ALFRED ADLER
Mais alors, en dehors de la prime enfance et des
« ancêtres », la vie est-elle un fleuve plus tranquille ? Un
contemporain de Freud et de Jung, Alfred Adler, nous
propose d’élargir notre propos. Alfred Adler s’éloigne lui
aussi de Freud et développe une théorie du
fonctionnement psychique principalement articulée
autour de la notion de « complexe d’infériorité ». Ici non
plus, mon propos n’est pas de faire une démonstration
exhaustive des théories adlériennes mais de présenter
simplement ce qui va nous permettre de mieux
comprendre l’origine de ce complexe d’infériorité et ce
qu’il implique. Que nous propose Alfred Adler ? Une
autre histoire nous éclairera, celle du jeune Franz,
habitant une bourgade autrichienne dans les années 1920.
Le jeune Franz est un petit garçon simple et heureux
de vivre. Il est à l’école, assis dans sa classe, et observe
ce qui l’entoure. Et que voit-il ? Il voit, à une rangée
devant lui, une petite fille, blonde, très belle, avec une
jolie jupe plissée, une barrette dans les cheveux, qui
écoute sagement ce que le professeur explique. Franz est
très heureux de voir que des enfants aussi beaux et sages
existent. Il est d’autant plus heureux qu’en plus cette
petite fille a devant elle un beau cahier, tout propre, dont
les pages sont couvertes d’une belle écriture, avec des
lignes tirées à la règle. Quand il regarde le sien, celui-ci
est beaucoup moins bien tenu et quelques méchantes
ratures apparaissent de-ci de-là.
Franz continue l’observation de sa salle de classe et il
voit, trois rangées de tables plus loin, un petit garçon, du
même âge que lui, mais très sportif et tonique, alors que
lui-même est un peu chétif. Et Franz est à nouveau très
heureux de voir que des petits garçons aussi forts et
solides existent. C'est alors que midi sonne à la cloche de
l’école. Tout le monde sort de classe et Franz traverse la
cour de l’école pour rentrer manger à la maison. Il
découvre à ce moment-là devant lui un autre petit garçon,
ni plus fort ni plus grand que lui, mais très bien habillé,
qui marche devant lui. Il porte un petit blazer en tweed
avec un superbe écusson sur la poche et tient à la main
une petite sacoche en cuir de qualité (alors que lui, Franz,
a le vieux cartable de son frère aîné). Franz, qui n’est pas
jaloux, trouve formidable qu’il y ait des gens qui puissent
avoir des choses aussi belles. Au moment où il prend son
vélo (celui qu’avait eu son frère avant lui), Franz voit
arriver une très grande limousine, qui s’arrête devant
l’école. Un chauffeur en livrée en descend et vient ouvrir
la porte au petit garçon qui s’installe à l’arrière. La
limousine démarre et s’éloigne tandis que Franz monte
sur son petit vélo pour rentrer chez lui. Il sifflote,
heureux de vivre, tout en pédalant sur son petit vélo qui
grince un peu. Survient brusquement une ondée brutale
qui mouille un peu Franz malgré sa capuche. L'ondée
s’arrête mais, juste avant d’arriver chez lui, Franz croise
la limousine du petit garçon, revenant sans doute d’une
quelconque course. Et au moment où la limousine croise
Franz, elle passe dans une flaque d’eau et éclabousse le
pantalon de Franz.
Franz arrive ainsi à la maison où sa mère est en train
de préparer le repas. Lorsqu’il entre dans la cuisine, la
mère de Franz découvre le pantalon maculé de boue. Très
en colère, elle dit à son fils : « Mais enfin, Franz, ce n’est
pas possible, quel garçon tu fais ! Comment peux-tu
rentrer de l’école dans un état pareil ? Ça ne va pas se
passer comme ça ! Cet après-midi, je vais aller voir ton
professeur et lui et moi allons parler de toi ! »
Franz ne dit mot et, après avoir déjeuné en silence,
repart avec son petit vélo tout mouillé à l’école. Vous
pouvez imaginer que l’après-midi de Franz fut moins
joyeux que sa matinée. À la fin de la classe, Franz sort et
découvre dans la cour sa mère en train de parler avec son
professeur. Elle a mis son petit tailleur du dimanche qui
la serre un peu de partout (il date de l’époque de son
mariage) et tient bien serré dans ses mains son petit sac à
main un peu fatigué (il date de la même époque). Franz
attend sagement à l’écart que sa mère et son professeur
statuent sur son cas, lorsque survient la belle limousine.
Elle s’arrête devant la porte de l’école, le chauffeur en
livrée en descend et va ouvrir la porte à une charmante
jeune femme. Cette jeune femme, simplement vêtue d’un
tailleur haute couture, de quelques bijoux de la meilleure
facture, porte une superbe cape sur les épaules et tient à
la main un splendide sac en crocodile venant de la
meilleure maison qui soit. Elle entre avec élégance dans
la cour de l’école et appelle le professeur d’un petit signe
de la main. Lorsqu’il l’aperçoit, le professeur de Franz
« plaque » littéralement, sans un mot d’excuse, la mère
de Franz pour aller accueillir l’arrivante et s’entretenir
avec elle.
La mère de Franz va alors chercher Franz, le prend par
la main et décide de rentrer à la maison. Pendant le trajet
à pied, la tête basse et l’âme en peine, Franz a tout le
temps de réfléchir… Et c’est alors, nous explique Alfred
Adler, que Franz a développé un « complexe
d’infériorité ».
Cette histoire nous montre que le complexe
d’infériorité est le résultat d’une ou de plusieurs
expériences lors desquelles l’enfant engrange une
information dévalorisante. Il en construit une image
négative de lui-même, qui va imprégner son psychisme
puis induire des comportements répétitifs de mises en
situation venant conforter cette opinion. Comportements
d’échec, sabotages de réussite, autodévalorisation ou
autodénigrement, incapacité à exprimer des demandes
personnelles, malaise face aux compliments, etc. sont
autant de modes d’expression de ce complexe.
Lorsque l’on est confronté à ce genre de
comportement, il est nécessaire de conduire la personne,
avec des outils de type cognitif ou d’identification de
position de vie4, à se réconcilier progressivement avec
son image. Mais le risque, à la fois postural (attitude
physique et corporelle), comportemental (mise en
situation d’échec) et identitaire (« Je ne mérite pas »,
etc.), réside justement dans le sabotage des améliorations
obtenues. Nous verrons plus loin comment sortir de ce
schéma.
DENSIFICATION ET LIBÉRATION
Comment les conséquences d’un déséquilibre intérieur
se mettent-elles en place dans le corps ? Qu’est-ce qui
peut permettre de comprendre les processus d’inscription
des tensions psychiques dans le corps ? Il est intéressant
de constater que l’époque actuelle, qui développe de plus
en plus la communication vers l’extérieur, est aussi celle
de l’éloignement de soi. Cependant, qu’on le veuille ou
non, les dimensions subtiles de l’être humain sont là,
existent et s’expriment tous les jours. Pour pouvoir les
comprendre et accéder à leur sens profond, il nous faut
accepter que le paradigme qui les concerne soit différent
de celui du regard mécaniste. Il en est ici comme de la
physique et des différences fondamentales qui existent
entre les physiques classique et quantique. L'une se
préoccupe du pondéral et du macroscopique et l’autre du
subtil et du microscopique. Elles ne s’excluent pas,
contrairement à ce que certains voudraient. Elles se
préoccupent seulement de niveaux différents tout en
étudiant la même chose. Le lien entre elles, comme pour
l’humain, est un principe de cohérence.
Pour comprendre les relations entre le corps et l’esprit
et, par conséquent, la signification des maux du corps par
rapport aux bleus de l’âme, il est impératif d’élargir le
regard que nous portons sur l’être humain et sur la vie. Si
nous en restons au stade de l’« homme machine », c’est-
à-dire composé de pièces indépendantes et
interchangeables en fonction des progrès techniques de la
science, les relations proposées peuvent sembler tenir de
la magie, de la voyance, de l’imaginaire pur et simple ou
du délire. La question est par conséquent de savoir
comment et pourquoi relier les manifestations physiques,
les symptômes, les maladies ou les accidents avec ce qui
se passe, ce qui se joue en nous. L'observation mécaniste
ne peut pas le faire car son regard est « collé » au
symptôme. Son champ d’observation est de ce fait
restreint, que ce soit dans le temps ou dans l’espace.
L'origine des maux ne peut alors se justifier que par le
hasard (accident) ou par des éléments qui nous sont
extérieurs (virus, microbe, nourriture, environnement,
etc.). Or, nous venons de voir que ce n’est peut-être pas
toujours le cas, loin de là. Alors comment expliquer ce
processus qui conduit du subtil, de l’invisible, à
finalement une traduction tout à fait concrète dans cette
réalité matérielle qu’est le corps humain ?
J’ai déjà décodé ce processus sur le plan énergétique
dans Dis-moi où tu as mal, je te dirai pourquoi. À travers
un processus que je qualifie de « densification », les
énergies subtiles, profondes, invisibles, se condensent,
prennent de plus en plus de densité pour finir par se
traduire sous une forme matérielle. J’utilisais pour cela
l’analogie de l’humidité de l’air (invisible) qui, en se
densifiant, forme tout d’abord des nuages (plus visibles
mais difficiles encore à ressentir) puis enfin de la pluie
(visible et que l’on peut sentir) qui tombe, mouillant le
sol et les individus. Ce processus est inhérent à la réalité
de notre univers et fonctionne en permanence. Il est
« intelligent » et signe, avec précision, quel type de
tension se densifie, selon la manifestation de cette
densification. Nous verrons dans le chapitre suivant qu’il
en est de même avec les « habitudes visibles »
(manifestations comportementales densifiées) qui
traduisent, avec la même précision, le type de peur et de
système de défense mis en place.
Illustrons ce processus de densification dans le corps
humain en observant les réactions physiques d’un timide.
Une personne timide est une personne sensible sur le
plan émotionnel. Lorsque ce timide est mis en présence
d’une personne qui l’impressionne, que se passe-t-il ? Il
rougit ! L'émotion, subtile et invisible, a produit une
manifestation, une densification physique.
Biologiquement parlant, le vécu émotionnel a généré
chez le timide une réaction hormonale. Son corps a
produit de l’adrénaline et de la noradrénaline.
L'adrénaline a permis la dilatation des vaisseaux
capillaires entraînant le rougissement. L'émotion
(invisible, subtile) a engendré une réaction physique
(visible, manifestée).
Mais le plus intéressant est à venir. La personne
timide ne rougit pas de n’importe quelle partie du corps.
Elle ne rougit ni des pieds ni des fesses, mais du visage.
Ici transparaît l’intelligence symbolique du corps. En
effet, la noradrénaline est une hormone qui est un
« électeur de lieu ». C'est elle qui va faire que
l’adrénaline ne va aller dilater que les capillaires du
visage et accélérer le rythme cardiaque. Que représentent
le visage et le cœur ? Le visage représente l’identité et le
cœur les émotions. Or, de quoi souffre le timide, si ce
n’est d’une fragilité de l’identité et d’un manque de
confiance en soi ? La manifestation corporelle signe cela
avec une précision incontestable, montrant l’intelligence
du corps et de son langage d’expression.
Les multiples densifications que nous vivons dans
notre corps sont des expressions d’une intelligence
équivalente. Je les ai suffisamment décodées dans mon
précédent livre pour ne pas avoir besoin d’y revenir ici.
Mais leur donner ainsi un sens doit immanquablement
nous ramener à leur origine car c’est la condition sine
qua non pour pouvoir s’en libérer et accéder au processus
de guérison. À travers elles, notre corps nous soigne. Il
tente d’évacuer la « mort » en nous. Il cherche à éliminer
ce qui s’est figé, cristallisé en nous, mais il ne sait pas
nous guérir, c’est-à-dire changer ce qui a conduit à la
souffrance, le traumatisme ou la maladie.
C'est ici que réside la différence fondamentale entre
soigner et guérir. Soigner consiste à traiter la
manifestation, le symptôme, notre corps sait le faire et il
le fait en permanence. Guérir consiste à modifier les
paramètres fondamentaux qui ont conduit à la maladie
pour que celle-ci n’ait plus à être, et cela, seule notre
âme peut le faire.
Je voudrais préciser enfin combien les densifications
qui s’expriment dans notre corps sont polyvalentes. Elles
sont à la fois le message de ce qui est en tension en nous,
une tentative de résolution de la tension et enfin une piste
essentielle de retour à sa source. J’ai déjà évoqué
précédemment leur rôle d’évacuation à travers l’idée que
toute maladie et tout traumatisme sont de très gros
consommateurs d’énergie. En cela elles permettent
d’évacuer, d’éliminer la tension énergétique qui s’est
emmagasinée dans telle ou telle partie du corps. D’autre
part, en attirant la conscience de l’individu vers la zone
douloureuse, elles focalisent l’attention et l’intention vers
ce lieu précis, réactivant ainsi le processus de vie dans
cette zone où elle avait sans doute été bloquée. Nous
verrons dans le chapitre suivant combien cela est
important.
Les densifications sont des pistes essentielles pour
pouvoir « retourner à la source ». En effet, si l’on décode
le sens profond associable à une densification vécue
(traumatisme ou maladie), à l’identique de ce qui se
passe avec le timide, nous allons pouvoir nous
préoccuper de ce qui est le propos même de la guérison,
c’est-à-dire modifier les racines des équilibres intérieurs
à l’origine de cette densification. Essayons d’illustrer
cela.
Si je décode le sens de la densification qui s’est
produite chez le timide, c’est-à-dire la problématique de
confiance en soi, je n’aurai plus besoin (ni envie) de
l’aider à lutter contre le fait de rougir en trouvant un
moyen d’empêcher la dilatation des capillaires. Je n’aurai
pas non plus envie de l’aider à trouver un moyen de lutter
contre son émotivité. Mon but sera simplement de lui
redonner confiance en lui. Je ne suis plus ainsi dans une
démarche de « lutte contre » ; je rentre dans une
démarche « proactive » dans laquelle mon seul objectif
sera de redonner à la vie ses principes d’équilibre et non
de m’opposer à la façon dont elle exprime ses tensions.
Nous retrouvons finalement ainsi, à travers cette
démarche de retour à la source, la même recherche que
celle de toutes les médecines traditionnelle du monde
dont la principale préoccupation était la préservation de
l’état de santé et non la lutte contre la maladie. En Orient
d’ailleurs, le médecin, qui n’était payé que tant que les
patients étaient en bonne santé, considérait l’apparition
de la maladie comme un échec et l’utilisation de ses
thérapeutiques pour soigner comme un échec
supplémentaire.
1 « Enfin, la lumière, lumen, est pour ainsi dire un signe divin, numen,
renvoyant l’image de Dieu dans ce temple qu’est le monde » (Marsile Ficin).
2 Patrick Lemoine, Le Mystère du placebo, Odile Jacob, 2006.
3 Tomographie par émission de positons.
4 Raúl de la Fuente-Fernandez, Thomas J. Ruth et al., « Expectation and
dopamine release, mechanism of the placebo in effect in Parkinson’s
disease », Science, vol. 293, n° 5532, pp. 1164-1166.
5 Dr Bernie Siegel, L'Amour, la médecine et les miracles, J’ai lu, 2004 et
Messages de vie, J’ai lu, 2001.
6 Voir p. 188.
Les processus permettant
de comprendre les bases de
la souffrance
LE PROCESSUS D’INCARNATION
Le processus d’incarnation est aux sources de la vie.
Cette conceptualisation que nous allons découvrir
ensemble est celle qui, à mon sens, permet le mieux de
comprendre à la fois ce qui est à la base du principe de
vie mais aussi de celui de la souffrance. Les philosophies
orientales ont toujours gardé vivante la relation entre le
corps et l’esprit. À aucun moment ces deux pans de la
réalité humaine ne sont dissociés et leurs
fonctionnements sont considérés comme profondément
interactifs. Les principes mêmes de la médecine
orientale, qu’elle soit ayurvédique, traditionnelle
chinoise, tibétaine ou japonaise, prennent toujours en
compte l’idée que derrière chaque maladie se trouve une
tension du psychisme, derrière chaque choc psychique se
trouve l’énergie nécessaire à la maladie et même, au-delà
de cela, que derrière chaque mode de pensée se trouve un
germe de déséquilibre.
Mais au-delà de cette relation corps-esprit, ces
philosophies ont également toujours rejeté l’idée même
de hasard. Pour elles, chaque manifestation est la
conséquence d’une action qui lui est antérieure, la vie
étant ainsi un continuum permanent d’effets et de causes.
Dans cette vision, la maladie n’est jamais un hasard ou
une fatalité mais la conséquence d’un certain nombre de
comportements, actes ou pensées qui ont conduit à sa
réalisation voire à sa nécessité.
Essayons de voir comment ces cultures envisagent la
vie. Je ne vais pas revenir sur la philosophie du processus
d’incarnation que j’ai développée dans Dis-moi où tu as
mal, je te dirai pourquoi. Je présente ici la « mécanique »
de ce processus. C'est elle qui nous permettra de
comprendre pourquoi, la plupart du temps, c’est nous qui
préparons le terrain à la maladie. Voyons le schéma ci-
après.
Pour les cultures orientales, notre univers est
vibratoire, énergétique. Toute chose est à la fois
l’expression et la concrétisation, la manifestation de
l’énergie. Il en est de même pour l’apparition de l’être
humain qui se produisit grâce à l’existence et à
l’interaction des énergies du Ciel et de la Terre qui ont
été les manifestations des « fameux » Yang et Yin
(composantes indissociables du Tao), que tout le monde
connaît, et grâce à l’action d’un « Principe Originel »,
forme initiale de l’esprit en recherche d’incarnation.
La vision karmique
Selon les philosophies orientales, la vie d’un être
humain est un processus de réalisation. Placé entre le
Ciel et la Terre, l’être humain se nourrit et transforme
leurs énergies ainsi que nous venons de le voir. Mais
pourquoi ? Voilà la grande question. Tout cela a-t-il un
sens et ce sens, s’il existe, peut-il nous permettre de
mieux comprendre pourquoi cela se passe parfois mal
(souffrances, maladies, traumatismes) ?
La réponse à la question « pourquoi ? » n’est pas
possible dans notre vision mécaniste qui considère que la
manifestation de la vie n’est due qu’au « hasard et à la
nécessité ». Si l’on veut émettre des hypothèses sur la
question « pourquoi ? », il devient nécessaire de quitter le
monde des certitudes scientifiquement prouvées et
établies pour aller vers des hypothèses conceptuelles plus
spiritualisantes tout en restant cohérentes. Dans ce
paradigme, l’Orient propose une vision dans laquelle le
phénomène de l’existence est une infime partie d’une
réalité plus vaste qui s’appelle la Vie. Cette Vie ne se
cantonne pas à la simple existence individuelle, délimitée
d’un côté par la naissance et de l’autre par la mort, mais
se comprend à travers deux plans différents et
complémentaires qui englobent à la fois ce qui se situe
avant la naissance et après. Ces deux plans sont appelés
« Ciels » : le Ciel Antérieur pour tout ce qui est antérieur
à la naissance ou plutôt à l’incarnation, et le Ciel
Postérieur pour tout ce qui est postérieur à la naissance.
Dans cette hypothèse philosophique, l’esprit qui
s’incarne dans un fœtus et devient un être humain n’est
pas vierge de données, d’informations, bien au contraire.
Cet esprit, dit « Chenn Prénatal », est porteur de
nombreuses informations antérieures à la naissance et en
particulier de choix qu’il a fait pour s’incarner. Ces
choix, dits « choix d’incarnation », sont faits afin de
permettre à l’esprit qui s’incarne de réussir au mieux ce
qu’il est venu réaliser. Nous sommes là dans cette vision
karmique qui considère la Vie comme une école dans
laquelle nous venons apprendre un certain nombre de
leçons. Une fois ces choix faits dans le Ciel Antérieur,
l’esprit, le Chenn, s’incarne et passe dans le Ciel
Postérieur où il les réalise3. Nous verrons plus loin, dans
le chapitre sur les bases de la souffrance, que c’est ici que
peuvent se créer des tensions importantes. En effet, selon
le principe karmique, lorsqu’il y a une distorsion entre ce
que le Chenn Prénatal a choisi dans le Ciel Antérieur et
ce qu’il réalise dans le Ciel Postérieur, apparaît la tension
ou le conflit intérieur qui peut conduire à la maladie ou
au traumatisme.
La vision karmique se décline également au niveau
existentiel d’un être humain (une fois incarné, passé dans
le Ciel Postérieur) qui lui aussi comporte deux plans
assimilables au Ciel Antérieur et au Ciel Postérieur. Ces
deux plans sont le Conscient et l’Inconscient. À
l’identique du Ciel Antérieur, l’Inconscient est un plan
subtil, non manifesté, dans lequel l’esprit humain élabore
des choix, des stratégies, qu’il réalise (incarne) à un
moment donné dans le plan conscient. Ici aussi, nous
allons trouver des sources possibles à la souffrance car,
ainsi que je l’ai évoqué pour les Ciels Antérieur et
Postérieur, s’il existe des distorsions entre ce qui est
élaboré et choisi dans le plan inconscient et ce qui est
effectivement réalisé dans le plan conscient, elles vont
produire des tensions voire des pathologies ou des
traumatismes.
J’illustre fréquemment cette idée, lors de mes
conférences, par la parabole suivante. Prenons l’exemple
d’un jeune homme qui veut aller faire de la randonnée en
montagne. Ce jeune homme a le désir, l’envie de faire
cette randonnée dans les Alpes et il va y réfléchir, la
préparer dans sa tête, prévoir tout ce qu’il lui faut comme
matériel, billets de train, etc. Nous sommes là dans toute
la phase abstraite de réflexion et de préparation de la
randonnée que l’on peut assimiler, comparer à ce qui se
passe dans le plan du Ciel Antérieur ou dans celui de
l’Inconscient.
Puis vient le moment où le jeune homme décide
d’incarner, de réaliser son choix, c’est-à-dire qu’il passe
à l’acte. Il prend ses billets de train, il achète le sac à dos
qui convient, les pantalons chauds et le gros anorak qui
lui permettront de résister au froid des hauteurs. Et vient
le jour où il prend le train à la gare de Lyon pour les
Alpes. Nous sommes ici dans la phase de réalisation
concrète de la randonnée, assimilable au Ciel Postérieur
ou au Conscient. Si le jeune homme va jusqu’au bout de
son voyage et conduit sa randonnée à son terme, il aura
réalisé son envie et aura ressenti la satisfaction, le
bonheur d’avoir pu le faire grâce aux choix faits pour la
réaliser. Si en revanche, pendant le voyage en TGV, le
jeune homme rencontre une charmante jeune fille avec
laquelle il sympathise et qu’il décide de la suivre jusqu’à
sa destination à elle, il ne va pas réaliser son projet tel
qu’il l’avait préparé. Il n’aura pas le bonheur « attendu »
que la randonnée aurait pu lui procurer. Cependant il
pense, semble-t-il, le remplacer par un autre bonheur.
Mais si la jeune fille se rend sur la Côte d’Azur pour
bronzer sur une plage, le jeune homme, avec son anorak,
ses pantalons en gros velours et son sac à dos risque de
souffrir tant de la température que du ridicule. Le fait de
ne pas réaliser ce qu’il avait préparé, prévu, générera de
l’inconfort, de la tension. Bien sûr, me dira-t-on, le jeune
homme peut aller s’acheter un maillot de bain et des
vêtements plus adaptés. Certes vais-je répondre, mais
cela lui coûtera plus cher, au propre et au figuré,
illustrant par là l’idée du surcoût (tension, souffrance,
etc.) associable aux changements de cap entre les choix
du niveau Ciel Antérieur et les réalisations du Ciel
Postérieur.
Tout ce qui précède ne veut pas dire qu’il ne faille pas
changer de cap, ne pas saisir des opportunités dans la vie.
Si celles-ci correspondent aux choix de vie, elles
participeront au bonheur de l’individu. Le bien-être
ressenti et l’état de santé de l’individu viendront signer la
validité de ces nouveaux choix. Par conséquent, un
changement de cap peut être salutaire, à condition qu’il
soit en cohérence avec cette « légende personnelle » que
j’évoque dans Dis-moi où tu as mal, je te dirai pourquoi.
Il peut sembler difficile de savoir si l’on doit ou non
saisir certaines opportunités. Il suffit pourtant de faire
confiance à « ce qui sait en nous ». Les choix de vie sont
toujours portés par une sorte de certitude intérieure et
procurent du bonheur. « Je savais qu’il fallait que je fasse
cela ou que j’aille à cet endroit », etc. ai-je bien souvent
entendu dire par des patients. Alors que les choix qui
créent des distorsions avec le Chemin de vie sont plutôt
portés par des pulsions ou des envies à satisfaire
produites par le Moi et procurent seulement du plaisir.
Serait-ce là une définition possible du bonheur, ce Graal
insaisissable pour nos esprits occidentaux, que de dire
qu’il s’agit de l’état de cohérence entre ce que l’être fait
de sa vie et ses choix d’incarnation ?
Nous voyons en tout cas que, dans cette vision du
monde, les causes possibles de tension ou de souffrance
sont inhérentes aux principes mêmes de la manifestation
de la vie. Cela ne signifie pas que ces souffrances soient
obligatoires mais qu’elles sont toujours consécutives à
des « éloignements » du principe de vie. Et cette idée
n’est en rien moraliste ou destinée à prôner ou à défendre
des règles dogmatiques. Elle est simplement le fil de la
vision karmique qui considère qu’à chaque effet il y a
une cause et qu’à chaque cause est toujours associé un
effet. Toute attitude et tout comportement en cohérence
avec les grandes lois fondamentales de la vie dans notre
univers produiront un effet, une ou des conséquences
positives, favorables, agréables, confortables, etc. Toute
attitude ou comportement non cohérent produira une ou
des conséquences négatives, défavorables, désagréables,
inconfortables, etc. Cela ne sera en rien la sanction d’une
quelconque désobéissance à une règle ou la punition d’un
comportement inadéquat : il s’agira de la conséquence
directe d’une action. Prenons pour l’illustrer sans
ambiguïté une situation caricaturale. Un individu qui
pense pouvoir dépasser les lois naturelles en volant et qui
saute du haut d’une falaise va irrémédiablement s’écraser
au sol. Les multiples fractures qu’il aura ne seront en rien
une punition quelconque mais la conséquence directe
d’un acte en distorsion avec les lois de la pesanteur.
Cette précision est fondamentale car il peut être
tentant de voir derrière les souffrances des êtres humains
des punitions dues à des fautes commises. Certains
n’hésitent d’ailleurs pas à franchir le pas, alimentant ainsi
à nouveau la soumission par la peur. Cette vision
manichéenne est très occidentale et c’est elle qui a
souvent fait interpréter le concept karmique comme un
concept punitif. Dans la vision orientale du monde, les
choses sont à la fois plus simples et plus compliquées.
Elles sont articulées autour de la structure vibratoire de la
vie et de l’idée que soit l’être humain est en harmonie
avec ces structures (état d’équilibre et de santé), soit il est
en dysharmonie avec ces mêmes structures (état de
déséquilibre et de maladie).
L'ensemble du processus d’incarnation se déroule tout
au long de l’existence de l’être humain. La finalité est
pour lui d’aller au bout du chemin qu’il s’est choisi, de
réaliser son être en réalisant son chemin. Mais lorsqu’il
s’incarne, l’être humain ne le sait plus, l’oublie, en perd
conscience et tout le travail pour lui consiste à retrouver,
reconquérir cette mémoire perdue, celle de ses choix et
des moyens qu’il s’est donnés pour les réaliser. Cela se
déroule à l’identique de la vie du petit enfant qui naît
puis au fur et à mesure apprend la vie, structure sa
conscience et la développe de plus en plus pour
comprendre (théoriquement !) de plus en plus de choses
et mieux appréhender la vie.
Voyons maintenant justement de quelle façon se
construit ce petit être, non pas biologiquement mais
psychiquement parlant.
La vision de l’Orient
Selon les principes orientaux, nous avons au départ
une étincelle de vie, de conscience, à la fois brute et
élaborée, qui s’inscrit dans l’œuf humain (moment de la
conception). C'est le Chenn prénatal que j’ai déjà évoqué.
Puis cette conscience s’organise, se met en forme en
s’enrichissant. Cela commence dès la phase intra-utérine
où l’esprit, qui s’est incarné, déjà porteur de données qui
lui sont propres (les mémoires ancestrales des
Orientaux), enregistre toute une foule d’informations de
façon passive et dépendante du psychisme de la mère qui
porte l’enfant. Ces informations viennent enrichir l’esprit
de données qu’il ne peut encore analyser ou utiliser mais
qu’il engrange. C'est ici que viennent s'inscrire les
mémoires associées à la période intra-utérine que j’ai
évoquée précédemment4.
Arrive ensuite le moment de la naissance et de la
coupure du cordon. Nous sommes au moment où le
Chenn individuel, l’esprit individuel, s’autonomise. La
coupure du cordon « dissocie » l’enfant de sa mère, dont
il ne dépend plus sur aucun point (pensée, nourriture,
immunité, oxygène). Il doit apprendre à ressentir,
analyser, exprimer, percevoir, etc. petit à petit par lui-
même. Chaque phase de construction physique
correspond et est associée à une phase de construction
psychique, et ce depuis la vie intra-utérine. Dans cette
logique, chaque organe, chaque système organique est le
support, le siège et en même temps la manifestation d’un
pan du psychisme. Le corps est le support, le véhicule de
l’esprit. Il dépend donc de lui mais en même temps, sans
lui le psychisme n’existerait pas dans la mesure où il ne
pourrait pas se manifester.
Cette idée est développée en Médecine Traditionnelle
Chinoise sous le concept d’« entités viscérales »,
appelées également « psychés organiques5», et c’est une
dimension théorique fondamentale de cette médecine. Il
montre que, plus de quinze siècles avant Freud, existait
une théorie de l’inconscient et des structures psychiques
qui constituent un être. C'est sur cette théorie que je me
suis appuyé pour développer le concept de la Psycho-
énergétique6, que l’on peut résumer simplement à travers
un principe majeur : à chaque fonction organique est
associée une fonction psychique dont elle est la
projection.
On peut illustrer cela très simplement avec l’exemple
d’un organe, le gros intestin. Sur le plan physique et
schématiquement, le gros intestin nous sert à évacuer les
matières organiques, c’est-à-dire ce que nous avons
ingéré, digéré et dont nous avons « décidé » de ne pas
nous nourrir (ce qui n’a pas passé la barrière de l’intestin
grêle pour pénétrer dans le sang). La Psycho-énergétique
nous propose de penser qu’il y a un pan du psychisme
qui joue le même rôle et qui s’appuie sur la même
énergie. Ce pan du psychisme est celui qui nous sert à
évacuer ce que nous avons ingéré sur le plan psychique
(les vécus, les expériences, les traumatismes
émotionnels, etc.), que nous avons digéré sur le plan
psychique (pour lesquels il y a eu une réflexion, une
maturation) et dont nous avons décidé de ne pas nous
nourrir psychiquement (que nous n’allons pas garder
dans nos mémoires émotionnelles).
Il en est de même pour tous les organes et toutes les
fonctions organiques qui sont ainsi associées à des
fonctions psychiques, dont elles dépendent mais qui ont
besoin du support organique pour pouvoir exister,
s’exprimer. C'est ce concept qui permet de comprendre
pourquoi on considère, en médecine énergétique, que :
– toute perturbation de la fonction organique, si elle
est importante ou dure dans le temps, finira par avoir une
conséquence sur le pan du psychisme qui lui est associé ;
– toute perturbation de la fonction psychique, si elle
est importante ou dure dans le temps, finira par avoir une
conséquence sur la fonction organique qui lui est
associée et ce dans la mesure où elles dépendent de la
même énergie (connue et utilisée en acupuncture par
exemple).
Soyons simples à nouveau dans le propos explicatif :
ce qui précède peut s’illustrer avec la période de
« déprime » que connaissent certaines femmes lors de
phases particulières de leur cycle menstruel (le
déséquilibre organique a une conséquence psychique) ou
bien avec les cas d’infarctus consécutifs à une émotion
intense, violente (le déséquilibre émotionnel a une
conséquence physique).
Tout au long de sa vie, l’être humain suit donc un
processus de construction lors duquel chaque pan de lui-
même se nourrit physiquement et également
psychiquement. Ainsi que nous venons de le voir, cette
construction n’est pas dissociée. La façon dont l’être
humain nourrit (et construit) son corps est au contraire
intimement liée et interreliée à la façon dont il nourrit (et
construit) son esprit. Ce sont en effet nos pulsions
inconscientes, nos besoins et nos peurs, nos recherches
de compensation, etc. qui dictent ce dont nous avons
envie sur le plan nourriture. Les saveurs que nous
recherchons et l’ensemble de nos comportements
alimentaires sont la signature de nos besoins intérieurs et,
dans le même temps, induisent, fixent, aggravent ces
besoins.
Nous retrouvons ici à nouveau ces racines qui peuvent
être celles de la santé comme celles de la maladie. C'est
d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles, dans la MTC,
la diététique est considérée à la fois comme le premier
outil de préservation de l’état de santé et comme un
traitement, que ce soit pour des troubles physiques ou
psychiques. Les anciens médecins chinois (et encore
actuellement certains d’entre eux) prescrivaient des
menus que leurs patients allaient consommer dans des
restaurants appropriés. C'est également pour cette raison
que, dans les restaurants chinois, les plats présentés sur
les menus comportent toujours l’indication de leur saveur
(sauce aigre-douce, piquante, amère, etc.). À travers
elles, la plupart des Chinois savent encore gérer une
« automédication alimentaire » étonnamment efficace.
Grâce à tous ces éléments nous voyons combien, dans
la culture orientale, il est implicitement et explicitement
admis, sans même avoir besoin de philosopher sur le
sujet, que la construction de l’être se fait en résonance et
en interaction permanentes avec le biotope dans lequel il
évolue. L'esprit individuel, le Chenn, s’incarne et
s’appuie sur une réalité physique et se manifeste à travers
elle. C'est cette réalité physique qui lui permet de se
confronter au réel. En retour, les informations perçues de
ce réel vont venir enrichir l’esprit et le faire évoluer.
Cette évolution va générer une mise en rapport avec ce
même réel, mise en rapport qui va elle-même évoluer
dans une sorte de continuum permanent et interagissant,
etc. Ce processus continuel, immuable, de désir d’action,
puis d’action, puis de feed-back, de « retour sur action »
par le résultat obtenu, d’intégration de ce feed-back et
enfin d’adaptation de la prochaine action en fonction de
l’expérience engrangée est le processus même de la
construction de l’être. À partir de déterminismes de base
et en éveillant sa capacité d’écoute et de synthèse des
informations, l’être progresse, se construit en élaborant
d’autres déterminismes, plus larges, plus adaptés à sa
dimension. Nous sommes là dans un processus
équivalant à la mue des insectes qui changent de peau
chaque fois que lors de leur croissance celle-ci est
devenue trop étroite. Bien entendu, la croissance de l’être
présente de multiples phases inconfortables, à l’identique
du processus de mue. Il y a en effet une phase très
insécurisante, lorsque l’insecte vient de quitter son
ancienne peau devenue trop étroite et que la nouvelle
n’est pas encore assez dure pour le protéger
suffisamment : il se sent fragile. La croissance de l’être
passe également par des phases lors desquelles
l’évolution de la conscience conduit à des nécessités de
changement qui ne sont pas toujours confortables.
Lorsque l’individu, confronté à ces nécessités, recule,
résiste à ces évolutions, il s’oppose au mouvement
énergétique et bloque la circulation de la vie en lui. La
philosophie traditionnelle orientale nous dit qu’il s’agit là
de l’une des manières par lesquelles l’être humain crée la
souffrance dans sa vie. Nous allons voir qu’il en est, avec
d’autres mots, strictement de même dans la vision
occidentale.
La vision de l’Occident
Selon les principes occidentaux, la construction de
l’être se fait aussi par la rencontre avec le réel. Le
principe éducatif, l’éducation familiale et scolaire sont à
première vue des moyens et des méthodes de
construction efficaces. Ces moyens ne sont cependant pas
suffisants car ils ne construisent pas réellement l’être
mais plutôt formatent (mettent en forme) son rapport à la
société, au groupe, en élaborant sa censure, son Surmoi.
Si cela est nécessaire (nous vivrions sans ce Surmoi dans
un monde purement animal et pulsionnel), cela n’est pas
suffisant pour construire l’être. Nous pouvons même
envisager que cela soit parfois « contre-productif ».
Nous avons vu dans le chapitre sur les champs de
conscience que la structure psychique d’un être humain
n’est pas « monobloc » mais composée de différentes
sous-structures, sortes de petits Moi intérieurs. Nous
avons vu par exemple que certaines de ces structures ont
été définies comme le Surmoi, le Moi, le Soi. Il s’avère
que chacune d’entre elles a une place bien définie, un
rôle bien spécifique à jouer, essentiel dans la construction
de l’être.
Le principe de l’iceberg. La première analyse
concerne le conscient et l’inconscient ou ce que nous
avons qualifié de champ de conscience et de champ de
non-conscience. De même que notre « science » ne
considère que ce qui est manifesté, visible, objectivable,
la culture générale de notre société considère que le plan
le plus important est celui du conscient. Il en est ainsi
sans doute parce que ce plan est celui dans lequel nous
pensons, réfléchissons et agissons consciemment. Or les
travaux de Freud puis de C.G. Jung et de tous les autres
défricheurs de la psyché humainse démontrent qu’il n’en
est rien et que la part la plus puissante, la plus agissante,
est celle de l’inconscient. On peut illustrer cela de façon
très explicite avec l’exemple d’un iceberg.
Le conscient peut être assimilé à la face visible de
l’iceberg, à ce qui émerge à la lumière, au jour.
L'inconscient, quant à lui, peut être assimilé à la face non
visible de l’iceberg, sa partie immergée, dans les
profondeurs, dans l’obscurité. Ce que l’on peut constater,
c’est que la face visible de l’iceberg ne représente que 10
% de la masse et la face cachée 90 %. Pour continuer
dans notre analogie, on peut estimer qu’il en est de même
pour le conscient et le non-conscient, en termes de
proportions.
Cette illustration nous permet d’envisager que dans le
rapport de masse, de présence et de puissance, le
conscient est bien moins important que le non-conscient.
Seulement, comme ce dernier est « invisible », on
l’oublie, on l’ignore bien souvent, on le sous-estime car,
ainsi que je l’évoquais dans le chapitre sur les temps
barbares, comme le dit Julien Green, « la grande faute de
l’Occident est la négation de l’invisible ».
Mais avant d’aller plus loin, il me semble important de
définir les deux concepts sur lesquels nous allons
continuer de nous appuyer, le Moi et le Soi.
Le Moi et le Soi. Ainsi que nous l’avons vu
précédemment à propos de la théorie des champs de
conscience, le Moi et le Soi sont représentatifs de
niveaux très différents de la structure psychique d’un
individu. Du fait de cette différence, leurs attentes et leur
représentation du monde sont elles aussi très différentes.
Le Moi est principalement à la base de deux regards
sur la vie, à la fois un regard très manichéen qui se
positionne en termes de territoire et d’individualité et en
même temps un regard qui recherche le confort et la
facilité. Cela implique une tendance constante à
rechercher les situations ou les moyens satisfaisant ces
deux attentes. Le Moi ne comprend pas la frustration,
l’échec, le manque, la soumission ou les contraintes. Il
recherche la satisfaction de l’instant et tous les signaux
lui montrant qu’il a raison ou qu’il est fort. Cette attitude
d’« enfant gâté » le rend parfois difficile et conflictuel. Il
est incapable d’accepter une vision subtile des
interactions de la vie et du fait que parfois « les voies du
Seigneur soient impénétrables », c’est-à-dire difficiles à
comprendre dans l’instant.
Ce sont ces caractéristiques, apparemment négatives,
qui lui donnent la capacité à se confronter au réel et à
l’organiser afin de le rendre plus directement
« confortable » ; en cela, le Moi est essentiel en tant
qu’interface. Il sait lutter contre les oppositions ou les
difficultés. Le Moi fonctionne pour ce faire à l’état de
veille et donc à l’état conscient. Il ne comprend pas les
états de non-veille et de non-conscience qui lui
échappent, au point qu’il peut parfois empêcher le
sommeil, par peur de perdre la maîtrise des choses.
Le Soi a, quant à lui, plutôt un regard large sur la vie
et le monde, un regard vaste tant sur les plans spatial que
temporel. Il ne connaît pas de limites, ni dans le temps ni
dans l’espace. Il n’est de ce fait, à l’inverse du Moi, ni
impatient, ni possessif, ni conflictuel. Il participe du
champ de non-conscience supérieur qu’il nourrit et dont
il se nourrit. Il a accès aux dimensions de l’inconscient
collectif et c’est par lui que l’être humain accède à la
synchronicité. Les attentes du Soi sont celles de la
réalisation de soi. L'acceptation des règles et des jeux de
la vie lui donne une confiance totale dans celle-ci et la
connaissance qu’il a des attentes profondes de l’individu
lui confère une force inébranlable. Il sait accepter
l’inconvénient de l’instant si celui-ci s’inscrit dans une
croissance de l’être. Il ne lutte pas mais s’inscrit plutôt
dans les flux de la vie et dans ses potentialités. Cette
attitude de « sage » en fait une interface privilégiée avec
les dimensions élevées de l’être et de l’âme.
Ce sont ces caractéristiques, plutôt positives, qui lui
rendent le rapport direct au réel difficile car il n’a pas la
structure bipolaire indispensable pour cela. Son interface
avec le réel est le Moi.
La relation entre le Soi et le Moi peut parfois être
difficile, voire conflictuelle. Il est cependant essentiel de
comprendre que le Soi sera toujours « gagnant » car il
appartient aux dimensions de l’inconscient et fonctionne
en permanence. Il est par conséquent toujours nécessaire
d’intégrer au travail mené lors d’une relation
thérapeutique une certaine dimension, celle du sens.
Élargir le débat et le propos est un principe fondamental
car cela entrouvre la porte au Soi et à son implication
dans le travail qui doit s’effectuer.
L'imposture du Moi, l’horizontalité et la
verticalité. C'est ici que se trouve l’impasse majeure de
la construction des êtres, que je qualifie d’« imposture du
conscient et du Moi », dans laquelle nombre d’entre nous
se fourvoient. En effet, ce qui est en prise avec le
conscient, c’est le pan du psychisme que l’on appelle le
Moi ou l’Ego.
Le mot « imposture » peut sembler excessif mais il est
pourtant approprié. La définition du mot, selon le Petit
Larousse, est : « Action, procédé de quelqu’un qui
cherche à tromper par de fausses apparences ou des
affirmations mensongères, notamment en usurpant une
qualité, un titre, une identité, ou en présentant une œuvre
pour ce qu’elle n’est pas. » Nous sommes en plein dans
le sujet. Car le Moi, parce qu’on le lui a laissé croire,
prétend être ce qui dirige en nous et être seul aux
commandes. Il se trompe mais ne peut pas accepter de le
reconnaître.
C'est le Moi qui organise le conscient et gère la prise
directe avec le réel, avec le monde matériel et les autres.
Il organise et fonctionne dans l’« horizontalité », la
« verticalité » étant gérée par le Soi. Précisons un peu ces
deux notions.
L'horizontalité représente tout ce qui touche au monde
matériel, manifesté, tant en ce qui concerne les choses
que les idées. Par conséquent, tout ce qui est matériel
(objets, biens, corps physique, etc.) mais aussi toutes les
idées, pensées ou activités qui concernent cette
matérialité (préoccupations matérielles, professionnelles,
envies, jalousies, besoins de posséder, etc.) appartiennent
à cette dimension de l’horizontalité. Nous sommes là
dans le plan dans lequel l’homme se réalise
matériellement parlant, celui de la réussite sociale ou
professionnelle. C'est le monde du « faire », de « l’agir »,
de « l’avoir ». Le sol est la représentation première de
l’horizontalité. C'est là que l’homme se couche, à
l’horizontale, pour reposer son enveloppe physique ou
lorsque celle-ci meurt, c’est ce vers quoi descend tout ce
qui est lourd et dense. Le Moi excelle dans la gestion et
la maîtrise de cette dimension. C'est son domaine et son
utilité est indéniable.
À l’inverse, la verticalité symbolise tout ce qui a trait
au monde de l’élévation, de la spiritualité et de
l’invisible. Tout ce qui concerne les dimensions élevées
de l’homme (foi, croyances, finalité, devenir, etc.)
appartient au monde de la verticalité. Elle est ce qui fait
qu’il se tient debout avec les pieds sur le sol
(horizontalité), certes, mais avec la tête vers le ciel
(verticalité). Le ciel est la représentation première de
cette verticalité. C'est ce vers quoi monte tout ce qui est
élevé et léger, où l’esprit de l’homme s’envole lorsqu’il
quitte son corps physique. C'est enfin le monde du « non-
faire », du « non-agir », de « l’être ». Cette dimension
verticale est gérée et maîtrisée par le Soi. Elle est, à
l’instar de la face cachée de l’iceberg, invisible et
cependant fondamentale. Elle est pourtant peu valorisée
voire crainte dans nos sociétés occidentales articulées
autour du « faire » et de « l’avoir ».
Parce qu’elles sont principalement intéressées par la
dimension matérielle, horizontale, les sociétés dites
« rationnelles » éduquent plutôt le Moi puisqu’elles
considèrent que c’est ce qui importe. Seulement se crée
ainsi la croyance illusoire que c’est lui qui dirige,
commande en nous. Parce qu’il s’agit de la dimension
qui gère le volontaire, nous avons l’illusion de penser que
tout dépend de lui dans notre rapport au monde. Or
l’image de l’iceberg nous montre combien cela est vain.
L'imposture se situe ici car le Moi, qui a pris le pouvoir
(et à qui on l’a cédé) dans la construction de l’être n’est
et ne devrait être qu’un exécutant, un « lieu tenant ».
C'est un « enfant roi » qui sait vite devenir un « tenant
lieu », un despote dont les préoccupations ne sont pas
évolutives mais conservatrices. Pour le comprendre, il
faut bien saisir les différences essentielles qui existent
entre le Moi (conscient) et le Soi (inconscient) que j’ai
évoquées précédemment.
Revenons à la construction de l’être. Les structures
psychiques de l’être humain s’activent dès la conception,
à l’instar de ce que les fondamentaux de la pensée
orientale considèrent. Tout au long de la phase intra-
utérine, l’esprit fœtal enregistre les informations, les
vécus et les contraintes. Cela se fait principalement à
travers le psychisme de la mère et indéniablement les
informations passent. Toutes celles et ceux qui ont eu
l’occasion de pratiquer certaines techniques (comme les
régressions par exemple) permettant d’aller « contacter »
des mémoires datant de cette période de la vie ont pu
constater, avec stupeur, la précision parfois incroyable
des souvenirs. Mais toute cette phase et cette mémoire
sont inconscientes. Ensuite, au moment de la naissance et
de la coupure du cordon, le conscient s’active (à l’instar
du Chenn oriental dont nous avons déjà parlé). Cette
activation est progressive, une grande partie des premiers
moments de vie d’un bébé étant consacrés au sommeil, à
la dominance temporelle de l’inconscient. Le bébé a très
peu de conscience du réel et du monde extérieur. Ce n’est
que petit à petit qu’il développe cette conscience
consciente du monde qui l’entoure, accompagnant cette
progression de phases d’état de veille de plus en plus
nombreuses et longues.
Lors de ces phases, son conscient et son Moi
s’approprient progressivement le réel, le visible. Ils
s’organisent et se structurent ainsi, petit à petit. Les
ressentis, les expériences, les autres vont « éduquer » ce
Moi, lui donner des cadres de référence qu’il va lui-
même organiser en croyances, abandonnant
progressivement le contact avec ces champs
« nocturnes » intérieurs qui ont pourtant nourri sa
première conscience.
C'est ici que l’être humain, s’il n’y prend pas garde,
commence à entrer, voire à être pris dans le piège de
l’illusion phénoménale. L'imposture du Moi se met ainsi
en place. Progressivement, le Moi (le conscient) et les
sens, qui sont ses outils de perception, deviennent des
raisons d’être. Ceux qui devraient être des moyens
d’appropriation du réel se transforment en finalités. Les
« lieu tenants » deviennent des « tenants lieu ». Ce que
perçoivent les sens, ce ne sont plus des informations mais
une valeur en soi et c’est ici que s’inscrit la rupture avec
le principe de vie, celui de la construction d’un être et de
l’expansion de sa conscience. Car le processus de
construction doit se faire grâce aux éléments et
informations qui nous parviennent de l’extérieur et non à
cause d’eux ou pour eux. L'extérieur ne doit pas être une
finalité. Il doit rester ce qu’il est censé être : un moyen.
Ce n’est pas ce que le Moi est capable de faire du monde
réel qui construit l’être mais c’est ce que le monde réel
fait du Moi. Nous tombons sinon malheureusement dans
une inversion des pouvoirs (l’imposture du Moi) dans
laquelle le réel (à travers ce qu’il renvoie) est devenu une
sanction ou un but, alors qu’il ne devrait être qu’une
information.
Le propos de Marsile Ficin, savant et philosophe
florentin du XIVe siècle, dans son ouvrage : Quid sit
lumen. Ce qu’est la lumière dans le corps du monde,
dans l’âme, dans l’Ange et en Dieu, exprime clairement
quelle doit être la juste place des sens : « Donc
instruisez-moi, ô mes sens, vous qui apprenez
d’innombrables choses sur presque tout ; instruisez-moi,
je vous prie, de ce qu’est la lumière. Et l’ouïe répond : Je
suis aérienne, il est suffisant que je t’instruise des sons
aériens. Et l’odorat répond : Quant à moi, à plus forte
raison ne suis-je pas lumineux, mais vaporeux : apprends
de moi les vapeurs. Pourquoi me demander ce qui m’est
étranger ? dit le goût. Je baigne dans l’élément liquide et
te renseigne sur les liquides. Ne cherche pas, dit le
toucher, à tirer de moi ce que je ne puis te donner : je ne
suis que corporel, et je t’instruis du corporel. Cherche
plus haut la lumière. » Nous retrouvons ici les principes
évoqués précédemment replaçant les sens comme des
outils d’information et la frustration comme un outil
d’évolution.
Il en est de même pour la maladie ou les
traumatismes. Ce sont des informations et les rejeter ou
les faire taire inconsidérément serait faire preuve
d’autisme. Ces signaux symboliques sont essentiels. Ils
sont trop souvent rejetés par le conscient et le Moi parce
qu’ils sont inconfortables. Mais, ainsi que le disait Jung,
« les symboles qui ne sont pas compris deviennent des
symptômes ». Il est tout de même très étonnant qu’une
culture qui prône le culte du corps, et notamment la
pratique physique afin de maintenir ce corps en bonne
santé, conçoive que cela provoque des courbatures sans
concevoir qu’il puisse en être de même pour l’esprit. Il
est évident que la construction de l’être génère des
« courbatures psychiques ».
Lorsque l’être humain comprend et accepte cette
réalité, il retrouve son essence et devient capable de
dépasser la personnalité « illusoire » qui est la sienne. Il
devient capable d’aller au-delà du miroir, en re-
connaissant son trait psychique dominant et en renouant
un lien de communication avec son inconscient, son Soi.
Nous arrivons là au niveau de la réalisation de l’être, ce
que Jung qualifiait de « principe d’individuation ». C'est
ici que la notion de paix, que nous évoquerons plus loin,
va venir s’inscrire.
Le principe d’incertitude et le lâcher-prise.
Seulement toute cette nécessité du processus de
construction de l’être est difficile parce qu’insécurisante.
Il faut, comme en physique quantique, accepter un
« principe d’incertitude » pour laisser au Soi, à ce qui au
plus profond de nous connaît le chemin, de temps en
temps les commandes. Or le Moi est insécure. Il a besoin
de certitudes, de preuves, de reproductibilité. Il a horreur
de l’incertitude, de risquer de se tromper. Il ne fait pas
confiance à la Vie. Notre Tradition nous le dit
notamment dans les Évangiles. C'est ce que Matthieu
nous rapporte à travers cette parabole du Christ : « Ne
vous inquiétez pas, pour votre vie, de ce que vous
mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez.
Regardez les oiseaux dans le ciel : ils ne sèment ni ne
moissonnent et ils n’amassent rien dans des greniers. Et
votre Père les nourrit ! Qui de vous peut par son
inquiétude ajouter une coudée à la durée de sa vie ? Ne
vous inquiétez pas du lendemain car le lendemain aura
soin de lui-même. À chaque jour suffit sa peine. » « Gens
de peu de foi », était sa conclusion. Et c’est ce que nous
sommes !
Pourtant, de quoi manquons-nous fondamentalement
dans nos quotidiens nantis occidentaux ? En tout cas le
Moi freine, refuse autant que faire se peut, ce travail. Il a
de la peine à lâcher les commandes parce qu’il croit que
c’est à lui de décider. Or il en est comme dans un taxi :
c’est le passager (le Soi) qui connaît la destination et
choisit l’itinéraire, même si certains chauffeurs (le Moi)
n’aiment pas que ce soit le passager qui le décide.
Dans cette conceptualisation occidentale de la
construction de l’être, nous retrouvons l’idée, déjà
évoquée dans la conceptualisation orientale, selon
laquelle, chaque fois que nous nous opposons à la libre
circulation du Principe de Vie, de réalisation de l’être,
cela génère un blocage de cette vie. Le Principe de Vie
finira toujours par s’exprimer et générer un inconfort
certain.
C'est ici que vient s’inscrire la fameuse et pourtant si
insaisissable notion de lâcher-prise. C'est également ici
qu’il devient possible de la définir. Le lâcher-prise est
malheureusement trop souvent confondu avec l’abandon.
Or ces deux notions sont totalement antinomiques. Le
lâcher-prise est tout sauf de l’abandon (sauf peut-être
pour le Moi !). Il est actif sans être ni en opposition ni en
lutte. Le sens du lâcher-prise réside dans l’acceptation de
lois ou de causalités qui échappent au Moi, au conscient,
au volontaire. Il signe et dépend de notre capacité à ne
pas tout gérer ou maîtriser dans l’instant. Il ne peut
exister sans que nous acceptions l’incertitude, celle que
notre Moi tente désespérément et en permanence
d’éviter. C'est pour cela qu’il se traduit par « Inch allah »
ou « Que votre volonté soit faite », qui ne sont pas des
abdications mais des accueils pleins d’humilité de la
transcendance de la Vie. Le lâcher-prise, c’est finalement
l’humble renoncement du Moi, son juste
repositionnement de compétence et son acceptation de
déléguer au Soi la gestion de tout ce qui le dépasse (dans
tous les sens du terme). Le lâcher-prise reconnecte avec
la vie et libère tous les possibles. Celle-ci peut alors
redevenir ce qu’elle est naturellement, riche, généreuse et
créatrice. Combien de personnes l’ont vécu lorsque,
arrivées au bout de la lutte, elles ont « lâché ». Quasi
miraculeusement, les situations se sont débloquées, des
opportunités sont apparues.
Exemplarité ? Nos principes éducatifs survalorisent
malheureusement la rationalité phénoménale qui maîtrise
le visible et oublient l’exemplarité. Ce faisant, ils
permettent au Moi de devenir cet imposteur dont je
parlais précédemment. Ce petit despote a tout intérêt à
entretenir la croyance que « la vie c’est uniquement le
visible », un peu comme ce qu’illustrait Platon avec son
image de la caverne (des hommes, réfugiés dans une
caverne, ne voient de l’extérieur que les ombres de la vie
extérieure qui sont projetées sur les parois et croient que
c’est cela la réalité).
Un ami avec qui je déjeunais un jour me confiait qu’il
avait été très étonné de découvrir, dans la littérature
allemande du XVIIIe siècle, des écrits attirant l’attention
sur les risques de la pensée des « philosophes éclairés » –
si elle devenait toute-puissante, elle risquait de mettre en
péril la pensée qui gardait un lien avec l’invisible. Force
est de constater que c’est cette pensée, comme par hasard
très prisée des despotes éclairés (des petits Moi en même
temps que des petits rois ?), qui a construit les bases de la
pensée du XIXe siècle. Or ce siècle a été celui de la
rationalité toute-puissante, du début de l’ère industrielle
et matérialiste et de la négation de l’invisible.
Le même phénomène s’est reproduit avec
l’émergence, au cours du XXe siècle, de la pensée
existentialiste qui a édifié à son tour les fondements de la
culture des sens et de leur satisfaction et a prôné le rejet
de l’invisible. Il est fort dommageable qu’une époque
comme l’après-guerre, porteuse d’autant d’espoir dans
l’humain, ait en même temps accouché d’une philosophie
aussi nihiliste au point qu’elle se reconnaissait dans cette
phrase célèbre : « L'enfer c’est les autres. » Derrière cette
phrase transparaît la prévalence du Moi. Elle exprime à la
fois le rejet de la responsabilité de ce que l’on vit sur les
autres (voir l’évocation faite précédemment de l’histoire
d’Adam et Ève) et à la fois combien la relation
« horizontale » au monde et aux autres est porteuse de
lutte, de rejet voire de guerre. Éduquer le Moi perpétue
ce rapport à la vie. Mais à nouveau, tout cela est illusoire,
car le Moi et le conscient ne comprennent et
« n’entendent » que ce qu’ils connaissent déjà. Je
répondis d’ailleurs à cet ami que finalement, « nous nous
comportons effectivement comme cet homme qui a perdu
ses clés dans la nuit et cherche au pied du lampadaire,
parce que là au moins il voit clair ». Certes, mais ce n’est
pas là qu’il pourra retrouver ses clés.
Le premier travail de construction de l’être consiste
donc à replacer le Moi à sa juste place. Au-delà de
l’éducation telle qu’elle est faite dans nos sociétés et qui
éduque le Moi, il est nécessaire de revenir à ce qui
éduque le Soi, c’est-à-dire l’exemplarité. En effet, ce qui
est montré imprègne l’inconscient et va nourrir les strates
« imagées » de l’inconscient, alors que ce qui est dit,
démontré ou asséné nourrit les strates rationnelles du
conscient en le rassurant.
Nous pouvons illustrer cela en relatant ce que le Pr
Méharabian a découvert au cours de ses recherches
portant sur « la communication, la compréhension et
l’intégration des messages ». Son équipe a constaté que
toute communication est vectorisée à travers trois
composantes : les mots, l’intonation et la gestuelle. Après
de nombreuses études, ces chercheurs ont pu établir de
façon incontestable que dans toute situation de
communication, la compréhension du message dépend
pour :
– 7 % des mots employés (c’est ce que le conscient
comprend) ;
– 38 % de l’intonation (c’est ce que l’inconscient
comprend) ;
– 55 % de la gestuelle (c’est aussi ce que l’inconscient
comprend).
On peut constater à travers ces chiffres que, dans la
relation de communication, le plus signifiant n’est pas le
verbal (qui ne représente que 7 % de ce qui est compris)
mais le non-verbal (qui représente 93 % de ce qui est
« compris »). Un deuxième élément majeur ressort de
cette étude, à savoir que ce qui est mémorisé de la
relation n’est pas ce qui est consciemment perçu mais
plutôt la cohérence du message. Lorsqu’il y a distorsion
entre ce qui est dit et le non-verbal, le message qui est
perçu et mémorisé est celui qui est le plus signifiant des
trois niveaux, c’est-à-dire celui de la gestuelle. C'est lui
qui laisse la « trace prioritaire ». On peut illustrer cela par
la poignée de main. Si au moment de la poignée de main,
on dit à quelqu’un qu’on est ravi de le rencontrer et que
l’on espère faire de grandes choses avec lui tout en lui
écrasant cette main, il y a distorsion. Ce que l’autre
retient, c’est : « Je vais t’écraser. » Ces informations sont
totalement en cohérence avec les proportions
conscient/non conscient, telles que nous les avons
illustrées avec l’iceberg.
Cette étude donne profondément à réfléchir. Elle
démontre à sa manière combien les distorsions entre le
visible et l’invisible, le conscient et le non-conscient sont
porteuses de tensions. Ce constat rejoint totalement l’idée
proposée par la philosophie karmique, que nous avons
déjà évoquée, selon laquelle les bases de la souffrance
résident dans les distorsions existant entre les deux plans
de la vie que sont le Ciel Antérieur et le Ciel Postérieur
et, par résonance, entre le non-conscient et le conscient.
Cette étude laisse enfin apparaître une nouvelle
origine aux tensions et souffrances des individus. Ce que
perçoit un être humain, d’abord et avant tout, c’est le
non-verbal, les attitudes et le comportement plutôt que
les mots. Or quel exemple montrons-nous, tout en tenant
des discours de morale, de transparence et de justice ?
Quelle image donnons-nous par nos comportements
quotidiens aux enfants, qui dans le silence de leur
inconscient enregistrent nos errances ? Que croyons-nous
leur apprendre, par exemple, en organisant voire en
institutionnalisant les rave-parties et en tentant d’interdire
ou en diabolisant les médecines douces ou le
développement personnel, et ce exactement pour les
mêmes raisons ou prétextes : elles attirent de plus en plus
de monde mais présentent des risques ? Que leur
montrons-nous à travers tous nos comportements
quotidiens qui participent des temps barbares évoqués au
début de ce livre ? Que croyons-nous qu’ils apprennent
en voyant les « adultes » prôner des valeurs qu’ils ne
s’appliquent pas à eux-mêmes ? Confucius disait :
« L’homme de peu considère un peu de bien comme sans
valeur, et il ne le fait point, et il considère un peu de mal
comme n’étant pas nuisible, et il ne l’évite pas. » Est-ce
cela qu’il faut montrer aux enfants ?
Je ne résiste pas au plaisir de vous confier un texte qui
m’est parvenu un jour par la grâce d’une personne
rencontrée sur le Chemin de la Vie. Je remercie son
auteur, Dorothy Law Nolte, car elle a su mettre en mots
ce qui construit un être, ce qui l’élève dans tous les sens
du terme.
La vision de l’Orient
Selon le principe karmique, les bases de la souffrance
résident dans les distorsions qui émergent entre ce que le
Chenn Prénatal a choisi dans le Ciel Antérieur et ce qu’il
réalise dans le Ciel Postérieur. Ces distorsions génèrent
alors la tension ou le conflit intérieur qui peut conduire à
la maladie ou au traumatisme. À l’identique, lorsque
l’être humain se comporte dans le plan conscient de
façon déséquilibrée par rapport à ce qui a été élaboré
dans le plan inconscient, apparaît la tension ou la
maladie. J’ai déjà évoqué cette idée dans le chapitre sur
la construction de l’être et également dans Dis-moi où tu
as mal, je te dirai pourquoi. Lorsque le cocher (le
conscient, le Moi) conduit la calèche dans une mauvaise
direction, ou bien de façon inconfortable, le passager
(l’inconscient, le Maître Intérieur, le Soi) va devoir
réagir. Il le fait de façon adaptée et tente bien souvent
d’envoyer des messages, des signaux. Mais il arrive
fréquemment que le cocher, parce qu’il est assoupi,
enivré ou qu’il fait trop de bruit en allant trop vite,
n’entende pas. Le passager n’a d’autre alternative que de
mettre la calèche en panne. Mais il semble que le cocher
entende parfois le message et, malgré cela, ne change pas
sa façon de conduire. On peut ici aussi amener la
comparaison avec ce qui se passe parfois dans un taxi
lorsque le chauffeur, persuadé que c’est lui qui connaît le
meilleur trajet, est mécontent de celui que vous proposez
voire ne le suit pas. Seulement, il ne sait pas quelles
peuvent être les raisons personnelles qui font que vous
avez envie ou besoin de passer par des rues qui sont
différentes de celles qu’il connaît, ou bien qui ne
correspondent pas au trajet le plus direct.
Les bases de la souffrance s’inscrivent ici. La
résistance, la surdité du cocher conduisent à la nécessité
d’un coup de théâtre. La tension énergétique liée à la
résistance, à la distorsion va avoir besoin de s’exprimer,
de s’expulser, de se manifester, sous peine de faire
imploser ce microcosme cohérent qu’est l’être humain.
Elle se manifeste alors sous forme de traumatisme ou de
maladie, gros consommateurs d’énergie qui vont
permettre cette évacuation.
C'est pour cette raison que dans les médecines
énergétiques (acupuncture, shiatsu, etc.), on ne lutte pas
(sauf état de crise dangereux) contre les symptômes.
Ceux-ci sont vus comme l’expression de la souffrance,
certes, mais surtout comme l’expression de la résistance
aux flux de vie, quelles qu’en soient les raisons. Ces
médecines cherchent donc principalement à rétablir ces
flux. C'est ici que s’inscrit l’intérêt supplémentaire
majeur de la Psycho-énergétique que j’ai élaborée car,
grâce au décodage qu’elle autorise, elle permet de donner
un sens à ce qui se joue. Ainsi, le message redevient
clair, le sens de la tension pouvant être élucidé à travers
ce langage incroyablement intelligent qu’est celui de
notre corps.
Dans cette lecture du monde, l’extérieur, le
phénoménal ne sont donc pas des causes à la souffrance
mais plutôt des facteurs facilitants ou aggravants. L'idée
est encore plus osée pour nous, Occidentaux, puisqu’il
est même envisagé que ces facteurs soient « choisis ». Le
contexte accidentel, l’aliment de mauvaise qualité ou le
microbe sont considérés comme des déclinaisons, certes
agissantes mais pas hasardeuses. Nous sommes,
inconsciemment, allés les chercher car ils sont alors pour
nous des moyens de fabriquer la souffrance qui va nous
obliger à entendre. Nous pouvons ainsi contraindre le
cocher à arrêter la calèche. Il est clair que cette vision est
difficilement acceptable dans notre culture de « hasard et
de nécessité » où l’invisible est absent. Nous allons voir à
travers la vision de notre Occident qu’elle est encore plus
difficile à accepter par notre Moi omnipotent.
Nous sommes ici dans une philosophie dans laquelle
l’extérieur n’est pas une réalité objective et manifestée
mais en permanence une interprétation. Les composantes
de la réalité matérielle ne sont qu’un décor dans lequel se
joue une pièce écrite et mise en scène par un passager et
dont le cocher n’est que l’acteur. Nous sommes là bien
loin de cet enfer que seraient les autres.
La vision de l’Occident
La vision que l’Occident nous propose n’est peut-être
pas aussi éloignée que cela de la vision orientale. Nous
avons évoqué dans le chapitre sur la construction de
l’être que la structure psychique d’un être humain se
décompose en deux plans principaux, le conscient et
l’inconscient. Le plan du conscient est le royaume du
Moi alors que celui de l’inconscient est celui du Soi.
Nous avons également vu que le Moi et le Soi ont des
visions et des attentes du monde certes complémentaires
mais inverses et que, dans notre culture occidentale, nous
sommes éduqués dans la prévalence du Moi. J’évoquais
en cela cette idée d’imposture du Moi qui est, à mon
sens, selon la référence psychologique, la base de la
souffrance.
Car, si le Moi a effectivement les commandes dans la
plupart des situations du plan conscient, un certain
nombre d’entre elles lui échappent (actes manqués). De
plus, il ne les a jamais pendant la phase nocturne lors de
laquelle l’inconscient règne en maître. Souvenons-nous
de l’image de l’iceberg et du rapport de puissance qu’il
illustre entre le conscient et l’inconscient. Seulement
voilà, ainsi que je l’indiquais précédemment, le Moi ne
peut reconnaître qu’il se trompe ou qu’il a eu tort. Il ne
peut accepter d’être pris en défaut. Comme le menteur ou
l’escroc, il est contraint à une stratégie de fuite en avant
épuisante parce que génératrice de tensions incroyables.
Tous les menteurs pris en flagrant délit avouent être
soulagés car ils finissaient par être épuisés par
l’hypervigilance et la justification permanentes dans
lesquelles la préservation du mensonge les avait conduits.
Voilà la base de la souffrance. Voilà où s’initient les
tensions, les malaises et les mal-être que nous avons tous
ressentis un jour, parce que nous savions parfaitement
que nous n’étions pas très « au clair » avec nous-mêmes.
En dehors de cette imposture du Moi, tout le reste
n’est que déclinaison et mise en scène. Car le Soi
reprendra les commandes en choisissant, à l’insu du Moi,
les circonstances et conditions de la reddition. C'est facile
pour lui car le Moi dort, débraie à certains moments,
même à l’état de veille. Tous ces moments sont autant de
failles du Moi autocrate dans lesquelles il devient
possible d’enfoncer des coins qui finiront par le
contraindre à reprendre sa juste place.
Tous ces jeux et processus sont inconscients et ne se
révèlent qu’à l’analyse ou dans des circonstances
particulières. Ils sont la signature de ce dramatique hiatus
intérieur par lequel nous avons malheureusement
tendance à penser qu’il y a un danger, un ennemi au fond
de nous. Il faut alors se protéger, fermer les cloisons
étanches, et pourtant cela n’a jamais empêché les joints
de finir par sauter un jour ou l’autre. La souffrance
commence ici, dans notre lutte désespérée pour nous
protéger d’un ennemi qui n’existe pas. Elle est sourde,
présente mais peu consciente et, si elle se manifeste un
peu trop, on cherche à la faire taire en étouffant ce qui
« remonte ». Cela se traduit souvent par la difficulté au
sommeil, signature de la peur du conscient de lâcher les
rênes. Les anxiolytiques, antidépresseurs, certes utiles
dans les pathologies graves ou en cas de crise, sont autant
de camisoles chimiques malheureusement destinées la
plupart du temps à nous éviter de ressentir, d’accepter ce
qui remonte du plus profond de nous. La souffrance
continue lorsque les joints lâchent (traumatisme,
maladie). Elle se décline enfin tout au long de la vie à
travers toutes les stratégies d’évitement que nous
élaborons, face à la souffrance venue de l’extérieur.
L'enfer serait-il les autres ? Notre souffrance serait-
elle due aux autres ? L'approche psychologique nous
permet d’envisager cela mais également d’élargir le
propos. Elle peut nous aider à comprendre que c’est notre
façon de percevoir le monde et les autres qui est sans
doute à la base de notre souffrance. Voyons cela en
reprenant notre image de l’iceberg et en l’élargissant à la
notion des types psychologiques.
Canaliser l’invisible
Heureusement, depuis un certain nombre d’années,
des scientifiques et des chercheurs de différents horizons
sont revenus vers cette recherche de la maîtrise de
l’invisible par la canalisation de la conscience et
l’établissement de rituels. Sophrologie, haptonomie,
autohypnose éricksonienne, méthode Feldenkrais, etc.
sont autant de recherches, principalement connues, au
départ, dans le monde du développement personnel, qui
entrent tout doucement dans la pratique médicale. Les
plus connues, même si ce ne sont pas les seules, sont
celles du cancérologue nord-américain Carl Simonton.
Ce médecin, aujourd’hui célèbre par ses travaux, avait
constaté l’importance du mental dans la guérison. Il ne
s’agissait pas pour lui d’une simple question de moral
chez le patient mais plutôt d’une sorte de synergie que
celui-ci était capable de générer entre son psychisme et
son corps souffrant. Simonton a alors élaboré une
technique de visualisation, faite d’exercices précis
(rituel) dans lesquels il conduisait le patient à aller
« rencontrer » son corps malade et plus précisément la
partie atteinte d’un cancer. Il conduisait grâce à ce travail
la conscience du patient vers une partie de lui-même dans
laquelle la vie était manifestement en tension, en
souffrance. Simonton fut très surpris des résultats ainsi
obtenus (améliorations nettes et guérisons totales), en
complément de la gestion médicale classique de la
maladie. Il fut suivi par d’autres cancérologues qui
sophistiquèrent la méthode. Le Dr Bernie Siegel, que j’ai
déjà cité, en fait partie. Malheureusement pour nous, tous
ces cancérologues sont aux États-Unis…
Ces techniques, basées sur les mêmes fondamentaux,
ont toutes le même objectif : canaliser l’invisible pour lui
permettre de restaurer les désordres du visible. Elles
fonctionnent et sont d’autant plus efficaces qu’elles
associent le champ essentiel de la restauration de
l’équilibre entre le conscient et le non-conscient. C'est le
cas par exemple d’une méthode élaborée par Marie Lise
Labonté, psychothérapeute canadienne, à la suite de sa
propre expérience personnelle3. Atteinte d’une
polyarthrite rhumatoïde grave pour laquelle elle avait été
« condamnée » à finir grabataire, elle sombra tout
d’abord dans un véritable état d’abandon. Arrivée au
bout de la souffrance, elle quitta l’état d’abandon pour
accepter un lâcher-prise total, tel que je l’ai évoqué
précédemment. Elle put ainsi accueillir la « révélation »
intuitive de l’importance des images intérieures. Elle
comprit combien les images de souffrance et de
destruction qu’elle portait en elle et contre lesquelles elle
luttait nourrissaient en fait sa maladie. Le Dr Bach
disait : « Lutter contre une faute développe son pouvoir.
Notre attention devient investie de sa présence et génère
une lutte à l’intérieur de nous… » La focalisation de sa
conscience, bien malgré elle, conduisait l’énergie de
souffrance vers les parties de son corps qui lui faisaient
mal et venait aggraver cette souffrance. Cette découverte
lui fit comprendre combien cette présence de la
conscience était importante. Mais elle comprit également
que ces images venaient de quelque part, du plus profond
d’elle-même. Elles étaient en elles-mêmes un langage,
celui de l’inconscient. Ce langage de souffrance était
celui d’une part d’elle-même, refoulée, enfouie, qui avait
souffert un jour mais n’avait pas pu l’exprimer. Cette
découverte, véritable révélation, lui permit de
comprendre qu’au lieu de refuser ces images, de
s’opposer à elles, il lui fallait bien au contraire les
accueillir, un peu comme le chagrin profond d’un enfant
triste. Ce ne fut pas facile. Je parlais précédemment de
renoncement. Ce fut pour elle, au-delà de cela, la peur,
l’incertitude et parfois le doute qui furent ses
compagnons de route. Mais ils ne lui firent jamais perdre
le cap car elle savait qu’elle avait fait le bon choix. La
guérison totale fut au bout, car les images de souffrance
se transformèrent progressivement et de plus en plus en
images de guérison.
Alors, bien sûr, nous sommes en plein miracle, diront
certains ! Tout dépend ce que l’on met derrière ce mot.
S'il s’agit de magique, certainement pas ! S'il s’agit d’un
processus, émanant de l’invisible, quel que soit le nom
qu’on lui donne, je crois que oui. Cela ne signifie pas que
ce processus soit inexplicable. Cela ne signifie pas non
plus qu’il n’ait pas des racines elles-mêmes
inexplicables. Ce qui s’est passé pour M.L. Labonté, et
beaucoup d’autres personnes, s’est produit à mon sens
grâce à la convergence de plusieurs facteurs. Le premier,
majeur, a été celui d’une essentielle réconciliation avec
Soi, nous aurons l’occasion de revenir sur cela plus loin.
Le deuxième facteur a été la capacité à accepter les
informations intuitives issues de l’invisible qui l’ont
amenée à élaborer un rituel de conduite de cet invisible.
Le troisième facteur a été la capacité, en s’appuyant sur
ce rituel, d’utiliser la conduite de la conscience vers les
zones de souffrance et de réinstaurer ainsi des flux de vie
qui s’étaient bloqués. L'ensemble a construit un placebo
salvateur.
En dehors de ce que le monde de la psychologie a
établi, et ce principalement grâce à C.G. Jung, il est
difficile de prouver et d’objectiver l’action et les
informations de l’invisible. Des outils existent, tels que
l’électrophotographie Kirlian, les tests de résistivité
musculaire de la kinésiologie, les techniques de prises de
pouls énergétiques de la Médecine Traditionnelle
Chinoise, etc., mais ils sont tous rejetés car considérés
comme non scientifiques dans le meilleur des cas ou
accusés d’être des outils de manipulation sectaire dans le
pire.
Il existe heureusement aujourd’hui des outils
scientifiques très précis et incontestables pour les esprits
les plus rationalistes. Ce sont ceux des neurosciences et
notamment la neuro-endocrino-immunologie, venues des
États-Unis et qui depuis quelques années se développent
en Europe. Nous les découvrirons plus loin.
1 Voir p. 184.
2 D’ailleurs, le mot « nef » est employé aussi bien pour un bateau que pour
une église.
3 Marie Lise Labonté, Nicolas Bornemisza, Se guérir grâce à ses images
intérieures, Albin Michel, 2006.
Esprit et psychologie
Le scaphandrier
Dans Dis-moi où tu as mal, je te dirai pourquoi, je
rapportais cette image de la calèche, issue de la tradition
orientale, pour illustrer l’avancée sur le Chemin de la
Vie. Je vous propose ici une autre image, personnelle, de
cette avancée, mais cette fois à travers les concepts de
corps, d’âme et d’esprit. Cette image est celle des anciens
scaphandriers qui, lorsqu’ils étaient en plongée,
dépendaient entièrement du long tuyau qui les reliait à la
surface et dans lequel une pompe insufflait de l’air.
Dans cette image, le scaphandrier représente l’être
humain et son corps physique. Ses sous-vêtements
symbolisent son Moi car ils collent à la peau, de même
que le Moi est collé à la réalité matérielle. Le scaphandre,
quant à lui, représente le Soi. C'est lui qui « contient »
l’air, c’est-à-dire la parcelle d’esprit propre à chaque
scaphandrier. Pour ce faire, il n’est pas collé au corps
mais au contraire ménage un espace où l’invisible peut
s’installer. Le tuyau par lequel l’air, envoyé par la
pompe, arrive dans le scaphandre, représente l’âme, ce fil
ténu par lequel l’esprit nourrit l’âme et le corps. La
surface et l’air ambiant, source de toute vie grâce à
l’oxygène, symbolisent l’esprit, source de toute vie dans
notre univers. La pompe à air enfin, machine par laquelle
l’air, pris dans l’atmosphère, est comprimé et propulsé
vers les profondeurs où se situe le scaphandre, représente
les choix d’incarnation. Ce sont en effet ces choix qui
« mettent en forme » la façon dont l’esprit s’incarne et le
propulsent dans le monde manifesté.
Alors qu’à la surface, l’atmosphère et le milieu aérien
sont « légers », à l’instar des dimensions du Ciel
Antérieur, le milieu aquatique est plus « lourd », plus
dense, plus contraignant, à l’instar du Ciel Postérieur. Il
présente de ce fait plus de résistance à l’avancée du
scaphandrier.
Dans sa progression, le scaphandrier rencontre parfois
des épaves, qui symbolisent le passé accidentel, les
mémoires. À l’intérieur de ces épaves, il peut trouver des
trésors, symbolisant les richesses du passé, mais aussi des
aspérités, des clous qui dépassent de l’épave, etc.,
symbolisant les risques, les douleurs, les blessures que
ces mémoires du passé peuvent présenter. Le
scaphandrier peut aussi rencontrer des requins ou des
précipices qui représentent les risques et les épreuves de
la vie. Mais il est également environné de ces myriades
de poissons colorés, de ces coraux magnifiques et de
toutes ces algues qui symbolisent la profusion et la
munificence de la vie.
Sa progression, freinée par la densité de l’eau, qui
représente la densité du monde matériel, demande un
effort permanent, surtout s’il rencontre des courants
contraires. Ceux-ci symbolisent tous ces moments de la
vie où les événements nous ont semblé contraires. Le
scaphandrier doit toujours être vigilant dans sa
progression car, si par malheur le tuyau qui le relie à la
surface se vrille ou se tord ou s’accroche à une aspérité,
l’air va manquer ; le scaphandrier va suffoquer, étouffer.
Cela symbolise toutes les tensions, les maladies ou les
souffrances que nous ressentons et qui nous disent que
notre âme est « vrillée », tordue ou nouée. Elle suffoque
parce qu’elle n’est plus reliée à l’esprit. Si le tuyau se
coupe enfin, le scaphandrier est perdu. Si l’âme est
coupée de l’esprit, l’être humain est perdu car il a perdu
son lien avec la vie.
Le sens du pardon
Le sens du pardon est la deuxième condition à la paix
intérieure. De nombreux individus sont porteurs de
traumatismes liés à des souffrances endurées du fait de
tierces personnes (parents, proches, amis, etc.). La
plupart du temps, ces traumatismes sont difficiles à
oublier d’abord parce que ces personnes pensent ne pas
pouvoir pardonner. Il arrive également qu’elles pensent
avoir pardonné, mais constatent malgré tout que la plaie
ne s’est pas refermée. Nous sommes là face à un
paradoxe apparent difficile à élucider. Nous pourrons le
faire en prenant une analogie.
La plupart des psychologues ont constaté que le
traumatisme le plus difficile à gérer, chez les survivants
d’un attentat ou d’un accident d’avion mais également
chez des personnes ayant subi un viol, est celui de la
culpabilité. Cela peut sembler paradoxal mais en fait
cette culpabilité s’appuie sur deux bases. Soit la personne
se dit : « Pourquoi moi ? Pourquoi est-ce moi qui ai
survécu, alors que l’autre a souffert ou est mort ? »
lorsqu’elle est une des survivantes d’une catastrophe.
Soit elle se dit : « Mais est-ce que je n’ai pas provoqué,
été à l’origine, voire pris du plaisir ? », si elle a subi un
viol ou vécu un inceste. Ces interrogations sont très
rarement conscientes, parfois elles émergent de façon
fugace.
Lorsqu’une personne a souffert du comportement
d’autres personnes, dont elle a été victime, elle porte en
filigrane cette culpabilité, plus ou moins nette, et se
demande : « Jusqu’à quel point ne me suis-je pas laissé
faire ? Pourquoi ne me suis-je pas mieux défendue ?
N’est-ce pas là le signe que je ne méritais que cela ?
etc. ». Il est fondamental que cette personne prenne
conscience que le premier être à qui elle doit pardonner,
c’est à elle-même. Elle doit saisir à quel point ce pardon
intérieur est essentiel et bien plus important que le
pardon extérieur, qui n’est finalement, si elle retrouve la
paix intérieure, qu’une sorte de formalité. On a pu
assister dans ce sens à des témoignages inattendus, au
premier abord, aux États-Unis, lors du procès du seul
islamiste jugé suite aux attentats du 11 septembre 2001.
Des proches de victimes sont venus témoigner en
faveur… de l’accusé (pour lui éviter la peine de mort),
pourtant provocateur et cherchant à devenir un martyr.
Seul le fait d’être en paix avec soi peut permettre une
telle attitude, car elle implique la disparition de la haine,
de la rancune, de la peur et du besoin de vengeance.
Assurer le pardon devient alors un moyen de croissance
extraordinaire pour l’être, lave l’âme et permet une
réconciliation avec son image qui en sort embellie.
Plusieurs moyens peuvent aider au travail du pardon.
Lors de l’entretien avec mes patients, j’utilise un premier
« outil de pardon ». Je les interroge, lorsque cela est
nécessaire, sur le pardon qu’ils ont pu faire vis-à-vis de
ceux qui les ont fait souffrir. Puis, lorsque le patient a
cité toutes les personnes envers qui il a pu réaliser ce
pardon, je lui demande s’il n’a pas l’impression d’avoir
oublié quelqu’un de très important dans sa liste. Il arrive
que le patient, de lui-même, très vite, trouve et propose
du bout des lèvres : « Moi ? » Il arrive cependant souvent
qu’il ne comprenne pas, qu’il ne trouve pas. Le truc
consiste alors pour moi à lui dire : « Je vais vous aider. »
Il suffit alors de prendre un petit miroir et de le tourner
vers le patient. Celui-ci éprouve un choc, une véritable
révélation en découvrant son image dans le miroir. Cela
provoque fréquemment une prise de conscience, un
« insight » dit-on en psychologie.
Le deuxième « outil de pardon » que je propose à mes
patients est également très simple à utiliser et absolument
surprenant en termes d’efficacité. C'est la « lettre ».
Lorsqu’un patient souffre de mémoires émotionnelles qui
provoquent des pathologies ou des difficultés à vivre son
quotidien, il arrive qu’il exprime clairement quelles sont
les personnes à l’origine de cette souffrance. Ce sont
souvent les parents, réels ou symboliques, ou des
proches. Ce qui émerge lors de l’entretien montre que la
souffrance récurrente est, la plupart du temps, liée à la
difficulté à oublier, accepter (« OK, cela fait partie de ma
vie, mais aujourd’hui est un autre jour ») ou pardonner
(« On m’a fait souffrir, mais je n’en veux plus à
personne »).
Le patient exprime aussi souvent l’envie refoulée de
« dire à l’autre », de vider son sac. « Mais c’est
impossible, je ne peux pas, ils ne comprendraient pas, ils
sont trop vieux maintenant, voire ils sont décédés, etc. »
sont autant d’objections qui émergent.
Je propose dans ces cas-là au patient de faire
l’exercice suivant. Je lui demande, lorsqu’il sera rentré
chez lui, d’écrire une lettre à chaque personne l’ayant fait
souffrir, dans l’ordre inverse de l’importance consciente
de leur responsabilité dans la souffrance vécue. Il doit
l’écrire comme une véritable lettre, au nom et à l’adresse
de la personne (« au ciel » si elle est décédée). Dans cette
lettre, sans aucune retenue de forme ou de vocabulaire, le
patient doit « vider son sac », écrire tout ce qui lui vient
sous la plume (une ou quinze pages, cela n’a pas
d’importance). Une fois cette lettre rédigée, le patient
doit la relire puis la signer. Je lui explique qu’il doit
ensuite la mettre sous enveloppe, à l’adresse de la
personne. Et enfin, au dernier moment, je lui demande
non pas de l’expédier mais de la brûler. Il ne doit pas
écrire toutes les lettres le même jour si plusieurs
personnes l’ont fait souffrir. Il est bon de laisser passer
quelques jours, l’idéal étant une semaine, entre chaque
lettre, en procédant chaque fois de la même façon. Quel
que soit le nombre de lettres écrites, la dernière d’entre
elles doit être rédigée par le patient à lui-même. Le fait
de l’écrire en dernier, après avoir « soldé les comptes »,
« mis les affaires en ordre » avec les autres, rend son
contenu plus soft, plus porteur de réconciliation avec soi.
Cette lettre-là, après avoir procédé de la même manière
que pour les autres, il devra non pas la brûler mais la
poster réellement. Quelques jours plus tard, le facteur lui
apportera une lettre écrite par son « meilleur ami
intérieur ». En la relisant, il parachève ce rituel
d’écriture, et reçoit un message de réconciliation. La
boucle est bouclée.
L'efficacité étonnante de cette technique réside dans le
fait que, la plupart du temps, les mémoires émotionnelles
restent présentes en nous parce que nous n’avons pas pu
les exprimer et les accepter. La lettre devient alors un
défouloir sans risque, ne pouvant pas engendrer de
culpabilité, puisqu’elle ne sera pas envoyée. D’autre part,
il faut savoir que ceux à qui nous en voulons, ce ne sont
pas les êtres (vivants ou non) qu’ils sont devenus
aujourd’hui, mais leur image gravée en nous. Le fait
d’écrire et de brûler la lettre permet que seules ces
images reçoivent le message. C'est libératoire et permet,
pour tout ou partie, d’effacer ou plutôt de reparamétrer
ces images et les mémoires qui leur étaient associées.
Pratiquement cent pour cent des patients à qui j’ai
conseillé ce travail (et qui l’ont fait !) se sont sentis
mieux, plus légers voire totalement débarrassés de ce
poids qu’ils portaient. Il n’en demeure pas moins que le
moment de l’écriture des lettres est très souvent chargé
en émotions. J’en avise toujours le patient tout en lui
conseillant d’accueillir ces émotions sans retenue ni
jugement, même si elles semblent négatives. Il est donc
essentiel pour lui de faire ce travail d’écriture lorsqu’il
est seul et tranquille.
Le sens du pardon est souvent difficile car soit nous
croyons qu’il signifie oublier, soit nous tentons de le
réaliser au niveau du Moi. Or ce n’est pas possible. Il ne
peut venir que de l’âme, du Soi, de ce qui est noble en
nous et n’est pas « comptable ». Car pardonner c’est
accepter de perdre un peu, c’est accepter de ne pas avoir
le dernier mot, accepter que la dette ne soit pas
remboursée. Le sens du pardon, c’est le sens de
l’invisible qui nous transcende et qui nous rend
coexistentiels au monde. Il nous réinclut dans l’idée de la
vie et dans la dimension d’humanité qui doit dépasser la
loi du talion. En cela, il ne signifie pas tout accepter mais
accepter que l’être ne soit pas réduit à ce qu’il fait et que
ce qu’il fait de mal le blesse d’abord lui et signe sa
souffrance. C'est un chien qui a peur ou qui a mal qui
mord. C'est un homme qui s’est perdu et a brisé le fil de
son âme qui blesse ou injurie. Le mal qui est l’objet du
pardon est propre à l’humanité et à sa part d’ombre
refusée. Dans un excellent article paru dans Le Figaro,
Olivier Abel, philosophe et professeur à la Faculté
protestante de Paris, écrivait : « Le mal est plus ample
encore, plus cosmique ; si nous enlevions tout le mal que
l’homme fait à l’homme, il resterait encore une plainte
pure. » Le message est fort et rejoint tout à fait ce que
j’écrivais dans le chapitre sur les temps barbares. Nous
participons tous, consciemment ou non et à des degrés
divers, à la souffrance du monde comme à la nôtre. Et le
pardon nous rebranche à cette lumière que l’obscurité
parfois ambiante nous avait fait perdre de vue. Elle n’a
pas disparu, ce sont simplement nos yeux qui ne savent
plus où regarder.
J’utilise souvent une image avec mes patients qui
doutent. Je leur raconte ce que j’ai vécu lors de l’un de
mes premiers vols en avion. Ce jour-là, il faisait gris,
triste, sombre. Le ciel était chargé de nuages noirs
donnant l’impression qu’il faisait presque nuit. Or, juste
après le décollage, nous avons traversé la couche de
nuages et j’ai découvert, ébahi, un ciel d’azur incroyable
dans lequel rayonnait un soleil splendide. Je compris à
cet instant, au propre et au figuré, et j’ai inscrit au plus
profond de moi, que s’il fait parfois sombre, ce n’est pas
parce que le soleil n’est plus là mais simplement parce
que nous ne le voyons pas. Je compris également ensuite
que si je voulais vraiment le voir, il était nécessaire que
je m’élève, que je prenne de la hauteur.
Olivier Abel écrit encore : « Face à cela, dans son
incognito même, le pardon est épique et se tient à chaque
fois au cœur battant de l’histoire, comme un inattendu.
La justice est prédictible, la vengeance aussi. Mais le
pardon est imprévisible, qui néglige le mal reçu pour ne
rendre que le bien. Ce faisant, il rappelle un don premier,
plus radical que tous nos échanges et toutes nos
rétributions. Il rappelle à chaque existence sa naissance
imméritée, la grâce d’exister. Il rappelle un
commencement oublié, un surgissement nouveau. Parce
qu’il accepte de sortir de la surenchère des échanges et
des représailles, des cadeaux comme des violences, il
permet de tout recommencer autrement. »
Que dire de plus car tout est là. C'est en cela que le
sens du pardon, cicatrisant de l’âme, est une réactivation
d’une vie nouvelle en nous. C'est vrai sur le plan spirituel
et également sur le plan physique. Il est le gage par cette
action profonde de l’initiation du processus de guérison.
Sa gratuité, acte sans attente de retour, est ce qui le rend
efficace parce qu’attaché en rien à rien. Il propulse
l’énergie de vie vers la vie et sa réalisation. Il élargit la
conscience de l’être humain pour lui permettre de
percevoir, au-delà de ce nombril qui nous hypnotise tant,
que l’être humain est consubstantiel à l’humanité.
1 Voir p. 127.
Conclusion
Comment conclure un tel ouvrage ? Ce n’est pas
simple car y a-t-il une conclusion au propos ? J’aurais
plutôt envie d’écrire ici une introduction car je souhaite
vraiment que ce livre puisse devenir pour beaucoup une
introduction à la vie. Si nous sommes dans la tension ou
la souffrance, c’est que notre corps cherche à nous
soigner. C'est parce que nous avons plus ou moins perdu
le lien avec notre âme et ce qui brille en nous. Parce que
notre persona, notre Moi, notre Ego ont pris seuls les
commandes. Nous avons quitté le sens de la vie pour
nous contenter, sans le savoir, de celui de la survie.
Inconsciemment, nous connaissons l’erreur mais sommes
incapables de la reconnaître. Alors la distorsion s’installe
en nous, la guerre se déclare, même si le mot peut
sembler exagéré, et pourtant l’état de nos corps malades
le confirme.
Que nous le voulions ou non, il n’y a pas d’autre issue
que de reconnaître cet état intérieur. C'est la condition
sine qua non pour comprendre la nécessité de faire la
paix en nous et avec nous. L'enjeu de l’état de santé est
celui-là. De cette paix dépendent des effets collatéraux
dont nous n’avons pas idée. Faire la paix consiste à
dépasser (mais pas à nier) la persona, le Moi, l’Ego, pour
toucher à l’essence même de l’être. Faire la paix réactive
l’âme et dépasse les petits enjeux mesquins, nous rendant
par exemple capables de tout laisser pour aller consoler
un enfant qui pleure. C'est ce qui fait que nous sommes
toujours touchés par la détresse humaine et nous rend
capables de donner un peu de nous-mêmes. Faire la paix
en nous, réconcilier nos petits Moi intérieurs, nous
rebrancher à la source même de la vie, c’est faire que
tous ces flashs de l’âme, ces moments où nous sommes
émus, deviennent une attitude permanente et consciente.
N’oublions pas que ce qui distribue la vie en nous
c’est le cœur, que ce qui vibre et s’accélère quand nous
sommes émus ou que nous aimons, c’est le cœur, que ce
qui fait que nous avons chaud chaque fois que nous
vivons quelque chose d’intense, c’est le cœur. Lorsqu’il
se serre parce que nous avons peur, il bloque la vie en
nous. Lorsqu’il s’ouvre parce que nous sommes heureux
et en confiance, il propulse la vie en nous. Or le cœur est
le siège de la conscience dans la plupart des Traditions.
Ouvrir sa conscience c’est accueillir la vie. Le faire pour
Soi c’est le faire pour l’humanité. Un vaste chantier dont
il ne faut jamais douter.
Je ne résiste pas à l’envie de vous proposer en
conclusion ce texte de Fra Angelico da Fiesole.
Ami,
Il n’y a rien de ce que je pourrais vous offrir que
vous ne possédiez déjà, mais il y a beaucoup de
choses que je ne puis donner et que vous pouvez
prendre. Il n’existe pas de paix dans l’avenir qui ne
soit cachée dans ce court moment présent. Prenez
donc la paix. L'obscurité du monde n’est qu’une
ombre. Derrière elle, et pourtant à notre portée, se
trouve la joie. Il y a dans cette obscurité une
splendeur et une joie ineffables si nous pouvions
seulement les voir. Et pour voir, vous n’avez qu’à
regarder. Je vous prie donc de regarder. La vie est
tellement remplie de sens et de propos, tellement
pleine de beautés au-dessous de son enveloppe, que
vous apercevrez que la terre ne fait que recouvrir
votre ciel. Courage donc pour le réclamer. C'est
tout. Mais vous avez du courage et vous savez que
nous sommes ensemble des pèlerins qui, à travers
des pays inconnus, se dirigent vers leur patrie.
Ainsi, je vous salue, non pas exactement à la
manière dont le monde envoie ses salutations, mais
avec la prière que « pour vous maintenant et à
jamais le jour se lève et les ombres s’enfuient ».
Merci
Table des Matières
Page de Titre
Page de Copyright
Préambule
Introduction
Le syndrome de l’idole
Sigmund Freud
Densification et libération
Le processus d’incarnation
Science et Tradition
Esprit et psychologie
Conclusion