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Pour Alice et Guillaume, Hugo et Camille, qui partirent si

joyeusement à la recherche de la momie, au musée du Louvre ;


pour Victor, qui sait déjà tout des Romains ; et pour Vassili, qui a
eu la patience d’attendre ce livre.

Pour Frédérick Mansot.


LE MYSTÈRE DE LA CRÉATION
DU MONDE

Les histoires des dieux égyptiens datent de milliers d’années. Les


archéologues qui savent voyager loin dans le temps font remonter les
premières traces des Égyptiens à quelque cinq mille ans avant Jésus-Christ ;
mais les légendes, depuis combien de temps existent-elles ?
Les pierres gravées, les peintures, les papyrus, les récits des voyageurs
grecs nous les ont transmises. Peut-être qu’on les racontait déjà, sans les
écrire, bien longtemps avant le premier hiéroglyphe, trois mille ans environ
avant Jésus-Christ ?

Le ciel étoilé d’Égypte


Le ciel de l’Égypte des temps anciens était sans doute le même
qu’aujourd’hui. Et du nord au sud, sous le soleil africain, l’Égypte de
l’Antiquité s’étendait, comme maintenant, de la mer Méditerranée aux
grands déserts du Soudan.
Le Nil transformait déjà le sable sur ses rives en oasis fertiles. Il
délimitait deux royaumes, la Basse-Égypte autour de son delta, et la Haute-
Égypte, en remontant vers sa source.
Les grandes villes, Héliopolis, Memphis, Hermopolis, Thèbes, avaient
chacune leurs dieux. À tour de rôle, au gré des victoires, chaque ville a
imposé les siens aux autres.
Le temps passant, on a oublié que certains dieux venaient d’ailleurs,
qu’ils avaient été adoptés.
Cela donne des milliers de noms, des centaines de temples, des trésors à
foison, des histoires à n’en plus finir. Les premières parlent du début, elles
racontent la création du monde.
Le dieu Soleil
La légende qui nous vient d’Héliopolis commence ainsi : au tout début,
une mer sombre flotte en tous lieux. Elle est enfoncée dans le noir, sans le
moindre mouvement, ni cri ni clapotis. C’est le corps immense du dieu
Nou, l’Océan. Depuis combien de jours s’étend-il ainsi ? Personne ne le
sait. Même le temps n’existe pas. Pourtant, un événement capital se prépare.
Surgie du fond profond, de son propre poids, une montagne affleure
soudain à la surface des eaux. Sur son sommet plat, aussitôt, le soleil
rougeoie. Atoum, le dieu Soleil, vient de naître.
Atoum, le Soleil de la mythologie égyptienne, a le visage, les bras, les
jambes, le sexe d’un homme. Son énergie est celle de l’univers. Elle
contient tous les dieux futurs, toutes les forces de la terre, celles qui
construisent et celles qui détruisent.
La première force qu’Atoum emploie est celle qui rend père. On ne sait
pas exactement comment cela se passa mais certains disent qu’Atoum, à
peine apparu, fit naître, d’une goutte de son sperme, Shou, divinité
masculine et Tefnout, divinité féminine, sa jumelle.
Pour d’autres, c’est de sa gorge qu’il les tira. En crachant, il créa Shou et
en toussant, il engendra Tefnout. Ce qui fait penser cela, c’est que le nom de
Shou signifie “air” ou “vide” et celui de Tefnout “humidité” ou “rosée”.
Shou et Tefnout, frère et sœur mais aussi amants, s’unissent pour créer
une déesse, Nout, le Ciel, et un dieu, Geb, la Terre d’Égypte.
Geb s’étend sur son royaume, la terre, et Nout, s’arc-boutant au-dessus
de Geb, repousse derrière l’arc de son dos Nou-l’Océan, leur arrière-grand-
père, qui se fait lac en maugréant, bien obligé de faire un peu de place à ses
descendants.

L’Air, le Ciel, la Terre


Le Soleil, l’Air, le Ciel, la Terre, toutes les forces de l’univers sont
créées. Atoum, satisfait, jette un coup d’œil sur son œuvre et ordonne à
Shou, divinité de l’Air, de séparer Nout-le Ciel de Geb-la Terre.
Shou-l’Air, qu’on voit souvent sur les peintures égyptiennes la tête ornée
d’une plume d’autruche, obéit : il lève les bras pour éloigner sa fille-Ciel, la
belle Nout, du corps de Geb, son mari et frère. C’est ainsi que le ciel est
pour toujours au-dessus de nos têtes, la terre sous nos pas et l’air entre ciel
et terre.
Mais, sur les dessins égyptiens, Nout laisse attachés à Geb son regard, le
bout de ses mains fines et de ses pieds légers. Entre Ciel et Terre, en
Égypte, il y a une histoire d’amour.

Les autres légendes


Une autre légende raconte ainsi la création du monde : lorsque la
montagne monta de l’eau, une fleur de lotus s’épanouit en même temps.
Lové dans le cœur de la fleur, Atoum apparut alors sous la forme d’un petit
enfant éblouissant. Le soir, le lotus parfumé se refermait et cachait l’enfant-
lumière. Le matin, il s’entrouvrait de nouveau.
L’enfant-dieu créa le monde : c’est ainsi que les dieux jaillirent de sa
bouche et les hommes de ses yeux. En égyptien, les mots qui veulent dire
“hommes” et “larmes” se prononcent de la même façon.

Ailleurs Thot, dieu de la Sagesse, est le premier organisateur du monde.


Sur l’île née du tremblement des eaux de Nou, huit dieux ont pris la forme
de grenouilles ou de serpents. Ils créent le Soleil à partir d’un œuf que Thot,
à la tête d’ibis, porte au sommet de la montagne. Leur tâche accomplie, les
huit dieux se retirent et Thot commence la construction du temple en
l’honneur de ce dieu du Soleil, Rê, à l’endroit même où l’œuf a éclos, là où
il reste des fragments de sa coquille et où il convient de construire la
capitale de la terre d’Égypte.

À Memphis, on raconte cela : sur la montagne qui fit bouillonner pour la


première fois les eaux de Nou, Océan arrière-grand-père de la terre
d’Égypte, c’est le très sage dieu Ptah qui apparaît. De sa tête intelligente et
de son cœur aimant, il pense et ouvre la bouche pour nommer chaque dieu,
chaque être. Au moment où il reçoit son nom, chaque être reçoit aussi la
vie.
Ptah ne se contente pas d’animer toute chose en la nommant. Il invente la
forme des villes et celle des temples, il met au point la fabrication du pain et
la transmet à ceux qui habitent ces nouveaux lieux, les hommes.

À Thèbes, c’est une autre histoire : un inconnu, peut-être un dieu du


Vent, Amon, dont le nom signifie “caché”, souffla sur la surface du noir
ancêtre des dieux, Nou, l’océan géant, au ventre profond mais sans vie. Et
non seulement il souffla, mais il poussa le grand cri de l’oie, oiseau
intelligent.
Le cri résonna et Amon prit la forme du soleil haut dans le ciel.
Plus tard, Amon le mystérieux intervint dans la vie des rois d’Égypte, les
pharaons. Lui, le dieu invisible, il s’incarna sous la forme du pharaon
régnant et prit sa place auprès de la reine. Celle-ci, sans reconnaître le dieu
(qui le pourrait ? personne ne l’a vu), conçut de lui un enfant. Pas n’importe
quel enfant, un futur pharaon, Amenhotep III, et pas seulement un enfant
mais aussi son ka, la source de vie éternelle qui naît en même temps que
Pharaon et lui permet d’accéder à l’immortalité.

L’idée des hommes


Qui eut l’idée des hommes ? Un étrange dieu, honoré dans les grottes du
Nil de la Haute-Égypte, Khnoum à tête de bélier.
Très patient, très savant, il tourne sur son tour de potier de petits hommes
très bien faits. Il sait quels organes mettre à l’intérieur, la place du cœur, les
points d’attache des os et l’écoulement du sang. Et il fait des membres
élégants, la peau brune, des sexes puissants, étant chargé de la bonne
descendance des hommes, indispensables au service des dieux qui se
nourrissent d’offrandes.

L’ordre parfait
Les hommes bâtissent des temples et célèbrent le culte du dieu Soleil
pour le remercier et lui demander de tenir le monde dans cet ordre-là. Sans
doute parce que si quelque chose changeait maintenant, cela n’apporterait
que des ennuis.
C’est exactement l’avis d’Atoum-Rê qui commande si bien à tous les
autres dieux que même l’arrière-grand-père Nou se pacifie complètement et
transforme ce qui reste de ses eaux glauques du tout début en un fleuve
magnifique, le Nil, et en pluies bienfaitrices.
Il se passe un certain temps où tout est parfait. Les dieux se tiennent cois,
sans s’en plaindre.
À dire vrai, Nout, déesse du Ciel, garde bien tout le jour sa position
acrobatique au-dessus de Geb, dieu de la Terre mais, à la faveur de la nuit,
elle se penche un peu vers lui. Geb, frémissant, se tend vers elle. Leurs
bouches et leurs sexes très humains se touchent. Ils en éprouvent un intense
plaisir qui reste inaperçu de leur grand-père, Atoum-le Soleil.
Celui-ci a d’autres préoccupations. Les hommes ne sont pas toujours
fidèles dans les temples. Ils oublient de remercier Atoum, créateur de
l’univers.

Les enfants du ciel


Cependant, de leurs amours secrètes, Nout se trouve enceinte de Geb, son
mari. Et pas seulement d’un enfant, mais de cinq !
Atoum entre dans une terrible colère en l’apprenant. Et comme c’est un
dieu, il prend une décision extraordinaire : il interdit à Nout d’accoucher !
Nout est désespérée. Comment supporter un ciel au désespoir ? Tous les
dieux voudraient l’aider mais c’est impossible : le pouvoir d’Atoum est
absolu. L’ordre est si absurde que cela ne manque pas d’agacer Thot, dieu
de l’Intelligence.
On n’a pas oublié Thot, venu de son autre légende, mais toujours pourvu
de sa tête d’ibis. Dans sa fine tête d’oiseau, il a déjà imaginé une solution.
Atoum a interdit à Nout d’accoucher. L’interdiction porte sur le temps
qu’Atoum a créé, qui se compte en années de trois cent soixante jours, trois
cent soixante nuits.

La solution de Thot
Thot, qui a une tête d’ibis mais des bras et des jambes d’homme,
s’avance vers la Lune et lui propose de jouer aux dés. La partie s’annonce
passionnante, car Thot a beaucoup d’idées et la Lune beaucoup de temps.
Justement, l’enjeu, c’est cela : le temps.
Thot propose à la Lune de gagner du temps. Le vainqueur empochera non
pas de l’argent mais des secondes, des minutes, des heures, et pourquoi pas,
des jours. La Lune accepte : c’est très amusant de jouer dans le firmament
avec quelqu’un d’intelligent. Ils jouent à n’en plus finir, étant très bons
joueurs, l’un et l’autre. Nout est assez inquiète, avec tous ces enfants qui ne
demandent qu’à naître.
Enfin Thot revient, triomphant : il a gagné non pas quelques minutes ni
même plusieurs heures, mais cinq jours, des jours entiers, cinq fois vingt-
quatre heures, à prendre tout de suite, tant que cette affaire ne s’est pas
ébruitée.
Nout peut donc accoucher sans désobéir au dieu Soleil. En effet son
pouvoir est sans effet sur ces nouveaux jours, qu’il n’a pas lui-même créés.
Thot peut être assez fier de son idée. Les Égyptiens, eux, resteront
toujours un peu méfiants de ces jours rajoutés à la fin de l’année, des jours
où tout peut arriver.

LA BARQUE DU SOLEIL

Quand il voit que l’ordre du monde qu’il a créé a changé, Atoum, déçu, se sent fatigué. Il
désire s’éloigner. Il demande à Nout, déesse du Ciel, de le mettre, lui et quelques autres
dieux, sur son dos. Elle accepte. Elle les transforme en étoiles, les place en elle dans une
barque aux voiles de vent qui parcourt chaque nuit la route du ciel et réapparaît chaque
matin. Le Soleil alors resplendit toute la journée au-dessus de la Terre et, la nuit, refait son
voyage nocturne hors de la vue des hommes.
Les quintuplés célestes
Chaque enfant a ainsi son jour de naissance.
Le premier est un fils, Osiris, beau, aux doux yeux, à la peau verte, aux
épaules larges.
Des voix annoncent déjà qu’il sera juste, fort et bon.
C’est lui l’aîné, l’héritier de son père Geb, la Terre, qui lui transmet le
pouvoir de régner sur cette terre, l’Égypte.
Osiris sera le premier pharaon.
Un deuxième fils naît le deuxième jour, Horus l’Ancien. Ce nouvel
enfant a une tête de faucon et sera craint de tous les dieux. C’est le dieu de
la Guerre.
Le troisième jour, Nout voudrait se reposer dans une oasis mais voici que
surgit hors de son corps, n’importe comment, la blessant, Seth le violent, le
dieu rouge à deux cornes, dieu des Éclairs, des Déserts, des Vengeances,
dieu jaloux, batailleur, tricheur, le traître de l’histoire. On verra qu’il sera
aussi un petit-fils dévoué et courageux. Tout n’est pas si noir.
Nout n’en sait pas tant quand, le quatrième jour, naît dans les roseaux une
première fille, la gracieuse, l’amoureuse, l’enjôleuse Isis aux magnifiques
cheveux, magicienne comme pas deux.
Le cinquième jour, ces quatre phénomènes ont une petite sœur, Nephthys,
douce, si douce que personne ne lui fera d’histoires, même quand elle
deviendra la mère d’Anubis, dieu à tête de chien sauvage, et la tante du petit
Horus. Mais ceci est une autre histoire.
ISIS ET OSIRIS

Des cinq enfants de l’univers, quatre se marient. Osiris épouse Isis, Seth
épouse Nephthys. C’est une tradition de famille, chez les dieux égyptiens :
les frères épousent leurs sœurs. Et puis, c’est le début du monde, il n’y a pas
d’autre choix.
Osiris et Isis s’aiment d’amour. Déjà dans le ventre de leur mère, ils
s’enlaçaient. Mari et femme, ils ne se quittent pas. Il écoute ses conseils.
Elle écarte de lui les dangers et les ennemis.
Car Osiris, naturellement doué pour comprendre et enseigner, n’a aucune
méfiance. C’est un roi idéal et il a contre lui les jaloux, les graines
d’usurpateurs, ceux qui veulent prendre sa place de roi. Il ne s’en rend pas
compte. Il est trop occupé à montrer aux Égyptiens comment contrôler les
eaux du Nil qui ont tendance à déborder, comment tisser le coton, récolter et
écraser le blé, rendre la justice et goûter la suave musique des lyres et des
flûtes qu’il a inventées.
Et comme Osiris est un dieu en même temps qu’un roi, il gouverne les
hommes et les étoiles, jour et nuit.
On ne sait pas grand-chose de sa vie heureuse sur la terre d’Égypte, sauf
cet amour tendre pour son épouse, Isis.
Une légende nous apprend qu’il confondit un jour Isis et Nephthys. La
petite sœur ressemble à la grande : même beauté, même douceur. De cette
confusion naît un dieu, Anubis. Nephthys le cache, elle craint la colère de
Seth. Mais quand Isis se rend compte de la méprise, elle n’en veut à
personne. Elle va chercher le petit Anubis dans le marais et l’adopte tout
bonnement.
Elle souhaite avoir un enfant d’Osiris, qui hériterait à son tour du trône
d’Égypte.
Tout aurait dû se dérouler comme cela.
DONS DES DIEUX
Thot est fier d’avoir donné aux hommes l’écriture.
– Ah, vraiment, dit Rê, mal luné. Et à quoi cela va-t-il leur servir ?
– À se souvenir, dit Thot.
– À oublier, oui, répond Rê. Ils vont noter, noter, noter sans plus y penser.
Thot ne se laisse pas impressionner et donne encore aux hommes le calendrier. Hâpy, le
bon génie de la crue du Nil, fait don à l’Égypte de sa fertilité, du papyrus, plante
emblématique du sud, du lotus, celle du nord. Le nom du lotus, en égyptien sechen, nous
fait don, à nous, du prénom Suzanne, “celle du lotus”.

La jalousie de Seth
C’est compter sans la jalousie de Seth, frère cadet d’Osiris.
Non seulement Seth doit se contenter de régner sur les déserts d’Égypte
alors qu’Osiris possède les terres fertiles, mais en plus, il constate qu’Osiris
n’a que des alliés, des serviteurs dévoués, des adorateurs zélés, une épouse
inséparable. Seth ronge son frein un certain temps, le temps de convaincre
quelques mécontents virulents de son espèce. Ils forment un complot et
imaginent un plan.
Seth fait construire un magnifique coffre en bois parfumé, incrusté, peint
et rehaussé. Au cours d’un banquet où tous les dieux sont réunis, il présente
ce coffre. Tout le monde l’admire. Seth annonce qu’il offrira le coffre à
celui qui, en se couchant à l’intérieur, touchera exactement les bords, de la
tête et des pieds.
Les convives, qui ont bu de la très bonne bière égyptienne, sont détendus
et amusés. Ils acceptent tous d’essayer. Les petites déesses sont vite
éliminées car le coffre est très grand, vraiment très grand. On sait même sa
taille exacte. En mesures égyptiennes, cela fait huit coudées, six palmes et
trois doigts, et en mètres, cela donne presque cinq mètres. Or c’est la taille
de géant d’Osiris, au millimètre près. Seth n’a pas fait faire le coffre au
hasard. Il a profité d’un jour où tout était calme dans le palais. Osiris
dormait. Seth s’est approché et il a pris les mesures de son frère endormi. Il
les a prises en longueur et en largeur. Sa main était habile pour ne pas faire
d’erreur, légère pour ne pas réveiller son frère, mais dans sa tête, des
pensées de vengeance consumaient tout le bien qu’il pouvait y avoir, toutes
les qualités que d’autre part il avait. Il était aveuglé par la haine.
Sa ruse a réussi. Osiris, qui, au fond, n’y tenait pas plus que cela, s’est
prêté au jeu du banquet. Il s’est couché dans le coffre. Il s’y emboîte
parfaitement.
Sur un ordre de Seth, les conjurés, les complices du complot, se
précipitent, écartent les dieux qui se penchent, clouent le coffre et
l’emportent à la vitesse de l’éclair. Une confusion sans pareille règne dans
le palais. Geb-la Terre est blessé et perd son sang. Des gouttes qui tombent
naissent le pin et la résine. Atoum-le Soleil pleure. Ses larmes se
transforment en abeilles.
Seth a jeté le coffre bien scellé dans le fleuve. Il n’a pas tué son frère de
sa propre main. Peut-être n’a-t-il pas osé, mais il l’abandonne aveuglé,
paralysé, étouffé et bientôt, noyé.

Le désespoir d’Isis
Isis épouvantée part à la recherche du corps de son mari. Toute déesse
qu’elle est, elle ne sait où faire aller ses pas. Elle erre sur la terre d’Égypte.
Tous les dieux se taisent, effrayés par le crime.
Isis est rejointe par Nephthys, sa sœur presque jumelle. Leurs yeux de
biche ne percent pas le secret des marécages, des îles du Nil, des roselières
où s’emmêlent tant de nids d’oiseaux, de cachettes pour les poissons d’eau
douce, de trous où viennent boire les gazelles et les lions du désert. C’est
pourtant là que des enfants ont vu le coffre, appuyé contre un arbuste. Ils
viennent le raconter à Isis. Aussitôt, elle y va, mais le coffre n’est plus là.
L’arbre non plus. Le roi de l’endroit, en passant, l’a admiré et fait couper
pour en faire une colonne de son palais. Comment un tout jeune arbre
pourrait-il soutenir un toit ? se demande Isis.
Isis se présente au palais et voit la colonne, majestueuse. Son œil
magique déchiffre le mystère : le jeune arbre du marais que touchait le
coffre échoué à son pied a grandi en une nuit. Son tronc parfumé a
enveloppé le coffre, le dérobant aux regards des curieux et aux mains des
voleurs. Mais le coffre était si grand que l’arbre a dû s’élancer vers le ciel,
déployer ses branches où nichèrent aussitôt plus de mille oiseaux. Sa
splendeur a attiré le roi.
Au palais, Isis gagne la confiance de la reine, sans oser lui confier son
secret. Chaque nuit, elle se transforme en hirondelle et volette autour de la
colonne en gémissant. Elle ne peut pas cacher son histoire très longtemps.
La reine, émue, lui offre la colonne. Isis l’emporte, dégage le coffre,
l’ouvre. Elle veut mettre sa joue contre ce qui fut la joue de son mari. Hélas,
le corps d’Osiris est en pièces. Nul ne reconnaîtrait le visage aimé, ne
sentirait l’odeur suave du dieu, son haleine si douce qu’elle parfumait
longtemps les cheveux de la femme qu’il aimait.

ISIS ET LE PETIT PRINCE

Isis est entrée au palais en cachant qu’elle était une déesse. La reine remarque son
parfum exquis (il est divin !). Elle lui confie la garde de son enfant. Isis se sert en cachette
de ses dons de magicienne. Pour nourrir le bébé, il lui suffit de lui donner à téter le bout de
son doigt. Mais une nuit, intriguée par une lumière, la reine entre dans la pièce où Isis
incognito est avec son fils. Elle pousse un cri de frayeur en voyant qu’il est au centre d’un
cercle de flammes.
La “nourrice” dévoile qu’elle est la déesse Isis. Par affection pour la reine, elle pratiquait
un rite magique pour rendre le petit garçon immortel. Le sortilège est rompu, mais Isis peut
maintenant raconter son histoire.

La patience d’Anubis
Isis appelle Anubis, le dieu à tête noire, couleur, en Égypte, non du deuil,
mais de la renaissance. Petit, elle l’a recueilli, élevé. Elle a passé de longs
jours à le bercer et à l’amuser. Anubis est reconnaissant. Il écarte
doucement Isis en pleurs, il se penche vers Osiris et lui prodigue ses soins.
Avec infiniment de patience, il rassemble les membres, les frotte d’huiles,
les entoure de bandelettes. Il confectionne la première momie.
Quand Osiris a retrouvé forme humaine, Isis reprend sa place auprès de
lui. Elle met sa main sous la tête de son mari. Osiris ouvre les yeux. Le
souffle lui revient. Il revit. Isis se transforme en magnifique épervier. Elle
étend ses ailes et se place au-dessus de lui. Les dieux sont témoins qu’ils
conçoivent ainsi un enfant, qui pourra devenir roi, comme son père, Osiris.
Mais ce temps n’est pas encore arrivé. Isis cache de nouveau le coffre
devenu sarcophage parmi les roseaux du Nil, là où elle est née, où les
déesses des eaux sont ses amies. Elle le change de place sans cesse, pour
qu’il échappe à toute curiosité. Elle ne s’en éloigne que dix mois plus tard,
quand elle met au monde le petit Horus. La terre d’Égypte a un héritier.
LE COMBAT DES DIEUX

Dès la disparition d’Osiris, Seth est allé devant les autres dieux réclamer
le trône, comme héritier de son frère mort.
Atoum – qu’on appelle aussi Rê, le dieu Soleil –, a un faible pour Seth. Il
aime assez sa voix de tonnerre. Et dans l’ordre de succession, c’est bien à
lui que revient le pouvoir sur terre.
Isis, au loin, à la recherche du corps d’Osiris, ne peut rien empêcher.
Bouillonnant de désirs, Seth s’enivre souvent ou s’empiffre de salades, au
goût aussi exquis pour lui que le chocolat pour nous. Il donne des ordres
aux femmes, en particulier à Isis et Nephthys qu’il contraint à tisser le lin.
Lui, dressant ses hautes oreilles aux bouts tranchés net, humant l’air de son
museau allongé en forme de trompe, il part à la chasse, nuit et jour. Il
connaît les nids où se réfugient les canards, les belles oies sauvages.
Malgré toutes les précautions d’Isis, il écume tant les marais qu’il
découvre un soir, au clair de lune, le coffre bien caché qui renferme Osiris.
Saisi de fureur, il pulvérise le cercueil. Il voit la momie, et comprend qu’Isis
a retrouvé son mari. Avec rage, il déchire les bandelettes, déchiquette le
corps si soigneusement remis en ordre par Anubis et jette les morceaux aux
quatre coins du fleuve.
Osiris, privé de son corps, ne peut régner sur rien, ni sur les vivants ni sur
les morts. Telle est la croyance des anciens.

La quête d’Isis
Quand elle ne retrouve pas le coffre d’Osiris, Isis confie le petit enfant
Horus à une déesse des eaux et recommence sa recherche d’Osiris. Elle
prend place sur une barque très légère, faite de roseaux, qui glisse sans bruit
sur l’eau. Sur chaque rive où elle retrouve un morceau d’Osiris, elle bâtit
des temples en son honneur. Quand enfin, elle a tout rassemblé – il ne
manque que le sexe, sans doute happé par des poissons (et la plupart des
momies, en souvenir de cela, n’en auront pas non plus) –, Osiris peut
devenir le roi de l’Au-delà. Il disparaît du regard des hommes. Seule sa
voix, dit-on, pouvait s’entendre parfois d’un lieu près du Nil appelé
“bouche d’Osiris”.
Seth, qui n’arrive pas à décider les dieux à lui donner le titre de roi, part à
la recherche d’Horus, avec la ferme intention de le tuer.

Horus héritier du trône


Le petit Horus, caché par sa mère, par sa tante, par les déesses des eaux
quand les deux premières étaient trop occupées, a eu une enfance pleine de
dangers. Il n’a échappé à la piqûre mortelle d’un scorpion que parce que
Thot, appelé à la rescousse, s’est souvenu juste à temps d’une formule
magique pour le sauver.
Comme tous les enfants, il est tombé, s’est fait des bosses, a eu des
cauchemars. Mais, en plus, sur les rives du Nil, il y avait des serpents, des
crocodiles, des fièvres des marais, sans oublier le danger d’un lion affamé
ou d’un hippopotame en colère. Isis s’est servie souvent de ses pouvoirs de
magicienne. Et le petit Horus l’a vite imitée. Il a, lui aussi, des dons.
Horus a grandi. Il est devenu le dieu Horus. Jeune homme à la tête de
faucon, il se sait fils d’Osiris. Il veut porter sur son front la double couronne
des rois d’Égypte : le haut bonnet blanc des rois du Nord, la coiffe rouge
des rois du Sud.
Horus est prêt à affronter son oncle Seth et réclame à son tour, devant
l’assemblée des dieux, le trône de son père Osiris.

LA DOUBLE COURONNE D’ÉGYPTE

La double couronne est portée par un dieu ou par un pharaon. Elle est le symbole de
son pouvoir absolu sur les deux royaumes unifiés d’Égypte, le delta et la vallée du Nil. Son
nom, pschent, signifie “les deux puissantes”, les deux déesses : au nord, Ouadjet, au sud,
Nekhbet.
Ouadjet est représentée par un cobra. Sous son nom de uraeus, elle se dresse, gorge
déployée, au front des pharaons, pour écarter d’eux tous les dangers.
Nekhbet a la forme d’un vautour. Elle est placée sur la coiffe des reines, comme une
puissante protectrice, spécialement chargée de veiller sur la naissance des enfants.

Le Soleil se couche
Atoum-Rê, ennuyé, se fâche. Isis réclame qu’on prenne l’avis de Neith,
grande déesse. Celle-ci déclare qu’il est juste en effet qu’Horus règne.
Qu’on donne deux femmes à Seth, en dédommagement, et qu’il cesse de
vouloir la place de son neveu. Mais Atoum-Rê ne prend pas de décision. Et
quand un petit dieu le lui reproche avec un peu d’insolence, l’incroyable se
produit : Atoum-Rê, le grand dieu, le créateur, le Soleil tout-puissant, refuse
de continuer. Dans le temple où les dieux sont réunis, il se couche à terre, il
refuse de se lever !
Le Soleil s’est arrêté. Personne, ni parmi les dieux ni parmi les hommes,
ne peut le supporter. Il faut décider le dieu Soleil à reprendre sa course. Isis
essaie de la magie, Thot tente un discours, les autres dieux supplient. Rien à
faire. Atoum-Rê est vexé, déprimé, fatigué, entêté.
Les dieux quittent le temple, désemparés.
Seule l’une des filles d’Atoum-Rê, la belle déesse Hathor, celle qui a un
disque d’or entre ses cornes de vache, est restée. Elle s’approche d’Atoum-
Rê. Elle ne dit rien, elle sourit. Elle touche le corps d’or pur d’Atoum-Rê et
ses cheveux de lapis-lazuli, une pierre bleu ciel aimée des Égyptiens. Elle le
chatouille. Elle n’est pas très respectueuse, Hathor aux grands yeux. Elle
déride son vieux père. Elle enlève ses habits. Cela fait rire le Soleil. Il rit, il
rit à gorge déployée. Ouf, il a repris goût au cours des choses, goût à la vie.

Seth pris au piège


Isis ne perd pas de temps. Elle réclame qu’Atoum-Rê proclame
maintenant son fils Horus jeune roi d’Égypte. Le Soleil hésite encore, et sur
le conseil de Seth (qu’il préfère, c’est sûr, même s’il ne le dit pas), il décide
que les dieux vont se réunir sur une île où il est interdit à Isis d’entrer !
La magicienne va se débrouiller. Elle se transforme en femme du peuple
(très jolie) pour ne pas être reconnue, et se fait remarquer par Seth. Séduit,
le dieu approuve tout ce qu’elle dit. Isis lui raconte alors une triste histoire
où un fils est volé de son héritage.
– Ah, s’écrie-t-il pour dire comme elle, bien sûr, un fils légitime doit
succéder à son père !
– Tu l’as dit toi-même ! dit alors Isis en prenant une forme d’oiseau et en
allant prudemment se percher sur un acacia, non loin de là. Tu as dit qu’il
est légitime qu’Horus succède à son père !
Seth est pris au piège. Mais il va pleurer devant Atoum qui tarde encore à
choisir le successeur d’Osiris.

HATHOR LA LIONNE

La déesse Hathor peut aussi être redoutable. Le dieu Atoum-Rê l’appelle quand il
découvre que les hommes complotent contre lui. Hathor, sous la forme d’une lionne, se
déchaîne alors contre les hommes. Le dieu comprend qu’elle va, ma parole, les exterminer.
Pour arrêter le carnage, une seule solution, la ruse. Les envoyés du dieu font répandre sur
le sable du champ de bataille de la bière teintée de rouge. Une véritable inondation ! La
déesse assoiffée de sang croit que c’est... du sang, justement ! Elle le boit avec volupté.
Tant et si bien qu’elle en oublie sa mission. Il était temps. Il ne restait que quelques
survivants.

Le harpon d’Isis
Horus bout d’impatience. Seth alors propose une compétition.
– Changeons-nous en hippopotames et restons sous l’eau. Celui qui peut
y rester trois mois a gagné.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Isis se doute que Seth va tricher. Elle fabrique
un harpon pour menacer Seth. Mais, émue par les plaintes de son frère, elle
se laisse fléchir, et cesse de l’attaquer.
Fou de colère, Horus s’en prend à sa mère et, dans sa fureur, lui coupe la
tête. Puis, épuisé, il s’endort.
Seth va crier au scandale chez les dieux, trop heureux d’avoir une raison
de punir son neveu. Il repart à la recherche d’Horus, le trouve endormi et lui
arrache les yeux qui deviennent aussitôt deux lotus.

LES JARDINS D’OSIRIS

Après chaque inondation du Nil, on fabrique avec le limon de petites statues


représentant Osiris couché. On les appelle “Osiris végétant” ou “jardins d’Osiris”. On y met
des graines, et on attend de la bonté du dieu qu’il les fasse germer. On pose ces statuettes
sur le corps des momies afin qu’elles aient une vie nouvelle dans l’Au-delà, comme la terre
d’Égypte qui renaît chaque année.
Dans des prières, on décrit Osiris aussi grand que la terre tout entière, couché sous elle
avec sa végétation, ses maisons et ses temples. On le remercie avec ferveur et on lui
demande de ne pas bouger, car alors, la terre tremble.

Ruse sur ruse


Horus sans yeux se réfugie dans le désert. La bonne déesse Hathor, à la
douce tête de vache, le prend en pitié et le guérit d’une goutte de lait de
gazelle.
Horus est prêt à reprendre le combat.
Mais maintenant Atoum-Rê est fatigué. Il exige que l’oncle et le neveu
fassent la paix et s’assoient à la même table pour un banquet. Seth fait
mieux, il propose même à Horus de partager son lit. C’est une ruse. Pour
embarrasser Horus, il dira le lendemain devant tous les dieux que son
sperme se trouve dans le corps d’Horus.
Perplexe, le dieu Thot appelle le sperme de Seth qui lui répond du fond
des marais (c’est un tour d’Isis). Puis il appelle le sperme d’Horus qui lui
répond du front de Seth et y surgit sous la forme d’un disque d’or (encore
un tour de magie).
Seth épuise les dieux par ses cris : qui, d’Horus ou de lui, est le roi
légitime ? Horus est-il vraiment le fils d’Osiris, né dix mois après la mort de
son père (dix mois, c’est le temps qu’il faut à un dieu pour naître) ? Seth
n’est-il pas plus âgé, plus expérimenté qu’Horus pour régner ?
Seth donne une nouvelle règle.
– Faisons une course de bateaux. Mais des dieux comme nous n’ont pas
des bateaux ordinaires. Les nôtres seront en pierre.
Le rusé Horus prépare son bateau. Il l’a taillé dans du bois puis maquillé
avec de la craie. On jurerait de la pierre.
L’orgueilleux Seth, lui, s’est fait une embarcation dans un énorme rocher,
aussi long, aussi large qu’une piscine olympique.
Bien entendu, il coule dès qu’il touche l’eau. Il se change en
hippopotame pour aller déséquilibrer son adversaire qui lui donne quelques
bons coups de harpon :
– Un coup pour mon œil gauche, un coup pour mon œil droit, et un, deux,
trois coups pour la tête d’Isis.
Car Horus se reproche d’avoir coupé la tête de sa mère.
Thot a déjà arrangé cela. Il a remis sur les épaules d’Isis une belle tête de
vache. Cela lui servira parfois pour apparaître ainsi dans d’autres légendes.
Mais cette fois, le combat de l’oncle et du neveu exaspère tout le monde.
– Allons demander son avis à Osiris, décide Thot.
Comme il est aussi le dieu des Scribes, il écrit une lettre à Osiris. La
réponse du dieu d’outre-tombe est claire et nette :
– Mettez mon fils Horus sur mon trône d’Égypte, en souvenir des
bienfaits que j’ai accomplis pour cette terre et que je continue de faire.
Le ton d’Osiris ne plaît pas beaucoup au Soleil Atoum-Rê qui pense que
c’est lui qui a tout fait sur cette terre : d’abord, il l’a créée, ensuite, il
l’éclaire toute la journée et fait pousser le blé, les palmiers, toutes les
richesses du sol.
Cependant, une dernière fois, les dieux se réunissent. Isis amène Seth
ligoté pour qu’il ne prépare pas encore un mauvais coup.

La décision du dieu Soleil


– Dans ces circonstances, prononce Atoum-Rê, assez lentement pour
qu’on comprenne que maintenant, c’est définitif, qu’Horus soit le roi de
toute l’Égypte et qu’ensuite, un homme digne de lui lui succède. Tous les
pharaons seront des Horus et transmettront aux dieux les prières des
hommes. De temps en temps, un dieu fera un enfant à une reine et créera
ainsi une nouvelle famille de rois, appelée dynastie. Quant à Seth, qu’il se
tienne près de moi. Sa force me protégera. Il sera à l’avant de la barque
quand je traverse le jour et la nuit. Il écartera de ma route mes ennemis. Il
combattra, à l’aube, à midi et le soir le terrible serpent Apopis. Grâce à lui,
le soleil éclairera la terre le jour, et la nuit retraversera le ciel à l’abri des
dangers.

Voilà ce qu’il advint, dans le ciel d’Égypte. Ce fut après une guerre de
presque cent ans entre les dieux.
Maintenant, le Soleil va reprendre sa course.
LE VOYAGE DU SOLEIL

Quand Seth rejoint son arrière-grand-père, celui-ci est à bord de la barque


où il a navigué tout le jour. Les Égyptiens l’appellent “la barque des
millions d’années”. Il est Atoum, le Soleil couchant, le dieu à tête de bélier.
Il a traversé le ciel d’est en ouest et s’approche du port du soir, près de la
bouche de Nout, la déesse courbée au-dessus de la Terre. Là, le fleuve du
Ciel s’élargit. Une nouvelle embarcation attend Atoum et ses compagnons.
Il y a là Ouadjet, le cobra royal, l’Œil de Rê, devenu son gardien ; Seth,
l’ardent, qui porte une lance et des couteaux bien affûtés ; mille petits
génies armés jusqu’aux dents et, juste devant Atoum, assise, une plume sur
la tête, Maât, la tranquille déesse de la Vérité. Avalés par Nout, ils
disparaissent de l’horizon. Ils pénètrent dans une région pleine d’ombre, le
Nil souterrain, un fleuve de sable, sans eau ni vent. C’est le royaume des
morts.

Le royaume des morts


Les défunts, curieux et respectueux, s’assemblent près de la barque de la
nuit. Ils se réjouissent de voir le soleil qui les tire un moment de l’obscurité
totale en les éclairant faiblement. Chacun a l’espoir – mais il lui faudra une
autorisation écrite de Thot, le dieu Scribe à tête d’ibis – d’accompagner le
Soleil, un jour ou l’autre, au-dessus de la terre. Alors, joyeuses, les âmes,
qui ont sur les dessins égyptiens une petite tête d’homme sur un corps
d’oiseau et qu’on appelle bâ, volettent tout un jour au-dessus des régions
qu’elles ont aimées, où il faisait si bon vivre.
En se souvenant de ce temps-là et en chantant les louanges d’Atoum,
quelques morts ont saisi les cordes pour tirer la barque des dieux. Quand ce
ne sont pas eux, ce sont des étoiles, celles qu’on nomme “les infatigables”,
qui emportent l’embarcation jusqu’à la caverne de la première heure de la
nuit. Une porte monumentale la défend. Une déesse est chargée d’accueillir
Atoum qui nomme sur son passage toutes les divinités, tous les personnages
ou monstres qui se tiennent sur la rive. S’ils avaient le projet de lui nuire,
les voilà paralysés par la parole du dieu.

Le voyage ne fait que commencer. Il y a douze heures à traverser, douze


portes bien défendues, douze cavernes profondes. Et soudain, c’est
l’attaque. Le grand serpent Apopis a surgi. Il déroule ses anneaux
interminables et cherche à renverser l’embarcation et ses passagers.
Seth s’est élancé et, avec lui, les petits génies. Ils plantent leurs couteaux
qui hérissent le corps d’Apopis sans lui faire lâcher prise. Puisqu’il le faut,
ils lancent des flèches, avec des arcs, s’ils en ont, et s’ils n’en ont pas, tant
pis, ils les crachent, ça marche aussi. Apopis est terrassé. La barque peut
continuer.

LE LIVRE DES MORTS

Le Livre des Morts, écrit sur un rouleau de papyrus ou la paroi d’un tombeau, contient
les formules nécessaires pour parcourir le royaume des morts. Son titre égyptien exact est
“Le Livre pour sortir le jour”, et il est destiné à ouvrir tous les chemins, celui qui mène à
Osiris pour être jugé et aussi ceux qui ramènent vers un petit jour de congé, au-dessus de
la terre d’Égypte. Les mots magiques, les noms qui y sont notés, ont le pouvoir de
repousser les attaques de ceux qui barrent la route, gardiens et démons.

Osiris, juge des morts


À la cinquième heure, Atoum et son équipage pénètrent dans la grotte
d’Osiris. C’est là que, devenu dieu de l’Au-delà, celui-ci juge les morts, les
rois comme les enfants, les nobles comme les paysans. Tous ont droit à la
vie éternelle, s’ils ont pu être momifiés avant d’être enterrés. C’est une
longue histoire qui vaut la peine d’être racontée, après que le Soleil a
terminé sa journée.
Pour l’instant, il s’approche de la douzième porte. La nuit va se terminer.
Atoum à tête de bélier est arrivé dans la queue d’un grand serpent,
bienfaisant celui-ci, appelé le serpent des dieux, long de presque un
kilomètre !
Là, bien à l’abri, Atoum change de nom et de tête. Il devient Khépri et
prend la forme d’un scarabée.
Comme l’insecte qui pousse devant lui une boule de terre et de débris
bien plus grosse que lui, Khépri va faire tourner sous lui la planète Terre. Il
est le jeune Soleil levant.
Ses compagnons se battent une dernière fois contre Apopis qui a attendu
traîtreusement que les oiseaux se mettent à chanter pour tenter encore de
détrôner le Soleil.
Peine perdue. Khépri ne met pied à terre que pour changer de barque et
prendre celle de jour, qui navigue grâce au vent.

LE NOM DE RÊ

Connaître un nom est un pouvoir... Isis un jour entreprend d’être plus puissante que Rê
en connaissant son vrai nom. Seul Rê peut le révéler.
Isis ramasse un peu de la salive du dieu. Elle la mélange à de l’argile et fait un serpent,
petit et pointu comme une flèche, qui mord le dieu. Le venin agit vite. Rê appelle tous les
dieux. Isis propose son aide, mais pour cela, il faut que Rê lui dise son nom. Le vrai. Le
caché. Rê en cite plusieurs. Le venin agit toujours. Le dieu se rend à l’évidence. Il doit
révéler son nom. Le texte égyptien ne l’a pas noté. Cela reste un secret entre Rê, Isis et
peut-être Horus. Personne ne semble en avoir abusé, puisque Rê est resté le maître de
l’univers.

Les métamorphoses du Soleil


Triomphant, Khépri passe alors entre les cuisses de Nout, le Ciel, et se
montre à l’est de la terre. Ni Seth ni personne ne l’abandonne, car beaucoup
d’ennemis peuvent surgir : les tempêtes, les pluies et l’abominable Apopis
qui, à midi, invente de boire l’eau du fleuve céleste pour tenter
d’immobiliser la barque. Les génies ne le laissent pas faire et le forcent à
tout recracher.
Le Soleil se métamorphose une troisième fois : il est Rê, l’astre
triomphant. Son image est le disque solaire, rayonnant. C’est lui qui fait
pousser et mûrir les récoltes et permet la vie en Égypte. En déclinant le soir,
il devient Atoum à tête de bélier, s’adoucit et s’achemine vers son coucher.
Les aventures et les dangers de la nuit recommencent pour lui. Toujours à
l’affût, ses défenseurs vont se surpasser. C’est dans ces combats, dit-on,
qu’Atoum retrouve l’énergie qu’il déploie le jour en réchauffant la terre. Il
est le dieu qui ne dort jamais afin que la vie au goût de miel recommence
sans cesse en Égypte, pour les hommes comme pour les dieux.
LA VIE DES MOMIES

Les Égyptiens anciens qui observaient beaucoup leur ciel, de jour comme
de nuit, ont noté les changements des étoiles, leur retour à date fixe à la
même position. Ils ont ainsi calculé le calendrier qui nous sert toujours (les
365 jours de l’année). Ils ont aussi réfléchi à l’infini, à la vie après la vie.
Les morts vont-ils quelque part et, s’ils y vont, qu’y font-ils ?
Ils avaient un modèle : Osiris, leur dieu si bon, le premier pharaon.
Osiris meurt assassiné, et son corps est en morceaux quand Isis le
retrouve. Elle appelle alors Anubis qui, avec patience, rassemble les os,
redonne sa taille et sa forme à Osiris en l’entourant de bandelettes. Il peut
alors ressusciter et devenir roi d’un nouvel empire, l’au-delà, où il sera le
juge et régnera sur les morts.
Cette histoire, qu’ils ont imaginée, donne aux Égyptiens de l’Antiquité
un grand espoir : revivre après la mort comme Osiris est possible. Mais
dans une autre vie. Une vie qui va durer l’éternité.
Pourquoi, pour cela, Osiris devait-il absolument retrouver l’aspect qu’il
avait de son vivant ?

Le corps, le bâ et le ka
Selon la légende, le dieu bélier Khnoum façonne sur son tour de potier le
corps de chacun, homme ou dieu, avant sa naissance, avant de le déposer
dans le ventre de sa mère. Il prend bien soin de faire en même temps son ka
ou énergie vitale et son bâ, petite âme à corps d’oiseau.
Les trois formes, le corps qu’on voit, le ka et le bâ qui sont invisibles
pendant la vie, forment un tout. Sans bâ, pas d’âme, sans ka, pas de force,
sans corps, pas de vie.
Ces trois-là survivent ensemble après la mort. Le petit bâ s’envole sous
sa forme d’oiseau. Le ka se matérialise en deux bras dressés, posés comme
une coiffe sur la tête d’une statue représentant le mort. Le corps, si on le
laisse ainsi, va se décomposer. Or sans lui, il n’y a pas de vie, ni celle qu’on
vient d’avoir sur terre, ni celle qui est possible dans l’au-delà.
On doit donc l’empêcher de disparaître en refaisant exactement pour lui
les gestes qu’Anubis a faits pour Osiris.

Embaumer et momifier
Dans ces temps très anciens, ce sont les prêtres qui savent, après Anubis,
embaumer et momifier les corps. La cérémonie est si longue, si chère
qu’elle semble réservée aux rois, aux reines, aux ministres, nommés vizirs,
aux gens très riches. Surtout qu’après tous les soins, les parfums, le linge
fin qui sont nécessaires pour transformer un corps en momie, on le protège
encore en le mettant dans de beaux coffres aux visages peints ou sculptés,
en or si on est pharaon, en bois si on est moins riche.
Mais les prêtres font aussi des momies d’animaux sacrés. Car un dieu
peut toujours s’y loger, par exemple Thot qui protège les ibis et les
babouins, ou la déesse Bastet, qui aime les chats.
Chaque Égyptien peut espérer que quelqu’un se penchera sur lui, après sa
mort, avec tendresse comme Isis ou avec habileté comme Anubis et
permettra à sa momie de partir vers la vie éternelle.
Dans les bandelettes en lin, on glisse toutes sortes d’amulettes où sont
écrites des formules, des prières qui protègent le mort contre les ennemis,
les mauvais esprits.
Car le mort ne reste pas dans son tombeau. Un dieu se présente à lui.
C’est souvent Isis ou Anubis. Il y a des offrandes peintes pour ces dieux
bienveillants qui prennent le mort par la main et le conduisent au royaume
des ombres.
Ils portent sur eux, comme pour lui donner confiance, la croix de vie, un
signe très puissant qui protège Pharaon lui-même.
LES QUATRE FILS D’HORUS

Contrairement à la logique, les fils d’Horus, génies des quatre points cardinaux, assistent
sur les peintures égyptiennes à l’embaumement de leur grand-père Osiris, pratiqué par
Anubis. Ils accomplissent même un rite très important : l’ouverture de la bouche de la
momie, en la touchant de la main. Ainsi, Osiris pourra manger et parler dans l’au-delà.
Depuis, ils sont chargés de veiller sur le foie, les poumons, l’estomac, les intestins des
momies. Les embaumeurs placent ces viscères dans les vases canopes, aux bouchons
sculptés en forme de tête. Celui qui a la tête de babouin d’Hapi, génie du nord, garde les
poumons ; Amseti, génie du sud, à tête d’homme, protège le foie ; Douamontef, génie de
l’est, à tête de chien ou de chacal, l’estomac ; Qebehsenouf, génie de l’ouest, à tête de
faucon, les intestins. On les voit aussi parfois, gravés sur une plaque placée sur les momies
à l’endroit de l’ouverture faite par les embaumeurs.

Le voyage du mort
Comme Atoum sur sa barque, le nouveau mort doit franchir des portes,
nommer les lieux qu’il traverse, saluer les divinités qu’il rencontre. Il a pris
soin de faire écrire par un scribe sur un papyrus, en bonne place dans la
tombe, tous les mots qui paralysent les ennemis et tous ceux qui forment
des louanges pour les dieux amis.
Il a soigneusement préparé sa déclaration d’innocence pour Osiris, qui va
le juger. C’est un long texte, écrit à la première personne, qui jure que le
mort n’a pas fait de fautes graves dans sa vie, n’a tué personne, ni trahi, ni
manqué de respect envers les dieux.
Enfin, il se trouve devant Osiris. C’est le moment du jugement. Osiris est
assis. Et avec lui, l’une derrière l’autre, les principales divinités. C’est
impressionnant, cette assemblée de dieux. Ils sont souvent presque
cinquante. La momie, dans son sarcophage, ou ayant retrouvé son allure de
vivant, est en face d’eux, toute droite. Au milieu se dresse la balance des
âmes, gardée par une petite déesse, Maât, la préférée d’Atoum le Créateur,
car elle veille sur le bon ordre des choses. Elle est aussi la déesse de la
Vérité et porte une plume sur la tête.
Le cœur sur la balance
On pose sur un plateau de la balance le cœur du mort (que la momie a sur
elle), et sur l’autre, la plume de Maât, qui n’a jamais menti.
Pour les Égyptiens anciens, le cœur était le logement de l’intelligence. Si
le cœur est lourd des fautes que le vivant a commises, la balance s’incline
de son côté. Pas de vie éternelle pour celui-ci. Il est aussitôt englouti par
une bête effrayante, appelée la Grande Dévoreuse, à tête de crocodile,
crinière de lion et corps d’hippopotame.
Mais si la balance reste en équilibre, Osiris déclare le mort digne de vivre
près de lui.
Thot note la décision sur ses tablettes. Horus vérifie. Non seulement le
mort a droit à la vie éternelle, mais il devient lui-même un nouvel Osiris. Il
peut se confondre dans le grand dieu.

La vie dans les champs des Offrandes


La vie quotidienne n’est pas désagréable. On habite un nouveau pays,
appelé les champs des Offrandes, où tout est comme sur terre, mais en dix
fois mieux : les blés poussent plus haut, les rires sont plus joyeux, l’amour
est encore plus délicieux.
Le seul devoir des morts, – même si ce n’était pas leur métier sur terre –,
c’est de labourer et de récolter ce qui pousse dans les champs des
Offrandes. Si on a pris soin de faire mettre dans sa tombe de petites statues
représentant des serviteurs, on peut se faire remplacer par eux aux travaux
des champs et se servir à son aise de tout ce qui a été déposé dans la tombe,
en grandeur réelle ou en miniature : son fauteuil préféré, ses bijoux, et
même son chat, dessiné ou sculpté.
Pourtant, cette douce façon d’exister le jour, après la mort, ne sera jamais
tout à fait la vie. Elle en a l’apparence, elle en a le goût mais elle ne fait pas
oublier celle qu’on avait en Égypte.
Son grand avantage, pourtant, c’est qu’elle n’a pas de fin.
En souvenir de la vie d’avant, Thot donnera parfois aux âmes la
permission d’accompagner Khépri, le Soleil levant, et de revoir la Terre
telle qu’elle est.
Ce sera jour de fête pour les bâ qui seront du voyage ce jour-là, au-dessus
du fleuve, des maisons, des temples, dans le monde des vivants.
La nuit, pourtant, les morts ont de mystérieuses occupations qui ont de
quoi les passionner : ils rencontrent les dieux, se rapprochent d’eux, sur la
barque d’Atoum, et participent à son triomphe sur les monstres qui
voudraient détruire le monde.
Ils viennent parfois tourmenter les vivants, si on ne les honore pas assez à
leur goût, en même temps que les dieux, dans des fêtes joyeuses, et si on
oublie de prendre soin de leur tombe. C’est encore une autre partie d’eux-
mêmes, appelée akh, qui se comporte comme un fantôme et ne s’apaise que
si on s’occupe d’eux.
SIGNES DES DIEUX

Si on a la chance de pouvoir aller dans les salles des des Antiquités


égyptiennes des musées ou de faire un voyage inoubliable en Égypte, on
verra les peintures et les statues de beaucoup de dieux. Voici une petite liste
de ceux qu’on a déjà rencontrés dans les chapitres précédents et de quelques
autres à découvrir.

Amon
Dieu “caché” de la ville de Thèbes. Il a souvent une tête d’homme coiffée
d’une grande plume double très droite ou une tête de bélier. Dieu de l’Eau,
il devient dieu du Soleil, créateur du monde. À Karnak, on lui donne une
femme, Mout, à tête de vautour, et un fils, Khonsou, dieu de la Lune.

Anubis
Nom grec du dieu Inpou, le premier des embaumeurs et l’un des plus
puissants protecteurs des morts. Fils d’Osiris et de Nephthys, il a la tête
noire d’un chien, proche du chacal (mais il n’y a pas de chacal en Égypte)
ou sa forme entière. C’est ainsi qu’on l’a retrouvé dans la tombe du pharaon
Toutânkhamon.

Apis
Choisi entre mille par les prêtres, Apis est d’abord un veau vivant,
l’incarnation de Ptah. Noir, un triangle blanc sur la tête, un dessin d’aigle
sur le dos, de lune en croissant sur le flanc, de scarabée sous la langue, il
est, avec sa mère vache et toute sa vie de taureau, un dieu adoré à Memphis.
À sa mort, on le pleure, on l’embaume et on le place dans un sarcophage, à
Saqqarah, avec tous ses prédécesseurs. Un nouvel Apis est choisi, qui lui
ressemble comme deux gouttes d’eau.

LE SPHINX

Le sphinx doit son nom à la langue grecque. Le plus célèbre est le sphinx de Gizeh. Il a
un corps de lion couché et le visage du pharaon Khéphren, qui fit construire sa
pyramide 2500 ans avant Jésus-Christ.
Les Égyptiens, qui ne voyaient qu’exceptionnellement les statues de leurs dieux
enfermées dans les temples, venaient nombreux devant le sphinx rendre hommage à
Horus, dont le pharaon est le représentant sur terre.

Atoum
Dieu créateur de l’univers à Héliopolis. Son nom peut se traduire par
“tout” ou “rien”. Certains pensent qu’il existait dans le rien et qu’il
contenait déjà tout. Devenu dieu du Soleil Khépri-Rê-Atoum, Atoum est
son nom quand il se couche.

Bastet
Déesse, fille de Rê. Chatte assise, femme à tête de chatte ou chatte avec
ses chatons, elle protège les maisons et les naissances. On a retrouvé des
cimetières entiers, appelés nécropoles, de momies de chats, ses animaux
sacrés. Bastet-la-Douce prend parfois l’aspect de Sekmet, la terrible lionne.

Bès
Joyeux petit dieu qui fait des grimaces pour éloigner les mauvais esprits.
Il protège les femmes enceintes, les bébés et tous les hommes quand ils
dorment. On portait des amulettes de Bès contre les piqûres de scorpion, de
serpent, et de divers insectes. Une statuette de Bès dans la maison éloignait
toutes ces bestioles.
Geb
Dieu de la Terre, fils de Shou et de Tefnout, frère et époux de Nout. Bel
homme nu, il est allongé comme la Terre qui s’étend sous le Ciel. Son
animal sacré est l’oie.

Hathor
Déesse de la Joie et de l’Amour, maîtresse des points cardinaux. Lionne,
chatte, cobra, femme ou vache portant entre ses cornes un disque d’or, elle
était célébrée spécialement à Denderah où, chaque année, on rappelait par
une fête son mariage avec Horus. Sous sa forme de lionne ou d’œil de Rê,
elle devient redoutable.

LES OBÉLISQUES

Les obélisques, bien qu’ils soient le plus souvent très grands et très lourds, ont un nom
grec qui signifie à l’origine “petite broche à rôtir”. Ce n’est pas très respectueux pour ces
immenses colonnes en granit rose, au bout pointu, le pyramidion. On les élève par deux,
devant les temples, pour célébrer le culte du Soleil. Le pyramidion est recouvert d’or. Il
rappelle le Soleil qui apparut sur la Terre surgie des eaux, au début de la création du
monde. Il est l’image de la relation qui existe entre les hommes et les dieux, entre la Terre
et le Ciel.

Héqet
Déesse à tête de grenouille, elle protège la naissance des enfants. Pour
certains, elle est la femme de Khnoum qu’elle aide dans son travail de
potier, créateur des hommes.

Horus
Dieu à tête de faucon ou tout entier faucon, il hérite de son père Osiris
son titre et sa charge de pharaon, qu’il doit conquérir contre son oncle Seth.
On le représente enfant sur les genoux de sa mère Isis, ou en dieu du Ciel,
sous le nom de Horus de l’Horizon. Ses deux yeux alors sont la Lune et le
Soleil. Hathor est sa femme.

Isis
Déesse, fille de Geb et de Nout, sœur et femme d’Osiris. Sa coiffe est un
trône, hiéroglyphe de son nom. Elle part à la recherche du corps d’Osiris et
donne naissance à leur fils Horus. Magicienne hors pair, elle est la seule à
savoir le nom caché de Rê. Très aimée, elle protège de sa toute-puissance
les cultures, les maisons, les naissances.

Khépri
Nom du Soleil levant, qui signifie “devenir”. Il a la forme d’un homme à
tête et ailes de scarabée ou d’un scarabée. Porter son amulette exprimait le
désir d’avoir une vie éternelle dans l’au-delà.

Khnoum
Dieu façonneur des hommes. Bélier ou homme à tête de bélier, il est
spécialement honoré dans l’île d’Éléphantine, en face d’Assouan. Il protège
les sources du Nil. Des béliers lui étaient consacrés. On a retrouvé leurs
momies dans de précieux sarcophages.

Khonsou
Dieu de la Lune à Karnak, enfant ou jeune homme à tête de faucon. Son
nom signifie “celui qui voyage” comme la lune qui traverse le ciel.

Maât
Déesse, fille de Rê. Elle est coiffée d’une plume d’autruche, hiéroglyphe
de son nom qui signifie “vérité”, “justice”. “Parler selon Maât”, c’est dire la
vérité. Elle est présente dans la barque du Soleil et près d’Osiris qui juge les
morts.

Néfertoum
Dieu créateur du monde à Hermopolis. On le représente en bouton de
fleur de lotus, ou en adolescent coiffé d’un lotus, ou en jeune homme à tête
de lion, un lotus dans sa crinière. Le lotus est symbole de renaissance.

Neith
Déesse, coiffée de la couronne rouge de la Basse-Égypte, créatrice du
monde selon des textes gravés dans le temple d’Esna, mère du dieu Soleil.
On dit que c’est d’un de ses crachats que surgit Apopis, le serpent de cent
coudées qui attaque le Soleil. Les conseils de Neith sont très écoutés des
autres dieux.

Nekhbet
Déesse protectrice de la Haute-Égypte, du pharaon et de la reine.
Vautour, ou femme à coiffe de vautour, elle s’est occupée du petit Horus,
avec Ouadjet. Ensemble, elles symbolisent la paix et l’unité de l’Égypte.

Nephthys
Déesse, fille de Geb et de Nout, sœur et femme de Seth, mère d’Anubis.
Très proche de sa sœur Isis, elle porte une coiffe en forme de corbeille et
d’un plan de maison, hiéroglyphe de son nom. Elle est l’une des
protectrices des morts.

Nout
Déesse-Ciel, fille de Shou et de Tefnout, sœur et femme de Geb. Son
corps mince et étoilé se penche au-dessus de la terre, sa tête à l’est, ses
pieds à l’ouest. Dans une autre légende, elle a la forme d’une vache céleste.

Osiris
Fils de Geb et de Nout, frère et époux d’Isis, père d’Anubis et d’Horus.
Premier pharaon, il est trahi et assassiné par son frère Seth. Son corps
retrouvé par Isis, momifié par Anubis, il ne peut plus régner sur les vivants
mais il renaît pour être le maître et le juge de l’empire des morts. Dieu très
aimé, il représente l’espoir d’une vie éternelle dans l’au-delà.

Ouadjet
Déesse protectrice de la Basse-Égypte et du pharaon. Son nom signifie
“couleur de papyrus”. Cobra dressé coiffé de la couronne rouge, elle est
associée à Nekhbet pour protéger le royaume tout entier et prend place dans
la barque du soleil.

Ptah
Dieu créateur du monde à Memphis, il a l’aspect d’un homme
emmailloté des pieds à la tête, coiffé d’une calotte bleue et portant le pilier
djed, emblème de la durée, ainsi que le sceptre des dieux, l’ouas et la croix
de vie, ankh. Le taureau Apis est son représentant sur terre. Il protège les
artisans, spécialement les orfèvres.


Dieu créateur du monde à Héliopolis, il est le Soleil à son zénith,
représenté comme un homme à tête de faucon portant le disque du soleil.
Après avoir créé le monde, arbitré le combat de Seth et d’Horus et affronté
plusieurs révoltes des hommes, il se retire dans le ciel dans sa “barque des
millions d’années” qui traverse jour et nuit les nuées.
Selkis
Déesse protectrice des hommes et des morts, à tête de femme et corps de
scorpion. Elle est l’une des baby-sitters du petit Horus et s’y connaît en
magie.

Seth
Dieu, fils de Geb et de Nout, maître du Tonnerre, du Désert et des
Querelles mais aussi protecteur du Soleil. Assassin d’Osiris, il combat
Horus puis prend place dans la barque du Soleil. Il a l’aspect d’un animal
aux oreilles biseautées et au long museau, ou seulement sa tête, un corps
d’homme et une queue fourchue.

Shou
Dieu, fils d’Atoum-Rê, frère et époux de Tefnout, il est l’Air, le Souffle
vital, la Lumière. Homme portant une plume sur la tête, il peut aussi avoir
la forme d’un des deux lions (l’autre est Tefnout) qu’on appelle alors les
“Lions de l’Horizon”.

Sobek
Dieu des Eaux, fils de Neith, crocodile ou homme à tête de crocodile. On
lui consacre des crocodiles, choyés toute leur vie et momifiés après leur
mort.

Tefnout
Déesse, fille d’Atoum-Rê, sœur et femme de Shou, elle est l’humidité de
l’air, sa chaleur. Femme à tête de lion ou lionne, quand elle devient
redoutable.
Pour Flo, Guillaume et Alice.

Pour Marin (nom chinois :


Tigre de la paix) et Xiao-Lin .

Pour François (Constellation, en chinois).

Pour Alfred.

Pour Cheng Jiang Hong.


LES TROIS SOUVERAINS

Mystère
Comment l’univers est-il né ? En chinois, mystère…
Ce qu’on raconte dans cette immense terre qui ne s’appellera la Chine
que bien plus tard, c’est l’organisation du monde.
Dès l’Antiquité, on aime savoir quel dieu astucieux, quel ingénieur a mis
en place, et pour toujours, des systèmes que les hommes n’ont eu qu’à
continuer en remerciant les divinités d’avoir tout inventé.
La plus ancienne des histoires remonte au moment où terre et ciel sont
déjà peuplés par des êtres fabuleux. Des dragons et des immortels circulent
dans des eaux souvent déchaînées ou des paradis mystérieux. Cela se passe
dans un temps où les hommes n’existent pas encore.

Le pas de géant
Dans un paradis, Xuaxu, belle immortelle, se baigne dans l’eau douce du
lac du Tonnerre. En sortant, elle est intriguée par une empreinte
extraordinaire. C’est la trace d’un pied d’une taille si grande que seul un
géant a dû passer par là. Peut-être est-ce le propriétaire du lieu, le dieu du
Tonnerre lui-même, à tête d’homme et bouche en bec d’oiseau ?
Xuaxu pose son propre pied dans le pas du géant et continue son chemin,
légère.
Sans qu’on explique comment, elle a, un peu plus tard, un enfant, lui
aussi bien extraordinaire. Il s’appelle Fuxi. Son corps est moitié humain,
moitié serpent. Il a une tête d’homme, des dents de tortue et des lèvres de
dragon. Sa barbe blanche est si longue qu’elle tombe aussi bas que sa queue
de serpent !
Sur les pierres gravées où il est représenté, Fuxi tient une équerre, qui
symbolise le carré, le masculin.

Frère et sœur
Fuxi réside sur terre. Mais il peut, quand il veut, monter au ciel en se
servant d’un arbre immense comme d’un escalier : il touche terre par ses
racines et ciel par son sommet.
Fuxi sait tout de la religion et de la magie. Il a l’œil exercé. Il regarde
attentivement comment une araignée tisse sa toile et invente sur ce modèle
les filets qui pourront servir aux chasseurs et aux pêcheurs. Mais il n’y a
personne pour profiter de son enseignement, l’humanité n’est pas encore
née.
Fuxi a une sœur, Nüwa. Elle a comme lui une tête humaine et une queue
de serpent. Mais pas tout le temps : elle a le pouvoir de se transformer
comme elle veut. Pas plus de soixante-dix fois par jour quand même.
Nüwa tient un compas, signe du cercle, du féminin. C’est elle qui
imagine, la première, de peupler la Terre, en se promenant.

L’invention des hommes


En effet, Nüwa, un jour, prend un peu de l’argile jaune d’un étang et la
pétrit, très habilement. Elle forme des êtres inconnus jusque-là : des
hommes et des femmes, tels que nous sommes, tête ronde et pieds carrés.
Quand il y en a un certain nombre, elle se contente de tremper une corde
dans la boue et de la secouer. Chaque goutte qui tombe à terre devient un
homme ou une femme. Bientôt, il y en a une multitude.
On dit que les êtres d’argile sont devenus les nobles et les riches et que
les autres, les moins bien lotis, à peine formés, noirs de boue, ont eu comme
descendance les humbles et les pauvres.
Pour l’instant, tous ces êtres nouveaux ne savent rien faire, pas même des
enfants. Nüwa va leur apprendre.
LES TRIGRAMMES DE FUXI

Les huit trigrammes, appelés ainsi parce que, en chinois, on les écrit en trois parties,
sont les mots qui désignent des forces de la nature : le ciel , la terre , l’eau ,

le feu , la montagne , le tonnerre , le vent , la brume qui s’élève des lacs

Le travail des Souverains


Fuxi s’est installé sur le sommet carré d’une colline. Le souffle des huit
vents, venus des huit directions, est, nord-est, nord, nord-ouest, ouest, sud-
ouest, sud, sud-est, lui inspire la forme de huit trigrammes, huit figures qui
sont la première base de l’écriture chinoise.
Fuxi enseigne aux hommes la manière de chasser, de pêcher et de
commencer à écrire.
La vue d’un phénix le plonge dans de profondes réflexions.
Le phénix est un oiseau de légende, magnifique, un peu paon, un peu
faisan, un peu coq et, avec cela, très grand. Délicat, il ne mange que des
graines de bambou. Fuxi remarque qu’il se pose sur certains arbres, des
sterculiers, et pas sur les autres. Il a l’idée de faire couper un tronc de
sterculier particulièrement haut en trois morceaux et de frapper le bois. Le
morceau qui touchait terre sonne trop grave. Le morceau qui s’élançait vers
le ciel est trop aigu. Le morceau du milieu, celui que les hommes touchent
de leurs épaules quand ils s’appuient contre un arbre, donne un son juste, ni
trop haut, ni trop bas. Fuxi le fait sculpter et en tire la cithare. Nüwa invente
la flûte. Les hommes peuvent maintenant faire de la musique en l’honneur
des divinités.
Le travail de civiliser les hommes absorbe complètement Fuxi et Nüwa.
Dans les récits, on les appelle parfois “Souverains”, parfois “Augustes”.
Leur règne bienfaiteur dure cent vingt ans.
La révolte de Gonggong
C’est pendant ce temps qu’un monstre, ou dieu des Eaux, Gonggong, tout
à coup, se révolte. Est-ce par dépit de ne pas être le maître du monde, ou par
vengeance contre le dieu du Feu ? Tout est possible. De toute façon,
Gonggong n’est pas à prendre à la légère, car sa force est terrifiante. Il a un
visage d’homme, mais ses yeux restent fixes. Ses cheveux sont rouges, son
corps est celui d’un dragon. Il n’a jamais faim ni soif. Il s’élance de toutes
ses forces contre le mont Buzhou, l’une des quatre montagnes de la terre
qui supportent le ciel, au nord-ouest. Le choc est si violent que le ciel à cet
endroit se casse comme du verre. Un large trou se fait. Les étoiles, pour ne
pas tomber dans le vide, glissent vers l’ouest. Le coup ébranle aussi la terre
qui bascule vers le sud-est. Le désordre cosmique provoque des inondations
et des incendies. Du ciel troué peuvent surgir à n’importe quel moment des
calamités inconnues, pluies de feu, monstres, ou pire !

Pierres et poudre
Nüwa veut protéger les hommes, ses créatures. Elle forge des pierres de
plusieurs couleurs et essaie de réparer le ciel. Les pierres ne s’ajustent pas
très bien. Elle sacrifie une grande tortue et se sert de sa carapace et de ses
pattes pour dresser des piliers entre ciel et terre. Elle fabrique une poudre de
roseau pour colmater le trou du ciel. Elle ne réussit pas tout à fait : le ciel
n’est pas parfaitement rebouché et la terre reste inclinée. C’est pour cela
que les eaux des fleuves et des rivières, y compris la Rivière du Ciel (un
nom qui désigne la Voie lactée), se dirigent de ce côté et vont former la mer.
À cause de la nouvelle orientation de la terre, les saisons apparaissent, et les
fleuves baignent davantage de terres : les arbres, les fleurs, les moissons
verdissent, fleurissent et blondissent à qui mieux mieux.
Quelques-uns racontent que le soleil ne se risque plus dans la région où
Nüwa a rapiécé le ciel, tant bien que mal. Un bienveillant dragon s’est
installé là, un flambeau dans la gueule. Il ne peut pas empêcher les éclairs
de venir du vide, derrière lui, mais enfin il brille dans ce qui aurait pu rester
un trou noir.
Des pois d’un grand poids
Gonggong, pour sa part, est finalement vaincu par le dieu du Feu. Son
fils, son allié, un monstre aussi furieux que lui, est tué dans la bataille, mais
il renaît sous la forme d’un fantôme redoutable. Ceux qui le craignaient
possédaient heureusement une arme absolue contre lui. Le fantôme a une
faiblesse : il tremble de peur devant… une assiette de pois rouges ! Il suffit
d’en manger, le jour du solstice d’hiver. On est ainsi à l’abri de ses mauvais
coups pour l’année entière.

Le troisième Souverain
Un troisième bienfaiteur des hommes est connu : dans plusieurs récits, on
ne parle même que de lui, sans citer Fuxi ni Nüwa. Son nom est Shennong.
Si on le traduit, cela signifie “Divin Laboureur”.
Shennong, lui aussi, est né d’une immortelle. Elle marchait et ne prit pas
garde à un dragon venu des nuages qui heurta sa tête. C’est peut-être pour
cela que la propre tête de Shennong n’est pas celle qui va d’habitude sur un
corps d’homme : il a le museau, les oreilles, les cornes d’un buffle. Il sait,
lui, comment faire sortir de terre les six céréales qui vont pousser dans tout
le pays, du blé du Nord au riz du Sud. Il invente la charrue et l’art de s’en
servir. Il apprend aux hommes un peu plus d’écriture, de calcul, de quoi
faire du commerce. Il leur montre comment utiliser le feu pour des
sacrifices.

Dévoué jusqu’à la mort


L’incomparable savoir de Shennong, c’est celui de guérir par les plantes.
De son fouet, il frappe les fleurs, les fruits, les feuilles, les racines, et en
fait jaillir leur pouvoir. Il se les applique à lui-même et en tire les
conclusions : la poire séchée et sucrée est bonne contre la toux, l’aubépine
donne de l’appétit…
Shennong n’hésite pas à faire des expériences, il peut absorber jusqu’à
soixante-dix plantes par jour pour en connaître les secrets. Il finit par
s’empoisonner, par pur dévouement. Il avait quand même régné cent vingt
ans.

TERRE CARRÉE, CIEL ROND


Pour les plus anciens des Chinois, la terre est carrée.
Au-dessus d’elle, le ciel est rond et forme une coupole.
Au milieu de la terre se situe un empire qui a cinq directions, une à chaque point
cardinal : l’est, l’ouest, le nord, le sud et, sous le soleil à son zénith, le milieu.
Quatre montagnes soutiennent le ciel comme des piliers, et les quatre Souverains des
points cardinaux y ont chacun leur palais. Ils réglementent des divinités de la nature, du
vent et des eaux ainsi que des animaux fabuleux. Ils sont tous les quatre soumis au plus
puissant d’entre eux, l’Empereur du Milieu, appelé aussi Empereur jaune ou Empereur
céleste.
Au-delà des quatre côtés de l’Empire, s’étendent des terres inconnues où vivent d’autres
hommes, des étrangers, des barbares. Après leurs terres commencent quatre mers, puis
c’est le vide, sans doute des royaumes pour des démons. Rien de bon ne peut venir de là.
LES HISTOIRES DE P’AN KOU

Il existe deux autres histoires de création du monde, plus récentes que


celle des trois Souverains. Mais elles sont très connues en Chine, et on y
voit, de façon bien différente, le même héros, P’an Kou.

L’œuf du monde
Au début du monde, le ciel et la terre sont mêlés. Ils forment un œuf
d’une seule et même matière. Au milieu de cet œuf se tient P’an Kou.
Il grandit dans l’œuf pendant dix-huit mille ans.
Au bout de ce temps, P’an Kou est assez semblable à un géant, un géant
déjà très, très grand. Alors, il s’éveille et, d’un coup de hache, fend son abri,
l’œuf du ciel et de la terre.
C’est ainsi que le monde vint au monde, car le coup de hache de P’an
Kou sépare le ciel, qui s’élève, et la terre, qui s’étend.

Des puces et des hommes


Le ciel au-dessus, la terre en dessous et P’an Kou au milieu, tous les trois
continuent de grandir, de nouveau pendant dix-huit mille ans. Le ciel est de
plus en plus haut, la terre de plus en plus profonde et P’an Kou, qui remplit
l’espace entre les deux, de plus en plus grand.
Quand le ciel et la terre ont leurs dimensions parfaites, ils cessent de
grandir et se tiennent immobiles. Alors, P’an Kou meurt, ou plutôt toutes les
parties de son corps se transforment : sa poitrine, son ventre, ses bras et ses
jambes deviennent des montagnes. Ses deux yeux prennent place dans le
ciel : son œil gauche est le soleil, son œil droit, la lune. Sa respiration se
confond dans les nuages et le vent. Sa voix gronde dans le tonnerre. Son
sang forme les fleuves. Ses poils se hérissent en arbres, sa barbe étincelle
dans les étoiles.
Un texte ajoute même que ses puces deviennent… les hommes, ainsi que
les quatre autres espèces qui forment avec les hommes les êtres vivants : les
animaux, les plantes, les esprits et les fantômes.
Ainsi toutes les catégories des êtres vivants sont de la même famille,
puisqu’ils sont nés de la même façon. Ils sont aussi intimement liés à la
nature, au cosmos, car tout est issu de P’an Kou.

LE YIN ET LE YANG

Dans la pensée chinoise, on analyse souvent les éléments naturels en disant qu’ils sont
yin ou yang. L’élément chaud et léger de l’œuf du monde qui va donner le ciel est l’élément
mâle : il est yang. La partie plus lourde, plus froide de l’œuf qui forme la terre est l’élément
femelle. Il est yin.

Un chien pour ancêtre


Pour les Yao, Chinois du Sud, les hommes sont bien nés de P’an Kou,
mais d’une autre manière. Pour eux, P’an Kou est un chien, un chien peu
ordinaire. D’abord, il est né d’un insecte encore en cocon. Oui, un cocon !
Et ce cocon, d’où sortait-il ? De l’oreille d’une dame du Palais, dans
l’Empire céleste.
La dame s’était bien demandé, pendant trois ans, ce qui pouvait lui faire
si mal à l’oreille. Or, c’était ce cocon qui, aussitôt apparu, se transforme en
chien. Pas n’importe quel chien. Un chien de cinq couleurs !
Ce chien exceptionnel ne peut avoir pour maître que l’Empereur céleste.
Il reçoit le nom de P’an Kou et vit à la cour.
P’an Kou, né d’une oreille, redresse les siennes quand il entend
l’Empereur se mettre en colère. Une troupe de rebelles cherche à lui prendre
son trône.
– Celui qui m’apportera la tête de leur chef recevra en récompense ma
fille cadette, une montagne d’or et une ville à gouverner ! proclame
l’Empereur.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Voilà la tête du général Wu, l’ennemi de
l’Empereur, rapportée au Palais. Mais par qui ?
Par P’an Kou.
Il est allé, lui, au camp des rebelles. Personne ne s’est méfié d’un chien.
Il s’est faufilé, approché du chef, jeté sur lui, à coup de dents, de pattes, de
griffes. Le général en a perdu la tête !
L’Empereur est fort satisfait : son ennemi est mort et il est sûr de garder
sa fille, sa montagne d’or et sa ville, car un chien ne peut pas épouser une
femme ni gouverner.
– Ah, mais si, dit la cadette. Une promesse est une promesse.
Elle exige son mari, chien ou pas chien. L’Empereur, la mort dans l’âme,
doit accepter, à condition que les jeunes mariés quittent le Palais et même le
pays. Le mariage a lieu à la cour. Puis P’an Kou prend sa jeune femme sur
son dos chamarré. Ils vont vivre sur une île, disent certains, dans des grottes
de la région du Hunan, disent d’autres. Leurs enfants sont les ancêtres d’un
peuple qui aime encore s’habiller de couleurs éclatantes, en souvenir sans
doute du chien multicolore qui épousa la Princesse.

La cloche de P’an Kou


Il y a une autre version de la fin de l’histoire.
Quand l’Empereur se rend compte que le vainqueur de Wu est un chien,
il se réjouit, mais bien sûr, il ne pense pas qu’il doive tenir sa promesse. Qui
donnerait sa fille à un chien ?
P’an Kou voit ça avec tristesse. Un chien triste a une mine que tout le
monde peut comprendre. L’Empereur s’en aperçoit et lui demande ce qu’il
a. Alors P’an Kou se met à parler ! Il dit qu’il peut parfaitement devenir un
homme si cela gêne l’Empereur de voir sa fille se marier avec un chien :
pour cela, il doit passer sept jours sous une cloche en or, c’est tout.
Évidemment (mais il ne l’a pas dit), personne ne doit le voir, pendant ces
sept jours. Cinq jours se passent, mais le sixième, la Princesse, qui est
curieuse, n’y résiste plus : elle regarde sous la cloche. P’an Kou est presque
un homme : il en a les jambes, les bras, le corps mais pas encore la tête. Le
charme est rompu, impossible de finir la transformation. P’an Kou gardera
sa tête de chien. Pourquoi pas ? Le mariage a lieu dans un pays secret, et
leurs trois fils et leur fille (sans tête de chien) sont les premiers êtres
humains.
LE PREMIER DES CINQ EMPEREURS

Après les trois Souverains, Fuxi, Nüwa et Shennong, cinq divinités,


toutes appelées Empereurs, vont se succéder. À ne pas confondre avec les
empereurs de Chine, ces personnages historiques qui ont unifié et gouverné
le pays, de dynastie en dynastie.
À dire vrai, les empereurs de l’histoire de Chine seraient bien contents
qu’on les identifie avec les Empereurs de la mythologie. Pour assurer leur
pouvoir, ils ont décrété que les dieux étaient leurs ancêtres. Pour
authentifier cela, ils ont fait écrire sous leur règne des chroniques où les
dieux portent le titre d’empereur. Ce titre, logiquement, s’est transmis de
successeur en successeur jusqu’à eux. C’est ainsi que les empereurs de
Chine ont fait établir qu’ils étaient les Fils du Ciel.

L’Empereur jaune
Parmi les cinq Empereurs de la mythologie, Huangdi, l’Empereur du
Milieu est le premier. On l’appelle aussi l’Empereur jaune, de la couleur de
la terre. Le dieu de la Terre, Huandu, se tient d’ailleurs souvent près de lui,
en serviteur dévoué.
Huangdi est le demi-frère cadet de Shennong. C’est à ce titre qu’il lui
succède. On raconte que sa mère se trouvait sur une colline quand un arc-
en-ciel ou bien un nuage zébré d’éclairs apparut. Au même instant, le
tonnerre résonna. Elle conçut ainsi Huangdi qui possède dans certaines
histoires une tête de dragon pleine d’intelligence.

Un inventeur
Au cours de son règne, Huangdi invente des quantités de choses qui vont
de l’art militaire au jeu de ballon en passant par une révolution : l’invention
de la cuisson des aliments. Car si son prédécesseur, Shennong, a su faire
pousser les céréales, personne n’avait encore eu l’idée de les faire cuire
avant de les manger. Or les hommes de ce temps-là goûtaient aussi déjà la
viande, les poissons, les savoureux coquillages. Mais crus. Et crus, la
viande, les poissons, les coquillages même savoureux ne restent pas très
longtemps frais. Bien des hommes eurent des maux d’estomac, des coliques
et même pire, avant que Huangdi trouve le moyen de rôtir, bouillir, braiser,
saisir, sauter, fricasser animaux et végétaux.

LES EMPEREURS DU SUD, DE L’EST, DE L’OUEST, DU NORD

Les Empereurs des quatre points cardinaux, au service de l’Empereur du Milieu, se


partagent les saisons, les éléments et les couleurs. Chacun a son animal.
L’Empereur du Sud règne sur l’été, le feu, le rouge. Le phénix est son animal.
L’Empereur de l’Est est celui du printemps, du bois, de la couleur bleue. Un dragon bleu
est son emblème.
L’Empereur de l’Ouest a en partage l’automne, l’or, le blanc. Un magnifique tigre blanc le
protège.
L’Empereur du Nord est l’hiver, l’eau, le noir. Un animal mi-serpent, mi-tortue
l’accompagne.

Huangdi contre Chiyou


Mais la grande gloire de Huangdi, c’est d’avoir dompté des animaux :
des ours, des lynx, des tigres, des loups, des léopards, des aigles. Et pas
pour les mettre en cage. Pour les enrôler dans ses armées.
Car Huangdi a des ennemis. Il se bat d’abord contre Yandi, divinité des
Flammes, Empereur du Sud, et il en triomphe.
Puis se dresse Chiyou.
Chiyou est un ministre de Huangdi et lui doit obéissance. Comme ses
ailes l’indiquent, Chiyou est une divinité des Vents. Mais il a aussi une
lourde tête en bronze, des cornes, des oreilles poilues, six mains et six
pieds, ou, pour d’autres, des sabots de buffle. Il est habile et intelligent. Il
sait l’art de fondre les métaux et passe pour l’inventeur des armes, lances,
sabres, épées en tous genres.

Au secours de Yandi
Le combat commence le jour où il cherche querelle à Yandi que Huangdi
vient de soumettre. Chiyou est si menaçant que Yandi s’enfuit. Chiyou le
pourchasse et recrute comme guerriers des hommes, dans le sud du pays.
Yandi en débandade demande à Huangdi, son suzerain, de l’aider.
Huangdi est furieux qu’un de ses ministres se rebelle, et de plus, mêle à
cela des hommes, qui n’ont rien à faire dans ces histoires de dieux. Avec
son avant-garde de léopards, de tigres et d’ours, il se lance à l’attaque.

Armes et magie
Chiyou, maître du Vent, provoque une brume, dense, cotonneuse, qui
enveloppe soudain toute l’armée. Déroutés, les assaillants s’arrêtent,
marchent à l’aveuglette, se dispersent, se perdent, ou attirent Chiyou par les
cris qu’ils poussent et se font massacrer.
Huangdi creuse sa belle tête de dragon et trouve une idée. Il convoque
plus fort que Chiyou : le prince des Vents, son obligé.
– Sors-nous de ce cauchemar, ordonne Huangdi.
Le prince des Vents met au point sur-le-champ une sublime girouette : un
petite statue debout sur un char, qui fonctionne dans la brume, le brouillard
et toute situation météorologique compliquée. Elle commence par virevolter
puis s’arrête dans une direction. Celle du vent ? Non ! Celle du nord ? Pas
forcément : elle pointe du côté de la sortie, comme le lui a demandé
Huangdi !
Chiyou a beau faire par magie tourner la brume de-ci, de-là, chaque fois,
la statuette indique le quart de tour, demi-tour, tour complet à effectuer pour
lui échapper.
Chiyou, de colère, frappe le sol de ses sabots de buffle. Plus forte que la
brume, une tempête se déchaîne pour engloutir Huangdi.
La fille de l’Empereur
Heureusement, l’Empereur a une fille, Ba, capable de provoquer la
sécheresse. Il la fait descendre du ciel. Elle souffle, souffle, la pauvrette,
chauve et vieillotte comme elle est, jusqu’à l’épuisement. Le sol enfin
s’assèche.
La malheureuse Ba n’a plus la force de remonter au ciel. Sa seule
présence chasse autour d’elle toute trace d’humidité. Plus une goutte d’eau.
La terre se fendille, se craquelle, le désert apparaît. Huangdi ordonne à Ba
de s’en aller, là-bas, vers le nord ; ce qu’elle fait. C’est pourquoi elle est sur
terre, depuis ce temps. Elle va et vient, et parfois s’attarde un peu trop dans
le Sud. Avec elle, la sécheresse s’installe. Les hommes doivent prononcer
des formules rituelles pour la chasser.

Le châtiment de Chiyou
Chiyou, toujours rebelle, a fait alliance avec des géants. Mais l’Empereur
jaune est le plus fort. Chiyou est fait prisonnier. Son sort est fixé d’avance :
condamné à mort. L’exécution est rapide : il est décapité avant même
d’avoir enlevé son armure. Les feuilles d’érable s’en souviennent encore.
Elles sont rouges d’avoir reçu des gouttes de sang du rebelle. Et c’est bien
la tête de Chiyou qui est tranchée, non le cou : l’armure lui monte jusqu’aux
dents. Le coup fatal passe donc au-dessus, au niveau de nos oreilles (non
des siennes, car Chiyou n’avait pas les oreilles de tout le monde, les siennes
se dressaient en haut de sa tête). Cela expliquerait “le masque de taotie”,
cette tête sans bouche ni menton qu’on voit gravée sur les vases, trépieds,
boucliers et objets de bronze afin de rappeler la toute-puissance de
Huangdi, l’Empereur du Milieu. Au passage, cela ne manque pas d’effrayer
les esprits ou quiconque voudrait se rebeller comme Chiyou.

Le nouveau règlement
Huangdi n’a pas oublié que Chiyou a pu entraîner des hommes dans son
combat. Cela ne pourra plus se faire. Il fait établir que désormais les
divinités du Ciel ne pourront plus descendre sur terre sans autorisation. Les
dragons leur serviront de moyen de transport. Le seul autre rôle des dragons
sera de provoquer la pluie. Ils vivront désormais dans les mers, les rivières,
les nuages. C’est le début de l’Empire céleste, une organisation très précise,
une multitude de règlements. On appelle cela la bureaucratie céleste.

Les dieux des Portes


Ainsi Huangdi réglemente l’emploi de deux frères, Shentu et Yulü : il les
charge de surveiller les esprits qui errent la nuit et doivent impérativement
se présenter le matin au sommet du Dushuo, une montagne de l’Est. Chaque
esprit est sévèrement inspecté. S’il a, pendant la nuit, fait injustement du
mal, les deux gardiens le ligotent avec des cordes de roseaux au tronc d’un
arbre, un magnifique pêcher. Et là, sans recours possible, des tigres le
dévorent.
Cette histoire plaît aux hommes dès l’Antiquité. Ils placardent sur les
portes des maisons des images des deux frères, devenus dieux des Portes, et
celles des tigres, pour barrer l’entrée aux mauvais esprits. Le jour d’une
fête, au solstice d’hiver, on y ajoute du bois de pêcher et un balai de
roseaux. Car un tel balai a la réputation de vous débarrasser, en plus des
démons, des vieux soucis qui vous trottent dans la tête et vous gâchent la
vie.

Huangdi fait encore beaucoup de lois, beaucoup de bien. Puis un jour, il


meurt. Un dragon l’emporte sur son dos vers le paradis. Ses ministres n’ont
pas voulu l’abandonner. Ils se sont envolés avec lui, accrochés à la barbe du
dragon !
YU LE HÉROS

Après Huangdi, d’autres Empereurs gouvernent les hommes. Chacun leur


apprend des secrets divins.
Le quatrième après Huangdi s’appelle Yao.
Le père de Yao est un dragon rouge, et sa mère est restée enceinte de lui
pendant quatorze mois.
À vingt ans, Yao est connu dans tout le pays pour sa sagesse et
l’Empereur le choisit comme successeur.

Le déluge
Soudain, un déluge aussi fort qu’inexpliqué bouleverse la nature : terres
et mers sont de nouveau mélangées. Toute la création du monde est à
démêler : les eaux couvrent et découvrent la terre comme si elles voulaient
l’enfoncer. Les hommes, qui n’ont pas tous péri dans cette gigantesque
inondation, se réfugient sur des sommets ou des îlots qui dépassent, mais ils
sont en grand danger : non seulement on ne sait plus où finit la terre, où
commencent les flots, mais en plus, les seuls êtres qui surgissent parfois
parmi les vagues sont d’énormes et noirs serpents ou des dragons
impressionnants. Vont-ils rester les seuls maîtres des lieux ? Qui peut
remettre de l’ordre dans ce chaos ?

L’idée de Gun
Face au déluge, l’Empereur Yao charge Gun, homme réfléchi, de
combattre les inondations. Avant même de commencer, Gun sait qu’il n’est
pas question d’échouer. Dans ces temps héroïques, on frappe, on coupe les
têtes, on fend les corps très facilement en cas d’insuccès.
Gun a l’idée d’installer d’immenses digues qui contiendraient les flots.
Le fleuve enfle, gonfle contre les digues. Il les dépasse et se déverse sur le
rivage. Il noie tout sur son passage. Gun n’a pas résolu le problème. Il l’a
même aggravé.
Il est jugé coupable et condamné à mort.
Le voilà mort.
Son corps gît au sol, sans vie, et reste ainsi.
Trois ans se passent.

LES DRAGONS

Les dragons chinois sont bienveillants, à condition de ne pas attirer leur colère ! On les
invoque pour obtenir la pluie, mais ils peuvent aussi provoquer le tonnerre. Au printemps, ils
sortent des eaux et s’élancent dans le ciel en chevauchant les nuages. Ils peuvent avoir
neuf formes différentes. Certains ont des écailles, d’autres des ailes ou des cornes. On
reconnaît celui qui symbolise l’Empereur à coup sûr : c’est le seul à avoir cinq griffes à
chaque patte.

L’idée de Yu
Pendant ce temps, Shun, gendre de Yao, lui a succédé.
L’Empereur Shun dépêche l’un de ses messagers auprès du corps de Gun,
toujours allongé, intact, à la place où il est tombé. Le messager a sur lui une
hache, et d’un coup, il fend la dépouille.
Du corps surgit tout cornu un dragon qui se change en homme. C’est Yu,
considéré comme le fils de Gun, qui se met au service de Shun et
entreprend d’arrêter les inondations.
Yu tire les leçons des échecs de son père Gun. Puisque Gun n’a pas réussi
en élevant des digues, Yu, lui, va creuser le lit du fleuve.
Il n’aurait peut-être pas réussi sans son bon assistant, le dragon Yinglang,
un habitant du fleuve qui peut sans crainte plonger dans les eaux
tourbillonnantes. Yu suit le rivage sur son cheval Fein Jueti, un infatigable,
capable de parcourir quinze mille kilomètres par jour. Il descend de son
cheval quand Yinglang, de sa queue, lui montre où il faut creuser, et se met
au travail.

Le succès de Yu
Leurs efforts sont couronnés de succès. Les eaux baissent, le fleuve se
calme et son dieu se montre : il s’agit de Hébo, connu également sous son
titre de comte du Fleuve. Puis un serpent géant conduit Yu dans une grotte
où se tient Fuxi en personne. Fuxi donne à Yu une plaque de jade qui
mesure la terre et le ciel.
Yu continue son travail. L’eau est canalisée, mais la terre reste
infranchissable.

La force de l’ours
Yu prend l’aspect d’un ours pour fendre en deux la montagne et créer
ainsi un premier passage, la passe du Dragon. Puis il casse en trois le mont
suivant. En déblayant rocs et rochers, il dégage la passe des Trois-Portes. Il
aménage ainsi défilé sur défilé, non sans assommer en passant un dragon
anonyme qui s’était permis de percer la montagne à un endroit inutile.
Ce travail harassant lui prend treize ans. Entre-temps, sous son aspect
d’homme, il épouse une jeune fille, sans lui révéler qu’il se transforme en
ours quand il travaille. Elle veut le suivre dans la montagne. Très bien. Ils
conviennent qu’elle attendra son appel, un coup frappé sur un tambour, et le
rejoindra en lui apportant son repas. Puis elle partira quand il reprendra son
déménagement de titan.

L’enfant de Yu
Un jour, une pierre tombée par hasard fait résonner le tambour. La jeune
femme croit que c’est le signal et s’empresse de monter vers le chantier de
Yu. Celui-ci, qui ne s’y attend pas, a son aspect d’ours. Elle ne l’a jamais vu
ainsi. Elle prend peur. Malgré les cris de Yu, elle s’enfuit et, dans sa course,
se transforme en pierre. Yu, qui la suit, frappe la pierre. Elle se fend, et de
l’ouverture jaillit leur enfant. Yu n’a plus de femme, mais il a un fils, qu’il
nomme Qi et qu’il emmène avec lui.

Yu devient Empereur
L’Empereur Shun a vieilli. Pour récompenser Yu, il le nomme son
successeur. Le nouvel Empereur est lui-même assez fatigué : ses grands
travaux ont raidi ses articulations et paralysé certains de ses muscles. Il
sautille plutôt qu’il ne marche, mais il connaît tout le pays. Il dessine les
plans des neuf provinces et inscrit le nom des monstres qui s’y cachent afin
que tous s’en méfient. Il fait apporter assez de minerais de toutes les parties
du royaume pour les fondre en neuf trépieds de bronze et y graver les plans.

Trépieds et cupidité
Lourds, splendides, les trépieds sont placés aux portes du palais. Ils
attisent la convoitise d’un souverain voisin qui fait le raisonnement suivant :
“Puisque les trépieds font partie du trésor impérial, celui qui les possède a
le droit d’être Empereur. Tâchons donc de nous en emparer.”
Yu, qui n’est pas né de la dernière pluie, apprend ce projet et fait
transmettre ce message au roi cupide : “Le droit de régner est donné par les
qualités qu’on a pour cela et non par un, ou deux, ou neuf trépieds.” Le
voisin comprend la leçon et n’essaie même pas de s’approcher des trépieds.
Bien plus tard, un successeur des successeurs de Qi, devenu empereur lui
aussi, veut transporter les trépieds dans sa nouvelle résidence. Une force
magique attire alors huit des trépieds dans les airs où ils disparaissent. Le
neuvième plonge dans la rivière.
Plus tard encore, Qin Shi Huangdi, premier empereur de la dynastie des
Qin, voulant en avoir le cœur net, donne un ordre sans réplique : “Que mille
soldats fouillent le fond de la rivière.”
Alors un dragon surgit de l’eau, casse la corde qui tirait le trépied, et
effraie pour toujours les pêcheurs de trésors.
C’est ainsi que dans l’eau que Yu sut dompter, le neuvième et impérial
trépied tout de bronze et tout gravé garde son mystère.
AUX PARADIS CHINOIS

Le paradis des dieux


Le paradis des dieux chinois est là où réside la Reine-mère de l’Ouest,
Hsi Wang Mu. Il est presque inaccessible, juste sous l’Étoile polaire.
Le palais de la Reine est une montagne de jade, au nord du mont Kunlun,
qui touche terre à son pied et ciel à son sommet.
Elle est bien gardée, la Reine-mère de l’Ouest. Une forêt en feu, des
animaux magiques, des remparts d’or, des sables mouvants protègent son
splendide jardin suspendu.
Selon les histoires, elle a deux aspects très différents. On la représente
avec un visage de femme, de longs cheveux flottants, des dents de tigre, une
queue de léopard. Elle est servie dans sa caverne par des oiseaux bizarres,
verts, à trois pattes. Mais sur d’autres images, c’est une jolie jeune femme,
entourée de gracieuses servantes, dans un palais raffiné. Elle organise des
fêtes et des jeux près d’un lac étincelant, car le moindre de ses cailloux est
une pierre précieuse. On en trouve de sept sortes, dont le jade, la plus
appréciée.

Pêches et pêchers d’immortalité


Le temps n’a pas d’importance sur cette terre où pousse le pêcher
d’immortalité. Quiconque goûte une de ses pêches devient immortel. Les
pêches mûrissent tous les six mille ans : il faut d’abord que le pêcher ait des
feuilles (tous les trois mille ans), puis des fruits (trois mille ans plus tard).
Alors, on déclare que c’est l’anniversaire de la Reine-mère de l’Ouest. Les
immortels sont conviés à un repas de gala où l’on sert (entre autres) des
pattes d’ours et du foie de dragon avant de goûter aux pêches d’immortalité.
Parfois un humain est invité à ce festin, en remerciement d’exploits
extraordinaires. Et puisqu’il a croqué la chair savoureuse de la pêche
d’immortalité, il peut venir vivre, festoyer et jouer à l’infini sur cette
montagne bienheureuse, après sa vie terrestre. Il est devenu immortel.

Les paradis des hommes


Les êtres humains, les sages, les saints, qui ont mérité la vie éternelle
grâce à leurs vertus, y gagnent des plumes, des ailes et une pâleur diaphane.
C’est ainsi qu’on les représente sur les peintures et les décors chinois.
Ils vivent une vie de rêve dans des îles montagneuses, dans une mer bien
réelle, la mer de l’Est. Leurs habitants séjournent dans des palais blancs,
entourés d’animaux blancs, eux aussi. On y fait des festins et il y pleut des
fleurs. L’herbe elle-même est un trésor : elle sert à confectionner un élixir
d’immortalité. Rien que pour cela, des empereurs ont envoyé des navires,
des armées entières, pour essayer de trouver ces îles. Mais elles sont
enchantées et changent de place dès qu’un bateau risque de les apercevoir.

Perles, or et jade
Les sages ne s’en soucient pas. Chaque matin, ils se rendent visite, d’île
en île. Chaque soir, ils rentrent, à vol d’oiseau. Dans leurs jardins qui
s’étendent sur sept terrasses, des arbres offrent des perles et des fruits de
jade qui sont la nourriture des immortels. Leurs branches se balancent au
vent en faisant une douce musique. Des lotus en fleur ornent les étangs
bordés de pierres précieuses. Leur eau transparente révèle un fond pavé de
poudre d’or. En effet, en plus de tous leurs privilèges, les habitants de ces
contrées connaissent le secret de la fabrication de l’or.
Mais, même au séjour des bienheureux, rien n’est parfait.

La dérive des îles


Au début du monde, cinq îles flottent dans la mer de l’Est comme des
barques gracieuses sous le vent, et disparaissent dès qu’un pirate éventuel
apparaît. Parfois – rarement, mais, c’est vrai, parfois – en se laissant bercer
par le courant, les îles heurtent légèrement la côte.
Cela agace certains habitants qui finissent par s’en plaindre à l’Empereur
céleste.
Celui-ci considère la plainte et donne les ordres suivants à un dieu du
Vent marin, Yuqhiang :
Premièrement : se procurer quinze magnifiques tortues.
Deuxièmement : affecter trois tortues à la garde de chacune des cinq îles.
Troisièmement : mettre une tortue sous chaque île, en plaçant celle-ci sur
la tête levée de l’animal. Faire patienter à côté les deux autres tortues.
Quatrièmement : changer de tortue tous les soixante mille ans.
Le plan est exécuté à la perfection jusqu’au troisièmement.

Le géant du Royaume du comte des Dragons


Avant même qu’on ait besoin des deuxièmes tortues, un géant du
Royaume du comte des Dragons vient pêcher dans la mer de l’Est. Le
comte, son roi, veut des tortues, afin de faire lire l’avenir sur leurs
carapaces mises au feu. En quelques enjambées, le pêcheur n’a aucun mal à
repérer six des tortues immobilisées pour soixante mille ans. Il les déloge
sans ménagement. Puis, il les empile sur son vaste dos et retourne dans son
pays.

Le naufrage
Les deux îles qui ont perdu leurs amarres, Daiyu et Yuanjiao, dérivent
vers le nord. Or, là-bas, les tempêtes font rage. Les vagues sont si hautes
qu’elles ne tardent pas à submerger les îles. Les beaux palais, les arbres,
tout sombre bel et bien. Leurs immortels étant immortels, ils ne se noient
pas, mais se retrouvent d’une manière tout à fait inconfortable perdus en
pleine mer.

La colère de l’Empereur
La colère prend l’Empereur céleste qui condamne le Royaume du comte
des Dragons à rapetisser, et les géants eux-mêmes à n’avoir plus qu’une
taille ridicule pour un géant (ils restent quand même beaucoup plus grands
que le commun des mortels). Il vérifie ensuite la bonne forme des tortues
des trois îles rescapées, Penglai, Fangzhang et Yingzhou. Elles sont bien là
et, cette fois, cela va durer l’éternité.

LE JADE

Le jade est une pierre dure. Sa couleur va du blanc au vert, en passant par le beige, le
brun et le gris. On le taillait et on le polissait dans la Chine ancienne avec tant de soin que
les bijoux ou les objets religieux en jade sont d’un grand prix. On a retrouvé des disques
plats sculptés dont le nom chinois bi signifie aussi “trésor”.
Le jade passait aussi pour être un porte-bonheur.
LES DIX SOLEILS ET LA LUNE

Dans cette histoire, Xihe est l’une des femmes de l’Empereur céleste Jun
di. Ils ont eu ensemble dix extraordinaires enfants : des garçons uniques en
leur genre, des soleils ! Chaque matin, l’un d’eux traverse la vallée des
Lumières, tout à l’est du monde, et cela donne l’aube sur la terre.

Les enfants soleils


La mère des soleils les baigne dans le lac de la vallée, près d’un arbre
splendide, un mûrier aux multiples branches, dont le nom chinois est
fusang. Après le bain, les dix petits soleils grimpent dans l’arbre. Neuf
s’installent dans les branches basses. Le dixième continue l’escalade
jusqu’en haut, et de là, bondit dans un char qui l’attend.
Le char est majestueux. Il est tiré par des dragons étincelants et conduit
par la mère des soleils en personne. Les dragons s’élancent. Le voyage va
durer toute la journée. Le char et ses occupants traversent le ciel jusqu’au
sommet de la montagne la plus à l’ouest, près d’un arbre aux fleurs rouges,
si haut qu’il atteint le ciel. Le char s’arrête. On détache les dragons qui
batifolent dans les nuages. L’enfant-soleil descend le long des branches de
l’arbre aux fleurs-étoiles qui brillent dans la nuit tombante.
Comment le soleil et sa mère repartent-ils vers l’est ? Il n’y a pas
d’explication, mais on les retrouve le lendemain pour un nouveau jour.

Une mauvaise idée


Un matin, par jeu, les dix soleils sont tous montés dans le char. Dès la
première heure du jour, la chaleur a été suffocante sur la terre.
Alors l’Empereur Jun, en colère, a envoyé Yi, son divin archer, pour
rétablir l’ordre et faire descendre neuf des soleils.
Yi est un héros. Il a déjà bien mérité de l’Empereur Jun. Il a arrêté des
inondations en débusquant le responsable, le comte de la Rivière, un esprit
pas commode avec une tête d’homme sur un corps de poisson. Quand Yi l’a
trouvé, il n’a pas hésité à l’interpeller, et même à l’injurier, et il a tiré sur lui
ses flèches invincibles.
Le comte de la Rivière était accompagné de sa jeune sœur, Chang’e, une
belle jeune femme. Yi la visa elle aussi, mais cette fois pas exactement, si
bien que la flèche ne fit qu’effleurer ses cheveux. Elle prit cela comme une
déclaration d’amour et fut d’accord pour devenir sa femme.

LE TIR À L’ARC

Dans la Chine ancienne, le tir à l’arc est à l’honneur.


L’éducation des princes et des jeunes nobles comprend six grandes disciplines : la
connaissance des rites, la musique, l’écriture, la divination, la conduite d’un char et le tir à
l’arc.
L’Empereur lui-même participe à des sacrifices aux dieux en tirant une flèche sur
l’animal offert.

La solution de Yi
Yi se rend rapidement sous le char brûlant des dix soleils. Il ne perd pas
son temps à leur faire des sommations. Il n’a qu’une méthode : avec son arc
infaillible, il tue, un à un, neuf de ces étourdis. De chacun, au moment où il
tombe, s’envole son esprit, un corbeau doré à trois pattes.
L’Empereur entre dans une colère plus grande encore. Il n’a pas demandé
qu’on tue ses fils. Pour punir Yi l’archer, il lui fait perdre son immortalité. Il
le condamne à être un simple mortel.
Yi n’est pas d’accord. Il a rétabli l’ordre. Les soleils ne pourront plus
refaire leur farce : il n’en reste qu’un. On verra encore parfois dans les
temps à venir plusieurs soleils à la fois dans le ciel. Mais ce sera comme un
mirage, un présage, l’annonce d’une catastrophe ou d’un changement
important, la nomination d’un nouvel empereur, par exemple.

Yi et la Reine-mère du paradis de l’Ouest


Yi, bien décidé à redevenir immortel, prend le chemin qui mène au palais
merveilleux de Hsi Wang Mu, la Reine-mère du paradis de l’Ouest, sur le
mont Kunlun. La souveraine est sensible à son charme et lui accorde
volontiers une poudre (d’autres disent des pilules) d’immortalité. S’il en
prend la moitié, il retrouvera sa longévité éternelle, mais s’il prend tout, il
aura en plus, accès au paradis des immortels.

Yi, Chang’e et la lune


Yi ne se décide pas tout de suite et rapporte ce trésor chez lui. La
tentation est trop forte pour Chang’e, sa femme. Elle se dépêche de tout
emporter et court se cacher le plus loin, le plus haut possible, sur la lune.
Elle y est encore, dans un palais glacé, le palais de la Solitude.
On raconte aussi qu’elle a trouvé, en arrivant sur la lune, un lapin qui l’a
défendue quand Yi l’archer l’a poursuivie. Le lapin est maintenant occupé à
préparer éternellement l’élixir, et éternellement, en le buvant, Chang’e
prend la forme d’un crapaud, animal divin.
Il y a parfois avec eux un troisième personnage, une vieille femme, peut-
être la Reine-mère de l’Ouest, qui fait des fagots. Elle ramasse les branches
d’un arbre mystérieux qui n’en finit pas de pousser. Est-ce un arbre à
cannelle ou un arbre à casse, dont les fruits servent à faire une purge ?

Le fantôme de Yi
Yi, sur terre, rumina sa colère. Il devint sauvage et violent. Il se disputa
avec tout le monde. Ses voisins exaspérés décidèrent de le tuer. C’est ce
qu’ils firent, en le battant avec un bâton taillé dans un pêcher. Yi devint un
esprit et retrouva sa bienveillance : il est connu pour protéger contre les
épidémies, les inondations et autres tempêtes.
LA LUNE

En septembre, on fête la lune. On se promène le soir en la regardant se refléter sur l’eau


ou briller tout en blanc. Les enfants portent gaiement des lanternes de papier coloré. On
mange des petits gâteaux au goût de datte ou de melon d’eau, très sucrés et appelés, bien
sûr, “gâteaux de lune” !
Certains rêvent : ils se souviennent d’une légende qui raconte que sur la lune vit un
vieillard. Il inscrit sur des listes les noms de ceux et de celles qui vont se rencontrer et se
marier. Et si c’était nous, cette année ?
LE BOUVIER ET LA TISSERANDE

Le ciel n’avait pas toutes ses étoiles quand commence cette histoire.
Un jeune homme, orphelin, vit, bien obligé, chez son frère et sa belle-
sœur qui ne l’aiment pas. Il travaille durement aux champs. Son seul
compagnon est le buffle de la maison. Il le soigne, le nourrit, le panse, et le
buffle pose sur lui son regard paisible. De jour triste en jour triste, la vie se
passe. C’est du buffle que vient le changement. Il ouvre la bouche et se met
à parler :
– Pars de la maison, mon garçon. Demande seulement à m’emmener et
allons-nous-en.
Le frère, trop content de garder pour lui les champs et la chaumière,
l’héritage de leurs parents, laisse partir sans regret le buffle et son gardien.
Bon vent !

Les filles de l’Empereur du Ciel


Le buffle et le bouvier marchent sans relâche et arrivent près d’une
montagne. Le garçon construit là une cabane. Le buffle, qui semble savoir
ce qu’il fait, reprend la parole.
– Il y a un lac là-bas derrière. C’est là que les sept filles de l’Empereur du
Ciel viennent se baigner. Ne te fais pas voir, approche-toi, prends les
vêtements de la septième sœur et cache-toi.
Le garçon écoute le buffle, ne pose pas de questions et fait exactement ce
qu’il a dit. La fille de l’Empereur du Ciel, étonnée de ne plus trouver ses
vêtements, s’affole. Ses sœurs, inquiètes de désobéir à leurs parents en
rentrant trop tard du lac, s’envolent et la laissent seule.

La tisserande
Alors le garçon se montre et raconte sa triste histoire.
La jeune fille est émue et lui propose de l’épouser. Les voilà heureux,
elle, lui, le buffle et deux petits enfants qui naissent rapidement.
La jeune femme tisse et brode à la perfection. Quand elle vivait dans le
palais de son père, elle était la tisserande céleste. Elle tissait les merveilleux
nuages or et rouge du soleil couchant.
Devenue la femme du bouvier, elle continue de tisser de splendides
brocards légers comme une plume. Elle les vend pour nourrir la famille.

La Reine du Ciel
Le buffle vieillissant parle une troisième fois au jeune homme :
– Ne t’inquiète pas de me voir mourir. Mais garde ma peau. Quand tu
feras un vœu, mets-là sur tes épaules et il sera exaucé.
Or la Reine du Ciel, la mère de la tisserande, inquiète de ne pas voir
rentrer sa septième fille, l’a cherchée maintes fois autour du lac. Elle la
trouve enfin, un jour où son mari est parti aux champs. Elle se fâche,
l’arrache à son foyer et l’emporte sans ménagement au Ciel.

LE BUFFLE

Autrefois, le buffle vivait au ciel, comme une étoile. Un jour, l’Empereur céleste l’envoya
sur terre pour prévenir les hommes. Il avait décidé que ceux-ci devraient cultiver la terre
assez pour pouvoir manger une fois tous les trois jours.
Mais le buffle se trompe : il annonce aux hommes qu’ils doivent travailler pour manger
trois fois par jour. Il n’y a qu’une solution : l’Empereur ordonne au buffle de rester sur terre
pour aider les hommes à cultiver de quoi manger autant ! C’est pour cela que depuis, le
buffle, paisible et patient, participe à tous les travaux des champs.

La peau de buffle
Les petits enfants pleurent dans la cabane. Quand leur père comprend que
sa femme a été enlevée, il place la peau de buffle sur son dos, passe une
planche sur ses épaules, met les enfants dans deux paniers accrochés à la
planche et fait le vœu de s’envoler. La Reine du Ciel s’en aperçoit et, avant
qu’il ne rejoigne sa femme, elle prend une épingle de ses cheveux et trace
entre eux, en plein ciel, un grand trait. Elle crée ainsi la Voie lactée, qu’on
appelle en chinois le Fleuve d’argent ou la Rivière du Ciel.

Les étoiles séparées


L’immense étendue est infranchissable. Elle sépare le bouvier de la
tisserande. Transformés en étoiles, ils restent là. Nous les appelons Altaïr et
Véga.
Mais il y a un espoir : une fois, une seule fois par an, ils peuvent se
rencontrer.
Cette nuit-là, la septième du septième mois chinois, toutes les pies
quittent la terre dès le matin. Dans le ciel, elles se placent entre le bouvier et
la tisserande et forment avec leurs ailes un pont très doux. Les deux amants
aux pieds étoilés le franchissent en courant pour se retrouver.
C’est pourquoi le lendemain, revenues sur terre, les pies ont parfois leurs
ailes toutes froissées.
Mais si, dans la journée, la septième du septième mois, on voit des pies
voleter dans la campagne ou sur les toits, on peut leur faire mille reproches
et les houspiller : elles ont oublié de monter au ciel pour servir de pont et
les deux amoureux devront attendre un an tout entier avant de pouvoir
passer une nouvelle nuit ensemble.
L’INVENTION DE LA SOIE

L’élevage des cocons et la fabrication de la soie, ce tissu si doux, si fin,


est resté un secret chinois pendant des siècles. L’apparition du ver à soie est
déjà toute une histoire.

La promesse
Imaginez une jeune fille. Elle se languit de son père, parti en voyage dans
un pays lointain. Elle s’occupe seule de la maison. Son unique compagnon
est le cheval à l’écurie. N’ayant que lui à qui parler, elle lui dit un jour en
riant :
– Si tu pouvais me ramener mon père, je crois bien que je t’épouserais !
À sa grande surprise, le cheval part au galop, et sans hésitation file droit
où se trouve le père.
– Mon cheval ! s’étonne le père.
Surpris mais content, il l’enfourche. Le cheval hennit et tire sur la bride
en faisant mine de repartir du côté d’où il vient.
Qu’est-ce que cela veut dire ? pense le père.
Il laisse le cheval le conduire. L’animal se sent des ailes et franchit d’un
coup le chemin du retour.

LE CHEVAL

Vers le milieu du Ve siècle avant Jésus-Christ, les Chinois apprirent des peuples des
steppes à monter à cheval. La mode s’en ressentit. Ils adoptèrent le pantalon sous leur
robe pour chevaucher. Un empereur fit le siège d’une ville rien que pour s’emparer des
chevaux, si beaux, si rapides et si élégants qu’on les appela “les chevaux du ciel”.
Dans leurs immenses tombeaux, les empereurs furent souvent enterrés entourés des
statues grandeur nature de leurs chevaux et de leurs cavaliers. On disait que les chevaux
sculptés qui gardent les temples s’animaient la nuit et partaient au galop sous la lune
argentée.

La peau de cheval
Père et fille sont heureux de se retrouver. Le cheval retourne à l’écurie. Il
attend sa récompense qui ne vient pas. Alors il refuse de manger, s’agite et
se cabre quand il voit la jeune fille.
Le père est perplexe. La jeune fille raconte alors la promesse qu’elle a
faite en l’air.
– Surtout, n’en dis rien à personne, exige aussitôt le père, et ne sors pas
de la maison.
Il prend son arbalète, vise la tête du cheval amoureux, et le tue. Puis il
l’écorche et étend la peau dans la cour. La jeune fille insouciante sort de
chez elle. Elle se moque aussitôt :
– Ah, te voilà, le cheval qui voulait m’épouser, pauvre haridelle, vieille
peau !
À ces mots, la peau de cheval s’élance, enveloppe la jeune fille, la serre
et la soulève. Ils disparaissent dans les airs.

Le cocon
Le père cherche sa fille jour et nuit. Au bout de trois jours, il la voit : elle
s’est transformée en grand cocon, accroché à la branche d’un mûrier. Quand
on la présente à la cour de l’Empereur, elle a toujours sa tête de belle jeune
fille. Un fil de soie sort de sa bouche. L’Impératrice le saisit, le dévide, a
l’idée de le tisser : le premier tissu de soie sort de ses mains.
“Les dieux ne meurent pas.
Ce qui meurt, c’est la foi que leur portent les mortels ingrats.”

Constantin Cavafy
MIDAS

Cette histoire se passe en Phrygie, une région qui appartient aujourd’hui


à la Turquie, mais qui, dans l’Antiquité, fait partie de la Grèce.
Midas est le roi de Phrygie. C’est un homme très riche, mais sa richesse
est inversement proportionnelle à son intelligence, ce qui signifie que ce
petit roi est très riche, mais pas très astucieux.
Un jour, Dionysos, le dieu de la Vigne et du Vin, se promène en Phrygie.
Dionysos est accompagné de son cortège habituel : une curieuse troupe,
chantant, dansant, et complètement ivre, la plupart du temps. En général, les
rois des différentes provinces n’aiment guère recevoir la visite de Dionysos
et de ses proches, dont l’agitation bruyante perturbe l’ordre du royaume. Le
dieu du Vin est souvent mal accueilli, et même rejeté.
Ce n’est pas le cas cette fois-là. Car Dionysos est inquiet. Il vient de
s’apercevoir que Silène a disparu. Silène, le dieu à tête de bouc, est un
vieillard très laid mais très jovial, un homme qui aime passionnément la vie.
Dionysos lui est très attaché car c’est lui, Silène, qui a été son précepteur, et
qui l’a éduqué lorsqu’il était jeune. Silène est un sage, un philosophe qui, la
plupart du temps, se refuse à utiliser ses talents. Juché sur un âne, chantant
et riant sans cesse, il suit le cortège de Dionysos, toujours à moitié ivre.
Or, ce jour-là, Silène a dû vraiment abuser du résiné – ce vin grec auquel
on ajoute de la résine pour le conserver –, car on le cherche en vain.
Dionysos est très inquiet : que peut-il être arrivé à Silène ? Ce sont les
gardes du roi Midas qui finissent par le découvrir, ivre mort, affalé sous un
olivier. Silène est enchaîné et amené à Midas qui s’empresse de le libérer et
de le remettre à Dionysos. Pour le remercier, celui-ci offre à Midas une
faveur : que Midas fasse un vœu, et Dionysos l’exaucera !
De l’or au bout des doigts
On a dit que Midas était aussi peu intelligent qu’il était fortuné et qu’il
aimait les richesses. Réfléchissant – mais pas tout à fait suffisamment –,
Midas formule son vœu. Il rêve d’être plus riche encore, oui, toujours plus.
Il rêve que tout ce qu’il touche se transforme… en or. Qu’à cela ne tienne,
Dionysos accède à sa demande. Et voilà que Midas se découvre des
pouvoirs extraordinaires. Là, dans son palais, tout ce qu’il touche devient
or : les jasmins blancs de son jardin, qu’il effleure en les sentant du bout du
nez ; la grappe de raisin qu’il cueille sur la treille ; et même sa tunique, sur
laquelle il vient de s’essuyer la main. Midas n’en revient pas. Entouré,
enveloppé, drapé d’or : quelle merveille…
Mais il va vite déchanter. Lorsqu’arrive l’heure du repas, il s’aperçoit que
le vin qu’il s’apprête à boire s’est solidifié alors qu’il saisissait le pichet.
Que le pain s’est mué sous ses doigts en une boule jaune. De même que le
miel, couleur d’ambre, qui ne coule plus comme avant. Et que le livre qu’il
a ouvert, pour y lire quelques vers, n’est plus qu’un lingot compact et
brillant. La vie devient impossible et, bientôt, il va mourir de faim et de
soif. Bien pire : alors que, dans un élan de tendresse, il s’approchait d’elle
pour lui caresser les cheveux, sa propre fille s’est figée sous ses yeux en une
statue dorée.
– Ah ! gémit Midas, comme je suis malheureux !
Dionysos qui assiste, narquois, à toute cette scène, fait mine de s’étonner.
N’a-t-il pas exaucé le vœu du roi ? Ne lui a-t-il pas donné ce dont il rêvait ?
Midas se lamente de plus belle. Il donnerait tout ce qu’il possède pour
ramener à la vie la princesse, sa fille chérie, pour n’avoir pas rêvé un peu
trop vite de toutes ces richesses paralysantes, et pour redevenir, tout
simplement, le petit roi de province qu’il était avant.
Alors, devant Midas suppliant, Dionysos a pitié. Il n’est pas mécontent
d’avoir donné à cet ambitieux une bonne leçon. Pour qu’il se débarrasse
d’un don aussi gênant, il ordonne à Midas de se plonger dans le fleuve
Pactole. Pour Midas, ce fut certainement le bain le plus délicieux de sa vie.
Tout l’or qu’il portait s’en alla dans le fleuve. Et selon la légende, les sables
de ce dernier charrient encore des trésors de pépites.

CE FLEUVE PACTOLE

Surnommé “le fleuve qui roule de l’or”, le Pactole existe véritablement, en Asie Mineure.
C’est un fils de Zeus qui lui donna son nom. Il avait décidé de se jeter dans ce fleuve en
apprenant le péché d’inceste qu’il avait involontairement commis. Aujourd’hui, dans la vie
courante, on parle de “toucher un pactole” quand on empoche une grosse somme d’argent.

Des oreilles d’âne


Cette mésaventure aurait pu inciter Midas à plus de prudence. Ce grand
sot n’en a pourtant pas tiré toutes les leçons. Quelque temps plus tard, alors
qu’il se promène dans la forêt, il rencontre Apollon et Marsyas. Marsyas est
un satyre, une divinité des bois et des montagnes. Ce jour-là, il vient de
trouver par terre une flûte qu’Athéna a jetée. Enchanté par les sons
mélodieux de sa trouvaille, Marsyas propose à Apollon, le dieu des Arts, de
faire un concours pour déterminer lequel d’entre eux est le meilleur
musicien. Les neuf muses, ces déesses qui inspirent les artistes, sont toutes
réunies pour former le jury. Et comme Midas passe par là, on lui propose de
donner son avis. Les muses sont unanimes, elles votent pour Apollon.
Midas l’intrépide soutient que Marsyas est plus talentueux ! L’étourdi ! Ne
sait-il pas pourtant que les dieux se vengent toujours des mortels qui les
offensent ? Les représailles d’Apollon ne tardent pas. Courroucé, ce dieu
qui représente pour les Grecs le génie artistique de leur pays, décrète que
Midas est un âne. Et qu’il devrait d’ailleurs en avoir les oreilles. Aussitôt,
Midas voit lui pousser à la place de chaque oreille de longues excroissances
duveteuses. Le voilà, lui, le roi de Phrygie, affublé d’oreilles d’âne !
Quel déshonneur ! Désormais, Midas se cache et ne sort plus sans un
bonnet. Au palais, seul son coiffeur est dans la confidence. Et Midas lui a
fait jurer, sous peine de mort, de ne dévoiler à personne son infortune. Un
jour pourtant, le secret devient trop lourd. Le coiffeur, qui ne peut plus le
garder seul, creuse un trou dans la terre. Il a tant besoin d’exprimer cette
trop pesante vérité qu’il se penche au-dessus du trou et chuchote :
– Le roi Midas a des oreilles d’âne. Le roi Midas a des oreilles d’âne…
Puis il referme le trou avec de la terre. Et à cet endroit, des brins de blé se
mettent à pousser ; comme s’ils avaient entendu la confidence du coiffeur,
voilà qu’ils commencent à bruire dans le vent. Leur murmure se fait de plus
en plus distinct. Ils disent :
– Le roi Midas a des oreilles d’âne. Le roi Midas a des oreilles d’âne…
Désormais, les infortunes de Midas ne sont plus qu’un secret de
polichinelle. Tout le palais rit sous cape et Midas reste seul avec son
ambition, son inconséquence et son indécrottable bêtise.
NARCISSE

Sans doute connaissez-vous le narcisse, cette fleur blanche au cœur jaune


et au parfum délicieux. Avez-vous déjà entendu son histoire ?
Pour les Anciens, Narcisse est le fils de la nymphe Liriopé et du dieu-
fleuve Céphise. C’est un jeune homme d’une beauté exceptionnelle. Son
visage est d’une pureté parfaite, ses traits d’une régularité rare, son corps
divinement harmonieux. Narcisse a grandi sans vraiment se rendre compte
de sa beauté. En effet, alors qu’il était encore enfant, sa mère, Liriopé, a
consulté Tirésias, ce célèbre devin de l’Antiquité, qui a reçu de Zeus le don
de prédire l’avenir. Liriopé désirait savoir si son fils vivrait longtemps, et
Tirésias lui a répondu qu’il vivrait aussi longtemps qu’il ne verrait pas sa
propre image. C’est pourquoi, pendant toute l’enfance de Narcisse, Liriopé
a caché tous les miroirs et a interdit à son fils de se regarder.
Ainsi, au fil du temps, Narcisse s’est transformé en un jeune homme
irrésistible. À sa seule vue, mortels, dieux, demi-dieux et nymphes en
tombent instantanément amoureux. Mais Narcisse a un cœur de pierre : il
reste insensible aux sentiments qu’il inspire et ressent même du mépris pour
ceux qu’il séduit.
Parmi ses victimes, c’est la nymphe Écho qui souffre le plus. Cette
divinité des montagnes a jadis été punie par Héra, la femme de Zeus, et elle
est devenue incapable de parler. Elle ne peut que répéter le dernier mot des
phrases que l’on prononce devant elle – d’où son nom, évidemment. Un
jour que Narcisse se promène dans la montagne, Écho se décide enfin à lui
faire comprendre son amour. Comme elle ne peut parler, elle le suit partout
et, malgré elle, répète systématiquement les dernières paroles de son bien-
aimé. Narcisse est excédé. Pourquoi Écho se conduit-elle ainsi ? Avec la
nymphe, il se comporte plus brutalement encore qu’à l’ordinaire. Jamais il
ne pourra s’attacher, lui dit-il, à quelqu’un qui, comme un perroquet, ne sait
que répéter ce qu’on lui dit : n’est-ce pas stupide et totalement lassant ?
Écho est désespérée. Impuissante, elle se laisse peu à peu dépérir. Elle
maigrit tant et tant qu’elle finit par mourir de faim. Bientôt, il ne reste plus
d’elle qu’une voix, cette voix que l’on entend encore se répercuter à l’infini
dans les montagnes…

Une soif funeste


Or, devant ce destin tragique, la grande famille des nymphes est
scandalisée. N’oublions pas que ces divinités de la nature sont les filles de
Zeus et du Ciel. Les Grecs leur accordent beaucoup de pouvoirs fertilisants
et nourriciers, et pensent aussi que les nymphes protègent les fiancés qui
viennent se plonger dans l’eau de leurs sources pour obtenir la pureté et la
fécondité. En l’occurrence, les nymphes sont outrées par la façon dont
Narcisse a repoussé Écho. Elles vont donc trouver Némésis, la déesse de la
Vengeance, qui déteste l’orgueil et veille à ce que les mortels ne se prennent
pas pour des dieux. Némésis a une idée. Au cours d’une chasse en forêt, elle
donne soudain très soif à Narcisse. Impossible de résister. Narcisse, qui a
aperçu une rivière, descend de cheval. Il ignore que Némésis l’a
volontairement dirigé vers ce cours d’eau dont l’onde est particulièrement
transparente et lisse comme un miroir.
La suite, vous l’imaginez. Narcisse s’agenouille pour boire et, pour la
première fois, aperçoit sa propre image. Quelle image ! De ce visage
sublime, il tombe, lui aussi, amoureux sur-le-champ. À tel point qu’il ne
peut plus détacher les yeux de son reflet. N’est-ce pas là le seul objet
d’amour dont il a toujours rêvé ? Fasciné par lui-même, Narcisse en oublie
de boire et de manger. Peu à peu, il prend racine au bord de la rivière.
Insensiblement, il se transforme en une fleur qui tourne ses pétales vers
l’eau et s’y reflète à la belle saison. Une fleur blanche ou jaune,
délicieusement odorante, le narcisse.

ÊTES-VOUS NARCISSIQUE ?
C’est de Narcisse, bien sûr, que vient cet adjectif. À l’instar de ce personnage dont le
nom grec signifie “fleur”, les gens narcissiques se complaisent dans l’amour et la
contemplation d’eux-mêmes. En d’autres termes, résume avec humour l’écrivain Paul
Valéry, le narcissisme consiste, comme on dit familièrement, à ne pas cesser de “se
regarder le nombril”.

UNE JOLIE HISTOIRE POUR EXPLIQUER L’ÉCHO

C’est souvent pour expliquer des phénomènes qu’ils ne comprenaient pas que les
Grecs, comme tous les peuples de l’Antiquité, imaginèrent des légendes. Ainsi en va-t-il de
l’écho. La plus connue raconte que la nymphe Écho avait l’habitude d’être complice de
Zeus lorsqu’il courtisait les belles mortelles. Pour détourner l’attention d’Héra, la très jalouse
épouse de Zeus, Écho, qui avait la langue bien pendue, l’entretenait de son incessant
bavardage. Héra s’aperçut de la ruse et, furieuse, elle punit Écho en la rendant incapable
de parler. “Tu auras toujours le dernier mot, lui dit-elle, mais jamais tu ne parleras la
première.”
PHAÉTON

En matière de vanité, Phaéton est un peu le petit cousin d’Icare. À une


différence près : Phaéton, lui, est d’essence divine. Il est le fils d’Hélios, le
dieu qui conduit le char du Soleil. D’ailleurs, son nom en grec signifie
“celui qui brille”.
S’il est une chose par laquelle Phaéton ne brille guère, c’est la modestie.
Le jeune homme ne peut s’empêcher de se vanter tout le temps. Il répète à
qui veut l’entendre qu’il est le fils du Soleil et, chaque jour, il ne rate pas
une occasion de montrer fièrement à ses amis la course du char de son père
à travers le ciel.
Phaéton est tellement imbu de lui-même qu’il en devient franchement
ennuyeux. Un jour, un de ses camarades, excédé, le met au défi de prouver
son origine divine. Piqué au vif, Phaéton va trouver Hélios : il a besoin
d’une preuve et supplie son père de l’aider.
Hélios n’est pas difficile à convaincre. Il aime tellement Phaéton, ce fils
unique que lui a donné la nymphe Clyméné, qu’il est incapable de rien lui
refuser. Il jure même par le Styx, le fleuve des Enfers, qu’il lui accordera
tout ce qu’il voudra. Erreur… Phaéton s’enhardit à demander la chose la
plus incroyable que l’on puisse imaginer : conduire lui-même le char du
Soleil.

UN ŒIL OUVERT SUR LE MONDE

Moins haut placé dans la hiérarchie des dieux qu’Apollon – qui est le dieu premier du
Soleil et de la Lumière –, Hélios est en quelque sorte le serviteur de Zeus. Sa fonction est
simple. Il doit conduire le char du Soleil dès que l’aurore lui a ouvert les portes du jour. S’il
est en retard, c’est qu’il s’est attardé dans la couche de Thétis, la belle nymphe de la mer.
Hélios siège dans un palais d’or et de diamants, si éclatant qu’aucun mortel ne peut le
regarder en face.
Il est le seul dieu qui peut embrasser d’un seul regard toute la surface de la Terre. Pour
cela, il est un peu l’“agent de renseignements” de l’Olympe. C’est lui qui raconte à Héra les
infidélités de Zeus ou qui révèle à Déméter qui a enlevé sa fille. C’est pourquoi les Grecs le
représentent parfois par un œil grand ouvert sur le monde.

Bouffi d’orgueil
Hélios est effaré. Certes, il accomplit chaque jour la même course à
travers ciel, conduisant d’est en ouest le char du Soleil, puis se reposant, le
soir, dans l’île des Bienheureux, mais il est le seul à pouvoir maîtriser les
quatre chevaux fougueux qui tirent cet attelage. Jamais Phaéton n’aura la
force nécessaire. Hélios tente de le raisonner, en vain. Phaéton trépigne et
son père, lié par sa promesse, finit par se laisser faire.
Le jeune fanfaron s’élance vers le ciel. Son orgueil s’enfle, s’enfle…
Quelle bonne leçon il va donner à tous ces mortels ! Il en rit déjà. Les
chevaux cinglent l’air. Phaéton est grisé par la vitesse. Grisé au point qu’il
perd bientôt tout contrôle. Il n’a pas vu que le galop s’accélérait, que les
chevaux, insensiblement, prenaient le mors aux dents. Bientôt, le quadrige
est complètement emballé. Impossible de maintenir la moindre trajectoire.
Tantôt, le char monte tellement haut qu’il risque de heurter les
constellations, tantôt, il descend si bas qu’il brûle les champs et dessèche
les rivières. Phaéton tire sur les rênes. Il tire de toutes ses forces, mais rien
n’y fait. Catastrophe !
Phaéton est bien conscient maintenant de sa vanité et de sa bêtise. Il s’en
veut de ce caprice pitoyable. Il est trop tard. Vue du ciel, la Terre ressemble
déjà à une boule de feu… C’est alors que Zeus intervient.
Pour éviter la destruction de l’univers, le dieu des dieux saisit la foudre et
la projette sur Phaéton. Le char du Soleil s’arrête net. Les chevaux poussent
un long hennissement. Et Phaéton est précipité la tête en bas dans le fleuve
Éridan.
Voilà ce qu’il en coûte aux jeunes présomptueux de se prétendre autre
chose que ce qu’ils sont.
PERSÉE

À peine a-t-il vu le jour que Persée est jeté avec sa mère dans un coffre
et… abandonné à la mer. Une curieuse manière d’être accueilli dans la vie.
C’est son grand-père, Acrisios, le roi d’Argos, qui en a décidé ainsi.
Acrisios vient en effet de consulter la Pythie – cette vieille femme qui prédit
l’avenir – pour savoir s’il aurait un jour un fils. Or la réponse qu’il a
obtenue est effrayante : non seulement, il n’aura jamais de descendance
mâle, mais il est écrit que son petit-fils le tuera et qu’il prendra sa place sur
le trône d’Argos.
Acrisios n’a qu’une fille unique, Danaé. À peine rentré dans son palais, il
ordonne à ses gardes de l’emprisonner dans une tour sans porte ni fenêtre.
Avec juste une petite fente à l’endroit du toit, pour laisser passer un peu
d’air. Ainsi, pense-t-il, Danaé sera hors de portée de quiconque : comment
pourrait-elle donner naissance à un enfant ? N’est-ce pas la meilleure façon
de déjouer la terrible prophétie ?

Une pluie d’or


Ce qu’Acrisios ignore, c’est que le grand Zeus, depuis longtemps, est
amoureux de Danaé. Et comme il est capable des plus extravagantes
inventions pour séduire les femmes qu’il aime, voici ce qu’il imagine.
Puisque personne ne peut pénétrer dans la prison, il va, lui, s’y infiltrer en
changeant de forme, en devenant liquide. Ainsi Zeus se métamorphose-t-il
en pluie, une fine pluie d’or qu’il fait tomber sur Danaé. Douze mois plus
tard, un garçon naît de ces amours insolites, Persée. Lorsque Acrisios s’en
aperçoit, il est évidemment furieux. Que faire ? Tuer sa fille et son petit-
fils ? Cela serait impensable. Alors, il se résout à les enfermer tous les deux
dans ce coffre qu’il abandonne au hasard des flots.
C’est vers les Cyclades que le vent les emporte. Un jour, Danaé et Persée
s’échouent sur les rivages de Sériphos, une île sur laquelle règne le tyran
Polydectès. À la vue de la noble Danaé, Polydectès tombe instantanément
sous son charme. Pour la séduire, il lui ouvre son palais, l’installe dans ses
plus beaux appartements, et fait donner à Persée les meilleurs professeurs.
Le fils de Zeus est un jeune homme doué. C’est peut-être pour cela que
Polydectès le déteste. Et aussi parce que Persée supporte mal que ce tyran
courtise sa mère – leur mariage, d’ailleurs, n’est-il pas annoncé pour
bientôt ?

Des monstres aux cheveux de serpents


Polydectès décide donc de se débarrasser de Persée. Pas brutalement,
mais en l’éloignant par la ruse. Il lui fait comprendre que, en guise de
cadeau de mariage, et pour le remercier de son hospitalité, Persée pourrait
bien accomplir un exploit. Lui rapporter… la tête de la Gorgone Méduse,
par exemple !
À cette époque, trois monstres, trois sœurs appelées Gorgones, terrifient
la campagne grecque. Elles ont une tête énorme hérissée d’une chevelure de
serpents, des crocs acérés et des ailes d’or qui leur permettent de fendre les
airs. De ces trois sœurs – Sthéno, Euryalé et Méduse –, Méduse est la plus
terrible. Elle change en statue de pierre quiconque ose la regarder. Persée
sait bien que l’épreuve est périlleuse. Mais il est trop fier pour reculer
devant Polydectès : il relèvera le défi, il rapportera la tête de Méduse.
Comment s’y prendre, cependant ? Sur la plage de Sériphos, Persée est
perdu dans ses réflexions lorsqu’apparaît devant lui une créature aux pieds
ailés, avec un caducée à la main. C’est Hermès, le messager des dieux, qui
va l’aider dans cette rude tâche. Car Persée est toujours sous l’œil vigilant
de Zeus, son père. Hermès prête à Persée les petites ailes qu’il porte aux
talons. Il convainc Athéna, la déesse de la Guerre, de faire de même avec
son bouclier, et aussi Hadès, le dieu des Enfers, avec le casque qui rend
invisible. Ainsi équipé par ces divinités protectrices, Persée peut se mettre
en quête des Gorgones, qui résident dans des lieux inquiétants, non loin, dit-
on, du royaume des Ombres.

MÉDUSE
Pourquoi Méduse est-elle si malfaisante ? À ce sujet, les mythes divergent. Selon
certains, elle aurait été une belle jeune fille, trop belle peut-être, et surtout un peu fière.
Pour la punir, Athéna aurait changé sa magnifique chevelure en un nœud de vipères. Selon
d’autres légendes, Athéna l’aurait châtiée pour s’être unie à Poséidon. Quoi qu’il en soit,
après sa victoire, et pour la remercier de sa protection, Persée offrira en présent à Athéna
la tête de Méduse. Celle-ci fera partie des attributs d’Athéna qui s’en servira pour
neutraliser ses adversaires. D’ailleurs, dans le langage courant, ne dit-on pas encore, de
quelqu’un qui est terriblement effrayé ou surpris, qu’il est “pétrifié”, c’est-à-dire comme
changé en pierre ou mieux, qu’il est “médusé” ?

Un œil pour trois


Pour savoir où les trouver exactement, il doit d’abord se rendre chez les
Grées. Ces trois vieilles femmes (en grec graiai) ne sont autres que les
sœurs des Gorgones. Elles ont de longs cheveux blancs, des visages
décrépits et elles ne possèdent à elles trois qu’un œil et une dent qu’elles se
prêtent tour à tour ! Persée a une idée. Il s’empare de l’œil et de la dent et
menace de ne pas les rendre si les Grées ne lui dévoilent pas la cachette des
Gorgones.
Bientôt, c’est chose faite. Le fils de Danaé n’a plus qu’à se remettre en
route dans la direction indiquée par les Grées. Il traverse des montagnes,
des régions désertiques et, près du royaume des Ombres, arrive enfin à la
caverne où dorment les Gorgones. C’est du moins ce que devine Persée qui,
tendant l’oreille, n’entend pas le moindre bruit. Il imagine Méduse, la plus
laide de toutes, le visage crispé et la bouche entrouverte où pointent des
dents immenses. Pour l’instant, les vipères qui forment sa chevelure doivent
dormir elles aussi. Avant qu’elles ne s’éveillent, Persée a quelques minutes
pour réfléchir.
Il sait bien qu’il ne doit sous aucun prétexte regarder Méduse. Sous peine
d’être pétrifié, instantanément. Comment s’y prendre ? S’il avance les yeux
fermés, il ne saura pas où frapper. Et s’il ouvre les yeux…
Soudain, il lui revient qu’Athéna lui a prêté son bouclier d’argent, une
plaque lisse et brillante, parfaitement polie. La portant à hauteur de son
visage, Persée s’en sert comme d’un miroir. Ou plutôt comme d’un
rétroviseur. Il progresse dans la caverne à reculons, surveillant Méduse dans
son bouclier, sans jamais la regarder directement. Comme il volette, grâce
aux sandales ailées d’Hermès, il ne fait aucun bruit. Enfin parvenu à
quelques mètres de la Gorgone, il brandit son glaive et, d’un seul coup,
décapite le monstre toujours endormi. À ce moment, les deux autres
Gorgones se réveillent. Voyant ce qui est arrivé à leur sœur, elles veulent
fondre sur Persée. Au même instant, celui-ci coiffe le casque d’Hadès qui le
rend invisible. Il est sauvé…

Persée méduse Polydectès


Sur le chemin du retour, Persée apprend qu’un monstre marin ravage la
contrée d’Éthiopie. Poséidon, irrité par l’orgueil de ses habitants, leur a
envoyé ce fléau. La seule façon de s’en débarrasser est de lui sacrifier la
fille du roi, la jeune et séduisante Andromède. Attachée à un rocher près de
la mer, Andromède s’attend à être dévorée lorsque Persée, la voyant,
succombe à sa beauté, la libère et l’épouse. Dépité par ce mariage, un
prétendant d’Andromède, Phinée, attaque Persée le jour de ses noces. Celui-
ci a désormais une arme irrésistible : de sa besace, il sort la tête de Méduse
qu’il exhibe sous les yeux de son adversaire, lequel est immédiatement
changé en pierre. Un peu plus tard, tandis qu’il passe par l’Afrique du Nord,
Persée rencontre le géant Atlas qui lui cherche querelle. À nouveau, le
héros lui présente la tête de la Gorgone qui, instantanément, transforme
Atlas en cette montagne qui, aujourd’hui encore, porte son nom.
Sa botte secrète est rodée. Accompagné d’Andromède, Persée peut
désormais rentrer en Grèce. De retour à Sériphos, il apprend que Danaé, qui
a percé à jour le stratagème de Polydectès, a décidé de rompre leur mariage.
Pour échapper au tyran, elle se cache dans un temple. Combien de temps
pourra-t-elle tromper sa vigilance ? Persée se présente au palais et demande
qu’on le mène à Polydectès. Sa vengeance, vous l’imaginez.
– Tu m’as demandé la tête de Méduse ? La voici, dit-il à ce dernier en
brandissant la tête immonde hors de sa besace.
Polydectès n’a même pas le temps d’exprimer sa surprise. À peine son
regard croise-t-il celui du monstre mort qu’il s’immobilise soudain, statufié.

Un oracle imparable
Voici Persée victorieux, amoureux et vengé ; voici Danaé libre. Qui eût
pu imaginer, alors qu’ils dérivaient tous deux dans leur coffre de bois, que
pareil destin les attendait ? Justement, ils ont bien envie de retourner à
Argos, Persée pour savoir qui est son grand-père et revendiquer ses droits
sur le royaume, Danaé pour s’expliquer et se réconcilier, peut-être, avec
Acrisios. Alors qu’ils font route vers Argos, avec Andromède, Persée
décide de s’arrêter à Larissa. Dans cette cité, le roi vient de perdre son père
et organise des jeux funèbres en son honneur. Persée, qui ne manque jamais
une occasion de mettre sa valeur physique à l’épreuve, ne résiste pas à
l’envie de se mesurer aux athlètes.
Il ne sait pas qu’Acrisios est un ami du roi et qu’il assiste, ce jour-là, aux
mêmes jeux. Au moment du lancer du disque, Persée prend son élan et…
envoie l’objet de toute la force dont il est capable. Le disque de plomb
tournoie dans les airs, mais soudain, est-ce la fatalité ? Il se détourne de son
but et dévie vers la tribune des spectateurs. Là, il frappe Acrisios en plein
front et le tue sur le coup.
La prophétie de la Pythie s’est réalisée. Même involontairement, Persée a
tué son grand-père. Déchiré par son acte, le héros refuse le trône d’Argos et
se contente, en échange, du royaume de Tirynthe. Pour saluer son courage
et sa repentance, les dieux le placeront, après sa mort, parmi les
constellations du ciel. Aujourd’hui encore, par les beaux soirs étoilés, on
peut admirer Persée, et non loin de lui, la forme caractéristique
d’Andromède. Quant à Acrisios, il aura appris que rien ne sert de vouloir
déjouer la fatalité, lorsque le destin lui a dicté sa volonté.
IPHIGÉNIE

Son nom seul est synonyme de tragédie : il évoque d’emblée une histoire
extrêmement triste et barbare. Mais qui est donc Iphigénie ? C’est la fille
d’Agamemnon, le roi d’Argos et de Mycènes, un des rois les plus puissants
de toute cette région du sud de la Grèce (celle qui ressemble à trois doigts
qui s’avancent dans la mer). Pour comprendre l’histoire d’Iphigénie, il faut
remonter un peu en arrière, aux origines de la guerre de Troie.

Une guerre pour une pomme


Au nord de la mer Égée, sur les côtes de l’actuelle Turquie, Troie est une
cité riche et puissante. Une rivalité stupide entre trois déesses jalouses va
déclencher la guerre entre les Troyens et les Grecs, sans doute au XIIe siècle
avant Jésus-Christ.
Lors d’une noce, Éris, la déesse de la Discorde, découvre qu’elle n’a pas
été invitée. Furieuse, elle vient quand même et jette une pomme d’or parmi
les convives. Sur le fruit, on lit cette inscription : “À la plus belle.” Aussitôt,
Aphrodite, Athéna et Héra se disputent la pomme (d’où l’expression “la
pomme de discorde”). Quelle est celle qui la mérite vraiment ? Quelle
déesse est la plus belle ?
Zeus demande à un berger, Pâris, qui vit non loin de Troie, de les
départager. S’il la choisit, Athéna promet à Pâris la sagesse et la victoire à
la guerre, Héra lui dit qu’il régnera sur l’Asie entière et Aphrodite lui fait
miroiter la plus belle femme du monde. Pâris juge : il choisit Aphrodite. La
plus belle femme du monde, il ne va pas tarder à la rencontrer. C’est
Hélène, la femme du roi grec Ménélas, le frère d’Agamemnon. Pâris, en
effet, en tombe instantanément amoureux : il l’enlève et l’emmène à Troie.
Alors, tous les grands guerriers grecs décident de venger Ménélas, ainsi que
l’affront fait aux Grecs par les Troyens. Une guerre de dix ans va
commencer.

Plus un souffle sur l’eau lisse


Dans le port d’Aulis, au nord de Thèbes, les bateaux grecs sont prêts.
Cela fait plusieurs mois qu’on construit des navires et qu’on lève des
armées qui convergent vers Aulis. Le voyage va être long : il faudra
traverser toute la mer Égée, en remontant vers le nord. Les Grecs sont des
navigateurs fameux : plus de mille six cents navires n’attendent qu’un
signal pour hisser les voiles. À bord, on compte six mille hommes avec, à
leur tête, Agamemnon, le commandant en chef de la guerre de Troie, bien
décidé à venger son frère Ménélas, et aussi les grands héros grecs,
Odysseus (Ulysse) et Achille.
Tout est prêt. Au moment précis du départ, survient pourtant un
événement étrange. Le vent qui soufflait jusqu’alors tombe d’un seul coup.
Plus un souffle, plus une brise. Que se passe-t-il ? Les voiles des navires
pendent piteusement le long des mâts. La flotte grecque est clouée au port !
Comme souvent lorsqu’ils ne comprennent pas une situation, les Grecs
consultent l’oracle ou font appel à un devin. Cette fois, ils interrogent
Calchas, l’un des plus célèbres devins de la mythologie. Calchas, qui
excelle à prédire l’avenir en étudiant le vol des oiseaux, est un peu leur
“conseil officiel” pour la guerre de Troie. Il leur révèle qu’Artémis, la
déesse de la Chasse, est en colère. Et que, pour manifester son
mécontentement, elle a ordonné ce calme plat.
Pourquoi Artémis est-elle en colère ? Selon Calchas, elle en veut à
Agamemnon de s’être vanté de la surpasser au tir à l’arc. En effet, sur le
point de lever l’ancre, Agamemnon vient de raconter comment il a tué une
biche avec une adresse telle que même Artémis n’aurait pas pu faire mieux.
Quelle erreur ! Agamemnon ne sait-il pas qu’Artémis est la plus redoutable
chasseresse, et que ses flèches sont toujours précises et foudroyantes ?
Comment a-t-il pu fanfaronner aussi bêtement ? Et que faire désormais ?
Sauvée par une biche
Calchas propose une solution. Un sacrifice humain, qui seul pourra
chasser la mauvaise humeur d’Artémis. Et pas n’importe lequel : celui
d’Iphigénie, la propre fille d’Agamemnon, le seul qui puisse apaiser la
colère de la déesse. Avec sa femme Clytemnestre, Agamemnon a eu quatre
enfants, trois filles, Chrysothémis, Électre et Iphigénie et un fils, Oreste. À
quinze ans, Iphigénie est de loin la plus gracieuse et la plus charmante des
filles. Comment son père pourrait-il accepter un sacrifice aussi horrible ?
Malgré toute sa tristesse, Agamemnon va pourtant s’y résoudre. Son
ardeur politique et son ambition l’emportent sur son amour de père. Il fait
venir Iphigénie et réussit même à lui mentir avant de la mettre à mort. Il lui
fait dire qu’il désire, avant de partir, la marier au valeureux Achille.
Iphigénie obéit et rejoint les troupes grecques. Elle ne sait pas qu’elle
s’avance, innocente et joyeuse… vers le couteau du sacrificateur. L’armée
entière est en pleurs. La reine Clytemnestre, à qui Agamemnon a bien sûr
caché son projet, l’apprend néanmoins par la rumeur du royaume. Elle entre
dans une rage folle, mais rien n’y fait. Agamemnon est inflexible :
Iphigénie doit être sacrifiée.
C’est alors qu’Artémis est prise de pitié. Devant tant de beauté et de
charme, elle renonce à imposer le meurtre d’Iphigénie. D’un seul coup, elle
enlève la jeune fille, la faisant disparaître dans un nuage. À la place,
Artémis lui a substitué… une biche. Peut-être s’agit-il d’un clin d’œil
moqueur à Agamemnon ? En tout cas, Artémis n’en demande pas plus. Sa
colère est apaisée. Le vent se lève et la flotte grecque, aussitôt, met les
voiles vers Troie.

IPHIGÉNIE ET LES ARTISTES

C’est un grand poète grec, Euripide, qui vivait au Ve siècle avant Jésus-Christ, qui a
rendu célèbre Iphigénie. Autour de cette héroïque figure de femme, Euripide a écrit deux
drames, Iphigénie à Aulis et Iphigénie en Tauride, que l’on joue toujours au théâtre
aujourd’hui. On dit d’ailleurs que les tragédies d’Euripide comptent parmi les œuvres les
plus modernes de l’Antiquité. Après lui, l’histoire d’Iphigénie n’a cessé d’inspirer les auteurs
de théâtre. Au XVIIe siècle, Racine a lui aussi écrit son Iphigénie. Les musiciens ne sont
pas en reste : à la fin du XVIIIe siècle, le compositeur allemand Christoph Gluck lui a
consacré deux opéras, Iphigénie en Aulide et Iphigénie en Tauride.

Sordides histoires de famille


Clytemnestre est hors d’elle. Même si Iphigénie a finalement échappé au
sacrifice, Clytemnestre n’a jamais pardonné la trahison d’Agamemnon. Elle
a soudain découvert son époux sous un jour qu’elle ne soupçonnait pas.
Ensuite, Agamemnon est parti à la guerre et, non loin de Troie, il s’est
amouraché d’une jeune fille, Chryséis. Cela non plus, Clytemnestre ne lui a
pas pardonné.
Pendant qu’Agamemnon assiège Troie, la reine s’est laissé séduire par le
précédent roi de Mycènes, Égisthe. Ce dernier a autrefois été chassé du
trône par Agamemnon : inutile de dire que, comme Clytemnestre, Égisthe
rêve de punir Agamemnon.
Du reste, l’occasion approche. Après une guerre de dix ans, Agamemnon
s’apprête à rentrer dans son royaume. Il a depuis longtemps oublié
Chryséis. Après sa victoire, il a obtenu en partage la princesse Cassandre,
dont il aura deux enfants. Cassandre est la fille du roi de Troie, Priam. Les
Grecs l’ont capturée en entrant dans Troie grâce à la célèbre ruse du cheval.
Cassandre est aussi une prophétesse, quelqu’un qui prédit l’avenir. Or,
comme ses prophéties sont souvent sombres et pessimistes, personne ne
veut jamais la croire. C’est ce qui se passe en l’occurrence. Lisant dans
l’avenir, Cassandre a prévu les funestes desseins de Clytemnestre et
d’Égisthe. Elle supplie Agamemnon de ne pas retourner à Mycènes. Celui-
ci ne veut rien entendre.

Poignardé dans son bain


À son arrivée à Mycènes, Agamemnon est convaincu que Cassandre
avait tort. N’est-il pas accueilli en héros ? Clytemnestre ne semble-t-elle pas
parfaitement bienveillante et compréhensive ? En réalité, Agamemnon ne
voit rien de ce qui se trame. Clytemnestre et Égisthe ont préparé leur
vengeance avec soin. Leurs sourires, leur joie ne sont que pure hypocrisie.
Selon certains poètes anciens, Égisthe invite Agamemnon à un grand
banquet et le tue grâce à des complices cachés dans la salle. Selon d’autres,
Clytemnestre prépare un bain pour qu’Agamemnon puisse se détendre et se
délasser. Mais à peine est-il étendu dans la baignoire qu’Égisthe, profitant
de ce que le roi est sans armure et sans armes, le frappe au cœur avec un
poignard. Dans l’eau rougie par son sang, le grand Agamemnon – dont
Homère nous dit qu’il avait la tête et les yeux de Zeus – agonise lentement.
Clytemnestre et Iphigénie sont vengées.

Tourmenté par les Érinyes


Quelqu’un ne l’entend pourtant pas de cette oreille. C’est Oreste, le frère
d’Iphigénie. Oreste, lui, est furieux. Prenant le parti de son père, il
considère comme inacceptable le meurtre dont Clytemnestre s’est rendue
coupable. Parvenu à l’âge adulte, il jure de laver l’honneur d’Agamemnon.
Sept ans après sa mort, Oreste, accompagné de Pylade, entre donc en secret
dans Mycènes, se cache chez sa sœur Électre et… tue à la fois Clytemnestre
et Égisthe. Pour Oreste, il s’agit là d’une juste vengeance. Sur l’Olympe, les
dieux sont horrifiés : comment Oreste a-t-il pu se faire l’assassin de sa
propre mère ? Pour le punir, ils décident de lui envoyer les Érinyes, ces
divinités infernales qui pourchassent les criminels en leur inspirant des
remords et des angoisses sans fin. Oreste tente de les fuir en divers endroits
de la Grèce ; en vain. L’oracle de Delphes lui révèle comment expier son
crime.

La ruse d’Iphigénie
Oreste apprend qu’il doit se rendre en Tauride, sur les bords de la mer
Noire. Pourquoi en Tauride ? Parce que Artémis y a déposé Iphigénie après
l’avoir enlevée. C’est là, en Tauride, qu’Iphigénie est devenue la grande
prêtresse d’Artémis, chargée de faire respecter son culte. Or, pour échapper
aux Érinyes, Oreste doit ramener de Tauride sa sœur Iphigénie, ainsi qu’une
statue d’Artémis emportée lors de l’enlèvement. Lorsque Iphigénie sera
rentrée à Mycènes et que la précieuse statue aura retrouvé sa place, la
malédiction qui frappe la famille sera levée et Oreste sera délivré.
Oreste s’exécute donc. Sans doute ne connaît-il pas bien les règles
strictes du culte d’Artémis qui sévissent en Tauride. À peine a-t-il débarqué
près de Troie, avec Pylade, qu’une sentence de mort est prononcée contre
eux. Non seulement Oreste et Pylade doivent être immolés à Artémis,
comme le veut cette étrange coutume, mais c’est Iphigénie elle-même, la
grande prêtresse, qui doit les tuer de sa propre main !
Or Iphigénie, ce n’est guère étonnant, déteste les sacrifices humains. On
dit qu’elle propose alors d’épargner au moins l’un des deux étrangers. On
dit aussi qu’Oreste et Pylade, dont l’amitié était légendaire dans l’Antiquité,
offriront chacun leur vie pour sauver l’autre.
Mais leur lutte généreuse ne dure pas longtemps. Iphigénie, un peu plus
tard, reconnaît son frère. Vite, il lui faut trouver une ruse pour sauver Oreste
et Pylade. Habilement, la jeune fille prétend que les deux étrangers se sont
rendus coupables d’un meurtre et qu’ils doivent expier ce crime avant d’être
immolés à Artémis. Cela tombe bien : la cérémonie d’expiation a lieu en
mer et la statue a été embarquée à bord du navire. Subrepticement,
Iphigénie, Oreste et Pylade quittent les côtes de Tauride pour n’y jamais
revenir.
De retour dans le Péloponnèse, Oreste retrouve le trône d’Argos et de
Mycènes. Il accorde sa sœur Électre en mariage à son grand ami Pylade.
Ayant lui-même épousé une princesse du nom d’Hermione, il règne
paisiblement et meurt à un âge avancé. Quant à Iphigénie, on dit que, pour
saluer son courage et son dévouement, la déesse Artémis l’a rendue
immortelle.
Enfin, la paix et l’espoir sont revenus dans cette famille maudite – que
l’on appelle les Atrides – qui incarne encore le sort qui s’acharne sur les
âmes abandonnées des dieux.
ARTÉMIS ET LES SEPT MERVEILLES DU MONDE

Artémis, l’une des plus belles et des plus nobles déesses grecques, peut se montrer
aussi très cruelle (comme la fois où, ayant été surprise nue dans une rivière par un jeune
chasseur du nom d’Actéon, elle l’a changé en cerf, avant de le regarder tranquillement se
faire dévorer par ses chiens). Rien d’étonnant, donc, à ce que le culte d’Artémis soit lui
aussi un peu barbare. En Tauride, on dit que tous les étrangers ou les naufragés qui
s’échouent sur les côtes doivent être immolés à la déesse ou jetés en son honneur dans un
précipice.
Néanmoins, à Éphèse, dans l’actuelle Turquie, la déesse est vue sous un jour différent,
avec sur la poitrine un nombre impressionnant de mamelles pour nourrir les hommes et la
Terre. Un temple célèbre lui a été élevé. Durant deux siècles, toute l’Asie ne cessera de le
construire et de l’orner. On prétend qu’il fut détruit et reconstruit sept fois. Avec ses
immenses richesses, le temple d’Artémis à Éphèse était l’une des Sept Merveilles du
monde antique. Les six autres étaient les pyramides d’Égypte, le phare d’Alexandrie, les
jardins suspendus de Babylone, le tombeau de Mausole, le Zeus olympien du sculpteur
Phidias et le colosse de l’île de Rhodes.
JASON

Au départ, l’histoire, une fois de plus, est celle d’un trône usurpé. Elle
commence en Thessalie, au nord de la Grèce. Fils du roi Éson, qui règne sur
un petit royaume, Jason est encore très jeune lorsque son oncle, Pélias,
chasse traîtreusement son père du trône. Pélias, le frère d’Éson, est un
homme fourbe et cruel. Par précaution, Éson choisit de mettre Jason, son
fils, en lieu sûr. Il l’emmène sur le mont Pélion où le petit garçon est élevé
par un singulier maître d’école, Chiron. Chiron est un centaure, une créature
comme les Grecs les affectionnent, dotée d’une tête d’homme et d’un corps
de cheval. C’est aussi un excellent maître, qui apprend au jeune prince à
jouer de la harpe, à monter à cheval et à manier l’épée. Il lui enseigne aussi
la médecine, d’où le nom de Jason qui vient du verbe grec signifiant
“guérir”.

La revanche de l’homme à l’unique sandale


Chiron a raconté à Jason les mésaventures d’Éson, détrôné par son propre
frère. Parvenu à l’âge adulte, Jason n’a qu’une idée, venger son père. Vêtu
d’une peau de léopard, armé de deux lances et chaussé de sandales à lacets
d’or que lui a autrefois données Éson, il se met en chemin, vers son destin.
Jason arrive au bord d’un torrent bouillonnant. Les neiges du mont
Olympe ont fondu et le cours d’eau est sorti de son lit. Pas de pont,
comment traverser ? C’est alors qu’Héra surgit derrière lui. Jason ne la
reconnaît pas car Héra a pris les traits d’une très vieille dame. Elle demande
à Jason qui il est et quel est son projet. Avec fougue, Jason explique qu’il
est le fils d’Éson, qu’il va punir Pélias et reconquérir le trône de son père.
Héra ne peut s’empêcher de mettre le héros à l’épreuve :
– Aide-moi à traverser, ordonne-t-elle.
– Comment faire ? répond Jason. Le courant est énorme. À deux, il
risquerait de nous emporter.
– Si tu n’es pas assez fort pour traverser ce torrent avec une femme sur
tes épaules, comment peux-tu espérer t’emparer d’un royaume ? se moque
alors Héra.
Jason est piqué au vif. Il installe la déesse sur son dos, tâte le fond du
fleuve avec la pointe de ses javelots et s’avance prudemment. Au milieu de
cette équipée, il pousse un cri : il a perdu une sandale à lacets d’or qui est
restée coincée entre deux cailloux. Sur l’autre berge, Héra lui apparaît sous
ses véritables traits : elle lui explique qu’elle voulait tester son courage, et
aussi qu’il est normal qu’il arrive en Thessalie avec une sandale unique. En
effet, l’oracle a prédit à Pélias qu’il serait puni de sa traîtrise par un homme
qui se présenterait devant lui avec un pied nu et l’autre chaussé. Jason est
bien celui dont parlait l’oracle. Avec la bénédiction d’Héra, il se remet en
chemin, le cœur léger et le courage décuplé.
Le voici parvenu au palais. À sa vue, Pélias pâlit d’effroi. Il a pourtant
donné des instructions claires pour que l’on chausse correctement, et aux
frais du royaume, tout étranger qui se présenterait les pieds plus ou moins
nus. Comment celui-ci a-t-il pu parvenir jusqu’à lui ? D’un coup d’œil,
Pélias a reconnu son adversaire. Il est jeune, fringant et apparemment
valeureux. C’est lui, sans nul doute, dont parlait l’oracle. Prenant bien soin
de cacher sa peur, Pélias imagine alors une ruse qui lui permettra de se
débarrasser à peu de frais de cet importun qui le menace. Puisque Jason est
venu pour récupérer le trône, c’est entendu, il le lui rendra. À une condition,
une condition terrible : que Jason aille d’abord chercher la Toison d’or !

Les cinquante héros de l’Argo


La Toison d’or est la fourrure d’un bélier fabuleux qui a jadis sauvé deux
enfants en les emportant sur son dos. C’est pour le récompenser de cette
bonne action que sa toison a miraculeusement été changée en or. Cet animal
a quitté la Thessalie pour aller mourir dans un pays lointain, sur les bords de
la mer Noire, en Colchide. Le roi de cette région, qui détient maintenant
cette légendaire et magnifique peau, refuse de la rendre. Pour la récupérer, il
faut entreprendre un long et dangereux voyage, affronter le dragon qui
garde ce trésor et déjouer les pièges du roi de Colchide, lequel est connu
pour être un redoutable jeteur de sorts.
Pélias est persuadé que Jason n’en réchappera pas. Et Jason, malgré son
appétit de gloire, n’est plus très sûr de lui… Il va donc à son tour consulter
l’oracle. Celui-ci l’invite à aller trouver Argos, un célèbre constructeur de
navire. Argos lui bâtira un bateau comme on n’en a jamais vu : une galère
de cinquante places. Ensuite, il ne restera plus à Jason qu’à aller convaincre
les plus grands héros de la Grèce pour qu’ils acceptent de s’embarquer avec
lui… à la conquête de la Toison d’or.

Quelque temps plus tard, la galère sort des ateliers d’Argos. Elle est
tellement grande, tellement singulière qu’on l’appelle l’Argo (l’œuvre
d’Argos) et ses passagers, les Argonautes. Jason a réussi à en convaincre
quarante-neuf. Et ils sont tous prêts au départ. Parmi eux, on reconnaît
Héraclès (Hercule pour les Romains), bientôt le plus célèbre des héros grecs
grâce à ses douze fameux “travaux”. Héraclès est celui qui, plus tard, va
notamment combattre le redoutable lion de Némée et tuer l’hydre de Lerne,
ce monstre à neuf têtes de serpents. Pour Jason, c’est une aubaine de le
compter dans son équipage. Tout comme Thésée, le vainqueur du
Minotaure, ou Orphée, qui sait amadouer les bêtes sauvages au seul son de
sa cithare. Désormais, ils sont tous à leur place, rames à la main. Au son de
la musique d’Orphée, l’Argo s’élance sur les eaux. De loin, l’odieux Pélias
les observe, priant pour qu’ils ne réussissent pas.

LES AMAZONES

Ces femmes guerrières parcourent à cheval l’Asie Mineure. Redoutables tireuses à l’arc,
elles se coupent le sein droit pour faciliter leurs mouvements sur leur monture et décocher
leurs flèches sans être gênées. L’un des travaux d’Héraclès consistait à aller ravir à
Hippolyte, la reine des Amazones, la ceinture enchantée dont Arès lui avait fait don.
Aujourd’hui, on dit encore de certaines cavalières qu’elles montent “en amazone”, c’est-à-
dire avec une selle spéciale et les deux jambes du même côté, sans pour autant se mutiler
la poitrine !

Épreuves en série
Impossible de raconter toutes les épreuves qui attendent en mer les
Argonautes. Ils affrontent d’abord les géants à six bras ; puis les Harpyes,
ces femmes ailées aux corps de vautours qui enlèvent les enfants et
pourvoient en morts le royaume des Enfers ; sans compter les sirènes, aux
corps de requins et aux bustes de femmes, dont la voix terrible donne aux
marins l’envie de se jeter à l’eau ; ou les Amazones – des femmes cruelles
encore une fois, comme si les Grecs assimilaient volontiers les femmes à
des monstres ! – qui n’acceptent la présence des hommes qu’une fois par an
pour perpétuer leur race.
Enfin, Jason et son équipage arrivent en Colchide où le grand défi les
attend. Jason se rend directement à la cour du roi Aétès, qui ressemble un
peu à Pélias – malin, perfide et, on l’imagine, assez mal disposé envers
Jason. Quel est donc ce jeune présomptueux qui prétend rapporter en Grèce
la Toison d’or dont il se sent propriétaire ? Encore une fois, Jason est mis à
l’épreuve. S’il veut récupérer la Toison, il n’aura qu’à sortir victorieux des
embûches que lui tend Aétès. En plus du dragon furieux auquel il
s’attendait, Jason devra maîtriser deux taureaux sauvages qui crachent le
feu par leurs naseaux, puis exterminer une armée de farouches guerriers qui
aura surgi d’un champ labouré par ces bêtes…
Jason est découragé. Il décide d’aller demander conseil à ses
compagnons. C’est Thésée qui lui souffle la solution. N’oublions pas qu’il a
lui-même vaincu le Minotaure, en Crète, avec l’aide de la belle Ariane1.
Sans l’aide de celle-ci, il est probable qu’il aurait échoué. Or, pourquoi ne
pas recommencer cette expérience ? Aétès a justement une fille, Médée,
qui, comme son père, est un peu magicienne. Sans doute a-t-elle une idée
pour dompter les taureaux fous et parvenir jusqu’à la Toison d’or.
Les taureaux par les cornes
Alors Jason implore l’aide d’Héra. La grande dame de l’Olympe
convainc Éros, le dieu de l’Amour, de percer d’une flèche le cœur de la
jeune fille. Voilà : Éros a allumé la passion chez Médée. Séduite par Jason,
Médée ferait n’importe quoi pour l’aider. Elle lui confie en particulier un
onguent dont elle a le secret. Si Jason s’enduit le corps avec cette crème
magique, il pourra traverser les flammes que crachent les taureaux. Elle lui
donne aussi une pierre à jeter au milieu de l’armée qu’il affrontera. Les
guerriers s’entretueront alors jusqu’au dernier, et Jason pourra conquérir la
Toison.
À la stupeur de Jason, tout se passe comme l’a annoncé Médée.
Insensible au feu, Jason saisit les taureaux par les cornes (est-ce de là que
vient l’expression ?) et les force à l’obéissance. Un peu plus tard, sur le
champ de bataille labouré par les bêtes, Jason lance la pierre magique et
l’armée qui a surgi est totalement anéantie. La voie est libre jusqu’au
bosquet de Mars, le petit bois sacré où, dit-on, est étendue la Toison d’or.
Une fois de plus, grâce à un philtre magique fourni par Médée
l’enchanteresse, Jason endort le dragon qui garde la Toison et s’empare du
butin.

Enfin roi
Sur l’Argo qui les ramène vers la Grèce, Jason et Médée parlent d’avenir.
Bientôt ils se marieront. De leur union naîtront effectivement, quelques
années plus tard, deux fils, Merméros et Phérès. Auparavant, Jason doit
rentrer en Thessalie, apporter la Toison d’or à la cour de Pélias et venger
l’affront fait à son père. Il ne se doute pas que, dans un ultime accès de
mauvaise foi, Pélias va refuser de rendre le trône. Une fois de plus, c’est
Médée qui lui vient en aide. Elle persuade les propres filles de Pélias de tuer
leur père. Et Jason, enfin, récupérera le trône.
La suite est moins heureuse. Elle fait même douter du caractère
“héroïque” de Jason. Comme Thésée avait jadis abandonné Ariane qui
venait de lui sauver la vie, Jason se détourne de Médée, à laquelle il doit
pourtant son retour sur le trône. Pire, il la répudie, car il est tombé
amoureux d’une autre femme, Créüse. Médée est folle de rage. Pour se
venger, elle décide, non pas de faire périr Jason lui-même, mais de tuer
leurs deux fils, Merméros et Phérès, sans épargner sa rivale, Créüse. Selon
certaines sources, Jason, désespéré, met alors lui-même fin à ses jours.
Selon d’autres, Médée la magicienne disparaît dans les airs, abandonnant
Jason à sa solitude et à son malheur.

1 Voir “La Mythologie grecque” dans l‘autre volume des Naissances du Monde.
PSYCHÉ

Écoutez bien l’histoire de Psyché et d’Éros. Elle vous rappellera peut-être


un conte célèbre qu’elle a d’ailleurs inspiré – celui de La Belle et la Bête.
La princesse Psyché est la plus jeune et la plus belle de trois sœurs. Elle a
beau être une simple mortelle, elle est belle et pure comme son nom qui, en
grec, signifie “âme”. La grâce, l’esprit, la beauté… : Psyché est décidément
irrésistible. À tel point qu’au royaume de son père, tous les sujets se
pressent pour l’admirer. Pour un peu, ils l’adoreraient comme une déesse.
Aphrodite ne l’entend pas de cette oreille. Quelle est cette jeune
présomptueuse qui risque de lui faire de l’ombre ? Peu importe que Psyché
veuille ou non rivaliser avec elle. La déesse de la Beauté et de l’Amour est
si jalouse qu’elle décide de se venger.

Amoureuse d’un monstre


Aphrodite fait appel à son fils, Éros, le dieu de l’Amour. On sait que cette
divinité est l’une des forces primordiales dans l’univers des anciens Grecs.
Avec le temps, les artistes l’ont représenté comme un jeune garçon ailé,
perçant de ses flèches le cœur des êtres humains. Rien ne résiste aux
passions qu’il fait naître. C’est bien pour cela qu’Aphrodite a recours à lui.
Son intention est diabolique. Elle demande à Éros d’inspirer à Psyché un
amour violent, mais pour le moins singulier. Psyché, en effet, devra tomber
amoureuse d’un homme d’une laideur repoussante. Autant dire d’un
monstre.
Les désirs d’Aphrodite sont des ordres. Éros s’exécute : il s’empare de
son arc et s’envole dans les airs. Lorsqu’il arrive devant Psyché, il
s’immobilise tout à coup : impossible de décocher sa flèche, sa main
tremble… Subjugué par la grâce de la princesse, Éros ne peut en détacher
ses yeux. C’est ce que l’on appelle un coup de foudre. Pourquoi le dieu de
l’Amour en serait-il à l’abri ?
Non seulement Éros n’obéit pas aux ordres de sa mère, mais il ne rêve
plus que d’épouser Psyché. Comment cela peut-il être possible ? Lui, le
dieu Éros, s’unir à une simple mortelle ? Et une mortelle détestée par sa
mère ? L’entreprise paraît désespérée. Alors, Éros imagine une ruse. Il
s’unira à Psyché, mais toujours dans le noir. Ainsi, la jeune fille ne pourra
pas savoir qui est son amant. Nul ne connaîtra le secret, même pas
Aphrodite. Et leur amour sera préservé.
Le soir même, Éros demande à Zéphyr, dieu du Vent, de transporter
Psyché dans son palais. La belle est déjà endormie. Lorsqu’elle se réveille,
le lendemain matin, elle se trouve en un lieu enchanté, décoré d’argent et de
pierres précieuses. Détails étranges : elle est seule dans cette demeure.
Pourtant, un repas a été préparé à son intention. Un bain a coulé pour elle et
un lit moelleux l’attend. La nuit venue, Psyché s’étend sur ces draps frais.
Elle somnole déjà lorsqu’il lui semble sentir une présence à ses côtés. Une
voix lui parle, chaude et rassurante, et quelqu’un la prend dans ses bras
accueillants… La chose se reproduit ainsi plusieurs nuits. Chaque soir,
Psyché attend cet amant magnifique et mystérieux qui lui a fait promettre
de ne jamais tenter de le regarder.

Trahie par ses sœurs


De temps en temps, lorsqu’elle s’ennuie de sa famille, Psyché va trouver
Zéphyr qui lui permet de passer quelques jours chez elle en attendant de
retourner au palais. Ses sœurs ont fait de beaux mariages, et elles se
moquent un peu de Psyché qui n’a encore épousé personne. Alors, cette
dernière raconte l’histoire de son amant mystérieux qui n’apparaît que la
nuit.
Ses sœurs sont si jalouses du bonheur de Psyché qu’elles voudraient bien
le lui gâcher. Elles tentent donc d’introduire le doute dans son âme et lui
disent que c’est certainement un monstre qui la retrouve, chaque soir, dans
l’obscurité. Psyché veut en avoir le cœur net et rentre au palais d’Éros le
jour suivant. Tant pis pour sa promesse. La nuit venue, alors que son époux
est endormi, elle approche de lui une petite lampe à huile. Et quelle n’est
pas sa surprise ! En fait de monstre, elle découvre le dieu de l’Amour, ses
traits fins, son corps superbe. Alors qu’elle l’admire, une goutte d’huile
tombe sur l’épaule d’Éros. Catastrophe ! Le dieu se réveille en sursaut,
comprend que Psyché a manqué à sa parole et disparaît.

Sauvée par sa persévérance


Psyché est folle de douleur. Comme elle s’en veut ! Il ne lui reste plus
qu’à aller trouver la déesse de l’Amour pour tenter de l’apitoyer sur son
sort. Profitant de la vulnérabilité de Psyché, Aphrodite la soumet à toutes
sortes d’épreuves les plus humiliantes. Avec une persévérance exemplaire,
Psyché trie un énorme tas de graines mélangées par Aphrodite, triomphe de
moutons féroces, puise de l’eau à la source du Styx et réussit même à
amadouer Cerbère, le chien à trois têtes du royaume des Ombres.
Devant un tel courage, Aphrodite accepte finalement qu’Hermès aille
chercher Psyché sur la Terre et la ramène sur l’Olympe, la demeure des
dieux. Là, on lui fait boire le nectar et l’ambroisie qui la rendent
immortelle. Et l’on commence à préparer les noces. Aux épousailles d’Éros
et de Psyché, on dit même qu’Aphrodite a consenti à danser. De leur union,
fruit de cet amour vrai, naîtra bientôt une fille ravissante… Volupté.

PSY…

Sur la racine de “psyché” qui, en grec signifie “âme”, la langue française a bâti bien
d’autres mots. Il y a la psychiatrie, cette branche de la médecine qui s’occupe des maladies
mentales, la psychanalyse, qui permet de soigner certains troubles de “l’âme”, la
psychologie, cette science qui étudie la vie de l’esprit… et bien d’autres que tu retrouveras
certainement toi-même.
PÉNÉLOPE

Son nom seul évoque l’amour et la fidélité conjugale. La reine Pénélope


est la femme d’Odysseus, c’est-à-dire d’Ulysse, le roi de l’île d’Ithaque, le
grand héros grec de l’Antiquité. Avec lui, elle a eu un fils, Télémaque.
Pénélope est encore une toute jeune mère lorsque Ulysse quitte le royaume
pour partir à la guerre, la grande guerre de Troie. Elle ne se doute pas que
l’absence de son époux va durer très longtemps, vingt ans exactement !
Pendant tout ce temps, Pénélope va attendre le retour d’Ulysse. Elle va
l’attendre sans jamais cesser de l’aimer. La tâche n’est pas facile. Autour
d’elle, de nombreux prétendants se pressent. Convoitant le trône d’Ithaque,
ils font preuve d’une audace de plus en plus grande et affirment qu’après
une si longue absence, Ulysse ne reviendra jamais. Et ils somment Pénélope
de choisir parmi eux un nouvel époux.
Mais Pénélope tient bon. Sans se décourager, elle repousse
inlassablement leurs avances. Elle use de toutes les ruses pour gagner du
temps. Elle leur dit qu’elle doit terminer de tisser le linceul de son beau-
père, Laërte, avant de pouvoir faire un choix. Et ce qu’elle tisse le jour, elle
le défait secrètement la nuit. Si bien que l’ouvrage n’est jamais vraiment
terminé.

Un mendiant méconnaissable
Combien de temps Pénélope pourra-t-elle encore tenir ? Plus très
longtemps sans doute. L’une de ses servantes a compris son stratagème.
Elle a dénoncé sa maîtresse. Et les prétendants, odieux, en profitent pour se
faire plus pressants encore.
Pénélope est au désespoir.
Ce qu’elle ignore, c’est qu’Ulysse a fini par rentrer à Ithaque. Oui, il est
enfin de retour, à l’insu de tous. Car Athéna, qui veille sur lui, l’a
provisoirement transformé en un vieux mendiant méconnaissable. Seul
Télémaque est dans la confidence. Hébergé chez un porcher du nom
d’Eumée, Ulysse y a rencontré son fils.
À ce moment, Athéna l’a touché de sa baguette d’or et lui a, pour un
temps, redonné son apparence véritable.
Télémaque a reconnu son père. Quelle émotion ! Ils pleurent tous deux,
dans les bras l’un de l’autre. Puis Ulysse explique son plan à Télémaque.
C’est un plan que lui a soufflé Athéna pour chasser les prétendants et
retrouver Pénélope. Pour cela, il doit reprendre son apparence de vieillard et
se présenter le lendemain au palais.

Une cicatrice sur le pied droit


Aux portes du palais, Ulysse est reconnu par son vieux chien, Argos, qui
couche les oreilles et remue la queue. C’est bien le seul qui lui fasse fête.
Au palais, les prétendants l’insultent et l’humilient. Antinoos est le pire
d’entre eux. Refusant l’hospitalité à Ulysse, il saisit un tabouret qu’il lui
lance sur l’épaule. Ulysse reste de marbre, mais “roule la vengeance au
gouffre de son cœur”.
C’est alors qu’apparaît Pénélope. Elle fait venir à elle ce mendiant qui lui
inspire de la pitié. Il semble avoir beaucoup voyagé. Peut-être a-t-il des
nouvelles d’Ulysse ? Justement, l’étranger raconte qu’il a croisé son
chemin, en Crète, alors qu’Ulysse et ses camarades faisaient route vers
Troie. Pénélope le harcèle de questions. Puis elle fond en larmes. Ulysse
contemple sans ciller la douleur de sa femme. Il teste son amour et sa
persévérance. Il va même jusqu’à lui prédire qu’Ulysse reviendra bientôt.
Pénélope est bouleversée. Si ce mendiant pouvait dire vrai ! En attendant,
elle ordonne qu’on lui lave les pieds, comme on fait aux hôtes de marque.
Elle appelle Euryclée, une vieille servante qui fut autrefois la nourrice
d’Ulysse. Euryclée se baisse, saisit les pieds de l’étranger et, d’émotion,
renverse la bassine. Elle vient de reconnaître une cicatrice qu’Ulysse avait
au pied. C’est donc lui, son maître, qui est revenu. Ses yeux s’emplissent de
larmes, mais Ulysse lui demande de garder le secret : il n’a pas encore mis
son plan à exécution.

Ensemble, enfin…
Son plan, c’est toujours Athéna qui le lui dicte. Elle vient de souffler à
Pénélope – qui ne se doute de rien – d’aller chercher le grand arc d’Ulysse.
Pénélope ne peut plus ruser avec les prétendants. La mort dans l’âme, elle
doit désormais les départager. Et elle vient d’avoir une idée : celui qui
pourra bander l’arc d’Ulysse gagnera sa main. Un à un, les prétendants
saisissent l’arc et essaient de le tendre. Sans succès. Alors qu’Ulysse
s’avance et demande à concourir, tous se moquent de lui : comment ce
vieillard en loques peut-il prétendre avoir la force nécessaire ? Une fois de
plus, Pénélope intervient. Et quelle n’est pas sa surprise de voir le vieil
homme se redresser peu à peu, puis tendre sans effort le grand arc !
Se débarrassant de ses loques, Ulysse jette alors son masque.
– Finis les jeux, dit-il en prenant son carquois.
Et, visant Antinoos au moment où celui-ci s’apprête à boire, il lui
décoche “la flèche d’amertume”. Antinoos est frappé à la gorge. La pointe
de la flèche ressort par sa nuque. Un flot de sang épais jaillit de ses narines.
Devant l’assemblée médusée, Antinoos s’écroule à la renverse.
La panique saisit les prétendants qui cherchent à s’emparer d’une arme.
– Chiens, leur crie Ulysse vengeur. Vous pensiez que je ne reviendrais
jamais. Vous pilliez ma maison. Vous entriez de force au lit de mes
servantes ! Et vous faisiez la cour, moi vivant, à ma femme. Vous voilà
maintenant dans les nœuds de la mort !
Une autre flèche part aussitôt et un autre prétendant tombe. Puis un autre
et encore un autre. Un à un, Ulysse les élimine, jusqu’au dernier.
Alors Pénélope s’approche. Elle le regarde longuement. Elle scrute son
visage. Se pourrait-il que…? Mais elle ne reconnaît pas Ulysse. Elle ne
reconnaît pas, sous ces haillons, l’époux de sa jeunesse. Alors, Ulysse lui
raconte les secrets qui n’appartiennent qu’à eux. Il lui donne tant de détails
que, peu à peu, Pénélope sent son cœur se dérober.
S’élançant vers lui, elle lance ses bras blancs autour du cou d’Ulysse et
se met à pleurer. Pendant qu’ils échangent de douces paroles, Euryclée, la
nourrice, prépare leur lit à la lueur des torches.
Le lendemain, lorsque paraîtra l’aurore aux doigts de rose, comme
l’appelle Homère, elle les trouvera enlacés, pleurant et riant tout à la fois.
On dit qu’Athéna avait eu l’idée d’allonger la nuit pour célébrer leurs
retrouvailles.
Pour Raquel et Valérie Bastos.
LES ROMAINS ADOPTENT
LES DIEUX GRECS

Aux yeux des Romains, les dieux sont partout, à tout moment. C’est
pourquoi, quoi que l’on fasse, il faut tenir compte de leur volonté. Un
exemple : lorsqu’un enfant naît, une multitude de divinités président à son
développement : Cumina le protège au berceau, Statulinus lui enseigne à se
tenir debout, Rumina à téter, Fabulinus à marcher… Il en va de même pour
la récolte de l’année, ou encore lors d’une guerre ou d’une bataille : toutes
les étapes de la vie terrestre sont placées sous le signe d’une multitude de
dieux, grands ou petits. Ce sont eux qui aident à franchir les épreuves et qui
dictent leurs souhaits. Pas question de ne pas respecter ce qu’en d’autres
termes on nommerait le destin !

De l’Olympe au Capitole
Ces dieux, qui sont-ils ? Ce sont d’abord, à quelques différences près,
tous les grands dieux grecs, descendus du mont Olympe pour se transporter
sur la colline romaine du Capitole. Voici comment, à l’âge de bronze, les
Italiotes, une peuplade venue d’Europe centrale, occupent le Nord de la
“Botte”. Mais à partir du VIIIe siècle avant Jésus-Christ, des Grecs
établissent des colonies en Italie du Sud et en Sicile, apportant la culture
grecque sur la péninsule. Lors de la fondation légendaire de Rome,
en 753 avant Jésus-Christ, les Romains sont tellement impressionnés par la
richesse de la mythologie grecque qu’ils vont l’annexer, purement et
simplement. Ainsi retrouve-t-on au panthéon romain beaucoup de dieux qui
ressemblent étrangement à leurs cousins grecs.

En voici quelques-uns parmi les principaux :


Jupiter (Zeus chez les Grecs) : C’est le plus grand de tous, le souverain
du Ciel et de la Terre. Comme il commande à la foudre et à tous les
éléments, on lui a donné des surnoms parlants parmi lesquels Fulminator,
Fulgurator ou Tonitrualis. Il a son temple sur le Capitole et, avec Junon et
Minerve, compose la triade capitoline, celle qui veille sur Rome.

Junon (Héra) : C’est l’épouse de Jupiter et la reine des Cieux. Elle est
aussi la protectrice des femmes, la déesse des épouses et la patronne des
mères de famille, sous le nom de Juno Matronalia.

Minerve (Athéna) : Elle représente les Lettres, les Arts et la Musique,


mais aussi la Sagesse et l’Intelligence. Bref, elle incarne l’élévation de la
pensée.

Vénus (Aphrodite) : La déesse de la Beauté et de l’Amour. Les Romains


lui ont consacré le mois d’avril, lorsque la nature témoigne du renouveau de
la vie.

Mars (Arès) : Le dieu de la Guerre mais aussi celui de la Force et de la


Vigueur. Une fête lui est consacrée lors du mois qui porte son nom.

Pluton (Hadès) : C’est le redoutable souverain des Enfers. On lui sacrifie


des animaux au pelage sombre, brebis ou porcs noirs, et on voue à sa colère
terrible tous les condamnés à mort.

Neptune (Poséidon) : Chez les anciens Latins, il est le dieu de


l’Humidité. En son honneur, on donne des fêtes, les Neptunalia, au moment
des grandes chaleurs de juillet. Plus tard, il se confondra avec le dieu grec
de la Mer, Poséidon.

D’autres dieux venus d’Étrurie ou d’Orient


Les Romains, qui font feu de tout bois, n’hésitent pas non plus à adopter
des dieux qui leur viennent d’autres peuples, des Étrusques notamment.
Parmi ceux-ci, on trouve à l’origine Vulcain, le dieu du Feu (c’est lui qui
forge les armes des dieux dans les volcans de l’Italie du Sud), Diane, la
déesse de la Chasse et de la Guerre, ou Cérès, la très ancienne divinité de la
terre, qui se confondront plus tard avec leurs homologues grecs Héphaïstos,
Artémis et Déméter.
Avec les conquêtes, le panthéon romain ne va pas tarder à s’enrichir
encore. De la déesse Cybèle, par exemple, la Grande Mère incarnant la
puissance de la nature, et qui vient de Phrygie (l’actuelle Turquie). Ou
encore de Mithra, ce dieu de la Lumière et de la Vérité, originaire de la
Perse antique (l’actuel Iran).

Les dieux domestiques


Enfin, qu’ils soient créés par eux ou empruntés à d’autres, les Romains
vénèrent des dieux “domestiques”. Ces divinités sont chargées de veiller sur
la famille et les divers lieux de la vie. Parmi celles-ci :

Les lares
Peut-être d’origine étrusque, ils protègent chaque demeure romaine.
Symbolisés par des statuettes, ils incarnent l’âme des morts et des
fondateurs de la famille. Chaque jour, on leur adresse des prières
accompagnées d’offrandes, d’encens, de vin, d’aliments… Aux lares
domestiques s’ajoutent les lares publics qui garantissent la sécurité des rues,
celle des champs ou des carrefours.

Les pénates
Ce sont eux qui veillent sur le penus, les aliments. On les honore
quotidiennement de prières et d’offrandes et, lors des fêtes, on orne leur
autel de couronnes de fleurs.
Vesta
C’est la divinité du Foyer. Elle est représentée par le feu, son symbole
vivant.

Enfin, chez les Romains, la porte d’entrée de la maison est aussi placée
sous la tutelle d’un dieu, le numen, et l’acte de franchir un seuil est toujours
chargé d’une signification magique.

COMMENT CONNAÎTRE LA VOLONTÉ DES DIEUX ?

Pour interpréter la volonté des dieux, les Romains ont recours à de nombreuses
techniques. Ils interrogent le ciel, les éclairs, les étoiles. Ils sacrifient des animaux (par
exemple des taureaux) dont ils examinent les entrailles, surtout le foie, pour y lire l’avenir.
Ils lâchent des poulets sacrés et regardent s’ils laissent tomber du grain de leur bec. Ils
observent les objets jetés dans l’eau et interprètent les rêves… Les prêtres chargés
d’observer ces signes afin d’en tirer des présages s’appellent des augures ou des
aruspices. Aujourd’hui encore, dans la conversation, ne parle-t-on pas d’un “oiseau de bon
ou de mauvais augure” ?
ÉNÉE, UN PRINCE TROYEN
EN ITALIE

Cela peut paraître étrange, mais pour remonter aux origines de Rome –
une cité extrêmement puissante qui deviendra bientôt un empire de
plusieurs millions de kilomètres carrés –, il faut d’abord aller à Troie, sur
les côtes de l’actuelle Turquie. Nous sommes au XIIe siècle avant Jésus-
Christ. Une guerre terrible vient de ravager Troie. Une guerre de dix ans qui
n’a pris fin que lorsqu’Ulysse, le plus célèbre des héros grecs, a eu l’idée
d’une ruse : il a fait construire un gigantesque cheval de bois qui dissimulait
dans ses flancs des dizaines de guerriers. Les Troyens ne se sont pas méfiés.
Ils ont fait entrer le cheval dans la ville. Et Troie est tombée aux mains des
Grecs…
Cette nuit-là, Troie est en flammes. Un jeune homme du nom d’Énée la
regarde disparaître, impuissant devant ce spectacle de désolation. Énée est
le fils du roi Anchise et de Vénus, la déesse de l’Amour. Pendant la guerre,
il n’a jamais perdu une occasion de montrer sa valeur et son courage. Il a
pris les armes aux côtés des Troyens et s’est battu jusqu’au dernier espoir.
Maintenant que tout est perdu, il ne lui reste plus qu’à s’enfuir. Il a chargé
sur son dos son vieux père Anchise, aveugle et paralysé. D’une main, il
maintient le vieil homme. De l’autre, il traîne son fils, Ascagne ; mais où est
donc son épouse Créüse ? Dans la confusion générale, Énée a perdu Créüse.
Alors, il revient sur ses pas, pour ne pas partir sans elle. C’est à ce moment
que, dans le tumulte, l’ombre de Créüse lui apparaît et lui révèle qu’il doit
se lancer dans un long périple et partir à la recherche d’une terre nouvelle,
l’Italie. Le cœur serré, Énée décide de s’en remettre à ce présage. Il ne sait
pas encore qu’il va devenir le père fondateur du peuple romain : un
magnifique “trait d’union” entre la Grèce et Rome.
De Charybde en Scylla
“Je chante les combats et les vertus de ce Héros qui, obligé par le destin
de quitter sa patrie, aborda le premier, du pays des Troyens, en Italie.”
C’est ainsi, justement, que commence L’Énéide, la grande œuvre du poète
latin Virgile, qui vécut au Ier siècle avant Jésus-Christ. Mais la route est
longue jusqu’à l’Italie. Parti en bateau avec Anchise, Ascagne et quelques
compagnons, Énée erre sur les mers pendant sept ans. On dirait que, voulant
tester sa détermination, les dieux lui envoient les pires épreuves. Bravant les
tempêtes et la nature hostile en quête d’un rivage accueillant, Énée passe
d’abord par l’île de Délos, puis par la Crète. Alors qu’il longe encore les
côtes de la Grèce, il rencontre le roi Hélénus, célèbre pour son don de
prédire l’avenir. Hélénus lui confirme le présage de Créüse : “Ton destin est
scellé, lui dit-il. Tu traverseras maints dangers avec tes vaisseaux, mais tu
parviendras au rivage de la lointaine Italie et tu y bâtiras une grande cité.”
Un peu plus tard, on retrouve Énée en Sicile. Ses bateaux passent non
loin de l’Etna, et réussissent à échapper au volcan qui vomit de la fumée et
des pluies d’étincelles. Mais le vent tombe, Énée et sa flotte dérivent
insensiblement vers le pays des Cyclopes. Des monstres terrifiants qui n’ont
qu’un œil unique au milieu du front. Pour les Grecs, ils représentent la
violence et la sauvagerie, le contraire même de toute civilisation. Lorsqu’ils
voient approcher les étrangers, les Cyclopes se précipitent jusqu’aux
falaises et commencent à lancer d’énormes rochers sur les embarcations.
Heureusement, le vent se lève brutalement, Énée et ses compagnons
peuvent enfin repartir.
En se sauvant, ils ne se sont pas aperçus qu’ils se trompaient de route.
Malheur ! Les voilà qui se dirigent vers le détroit de Messine, cette étroite
langue de mer qui sépare la Sicile de la péninsule Italienne. Or deux
monstres fabuleux gardent le détroit. L’un s’appelle Charybde, l’autre
Scylla. Charybde, qui symbolise les fureurs de la mer, est un tourbillon
gigantesque qui engloutit trois fois par jour d’immenses paquets d’eau et
attire les navires dans ses courants. Lorsque les marins changent de cap
pour lui échapper, ils sont rejetés vers Scylla, un monstre à six têtes tapi
dans les profondeurs de la mer et qui s’empresse de les dévorer. Les
compagnons d’Énée, arc-boutés sur leurs avirons, essaient par tous les
moyens de maintenir le cap. Est-ce l’énergie du désespoir qui décuple leurs
forces, ou le bon vouloir des dieux ? Ils passent le détroit. Ils sont sauvés !
Une nouvelle épreuve attend Énée. En Sicile, le vieil Anchise rend l’âme.
Pourquoi faut-il que, si près du but, la mort vienne les séparer ? Énée est
submergé par le désespoir. Pour un peu, il renoncerait à sa mission. Mais
après avoir accompli les rites funéraires, il se résout tout de même à
reprendre la mer.

TOMBER DE CHARYBDE EN SCYLLA

Dans la conversation, vous avez peut-être entendu l’expression “tomber de Charybde en


Scylla”. Elle fait directement référence aux deux monstres fabuleux qui gardaient le détroit
de Messine. Littéralement, cela veut dire passer d’un gouffre menaçant de vous engloutir à
un monstre sur le point de vous dévorer – c’est-à-dire guère mieux en vérité ! C’est donc
une expression imagée pour dire “aller de catastrophe en catastrophe” !

Didon et Énée
À peine Énée aborde-t-il le large que les vagues se déchaînent. La déesse
Junon, la femme de Jupiter, voyant que le voyage d’Énée touche à sa fin, est
soudain animée d’une terrible fureur. Elle déteste les Troyens et s’agace de
ce destin prestigieux dont on parle pour Énée. Pour les détourner une fois
de plus de leur route, elle ordonne à la tempête de les jeter sur les rives de
l’Afrique du Nord, à Carthage, dans la Tunisie d’aujourd’hui. Junon sait
que ce plan n’est pas anodin. À Carthage, Énée est reçu par Didon, la reine
de cette cité florissante.
Immédiatement séduite par Énée, Didon – qui a entendu parler de ses
prouesses lors de la guerre de Troie – en tombe passionnément amoureuse.
Le poète Virgile a chanté dans de très beaux vers la passion amoureuse de la
reine. Celle-ci a été mariée naguère, mais son mari est mort assassiné.
Depuis, son cœur est resté sec. Et voilà que soudain, Énée parvient à
ranimer en elle la flamme de l’amour. Un amour si ardent que Didon ne
pense à plus rien d’autre.
En l’honneur d’Énée, elle donne des banquets, des fêtes, des chasses avec
toute la noblesse de Carthage. Elle le trouve si beau, si parfait, qu’elle va
même jusqu’à prononcer le mot de mariage.
Or, cela n’est pas du goût de tous. Dans les environs de la ville se trouve
un petit roi, Iarbus, qui poursuit en vain Didon de ses assiduités. Lorsqu’il
apprend la nouvelle, furieux, il va trouver Jupiter pour se plaindre de ce que
Didon serait sur le point de convoler en justes noces avec Énée, un
aventurier sans patrie ni palais. Jupiter se moque des jérémiades de Iarbus,
mais il sait qu’Énée a un destin et qu’il doit l’accomplir. Il envoie donc
Mercure le rappeler à l’ordre. Pas question de s’attarder à Carthage plus
longtemps. Obéissant à la volonté divine, Énée se remet donc en route. Sans
même dire adieu à Didon. Désespérée, la reine se précipite à l’intérieur de
son palais. Là, elle fait dresser un bûcher où ont été rassemblés les
vêtements d’Énée ainsi que leur lit nuptial. Puis elle gravit les marches du
bûcher avec à la main l’épée dont Énée lui a fait don ; elle s’allonge sur le
lit et se poignarde au milieu des flammes.

L’ÉNÉIDE

C’est aux environs de 30 avant Jésus-Christ que le grand poète latin Virgile entreprend
la composition de L’Énéide, qui retrace les aventures d’Énée. Ce sera sa dernière œuvre
qu’il laissera d’ailleurs inachevée, s’inscrivant dans une tradition de l’épopée, un récit
célébrant les hauts faits d’un héros, une œuvre mélangeant le merveilleux de la légende à
la réalité de l’histoire. Parmi les plus anciens poèmes de ce genre, il y a L’Épopée de
Gilgamesh, l’un des principaux textes de la mythologie mésopotamienne, et bien sûr,
L’Iliade et L’Odyssée, du grand poète grec Homère. Si l’on en croit certains archéologues,
des navigateurs venus d’Asie Mineure se seraient en effet fixés en Italie après la guerre de
Troie : il n’est donc pas impossible que l’œuvre de Virgile soit partiellement fondée sur des
faits authentiques.
L’Italie, enfin
Pendant ce temps, la flotte troyenne disparaît à l’horizon. Il y aura encore
une escale en Sicile et beaucoup de péripéties. Énée, une fois de plus,
perdra une partie de ses bateaux dans un incendie.
Il perdra aussi Palinure, son plus fidèle ami, et aussi son pilote. Il sentira
le découragement le gagner. Bientôt, Anchise lui apparaîtra en songe,
porteur d’un message de Jupiter. “Laisse ici les plus faibles de tes
compagnons et pars vers l’Italie avec les autres. Jupiter t’assiste. Ton destin
est entre les mains des dieux.”
Un peu plus tard, après des années de souffrances et de tourments, Énée
et les siens apercevront enfin à l’horizon les côtes tant espérées de l’Italie.
Ils accosteront à Cumes, sur la mer Tyrrhénienne. “De là allaient sortir
toute la race latine, les rois d’Albe et Rome elle-même”, écrit Virgile. Les
Romains, il est vrai, seront fiers de faire remonter leurs origines à Énée,
leur grand ancêtre, ce fils d’une déesse échappé d’une cité en flammes, et
qui fit voile vers l’Italie pour y devenir le père de la nation romaine.

Si tu passes par…
Énée et ses aventures ont inspiré beaucoup d’artistes. Si tu passes par
Naples, tu pourras admirer au musée National une fresque de Pompéi
représentant Énée, blessé à la cuisse, entourant de son bras les épaules de
son fils Ascagne. Et si tu passes par Rome, tu verras, à la galerie Borghèse,
un marbre du Bernin, un sculpteur du XVIIe siècle. Il représente Énée
s’enfuyant de Troie avec le lourd Anchise sur l’une de ses épaules.
DE LAVINIUM À ROME EN PASSANT
PAR ALBE-LA-LONGUE

Voici donc Énée à Cumes. Dans l’Antiquité, cette ville italienne est
doublement célèbre. C’est là que, fuyant la colère du roi Minos, l’architecte
Dédale – qui, en Crète, avait notamment construit le labyrinthe enfermant le
Minotaure – s’est installé. (Entre-temps, il avait perdu son fils Icare qui, ce
fanfaron, avait voulu trop s’approcher du soleil, et s’était vu précipiter dans
la mer qui porte son nom…) Cumes est aussi connue pour la Sibylle, une
jeune prêtresse d’Apollon qui a le don de prédire l’avenir. Au fil du temps,
les Romains vont lui accorder de plus en plus d’importance et ses
prophéties auront même tendance à remplacer les oracles des dieux.
Il y a plusieurs sibylles dans la mythologie romaine. Celle de Cumes est
la plus connue et apparaît dans maintes légendes, notamment celle d’Énée.
Comme tous les personnages de l’Antiquité, en effet, Énée accorde une
grande place aux prophéties. À peine débarqué en Italie, il veut savoir ce
que l’avenir lui réserve. Il se rend donc dans l’antre de la Sibylle, une grotte
profonde, percée de cent avenues et flanquée de cent portes par lesquelles la
jeune fille communique sa réponse à ceux qui l’interrogent.
“Mes malheurs vont-ils enfin cesser ? demande Énée avec angoisse. Vais-
je trouver sur cette terre la patrie et le royaume qui m’ont été promis ? Et
me sera-t-il accordé, pour reprendre courage, d’aller revoir mon père, ne
serait-ce qu’une fois, au royaume des Morts ?”
La Sibylle entre en transe, c’est-à-dire dans une sorte de folie. Elle
profère des sons inarticulés. Puis, sous l’emprise d’Apollon, elle répond à
Énée : oui, ses épreuves sur la mer sont terminées, mais il va devoir encore
livrer sur terre plusieurs combats dont il sortira victorieux… Et Énée sait
bien que ceux qui s’aventurent au pays des Morts n’en remontent en
principe jamais ! S’il y tient à ce point, elle, la Sibylle, pourra l’aider. À
condition qu’il se procure le rameau d’or qui doit le protéger…

VOUS AVEZ DIT “SIBYLLIN” ?

Quand la Sibylle rendait ses oracles, elle prononçait des mots inarticulés et confus qui
étaient interprétés ensuite. Ce sont ces oracles peu compréhensibles que l’on a qualifiés de
sibyllins. Aujourd’hui, lorsqu’on parle de messages sibyllins ou de paroles sibyllines, cela
veut dire que leur sens est caché, comme celui des oracles ; des mots qui restent
mystérieux, énigmatiques ou obscurs.

La descente aux enfers


Le rameau d’or ? C’est un morceau de branche magique. Non seulement
il repousse chaque fois qu’on le cueille, mais, si on l’offre en cadeau à
Proserpine, l’épouse de Pluton et la reine des Enfers, celle-ci permet que
l’on ressorte indemne du royaume des Ombres. Muni de ce précieux sauf-
conduit, Énée chemine maintenant avec la Sibylle qui doit lui montrer la
porte du royaume des Morts. Elle l’emmène à l’entrée d’une caverne,
cachée sous les eaux d’un lac profond. Ce lac, c’est l’Averne. Il s’est formé,
non loin de Cumes, dans le cratère d’un volcan éteint. Au-dessus de lui,
d’immenses arbres forment une voûte impénétrable aux rayons du soleil.
Les Romains pensent que ce lac communique avec le monde infernal et
l’ont donc consacré à Pluton, le roi des Enfers. De ses eaux, s’échappent
des fumées et des vapeurs mortelles. Personne n’en sort indemne sans le
secours des dieux.
Sur les rives de l’Averne, Énée et la Sibylle sacrifient des animaux pour
que le sort leur soit propice. Aux dieux de l’empire souterrain, Énée offre
un agneau noir et une vache stérile. Puis il rassemble son courage et,
derrière la Sibylle, disparaît dans les abîmes. Successivement, il va franchir
les différentes régions du royaume des Morts. Il traverse d’abord une terre
désolée où il croise tous les maux qui torturent l’humanité : deuil, remords,
maladie, discorde… Plus loin, il arrive aux rives de l’Achéron, le grand
fleuve des Enfers, dont le nom signifie “celui qui roule des douleurs”. Sur
ses eaux boueuses, une barque fait l’aller-retour, d’une rive à l’autre, celle
de Charon, le nocher, c’est-à-dire le patron du bateau qui transporte les
âmes de l’autre côté de l’Achéron, là où les morts doivent trouver le repos.
Pas question de monter dans sa barque si l’on n’est pas mort soi-même !
Alors Énée sort de sa poche le rameau d’or et réussit à apitoyer Charon.
Insensiblement, il se rapproche de son père, mais d’autres épreuves
l’attendent. De l’autre côté de l’Achéron se tient Cerbère, l’horrible chien à
trois têtes au cou hérissé de serpents. De sa triple gueule ouverte, le monstre
gronde et menace. Heureusement, la Sibylle, qui a tout prévu, lui lance un
gâteau empoisonné et l’animal s’endort sur-le-champ.
Énée arrive alors au champ des Pleurs où se lamentent sans fin toutes les
victimes des amours malheureuses. Et il voit la reine Didon passer devant
lui. Elle est pâle et triste et Énée sent son cœur se serrer. Il tente de lui
expliquer qu’il ne l’a pas trahie, que les dieux exigeaient son départ, mais
Didon passe devant lui sans même détourner la tête…

Le futur dévoilé
Après encore bien des embûches, Énée et la Sibylle arrivent enfin au
séjour des Bienheureux. Là, le vieil Anchise accueille son fils avec émotion.
Énée a voulu le revoir pour se redonner des forces après toutes ces
épreuves. Anchise, lui aussi, a quelque chose à révéler à son fils. Il lui
explique que toutes les âmes mortes qu’il croise en ce lieu attendent en fait
de se réincarner, qu’un jour, au bout de mille ans, elles seront convoquées
par un dieu pour boire l’eau du fleuve Léthé. Alors, oubliant tout leur passé,
elles seront purifiées et prêtes à retourner dans le monde des vivants. Tout
cela semble irréel à Énée, mais son père lui présente les âmes qui, une fois
réincarnées, l’aideront à bâtir la fortune de Rome. Énée est stupéfait de voir
ainsi se dérouler sa vie future. Anchise lui montre des gens dont il n’a
jamais entendu parler : “Regarde, c’est ton fils, Silvius. Et voici Procas et
Numitor, les rois d’Albe. Et Romulus, le fils du dieu Mars, qui entreprendra
la construction de Rome, et…”
Énée reste bouche bée. Il ne retient pas sur-le-champ tous ces noms que
prononce Anchise, mais comprend, une fois de plus, qu’il a été choisi, qu’il
va engendrer une lignée prestigieuse et contribuer à la fondation d’une ville,
Rome, appelée à dominer pendant des siècles l’ensemble du monde
méditerranéen.

Pour l’amour de Lavinia


Voici donc Énée de retour sur le sol des vivants. Là, comme l’a prédit la
Sibylle, les difficultés ne font que recommencer. Quittant Cumes, les
Troyens arrivent dans une région où règne le roi Latinus, qui va donner son
nom aux Latins. Latinus a une fille, Lavinia, que convoitent beaucoup de
jeunes gens. Parmi eux, Turnus, le roi d’un peuple voisin, les Rutules.
Lavinia est donc sur le point d’épouser Turnus lorsqu’un jour, alors qu’elle
accomplit un sacrifice, un étrange événement se produit. Sa longue
chevelure prend feu, les flammes lui auréolent la tête mais elle n’éprouve
aucune souffrance. Ce prodige plonge Latinus dans la perplexité. Il va
trouver l’oracle du pays qui lui prédit une grande renommée pour Lavinia à
condition que son père ne la donne pas en mariage à Turnus. Car Lavinia
est promise à un autre destin. Celui qui doit devenir son époux vient
d’arriver sur le sol de l’Italie après avoir traversé la Méditerranée entière. Il
s’agit, précise l’oracle, d’un valeureux guerrier qui saura élever au plus haut
la gloire du nom latin.
Lorsque Énée se présente pour la première fois devant Latinus, celui-ci le
reconnaît immédiatement. Qui d’autre pourrait être le héros désigné par
l’oracle ? Persuadé que la prophétie se réalise, Latinus promet la main de
Lavinia à Énée. C’est alors que, poussé par Junon qui continue de
persécuter les Troyens, Turnus, le soupirant éconduit, entre dans une rage
terrible et déclare la guerre à Énée.
QUI ÉTAIENT LES ÉTRUSQUES ?

C’était la plus importante civilisation avant celle de Rome. Apparue au VIIIe siècle avant
Jésus-Christ, la civilisation étrusque connaît son apogée deux siècles plus tard. On ne sait
rien de certain sur les origines de ce peuple.
Les historiens pensent que les marins étrusques, peut-être venus de Lydie, sur la mer
Égée, furent attirés en Toscane par les gisements de métaux. Peu à peu, ils dominèrent la
Toscane, mais aussi les régions de la Campanie et du Latium.
Chez les Étrusques, les femmes tenaient une place importante, et l’art étrusque nous
donne l’image d’un peuple qui aimait le luxe, les plaisirs et les jeux. Dans une large mesure,
cette civilisation demeure mystérieuse. Aujourd’hui encore, la langue étrusque n’a pas été
déchiffrée.

Troyens et Latins ne forment plus qu’un seul peuple


Virgile décrit – toujours dans L’Énéide – les combats sanglants et les
sièges qui s’ensuivent. Énée est allé chercher du renfort et il a fait alliance
avec les Étrusques. Finalement, comme l’avait prédit la Sibylle, il triomphe
de Turnus et épouse Lavinia. En l’honneur de sa dame, il va même fonder
une ville qui porte son nom, Lavinium. Troyens et Latins ne forment plus
qu’un seul peuple, qui garde le nom de ces derniers, les Latins. Énée peut
vivre en paix le reste de ses jours. Son destin est accompli selon le bon
vouloir des dieux.
Bientôt, c’est son fils Ascagne qui dirigera le royaume. Lors des combats
contre les Rutules, Ascagne, encore jeune, a combattu avec courage. Ainsi
lui a-t-on donné le surnom de Iule, un diminutif qui signifierait “Petit
Jupiter”. À la mort d’Énée, Iule quitte Lavinium pour fonder sa propre cité.
Elle s’appelle Albe, c’est-à-dire “la blanche”. Et comme elle s’étire le long
des monts Albains, on la nomme Albe-la-Longue, Alba Longa. Sur le trône
de cette ville se succéderont douze générations de descendants d’Ascagne et
d’Énée. Les Anciens considéraient Albe-la-Longue comme l’une des cités
fondatrices de Rome.
NUMITOR ET AMULIUS

Nous voici maintenant des années plus tard. La ville d’Albe-la-Longue


est gouvernée par un descendant d’Ascagne, Procas. C’est le douzième roi
de la ville, un homme très bon et très généreux. Le temps passant, Procas
s’inquiète et il songe au moment où il devra céder le pouvoir. Il a deux fils,
Numitor et Amulius. Autant le premier est doux et juste, à l’image de son
père, autant le cadet, Amulius, se complaît dans la brutalité et la violence.
Et les deux princes se détestent. Pourquoi Numitor devrait-il monter sur le
trône au seul motif qu’il est l’aîné ? fulmine Amulius. Ne suis-je pas aussi
fort et valeureux que lui ? N’ai-je pas mérité moi aussi les honneurs et la
gloire ? Retournant sans cesse ces pensées dans sa tête, Amulius sent
monter la haine en lui. Oui, il finira par écarter Numitor. C’est un serment
qu’il se fait à lui-même.

La ruse d’Amulius
Procas est de plus en plus sombre. Il ne lui échappe pas que ses fils se
jalousent et qu’Amulius est prêt à tout pour monter sur le trône. Comme il
sent ses forces décliner, il fait venir ses enfants et leur dit : “Avant de
mourir, je voudrais que vous partagiez en frères tout ce que je vous laisse.
Vous en ferez deux parts équitables. Toi, Amulius, tu partageras. Et toi,
Numitor, tu choisiras.”
À la mort de Procas, Amulius fait mine d’être extrêmement triste. Puis il
va trouver Numitor et lui rappelle les dernières volontés de leur père : lui,
Amulius, doit partager l’héritage et Numitor doit choisir. Or Amulius a une
ruse assez sommaire. Il propose que l’un des deux ait les biens et l’autre le
trône. De deux choses l’une, se dit-il. Ou mon frère choisit les biens et, en
tant que roi, j’aurai tôt fait de lui confisquer sa fortune. Ou il choisit le
trône, et alors, grâce à ma richesse, je me fais fort de le renverser sans
tarder !
Loin de soupçonner une telle malveillance, Numitor choisit le trône. Les
richesses ne l’attirent guère. Il préfère gouverner afin, dit-il, d’être mieux à
même de faire le bien autour de lui. Ainsi Numitor devient roi. Et Amulius
va mettre en œuvre son plan maléfique.

Déchiqueté par les loups


Son idée est simple. Il lui faut à tout prix éliminer la descendance de
Numitor. Ainsi, lorsqu’il renversera son frère pour s’emparer du trône,
Amulius ne sera-t-il plus menacé par personne. Amulius décide de s’en
prendre d’abord au jeune prince Lausus, le fils de Numitor, un bel
adolescent fougueux et très aimé du peuple d’Albe. Lausus adore la chasse
et Amulius va l’encourager jusqu’à l’extrême dans cette passion. Il part
avec lui, à cheval, chasser les nombreux loups de la région. Il l’entraîne
dans des équipées toujours plus périlleuses. “Un prince comme toi ne doit
avoir peur de rien”, martèle-t-il. Numitor est un peu inquiet, mais, en
homme bon qu’il est, il n’arrive pas à soupçonner son frère de mauvaises
intentions. “Sois prudent”, répète-t-il à son fils. Quant à Amulius, il a réussi
à persuader Lausus que son père, prenant de l’âge, voit du danger partout, et
qu’il ne faut guère tenir compte de ses conseils. “Courage ! En selle ! À la
chasse !” hurle Amulius.
Un jour qu’ils sont partis avant l’aube, l’accident tant espéré par Amulius
se produit. Alors qu’ils se battent avec les chiens au milieu d’une horde de
loups, Lausus tombe de cheval. Le malheureux n’a pas le temps de se
relever que les loups sont sur lui. Amulius ne fait pas un geste.

Rhéa Silvia, vestale malgré elle


Lorsqu’il rentre au palais, où il fait rapporter le corps du prince sur un lit
de branchages, Numitor est accablé de chagrin. Comment pourrait-il se
douter que son frère prépare un plan plus diabolique encore ? Cette fois,
c’est à Rhéa Silvia, la fille de son frère, qu’il s’en prend. Pour elle, il a une
autre idée. Inutile de tuer Rhéa Silvia qui ne peut pas régner elle-même.
L’essentiel est de s’assurer qu’elle n’aura pas d’enfants. Pour cela, Amulius
va l’obliger à devenir vestale.
Dans le monde romain, Vesta, la déesse du foyer, est l’une des divinités
les plus importantes. Elle est représentée par son symbole vivant : les
flammes. Toute cité a son foyer entretenu par des prêtresses qui doivent
veiller sur le feu. Car celui-ci est infiniment précieux et sacré. S’il s’éteint,
on ne peut le rallumer qu’avec un miroir de cuivre où convergent les rayons
du soleil. Veiller à entretenir le feu est une tâche décisive : c’est justement
celle des prêtresses de Vesta, les vestales. Elles ne doivent jamais laisser
s’éteindre la flamme et sont emmurées vivantes si elles manquent à ce
devoir. Elles doivent aussi faire vœu de chasteté et ne peuvent donc ni se
marier ni avoir d’enfants. Et ceci, on l’a compris, convient parfaitement à
Amulius.
Le crime serait presque parfait si Amulius n’avait pas sous-estimé la
volonté des dieux. Or, depuis plusieurs jours, Mars descendu sur terre
observe la belle Rhéa Silvia. Il est séduit par sa grâce et Rhéa Silvia, quant
à elle, n’est pas insensible à ses charmes. Une fois qu’elle va chercher de
l’eau à la forêt, Rhéa Silvia rencontre Mars. Tous deux se plaisent et,
secrètement, s’épousent. Maintenant, Rhéa Silvia attend même un enfant de
Mars.
Lorsque la nouvelle se répand, Amulius, comme on peut s’y attendre,
entre dans une fureur noire. “Non seulement ma nièce a failli à son vœu de
pureté, mais pendant qu’elle allait puiser de l’eau, elle a laissé s’éteindre le
feu. Cela fait deux raisons, dit-il, pour lui réserver le châtiment qu’elle
mérite.” Rhéa Silvia est emmenée dans un cachot souterrain que l’on
referme soigneusement après son passage. Emmurée vivante, sans eau ni
nourriture, dans l’obscurité totale, la jeune fille n’a plus qu’à se laisser
mourir…

La vie contre l’enfant


Rhéa Silvia serait morte sans l’intervention de sa cousine Anto. La fille
d’Amulius est l’amie d’enfance de Rhéa Silvia. Elle est si attachée à elle
qu’elle ne peut se résoudre au sort horrible qui attend la jeune fille. Un soir,
aidée du dieu Mars, Anto délivre Rhéa Silvia. Puis elle va expliquer à son
père Amulius que, s’il ne lui laisse pas la vie sauve, alors elle, Anto, veut
mourir aussi. Amulius lui propose un marché. Il épargnera Rhéa Silvia,
mais pas l’enfant. Marché conclu.
Neuf mois plus tard, ce n’est pas un fils, mais deux jumeaux que Rhéa
Silvia met au monde. On les appellera Romulus et Rémus. Au désespoir de
leur mère, les nouveau-nés sont immédiatement remis aux gardes
d’Amulius. Et celui-ci, on s’en doute, est bien décidé à s’en débarrasser.

SI TU PASSES PAR…
Rome, tu y verras le Tibre, le fleuve qui arrose la ville. Selon une autre légende, Amulius
aurait fait jeter Rhéa Silvia dans le Tibre, lequel, dit-on, la sauva et fit d’elle son épouse
immortelle.
ROMULUS ET RÉMUS

Amulius veut éliminer ces jumeaux qui l’encombrent. Une fois de plus,
les dieux vont en décider autrement. “Qu’on les mette dans un panier et
qu’on les noie dans le Tibre !” ordonne-t-il à ses gardes. Aussitôt, un soldat
d’Amulius enveloppe les bambins dans un lange, les allonge côte à côte
dans un panier d’osier et dépose sur le Tibre cette frêle embarcation. Ce
jour-là, le fleuve est en crue. Le berceau vogue sur les eaux et s’immobilise
entre les racines d’un gros arbre, juste au pied des collines de la future
Rome ! Lorsque le niveau de l’eau baisse, le panier est à sec, sur la terre
ferme. Romulus et Rémus ont échappé à la noyade.

Fils d’une louve


Et un autre miracle se produit. Ou disons plutôt que le dieu Mars
continue de loin de protéger ses fils. Justement, une louve – chez les
Romains, le loup est un animal consacré au dieu de la Guerre – vit avec ses
louveteaux dans une grotte, non loin de là. Un jour qu’elle vient boire à la
rivière, la louve découvre les nouveau-nés, s’approche, les flaire et contre
toute attente, décide de les adopter. Bien délicatement, elle les rapporte
entre ses crocs, jusque dans sa tanière. Là, elle les lèche, les réchauffe dans
sa fourrure et commence à les allaiter, avec le même amour qu’elle
prodigue à ses louveteaux. On dirait que le lait de la louve réussit
particulièrement aux bambins. En un rien de temps, Romulus et Rémus
deviennent deux garçonnets forts et potelés. Deux enfants en pleine forme !
Mars sait bien qu’ils ne pourront pas continuer à vivre ainsi, en pleine
nature sauvage. Bientôt, il va leur falloir apprendre à parler et se civiliser.
Pour cela, ils ont besoin d’un toit et de la présence d’autres humains. Alors,
Mars concocte autre chose. La louve va déposer les garçons devant la
cabane d’un berger, Faustulus, et de sa femme, Acca Larentia. Ce couple
n’a jamais pu avoir d’enfants et se désespère. Lorsqu’ils découvrent un
matin les jumeaux à leur porte, Faustulus et Acca, ravis, décident
immédiatement de les adopter et de les élever comme les leurs. En
grandissant, Romulus et Rémus deviennent peu à peu de solides gaillards.
Selon la légende, ils se consacrent à faire le bien dans leur entourage ou, au
contraire, entraînés par les mauvais garçons des alentours, se laissent aller
au pillage et au brigandage.

Rémus face à Numitor


Quoi qu’il en soit, il se trouve que des moutons disparaissent un jour non
loin de chez Faustulus et Acca. Justement ou injustement accusé de les
avoir volés, Rémus est livré, pieds et poings liés, à la justice de Numitor.
Ceux qui l’ont capturé réclament sa tête. Numitor demande que l’accusé
comparaisse devant lui et, tandis qu’il l’observe se défendre, il est soudain
frappé par les traits de son visage. Quelque chose lui rappelle un visage
bien connu, celui de sa fille Rhéa Silvia. Et voilà qu’en prêtant une oreille
distraite aux propos de Rémus, Numitor entend que celui-ci a un frère
jumeau, un certain Romulus ! Cette fois, le roi est véritablement intrigué. Se
pourrait-il que…? Numitor demande à Rémus de lui raconter toute son
histoire. D’où viennent-ils, lui et son frère ? Est-il sûr que Faustulus et Acca
ne sont pas ses vrais parents ?
Rémus relate ce qu’il sait. Non pas le berceau coincé dans les racines
d’un arbre sur les berges du Tibre, mais la louve providentielle qui les a
allaités, lui et Romulus, et surtout, la générosité de Faustulus et Acca qui,
plus tard, les ont élevés comme leurs enfants. Numitor fait venir Romulus et
les observe tous deux à la lumière de ces révélations. Plus un doute : ces
garçons sont ses… petits-fils !

La vengeance des jumeaux


Au tour de Numitor de raconter ce qu’il sait. Il révèle aux jumeaux qui
était leur mère, Rhéa Silvia, et comment leur oncle, Amulius, convoitant le
pouvoir, s’est débrouillé pour écarter l’un après l’autre tous les futurs
prétendants au trône. Rémus et Romulus sont horrifiés et jurent de se
venger. Ils tuent Amulius et délivrent leur mère, Rhéa Silvia, que le prince
félon avait fait prisonnière. Justice est faite. Leur grand-père Numitor peut
désormais régner sereinement sur Albe-la-Longue. Eux, Romulus et Rémus,
se sont découverts princes et rêvent eux aussi de s’essayer à gouverner !
Comme ils en ont tous deux envie, ils décident d’aller fonder leur propre
ville, une nouvelle cité au bord du Tibre, là où le fleuve les a arrêtés – pour
que la future ville puisse s’approvisionner facilement en eau et pour
remercier le fleuve Tibre de ne pas les avoir noyés. (Plus tard, le Tibre
deviendra d’ailleurs un fleuve-dieu représenté sous les traits d’un vieillard à
la barbe verte. Et les Romains le vénéreront tout particulièrement pour avoir
épargné les vies de Romulus et de Rémus.)

Aventin ou Palatin ?
Les jumeaux sont d’accord pour bâtir une ville sur le Tibre. Romulus
voudrait que ce soit sur une colline nommée le Palatin, tandis que Rémus
pense qu’une autre colline, l’Aventin, serait plus appropriée. Une autre
divergence importante survient : qui gouvernera ? Comme ils sont jumeaux,
aucun d’eux ne peut se proclamer l’aîné. Romulus et Rémus se disputent
tant et si bien qu’ils finissent par se brouiller à mort.
Un sage leur conseille alors de faire trancher leur différend par les dieux
eux-mêmes. Il suggère que Rémus se rende sur l’Aventin et Romulus sur le
Palatin, que chacun compte les vautours qu’il y verra et que celui qui en
aura dénombré le plus grand nombre gouvernera la future ville et décidera
donc de son emplacement.
Chacun des frères monte sur sa colline. Quand Rémus redescend, il a vu
un vol de six vautours survoler l’Aventin. Exceptionnel ! Mais voilà qu’à
son tour, Romulus accourt, en compagnie de ses témoins. Douze… Il a vu
douze vautours, s’écrie-t-il essoufflé. L’affaire est tranchée. Romulus
gouvernera cette cité nouvelle à laquelle il donnera même son nom : Rome.
Sans plus tarder, il empoigne une charrue et trace les limites de sa future
ville. C’est le fossé sacré des fondations. Interdit à qui que ce soit de le
franchir !
Rémus a observé la scène en ruminant son dépit. Soudain, à la vue de ce
sillon symbolique, il ne peut plus contenir sa jalousie. “C’est ça, les
fondations de ta future ville ? Mais je saute à pieds joints par-dessus !” dit-il
dans un rire de bravade. Romulus est piqué au vif. Il saisit un silex qu’il
lance sur Rémus. La pierre ricoche sur sa tempe, Rémus s’effondre.
Romulus a-t-il vraiment voulu tuer son jumeau ? Le coup est-il parti tout
seul ? La légende ne le dit pas. Elle dit seulement qu’une fois l’irrémédiable
accompli, Romulus prend à partie les témoins : “Voyez, leur dit-il, ce qui
arrivera à quiconque voudra franchir les remparts de notre ville.”
En 753 avant Jésus-Christ, Romulus deviendra ainsi le premier roi de
Rome. À l’époque, c’est encore une minuscule cité, mais elle deviendra,
quelques siècles plus tard, le centre du plus vaste empire de tous les temps.

LA VILLE AUX SEPT COLLINES

Sans doute la querelle entre Romulus et Rémus était-elle dérisoire car, avec le temps,
Rome va peu à peu s’étendre sur les sept collines qui dominent le Tibre. Ces collines sont
le Palatin, l’Aventin, le Capitole, le Quirinal, le Viminal, le Caelius et l’Esquilin. Petite ville
établie sur des collines et des plaines marécageuses, Rome va conquérir de plus en plus
de territoires. En 117 après Jésus-Christ, l’Empire romain, à l’apogée de sa puissance,
s’étendra sur 4 300 km d’ouest en est et 3 200 km du nord au sud.

Si tu passes par le Quartier latin à Paris


Autrefois, c’était le quartier des étudiants qui faisaient leurs études en
latin, d’où son nom. Dans le square de la place Paul-Painlevé, entre la
Sorbonne et le musée de Cluny, on peut admirer une superbe louve en
bronze avec, accrochés à ses pis, deux bébés affamés, Romulus et Rémus.

Humour
Si Rémus avait vu le plus de vautours, la capitale d’Italie s’appellerait
Rème !

Arbre généalogique d’Énée à Romulus et Rémus


L’ENLÈVEMENT DES SABINES

Depuis quatre ans, Romulus règne sur Rome. Sous son influence, la ville
devient de jour en jour plus prospère. Comme la cité est vaste et qu’il faut
la peupler, le roi a déclaré que Rome serait une terre d’asile. Des quatre
coins de l’Italie ont ainsi afflué des multitudes d’individus – parfois plus ou
moins désirables – cherchant à s’établir ou à refaire leur vie. Rome compte
donc en ses murs des artisans, des commerçants ou des soldats, mais elle a
aussi accueilli nombres d’esclaves en fuite, de vagabonds et même de
criminels. Qu’importe. Tout ce monde s’est mélangé et n’aspire qu’à bâtir
une cité neuve et puissante. Bientôt, les collines de Rome se couvrent de
temples et de maisons magnifiques. Et la ville bouillonne de dynamisme.
Elle serait effectivement promise au plus bel avenir si un grave problème ne
se posait à elle.

Un stratagème diabolique
Cette cité est surtout peuplée par des hommes. Les femmes y sont
extrêmement rares – et donc encore plus précieuses qu’à l’accoutumée.
Comment Rome survivra-t-elle si nulle famille ne s’y épanouit, si nul
enfant n’y voit le jour ? Et plus généralement, qui viendra lui apporter la
touche de raffinement, de goût et de civilisation nécessaire à qui veut
rayonner au-delà de ses frontières ?
Romulus en est bien conscient. Pour cela, il conçoit un stratagème
diabolique. Il a déjà essayé d’envoyer dans les provinces alentour des
émissaires chargés de convaincre les pères de famille de marier leurs filles à
des Romains. En vain. “Qui aurait envie d’offrir sa fille en mariage à la
racaille dont Rome est peuplée ?”, leur rétorque-t-on. Blessé dans son
amour-propre, Romulus est convaincu qu’il ne reste qu’une solution : la
force. Ou plutôt la force alliée à la ruse.
Nous sommes à l’été de l’an 749 avant Jésus-Christ. Les moissons
viennent d’être faites et les Romains s’apprêtent à honorer Consus. Ce dieu
aux origines anciennes et mystérieuses est très important chez les Romains.
C’est lui qui, des semailles aux moissons, protège les céréales du froid et
des intempéries. Cette année, la récolte a été bonne et Romulus suggère de
remercier dignement Consus. En son honneur, une grande fête sera donnée.
Une fête comme les Romains les aiment avec lutteurs, lanceurs de javelots
et surtout courses de chars et de chevaux. À nouveau, les émissaires de
Romulus se chargent de le faire savoir hors les murs.
Lorsque le grand jour arrive, la foule est au rendez-vous. De toutes les
villes alentour, les familles sont venues en nombre. Albe-la-Longue et ses
habitants, les Sabins, sont les mieux représentés. Il y a là tous les hommes
importants d’Albe (en particulier Titus Tatius, le jeune roi qui a succédé à
Numitor), leurs femmes et leurs filles, richement parées, qui rivalisent
d’élégance. Tous sont curieux de découvrir cette toute jeune ville déjà si
prospère. Et tous adorent les jeux.
Justement, voici que se profile le clou de la fête, la grande course de
chevaux. Lorsque le signal du départ est donné, les Sabins admirent la
prestance et l’assiette des cavaliers. Force leur est de constater que si ces
Romains ne sont pas tous de la plus noble extraction, ils ont en tout cas
d’autres qualités. Soudain, que se passe-t-il ? Autour de la piste, c’est
l’affolement. Plusieurs cavaliers ont foncé sur la foule et les autres les
suivent. Ils cherchent des yeux les Sabines et lorsqu’ils en voient une,
l’empoignent, la hissent sur le garrot de leur cheval et s’enfuient au grand
galop. Panique générale. En moins de quelques minutes, des dizaines de
jeunes filles sont ainsi enlevées. Kidnappées ! Le plan de Romulus a
parfaitement fonctionné.

La vengeance des Sabins


Les Sabins, on s’en doute, ne l’entendent pas de cette oreille et préparent
une contre-attaque ; mais il faut du temps pour lever une armée capable
d’affronter Rome. Entre-temps, Romulus a donné des consignes à ses
hommes. Aucune violence. On est prié de respecter les captives. De leur
offrir des conditions de vie dignes d’elles. N’oublions pas que l’objectif est
de les voir fonder des familles, s’attacher à leurs enfants. Et pour cela, ne
doivent-elles pas d’abord se plaire à Rome ?
Il faut croire que les Romains entendent ce message. Pour se faire
pardonner, les brutes se changent en maris attentionnés ce qui, pour les
Sabines, adoucit peu à peu le traumatisme vécu. Romulus a donné le ton en
épousant Ersilia, la propre fille du roi d’Albe. Ses plus fidèles soldats n’ont
pas tardé eux aussi à s’établir avec des Sabines. Les plus fortunés vivent
dans une jolie maison de ville – ou domus – avec des sols en mosaïque, des
bassins, des jardins, des colonnes. Sur leurs tuniques, les femmes arborent
de jolis bijoux en or sertis de pierres précieuses. Bref, la vie à Rome a repris
son cours, pas si désagréablement…
À Rome, mais pas à Albe. Là, on se prépare à la bataille. Cependant, le
jour où Titus Tatius lance son armée à l’assaut des rochers escarpés du
Capitole, il subit un revers cuisant. Alors, Titus Tatius a une autre idée.
Puisque Rome est si difficile à prendre, il va, à son tour, utiliser la ruse.
Avec une poignée d’hommes, il part en repérage sur le sentier du Capitole,
espérant que lui viendra une idée. Et c’est bientôt le cas : une jeune femme
s’avance vers eux, l’air dégagé, en chantonnant. Elle porte à la main une
jarre qu’elle est venue remplir à la source. Autour du cou, elle a un collier
de perles de grenat et aux oreilles, de fines boucles en or. Elle s’appelle
Tarpeia ; elle est la fille de Sempronius Tarpeius auquel Romulus a confié la
garde de la citadelle de Rome. Pour l’instant elle n’a pas remarqué les
Sabins qui l’observent, dissimulés derrière un buisson. C’est le moment que
Tatius choisit pour sortir de sa cachette et, toujours anonymement, engager
la conversation avec la belle.
Ensuite, il y a plusieurs versions à la légende. L’une d’elles prétend que
Tarpeia va tomber amoureuse du roi des Sabins. Une autre que, fille de
Sabine et donc à moitié Sabine elle-même, elle aurait voulu venger son
peuple. Une dernière enfin dit que, vénale, elle se serait laissé acheter par
les promesses de bijoux que les Sabins lui auraient faites. Toujours est-il
que, mue par l’une de ces causes, Tarpeia accepte d’ouvrir la citadelle aux
Sabins. N’oublions pas qu’elle est la fille de Tarpeius et qu’à ce titre, il lui
est facile de subtiliser chez elle les clés de la cité. C’est ce qu’elle va faire.
Elle donne rendez-vous aux Sabins, le lendemain matin à l’aube : “Je vous
ouvrirai, leur dit-elle, et vous tiendrez votre promesse.”

Entre leurs maris et leurs pères


La malheureuse ! Elle n’a pas tout à fait mesuré les conséquences de son
acte car, le lendemain matin, Titus Tatius est revenu avec une armée entière
tapie dans les buissons autour du Capitole. Il fait à peine jour lorsque, sous
la jolie main de Tarpeia, les grosses clés de la ville tournent dans la serrure.
Elle n’a pas le temps de comprendre ce qui lui arrive. Au moment où elle
entrouvre la porte, un bouclier s’abat sur elle, puis un autre, et encore un
autre.
On dit que Tarpeia meurt étouffée sous les boucliers des guerriers sabins.
“Voilà ce qui arrive aux traîtres à leur patrie”, lance Titus Tatius méprisant.
Puis il se lance à l’assaut de la citadelle romaine.
Le bruit des armes a réveillé les Romains. En un clin d’œil, les guerriers
sont en armes et l’on ne distingue plus bientôt qu’une mêlée furieuse.
Certains de tenir enfin leur revanche, les Sabins frappent de toutes leurs
forces. Les Romains, furieux d’avoir été trahis, se sentent mus par une
énergie décuplée. Difficile de dire qui a l’avantage. Régulièrement, dans
l’un et l’autre camp, un guerrier s’effondre, la cuirasse transpercée sous un
javelot ou un glaive.
C’est alors que le hasard lance l’un contre l’autre Romulus et Titus
Tatius. L’un est armé à la romaine, avec son épée courte, sa cuirasse légère
et son long bouclier rectangulaire. L’autre plus lourdement, à la sabine, avec
une cuirasse en bronze et un casque à cimier. La haine luit dans l’œil de
chacun. Ils vont se précipiter l’un sur l’autre quand, drapée dans un châle,
Ersilia surgit au milieu de la mêlée pour tenter de s’interposer, au péril de sa
vie, entre Romulus et Tatius. Ersilia ! Et tous deux sont partagés entre
l’envie de continuer à se battre et la crainte de blesser l’un sa femme, l’autre
sa fille bien-aimée. Alors, la sage Ersilia prend la parole. “Cessez cette
guerre absurde, leur crie-t-elle. Nous, les Sabines, sommes écartelées : dans
cette bataille, nous allons forcément perdre un père, un frère ou un mari.
Voulez-vous donc ruiner nos vies en nous rendant malheureuses à jamais ?”

LA ROCHE TARPÉIENNE
Lorsque les Romains, furieux, découvrent Tarpeia sous la montagne de boucliers sabins,
ils décident de jeter son corps du haut de la falaise sur laquelle est bâti le Capitole. C’est
pourquoi cet endroit s’appellera “la roche Tarpéienne”. De cette appellation est tiré un
proverbe : “La roche Tarpéienne est proche du Capitole.” C’est sur le Capitole en effet que
les Romains vénéraient trois grands dieux, Jupiter, Junon et Minerve. Aussi, lorsque les
généraux romains étaient victorieux à la guerre, ils allaient toujours offrir un sacrifice à ces
trois dieux capitolins qui leur avaient accordé la victoire. Lorsqu’on dit que la roche
Tarpéienne est proche du Capitole, cela signifie qu’il faut être prudent car la victoire peut
n’être pas loin de la chute ou de la déchéance.

Féministes à l’antique
Touchés par ce vibrant plaidoyer d’une femme qu’ils aiment, Romulus et
Titus Tatius s’immobilisent puis, ensemble, jettent leurs armes à terre et
font la paix. Et comprenant que la voix d’Ersilia est celle de la sagesse, ils
décident de s’unir pour que Romains et Sabins ne forment plus qu’un seul
peuple. Romulus et Tatius régneront chacun à son tour jusqu’à la mort du
vieux Tatius.
Plus tard, Mars persuadera l’assemblée des dieux d’admettre en son sein
son fils, Romulus. On dit qu’après un règne de trente-trois ans, le premier
maître de Rome sera enlevé dans les cieux par Mars, au cours d’un orage. Il
apparaîtra alors dans le ciel auréolé d’une lumière divine et sera proclamé
dieu par les Romains qui l’appelleront Quirinus. Également divinisée,
Ersilia deviendra Hora. Dans l’esprit des Romains, Quirinus et Hora ne
cesseront ensemble de veiller sur les destinées de leur chère cité. Quant aux
Sabines devenues Romaines, elles auront entre-temps imposé qu’on leur
accorde chez elle une plus grande indépendance et un plus grand respect.
D’une certaine façon, elles sont peut-être les ancêtres des féministes
d’aujourd’hui !

HOMMES ET FEMMES DANS LA ROME ANTIQUE

L’homme est le maître du ménage. On l’appelle le pater familias. Il a tous les pouvoirs
sur les membres de sa famille. Au début de la République, il avait droit de vie et de mort sur
ses enfants. Quant aux femmes, un petit nombre d’entre elles refusent la soumission et
réussissent à s’émanciper. Rome a ainsi ses femmes de lettres, ses avocates, ses femmes
politiques… et le divorce est accepté.
LES DIEUX NE MEURENT JAMAIS

Après la disparition de Romulus, les rois et les empereurs vont se


succéder sur le trône de Rome. Sous chacun d’eux, la cité conquiert de
nouveaux territoires. En 59 avant Jésus-Christ, environ sept siècles après sa
création, Rome s’est lancée dans une telle politique de conquêtes qu’elle
contrôle ce qui s’appelle aujourd’hui l’Espagne, la Grèce, la Turquie, la
Syrie, une partie de la Tunisie… Et elle ne va pas s’arrêter là. Sous le règne
de Trajan, en 117 après Jésus-Christ, l’Empire romain atteint son apogée. Il
s’étend jusqu’à la mer Caspienne, englobant la Mésopotamie, l’Assyrie,
l’Arménie…

Grandeur et décadence
Mais l’Empire est tellement grand qu’il commence à se fissurer. De
toutes parts, il est assailli par des barbares. À l’intérieur de ses frontières, il
est secoué par des crises profondes. Peu à peu, l’Empire romain s’affaiblit,
il sombre dans l’anarchie. Quant aux dieux romains, ils vont connaître un
destin parallèle : après la grandeur, la décadence. Certaines divinités
tombent dans l’oubli. D’autres sont détournées de leur vocation sacrée et
utilisées par ceux qui gouvernent à des fins politiques ou personnelles.
Déjà, Pompée et César avaient fait de Vénus leur protectrice personnelle.
Certains empereurs iront beaucoup plus loin. Caligula ou Néron
n’hésiteront pas à se prendre eux-mêmes pour des dieux ! (Lire l’encadré
pages 168-169.)
Bref, quelque chose s’est brisé dans la religion romaine. Comme si les
Romains cherchaient maintenant des réponses qu’ils ne trouvent plus dans
les rituels officiels. Comme si leurs croyances ne répondaient plus à leur
souci d’expliquer le monde. Comme si, en somme, les vieux dieux romains
étaient désormais usés.

Des dieux neufs venus d’ailleurs


Dans ce contexte, les autres religions vont s’engouffrer dans la brèche.
De nouvelles divinités font leur apparition. C’est le cas de Mâ, apparentée à
l’origine à la “grand-mère des dieux”. En réalité, le culte de Mâ vient de
Cappadoce, une région de l’actuelle Turquie. Là, ceux qui la vénèrent (en
latin, les fanatici) donnent des spectacles cruels et délirants : ils se tailladent
les bras et le corps, aspergeant les spectateurs de leur sang ! Ceci
n’empêche pas les Romains de l’adopter. Mâ deviendra une déesse latine de
la guerre. On lui élèvera même un temple à Rome.
Les divinités égyptiennes – et notamment Isis – sont, elles aussi, très en
vogue. Isis, dans la mythologie égyptienne, est l’épouse du grand dieu
Osiris. À sa mort, elle part à la recherche de son corps et, avec l’aide
d’Anubis, le dieu chacal, lui rend son souffle vital. C’est peut-être ce
miracle qui rend Isis si populaire. Isis n’est pas seulement la déesse-mère, la
consolatrice. On la voit aussi comme une grande magicienne, celle qui
connaît les mystères de l’au-delà. Peu à peu, son culte va s’étendre jusqu’à
Rome. À tel point qu’on parle même de “religion isiaque”. Au dernier
siècle avant Jésus-Christ, les divinités égyptiennes auront des autels sur le
Capitole. Le Sénat ne cesse d’ordonner de les détruire. Les fidèles, eux,
s’obstinent à les reconstruire. Jusqu’à ce que l’empereur Caligula consacre
lui-même officiellement un temple à Isis sur le Capitole.

La naissance du christianisme
D’autres religions sont tolérées à Rome. Par exemple celle des juifs, le
judaïsme, qui se répand, lui aussi, dans le Bassin méditerranéen en dépit de
répressions sanglantes comme celle qui dévasta la colonie juive
d’Alexandrie sous Caligula. C’est justement dans le judaïsme que prendra
sa force la religion qui va peu à peu s’imposer : le christianisme, c’est-à-
dire la religion du Christ. Son nom vient du grec khristos qui signifie
“L’oint” du Seigneur. Le Christ, c’est Jésus, cet homme qui dit être le fils de
Dieu. Il dit aussi qu’il est venu sur terre pour être un lien entre les hommes
et Dieu et qu’il mourra pour racheter les péchés de l’humanité. Certains le
croient, d’autres pas. Une chose est sûre. Depuis sa mort, en Palestine, vers
l’an 33, des hommes – ses disciples – se sont mis à diffuser le christianisme
dans l’empire. D’abord en Orient, puis en Occident.
Vers 50 après Jésus-Christ, une communauté chrétienne existe à Rome.
Face à la montée de cette religion nouvelle, les empereurs romains sont
tantôt tolérants, tantôt extrêmement cruels. Les chrétiens refusent de se plier
au culte impérial. Ils refusent d’adorer les anciennes divinités romaines.
Alors, des empereurs comme Domitien ou Néron les persécutent. Beaucoup
de chrétiens meurent martyrisés. D’autres font semblant de renier leur foi.
Mais au IIIe siècle, l’Église chrétienne s’est affirmée. Elle compte déjà près
de quatre-vingt-dix évêques. Et avec la conversion au christianisme de
l’empereur Constantin, elle va trouver la paix.

Du polythéisme au monothéisme
En 312, en effet, Constantin doit livrer une grande bataille. La veille de
l’affrontement, il a une révélation. Une croix associée au soleil lui apparaît.
Dans sa vision, Constantin voit aussi le Christ qui lui dit : “In hoc signo
vinces”, ce qui signifie en latin : “C’est sous ce signe que tu vaincras.”
Alors Constantin a la certitude qu’il s’agit d’une révélation. Il fait peindre
cette devise sur le bouclier de ses soldats. Le lendemain, victorieux de
Maxence, il est persuadé qu’il a triomphé grâce à l’intervention du Christ.
À partir de cette date, l’empereur se range du côté des chrétiens. Il reçoit
même le baptême peu avant sa mort. Le christianisme est devenu religion
d’État. Ainsi est-on passé d’un système polythéiste (avec plusieurs dieux) à
un système monothéiste (un dieu unique).

Les dieux ne meurent pas…


Et les vieux dieux romains, sont-ils morts pour autant ? “Les dieux ne
meurent pas”, disait le grand poète grec d’Alexandrie, Constantin Cavafy.
Et il ajoutait : “Ce qui meurt, c’est la foi que leur portent les mortels
ingrats.”
Si l’on y songe en effet, combien de lieux, de prénoms, de constellations,
de planètes, de proverbes ou d’expressions de la vie courante nous
rappellent aujourd’hui la mythologie et l’histoire romaines ! Sans compter
Astérix et Obélix ! N’avez-vous jamais entendu dire de quelqu’un qu’il a un
côté “jupitérien”, c’est-à-dire impérieux ou dominateur ? Ou que quelqu’un
d’autre se croit “sorti de la cuisse de Jupiter”, c’est-à-dire qu’il a une très
haute idée de lui-même ? Ne vous êtes-vous jamais promené au Champ-de-
Mars, à Paris ? Et vous souviendrez-vous que “la roche Tarpéienne est
toujours proche du Capitole” ?
La mythologie, c’est comme le naturel, disait l’historien Pierre Miquel :
“Chassez-la des mémoires, elle revient au galop !”

DES EMPEREURS QUI SE PRENNENT POUR DES DIEUX

Voici quelques-uns des empereurs romains les plus marquants. Certains ont “annexé”
des divinités pour leurs besoins politiques ou personnels. D’autres ont largement propagé
l’idée qu’ils étaient eux-mêmes d’essence divine.

César (100-44 av. J.-C.) :


Il appartient à une vieille famille qu’il fait remonter à Iule, le fils d’Énée. Il conquiert la
Gaule, soumet l’Égypte et devient l’amant de la reine Cléopâtre. Après avoir fait alliance
avec deux autres consuls, Pompée et Crassus, pour gouverner à trois, il finira par vouloir le
pouvoir pour lui tout seul. Il est assassiné en 44 par Brutus, son propre fils.

Auguste (63 av. J.-C.-14 apr. J.-C.) :


De son vrai nom, Octave. Sa mère est la nièce de César. Il se livre à de grands travaux
d’urbanisme, devient le seul maître de Rome et fonde le régime impérial. Son règne dure
quarante et un ans. C’est le plus long de l’histoire romaine. Il laisse derrière lui une œuvre
importante dans les domaines de la politique, des finances, de l’administration et de la
justice.

Caligula (12-41 apr. J.-C.) :


Il mène pendant quelque temps une politique de libéralisme mais change de
personnalité tout à coup. Il devient alors un tyran sanguinaire, souhaitant que le peuple
romain n’ait qu’une tête afin qu’il puisse la faire trancher d’un seul coup. Il meurt assassiné
en 41.

Néron (37-68 apr. J.-C.) :


Arrière-petit-fils d’Auguste et neveu de Caligula, il sombre peu à peu dans un
despotisme sanglant. Déséquilibré, il est en proie à un étrange amour-haine qui lui fait
aimer et tuer ceux qui l’entourent. Poète et acteur, il se prend pour un grand artiste. On
l’accuse d’être l’auteur du grand incendie de Rome en 64. Il se suicide en 68.

Constantin (280-337 apr. J.-C.) :


On le surnomme le “premier empereur chrétien”. C’est lui qui va assurer la liberté
religieuse dans tout l’empire. Il érigera en capitale Byzance, qui devient Constantinople,
l’actuelle Istanbul. À partir du IVe siècle, on constate la montée en puissance de l’Empire
romain d’Orient qui – jusqu’à la prise de Constantinople par les Turcs, en 1453 – durera
mille ans de plus que l’Empire romain d’Occident.

À son apogée, l’Empire romain s’étend tout autour de la mer


Méditerranée... jusqu’à l’actuelle Angleterre !
À Manon, Cynthia et Timour.
JADIS

D’où venons-nous ? Qui sommes-nous ? Où allons-nous ? Quand les


humains commencèrent à se poser ces questions, ils ignoraient tout des
mystères de la vie et de la mort.
La femme étant dispensatrice de vie, ils décidèrent de la vénérer en
rendant un culte à la Déesse-mère qui, comme par magie, de son ventre
immense, avait donné naissance à toutes les créatures de la Terre. Les
hommes l’adoraient et imploraient sa protection puisqu’elle régnait sur une
nature à la fois bonne et cruelle.
La fécondité de la femme concordant avec les cycles de la Lune, un culte
fut rendu à la Lune et par la suite au Soleil. Puis ce fut au tour des
phénomènes naturels d’être vénérés : bêtes sauvages, arbres, montagnes,
sources.
La Grande Déesse se retrouva entourée de nombreuses divinités. Les
descendants de ces hommes comprirent peu à peu qu’eux aussi jouaient un
rôle dans l’énigme de la création et que la Grande Déesse n’était pas seule à
mener les affaires de l’univers. C’est alors qu’ils créèrent des dieux à leur
image.
DÉESSE-MÈRE ET DIEUX GUERRIERS

Des statuettes d’argile représentent la Déesse-mère parée d’une immense


coiffe et de colliers couvrant son corps nu aux seins gonflés de lait et aux
larges hanches. Les hommes lui offraient des sacrifices ainsi qu’à un dieu
cornu à tête de buffle pour qu’il féconde la terre de sa semence.

Une civilisation sans dieu


Cela se passait dans la vallée de l’Indus où les hommes avaient bâti
Mohenjo-daro et Harappa. Ces deux cités, parmi les premières de
l’humanité, étaient situées loin des rives du fleuve, à l’abri des inondations.
Elles étaient de véritables centres commerciaux dont marchands et artisans
étaient les maîtres. Ils connaissaient l’écriture, mais les signes figurant sur
les sceaux retrouvés par les archéologues n’ont toujours pas dévoilé leur
mystère.
Un beau jour, les magasins n’arrivèrent plus à écouler leurs stocks. Les
feux des forges s’éteignirent. Les lointaines cités de la Mésopotamie qui
commerçaient avec Mohenjo-daro et Harappa avaient été envahies par des
nomades guerriers venus du Nord. Ruinés, les habitants de Mohenjo-daro et
de Harappa allèrent s’installer dans les campagnes du Doab, le pays des
Deux Eaux, situé entre l’Indus et le Gange. Peu à peu, les cités de l’Indus
tombèrent dans l’oubli.
Ces nouveaux paysans vivaient au jour le jour et étaient habités par la
crainte des esprits et des démons, comme si la grande Déesse-mère avait
abandonné ceux qui l’avaient adorée.

Venus du soleil couchant


De très loin, venant des contrées situées vers le soleil couchant, la rumeur
de pillages grondait. Les paysans du Doab, ne sachant à peu près rien de
l’art de la guerre, s’en remettaient à la fatalité.
Sans crier gare, des cavaliers nomades déboulèrent des passes et des cols
de l’Ouest. Dans le lointain, les villageois entendirent le grondement du
tonnerre. Sur l’horizon, se détachaient des hommes armés d’arcs et de
flèches, de lances et de javelots, de masses et de casse-tête, montés sur
d’étranges créatures dont les cheveux flottaient au vent. Ce que les
villageois avaient pris pour le bruit de la foudre n’était que le fracas de
sabots sur la terre rocailleuse, et les étranges créatures n’étaient autres que
des chevaux.
Les guerriers d’une puissance sans pareille, semblables à des centaures,
se déplaçaient aussi sur des chars redoutables, les ratha, attelés à deux ou
quatre chevaux. En les voyant fondre sur leurs villages, les paysans aux
pieds nus crurent voir arriver des démons. Eux dont la peau était foncée
furent saisis de terreur en voyant ces hommes au teint clair. Comment
pouvaient-ils leur résister alors qu’ils imaginaient affronter des dieux ?
Venant des steppes et des hauts plateaux semi-désertiques de l’Asie
centrale, à la recherche de nouveaux pâturages, les Arya, ces cavaliers
connus aujourd’hui sous le nom d’Indo-Aryens, eurent vite fait de conquérir
le fertile Doab.
Une nouvelle vie commença. Colonisés, chasseurs et agriculteurs
n’eurent plus qu’à se soumettre aux conquérants dont la société était très
hiérarchisée.

Prêtres et guerriers
Les Arya apportèrent de nouvelles croyances et des dieux guerriers. Et le
monde, plongé dans les ténèbres, en fut tout illuminé. Aux côtés des
hommes, dieux et déesses de cette nouvelle religion allaient prendre part, au
fil des siècles, à la conquête d’immenses territoires, en deçà et au-delà des
mers.
À la tombée du jour, une fois terminés les travaux des champs, hommes,
femmes et enfants se rassemblent sous le grand banian, l’arbre sacré de la
place du village, pour venir écouter les rishis, des sages qui sont aussi
poètes et devins. Ils ont pour mission de faire connaître les trente-trois
divinités, les Asura, dont les plus grandes, notamment les dieux guerriers,
sont des êtres exemplaires.

LES QUATRE CASTES

Au sommet de la société, il y a les brahmanes, prêtres préposés aux sacrifices et


dépositaires des livres sacrés. Les princes guerriers, les kshatriya, occupent la deuxième
place et assurent la protection de leurs sujets, en premier lieu des brahmanes. En dessous,
les vaishya regroupent les producteurs (paysans, artisans, commerçants). Ces trois
catégories dominent celle des serviteurs, les shoudra, qui ne prennent pas part au culte
sacrificiel, mais exécutent les besognes dites impures, comme de tuer les animaux offerts
aux dieux.
On naît, on se marie et on meurt dans sa caste. À chacun de ses membres de respecter
les devoirs imposés par sa naissance, et d’obéir à la loi immuable fixée par les dieux indo-
aryens.

Varuna
Chevauchant la tortue, le cygne ou le monstre marin Makara, Varuna
règne sur les eaux et les éléments. Gardien de l’ordre du cosmos, il est le
maître de l’univers, des dieux et des hommes. Son savoir est immense. Il
perce tous les mystères et possède des pouvoirs magiques. Il connaît cent
mille remèdes. Il fait briller le Soleil. De son souffle, il a créé le vent. Il
creuse le lit des fleuves et des rivières. Il organise la marche de la Lune et
des étoiles. Gouverneur de la nuit, il laisse la direction du monde du jour à
son frère Mitra, dieu de l’amitié.

Indra
Régnant dans le monde invisible, Varuna est trop loin des hommes qui lui
préfèrent Indra, dieu de la Guerre et souverain du Ciel. Maître des orages,
Indra tient dans sa main droite l’éclair – le vajra –, arme de jet à mille
pointes qui conduit les guerriers à la victoire. Très grand, barbu, il monte un
cheval blanc ou un éléphant blanc à quatre défenses. Il traverse aussi le ciel
sur le ratha, son char d’or chargé d’éclairs, d’épées, de javelots et de
serpents, tiré par dix mille chevaux à la robe fauve.
Indra possède les qualités de tous les dieux. Il est à la fois puissance,
sagesse, générosité, exubérance, héroïsme. Danseur et magicien, il aime les
plaisirs et l’ivresse. Grand séducteur, il a de nombreuses amours. Craignant
les sages, il leur envoie des nymphes, les Apsara, pour troubler leurs
méditations. Grand buveur, il se régale de soma, mystérieux breuvage qui
décuple sa force et l’aide à vaincre les démons.
Il se partage le ciel avec Vayu, le dieu du Vent.

Surya
Lors de la création, l’œuf du monde se divisa en deux parties ; l’une,
d’argent, devint la terre, l’autre, d’or, le ciel. La coquille forma les
montagnes, la membrane intérieure, les nuages et la neige. Les veines
devinrent les rivières et le liquide de l’œuf forma l’océan. Lorsque Surya
apparut, il y eut un grand cri duquel naquirent tous les êtres et leurs désirs.
Aussi, lorsque Surya se lève et se couche, on entend des chants remplis de
joie et des sons merveilleux. Surya, le Soleil, la divinité visible, œil du
monde et cause du jour, existe éternellement.

LE SOMA

Pour étancher la soif des dieux, on leur offrait le soma. Cette boisson enivrante était
obtenue par le pressage d’une plante mystérieuse des montagnes. Ce breuvage
d’immortalité, apporté par l’aigle, hommes et dieux le consommaient pour gagner ou
conserver le ciel. Le soma était surtout utilisé en libations lors des sacrifices à Agni
accompagnés de chants. Pour le boire, il fallait contrôler le souffle. Il représentait la source
de toute vie, le sperme. La Lune était comparée à une coupe pleine de soma. De nombreux
textes des Veda lui sont consacrés.

Agni
Bien que mangeur de chair, Agni est le dieu le plus célébré. Plus de deux
cents hymnes des Veda, les livres sacrés, lui sont dédiés. Protecteur des
hommes, il intervient auprès des autres divinités à qui il apporte les
sacrifices. De couleur rouge, avec des yeux jaunes et deux têtes, il a sept
langues couleur de feu et sept bras. Dans ses mains, il tient le bois qui
alimente du feu, une hache, un soufflet, un flambeau et la cuillère pour
verser sur le feu le beurre du sacrifice. La fumée est son étendard. Décoré
de flammes, vêtu de noir, il est accompagné d’une chèvre. Les fruits sont
ses bijoux. Il fait apparaître le Soleil. La nuit, il allume les étoiles. Il est
présent dans chaque maison, sous la forme du feu du foyer. Agni est aussi le
dieu de la Science et de la Crémation.

LES VEDA
Lors des sacrifices, les participants récitent les mantras, des hymnes et des incantations
adressés aux dieux. Les mantras sont contenus dans les Veda, des livres sacrés composés
en sanskrit, la langue des poètes guerriers. Seuls les brahmanes ont le droit de réciter les
mantras, qu’ils se transmettent de père en fils. Les divinités ont inspiré les Veda aux sages
rishis, qui ont transcrit ce savoir révélé.
Au nombre de quatre, les Veda sont complétés par treize Upanishad, des commentaires
explicatifs. Ces écrits sont les fondements de la civilisation indienne et de la pensée
hindoue.

Rudra
Rudra, grondeur, violent, est le dieu des Orages. Maître des animaux, il
habite les forêts. Sale, les cheveux en bataille, il a le ventre noir et le dos
rouge. Grand archer, il ne prend pourtant jamais part aux combats. Bien que
médecin, il apporte les maladies. Maître du yoga, Rudra le Destructeur n’a
nul besoin de sacrifices. C’est un dieu de bon augure.

Tels sont les Asura, les grands dieux des Veda luttant sans cesse avec les
divinités maléfiques et les démons Rakshasa ou Naga.
Ces dieux bagarreurs ont des compagnes, quelque peu héritières de la
Déesse-mère, devenue la Devi, la Grande Déesse.

Usas
Usas, la fille de Dyaus, dieu du Ciel, est la plus populaire. Chaque matin,
elle chasse les ténèbres peuplées de démons. Elle est l’aurore qui apparaît à
l’orient comme une jeune fille vêtue d’un simple voile de lumière,
découvrant ses seins, pour être admirée. Elle éveille tous les êtres vivants.
Elle est la mère, l’épouse et la maîtresse de Surya, le dieu Soleil. Mais elle
est aussi l’amante d’Agni, à qui elle donna naissance. Présidant à l’éclosion
du jour, elle renaît tous les jours. Tous les jours, elle brille par sa jeunesse.
Elle est la Roue qui tourne sans cesse. Elle est aussi la sœur jumelle de
Varuna et se méfie d’Indra qui, de sa foudre, peut parfois perturber son
arrivée. Régnant sur la richesse et les biens du monde, elle a aussi droit au
nom de mère des dieux.

Ratri
Ratri, la déesse de la Nuit, est l’autre fille du Ciel qui brille de ses mille
yeux, les étoiles. Elle se sait mal aimée des hommes et ses pleurs sont la
rosée du matin. Toutefois, ceux-ci lui offrent des sacrifices pour obtenir sa
protection contre les dangers nocturnes. Quotidiennement, Agni et Usas lui
font la chasse. Tous les soirs, elle revient pour dominer son monde lugubre
et stérile.

Prthivi
Épouse de Dyaus, Prthivi est la mère des hommes et des dieux. Elle est la
Terre et travaille avec le Ciel pour que les hommes reçoivent les pluies
bienfaisantes. Son odeur, dont elle imprègne toutes ses productions, la
distingue des autres divinités. Nourrissant tous les êtres de son lait, elle
ressemble à la vache enceinte de son veau qui n’est autre qu’Agni, le Feu.
Sur son ventre habitent les hommes qui lui offrent des sacrifices. Lorsque
les êtres meurent, ils retournent dans le sein maternel de Prthivi, qui est
aussi déesse de la Mort.
Il y a aussi Aditi, la mère de Varuna et d’Indra, qui est la gardienne de
l’ordre universel. Et Sarasvati, la mère des fleuves qui deviendra l’épouse
de Brahma.

Les sacrifices
Dans la tradition des Veda, le sacrifice était le premier des rites, le seul
moyen d’invoquer et d’apaiser les dieux des Indo-Aryens. On leur offrait
lait, beurre, miel, vaches, chèvres, moutons. Une partie de cette nourriture
crue ou cuite était répandue ou jetée dans le feu gardé par Agni qui la
portait aux autres dieux. Le sacrifice symbolisait la création du monde. Les
officiants et le commanditaire du sacrifice se partageaient les offrandes
auxquelles les dieux n’avaient pas touché.
À l’origine, la crémation des morts était l’ultime offrande, où le mort se
donnait à Agni qui le conduisait droit au ciel. Ainsi, le mort était comme le
premier homme s’immolant pour que l’univers soit créé.
Aujourd’hui, la crémation sur des bûchers est toujours pratiquée par la
presque totalité des hindous. Les cendres sont jetées dans les eaux du fleuve
afin d’y être purifiées.
Accomplissant les dix-sept rituels du sacrifice, les brahmanes officiaient
dans un espace pur et à eux seuls réservé. L’autel du sacrifice, représentant
la terre et l’eau, éléments primordiaux de la création, ne devait pas subir la
moindre souillure.

Le sacrifice suprême
L’ashvamedha, le sacrifice royal d’un étalon blanc, était le sacrifice le
plus prisé des dieux. Le roi lui-même y prenait part. Après avoir choisi le
plus beau cheval, il devait vivre avec lui pendant un an dans la plus
complète chasteté. L’étalon gambadait en toute liberté, ses déplacements
symbolisant la course du soleil. S’il s’aventurait sur les terres d’un autre roi,
ce dernier pouvait déclarer la guerre au maître de l’étalon ou bien s’avouer
vaincu.
À la fin de l’année de célibat, le cheval était ramené dans la cité royale.
Au printemps, le jour du sacrifice étant choisi par un astrologue, une jument
lui était présentée. Au moment où l’étalon, magnifiquement paré, faisait
éclater sa joie par un long hennissement, les prêtres l’étranglaient.
Se comparant au dieu Surya, le roi invitait ses épouses à passer une nuit
auprès de la dépouille de l’étalon. S’il sacrifiait cent étalons pendant son
règne, le roi détrônait Indra et devenait maître de l’univers.

La création du monde
Selon les Veda, la naissance du monde est la conséquence d’un inceste
entre le dieu Prajapati et sa fille, Usas, l’Aurore.
Usas cherche à échapper à son père qui la désire. S’étant faite biche, elle
se cache dans la forêt. Celui-ci la retrouve et se change en cerf pour
l’approcher. Voyant cela, les dieux, choqués, se concertent : “Prajapati est
en train de commettre un acte abominable ! Punissons-le !”
N’arrivant pas à le trouver, ils façonnent Rudra et lui disent : “Prajapati
est en train d’accomplir ce qui n’est pas permis. Va et transperce-le de tes
flèches.” S’enfonçant dans la forêt et apercevant Prajapati en train de briser
le tabou, Rudra bande son arc et transperce le dieu qui s’envole en
répandant sa semence sur la terre.
La semence remplit un lac. Craignant que ces graines ne s’abîment, les
dieux déclarent qu’elles ont été semées par Manu, le premier des hommes,
et demandent à Agni d’entourer le lac d’un cercle de feu afin d’en purifier
les abords. Mais les vents, activant les flammes, sont si violents que les
graines s’envolent et, s’enflammant, deviennent les dieux Varuna, Surya et
Mitra. Une fois le feu éteint, les braises se transforment en bétail noir, et des
cendres naissent le buffle, l’antilope, le dromadaire et l’âne.
Fier de lui, Prajapati hurle : “Toutes ces créatures sont à moi !” “Pas
question !” grondent les dieux, invoquant Agni et Rudra pour en finir une
bonne fois pour toutes avec les prétentions de Prajapati.

AUM

Les paroles divines sont le son des syllabes qui ont précédé l’univers, créé à partir de la
syllabe Aum, son primordial répété au début de chaque prière. Aum est si sacré que
lorsqu’on le prononce, personne ne doit l’entendre. Des trois lettres qui le composent, a est
le premier son produit lorsqu’on ouvre la bouche. C’est l’éveil de la conscience, le
commencement du souffle expiré, dont um est la fin. Symbole du passé, Aum est aussi le
présent et le futur. Il est la racine qui assemble les atomes du monde et des cieux.
L’ÂME ET L’ÉTERNEL RETOUR

Le temps passe et la conquête de Bharata, la Terre-mère, est acquise. Las


de guerroyer sans cesse, les princes quittent les champs de bataille,
préférant vivre dans leurs palais et gouverner leurs cités.
La société des hommes change. Le commerce devenu florissant, les
marchands gagnent en puissance et l’hégémonie des vieux prêtres diminue.
À quoi bon offrir tous ces sacrifices à des dieux qui n’en font qu’à leur tête
et n’écoutent plus guère les requêtes des hommes ? Y a-t-il encore une
raison d’invoquer Indra, Varuna ou Agni ? Ne vaut-il pas mieux chercher la
cause de toute chose et l’énergie sacrée qui réside au fond de chaque
créature ?
La réalité n’étant qu’illusion, ce n’est plus par des massacres d’animaux
que l’homme peut dialoguer avec les puissances divines. Rejetant les
anciens rites, de nouveaux sages brahmanes apparaissent. Interdisant les
sacrifices d’animaux, ils continuent de chanter des hymnes aux dieux et
cherchent une nouvelle voie menant à l’union de l’atman, l’âme
individuelle, avec le brahman, l’âme universelle.
Pour échapper à l’éternelle réincarnation de l’âme et parvenir à la
délivrance, il y a trois chemins : la connaissance et l’apprentissage du
savoir, les dévotions aux dieux et la possession d’un bon karma.
Des sages affirment que, par la méditation et le dépouillement, on
échappe à la fatalité des réincarnations de l’âme dans cet univers de
souffrances et d’illusions ; on se délivre en renonçant à l’action. Ces sages
se font yogis ou ascètes rompant avec le monde. Détachés des plaisirs et des
biens matériels, vagabonds, ils refusent de s’attacher à un lieu particulier,
mendient leur nourriture ou se contentent de cueillir fruits et légumes
sauvages. Pratiquant jeûne et souffrances corporelles, endurant froids et
chaleurs extrêmes, ils vivent vêtus d’un pagne ou nus.
LE KARMA ET LE DHARMA

La loi du karma veut que la somme de nos actions décide de ce que seront nos vies
futures, car nul n’échappe au cycle infini des renaissances, le samsara.
Dès sa naissance, chaque être doit respecter le dharma, ensemble de règles et de
phénomènes naturels fixés par les dieux, qui régissent l’ordre du monde. Le dharma guide
sur le chemin qui mène vers l’éternité.
Ayant en nous le désir de la vie éternelle, nous renaissons continuellement. Et nos
mauvaises actions sont la cause de souffrances dans des vies futures.

Être ou ne pas être prince


Dans le royaume des Shakyas, le roi Shuddodhana régnait sur la cité de
Kapilavastu. Une nuit, la reine Maya Devi rêve d’un éléphant blanc à six
défenses qui vient lui rendre visite dans sa chambre. Le lendemain, devins
et astrologues du palais lui prédisent la naissance de Siddhartha, un fils qui
deviendra roi ou sage. Partie en voyage chez ses parents, en traversant la
forêt de Lumbini, la reine est prise de douleurs subites. Elle s’accroche à la
branche d’un arbre et, de son flanc droit, accouche d’un fils tandis qu’une
pluie de fleurs tombe du ciel, envoyée par les dieux. Sitôt né, Siddhartha se
met debout, se tourne vers les quatre horizons et marche vers le nord pour
prendre possession de l’univers. Sept jours plus tard, Maya Devi meurt.
L’enfant est confié à sa tante.
Souhaitant que son fils devienne un bon souverain, Shuddodhana
l’éduque pour en faire un grand kshatriya. Devenu excellent archer et expert
en armes, Siddhartha grandit en sagesse, ce qui lui vaut le surnom de
Shakyamouni, le sage des Shakyas. Toutefois, il vit enfermé dans le palais,
les devins ayant prédit au roi que Siddhartha abandonnerait son royaume si,
par malheur, il rencontrait un malade, un mendiant et un défunt. Son père
fait tout pour qu’il mène une vie joyeuse, mais le prince est souvent triste.
Espérant faire le bonheur de son fils, à seize ans, le roi le marie à
Yashodhara, qui lui donne un fils, et Siddhartha retrouve sa gaieté.
Un jour, il sort du palais avec son cocher Chandaka et fait les trois
rencontres tant redoutées par son père. Il croise un infirme qui gémit sur le
bord du chemin. Un peu plus loin, un malade lui montre les extrémités de
ses membres rongées par la lèpre. Puis la course de son char est arrêtée par
un cortège funèbre emportant un mort vers le bûcher de la crémation.
Siddhartha comprend alors ce qu’est la vraie vie. Il est subitement pris
d’angoisse : “Et si cela m’arrivait ? À ma famille et à tous ceux qui me sont
proches ?” Marchant à sa rencontre, un ascète lui donne son bol de
mendiant. Siddhartha n’en revient pas de voir ce pauvre homme rayonnant
de joie.
Rentré au palais, ces quatre rencontres ont semé le trouble dans son
esprit. Chaque nuit, il est assailli de cauchemars.
À quelque temps de là, il quitte le palais, la jeune reine et son fils. Jamais
il ne sera roi. Il part avec son fidèle Chandaka au plus profond de la forêt.
Siddhartha n’a pas encore trente ans.

L’exil et les pénitences


Quittant ses habits et ses bijoux de prince, il coupe ses cheveux, prend le
bol du mendiant, change son nom pour celui de Shakyamouni et part à la
recherche d’ascètes capables de répondre aux questions : “Qui suis-je ? Où
vais-je ? Quel est le but de l’existence ?” Durant six ans, il médite, mène
une vie d’ascèse, jeûne, se nourrit de quelques grains de riz. Son corps n’est
plus qu’un squelette et la Vérité lui échappe toujours. Très affaibli et sentant
que son esprit est en train de le quitter, il décide de sortir de la forêt.
Suivi de cinq disciples, il arrive épuisé au village de Bodh Gaya, où il
accepte un bol de riz des mains d’une jeune fille. Choqués de le voir
accepter l’aumône, ses disciples l’abandonnent. Shakyamouni comprend
que ce n’est pas ainsi qu’il trouvera ce qu’il cherche. S’asseyant à l’ombre
d’un arbre pippal, il décide de ne plus bouger tant qu’il n’aura pas atteint la
Vérité et trouvé le remède définitif aux maux dont souffre l’humanité. Alors
Mara, le prince des démons, lui envoie ses armées et ses filles pour le tenter.
Mais il résiste et poursuit sa méditation.
La révélation
Un jour, à l’aube, il trouve enfin la réponse à ses questions : la haine, la
jalousie et la colère sont causes de souffrances et tout n’est qu’illusions.
C’est l’éveil, l’illumination. Shakyamouni devient bouddha. Toutefois, il
retourne à sa méditation, apprend à supprimer la douleur et accomplit des
miracles. Sept semaines plus tard, il parvient à la béatitude. Il est temps
d’enseigner sa doctrine à ses cinq compagnons qu’il retrouve à Bénarès,
lesquels iront prêcher les enseignements de la Bonne Loi.
Bouddha continue à parcourir l’Inde jusqu’à l’âge de quatre-vingts ans.
Après avoir mangé un “délice de porc”, il tombe gravement malade. Ayant
confié ses dernières instructions à Ananda, son disciple favori, il prend un
dernier bain, se couche entre deux arbres et entre dans le nirvana. Son âme
échappe enfin au cycle des réincarnations et rejoint l’éternité.
Pleine de sagesse et de simplicité, la Bonne Loi est entendue par des
millions d’hommes et de femmes qui se détournent des divinités
brahmaniques. Oubliant les dieux, cette nouvelle religion prêche l’égalité
des hommes. Des rois et des empereurs se convertissent. Monastères, écoles
et universités attirent pèlerins venus de tous les coins de l’Asie, qui
repartent chez eux enseigner la Bonne Loi. Bouddha devient l’égal d’un
dieu.
DE NOUVEAUX DIEUX
ENTRENT EN SCÈNE

Les brahmanes, voyant leurs privilèges ébranlés, décident de réformer


leurs enseignements, de trouver des dieux plus aimables, plus proches des
hommes. Sans abandonner le système des castes, la religion védique évolue
vers le brahmanisme.

De nouveaux prêtres
Admettant la validité des coutumes et des traditions de populations non
indo-aryennes, les brahmanes acceptent les divinités locales et le culte des
images. La vision de la divinité, du maître, du souverain, est absolument
essentielle. Il faut que les dieux soient vus par les fidèles. S’arrêter et prier
devant la statue du dieu, faire le tour de son image, déposer quelques fleurs
à ses pieds, l’habiller, l’enduire de beurre et le parfumer, tout cela purifie le
fidèle de ses fautes quotidiennes.
Abandonnant les sacrifices rituels et acceptant de voir les fidèles
s’approcher des dieux, les brahmanes les guident dans le panthéon divin.
Chaque fidèle se choisit un dieu ou une déesse à adorer et accepte de faire
tout ce que la divinité souhaite de lui. C’est la bhakti, la dévotion. Face à la
divinité, hommes et femmes sont égaux.
Les brahmanes enseignent la non-violence pour régler les conflits entre
les individus. Ils interdisent les sacrifices de vaches et la consommation de
leur viande. Mère des hommes, la vache est sacrée. Elle leur donne son lait,
son beurre, sa force de travail. Sa bouse mélangée de paille est un
combustible, son urine un médicament. Enfin, les brahmanes rendent
accessible à tous ceux qui savent écrire la lecture des textes sacrés. Le
sanskrit, langue réservée aux seuls prêtres, est réformé. Fondateur de la
littérature, Panini établit les règles grammaticales. Les poètes écrivent les
légendes des dieux. La littérature religieuse s’enrichit de textes épiques : le
Ramayana, le Mahabharata et les Purana qui deviendront les grands
classiques de l’hindouisme.
Bien que mis à la retraite, les premiers dieux ne sont pas oubliés. Les
écrits sacrés en gardent le souvenir. Certains conservent leur place, les sages
se contentant de changer leurs noms et de leur inventer de nouvelles
aventures. Des divinités mineures, installées au sommet du panthéon,
entraînent derrière elles une cohorte de nouveaux dieux. Mais le grand
bouleversement veut que les nouveaux occupants des cieux soient les Deva,
tandis que les Asura se transforment en anti-dieux, vivant dans des palais
célestes ou des forteresses volantes en fer, d’où ils orchestrent les guerres
qu’ils font aux Deva.

La Trimurti
Trois cent trente millions de Deva sont dominés par la Trimurti, trois
grands dieux qui sont les trois aspects d’une même divinité : Brahma,
Vishnou et Shiva. Depuis des siècles, ils descendent de leurs royaumes
célestes pour prendre part aux aventures des hommes lorsque ceux-ci
appellent au secours. Avatars, ils sont parfois hommes, parfois animaux, ou
encore fleuve ou montagne, selon les ennemis à combattre. En échange de
leurs services, ces dieux demandent dévotion et offrandes.

Le dieu créateur
Esprit suprême et créateur de l’univers, Brahma est le premier des dieux
de cette trinité. N’ayant pas de commencement, demeurant au centre du
Lotus, il est le maître de la Terre. Dans les temps anciens, Brahma
s’appelait Prajapati, celui qui est né avant tous les autres dieux.
De nombreux textes racontent qu’un œuf d’or apparut sur l’immensité
des flots de l’océan. De cet œuf sortit Brahma, donnant naissance à la
création, qu’il nourrit et protège. Il crée le monde, qui demeure sans
changement pendant un jour de la vie de Brahma, soit plus de deux
milliards d’années. Puis, pendant son sommeil, le feu dévore la Terre et
toutes les créatures. Seuls les dieux, les sages et les cinq éléments sont
épargnés. Quand Brahma se réveille, il s’empresse de réparer ce que le feu a
détruit. Et le même phénomène se répète pendant cent ans de l’existence de
Brahma.
Lorsque les dieux sont à leur tour créés, ils tombent dans l’océan puis,
ayant faim et soif, ils demandent à Brahma de leur trouver une résidence.
Celui-ci leur donne un taureau. Les dieux trouvant cela insuffisant, Brahma
leur donne un cheval. Les dieux étant toujours insatisfaits, Brahma leur
apporte un homme. Alors le feu devient parole et entre dans la bouche. Puis
le vent se fait souffle et entre dans les narines. Le Soleil se fait vision et
entre dans les yeux. Les directions de l’espace se font audition et entrent
dans les oreilles. Les plantes et les herbes se font poils et entrent dans la
peau. La Lune se fait pensée et entre dans le cœur. La mort se fait souffle
digestif et entre dans le nombril. Les eaux se font sperme et entrent dans la
verge. Ainsi est créé l’homme. Les dieux étant contents d’avoir obtenu une
chose aussi bien faite, Brahma leur ordonne de rentrer chez eux.

La deuxième recette du Créateur


Une autre histoire raconte comment Brahma, désireux de créer le bien et
le mal, se concentre très fort pour que l’obscurité envahisse son corps,
jusqu’au moment où des démons sortent de sa cuisse. Puis il abandonne son
corps qui devient la nuit. Se glissant dans un autre corps, il y trouve du
plaisir et les dieux, gourmands et jouisseurs, naissent de sa bouche. De
nouveau, il abandonne ce corps qui devient le jour. Depuis, les démons sont
tout-puissants la nuit et le jour appartient aux dieux.
Ne s’arrêtant pas là, Brahma prend un autre corps et pense très fort qu’il
est père. Ainsi naissent les ancêtres. Puis il quitte ce troisième corps qui
devient le crépuscule. Les hommes sortent du quatrième, dont il abandonne
l’enveloppe qui devient l’aube. Aussi, dès le lever du jour, les hommes sont
les maîtres du monde alors qu’à la tombée de la nuit, les ancêtres prennent
le pouvoir.
D’un autre corps plein de passion, Brahma donne naissance à la faim qui
engendre la colère et fait surgir des êtres affamés, difformes et barbus qui
accourent vers lui. Ceux qui gémissent sont transformés en démons. Les
voyant, Brahma, dégoûté, perd ses cheveux qui repoussent sous la forme de
serpents. Furieux, il fait apparaître d’autres démons mangeurs de viande et
buveurs de paroles.
Tous ces démons, devenus les Asura, sont les ennemis des Deva, des
divinités bienfaisantes.
Souhaitant se faire plaisir, Brahma fait naître les oiseaux. Les moutons
sortent de sa poitrine, les chèvres de sa bouche et les vaches de son estomac
et de ses côtes. De ses pieds, jaillissent les chevaux, les éléphants, les ânes,
les cerfs, les chameaux, les antilopes et bien d’autres espèces. Les poils de
son corps se muent en herbes, fruits et racines.
Content de son œuvre, Brahma fait en sorte que toutes ses créations
possèdent un karma pour renaître éternellement en respectant le dharma.
Depuis, il en va ainsi de la vie.

Le portrait de Brahma
Brahma est de couleur rouge ou rose. Barbu, il a l’air d’un vieux sage. Il
possède quatre têtes couronnées, ce qui lui permet de voir dans les quatre
directions. À l’origine, il avait cinq têtes. Mais la cinquième fut brûlée par
le troisième œil de Shiva.
Un jour, Brahma et Vishnou se disputent pour la suprématie divine. Une
bataille s’engage. Effrayés, les dieux demandent à Shiva d’intervenir.
Celui-ci arrive sur le champ de bataille avec une colonne de feu afin
d’anéantir les armes magiques de Brahma et Vishnou, lesquels, étonnés par
cette mystérieuse colonne, partent en chercher le commencement et la fin.
Et Vishnou, se faisant sanglier, descend sous terre pour en trouver la racine.
Brahma se fait oiseau migrateur et s’envole vers les sommets.
Rentré bredouille, Vishnou avoue son échec. S’assurant de la complicité
d’une fleur tombée de la coiffure de Shiva, Brahma prétend avoir atteint le
sommet de la colonne. Alors Shiva sort de la colonne pour bénir Vishnou et
châtier Brahma dont il fait sauter la cinquième tête, et le condamne à ne
plus avoir de culte indépendant. Repenti, Brahma obtient la présidence de
tous les sacrifices. Et la fleur est pardonnée.
Depuis cette aventure, Brahma a deux surnoms : “Quatre Têtes” et “Huit
Oreilles”. Il possède aussi quatre bras. Dans une main, il tient les quatre
livres des Veda, dans les autres, il porte une cruche d’eau, un chapelet fait
de graines, une ou deux louches pour les sacrifices ou un sceptre, et son arc,
Parivita.
Sarasvati, son épouse, est la fille de Prajapati. Déesse des arts, de la
connaissance, de la musique et de la parole, cette jolie femme est
représentée avec quatre bras. Elle tient un livre, un chapelet et joue de la
vina, un instrument à cordes.
Brahma se déplace sur Hamsa, qui ressemble au cygne ou à l’oie. Il lui
arrive de voyager à dos d’éléphant. Au repos, il est assis sur un lotus qui
sort du nombril de Vishnou endormi, lequel se réveille lorsque le danger
menace.
Après avoir créé l’univers, Brahma en a confié la garde à Vishnou qui
occupe la deuxième place dans la Trimurti.
DIEU ET SES AVATARS

Du temps où Brahma était Prajapati, Vishnou n’était qu’un assistant


d’Indra qui se rendit célèbre par les trois pas de géant qu’il fit pour mesurer
l’univers que les démons voulaient dérober aux hommes. Grâce à son
intervention, les démons battirent en retraite. Indra ne pouvant plus se
passer de son aide, Vishnou se fit reconnaître comme protecteur de la
création. Depuis, tout en dormant, Vishnou veille sur l’univers.

Vingt-huit incarnations
Les avatars de Vishnou descendent sur terre pour assister les hommes
dans leurs luttes avec les forces obscures. On dénombre vingt-huit
incarnations de Vishnou, dont dix très célèbres :
– Le poisson Matsya sauve la Création du déluge.
– La tortue Kurma, sur le dos de laquelle repose l’Inde, retrouve toutes
les choses précieuses de l’univers que les Asura ont volées.
– Le sanglier Varaha sauve la Terre-mère de la noyade.
– Le lion Narasimha tue les Asura qui détruisent les hommes.
– Le nain Vamana triomphe du Mal qui avait envahi la Terre.
– Rama à la hache, dit Parashurama, extermine les despotes.
– Le septième avatar de Vishnou est Rama, prince et dieu guerrier.
– Krishna descend sur terre pour établir l’amour divin.
– L’âge des conflits arrivé, Vishnou prend la forme du Bouddha.
– Le dernier avatar, Kalki, viendra à la fin de l’âge des conflits pour punir
les rois voleurs et consoler les vertueux. Il rétablira l’âge d’or et détruira le
monde, afin que naisse une humanité nouvelle.

Le portrait de Vishnou
“Mon nom de Vishnou, d’origine obscure, signifie « Celui qui est
partout ». Mes nombreux adorateurs, affirmant que je suis créateur de toute
chose, m’ont donné plus de mille noms.
Mon corps est noir ou bleu, couleur de l’espace cosmique. Sur ma tête
resplendit un diadème ; autour de mon cou, je porte la guirlande de la forêt
et mes oreilles sont ornées de boucles en forme de monstres marins. Sur
mon sein gauche, j’ai une touffe de poils dorés appelée « Cher à la
fortune ». Sur ma poitrine brille un joyau nommé « Trésor de l’océan ».
Mon cordon sacré est fait de trois fils représentant les trois lettres Aum. Mes
quatre mains tiennent la conque, le chakra – disque à six rayons –, la
massue, l’arc et le lotus. J’ai également un chasse-mouches, un éventail
pour attiser le feu et l’épée de la connaissance. Des bracelets ornent mes
quatre bras. Un voile de soie jaune couvre mes hanches. Mes pieds sont
décorés d’un étendard et d’un parasol royal.
Mon véhicule est Garuda, moitié homme, moitié vautour. Lorsque je
dors, je repose sur les anneaux d’Ananta, le Serpent aux mille têtes, qui
flotte sur les eaux du vaste océan de l’inconscience, dont je suis le maître.”

Les amours de Rama et Sita


Fondée par Manu, le premier homme, Ayodhya est la capitale du riche
royaume de Koshala. Dasharatha, son roi, étant triste de ne pas avoir de
descendance, demande aux prêtres de préparer le sacrifice du cheval afin
que les dieux lui donnent des héritiers. Vishnou lui envoie un breuvage
magique que Dasharatha partage en quatre portions qu’il donne à ses trois
épouses.
Ayant reçu deux portions, la reine-mère a un fils, nommé Rama. La
deuxième épouse, absorbant la troisième portion, divisée en deux, accouche
de deux fils, Shatrughna et Lakshmana. La troisième épouse met au monde
Bharata. Les quatre fils, étant tous d’une beauté céleste et grandissant dans
la plus parfaite harmonie, le vieux roi retrouve sa gaîté. Rama étant le
prince préféré du peuple, le roi le choisit pour héritier.
Un jour, un sage venu à la cour demande à Rama de l’aider à exterminer
les démons qui l’empêchent de faire ses dévotions. Rama et Lakshmana
exterminent les démons en un clin d’œil. Le sage décide alors d’emmener
Rama concourir à la cour du roi Janaka, possesseur de l’arc divin, qui
promet de donner en mariage sa fille, Sita, à celui qui sera capable de
soulever l’arc, concours où tous les princes échouent.
Janaka fait apporter à Rama l’arc sur un char à huit roues traîné par huit
cents hommes. Celui-ci s’empare du carquois, sort l’arc d’une main, le
courbe sans effort, passe la corde et bande l’arme qui se brise. Émerveillé,
le roi accorde à Rama la main de sa fille.
De retour à Ayodhya, Rama et Sita s’apprêtent à devenir roi et reine. Or
Kaikeyi, la mère de Bharata, frère cadet de Rama, en décide autrement. Elle
veut le trône pour son fils et exige que Rama soit exilé dans la forêt,
pendant quatorze années. Elle va voir le vieux roi et lui rappelle la
promesse qu’il lui a faite lors d’une bataille où, grièvement blessé, elle lui a
sauvé la vie. En échange, il lui avait accordé deux grâces de son choix. Ne
pouvant renier sa promesse, le roi accepte après avoir consulté Rama qui
renonce au trône et s’exile dans la forêt en compagnie de Sita.
Accompagnés de Lakshmana, Rama et Sita marchent jusqu’à la forêt de
la Pénitence. À peine installés dans une clairière cachée, Bharata les rejoint
pour leur annoncer la mort du roi et demande à Rama de rentrer au palais
pour monter sur le trône. Celui-ci refuse et prie son frère d’être le gardien
de la couronne pendant quatorze ans. Dix années durant, les trois exilés
vont d’ermitage en ermitage.

L’enlèvement de Sita
Un jour, séjournant dans la forêt de Dandaka, infestée de Rakshasa, la
démone Shurpanakha, transformée en belle femme, tente en vain de séduire
Rama. Voyant qu’elle veut tuer Sita, Lakshmana tire son épée et tranche le
nez et les oreilles de la démone qui demande à ses trois frères de la venger.
Rama tue les frères et quatorze mille démons. La mégère s’envole pour
Lanka, où règne son frère Ravana, le fléau du monde aux dix visages et
vingt bras. Voyant l’état de sa sœur, furieux, Ravana fait préparer ses
armées pour enlever Sita.
Arrivé dans la forêt, Ravana imagine un subtil stratagème. Un Rakshasa,
métamorphosé en gazelle au pelage d’or, rôde du côté de l’ermitage de
Rama. Apercevant la biche, Sita invite Rama à chasser l’animal. Craignant
que Rama ne tombe dans un piège, son frère le rejoint, laissant Sita seule.
Ravana en profite pour la surprendre. Séduit par sa beauté, il tombe
amoureux et enlève la princesse.
De retour, Rama et son frère découvrent la disparition de Sita. Or,
Sugriva, le roi des singes, ayant assisté à l’enlèvement, propose à Rama de
l’aider et d’envoyer Hanuman, son fidèle général, à la recherche de Sita.
Rama lui ayant confié son anneau royal, Hanuman, vif comme le vent,
s’envole et d’un bond prodigieux franchit l’océan pour atteindre Lanka.
Hanuman se fait tout petit pour pénétrer dans le palais de Ravana. Ayant
approché Sita qui reconnaît l’anneau, il apprend que le roi lui a donné un
délai de deux mois pour qu’elle se décide à l’épouser. Sinon, il la tuera.
Quittant les lieux, le singe saccage la forêt royale, puis, rattrapé par les
démons, Hanuman met le feu avec sa queue enflammée à la capitale de
Lanka.
De retour auprès de Rama, Hanuman fait le récit de son voyage. Le
prince propose à Sugriva de partir, sans plus tarder, pour livrer bataille aux
démons et libérer la captive.
Arrivée au bord de l’océan, l’armée des singes ne pouvant franchir les
eaux pour accéder à Lanka, Rama demande de l’aide à Varuna, le dieu des
océans, qui conseille de construire une chaussée des géants. Sitôt dit, sitôt
fait, Rama, Hanuman et ses troupes pénètrent en territoire ennemi.
Voyant l’ampleur des dégâts causés par Hanuman, la mère et le frère de
Ravana lui conseillent de délivrer Sita.
Mais celui-ci, en découvrant les armées d’Hanuman campées aux portes
de son palais, fait modeler une tête à l’image de Rama pour laisser croire à
Sita que son prince a été décapité.
LE RAMAYANA

Les aventures de Rama et Sita sont contées dans le Ramayana, poème épique très
populaire écrit par le sage Valmiki. Cet ancien brigand de grand chemin, las de faire le mal,
part dans la forêt mener une vie d’ascète et y demeure immobile pendant mille ans. À la
longue, son corps se couvre de fourmis, d’où son nom de Valmiki, “Fils de fourmis”. Les
dieux lui dictent le Ramayana, alors qu’il méditait sur le mot “mara”, la mort, anagramme de
Rama. Chef-d’œuvre, le Ramayana est dans la littérature indienne l’équivalent de
L’Odyssée d’Homère. Cette épopée serait le récit de la conquête de l’île de Sri Lanka.

La défaite des démons


Rama et ses alliés s’avancent vers le palais royal et une terrible bataille
s’engage. Si tous les généraux de Ravana sont tués et leurs bataillons mis en
déroute, l’armée des singes subit de lourdes pertes et Rama et son frère sont
grièvement blessés. Aussi, Hanuman s’envole vers les Himalayas cueillir
les herbes médicinales qui ressuscitent les morts.
Voyant tous ses fils tombés au combat, Ravana sort de son palais pour
affronter Rama en combat singulier, lequel dure sept jours. À la fin, Rama
décoche la flèche de Brahma et Ravana tombe raide mort.
Entré le premier dans le palais, Hanuman annonce la nouvelle à la
captive. Mais Rama repousse Sita, persuadé qu’elle lui a été infidèle.
Devant l’assemblée des singes, celle-ci décide de s’immoler par le feu.
Arrivée sur le bûcher, les flammes s’écartent d’elle et Sita sort indemne de
l’épreuve, sauvée par Agni. Convaincu de la fidélité de son épouse, Rama
lui redonne sa confiance. Les quatorze années s’étant écoulées, Rama et
Sita rentrent à Ayodhya, où Bharata les attend. Rama régnera pendant cent
ans, et son peuple vivra un âge d’or magnifique.
Ainsi s’achève le poème de Valmiki, que des générations de poètes se
transmettent depuis des siècles. Il est dit que ceux qui racontent cette
histoire seront bénis des dieux.
La légende de Krishna
Un jour, une voix du ciel annonce au cruel Kamsa, qui règne à Mathura,
que le huitième enfant de sa sœur, Devaki, le chassera du trône et dominera
le monde. Kamsa veut la tuer mais y renonce lorsque le mari de celle-ci
promet de livrer tous les enfants qu’elle mettra au monde. Recevant le
premier, Kamsa dit : “Je ne veux que le huitième enfant.”
À chacune des naissances des six premiers enfants, la même scène se
répète, jusqu’au jour où Kamsa apprend d’un sage que Vishnou va bientôt
descendre sur terre pour le tuer. Sa clémence ayant été inutile, Kamsa fait
égorger les enfants de sa sœur et tous ceux du royaume. Prenant la forme
d’une vache, la terre implore les dieux pour qu’ils châtient Kamsa. Brahma
demande à Vishnou d’intervenir.
Après avoir déposé son septième enfant dans le sein de Rohini afin de le
protéger, Devaki est à nouveau enceinte. Vishnou s’est cette fois incarné en
elle. Kamsa l’apprend et la fait jeter en prison. L’enfant naît. Ouvrant les
portes de la prison, une voix d’une force invisible lui dit : “Prends ton
enfant et porte-le chez Nanda, le chef des bergers. En échange, prends la
petite dont sa femme vient d’accoucher et reviens dans la prison.”
Devaki revenue, les gardiens de la prison, réveillés par les pleurs du
nourrisson, annoncent la nouvelle à Kamsa qui se précipite pour tuer
l’enfant. Il s’empare du nourrisson et le fait tournoyer dans les airs.
S’échappant de ses mains, la fillette se transforme en une déesse qui
s’envole et rejoint Vishnou, criant : “Cesse tes massacres, car il est né, celui
qui va te tuer.” Bouleversé par ce prodige, le roi tombe aux pieds de sa sœur
et la délivre.
Nanda et son épouse découvrent dans le berceau un fils d’une beauté
surnaturelle à la peau bleu sombre. Surpris, Nanda invite les astrologues,
qui tirent l’horoscope de l’enfant : “Cet enfant est plus grand que Brahma.
Il détruira les démons et soulagera la Terre de ses peines.”

Les amours de Krishna


Aussitôt, bergers et bergères, au son des flûtes, descendent des collines et
la fête commence. Des jours durant, ce ne sont que chants et danses.
Joyeuses, les jeunes filles parfumées de santal s’émerveillent devant cet
enfant autour duquel gambadent vaches et veaux frottés d’huile et de
gingembre.
Kamsa et les Asura n’ayant pas dit leur dernier mot, les massacres
continuent. Une démone tente d’empoisonner l’enfant en lui donnant le
sein. Celui-ci lui suce tout le corps que les bergères découpent en neuf
morceaux avant de le brûler.
L’enfant reçoit ses premiers noms : Krishna le Noir, Narayana, Gopala le
Berger, Govinda le Roi des prairies, Bhagavad le Bienheureux, et bien
d’autres noms, autant qu’il y a d’étoiles.
Grandissant, Krishna ne cesse de faire farces et blagues. Il vole les pots
de lait des gopis, les vachères ; il se barbouille ou s’empiffre de beurre qu’il
partage avec ses amis les singes. Adolescent, Krishna courtise les gopis.
Lorsqu’elles se baignent à la rivière, il s’amuse à cacher leurs saris. Grand
joueur de flûte, il se cache au fond des bois, et aussitôt, entendant sa
musique, les gopis, folles de désir, accourent. Lors d’une danse qui dure
trente-trois jours, un millier d’entre elles deviennent ses maîtresses.
Finalement, il tombe sous le charme de Radha, la plus belle de toutes, et en
perd sa flûte. Peu de temps après l’avoir épousée, il se marie avec Rukmini.
La légende raconte que Krishna a eu cent quatre-vingt mille fils.
Pendant de nombreuses années, Krishna continue de combattre les
démons qui troublent la paix du pays de Mathura. Toujours victorieux, il
détrône Kamsa et rend le pouvoir au roi légitime.
Dieu d’amour et de paix, Krishna est aussi un redoutable guerrier et un
politique cynique. Il participe à la bataille de Kurukshetra comme conseiller
des frères Pandava en guerre contre leurs cousins Kaurava, dont l’histoire
est contée dans le Mahabharata.
Touché par la flèche d’un chasseur qui l’a pris pour une gazelle, Krishna
meurt, atteint au talon, seule partie vulnérable de son corps qui restera sans
sépulture. L’humanité entre alors dans le quatrième âge, celui de la
destruction, dans lequel nous vivons.
LE MAHABHARATA

Avec ses deux cent vingt mille vers, le Mahabharata est le plus long poème du monde.
Comme L’Iliade, c’est le récit d’une tragique bataille entre deux familles, les Kaurava et les
Pandava.
Dans la cité d’Hastinapura vivent deux princes cousins. Aveugle et père des cent
Kaurava, le roi Dhritarashtra adopte, à la mort de son cousin Pandu, ses cinq fils, les
Pandava. La jalousie des Kaurava conduit le roi Dhritarashtra à chasser les Pandava du
palais. L’aîné des Kaurava tente de mettre le feu à leur maison, mais prévenus, les
Pandava se réfugient dans la forêt. Lors d’un concours de tir à l’arc, les cousins s’affrontent.
Arjuna, l’un des Pandava, l’emporte et Dhritarashtra donne la moitié de son royaume à ses
neveux. Jaloux, les Kaurava les invitent pour une partie de dés. Les Pandava se retrouvent
dépouillés de tout et s’exilent dans la forêt.
Au bout de douze ans, ils décident de reconquérir leur royaume. La guerre est proche.
Chaque camp choisit ses alliés. Sollicité mais refusant de se battre, Krishna accepte d’être
le cocher d’Arjuna. Le dieu encourage Arjuna de ses conseils, qui seront transcrits dans le
poème de la Baghavad Gita. Lors de la bataille de Kurukshetra, tous les Kaurava sont tués
et Dhritarashtra se retire dans la forêt pour mourir. Les Pandava héritent du royaume, mais
pris de remords, ils abdiquent et s’exilent dans les Himalayas. Après un bref passage dans
les Enfers, ils entrent au royaume d’Indra.
LE DIEU REBELLE

Brahma est le dieu créateur et Vishnou est le conservateur de sa création :


la vie. Or, tout ce qui naît meurt et la destruction de toute chose est source
de création. Et pour que cette création demeure tout en se renouvelant, il
faut un dieu pour la détruire, mais un dieu pas trop destructeur. Les
brahmanes trouvèrent une divinité pour maîtriser cette tâche : Shiva.

L’incarnation du dieu
Ils ne l’inventèrent pas vraiment puisqu’il avait déjà existé sous le nom
de Rudra. Dans le panthéon divin de la société des Arya, il n’y avait guère
de place pour lui. Dieu terrible, on n’osait prononcer le nom de Rudra de
peur de déclencher sa fureur.
À sa naissance, Rudra était en pleurs. Son père lui en demanda la raison.
“Tu ne m’as pas donné de nom !” Alors son père lui donna le nom de
Rudra, “Celui qui pleure”. À son tour, Rudra fit pleurer les hommes. Pour
l’amadouer, on lui donna un surnom : Rudra-Shiva, Rudra le Bénéfique, car
lorsqu’il rêvait, il laissait le monde en paix. Par la suite, ses fidèles
l’appelèrent Shiva tout court.

Shiva, le bien-aimé
Shiva n’a pas hérité du vilain caractère de Rudra. Bienveillant et paisible,
il est aujourd’hui le dieu adoré du petit peuple qui lui a donné mille et huit
noms : Couronné de lune, Cou bleu, Porteur de crânes, Roi de la danse, etc.
Il est le dieu préféré des yogis et des ascètes, qui font tout pour lui
ressembler.
Bel homme, Shiva est souvent représenté méditant, assis sur une peau de
tigre. Sur son front décoré d’un croissant de lune, il a un troisième œil qui
brûle tout ce qui est devant lui. De ses cheveux en broussaille, coiffés en
chignon sur le sommet de son crâne, jaillissent, blanches comme le lait, les
eaux purificatrices du Gange, dont il s’est emparé lorsqu’elles tombaient du
ciel. Un collier de crânes entremêlés de serpents orne son cou qui est bleu,
car il a avalé le poison avec lequel les démons voulaient détruire le monde.
Son corps d’une extrême blancheur, à cause des cendres dont il se recouvre,
est vêtu d’une peau de tigre.
Ses quatre bras représentent les quatre directions de l’espace. Dans ses
mains, il tient le trident et une hache. Ses deux autres mains font les gestes
de donner et d’éloigner la crainte. Pour aider les dieux, il est souvent armé
d’un arc, d’une masse ornée d’une tête de mort ou d’un lacet pour ficeler
ceux qui l’ont offensé. Avec son tambourin en forme de sablier, il rythme sa
danse cosmique, écrasant de son pied droit l’affreux nain Mulayaka, qui
attise les passions qui font souffrir les hommes.
Il est dit que Shiva Nataraja, le seigneur de la danse, dansera jusqu’à la
fin du quatrième âge, l’âge de l’ignorance.
Ascète, Shiva n’aime pas être dérangé. Sa demeure est située dans les
Himalayas sur le mont Kailash. À ses côtés, sont assis son épouse Parvati et
ses serviteurs, presque tous des démons. Près de lui, se tient son véhicule, le
taureau blanc Nandi, gardien de tous les mammifères.
Shiva est le commencement et la fin de toute chose. Il est partout et nulle
part, sous des formes très diverses, parfois mi-homme mi-femme. Sa forme
la plus commune est celle du linga.
Selon les croyances populaires, les serpents, amis de Shiva, sont des
génies du sol, les esprits d’un royaume souterrain dont ils gardent les
trésors. Avec leurs femelles, ils s’adonnent à la poésie. Destructeurs de vie
avec leur venin mortel, mais gardiens des récoltes, les serpents reçoivent
des offrandes de lait. Et Shesha veille sur la vie des humains, qui aiment le
faire danser aux sons de leurs flûtes.

LE LINGA
Shiva est représenté par le linga, image de la colonne de feu dans laquelle il est
descendu pour séparer Brahma et Vishnou, et ainsi mettre fin à leur combat. Vénéré, le
linga procure joie, bonheur et libération spirituelle. Dans les temples, les autels et les
demeures, Shiva est présent sous la forme d’un cylindre noir au sommet arrondi. Le linga
émerge d’un cercle entrouvert duquel s’écoulent les liquides sacrés (l’eau, le lait, le
yoghourt, le miel, etc.), offrandes dont il est arrosé. Le cercle, le yoni, représente le sexe
féminin. Symbole de fertilité, le linga est le phallus dressé du dieu protégé par le serpent
Shesha, symbole de l’éternel retour.
DÉESSES ET DEMI-DIEUX

Les déesses des premiers temps avaient des rôles secondaires. Avec
l’arrivée des nouveaux dieux, leur situation change, car les fidèles de
Vishnou, Rama, Krishna et Shiva vouent aussi passion et dévotion à leurs
compagnes. Celles-ci sont considérées comme des manifestations de la
Devi, la Grande Déesse. Elle est représentée par le yoni, d’où jaillit le linga.
La Devi est la shakti, l’énergie divine, qui danse sur le corps de Shiva. Elle
s’incarne dans les déesses qui apportent aux hommes douceur et
compassion, mais peuvent aussi faire preuve de violence et de la plus
grande cruauté.

Sri-Lakshmi
Quand Lakshmi, déesse de la fécondité, s’appelait Sri, elle résidait dans
la bouse de la vache.
Le paysan l’aimait tout particulièrement car son humidité et son odeur lui
assuraient de bonnes récoltes. Sri céda sa place à Lakshmi. Assise sur le
lotus, dont elle porte les fleurs en guirlande, Lakshmi, l’épouse fidèle, flotte
sur les eaux primordiales et masse les pieds de Vishnou endormi.
Elle tient un lotus, un fruit, un vase rempli de soma et la conque marine
d’où s’échappe la syllabe Aum. Divinité de bon augure, Lakshmi incarne
fortune, beauté et élégance.

Sati-Parvati
À force de vivre en ascète et de pratiquer la continence, Shiva menaça la
survie du monde. Aussi les dieux décidèrent de lui trouver une épouse sage,
austère et dévouée. Ils choisirent Sati, la petite-fille de Brahma, lequel
célébra le mariage. Pendant dix mille ans, le couple vécut amoureusement
sur le mont Kailash. Mais le père de Sati n’aimait pas ce gendre insolent,
mal élevé, vivant entouré de démons. Un jour, lors d’un grand sacrifice, il
fait exprès de ne pas l’inviter. Folle de rage, Sati se suicide en s’immolant
par le feu. Apprenant la mort de sa compagne, furieux, Shiva façonne, avec
ses cheveux et sa sueur, un monstre à mille têtes, mille bras, mille massues
et mille pieds auquel il ordonne de tuer son beau-père et ses proches. Puis il
part à la recherche du corps de Sati, le retrouve et erre dans l’univers,
portant le cadavre qui finit par renaître en la personne de Parvati.
Dès sa plus tendre enfance, Parvati tombe amoureuse de Shiva.
Redevenu ascète, Shiva ne fait guère attention à cette jeune fille au teint
sombre. Aussi Indra demande à Kama, le dieu de l’amour, de réveiller les
ardeurs de Shiva. Mais Shiva, n’aimant pas être dérangé dans ses
méditations, brise la “flèche fleurie” de Kama et, de son troisième œil, la
réduit en cendres.
Ne se décourageant pas pour autant, Parvati décide de faire pénitence et
de mener aussi une vie d’ascèse. Elle se retire dans les Himalayas, non loin
de la retraite de Shiva et là, pendant plus de trois mille ans, se livre à toutes
sortes de mortifications, répétant sans cesse le nom de Shiva. À la longue,
son ascèse provoque une intense chaleur, insupportable aux dieux et aux
êtres des Trois Mondes. N’y tenant plus, les dieux vont voir Shiva, lequel,
après s’être déguisé en un personnage hideux, accepte de rencontrer Parvati.
Pas dupe, celle-ci fait l’éloge de celui qu’elle adore, lequel enfin séduit,
l’enlace et la prend pour épouse.
Quand tout est prêt pour que les noces aient lieu sur le mont Kailash,
Mena, la mère de Parvati, refuse que sa fille convole avec cet être hideux
entouré de démons. Finalement résigné, Shiva reprend sa belle apparence,
le mariage a lieu et la survie du monde est assurée par les ébats amoureux
du couple divin. Depuis, celui-ci coule des jours heureux en compagnie de
ses fils Skanda et Ganesh. Et Parvati est la déesse de la procréation.

Durga-Kali
Même si elle sait se faire belle et douce comme Parvati, la déesse Durga
aime la guerre. Chevauchant un lion à l’aspect redoutable, qui n’est autre
que Shiva, Durga combat les Asura pour rétablir l’ordre cosmique.
Un jour, le démon-buffle chasse les dieux de leur séjour. Les dieux trop
lâches envoient Durga au combat, chacun lui prête une arme. De ses bras
innombrables maniant le trident de Shiva, le disque de Krishna, la lance
d’Agni, l’arc et les flèches de Vayu, la foudre d’Indra, le lasso de Varuna,
Durga tue le démon dans un grand éclat de rire, si puissant que le monde
s’en trouve ébranlé.
Une autre fois, les démons ayant dépouillé Indra des Trois Mondes,
Durga part en guerre contre eux et les tue. Mais lorsqu’elle voit apparaître
les lieutenants de ces démons, Durga est prise d’une telle rage qu’elle
devient toute noire et de son front jaillit l’épouvantable Kali, armée d’un
glaive et d’un lasso.

Ganga
Il est une autre déesse que les hindous vénèrent : Ganga, la déesse du
fleuve aux eaux sacrées, qui jaillissent du chignon de Shiva.
Ganga, fille d’Himavat, le roi des neiges, habite les régions célestes. Elle
est célèbre pour son humeur fantasque et son indépendance.
Un jour, Brahma rend visite à Himavat dans les Himalayas et lui
demande : “Que Ganga descende sur terre afin que ses eaux pures libèrent
les âmes des soixante mille enfants du roi Sagar, brûlés vifs par le très sage
Kapila dont ils ont dérangé la méditation. Car leurs âmes errent sans repos.”
Himavat accepte.
Connaissant le caractère fougueux de Ganga dont il craint la descente
vertigineuse, Brahma invite Shiva à se tenir prêt à intervenir. Impatiente de
quitter le royaume de son père, Ganga sort telle une furie de Gomukh, la
bouche de la Vache. Caracolant dans tous les sens, ses grondements affolent
tous les êtres vivants qui s’enfuient sur son passage. Mais Shiva se dresse
devant elle, et, dans un grand éclat de rire, la capture dans ses cheveux.
L’ayant apaisée, il la laisse repartir. Répandant ses eaux sacrées sur la Terre,
Ganga descend jusqu’aux Enfers, où elle retrouve les cendres des fils du roi
Sagar, dont les âmes une fois baignées peuvent enfin rejoindre leur demeure
céleste.
Faire un pèlerinage sur les bords du Gange est le rêve de tout hindou qui,
au moins une fois dans sa vie, va se baigner dans les eaux du fleuve sacré.
Boire un peu du précieux liquide permet de se purifier de toutes les fautes
commises au cours de l’existence.

KALI LA NOIRE

Son nom évoque le noir, kala, couleur de la mort. Belliqueuse, Kali décapite et dévore
les démons. Ses yeux crachent du feu. Sa gueule, à la langue pendante, entourée de
crocs, rugit et ricane. Son torse aux seins flasques est décoré d’une guirlande de crânes.
Vêtue d’une peau de tigre, ceinturée de cobras, Kali danse sur des cadavres.
Kali incarne l’agressivité cachée des femmes, prêtes à se soulever contre le pouvoir des
hommes. Elle est la shakti, l’énergie féminine, dispensatrice de vie et de mort. Après avoir
dansé sur le corps de Shiva, pour être apaisée elle s’accouple avec lui. Kali fait peur.
Crainte et adorée, on lui sacrifie des chèvres.

Ganesh
De toutes les divinités qui s’agitent, il en est une très populaire : Ganesh.
Le plus aimé de tous les dieux a son autel dans chaque foyer. Même les
chrétiens et les musulmans de l’Inde acceptent sa protection.
Ganesh a le corps d’un homme bedonnant et une tête d’éléphant. Célébré
pour sa sagesse, il est le dieu de la Connaissance, de l’Intelligence et des
Arts. Il a transcrit le Mahabharata, qu’il a écrit avec une plume taillée dans
une de ses défenses cassée lors d’une bagarre. Grand lecteur, Ganesh est
aussi bon vivant que gourmand. Il aime les friandises, la danse et les farces.
Il se promène sur la souris Mushaka.
Parvati l’a conçu toute seule, un jour où Shiva était sorti. Désirant
prendre un bain, mais craignant d’être dérangée, Parvati frotte ses jambes, y
prélève un peu de crasse qu’elle mélange à de la rosée. Ayant parfumé cette
mixture de safran, elle en modèle un gardien, donnant ainsi naissance à un
superbe garçon, à qui elle ordonne de se poster sur le seuil de la maison et
de ne laisser entrer personne.
De retour, Shiva se voit barrer l’entrée de sa demeure par un inconnu qui
le menace de son épée. “Laisse-moi entrer.” “Pas question !” Furieux, Shiva
commande à sa suite de démons et de nains de forcer le barrage. Déployant
une force et une adresse extraordinaires, Ganesh se débarrasse de tous les
démons. Voyant qu’il n’arrivera pas à le vaincre loyalement, Shiva se glisse
derrière lui et lui tranche la tête.
Alertée par le vacarme, Parvati sort de son bain et voit son fils décapité.
Folle de douleur, elle se rue sur Shiva et menace de déclencher une guerre
entre les dieux. Voyant l’ordre du monde menacé par la rage de son épouse,
Shiva promet de réparer sa faute. Quelques instants plus tard, il revient avec
la tête d’un éléphant et la fixe sur le cou du jeune homme. Apaisée, Parvati
donne à son fils le nom de Ganesh : “Celui qui calme les querelles et efface
les obstacles”.
Depuis, Ganesh bénit les mariages. Il est aimé de tous ceux qui courent
des dangers – voyageurs, marchands, caravaniers et voleurs. Comme
l’éléphant, il est l’image de la force maîtrisée et de la sagesse. Il est aussi
rusé et malin que son ami Hanuman.

Hanuman
Héros du Ramayana, commandant de l’armée des singes, ami dévoué de
Rama, Hanuman est fils de Vayu, le Vent. À l’égal de son père, il sait se
faire aussi fort qu’un ouragan. Il vole dans les airs où il s’amuse à attraper
les nuages. Enfant, il tente d’attraper le Soleil, prenant l’astre divin pour
une pomme. Il franchit les océans d’un bond, transporte les Himalayas et se
métamorphose comme il veut.
Son pelage est en général de couleur jaune d’or. Il a le museau rouge
comme le rubis. Sa queue est très longue et très lourde. Il est souvent
représenté avec huit ou dix bras prêts à lancer ses massues contre les
démons.
Hanuman est aussi médecin. Il soigne par les plantes dont il est grand
connaisseur. Savant, il est le premier des grammairiens et comme Ganesh, il
est l’ami des écrivains.
ET MAINTENANT...

Aujourd’hui, dans l’immensité de la géographie indienne, ces dieux


dominent de toute leur puissance la scène religieuse sur laquelle s’agitent
des millions de divinités en tout genre, qui ont évolué et se sont multipliées
au cours des siècles et dont les textes sacrés et les littératures indiennes
content les naissances et les aventures.
Ainsi, depuis les premiers cultes rendus à la Déesse-mère, le monde
indien a connu la religion védique, qui se transforma dans le brahmanisme.
Celui-ci, mis à mal par la parole du Bouddha, se réforma pour devenir
l’hindouisme.
Durant leur vie, des fidèles, par millions, voyagent vers les centres de
pèlerinage, les temples, les fleuves et les montagnes sacrées pour y voir
leurs dieux et leurs déesses favorites. Par la vision, on se fait connaître des
divinités qui exaucent les vœux. Faire des puja, offrandes et prières du
matin et du soir, est le premier devoir du croyant envers le dieu ou la déesse
qu’il chérit.
Parmi les grandes religions d’aujourd’hui, l’hindouisme conserve cette
mythologie, vieille de près de cinq mille ans, dont les dieux et déesses
guident le fidèle et son âme, l’aidant à conduire sa destinée, le karma, tout
en respectant le dharma, la loi du Bon Ordre du monde. Celui ou celle qui
respecte le dharma et l’ordre cosmique sera délivré des souffrances
humaines en échappant au cycle infernal des renaissances.
Ouvrage réalisé par le Studio Actes Sud

Éditrice : Isabelle Péhourticq assistée de Fanny Gauvin


Directeur de création : Kamy Pakdel
Directeur artistique : Guillaume Berga
Maquette : Christelle Grossin
© Actes Sud, 2018 – ISBN 978-2-330-10308-8
Loi 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse.

Ce livre numérique a été converti initialement au format EPUB par Isako


www.isako.com à partir de l'édition papier du même ouvrage

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