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TON ANTHOLOGIE

SURRÉALISTE
E T Q U E L Q U E S T E X T E S AU TO U R D U S U R R É A L I S M E
1

GUILLAUME APOLLINAIRE
Et toi mon cœur pourquoi bas-tu
Comme un guetteur mélancolique
J’observe la nuit et la mort

1
G U I L L AU M E A P O L L I N A I R E ( 18 8 0 - 1918 )

LE PONT MIRABEAU

Sous le pont Mirabeau coule la Seine


Et nos amours
Faut-il qu'il m'en souvienne
La joie venait toujours après la peine

Vienne la nuit sonne l'heure


Les jours s'en vont je demeure

Les mains dans les mains restons face à face


Tandis que sous
Le pont de nos bras passe
Des éternels regards l'onde si lasse

Vienne la nuit sonne l'heure


Les jours s'en vont je demeure

L'amour s'en va comme cette eau courante


L'amour s'en va
Comme la vie est lente
Et comme l'Espérance est violente

Vienne la nuit sonne l'heure


Les jours s'en vont je demeure

Passent les jours et passent les semaines


Ni temps passé
Ni les amours reviennent
Sous le pont Mirabeau coule la Seine

Vienne la nuit sonne l'heure


Les jours s'en vont je demeure

2
G U I L L AU M E A P O L L I N A I R E ( 18 8 0 - 1918 )

MARIE

Vous y dansiez petite fille


Y danserez-vous mère-grand
C’est la maclotte qui sautille
Toute les cloches sonneront
Quand donc reviendrez-vous Marie

Les masques sont silencieux


Et la musique est si lointaine
Qu’elle semble venir des cieux
Oui je veux vous aimer mais vous aimer à peine
Et mon mal est délicieux

Les brebis s’en vont dans la neige


Flocons de laine et ceux d’argent
Des soldats passent et que n’ai-je
Un cœur à moi ce cœur changeant
Changeant et puis encor que sais-je

Sais-je où s’en iront tes cheveux


Crépus comme mer qui moutonne
Sais-je où s’en iront tes cheveux
Et tes mains feuilles de l’automne
Que jonchent aussi nos aveux

Je passais au bord de la Seine


Un livre ancien sous le bras
Le fleuve est pareil à ma peine
Il s’écoule et ne tarit pas
Quand donc finira la semaine

3
G U I L L AU M E A P O L L I N A I R E ( 18 8 0 - 1918 )

L’ADIEU

J’ai cueilli ce brin de bruyère


L’automne est morte souviens-t’en
Nous ne nous verrons plus sur terre
Odeur du temps brin de bruyère
Et souviens-toi que je t’attends

4
G U I L L AU M E A P O L L I N A I R E ( 18 8 0 - 1918 )

5
G U I L L AU M E A P O L L I N A I R E ( 18 8 0 - 1918 )

6
G U I L L AU M E A P O L L I N A I R E ( 18 8 0 - 1918 )

7
G U I L L AU M E A P O L L I N A I R E ( 18 8 0 - 1918 )

8
G U I L L AU M E A P O L L I N A I R E ( 18 8 0 - 1918 )

9
2

TRISTAN TZARA
« DADA n’est pas une théorie, mais une protestation. »

10
T R I S TA N T Z A R A ( 18 9 6 - 19 6 3 )

POUR FAIRE UN POÈME DADAÏSTE

Prenez un journal
Prenez des ciseaux
Choisissez dans ce journal un article ayant la longueur que vous comptez donner à vo-
tre poème.
Découpez l'article
Découpez ensuite avec soin chacun des mots qui forment cet article et mettez-le dans
un sac.
Agitez doucement
Sortez ensuite chaque coupure l'une après l'autre dans l'ordre où elles ont quitté le sac.
Copiez consciencieusement.
Le poème vous ressemblera.
Et vous voilà "un écrivain infiniment original et d'une sensibilité charmante, encore
qu'incomprise du vulgaire"

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3

ANDRÉ BRETON
«La beauté sera convulsive, ou ne sera pas.»

André Breton, L’amour fou

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A N D R É B R E TO N ( 18 9 6 - 19 6 6 )

L’UNION LIBRE

Ma femme à la chevelure de feu de bois


Aux pensées d’éclairs de chaleur
À la taille de sablier
Ma femme à la taille de loutre entre les dents du tigre
Ma femme à la bouche de cocarde et de bouquet d'étoiles de dernière grandeur
Aux dents d’empreintes de souris blanche sur la terre blanche
À la langue d’ambre et de verre frottés
Ma femme à la langue d’hostie poignardée
À la langue de poupée qui ouvre et ferme les yeux
À la langue de pierre incroyable
Ma femme aux cils de bâtons d’écriture d’enfant
Aux sourcils de bord de nid d’hirondelle
Ma femme aux tempes d’ardoise de toit de serre
Et de buée aux vitres
Ma femme aux épaules de champagne
Et de fontaine à têtes de dauphins sous la glace
Ma femme aux poignets d'allumettes
Ma femme aux doigts de hasard et d’as de coeur
Aux doigts de foin coupé
Ma femme aux aisselles de martre et de fênes
De nuit de la Saint-Jean
De troène et de nid de scalares
Aux bras d’écume de mer et d’écluse
Et de mélange du blé et du moulin
Ma femme aux jambes de fusée
Aux mouvements d’horlogerie et de désespoir
Ma femme aux mollets de moelle de sureau
Ma femme aux pieds d’initiales
Aux pieds de trousseaux de clés aux pieds de calfats qui boivent
Ma femme au cou d’orge imperlé
Ma femme à la gorge de Val d’or

13
De rendez-vous dans le lit même du torrent
Aux seins de nuit
Ma femme aux seins de taupinière marine
Ma femme aux seins de creuset du rubis
Aux seins de spectre de la rose sous la rosée
Ma femme au ventre de dépliement d’éventail des jours
Au ventre de griffe géante
Ma femme au dos d’oiseau qui fuit vertical
Au dos de vif-argent
Au dos de lumière
À la nuque de pierre roulée et de craie mouillée
Et de chute d’un verre dans lequel on vient de boire
Ma femme aux hanches de nacelle
Aux hanches de lustre et de pennes de flèche
Et de tiges de plumes de paon blanc
De balance insensible
Ma femme aux fesses de grès et d’amiante
Ma femme aux fesses de dos de cygne
Ma femme aux fesses de printemps
Au sexe de glaïeul
Ma femme au sexe de placer et d’ornithorynque
Ma femme au sexe d’algue et de bonbons anciens
Ma femme au sexe de miroir
Ma femme aux yeux pleins de larmes
Aux yeux de panoplie violette et d’aiguille aimantée
Ma femme aux yeux de savane
Ma femme aux yeux d’eau pour boire en prison
Ma femme aux yeux de bois toujours sous la hache
Aux yeux de niveau d’eau de niveau d’air de terre et de feu

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4

ROBERT DESNOS

« Le temps est un aigle agile dans un temple.»

Robert Desnos, « Rrose Sélavy » (extrait)

15
R O B E R T D E S N O S ( 19 0 0 - 194 5 )

J’AI TANT RÊVÉ DE TOI

J’ai tant rêvé de toi que tu perds ta réalité.

Est-il encore temps d’atteindre ce corps vivant et de baiser sur cette bouche la
naissance de la voix qui m’est chère ?

J’ai tant rêvé de toi que mes bras habitués, en étreignant ton ombre, à se croiser
sur ma poitrine ne se plieraient pas au contour de ton corps, peut-être.

Et que, devant l’apparence réelle de ce qui me hante et me gouverne depuis des


jours et des années, je deviendrais une ombre sans doute.

O balances sentimentales.

J’ai tant rêvé de toi qu’il n’est plus temps sans doute que je m’éveille. Je dors de-
bout, le corps exposé à toutes les apparences de la vie et de l’amour et toi, la seule qui
compte aujourd’hui pour moi, je pourrais moins toucher ton front et tes lèvres que les
premières lèvres et le premier front venus.

J’ai tant rêvé de toi, tant marché, parlé, couché avec ton fantôme qu’il ne me
reste plus peut-être, et pourtant, qu’à être fantôme parmi les fantômes et plus ombre
cent fois que l’ombre qui se promène et se promènera allégrement sur le cadran so-
laire de ta vie.

16
R O B E R T D E S N O S ( 19 0 0 - 194 5 )

LE CANAPÉ DE PAMÉLA

Le canapé de Paméla
Le Panapé de Caméla
Le Panala de Camépé

Est un beau canaquois


Est un nabeau est un naquois
Charmante Panapé
Charmante Paméla

Le charme de Paméla
Le charme du canapé
Il est passé par ici
Il repassera par là
C’est un nabeau c’est un naquois
Charmante Paméla
Délicieux canapé.

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R O B E R T D E S N O S ( 19 0 0 - 194 5 )

COUCHER AVEC ELLE

Coucher avec elle


Pour le sommeil côte à côte
Pour les rêves parallèles
Pour la double respiration

Coucher avec elle


Pour l’ombre unique et surprenante
Pour la même chaleur
Pour la même solitude

Coucher avec elle


Pour l’aurore partagée
Pour le minuit identique
Pour les mêmes fantômes

Coucher coucher avec elle


Pour l’amour absolu
Pour le vice, pour le vice
Pour les baisers de toute espèce

Coucher avec elle


Pour un naufrage ineffable
Pour se prouver et prouver vraiment
Que jamais n’a pesé sur l’âme et le corps des amants
Le mensonge d’une tache originelle

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5

PAUL ÉLUARD
Revenir dans une ville de velours et de porcelaine, les fenêtres seront des vases où
les fleurs, qui auront quitté la terre, montreront la lumière telle qu’elle est.
Voir le silence, lui donner un baiser sur les lèvres et les toits de la ville seront de
beaux oiseaux mélancoliques, aux ailes décharnées.
Ne plus aimer que la douceur et l’immobilité à l’œil de plâtre, au front de nacre, à
l’œil absent, au front vivant, aux mains qui, sans se fermer, gardent tout sur leurs ba-
lancent, les plus justes du monde, invariables, toujours exactes.
Le cœur de l’homme ne rougira plus, il ne se perdra plus, je reviens de moi-
même, de toute éternité.

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PAU L É LUA R D ( 18 9 5 - 19 5 2 )

JE T’AIME

Je t'aime pour toutes les femmes que je n'ai pas connues


Je t'aime pour tous les temps où je n'ai pas vécu
Pour l'odeur du grand large et l'odeur du pain chaud
Pour la neige qui fond pour les premières fleurs
Pour les animaux purs que l'homme n'effraie pas
Je t'aime pour aimer
Je t'aime pour toutes les femmes que je n'aime pas

Qui me reflète sinon toi-même je me vois si peu


Sans toi je ne vois rien qu'une étendue déserte
Entre autrefois et aujourd'hui
Il y a eu toutes ces morts que j'ai franchies sur de la paille
Je n'ai pas pu percer le mur de mon miroir
Il m'a fallu apprendre mot par mot la vie
Comme on oublie

Je t'aime pour ta sagesse qui n'est pas la mienne


Pour la santé
Je t'aime contre tout ce qui n'est qu'illusion
Pour ce cœur immortel que je ne détiens pas
Tu crois être le doute et tu n'es que raison
Tu es le grand soleil qui me monte à la tête
Quand je suis sûr de moi.

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PAU L É LUA R D ( 18 9 5 - 19 5 2 )

L’EXTASE

Je suis devant ce paysage féminin


Comme un enfant devant le feu
Souriant vaguement et les larmes aux yeux
Devant ce paysage où tout remue en moi
Où des miroirs s'embuent où des miroirs s'éclairent
Reflétant deux corps nus saisons contre saisons

J'ai tant de raison de me perdre


Sur cette terre sans chemins et sous ce ciel sans horizon
Belle raison que j'ignorais hier
Et que je n'oublierai jamais
Belles clés des regards clés filles d'elles-mêmes
Devant ce paysage où la nature est mienne

Devant le feu le premier feu


Bonne raison maîtresse
Etoile identifiée
Et sur la terre et sous le ciel hors de mon coeur et dans mon coeur
Second bourgeon première feuille verte
Que la mer couvre de ses ailes

Et le soleil au bout de tout venant de nous


Je suis devant ce paysage féminin
Comme une branche dans le feu.

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PAU L É LUA R D ( 18 9 5 - 19 5 2 )

LIBERTÉ

Sur mes cahiers d’écolier


Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom

Sur toutes les pages lues


Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom

Sur les images dorées


Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom

Sur la jungle et le désert


Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom

Sur les merveilles des nuits


Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom

Sur tous mes chiffons d’azur


Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom

22
Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom

Sur chaque bouffée d’aurore


Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom

Sur la mousse des nuages


Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom

Sur les formes scintillantes


Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nom

Sur les sentiers éveillés


Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom

Sur la lampe qui s’allume


Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes maisons réunies
J’écris ton nom

Sur le fruit coupé en deux


Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nom

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Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nom

Sur le tremplin de ma porte


Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nom

Sur toute chair accordée


Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom

Sur la vitre des surprises


Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom

Sur mes refuges détruits


Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom

Sur l’absence sans désir


Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom

Sur la santé revenue


Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom

24
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer

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PAU L É LUA R D ( 18 9 5 - 19 5 2 )

LA COURBE DE TES YEUX

La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur,


Un rond de danse et de douceur,
Auréole du temps, berceau nocturne et sûr,
Et si je ne sais plus tout ce que j'ai vécu
C'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu.

Feuilles de jour et mousse de rosée,


Roseaux du vent, sourires parfumés,
Ailes couvrant le monde de lumière,
Bateaux chargés du ciel et de la mer,
Chasseurs des bruits et sources des couleurs,

Parfums éclos d'une couvée d'aurores


Qui gît toujours sur la paille des astres,
Comme le jour dépend de l'innocence
Le monde entier dépend de tes yeux purs
Et tout mon sang coule dans leurs regards.

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PAU L É LUA R D ( 18 9 5 - 19 5 2 )

L’AMOUREUSE

Elle est debout sur mes paupières


Et ses cheveux sont dans les miens,
Elle a la forme de mes mains,
Elle a la couleur de mes yeux,
Elle s'engloutit dans mon ombre
Comme une pierre sur le ciel.

Elle a toujours les yeux ouverts


Et ne me laisse pas dormir.
Ses rêves en pleine lumière
Font s'évaporer les soleils,
Me font rire, pleurer et rire,
Parler sans avoir rien à dire

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6

BENJAMIN PÉRET ET PAUL


ÉLUARD
Il tombe sur la tête de ma voisine
des cailloux de fourrure
dont elle fait ses délices
Ce sont des souris

Benjamin Péret, «La boîte aux lumières» (extrait)

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PAU L É LUA R D E T B E N JA M I N P É R E T

152 PROVERBES MIS AU GOÛT DU


JOUR
1. Avant le déluge, désarmez les cerveaux. 17. Un crabe, sous n’importe quel autre
2. Une maîtresse en mérite une autre. nom, n’oublierait pas la mer.
3. Ne brûlez pas les parfums dans les 18. Nul ne nage dans la futaie.
fleurs. 19. « Examine mon cas » dit le héros à
4. Les éléphants sont contagieux. l’héroïne.
5. Il faut rendre à la paille ce qui appar- 20. Pour la canaille obsession vaut mitre.
tient à la poutre. 21. Les labyrinthes ne sont pas faits pour
6. La diction est une seconde punition. les chiens.
7. Comme une huître qui a trouvé une 22. Rincer l’arbre.
perle. 23. Orfèvre, pas plus haut que le gazon.
8. Qui couche avec le pape doit avoir de 24. Les curés ont toujours peur.
longs pieds. 25. C’est le gant qui tombe dans la chaus-
9. Le trottoir mélange les sexes. sure.
10. A fourneau vert, chameau bleu. 26. Devenu creux, le cap se fait tétine.
11. Sommeil qui chante fait trembler les 27. Le soleil ne luit pour personne.
ombres. 28. Épargner la manne, c’est rater l’en-
12. Ne mets pas la manucure dans la fant.
cave. 29. Un vrai voleur d’hirondelles.
13. Quand un œuf casse des œufs, c’est 30. A petits tonneaux, petits tonneaux.
qu’il n’aime pas les omelettes. 31. Ne fumez pas le Job ou ne fumez pas.
14. L’agent fraîchement assommé se mas- 32. Plus elle est loin de l’urne plus la
turbe de même. barbe est longue.
15. La danse règne sur le bois blanc. 33. La concierge pique à la machine.
16. Les grands oiseaux font les petites per- 34. Belette n’est pas de bois.
siennes. 35. Trois dattes dans une flûte.

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36. Il ne faut pas coudre les animaux. 58. Honore Sébastien si Ferdinand est li-
37. Dieu calme le corail. bre.
38. Tourner le radius du côté du mur. 59. Trois font une truie.
39. Qui s’y remue s’y perd. 60. Il y a toujours un squelette dans le
40. Il faut battre sa mère pendant qu’elle buffet.
est jeune. 61. La métrite adoucit les flirts.
41. Un clou chasse Hercule. 62. Un loup fait deux beaux visages.
42. Quand la raison n’est pas là, les sou- 63. Saisir la malle du blond.
ris dansent. 64. Les complices s’enrichissent.
43. Un peu plus vert et moins que blond. 65. La feuille précède le vent.
44. Viande froide n’éteint pas le feu. 66. Les cerises tombent où les textes man-
45. Une ombre est une ombre quand quent.
même. 67. Joyeux dans l’eau, pâle dans le mi-
46. Saisir l’œil par le monocle. roir.
47. Le silence fait pleurer les mères. 68. Le marbre des odeurs a des veines
48. Peau qui pèle va au ciel. mouvantes.
49. Il n’y a pas de désir sans reine. 69. Mettez un moulin à cheval, il ira à
50. Qui n’entend que moi entend tout. Chatou.
51. Trop de mortier nuit au blé. 70. S’il n’en reste qu’une, c’est la foudre.
52. Une femme nue est bientôt amou- 71. Il ne faut pas lâcher la canne pour la
reuse. pêche.
53. Qui sème des ongles récolte une tor- 72. Duvet cotonneux des médailles.
che. 73. Vague de sous, puits de moules.
54. La grandeur ne consiste pas dans les 74. Un nègre marche à côté de vous et
ruses, mais dans les erreurs. vous voile la route.
55. On n’est jamais blanchi que par les 75. Le rat arrose, la cigogne sèche.
pierres. 76. Les enfants qui parlent ne pleurent
56. Mourir quand il n’est plus temps. pas.
57. Se mettre une toupie sur la tête. 77. A chaque jour suffit sa tente.

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78. Comme une poulie dans un pâté. 100. Jouer du violon le mardi.
79. Tout ce qui grossit n’est pas mou. 101. Le pélican est ce qui se rapproche le
80. C’est l’auréole qui perce la dentelle. plus du bonnet de nuit.
81. Les poils tombés ne repoussent pas 102. Saluer l’âne qui broute des griffes.
pour rien. 103. Rassemble, afin d’aimer
82. Coupez votre doigt selon la bague. 104. Les courtisanes perdent leurs as.
83. Il y a toujours une perle dans ta bou- 105. Passe ou file.
che. 106. Les savants qui s’approchent jettent
84. Ne jetez aux démons que les anges. leurs vêtements dans les fossés.
85. Vous avez tout lu mais rien bu. 107. Faire deux heures d’une horloge.
86. A quelque rose chasseur est bon. 108. Les homards qui chantent sont amé-
87. Faire son petit sou neuf. ricains.
88. Loin des glands, près du boxeur. 109. Il n’y a pas de cheveux sans rides.
89. Fidèle comme un chat sans os. 110. Les amants coupent les amantes.
90. Un cou crasseux fait un pipe culottée. 111. Un albinos ne fait pas le beau temps.
91. Les beaux crânes font de belles décou- 112. Tout ce qui vole n’est pas rose.
vertes. 113. Je suis venu, je me suis assis, je suis
92. Gratter sa voisine ne fleurit pas en parti.
mai. 114. Il y a loin de la route aux escargots.
93. D’abord enfermez le collier, ensuite 115. Rouge comme un pharmacien.
attrapez-le. 116. Porter ses os à sa mère.
94. Tout ce qui vient de ma cuisine gran- 117. Un plongeon vaut mieux qu’une gri-
dit dans la cour. mace.
95. Brûler le coq pour grossir. 118. Le son fait la Beauce.
96. Tirez toujours avant de ramper. 119. Dans le paysage, un beau fruit fait
97. Un corset en juillet vaut un troupeau une bosse et un trou.
de rats. 120. A chien étranglé, porte fermée.
98. User sa corde en se pendant. 121. Herbe sonore se prend au nid.
99. Une brume s’y prend plus gentiment.

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122. Dansez tout le jour ou perdez vos bi- 142. Un rêve sans étoiles est un rêve ou-
nocles. blié.
123. Sourd comme l’oreille d’une cloche. 143. Brosse d’amour pour les hirsutes.
124. Deux crins font un crime. 144. Le sein est toujours le cadet.
125. Mieux vaut mourir d’amour que d’ai- 145. Pendu aux cerises.
mer sans regrets. 146. Chien mal peigné s’arrache les poils.
126. Il y a un ivrogne pour les curieux. 147. Celui qui n’a jamais senti la pluie se
127. C’est un rat qui dégonfle un autre moque des nénuphars.
rat. 148. La rivière est borgne.
128. Un trombone dans un verre d’eau. 149. Une tarte suffit pour l’horizon.
129. Une arme suffit pour montrer la vie. 150. A bonne mère, suie chaude.
130. Un jeune homme marié perd son 151. Quand la route est faite, il faut la re-
nez. faire.
131. Il n’y a pas de bijoux sans ivresse. 152. Vivre d’erreurs et de parfums.
132. Les castors ne se purgent pas la nuit.
133. Mon prochain, c’est hier ou demain.
134. Écraser deux pavés avec la même
souche.
135. Tuer n’est jamais voler.
136. Ne grattez pas le squelette de vos
aïeux.
137. Taquiner le corbillard.
138. Les pelles ne se vendent pas sans fu-
sils.
139. A chacun sa panse.
140. Les blessures en forme d’arc ne con-
jurent pas l’orage.
141. Sois grand avant d’être gras.

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7

LOUIS ARAGON

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LO U I S A R AG O N ( 18 97 - 19 8 2 )

LES MAINS D’ELSA

Donne-moi tes mains pour l'inquiétude


Donne-moi tes mains dont j'ai tant rêvé
Dont j'ai tant rêvé dans ma solitude
Donne-moi te mains que je sois sauvé

Lorsque je les prends à mon pauvre piège


De paume et de peur de hâte et d'émoi
Lorsque je les prends comme une eau de neige
Qui fond de partout dans mes main à moi

Sauras-tu jamais ce qui me traverse


Ce qui me bouleverse et qui m'envahit
Sauras-tu jamais ce qui me transperce
Ce que j'ai trahi quand j'ai tressailli

Ce que dit ainsi le profond langage


Ce parler muet de sens animaux
Sans bouche et sans yeux miroir sans image
Ce frémir d'aimer qui n'a pas de mots

Sauras-tu jamais ce que les doigts pensent


D'une proie entre eux un instant tenue
Sauras-tu jamais ce que leur silence
Un éclair aura connu d'inconnu

Donne-moi tes mains que mon coeur s'y forme


S'y taise le monde au moins un moment
Donne-moi tes mains que mon âme y dorme
Que mon âme y dorme éternellement.

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LO U I S A R AG O N ( 18 97 - 19 8 2 )

LES YEUX D’ELSA

Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire


J'ai vu tous les soleils y venir se mirer
S'y jeter à mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire

À l'ombre des oiseaux c'est l'océan troublé


Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent
L'été taille la nue au tablier des anges
Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés

Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur


Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit
Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie
Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure

Mère des Sept douleurs ô lumière mouillée


Sept glaives ont percé le prisme des couleurs
Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs
L'iris troué de noir plus bleu d'être endeuillé

Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche


Par où se reproduit le miracle des Rois
Lorsque le coeur battant ils virent tous les trois
Le manteau de Marie accroché dans la crèche

Une bouche suffit au mois de Mai des mots


Pour toutes les chansons et pour tous les hélas
Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres
Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux

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L'enfant accaparé par les belles images
Écarquille les siens moins démesurément
Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens
On dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvages

Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où


Des insectes défont leurs amours violentes
Je suis pris au filet des étoiles filantes
Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'août

J'ai retiré ce radium de la pechblende


Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu défendu
Ô paradis cent fois retrouvé reperdu
Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes

Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa


Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent
Moi je voyais briller au-dessus de la mer
Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa

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FRANCIS PONGE

« PARTI PRIS DES CHOSES égale COMPTE TENU DES MOTS »


Francis Ponge, La rage de l’expression

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F R A N C I S P O N G E ( 18 9 9 - 19 8 8 )

LE PAIN

La surface du pain est merveilleuse d'abord à cause de cette impression quasi pa-
noramique qu'elle donne : comme si l'on avait à sa disposition sous la main les Alpes,
le Taurus ou la Cordillère des Andes.
Ainsi donc une masse amorphe en train d'éructer fut glissée pour nous dans le
four stellaire, où durcissant elle s'est façonnée en vallées, crêtes, ondulations, crevas-
ses... Et tous ces plans dès lors si nettement articulés, ces dalles minces où la lumière
avec application couche ses feux, — sans un regard pour la mollesse ignoble sous-ja-
cente.
Ce lâche et froid sous-sol que l'on nomme la mie a son tissu pareil à celui des
éponges : feuilles ou fleurs y sont comme des sœurs siamoises soudées par tous les
coudes à la fois. Lorsque le pain rassit ces fleurs fanent et se rétrécissent : elles se déta-
chent alors les unes des autres, et la masse en devient friable...
Mais brisons-la : car le pain doit être dans notre bouche moins objet de respect
que de consommation.

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F R A N C I S P O N G E ( 18 9 9 - 19 8 8 )

L’ORANGE

Comme dans l'éponge il y a dans l'orange une aspiration à reprendre contenance


après avoir subi l'épreuve de l'expression. Mais où l'éponge réussit toujours, l'orange
jamais : car ses cellules ont éclaté, ses tissus se sont déchirés. Tandis que l'écorce seule
se rétablit mollement dans sa forme grâce à son élasticité, un liquide d'ambre s'est ré-
pandu, accompagné de rafraîchissement, de parfums suaves, certes, -- mais souvent
aussi de la conscience amère d'une expulsion prématurée de pépins.
Faut-il prendre parti entre ces deux manières de mal supporter l'oppression ?
-- L'éponge n'est que muscle et se remplit de vent, d'eau propre ou d'eau sale selon :
cette gymnastique est ignoble. L'orange a meilleurs goût, mais elle est trop passive, --
et ce sacrifice odorant... c'est faire à l'oppresseur trop bon compte vraiment.
Mais ce n'est pas assez avoir dit de l'orange que d'avoir rappelé sa façon parti-
culière de parfumer l'air et de réjouir son bourreau. Il faut mettre l'accent sur la colora-
tion glorieuse du liquide qui en résulte et qui, mieux que le jus de citron, oblige le la-
rynx à s'ouvrir largement pour la prononciation du mot comme pour l'ingestion du li-
quide, sans aucune moue appréhensive de l'avant-bouche dont il ne fait pas hérisser
les papilles.
Et l'on demeure au reste sans paroles pour avouer l'admiration que suscite l'en-
veloppe du tendre, fragile et rose ballon ovale dans cet épais tampon-buvard humide
dont l'épiderme extrêmement mince mais très pigmenté, acerbement sapide, est juste
assez rugueux pour accrocher dignement la lumière sur la parfaite forme du fruit.
Mais à la fin d'une trop courte étude, menée aussi rondement que possible, -- il
faut en venir au pépin. Ce grain, de la forme d'un minuscule citron, offre à l'extérieur
la couleur du bois blanc de citronnier, à l'intérieur un vert de pois ou de germe tendre.
C'est en lui que se retrouvent, après l'explosion sensationnelle de la lanterne véni-
tienne de saveurs, couleurs, et parfums que constitue le ballon fruité lui-même, -- la
dureté relative et la verdeur (non d'ailleurs entièrement insipide) du bois, de la bran-
che, de la feuille : somme toute petite quoique avec certitude la raison d'être du fruit.

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