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Lettre d’octobre 19491

Soleil, arrête-toi ! C’est ainsi que priait Josué, lorsqu’il avait besoin de la lumière pour
vaincre ses ennemis, pour les poursuivre et les mettre définitivement hors d’état de nuire. Et le
soleil s’arrêta2 …
Schoenstatt est, en tant que membre de l’Église combattante, comme ce dernier un enfant
de guerre, il est né dans la guerre et a grandi dans la guerre. Il était constamment menacé par la
guerre. C’est ainsi que cela restera et doit rester, s’il veut rester fidèle à sa mission originale. C’est
pourquoi il traverse le temps comme Israël : dans une main une truelle, et dans l’autre un épée 3.
Avec l’une, il construit de façon originale le temple du royaume de Dieu, il construit l’Église
future, avec l’autre il combat tous les ennemis. Ce soleil qui brille est la face de Dieu comme elle
rayonne dans les événements du monde, c’est les signes et les désirs de Dieu qu’il nous annonce à
travers la structure ontologique des hommes et des choses ainsi que dans les résolutions des
problèmes publics et privés et en les transformant en calendrier principal et en horaire général de
la vie et de l’action.
Jour après jour, ce soleil nous éclaire, jour après jour le Dieu de la vie et de l’histoire
annonce ainsi sa parole de chef : tantôt à voix basse, tantôt à haute voix …, mais jamais très fort
jusqu’à ce qu’il ne puisse pas être entendu ou mal compris.
Il en était ainsi dès le commencement. En 1914, ce n’était qu’une petite lueur qui nous a
éclairé, comparable à un lever de soleil qui de loin se dégage lentement des ténèbres. Nous ne
pouvions d’ailleurs que contempler deux petites années écoulées de notre histoire de famille et
risquer un essai sobre d’interprétation. D’où la manière si prudente avec laquelle le document de
fondation va à l’œuvre. Il dit :
«Celui qui connaît le passé de notre congrégation n’aura pas de difficultés à croire que la
Providence divine prévoit encore quelque chose de particulier pour elle»4.
Par la suite, Dieu parla à travers les événements encore plus concrètement. D’année en
année, sa lumière monta de plus en plus haut. Sa face éclaira plus clairement et plus nettement
l’histoire de la Famille et du temps. Les événements autour de Schoenstatt et dans Schoenstatt se
dessinèrent de plus en plus des ténèbres du temps de façon autonome et facilitèrent l’interprétation
dans la foi en la Providence. La voix de Dieu pénétra de façon plus compréhensible dans notre
oreille obéissante et constamment attentive. Elle exigeait progressivement de plus grands risques
qui, dans ces dernières années de guerre, n’étaient pas du type et du poids quotidien.
Elle parlait toujours de façon retenue et comme venant de très loin …Jamais ne nous est
apparue une main comme au temps du roi Balthasar de Ninive, qui dessina des signes mystérieux
sur un mur et ainsi dévoila complètement l’avenir5 ; jamais Dieu ne nous parla à travers le
bourgeonnement et l’éclosion d’un rameau effeuillé, comme cela fut le cas avec le bâton d’Aaron 6.
Jamais nous n’avons eu de visage comme Corneille et Pierre 7, ni des songes à travers lesquels
Dieu nous parla comme à Don Bosco. Cependant, nous avons osé année après année à répéter avec
confiance la parole des mages égyptiens : Hic est digitus Dei8. C’est Dieu qui dévoile son visage à
travers les signes des temps et qui nous parle.
Ce que ses paroles manquaient en clarté immédiate exigeait un saut de mort pour la raison,
la volonté et le cœur. Nous l’avons réalisé courageusement. Nous l’avions fait dans toutes les

1
P. Josef Kentenich, Oktoberbrief 1949, p.13-17. Traduit de l’allemand par Herménégilde Ntabiriho, février 2008.
2
Cf. Jos 10,12 s.
3
Cf. Ne 4,9-17.
4
P. Joseph Kentenich, Documents de fondation, p, 21
5
Cf. Dn 5,5
6
Cf. Nb 17,16 ss.
7
Cf. Ac 10, 3 ss.
8
La main de Dieu est ici. Cf Dn 5,24.

1
étapes de l’histoire. Toute montée, toute escalade, toute marche sur ce sommet dangereux exigeait
ce prix élevé.
C’est ainsi que s’est développée en nous une conscience prononcée de l’histoire, ce qui
signifie, une conviction claire émanant d’une interprétation profonde de l’histoire dans la foi en la
Providence divine d’une mission de Schoenstatt créatrice d’histoire pour la réalisation d’une
vision du futur clairement esquissée.
C’est ainsi que Schoenstatt est née, c’est ainsi que Schoenstatt a grandi, c’est ainsi qu’il
s’est préparé année après année pour de nouvelles tâches, pour de nouveaux combats, pour de
nouvelles victoires : L’enfant de guerre est un enfant de la Providence divine et il veut le rester
éternellement.
Le fait de poursuivre clairement et inexorablement un tel but nous a préservé de beaucoup
de souffrances, et surtout du plus grand tourment de l’homme d’aujourd’hui : le manque de racine
et d’orientation eu égard aux événements du monde qui semblent n’avoir pas de sens ni de logique.
Tout le monde sent que l’équilibre de l’histoire qui s’est mis à osciller terriblement, se trouve
devant un virage dangereux. Personne ne sait de façon fiable ce qui nous guette derrière cela : Est-
ce un abîme baillant et béant qui crache la mort et la perdition, ou un sommet de montagne raide
sur le haut duquel une sorte de splendeur paradisiaque nous attend, ou une plaine gelée et
effroyable ? Qui ose défaire les nœuds de cette question si vitale et si importante pour l’individu et
la société ?
Les meilleures de toutes les nations sentent instinctivement que nous nous trouvons devant
un tournant historique d’une ampleur séculaire, que les jeux qui décident sur le sort du monde pour
les quatre ou cinq prochains siècles tombent, elles sentent que tous, sans exception, sont appelés à
contribuer créativement à la construction d’une nouvelle image du monde – si on n’est pas
architecte ou maître d’œuvre, en étant au moins manœuvre. C’est pourquoi on trouve partout cette
question anxieuse et qu’on cherche à savoir le pourquoi et l’origine, l’objectif, vers où et
comment. Isaïe ne connaît pas de plus grande punition pour les peuples qu’en leur donnant des
adolescents pour qu’ils les gouvernent9. Aujourd’hui, il semble que – ainsi pensent beaucoup de
gens – le Seigneur de l’Univers n’aurait plus son repos souverain et sa sécurité d’attaque et serait
tombé dans l’impuissance et la détresse, car il a laissé la création et l’histoire sans défense, comme
un conducteur de char qui aurait perdu les rênes ; elles sont maintenant laissées à leur propre sort
ou à la merci des hommes dénaturés et à la fureur diabolique de destruction. Sinon comment
pourrait-on expliquer – ainsi dit-on – l’absurdité des cruautés inouïes et la tragédie terrible des
destins des peuples et des personnes innombrables ? Il y a d’autres qui interprètent les catastrophes
immenses de l’époque actuelle comme des douleurs exceptionnelles d’enfantement. Ils sont eux
aussi devant une énigme. Cette question les préoccupe chaque fois de nouveau : Comment sera
l’enfant de tant de douleurs ? L’image du monde et de la communauté à venir qui émane de cette
situation de détresse, quels traits aura-t-elle ?
De telles questions préoccupent aujourd’hui presque tous les esprits et tous les cercles.
Nous avons essayé de donner une réponse, à travers notre foi vivante et pratique en la
Providence divine et la vision du futur qui en découle. Cependant elle n’est pas finale ni définitive,
mais elle donne en gros une vision claire et une position solide. Elle le fait avec une sûreté
croissante – croissante, non seulement parce que le soleil de la Face divine, qui se tenait derrière
les nuages sombres qui s’accumulent, se dévoile avec une netteté grandissante, mais également
parce que l’autorité officielle de l’Église s’exprime avec une clarté progressive et reconnaît ces
interprétations de l’histoire comme nous.
En cela nous protestons contre l’activisme et le passivisme et nous professons sans réserve
la conception théiste et créatrice de l’histoire.

9
Voir Is 3,4.

2
Les activistes sont sans histoire. Leur arbre généalogique commence avec eux-mêmes. Ils
ne connaissent pas de Dieu qui a prévu un plan du monde irrévocable et tient dans la main les
rênes des événements du monde avec une sûreté souveraine et poursuit, conscient de la victoire, un
but déterminé. Ils ne voient aucune interaction dans l’histoire du monde, aucun développement
organique d’une grande idée homogène de Dieu, mais seulement une suite mécanique sans
rapports internes. C’est pour cela que l’histoire n’est pas pour eux – comme pour Cicéron – une
maîtresse de la vie et un témoignage éloquent pour une sagesse éprouvée des anciens, non plus
jamais une force motrice qui a fait ses preuves pour une aspiration orgueilleuse et une action
dominante comme pour Nietzsche, qui explique : Nous avons besoin de l’histoire pour la vie et
l’action, non pour

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