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DE LA SOCIETE
DES
ETUDES OCEANIENNES
N° 281 / 282 • Juin / Septembre 1999
BULLETIN
DE LA SOCIETE
DES
ETUDES OCEANIENNES
(POLYNESIE ORIENTALE)
N° 281/282 - Juin / Septembre 1999
Sommaire
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de Rapa Nui, l’île a connu plusieurs ENSO, mais aucun n’a été plus signi-
ficatif que celui de 1982-1983. La température de surface des eaux à
Rapa Nui s’est élevée de 5°C approximativement. Bien qu’aucune étude
en biologie marine n’ait été réalisée à l’époque, le phénomène a touché
les populations d’algues marines, de mollusques, de coraux et de pois-
sons.
Une des conséquences majeures du ENSO de 1982-1983 a été la
mortalité massive des communautés coralliennes dans les îles, par
expulsion des zooxanthelles du corail, stressé suite à une modification
de la température de l’eau. Les conséquences combinées de l’élévation
des températures de surface des eaux et de la diminution de la produc-
tivité ont engendré un profond changement dans la chaîne alimentaire
qui, à terme, a mené à la probable disparition d’une des espèces de
Labre (famille des Labridae) et de presque toutes les algues brunes dont
celle-ci se nourrit. De plus, alors que certaines espèces marines dimi-
nuaient à cause d’ENSO, d’autres devenaient plus abondantes. Les pois-
sons côtiers tels que les serrans (Serranidae), les «croakers»
(Scianidae) et les grogneurs (Haemulidae), qui produisent près de 90%
des protéines de poissons consommés, sont devenus très rares, alors
qu’un grand nombre de requins et de thons ont proliféré sur l’île entre
décembre et mars, en migrant plus qu’à l’accoutumé vers le Sud.
14 ans plus tard, et avec un autre ENSO qui menace d’affecter pro-
fondément Rapa Nui, l’environnement marin de l’île ne s’est pas complè-
tement remis du phénomène. Les populations de poissons et de mol-
lusques côtiers n’ont pas retrouvé le niveau atteint avant l’ENSO de 1982-
1983 et le retour à la normale des herbiers marins, affectés par un
nombre important d’oursins alors qu’ils étaient rares avant 1982, est
particulièrement lent.
Dans les temps anciens, la population limitait la pêche à certains
mois par an en imposant une interdiction sacrée appelée rahui. Durant
les 14 dernières années, malgré l’absence de rahui, le manque de pois-
sons et de mollusques côtiers a été si important que sans l’arrêt du
rahui, sans l’importation de denrées alimentaires et sans l’amélioration
des équipements et des techniques de pêche, la population aurait sûre-
ment souffert d’une famine prolongée.
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couvant près de sa maison. Les habitants, voyant cet événement se pro-
duire plusieurs fois pendant l’année, l’honorèrent comme leur chef
suprême. Pourtant, alors que les Pléiades étaient perdues dans l’océan
(pendant le solstice d’été du 21 décembre) et que les pêcheurs sortaient
en mer, ils rencontrèrent plus de thons et de grands requins qu’à l’ac-
coutumé, y compris des requins marteaux qui retournaient les bateaux
fragiles et dévoraient l’équipage. Cela continua tout l’été et, lorsque les
poissons eurent disparu, les habitants se mirent en colère contre
Rokoroko He Tau et le blâmèrent pour ces événements. Ils allèrent voir
le Roi Ngaara et lui demandèrent de se débarasser de son fils. Le père
décida que les pouvoirs de Rokoroko Te Hau étaient trop dangereux
pour le peuple, alors une nuit, le jeune chef fut conduit sur un brancard
au sommet du mont Tangaroa pour y être abandonné. Tout ceux qui por-
tèrent le brancard moururent sur le chemin du retour et un nuage noir
recouvrit peu à peu le sommet de la montagne ; Rokoroko monta au ciel
à travers un arc-en-ciel. Après son départ, les thons et les requins dispa-
rurent et les poulets redevinrent plus rares. Cela s’est produit car
Rokoroko avait trop de mana.
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les vagues les submergent quelquefois entraînant des pertes de vie et,
dans certains cas, les survivants sont contraints d’abandonner leurs
cases à cause de la pénurie de nourriture et de poissons d’eau douce.
Les précipitations exceptionnelles associées à ENSO sont une béné-
diction aux Marquises. Les récoltes des fruits de l’arbre à pain, de taro
et de bananes en profitent habituellement. Pourtant, alors que les inon-
dations fertilisent les systèmes de l’agriculture locale en déposant de la
terre nouvelle sur les plaines, les rivières débordent souvent inondant
les vallées basses et détruisant les structures fabriquées par l’homme.
Dans les temps anciens aussi, ENSO a détruit les systèmes d’irrigation
locale et les terrasses agricoles. ENSO aboutit aussi à des tempêtes vio-
lentes qui érodent le littoral des Marquises, ce qui nuit à l’écosystème
marin et augmente la quantité de poissons intoxiqués par la ciguatera
dans certains endroits.
Dans toute leur histoire, les Marquises ont été sujettes à des
périodes de sécheresses importantes qui ont duré quelquefois plusieurs
années. La relation entre ces sécheresses et ENSO est incertaine, mais
ces sécheresses se produisent après cette longue absence de fluctuation.
L’information historique montre que les îles en ont été sévèrement affec-
tées en 1802-1803 (Robarts, 1974, 121). Les deux tiers de la population
de Nuku Hiva périrent brutalement et des tribus entières furent
contraintes de s’installer à côté des îles sous le vent après une importan-
te sécheresse (Suggs Robert, communication personnelle). La réinstal-
lation engendra une guerre et plus de conflits encore au sein d’une
population déjà affaiblie. Même s’il est difficile de déterminer les consé-
quences exactes directes et indirectes d’ENSO sur l’agriculture, sur
l’économie, sur la culture et sur l’ordre social des Marquises, son rôle
dans le développement historique et physique des îles est incontestable.
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repos par les voyageurs polynésiens pendant leur séjour entre les
Marquises ou Tahiti et Hawaii (Emory, 1924,2)
La recherche archéologique dans les îles de la Ligne est limitée aux
expéditions de Emory à Whipoorwill et à Kaimiloa ainsi qu’aux fouilles
de Sinoto à Fanning en 1972, toutes organisées par le Bernice P. Bishop
Museum. Emory a pu étudier un nombre limité de vestiges archéolo-
giques laissés par les anciens naufragés, par les visiteurs ou par les
colons d’Howland, de Fanning, de Kiritimati (appelé aussi Christmas) et
des îles Malden. Les objets déterrés révèlent que les îles avaient une
population permanente conséquente mais n’expliquent pas son départ.
La réponse à ce problème, peut se trouver dans l’identification des effets
possibles d’ENSO anciens dans les îles basses coralliennes.
Fanning
Les deux premières expéditions archéologiques à Fanning ont été
menées en 1924 puis en 1933 par Emory qui a cartographié et décrit six
structures dont un marae et plusieurs tombes ; il y a collecté de nom-
breux outils en pierre et hameçons en nacre, typologiquement similaires
à ceux de Tonga (Emory, 1939, 187). Des années plus tard, Sinoto effec-
tua des fouilles archéologiques à Fanning uniquement, travaillant sur
huit sites polynésiens préeuropéens à la station Cable, dont un marae et
deux tombes ; un échantillon de carbone obtenu par des dépôts à FANI-
6 permit de les dater entre 1020 à 1190 ap. J.-C. (Sinoto, 1975, 290) ;
d’autres dates obtenues à la moitié de FANI-7 donnèrent de 350 à 530
ap. J.-C. et semblent indiquer une période d’habitations prolongée, de
plus, Sinoto a trouvé plus de restes de bonites et d’hameçons en nacre.
L’analyse de ces trouvailles ainsi que le style architectural des construc-
tions de Fanning indiquent une étroite relation avec Tonga, bien que
quelques formes d’hameçons aient été aussi trouvés aux Marquises. La
relation avec Tonga a été récemment renforcée par la découverte d’une
tombe dont le squelette portait un collier en os de style tongien.
Les résultats de ces expéditions et des découvertes récentes suggè-
rent que Fanning a probablement été peuplé en partie de Tongiens
durant la première moitié du premier millénaire et a été occupée
jusqu’au XIIe siècle ap. J.-C. Bien que ce soit les dernières datations
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disponibles au C14, cela ne signifie pas nécessairement que les îles ne
furent pas occupées plus tardivement. Les raisons de cet abandon res-
tent obscures mais pourraient indiquer une sécheresse induite par ENSO
qui aurait affecté Kiritiati et tout le groupe d’îles avoisinantes.
Kiritimati
La première expédition de Emory y a enregistré environ quatorze
structures architecturales comprenant des sites, une plate-forme de
corail qui pouvait être un marae, plusieurs monticules et des tombes. Il
a récolté deux outils en pierre ainsi qu’un basalte à l’origine étrangère
évidente. Quand l’île fut aperçue pour la première fois par les Européens
en 1777, Cook la trouva inhabitée.
Nous savons que les changements de température de surface des
eaux causés par ENSO en 1982-1983 ont entraîné la migration d’un
nombre considérable de poissons côtiers migrant soit vers d’autres îles,
soit plus bas dans les profondeurs de l’Océan ; cela a provoqué une
chute massive de la population d’oiseaux de mer (approximativement de
25 millions à 2 millions, Keppler Kay, communication personnelle). De
plus, Kiritimati a subi une sécheresse prolongée pendant la même pério-
de. Ces changements extrêmes des températures de surface des eaux ont
sûrement été ressentis dans tout l’archipel, et des désordres climatiques
tels que la sécheresse ont directement affecté l’approvisionnement en
eau douce. En considérant que les habitants actuels des îles de la Ligne
sont à peine capables de survivre à la sécheresse qui a eu lieu en 1982-
1983 malgré le flux d’approvisionnement importé, les changements
drastiques de l’environnement ont pu être la cause de l’abandon des
habitants des îles de la Ligne dans le passé.
Malden
La seule recherche archéologique à Malden a été menée par Emory
en 1924. Pendant une mission de deux jours l’expédition a pu avoir un
aperçu rapide des ruines le long des côtes nord, est et sud de l’île. Le
travail de Emory était limité à la cartographie et à la description de vingt-
quatre structures comprenant toutes des marae et des tombes plus
larges et plus impressionnantes. En 1994 et 1996 Edwards y a trouvé un
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1 Nous remercions l’équipe du professeur Salavat qui a bien voulu traduire le texte anglais original.
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BIBLIOGRAPHIE
•Druffel, Ellen M. «Radiocarbon in annual coral rings from the East Tropical Pacific
Ocean», Geophysical Research Letters, Vol. 2., N°1., January 1981.
•Edwards, Edmundo, «Estimates on the Prehistoric and late Proto-historic Rapa Nui
Population» in The Rapanui Statuary Project : Report N°1, Eastern Pacific Research
Foundation, Rapa Nui, September 1997.
•Emory, P. Kenneth, «Additional Notes on the Archaeology of Fanning Island»,
Bernice P. Bishop Museum Occasional Papers, Vol. XV, N°17, Honolulu, Hawaii,
1939.
•Métraux, Alfred, Ethnology of Easter Island, Bernice P. Bishop Museum Bulletin N°
160, Honolulu, Hawaii, 1940.
•Robarts, Edwards, ed. Gregg Denning, The Marquesan Journal 1797-1824,
University Press of Hawaii, Hawaii, 1974.
•Sandweiss, Daniel H. James B. Richardson III, Elizabeth J. Reitz, Harold B.
Rolling, and Kirk A. Maasch, «Geoarchaeological Evidence from Peru for a 5 000
Years B.P. El Nino», Science, Vol. 273, pp. 1531-1535, September 1996.
•Schreiber, R. W. and E.A., «Reproductive Failure of Marine Birds on Christmas
Island», Tropical Ocean-Atmosphere Newsletter, N°18, pp. 10-12, Fall 1981.
•Sinoto, Akihiko, «Fanning Island : Preliminary Archaeological Investigations of
Sites Near the Cable Station», University of Hawaii, Hawaii, 1975.
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Enquête sur la disparition de
l’évêque Rouchouze
et de vingt-trois missionnaires en 1843
Les Rapanui1 ont-ils mangé
l’évêque «Tepano»
et ses coréligionnaires ?
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ses cheveux gris, qui disait lui même s’appeler “Tepano”. Le responsable
du jet de la pierre qui avait touché «l’étranger» à la tête affirma, pour
l’avoir vu à Papeete, que «Tepano» Jaussen n’était pas l’homme qu’il
avait blessé à Rapanui.
Les Pascuans de Mangareva révélèrent au Père Castan des détails
sur la lutte contre l’équipage du navire, sur les blessures infligées aux
Européens qui s’étaient aventurés sur le rivage pour y établir un bivouac
au lieu-dit Papatekena et sur les distributions de cadeaux et de vête-
ments. Le missionnaire obtint des détails très précis sur les souliers à
boucles de «Tepano», son chapeau ou son anneau pastoral, ainsi que
sur l’agression : “...ils avaient dressé une tente avec des voiles du navi-
re..., ils furent assomés à coup de pierre, les mains liées derriere le
dos...”
Des deux sources on affirma que les étrangers avaient été jetés, avec
une garniture de patates douces, dans un grand four à Anakena où ils
avaient été transportés. Cet umu no te hu iva, le four des étrangers, était
encore visible en 1872. Ceci confirma le témoignage du Père Roussel qui
écrivait de l’île de Pâques en 1869 :
«...Combien de fois n’ai-je pas été témoin de maris donnant des
coups de couteau en pleine face ou sur la tête de leur femme de manière
à les tuer ou à les estropier ! Qui sait combien d’étrangers ont été man-
gés : on en compte à Anakena, au cratère, à Hangapiko et on tait les
autres...»
Déjà, deux ans avant lui, en 1867, le Père Zumbohm qui résidait à
l’île de Pâques avait recueilli le témoignage d’un Pascuan d’une trentaine
d’années qui avait vu manger un homme, puis cinq hommes à la fois. Le
missionnaire avait obtenu d’autres indigènes d’étonnantes précisions
gustatives : «...ils (les Pascuans) disent bien que la chair de l’Indien vaut
mieux que celle des étrangers ; cette dernière est trop salée. Au goût de
ces cannibales, les doigts du pied et de la main étaient les morceaux les
plus friands. C’est par la manducation de ces parties du corps humain
que s’est opéré le dernier acte d’anthropophagie dont cette île ait été
souillée : le forfait a été commis sur les cadavres de deux forbans2.
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Quelques temps auparavant, ces barbares avaient rôti et mangé un des
leurs qui était, m’ont-ils dit, très méchant. J’ai vu l’endroit où l’on a
dévoré ses chairs...»
Corinne Raybaud
Sources :
Lettres des Missionnaires de la Congrégation Sacrés Coeurs de Jésus et de Marie, Compilation
Cools. Rome.
Dépôt Raybaud, Archives Territoriales Papeete, Tahiti.
Bibliographie :
Alfred Métraux, L’île de Pâques, Gallimard.
R.P. Mouly, Cannibales à genoux, Toira éditeur, Paris.
C. Raybaud, L’île sacrifiée, Ed. JCR, Tahiti.
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Visite à l’île de Pâques
du H.M.S. Topaze en 1868
Cette petite île1, qui fut rendue célèbre par les nombreuses et gigan-
tesques statues de pierres, est aussi très isolée. Située à 27°8 de latitude
Sud et 109°24 de longitude Ouest ; elle se trouve à environ 2000 miles
de la côte sud-américaine, et 1000 miles de l’île de Pitcairn ou des îles
Gambier. Elle est souvent mentionnée dans les voyages de nombreux
navigateurs, dont les observations ne concordent pas toujours. Dans les
notes de voyages du Capitaine Cook, les différents noms mentionnés cor-
respondent à ceux des districts qu’elle abrite. J’ai donné le nom originel,
qui provient du fait que, il y a plusieurs générations, une importante
colonie d’immigrés s’y implanta, en provenance de l’île de Oparo, éga-
lement appelé Rapa-Iti (petite Rapa). Cette île se situe à environ 1900
miles à l’ouest de l’île de Pâques laquelle, à cause de sa plus grande
taille, fut appelée Rapa Nui, ou Grande Rapa. Elle mesure environ 12
miles de long, sur 4 de large, et ressemble à un bicorne, la base dirigée
vers le sud ; les extrémités sont hautes et escarpées, et il y a une grande
colline de 1050 pieds de haut, comportant un vieux cratère en son
centre. Elle est d’origine volcanique et possède de nombreux cratères,
éteints depuis si longtemps qu’il ne reste aucun témoignage de leur acti-
vité. Toutefois, leur intérêt me pousse à mentionner la position et le nom
de certains d’entre eux.
1 Les enquêtes d’études effectuées par Corinne Raybaud concernant l’île de Pâques et ses habi-
tants l’ont amenées à citer, parmi les équipées plus ou moins sauvages exécutées par les
navires de passage de 1862, celle du H.M.S. Topaze qui fit, d’après elle, une sérieuse razzia sur
les objets mais également d’intéressantes observations en tous genres.
La S.E.O. ne possédant pas le rapport établi par J. Linton Palmer, le chirurgien de bord du
Topaze en 1868, il nous a paru judicieux, ayant acquis une photocopie de celui-ci lors d’une
vente aux enchères anglaise en 1998, de la faire traduire par Dominique Mouneix: nous remer-
cions CH. Canadas qui a bien voulu revoir les mots pascuans.
1. Te Rano Kau. – Celui-ci est très grand et situé à l’extrême sud de
l’île ; son diamètre est d’environ 1 mile, et sa profondeur de 600 à 700
pieds. Le fond, plat et d’environ 1200 yard de large, est marécageux,
avec des roseaux, des joncs et des mares par ci, par là, ; leur profondeur
varie de 26 à 30 pieds. On peut accéder au fond du cratère grâce à un
chemin en zigzag une ferme y ayant été installée par un colon, le capi-
taine Bornier. Sur le côté sud du cratère se trouve la brèche par laquelle
s’évacuèrent les dernières coulées de lave ; le côté nord est agréable-
ment recouvert d’Hibiscus, de Broussonetia, etc...
2. Te Puna Pau, pas très loin du centre de l’île, est sec et beaucoup
plus petit. C’est la source du tuf volcanique qui en fut extrait pour former
les décorations de tête, ou les couronnes, des grandes statues en trachy-
te, ce matériaux n’ayant pu être trouvé en quantité qu’ici.
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2 Ina vai - ina ina : pas d’eau, pas d’eau du tout. Une remarque agréable alors que nous mou-
rons de soif au coucher du soleil.
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la hauteur des falaises est variable. Aux extrémités de l’île, elles peuvent
atteindre 800 pieds. A Hanga Roa (baie de Cook), s’étend une jolie plage
sablonneuse. Malgré une rade ouverte, cet endroit peut être considéré
comme le meilleur mouillage. Tout autour de l’île, la houle et les défer-
lantes empêchent tout ancrage. Ce fut le cas pour le H.M.S. Portland en
1852 – également avec le capitaine Amasa Delano, en 1808. Il n’y a pas
beaucoup de rochers isolés – nous ne vîmes que peu d’algues, bien que
La Pérouse affirme qu’elles servaient de nourriture. Cette algue était
appelée «go-e-mon», devenue à présent auke. Il y avait beaucoup
d’éponges plates sur les rochers, ainsi que de gros blocs de pierre
autour du mouillage.
Nous ne prîmes aucun poisson avec la ligne, mais il avait dû y en
avoir, et de gros, si l’on peut juger de la taille des hameçons, taillés dans
la pierre, dont les indigènes avaient l’habitude de se servir pour les attra-
per. Les grands poissons volants ne sont pas communs, et je vis plein de
petits alevins, tout près de la côte ; plusieurs des filets que nous
obtînmes étaient de petites mailles. Les oursins crayons, qui sont ramas-
sés par les indigènes en apnée, et les crabes, sont communs et délicieux ;
les crustacés également. Je n’ai pas vu d’huîtres, mais il y avait plein
d’univalves, et dans les abris de pierres au Rano Kau, il y avait en abon-
dance des coquilles de petits bigorneaux (piripiri), Nerita.
Comme dans le reste de la Polynésie aucun quadrupède particulier
à l’île ne fut trouvé. Le rat prolifère. Les cochons ont été introduits par
des visiteurs : mais ne purent se reproduire. Roggewein dit que des
cochons auraient été domestiqués mais il n’existe pas de nom de cette
bête dans la langue de l’île, et je n’en ai trouvé aucune représentation
dans les peintures murales de Rano Kau. Les oiseaux étaient tout aussi
rares ; quelques fous de mer furent aperçus, mais le fou domestique
ordinaire était vraiment le seul oiseau ; et il y en avait en quantité. Pas
de petits oiseaux.
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L’aspect physique de ces gens a été commenté par tous les visiteurs.
Mendaña en 1566 dit que certains d’entre eux sont presque blancs, avec
des cheveux roux. Ils étaient aussi bien charpentés et d’une stature telle
qu’ils prenaient l’ascendant sur les Espagnols. La Pérouse contredit en
21
1722 les dires de Roggewein quant à leur taille gigantesque, et dans
beaucoup de cas, leur singulière maigreur ; mais il parle d’eux en bien,
et ne tarit pas d’éloges sur la beauté et la silhouette des femmes qui, dit-
il, ressemblent aux Européennes à travers leurs traits et leur couleur. Les
dires de Cook le confirment. Le prêtre jésuite Eugène en 1864 dit la
même chose ; que la plupart ressemblent plutôt aux Marquisiennes
qu’aux autres Polynésiennes, – beaucoup plutôt blanches, dit-il. Nous
les trouvâmes, en 1868, bien que peu à leur avantage lors de notre visite,
assez robustes et bien charpentées, et elles avaient une contenance plus
proche des femmes européennes que celles de toutes les autres îles que
nous avons visitées. Trois crânes provenant d’un cimetière de Vinapu
furent ramenés, dont deux se trouvent actuellement au Collège des
Chirurgiens à Londres. Un calque et des mensurations furent envoyés au
Professeur Huxley.
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prêtres portaient de grosses balles de bois qui pendaient ainsi de leurs
oreilles ; on nous en vendit quelques-unes, elles avaient la taille d’un
poing, de faces arrondies et collées l’une à l’autre. Ils nous dirent qu’ils
les utilisaient pour les danses. Pour leurs danses, les hommes portaient
des pectoraux faits en bois dur, en forme de croissant, et dont chaque
extrémité se terminait par une tête ; le côté concave était tourné vers le
haut, le profil des visages ornant les plus vieux spécimens étant très
aquilin. Ils portaient aussi de petites couronnes de plumes, de la forme
d’un chapeau moderne, sans bord ; nous en vîmes avec des plumes par-
tant du centre, tel un diadème plat. Elles étaient généralement faites de
plumes du cou des gallinacés ou d’oiseaux communs, d’un noir métal-
lique et brillant. La Pérouse dit qu’ils convoitaient beaucoup les cha-
peaux des Français.
Dans leurs mains, à la place des armes utilisées par les Maoris, ils
portaient des petites pagaies à double extrémité qu’ils appelaient
«rapa». Cela avait une signification symbolique, comme elle apparaît
régulièrement sur les peintures et les sculptures, mais aussi sur les
tatouages dans le dos des femmes (1852). Cela pourrait ressembler à un
tronc humain, car, à une extrémité l’on trouve généralement un visage,
et à l’autre un petit phallus. Elles ne servaient pas à ramer.
Leurs armes étaient le patupatu ou mere, un petit gourdin comme
celui des Maori ; mais je n’en vis aucun fabriqué en os ou en pierre, seu-
lement en bois. Ils ne connaissaient pas l’utilisation de la fronde. Ils uti-
lisaient un pic pour repousser, et un javelot pour lancer ; tous deux
avaient une tête en obsidienne, le manche était en purau (hibiscus) et ti
(Dracaena terminalis) ; le javelot était lancé tenu dans la paume de la
main, avec le petit doigt en avant, et ils n’utilisaient pas d’arme tel le boo-
merang. Lorsqu’un adversaire était battu, on le frappait sur la tête. Ils
évitaient les effusions de sang, et comme la tête de javelot était plutôt
faite pour couper que pour percer, on visait particulièrement les jambes.
Les manches de lance que nous vîmes étaient parfois faits de tiges de
feuilles de palmiers.
Nous de vîmes pas de massues de guerre. Les chefs s’accompa-
gnaient d’un bâton symbole de leur charge, une sorte de longue lance
épaisse comme le poing, quelque peu élargie et aplatie à l’extrémité
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par-ci par-là, au niveau du sol. On nous a dit que c’était des poulaillers,
et que la volaille y était introduite mais il semble peu probable qu’elles
aient été originellement construites dans ce but, car de telles construc-
tions, aux toits blanchis à la chaux, servaient de sépultures, nous a-t-on
dit.
Il y avait trois fêtes principales, ou occasions de réjouissances, dans
l’année.
Au printemps (septembre), il y avait un grand rassemblement à
Mataveri. Les gens portaient leurs plus beaux habits et restaient là pen-
dant 2 mois. De l’athlétisme, des courses, etc. étaient à l’ordre du jour.
En été (décembre), prenait place la fête de «Paina». Il faut remarquer
que chacun apportait ses provisions. La cérémonie se terminait par
l’érection d’une colonne de branches d’arbre ; ceci s’appelait le Paina.
Durant l’hiver (juin, juillet), on construisait de grandes maisons où les
gens se retrouvaient pour danser, pour chanter dans des chorales, des
chansons dans lesquelles le même couplet se trouvait souvent repris. Ces
réunions étaient appelées areauti.
Leur monarchie était élective. Après la mort du souverain, tous les
Grands Chefs se réunissaient près du Rano Kau, et les candidats, dont
on jugeait à vue de leur capacité, descendaient la falaise, nageaient jus-
qu’aux îlots et rentraient, après avoir pris des œufs d’oiseaux de mer. Le
successeur était choisi pour sa plus grande habileté. Le fils du dernier
roi, Te Pito, était vivant il y a quatre ans. M. Bornier, le colon français,
nous raconta qu’en une occasion, étant pris dans son bateau lors d’une
tempête sur l’îlot, son équipage nagea jusqu’à l’île pour chercher de la
nourriture, avec laquelle ils revinrent ; si bien que cette histoire ne
devait pas être une fable.
Les premiers voyageurs ont pensé que les idoles étaient adorées par
le peuple. Roggewein dit que les noms de ces dieux étaient Tau-pi-co et
Dago ; que des feux étaient allumés devant les idoles au lever du soleil
et que les prêtres qui officiaient étaient tondus. Mais nous découvrîmes
que les moai ou les statues des plates-formes, n’étaient pas adorées et
que ce peuple croyait en un seul Dieu – un esprit – asexué, qu’ils appe-
laient Make-Make, le créateur – et que les Hommes, ses enfants, étaient
générés par lui-même à partir de la Terre, et non par reproduction ; sans
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Nous ne savons pas s’ils avaient quelque croyance en une vie future,
bien que cela semble tout de même probable. Après la mort, le corps
était enveloppé dans un ballot d’herbes et de roseaux, et allongé sur le
papaku ou dans un cimetière, la tête tournée vers la mer. Il existait aussi
une autre coutume qui consistait à envelopper le corps dans le tapa
(vêtements indigènes), et de l’introduire dans une crevasse de la roche,
ou tout autre endroit inaccessible. Quelques-uns de nos concitoyens en
virent à Anakena (Baie La Pérouse). Il y avait aussi d’autres endroits à
l’intérieur de l’île, où étaient enterrés les morts. La petite sculpture Hoa
Hava était l’esprit, si l’on peut dire, d’un cimetière à Mataveri. «Plein,
plein de morts ici», disaient les guides ; mais nous ne vîmes aucun mon-
ticule, si bien que les corps avaient probablement été enterrés.
Néanmoins leur aversion pour les inhumations proches, à la façon des
enterrements chrétiens, est telle que juste avant notre visite, une femme
(dont l’enfant était mort peu de temps après sa naissance et qui avait été
enterré ici), se leva dans la nuit, et après avoir exhumé le corps, le trans-
porta à deux ou trois lieues de là, jusqu’au papaku de sa tribu.
Depuis l’attaque des Péruviens, tous les survivants ont été massés
ensemble à Hangaroa. Nous pûmes voir ici et là des traces de sacrifices,
près de colonnes, sur lesquelles subsistaient des marques de feu, avec
27
en quelques occasions des os carbonisés autour. On nous dit que c’était
des ika – victimes (traduction française).
Le papaku, ou cimetière est une terrasse, ou plate-forme, générale-
ment située près de la mer, et faisant face, du côté de la mer, à un mur
solide fait de grosses pierres irrégulièrement carrées, assemblées sans
ciment. Les extrémités des terrasses étaient blanchies ; elles étaient d’en-
viron 100 yards de long : une ou deux d’entre elles ne comportaient pas
de mur, sans doute n’avaient-elles pas été terminées. Il y en avait
quelques-unes à l’intérieur des terres, je n’en ai pas pris note, sauf pour
une située sur le flanc de Rano Kau, près de Vinapu, il y avait un enclos
entouré d’un fossé, sur le côté de laquelle se trouvait une terrasse éle-
vée, recouverte d’herbe. On nous assura que ceci était un papaku. Tout
près, se trouvait une petite statue sculptée dans un tronc – «Libi Hoahava»
[?] ; là d’où nous en avons déduit qu’il y avait eu là un papaku.
On évoqua aussi quelques tombes carrées, mais pour quelles caté-
gories d’individus, je n’ai pas pu le savoir.
Dans les structures que nous allons décrire à présent, aucune
sculpture ne fut placée de la même manière sur la terrasse des pakeopa.
On peut voir ces terrasses sur presque toutes les avancées, assez près de
la mer, et construites sur des sols en pente, la partie côté mer étant tou-
jours la plus importante. Leur taille est très variable. J’en décrirai une
pratiquement intacte, que j’ai appelée la Fifteen-image Platform (la
Terrasse des quinze sculptures).
Vers la mer, là où le sol devient friable à l’approche des falaises, est
construit un très solide mur. Sa hauteur est rendue difficile à évaluer à
cause des détritus qui y sont tombés et des sculptures cassées qui s’y
sont entassées, ainsi que des roseaux et autres végétations etc. ; mais elle
semble avoir mesuré 7 ou 8 yards de hauteur. Les pierres dont elle est
faite sont grosses et irrégulières, tant en taille qu’en forme, quoiqu’ayant
plus ou moins toutes quatre côtés. Elles sont bien assemblées, sans
aucun ciment. Le dessus de ce mur est plat et nivelé, mesurant environ
30 pieds de large sur 100 pas de long, carré à chaque extrémité, et dont
la partie la plus longue est parallèle à la côte. Ceci constituant, en fait, la
terrasse sur laquelle se trouvaient les dalles qui servaient de piedestals
aux statues.
28
N° 281 / 282 • Juin / Septembre 99
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6 pieds de long vers l’extérieur et qui était également couvert de dalles
de mêmes dimensions que celle du passage. Ce couloir était soigneuse-
ment construit en pierres, bien taillées et carrées ; il se terminait brus-
quement sur un mur carré.
On m’informa que dans ces fossés, les morts brûlés étaient conser-
vés jusqu’à ce qu’on les demande pour les fêtes. A l’extérieur du hall, et
perpendiculaire à celui-ci, se trouvaient de petites chambres, qui ne
communiquaient pas avec lui ; chacune d’entre elles possédait une porte
particulière qui donnait vers l’extérieur. On nous dit que ces chambres
étaient généralement les appartements des femmes. Les dalles supé-
rieures des murs qui formaient le hall, ainsi que celles du toit, étaient
peintes en rouge, noir et blanc, avec toutes sortes de motifs et de des-
sins, un peu comme les figures géométriques des Mexicains : des
oiseaux, des rapaces, des visages, eronie, un curieux animal mythique
ressemblant à un singe avec une tête d’oiseau ; manu, ou des pingouins
à deux têtes. Quelques dessins symboliques de nature phallique
(Hikinau), des dessins grossiers de chevaux, de moutons et de bateaux
avec son gréement, purent être observés. Ceux-ci étaient très récents et
purent induire en erreur ceux qui pensaient que tous ces dessins, ainsi
que les maisons, devaient être également récents, ce qui n’était pas la
cas d’après ce que l’on nous dit. Les halls n’étaient pas pavés et dans bon
nombre d’entre eux, on trouvait une très grande quantité d’univalves –
un Neretia marin – dont la chair avait servi de nourriture. Ce fut dans
l’une de ces maisons que fut découverte la statue Hoa-haka-nana-Ia. On
nous dit que c’était la seule existante ici.
Près de ces maisons se trouvent quelques restes apparemment très
anciens – les pierres sculptées du bord des falaises qui surplombent la
mer à Rano Kau. Elles se trouvent à l’endroit où sortirent les dernières
coulées de lave, et dominent la mer qui se trouve juste au-dessous
d’elles. Les blocs sont de tailles variables, gravés in situ de formes gros-
sières représentant des tortues, ou des visages aux formes étranges.
Maintenant l’herbe et les taillis les dissimulent énormément et, si ma
visite s’était passée à une autre heure que midi, j’aurais pu en faire des
croquis, mais j’étais très pressé par le temps. Je n’ai pas pu approfondir
leur signification. Ces blocs sont très nombreux, des centaines même.
30
N° 281 / 282 • Juin / Septembre 99
J’ai commencé à les compter, mais j’ai trouvé qu’ils étaient si nombreux,
que cela m’aurait fait perdre trop de temps. Les statues sont presque
toujours sur des plates-formes, mais toutes sont tombées ; sauf au cra-
tère de Hotu Iti, et à l’extérieur de celui-ci, où elles sont seulement dans
la terre, en groupes et non en lignes, et même ici, beaucoup d’entre elles
sont étendues par terre. Elles ne sont faites que d’un matériau, gris com-
pact, la lave trachytique que l’on trouve à Hotu Iti, où une coulée bien
distincte et différentes des autres endroits, apparaît, et où on peut en
trouver d’encore inachevées. Ce sont des troncs, terminés au niveau des
hanches, les bras le long du corps, les mains sculptées, sans grand
relief, sur les hanches. Ces statues sont plus plates qu’un corps naturel ;
les plus grandes que j’ai mesurées étaient de 37 pieds ; la taille normale
étant de 15 à 18 pieds, les petites, comme à Hoa Hava, ne dépassent pas
4 à 5 pieds. Elles ont une forme plus ératique. La tête est très plate ; le
dessus du front est taillé de façon à pouvoir y poser une couronne
(hau). Ceci ne se faisait pas avant que la statue ne soit positionnée sur
son piédestal sur la plate-forme. Sur les statues géantes de Houtu Iti, à
l’extérieur du cratère, la tête semble déborder en avant de la ligne du
tronc, ce qui ne se vérifie pas sur les autres statues. Leur visage et leur
cou mesurent au moins 20 pieds jusqu’à la clavicule. Elles étaient les
mieux conservées. Celles de l’intérieur du cratère étaient de grande
taille, malgré l’érosion, étant apparemment les plus anciennes de l’île, et
dont beaucoup étaient couchées. Leur profil diffère quelque peu de celui
des autres statues de l’île. Leur visage, toujours tourné vers le ciel, est
carré, massif, et dégage une expression austère et dédaigneuse. Leur
trait particulier est l’extrême petitesse de leur lèvre supérieure, ou le
soulèvement de leur lèvre inférieure, qui produit la même mimique. Ces
expressions se retrouvent parfois chez les indigènes. Les orbites des
yeux sont profondes, très près des sourcils, et, autant que nous avons pu
le comprendre, des yeux en obsidienne y sont incrustés ; mais nous
n’avons pas eu la chance d’en voir. Le nez est large, les narines évasives,
le profil varie parfois selon les statues. Les oreilles étaient toujours
sculptées avec de longs lobes pendants.
La splendide statue Hoa-haka-nana-Ia (chaque statue porte son
propre nom), maintenant au British Museum, fut trouvée dans la maison
31
de pierre appelée Taurarenga, à Rano Kau. Elle est décorée de dessins
élaborés sur le dos et la tête, avec des rapa et des oiseaux dont deux res-
semblent beaucoup à l’apteryx (kiwi). Il était coloré en rouge et blanc
lorsqu’il fut trouvé, mais le pigment disparut lors de son transport sur le
Topaze. Elle mesure 8 pieds de haut et pèse 4 tonnes. Elle était enterrée
jusqu’à la ceinture, et ne portait pas de couronne [chignon]. Son visage,
comme ceux des autres, était tourné vers la mer. Elle était la seule à
l’abri, bien qu’il nous fut dit qu’on pouvait en trouver d’autres dans une
caverne au bord de la mer. Ceci soulève le malentendu au sujet de
quelques peintures murales trouvées ici. La maison dans laquelle elle fut
découverte était petite et circulaire (diamètre de 20 pieds)et comprenait
deux petites chambres sombres et ouvertes.
Les couronnes étaient toujours fabriquées avec ce même tuf volca-
nique rouge [puna pau] qu’on trouve à Rano Hau, en bas de la pente
extérieure d’où beaucoup attendaient qu’on les déplace vers leurs nom-
breuses plates-formes. La plus grande que j’ai mesurée faisait 10 pieds
de diamètre, mais leurs tailles étaient très variables, jusqu’à ne mesurer
que 2 pieds de diamètre à Anakena. Elles étaient de petite forme, avec
des troncs coniques ou presque cylindrique. Quelques-unes des très
grandes statues avaient le sommet de la tête si petit, qu’il nous sembla
difficile d’y poser une couronne.
Le principal chemin des statues à partir de Hotu Iti est la route de
la côte, le long de laquelle on en trouve de chaque côté, le visage tourné
vers le sol. J’en ai trouvé deux ou trois sur la route traversière de l’île.
On en trouva aussi beaucoup à partir de Anakena ; mais une grande par-
tie de l’île ne fut pas traversée. Tous les témoignages s’accordent pour
dire que c’est sur la côte que ces statues sont les plus abondantes.
L’instrument utilisé pour sculpter ces statues était un gros galet pris
sur le bord de la mer, ressemblant à un rouleau à pâté ou à une énorme
incisive. Le côté tranchant était fabriqué par écaillement et par frotte-
ment sur une obsidienne. Nous n’en vîmes qu’un. Il fut présenté au com-
modore Powell, et se trouve maintenant au British Museum. Cela s’appe-
lait Tinj-tinj [ou Toki]. On remarqua que sur beaucoup de statues, il res-
tait de petites projections ; ces parties étaient plus dures que le tranchant
des pierres.
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Le nombre des statues sur les plates-formes est très variable, et leur
taille n’est pas partout la même. Elles regardent toujours vers la terre. A
la plate-forme des quinze statues, cinq d’entre elles sont petites, en com-
paraison des autres.
Dans les voyages de La Pérouse, il est dit que les plates-formes des
statues étaient utilisées comme marae, et Cook dit qu’elles étaient les
endroits du repos (c-àd les tombes) des chefs. Nous trouvâmes que le
mot marae n’était jamais utilisé pour désigner un papaku ou un cimetiè-
re de tribu. Chaque statue, ainsi que quelques-unes des maisons de pier-
re, portait son propre nom. Beechey suppose que ce ne sont que des
reliques d’un temps passé, car il en vit aussi dans quelques îles désertes
qu’il a visitées. Aux îles Maldon, un visiteur m’informa qu’il existait de
semblables plates-formes, sans statue, sous le guano. Aux Marquises, les
statues étaient en bois et il ne fait aucun doute que, d’après certains
signes, il existait assez de bois dans l’île de Pâques pour en avoir fabri-
qué des statues bien avant l’utilisation de la trachyte, qui, en tant que
matériau, n’avait probablement pas été choisi pour sa facilité et sa rapi-
dité dans le travail de sculpture. Et par ailleurs, un seul burin (hermi-
nette) fut trouvé ; nous ne nous en procurâmes aucun autre.
A une faible distance de cette terrasse, et à peu près en son centre,
se trouvait une petite colonne ou cylindre de tuf volcanique (lave «vési-
culaire»), érigée dans un endroit pavé de grands galets polis par la mer.
Elle était dressée sur une dalle basse, de même matière et qui servait de
piedestal. Elle avait environ 6 pieds de haut et autant de diamètre ; le
haut était plat et taillé sur le côté, de façon à former une marche ou une
étagère. J’y trouvai deux crânes, en très mauvais état, qui, d’après leur
dentition, devaient être ceux de jeunes de douze ou quatorze ans. Les
faces de ces crânes étaient dirigées vers les plates-formes. Il y en a un
identique à Vinapu. La partie supérieure est pavée de galets de la taille
d’une assiette à dîner. Ces colonnes, qui sont ovales, mesures 7 pieds sur
5 et ont 4 pieds de hauteur. On les trouve aussi dressées dans des
endroits pavés.
Pierre de crémation.
Encore, à partir de là, vers l’intérieur des terres, à environ 80 ou
100 yards de la plate-forme, se trouve un des ensembles de colonnes
33
inclinées en forme de selle et étêtées servant à la crémation (sacrifices
par le feu). Elle est aussi faite de tuf volcanique rouge, mais ne dépasse
pas 4 à 5 pieds de haut. La plus belle que j’ai pu voir se trouve à Vinapu,
dont je joins une description. Dans un endroit pavé, identique à la
colonne, dernièrement décrite, se trouve une colonne recouverte de tuf
volcanique rouge, de 3 pieds carrés sur 8 pieds de haut. Le haut est diri-
gé vers l’avant et se termine en deux cornes entre lesquelles se trouvent
de profondes entailles en forme de selle ; sur chaque corne était dessi-
née un visage, en bas-relief – un visage surmonté d’une couronne (hau),
mais celle exposée au nord-ouest avait été effritée (à cause de l’action
du feu ?). La partie la plus en avant se termine au niveau de la poitrine,
et plus bas, est visible un nombril rond et proéminent. Juste au-dessus,
là où la colonne et la terre se rejoignent, les doigts sont sculptés, en bas-
relief, plats et serrant les hanches, comme dans les statues.
On nous apprit que des victimes (ika) furent brûlées ici, et au pied
d’une de ces colonnes de Vinapu, nous trouvâmes beaucoup d’os calci-
nés. Les colonnes étaient au nombre de une au moins par plate-forme
de statue.
C’est avec référence que ces deux anciennes colonnes sont consi-
dérées. Dans la meilleure description, celle de M. de Bovis, lieutenant de
Vaisseau et administrateur du groupe Poumotu, publiée dans l’Annuaire
officiel de Taiti, p. 292, celui-ci dit : «il y avait sur le parvis une sorte de
perron dallé, devant l’autel, une énorme pierre plate, un peu plus élevée
que les autres ; le prince s’y plaçait tout nu pendant la consécration».
C’est là que le maro-ura (maro rouge ou pagne) était posé sur le prince
par le prêtre, symbolisant la royauté aux yeux de tous les autres gens.
Cette cérémonie était organisée en grande pompe au grand marae
d’Opoa. Si, comme on le soupçonna, cela semblait possible, ces pierres
plates se trouvaient sur les tombes des rois ou sur les caveaux de famille,
et les statues étant, comme sur les bustes des Romains, une effigie à la
gloire du défunt, cette pierre pourrait être l’endroit de la succession
héréditaire, et la pierre de Crémation l’endroit où les esclaves ou les pri-
sonniers étaient brûlés à la mort du chef, pour le pousser vers le monde
des esprit.
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la dernière grande migration, se sont installées à Oparo ou Rapa iti, le
leader de la peuplade étant Tuu-ko-ihu, qui, après leur arrivée, demeura
un certain temps près de Hotu Iti, où il occasionna la fabrication des
idoles. Par la suite, il partit résider à Rano Kau, dans les maisons de pier-
re. Les idoles le suivaient la nuit, marchant de leur plein gré, et allèrent
ainsi se fixer aux endroits où elles furent trouvées face contre terre dans
l’île (faire la comparaison avec la destruction des géants, au lever du
jour dans «Eddaia Myths». Qu’à sa mort, il disparut de la terre dans la
forme d’un papillon (purupuru), et maintenant le nom de cet insecte est
crié par les petits enfants, : Tuu-ko-ihu, Tuu-ko-ihu. Il n’est fait aucune
allusion concernant sa réapparition. La distance, presque plein ouest,
séparant l’île de Pâques d’Oparo (Rapa ou Rapaiti) est d’environ 1.900
miles. Le dernier successeur de Tuu-ko-ihu s’appelait Te Pito, et son fils
mourut vers 1864.
36
Pierre Loti et La Flore
à l’île de Pâques
du 3 au 7 janvier 1872
(Extraits1 d’un Journal d’un aspirant de La Flore)
3 janvier 1872
A huit heures du matin, la vigie signale la terre, et la silhouette de
l’île de Pâques se dessine légèrement dans la direction du nord-ouest.
La distance est grande encore, et nous n’arriverons que dans la soirée,
malgré la vitesse que les alizés nous donnent. [...]
“Rapa-Nui est le nom donné par les indigènes à l’île de Pâques, —
et, rien que dans les consonances de ce mot, il y a, me semble-t-il, de la
tristesse, de la sauvagerie et de la nuit... Nuit des temps, nuit des origines
ou nuit du ciel, on ne sait trop de quelle obscurité il s’agit ; mais il est
certain que ces nuages noirs, dont le pays s’enténèbre pour nous appa-
raître, répondent bien à l’attente de mon imagination ”. [...]
“Voici même une sorte de baleinière, qui nous amène un semblant
d’Européen !... Un bonhomme en chapeau et en paletot, nous arrivant de
Rapa-Nui, cela déroute mes idées et me désenchante.
Il monte à bord, ce visiteur : c’est un vieux Danois, personnage bien
imprévu.
1 On ne peut parler de l’île de Pâques sans évoquer le récit qu’en fit Pierre Loti en 1899, se réfé-
rant aux notes et croquis qu’il avait pris lors de l’escale de la frégate de la Marine française La
Flore en janvier 1872. Il n’est pas question de reproduire ici le contenu intégral du livre Reflets
de la sombre route (Calman Lévy, 1899). Nous n’en extrayons que les passages les plus des-
criptifs et ceux se rapportant surtout aux “ échanges ” (colifichets contre éléments archéolo-
giques) de la partie de l’ouvrage consacrée à l’île. La photocopie de cette partie est à la dispo-
sition des lecteurs à la bibliothèque de la S.E.O. Le passage du voilier La Flore à Rapa Nui n’a
lieu que quatre années après celui du HMS Topaze (1868) ; si l’on en croit les dires de Pierre
Loti, l’atmosphère sur l’île avait déjà terriblement changé depuis cette époque et ne bougera
plus guère jusqu’à l’escale du HMS Sappho en 1882. (C. B.)
Il y a trois ans, nous conte-t-il, l’une de ces goélettes tahitiennes, qui
transportent en Amérique la nacre et les perles, a fait un détour de deux
cents lieues pour le déposer ici. Et, depuis ce temps-là, il vit seul avec
les indigènes, le vieil aventurier, aussi séparé de notre monde que s’il eût
fixé dans la lune sa résidence. Il avait été chargé, par un planteur amé-
ricain, d’acclimater dans l’île les ignames et les patates douces, afin de
préparer d’immenses plantations pour l’avenir ; mais rien ne va, rien ne
pousse, et les sauvages refusent de travailler. Ils sont encore trois ou
quatre cents, nous dit ce vieux, groupés justement tous aux environs de
la baie où nous avons jeté l’ancre, tandis que le reste du pays est devenu
un désert, ou peu s’en faut.
Lui, le Danois, habite une maison de pierre qu’il a trouvée en arri-
vant et dont il a refait la toiture ; c’était autrefois une demeure de mis-
sionnaires français, – car il y a eu, durant quelques années, des mission-
naires à Rapa-Nui, mais ils s’en sont allés, ou ils sont morts, on ne sait
pas trop, laissant la peuplade revenir aux fétiches et aux idoles ”. [...]
4 janvier 1872
“Sans trop de peine, nous trouvons la passe au milieu des brisants
qui, ce matin, font grand et sinistre tapage. Et, la ceinture de récifs une
fois franchie, arrivés en eau calme et moins éventés, nous apercevons
Petero, notre ami d’hier au soir, qui s’est perché sur une roche et nous
appelle. Ses cris éveillent la peuplade entière et, en un instant, la grève
se couvre de sauvages. Il en sort de partout, de creux de rochers où ils
dormaient, de huttes si basses qu’elles semblaient incapables de recéler
des êtres humains. De loin, nous ne les avions pas remarquées, les
huttes de chaume ; elles sont là, nombreuses encore, aplaties sur le sol
dont elles ont la couleur.
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N° 281 / 282 • Juin / Septembre 99
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l’imaginais pas si grande et informe, aussi n’avais-je pas remarqué sa
présence... En effet, elles sont là une dizaine, couchées pêle-mêle et à
moitié brisées : quelque dernière secousse des volcans voisins, sans
doute, les a culbutées ainsi, et le fracas de ces chutes à du être lourde-
ment terrible. Leur visage est sculpté avec une inexpérience enfantine ;
des rudiments de bras et de mains sont à peine indiqués le long de leur
corps tout rond, qui les fait ressembler à des piliers trapus. Mais une
épouvante religieuse pouvait se dégager de leur aspect, quand elles se
tenaient debout, droites et colossales, en face de cet océan sans bornes
et sans navires. Atamou me confirme d’ailleurs qu’il y en a d’autres, dans
les lointains de l’île, beaucoup d’autres, toute une peuplade gisante et
morte, le long des grèves blanchies par le corail ”. [...]
“Les environs de cette baie, où sont groupées les cases de roseaux,
ont en ce moment un aspect bien insolite de vie et de joie, car tous les
officiers du bord s’y sont promenés durant l’après-midi, chacun escorté
d’une petite troupe d’indigènes, et, maintenant que l’heure de rentrer
approche, ils attendent l’arrivée des canots, assis là par terre au milieu
des grands enfants primitifs qui ont été leurs amis de la journée et qui
chantent pour leur faire plus de fête. Je prends place, à mon tour, et aus-
sitôt mes amis particuliers viennent en courant se serrer auprès de moi,
Petero, Houga, Marie et la jolie Iouaritaï. Notre présence de quelques
heures a déjà, hélas ! apporté du ridicule et de la mascarade dans ce
pays de l’âpre désolation. Nous avons presque tous échangé, contre des
fétiches ou des armes, de vieux vêtements quelconques, dont les
hommes aux poitrines tatouées se sont puérilement affublés. Et la plu-
part des femmes, par convenance ou par pompe, ont mis des pauvres
robes sans taille, en indienne décolorée, qui avaient dû jadis être offertes
à leurs mères par les prêtres de la mission, et dormaient depuis long-
temps sous le chaume des cases ”. [...]
5 janvier 1872
“Atamou et les amis d’hier accourent pour nous recevoir, avec
quelques sauvages de figure inconnue – et je fais parmi ces derniers
l’acquisition matineuse d’un dieu en bois de fer, au visage triste et féro-
ce, coiffé de plumes noires.
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N° 281 / 282 • Juin / Septembre 99
C’est la première fois que mon camarade descend à terre, et, sur sa
demande, je le mène d’abord voir l’antique maraï, auquel nous allons
décidément tenter aujourd’hui d’enlever une statue. Des gens nous sui-
vent en grande troupe, ce matin, à travers la plaine d’herbages mouillés,
et, arrivés là-bas, se mettent à danser sur les dalles funéraires et sur les
idoles couchées, à danser partout comme une légion de farfadets, éche-
velés et légers dans le vent qui siffle, nus et rougeâtres, bariolés de bleu,
corps sveltes et clairs parmi les pierres brunes et devant les horizons
noirs ; ils dansent, ils dansent, sur les énormes figures, heurtant de leurs
doigts de pieds, sans bruit, les fronts des colosses, les nez ou les joues.
Et on n’entend guère non plus ce qu’ils chantent, dans le fracas toujours
croissant des rafales et de la mer...
Les hommes de Rapa-Nui, qui vénèrent tant de petits fétiches et de
petits dieux, paraissent tous sans respect pour ces sépultures : ils ne se
souviennent plus des morts endormis là-dessous2 ”. [...]
“A la dernière minute pourtant, l’amiral, dont je suis ‘l’“ aspirant de
majorité ”, me fait appeler sur son balcon. Il remettra à demain ma jour-
née de garde, à condition que je lui rapporte un croquis exact du maraï
avant qu’on en ait changé l’aspect. — C’est étonnant ce que cela m’aura
servi pendant cette campagne, de savoir dessiner, pour obtenir ainsi des
permissions d’aller courir ! ” [...]
“Le lieutenant de vaisseau qui commande la corvée tient à ce que
les cent hommes s’acheminent vers le maraï en rangs et au pas, les clai-
rons sonnant la marche ; cette musique jamais entendue met la peuplade
entière dans un état de joie indescriptible, – et ils deviennent difficiles à
tenir en bon ordre, les matelots, avec toutes ces belles filles demi-nues
qui autour d’eux gambadent et s’amusent.
Au maraï, par exemple, il n’y a plus de discipline possible ; cela
devient une folle confusion de vareuses de marine et de chairs tatouées,
une frénésie de mouvement et de tapage ; tout ce monde se frôle, se
2 L’opinion admise est que les statues de l’île de Pâques n’ont pas été faites par les Maoris,
mais qu’elles sont l’œuvre d’une race antérieure, inconnue et aujourd’hui éteinte. Cela est vrai
peut-être pour les grandes statues de Rahoraraku, dont je parlerai plus loin. Mais les innom-
brables statues qui garnissaient jadis les maraï au bord des plages appartiennent bien à la race
maorie et représentent vraisemblablement l’Esprit des Sables et l’Esprit des Rochers.
41
presse, chante, hurle et danse. Au bout d’une heure, à coups de pinces
et de leviers, tout est bousculé, les statues plus chavirées, plus brisées,
et on ne sait pas encore laquelle sera choisie.
L’une, qui paraît moins lourde et moins fruste, est couchée la tête
en bas, le nez dans la terre ; on ne connaît pas encore sa figure, et il faut
la retourner pour voir. Elle cède aux efforts des leviers manœuvrés à
grands cris, pivote autour d’elle-même et retombe sur le dos avec un
bruit sourd. Son retournement et sa chute donnent le signal d’une danse
plus furieuse et d’une clameur plus haute. Vingt sauvages lui sautent au
ventre et y gambadent comme des forcenés... Ces vieux morts des races
primitives, depuis qu’ils dorment là sous leur tumulus, n’ont jamais
entendu pareil vacarme, – si ce n’est peut-être quand ces statues ont
perdu l’équilibre, secouées toutes ensemble par quelque tremblement
de terre, ou bien tombant de vieillesse, une à une, le front dans l’herbe.
C’est bien celle-là, décidément, la dernière touchée et retournée,
que nous allons emporter ; non pas tout son corps, mais seulement sa
tête, sa grosse tête qui pèse déjà quatre ou cinq tonnes ; alors, on se met
en devoir de lui scier le cou. Par bonheur, elle est en une sorte de pierre
volcanique assez friable, et les scies mordent bien, en grinçant d’une
manière affreuse... ” [...]
“Terminé, dans la bousculade, mes croquis pour l’amiral, je m’en
vais, moi ; la fin de la manœuvre et l’embarquement de la statue massa-
crée ne m’intéressent plus ”. [...]
“Le vieux chef, comme je passe devant sa grotte, m’appelle par
signes ; d’un air engageant et confidentiel, il me montre une poussière
sombre, qu’il tient enveloppée dans un étui de feuilles mortes et qu’il
nomme “tatou”. C’est de la poudre à tatouer, et, puisque je semble
apprécier l’industrie de Rapa-Nui, il me propose de me faire sur les
jambes quelques légers dessins bleus, en échange de mon pantalon que
je lui offrirais pour sa peine.
Un autre vieillard aussi m’emmène chez lui, pour échanger, contre
une boîte d’allumettes suédoises, une paire de boucles d’oreilles en
épine dorsale de requin. Je rapporterai donc, ce soir encore, mille
choses étonnantes ”. [...]
42
N° 281 / 282 • Juin / Septembre 99
6 janvier 1872
“Dans cette île, tout est pour inquiéter l’imagination. Le lieu dont
nous continuons de nous approcher a dû être, dans la nuit du passé,
quelque centre d’adoration, temple ou nécropole, car voici maintenant
que la région entière s’encombre de ruines : assises de pierres cyclo-
péennes, restes d’épaisses murailles, débris de constructions gigan-
tesques. Et l’herbe de plus en plus haute, recouvre ces traces des mysté-
rieux temps, – l’herbe à tiges ligneuses comme celles du genêt, toujours,
toujours la même herbe et du même vert décoloré.
Nous cheminons à présent le long de la mer. Au bord des plages,
sur les falaises, il y a des terrasses faites de pierres immenses ; on y mon-
tait jadis par des gradins semblables à ceux des anciennes pagodes hin-
doues et elles étaient chargées de pesantes idoles, qui sont renversées
aujourd’hui la tête en bas, le visage enfoui dans des décombres. L’Esprit
des Sables et l’Esprit des Rochers3, l’un et l’autre gardiens des îles contre
l’envahissement des mers, tels sont les personnages des vieilles théogo-
nies polynésiennes que ces statues figuraient.
C’est ici, au milieu des ruines, que les missionnaires découvrirent
quantité de petites tablettes en bois, gravées d’hiéroglyphes ; – l’évêque
de Tahiti les possède aujourd’hui, et sans doute donneraient-elles le mot
de la grande énigme de Rapa-Nui, si l’on parvenait à les traduire ”. [...]
“Des mâchoires, des crânes, on en trouve du reste ici partout. On
ne peut nulle part soulever un peu de terre sans remuer des débris
humains, comme si ce pays était un ossuaire immense. C’est que, à une
époque dont l’épouvante s’est transmise jusqu’aux vieillards de nos
jours, les hommes de Rapa-Nui connurent l’horreur d’être trop nom-
breux, de s’affamer et se s’étouffer dans leur île, dont ils ne savaient plus
sortir ; alors survinrent, entre les tribus, de grandes guerres d’extermi-
nation et de cannibalisme. C’était en des temps où l’existence de
l’Océanie n’était même pas soupçonnée par les hommes blancs ; mais,
au siècle dernier, lorsque passa Vancouver, il trouva encore, dans cette
3 Tii-Oué et Tii-Papa, l’“ Esprit des Sables ” et l’“ Esprit des Rochers ” : ces noms et cette expli-
cation viennent des vieux chefs de l’île Laïvavaï (archipel Toubouaï, Polynésie) où se trouvent
au bord de la mer des statues de même figure qu’à l’île de Pâques, bien que moins hautes et
moins détériorées.
43
île qui n’avait déjà plus que deux mille habitants à peine, des traces de
camps retranchés sur toutes les montagnes, des restes de fortifications
en palissades au bord de tous les cratères ”. [...]
“Il y a une heure et demie environ que nous avons repris notre
route depuis la halte de Vaïhou, lorsque nous commençons de distin-
guer, debout au versant de cette montagne, de grands personnages qui
projettent sur l’herbe triste des ombres démesurées. Ils sont plantés
sans ordre et regardent de notre côté comme pour savoir qui arrive,
bien que nous apercevions aussi quelques longs profils à nez pointu
tournés vers ailleurs. C’est bien eux cette fois, eux auxquels nous venions
faire visite ; notre attente n’est point déçue, et involontairement nous
parlons plus bas à leur approche ”. [...]
“Vraisemblablement, ils ne sont point l’œuvre des Maoris, ceux-là.
D’après la tradition que les vieillards conservent, ils auraient précédé
l’arrivée des ancêtres ; les migrateurs de Polynésie, en débarquant de
leurs pirogues, il y a un millier d’années, auraient trouvé l’île depuis
longtemps déserte, gardée seulement par ces monstrueux visages.
Quelle race, aujourd’hui disparue sans laisser d’autres souvenirs dans
l’histoire humaine, aurait donc vécu ici jadis, et comment se serait-elle
éteinte ?...
Et qui dira jamais l’âge de ces dieux ?... Tout rongés de lichens, ils
paraissent avoir la patine des siècles qui ne se comptent plus, comme les
menhirs celtiques... Il y en a aussi de tombés et de brisés. D’autres, que
le temps, l’exhaussement du sol ont enfouis jusqu’aux narines, semblent
renifler la terre ”. [...]
“Ces mornes figures, ces groupes figés au soleil, vite, vite il me faut,
puisque je l’ai promis, les esquisser sur mon album, tandis que mes
compagnons s’endorment dans l’herbe. Et ma hâte, ma hâte fiévreuse à
noter tous ces aspects, – malgré la fatigue et le sommeil impérieux
contre lesquels je me défends, – ma hâte est pour rendre plus particu-
liers et plus étranges encore les souvenirs que cette vision m’aura lais-
sés... ” [...]
“Le soir, à bord, j’ai entre les mains, pour la première fois, une des
tablettes hiéroglyphes de Rapa-Nui, que le commandant possède et m’a
confiée, un de ces “bois qui parlent”, ainsi que les Maoris les appellent.
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N° 281 / 282 • Juin / Septembre 99
Elle est en forme de carré allongé, aux angles arrondies ; elle a dû être
polie par quelque moyen primitif, sans doute par le frottement d’un
silex ; le bois, rapporté on ne sait d’où, en est extrêmement vieux et des-
séché. Oh ! la troublante et mystérieuse petite planche, dont les secrets
à présent demeureront à jamais impénétrables ! Sur plusieurs rangs, des
caractères gravés s’y alignent ; comme ceux d’Egypte, ils figurent des
hommes, des animaux, des objets ; on y reconnaît des personnages assis
ou debout, des poissons, des tortues, des lances. Ils éternisaient ce lan-
gage sacré, inintelligible pour les autres hommes, que les grands chefs
parlaient, aux conseils tenus dans les cavernes. Ils avaient un sens éso-
térique ; ils signifiaient des choses profondes et cachées, que seuls pou-
vaient comprendre les rois ou les prêtres initiés”. [...]
“Il fait presque jour quand je me rembarque dans la baleinière,
avec l’idole. Mes cinq amis restent sur la grève, pour me suivre jusqu’à
perte de vue. Seul le vieux chef, qui était descendu avec eux pour me
reconduire, remonte lentement vers sa case. – et, le voyant si ridicule et
lamentable avec sa redingote d’amiral d’où sortent deux longues jambes
tatouées, j’ai le sentiment de lui avoir manqué de respect, en concluant
ce marché, d’avoir commis envers lui une faute de lèse-sauvagerie”.
Pierre Loti
20 juin 1882
Monsieur,
1 Chaque visiteur a sa propre façon de voir et d’appréhender les choses et les événements et
cela donne parfois des comptes-rendus très différents si ce n’est diamétralement opposés mais
toujours dignes d’intérêt. Ainsi les 14 années qui séparent le passage du Topaze à l’île de
Pâques de celui du Sappho couvrent incontestablement une des périodes les plus troublées de
l’histoire de cette île et il ne nous a pas semblé inutile de faire connaître le bref compte-rendu
que fit, à ce moment là, le commandant de ce bâtiment de guerre mixte. (C.B.)
N° 281 / 282 • Juin / Septembre 99
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femmes et pris des terres que la maison Brander a également rachetées
depuis et qui possède donc maintenant la plus grande partie de l’île.
Il y a maintenant environ 10.000 moutons et 400 têtes de bétail et
comme il y a 2 (et parfois 3) mises bas par an, le cheptel est en rapide
progression. Les pâturages sont abondants mais M. Brander dit qu’il
n’est plus possible de mettre plus de bêtes malgré que l’herbe soit bien
grasse et que les résultats obtenus soient bons. Avec le nombre de mou-
tons actuel, il a été possible de fournir 18 tonnes de laine sur un an.
Il y a un grand nombre de volailles sur l’île à l’état demi sauvage
mais appartenant aux indigènes qui les connaissent toutes et, en fait, une
flotte peut facilement être approvisionnée en nourriture fraîche à l’ex-
ception des légumes qui sont introuvables à bref délai mais comme les
ignames, les patates douces, les bananes et autres racines sont abon-
dantes, cela peut aisément compenser. L’eau est également un article
rare, mais à part cette exception, les vaisseaux de passage à l’île peuvent
parfaitement s’approvisionner.
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N° 281 / 282 • Juin / Septembre 99
Ils sont divisés en plusieurs petits clans dont le seul but est de mon-
trer sa force et son courage et les querelles de chefs viennent principa-
lement des efforts fournis par chaque clan pour s’assurer la récolte des
premiers œufs sur Needle Rock, lors du «grand renouveau» de chaque
année et auquel ils attachent une superstitieuse valeur. L’homme qui
ramène le premier œuf donne la supériorité à son clan pour une année
tout en devenant lui-même ermite, subvenant seul à ses besoins, ne se
coupant ni cheveux ni ongles durant ce laps de temps.
Comme il y un violent ressac en bas de la falaise qui forme Needle
Rock, plusieurs indigènes laissent leur vie chaque année dans cette cour-
se aux œufs.
M. Salmon explique qu’après de longues discussions avec les natifs
sur le sujet, ils prétendent tous qu’ils abordèrent sur la côte nord de
l’île, à Anakena, et qu’ils venaient de l’est dans deux pirogues dans les-
quelles il y avait des ignames, des taros, des patates douces. Le roi (dont
le nom était Hotometua ou «le père géniteur») était dans une des embar-
cations et la reine dans l’autre. Ils contournèrent l’île chacun de leur
côté pour se rencontrer de nouveau à l’opposé, à Anakena, où ils abor-
dèrent et s’installèrent alors sur le Mont Topaze dont l’appellation est
Hotu-iti, nom du plus jeune fils du roi, n’apparaissant pas sur la carte.
Ils construisirent des maisons de pierres que l’on peut encore voir et
taillèrent les statues dont la colline est couverte mais la première ne fut
sculptée qu’une quinzaine d’années après qu’ils eurent abordés. Cette
version de leur tradition semble plus vraisemblable que celle donnée pp.
483-5 du South Pacific Directory. Le nom original de l’île est Te-pito-
fenua «Terre du milieu de la mer», «Terre au centre de la mer» mais
non Rapa-nui.
49
?????? pour le débarquement des hommes mais à Hanga-Piko il y a un
très bon débarcadère seulement le chenal est étroit, la mer agitée et les
brisants de chaque côté sont plutôt menaçants. Cependant nous n’eûmes
jamais d’ennuis dans ce chenal, mis à part un coup de vent et nous
fîmes, durant notre séjour, sauter un rocher qui gênait le passage.
B. F. Clark
H.M.S. Sappho.
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Voyage à l’île de Pâques
en 1877
[…] Perdue au milieu de l’immensité du Pacifique1, l’île de Pâques,
par son aspect triste et aride, son isolement, son manque absolu de res-
sources, était peu faite pour tenter l’avidité de ceux qui l’avaient explo-
rée ; elle renfermait cependant des monuments d’un aspect étrange, bien
dignes de fixer l’attention des explorateurs ; aussi tous ceux qui la visitè-
rent ne manquèrent pas de décrire les statues colossales taillées de main
d’homme qu’elle portait sur ses sommets, comme autant de signaux
propres à la caractériser : cela seul suffisait en effet pour la rendre
célèbre. Ces statues gigantesques, mentionnées pour la première fois par
les Hollandais, n’ont point encore disparu, et elles se dressent aujour-
d’hui, presque toutes, sur leur base volcanique, comme pour attester le
passage d’une population puissante jadis, là où aujourd’hui quelques
pauvres sauvages vivent avec peine, sans avoir conservé même les plus
faibles traces d’une tradition relative à ceux qui les ont précédés.
1 Le texte d’A. Pinart et les dessins de A. de Bar d’après les croquis de l’auteur ont paru en
1878 dans Le tour du Monde (pp. 225-240), magazine que Christian Beslu a bien voulu mettre
à notre disposition : qu’il en soit vivement remercié.
Quel était ce peuple disparu ? Quels sont ces monuments respectés
par les siècles et principalement localisés dans l’étroite enceinte de
Vaihou [Vaihu] ? Ce sont autant d’énigmes dont nous nous sommes
efforcé de chercher la solution et que la relation exacte de notre rapide
passage dans l’île parviendra peut-être à résoudre en partie.
Ce fut aussi le jour de Pâques 1877, à huit heures et demie du
matin, que le Seignelay, à bord duquel nous étions, se montra en vue de
l’île, et que, pour la première fois du haut du pont du navire, nous aper-
çûmes dans le lointain se dessiner à nos yeux le profil de ses côtes où la
mer déferlait avec force.
[…] Nous longions la
partie nord de l’île avec l’in-
tention d’aller mouiller vers
l’ouest à la baie de Hanga-
Roa ; très près de terre, nous
remarquions, à l’entrée de la
baie de La Pérouse, une petite
crique sablonneuse où la mer
était calme ; néanmoins nous
Tumulus de la baie de La Pérouse
poursuivions notre route, et,
après avoir doublé la pointe ouest de la baie de La Pérouse, nous ren-
contrions une autre petite crique de forme circulaire, appelée par les
naturels baie d’Anakena. Il nous était facile de distinguer, du bord, des
champs de bananiers et de cannes à sucre.
En examinant la côte avec le plus grand soin, nous relevions le point
nord-ouest le plus élevé de toute l’île et nous arrivions à une heure en
vue du village de Mataveri, dont nous apercevions les maisons sur la
hauteur, et l’église de la mission construite dans le fond de la vallée.
[…] Le rivage était désert ; pas un naturel ne se montrait ; nous
signalions notre venue par un coup de canon et, virant de bord, nous
mettions le cap sur la baie de La Pérouse, oùnous mouillions à deux
heures de l’après-midi.
Quelques instants après, la baleinière nous conduisait à terre, et
nous abordions dans la petite crique signalée plus haut et que nous
nommions crique du Seignelay.
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Nous crûmes comprendre que cet événement datait de peu de jours ;
la façon dont ils nous montraient leurs vêtements nous parut désigner
quelque chose d’anormal, et nous ne fûmes pas éloignés de croire qu’ils
avaient commis un meurtre sur la personne de Dutrou-Bornier, malgré leur
version d’après laquelle, étant ivre, il se serait tué en tombant de cheval.
Plus loin nous verrons que notre supposition était fausse.
Si notre première question posée aux naturels était relative à
Dutrou-Bornier, c’est que ce nom pour nous, image de la patrie absente,
était celui d’un homme courageux et dévoué qui, capitaine au long cours,
n’avait pas craint de venir habiter ces contrées ingrates, dans le but de les
améliorer. Fixé depuis plusieurs années dans l’île, ses efforts avaient été
déjà couronnés de succès et laissaient entrevoir pour les Kanakes un ave-
nir plein de promesses que la mort du patient colonisateur anéantissait
peut-être pour toujours.
Notre entretien avec les naturels nous avait retardés ; l’heure avan-
cée ne nous permettait pas de continuer notre route ; nos soupçons sur
la mort du capitaine nous engagèrent à rentrer à bord, et nous reprîmes
le chemin du mouillage, précédés par nos Kanakes à cheval, auxquels
vinrent se joindre deux Kanakes à pied, ceux-ci vêtus d’une sorte de veste
et d’un chiffon maintenu entre les cuisses. Nous arrivâmes à la baie de la
Pérouse à la nuit close, en passant par l’ancien village d’Ovahé [Ovahe].
Le 2 avril, malgré la pluie, nous retournions à terre avec neuf
hommes du bord, porteurs de nos instruments et de nos objets de cam-
pement, et nous retrouvions les Kanakes de la veille, qui, après avoir
passé la nuit dans les grottes de la falaise, nous attendaient pour nous
escorter jusqu’au volcan de Ronororaka [Rano Raraku].
Notre premier soin fut de retourner à la grotte où la veille nous
avions vu un squelette, afin de le recueillir. Un vieux Kanake, de ceux qui
nous avaient rejoints, se montra rebelle quand nous voulûmes enlever ce
squelette ; il cherchait à nous faire comprendre qu’il représentait les
restes d’une de ses femmes et que nous commettions une action blâ-
mable ; quelques feuilles de tabac finirent par calmer sa douleur vraie ou
feinte, et, pour une quantité plus forte de la plante tant enviée, il nous
promit même de nous faire trouver d’autres ossements.
54
Cratère de Ronororaka
Derrière l’ancien village d’Ovahé, notre attention fut attirée par une
longue muraille de pierres placées les unes sur les autres sans grande régu-
larité, d’une longueur totale de cinquante mètres environ, sur quatre
mètres de large et un mètre cinquante centimètres de haut ; des ossements
étaient mélangés avec les matériaux de construction ; des fouilles ulté-
rieures, pratiquées par M. Thoulon, docteur du Seignelay, nous procurè-
rent vingt crânes et deux squelettes complets.
Un grand nombre de petits tumulus façonnés de pierres amoncelées
régulièrement étaient échelonnés sur cette muraille et présentaient ceci de
remarquable, qu’à une certaine distance ils simulaient des hommes
accroupis.
De forme tantôt circulaire, tantôt pyramidale, ces tumulus ont servi de
sépulture. Des cases ruinées de formes circulaires et rectangulaires étaient
mêlées à ces restes ; elles étaient faites de fragments de lave ; la toiture, très-
probablement faite de matières végétales, avait entièrement disparu.
De distance en distance, des excavations ovales ou circulaires, de un
à deux mètres de profondeur, sur un diamètre de trois à douze mètres, sont
éparses sur cet emplacement ; un mur s’élève autour de l’ouverture de cha-
cune, et au fond, croissent des bananiers, des cannes à sucre et des
Dracaena terminalis (le tii des indigènes).
Le mode de construction de ces sortes de jardins, que l’on pourrait
appeler jardins en profondeur, s’explique par l’examen même du sol, qui,
essentiellement formé de cendres volcaniques et de laves décomposées,
par conséquent très-poreux, retient difficilement l’humidité nécessaire à
l’accroissement des végétaux.
Il fallait donc, pour obvier à cet inconvénient, creuser jusqu’à un cer-
tain point, afin de rencontrer l’humidité indispensable aux espèces culti-
vées ; peut-être aussi les constructeurs n’avaient-ils qu’un but, celui de
garantir leur plantations de l’action des vents de mer, soufflant toujours
avec violence et ayant une influence destructrice sur la végétation.
Sur l’un des côtés du mur circulaire des excavations, se trouve géné-
ralement une ouverture tournée vers le sud, donnant entrée à une chambre
construite en pierres et ayant probablement servi d’habitation.
Entre le volcan de Ronororaka et la baie de la Pérouse, le terrain est
ondulé, mais ne présente pas de points élevés.
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N° 281 / 282 • Juin / Septembre 99
Sous la pluie qui depuis le matin n’a pas cessé un instant, nous che-
minons avec peine à travers de hautes verbénacées, quelques buissons
de mimosa et une sorte de graminée, maigre flore composant le fond de
la végétation. Non loin de nous, des grognements caractéristiques se font
entendre ; nous ne tardons pas à être en présence d’un troupeau de
cochons que la pluie ne semblait inquiéter en aucune façon.
Ces animaux, dont les ancêtres ont été très-probablement importés
par les missionnaires et Dutrou-Bornier, sont devenus excessivement
nombreux et vivent entièrement à l’état sauvage.
M. le commandant Lafontaine et M. Berryer ne purent résister au
désir d’exercer leur adresse aux dépens de ces bêtes inoffensives : ils en
atteignirent une.
Ces cochons sauvages sont fort redoutés des naturels, qui ne leur
font jamais la chasse et s’occupent encore moins de les domestiquer.
Les bœufs, les moutons et les chevaux sont assez nombreux. Il faut
y ajouter le rat commun, très multiplié dans la campagne, et quelques
lapins de petite taille princi-
palement cantonnés autour
des villages. C’est là toute la
faune de l’île.
Continuant notre route,
nous apercevons, se dres-
sant à notre droite, les pics
de Pui et Toatoa, l’un avec
son sommet horizontal
simulant une table, l’autre
avec sa forme pyramidale ; à
gauche, le massif de Poike
s’étend au loin, et devant
nous se dresse le volcan de
Ronororaka, au pied duquel
nous arrivons et dont nous
commençons l’ascension.
Statue à Ronororaka.
57
[…] D’une étendue de six cents mètres dans son plus grand dia-
mètre ovalaire, le cratère de Ronororaka présente une pente douce de
quatre-vingts à cent mètres de profondeur, couverte de hautes verbéna-
cées qui nous montent jusqu’à la ceinture ; le fond est tapissé de joncs
et de roseaux croissant au milieu de flaques d’eau sulfureuse.
En nous dirigeant vers une sorte d’abri sous roche que nous décri-
rons plus loin, et où nous comptons établir notre campement, nous ren-
controns les premières statues.
Au nombre de quarante, disposées sur le flanc intérieur du cratère
en trois groupes séparés, la face tournée vers le nord, elles se ressem-
blent toutes invariablement ; plusieurs sont couchées ; l’une d’elles est
entièrement taillée, mais non encore séparée de la roche.
Au point où nous sommes, le volcan forme une falaise à pic, de
deux cents mètres de hauteur : c’est la partie la plus élevée. M. Escande
s’occupe d’y prendre des observations au théodolithe. L’ossature de la
montagne est trachytique, mélangée d’une forte quantité d’une roche
grise, bréchiforme, sorte d’amalgame de cendres et de pierres ignées.
Plusieurs statues sont taillées dans cette roche, quelques-unes sont
entièrement trachytiques.
Après être parvenus tout à fait au sommet par un sentier glissant
couvert de lichens, en nous hissant de nos pieds et de nos mains sur les
rochers, nous pûmes constater que la face sud-est de ce point culminant
est couverte de statues à divers degrés de fabrication.
L’ensemble de ce vaste atelier de statues gigantesques, les unes
entièrement terminées, les autres à l’état d’ébauche et en voie d’exécu-
tion, nous permit de nous rendre compte de la façon dont le travail était
accompli et de la manière dont elles étaient érigées et mises en place
après leur complet achèvement.
L’exécution de ce travail qui de prime abord paraît considérable,
qui a tant étonné les voyageurs et suggéré de nombreuses hypothèses, est
cependant d’une grande simplicité.
Les sculpteurs choisissaient toujours pour tailler leurs statues une
roche placée sur un plan assez incliné ; ils la façonnaient dans cette
roche même, sur place, et ce n’était qu’après l’avoir terminée qu’ils
s’occupaient de l’en détacher.
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Bien que surprenante au premier abord pour quelques-uns, cette
supposition paraît vraisemblable, surtout si l’on réfléchit au peu de
dureté de la roche et à la facilité avec laquelle elle peut être entaillée.
La pluie incessante nous avait contraints de séjourner dans l’espèce
de caverne que nous avions d’abord rencontrée.
Il nous parut évident qu’elle avait été taillée de main d’homme, dans
le but de séparer du rocher une gigantesque statue ; de chaque côté ainsi
que derrière la tête, les sculpteurs avaient creusé une sorte de couloir
circulaire, afin de travailler plus commodément.
M. Lafontaine s’était dirigé avec les Kanakes de l’autre côté du vol-
can, vers Hutuiti [Hotu-iti], et avait découvert un abri plus commode ; à
la tombée du jour nous
allâmes y camper.
Comme la précédente,
cette grotte avait été creusée
pour opérer la séparation
d’une statue. Tout près, à
notre droite, une autre statue
était à peine ébauchée ;
Ruine d’un allée pavée - Environs de Hutuiti.
quelques-unes, échelonnées
plus loin, debout ou couchées, entouraient notre abri.
Après avoir puisé de l’eau potable dans un creux du rocher, installé
notre table sur le front de la statue, et choisi l’emplacement de nos lits,
nous allumâmes à l’entrée de la grotte un feu de branchages.
A pic, au-dessus de nous, dominait la falaise perdue dans l’ombre
de la nuit ; à notre gauche, la mer mugissait, violemment agitée, mêlant
le bruit fiévreux de ses vagues aux rafales du vent et de la pluie ; en face
dans le lointain, la plaine de l’intérieur de l’île nous apparaissait plus
vaste et plus sombre avec ses bouquets de mimosa et de mûriers tordus
par l’orage, tandis que derrière nous une portion de la grotte, éclairée
par le feu du campement dont les lueurs vacillaient sur la paroi des sta-
tues, nous donnait le spectacle étrange d’une troupe de monstrueux fan-
tômes réveillés par le bruit de nos pas, ou plutôt d’une assemblée de
génies de Vaïhou réunis tout exprès pour répondre à nos évocations et
nous initier aux mystères d’un peuple de géants disparus.
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elles portaient une gorge dans laquelle venait s’encastrer une corniche
sculptée, formée également de lave rouge de un mètre quarante de long
sur soixante-dix centimètres de hauteur, et dont la face parfaitement
plane portait un bas-relief de figures assez finement sculptées.
L’état de détérioration dans lequel nous trouvâmes ces ruines ne
nous permit que très difficilement d’en faire un dessin. Sur l’une d’entre
elles cependant on reconnaît distinctement la représentation de têtes de
morts. La face de la corniche, du côté de la mer, ne présente aucune
trace de figures. Les statues étaient dressées dans l’espace compris entre
les deux plates-formes.
L’intérieur de cette terrasse renfermait des chambres sépulcrales
d’assez grandes dimensions, faites de dalles plates posées l’une sur
l’autre, de telle façon que celle du sommet fermait hermétiquement le
sarcophage.
Les chambres mesurent en moyenne deux mètres de long sur
quatre-vingts centimètres de large ; un assez grand nombre de cadavres
paraissent y avoir été déposés sans ordre régulier.
Ces sépultures sont anciennes. Aujourd’hui les insulaires profitent,
comme nous l’avons dit, de tous les emplacements qu’ils rencontrent
pour y ensevelir leurs morts, les déposant tantôt sous les statues tom-
bées, tantôt dans les pakaopa, et se contentant d’enlever quelques
pierres afin d’obtenir une cavité.
Placées sur la terrasse inférieure la plus large, les statues avaient la
face tournée du côté de la terrasse supérieure ; cette position toutefois
n’était pas caractéristique pour toutes les terrasses, car nous en avons
vu sur lesquelles les statues avaient la face tournée dans le sens contrai-
re, c’est-à-dire regardant l’intérieur de l’île.
D’un travail beaucoup plus grossier que celles des cratères, elles
indiquent seulement la courbe du front et les méplats du nez. La place
des yeux est marquée par deux fentes au-dessous du front. Des lignes
concentriques et parallèles simulent une sorte de tatouage.
Leur forme générale est plate ; en outre, elles sont taillées dans une
roche tout à fait autre que celle des volcans. Cette roche consiste en une
cendre volcanique compacte, au milieu de laquelle des portions de laves
et de graviers se sont agglutinées. Extrêmement tendre, elle a dû être
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travaillée sur place à peu de distance des terrasses. Elle est de formation
relativement récente, et l’on doit prévoir que, vu son état de friabilité,
elle ne résistera pas longtemps à l’influence destructive du climat de l’île
de Pâques.
A droite de ce pakaopa on voit une statue renversée du type et de la
même roche que celles du cratère de Roronoraka. Nous observons sur
le sommet de la terrasse les petits monticules de pierre précédemment
décrits. Nous en rencontrons pour ainsi dire à chaque pas. Les plates-
formes, les tumulus, les endroits élevés en sont couverts et nous donnent
le spectacle imposant d’une armée d’hommes accroupis. Tous ces restes
abondent sur cette côte sud, chaque pointe s’avançant dans la mer sup-
porte des pakaopa. A tout instant nous foulons des tumulus et, de tous
côtés, des amas de roches recouvrent des restes d’insulaires.
Nous sommes au centre d’une vaste nécropole et nous nous deman-
dons ce que devait être cette population si nombreuse, sous quelle
influence se sont éteintes ces tribus, nous pouvons le dire puissantes, si
on les juge d’après les monuments cyclopéens dont elles ont jalonné
leur passage.
65
L’église de la mission n’est qu’un vaste bâtiment en planches apportées
des Etats-Unis, pouvant contenir six cents habitants.
Sur la gauche de l’église, un mur entoure deux maisonnettes et un jar-
din. L’une des maisonnettes est en bois, l’autre en pierres sèches ; dans le
jardin abandonné croissent quelques vignes, des figuiers, des pivoines de
Chine aussi vivaces que si elles étaient sur leur sol natal.
C’est dans cette portion de l’île, nous le supposons du moins, que
Dutrou-Bornier s’était établi pour s’y livrer à l’élevage des bestiaux, avant
d’aller habiter Mataveri.
Six kilomètres nous restaient encore à franchir avant d’arriver à ce
dernier village.
Nous continuons notre marche sur un chemin battu et facilement pra-
ticable. Peu à peu nous nous élevons, laissant à droite des champs de bana-
niers et de cannes à sucre.
Partout le sol est couvert de la graminée que nous avons vue dans la
vallée. Les verbénacées ne se montrent plus qu’à de rares intervalles ; à
gauche se dresse le volcan de Ranakau [Ranokao]. Sa déclivité sud-ouest
est connue sous le nom de district de Vinapu. C’est une région fertile et dont
la culture présenterait de grands avantages.
Laissant à notre gauche Orito et Tarai [?], nous parvenons sur la divi-
sion centrale de l’île, d’où nous distinguons, à droite les mâts du Seignelay,
et à gauche le village de Mataveri où flottent les plis du pavillon de France.
A deux kilomètres du village, presque tous les habitants viennent à
notre rencontre. Ils nous assourdissent de leur ia-ora-na. Ils apportent des
bananes qu’ils nous distribuent, débarrassent nos hommes de leurs far-
deaux pour les porter eux-mêmes et nous conduisent directement à l’habi-
tation de la reine.
Vêtue d’une large “ gaule ” à la manière des femmes de Taïti, la tête
couverte d’un panama, les épaules enveloppées d’un tartan écossais, les
pieds nus, la reine, debout entre ses deux filles, nous attendait à la porte de
sa case.
D’un aspect intelligent, la figure encadrée par de longs cheveux noirs
régulièrement coupés au-dessus des oreilles, elle ôte gravement son cha-
peau de ses deux mains pour répondre à notre salut, nous tend gracieuse-
ment la main et nous présente ses deux filles.
66
Réception de M. A. Pinart par la reine de l’île de Pâques.
Elle nous fait entendre que l’aînée, enfant de cinq ou six ans, aux
traits de Napolitaine, aux grands yeux noirs pensifs, aux longs cheveux
bruns cerclés d’un diadème de clinquant, parure de quelque Saint de
bois parti avec les missionnaires, est aujourd’hui reine, et qu’elle, sa
mère, exerce seulement les fonctions de régente.
La seconde fille, aux cheveux châtain foncé, semble plutôt un enfant
exilé des faubourgs de Paris, perdu dans ces solitudes, qu’une métisse
kanake.
Ayant demandé à la régente s’il nous serait possible d’avoir une case,
d’un geste éloquent elle nous indiqua l’habitation de Dutrou-Bornier,
nous faisant ainsi comprendre qu’elle la met à notre disposition.
Toute la population du village était réunie dans la cour intérieure.
Une sorte de majordome portant à la main un bâton de commandement
semblait maintenir l’ordre. Sur l’invitation de la régente, nous pénétrons
dans la maison qu’elle habite, et aussitôt commence la seconde partie du
programme de notre réception.
Un canapé et des chaises sont apportés. La régente prend place à
côté de nous entre ses deux filles. Ces formalités accomplies, elle nous
fait comprendre qu’elle nous offre un mouton pour le dîner qu’elle
compte partager avec nous.
L’heure du banquet ne tarda pas à sonner. La régente y prit place
avec nous. Pendant toute sa durée, elle nous répète sans cesse que ses
filles se nomment l’une Caroline, l’autre Hariette, qu’elle-même s’appelle
Koreto, et que ses deux enfants ressemblent beaucoup à Dutrou-Bornier,
leur père.
Tous les bœufs, chevaux et moutons de l’île lui appartiennent, nous
dit-elle ; elle les met à notre disposition, nous prie de ne pas toucher aux
poules, propriété exclusive des Kanakes, et nous affirme que tous les
cochons que nous pourrons rencontrer sont bons à être abattus.
Elle nous imite en tout ce que nous faisons, copie tous nos gestes,
buvant et mangeant comme nous, répond mereti quand on la sert, fait
prononcer le même mot par ses filles, exige que l’on change les four-
chettes et les couteaux dont elle et ses filles se servent, frappant avec
impatience sur la table lorsque le matelot de service n’exécute pas assez
promptement ses ordres.
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N° 281 / 282 • Juin / Septembre 99
C’est une étude curieuse que celle des faits et gestes de cette reine
sauvage devenue régente, voulant imiter les coutumes françaises, asso-
ciant la naïveté de sa primitive nature aux exigences inhérentes à son
titre, mélange risible et triste à la fois de l’influence du rang suprême.
Après le repas, Koreto nous initie aux causes de la mort de Dutrou-
Bornier, arrivée en août 1876. Comme nous l’avaient dit les Kanakes à
notre arrivée, cet événement était survenu à la suite d’une chute de che-
val. Avant de mourir, le capitaine colonisateur brûla ses papiers, laissa
toutes ses propriétés à la reine et à ses filles, et partagea ses vêtements
entre les Kanakes les plus influents du village.
Elle nous dit combien elle et son peuple désiraient le protectorat de
la France, ne nous dissimulant point son aversion pour les Chiliens, les
Américains et les Allemands, aversion partagée du reste, nous nous
empressons de le dire, par les notables de l’île présents à cet entretien.
Elle nous pria d’écrire plusieurs lettres à Taïti, et aussi au commandant
du Seignelay pour le prier de venir le lendemain.
A huit heures nous quittions la régente ; par ses soins une chambre
nous avait été préparée, et nous nous disposions à y passer la nuit en
attendant avec impatience le retour du jour.
Dès le lendemain, Koreto nous conduisit à la tombe de Dutrou-
Bornier, située sur une petite éminence à gauche du village, à côté d’un
mât de pavillon où avait été hissé le drapeau français.
Ce fut là que, accroupie sur le tertre et les larmes dans la voix, elle
nous demanda une croix pour la planter sur les restes de l’homme qui
l’avait associée à sa vie et dont encore elle pleurait la mort.
69
M. Lafontaine nous avait quittés pour aller visiter Kaou [ ?] et en
relever les points principaux, tandis que M. Berryer était resté au village
afin de photographier les principaux types indigènes.
Pendant leur absence, nous pûmes visiter les chambres sépulcrales
du pakaopa et y recueillir une quarantaine de crânes et quelques sque-
lettes.
Afin de transporter plus facilement nos trouvailles, les matelots qui
nous avaient accompagnés imaginèrent d’attacher ensemble crânes et
ossements, et après se les être partagés, de les suspendre à leur cou en
forme de colliers. Rien de plus inaccoutumé et de plus pittoresque que
de voir nos braves marins portant gravement cette parure d’un nouveau
genre, et nous précéder dans ce costume funèbre vers le village.
Craignant cependant d’effrayer les Kanakes, nous crûmes devoir
contourner Mataveri et nous diriger vers le petit port de Hanga-Piko, afin
d’y cacher nos richesses jusqu’au lendemain, sous les pierres et les
décombres.
Malgré nos précautions, les naturels nous avaient aperçus, et nous
fûmes singulièrement étonnés peu de temps après de les voir venir vers
nous, eux aussi porteurs d’ossements qu’ils nous cédèrent sans difficulté
pour un peu de tabac.
Le village de Mataveri se compose d’une trentaine de huttes bâties
sur la même ligne et formant un carré au centre duquel est pratiquée
une grande place. A gauche se trouve l’habitation de Dutrou-Bornier,
occupée par la reine.
Les huttes sont la plupart construites en bois provenant d’épaves de
navires, et à la manière des cases d’Europe, mais sans fenêtres, seule-
ment avec une ouverture servant de porte, de 0 m, 60 à 0 m, 80 de haut.
Quelques anciennes huttes en jonc, également pourvues d’une très-peti-
te porte, se voient encore sur cet emplacement.
Là Dutrou-Bornier s’était construit une demeure dans le genre de
celles des planteurs des Etats du Sud, entourée d’une vaste véranda où
s’enlaçaient des vignes vigoureuses. A côté étaient disposés des réser-
voirs en fer pour contenir l’eau potable.
Le jardin, divisé en carrés et en allées bordées de tonnelles de
vignes, était rempli de figuiers, d’amandiers, de pêchers, de mûriers en
70
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La population actuelle est seulement de cent onze hommes, femmes
et enfants. Leur nourriture, essentiellement végétale, presque exclusive-
ment composée de bananes et d’une espèce de pastèque, est probable-
ment la cause de leur faiblesse de constitution.
Les hommes sont d’une sobriété remarquable ; ils refusent obstiné-
ment l’eau-de-vie et même le vin ; le tabac et les vêtements européens
sont avidement recherchés.
La conduite des femmes est irréprochable. Nous en avons seule-
ment compté vingt-six sur toute la population.
Hommes et femmes témoignent d’un véritable amour pour leurs
enfants. Il n’est pas rare de voir des hommes entourer des soins de la
nourrice la plus dévouée leurs petits enfants de sept à huit mois.
Vêtus presque tous à l’européenne, plusieurs portent cependant
pour tout vêtement, ainsi que nous l’avons déjà dit, une espèce de veste
ou de paletot jeté sur les épaules, et un chiffon d’étoffe maintenu entre
les cuisses.
Nous n’avons vu qu’un vieux Tago ayant sur tout le corps un tatoua-
ge bleu fort compliqué.
La plupart des femmes ont la figure tatouée. Les dessins consistent
en une ligne circulaire bleue, qui, partant de la tempe, va presque
rejoindre le sourcil et finit vers la partie médiane du front, à la racine
des cheveux. Elle est accompagnée à l’extérieur d’une série de points
bleus ; une autre ligne, également bleue, entoure la bouche.
Un autre genre de tatouage représente une hache de pierre emman-
chée. Le bout ou extrémité du manche part du lobe de l’oreille ; la hache
dessinée sur la joue dirige les pointes du tranchant vers l’angle externe
de l’œil.
Le lobe de l’oreille, percé d’un trou, pend jusqu’au niveau du men-
ton et est affreusement déformé. Tout le contour du trou ainsi que le car-
tilage sont ornés d’une ligne de points bleus. D’autres tatouages circu-
laires entourent le poignet et la cheville.
Les femmes portent les cheveux relevés en arrière en forme de chi-
gnon. La reine et ses filles ont les cheveux longs ; seule aussi, Koreto n’a
de tatouage qu’à la lèvre et aux poignets.
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Bois parlant.
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Ces statuettes sont mâles et femelles. Les Kanakes les conservent
enveloppées dans de petits sacs d’étoffe de toile ou de coton ; quelques-
unes sont ornées de colliers et d’une énorme chevelure tressée avec
soin.
On rencontre aussi d’autres statuettes en pierre, reproductions
exactes en petit, pour la plupart, des statues des cratères.
Les Kanakes possèdent également des ornements en forme de crois-
sants, sorte de hausse-col qu’ils portent sur la poitrine, et d’un usage
pour nous indéterminé.
A peu de distance de Mataveri, nous pûmes étudier un petit pakao-
pa supportant des statues à peine ébauchées. Là, comme à Opulu, il y en
avait une d’un travail plus fini ; c’est celle dont la Flore emporta la tête
en 1872, tête aujourd’hui déposée dans les riches galeries anthropolo-
giques du Muséum de Paris.
Une autre terrasse sans statues se voit aux environs du débarcadère
de Hanga-Piko.
Le 6, nous nous disposons à aller visiter le volcan de Ranakau, dont
les mesures prises par les officiers du O’Higgins donnent quatre cent
huit mètres d’altitude.
M. Escande, de son côté, se dirige vers Tauatapu [ ?], localité d’où
les naturels tiraient les cylindres ou chapeaux des statues et où il en vit
un nombre considérable entièrement taillés.
Le cratère de Ranakau, où nous parvenons péniblement, présente
une pente intérieure à pic, couverte de roches éboulées, ce qui rend
l’accès difficile. Sa profondeur peut mesurer huit cents mètres sur une
largeur de quinze cents mètres.
Un sentier en spirale conduit au fond, qui est rempli de flaques
d’eau où croissent des roseaux.
La partie sud du cratère forme une falaise perpendiculaire à la mer.
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Il nous restait un devoir à remplir. Peu de temps après notre retour
au village, nos hommes apportèrent la croix que Koreto nous avait
demandée pour la tombe de Dutrou-Bornier.
Après nous être inclinés devant la douleur muette et le regard
reconnaissant de la pauvre reine kanake, nous lui fîmes nos derniers
adieux.
Quelques instants encore, et nous cinglions vers les rivages des
Pomotu et de Taïti.
Alphonse Pinart
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Du tatouage des insulaires
de l’île de Pâques
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son grand regret, mais s’efforça de rencontrer des Pascuans sur toutes
les îles où il passait ; c’est ainsi qu’il effectua ses recherches sur le
tatouage rapanui… à Nuku Hiva et à Tahiti ; le voyage permit aussi à
Stolpe de constituer d’importantes collections qui se trouvent dans le
Musée de Stockholm5.
“Je commence par Tahiti car j’eus là […] la chance de trouver un
insulaire de l’île de Pâques bien tatoué : il s’appelait Tepano (= Etienne)
du nom du vicaire apostolique de Tahiti, Tepano Jaussen. C’était un bel
homme, plutôt robuste, au front haut, aux yeux brillants, au nez aquilin
et à la barbe inhabituellement bien fournie. Il semblait mener une vie
assez agitée à Papeete, travaillant sur le port et dans les entrepôts.
Je l’ai photographié de face et de profil, mais comme le tatouage
n’apparaît pas très bien sur la photo, j’ai reproduit les différentes parties
tatouées (le visage, le cou, le dos, le ventre, la main et le bras) avec pré-
cision et à la même échelle. Plus tard il s’avéra que le tatouage se révéla
sur le cliché de façon pâle mais assez distincte (ill. 4 et 5).
[…] La pomme d’Adam porte un motif en forme d’oiseau (ill. 6),
la tête dessinée vers le bas et deux ailes bien reconnaissables. Des deux
côtés du cou (ill. 5) il y a une structure de quatre paires de bandes
ill. 4 ill. 5
5 Nous remercions Marie-Thérèse Danielsson et Rolf du Rietz pour leur aide amicale en ce qui
concerne le trajet de la frégate dans le Pacifique : venant de Callao, la Vanadis jeta l’ancre dans
la baie de Taiohae pour un séjour du 8 au 12 mai 1884, fit escale à Fakarava du 15 au 17 mai
puis à Tahiti du 19 mai au 2 juin avant de faire voile pour Oahu (20 juin-10 juillet) et les îles
Marshall alors allemandes (26 juillet-2 août).
79
larges, arquées : elles alternent avec des bandes plus courtes […] à
l’extrémité supérieure desquelles se trouvent chaque fois un cercle avec
un point au centre, ainsi que quatre petits carrés avec un point au milieu
aux extrémités inférieures. Sur le dos (ill. 7) se trouve à droite de la
colonne vertébrale un ensemble de neuf lignes parallèles […]. Les
petites figurines sur la partie supérieure représentent peut-être des ani-
maux, elles ne sont pas très reconnaissables, et Tepano lui-même n’a
rien pu me dire sur leur signification. […]
ill. 6 ill. 7
avec la silhouette d’un homme assis fut confirmé par Tepano qui l’appela
tagata. Remarquable est la forme bizarre des talons prolongés de façon
non naturelle. On retrouve cette forme sur la plupart des figurines des
ancêtres, taillées dans le bois, et je l’ai retrouvée aussi sur des bas-reliefs
en pierre du musée de Santiago ; il est vrai qu’elle reprend en gros la sil-
houette humaine caractéristique parmi les hiéroglyphes des
kohau-rongo-rongo [tablettes gravées], mais ne corres-
pond totalement avec aucune de celles que je connais.
Comme on peut le voir dans l’illustration 9, la partie
extérieure des mains est entièrement tatouée, si bien que
toute sa surface, des ongles au poignet, paraît noire à l’ex-
ception de deux étroites bandes parallèles laissées libres
près du poignet. ill. 8
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certainement, à l’époque, une certaine signification pour les hommes,
par exemple des totems ou d’autres figurations ou […] eurent un lien
certain avec des représentations religieuses. Aussi longtemps que la
connaissance d’une telle origine existe encore […], il faut regarder les
motifs ornementaux comme une espèce d’art graphique, qu’ils se trou-
vent gravés sur des objets utilitaires ou inscrits dans la peau humaine.
Il nous faut donc considérer comme un curieux retour aux ori-
gines, comme une régression ou comme une renaissance de l’art - si
nous avons perdu peut-être la connaissance de la signification des motifs
tatoués de l’île de Pâques, de même que celle de leurs hiéroglyphes - la
représentation réaliste d’un événement historique représenté sur le bras
de Tepano. Ou bien serait-ce même la preuve que l’ancien sens de la
coutume du tatouage n’était pas encore complètement oublié ? Si c’était
le cas, alors les tatouages de Tepano nous auraient rendu un service
encore plus grand que […] celui de la détermination de l’origine d’un
objet ethnographique rare.
Alors que je recopiais les motifs de tatouage de Tepano à Tahiti,
j’avais déjà eu l’occasion, à Nuku Hiva, d’avoir affaire aux tatouages de
l’île de Pâques : il s’avéra qu’y vivaient deux indigènes pascuans, des
aides-policiers. Pioeva (communément appelé Piou) et Amoi ; je passais
toute une nuit (c’était celle du 10 mai 1884) avec eux à m’entretenir de
leur île, et la conversation aboutit au tatouage. Tous les deux préten-
daient connaître un motif et, comme je voulais mettre leur adresse à
l’épreuve, je donnai à Pioeva - qui se voulait le plus doué - du papier et
un crayon et lui demandai de le dessiner. Mais il avoua, penaud, que, s’il
savait bien dessiner le motif, il ne savait pas faire la forme humaine
nécessaire ; je lui dessinai donc, en rouge, les contours d’un visage mas-
culin avec quelques détails indispensables, les yeux, le nez et la bouche ;
ce qui provient de ma main figure en pointillé sur le dessin original, tout
le reste est dessiné par Pioeva, aidé par endroits par Amoi (ill. 11).
Son dessin avança avec lenteur et circonspection, interrompu de
vives discussions avec Amoi sur des points bien précis. On pouvait clai-
rement comprendre qu’il s’agissaient de certains détails qui devaient
être comme ci et pas autrement. Amoi prit parfois le crayon pour corri-
ger le dessin de Pioeva.
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port de Geiseler (p. 29 et 36), la vulve d’une femme : le dessin veut être
si détaillé qu’on y trouve le clitoris et les nymphes particulièrement
accentués (voir aussi ill. 15).
Opposé à Geiseler, qui attribuait ce dessin aux signes distinctifs des
hommes mariés, les deux artistes, d’une seule voix, tout au contraire,
déclarèrent qu’un célibataire pouvait le porter si - ayant eu la chance de
surprendre les ébats d’un couple - il courrait chez lui pour se faire
tatouer ce signe équivoque en guise de souvenir.
L’événement fut mimé. Les deux Pascuans
placèrent toutes les chaises de la salle du tribunal
où nous nous trouvions près des murs pour-
qu’elles figurent les “broussailles”. Amoi qui
devait jouer la femme rampa alors sous les
chaises. Puis Pioeva (le mari) suivit sa femme sur
le même chemin incommode et, lorsqu’il la
rejoignit, ils mimèrent assez crûment le but de
cette disparition dans les buissons. Amoi s’éloi-
gna alors de l’endroit choisi et prit le rôle d’un
jeune homme curieux ; il rampa à nouveau sous
les chaises afin d’épier le couple qui s’était isolé.
Cela devait être lié à un danger certain - on pou-
vait le voir aux grandes précautions que Amoi
prenait pour s’approcher de Pioeva “toujours
ill. 15
occupé”. Lorsqu’il fut suffisamment près, il écar-
quilla les yeux, imita Pioeva afin de montrer ce qu’il voyait, puis s’enfuit
à toutes jambes chez lui “à la maison” ; il y imita le mouvement du
tatoueur percutant avec véhémence son sternum de la pointe des doigts
de la main droite.
Quoi qu’il en soit, cette représentation théâtrale improvisée fit une
impression des plus comiques, et est aussi un élément de l’ethnographie
pascuane dont je n’ai pas voulu priver mes lecteurs.
Pour quelle catégorie de gens ces motifs étaient-ils dessinés ? Je ne
pus malheureusement pas l’apprendre, ni rien de la signification des
autres motifs.
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ill. 12 ill. 13
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Figurine recouverte de tapa et colorée de l’île de Pâques.
Reproduite avec l’aimable autorisation de Thor Heyerdahl.
concentriques de devant, sur le front, semblables à des yeux ; à la base
du nez, une tache rouge, bordée de noir, dans la même couleur ; à la
pointe du nez, un petit cercle comme chez Tepano, et de lui part un motif
en forme de triangle aigu qui suit le bas de chaque aile du nez ; les lèvres
et le menton sont colorés en sombre - il n’était pas possible de voir s’il
y avait des lignes ou d’autres motifs ; partant de chaque œil, un bandeau
en pointillé court le long des joues.
Mais la ressemblance la plus frappante avec le motif de Tepano se
trouve dans la décoration du cou : dans les deux cas la pomme d’Adam
porte un oiseau stylisé (ill. 15 et 16, voir aussi ill. 6), la tête en bas, et,
des deux côtés du cou, nous retrouvons les mêmes bandeaux qui vont
ill. 14
par deux en zigzag. Même les cercles à la partie supérieure de ces motifs
ne manquent pas et on peut reconnaître les traces légères des losanges
avec leur point central sur la figurine en tapa. Sous la pomme d’Adam,
à la fourchette sternale, se trouvent deux motifs en forme d’arc au
contour noir avec, à l’intérieur, une ligne rouge-jaune. Entre les deux, à
ne pas s’y tromper, une vulve, une fois de plus un emblème caractéris-
tique de l’île de Pâques. Le long des épaules se déroule un bandeau de
petits points noirs.
Il est difficile de dire ce que signifient les grandes figurines sur les
deux côtés de la poitrine, et sur le bas du tronc : peut-être des ao ou
des rapa. Sous les mamelons, deux autres motifs étroits en forme de
bêche, probablement identiques aux têtes humaines sous les seins de
6 Kavakava, « côtes » s’applique aux sculptures représentant des hommes décharnés.
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ill. 2 & 3
Femme tatouée de l’île de Pâques d’après Thomson
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ill. 18
ill. 19
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ill. 21
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World Heritage Site - ICOMOUSE
Proposed restoration of an ahu
Mondialisation de l’île de Pâques
Projet de restauration d’un ahu
Voir p. 92
L’épopée aérienne
de l’île de Pâques
Roberto Parragué était parti vers l’île de Pâques avec la ferme inten-
tion de prolonger ce premier essai jusqu’à Tahiti, en faisant une seconde
escale aux îles Gambier mais le paradis des immenses statues de pierre,
n’est pas celui des marins et l’île n’offre guère de havres valables...
En ce 19 janvier, après un amerrissage au milieu d’une mer agitée,
comme bien souvent dans les parages, Parragué dut se résoudre à faire
hisser d’urgence son hydravion à terre... et le Manu Tara perdit une aile
dans la manÏuvre.
Le petit capitaine ne put donc repartir, ni dans un sens, ni dans
l’autre et son rival, plus chanceux, rendit visite à «l’oiseau d’argent à
l’aile brisée» lors de son passage en mars 1951.
Comme il est de tradition lors des vols d’essai ou des inaugurations
de lignes aériennes, Parragué avait emmené dans son périple un sac de
courrier rempli d’enveloppes philatéliques qui ne purent rejoindre le
continent qu’en empruntant la voie maritime ; toutes portant malgré tout
l’énorme cachet souvenir qu’avait fait faire le capitaine.
Il n’y avait pas de bureau de poste sur l’île à cette époque et ce sont
les cachets de la petite garnison militaire chilienne qui y résidait en per-
manence qui servirent pour les oblitérations «postales» !
Parragué effectua plusieurs autres voyages à Rapa Nui avec un
Manu Tara II, emmenant à chaque fois dans ses bagages quelques enve-
loppes sur lesquelles figuraient la griffe du vol inaugural de 1951, se
contentant de surcharger celles-ci avec les dates ad hoc. On voit cepen-
dant apparaître à partir de 1959 de vrais cachets postaux indiquant la
récente ouverture d’un guichet postal chilien.
Dès 1959, une piste terrestre de fortune avait été spécialement amé-
nagée pour notre capitaine mais elle s’avéra peu pratique et le gouver-
nement chilien mit à profit le passage à Santiago, en janvier 1962, de
Louis Castex, spécialiste français des aéroports qui venait justement
d’achever celui de Tahiti, pour lui demander d’aller avec Parragué, étu-
dier la question à l’île de Pâques. Le site d’Anakena s’étendant de part et
d’autres du volcan Rano Raraku, endroit où se tiennent la plus grande
partie des fameux monolithes, retient d’abord l’attention de Castex mais,
pour des raisons d’économies, c’est finalement le site de Mataveri, où se
tenait déjà l’embryon de piste qui fut retenu pour la construction du
futur aéroport international.
L’inauguration «officielle» de ce complexe n’eut lieu qu’en 1967,
mais la Compagnie Nationale d’Aviation Lan Chile y posa son empreinte
dès 1963 en faisant atterrir le 24 janvier un Catalina à sa marque.
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curieuse surcharge locale, plus ou moins bien venue, que les catalogues
philatéliques refusent bien évidemment de prendre en compte et qui
sont pourtant activement recherchées par les amateurs de timbrologie
pascuane.
Hormis cette folklorique édition para-philatélique, les Postes chi-
liennes émettront en 1971 un timbre célébrant l’installation régulière de
la ligne «Santiago-Tahiti» via l’île de Pâques par Boeing 707 et un bloc
de quatre autres timbres en 1974, commémorant la prolongation de
cette même ligne jusqu’à Sydney via les Fidji. Ces deux émissions étant,
ces fois-ci, dûment accompagnées d’enveloppes souvenir parfaitement
officielles. En réalité, les vols n’iront jamais plus loin qu’aux Fidji et,
suite à un incident diplomatique, le général Pinochet décrétera en 1980
la cessation des vols au-delà de Tahiti.
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1- Le Captain P.G. Taylor prêt à prendre les com-
mandes du Fregate Bird II. 2- El Comandante Roberto Parrague se faisant cou-
ronné lors de sa première escale à Tahiti.
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N° 281 / 282 • Juin / Septembre 99
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Il fallut, lors de l’escale des Gambier, faire un peu de natation pour
retrouver le motu sur lequel avaient été déposé le carburant, laissé par
la Tamara et caché sous des troncs de cocotier afin de le protéger du
soleil. C’est par pirogue que les précieux drums furent amenés jus-
qu’aux ailes de l’appareil.
L’accueil de Tahiti, où l’équipage se reposera durant quatre jours,
sera encore plus grandiose qu’à l’aller et Taylor envisagera dans son
rapport l’extrême importance de cette escale pour les futurs vols dans le
Pacifique Sud «aussi important que Hawaii dans le Nord !»
Heureuse surprise à l’escale d’Aitutaki où John Harrington, un ex-
colonel de l’Armée américaine, marié avec une insulaire, ayant reprise
en main la principale boutique d’approvisionnement, y compris celui du
carburant, put aisément en fournir la quantité (et la qualité) requise.
Il y aura encore un arrêt à Brisbane avant que le Frigate Bird II et
son heureux équipage amerrissent à Rose Bay où ils recevront, bien évi-
demment, un accueil triomphal.
Le rapport détaillé de cette expédition permettra de prévoir les
escales les plus intéressantes pour hydravions, tant au point de vue tech-
nique (carburant, contacts radio, etc.) qu’au point de vue touristique
mais il faudra cependant attendre quinze autres années avant que s’éta-
blisse un contact vraiment régulier entre l’Australie et le Chili et les
hydravions ne seront alors plus de mise...
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N° 281 / 282 • Juin / Septembre 99
Christian Beslu
1 Il paraîtrait que le Catalina «Manu Tara II» serait toujours en service en Espagne où il partici-
perait à la surveillance des incendies...?
Aux «toutes dernières nouvelles», il serait question d’attribuer le nom de Parrague à l’aéroport
de l’Ile de Pâques dernièrement rénové (?)
Mes plus vifs remerciements à MM. Dereck Palmer de la Société Philatélique de Santiago,
Nelson Eustis d’Adélaïde, Bernard Le Boursicot de Sydney et François Dederen de Belgique
pour les renseignements et documents, gracieusement fournis.
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Psychodrame
philatélico-diplomatique !
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N° 281 / 282 • Juin / Septembre 99
Christian Beslu
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Quelques visions actuelles
sur l’île de Pâques
Fin de siècle historique pour Rapa Nui
1 L’actualité entre dans l’histoire à l’instant même de sa diffusion et, bien que notre Bulletin
soit le plus souvent consacré à des études sur un passé déjà lointain, rien ne nous empêche
d’y inclure de récents événements et anecdotes.
Inconditionnel de l’île de Pâques, Daniel Pardon, rédacteur en chef de La Dépêche de Tahiti qui
ramène à chacun de ses séjours interviews, observations et renseignements nous a donné l’au-
torisation de reproduire dans ce Bulletin des extraits de ses derniers articles (La Dépêche
Dimanche du 21 mars et 4 avril 1999); ceux-ci nous paraissant dignes d’intérêt à plus d’un titre.
Qu’il en soit ici remercié. (C.B.)
N° 281 / 282 • Juin / Septembre 99
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Petits murets de pierres, grillages, il y a plusieurs formules, mais
c’est une nécessité. Le second sujet d’inquiétude concerne ponctuelle-
ment certains sites, qui sont dégradés par l’érosion due aux vagues. La
mer, à l’île de Pâques, érode la côte, ce n’est pas bien nouveau, mais en
certains lieux, il nous faut prendre des mesures avant que cette érosion
n’aille trop loin. Enfin l’autre priorité urgente est le traitement des sta-
tues contre l’érosion éolienne ; les embruns, l’air salé, la pluie, abîment
les moai à un rythme qui s’accélère. Nous avons lancé une étude avec
l’Institut de conservation du Chili et nous espérons pouvoir rapidement
enrayer ce processus de dégradation de la pierre qui compose nos moai.
A propos de tourisme, l’aéroport est en rénovation depuis plusieurs
mois. Où en en êtes-vous aujourd’hui ?
En l’an 2000, nous aurons fini les travaux entrepris sur notre ter-
minal aéroport international, pouvant accueillir et traiter le nombre tou-
jours croissant de visiteurs que nous recevons.
Le grand projet des mois à venir, toute l’île en parle, consiste à
redistribuer des terres. Où en est-on sur ce dossier ?
Cela fait neuf ans bientôt que je suis gouverneur de l’île et je vais
partir dans quelques mois avec la satisfaction d’avoir mené à son terme,
en collaboration étroite avec le gouvernement chilien et la population de
l’île, le projet le plus important pour tous les Pascuans, la restitution des
terres. Je vous le dis avec une certaine solennité, en un an, nous allons
faire plus que ce qui a été fait en 100 ans. L’idée générale tourne autour
de la constitution d’un “ conseil de développement ” institué par les Lois
indigènes votées au Chili en faveur des minorités. Ce Conseil, qui regrou-
pe tous les acteurs de l’île, va distribuer avant la fin du mois de
décembre, 3.000 hectares de terre réservés exclusivement aux Rapa Nui,
aux Pascuans d’origine, à leurs familles. Chaque famille recevra 5 hec-
tares, avec des titres de propriété en bonne et due forme. Pour le
moment, 280 familles ont fait valoir leurs droits, et ont demandé à béné-
ficier de cette distribution de terrain, mais je pense que lorsque tous les
dossiers seront clos, nous arriverons à 500 familles.
Des terres où et pour faire quoi ? Les sites archéologiques sont-ils
concernés ?
Bien sûr que non, aucun site archéologique n’est concerné. Ils sont
107
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108
Pourquoi les Pascuans n’ont plus de terres ?
•••
110
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car elle a été recouverte de terre stérile, mais des petites pierres man-
quent, qui devaient empêcher le ruissellement. Or il y a déjà aujourd’hui
des signes d’érosion. On devrait mettre le plus vite possible une couche
de graviers compressés, mais nous n’avons pas l’argent pour le faire. Il
faut également clôturer le site à cause des animaux qui divaguent libre-
ment. Il faudrait aussi achever l’aile gauche du ahu. Enfin il y a les cha-
peaux, les pukao, à réparer et à remettre sur les moai. J’espère que l’on
pourra avoir cet argent cette année ; à mes yeux il manque environ
200.000 US $ (environ 20 millions CFP) et seulement quelques mois de
travail.
Aucune plaque sur le site ne mentionne le don des Japonais ou
votre nom. C’est un oubli voulu ?
En fait, une plaque explicative avait été prévue, mais elle n’a pas été
installée faute de budget. Nous aurions mis cette plaque si nous avions
fini, et sur cette plaque, il était notamment prévu de faire référence à la
société de grues japonaise. Tadano, qui nous a fait cadeau d’une de ses
grues et de 500.000 US $ pour le chantier. Il était aussi prévu de men-
tionner les dons publics comme ceux obtenus auprès du gouvernement
du Chili. On comptait faire cela, mais nous n’avons pas pu. C’est aujour-
d’hui au parc national chilien de s’occuper du site.
Votre travail consiste en quoi aujourd’hui ?
Basiquement, je suis rémunéré par l’Université nationale du Chili.
Je suis enseignant et je fais de la recherche. Je publie des monographies
très spécialisées, comme par exemple une récente étude sur Orongo, ses
sites, les cultes, les cérémonies et leur interprétation finale. Je prépare
également deux rapports grand public sur mon travail au Tongariki.
Mais c’est vrai que je suis dans une période de transition difficile. Malgré
tout, je suis optimiste et face à ces nouveaux pouvoirs qui se dessinent
en faveur des Pascuans, je crois que toute la communauté pascuane va
bien vite comprendre qu’elle a besoin du support des archéologues et
que nous lui serons très utiles. C’est en tous les cas ma seule ambition.
Votre rêve d’archéologue serait de restaurer d’autres grands ahu ?
Je vais vous surprendre, mais si j’avais toutes les autorisations et
tout l’argent dont je peux rêver, je ne toucherais plus les grands monu-
ments. 80 % de l’intérêt de la recherche tourne autour de la structure
111
ahu-moai. Je ne veux plus faire de grande reconstitution. Je fais surtout
de la prospection et je voudrais pouvoir continuer. J’ai déjà recensé
20.000 sites archéologiques à Rapa Nui et il me reste 20% de la surface
de l’île à couvrir pour terminer cet inventaire. Mon rêve, c’est de
prendre toutes ces informations, de les mettre dans un programme
informatique, de les digitaliser, de les digérer et d’avoir ainsi une vue et
donc un contrôle total des aires à protéger. Cela permettrait de mieux
orienter la répartition des terres qui est bientôt prévue. Car beaucoup de
terres ne doivent pas être touchées. Mes autres ambitions d’archéologue
seraient de refaire des fouilles dans les dunes de sable de Anakena. Le
site le plus important est la plage, derrière les moai. J’ai déjà testé le ter-
rain. Il y a là une accumulation de plus de dix siècles d’histoire. Avec le
système de datation que permet l’obsidienne, il faudrait un programme
financier d’une dizaine d’années pour prélever des échantillons systéma-
tiquement et pour les dater et suivre ainsi l’évolution de la société à tra-
vers le temps.
Plus généralement, vers où doit se tourner aujourd’hui l’archéolo-
gie polynésienne ?
Si on veut avancer dans la connaissance des migrations, il faut aller de
plus en plus vers l’ouest, à partit des Cook. Actuellement, le modèle selon
lequel l’île de Pâques a vécu isolée est complètement remis en cause. La
légende même de Hotu Matua, premier roi marquisien à avoir débarqué,
est remise en cause. L’idée qu’un groupe d’une centaine de personnes à
l’origine a peuplé l’île, jusqu’à sa découverte par les Européens, est fausse.
Ces navigateurs ont eu la possibilité de venir sur l’île, ils ont aussi eu la pos-
sibilité d’en repartir et de revenir chez eux ; il y a eu des échanges. Enfin
l’origine marquisienne du peuple de Rapa Nui est peu probable. Le plus
vraisemblable aujourd’hui est qu’il existait une route empruntée régulière-
ment à travers les Cook, les Gambier, Pitcairn, l’île de Pâques. Cette route
faisait peut-être partie d’un plus vaste système d’échanges et de contacts
réguliers. Imaginer l’île isolée en permanence n’est pas raisonnable.
Et les fameuses migrations de l’est, de l’Amérique du Sud ?
Il y a une possibilité de contacts avec l’est, mais il n’y a aucune évi-
dence. On parle du ahu du Vinapu avec ses pierres de style incaïque,
mais il y a une foule d’autres assemblages de pierres de ce style sur l’île,
112
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Daniel Pardon
116
Note sur l’identification
botanique de six tablettes
Kohau Rongorongo
de l’île de Pâques
La question de l’ancienneté des tablettes Kohau rongorongo reste
au coeur d’un débat entre spécialistes. Une des voies suivie ces dix der-
nières années pour répondre à cette question est la détermination du
bois utilisé pour le façonnage de ces objets prestigieux.
118
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8S.R. Fischer 1997 p. 410, 427. La tablette mesure 41 cm de long, 15,2 cm de large et 2,3 cm
d’épaisseur.
9S.R. Fischer 1997 p. 427.
119
Les deux tablettes Kohau Rongorongo
du Musée d’Histoire Naturelle de Santiago (Chili)
En 1996, à l’occasion de l’exposition «Voyage vers l’île mystérieuse,
de la Polynésie à l’île de Pâques», organisée au Musée d’Aquitaine de
Bordeaux, deux objets ont été exposés pour la première fois en France :
les tablettes dites «petite de Santiago» et «grande de Santiago» conser-
vées au Musée d’Histoire naturelle de Santiago, au Chili. Ces deux objets
prestigieux avaient été remis par le Père Roussel, en 1870, aux officiers
de la corvette chilienne O’Higgins et déposés la même année dans les
réserves du Musée de Santiago10.
Aucun prélèvement n’a été effectué sur ces objets entièrement cou-
verts de motifs rongorongo. L’observation, à des grossissements de 16 à
80 fois au stéréomicroscope, de la surface de ces deux objets, a montré
qu’ils avaient été taillées sur dosse et qu’une observation de la section
tangentielle était possible. L’analyse macroscopique a permis de repérer
clairement des rayons échelonnés, 3 à 4 sériés, de structure hétérogène
avec de nombreux contenus rouges ainsi qu’un parenchyme étagés com-
posé de 2 éléments. Ces caractéristiques sont incompatibles avec celles
du bois de Sophora toromiro indiqué sur la fiche d’inventaire de ces
deux objets11. Elles correspondent à celle du bois d’une Malvacée,
Thespesia populnea, ce que confirme la couleur rose de la matière et
son grain fin. Une étude microscopique plus approfondie serait néces-
saire pour vérifier cette détermination.
Thespesia populnea, appelé miro à l’île de Pâques, est un bois
d’œuvre prisé des artistes polynésiens en raison de ses qualités plastiques
mais aussi pour sa valeur symbolique12. Comme Sophora toromiro, il était
très souvent utilisé pour le façonnage d’objets de prestige13, tels les bâton
ua, ou pour les sculptures anthropomorphes de type moai kava kava14.
10R.S. Fischer 1997 p. 442 ; la petite tablette inv. n°5497 (314) mesure 32 cm de long sur 12,1 de large et
1,8 cm d’épaisseur ; elle est couverte de 720 signes. La grande tablette inv. n°5498 (315) mesure 44,5 cm
de long et 11,6 cm de large et 2,7 cm d’épaisseur et elle est couverte de 1580 signes ; une de ses faces porte
un profond sillon calciné indiquant que l’objet fut utilisée postérieurement comme frottoir dans un dispositif
d’obtention du feu par friction.
11Catalogue de l’exposition de Bordeaux 1996 p. 225-226.
12C. Orliac, 1990, p. 37.
13C. Orliac 1994 : p. 61-62. C. Orliac 1993 p. 203-204.
14Ce bois a été observé pour le façonnage de deux moai kava kava appartenant à une collection privée.
120
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Figure 1 :
La tabatière du Musée
de l’Homme de Paris.
(n° inv. 62.47.5).
(cliché Musée de l’Homme,
Paris)
115Cet objet, souvent considéré comme un curio, mesure 7,1 cm de long sur 4,7 cm de large et 2,8 cm de
haut.
16K. Pozdniakov communication personnelle.
17S.R. Fischer1997 p. 432.
121
Une dizaine de prélèvements de quelques millimètres de longueur
et de largeur ont été effectués dans l’angle gauche de la boîte sur les
faces externes et internes. Les sections transversale (fig. 2) et tangentiel-
le (fig. 3) montrent des vaisseaux à perforation simple, isolés et accolés
par 2-3 ou 4 radialement et tangentiellement, des rayons de deux tailles,
certains très larges, jusqu’à 19 cellules, d’autres unisériés ou bisériés,
avec des contenus bruns et quelques cristaux ; un parenchyme abon-
dant, circumvaculaire et en bandes larges associées aux vaisseaux, et des
fibres à parois épaisses. Ces caractéristiques anatomiques s’apparentent
à la famille des Protéacées sans qu’il soit possible, par manque d’échan-
tillons de référence, d’en déterminer le genre et l’espèce.
La famille des Proteacées n’a pas été repérée dans les analyses pol-
liniques et anthracologiques effectuées à l’île de Pâques. Cette famille,
qui compte environ 54 genres et plus d’un millier d’espèces, est large-
ment répandue dans l’aire Pacifique, notamment en Afrique du Sud (300
espèces) et surtout en Australie (600 espèces) ; elle est également pré-
sente dans le Sud-Est Asiatique jusqu’en Nouvelle-Guinée mais aussi en
Nouvelle-Calédonie, à Tahiti, en Nouvelle-Zélande et en Amérique du Sud
(5 genres)18. Cet objet n’est donc pas façonné dans le bois de Thespesia
populnea comme on le pensait jusqu’alors19, mais plus vraisemblable-
ment dans un bois flotté 20.
La détermination botanique d’un ensemble si limité de tablettes Kau
rongorongo n’apporte pas d’éléments concluants sur l’ancienneté de ces
objets. Elle permet cependant d’affirmer que le choix de la matière pre-
mière reposait sans doute, comme on pouvait s’y attendre, sur de puis-
sants critères symboliques. L’emploi probable du bois de rose d’Océanie
(Thespesia populnea), un des bois sacré de Polynésie, pour le façonna-
ge des deux tablettes de Santiago, ainsi que l’usage de bois flottés, ines-
timables présents des dieux, en sont l’illustration flagrante ; mais aucun
élément ne permet d’affirmer que les bois flottés ont toujours été utilisés
comme matériaux de sculpture et que ce choix n’a pas été motivé par la
122
N° 281 / 282 • Juin / Septembre 99
Figure 2 :
Tabatière du Musée de
l’Homme, section transversale,
microscope électronique
à balayage X 75,
bois de Protéacée.
(Cliché G. Flëck, MNHN)
Figure 3 :
Tabatière du Musée de l’Homme,
section tangentielle,
microscope électronique
à balayage X 80, bois de Protéacée.
(Cliché G. Flëck, MNHN)
123
BIBIOGRAPHIE
•Chattaway M., 1948 The wood anatomy of the Proteaceae, Australian Journal of
Scientific Researches, Series B, Biological Sciences, Vol 1, n°3, p 279-302.
•Fischer S.R., 1993 A provisional inventory of the inscribed artifacts in the three
rapanui scripts, in Easter Island Studies, contribution to the history of Rapanui in
memory of William T. Mulloy, edited by Steven Roger Fischer. Oxbow monograph 32,
Oxbow Books, p 177-181, Oxford.
•Fischer S.R., 1997 Rongorongo, the Easter Island script ; history, traditions, texts.
Oxford Studies in Anthropological Linguistics., Clarendon Press, Oxford.
•Flenley J. R et alii, 1991 The late quaternary vegetation and climatic history of
Easter Island, Journal of Quaternary Science, 6 (2) : 85-115.
•Orliac C. et Vitalis-Brun A., 1989 Etude au microscope électronique à balayage de
prélèvements effectués sur des objets de l’île de Pâques expédiés par H. Lavachery
en 1933 (Documents des collections du Musée de l’Homme). CNRS URA 275, rap-
port multigraphié, 12 pages, Paris.
•Orliac C., 1990, Des arbres et des dieux, choix des matériaux de sculpture en
Polynésie, Journal de la Société des Océanistes 90-1, pp. 35-42. Musée de l’Homme,
Paris.
•Orliac C., 1993, Types of wood used in Rapanui carving, in Easter Island Studies,
contribution to the history of Rapanui in memory of William T. Mulloy, edited by
Steven Roger Fischer. Oxbow monograph 32, Oxbow Books, p 201-205, Oxford.
•Orliac C., 1994 : Reflections on the use of Thespesia populnea as wood for carvings
on Easter Island. Rapa Nui Journal. vol 8, n°3, p 61-62. Los Osos, California.
•Orliac C., 1998 Données nouvelles sur la composition de la flore de l’île de Pâques,
Journal de la Société des Océanistes n° 107, p 135-143, Musée de l’Homme, Paris.
•Orliac C., 1999 - The woody vegetation of Easter Island between the early 14th to
the mid-17th centuries AD in Easter Island Archaeology : Essays in Early Rapa Nui
culture edited by Christopher M. Stevenson and William S. Ayres. Easter Island
Foundation, Los Osos, California.
124
L’écriture rongorongo
de l’île de Pâques
1 On peut lire les détails historiques de l’écriture rongorongo dans Fischer 1997a, pp. 1-263.
inscriptions rongorongo se composent de lignes parallèles de signes ou
glyphes représentant des figures humaines, des oiseaux, des poissons,
des plantes, des figures géométriques, etc. Ces glyphes de la dimension
d’un ongle étaient traditionnellement gravées sur de grands bâtons de
guerre, sur des tablettes de bois flotté, sur de petits “Hommes-Oiseaux”
en bois et sur d’autres statuettes, sur des pectoraux, sur des pagaies
cérémonielles et même sur des crânes humains. Des glyphes rongoron-
go figuraient aussi dans le répertoire des tatouages spéciaux pour les
experts rongorongo. Sur ces bâtons et sur ces tablettes, deux lignes qui
se suivent se retrouvent tête-bêche; cette orientation oblige le lecteur à
tourner l’objet à 180° au bout de chaque ligne de glyphes, évidemment
pour permettre de lire sans interruption et pour éviter de rendre confuse
la lecture des lignes parallèles. Au premier regard, le rongorongo offre
un défilé fantastique d’hiéroglyphes et, pendant plus de 130 ans, de
nombreux savants distingués de beaucoup de pays essayèrent de décou-
vrir ce qu’évoque cette parade hiéroglyphique.
126
N° 281 / 282 • Juin / Septembre 99
127
Il semble que le rongorongo ait fleuri pendant trois générations
seulement, des années 1770 ou 1780 au milieu des années 1860,
moment où mourut l’ancienne société. Le nom de plus d’une centaine
d’experts rongorongo a survécu, ainsi que de nombreux rapports sur les
rites et sur les coutumes rongorongo encore en mémoire vivante dans la
deuxième décade du vingtième siècle. Sans nul doute le rongorongo a
constitué l’un des phénomènes sociaux rapanui les plus importants de
cette première moitié du dix-neuvième siècle.
Aujourd’hui il ne reste que vingt-cinq artefacts authentiques et
connus, gravés de glyphes rongorongo. Dès le dix-neuvième siècle, les
ouvrages de la seule bibliothèque indigène de la Polynésie avaient été
pillés et dispersés dans des musées ou des institutions aussi éloignés de
l’île de Pâques que Saint-Petersbourg et Londres. A Rapa Nui même ne
se trouve aucun objet rongorongo authentique. Chacun des artefacts sur-
vivants montre entre 2 et 2320 glyphes. Il existe ainsi plus de 14000
glyphes dans le corpus des rongorongo.
4 Pour les détails du déchiffrement scientifique des rongorongo, voyez Fischer 1995a et 1995b.
Il est le premier à avoir obtenu l’approbation de presque tous les spécialistes de l’Océanie et de
la linguistique. Ce déchiffrement a aussi attiré l’attention de la presse mondiale.
5 Même dans les pages du Bulletin de la S.E.O. on a pu lire des articles sur le rongorongo de
l’île de Pâques, écrits par l’ancien Président Ahnne, en 1933, 1935 et 1936 (BSEO 47, 55 et 56).
128
N° 281 / 282 • Juin / Septembre 99
129
les paramètres formels de l’écriture, à fournir les reproductions tex-
tuelles de presque toutes les inscriptions ; il fut capable de démontrer,
travaillant sur l’oeuvre d’Alfred Métraux, que l’inventaire rongorongo se
compose, approximativement, de 120 glyphes de base pouvant se com-
biner et offrir entre 1200 et 2000 glyphes composés qui se répètent
alors en inscriptions de façon significative.
Mais que disent les inscriptions rongorongo ? Barthel à Tübingen et
les savants de Leningrad aboutirent à de nombreuses spéculations inté-
ressantes dans les années 1950 et 1960. Mais, au bout du compte, les
inscriptions restèrent aussi muettes que les moai de l’île de Pâques.
130
gauche à droite, comme des informateurs rapanui l’avaient déclaré il y
a plus d’une centaine d’années et comme l’a constaté depuis l’analyse
interne de ces inscriptions ; ensuite, ce suffixe avait été identifié comme
phallus par un informateur rapanui dans les années 1870 déjà. De plus,
dans chacune des divisions définies par l’un de ces traits verticaux,
presque chaque troisième glyphe porte un tel suffixe phallique. Aucune
division ne conclut avec un glyphe portant un phallus. Aucun glyphe
pénultième ne montre un phallus. Aucune division n’a moins de trois
glyphes. Et à peu près toutes les divisions comprennent des multiples de
trois glyphes. Que veut dire tout cela ?
Cela signifie que le texte fondamental du “bâton de Santiago” pos-
sède une structure de triade, c’est-à-dire de groupements répétés de
trois glyphes chacun, et que le premier glyphe de chacune de ces triades
doit montrer un phallus.
Deux tablettes rongorongo (qui ne sont pas des bâtons) révèlent
une structure identique à celle-ci : elles montrent un suffixe phallique
sur presque chaque troisième glyphe, mais il leur manque les traits ver-
ticaux pour les divisions textuelles comme sur le “bâton”. L’une de ces
deux tablettes est le verso de la “petite tablette de Santiago”. L’autre est
le seul côté lisible de la “tablette 1 de Honolulu”.
L’identification interne de telles triades glyphiques sur trois artefacts
rongorongo différents me permit de suggérer la formule épigraphique
X1YZn comme rapport abstrait de leur message caché. Dans celle-ci, X
représente le glyphe qui porte le phallus ; le 1 superlinéaire indique le
phallus ; Y est le deuxième glyphe d’une triade ; Z est le troisième glyphe
d’une triade ; et n est la constante, signifiant la répétition de la structure
de triade. Une confirmation, tout à fait extérieure à cette découverte
structurale, m’a permis ensuite de donner un son aux glyphes.
En 1886, des officiers de la marine américaine en visite prièrent
Daniel Ure Va‘e Iko, un vieux Rapanui, de réciter en chantant, la photo-
graphie d’une tablette dans les mains, un chant rongorongo tradition-
nel ; il leur donna ‘Atua mata riri ou “Dieu aux yeux fâchés”. Ce chant
traditionnel, mais linguistiquement contaminé, compte 41 copulations et
leurs conséquences dans une structure rhétorique qui se répète, la
voici : “La Terre s’accoupla avec le poisson Ruhi le Paralyseur: Il en
131
N° 281 / 282 • Juin / Septembre 99
naquit le soleil.” ‘Atua mata riri révèle aussi la même structure de triade
identifiée dans les trois inscriptions rongorongo, X1YZ (cf. ill. 2). Le
copulateur est X ; la phrase “s’accoupla avec” est le 1 superlinéaire ; la
compagne de la copulation est Y ; et le fruit de cette copulation est Z.
En effet, la formule X1YZ reproduit, en abrégé, la structure rhéto-
rique et fondamentale de la plupart des chants polynésiens de procréa-
tions et de généalogies : quelqu’un ou quelque chose s’accouple avec
quelqu’une ou quelque chose, et le fruit de cette copulation est un
enfant, qui pourrait être humain ou surnaturel, une plante, un poisson,
un oiseau, ou même le soleil. Dans tous les chants polynésiens anciens,
c’est exactement de cette façon que l’univers, avec la multitude de ses
manifestations, tire son origine.
Les trois inscriptions rongorongo qui répètent cette structure X1YZ
(ou X1YX) seraient alors, logiquement, en rapport avec le chant de pro-
création ou de la cosmogonie rongorongo traditionnelle entonné par
Daniel Ure Va‘e Iko, et donc avec les chants de procréations ou des cos-
mogonies identiques : le glyphe X s’accouple avec le glyphe Y, comme le
phallus l’indique, et le fruit de cette copulation est le glyphe Z ou encore
un glyphe X.
132
il est un seul mot ou un groupe de mots que le glyphe identifie (comme
“‘Atua mata riri” ou “Dieu aux yeux fâchés” entendu dans le chant de
1886) ; mais aussi sémasiographique en ce que le phallus, attaché au
glyphe X logographique, fournit directement une communication visuel-
le, sans recours au langage, de la phrase verbale “s’accoupla avec”. Ici,
le suffixe phallique, le 1 superlinéaire, ne représente pas un objet -
comme X, Y, ou Z - mais une action.
En poursuivant selon cette méthode dans le déchiffrement, je pus
provisoirement analyser et lire phonétiquement, entre autres, une autre
triade significative des glyphes de base du “bâton de Santiago” : “Tous
les oiseaux s’accouplèrent avec de poissons : il en naquit le soleil.” (cf.
ill. 3.) Cette procréation est manifestement semblable à l’une des 41
récitées en 1886 par Daniel Ure Va’e Iko : “La Terre s’accoupla avec le
poisson Ruhi le Paralyseur : il en naquit le soleil.”
Une recherche ultérieure montra que cette découverte, d’abord
limitée aux trois artefacts du “bâton de Santiago”, de la “petite tablette
de Santiago” et de la “tablette 1 de Honolulu”, comprend en vérité le
déchiffrement réussi d’à peu près toutes les inscriptions rongorongo - si
“déchiffrement” signifie la découverte d’une clé pour lire une écriture
jusqu’ici illisible. J’ai trouvé ainsi que cette même triade de procréation
lue sur le “bâton de Santiago” : “Tous les oiseaux s’accouplèrent avec
des poissons : il en naquit le soleil”, est reproduite sur une tablette ron-
gorongo, mais dans une version différente de celle du “bâton” - il y man-
quait le phallus sur le glyphe X, le père de la copulation. Par la suite une
étude montra de nombreux exemples de triades de procréation sur tous
les trois artefacts mentionnés plus haut (c’est-à-dire ceux qui montrent
le phallus) et reproduits sur d’autres artefacts rongorongo qui omettent
le phallus. Parfois les glyphes X et Y d’une procréation se combinent
dans le glyphe Z de façon à produire un résultat qui incorpore les deux
parents ou des éléments des deux. L’évidence la plus forte de l’existence
des triades de procréation auxquelles manque un phallus sur leur
glyphe X est peut-être la segmentation fréquente de la plupart des ins-
criptions rongorongo dans des groupements naturels de trois glyphes.
Cette segmentation révèle souvent la structure XYXn qui répète le père
comme issu de l’accouplement.
133
N° 281 / 282 • Juin / Septembre 99
134
L’écriture rongorongo de l’île de Pâques n’était pas simplement un
aide-mémoire pour se remémorer les chants antérieurement appris par
coeur8. Les anciens prêtres rapanui lurent le rongorongo, mot à mot et
phrase après phrase, et ils composèrent et ils créèrent dans l’écriture.
Enfin commence-t-on, même lentement et provisoirement pour le
moment, à lire le rongorongo.
BIBLIOGRAPHIE
8 Tel était l’évaluation d’Alfred Métraux dans les années 1930 (Métraux 1940, 1941) ; elle est
encore citée par des savants aujourd’hui, même si, dans les années 50 et 60, Métraux a conclu
que le rongorongo est une écriture véritable et non un aide-mémoire après tout (Métraux 1958,
pp. 118 ; voyez aussi Fischer 1997a, p. 170).
136
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Steven R. Fischer, directeur de l’Institute of Polynesian Languages and Literatures, édite à Auckland depuis
1991 un bulletin, “ Rongorongo Studies - a forum for Polynesian Philology ”. La collection complète de ce
périodique ainsi que “ Rongorongo, the Easter Island script, History, Traditions, Texts ” qui vient d’être publié
dans la prestigieuse collection d’Oxford Studies in Anthropological Linguistics, se trouvent dans la biblio-
thèque de la Société. Nous remercions Steven R. Fischer d’avoir bien voulu participer à notre Bulletin SEO en
écrivant cet article en langue française, texte revu par Chantal Canadas et Denise Koenig.
137
Recherche archéoastronomique
à l’île de Pâques :
mythe du lithisme solaire des Pascuans
et perspectives archéoastronomiques
Les structures les plus imposantes sur Rapa Nui sont les plates
formes cérémonielles, les ahu. Plus de trois cents d’entre elles, variant
en longueur de quelques mètres à presque 150 mètres, sont maintenant
connues, et approximativement 90% d’entre elles sont localisées à
moins de 100 mètres de la côte au tracé chaotique. Les plus anciennes
plates formes datent probablement des premières années de l’occupa-
tion de l’île. Plusieurs ahu, mais cependant pas tous, devaient supporter
un ou plusieurs moai dont le regard protecteur était tourné vers un
proche village à l’intérieur des terres. A un moment donné de l’histoire,
au moins quinze moai occupaient l’ahu le plus long et le plus grand, le
Tongariki. Cependant, au cours des guerres intestines qui commencè-
rent à la fin du XVIIe siècle, tous les moai furent renversés : vers le milieu
du XlXe siècle, aucune statue n’était plus debout. Leur découverte suscita
bien des interrogations. Certains tentatives d’explication avancèrent
l’existence d’un culte solaire ancien.
L’île de Pâques compte plus d’un mystère, c’est bien connu. Le
«reflet de l’opinion» de l’aspect mythique de l’île pascuane, certes
quelque peu caduque depuis certaines clarifications, est assez bien
représenté dans la littérature ethnologique des auteurs piqués d’astro-
nomie qui se sont mis en quête d’un imaginaire solaire d’origine lithique
et mythologique. Un Roggeveen n’avait-il pas, déjà, évoqué comme
d’autres l’avaient fait ailleurs, lors du premier contact un culte solaire
Document Cruchet.
qui devait marquer les représentations du ciel pascuan, lorsque l’île
devint «la chose» de certains ethnologues en mal d’un comparatisme
renforcé par la proximité des cultures du Nouveau Monde précolom-
bien. D’autres ont suivi, mais, après le mythe établi en partie par l’expé-
dition norvégienne des années 50, les recherches plus scientifiques, qui
furent menées entre autres par William Liller, arrachèrent un pan de la
mythologie solaire pour ouvrir une nouvelle brèche dans la pensée
archéoastronomique.
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La généralisation du mythe
plus d’un demi siècle de certitude
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Louis Cruchet
(à suivre)
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Y a-t-il encore
quelque chose à dire
sur Rapa Nui ?
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Lavachery a fait cette excursion. Il a vu la statue mais n’en donne
pas le nom. Ses interlocuteurs locaux, pourtant toujours prolixes,
avaient eux-mêmes, semble-t-il, déjà oublié qu’il s’agissait de Hiro. Ce
maître-dieu polynésien figure pourtant bien dans le panthéon de l’île de
Pâques, à côté du très prestigieux Tangaroa, dieu de la mer. Un cap de
la côte sud porte d’ailleurs précisément leur nom à tous les deux, uni à
celui de Papa, la Terre, et au nord, c’est une baie qui lui est dédiée,
proche de l’anse royale de Anakena.
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C’est alors que contournant les mornes par l’est, notre regard est
attiré par un alignement de quelques pierres qui auraient pu être un
reste de fondation de quelque chose. Tout près s’amorce un sentier qui
semble monter vers le sommet. Après quelques pas, il débouche sur une
petite pelouse d’herbe verte et tendre. Là nous attend une surprise.
L’émotion nous étreint encore lorsque nous y repensons: A hauteur
d’œil, devant nous, se déroule à flanc de falaise, à peine protégé par la
végétation, bien visible malgré mousses et lichens, un long pétroglyphe.
Il représente la genèse de l’histoire de l’île: Une frise de plusieurs,
peut-être six ou sept, pirogues cheminent de gauche à droite sous le
regard d’une figure de dieu, Make Make ou Hiro, un masque aux grands
yeux étonnés! Incontestablement, la forme de leur voile ne laisse aucun
doute, des pirogues polynésiennes. Nous contemplons avec un enthou-
siasme fébrile et ému la représentation des pirogues de Hotu Matu’a en
route pour le Pito o te Henua, sous la protection de leur dieu tutélaire.
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Mais pour nous, important nous semble qu’il ait pu y avoir aussi, au
sommet de Poike en particulier, un culte plus humain et plus plaisant, le
culte de Hiro peut-être, le dieu de la navigation, rôle illustré par la proxi-
mité de sa figure monumentale et de ce pétroglyphe! Un culte d’autant
plus émouvant que les rescapés de la navigation primordiale savaient
que, malgré la protection bienveillante de leur dieu, il n’y aurait jamais
de retour...
Au sommet du morne, au dessus du pétroglyphe, il y a, tourné vers
l’est, un dallage de quelques mètres carrés qui pourrait être ce qui reste
d’un observatoire. Astronomique? Ou un petit temple? Lavachery dit
avoir trouvé par là une statue couchée de près de deux mètres de long.
Nous n’en avons pas vu trace. Si c’était là, elle a disparu.
Peut-être après tout cette dalle est-elle seulement ce qui reste d’une
cabane de berger. Mais alors battue par les vents dont rien ne l’aurait
protégée. Pour un berger chaudement vêtu et un tantinet misanthrope.
Il aurait eu pour lui seul le paysage grandiose et mélancolique qui, au
delà de l’île, s’étend à perte de vue jusqu’à l’horizon infiniment circulai-
re où rien n’arrête le regard de toute éternité.
G. Poillot
L’une des deux statues représente une très grosse femme, avec un
énorme ventre (3 mètres de tour) sur lequel sont posées des mains à six
doigts. Elle mesure un peu plus de 2 mètres de hauteur, non compris un
socle (0 m. 70) du même morceau, et son poids dépasse 2 tonnes. A peu
près aussi grande et beaucoup plus mince, l’autre figure probablement
un homme, mais qui semble avoir été émasculé depuis pas mal d’an-
nées. Les deux statues sont taillées dans un seul bloc de tuffeau basal-
tique, couleur rouge brique foncé. Précédemment plantées dans la
brousse et face au nord, à quelque 600 mètres de la mer, elles gardent
désormais l’avenue qui mène au musée Océanien de Papeete.
Or, le soir de l’arrivée à Papeete, voilà que des petites flammes mal-
odorantes se sont allumées sur la mer, semblables à des feux follets cou-
rant tout le long du rivage. Je les ai vues. Phénomène que les Tahitiens
n’ont pas manqué d’interpréter comme un signe de la colère des « Tii »
arrachés de chez eux.
Emile Vedel
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Hommage à Bob Putigny
Bob nous a quitté le 11 février 1999. Il aurait aimé ce numé-
ro spécialement dédié à l’île de Pâques, peut-être même y aurait-
il participé car il connaissait bien la question et y avait consacré
plusieurs ouvrages.
Malgré son allure aristocratique, le bonhomme était un ori-
ginal, tant dans ses discours que dans ses écrits et il aimait assez
prendre le contre-pied de la chose correctement établie. Le
meilleur exemple en était l’image qu’il donnait du tristement
célèbre Dutrou Bornier dans son livre «Le Roi de Pâques», arri-
vant à le rendre presque sympathique.
Il était très attaché à la Polynésie qu’il avait touchée pour la
première fois en 1952, s’y coulant avec le délice de celui qui dési-
re oublier les affres d’une guerre où il avait été correspondant de
guerre. Depuis quelque temps cependant, il ne trouvait plus ses
repères d’intellectuels dans le Tahiti d’aujourd’hui et il préféra se
retirer dans la gentilhommière de sa Bourgogne natale pour y
passer ses derniers jours.
Ce grand personnage qui avait frayé avec plus ou moins de
bonheur avec des Eric de Bisschop, des Heyerdhal, des Mazière
et autres «découvreurs-fabulateurs» de Rapa Nui, laisse derrière
lui quantité d’œuvres agréables à lire et le souvenir d’un homme
affable, aimant à faire partager son immense savoir.
C. Beslu
NOTE
Signalons et regrettons la disparition de l’Echo de Rapa Nui, bulletin belge d’information sur
l’île de Pâques, créé par François Dederen et qui nous a entretenu durant une dizaine d’années
des événements, anecdotes et écrits divers ayant trait à l’histoire et à la vie actuelle sur l’île.
Merci à son auteur d’avoir ainsi contribué, avec des moyens plus que modestes et au milieu de
difficultés sans nombre, à la divulgation de «la» connaissance.
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Les pagaies dites
cérémonielles
Vavitu est l’un des noms de l’île de Raivavae, le plus ancien étant
Ronomonaihaua et nous remercions Tevaatua Amédé Te’ana Temarama
qui a bien voulu nous aider à préserver le texte du chant austral.
COMPTE-RENDU
ADRIAAN HERMAN GOUWE
Corinne Cimerman
ADRIAAN HERMAN GOUWE, peintre de Polynésie, par R. Pineri aux Editions Avant et Après,
collection Permanence de l’art (120 pages).
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M GR T EPANO J AUSSEN
DICTIONNAIRE
DE LA
DE LA
LANGUE TAHITIENNE
LANGUE TAHITIENNE
M G R I.-R. D O R D I L L O N
GRAMMAIRE
ET
DICTIONNAIRE
DE LA LANGUE
DES ILES MARQUISES
1904