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Le fantas,tique chez Maupassant
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( RESUME
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Les contes fantast~es d~ Maupassant ~'av~rent


., détermf-,'

na~ts dâns l'évol\tion.de la littérature de 'fiction, car ce


, J

!
sont les derni~res créations du genre, comme l'affirme Toda-
/; ,
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rov. • Afin de distinguer les particularités du fà~tastique.

dans l'oeuvre de Maupassant, nous en ferons une analyse thé-

matiqué qui sera le p~inclpal objet de ce mémoire.

A,vant d'exaJlliner les )te~tes en profon~eur, il nous parait


.,
intéressant de faire un 'bref historique du fantastique avant

~Maupassant,. de consi~érer l" influence, sur-"-i, de Schopenhauer,


',", ,
1
et de 'Flaubert, de brosser un ~~pide tableau de l'esprit fin de 1

8iêcle~ et enfin de r~ppeler l'incidence de la folie sur la vie


t.
et l'oeuvre de Maupassant., Ensuite, nous seron~1 en mesure d'a-
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border l'étude 'thématique.


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Les thème's peuvent être reg~oupês se19n trois réseawc bien
. ,

définis. L'eau, l' amour i~Q,ssible,


.···d.
et le rêve forment le premier
.
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de ces résea~x:' ils traduisent la'décevante expérience de l'~is-
.. ,
te~ce et'le~caractère éphémère de tdut essai·d'évasion. La peur,
- , ~' ,
l'être invisible et le, doub~~onstituent
~. ~
le second~réseau théma-
Il ., " " " ' 1 . lit , t-
"

,tique: i~ montrent
. , l'échec des diverses tentatives pour trou-
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"" populaires et
ver une consolation dans les croyances ~é ~,~e
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de l t insolite. La folie et 'la/mort forment le troisième résea,u

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A la ·lum..f~re de notre analyse, tenterons de mettre ,
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A jour l'i~erd~pendance des divers thêmes ~n rapport avec
,
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le chemin tnent de Maupassant vers la folie. D'ailleurs
, cel,le-
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1
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ci est p~ut-ftre l l'origine de la veine tanta'stique dans son

oeU'Vre/l ,

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Maupassant's farttastic short ~~ories seem' to be ~


fic.n tin' the -volu tion of ~ i~.ti~n .:\I~d~ed. ait TOdO;OV" sa id.
~ ' , . ' •
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.they repr~sent the last'ereat1ons of thlS genre. In orde~ to

di.tingui~h the f~nt•• ti~rt.in MauPassant's Yritings. we


, .
will ~~rry out a thematic ~n8lysis whieh w!ll consist in the
, .
main subject of !ur \thesis.
~ 1 -.... •

Before' going'deeply
, .' into the study/of the texts, we believe

it shoula'he i~t~re$ting
to g~ë a short historieal account of
-...
fantastic f.letion J:;>efore ~aupassant. Then, ",·e should consider

the infl~enee of Schopenhauer and Flaubert on the author and


/'
deSèribe the spj~it of "fin ~e siècle". Finally, we will reeall
',' .!) ,
the effect of ma'dness on ~a passant' s' l~fe and works. The~e-

after, we' ahatl be :in, a' 1tio~ ttr ~rdceed to our thematie
. , ~'
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~. ânalysi~. ~ li

, , , ~e ma'in fthemes may.! e divided into three specifie and


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interrelating groups. The ,:irst co~sists in the water, the
.
impossible love and the dream and shows hQW, dèceptiv,e is the~
• r

experience of life and ephemeral the evasion. The second group'


1
, is defined by'the fear, the invisible being and the double and
, r" o

~demonstrates the failure in the search for eonsolatiqn fn a


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strange world and popular beliefs ~ The last one lS cha1racterizcd
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unkno~.
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We will· try~' ,through' our analysl.sf to show 1.


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the interdependence of the varidus


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th~mcs, in relatif)

the development of Maupassant's madness which, has


,
g~ne.rated the fantastic~vein' of hi. works ••• ,l '
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l'ntroduction: • 1
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Ch?pitre pr:emier: . Le fantastique avant Ma,upassant. 3

CJ,apl. tee Il: Influence de


,
SchOp'enhauer et ~
14
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.\
Chapitre III: L'~sprit fin de siècle. 25
,.
< , L • 1
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Chapitre IV: La hantise d~ la foliei 37


1 1
~

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D,EUX;EME PARTiE
/ 1

J Chapitrj premier: L'eau, l'amour impossible et le rêv~.


1 •
Il •
Chapitre ,II: La peur, .ll ~tre invisible et le; double. 83
,
Cl}apitre III: La, folie et la mort. 115

- ,

Conclusion: ., 140

:. Bibliographie: 146

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De tout temps, l'homme a cherché a dépasser ses pro-


pres ites. Qu'il s'agisse de croire en l'existence d'un ""

de conquérir l'univers irtvisible ou d'inventer les

thiques qui peuplent les légendes, on retrouve tou-

jours c besoin de transcender la réalité. Or, la littérature


1
fantastique est un merveilleux instrument qui permet de fran-

chir 1 s bornes' de l'impossible. Pourt!ant, elle ne doit pas

être c nsidérée comme un genre mineur servant d'exutoire aux

cervea nébuleux ou tumultueux, mais plutôt comme un type

de création littéraire o~ les personnages transgressent les

lois naturelles afin de mieux saisir l'inconnu.

Les conte~ fantastiqu~ de Maupassant marquent un moment

important dans la 1ittératur~ d'imagination: ils constituent

le sommet du genre. ' Aussi, l'objet de notre étude sera d'en

analyser les principaux thAmes et motifs de façon à déterminer

~hez lui l'essence du fari~stique. Un tel sujet présente un

double intérêt: démonter les rouages du mécanisme qui régit

~~ If ensemble de ces contea et montrer qu'ils constituent, cha-

cun, l'un des maillons de la-chaine formant Un pan de l'oeu-

vre compU~te: la veine fantastique de Maupassant. De plu~,


,
sans associer étroitement les diff ~t l'au-
~
( teur. cette étude pourra les préoccupations fonda-

mentales de Maupassant. ,
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Nous avons adopté l'analyse thématique car elle nous


1

semble une m~thode,relativement 'objective ~t s'appl~quant

l merveille au genre même du conte. Selo~ Axel Maugey, qui

reprend'Roland Barth7s, ce type de cr~tique,consiste l "met-

tre l jour un réseau organis~ de -rép~tition8, d'obsessions,

qui ne relèvent pas de l'inconscient de l'~criVain, mai. des ,..,

zones pr~réflexives ou extra-réflexives de sa conscience.~ \


..
/ (1) Not~e analyse "sera d'autant plu's significative que nous
. ,
pourrons parvenir ensuite l montrer comment. les th~mes s'or-

ganisent entre eux et s', insèrent dana une suite logique, qui

traduit peut-être l'essentiel de la pensée d~ Maupassant ou

encore son long cheminement vera l'ab1me de la folie ••• /

Avant, d'entreprendre l'analyse th~matique des contes, il

nous paratt important d'examiner rapidement l'évolution du'·

fantastique avant Maupassant, d'évaluer l'influe~ce de Scho-

penhauer et de Flaubert 8U( son oeuvre" de brôsser un tableau

de l'eJlprit fin de sitc,le, et enfin de considérer sa hantise


[

de la ~lie. \
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1

1) Axel Maugey, Poésie et Société'lu Quéhee, P. 121.

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PREMIERE PARTIE

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CHAPITRE PREMIER ,
LE FAflTASTIOUE AVANT ~UPASSANT
.

~omme une riv,iète dont on ne peut déterminer la source

prefonde, la gen~se de l'oe~vre fantasti~ sera toujours \._~ -

baignée ,de mystèz:e. Dans les textes anciens, on d~cêle la

présence d'une aura ~,surnatu~el enveloppant certains faits

singuli,'~a~-" (1)
_, ~ ,,,,
Retracer l'évol~tion du fantastique en-
l , ; " -
, FranCè avant Maupass.nt s'avère'doné une entreprise fort
1 ' , -

4 l '
vaste nous obligeant a déiigliter/d~ façon précise le champ
, 0
..
de ce premier point. i
j 't
~i ' Avec Castex, ~~rov et vax, nous constatons que la
1
~ littérature fantast~que n'a véritablement cdnnu un essor en 1
, 1

-,
France qu 1 à partir d~ XVIIIe sitcle. L~s lecteurs de cet,te
t'
époque'cherchent à ~Ombler aut~ement que ~~ la religion
1

J--

l~~ besoin de surn~turel. Les limftes de la science et les

propos trop ~émyst1~iàn~s des philosophes ne rêpo~dent guère

A leurs interrocja,tto~s sur l'au-dell. Aussi se tournent-ils


vers le mouvement lluministe qui propose de "déchiffrer ~
" ~

"

1) Louis Vax, L" t e e an st' es, p. 73.


'Il mentionne' r exemple la descente d'Ulysse aux Enfers
(Homère), des apparitions de spectres (dans les oeuvres
c tragiques d'E clurle,' Sophocle ~t Euripide), des loups-
garous (Pétro e), une histoire de revenant
, (Pline" lé Jeune).
,? .
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4.

( ... /'

d'autres voie~ lè mystère universel"~) 'if

Di;ciple de l' illumini~te· L.-C. de saint-Martin, ',Jacques

Cazotte (1719-1792) r~alise les lacunes de "nos connaissances


,

ordinaires" et s'intéresse vivement au monde supraterrestre.


(
\
< Si ses-oeuvres de jeunesse s'apparentent au merveilleux assez
, '.
conventionnel des e9n~~s de fées~ en revanche Le Diable amOu-
'/'; t" .

~I paru en 1772, présage le véritable conte fantastique

français, tout en apportant la célébrité a son auteur. L'ori-

't '
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......
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ginalité d cette oeuvre ne provient pas essentiellement d'é-
,
vénements prodigieux ou du fait qu'Alvare soit amoureux d'une

femme étrange (Biondetta)"incarnation possible du diable, mais

plutôt de p~océdés littéraires maintenant l'ambigulté de l'i- .


... ~

dentité de l'amoureuse. caJ~tte a saisi l'art de situer le


'" ,
récit l la limite du possible et de l'impossible: "Il se tient ,.

a mi-chemin entre le récit !éerique


., qui brave la ~aiaemblance

et ~ récit réaliste qui '-écarte le mystère". (3) Toutefois

la moralité édifiante de la fin amoindrit la puissance évo-


1
catrice de l'illusion, faisant de ce conte une allégorie' (au

sens o~ l'entend Todorov). Néanmoins, Lé Diable amoureux im-'


j i·

\
2) Pierre-Georges Castex, Le Conte fantastigue ep Frapce de
Nodier a Maupassant, p. 13.
( 3) Ibid., p. 35.
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s.~ 4 se *w
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(
presaionna éonaidérablement celui qu~all~it devenir le
pêr~ du fan~astique français: E.T.A. Hoffmann.

En 1828, Hoffmann est r~vélé au public français grSce

aux articles de J,.-J. AJÎrpère dans Le G1Qbe et de Saint-Marc


,
Girardin dans la Revue de Paris. Par ~illeurs, Loêve-Veimars

,traduit plusieurs contes de l'écrivain allemand e~ contribue


~ 1
l le faire ~pprécier, enco»ragé par le Dr. Koreff, ami intime

de l'auteur. Llapport de ce sav~nt dans l'oeuvre du conteur

s'avère important: Kore~f lui fournit des précisions sur


)
-la tr~~smission de la pensée et de la volonté, la sympathie

magn~tiquei l'halldIcination, le dédoublement de la personnalité."


, ,
(4) Ces phénom~nes, extraordinaires pour l'époque, inspireront
1

Hoffmann, mais ils donneront également naissance a des thèmes

fantastiques que reprendront léS conteurs français, jusqu'à

Maupassant.

Les C9ntes d'Hoffmann rel~vent du ~ype me~illeux, Bouvent ,6

~ochè , du féerique (par exe.ple:"Le vase d'or u ) .


~
Cependant, ses

récits semblent parfois dotés d'un~.ens connotatif rrodudsant

chez le lecteur
, une hésitation entre le sens littéral et l'inter-

,.
4) Pierre-George~ Castex, Le Conte f,nta~tiqy7 en France
q( de Nodier à :Maupassant, p. 43. ~ifJJ
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6.

( Q

prétatio? allégorique. (5) Dans la plupart ~.es contes, •

dêtails réalistes qui ~~ pour effet

de r ndre vraisemblables les événements surnaturels. Il nous

conduit peu l peu aux confins de l'univers visible et nous

fait p~nétrer dans un monde réqitpar des lois inhabituelles

défiant la raison: désormais tout devient poswible. ~'au-

teur exp~ore l'intériorité de ,1:' homme, il nous fait percevoir .". )

, j
ses mystères et vivre ses ang,oisses~ainte-Beuve a vu juste

en affirmant:
, "Hoffmann a -r~anspos~ l~ merveilleux dans l'âme
.- .. ,,' ~

humaine ( ••• ) il a suggéré, pour rendre ~ompte des phénomènes

qui nous surprennentj des explications. déconcertantes pour la

science positive et cependant


, plausibles". ' (6)

Avant Hoffmann, Charles Nodier avait déj~rOduit des oeu-

1,.vres fantastiques, ignorées,


• il est vrai, de ses contemporains.

Dans ~Une Heure ou la Vision H


, ert 1806, il exprime une concep-
( ,
tian de la folie que l'on retrouvera , "dans
'
Aurélia de Nerval: ~
Q

elle s'avère peut-être une faculté ,·supérieure permettant une

5) Dans uLa Nuit de la Saint-sylvestre·, le reflet perdu


l la suite d'un pacte avec le diable parait' illustrer
les conséquencés d6sastreuses que doit affronter l'h~
me dépouillé de sa "dignité sociale". ..

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\ 7.

exceptionnelle lucid~té des @tres, des'ehosea e~ mOrne de J

11 au-delà: uOllt! sais-je, infortuné qu'ils appellent fou,


\.-

1)
ai cette prétendue infirmité ne serait pas le symptôme
\ '
. dl une sensibilité plus énergique, d'une\\,rganiaation plus

'compl:àte, et si la nature', en exaltant tolites tes facuLtés,

• 'ne les rendit pas propres A. percevoir l'inconnu?" ,.,(7) DI au-

tre part, l'univers onirique préoccupe Nodier qui y voit une


o
transposition des angoisses de l'homme. Dans Smarra, il se

propose 4e dévoiler les méandres de l'inconscient assailli

4 par des songes inquiétants. Ecrit dans un style raffiné in-


'- accessible au public populaire et méprisé de l'élite au nom"
'\.
du bon goet"ce conte est ignor~ des lecteurs de l·~poque.

Nodier abandonne alors le fantastique et n" y reviendr.a qu'en

1830.

La-connaissance d'Hoffmann et surtout T'av~nement du ra-


.-
mantisme favorisent la liberté d'imagination, et partant,

1f esso,r du fantastique. Ce genre devient très populaire pen-

dant les années 1830-1833, consi4jrées comme son ~ge d'or. No-

dier bénéficie de cette ~volution et se consacre définitivement

à cette littérature d'imagination. Il se réfugie dans le monde

7) Charles Nodier, Contes, p. 21.

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des sO,nges et crée La Fée aux Miettes, en, 1832. 'Ce conte / .
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fai~ partie du cycle des Innocents, dont Michel, le héros,
/
représente l'idéal humain de l'au~eur. Ce personnage doit
..
affronter des épreuves symbolisant les affres de la vie
1 "

: , quotidienne, et qui risquent de compromettre son idéal de

pureté. En cueillant la mandragore, il triomphe .de ces

difficultés et trouve le mçyen de confon~ rêve et réa1it'é',

d'o~ i~ atteint le bonheur. Nodier livre 'A cette éPoque la

raison qui l'incite A écrire: MIes cdntes sont à ses yeux

la ~eule compensation valable aux soucis qui dévorent la vie


" 1
réel1e. N (8) I1 voit même 1d littérature "frénétique N (dont
r

il est l'~n des pionniers en France) comme un instrument per-

mettant d'exprimer Uce tumulte intérieur N qui se manifeste , 1

. "
1

dans "nos songes nocturnes".

si Nodier privilégie le rêve en peignant l'inconscient'


J '" 1" ) 1

tourmenté de l'homme, Balzac observe et décrit celui-ci dans


.
sa recherche de l'Ab.o1u. Dès lors apparatt une dimens.i~n

trop souvent ignorée de l'oeuvre balzacienne: son aspect

8) CitA dans Le Conte fantastique en lfADce de Nodier A


Maupassant, ~. 67.
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9.
1
1
• 1
~i8ionnaire. ,(9) Ain~i, Balzac est-il fasdinê par les
~
r-r--
rapp'orts de l'être humain avec les forces du bien et du mal,
.
ale. premi~res enq~ndrant une sorte de mysticisme poétique,
" . comme
,. dans Annette et le criminel Wann-Chlore, en 18231
. . ~

les s~condes, beauc~up plus impressionnantes, rêvélant~a

" .. 1
PhiIQsophi~.de l'auteur ~8ée sur un "désir de domination " 1
1

universelle·, çomme dans Le Centenaire, en 1822. Si Balzac


~. 9

es~ tellement fasciné par le magnétisme, c'~t peut-être


. .,
qu'il y voit l'instrument ~e c~tte.do~natron et la possi-

bilité de déchiffrer les mystê~es de l'in1onnue (10) 'Le


récit qui paratt le mieux montrer l'oSMOse entre la peinture
... _1.iII 1 ) ...

1
de la vie et la veine i~ntastique est sans aucun doute La
j ...,! lM JO,

Peau de chagrin.

! ~ Bien que Todorov perçoive justement" ce récit ne


1 .

allégorie, en raison de l'inscription gravée. sur

("Si tu me possêd~s, tu posséderas tout. !o\ais


."

'\~
1
9) On oublie souvent que Balzac fut influencé par les
doctrines illuministes et les rechercpes sur le ma-
qnétisme.

10) "Le magn'tis~ n'~.~ que l'ascenAant' irré.is~ible de


l'esprit sur fa matière, d'une volonté ·~orte et immua- ~
ble sur une Sme ouverte l toutes les ~re~ions. ~Avant
peu, je posséderai les secrets de cette puissance mys-
( thieuse'. Je contraindr.ai tous res hommes. A m'obéir, ~
0

t~ea les femmes ~ m·aimer ••• • (Cité dans Le Conte


fantast1gue en Fran~ Ae ~odier l Maupassant, P\ 173:
.
10 •

.( { .
partiendra" (11) ), il re,,~que l'étrange antiquaire,

l'atmosph~re s~liêre de sa boutique et les événements


_0-

pro'digie\.pC que vit Rapha~n baignent dans une atmosphère


, 1
surnaturelle, d'o~ un type de fantastiqUe dépassant les

catégories de Todorov.
l ' Autrement dit, le
, '
~antastique de-

vient ici la baquette magiquè de Balzac pour transcender

la'réalité, et la boule de cristal du visionnaire, dévoi-


~

lant une dimension de 1.' univers ignS?rée du vu gaire; l' hoU\-

me et le monde apparaissent dotés d'up "halo magique" (l'ex-


-1 . .
pressi~n est de Castex), signifiant les inte férences du vi~~
~

. ~8IbÎ~ et de l'invisible. C'est peut-être c qut confère aux

..
personnages-clé de la Comédie humaine cette terrifiante gran-
j
1
Vers 1833, le fantastique connà1t une période de réac,tion

et d'équilibre et les oeuvres se font plus rares. Désormais,


}"\
on s'attache davantage au "Bouci de l'oèuvre bien faite" plu-
o,...! , 0 /

t~t qu'l la "signification mythique". (12) Dans cette opti-


.,4"" ." ./
1
It"_
.!i '
; quèt on retrouve Inès qe La' Sierras, de ~?dier, en 1837. Les
,. .\
faits apparemment B~rnature1. sont élucidés dans la seconde :
i ;
,
y
11)
~

Balzac,
. La Peau qe cbaqriQ. p. 88.
" 0')

'-./' ' 12) Pierre-George8Cas~ex, Le Conte fantastiqye en France


Se Nodier à MAupassant,_ P. 88.

: '

\
, ,
1 •

Il.
(,
(
\
pàrtie du conte,
, d'on la destruction de l'illusion et la

preuve qul! ·le fantastique peut na!tre d,e procédés purement

littéraires. Par ailleurs, La morte amoureuse (1836), de

Gautier, , traiterd'un 'sujet traditionntL,rappelant Le Diable

amou,reux de Cazotte: ~la femme aimée est-elle "ange ou ~6é-


., mon 1, Seulement, la valeur de ce récit réside surtout dans
ft

S8 forme et, plus précisément, dans sa façon de susciter "le

vertiie et l' horreur du néant"., (13)


J.

La Vénqs s'Ille s'avêre· peut-être le chef-d'oeuvre du

genre 1 11 époque. Le conte débute l la maniêre· dl une cl)ro-


1
1
( \

nique de voyage, Mérimée ayant toutefois soin de placer des ~

indices (concernant directement ou indirectement l'étrange

statue), qui donneront une extraordinaire puissance à l'éclat

de la fin. Graduellement, le fantastique Si insinue, dans la.

réalité l l'insu d~,lecteur grace l l'intelligente utilisa-..

tion de la modalisation et,fes tentatives d'explications qui


- • /. 1 . '

laissen't planer le doute. Ainsi, le style, paratt tout simple .

alors que rien n'e,t laissê au hasard. L'individu l~ plus


1

inc'rédule' ne peut s'empêcher de ressentir un fri,son de terreur


1 •

13) Ce jugement de Baudelaire est cité ~i Castex dans Le


~QDte fantastL;qe en Frlnce de Nadie;'! Maupassant,
( p. 227. La moralité de la fin nous fait songer, A celle
~

du Diable amoure~ et tend A abolir le fantastique, le


réduisant à une simple allégorie. ~

"
/
. "t -"' .......
-,~
6
-~ .... ~~~_ .......

12.

"

en 1iaant La Vénus d'Ille et l'auteur atteint son but:


o ,

-Cette adresse l, rendre un prodige vraisemblable fait

partie selon Mêr~ée lui-même de la poétique du genre.- (14)


:'
, , ,

L'avènement du po.iti~isme vers '1850 risque de menacer


, ,
i llessor dU"fantastique. Auguste Comte" et l'tenan se récla-

ment de la science pour éclairer les .ystares de l'univers,

et ils dénoncent les théories explica1;ives provEtnant de


\
f

II i~qinat;on plut"t que""de 11 observat~oti. DI autre part,'

les magiciens et Woccultistes proclament la rigueur de

leurs ~êthodea et publie~t les résultats de leurs réchercnea.

Finalement, ces deux mouvementa opppsés


, '
contribuent au ra-

nouveau de la littérature fantastique: les conteurs alins-


,', , .
pirent d~s hYPOthêse' scientifiques et des propos des mages,

les occultistes qui prétendent posséder la connaissance ,uni-

/
·verselle. La parution des oeuvres d'Edgar Poe (traduites
1

adœ~rablement par Baude~ ouvre de nouvelles perspectives.

Poe crée ses oeuvres l par~ir de phénomènes étranges


1
(v6cus par le héros dans des circonstances particuliêres)

donnant lieu l une perce~ion ~riginale des relations entre

~4), Pierrè-Georges Castex; Le Conte fantastique en France


\
de Nodier ft Mauplssant, p. 283.
(
. .
/ .
Il •
..

((
l'homme et l'inpo~ui Il s'intéresse ". toutes les expê-
"" riences et l toutes les aventures êtranqes qui se trouvent

Al liées, aux effets de la curiosité scientifique, de 1 t ivresse,
t ' ,..

de surexcitation nerveuse, de llangoisse mêtaphysique ou

de folie." (15) Dêlaissant la féerie et la'léqende, il

va us loin qutHoffmann en êtudiant ces phénomènes A la fa-


,r·
çon • un clinicien. On retrouvera nettement ce type d'ana-

contrs de Maupassant inspir's par le thème de~

(Cf. "Lui?", -Un fou?", -Le Horla" et "Qui sait?-).


",

De Cazotte • Maupassant, la littêra~ure fantastique s~


1 , -r

'ble avoir êvoluê du merveilleux féerique vers un "fanta.~~que


~ ".. ..
l " " .. ~:
psychologique" (selon l'expression de castex), autrement-dit,
1

d'un fantastique extrinsêque I(influânt sur le héro~, du récit)


1

l un fantastique in~rinsêque (la co~science et la perception


~

sensorielle du hêros transformant sa vision du monde et de

l'au~dell'. Les conee.rf~:astiques-de MauPassant m&rqu~nt


. .- ~-
le point culminant de cettt.~ 'rol\f'tion et se rêvèlent parti-
~

culiêrement intêreasants dana l'étude du genre fantastique


(J
1 C', ( ;

dont' ~ls
~

.ati8fai~Dt8.
~ ..

lont l'un des "derniers exemples esthêtiquement

d'apral ~dorov.
~ /
.-
-,'

( 15) .iarr~rge8 Caltex.


AI Nodier l Maupassant,
"Le Conte fantastique
p. 103-104.

j
r 0
.,
~'l ......r~~, ....Oji_""____~_
..... ~""".___",.""", f..'-,..-"'lH ........ , • .---'" "',~_ ..... "'_

",

,,",
r CHAPITRE 1 l,

INFLUENCE DE SCHOPENHAUER ET DE FLAUBERT

Après avoir montré l'évolution du fantastique avant


\
, . .~-
Maupas.ant, il nous paraIt important d'examiner l'influen-

ce de Schoperihauer et de Flaubert sur son oeuvre. ~s les

premiê~a ann'ea de .~ vi~, Ma4r-aaant est profoadément


1
boul~' par les nombreuses et violentes querelles entre

.es parent-S qui se sé~re'nt d~s a,prês l~ nai.sance de son

frère Hervé. Plus tard, il réa~ise que ce climat de dis- /

" ,
corde a largement contribué 1 créer en lui ce llpeslfimisme'
j "
atroce qui asspmbrit sa pensée Il , (1) et manifeste de ae
façon voilée ou e~plicite dans toute son oeuvre: i'inJl~en­ t I,

ce de Schopenhauer et de Flaubert aecentue eette tendance. //

...
Dans aa nouvelle intitulée "Auprès dlun mort·, en 1883,

Maupa.sant exprime aon' admiration po~r Schopenhauer, par le

truchement du narrateur, .et. il affirme que "ce; philoaophe est

Il le plua grand .. accaqeur de' rêves 'qui ait ~,~a' sur la 'l'terre."

(2) Le penseur allemand conçoit le ftÎondf( comme une" repr6sen- , :

,
1) Albert-Marie Sehmidt, Mauea,sant par lui-même, p.9.

2) ·A~prêad'un mort", dana Le, contes faijta.tique. completa,


p. 154. (Au cours de cette étude, nous citerons le titre
( de. contes et les pagea sans rappeier celui du recueil,
car no~ utili8eron~ toujours l'édition dè la collection
Marabout fantastique.)
\,
r \
, ,

____ -- _ 1

15.

(
tation perçue par l'intel~igence. Cette représentation existe
C'"
en fonction d'Une volonté:,' le "voulolr-vJvre". Autrement dit,
"

l'homme est victimè de ,"l'universelle illuaion"7 il doit af-,

fronter le mal et la souffrance, conditibns de la vie même. Il

se servira de son intelliqenc~ pour se libérer de l'emprise des


,"
,passions et cultiv,r la "nostalgie df néant".
~
Maupassant es,t incapable dl at~e' dre cette sorte de Nir-
L '1

\
1
v3na, en niant l'existençe de Dieu et en re~onçant aux pas-

sions eni vrant~s mais destructr1ices. Peut-être a-t- il été


'~
conditionné par l'éducation religieuse de son enfance ou peut-
,
être a-t-il instinctivement la foi ••• ~ Malheureusement, il ne
'"-'?" '
peut donner un ~ens A sa vie en songe~nt l,un bonheur possi-
t

ble aprês la mort ou se consoler par la prière ,en gardant l'es- ...
. 1 i

poir d'un avenir meilleur. Aussi se révolte-t-il contre l'Etre

divin qui, selon, lui,' permet la misêr.e h~ine 'et jouit du ma~-

he~r des hommes: "Dieu, Monsieur, c'est un ma~acreur. Il lui

..faut tous les jours ~es ,morts. Il en fait de toutes les façons

pour mieux s'aJJlUser." (3) ~s lors, Mau~ •• ~~t consid~re le


\'~
,
suicide comme une solution tout-A-fait légitime-: il pousse

même l'ironie jusqu'A imaginer dans l'un de ses ,contes, "L'en- " 1

1
( 3) Cit' dans Maupassant par lui-~me, p. 73.
"
16.

dormeùse",une "Oeuvre de la mort voiontaire" qui offre aux


~ it. 1 e moyen de mour1r
d eses~rc~
it. • - en douceur.
.l)

\
, (

Devant une métaphysique aussi 'fataliste, ~'amour, ou


• j

Iplus précisément la femme, aurait pu s'avérer l'instrument


"

du, salut. Pourtant, ~'auteur adopte,à son égard l'attitude

de Schopenhauer qui démystifie l'éternel féminin, ce "piège

immOnde"', et la maternité' qui perpétue de génération e.~ gê-

nération l.es maux de la race humaine. Maupassant peint sou-


.
vent les hêrolnes de sea contes d'une façon dévalorisante.
)
Ouand elles sont dotées d'une apparence a9r~able, ell~. ca-

chent presque toujours une 3me perfide ('·La morte"), super,-,'

\ ficiellef (·~dame Bennet") ou démoniaque ("La mêrl aux mons-

-,.
, tres").

projetant une
cert~s, quelques-unes font exception

imag~ idéale et ~me


"
sacrée:
a la,rêgle en

cependant, ces
f

sortes de déesses demeurent inaccessibles, échappant a la


possession p'hysiqup"..,...çar elles sont mortes ("La chevelure'"
, . 1/ , "
ou n'existent quten rêve (la qu@té de la femme exceptionnelle
( , , ' r

dans "Un cas de d,ivorce"). Ainsi, l'auteur plâce' dana lfa bou-
'.
che ~'iun de 8es héros ce: qui semble aa propre vision d~ l'amour:

"Il faudrait, aimer', ~~r éperdu~~t, sans ~oir ce ~'on ~e.


Car'voir c'est comprendre, et comprendre c'est mépriser. Il

faudrai~ aimer,
r , ,
en s'enivrant d'elle pomme on se grise de vin,

"
r ."
- "

17.

, c
, \
de façon l ne ptus savoir ce qulon boit. Et boire, boire,
o , "

boire sans repr;endre haleine, jour et nuit~" (4)

Qu'il s'agisse de sa vision du monde, de l'apologie du


•1

néant ou de l~ conception de la fe~, Maupassant voue un

culte i scho?en~uer probablem~:mt ~rce qu 1 il trouve dans sa 'l'

philosophie ~ne justification de sa propre existence, sans y

puiser un rem~de ~ ses tourments, sauf lé goQt du suicide.

, , OUtre le pessimis~e de SCho~nhauer~u~ssan~,est con~idé­


rable~ent impressionnê par celui qui allait jouer un rOle ca-
,
pital d~n8 sa vie personnelle et littéraire: Gustave'Flaubert.
J'

AveC/Flaubert, Maupassant prend véritablement conscience de

'la b~ti.~ humaine


1
engendrant la\soli:ude et l'incommunica~ilité.
Dans. un~ lettre datée du 26 d~embre 1879, il confie ses dési11u-
/
sions ! son, prote~teur: -Je vois des choses farces, farces, far-

ces, et d'autres ~i sont tristes, tristes,' tristes: en somme,

tout le monde est bête, ~te, bête, ici comme atlleurs.- (5)

Toutefois, en ,Jl!'équentant ce }1rand ami de sa m~re, il aCfliert

,
4) ·Un cas de divorce", p. 251,.

5) "Ci~
Ma~ssant,
da",. Le'p.coote fantastique en France de Nodier.
367-368.
1

( ,r
.~
f _,.
t ,\ ,~

..
M ,.
• ...
la.

non seulement llaffectio~ _dl un père adoptif (6), mais il \

'pro{ite également des pr~cieux conseils dl un map:re. '

-
Les rapports amicaux entre Flaubert et son "disciple"
-
solit carac;:t~risés par la considération' mutJelle et ~a fran- o
..
chise ta plus totale. Enclin l lloisiveté, Maupassant a be-

soin dl @tre etiImllé afin dl aller au bout de ses capacit.és.


.
Si Flaubert aime bien 11 entendre raconter ses aventures galan-

~es de canotier et "dlalcoviste", il le met cependant en garde

contre les excês physiques, pOuvant nuire l~son travail litté-

raire: ~'Trop de putains~ trop de canotage!' ):rop d' exercices~ ,.

ou i , ............--/. '• "


IŒ1lUtl.eur (7) De p,lus, c'est lui qui l'incite à con-
,
sulter un médecin quand ses premiers ennuis de santé apparais-

sent. Aussi, Maupassant sera-t-il profondément, bouleversé par

la mort de Flaubert en 1880, car il perdra un "irremplaçable

6) On a soupçonné MaUfilssant d' @tre le fils naturel. de


Flaubert. Dans Maj1œssant le "bel-ami", Armand 'Lanoux
cite un passage fort troublant d'une lettre de Laure de
-Maupassant l Flaubert, dat6e du 10 octobre 187·3:" ( ••• )
le jeune homme t l appartient de coeur et dl ame, et moi, ,

.e
je suis comme lui, toute tienne, maintenant' et toujours. J'

Adieu, mon cher compagnon, je tiembrasse de toutes mes


forces ( ••• )W Et Lanoux ajoute: "La formule 'est vive,
\
chez une femme exaltée. If (Ibid., p. ,131.)
1 , ~ \

. : J: .
1r1'Lettre de Flaubert l Maupassant,
() .
18 juillet '1978, cité·
par Castex dans Le Conte f antastl.gue en France de Nodier
l Maupassant, p. 367.

\ t
','
r "

1
, 19.
1

soutien".

r
En ce qui concerne l'aspéct in~ellectuel de leurs re-

lat ions,' Flaubert n"'impose aucune r~gle l son élève, il

essaie plutôt de lui apprendre l découvrir et exploiter.

ses propres ressources. Les années 1872 à 1880 s'avèrent

importantes dans l'évolution littéraire de Maupassant puis-


-

qu'il s' ~plique l perfectionner son art. A cette époque,


\

il travaille au ministêre de la Marine, puis au ministère

de l'Instruction publique; ses fonctions lui permettent

de fournir plusieurs renseignements l Flaubert pour Bouvard

et Péçuchet. En retour, celui-ci lui révèle "certaines re-'

cettés'I du métier dl écrivain.

Sous l'autorité de Flaubert, Maupassant réalise l'impor-

tance de l;.rbservation. et plu. préciJ-nt de la juste"per-

ception visuelle. Autrement dit, i l s'attache« a entratner


"
son regard, c'est-l-dire l rechercher et • mettre en lumdère
.
une nouvelle facette des @tres et des choses. Dans sa préfa-

c.e l Pierre et Jean, i l exprime ce kint de v\e qu'il a s\l.re-

ment déduit de l'enselqnement flauberlien: "I) s'agit de ,ra-


, ~
-~
garder- tout ce qUI on veut exprimer assez longtemps et avec as-

aez d'attention pour en découvrir un as~ct qui n'ait été vu


( et dit par personne. Il Y a, \dans tout, de 11 inexploré-
, (.~.)
~·t
, . .
J
r ~.,. 4~111t~3~ "'''J~,'i''''j..'''t". "''''~'''''F''''''''t,'' __ ~'''''''''' . . - ..... '}

20. ,,-

La moindre chose contient un peu d'inconnu. Trouvons-le.

( ••• ) c'è~~' de cette façon qu'on devient original." (8)

Ainsi, la notion d'originalitê ne s'avère pas simplement

une qualit~ naturelle mais elle peut s'acquérir par la per-


:.

sévérance et le" travail assidu.

Outre l'observation, l'assiduité l la taché et l'oriqina-

lité (acquise ou innée), MauPassant semble avoir adopté l'i-


. \

dêal proposé par Flaubert: pour s' en rendre compte, on peut

comparer les principaux éléments de la théorie du roman for-

mulêe dans la préface de pierre et Jean et les "condi'tions qé-


/

nérales de l'art du romancier- selon Flaubert (mentionnées dans

Les grandes doctrines litté.aires en France (9) ).

t
Pour Flaubert, l'objet du roman est la peinture de la vie,

.mais nullément â la façon de Balzac qui, par souci de rêalisme,

accumulait souvent une multitude de détails pas toujours indi8-

pen'sables. Certes~ l'auteur de LI Equcation ,entimentale re che r-'


J
;

l, {J
8) Prêface de Pierre et Jean, P.• 19-20.

9) , Il est important de notér que Flaubert n'a jamais exprimé


f
\-
ses idées sur l'art ra.anesque de façon ~tique: l'au-
teur de cet ouvrage a établi ces données , partir du vOl:u-
me de Ferr~re, l'Esthétique de Gustaye F~rt, et de ce-
lui de H. Frejlich, FlavR!rt 4'apr~, sa cgrrespondance.

" .
r
,.
?

;..,J
.1
1
t
21.
\ 1

che ~e fait vrai: seulement, pour le d~crire, il ne nég~i-

~j~is la beaut~ esthétique. En effet, Flaubert privilê-

qie "la ~alité de l'expression~r il est persuadé (comme


Buffon et Boileau) que la forme et le fond ne uvent ~tre

dissociés: "Pour moi, tant qu'on ne m'aura pas, 'une phrase

donn~e, séparé la forme du fond, je soutiendrai qu ce sont


/
) ,

la deux mots vides ~e 8~ns. ~1Y a pas de belles nsées


sans belle forme, et réciproquement." (10) Même ,dans la pro-

/
se, il est d'avis que l'écrivain dbit se soucier' de la c dence
,!

et de la sonorité, ,modifiant le style "suivant les choses

veut dire".
V

La théorie de Maupassant sur le roman objectif s'inspire de

la vision flaubertienne: l'artiste doit s'appliquer a "donner


1 ~

une image exacte de la vie", respectant)a vraisemblance définie

en ces termes: "Faire vrai consi8~e 40nc l donner l'illusion

complête du vrai, suivant la logique ordinaire des faits, et non

l le~ranscrire servilement dans le ,pile-mille de leur succession."

(11) Pour atteindre ce but, il respectera certaines exigences: l, \

"particulariser nettement", éliminer l'inutile, ,grouper subtile~

.;10) ci.i.k, 'dans


p. t 22 l.
(
l~) Prêface de pierre ,t Jean, p. 12.

,,.t.'~~looIql",,,_
-~---- Q

22.

( ,
ment de petits faits desquels 6manera "le sens définttif de

l'oeuvre". Toutefois, comme Flaubert, Maupassant ne croit

pas que, le roman doive comporter' une "moÎ'âle explicite" ou

exister en fonction d'une thèse politique, sociale ou reli-

gieuse. Le maltre dira que les personnages, tout en ayant

~e identit~ !propre, représentent "l'image dlun groupe hu-

main", son disciple exprimera autrement la même idé~: le '

roman révélera "ce qu'est l'~omme' contemporain".


, 1
1
1

:J
ans une telle optique, II inipàssibilité de lllécrivain
. \
face l'objet de' sa description devient une condttion pri-
\ .
mordiale de II impartialité. Ainsi Flaubert éprouve-t-il de
~
la répulsion gour les créateurs "qui étalent leurs émotions
1
dans leurs. oeuvres": "Farceurs! Farceurs! et triples 8a1-
f
timbanques, qui font le saut .du tremplin sur leur propre coeur

pour atteindré à quelque chose. Il (12) Pourtant, bien, qu'il


"

t nde vers la totale'obje~tivité du scientifique, l'artiste

ne ut que se substituer plus ou moins à tous ses personna-


/'

ges, 'est du moins l' avi~ de Maupassant. Afin de pallier

1 cet in onvénient, il proifse de dissimuler la psychologie


1 \ ' ,

des ~tres· évitant "toute dissertation sur les motifs".

12) Lett~e l George Sand du 10 aoat 1868, citée dans Les


( gondes'~ doctrine', ItttéraiJ;:es en France, p. 224 •
. ' 1

"
rr-------~· ----
~ 'r~' ~-~~.. P'iP~,..,.;y_t ..1f< ,. .... ~ ... ""'*...")''\.I,''~~-.,.,.,

23.

(
Ainsi, le récit suscite davantage l'intérêt du lecteur et y

gagne' en authenticité: "Les €crivains objectifs ( ••• ) cJchent

donc la, psychologie au -lifu, de l'étaler, ils en font la carcas-


(
se de l'oeuvre, comme l'ossature invisible est, la carcasse du

corps humain. Le peintre qui faa.t notre po~it ne montre ~as


\
notre squelette." (13)

Sous les instances de Flaubert, Maupassant ;orrige et par-

fait sans cesse ses textes: désormais, il poursuivra sans re-

lache l'idéal de son ma~tre. Il conçoit ses contes et ses nou-

velles comme des "exercices de contrôle lt ~t excelle particuli~-

rement dins ces deux genres; En effet, le 16 avril 1880, Flau-


/
bert l'ayant pré~enté à Zola, il collabore aux SOirée~
:;;>'
Médan
/ en publiant "Boule de Suif": il con.qatt aussit6.t le succàs et

s'orierte définitivement vers la carrière d'écrivain. Bien que


l, "
ce requeil soit considéré en quelque sorte comme le manifeste,
"
du mouvement naturaliste, Maupassant rëfuse, d'~tre aSsocié de

façon systématique "l ces ~tises d'école naturaliste". En

fait, tout en n'adhérant officiellement 'l aucune école, il sait


i
~ puiser dans le réalisme et le naturalisme les éléments nécessai-
!
,
l
-r.:~
,
<;
res A l'élaboration de sa propre théorie sur le roman objectif.

13) Préface de Pierre et Jeap, p. 14.


(
1

Û
, r" '" -,'

~\

24.
l
o ,
(
Puisque Flaubert approuve le manuscrit de "Boule de Suif"

(14), on peut en déduire qu'il y tf0uve une illustration de sa


.' .
propre conception de l'art littér~ire,.et la satisfaction d'a~

voir transmis l'essentiel de ses connaissances! Maupassant.

A la lumière de ,notre brê~ analyse, nous sommes tenté ~e con-

clure que la prêfalce~ Pierre et Jean (surtout en ce qui con-

/,~rne la th60rie dU,~oman objectif) s'avère @tre la-somme des


.'
,ensrigne~ents' de Flaubert, tirés des conversations et de la

correspondance entre les deux écri~În8: Le principal mérite


i
,1

de Ma~passant serait alors d'avoir formulé de manière exp1ici-


~
te l'essence de la conception flaubertienne de l'art romanesque
"" ' ,

et d'avoir su l'appliquer. Une *~lle constatation ne doit pas

nous emp@cher d'apirécier le talent et les créations originales


-
du conteur, mais nous a~de plu~t l mesurer 1.1 indubitable influ-
/'

ence de Flaubert sur son oeuVfe;


1

j
r

.
i
~
'i

f• f '

["

14) Préface de Pierre et Jean, P. 14: Ir' 1

·O'est ~ien original de conception, enti~re~nt biep 1

compris et d'un excellent style". Lettre de Flaubert


a Maup&ssa:nt du 18 février 1880, citée dans MauPAssant ,,-

/'
par lui-mime, P. 77.
1 \ 1

r
1

( CHAPITRE III

L' ESPRIT F~IECLE l'_

Si SCQ\,penhauer et FlaUbertl• ex~ent une inflùence consi-

d~rablè s,ur \~upassant, à quel point est-il touché par l'es-

prit fin de siêcle? .Son valet de chambre, François, ~ noté

qu'en novembre 1890, l'écrivain réalisait que son oeuvre, dé-


/"

passànt,la fiction, allait cristalliser les multiples facettes


, 1
de toute une époque: -"Il ne doute pas que ses 6crits rendent
,.À/

compte d'une certâ'ine actuali té, ma~,. en'core, par l'effet dl une
sorte d'intuition prophétique, indiquent' l'évolution qui doit
+ 1

transformer les moeurs des Français au cours du vingtième siê-

cIe. If (1)

" Les débuts difficiles de la Ille République (l'émeute de '

871, la Constitution de 1875 instaurant un rêgime parlementai- '

re, la crise boulangiste), les,nombreux scandales jetant le dis-


,
crédit 'sur le Gouvernement (l'~ffaire ~s Décorations, celle de

Panama, 1 affaire Dreyfus) et la corruption d'une société avide

de dive~tis men~s font généralement percevoir cette 'fin de siè-

cIe co~ une ériode de déc~dence. En fait, il 8'ag~t plutôt


1
1

l~ Albert-Marie
partir ~s~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~o~i~s
(

/
1
--. 1

i
1

, ,
alune époque de transition annonçant l'avênement d'une êre

nouvelle.

Certes, une partie de l'aristocratie se complaIt dans tl1' oi-

sivetê, l'influence des courses


." , et la vie de cercle" (2) qui
(
contrtbuent l son déclinr cependan~, elle rêgne encore sur les

salons, acceptant ou refusant dans la "bonne société" ceux qui

y aspirent. Par ailleurs, la bourgeoisie'~ontinue de jouer un


.A'

rOle de plu~- en plus impdrtant dans la société'française, ~~e

aprês II établissement du suffraqe un'ivers~l en 1848. Les bour-

t. geois cossus essaient ~e modeler leur existence sur celle des

aristocrates et rêvent de faire leur entrée "dans le monde".

D'autre part, les petits bourgeois, composés essentiellement

de commerçants, de boutiquiers et de "fonctionnaires sans es-

poir~, développent (selon Maupassant) un gont mo~bide pour ilar-

gent qui les métamorphose en rapaces: ces gens de condttion m~

diocre espêrent ainsi se libérer des contraintes d'un travail a-

~brutissant et, partant, accéder au bonheur. Somme toute, boule-


,
\
versés par le proqrês apportant trop de changements brusques,
6
les Français éprouvent un sentiment d'insécurité et cherchent'i
l{ s'évader par toutes sortes de divertissements.
.
/.

~ ( "
2) .Philippe Jullian, Jean Lorratn ou le Sat&ricon 1900, p. 92.

J'
~

ri
; .....12 Sibi2&321 h Ji :

',27.

(-

Pendant la saison estivale, des mondaines, ~~Sl

des femmes entretenues et leurs protecteurs envahissent la

cOte normande (1 Dieppe et surtout A Etretat). Dans les casinos,

ils assistent aux opérettes d' Hervé et de Lecocq,' valsent et .


1 1
,\ ':/"
"risquent quelques francs aux petits chevaux". Ils se promènent

en break, jouent au tennis, et s'adonnent a la p~che aux crevet-

.. tes ou l la baignade. Par ailleurs, à Paris, Morttmartre devient

vers 1885 un dés principaux points d'attraction. On y trouve des

théâtres, des music-halls et des cabarets.


~l

ta jeunesse qui fréquente ces endroits es~aie "d'éçhapper à

la pression du matérialisme par des contes bleus, l'occultisme,

une sorte d'érotisme noir, un mysticisme souvent charlatanesque,

ouipar la simple mystification." (3) Outre la vogue de l'astro-

l6g'ie et de l'alchimie, on assiste donc l un- véritable engouement 1

de la ,population pour l'occultisme et les PUiss~ce~stéri~uses:

,.
9,5néralement peu séduit par le merveilleux divt, on préfère vouer

1 un culte A S~tanl, multipliant messes noires et sabbats.


.
Dès lors,
, ,
, , 1

on ne st, o~era plus de constater que la corruption elle-même

devient' ~rorms d'évasion.

3) Ph~l pe Jullian, Jean Lorrain ou le Satiricon 1900, p. 52.


)
l

.(
t,
/~
(i

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,\
/
!
28.
l'

(

La société "décadente" est fascinée par les milieux in-

terlopes. D'aprês Ph. Jullian, cette "nostalgie'de la boue"

répond probablement l'un besoin de dépaysement social. Appa-

ratt ~lors une conception de l'érotisme qui allie un~ sensua~


~,1~

~ité puissJte et presCJ\:le diabolique aux dêsi~s les ,plus per-


vers, susceptibles de conduire l d'abominables crimes. Les
\ 1·

chansons d'Yvette Guilbert et la littérature consacrée aux mau-

vais ri eux véhiculent ce mythe des filles "au coup de gueule l


. ,
la fois menaçan~ et sensuel",'amo~eudes de "durs qui "ne re-
l'
K

culent ,pas devant 1::e crime pour qarder un amour ou assouyir une

passion" • (4) On 'nvie les héros" dti~' "milieu N et leurs amours 1

enivrantes et sanguinaires, d'o~ l'explication du phénomène so-


)

cioloqique déclenché par l'affaire Pranzini. Un jeune amant as-


~

sassine une demi-mondaine, sa femme de chambre et sa fillette.

Or, ce Pranzini avait eu une liaison avec une certaine vicomtesse

de X... Ainsi, le triple meurtre émeut autant les femmes du mon- (i:J

de que les femmes entretenues. Toutefo~s, ·.les circonstances sor-

didds de ce crime produisent dans la population une t'action as-

sez inattendue: Pranzini "devint un héros de Sade. cette fille ' 1

tailladée ap;~8 li amour fut presque enviée: on aurait trouvé

(
\

( 4) Philippe JuIllan, Jean Dbrrain ou le\atiricon 1900, p. 115 •

\• f
..,.

U
_ >0_' ' r _ ' ," .'~. '>9';:;;;;;;;,;;~;;;:;,:,::_,:, :~". ... ____,_
,
t.
"...
\
1 29.
...,
(,(
, r 'f
1
,alof. des photographies d~ l'assassin dans les sacs de8 dames

galantes et les portef~uilles de qu,lqueâ messieurs,." (5)

Cette soci~té avide'd'érotisme noir fralant parfois le sadisme

trouve dans la drogue un autre moyen d'aller "any wher~ out of


"
this Wprld" (selon l'expression citée par Ph. crull~an)~

Vers 1890, 'il se~le que lea drogues les plus en vogue soient

l'opium, la morphine et l' 'ther. ' La fum'e de l'opium fait som-

brer dans une sorte'de sommeil offrant parfoia d'borribl~. vi-


l
. ~_.
, (
.
",.J~,

"

sions, d'oa l'importance du, d'co~~ Les adeptes s, r~~issent ha-


• *
bituellement dans un cadre exotique, avant-qoQt~es "voyages du

somme.il· • Si le8 qens du monde trouven~ êltSgant 11 usage' de l' 0-

pi~, ils se mOntren~ plus rêtièents l l'égard de la morphine,


\ ,.
g~nêral~ent
.~
considérée comme un "vice
,
de femme" et devant, ~tre

administrée 80uJ forme d'injection •


.0 •

Outre l'opium et la morphinë, l'éther doit retenir notre at-


.
tention. D' apr~s Ph. Juilian, c ...·poi.bn· eat principalement u-
t ,
tilisê par les "femme. désax~s· ..t le. Jl!&lades plus ou moins i-
,
maqinaires. Seulement, aea effets .e~ndaires. peuvent provoquer ,1

" !,
chez II artiste, inspir' des visions fanta8tiques. Pt'rmi ces ef- ~,
1
,,'

r'

! "
fets, on remarque s~rtout les t1:oubles de l'oule, d~ la' vue, et

( 5) Phil~ppe Juilian, Jean Lorrain ou le Satiriçon 1900, p. 188.

-/

/
\ -'

30.
/
(
les 'angoisse.s noct~rnes, qui modifient la perception se,nsorielle )

du 1lieu ambiant, mais surtout la hantise de la "chose invisi-

ble" et du double. Or, il y jrait une relation entre l'éthé-


~ (
romanie d'un Jean Lorrain OUI d'un Maupassant et la création dlun

fantastique ainsi défini: "Les fantasmes ( ••• ) relevaient d'un

fan-tastique réaliste: le surnaturel y était remplacé par l'étran-/


t
ge, ~r ce décalage à mi-dhemin entre la vie et te cauchemar".

(6) D'une mani~r~ générale, le genre fantastique permet aux con

teurs de s'évader hor~ d'un monde décevant et trop matérialiste. (i



Selon ç=astex, le mythe apporte à ces écrivains "une diversion,
1
1
une consolation ou encore une image' de leur tourment. Il (7)

.
Les gens cossus de,cette fin -du XIXe siêc1e ne s'évadent s

qu'au moyen de paradis artificiels, ~ls empruntent également


~ '-f!!
trains, les paquebots et les yachts' pour se rendre dans les co -
"
-trées de leurs rêves. . surtout l'Autriche
Vers 1890, on '" vis~te

la Tunisie; Londres ,t Venise. ~our effectuer ces voyage~ il


'.
n'est pas rare qu'une femme du monde invite un groupe d'amis.
,,,,'" '"
~insi, on -voyage ~vantage èn raiàon de l~ facilité des trans-
,
ports, mais également pour voir des mondes exotiques et fuir les

anqqisses de la vie quotidienne danstune'société en évolution.

\ v
~
( , 6), ~lippe Juilian, Jean LQrrain oy le Satiricon 1900, p. 188.

1
\'
§

7) Le Cqnte fantast~e
~

en France de Nodier 1 Maypassant, p. 400.

J
~
31.

,
,
1sc..... toute, l'esprit fin de siècle découle. des éhangements

soiiO-~li tiques et de 11 évo~ûtiSJl d~IOOeurs.


~~ 4 __

On doit s' adap-


te au progr~s et plusieurs en sont profondément bouleversés,
1
,,;:d' ba le besoin de s'évader pour retrouver un certain équilibre

eJ trouver le bonh~ur. Cette fin ~e siècle n'est donc pas essen-


.1
tl~ellement une période de décadence, mais plutôt une sor~e de
l ,

1
v~lcan en ébu1ition annonçant le jai11isse~t~'un monde nouveau
i
r~i par la science et la technol09ie.
1

Après avoir brossé un tableau de l'~sprit fin de siècle, nous


1

$,ommes davantage en mesure de déterminer si Maupassant a partici-


'j

pé à l'évolution d~ son époque ou s'il s'est contenté de l'obser-

per de l'ext~ieur. Au cou7's de .qn ienfance, il avai't souvent


}
joué avec les petits villageois (encouragé par sa mère) de telle

sorte qu'il développa un profond amour de la nature et acquit une

IBolide connaissance des moeurs paysannes {surtout celles des Ner-


I

:n~:~1:t:::l:::;nl~::i~:tr=::r:~~v::s~:::o::-
.
'f-
1

ii l'
tionnafres;
\ . \

comme il habitai:,t alors Mont.ràartre, il cl5toyait la


...
.,
"
c
petite ~g~oisie urbaine. Enfin, la particule de son nom et le.

8UCC~. de "Boule de Suif" en 1880 lui permirent de s'introduire

dans les salons ,et les milieux aristocratiques. Cepen~nt, il

( conserva toujours une clrta~ne réserve à l'~gard d~s classes diri-

-.
1
.,
li J "

- _ ·..... _ r"''*...
........... ~~ .. 'f... ' - • -
................- , . !
.' ~~
32.
1
l
i
(
geantes et fréquenta ce monde clos surtout dans le but d'ac-
~

cumuler une documentation sur les moeurs de cette société.

Il en arriva ainsi à une vision assez réaliste des différentes


1
couches sociales, alimentée par une foule de détails concreté.

Mau~ssant ne se contente pas de subir les effets de cette

époque de' transition, il veut la fixer dans le t~mps par le


1

truchement de so~euvre. S'il observe attentive~ ses con-

temporains et s'il décrit leurs moeurs, il examine également

politique et les
,
l'autre facette de la situation problématique:

pe~turbations sociales.
(
l'impatt de la

En effet, l'écrivaLn

déplore que les hommes politiques négligent l'intérêt général

du pays au profit~Q leur intérêt personnel: de.plus, il dé-

• <,
nonce les classes dirigeantes, compl;ces de -la ruine des pau-
l!
vres ( ••• ) et l'exaspération des masses". pe~suadé que ~~

les régimes politiques s'avèrent "défectueux-, il se déclare


/ \

aaarchiste. En fait, il faut prendre ~e telle affirmation a-


.. vec certaines réserves. Au fond. Maupassant est un idéaliste

" déçu: son pessimis~ l'empêche d'envisager une solution rela~

J tivement satisfaisante l la corruption des milieux politiques,



f' si ce n'est la, création d'un insti~t forman~
!
des -hommes, nés
"
de pères ayant' m1In~é le pouvoir, eilevés dAns cette idée, instrui tp

"

(,
.. " _ .... ~'((,.wM ."1 ~
, ,1

33.

( .
spé'cialement pour cela". (8)
'\

Généralement, Maupassant condamne l'idé~ de patriotisme,

cette "idée ( ••• ) mère qui entreti~nt la guerre". Il croit

que l'on doit se résoudre à combattre uniquement dans un but

\ de défense nation~le et non pour l'expansion territoria1~,


>

'\' oil son rejet du co1onia lisme. Ainsi, il désapprouve la' po-
~

1itique française en Algérie et souffre de voir ce pays, quli1

connaIt fort bien pour y avoir vécû quelque temps, exploité par
1t

"d'ambitieux cupides".

S'!'i1 tâte le poul$ du régime politique en place et évalue


1
son impact sur la société, Maupassant recherche l'évasion tout

autant que ses~temporains, et peüt-~tre avec plus de frénésie


en raison de sa nat,ure sensible et de'i> son exceptionnelle
.
lucidité:

~, d'ailleurs, n'écrit-il pas que "l'écrivain, l'artiste, n'est pas--


,
supérieur à ses contemporains: tout au plus possêde-t-i1 une

plus grande aptitude\à souffrir, du fait de sa sensibilité par-

ticu1iêre, qui le transforme', en "écorché vif". ft (9) Aussi, afin

8) Cité dans Maupassant par 1ui-m~me, p. 121. _(Même si


l'Ecole des sciences politiques existait dé5a, il semble
qu'il ùoute de son efficacité, puisqu'il propose une solu-
tion de r~mplacement.)
~

( 9) "Sur l'eau", Oeuvres compl~tes, t. VIII, p. 310.


1 /

34.

d'oublier ses tourmehts. il s'adonne l la plupart des diver-


, ,
tissements de l'époque, au sein de différents milieux sociaux

pas toujours reluisants.


• 1

!
Dès sa jeunesse, Maupassant fréquente la c6te normand~1 il

ne se co~tente pas d'observer les jolies baigneuses, il apprécie


j'
'également les bienfaits de la na~ation et~l1B promenades en bar-

que. Plus. tard, pour se divertir de son travail


,
au ministère,

ii se mt!le aux canotiers, reconnus pour leurs moeurs "agressive-

ment brutales", et jouit de la présence de jeunes Parisiennes.

Outre le plaisir de l'eau, il tire de cette expérience Mun qoQt

excessif pour J~ facéties vulqair 7s et les plaisanteries outrées".


r'-tf 3

(10) On n'est donc pas étonné ~e constater qu'entre 1872 et, 1880,
)
1

il crée la compagnie des Crépi tiens , une société secrête de far-


A

ceurs. 'Au sein de ce groupe, les élus peuvent donner libre cours

l un é,otisme macabre au mayen de manifestations frénétiques, et

parfois même de soties jouées devant un public choisi (par exem-

pIe: son ~re, Gustave de Maupastant, Flaubert, Daudet, et quel-

\ ques actrices). Maupassant prétend ainsi aspirer A une sorte de 1

,
1 ~lIeXuali.... qui i l atteint l certa,in.'..,... s son oeuvre.

En \fait, il Che~che surtout l libérer ses ergies libidinales

a.sez., ~rti'cuii~re8Iftout
1 •
en se ~a travers de son époque.

( 1

10) Al~rt-Marie Schmidt, MaupassAnt par lui-mtme, p. 107.


'\

, Nous avons mentionné plus haut que Maupassant avait été

un fervent de l'éther. Or, cette drogue ne lui apporte pas

seulement une évasion ou un soulagement l de persistantes cé-

phalées: elle lui permet aussi d'accéder l un état supérieur,

tout en décuplant ses facultés innées de perception. Fidèle

aux enseignementB de Flaubert, il veut découvrir un aspect des

choses qui n'ait jamais été rév~lé: il pense que l'éther l'ai-

dera l Udétecter derriêre le décor des choses quotidiennes quel-

ques ré~lités dérobées, et sans doute interdites". (11) Son é-

théromanie accélêre évidemment le processus de détérioration phy-


r--
siologique et psychique dO à une névrose héréditaire, mai.s
1
égale-

ment l une syphilis mal soignée. ~s, on peut se ~emander


si Maupassant serait parvenu l~raduire un tel vertige devant le
'"
surnaturel avec autant de puissance ~t de réalisme sans l'aide

., précieus?, de l'éther •••

Comme ses contemporains, Maupassant voyage pour son plaisir

et pour échapper aux tensions de la vie quotidienne. De plus, il

veut oUblier "sa condit1on de malade prééaire" et se consoler d'un

vide terrible l la mort de Flaubert. Ainsi, entre 1880 et 1890, 1

il visite l, Corse, l'Italie, la Sicile, l'Algérie, la Tunisie et

l'Angleterre. Il observe les moeurs et transpose ses souvenirs ,f

11) Albert-Marie Schmidt~ Maupassant par lui-m@me, p. 133-134.


11

• ..
J '

:,'-~....,..
,,
, .--
:>

.
36. /

( , 1

les plus marquants ou les lêgendes les plus pittoresques dans l" "\1,1
l'
.-<iI l,
les contes fantastiques (par exemple: ce fame~ ta;mour des
dunes dans "ta peur", en 1882).

Somme toute, bien qu'il soit marginal, Maupassant a parti-


cipê activement l ltêvolution de son êpoque, puis~nt dans le

divertissement et l'affabulation fantastique un remède l ses

tourments, tout en Ifixant au moyen dé son oeuvre cette fin de

siècle enivrante, mais parfois do",loureuse au coeur de l'artiste.


J
/
/

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(,

i i

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\
1

"
, 1
1

( CHAPITRE IV

/
LA HANTISE DE LA FOLIE

L'angoisse viscérale de Maupassant vient essentiellement

de sa perpétuelle hantise de la folie. Il éprouve un senti-

ment ambivalent face l la névros~, qu'il tient de sa mère. ~'u-


ne part, il_la cultive presque en ayant l'impression de se rap-

procher de l'auteur de ses jours en partageant ses maux. D'au-


-;/ 1
tre part, il redoute les effets de cette maladie insidieuse qui
..
le ronge peu A peu. éar il sent le piège se referme~ inexorable-
1

ment sur lui.

:piusie~rs facteurs contribuent A maintenir sa peur de l~ vé-

sanie •. Ce point nous para!t fort important dans l'étude du fan-

tastiqÙe. En effet, il convient de se demander dans quelle me-.

sure cet état d'!me n'a pas engendr~ chez lui une vision singu-

liêre des êtres et des choses, votre même suscitê ce besoin d'ex-

primer l travers la littérature d~imagination une dimension de

son intériorité,:impossible l révéler sans ce véhicule extraor-'

dinaire. A la limite, on peut supposer que .ans l'obsession de

la folie, l'oeuvre de Maupassant aurait été dépouillée de cette

a~a de mys~êre: l'irrésistible vertige qui émane de ses contes


,
"
)
les plus envoQtants.

1
Le pessimisme venu d'une'enfance malheureuse,
+
de l'influence
,. '<'l,II"~·r:1,~·"ii~~"~1if"'~",,,.,,.,..,.,,...... _~.,,.._,,,,,,,,,, .. ,., _.,._._
, ~
l'

38.
/
/

, (
de Schopenbauer et de Flaubert, la négation de l'amour, l'im-
1

possibilit~ de ma1triser son émotivité par le contrOle de la

ra~son, d'une
l
idéologie ou :t'unehilosophie consolatrices,
'
une'
\ '

croyance rel'igieuse insuffisan e, l'éthéromanie, et une syphilis


,

mal soignée s'avèrent autant de facteurs qUi favorisêrent le long

Ich~minement de Maupassant vers l'a~1me de ~a folie. ISi on y ajou-


te'la rencontre de Swinburne et de Powell, la morë de Flaubert et

c,
l'internement de son frère Hervé, il n'en fallait guêre plus pour
..
accélérer sa chute vertigineuse et fatale. Tout critique se pen- .,

chant sur son cas se demande inévitablement si les contes ~antas-


.-
tiques de Ma~passant sont l'oeuvre d'un "déséquilibté". Certes,

l'écrivain possédait ,une sensibilité exacerbée et des penchants

plus ou lIDinS singuliers: des fantaisies sexuelles peu ordinai-

re~ (par exemple: son amour fétichiste de la chevelure et des

~ pilosités fém~ines), ~ùmour ,n~ir ~ouvent IIDrbide, un goQt

excessif pour l'insolite et une certaine dosel de sadisme. En ce

• qui concèrne cette derniêre constatation, nouS' adoptons sans hé-

aiter' l'opinion d'Armand Lanoux: "Il y a ( ••• ) un réel sadisme

chez Maupassant.
1
Mais n'exagérons rien. Le conteur s'en nourrit:.
l '
1
Il le met en scène, le grossit et l'éclaire. Il provoque son lec- 1

teur.· (1)

1) Maupassant le "bel-ami", p. 239.


, 1
,

t ~ 39.

(
si les contes de Maupassant mettent Bouvent en situation
\
des personnages au comportement bizarre ( par exemple: "La

~re aux monstres", Jacques Parent dans "un fou?"), il serait

trop facile de conclure à la simple transposition de ses p~o­

pres inhibitions. Ouand!l-- écr'i t "Le Hor la" , il se sert de son

expérience relative au harcèlement du double et de l'être invi-

sible (conséquences de son éthéromanie), à ses hallucinations

(dues a l'éther et la syphilis): seulement, il ne fait que pro-

jeter avec une exceptionnelle lucidité la vision redoutable de


/ son être déchu dans le futur: ).Ce qu'il écrit est la préfigura-
c-,
ti~ de ce qu'il va @tre." (2)

\...."
\ L'examen du dossier médical de Maupassant montre clairement
" ,
l'évolution des symptômes d'une syphilis contractée entre vingt-

trois et vingt-six ans. Celle-ci n'aurait cependant été diagnos-,/

tiqué~ formellement qu'après 1880 par le Dr. Landolt, un ophtal-

mo!ogiste: "Dès le commencement de 1880, ~r, de Maupassant ava~t

une lésion soit d'~ ganglion para-o~re>:Oit plus vraisem-)

blablement d'un noyeau de cellules intra-cérébrales. La cons ta-

tatlOn de ce trouble peut fort bien correspondre à un diagnostic

de probabilité de syphilis du système nerveux~ dans 80% des cas,


/

( 2) Armand Lanoux, Maupassant le "bel-ami", p. 248.


,
,

r
40.

( ~

'1\'
et de para ~~
yS1e gt:nt::rale future dans 40%." ()
3 - D~s lor~ ~tou-

tes les constatations des ~utres méde;-ins traitants depu~873 1


"
\

(migraines, p~lpitation., ~r~e des c~eveux, herpès ••• ) ne f~nt


-' . 1
que confirmer la naissance, la progression sournoise de cette

terrible maladie non dêcelêe l ses d~buts.

Même en suivant m~ticuleusement les ordonnances des praticiens,

Maupassant ne parvient pas l soulager ses maux, ce qui le conduit

l un usaçe abusif de l'~ther. Certes, vers' la fin de sa vie, il

êcrivait: "Je suis malade-conune je ne l'ai jamais êt~. La migrai-

ne et l'êther ont provoqué chez moi tantOt deux heures de folie ab-
/"

solue.- (4) Seulement, aprês chacune de ces crises d'hallucina-


':: '.,
tion, il redevient lui-même, "effaré mais observateur lucide de,

,ce qui se passait en lui.- (5)

G~n~ralement, les -études des scientifiques et les th~ses sur

ce1sujet s'.ccordent pour affirmer que Maupassa~t n'est ~s mort


,
fou, mais syphilitique. Cette dist~nction.est capitale dans l'é-

tude de son oeuvre ~antastique. En e~fet, ses contes ne s'avèrent

1 3) ,
l ,
1

t
~,
4) Cité dans Ma s n p. 133.
(C'est nous qui soul
~

5) ~d Lanoux, Mal\PB8~e "bel-Iim,j,". p~ 244.

., \ /
usa &- .,1 .. fte

41.

( \ .
nullement les ~lucubrations d'un d~ent se libérant ainsi de
1 , 1
)
ses ~an~smes morbides, mais plut~t le travail finement cise-
"
lé d'un artiste, â la fois réaliste et soucieux de son style. ,
f
Toutefois, il est évident que la hantise Ide la folie J:éOCèUpa

le conteur toute sa,vie et/de plus en plus dans lés années qui

précédêrent sa mort. Sans cette ~nqoisse profonde, il n'y au-'


)
.
rait peut-être jamais eu de veine fantastique chez ~upassant •••

Î : 1

, , .
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1!IlII1IIi
.... _____ ~ _ _ __

. .'
"

( 'Il

A la lumière des informations préalablement recueillies,

no~s abordons maintenant l'ét~de des contes fantastiques de.

Maupassant à l'aide de la grille thématic;fbe. Une remarqùe de 1 ~ J ...

'l'auteur dans la préface de Pierre et Jean est à l'origine de

notre choix: "l'artis~, ayant choisi'son th~me, ne prendra


!
dans cette vi~ encombrée de hasards et de futilités que les
,,'
détails caractéristiques ~tiles l s~n sujet, et i1 rejettera' 1

tout le reste, tout l'.-c~té." (1) Ainsi, chaque conte ou


"

chaque nouvelle de Maupa~sant procède d'un thème principal,


"
souvent accompagné .de thèmes secondaires. De plus, des motifs

majeurs et mine~rs complètent ces thèmes: ils les colorent ~t

les rendertt plus concrets à ~'esprit du lecteur attentif. Nous


,1

) analyserons donc les thèmesJsuivants, regroupés selon·trois ré-


/

seaux distincts. Le premier ~omprend ~'eau, l'a~ur imposstple

et le r~ve: il ~~que les vicissit~d~s de l'existence et l'échec

des diverses tentatives d'évasion. Le second confernl! la ~ur"


.'
l'être invisible et le double: il montre la véritable expérience

de l'insolite et le recours au fantastique, de façon consciente

ou inconsciente., Enfin le troisi~me réseau renferme les thêmes


1

de la, folie et de la mortr il montre le douloureux cheminement


t' ~ .

vers la fin derniêre. Par ailleurs, les motifs majeurs tels que
/ -.

(: 1) Prêfacè de Pierre et J!an, P. lI-la. ,.

oc "l..t;;: ln" t -'--~.'--------. .-'M


.&..
43.

1 .. (

le ~étisme, la main' etr~a chevelure, exigeront une atten-

~ion~rticuliêre car il. constituent le sujet de cer~'ns


contes. Au cours <le notre analyse, nous incluerons d'autr '
t.

~tifs rattachés aux thèmes principaux, par exemple: le re-

qard, le ~roir, les ~bjets doués d'une vie propre, les allu-
~
siona ironiques à la femme, l'impuissance de nos sens. Nous

verrons l'évolution créatrice que poursuivit ~'auteur(âe façon

chronologique, depuis "La main d'écorçhé" jusqu'au dernier con-

te et le plus troublant, MOui sait?". •


r
( ...

,',

,~ \ 1)
J
.
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1
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Il
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\
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't J
, '


!
( CHAPJ:TRE PREMIER /

,
'CI '

--
L'EAU, L'AMOUR IMPOSSI~-ET LE REVE
\
"L'@tre vou,é l l'eau est un être en vertige." (1). selon
, 'v "
. BaChel~'à. "Dans plusieurs contes de ~upassant, on remarre
,la présence de l'eau comme élément du décor. Parfois, elle_

évoque des r@ve;~s aqréables grâce à l'évaaion qu'elle~peut


procurer: par exemple,.. l'océan breton dans liA 'vendre": mais

le~lus souvent, elle,enqèndre de sombres pensées, tel le fleu-

ve dans "Sur l'eau Il • Maupassant est fasc iné par l'eau qui ~e-

vient un thème qén~rateur du fantasti4ue dans son oeuvre.

,
{' Le vieux canotier de "Sur l'eau" explique la distinction en-

tre la mer loyale et la rivière perfide. La première s"avère une

source de vie, de "sécurité" et elle possède le pouvoir de rassu-

rer celui qui se laisse bercer a~-:;~ ses flots: mais e11e

peut aussi se soulever et engloutir l' honune:


1

1 "Elle est souvent


,
, ./
dure et méchante, c'est vra~, ~is·elle crie, elle hurle, elle

est loyale la grande mer: tandis que la rivière est silencieuse


'"
,
~
j et perfide." (2) En effet, la seconde nit que l'appare~ce de la
~
\
qatt~ bril,lante: sa surface scintille au soleil, mais ses·pro-
t
Î'
" fondeurs sont noires et dans son lit de vase pourrissent des
1
t
~ ( ) l~~ston Bachelard, L'eau et les [@ves, p. 9.
f f
2) ·Sur l'eau", p. 90.
t

1-
j "'1

...... ~-
--------~~~~~---------- , A
r
_ :t

45.

( ,
cadavres, c'est le fleuve éternel de la mort, le lieu des
1

puissances maléfiques.
1

Maupassant aurait pu écrire des contes merveiileux'en ex~


ploitant cet aspect de la mer qui cache "d'imme~es pays bleu4-
tres" auxquels il fait allusion dans le conte intitUlé "Sur

l'eau",-mais il semble davant~ séduit par les eaux profondes

et noires, qui lui inspirent des oeuvres dlun fantastique aussi

émouvant que terrifiant.·· ~ê-ètte rivière "silencieuse et perfide"

exprime peut-être mieux les angoisses ressenties dans les méan- 1-

dres de son incolllcient tourn\enté.


.
"Sur l'eau l' a été écrit l ..partir d' une anecdote asse z sim-
1

pIe: L i
I F fantastique natt de la manière même dont le narrateur

pré~ente les faits. Un canotier revenant dlund soirée décide

d'arrêter son batealf" et de jeter l'ancre afin de goQter


- quel- '
ques moments de tranquillité au clair de lune. Soudain, tandis

qù'il contemple les ombres de la nuit, les crapauds et les gre-


,
nouilles se taisent. ~1 'P~ouve des sensations étranges:
• les
j
!
) ~

mouvements insolites de sa barque commencent a l'inquiéter. ' Il


1

re~ient
l~
tente de repartir, Lais quelque chose l'ancre: en vain, f 1

1
,-
il essaie de la dêqager. Constatant son impuissance, il doit
~

àe résigner l attendre. Tout l coup, un "brouillard trê's é~istl


1( , se lève, enveloppant le canotier. Dàs lors, il connaIt toutes
,

46.

,
les nuances de la peur. Il sent qu'un "malaise horrible"

~s'empare de son être: puis, c'est la terreur. Il crie mais

pe~sonne ne 11 entend. AIO~S, il s' ~tend au fond dulbateau.


Se relevant, 'il voit un merveilleux spectacle: le brouillard

s'est dissipé et les bêtes de l'eau se r~vei11ent. Il ne craint

plus rien. Soudain, il lui semble qu'une ombre se glisse près


• C JI ,
de lui, c'est un pêcheur. Il faut trois hommes pour ~irer l'an- .' \

cre, car elle tr'a.tne -un p?~ds considérabl~ •• ". l'le cadavre d'urw

vie ille femme qui avait une grosse pierre au cou. Il ( 3)

Selon la théorie de Todorov, ce conte relêve du domaine de

l'étrange puisque l'on trouve une explication tangible au phéno-


l ' ~

k~ne qui semblait surnaturel. Seulement, d'où vient le fait qu'a-


--- ~'~me impre's-
près 'plusieurs I1electure-s on éprouve toujours cette
')

sion de vertige? On constate que l'histoire du canotier plonge

le lecteur au coeur du fantastiqde à cause de la str~cture du

réc'it et de. procédés techniques utilisés, mais aussi à travers

l" identification rendue possible par l'emploi du "je".

, 1
Dans l'introduction, Maupassant suggère le caractère étrange
1 1
,
'" et mystérieux de la rivière. Cependant, le récit du, canotier
f t
t
,;
; s'ouvre de manière fort na~elle1 aucun élément particulier. 1

t
C-; 3) "Sur ~. eau", P. 9S.
(, 4t'

,/

,. • ~ }'l''

'_'1 ~.~~.
J
f

47.

(~
ne permet de prévoir les événements extraordinaires, qui vont ~
~ ~ /
se dérouler: "la lune resplendissait t le fl~uve brillait, / /
/'

l'air était calme e~,doux." (4) Par contre, les btté-s d'eau,
//
/
qui se taisent au début de la vision fantas~g6rique et qui se
\
réveillent lorsque le brouillard dispara1t, constituent une

" sorte de parenthèse marqùant le commencement et la fin de l'illu-

sion, comme si le chant des grenouilles et des crapauds prési-

dait à la naissance magique du surnaturel. Dans la'partie~


récit essentiellement fantastique, l'auteur utilise d'autres
.
procédés qui donnent une dim~sion surnatùrelle à des faits

qui aura~ent pu être e~pliqués par les lois n~turelles. On 1

remarque les expressions modalisantes ,telles ,que "il me sembla

qu'elle (la barque) faisait des embardées gigante~ques", I~

1
crus qu'un @tre ou une force invisible l'attirait ••• " (5), ces
~

expressions font nattre le doute. Le personnage (et le lecteur

s'identifiant l lui) sent qu'il se passe quelque chose d'inso-

litè, mais sans par~enir ft cerner le fantastique. • 1


Par ailleurs,
)

r les tentatives d'explications du canotier contribuent -ft augmen-


f,
1
ter l'incertitude. De plus, Maupassant emploie des comparaisons

et des images qui accentuent la peur incontrôlable du héros:


\
~
:1',
Z
('
/"
4)

5)
~Sur l'eau", P. 91.

Ibid., p. '91. (C' est nous qui soulignons.)


\
Il

------- -"----~---_\------------_ ...


"t ""~-~~"i ~~~ --
... ~.,~.f!."'~ .~t,!f,"",~~~~~~.rl1't<"~>f~t> ...'J'lI"""'.':4.00.. 4.\' •- ,- ~~ ........ ,........ .,. .."'_ ..r ~~.M""",,""''''''Wi'-.H ~ ....- - . ... .t
,J

~8.

.( "
"j'~tais comme enseveli jusqu'à la ceinture dans une nappe

de coton d'une blancheur singulière". (6) Plusieurs d~tails


~

réalistes (par exemple les manifestations physiologiques de la

peur) donnent l' !iitpression de la vraisemblance e~ cr~ent l'é-


,
tonnante réalité de l'irréalité.

\
Dans ce conte, Maupassant est déjà hanté par la présence de
\
deux entit~s opposées à l'intérieur de l'homme: le "l?ra~e" et~

le "poltron"f qui s'affrontent sans cesse. C'e~t probab~ement


\
l' impression ~goissant~ d' ~tre menacé. par ces deux ~l,éments an-
\
tithétiques de s~ @tre qui évoluera et deviendra le thème du

~uble dans l'oeu~~. Ce trouble de l'Sme et de l'esprit est

vraisemblablement à ~'o~igine de la prédilection de l'auteur pour


".}
\

les eaux profondes et '~oires, du moins dans son oeuvre fantastique.


\
\
\
J Généralement, la han~se des eaux nocturn~s favorise les r~-

\ veries de la mort et peut d~ter ~e tendance suicidaire, qui se


J o 1

concrétise parfois. Or dans conte qui nous pr~occupe, le dé-


~

r dù héros de s'abandonner à l r!verie au fil de l'eau se

transforme en un terrible cauchema: le canotier a l'impression


1
( qu'une puissance invisible attire sa barque "au fond de l'eau
"

et la soulève ensuite pour la laisser tomber." (7) _ C' est

t
l. 69 "Sur l' e~u", ,P. 92 •

i) Ibid., p. 91. "

'"
iJA
\ ,
1
)

49.

$'

comme si le héros, coupable d'avoir défié lé royaume des om- .

bres, rece~ une sorée d'avertissement. D'ailleurs, il sent'·

véri tab1ement peser sur lui la menace d'une' mort par immer8~on,

comme le souligne A .-M. Schmidt dans Maupassant par lui-même


a

(P. 47), quand il ,lui semble qu'il est "tiré

au if-dnd de cette eau noire. Il (8) Sans voir i-

~ge ~e projection de Maupassant face à son nous


\\ ,
sommes tentés d'admettre avec p.-G. Castex qu'il manir~~v
,q..
-.... j
Névi~nte prédispos~tion l l'angoisse". (9) Bien que l'auteur

ait,ai~é s'adonner à ces promena4es nocturnes sur la Seine et

qu'il a\t probablement transposé des impressions vécues !ans ce

conte, il serait trop batif de conclure à un' désir inconscient 1


de suicide.

D'autres contes montrent les dangers dè la riviê,e trompeu-

, se. Même lorsqu~

vent de mauvaises \,urprises.


elle est. claire et brillante, elle, rêserve sou-
\
Dans "La peur" de 1884, le jeune

homme-qui ne peut r~sister à la tentation de se jeter dans une

"calme rivière" pour s\adonner aux plaisirs du bain, doit sou-


. .1".' ~ /'
aainement affronter la ~ésence d'~. "etre ,effroyable" émergeant ,\ -'
1

de l'eau. D'autre part, ~ns "L'endorméuse", la Seine, "claire '1

,
j-
( .
8) "Sur l'eau", p. 93.

1
9) Le Conte fMtastique en de NOdie, l Maupas8an~, P. 371.
l

1 1 J
r""'-------...----------..-----I!!'.IIl't1_""!'-_
\
~--.~.-

50.

sous le soleil", est pourtant le refuge fatal de nombreux dé-

sespérés qu'elle engloutit dans ses flots insatiables. De

plus, c'est ê9alement de 'ia Seine que surgit le trois-mats

brésilien transportant le,Horla: redoutant un total asservis-

sernent sous le joug de ce vampire invisible,. le héros ni envisa-


Il ge plus désormais que le suicide pour détruire l'8tre qui s'est 1

.,.ft
emparé de son &me et boit sa vie peu l peu.

L'~ge du bateau voquan~ au fil de l'eau vers une mystérieu-


,
se destination se retrouve au moins à quatre reprises dans l'oeu-
/
vre fantastique de Maupassant. Outre "Sur l'eau" et "Le Hor{a",

on retrouve ce motif dans NA vendre" et "La peur" datée de 1882.

(10) Dans les deux p~emiers contes déjà mentionnés, les eaux

en mouvement sont étroitement reliées au ~~nt du héros


, "~

vers une mort anticipée et salvatrice ("Le Horla"), ~fon-

d.&nent redou~ée ("Sur l'eau"). Dans lees structures anthro~lo';;-'---­


gigues de l'imaginaire, Gilbert Durand (s'inspirant de Bachelard)

'e~plique l'origine probable du "mythe de la mort" évoquée par


~

,
1
.
j, le départ sur l'eau: "L'eau qui s'écoule est amère invitation

au voyage sans retour: jamais deux fois l'on ne s~ baigne dans

le m~me fleuve et les riviêres ne remontent point l leur source. t.


~

10) Deux contes de Maupassant, intitulh "La peur" sont parus


( en 1882 et 1884. Désormais, en citant chacun des états
de ,e
conte, la date suivra, en~re parenthêses.

j f
Il \,
.... _ _-_ ----------_. •...
.... .. _ ,~-----
r, ...,110....... ' 1It,-~,f' ..- "~'''''''''h'! 1't+-~M'. '""7~\Zi; S2Q:aS;p-lC i dt SWL 3 et la';! )JaIL)iQ ..~ ~,~.... ln:tId""",1' $p '''''''

51. \

(
Lieau qui coule est la figure de l'irrévqcable." (11)

Si le canotier de' "Sur l ' eau:"jente de lutter contre la


àtalité, le héros du "Horla" en'-'- vient à se résigner à mourir.

Au début de la nouvelle, il avoue ressentir une inexplicable

attirance vers' le trois-mats brésilien: "Je le saluai, je ne

sais pourqUoi. tant ce navire' me fit plaisir à voir." . (12)

Vers la fin de son aventure, il associe la venue/du Horla au

passage du bateau annonçant que le "règne de l'homme est fini".

r Ilpi Alors la~puissance évocatrice de l'image pren~ toute sa

i, signification: non seulement le "su~rbe trois-mats" présage.

la mort prochaine du héros, mais il annonce également un fléau

,.plus terrible encore, lléven~uélle extinction de l'humanité.

Cependant, on peut se demander si l'attrait qui il exerce sur le

personnage provient réellement de l'ignorance de celui-ci quant

'r~u but de son périple, ou si "Le Horla Il sert de prétexte à 11 ex-


rI
\
pression de l'angoiss~ viscérale de Maupassant, qui le conduit

'V
"~ un désir s.uicidaire inavoué:

1
la hantise de la vésanie •••

Dans "A vendre", les bateaux qui sillonnent la mer donnent


- ..
1

,f
11) Les structures anthropoloqigues de l'im!ginaire, P. 104.

12) ilLe Horla l', p. 282.


(
13) "Le'aorla",-'p.302.
,- (
\
.
, or- 52 •

( ':. '.'

"" na:issance l un autre type de r~verie., lOOins am~re8 que les


"
précédentes. On se souvient que Maupassan~ invente à la mer

~e indéniable loyauté. Par ailleurs, les personnages de ses

contes qui contemplent la mer semblent manifester un intense


,
besoin de retour aux sources. APlsi le héros de nA vendre",
)
se promenant le long de l'océan breton, voit soudain passer

cinq barques lourdement chargées d'hommes, de femmes et d'en-


1

fants qui se dirigent en chantant vers un lieu de pèlerinage.

En regardant s'éloigner ces @tres en qu~te de pUreté et dont le

chant s'évanouit graduellement, il se sent momentanément revi-

vifié: l c~t état de bien-!tre succéderont des réflexions sur


l' , .
la fuite du temps, ou plus précisément celui de la jeunesse:

"'Et je me mis l r~ver à des choses déliciéuses, co~ rêvent

les tout jeunes ge~s, d'une façon puérile et charmante.. Comme


\
il fuit vite, cet Age dei la r@verie, le seul age heveux de l'exis-

tence~ ( ••• ) Hélas~ c'est fini, cela~" (14) Pourtant, en aper-


cevant une jolie maison qui porte 11 écriteau NA vendre", il é-
,
prouve une vive émotion. Sur la cheminée du salon se trouve la
.
photographie d'une femme qui il reconnatt sans jamais l'avoir ren-

contrée: c'est la matérialisation de son idéal féminin. L'espoir,

1
!,
renalt aussitÔt dans son Ame et il cd~ence son long cheminement

( j 1
14) ~A vendre" , p. 21$-219.

/ 1
r .',
-
~>I'I'/l~"L.~f.i1.~~)f'.~~À~.~t.o!rè,,,*~OI,I""""'V-"~1F ~. r".... «>...,,_ ....~,~-........w,.;...,.~ ..... ,

53.

(
vers l'être cher, source de vie et de,.,félicité. Or, dans sa

marche vers le bonheur, il se rappelle "l'air marin qui lui


'Il
gonflait la poitrine". Il Y a donc un' lien entre le souffle

régénérateur et la caresse bienfaisante de l'odeur marine.

'Autrement dit, là héros semble puiser une nouvelle énergie

vitale dans les eaux fertiles de la mer.

/
Dès qu'il perturbe le repos de la mer, l'homme risque de

détruire l'harmonie rassurante qu'elle peut dégager et s'expose

ainsi à certains dangers. Dans "La peur", le bateau glissant

sur la Méditerranée devient l'agent catalyseur qui anesthésie

tout sentiment de sécurité et eng~n~e de sombres pensées. D'a-

bord, les passagers contemplent la mer immobile qui reflète une


"
"grande lune calme lt • Puis, le navire vient troubler la surface'

lisse de "1 'eau toute blanche" et projette dans le ciel "un gros

serpent de. fumé'e noire". De cette eau l~iteuse en gestation,

comparée l de "la lumière de lune bOuillonnant", surgira un type

, , de rlverie qui participe de l'au-delà. Aussitôt, deux voyageurs '.


"
,
t se mettent l raconter des anecdotes relatant de curieux événe-
,"
.
menta au cours desquels ils ont connu la peur devant un phénomène
1
!~
t

~I,
surnaturel.

La puissance symbolique de la me~ ne p~ut se réduire ici à


" ,
l'évocation de la fécondité: elle est également 'l'é~ément,de la
,$

J
-------~~--~--- -,-- -

54.

(
, mort par dissolution, selon le terme de Bachelardr 'cause

de cette seconde caractéristique, elle rev~t un aspect redou-

table ~:ur les p~cheurs, les naufragés et les baigneurs impru-

dents, ou séduisant pour les rêveurs m~lanco1iques et les adep-

\ tes du suicide. Dans ce conte, les eaux tranquilles de la mer

,qui sont agit~es par le passage du bateau provoquent 11 éveil de

terribles souvenirs ohez ces hommes qui ont déjà frOlé la mort.

De plus, 11 introduction de "La peur" montre le génie du conteur

qui effectue subtilement,~par le truchement de~ é~éments cosmi-


""Jf,1""
. "

que., la métamorphose d'une agréable soirée sur'"' la Méditerranée


, \
)
1
en une angoissante causèrie sur la peur "effroyable" dè'vant l' in-

.
connu, le surnaturel •

Outre l'image significative du bateau glissfnt sur les eaux


1
immobiles ou en mo~vem~nt, Maupassant utilise assez souvent (cons-

ciemment ou ~on) le ~~roir en ~elation avec le thême de l'eau.

(15) De toute évidence, l'eau semble eqnstituer "le miroir ori-

'\ ginair~" (l'expression est de Gilbert Durand). on pense a la


légende de'Narcisse, amoureux de sa propre image dont il ne
o , -"
ce
1 pouvait saisir le reflet dans l'eau claire de la fontaine:

, 15) Ce ~ f fort complexe se rattache également aux autres


,, th . s qui nous intér~ssent: aussi, nous nous contente-
t• ( )
/
ons de dévoiler ici ses' a8~ts ayant trait plus spéci-
1 fiquement au t~êmè de l'eau •

k
(
" -~~- _ _ _ _ _ _'''-'''l_"- - - - - - -_ _ _-.b:.,.o\'i
1 1
--------~~-~----~---- ,-
r :-'"'''''~--,_.~...._ . . ,-''' ""OU' ""'" --"' •• ~ .. -- ,,,,",, --_.-.~-- --"', .~
-1

1
1
55.

(
/

penc~nt
,
excessif pour lui-m~me l'emp~chait d'aimer une femme,

fat-elle déesse, nymphe ou mortelle. Némésis le punit en le


1

changeant en fleur. Or l'homme qui s'interroge sur son identi-

té et désire connattre son moi


,
profond
-
a parfois recours aux
'
(
..
,pouvoirs révélateurs d'une glace. 'Toutefois, s'il abuse de ce
• t'
\', 01.
'"
proqédé, il s' expose à certa' s dangers. En'--,concentrant toutes

ses énergies sur une introspe assouvie, il risque


• 1 1

d'@tre ébloui par' sa propre i


• J

• + ~

re de Narcisse, ~u qy'il dé1alo isera à la façon de Madame He~et

t (hérofne d'un conte de Maupassan ,) dont le sentiment de culpabi-


/ " .
l'
l' /
fil!. t
) lité 'déforme la vision.
\
r
i,
,
Celui qui s'analyse trop devan le miroir maléfique perd sou-

vent la notion d'identité ou en arrive à se dédoubler au point de

sentir la 'présence d'un autre @tre en lui: l'impossibilité d'uni-

fier ces deux essences engendre alors une profonde angoisse, voire

m@me un dés~ilibre qui le conduit à souhaiter ou à redouter la

mort. Dans IILettrt!lll d'un fou" et -Le Horla", deux passages simi-
1 ~ires ,
déèrivent l'hallucination ou la vision fantastique
.,/"" t
~'un
1 ~
personnage aux/prises avèc un @tre invisible qui le harcelle et
f
" s' interpose en'tre lJi et la glace, proVOCN.ant l'absence du reflet.

l' Or le retout au réel s'effectue l traver!l une brume comparée a de


.
. ..t ~
( l'eau: -il me semblait que cette eau glissait de gauche 1 droite,
, 1

i j.
...
o 56.

. "
(
__1 ' \
lentement, me rendant plus précis de seQDDde en seconde." ~ (16)
"
r ,
Le miroir dont la substance se liquéfie deviênt la porte ouverte
, /

sur lé surnaturel, la frontiêre entre ie vis'ible et l'invisibl~ , fi

que le héros franchit involontairement;.. Toutefois, l'eau est


ici Il élément purificateur et salvateur qui dissipe la vision

cauch~mardesque.

Si le motif du miroir approfôndi~ le th~me de l' eau, celle-c~


peut en 'revanche éclairer une idée ou exprimer un sentiment obs-

cur, lorsqu'~lle sert de métaphore ou de comparaison.~ Ainsi, le

héros de "La chevelure",' sorte de nécrophile, 'prouve une extra-


o 1

~inaire attirance pour une chevelu~ ayant appartenu l une morte,

et il ne cesse de "t;eIDP!r ses doigts ~ ce ruisseau charmant de


cbeveux morts". "(17)' L'onde carJssante de la merveilleuse cheve-

lure évoque non seulement II~ temps irrévocable qu'est le passé",


mais elle po8sêd~ égaleme~e' pouvoir de ramener du royaume des
,
'ombres une belle dame du temps jadis. 1 D'ailleurs, le fait de
..."

.~ 'tremper lei doigts dans ce ruisseau magique déclenFhe le proces-

sus de réanimation. La métaphore auscite 1~ idée de prolongation.,


. .,
1


16~
/
-Lettres ~'un fou", p. 239. (Dans "Le HQrla", p. 306, on
retrouve presque 1:a mAme phrase mot pour mot, sauf que
1 l'aJteur '='emplace ",me rendant plus précis" par "rendant
plus prêcise mon imâge".
\

17) ~ chevelure", ~. l~à\ (C'est nous 9Ui soulignons.) ~

..
a
57.

c 1
~ 1
b
1
~
Comme un ruisseau qui s'écoule éternell~nt, la chevelure

est dotée d'une formidable énergie vitile~ qrSce au geste a-

'moureux ducpersonnaqe, elle peut désormais réaliser l'impo~si- 1

, . ble, c'e8t-&-d~e ressuciter'le passé. De tels fantasmes dé-


• 1

notent un profond refus, chez le héros, d'ac~epter la fin ul-


1

'timer la négation de la mort engendre l'impossibilité


,
de vivre
.",

~
en assumant les réalités de l'existenc~ Cette angoisse méraphy-

sique est exprimée clairement dan$ une phrase troublante: "Le


, l ' J
. .pas!!é m'attire, le présent m', Jffrayé parce que l" avenir c'est ..

("la mort." (18)


. 1
,
1

D'autres~ontes de Maupassan~ renferment des comparaisons


t, liées au thème de l'eau, les unes s'avérant assez ~nales, par

exemple: "les yeux bleus des fenmes ( ••• ) profonds conne ~, mer"
(

(19): ..d'âutres sont plus complexes, par exemple celle qu'on re-
T' ''\
, (, <0
trouve dans "Madame Hermet". Le narrateur conçoit ~a folie qomme
..
" 1. (_\ 1
un bienfait de la nature qui permet ~'échapper à la décevante

réalité et de'pénétrer définitivement dans l'univers de la fan-


"
l " !
1:
taisie. Aussi fascin'é par les,'fousr il concrétise
'c
son
6

18) "La

19) '''Un cas ,de divorce", p. 251. (Pour un amoure.,vc éperdu ~e .


la mer co~e Maupassant, ce~ comparaison peut. émouvoit
"
pro!ond6ment.)
I/!l
,
J i'
, 1

.!
, 1
1
58.

(
idée à l'aide d'une comparaison suivie: "J'aime à "me pencher
• f
sur leur espr1t, cOmme on se pencbe sur un gouffre o~ bouillonne

tout au 'ond up torrent inconnu. gui vient


" /

0q ne sait d'oÙ et va
, . '.
on ne sai' oÙ. I • (20) L'image du gouffre suggêre la descente dans
~

les m~andres d,,-l' inCO~' mais elle comporte un risque de chu-

te. Le héros es' attiré par le phénomêne d~ là vé/anie, mais il ~


refuse d' appr~)ondir davantage son analyse ~ se cohtent~ d'obser-

1
ver cé mon dei inusi té. En effet, il ne sert à rién de s'interr~ger

sur les idées des fous car elles ne procêdent pas de la lo~que,

comme ce torrent souterrain dont on ignore to~jours l'origine et


/!II

Pourtant, le personnage !.es~ préoccupé par la ques-


1
1 la destination.
f
.~ tion de la folie, comme Maupassant à la même, époque.

. L'examen du thême de l'eau révêle la prédominence des eaux pro-

fondes et noires, 'gé~éral~ment liées' à un:' visF~ra1.e angoisse 'exis-

·~tentielle. La riviêre perfide dont la surface brille pour mieux


J ~ •

leurrer le pêcheur, le canotier ou le baigneur, augm~te le sen-


-1 ,
timent d'insécurité et'p~ovoque une~peur incontrôlable devant ce •

qui,semble ou qui \est d'ordre surna~urel.


.
Par contre, la mer s'a-
, • l ,

t 1 ~
vêre généralement une source de vie, lun élément q~i rassure l'être

en vertige. Toutefois, elle peut se soulever et engloutir dans


il' 1

t
( 20) "Madame Hermet", P. 309-310. (c'est nous qui soulignons.)
\
J 59.


t( ,!
~.
,..~~ ..

~ ~~
,
.,.Y
)
- ....
_

son sei~_l'imprudent qui la féfie/ en raison de cette caract+-

" ...
ristique, elle cause parfois de sombres pensées, d'autant plus

~cusée8 chez le r@veur ou le dépressif. En~in, des quatre ~

léments fondamentaux, ~upassant préfêre nettement les r~veries

de l'eau qui expriment fidêlement son apptoche'" ambivalente de


~

l'existence (et lès



personnages plus ouy ,moins identifiables
,
à

lui). O'une part, il se sent enivré par l'air marin et il est, v

avide de connattre toutes les expériences, d'éprouver toutes

les sensations et tGUS les sentiments: d'a~tre part, il redou-


, .
te, les vicissitudèa de la vie et les affres du destin. Oe plus,

A travers ces étranges récits de- canotiers, d'aventuriers ou de


~

r!veurs ~90iSséS devant~l~ rivi~re trompeuse, ou l~mer noire

l,
comme de l'encre~-se dessine une menace A peine voilée: la

~la
'1
l'
peur de l'inconnu, de la mort pu' fOliet Ce climat est
t
propice à la création d'un ~~ntastique'des plus trbublants

puisqu'il favorise l'identification du lecteur au narrateur f

ou au personnage, placé devant une situation problématique aux

frontiêres de l'inexplicable. Ainsi le thême de l'eau favori-


, / ' ,
se-t- il excellenunènt dans l'oeuvre de Maupaâsant, l'éve,il et

l'expression de l'envoGtant et matéfi~e vertige, de~bomme


,
devant le surnaturel.

,$
wBalottés sans cesse sur l'oç6an des incertitudes-, les
60.

(
('
\

êtres humains se tournent aésespérément vers l'amour pour don-

ner un sens à leur eXistence~ pour trouver une consolation ras-


1
surantefpresque maternelle, satisfaire d~s besoins physiques

et/ou affectifs, et enfin, découvrir l'instrument possible de ~


, ' lliV

~ leur salut. Dans la premiêre partie de ce travail, nous avons


'r ri '.
dit que Maupasshnt, influencé par Schopenhauer,
,
démystifiait ~

l'éternel féminin et,-partant, l'amour: il illustre cette con-

ception dans plusieurs contes, notanunent dans liA vendre". On


\
\

se sou~ient que le- héros apercevait une photographie de femme


/

qui le fascinai't aussitôt: "je la reconnus bien que je fusse


,

certain de ne l'avoir jamais rencontrée. C'était elle, ellé-

même, celle .que j'attend~, que je désirais, 1 que j'appelais,


, ' ~ ( /

dont le visage hantait


. mes r@ves." (21)
. Cette femme cristal-

; lisant leur idéal de l'éternel féminin, les protagonistes des


\
contes fantastiques de Maupassant la recherchent sans cesse,

" , mais sans jamais goQter les délices d'une relation amoureuse

à ~a llauteur de ~e~rs a,flpirations. Autrement dit, certail'\B ne ~ t

, ~ (trouvent jamais la femme tant désirée et consument leur exis-


!
F

tence en plaisirs qui n'apportent qu'insatisfactions et désil-


f lusions:
'.
d'autres connaissent un amour'sublime, maia un obs- ~

\ tacle survient tOUjOU:~ pour empêcher la réalisation, d'une & C


21) ,. liA venf1re ", p. 220 •
l,
61.

".

union parfa ite.


l\,

Si l'on devait effectuer une sorte de classification des

diff rents types d'amour dans fes contes fantastiques, on


1

1
pourra't les déterminer ainsi: les amours pqres, sensuelles

et- besti les, nécrophiliques et f~tichistes. Dans "L'auberge",

l'auteur f it allusion a~ sentiment amoureux dans toute sa ~uis­

.ance et 92 ~reté: Un seul regard, un seul baiser pudique suf-


C\
fisent pour ~u~ mu.sse ün amour profortd entrè Louise, "petite
\'
"
paysanne blonde">~t
Ulrich, je~e guide qui doit garder l'au-
!
- 1.,
. ~ berge pendant l'hi r, secondé dans sa tache par le vieux Gas-
.fi ~
~
,1
pard. Après la mort u vieillard, Ulrich se retrouve seul et
"
il est incapable~·Je su~ortér ce total isolement. Peu à peu
~

il sornbre~dans la foli; ~ c'est dans un état léthargique,que


\

la famille Hauser le' découvre. Devant la situat~on dramatique

à laquelle elle ne peut rien changer, L9uise souffre, "cet été-

là, d'une rnala~ie de }angueur" et elle échappe de jus~sse à la

~ mort. Maupassant place une barrière insurmontable à cet a~our ~

platonique, Oornrne s'il voulait signifier qu·une telle relation

tient de l'i~éalisme et est irréalisable en ce monde. Néanmoins,

un aspect ~ar~culiêrement révélateur retient ici notre attention:


.',

l'impor\ance du regard comme moyen de communication.


'I

1
\

62. ,,
\
,
,
\

( ,
\
Louise et Ulrich expriment leurs sentiments récipro-
\
ques à travers ce langage non verbal qui contribue A en-

tourer leur amour pudique d'une aura de mystêre et de pure-


l
té. L'oeil triste de la petite paysanne interroge celui

d'Ulrich, qui apaise son inquiétude en la regardant avec

insistance. Le muet échange s'affirme dêfinitivement par


, /'

un serment à peine murmuré: "N'oubliez point ceux d'en haut."


1
,
Elle· répondit "non" si bas qu'il devina, sans l'entendre." (22)

Il n'en faut gu~r~ davantage pour que grandisse un amour pro-


(,

fond éntre les jeunes genscque l'hiver et la distance éloi-

gnent l'un de l'autre: mais la folie d'U~rich s'avêre i'in-~

surmontable obstacle qui détruit cruellement les illusions


- --,''.
de Louise. On ne relêve aucun autre conte fantastique de

Maupassant o~ il soit question d'amours pudiques et le seul

qui aborde ce sujet, "L'auberge", ne fait que démontrer l'lm-

possibilité de sa réalfBation.

Dans ses contes, Maupassant s'intéresse davantage aux a-


~
,<
,
meurs sensuelles, car il croit que cè type de rapport, est
.
1
t plus commun à la race humaine. Cepen~ant ces amours •ne don-
"
1 nent lieu A des récits fan~stiques que dans la mesure oà
...2)

\ elles présentent un caractêre bestial ou en touticas inhabi-

1
l
(')
"L'auberge", p. 259.
,.
r --------- ." - - -~

,
- \
··~""'~~~-"';.:"7l~ilt'fj~~~..~ ......... ~ ... j,.." ~r~_- ....
.... __ I~ \:

63.

((
tuel. "La mêre \ aux monstres" ..t l' histoire- d'une paysanne
\ \
normande qui, 'aprês avoir succombé a la tentation "comme \el-

les font toutJS" (23), constate qu'elle est enceinte. Af~


1
de dissimuler sa ~rossesse indésirée, elle décide de porter

une sorte de corset "fait de planchettes et de cordes" (24), 1


or ,.
\ !
qu'el,le applique sur' son ventre en le comprilJ!l'nt de plus en 1
." -!
plus tandis que ledoetus ~volue et se développe. Elle don-

ne naissance a un enfant difforme que les qens du paya pren-


\ \
\
\
\
nent pour un démon/(, Un ~~ur, un montreur de phénomênes 'lui
offre une somme importante. . pour cet avorton. ' Etant avari-

cieuse (25), elle en vient a enfanter volontairement des

monstres pour se faire des "rentes comme une bourgeoise":

J elle varie même

Ion le~
a sa quise la forme de ces êtres hideux se-
-..J
pressions qu'elle exerce sur son ventre •
Î
1


"La mère aux monstres" conte. fantastique au
n,'·es~ pas ~
"
...J ,ens de Todorov, puisque le. phénomêne est donnê comme r~e11

il n'y a pas ici de doute, d'hêsitation. Seulement, le ca-


~

23) "La màre aux monstres·, p~ 148.

24) Ibi~., p. 149.


25) Maupassant affirme souvent dans plusieurs de ses oeuvres 1
qu~ les paysans ~ormands sont tri. avares. Il faut se
~fier de telles gênêralisationa, il y a Il une qrande
'C . part d'exaqêration.
,64.

ractère horrible et inuaité du récit surprend tellement le

lecteur qu'il
.,JI
produit une impression aussi forte que ai nous
/

asaiations A ~n événement surnaturel. La maternité apparatt

dans ce co.te comme une monstrueuse veie de reproduction, d~

'pourvue de valeur affective et uniquemeht destinée l enrichir.

une femme cupide. Par ailleurs, la vision de la paysanne et


;
.
de aes amours est tout aussi aberrante.

Physiquement, Maupassant dêcrit ainsi la mêprisable cr'a-',

ture: "C"tait une ~rande pers~nn~ aux traits durs, mais bien
,, faite, vigoureuse et saine, le vrai 'tyPe de' la paysanne1robus-
r
1

,î te. demi-brute/et. demi-femm@." (26) On remarque la tendanée


"" ,-- f
1 t
, de l'auteur A dessiner ce portrait comme la ,fidèle image de

la campagnarde en général. En effet, outre la sinistre a~ti-


1

vitê qui la préoccupe, la mère aux monstres se comporte comme

la plupart des paysannes. Le raffinement et les subtilités

de l'art érotique sont exclus de sea êbat8~ Comme sea pareil-


A f
les, elle assouvit ses ~~t~cts primitifs "au milieu des her-.

~s fauchées",' dana la chaleur intense qui "trempe de sueur


,.
les corps bruns des gars et dea f~lles." (27) ~~tefois,

1 elle se'distingue dea autre. par lé\fluide maléfique~i émane


tf
~
\
26) "La mêre aux monstre.", P. 146. (~••• t noua qui: s()u1~qn01.)
,
i
27) Xhid., p. 148.
- .
\\
65.

de sa per Bonne.
1
# En examinant at~entivement le texte, on rêalise que le

,car-actêre étr~nge de "la Diable" natt d'habiles procédés

s,t;yli8tiqu~8. Maupassant confêre une dimension magique, l


''1'
. un

~tre réel au ~yen d'êp1thêtea soigneuse~1t choisies gour /

peindre le regard de "feu", "aournois et furieux", des compa- ~

raisons i~qées- décriva~ l'attitude méfiante


/
de cette fetm'QE!

"pareille l une bête féroce qui a peur", et enfin, • des expres-


.
sions modalisantes telles que "ce grand corps osseux (.•••, ) ,qui
. '
\ - ..t;
8embl~t fait pour ;es gestes véhéments et pour hurler l la
1
)

facon des lQupSt" (28) Ains~ la mêre aux monstres rev@t'

graduellemen~ l'apparence de "la Diable" et paraIt issue d'urie


~'~ ..... 'F'\ \

race dêmoniaque, plutôt qU~ 'àe "l' e8~ce humaine. La descrip-


1>

tion détaillée des rejetons difformes (semblables a des 'cra-

bes'ou des lézards et~urvus de ~Oi9ts ·~ar~i~8 l des pattes


/

- d'araignée"l, allIée aux

la terrifiante image qu'elle


s~perstition.

p~ojette.
des paysans,' accentue

A l'origine de son aventure, la paysanne voulait surtout


, ,f
...
-di8.imule~ sa grossesse indésir6e au moyen d'un corset. Or

la conclusion élargit la portée du conte et dénonçe la coquet-

"La mêre aux monstres"" P•..147'.' ( C'est nous qui 8ouli~


gnons.)

l' /

\
, ~

/'
~
1
1

i
... 66.

terie des femmes superficielles, prêtes l détériorer leur

santé et celle de leur proqéni~.Jlre pour sauvegarder la fines-

le de -leur silhouette: "Ces monstres-la sont fabriqu~-. au


c'
o
i
1
corset. Elle sait bien qu'elle risque 8a vie l cel jeu-ll~

Que lui importe, pourvu qu'elle soit belle, et aimêe!"


/'

Dans plusieurs contes fantastiques, on retrouve ce genre d'aL-


(29)
'\
lu.ions
. plus ou moins 'acerbes a la nature peu profonde et sou-

vent trompeuse- de la femme, qui séduit l' homme et le prend

inexorablement au pi~ge -de l'amour. I?' ailléurs Maupassant

formule clairement
l',
ses griefs a cet '
égard dans le conte !n-

titulé "Sur les chats", lorsqu'il compare la femme "aux yeux

clairs et faux" a une~"chatte perfid~, sournoise, amoureuse

ennemie,'qui mordra quand elle sera lass~de baisers.", (30)

r' Ain? il se platt l décrire les tortures que subit l' homme
\ .
victime d'une passion sensuelle qu'il ne peut assouvir par la
1

posaessioh.
li>

Dana "L' incoMue", R,er des AMettes raconte comment il


est tombé follement amoureux d'une mystérieuse femme rencon-

trée 1';1%' le pont de ~. concor~e. Aprês avoir longtemps dé-

- siré la connattre, il y parvient gr.ce a un heureux incident

29) "La mère aux monstres-, p. 151 • .


30) _ '''Sur les chats", p. 243 •
.'
p
\
.,
J
~ ""r.'. - , ....,_*~lJIIII'&lW'~I. . . . . . .JU"I. .1I!1 .Cl JI l '1.11 J &#ÎIlI • • 4. l' •• &6 tifl JS""."" "....,...~ ~ ...... 'Io;~"_,,,C__"_ _ _ __

67.

et lui donne rendez-vous a son appartement. Au-cours de

cette matinée d'amour, il sent le désir s'évanouir subite-

-_._--
ment dès qu'il aperçoit entre les épaules de la dame une

singuliêre ta~he noire, le aigne caractéristique des sor-

ciêres. L'a1;:titu6e du héros illustretI:e--.entimeru~ de Mau-

pass~nt l l'égard des filles d'lsrall, dont il loue le char-

me magique. TOutefois, il "éprouve a leur endroit le sen-

t~ent 6quivoque, fait de désir sadique et d'horreur sacrée,

qui\ incite le prOfane l se glisser a couche des pytho-


. \

nissè\ et des stryges." (31) L'expression de cett~ obscure

,.: ) passio~!atteint son paroxysme dans les effets de la puissance


> '

.êductrice,du regard, l'attrait de la chevelure et du systê-

me pileux. \

Le motif du regard est fSo'uvent li~ au t-J'lème de l'amour,


/ ,
( .
dans les contes fantastiques de Mau~ssant. S'il permet aux
,
hé~os de "L'auberge" de communiquer leurs sentiments récipro-
ques, il revet ici un caractèrelmal'fique. 'En effet, ~le tr~u~
t n t rega;-d de l'inconnue séduit' immédiatement Roger de. An- , ,,
: '
,
• nettes et bouleverst toute son exi8t~ce. Désormais, le héros

est pris au piège de l'amour a cause de ce "regard opaque et

31) Albert-Marie Schmidt, Maupassant par lu~-même, P. 115 •


..


.. >

/
"

68.

((
vide", ·'trange et l'OOrt", "lo\fZd et vaque· ()2) • Ces A--

pithètes li'es par deux et ~~upjls par une conjonction mar-


• ~!,\

,quent les diFférents attributs de l'oeil extraordi~aire qui


possède une double entité ; d"une part, les tenJ~1 ~.dP~que, ~
,
j

;., étrange et lourd" en suggèrent le caractère bizarre et sur-


1
- ,

naturel: d~autre part, les mots "vide, mort et vaque" évo-

quent l' absence de vie. . Pourtant, l'inconnue inspire le dé-


o
,

"

sir et .uscit~ la passion: son regard maqnéti~e héros


"comme s'il eCt projetA sur les gens un de ces li~ides épais
Of
dont se servent le8 pieuvres ,pour Ob8curCir l'eau et endormir

leurs proies." (33) L'énigmatique femme possède un pouvoi;.


de séduction 'qui passe les llimites
'" de l'amour humain. Autre-
ment dit, 'elle apparalt au héros telle-une des magicienn~-'~

des Mille et une nuits, dangereusement attirante, sa beauté

exotique, alliée a la taChe distinctive de. sorcières, la mA-

tamo~pho.e en un @tre maléfique, une sor~ de vampire qui s' apo- .

\ proprie le coeur, l'ame et parfois le corps de llhomme soumis

Q
!
'/
par ses charmes.

(
La cbevelu~e' et le systhle' pileux de l'étrange inconnue
,j

'1

" " . '1


\

32) "L'inconnue", p. 227-228-229.

( "\' 33) rbid., p. 229.


Jo}

, 1
---------~~--~- --~-~-- ,-" - ~-'\~~' -'-.-,,-~--~ .. -- ~ ,.
~~iI""'_""""iI\IIII!1:~ 'LllS •. liiJlII "lM_ IIU•• li! aUA .M: J ......... i ,•••• r • p .,
-~--r-~--'--

• 1

69.

'/

r(
contribuent l attiser le d6sir et l déCUPj.er l'atttait

qu'elle d~gage. Ses cheveux bruns, "luisants, mangeant le

front, et des sourcils liant lei deux yeux sous leur grand

arc allant d'une tempe a 1-' autre" (34),' soulignent l' inten-
,,
- 1
1".1 '\.,.
1

sitâ du regard, tandis qu'une "mo~stache visible" encadrant


,
la lèvre sup~rieure suscite le rêve d'~mour. Le f~tichisme

du hêros l l'éqard des,pilositês


"
fêminines surgit d'un ' pen-

--: c~t êrotique de Maupassa~t lui-~me. De plus", il transpo-


se non seulement l'une de ses manies sexuelles, mais il tra-
> •
.. " ..... or <-

- duit êqalèment une conception mythique de la f~m1ne juive.


~ 1
,l' ,

Comme l'auteur, Roqer des Annettes ~,sf d~chirê entre le


............. )

'd'sir de conquérir cette diabolique be 'ut~ si d~si~able et

"'(là peur d'affronter le c~ractêre sac ê de la fi~le d'I'sra!l.



-
Pour rêsoudre le dilemme, il doit ch isir de posséder la fe~
Iii'

me aimée, en risquant de se perdre, lauver son lme en renon-


.. ,
;'

çant a apaiser les tourments~de la slion par,. l'accomplisse-

lment de l'union charnelle. Il opte la seconde


/
solution7

seulement-, il .era dé,sonnais ronq' r le "désir inapailê" et


,
J , t
1

hantê par la vision qOnante de la " emme ensorcelêe". Pour a~ ,,1

voir en quelque sorte tenté le diab e, il est cont~int de

supporterlla prêsence ~nirique de l'inconnue'dont l'êvocation

\1
34) "Lt inconnue", 0 p,~ 226.
\
,---,

~ 1
"~
~. .'j ~.
/
70.

aMihile. toute poasibilit6 de jouir v6ritab1ement d'·une re- !


lation satisfaisante avec les autres femmes, nl mo~.
.
qu'el-

les ne lui ressemblent",."


..
ilL' inconnue", c'est "la "s6dui.ante amoureuse "vlsible mais
1 . ,

insaisissable". Le hêros refuse inconsciemment


,., la possession
. "
en raison des superstitions qui frappent irrêmédiablement tou-
.
,
,te Juive
,
dans
'
lÎ esprit de gên6J:"Btions d'bonnes: "Qu-l est-elle?

. Une Asiatique, peut-etre? Sans doute une juive d' 6r~ent? Oui,"
~ ">.

uhe juive~ J'ai dans l'id6e'que c'est une juive. Mais pour-
t ~
quoi? Voill~ Pourquoi? Je ne sai~ pas~" (35) Cf! conte ma-
, "
-<> ~
nifeste aussi une constante ~n ce qui concërne l'fnac~~ssibili-

t6 de l'être qui
.
a~rai t pu concr6tiser l'
l
iq,~al.,..,tiIl\i.J\J,
----....-/, "J
que ré-

. cherche la plupart des h6ros de Maupassant. Peut-être Roge~


. . '
es crain~-il de d'mystifier l'inconnue s'adonoant l

l'acte ureux ••• 0 NêanlllOin~, cJrta.~s


9
persbnnages des contes
'

~antasti~es ~rviennent l êonnattre l'enivrante extase de 1& 1

paasion 'OUVie. mailo par J.a voie .!le la nêerophUie. .

"
: Le hth'os de/ "La chevelure" est pr'sent6 comme un fou; at.....
, \>~

teint d'une "folie 6rotique et macabre". D'abord, ce conte ne


/

, semble qu're appartenir au genre fantastique (toujours selon
o 'l
/
":a~)'
~ -L'inconnue,
• p. 2~l.
\,

,
.,
f'
r;
,
~,
.
, . ____ "n,
__i _ _ _""'-''''''''''''_lh.t_A!IIII'\I •••tUtl'iIII!
",,~.

1Ie"'...,.,..Vl1'LA llil._. ,l ii4""" .l1li" 1 •• . '

1! •

71.

la théorie de Todorov), puisqùe la folie du personnage est


l '
formellement d~agnostiquée. Pourtant, si l~on considêre le
, -
récit en 1ui~~~e, c'est-A-dire le journal rédigé,Jtr le ma-
Ail
lade, on Pjrt se 'laisser emporter dans le monde troublant , "/
, 1
d'un amour(f'ti~histe.
1. ,- .1
Unah
r riche~ incapable d'éprouver une passion ou un
1
1
1
f

,1
, ',1
sentimelJt amou ux, fait l'acquisition a'un meuble ,italien du
" ! ....
" .xvIIe siêcle qu' il cont~mple avec une tendresse d'amant: "pen-
,t >1 1
• • la
dant 'l'iùit jours', j ' adorai c~ meuble. Jjouvrai~ chaque instant
/
ses f9~tes, ses tiroirs: je le maniais avec 'ravissement, ~-

" :' '-la$t toute. le~ iiOies intimfs de lp po~g~~ion.N ( 36) Un soir,

0, " 1,-1 découv~e


' .
une belle chevelure blonde dissimulée dans une l''ca-
;'

~ chette ~u meuble. AUs.~tat il est troublé par' le par~um de ce


"l ' ' ,
1 bel objet, dernier
, vestige d'une fe~ .
d'antan. Soudain il lui

'semble qu'. la. chevelure s'agit~ "comme si quelque chose d~ l'a~,


JI
'Ii

" \ ..

,1 •
(37) A f-orce, de caresser ce flot-,
/
'. rJ
"
'de cheveux morts; il parvient a faire revivre sa propriétaire.
l
" v
-Une nuit; elle lui appara!t et il connatt la joie sublime de
,,~ , 1

, 0
1
n'
"
" . la possession. A~prês de cette adorable aorte, il al' impr9s""" i
, -
( , ..' 1
,,'
" 1
-
~'
36) '''La cltevelure-,< p. 199. (C'est noull qui souliqnons ... )
1

37)' Ib~d., p. 189.

(
..
" .
~
-,1
r. \
'",
, -~
\ .
\
\ ...-- 72 • 1
1 \1-
1
, '
?
(
sion de npOssêder l'Insaisissable, l'Invisible". Cependapt
,
des êtres jaloux de son bonheur le jettent dans une prison

et lui ravis~ent sa belle amoureuse.


/.
. ~

La chevelure' principal objet de ce conte, devient un ~

tif majeur: Maupassant a-t-il voulu peindre les affres d'un


! '

fétichisme qui ne lui es~~pas inconnu, et dont ~l risque de

subir l~s effets s'il le cultive·saus restriction? La(chose


j\
est possible. Seulement, emporté par le vif du sujet, l'au-

teur/décrit fêbrilement ~es plaisirs érotique, d'un âmour nais-

sant de la VO/luptueuse caresse ~'une c1fvelure enchanteresse. /


J ~ous aV9ns.mentionnê dêjà que celle-ci ranimait le passé tout
,
en reniant la mort. ,OUtre cet aspect symbqlique fondamental,
1 / ~
elle êvoque êgalement la f~, l'éternel fêminin dans tout
..
son poUVQir de séduction. Toutefois, si le héros possède ma-

mentanêment l'être idéal, son bonheur reste éphêmêre. En effet


l'
1

.l'obstacle surgit brutalement de la sociét~ qui s'empresse de

censurer les agissements de ce nfou Obscê~·.

~ •
j'
Déçu de ne pouvoir concrétiser,8on rIve d'amour, Maupas-
1
sant et certains de sea ~r80nnaq:;ftrouVent une compensation
rassurante dans la caresse, de chêveux
t
f6minins ou de leur "sub-

.titut vivant", 1.f pelage soyeux du chat. Dans le conte inti-

tulé ·Sur les chats·, le c nar.rattur exprime simultanément son

\
( Il l! •. _ "".P i . __ . ASl. .51 . , .
r; " JI }.!.}..~~-~----~--

L ..... Y"~~-~II'".... ~~ .......~~ '~"""nf.....,4~1" LUlb'llt_' 0 "• •4['$ «*db2. Id $"'_;_,_ _ .. __ ...
.t!.~"",'U""'!'_ltI","l4
...... ~-~----- ..... ~-
'"

73.

p ~

attrait et sa répulsion envers la race féline qu'il compare

a la f~mme. L'auteur s'identifie au héros quand il transpo-


\ ,

1
,

.
se un s,ntiment éprouvé depuis l'enfance: NJe me souviens
, t.-
,J .qu' étant. enfant, j'aimais déjl les chats avec de brusques dé-
-sirs de les -étrangler dans mes ~Petités main)'
l"~
1.. (3'8) f Ce dl-

tail f~vêle l'origine probable de l'attirance et du,dégoQt;J

éprouvés a 'l'égard du chat: peut-@tre y-a-t-il dans cette


.' " 1

attitude ambivalente la manifestation 'd' ~',besoin affectit'·

inassopvi ou une réaction d'autodéfense et de révolte contre


, -
les désillusions d'un monde déjà entrevu l la lumière d'un

pessimisme foncier.
. ,,

' . A '. , /

L'~dé~jd6 soulager les maux du corps et de l'esprit par )


,
lae"càresse d'un démaloir d'écaille" èst une sensation que ~

Maupassant, . s,ujet l de violentes migraines, a souvent. recher-


<1
chée. ot, ~ns "L'appari~ioh~, un spectre de femme prie un
.' /1
jeÙne ~omme ,terforis~ de ~igner sa lonque èhevelure noire ft"

afin de1 calmer .es sou}frances.,. c~ sous l'effet d' un ~cJ~-


i . .,
me irr6riStible, le hér,os se, rend l,sa demande. Pendant qu'il

manipule cette "chevelure de glace", il a l'impression de manier


1

des ser~nts. Sati~fait~ le fant~me le remercie et disparatt

'l' ..
o 38) ·Sur-l~s chats", P. 242.

.. " 1
_.--"
._. ~--- .

74.

subitement. Le rituel magique de la "cêrêmonie du peignage Il ,


1.
selon 11 express'1on dIA.-M. Schmidt, ~ut libêrer le cerveau

des tortures qui le minent ou dêçên~rer en une obse.sion pou-


/7" ,
f .' ,
vant conduire sur les pentes sinueuses de la folïe. Certes,

la peur,du hérps vient vraisemblablement de la troublante in-

quiê~de 'devant l' inconnu1 pt?urtant, il semble ressentir un

cert~n plaisir en accomp~issant.sa tache, l moins qu'il ne

soit sous l'effet d'un envoOtement: il ne Be contente pas de

~~<Jner la ch~ure de jais: "je la tordis, je la renouai et \


-t
la dénouair je la tressai co~e on tresse la cr~niêre d'un che-
;.\
)
1.

~ val. Elle (le spectre) 9Joupira~t, penchait la tête, 'semblait

~heureuse.M (39) Néanmoins, il apParalt évident que l'auteur


1
i"
.f
1

~ projette l'ci son proj;n;'e penchant êrotique pour les cheveux de


"
~ " .,. no

femme. Ceux-ci le consolent de ne pouvoir posBêder dans toute,


( ..
a la~mesur~~
son entit6 un 'tre rêel,
f
. son i4éal •

Si on e~amine l'ensemble des oeuvres fantastiques de Map-


,
pa.sant, on constate que les héro's, en qu'tè dl amour ne ...r6u,ais-

aent jamais l trouver ou a posséder la femme de' leurs r@ves.

Il s'ensuit une, conception assez pessimiste de ,la femme, qui


'.
\. ~ \ '
est presque toujours une source de déception, comme dans "La
,
, -.
(> > ,
cr-"
39) ,IIJ,' apparition",
, ,
p. 165.
~
~

0'

~
....
\.
.q: ',C> •
,
1
1
~
,. \ (j •
1
. .. « tt . . . .JIt# ~ __...... __ ....

) 75.

('J
morte". Un honune déplore le dêcès/ de sa bien-aimé'e. Il d~-
.",
cide de passe~ la nuit sur sa~tombe. Soudain, il entend un

"bruitl confus" et r~alise que les cadavres sortent des tom-

beaux. Chacun efface l'inscription de son êpitaphe et la cor-

rige en ~crivant ce qu'il fut v~ritablement durant sa vie.


\ cl
Aussitôt l'amoureux ~plor~ se rend près de la to~ de sa belle

et il lit ,avec sl~upeur l' affreuse v~rit~:. "Etant sortie un jour


<
poulr tl';"omper son amant, el/le eut froid BOUS la pluie, et mourut."
,~

(40) Ce r~ci t comporte une double sign1.ficatibn: d'abord, l' im-

POS~ibilité d'un amour l la hauteur fes aSPir,atiOns de l'~()11..e,


-puis un profond sentiment de dê,illusion ~t, une vi~ion d~valori-

sante de l'4me h~ine.

,
Somme toute, Méiupassant est persuadê que les ~tres humains

contin~ent de "s' accO~Pler" par ~ ~,tinct de reproductio~ et que

la'possession, conçue dans cette optique, tue'l'amour; ilèx-


, \

prime son opinion~ ~t le truchement du -héros de ,.un cas de 'di-I


~

~ vorce": "A partir de la seconde mfme o~ je l'ai tenue dans

~s bras, ellJ! ne' fut plus que l'@tre dont la nature s',était
. i
~;
servie pour tromper toutes- mes espérances. •
n ,-
(41) Aussi: fait-
)
~, '
111
; J
1

1
i
.40) "La morte", P. 322.
1

Ci 41) ~
-On ca. de divorce", P. 252.
"

,
't f
76.

il l' apol09ied de l'amour libre, '"la seule chose gaie et bonne ,


I,'-! ,
'.
au mon_de", dans l'introduction de "Lui?". Désormais, l' homme
(

cueillera toutes les fleurs parc~ qu'il ne.;:: peut . en c~ltiverlune

seule: "Plus que jamais, je me sens incapable d'aimer une fem-

me, parce._que j'aimerai toujours trop toutes les autres." (42)

Dans cette êpoque de ~'cadence corromp,ue, o~ ~'amour sen,uel


, 1
joue souvent un ~
r~le d'exu~oire, les·béros fantastiques de Mau- ,
• • 1

passant ont parfois recours au rêve ou a la rêverie pour S'ê.,-


1

der des contraintes d'un monde tr~ matérialiste. Seulement, ces


fabuleux instruments qui transforment la rêalité, en êpausant les f
) ~)
MYstérieux détours de l'inconscient ou les méandres tmprévisibles
/ l ,
. ~

d'une imaq inat ion. débridée, n'offrent pas toujours une image ré-

jouissante de l'existence. "

Daps HA vendre", 'un jeune homme s'adonne' d'aqrêablea r@-

veries et entrevoit la ,vi. sous un~1our ~rveilleux, l tr~vers


,
'. "la ~udre d'or des ,onges" (43) J il ~ittera malheureusement

l'univers 48 la fantaisi~ et d'laissera se. ambitieuses a.pi~a­

tiana, en percevant le"d'ceva.nt Vi.aq~ l'humanit'. A~i


l'être parvenu a maturitê
..., 1
sombre qénêralement dans lea Jonqa.ries -
r <,? I~
'1
. ,
".

\ 42) "Lui?", p. 169.

J '
43) -A ven4re", p; 21s.
r

.,
77.

j
" r
amères qui accompagnent d~sormais la démystifiante lucidité
\

de l'age adulte, comme bo~ l'avons eonstaté en étudiant les


~êveries suscitées par les eaux noires et profondes. Si la
:

. ) . ~~verie
\ natt de \ la méditation d' une "pensée qui vaqabonde"~.
"
(4:4),
,
le r~ve surgi pendant le sommeil
. échappe totalement'

'au contrOle de la raison, qu'il soit enivrant ou., amer. Mau-

passant t~nte

d'élucider la question dans nR~ves".

Après un dtner d'amis, chacun se plaint de souffrir de

l'ennui: les jours s'écoulent sans que rien de particulier n'a-

.!
grémente des existences trop paisibles. L'un des convives avoue
qu'il déairerait surtout "dormir sans r~ves", ear ceux-ci ne sont
1.
1 pas toujours plaisants: ~ussi pense-t-il qu'il faudrait, Ldéa-
, "
;
\ lement, "r@ver éveillé". Un médecin soutient qu'il faut un
1 .' /' ~
qrand travail dé la volonté pour réaliser cela
.
et que "cette ~

1
prome~~de ~i notre pensée l travers des visions charmantes" (45)
1) ,
dO~t venir naturelle~nt, sanl être provoquêe. ,En revanche, il

~ auggêre la ,,,po...ib~lit' d'une évasion par l'inh"lation de l'êther,.


0,
1
,
> ,

~ .
Toutefois, aprês avoir d'cri~ une exp6rience qu'il a lui-Jlême
"
.'
v'eue" il refuse de prescrire A sea compagnons eet élixir de
tk. """r~~

/~ .bien-e.t.::e" en leur, di,ontl d'aller ... "faire empèlaonner par


/
") P. 218.
(
\ 45) .104.

f
~ _. ________ ,_. __ . __ '
,,
,
.
i
:

\
\

, (
-~d' autres~"
,
Il

Il ressort de-ce conte" que le rêve devrait toujours pro-

curer une agréable évasion de ,la, vie quot~ Or, pour


un individu angoissé ~ont les pensées sont hantées .par.des vi-

sions obsédantes, il peut s'avérer, une source de désillusions,


"
-
voire même~de terreur. Auasi l'éth~r parait-il d'abord comme

le miraculeux palliatif. tous les pro~êmes de l'amer il su-

,blime la réalité en favorisant le "décuplement db facultés men--

tales" (46) et apporte une intense jouissance par l'acuité de


'<t

i
_.
la perception sensorielle poussée l l'extrême limite des possi-

l
bil~tés humaines.

" .. "
~
\, Pendant la durée de l'effet, l'éthéromane se crpit doué d'une
"
extraor4inaire puissance: "Ma t~te était devenue le champ de
~
lutte de~ idées. J'étais un @t~e supérieur. armé d'une intel-
~iqence ;llwincij?le lt • (47) La drogue remédie alors a l'impuis-
W ~
sance de noa "sens qrossiers", d6ficien~e~ déplore les héros
d'au moins trois contes: ilLettres d'un fou". "Le BorIa" et

"L·homma,~ Mars". Cette constante dénote une évidente préoc-

~upation de Ma~ssant: explorer le monde de l'invia~~e.

l
\

46) "R'ves", p. 106.


·,' .
C
l'
/'-\" )
J '
J.
Xhid., p. 106. (C'est nou. qui 8ouliqnona.)

- .(
/
.79 •
, r •
On se souvient que l'auteur chercha non seulement l

anesthésier ses' souffrances p~siques et moralesr~u moyen


• 1)

de l'éther, mais également qu' il ~c.rivit sous l'influence de

ce produit dont l'un des effets


, s'av~re
. être l'autoscopiè ex-
, /
\. terne, c' est-A-dire la;~ hantise du double ou de l' @tre invisi-
\ #

'b,le. Toutefoié, le r~ve qu'enqendre l'éther se V termine par

un ,brutal retour au réel qui cause un "effroyable chaqrin",


~ ~
une ~saqréable impression de sombrer dans le néant de la ma-

nbtoni~\~e l'exist~nce. !
\
\

Il'
En défirtitive, ce conte n"appartient au genre fantastique
['
que par 'la perception sensorielle accruè de l'expérimenta~eur

'qui ~onde l'inc~nnu: semblait que ~'a~s goQ~é l l'ar-


bre de science, que tous les mystêres se" dêVOi~Jlt, \tant je)

me trouvais sous l" empire d' une logique nouvelle, étJ;"ange" ir-
, /

1 réfutable." (48) Graffue~~ement, la notion de r~ve a dé.ié de



son point d'oriqine. Au lieu d'un simple . passaqe onirique dont.
la nature avouée tue instantah6men~ le fantastique, on assiste
...
"
. r6ellement &, un événement exo!!ptionnel: les vapeurs d' éther ,
1
j
permetten~ au narrateur de visuali.,r une dimension de l'univers
-'f
.i
autrement imperceptible.

48) nt8ves",' P. 106. +


i .
,.,.
}
/
r

( 80.

iJ
Présentée comme un cauchemar, wLa nuit W donne lieu l une

double interprétation: s'agit-il d'un mauvais rêve ou du fi-


d~le récit d'un noctambule ayant vécu ehe terrifiante expêrienL ..
ce l~rk d'une promenade noc.turne? Le conté' demeure fantastiite
!~.

puiWUe l'incertitude est maintenue jusqu" la fin. La passion

.
du narrateur pour la nuit est l'élément moteur qui déclenche la
'\
vision cauchemardesque. Èn effet, si on le cultive l outrance,
1

'cet enivrant penchant comporte certains dangers tels 'la manifes-

tation'de panique
o
soudaip~.
• 1'"

"
rose APrèi diner, il a~ ~a~tlle'~ '~~s les rues ~ tariS. Ce

soir-ll, il sent qu'il va se pas~er "quelque chose d'étrange".


,
,
(On remarqu~ le vaque de'l'~xpression qui . suggère le caractère
.
indêfinissable de la menace inconnue.) Effectivemen~, il rj-
lise tout l'coup sa sqlitude au milieu d'un Paris endormi. 'in-

quiétude le gàgne et bient~t l'effroi/s'empare de lui. Il erre

désespérément sans pouvoir retrouver sor chemin. Le t:c-tac de .'

sa montre est la dernière pr~ve de Vil' mais il s'arrête sou-


dainement. Aucune horlogd ne fonctionne dans les clochers et
le temps parait àuspendu~ En proie l' l'épouvante, le héros se
l ' \

" retrouve au bord' des quai~ d, la Seine qui semble 1;-attirer vers
..J

ses eaux glac{ales.,

...
o
'

Ce conte décrit les effets délirants de la peur sur l'ima-

9~~~n exacerbée du personnage. Peu •nous ~rte qu'il ra-


~
.
u
" .
1

..

81.

('
conte un. cauch~mar, une sorte d'hallucination ou un ph~no-

\0
mène v~ritablement surnaturel. "La nuit" montre dans foute 1\

l -
1
\
son horreur le ~.rroi d'un homme auX prises avec les ~is-
J
1/

sancei de l'ombre" qui le détruisent peu l peu, après 11 a-

voir s~duit. Par ailleurs, Maupassant paratt s'iden~ifier au

hêro~ en traduisant une émotion qu'il ,a vraisemblablement res-

sentie. C'es~ de ce type de r!ves dont i~ veut se-lib~rer en


1
i -
écrivant des contes fantastiques ou en respirant dé l'éther,
! . 1 . , ,
puisqu'il ne peut éprouver l
/
.
nouvea~ l~ tendre volupté des r~-

'veries qui sont l'apanage de la jeunesse. :,R@ves" e\ "La nuit'"


\
. apparaissent conun& les deux facettes antithétiques de l' univers
1
1
onir\que, que l'auteur désire conquérir, quête dont il redoute
!
1 '1'"
" A
r l'échec. De plus, 1~ monde du r@ve permet de d~pas8er les limi·
~

:
.
1,1
'."\

> tes du possible. Ranti d'un extraor~inaire


1 •
pouvpir de voyance
1j
• par la magie de l'éther, l'honune est désormais en voie ~ trou-

ver la clé des mystères ,de l'invisible et d'accéder l.la supfême

connaissance. ~utefois, la déc9uverte de l'inconnu ne s'acco~


da.nq~r,~~r
1 • .-

plit qhêre sans l'usaqe abusif de l'éther p:ovoque

la détérioration des neurones. Ainsi li Otre humain risque-t-il

de devenir l'agent de sa propre-destruction en voulant dépasser

les limites de son c~rveau. Il appartient donc l chacun de d~-'


<'
eider si le jeu en vaut,.,la chandelle: "Mesdames et Messieurs, (

l'
r~ __"'( ...~ _....-..._ - _....._-~---....._ _.....J--.;...:.-.;..~ :"_,'ll .....

1~'

82.

r
- i
(49)- • •
si le coeur vous en dit?"

..
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rI'
49)

, p. 106.

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~ .,
-. ", .• ~ .~,~' ...O~'I',:".:,., .... q ..... t·~ .. t~~~ ....~~.l ...', ~ ~ . ! ~ ~
\

1\
(( l CHAPITRE II

"

LA PEUR, L"ÈTRE INVISIBLE ET LE s..

<,),. 'l.t..
Si Maupassant n 1 exploite pas tellement du rêve,

c'est qu'il préfêre créer des récits o~ le rsonnage se trou-

ve indubitablement en présence d'un phjnomène,surnaturel, le

~
plus ,ouvent terrifiant. Qu'ils prêsentent un ton ironique ou

inquiet, la plupart de ses contes fantastiques aissent perce-

voir, de façon voilée' ou'explicite, une peur san


\
cesse gran-

dis sante et de plus en plùs accentuêe, 1882, soit

au moment de la publication du "Horla" (deuxième Dans

"La ~ur", daté~'de 1882, le 'narra~eur prêciselcla


" .

tu~e' de ce sentiment: "c'est quelque chose d'effro ble~ une

sensation atroce,~comme une décomposition de l'.me, 'un spasme


!
affreux de la pensêe et du coeur, dont le souvenir seul donne
) •, des frissons d'angoisse. ( ••• ) cela a lieu dans cer~nes cir-
l

constances anormales:" (1) 'La peur n'est pas l~ crainte de-

va~t un "danger pressant" ou une· "mor~ inêvitable": elle n'exis-


0

te vraiment que devant l'inconnu, le surnaturel ou "en face de


.. 1
risques vaques". (2') ,,1
1

.. - 1

,,' /

-
pi:; Au moyen de deux rêclta portant le Dl~ titre, "La ~ur"
l, \,..."
-1
.:
J

'J
tr,
il<
('J
'i-,f
. 1)

2)
·La peur"(1882), P. 110 ..

Ibid. (lSJ2" p. 110.


~\,.
1:

...
,-'

'i

1 ,
~",Ul·,~"l""". 1'~M/i'I\!IlI""".!IJW_._ .11.Ut•••tI.t.llk _II 1 L1111'••• -
_ ......._~- __
~
~---..._., ...... ___ ......
,
, J

: 6 84.

((
!
(parus en 1882 et 1884),
, Mau~ssant tente d'âlucider le ph6-
"
nom~ne l l'é~r~ il appuie son argumentation sur d~~ ex-
emples puisés dans
,
des croyances populaires
. ou des expérien-

ces vécues. Ces contes se ressemblent par leurs structures

similaires 1 ils débutent par une sorte de définition de la

peur et èomportent chacun deux anecdotes en guise d'illustra-


.
tion. Cependant, les récits diffêrent dans la maniêre de trai-

ter le sujet: l'un comporte des , explicabions" logiques' et d6-

4rystifie la crainte du surnaturel, l'autre démcmtre que ce~le-'

ci patt de l'inexplicable et maintient ,l'attrait dtt fantasti-

) que, car l'homme a besoin de croire a l'impossible: nJ'appar-

tiens 1 là vieille race nalve accoutUmée


. a ne ~s comprendre,
.. ~
\ , , ' 1

a ne pas chercher, l ''he pits savoir, faite aux mystèr~s envi-


( .
r6nnantlS et qui se refuse l la simple et nette vérité." (3)

.'
Ainsi l'auteur nJ s'efforce pius de vaincre l'angoiss~ éprou-

vée devant un phénomène effrayant; mais il essaie plutO~ de


.
·justifier son extraordinaire attirance vers toute manifesta-
.
, Ilè
tion, si effroyable soit-elle, supposant l'existence d'un

monde inconnu. w

-#JI
l ,'_
r s 1 "La peur ft , da,t.~e de l882~ le nar~ateur. raconte deux
,


, 3) -La'" peur" (,1884), p. 202.
1
,
f

..
r. ............... _-_.- -. ~-- , ,

f
o.
t , 85.
(

"~
aventures qui montrent comment-un individu l l'esprit rat1on- ,'.

nel et g~n~rale~~nt:~ourageuX .. peut ~prouver une pe"lr i~~ontre­

lable quand il se trouve momentanément dans un ~ili~~propice


aux légendes et aux superstitions. Le premier récit se dérou-

le au sXn du d~sert africain. . 'tr-aver';;~2e.t..océan


Tandis qp' i,l' ~~~ ...

de sable, le hé~?s entend l~ cri ~'un Arabe ~t un mystérieux


roulement dF tambour, ,celui drS dunes, auquel les gens du pays

attribuent 'une menace de mort.' sou~ai~, son compagnon tombe

,"foudroyé par une insolation". Aussitôt


, l' homme sent se gli9-
"

~er inexorablement en lui "la vraie peur". ~u'importe s~ ce'

t~our n'est qu'un "mirage du.son": la mort subite de l'ami


1
est la colncideqce qui ,déclenche une réaction émptive, ampli-
~
\
fiée par une croyance po~laire. Le second récit se si tue dans

le nord-ouest, de la France.
,-"')
~ar une soirée 'd'hiver sombre
, et
lr , !
"glaciale, le héros se 'l rend chez un garde forestier, qui le re-
. l ,
"'çoit a;-mé d'un fus'!,l. " Le vieil homme, ~edoute la venue du spec-
,
1
tre d'un br~connier, qu'il a tu'. D'abord, le narrateur sourft
l'

;
r • devant cette "terre~r superstitieuse": ~ia peu a peu, certains
.( ~l

fafts insolites (le (chien ~i hurle "vers quelque chose d'invi-

1t t'
aibl,e"," un être "glissant contre l~ mur") II impre'ssionned"t vi-
~
l,
, vement, si bien qufil frissonne de peur.
7
!
,(
, A l'aide de les anecdotes/ Maupassant démontre que, dans une
! 1f
,l'
1 1 /'
/
l'
\
)
1j ;'
"
-
i'

atmo8ph~rè de superstitions l
.
~aquelle
,""
s'ajoutent de trou-

bl-antea .colncidencea, l'ho1Dllle le plus brave peut elf"arriver


~

. ,

l trembler d'inqui'tude et~de peur, car il quitte alors in-


'4-
consciemment le. djine d,e la raison et se lais:e dominer"

par ~8on émotiVi~. Par ailleurs, l',uteur utilise divers

procédés qui accentuent le caractère.fantastique des évêne-

~nt8: il Y excelle particuliêrement ""dans le second récit. .• !


1
Dtabord, cl'h~nisation de la for@t Poussant un "gémissement
\
de .ouffrance" et les "hurlements- (4) du vent semblent dêjl

( annoncer le drame' l venir •. Puis, ~ réticencd du héros devant


~

le. étranqea propos du quide et du qirde prévient le~objec-

tions du lecteur, tout en endormant sa raison et sa méfiance.

A la faQon d'un romaneier o~ d'un touriste, le protagoniste


'li'
voit un intérêt pittoresque dans ce divertis

••nt spectacle jus~

qti~A l'intrusion brutale de l'événement surnaturel: "Le voilA~

L. voi~ ~) Je 'l' entend.~· (5) M@me le chién I.nt la pr6sence

!
t
,

intére.san~
\' .
dU spectre et il .st "comme hanté d'une vision"

ae noter ici que l'@tre ~islble ne se manifeste


(6) Il est

.,
4) "La peur~ (1882), p. 112.

5) Ibid. (1882), p. 115.

6)
~

On r~marque l·ex~e
.
•• ion modalisante qui,*ug9êre l'exis-
,\

f
tence de l' ftre fantastique au lieu de l' aff irtner ouver-
--'--. C-' tement. (C' est noua qui soulignons.) (,
,
..
f

• t t
..if.... ___.} •
.
... , q;;:.,.".Utl.,J..... ij IJ ~--.._

!'

87.
r
(
"
qu'~ trav~rs les r~actions de la b~te. Cpmme l'animal di.~

tingue, des odeurs et des sona imperceptibles l l'homme, pour-

quoi
fJ"
ne d~tecterait-il PllS ~galemènt les myst~rieux fluides

qui êmanent d'un revenant? C'est Il un habile procédé qui

'mystifie le' lecteur et augmente la vraisemblance du récit'.'


,
1

Di autre pa~t, la peur atteint son par~x\rsme lors, de l'a~~a;/'\,


tion du fant&ne que le garde tente d'abattre:, ·soudatin une

tete apparut contre la vitre du judas, une tête blanche , avec

des yeux lumineux comme ceux des fauves. Et


. . .-un
. . .son sortit ' de
sa bouche, un son indistinctif,
, un murmure plaintif~" (7) Le
,y

, 'î
fait d'employer 1e mot "bouche" a~in de désigner la gueule sûf-

fit l humaniser .la- b~te. En apprenant la mort du chien, on de-

., vine sans peine ,que le spectre ê~ît la cré~tion d' imaginations


... li;
subjuguées par les superstitLons et que ~'effroyable créature,
.
entrevue,l travers le judas, n'est autre que le chiën gisant

près de la porte.
.

Contrairement au héro~ du conte précédent, le narrateur de


• . . \ .l
"ta peur·, datêe de 1984, déplore la disparition graduelle du

fantastique, en raison des d8couvertes scien~ifiques: 'il vou-


drait connaltre cette enivrante angoisse au contact
"" ~, ( 1 •

~d'~tres
.'
. ,
1
.,..

"La peur~ (1982), 'P. 115. (C'est nous qui soulignons.)


~ 1

'~
1, r
.z~ • ..l:t>"' ...... .
~ "1l.,1l')I~~ _~ ..,"h.: '~"\\...1+
,
-~~

.••i,,;1JWti~$]i""t"
-,- - ~

" ... .".........~~"~~lJ"6-,"'_


,-1

...............___... ~.:w;
..

... f. _. .
.

88. '"

fabuleux" ou de phênomênes
, .
surnattire~s. Or; si l'évolution
. . .'
de la science menace d'abolir leè croyan~es magiqu~, cbmment

'assurer la survie du mythe autre~n~~é par ,l'affabulation


o
~t~,~
~ j ' ~
le fantastique? Dans ce pass~g~, Maupassant révèle l'origine
~ .
de sa démarche: il souhaite 'immortaliser les légendes popu-

laires et les superstitions étra&ges, en les transposant dans

des contes. Toutefois, 'il ne lui suffit pas de poursuivre ce

but: il désire également cultiver ce genre au moyen de créa-

tionl originales".

Grace l Tourgueneff, rencontré ~


"- ,l'
maintes reprises chez Flau-
.,
\<
<,
bert, Maupassant découvre lIa possibilité de faire rena!tre l' ~->
.. motion devant l'inconnu, -,"la pe~r vague di l'Invisible" (8) ,
.
en imitant la tecnn~que du romancier russe définie en ces termes:
"
"Il n'entre point hardiment dana le surnaturel, comme Edgar Poe
"
ou Hoffmann: il raconte des histoires simples o~ se mêle seu-

lement 'quelque chose d' un peu vague et d'un peu troublant." cg)
J
Désormais, l'auteur se livre plus que jamais a de véritables exer-
1 , 1 c·
t' 1,ficel littéraires et Si exerce a ~éécri.t;e certains contes. Ainsi
-
"

1 ~
r,
"La main 'd'écorché" devient "La main": "te Horla"
, fait suite à
,
"Lettres dl un fou· et comporte deux versions. J)ês lors, le thème
, 1

8) "La peur" (1884), p. 204.

9) Ibid. (1884), P. 204.

t
1 1
89.

(
" '
de la peur joue un rOle capita.l daris l'élaboration de son

~ fantas.tique.' P .-G. Castex affirme justement qu' ê cette ~po- j


que "sa manière se tranafor~: les récits gagnent en intensi-

té dramatique, les personnages prennent un relief plus inquié-

tant .. Il
(10) '\'
.'
La seconde versiob" de "La peur" offre deux anecdotes dU type
, .
étrange (au s:ns, ~e 'l'odorov) qui émeuvent le lecteur ,sfrtout 11

cause de la manière dont le narrateur présente les faits. "aL' êtr.e


.' .
effroyable" surgissant de la rivière, et la brouette ench~pt6e"se
~

1 mouvant sans conducteur, apparaissent à travers la vision défor- .


mée du héros terrorisé. Dans le premier texte, 1:e contraste en-
• ~ n

tre la tranquillité de la riv~re ensoleillée et la monstrueuse


\

apparition, la' description coiorée de l'horrible créature èt la-


~

'fuiteb. ~perdu~ du jeune hormne épo~va~té constituent les' él&nts


"
.-
'
qui 'déclenchent les mystérieux ressorta de. "la peur glaciale des

choses surnaturelles".. (11) Persuadé d'être en présence dl une


--.,
/, ,b@te fantastique, le hêros ne songe même pas à Si interroger et
l-•
Dans le second r~~it, le protago-
i ~) réagit de façon instinctive.

niste porte déjà en lui "un


.
frisson
A

de surnaturel" (12) avant


t,
ï
J

,,
"
10) Le Conte fantastique en France de ,Nodier à Maupassftnt, p .. 3130. "II;

( .
11) "La peùr" (1884), p. 205.
,
'12) Ibid. (1884), p.o 2D7.o

,
\ '
i
i .\
.' .

90.

dtapercevoir la sing~liêre brouette. Cette ,curieuse impres-

sion natt de l'étrange atmosphêre de la côte bretonne, avec

ses pierres fantomatiques dans une nuit particuli~rement noi-

re. Si on ajoute à une telle ambiance la solitude et un in-

qui étant silence, il n'en faut gu~re plus "pour susciter la


tt"
terreur. Le héros entend un roulement lointain q~i se rappro-

che graduellement. Déj~ angoissé, il constate qu'aucun bruit

de pas ou de trot d'un c'eva1 n'accompagn~ le déplacement du c

véhicule. La peur érott à mesure que le son s'intensifie. Au


jj/
comble de la frayeur, le voyageur se jette~ns un fqssé et de-
.
meure longtemps sans bouger, l 'l'affût du moindre bruit.

En définitive, Maupassant s'oriente vers un fantastique psy-

chologique: même l'allusion à l'épidémie,de choléra d~ 1884 à

Toulon lui ~ert dé prétexte pour fournir un exemple frappant de

sa conception de la peur. En effet, ,le dangereux microbe revêt


...
un caract~re presque magique aux ~eUx des habitants terrifiés:

ils le con.'? idêrint comme un~ sorte de puissance démoniaqUe, "l' Es-
~Ift ,
't ~,
',.
; ~" Ar
prit qui tue" (13), dont il leur faut conjurer les effets nê-

fastes en dansar1\..d~ns les ru~s. Autrement .dit, la menace d'une , !

mort postlhle obs~de ces gens qui se divértissent pour anesthé- ,~'
tt~'

. )
( ~3r "La peur" (l884), p. 208.

.... t'y
r
.~
<

1
• J

91.

(
sier leurs craintes. Aus'si, le Chol~ra (14) èst-il person-

nifié, et il "se métamorphose en un être invisible qui peut

attaquer l"omme sournoisement et à tout moment.,

A la ,lumiêre de cettè brêve analyse, nous constatons que

la peur ,est un thème majeur dans les conte~'fantàstiques de


(
Maupasaant et sous-tend l'ensemble de son oeuvre ~antastique.

Cette angoisse viscérale s'accroit vers 1887 et sourd de plus


, (
en tlus de l'imagination de héros qbsédés face ~ des réalités
1

inhabituelles. Si on' examine les motifs relatifs à cathême,

on constate qu'ils progr.essent a'êtres'émergean~ de lég~ndes


! .
t popul~ires vers la manifestation de phénomènes singuliers qui

défient les lois naturelles.

t 1
Le premier groupe de motifs comprend l'animal fantastique,

les spectres et le diable.' Certes, Maupassa~t/ raconte des his-


",
toires savoureuses et macabres s~r ~s cré~t~~es; cependant, il
;'

\
\

a toujours soin de fourn~ ou de suggérer une e'xp.lication 10gi-

que aux événements extraordinaires (sauf dans "L'apparition"). On 1

peut en déduire qu'il ne croit pas A ces superstitions, mais qu'il

retrouve en elles le charme des croyances d'autrefois. Le se-

eond groupe de motifs pose davantage ~e problême de l'existence du


/ •

(
l
~

14) On note la majuscule.


."

~--~--~--...,_
, -
...~,...,,,.-"'*"_.:iI'*.. = 2 _' = JNrt:P!. .
-.
92.

(
~

fantastique 1 il concerne le magnétisme, la main et les objets

al}im's. par une puissance inconnue. L' ~uteur '-parat.t convaincu

de l'existence d'jun monde' invisible, régi par des principes


,
qui dépassent les limites de la raison ~umaine. Passionné, par

les recherches sur le magnétisme, Maupassant semble persuadé

'que la science explique~a un jour ces faits étrange. ' (15), com-
~ \ ~
me il est parvenu 'A fair~ la part ~ mystère et de la·vérité au
, \
sujet d'un loup diabolique.
/'

Dans la litt~rature d'imagination, la bête représente souvent

,1 ( l'aspect mauvais de l' homme qui repousse la pratique des vertus:


(~
~\
~ ~
elle possède généralement ,une intelligence s'apparentant l la
,
"t
'. raison humaine; mais elle l'emploie au service du mal. Les cQn-
1
tes fantastiques de Maupassant n'~ffrent guère de bestiaire com-
" ,
po~~ '~, an~ux fabuléux ou de monstre. repoussants. Outre le

chien 1..~~ peur", que le paysan et le na,~,teur confondent


avec un spectre, deux animaux seulement sont entourls d'une aura

de surnaturel: il s'agit du loup et du chat. Toutefois, l~ur 1

caractère singulier provient uniquement dè l'imagination~ertur-


,
l,
1
, .
15) Dans cette optique, ceux que l'on traite de déments parce
1 qu'ils se disent témoins de ce type de phénomênes pourraient.
1. bien' se révéler' des êtres supérieurs, dont la sensibilité
extr3mement développé'e perçoit l'inconnu inacc,essible ,à
l
\
1 (\
.
l'homme 01dinaire.
,
\

u \
\
. "
" .

93.
,r , '
1

, 1

,( , 1

1
1 1
bé' d'une population én proie l une paniqUe collective (comme
.
dans "Le loup") ou d'un sûnple concours de circonstances (corn-
1
l'
,1

me dans la ~roisièm& partie de "Sur les chats h ) .

Depuis l'antiquité, 1 t a,spec::t ou' l'instinct d'un animal d~

termine la vertu ou le vice qu' il s~llse. Reconnu pour son

agressivit~, le, loup engendre de. "fanta_mes terrifia~· (16)1


; .~ , .,:
~
il ~voque la mort et s'avère ~tre parfois une incarnation du

diable ou de ~i~.~c~s infernales.' De pius, son hurlement


présage souvent la ve~u!,! du trépas. Or, ilLe loup" de Maupassant

n'échaPQe pas' ces caractéristiques. Liauteur s',inspire de

vie~lles lêgendea (17) pour créer ce "loup co168~a1", "au.pe~

laqe gris" (la), qui terrorise les habitants de la Lorrainè.


Sous là plume de· Maupassant, l'anImal revêt l'apparence d'uné'
, .
bête diabolique avec ses yeux qui scintillent
a '
"co~e

deux 'toi-
1

~e8" (19): il paratt lottir de pouvoirs d6moniaques et d'joue

impunêment ,les chasseurs,' au point qu'on lui attribue la faculté

,-
16) Gilbert Durand, Les structures antN;opologigues 4e
l'ima2inaire, p. 91.

~ 17) Maupassant/situe le 'récit en 1764" peut-être a-t-il


r transpOsé l' histoire de la b~te QU Gévaudan qui massa-
~ cra 'une cinquantaine de personnes de 1765 l 1768?
.
"1

18) "Le lqup", P.' l19~


(
19) Ibid., p. 122: ,
,l'

1
1 .l" " '
. ,
r
.j ,
\ 1

, 1
\
.
". de 'raisonner': r "C.ette bt!te-ll n'est point ordinaire,. ~ On di-
,..
, rait q.u· elle 'pense comme un hormte." (20) Une terrible mal~­
~
,diction semble peser sur les héros intrépides qui s· éiancenlt

.a s'a poursuite. Ainsi Jean d'Arville connatt une mort effroya-

ble parce qui il a osé traquer le "loup fantastique" (21): il

heurte du· front une, énorme branche et sa "cervelle coule de la

plaie". (22)
lI>
Malgré leur bravoure habituelle de chasseurs émérites, Jean

et François d' Arville éprou~ent une !lcrainte mystérieuse" (23)

devant ce iO\:1p aussi féroce que singulier': ils doivent affron-

ter non seulement une b~te dangereusement puissante et prodigieu-

sernent intelligente, mais surtout, vaincre Iles' forces du mal.


. ,
5'
Pour ce, ils ont recours _ des superstitions religieuses: ils

'Songent & "faire, b~nir une balle" (24) etlà faire appel aux

formules exorcisantes,d'un prêtrè~ après la mort de son frère,

François s'empresse de faire un "grand signe de croix" (25)

t
20) "Le loup", p. 119.
f
l
, 21) Ibid. , p. 120. , 4'

i ~

22) Ibid. , p. 120.

23) Ibid. , p. 119.

24) Ibid., p. 120. ,.


( )

2S) :Ibid. , p. 121.

U
..
. 9~ •

( .
avant de chasser l'animal meurtrier. Toutes ces pratiques

(fort répandues dans la Bretagne traditionnelle) visent l

combattre l'être surnaturel par des moyens apprqpriés l s~


i
nature exceptionnelle.

Si' on se laisse prendre au charme envoQtant de ce récit

pittqresque. on risque de n~gliger


. les détails subtils qui
'

d~voilent la v~ritab1e dimension des événements. Autrement

dit, ce loup. sanguinaire qui obs~de les villageois n'est qu'un

animal semblable A la bête du Gévaudan. Certes, il effrate

parce qu'il assaille les paysans et semble surgir'partout l la

fois, "toujours lo~n du lieu" (26) de sa préc~dente agression;

cet ~lément insolite suggère un don d'ubiquit~ qui est l'apana-


l

ge des créatures c~lestes ou diaboliques. Aussi les Lorrains

le redoutent-ils comme s'il était une incarnation du diable.


,
Pour"nt, Maupassant nous livre clairement les raisons du com-

portement particulièrement cruel de l'animal carnassier: sa

fêrocitê est imputable aux "froid~


.
.. excesslfs'''.
J
!
l' Afin dé reproduire l'impression de surnaturel qui émane de .)

la ~te aux yeux dee gens terrorisés, l'auteur utilise des ex-

pressions modalisantes telles que "Les t~nèbres semblaient A

26) "~ -loup", p. 119.


, 1

.1
~

-•
----.:....- __ ..-- _.- _-_..
- ..............---;:-'.... "'' ' '
96.

(
hantées par l' ima~e de la bête." (27) Par ailleurs, il use

habilement de
. i
tournures dramatiques pour envelopper d'un nua-
1

, '
ge d'étranget~ les apparitions du loup:' "Et brusquement, dans

le 'sen~ier qu'envahissait la nuit; une grande f,9rme passa. C'~­

tai t la bête. ft (28) On constate qu' il d~termine soigneusement

la place qui revient ~ chaque indication. D'abord, l'adverbe


--,'
surprend le lecteur par ~on apparition~oudaine: puis, la som-

bre atmosphère de cette nuit particulièrement-noire annonce qu'il

va se passer quelque chose d'inhabituel. En~in, unefsilhouette


-
surgit, c'~t le loup. Ainsi, Maupass~nt transpo,e ici un pro-

cédé qu'on retrouve -fr~quemment dans les contes de la tradition


. ,

1
orale: il ti~t le lecteu~ e~ haleine et se plalt'à retarder'

quelque peu le jaillissement du fantastique. Tout bien consi-


, ,

déré, -Le loup" brosse le ta~leau


-
saisissant d'une panique col-

lective: il fait revivre les terreurs superstitieuses de l'en-

fan ce et ressuscite le vJlux mythe du loup maléfique, dêvoreur

d'homme et évocateur du trépas.

Moins fascinant que le loup, le chat ne parvient quta ins-

pirer une certaine inquiêtude au narrateur de "Sur les chats".

"

~.t ~ qui soulignons.l


\
27) "L.. loup". P:, 119. ,IC'
( 28) Ibid.~ p. 121. / '
f; - J •

,,,'v ~.,I~"'~~~~,,,"1~""z~"''''J''''''',~~,
~
--.. ~ ~f '~~~
." ~'-.~""""'~H:'~"""""""'---""':"_"_'
',-_.. ~ ~
.--~-Y'

., .. ,--
1

1
"

97.
, ,

Le r~cit d~bute à la mani~re d'un eonte merveilleux dans un

chateau ~9ique qu'habite une sorte de f~e, ~a "Chatte b1an-

che"~ Cependant, le h~ros av~~e que son aventUre vient d'une,


.
n ~
'R~trange sensation": il a ~prouvê la curieuse impression de
·c
se sentir ~pier par un être ..surnaturel ou un esprit: "J'allais

refermer mes paupi~res, quand je vis, oui je vis, dans l'ombre,

dans,la
, "
nuit, au milieu de ma chambre a la hauteur d'une tête

d'homme à peu' p:èa, deux yeux de ,feu gui ~ regardaient." (29)


"
)' Après avoir constatê ~u'il s'agit d'un/c~a;~ il ne parvient pas

à s'expliquer comment la bête a p~nêtrâ dan~ la chambre feJ;mée

à clé et en est ressortiè tout aussi mystérietisement. A-t-il

rêvé, ou cette b~te possêde-t-elle la faculté d~apparattre


" et

de disparattre â ',sOO
'.
9r~? L' hôte lui révèle l'existence de
.
notnbr.euses chatières "qui font du chat le roi et mattre de cêans".

Ainsi, la source du fantastique dans ce conte vie~t de simples

colncidences, facilement explicables.

D'autres apparitions sorit plua convaincantes: il s'agit de

spé~~res ~Ui, se manifestent devant le hêros êpouva~tê. dans au


moins trois Icontes: "Le tic", IIL'auberge" et "L'apl?arit..ion".

29) "Sur les c~ats", p. 246. (C'est nous qui soulignons.)


On remarque une const~nte dans les ~aractêrisJtiques des
créatu~es fantastiques:' elles ont, des "yeux qui scfn'"
tille;1;." ou un "reg~rd de, feu".
\
"
.•
i -
f'

J
98.

,{
Dans les deux premiers récits, une ,méprise enqendre la peur-"'"'"'_
p
du surnaturel, alors que les 'protagonistes croient apercevoir

ou entendre un revenant., -Le tic" relate la troublante aven-

ture d'un ~re éploré qui, après avoir enterré sa fille, voit

su}:'gir le spectre de" son enfant. 'lJ.errorisé et persuadé d' ~tr~.


-
fou, il tente de chasser la vision d'un qeste de la main, d'oü

ce tic qu'il a conservé dèpuis cé )our fatidique. A la 'Vue de


..
l'apparition, le serviteur coupable dt avoir pillé le' pré'sumé

cadavre "ouvrit là bouche dans un spasme d'épouvante et d'horreur,

et tomba ro~de mort . le dos.-


. sur (30) Ainsi, l'individu qui
"
,-
~ f doit affronter subitement un phénomène fantastique (comme,l'ap-
t
" II1.II
e
\ parition d'un fant~me) rêagit instinctivement sans avoir la pos-
sibilité d'êvaluer rationnelle~ent 'la situation.

• .1

".
Si elle atteint l'ultime degré de la résistance humaine, une

telle réaction peut m~me


-....:-.,
entralner la mort subite. Tou_ le mon-

de sait que les revenants n'e~istent pas et pourtant, le héros

. en voit un. Grlce a d'étranges circonstances, le surnaturel


i
i
s'impose et la raiso~ est vaincue d·avanc~. Toutefois, Mau-

pasJJant ,64~ir~ le ~e et "rompt le charme du fantastique


en révélant que le prétendu spectre s'avêre !tre la jeune fille

enterrée vivante. De ce 'récit A la maniêre d'Edgar Poe se dégage "


( 30) -Le tic", p. 198. (C'est nous qui-soulignons.)

/
99.

~I
( 1
~
, . l
une .;atmosl;>hè're bizarr,e en raison du caractère singulier, bien ,.
f

qu~ ~clatant jJt. réalisJ.!le, de,s personnage::,. c"· est c~mme si ces

~tres, prof~nd~ment rnarqu~s par l'impression d'avoir perçu une

manife~tation q.e l'au-delà o\ltitun "avant-gont de la mort, devaient

porter comme une croix l'horrible supplice du souvenir macabre.

/'-
Comme dans "Le tic", le h~ros de "L'auberge" se croit en pr~-

sence d'un speet~e. Il entend 'la douloureus~ plainte d'un reve-

nânt, l'ame de' son compagno!' mort 'dans la',blancheur de l'hiver,

Le' jeune guide est persuad~ que le fant~mê continûera ,de hanter
~ D ' ~

.
;l
l,'auberg" "~ant que le corps du vieux guide,

retrouvé et déposé dans la terre bénite d'un cim.etière."


~
n'a~rait pas ~t~

(31)

La solitude fait orottre les effets de ces t~rreurs superstitieu-


"
ses. Au comble de l'horreur, le héros en arr~ve à perd~e la rai-
r 1

son, tandis que ses cheveux blanchissent subitement. Ce récit


"
, J-- ,

n'illustre pas se~llement les manife.tations ·physiologique's et "

psychiques de 'la peur 's~ l'êtr~ huma~. Construit avec une 10-

gique implacable, il monbre les moeurs des paysans suisses tout


,
! ,
~ en décrivant un phénomène réel: la panique de l'homme
j-
coupé
\l de
.
0 •

'\.
:{ la civilisation et isol~ au coeur de la, montagne hostile en p1eih

,.,'
,
hiver.

1 ..,
C- " 11) "L'auberge", p. 266.
"
.1
,,'
U ), '
100.

Si "L'auberge" et "Le tic" proposent une explication na-


c.
turelle l des 6v6nements 'apparemment surnaturels, il en est

autrement de "L' appariti'on", qui donne libre cour's l l' ima-

gination du lecteur. En effet, les cheveux enrou16s aux bou~

tons du ~olmen sont la preuve irr6futablé de l'existence réelle


.
1

du fantame, sans fourbir' pour autant de r.aison plausible ~ la


(
~pr6sence myst6rieuse de cette femme irr6elle. On peut en d6-

duire que Maupassant ne croit pas aux revenants puisque tous


l' ses contes (sauf "L'apparition") qui évoquent la peur ressentie

devant un spectre contiennent une solution permettant de résou7


1 .

dre l'énigme. N~anmoins, il'réussit a donner une apparence de


- -
v6rit6 l· ces spectres sans néfliger la vraisemblance des faits

les plus biza~es:' il y parvient au moyen de la suggestion plu-

t~t que de l'affirmation.


.1

Dans "L'apparition", 'le doute persiste jusqu'a la fin l èaUt


\-
se des expressions modalisantes, comme "je crus entendre", des

métaphores suggestives, te~les que les' cheveux comparés l des

serpents, et enfin des.descriptions réalistes de l'effet aYant

la cause. Ce dernier procédé se retrouve plus


-,
,.
que .le héros, perçoit les manifestations physiOlogiques de l'ap-
précis~ent lors-
"

parition (un "fr~lement", un "autre mouvement~, un "soupir" (32) ~

( \ 1
1
32) -L'apparition", p. 163-164.
rtllll:
Il
_.q..... s:.SIIIS_U"".2'84"4~,""'-I!J!II,IIb$II!4!111J.",,'IJIOlli4#i_Il!I.....,.,_.lIa_a_i2"EtJli&~I\iijiij,;_;;i;IiW..,-
'."IIIIIISIIIS••• li ...;.~.....,-I~,;.....
___ , ............,..."........_ . __

A~
_

'. 101.

('" avant de savoir d' o~ elles proviennent: ces détails réalistes

éliminent l'hypothèse qui CO~sidé~ait la vision troublante

comme le fruit d'une hallucination. Par ailleurs, Maupassant

exploite le charme insolite de l'étrange chateau, à l'image de , 1

ceux que décrivent les romans noirs: cependant, il ne verse pas

r dans la facilité des récits d'épouvante qui,8ccumulent vampires,

squelette, et ~nstres repoussants. ~u lieu d'axèr l'intér@t de

la narration sur une suite d'expériences terrifiantes, l'auteur




1

s'intéresse davantage aux réactions émotives du héros e~ proie

au saisi'ssement, A llef'hoi, puis A la terreur. "L'angoisse ir-

résistible ,des étr'uvantes surnaturelles" . s~urd ~e l'intériorité

du personnage sidéré devant l'apparition: c'est comme si le temps


"\

_ s'arr~tait et que se confondaient l'être, la vision et le milieu

~mbiant: ilL' Sme se fond: on ne sent plus son coeur: le corps

entier devient mou comme un~ éponge, on dirait que tout 1' inté-

rieur de nous s'écroule." (33)

La peur devant l'~tre surnaturel (ou donné comme tel), qui


\ \

fait sombrer le héros dans une so~te d'état cataleptiq~e, s~


f'J
manifeste également à l'égard du diable.

amoureux, et Hoffmann
,. dans "La Nuit de la sa~nt-Sy1vestre", pour

n'en citer que deux, avaient déjà e~ploit~ ce motif dans une in-
'~
/'

t \ 1 /
1t
33) "L'apparition", .p. 164.
J~' ~
! :.
f
~

li
r


102.

'1

tention didactique plus ou Or, l la lu-

mière des études du Dr. Charcot


r le magnétisme, Maupassant

démystifie la hantise du-diable e le phénomène de la posses-

s~on •. Dans "La mêre aux monstres", il démontre que ce genre

de croyance~ na~ de l'ignorance et de l'iWagination populaires:


1

ainsi~ les sarcleuses qui &s~istent l la naissance d'un enfant}

diffQ~ s' enfuient épou~nté. devant ce qu'elles croi.ent @trf


une incarnation du diable. Par ,ailleurs, "La légende du mont

~~ Sa1nt-Miche1" offre une version normande fort humoristique de

la célèbre lutte~entre le saint et le Malin: les adversaires

concluent leur marché l la'


, façon des paysans normands et le dé-
mon est l'impuissante victime d'un Saint-Michel aussi rusé en

affaires que le plus fieffé coquin. cepe1nt, Cl est dans I!Conte


(\

',.. de Noêl" que Mau1;>assant élucide le mystère de la possession et

attaque plus ou moins ouvertement la théologie chrétienne sur

ce point.

"Conte de No!l" n'illustre pas qu'un phénomène de panique

collective dans l'esprit de villageois troublés par l'exception-


/'
nelle "rigueur de l'hiver". (3~) Certes, une terreur contagieu-
. 1
"
se envahit, l'8me angoissée de ces gens et leur fait redou!er un

, ,
,
34). Pierre-Georges Castex, Le Conte fantasti~e en France
( de Nodier l Maupas8an~, p. 376.

u \
1
103. 'li

( événement extraordinaire. Pourtant, il,nous semble que l'io-



t~r@t du r~c~ ~e situe A un aut~e niveau, celui de l'affron-

tement idéologique entre le curé, prOnant la visio~ ~hrétie~-

ne, du diable et de la possession, et le médecin de campagne,

agnostique qui défend le po~e vue scieAtifique. Le narra- -..


~

,.,.
te ur parait d'abord corroborer la version du prêtre.. qui exor-

cise 'la possédée durant l'office de No@l, en êlevant,l'osten-

soir au-dessus de sa t~ter cependant, il laisse échapper une

pointe d'ironie, qui modifie entiêrement le sens du récit quand



il commente la prodigieuse, "délivrance": ,"Elle dormait du som-

meil des somnambules, bvenotisée. pardon~ vaincue par la con-


1

templation persistante de~l'ostensoir aux rayons d'or, terrassé

par le Christ victorieux." (35) Dès lors, la possession app~-

rait sous un nouveau jour: comme l'une des nombreu~~s manifes-

tations du magnétisme.

l, Les craintes superstitieuses des villageois déteignent: aur


/

la nature impressionnable de la femme du forgeron: elle se per-


I

suade inconsciemment d'être pos"d~e aprês avoir avalé un oeuf.


1
t 1 trouvé le long d'une haie. L'épouvante alliée A l'autosugçes-
1
tion serait donc A l'origine de cet étrançe dérêglement du 8ya-
l "

tême nerveux, qu'on attrn;,ue A l'intervention maléfique du dia-

( 35) "Conte de NO~~", p. 142. (c'est nous qui soulignons.)


t
r

104.

<

( ,
bIe:' la POss~ssion. Aussi, "ce qui a été c~é~"7 per/,ua-
sion ou suggestion peut disparattre par la ~~stion~ (36),
~~ " ~
Cl est précisément ce qui accomplit ~exorcisme.
,
La !'contemp1a-
:

tion p~rsistante de l'ostensoir- (37) lemineux magnétise la


( , .
mafade qui sombre'dans le "somnambulisme provoqué" (38), la

tro:i:si~me phase du sommeil. hypnotique selon la théorie du Dr.


, ~
Charcot. Ainsi, le narrateur suggère que la guérison de la

possédée ,est uniquem~nt imputable au magnétisme du prêtre et

au rayonnement de l'objet sacré.


1

Le diable, les spectres et les animaux fantastiques appa-


1 •

raissent dans les contes de Maupass~nt'comme des c~éatures ima-

ginaires qui peuplent llesprit des hommes, terrorisés par des


't

phénomènes inexplicables ou avides de croyaqces surnaturelles.


1 \
L'auteur fait revivre ces 'motifs légendaires et pit~oresques:
1

' r
1

il réussit parfois à provoquer un frisson.d·a~goisse m@me chez

le lecteur le plus ~ceptique, qrSce a~ procédés stylistiques


.
mis en oeuvre dans ses récits fantastiques, à savoir: l'ex-

pression moda1isénte, l'affirmation sui~ie d'une négation et

la description de l'effet avant la cause. Par ailleurs, le


,,
r
36) G;and Larousse Ençyclop6digye, tome, 6, p. 20.

37) "Con te de Nol! 1", p. 142.


(
3B) Grand Larousse Encyclopédique, tome 6, p. 20.
r . . ,.~.....--"....--"".~--",,\,.--,~~~I;;;;;;;;;;; ;•.!it;;q;;S';.;.!tw9~~:"hnU .... ,•".,.-.---,
" ~ "
.
1

105.

t '

( ( rôle de l' hypnotisme dans "Conte de No!,l" annonce un second'


t'r,

Il groupe de motifs qu~ approfondissent le thème de la, peur-:, i,l


",
oS'agit du magnétisme, de la main et des objets anim~s par 'une

mys,tér ieuse puissance invis ible •


...
, '

Graduellement, 'Maupassant délaisse les légendes et les su-


~

perstitions tandis que croît son intérêt pour le magnétisme. '


'Ii
Cette science encore à l~orée de' son évolution hante l'imagi-
. •
nation de l'auteur qui y puis~ l'inspiration nécessaire à la
"

~~création d'un fantastique davantPge intériorisé et fonciêre-


, "
ment original. 'cependant; l'inconnu effraie ces hérOs qui dé-

couvrent 'd'étranges forces' magnétiques ou l'existence d'un mon-

de invisible où tout devient possible; ils


•1
sont souvent con- .

traints qe s'isq1er &ns un univers clos ponr


.. échapper ClUX
__"J

1
'railleriès de leurs semblables ou pour se fuir eux-m~mes, a~

de ne pas àombrer dans la 'f91ie'! Si l'on compare "Le maqnétis-'


......
me", écrit en 18.82, 'au conte intitulé ''U~ fo~?", rédigé ert ~~B4,

on constate que l~opinion de Maupassant sur les th~ori8. du Dr. l ,

,, - Charcot a considérablement évolué."


( ~
, J,
.- ~
~ ,
Dans le premier récit, l'autèur ~~ moque du~professeur etp

, p
le rapproche des charlatans ou des 0ccultistes, sans accorde~
~ '" .~ . f,
If
la moindre crédibi~it~ à ses découverteSt ~l cite, deux exe~
."

-( pIes o~ le magnéti,sme ne s'avère que pure co!ncidence, ~omme

ce fils qui pr~voit j~tement le décès de son père, 6u ces

1
r

,( deux ~tres qui se sentent /~~J'sistiblement attirés l'un vers'


~
l'autre sans ~une 'raison. ~u contraire, dans "Un fou?" (39),

le narrateur affirme la rêalit~ de ces extraordinaires prodiges'

dont il fut le témoin effar~. D~sormais, une "terreur'non dis-

simulée" (40) S'e subS'titue A la moquerie. <

.
,
Jacques Parent, le héro's de "Un fou?", est véritablement , .
effrayê, voire m~me traumatis~ par son pouvoir magn'tique sur I

les objets et les êtres. Il dissimule "ses longues mains, os-

seusea, fines t un peu fêbriles" (41:) car il redoute leur ir-


~
r~sis~ible puissance. Ces ~tranges mains dou~es d'une volonté
~-
autonome asservissent et s'approprient tout ce "qu' elles désirent.

Maupassant touche ici le thème de la possesaioni pourquoi ce

.jeune obsédé aux "yeux d' halluciné" '(42) ne /,setait-il pas vic ...

time d'Un être invi~ible, qui le hant~ et le force A obéir: "nous

so~es deux dans mon pauvre corps~ et c'est lui, l'autre 'qui est

souvent le plus fort, 'cOJl1ll}e ce soir." (43) Ces phénomênes pour

/
39) On note l'interrogation qùi laisse planer le doute et
permet de supposer l'existence de ce formidable, pouvoir.

40) Anne Richter,/Appendice critique dans contes fantastiques


complets, p. 373.

41)
. . "Un fou 1", p. 209 •

42) Ibid., p. :209.


(
43) Ibid.,. p. 212.

\
,
....__________________
,
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"
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-,_ ~ _____. . ~ ,~._""'_4A' .... llIi ••q,• •;. t ••

""
l07~
, i

\
(
, le moins inusités ~i effarent le narratéur tendraient A prou-

v,er l'existence
, ,
d'un univers inconnu, que certains hommes d'une

nature extr~mement sensible percevraient gr3ce,à une sorte de

~ê~ sens: le magnétisme. En ef~et, la ~éance'd'hypnotisme

et l'animation des objets à distance sont données comme des faits

réels et non comme les élucubrations d'un fou.


'f'

L'horrible sensation qu'un être invisible habite en lui, Mau-


,
.. passant l'a déjà ressentie: c', ~st probablem~t la raison qui le

pousse à privilégier le .motif de la main (44), première manifes-


\

J
tat-ion du thème, de la possession et de l'un des premiers cbntes

fantastiqu~s" "La mail). dt ~Cl;C;;hé". Dans L'art et la littérature

fantastiques, Louis Vax rappelle que ce motif avait déjà inté-

ressê' Gérard de Nerval ("La main de gloire lt ) , Sh~ridan Le Fanu

(Le siège de la maison rouge) et Harvey (La bête à cing doigts).


-1 Maupassant n'a donc pas inventé l'idée de la main enchantée, bien

qu'il y appo~te une touche d'originalité.


, \

S·inspirant du répugnant appendice qu'il tient de Powell,


\'.

l'auteur en' trace un portrait aussi repoussant que saisissant:


~ 1

"
44) La main 'de gloire était une "main de pendu desaéchée suivant
un proc~dé compl~xe, dans laquelle on metta{t une bougie fai-
te de graisse humainé. (Elle était utilisée Pour découv'rir
les tr~sors et permettait aux voleurs de ne pas être décou-
. ( verts.) " (Grand Larousse Encyclopédique, tome 6, p~983.)
't

J CJ
pJtI'lift>,-.
.. '
> . . ." , . , . .
-,6 l '
;;;;;;;;;;;:;;;;;;;;;;;;;;;;:;:==.:. &1 iIJI ; d'iii N 4,

}
108.

, ,
( "cette main ~tait affreuse, noire, sèche, très longue et co~

me crisp~e, les muscles d'une force extraordinaire ( ••• ) les

ong.les jaunes, ~troits .. " (45) Les camarades du jeune .~tu-

diant consid~rent avec amusement ou d~goat ce "d~bris humain",

les uns s'en moquent ouvertement, les autres se m~fient de ses~

pouvéirs mal~fiques. N~anmoins, la v~ritable peur 1 du h~ros

provient davantage de la vie autonome et menaçante de ce membre

sépar~ du corps, plut~t que de son aspect hideux.

\.

rit du fétiche qu'il suspend à son cordon de
L'~tud~ant
---S'
sonnette: pourtant,. la têrreur se l~t sur le visage de l' incr~-

dule quand il est retrouvé à moitié étranglé. Ainsi, le surna-

turel s'impose devant l'évidence des faits que l~ narrateur cons-

tate et relate avec une imp1acable logique, s~ns donner libre

~ours à son ~rnotivit~: "ses prunelles dilatées semblaient re-

garder .fixement avec une indicible épouvante une chose horrible


,

et inconnue ( ••• ). Il portait au cou les marques de cinq doigts

( ••• ) profondément enfo~dans la chair~l~ (46) L'attitude.

rationnelle du con~eur alliée, d'une part, à la vague' r~signa­


<

t
li
tian de la puissance sauvagement meurtrière de la main d'écorché,

~1" et d'autre part aux détails r4alistes qui témoigne~~'indubitable-


\
"
\
45) "La main d' ·~corché", p. 31. Ii
( "

,} 46) Ibid., p. 34. (C'est nous, qui soulignons.)


"~
,
i'
III'
1
1
1

1
109.
1
1 -~A

1
( ment de son terrible pouvoir, rendent plausible l'événement

fantasfique, d'autant plus que cet impassiQle ami ne peut s'em-

41 p~cher d'avoir finalement "presque peur" en retrouvant cette main


\ . }
diabolique. Au lieu de montrer na!vement l'invraisemblable crime
\
1
1

Ique perpètre l'horrible objét a~imé d'une vie


. propre, Maupassant
1

s' a;ttarde plu~ôt à décrire méticuleusement les effets de' son ex-

traordinaire et singulière énergie destructrice,. Aussi prévient-

il les object~pns du lecteur, tout en endormant sa raison •.

Dans "La main", parue huit ans après le récit précédént,

Maupassant reprend le motif en explo~tant à fond tous le§ res-


'l\
sorts de la peur morbide devant le surnaturel: il transpose sa

rencontre avec Powell qui devient un certain Sir John" RO"Nell.


J
J)
Cet Anglais au comportement bizarre vit seul dans une villa louée

pour plusieurs années, et il ne parle à personne. Outre sa col-

lection' d'armes, il possède une affreuse main squelettique 50-

lidement enchalnée.' Un jour, i l est mysté,rieusement assassiné.

Dans la bouche du cadavre cruelJement étranglé, le juge d'ins-

truction retrouve un doigt sectionné à la deuxième phalange.

La main a disparu. On ra retrouve le lendemain sur la tombe

Qe Rowell au cimetière: l'index manqu2.

Maupassant modifie cons,idérablement la trame du récit par

( rapport au premier conte afin de réserver des effets dramatiques;


110.

par le truchement du narrateur, il propose de substituer le

mot "inexplicable" au terme "surnaturel". ToutefoiS,s'il pC).-

rait nier l'existence du fantastique, il multiplie les procé-

\ d~s destinés à nous y faire croire. La description de la main


"'.
est encore plus saisissante que dans "La main d'écorché": il

accentue le caractêre autonome de l'appendice sépar~ du corps



au moyen d'une suite d'images évocatrices: "les muscles à nu

et des traces de sang ancien, de sang pare il à une crasse, sur ..'
1.
les os coupés nets, comme d'un coUP de hache, vers i~ milieu de

l'avant-bras." {47i Il sugg~re la force e~traordinaire de la

main par l'anneau qu~ la maintient solidement au mur et qui est

"assez fort pour tenir un ~léphant en laisse." (48) Dans une

vision de cauchemar, le narrateur la voit se déplacer comme un

scorpion ou une araignée le long des rideaux. Par ailleurs, le

témoignage du domestique soutient que l'Anglais devait.. souvent

lutter la nuit contre l'affreuse main et semblait alors se que-


." ..,.
,
..
,,1
relIer avec quelqu'un. Si on ajoute à c~s proc€dés les expres- ,,"(

'-' ... '


sions modalisantes (telles que ces révo1vers chargés "comme si .

cet homme eUt vécu dans la crainte constante d'une attaque". (49)
i
1
!
!,
47) "La main", p. 180. (C'est nous qui sou'lignons.)

48) Ibid.. p. 180.

( 49) Ibid., P. 181. (C'est noua qui soulignons.)

L 7 '=rnrs1'l'M"'t ft
~ fff' ~ -- • ,,",v •

Ill.

( 1
et les tenta~ives d'explications s6us la forme interroga ti ve ~,
,~ ,
\
1 (tlEst-ce un fOu, ou un mauvais plaisant.l" (50) ) , il n'en

faut guère davantage pour maintenir le doute et sug9érer l'in-


1
r
quiétante réalité de cette main vengeresse et meurtrière.

"', Dans 11 introduction et ,la conclusion du récit, Maupassant


~

oppose deux I;:pnceptions antithétiques face à l'inexplicable:

d'une part, l'e~posé du juge dl instruction, partisan de la lo-

gique ~ l'absolue r,éserve devant le mystère, et d'autre

part les naïves croyances d'un groupe de femmes, avides "dl~_

pouvante qui hante leur Cette nouvelle attaque


~mell. (51)
,
contre 'la gent féminine sert de"{lrétexte' à l'auteur pour nier
,
l'hypothèse démystifiante du narrateur, tout en paraissant llac-
1

créditer. Ainsi lG propriétaire de la mai6, bel et bien vivant,

serait simplement venu reprendre son bien et châtier celui q~i

\' l'aura~t supplicié. Seulement, si ~'ex~licatlon du juge respec-


"~

te la vraisembla~ce, elle ne satisfait nullé~nt ses auditrices,


1

qu,i préfèrent croire à ~' incidence dU surnaturel dans c~tte sin-

guli~re affaire. Donc, sans perturber les lois naturelles, Mau-

passant laisse subsister la possibilité d'un phénomène qui les,


"Ioit
transgresse. Le spectre courroucé d'un criminel manipulevpeut-

50) "La main"', ,p_ 181.


( 51) Ibid., P.. 177 ..
li
,
112.

@tre la main ,à distance dans une intention de vengeance, d'où

le senti~ent dé peur ~i peut s'infiltrer chez le lecte~r à son


\

/i insu. l' Dans "La main d'écorché'!.t


t
11. ~xtraordinaire

agression de
1
I f horrible appendice surprend/trop soudainement l'étud~ant"pour
""1 .t~ 1 )

lui donner 'le temps de tutter. "La main ll


se rév~le davantage
.
troublante parce que yt héros est directement aux prises avec
l'ennem~ redou~able et immatériel: il est vaincu à la suite'

'd'un corohat·san~lant malgré toutes les mesures de sécurité l~s

plus sophis~iquées.

)
Comme le motif de la main, celui de~ objets qui se meuvent

dans les airs provoquent ~'angoisse et la terreur du héros de

"Qui sait:· •• Seulement, l'h~sl:tation consUlte à .('derrander

s'il-existe véritablement un "monstre à crtlne de tune~


,
ou si
l'
le narratebr est victime d'une hallucination. Dans ce conte,

Maupassant n'~tilise plus d'expressions modalisantes~ le sur-


.
naturel est donné(comme une réalité objective dans 'laquelle pé-
~
Il
i
nètre le sujet effaré, en' s'étonnant à peine: "l'homme est,pres-
t

gue passif, il semble définitivement entré, sans résist~nce, dans


\

le do~p.'ne de l'anormal. Il (52) Le héros est persua~é dl ;:ister

J
t A un ~vénement inexplicable sans douter de ce qu'il voit~ ~'in-
t

52) Anne Richter,' Appendice critique dans Contes fantastiques


cQIDplets, p. 377. / ~'

1 ,.

"

----.,...
_ ....._0011....' ........
, 4':'
,.1 {,
113.

quiétude et l'effroi qui le minent proviennent de sa hantise


..
de l'~tre singùlier qui commande aux objets et le harcèle. Lé
(
témoigna'ge du domestique tend à prouver qu'il y a cambriolage,
.1

mais cette affirmation peut ~tre'remise en question puisque

c'est le narrateur qui nous la livre. ~éanmoins, le motif des

objets animés par une puissance inconnue ou des ~tres invisibles


il>
1 )
le,héros de ,l'épOuvante â la folie.

-Le second groupe de motifs qui se rapportent aux différente~


.
ifestatipns d~ la peur franchit les limites du possible et
. \
laisse entrevoir un univers généralement inaccessible â l'homme.
" ,J',

'On dirait que Maupa~sant n'o~e ~s affi~er ouverteme~ la réali-


,
té effective des faits bizarres et de nature fantastique dont ses
'. ,
propose sou~knt
'--
héros sont les témoins ou les objets: il une e~-

plication rationnelle quand il n'oppose pas les sceptiques, te-

nants de la raison absolue, et les adeptes du mystère. ~ependant,

il laisse habituellement une porte ouverte à l'inconnu. Ainsi, le

,
magnétisme,4a main sépar:ée du corp J,'.
Ii!) les obJets animés par una

puissance invisible existent probablem nt à ses yeux ou du moins


\

da~s l'esprit de ses 1;téros tourmentés. Le narrateur de "Lettres


% 1 0

d.~ un f~" t·tente d'élucider et de jttstifier la propension au fan-

tastique, inséparable d'une sorte d'appréhension: "cette ~r'eur


,r
(J confuse du surnaturel qui hante
, l'homme depuis la
( \

monde est lêgitime puisque le surnaturel n'est chose


1

f . (
l , . P-
1
..

114. '
f
(
lb
que ce qui nous demeure \loilé~ ( ••• ) A10~S j'ai co~priS l'é-
1
~ouvante.
.
Il m'a semblé que je touchais sans cesse \ la ,décou-

verte d'un secret de l'univers." ! (53)


/'

L'insidieuse angoisse devant le surnatur~l s'affirme de (


"
..
plus en plus dans les contes fantastiques de Maupassant tandis
1 ..

qu'il perfectionne sa seconde mani~re: le pi~ge ~se referme len-


,
ternent et-inexorablement sur les1héros tourmentés qui redoutent
1
,.,
la folie. L'auteur traite les th~mes du dou~le et de l'atre in-
.,.,
visible à la lumi~re des' enseignements de Tourgueneff. Dans~-

p/ant le "bel-ami", Armand Lanoux parle de l'influence du roman--

--------cier russe qu' il d~~i~it en ces termes: "Affiné, Guy a compris


~

la leçon de Tourgueneff: le fantastique est d'autant plus effi-


/'

cace qu'il se rappkoche du banal." (54) Seulement, cette bana-

lïté n'est qu'apparente, elle camoufle"le caractère s~gulier des


1

l'

événements en leur donn~nt un aspect vraisemblable; elle favori-

s~ ainsi l'iden~ification du lecteur ~u héros et déjoue la raison. ,


Par ailleurs, il
, ~st probable que MaupassaQ,t transpose une part

importante de son expérience personnelle dans l'élaboration


,, des

~I thèmes du 'double et de l'être invisible.


\

53) "Lettres d'un fou", p. 237. 1


o
)
54) Maupassant le., "bel-ami", p. 199.
( )!.
.,.,

t
~lS.

J
1 A l' ~poque o"ù il ~cr~vait "Lui?", Maupassant avait déjà
JA

éprouvé ce genre d'hallucination: "il avoue à Paul Bourget'

qu'il aperçoit
,
fréquemment
"
son ~ouble, assis dans son propre
J
fauteuil. Néanmoins, il ne faut pas conclure trop hâtivement

que l'auteur transcrit servilement des faits troublants qu'il

a v~cus. En effet, il analyse toujours. avec une exceptionnelle


QI!;"
lucidité les différents états psychiques de ses héros obsédés

par l'inconnu: cependant, "son attitude rationnelle n'exclut

pas la possibilité qu'il ait voulu imaginer ce qu'il risquait,


,
" de devenir sous.1'effet de la paralysie géné~ale dont il se sa-

vait menacé. Peut-être cherchait-il dans les découvertes sur le

magnétisme et l'exploration de l'invisible des moyens de se 'per-

suader que ses' "hallucinations" s' ayéraient plut~t des manifes-

tations d'un univers inconnu, et non les indices d'une folie


/ ~
prochaine •••

Dans la littérature fantastique, le thême du double s'est


J (~

affirmé avec les romantiques allemands tel, Chamisso et "La Mer-

veilleuse Histoire de pe~e; Schlemihl". mai\ surtout Hoffmann



, ~t "La Nuit de la Saint-SylJœstre": ces deux contes n~rraient
; , ~~,

!• les aventures de héros ayant perdu-leur ombre. Le reflet de

l'homme dans une glace, son ombre et la vision d'un aut~e "lui-
,,~ .
même- constituent des~rmes du double qui s'ap~ren:ent au nar-
~
cissiame. Pour celui qui s'interroge sur sa prop~e nature et les

l
r
1

116.
(
mystêres de son intériorité, ces éléments sont des instruments

de vérification de l'identité, toutefois, ils comportent cer-

tains risques. L'introspection demande de considérer son égo

avec le recut de l'observateur: autrement dit, l'homme doit


~

sortir de lui·même, donc se séparer, pour mieux se connaître.

Or, cette scission peut engendre... un amour exagéré de soi (comme


\

/" c'est le cas de Madame H;rmet), ou la profonde angoi~sle de ne pas


"

pouvoir reconstituer la synthêse de la personnalité, condition

essentielle d'un esprit sain.

On se souvient que le canotier de. "Sur l'eau" réalise déjà

l'existence de deux êtres antithétiques qui s'affrontent en, lui:


1

t le "moi brave" et le "moi poltron". Cet embryon de conscience

est vraisemblablement la première ébauche du thème du double dans

l'oeuvre fantastique de Maupassant. Toutefois, c'est dans le con-

te intitulé ,"Lui?", que l'auteur ,met plus spécifiquement en situa-

tion un personnage aux prises avec l'effarante vision de son être

déqoublé. D'abord, le héros fait 'l'apologie de l'amour libre, et 1

pourtant il se marie. La raison de ce parad?xe ~'explique par le


~
besoin impérieux de cet homme de ne plus être seul. S'il ne peut

supporter la solitude, c'est qut il souffre ",d'une "maladie de peur

invraisemblabl~", depuis que par une nuit d'automne, il aperçut

avec stupe~r un homme!assis dans son fauteuil: s~approchant de

ce siège, il constata qu'il ~tait vide. Dês lors, il fut pour-


r ..".... ~'1r~~,.:jY~'" 1*d~,.~. '"
1
~~-_r .
# _

...... __ ~_~..... ~ '" ffJ... _'A""~ . . .~~ . . ~ _ ~
.,. ! '

Il,.

(
~
suivi par la redoutable crainte "dé ~le revoir,' lui" (55), car

il sent sa présence dans l'invisible.

. Dans ce conte, le fantastique provient du doute que ressent


)
le h~ros: est-ce qu'il perçoit un être s~rnaturel, ou est-i~
1

victime d'une hallucination? Comme il se sent parfaitement 'lu-

cide, il conclut à un "accident nerveux"'"de l'appareil optique"

(56). pourta~t, certairi~~tailS r~alistes tendent à prouver

l'existence du double,
}
done"la pose est d6crite avec une telle
/
~r~cision qu'il parait dou~ d'une vie r~ell~: i l 'I?,e chau'ffe' les

pieds devant le feu et l'un de ses bras pend A droite. Tout en


V
~r '~'h

s'avouant être l'objet'~'une vision aberrante, le protagoniste

) n'en est pa s vra imen t conva incu. En effet, Maupassant fait sui-

vre le titre ,du conte d'un pqint d'interrogation, comme s'il re-
,.,
mettait en\qu~~tion l'existence de l'être désormais invisible.

Par ailleurs, le personnage affirme qu'il a distingué indubita-


1

blement une personne .vivante: "Je le voyais parfaitement". ,(57)


1

D'autre part, les expressiqns mo,dalisantes du type "comme si ',on

m'eOt touché par derriêre" (58), et le trouble du héros se de-

"
1

r
55)
.
"Lui 111 , p. 175 /

56) -fbid•• p. 174.

«) 57) Ibid•• p. 173.

58) Ibid., p. 174.


J

U . ------_ac=:a:-m. " _-.. .:.,."..::; ::~: ~ - .-.,;:~ J ü,.


--..
.. ~-_.~-....
,IL
" _...........
,a;
i,'l;rl~lr
.
J'II r\r.-

' ..
r
118.

mandant s'il est fou s'avèrent les principaux éléments qui

maintiennent le doute devant le surnaturel, tout en suggérant

la possibilité de sa réalité effectivé.

,. L'hypothèse scientifique, c'est-A-dire une erreur de la per-


..
ception sensorielle, est probablement une de ces tentative~' d'ex-

plication (dont parle T. TOdorov) qui vise à brouiller te lecteur. ....


~"
Effectivement, quand le héros a l'impression qu'on l'effleure par

.
derrière, il ne peutrs'agir uniquement d'un trouble de la vue ••• •
l

mais alors e'st-il sain d'esprit? La boucle se referme dans ce

) cercle Vicieux qui


tion problématique in
en~gn re

lubIe.
)
une profonde angoisse et une situa-

(,.

Si,l'on considère "Lettres d'un fou", "Le Horla", et "Qui


,1

sait?", on constate que lei thème de l' ~re invisible Si inscrit


!
dans le prolongement du thème du double et ~. il en marque l'é-

volution. Ces trois récits expriment la possibilité qu'il existe

une (ou des) créature(s} imperceptible(s) à l'homme dont les sens '1


ne sont pas assez aiguisés. Dans le premier conte, le héros est
1
persuadé d' avoir ~erçu un êtr,e invisible, mais ,il doute de son

état mental puisqu'il confie son aventure à un aliénis~e. Par

contre, le narrateur du "Horla" présente ce derhier comme l'un

des membres d'une race de vampires invisibles qui menacent d'ex-


(
terminer l'hutpanité. Et enfin, le protagoniste de "Qui sait?"
t

119.

(
se rêfugié dans un asile d' ,aliénés pour échapper au jju9 d'un

·monstre à cr~ne de lune" qui ànime les objets ou commande à )


, , . t
une armée d' ~tres invisibles à l' oeil humain.~

r) \.
Dès qu'ils posent le problèm, de l' ex±tftence d' un. ê~re -in-

visible, les héros de ces contes en arrivent ~ se demander s'ils

sont en train de sombrer dans la folie: cep~dant, aucun d'entre

eux ne se considère avec une absolue certitude comme un aliéné.

De plus, le fait que le narrateur soit le sujet du récit laisse

supposer que le conteur peut mentir, d'o~ le fantastique, puisque

l'hésitation demeure~ Néanmoins, les contes les plus troublants


..ft"
s'avêrent ceux qui sont liés au thème de la possession. En effet,

, .
si le héros de "Lui?" était bouleversé en voya~ouble, les

protagonistes des contes mentionnés


(

préala~lement craignent df~tre

dominés; voire m~me détruits par l'être invisible. Dans "Lettres

dl un fou Il et "Le, Horla Il 1 ce sentiment se concrétise dans le motif

du miroir.
1

Les héros de ces deux contes s'examinent devant la glace

lorsque l'@tre invisible s'interpose. entre eux et le miroir, a-

bolissant l'image virtuelle. D'un récit à l'autre, on note"une

nette progression de la hantise de la possession. Le protagonis-


o

te de "Lettres q' un fou" a l'impression qu' un "fluide irrésisti-

,,

1· 1
--------------.......... ~~
\ 1
- - - j

" . l
120.

(
ble" le p~nêtre, "noyant son âme dans une épouvante atroce et

bonne" (SB): il ne se voit plus dans la glace parèe que la

créature immatérielle le rend momèntanément transparent. Les

épithàtes "atroce et bonne" défihissent à mervei'lle la complexe


\
, "ambivalence de l'état d'ame du héros tourmenté: d'une part, la
~
premiêre décrit l'angoisse de l'homme qui redoute la perte de
) son identité à la suite de la mys~érieuse osmose1 d'autre part,

la secpnde suggêre le magnétisme de l'être invisible qui erivoQte


~,~. 1

sa proie pour mieux la dominer, tout en produisant une sensation

de jouissance suffisamm~nt intense pour endormir tout désir de


,
résistanc~
,
t
,
"
1
1
1

Dans "LetHorla", II image du personnage n'est pas seulement

transparente ~ l'existence même du héros est suspendue à la

sance magnétique et dévoratrice du vampire invisible dont le



puis~

-
"corps imperceptible" a véritablement "dévoré son reflet" (59)

durant {cp!e1ques instants,,_ Dès lors, on compre~d que le EorIa \ ('..


s'est emparé d'une part de l'énergie vitale de sa victime qu'il
[

anéantira éventuellement pour se ~rir de sa vie. Toutes les


1
!
, tentatives'd'explication (Clest-à-~re: un état dépressif, le'rê-

[
581 ·Lettres dlun fou", p. 238. (C'est nous qui soulignons.)

(~J 59) "Le Borla", p. 306.

Il 1

·1
.> 1
'Î >
,1
121.

(
ve, le somna~ulisme, la folie et le magn~tisme)
r ~
s'effondrent'

devant les preuves ind~niables de l'existence de l'être invi-

sible: l'eau qui disparaît étrangement dans la qarafe, la tige

d' une bell~ rose qui se casse toute seule "corrane -,si une main in-
'"
visible ( ••• ) l'eût cueillie" (60), et enfin le livre dont les

pages se tournent d' elles-mê~es sans qu'il y ait le moindre cou-'


~-

rant d'air dans la piêce. A ces phé~omênes s'ajoutent le t~moi-

gnage du domestiqu., qui souffre du même malaise que son maît~e,


1 1 •

et l'épidémie/de nature identique qui s~vit à San Paulo.

Cç>nsc,ient d'une menace, le h~ros tente de traquer le Horla ~

il l'enferme dans sa chambre et inc~ndie la maison, mais en vain.

-Il éprouve des difficultés à poursuivre un être invisible parce


\ "
que les org~nes de l'homme sont impuissants à déceler l'inconnu.

Avec le retour de ce motif dont. il était question dans "Un fou?"

et "Lettres d'un fou", nous pénétrons au coeur de l'argumenta-

tion de Maupassant. En effe~ l'auteur~ise sur cet. élément pour


.. /

convaincre définitivement le lecteur scept.ique de l'existence

du Horla, peut-~tre cherche-t-il également à se prouver que les


, ,
visions de son double ne sont pas le fruit d'hallucinations •••

, '~

/
1""
['

122.
( ,
,
bles sens, incomplets, infirmes". (61) Le protagoniste de
\

"Lettres d'un fou" approfondit cette idée: il décide d'exci-


.
ter vol,ontairement ses organes afin de "percevoir par moments

l'invisible" (62), il parvient ainsi"à sentir la pr~sence


, 1 "?/
d'un @tre invisible. Celui-ci se manifeste dlune étrange maniè-

re qui rappelle deux des motifs favoris de Maupassant, c'est-A-


r, '

dire la ma~n et la chevelure: "Souvent j'ai cru qu'une main in-

tangible, ou plutôt qu'un corps insaisissable, m'eff1eUlait léqê-


1

rement les cheveux." (63) Afin de séduire sa victime, la créa-

j
ture immatérielle utilise la douêe caresse des cheveux, une sen-

sation agréable que Maupassant aimait "particulièrement.

Dans "Le Horla", l'auteur reprend et développe la théorie

des contes préc~dentsl: "l'homme ( ••• ) se sent frOlé par un

mystêre tmp~nétrab1e pour ses sens gr9ssiers et imparfaits, et

il tAche de suppléer, par l'effort de ~on intelligende l l'im-

puissance de ses organes. Il (64) J\insi Maupassant pense-t-il


"/
. .

123 •.

Die~1I 'proviennent uniquement du b~ame~tal


1 (

"lêgende de

de l'~tre humain de sonder et~d'expliquer l'inconnu. Par con-


,
.'
,,
tre, il s'intêresse
\
vivement aux découvertes sur le magnêtisme
;
1 ,

ét croit que cette science dêvoilera les/secrets de l'univers


\

invisible:
, , et peut-~tre lèvera-t-elle le voile sur les ~tres

/
,,t bizarres et immatêriels qui l'habitent. De plus, le magnêtis-
,
,,
, me est l'arme dont se sert le Horla pour dominer l' homme: il
~

t faudra ~ttriser parfaitement ce puissant instrument pour r~us­


l \"",
,,
t
,, 9i1 à-lutter contre l'e~vahisseur. ."
i~~
. r
'f

Si, le héros du "Horla n traque ,l' ~tre invisible et échoue dans


i ,-

sa tentative,
,., le protagoniste de flQui sait?" abandonne toute idée

de poursuite et fuit le "monstre à cr!ne de lune": c'est sous

cette form; que lui apparaît la singulière ~réature. 'Dans ce co~

te, le personnage ne poute pas de l'existence d'un ~re qui com-


"
mande aux objets par une extraordinaire fOrCe~gn~tiqUe. ,PUiS-
v que les m~ubles sont retournés à leur propriétaire, on peut con-
,
t clure soit que le-héros halluciné a imaginé cette aventure, soit
1

-
que l'exp'rience dêmontre l'indéniable pouvoir de la créature
1

1 invisible qui s'attaquera peut-~tre à l'homme,. Evidemment, le

1 personnage semble adopter d'emblée la seconde hypothèse.

Dans les contes fantastiques de Maupassant, le thème de


(
l'~~re invisible êvolue en relation avec celui dè la possession.
1
r - !
( ~

. 124 •
(

Or, le rapport entre les h~ros ét léur mIlieu ambiant ~arque

une sorte de courbe descendante vers le gouffre de la folie.


. .
Dans "Un fou ?", Jacques Parent. commande aux objets qui lui 0-

b~issent étrangement. Par ailleurs, l,e protagoniste de "Let-


j

tres d'un fou" prend conscience de l'existence d' une cr~ature

immatêrielle qui le magn~tise durant quelques mOments. Puis,

\ dans "Le Horla", "la victime pas.se d'un


~
~tat actif (tentative

de" fuite, analyse de son ~tat, essai de traitement) à un ~tat


\/

d'asservissement au.,< choses qùi: d~sormais vont dominer." (65)


••
Enfin, le h~ros de "Qui sait?" est complètement vaincu, ou pres-

qu~, et subit la ronde des objets qui s' imposen~. Àinsi.. "A la
i ( .>

".....limite, l' ~tre\.~e~~ent chose et il y a dissociation du corps ct

de l'!me." (66) Dès lors, il n'y a plus de frontières entre

le réel et l'imaginai~e.

L'originalitê de Maupassant dans l'exploitation du thème du

double semble surgir de son écriture unique, des procéd~s stylis- ~

tiqu~s déjà cités (les expressions modalisantes, l'affirmation


l•
1. -suivie d'une n~gation, les comparaisons imagées), de l'habile

'utilisation des tentatives d'explication, mais aussi de cette

65) Pierre Cogny, "Le Maupassant du "Horla", p. 44-45.


( )
'. 6q) Ibid., p. 45.

i
9 li :p, j; ,

r ~"" ...... ""r" "4.,4"-+"'1~~·~ ~,!~~....-,......~... _~~_-_..,.......~,,,,...~~~';'.iij ;FWt!~_~-",-


... t"

• 125.
(
fa~on d'accr~diter l'existenee de l'~tre invisible par le
,
biais des découvertes scientifiques et des recherches sur le
1

magnétisme. D'autre part, derrière l'affabulation fantastique,


1

on s~n,t poindre un accent de vérité, la poicJhantê~ angoisse d'un


,
homme déchir~ entre la réa1it~ et la fiction, entre une excep-
{I

tionnelle lucidité et l'obsession de la folie: "Di~gnostic de


l'

,la folie et expérience du fantastique sont les deux faces ex-

terne et interne d'un même ph~nomène. Maugassant,' comme Hoffmann

et Kipling, sait nous maintenir dans l'entre-deux. " ( 67) j


1
,
• '~
,
~
\'
1 , J
l,
f,
~

,i\ i
.. 1
1
,1

..... ~



,,'<-:
(.
> é '~
/,,~
\
~

"
l' to
., , .
;,

i \. ~I
l,
1 () 67) Louis Vax, "L'art et la littérature fantastig;ws, p. 114.
,
/
1
( CHAPITRE III

lJ\ FOLIE ET LA MORT


('

Dans l'~dition des ~ntes fantastiques complets de Maupas-

sant, douze des trente-tro~s récits (~'est-à-dire près de la

moitié) con~iennent des allusions à la folie(ou racontent l'his-

tbire de' héros jugés anormaux par la société. Les fous, ou plu- .

tôt 'ceux qui~sont considérés tels, fascinent l'auteur parce qu'ils

ont franchi °1' obstacle de la logique et,que pour eux, "tout arri- I

ve et tout peut arriver." (l) far ailleurs, on se souvient 'que

~? la m~re de Maupassant souffra,~t d'une névrose héréditaire, et que


l "
.,
f,
} son frère Hervé dut @tre inte,rné. Aussi, en aoordant le thàme de
~,

;~
..
;-
la folie, on touche,au dra'me fondamental de la vie de l'écrivain
J
~

l':et peut-~tre à l' origine pro~onde de la veine4$fantastique dans


-' "
, son oeuvre.

Les singul~res
croyances, la peur, l'échec de la qu@te de
, t
l'amour absolu., la ~ision du double' et de l' ~·tre invisible sont

les, principaux agents catalyseurs qui déclencnent la folie chez

les béros de Maupassant. Si ces éléments ,semblent disp'~rates"


!
. < .. f ,r u

ils constituent en fait le fil d'Ariane 'qui nous permet de, dé-

couvrir le cheminement de l'auteur, ses préoccupations fondamen-


t
\ , J,

,
1) . -Madame
. Hermet" t p. 309. •
1
1 - 1 !

U /
"

tr
." ,-
~~- - - - ---,.. . ~... .-... ......-.

)
./
r- 127
(
.. ~..r"'-

tales. - . Ainsi; il fàut ~'o~silérer avec une attention parti-


culi~re les apparentes élucubrations des déments dans les contes

fantastiques, car c'est à travers ces personnages que Maupassant


.)
exprime le miew< ses idées et ses conc'eptions :œs plus audacieuses,

ses sensations et ses sentiments les plus i~usités. ...


."
Le doc~eur Hér~u~GIOSS est le type m~me du bon savant fou

qu'on enferme dans une mai~Qn de santé à cause de sa passion_pour

la métempsychose: celle-ci le conduit à un amour excessif pour

les bêtes et 1~ fait' adopter un comportement bizarre. Derrière

ce premier conté ironique et humoristique, écrit dans le style

du Candide~de rOlta~re, se cachent les· fond~~ents d'une vision

originale mais pessimiste de la réalité. Le philosophe au cer-


..
veau quelque peu troublé sert de prétexte à l'auteur'pour dénon-
\

'Cer la recherfhe utopique de la Vérité, le faractère superficiel

et perfide de la femme, la solitude des grands hommes et le pro-

b1ème.~ 'L
l'incommunicabilité,
d~ l'apathie de la bourgeoisie
1
r~ac-
. ~

tion.aire, et enfin, le dogmatisme et les préjugés des autorit~s


~ )
ci~1~t,re1igieus~s. M~me si le héros

en arrive à admettre

momentanément l'aberration de ses t~éories, il ne peut rentrer

dans la société qui le rejette et le considère ,comme un être


~

,
1
., ( )
2) ~ "Madame Hemet", p. 30".' ~
r- i
t
i
(,

d •
..

128.

marginal. Aussi est~il de nouveau interné, et de façon défi-


(
"nltive. Toutefois, dans ce monde à part, Héraclius G10ss trou-
• I!~
ve 'le bonheu~ et se gagne des disciples. Cette conclusion re-

joint une opinion que Maupassant nous livre dans "Madame Hermet"
. ..
par le truche~ent du narrateur: "Eux seuls, (Cl est-'à-dire les

fous) pe~ve~ être heureux sur ).a terre, carl~ur eux, la Réali-

t.~ n:' existe plus." '(2) (


1

1·-
1

Comme HéracliuYlOSS, le sympathique interlocuteur de ttL'nom-


,
me de Mars" a de curieuses croyances: il clame l'existence d'un

autre monde et d'extraterrestres qui habitent la planète Mars.

Cet avant-deinier conte, écrit en 1889, Iaisse percer la décep-



tiGn et le désespoir d'un homma victime de son exceptionnelle

lucidité. On ne peut ~"empêcher de songer que l'auteur s'iden-

tifie étrang,ent.à son .héros quand il lu1i fait dire: liNon,

Monsieur, je ne suis pas fou, mais j'ai l'air fou des hommes

les'~u~res et qui ont franchi un peu,


1 •
qui on! réfléchi plus que

si peu, les barrières de la pensée moyenne." ',(3) Entre ce ré-

cit et le premier, quatorze années se sont écoulées. Maupas-


.,
sant affirme de plus en plus ouvertemént ses convictions~ il
t -J\.

0,
2) "Madame Hermet", p.,309~

3) -L'homme de Mars", p. 3~. ..


"

1 1-

- {
t .~.~~~~~~~~_::.:'":~:~_.~,~~.._-~. ~~----~.,~,._._-
4

129 .. /
~

v?it désormais le fantastique non pas c~mme un genre littérai-

re~ mais plutôt comme un "inconnu existant" (selon l'expression


1

d'Armand Lanoux) (4).

Si certains êtres possèdent des dons de visionnaire et per-

çoivent des aspects de la réalité qui sont inaccessibles au comJ


~ ~

mun des mortels, d'autres sombrent dans une mort psychologique.


, ( 1

consécutive à la peur engendrée par des superstitions ou des


'li:.
• f
croyances populaires. Tout en pe1gnant le c~t6 pittoresque de

ces croyances, ~upassant n1y adhère nullement et démontre l,urs

effets néfastes sur les natures


,- fragiles. Dans "Conte de Nol!l",

la femme ~bQcheron perd mornentané~ent la raison sous l'effet

de la possession, ou plutôt de 1Iauto-s~ggestion. Le climat de

terreur qui règne au village et la crainte morbide du diable a-

L gissent sur son inconscient: elle présente bientÔt toutes les

caractéristiques des possédés, alors qu'elle souffre d'une forme

d'hystérie, cpmme le suggère l'auteur. La cérémonie d'exorcis-


Il
me apparalt co~ une séance d1hypnotisme qui quérit la malade.
/

-L'auberge" présen~e l'autre pendant des conséquences dramati-

ques de terreurs superstitieuses chez les individus émotifs.

L'isolement d'Ulrich et la peur d'être hanté par l'Sme de son


/

(\ 14) "Maupassant le "bel-ami", P. 244.


r
130 •

( •
compagnon, mort accidentellement sans ,les'secours 4e la re-

ligion et sans inhumation digne d' un chr(~tien, conduisent le

héros sur les pentes de la


,--
folie.

L'@tre l~cide, qui perçoit la décevante réalité de l'exis-


i
tence et n'a ,pas recours à la foi consolatrice, se tourne par-

fois vers l'amour pour apaiser ses tourments. I,es idéalistes

qui croient le plus dans les vertus du sentime~t amoureux sont

ceux que le destin frappe le plus durement. Ici; MaupaSsant

transpose assez directement so~ propre cheminement dans les ob-



sessi~e trois déments. Le héros d' "Un cas de divor~e" som-
,
~.
bre dans une sorte de folie poétique parce qu'iL a recherché un

amour absolu, qu'aucune femme n'est fapable Je lui apporter, car


,
la possession tue le désir., D'autre part, le cas de Madame Her-

met démontre l'égocentrisme et le caractère superficiel de la


i
,
"

femme qui songe


,
davantage à 'préserver sa beauté qu'à soigner les

imperfections de son Sme. -


Enfin, le protagoniste de "La cheve-

lure" s'efforce d'oublier son ennui et son dégoOt de l'existen-

ce gr3c~ aux joies enivrantes d'une passion nécrophilique.

t
Comme le h"OS d"~n cas de diV~rC~", Maupassant n'a ?amais

/
pu aimer une seule fe~e, car il refusait d'~tre Pris dans les

filets de cette araignée perfide: l'éternel féminin. "Dans une

telle optique, la personnalité de Madame Hermet est à l'image de


/

, ~:
t

,
/

( /~
son incurable misogynie. Par ~ill~urs, de même que le rnalatl~

de "La chevelure", l'auteur a cherché à compenser'son besoin

d'affectivité et de tendresse au moyen de ce penchant érotique.


\
\

En décrivant des personnages qui sont fous, Maupassant peut


\ "' \"

s'épancher à +oisir et se libérer du joug ,de ses propres inhibi-


(

tions sans porter atTeinte aux tenants de' la/raison et du bon

sens. Jusqu'ici, l'~uteur mettait en situation des aliénés dont

il ne contestait nullement l'a de l'espr't: il enviait

presque le bonheur que certains eux connaissaient à vi-

vre en dehors des banales réalité quotidiennes, selon l'éton-


/

nante "logique" de l'irréel. SEm ament, avec la vision du dou-

ble et de l'être invisible, il peint la détresse de héros victi-


r
mes de l'autoscopie externe ou témoins de phénomènes surnaturels.

• ,1
S'inspirant de ses propres hallucinations, oq plutôt de son

expérience personnelle, Maupassant crée des récits qui se si-

tuent à mi-chemin entre le réel et l'imaginaire. Aprês s'~tre

r~ 1
, .
\'
interrogé {sur les croyances et les superstitions populaires, la
~ peur ressentie devant lê surnaturel, les étranges faits 1 la
,(
f> ?, limite du possible et de l'impOssible, l'auteur met tout en
";
a,,~

,
oeuvre pour rendre palpable l'inconnu, lé vrai. "Lui ?"~ "Un
f
fou?" # -Lettres d'un fou", -Le Horla Il et "Qui sai t?" marquent
(
l'·évolution "de ses recherches, en m~me temps que la progression,

,.
r , '

132 •

..
ou l'anticipation de l'évolution de son mal. Ainsi, le fan-

tastique atteint son point culminant dans ces contes qui po-· " ~

sent le problème de l'existence du ~isme, du double et

de l'être invisible. Maupassant plonge le lecteur au coeur

du surnaturel et maintient constamment le doute entré l'im-

pression de percevoir un extraordinaire univers immatériel et

celle d'être en pFésençe de prodigieux cas de démence.

De "Lui?" "à "Qui sait?", Maupassant consacre au JOOins\ qua-


"
tre contes au thème du double et de l'être invisible. Or ces

récits participent de la tft@me elfsence: "tout l'effort de l' é-


1

criv~in.es~ ( ••• ) selon un type proprement romanesque, d'accli-


--
mater le'lecteur à la vraisemblance "particuli~re/l de la folie."

(5) Ainsi on dirait qu'tl réécrit le même conte en améliorant

la forme de ses récits. Dans "Lui?/I et "Lettres d 4 un fou", le

double et l'être invisible se manifestaient uniquement au sein


"
d'une chambre close, alors que le protagoniste est seul. Pour

donner plus de poids l l'aventure et pavantage de réalisme, Mau-


,r
passant fait éclater l'espace. Certes on retrouve dans "Le Hor-

la" l'armoire à glace et le "vieux lit de chêne l / colonnes",


, ,r
r~is la similitude du décor $'arr~te L'auteur a s9in d'a- . f"

( 5) landré Vial, Guy de Maupassant et l'Art du roman, p. 242.

,/
; ij. ;;
,.,~ ..)I~"'W~_~~,,.~,. .~,.............~ .. ~~_~,",..........._.

133.
( 1
jouter à la seco~delversion des sc~nes
l'extérieur de la chambre, comme la visite du mont Sint-Michel,

la f~t~ de la République, le retour au bal des cano~iers et la /

/ séance d' hypnotisme chez Madame Sablé. Ces scênes const,uent

des périodes d'accalmie qui alternent avec les manifestat~s

de plus en plus évidentes de la présence de l'~tre invisible.

Chaque fois que le ~rotagoniste s'imagine être guéri de1ses pré-

tendués hallucinations, il reçoit un choc brutal l'obl~ge~t à

admettre qu'il est en face de l'inconnu redoutable que cristal-

lise le Horla.

,
La seconde version du "Horla" est nettement ,supérieure à la .
. . . première. A l'argumentation trop apparente et à -l'e,sition

rigoureusement logique des faits succède une forme plus subtile

et plus convaincante, celle Vdu,journal. 1e procédé permet ~. ~au­

passant de faciliter l'identification du lecteur au héros et de


,
rendre le récit plus vraisemblable. De plus, les éléments du

,, décor sont réels, qui il s'agisse de la maison au bord de la Sei-

t ne d'après la demeure de Flaubert à Croisset, ou de la descrip-


,
t tion poétique du mont Saint-Michel. Par ailleurs, la séance

d'hypnotisme est de celles qu'on retrouve fréquemm~nt dans les

livres et les journaux de l' époque: fiN otons qu e dans le cour s


( "
des années 1885, 1886, 1887, parurent plus.de soL~ante ouvrages

u
.: .... ~._-.:_;;:;:_--_.,,,--~-
" '-J > 1

'" 1 l~.

sur la nêv;-ose, 11 obsession, 1 1 hypnptisme et la suggestion. Il

(6) Ainsi, en 6crivant "Le Horla", Maupassant ne transpose

pas uniquement son exp~rie~s~nnel1e.

Le hêros du "Horla" est trop réceptif aux manifestations de

~'~tre invisible qui risque de perturber sa raison; aussi lui


>\ 1

faut-il traquer cette sorte de va~pire. Après l'avoir enfermé

dans sa 'chambre, il incendie la maison. Le conte se termine


ù

par le tablea~ saisissant du héros pris au piège. au moment même

o~ il pensait avoir supprimé son terrible ennemi. Cette fin


.
dramatique accentue le caractère tragique de l'aventure; le

troublant vertige qui émane de la première version se métamor-

phose dans le second récit en une terreur morbide, envahissante

et destructrice. ,A la lim~te, l'exploration de l'ipvisible peut

détériorer le cerveau de l'homme, dont la nature et les sens i~

parfaits sont difficile~~nt capables de supporter la vision bou-

1
• leversante de 1,' au-delà • "\

Ouand il écrit ilLe Horla", Maupassant est parfaitement lu-


1 ~:\
cide. Il cherche à se dissoc~er de son ~éros obsédé. Dans la

première version, il fait dire au protagoniste qu'il a quarante- /1


deux ~ns, alors que lui~"me est Sgé de trente-six ans à llépo-

que. Par ailleurs, il connait fort bien le mont Saint-Michel


1
1
i 6) Pierre Coemy 1 Le Maupassant du "Horia Il 1 p~ 17.
!-

J
«
t
\
t
135.
(

fcontrairement à ses dires) dont i l a déjà par\ê dans "ta

légEnde du mont Saint-Michel". De plus, il a soin de faire



su~gir le trois-mâts brésilien au début du récit, pour qu'il

apparaisse vers' la fin co~ un signe prémonitoi4e. En fait,


~, '

si le conte semble la confidence spontanée d'un


'-
être qui par-

le de ses joies et de ses angoisses en toute franchise, cette

impression est imputable au génie de l'écrivain. En examinant

/ sé au hasard.
~-
-
attentivement le texte, on réalise que Maupassant n'a rien la1s-

La structure du récit, dont les faits étranges alternen't

avec les multiples tentatives d'explicatIon, épouse les hésita-


0( •

tions du héros devant le surnaturel 'et prêvient les objections 0

du lecteur. Les procédés stylistiques déjà mentionnés accen~

tuent la vraisemblance des phénomènes inusités~ L'auteur cher-


,
. che visiblement à fVre basculer l'univers de la normalitê pour

révéler la face voilée de l'inconnu: d'ailleurs, il définit les

1 jt principes'reconnu~ qui conditionnent les pensées et le comporte-


l '
i~ " ment des hommes comme "des idées réputées certaines'et immuable$,
l "~
f en ce monde où l'on n'est sdr de rien, puisque la lumiêre est une
i ." ~
t
illusion, puisque le bruit est une illusion." (7) Dès lors,

Cl 7) "Le Borla" 1 p. 290.


,
r 136.

\ •
l'irr~el devient tangible et le type de, folie dont eS~ictime

le béros du "Horla" ~pparalt comme une facùIté supérieure de


~f'
perception, alli~e à ~ne excepti~nnelle lïcidit~. Ainsi, Mau-

passant reproche d'une manière implicite à. la société de condam-

n~r toutes les d~couvertes et les ph~nomènes qui ~chappent à son

entendement ou à son registre de connaissances irréfutables: de

plus, i l dist~ngue définitivement les dément's des ~tres qui s~rt

jugés comme fous p'arce qu'ils sont témoins de manifestations im-


Il
perceptibles au commun des mortels.'

,,'
D'accord avec les idées d'Armand Lanoux dans Maupassant le

"bel-ami", nous pensons qU? MiJupassant a tenté 'de préfigurer à

travers le héros du "Horla" ce qu'ft.l craignait de devenir. ,Seu-

lement, à la lumière de nos constatation$, il'~ous semble évident

que ce conte n~ peut p~s être l'oeuvre d'un fou. Sans le lais-

ser paraltre, gr!ce à la magie de son écriture, Maupassant dis-

sèque, jusque dans les moin~es détails le comportement et l'~tat


, 1

psychique de son personnage. La complexité de là structure du

rêcit et les procédés techniques dont l'auteur use avep circons-


~

pection ex~ent toute possibilité d'une création spontané'e. "Le

Horla" est le sommet de la prise de conscience de Maupassant de-


\

vant lJinconnu angoissant et l'aboutissement de ses 'recherches ~


1

1
(' ,
sur le plan de l'esthétique fantastique, mais surtout le point
1
"
i
, t
p a * ..

(
{
.--'
)
137. '.
\ ,
culminant dans sa hanti~e ge la folie •

i
Dans. ItQui sait?", le héros pén~tre de Plai~r:~ed
,
dans l'u-

nivers de l'insolite sans s'éton~er du fait que les lois natu-


.. .
relIes sont transgressées. Il admet d'embléè la réalité des
1 -

/ phênomênes singuliers dont it est témoin et se retire dans" une-


<\.

maison de santé uniquemeni: pour échapper au joug du "monstre à

crane de lune". / La façon dont le' protagoniste analyse son tem-

pérament de r~veur solitaire révèle, POur le lecteur épris de

lbglq~e, l'origine du déséquilibre: à force de s.' isoler et de

"vivre en dedans", ' le personnage en arrive à accorder aux ob-


\r: jéts qui l'entourent "une importance d'êtres" (8). Si le héros

se croit en présence du surnaturel, il n'ery est pas ainsi pour

l'auteur. En peignant les tourments de cet homme obsédé par

ses .propres visions qu'il prend pour des r~ali.(és, 'Maupas:ant

nous livre dans toute son"borreur sa _peur viscérale de la folie.


~. p

Aipsi, exploration de..llinconnu'et hantise de la folie se con-

fondent: "dans 11 oeuvre de Maupassant apparaît une sorte de fil


.
conducteur que ne doivent pas masquer les ramifications secon-

daires vers le fantastique, le mystérieux ou même le burlesque

dans l'horrible, et ce fil est l'angoisse dë la folie." (9)

8) "Qui sait ?"~. p. 357.

9) Pierra Cogny, Le Maupassant/du "Horla", p. '19 •


...
•1
138.
(

Comme le héros de "Qui Sit?", qui décide d'écrire son


1
,
1

/"1

histoire pour s'en d~barrasser, ~upassant


,
a tent~ de s'adon-.'

ner à l'af~abulation fantastique pour se lib~rer de ses inhi-"

bitions. Or, plus il approfondit l'expérience du surnaturel


1
au moyen de la litt~rature d'imagination, plus il s'enlise dans
, 1
~n marais: il accentue ses inqufétudes en saisissant trop bien

leur origine. Aussi envisage-t-il de se suicide~ comme ~ h~ros


du "Horla". Seulement, il redoute les souffranc~s qui pt~cèdent
la mort. Dans ilL' endormeuse" , il inveh te une "Oeuvre de la mort

volontaire" qui possède une "méthode infailli~le et indolore de ff


.... '

,
soulager la misè;e hUmaine yar un doux anéantissement. Le nar-
< -
" ~
1
rateur voudrait que la (société accorde aux citoyens le droit de
il s'enlever
-- "
.".,

la vie: "Aidez-noua à mourir, vous qui ne nous avez

pas aidés à vivre~" (10)

Le thême de la mort s'inscrit dans l'évolution du chemine-

ment des héros des con,tes fantastiques, et probablement dans


;

)
1
c~lle de Maupassant lui-même. L'échec de' la qu~te de l'amour,

l' inefficaeit~ à long terme de l' évasion pa~e r~~e ~.o~ ~e char-
1f me envofttant de l'eau consolatrice, l'incapacit de s'intégrer
J "

l un monde décevant et f~nciêrement mauvais, le ~ejet de Dieu ,

( 1
10) "L'endormeuse t', p. 337.
139. , .
(
)
,
consi~éré comme injuste, conduisent l'auteur et ses personnages
~ v
A souhaiter la f,in tout en la redouti&nt. Certes, le héros de

"La chevelure" cherche à triompher de la mort en réanimant une

belle dame d'antan pour connattre l'extase de l'amour: cepen-·


.,,"(

dant, la société ja40use de son bonheur le soustrait à


j \

passion nécrophilique pour l'interner dans un ~sile. n'autre

par't, l'amoureux éploré de "La' mbrte Il essa ie de retrouvér l' es-

sence de sa bien-~imée 'dans un miroir qui l'~ tellement reflét~e


"
qu'il a conservé une pàrt,de son existence:
'!, ,
toutefois, au cours

de sa visite au ~imeti~re, il découvre le vrai visage .J son a-

mante. Ainsl., on peut déduire de ces deux récits qu'il est inu-

1/
.
t1le de tenter de vaincre la mort en faisant revivfe momentané- \
)
ment le passé: une telle pratique n'offre que des plaistFs ~phé-

m~res et les souvenirs divins sonf souvent factices et bien éloi-

L'attrait et' la crainte du suicid~ proviennent de la mort

psychologique qu'engendre la vision pessimiste de l'humanité.


. • 1
Certains héros de Maupassant se plaignent de la platitude de

leur vie sans intérêt (comme dans "Rêves") r d'autres ne "peu-

1 ,
(
vent vivre heureux sur terre car ils sont rongés par la peur

de,l'inconnu (tels le personnage du conte inti1r,ulé "Le loup".

celui de "J.'.':!:~bergen et dl "Un fou?"),.. '"et enfin, des individus.


/
iI;~ .r;~

i angoissés souffrent de ne plus posséder d'existenee autonome


t
)

1
1
~

l ,

140. .

(
qu'Us. sont habith pa~ @tre i~Vi.ible ~,
r
"Lui?"1 "Lettres d'un fou .... "Le llorla ll et "Qui sait'?"). Or

r Maupassant a ~crit ses contes fantastiques entre 1875 et 1890,'


~

" \
soit de l'Age de vingt-cinq ans, alors qu'il avait contract~ la

syphilis, jusqu'auKtrois "


ann~es qui pr~c~dêrent sa mort.
1
Il

n'est donc pas impossible que, r~a1isant l'~tat ~r~caire de sa

sant~i sa conception du monde devienne de plus en plus fatalis-

te, car il sent qu'il s' :?heMne lentement vers la folie et la ..

"mort. Comme le héros de "Lui?", "Il passe son1:m~~ à se re-

tourner, et si eh firi de compte il a si peur es~ peut-~tre . .


qu'il ne trouve rien-sauf cette "vie ani le ll qui s'~chappe des

objets familiers, voire de lui-même. S n fa'htastique est par


">
excellence le fantastique du vide. Il (11)
".'

,
, . ,

ir

,~

"

"

11) Jacques Goi~rd et Roland Strag1iati, Préface de "Lui?",


dans le recueil intitul~ Histoires de doubles, P. 31ê. ~
(C~es~ nous qui soulignons.)
o

• l'

!
as i2

. :1,·1
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'Ci
.(

1
1 ,
r

1:

CONCLUSION

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1
) ~-

~ ...... 4 _ . _ .. VIf . . 'J'«,...f'~'~~~_'M'!"'J$*~"""~~t'M'~~~~~_.;...... . .,""", ,...n. ...~_-:

.,

141.

i( "If· . ,~
Si on examine l'ensemble des thè~es analys~s ici, on

constate qu'ils d~pendent tous les uns des autres et s' ins-

crivent dans le long cheminement de Maupassant vers 'l'abîme

de la folie. On ·pourrait soutenir qU~ le n.~ateur doit tou-

jour~ ~tre dissoc~~ de l·a~ur. Cependant, cette thématiquo

s'ordonne à la mani'ère de l'engrenage d'une montre: devant un

tel système de cr~ati~i~ structur~ par un homme de génie, qui

redoute par-dessus tout de perdre peu à peu sa lucidité comme


/'

'ilIa cervelle (de Jean d'Arville) coulait de la plaie avec le


'ft '.

,
i
r,.,.'
sang" (1), on ne peut douter que ces contes fantastiques soient
..
, r une tra~8position de cette arainte de la folie qui hanta Mau-
II

i
passant tout au long de sa vie. Seulement, il n~ s'identifie
~
pas n~cessairement dans le présent a~~~~ros des contes trai-
~

tant de l'~tre invisible ~d, double: il projette ce qu'il


(.:..~

pourrait devenir sous l'emprise de la d~m~nce.

Dans le premier r~seau (dëfini pr~alablement •


dans l'intro-
/....
Î duction de l'analyse th~matique), les eaux ~ternelles et ras-
~
l , f
surantes cêdent la place aux profondeurs noires et perfides de
,
f ~'

la riviêre trompeuse. La vision de l'amour est semblable à

l'homme sè se~t attir~ par ~e scintil-


\ •
l'eau de cette rivière:

lement de ces somptueux joyaux que sfnt les femmes:


j"

seulement,

\
'\

,
\J
1) "Le loup", p. 120.
\
\
f _
L ..

'1
1
1
1
142.
(
dès qu'il va au-delà, des apparen~es, il réalise que la fem-,. .

me est une perpétuelle ,source de désillusions. Alors il rêve ~

d'un être idéal, une cristallisation de l'éternel féminin, mais


"
sans jamais l'abteindre. Il se retrouve seul dans un monde

corrompu où il n'y a pas d~ pl/ce,po~r une âme sensible. En


.<
vain cherche-t-i1 à s'~vader par le truch?ment du r~ve ou de
"
ce palliatir aussi dangereux qui~phêmêre: l'éther.
/

Incapables de s' adapter au.">C idées préconçue:;; et à la rigi-

dité des lois morales et sociales ~ui régissent la décevante .

, i humanité, la plupart des héros des contes fantastiques ont be-


r
soin de croir~ à la possibilit~ dl un secpu'!'s surnaturel. ' Com-

l'

me il, n'admettent pas qu'un Dieu puisse
1
~tre infle:dble de- '"

vant leur misère et leur désespoir-, ils se tournent d'abord


/

vers les croyances populaires et les, ~tres fantastiques qui

peuplent l'imagination des hommes depuis les temps anciens.

Toutefois, dans ce second réseau thématique, une peur'sans


\
cesse graridis.an~e s'insinue~chez ceux d'entre eux qui accor-
f

r',
dent de la crédibilité à cis créatures mythiques et aux ter-
.
reurs superstitieuses (-par exemple: le protagoniste de "L'au-

berge" e~ la femme du btlcheron dans "Conte de No~!l"). D'au-

.. ( :\
tre part, ceux qui cherchent trop à explorer l'bnivers in con-

nu se manifest~nt
~
par le magnétisme, la main et les objets ani-
, ~

Il

~r
,

{J
143.

rn~s ~ne vie propre, d~couvrent la vraie peur devant le sur-


naturel. Enfin, h~s héros de "LU)?", "Lettres d'un fou'~, "~e

Horla" et "Qui sait?" constatent avec stupeur l'effroyable pré-

sence d'un double ou d'un ~tre invisible qui se fait de plus en

plus ;nenaçante d' un cohté à l'autre. DI abord, 'le héros de "Lui?"

aperçoit son double; celui de "Lettres d'un fou" se sent momGn-


1

tanément envahi par une1créature fluide et immatér~elle.~puisl


le protagoniste du ."Horla" réalise qu'une sorte de" vampire in-

visible Si abreuve de son énergie vitale, tandis que le héros de ~.A>!.


<â} r

"Qui sait?" est définitivement vainçu par le "monstre à crân,~ de


(
lune-" •

Apr~s avoir perçu r double ou un être invisible, les héros

de ceS quatre contes (a peut a jouter "Un fou ?"), torn-

bent dans un état dépres if. une incurable langueur dont l~ mort
1

seule pourrait les délivrbr. Ainsi, le troisi~me réseau thérna- /


\

tique que: constitue' la folie e,t la mort referme la boucle sur UI:}
'(
.
cercle vicieux, ou plutôt sur un piêge monstrueux. D~s lors, la

hantise de la folie apparaft comme étant simultanément l~ genèse

et l'aboutissement d~- la veine fantastique dans l'oeuvre de Mau-

passant.

1
Si l t on tente de particulariser le fantastiqu·: de Maupas-
'",
,l
sant par rapport aux oeuvres de ses prédécess~urs (c'ëst-à-dire,
t
-1
1
1
;

11
m. • . 'on _t."i.
.~ .~

i
:
J

1
144 •

(
Cazotte, Hoffmann,. Nodier, Balzac, Gautier, Mérimée, Nerval,

Lautr~amont et Villier& de l'Isle-Adam), on constate qu'il

n'est pas le prem~r ~ s'être interrogé sur les p~énom~nes

surnaturels tels que la main enchantée, le diab~e, les appari-


.
tions de spectres ou le magnétisme 1 de plus, il a largement

puisé dans la tradition orale, les croyances et les supersti-

tions populaires qu'il a notés au cours de ses voyages et dont ~

il s'est servi pour créer des contes comme "La peur" (première
<,'

et deuxième version), "Le loup", ."La légende du mont Saint-Mi-

chel", "Conte de No!!l", "La mère aux monstres" et "L'auberge".

Il n'a pas inventé non plus le th~me du double qu~Hoffmann avait


i

déjà traité avant lui. ~n définitiv~, à quoi tient l'indéniable ~


-....

originalité de son oeuvre sinon dans sa manière de narref les

fa its •••

De "La main d'écorché" à "'pui '!lait?", on sent que Maupassant

s'applique à découvrir son style propre. C'est visiplement dans


~

ce but qu'il perfectionne 'sans relache ses textes qu'il considè-

re co~ de véritables exercices littéraires; ce désir de par-

faire son oeuvre le co6duit mê~e l r~écrire certains contes.


l 1

1
Dans "La peur" dat6e de 1884, il exprime sans l,r6serve_son ad-
1

~iration pour To,rgueneff et r6~le l'origine de sa seconde ma-



nière •. DéSormaiS~Maupassant s'inspire du romancier russe qui
1
1
t .

lj
"p--------------------~-~~~~ -y~'--~-
~ w~_,... .~.."..""" '" "'~n..,..,..!.... ;,...._ ~ .. 1#_". . . . . . . . . . . . .___....._ .....i#é....""""_ _ _~~_ _.... __
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.. ~

,,.

145.
,

na Ichercbé~es nuances, a rad~ autour du surnaturel plutôt que

de s'y mêler. Il a trouvé des effets terribles en demeurant • 1

sur la limite du possible. Il (2)

La structure des contes fantastiques de Maupassant est par-


/
ticuli~re~ent travji11ée surtodt dans la seconde manière. Nous

avons déjà révélé les princIpaux procédés utilisés (tels que l',ex-
1/
pression moda1isante, l'affirmation suivie d'une négation, ~es

comparaisons imagées, et les tentatives d'explication) qui sont

à l'origine du troublant vertig~cqu'éprouve le lecteur devant

des oeuvres aussi saisissantes. On dirait que Maupassant s'est

désespérément efforcé de nous précipiter au coeur du fantastique

~ur nous faire participer à son mal:' Para11~'lement, 'il déve-

loppe une esthétique particulièrement originale, et'qui atteint

son sommet tandis que l'écrivain sombre dans le néant de la fo-

lie. Peut-~tre aussi l'acte de création était-il pour lui le

,seul lien qui le rattacha it encore à la vie •••.

1(
1
,

j- 2) Armand Lanoux, Maupassant le "bel-ami ", P. 200 •

. ,
,...~.a:
t
___ 22.2a_s.allll,$.a_•••~ _ZlIi..25_:...."g.SS.Z!I!IJUlIllIISR,.aaa_ _ _J!._lIliiiiiiiiiiiil\iiî;;;;;;;;.;;;;.;;~;;;,;...;.;,;;..,;...;..._.~_•.J.j-----......_. _,' .

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