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© Éditions Albin Michel, 2011

ISBN : 978-2-226-42214-9
Ouvrage paru en 2006 sous le titre :
Un corps pour me soigner, une âme pour le
guérir
DU MÊME AUTEUR AUX ÉDITIONS ALBIN
MICHEL
Dis-moi où tu as mal, je te dirai pourquoi, 2002.
L’Harmonie des Énergies, 2002.
Cheveu, parle-moi de moi, 2002.
Dis-moi où tu as mal, le Lexique, 2003.
La Phyto-énergétique, 2004.
L’Animal en nous, 2011.
Dis-moi quand tu as mal, je te dirai pourquoi, 2013.
Shiatsu fondamental - tome 1 - Les techniques, 2014.
Shiatsu fondamental - tome 2 - La théorie, 2015.
Shiatsu fondamental - tome 3 - la philosophie, 2015.
Dis-moi pourquoi cela m’arrive maintenant, 2016.
Ouvrage publié sous la direction de Laure
Paoli
« Le médecin du futur ne prescrira pas
de médicaments. Ses soins consisteront
essentiellement à éveiller l’intérêt de
ses patients pour l’alimentation ainsi
que pour les causes et la véritable
prévention des maladies. »
Thomas Edison
CHEZ LE MÊME ÉDITEUR
OUVRAGES PUBLIÉS SOUS LA DIRECTION DE
MICHEL ODOUL
Aroma Minceur, mincir en 21 jours
grâce aux huiles essentielles,
par le Dr Jean-Pierre Willem, 2004.
Aroma Stress, 50 stress de la vie quotidienne
traités par les huiles essentielles,
par le Dr Jean-Pierre Willem, 2005.
Aroma Famille, 100 petits maux de la vie quotidienne
traités par les huiles essentielles,
par le Dr Jean-Pierre Willem, 2005.
Aroma Allergies,
180 allergies traitées par les huiles essentielles,
par le Dr Jean-Pierre Willem, 2006.
Se guérir grâce à ses images intérieures,
par Marie Lise Labonté et Nicolas Bornemisza, 2006.
Préambule
Un ancien déporté à qui l’on
demandait : « Mais comment peut-on
croire en Dieu quand on voit qu’il
accepte de telles horreurs ? » avait
répondu : « Ce n’est pas Dieu qui était
absent, c’était l’homme. »

Ce livre est un cri. C'est un cri pour la vie et vers la


vie. C'est un cri pour réveiller les consciences et rappeler
à l’humain qu’il est noble et porteur d’une lumière qui
signe la présence du divin en lui. Malheureusement il
l’oublie parfois, d’aucuns diront même souvent. Alors
que faire ? Comment dire ou plutôt comment faire
entendre à quelqu’un, que le quotidien assourdit, qu’il
s’est lui-même éloigné de son essence et qu’ainsi il est
lui-même à la base de sa souffrance ? Comment le
conduire à rechercher la source de ses souffrances et
donc de sa guérison en lui plutôt qu’en dehors de lui ?
J’ai fait le pari, pour y arriver, de construire ce livre
selon le même schéma d’« expression » que la vie. Que
se passe-t-il lorsque l’on tombe malade ou que l’on vit un
accident ?
Le premier vécu est celui d’une souffrance, brutale,
imprévue et violente, que ce soit sur le plan physique ou
sur le plan psychique. Cela fait mal, c’est dur, c’est
« trop » injuste. L'individu confronté à la maladie ou à un
accident est toujours surpris que cela lui arrive, à lui. Car
« ça n’arrive qu’aux autres », n’est-ce pas ? Cette phase
est sans concession. La colère nous touche, la peur, voire
le mépris ou la haine, nous assaille face à cette vie qui
fait mal. La souffrance vécue ne peut en tout cas qu’être
constatée, ressentie et reconnue par tous.
Une fois passé le choc de l’annonce, de la découverte
de la maladie ou du vécu de l’accident, vient la deuxième
phase, le temps du soin, de la réaction et de la réflexion.
Pourquoi ? Pourquoi moi ? Pourquoi maintenant ? Je ne
comprends pas ! Ce n’est pas juste, etc. sont autant de
questions, d’interpellations qui viennent à l’esprit voire
qui sont formulées. Toujours est-il que, quels que soient
son niveau ou sa forme, une réflexion mentale émerge,
tente de se faire. Cette phase n’est pas toujours
« confortable » car empreinte de la recherche d’un
responsable.
Puis vient enfin la phase où, là aussi quel que soit son
niveau, l’individu intègre voire finit par accepter ce qui
lui arrive. Il y est plus ou moins contraint, mais cela se
fait, consciemment ou non. Il accepte sa part dans ce qui
lui arrive. La guérison ou la rémission sont proches. La
vie va enfin pouvoir reprendre un cours moins chaotique.
J’ai volontairement bâti ce livre sur le même schéma,
nous faisant ainsi refaire ce parcours.
La première partie est brutale, forte, véhémente,
violente, sans concession. Elle présente les temps
barbares auxquels nous prenons tous part et qui
participent à notre errance de vie. Elle décrit la façon par
laquelle le terrain s’est miné, démontrant bien que la
maladie, l’accident se préparent, se construisent et que
leur apparition n’est que le phénomène ultime. Elle ne
fait pas plaisir, elle n’est pas là pour ça. Cette première
partie peut nous déranger, nous mettre en colère, elle
peut sembler injuste ou disproportionnée. Elle n’est
pourtant qu’un constat et j’ai choisi, pour l’illustrer, de
ne m’appuyer que sur des faits matériels et connus de
tous.
La deuxième partie est consacrée à la réflexion :
comment fonctionne un psychisme humain ? Comment
est-il organisé ? Quels sont les pans de nous-mêmes qui
gèrent notre rapport à la vie ? C'est le moment, encore un
peu difficile, des questionnements, des remises en
question.
La troisième partie est celle du lâcher-prise, de
l’acceptation, du calme qui, en s’installant en nous, vont
rétablir les « bonnes connexions ». C'est ici que l’on
intègre combien notre âme est ce qui peut nous guérir.

Bonne lecture
Introduction
Ce livre s’inscrit totalement dans la continuité de Dis-
moi où tu as mal, je te dirai pourquoi1, ou plutôt il
s’inscrit à la fois en amont et en aval, mais aussi en deçà
et au-delà. Il apporte la dimension explicative des
mécanismes décrits dans ce précédent ouvrage ainsi
qu’une dimension philosophique et spirituelle plus large.
Il vient en fait le compléter, l’enrichir. Au-delà de
l’idée que dans notre culture occidentale la maladie est
une fatalité, une défaite, une chute (dans le langage
courant, ne dit-on pas « tomber malade » ?) et de la
nécessité majeure de lui donner un sens, il apporte un
éclairage novateur essentiel sur les origines de cette
maladie et sur celles de la guérison. Si l’on accepte le
paradigme proposé, on découvre alors que la maladie
n’est vraiment plus due au « hasard », mais qu’elle est
plutôt la conséquence et en même temps la manifestation
d’une fragilisation du terrain physique et psychique.
Ce livre expose les raisons de cette fragilisation, qui
sont nombreuses. Il décortique en quoi les modes de vie,
la pollution, les stress, les conflits psychiques, etc.,
participent à cela et finissent par dégrader ce corps qui
n’a d’autre issue que la maladie pour exprimer et
évacuer.
L'autre particularité de ce livre réside dans le fait qu’il
montre que les processus de la maladie et ceux de la
guérison ont des structures identiques même si leurs
directions sont inverses. C'est pour cette raison que je l’ai
construit sur leur logique. Cela permet au lecteur, à
travers son cheminement, de comprendre et de
s’approprier les sources de sa souffrance et d’envisager
qu’il puisse faire de même pour celles de sa guérison.
Car je suis intimement persuadé que :
• connaître les processus qui conduisent à la
souffrance,
• connaître les origines profondes de la maladie,
• découvrir les mécanismes qui se mettent en jeu et
pourquoi ils le font,
• accepter enfin la part de responsabilité qui nous
incombe
sont les clés essentielles de la redécouverte de ce qui
peut, en nous, avoir le pouvoir de nous guérir. Le malade
n’est plus alors une victime mais un acteur de ce qui se
joue en lui. Il redevient actif et participe ainsi à la
reconquête de l’état de santé. Il intègre au plus profond
de lui que son corps qui souffre cherche à le soigner mais
que seule son âme, à travers une essentielle acceptation
du sens, peut le guérir. Nous sommes à l’essence même
de la vie et de cette idée majeure que l’on retrouve dans
toutes les traditions du monde : l’état d’équilibre se
nourrit de la paix, la dynamique de la vie se nourrit de
tension, mais cette tension est noble car elle nous tire
vers le haut. C'est ce qui la différencie du conflit qui,
parce qu’il procède d’une logique d’opposition, nous tire
toujours vers le bas.
Nous entrons par conséquent ici dans le vif du sujet,
par le dramatique échec des sociétés actuelles. Parce
qu’elles ont cru et voulu nous faire croire que le sens du
progrès humain était la conquête de la facilité, elles nous
ont conduits dans une impasse majeure dont le prix est
exorbitant. Nous ne sommes plus des vivants mais des
survivants.
Je souhaite que ce livre, dont j’ai voulu une lecture et
un accès aussi aisés que pour Dis-moi où tu as mal, je te
dirai pourquoi, ait la même force et le même impact. Au-
delà de toutes les attentes de sens satisfaites par ce
précédent ouvrage, en offrant des clés permettant
d’accéder à sa propre guérison, en comprenant pourquoi
l’on a trébuché, je souhaite qu’il crée chez chaque lecteur
un sursaut d’humanité qui va faire redresser la tête à tous.

1 Albin Michel, 2002.


PREMIÈRE PARTIE
AUX SOURCES PROFONDES DE LA
MALADIE
« Nous portons en nous le centrum
naturae, le cœur de la nature : nous
sommes libres de faire un ange de ce
que nous sommes, et nous le devenons,
et nous sommes libres de faire un
démon de nous-mêmes, et nous le
sommes pareillement ; nous opérons
sans cesse et de partout dans la nature,
nous cultivons notre champ. »
Jacob Böhme, Écrit théosophique,
Amsterdam, 1682.
Les causes externes

LES TEMPS BARBARES


La violence de nos sociétés modernes n’a rien à envier
à celle des premiers âges de l’humanité. Elle reste
physique et latente, comme on peut le constater lors des
« incidents » sporadiques récurrents dans les banlieues
des grandes villes occidentales, mais également lors de
toutes les incivilités voire les agressions devenues
presque banales. Elle est cependant, surtout dans nos
pays sécurisés et nantis, de nature psychologique. La
négation de l’invisible et le caractère marchand de tous
les actes rendent la vie violente et parfois même
insupportable, par manque d’issues et de sens. De cette
désespérance naît le terrain propice à la maladie.
L'Histoire, sorte de continuum, devrait être pour nous
un miroir, ou plus exactement un rétroviseur. Elle devrait
en effet nous permettre, en tant qu’outil potentiel
d’expérience, de savoir ce qui peut venir du passé,
d’avant, et d’éviter ainsi de tomber dans des pièges déjà
rencontrés. Mais je crois qu’il s’agit là d’une nouvelle
illusion que l’éternel recommencement des jeux de la vie
met à mal.
Car comment expliquer, alors que nous avons quitté,
en Occident, historiquement et théoriquement, les
périodes sombres de l’humanité moyenâgeuse, que nous
vivions aujourd’hui des temps barbares ? Cette
terminologie peut paraître excessive voire erronée. Elle
est cependant on ne peut plus exacte même si elle n’est
pas consensuelle. La barbarie se définit comme une
attitude « cruelle, féroce, manquant de civilisation et
d’humanité ». Nous l’appréhendons facilement dans son
acception classique et sa manifestation physique pure
dans laquelle la violence et les rapports de force brutaux
détruisent ou soumettent des humains, selon de purs
critères de pouvoir, de richesse, de territoire ou de mode
de pensée. Un certain Moyen Âge ou certaines régions du
globe de nos jours en sont des représentations admises
par tous. Alors comment peut-on parler de temps
barbares dans notre civilisation occidentale moderne,
nantie, suralimentée et préoccupée de loisirs ? Peut-être
faut-il se donner un autre angle de vision de la barbarie et
de sa violence.
Les temps barbares du passé se sont toujours
accompagnés de maladies et d’épidémies destructrices,
symptômes évidents d’un déséquilibre général du rapport
à la vie. On peut imaginer qu’une société en paix, dans
laquelle l’existence trouve un champ de réalisation juste
et équilibré, soit en bonne santé et, par corrélation,
qu’une société malade se traduise chez les individus qui
la composent par des maladies. Si l’on accepte cette
hypothèse, alors nos sociétés sont très malades et sans
doute porteuses d’une barbarie moderne. Comment
analyser cette affirmation et l’étayer par des faits
indéniables, témoignages éloquents du retour à la
barbarie ?
Dans nos sociétés modernes, la violence
institutionnelle est présente partout et s’exacerbe dans sa
négation de la « différence » et dans son besoin de
normes, conduisant en cela à la construction ou à
l’organisation de ghettos. Elle se manifeste dans tous les
plans de la vie sociale et en particulier dans celui qui
nous intéresse, celui de la médecine officielle dans sa
caricature mécaniste, déresponsabilisante et
déshumanisée. Les ghettos qui en résultent sont ceux de
la médecine chimique pure et dure face aux multiples
petits ghettos des médecines dites « alternatives » ou
« non conventionnelles », séparés les uns des autres par
des gouffres plus ou moins grands d’incompréhension,
de vindicte, de peurs réciproques, d’enjeux de pouvoir ou
de territoire. La violence larvée qui découle de cette
géopolitique groupusculaire est tellement ancrée qu’elle
se déchaîne sur tous ceux qui osent penser (panser ?)
autrement. Les processus d’éradication sociale,
financière ou d’image sont tristement quotidiens pour
certains. On en oublie même l’objet théorique des
méthodes, soigner, pour ne plus défendre que les
systèmes, protocoles ou corporations qui en vivent. On
en arrive aujourd’hui à diaboliser ceux qui voudraient
penser leur santé autrement ou qui tentent de ne pas
rentrer systématiquement dans une logique qui n’est pas
sans rappeler celle du « meilleur des mondes » d’Aldous
Huxley. On en est au point où le système social prétend
protéger les enfants en envoyant la police et les services
sociaux contre des parents qui cherchent simplement à
soigner différemment, plus humainement et efficacement
leur enfant atteint d’un cancer.
Ce fut le cas en 2005 pour le petit Alexis qui
souhaitait quitter le service de cancérologie du Mans, où
il était traité, pour se faire soigner dans celui du Pr
Delepine en banlieue parisienne. Le seul « tort » de cette
cancérologue, qui lui vaut la vindicte d’une grande partie
de ses confrères, est de vouloir traiter individuellement,
et non plus systématiquement, les enfants malades qui lui
sont confiés. N’est-il pas dramatique d’en arriver à se
demander s’il n’est pas plus facile dans nos sociétés, pour
des parents, de battre impunément leur enfant ou de le
rendre obèse par irresponsabilité alimentaire, que d’éviter
de le faire vacciner…
Que dire enfin de cette violence institutionnelle en
blouse blanche qui trahit une telle peur de la vie qu’elle
veut normer le vivant et les enfants ? L'un des summums
de ce délire n’a-t-il pas été atteint par ces chercheurs de
l’Inserm qui ont montré leur déconnexion du réel ? Ils
ont réalisé et osé publier un rapport sur la nécessité à
repérer les « enfants à problèmes » dès la petite enfance
afin de les traiter. Comment est-ce possible ? Le
syndrome d’hyperactivité, par exemple (à savoir des
enfants agités et manquant de concentration), serait
même une pathologie « inventée » par les intérêts de
l’industrie pharmaceutique, selon Pierre Vican1, le Dr
Labreze et les membres du Collectif des médecins et
citoyens contre les traitements dégradants de la
psychiatrie. En tout cas, que seraient devenus Léonard de
Vinci, Voltaire, Galilée, Einstein (ce dernier serait de nos
jours classé « autiste » et traité comme tel), etc. si on les
avait mis sous Ritaline® ou sous camisole chimique ?
C'est pourtant ce que l’on envisage d’instituer à l’école
en France, au point que l’on a établi des critères
comportementaux types. Sans commentaires…
Seulement voilà, au-delà de cette violence sociale
manifeste, la négation de l’être au seul profit du « corps
machine » est une autre violence, culturelle celle-ci, qui
est le ferment le plus sûr des maladies actuelles. Ce ne
sont pas les témoignages et les tentatives d’alerte de
spécialistes mondiaux qui manquent, mais sans doute
l’envie que cela change. Depuis toujours, la médecine, la
science de soigner, a été associée à la nature et aux
plantes en particulier. Une connaissance séculaire avait
permis d’accumuler un savoir sans pareil sur les plantes
et sur leur action, tant sur le plan pondéral, moléculaire
que sur des plans plus subtils comme ceux définis par la
théorie des signatures de Paracelse (toute plante
ressemblant à une partie du corps humain est censée
pouvoir soigner cette partie). L'exemple le plus connu de
cette théorie est celui du ginseng, cette racine venue
d’Orient qui a la forme d’un corps humain et qui est un
tonique général. Un autre exemple aussi frappant mais
moins connu est celui du clou de girofle : le bouton de
cette plante ressemble, lorsqu’on le regarde de près ou à
la loupe, à la tête d’un bébé qui sort du ventre de sa
mère ; or, l’huile essentielle de clou de girofle (Eugenia
caryophyllata) est considérée comme une huile très utile
pour faciliter les accouchements. Pendant des siècles, la
connaissance traditionnelle a su soigner et guérir, à
l’instar de la Médecine Traditionnelle Chinoise connue
grâce à l’acupuncture mais dont la pharmacopée est l’une
des plus développées au monde. Puis l’avènement de la
science du XIXe siècle et son rêve de maîtrise de la vie
ont fait se développer la médecine « chimique ». Celle-ci
a su montrer son efficacité dans l’instant de façon
impressionnante, notamment pour tous les états de crise.
S'inspirant de la nature et de ses « inventions
moléculaires », la chimie moderne a cru pouvoir se
passer de cette nature. Elle a en même temps cru pouvoir
se l’approprier, en la brevetant, de la façon la plus
éhontée, au point que des peuplades se sont vu interdire
d’utiliser des plantes avec lesquelles elles se soignaient
depuis des lustres ou qui participaient à leur alimentation.
Ce fut par exemple le cas des Indiens Satéré-Mawé, en
Amazonie, que des multinationales avides ont voulu
priver (en le brevetant) du guarana, une plante utilisée
par leur communauté depuis l’aube des temps.
« Ignorantus, ignoranta, ignorantum » écrivait Molière2.
Nos scientifiques ont oublié que nous devons beaucoup
aux « Anciens » et que, ainsi que nous le disait Bernard
de Clairvaux, « si nous voyons loin, ce n’est pas parce
que nous sommes grands. Nous ne sommes que des nains
qui sont montés sur des épaules de géants ». Alors,
pourquoi considérer et vouloir se persuader que la
science médicale a commencé avec la chimie, quitte à
imposer ce diktat par la force ? Quelle violence faite à la
vie et au vivant !

La barbarie alimentaire
La prévalence du « corps machine » et la négation de
l’invisible et du sens des êtres manifestent leur violence
insidieuse partout, et notamment dans un domaine qui
n’est pas sans rapport avec notre santé : l’alimentation.
Là aussi, tout est forcé, violenté, dopé. Plantes et bêtes ne
sont plus que des machines à fabriquer de la matière
nutritionnelle. Nos sociétés modernes en sont arrivées à
une telle négation de l’être que nos animaux d’élevage,
par exemple, ne sont plus que des usines à viande. Les
méthodes d’élevage, de transport, d’abattage de l’agro-
industrie sont d’une barbarie digne des époques les plus
noires de l’humanité. On nourrit des herbivores avec de
la viande, on enferme leurs corps, habitués naturellement
à courir dans la nature, dans des cages métalliques juste
assez larges pour qu’ils puissent respirer, etc. Ces
animaux ne sont-ils que des corps ? Que sommes-nous
donc devenus pour agir de la sorte ? On peut parfois en
arriver à se demander si ce qui différencie l’homme de
l’animal, c’est son âme ou sa cupidité. L'être humain a
réussi à rendre agressifs des animaux aussi paisibles que
les vaches et les poules, au point que l’on doive couper
les cornes aux vaches et le bec aux poules dans les
élevages intensifs. Nous avons réussi à les contaminer
avec notre propre violence. En pleine crise de la vache
folle, Jacques Julliard écrivait dans Le Nouvel
Observateur : « Il n’y a pas si longtemps les vaches
avaient un nom. Quand on appelait Marquise ou Bijou,
elles répondaient à ce nom… Aujourd’hui, l’agriculteur,
à son corps défendant, a cessé d’être l’ami des bêtes. Il
est devenu leur geôlier et parfois leur tortionnaire… »
C'est vrai qu’il n’y a pas si longtemps, les paysans
étaient des éleveurs et cette notion d’« élever » est
majeure. Elle porte en elle le sens étymologique qui doit
être associé à tout acte d’élever. Traditionnellement, on
était un « éleveur » de volailles ou de bovins.
Aujourd’hui on produit, on est donc un « producteur » de
volailles ou de bovins. Cela se passe de commentaires. Et
lorsque le système dérape, comme ce fut le cas lors de la
crise de la vache folle ou pour celle de la grippe aviaire,
on immole alors sans vergogne et, pire parfois, avec
fierté. Ainsi on « rassure », on montre combien on
maîtrise. Quelle misère, quelle pauvreté d'âme ! Des
millions d’animaux sont incinérés sur des bûchers bien
similaires à ceux des grandes épidémies moyenâgeuses.
Cette barbarie a choqué une grande partie de l’humanité
qui n’a pas su ou qui n’a pas osé l’exprimer. Sauf les
tribus massaï! Devant le massacre généralisé des bovins
en Europe, ces peuplades africaines se sont
particulièrement émues du traitement infligé aux
animaux. Les Massaïont manifesté leur incompréhension
devant notre irrespect de la vie de ces bêtes, si
importantes pour eux et par conséquent dignes de leur
respect. Ils ont créé des comités de village afin de cotiser
et de réunir les fonds nécessaires pour acheter le plus
possible de bovins et leur éviter la fin pitoyable que nous
leur infligions. Serait-ce là une leçon d’humanité donnée
par des « sauvages » ? On peut s’interroger sur qui est
réellement le « sauvage » !
En tout cas, tous nos comportements blessent la vie et
par incidence nos âmes et nos corps. Notre violence
barbare s’inscrit dans les vibrations du monde mais aussi
dans nos chairs. Une expérience faite aux États-Unis à la
fin des années 1960 va nous permettre d’envisager de
quelle façon et à quel point les animaux ne sont peut-être
pas que des corps.
Un chercheur, le Pr Mac Connell, s’intéressait aux
« philosophies anthropophages » dans leurs
fondamentaux conceptuels. Pour simplifier, dans ces
cultures, on pense que si l’on mange des parties d’un
corps humain, on s’appropriera les caractéristiques
qualitatives qui lui sont associées. Par conséquent, si l’on
mange le cœur d’un guerrier valeureux, on s’appropriera
son courage ; si l’on mange le cerveau d’un sage, on
s’appropriera sa sagesse. Le Pr Mac Connell souhaitait
pouvoir vérifier si, derrière ces principes empiriques et
traditionnels existant encore chez certains peuples, il
pouvait y avoir une parcelle de vérité démontrable.
Cependant, afin d’établir un protocole scientifique
cohérent, il avait besoin de cobayes permettant d’élaborer
un processus expérimental, comme cela se fait avec des
souris par exemple. Il lui fallait trouver des animaux
ayant un comportement « cannibale », c’est-à-dire
mangeant leurs propres congénères morts et ayant, au
minimum, une ébauche de système nerveux. Il finit par
choisir une variété de vers qui répondait à ces critères,
des vers planaires, sensibles à des stimuli comme la
lumière ou la douleur. Il sélectionna une population de
100 vers planaires qu’il répartit (cinquante-cinquante)
dans deux boîtes similaires, A et B, ouvertes sur le haut
et ayant un fond métallique. Il plaça au-dessus de
chacune de ces boîtes une lampe de bureau.
Il relia ensuite électriquement le fond métallique de la
boîte A à la lampe située au-dessus, alors que le fond de
la boîte B restait non connecté. Ainsi, lorsqu’il allumait
les lampes au-dessus des deux boîtes, la connexion à la
boîte A envoyait une légère décharge électrique aux vers
placés dans cette même boîte. Ces vers se
recroquevillaient du fait de la douleur ressentie. Les vers
placés dans la boîte B, quant à eux, ne recevaient aucun
courant et par conséquent aucune douleur. Ils percevaient
la lumière mais ne se recroquevillaient pas.
Le Pr Mac Connell répéta l’opération de nombreuses
fois afin de créer, chez les vers planaires placés dans la
boîte A, un réflexe conditionné, mécanisme bien connu
depuis les travaux de Pavlov (chaque fois qu’il donnait à
manger à son chien, Pavlov faisait sonner une clochette.
Le chien, qui voyait arriver sa gamelle de pâtée, salivait.
Au bout d’un certain temps, il suffisait à Pavlov de faire
sonner la clochette pour que le chien salive. Il avait
conditionné le réflexe clochette-salive).
Une fois le réflexe « éduqué » chez les vers planaires
de la boîte A (lumière = douleur), le Pr Mac Connell
déconnecta totalement cette boîte de la lampe. Lorsqu’il
allumait la lumière, par réflexe éduqué et non par douleur
puisqu’il n’y avait plus de décharge électrique, les vers
planaires de la boîte A continuaient à se recroqueviller,
alors que ceux de la boîte B ne réagissaient toujours pas.
Ayant constaté le fonctionnement incontestable du
réflexe conditionné, le Pr Mac Connell tua les vers de la
boîte A et les donna à manger à ceux de la boîte B.

Le plus stupéfiant se produisit alors. Après le temps


nécessaire à l’assimilation de leurs congénères morts, les
vers de la boîte B, qui ne réagissaient pas avant, se
mirent, pour une proportion importante du groupe, à se
recroqueviller lorsqu’on allumait la lumière au-dessus
de leur boîte.
Un message non pondéral3, une mémoire avait été
transmise ! Troublant pour ne pas dire effrayant ! Car si
l’on y réfléchit et afin d’élargir le propos, quel message
et quelles mémoires absorbons-nous en mangeant tous
ces animaux dont l’élevage n’a été que torture ? Quel
message et quelles mémoires ingérons-nous, par
exemple, en consommant ces fabuleux œufs produits en
batteries, où pour plus de rendement on crée quatre
journées artificielles aux poules, les forçant ainsi à
pondre quatre fois plus d’œufs ? Elles sont « poussées » à
tel point qu’elles ne vivent (si j’ose dire) que quelques
semaines et meurent dans un tel état de délabrement,
d’épuisement, qu’elles ne sont même plus propres à la
consommation et qu’elles finissent, « au mieux », dans
les farines animales ou les « bouillons cubes ». Joyeux
œufs à la coque !
Que penser de ces images terribles entrevues à la
télévision lors de la crise de la grippe aviaire ? On y
voyait la façon dont sont triés les poussins dans un
élevage industriel, pris et jetés comme de vulgaires balles
de tennis dans des caisses où ils s’entassent, désemparés
et effrayés. Que dire enfin du même procédé, utilisé pour
de pures questions de rendement, lors duquel on les
vaccine à la chaîne, avec un pistolet doseur ? Et nous
nous étonnons d’être malades !
Le Veau d'or4de la richesse apparente nous fait nous
nourrir de monceaux de chair vides de vie mais porteurs
de souffrance, de violence et de mort. Vidés de toute
essence, de tout amour et du moindre des respects, les
cadavres aseptisés de ces animaux martyrs nous font le
cadeau « invisible » de nous rendre, de nous restituer
toute la souffrance que nous leur avons infligée. Et nous
ne pouvons pas prétendre à l’ignorance. Ce serait trop
facile ! Aujourd’hui, personne ne peut se croire dupe. Les
« pousseurs de chariots », selon l’expression de Christian
Jacquiau5, que nous sommes, par fausse économie, par
facilité, par flatterie des sens, par perte des valeurs et par
refus de l’invisible, pactisent avec l’horreur.
Pourtant nos traditions, comme celles de tous les
peuples de par le monde, parce qu’elles acceptaient cet
invisible, avaient inscrit dans leurs codes
comportementaux des « protocoles », des moments
codifiés, destinés à contrebalancer ce que la mort de
l’animal ou de la plante avait pu dégrader dans les plans
subtils. Chez les peuples amérindiens, on fêtait le cerf ou
le bison tués pour le « remercier ». Dans notre culture
judéo-chrétienne, à travers la pratique du bénédicité, on
rendait grâce à Dieu pour cette nourriture qui allait
permettre la perpétuation de la vie en nous. Ces actes
traditionnels nous obligeaient à nous arrêter quelques
instants devant le repas à venir. Ce temps de
recueillement essentiel redonnait, restaurait, par l’énergie
intensionnelle émise et par la focalisation de la
conscience et de la « grâce ainsi rendue », une valeur,
une qualité, une fréquence vibratoire, à tous ces mets qui
allaient nous nourrir et que l’abattage avait pu dégrader.
Malheureusement, ce que la culture et la civilisation
avaient apporté depuis l’aube de l’humanité a été laminé,
nié, rejeté en une ou deux générations matérialistes et
mercantiles, générations qui ont pactisé avec les temps
barbares parce qu’ils permettaient facilement de satisfaire
l’instant. « Après moi le déluge », disait Louis XV ! Il
arriva, ce déluge, et ce fut Louis XVI qui en paya le prix.

La barbarie individuelle ou le pouvoir des


lâches : l’« effet Milgram »
L'appauvrissement de la pensée, la rupture de
l’instinct et la perte du sens de la responsabilité ont
permis la réémergence généralisée d’un comportement
latent qui a été étudié par le Pr Stanley Milgram. On
aurait pourtant préféré oublier le champ d’application qui
fut à l’origine de ce concept, connu sous le nom d’« effet
Milgram ». Ce chercheur américain avait été très marqué
par le fait que, pendant la Seconde Guerre mondiale,
toute une population, apparemment constituée
d’individus équilibrés, avait participé à des degrés divers
à la réalisation de cette barbarie sans nom que fut le
crime nazi. Comment des pères, des mères de famille,
avaient-ils pu participer aux arrestations, conduire des
trains, garder des camps, remplir des listes, fournir ou
livrer du matériel, etc., permettant ainsi à l’effroyable
d’être perpétré ? Chacun répondait alors : « J’ai
simplement fait mon travail, ce que l’on m’a dit de faire.
Je n’avais pas le choix, ce n’est pas moi qui
commandais… »
Milgram établit alors un protocole d’étude
psychologique des comportements individuels face à une
autorité, très bien décrit dans le film I comme Icare, écrit
et réalisé par Henri Verneuil en 1979. Un scientifique,
joué par Roger Planchon, explique avec une pédagogie
remarquablement efficace à Yves Montand, qui joue le
rôle d’un procureur, le propos de l’étude. Quel était ce
protocole? Le Pr Milgram proposa à des cobayes
volontaires une pseudo-expérience destinée à étudier les
processus de la mémoire. Dans une salle très
« technique », conçue comme un laboratoire, avec des
« scientifiques » en blouse blanche, se trouvaient deux
cobayes qui devaient procéder à des tests de mémoire
prétendument stimulée par la douleur. L'un des deux
cobayes était complice de l’expérience (appelons-le le
« faux cobaye »), tandis que l’autre, qui ne l’était pas
(appelons-le le « vrai cobaye »), allait être le véritable
objet de l’expérience.
Le but prétendu était donc de vérifier si la douleur
pouvait réellement être un stimulant de la mémoire. Le
faux cobaye, complice du professeur et désigné par un
faux tirage au sort, était installé et sanglé dans une sorte
de chaise électrique, d’une apparence des plus
impressionnantes. Il devait se souvenir d’une liste de
couples de mots qui lui avaient été lus auparavant par le
vrai cobaye, qui lui n’était pas dans la confidence.
Chaque fois que le faux cobaye avait un trou de
mémoire, le vrai cobaye, installé à un pupitre surchargé
de boutons et d’interrupteurs, avait reçu la consigne de
lui envoyer une décharge électrique. Celle-ci était censée
stimuler la mémoire défaillante. Enfin, à chaque trou de
mémoire du faux cobaye, le vrai cobaye devait envoyer
une nouvelle « fausse » décharge électrique un peu plus
forte que la précédente. Devant lui, le vrai cobaye avait
un certain nombre de manettes commençant à quelques
volts et allant jusqu’à la mort. Le vrai cobaye était
toujours libre d’agir ou non sur ces manettes, d’obéir ou
non à la consigne. Car en fait, à travers ce protocole, le
Pr Milgram tentait de mesurer jusqu’où un être humain
était capable d’être soumis à une autorité ou de se cacher
derrière cette même autorité. Si les résultats de cette
étude furent effrayants, ce ne fut pas à cause des
quelques cas « pathologiques » (il y en a toujours) qui
firent partie des vrais cobayes et allèrent jusqu’à
l’intensité mortelle. Ils furent effrayants par le triste
constat de ce qu’est la soumission humaine. En effet, la
grande majorité des individus ayant participé à
l’expérience ont accepté, sans rechigner, d’infliger de la
douleur (parfois intense) à un autre être humain qu’ils ne
connaissaient pas et qui ne leur avait rien fait. Effrayant
non ? Cette expérience a démontré que la plupart des
individus, s’ils sont « couverts » par une autorité
quelconque, sont capables de comportements et d’actes
barbares incroyables. La découverte de cette expérience a
été un choc pour moi et reste un sujet de réflexion
permanent, d’autant plus que qui peut dire « Je ne
l’aurais pas fait » et qui peut savoir jusqu’où il serait
allé ?
Un ancien déporté à qui l’on demandait : « Mais
comment peut-on croire en Dieu quand on voit qu’il
accepte de telles horreurs ? » avait répondu : « Ce n’est
pas Dieu qui était absent, c’était l’homme. » Où est
l’homme aujourd’hui ?
Cet état de fait transparaît tous les jours dans la vie
sociale. L'abdication de soi et du sens de la responsabilité
face à ses actes a laissé la place, sous prétexte de survie,
à la soumission et à la défense des petits droits inutiles et
mesquins. Nous devrions pourtant nous souvenir de ce
qu’écrivait Dostoïevski dans Les Frères Karamazov :
« Nous sommes tous responsables de tout et de tous et
devant tous, et moi plus que tous les autres. » C'est parce
qu’un premier conducteur décide de s’arrêter au passage
piéton que toutes les autres voitures s’arrêtent également.
Mais le pouvoir des lâches est présent tous les jours
dans toutes nos petites abdications. Il se joue
tranquillement dans la cécité générale, comme ce fut le
cas à l’époque de la Seconde Guerre mondiale. Mais
surtout, n’en parlons pas ! Tout le monde sait bien qu’à
cette époque, la France a connu quarante-cinq millions de
résistants.
Seulement, bien au-delà du simple constat de
délitement social qui finalement n’est pas très nouveau,
et a déjà été fait par de plus compétents que moi, ce qui
se joue derrière tout cela est très intéressant pour mieux
comprendre pourquoi nos corps physiques sont de plus
en plus profondément malades. Certes, la durée de vie
« végétative » augmente, mais celle de la conscience ne
suit pas le même chemin.

LE SYNDROME DE L’IDOLE
Moïse et le Veau d’or : du « lieu tenant » au
« tenant lieu »
La nature a horreur du vide et il en est de même pour
la nature humaine. Le manque de sens de la vie moderne,
la peur du néant, l’état de survivance conduisent les êtres
à la recherche de palliatifs, d’ersatz.
Lors d’un débat sur l’hypermédiatisation de la mort du
pape Jean-Paul II, le philosophe Alain Finkielkraut
expliquait, avec beaucoup de justesse, que l’on a, dans
tous les plans de la société dite « moderne », perdu le
sens ou plutôt le bon sens de la vie. Les obsèques de
Jean-Paul II donnèrent lieu à une médiatisation et à une
exacerbation du sentiment religieux fort troublantes.
Alain Finkielkraut proposait une explication à ce
phénomène à travers l’idée que nos sociétés ont perdu le
sens basique de la « représentation » ou du
« représentant », dans tous les domaines.
Traditionnellement, le représentant (prêtre, chamane,
médium, seigneur, délégué, député, etc.), est censé être
une sorte d’interface entre les individus et des
dimensions qui leur sont difficilement accessibles parce
que subtiles, élevées, complexes ou distantes. Le
philosophe expliquait que ces représentants ont
aujourd’hui totalement changé de statut dans
l’inconscient collectif. Ces représentants, qu’il nomme
« lieu tenants » (le lieutenant était celui qui faisait le lien
entre le commandement et les troupes), ont perdu leur
dimension d’intermédiaires, car ce qu’ils étaient censés
représenter (l’Église dans le cas de Jean-Paul II, mais
c’est ce que l’on constate malheureusement avec les
institutions en général) s’est vidé de son sens, de son
contenu. C'est ce vide qui a éloigné les individus des
institutions. Ceux-ci ont alors projeté leur attente vers
leurs représentants. On a oublié alors le sens du « lieu
tenant » (celui qui se tient entre) pour lui préférer le sens
du « tenant lieu » (celui qui remplace). Mais il s’agit d’un
remplaçant vulgaire, d’une sorte de fac-similé, vide de
sens et seulement porteur des apparences.
Cette notion magistrale du « lieu tenant » devenu
« tenant lieu » éclaire d’une lumière crue ce qui se passe.
La négation de l’invisible, dimension si difficilement
acceptable pour une culture uniquement sensorielle,
conduit à la nécessité de fabriquer un « visible ». Le pape
décédé est ainsi passé, dans le cœur des croyants
catholiques, du statut de « lieu tenant » de Dieu à celui de
« tenant lieu ». Ce fut à un point tel que, alors qu’il
n’était même pas mis en terre, de nombreuses voix
réclamaient sa béatification. Cela était inconcevable,
même pour l’Église. Elle a cependant cédé au chant des
sirènes et accepté de lancer une procédure accélérée. Las,
l’identification, la projection comme disait Jung, le
messager ont pris la place du message. L'idole est
devenue icône.
Notre tradition judéo-chrétienne, qui savait déjà cela,
a tenté de nous le transmettre, pour nous en prévenir, à
travers l’histoire de Moïse. Que nous dit cette histoire ?
Je ne prétends pas être exhaustif sur le sujet ni faire
œuvre de théologie bien entendu. Cependant une lecture
particulière de nos textes traditionnels, dont la Genèse et,
dans le cas de Moïse, l’Exode, peut nous aider à
comprendre ce qui se joue pour nous aujourd’hui et que
je qualifie de « syndrome de l’idole ».
Dieu, ayant appris que son peuple souffrait sous le
joug de Pharaon, demanda à Moïse d’aller en Égypte
pour chercher ce peuple et le reconduire vers la Terre
promise (cela symboliserait-il le retour à soi, à la source,
aux origines ?). Je ne reviendrai pas sur les péripéties,
toutes porteuses de symboliques très puissantes, qui
permirent à Moïse de quitter l’Égypte avec son peuple
(les dix plaies, le miracle de la mer, etc.).
Après avoir quitté les abords de la mer Rouge, Moïse
et son peuple rencontrèrent, sur leur chemin, trois déserts
qu’ils durent traverser. Ces traversées furent l’occasion
d’épreuves pour le peuple, dont chacune porte un sens
symbolique (ne seraient-ce pas les traversées du désert
bien connues de toutes les personnes qui cherchent leur
« terre promise » en travaillant sur elles-mêmes afin de
quitter l’esclavage des sens ?).
Lors de la traversée du premier désert, celui de Shur,
le peuple fut confronté à la soif. Or la seule eau qu’ils
trouvèrent, à Mara – qui signifie « amer » en hébreu : la
saveur amère est associée, en énergétique, au cœur, au
Feu, aux émotions –, n’était pas bonne à boire (l’eau
symbolise entre autres le monde émotionnel et
inconscient. Les émotions négatives peuvent-elles
empoisonner ?). Le peuple « murmura contre Moïse »
(gronda) et manifesta, dès ce premier obstacle, sa
difficulté à accepter les épreuves, à « payer » le prix de
sa liberté (voir p. 182). Il montra ainsi qu’il n’était pas
encore prêt à accepter d’accueillir la « grâce » (la
confiance dans la vie ?) dans son âme. L'intervention de
Moïse qui toucha l’eau avec un bâton permit, grâce à
l’aide de Dieu, de rendre l’eau douce (la disparition de la
souffrance émotionnelle se fait par l’ouverture de l’esprit
et sa « purification » par l’accès à la dimension invisible,
spirituelle). Face à cette première rébellion, Moïse fixa
au peuple de Dieu les premières règles à respecter, les
premiers devoirs (le sens des responsabilités, le prix des
choses, le coût des actes?) qui lui permettraient de
progresser sans peine (sans subir les plaies d’Égypte).
Son peuple put étancher sa soif, reprendre sa marche et
arriva à Elim où il trouva douze (!) sources et put camper
au bord de l’eau.
Moïse et son peuple reprirent la route et rencontrèrent
bientôt un deuxième désert, le désert de Sîn. La traversée
de ce nouveau désert (nouvelle épreuve) réveilla le
« murmure » des anciens esclaves qui manifestèrent,
cette fois, non pas leur soif mais leur faim auprès de
Moïse (les émotions étant calmées, on se reporte sur la
matière et la satisfaction du corps). Ils allèrent jusqu’à
regretter le temps « béni » où ils étaient en Égypte,
« auprès de la marmite de viande et mangeant du pain à
satiété » (ils étaient ainsi prêts à redevenir esclaves, à
perdre leur liberté pour obtenir la sécurité !). Dieu fit
pleuvoir chaque jour la manne céleste et les cailles afin
de nourrir son peuple, demandant à chacun de ne
« prendre qu’en fonction de ses besoins », ni plus ni
moins (il s’agit d’un nouveau test de la confiance dans la
vie et dans sa capacité à « pourvoir à tout »). Tous ceux
qui « ramassaient plus » afin de faire des provisions ne
purent les conserver car les vers « s’y mirent et
infestèrent tout » (l’avidité, le besoin de posséder, la
peur de manquer pourrissent tout). Ce fut la première
colère de Moïse contre son peuple et « tout rentra dans
l’ordre » (cela symbolise la nécessité, malheureusement,
pour l’autorité de se manifester avec force).
Ils quittèrent ensuite le désert de Sîn pour arriver,
après d’autres péripéties, dans le désert du Sinaï. Moïse
installa son peuple au pied du mont Sinaïoù lui-même
monta (tout ce qui est divin est élevé et, pour s’élever,
tout individu doit « monter »). Arrivé au sommet, Moïse
reçu de Dieu les Tables de la Loi (qui représentent les
devoirs de tout être humain face à la vie, les bases de la
morale sociétale, le sens des vertus qui le
« verticalisent »). Cette démarche auprès de Dieu fut
longue car elle allait bien au-delà de la transmission des
Dix Commandements. Toujours est-il que cette attente
(absence, désert d’information, d’action, épreuve
nouvelle sur la confiance) fut trop longue pour le peuple
qui attendait au pied de la montagne. L'absence du guide,
du leader, du chef, du lieutenant de Dieu fut
insupportable et le peuple demanda à Aaron (qui
accompagnait Moïse depuis le début) de lui trouver un
substitut, de lui créer un « tenant lieu ». Aaron céda avec
une étonnante facilité (cela signifie combien la véritable
autorité est rare et condamnée à la solitude). Il demanda
à chacun d’« ôter les anneaux d’or aux oreilles de sa
femme, ses fils et ses filles » et de les lui donner (cela
symbolise que pour obtenir le Veau d’or, chacun doit
abdiquer la seule richesse qu’il possède et qui pourtant
participait à le rendre « beau » ; pour le peuple esclave,
il s’agit de cette liberté qu’on venait de lui offrir). Il en
fit un Veau d’or, que le peuple adora comme son Dieu.
Le « lieu tenant » (Moïse) ayant disparu (à leurs yeux), il
fut remplacé par un « tenant lieu » (le Veau d’or) obtenu
en abandonnant sa seule richesse (la liberté). La
déception de Moïse fut grande. Il « s’enflamma de
colère, il jeta de sa main les Tables et les brisa au pied de
la montagne ».
Que pouvons-nous tirer comme enseignement de ce
passage de l’Exode ? Moïse a lutté avec force et
conviction pour sortir son peuple de l’esclavage. Il a pu
le faire avec l’aide de l’invisible (Dieu). Il a réussi dans
son combat. Cependant, la conquête de la liberté et de sa
part d’humanité conduit toujours celui qui la mène à une
grande solitude et ceux qui le suivent à une traversée du
désert. Moïse vécut la solitude et son peuple vécut avec
lui la traversée du désert. Mais l’épreuve fut trop dure
pour ces esclaves qui, petit à petit, finirent par se dire que
finalement l’Égypte, ce n’était pas si mal. Moïse perçut
bien la tension existante et il ressentit le besoin de donner
à son peuple un « cadre de référence ». Mais à peine eut-
il tourné le dos pour aller, en tant que « lieu tenant » de
Dieu, chercher les Tables de la Loi, que son peuple se
reconstruisait un « tenant lieu », le Veau d’or. Cette idole
de transfert, après ce passage du désert (vide, manque de
repères) était plus facile à adorer qu’un Dieu, distant ou
immatériel et transcendant. Cette idole était rassurante et
facilitante parce que plaçant la loi « dehors » et donnant
une forme à l’autorité. Les Tables de la Loi, symboles
des règles intérieures comportementales, étaient plus
difficiles parce qu’abstraites et demandant l’effort d’une
autorité propre et individuelle. C'est l’idée de cette
abdication face à l’effort et à la responsabilité
individuelle que je qualifie de « syndrome de l’idole ».
Car il s’agit bien d’un véritable syndrome, l’imposture du
« tenant lieu » par rapport au « lieu tenant » étant ce qui
fait le lit de la déchirure entre l’âme et le corps et par
conséquent celui de la maladie.
Nous vivons de nos jours ce syndrome de l’idole de
multiples façons (ainsi que nous allons le voir dans la
suite de ce livre) et nos consciences en sont malades. Or
ce sont elles qui font vibrer nos corps à l’unisson. Les
Anciens avaient sans doute compris ce lien profond. C'est
pour cela qu’ils élaborèrent des rituels et des protocoles
destinés à organiser nos consciences issues du chaos
intérieur. Malheureusement, les dissonances générées par
nos modes de vie nous ont ramenés vers ce chaos que les
Anciens avaient tant cherché à ordonner. De ce fait, nos
corps n’ont plus d’autre issue que de répondre par la
cancérisation, chaos physique s’il en est. C'est la seule
alternative qui reste à la vie intérieure pour s’inscrire,
selon les modulations d’une pensée en perdition, dans le
phénoménal, le monde incarné et charnel. Le vide de
sens et de finalité produit le chaos des âmes, et le vide
des règles et des comportements conduit à manifester ce
chaos dans la réalité de nos corps.
Les conséquences sont nombreuses. À l’instar du
peuple juif, sorti de l’esclavage par Moïse, les peuples
modernes ont été fascinés par le rêve du progrès matériel
censé rendre tout facile et dû. Ils ne supportent plus le
sens de la quête et de la conquête, ne se rendant pas
compte qu’ils sont redevenus des esclaves. Ils ont perdu
de vue le sens du « sacré » pour se rassurer avec le
« magique ». La vie ne doit plus être complexe et digne
de respect, elle doit être faite de recettes, de « digest » et
d’immédiateté. Le sens de l’abstrait, dans ce qu’il évoque
l’âme et la transcendance, a laissé la place au sens du
virtuel dans ce qu’il provoque comme sensation. L'outil
est devenu le but et le moyen est devenu la finalité. Nous
sommes revenus à l’âge du Veau d’or. De cette
dichotomie entre le corps et l’esprit naissent les
conditions nécessaires à la maladie. C'est là l’une des
premières conséquences du syndrome de l’idole.

Le retour aux temps magiques


Une autre conséquence de ce syndrome est celle de la
projection à l’extérieur, en dehors de soi, de la « toute-
puissance ». Cela se traduit par un retour aux temps
magiques. Ce retour est la conséquence et la signature de
la pensée barbare, certes lissée par l’aseptisation
physique des manifestations, mais de ce fait encore plus
grave. Cette pensée a besoin d’incantations, de grigris et
de formules secrètes ainsi que de sorciers pour les
réaliser. Le hasard est là pour donner une explication aux
manifestations de l’invisible et le magique est là pour
envisager une action sur cet invisible. Le retour aux
temps magiques croit redonner un sens à l’invisible,
permettant d’« expliquer » tous les phénomènes
perceptibles mais dont la logique, les raisons
n’appartiennent pas au phénoménal connu. Le placebo
qui guérit est donc dû à un hasard ou à un miracle. Il ne
peut être question d’un phénomène intérieur, d’une
biochimie subtile propre à l’individu. Par conséquent, ce
retour au magique n’est pas une réconciliation avec
l’invisible mais une véritable dichotomie, une déchirure.
Il externalise en effet la puissance agissante, lui donnant
le pouvoir en l’enlevant à l’être individuel qui n’est
qu’un objet ballotté, un être infantilisé, une victime
innocente. La responsabilité de toute chose, la maladie
comme la guérison, ne peut être qu’« en dehors de soi » :
« Rien n’est notre faute, rien n’est non plus grâce à
nous. » Il faut à tout prix tout aseptiser afin de ne pas être
contaminé, puisque la seule cause des maladies c’est le
microbe, le virus ou la bactérie. Et foin de la réalité,
même si l’on constate, dans toutes les épidémies et les
vagues d’infection, qu’il y a des individus qui ne sont pas
touchés. Nos grands sorciers savants nous disent que « le
microbe est tout et le terrain n’est rien », par conséquent
il ne peut qu’en être ainsi ! Pourtant, la plupart des
dermatoses, par exemple, trouvent un terrain favorable, si
ce n’est plus, dans les peaux « trop propres », de la même
façon que les sociétés aseptisées produisent le
hooliganisme.
Nos ancêtres, qui savaient parfaitement combien le
terrain est important, ont tenté de nous l’enseigner. Ils
avaient par exemple instauré les carnavals et autres
soupapes d’évacuation sociale, où tout était permis, afin
de « nettoyer » ce terrain. Ces moments exutoires, qui
étaient la reconnaissance même de l’origine profonde,
intérieure, des tensions, permettaient à chacun de
« chasser ses démons ».
Nos ancêtres savaient aussi combien la construction
intérieure était importante. Ils avaient de ce fait jalonné la
vie de chaque être de « rites de passage », sorte
d’initiations lors desquelles la conscience de l’individu se
préparait au passage vers chaque nouvelle étape de la vie,
la mort y compris. Ces rites étaient construits pour vivre
et, par conséquent, exprimer les peurs inconscientes
propres à ces moments de mues intérieures. Mais,
aujourd’hui, « la vie est devenue elle-même un risque ».
Il faut se prémunir contre tout et se protéger de tout.
Affronter ses peurs ou ses angoisses est devenu
insupportable, intolérable. On nous donne alors, à notre
demande, de quoi les faire taire. Seulement, nous perdons
ainsi le sens du réel. En mettant à nos enfants qui font du
patin à roulettes (pardon, il est bien de dire aujourd’hui
du roller) un casque, des genouillères, des coudières, des
gants etc., on croit les protéger. Certes, on les empêche
de se faire mal. Mais, par crainte d’un bobo et alors que
le risque est limité, on les empêche surtout de contacter
leurs limites (et celles de tous les actes). Ils ne peuvent
donc pas les découvrir, les percevoir, car seule
l’expérience du vécu permet de le faire. Quand pourront-
ils le faire alors ? Lorsqu’ils auront une moto ou un
scooter, au volant d’une voiture ? Quel sera alors le coût
de l’expérience ? En sursécurisant tout, nous tuons toute
possibilité à la vie de s’exprimer. Que lui reste-t-il alors
sinon la maladie ou l’accident pour s’échapper du carcan
d’ignorance dans laquelle nous l’enfermons ? Les
moutons de Panurge meurent parce qu’ils suivent tous,
aveuglément, par crainte et sans doute par bêtise, le
mouvement général. Et si la vie était un risque à
prendre ?
De l’être au paraître, du sens à la sensation, du
saint au héros
Le syndrome de l’idole se traduit également dans cet
intéressant paradoxe : ce qui compte de nos jours n’est
plus le sens, la vérité, mais le dogme et le protocole. Le
cas du petit Alexis, que j’évoquais précédemment, en est
un exemple frappant. Comment le syndrome de l’idole a-
t-il conduit à cela ?
Dans le culte de l’idole, du Veau d’or, ce qui est
présenté à adorer n’est pas en fait la divinité qu’il
représente, mais la brillance du métal dont il est fait et sa
valeur marchande. La préciosité réside dans l’objet et
non dans ce qu’il symbolise. La caste des prêtres
organise cela avec beaucoup de faste et de mystère et le
peuple se prosterne devant l’idole qui devient le « tenant
lieu ». On lui sacrifie des victimes parce qu’elle fait peur
et l’on choisit les victimes soit parmi les innocents, soit
parmi les ennemis vaincus. Les prêtres idolâtres sont les
défenseurs opiniâtres du Veau d’or. Ils éructent et
déchaînent la vindicte sur les incroyants du dogme et les
accusent avec l’appui béat des fidèles. Les dogmes sont
créés et la caste des prêtres est constituée pour les
défendre et, à travers eux, se défendre elle-même.
Le syndrome de l’idole produit de nos jours le même
phénomène. Ce qui compte, par exemple en médecine, ce
n’est plus le résultat mais le protocole (l’opération a
parfaitement réussi, mais le malade est mort...). Les
corporations, quelles qu’elles soient, ne sont plus là pour
défendre l’âme d’un groupe constitué autour d’une
vision, mais simplement son territoire. Tout cela se fait
dans l’anesthésie la plus totale des consciences d’une
humanité, elle aussi béate, qui se comporte comme le
peuple de Moïse. Elle se bouscule et se bat plus pour ses
jeux du cirque ou ses spectacles humanitaires organisés
que pour le respect de son essence même et de sa
verticalité. Le panem et circences romain est d’une
actualité criante. Il y a peu, on faisait la queue avec des
tickets de rationnement pour avoir quelque chose à
manger. De nos jours, on fait la queue avec des tickets de
consommation pour des jeux. Les peuples occidentaux en
sont arrivés au point de défendre bec et ongles leur droit
à « tout avoir tout de suite », tout en acceptant de perdre
des heures entières à attendre gentiment pour le dernier
spectacle ou la dernière manifestation à la mode ou plutôt
« tendance ». Car l’instant, les sensations et l’émotion
qui lui sont associées comptent seuls, valorisés dans une
culture où l’hystérie tient lieu de dimension et de
profondeur. Le dirigeant d’une grande chaîne de
télévision n’a-t-il pas écrit noir sur blanc que son but était
de « fournir du temps de cerveau disponible » à ses
annonceurs ? On ne peut pas dire que les choses ne soient
pas dites clairement.
Les marchands sont revenus dans le temple !
Seulement voilà, pour obtenir la satisfaction des sens, on
pactise avec le diable, l’ombre, l’absence de respect de
soi. Pauvres docteurs Faust que nous sommes ! En
signant ce pacte, nous acceptons d’abdiquer de
l’essentiel, notre âme, pour ne plus nous préoccuper que
de notre corps et de la gestion éphémère de nos états
d’âme. Mais à quoi cela sert-il d’avoir un véhicule
superbe et puissant si le chauffeur est enivré ou
anesthésié ? Il ne faut plus vieillir, il faut être beau, alors
notre pacte nous conduit au poison et à la violence envers
nos corps. On se fait injecter ce poison, cette célèbre
toxine botulique qui enlève les rides. On se fait
« chirurgiquer », trancher, couper, liposucer au point de
ressembler avec le temps à des ectoplasmes au regard
vide ou chargé d’une terreur sans limite face à cette
incongruité qu’est la mort. Quelle souffrance et quelle
misère intérieure pour en arriver là ! Quelle souffrance
que les visages de ces pauvres femmes multiliftées, dont
l’expression figée est pire que celle de la mort elle-
même ! Quelle souffrance que ces visages de ces
pourtant jeunes représentantes de la frange « people »
aux lèvres gonflées au collagène, silicone et autres
substances prothésiques ! Quelle souffrance que celle
d’une banalisation voire d’une normalisation d’une telle
négation de ce que l’on est, justifiée par l’espoir ou la
promesse de devenir, grâce à la chirurgie ou la chimie, ce
que l’on aimerait être. On en arrive à ces incroyables
émissions de télévision où des personnes en mal-être se
font transformer physiquement (on dit « relooker ») et
reviennent chez elles, accueillies, sous l’objectif voyeur
des caméras, par toute une famille « heureuse ». L'image
et l’apparence sont devenues plus importantes que
l’« intérieur ». On cherche à se rapprocher de l’idole,
oubliant l’être pour le paraître. « Regarde, disait le diable
au Christ, si tu le veux tout ce que je te montre peut être à
toi. » Mais à quel prix ? « Signe, disait Méphisto au
docteur Faust et tu seras immortel. » Mais à quel prix ?
Quelle souffrance, enfin, dans ces sociétés qui fabriquent
et banalisent des obèses de plus en plus nombreux et les
absolvent par des hypothèses génétiques
déresponsabilisantes ! Ils ne sont pourtant que la
signature d’un vide existentiel incommensurable qu’ils
cherchent à combler. Et cela se fait en consommant des
aliments eux-mêmes vides de vie, uniquement porteurs
de matières qui, si elles remplissent le corps, ne le
nourrissent pas et ne font qu’accroître le ressenti de vide
et par conséquent le besoin de manger.
Le syndrome de l’idole est enfin la signature et
l’acceptation, consciente ou non, d’une pensée nihiliste
parce qu’uniquement matérialiste. L'illusion, le miroir
aux alouettes de la pensée existentialiste nous a conduits
au bord d’un gouffre sans fond, signant la faillite de ces
systèmes de pensée qui nous assènent que la vie n’est que
l’existence et qui nient l’invisible et le transcendant.
Cette pensée dialectique des temps modernes a connu ses
heures de gloire. Elle s’est associée à une pensée pseudo-
scientifique, imbue de son petit savoir temporel. C'est
ensemble qu’elles ont construit ce gouffre où l’instant et
le manifesté, le visible et le matériel, la sensation et
l’émotion brute sont devenus les étalons, les credo.
Persuadées de posséder la Vérité, elles se sont chargées
de la faire connaître, élaborant à leur tour des dogmes
aussi définitifs que ceux des religions qu’elles rejetaient.
L'effet de leurs dogmes se traduit par le fait que, de
nos jours, il n’y a plus de saints (images valorisantes de
l’être et de l’âme) mais des héros (images valorisantes du
faire et du corps). Ce n’est plus le sens de l’âme, de
l’élévation d’esprit ou des actes qui fait rêver mais les
records, les victoires et les conquêtes médiatiques. On ne
vénère plus des icônes mais des idoles, et ce même dans
la plupart des religions. Il suffit pour s’en persuader de
constater à quel point les prédicateurs des églises nord-
américaines sont adulés et attirent plus de monde que la
foi qu’ils professent. Le charisme, la maîtrise du
discours, de la matière et du phénoménal « extérieur »,
est ce qui est valorisé en lieu et place de la recherche de
la qualité de l’être et de son attitude intérieure. Les
footballeurs, les champions automobiles ou les stars font
rêver et servent de modèles, quelle que soit la façon dont
les résultats sont obtenus. À un point tel qu’il existe par
exemple en Argentine une véritable « Église du
football » dont l’icône est Diego Maradona, cet ancien
joueur dont la carrière s’est tristement finie dans la
cocaïne. Cette « Église » rassemblait en 2005 plus de
quatre-vingt mille fidèles de par le monde !
Cette vision « existentialiste » participe du syndrome
de l’idole et le nourrit de croyances nouvelles qui nous
éloignent du sens de la vie (la réalisation de l’être) pour
nous enfermer dans celui de l’existence voire de la
survivance. Comme le peuple de Moïse, nous avons
perdu la foi dans la vie et construit des Veaux d’or, au
prix de notre seule richesse, notre âme.
Mais la vie et ses lois paradoxales semblent ne pas
aimer les certitudes définitives. Elles proposent des
obstacles aux croyances linéaires et aux vérités déduites
du seul visible ou fabriquées par les adorateurs du Veau
d’or. Face aux diktats assénés des diagnostics par
exemple, elles proposent des rémissions, sortes de
miracles inexpliqués et de nos jours inexplicables. Face
aux démonstrations de l’« in vitro », elles répondent par
les échecs de l’« in vivo ».
Pour ne pas continuer à sombrer dans le gouffre où
nous conduit le syndrome de l’idole, il va nous falloir
tout réapprendre, à commencer par le sens même de la
vie, de ses valeurs et de ses lois. Nous allons devoir
« remonter sur la montagne » pour aller rechercher ces
Tables que Moïse avait cassées. « Non, nisi parendo,
vincitur », « On ne la vainc qu’en lui obéissant », nous
dit cette locution latine que Francis Bacon appliquait à la
nature et que nous pouvons appliquer à la vie. Il va
également falloir accepter qu’en nous aussi, les « lieu
tenants » que sont nos sens ne doivent plus être ce qu’ils
sont devenus, c’est-à-dire nos « tenants lieu » du rapport
à la vie. Car c’est malheureusement ce qui se passe
aujourd’hui. Nos sens, destinés à être des outils de
perception, de compréhension et aussi de feed-back du
réel et de la « manifestation6», sont devenus des dieux
obscurs qu'il est bon de satisfaire à tout prix et tout de
suite. La frustration, qui conduit au sens de l’effort et à
celui de la conquête de l’objet du désir, nécessite
l’acceptation du temps. C'est ce qui nous la rend
insupportable. Cette frustration est devenue aujourd’hui
un obstacle à l’illusoire sensation d’exister qui s’inscrit
dans une dimension éphémère et quantitative. Pourtant,
qu’y a-t-il de plus terrible que ces adolescents qui se
scarifient ou simulent des pendaisons pour avoir
l’impression de « vivre » ? Cette désespérance n’est-elle
pas plus terrible, dans ce qu’elle signifie, que le risque
mortel encouru ? Qu’y a-t-il de plus dramatique que de
voir tous ces jeunes qui n’ont la sensation d’exister qu’en
« dansant » des transes animales face à des enceintes
surpuissantes pour en ressentir la vibration ? Qu’y a-t-il
de plus inhumain que ces dealers/raveurs qui éventrent
vivants leurs propres chiens, amis pourtant fidèles, pour
récupérer dans leur estomac les sachets de drogue qu’ils
y avaient cachés ? L'instantané rend le manque
insupportable par disparition du sens du devenir et du
futur et conduit à se salir l’âme. Les promesses de
jouissance, satisfaction sensorielle de l’instant,
transforment chaque envie en un dû. Ce qui compte n’est
plus de se servir de ses sens pour apprécier la vie (dans le
sens étymologique le plus large du mot), mais de les
satisfaire pour jouir de l’instant. Cela se fait au prix le
plus élevé qui soit, celui du non-respect de soi et de la
vie. Sa facture s’inscrit d’abord dans nos âmes mais
aussi, inexorablement, dans nos corps.
Il nous faudra pourtant accepter à nouveau de
reconquérir le vrai sens de la vie. L'acceptation de la
frustration ne signifie pas l’acceptation du manque ou de
l’inaccessible. Elle est, bien au contraire, une incitation et
un outil indéniable de croissance de l’être en participant à
son élévation. C'est elle qui le pousse, non pas à attendre
que « les alouettes tombent toutes rôties dans le bec »
parce qu’elles nous font envie (procède du besoin de
posséder et enchaîne à la matière), mais à se battre pour
conquérir l’objet du désir (procède du besoin de
conquérir et entraîne à l’élévation).
Aucun niveau de nos sociétés modernes et peu
d’individus ont échappé au piège du syndrome de l’idole
et nous n’en sommes que plus malades. La confiance
(cette sorte de foi du conscient en ce qui peut arriver et
dont la trame se tisse dans l’expérience empirique de la
vie et de ses transmissions générationnelles) a disparu.
Reconquérir cette confiance, nécessité vitale, sera
douloureux, car cela passera par la désillusion et le
constat des chimères dans lesquelles on a cru. Cette
douleur de la reconquête se traduit chaque jour dans les
comportements sociaux mais également dans l’état de
nos corps physiques. La maladie est un soubresaut, un
sursaut, un cri désespéré que quelque chose au fond de
nous expulse parfois avec intensité voire violence. « Ne
m’abandonne pas, ne me trahis pas, fais-moi donc
confiance ! » crie au fond de nous une voix déchirée et
bien souvent étouffée ou assourdie par l’ivresse de nos
attitudes.
Mais que faire ? Que pouvons-nous aujourd’hui, alors
qu’une grande partie de nos contemporains est prête à se
faire injecter des puces électroniques dont elle ne mesure
ni le sens ni la portée ? Elle y est prête parce qu’on lui dit
qu’ainsi les données uniquement médicales seront
facilement accessibles, que l’on pourra entrer dans les
boîtes de nuit sans contrôle (cela existe déjà en Grande-
Bretagne) ou que cela permettra de protéger ses enfants
en cas de disparition. Je ne crois pas que la réponse se
situe au niveau du groupe. « Ils ont des yeux et ne voient
pas, ils ont des oreilles et n’entendent pas… », nous dit la
Tradition. Moïse n’a pu « sauver » qu’une petite partie de
son peuple. La réponse pourra en revanche se faire au
niveau des individus. Les électrochocs de la vache folle,
du sang contaminé, de l’amiante ou de Tchernobyl l’ont
bien démontré. Ces traumatismes ont marqué
l’inconscient collectif et atteint le cœur des individus. La
croissance exponentielle de la demande de bio ou du
recours aux médecines alternatives en est l’expression la
plus évidente. C'est par ce cœur que la reconquête et la
réconciliation avec la vie vont pouvoir se faire, soignant
ainsi les dégâts faits au corps. C'est ensuite au niveau de
l’âme de chacun de nous que pourra s’accomplir le
véritable travail de guérison.
Pour que tout ce chemin puisse se faire et ait un sens,
il nous faut essayer de comprendre ce qui permet de
considérer que si nos corps sont malades c’est parce que
nos âmes le sont. La souffrance de nos corps peut-elle
être la conséquence de notre violence voire de notre
opposition à la vie ? Peut-elle avoir également, au-delà
de toutes ces sources extérieures que nous venons
d’aborder, une source à l’intérieur de nous ? La
compréhension de la façon dont est organisé et
fonctionne notre psychisme va nous y aider.

1 Pierre Vican, Nos enfants cobayes de la psychiatrie ?, éd. Anagramme,


2006.
2 Dans Le Malade imaginaire.
3 Non matérialisable, non mesurable.
4 Voir p. 36.
5 Christian Jacquiau, Les Coulisses de la grande distribution, Albin Michel,
2000.
6 Ce qui est manifesté, matérialisé, incarné.
Les causes internes : les
sources psychiques
Le XXe siècle a été, en Occident, celui de la
découverte et de la connaissance des structures
psychiques de l’être humain. Sigmund Freud, Carl
Gustav Jung, Alfred Adler mais aussi Gaston Berger,
Henri Bergson, Rupert Sheldrake (biologiste ayant
développé la théorie des champs morphogénétiques),
Wolfgang Pauli (physicien quantique ayant travaillé de
nombreuses années avec Jung sur la « synchronicité »)
ou Frederic David Peat1ont contribué à une élaboration et
à une connaissance de plus en plus profonde et complète
des mécanismes psychiques de l’être humain. Grâce à ces
chercheurs, il devient possible d’envisager comment ces
mécanismes peuvent permettre de comprendre les
origines de la maladie.
Car il n’est pas possible de donner un sens aux
manifestations physiques que l’on appelle symptômes
(maladies ou traumatismes) si l’on considère le corps
comme une simple réalité mécanique, déconnectée de
cette autre composante de l’être humain : le psychisme.
Car il n’est pas possible non plus d’expliquer toutes les
maladies par les seules causes externes.
Les derniers dinosaures, tenants d’une science pure et
dure dont les fondamentaux datent du XIXe siècle et qui
prétendent encore le contraire, vivent les ultimes
moments de leurs croyances dogmatiques. Les
recherches très poussées des neurosciences, quasi
inexistantes en France mais particulièrement développées
aux États-Unis, donnent des résultats sans appel qui vont
ébranler les tours d’ivoire. Le troisième millénaire sera
celui de la réunification, médicale et scientifique, du
corps et de l’esprit.
En ce qui concerne notre propos, que savons-nous de
cet esprit et de sa dimension accessible au conscient que
l’on appelle « psychisme » ? Que savons-nous de la
façon dont est construite et fonctionne cette dimension
psychologique ? Que savons-nous de ses sensations qui
s’appellent « émotions » ? Que savons-nous de la
manière dont elles se construisent et agissent ? Que
savons-nous du fait qu’elles puissent être à la base de
toutes nos oppositions et luttes face à la vie à travers les
peurs qu’elles génèrent ? Voilà un certain nombre de
questions auxquelles nous allons tenter de répondre
ensemble à travers un cheminement progressif et
pédagogique dans ce monde à la fois si simple et si
complexe qu’est l’univers du psychisme humain.
Je vais essayer de présenter de façon accessible et sans
prétendre aucunement à un cours de psychologie
avancée, de quelle façon nos esprits sont construits et se
construisent. Nous pourrons envisager alors comment
leur fonctionnement peut être une source intérieure de la
maladie, notamment au regard des émotions et de leurs
pendants mémorisés que l’on appelle « mémoires
émotionnelles ».
Mon approche ne prétend pas être exhaustive. Elle se
veut principalement explicative. Elle cherche à
démontrer comment nos vécus sont producteurs parfois
de nœuds intérieurs, de tensions emmagasinées, qui
finissent par créer des tensions physiques. Je vais
m’appuyer pour cela sur les concepts élaborés et
développés par les grands noms de la psychologie. Que
les spécialistes de chaque domaine me pardonnent et ne
hurlent pas au loup : mon propos ne se veut ni
universitaire ni réducteur de l’apport incontestable de
tous ces grands hommes que je vais citer et dont je vais
utiliser d’infimes parties d’un travail, travail sans
commune mesure en regard du peu dont je vais parler.
Mon propos consiste simplement, en m’appuyant sur
leurs recherches, à illustrer comment, tout au long de sa
vie et à tout moment, un être humain peut dire « non » à
la vie et, par voie de conséquence, se mettre en état de
vivre la maladie ou le traumatisme.
Je dois une grande partie de la compréhension que je
vais partager ici à un homme dont la vivacité,
l’intelligence et la curiosité d’esprit étaient remarquables.
Bernard était un homme de culture, dans le sens le plus
noble du terme. Il savait jongler librement avec les idées
et les concepts et ce qu’il m’a transmis participe à ma
connaissance d’aujourd’hui. Il y a donc un peu de lui
dans ce livre. Il sut me faire découvrir Jung et son infinie
sagesse, comme il savait tout expliquer avec la simplicité
des histoires quotidiennes. Continuer à transmettre dans
le même esprit ce à quoi je crois est ma façon de le
remercier.

SIGMUND FREUD
Le premier grand défricheur de la psyché humaine en
Occident fut Sigmund Freud. Même s’il a été
accompagné ou précédé de grands chercheurs comme
Georg Groddeck, par exemple, Freud a su établir les
premières bases solides d’une analyse concrète et
opérative de cette dimension particulière de l’esprit
humain qu’il a qualifiée d’« inconscient ». Sa
conceptualisation de cet inconscient, même si elle a été
enrichie depuis, reste malgré tout la référence de base
dans le milieu universitaire et dans celui de la
psychanalyse. Nous aurons l’occasion d’évoquer plus
loin la manière dont il conceptualisait la structure de
l’inconscient.
En ce qui nous concerne, que disait Freud ? Il
considérait que tous les vécus et toutes les mémoires
émotionnelles s’enregistrent toujours et de façon
permanente dans l’inconscient des individus et que,
même si nous n’en avons pas ou plus le souvenir
conscient ou accessible, ces mémoires existent en nous. Il
a d’ailleurs utilisé pendant quelque temps l’hypnose pour
aller chercher ces mémoires bloquantes qu’il appelait
« refoulements », mais il a abandonné cette technique
après avoir constaté qu’un individu était capable
d’inventer, de fantasmer des « souvenirs » qu’il n’avait
pas effectivement vécus. En dehors de cela, Freud
considérait que ces mémoires émotionnelles pouvaient
être à la base de comportements inconscients ou
incontrôlables, qu’elles pouvaient générer des
compensations comportementales pouvant aller jusqu’à
la maladie ou l’accident, à travers entre autres ce qu’il
qualifiait d’« actes manqués ».
Freud disait : « Les enfants sont des cires vierges sur
lesquelles tout s’inscrit. » Tous les vécus des enfants
s’inscrivent en eux, certains étant conscients, d’autres à
demi conscients et à demi inconscients et, enfin, d’autres
totalement inconscients mais existants et agissants
malgré tout. Essayons d’illustrer cela à travers une
histoire inventée.
Imaginons que je puisse retourner dans le temps et
rencontrer Freud. Je vais le voir pour discuter avec lui de
cette théorie et m’étonner du fait, par exemple, qu’un
souvenir puisse être en partie conscient et en partie
inconscient. Il me propose d’en étudier un pour voir
comment cela peut se comprendre. « Donnez-moi un
souvenir conscient de votre prime enfance et nous allons
l’étudier. » Je réfléchis puis je lui raconte mon souvenir
conscient : « Quand j’étais petit, j’étais un petit garçon
vif, joueur et gourmand et il y avait une chose que
j’adorais par-dessus tout, c’étaient les confitures que
faisait ma maman. Mmmm, qu’elles étaient bonnes ! Et
la pauvre femme, elle pouvait les cacher où elle voulait,
je dénichais toujours ses petits pots. Oh, bien sûr, de
temps en temps, je me faisais prendre en train d’en
chaparder et je prenais la correction méritée, mais qu’est-
ce que j’ai pu me régaler quand j’étais petit ! » Voilà le
souvenir conscient que je propose à Monsieur Freud.
« Très bien, me dit Freud, nous allons voir maintenant
s’il n’y a pas une partie inconsciente, différente et peut-
être moins agréable attachée à ce souvenir. » Il me fait
allonger sur le célèbre canapé du n° 19 de la Berggasse à
Vienne et me conduit en état hypnotique vers la mémoire
engrangée du souvenir conscient que je viens de lui
narrer. Et voilà ce que je raconte : « Quand j’étais petit,
j’étais un petit garçon vif, joueur et gourmand et il y avait
une chose que j’adorais par-dessus tout, c’étaient les
confitures que faisait ma maman. Mmmm, qu’elles
étaient bonnes ! Et la pauvre femme, elle pouvait les
cacher où elle voulait, je dénichais toujours ses petits
pots. » Nous voyons donc que pour l’instant la base de
départ est la même. Mais je continue : « Un jour,
d’ailleurs, que je jouais dans la maison familiale, je
traversais le couloir en courant lorsqu’un détail
insignifiant attira mon attention de petit malin. Je
m’arrêtai et fis marche arrière pour vérifier ce que mon
flair particulièrement développé m’avait fait percevoir.
Du dessus de l’armoire qui était dans le couloir dépassait
un tout petit morceau de tissu blanc avec des petites
rayures rouges. Mes yeux de fin limier m’avaient fait
capter ce détail qui se traduisit aussitôt dans mon esprit
par “tissu blanc avec des rayures rouges = confiture”.
Prenant un peu de recul (il paraît que dans la vie, on voit
mieux en prenant du recul…) et montant sur la pointe des
pieds, je découvre effectivement un pot de confiture que
ma mère avait placé sur l’armoire du couloir, le croyant
sans doute à l’abri. J’étais en effet trop petit pour arriver
à saisir ce pot tant convoité. Qu’à cela ne tienne ! Je
regarde s’il n’y a personne dans la maison puis vais dans
la cuisine chercher un tabouret sur lequel je monte pour
atteindre le pot de confiture. Mais c’est encore un peu
juste et c’est sur la pointe des pieds que j’arrive à le saisir
à peine. Mais juste à ce moment-là, ma grand-mère fait
irruption dans la maison et me découvre en train de tenter
mon forfait. Cela me surprend, me déséquilibre, je fais
glisser le tabouret et je tombe sur le carrelage où je me
fais très mal au genou (le droit, bien sûr2et où le pot de
confiture explose. Quelle catastrophe ! Cette délicieuse
confiture dont je suis privé, et cette douleur au genou qui
me fait pleurer : quelle punition ! Et malgré cela, en plus,
ma grand-mère me gronde avec force, me donne une
fessée et me punit en me mettant au coin, dans la cuisine.
Vous imaginez combien mon vécu est désagréable et
teinté d’un sentiment profond d’injustice. Dans ma tête
de petit enfant, je tourne et retourne tout ça. Ma grand-
mère n’est vraiment pas juste. Et ma mère, pourquoi
cache-t-elle les confitures ? Pourquoi m’a-t-elle donné
cette grand-mère ? Elle non plus n’est pas juste ni
gentille. Et si toutes les femmes étaient pareilles ? L'idée
s’inscrit alors en moi ! Il faut se méfier des femmes ! À
tout jamais car elles font mal. » Et Freud de me faire
revenir à moi et de m’expliquer que c’est pour cette
raison que je suis encore célibataire aujourd’hui.
À travers cette histoire du pot de confiture, j’ai voulu
illustrer comment un souvenir, en partie conscient, peut
être porteur d’une dimension inconsciente radicalement
différente de celle restée en « mémoire officielle ». Or
Sigmund Freud a, le premier, démontré combien c’est
cette partie inconsciente qui est la plus porteuse
d’énergie, de force, notamment du fait que, comme nous
n’en avons pas conscience, elle peut agir en profondeur.
Il expliquait ainsi comment des traumatismes de la
prime enfance induisaient des comportements voire des
pathologies très profondes, même si ceux-ci étaient
principalement articulés, dans sa vision, autour des
tensions liées à la libido et à son énergie, la sexualité,
conduisant notamment au complexe d’Œdipe.

CARL GUSTAV JUNG


Il faut cependant considérer, même si dans la vision
freudienne tout se jouait dans cette période de la vie, que
les vécus de la prime enfance ne suffisent pas à tout
expliquer. Il y a bien d’autres périodes de notre vie
pendant lesquelles nous pouvons nous marquer, nous
blesser intérieurement. Les travaux de l’un des piliers
fondateurs de la psychologie occidentale, Carl Gustav
Jung, élève, émule puis dissident de Freud, nous
permettent d’élargir le propos. Ils le font à deux niveaux,
représentatifs des pôles extrêmes de la vie d’un être
humain, à savoir ses origines et ce vers quoi il tend.
Essayons là aussi de voir cela ensemble. Ici non plus
mon propos n’est à aucun moment universitaire mais
cherche uniquement à s’appuyer sur les travaux de Jung.
La rencontre avec la psychologie jungienne a été un
moment clé dans ma compréhension de l’humain, et ce
essentiellement pour deux raisons : tout d’abord Jung n’a
jamais nié, au contraire, la dimension « élevée »,
spirituelle de l’être humain et cet « invisible
transcendant » qu’on peut lui associer et, ensuite, il a
entretenu une relation privilégiée avec l’Orient, les
notions de Yin et de Yang et les approches bouddhistes.
Il est pour moi, en cela, celui qui a le plus profondément
marqué la pensée psychologique et culturelle du monde
moderne. Il est également celui dont la pensée va nourrir
le troisième millénaire.
Il y a eu deux causes principales à l’éloignement entre
Jung et Freud. La première fut que Jung n’acceptait pas
l’idée freudienne selon laquelle la seule énergie
psychique des humains soit la sexualité (la libido) et que
le complexe fondamental de tout individu soit l’Œdipe.
Ce complexe traduit, à l’instar de l’histoire mythologique
d’Œdipe qui, sans le savoir, épousa sa mère et tua son
père, la difficile construction psychique d’un enfant par
rapport à ses parents. Selon Freud, chaque enfant doit
passer, pour se construire, par une phase où il vit un
transfert inconscient « amoureux et incestueux » vis-à-vis
du parent qui n’est pas de son sexe. Par incidence, il vit
également le fantasme de « faire disparaître » l’autre
parent (« tuer » le père ou la mère). Jung considérait
quant à lui que l’essence même des humains allait puiser
dans une dimension plus élevée l’énergie vitale
nécessaire à la croissance de l’être. Nous aurons
l’occasion de revenir sur ce propos.
La seconde raison de la rupture réside dans le fait que
Jung établit l’existence d’un inconscient non individuel
dont la structure est collective et qu’il qualifia
d’« inconscient collectif ». Selon lui, dans cet inconscient
collectif, sorte d’inconscient de l’humanité, sont inscrites
toutes les représentations, croyances, peurs ou blessures
des peuples. Jung qualifiait d’« archétypes » ces grandes
représentations symboliques communes à tous les êtres
humains, que l’on retrouve en particulier dans les
mythologies ou les contes (le héros, le guerrier, la fée, le
roi, etc.). Il découvrit notamment l’existence de ces
archétypes en étudiant les délires de malades mentaux,
nés ainsi et n’ayant pas pu être éduqués. Or ces malades
exprimaient des représentations symboliques ou
mythologiques signant manifestement que leur
inconscient se trouvait « imprégné » par une sorte de
fonds commun à tous les êtres vivants. Les archétypes
agissent, qu’ils soient universels, d’époque, de peuple ou
familiaux comme on les identifie aujourd’hui dans le
transgénérationnel (sorte d’inconscient familial où se
transmettent les données de l’histoire familiale).
L'inconscient individuel se trouve donc en prise,
connecté avec une dimension qui le dépasse, dont il se
nourrit et qu’il nourrit réciproquement en images et
structures émotionnelles (voir p. 92).
On peut illustrer l’action puissante des archétypes et
de l’inconscient collectif à travers la célèbre histoire de
Roméo et Juliette. Cette histoire, pourtant fictive, a
tellement marqué les inconscients que, chaque année, des
centaines de milliers de personnes vont à Vérone se
recueillir devant la tombe de ces héros malheureux ou se
photographier devant le balcon de la maison de Juliette.
Que nous raconte cette histoire ? Deux jeunes êtres
s’aimaient et ne pouvaient vivre leur amour car leurs
familles respectives s’y refusaient, considérant une
mésalliance comme impossible, inacceptable. Ils furent
incapables de transgresser l’interdit familial et finirent
par mourir ensemble. Or si la même situation se
présentait aujourd’hui, on imagine sans aucun problème,
et tout le monde leur donnerait raison, Roméo et Juliette
disant à leurs parents : « Écoutez, vos conflits ne
regardent que vous. Nous, nous nous aimons, alors basta,
nous allons partir vivre ensemble, que cela vous plaise ou
non. » On voit bien là la puissance incroyable des
croyances collectives qu’on pourrait illustrer
dramatiquement avec ce qui se passe de nos jours dans
certains pays du monde où il vaut mieux par exemple
naître garçon que fille. Nous voyons en tout cas à travers
cela combien l’inconscient collectif peut être une source
potentielle incontestable de tensions, de conflits internes,
et d’opposition à la vie pouvant à un moment donné se
traduire dans nos corps pour exprimer ce qui ne peut
l’être autrement.
Il est certain que chaque praticien de santé a un jour
rencontré des clients porteurs de dynamiques
déterminantes sur le plan comportemental et physique
issues de l’inconscient collectif. La plus classique, par
exemple, est celle de la culpabilité. Ce complexe est issu
de l’archétype judéo-chrétien d’Adam et Ève. Dieu avait
demandé à Adam et Ève, qui vivaient nus dans le
Paradis, de ne pas manger les fruits d’un arbre particulier
situé au milieu du jardin d’Éden. Tentée par le serpent,
Ève mangea malgré tout un fruit de cet arbre et incita
Adam à faire de même. « Leurs yeux s’ouvrirent »
puisqu’ils avaient mangé de l’Arbre de la Connaissance
et ils prirent conscience de leur nudité (uniquement
physique ? ou bien aussi conscience d’« être à nu » sur
le plan des pensées ?) et ressentirent de la honte. Ils
cherchèrent alors à cacher cette nudité. Dieu s’en aperçut,
appela Adam et lui dit : « Tu as donc mangé du fruit de
l’arbre dont je t’avais défendu de manger ? » Adam
répondit : « C'est la femme que tu as mise près de moi
qui m’a donné le fruit, et j’ai mangé » (ce n’est pas ma
faute, je suis une victime !). Dieu dit alors à Ève :
« Qu’as-tu fait là ? » et Ève lui répondit : « C'est le
serpent qui m’a séduite, et j’ai mangé » (ce n’est pas ma
faute, je suis une victime !). Le responsable est l’animal
(l’animalité ?) dont les êtres humains seraient victimes
(animalité = corps physique ; le corps était d’ailleurs
considéré comme « haïssable » il y a peu. Est-ce dans les
pulsions physiques et la tentation des sens et du pouvoir
que s’inscrit le Diable ?). Dieu chassa Adam et Ève du
Paradis et les punit en les condamnant à vivre sur la
Terre.
Par conséquent, si nous existons, c’est parce que nous
sommes coupables. Nous existons sur cette Terre parce
que nous avons « fauté » et nous naissons porteurs du
« péché originel ». Quelle charge terrible sur
l’inconscient collectif et individuel. Combien d’actes
d’autonomie, de libération des carcans historiques de la
famille ou de la société ont généré des culpabilités
latentes qui ont fini par produire des « rétractations » de
soi tuant la vie en nous ? Combien d’attitudes infantiles
et irresponsables sont nées de ces « Ce n’est pas ma
faute » d’Adam et Ève ? Qui ne se souvient de la chanson
populaire « C'est pas moi, c’est ma sœur qui a cassé la
machine à vapeur » ? Pourtant, « tu quitteras ton père et
ta mère » nous dit la Genèse. La parabole du fils
prodigue vient renforcer le propos et valoriser le principe
de vie face à la sclérose des habitudes et la prise des
responsabilités.
Le deuxième champ de recherche de Jung l’a conduit
à l’élaboration du principe de l’« individuation ». Ce
principe peut être résumé à travers l’idée que le propre de
chaque être humain réside dans l’expansion de sa
conscience qu’il peut réaliser, d’une part, en construisant
son « unicité », sa capacité à se différencier du monde
extérieur et, d’autre part, en réalisant cette unité en lui-
même à travers ce qu’il qualifiait de « réconciliation des
opposés ». Jung expliquait en effet que la structure
psychique de tout être humain est composée de deux
parties, l’une « masculine » qu’il qualifiait d’« animus »
et l’autre « féminine » qu’il qualifiait d’« anima ». La
partie masculine est plutôt consacrée à l’action, la force,
la puissance, le sens de la lutte, de la décision, alors que
la partie féminine a plutôt la charge de la non-action, de
la douceur, de la tendresse, des émotions. Tous les êtres
humains ont un animus et une anima mais, selon leur
sexe ou leurs préférences comportementales, ces pans
intérieurs sont la plupart du temps en conflit et génèrent
un mal-être plus ou moins fort. Le principe de
réconciliation des opposés consiste, selon Jung, à unifier,
à pacifier en soi les pans masculin (animus) et féminin
(anima), les hommes en conquérant leur anima (c’est-à-
dire leur douceur, leurs émotions, leur capacité à
l’accueil, etc.) et les femmes leur animus (c’est-à-dire
leur capacité à la prise de risque, à l’action, à la lutte,
etc.). C'est un véritable processus alchimique lors duquel
le Soi se réalise, à l’instar du « grand œuvre alchimique »
révélé à Jung par la lecture d’un traité d’alchimie taoïste,
Le Secret de la fleur d’or, et dans lequel il découvrit les
notions de Yin et de Yang. Il arrive parfois que l’on
rencontre cette réconciliation des opposés à travers des
vieux couples que l’amour et une vie partagée au
quotidien ont conduits à se ressembler physiquement et,
sur leurs vieux jours, à « inverser » les rôles sociaux
habituels (l’homme va faire les courses, essuie la
vaisselle et la femme dirige la maison, gère les comptes
et décide des achats) ; ces couples sont toujours pacifiés
et sereins et font plaisir et envie à voir. Le but de la
réconciliation des opposés est le même. Il consiste à
ramener cette paix dans notre couple intérieur (anima et
animus). Sinon, la perpétuation de la guerre en nous
conduit à la tension, la souffrance, la maladie.
L'intérêt des travaux de Jung réside enfin dans ses
recherches sur ce domaine très troublant qu’il a qualifié
de « synchronicité ». Selon lui, nous sommes en relation
avec le monde et avec les autres à bien d’autres niveaux
que ceux perceptibles par nos sens et notre conscient.
Chacun d’entre nous est en relation avec le monde à
travers ses strates inconscientes. Ainsi que Jung l’a
développé à travers le concept d’inconscient collectif,
chaque individu possède une relation, une prise au
monde, du fait de son imprégnation collective. Cette
imprégnation n’est pas statique et par conséquent ne se
contente pas de marquer l’inconscient par des
informations types depuis l’origine de l’humanité,
comme une sorte d’hérédité psychique. L'inconscient
collectif nous interpénètre en permanence. Nos strates
inconscientes vont y puiser constamment les
informations dont elles ont besoin, à l’instar de notre
conscient qui se nourrit en permanence d’autres
informations venant de l’extérieur de nous. Ce processus
nous permet de comprendre, si l’on prend en compte la
globalité psychique d’un individu, que le hasard n’existe
pas et que chaque rencontre a été « voulue » parce
qu’elle participe à la réalisation d’un besoin, bien
souvent inconscient mais constitutif de l’individuation de
chacun. Jung considère profondément que l’inconscient
est capable, chaque fois que nécessaire, de suppléer aux
carences du conscient. En prenant chaque fois que
nécessaire le pas sur lui, il permet à l’individu, du fait de
son accès à des niveaux d’information plus subtils,
d’aller rencontrer les expériences qui seront la nourriture
de sa transformation. Ce caractère « supra-agissant » de
l’inconscient lui donne cette force transcendante qui
pousse l’être conscient à la métamorphose, et ce à travers
des expériences d’autant plus efficaces qu’elles sont
inconfortables. Cet inconfort semble être le principal
outil d’incitation à l’ouverture de la conscience
individuelle qui aura sinon une tendance naturelle à aller
vers l’évitement des tensions, conflits ou problèmes.
De plus, bien au-delà de ce qui vient d’être évoqué,
existe derrière cette notion d’inconscient collectif un
champ de vision plus vaste que cette seule extériorité
agissante qui nous détermine plus ou moins. C'est l’idée
majeure que nos inconscients individuels, connectés en
permanence avec l’inconscient collectif (dans lequel ils
baignent), le constituent et, pour le moins, en sont une
composante essentielle. Dans cette hypothèse, on peut
conclure que ce que chacun d’entre nous croit, pense et
fait, consciemment ou non, imprègne, nourrit
l’inconscient collectif et participe à son contenu, voire à
sa structure. Cette révélation peut être effrayante parce
qu’elle est sans concession possible. Elle donne la chair
de poule car elle implique effectivement que nous
sommes tous responsables de la façon dont l’humanité et
le monde évoluent. Nos pensées et nos actes
ensemencent la vie. Ils la nourrissent, l’enrichissent ou au
contraire la blessent, la gangrènent. Un peu comme
chacun de nos gestes participe à la pollution ou à la
propreté de notre planète. Chaque pensée « négative »
salit l’humanité au même titre que chaque papier
négligemment jeté par la fenêtre salit la Terre. Alors, à
chacun de réfléchir à quoi il occupe son quotidien. Plus
personne ne peut imaginer être innocent, non seulement
face à ce qui lui arrive, mais également face à ce qui
arrive à la planète humaine. Nous verrons que cela prend
un sens non négligeable vis-à-vis du processus de
guérison.
À partir de cette hypothèse, Carl Gustav Jung a
élaboré les concepts de « synchronicité » (sorte
d’interaction subtile et inconsciente entre les êtres
humains et les éléments) et de « projection » que j’ai
expliqués3sous le nom d’« effet miroir ». Il a ainsi
cherché à démontrer combien ce que nous sommes ou
pensons, consciemment et inconsciemment, a une action,
une interaction avec l’autre et avec l’environnement
global. Mais ces travaux montrent également que notre
vision du monde ou notre attente et recherche vis-à-vis
de lui nous font rencontrer les autres et vivre les
situations exactement au niveau inconsciemment
« recherché ». En cela nos pensées nourrissent et créent
un système de références autojustifié et autojustifiant.
À chaque instant chacun d’entre nous reçoit, hérite
mais aussi transmet les tensions, les blessures de
l’humanité. On imagine ainsi combien chacun, par la
façon dont il fait la paix en lui, peut participer à la
cicatrisation de ces mêmes blessures. Cela peut
s’illustrer, à un autre niveau, avec le transgénérationnel.
Dans les « transmissions familiales », les secrets, les
blessures familiales ou les comportements bloquants,
inhibants, mortifères, dévalorisants, etc., sont transmis,
de génération en génération, comme autant d’héritages
inconscients, tant qu’aucun membre de la famille ne
décide d’arrêter le système. Or l’arrêt du système ne peut
se faire qu’en faisant la paix avec l’histoire familiale et le
passé, en décidant de ne plus porter ce « flambeau »,
parfois destructeur, d’histoires datant souvent de
plusieurs générations.
Tout cela nous permet d’envisager, de comprendre
que, au-delà des blessures et des tensions de la prime
enfance, comme nous l’a montré Freud, nous pouvons
aussi être porteurs de tensions ou de blessures provenant
d’une histoire collective qui nous imprègne et à laquelle
nous participons à chaque instant.

ALFRED ADLER
Mais alors, en dehors de la prime enfance et des
« ancêtres », la vie est-elle un fleuve plus tranquille ? Un
contemporain de Freud et de Jung, Alfred Adler, nous
propose d’élargir notre propos. Alfred Adler s’éloigne lui
aussi de Freud et développe une théorie du
fonctionnement psychique principalement articulée
autour de la notion de « complexe d’infériorité ». Ici non
plus, mon propos n’est pas de faire une démonstration
exhaustive des théories adlériennes mais de présenter
simplement ce qui va nous permettre de mieux
comprendre l’origine de ce complexe d’infériorité et ce
qu’il implique. Que nous propose Alfred Adler ? Une
autre histoire nous éclairera, celle du jeune Franz,
habitant une bourgade autrichienne dans les années 1920.
Le jeune Franz est un petit garçon simple et heureux
de vivre. Il est à l’école, assis dans sa classe, et observe
ce qui l’entoure. Et que voit-il ? Il voit, à une rangée
devant lui, une petite fille, blonde, très belle, avec une
jolie jupe plissée, une barrette dans les cheveux, qui
écoute sagement ce que le professeur explique. Franz est
très heureux de voir que des enfants aussi beaux et sages
existent. Il est d’autant plus heureux qu’en plus cette
petite fille a devant elle un beau cahier, tout propre, dont
les pages sont couvertes d’une belle écriture, avec des
lignes tirées à la règle. Quand il regarde le sien, celui-ci
est beaucoup moins bien tenu et quelques méchantes
ratures apparaissent de-ci de-là.
Franz continue l’observation de sa salle de classe et il
voit, trois rangées de tables plus loin, un petit garçon, du
même âge que lui, mais très sportif et tonique, alors que
lui-même est un peu chétif. Et Franz est à nouveau très
heureux de voir que des petits garçons aussi forts et
solides existent. C'est alors que midi sonne à la cloche de
l’école. Tout le monde sort de classe et Franz traverse la
cour de l’école pour rentrer manger à la maison. Il
découvre à ce moment-là devant lui un autre petit garçon,
ni plus fort ni plus grand que lui, mais très bien habillé,
qui marche devant lui. Il porte un petit blazer en tweed
avec un superbe écusson sur la poche et tient à la main
une petite sacoche en cuir de qualité (alors que lui, Franz,
a le vieux cartable de son frère aîné). Franz, qui n’est pas
jaloux, trouve formidable qu’il y ait des gens qui puissent
avoir des choses aussi belles. Au moment où il prend son
vélo (celui qu’avait eu son frère avant lui), Franz voit
arriver une très grande limousine, qui s’arrête devant
l’école. Un chauffeur en livrée en descend et vient ouvrir
la porte au petit garçon qui s’installe à l’arrière. La
limousine démarre et s’éloigne tandis que Franz monte
sur son petit vélo pour rentrer chez lui. Il sifflote,
heureux de vivre, tout en pédalant sur son petit vélo qui
grince un peu. Survient brusquement une ondée brutale
qui mouille un peu Franz malgré sa capuche. L'ondée
s’arrête mais, juste avant d’arriver chez lui, Franz croise
la limousine du petit garçon, revenant sans doute d’une
quelconque course. Et au moment où la limousine croise
Franz, elle passe dans une flaque d’eau et éclabousse le
pantalon de Franz.
Franz arrive ainsi à la maison où sa mère est en train
de préparer le repas. Lorsqu’il entre dans la cuisine, la
mère de Franz découvre le pantalon maculé de boue. Très
en colère, elle dit à son fils : « Mais enfin, Franz, ce n’est
pas possible, quel garçon tu fais ! Comment peux-tu
rentrer de l’école dans un état pareil ? Ça ne va pas se
passer comme ça ! Cet après-midi, je vais aller voir ton
professeur et lui et moi allons parler de toi ! »
Franz ne dit mot et, après avoir déjeuné en silence,
repart avec son petit vélo tout mouillé à l’école. Vous
pouvez imaginer que l’après-midi de Franz fut moins
joyeux que sa matinée. À la fin de la classe, Franz sort et
découvre dans la cour sa mère en train de parler avec son
professeur. Elle a mis son petit tailleur du dimanche qui
la serre un peu de partout (il date de l’époque de son
mariage) et tient bien serré dans ses mains son petit sac à
main un peu fatigué (il date de la même époque). Franz
attend sagement à l’écart que sa mère et son professeur
statuent sur son cas, lorsque survient la belle limousine.
Elle s’arrête devant la porte de l’école, le chauffeur en
livrée en descend et va ouvrir la porte à une charmante
jeune femme. Cette jeune femme, simplement vêtue d’un
tailleur haute couture, de quelques bijoux de la meilleure
facture, porte une superbe cape sur les épaules et tient à
la main un splendide sac en crocodile venant de la
meilleure maison qui soit. Elle entre avec élégance dans
la cour de l’école et appelle le professeur d’un petit signe
de la main. Lorsqu’il l’aperçoit, le professeur de Franz
« plaque » littéralement, sans un mot d’excuse, la mère
de Franz pour aller accueillir l’arrivante et s’entretenir
avec elle.
La mère de Franz va alors chercher Franz, le prend par
la main et décide de rentrer à la maison. Pendant le trajet
à pied, la tête basse et l’âme en peine, Franz a tout le
temps de réfléchir… Et c’est alors, nous explique Alfred
Adler, que Franz a développé un « complexe
d’infériorité ».
Cette histoire nous montre que le complexe
d’infériorité est le résultat d’une ou de plusieurs
expériences lors desquelles l’enfant engrange une
information dévalorisante. Il en construit une image
négative de lui-même, qui va imprégner son psychisme
puis induire des comportements répétitifs de mises en
situation venant conforter cette opinion. Comportements
d’échec, sabotages de réussite, autodévalorisation ou
autodénigrement, incapacité à exprimer des demandes
personnelles, malaise face aux compliments, etc. sont
autant de modes d’expression de ce complexe.
Lorsque l’on est confronté à ce genre de
comportement, il est nécessaire de conduire la personne,
avec des outils de type cognitif ou d’identification de
position de vie4, à se réconcilier progressivement avec
son image. Mais le risque, à la fois postural (attitude
physique et corporelle), comportemental (mise en
situation d’échec) et identitaire (« Je ne mérite pas »,
etc.), réside justement dans le sabotage des améliorations
obtenues. Nous verrons plus loin comment sortir de ce
schéma.

LES AUTRES TRAUMATISMES


Bien d’autres moments de la vie permettent de
comprendre les comportements inconscients et les
pathologies qui peuvent en découler. En effet, les grands
traumatismes de la vie ne se produisent pas seulement au
moment de l’enfance ou de la petite enfance. Nous allons
illustrer cela à travers plusieurs paraboles concernant
différents moments de la vie.
À l’âge de cinquante ans par exemple, il est tout à fait
possible qu’un vécu difficile génère des stress et des
attitudes compensatoires qui vont produire des
pathologies d’élimination (ulcères, infarctus, alcoolisme,
zonas, eczémas, etc.). Nous pouvons illustrer cela avec
tous ces cas connus, mais dont on parle peu, de cadres
ayant atteint ou dépassé la cinquantaine et qui se
retrouvent brutalement au chômage. Nous sommes ici
aussi confrontés à la violence sociale, sourde et
silencieuse. Je me souviens par exemple d’avoir assisté
au procès d’un homme, qui m’avait laissé un goût amer.
Cet homme, âgé à l’époque d’une cinquantaine d’années,
était jugé pour avoir volé des vêtements dans un grand
magasin parisien. Cela peut sembler banal, sauf si l’on
replace ce fait divers dans son contexte. En effet,
quelques mois avant d’être pris en flagrant délit de vol,
cet homme avait été licencié sur l’autel des
restructurations sauvages que l’on a commencé à
connaître dans les années 1980. Ce licenciement fut pour
lui un choc intense, une véritable condamnation à mort
sociale. Il fut incapable d’en parler à ses proches ou amis.
Pendant des mois il fit comme s’il avait toujours son
travail, partant chaque matin et rentrant chaque soir chez
lui. Cela ne put pas durer longtemps, bien entendu.
Lorsqu’il eut épuisé tous les expédients possibles, liquidé
tous les comptes d’épargne et se fut endetté en
empruntant à ses amis, « il ne lui resta plus que le vol
pour rester propre », avait-il dit au tribunal. Le propos
n’est pas ici de juger la situation, mais ce qui est certain,
c’est que cet homme a engrangé un tel traumatisme qu’il
fut incapable de réagir pour sortir de son impasse. Le
même traumatisme aurait pu immédiatement se traduire,
comme cela arrive malheureusement souvent, par une
pathologie grave (infarctus, cancer, etc.).
N’importe quelle période de la vie peut nous marquer
ainsi profondément. Nous verrons dans le chapitre qui
traite de la théorie des « champs de conscience » de
Gaston Berger5que cela peut aller jusqu’à des
traumatismes qui ne nous appartiennent pas mais
appartiennent à notre peuple (mémoires traumatiques de
peuples) ou à notre famille (mémoires traumatiques
familiales transgénérationnelles).
Mais revenons à ce qui nous appartient. La période du
berceau peut également être une période déterminante.
En voici une illustration.
Je suis un petit bébé dans son berceau. Je babille
gaiement car je suis bien dans ce berceau douillet. J’ai les
deux choses qui comptent le plus au monde pour moi,
mon hochet, fabuleux objet coloré et bruyant, et ma
maman que j’aime tant et qui est là, dans la pièce
attenante, que j’entends chantonner alors qu’elle est en
train de repasser. Je suis donc très heureux et, tandis que
je suis en train de jouer avec mon hochet en le secouant
pour qu’il fasse ce bruit qui m’amuse tant, il m’échappe
de la main et tombe par terre. Je suis perdu et ne
comprends pas ce qui arrive, alors je pleure, ce qui a pour
effet de faire venir ma mère qui voit tout de suite ce qui
se passe. Elle ramasse mon hochet, me le redonne et, en
même temps, en profite pour m’embrasser sur le front en
me disant tendrement : « Oh, ce n’est que ça, tiens mon
chéri, maman est là et te rend ton hochet. » Une fois
qu’elle est repartie, je suis là, avec mon hochet dans la
main et à nouveau heureux. Je suis d’ailleurs doublement
heureux puisque j’ai récupéré mon jouet et en même
temps j’ai vu ma maman que j’aime tant et qui en plus
m’a embrassé. Il se construit alors dans mon esprit
naissant une réflexion « primale » très simple qui peut se
résumer par : « Si le hochet tombe et que je pleure, je
récupère mon hochet et en plus je vois ma maman. » Je
vérifie immédiatement la validité du raisonnement en
faisant à nouveau tomber le hochet, volontairement, puis
je me mets à pleurer. Bien entendu ma mère vient, voit à
nouveau le hochet par terre, le ramasse et me le redonne,
mais cette fois-ci sans m’embrasser et en me disant :
« Tiens mon petit chéri, mais je ne vais pas venir ainsi
tout le temps, c’est la dernière fois. » Bien entendu, je
n’entends pas cela et constate simplement que, à
nouveau, j’ai eu mon hochet et ma maman. Par
conséquent, pour moi, ça marche ! Je laisse donc à
nouveau tomber le hochet et pleure. Cependant ma mère
tient sa parole, résiste et ne vient pas. Je ne comprends
pas ce qui se passe, alors je pleure puis hurle tant et si
bien que ma mère finit par revenir et ramasser mon
hochet. Ça marche ! Certes il faut crier mais ça marche.
C'est alors que j’engrange la mémoire que « dans la vie
on obtient les choses en hurlant ». Une fois devenu un
homme, je suis alors quelqu’un qui est incapable de
demander les choses simplement et qui ne sait exprimer
l’autorité que par les cris. Et Dieu sait si de telles
personnes existent.
Nous pouvons également illustrer ce qui se passe à
l’époque du berceau à travers une autre parabole. La
mère d’un bébé travaille exceptionnellement un jour férié
et l’a confié à une baby-sitter. Elle lui a laissé un biberon
pour l’après-midi, pensant être revenue bien avant celui
de 18 heures. Malheureusement, le travail dépasse
largement l’horaire prévu et c’est avec plus d’une heure
de retard que la mère vient chercher son bébé. Bien
entendu, le bébé a faim et pleure, sa mère l’installe
rapidement dans la voiture pour rentrer à la maison, où
ils arrivent avec deux heures de retard sur l’horaire
prévu. Le bébé pleure de plus en plus et crie famine. La
mère prépare au plus vite un biberon et le donne à son
bébé affamé qui l’aspire littéralement en quelques
goulées. Le vécu a été intense pour lui et, depuis, il fait
tout ce qu’il faut pour ne plus connaître la « pénurie ». Il
dévore et stocke pour le cas où la « famine » reviendrait.
À l’inverse, une mère qui avait entendu parler de cette
anecdote et voulait être parfaite a décidé que cela
n’arriverait jamais à son bébé. Alors, près du berceau ou
à la cuisine, il y a toujours un biberon juste à
température. Aussi, dès que bébé manifeste la moindre
faim, maman se précipite et lui tend le biberon. Ce bébé
enregistre alors au fond de lui la facilité de la satisfaction
des besoins et aura tendance à croire que « dans la vie les
alouettes tombent toutes rôties dans le bec ».
Des anecdotes comme celles du hochet et du biberon
nous permettent de constater que bien des
comportements actuels datent de cette époque. Ils
induisent des modes comportementaux eux-mêmes
déséquilibrants (alimentation, tabagisme, excès de
travail, modes caractériels, etc.) qui finissent par produire
des ulcères, de la boulimie, des infarctus, etc. Une théorie
nord-américaine dite « de la balance des échanges »
permet de le comprendre. Cette théorie considère que le
premier combat que mène un être humain est celui de la
nourriture et de la digestion de la matière. De la façon
dont ce premier combat s’est déroulé va dépendre la
combativité de l’enfant puis de l’adulte. Cette
combativité est essentielle mais, si sa construction s’est
déroulée avec des phases extrêmes telles que je les ai
caricaturées dans mes histoires, elle risque de produire
des comportements inadaptés, compulsifs ou passifs,
conduisant à la boulimie, à la prise de poids, au manque
de tonus, etc.
La période intra-utérine elle-même peut être une phase
« douloureuse ». La tradition médicale chinoise nous dit
que pendant toute la période de gestation, l’esprit humain
(le Chenn) enregistre toutes les informations et les vécus.
Ce concept est intéressant à développer ici. Dans
certaines traditions anciennes, la façon dont étaient
considérées et respectées les femmes enceintes était
étonnante. Chez les Grecs, par exemple, les femmes
enceintes étaient protégées et devaient aller tous les jours
dans les temples se recueillir devant les statues de leurs
dieux. Car, pensait-on, si elles contemplaient des
représentations d’êtres beaux elles feraient de beaux
enfants. Quelle innocence crédule dirait-on aujourd’hui !
Notre refus de l’invisible et notre science rationnelle
nous font sourire face à cela. D’ailleurs, de nos jours,
c’est beaucoup mieux ! Une femme enceinte doit
travailler le plus longtemps possible et prendre chaque
jour les transports en commun (lieu-bien connu pour son
confort et son humanité) et affronter la ville. Quand elle a
un peu de temps, elle peut regarder les informations à la
télévision et leur défilé d’horreurs planétaires. Et puis s’il
lui reste un peu de temps, elle peut suivre à la télévision,
ou en allant au cinéma, un festival Hitchcock où elle
pourra se détendre en regardant l’ombre d’un bras armé
d’un couteau qui va frapper une innocente victime dans
sa douche (Psychose) ou bien ce film extraordinaire où
des oiseaux, perchés sur des portiques d’école, attendent
la sortie des petits enfants pour leur marteler le crâne et
leur manger la cervelle (Les Oiseaux). Bienvenue dans
un monde meilleur ! Il est pourtant aujourd’hui reconnu
combien les états psychiques et les vécus de la mère ont
des conséquences sur ceux du fœtus qu’elle porte. Les
agressions sont nombreuses et parfois dures.
Et qu’en est-il du moment de l’accouchement ?
Pourquoi les enfants crient-ils ? Pour exprimer de la joie
et du bonheur ou par réaction à un accueil vécu comme
brutal ? Que ressentent les enfants qui naissent en
recevant en pleine figure la lumière crue d’un scialytique,
ce système d’éclairage qui ne produit aucune ombre ? Ils
sortent de neuf mois de pénombre et « vlan », se font
accueillir par une débauche de lumière. Bien sûr, me
dira-t-on, les bébés qui naissent ne voient pas.
Réfléchissons seulement, par exemple, à ce qui se passe
si nous sommes en train de dormir et que quelqu’un
allume brutalement la lumière dans la chambre ou bien
nous braque une forte lampe de poche dans les yeux :
c’est extrêmement désagréable et nous sommes réveillés
en sursaut ! Que dire de ce que ressent le petit bébé,
même les yeux fermés ?
Toutes ces empreintes peuvent être à l’origine de
tensions, blocages qui génèrent en nous des refus, des
« NON » à la vie, afin de ne plus souffrir. Ces refus
inconscients sont sources de nœuds intérieurs, de
tensions et d’autant de murs intérieurs à la libre
expression de la vie que nous avons construits sans le
savoir et en croyant nous protéger. La vie n’a plus alors,
comme issue, comme vecteur d’expression et de
contrainte pour être reconnue et prise en compte, que la
maladie, la souffrance, le traumatisme, car tous ces
« non » tuent la vie en nous.
Goethe, grand initié s’il en est, avait bien compris à
quel point la négation de la vie est destructrice. Dans son
Faust, il écrit on ne peut plus clairement ce qui se joue.
Le docteur Faust, qui rêvait de l’immortalité afin de
pouvoir continuer ses recherches à loisir, travaillait dans
son laboratoire, lorsqu’il sentit une présence derrière lui.
Il se retourna et découvrit Méphistophélès, l’envoyé du
Diable, venu lui proposer un pacte en échange de cette
immortalité. Le docteur Faust, qui ne le connaissait pas,
lui demanda : « Wer bist Du ? » (Qui es-tu ?)
Méphistophélès répondit alors : « Ich bin der Geist der
alles verneint ! » (Je suis l’esprit qui nie tout, qui détruit
tout par la négation.) Peut-on être plus clair ? Le
message est profond puisqu’il va jusqu’à suggérer que la
recherche de l’immortalité, qui n’est qu’une peur de la
mort, est ce qui nous tue, nous détruit. La vie elle-même
semble donner raison à Goethe, si l’on observe par
exemple le processus du cancer. Savez-vous que les
cellules cancéreuses ne meurent pas, alors que les
cellules saines ont une durée de vie limitée ? Ce sont
donc des cellules devenues « immortelles » (puisqu’elles
ne meurent pas) qui finissent par tuer…
À travers ces différentes présentations anecdotiques et
non exhaustives, je crois que nous pouvons mieux
envisager que nous sommes tous confrontés à de
nombreuses situations, de nombreux vécus, qui peuvent
conduire à des « non » à la vie, c’est-à-dire à des
inscriptions inconscientes de refus de vivre ou de revivre
des situations qui « font mal ». Ces « non » s’accumulent
parfois ou ont une telle puissance qu’ils impriment en
nous des blocages, énergétiques et/ou physiologiques,
qui conduisent à la maladie ou à l’accident.
Ainsi que nous l’avons vu précédemment, ces vécus
ont entraîné des inscriptions qui sont la plupart du temps
inconscientes. Comment et, si j’osais, où, cela se passe-t-
il en nous ? Je m’appuierai pour l’analyser sur l’une des
théories de la conscience humaine, développée par
Gaston Berger, la « théorie des champs de conscience ».

1 Également physicien quantique, auteur d’un livre intitulé Synchronicity,


1987 (version française aux éditions Le Mail, 1988).
2 Voir Dis-moi où tu as mal, je te dirai pourquoi, op. cit.
3 Voir Dis-moi où tu as mal, je te dirai pourquoi, op. cit.
4 Voir les identifications décrites par l’analyse transactionnelle p. 146-147.
5 Voir p. 81.
DEUXIÈME PARTIE
LE PSYCHISME, UN SOURCIER
ESSENTIEL
« La musique de la nature embrasse la
nature tout entière et la nature de toutes
choses… et puis il y a la grande
musique du monde, cette merveilleuse
correspondance des cieux, des éléments
et des créatures, et puis enfin il y a la
musique humaine, et elle est dans
l’harmonie du corps humain, de tous ses
sens, de ceux du corps intérieur et de
ceux du corps extérieur. »
Athanase Kircher, Musurgia
universalis, 1619.
Comment fonctionne
l’esprit humain ?

LA THÉORIE DES « CHAMPS DE CONSCIENCE »


DE GASTON BERGER
Le psychologue français Gaston Berger a, entre autres,
élaboré une théorie, la « théorie des champs de
conscience », que tous les praticiens de santé devraient
connaître car elle leur permettrait de mieux comprendre
le patient qui vient les consulter. C'est ce qui m’a
d’ailleurs conduit à élaborer une formation
professionnelle en « psychologie du praticien ». De nos
jours, en effet, un praticien de santé ne peut plus faire
l’économie d’une meilleure connaissance de l’ensemble
complexe qu’est un être humain. La qualité de l’accueil
et la gestion efficace de la relation au patient l’exigent.
Ce qui m’a le plus étonné au sujet de cette formation a
été son succès auprès des managers. Ils y trouvent un
outil remarquablement performant dans la gestion des
hommes, montrant en cela combien un individu conserve
les mêmes besoins et les mêmes attentes, que ce soit dans
sa vie personnelle ou professionnelle.
Revenons à Gaston Berger. À l’instar de tous les
psychologues, il considère que la psyché humaine n’est
pas monolithique mais constituée de différentes parties,
qu’il qualifie de « champs de conscience ». Cette psyché
se présente donc comme une sorte de patchwork, de
puzzle, dont chaque pièce est propre, unique et en même
temps « cousue » aux autres, interreliée. C'est l’ensemble
de ces champs de conscience qui constitue la psyché
individuelle propre à chacun.
L'intérêt de la théorie de Gaston Berger réside dans
son opérativité, dans la simplicité conceptuelle de son
propos et dans sa logique explicative qui intègre toutes
les théories psychologiques existantes.
Je vous propose, afin de mieux comprendre le propos,
un schéma. Nous pourrons l’illustrer avec des histoires,
réelles ou fictives.
Nous voyons que cet œuf symbolique qui représente la
structure psychique d’un individu se compose de
différentes parties. Nous avons tout d’abord, au centre, le
champ de conscience qui baigne dans un champ
beaucoup plus vaste qui est le champ de non-conscience.
Ce dernier est réparti en trois champs distincts, le champ
de non-conscience inférieur, le champ de non-conscience
moyen et le champ de non-conscience supérieur.
Remarque importante : les qualificatifs « inférieur »,
« moyen » et « supérieur » ne sont pas employés en
termes de valeur mais de positionnement sur le schéma
(« inférieur » signifiant en bas du dessin, « moyen »
signifiant au milieu du dessin et « supérieur » signifiant
en haut du dessin).
Le champ de conscience correspond au conscient. Il
fonctionne uniquement à l’état de veille et gère tout ce
qui est conscient et volontaire. Le champ de non-
conscience correspond à l’inconscient. Il fonctionne en
permanence et gère tout ce qui est inconscient et
involontaire. Ce que nous pouvons constater, grâce à ce
schéma, c’est que les « membranes », les frontières qui
bordent les différents champs de conscience, ne sont pas
étanches mais poreuses (lignes pointillées). Cela signifie
qu’il y a des informations, des données qui passent de
l’un à l’autre.

Le champ de conscience et le Moi ou l’Ego


Essayons maintenant de définir chacun de ces champs
et regardons comment cela s’organise sur le schéma plus
détaillé qui suit.
Au centre, il y a le champ de conscience. Ce champ
correspond au conscient, à l’état de veille. Il nous met en
rapport avec la vie extérieure, matérielle, volontaire. Il
est le siège du Moi, de l’Ego, de la mémoire consciente,
de ce qui est volontairement et consciemment accessible.
Ce champ ne comprend du monde que ce qu’il connaît
déjà. Il est l’interface entre le monde extérieur et les
profondeurs de l’individu, le Ça et le Soi. Il adapte
l’interne aux sollicitations de l’externe. On retrouve bien
ici le rôle du « cœur » que nous connaissons en
énergétique.
Autour du champ de conscience, qui baigne dedans, il
y a le champ de non-conscience. Ce champ correspond
au non-conscient, à ce que Freud qualifiait d’inconscient.
Alors que le champ de conscience fonctionne à l’état de
veille, le champ de non-conscience fonctionne en
permanence, y compris pendant la phase nocturne. Ce
champ de non-conscience profite de cette phase pour
« faire le ménage à l’intérieur de chacun de nous »,
remettre un peu d’ordre, c’est-à-dire évacuer les parasites
émotionnels, les vécus de la période active et consciente.
Nous pouvons parfois percevoir ce travail notamment à
travers les rêves et les cauchemars.
Le champ de non-conscience, actif en permanence, est
le siège de la mémoire non consciente et totale. C'est ici
que « tout s’inscrit en nous », selon la formule de Freud.
Ce champ de non-conscience est le siège du Ça, du
Surmoi et du Soi, autant de concepts sur lesquels nous
allons revenir.
Revenons au champ de conscience. Comme nous
pouvons le constater sur le schéma, la ligne qui définit la
frontière entre le champ de conscience et le champ de
non-conscience n’est pas continue, elle ne délimite donc
pas une frontière étanche. Selon Gaston Berger,
l’ensemble des champs de conscience et de non-
conscience « respirent », se gonflent et se dégonflent en
fonction des situations, des vécus. En situation de
détente, de décontraction, les « lignes » se gonflent, se
détendent et sont de ce fait plus ouvertes : les
informations circulent donc avec plus de facilité d’un
champ à l’autre. Cela permet de comprendre en quoi les
techniques de relaxation fonctionnent, en permettant
d’accéder à des champs de conscience plus vastes qu’à
l’état habituel de veille. Lorsque la personne est
détendue, calme, tranquille, son champ de conscience
peut aller chercher des informations dans le champ de
non-conscience moyen. C'est ce que chacun d’entre nous
peut faire, à tout moment de la journée, lorsqu’il n’est
pas en état de stress.
En revanche, sous l’effet du stress, il en est tout
autrement : l’individu se contracte, se rétracte,
corporellement mais aussi psychiquement. Les lignes
frontières se resserrent et beaucoup moins d’informations
lui sont accessibles. Le Moi, dans le champ de
conscience, ne peut plus accéder aussi facilement, voire
plus du tout, selon le niveau de stress, aux informations
mémorisées et contenues dans le champ de non-
conscience moyen. Des informations, des données
connues par la personne, deviennent inaccessibles,
exactement comme si elle ne les avait jamais connues. Ce
qui se passe lors de la participation à des jeux télévisés
ou dans les situations d’examen illustre bien cette
réalité : des candidats, connaissant parfaitement la
réponse à une question, se retrouvent, du fait du stress,
dans l’incapacité de s’en souvenir ; ce n’est qu’une fois
le jeu ou l’examen fini que la mémoire leur « revient ».
Ces situations intérieures de stress ont des
conséquences extérieures visibles. L'un des signes
extérieurs manifestes que la personne est en train de
fermer son champ de conscience, par exemple, est celui
du croisement des bras. Ce qui a été dit ou fait vient ou
va la mettre en tension et la personne se met alors en
protection. Il est important, pour celui qui vit ce réflexe
ou l’observe chez l’autre, de chercher une sortie à cette
situation, soit en en identifiant la cause, soit en changeant
la façon de percevoir et de vivre la situation. En effet,
une personne qui se protège et ferme son champ de
conscience ne peut plus percevoir du monde que ce
qu’elle en connaît déjà et que ce qu’elle en comprend
déjà. De plus, ce réflexe de protection la met
physiquement et psychiquement en tension, voire en
opposition aux flux de la vie, parce qu’ils lui sont
inconfortables, ou parce qu’ils lui font peur. Si cette
tension dure jusqu’à devenir une attitude réflexe, elle va
finir par engendrer en résonance le même blocage au
niveau des flux biologiques vitaux. Cela s’appelle la
souffrance puis la maladie.
Le champ de non-conscience inférieur, le Ça et le
Surmoi
Le champ de non-conscience inférieur correspond à la
partie de l’inconscient que Freud a qualifiée de « Ça ».
Nous sommes ici au niveau de ce que les Orientaux
appellent la « queue du dragon ». C'est la puissance
volcanique intérieure. Nous sommes ici au niveau des
énergies pulsionnelles, profondes, au niveau des pensées
instinctives inconscientes, au niveau de l’animalité et à
celui des énergies de la Terre, selon la Médecine
Traditionnelle Chinoise (MTC). Il y a une nécessité
impérieuse de confrontation à la matière, à ce qui est
dense, lourd, pesant. Nous sommes ici dans la dimension
lunaire de l’inconscient.
Le champ de non-conscience inférieur est un magma
chaotique, intense, d’où monte la lave volcanique des
pulsions animales et parfois bestiales. Il est aussi le lieu
des instincts de survie, de défense, sexuels, de
préservation de l’espèce mais aussi celui de la violence.
C'est pourquoi, ainsi qu’on peut le constater sur le
schéma, il est délimité par une ligne pointillée qui
« filtre » ce qui en émane.
Cette ligne discontinue qui filtre ce qui « monte » du
champ de conscience inférieur correspond à ce que Freud
appelait le « Surmoi », c’est-à-dire notre censure
intérieure. Cette ligne pointillée bouge, se dilate ou se
rétracte, selon les situations ou les individus. Nous
sommes ici au niveau de l’éducation formelle, de ce qui
« se fait » ou « ne se fait pas ». Cette censure intérieure
filtre donc ce qui émerge des profondeurs pour ne laisser
passer que ce qui est acceptable au niveau du Moi, du
champ de conscience. Selon les individus, cette ligne est
plus ou moins bien construite, « ciselée » et par
conséquent étanche. Ce qu’elle laisse monter n’a pas
donc la même forme, la même intensité. Nous avons tous
dans notre entourage des personnes illustrant cela, soit
parce qu’elles sont très policées et ont une expression
toujours contenue et polie, soit au contraire parce
qu’elles ont un mode d’expression plus réactif, trivial
voire vulgaire ou agressif.
Il arrive même parfois que chez certaines personnes
cette ligne soit pratiquement étanche. Rien ne monte, tout
est « parfait ». Ces personnes ne disent pas un mot plus
haut que l’autre, ne se mettent jamais en colère,
n’expriment pas d’émotion. Puis un jour, par surpression,
la ligne éclate. C'est le fait divers, violent, imprévisible
où la personne « pète les plombs ». La censure excessive
a volé en éclats, et toute l’énergie pulsionnelle
emmagasinée (« refoulée » dirait Freud) explose. Après
coup, la personne dira le plus souvent : « Je ne
comprends pas ce qui s’est passé, ça a été plus fort que
moi. » Cette explosion peut être dirigée vers l’extérieur et
cela donne un de ces faits divers dramatiques que l’on
relate parfois dans la presse, où un individu assassine à
coups de fusil toute sa famille ou la moitié d’un village,
comme cela s’est produit dans les années 1980 dans l’est
de la France. Mais elle peut également être dirigée vers
l’intérieur et produire un infarctus, une dépression, un
accident grave (acte manqué) ou un suicide. Cela nous
permet également de comprendre pourquoi plus un
peuple aseptise sa relation à la vie, niant ainsi son
« animalité », plus son taux de natalité diminue et plus sa
violence physique ou psychique augmente.
À l’inverse, il y a d’autres personnes chez qui cette
ligne est quasi inexistante. Les situations de la vie sont
vécues et traversées en termes de rapport de force, de
territoire animal, de pulsion de défense ou d’agression,
de sexualité animale. Nous sommes ici dans la
dramatique situation de certains jeunes d’aujourd’hui
dont l’éducation s’est faite dans la rue. Cela produit les
attitudes asociales, conduisant parfois à ces terribles
« tournantes » (viols collectifs), signature par excellence
de l’absence de conscience et de respect de soi et de
l’autre ; seule la satisfaction de la pulsion du moment
compte.
Cette ligne peut aussi s’ouvrir ou se fermer de façon
situationnelle. Il suffit par exemple de mettre un feu
rouge en panne vers 18 heures sur un grand boulevard
parisien pour constater à quel point la censure vole en
éclats et à quelle vitesse les réactions de type « Cro-
Magnon » reviennent à la surface.
C'est enfin à ce niveau de champ de non-conscience
inférieur et de celui de la censure que s’inscrivent
inconsciemment les programmes de sabotages, les
images négatives de soi (dont nous aurons l’occasion de
reparler), les réflexes de défense acquis lors de vécus
considérés à tort ou à raison comme vitaux. Il est
essentiel de comprendre qu’on ne les modifie pas d’un
coup de baguette magique. Il faut trouver des outils de
« rééducation » de cette censure, par des exercices, afin
que la personne arrive progressivement à modifier la
« forme de son filtre ». À la condition sine qua non…
que cette personne en ait envie.
Compte tenu de ce qui précède, on peut s’interroger
sur les techniques qui permettent d’aller faire des
introspections « forcées » dans d’autres niveaux de
mémoire, telles que par exemple les régressions par
hyperventilation. Avec ces techniques, on arrive à
accéder à des mémoires plus profondes, appartenant au
champ de non-conscience inférieur, en débrayant le
Surmoi, notre censure. Or la structure du Moi, de l’Ego,
ainsi que l’a définie Freud, est là pour gérer ce que laisse
passer le Surmoi. Ce dernier intervient comme un filtre
entre les structures profondes et chaotiques que
représente le Ça, et le monde extérieur et conscient de
l’individu, géré par le Moi. Court-circuiter cette interface
consiste donc à prendre le risque de faire émerger dans le
conscient des informations non gérables par lui et, par
voie de conséquence, perturbantes et déséquilibrantes.
Un de mes anciens maîtres chinois disait : « Le fruit
tombe quand il est mûr. Bien sûr, si je secoue l’arbre, je
récolterai beaucoup de fruits, mais ils seront verts et
amers. » Ou bien ils pourriront avant d’être mûrs et
resteront immangeables ou me rendront malade.

Le champ de non-conscience moyen, le


préconscient
Le champ de non-conscience moyen correspond au
niveau préconscient. Nous sommes ici au niveau des
pensées, des idées préconscientes, presque accessibles.
Ce sont toutes ces idées ou pensées qui nous effleurent
parfois l’esprit plus ou moins clairement. Si nous prions,
méditons ou laissons notre esprit vagabonder, elles
peuvent émerger facilement au niveau conscient. Elles
nourrissent également tout notre monde onirique
« léger ». Ces idées et pensées ont été formatées par la
censure, le Surmoi, si elles proviennent du champ de
non-conscience inférieur, ou bien par la « ligne
pointillée » des idées préconçues, que nous verrons plus
loin, si elles émanent du champ de non-conscience
supérieur. Elles sont, du fait de ce formatage, de cette
mise en forme, directement accessibles et acceptables par
le Moi, par l’Ego, au niveau du champ de conscience. À
ce niveau, les fruits sont mûrs, consommables par le
conscient.
C'est ici que se situe la mémoire, volontaire et acquise,
celle des dates historiques, des souvenirs personnels
factuels ou dont la charge émotionnelle n’est pas
« lourde », impliquante. Ce champ de non-conscience
moyen a une relation privilégiée et permanente avec le
champ de conscience. Cette relation est d’autant plus
grande que la personne est détendue, et d’autant plus
limitée en période de stress.

Le champ de non-conscience supérieur, le Soi


Le champ de non-conscience supérieur correspond à
la partie de l’inconscient que Freud n’a pas étudiée. Jung
a travaillé sur cet aspect de l’inconscient, notamment à
travers le concept du Soi. Nous sommes ici au niveau de
ce que les Orientaux appellent l’« énergie du Ciel ». C'est
la puissance céleste intérieure. Nous sommes ici au
niveau des énergies subtiles, de l’intuition, de
l’immatériel, de ce que les Orientaux appellent le « non-
manifesté ». Il s’agit du niveau des pensées élevées, de la
spiritualité. Nous sommes au niveau de la déité. Il y a
une nécessité impérieuse de confrontation à l’essence des
choses, à ce qui est léger, aérien, lumineux. Le champ de
non-conscience supérieur est un espace chaotique
« léger », où l’absence de structure incarnée ouvre à la
multitude des possibles. C'est à ce niveau que
s’inscrivent le Soi défini par Jung et ce fil ténu que l’on
appelle l’âme. Nous sommes ici dans la dimension
solaire de l’inconscient. C'est le champ de l’inspiration
dans son sens le plus large, tant en termes d’intelligence
poétique que spirituelle.
Nous pouvons constater également que ce champ de
non-conscience supérieur est lui aussi délimité par une
frontière ouverte, une ligne pointillée. Il s’agit ici, non
pas de la censure éduquée (le Surmoi), mais de
l’autoréférence cognitive. Cette ligne est celle des
préjugés, des idées préconçues, toutes faites, de la
subjectivité. C'est la ligne des croyances personnelles,
des opinions. De son niveau d’élaboration va dépendre
l’inspiration de la personne.
Elle peut, à l’instar de celle de la censure, être fermée,
étanche. Nous avons alors affaire à une personne chez
qui l’inspiration est occultée. Elle ne laisse accéder au
champ de conscience aucune information non matérielle,
non prouvée. Le subtil n’appartient pas à ses croyances, à
son mode de référence intellectuelle du monde. Il arrive
parfois, à ce niveau également, que la pression fasse
brièvement sauter ce joint trop étanche. C'est
l’illumination, le contact avec ce que l’on appelle le
« numineux1». C'est l’extase des mystiques. C'est assez
rare et la plupart du temps bref, intense, bouleversant.
Cela peut aussi se traduire, lorsque cette ligne « lâche »
de façon plus continue, par des bouffées délirantes, des
comportements de type maniaco-dépressif.
Cette ligne peut également être trop ouverte. Nous
sommes là en présence de personnes « illuminées »,
« cucus la praline » comme disait ma grand-mère. Il peut
s’agir de personnes éthérées, évanescentes, déstructurées.
C'est à ce niveau du champ de non-conscience
supérieur que s’inscrivent les espérances de la personne,
ses quêtes de sens, ses besoins de comprendre la vie dans
sa globalité. C'est le siège de l’absolu, de tout ce qui est
idéalisé, magnifié. Le besoin d’abstraction, le sens du
divin s’inscrivent ici et cela nous permet de comprendre
combien il était inévitable pour Jung, « découvreur » du
Soi, de s’intéresser à l’âme, au divin et à ses
représentations.

L'inconscient collectif et familial, le


Transgénérationnel, le Soi transpersonnel, la
synchronicité
Ces dimensions n’ont pas, à ma connaissance, été
étudiées par Gaston Berger mais sa théorie ouverte leur
laisse une place potentielle intéressante. Si nous
observons à nouveau le schéma de la page 84, nous
pouvons constater que la ligne frontière qui entoure
l’ensemble des champs est, elle aussi, en pointillé. Elle
n’est pas étanche. Selon la personne et son état, cette
ligne laisse filtrer plus ou moins d’informations, de
données venant du monde extérieur inconscient. Selon la
zone par laquelle l’information pénètre, celle-ci sera d’un
type différent, cohérent avec le domaine géré par cette
zone.
Les informations venant imprégner le champ de non-
conscience inférieur seront en rapport avec le niveau
énergétique qu’il gère. L'inconscient collectif ou familial
apporteront des données plutôt « lourdes ». L'instinct
collectif, grégaire ou guerrier imprégnera la personne à
ce niveau-là. Les réactions observées par exemple dans
les stades de football ou dans les populations qui règlent
leurs différends par la haine et la mort participent de ce
système de contamination.
Les informations venant imprégner le champ de non-
conscience moyen vont venir nourrir la conscience
sociale, familiale et individuelle de la personne.
Celles imprégnant le champ de non-conscience
supérieur seront en rapport avec le subtil. C'est à ce
niveau-là que se situe le Soi transpersonnel, concept
défini par Stanislas Grof. Il correspond à peu de chose
près à la dimension « collective » du Soi, à ce qui est le
point de jonction, de rencontre de tous les Soi
individuels. C'est également ce niveau d’information qui
permet de comprendre la théorie complexe de la
synchronicité développée par Jung, évoquée
précédemment.
La connaissance actuelle de la psychologie humaine
permet de comprendre que l’inconscient collectif, défini
par C.G. Jung, ne se compose pas uniquement des
grandes structures archétypales universelles de
l’humanité (qu’est-ce que la vie, la mort, qu’est-ce que
Dieu, le Diable, l’homme, la femme, la survie, etc.). Elle
se nourrit également de structures plus diversifiées et
spécifiques issues de la culture des peuples (l’image
inconsciente de la femme, par exemple, n’est pas la
même en Occident, en Orient et au Moyen-Orient), issues
des cultures, des croyances régionales ou religieuses
(cette même image inconsciente de la femme est
différente chez les catholiques, les protestants ou les
athées) ou issues enfin des cultures familiales. C'est ici
que vient s’inscrire le concept de « transgénérationnel ».
Des recherches récentes ont montré que nous étions tous
porteurs, à un degré plus ou moins important, d’une
histoire familiale inconsciente qui nous imprègne
profondément, la plupart du temps à notre insu, et
pouvant être parfois très agissante. Cela se traduit la
plupart du temps par des comportements répétitifs
(reproduction de schémas), par des interdits inconscients
mais aussi parfois par des pathologies. Il y a des
pathologies familiales dont la dimension héréditaire
biologique n’est pas démontrable et qui pourtant existent.
On peut illustrer cela à travers ces lignées de femmes
qui, de mère en fille, vivent leur ménopause de façon
douloureuse. Je me souviens également du cas d’un
homme de cinquante-trois ans venu suivre un stage de
libération des mémoires émotionnelles. Cet homme
souffrait depuis quelques mois de douleurs de type
cardiaque parfois assez violentes. Très inquiet, il avait
bien entendu consulté mais rien n’avait été décelé. Or, au
cours du travail réalisé lors de ce stage, il prit conscience
que dans sa famille, depuis trois ou quatre générations, le
« représentant mâle » mourait d’un infarctus à cinquante-
cinq ans. Cette découverte, révélation intense et violente,
fut très libératrice car cet homme rejeta l’héritage
inconscient qu’il portait. Il a depuis largement dépassé
les cinquante-cinq ans et se porte comme un charme.
Mais comment un héritage inconscient peut-il aller
jusqu’à induire une pathologie ? Comment des mémoires
ou des vécus psychiques peuvent-ils se traduire dans nos
corps ? La notion de « placebo » et surtout celle de
« nocebo » vont nous aider à le comprendre.
NOCEBO, PLACEBO, ACTIONS DU PSYCHISME
SUR LE CORPS, MYSTÈRES DE LA VIE

Le terme « placebo » vient du verbe latin placere qui


veut dire « plaire », conjugué à la première personne du
futur. Il signifie donc « je plairai ». Il englobe tous les
effets générés par la réponse favorable du psychisme
d’un individu, du fait de sa « satisfaction » face à ce qui
lui a été prescrit d’une part et à la façon dont cela lui a
été prescrit par le soignant d’autre part (et ce, quoi que ce
soignant ait prescrit, médicament inactif, leurre ou vrai
médicament). Le terme de « placebo » est connu de la
plupart d’entre nous et son action, l’« effet placebo », est
également connue de la médecine moderne et des
laboratoires pharmaceutiques. Cette connaissance est
malheureusement le plus souvent connotée de manière
négative, péjorative. L'effet placebo est la poubelle dans
laquelle tombent tous les cas de guérison inexplicables
par la connaissance médicale et scientifique actuelle. Il
suffit, pour se persuader de cette connotation négative, de
se rappeler le procès récurrent que l’on fait à
l’homéopathie, par exemple, et de façon plus générale
aux approches alternatives. Lorsqu’elles fonctionnent et
apportent des résultats, il ne peut s’agir, selon la Faculté,
que d’un effet placebo. Cela signe plus une
méconnaissance qu’une connaissance non seulement de
ces approches mais tout autant de l’effet placebo que l’on
constate mais que l’on ne sait pas encore expliquer.
Toujours est-il que cet « effet » fonctionne de manière
troublante et produit, beaucoup plus souvent qu’on ne le
pense, de véritables guérisons. C'est pour cette raison
qu’il est utilisé dans les protocoles de recherche afin de
valider l’efficacité d’un produit, par ce que l’on appelle
le « double aveugle ».
Je ne résiste pas au plaisir de citer cette anecdote
concernant les essais d’un laboratoire britannique en
2005 relatifs à un traitement contre la chute des cheveux.
On fit des tests en aveugle sur une population d’hommes
souffrant de chute précoce des cheveux. Une moitié du
groupe fut traitée avec le médicament réel et l’autre
moitié fut traitée avec un « faux » médicament (produit
neutre). Les résultats furent passionnants : deux fois plus
d’hommes virent leur chute de cheveux s’arrêter dans le
groupe traité par le « faux » médicament.
Comment expliquer cet effet placebo ? On peut
l’illustrer à travers l’exemple de toutes ces personnes qui
ont une migraine, prennent un antalgique et voient cette
migraine s’estomper alors que le médicament n’a pas eu
le temps biologique d’agir (ce qu’elles ignorent). Les
anecdotes sont nombreuses et l’on peut évoquer aussi par
exemple celle que cite le Dr Patrick Lemoine, psychiatre
lyonnais2. Il raconte l’histoire de l’une de ses patientes,
victime d’une dépression importante et qu’il traitait dans
son hôpital. Cette patiente accepte un jour de participer à
un essai clinique pour un nouvel antidépresseur et reçoit
un traitement constitué de médicaments véritables (pas
des placebos). Après quelque temps, l’effet est quasi
miraculeux pour cette patiente, qui reprend goût à la vie
et redevient dynamique. Le Dr Patrick Lemoine est ravi
de ce bon résultat clinique. Cependant, quelques années
plus tard, lors de travaux de réfection du service
psychiatrie de l’hôpital, on découvrit, cachés dans l’un
des bras du fauteuil de la chambre de la patiente, les
comprimés du traitement qu’elle était censée avoir pris.
Elle avait guéri sans eux.
Cet effet placebo, aussi ahurissant que cela puisse
paraître, est aussi utilisé en chirurgie. Le New England
Journal of Medecine , organe américain très sérieux de
presse médicale, a publié, en 2001, les résultats pour le
moins troublants d’un protocole de validation relatif à
une nouvelle façon de traiter des parkinsoniens. Afin de
vérifier l’efficacité d’une trans-plantation de neurones
fœtaux chez des malades, on effectua sur la moitié du
groupe de malades une fausse opération (anesthésie et
incision du crâne mais sans transplantation de neurones).
Quelle ne fut pas la surprise des chercheurs de voir les
« faux opérés » montrer des signes incontestables
d’amélioration, au moins sur un temps.
Les anecdotes sont nombreuses et les médecins qui les
racontent reconnaissent bien volontiers qu’on ne sait rien
des mécanismes du placebo. Ce que l’on sait en
revanche, c’est qu’il existe, qu’il fonctionne avec une
puissance incroyable et qu’il est incontestablement la
signature de l’action du psychisme sur le physique. Les
travaux actuels de cette nouvelle science, la neuro-bio-
immunologie ou neuro-endocrino-immunologie, qui se
développe aux États-Unis, s’ils n’expliquent pas le
placebo, sont en train d’en démontrer les mécanismes
biochimiques.
Ce nouveau domaine de la science s’intéresse aux
interactions qui existent entre les trois systèmes
fondamentaux du corps humain que sont le système
nerveux, le système endocrinien et le système
immunitaire. À l’aide d’appareils de très haute
technologie (IRM, scanner, TEP3, etc.), cette nouvelle
science met en évidence les mécanismes biologiques mis
en jeu, notamment dans l’effet placebo, à travers la
visualisation des zones cérébrales activées. Ainsi, dans
une étude faite également sur des parkinsoniens, une
équipe de chercheurs de l’université de Colombie-
Britannique, au Canada, a mis en évidence, chez un
groupe de malades recevant comme traitement
médicamenteux de l’eau salée, une reprise de la sécrétion
de dopamine, défaillante chez le parkinsonien4.
Toutes ces recherches n’en sont qu’à leurs
balbutiements. Toutefois, elles ouvrent en grand la porte
qui n’était franchie à ce jour que par les représentants des
approches alternatives. C'est à un point tel que le sujet du
placebo est aujourd’hui inscrit au programme de
l’internat de médecine. Car maintenant, gens de peu de
foi que nous sommes, nous avons la preuve, par les
sécrétions d’endorphines, d’adrénaline, de noradrénaline,
de dopamine ou d’ocytocine, visualisables et
quantifiables, que l’esprit agit sur le corps. Combien de
temps avons-nous perdu et combien de voies de
recherche avons-nous méprisées ?
Mais las de regrets inutiles, l’être humain apprend
sans doute beaucoup par l’erreur et se trompe souvent par
manque d’humilité. En quoi cet effet placebo nous
intéresse-t-il ? Il nous intéresse à deux titres. D’une part,
il s’agit d’un processus de guérison dont chaque praticien
devrait absolument faire un allié (nous verrons cela dans
les chapitres sur la guérison). Mais il nous intéresse aussi
à travers son corollaire, lui aussi incontestable et pourtant
si négligé, le « nocebo ». Ce phénomène, aussi puissant
que le placebo, est celui que l’on trouve derrière toutes
ces manifestations que l’on qualifie de
psychosomatiques. L'effet nocebo est l’inverse de l’effet
placebo. Nocebo vient du latin nocere, « nuire »,
conjugué comme pour « placebo » à la première
personne du futur, « je nuirai ». Cet effet nocebo,
malheureusement la plupart du temps ignoré dans nos
systèmes médicaux, peut avoir des effets totalement
destructeurs. On sait que l’effet placebo peut guérir, mais
on sait moins que l’effet nocebo peut rendre malade voire
tuer.
C'est pourtant indéniable et le Pr Arthur Barsky,
médecin psychiatre et chef d’un service de
psychosomatique dans un hôpital de Boston aux États-
Unis, n’hésite pas à dire qu’il concerne au moins un
patient sur quatre. C'est énorme et fait frémir si l’on
considère que cet effet nocebo est aussi puissant que
l’effet « placebo ». Un cas stupéfiant, cité par le Dr
Bernie Siegel5, cancérologue américain travaillant selon
les principes du Pr Simonton, présente la particularité des
deux effets. Le Dr Bernie Siegel raconte ce qui lui est
arrivé alors qu’il avait en soin deux personnes, l’une
atteinte d’un cancer en phase évolutive et l’autre
simplement dépressive hypocondriaque. Suite à une
inversion de résultats d’analyses par le laboratoire, il fut
déclaré au malade atteint d’un cancer qu’il était en fait en
bonne santé, et au malade hypocondriaque qu’il était
atteint d’un cancer en phase évolutive. Quelque temps
plus tard, le laboratoire, s’étant rendu compte de l’erreur,
prévint en catastrophe le Dr Siegel qui aussitôt contacta
ses malades. Le malade hypocondriaque, qu’il put
joindre aussitôt, déclara ne pas se sentir bien du tout,
malgré la bonne nouvelle. Après examens, il s’avéra qu’il
avait, inconsciemment, déclenché un cancer. Quant à
l’autre malade, parti en Alaska et qui recontacta le Dr
Siegel à son retour, les examens montrèrent que son
corps était redevenu entièrement sain.
Nous voyons à travers cette anecdote extrême
combien les effets placebo et nocebo sont « frères » et
procèdent de la même action, pour l’instant inexpliquée,
du psychisme. Mais l’effet nocebo représente la
dimension « négative », pathogène. Il est la signature de
la coupure de l’être avec son âme et la vie et de la perte
de confiance. Cet effet doit par conséquent être
absolument pris en compte, en particulier dans la relation
patient-praticien où il peut être dévastateur.
Nous pouvons illustrer sa puissance grâce à un fait
divers véridique, notamment rapporté par Alain Bombard
(rendu célèbre par ses découvertes sur les conditions de
survie en mer). Ce fait réel s’est produit en Grande-
Bretagne, en 1957. C'est l’histoire d’un contrôleur de
train anglais qui avait la charge de vérifier techniquement
des wagons de chemin de fer et en particulier des wagons
frigorifiques. Il apprend, le vendredi, que le lendemain,
un samedi, il doit contrôler un train en gare de triage.
Comme c’est le week-end, il se dit qu’il faut absolument
qu’il pense à prendre ses passe-partout car il sait que ;
– il sera seul à être présent ;
– s’il se fait enfermer par mégarde dans un wagon
frigorifique, personne ne viendra l’en sortir.
Il prend donc la précaution de vérifier la présence du
passe dans la poche de sa veste. Le samedi matin, il
arrive sur le lieu de travail et se rend au vestiaire où il
pose ses affaires et enfile sa tenue de travail. Il
commence aussitôt sa visite de contrôle, arrive à un
premier wagon frigorifique et pénètre à l’intérieur.
Malheureusement, il ne fait pas attention et entend tout à
coup la porte du wagon claquer derrière lui. Aussitôt, le
contrôleur cherche son passe-partout, fouille
désespérément dans toutes ses poches, mais il lui faut se
rendre à l’évidence : il l’a oublié dans la poche de sa
veste qui, elle, est restée au vestiaire.
Affolé, il tambourine à la porte et crie de toutes ses
forces pendant des heures mais, je vous le rappelle, nous
sommes le week-end et bien entendu personne ne
l’entend. Le froid et la panique le gagnent. Il sent le froid
qui monte en lui et comprend ce qui se profile à
l’horizon, ce dont il avait peur. Il va sans doute mourir de
froid. Une idée effrayante lui vient alors. Il se dit que,
plutôt que de mourir inutilement, il va décrire son agonie,
pour le cas où cela serait utile à la médecine. Il décrit
donc (à l’aide du feutre qui lui servait à noter ses
remarques de contrôle), sur les murs du wagon
frigorifique, toutes ses sensations à l’approche de la mort,
en détail. Le lundi matin, les équipes de travail arrivent et
trouvent son cadavre. Les médecins légistes
diagnostiquent une mort par le froid. Tout cela semble
parfaitement logique sauf que :
– la porte du wagon frigorifique n’était pas verrouillée
mais simplement claquée : il aurait suffi de l’ouvrir ;
– le wagon frigorifique n’était pas en marche !
Voilà une terrible et extrême démonstration de l’effet
nocebo. Parce qu’il en était persuadé, parce qu’il avait
envisagé le risque, le contrôleur a « produit » sa propre
mort de froid. La peur de l’événement, alors que sa
réalité n’existait pas, a fini par le faire advenir. Certes cet
exemple est extrême et, heureusement, il ne suffit pas
d’avoir peur de quelque chose pour que cette chose se
produise. Il démontre cependant combien le psychisme
est agissant. Il peut l’être dans le positif mais il l’est
également dans le négatif. L'effet nocebo, qui concerne
une personne sur quatre selon le psychiatre américain
Arthur Barsky, peut s’avérer être la source potentielle
d’un nombre incalculable de maladies. Or combien de
fois les diktats et diagnostics « définitifs », assénés par
des praticiens imbus de leur savoir et inconscients de
l’effet inducteur de leurs avis et opinions sur le patient,
ont-ils aggravé la situation en générant un effondrement
du système immunitaire de ce patient ? Combien de
traumatismes psychiques ont agi de même comme
l’illustre une étude publiée dans les années 1980 dans la
célèbre revue médicale The Lancet et portant sur les
« veuves de Boston » ? Cette étude, qui concernait une
population de femmes sans antécédents pathologiques
particuliers et qui venaient de subir le deuil de leur
conjoint, démontra une chute de leur système
immunitaire.
Il faut cependant préciser que l’effet nocebo (comme
l’effet placebo) ne fonctionne pas avec la même intensité
chez tous les individus. Certains y sont plus sensibles que
d’autres. Il semblerait que chacun participe à ces effets,
en leur ouvrant plus ou moins la porte, en accueillant
plus ou moins leur action. Personne ne sait ou ne peut
dire pourquoi ni comment, car tout cela est inconscient.
En revanche, il est toujours possible de se servir de son
conscient pour aider, faciliter l’accueil de ces effets6.
Dans le cas de l’effet nocebo, notre vigilance peut nous
aider ; ne laissons jamais agir en nous les projections
négatives venant de nous-mêmes ou du monde
environnant quel qu’il soit. Cela est d’autant plus vrai des
injonctions venant d’une autorité. Souvenons-nous de
l’effet Milgram et de la soumission à l’autorité qu’il
démontre. Sinon, les projections négatives risquent
d’inscrire en nous des « non » inconscients à la vie.
Même si les statistiques précisent que dans 70 % des cas
diagnostiqués pour telle maladie se produit telle ou telle
conséquence, n’oublions pas que cela signifie que dans
30 % des cas cela ne se produit pas. S'il n’est pas
question de nier certaines réalités et certains risques
potentiels, il est en tout cas question de ne pas les
accepter comme autre chose que des probabilités. Il est
question de décider de ne pas s’imprégner de ces
« projections du pire », de refuser de les considérer
comme des vérités définitives. C'est ce qui fait dire au Dr
Bernie Siegel avec beaucoup d’à-propos : « Le diagnostic
n’est pas le pronostic. » À méditer, à se remémorer en
permanence !

DENSIFICATION ET LIBÉRATION
Comment les conséquences d’un déséquilibre intérieur
se mettent-elles en place dans le corps ? Qu’est-ce qui
peut permettre de comprendre les processus d’inscription
des tensions psychiques dans le corps ? Il est intéressant
de constater que l’époque actuelle, qui développe de plus
en plus la communication vers l’extérieur, est aussi celle
de l’éloignement de soi. Cependant, qu’on le veuille ou
non, les dimensions subtiles de l’être humain sont là,
existent et s’expriment tous les jours. Pour pouvoir les
comprendre et accéder à leur sens profond, il nous faut
accepter que le paradigme qui les concerne soit différent
de celui du regard mécaniste. Il en est ici comme de la
physique et des différences fondamentales qui existent
entre les physiques classique et quantique. L'une se
préoccupe du pondéral et du macroscopique et l’autre du
subtil et du microscopique. Elles ne s’excluent pas,
contrairement à ce que certains voudraient. Elles se
préoccupent seulement de niveaux différents tout en
étudiant la même chose. Le lien entre elles, comme pour
l’humain, est un principe de cohérence.
Pour comprendre les relations entre le corps et l’esprit
et, par conséquent, la signification des maux du corps par
rapport aux bleus de l’âme, il est impératif d’élargir le
regard que nous portons sur l’être humain et sur la vie. Si
nous en restons au stade de l’« homme machine », c’est-
à-dire composé de pièces indépendantes et
interchangeables en fonction des progrès techniques de la
science, les relations proposées peuvent sembler tenir de
la magie, de la voyance, de l’imaginaire pur et simple ou
du délire. La question est par conséquent de savoir
comment et pourquoi relier les manifestations physiques,
les symptômes, les maladies ou les accidents avec ce qui
se passe, ce qui se joue en nous. L'observation mécaniste
ne peut pas le faire car son regard est « collé » au
symptôme. Son champ d’observation est de ce fait
restreint, que ce soit dans le temps ou dans l’espace.
L'origine des maux ne peut alors se justifier que par le
hasard (accident) ou par des éléments qui nous sont
extérieurs (virus, microbe, nourriture, environnement,
etc.). Or, nous venons de voir que ce n’est peut-être pas
toujours le cas, loin de là. Alors comment expliquer ce
processus qui conduit du subtil, de l’invisible, à
finalement une traduction tout à fait concrète dans cette
réalité matérielle qu’est le corps humain ?
J’ai déjà décodé ce processus sur le plan énergétique
dans Dis-moi où tu as mal, je te dirai pourquoi. À travers
un processus que je qualifie de « densification », les
énergies subtiles, profondes, invisibles, se condensent,
prennent de plus en plus de densité pour finir par se
traduire sous une forme matérielle. J’utilisais pour cela
l’analogie de l’humidité de l’air (invisible) qui, en se
densifiant, forme tout d’abord des nuages (plus visibles
mais difficiles encore à ressentir) puis enfin de la pluie
(visible et que l’on peut sentir) qui tombe, mouillant le
sol et les individus. Ce processus est inhérent à la réalité
de notre univers et fonctionne en permanence. Il est
« intelligent » et signe, avec précision, quel type de
tension se densifie, selon la manifestation de cette
densification. Nous verrons dans le chapitre suivant qu’il
en est de même avec les « habitudes visibles »
(manifestations comportementales densifiées) qui
traduisent, avec la même précision, le type de peur et de
système de défense mis en place.
Illustrons ce processus de densification dans le corps
humain en observant les réactions physiques d’un timide.
Une personne timide est une personne sensible sur le
plan émotionnel. Lorsque ce timide est mis en présence
d’une personne qui l’impressionne, que se passe-t-il ? Il
rougit ! L'émotion, subtile et invisible, a produit une
manifestation, une densification physique.
Biologiquement parlant, le vécu émotionnel a généré
chez le timide une réaction hormonale. Son corps a
produit de l’adrénaline et de la noradrénaline.
L'adrénaline a permis la dilatation des vaisseaux
capillaires entraînant le rougissement. L'émotion
(invisible, subtile) a engendré une réaction physique
(visible, manifestée).
Mais le plus intéressant est à venir. La personne
timide ne rougit pas de n’importe quelle partie du corps.
Elle ne rougit ni des pieds ni des fesses, mais du visage.
Ici transparaît l’intelligence symbolique du corps. En
effet, la noradrénaline est une hormone qui est un
« électeur de lieu ». C'est elle qui va faire que
l’adrénaline ne va aller dilater que les capillaires du
visage et accélérer le rythme cardiaque. Que représentent
le visage et le cœur ? Le visage représente l’identité et le
cœur les émotions. Or, de quoi souffre le timide, si ce
n’est d’une fragilité de l’identité et d’un manque de
confiance en soi ? La manifestation corporelle signe cela
avec une précision incontestable, montrant l’intelligence
du corps et de son langage d’expression.
Les multiples densifications que nous vivons dans
notre corps sont des expressions d’une intelligence
équivalente. Je les ai suffisamment décodées dans mon
précédent livre pour ne pas avoir besoin d’y revenir ici.
Mais leur donner ainsi un sens doit immanquablement
nous ramener à leur origine car c’est la condition sine
qua non pour pouvoir s’en libérer et accéder au processus
de guérison. À travers elles, notre corps nous soigne. Il
tente d’évacuer la « mort » en nous. Il cherche à éliminer
ce qui s’est figé, cristallisé en nous, mais il ne sait pas
nous guérir, c’est-à-dire changer ce qui a conduit à la
souffrance, le traumatisme ou la maladie.
C'est ici que réside la différence fondamentale entre
soigner et guérir. Soigner consiste à traiter la
manifestation, le symptôme, notre corps sait le faire et il
le fait en permanence. Guérir consiste à modifier les
paramètres fondamentaux qui ont conduit à la maladie
pour que celle-ci n’ait plus à être, et cela, seule notre
âme peut le faire.
Je voudrais préciser enfin combien les densifications
qui s’expriment dans notre corps sont polyvalentes. Elles
sont à la fois le message de ce qui est en tension en nous,
une tentative de résolution de la tension et enfin une piste
essentielle de retour à sa source. J’ai déjà évoqué
précédemment leur rôle d’évacuation à travers l’idée que
toute maladie et tout traumatisme sont de très gros
consommateurs d’énergie. En cela elles permettent
d’évacuer, d’éliminer la tension énergétique qui s’est
emmagasinée dans telle ou telle partie du corps. D’autre
part, en attirant la conscience de l’individu vers la zone
douloureuse, elles focalisent l’attention et l’intention vers
ce lieu précis, réactivant ainsi le processus de vie dans
cette zone où elle avait sans doute été bloquée. Nous
verrons dans le chapitre suivant combien cela est
important.
Les densifications sont des pistes essentielles pour
pouvoir « retourner à la source ». En effet, si l’on décode
le sens profond associable à une densification vécue
(traumatisme ou maladie), à l’identique de ce qui se
passe avec le timide, nous allons pouvoir nous
préoccuper de ce qui est le propos même de la guérison,
c’est-à-dire modifier les racines des équilibres intérieurs
à l’origine de cette densification. Essayons d’illustrer
cela.
Si je décode le sens de la densification qui s’est
produite chez le timide, c’est-à-dire la problématique de
confiance en soi, je n’aurai plus besoin (ni envie) de
l’aider à lutter contre le fait de rougir en trouvant un
moyen d’empêcher la dilatation des capillaires. Je n’aurai
pas non plus envie de l’aider à trouver un moyen de lutter
contre son émotivité. Mon but sera simplement de lui
redonner confiance en lui. Je ne suis plus ainsi dans une
démarche de « lutte contre » ; je rentre dans une
démarche « proactive » dans laquelle mon seul objectif
sera de redonner à la vie ses principes d’équilibre et non
de m’opposer à la façon dont elle exprime ses tensions.
Nous retrouvons finalement ainsi, à travers cette
démarche de retour à la source, la même recherche que
celle de toutes les médecines traditionnelle du monde
dont la principale préoccupation était la préservation de
l’état de santé et non la lutte contre la maladie. En Orient
d’ailleurs, le médecin, qui n’était payé que tant que les
patients étaient en bonne santé, considérait l’apparition
de la maladie comme un échec et l’utilisation de ses
thérapeutiques pour soigner comme un échec
supplémentaire.

1 « Enfin, la lumière, lumen, est pour ainsi dire un signe divin, numen,
renvoyant l’image de Dieu dans ce temple qu’est le monde » (Marsile Ficin).
2 Patrick Lemoine, Le Mystère du placebo, Odile Jacob, 2006.
3 Tomographie par émission de positons.
4 Raúl de la Fuente-Fernandez, Thomas J. Ruth et al., « Expectation and
dopamine release, mechanism of the placebo in effect in Parkinson’s
disease », Science, vol. 293, n° 5532, pp. 1164-1166.
5 Dr Bernie Siegel, L'Amour, la médecine et les miracles, J’ai lu, 2004 et
Messages de vie, J’ai lu, 2001.
6 Voir p. 188.
Les processus permettant
de comprendre les bases de
la souffrance

LE PROCESSUS D’INCARNATION
Le processus d’incarnation est aux sources de la vie.
Cette conceptualisation que nous allons découvrir
ensemble est celle qui, à mon sens, permet le mieux de
comprendre à la fois ce qui est à la base du principe de
vie mais aussi de celui de la souffrance. Les philosophies
orientales ont toujours gardé vivante la relation entre le
corps et l’esprit. À aucun moment ces deux pans de la
réalité humaine ne sont dissociés et leurs
fonctionnements sont considérés comme profondément
interactifs. Les principes mêmes de la médecine
orientale, qu’elle soit ayurvédique, traditionnelle
chinoise, tibétaine ou japonaise, prennent toujours en
compte l’idée que derrière chaque maladie se trouve une
tension du psychisme, derrière chaque choc psychique se
trouve l’énergie nécessaire à la maladie et même, au-delà
de cela, que derrière chaque mode de pensée se trouve un
germe de déséquilibre.
Mais au-delà de cette relation corps-esprit, ces
philosophies ont également toujours rejeté l’idée même
de hasard. Pour elles, chaque manifestation est la
conséquence d’une action qui lui est antérieure, la vie
étant ainsi un continuum permanent d’effets et de causes.
Dans cette vision, la maladie n’est jamais un hasard ou
une fatalité mais la conséquence d’un certain nombre de
comportements, actes ou pensées qui ont conduit à sa
réalisation voire à sa nécessité.
Essayons de voir comment ces cultures envisagent la
vie. Je ne vais pas revenir sur la philosophie du processus
d’incarnation que j’ai développée dans Dis-moi où tu as
mal, je te dirai pourquoi. Je présente ici la « mécanique »
de ce processus. C'est elle qui nous permettra de
comprendre pourquoi, la plupart du temps, c’est nous qui
préparons le terrain à la maladie. Voyons le schéma ci-
après.
Pour les cultures orientales, notre univers est
vibratoire, énergétique. Toute chose est à la fois
l’expression et la concrétisation, la manifestation de
l’énergie. Il en est de même pour l’apparition de l’être
humain qui se produisit grâce à l’existence et à
l’interaction des énergies du Ciel et de la Terre qui ont
été les manifestations des « fameux » Yang et Yin
(composantes indissociables du Tao), que tout le monde
connaît, et grâce à l’action d’un « Principe Originel »,
forme initiale de l’esprit en recherche d’incarnation.

Les énergies dans l’être humain


L'être humain participe activement au processus de vie
qu’il continue en dynamisant et en transformant les
énergies qui le traversent et qui l’environnent. Il est en
effet le point de rencontre entre l’énergie Yang du Ciel et
l’énergie Yin de la Terre. Ces deux formes d’énergie
vont se combiner en lui et former alors ce que l’on
appelle l’« énergie Essentielle ». À son tour, cette énergie
Essentielle va se combiner avec une autre énergie dite
« Ancestrale » pour donner une nouvelle forme d’énergie
qualifiée de « Vitale ».

Cette énergie Vitale est propre à chacun de nous et lui


permet d’exister en tant qu’être, seul et unique, avec ses
forces et ses faiblesses, ses qualités et ses défauts, ses
excès et ses carences. C'est elle qui circule dans les
fameux méridiens connus en acupuncture.
Mais revenons un peu sur ces énergies. Elles se
combinent en lui, c’est-à-dire que l’être humain s’en
nourrit, au sens propre et au sens figuré.
Prenons tout d’abord l’énergie dite « du Ciel ». Cette
dimension, élevée et subtile, peut se comprendre à travers
ce que ce ciel nous apporte, c’est-à-dire l’air et la
vibration, le rayonnement ambiant (rayonnement solaire,
atmosphère environnante, etc.). À travers le « fait
respiratoire », l’être humain nourrit son corps en
permettant l’oxygénation des cellules. Mais il se nourrit
également, à travers l’énergie du Ciel, du rayonnement
solaire dont la présence est nécessaire pour certains
métabolismes physiques (fabrication de la vitamine D)
ou psychiques (évitement de la dépression saisonnière
dite « hypoluminique »). Cette énergie du Ciel n’est par
conséquent pas simplement respiratoire, elle est
également environnementale. C'est ici que viennent
s’inscrire les notions d’ambiance, d’atmosphère mais
aussi d’électromagnétisme dans lesquelles tout individu
vit, existe et se développe. Si cet environnement est
porteur d’une atmosphère négative, violente, tendue,
destructrice ou déséquilibrante, l’énergie du Ciel dont se
nourrit l’individu concerné sera déséquilibrée et finira
par générer des protections puis par produire des
compensations psychiques ou physiques. Les vécus de
harcèlement, tel qu’on le connaît aujourd’hui dans le
monde du travail, ou les craintes vis-à-vis de l’action
néfaste des rayonnements et des champs hautes
fréquences illustrent bien la question. Nous sommes ici
aussi au niveau de tout ce qui concerne le stress et ses
pathologies induites.
Prenons ensuite l’énergie dite « de la Terre ». Cette
dimension, plus lourde, dense, peut se comprendre à
travers tout ce que la terre nous apporte, c’est-à-dire les
aliments végétaux ou animaux. À travers le « fait
alimentaire », l’être humain se nourrit. Les apports en
vitamines, glucides, protides, lipides, etc., transformés
par le processus alchimique de la digestion, viennent
nourrir le corps et les cellules d’éléments pondéraux, plus
denses. Il se nourrit également, à travers l’énergie de la
Terre, d’une dimension plus subtile qui est celle du
magnétisme du lieu, des champs telluriques ou de toutes
ces différentes déclinaisons des champs terrestres que
sont les réseaux Hartmann1ou autres. Ici aussi nous
voyons combien cette vision de l’Orient permet de
comprendre autrement le caractère profondément
déséquilibrant des habitudes nutritionnelles modernes,
tant sur les plans qualitatifs (rappelons-nous l’expérience
des vers de Mac Connell) que quantitatifs. De nombreux
scientifiques poussent actuellement de véritables cris
d’alarme, à l’instar par exemple du Pr Belpomme,
cancérologue français, qui va jusqu’à affirmer que 85 %
des cancers sont produits par nos modes de vie.
Considérons enfin cette énergie Ancestrale qui
s’associe aux énergies du Ciel et de la Terre pour former
l’énergie Vitale. Cette énergie qui est propre à chacun de
nous est assez complexe à définir. Selon les principes de
la Médecine Traditionnelle Chinoise (MTC) et pour
résumer « simplement », on peut dire que cette énergie
est une combinaison entre l’énergie primordiale (esprit
originel) de l’être au moment de sa conception, à laquelle
se sont ajoutées l’énergie héréditaire transmise par les
parents et l’énergie cosmique existant au moment de la
coupure du cordon ombilical. Ces trois composantes
peuvent être porteuses d’équilibre et/ou de déséquilibre.
L'énergie parentale correspond par exemple au
potentiel et à la qualité énergétique, physique, mentale et
spirituelle des parents au moment où ils conçoivent
l’enfant. On peut aisément comprendre que ce qui est
transmis à l’enfant d’un viol ou dont les parents sont par
exemple alcooliques ne sera pas de la même charge
énergétique que pour un enfant « de l’amour » ou dont
les parents sont en parfaite forme physique. L'énergie
transmise alors est différente et, en tant qu’élément
constituant l’énergie Ancestrale, elle lui « donne » une
coloration particulière mais ne préjuge pas à elle seule de
l’avenir.
L'énergie cosmique est le troisième élément. La
théorie de la MTC considère que, lors de la coupure d’un
cordon ombilical (moment extraordinaire où il
s’autonomise totalement par rapport à sa mère qui l’a
porté pendant neuf mois), l’enfant reçoit une charge
énergétique dont les caractéristiques dépendent du ciel du
moment de la naissance (positionnement et influence des
planètes). Cela peut sembler étonnant mais on sait
aujourd’hui que les éruptions solaires, par exemple, non
contentes de perturber tous nos systèmes électroniques
(satellites, avions, etc.), génèrent également des vagues
dépressives chez les individus fragiles. Il en est de même
en ce qui concerne la Lune. Tout le monde sait que ce
satellite terrestre provoque le phénomène des marées,
c’est-à-dire qu’il déplace des milliards de mètres cubes
d’eau. Or un corps humain est constitué de 75 % à 85 %
d’eau. Alors, comment peut-on envisager que la Lune
n’ait pas d’influence sur lui ?
Cette énergie Ancestrale est présente dans tout le
corps, dans chacune de nos cellules. Quant à l’énergie
Primordiale, base de l’esprit originel que les Chinois
nomment le Chenn prénatal, il semble, selon leur théorie,
qu’elle soit également porteuse d’un certain nombre de
données ancestrales, issues d’autres plans de conscience
déjà vécus2.
Tout au long de sa vie, l’être humain reçoit l’énergie
du Ciel (notamment par les Poumons) et l’énergie de la
Terre (notamment par l’Estomac). La façon dont il les
consommera puis les assimilera en les combinant pour
former l’énergie Essentielle donnera la qualité et la
texture de cette dernière. Puis la combinaison de cette
énergie essentielle avec l’énergie Ancestrale donnera sa
force du moment, sa résistance, sa typologie caractérielle
et la qualité de l’énergie qu’il transmettra s’il procrée à
ce moment-là. Il est bon de savoir que l’énergie
Ancestrale joue un rôle important de régulateur qualitatif
et quantitatif de l’énergie Vitale. En effet, si la qualité de
l’énergie Essentielle laisse à désirer parce qu’elle
présente un déséquilibre (trop d’énergie du Ciel ou trop
d’énergie de la Terre ou bien mauvaise qualité de celles-
ci), c’est l’énergie Ancestrale qui va intervenir et jouer
son rôle en puisant « dans son stock » pour rétablir
l’équilibre qualitatif ou quantitatif qui a été perturbé.
La façon d’assimiler puis la qualité et l’influence de
chacune de ces formes d’énergie peuvent être subies (à la
limite du déterminisme) ou bien travaillées. Des
techniques respiratoires (chi gong, yoga, etc.) peuvent
aider à travailler l’énergie du Ciel. Il en est de même
avec des techniques alimentaires (Diététique Énergétique
Chinoise) qui peuvent aider à travailler l’énergie de la
Terre. D’autre part, une utilisation maîtrisée des énergies
du Ciel et de la Terre permettra de tempérer, de gérer la
consommation de l’énergie Ancestrale. Celle-ci, quant à
elle, ne peut pas être travaillée car elle est déterminée une
fois pour toutes pour chacun de nous. Elle reste une
empreinte indélébile que nous pouvons faire évoluer dans
la forme mais pas dans le fond. Son volume diminue au
fil de la vie, à un rythme biologique donné mais plus ou
moins accéléré, en fonction des sollicitations provoquées
par notre comportement et de la qualité de notre gestion
de ce capital.
C'est cette énergie Ancestrale qui détermine la
longévité de chacun de nous et nous pouvons aisément
comprendre comment nos attitudes alimentaires,
d’hygiène physique et mentale agissent non seulement
dans l’instant (santé) mais aussi dans le temps (longévité
et vitalité de la conscience). L'image taoïste classique
pour représenter cette énergie Ancestrale est celle d’un
pot à trois pieds, situé entre les deux reins et où brille la
flamme vitale de chacun de nous, ce feu sans lequel
l’alchimie fabuleuse qui s’élabore et se perpétue en tout
être humain ne pourrait être.
Le fameux « tripode » de l’Énergie Ancestrale Sing-
Ming. Koueitche Bong – Manuscrits orientaux ©
Bibliothèque nationale de France

La vision karmique
Selon les philosophies orientales, la vie d’un être
humain est un processus de réalisation. Placé entre le
Ciel et la Terre, l’être humain se nourrit et transforme
leurs énergies ainsi que nous venons de le voir. Mais
pourquoi ? Voilà la grande question. Tout cela a-t-il un
sens et ce sens, s’il existe, peut-il nous permettre de
mieux comprendre pourquoi cela se passe parfois mal
(souffrances, maladies, traumatismes) ?
La réponse à la question « pourquoi ? » n’est pas
possible dans notre vision mécaniste qui considère que la
manifestation de la vie n’est due qu’au « hasard et à la
nécessité ». Si l’on veut émettre des hypothèses sur la
question « pourquoi ? », il devient nécessaire de quitter le
monde des certitudes scientifiquement prouvées et
établies pour aller vers des hypothèses conceptuelles plus
spiritualisantes tout en restant cohérentes. Dans ce
paradigme, l’Orient propose une vision dans laquelle le
phénomène de l’existence est une infime partie d’une
réalité plus vaste qui s’appelle la Vie. Cette Vie ne se
cantonne pas à la simple existence individuelle, délimitée
d’un côté par la naissance et de l’autre par la mort, mais
se comprend à travers deux plans différents et
complémentaires qui englobent à la fois ce qui se situe
avant la naissance et après. Ces deux plans sont appelés
« Ciels » : le Ciel Antérieur pour tout ce qui est antérieur
à la naissance ou plutôt à l’incarnation, et le Ciel
Postérieur pour tout ce qui est postérieur à la naissance.
Dans cette hypothèse philosophique, l’esprit qui
s’incarne dans un fœtus et devient un être humain n’est
pas vierge de données, d’informations, bien au contraire.
Cet esprit, dit « Chenn Prénatal », est porteur de
nombreuses informations antérieures à la naissance et en
particulier de choix qu’il a fait pour s’incarner. Ces
choix, dits « choix d’incarnation », sont faits afin de
permettre à l’esprit qui s’incarne de réussir au mieux ce
qu’il est venu réaliser. Nous sommes là dans cette vision
karmique qui considère la Vie comme une école dans
laquelle nous venons apprendre un certain nombre de
leçons. Une fois ces choix faits dans le Ciel Antérieur,
l’esprit, le Chenn, s’incarne et passe dans le Ciel
Postérieur où il les réalise3. Nous verrons plus loin, dans
le chapitre sur les bases de la souffrance, que c’est ici que
peuvent se créer des tensions importantes. En effet, selon
le principe karmique, lorsqu’il y a une distorsion entre ce
que le Chenn Prénatal a choisi dans le Ciel Antérieur et
ce qu’il réalise dans le Ciel Postérieur, apparaît la tension
ou le conflit intérieur qui peut conduire à la maladie ou
au traumatisme.
La vision karmique se décline également au niveau
existentiel d’un être humain (une fois incarné, passé dans
le Ciel Postérieur) qui lui aussi comporte deux plans
assimilables au Ciel Antérieur et au Ciel Postérieur. Ces
deux plans sont le Conscient et l’Inconscient. À
l’identique du Ciel Antérieur, l’Inconscient est un plan
subtil, non manifesté, dans lequel l’esprit humain élabore
des choix, des stratégies, qu’il réalise (incarne) à un
moment donné dans le plan conscient. Ici aussi, nous
allons trouver des sources possibles à la souffrance car,
ainsi que je l’ai évoqué pour les Ciels Antérieur et
Postérieur, s’il existe des distorsions entre ce qui est
élaboré et choisi dans le plan inconscient et ce qui est
effectivement réalisé dans le plan conscient, elles vont
produire des tensions voire des pathologies ou des
traumatismes.
J’illustre fréquemment cette idée, lors de mes
conférences, par la parabole suivante. Prenons l’exemple
d’un jeune homme qui veut aller faire de la randonnée en
montagne. Ce jeune homme a le désir, l’envie de faire
cette randonnée dans les Alpes et il va y réfléchir, la
préparer dans sa tête, prévoir tout ce qu’il lui faut comme
matériel, billets de train, etc. Nous sommes là dans toute
la phase abstraite de réflexion et de préparation de la
randonnée que l’on peut assimiler, comparer à ce qui se
passe dans le plan du Ciel Antérieur ou dans celui de
l’Inconscient.
Puis vient le moment où le jeune homme décide
d’incarner, de réaliser son choix, c’est-à-dire qu’il passe
à l’acte. Il prend ses billets de train, il achète le sac à dos
qui convient, les pantalons chauds et le gros anorak qui
lui permettront de résister au froid des hauteurs. Et vient
le jour où il prend le train à la gare de Lyon pour les
Alpes. Nous sommes ici dans la phase de réalisation
concrète de la randonnée, assimilable au Ciel Postérieur
ou au Conscient. Si le jeune homme va jusqu’au bout de
son voyage et conduit sa randonnée à son terme, il aura
réalisé son envie et aura ressenti la satisfaction, le
bonheur d’avoir pu le faire grâce aux choix faits pour la
réaliser. Si en revanche, pendant le voyage en TGV, le
jeune homme rencontre une charmante jeune fille avec
laquelle il sympathise et qu’il décide de la suivre jusqu’à
sa destination à elle, il ne va pas réaliser son projet tel
qu’il l’avait préparé. Il n’aura pas le bonheur « attendu »
que la randonnée aurait pu lui procurer. Cependant il
pense, semble-t-il, le remplacer par un autre bonheur.
Mais si la jeune fille se rend sur la Côte d’Azur pour
bronzer sur une plage, le jeune homme, avec son anorak,
ses pantalons en gros velours et son sac à dos risque de
souffrir tant de la température que du ridicule. Le fait de
ne pas réaliser ce qu’il avait préparé, prévu, générera de
l’inconfort, de la tension. Bien sûr, me dira-t-on, le jeune
homme peut aller s’acheter un maillot de bain et des
vêtements plus adaptés. Certes vais-je répondre, mais
cela lui coûtera plus cher, au propre et au figuré,
illustrant par là l’idée du surcoût (tension, souffrance,
etc.) associable aux changements de cap entre les choix
du niveau Ciel Antérieur et les réalisations du Ciel
Postérieur.
Tout ce qui précède ne veut pas dire qu’il ne faille pas
changer de cap, ne pas saisir des opportunités dans la vie.
Si celles-ci correspondent aux choix de vie, elles
participeront au bonheur de l’individu. Le bien-être
ressenti et l’état de santé de l’individu viendront signer la
validité de ces nouveaux choix. Par conséquent, un
changement de cap peut être salutaire, à condition qu’il
soit en cohérence avec cette « légende personnelle » que
j’évoque dans Dis-moi où tu as mal, je te dirai pourquoi.
Il peut sembler difficile de savoir si l’on doit ou non
saisir certaines opportunités. Il suffit pourtant de faire
confiance à « ce qui sait en nous ». Les choix de vie sont
toujours portés par une sorte de certitude intérieure et
procurent du bonheur. « Je savais qu’il fallait que je fasse
cela ou que j’aille à cet endroit », etc. ai-je bien souvent
entendu dire par des patients. Alors que les choix qui
créent des distorsions avec le Chemin de vie sont plutôt
portés par des pulsions ou des envies à satisfaire
produites par le Moi et procurent seulement du plaisir.
Serait-ce là une définition possible du bonheur, ce Graal
insaisissable pour nos esprits occidentaux, que de dire
qu’il s’agit de l’état de cohérence entre ce que l’être fait
de sa vie et ses choix d’incarnation ?
Nous voyons en tout cas que, dans cette vision du
monde, les causes possibles de tension ou de souffrance
sont inhérentes aux principes mêmes de la manifestation
de la vie. Cela ne signifie pas que ces souffrances soient
obligatoires mais qu’elles sont toujours consécutives à
des « éloignements » du principe de vie. Et cette idée
n’est en rien moraliste ou destinée à prôner ou à défendre
des règles dogmatiques. Elle est simplement le fil de la
vision karmique qui considère qu’à chaque effet il y a
une cause et qu’à chaque cause est toujours associé un
effet. Toute attitude et tout comportement en cohérence
avec les grandes lois fondamentales de la vie dans notre
univers produiront un effet, une ou des conséquences
positives, favorables, agréables, confortables, etc. Toute
attitude ou comportement non cohérent produira une ou
des conséquences négatives, défavorables, désagréables,
inconfortables, etc. Cela ne sera en rien la sanction d’une
quelconque désobéissance à une règle ou la punition d’un
comportement inadéquat : il s’agira de la conséquence
directe d’une action. Prenons pour l’illustrer sans
ambiguïté une situation caricaturale. Un individu qui
pense pouvoir dépasser les lois naturelles en volant et qui
saute du haut d’une falaise va irrémédiablement s’écraser
au sol. Les multiples fractures qu’il aura ne seront en rien
une punition quelconque mais la conséquence directe
d’un acte en distorsion avec les lois de la pesanteur.
Cette précision est fondamentale car il peut être
tentant de voir derrière les souffrances des êtres humains
des punitions dues à des fautes commises. Certains
n’hésitent d’ailleurs pas à franchir le pas, alimentant ainsi
à nouveau la soumission par la peur. Cette vision
manichéenne est très occidentale et c’est elle qui a
souvent fait interpréter le concept karmique comme un
concept punitif. Dans la vision orientale du monde, les
choses sont à la fois plus simples et plus compliquées.
Elles sont articulées autour de la structure vibratoire de la
vie et de l’idée que soit l’être humain est en harmonie
avec ces structures (état d’équilibre et de santé), soit il est
en dysharmonie avec ces mêmes structures (état de
déséquilibre et de maladie).
L'ensemble du processus d’incarnation se déroule tout
au long de l’existence de l’être humain. La finalité est
pour lui d’aller au bout du chemin qu’il s’est choisi, de
réaliser son être en réalisant son chemin. Mais lorsqu’il
s’incarne, l’être humain ne le sait plus, l’oublie, en perd
conscience et tout le travail pour lui consiste à retrouver,
reconquérir cette mémoire perdue, celle de ses choix et
des moyens qu’il s’est donnés pour les réaliser. Cela se
déroule à l’identique de la vie du petit enfant qui naît
puis au fur et à mesure apprend la vie, structure sa
conscience et la développe de plus en plus pour
comprendre (théoriquement !) de plus en plus de choses
et mieux appréhender la vie.
Voyons maintenant justement de quelle façon se
construit ce petit être, non pas biologiquement mais
psychiquement parlant.

LE PROCESSUS DE CONSTRUCTION DE L’ÊTRE


La construction d’un être humain est un processus
particulier. Elle se déroule un peu comme celle de toutes
choses dans notre univers en commençant par une
ébauche non élaborée qui s’organise petit à petit. Cela se
passe d’ailleurs à l’instar de la construction du fœtus qui
commence par une cellule, puis deux cellules, puis x
cellules, indifférenciées d’abord. Puis elles s’organisent
progressivement en systèmes organiques, en se
différenciant de plus en plus pour finir par former un
corps humain extrêmement élaboré. La construction
psychique d’un être humain se fait de la même manière.
Nous allons l’évoquer à travers les regards de l’Orient et
de l’Occident.

La vision de l’Orient
Selon les principes orientaux, nous avons au départ
une étincelle de vie, de conscience, à la fois brute et
élaborée, qui s’inscrit dans l’œuf humain (moment de la
conception). C'est le Chenn prénatal que j’ai déjà évoqué.
Puis cette conscience s’organise, se met en forme en
s’enrichissant. Cela commence dès la phase intra-utérine
où l’esprit, qui s’est incarné, déjà porteur de données qui
lui sont propres (les mémoires ancestrales des
Orientaux), enregistre toute une foule d’informations de
façon passive et dépendante du psychisme de la mère qui
porte l’enfant. Ces informations viennent enrichir l’esprit
de données qu’il ne peut encore analyser ou utiliser mais
qu’il engrange. C'est ici que viennent s'inscrire les
mémoires associées à la période intra-utérine que j’ai
évoquée précédemment4.
Arrive ensuite le moment de la naissance et de la
coupure du cordon. Nous sommes au moment où le
Chenn individuel, l’esprit individuel, s’autonomise. La
coupure du cordon « dissocie » l’enfant de sa mère, dont
il ne dépend plus sur aucun point (pensée, nourriture,
immunité, oxygène). Il doit apprendre à ressentir,
analyser, exprimer, percevoir, etc. petit à petit par lui-
même. Chaque phase de construction physique
correspond et est associée à une phase de construction
psychique, et ce depuis la vie intra-utérine. Dans cette
logique, chaque organe, chaque système organique est le
support, le siège et en même temps la manifestation d’un
pan du psychisme. Le corps est le support, le véhicule de
l’esprit. Il dépend donc de lui mais en même temps, sans
lui le psychisme n’existerait pas dans la mesure où il ne
pourrait pas se manifester.
Cette idée est développée en Médecine Traditionnelle
Chinoise sous le concept d’« entités viscérales »,
appelées également « psychés organiques5», et c’est une
dimension théorique fondamentale de cette médecine. Il
montre que, plus de quinze siècles avant Freud, existait
une théorie de l’inconscient et des structures psychiques
qui constituent un être. C'est sur cette théorie que je me
suis appuyé pour développer le concept de la Psycho-
énergétique6, que l’on peut résumer simplement à travers
un principe majeur : à chaque fonction organique est
associée une fonction psychique dont elle est la
projection.
On peut illustrer cela très simplement avec l’exemple
d’un organe, le gros intestin. Sur le plan physique et
schématiquement, le gros intestin nous sert à évacuer les
matières organiques, c’est-à-dire ce que nous avons
ingéré, digéré et dont nous avons « décidé » de ne pas
nous nourrir (ce qui n’a pas passé la barrière de l’intestin
grêle pour pénétrer dans le sang). La Psycho-énergétique
nous propose de penser qu’il y a un pan du psychisme
qui joue le même rôle et qui s’appuie sur la même
énergie. Ce pan du psychisme est celui qui nous sert à
évacuer ce que nous avons ingéré sur le plan psychique
(les vécus, les expériences, les traumatismes
émotionnels, etc.), que nous avons digéré sur le plan
psychique (pour lesquels il y a eu une réflexion, une
maturation) et dont nous avons décidé de ne pas nous
nourrir psychiquement (que nous n’allons pas garder
dans nos mémoires émotionnelles).
Il en est de même pour tous les organes et toutes les
fonctions organiques qui sont ainsi associées à des
fonctions psychiques, dont elles dépendent mais qui ont
besoin du support organique pour pouvoir exister,
s’exprimer. C'est ce concept qui permet de comprendre
pourquoi on considère, en médecine énergétique, que :
– toute perturbation de la fonction organique, si elle
est importante ou dure dans le temps, finira par avoir une
conséquence sur le pan du psychisme qui lui est associé ;
– toute perturbation de la fonction psychique, si elle
est importante ou dure dans le temps, finira par avoir une
conséquence sur la fonction organique qui lui est
associée et ce dans la mesure où elles dépendent de la
même énergie (connue et utilisée en acupuncture par
exemple).
Soyons simples à nouveau dans le propos explicatif :
ce qui précède peut s’illustrer avec la période de
« déprime » que connaissent certaines femmes lors de
phases particulières de leur cycle menstruel (le
déséquilibre organique a une conséquence psychique) ou
bien avec les cas d’infarctus consécutifs à une émotion
intense, violente (le déséquilibre émotionnel a une
conséquence physique).
Tout au long de sa vie, l’être humain suit donc un
processus de construction lors duquel chaque pan de lui-
même se nourrit physiquement et également
psychiquement. Ainsi que nous venons de le voir, cette
construction n’est pas dissociée. La façon dont l’être
humain nourrit (et construit) son corps est au contraire
intimement liée et interreliée à la façon dont il nourrit (et
construit) son esprit. Ce sont en effet nos pulsions
inconscientes, nos besoins et nos peurs, nos recherches
de compensation, etc. qui dictent ce dont nous avons
envie sur le plan nourriture. Les saveurs que nous
recherchons et l’ensemble de nos comportements
alimentaires sont la signature de nos besoins intérieurs et,
dans le même temps, induisent, fixent, aggravent ces
besoins.
Nous retrouvons ici à nouveau ces racines qui peuvent
être celles de la santé comme celles de la maladie. C'est
d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles, dans la MTC,
la diététique est considérée à la fois comme le premier
outil de préservation de l’état de santé et comme un
traitement, que ce soit pour des troubles physiques ou
psychiques. Les anciens médecins chinois (et encore
actuellement certains d’entre eux) prescrivaient des
menus que leurs patients allaient consommer dans des
restaurants appropriés. C'est également pour cette raison
que, dans les restaurants chinois, les plats présentés sur
les menus comportent toujours l’indication de leur saveur
(sauce aigre-douce, piquante, amère, etc.). À travers
elles, la plupart des Chinois savent encore gérer une
« automédication alimentaire » étonnamment efficace.
Grâce à tous ces éléments nous voyons combien, dans
la culture orientale, il est implicitement et explicitement
admis, sans même avoir besoin de philosopher sur le
sujet, que la construction de l’être se fait en résonance et
en interaction permanentes avec le biotope dans lequel il
évolue. L'esprit individuel, le Chenn, s’incarne et
s’appuie sur une réalité physique et se manifeste à travers
elle. C'est cette réalité physique qui lui permet de se
confronter au réel. En retour, les informations perçues de
ce réel vont venir enrichir l’esprit et le faire évoluer.
Cette évolution va générer une mise en rapport avec ce
même réel, mise en rapport qui va elle-même évoluer
dans une sorte de continuum permanent et interagissant,
etc. Ce processus continuel, immuable, de désir d’action,
puis d’action, puis de feed-back, de « retour sur action »
par le résultat obtenu, d’intégration de ce feed-back et
enfin d’adaptation de la prochaine action en fonction de
l’expérience engrangée est le processus même de la
construction de l’être. À partir de déterminismes de base
et en éveillant sa capacité d’écoute et de synthèse des
informations, l’être progresse, se construit en élaborant
d’autres déterminismes, plus larges, plus adaptés à sa
dimension. Nous sommes là dans un processus
équivalant à la mue des insectes qui changent de peau
chaque fois que lors de leur croissance celle-ci est
devenue trop étroite. Bien entendu, la croissance de l’être
présente de multiples phases inconfortables, à l’identique
du processus de mue. Il y a en effet une phase très
insécurisante, lorsque l’insecte vient de quitter son
ancienne peau devenue trop étroite et que la nouvelle
n’est pas encore assez dure pour le protéger
suffisamment : il se sent fragile. La croissance de l’être
passe également par des phases lors desquelles
l’évolution de la conscience conduit à des nécessités de
changement qui ne sont pas toujours confortables.
Lorsque l’individu, confronté à ces nécessités, recule,
résiste à ces évolutions, il s’oppose au mouvement
énergétique et bloque la circulation de la vie en lui. La
philosophie traditionnelle orientale nous dit qu’il s’agit là
de l’une des manières par lesquelles l’être humain crée la
souffrance dans sa vie. Nous allons voir qu’il en est, avec
d’autres mots, strictement de même dans la vision
occidentale.

La vision de l’Occident
Selon les principes occidentaux, la construction de
l’être se fait aussi par la rencontre avec le réel. Le
principe éducatif, l’éducation familiale et scolaire sont à
première vue des moyens et des méthodes de
construction efficaces. Ces moyens ne sont cependant pas
suffisants car ils ne construisent pas réellement l’être
mais plutôt formatent (mettent en forme) son rapport à la
société, au groupe, en élaborant sa censure, son Surmoi.
Si cela est nécessaire (nous vivrions sans ce Surmoi dans
un monde purement animal et pulsionnel), cela n’est pas
suffisant pour construire l’être. Nous pouvons même
envisager que cela soit parfois « contre-productif ».
Nous avons vu dans le chapitre sur les champs de
conscience que la structure psychique d’un être humain
n’est pas « monobloc » mais composée de différentes
sous-structures, sortes de petits Moi intérieurs. Nous
avons vu par exemple que certaines de ces structures ont
été définies comme le Surmoi, le Moi, le Soi. Il s’avère
que chacune d’entre elles a une place bien définie, un
rôle bien spécifique à jouer, essentiel dans la construction
de l’être.
Le principe de l’iceberg. La première analyse
concerne le conscient et l’inconscient ou ce que nous
avons qualifié de champ de conscience et de champ de
non-conscience. De même que notre « science » ne
considère que ce qui est manifesté, visible, objectivable,
la culture générale de notre société considère que le plan
le plus important est celui du conscient. Il en est ainsi
sans doute parce que ce plan est celui dans lequel nous
pensons, réfléchissons et agissons consciemment. Or les
travaux de Freud puis de C.G. Jung et de tous les autres
défricheurs de la psyché humainse démontrent qu’il n’en
est rien et que la part la plus puissante, la plus agissante,
est celle de l’inconscient. On peut illustrer cela de façon
très explicite avec l’exemple d’un iceberg.
Le conscient peut être assimilé à la face visible de
l’iceberg, à ce qui émerge à la lumière, au jour.
L'inconscient, quant à lui, peut être assimilé à la face non
visible de l’iceberg, sa partie immergée, dans les
profondeurs, dans l’obscurité. Ce que l’on peut constater,
c’est que la face visible de l’iceberg ne représente que 10
% de la masse et la face cachée 90 %. Pour continuer
dans notre analogie, on peut estimer qu’il en est de même
pour le conscient et le non-conscient, en termes de
proportions.
Cette illustration nous permet d’envisager que dans le
rapport de masse, de présence et de puissance, le
conscient est bien moins important que le non-conscient.
Seulement, comme ce dernier est « invisible », on
l’oublie, on l’ignore bien souvent, on le sous-estime car,
ainsi que je l’évoquais dans le chapitre sur les temps
barbares, comme le dit Julien Green, « la grande faute de
l’Occident est la négation de l’invisible ».
Mais avant d’aller plus loin, il me semble important de
définir les deux concepts sur lesquels nous allons
continuer de nous appuyer, le Moi et le Soi.
Le Moi et le Soi. Ainsi que nous l’avons vu
précédemment à propos de la théorie des champs de
conscience, le Moi et le Soi sont représentatifs de
niveaux très différents de la structure psychique d’un
individu. Du fait de cette différence, leurs attentes et leur
représentation du monde sont elles aussi très différentes.
Le Moi est principalement à la base de deux regards
sur la vie, à la fois un regard très manichéen qui se
positionne en termes de territoire et d’individualité et en
même temps un regard qui recherche le confort et la
facilité. Cela implique une tendance constante à
rechercher les situations ou les moyens satisfaisant ces
deux attentes. Le Moi ne comprend pas la frustration,
l’échec, le manque, la soumission ou les contraintes. Il
recherche la satisfaction de l’instant et tous les signaux
lui montrant qu’il a raison ou qu’il est fort. Cette attitude
d’« enfant gâté » le rend parfois difficile et conflictuel. Il
est incapable d’accepter une vision subtile des
interactions de la vie et du fait que parfois « les voies du
Seigneur soient impénétrables », c’est-à-dire difficiles à
comprendre dans l’instant.
Ce sont ces caractéristiques, apparemment négatives,
qui lui donnent la capacité à se confronter au réel et à
l’organiser afin de le rendre plus directement
« confortable » ; en cela, le Moi est essentiel en tant
qu’interface. Il sait lutter contre les oppositions ou les
difficultés. Le Moi fonctionne pour ce faire à l’état de
veille et donc à l’état conscient. Il ne comprend pas les
états de non-veille et de non-conscience qui lui
échappent, au point qu’il peut parfois empêcher le
sommeil, par peur de perdre la maîtrise des choses.
Le Soi a, quant à lui, plutôt un regard large sur la vie
et le monde, un regard vaste tant sur les plans spatial que
temporel. Il ne connaît pas de limites, ni dans le temps ni
dans l’espace. Il n’est de ce fait, à l’inverse du Moi, ni
impatient, ni possessif, ni conflictuel. Il participe du
champ de non-conscience supérieur qu’il nourrit et dont
il se nourrit. Il a accès aux dimensions de l’inconscient
collectif et c’est par lui que l’être humain accède à la
synchronicité. Les attentes du Soi sont celles de la
réalisation de soi. L'acceptation des règles et des jeux de
la vie lui donne une confiance totale dans celle-ci et la
connaissance qu’il a des attentes profondes de l’individu
lui confère une force inébranlable. Il sait accepter
l’inconvénient de l’instant si celui-ci s’inscrit dans une
croissance de l’être. Il ne lutte pas mais s’inscrit plutôt
dans les flux de la vie et dans ses potentialités. Cette
attitude de « sage » en fait une interface privilégiée avec
les dimensions élevées de l’être et de l’âme.
Ce sont ces caractéristiques, plutôt positives, qui lui
rendent le rapport direct au réel difficile car il n’a pas la
structure bipolaire indispensable pour cela. Son interface
avec le réel est le Moi.
La relation entre le Soi et le Moi peut parfois être
difficile, voire conflictuelle. Il est cependant essentiel de
comprendre que le Soi sera toujours « gagnant » car il
appartient aux dimensions de l’inconscient et fonctionne
en permanence. Il est par conséquent toujours nécessaire
d’intégrer au travail mené lors d’une relation
thérapeutique une certaine dimension, celle du sens.
Élargir le débat et le propos est un principe fondamental
car cela entrouvre la porte au Soi et à son implication
dans le travail qui doit s’effectuer.
L'imposture du Moi, l’horizontalité et la
verticalité. C'est ici que se trouve l’impasse majeure de
la construction des êtres, que je qualifie d’« imposture du
conscient et du Moi », dans laquelle nombre d’entre nous
se fourvoient. En effet, ce qui est en prise avec le
conscient, c’est le pan du psychisme que l’on appelle le
Moi ou l’Ego.
Le mot « imposture » peut sembler excessif mais il est
pourtant approprié. La définition du mot, selon le Petit
Larousse, est : « Action, procédé de quelqu’un qui
cherche à tromper par de fausses apparences ou des
affirmations mensongères, notamment en usurpant une
qualité, un titre, une identité, ou en présentant une œuvre
pour ce qu’elle n’est pas. » Nous sommes en plein dans
le sujet. Car le Moi, parce qu’on le lui a laissé croire,
prétend être ce qui dirige en nous et être seul aux
commandes. Il se trompe mais ne peut pas accepter de le
reconnaître.
C'est le Moi qui organise le conscient et gère la prise
directe avec le réel, avec le monde matériel et les autres.
Il organise et fonctionne dans l’« horizontalité », la
« verticalité » étant gérée par le Soi. Précisons un peu ces
deux notions.
L'horizontalité représente tout ce qui touche au monde
matériel, manifesté, tant en ce qui concerne les choses
que les idées. Par conséquent, tout ce qui est matériel
(objets, biens, corps physique, etc.) mais aussi toutes les
idées, pensées ou activités qui concernent cette
matérialité (préoccupations matérielles, professionnelles,
envies, jalousies, besoins de posséder, etc.) appartiennent
à cette dimension de l’horizontalité. Nous sommes là
dans le plan dans lequel l’homme se réalise
matériellement parlant, celui de la réussite sociale ou
professionnelle. C'est le monde du « faire », de « l’agir »,
de « l’avoir ». Le sol est la représentation première de
l’horizontalité. C'est là que l’homme se couche, à
l’horizontale, pour reposer son enveloppe physique ou
lorsque celle-ci meurt, c’est ce vers quoi descend tout ce
qui est lourd et dense. Le Moi excelle dans la gestion et
la maîtrise de cette dimension. C'est son domaine et son
utilité est indéniable.
À l’inverse, la verticalité symbolise tout ce qui a trait
au monde de l’élévation, de la spiritualité et de
l’invisible. Tout ce qui concerne les dimensions élevées
de l’homme (foi, croyances, finalité, devenir, etc.)
appartient au monde de la verticalité. Elle est ce qui fait
qu’il se tient debout avec les pieds sur le sol
(horizontalité), certes, mais avec la tête vers le ciel
(verticalité). Le ciel est la représentation première de
cette verticalité. C'est ce vers quoi monte tout ce qui est
élevé et léger, où l’esprit de l’homme s’envole lorsqu’il
quitte son corps physique. C'est enfin le monde du « non-
faire », du « non-agir », de « l’être ». Cette dimension
verticale est gérée et maîtrisée par le Soi. Elle est, à
l’instar de la face cachée de l’iceberg, invisible et
cependant fondamentale. Elle est pourtant peu valorisée
voire crainte dans nos sociétés occidentales articulées
autour du « faire » et de « l’avoir ».
Parce qu’elles sont principalement intéressées par la
dimension matérielle, horizontale, les sociétés dites
« rationnelles » éduquent plutôt le Moi puisqu’elles
considèrent que c’est ce qui importe. Seulement se crée
ainsi la croyance illusoire que c’est lui qui dirige,
commande en nous. Parce qu’il s’agit de la dimension
qui gère le volontaire, nous avons l’illusion de penser que
tout dépend de lui dans notre rapport au monde. Or
l’image de l’iceberg nous montre combien cela est vain.
L'imposture se situe ici car le Moi, qui a pris le pouvoir
(et à qui on l’a cédé) dans la construction de l’être n’est
et ne devrait être qu’un exécutant, un « lieu tenant ».
C'est un « enfant roi » qui sait vite devenir un « tenant
lieu », un despote dont les préoccupations ne sont pas
évolutives mais conservatrices. Pour le comprendre, il
faut bien saisir les différences essentielles qui existent
entre le Moi (conscient) et le Soi (inconscient) que j’ai
évoquées précédemment.
Revenons à la construction de l’être. Les structures
psychiques de l’être humain s’activent dès la conception,
à l’instar de ce que les fondamentaux de la pensée
orientale considèrent. Tout au long de la phase intra-
utérine, l’esprit fœtal enregistre les informations, les
vécus et les contraintes. Cela se fait principalement à
travers le psychisme de la mère et indéniablement les
informations passent. Toutes celles et ceux qui ont eu
l’occasion de pratiquer certaines techniques (comme les
régressions par exemple) permettant d’aller « contacter »
des mémoires datant de cette période de la vie ont pu
constater, avec stupeur, la précision parfois incroyable
des souvenirs. Mais toute cette phase et cette mémoire
sont inconscientes. Ensuite, au moment de la naissance et
de la coupure du cordon, le conscient s’active (à l’instar
du Chenn oriental dont nous avons déjà parlé). Cette
activation est progressive, une grande partie des premiers
moments de vie d’un bébé étant consacrés au sommeil, à
la dominance temporelle de l’inconscient. Le bébé a très
peu de conscience du réel et du monde extérieur. Ce n’est
que petit à petit qu’il développe cette conscience
consciente du monde qui l’entoure, accompagnant cette
progression de phases d’état de veille de plus en plus
nombreuses et longues.
Lors de ces phases, son conscient et son Moi
s’approprient progressivement le réel, le visible. Ils
s’organisent et se structurent ainsi, petit à petit. Les
ressentis, les expériences, les autres vont « éduquer » ce
Moi, lui donner des cadres de référence qu’il va lui-
même organiser en croyances, abandonnant
progressivement le contact avec ces champs
« nocturnes » intérieurs qui ont pourtant nourri sa
première conscience.
C'est ici que l’être humain, s’il n’y prend pas garde,
commence à entrer, voire à être pris dans le piège de
l’illusion phénoménale. L'imposture du Moi se met ainsi
en place. Progressivement, le Moi (le conscient) et les
sens, qui sont ses outils de perception, deviennent des
raisons d’être. Ceux qui devraient être des moyens
d’appropriation du réel se transforment en finalités. Les
« lieu tenants » deviennent des « tenants lieu ». Ce que
perçoivent les sens, ce ne sont plus des informations mais
une valeur en soi et c’est ici que s’inscrit la rupture avec
le principe de vie, celui de la construction d’un être et de
l’expansion de sa conscience. Car le processus de
construction doit se faire grâce aux éléments et
informations qui nous parviennent de l’extérieur et non à
cause d’eux ou pour eux. L'extérieur ne doit pas être une
finalité. Il doit rester ce qu’il est censé être : un moyen.
Ce n’est pas ce que le Moi est capable de faire du monde
réel qui construit l’être mais c’est ce que le monde réel
fait du Moi. Nous tombons sinon malheureusement dans
une inversion des pouvoirs (l’imposture du Moi) dans
laquelle le réel (à travers ce qu’il renvoie) est devenu une
sanction ou un but, alors qu’il ne devrait être qu’une
information.
Le propos de Marsile Ficin, savant et philosophe
florentin du XIVe siècle, dans son ouvrage : Quid sit
lumen. Ce qu’est la lumière dans le corps du monde,
dans l’âme, dans l’Ange et en Dieu, exprime clairement
quelle doit être la juste place des sens : « Donc
instruisez-moi, ô mes sens, vous qui apprenez
d’innombrables choses sur presque tout ; instruisez-moi,
je vous prie, de ce qu’est la lumière. Et l’ouïe répond : Je
suis aérienne, il est suffisant que je t’instruise des sons
aériens. Et l’odorat répond : Quant à moi, à plus forte
raison ne suis-je pas lumineux, mais vaporeux : apprends
de moi les vapeurs. Pourquoi me demander ce qui m’est
étranger ? dit le goût. Je baigne dans l’élément liquide et
te renseigne sur les liquides. Ne cherche pas, dit le
toucher, à tirer de moi ce que je ne puis te donner : je ne
suis que corporel, et je t’instruis du corporel. Cherche
plus haut la lumière. » Nous retrouvons ici les principes
évoqués précédemment replaçant les sens comme des
outils d’information et la frustration comme un outil
d’évolution.
Il en est de même pour la maladie ou les
traumatismes. Ce sont des informations et les rejeter ou
les faire taire inconsidérément serait faire preuve
d’autisme. Ces signaux symboliques sont essentiels. Ils
sont trop souvent rejetés par le conscient et le Moi parce
qu’ils sont inconfortables. Mais, ainsi que le disait Jung,
« les symboles qui ne sont pas compris deviennent des
symptômes ». Il est tout de même très étonnant qu’une
culture qui prône le culte du corps, et notamment la
pratique physique afin de maintenir ce corps en bonne
santé, conçoive que cela provoque des courbatures sans
concevoir qu’il puisse en être de même pour l’esprit. Il
est évident que la construction de l’être génère des
« courbatures psychiques ».
Lorsque l’être humain comprend et accepte cette
réalité, il retrouve son essence et devient capable de
dépasser la personnalité « illusoire » qui est la sienne. Il
devient capable d’aller au-delà du miroir, en re-
connaissant son trait psychique dominant et en renouant
un lien de communication avec son inconscient, son Soi.
Nous arrivons là au niveau de la réalisation de l’être, ce
que Jung qualifiait de « principe d’individuation ». C'est
ici que la notion de paix, que nous évoquerons plus loin,
va venir s’inscrire.
Le principe d’incertitude et le lâcher-prise.
Seulement toute cette nécessité du processus de
construction de l’être est difficile parce qu’insécurisante.
Il faut, comme en physique quantique, accepter un
« principe d’incertitude » pour laisser au Soi, à ce qui au
plus profond de nous connaît le chemin, de temps en
temps les commandes. Or le Moi est insécure. Il a besoin
de certitudes, de preuves, de reproductibilité. Il a horreur
de l’incertitude, de risquer de se tromper. Il ne fait pas
confiance à la Vie. Notre Tradition nous le dit
notamment dans les Évangiles. C'est ce que Matthieu
nous rapporte à travers cette parabole du Christ : « Ne
vous inquiétez pas, pour votre vie, de ce que vous
mangerez, ni pour votre corps de quoi vous le vêtirez.
Regardez les oiseaux dans le ciel : ils ne sèment ni ne
moissonnent et ils n’amassent rien dans des greniers. Et
votre Père les nourrit ! Qui de vous peut par son
inquiétude ajouter une coudée à la durée de sa vie ? Ne
vous inquiétez pas du lendemain car le lendemain aura
soin de lui-même. À chaque jour suffit sa peine. » « Gens
de peu de foi », était sa conclusion. Et c’est ce que nous
sommes !
Pourtant, de quoi manquons-nous fondamentalement
dans nos quotidiens nantis occidentaux ? En tout cas le
Moi freine, refuse autant que faire se peut, ce travail. Il a
de la peine à lâcher les commandes parce qu’il croit que
c’est à lui de décider. Or il en est comme dans un taxi :
c’est le passager (le Soi) qui connaît la destination et
choisit l’itinéraire, même si certains chauffeurs (le Moi)
n’aiment pas que ce soit le passager qui le décide.
Dans cette conceptualisation occidentale de la
construction de l’être, nous retrouvons l’idée, déjà
évoquée dans la conceptualisation orientale, selon
laquelle, chaque fois que nous nous opposons à la libre
circulation du Principe de Vie, de réalisation de l’être,
cela génère un blocage de cette vie. Le Principe de Vie
finira toujours par s’exprimer et générer un inconfort
certain.
C'est ici que vient s’inscrire la fameuse et pourtant si
insaisissable notion de lâcher-prise. C'est également ici
qu’il devient possible de la définir. Le lâcher-prise est
malheureusement trop souvent confondu avec l’abandon.
Or ces deux notions sont totalement antinomiques. Le
lâcher-prise est tout sauf de l’abandon (sauf peut-être
pour le Moi !). Il est actif sans être ni en opposition ni en
lutte. Le sens du lâcher-prise réside dans l’acceptation de
lois ou de causalités qui échappent au Moi, au conscient,
au volontaire. Il signe et dépend de notre capacité à ne
pas tout gérer ou maîtriser dans l’instant. Il ne peut
exister sans que nous acceptions l’incertitude, celle que
notre Moi tente désespérément et en permanence
d’éviter. C'est pour cela qu’il se traduit par « Inch allah »
ou « Que votre volonté soit faite », qui ne sont pas des
abdications mais des accueils pleins d’humilité de la
transcendance de la Vie. Le lâcher-prise, c’est finalement
l’humble renoncement du Moi, son juste
repositionnement de compétence et son acceptation de
déléguer au Soi la gestion de tout ce qui le dépasse (dans
tous les sens du terme). Le lâcher-prise reconnecte avec
la vie et libère tous les possibles. Celle-ci peut alors
redevenir ce qu’elle est naturellement, riche, généreuse et
créatrice. Combien de personnes l’ont vécu lorsque,
arrivées au bout de la lutte, elles ont « lâché ». Quasi
miraculeusement, les situations se sont débloquées, des
opportunités sont apparues.
Exemplarité ? Nos principes éducatifs survalorisent
malheureusement la rationalité phénoménale qui maîtrise
le visible et oublient l’exemplarité. Ce faisant, ils
permettent au Moi de devenir cet imposteur dont je
parlais précédemment. Ce petit despote a tout intérêt à
entretenir la croyance que « la vie c’est uniquement le
visible », un peu comme ce qu’illustrait Platon avec son
image de la caverne (des hommes, réfugiés dans une
caverne, ne voient de l’extérieur que les ombres de la vie
extérieure qui sont projetées sur les parois et croient que
c’est cela la réalité).
Un ami avec qui je déjeunais un jour me confiait qu’il
avait été très étonné de découvrir, dans la littérature
allemande du XVIIIe siècle, des écrits attirant l’attention
sur les risques de la pensée des « philosophes éclairés » –
si elle devenait toute-puissante, elle risquait de mettre en
péril la pensée qui gardait un lien avec l’invisible. Force
est de constater que c’est cette pensée, comme par hasard
très prisée des despotes éclairés (des petits Moi en même
temps que des petits rois ?), qui a construit les bases de la
pensée du XIXe siècle. Or ce siècle a été celui de la
rationalité toute-puissante, du début de l’ère industrielle
et matérialiste et de la négation de l’invisible.
Le même phénomène s’est reproduit avec
l’émergence, au cours du XXe siècle, de la pensée
existentialiste qui a édifié à son tour les fondements de la
culture des sens et de leur satisfaction et a prôné le rejet
de l’invisible. Il est fort dommageable qu’une époque
comme l’après-guerre, porteuse d’autant d’espoir dans
l’humain, ait en même temps accouché d’une philosophie
aussi nihiliste au point qu’elle se reconnaissait dans cette
phrase célèbre : « L'enfer c’est les autres. » Derrière cette
phrase transparaît la prévalence du Moi. Elle exprime à la
fois le rejet de la responsabilité de ce que l’on vit sur les
autres (voir l’évocation faite précédemment de l’histoire
d’Adam et Ève) et à la fois combien la relation
« horizontale » au monde et aux autres est porteuse de
lutte, de rejet voire de guerre. Éduquer le Moi perpétue
ce rapport à la vie. Mais à nouveau, tout cela est illusoire,
car le Moi et le conscient ne comprennent et
« n’entendent » que ce qu’ils connaissent déjà. Je
répondis d’ailleurs à cet ami que finalement, « nous nous
comportons effectivement comme cet homme qui a perdu
ses clés dans la nuit et cherche au pied du lampadaire,
parce que là au moins il voit clair ». Certes, mais ce n’est
pas là qu’il pourra retrouver ses clés.
Le premier travail de construction de l’être consiste
donc à replacer le Moi à sa juste place. Au-delà de
l’éducation telle qu’elle est faite dans nos sociétés et qui
éduque le Moi, il est nécessaire de revenir à ce qui
éduque le Soi, c’est-à-dire l’exemplarité. En effet, ce qui
est montré imprègne l’inconscient et va nourrir les strates
« imagées » de l’inconscient, alors que ce qui est dit,
démontré ou asséné nourrit les strates rationnelles du
conscient en le rassurant.
Nous pouvons illustrer cela en relatant ce que le Pr
Méharabian a découvert au cours de ses recherches
portant sur « la communication, la compréhension et
l’intégration des messages ». Son équipe a constaté que
toute communication est vectorisée à travers trois
composantes : les mots, l’intonation et la gestuelle. Après
de nombreuses études, ces chercheurs ont pu établir de
façon incontestable que dans toute situation de
communication, la compréhension du message dépend
pour :
– 7 % des mots employés (c’est ce que le conscient
comprend) ;
– 38 % de l’intonation (c’est ce que l’inconscient
comprend) ;
– 55 % de la gestuelle (c’est aussi ce que l’inconscient
comprend).
On peut constater à travers ces chiffres que, dans la
relation de communication, le plus signifiant n’est pas le
verbal (qui ne représente que 7 % de ce qui est compris)
mais le non-verbal (qui représente 93 % de ce qui est
« compris »). Un deuxième élément majeur ressort de
cette étude, à savoir que ce qui est mémorisé de la
relation n’est pas ce qui est consciemment perçu mais
plutôt la cohérence du message. Lorsqu’il y a distorsion
entre ce qui est dit et le non-verbal, le message qui est
perçu et mémorisé est celui qui est le plus signifiant des
trois niveaux, c’est-à-dire celui de la gestuelle. C'est lui
qui laisse la « trace prioritaire ». On peut illustrer cela par
la poignée de main. Si au moment de la poignée de main,
on dit à quelqu’un qu’on est ravi de le rencontrer et que
l’on espère faire de grandes choses avec lui tout en lui
écrasant cette main, il y a distorsion. Ce que l’autre
retient, c’est : « Je vais t’écraser. » Ces informations sont
totalement en cohérence avec les proportions
conscient/non conscient, telles que nous les avons
illustrées avec l’iceberg.
Cette étude donne profondément à réfléchir. Elle
démontre à sa manière combien les distorsions entre le
visible et l’invisible, le conscient et le non-conscient sont
porteuses de tensions. Ce constat rejoint totalement l’idée
proposée par la philosophie karmique, que nous avons
déjà évoquée, selon laquelle les bases de la souffrance
résident dans les distorsions existant entre les deux plans
de la vie que sont le Ciel Antérieur et le Ciel Postérieur
et, par résonance, entre le non-conscient et le conscient.
Cette étude laisse enfin apparaître une nouvelle
origine aux tensions et souffrances des individus. Ce que
perçoit un être humain, d’abord et avant tout, c’est le
non-verbal, les attitudes et le comportement plutôt que
les mots. Or quel exemple montrons-nous, tout en tenant
des discours de morale, de transparence et de justice ?
Quelle image donnons-nous par nos comportements
quotidiens aux enfants, qui dans le silence de leur
inconscient enregistrent nos errances ? Que croyons-nous
leur apprendre, par exemple, en organisant voire en
institutionnalisant les rave-parties et en tentant d’interdire
ou en diabolisant les médecines douces ou le
développement personnel, et ce exactement pour les
mêmes raisons ou prétextes : elles attirent de plus en plus
de monde mais présentent des risques ? Que leur
montrons-nous à travers tous nos comportements
quotidiens qui participent des temps barbares évoqués au
début de ce livre ? Que croyons-nous qu’ils apprennent
en voyant les « adultes » prôner des valeurs qu’ils ne
s’appliquent pas à eux-mêmes ? Confucius disait :
« L’homme de peu considère un peu de bien comme sans
valeur, et il ne le fait point, et il considère un peu de mal
comme n’étant pas nuisible, et il ne l’évite pas. » Est-ce
cela qu’il faut montrer aux enfants ?
Je ne résiste pas au plaisir de vous confier un texte qui
m’est parvenu un jour par la grâce d’une personne
rencontrée sur le Chemin de la Vie. Je remercie son
auteur, Dorothy Law Nolte, car elle a su mettre en mots
ce qui construit un être, ce qui l’élève dans tous les sens
du terme.

Avec des si…


Si un enfant vit dans la critique
Il apprend à condamner.
Si un enfant vit dans l’hostilité
Il apprend à se battre.
Si un enfant vit dans le ridicule
Il apprend à être gêné.
Si un enfant vit dans le soupçon
Il apprend à se sentir coupable.
Si un enfant vit dans la tolérance
Il apprend à être patient.
Si un enfant vit dans l’encouragement
Il apprend à être confiant.
Si un enfant vit dans la reconnaissance
Il apprend à estimer.
Si un enfant vit dans la loyauté
Il apprend la justice.
Si un enfant vit dans l’approbation
Il apprend à s’aimer lui-même.
Si un enfant vit dans l’amitié
Il apprend à trouver l’amour dans le monde.

Toujours est-il que c’est bien ici que nous découvrons


les racines de la souffrance. Mong Tseu disait : « Ce
n’est pas le ciel qui tranche prématurément le fil de la vie
des hommes, ce sont les hommes qui, par leurs
égarements, s’attirent eux-mêmes la mort au milieu de
leur vie. » Voyons maintenant ce qu’il en est.

LES BASES DE LA SOUFFRANCE


Nous avons eu l’occasion d’évoquer plusieurs fois
dans le chapitre précédent que les bases de la souffrance
peuvent apparaître dès le processus de construction de
l’être et en fonction des modes de résolution des tensions
rencontrées. Il peut sembler paradoxal et provocant de
prétendre que les causes de la souffrance ne se situent pas
hors de l’individu mais en lui. Cependant, si l’on
réfléchit sincèrement à la façon dont la souffrance
apparaît, existe et envahit l’être humain, les choses se
clarifient. Cela ne signifie en rien que les contextes,
événements, chocs, traumatismes, etc. ne participent pas
à l’existence d’une souffrance. Cela signifie qu'au-delà
du fait manifesté il y a un hiatus sur ce qui comprend,
gère, explique voire conduit la vie. En effet, ainsi que
nous l’avons déjà évoqué, la prédominance du Moi, de
l’Ego sur les structures profondes du Soi conduit à une
quasi-imposture du conscient face à l’inconscient. Il se
crée une confusion entre l’outil et le but, le moyen et la
finalité, le cocher et le voyageur.
Ainsi que nous l’avons fait pour la construction de
l’être, nous allons pouvoir analyser cela à travers les
visions orientale et occidentale.

La vision de l’Orient
Selon le principe karmique, les bases de la souffrance
résident dans les distorsions qui émergent entre ce que le
Chenn Prénatal a choisi dans le Ciel Antérieur et ce qu’il
réalise dans le Ciel Postérieur. Ces distorsions génèrent
alors la tension ou le conflit intérieur qui peut conduire à
la maladie ou au traumatisme. À l’identique, lorsque
l’être humain se comporte dans le plan conscient de
façon déséquilibrée par rapport à ce qui a été élaboré
dans le plan inconscient, apparaît la tension ou la
maladie. J’ai déjà évoqué cette idée dans le chapitre sur
la construction de l’être et également dans Dis-moi où tu
as mal, je te dirai pourquoi. Lorsque le cocher (le
conscient, le Moi) conduit la calèche dans une mauvaise
direction, ou bien de façon inconfortable, le passager
(l’inconscient, le Maître Intérieur, le Soi) va devoir
réagir. Il le fait de façon adaptée et tente bien souvent
d’envoyer des messages, des signaux. Mais il arrive
fréquemment que le cocher, parce qu’il est assoupi,
enivré ou qu’il fait trop de bruit en allant trop vite,
n’entende pas. Le passager n’a d’autre alternative que de
mettre la calèche en panne. Mais il semble que le cocher
entende parfois le message et, malgré cela, ne change pas
sa façon de conduire. On peut ici aussi amener la
comparaison avec ce qui se passe parfois dans un taxi
lorsque le chauffeur, persuadé que c’est lui qui connaît le
meilleur trajet, est mécontent de celui que vous proposez
voire ne le suit pas. Seulement, il ne sait pas quelles
peuvent être les raisons personnelles qui font que vous
avez envie ou besoin de passer par des rues qui sont
différentes de celles qu’il connaît, ou bien qui ne
correspondent pas au trajet le plus direct.
Les bases de la souffrance s’inscrivent ici. La
résistance, la surdité du cocher conduisent à la nécessité
d’un coup de théâtre. La tension énergétique liée à la
résistance, à la distorsion va avoir besoin de s’exprimer,
de s’expulser, de se manifester, sous peine de faire
imploser ce microcosme cohérent qu’est l’être humain.
Elle se manifeste alors sous forme de traumatisme ou de
maladie, gros consommateurs d’énergie qui vont
permettre cette évacuation.
C'est pour cette raison que dans les médecines
énergétiques (acupuncture, shiatsu, etc.), on ne lutte pas
(sauf état de crise dangereux) contre les symptômes.
Ceux-ci sont vus comme l’expression de la souffrance,
certes, mais surtout comme l’expression de la résistance
aux flux de vie, quelles qu’en soient les raisons. Ces
médecines cherchent donc principalement à rétablir ces
flux. C'est ici que s’inscrit l’intérêt supplémentaire
majeur de la Psycho-énergétique que j’ai élaborée car,
grâce au décodage qu’elle autorise, elle permet de donner
un sens à ce qui se joue. Ainsi, le message redevient
clair, le sens de la tension pouvant être élucidé à travers
ce langage incroyablement intelligent qu’est celui de
notre corps.
Dans cette lecture du monde, l’extérieur, le
phénoménal ne sont donc pas des causes à la souffrance
mais plutôt des facteurs facilitants ou aggravants. L'idée
est encore plus osée pour nous, Occidentaux, puisqu’il
est même envisagé que ces facteurs soient « choisis ». Le
contexte accidentel, l’aliment de mauvaise qualité ou le
microbe sont considérés comme des déclinaisons, certes
agissantes mais pas hasardeuses. Nous sommes,
inconsciemment, allés les chercher car ils sont alors pour
nous des moyens de fabriquer la souffrance qui va nous
obliger à entendre. Nous pouvons ainsi contraindre le
cocher à arrêter la calèche. Il est clair que cette vision est
difficilement acceptable dans notre culture de « hasard et
de nécessité » où l’invisible est absent. Nous allons voir à
travers la vision de notre Occident qu’elle est encore plus
difficile à accepter par notre Moi omnipotent.
Nous sommes ici dans une philosophie dans laquelle
l’extérieur n’est pas une réalité objective et manifestée
mais en permanence une interprétation. Les composantes
de la réalité matérielle ne sont qu’un décor dans lequel se
joue une pièce écrite et mise en scène par un passager et
dont le cocher n’est que l’acteur. Nous sommes là bien
loin de cet enfer que seraient les autres.

La vision de l’Occident
La vision que l’Occident nous propose n’est peut-être
pas aussi éloignée que cela de la vision orientale. Nous
avons évoqué dans le chapitre sur la construction de
l’être que la structure psychique d’un être humain se
décompose en deux plans principaux, le conscient et
l’inconscient. Le plan du conscient est le royaume du
Moi alors que celui de l’inconscient est celui du Soi.
Nous avons également vu que le Moi et le Soi ont des
visions et des attentes du monde certes complémentaires
mais inverses et que, dans notre culture occidentale, nous
sommes éduqués dans la prévalence du Moi. J’évoquais
en cela cette idée d’imposture du Moi qui est, à mon
sens, selon la référence psychologique, la base de la
souffrance.
Car, si le Moi a effectivement les commandes dans la
plupart des situations du plan conscient, un certain
nombre d’entre elles lui échappent (actes manqués). De
plus, il ne les a jamais pendant la phase nocturne lors de
laquelle l’inconscient règne en maître. Souvenons-nous
de l’image de l’iceberg et du rapport de puissance qu’il
illustre entre le conscient et l’inconscient. Seulement
voilà, ainsi que je l’indiquais précédemment, le Moi ne
peut reconnaître qu’il se trompe ou qu’il a eu tort. Il ne
peut accepter d’être pris en défaut. Comme le menteur ou
l’escroc, il est contraint à une stratégie de fuite en avant
épuisante parce que génératrice de tensions incroyables.
Tous les menteurs pris en flagrant délit avouent être
soulagés car ils finissaient par être épuisés par
l’hypervigilance et la justification permanentes dans
lesquelles la préservation du mensonge les avait conduits.
Voilà la base de la souffrance. Voilà où s’initient les
tensions, les malaises et les mal-être que nous avons tous
ressentis un jour, parce que nous savions parfaitement
que nous n’étions pas très « au clair » avec nous-mêmes.
En dehors de cette imposture du Moi, tout le reste
n’est que déclinaison et mise en scène. Car le Soi
reprendra les commandes en choisissant, à l’insu du Moi,
les circonstances et conditions de la reddition. C'est facile
pour lui car le Moi dort, débraie à certains moments,
même à l’état de veille. Tous ces moments sont autant de
failles du Moi autocrate dans lesquelles il devient
possible d’enfoncer des coins qui finiront par le
contraindre à reprendre sa juste place.
Tous ces jeux et processus sont inconscients et ne se
révèlent qu’à l’analyse ou dans des circonstances
particulières. Ils sont la signature de ce dramatique hiatus
intérieur par lequel nous avons malheureusement
tendance à penser qu’il y a un danger, un ennemi au fond
de nous. Il faut alors se protéger, fermer les cloisons
étanches, et pourtant cela n’a jamais empêché les joints
de finir par sauter un jour ou l’autre. La souffrance
commence ici, dans notre lutte désespérée pour nous
protéger d’un ennemi qui n’existe pas. Elle est sourde,
présente mais peu consciente et, si elle se manifeste un
peu trop, on cherche à la faire taire en étouffant ce qui
« remonte ». Cela se traduit souvent par la difficulté au
sommeil, signature de la peur du conscient de lâcher les
rênes. Les anxiolytiques, antidépresseurs, certes utiles
dans les pathologies graves ou en cas de crise, sont autant
de camisoles chimiques malheureusement destinées la
plupart du temps à nous éviter de ressentir, d’accepter ce
qui remonte du plus profond de nous. La souffrance
continue lorsque les joints lâchent (traumatisme,
maladie). Elle se décline enfin tout au long de la vie à
travers toutes les stratégies d’évitement que nous
élaborons, face à la souffrance venue de l’extérieur.
L'enfer serait-il les autres ? Notre souffrance serait-
elle due aux autres ? L'approche psychologique nous
permet d’envisager cela mais également d’élargir le
propos. Elle peut nous aider à comprendre que c’est notre
façon de percevoir le monde et les autres qui est sans
doute à la base de notre souffrance. Voyons cela en
reprenant notre image de l’iceberg et en l’élargissant à la
notion des types psychologiques.

De la peur archaïque à l’habitude


comportementale
Selon la lecture occidentale de la construction
psychique, les êtres humains, afin d’évoluer dans le
monde, construisent une personnalité, un rôle, une
attitude que Jung qualifiait de « persona ». Cette persona
est le résultat d’un certain nombre de vécus qui l’ont
façonnée d’une façon propre à chaque individu. Elle
habille le Moi et constitue ce que chaque individu croit
être, alors qu’il ne s’agit que d’un masque. Ce masque est
ce que l’on appelle un « type psychologique » (le
perfectionniste, l’artiste, le sauveteur, le chef, etc.).
Nous retrouvons cette conceptualisation notamment
dans deux approches, l’analyse transactionnelle7 et
l’ennéagramme8.
L'idée générale portée par l’ennéagramme par
exemple, à l’instar de la plupart des théories
psychologiques, est que tout individu construit, dès
l’enfance, une structure de mise en relation avec le
monde (la persona de Jung) qui n’est que le résultat de
stratégies de réponses mises en place face à des
sollicitations vécues. Chaque personnalité individuelle
est, par conséquent, le résultat de modes de protection
développés depuis l’enfance.
La théorie de l’ennéagramme considère qu’il existe
neuf « peurs archaïques » qui vont déterminer neuf types
de réponses, de stratégies : le perfectionniste, l’altruiste,
le battant, le romantique, l’observateur, le loyal,
l’épicurien, le chef et le médiateur. Ces réponses sont
utiles dans l’instant mais elles peuvent, si elles
deviennent systématiques, éloigner l’individu de son
essence propre, de son âme. On retrouve là l’idée émise
par le Dr Berne en analyse transactionnelle, qui considère
que tout individu est un « prince » ou une « princesse »
mais qu’il l’a oublié. Comme il ne le sait plus et croit
qu’il est un crapaud, il met un masque pour que personne
ne le voie. S'il se focalise sur ce masque, se cristallise sur
lui, il perd alors le sens du prince qui est en lui et passe à
côté de son être, ce qui explique de nombreuses
souffrances psychologiques.
L'ennéagramme et l’analyse transactionnelle sont des
grilles d’analyse, des systèmes de perception qui sont
construits autour du processus inconscient de
construction de la persona suivant :
– tout être humain possède un trait de caractère
central, autour duquel s’articule sa personnalité sociale ;
– ce caractère correspond à un système de défense mis
en place par l’enfant pour répondre à une situation de
tension ;
– ce système de défense est la plupart du temps
inconscient ; il transparaît dans les habitudes
comportementales ;
– ce système de défense est un prisme certes
protecteur mais aussi réducteur à travers lequel la vision
du monde de l’individu se limite à sa « façon de voir » ;
– on peut codifier ces systèmes de défense à travers
des types psychologiques définis par le concept
d’analyse. Dans le cas de l’analyse transactionnelle, ils
sont au nombre de trois (le Parent, l’Adulte et l’Enfant) ;
dans celui de l’ennéagramme, ils sont au nombre de neuf.
On peut illustrer cela en s’appuyant à nouveau sur
l’image de l’iceberg (page suivante).
Toujours selon ces théories, le système de défense a
été élaboré et mis en place pour répondre à une peur, un
vécu dont l’intensité a laissé comme empreinte une
mémoire de risque, de péril qu’il faut éviter. « Plus
jamais ça » peut être la phrase réflexe qui s’est alors
imprimée. Ici aussi l’objectivité du vécu n’existe pas. Le
ressenti de l’individu est une interprétation de la
situation, et cela n’est pas anodin, nous le verrons plus
loin.
Il n’en demeure pas moins que l’empreinte laissée par
le vécu traumatique va générer une stratégie de défense.
Cette stratégie va elle-même fabriquer chez la personne
un stéréotype comportemental, des attitudes
réactionnelles types, un masque, inconscients, qui vont
devenir sa persona, sa personnalité apparente et bien
souvent illusoire. Cette persona, inconsciente, va elle-
même se traduire par des habitudes comportementales
qui vont la décliner, l’exprimer dans le conscient et aussi
la trahir car ces habitudes sont visibles.

Ces approches utilisent ces habitudes


comportementales sur le plan thérapeutique. En partant
de celles-ci, il est possible de remonter la piste en sens
inverse afin de conduire l’individu d’abord à
l’identification de sa peur pour enfin revenir, autant que
faire se peut, à son essence.
Regardons cela à travers un nouveau schéma qui
illustre l’un des neufs types psychologiques définis par la
théorie de l’ennéagramme. Cette théorie considère qu’il y
a neuf peurs de base générant neuf systèmes de défense.
La première de ces peurs est la « peur de ne pas être aimé
dans son imperfection ». Cette peur émerge par exemple
chez un enfant à qui on a reproché de s’être trompé. De
ce fait, cet enfant va refouler sa spontanéité et tendre vers
la perfection. Pour cela, il se conformera de façon stricte
aux règles. Cette stratégie du premier type de
l’ennéagramme, appelé le Perfectionniste, va le conduire
à croire qu’il faut être parfait, irréprochable pour être
aimé, même si objectivement personne ne le lui demande
réellement. On rencontre cette attitude chez de nombreux
enfants à notre époque, qui mettent sur le plan scolaire la
barre à un tel niveau qu’ils craquent nerveusement ; le
stress est trop grand. Pourtant, lorsqu’on interroge
l’environnement familial, personne ne leur demande de
telles performances. On retrouve cette attitude plus tard
dans le monde du travail, perpétuée par des personnes
incapables de se détacher de ces vieux schémas datant de
leur enfance. Regardons avec l’image de l’iceberg de
quelle façon se décline ce type psychique (page
suivante).
Ces schémas de l’enfance ont certes été utiles « en
situation », à un moment précis, et ont sans doute été la
meilleure réponse possible de l’individu face au vécu de
l’époque. Seulement, une fois la crise passée, ils ne sont
plus nécessaires la plupart du temps. Mais nous sommes
bien souvent incapables de nous détacher du passé, de
rentrer dans ce processus de résilience évoqué par Boris
Cyrulnik9. Et cela nous fige, nous cristallise dans une
réalité illusoire dans laquelle nous sommes piégés et qui
nous éloigne de notre essence, de notre âme.
La femme de Loth ou l’attachement au passé
La réalité illusoire, née d’une peur et d’une réaction
face à cette peur, fige la vie en nous et produit une
souffrance sourde au plus profond de notre être. Nous
sommes « pris », comme l’illustre si bien notre Tradition
avec le chapitre qui concerne Loth dans la Genèse.
Qu’arriva-t-il à la femme de Loth ?
Dieu avait décidé de détruire Sodome et Gomorrhe
car, disait-il : « Le cri contre Sodome et Gomorrhe est
bien grand ! Leur péché est bien grave ! Je veux
descendre voir ce qu’ils ont fait ou non… » Face aux
supplications d’Abraham, il promit de sauver les villes
même s’il ne s’y trouvait que dix justes. Il envoya deux
Anges. Loth découvrit, le soir, les envoyés du Seigneur à
l’entrée de la ville et leur proposa l’hospitalité, arguant
qu’ils ne pouvaient passer la nuit dehors. Les Anges
finirent par accepter. Ayant eu vent de cela, les habitants
de Sodome vinrent chez Loth et lui dirent : « Où sont les
hommes qui sont venus chez toi cette nuit ? Amène-
nous-les pour que nous en abusions ! » Loth défendit les
Anges, qui firent partir les Sodomites (en abusant leurs
esprits, d’ailleurs). Ensuite, ils conseillèrent avec
véhémence à Loth de quitter la ville car elle allait être
détruite. Les Anges du Seigneur insistèrent auprès de
Loth sur le fait que, s’ils voulaient être sauvés, lui et sa
famille, dès lors qu’ils auraient quitté Sodome et
Gomorrhe (ces villes représentant l’illusion de la
satisfaction des sens), ils ne devraient plus, à aucun prix,
se retourner et regarder en arrière. Loth, sa femme et ses
deux filles promirent et partirent à l’aube. Après une
marche soutenue, ils parvinrent à la colline au-delà de
laquelle Sodome et Gomorrhe seraient hors de vue. Loth,
comme il s’y était engagé, passa sans se retourner, ses
filles firent de même mais sa femme, lorsque ce fut son
tour, ne put s’empêcher de se retourner pour regarder une
dernière fois cet endroit où elle avait « si bien vécu ». Et
c’est alors, nous dit la Genèse, qu’elle fut changée en
statue de sel.
Cette histoire est hautement symbolique, bien au-delà
du simple propos qui est le mien. La femme de Loth fut
changée en statue de sel, elle fut « cristallisée », parce
qu’elle avait été incapable de se détacher de son passé,
de ce qui, dans ce passé, avait satisfait ses sens. Ce texte
nous dit on ne peut plus clairement combien notre
incapacité à nous détacher de notre passé, de nos vécus et
de la manière avec laquelle nous avons résolu, pour notre
Moi, ces situations nous cristallise, nous fige, tue la vie
en nous. Nous voyons ici à nouveau combien les bases de
la souffrance sont propres à l’être humain, issues de lui.

1 Lignes de champs électromagnétiques espacées d’environ 2,5 mètres et


« maillant » le sol.
2 Voir Dis-moi où tu as mal, je te dirai pourquoi, op. cit., p. 28 sur les
principes karmique.
3 Ibid.
4 Voir p. 74.
5 Voir L'Harmonie des énergies, Albin Michel, 2002.
6 Voir Dis-moi où tu as mal, je te dirai pourquoi, op. cit.
7 Approche thérapeutique clinique des transactions, des échanges
relationnels entre les humains.
8 Méthode d’analyse des types psychologiques selon le courant nord-
américain initié par Claudio Naranjo et Oscar Ichazo.
9 Un merveilleux malheur (2000) et Les Vilains Petits Canards (2004),
Odile Jacob.
TROISIÈME PARTIE
AUX SOURCES DE LA GUÉRISON
« Il en est bien plutôt ainsi que le corps
de l’homme n’est pas différent de
l’âme. Car ce que l’on appelle corps,
c’est cette partie de l’âme qui est perçue
par les cinq sens… »
William Blake (poète anglais, 1757-
1827)
Science et Tradition

LES RÉPONSES DE LA TRADITION


La réintégration de l’invisible
La réintégration de l’invisible dans notre acception du
monde, dimension présente dans toutes les Traditions, est
fondamentalement nécessaire au principe de guérison. Le
sens de l’invisible est celui qui seul peut permettre de
relier le phénoménal (ce qui est visible) à ce qui est à
l’origine de ce phénoménal (qui est invisible). Claude
Bernard aurait dit que « Dieu n’existe pas car je ne l’ai
jamais rencontré au bout de mon scalpel ». Je ne sais pas
si ce grand homme de la médecine occidentale a dit cela
mais si c’est le cas, cela montre qu’il ne connaissait pas
le vieil aphorisme chinois : « Lorsque l’initié montre la
lune, l’homme vulgaire regarde le doigt, l’homme
intelligent observe la lune, l’homme sage voit la
direction. » Nous sommes vraiment là dans cette
imposture du conscient dont je parlais précédemment.
Elle se traduit, principalement depuis le XIXe siècle
occidental, par cette certitude « limitée » qui considère
que « ce qui n’est pas visible n’existe pas ».
J’illustre souvent cela en conférence par une analogie
que j’appelle la « queue du chat ». La pensée qui nie
l’invisible fonctionne comme celle de quelqu’un qui
passe à côté d’une cage dans laquelle il y a un chat et qui
ne voit que ce qu’il y a dans la cage. Imaginons que la
queue du chat dépasse de la cage. La personne ne la voit
pas et, si elle passe à côté de la cage, elle risque
éventuellement de marcher dessus.

Si effectivement elle marche sur la queue, le chat va


miauler. La personne, qui ne voit pas la queue, va se
dire : « Tiens, le chat a miaulé lorsque je suis passé à côté
de la cage. » Si la personne repasse devant la cage et
marche à nouveau sur la queue, le chat va miauler une
nouvelle fois. La personne, qui ne voit toujours pas la
queue, va alors se dire : « Tiens, le chat a miaulé de
nouveau quand je suis passé. Y a-t-il une relation avec
mon passage près de la cage ? Est-il content de me
voir ? » La personne va passer plusieurs fois près de la
cage afin de vérifier. Chaque fois qu’elle marche sur la
queue, le chat miaule, mais chaque fois qu’elle passe et
ne marche pas sur la queue, le chat ne miaule pas. Elle va
en conclure qu’il n’y a pas de relation entre son passage
et le miaulement du chat. Ce n’est donc qu’un hasard !
C'est la seule conclusion possible puisqu’elle est
incapable d’envisager que quelque chose qu’elle ne voit
pas puisse intervenir, agir. Une partie de notre science
moderne et de certains « scientifiques » très doctes ont le
même type de réaction. Pourtant, si la personne avait
simplement pris un peu de recul par rapport à la scène,
elle aurait pu la voir dans son ensemble et découvrir que
le miaulement du chat n’était qu’une réaction à
l’écrasement de sa queue.
En fait, les postulats qui refusent l’invisible ne sont
que la signature d’une peur infantile face à ce qui nous
transcende et nous échappe. Le propre de ces certitudes
est de disparaître. Elles seront balayées par de nouvelles
certitudes incantatoires, comme le montre l’histoire des
sciences. Les nouveaux Narcisse qui les élaborent chaque
fois ne se rendent pas compte qu’ils se noient, se perdent
dans leurs détails, alors qu’ils croient être beaux. Car
n’est-ce pas le mythe d’une certaine science que nous
enseigne le mythe de Narcisse ? À force de vouloir voir
les choses de plus près et de s’en croire « belle », elle
finit par se noyer dans le détail. Dans l’Égypte
pharaonique, les grands médecins étaient les généralistes,
les spécialistes étant considérés comme « mineurs ». De
plus, les médecins étaient la plupart du temps des prêtres,
afin de pouvoir soigner l’âme en même temps que le
corps.
Les Traditions du monde peuvent nous aider à
reconquérir l’invisible. Elles comportent toutes des
rituels destinés à l’apprivoiser, à le canaliser en nous. À
travers cette réappropriation de l’invisible, nous pouvons
redevenir capables de donner sens à ce qui nous arrive.
Ce sens sera à son tour le germe d’une compréhension
nouvelle de ce que nous sommes. Il nous permettra, si
nous le voulons, de comprendre ce chemin si fabuleux de
la vie sur lequel nous avançons et aussi dans quels nids-
de-poule nous sommes passés et pourquoi.
Cette démarche implique beaucoup de renoncements
pour nos petits Moi. Il va nous falloir tout d’abord
accepter de renoncer au principe de certitude pour
pouvoir, petit à petit, intégrer la dimension de
l’incertitude. Oui, « les voies du Seigneur sont
impénétrables », c’est-à-dire qu’un certain nombre de
composantes qui font la vie échappent à notre
entendement. Il va nous falloir accepter que les processus
d’acquisition de la conscience ne soient pas toujours
démontrables, linéaires, appuyés sur une accumulation de
données additionnables, mais qu’ils puissent être
intuitifs, quantiques voire mystiques. Il va nous falloir
enfin accepter l’existence de l’invisible à travers l’idée
que de puissantes dimensions agissantes ne sont pas
quantifiables ni observables en dehors de ce qu’elles
produisent parfois (les ombres dans la caverne de
Platon). L'acceptation de ces renoncements est difficile
pour notre Moi qui s’était mis à croire qu’il maîtrisait
tout.
Je tiens à insister sur la formulation qui est la mienne
car elle est porteuse du sens du lâcher-prise évoqué
précédemment. Ce qui importe c’est d’accepter de
renoncer à et non de faire le deuil de. La différence est
majeure. Faire le deuil signifie vivre une perte, devoir
abandonner quelque chose. Nous le vivons malgré nous,
nous y sommes contraints et notre conscience reste
focalisée (cristallisée) sur ce qui a été perdu ou
abandonné. Accepter de renoncer, c’est décider, c’est
faire un choix, c’est s’impliquer. Comme un enfant qui
tient un jouet dans sa main et en découvre un autre qui lui
plaît davantage. Il lâche, sans aucun regret et sans même
y penser, le jouet qu’il tient pour aller se saisir de l’autre.
Imaginons un seul instant que quelqu’un l’ait obligé à le
lâcher quelques minutes avant qu’il n’ait vu le nouveau
jouet. Cela aurait été un drame pour lui.
La différence réside dans la focalisation de la
conscience vers un processus de vie et non vers un vide
lui-même produit par une impression de manque.

Le rituel, un guide pour la conscience


Toutes les sociétés traditionnelles, dont la nôtre, ont
connu des périodes lors desquelles elles intégraient cette
dimension de l’invisible. Celui-ci appartenait à la
dimension du magique, du religieux ou du spirituel. Quel
que soit le domaine auquel il était associé, ces Traditions
ont toutes élaboré des moyens, des processus, des
méthodologies afin de tutoyer cet invisible et de
s’approprier un peu de sa puissance. Ces moyens étaient
tous construits autour de l’idée que la mobilisation et la
canalisation de l’esprit, dans des directions précises,
agissaient. En focalisant les énergies intérieures
invisibles de la conscience vers un objet ou un but précis,
on obtenait des résultats avec beaucoup d’efficacité. Il
semblerait que ce soit dans ce but que les églises furent
construites et que leur forme ait une raison d’être. Dans
l’architecture romane, ce sont le carré et le cercle qui
organisent cette forme. Le choix n’est pas hasardeux. Le
carré représente la terre et le cercle le ciel. Au-delà du
simple symbolisme, ces formes furent choisies pour
permettre de relier le ciel et la terre. L'équilibre entre ces
deux pôles et, à travers lui, la paix des inverses étaient
recherchés ainsi. Nous verrons plus loin jusqu’où cette
idée pouvait conduire1. Ce n’est en tout cas pas un hasard
si l’architecture romane est si pacifiante, si propice à la
réflexion, la méditation et les retraites intérieures. C'est
dans ces lieux que le chant grégorien, si proche des
mantras orientaux et de toutes les méditations sonores
rituelles, trouve sa plus belle expression. Les ressentis
sont très différents dans les cathédrales gothiques qui ont
laissé le cercle et le carré pour aller vers le rectangle et
l’ovale, cherchant ainsi l’élévation pure, l’exaltation de
l’esprit.
Le choix d’implantation (tellurisme) ne fut lui non
plus jamais hasardeux. Qu’ils soient romans ou
gothiques, ces lieux étaient là pour offrir au « priant »
toutes les conditions de la méditation et de l’ouverture de
la conscience. L'ordre des Templiers, qui est censé avoir
retrouvé lors des croisades la fameuse Arche d’Alliance
(que la Bible décrit dans l’Exode de façon très précise),
fit édifier en un siècle autant de cathédrales qu’il en fut
construit dans le millénaire précédant. En faisant se
rassembler dans un même lieu de nombreuses personnes
priant, focalisant leur conscience sur des pensées
« lumineuses », pensaient-ils pouvoir contrebalancer la
« noirceur » du monde ambiant ? De plus, en les
observant, on découvre que ces églises ont une forme de
navire retourné2. Serait-ce pour nous permettre de mieux
naviguer sur le ciel ? À l’identique des pyramides, leur
forme visible, matérielle, possède un reflet invisible dont
la forme est l’inverse du visible.
Au-delà du terme qui peut sembler réducteur, sans
doute cherchait-on à fabriquer quelque chose de l’ordre
du placebo. La construction de rituels, plus ou moins
élaborés, permettait de soumettre le Moi à une contrainte
dont il ne maîtrisait ni la forme ni le but, et ce afin de
laisser au Soi un peu de place. Cette humilité « forcée »
devait aboutir au rééquilibre des forces entre conscient et
non-conscient, par restaurer si nécessaire les flux de vie
en canalisant la conscience.
Et c’est ici que ce situe l’enseignement
complémentaire apporté par la Tradition. Il s’agit de
l’idée que j’ai évoquée dans le chapitre précédent : en
attirant la conscience de l’individu vers la zone
douloureuse, on focalise son attention et son intention
vers ce lieu précis. Cette focalisation a pour effet de
réactiver le processus de vie dans cette zone où elle avait
sans doute été bloquée.
Dans les sociétés traditionnelles, l’intention a toujours
été considérée comme un vecteur puissant, censé être à
même de solliciter, conduire et maîtriser l’invisible. On
connaît cela de façon anecdotique ou péjorative à travers
les actions magiques à distance, les envoûtements. Mais
il faut savoir que dans toutes ces cultures, la maîtrise de
l’intention intégrait le sens de la responsabilité et du
profond respect de la vie. Pour cette raison, la
connaissance des techniques adaptées n’était accessible
qu’à la suite d’un long parcours initiatique. À l’issue de
ce parcours, l’individu avait petit à petit dû laisser son
Ego, son Moi, à sa juste place, pour développer une
conscience du Soi sans faille. Véritable processus
alchimique, véritable défi de développement personnel,
ce parcours intérieur du combattant pouvait seul certifier
un usage juste et adapté de l’invisible. Pour le reste des
individus, les profanes ou les néophytes, les rituels
servaient de garde-fous qui, s’ils étaient respectés,
encadraient de façon efficace leur pratique.
Nos sociétés rationnelles et matérialistes ont depuis
longtemps remisé toutes ces pratiques au rang de
croyances irrationnelles voire dangereuses. Seules les
médecines alternatives, confiantes dans ce que ces
traditions parfois millénaires leur avaient confié, ont
préservé autant que possible (pas toujours au mieux)
certains rituels, comme la préparation du praticien en
shiatsu, le lavement des pieds en réflexologie plantaire,
etc. Les approches énergétiques intègrent complètement
l’idée que l’intention du praticien n’est pas neutre. Il est
dit d’ailleurs dans ces méthodes que « l’intention guide
l’énergie » (nocebo, placebo ?). Dans la pratique du
shiatsu que j’enseigne, il existe tout un protocole de
préparation du praticien dont l’un des principes
déontologiques doit être de ne jamais commencer une
journée ou une séance sans avoir fait un minimum de
recadrage, de nettoyage personnel et de vide intérieur.
Cela s’appelle Misogi et Maître Nakasono, qui a créé le
style qui m’a profondément inspiré, y accordait une
importance majeure.

Canaliser l’invisible
Heureusement, depuis un certain nombre d’années,
des scientifiques et des chercheurs de différents horizons
sont revenus vers cette recherche de la maîtrise de
l’invisible par la canalisation de la conscience et
l’établissement de rituels. Sophrologie, haptonomie,
autohypnose éricksonienne, méthode Feldenkrais, etc.
sont autant de recherches, principalement connues, au
départ, dans le monde du développement personnel, qui
entrent tout doucement dans la pratique médicale. Les
plus connues, même si ce ne sont pas les seules, sont
celles du cancérologue nord-américain Carl Simonton.
Ce médecin, aujourd’hui célèbre par ses travaux, avait
constaté l’importance du mental dans la guérison. Il ne
s’agissait pas pour lui d’une simple question de moral
chez le patient mais plutôt d’une sorte de synergie que
celui-ci était capable de générer entre son psychisme et
son corps souffrant. Simonton a alors élaboré une
technique de visualisation, faite d’exercices précis
(rituel) dans lesquels il conduisait le patient à aller
« rencontrer » son corps malade et plus précisément la
partie atteinte d’un cancer. Il conduisait grâce à ce travail
la conscience du patient vers une partie de lui-même dans
laquelle la vie était manifestement en tension, en
souffrance. Simonton fut très surpris des résultats ainsi
obtenus (améliorations nettes et guérisons totales), en
complément de la gestion médicale classique de la
maladie. Il fut suivi par d’autres cancérologues qui
sophistiquèrent la méthode. Le Dr Bernie Siegel, que j’ai
déjà cité, en fait partie. Malheureusement pour nous, tous
ces cancérologues sont aux États-Unis…
Ces techniques, basées sur les mêmes fondamentaux,
ont toutes le même objectif : canaliser l’invisible pour lui
permettre de restaurer les désordres du visible. Elles
fonctionnent et sont d’autant plus efficaces qu’elles
associent le champ essentiel de la restauration de
l’équilibre entre le conscient et le non-conscient. C'est le
cas par exemple d’une méthode élaborée par Marie Lise
Labonté, psychothérapeute canadienne, à la suite de sa
propre expérience personnelle3. Atteinte d’une
polyarthrite rhumatoïde grave pour laquelle elle avait été
« condamnée » à finir grabataire, elle sombra tout
d’abord dans un véritable état d’abandon. Arrivée au
bout de la souffrance, elle quitta l’état d’abandon pour
accepter un lâcher-prise total, tel que je l’ai évoqué
précédemment. Elle put ainsi accueillir la « révélation »
intuitive de l’importance des images intérieures. Elle
comprit combien les images de souffrance et de
destruction qu’elle portait en elle et contre lesquelles elle
luttait nourrissaient en fait sa maladie. Le Dr Bach
disait : « Lutter contre une faute développe son pouvoir.
Notre attention devient investie de sa présence et génère
une lutte à l’intérieur de nous… » La focalisation de sa
conscience, bien malgré elle, conduisait l’énergie de
souffrance vers les parties de son corps qui lui faisaient
mal et venait aggraver cette souffrance. Cette découverte
lui fit comprendre combien cette présence de la
conscience était importante. Mais elle comprit également
que ces images venaient de quelque part, du plus profond
d’elle-même. Elles étaient en elles-mêmes un langage,
celui de l’inconscient. Ce langage de souffrance était
celui d’une part d’elle-même, refoulée, enfouie, qui avait
souffert un jour mais n’avait pas pu l’exprimer. Cette
découverte, véritable révélation, lui permit de
comprendre qu’au lieu de refuser ces images, de
s’opposer à elles, il lui fallait bien au contraire les
accueillir, un peu comme le chagrin profond d’un enfant
triste. Ce ne fut pas facile. Je parlais précédemment de
renoncement. Ce fut pour elle, au-delà de cela, la peur,
l’incertitude et parfois le doute qui furent ses
compagnons de route. Mais ils ne lui firent jamais perdre
le cap car elle savait qu’elle avait fait le bon choix. La
guérison totale fut au bout, car les images de souffrance
se transformèrent progressivement et de plus en plus en
images de guérison.
Alors, bien sûr, nous sommes en plein miracle, diront
certains ! Tout dépend ce que l’on met derrière ce mot.
S'il s’agit de magique, certainement pas ! S'il s’agit d’un
processus, émanant de l’invisible, quel que soit le nom
qu’on lui donne, je crois que oui. Cela ne signifie pas que
ce processus soit inexplicable. Cela ne signifie pas non
plus qu’il n’ait pas des racines elles-mêmes
inexplicables. Ce qui s’est passé pour M.L. Labonté, et
beaucoup d’autres personnes, s’est produit à mon sens
grâce à la convergence de plusieurs facteurs. Le premier,
majeur, a été celui d’une essentielle réconciliation avec
Soi, nous aurons l’occasion de revenir sur cela plus loin.
Le deuxième facteur a été la capacité à accepter les
informations intuitives issues de l’invisible qui l’ont
amenée à élaborer un rituel de conduite de cet invisible.
Le troisième facteur a été la capacité, en s’appuyant sur
ce rituel, d’utiliser la conduite de la conscience vers les
zones de souffrance et de réinstaurer ainsi des flux de vie
qui s’étaient bloqués. L'ensemble a construit un placebo
salvateur.
En dehors de ce que le monde de la psychologie a
établi, et ce principalement grâce à C.G. Jung, il est
difficile de prouver et d’objectiver l’action et les
informations de l’invisible. Des outils existent, tels que
l’électrophotographie Kirlian, les tests de résistivité
musculaire de la kinésiologie, les techniques de prises de
pouls énergétiques de la Médecine Traditionnelle
Chinoise, etc., mais ils sont tous rejetés car considérés
comme non scientifiques dans le meilleur des cas ou
accusés d’être des outils de manipulation sectaire dans le
pire.
Il existe heureusement aujourd’hui des outils
scientifiques très précis et incontestables pour les esprits
les plus rationalistes. Ce sont ceux des neurosciences et
notamment la neuro-endocrino-immunologie, venues des
États-Unis et qui depuis quelques années se développent
en Europe. Nous les découvrirons plus loin.

Ne pas oublier le corps


Je voudrais cependant insister sur un fait essentiel, à
savoir qu’il ne faut pas oublier le corps dans les sources
de la guérison. Nous avons évoqué précédemment que le
corps peut nous soigner. Dans le processus de la maladie,
le corps est une sorte de condensateur qui emmagasine
les tensions et finit par les exprimer. Il est fondamental
de comprendre que, même si l’on conçoit que le
psychisme est à la source de la maladie comme de la
guérison, le corps, comme l’âme, est un participant
incontournable de ce processus.
En cela les approches énergétiques corporelles,
comme le shiatsu, sont efficaces parce qu’elles
s’appuient en permanence sur lui. Elles travaillent certes
sur le subtil et l’invisible, à travers les énergies qu’elles
cherchent à rééquilibrer, mais le font toujours par et
grâce à cette interface qu’est le corps. C'est ce qui fait
leur force. Elles intègrent ce qui est incarné et en même
temps, du fait de leurs protocoles physiques, elles ne
permettent pas au Moi d’interférer dans le travail et de
risquer de l’empêcher.
Placer le psychisme comme « sourcier » de la
guérison ne signifie pas que seul un travail
psychologique, quel qu’il soit, soit suffisant. Nous
verrons plus loin que le processus de guérison ne peut se
faire que par la « paix intérieure ». Celle-ci implique tous
les niveaux de l’être humain, son corps, son âme et son
esprit. La Psycho-énergétique que j’ai développée a été
élaborée dans cette idée. C'est pour cette raison qu’une
séance comprend toujours un entretien (le psychisme), un
travail sur le corps en shiatsu (le corps et les énergies),
auquel est associé un travail spécifique sur les méridiens
et les points d’acupuncture (le subtil).
Il ne faut enfin jamais oublier que le corps est un
témoin. Aucun discours ne remplacera la validation pure
et simple de la disparition du symptôme. En cela le corps
accuse réception du travail qui s’est fait. Il sait répondre
vite et sans concession. Si le travail a été juste, il n’est
pas besoin de nombreuses séances en Psycho-
énergétique. Si le praticien a su rendre au patient son rôle
d’acteur dans sa guérison, s’il a su générer le placebo en
lui, s’il a su utiliser les bonnes techniques shiatsu, le
corps exprime les résultats en deux à quatre séances. Si
ce n’est pas le cas, c’est que l’approche n’est pas
suffisante, que le praticien n’a pas su trouver le bon
ancrage thérapeutique ou que le patient n’était pas encore
prêt ou à même de participer à sa guérison. Quelle que
soit la raison, l’éthique impose de respecter ce constat,
soit en dirigeant le patient vers un autre praticien
(psychologue, médecin, acupuncteur, etc.), s’il ne l’a pas
déjà fait, soit en lui laissant le temps de reprendre les
choses en main s’il l’a déjà fait.

CE QUE LA SCIENCE NOUS PROPOSE : LA


NEURO-BIO-IMMUNOLOGIE
Un champ formidable de recherche s’est développé
principalement aux États-Unis. Moqué il y a encore peu
dans une certaine communauté scientifique française, ce
champ porte le nom barbare de « neuro-bio-
immunologie » ou « neuro-endocrino-immunologie ».
Nous l’avons évoqué dans le chapitre sur l’effet placebo.
Nous en sommes encore aux balbutiements d’une
recherche qui va à terme objectiver les mécanismes de la
conscience et des émotions. On pourra en déduire sans
doute les interactions entre le corps et l’esprit ainsi que
les supports biologiques de la pensée. Il s’agit là d’une
avancée extraordinaire dans la connaissance de l’humain.
Je ne crois pas cependant, et ce contrairement à ce
qu’affirment déjà certains scientifiques, que ces
recherches démontreront la réalité purement biologique
de l’esprit humain. Nous sommes ici également en
présence de l’illusion de la caverne de Platon qui fait
confondre la manifestation (les ombres sur les murs de la
caverne) avec son origine réelle (les êtres qui vivent hors
de la caverne et produisent ces ombres).
Toujours est-il que les nouvelles techniques de pointe
de l’imagerie médicale permettent d’objectiver avec de
plus en plus de précision les mécanismes biologiques et
notamment ceux du cerveau. Des chercheurs ont eu
l’idée d’utiliser des outils extrêmement sophistiqués, déjà
utilisés en médecine, pour mettre en évidence les
mécanismes biochimiques et neuronaux subtils qui se
mettent en jeu lors de situations de stress, d’émotion mais
aussi au cours des maladies. IRMF (imagerie par
résonance magnétique fonctionnelle), TEP (tomographie
par émission de positons), MEG (magnéto-électro-
encéphalogramme) : autant de noms un peu barbares
pour des appareils extrêmement complexes et coûteux
qui permettent d’observer objectivement l’activité
cérébrale. Grâce à eux, ces recherches ont mis en
évidence l’incontestable action du psychisme sur le
physique, mais également celle de l’efficacité des
techniques dites « mentales » et corporelles dans les
processus d’amélioration voire de guérison du corps.
Ces appareils permettent de repérer, d’identifier les
zones cérébrales qui sont activées lors d’une émotion
particulière, d’une fonction cérébrale spécifique, d’un
désir, etc. Ces recherches présentent un intérêt
considérable sur le plan scientifique et médical. Elles
vont sans doute permettre de mieux comprendre la
biologie des maladies comme celle de Parkinson mais
aussi la schizophrénie, l’autisme ou la dépression grave.
Elles ouvrent également un champ de recherche
passionnant au regard de la psychologie et de la
compréhension des relations corps/esprit.
Ces techniques, en étudiant les mécanismes cérébraux,
étudient en fait aussi les mécanismes de l’« invisible ».
Des recherches effectuées dans plusieurs universités
américaines et dans certains milieux hospitaliers
européens (voir plus loin) ont donné des résultats
troublants. Il apparaît en effet que l’utilisation de
certaines techniques mentales, comme la prière, la
méditation, l’expansion des champs de conscience,
l’accompagnement psychologique, etc., donne des
résultats incontestables dans le traitement de certaines
pathologies. Cela pose bien sûr un problème important à
une certaine partie de la communauté scientifique qui nie
l’invisible et pour qui ces pratiques sont suspectes,
prétendument indémontrables, voire considérées comme
manipulatrices. La Méditation Transcendantale, par
exemple, a démontré lors de ces recherches une efficacité
notable dans les problèmes cardiovasculaires. Mais elle
est considérée en France comme une secte. Les
techniques de relaxation de type sophrologique ont
démontré une action incontestable dans les pathologies
du stress. L'accompagnement psychologique des
cancéreux lors de leur traitement a eu des conséquences
très favorables sur leur pronostic. Les techniques
corporelles et énergétiques ont prouvé leur action
profonde notamment à travers la sécrétion d’hormones
comme l’ocytocine qui est un facteur de mieux-être. Les
aiguilles d’acupuncture démontrent elles aussi tous les
jours leur efficacité sans que quiconque soit capable,
selon les critères scientifiques connus de nos jours,
d’expliquer pourquoi : il n’en demeure pas moins qu’on
les utilise aujourd’hui jusque dans les milieux
hospitaliers, pour des anesthésies par exemple. Quant à
l’hypnose, après avoir été dédaigneusement reléguée
pendant des décennies au rang de numéro de
prestidigitation pour gogos, elle est de nouveau utilisée,
elle aussi, en milieu hospitalier et est même enseignée à
l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris.
Or ces approches font toutes appel à l’invisible, à un
niveau de l’être humain non quantifiable ni mesurable
mais existant réellement : son esprit. Dans le centre
hospitalier de Sart Tilman à Liège, en Belgique, le Pr
Marie Élisabeth Faymonville utilise une technique de
suggestion hypnotique pour éviter les anesthésies
générales. Dans sa méthode dite « d’hypnosédation » (car
elle utilise également une légère sédation
pharmacologique), ce chef de service hospitalier belge
déclare obtenir un « état de focalisation de l’attention
permettant de s’évader de la réalité ». Cela ressemble
beaucoup à cette conduite de la conscience que
j’évoquais précédemment. Les résultats sont étonnants ;
les patients ainsi opérés saignent moins, ont moins de
douleurs postopératoires, consomment de ce fait moins
d’antalgiques et reprennent plus vite leur activité
professionnelle. Diantre ! Cela semble trop beau pour
être vrai. Pourtant, depuis douze ans maintenant, le Pr
Faymonville pratique et enseigne son approche.
Chaque jour, les neurosciences démontrent le lien
indéfectible qui existe entre le corps et l’esprit. La preuve
est faite par exemple que notre système immunitaire est
intimement associé à notre psychisme dont l’équilibre
retentit sur lui de façon incontestable. Renforcer le
psychisme dope le système immunitaire. Il est par
conséquent fondamental de reconsidérer l’invisible. Lui
redonner ses lettres de noblesse a des conséquences
immédiates, tant dans la relation praticien/ patient que
dans celle existant entre le patient et sa souffrance. Nous
rejoignons ici le placebo dont nous avons déjà parlé.
J’irai jusqu’à dire que ces idées sont aujourd’hui
quasiment admises par tous.
Mais les recherches vont encore plus loin et le chemin
est encore long avant que tout ce que cela implique ne
soit admis. Le Pr Patrick Lemoine, professeur de
psychiatrie à Lyon, déjà cité dans le chapitre sur le
placebo, a fait une expérience troublante. Face à une
patiente qui présentait un ulcère de l’estomac résistant à
toute médication, il eut un jour l’idée, pour ne pas dire
l’intuition, qui aurait pu sembler totalement saugrenue,
de lui décrire son estomac comme une « vieille
chaussette trouée ». Il lui proposa alors de raccommoder
cette « chaussette trouée » dans sa tête, mentalement,
deux fois par jour. Ce qu’elle fit consciencieusement.
L'expérience fut couronnée de succès et la « vieille
chaussette » fut raccommodée ! Sidérant non ?
Bientôt les neurosciences démontreront certainement
tous ces mécanismes, mais pourront-elles en expliquer
les raisons ? Je ne le crois pas car, à mon sens, celles-ci
n’appartiennent plus au niveau physique, biologique,
corporel et visible qui est leur champ d’investigation.
Pour moi, elles appartiennent à ce champ invisible que
j’ai déjà si souvent évoqué dans cet ouvrage, dont les
déclinaisons humaines sont l’âme et l’esprit.

1 Voir p. 184.
2 D’ailleurs, le mot « nef » est employé aussi bien pour un bateau que pour
une église.
3 Marie Lise Labonté, Nicolas Bornemisza, Se guérir grâce à ses images
intérieures, Albin Michel, 2006.
Esprit et psychologie

LE CORPS, L’ÂME ET L’ESPRIT


Il est difficile d’envisager des raisons à la guérison par
l’âme sans poser les références essentielles des trois
composantes de l’être humain, à savoir son corps, son
âme et son esprit. Les premières de ces références que
l’on peut poser sont sémantiques. Je ne vais pas définir
ce qu’est le corps d’un être humain car, en tant que
réalité physique perceptible, manifestée, tangible, ce
corps est connu de tous. Il est en revanche nécessaire de
revenir sur les notions d’âme et d’esprit qui sont parfois
utilisées ou comprises de façon approximative. Je ne
tiens pas à rentrer cependant dans un discours
théologique ou religieux car ce n’est ni mon propos ni le
sujet de ce livre, et bien des auteurs sont plus à même
que moi de développer le sujet.
Je souhaite préciser le sens et le contenu de chacun de
ces deux termes car ils vont nous permettre de mieux
saisir ce qui se joue. Cela nous permettra également de
retrouver la conceptualisation orientale, démontrant une
fois de plus la cohérence des deux pensées.
Qu’est-ce que l’âme ou plutôt qu’est-ce que cette
terminologie englobe ? Le terme « âme » est issu du latin
anima qui veut dire « souffle, vie, ce qui anime ». (Nous
retrouverons dans le dernier chapitre de cet ouvrage ce
terme d’anima, dans l’acception jungienne et ce ne sera
pas un hasard, loin de là.) La définition académique du
mot « âme » est la suivante : « Principe de vie et de
pensée de l’homme animant son corps » pour le Petit
Larousse et aussi, « Dans une doctrine spiritualiste,
principe spirituel, agent essentiel de la vie, qui, uni au
corps, constitue l’être vivant » ou bien : « Principe
immortel subsistant après la mort » : ou encore « Principe
des facultés morales, sentimentales, intellectuelles : siège
de la pensée et des passions » selon le Dictionnaire
encyclopédique universel.
Nous voyons bien que, quelle que soit la définition,
nous nous situons à un niveau subtil mais ayant une
relation directe avec le corps, voire avec la psychologie.
L'âme peut être considérée comme une flamme
intérieure, une parcelle de conscience universelle qui fait
de l’être humain une créature pensante et élaborée.
Source de la conscience individuelle, l’âme est cette
partie subtile de la psyché humaine que l’on peut associer
au Soi, au Maître Intérieur. Sa particularité réside dans sa
verticalité, dans son essence céleste. C'est en elle que se
situe le Prince dont parlait le Dr Berne, fondateur de
l’analyse transactionnelle que nous avons évoquée
précédemment, et c’est de son essence que les êtres
s’éloignent selon la théorie de l’ennéagramme ou celle
des sept péchés capitaux développée par les Pères du
désert. Selon les principes de la Tradition, elle est ce fil
ténu qui relie le corps (son véhicule) aux dimensions
célestes qui sont celles de l’esprit (sa source) et, selon les
religions, celles du divin.
Nous sommes ici très près du Chenn incarné des
Orientaux. L'âme est cette sorte de cordon ombilical
invisible qui relie chaque être humain à sa matrice
originelle, le Ciel Antérieur des philosophies orientales,
le Cosmos des spiritualistes ou le Dieu des religions.
C'est ici que se définit l’Esprit.
L'Esprit est la troisième composante d’un être humain.
Il est souvent confondu sur le plan sémantique avec le
mental lorsque le mot est considéré dans sa dimension
psychologique. La définition du Petit Larousse est :
« Principe immatériel vital, substance incorporelle. » Il
émane très clairement de cette définition à la fois un côté
immatériel, subtil, non incarné et en même temps une
notion de vitalisation, de principe originel, initiateur.
Nous sommes avec l’esprit, du latin spiritus, en présence
de l’invisible, de l’omniprésent. L'esprit représente la
source de l’âme, l’océan cosmique des Orientaux d’où
sont issus tous les Chenn qui s’incarnent, cette dimension
du Ciel Antérieur où sont élaborés les choix
d’incarnation. C'est le principe divin des religions,
l’esprit universel des spiritualistes. Il est la matrice de
l’âme qui reste reliée à lui comme une sorte de cordon
ombilical, ainsi que je le mentionnais plus haut. L'âme
permet ainsi à l’esprit de rester en lien avec le corps dans
lequel s’est incarné l’être qui émane de lui.
Nous pouvons sans doute ainsi mieux envisager quand
la souffrance s’inscrit et pourquoi. C'est lorsque ce lien
de l’être humain avec sa source, son essence la plus
subtile et la plus noble, se tend, se tord voire se coupe
que l’individu ressent au plus profond de lui cette
rupture. Nous retrouvons là la distorsion entre le Ciel
Antérieur et le Ciel Postérieur des Orientaux.
C'est cette idée qui me permet, par corollaire,
d’émettre une hypothèse explicative du placebo. Lorsque
l’âme, parce qu’elle s’est « défripée », se reconnecte au
corps, elle le revivifie, elle lui redonne le « la »,
permettant à la symphonie du corps de reprendre avec les
bons accords. Cette reconnexion peut se faire parce que
les circonstances vécues par l’individu provoquent en lui
un retour à la confiance, mais à une confiance profonde,
totale, inconsciente et consciente à la fois, dans ce qui se
joue en lui. Ce retour peut se faire à travers le soignant, à
travers le médicament, par une foi quelle qu’elle soit, par
un choc (celui de la révélation de la maladie et de son
caractère fatal) ou par une mutation radicale de l’attitude
de pensée et de vie de la personne concernée. Toujours
est-il qu’un grand calme, une tranquillité, une sérénité
étonnantes sont ressentis et exprimés, notamment par
ceux qui ont vécu une rémission spontanée. Le corps,
l’âme et l’esprit se reconnectent et le processus de
guérison peut commencer. Tout ce processus qui illumine
à nouveau tout l’être, c’est cela, à mon sens, le placebo.
Car l’esprit est source de lumière. Comme un soleil
invisible son rayonnement féconde la vie et la nourrit en
permanence, lui permettant ainsi sa continuation. Pour
l’être humain, le lien avec cette essence subtile est par
conséquent vital.

Le scaphandrier
Dans Dis-moi où tu as mal, je te dirai pourquoi, je
rapportais cette image de la calèche, issue de la tradition
orientale, pour illustrer l’avancée sur le Chemin de la
Vie. Je vous propose ici une autre image, personnelle, de
cette avancée, mais cette fois à travers les concepts de
corps, d’âme et d’esprit. Cette image est celle des anciens
scaphandriers qui, lorsqu’ils étaient en plongée,
dépendaient entièrement du long tuyau qui les reliait à la
surface et dans lequel une pompe insufflait de l’air.
Dans cette image, le scaphandrier représente l’être
humain et son corps physique. Ses sous-vêtements
symbolisent son Moi car ils collent à la peau, de même
que le Moi est collé à la réalité matérielle. Le scaphandre,
quant à lui, représente le Soi. C'est lui qui « contient »
l’air, c’est-à-dire la parcelle d’esprit propre à chaque
scaphandrier. Pour ce faire, il n’est pas collé au corps
mais au contraire ménage un espace où l’invisible peut
s’installer. Le tuyau par lequel l’air, envoyé par la
pompe, arrive dans le scaphandre, représente l’âme, ce fil
ténu par lequel l’esprit nourrit l’âme et le corps. La
surface et l’air ambiant, source de toute vie grâce à
l’oxygène, symbolisent l’esprit, source de toute vie dans
notre univers. La pompe à air enfin, machine par laquelle
l’air, pris dans l’atmosphère, est comprimé et propulsé
vers les profondeurs où se situe le scaphandre, représente
les choix d’incarnation. Ce sont en effet ces choix qui
« mettent en forme » la façon dont l’esprit s’incarne et le
propulsent dans le monde manifesté.
Alors qu’à la surface, l’atmosphère et le milieu aérien
sont « légers », à l’instar des dimensions du Ciel
Antérieur, le milieu aquatique est plus « lourd », plus
dense, plus contraignant, à l’instar du Ciel Postérieur. Il
présente de ce fait plus de résistance à l’avancée du
scaphandrier.
Dans sa progression, le scaphandrier rencontre parfois
des épaves, qui symbolisent le passé accidentel, les
mémoires. À l’intérieur de ces épaves, il peut trouver des
trésors, symbolisant les richesses du passé, mais aussi des
aspérités, des clous qui dépassent de l’épave, etc.,
symbolisant les risques, les douleurs, les blessures que
ces mémoires du passé peuvent présenter. Le
scaphandrier peut aussi rencontrer des requins ou des
précipices qui représentent les risques et les épreuves de
la vie. Mais il est également environné de ces myriades
de poissons colorés, de ces coraux magnifiques et de
toutes ces algues qui symbolisent la profusion et la
munificence de la vie.
Sa progression, freinée par la densité de l’eau, qui
représente la densité du monde matériel, demande un
effort permanent, surtout s’il rencontre des courants
contraires. Ceux-ci symbolisent tous ces moments de la
vie où les événements nous ont semblé contraires. Le
scaphandrier doit toujours être vigilant dans sa
progression car, si par malheur le tuyau qui le relie à la
surface se vrille ou se tord ou s’accroche à une aspérité,
l’air va manquer ; le scaphandrier va suffoquer, étouffer.
Cela symbolise toutes les tensions, les maladies ou les
souffrances que nous ressentons et qui nous disent que
notre âme est « vrillée », tordue ou nouée. Elle suffoque
parce qu’elle n’est plus reliée à l’esprit. Si le tuyau se
coupe enfin, le scaphandrier est perdu. Si l’âme est
coupée de l’esprit, l’être humain est perdu car il a perdu
son lien avec la vie.

La toilette de l’âme lave l’humanité


Sans aller jusqu’à la rupture, l’être humain se conduit
à la souffrance par ses comportements de tous les jours.
En effet, l’âme peut se polluer. Elle peut se salir de toutes
les petites compromissions quotidiennes, tous ces petits
pactes avec le facile et l’intérêt personnel. Comme notre
corps, qui s’avachit de toutes nos petites postures de
compensation parce que se tenir droit fatigue, notre âme
se tache de toutes nos petites compensations face à
l’exigence d’être. Ainsi que nous l’avons vu
précédemment, l’âme est en relation avec le psychisme.
Elle est par conséquent en permanence imprégnée par
nos pensées, nos envies, nos rancœurs, nos haines, nos
petites peurs et nos passions. Elle est comme une source
d’eau claire qui se souille petit à petit de tous les engrais
artificiels (compromissions, abdications par facilité, etc.)
que nous mettons pour obtenir plus vite et plus
facilement ce qui satisfera nos désirs. Elle se pollue de
tous ces « pesticides » que nous mettons en nous par
crainte de « perdre » à cause des « parasites ». Elle se
parfume toujours de ce que nous sommes dans notre
cœur et au plus profond de nous-mêmes. Deux anciens
dictons orientaux illustrent cette idée : « On ne soulève
pas des immondices sans rester longtemps imprégné de
leur odeur fétide » et « Il reste toujours un peu de parfum
sur les mains de celui qui offre des fleurs ».
Pour tout cela, la toilette de l’âme est un devoir pour
l’être humain. C'est l'hygiène intérieure de chacun qui
ranime la vie en lui et préserve son corps en préservant
son esprit. Et au-delà même de ce premier intérêt
« égoïste », cette hygiène participe de celle du monde car
nous sommes tous reliés par cette dimension invisible du
Soi dite « transpersonnelle » qui nourrit et se nourrit de
l’inconscient collectif.
Cette relation à l’humanité, intime, invisible, est une
responsabilité et offre une chance énorme. Elle est
l’espace du devenir, qui peut sauver l’individu et qui, en
le sauvant, peut sauver l’humanité en souffrance. Le
macrocosme de l’humanité est profondément lié et
dépendant des microcosmes que sont les individus qui la
composent. En cela, la guérison doit être individuelle
mais ne pourra jamais être uniquement individuelle. Elle
commence obligatoirement par l’individu qui ainsi se
repositionne face à la collectivité. Dans le même temps,
ce repositionnement individuel interagit avec le collectif,
il le « contamine » positivement, entraînant ainsi d’autres
guérisons qui, à leur tour, guériront l’humanité. Il en est
ici comme dans le cadre de toutes les réactions
collectives.
Nous pouvons illustrer cela par ce qui se passe parfois
dans les stades de football. Chacun des spectateurs
présents participe au mouvement de masse qui existe lors
d’un match. Or, ce que l’on peut constater, c’est que la
réaction collective n’est pas la simple addition des
réactions individuelles. Elle est beaucoup plus importante
que cela (exponentielle) au point que des individus,
« normaux » dans leur quotidien, deviennent
brusquement hystériques ou violents. Chacun des
spectateurs peut se croire innocent de ce qui se passe
alors mais il ne l’est pas. Ce qu’il porte plus ou moins
consciemment dans son esprit nourrit le groupe et se
nourrit de ce même groupe, finissant par produire ces
dérives bien connues. L'excuse collective ne suffit pas. Il
suffit pour comprendre cela de comparer tout simplement
ce qui se passe entre le football et le rugby par exemple.
Ce sont deux sports de ballon, avec des enjeux
importants et qui regroupent dans des stades de
nombreux supporters « adversaires ». Les conditions de
groupe sont donc les mêmes. Pourtant, la violence
n’existe quasiment jamais dans un stade de rugby, alors
qu’elle fait fréquemment la une des médias dans le
football et coûte très cher à la collectivité. Pourquoi ?
La guérison ne peut donc se résumer à une prise de
conscience personnelle non reliée au reste du monde. Si
c’est le cas, elle ne sera qu’une rémission et non une
véritable guérison. Elle dépend profondément de la
manière dont nous pensons l’humanité. C'est pour cela
que la guérison dépend enfin d’un dernier facteur majeur,
notre capacité à la paix (intérieure et extérieure).

LA FIN DE LA GUERRE, LE DÉBUT DE LA PAIX,


PALIERS ESSENTIELS À TOUTE GUÉRISON

Depuis le début de ce livre, nous avons pu constater


combien, quels que soient la cause et le mode explicatif
des origines de la maladie, nous trouvons toujours la
même source, la même idée originelle à savoir celle
d’une tension. Cette notion traduit en fait tout mode de
réaction face à une sollicitation de la vie qui se manifeste
par une opposition, une lutte face ou plutôt une lutte
contre ce qui se passe. Des nombreux « non » à la vie
construits suite à des vécus douloureux, en passant par le
refus ou la fuite face aux défis ou nécessités d’effort,
nous sommes en permanence en lutte face à la vie. Notre
opposition permanente aux sollicitations et aux
changements nous a conduits à un état de guerre
inconscient, à une conscience inconsciente de risque
permanent qui se traduit jusque dans le langage. De nos
jours on ne dit plus que quelque chose « a des chances de
réussir » mais plutôt que cela « risque de réussir ».
Parce que les processus de vie nous échappent et
passent parfois par des chemins imprévus, la Vie nous
fait peur. La peur inconsciente de la mort qui habite notre
conscient nanti et gâté nous fait oublier que la vie est
incertitude et flux permanents. Nous devons reconquérir
notre sens de l’impermanence, signature incontestable du
retour à la confiance dans la vie. C'est ce qui peut lui
permettre de circuler à nouveau librement en nous et
d’aller féconder à chaque instant chaque cellule et chaque
parcelle de notre être, sans que notre petit Moi n’ait quoi
que ce soit à redire.
Cela passe par la réconciliation de nos différents pans
constitutifs : anima et animus, Moi et Soi, conscient et
non-conscient, corps et âme. Le début de la paix est à ce
prix, le début de la guérison également, car je ne crois
pas qu’il y ait d’âme en paix qui habite un corps malade,
de même que je ne crois pas qu’il y ait de corps malade
sans une âme fripée ou déchirée.

Caïn et Abel, du nomade au sédentaire


La déchirure qui s’est faite en nous n’est pas
hasardeuse. Elle s’est construite progressivement, signant
la prise de pouvoir par ce Moi dont nous avons parlé.
Nous pouvons l’illustrer à travers un exemple
appartenant au macrocosme de notre planète mais
parfaitement transposable au microcosme individuel,
celui de la lutte historique entre les peuples nomades et
les peuples sédentaires.
Depuis l’aube de l’humanité, deux types de peuplades
se sont côtoyées, les nomades et les sédentaires. Chacune
de ces peuplades avait une vision particulière du monde.
Les nomades conduisaient leurs troupeaux au fil des
pâtures, ayant pour habitat des tentes démontables. Ils
changeaient en permanence de lieu et les repères
géographiques sur lesquels ils se guidaient étaient les
étoiles dans le ciel, visibles uniquement la nuit. Rien ne
leur appartenait puisque tout était disponible et possible
et leur culture était, du fait de la nécessaire mobilité
continuelle et de l’impossibilité de stocker
matériellement le savoir, principalement de tradition
orale. Leur champ d’horizon était la voûte céleste dont la
forme géométrique symbolique associée est le cercle.
À l’inverse des nomades, les sédentaires se fixaient à
un endroit précis. Ils délimitaient un territoire où leurs
troupeaux pouvaient paître. Pour cela, ils marquaient des
repères sur le sol, destinés à identifier les limites de ce
territoire. Ils avaient besoin de lumière puisque les
repères géographiques sur lesquels ils se guidaient étaient
placés sur le sol, visibles uniquement le jour. Le sol leur
appartenait dans les limites déterminées et leur culture
était, du fait qu’ils pouvaient stocker les manuscrits dans
des lieux fixes, principalement de tradition écrite. Leur
champ d’horizon était le territoire connu dont la forme
géométrique symbolique associée est le carré.
Longtemps ces deux populations se sont côtoyées,
tolérées puis affrontées et rejetées. Au niveau conscient
et « officiel », il était insupportable aux nomades que les
sédentaires s’approprient des territoires qui appartenaient
à tous. Il était insupportable aux sédentaires que les
nomades ne respectent pas leurs territoires qu’ils
cultivaient à la sueur de leur front. Cependant, au niveau
inconscient, les raisons du conflit étaient tout autres. Il
était insupportable aux nomades que les sédentaires les
empêchent de continuer à être libres. Il était
insupportable aux sédentaires que les nomades ne
respectent aucune des règles (contraintes) qui étaient les
leurs. Ce sont les sédentaires qui ont petit à petit gagné
du terrain, géographiquement et culturellement. Leur
vision du monde, apportant la sécurité et un
accroissement du confort matériel, a progressivement
pris le pas sur celle des nomades, plus porteuse de liberté
mais également d’insécurité.
Il est particulièrement intéressant de constater
combien cette bipolarité ethnologique se retrouve de
façon analogique à l’intérieur d’un être humain, à la fois
sur le plan psychologique et sur le plan biologique. C'est
par exemple le cas dans le cerveau humain, qui est
latéralisé. Le cerveau gauche est plutôt dédié aux
fonctions rationnelles, matérielles (je dis bien « plutôt »
et pas « uniquement ») et de nature « sédentaire ». Le
cerveau droit est plutôt dédié aux fonctions
émotionnelles, créatives et spirituelles et de nature
« nomade ». La façon dont la rationalité de forme, de
type cerveau gauche (sédentaire), a su prendre le pas sur
l’imaginaire et la créativité (nomade) est très claire. Il
suffit pour s’en persuader de regarder dans notre
éducation scolaire quelles sont les matières qui ont les
coefficients les plus importants. Les mathématiques ou
les sciences écrasent littéralement la musique, le dessin
ou la littérature. À l’identique des sédentaires qui ont pris
le pas sur les nomades, la rationalité a pris le pas sur
l’intuition et la créativité.
Notre tradition culturelle nous l’enseigne et le prédit
depuis des lustres. Prenons comme exemple la Bible avec
la Genèse et l’histoire de Caïn et Abel. Ces deux
premiers fils de l’Homme sur terre étaient l’un, Abel,
pasteur (berger nomade) et l’autre, Caïn, cultivateur
(sédentaire). Chacun d’eux vénérait Dieu et décida de lui
faire des offrandes. Abel offrit des premiers-nés de son
troupeau alors que Caïn offrit des produits de ses
cultures. Il s’avéra que Dieu fut plus touché par
l’offrande d’Abel que par celle de Caïn, qui en conçut
une profonde jalousie et tua son frère. Au-delà de la
morale traditionnellement tirée de cette histoire, je crois
que la Genèse nous transmet deux messages majeurs. Le
premier est que la rationalité (sédentaire) finit par tuer la
créativité (nomade), que la matérialité (sédentaire qui
regarde et s’approprie le sol) finit par détruire la
spiritualité (nomade qui regarde et consulte le ciel). Le
deuxième de ces messages, que l’on retrouve également
dans la parabole du fils prodigue, est celui de la Vie
(Dieu) qui préfère le nomade (celui qui est libre et
accepte de faire confiance à la vie) au sédentaire (celui
qui, dans tous les sens du terme, s’attache au sol parce
qu’il a besoin de sécurité).

Liberté versus sécurité


Nous voici au cœur du sujet, à la racine du « mal ».
Parmi les grandes tensions qui perturbent l’humanité, la
peur, quelle qu’elle soit, occupe la première place. C'est
elle qui génère le besoin absolu de sécurité, poussé à son
paroxysme dans nos sociétés. Or, l’équilibre entre le
besoin de liberté et le besoin de sécurité est fondamental.
Il participe en effet du ressenti de paix, de juste place et
de potentiel d’épanouissement et il est important de
comprendre que le niveau de cet équilibre est un choix
que fait chacun d’entre nous. Ce n’est en aucun cas une
fatalité. Ce que l’on peut constater la plupart du temps,
c’est que les individus s’installent petit à petit dans leur
vie, dans un équilibre entre les deux dont ils n’ont pas
conscience. Le quotidien, les habitudes, la facilité, la
recherche du confort de l’instant, les injonctions de nos
sociétés, la peur de la mort, réelle ou symbolique, etc.
sont autant de « bonnes raisons ». Toujours est-il que
chaque déplacement de notre curseur intérieur vers la
sécurité éloigne inexorablement du pôle liberté. Chaque
déplacement de ce même curseur vers la liberté, l’éloigne
inexorablement de la sécurité. Le choix de chaque
position du curseur, car c’est un choix (la plupart du
temps inconscient), implique l’acceptation du coût qu’il
signifie. Si je veux plus de liberté, je dois accepter de
perdre de la sécurité. Si je veux plus de sécurité, je dois
accepter de perdre de la liberté. Nous pouvons illustrer
cela par le schéma suivant.
Où vais-je décider de me poser, de me placer ? Plus je
voudrai de sécurité, plus je devrai renoncer à la liberté.
Plus je voudrai de liberté, plus je devrai renoncer à la
sécurité. Quel est mon choix de vie ? Quelles sont mes
contraintes ?Quels sont les droits que je me donne ?
Quelles sont mes capacités à assumer mes choix ?
L'impact du choix (ou du non-choix) de ce
positionnement n’est pas neutre ou simplement
superficiel. Il rentre en effet en résonance avec des
archétypes profonds, à la fois historiques, biologiques et
symboliques. Je les ai déjà évoqués à travers Caïn et
Abel, le nomade et le sédentaire, l’anima et l’animus
(Jung), le Yin et le Yang (Chine), le cerveau droit et le
cerveau gauche (Occident), le conscient et le non-
conscient, le Moi et le Soi, etc. Ils sont autant de façons
d’illustrer comment des inverses, ici la liberté et la
sécurité, parce qu’ils sont porteurs d’une vision différente
du monde, peuvent entrer en conflit lorsqu’ils deviennent
exclusifs. Car nous sommes, semble-t-il, des « gens de
peu de foi », ainsi que nous le dit l’Évangile de Luc
lorsqu’il évoque le sens de la Providence.
Lorsque nous sommes confrontés à ce conflit du
choix, ce dernier devient maladie car il blesse l’âme. Il
n’est pas rare d’entendre des personnes parler de leur vie
en termes de déchirure, d’envies non raisonnables que la
raison fait taire, d’entendre des hommes ayant une
extrême difficulté à vivre leurs émotions ou leur côté
artiste ou des femmes dont la problématique majeure est
celle de l’implication, du choix ou du passage à l’acte.

Unifier plutôt que diviser : la paix des inverses


La problématique du choix entre les inverses
dichotomise, divise la vie en nous. Nous avons là la
signature du « mal », du diable selon la terminologie
judéo-chrétienne. Car, étymologiquement, le principe du
diable est de « diviser » (vient du grec diabolos qui
signifie diviser). C'est la différence fondamentale entre
ce qui est divin et ce qui est diabolique. Ce qui est
diabolique est ce qui divise, sépare et isole ; c’est ce qui
conduit à différencier, à comparer puis à opposer ; de là
naît la souffrance. Ce qui est divin est ce qui réunit,
unifie, relie ; c’est ce qui conduit à réconcilier ; de cette
unité reconstruite naît la paix.
C'est pourquoi, à l’instar de C.G. Jung, on peut
envisager que la réalisation de l’être, qu’il qualifiait
d’« individuation », passe par cette réconciliation des
opposés qui procure la paix de l’âme et participe de
l’épanouissement de l’individu et de sa conscience. Pour
C.G. Jung, il s’agit de reconstruire en nous l’unité entre
les deux pans constitutifs de notre psyché, qu’il qualifiait
d’anima (dimension féminine, sensible, créative, etc.) et
d’animus (dimension masculine, combative, rationnelle,
agissante, etc.). Un être humain pour lui est équilibré
lorsqu’il a réussi à pacifier ces deux pans en lui-même,
l’homme devant aller à la rencontre de son anima, la
femme devant aller à celle de son animus. Je crois que
l’on peut élargir le propos à tous ces inverses que j’ai
déjà évoqués (nomade/sédentaire, Caïn/Abel, cerveau
droit/cerveau gauche, etc.) et qui nous habitent.
L'objection la plus fréquente au travail que cela
implique émane d’une logique systématique d’exclusion :
« Oui, mais si j’accepte d’être artiste, c’est parce que je
renonce à être raisonnable. Si j’accepte les émotions, je
serai faible parce qu’elles risquent de me dépasser. Si
j’accepte la liberté, je perdrai toute sécurité. Si j’accepte
les règles et les normes, je perdrai toute liberté, etc. »,
entend-on souvent répondre.
Toutes ces objections participent de cette logique dite
« d’exclusion » ou « du tiers exclu », c’est-à-dire une
logique binaire qui ne comprend le monde qu' à travers
des notions de tort ou de raison, de vrai ou de faux, de
bien ou de mal, c’est-à-dire le monde du Moi. Il faut se
donner le droit d’envisager la troisième voie, à savoir que
l’un ne se construise pas obligatoirement à l’encontre de
l’autre. Par exemple, accepter des émotions ne signifie
pas pour autant devenir un romantique pleurnichard. Il
est important de considérer que l’objection n’est en fait
que la signature d’une peur inconsciente de ne pas
savoir, ne pas pouvoir ou ne pas avoir le droit et de la
difficulté qu’ont les êtres humains à changer leurs
habitudes. Chaque fois que ces objections émergent
(venant de quelqu’un ou bien de nous), il est essentiel de
comprendre qu’elles ne sont que l’expression des peurs
infantiles du Moi. Ce « petit sédentaire intérieur » ne
cherche par là qu’à créer le trouble en fabriquant des
peurs sclérosantes.
Le sens de la paix passe par la capacité à accepter ces
opposés. Ce n’est pas toujours facile car rappelons-nous
que ce qui nous permet d’avoir conscience du monde et
nous met en rapport avec lui, c’est l’Ego, le Moi. Or
l’Ego a une vision très manichéenne du monde. Il le
comprend, l’analyse et le catégorise en termes de tort ou
de raison, en termes de bien ou de mal. Il va par
conséquent défendre bec et ongles ses positions car, pour
lui, reconnaître s’être trompé, c’est reconnaître qu’il n’est
pas à la hauteur, qu’il n’est pas omnipotent. C'est lui qui
est à la base de ce que l’on qualifie en psychologie de
« contamination entre le faire et l’être ». « Si tu critiques
ou si tu n’es pas d’accord avec ce que je fais, c’est que tu
ne m’aimes pas, que tu n’aimes pas ce que je suis. » La
seule issue est le conflit pour la défense des positions et
des opinions. Pourtant, une mère qui gronde son enfant
qui a fait une bêtise exprime son désaccord avec ce qu’il
a fait, mais n’exprime aucunement qu’elle ne l’aime plus.
Par conséquent, lorsque nous sommes confrontés à
une problématique d’image de soi dévalorisée, il est
important d’intégrer l’Ego, le Moi à la reconstruction de
cette image. Sinon le risque de sabotage du travail par cet
Ego sera grand dans la mesure où il vivra la nécessité à
changer cette image de soi comme le fait qu’il s’est
trompé. Ce qui lui sera insupportable puisque signifiant
qu’il a eu tort.
L'implication de l’Ego dans ce travail se fera en
évitant de démontrer que l’image dévalorisée est une
erreur de jugement sur soi mais a plutôt été une stratégie
de défense consécutive à des vécus ou des blessures.
L'intégrer va permettre de ne pas rejeter ce que l’on a
pensé de soi pendant longtemps mais de l’accepter
comme la signature d’une souffrance incontestable de
l’être. Cela nous permettra alors d’embrayer le travail de
reconstruction d’image, parce que nous y verrons, à juste
titre d’ailleurs, la cicatrisation d’une plaie plutôt que la
rectification d’une erreur. Il y a de grandes chances pour
que le travail se fasse avec beaucoup plus de facilité et
d’efficacité : « L'important n’est pas tant ce que j’ai vécu
que de savoir ce que j’ai fait et ce que je vais faire avec
ce que j’ai vécu. »
Le sens de la paix ne pourra se faire que si l’on arrête
de penser qu’il y a un ennemi en nous. Or nous nous
comportons souvent comme ces soldats japonais que l’on
a découverts dans les années 1960, cachés au fond de la
jungle indonésienne et qui continuaient à se cacher ne
sachant pas que la guerre était finie. Pourtant il n’y a pas
d’ennemi au fond de nous, mais plutôt un ami qui,
comme un enfant dont on ne s’occupe pas assez, fait ce
qu’il faut pour nous interpeller.
Mais voilà, nous sommes à nouveau en présence de ce
que j’ai évoqué précédemment dans cet ouvrage. Nous
croyons que nous sommes de vilains petits canards, des
« crapauds » comme dit le Dr Berne. On n’imagine pas à
quel point la plupart d’entre nous, même s’ils s’en
défendent, pensent ainsi (mais inconsciemment). Le
praticien professionnel rencontre fréquemment chez ses
patients cette problématique d’image de soi. Elle fait
souvent du patient une victime, qui se dévalorise sans le
savoir et dont l’image qu’il a de lui-même se résume
souvent à : « Je ne suis pas bien, pas à la hauteur, pas
capable, pas digne, etc. » Toutes ces formulations signent
cette image négative de soi qui se traduit par ce que
j’appelle le « complexe de Caliméro ».
Ce complexe de Caliméro pose deux problèmes
particuliers. La personne traumatisée par son vécu de
l’enfance continue à le porter inconsciemment et cette
vision qu’elle a d’elle-même a été adoptée par l’Ego (ou
le Moi1. Or n’oublions pas que l’Ego ne comprend la vie
que de façon binaire, et notamment en termes de « tort ou
raison ». Il est difficile à cet Ego d’accepter de s’être
trompé et il va donc falloir l’associer à cette reconquête
de l’image en la dédramatisant en permanence,
notamment par l’humour, le jeu ou le paradoxe. Le
deuxième problème est clairement dit dans l’histoire de
ce vilain petit canard noir qui ne se trouve pas beau que
je baptise « Caliméro » à l’instar du poussin Caliméro
créé en Italie dans les années 1960. Quand il grandit, il
devient un superbe cygne. Or la personne traumatisée
reste bien souvent à l’âge où elle a été traumatisée, ce qui
la cristallise sur sa souffrance. Sa seule issue est par
conséquent de décider et d’accepter de grandir.
Le processus de paix intérieure a par conséquent
besoin que deux conditions soient réunies : la
réconciliation avec soi et le sens du pardon.

La réconciliation avec soi


La réconciliation avec soi nécessite la reconstruction
de son image. Quelques techniques simples peuvent
permettre de le faire. Ce travail peut sembler
incommensurable, titanesque et pourtant… on peut
envisager qu’il puisse se faire simplement, jour après
jour. Pour cela, il faut comprendre plusieurs choses. La
première est que l’image que l’on a de soi n’est pas une
fatalité qui nous est tombée dessus un jour. Elle est une
perception qui se construit, s’établit, s’éduque au fur et à
mesure du quotidien, notamment à travers ce que nous
percevons de nous et ce que nous nous renvoyons comme
image. Cette perception est rarement objective et, la
plupart du temps, ce que nous percevons de notre image
est inconscient.
Il en est d’ailleurs de même en ce qui concerne notre
façon d’enregistrer ces perçus. Ce qui nous marque, dont
nous nous souvenons, est plutôt orienté vers le négatif.
« On parle toujours du train qui est arrivé en retard et
jamais des neuf cent quatre-vingt-dix-neuf autres qui sont
arrivés à l’heure », disait un ancien dirigeant de la SNCF.
Il est donc essentiel de comprendre qu’en fait, l’image
que l’on a de soi-même est une sorte de « récitation »
inconsciente de messages négatifs de nous-mêmes que
nous nous adressons et que nous recevons de l’extérieur.
Il en est ainsi à chaque instant du quotidien, dès le matin
devant la glace de la salle de bain, au bureau, dans la rue
en passant devant une vitrine, etc. À chaque fois, sans
nous en rendre compte, nous nous envoyons des pensées
négatives, dévalorisantes, de jugement. Il en est de même
dans chaque geste du quotidien et cet ensemble
« cohérent-négatif » de messages finit par produire, par
construire une sorte de « vérité » intérieure dévalorisante
qui génère une image négative de soi. Celle-ci va générer
des interdits à la réussite ou des sabotages inconscients,
qui vont venir renforcer son caractère négatif et entretenir
l’ensemble du mécanisme.
Il est très important de comprendre que cette
explication du mécanisme d’inscription nous prouve qu’il
est acquis (appris). Il est par conséquent possible de le
changer en acquérant une autre image de soi par le même
processus d’éducation de la perception de nous-mêmes.
Comment ? Il s’agit là un peu de la même difficulté que
lorsque nous avons en tête, depuis le matin, une rengaine.
Plutôt que de nous opposer à elle en essayant de la
chasser chaque fois qu’elle nous revient à l’esprit, il
suffit tout simplement de décider de chantonner autre
chose à la place, et de préférence un air qui nous plaise.
Alors pourquoi ne pas chanter en nous un autre air plus
valorisant ? Plusieurs petits outils ou techniques peuvent
nous y aider.
La première technique consiste à être vigilant aux
messages négatifs que l’on s’envoie. Chaque fois que
l’on prend conscience de ces messages, il est impératif de
réinstaurer un dialogue intérieur en se répondant et en
émettant un message positif inverse, de façon à
désamorcer progressivement la « pompe réflexe
négative ». Cela se fait d’abord de façon volontaire,
scolaire et apparemment simpliste, mais assez
rapidement cela devient un jeu puis un réflexe.
Il est possible d’enrichir ce travail avec une deuxième
technique que je conseille souvent à mes patients et que
j’appelle « technique du Post-it ». Afin d’instaurer un
réflexe relationnel à soi plus positif, je leur conseille de
placer des petits « Post-it » comportant un petit signe
personnel (« ? », « × », petit dessin, « ☺ » ou autre) à
différents endroits stratégiques. Ces petits signes seront
porteurs d’un « clin d’œil de sourire », d’un rappel de
vigilance à soi dont le message implicite pourrait être :
« Mais si, tu es bien, à la hauteur, etc. » L'intérêt du signe
personnel réside dans le fait que les personnes partageant
l’environnement du patient ne sauront pas les décoder.
Le patient pourra répondre à leurs questions éventuelles
en expliquant qu’il s’agit de pense-bêtes (ce qui est
d’ailleurs le cas). Les endroits stratégiques quant à eux
sont les suivants : le réveille-matin, la glace de la salle de
bain, l’intérieur de la porte des toilettes et de la porte
d’entrée, la porte du frigo, le téléphone, la couverture de
l’agenda. Il sera ainsi impossible de ne pas les voir et par
conséquent d’oublier.
Je conseille également un troisième outil : le « bilan
quotidien ». Cet outil est particulièrement adapté aux
personnes qui pensent que leur quotidien n’est rempli que
d’échecs, d’erreurs ou de choses négatives. Il est assez
efficace de faire l’exercice suivant, chaque soir. La
personne prend une feuille de papier, la sépare en deux
par une ligne verticale en plaçant en haut à gauche le
signe + et en haut à droite le signe –. Dans la colonne de
gauche, la personne inscrit tout ce qu’elle a fait ou ce qui
s’est passé de positif dans sa journée. Dans la colonne de
droite, elle inscrit tout ce qu’elle a fait ou ce qui s’est
passé de négatif. Dans un premier temps, en général très
court, la colonne de droite (négatif) est plus remplie que
la gauche (positif) mais très rapidement les deux
colonnes s’équilibrent. Parfois même, la colonne de
gauche devient plus importante. Il est essentiel pour cet
exercice de bien comprendre que le but n’est pas de se
leurrer en créant une illusion de positivité. Cet exercice
permet de faire le constat qu’il y a du positif dans le
quotidien de chacun mais à aucun moment ne cherche à
nier ou à exclure l’existence de négatif. Il ne s’agit pas de
mentir au conscient, au Moi, de faire une autosuggestion
imbécile car ce serait vite contre-productif. Ce constat a
pour objectif essentiel de désamorcer l’habitude du
réflexe de focalisation sur ce qui ne va pas et de constater
qu’il y a aussi des « choses qui vont bien ».

Le sens du pardon
Le sens du pardon est la deuxième condition à la paix
intérieure. De nombreux individus sont porteurs de
traumatismes liés à des souffrances endurées du fait de
tierces personnes (parents, proches, amis, etc.). La
plupart du temps, ces traumatismes sont difficiles à
oublier d’abord parce que ces personnes pensent ne pas
pouvoir pardonner. Il arrive également qu’elles pensent
avoir pardonné, mais constatent malgré tout que la plaie
ne s’est pas refermée. Nous sommes là face à un
paradoxe apparent difficile à élucider. Nous pourrons le
faire en prenant une analogie.
La plupart des psychologues ont constaté que le
traumatisme le plus difficile à gérer, chez les survivants
d’un attentat ou d’un accident d’avion mais également
chez des personnes ayant subi un viol, est celui de la
culpabilité. Cela peut sembler paradoxal mais en fait
cette culpabilité s’appuie sur deux bases. Soit la personne
se dit : « Pourquoi moi ? Pourquoi est-ce moi qui ai
survécu, alors que l’autre a souffert ou est mort ? »
lorsqu’elle est une des survivantes d’une catastrophe.
Soit elle se dit : « Mais est-ce que je n’ai pas provoqué,
été à l’origine, voire pris du plaisir ? », si elle a subi un
viol ou vécu un inceste. Ces interrogations sont très
rarement conscientes, parfois elles émergent de façon
fugace.
Lorsqu’une personne a souffert du comportement
d’autres personnes, dont elle a été victime, elle porte en
filigrane cette culpabilité, plus ou moins nette, et se
demande : « Jusqu’à quel point ne me suis-je pas laissé
faire ? Pourquoi ne me suis-je pas mieux défendue ?
N’est-ce pas là le signe que je ne méritais que cela ?
etc. ». Il est fondamental que cette personne prenne
conscience que le premier être à qui elle doit pardonner,
c’est à elle-même. Elle doit saisir à quel point ce pardon
intérieur est essentiel et bien plus important que le
pardon extérieur, qui n’est finalement, si elle retrouve la
paix intérieure, qu’une sorte de formalité. On a pu
assister dans ce sens à des témoignages inattendus, au
premier abord, aux États-Unis, lors du procès du seul
islamiste jugé suite aux attentats du 11 septembre 2001.
Des proches de victimes sont venus témoigner en
faveur… de l’accusé (pour lui éviter la peine de mort),
pourtant provocateur et cherchant à devenir un martyr.
Seul le fait d’être en paix avec soi peut permettre une
telle attitude, car elle implique la disparition de la haine,
de la rancune, de la peur et du besoin de vengeance.
Assurer le pardon devient alors un moyen de croissance
extraordinaire pour l’être, lave l’âme et permet une
réconciliation avec son image qui en sort embellie.
Plusieurs moyens peuvent aider au travail du pardon.
Lors de l’entretien avec mes patients, j’utilise un premier
« outil de pardon ». Je les interroge, lorsque cela est
nécessaire, sur le pardon qu’ils ont pu faire vis-à-vis de
ceux qui les ont fait souffrir. Puis, lorsque le patient a
cité toutes les personnes envers qui il a pu réaliser ce
pardon, je lui demande s’il n’a pas l’impression d’avoir
oublié quelqu’un de très important dans sa liste. Il arrive
que le patient, de lui-même, très vite, trouve et propose
du bout des lèvres : « Moi ? » Il arrive cependant souvent
qu’il ne comprenne pas, qu’il ne trouve pas. Le truc
consiste alors pour moi à lui dire : « Je vais vous aider. »
Il suffit alors de prendre un petit miroir et de le tourner
vers le patient. Celui-ci éprouve un choc, une véritable
révélation en découvrant son image dans le miroir. Cela
provoque fréquemment une prise de conscience, un
« insight » dit-on en psychologie.
Le deuxième « outil de pardon » que je propose à mes
patients est également très simple à utiliser et absolument
surprenant en termes d’efficacité. C'est la « lettre ».
Lorsqu’un patient souffre de mémoires émotionnelles qui
provoquent des pathologies ou des difficultés à vivre son
quotidien, il arrive qu’il exprime clairement quelles sont
les personnes à l’origine de cette souffrance. Ce sont
souvent les parents, réels ou symboliques, ou des
proches. Ce qui émerge lors de l’entretien montre que la
souffrance récurrente est, la plupart du temps, liée à la
difficulté à oublier, accepter (« OK, cela fait partie de ma
vie, mais aujourd’hui est un autre jour ») ou pardonner
(« On m’a fait souffrir, mais je n’en veux plus à
personne »).
Le patient exprime aussi souvent l’envie refoulée de
« dire à l’autre », de vider son sac. « Mais c’est
impossible, je ne peux pas, ils ne comprendraient pas, ils
sont trop vieux maintenant, voire ils sont décédés, etc. »
sont autant d’objections qui émergent.
Je propose dans ces cas-là au patient de faire
l’exercice suivant. Je lui demande, lorsqu’il sera rentré
chez lui, d’écrire une lettre à chaque personne l’ayant fait
souffrir, dans l’ordre inverse de l’importance consciente
de leur responsabilité dans la souffrance vécue. Il doit
l’écrire comme une véritable lettre, au nom et à l’adresse
de la personne (« au ciel » si elle est décédée). Dans cette
lettre, sans aucune retenue de forme ou de vocabulaire, le
patient doit « vider son sac », écrire tout ce qui lui vient
sous la plume (une ou quinze pages, cela n’a pas
d’importance). Une fois cette lettre rédigée, le patient
doit la relire puis la signer. Je lui explique qu’il doit
ensuite la mettre sous enveloppe, à l’adresse de la
personne. Et enfin, au dernier moment, je lui demande
non pas de l’expédier mais de la brûler. Il ne doit pas
écrire toutes les lettres le même jour si plusieurs
personnes l’ont fait souffrir. Il est bon de laisser passer
quelques jours, l’idéal étant une semaine, entre chaque
lettre, en procédant chaque fois de la même façon. Quel
que soit le nombre de lettres écrites, la dernière d’entre
elles doit être rédigée par le patient à lui-même. Le fait
de l’écrire en dernier, après avoir « soldé les comptes »,
« mis les affaires en ordre » avec les autres, rend son
contenu plus soft, plus porteur de réconciliation avec soi.
Cette lettre-là, après avoir procédé de la même manière
que pour les autres, il devra non pas la brûler mais la
poster réellement. Quelques jours plus tard, le facteur lui
apportera une lettre écrite par son « meilleur ami
intérieur ». En la relisant, il parachève ce rituel
d’écriture, et reçoit un message de réconciliation. La
boucle est bouclée.
L'efficacité étonnante de cette technique réside dans le
fait que, la plupart du temps, les mémoires émotionnelles
restent présentes en nous parce que nous n’avons pas pu
les exprimer et les accepter. La lettre devient alors un
défouloir sans risque, ne pouvant pas engendrer de
culpabilité, puisqu’elle ne sera pas envoyée. D’autre part,
il faut savoir que ceux à qui nous en voulons, ce ne sont
pas les êtres (vivants ou non) qu’ils sont devenus
aujourd’hui, mais leur image gravée en nous. Le fait
d’écrire et de brûler la lettre permet que seules ces
images reçoivent le message. C'est libératoire et permet,
pour tout ou partie, d’effacer ou plutôt de reparamétrer
ces images et les mémoires qui leur étaient associées.
Pratiquement cent pour cent des patients à qui j’ai
conseillé ce travail (et qui l’ont fait !) se sont sentis
mieux, plus légers voire totalement débarrassés de ce
poids qu’ils portaient. Il n’en demeure pas moins que le
moment de l’écriture des lettres est très souvent chargé
en émotions. J’en avise toujours le patient tout en lui
conseillant d’accueillir ces émotions sans retenue ni
jugement, même si elles semblent négatives. Il est donc
essentiel pour lui de faire ce travail d’écriture lorsqu’il
est seul et tranquille.
Le sens du pardon est souvent difficile car soit nous
croyons qu’il signifie oublier, soit nous tentons de le
réaliser au niveau du Moi. Or ce n’est pas possible. Il ne
peut venir que de l’âme, du Soi, de ce qui est noble en
nous et n’est pas « comptable ». Car pardonner c’est
accepter de perdre un peu, c’est accepter de ne pas avoir
le dernier mot, accepter que la dette ne soit pas
remboursée. Le sens du pardon, c’est le sens de
l’invisible qui nous transcende et qui nous rend
coexistentiels au monde. Il nous réinclut dans l’idée de la
vie et dans la dimension d’humanité qui doit dépasser la
loi du talion. En cela, il ne signifie pas tout accepter mais
accepter que l’être ne soit pas réduit à ce qu’il fait et que
ce qu’il fait de mal le blesse d’abord lui et signe sa
souffrance. C'est un chien qui a peur ou qui a mal qui
mord. C'est un homme qui s’est perdu et a brisé le fil de
son âme qui blesse ou injurie. Le mal qui est l’objet du
pardon est propre à l’humanité et à sa part d’ombre
refusée. Dans un excellent article paru dans Le Figaro,
Olivier Abel, philosophe et professeur à la Faculté
protestante de Paris, écrivait : « Le mal est plus ample
encore, plus cosmique ; si nous enlevions tout le mal que
l’homme fait à l’homme, il resterait encore une plainte
pure. » Le message est fort et rejoint tout à fait ce que
j’écrivais dans le chapitre sur les temps barbares. Nous
participons tous, consciemment ou non et à des degrés
divers, à la souffrance du monde comme à la nôtre. Et le
pardon nous rebranche à cette lumière que l’obscurité
parfois ambiante nous avait fait perdre de vue. Elle n’a
pas disparu, ce sont simplement nos yeux qui ne savent
plus où regarder.
J’utilise souvent une image avec mes patients qui
doutent. Je leur raconte ce que j’ai vécu lors de l’un de
mes premiers vols en avion. Ce jour-là, il faisait gris,
triste, sombre. Le ciel était chargé de nuages noirs
donnant l’impression qu’il faisait presque nuit. Or, juste
après le décollage, nous avons traversé la couche de
nuages et j’ai découvert, ébahi, un ciel d’azur incroyable
dans lequel rayonnait un soleil splendide. Je compris à
cet instant, au propre et au figuré, et j’ai inscrit au plus
profond de moi, que s’il fait parfois sombre, ce n’est pas
parce que le soleil n’est plus là mais simplement parce
que nous ne le voyons pas. Je compris également ensuite
que si je voulais vraiment le voir, il était nécessaire que
je m’élève, que je prenne de la hauteur.
Olivier Abel écrit encore : « Face à cela, dans son
incognito même, le pardon est épique et se tient à chaque
fois au cœur battant de l’histoire, comme un inattendu.
La justice est prédictible, la vengeance aussi. Mais le
pardon est imprévisible, qui néglige le mal reçu pour ne
rendre que le bien. Ce faisant, il rappelle un don premier,
plus radical que tous nos échanges et toutes nos
rétributions. Il rappelle à chaque existence sa naissance
imméritée, la grâce d’exister. Il rappelle un
commencement oublié, un surgissement nouveau. Parce
qu’il accepte de sortir de la surenchère des échanges et
des représailles, des cadeaux comme des violences, il
permet de tout recommencer autrement. »
Que dire de plus car tout est là. C'est en cela que le
sens du pardon, cicatrisant de l’âme, est une réactivation
d’une vie nouvelle en nous. C'est vrai sur le plan spirituel
et également sur le plan physique. Il est le gage par cette
action profonde de l’initiation du processus de guérison.
Sa gratuité, acte sans attente de retour, est ce qui le rend
efficace parce qu’attaché en rien à rien. Il propulse
l’énergie de vie vers la vie et sa réalisation. Il élargit la
conscience de l’être humain pour lui permettre de
percevoir, au-delà de ce nombril qui nous hypnotise tant,
que l’être humain est consubstantiel à l’humanité.

1 Voir p. 127.
Conclusion
Comment conclure un tel ouvrage ? Ce n’est pas
simple car y a-t-il une conclusion au propos ? J’aurais
plutôt envie d’écrire ici une introduction car je souhaite
vraiment que ce livre puisse devenir pour beaucoup une
introduction à la vie. Si nous sommes dans la tension ou
la souffrance, c’est que notre corps cherche à nous
soigner. C'est parce que nous avons plus ou moins perdu
le lien avec notre âme et ce qui brille en nous. Parce que
notre persona, notre Moi, notre Ego ont pris seuls les
commandes. Nous avons quitté le sens de la vie pour
nous contenter, sans le savoir, de celui de la survie.
Inconsciemment, nous connaissons l’erreur mais sommes
incapables de la reconnaître. Alors la distorsion s’installe
en nous, la guerre se déclare, même si le mot peut
sembler exagéré, et pourtant l’état de nos corps malades
le confirme.
Que nous le voulions ou non, il n’y a pas d’autre issue
que de reconnaître cet état intérieur. C'est la condition
sine qua non pour comprendre la nécessité de faire la
paix en nous et avec nous. L'enjeu de l’état de santé est
celui-là. De cette paix dépendent des effets collatéraux
dont nous n’avons pas idée. Faire la paix consiste à
dépasser (mais pas à nier) la persona, le Moi, l’Ego, pour
toucher à l’essence même de l’être. Faire la paix réactive
l’âme et dépasse les petits enjeux mesquins, nous rendant
par exemple capables de tout laisser pour aller consoler
un enfant qui pleure. C'est ce qui fait que nous sommes
toujours touchés par la détresse humaine et nous rend
capables de donner un peu de nous-mêmes. Faire la paix
en nous, réconcilier nos petits Moi intérieurs, nous
rebrancher à la source même de la vie, c’est faire que
tous ces flashs de l’âme, ces moments où nous sommes
émus, deviennent une attitude permanente et consciente.
N’oublions pas que ce qui distribue la vie en nous
c’est le cœur, que ce qui vibre et s’accélère quand nous
sommes émus ou que nous aimons, c’est le cœur, que ce
qui fait que nous avons chaud chaque fois que nous
vivons quelque chose d’intense, c’est le cœur. Lorsqu’il
se serre parce que nous avons peur, il bloque la vie en
nous. Lorsqu’il s’ouvre parce que nous sommes heureux
et en confiance, il propulse la vie en nous. Or le cœur est
le siège de la conscience dans la plupart des Traditions.
Ouvrir sa conscience c’est accueillir la vie. Le faire pour
Soi c’est le faire pour l’humanité. Un vaste chantier dont
il ne faut jamais douter.
Je ne résiste pas à l’envie de vous proposer en
conclusion ce texte de Fra Angelico da Fiesole.

Ami,
Il n’y a rien de ce que je pourrais vous offrir que
vous ne possédiez déjà, mais il y a beaucoup de
choses que je ne puis donner et que vous pouvez
prendre. Il n’existe pas de paix dans l’avenir qui ne
soit cachée dans ce court moment présent. Prenez
donc la paix. L'obscurité du monde n’est qu’une
ombre. Derrière elle, et pourtant à notre portée, se
trouve la joie. Il y a dans cette obscurité une
splendeur et une joie ineffables si nous pouvions
seulement les voir. Et pour voir, vous n’avez qu’à
regarder. Je vous prie donc de regarder. La vie est
tellement remplie de sens et de propos, tellement
pleine de beautés au-dessous de son enveloppe, que
vous apercevrez que la terre ne fait que recouvrir
votre ciel. Courage donc pour le réclamer. C'est
tout. Mais vous avez du courage et vous savez que
nous sommes ensemble des pèlerins qui, à travers
des pays inconnus, se dirigent vers leur patrie.
Ainsi, je vous salue, non pas exactement à la
manière dont le monde envoie ses salutations, mais
avec la prière que « pour vous maintenant et à
jamais le jour se lève et les ombres s’enfuient ».

Merci
Table des Matières
Page de Titre

Page de Copyright

Du même auteur (aux Éditions Albin Michel)

Chez le même éditeur : ouvrages publiés sous la direction


de Michel Odoul

Préambule

Introduction

PREMIÈRE PARTIE - AUX SOURCES PROFONDES DE LA MALADIE

Les causes externes

Les temps barbares

Le syndrome de l’idole

Les causes internes : les sources psychiques

Sigmund Freud

Carl Gustav Jung


Alfred Adler

Les autres traumatismes

DEUXIÈME PARTIE - LE PSYCHISME, UN SOURCIER ESSENTIEL

Comment fonctionne l’esprit humain ?

La théorie des « champs de conscience » de


Gaston Berger

Nocebo, placebo, actions du psychisme sur le


corps, mystères de la vie

Densification et libération

Les processus permettant de comprendre les bases


de la souffrance

Le processus d’incarnation

Le processus de construction de l’Être

Les bases de la souffrance

TROISIÈME PARTIE - AUX SOURCES DE LA GUÉRISON

Science et Tradition

Les réponses de la Tradition


Ce que la science nous propose : la neuro-bio-
immunologie

Esprit et psychologie

Le corps, l’âme et l’esprit

La fin de la guerre, le début de la paix, paliers


essentiels à toute guérison

Conclusion

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