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LE dIEu MIN
"PrOTECTEur dE La LuNE"
asPECTs ET rÔLEs LuNaIrEs
du dIEu dE La FErTILITÉ 1
M
in, l’une des divinités les plus anciennes
du panthéon égyptien, se définit comme
un dieu de la fertilité, du principe de
reproduction mâle et de la régénération des forces
physiques. seigneur de Coptos et d’akhmîn, il est le
maître du désert oriental, le dispensateur des
richesses minérales et le protecteur des routes cara-
vanières conduisant aux côtes de la mer rouge, point
de départ vers le pays de Pount dont il est dit être
originaire 1.
Toutefois, Min présente un autre aspect peu mis en
avant par les études qui lui ont été consacrées et qui
pourtant complète, définit et justifie ses principales
attributions divines : son caractère lunaire.
Le lien entre Min et la lune n’apparaît pas comme
une évidence, contrairement à d’autres divinités
lunaires par essence tels Khonsou ou Thot, souvent
coiffés de l’astre. son image le définit explicitement fig. 1
dans son rôle premier générateur, principalement Le dieu Min.
dû à son ithyphallisme. Toutefois, cet aspect lunaire Pilier nord-est
de la divinité est évoqué dans certains textes et de la Chapelle Blanche
rituels, rapporté aussi par les auteurs classiques 2, de sésostris Ier, musée
relevés en grande partie notamment dès les années de plein air de Karnak.
1930 par H. Gauthier, l’un des premiers spécialistes © J.-G. Olette-Pelletier,
à s’être intéressé à Min 3. après avoir recensé l’en- 2013.
semble des épithètes associant le dieu et la lune, il en
a conclu que cet aspect lunaire n’apparaissait qu’à
partir de la fin du Nouvel Empire, comme l’atteste
les inscriptions du temple de ramsès III à Médinet
Habou, pour perdurer jusqu’aux époques tardives.
10 Jean-Guillaume Olette-Pelletier
si les mentions explicites semblent confirmer cette Cet aspect résulte des éléments qui constituent son
datation, les études récentes de L. Baqué-Manzano image, de ses offrandes particulières et du contexte
et de d. Meeks 4 ont permis de mettre en évidence rituel de ses représentations. La relation de Min à cet
l’importance et l’origine bien plus ancienne de ce astre reste cependant complexe et incertaine. Il appa-
caractère lunaire du dieu Min. raît selon les cas comme une divinité lunaire ou
comme un "protecteur de la lune".
fig. 2 scène de procession avec mention de “Min […] protecteur de la lune”. Temple de Médinet Habou, seconde cour, paroi nord,
registre supérieur gauche (d’après The Epigraphic survey, Medinet Habu IV. Festival Scenes of Ramses III, OIP 51, 1940, pl. 198).
LE dI Eu MI N "P r O T E C T E u r dE La LuNE" 11
asP ECTs ET rÔLEs LuNaI rEs d u dI Eu dE La FErT I LI T É
fig. 4 Offrande des minéraux au dieu amon sous la forme de Min ithyhallique, couloir Ms 11, mur nord, partie est (d’après J. Masquelier-
Loorius, “at the End of the Trail: some Implications of the Mention of Turquoise in Egyptian Tombs and Temples” dans P. Tallet,
El-s. Mahfouz (éd.), The Red Sea in Pharaonic Times. Recent Discoveries along the Red Sea Coast, BiEtud 155, 2012, p. 169, fig. 11a).
d’après L. Baqué-Manzano, il est possible d’associer le À cela s’ajoute l’idée que le fléau nxAxA au-dessus du
fouet nxAxA à cette notion par le biais du verbe ms, bras levé se trouve parfois attribué à d’autres repré-
"donner naissance" en s’appuyant sur la nature de l’ob- sentations de divinités portant l’ithyphallisme de
jet 17 et sur l’identification du signe ms (F35). Figuré à Min 20. Ce particularisme souligne le caractère
l’époque tardive par trois peaux de renard attachées indissociable du phallus du dieu et du bras en équer-
ensemble 18, ce signe se présente de manière assez dif- re soutenant le fléau dans un contexte générateur.
férente à l’ancien Empire. Il y est strictement similaire ainsi, l’association des deux aspects inhérents au
aux trois lanières en forme de gouttes d’eau du fléau fouet, protection et fécondité, avec l’épithète du dieu
royal, faisant du signe ms, et donc du verbe qu’il désigne, "protecteur de la lune" et la notion de fertilité liée à la
une image du fouet en lien avec la notion de fertilité 19. lune, renforce l’idée du rôle lunaire du fléau de Min 21.
LE dI Eu MI N "P r O T E C T E u r dE La LuNE" 13
asP ECTs ET rÔLEs LuNaI rEs d u dI Eu dE La FErT I LI T É
NOTEs
1 J. yOyOTTE, "une épithète de Min comme explorateur des régions orientales", RdE 9, 1952, p. 125-137.
2 À l’instar de l’écrivain constantinopolitain Étienne de Byzance (VIe s. ap. J.-C.) qui énonce dans ses Ethniques le rôle lunaire de la statue de Min, assimilée
à Pan (cf. Th. HOPFNEr, Fontes historiae religionis aegyptiacae II/4, 1924, p. 675, l. 29-32 ; s. BuzaNTIOs, Ethnika: Stephani Byzantii Ethnicorum quae
supersunt ex recensione Augusti Meinekii, 1958, p. 501).
3 H. GauTHIEr, Les fêtes du dieu Min, RAPH 2, 1931 ; id., Le personnel du dieu Min, RAPH 3, 1931.
4 L. BaQuÉ-MaNzaNO, Los colosos del dios Min en el templo de Coptos : etiología conceptual de una gran figura divina (iconografía, iconología y mitológica),
THAE 2, 2004, p. 161 ; d. MEEKs, Mythes et légendes du Delta d’après le Papyrus Brooklyn 47.218.84, MIFAO 125, 2006, p. 291-292.
5 L. BaQuÉ-MaNzaNO, "Further arguments on the Coptos Colossi", BIFAO 102, 2002, p. 29. Le bandage momiforme de Min, dans son aspect régé-
nérateur, présente lui-même une caractéristique lunaire par comparaison avec d’autres divinités gainées (cf. s. auFrèrE, "de l’influence des luminaires
sur la croissance des végétaux. À propos d’une scène du papyrus funéraire de Nebhepet, musée de Turin (ancienne collection drovetti)”, Memnonia 6,
1995, p. 116-117). de plus, le paragraphe 10 du Rituel de l’Embaumement fait mention d’un Mnw-jaH m Jpw, "Min-Lune dans akhmîm", lors de l’em-
maillotage final des mains et des doigts, cf. J.-Cl. GOyON, Rituels funéraires de l’ancienne Égypte, 2004², p. 75.
6 H. GauTHIEr, op. cit., p. 62 ; P. MONTET, Géographie de l’Égypte ancienne, II, La Haute Égypte, 1961, p. 111-112 ; W.M.Fl. PETrIE, Athribis, BSAE 14, 1908, p. 18.
7 W.M.Fl. PETrIE, Abydos, I, EEF 22, 1902, p. 4, pl. III- n° 48.
8 Edfou I, 394, 13-14.
9 a. FOrGEau, Horus-fils-d’Isis, la jeunesse d’un dieu, BdE 150, 2010, p. 161.
10 d. MEEKs, op. cit., 2006, p. 291 ; L. BaQuÉ-MaNzaNO, op. cit., 2002, p. 29 ; s. HassaN, Hymnes religieux du Moyen Empire, 1930, p. 141-142.
11 CT IV, Spell 335, 204c-206a ; Cl. CarrIEr, Textes des Sarcophages du Moyen Empire égyptien, I, 2004, p. 806-807.
12 LdM, Chapitre 17, 34 ; a. GassE, Le Livre des Morts de Pacherientaihet au Museo Gregoriano Egizio, 2001, p. 43-44 ; une comparaison astrale des deux
plumes de la coiffe de Min, plus tardive cette fois et relevée par rené Preys, apparaît sur les parois du temple d’Edfou en tant qu’insignes de la royauté
(cf. r. PrEys, "Le vautour, le cobra et l’œil", dans W. Claes et al., Elkab and Beyond. Studies in Honour of Luc Limme, OLA 191, p. 480-481).
13 La spécificité purement solaire du disque de la couronne Swty, qualifiée par cette insertion de couronne "amonienne", ne permet pas une affirmation
en soit. sa couleur orangée, parfois dorée, ne peut s’appliquer au seul aspect solaire mais à l’ensemble des deux luminaires, la pleine lune se présentant
aussi sous cette image. Le disque inséré dans cette couronne définirait alors la nature céleste des deux plumes. Par ailleurs, je tiens à remercier M. Frédéric
Payraudeau dont les remarques m’ont permis de développer ma réflexion sur ce point.
14 À quelques exceptions près, sans explications toutefois, car il existe de rares reliefs qui présentent ce même fouet serti entre le pouce et l’index de sa
main levée, et cela dès la XVIIIe dynastie (pour exemple, cf. N. BEauX, N. GrIMaL et G. POLLIN, La chapelle d’Hathor, temple d’Hatshepsout à Deir el-
Bahari, I, Vestibules et sanctuaires, 2, Figures, MIFAO 129/2, 2012, p. 32, fig. 42).
15 son titre de "protecteur de la Lune" xw-jaH apparaît sur la paroi nord de la seconde cour du temple de Médinet Habou (cf. H. GauTHIEr, op.
cit., p. 61-62 ; THE EPIGraPHIC surVEy, Medinet Habu IV. Festival Scenes of Ramses III, OIP 51, 1940, pl. 197).
16 Ph. dErCHaIN, "Mythes et dieux lunaires en Égypte" dans La lune. Mythes et rites, Sources orientales 6, 1962, p. 33-34 ; M. ELIadE, Traité d’histoire
des religions, Paris, 1953, p. 149-155.
17 L. BaQuÉ-MaNzaNO, op. cit., 2002, p. 27, note 25. L’auteur souligne la capacité fertilisante de la flagellation par comparaison avec des rituels plus tardifs tels
que le rituel spartiate en l’honneur d’artémis ou encore le rituel romain des Lupercales où le fléau était censé respectivement renforcer la semence mâle
et accroître les chances de fécondation (cf. r. GraVEs, The Greek Myths II, 1990, p. 79 ; M. LEGLay, La religion romaine, 1997, p. 89-91 ; s. I. JOHNsTON
(éd.), Religions of the Ancient World, 2004, p. 286.).
18 Fr. sErVaJEaN, Le tombeau de Nakhtamon (TT 335) à Deir el-Medina : paléographie, PalHiero 5, 2011, p. 32, § 58 ; Kh. EL-ENaNy, Le petit temple d’Abou
Simbel : paléographie, PalHiero 3, 2007, p. 28, § 44-45-46 ; B.J.J. HarING, The Tomb of Sennedjem (TT1) in Deir el-Medina : paleography, PalHiero 2, 2006,
p. 57, § 74 ; d. MEEKs, Les architraves du temple d’Esna : paléographie, PalHiero 1, 2004, p. 73, § 196-197.
19 L’hypothèse de ms comme la représentation des lanières du fléau vu de dos reste de ce fait probable par comparaison avec les trois lanières perlées d’un
flagellum royal réel (cf. Chr. zIEGLEr, Pharaon, catalogue d’exposition de l’Institut du monde arabe, 15 octobre 2004-10 avril 2005, p. 176). Mais c’est
surtout la représentation datée de l’ancien Empire du hiéroglyphe ms, notamment dans le complexe funéraire de djéser (cf. C.M. FIrTH, J.E. QuIBELL,
Excavations at Saqqara. the Step Pyramid, II, planches, 1935, pl. 42), qui permet d’en définir l’assimilation au flagellum du roi et non aux peaux de renard
16 Jean-Guillaume Olette-Pelletier
(les trois pendeloques en forme de goutte d’eau des lanières du fouet sont similaires aux trois terminaisons du hiéroglyphe ms représenté sur le montant
de porte gauche, à côté de la figure royale).
20 Le temple d’Hibis (sanctuaire a, mur ouest) présente par ailleurs une succession de divinités, masculines et féminines, portant l’ithyphallisme de Min
et le bras levé soutenant le fléau (cf. N. de GarIEs-daVIEs, The Temple of Hibis in El-Khargesh Oasis, III, the Decoration, PMMA 17, 1953, pl. 2.
21 Étienne de Byzance fait d’ailleurs mention du rôle lunaire attribué au fouet de Min (cf. st. BuzaNTIOs, op. cit., p. 501). dans sa notice sur Panopolis,
l’auteur écrit : " … [...]","… il s’agit d’une grande
statue divine sertie d’un phallus (= Min) [long] de sept doigts qui élève des fouets de la [main] droite [vers] la Lune […]" (traduction personnelle, avec
appui de la retranscription de J.-Cl. Goyon (cf. J.-Cl. GOyON, op. cit., p. 75, n. 1) et de la traduction de Ph. dErCHaIN (cf. Ph. dErCHaIN, op. cit., p. 48)).
Le sens du verbe , "lever, élever [pour frapper]", pose problème quant au rôle attribué à l’arme par l’écrivain (protection de la lune ? fertilisation
par la lune ?). Toutefois, le lien entre le fléau et l’aspect lunaire de Min semble confirmé.
22 H. GauTHIEr, op. cit., p. 64-69 ; Ph. dErCHaIN, op. cit., p. 46-48 ; L. BaQuÉ-MaNzaNO, Los colosos del dios Min en el templo de Coptos: etiología
conceptual de una gran f igura divina (iconografía, iconología y mitológica), THAE 2, 2004, p. 161. une épithète du temple de Kom Ombo présente
l’"apparition de Min lors de la fête de la nouvelle lune" Hb sxa Mnw n psDtyw, caractérisant l’aspect lunaire du dieu (cf. L. BaQuÉ-MaNzaNO, op. cit.,
2004, p. 161 ; Kom Ombos, II, p. 53, n° 597). Ph. derchain a aussi mis en évidence une épithète de Min "maître d’akhmîn […] qui réside dans le temple
de la lune" (Mnw nb Jpw […] jm xwt-jaH), relevée par W.M.Fl. Petrie dans la Chambre de Pount du pr-Rpw.t à athribis en Haute-
Égypte (cf. W.M.Fl. PETrIE, op. cit., p. 18, pl. XVIII) et mentionnée sur deux stèles d’akhmîm (CG 22074 et 22077). si le manque d’informations
concernant cet édifice pose problème pour notre étude, il n’en définit pas moins le caractère lunaire associé à Min.
23 Edfou III, 278, 4 ; d. MEEKs, op. cit., p. 292 ; r. PrEys, op. cit., p. 477-484.
24 s. auFrèrE, L’univers minéral dans la pensée égyptienne, I, l’influence du désert et des minéraux sur la mentalité des anciens Égyptiens, BdE 105/1, 1991, p. 121, 134, 138.
25 Edfou I, 110 ; E. CHassINaT, Le temple de Dendara, III, 20042, p. 183 ; Dendara IV, 267 ; EL-s. MaHFOuz, "Osiris de Ouadj-Our. une nouvelle
attestation provenant du Ouadi Gaouasis au bord de la mer rouge", BSFE 180, 2011, p. 8 ; P. BaLLET et alii, Coptos, l’Égypte antique aux portes du désert,
Catalogue d’exposition, Lyon, Musée des Beaux-arts 3 février-7 mai 2000, 2000, p. 147.
26 I. BraGaNTINI, r. PIrELLI, "The archeological mission of ‘L’Orientale’ in the Central-Eastern desert of Egypt", Newsletter di Archeologia CISA 4,
2013, p. 75 et p. 118, fig. 25.
27 Edfou II, 85 et 202 ; s. auFrèrE, op. cit., 1991, p. 10-11, 137-138 ; V. razaJaNaO, "La demeure de Min maître d’Imet. un monument de Tell Farâoun
réinterprété", ENIM 2, 2009, p. 108 ; J. yOyOTTE, op. cit., p. 125-126. Ce lien entre Min, le désert Oriental et ses prospecteurs apparaît dès le milieu de
la Ve dynastie puis tout au long de la Première Période intermédiaire et du Moyen Empire, de manière indirecte cependant, au travers des titres des chefs
d’expéditions et des patronymes composés sur le nom du dieu, gravés dans les graffiti du ouadi Hammamât (cf. a. MCFarLaNE, The God Min to the End
of the Old Kingdom, ACE-Stud 3, 1995, p. 42-43 ; P. BaLLET, op. cit., p. 147 ; J. COuyaT, P. MONTET, Les inscriptions hiéroglyphiques et hiératiques du Ouadi
Hammamât, MIFAO 34, 1912-1913, p. 91, n° 149).
28 J. yOyOTTE, ibid., p. 127, d’après Edfou III, 273.
29 J. MasQuELIEr-LOOrIus, "at the end of the trail : some implications of the mention of turquoise in Egyptian tombs and temples", dans Tallet P. et
Mahfouz El-s., The Red Sea in Pharaonic Times, Recent Discoveries along the Red Sea Coast, BdE 155, 2012, p. 164, 169, fig. 11a. L’estrade xtyw, les jambes
gainées, la fin du ruban dorsal et la présence d’un élément d’architecture placée derrière le dieu ne peuvent que confirmer la présence d’amon-rê sous
forme de Min ithyphallique sur ce bas-relief.
30 s. auFrèrE, op. cit., 1991, p. 309-310.
31 r. daVId, A Guide to Religious Ritual at Abydos, 1981, p. 24.
32 P. VErNus, J. yOyOTTE, Bestiaire des pharaons, 2005, p. 625.
33 E. dELaNGE, Le scribe Nebmeroutef, 1996, p. 4, 14.
34 P. VErNus, J. yOyOTTE, op. cit., p. 626-627.
35 Les scènes de rituels ou d’offrandes des temples peuvent déterminer la nature, les fonctions ou les épithètes des divinités, comme le souligne
Cl. Traunecker (Cl. TrauNECKEr, Les dieux de l’Égypte, 20125, p. 6).
36 Toutefois, en l’absence d’autres comparatifs strictement semblables, il serait dangereux de certifier cette idée en s’appuyant sur cette seule image, mais
l’hypothèse vaut d’être soutenue pour sa cohérence.