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Mesure et intégration

Université Claude Bernard Lyon 1


Licence de mathématiques troisième année
Parcours Mathématiques générales et applications

Petru Mironescu

2019–2020
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Guide de lecture

A. Ce document sert de support au cours « Mesure et intégration », destiné aux étudiants en troi-
sième année de la licence de mathématiques de l’Université Claude Bernard Lyon 1, parcours
Mathématiques générales et applications. Malgré le caractère introductif du cours, les outils pré-
sentés permettent de s’attaquer à de nombreux problèmes concrets.
Le texte donne un aperçu de la partie élémentaire de la théorie abstraite et concrète de la
mesure et de l’intégrale, avec quelques premières applications aux espaces de fonctions, aux sé-
ries de Fourier et à la transformée de Fourier. Historiquement, les objets et résultats présentés
reflètent les efforts des mathématiciens du début du vingtième siècle pour étendre et conceptua-
liser la théorie de l’intégration « de Riemann », afin de corriger quelques unes de ses faiblesses et
d’étendre le théorème de Leibniz-Newton au-delà du cadre des fonctions continues.
B. Le texte a été conçu comme un compagnon du cours magistral. Il n’a pas été rédigé dans une
optique de classe inversée ou pour un usage en autonomie. Afin de garder une longueur raison-
nable du manuscrit, certains éléments de preuve, généralement parmi les plus faciles, ont été
omis. Ces omissions sont repérables grâce aux injonctions « vérifier ! » ou « justifier ! », auxquelles
le lecteur qui veut dépasser une utilisation superficielle du manuscrit est encouragé à obéir.
Afin d’alléger le texte, dans certaines sections nous faisons des hypothèses qui sont implicite-
ment supposées satisfaites dans tous les énoncés. Situation typique : dans le chapitre 3, nous nous
donnons une tribu T sur X , mais dans les énoncés de ce chapitre la tribu n’y figure pas toujours.
Le lecteur est vivement encouragé à lire les hypothèses des résultats dans cette perspective, et si
nécessaire à compléter les énoncés en rajoutant les hypothèses implicites.
C. La partie élémentaire du volet « théorique » de la théorie de la mesure repose sur deux piliers.
1. La théorie axiomatique de la mesure : ce que veut dire mesure, comment définir l’intégrale et
quelles sont ses propriétés. Cette partie inclut les grands théorèmes les plus utilisés en calcul
intégral (théorèmes de convergence monotone et de convergence dominée, lemme de Fatou, théo-
rèmes de Fubini et Tonelli), faciles à comprendre et montrer, mais dont l’utilisation pose souvent
problème à l’analyste débutant.
2. La construction concrète de mesures. La théorie de la mesure et de l’intégration ne vaut pas
grand-chose sans ses applications, qui exigent d’avoir sous la main des mesures et des fonctions
à intégrer par rapport à ces mesures. La difficulté principale de la théorie consiste précisément
à construire de bonnes mesures et à établir leurs propriétés. La mesure la plus utilisée, celle de
Lebesgue dans Rn , n’est pas facile à construire. Elle a des propriétés spécifiques, qui vont au-delà
des propriétés générales des mesures, qui la rendent très utile et qui sont de nature géométrique.
Le théorème du changement de variables est une conséquence fondamentale de ces propriétés.
D. Conformément au programme en vigueur, sont admis les résultats fondamentaux suivants :
existence de la mesure de Lebesgue, existence de la mesure produit et les théorèmes de Fubini
et Tonelli, théorème du changement de variables. Néanmoins, les preuves de ces résultats ap-
paraissent dans le texte. Les parcourir sera utile au lecteur qui veut poursuivre dans la voie de
l’analyse : elles reposent sur un bon nombre de raisonnements fondamentaux et récurrents en
analyse, raisonnements qu’il convient de maîtriser.
1. Il y a deux façons classiques de construire la mesure de Lebesgue.
a) « À la main », en montrant pour commencer qu’elle est nécessairement donnée par une formule
assez explicite. La difficulté consiste alors à montrer que cette formule définit effectivement une
mesure. La méthode pour y arriver, due à Lebesgue, est celle que nous suivons.
b) Obtenir son existence à travers l’existence de l’intégrale de Riemann combinée avec le théo-
rème de représentation de Riesz, théorème qui dépasse largement le cadre d’un premier cours
(voir Rudin [16, Chapitre 2]) – voie plus élégante, mais difficile à comprendre en première lecture.
2. La construction de la mesure produit et les théorèmes de Fubini et Tonelli sont une belle illus-
tration de la puissance de la construction axiomatique de la théorie de la mesure, en particulier
4

de l’utilisation des classes monotones. Les démonstrations s’écrivent toutes seules !


3. Pour le changement de variables, la preuve présentée est naturelle, mais quelque peu labo-
rieuse. On peut procéder de manière plus élégante, en utilisant un théorème moins élémentaire,
celui de Radon-Nikodym (voir Rudin [16, Chapitre 7]), mais cette approche convient plus en
deuxième lecture, lorsqu’on s’intéresse aux aspects plus avancés de la théorie de la mesure. Il
y a également une voie rapide et relativement élémentaire pour y arriver, en passant par une
réduction au cas de la dimension un (voir Gramain [10, Section X.3]). Elle relève néanmoins trop
d’une astuce pour être vraiment instructive et utile dans d’autres circonstances.
E. Dans la perspective des évaluations liées à ce cours et de l’utilisation de la théorie de la mesure
dans des cours ultérieurs et « dans la vraie vie », les objectifs minimaux sont les suivants.
1. Montrer qu’un ensemble est a. p. d.
2. Montrer qu’une fonction ou un ensemble sont mesurables.
3. Faire le lien entre intégrale habituelle (de Riemann) et intégrale de Lebesgue.
4. Utiliser les propriétés de la mesure de Lebesgue et de la mesure de comptage.
4. Utiliser correctement, notamment pour la mesure de Lebesgue, les théorèmes fondamentaux
(convergence monotone, convergence dominée, lemme de Fatou, intégrales à paramètres, Fubini,
Tonelli, changement de variables). Ce sont notamment l’existence d’une majorante intégrable et
le théorème de Fubini qui posent le plus de problèmes dans la pratique.
5. Manipuler les espaces L p (inégalités de Hölder, Minkowski et Young).
6. Manipuler les théorèmes fondamentaux concernant les séries de Fourier (Dirichlet, Fejér, Par-
seval) et la transformée de Fourier (formule d’inversion, théorème de Plancherel).
Y arriver, c’est déjà bien !
Dans cette optique, les notes de cours offrent les bases théoriques nécessaires à la résolution
des questions proposées en TD ; la maîtrise des objectifs ci-dessus passe par la résolution des
problèmes. Les quelques exercices présents dans le texte ont pour but uniquement d’illustrer les
propos théoriques, voire de déléguer au lecteur la vérification de quelques propriétés faciles.
F. La théorie de probabilités utilise de manière intensive la théorie de la mesure et de l’intégrale.
Un très beau premier texte sur ce sujet est Barbe et Ledoux [3]. Plusieurs notions et résultats
basiques en théorie des probabilités (mesure image, formule de transfert, v. a. i., etc.) seront
traités en TD.

Avis au lecteur. Le manuscrit doit encore contenir des erreurs. Si vous en trouvez, merci de m’en
faire part à l’adresse mironescu@math.univ-lyon1.fr

Pour aller plus loin

G. Un théorème d’analyse s’utilise rarement dans la forme qui apparaît dans les textes (monogra-
phies ou cours). On a souvent besoin d’une variante qui se montre en suivant les grandes lignes de
la preuve du théorème standard. Un exemple typique est celui de la continuité d’une intégrale par
rapport aux paramètres. C’est pourquoi il est important, pour ceux qui vont continuer à utiliser
l’analyse, d’avoir au moins une idée des preuves des principaux résultats de ce cours.
Rb
H. La théorie de Lebesgue est née du besoin d’étudier la validité de l’égalité f ( b)− f (a) = a f 0 ( x) dx
lorsque f n’est plus de classe C 1 . La réponse est connue, mais dépasse le cadre de ce cours.
Quelques résultats en ce sens sont mentionnés sans preuve. D’autres résultats avancés, signi-
ficatifs pour la théorie de la mesure et de l’intégration, sont mentionnés ici et là, dans les sections
« Pour aller plus loin ».
I. Pour aller au-delà de ce cours, plusieurs directions accessibles sont envisageables.
1. La théorie « abstraite » : théorème de Radon-Nikodym-Lebesgue, mesures signées et vectorielles
(théorèmes de Hahn et Jordan, intégrale de Bochner). Quelques références à ce sujet : Halmos [11,
Chapitre 6], Rudin [16, Chapitre 7]. Et un très beau livre qui donne un panorama de la théorie de
la mesure : Bogachev [4]. Cette référence contient aussi un nombre important de repères histo-
5

riques, liés aux travaux des grands noms de la théorie (Lebesgue, Borel, Carathéodory, etc.). Une
référence s’il n’en fallait qu’une : le mémoire de 1904 de Lebesgue [14], qui contient sa théorie de
l’intégration, développée entre 1901 et 1904. Lebesgue avait 26 ans en 1901 !
2. Les espaces L p traités du point de vue de l’analyse fonctionnelle ; voir Brezis [5, Chapitre 4].
3. Les mesures « concrètes » et leurs applications. Nous traitons ici la mesure de Lebesgue (dans
R3 : le volume), mais d’autres mesures ont une signification géométrique dans R3 : la longueur des
courbes, l’aire des surfaces. Une façon unifiée de traiter ces notions est donnée par les mesures de
Hausdorff, que nous nous contentons ici de définir. Nous expliquons aussi la démarche, due à Ca-
rathéodory et inspirée par la construction de la mesure de Lebesgue, qui permet de montrer leurs
propriétés. L’étude approfondie de ces mesures mène vers des formules géométriques, l’étude des
propriétés fines des fonctions et une branche de l’analyse, en plein développement, la « théorie
géométrique de la mesure ». À son tour, la théorie géométrique de la mesure est indispensable au
traitement mathématique de certains problèmes concrets (traitement d’images, micro-structures,
etc.). Quelques références, de la plus élémentaire à la plus avancée : Evans et Gariepy [7, Cha-
pitres 2 et 3], Federer [8, Section 2.10], à nouveau Evans et Gariepy [7, Chapitres 4, 5 et 6], Ziemer
[18, Chapitre 3].

Feuilles d’exercices et sujets des contrôles. Dans la rédaction des exercices et des sujets des
contrôles, j’ai bénéficié de l’aide de Xinxin Chen et Theresia Eisenkoelbl, que je remercie.
Les feuilles d’exercices, bien plus riches que ceux qui pourra être traité en classe, servent de
base aux divers types de séances de travaux dirigés (communs, standard, intensifs et avancés), de
base d’entraînement et de réservoir pour les contrôles.

À Villeurbanne, le 8 juillet 2019


Table des matières

1 Notations, rappels, premières définitions 11


1.1 Limite supérieure, limite inférieure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
1.2 Dénombrabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
1.3 Clans, tribus, classes monotones, mesures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
1.4 Pour aller plus loin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

2 Tribus, clans, classes monotones 19


2.1 Structures engendrées. Théorème de la classe monotone . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
2.2 La tribu borélienne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21

3 Fonctions mesurables 23
3.1 Définition. Caractérisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23
3.2 Opérations avec les fonctions mesurables . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
3.3 Fonctions construites à partir de fonctions mesurables . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26

4 Mesures 29
4.1 Propriétés générales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
4.2 Mesure complétée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30
4.3 Presque partout et mesure complétée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
4.4 Classes particulières de mesures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
4.5 La mesure de Lebesgue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
4.6 Pour aller plus loin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

5 Constructions de mesures 41
5.1 Construction de la mesure de Lebesgue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41
5.2 Pour aller plus loin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 45

6 Intégrale 49
6.1 Fonctions étagées positives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
6.2 Fonctions mesurables . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50
6.3 P. p. et passage à la mesure complétée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
6.4 Convergence monotone . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53

7
8 TABLE DES MATIÈRES

6.5 Conséquences du théorème de convergence monotone . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 54


6.6 Lien avec les intégrales habituelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56
6.7 Lien avec les séries . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 58
6.8 Pour aller plus loin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 60

7 Les grands théorèmes 63


7.1 Lemme de Fatou, théorème de convergence dominée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63
7.2 Hypothèses satisfaites p. p. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
7.3 Intégrales dépendant d’un paramètre : continuité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65
7.4 Intégrales dépendant d’un paramètre : dérivabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66
7.5 Somme et intégrale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67

8 Mesures produit 69
8.1 Tribu produit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69
8.2 Mesure produit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 70
8.3 Produits itérés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
8.4 Passage aux mesures complétées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
8.5 Les grands théorèmes pour µ ⊗ ν . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
8.6 Les grands théorèmes pour µ ⊗ ν . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 76

9 Changements de variables 79
9.1 Un peu d’algèbre linéaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
9.2 Changements de variables linéaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
9.3 Un peu de topologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80
9.4 Image d’un petit cube par un C 1 -difféomorphisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
9.5 Changement de variables sur un compact . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
9.6 Théorème du changement de variables . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84
9.7 Ensembles Lebesgue négligeables . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84
9.8 Théorème du « presque changement de variables » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
9.9 Changements usuels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
9.10 Intégrales de référence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88

10 Espaces L p 89
10.1 L p versus L p . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
10.2 Inégalité de Hölder . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
10.3 Norme et complétude . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95

11 Convolution 97
11.1 Inégalité de Young . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
11.2 Régularisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98
TABLE DES MATIÈRES 9

11.3 Pour aller plus loin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102

12 Séries de Fourier 107


12.1 Un peu d’algèbre bilinéaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 107
12.2 Séries de Fourier dans L2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108
12.3 Comportement ponctuel des séries de Fourier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110
12.4 Pour aller plus loin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112

13 Transformée de Fourier 113


13.1 Transformée de Fourier dans L1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
13.2 Transformée de Fourier dans L2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
13.3 Pour aller plus loin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121

Propriétés des ensembles 123

Bibliographie 125

Index 127
Chapitre 1

Notations, rappels, premières définitions

1.1 Limite supérieure, limite inférieure


Notation. Si tous les termes de la suite ( xn ) appartiennent à l’ensemble A , on écrira ( xn ) ⊂ A .†

La théorie de la mesure exige de travailler avec les « nombres » −∞ et ∞, donc sur la droite
réelle étendue R = R ∪ {−∞, ∞}.

Rappels. La somme x + y avec x, y ∈ R, est définie à l’exception du cas ou x = ±∞ et y = − x.


Le produit tx, t ∈ R, x ∈ R, est défini sauf si t = 0 et x = ±∞.‡

Il sera commode d’étendre la notion de sup et inf aux parties non vides mais pas nécessaire-
ment bornées A de R, en définissant

sup A = le plus petit majorant M ∈ R de A,


inf A = le plus grand minorant m ∈ R de A.

Ces quantités ont essentiellement les mêmes propriétés que dans le cas des ensembles bornés,
comme le montre l’exercice suivant.

Exercice 1.1. Soient A, B parties non vides de R. Montrer que :


a) M = sup A ssi M est un majorant de A et il existe une suite ( xn ) ⊂ A telle que xn → M . Caracté-
risation analogue de inf A .
b) Tout A admet sup A ∈] − ∞, ∞] et inf A ∈ [−∞, ∞[.
c) sup A et inf A sont uniques.
d) sup (− tA ) = − t inf A , ∀ t ∈]0, ∞[. Formules analogues pour sup ( tA ), inf ( tA ), inf (− tA ).
e) sup( A + B) = sup A + sup B et inf( A + B) = inf A + inf B.
f) Si A ⊂ B, alors inf B ≤ inf A ≤ sup A ≤ sup B.
g) Si ( xn )n≥n0 ⊂ R est une suite croissante, alors lim xn = sup{ xn ; n ≥ n 0 } = sup xn . § Énoncé ana-
n≥ n 0
logue pour une suite décroissante.
h) Si sup A > x ∈ R, alors il existe un y ∈ A tel que y > x.

Exercice 1.2. Que devient ce qui précède si nous considérons des parties non vides A, B ⊂ R ?

Définition 1.1. Si ( xn ) ⊂ R, alors lim sup xn = lim sup xk , lim inf xn = lim inf xk .
n→∞ k≥ n n→∞ k≥ n

†. Donc ( xn )n≥0 ⊂ A se substitue à la notation « officielle » ( xn )n≥0 ∈ A N .


‡. L’impossibilité de définir utilement le produit tx vient du calcul des limites. Lorsqu’il s’agit d’intégrer, nous
verrons que 0 · ±∞ = 0.
§. En règle générale, la notation sup x i désigne sup{ x i ; i ∈ I }. De même pour sup f ( x).
i∈ I x∈ A

11
12 CHAPITRE 1. NOTATIONS, RAPPELS, PREMIÈRES DÉFINITIONS

Proposition 1.1. a) Les limites ci-dessus existent.


b) On a lim sup( txn ) = t lim sup xn et lim sup(− txn ) = − t lim inf xn , ∀ t ∈]0, ∞[. Formules analogues
pour lim inf.
c) Si ( xn k ) est une suite extraite de la suite ( xn ) telle que xn k → `, alors lim inf xn ≤ ` ≤ lim sup xn .
d) Il existe une suite extraite ( xn k ) telle que xn k → lim sup xn . De même pour lim inf xn .
e) Si xn → `, alors ` = lim inf xn = lim sup xn . Réciproquement, si lim inf xn = lim sup xn = `, alors
x n → `.
f) Si la quantité lim sup xn + t lim sup yn a un sens, alors lim sup ( xn + t yn ) ≤ lim sup xn + t lim sup yn ,
∀ t ∈]0, ∞[. Formules analogues pour lim inf ( xn + t yn ), lim sup ( xn − t yn ), lim inf ( xn − t yn ).
g) Si xn → ` et si la quantité ` + lim sup yn a un sens, alors lim sup ( xn + yn ) = ` + lim sup yn . De
même pour lim inf.
Remarque 1.1. En combinant les items c) et d) de cette proposition, nous obtenons la caractéri-
sation suivante de lim sup xn et lim inf xn – caractérisation qui constitue une définition alternative
de ces limites. Considérons toutes les suites ( xn k ) extraites de ( xn ) qui ont une limite. Notons
A ⊂ R l’ensemble de toutes les limites obtenues de cette façon. Alors lim sup xn est le plus grand
élément de A et lim inf xn est le plus petit élément de A .

Démonstration de la proposition 1.1. Nous nous reposons sur les items de l’exercice précédant.
Nous faisons les raisonnements uniquement pour lim sup. Posons X n = sup xk et ` = lim sup xn .
k≥ n
a) La suite ( X n ) décroît avec n (item f)). Elle a donc une limite. Ceci prouve l’existence de
` = lim X n , et aussi que ` ≤ X n , ∀ n.
b) Calculons par exemple lim sup (− txn ). On a sup (− txk ) = − t inf xk (item d)), d’où
k≥ n k≥ n
µ ¶
lim sup (− txn ) = lim sup (− txk ) = lim − t inf xk = − t lim inf xk = − t lim inf xn .
k≥ n k≥ n k≥ n

c) On a xn k ≤ X n k , ∀ k. En passant à la limite sur k on obtient ` ≤ `.


d) Soit ( M k ) une suite telle que M k < ` et M k → `. Comme ` = lim X n > M k , ∀ k, pour tour k
il existe un rang m k tel que X n > M k , ∀ n ≥ m k . Il s’ensuit que pour tout k et n ≥ m k , il existe
un m = m( n, k) ≥ n ( m dépend de n et k) tel que xm > M k (item h)). Posons alors n 1 = m( m 1 , 1)
et, par récurrence, Nk = max ( n k , m k ) + 1 et n k+1 = m( Nk , k + 1). Nous avons alors n k < n k+1 et
xn k > M k , ∀ k (vérifier). La suite extraite ( xn k ) satisfait donc M k < xn k ≤ X n k . En faisant k → ∞ et
en utilisant le théorème des gendarmes, nous obtenons xn k → `.
e) Soit ( xn k ) telle que xn k → `. Alors xn k → `, d’où ` = `.
Réciproquement, supposons que lim inf xn = lim sup xn = `. Soit Yn = inf xk . Alors Yn ≤ xn ≤ X n
k≥ n
et Yn → `, X n → `. Le théorème des gendarmes permet de conclure.
f) Montrons l’inégalité pour lim sup ( xn − t yn ). Nous avons (en utilisant les items d) et e) de
l’exercice)
sup ( xn − t yn ) ≤ sup xn + sup (− t yn ) = sup xn − t inf yn .
k≥ n k≥ n k≥ n k≥ n k≥ n

En passant à la limite dans l’inégalité ci-dessus, nous obtenons lim sup ( xn − t yn ) ≤ lim sup xn −
t lim inf yn .
g) Soit ( yn k ) telle que yn k → lim sup yn . Alors xn k + yn k → ` + lim sup yn . L’item c) de cette propo-
sition implique (*) ` + lim sup yn ≤ lim sup ( xn + yn ).
En particulier, nous avons avons « = » si ` + lim sup yn = ∞ ou si lim sup ( xn + yn ) = −∞. Nous
pouvons donc supposer que `+lim sup yn < ∞ (et donc, en particulier, que ` < ∞) et que lim sup ( xn +
yn ) > −∞.
1.2. DÉNOMBRABILITÉ 13

Par ailleurs, soit ( xn k + yn k ) telle que xn k + yn k → lim sup ( xn + yn ). Alors yn k → lim sup ( xn + yn ) − `
(vérifier que lim sup ( xn + yn ) − ` existe bien !). À nouveau l’item c) donne (**) lim sup ( xn + yn ) − ` ≤
lim sup yn .
Nous concluons grâce à (*) et (**) (vérifier !).

Exercice 1.3. a) Si lim inf xn ≥ lim sup xn , alors xn → lim sup xn = lim inf xn .
b) Si a ≤ xn ≤ b, ∀ n ≥ n 0 , alors a ≤ lim inf xn ≤ lim sup xn ≤ b.
c) Si xn ≥ a, ∀ n ≥ n 0 et lim sup xn ≤ a, alors xn → a.

Exercice 1.4. Calculer lim sup xn et lim inf xn pour les suites données par :
a) xn = (−1)n ;
p
b) xn = (−1)n n.

Exercice 1.5. Montrer que xn ≤ yn , ∀ n ≥ n 0 =⇒ lim sup xn ≤ lim sup yn .

1.2 Dénombrabilité

Définition 1.2. a) Un ensemble est dénombrable s’il est en correspondance bijective avec N
(autrement dit : si on peut écrire tous les éléments de A , sans répétition, comme une suite).
b) Un ensemble est au plus dénombrable (a. p. d.) s’il est soit fini, soit dénombrable.

L’outil le plus commode pour vérifier qu’un ensemble est dénombrable est le suivant.

Proposition 1.2. a) Une partie d’un ensemble a. p. d. est a. p. d.


b) Une union a. p. d. d’ensembles a. p. d. est a. p. d.
c) Un produit cartésien fini d’ensembles a. p. d. est a. p. d.
d) Un ensemble a. p. d. qui contient une infinité d’éléments distincts est dénombrable.
e) Un ensemble qui contient une partie qui n’est pas a. p. d. n’est pas a. p. d.

Pour la preuve de ce résultat, voir la fin du chapitre.

Exercice 1.6. a) N∗ , Z, Q, Zn , Qn sont dénombrables.


b) L’ensemble des parties finies de N est dénombrable.
c) [0, 1], R ne sont pas dénombrables.

1.3 Clans, tribus, classes monotones, mesures

Notations. a) Si A est une partie de X , le complémentaire de A dans X est noté X \ A . S’il est
clair qui est X , on notera ce complémentaire par A c .
b) A ∆B = ( A \ B) ∪ (B \ A ) désigne la différence symétrique de A, B ⊂ X .
c) P ( X ) est l’ensemble de toutes les parties de X , c’est-à-dire : P ( X ) = { A ; A ⊂ X }.

Définition 1.3. Un clan dans X (ou clan tout court, s’il est clair qui est X ) est un ensemble C
dont les éléments sont des parties de X , † tel que :
i) ; ∈ C ;
ii) si A ∈ C , alors A c ∈ C ;
iii) Si A, B ∈ C , alors A ∪ B ∈ C .
†. Donc C ⊂ P ( X ).
14 CHAPITRE 1. NOTATIONS, RAPPELS, PREMIÈRES DÉFINITIONS

Exercice 1.7. a) L’ensemble C 1 des unions finies d’intervalles de R est un clan. De même si on
remplace R par un intervalle I et nous considérons des unions finies d’intervalles contenus dans
I.
b) Un pavé de Rn est un ensemble de la forme P = I 1 × I 2 × · · · × I n , avec chaque I j intervalle de
R. L’ensemble C n des unions finies de pavés de Rn est un clan.
c) Tout élément de Cn est une union finie de pavés de Rn deux à deux disjoints.
Remarque 1.2. La définition d’un clan demande qu’une union de deux ensembles de C soit encore
dans C . Nous verrons plus loin qu’une union contenant un nombre fini d’ensembles de C
appartient à C .
En général, une union infinie d’ensembles de C n’est pas dans C .
Un raisonnement du genre « chaque A i (avec i ∈ I ) est dans C , d’où ∪ i∈ I A i ∈ C » n’est pas valide,
à moins de savoir que I est fini.
Définition 1.4. Une tribu dans X (ou tribu tout court, s’il est clair qui est X ) est un ensemble
T dont les éléments sont des parties de X , tel que :
i) ; ∈ T ;
ii) si A ∈ T , alors A c ∈ T ;
iii) Si A 1 , . . . , A n , . . . ∈ T , alors ∪∞
n=1 A n ∈ T .
Si une partie A de X appartient à T , on dit que A est un ensemble T -mesurable (ou ensemble
mesurable ou mesurable tout court, quand il est clair qui est T ).
Exercice 1.8. a) Soit C un clan sur X . Soit Y ⊂ X . Alors CY = { A ∩ Y ; A ∈ C } est un clan sur Y .
De même pour une tribu T .
CY (respectivement TY ) sont le clan induit par C sur Y (respectivement la tribu induite par
T sur Y ).
b) Si Y ∈ C , alors CY = { A ; A ∈ C , A ⊂ Y }.
Exercice 1.9. Montrer que si C est un clan et A 1 , . . . , A n ∈ C , alors A 1 ∪ . . . ∪ A n ∈ C . De même si
on remplace clan par tribu.
Remarque 1.3. La définition d’une tribu demande qu’une union dénombrable d’ensembles de
T soit encore dans T . Au vu de l’exercice précédent, c’est encore vrai pour une union a. p. d. En
général, une union quelconque d’ensembles de T n’est pas dans T .
Un raisonnement du genre « chaque A i (avec i ∈ I ) est dans T , d’où ∪ i∈ I A i ∈ T » n’est pas valide,
à moins de savoir que I est a. p. d.

Dictionnaire. a) Clan=algèbre=(en anglais) algebra.


b) Tribu=σ-algèbre=(en anglais) σ-algebra.
Exercice 1.10. a) P ( X ) est une tribu.
b) Si X = {1, 2, 3}, alors C = {;, X , {1}, {2, 3}} est une tribu.
Exercice 1.11. Si X est fini, alors tout clan est une tribu.
Définition 1.5. Une suite ( A n ) de parties de X est :
a) croissante si A n ⊂ A n+1 pour tout n ;
b) décroissante si A n ⊃ A n+1 pour tout n ;
c) d. d. d. (acronyme pour « deux à deux disjointes ») si A n ∩ A m = ; pour n 6= m.

Notations. a) A n % A signifie que la suite ( A n ) est croissante et A = ∪ A n ;


b) A n & A signifie que la suite ( A n ) est décroissante et A = ∩ A n .
Définition 1.6. Si A ⊂ X , la fonction caractéristique de A est χ A : X → {0, 1}, définie par
(
1, si x ∈ A
χ A ( x) = .
0, si x ∈ X \ A
1.4. POUR ALLER PLUS LOIN 15

Exercice 1.12. Montrer que A n % A ssi : la suite de fonctions (χ A n ) est croissante et converge
simplement vers χ A .
De même, A n & A ssi : la suite de fonctions (χ A n ) est décroissante et converge simplement vers
χA .

Remarque 1.4. La définition ci-dessous est celle de la littérature anglophone. La définition ad-
mise dans la communauté francophone est différente. Ceci explique pourquoi le résultat fonda-
mental qui fait intervenir les classes monotones, le théorème 2.1 (« de la classe monotone »), a un
énoncé différent de celui que l’on trouve dans d’autres textes en français.

Définition 1.7. Une classe monotone dans X est un ensemble M de parties de X tel que :
i) Si ( A n ) ⊂ M est une suite croissante, alors ∪ A n ∈ M ;
ii) Si ( A n ) ⊂ M est une suite décroissante, alors ∩ A n ∈ M .

Exercice 1.13. Toute tribu est un clan.


Toute tribu est une classe monotone.

Définition 1.8. Si C est un clan, une mesure positive sur C (ou mesure tout court) est une
application µ : C → [0, ∞] telle que :
i) µ(;) = 0 ;
ii) Si ( A n ) ⊂ C est une suite d. d. d. et si ∪ A n ∈ C , alors µ(∪ A n ) = µ( A n ). Cette propriété est la
P

σ-additivité.
Dans le cas particulier où C est une tribu, l’hypothèse ∪ A n ∈ C est automatiquement satisfaite.

Notation. Il sera commode d’utiliser la notation « t » pour des unions d. d. d. : t i∈ I A i dénote


l’union d’une famille ( A i ) i∈ I d’ensembles d. d. d.
Avec cette notation, la σ-additivité de µ s’écrit µ(t A n ) = µ( A n ), ∀ A n ∈ T .
P

Exercice 1.14. Montrer que ii)=⇒ µ(;) = 0 ou ∞.

Exercice 1.15. Soit X un ensemble. Montrer que l’application µ : P ( X ) → [0, ∞],


(
card A, si A est fini
µ( A ) =
∞, sinon

est une mesure sur P ( X ). C’est la mesure de comptage.

Définition 1.9. a) Un espace mesurable est un couple ( X , T ), avec T tribu dans X .


b) Un espace mesuré est un triplet ( X , T , µ), avec T tribu dans X et µ mesure sur T .

1.4 Pour aller plus loin

Lemme 1.1. Toute partie infinie A de N est dénombrable.

Démonstration. Soit x0 = min A .


Si x0 , x1 , . . . , xn ont déjà été choisis, on pose A n = A \{ x0 , x1 , . . . , xn }. Alors A n est non vide, sinon
A serait fini, et x > xn , ∀ x ∈ A n (vérifier par récurrence sur n). On définit xn+1 = min A n .
La suite d’entiers ( xn ) est strictement croissante (vérifier), donc xn → ∞.
Il suffit de montrer que A = { x0 , x1 , . . .}. (En effet, si tel est le cas alors f : N → A , f ( n) = xn est
une bijection.) Preuve par l’absurde. Supposons que x ∈ A et x 6= xn pour tout n. On a x > x0 , par
choix de x0 , d’où x ∈ A 0 . Comme x 6= x1 , on trouve x > x1 . Par récurrence, x ∈ A n et x > xn+1 pour
tout n. En passant à la limite, x ≥ lim xn+1 = ∞, absurde.
16 CHAPITRE 1. NOTATIONS, RAPPELS, PREMIÈRES DÉFINITIONS

Lemme 1.2. Si A ⊂ B avec B a. p. d., alors A est a. p. d.


Par contraposée, si A ⊂ B et A n’est pas a. p. d., alors B n’est pas a. p. d.

Démonstration. Si A ou B est fini, c’est clair. Supposons A et B infinis.


Soit f : B → N une bijection. Alors la restriction g de f à A est une bijection entre A et C = f ( A ).
C est infini, sinon A serait fini.
Le lemme précédent montre qu’il existe une bijection h : C → N.
Alors h ◦ g : A → N est une bijection.

Lemme 1.3. S’il existe une injection f de A vers N, alors A est a. p. d. La réciproque est vraie.

Démonstration. A est en bijection avec B := f ( A ) ⊂ N.


Si B est fini, alors A l’est aussi.
Si B est infini, alors B est en bijection avec N, donc A l’est aussi.
Réciproquement, supposons A a. p. d. Si A est infini, alors A est en bijection avec N.
Si A est fini, alors on peut écrire A = { x0 , . . . , xk }, et la fonction A 3 xn 7→ n ∈ N est injective.

Corollaire 1.1. Si A est infini et s’il existe une injection f de A vers N, alors A est dénombrable.

Démonstration. Exercice !

Lemme 1.4. Si B est a. p. d. et s’il existe une injection f : A → B, alors A est a. p. d.

Démonstration. L’ensemble C = f ( A ) est une partie de B, donc (grâce au lemme 1.2) C est a. p. d.
A est en bijection avec C , donc A est a. p. d.

Théorème 1.1 (de Cantor-Bernstein ; cas particulier). S’il existe une injection f : A → N et
une injection g : N → A , alors A est dénombrable.

Démonstration. A est en bijection avec f ( A ) ⊂ N, donc A est a. p. d.


Par ailleurs, A n’est pas fini, car il contient la suite d’éléments distincts g(0), g(1), . . ..
Il s’ensuit (grâce au corollaire 1.1) que A est dénombrable.

Lemme 1.5. N2 est dénombrable.

Démonstration. N2 est infini, car il contient la suite d’éléments distincts (( n, 0))n∈N .


Il suffit donc de construire une application injective f : N2 → N. (Le corollaire 1.1 permet alors
de conclure.) Soit f : N2 → N, f ( m, n) = 2m 3n . L’unicité de la décomposition d’un entier en facteurs
premiers montre que f est injective.

Le résultat précédent implique qu’il existe une bijection entre N2 et N. En voici une explicite.

( m + n)( m + n + 1)
Exercice 1.16. Soit f : N2 → N, f ( m, n) = + n. Montrer que f est bijective.
2

Les résultats suivants complètent la preuve de la proposition 1.2.

Lemme 1.6. Un produit cartésien fini d’ensembles a. p. d. est a. p. d.


1.4. POUR ALLER PLUS LOIN 17

Démonstration. Il suffit de montrer le résultat quand il y a deux facteurs ; le cas général s’obtient
par récurrence sur le nombre de facteurs dans le produit.
Soient A 1 , A 2 deux ensembles a. p. d. Si A 1 est fini, on peut écrire A 1 = { x0 , . . . , xk }. Sinon, soit
f : N → A 1 une bijection ; on pose xn = f ( n). Alors A 1 = { x0 , . . . , xn , . . .}. Dans les deux cas, on peut
écrire A 1 = { x i ; 0 ≤ i < l }, avec l ∈ N ∪ {∞}.
De même, on peut écrire A 2 = { y j ; 0 ≤ j < p}.
La fonction A 1 × A 2 3 ( x i , y j ) 7→ ( i, j ) ∈ N2 est injective.
N2 étant dénombrable, il s’ensuit que que A 1 × A 2 est a. p. d.

Lemme 1.7. Une union a. p. d. d’ensembles a. p. d. est a. p. d.

Démonstration. Soient A n , n < l , avec l = N ∪ {∞}, des ensembles a. p. d.


Posons B0 = A 0 et, pour 1 ≤ n < l , B n = A n \ (∪kn= −1
A ). Alors les B n sont d. d. d. et ∪B n = ∪ A n .
0 k
On peut écrire B n = { x i ; i < l n }, d’où tout élément de A = ∪ A n s’écrit de manière unique x ni pour
n

un n et pour un i .
L’application A 3 x ni 7→ ( n, i ) ∈ N2 est injective.
Il s’ensuit que A est a. p. d.
Chapitre 2

Tribus, clans, classes monotones

2.1 Structures engendrées. Théorème de la classe monotone


Exercice 2.1. Si (A i ) i∈ I est une famille telle que A i ⊂ P ( X ), ∀ i ∈ I , et si chaque A i est un clan
(ou tribu, ou classe monotone), alors ∩ i∈ I A i est un clan (ou tribu, ou classe monotone).

Proposition 2.1. Soit A ⊂ P ( X ). Alors il existe un plus petit clan (ou tribu, ou classe monotone)
B contenant A .
En d’autres termes, il existe B tel que :
i) B soit un clan (ou tribu, ou classe monotone) ;
ii) A ⊂ B ;
iii) Si D est un clan (ou tribu, ou classe monotone) contenant A , alors B ⊂ D .
B est le clan (ou tribu, ou classe monotone) engendré par A et est noté respectivement C (A ),
T (A ) ou M (A ).

Démonstration. On fait la preuve pour les clans ; preuve identique dans les autres cas.
Soit F = {D ; A ⊂ D et D est un clan}.
Alors F est non vide (elle contient P ( X )).
Si on pose B = ∩D ∈F D , alors B est un clan contenant A (voir l’exercice précédent).
Par définition de F , tout clan D contenant A appartient à F , donc (par définition de B )
contient B .

Remarque 2.1. C’est la même preuve que celle qui donne l’existence du sous-espace engendré
par une partie d’un espace vectoriel, ou l’existence d’un sous-groupe engendré par une partie d’un
groupe, etc.

Exercice 2.2. Si X = {1, 2, 3} et A = {{1}}, alors :


a) le clan (et la tribu) engendré par A est {;, X , {1}, {2, 3}} ;
b) la classe monotone engendrée par A est A .

Proposition 2.2. On a C (A ) ⊂ T (A ).

Démonstration. Avec F comme ci-dessus et G = {D ; A ⊂ D et D tribu}, on a F ⊃ G , et donc


C (A ) = ∩D ∈F D ⊂ ∩D ∈G D = T (A ).
Proposition 2.3. On a M (A ) ⊂ T (A ).

Démonstration. Preuve analogue à celle de la proposition 2.2, en remplaçant « clan » par « classe
monotone ».

19
20 CHAPITRE 2. TRIBUS, CLANS, CLASSES MONOTONES

Exercice 2.3. Soient X = N et A = {{ n} ; n ∈ N}. Montrer que :


a) T (A ) = P (N) ;
b) C (A ) = { A ⊂ N ; A fini ou A c fini}.
c) En déduire que :
(i) en général, T (A ) 6= C (A ) ;
(ii) si C est un clan et ( A n ) ⊂ C , alors en général ∪ A n 6∈ C et ∩ A n 6∈ C .
d) Montrer que M (A ) = A .

Proposition 2.4. Soit C un clan. Alors :


a) X ∈ C ;
b) si A, B ∈ C , alors A ∩ B ∈ C ;
c) si A, B ∈ C , alors A \ B ∈ C ;
d) si A 1 , . . . , A n ∈ C , alors ∪nj=1 A j ∈ C et ∩nj=1 A j ∈ C .

Démonstration. a) on a X = ; c .
b) découle de l’identité A ∩ B = ( A c ∪ B c ) c .
c) suit de b) et de A \ B = A ∩ B c .
d) se montre par récurrence sur n.

Proposition 2.5. Soit T une tribu. Alors :


a) X ∈ T ;
b) si A, B ∈ T , alors A ∩ B ∈ T ;
c) si A, B ∈ T , alors A \ B ∈ T ;
d) si A 1 , . . . , A n ∈ T , alors ∪ A n ∈ T et ∩ A n ∈ T ;
e) si A 1 , . . . , A n , . . . ∈ T , alors ∩ A n ∈ T .

Démonstration. a)–d) sont une conséquence de la proposition précédente, car une tribu est un
clan.
e) suit de l’identité ∩ A n = (∪ A nc ) c .

Proposition 2.6. Un clan C qui est aussi une classe monotone est une tribu.

Démonstration. On doit montrer que, si ( A n ) ⊂ C , alors ∪ A n ∈ C .


Soit B n = ∪nk=0 A k . Alors B n % ∪ A k et B n ∈ C (car C est un clan).
C étant une classe monotone, on trouve ∪ A n ∈ C .

Théorème 2.1 (de la classe monotone). Si C est un clan, alors M (C ) = T (C ).


En particulier, toute classe monotone qui contient C contient aussi T (C ).

Remarque 2.2. Voir la remarque 1.4 !

Démonstration. Au vu de la proposition 2.3, il suffit de montrer que (*) M = M (C ) ⊃ T (C ).


Par définition de la tribu engendrée, (*) est vraie si M est une tribu. Pour montrer que M est
une tribu, il suffit de montrer que (**) M est un clan, car car « clan+classe monotone=⇒tribu »
(proposition 2.6).
Posons, pour un A fixé, M A = {B ∈ M ; A ∪ B ∈ M }. Alors M A est une classe monotone. En
effet, soit (B n ) ⊂ M A une suite croissante. Alors A ∪∪B n = ∪( A ∪B n ) ∈ M , car la suite ( A ∪B n ) ⊂ M
est croissante. De même, si (B n ) ⊂ M A est une suite décroissante, alors A ∪ ∩B n = ∩( A ∪ B n ) ∈ M .
Si A ∈ C , alors M A ⊃ C ; d’où M A = M . Autrement dit, l’union d’un élément de C et d’un
élément de M est un élément de M .
2.2. LA TRIBU BORÉLIENNE 21

Par conséquent, si A ∈ M , alors M A ⊃ C . Il s’ensuit que M A = M . Donc, (***) si A, B ∈ M ,


alors A ∪ B ∈ M .
Enfin, soit N = { A ∈ M ; A c ∈ M }. Alors N est une classe monotone. En effet, si (B n ) ⊂ N est
une suite croissante, alors (∪B n ) c = ∩B nc ∈ N , car (B nc ) ⊂ N est une suite décroissante. Il s’ensuit
que ∪B n ∈ N .
De même, si (B n ) ⊂ N est une suite décroissante, alors ∩B n ∈ N .
Donc N est en effet une classe monotone. Comme N contient C , nous trouvons N = M .
Autrement dit, (****) si A ∈ M , alors A c ∈ M .
(**) suit de (***), de (****) et de l’observation que ; ∈ M (car ; ∈ C ).

Exercice 2.4. a) Si A ⊂ B , alors C (A ) ⊂ C (B ), M (A ) ⊂ M (B ) et T (A ) ⊂ T (B ).


b) On a C (C (A )) = C (A ). Propriété analogue pour la classe monotone et la tribu engendrées.

2.2 La tribu borélienne


Soit ( X , d ) un espace métrique.†

Définition 2.1. La tribu borélienne B X sur X est la tribu engendrée par les ouverts de X .
Ou encore : B X = T ({U ; U ouvert de X }).
Si on désigne par τ la topologie de X (=l’ensemble des ouverts de X ), alors B X = T (τ).
Les ensembles de cette tribu sont les boréliens de X .

Exercice 2.5. On munit R de la métrique usuelle. Les intervalles, les fermés et les ouverts (de R)
sont boréliens.

Exercice 2.6. Soit Y ⊂ X , muni de la métrique induite par X . Montrer que BY = {B ∩ Y ; B ∈ B X }.


De manière équivalente, BY coïncide avec la tribu induite par B X sur Y .

Remarque 2.3. Donné X , la question « A est-il un borélien ? » n’a pas de sens, car la tribu bo-
rélienne dépend de la distance sur X . C’est la situation rencontrée en topologie à propos de la
question « A est-il un ouvert ? ».
Néanmoins, il y a un abus fréquent de langage : « A ⊂ Rn est borélien » sous-entend que Rn est
muni d’une norme.

Exercice 2.7. a) Tout ouvert de R est une union a. p. d. d’intervalles ouverts. De plus, on peut
choisir ces intervalles d. d. d.
b) Si on munit Rn d’une norme, tout point de Rn est la limite d’une suite de points ayant toutes
les coordonnées rationnelles.

Proposition 2.7. a) B X est la tribu engendrée par les fermés de X .


b) BR est la tribu engendrée par :
i) les intervalles de R
ou
ii) les intervalles de la forme ]a, ∞[.
c) BRn est engendrée par les produits de la forme I 1 × I 2 × . . . × I n , avec I j intervalle ouvert.

Démonstration. Notons, dans chaque cas, τ l’ensemble des ouverts, et A l’ensemble des parties
de X données par l’énoncé (fermés, intervalles, etc).
†. Plus généralement, nous pouvons considérer, au lieu d’un espace métrique, un espace topologique ( X , τ). Néan-
moins, pour les applications usuelles en théorie de l’intégration, le cadre des espaces métriques est suffisant.
22 CHAPITRE 2. TRIBUS, CLANS, CLASSES MONOTONES

Dans chaque cas, nous avons A ⊂ B X , et donc T (A ) ⊂ T (B X ) = B X . Il reste donc à montrer


l’inclusion inverse T (A ) ⊃ B X .
Pour cela, il suffit de montrer que τ ⊂ T (A ), car si tel est le cas alors nous avons B X = T (τ) ⊂
T (T (A )) = T (A ). En conclusion, il suffit de montrer que U ∈ T (A ) pour tout ouvert U .
Soit U un ouvert.
a) Nous avons U c ∈ A , d’où U = (U c ) c ∈ T (A ).
b) i) U est une union a. p. d. d’intervalles ouverts I j . Comme chaque I j est dans A , nous avons
U ∈ T (A ).
b) ii) De ce qui précède, il suffit de montrer que tout intervalle ouvert I =]a, b[ est dans T (A ).
Si a ∈ R et b = ∞, c’est clair.
Si I = R, on a I = ∪n∈N ] − n, ∞[∈ T (A ).
Il reste le cas b ∈ R.
Pour tout c ∈ R, nous avons ]a, c] =]a, ∞[∩] c, ∞[ c ∈ T (A ).
Il s’ensuit que ]a, b[= ∪n∈N∗ ]a, b − 1/ n] ∈ T (A ).
c) Les ouverts de Rn , donc la tribu borélienne, ne dépendent pas de la norme choisie. Nous
prenons comme norme kk∞ .
Soit C = {B( x, r ) ; x ∈ Qn , r ∈ Q}. Alors C ⊂ A et C est a. p. d. (En effet, la fonction B( x, r ) 7→
( x, r ) ∈ Qn × Q est injective et Qn × Q est dénombrable.) Il suffit donc de montrer que U est l’union
d’une famille de boules de C ; cette union sera automatiquement a. p. d.
Posons D = {B( x, r ) ∈ C ; B( x, r ) ⊂ U }. Clairement, ∪B(x,r)∈D B( x, r ) ⊂ U .
Réciproquement, soit y ∈ U . Nous allons trouver une boule B( x, r ) telle que B( x, r ) ∈ D et y ∈
B( x, r ).
Il existe un R > 0 tel que B( y, R ) ⊂ U . Quitte à diminuer R , nous pouvons supposer R ∈ Q.
Soit x ∈ Qn tel que k x − yk∞ < r = R /2. On vérifie aisément que y ∈ B( x, r ) et B( x, r ) ⊂ B( y, R ) ;
d’où B( x, r ) ⊂ U . Finalement, nous avons bien B( x, r ) ∈ D et y ∈ B( x, r ).

Remarque 2.4. Si on munit Rn d’une norme, il existe des parties de Rn qui ne sont pas boréliennes
(un exemple, assez difficile, sera examiné dans le chapitre 4).
Ce qu’il faut retenir est que tous les ensembles ne sont pas nécessairement boréliens. En revanche,
tous les ensembles « concrets » le sont.

Exercice 2.8. Soit Φ : X → Y un homéomorphisme. Si A ⊂ X , alors A ∈ B X ssi Φ( A ) ∈ BY .

Exercice 2.9. a) Soient A ∈ BRn et B ∈ BRm . Montrer que A × B ∈ BRn+m .


b) Plus généralement, si ( X , d ) et (Y , δ) sont des espaces métriques et si nous munissons X × Y
d’une métrique produit, alors B X × BY ⊂ B X ×Y .
Chapitre 3

Fonctions mesurables

Dans ce chapitre, nous travaillons dans un espace mesurable ( X , T ). Dans certains énoncés,
( X , d ) est un espace métrique, et alors T est la tribu borélienne.

3.1 Définition. Caractérisation


Notations. a) Si f : X → Y et B ⊂ Y , alors f −1 (B) = { x ∈ X ; f ( x) ∈ B}.
b) Pour alléger l’écriture, si B = { y}, nous écrivons f −1 ( y) au lieu de f −1 ({ y}). Ainsi, f −1 ( y) = { x ∈
X ; f ( x) = y}.
c) Si A ⊂ X , alors f ( A ) = { f ( x) ; x ∈ A }.

Proposition 3.1. Soit f : X → Y et soit A une famille de parties de Y . Si f −1 ( A ) ∈ T pour tout


A ∈ A , alors f −1 ( A ) ∈ T pour tout A ∈ T (A ).

Démonstration. Soit D = { A ⊂ Y ; f −1 ( A ) ∈ T }.
Alors D ⊃ A . Par ailleurs, D est une tribu. En effet, si ( A n ) ⊂ D , alors f −1 (∪ A n ) = ∪ f −1 ( A n ) ∈ T ;
vérification analogue des autres propriétés de la tribu.
Il s’ensuit que D ⊃ T (A ).

Définition 3.1. Une fonction étagée est une fonction f : X → R de la forme f = a i χ A i , où :


P

i) il y a un nombre fini de termes dans la somme ;


ii) a i ∈ R, ∀ i ;
iii) A i ∈ T , ∀ i .

Exercice 3.1. Soit f : X → R une fonction étagée. Montrer que f −1 (B) ∈ T , ∀ B ⊂ R.

Exercice 3.2. Soient f , g : X → R fonction étagées et λ ∈ R. Montrer que f + g et λ f sont étagées.

Définition 3.2. Une fonction f : X → R est mesurable s’il existe une suite ( f n ) de fonctions
étagées telle que f n → f simplement.
Dans le cas particulier où ( X , d ) est un espace métrique et T est la tribu borélienne, f est appelée
borélienne.

Remarque 3.1. La mesurabilité d’une fonction dépend du choix de T . On ne peut pas décider si
f est mesurable si on ne connaît pas T .
Dans le cas particulier où X ⊂ Rn , sauf spécification contraire la tribu borélienne considérée est
la tribu induite par BRn sur X : B X = {B ∩ X ; B ∈ BRn } (voir l’exercice 2.6).

Exercice 3.3. Soit ( xn ) ⊂ R une suite ayant une limite. On a lim xn > a ∈ R ⇐⇒ ∃ k ∈ N∗ , ∃ m ∈ N
tels que xn > a + 1/ k, ∀ n ≥ m.

23
24 CHAPITRE 3. FONCTIONS MESURABLES

Théorème 3.1. f : X → R est mesurable ssi :


i) f −1 (∞) ∈ T ;
ii) f −1 (−∞) ∈ T ;
iii) f −1 (B) ∈ T pour tout B ∈ BR .

Remarque 3.2. Supposons f : X → R. Alors la condition de mesurabilité devient f −1 (B) ∈ T ,


∀ B ∈ BR . Noter la différence avec la propriété plus forte f −1 (B) ∈ T , ∀ B ⊂ R, qu’ont les fonctions
étagées (voir l’exercice 3.1).

Démonstration du théorème 3.1. « =⇒ » Soit ( f n ) une suite de fonctions étagées telle que f n → f .
Soient a ∈ R, n ∈ N. Posons A n,a = ( f n )−1 (]a, ∞[), qui appartient à T (exercice 3.1).
Nous avons

f ( x) > a ⇐⇒ ∃ k ∈ N∗ , ∃ m ∈ N tels que f n ( x) > a + 1/ k pour n ≥ m.

En d’autres termes,

f ( x) > a ⇐⇒ ∃ k ∈ N∗ , ∃ m ∈ N tels que x ∈ ∩n≥m A n,a+1/k


⇐⇒ x ∈ ∪k∈N∗ ∪m∈N ∩n≥m A n,a+1/k ∈ T .

Donc

f −1 (]a, ∞]) = { x ; f ( x) > a} = ∪k∈N∗ ∪m∈N ∩n≥m A n,a+1/k ∈ T , ∀ a ∈ R.

Il s’ensuit que f −1 ({∞}) = ∩n f −1 (] n, ∞]) ∈ T .


Par conséquent, f −1 (]a, ∞[) = f −1 (]a, ∞]) \ f −1 ({∞}) ∈ T .
La proposition 3.1 combinée avec la partie b) ii) de la proposition 2.7 montre que f −1 (B) ∈ T ,
∀ B ∈ BR .
Enfin, f −1 ({−∞}) = X \ ( f −1 (R) ∪ f −1 ({∞}) ∈ T .

n n
−2 , si f ( x) < −2


« ⇐= » Soit, pour n ∈ N, f n ( x) = 2n , si f ( x) ≥ 2n ; ici, k est un entier relatif com-

 k/2n , si k/2n ≤ f ( x) < ( k + 1)/2n

pris entre −4n et 4n − 1. Formule équivalente pour f : si nous posons

A n = f −1 ([−∞, −2n [), B n = f −1 ([2n , ∞]) et C n,k = f −1 ([ k/2n , ( k + 1)/2n [),


P4n −1
alors f n = −2n χ A n + 2n χB n + k=−4n k/2n χC n,k .
Chaque f n est une fonction étagée (vérifier) et nous avons f n → f (vérifier).

Dans le cas particulier où f est positive, la suite ( f n ) construite lors de la preuve de l’implica-
tion « ⇐= » est croissante, d’où le résultat suivant.

Corollaire 3.1. Toute fonction mesurable positive est la limite d’une suite croissante de fonctions
étagées.

Exercice 3.4. Soit A ⊂ X . Alors χ A est mesurable ssi A l’est.

Proposition 3.2. f : X → R est mesurable ssi nous avons

{ x ∈ X ; f ( x) > a} = f −1 (]a, ∞]) ∈ T pour tout a ∈ R.


3.1. DÉFINITION. CARACTÉRISATION 25

Démonstration. « =⇒ » Implication vue dans la preuve du théorème 3.1.

« ⇐= » Nous avons f −1 ({∞}) = ∩n∈N f −1 (] n, ∞]) ∈ T .


Il s’ensuit que f −1 (]a, ∞[) = f −1 (]a, ∞]) \ f −1 ({∞}) ∈ T , ∀ a ∈ R. La proposition 3.1 combinée
avec la partie b) ii) de la proposition 2.7 implique f −1 (B) ∈ T , ∀ B ∈ BR .
Enfin, f −1 ({−∞}) = X \ ( f −1 (R) ∪ f −1 ({∞}) ∈ T .

Théorème 3.2. Soit f = ( f 1 , f 2 , . . . , f n ) : X → Rn . Les propriétés suivantes sont équivalentes :


1. chaque f i est mesurable ;
2. pour tout B ∈ BRn , f −1 (B) ∈ T .
Si l’une de ces deux conditions est satisfaite, f est appelée mesurable.
Cas particulier : f : X → C est mesurable⇐⇒Re f et Im f sont mesurables.

Démonstration. 1 =⇒ 2. Si I 1 , I 2 , . . . , I n sont des intervalles ouverts, alors ( f i )−1 ( I i ) ∈ T .


Il s’ensuit que f −1 ( I 1 × I 2 × . . . × I n ) = ∩( f i )−1 ( I i ) ∈ T .
La proposition 3.1 combinée avec la partie c) de la proposition 2.7 montre que f −1 (B) ∈ T ,
∀ B ∈ BRn .
2 =⇒ 1. Si I =]a, ∞[, alors ( f i )−1 ( I ) = f −1 (R i−1 × I × Rn− i ) ∈ T .

Définition 3.3. Si A ⊂ X et si f : A → R (ou f : A → Rn ), alors f est mesurable si et seulement si :


i) A est mesurable ;
ii) f étendue par la valeur 0 sur A c (de manière équivalente : la fonction f χ A , définie sur X ) est
mesurable.

Proposition 3.3. Soit A mesurable. Alors f : A → R est mesurable ssi :


i) f −1 (∞) ∈ T ;
ii) f −1 (−∞) ∈ T ;
iii) f −1 (B) ∈ T pour tout B ∈ BR .
De même, f : A → R est mesurable si et seulement si f −1 (]a, ∞]) ∈ T , a ∈ R.
De même, f : A → Rn est mesurable si et seulement si f −1 (B) ∈ T , ∀ B ∈ BRn .

Démonstration. « =⇒ » Posons g = f χ A . Alors (*) f −1 (∞) = g−1 (∞) ∈ T . Idem pour ii).
Pour iii), il suffit de noter que f −1 (B) = g−1 (B) ∩ A , ∀ B ∈ BR .

« ⇐= » De (*), on a g−1 (∞) ∈ T ; de même, g−1 (−∞) ∈ T .


Si B ∈ BR , alors on a : soit 0 6∈ B, et alors g−1 (B) = f −1 (B) ∈ T , soit 0 ∈ B, et dans ce cas g−1 (B) =
f −1 (B) ∪ A c ∈ T .

Remarque 3.3. Du résultat précédent, nous pouvons déduire facilement que la mesurabilité de
f (au sens de la définition 3.3) est équivalente à : f : A → R est mesurable par rapport à la tribu
induite T A = {B ∩ A ; B ∈ T }. Cette équivalence n’est vraie que si A est mesurable.

Exercice 3.5. Soit ( X , d ) un espace métrique.


a) Soient A ∈ B X et f : A → R continue. Alors f est borélienne. En particulier, toute fonction
continue f : X → R est borélienne.
b) Plus généralement, si f est continue en dehors d’une partie finie de X , alors f est borélienne.
c) Encore plus généralement. Soient A 1 , A 2 , . . . , boréliens d. d. d. tels que X = t A k . Pour chaque
A k , soit f k : A k → R une fonction continue. Soit f : X → R définie par f ( x) = f k ( x) si x ∈ A k . Alors f
est borélienne.
d) De même si, dans le point précédent, on remplace « f k continue » par « f k borélienne » (voir
aussi le point f)).
e) De même pour des fonctions à valeurs dans Rn .
26 CHAPITRE 3. FONCTIONS MESURABLES

f) Soit (Y , T ) un espace mesurable. Soient A 1 , A 2 , . . . , mesurables d. d. d. tels que X = t A k . Pour


chaque A k , soit f k : A k → R une fonction mesurable. Soit f : X → R définie par f ( x) = f k ( x) si
x ∈ A k . Alors f est mesurable.

3.2 Opérations avec les fonctions mesurables


Proposition 3.4. Une limite simple de fonctions mesurables est une fonction mesurable.

Démonstration. Il suffit de copier la preuve du théorème 3.1 « =⇒ ». Cette fois-ci, la mesurabilité


des A n,a est donnée non pas par le fait que les f n sont étagées, mais par le théorème 3.1.

Proposition 3.5. Si g : Rn → Rk est borélienne et si f : X → Rn est mesurable, alors g ◦ f : X → Rk


est mesurable.

Remarque 3.4. À retenir sous la forme : borélienne rond mesurable égal mesurable.

Démonstration. Si B ∈ BRk , alors ( g ◦ f )−1 (B) = f −1 ( g−1 (B)) ∈ T , car g−1 (B) ∈ BRn .
(
1/ x, si x 6= 0
Exercice 3.6. Soit g : R → R, g( x) = .
0, si x = 0
a) Montrer que g est borélienne.
b) En déduire que, si f : X → R est mesurable et f 6= 0, alors 1/ f est mesurable.
c) Montrer que, si f : X → R est mesurable et f 6= 0, alors 1/ f est mesurable.

Convention. En théorie de la mesure et de l’intégration, nous adoptons la convention suivante :


0 · (±∞) = (±∞) · 0 = 0.
En particulier, si f , g : X → R, alors le produit f g est défini en tout point.
Néanmoins, les sommes ∞ + (−∞) et −∞ + ∞ ne sont toujours pas définies. Donc la somme
f + g est définie uniquement en dehors de l’ensemble { x ∈ X ; f ( x) = ±∞ et g( x) = − f ( x)}.

Proposition 3.6. Si f , g : X → R sont mesurables, alors f g et (si cela a un sens) f + g sont mesu-
rables. (On peut définir f + g s’il n’y a pas de point x ∈ X tel que f ( x) = ±∞ et g( x) = − f ( x).)
Si λ ∈ R, alors λ f est mesurable.

Démonstration. Supposons que f + g ait un sens.


Si f n , g n sont des fonctions étagées telles que f n → f , g n → g, alors f n + g n est étagée (exercice
3.2) et f n + g n → f + g.
(
f n ( x), si f ( x) 6= 0
Soit F n ( x) = ; on définit de même G n . Définition équivalente : si A = f −1 ({0}),
0, si f ( x) = 0
alors F n = f n χ A c . Alors F n est étagée et F n → f (vérifier). La fonction F n G n est étagée (exercice
3.2) et F n G n → f g (vérifier).
Enfin, λ f n → λ f .
Dans tous les cas, nous concluons grâce à la proposition 3.4.

3.3 Fonctions construites à partir de fonctions mesurables


Dans cette partie, nous fixons un espace mesurable ( X , T ). Toutes les fonctions considérées
sont définies sur X à valeurs R et sont supposées mesurables.
3.3. FONCTIONS CONSTRUITES À PARTIR DE FONCTIONS MESURABLES 27

Proposition 3.7. max ( f , g) et min ( f , g) sont mesurables.

Démonstration. Nous considérons deux suites, ( f n ) et ( g n ), de fonctions étagées, avec f n → f ,


g n → g. Alors h n → max ( f , g) et k n → min ( f , g), où h n = max ( f n , g n ) et k n = min ( f n , g n ) (vérifier !).
Au vu de la proposition 3.4, il suffit donc de montrer que h n et k n sont mesurables, ce qui découle
de la proposition 3.5 et des formules h n = 1/2( f n + g n + | f n − g n |) et k n = 1/2( f n + g n − | f n − g n |).

Remarque 3.5. Si f , g : X → R, nous pouvons raisonner différemment. Nous avons max ( f , g) =


Φ( f , g), avec Φ( x, y) = max ( x, y). ( f , g) : X → R2 est mesurable, car chacune des ses coordonnées
l’est (théorème 3.2). Φ étant continue (donc borélienne), la proposition 3.5 permet de conclure. De
même pour min ( f , g).

Corollaire 3.2. max ( f 0 , . . . , f n ) et min ( f 0 , . . . , f n ) sont mesurables.

Démonstration. Vérifier !

Proposition 3.8. sup f n et inf f n sont mesurables.

Démonstration. Nous avons sup f n = limn→∞ max( f 0 , . . . , f n ), donc sup f n est limite d’une suite de
fonctions mesurables. Preuve similaire pour inf.

Proposition 3.9. lim inf f n et lim sup f n sont mesurables.

Démonstration. Considérons la lim inf ; preuve similaire pour la lim sup.


Soit g n = infm≥n f m , qui est mesurable. Il suffit de se rappeler que lim inf f n = limn→∞ g n .

Proposition 3.10. Soit

A = { x ∈ X ; la suite ( f n ( x)) a une limite dans R}.

Alors :
a) A est mesurable.
b) Si nous posons, pour x ∈ A , f ( x) =(lim f n ( x), alors f : A → R est mesurable.
lim f n ( x), si lim f n ( x) existe
c) Si nous posons F : X → R, F ( x) = , alors F est mesurable.
0, sinon

Démonstration. Soient g = lim inf f n , h = lim sup f n , toutes les deux mesurables.
Posons B = g−1 (∞), C = h−1 (−∞), k = ( h − g)χ(B∪C) c , qui sont mesurables.
a) Nous avons A = k−1 (0) ∪ B ∪ C (justifier) et donc A ∈ T .
b), c) Sur A , nous avons f = g, et donc F = f χ A = gχ A , la dernière fonction étant mesurable. Il
s’ensuit que f et F le sont (voir la définition 3.3).
Chapitre 4

Mesures

4.1 Propriétés générales


Dans cette partie, ( X , T , µ) est un espace mesuré, et toutes les parties de X considérées ap-
partiennent à T . Toutes les propriétés démontrées restent valables si on a une mesure sur un
clan, à condition que les unions et intersections considérées soient encore dans le clan.

Proposition 4.1. Nous avons


a) Si A ⊂ B, alors µ( A ) ≤ µ(B). (C’est la propriété de monotonie de µ.) Si, de plus, µ(B) < ∞, alors
µ( A ) = µ(B) − µ(B \ A ) et µ(B \ A ) = µ(B) − µ( A ).
b) µ( A 0 ∪ . . . ∪ A k ) ≤ µ( A n ). Si les A n sont d. d. d., alors l’inégalité devient égalité. Cette dernière
P

propriété est l’additivité de µ.


c) µ(∪∞ n=0 A n ) ≤ µ( A n ). C’est la propriété de sous-additivité de µ.
P

d) µ( A ∪ B) + µ( A ∩ B) = µ( A ) + µ(B). En particulier, si µ( A ∩ B) < ∞, alors µ( A ∪ B) = µ( A ) + µ(B) −


µ( A ∩ B).

Démonstration. a) Nous avons B = A ∪ (B \ A ) ∪ ; ∪ . . . ∪ ; ∪ . . ., d’où µ(B) = µ( A ) + µ(B \ A ) ≥ µ( A ).


Dans le cas particulier où µ(B) < ∞, nous avons aussi µ(B \ A ) < ∞, d’où µ( A ) = µ(B) − µ(B \ A ). De
même, µ(B \ A ) = µ(B) − µ( A ).
b) Posons B0 = A 0 et, pour n ≥ 1, B n = A n \ ( A 0 ∪ . . . ∪ A n−1 ). Les B n sont d. d. d. et de plus
B n ⊂ A n et ∪ A n = ∪B n . Il s’ensuit que
X X
µ( A 0 ∪ . . . ∪ A k ) = µ(B0 ∪ . . . ∪ B k ∪ ; ∪ . . . ∪ ; ∪ . . .) = µ(B n ) ≤ µ( A n ).

Dans le cas particulier où les A n sont d. d. d., nous avons B n = A n , et l’inégalité devient égalité.
c) Même preuve que pour l’item b), sauf qu’il n’y a plus besoin d’ajouter des ;.
d) Si µ( A ) = ∞, alors µ( A ∪ B) = ∞, et l’égalité est claire.
Supposons µ( A ) < ∞, ce qui entraîne µ( A ∩ B) < ∞.
Alors µ( A ) = µ( A \ B) + µ( A ∩ B), d’où µ( A \ B) = µ( A ) − µ( A ∩ B).
Enfin, µ( A ∪ B) = µ( A \ B) + µ(B) = µ( A ) − µ( A ∩ B) + µ(B), qui donne l’égalité désirée.

Exercice 4.1. a) Montrer que, si µ( A 1 ∪ A 2 ∪ . . . ∪ A n ) < ∞, alors


n
(−1) j+1
X X
µ( A 1 ∪ A 2 ∪ . . . ∪ A n ) = µ( A i 1 ∩ . . . ∩ A i j ).
j =1 1≤ i 1 < i 2 <···< i j ≤ n

b) Que devient cette formule dans le cas particulier de la mesure de comptage ?

29
30 CHAPITRE 4. MESURES

Proposition 4.2. Nous avons


a) (théorème de la suite croissante) Si A n % A , alors µ( A n ) → µ( A ).
b) (théorème de la suite décroissante) Si A n & A et si, de plus, µ( A 0 ) < ∞, alors µ( A n ) → µ( A ).

Démonstration. a) Posons B0 = A 0 et, pour n ≥ 1, B n = A n \ A n−1 . Alors les B n sont d. d. d. et


∪B n = A .
Par ailleurs, nous avons A n = B0 ∪ . . . ∪ B n .
Par conséquent,
X n
X
µ( A ) = µ(B n ) = lim µ(B k ) = lim µ( A n ).
n→∞ n→∞
k=0

b) Nous avons ( A 0 \ A n ) % ( A 0 \ A ), d’où lim µ( A 0 \ A n ) = µ( A 0 \ A ).


Ceci donne (via la proposition 4.1 a)) µ( A 0 ) − µ( A n ) → µ( A 0 ) − µ( A ), d’où la conclusion.

Exercice 4.2. Soit µ la mesure de comptage sur P (N). Si A n = { m ; m ≥ n}, alors A n & ;, mais
µ( A n ) 6→ µ(;). Conclusion ?

Exercice 4.3. Soit µ une mesure sur le clan (ou tribu) C .


a) Si A ∈ C , alors µ A : C → [0, ∞], µ A (B) = µ( A ∩ B), est une mesure sur C .
b) La restriction de µ à C A est une mesure. (C A est le clan induit par C sur A ; voir l’exercice 1.8.)

Exercice 4.4. Soit (µ j ) une suite de mesures sur le même clan C . Supposons que µ j ( A ) ≤ µ j+1 ( A ),
∀ j , ∀ A ∈ C . Posons µ( A ) = lim µ j ( A ). Alors µ est une mesure sur C .

4.2 Mesure complétée


Dans cette partie, on se donne un espace mesuré ( X , T , µ). Les parties A de X considérées
ci-dessous ne sont pas nécessairement dans T .

Définition 4.1. Un ensemble A ⊂ X est négligeable s’il existe B ∈ T tel que A ⊂ B et µ(B) = 0.
S’il n’est pas clair qui est µ, on précise : A est µ-négligeable.
La tribu complétée engendrée par T et µ est la tribu T engendrée par T et les parties négli-
geables de X .

Remarque 4.1. T dépend à la fois de T et de µ.

Exercice 4.5. a) Une partie d’un ensemble négligeable est négligeable.


b) Une union a. p. d. d’ensembles négligeables est négligeable.

Proposition 4.3. On a

T = { A ⊂ X ; ∃ B, C ∈ T tels que B ⊂ A ⊂ C et µ(C \ B) = 0}. (4.1)

Démonstration. Donnée une partie A de X , nous allons noter (s’ils existent) B A et C A deux en-
sembles de T tels que B A ⊂ A ⊂ C A et µ(C A \ B A ) = 0.
Soit U le membre de droite de l’égalité à montrer, (4.1).

« ⊃ » Si A ∈ U , alors A = B A ∪ ( A \ B A ), avec B A ∈ T et A \ B A (qui est contenu dans C A \ B A )


négligeable ; d’où A ∈ T .

« ⊂ » Il suffit de vérifier que U est une tribu qui contient T et les ensembles négligeables.
Si A ∈ T , il suffit de prendre B A = C A = A . Si A est négligeable, nous pouvons prendre B A = ; et
4.3. PRESQUE PARTOUT ET MESURE COMPLÉTÉE 31

C A ∈ T tel que A ⊂ C A et µ(C A ) = 0. Ceci montre que U contient T et les ensembles négligeables.
Il reste à montrer que U est une tribu.
Nous avons ; ∈ T , et donc ; ∈ U .
Par ailleurs, si A ∈ U , alors (C A ) c ⊂ A c ⊂ (B A ) c , avec µ((B A ) c \ (C A ) c ) = µ(C A \ B A ) = 0 (vérifier).
Si ( A n ) ⊂ U , alors ∪B A n ⊂ ∪ A n ⊂ ∪C A n , et µ(∪C A n \ ∪B A n ) ≤ µ(C A n \ B A n ) = 0 (vérifier).
P

Définition 4.2. Une tribu S est complète par rapport à une mesure ν si A ν-négligeable =⇒
A∈S .
Symétriquement, si la propriété ci-dessus est satisfaite alors ν est complète par rapport à S .

Définition 4.3. Soit µ1 , µ2 des mesures sur les tribus T1 , T2 . µ2 est une extension de µ1 si :
i) T1 ⊂ T2 ;
ii) µ2 ( A ) = µ1 ( A ), ∀ A ∈ T1 .

Proposition 4.4. µ admet une unique extension µ à T .


µ est la complétée de µ et est donnée par l’une des formules µ( A ) = µ(B A ) ou µ( A ) = µ(C A ).

Démonstration. Notons d’abord que µ(C A ) = µ(B A ) + µ(C A \ B A ), et donc µ(B A ) = µ(C A ).
Montrons ensuite que la formule ³ de l’énoncé
´ ne dépend pas du choix de B A et C A . En effet, si
j j j j j j
BA ⊂ A ⊂ C A , avec B A , C A ∈ T et µ C A \ B A = 0, j = 1, 2, alors B1A ⊂ C 2A , d’où

µ(C 1A ) = µ(B1A ) ≤ µ(C 2A ) = µ(B2A ).

En permutant les indices, nous trouvons µ(C 1A ) = µ(B1A ) = µ(B2A ) = µ(C 2A ).

Si µ existe, nous devons avoir µ(B A ) ≤ µ( A ) ≤ µ(C A ), d’où µ( A ) = µ(B A ) = µ(C A ). Ceci montre à
la fois l’unicité de µ et le fait que µ est donnée par les formules de l’énoncé.

Il reste à montrer que ces formules définissent une extension de µ.


Si A 1 , A 2 ∈ T et A 1 ⊂ A 2 , alors B A 1 ⊂ A 1 ⊂ A 2 ⊂ C A 2 , d’où µ( A 1 ) = µ(B A 1 ) ≤ µ(C A 2 ) = µ( A 2 ). Il
s’ensuit que µ est monotone.
Par ailleurs, si A ∈ T , alors nous pouvons prendre B A = C A = A , et donc µ( A ) = µ( A ). En particu-
lier, nous avons µ(;) = 0.
Enfin, si ( A n ) est une suite d. d. d. de T , alors nous avons (en utilisant la monotonie de µ)
X X
µ( A n ) = µ(B A n ) = µ(∪B A n ) = µ(∪B A n ) ≤ µ(∪ A n ),
X X
µ(∪ A n ) ≤ µ(∪C A n ) = µ(∪C A n ) ≤ µ(C A n ) = µ( A n ).

Exercice 4.6. a) Nous avons µ = µ et T = T .


b) T est complète par rapport à µ.
c) Une partie de X est µ-négligeable ssi elle est µ-négligeable.

4.3 Presque partout et mesure complétée


Définition 4.4. Une propriété P ( x) est vraie presque partout (par rapport à µ, ou encore µ-
presque partout, ou encore p. p. ou µ-p. p.) si l’ensemble des x ∈ X tel que P ( x) soit fausse est
µ-négligeable.

Exercice 4.7. Pour la mesure de comptage, presque partout équivaut à partout.

Exercice 4.8. Pour des fonctions f , g définies sur X à valeurs dans R ou Rn , la relation f ∼ g ⇐⇒
f = g µ-p. p. est une équivalence.
32 CHAPITRE 4. MESURES

Proposition 4.5. a) f : X → R est T -mesurable ssi il existe une fonction g : X → R T -mesurable


telle que f = g µ-p. p.
De même, f : X → Rn est T -mesurable ssi il existe une fonction g : X → Rn T -mesurable telle que
f = g µ-p. p.
b) Soient f , g : X → R telles que f = g µ-p. p. Alors f est T -mesurable si et seulement si g l’est.
De même si f , g : X → Rn .

Démonstration. Nous considérons uniquement le cas des fonctions à valeurs dans R. L’autre cas
est similaire.

Soit f une fonction T -étagée. Donc f = a n χ A n , avec A n ∈ T . Soit B n ⊂ A n , B n ∈ T , tel que


P

A n \ B n soit µ-négligeable. Avec g = a n χB n , nous avons f − g = a n χ A n \B n . Il s’ensuit que f = g


P P

en dehors de l’ensemble ∪( A n \ B n ), qui est µ-négligeable (vérifier).


Conclusion : donnée une fonction f T -étagée, il existe une fonction T -étagée g telle que f = g en
dehors d’un ensemble µ-négligeable C .
a) « =⇒ » Soit f n une suite de fonctions T -étagées telle que f n → f . Soient g n T -étagées et C n
µ-négligeables tels que f n = g n en dehors de C n .
En dehors de l’ensemble µ-négligeable ∪C n , nous avons g n = f n → f .
En définissant A = { x ∈ X ; ( g n ( x)) a une limite dans R} et g = χ A lim g n , nous avons que g est
T -mesurable (voir la proposition 3.10) et g = f en dehors de l’ensemble µ-négligeable ∪C n .
« ⇐= » Soit C un ensemble µ-négligeable tel que f = g en dehors de µ. Alors g−1 (∞) \ C ⊂
f −1 (∞) ⊂ g−1 (∞) ∪ C , ce qui montre que f −1 (∞) ∈ T = T .
De même, f −1 (−∞) ∈ T et f −1 (B) ∈ T si B ∈ BR (vérifier). Donc f est T -mesurable (théorème
3.1).

b) Nous avons (via l’exercice 4.8) f T -mesurable⇐⇒ ∃ h T -mesurable telle que f = h µ-p.
p.⇐⇒ ∃ h T -mesurable telle que g = h µ-p. p.⇐⇒ g T -mesurable.

4.4 Classes particulières de mesures

Définition 4.5. Une mesure µ définie sur un clan (ou tribu) C est :
a) finie si µ( X ) < ∞ (et alors µ( A ) < ∞ pour tout A ∈ C ) ;
b) σ-finie s’il existe une suite ( A n ) ⊂ C telle que :
i) X = ∪ A n ;
ii) µ( A n ) < ∞.
c) de probabilité (ou probabilité tout court) si µ( X ) = 1.

Exercice 4.9. Si µ est σ-finie, alors on peut choisir les A n d. d. d.

Exercice 4.10. La mesure de comptage sur N n’est pas finie, mais est σ-finie.

Une façon commode de passer d’une mesure finie à une mesure σ-finie est la suivante.

Exercice 4.11. Soit µ une mesure σ-finie la tribu T de X . Soit ( X n )n≥0 ⊂ T avec µ( X n ) < ∞, ∀ n
et X = ∪ X n . Posons µn ( A ) = µ( A ∩ ( X 1 ∪ . . . ∪ X n )), ∀ A ∈ T . Alors :
a) µn est une mesure finie, ∀ n.
b) µn % µ (c’est-à-dire µn ( A ) % µ( A ), ∀ A ∈ T ).

Les mesures σ-finies joueront un rôle important entre autres dans le chapitre 8 (mesures pro-
duit et leur utilisation). Une première illustration de leur utilité est le résultat suivant d’unicité.
4.4. CLASSES PARTICULIÈRES DE MESURES 33

Proposition 4.6. Soient C un clan dans X et µ j , j = 1, 2, deux mesures sur T (C ). Si :


i) µ1 ( A ) = µ2 ( A ) pour tout A ∈ C ;
ii) il existe une suite ( A n ) ⊂ C telle que µ1 ( A n ) < ∞ et ∪ A n = X ,
alors µ1 = µ2 .

Démonstration. Soit ( A n ) ⊂ C telle que µ1 ( A n ) < ∞, ∀ n, et ∪ A n = X . En remplaçant au besoin les


A n par B n = A 0 ∪ . . . ∪ A n , nous pouvons supposer que A n % X .
Comme dans l’exercice 4.11, posons µnj ( A ) = µ j ( A ∩ A n ), A ∈ T (C ), j = 1, 2, n ∈ N. Pour tout n ∈
N, µ1n et µ2n vérifient les hypothèses i) et ii) ci-dessus (justifier) et, de plus, µ1n et µ2n sont finies
(vérifier). Supposons montrée l’égalité µ1n = µ2n . Grâce au théorème de la classe monotone, nous
obtenons µ j = limn µnj , j = 1, 2 (justifier), et donc µ1 = µ2 .
Ainsi, pour conclure il suffit de montrer que µ1 = µ2 sous l’hypothèse i), si de plus µ1 , µ2 sont finies.
Soit U = { A ∈ T (C ) ; µ1 ( A ) = µ2 ( A )}. Alors C ⊂ U . Pour conclure, il suffit de montrer que U est
une classe monotone (et d’invoquer le théorème de la classe monotone). Ceci résulte en appliquant
à µ j le théorème de la suite croissante, respectivement le théorème de la suite décroissante (le
second étant justifié par le fait que µ j est finie).

Définition 4.6. Si ( X , d ) est un espace métrique, une mesure borélienne est une mesure sur les
boréliens de X , c’est-à-dire µ : B X → [0, ∞].

Exercice 4.12. Soit ( X , d ) un espace métrique. Soit F un fermé de X . Soit Un = { x ∈ X ; d ( x, F ) <


1/ n}, ∀ n ∈ N∗ . Alors Un est un ouvert et Un & F .

Si une mesure est à la fois borélienne et a des propriétés de finitude (voir les hypothèses du
résultat qui suit), alors nous disposons de formules « explicites » pour calculer la mesure d’un
borélien.

Théorème 4.1. Soient ( X , d ) un espace métrique et µ une mesure borélienne sur X .


a) Si µ est finie, alors

µ( A ) = sup{µ(F ) ; F fermé et F ⊂ A } = inf{µ(U ) ; U ouvert et U ⊃ A }, ∀ A ∈ B X , (4.2)


µ( A ) = sup{µ(F ) ; F fermé et F ⊂ A } = inf{µ(U ) ; U ouvert et U ⊃ A }, ∀ A ∈ B X . (4.3)

b) Si µ est σ-finie, alors

µ( A ) = sup{µ(F ) ; F fermé et F ⊂ A }, ∀ A ∈ B X , (4.4)


µ( A ) = sup{µ(F ) ; F fermé et F ⊂ A }, ∀ A ∈ B X . (4.5)

c) S’il existe une suite (Un ) d’ouverts de X telle que X = ∪Un et µ(Un ) < ∞, ∀ n, alors nous avons
(4.2)–(4.3).
d) S’il existe une suite (K n ) de compacts telle que X = ∪K n et une suite (Un ) d’ouverts de X telle
que X = ∪Un et µ(Un ) < ∞, ∀ n, alors

µ( A ) = sup{µ(K ) ; K compact et K ⊂ A } = inf{µ(U ) ; U ouvert et U ⊃ A }, ∀ A ∈ B X , (4.6)


µ( A ) = sup{µ(K ) ; K compact et K ⊂ A } = inf{µ(U ) ; U ouvert et U ⊃ A }, ∀ A ∈ B X . (4.7)

Corollaire 4.1. Soit µ une mesure de Radon dans Rn , c’est-à-dire une mesure borélienne telle
que µ(K ) < ∞ pour tout compact K ⊂ Rn . Alors

µ( A ) = sup{µ(K ) ; K compact et K ⊂ A } = inf{µ(U ) ; U ouvert et U ⊃ A }, ∀ A ∈ BRn , (4.8)


µ( A ) = sup{µ(K ) ; K compact et K ⊂ A } = inf{µ(U ) ; U ouvert et U ⊃ A }, ∀ A ∈ B Rn . (4.9)

Énoncé analogue si nous remplaçons Rn par un ouvert de Rn .


34 CHAPITRE 4. MESURES

Démonstration du corollaire. Posons K j = B(0, j ) et U j = B(0, j ), ∀ j ∈ N∗ . Alors ∪K j = ∪U j = Rn .


Comme U j ⊂ K j , nous avons µ(U j ) ≤ µ(K j ) < ∞. Nous concluons grâce au théorème 4.1 d).

Corollaire 4.2. Soient µ1 , µ2 deux mesures de Radon dans Rn telles que µ1 (K ) = µ2 (K ) pour tout
compact K ⊂ V . Alors µ1 = µ2 .
Énoncé analogue si nous remplaçons Rn par un ouvert de Rn .

Démonstration. Vérifier !

Démonstration du théorème 4.1. a) Posons, pour A ⊂ X ,

µ f ( A ) = sup{µ(F ) ; F fermé et F ⊂ A } = sup{µ(F ) ; F fermé et F ⊂ A },


µ o ( A ) = inf{µ(U ) ; U ouvert et U ⊃ A } = inf{µ(U ) ; U ouvert et U ⊃ A }.

Nous avons (vérifier)

µ f ( A ) ≤ µ( A ) ≤ µ o ( A ), ∀ A ∈ B X et en particulier µ f ( A ) ≤ µ( A ) ≤ µ o ( A ), ∀ A ∈ B X . (4.10)

Nous devons montrer que (*) µ( A ) = µ f ( A ) = µ o ( A ), ∀ A ∈ B X et en particulier (**) µ( A ) =


µ ( A ) = µ o ( A ), ∀ A ∈ B X . Il suffit en fait de montrer (**). En effet, admettons (**). Donné A ∈ B X ,
f

soient B A , C A ∈ B X tels que B A ⊂ A ⊂ C A et µ(C A \ B A ) = 0 (d’où µ(B A ) = µ(C A ) = µ( A )). Alors

µ( A ) ≥ µ f ( A ) ≥ µ f (B A ) = µ(B A ) = µ( A ),
µ( A ) ≤ µ o ( A ) ≤ µ o (C A ) = µ(C A ) = µ( A ),

ce qui implique (*).


Soit U = { A ∈ B X ; (*) est vraie}. Pour établir (*), il suffit de montrer que U est une tribu
contenant les fermés.
Notons d’abord que, si A ∈ B X , alors

µ f ( A c ) = sup{µ(F ); F fermé et F ⊂ A c } = sup{µ(U c ); U ouvert et U c ⊂ A c }


= sup{µ(U c ); U ouvert et U ⊃ A } = sup{µ( X ) − µ(U ); U ouvert et U ⊃ A }
=µ( X ) − inf{µ(U ); U ouvert et U ⊃ A } = µ( X ) − µ o ( A )

et de même µ o ( A c ) = µ( X ) − µ f ( A ).
Il s’ensuit que, si A ∈ U , alors µ f ( A c ) = µ( X ) − µ( A ) = µ( A c ) et de même µ o ( A c ) = µ( A c ), d’où
Ac ∈ U .
Soit maintenant une suite ( A n )n≥1 ⊂ U . Soit ε > 0. Comme A n ∈ U , il existe un fermé F n,ε et un
ouvert Un,ε avec

F n,ε ⊂ A n ⊂ Un,ε , µ(F n,ε ) > µ( A n ) − ε/2n+1 et µ(Un,ε ) < µ( A n ) + ε/2n+1 ,

ou encore µ( A n \ F n,ε ) < ε/2n+1 et µ(Un,ε \ A n ) < ε/2n+1 . Posons U ε = ∪Un,ε (qui est un ouvert) et
F N,ε = ∪nN=1 F n,ε (qui est un fermé pour tout N ). Nous avons

µ o (∪ A n ) ≤ µ(U ε ) = µ(U ε \ ∪ A n ) + µ(∪ A n ) = µ(∪Un,ε \ ∪ A n ) + µ(∪ A n )


X
≤ µ(∪(Un,ε \ A n )) + µ(∪ A n ) ≤ µ(Un,ε \ A n ) + µ(∪ A n ) < ε + µ(∪ A n ).

En faisant ε → 0 dans cette inégalité et en utilisant (4.10), nous obtenons (***) µ o (∪ A n ) = µ(∪ A n ).
De manière analogue au calcul précédent, nous avons µ((∪nN=1 A n ) \ F N,ε ) < ε, ce qui implique

µ f (∪ A n ) ≥ µ(F N,ε ) = µ(∪nN=1 A n ) − µ((∪nN=1 A n ) \ F N,ε ) > µ(∪nN=1 A n ) − ε, ∀ N ∈ N∗ , ∀ ε > 0.


4.5. LA MESURE DE LEBESGUE 35

En faisant, dans ce qui précède, ε → 0 et N → ∞, nous obtenons, grâce au théorème de la suite


croissante, µ f (∪ A n ) ≥ µ(∪ A n ). En utilisant (4.10), nous concluons à l’égalité (****) µ f (∪ A n ) =
µ(∪ A n ).
De (***) et (****), nous déduisons que U est une tribu.
Pour compléter a), il reste à montrer que les fermés sont dans U . Soit F un fermé. Alors
µ f (F ) ≥ µ(F ), d’où µ f (F ) = µ(F ). Par ailleurs, soit (Un ) la suite de l’exercice 4.12. Alors µ o (F ) ≤
µ(Un ), d’où µ o (F ) ≤ lim µ(Un ) = µ(F ) (car µ est finie, ce qui nous permet d’utiliser le théorème de
la suite décroissante).

b) Comme expliqué au point précédent, il suffit de montrer que µ f ( A ) ≥ µ( A ), ∀ A ∈ B X . Soit


( A n ) ⊂ B X avec ∪ A n = X et µ( A n ) < ∞, ∀ n. Quitte à remplacer A n par B n = A 1 ∪ . . . ∪ A n , nous
pouvons supposer que A n % X . Posons µn ( A ) = µ( A ∩ A n ), ∀ A ∈ B X , ∀ n. Alors µn est une mesure
finie (vérifier) et µn ( A ) % µ( A ), ∀ A ∈ B X (théorème de la suite croissante). Grâce au point a), nous
avons
f
µ f ( A ) ≥ µn ( A ) = µn ( A ), ∀ A ∈ B X , ∀ n ∈ N∗ .

En faisant n → ∞, nous obtenons µ f ( A ) ≥ µ( A ), comme désiré.

c) µ étant σ-finie, nous avons la conclusion du b). Il suffit donc de montrer que µ o ( A ) ≤ µ( A ),
∀ A ∈ B X . Quitte à remplacer Un par Vn = U1 ∪. . .∪Un , nous pouvons supposer que Un % X . Posons
µn ( A ) = µ( A ∩ Un ), ∀ n, qui est une mesure finie. Posons W1 = U1 et, pour n ≥ 2, Wn = Un \ Un−1 , de
sorte que les Wn sont d. d. d., X = ∪Wn et Wn ⊂ Un , ∀ n.
Soit A ∈ B X . Soit A n = A ∩ Wn . Les A n sont d. d. d. et A = ∪ A n . Par ailleurs, nous avons A n ⊂ Un ,
d’où µn ( A n ) = µ( A n ). Il s’ensuit que µ( A ) = µn ( A n ).
P

Soit ε > 0. De a), il existe un ouvert Vn,ε tel que Vn,ε ⊃ A n et µn (Vn,ε ) < µn ( A n ) + ε/2n+1 . L’ensemble
Wn,ε = Vn,ε ∩ Un est un ouvert contenant A n . Par ailleurs nous avons µn (Vn,ε ) = µ(Wn,ε ).
Finalement, nous avons

µ o ( A ) ≤ µ(∪Wn,ε ) ≤ µ(Wn,ε ) ≤ (µn ( A n ) + ε/2n+1 ) = µ( A ) + ε, ∀ ε > 0.


X X

Nous concluons en faisant ε → 0 dans cette inégalité.

d) Soit µ c ( A ) = sup{µ(K ) ; K compact et K ⊂ A }. Tenant compte du point c) et en raisonnant


comme pour les points précédents, il s’agit de montrer que µ c ( A ) ≥ µ( A ), ∀ A ∈ B X .
Nous pouvons supposer K n % X . Soit d’abord F un fermé. Posons L n = F ∩ K n , ∀ n. Alors L n est
un compact et L n % F ; en particulier, µ(L n ) % µ(F ). Nous avons µ c (F ) ≥ µ(L n ), ∀ n. En passant à
la limite sur n, nous obtenons µ c (F ) ≥ µ(F ), ∀ F .
Soit maintenant A ∈ B X . Si F est un fermé et F ⊂ A , alors µ c ( A ) ≥ µ c (F ) ≥ µ(F ). En prenant le
sup sur F et en utilisant le point c), nous obtenons µ c ( A ) ≥ µ f ( A ) = µ( A ).

Remarque 4.2. Le schéma de la preuve du théorème 4.1 a)–c) est typique pour les raisonne-
ments en théorie de la mesure. Le cœur de la preuve consiste à montrer les propriétés des
mesures finies. Pour ce faire, il est commode d’utiliser le théorème de la classe mono-
tone. Des hypothèses du type σ-finitude permettent par la suite de s’affranchir, à peu de frais, de
l’hypothèse de finitude de la mesure.

4.5 La mesure de Lebesgue


Rappelons qu’un pavé de Rn est un ensemble de la forme P = I 1 × I 2 × . . . × I n , avec chaque I j
intervalle.
36 CHAPITRE 4. MESURES

De manière intuitive, si P est un pavé on définit la mesure (« volume ») m(P ) de P comme le


produit des longueurs des I j (avec la convention 0 · ∞ = 0).

Théorème 4.2 (existence et propriétés de la mesure de Lebesgue). Dans Rn , il existe une


unique mesure borélienne νn telle que, pour chaque pavé P , on ait νn (P ) = m(P ).
Cette mesure est la mesure de Lebesgue sur les boréliens de Rn .
De plus, cette mesure a les propriétés suivantes :
a) νn est donnée, pour tout borélien A , par la formule νn ( A ) = inf j≥0 m(P j ) ; A ⊂ ∪ j≥0 P j ;
©P ª

b) Si R est une isométrie de Rn (=transformation qui préserve la distance euclidienne entre deux
points de Rn ), alors, pour A ∈ BRn , on a νn (R ◦ A ) = νn ( A ) ;
c) Si A ∈ BRn et B ∈ BRm , alors νn+m ( A × B) = νn ( A ) · νm (B).

Exercice 4.13. Soit U un ouvert non vide de Rn .


a) Montrer que νn (U ) > 0.
b) Soient f , g : U → R deux fonctions continues telles que f = g νn -p. p. Montrer que f = g.

Définition 4.7. La complétée de νn est la mesure de Lebesgue dans Rn , notée λn , et la tribu


complétée de BRn par rapport à νn est la tribu de Lebesgue dans Rn , notée L n .

Le chapitre suivant est consacré à la construction des mesures, en particulier celle de Le-
besgue. Nous y établirons aussi quelques unes de ces propriétés ; d’autres propriétés seront ob-
tenues dans le chapitre 9. Nous nous contentons ici de montrer quelques propriétés simples de
νn .

Proposition 4.7. a) νn est σ-finie.


b) νn est une mesure de Radon.
c) νn est unique.
d) νn est invariante par translations, c’est-à-dire νn ({ x} + A ) = νn ( A ), ∀ A ∈ BRn , ∀ x ∈ Rn .
e) ν1 est donnée par la formule

( b j − a j ) ; A ⊂ ∪]a j , b j [ , ∀ A ∈ BR .
©X
ν1 ( A ) = inf
ª
(4.11)

Démonstration. a) Nous avons Rn = ∪∞


j =1
[− j, j ]n , et νn ([− j, j ]n ) = (2 j )n < ∞.
b) Si K est un compact de Rn , alors il existe M > 0 tel que k xk∞ ≤ M , ∀ x ∈ K ; d’où K ⊂
[− M, M ]n . Il s’ensuit que νn (K ) ≤ νn ([− M, M ]n ) = (2 M )n < ∞.
c) Soit Cn l’ensemble des unions finies de pavés de Rn . Alors Cn est un clan et, de plus, tout
élément de Cn s’écrit comme une union d. d. d. de pavés de Rn (exercice 1.7). Si µ est une mesure
borélienne telle que µ(P ) = m(P ) pour tout pavé, alors, de ce qui précède, µ = νn sur Cn .
Nous avons clairement Cn ⊂ BRn . Par ailleurs, Cn contient les pavés ouverts, qui engendrent BRn
(proposition 2.7 c)). Il s’ensuit que T (Cn ) ⊃ BRn , d’où T (Cn ) = BRn .
La mesure νn étant σ-finie, nous obtenons de ce qui précède et de la proposition 4.6 que µ = νn , et
donc que νn est unique.
d) Notons d’abord que A ⊂ Rn est borélien ssi { x} + A l’est ; ceci s’obtient de l’exercice 2.8 appli-
qué à l’homéomorphisme Φ : Rn → Rn , Φ( y) = x + y.
Posons µ( A ) = νn ({ x} + A ), ∀ A ∈ BRn . Alors µ est une mesure borélienne (vérifier) et µ(P ) = νn (P )
pour tout pavé. Nous concluons comme au point c).
e) « ≤ » Si A ∈ BR et A ⊂ ∪]a j , b j [, alors
X X X
ν1 ( A ) ≤ ν1 (∪]a j , b j [) ≤ ν1 (]a j , b j [) = m(]a j , b j [) = ( b j − a j ),

d’où « ≤ » dans (4.11).


4.6. POUR ALLER PLUS LOIN 37

« ≥ » Soit ` le membre de droite de (4.11). Soit U un ouvert de R. Alors U est une union a. p.
d. d’intervalles ouverts d. d. d. ]a j , b j [ (exercice 2.7). Nous avons alors ν1 (U ) = ( b j − a j ). Si, de
P

plus, U ⊃ A , nous déduisons de ce qui précède que ν1 (U ) ≥ `. En utilisant ce fait et le corollaire


4.1, nous obtenons

ν1 ( A ) = inf {ν1 (U ) ; U ouvert et U ⊃ A } ≥ `.

Exercice 4.14. a) λn est σ-finie.


b) λn est l’unique mesure sur L n telle que λn (P ) = m(P ) pour tout pavé de Rn .
c) λ1 est donnée par la formule

( b j − a j ) ; A ⊂ ∪]a j , b j [ , ∀ A ∈ B R .
©X
λ1 ( A ) = inf
ª

Exercice 4.15 (Exemple d’ensemble non borélien). Définissons, pour x, y ∈ [0, 1], la relation
x ∼ y ssi x − y ∈ Q.
a) Montrer que ∼ est une relation d’équivalence.
Nous pouvons donc écrire [0, 1] comme l’union de classes d’équivalence C i , qui sont d. d. d. :
[0, 1] = t i∈ I C i .
Prenons, pour chaque i , un élément et un seul x i ∈ C i et définissons A = { x i ; i ∈ I }.
Posons A q = { q} + A , ∀ q ∈ Q ∩ [−1, 1].
b) Montrer que A q ∩ A r = ; si q 6= r .
c) Montrer que [0, 1] ⊂ ∪ q∈Q∩[−1,1] A q ⊂ [−1, 2].
d) En supposant A Lebesgue mesurable, calculer λ1 ( A q ) en fonction de λ1 ( A ).
e) En déduire que 1 ≤ ∞ · λ1 ( A ) ≤ 3.
f) Conclusion : A n’est pas Lebesgue mesurable. En particulier, A n’est pas borélien.
g) On ne peut pas bien mesurer toutes les parties de R. Si µ : P (R) → [0, ∞] est une mesure
invariante par translations, alors soit µ = 0, soit µ( I ) = ∞ pour tout intervalle non dégénéré I ⊂ R.

4.6 Pour aller plus loin

4.6.1 Mesures invariantes par isométries

Il s’ensuit de l’exercice précédent qu’il n’est pas possible de construire sur P (R) une mesure
µ invariante par translations telle que la mesure de chaque intervalle non dégénéré et borné
soit un nombre dans ]0, ∞[. De même, il n’est pas possible de construire sur P (Rn ) une mesure
invariante par isométries telle que la mesure de chaque ouvert non vide et borné soit un nombre
dans ]0, ∞[. Pour pouvoir espérer obtenir cette propriété, il faut donc exiger moins de µ. Les
exigences minimales sont :
(*) µ : { A ⊂ Rn ; A borné} → [0, ∞[.
(**) µ( A ∪ B) = µ( A ) + µ(B) si A ∩ B = ;, ∀ A, B bornés.
(***) µ(R ( A )) = µ( A ), ∀ A borné, ∀ R isométrie.
(****) Il existe un A borné tel que µ( A ) > 0.

Nous avons les résultats suivants.

Théorème 4.3. a) (Banach [2]) Pour n = 1, n = 2, il existe une fonction µ satisfaisant (*) – (****).
b) (Hausdorff [12]) Pour n ≥ 3, il n’existe pas un tel µ.

La partie b) de ce théorème est devenue célèbre grâce au résultat suivant, hautement contre-
intuitif, qui implique le théorème 4.3.
38 CHAPITRE 4. MESURES

Théorème 4.4 (paradoxe de Banach-Tarski [1]). Soit B une boule dans Rn , avec n ≥ 3. Soit C
une translatée de B telle que B ∩ C = ;. Alors il existe k ∈ N∗ , une partition B = B1 t . . . t B k de B
et des isometries R 1 , . . . , R k de Rn telles que : R 1 (B1 ) t . . . t R k (B k ) = B ∪ C .

Démonstration de « théorème 4.4 =⇒ théorème 4.3 b) ». Soit n ≥ 3. Supposons, par l’absurde, l’exis-
tence de µ satisfaisant (*) – (****). Notons que si µ satisfait (*) – (**), alors µ( A 1 ∪ . . . ∪ A m ) ≤
µ( A j ), avec égalité si les ensembles bornés A j sont d. d. d. (vérifier). Soit A ⊂ Rn tel que
P

0 < µ( A ) < ∞ et soit B une boule contenant A . Soit C une translatée de B telle que B ∩ C = ;.
Avec les notations du paradoxe, nous avons

0 < 2µ( A ) ≤2µ(B) = µ(B) + µ(C ) = µ(B ∪ C ) = µ(tR j (B j )) = µ(R j (B j )) = µ(B j )


X X

=µ(tB j ) = µ(B) < ∞,

ce qui est impossible.

4.6.2 Convergences d’une suite de fonctions

Nous discutons ici, sans donner les démonstrations, les relations entre convergence simple,
convergence uniforme et convergence « en mesure » d’une suite de fonctions. Sur ce sujet, une
bonne référence est Halmos [11, Section 22].
Le cadre est celui des fonctions mesurables f n , f : X → R, avec ( X , T , µ) un espace mesuré.†

Définition 4.8. a) f n → f en mesure si pour tout ε > 0 nous avons

lim µ({ x ∈ X ; | f n ( x) − f ( x)| ≥ ε}) = 0.


n→∞

b) La suite ( f n ) est de Cauchy en mesure si pour tout ε > 0 nous avons

lim µ({ x ∈ X ; | f n ( x) − f m ( x)| ≥ ε}) = 0.


m,n→∞

Définition 4.9. a) f n → f presque uniformément si pour tout ε > 0 il existe un ensemble


A = A ε ∈ T tel que µ( A ) < ε et f n → f uniformément sur X \ A .
b) La suite ( f n ) est de Cauchy presque uniforme si pour tout ε > 0 il existe un ensemble
A = A ε ∈ T tel que µ( A ) < ε et

lim sup ({| f n ( x) − f m ( x)| ; x ∈ X \ A } = 0.


m,n→∞

Théorème 4.5 (théorème d’Egoroff). Soit µ finie.


a) Si f n → f p. p., alors f n → f presque uniformément.
b) En particulier, si f n → f p. p., alors ( f n ) est de Cauchy presque uniforme.

Proposition 4.8. Soit µ finie.


a) Si f n → f presque uniformément, alors f n → f p. p.
b) Si ( f n ) est une suite de Cauchy presque uniforme, alors il existe f telle que f n → f p. p. et
presque uniformément.

Proposition 4.9. Soit µ finie.


a) Si f n → f presque uniformément, alors f n → f en mesure.
b) Réciproquement, si f n → f en mesure, alors il existe une sous-suite ( f n k ) telle que f n k → f p.
p. et presque uniformément.
†. Pour simplifier les énoncés, nous supposons que les fonctions sont finies en tout point.
4.6. POUR ALLER PLUS LOIN 39

Dans l’esprit du théorème d’Egoroff, qui affirme que la convergence simple est « presqu’équi-
valente » à la convergence uniforme pour les mesures finies, notons la « presqu’équivalence » entre
mesurabilité et continuité dans le cas des mesures boréliennes finies.

Proposition 4.10. Soit µ une mesure borélienne finie sur l’espace métrique X .
a) Soit f : X → R une fonction borélienne. Alors pour tout ε > 0 il existe un borélien A = A ε tel que
µ( A ) < ε, avec f continue sur X \ A .
b) Soit f : X → R telle que pour tout ε > 0 il existe un borélien A = A ε tel que µ( A ) < ε, avec f
continue sur X \ A . Alors il existe une fonction borélienne g : X → R telle que f = g p. p.

Démonstration. a) Le schéma est de montrer la propriété d’abord pour f fonction caractéristique,


puis pour f étagée, ensuite pour f borélienne bornée et enfin pour f borélienne quelconque.†

Soient B ∈ T , f = χB et ε > 0. Comme µ( X ) < ∞, il existe F fermé, U ouvert tels que F ⊂ B ⊂ U


et µ(U \ F ) < ε (théorème 4.1). Posons A = U \ F . Alors µ( A ) < ε et χB est continue sur X \ A =
F ∪ ( X \ U ) (vérifier).
Soit f étagée, f = b j χB j . Soit A j ∈ T avec µ( A j ) < ε/2 j+1 et χB j continue sur X \ A j . Si A = ∪ A j ,
P

alors µ( A ) < ε et f est continue sur X \ A (vérifier).


Soit f borélienne bornée. Soit ( f j ) une suite de fonctions étagées telle que f j → f uniformément.‡
Soit A j ∈ T avec µ( A j ) < ε/2 j+1 et f j continue sur X \ A j . Si A = ∪ A j , alors µ( A ) < ε et chaque f j
est continue sur X \ A . Par convergence uniforme, f est continue sur X \ A .
Enfin, soit f : X → R borélienne. Soit g = arctan f : X →] − π/2, π/2[. Alors g est borélienne bornée.
Soit A ∈ T tel que µ( A ) < ε, avec g continue sur X \ A . Comme f = tan g, f est continue sur X \ A .

b) Soit A j tel que µ( A j ) < 1/( j + 1), avec f continue sur X \ A j . Posons A = ∩ A j , g( x) =
(
f ( x), si x 6∈ A
.
0, si x ∈ A
Alors A est borélien et µ( A ) = 0 (vérifier), d’où f = g p. p. Comme B \ A = ∪(B \ A j ), nous avons,
pour tout B ∈ BR ,
(
∪ f −1 (B \ A j ), si 0 6∈ B
g−1 (B) = −1
.
A ∪ (∪ f (B \ A j )), si 0 ∈ B

Dans les deux cas, nous avons g−1 (B) ∈ B X (vérifier), et donc g est borélienne.

†. Sans le nommer, nous faisons un raisonnement par classes monotones, version fonctions au lieu d’ensembles.
Pour l’analogue du théorème de la classe monotone dans ce contexte, voir par exemple Barbe et Ledoux [3, Théorème
I.3.5].
‡. Pour justifier l’existence de la suite ( f j ), il faut examiner la preuve du théorème 3.1.
Chapitre 5

Constructions de mesures

5.1 Construction de la mesure de Lebesgue


Nous cherchons à montrer l’existence de la mesure νn comme dans le théorème 4.2. (Rappe-
lons que son unicité est acquise, voir proposition 4.7 c).) Comme nous l’avons remarqué, il est
commode de travailler dans un premier temps avec des mesures finies, puis de s’affranchir de la
finitude. Nous allons donc construire la mesure de Lebesgue d’abord sur un pavé borné P . Plus
spécifiquement :
1. Nous allons construire la mesure de Lebesgue sur ]0, 1[n . La construction sera analogue sur
toute autre pavé.
2. La mesure de Lebesgue sur les pavés permet de construire la mesure de Lebesgue sur Rn .
Il est commode – mais pas indispensable – d’utiliser des propriétés élémentaires de l’intégrale
de Riemann lors de l’étape 1. Afin de ne pas perdre en chemin le lecteur qui connaît l’intégrale
de Riemann dans R, mais pas dans Rn avec n ≥ 2, nous allons prendre uniquement n = 1 dans ce
qui suit. Une fois construite la mesure de Lebesgue dans R, son existence dans Rn est démontrée
dans le chapitre 8. Il est néanmoins possible de se passer de la technologie développée dans le
chapitre 8 et de montrer l’existence de µn en adaptant aux dimensions ≥ 2 les preuves présentées
dans cette section en dimension un (voir par exemple Stein et Shakarchi [17, Chapitre 1]).

5.1.1 Construction de la mesure de Lebesgue sur ]0, 1[

Posons, pout tout intervalle I d’extrémités a ≤ b, m( I ) = b − a. Nous avons vu (proposition 4.7,


exercice 4.14) que, si la mesure de Lebesgue λ1 existe, alors elle est donnée par la formule
m( I j ) ; I j intervalle ouvert, ∀ j, A ⊂ ∪ j I j , ∀ A ∈ B R .
©X
λ1 ( A ) = inf
ª

Posons
m∗ ( A ) = inf
©X ª
m( I j ) ; I j intervalle ouvert, ∀ j, A ⊂ ∪ j I j , ∀ A ⊂]0, 1[. (5.1)

Nous devons montrer que m∗ = λ1 sur la tribu de Lebesgue (de ]0, 1[). Mais il se trouve que
l’existence de cette tribu repose sur l’existence de la mesure de Lebesgue, dont l’existence n’est pas
encore acquise ! L’idée suivante, due à Lebesgue, permet d’identifier les candidats aux membres
de la tribu. Si m∗ = ν1 = m sur les intervalles et si A est Lebesgue mesurable, alors A c =]0, 1[\ A
l’est aussi, d’où m∗ ( A ) + m∗ ( A c ) = m∗ (]0, 1[) = m(]0, 1[) = 1. Posons alors
T = { A ⊂]0, 1[ ; m∗ ( A ) + m∗ ( A c ) = 1}. (5.2)

Nous avons alors le résultat suivant.

41
42 CHAPITRE 5. CONSTRUCTIONS DE MESURES

Théorème 5.1 (Lebesgue). a) T est une tribu.


b) T contient B]0,1[ .
c) La restriction de m∗ à T est une mesure.
d) m∗ ( I ) = m( I ) pour tout intervalle I ⊂]0, 1[.
e) T est la complétée de B]0,1[ par rapport à m∗ (ou plus précisément par rapport à la restriction
de m∗ à B]0,1[ ).

Nous admettons pour l’instant ce théorème.

5.1.2 Construction de la mesure de Lebesgue sur R

Soit µ j la mesure borélienne qui vérifie l’analogue du théorème 5.1 sur ] − j, j [, j ∈ N∗ . Posons
ξ j ( A ) = µ j ( A ∩] − j, j [), ∀ j , ∀ A ∈ BR . Alors ξ j est une mesure borélienne (vérifier).
Par unicité de la mesure de Lebesgue sur ] − j, j [, nous avons µ j+1 ( A ) = µ j ( A ), ∀ A ∈ B]− j, j[ . Il
s’ensuit que

ξ j+1 ( A ) = µ j+1 ( A ∩] − j − 1, j + 1[) ≥ µ j+1 ( A ∩] − j, j [) = µ j ( A ∩] − j, j [) = ξ j ( A ), ∀ A ∈ BR .

Ainsi, nous pouvons définir

µ( A ) = lim ξ j ( A ) = lim µ j ( A ∩] − j, j [), ∀ A ∈ BR ,

qui est une mesure (exercice 4.4).

Proposition 5.1. µ est la mesure de Lebesgue ν1 sur BR .

Démonstration. Il suffit de montrer que µ( I ) = m( I ) pour tout intervalle I . Si I est borné, alors
I ⊂] − j, j [ pour j suffisamment grand, et donc ξ j ( I ) = µ j ( I ) = m( I ) pour un tel j ; d’où µ( I ) = m( I ).
Si I est non borné, alors µ( I ) ≥ µ( J ) = m( J ) pour tout J borné avec J ⊂ I . En prenant le sup sur
tous ces J , nous obtenons µ( I ) = ∞ = m( I ).

À partir de ν1 , nous obtenons la tribu complétée L 1 et la mesure complétée λ1 . Le lien avec


les µ j est le suivant.

Exercice 5.1. Soit T j la tribu sur ] − j, j [ correspondant à µ j comme dans le théorème 5.1. Soit
A ⊂ R. Alors A ∈ L 1 ⇐⇒ A ∩] − j, j [∈ T j , ∀ j ≥ 1.

5.1.3 Construction de la mesure de Lebesgue sur Rn

La mesure de Lebesgue ν1 est σ-finie et satisfait ν1 ( I ) = m( I ) pour tout intervalle I . Il existe


alors une et une seule mesure borélienne νn sur Rn telle que ν( I 1 × · · · × I n ) = m( I 1 ) . . . m( I n ),
∀ I 1 , . . . , I n intervalles dans R (voir chapitre 8).

5.1.4 Démonstration du théorème 5.1

Nous allons travailler ici uniquement avec des parties de ]0, 1[. Les notions de fermé et com-
plémentaire s’entendent par rapport à ]0, 1[.
P
Notons que, si A ⊂ ∪ j I j , alors A ⊂ ∪ j ( I j ∩]0, 1[). Par ailleurs, nous avons m( I j ∩]0, 1[) ≤
P
m( I j ). Il s’ensuit que, dans (5.1), il suffit de considérer des intervalles I j ⊂]0, 1[ (justifier).
5.1. CONSTRUCTION DE LA MESURE DE LEBESGUE 43

Lemme 5.1. a) m∗ (;) = 0.


b) m∗ est monotone, c’est-à-dire m∗ ( A ) ≤ m∗ (B), ∀ A ⊂ B.
c) m∗ (∪ A j ) ≤ m∗ ( A j ), pour toute suite ( A j ) ⊂]0, 1[.
P

d) m∗ ( A ) ≤ 1, ∀ A .

Démonstration. a), b), d) sont claires (vérifier). Prouvons c). Soit ε > 0. Pour chaque j ≥ 1, il existe
j j j
une suite d’intervalles ouverts ( I k )k avec A j ⊂ ∪k I k et k m( I k ) < m∗ ( A j ) + ε/2 j+1 . La famille
P
j
( I k ) j,k est dénombrable (proposition 1.2). Si nous la listons sous la forme (L n ), alors pour toute
somme finie nous avons nN=1 m(L n ) ≤ j ( m∗ ( A j ) + ε/2 j+1 ), d’où m(L n ) ≤ j m∗ ( A j ) + ε. Comme
P P P P

∪ A j ⊂ ∪L n , nous obtenons m∗ (∪ A j ) ≤ m∗ ( A j ) + ε. Nous concluons en faisant ε → 0.


P

Lemme 5.2. m∗ ( A ) = inf{ m∗ (U ) ; U ouvert et A ⊂ U }.

Démonstration. « ≤ » est clair, car m∗ ( A ) ≤ m∗ (U ) pour tout U comme ci-dessus. Pour l’inégalité
contraire, soit ε > 0 et soient I j ouverts avec A ⊂ ∪ I j et m( I j ) < m∗ ( A ) + ε. Soit U = ∪ I j . Alors U
P

est ouvert, A ⊂ U et (du point c) du lemme précédent) m∗ (U ) = m∗ (∪ I j ) ≤ m( I j ) < m∗ ( A ) + ε.


P

Le premier résultat clé dans la preuve du théorème 5.1 est le suivant.

Lemme 5.3. Si (L k ) est une famille a. p. d. d’intervalles d. d. d., alors m∗ (tL k ) =


P
m(L k ).
En particulier, si I ⊂]0, 1[ est un intervalle, alors m∗ ( I ) = m( I ).

Démonstration. Quitte à rajouter de intervalles vides, nous pouvons supposer qu’il y a une infinité
(dénombrable) d’intervalles, indexés (L k )k≥1 .
Pour chaque intervalle borné L et chaque ε > 0, il existe un intervalle ouvert J avec L ⊂ J
et m( J ) < m(L) + ε (vérifier). Considérons, pour chaque k, un intervalle ouvert I k tel que L k ⊂
I k et m( I k ) < m(L k ) + ε/2k+1 . Alors ∪L k ⊂ ∪ I k et m( I k ) ≤ m(L k ) + ε, d’où (en faisant ε → 0)
P P

m∗ (tL k ) ≤ m(L k ).
P

Concernant l’inégalité opposée, il suffit de la montrer pour un nombre fini d’intervalles com-
pacts dans ]0, 1[. En effet, supposons cette inégalité établie pour les unions finies d’intervalles
compacts. Pour chaque intervalle borné L et chaque ε > 0, il existe un intervalle compact C
avec L ⊃ C et m(C ) > m(L) − ε (vérifier). Considérons, pour tout k, un intervalle compact C k avec
L k ⊃ C k et m(C k ) > m(L k ) − ε/2k+1 .
Pour tout n fini, nous avons alors (grâce à l’inégalité opposée, vraie pour les C k )
n n
m∗ (tL k ) ≥ m∗ (tnk=1 C k ) ≥
X X
m(C k ) > m(L k ) − ε.
k=1 k=1

En faisant n → ∞ et ε → 0, nous obtenons « ≥ ».


Nous avons donc réduit le lemme à l’inégalité suivante : si C 1 , . . . , C n sont des intervalles
compacts d. d. d., alors (*) m∗ (tC k ) ≥ m(C k ). Soit C = C 1 t . . . t C n . Soient I j , j ≥ 1, intervalles
P
P P
ouverts avec C ⊂ ∪ I j . Pour obtenir (*), il suffit de montrer (**) m(C k ) ≤ m( I j ) (justifier).
C étant compact, il existe N tel que C ⊂ ∪ N I . Il s’ensuit que (***) nk=1 χC k = χC ≤ nj=1 χ I j
P P
j =1 j
(exercice 10.6).
Notons que pour tout intervalle I ⊂]0, 1[ la fonction caractéristique χ I est continue R1 par mor-
ceaux sur R, donc intégrable Riemann sur [0, 1]. Par ailleurs, nous avons (****) 0 χ I ( x) dx = m( I ).
En utilisant (***), (****) et les propriétés de l’intégrale de Riemann, nous obtenons
Xn Xn Z 1 Z 1 n Z 1
X n
X X
m(C k ) = χC k ( x) dx = χC ( x) dx ≤ χ I j ( x) dx = m( I j ) ≤ m( I j ),
k=1 k=1 0 0 j =1 0 j =1 j ≥1

d’où (**) et la conclusion du lemme.


44 CHAPITRE 5. CONSTRUCTIONS DE MESURES

Notons deux conséquences immédiates du lemme.


1. Comme un ouvert U s’écrit comme une union a. p. d. d’intervalles ouverts d. d. d. L k , nous
avons m∗ (U ) = m(L k ).
P

2. Cas particuliers : m∗ (;) = 0 et m∗ (]0, 1[) = 1.

Lemme 5.4. Soient Un ,U des ouverts avec Un % U . Alors m∗ (Un ) % m∗ (U ).

Démonstration. Nous avons clairement m∗ (Un ) % et m∗ (Un ) ≤ m∗ (U ) (vérifier), d’où limn m∗ (Un ) ≤
m∗ (U ).
Pour l’inégalité opposée, soit ε > 0. Écrivons U = t I j , avec m( I j ) = m∗ (U ) < ∞. Il existe
P

N tel que j> N m( I j ) < ε/2. Il existe aussi des intervalles compacts C j ⊂ I j , j = 1, . . . , N , avec
P

m(C j ) > m( I j ) − ε/2 (vérifier).


P P

Soit C = t N C , qui est compact. Comme Un % U ⊃ C , il existe n 0 avec C ⊂ Un0 (justifier). Il


j =1 j
s’ensuit que
N
lim m∗ (Un ) ≥ m∗ (Un0 ) ≥ m∗ (C ) = Un − ε = m∗ (U ) − ε.
X X X
m(C j ) > m( I j ) − ε/2 >
n
j =1 j ≥1

Lemme 5.5. Soient U, V des ouverts. Alors m∗ (U ∪ V ) + m∗ (U ∩ V ) = m∗ (U ) + m∗ (V ).

Démonstration. Quitte à rajouter des intervalles vides, nous pouvons écrire U = t j≥1 I j et V =
t j≥1 L j , avec I j , L j intervalles ouverts.
Posons Un = tnj=1 I j , Vn = tnj=1 L j . Alors Un % U ; propriétés analogues de Vn , Un ∪ Vn et Un ∩ Vn
(vérifier).
Un , Vn , URn ∪ Vn et Un ∩ Vn étant des unions finies et d. d. d. d’intervalles, il s’ensuit que l’égalité
1
m∗ ( A ) = 0 χ A ( x) dx est vraie pour chacun de ces ensembles (justifier, à l’aide du lemme 5.3). En
combinant ce fait avec l’identité χUn ∪Vn + χUn ∩Vn = χUn + χVn (exercice 10.5), nous obtenons que
m∗ (Un ∪ Vn ) + m∗ (Un ∩ Vn ) = m∗ (Un ) + m∗ (Vn ). Nous concluons grâce au lemme 5.4, en faisant
n → ∞ dans l’égalité précédente.

Posons, conformément à la discussion heuristique du début du chapitre,

T = { A ⊂]0, 1[ ; m∗ ( A ) + m∗ ( A c ) = 1}.

Notons que 1 = m∗ (]0, 1[) = m∗ ( A ∪ A c ) ≤ m∗ ( A ) + m∗ ( A c ) (lemme 5.1 c)), et donc nous avons

T = { A ⊂]0, 1[ ; m∗ ( A ) + m∗ ( A c ) ≤ 1}.

Lemme 5.6. Si U est un ouvert, alors U ∈ T .

Démonstration. Supposons d’abord que U = tnj=1 I j , avec I j intervalles ouverts. Alors U c est une
R1
union finie d’intervalles, et donc m∗ (U c ) = 0 χU c ( x) dx ; de même pour U . Il s’ensuit que
Z 1 Z 1 Z 1
∗ ∗ c
m (U ) + m (U ) = χU ( x) dx + χU c ( x) dx = 1 dx = 1.
0 0 0

Soit maintenant U = t j≥1 I j . Posons Un = tnj=1 I j . De


ce qui précède, m∗ (U ) = lim m∗ (Un ) = lim(1 −
m∗ ((Un ) c )) ≤ 1 − m∗ (U c ). Il s’ensuit que m (U ) + m (U c ) ≤ 1, d’où U ∈ T .
∗ ∗

Le deuxième résultat clé est le suivant.

Lemme 5.7. Les propriétés suivantes sont équivalentes.


1. A ∈ T .
2. Pour tout ε > 0, il existe un ouvert U tel que m∗ ( A ∆U ) < ε.
5.2. POUR ALLER PLUS LOIN 45

Démonstration. « 1 =⇒ 2 » Soient V , W des ouverts tels que A ⊂ V , A c ⊂ W , m∗ (V ) < m∗ ( A ) + ε/2,


m∗ (W ) < m∗ ( A c ) + ε/2. Alors V ∪ W =]0, 1[ (vérifier), et donc (lemme 5.5)

m∗ (V ∩ W ) = m∗ (V ) + m∗ (W ) − m∗ (V ∪ W ) = m∗ (V ) + m∗ (W ) − 1 < m∗ ( A ) + m∗ ( A c ) + ε − 1 = ε.

Prenons U = V . Alors A ∆U = V \ A = V ∩ A c ⊂ V ∩ W , d’où m∗ ( A ∆U ) ≤ m∗ (V ∩ W ) < ε.


« 2 =⇒ 1 » Nous avons A ⊂ U ∪ ( A ∆U ) (exercice 10.7), d’où (lemme 5.1 c)) m∗ ( A ) ≤ m∗ (U ) + ε.
De même, A c ⊂ U c ∪ ( A c ∆U c ) = U c ∪ ( A ∆U ) (exercice 10.9 a)), d’où m∗ ( A ) ≤ m∗ (U c ) + ε. Grâce au
lemme 5.6, il s’ensuit que m∗ ( A ) + m∗ ( A c ) ≤ m∗ (U ) + m∗ (U c ) + 2ε = 1 + 2ε. En faisant ε → 0, nous
obtenons A ∈ T .

Démonstration du théorème 5.1. Par définition de T , si A ∈ T alors A c ∈ T .


Par ailleurs, m∗ (;) = 0 et m∗ (]0, 1[) = 1, d’où ; ∈ T .
Soit maintenant une suite ( A n )n≥1 ⊂ T . Pour chaque n, soit Un un ouvert tel que m∗ ( A n ∆Un ) <
ε/2n+1 (lemme 5.7). Posons U = ∪Un , qui est un ouvert. Nous avons (∪ A n )∆(∪Un ) ⊂ ∪( A n ∆Un )
(exercice 10.9 c)), d’où (lemme 5.1 c)) m∗ ((∪ A n )∆U ) ≤ m∗ ( A n ∆Un ) < ε. Le lemme 5.7 donne
P

∪An ∈ T .
T est donc une tribu. Cette tribu contient les ouverts (lemme 5.6), donc la tribu borélienne.
Soit A un ensemble négligeable par rapport à m∗ sur T . Il existe donc un B ∈ T tel que A ⊂ B
et m∗ (B) = 0. Pour tout ε > 0, il existe U ouvert tel que B ⊂ U et m∗ (U ) < ε (lemme 5.2). Il s’ensuit
que m∗ ( A ∆U ) = m∗ (U \ A ) ≤ m∗ (U ) < ε. Grâce au lemme 5.7, nous déduisons que A ∈ T . m∗ est
donc complète.
Enfin, montrons que T est la complétée de B]0,1[ par rapport à la mesure de Lebesgue sur
B]0,1[ (donc de m∗ sur B]0,1[ ). Notons B ]0,1[ cette complétée. De ce qui précède, B ]0,1[ ⊂ T (justi-
fier, en utilisant B]0,1[ ⊂ T et la complétude de m∗ ). Inversement, soit A ∈ T . Du lemme 5.2, il
existe une suite (Un )n≥0 d’ouverts telle que A ⊂ Un , ∀ n, et m∗ (Un ) → m∗ ( A ). De même, il existe
une suite (Vn )n≥0 d’ouverts tells que A c ⊂ Vn , ∀ n, et m∗ (Vn ) → m∗ ( A c ). Nous avons alors (Vn ) c ⊂ A ,
∀ n, et m∗ ((Vn ) c ) → m∗ ( A ) (justifier). Posons B = ∪n (Vn ) c , C = ∩nUn . Alors (justifier), B, C ∈ B]0,1[ ,
B ⊂ A ⊂ C et m∗ (B) = m∗ ( A ) = m∗ (C ). Il s’ensuit (propositions 4.3 et 4.4) que A ∈ B ]0,1[ et que
m∗ ( A ) est la mesure de Lebesgue de A .

5.2 Pour aller plus loin

5.2.1 Mesures de Stieltjes

Soit F : R → R, F ( x) = x, ∀ x ∈ R. Alors la mesure de Lebesgue sur les boréliens de R est l’unique


mesure borélienne µ telle que µ(]a, b[) = F ( b) − F (a) pour tout intervalle ouvert borné ]a, b[.
Soit A ∈ T . Soit (Un )n≥1 une suite d’ouverts telle que m∗ ( A ∆Un ) < 2−n , ∀ n (lemme 5.7). Nous
avons don
Considérons plus généralement une fonction croissante F : R → R. Rappelons que F a des
limites latérales F ( x+) et F ( x−) en tout point. Nous avons la généralisation suivante de la mesure
de Lebesgue.

Théorème 5.2. Soit F : R → R une fonction croissante. Alors il existe une unique mesure boré-
lienne µ sur BR telle que µ(]a, b[) = F ( b−) − F (a+) pour tout intervalle ouvert borné ]a, b[.

Définition 5.1. La mesure µ du théorème 5.2 est la mesure de Stieltjes associée à F .


46 CHAPITRE 5. CONSTRUCTIONS DE MESURES

Si F est dérivable avec F 0 Riemann intégrable sur tout intervalle borné (par exemple si F ∈ C 1 ),
alors nous pouvons obtenir ce résultat en copiant la preuve du théorème 5.1. En général, F n’est
pas dérivable ; elle peut par exemple être discontinue. Dans ce cas, il est encore possible de suivre
la preuve du théorème 5.1, mais il faut éviter l’utilisation de l’intégrale de Riemann dans les
preuves des lemmes 5.1, 5.5 et 5.6 ; voir Bogachev [4, section 1.8]. Comme nous l’avons noté,
l’utilisation de l’intégrale de Riemann dans la preuve est commode, mais pas indispensable.

5.2.2 La construction de Carathéodory

Commençons par une définition liée au lemme 5.1.


Définition 5.2. Une fonction m∗ : P ( X ) → [0, ∞] telle que :
i) m∗ (;) = 0.
ii) m∗ ( A ) ≤ m∗ (B) si A ⊂ B.
iii) m∗ (∪ A j ) ≤ m∗ ( A j ), pour toute suite ( A j ) ⊂ X ,
P

est une mesure extérieure sur X .

Dans l’esprit de la construction de la mesure de Lebesgue, une façon simple de construire de


mesures extérieures est la suivante.
Proposition 5.2. Soit A une famille de parties de X telle que :
i) Il existe une suite ( X n ) ⊂ A avec ∪ X n = X .
ii) ; ∈ A .
Soit m : A → [0, ∞] telle que m(;) = 0. Posons

m∗ ( A ) = inf m( A j ) ; A j ∈ A , ∀ j et A ⊂ ∪ A j , .
©X ª

Alors m∗ est une mesure extérieure.

En poursuivant l’analogie avec la mesure de Lebesgue, il est tentant de considérer la classe

T = { A ⊂ X ; m∗ ( A ) + m∗ ( A c ) = m∗ ( X )}
et de montrer que m∗ restreinte à T est une mesure. Cette approche marche uniquement si
m∗ ( X ) < ∞. La clé pour s’attaquer au cas général est indiquée par le résultat suivant (avec m∗
comme dans la construction de la mesure de Lebesgue).
Lemme 5.8. Soit A ⊂]0, 1[. Alors A est Lebesgue mesurable ssi m∗ ( A ∩ E ) + m∗ ( A c ∩ E ) = m∗ (E ),
pour tout E ⊂]0, 1[.

Par analogie, posons, pour X et m∗ généraux,

T = { A ⊂ X ; m∗ ( A ∩ E ) + m∗ ( A c ∩ E ) = m∗ (E ) pour tout E ⊂ X }. (5.3)

Nous avons alors le résultat suivant.


Théorème 5.3 (Carathéodory). Soient m∗ une mesure extérieure sur X et T comme dans (5.3).
Alors
a) T est une tribu.
b) m∗ restreinte à T est une mesure complète.

L’inconvénient de ce résultat abstrait est qu’il ne donne aucun renseignement sur T ; par
conséquent, il ne permet pas de décider si un ensemble concret est mesurable. Considérons le cas
particulier où X est un espace métrique. Rappelons que dans ce cas les ensembles « usuels » sont
boréliens. Il est donc intéressant de décider si T contient les boréliens. Dans ce contexte, nous
avons le complément suivant du théorème précédent.
5.2. POUR ALLER PLUS LOIN 47

Théorème 5.4 (Carathéodory). Soient m∗ et T comme dans le théorème précédent. Si X est


un espace métrique et si m∗ a la propriété

m∗ ( A ∪ B) = m∗ ( A ) + m∗ (B), ∀ A, B ⊂ X tels que dist ( A, B) > 0, (5.4)

alors T contient les boréliens de X .

Pour les résultats dans cette section, voir par exemple Halmos [11, chapitre III], Evans et
Gariepy [7, chapitre 1], Bogachev [4, section 1.11].

5.2.3 Les mesures de Hausdorff

Une conséquence importante de la méthode de la Carathéodory est l’existence des mesures de


Hausdorff. Dans ce qui suit, nous nous donnons s ∈ [0, ∞[. À un tel s, nous associons une constante
β( s) ∈]0, ∞[. La formule de β( s) est connue, mais elle ne sera pas utile pour la compréhension de
ce qui suit ; voir Evans et Gariepy [7, chapitre 2] et Bogachev [4, section 3. 10 (iii)] pour la valeur
de β( s) et les résultats présentés dans cette section.
Pour δ > 0, s ∈ [0, ∞[ et A ⊂ Rn , posons
( )
H δs ( A ) = inf β( s) (diam A j )s ; A j borné, diam A j ≤ δ et A ⊂ ∪ A j ,
X
j ≥1
s s
H ( A ) = inf H δ ( A ) (mesure de Hausdorff s-dimensionnelle).
δ>0

Ici, diam A est le diamètre de A , diam A = sup{| x − y| ; x, y ∈ A }.


Les résultats de la section précédente impliquent facilement le résultat suivant.

Proposition 5.3. a) H δs et H s sont des mesures extérieures.


b) Elles satisfont le critère de Carathéodory (5.4).
c) Restreinte aux boréliens, H δs et H s sont des mesures.

Par abus de notation, désignons encore par H δs et H s les mesures associées aux mesures
extérieures H δs et H s par la construction de Carathéodory. L’utilité des mesures de Hausdorff
vient de leur interprétation géométrique, du moins pour s entier.

Théorème 5.5. a) Dans Rn , nous avons H n = λn (la mesure de Lebesgue).


b) Si n ≥ 2 et si C est une courbe lisse paramétrée dans Rn , alors H 1 (C ) est la longueur de C .
c) Si n ≥ 3 et si S est une surface lisse paramétrée dans R3 , alors H 2 (S ) est l’aire de S .
d) Etc.

C’est dans ce théorème qu’interviennent les valeurs précises de β( s).

Poursuivons l’exemple de la courbe paramétrée C ⊂ Rn . Il est possible de montrer que H s (C ) =


∞ si s < 1 et que H s (C ) = 0 si s > 1. Le changement s’opère pour s = 1, qui correspond à la
dimension (géométrique) de C . De manière générale, nous pouvons considérer le nombre

dim A = inf { s > 0 ; H s ( A ) = 0}.

Pour une partie A de Rn de mesure de Lebesgue > 0, nous avons dim A = n. Pour une surface
lisse paramétrée S dans Rn , n ≥ 3, nous avons dim S = 2. En général, dim A n’est pas un entier,
mais il est néanmoins interprété comme la « dimension de A ».
Chapitre 6

Intégrale

Dans tout ce chapitre, nous travaillons dans un espace mesuré ( X , T , µ).

6.1 Fonctions étagées positives


Dans cette section, toutes les fonctions sont supposées étagées.
Rappelons qu’une fonction étagée est de la forme (*) f = ni=1 a i χ A i , avec un nombre arbitraire
P

mais fini, n, de termes, a i ∈ R et A i ∈ T , ∀ i . Introduisons des définitions qui ne serviront que


dans cette section : la représentation (*) est :
a) normale si les A i sont d. d. d.,
b) canonique si les A i sont d. d. d. et non vides et si les a i sont distincts et non nuls.
c) Dans le cas particulier où f ≥ 0, la représentation (*) est admissible si les a i sont positifs.
Notons qu’à partir d’une représentation normale, nous puvons obtenir une représentation cano-
nique d’abord en effaçant tous les termes qui correspondent à des a i nuls ou à des A i vides, puis
en regroupant les termes correspondant à la même valeur de a i .

Proposition 6.1. Une fonction étagée admet une représentation canonique. Celle-ci est unique
modulo une permutation des termes de la somme. Dans le cas particulier où f est positive, la
représentation canonique est admissible.

Démonstration. Unicité. Si (**) f = ni=1 a i χ A i = m j =1 b j χB j , alors f a, comme valeurs non nulles,


P P

précisément les a 1 , . . . , a n ; de même, ses valeurs non nulles sont b 1 , . . . , b m . Il s’ensuit que m = n
et que les b j s’obtiennent en permutant les a i . Quitte à faire une permutation dans la deuxième
somme, nous avons f = a i χC i , où les C i sont les B i écrits dans un ordre différent. Comme
P

f −1 (a i ) = A i = C i , nous trouvons que la deuxième somme de (**) est une permutation de la pre-
mière.

Existence. Soient a 1 , . . . , a n les valeurs distinctes et non nulles prises par f . Si A i = f −1 (a i ),


alors f = ni=1 a i χ A i est une représentation canonique de f .
P

Si f ≥ 0 et si f = ni=1 a i χ A i est la représentation canonique de f , alors les valeurs de f sont


P

a 1 , . . . , a n , et éventuellement 0. Il s’ensuit que les a i sont ≥ 0.

a i χ A i , alors l’intégrale
P
Définition 6.1. Si f est étagée et ≥ 0, de représentation canonique f =
de f par rapport à µ est
Z Z Z Z X
f ( x ) d µ( x ) = f d µ = f d µ = f = a i µ( A i ).
X X

49
50 CHAPITRE 6. INTÉGRALE

Proposition 6.2. Soient f , g : X → [0, ∞[ étagées positives.


a) Si f = m j =1 b j χRB j est une représentation admissible de f , alors f = b j µ(B j ).
P R P

b) Si λ ≥ 0, alors ( f + λ g) = f + λ g,
R R

Démonstration. a) Commençons par le cas où la représentation est, de plus, normale. Nous pou-
vons supposer B j 6= ; et b j 6= 0, ∀ j ; sinon, nous effaçons les termes correspondants de la repré-
sentation, sans affecter la valeur de b j µ(B j ).
P

Alors tous les b j sont > 0. Soit A = { b 1 , . . . , b j }. Alors A = f ( X ) \ {0} et, si f = ni=1 a i χ A i est la
P

représentation canonique de f , alors nous avons A = {a 1 , . . . , a n }.


Avec M i = { j ; B j ⊂ A i }, nous avons A i = f −1 (a i ) = t j∈ M i B j , d’où µ( A i ) = j∈ M i µ(B j ). Il s’ensuit
P

que
Z X X X X X X
f = a i µ( A i ) = a i µ( B j ) = b j µ(B j ) = b j µ(B j ).
i i j∈M i i j∈M i j

Conclusion : l’égalité demandée est vraie si la représentation est normale.


Soit maintenant f = m j =1 b j µ(B j ) une représentation admissible. Nous allons prouver l’égalité
P

demandée par récurrence sur m.


Pour m = 0 c’est clair. Passage de m−1 à m : nous pouvons représenter canoniquement m
P −1
j =1 b j χB j =
Pm−1
i a i χ A i , et nous avons j =1 b j µ(B j ) = i a i µ( A i ).
P P

Alors
X X
f = a i χ A i \B m + (a i + b m )χ A i ∩B m + b m χB m \∪ i A i
i i

est une représentation normale de f (justifier).


Nous avons donc (en utilisant la première partie de la preuve)
Z X X
f = a i µ( A i \ B m ) + (a i + b m )µ( A i ∩ B m ) + b m µ(B m \ ∪ i A i ),
i i

i a i µ( A i ) + b m µ( B m ) = j b j µ(B j ).
R P P
d’où f=

b) Si f = a i χ A i et g = b j χB j sont des représentations canoniques, alors f + λ g = a i χ A i +


P P P

λ b j χB j est admissible. Il s’ensuit que


P

Z X X Z Z
( f + λ g) = a i µ( A i ) + λ b j µ(B j ) = f + λ g.

6.2 Fonctions mesurables


Dans cette partie, toutes les fonctions sont supposées mesurables.

Définition 6.2. Si f : X → [0, ∞], alors l’intégrale de f est


Z Z Z Z ½Z ¾
f ( x ) d µ( x ) = f d µ = f d µ = f = sup u ; u étagée et positive et u ≤ f .
X X

f est intégrable si son intégrale est finie.


R R
Exercice 6.1. Si 0 ≤ f ≤ g, alors f ≤ g.

Proposition 6.3. Dans le cas particulier où f est étagée, cette définition de l’intégrale coïncide
avec la précédente.
6.2. FONCTIONS MESURABLES 51

R R
Démonstration. Notons f l’ancienne intégrale et I la nouvelle. Nous avons f ≤ f , d’où f ≤R I .
Par
R ailleurs,
R si Ru ≤ f , alors f = u + ( f − u), avec f − u étagée
R positive. Nous avons donc f =
u + ( f − u) ≥ u. En prenant le sup sur u, nous trouvons f ≥ I .

Remarque 6.1. Si f est mesurable, alors f + = max( f , 0) et f − = − min( f , 0) le sont aussi, et nous
avons f = f + − f − .

Définition 6.3. f : X → R a une intégrale si f + − f − a un sens (c’est-à-dire : les intégrales de


R R

f ± ne valent pas en même temps ∞), et dans ce cas


Z Z Z Z Z Z
f ( x ) d µ( x ) = f dµ = f dµ = f = f+ − f−.
X X

Si f + et f − sont intégrables, alors f est intégrable. Donc


·Z Z ¸ Z
f intégrable ⇐⇒ f a une intégrale finie ⇐⇒ f + < ∞ et f − < ∞ ⇐⇒ | f | < ∞

(la dernière équivalence sera justifiée plus tard).

Dans le cas où f ≥ 0, nous avons f + = f et f − = 0 ; nous retrouvons donc l’intégrale définie aupara-
vant.

f = a i χ A i . Si µ( A i ) < ∞
P
Exercice 6.2. Soit f une fonction étagée, de représentation canonique
pour tout i , alors f a une intégrale et dans ce cas nous avons f = a i µ( A i ).
R P

Définition 6.4. L 1 = L 1 ( X , µ) = { f : X → R ; f intégrable}.

6.4. Si f a une intégrale et si λ ∈ R, alors λ f a une intégrale et nous avons λf =


R
Proposition
λ f.
R

Démonstration. Si λ = 0, c’est clair. Si λ = −1, il suffit de remarquer que (− f )+ = f − et (− f )− = f + .


Pour compléter la preuve, il suffit de montrer l’égalité pour λ > 0 (justifier). Nous avons alors :

a) (λ f )± = λ f ± ;
b) u étagée et positive et u ≤ f ± ⇐⇒ λ u étagée et positive et λ u ≤ λ f ± ,
d’où (en utilisant la proposition 6.2)
Z ½Z ¾
λ f ± = λ sup u ; u étagée et positive, u ≤ f ±
½Z ¾
= sup λ u ; λ u étagée et positive, λ u ≤ λ f ±
½Z ¾ Z
= sup v ; v étagée et positive, v ≤ λ f ± = λ f ± ,

ce qui implique l’égalité λ f = λ f .


R R

Remarque 6.2. Dans la suite, plusieurs résultats auront comme hypothèse « f a une intégrale ».
En particulier, ces résultats s’appliquent lorsque f ≥ 0.
R
R Concrètement, sous hypothèse
R de
R mesurabilité des fonctions, cette hypothèse équivaut à « f+−
f − a un sens », ou encore « f + et f − ne valent pas en même temps ∞ ».
R R
Proposition 6.5. Si f ≤ g et si f , g ont une intégrale, alors f ≤ g.

Démonstration. Si f , g sont ≥ 0, l’inégalité est claire à partir de la définition.


R R R R
En général, nous avons f + ≤ g + et f − ≥ g − , d’où f + ≤ g + et f − ≥ g − ; pour conclure, il
suffit de soustraire ces deux dernières inégalités.
52 CHAPITRE 6. INTÉGRALE

Définition 6.5. Si A ∈ TR et f : A → R R estR mesurable,R alors f a une intégrale ssi f χ A en a une, et


dans ce cas nous posons RA f d µ = A f = X f χ A = X f χ A d µ.
Définition équivalente : A f est (si elle existe) l’intégrale de f par rapport à l’espace mesuré
( A, T A , µ A ), où T A = {B ∈ T ; B ⊂ A } et µ A (B) = µ(B), ∀ B ∈ T A .

Proposition
R 6.6. Si A ∈ T est négligeable, alors pour toute fonction mesurable f : A → R nous
avons A f = 0.
De même, si f : X → R est mesurable et f = 0 p.p., alors f est intégrable et f = 0.
R

Démonstration. Posons fe = f χ A . SiR fe est étagée positive, alors fe = a i χ A i , avec a i ≥ 0 et A i ⊂ A .


P

Nous avons alors µ( A i ) = 0 et donc fe = 0.


R cette fois-ci nous ne supposons plus f étagée (mais uniquement mesurable positive), alors
Si e
f = 0, car cette intégrale est un sup d’intégrales de fonctions étagées positives qui s’annulent en
e
dehors de A ; nous
R utilisons le paragraphe R précédent et la définition de l’intégrale.
Il s’ensuit que fe = 0 pour tout f , d’où A f = 0 pour tout f .

La deuxième propriété se montre en notant qu’il existe A ∈ T tel que f = 0 en dehors de A et


donc f = f χ A (justifier) et en utilisant la première partie.

6.3 P. p. et passage à la mesure complétée


Proposition 6.7. Soit f : X → R µ-mesurable. Alors f a une R par rapport à µ si et seule-
R intégrale
ment si elle a une intégrale par rapport à µ, et dans ce cas f d µ = f d µ.

Démonstration. Notons que f est µ-mesurable. Il suffit de montrer l’égalité des deux intégrales si
f ≥ 0. Cette égalité est claire si f est µ-étagée. Le cas général s’obtient en considérant une suite
( f n ) de fonctions µ-étagées positives telle que f n % f et le corollaire 6.3 (justifier via le corollaire
3.1).

Proposition 6.8. Soit f : X → R µ-mesurable. Rappelons qu’il existe g : X → R µ-mesurable telle


que f = g µ-p. p. (proposition 4.5). Alors f a une intégrale (respectivement est intégrable) par
rapport Rà µ ssi g a une intégrale (respectivement est intégrable) par rapport à µ, et dans ce cas
f d µ = gd µ.
R

Démonstration. Nous avons f ± = g ± µ-p .p. (vérifier). Il suffit donc de montrer que f d µ = gd µ
R R

si de plus f , g ≥ 0 ; dans ce cas, les deux intégrales existent. Soit A ∈ T tel que µ( A ) = 0 et f =
g en dehors de A . Soit RB = X \ A ∈ TR, de sorte que X = A t B. Comme µ( A ) = µ( A ) = 0, nous
avonsR (proposition 6.6) RA f d µ = 0 et A g d µ = 0. Par ailleurs, f χB = g χB et donc (proposition
6.7) B f d µ = B f d µ = B g d µ. Nous obtenons (en utilisant la linéarité de l’intégrale, voir la
R

proposition 6.10 plus bas)


Z Z Z Z Z Z
f d µ = ( f χ A + f χB ) d µ = f χ A d µ + f χB d µ = f dµ + f dµ
Z Z Z Z Z A B

= f dµ = g dµ = g d µ + g d µ = g d µ,
B B A B

d’où la conclusion de la proposition.

Corollaire 6.1. Si f ,Rg : X → RR sont µ-mesurables et f = g µ-p. p., alors f a une intégrale ssi g en
a une, et dans ce cas f d µ = gd µ.

Proposition 6.9. Soit f : X → R intégrable. Soient A = f −1 (∞), B = f −1 (−∞).


a) Nous avons µ( A ) = µ(B) = 0.
b) Si nous posons g : X → R, g = f χ(A ∪B) c , alors | f − g| = 0 et f = g.
R R R
6.4. CONVERGENCE MONOTONE 53
(
f ( x ), si f ( x) est fini
Remarque 6.3. Définition équivalente de g : g( x) = .
0, si f ( x) = ±∞
Cette proposition montre donc que, donnée une fonction intégrable f , nous pouvons changer sa
définition sur un ensemble négligeable de sorte que son intégrale ne change pas et que la nouvelle
fonction ne prenne que des valeurs finies.
Pour cette raison, pour montrer certaines propriétés des fonctions intégrables nous pouvons
parfois remplacer f par g et supposer ainsi que f est finie en tout point.

Démonstration de la propositionR 6.9. a) RMontrons, par exemple, la première égalité. Nous avons
f + ≥ nχ A , ∀ n ∈ N, d’où nµ( A ) = nχ A ≤ f + < ∞. En faisant n → ∞, nous trouvons µ( A ) = 0.
b) Nous avons | f − g| = ∞ χ A ∪B . A ∪ B ∈ T étant négligeable, nous obtenons que | f − g| = 0
R

(proposition 6.6).
R R
L’égalité f = g suit du corollaire 6.1.
n
Définition 6.6. Soit f = ( f 1 , . . . , f n ) R: X → R
R mesurable. L’intégrale de f est définie uniquement
si chaque f j est intégrable, et alors f = ( f j ) j=1,...,n .
En particulier, si f : X → C, alors nous pouvons identifier f avec Re f + ı Im f .
R R R

Remarque 6.4. Nous aurions pu envisager, plus généralement, la situation où f j : X → R. La


proposition 6.9 montre qu’on peut remplacer les f j par des fonctions g j : X → R.

En combinant les propositions 6.6–6.10 et le corollaire 6.1, nous obtenons les règles suivantes
de calcul, très utiles dans la pratique.

Corollaire 6.2. Soient A ∈ T µ-négligeable et B ∈ T µ-négligeable.


Soient f , g : X → R telles que f soit µ-mesurable et g µ-mesurable telles que f = g sur X \ ( A ∪ B).
(En particulier, g peut-être µ-mesurable.)
Supposons que l’une des quatre intégrales suivantes existe : X f d µ, X \ A f d µ, X g d µ, X \B g d µ.
R R R R

Alors les trois autres existent et nous avons


Z Z Z Z
f dµ = f dµ = g dµ = g d µ, (6.1)
Z X X \ A X X \ B

| f − g | d µ = 0. (6.2)
X

Si, de plus, g χ X \B est µ-mesurable, alors nous avons également


Z Z
f dµ = g d µ. (6.3)
X X \B

6.4 Convergence monotone


Toutes les fonctions de cette partie sont mesurables.

Lemme 6.1. Soit u une fonction étagée positive. Alors l’application ν : T → [0, ∞], ν( A ) = uχ A ,
R

est une mesure.

Démonstration. Notons que ν est bien définie, car uχ A est étagée et positive.
Si uR= a i χ A i est la représentation canonique de u, alors uχ A = a i χ A i ∩ A est normale et donc
P P

ν( A ) = uχ A = a i µ( A i ∩ A ).
P

À partir de cette formule, l’exercice 4.3 a) montre que ν est une mesure (vérifier).
54 CHAPITRE 6. INTÉGRALE

f = sup{(1 − ε) u ; u étagée et positive, u ≤ f , 0 < ε < 1}.


R R
Exercice 6.3. Si f ≥ 0, alors

Théorème 6.1 (de convergence monotone ou de Beppo R Levi).


R Soit ( f n ) une suite croissante
de fonctions mesurables
R R positives. Si f n → f , alors f n → f .
Ou encore : lim f n = lim f n .

Démonstration.R f estR mesurable et positive ;R de plus, nous avons 0 ≤ Rf n ≤ f Rpour tout n.


Il s’ensuit que f n ≤ f . Nous avons aussi ( f n ) croissante, d’ou lim f n ≤ f .
Au vu R précédent, il reste à montrer que, si u est étagée et positive et si 0 < ε < 1, alors
R de l’exercice
lim f n ≥ (1 − ε) u.
Soit B n = { x ; f n ( x) ≥ (1 − ε) u( x)}. Comme lim f n = f ≥ u, nous avons ∪B n = X (vérifiez séparé-
ment quand u( x) = 0 et u( x) > 0 !).
Par ailleurs, B n = ( f n − (1 − ε) u)−1 ([0, ∞]) ∈ T et la suite (B n ) est croissante, car la suite ( f n ) l’est.
Avec ν la mesure duR lemme précédent, nous trouvons, grâce au théorème de la suite croissante,
que ν(B n ) → ν( X ) = u.
Par ailleurs, nous avons
Z Z Z
f n ≥ f n χB n ≥ (1 − ε) uχB n = (1 − ε)ν(B n ),

d’où lim f n ≥ (1 − ε) u.
R R

Corollaire 6.3. Soit f ≥ 0. Alors,


R R toute suite croissante ( f n ) de fonctions étagées positives
pour
telle que f n → f , nous avons f = lim f n .

6.5 Conséquences du théorème de convergence monotone


Toutes les fonctions de cette partie sont supposées mesurables.
R R
Proposition 6.10. Si f , g ontR une intégrale
R Ret si les sommes f + g et f + g sont bien définies,
alors f + g a une intégrale et ( f + g) = f + g.

Remarque 6.5. f + g bien définie ⇐⇒ il n’existe pas de point x ∈ X tel que f ( x) = ±∞ et g( x) =


− f ( x). En particulier, cette hypothèse est satisfaite si f (ou g) est finie en tout point.
R R
R Si f et g Ront uneRintégrale, alors f + g est bien définie ⇐⇒ nous n’avons pas en même temps
f = ±∞ et g = − f . En particulier, cette hypothèse est satisfaite si f (ou g) est intégrable.

Démonstration. Commençons par le cas f , g ≥ 0. Soient ( f n ), ( g n ) deux suites de fonctions étagées


positives telles que f n % f et g n % g. Alors f n + g n % f + g et donc (en utilisant la proposition 6.2
b) et le corollaire 6.1)
Z Z Z Z Z Z
( f + g) = lim ( f n + g n ) = lim f n + lim g n = f + g.

Dans le cas général, nous avons ( f + g)+ −( f + g)− = f + g = f + − f − + g + − g − , d’où ( f + g)+ + f − + g − =


( f + g)− + f + + g + . Il s’ensuit que
Z Z Z Z Z Z
( f + g)+ + f − + g − = ( f + g)− + f + + g + . (6.4)

R R R R R R
Si f , g et f + R g ont un sens, alors ( f + g)+ − ( f + g)− a un sens (vérifier, en examinant
par exemple le cas où f + = ∞) et (6.4) donne
Z Z Z Z Z Z
( f + g)+ − ( f + g)− = f + − f − + g + − g − , (6.5)
6.5. CONSÉQUENCES DU THÉORÈME DE CONVERGENCE MONOTONE 55

d’où
Z Z Z Z Z Z Z Z Z
( f + g) = ( f + g)+ − ( f + g )− = f+ − f− + g+ − g− = f+ g.

Remarque 6.6. Il est important de retenir le principe de la preuve de la proposition 6.10. Pour
montrer une propriété des fonctions intégrables (ou qui ont une intégrale) f , g, etc. :
1. Nous commençons par les fonctions positives f ± , g ± , etc.
2. Les hypothèses sur f , g, etc., permettent de retrancher les formules obtenues.
3. Si nécessaire, pour montrer, dans le cas des fonctions positives, les propriétés demandées, il faut
commencer par considérer des fonctions étagées et de passer à la limite en utilisant le théorème
de convergence monotone ou sa conséquence, le corollaire 6.3.
4. Dans le cas des fonctions étagées, les propriétés demandées sont évidentes ou relativement
simples à montrer.
Ainsi, ce schéma permet de ramener la preuve au cas plus facile des fonctions étagées et de la
compléter de manière automatique en utilisant les étapes 1–3.

Proposition 6.11. a) Si f est¯ Rmesurable,


¯ R alors | f | l’est.
b) Si f a une intégrale, alors ¯ f ≤ | f |.
¯
c) Si f est mesurable, g intégrable et | f | ≤ g, alors f est intégrable.
¯R ¯ R R
d) Si f , g sont mesurables et f + g a une intégrale, alors ¯ ( f + g)¯ ≤ | f | + | g|.

Démonstration. a) Nous avons | f | = f + + f − (compléter le raisonnement).


b) découle de
¯Z ¯ ¯Z Z ¯ Z Z Z Z
¯ f ¯ = ¯ f + − f − ¯ ≤ f + + f − = ( f + + f − ) = | f |.
¯ ¯ ¯ ¯

R
c) Nous avons f ± ≤ | f | = f + + f − ≤ g, d’où f ± < ∞.
¯R ¯ R R R R
d) Nous avons ¯ ( f + g)¯ ≤ | f + g| ≤ (| f | + | g|) = | f | + | g|.

Proposition
R 6.12 (inégalité de Markov). Si f est mesurable et t > 0, alors µ({ x ; | f ( x)| > t}) ≤
| f |/ t .
Plus généralement, si 1 ≤ p < ∞ et t > 0, alors µ({ x ; | f ( x)| > t}) ≤ | f | p / t p .
R

Démonstration. Soit A = { x ; | f ( x)| > t}. Alors | f | p ≥ t p χ A , d’où | f |p ≥ t p χ A = t p µ( A ).


R R

Notation. Il sera commode d’utiliser les notations

[| f | > t] = { x ∈ X ; | f ( x)| > t}, [ f ∈ A ] = { x ∈ X ; f ( x) ∈ A }, [ f ≤ t] = { x ∈ X ; f ( x) ≤ t}, etc.

Avec ces conventions, l’inégalité de Markov devient µ([| f | > t]) ≤ | f | p / t p .


R

R
Proposition 6.13. Si f est intégrable et si | f | = 0, Ralors Rf = 0 p.p.
Plus généralement, si f , g sont intégrables, f ≤ g et f = g, alors f = g p. p.

Démonstration. Soit A n = { x ; | f ( x)| > 1/( n + 1)}, de sorte que A n ∈ T et { x ; f ( x) 6= 0} = ∪ A n . Il


suffit de montrer que µ( A n ) = 0, ∀ n (justifier). Cette égalité découle de l’inégalité de Markov.
R
Pour la deuxième partie, notons que g − f ≥ 0 et ( g − f ) = 0 (justifier). Il suffit alors d’appliquer
la première partie à g − f .
P RP
Théorème 6.2. Si f n , n ≥ 0, sont des fonctions mesurables et positives, alors f n l’est et fn =
PR
f n.
56 CHAPITRE 6. INTÉGRALE

P P
Démonstration. Posons g n = f 0 + f 1 + . . . + f n ≥ 0. Nous avons g n % f n , d’où f n est mesurable.
Par convergence monotone, nous trouvons
Z X Z µZ Z Z ¶
XZ
f n = lim g n = lim f0 + f1 + . . . f n = f n.

Proposition 6.14. On suppose que f : X → R a une intégrale.


a) Si A ∈ T , alors f | A a une intégrale.
b) Si X = A t B, où A, B ∈ T sont disjoints, alors f = A f + B f .
R R R

c) Plus généralement, si X = tRA n , avec Rles A n ∈ T d. d. d., nous avons f = n A n f .


R P R

d) Si A n ∈ T et A n % X , alors f = lim A n f .
R R
R f ayant une intégrale, nous avons soit
Démonstration. f + < ∞, soit f − < ∞. Supposons par
exemple que f − < ∞. Si A ∈ T , notons f A = f χ A .
R R R
a) Nous avons f A mesurable et ( f A )± ≤ f ± . Nous trouvons que ( f A )− < ∞, et donc f A = A f
a un sens.
b) Nous avons ( f A )± + ( f B )± = f ± , d’où (justifier)
Z Z Z Z Z
f ± = ( f A )± + ( f B )± = f± + f±;
A B

nous obtenons la conclusion en retranchant les deux égalités ainsi obtenues.


c) Il suffit de prouver l’égalité pour f ± à la place de f ; ainsi, nous pouvons supposer f ≥ 0.
Posons B n = A 0 t A 1 t . . . t A n . Alors B n % X , B n ∈ T et 0 ≤ f B n % f . Nous trouvons (justifier)
Z Z Z ³Z Z Z ´ XZ
f = lim f B n = lim ( f A 0 + f A 1 + . . . + f A n ) = lim f A0 + f A1 + . . . + f A n = f.
An

d) C’est compris dans le calcul précédent.

Exercice 6.4 (théorème de convergence décroissante). Soit ( X , T , µ) un espace mesuré. Soit


( f n ) une
R suite de fonctions mesurables
R R et positives sur X telle que f n & f .
a) Si f 0 < ∞, montrerR que f n → f . R R
b) Montrer que, si f 0 = ∞, alors nous n’avons pas nécessairement f n → f .

6.6 Lien avec les intégrales habituelles


Dans cette partie, nous travaillons dans (R, BR , ν1 ) (ν1 étant la mesure de Lebesgue). « Le-
besgue intégrable » signifie intégrable par rapport à la mesure de Lebesgue ; ici, il s’agit de ν1 ,
mais dans d’autres contextes il peut s’agir de νn ou λn .

Proposition 6.15. Soit [a, b] un intervalle compact R bf : [a, b] → R une fonction continue.
et soit
Alors f est Lebesgue intégrable sur [a, b] et [a,b] f d ν1 = a f ( x) dx, la dernière intégrale étant
R

l’intégrale usuelle (de Riemann).

Démonstration. Quitte à remplacer f par f ± , nous pouvons supposer f ≥ 0 (justifier). Soit σ une
division de [a, b], déterminée par les points a = x0 < x1 < . . . < xn = b . Nous associons à cette
division la « somme (de Darboux) inférieure » s σ = nj=1 ( x j − x j−1 ) inf[x j−1 ,x j ] f .
P

Si nous posons f σ : [a, b] → R, f σ = nj=−11 inf[x j−1 ,x j ] f χ[x j−1 ,x j [ + inf[xn−1 ,xn ] f χ[xn−1 ,xn ] , alors clairement
P

f σ est étagée et s σ = [a,b] f σ d ν1 = R f σ χ[a,b] d ν1 .


R R
6.6. LIEN AVEC LES INTÉGRALES HABITUELLES 57

Rappelons les résultats suivants :


a) si τ est « plus fine » que σ,† alors s σ ≤ s τ et f σ ≤ f τ ;
b) si nous prenons une suite (σn ) de divisions de plus en plus fines et telles que les « normes des
divisions »,‡ kσn k, tendent vers 0, alors f σn → f uniformément sur [a, b] ;
Rb
c) nous avons s σn → a f ( x) dx.

Si nous posons g n = f σn χ[a,b] , alors les g n sont des fonctions étagée positives telles que 0 ≤
Rb
g n % f χ[a,b] . Nous en déduisons (justifier) que [a,b] f d ν1 = lim g n d ν1 = lim s σn = a f ( x) dx.
R R

Proposition 6.16. Soit I un intervalle non compact d’extrémités a et b. Soit f : I → R continue.


Alors : Rb
a) f est Lebesgue intégrable sur I ssi l’intégrale généralisée a f ( x) dx converge absolument, et
Rb
dans ce cas I f d ν1 = a f ( x) dx ;
R
Rb
b) si f est positive, alors I f d ν1 = a f ( x) dx ;
R
Rb
c) si l’intégrale I f d ν1 existe, alors l’intégrale généralisée a f ( x) dx existe et vaut I f d ν1 ;
R R
Rb
d) si l’intégrale généralisée a f ( x) dx existe, alors l’intégrale I f d ν1 n’existe pas nécessairement.
R

Démonstration. Nous prenons I = [0, ∞[ ; les arguments ci-dessous s’adaptent facilement à tous
les autres types d’intervalles non compacts.
b) Posons f n = f χ[0,n] , de sorte que f n % f (sur I ). Avec la notation ge := gχ I , nous avons aussi
fen % fe (sur R). Nous trouvons, en combinant le théorème de convergence monotone, la proposition
précédente et la définition de l’intégrale généralisée,
Z Z Z Z Z n Z ∞
f d ν1 = f d ν1 = lim f n = lim
e e f d ν1 = lim f ( x) dx = f ( x) dx.
I R n R n [0,n] n 0 0

R∞
ν ν
R R
a) RNous avons f Lebesgue intégrable sur I ⇐⇒ I f + d 1 < ∞ et I f − d 1 < ∞ ⇐⇒ 0 f + ( x) dx <
∞ R∞
∞ et 0 f − ( x) dx < ∞ ⇐⇒ 0 f ( x) dx converge absolument. Si ces conditions équivalentes sont
satisfaites, alors
Z Z Z Z ∞ Z ∞ Z ∞
f d ν1 = f + d ν1 − f − d ν1 = f + ( x) dx − f − ( x) dx = ( f + ( x) − f − ( x)) dx
I
ZI ∞ I 0 0 0

= f ( x) dx.
0

R∞
ν ν
R R
R∞ c) Si f a une intégrale, alors I f + d 1 − I f − d 1 a un sens. Il s’ensuit que 0 f + ( x) dx −
0 f − ( x) dx a aussi un sens. Comme ci-dessus, nous obtenons l’égalité des deux intégrales.
d) Il suffit de trouver un contre-exemple. On définit f : [0, ∞[→ R de la manière suivante : pour
k ∈ N, f (4 k) = 0, f (4 k + 1) = 1/( k + 1), f (4 k + 2) = 0, f (4 k + 3) = −1/( k + 1). Ceci définit f sur N. Nous
définissons f sur [0, ∞[ en exigeant qu’elle soit affine sur chaque intervalle [ n, n + 1] avec n ∈ N.
Soit E ( x) la partie entière de x. Nous vérifions aisément que
Z x
1
0≤ f ( t) dt ≤ , ∀ x ≥ 0,
0 E ( x/4) + 1
R∞
et donc 0 f ( x) dx = 0. R
Par ailleurs, nous avons [0,4k] f + d ν1 = 1+1/2+. . . +1/ k, d’où I f + d ν1 = ∞. De même, I f − d ν1 = ∞.
R R

Il s’ensuit que f n’a pas d’intégrale.


†. τ est plus fine que σ si les points qui déterminent τ contiennent ceux qui déterminent σ.
‡. La norme d’une division σ déterminée par les points a = x0 < x1 < . . . < xn = b est la longueur du plus grand
intervalle [ x j−1 , x j ] : kσk = max j=1,...,n ( x j − x j−1 ).
58 CHAPITRE 6. INTÉGRALE

Exercice 6.5. Soit f n : R → R, f n ( x) = −( x + n)− . Montrer que :


a) f n d ν1 existe, ∀ n ;
R

b) Rf n % 0 ;
c) f n d ν1 6→ 0 d ν1 .
R

d) Comparer cet exemple aux hypothèses et à la conclusion du théorème de convergence monotone.

(Abus de) notation. Si I ⊂ R est un intervalle, si f : I → R a une intégrale par


R rapport à la mesure
de Lebesgue et s’il n’y a pas de risque de confusion, nous notons I f d ν1 = I f ( x) dx.
R

6.7 Lien avec les séries


Soit X un ensemble quelconque. Nous considérons sur X la tribu P ( X ) et, sur P ( X ), la me-
sure de comptage µ. Alors toute fonction f : X → R est mesurable. De même, toute partie de X
est mesurable. Nous n’allons donc pas nous intéresser à la mesurabilité dans ce contexte.

6.7.1 X est fini

Dans ce cas, toute fonction est une fonction étagée. Nous avons R donc :
a) si f ≥ 0, alors f = x∈ X f ( x)χ{ x} est admissible. Il s’ensuit que f = x∈ X f ( x) ;
P P

b) si f est de signe quelconque,


R alors f a une intégrale ssi f ne prend pas en même temps les
P
valeurs ±∞, et dans ce cas f = x∈ X f ( x) ;
c) f est intégrable ssi f n’a que des valeurs finies.

6.7.2 X =N

Dans ce cas, nous pouvons identifier une fonction f : N → R à une suite (a n )n≥0 .
R P
Proposition 6.17. a) Si f ≥ 0, alors f = a n . R
P P
b) f est intégrable ssi a n est absolument Rconvergente, et dans ce cas f = a n .
P P
c) Si f a une intégrale, alors a n existe et f = a n .
P
d) Si a n existe, alors f n’a pas nécessairement une intégrale.

Démonstration. a) Soit A n = {0, . . . , n} % N. Nous avons (justifier)


Z Z Xn X
f = lim f = lim a j = an.
An j =0

P
b) f est intégrable⇐⇒les intégrales de f ± sont finies⇐⇒les séries (a n )± sont convergentes⇐⇒
P P
la série |a n | = ((a n )+ + (a n )− ) est convergente. Si tel est le cas, alors
Z Z Z X X X
f = f + − f − = (a n )+ − (a n )− = a n .

R R
c) Si f a une intégrale, alors l’une des intégrales f ± est finie. Supposons f − < ∞. Alors
P
(a n )− < ∞, ce qui justifie l’égalité
X X X Z Z Z
a n = (a n )+ − (a n )− = f + − f − = f .

d) Posons a n = (−1)n /( n + 1). Alors a n converge (série alternée), alors que (a n )+ = (a n )− =


P P P

∞ (vérifier). Par conséquent, f n’a pas d’intégrale (justifier).


6.7. LIEN AVEC LES SÉRIES 59

6.7.3 X est dénombrable

Dans ce cas, il existe une bijection Φ : N → X . Posons g = f ◦ Φ : N → R.


R R
Proposition 6.18. L’intégrale X f existe ssi l’intégrale N g existe. En cas d’existence, nous avons
n f (Φ( n)).
R R P
X f = N g =

Démonstration. Il suffit de montrer l’égalité des intégrales dans le cas où f ≥ 0 (justifier).


Soient A n = {0, . . . , n}, B n = Φ( A n ). Alors A n % N et, de plus, B n % X (vérifier), d’où
Z Z Z Z
f (Φ( n)) = lim
X X
f = lim f = lim f ( x) = lim g= g.
X Bn x∈B n n∈ A n An N

La deuxième égalité de l’énoncé suit de la proposition 6.17 c).

6.7.4 Sommation par paquets et convergence commutative

Dans cette partie, X est dénombrable et Φ : N → X est une bijection. Nous supposons toujours
que f : X → R a une intégrale.
Nous considérons une partition de X , X = t A n , avec les A n d. d. d. (chaque A n est un « pa-
quet »).
R PR
Proposition 6.19. a) Nous avons X f = R A n f .
P P
En particulier, si chaque A n est fini, alors X f = n x∈ A n f ( x).
b) Dans le cas particulier X = N2 , nous avons
à ! à !
Z ∞
X ∞
X ∞
X ∞
X
f ( m, n) d µ( m, n) = f ( m, n) = f ( m, n) .
N2 m=0 n=0 n=0 m=0

Démonstration. Il suffit de considérer la cas où f ≥ 0. Alors a) est un cas particulier de la propo-


sition 6.14 c). La deuxième partie de a) suit de la section 6.7.1.
b) Justifions, par exemple, la première égalité.
Soit A n = {( m, n) ; m ∈ N}. Alors N2 = t A n . Nous trouvons N2 f ( m, n) d µ( m, n)R= n A n f . ÀR n fixé,
R P R

soit B m = {( j, n) ; 0 ≤ j ≤ m}. Alors B m % A n et f | A n a une intégrale, d’où A n f = limm B m f =


lim m
P P
j =0 f ( j, n) = m f ( m, n).
P P
Proposition 6.20. Soit a n une série absolument convergente (donc telle que |a n | < ∞).
Alors la série a n est commutativement convergente, c’est-à-dire, pour toute bijection ϕ :
P

N → N, la série a ϕ(n) est convergente et


P

X X
a ϕ(n) = an. (6.6)

Plus généralement, (6.6) est vraie si la fonction f associée la suite (a n ) a une intégrale sur N. En
particulier, elle est valide si a n ≥ 0, ∀ n.

f ◦ ϕ.
R R
Démonstration. Traitons directement le cas général. La proposition 6.18 donne N f = N
Nous concluons grâce à la proposition 6.17.
60 CHAPITRE 6. INTÉGRALE

6.8 Pour aller plus loin

6.8.1 Caractérisation des fonctions Riemann intégrables

Nous avons investigué dans la section 6.6 le lien entre l’intégrale de Riemann ou généralisée
d’une fonction continue et son intégrale par rapport à la mesure de Lebesgue ν1 .
L’intégrale de Riemann est définie pour des fonctions qui ne sont pas nécessairement conti-
nues. Dans ce cadre, nous avons le résultat suivant.

Théorème 6.3 (critère de Lebesgue pour l’intégrabilité de Riemann). Soit f : [a, b] → R.


a) f est Riemann intégrable sur [a, b] ssi :
1. f est bornée.
2. L’ensemble de points de discontinuité de f est ν1 -négligeable.
b) Si f est Riemann intégrable, alors f est Lebesgue λ1 -intégrable sur [a, b] et [a,b] f d λ1 =
R
Rb
a f ( x) dx.

Rappelons que λ1 est la complétée de la mesure de Lebesgue ν1 .


Pour la preuve complète de ce théorème, voir Natanson [15, section V.4]. Nous montrons ici
une partie de celui-ci :

Proposition R6.21. Soit fR : [a, b] → R une fonction Riemann intégrable. Alors f est Lebesgue
b
intégrable et [a,b] f d λ1 = a f ( x) dx.

Démonstration. Nous pouvons supposer f ≥ 0. En effet, si f est Riemann intégrable, alors f est
bornée et il suffit de montrer l’égalité des deux intégrales pour la fonction f − m ≥ 0, avec m
minorant de f (justifier).
Nous utilisons les notations de la preuve de la proposition 6.15. Soit σ une division de [a, b]
et soit sσ la « somme de Darboux supérieure » sσ = nj=1 ( x j − x j−1 ) sup[x j−1 ,x j ] f . Nous associons à
P

sσ la fonction f σ : [a, b] → R, f σ = nj=−11 sup[x j−1 ,x j ] f χ[x j−1 ,x j [ + sup[xn−1 ,xn ] f χ[xn−1 ,xn ] , de sorte que
P

sσ = [a,b] f σ d ν1 = R f σ χ[a,b] d ν1 .
R R

Par ailleurs, nous avons alors 0 ≤ f σ ≤ f ≤ f σ .

Rappelons que si (σn ) est une suite de divisions de plus en plus fines et telles que kσn k → 0,
alors : R
a) s σn % a f ( x) dx et sσn & a f ( x) dx ;
b Rb

b) f σn % et f σn &.

Posons g = lim f σn et h = lim f σn ; de ce qui précède, g et h sontRboréliennes,R 0 ≤ g ≤Rf ≤ h et (en


utilisant le théorème de convergence monotone et l’exercice 6.4) f σn d ν1 % g d ν1 , f σn d ν1 &
Rb
h d ν1 . Il s’ensuit
R que [a,b] g d ν1 = [a,b] h d ν1 = a f ( x) dx < ∞.
R R R

Comme g ≤ h et [a,b] ( h − g) d ν1 = 0, nous obtenons que g = h ν1 -p. p. sur [a, b] (proposition 6.13).
Soit A ∈ B[a,b] négligeable et tel que g = h sur [a, b] \ A . Comme g ≤ f ≤ h, nous obtenons que
f = g = h sur [a, b] \ A et en particulier f = g ν1 -p. p. Il s’ensuit que f est λ1 -mesurable (proposi-
tion 4.5 a)).
f = g νR1 -p. p. et l’intégrale [a,b] g d ν1 existe, il s’ensuit que l’intégrale [a,b] f d λ1
R R
Par ailleurs, comme
existe et que [a,b] f d λ1 = [a,b] g d ν1 (proposition 6.8).
R
Rb
Finalement, [a,b] f d λ1 est finie et est égale à a f ( x) dx.
R

La réciproque de cette proposition est fausse : même pour une fonction bornée, l’intégrabilité
au sens de Lebesgue n’entraîne pas celle au sens de Riemann ; voir l’exercice qui suit.
6.8. POUR ALLER PLUS LOIN 61

Exercice 6.6. Soit f : [0, 1] → R, f = χQ∩[0,1] .


a) Montrer que f est bornée et intégrable par rapport à ν1 .
b) Soit σ une division de [0, 1]. Montrer que s σ = 0 et sσ = 1.
c) En déduire que f n’est pas intégrable au sens de Riemann.

6.8.2 De l’intégrale vers la dérivée


Rx
Si f : [a, b] → R est continue et si nous posons F ( x) = a f ( t) dt, ∀ x ∈ [a, b] (intégrale de Rie-
mann ou Lebesgue), alors d’après le théorème de Leibniz-Newton F est dérivable et F 0 = f . Si f
n’est plus continue, nous avons le résultat suivant.

Théorème 6.4 (théorème Rx de différentiation de Lebesgue). Soit f : [a, b] → R Lebesgue inté-


grable. Posons F ( x) = a f ( t) dt, ∀ x ∈ [a, b] (intégrale de Lebesgue). Alors :
a) F est dérivable ν1 -p. p.
b) En ν1 -presque tout point de dérivabilité nous avons F 0 ( x) = f ( x).

Voir par exemple Stein et Shakarchi [17, section 3.1].

6.8.3 De la dérivée vers l’intégrale

Un corollaire du théorème
Rx de Leibniz-Newton est que si F est dérivable avec f = F 0 continue,
alors (*) F ( x) = F (a) + a f ( t) dt, ∀ x ∈ [a, b].
Pour généraliser (*), nous pouvons affaiblir la condition sur f en demandant que F soit déri-
vable p. p. (par rapport à la mesure de Lebesgue) et que sa dérivée f soit Lebesgue intégrable.
(
0, si 0 ≤ x ≤ 1/2
Sous ces hypothèses, (*) n’est pas nécessairement vraie. Prenons F ( x) = .
1, si 1/2 < x ≤ 1
Alors F est dérivable sauf en 1/2 et sa dérivée vaut 0 p. p., mais (*) n’est pas satisfaite (vérifier).
Plus généralement, (*) est fausse si F n’est pas continue (car le membre de droite de (*) l’est).
Même en ajoutant la condition de continuité de F , les hypothèses sur F 0 sont trop faibles.
En effet, il existe une fonction continue F : [0, 1] → R telle que F (0) = 0, F (1) = 1 et F 0 ( x) = 0
pour presque tout x. Pour l’existence d’une telle fonction F (« l’escalier du diable » ou « escalier de
Cantor »), voir l’exercice 6.7.
En revanche, si nous imposons la condition plus forte de dérivabilité partout, alors nous avons
le résultat suivant.

Théorème 6.5. Soit F : [a, b] → R continue R x sur [a, b] et dérivable en tout point de ]a, b[. Si F 0 est
0
Lebesgue intégrable, alors F ( x) = F (a) + a F ( t) dt, ∀ x ∈ [a, b].

Rappelons que, si F est dérivable, alors F 0 est borélienne et donc Lebesgue mesurable. Pour la
preuve du théorème 6.5, voir Natanson [15, section IX.7].

Exercice 6.7 (ensemble de Cantor et escalier du diable). Si I est un intervalle compact de


R, alors nous notons Ie l’union des deux intervalles obtenus en enlevant de I l’intervalle ouvert qui
a le même centre que I et dont la longueur est un tiers de celle de I . Exemple : si I = [−3, 3] (de
centre 0), alors Ie = [−3, −1] ∪ [1, 3].
De manière équivalente, si I = [a, b] alors Ie = [a, a + ( b − a)/3] t [a + 2( b − a)/3, b].
Nous construisons par récurrence une suite (C j ) j≥0 décroissante d’ensembles comme suit :
1. C 0 = [0, 1].
2. Si C j s’écrit comme une union finie d’intervalles fermés d. d. d. : C j = t`m=1 I ` , alors C j+1 est
défini comme C j+1 = t`m=1 Ie` .
62 CHAPITRE 6. INTÉGRALE

Notons que, par construction, C j ⊂ [0, 1] est un compact non vide et que C j+1 ⊂ C j .
a) Posons U j = [0, 1] \ C j . Montrer que C j est une union de 2 j intervalles compacts d. d. d. et que
U j est union de 2 j − 1 intervalles ouverts d. d. d.
b) Calculer ν1 (C j ), j ∈ N.
c) Posons C = ∩ j≥0 C j . Montrer que C est non vide et calculer ν1 (C ).
Pour j ≥ 1 fixé, notons, dans l’ordre de gauche à droite, les intervalles compacts de la question a)
qui donnent C j : C j = [a 1 , b 1 ] t . . . t [a 2 j , b 2 j ]. Nous avons donc U j =] b 1 , a 2 [t . . . t] b 2 j −1 , a 2 j [. Nous
définissons F j : [0, 1] → R par récurrence sur j , comme suit :
(i) F0 ( x) = x, ∀ x ∈ [0, 1] ;
(ii) F j ( x) = (F j−1 ( b ` ) + F j−1 (a `+1 ))/2 si x ∈ [ b ` , a `+1 ], ∀ ` = 1, . . . , 2 j − 1 ;
(ii) F j (0) = 0 et F j (1) = 1 ;
(iii) F j est affine sur [a ` , b ` ], ∀ ` = 1, . . . , 2 j − 1.
d) Montrer que |F j+1 ( x) − F j ( x)| ≤ 1/(3 · 2 j+1 ), ∀ x ∈ [0, 1], ∀ j ≥ 0. En déduire qu’il existe F : [0, 1] →
[0, 1] telle que F j → F uniformément.
e) Montrer que F (0) = 0 et F (1) = 1.
f) Posons U = [0, 1] \ C . Si I ⊂ U est un intervalle ouvert, montrer que F est constante sur I .
g) En déduire :
i) que F est continue sur [0, 1] et dérivable sur U ;
ii) que F n’est pas constante, mais que F 0 ( x) = 0 pour ν1 -presque tout x ∈ [0, 1].
Chapitre 7

Les grands théorèmes

Dans tout ce chapitre, nous travaillons dans un espace mesuré ( X , T , µ). Sauf mention contraire,
les fonctions considérées sont mesurables.

7.1 Lemme de Fatou, théorème de convergence dominée

ThéorèmeR 7.1 (lemmeR de Fatou). Soit ( f n ) une suite de fonctions positives, et soit f = lim inf f n ≥
0. Alors f ≤
R lim inf f n . R
Ou encore : lim inf f n ≤ lim inf f n .

R
Démonstration.
R Soit
R g n = infm≥n f m , qui est mesurable, positive et ≤ f n . Alors g n % f , d’où f =
lim g n ≤ lim inf f n (justifier).

Exercice 7.1. En considérant les fonctions f n : R → R, f n ( x) = −( x + n)− , ∀ n ∈ N, ∀ x ∈ R, montrer


que l’hypothèse f n ≥ 0 est essentielle pour avoir la conclusion du lemme de Fatou.

Théorème 7.2 (de convergence dominée de Lebesgue). Soit ( f n ), avec f n : X → R, une suite
de fonctions telle que :
(i) il existe une fonction intégrable g telle que | f n | ≤ g, ∀ n ;
(ii) il existe une fonction Rf telle que f n → f .
Alors f est intégrable
R Ret | f n − f | → 0.R R
En particulier, f n → f . Ou encore : lim f n = lim f n .

Démonstration. f est mesurable et | f | ≤ g, ce qui montre que f est intégrable (justifier).


Soit A = g−1 (−∞) ∪ g−1 (∞), qui est négligeable (justifier). Si h e = hχ A c , il suffit de prouver la
conclusion avec fen , fe, ge à la place de f n , f , g (justifier). Ainsi, nous pouvons supposer f n , f , g
finies.
Posons g n = 2 g − | f − f n |, qui est mesurable et positive (vérifier). Nous avons lim g n = 2 g, ce qui
entraîne
Z Z Z Z Z Z
2 g = 2 g ≤ lim inf g n = lim inf (2 g − | f − f n |) = 2 g − lim sup | f − f n |,

R R
d’où lim sup | f − f n | ≤ 0. Ceci implique lim | f − f n | = 0.
R R R
Pour la deuxième partie, nous utilisons | f − f n | ≤ | f − f n | → 0.

Exercice 7.2. À l’aide de f n : R → R, f n = χ[n,n+1[ , montrer que l’hypothèse (i) est essentielle.

63
64 CHAPITRE 7. LES GRANDS THÉORÈMES

Théorème R 7.3 (réciproque du théorème de convergence dominée). Soient f n , f intégrables


telles que | f n − f | → 0. Alors il existe une sous-suite ( f n k ) et une fonction intégrable g telles que :
(i0 ) | f n k | ≤ g ;
(ii0 ) f n k → f p. p.
R
Démonstration. Posons, pour g, h intégrables, d ( g, h) = | g − h|, qui vérifie l’inégalité triangulaire
et est donc une « pseudométrique ».† L’hypothèse est d ( f n , f ) → 0, et elle implique que ( f n ) est une
suite de Cauchy pour la pseudométrique d .
Il existe donc une sous-suite ( f n k ) telle que d ( f n k , f n l ) ≤ 1/2k+1 si k < l .‡
P
Posons g = | f n0 | + k≥0 | f n k+1 − f n k |. Alors g est mesurable, | f n0 | ≤ g et
¯ ¯
¯ kX
−1 ¯ kX
−1
| f n k | = ¯ f n0 + ( f n`+1 − f n` )¯ ≤ | f n0 | + | f n`+1 − f n` | ≤ g, ∀ k ≥ 1.
¯ ¯
`=0 `=0
¯ ¯

Par ailleurs, nous avons (justifier)


Z Z XZ Z Z
k+1
X
g = | f n0 | + | f n k+1 − f n k | ≤ | f n0 | + 1/2 = | f n0 | + 1 < ∞.
k≥0 k≥0

Soit A = g−1 (∞) ∈ T , qui vérifie µ( A ) = 0. Pout tout x 6∈ A , la série f n0 ( x) + k≥0 ( f n k+1 ( x) − f n k ( x))
P

est absolument convergente, donc convergente. Notons h( x) la somme de cette série, de sorte que
h( x) = limk f n k ( x) (pourquoi
R ?). Posons, pour toute fonction u, u e = uχ A c . Nous avons fen k → h
e et
| f n k | ≤ g. Nous trouvons | f n k − h| → 0. Le corollaire 6.2 implique
e e e
Z Z Z Z Z Z
| f − h| = | f − h| ≤ | f − f n k | + | f n k − h| = | f − f n k | + | fen k − h
e e e e e e e e | → 0,

d’où f = h
e p. p., ou encore f n → f p. p. (justifier).
k

Exercice 7.3. Si m, n ∈ N∗ et m2 < n ≤ ( m + 1)2 , posons A n = [( n − m2 )/(2 m + 1), ( n + 1 − m2 )/(2 m + 1)]


et Rf n = χ A n + 1/( n + 1)χ[n+1,n+2] . Montrer que :
a) | f n | d ν1 → 0 ;
b) il n’existe pas g intégrable telle que | f n | ≤ g ;
c) pour tout x ∈ [0, 1], nous avons f n ( x) 6→ 0.
En déduire qu’en général il faut passer à une sous-suite afin d’avoir (i0 ) et (ii0 ).

7.2 Hypothèses satisfaites p. p.


Les théorèmes de convergence monotone et de convergence dominée, respectivement le lemme
de Fatou, ont des variantes où il suffit que leurs hypothèses respectives soient vérifiées p. p. Nous
allons énoncer ces variantes et montrer seulement la dernière. Le principe de la preuve étant
toujours le même, nous allons, dans la suite, présenter sans preuve des variantes de certains
théorèmes. Ces résultats peuvent être aussi compris en adoptant le point de vue des mesures
complétées, voir la Section 4.2.

Théorème 7.4. Soit ( f n ) une suite croissante p. p. de fonctions positives p. p. Définissons f ( x) =


(
lim f n ( x), si lim f n ( x) existe R R
. Alors lim f n = f .
0, sinon
†. Une pseudométrique vérifie toutes les propriétés de la métrique (distance) sauf d ( x, y) = 0 =⇒ x = y.
‡. Rappelons que si ( xn ) est une suite de Cauchy pour une distance (ou pseudométrique) d et si (αk ) est une suite
de nombres strictement positifs, alors il existe une sous-suite ( xn k ) telle que d ( xn k , xn l ) < αk , ∀ k < l .
7.3. INTÉGRALES DÉPENDANT D’UN PARAMÈTRE : CONTINUITÉ 65

R R
Théorème 7.5. Soit ( f n ) une suite de fonctions positives p. p. Alors lim inf f n ≤ lim inf f n .
Théorème 7.6. Soit ( f n ) une suite de fonctions f n : X → R, telle que :
(i00 ) il existe une fonction intégrable g telle que | f n | ≤ g p. p. ;
(ii00 ) il Rexiste une fonction mesurable
R f telle
R que f n → f p. p.
Alors | f n − f | → 0. En particulier, f n → f .

Démonstration. Soit A ∈ T tel que µ( A ) = 0 et, en dehors de A , on ait f n ( x) → f ( x) et | f n ( x)| ≤ g( x).


e = f χ A c , nous avons fen = f n p. p., fe = f p. p. et fen → fe.
Nous avons | f ( x)| ≤ g( x), ∀ x 6∈ A . En posant h R R
Le théorème 7.2 et le corollaire 6.2 donnent lim | f n − f | = lim | fen − fe| = 0.

7.3 Intégrales dépendant d’un paramètre : continuité


Soit Λ une partie d’un espace métrique (Y , d ). Nous considérons des fonctions f : X × Λ → R,
f = f ( x, λ). La notation f (·, λ) désigne la fonction : X → R, x 7→ f ( x, λ), de variable x, obtenue en
fixant λ. Nous définissons de même f ( x, ·).
Théorème 7.7. Supposons :
(i) la fonction f (·, λ) est mesurable pour tout λ ∈ Λ ;
(ii) la fonction f ( x, ·) est continue pour tout x ∈ X ;
(iii) il existe une fonction intégrable R g = g( x) sur X telle que | f (·, λ)| ≤ g pour tout λ ∈ Λ.
Alors la fonction F : Λ → R, F (λ) = X f (·, λ) d µ, est continue.

Démonstration. Soient (λn ) ⊂ Λ,Rλ ∈ Λ tels R que λn → λ. Posons h n ( x) = f ( x, λn ), h( x) = f ( x, λ). Alors


| h n | ≤ g et h n → h, d’où F (λn ) = h n → h = F (λ).
Exercice 7.4. Soit f : R R →−R Lebesgue intégrable.
R ∞ − ıxt Montrer que la transformée de Fourier
ıxt
de f , définie par f ( t) = R e
b f ( x) d λ1 ( x) = −∞ e f ( x) dx, ∀ t ∈ R, est une fonction continue et
bornée sur R.

Variante p. p. du théorème 7.7 :


Théorème 7.8. Supposons :
(i) la fonction f (·, λ) est mesurable pour tout λ ∈ Λ ;
(ii0 ) la fonction f ( x, ·) est continue pour presque tout x ∈ X ;
(iii0 ) il existe une fonction intégrable g = g( x) sur X telle que pour tout λ ∈ Λ on ait | f (·, λ)| ≤ g
pour presque tout x ∈ X .
Alors la fonction F : Λ → R, F (λ) = X f (·, λ) d µ, est continue.
R

Dans les applications, nous prenons souvent Y = Rn muni d’une norme et Λ ⊂ Rn ouvert. Dans
ce cas particulier, le théorème 7.7 ne s’applique pas toujours. Une variante plus utile est
Théorème 7.9. Supposons :
(i) la fonction f (·, λ) est mesurable pour tout λ ∈ Λ ;
(ii0 ) la fonction f ( x, ·) est continue pour presque tout x ∈ X ;
(iii00 ) pour toute boule B(λ0 , r ) ⊂ Λ, il existe une fonction intégrable g = g( x) sur X (qui, en principe,
dépend de B(λ0 , r ) !) telle que pourR tout λ ∈ B(λ0 , r ) on ait | f (·, λ)| ≤ g pour presque tout x ∈ X .
Alors la fonction F : Λ → R, F (λ) = X f (·, λ) d µ, est continue.
Même conclusion si pour tout λ0 ∈ Λ il existe r et il existe g comme dans (iii00 ).

Démonstration. Sur toute boule B(λ0 , r ) comme ci-dessus, F est continue. Il s’ensuit que F est
continue sur l’union de ces boules, qui est Λ.
Exercice 7.5. Si s > 1, soit ζ( s) = n≥1 1/ n s . Montrer que ζ :]1, ∞[→ R est continue.
P
66 CHAPITRE 7. LES GRANDS THÉORÈMES

7.4 Intégrales dépendant d’un paramètre : dérivabilité



Dans cette partie, Λ est un ouvert de Rn muni d’une norme. Nous notons ∂ j = . Plus géné-
∂λ j
ralement, ∂α désigne une dérivée partielle par rapport à λ.

Théorème 7.10. Soit j ∈ {1, . . . , n}. Supposons :


(i) la fonction f (·, λ) est intégrable pour tout λ ∈ Λ. (La fonction F (λ) = f (·, λ) d µ est alors bien
R

définie.) ;
(ii) il existe ∂ j f ( x, ·) pour tout x ∈ X ;
(iii) pour toute boule B(λ0 , r ) ⊂ Λ, il existe une fonction intégrable g = g( x) sur X (qui, en principe
dépend de B(λ0 , r ) et de j ) telle que pour R tout λ ∈ B(λ0 , r ) on ait |∂ j f (·, λ)| ≤ g.
Alors il existe ∂ j F , donnée par ∂ j F = ∂ j f (·, λ) d µ.
Ou encore : la dérivée de l’intégrale est l’intégrale de la dérivée.
Si, de plus, ∂ j f ( x, ·) est continue pour presque tout x, alors ∂ j F est continue.

Démonstration. Nous fixons λ ∈ Λ. Soit r > 0 tel que B(λ, r ) ⊂ Λ. Pour t ∈ R tel que | t| < r , posons
(
( f ( x, λ + te j ) − f ( x, λ))/ t, si t 6= 0
h( x, t) = ,
∂ j f ( x, λ), si t = 0

de sorte que :
a) à x fixé, h( x, ·) est continue ;
b) à t fixé, h(·, t) est mesurable (justifier, en considérant d’abord le cas t 6= 0, puis en faisant t → 0) ;
c) (en utilisant le théorème des accroissements finis) | h(·, t)| ≤ g.
Il s’ensuit que

F (λ + te j ) − F ( t)
Z Z Z
lim = lim h(·, t) d µ = h(·, 0) d µ = ∂ j f (·, λ) d µ,
t→0 t t→0

d’où la conclusion.
Dans le cas particulier où ∂ j f ( x, ·) est continue pour presque tout x ∈ X , le théorème 7.8 assure
la continuité de ∂ j F .

Exercice 7.6. Montrer que la fonction ζ de l’exercice 7.5 est de classe C ∞ .

Exercice 7.7. (difficile !) Supposons Λ connexe. Montrer nous pouvons, dans le théorème 7.10,
remplacer l’hypothèse (i) par l’hypothèse plus faible
(i0 ) pour tout λ ∈ Λ, la fonction f (·, λ) est mesurable et il existe un λ0 ∈ Λ tel que f (·, λ0 ) soit
intégrable.

Une récurrence basée sur le théorème 7.10 donne le résultat suivant.

Corollaire 7.1. Soit k ∈ N∗ . Supposons :


(i) pour tout λ ∈ Λ, la fonction f (·, λ) est intégrable (donc F (λ) = f (·, λ) d µ est bien définie) ;
R

(ii) la fonction f ( x, ·) est de classe C k pour presque tout x ∈ X ;


(iii) pour toute dérivée partielle ∂α d’ordre ≤ k et pour toute boule B(λ0 , r ) ⊂ Λ, il existe une
fonction intégrable g = g( x) sur X (qui, en principe, dépend de B(λ0 , r ) et de α) telle que pour tout
λ ∈ B(λ0 , r ) on ait |∂α f (·, λ)| ≤ g.
Alors F ∈ C k et, pour tout α d’ordre ≤ k, nous avons ∂α F (λ) = ∂α f (·, λ) d µ.
R
7.5. SOMME ET INTÉGRALE 67

7.5 Somme et intégrale


Commençons par ( rappeler que, si ( f n ) est une suite de fonctions mesurables, alors la fonction
lim f n ( x), si lim f n ( x) existe
donnée par f ( x) = , est mesurable (proposition 3.10).
0, sinon
PR
Théorème 7.11. Soit ( f n )n≥1 une suite de fonctions mesurables telle que | f n | < ∞. Alors :
P
a) pour presque tout x, la (P série f n ( x) converge ;
P
f n ( x), si f n ( x) existe R PR
b) si nous posons f ( x) = , alors f est intégrable et f = f n.
0, sinon
P
Ou encore (si f n existe en tout point) : l’intégrale de la somme est la somme des intégrales.
P R RP PR
Démonstration. Soit g = | f n |, qui est positive et mesurable. Nous avons g = | f n| = | f n| <
∞, d’où g est intégrable.
Il s’ensuit que l’ensemble A = g−1 (∞) ∈ T est négligeable (justifier). Pour x ∈ A c , la série f n ( x)
P

est absolument convergente, donc convergente. Ceci donne a).


Soit B = { x ∈ X ; f n ( x) n’existe pas}, de sorte que B ∈ T , B ⊂ A . Soit g n = nk=1 f k χB . Alors
P P
R g nR →
P
f , g n est mesurable et | g n | ≤ | f k | ≤ g. Le théorème de convergence dominée donne g n → f .
Par ailleurs, nous avons g n = nk=1 f k p. p., d’où g n = nk=1 f k . Nous obtenons
P R P R

Z Z n Z
X XZ
f = lim g n = lim fk = fk.
n n
k=1 k≥1
Chapitre 8

Mesures produit

Dans cette partie, nous travaillons dans deux espaces mesurés ( X , T , µ) et (Y , S , ν).

8.1 Tribu produit


Définition 8.1. Un pavé de X × Y est un ensemble de la forme A × B, avec A ∈ T et B ∈ S .
Un ensemble élémentaire est une partie de X × Y qui s’écrit come une union finie de pavés.

Définition 8.2. La tribu produit (de T et S ) est la tribu (sur X × Y ) engendrée par les pavés
de X × Y .
Elle est notée T ⊗ S .

Exercice 8.1. Si X et Y sont a. p. d., alors P ( X ) ⊗ P (Y ) = P ( X × Y ).

Proposition 8.1. Nous avons BRn ⊗ BRm = BRn+m .

Démonstration. « ⊃ » Un pavé ouvert de Rn+m est le produit d’un pavé ouvert de Rn et d’un pavé
ouvert de Rm ; il appartient donc à BRn × BRm (et d’autant plus à BRn ⊗ BRm ). Il s’ensuit que la
tribu engendrée par ces pavés (c’est-à-dire BRn+m ) est contenue dans BRn ⊗ BRm .
Soit A = { A ∈ BRn ; A × Rm ∈ BRn+m }. Alors A contient les pavés ouverts (car, dans ce cas,
A × Rm est un pavé ouvert). Par ailleurs, comme ( A × Rm ) c = A c × Rm et (∪ A j ) × Rm = ∪ A j × Rm ,
nous obtenons que A est une tribu. Il s’ensuit que A contient la tribu engendrée par les pavés
ouverts, c’est-à-dire BRn .
Conclusion : nous avons A × Rm ∈ BRn+m pour tout A ∈ BRn . De même, Rn × B ∈ BRn+m pour tout
B ∈ BRn .
Si A ∈ BRn et B ∈ BRm , alors A × B = ( A × Rm ) ∩ (Rn × B) ∈ BRn+m . Il s’ensuit que BRn+m contient
la tribu engendrée par les A × B, avec A ∈ BRn et B ∈ BRm , c’est-à-dire BRn ⊗ BRm .

Lemme 8.1. Soit C la collection des ensembles élémentaires. Alors C est un clan sur X × Y .
De plus, nous avons T (C ) = T ⊗ S .

Démonstration. Clairement, C est stable par union et contient ;. En notant que ( A × B) ∩ (C × D ) =


( A ∩ C ) × (B ∩ D ), nous obtenons facilement que C est stable par intersection (vérifier).
Soit E = ∪ j A j × B j ∈ C (l’union comportant un nombre fini de termes, avec A j ∈ T , B j ∈ S , ∀ j ).
Alors

Ec = ( A j × B j )c = [( A j ) c × Y ] ∪ [ X × (B j ) c ] .
\ \¡ ¢
j j

69
70 CHAPITRE 8. MESURES PRODUIT

Ainsi, E c est intersection finie d’éléments de C , donc appartient à C .


Par ailleurs, nous avons clairement C ⊂ T ⊗ S , d’où T (C ) ⊂ T ⊗ S . Comme les pavés sont
dans C , la tribu engendrée par les pavés est contenue dans celle engendrée par C , ou encore
T ⊗ S ⊂ T (C ).
Lemme 8.2. Tout ensemble E ∈ C s’écrit sous comme une union finie de la forme E = t A j × B j ,
avec :
a) A j ∈ T et B j ∈ S , ∀ j ;
b) Si j 6= `, alors soit A j ∩ A ` = ;, soit B j ∩ B` = ;.

Démonstration. Soit E = ∪nk=1 C k × D k , avec C k ∈ T , D k ∈ S , ∀ k. Nous prouvons le lemme par


récurrence sur n, le cas n = 1 étant clair.
Supposons le lemme vrai pour n − 1 et soit E comme ci-dessus. Nous avons X × Y = E 1 t E 2 t
E 3 t E 4 , où E 1 = C n × D n , E 2 = (C n ) c × D n , E 3 = C n × (D n ) c , E 4 = (C n ) c × (D n ) c (vérifier).
Il s’ensuit que E = t4i=1 (E ∩E i ). En posant F i = E ∩E i , i = 1, . . . , 4, les F i sont d. d. d. et F1 = C n ×D n .
Par ailleurs, nous avons E i ∩ (C n × D n ) = ;, i = 2, 3, 4, d’ où F i = ∪nj=−11 [(C j × D j ) ∩ E i ], i = 2, 3, 4.
Chaque ensemble (C j × D j ) ∩ E i étant de la forme A × B, avec A ∈ T , B ∈ S , l’hypothèse de
récurrence appliquée aux F i , i = 2, 3, 4, permet d’écrire chaque F i , i = 1, 2, 3, 4, comme une union
finie de produits A ij × B ij satisfaisant a) et b) (à i fixé). Si i 6= k, alors pour tout j et ` nous avons
soit A ij ∩ A `k = ;, soit B ij ∩ B`k = ; (vérifier, en utilisant le fait que A ij ⊂ E i et la définition explicite
des E i ). Il s’ensuit que la collection de tous les pavés A ij × B ij (indexés sur j et i ) satisfait a) et b).
Par ailleurs, son union est E .

8.2 Mesure produit


Dans cette partie, nous allons noter : x un point de X , y un point de Y , z = ( x, y) un point de
X ×Y.
Définition 8.3. Soit E ∈ T ⊗ S . La coupe de E en x ∈ X est E x = { y ∈ Y ; z = ( x, y) ∈ E }. De même,
la coupe de E en y ∈ Y est E y = { x ∈ X ; z = ( x, y) ∈ E }.
Proposition 8.2. Soit E ∈ T ⊗ S . Pour tout x ∈ X , nous avons E x ∈ S .
De même, pour tout y ∈ Y , nous avons E y ∈ T .

Démonstration. Fixons x. Notons A = {E ∈ T ⊗ S ; E x ∈ S }. Alors A contient les pavés A × B,


avec A ∈ T , B ∈ S , car dans ce cas E x est soit B, soit ;.
De plus, A contient C , car si E = ∪ A j × B j ∈ C , alors E x = ∪( A j × B j ) x .
Par ailleurs, A est une classe monotone : si (E n ) ⊂ A et E n % E , alors E x = ∪(E n ) x ∈ S . De même,
si E n & E , alors E x = ∩(E n ) x ∈ S .
Il s’ensuit que A contient la classe monotone engendrée par C , qui est T ⊗ S .
Conclusion : pour tout E ∈ T ⊗ S , nous avons E x ∈ S .
Théorème 8.1. Supposons ν σ-finie. Alors, pour tout E ∈ T ⊗ S , l’application X 3 x 7→ ν(E x ) est
T -mesurable.
De même, si µ est σ-finie, alors l’application Y 3 y 7→ µ(E y ) est S -mesurable.

Démonstration. Soit f = f E l’application x 7→ ν(E x ). Soit A = {E ∈ T ⊗ S ; f est µ − mesurable}.


Nous voulons montrer que A = T ⊗ S .
Étape 1. Preuve du théorème si ν est finie
Soit d’abord E ∈ C . Nous écrivons E = t A j × B j , comme dans le lemme 8.2. Nous avons alors
8.3. PRODUITS ITÉRÉS 71

E x = t x∈ A j B j , d’où f ( x) = x∈ A j ν(B j ) = j χ A j ( x) ν(B j ) (vérifier). De manière équivalente, nous


P P

avons f = j ν(B j ) χ A j , d’où f est mesurable. Ainsi, C ⊂ A .


P

Pour conclure, il suffit de montrer que A est une classe monotone.


Soit d’abord (E n ) ⊂ A une suite croissant vers E . Le théorème de la suite croissante donne ν(E x ) =
lim ν((E n ) x ) (vérifier). Ainsi, f est une limite de fonctions µ-mesurables, donc µ-mesurable.
Dans le cas d’ une suite décroissante, nous pouvons appliquer le théorème de la suite décroissante
(car ν est supposée finie) pour obtenir à nouveau f mesurable.

Étape 2. Preuve du théorème si ν est σ-finie


Soit (Yn ) ⊂ S une suite telle que Yn % Y et ν(Yn ) < ∞, ∀ n. Si nous posons νn (B) = ν(B ∩ Yn ),
∀ B ∈ S , alors νn est une mesure finie (car νn (B) ≤ ν(Yn ) < ∞) et ν(B) = lim νn (B) (théorème
de la suite croissante). Nous avons f ( x) = lim νn (E x ), ∀ E ∈ T ⊗ S , ce qui montre que f est µ-
mesurable.

Théorème 8.2. a) Supposons µ ou ν σ-finie. Alors il existe sur T ⊗ S une mesure ξ telle que (*)
ξ( A × B) = µ( A ) ν(B), ∀ A ∈ T , B ∈ S .
b) Supposons µ et ν σ-finies. Alors ξ ci-dessus est unique. Elle est notée µ ⊗ ν et est la mesure
produit de µ et ν.

Démonstration. Existence. Supposons parR exemple Rν σ-finie. Pour E ∈ T ⊗ S , posons, avec f


comme dans la preuve précédente, ξ(E ) = X f d µ = X ν(E x ) d µ( x). Alors ξ satisfait (*) (vérifier).
En particulier, ξ(;) = 0.
Soit (E n ) ⊂ T ⊗ S une suite d. d. d. Soit E = tE n . Si nous posons f n ( x) = µ((E n ) x ), alors f = f n ,
P

car E x = t(E n ) x (vérifier). Nous obtenons


Z Z X XZ X
ξ( E ) = f d µ = f n dµ = f n d µ = ξ(E n ).

ξ est donc une mesure satisfaisant (*).

Unicité. Soit λ une mesure avec les mêmes propriétés que ξ. Soient (C n ) ⊂ T , (D n ) ⊂ S telles
que ∪C n = X , ∪D n = Y , µ(C n ) < ∞, ν(D n ) < ∞. Alors ξ(C n × D n ) < ∞ et X × Y = ∪ C n × D n .
Par ailleurs, nous avons λ(E ) = ξ(E ), ∀ E ∈ C . En effet, nous pouvons écrire, comme dans le
lemme 8.2, E = t A j × B j , avec A j ∈ T , B j ∈ S , ∀ j . Alors λ(E ) = µ( A j )ν(B j ) = ξ(E ).
P

La proposition 4.6 donne λ = ξ.

µ(E y ) d ν( y). L’unicité de


R
Par symétrie, nous pouvons également considérer la mesure E → 7
µ ⊗ ν donne le résultat suivant.

Corollaire 8.1. Si ν et µ sont σ-finies, alors nous avons µ ⊗ ν(E ) = ν(E x ) d µ( x) = µ(E y ) d ν( y),
R R

∀E ∈ T ⊗S .

Exercice 8.2. Si X , Y sont a. p. d. et si µ, ν sont les mesures de comptage sur X , Y , alors µ ⊗ ν


est la mesure de comptage sur X × Y .

8.3 Produits itérés


Plus généralement, nous pouvons considérer plusieurs espaces mesurés ( X j , T j , µ j ), j = 1, . . . , k,
et construire (a priori) plusieurs tribus et mesures sur X 1 × . . . × X k . Par exemple, si k = 3, nous
pouvons considérer les tribus (T1 ⊗ T2 ) ⊗ T3 ou T1 ⊗ (T2 ⊗ T3 ) et les mesures (µ1 ⊗ µ2 ) ⊗ µ3 ou
µ1 ⊗ (µ2 ⊗ µ3 ). Le résultat est le même, quel que soit l’ordre des opérations. Nous en donnons la
preuve pour k = 3 ; le cas général s’obtient par récurrence.
72 CHAPITRE 8. MESURES PRODUIT

Proposition 8.3. Nous avons (T1 ⊗ T2 ) ⊗ T3 = T1 ⊗ (T2 ⊗ T3 ) =la tribu engendrée par les produits
de la forme A 1 × A 2 × A 3 , avec A j ∈ T j , j = 1, 2, 3.

Démonstration. Notons S j , j = 1, 2, 3, les trois tribus de l’énoncé. Montrons par exemple que
S1 = S3 . Si A j ∈ T j , j = 1, 2, 3, alors A 1 × A 2 × A 3 ∈ S1 (justifier), d’où S3 ⊂ S1 .
Pour l’inclusion inverse, il suffit de montrer que E × A 3 ∈ S3 si E ∈ T1 ⊗ T2 et A 3 ∈ T3 (justifier).
Nous fixons A 3 ∈ T3 . Soit A = {E ∈ T1 ⊗ T2 ; E × A 3 ∈ S3 }. Clairement, A est une classe monotone.
De plus, elle contient le clan C engendré par les produits A 1 × A 2 , avec A 1 ∈ T1 , A 2 ∈ T2 . Donc A
contient T (C ) = T1 ⊗ T2 .

Proposition 8.4. Si les mesures µ j sont σ-finies, j = 1, 2, 3, alors (µ1 ⊗µ2 )⊗µ3 = µ1 ⊗(µ2 ⊗µ3 )=l’unique
mesure λ telle que λ( A 1 × A 2 × A 3 ) = µ1 ( A 1 ) µ2 ( A 2 ) µ3 ( A 3 ) pour A j ∈ T j , j = 1, 2, 3.

Démonstration. Pour A j ∈ T j , j = 1, 2, 3, nous avons

(µ1 ⊗ µ2 ) ⊗ µ3 ( A 1 × A 2 × A 3 ) = µ1 ⊗ (µ2 ⊗ µ3 )( A 1 × A 2 × A 3 ) = µ1 ( A 1 ) µ2 ( A 2 ) µ3 ( A 3 ).

Comme dans la preuve du théorème 8.2, nous concluons grâce à la proposition 4.6.

Grâce à l’associativité du produit, nous pouvons définir sans ambiguité les produits T1 ⊗ T2 ⊗
. . . ⊗ Tn et µ1 ⊗ µ2 ⊗ . . . ⊗ µn . Nous noterons ces produits ⊗1n T i , respectivement ⊗1n µ i .

Corollaire 8.2. Si νn est la mesure de Lebesgue sur BRn , alors νn ⊗ νm = νn+m et, plus générale-
ment, ⊗νn j = νP n j .

Démonstration. Notons d’abord que les produits sont bien définis, car la mesure de Lebesgue P
νn est σ-finie (proposition 4.7). Nous avons ⊗νn j (P ) = νP n j (P ) = m(P ) si P est un pavé de R n j
(vérifier). Nous concluons grâce au théorème 4.2.

Les résultats des sections suivantes seront prouvés pour k = 2. Néanmoins, il y a des variantes
pour k ≥ 3, que nous allons énoncer sans preuve. Les preuves de ces variantes sont dans l’esprit
de celles des propositions 8.3 et 8.4.

8.4 Passage aux mesures complétées

Nous pouvons, à partir de ( X , T , µ) et (Y , S , ν), compléter les tribus et mesures comme suit.
Procédé 1. Compléter T ⊗ S par rapport à µ ⊗ ν. Nous obtenons de cette façon la tribu complétée
T ⊗ S et la mesure complétée µ ⊗ ν .
Procédé 2. Compléter d’abord T , S , µ, ν, puis considérer la tribu et la mesure produit. Ceci
donne la tribu T ⊗ S et la mesure µ ⊗ ν.
Puis compléter la tribu et la mesure ainsi construites. Nous obtenons ainsi la tribu T ⊗ S et la
mesure µ ⊗ ν.
Clairement, la tribu du procédé 2 contient celle obtenue par le procédé 1 et la mesure obtenue par
le procédé étend celle obtenue par le procédé 1.

Théorème 8.3. Si µ, ν sont σ-finies, alors les procédés 1 et 2 donnent les mêmes tribus, respecti-
vement mesures.
Par conséquent, il sufit de compléter les tribus après avoir fait leur produit.
8.4. PASSAGE AUX MESURES COMPLÉTÉES 73

Démonstration. Clairement, nous avons T ⊂ T , S ⊂ S et µ ⊗ ν = µ ⊗ ν sur T ⊗ S , d’où T ⊗ S ⊂


T ⊗S .
Par ailleurs, nous obtenons facilement à partir de la définition de la mesure complétée que µ ⊗ ν
est une extension de µ ⊗ ν.

Soit E ∈ T ⊗ S . Pour un tel E , il existe E 1 , E 2 ∈ T ⊗S tels que E 1 ⊂ E ⊂ E 2 et µ⊗ν(E 2 \ E 1 ) = 0.


De plus, nous avons µ ⊗ ν(E ) = µ ⊗ ν(E 1 ) = µ ⊗ ν(E 2 ) (pourquoi ?).
Nous allons montrer la propriété suivante : (*) il existe F1 , F2 ∈ T ⊗ S tels que F1 ⊂ E 1 ⊂ E ⊂ E 2 ⊂
F2 et µ ⊗ ν(F2 \ F1 ) = 0. Admettons pour l’instant la validité de (*). De (*), il s’ensuit à la fois que
E ∈ T ⊗ S et que

µ ⊗ ν(E ) = µ ⊗ ν(E 1 ) ≥ µ ⊗ ν(F1 ) = µ ⊗ ν(E ) = µ ⊗ ν(F2 ) ≥ µ ⊗ ν(E 2 ) = µ ⊗ ν(E ),

ce qui donne :
a) T ⊗ S ⊂ T ⊗ S , d’où, compte tenu du début de la preuve, T ⊗ S = T ⊗ S ;
b) µ ⊗ ν = µ ⊗ ν, d’où le résultat.
Passons à la preuve de (*). Il suffit de montrer que (**) pour tout G ∈ T ⊗ S , il existe G 1 ,G 2 ∈
T ⊗ S tels que G 1 ⊂ G ⊂ G 2 et µ ⊗ ν(G 2 \ G 1 ) = 0. En effet, si (**) est vraie, alors il existe
H1 , H2 , I 1 , I 2 ∈ T ⊗ S tels que H1 ⊂ E 1 ⊂ H2 , I 1 ⊂ E 2 ⊂ I 2 , µ ⊗ ν( H2 \ H1 ) = 0, µ ⊗ ν( I 2 \ I 1 ) = 0.
Posons alors F1 = H1 , F2 = I 2 , de sorte que F1 ⊂ E 1 ⊂ E 2 ⊂ F2 . De plus, nous avons (vérifier)
µ ⊗ ν(F2 \ F1 ) =µ ⊗ ν(( I 2 \ E 2 ) t (E 2 \ E 1 ) t (E 1 \ H1 ))
=µ ⊗ ν( I 2 \ E 2 ) + µ ⊗ ν(E 2 \ E 1 ) + µ ⊗ ν(E 1 \ H1 )
≤µ ⊗ ν( I 2 \ I 1 ) + µ ⊗ ν(E 2 \ E 1 ) + µ ⊗ ν( H2 \ H1 ) = 0,
ce qui donne (*).
Prouvons donc (**). Soit A = {G ∈ T ⊗S ; (∗∗) est vraie pour G }. Clairement, A est une classe
monotone : par exemple, si G k % G , avec G k ∈ A , soient G 1k ,G 2k ∈ T ⊗ S tels que G 1k ⊂ G k ⊂ G 2k et
µ ⊗ ν(G 2k \ G 1k ) = 0. Alors ∪G 1k ⊂ G ⊂ ∪G 2k et µ ⊗ ν(∪G 2k \∪G 1k ) ≤ µ ⊗ ν(∪(G 2k \ G 1k )) ≤ µ ⊗ ν(G 2k \ G 1k ) = 0
P

(justifier). Une inégalité analogue est vraie si G k & G et si nous remplaçons les unions par des
intersections.
Par ailleurs, A contient le clan C engendré par les produits A × B, avec A ∈ T , B ∈ S . En effet, si
G ∈ C , alors nous pouvons écrire G = t A j × B j , avec A j ∈ T , B j ∈ S , l’union étant d. d. d. et finie
j j j j j j j j j j
(pourquoi ?). Si A 1 , A 2 ∈ T , B1 , B2 ∈ S sont tels que A 1 ⊂ A j ⊂ A 2 , B1 ⊂ B j ⊂ B2 , µ( A 2 \ A 1 ) = 0,
j j j j j j j j
ν(B2 \ B1 ) = 0, alors les A 1 × B1 sont d. d. d. et t A 1 × B1 ⊂ G ⊂ t A 2 × B2 . De plus, nous avons
j j j j j j j j j j
(∪ A 2 × B2 ) \ (∪ A 1 × B1 ) ⊂ ∪(( A 2 \ A 1 ) × B2 ∪ A 2 × (B2 \ B1 )), d’où
j j j j X j j j X j j j
µ ⊗ ν((∪ A 2 × B2 ) \ (∪ A 1 × B1 )) ≤ µ ⊗ ν(( A 2 \ A 1 ) × B2 ) + µ ⊗ ν( A 2 × (B2 \ B1 )) = 0,

ce qui montre que G ∈ A .


Il s’ensuit que A = T ⊗ S (justifier), d’où la conclusion.

Une preuve analogue donne le résultat suivant.

Théorème 8.4. Si les µ i sont σ-finies, alors nous avons ⊗ni=1 T i = ⊗ni=1 T i et ⊗ni=1 µ i = ⊗ni=1 µ i .

Corollaire 8.3. Nous avons L n ⊗ L m = L n+m et λn ⊗ λm = λn+m .


De même, nous avons ⊗ni=1 L 1 = L n et ⊗ni=1 λ1 = λn .

Démonstration. Prouvons les deux premières propriétés. Si νn est la mesure de Lebesgue sur
BRn , alors λn = νn et L n = BRn . Compte tenu du fait que νn ⊗ νm = νn+m (corollaire 8.2), nous
avons L n ⊗ L m = BRn ⊗ BRm = BRn ⊗ BRm = BRn+m = L n+m .
De plus, λn ⊗ λm = νn ⊗ νm = νn ⊗ νm = νn+m = λn+m .
74 CHAPITRE 8. MESURES PRODUIT

8.5 Les grands théorèmes pour µ ⊗ ν


Remarque préliminaire. Dans cette partie, nous nous donnons deux espaces mesurés ( X , T , µ)
et (Y , S , ν). Pour simplifier et pour avoir les énoncés les plus utiles en vue des applications, nous
supposons que µ et ν sont σ-finies. Comme observé dans la section 8.2, nous pouvons définir une
mesure « type mesure produit » si µ ou ν sont σ-finies ; mais dans la définition de cette mesure µ
et ν ne joue pas le même rôle. Nous obtenons, sous cette hypothèse plus générale, « la moitié » des
énoncés qui suivent. Par exemple, si nous supposons uniquement ν σ-finie (sans hypothèse sur µ),
alors la conclusion de la proposition 8.5 devient : f x est S -mesurable, ∀ x ∈ X . Lorsque les deux
mesures sont σ-finies, les énoncés deviennent plus symétriques et sont souvent plus utiles dans
les applications. Nous laissons au lecteur le soin de formuler les variantes « ou » des résultats
« et » de cette section.
Dans la suite, nous supposons donc que µ et ν sont σ-finies et nous munissons X × Y de la
tribu produit T ⊗ S et de la mesure produit µ ⊗ ν.

Proposition 8.5. Soit f : X ×Y → R une fonction T ⊗S -mesurable. Alors, pour tout x ∈ X et y ∈ Y ,


les fonctions partielles f x : Y → R, f y : X → R, f x = f ( x, ·), f y = f (·, y), sont S -, respectivement T -
mesurables.

Démonstration. Il suffit de le montrer quand f est étagée. Le cas général s’obtient par passage à
la limite, en utilisant :
a) le fait que toute fonction mesurable est limite simple de fonctions étagées ;
b) le fait qu’une limite simple de fonctions mesurables est mesurable.
Par linéarité des appplications f 7→ f x , respectivement f 7→ f y , il suffit de considérer le cas où
f = χE , avec E ∈ T ⊗ S . Dans ce cas, nous avons f x = χE x et f y = χE y et la conclusion est claire.

Remarque 8.1. De même, si nous considérons un produit de plusieurs facteurs, les applica-
tions partielles obtenues en figeant une partie des variables d’une fonction mesurable f sont
mesurables. Par exemple : si f : 4i=1 X i → R est ⊗4i=1 T i -mesurable, alors l’application f x1 ,x2 =
Q

f ( x1 , x2 , ·, ·) : X 3 × X 4 → R est T3 ⊗ T4 -mesurable.

Remarque 8.2. Le principe de la preuve de la proposition 8.5 est important à retenir. Pour obtenir
des propriétés de mesurabilité ou intégrabilité des fonctions « générales », il est souvent suffisant
de raisonner sur des fonctions caractéristiques ; le reste est « automatique ».

Théorème 8.5 R (de Tonelli). Soit f : X × Y → [0, ∞] une fonction T ⊗ S -mesurable. Alors la
fonction y 7→ X f (·, y) d µ est S -mesurable. De plus, nous avons
Z Z µZ ¶
f dµ ⊗ ν = f ( x, y) d µ( x) d ν( y).
X ×Y Y X

f ( x, ·) d ν est T -mesurable et nous avons


R
De même, l’application x 7→ Y
Z Z µZ ¶
f dµ ⊗ ν = f ( x, y) d ν( y) d µ( x).
X ×Y X Y

Démonstration. Si f = χE , avec E ∈ T ⊗ S , alors la mesurabilité suit du théorème 8.1, alors que


l’égalité des intégrales est donnée par le corollaire 8.1.
La conclusion du théorème étant valide pour des fonctions caractéristiques comme ci-dessus, par
linéarité de l’intégrale le théorème reste vrai si f est étagée et positive (vérifier).
Pour f quelconque, nous considérons une suite ( f n ) de fonctions
R étagées telle que f n ≥R 0, f n % f .
Par convergence monotone, nous trouvons : X f n ( x, y) d µ( x) → X f ( x, y) d µ( x), d’où y 7→ X f (·, y) d µ
R
8.5. LES GRANDS THÉORÈMES POUR µ ⊗ ν 75

est ν-mesurable (comme limite simple de fonctions mesurables). À nouveau par convergence mo-
notone, nous obtenons :
Z Z Z µZ ¶
f d µ ⊗ ν = lim f n d µ ⊗ ν = lim f n ( x, y) d µ( x) d ν( y)
X ×Y X ×Y Y X
Z µZ ¶
= f ( x, y) d µ( x) d ν( y),
Y X

ce qui achève la démonstration.

R R 8.4. Si f : X ×Y → R est mesurable, alors f est intégrable ssi | f ( x, y)| d µ( x)) d ν( y) <
R R
Corollaire Y( X
∞ (ou X ( Y | f ( x, y)| d ν( y)) d µ( x) < ∞).

| f | dµ ⊗ ν = | f ( x, y)| d µ( x)) d ν( y).


R R R
Démonstration. Le théorème de Tonelli donne X ×Y Y( X

Théorème 8.6 (de Fubini). Soit f : X × Y → R intégrable. Alors :


a) pour ν-presque tout y(, la fonction f y = f (·, y) est µ-intégrable ;
f (·, y) d µ, si cette intégrale existe
R
b) si nous posons g( y) = X , alors g est ν-intégrable ;
0, sinon
c) nous avons
Z Z
f dµ ⊗ ν = g( y) d ν( y).
X ×Y Y

Énoncé analogue en échangeant les rôles de x et y.

Démonstration. Nous appliquons le théorème précédent à f + et f − . Ceci implique que les fonctions
y 7→ X f ± (·, y) d µ sont ν-intégrables, donc finies ν-p. p. Si
R

½ Z Z ¾
B= y∈Y ; f + (·, y) d µ = ∞ et f − (·, y) d µ = ∞
X X

alors BR ∈ S , ν(B) = R0 (justifier) et X f (·, y) d µ est définie ssi y 6∈ B. Étant donné que g( y) =
R

χB c ( y)( X f + (·, y) d µ − X f − (·, y) d µ) (vérifier), il s’ensuit que g est mesurable.


Comme µ ⊗ ν( X × B) = 0 (pourquoi ?), nous avons (justifier)
Z µZ ¶ Z Z
f ± (·, y) d µ d ν( y) = f± dµ ⊗ ν = f ± d µ ⊗ ν < ∞. (8.1)
Y \B X X ×(Y \B) X ×Y

En ajoutant les deux égalités (8.1), nous obtenons


Z Z µZ ¶ Z µZ ¶
| g( y)| d ν( y) ≤ | f (·, y)| d µ d ν( y) = ( f + (·, y) + f − (·, y)) d µ d ν( y) < ∞,
Y \B Y \B X Y \B X

d’où g est intégrable sur Y \ B, donc sur Y (justifier).


En particulier, g est finie ν-presque partout, d’où f (·, y) est intégrable pour ν-presque tout y.
Enfin, en retranchant les deux égalités (8.1) nous obtenons
Z Z Z µZ ¶ Z Z
g= g= ( f + (·, y) − f − (·, y)) d µ d ν( y) = f dµ ⊗ ν = f d µ ⊗ ν.
Y Y \B Y \B X X ×(Y \B) X ×Y

Remarque 8.3. Les théorèmes de Tonelli et Fubini ont des variantes relatives à des produits
de plusieurs facteurs. Exemple : si f : Rn → [0, ∞] est R borélienne et positive, alors les fonctions
( x2 , . . . , xn ) 7→ R f ( x1 , x2 , . . . , xn ) d ν1 ( x1 ), ( x3 , . . . , xn ) 7→ R ( R f ( x1 , x2 , x3 , . . . , xn ) d ν1 ( x1 )) d ν1 ( x2 ), etc.,
R R

sont boréliennes, et nous avons


Z Z µ µZ µZ ¶ ¶ ¶
f d νn = ... f ( x1 , x2 , . . . , xn ) d ν1 ( x1 ) d ν1 ( x2 ) . . . d ν1 ( xn ). (8.2)
Rn R R R
76 CHAPITRE 8. MESURES PRODUIT

(Abus de) notation. Si Ω ⊂ Rn est un borélien, si f = f ( x) : Ω → R a une intégrale par rapport à la


mesure de Lebesgue λn et s’il n’y a pas de risque de confusion, nous notons Ω f d λn = Ω f ( x) dx.
R R

Avec cette notation, l’égalité (8.2) devient


Z Z µ µZ µZ ¶ ¶ ¶
f ( x) dx = ... f ( x1 , x2 , . . . , xn ) dx1 dx2 . . . dxn .
Rn R R R

Notation alternative, par exemple pour n = 2 :


Z Z µZ ¶
f ( x, y) d ( x, y) = f ( x, y) d y dx.
R2 R R

8.6 Les grands théorèmes pour µ ⊗ ν

Proposition 8.6. Soit f : X ×Y → R une fonction T ⊗ S -mesurable. Alors pour presque tout x ∈ X
et y ∈ Y , les fonctions f x et f y sont S -, respectivement T -mesurables.

Démonstration. Il suffit d’obtenir la conclusion de la proposition dans le cas particulier où f = χE ,


avec E ∈ T ⊗ S . En effet, si la résultat est vrai dans ce cas, il est vrai pour les fonctions T ⊗ S -
étagées, puis, par passage à la limite, pour les fonctions T ⊗ S -mesurables. (Au cours du passage
à la limite, nous utilisons le fait que l’union d’une suite d’ensembles négligeables est négligeable.)

Soit E ∈ T ⊗ S . Il existe E 1 , E 2 ∈ T ⊗ S tels que E 1 ⊂ E ⊂ E 2 et µ ⊗ ν(E 2 \ E 1 ) = 0. Soit


F = E 2 \ E 1 . À x fixé, nous avons (E 1 ) x ⊂ E x ⊂ (E 2 ) x , et donc (χE ) x ( y) = (χE 1 ) x ( y) si y 6∈ F x . Par
ailleurs, la fonction (χE 1 ) x est S -mesurable pour tout x ∈ X (proposition 8.5). Il s’ensuit que (χE ) x
est S -mesurable pour tout x tel que F x soit S -négligeable (justifier).
Ainsi, il suffit de montrer que, si F ∈ T ⊗ S est µ ⊗ ν-négligeable, alorsRF x est ν-négligeable pour
presque tout x. Ceci résulte de la formule qui donne µ ⊗ ν : 0 = µ ⊗ ν(F ) = X ν(F x ) d µ( x). La fonction
x 7→ ν(F x ) étant positive et mesurable, nous avons ν(F x ) = 0 µ-p. p. (justifier).

Remarque 8.4. Si λ est une mesure complète sur (T, A ) et g une fonction définie λ-p. p.
sur T , alors nous pouvons donner un sens naturel à la mesurabilité de g (même si elle n’est pas
définie en tout point). En effet, soit h un prolongement arbitraire de g de son domaine définition
à T tout entier (par exemple, le prolongement par la valeur 0). Si h est A -mesurable, alors tout
autre prolongement de g est A -mesurable, car égal à h λ-p. p. Dans ce cas, g est, par définition,
A -mesurable. De même, par définition g a une intégrale (par rapport à λ) ssiR h en a Rune ; à
nouveau, cette propriété ne dépend pas du choix de h. Dans ce cas, nous posons g d λ = h d λ ;
cette quantité ne dépend pas du choix de h.
Par ailleurs, il est facile de montrer que si g est limite λ-p. p. d’ une suite de fonctions définies
λ- p. p. et A -mesurables, alors g est A -mesurable. Plus généralement, la mesurabilité et la notion
d’intégrale définies de cette manière ont les principales propriétés de la mesurabilité et intégrales
habituelles. À titre d’exemple, nous avons un théorème adapté de convergence monotone :Rsi f n , f
sont définies et positives λ-p. p., si f n est A -mesurable, ∀ n et f n % f λ-p. p., alors f n % f .
R

Avec ces conventions, la conclusion du théorème de Fubini s’écrit plus simplement


Z Z µZ ¶
f dµ ⊗ ν = f (·, y) d µ d ν( y) ; (8.3)
X ×Y Y X

à comparer à la conclusion
Z Z µZ ¶
f dµ ⊗ ν = f (·, y) d µ d ν( y) (8.4)
X ×Y Y X

du théorème de Tonelli.
8.6. LES GRANDS THÉORÈMES POUR µ ⊗ ν 77

Les formules (8.3)–(8.4) permettent de mieux comprendre le rôle du passage aux mesures
complétées, illustré dans les théorèmes 8.7 et 8.8.

Théorème R 8.7 (de Tonelli). Soit f : X × Y → [0, ∞] une fonction µ ⊗ ν-mesurable. Alors l’applica-
tion y 7→ X f ( x, y) d µ( x) (définie ν-p. p.) est S -mesurable et
Z Z µZ ¶
f dµ ⊗ ν = f ( x, y) d µ( x) d ν( y).
X ×Y Y X

Énoncé analogue en échangeant les rôles de x et de y.

Démonstration. Commençons par le cas f = χE , avec E ∈ T ⊗ S . Au vu de la preuve de la propo-


sition précédente et avec les notations de cette preuve, nous avons, pour ν- presque tout y,
Z Z
y y
(χE ) d µ = µ(E ) = µ((E 1 ) ) = (χE 1 ) y d µ.
y
X X

R égalité, combinée avec le théorème 8.5 et la remarque 8.4, donne la S -mesurabilité de


Cette
y 7→ X (χE ) y d µ. De plus, nous avons
Z Z Z µZ ¶
y
χ E d µ ⊗ ν = µ ⊗ ν( E ) = µ ⊗ ν( E 1 ) = µ((E 1 ) ) d ν( y) = χE ( x, y) d µ( x) d ν( y),
X ×Y Y Y X

ce qui prouve que le théorème est vrai si f = χE .


Le cas d’une fonction étagée positive suit par linéarité, en notant :
a) qu’une somme finie de fonctions positives g j définies p. p. est encore définie p. p. ;
b) que si les g j sont mesurables (au sens de la remarque 8.4) alors leur somme l’est ;
c) que, pour des fonctions définies p. p., positives et mesurables, l’intégrale de la somme est la
somme des intégrales.
Enfin, le cas où f est quelconque s’obtient en considérant une suite croissante de fonctions étagée
R f n % f . Nous concluons en utilisant
et positives telle que R :
a) le fait que y 7→ X f ( x, y) d µ( x) est la limite de y 7→ X f n ( x, y) d µ( y) là où toutes ces fonctions
sont définies, c’est-à-dire ν-p. p. ; R
b) le fait que, par conséquent, y 7→ X f ( x, y) d µ( x) est mesurable, comme limite p. p. de fonctions
mesurables définies p. p. ;
c) le théorème de convergence monotone, variante ν-p. p.

Théorème 8.8 (de Fubini). Soit f : X × Y → R une fonction µ ⊗ ν-intégrable. Alors :


a) pour ν-presque tout y(, f y = f (·, y) est µ-intégrable ;
f (·, y) d µ, si cette intégrale existe
R
b) si nous posons g( y) = X , alors g est ν-intégrable ;
0, sinon
c) nous avons
Z Z
f dµ ⊗ ν = g( y) d ν( y).
X ×Y Y

Énoncé analogue en échangeant les rôles de x et y.

La preuve de ce théorème est essentiellement identique à celle du théorème de Fubini pour


µ ⊗ ν ; elle est laissée au lecteur.

Remarque 8.5. Ces théorèmes ont, dans le cas de plusieurs facteurs, des variantes que le lecteur
énoncera facilement.
Chapitre 9

Changements de variables

9.1 Un peu d’algèbre linéaire


Soit A ∈ M n (R) une matrice inversible. Nous pouvons ramener A à l’identité par la méthode
du pivot de Gauss (en ligne ou colonne). Chaque étape de la méthode de Gauss en ligne est l’une
des suivantes :
a) permutation de deux colonnes de A (à la recherche d’un pivot) ;
b) l’une des colonnes de A est multipliée par une constante c 6= 0, puis est retranchée d’une autre
colonne (afin de faire un zéro dans la ligne).

Si nous écrivons ces opérations en termes matriciels, alors a) revient à multiplier A à droite
par une matrice P i j , qui s’obtient de l’identité en permutant les colonnes i et j . b) revient à multi-
plier d’abord A à droite par la matrice Q i,c qui s’obtient de l’identité en multipliant la colonne i par
c, puis multiplier le résultat à droite par la matrice R i j qui s’obtient de l’identité en retranchant
la colonne i de la colonne j , enfin multiplier ce dernier résultat à droite par Q i,1/c .

Ainsi, l’identité s’écrit comme un produit fini de la forme I = AS 1 S 2 . . . S m , où chaque S k est un


1 −1 −1 −1 −1
P i j ou un Q i,c ou un R i j . Ceci donne A = S −
m . . . S 1 . Notons que P i j = P i j , Q i,c = Q i,1/c , R i j = T i j ,
où T i j s’obtient de l’identité en ajoutant la colonne i à la colonne j .

Nous venons de prouver le résultat suivant :

Proposition 9.1. Toute matrice inversible est produit de matrices du type P i j , Q i,c et T i j .

9.2 Changements de variables linéaire


Théorème 9.1. Soit A ∈ M n (R) une matrice inversible. Alors :
a) E ⊂ Rn est borélien (respectivement Lebesgue mesurable) ssi A (E ) l’est ;
b) si tel est le cas, alors λn ( A (E )) = |dét A |λn (E ).

Démonstration. Nous avons E = A −1 ( A (E )), donc si A (E ) est borélien, E l’est aussi. De même,
nous avons A (E ) = ( A −1 )−1 (E ), donc A (E ) est borélien si E l’est.

Soit C = [0, 1[n . C étant d’intérieur non vide et A étant un homéomorphisme, A (C ) est d’inté-
rieur non vide. Il s’ensuit que A (C ) contient un pavé ouvert non vide, d’où λn ( A (C )) = k = k A > 0.
Par ailleurs, A (C ) est borné (car C l’est), d’où k < ∞.

Posons µ(E ) = λn ( A (E ))/ k = νn ( A (E ))/ k, ∀ E ∈ BRn . Nous allons montrer que µ est la mesure de
Lebesgue sur BRn , d’où λn ( A (E )) = kλn (E ), ∀ E ∈ BRn .

79
80 CHAPITRE 9. CHANGEMENTS DE VARIABLES

Clairement, µ est une mesure, car si (E n ) est une suite d. d. d. de boréliens, alors ( A (E n )) est
une suite d. d. d. de boréliens et donc µ(tE n ) = λn (t A (E n ))/ k = λn ( A (E n ))/ k = µ(E n ). Par
P P

construction, nous avons µ(C ) = 1 = λn (C ). Enfin, µ est invariante par translations, car µ(E + x) =
λn ( A (E + x))/ k = λn ( A (E ) + Ax)/ k = λn ( A (E ))/ k = µ(E ). Nous verrons plus tard (exercice 9.1) que la
seule mesure borélienne invariante par translations et telle que la mesure du cube C = [0, 1[n soit
égale à 1 est la mesure de Lebesgue sur les boréliens. Donc µ = νn .
Ensuite, nous montrons l’égalité (*) k A = |dét A | (qui permet de compléter la preuve du théo-
rème si E est borélien).
Dans un premier temps, notons l’égalité k AB = k A k B . En effet, nous avons k AB = λn ( AB(C )) =
k A λn (B(C )) = k A k B λn (C ) = k A k B .
Par ailleurs, nous avons aussi |dét ( AB)| = |dét A ||dét B|. Compte tenu de la proposition précé-
dente, il suffit alors de montrer (*) quand A est l’une des matrices P i j , Q i,c ou T i j (puis nous
multiplions ces égalités pour obtenir (*) pour A quelconque).
Si A = P i j , alors |dét A | = 1 et A (C ) = C , d’où k A = 1.
Si A = Q i,c , alors |dét A | = | c| et, selon le signe de c, nous avons A (C ) = [0, 1[ i−1 ×[0, c[×[0, 1[n− i−1
ou A (C ) = [0, 1[ i−1 ×] c, 0] × [0, 1[n− i−1 . Dans les deux cas, nous avons k A = | c| (justifier).
Enfin, soit A = T i j ; d’où |dét A | = 1. Pour simplifier l’écriture, nous prenons i = 1, j = 2. Alors
A (C ) = {( x1 + x2 , x2 , . . . , xn ) ; 0 ≤ xk < 1, k = 1, . . . , n}
= {( y1 , x2 , . . . , xn ) ; x2 ≤ y1 < 1 + x2 , 0 ≤ xk < 1, k = 2, . . . , n}.
Nous décomposons A (C ) = B1 t B2 , où B1 est l’ensemble des points de A (C ) tels que x2 ≤ y1 < 1
et B2 celui des points de A (C ) tels que 1 ≤ y2 < x2 + 1. Alors B1 est intersection finie de fermés
et ouverts (il est donné par un nombre fini d’inégalités affines), donc borélien. Il s’ensuit que
B2 = A (C ) \ B1 l’est aussi. Par ailleurs, nous avons B1 ⊂ C et B2 = (C \ B1 ) + e 1 . Donc
k A = λn ( A (C )) = λn (B1 ) + λn (B2 ) = λn (B1 ) + λn ((C \ B1 ) + e 1 ) = λn (B1 ) + λn (C \ B1 ) = λn (C ) = 1.

Enfin, soit E ⊂ Rn Lebesgue mesurable. Il existe E 1 , E 2 boréliens tels que E 1 ⊂ E ⊂ E 2 et


νn (E 2 \ E 1 ) = 0. Nous trouvons que A (E 1 ) ⊂ A (E ) ⊂ A (E 2 ) et νn ( A (E 2 ) \ A (E 1 )) = νn ( A (E 2 \ E 1 )) = 0.
Donc A (E ) est Lebesgue mesurable. Le même raisonnement appliqué à A −1 montre l’implication
inverse : si A (E ) est Lebesgue mesurable, alors E l’est. Pour conclure, nous notons que
λn ( A (E )) = νn ( A (E 2 )) = |dét A |νn (E 2 ) = |dét A |λn (E ).

Remarque 9.1. Si A n’est pas inversible, alors pour toute partie E de Rn , A (E ) est Lebesgue
mesurable, de mesure nulle.
En effet, dans ce cas A (Rn ) est un sous espace de Rn de dimension ≤ n − 1, donc contenu dans
un hyperplan H . Si cet hyperplan est H0 = Rn−1 × {0}, alors λn ( H0 ) = νn−1 (Rn−1 ) ν1 ({0}) = 0. Si H
est un hyperplan quelconque, alors il existe une isométrie R de Rn telle que H = R ( H0 ) ; d’où
λn ( H ) = λn (R ( H0 )) = λn ( H0 ) = 0.
Il s’ensuit que λn ( A (Rn )) = 0, d’où λn ( A (E )) = 0 pour tout E .
Remarque 9.2. La mesure de Lebesgue étant invariante par translations, nous pouvons rem-
placer dans le théorème 9.1 « linéaire » par « affine ». En effet, si Bx = Ax + b, avec A matrice in-
versible et b ∈ Rn , alors λn (B(E )) = λn ( A (E ) + b) = λn ( A (E )) = |dét A |λn (E ), pour tout E Lebesgue
mesurable.

9.3 Un peu de topologie


Dans la suite, nous munissons Rn de la norme k k∞ . Nous munissons L (Rn ) de la norme
matricielle subordonnée :
k A k = sup{k Axk∞ ; k xk∞ ≤ 1}. (9.1)
9.4. IMAGE D’UN PETIT CUBE PAR UN C 1 -DIFFÉOMORPHISME 81

Un cube (de Rn ) est un produit C = I 1 × I 2 × . . . × I n , où les I j sont des intervalles de même


longueur, strictement positive. La longuer commune de ces intervalles est la taille de C . Si x est
le centre et ` la taille de C , alors B( x, `/2) ⊂ C ⊂ B( x, `/2) (boules pour la norme k k∞ ).
Soit j ∈ N. Nous pouvons recouvrir Rn avec des cubes disjoints de taille 1/2 j , à travers le
recouvrement Rn = tl ∈Zn (1/2 j · l + [0, 1/2 j [n ). Notons Q j la collection de ces cubes ; C va désigner
un cube appartenant à Q j .
Si F ⊂ Rn , posons F j = ∪{C ; C ∈ Q j , C ∩ F 6= ;}. Notons que F j ⊂ F j−1 si j ≥ 1. En effet, pour
tout cube C de Q j , il existe un (unique) cube Q de Q j−1 qui le contient. Donc, si C apparaît dans
F j , alors Q apparaît dans F j−1 , ce qui implique F j ⊂ F j−1 .
Notons aussi que F ⊂ F j . En effet, si x ∈ F , alors il existe un C de Q j tel que x ∈ C . C apparaît
donc dans F j , d’où x appartient à F j .

Lemme 9.1. Soit K un compact. Alors K j & K et λn (K j ) → λn (K ).


De plus, si U est un ouvert tel que U ⊃ K , alors, pour j suffisamment grand, nous avons U ⊃ K j .

Démonstration. Nous avons déjà vu que la suite (K j ) était décroissante. Il reste à montrer que
∩K j = K . Si x ∈ K j , alors il existe un C de Q j tel que x ∈ C et C ∩ K 6= ;. Soit y j ∈ K ∩ C . Alors
k x − y j k∞ < 1/2 j , d’où dist( x, K ) < 1/2 j . Si x ∈ ∩K j , alors dist( x, K ) = 0, d’où x ∈ K .
Notons que l’ensemble K j est réunion a. p. d. de cubes (qui sont boréliens), donc un borélien. La
deuxième propriété découle du théorème de la suite décroissante si K 0 est borné (donc de mesure
de Lebesgue finie). Soit M tel que k xk∞ ≤ M , x ∈ K . De la première partie de la preuve, nous avons
dist( y, K ) < 1, ∀ y ∈ K 0 , d’où k yk∞ ≤ M + 1, ∀ y ∈ K 0 (justifier). K 0 est donc borné.
Pour la dernière propriété, soit ε = dist(K,U c ) > 0. Si 2 j 0 > 1/ε et j ≥ j 0 , alors 1/2 j < ε. Pour un
tel j , montrons que U ⊃ K j . Soit y ∈ K j . Alors il existe C ∈ Q j tel que y ∈ C et il existe x ∈ K ∩ C . Il
s’ensuit que k x − yk∞ < 1/2 j , d’où

dist( y,U c ) ≥ dist( x,U c ) − k x − yk∞ > dist(K,U c ) − 1/2 j > 0.

Nous obtenons que y 6∈ U c , ou encore y ∈ U . y ∈ K j étant arbitraire, nous avons K j ⊂ U .

Remarque 9.3. Pour obtenir la propriété K j & K , nous pouvons remplacer compact par fermé.

Exercice 9.1. Nous nous proposons de montrer que si µ est une mesure borélienne et invariante
par translations sur Rn telle que µ([0, 1[n ) = 1, alors µ = νn .
a) Montrer que µ([0, 1/ k[n ) = (1/ k)n , ∀ k ∈ N∗ . (Indication : recouvrir [0, 1[n avec des cubes d. d. d.
de taille 1/ k.)
b) Soit K j comme dans le lemme 9.1. Montrer que µ(K j ) = νn (K j ).
c) En déduire que µ(K ) = νn (K ) pour tout compact K ⊂ Rn .
d) Conclure.

9.4 Image d’un petit cube par un C 1 -difféomorphisme

Dans la suite, U et V désignent des ouverts de Rn , muni de la norme k k∞ . Les boules B( x, r )


considérées dans cette section sont définies par rapport à cette norme.

Nous considérons une application Φ : U → V qui est un C 1 -difféomorphisme. C’est-à-dire :


i) Φ a des dérivées partielles du premier ordre, qui sont continues ;
ii) le déterminant jacobien de Φ, noté JΦ = JΦ ( x) et donné par JΦ =dét (∂Φ i /∂ x j ) i, j=1,...,n , est 6= 0
82 CHAPITRE 9. CHANGEMENTS DE VARIABLES

en tout point de U ;
iii) Φ est bijective.
Rappelons que, sous ces hypothèses, le théorème d’inversion locale affirme que Φ−1 est encore
de classe C 1 (et a donc exactement les mêmes propriétés que Φ).
Nous notons D Φ( x) la matrice jacobienne de Φ en x ∈ U , D Φ( x) = (∂Φ i /∂ x j ( x)) i, j=1,...,n .
Nous aurons besoin par la suite du résultat suivant, laissé en exercice. Rappelons que U est
un ouvert de Rn .
Exercice 9.2. Soit (Y , d ) un espace métrique. Soit h ∈ C (U, Y ) et soit K un compact de U . Alors,
pour tout ν > 0, il existe un δ > 0 (indépendant de x ∈ U ) tel que :
i) si x ∈ K et si y ∈ Rn est tel que k x − yk∞ < δ, alors [ x, y] ⊂ U (ici, [ x, y] est le segment d’extrémités
x et y) ;
ii) si x ∈ K et y ∈ U sont tels que k x − yk∞ < δ, alors d ( h( x), h( y)) < ν.

Notons que, si C est un cube, alors C est borélien, d’où Φ(C ) = (Φ−1 )−1 (C ) est encore un boré-
lien.
Proposition 9.2. Soient K un compact de U et ε > 0. Alors il existe δ > 0 tel que : pour tout x ∈ K
et pour tout cube C de taille < δ et tel que x ∈ C , on ait λn (Φ(C )) ≤ (1 + ε) | JΦ ( x)| λn (C ).

Démonstration. Nous utilisons l’exercice 9.2 avec : Y = L (Rn ) muni de la norme (9.1), h( x) =
D Φ( x) et ν à fixer ultérieurement.
Soit δ la constante donnée par l’exercice 9.2 et soit C un cube de taille l < δ tel que x ∈ C ∩ K .
Le théorème des accroissements finis donne, pour y ∈ C :
kΦ( y) − Φ( x) − D Φ( x) · ( y − x)k∞ ≤ sup kD Φ( z) − D Φ( x)kk y − xk∞ ≤ ν l. (9.2)
z∈[x,y]

Notons que la propriété i) de l’exercice 9.2 est nécessaire pour que le segment [ x, y] qui apparaît
dans (9.2) soit contenu dans U .
Si nous posons A = D Φ( x) et b = Φ( x) − Ax, alors l’inégalité (9.2) devient kΦ( y) − A y − bk∞ ≤ ν l , ou
encore Φ( y) = A y + z pour un z ∈ B( b, ν l ). Il s’ensuit que
Φ(C ) ⊂ A (C ) + B( b, ν l ) = A (C ) + b + B(0, ν l ).
Par ailleurs, A étant inversible et linéaire, nous avons
A (C ) + b + B(0, ν l ) = A (C + A −1 b + A −1 (B(0, ν l ))).
Grâce au théorème 9.1, il s’ensuit que
λn (Φ(C )) ≤ λn ( A (C + A −1 b + A −1 (B(0, ν l )))) = |dét A |λn (C + A −1 b + A −1 (B(0, ν l )))
(9.3)
= |dét A |λn (C + A −1 (B(0, ν l ))).
Soit M = max{k(D Φ)−1 ( y)k ; y ∈ K } < ∞. Alors
k A −1 zk∞ = k(D Φ)−1 ( x) zk∞ ≤ k(D Φ)−1 ( x)k k zk∞ ≤ M k zk∞ , ∀ z ∈ Rn ,
d’où (justifier)
A −1 (B(0, ν l )) ⊂ B(0, M ν l ). (9.4)
Si z est le centre (de gravité) de C , alors C ⊂ B( z, l /2), ce qui implique (au vu de (9.4))
C + A −1 (B(0, ν l )) ⊂ B( z, (1 + 2 M ν) l /2). (9.5)

De (9.3) et (9.5), nous obtenons


λn (Φ(C )) ≤ |dét A | λn (B( z, (1 + 2 M ν) l /2))
= |dét A | (1 + 2 M ν)n l n = (1 + 2 M ν)n |dét A | λn (C ).

Pour conclure, il suffit de choisir ν tel que (1 + 2 M ν)n = 1 + ε.


9.5. CHANGEMENT DE VARIABLES SUR UN COMPACT 83

9.5 Changement de variables sur un compact


Proposition 9.3. Soient f ∈ C (V ) et K ⊂ U un compact. Alors
Z Z
f ◦ Φ | JΦ | d λn = f d λn . (9.6)
K Φ(K)

Remarque 9.4. Les deux intégrales qui apparaissent dans (9.6) sont finies, car nous intégrons,
par rapport à la mesure de Lebesgue, des fonctions continues sur un compact.

Démonstration. Nous pouvons supposer f ≥ 0 (sinon, nous travaillons avec f ± , puis nous retran-
chons les égalités obtenues).
Il suffit de montrer que nous avons, dans (9.6), « ≥ ». En effet, si cette inégalité est vraie pour
tout U, V , Φ, K et f , alors nous pouvons l’appliquer à V ,U, Φ−1 , Φ(K ) et f ◦ Φ | JΦ |. Nous trouvons
Z Z
−1
f | JΦ ◦ Φ | | JΦ−1 | | d λn ≥ f ◦ Φ | JΦ | d λn . (9.7)
Φ(K) K

Or, nous avons | JΦ ◦ Φ−1 | | JΦ−1 | = | JΦ ◦ Φ−1 JΦ−1 | = | JId | = 1. Il s’ensuit que (9.7) donne « ≤ » dans
(9.6).
Montrons « ≥ ». Soient ε > 0 et le δ correspondant donné par la proposition 9.2. Soit j 0 tel que
j0
1/2 < δ et soit j ≥ j 0 . Avec les notations de la section 9.3, soit (C i ) la famille (finie) de cubes d. d.
d. de Q j qui intersectent K . Soit, pour un tel cube, y i ∈ Φ(K ∩ C i ) un point de maximum de f sur
le compact Φ(K ∩ C i ). Alors
Z Z XZ
f d λn ≤ f ( y i ) λn (Φ(K ∩ C i )) ≤ f ( y i ) λn (Φ(C i )).
X X
f d λn = f d λn =
Φ(K) t i Φ(K ∩C i ) i Φ(K ∩C i ) i i

Z
Si x = Φ ( y ) ∈ K ∩ C i , alors cette inégalité devient
i −1 i
f ◦ Φ( x i ) λn (Φ(C i )). Posons
X
f d λn ≤
Φ(K) i
g = f ◦ Φ | JΦ |. La proposition 9.2 donne
Z
f d λn ≤ (1 + ε) f ◦ Φ( x i ) | JΦ ( x i )| λn (C i ) = g( x i ) | JΦ ( x i )| λn (C i ).
X X
(9.8)
Φ(K) i i

Notons (voir la preuve du lemme 9.1) que N = K j 0 est un compact contenu dans U et que nous
avons C i ⊂ N pour tout j ≥ j 0 et C i comme ci-dessus. Soit z i un point de minimum de g = f ◦ Φ | JΦ |
sur C i . Clairement (pourquoi ?), k x i − z i k∞ < 1/2 j . La fonction g étant uniformément continue sur
N , il s’ensuit que, si j est suffisamment grand, alors | g( x i ) − g( z i )| ≤ ε (voir l’exercice 9.2), et donc
(*) g( x i ) ≤ g( z i ) + ε. En utilisant (*) et (9.8) nous trouvons, pour un tel j ,
Z
f d λn ≤ (1 + ε) ( f ◦ Φ( z i ) | JΦ ( z i )| + ε) λn (C i )
X
Φ(K) i
f ◦ Φ( z i ) | JΦ ( z i )| λn (C i ) + (1 + ε) ε
X X
= (1 + ε) λ n (C i )
i i
XZ (9.9)
f ◦ Φ | JΦ | d λn + (1 + ε) ε
X
≤ (1 + ε) λn (C i ) (vérifier)
Ci
Zi i

= (1 + ε) f ◦ Φ | JΦ | d λn + (1 + ε) ε λn (K j ).
Kj

En utilisant :
a) la domination | f ◦ Φ | JΦ | χK j | ≤ | f ◦ Φ | JΦ | χ N |, j ≥ j 0 ;
84 CHAPITRE 9. CHANGEMENTS DE VARIABLES

b) le fait que K j & K (lemme 9.1) et donc χK j & χK ;


c) le théorème de convergence dominée,
nous obtenons, en faisant j → ∞ dans (9.9) :
Z Z
f d λn ≤ (1 + ε) f ◦ Φ | JΦ | d λn + (1 + ε) ε λn (K ). (9.10)
K K

ε étant arbitraire, nous obtenons « ≥ » dans (9.6) en faisant ε → 0 dans (9.10).

En prenant, dans (9.6), f = 1 et K = Φ−1 (L), nous obtenons la conséquence suivante.


Z
Corollaire 9.1. Soit L un compact de V . Alors λn (L) = | JΦ | d λn .
Φ−1 (L)
Z
Corollaire 9.2. Soit E ⊂ V un borélien. Alors λn (E ) = | JΦ | d λn .
Φ−1 (E)
Z
Démonstration. Soit µ(E ) = | JΦ | d λn , ∀ E ∈ BV , qui est une mesure borélienne (vérifier).
Φ−1 (E)
Nous avons µ(L) = λn (L) = νn (L) <
∞ pour tout compact L ⊂ V (corollaire 9.1). Le corollaire 4.2
donne µ = νn , ce qui est précisément la conclusion du corollaire 9.2.

9.6 Théorème du changement de variables


Théorème 9.2 (du changement de variables). Soit f : V → R. Soit g : U → R, g = f ◦ Φ | JΦ |.
Alors :
a) f est borélienne ssi g l’est ;
b) f est Lebesgue mesurable ssi g l’ est ; Z
c) f a une intégrale (par rapport à la mesure de Lebesgue) ssi g en a une, et dans ce cas f d λn =
Z Z V
g d λn = f ◦ Φ | JΦ | d λn .
U U

Démonstration. En notant que f = g ◦ Φ−1 | JΦ−1 |, il s’ensuit qu’il suffit à chaque fois d’établir une
implication ; l’implication inverse s’obtient en échangeant U avec V et Φ avec Φ−1 .
a) Si f est borélienne, alors clairement g l’est aussi.
b) Si g est Lebesgue mesurable, soient ge une fonction borélienne et A ⊂ U un borélien Lebesgue
négligeable tel que g = ge en dehors de A . Alors f = ge ◦ Φ−1 | JΦ−1 | en dehors de
R Φ( A ) ; il suffit donc
de montrer que Φ( A ) est négligeable. Or, le corollaire 9.2 donne λn (Φ( A )) = A | JΦ | d λn = 0.
c) Notons que le raisonnement ci-dessus montre que, si f = fe λn -p. p. sur V , alors f ◦ Φ | JΦ | =
f ◦ Φ | JΦ | λn -p. p. sur U . Étant donné que pour toute fonction Lebesgue mesurable f : V → R il
e
existe une fonction borélienne fe : V → R telle que f = fe λn -p. p., il suffit d’établir c) pour des
fonctions boréliennes.
En notant que f est positive ssi g l’est, il suffit d’établir c) quand f et borélienne et positive.
Si f = χE , avec E ∈ BV , l’égalité à montrer n’est rien d’autre que le corollaire 9.2. Par linéarité,
c) est encore vraie si la fonction borélienne f est étagée et positive. Le cas général s’obtient par
convergence monotone.

9.7 Ensembles Lebesgue négligeables


Proposition 9.4. Tout ouvert U de Rn est union a. p. d. de cubes d. d. d.
9.7. ENSEMBLES LEBESGUE NÉGLIGEABLES 85

Démonstration. Reprenons les notations de la section 9.3. Posons M0 = {C ∈ Q0 ; C ⊂ U } et, par


récurrence, M j = {C ∈ Q j ; C ⊂ U \ ∪C 0 ∈ M0 ∪...∪ M j−1 C 0 }. Chaque Q j étant dénombrable, M j est a. p.
d., d’où ∪ M j est a. p. d. Par construction, les cubes de ∪ M j sont d. d. d. L’inclusion ∪C ∈∪ M j C ⊂ U
étant claire par construction, il reste à montrer que ∪C ∈∪ M j C ⊃ U .

Soit x ∈ U . Alors x appartient à exactement un cube C j ∈ Q j , pour tout j . Si C j ∈ M j pour un


j , alors x ∈ ∪C ∈∪ M j C . Pour conclure, il suffit de montrer que le contraire mène à une absurdité.
Si C j 6∈ M j , ∀ j , en particulier C 0 6∈ M0 , d’où C 0 ∩ U c 6= ;, ou encore il existe x0 ∈ C 0 ∩ U c . Il s’ensuit
que dist( x,U c ) ≤ k x − x0 k∞ < 1.
Montrons, par récurrence sur j , que dist( x,U c ) < 1/2 j , j ∈ N (ce qui implique dist( x,U c ) = 0 et, U c
étant fermé, donne la contradiction x ∈ U c ).
Passage de j − 1 à j : comme x ∈ C ` 6∈ M` , ` = 0, . . . , j − 1, nous avons x ∈ U \ ∪C ∈ M0 ∪...∪ M j−1 C .
Par ailleurs, comme x ∈ C j , nous avons C j ⊂ Rn \ (∪C ∈ M0 ∪...∪ M j−1 C ) (justifier, par exemple sur un
dessin). Compte tenu du fait que C j 6∈ M j , nous obtenons C j ∩ U c 6= ;. Comme ci-dessus, nous en
déduisons que dist( x,U c ) < 1/2 j .

Proposition 9.5. Soit E ⊂ Rn . Alors E est Lebesgue négligeable ssi : pour tout ε > 0, il existe une
famille a. p. d. de cubes (C i ) telle que E ⊂ ∪C i et λn (C i ) < ε.
P

Démonstration. « =⇒ » Il existe un ouvert U tel que E ⊂ U et λn (U ) < ε (corollaire 4.1). Nous


écrivons U comme l’union d’une famille a. p. d. (C i ) de cubes disjoints. Alors E ⊂ ∪C i et λn (C i ) =
P

λn (U ) < ε.

« ⇐= » Avec ε = 1/ n, n ∈ N∗ , soit (C ni ) i la famille de l’énoncé. Alors B = ∩n ∪ i C ni est un borélien


contenu dans chaque ∪ i C ni , donc négligeable (justifier). Par ailleurs, B contient E , donc E est
négligeable.

Proposition 9.6. Soient U un ouvert de Rn et Ψ ∈ C 1 (U, Rm ), avec m ≥ n. Si E ⊂ U est λn -


négligeable, alors Ψ(E ) est λm -négligeable.

Démonstration. Soit, pour l ∈ N∗ , Ul = { x ∈ Rn ; k xk∞ < l, dist( x,U c ) > 1/ l }, de sorte que Ul % U ,
Ul % U , Ul est compact et Ul ⊂ Ul +1 . Nous avons Ψ(E ) = ∪Ψ(E ∩ Ul ) ; il suffit donc de montrer que
Ψ(E ∩ Ul ) est λn -négligeable, ∀ l . Nous pouvons donc remplacer E par E ∩ Ul et supposer E ⊂ Ul .
Soit εl = dist(Ul , (Ul +1 ) c ), qui est > 0 (pourquoi ?). Soit ε < (εl )n . Soit (C i ) une suite de cubes
telle que E ⊂ ∪C i et λn (C i ) < ε. En particulier, nous avons λn (C i ) < ε pour tout i , d’où chaque
P

cube est de taille < ε1/n < εl . Quitte à enlever de la suite les cubes « inutiles » (qui n’intersectent pas
E ), nous pouvons supposer E ∩ C i 6= ;, pour tout i . Considérons, à i fixé, un point y ∈ E ∩ C i ⊂ Ul .
Si x ∈ C i , nous avons k x − yk∞ < εl , d’où dist( x,Ul ) < εl . Il s’ensuit que ∪C i ⊂ Ul +1 .
Soit, pour chaque i , x i le centre (de gravité) de C i . Pour x ∈ C i , le segment [ x, x i ] est contenu dans
C i , donc dans Ul +1 . Le théorème des accroissement finis donne (*) kΦ( x) − Φ( x i )k∞ ≤ C k x − x i k∞ ,
x ∈ C i , où C = max{kD Φ( y)k ; y ∈ Ul +1 } < ∞.
Si δ i est la taille de C i , alors (*) équivaut à Φ(C i ) ⊂ B(Φ( x i ), C δ i ). Nous trouvons Φ(E ) ⊂ ∪B(Φ( x i ), C δ i ),
d’où

λn (Φ(E )) ≤ (2C )m δm m m− n
λn (C i ) < (2C )m εm −n
X X
i ≤ (2 C ) ε l l ε. (9.11)

Nous complétons la preuve en faisant ε → 0 dans (9.11).

Corollaire 9.3. Soient U un ouvert de Rn et Ψ ∈ C 1 (U, Rm ), avec m ≥ n. Si E ⊂ U est un fermé (de


Rm ) λn -négligeable, alors Ψ(E ) est un borélien λm -négligeable.

Démonstration. Au vu de la proposition précédente, il suffit de montrer que Ψ(E ) est un borélien.


Or, E étant fermé, il existe une suite (K j ) de compacts de Rm telle que E = ∪ j K j . Comme Ψ(K j )
est compact, donc borélien de Rn , l’ensemble Ψ(E ) = ∪ j Ψ(K j ) est un borélien (détailler).
86 CHAPITRE 9. CHANGEMENTS DE VARIABLES

9.8 Théorème du « presque changement de variables »


Théorème 9.3 (du presque changement de variables). Soient U1 un ouvert de Rn et Φ ∈
C 1 (U1 , Rn ). Soient U ⊂ U1 ouvert et E ⊂ U1 \ U un fermé λn -négligeable. Soient V = Φ(U ) et F =
Φ(E ). On suppose que Φ : U → V est un C 1 -difféomorphisme.
Soit f : V ∪ F → R et soit g : U t E → R, g = f ◦ Φ | JΦ |. Alors :
a) g est borélienne si f l’est ;†
b) f est Lebesgue mesurable ssi g l’ est ;
c) f a une intégrale (par rapport à la mesure de Lebesgue) ssi g en a une, et dans ce cas
Z Z Z Z
f d λn = g d λn = f ◦ Φ | JΦ | d λn = f ◦ Φ | JΦ | d λn .
V ∪F U tE U tE U

Démonstration. La propriété a) est claire.


b) Les parties E et F étant λn -négligeables,‡ nous avons f Lebesgue mesurable⇐⇒ f χF c
l’est⇐⇒ f |V l’est⇐⇒ g |U l’est (ici, nous utilisons le théorème du changement de variables)⇐⇒ g
est Lebesgue mesurable.
Enfin, c) suit du théorème du changement de variables, en notant que les intégrales sur E et
F \ V sont nulles.

9.9 Changements usuels

9.9.1 Coordonnées polaires

Tout point de R2 s’écrit sous la forme ( x, y) = ( r cos θ , r sin θ ), avec r = ( x2 + y2 )1/2 ≥ 0 et θ ∈ [0, 2π[.
Si ( x, y) 6= (0, 0), alors cette écriture est unique et, de plus, θ = 0 ⇐⇒ x > 0 et y = 0. Soit Φ : R2 → R2 ,
Φ( r, θ ) = ( r cos θ , r sin θ ). Alors Φ ∈ C 1 et JΦ ( r, θ ) = r . Il s’ensuit de ce qui précède que Φ est une
bijection de U =]0, ∞[×]0, 2π[ vers V = R2 \ ([0, ∞[×{0}). Par ailleurs, nous avons JΦ 6= 0 sur U ,
d’où Φ : U → V est un difféomorphisme.
Avec E = ∂U et F = [0, ∞[×{0}, nous avons Φ(E ) = F et E est un fermé Lebesgue négligeable
(justifier). Nous pouvons donc appliquer le théorème 9.3 (avec U1 = R2 ) : si f : R2 → R est Lebesgue
mesurable, alors
Z Z
f d λ2 = f ( r cos θ , r sin θ ) r d λ2 ( r, θ )
R2 [0,∞[×[0,2π]

(au sens où soit les deux intégrales existent et alors elles sont égales, soit elles n’existent pas).

9.9.2 Coordonnées sphériques

Soit x = ( x1 , x2 , x3 ) ∈ R3 . Soit ρ = ( x12 + x22 )1/2 . Il existe θ ∈ [0, 2π[ tel que ( x1 , x2 ) = (ρ cos θ , ρ sin θ ).
Par ailleurs, (ρ , x3 ) s’écrit sous la forme (ρ , x3 ) = ( r cos ϕ, r sin ϕ), avec r ≥ 0 et ϕ ∈ [−π/2, π/2[ (la
condition sur ϕ vient du fait que ρ ≥ 0). Il s’ensuit que tout point x ∈ R3 s’écrit sous la forme

x1 = r cos ϕ cos θ , x2 = r cos ϕ sin θ , x3 = r sin ϕ, avec r ≥ 0, ϕ ∈ [−π/2, π/2[, θ ∈ [0, 2π[. (9.12)

†. Du corollaire 9.3, V ∪ F est borélien.


‡. Pour F , nous utilisons le corollaire 9.3.
9.9. CHANGEMENTS USUELS 87

Si, de plus, x 6∈ ({(0, 0)} × R) ∪ (]0, ∞[×{0} × R), alors nous pouvons prendre r > 0, ϕ ∈] − π/2, π/2[
et θ ∈]0, 2π[ et, pour un tel choix des coordonnées r, ϕ, θ , l’écriture (9.12) est unique.
Soit Φ : R3 → R3 , Φ( r, ϕ, θ ) = ( r cos ϕ cos θ , r cos ϕ sin θ , r sin ϕ). Avec

U1 = R3 , U =]0, ∞[×] − π/2, π/2[×]0, 2π[ et V = R3 \ (({(0, 0)} × R) ∪ (]0, ∞[×{0} × R)),

Φ est une bijection de classe C 1 entre U et V . Par ailleurs, nous avons JΦ ( r, ϕ, θ ) = − r 2 cos ϕ, d’où
JΦ 6= 0 sur U et donc Φ : U → V est un difféomorphisme.
Avec E = ∂U et F = ({(0, 0)} × R) ∪ (]0, ∞[×{0} × R), nous avons E fermé, λ3 (E ) = 0 et Φ(E ) = F
(vérifier).
Le théorème du presque changements de variables donne : si f : R3 → R est Lebesgue mesu-
rable, alors
Z Z
f d λ3 = f ( r cos ϕ cos θ , r cos ϕ sin θ , r sin ϕ) r 2 cos ϕ d λ3 ( r, ϕ, θ ).
R3 [0,∞[×[−π/2,π/2]×[0,2π]

9.9.3 Coordonnées cylindriques

Si ( x1 , x2 ) ∈ R2 \ ([0, ∞[×{0}), alors ( x1 , x2 , x3 ) = ( r cos θ , r sin θ , x3 ), avec r > 0, 0 < θ < 2π, l’écri-
ture étant unique. Avec Φ( r, θ , x3 ) = ( r cos θ , r sin θ , x3 ) (de sorte que JΦ ( r, θ , x3 ) = r ), U1 = R3 ,
U =]0, ∞[×]0, 2π[×R, V = R3 \ ([0, ∞[×{0} × R), E = ∂U , F = [0, ∞[×{0} × R, le théorème du presque
changement de variables donne : si f : R3 → R est Lebesgue mesurable, alors
Z Z
f d λ3 = f ( r cos θ , r sin θ , x3 ) r d λ3 ( r, θ , x3 ).
R3 [0,∞[×[0,2π]×R

9.9.4 Coordonnées sphériques généralisées

Soit Φn : Rn → Rn , Φn ( r, θ1 , θ2 , . . . , θn−1 ) = ( r cos θ1 cos θ2 . . . cos θn−1 , r cos θ1 cos θ2 . . . sin θn−1 ,
r cos θ1 cos θ2 . . . cos θn−3 sin θn−2 , . . . , r sin θ1 ).
x = Φn ( r, θ1 , θ2 , . . . , θn−1 ). La preuve se fait par récurrence
Tout point de Rn s’écrit sous la forme q
sur n. Passage de n − 1 à n : soit ρ = x12 + x22 . Nous appliquons l’hypothèse de récurrence à
(ρ , x3 , . . . , xn ), qui s’écrit donc Φn−1 ( r, θ1 , . . . , θn−2 ). Nous avons alors ρ = r cos θ1 . . . cos θn−2 , d’où il
existe θn−1 tel que x1 = r cos θ1 . . . cos θn−2 cos θn−1 et x2 = r cos θ1 . . . cos θn−2 sin θn−1 . Nous concluons
à l’égalité x = Φn ( r, θ1 , θ2 , . . . , θn−1 ).
Une preuve analogue par récurrence montre (nous omettons les détails) que l’on peut prendre
r ≥ 0, θ1 , . . . , θn−2 ∈ [−π/2, π/2] et θn−1 ∈ [0, 2π].
Le jacobien de Φn est (*) JΦn = (−1)n(n+1)/2+1 r n−1 cosn−2 θ1 cosn−3 θ2 . . . cos θn−2 . Preuve par ré-
currence sur n, les cas n = 2, 3 étant établis. Si a 1 , . . . , a n−1 désignent  les cooordonnées de Φn−1 ,
cos θn−1 Da 1 −a 1 sin θn−1
sin θ a 1 cos θn−1 
 n−1 Da 1 
alors Φn = (a 1 cos θn−1 , a 1 sin θn−1 , a 2 , . . . , a n ). Il s’ensuit que D Φn =  Da 2 0 .
 
... 0
 
 
Da n 0
n
En développant le déterminant selon la dernière colonne, nous obtenons JΦn = (−1) a 1 JΦn−1 , re-
lation de récurrence qui permet d’établir facilement (*).
Avec U1 = Rn , U =]0, ∞[×]−π/2, π/2[n−2 ×]0, 2π[, E = ∂U , F = ∪nj=−12 (Rn− j ×{0}×R j−1 )∪ ([0, ∞[×{0}×
Rn−2 ), V = Rn \ F , nous déduisons (comme pour les coordonnées sphériques) que Φ : U → V est un
C 1 -difféomorphisme, que E est un fermé λn -négligeable et que Φ(E ) = F .
88 CHAPITRE 9. CHANGEMENTS DE VARIABLES

Le théorème
Z du presque
Z changement de variables donne : si f : Rn → R est Lebesgue mesu-
rable, alors f d λn = f ◦ Φn r n−1 cosn−2 θ1 cosn−3 θ2 . . . cos θn−2 d λn .
Rn [0,∞[×[−π/2,π/2]n−2 ×[0,2π]

9.10 Intégrales de référence


Comme pour les intégrales généralisées, quand nous étudions la nature d’une intégrale de
Lebesgue il est utile de disposer d’une liste d’intégrales de nature connue. Dans la suite, nous
munissons Rn de la norme euclidienne, notée | |. B R désigne la boule ouverte centrée en 0 et de
rayon R .

Proposition 9.7. a) x 7→ 1/| x|a est intégrable sur B1 ssi a < n.


b) x 7→ 1/(| x|a | ln x|b ) est intégrable sur B1/2 ssi a < n ou [a = n et b > 1].
c) x 7→ 1/| x|a est intégrable sur Rn \ B1 ssi a > n.
d) x 7→ 1/(| x|a | ln x|b ) est intégrable sur Rn \ B2 ssi a > n ou [a = n et b > 1].

Démonstration. Nous faisons la preuve de b) ; preuves similaires dans les autres cas.
En passant en coordonnées sphériques généralisées et en appliquant le théorème de Tonelli,
nous avons, avec g(θ1 , . . . , θn−1 ) = cosn−2 θ1 . . . cos θn−2 ,
Z Z
−a −b
| x| | ln x| d λn = r −a+n−1 | ln r |−b g d λn
B1/2 [0,1/2[×[−π/2,π/2]n−2 ×[0,2π]
Z 1/2
−a+ n−1 −b
=C r | ln r | d λ1 ,
0
R π/2 R π/2 R 2π
où C = −π/2 cosn−1 θ1 d θ1 . . . −π/2 cos θn−2 d θn−2 0 d θn−1 . Nous avons 0 < C < ∞, ce qui montre
que
R 1/2 l’intégrale de départ est finie si et seulement si l’intégrale (de Lebesgue ou généralisée)
a− n+1
0 1/( r | ln r |b ) d λ1 est finie, ce qui équivaut à a < n ou [a = n et b > 1].
Chapitre 10

Espaces L p

Dans tout le chapitre, ( X , T , µ) est un espace mesuré fixé. f , g, etc. : X → R sont des fonc-
tions mesurables. Même sans mention explicite, la mesurabilité des fonctions concernées est
assumée dans chaque énoncé. Le p. p. est relatif à la mesure µ.

10.1 L p versus L p
Définition 10.1. a) Si 1 ≤ p < ∞,
µZ ¶1/p µZ ¶1/p
p p
k f kL p = |f | = | f | dµ .
X

b) Si p = ∞,

k f kL∞ = esssup | f | = min { M ∈ R ; | f ( x)| ≤ M p. p.}.

c) L p = L p ( X , µ) = { f : X → R ; k f kL p < ∞}.

Exercice 10.1. a) k t f kL p = | t| k f kL p , ∀ t ∈ R, ∀ f : X → R (avec la convention 0 · ∞ = 0).


b) Si f = g p. p., alors k f − gkL p = 0 et k f kL p = k gkL p .
c) k f kL p = 0 ssi f = 0 p. p.
d) La définition de k f kL∞ est correcte, au sens suivant. Soit A = { M ∈ [0, ∞] ; | f ( x)| ≤ M p. p.}. Alors
A est non vide et A a un plus petit élément, m. Cet m est le plus petit nombre C de [0, ∞] avec la
propriété | f ( x)| ≤ C p. p.
e) k f + gkL p ≤ k f kL p + k gkL p pour p = 1 et p = ∞. (Ici, f , g : X → R.)

Exercice 10.2. Soit U un ouvert de Rn , muni de la mesure de Lebesgue sur BU . Si f ∈ C (U ),


montrer que k f kL∞ = sup | f |.
U

La propriété b) de l’exercice 10.1 combinée avec l’exercice 4.8 montrent que la définition sui-
vante de k f kL p est correcte.

Définition 10.2. Soit L p = L p ( X , µ) = L p / ∼. Ici, ∼ est l’équivalence f ∼ g ssi f = g p. p.


Si f ∈ L p , alors nous posons k f kL p = k gkL p , où g est une fonction arbitraire de la classe d’équiva-
lence définissant f .
Par abus de notation, et bien qu’un élément de L p soit une classe d’équivalence et non pas une
fonction, nous écrivons
µZ ¶1/p
p
k f kL p = | f | dµ , si 1 ≤ p < ∞.

89
90 CHAPITRE 10. ESPACES L P

Le sens de cette égalité est que pour tout représentant g de f , l’égalité précédente est vraie si
nous remplaçons à droite f par g.
Abus de notation analogue dans L∞ .
Plus généralement, nous pouvons définir de la même manière k f kL p , 1 ≤ p ≤ ∞, si f est une classe
d’équivalence de { g : X → R ; g mesurable} pour ∼. Nous avons alors L p = { f ; k f kL p < ∞}.

Remarque 10.1. Nous allons étudier dans la suite plusieurs propriétés des espaces L p . La pre-
mière question à se poser (qui sera parfois éludée par la suite, mais que le lecteur est invité à
élucider pour chacun des résultats suivants) est si la preuve est indépendante du choix de la
fonction dans la classe d’équivalence.
Illustrons cette question pour l’inégalité de Hölder, étudiée dans la section suivante. Dans le
cas particulier p = 2, cette inégalité affirme que k f gkL1 ≤ k f kL2 k gkL2 . Pour prouver cette inégalité,
nous allons montrer que
Z µZ ¶1/2 µZ ¶1/2
2 2
| f1 g1| ≤ | f1| | g1| , ∀ f 1 , g 1 : X → R. (10.1)

En prenant, dans (10.1), f 1 dans la classe de f et g 1 dans la classe de g, nous obtenons


Z
| f 1 g 1 | ≤ k f kL2 k g kL2 .

Pour conclure, il suffit de remarquer que f 1 g 1 est dans la classe de f g. Ceci découle de l’exercice
suivant.

Exercice 10.3. La relation d’équivalence f ∼ g ssi f = g p. p. a les propriétés suivantes.


a) Si f ∼ f 1 et g ∼ g 1 , alors f + t g ∼ f 1 + t g 1 , ∀ t ∈ R (à condition que les fonctions soient finies en
tout point).
b) Si f ∼ f 1 et g ∼ g 1 , alors f g ∼ f 1 g 1 .
c) Si f ∼ g et si Φ : R → R, alors Φ ◦ f ∼ Φ ◦ g.

Dans le même esprit, nous mentionnons la propriété suivante, utilisée dans la définition du
produit de convolution.

Exercice 10.4. Nous munissons Rn de la mesure de Lebesgue. Soient f , g, f 1 , g 1 : Rn → R, avec


f ∼ f 1 et g ∼ g 1 . Soit x ∈ Rn . Alors h ∼ h 1 , où

h( y) = f ( x − y) g( y), h 1 ( y) = f 1 ( x − y) g 1 ( y), ∀ y ∈ Rn .

Remarque 10.2. Si 1 ≤ p < ∞ et f ∈ L p , alors la proposition 6.9 (appliquée à | f | p ) et la remarque


6.3 montrent qu’il existe, dans la classe d’équivalence de f , une fonction g finie p. p.
Si f ∈ L ∞ , soit A = { x ∈ X ; | f ( x)| > esssup f }. Alors A ∈ T est négligeable, d’où g = f χ A c est
dans la classe de f . Notons que g est, par construction, bornée, en particulier finie en tout point.
Ainsi, lorsque nous travaillons avec une classe f de L p , nous pouvons toujours considérer un
représentant fini en tout point (et, si p = ∞, borné).
En particulier, si f , g ∈ L p alors nous pouvons définir la classe f + g comme celle de f 1 + g 1 ,
avec f 1 (respectivement g 1 ) dans la classe de f (respectivement g) finie p. p. Dans l’esprit de la
remarque 10.1, nous laissons au lecteur le soin de vérifier que la classe f + g obtenue ne dépend
pas du choix de f 1 et g 1 .

Remarque 10.3. Nous pouvons identifier de manière naturelle les classes d’équivalence des fonc-
tions T -mesurables et T -mesurables. En effet, soit f 1 : X → R une fonction T -mesurable. Alors
10.2. INÉGALITÉ DE HÖLDER 91

(proposition 4.5 a)) il existe une fonction T -mesurable g 1 : X → R telle que f 1 = g 1 µ-p. p. (ou, ce
qui est équivalent, telle que f 1 = g 1 µ-p. p.).
Notons : f la classe de f 1 par rapport à ( X , T , µ), g la classe de g 1 par rapport à ( X , T , µ), G
la classe de g 1 par rapport à ( X , T , µ). Par choix de g 1 , nous avons f = g. Par ailleurs, nous avons
G ⊂ g (vérifier). L’application f 7→ G est bien définie et bijective, de réciproque G 7→ g (vérifier).
Cette identification naturelle s’étend aux espaces L p : si f 1 ∈ L p ( X , µ), alors les classes res-
pectives satisfont f ∈ L p ( X , µ) et G ∈ L p ( X , µ), ce qui donne une bijection naturelle, f 7→ G , entre
L p ( X , µ) et L p ( X , µ). Cette bijection préserve la norme : k f kL p (X ,µ) = kG kL p (X ,µ) (vérifier).
En particulier, nous pouvons identifier L p (Rn , λn ) à L p (Rn , νn ).
Exercice 10.5 (espaces ` p ). a) Si µ est la mesure de comptage, alors l’égalité p. p. équivaut à
l’égalité. Ainsi, nous pouvons identifier naturellement L p et L p .
Si X = N muni de la mesure de comptage sur P (N), alors nous définissons ` p = ` p (N) = L p = L p ,
1 ≤ p ≤ ∞.†
b) Si (a n ) est une suite indexée sur n ∈ N, montrer que
(¡ P ¢1/p
|a n | p , si 1 ≤ p < ∞
k(a n )k` p = .
sup |a n |, si p = ∞

c) Montrer que si 1 ≤ p 1 ≤ p 2 ≤ ∞, alors `1 ⊂ ` p1 ⊂ ` p2 ⊂ `∞ . De plus, ces inclusions sont « conti-


nues » : si 1 ≤ p ≤ r ≤ ∞, alors k(a n )k`r ≤ k(a n )k` p .
d) Soit (a n ) ∈ ` p , avec p < ∞. Montrer que pour tout r > p nous avons lims→r k(a n )k`s = k(a n )k`r .
e) Si 1 ≤ r < ∞ et (a n ) est une suite arbitraire, alors lims&r k(a n )k`s = k(a n )k`r .
Exercice 10.6. a) Nous munissons Rn de la mesure de Lebesgue. Montrer que toute classe d’équi-
valence contient un représentant borélien.
b) Même propriété si à la place de Rn nous considérons une partie borélienne de Rn .
c) Généralisation ?
Exercice 10.7. Nous supposons µ finie.
a) Montrer que si 1 ≤ p 1 ≤ p 2 ≤ ∞, alors L∞ ⊂ L p2 ⊂ L p1 ⊂ L1 .
b) Soit f ∈ L p , avec p > 1. Montrer que pour tout 1 ≤ r < p nous avons lims→r k f kL s = k f kL r .

10.2 Inégalité de Hölder


Définition 10.3. Les nombres p, q ∈ [1, ∞] sont conjugués (ou exposants conjugués) ssi 1/ p +
1/ q = 1.‡ §

Exercice 10.8 (inégalité de Young). Soient 1 < p, q < ∞ exposants conjugués. Alors
ap bq
ab ≤ + , ∀ a, b ∈ [0, ∞[. (10.2)
p q

Indication. Étudier, pour b fixé, la fonction a 7→ a p / p + b q / q − ab.


Théorème 10.1 (inégalité de Hölder). Si p, q sont conjugués, alors

k f gkL1 ≤ k f kL p k gkL q , ∀ f , g. (10.3)

L’inégalité s’entend pour des fonctions ou pour des classes d’équivalence.


†. Nous définissons de même ` p (Z) ou ` p ( A ), avec A ⊂ Z.
‡. Notons que nous ne pouvons pas avoir en même temps p = ∞ et q = ∞. Si, par exemple, p < ∞, alors q = p/( p−1).
Si nous avons en même temps q < ∞, alors par symétrie p = q/( q − 1).
§. q est désigné comme le conjugué de p (et réciproquement).
92 CHAPITRE 10. ESPACES L P

Démonstration. Il suffit de travailler avec des fonctions (voir la remarque 10.1).

Si p = 1 et q = ∞, nous devons montrer que


Z Z
| f g| ≤ esssup | g| | f |,

qui est vraie (vérifier). Argument similaire si p = ∞ et q = 1.

Supposons maintenant que 1 < p, q < ∞. Nous pouvons aussi supposer que 0 < k f kL p < ∞ et
0 < k gkL q < ∞ (justifier). Dans ce cas, nous avons | f | < ∞ p. p. et | g| < ∞ p. p. (justifier) et donc
nous pouvons travailler avec des fonctions finies en tout point (voir aussi la remarque 6.3). Pour
de telles fonctions et pour A ∈]0, ∞[, l’inégalité de Young donne

A p | f ( x)| p | g( x)| q
| f ( x) g( x)| = [ A | f ( x)|] [ A −1 | g( x)|] ≤ + , ∀x ∈ X. (10.4)
p Aq q

En intégrant (10.4), nous obtenons

Ap 1
Z
p q
| f g| ≤ k f kL p + q k g kL q . (10.5)
p A q

En choisissant, dans (10.5), la valeur de A qui minimise le membre de droite de (10.5), à savoir
q/(p+ q)
k g kL q
A= p/(p+ q)
,†
k f kL p

nous obtenons (10.3) (vérifier).


Pk
Exercice 10.9. Soient 1 ≤ p 2 , . . . , p k ≤ ∞ tels que j =1 1/ p j = 1. Alors

k f 1 f 2 . . . f k kL1 ≤ k f 1 kL p1 k f 2 kL p2 . . . k f k kL p k , ∀ f 1 , f 2 , . . . , f k : X → R.

Exercice 10.10. Nous supposons µ finie. Si 1 ≤ p ≤ r ≤ ∞, alors k f kL p ≤ (µ( X ))1/p−1/r k f kL r , ∀ f .


Ceci implique en particulier la conclusion de l’exercice 10.7 a).

Exercice 10.11. Soient 1 ≤ p 0 < p < p 1 ≤ ∞.


1 θ q−θ
a) Montrer qu’il existe un unique θ ∈]0, 1[ tel que = + .
p p0 p1
b) Montrer que k f kL p ≤ k f kθL p0 k f k1L−p1θ , ∀ f .

Proposition 10.1 (formule de dualité L p –L q (I)). Soient p, q exposants conjugués.


a) Si 1 ≤ p < ∞, alors nous avons
½Z ¾
k f kL p = sup f g ; g ∈ L , k gkL q ≤ 1 , ∀ f ∈ L p .
q
(10.6)

De plus, nous pouvons remplacer dans (10.6) le sup par max et considérer uniquement des fonc-
tions g telles que f g ≥ 0.
b) Si µ est σ-finie, alors l’égalité (10.6) reste vraie pour p = ∞.

Démonstration. Il suffit de travailler avec des fonctions de L p au lieu de classes de L p (justifier).


L’inégalité de Hölder implique « ≤ » dans (10.6). Il suffit donc d’établir « ≥ ».

†. Faire une étude de fonction pour justifier ce choix de A .


10.2. INÉGALITÉ DE HÖLDER 93

a) Soit d’abord p = 1. Soit g = sgn f .† Alors k gkL∞ ≤ 1 et f g = k f kL1 (justifier).


R

Soit maintenant 1 < p < ∞. Si k f kL p = 0, la conclusion est claire. Supposons k f kL p > 0. Soit h( x) =
p−1
| f ( x)| p−1 sgn f ( x). Alors h est mesurable et k hkL q = k f kL p (vérifier). Soit g = h/k hkL q , de sorte que
k gkL q = 1. Alors
Z Z
f g = (1/k hkL ) | f | p = k f kL p .
q

b) Supposons M = k f kL∞ > 0, sinon la conclusion est claire. Soit ( X n ) une suite croissante telle
que X n % X et µ( X n ) < ∞, ∀ n. Soit 0 < ε < M et soit

A = A ε = { x ∈ X ; | f ( x)| > M − ε}.

Alors µ( A ) > 0 (justifier). Soit h n = χ A ∩ X n sgn f , qui satisfait k h n kL1 = µ( A ∩ X n ) (vérifier). Par
théorème de la suite croissante, pour n suffisamment grand nous avons µ( A ∩ X n ) > 0. Pour un tel
n, posons g n = h n /µ( A ∩ X n ), de sorte que k g n kL1 = 1 . Nous obtenons
½Z ¾ Z Z
1
sup f g ; g ∈ L , k gkL1 ≤ 1 ≥ f g n = (1/µ( A ∩ X n )) | f | > M − ε. (10.7)
A∩ X n

Nous concluons en faisant ε → 0 dans (10.7).

Proposition 10.2 (formule de dualité L p –L q (II)). Soient p, q conjugués et f : X → R telle que


f g soit intégrable pour tout g ∈ L q .
a) Si p = 1, alors f ∈ L1 .
b) Si µ est σ-finie et 1 < p ≤ ∞, alors f ∈ L p .
En particulier, sous ces hypothèses nous avons (10.6).

La preuve repose sur le résultat auxiliaire suivant.

Lemme 10.1. Soient 1 < p, q < ∞ exposants conjugués. Soit (a k ) une suite de nombres réels
positifs telle que (a k ) p = ∞. Alors il existe une suite (αk ) de nombres réels positifs telle que
P

αk a k = ∞ et (αk ) q < ∞.
P P

Démonstration du lemme 10.1. Soient 0 = k 1 < k 2 < · · · tels que


Ãk !1/p
j +1 −1
(a k ) p
X
= Sj ≥ 1
k= k j

(justifier l’existence des k j ). Le choix

(a k ) p−1
αk = , ∀ j ≥ 1, ∀ k j ≤ k < k j+1 − 1,
j (S j ) p−1

donne une suite (αk ) avec les propriétés désirées. En effet, nous avons
k jX
+1 −1 X Sj X 1
X X 1 p
αk a k = ( a k ) = ≥ = ∞,
j j (S j ) p−1 k=k j j j j j
k jX
+1 −1
1 X 1
(αk ) q = (a k ) p =
X X
q p q
< ∞.
j j ( S j ) k= k j j j


1,
 si t > 0
†. Rappelons la définition de la fonction « signe » : sgn ( t) = 0, si t = 0 .

−1, si t < 0

94 CHAPITRE 10. ESPACES L P

Démonstration de la propositionR 10.2. Si p = 1, nous prenons g comme dans la preuve de a) de la


proposition 10.1. Alors | f | = f g < ∞, et donc f ∈ L1 .
R

p
Supposons 1 < p ≤ ∞. Supposons, par R l’absurde, que f 6∈ L . Pour un tel f , nous allons construire
q
une fonction g ∈ L telle que f g ≥ 0 et f g = ∞ – ce qui constitue la contradiction recherchée.
Étape 1. Construction de g si 1 < p < ∞ et µ est finie
Soit B = { x ∈ X ; | f ( x)| = ∞}. Si µ(B) > 0, alors g = sgn f χB convient. Ainsi, nous pouvons supposer
que µ(B) = 0, ce qui revient à | f | < ∞ p. p. Ainsi, nous pouvons supposer f finie (justifier).
Soit k ∈ Z. Posons A k = { x ∈ X ; 2k ≤ | f ( x)| < 2k+1 }, de sorte que les A k sont d. d. d. et f = 0 sur
X \ t A k . Soit f k = f χ A k . D’une part, nous avons
Z
p
k f k kL p (X ) = | f | p ≤ 2(k+1)p µ( A k ) < ∞. (10.8)
Ak

D’autre part, nous avons


p XZ p
Z
p
Z
| f | p = ∞.
X
k f k kL p (X ) = |f | = |f | = (10.9)
k k Ak tAk X

De (10.8) etRde la preuve de la proposition 10.1 a), il existe g k ∈ L q ( A k ) telle que k g k kL q (A k ) = 1,


f k g k ≥ 0 et A k f k g k = k f k kL p (A k ) = k f k kL p (X ) .
Nous allons prendre g de la forme g = αk g k χ A k , avec αk ≥ 0. Nous avons, par calcul direct,
P
Z Z
q q
| g k | q = (αk ) q ,
X X
| g| = (αk )
Ak
Z X Z X
f g = αk f k g k = α k k f k kL p .
Ak

Le lemme 10.1 combiné avec (10.9) montre que l’on peut trouver αk tels que αk k f k kL p (X ) = ∞ et
P

(αk ) q < ∞. Pour de tels αk , g a toutes les propriétés désirées.


P

Étape 2. Construction de g si 1 < p < ∞ et µ est σ-finie


Soit (Yn ) ⊂ T une suite d. d. d. telle que X = tYn et µ(Yn ) < ∞, ∀ n. Notons f n la restriction de f
à Yn , de sorte que f n est mesurable et
XZ Z
| f n|p = | f |p = ∞ (10.10)
n Yn X

p
R un n 0 , alors, de l’étape précédente, il existe g n : Yn → R telle que
R
R(vérifier).q Si Yn | f n0 | = ∞ pour
Yn0 | g n 0 | < ∞, f n 0 g n 0 ≥ 0 et Yn0 f n 0 g n 0 = ∞. Alors g = g n 0 χYn0 a les propriétés souhaitées.
Nous pouvons donc supposer que Yn | f n | p < ∞ pour tout
R
q
R n. De la preuve de la proposition 10.1 a),
il existe g n ∈ L (Yn ) telle que k g n kL q = 1, f n g n ≥ 0 et Yn f n Rg n = k f n kL p (Yn ) . Nous définissons g =
αn g n χ A n avec αn ≥ 0 à déterminer de sorte que g ∈ L q et f g = ∞. Comme dans l’étape 1, ces
P

propriétés sont vraies si nous choisissons (via le lemme 10.1), des αn tels que αn k f n kL p (Yn ) = ∞
P

et (αn ) q = ∞ (vérifier).
P

Étape 3. Construction de g si p = ∞ et µ est σ-finie


Soit (Yn ) la suite de l’étape 2. Soit B = { x ∈ X ; | f ( x)| = ∞}. Nous avons µ(B) = µ(B ∩ Yn ). Si
P

µ(B) > 0, alors 0 < µ(B ∩ Yn ) < ∞ pour (au moins) un n. Pour un tel n, g = sgn f χB∩Yn convient
(vérifier). L’étape 3 est donc complétée si µ(B) > 0. Ainsi, nous pouvons supposer que µ(B) = 0, d’où
| f | < ∞ p. p. Posons A j = { x ∈ X ; j ≤ | f ( x)| < j + 1}, ∀ j ∈ N∗ . Notons que les A j sont d. d. d. Comme
f 6∈ L∞ , il existe une infinité de j tels que µ( A j ) > 0 (justifier). Soient 1 ≤ j 1 < j 2 < · · · < j k < · · · tels
que µ( A j k ) > 0, ∀ k. Soit f k la restriction de f à A j k , de sorte que f k ∈ L∞ ( A j k ). De la preuve de la
proposition 10.1 b), il existe g k ∈ L1 ( A j k ) telle que k g k kL1 (A j ) = 1, f k g k ≥ 0 et
k
Z
f k g k ≥ (1/2) k f k kL∞ (A k ) ≥ (1/2) j k ≥ (1/2) k.
A jk
10.3. NORME ET COMPLÉTUDE 95

(1/ k2 ) g k χ A j , alors par calcul direct k gkL1 = (1/ k2 ) < ∞ et


P P
Si nous posons g =
k

Z X jk X 1
(1/2 k)2 k f k kL∞ ≥
X
f g≥ 2
≥ = ∞.
2k 2k

10.3 Norme et complétude


Théorème 10.2 (inégalité de Minkowski). a) Si 1 ≤ p ≤ ∞, alors k f + gkL p ≤ k f kL p + k gkL p ,
∀ f , g.
b) (L p , k kL p ) est un espace normé et (L p , k kL p ) est un espace « semi-normé ».†

Démonstration. Nous pouvons travailler avec des fonctions finies en tout point (justifier).
a) Les cas p = 1 et p = ∞ suivent de l’exercice 10.1 e). Nous pouvons donc supposer 1 < p < ∞
et aussi k f kL p < ∞, k gkL p < ∞. La fonction t 7→ Φ( t) = | t| p étant convexe,‡ nous avons Φ(( s + t)/2) ≤
(Φ( s) + Φ( t))/2, ∀ s, t ∈ R, d’où | s + t| p ≤ 2 p−1 (| s| p + | t| p ), ∀ s, t ∈ R (vérifier). Ceci implique | f + g| p ≤
2 p−1 (| f | p + | g| p ). En intégrant cette inégalité avec f , g ∈ L p , nous obtenons que f + g ∈ L p .
Comme f + g ∈ L p , nous pouvons appliquer la proposition 10.1 a). Avec q le conjugué de p,
nous obtenons
½Z ¾
q
k f + gkL p = sup ( f + g ) h ; h ∈ L , k hk L q ≤ 1
½Z ¾ ½Z ¾
q q
≤ sup f h ; h ∈ L , k hkL q ≤ 1 + sup g h ; h ∈ L , k hk L q ≤ 1

= k f kL p + k g kL p .

b) Les propriétés de (semi-)norme de k kL p suivent de l’exercice 10.1.

Corollaire 10.1. L’application L p 3 f 7→ k f kL p ∈ R est continue.

Démonstration. Ceci est vrai pour toute norme (car une norme est, d’après l’inégalité triangulaire,
Lipschitzienne de constante 1).

Théorème 10.3. (théorème de Fatou) L p est un espace normé complet, ∀ 1 ≤ p ≤ ∞.§

Démonstration. Rappelons le principe suivant de preuve. Pour montrer qu’un espace métrique
(en particulier, normé) est complet, il suffit de montrer que toute suite de Cauchy contient une
sous-suite convergente. Pour construire une telle sous-suite, nous reprenons essentiellement la
preuve du théorème 7.3.
Soit ( f n ) une suite de Cauchy dans L p et soit ( f n k ) une sous-suite telle que k f n k − f n k+1 kL p ≤
− k−1
2 , ∀ k ≥ 0.
Supposons d’abord 1 ≤ p < ∞. Pour tout k ≥ 1, posons g k = | f n0 |+ kj=−11 | f n j − f n j+1 |. La suite ( g k )
P

étant croissante, nous pouvons définir g = lim g k .


L’inégalité triangulaire et l’inégalité de Minkowski impliquent

| f n k | ≤ g k ≤ g et k g k kL p ≤ k f n0 kL p + 1. (10.11)

†. Un espace semi-normé est un espace vectoriel muni d’une « semi-norme ». Une semi-norme x 7→ k xk vérifie
toutes les propriétés de la norme sauf k xk = 0 =⇒ x = 0.
‡. Vérifier la convexité de la fonction Φ en étudiant la monotonie de sa dérivée.
§. Un espace normé complet est un « espace de Banach ». Donc L p est un espace de Banach.
96 CHAPITRE 10. ESPACES L P

Le théorème de convergence monotone et la deuxième partie de (10.11) donnent k gkL p < ∞. Nous
avons en particulier g( x) < ∞ p. p. Si x est tel que g( x) < ∞, alors
X
| f n 0 ( x )| + |( f n j − f n j+1 )( x)| ≤ g( x) < ∞.
j ≥0
P
Il s’ensuit que pour un tel x la série f n0 ( x) + j≥0 (( f n j − f n j+1 )( x)) converge vers un f ( x) tel que
| f ( x)| ≤ g( x) (justifier). Les sommes partielles de la série étant f n k ( x), nous obtenons f n k ( x) → f ( x)
et | f n k ( x)| p ≤ ( g( x)) p . Pour les autres x, nous définissons f ( x) = 0. De
Z ce qui précède, nous avons
f ∈ L p . Le théorème de convergence dominée (variante p. p.) donne | f n k − f | p → 0, d’où f n k → f
dans L p .
Enfin, supposons p = ∞. Soit B ∈ T négligeable tel que f n0 soit bornée sur X \ B. Soit A k ∈ T
un ensemble négligeable tel que | f n k − f n k+1 | ≤ 2−k−1 dans X \ A k . Soit A = B ∪ ∪ A k ∈ T , qui
est encore négligeable. Sur X \ A , f n0 est bornée et la suite ( f n k ) est de Cauchy pour la norme
uniforme. Elle converge donc uniformément vers une fonction bornée f . En posant f ( x) = 0 si
x ∈ A , nous avons f ∈ L∞ et f n k → f dans L∞ (vérifier).

Corollaire 10.2. Si f n → f dans L p , alors il existe une sous-suite ( f n k ) et une fonction g ∈ L p


telles que
(i) f n k → f p. p.
(ii) | f n k | ≤ g p. p.

Démonstration. ( f n ) étant une suite de Cauchy, si 1 ≤ p < ∞ le corollaire découle de la preuve du


théorème 10.3.
Si p = ∞, (i) suit de la preuve du théorème et nous pouvons prendre g = sup k f n kL∞ .

Proposition 10.3. Dans L2 ,


Z
< f , g >= f g, ∀ f , g ∈ L2 , (10.12)

est un produit scalaire, et k f kL2 =< f , f >1/2 .†

Démonstration. L’inégalité de Hölder avec p = q = 2 implique que < f , g > est bien défini. La
linéarité dans chaque variable et la symétrie étant évidentes, il suffit de vérifier que < f , f >=
0 =⇒ f = 0. Ceci découle de la dernière égalité de l’énoncé, qui est claire.

†. L2 est donc un espace normé complet dont la norme provient d’un produit scalaire : c’est un « espace de Hilbert ».
Chapitre 11

Convolution

11.1 Inégalité de Young


Dans ce chapitre, nous considérons uniquement des fonctions ou classes d’équivalence f , g,
etc., définies sur Rn ou sur une partie borélienne de Rn et qui sont Lebesgue mesurables.
La mesure sous-jacente est λn , sur la tribu L n . Cette mesure étant complète, nous pouvons
travailler si nécessaire avec des fonctions définies p. p. : pour de telles fonctions, les notions de
mesurabilité et intégrabilité sont bien définies (remarque 8.4).

Définition 11.1. Le produit de convolution de f , g : Rn → R est


Z
f ∗ g ( x) = f ( x − y) g( y) d y, (11.1)
Rn

défini pour les x tels que la fonction y 7→ f ( x − y) g( y) soit intégrable.

D’après l’exercice 10.4, la définition du produit de convolution a aussi un sens pour des classes
f et g. Dans la suite, nous travaillerons soit avec des classes, soit avec des fonctions boréliennes.
(Rappelons que dans chaque classe nous pouvons choisir un représentant borélien ; voir l’exercice
10.6 a).)

Exercice 11.1. Nous avons f ∗ g( x) = g ∗ f ( x), au sens où l’une de ses quantités existe ssi l’autre
existe et dans ce cas elles sont égales.

Théorème 11.1 (inégalité de Young). Soient 1 ≤ p, q ≤ ∞ tels que 1/ p + 1/ q ≥ 1. Soit 1 ≤ r ≤ ∞


défini par l’égalité 1/ r = 1/ p + 1/ q − 1. Soient f ∈ L p (Rn ), g ∈ L q (Rn ). Alors :
a) le produit de convolution f ∗ g est défini presque partout et définit une fonction Lebesgue
mesurable ;
b) nous avons f ∗ g ∈ L r (Rn ) et

k f ∗ gkL r ≤ k f kL p k g kL q . (11.2)

c) Si 1/ p + 1/ q = 1 (et donc r = ∞), alors nous avons les conclusions plus fortes suivantes : f ∗ g est
défini en tout point, et | f ∗ g( x)| ≤ k f kL p k gkL q , ∀ x ∈ Rn .

Démonstration. Commençons par le point c). Par symétrie du produit, nous pouvons supposer
p < ∞ (justifier). Avec h( y) = f ( x − y), l’inégalité de Hölder donne
Z
| f ∗ g|( x) ≤ | h( y) g( y)| d y ≤ k hkL p k gkL q = k f kL p k gkL q , ∀ x ∈ Rn

(justifier la dernière égalité), ce qui au passage montre que f ∗ g est défini en tout point (justifier).

97
98 CHAPITRE 11. CONVOLUTION

Supposons maintenant 1/ p + 1/ q > 1 et donc 1 ≤ r < ∞. Comme déjà remarqué, nous pouvons
considérer des fonctions boréliennes au lieu de classes d’équivalence. Il suffit de traiter le cas des
fonctions positives. En effet, si les conclusions du théorème sont vraies pour | f | et | g|, alors f ∗ g( x)
est défini pour tout x tel que | f | ∗ | g|( x) soit fini, et pour un tel x nous avons

f ∗ g( x) = f + ∗ g + ( x) − f + ∗ g − ( x) − f − ∗ g + ( x) + f − ∗ g − ( x) et | f ∗ g|( x) ≤ | f | ∗ | g|( x),

d’où les parties a) et b) du théorème (justifier).


Si f , g sont boréliennes positives, alors f ∗ g( x) existe (mais peut être infini) pour tout x, car il
s’agit de l’intégrale d’une fonction borélienne positive (vérifier que y 7→ f ( x − y) g( y) est borélienne).
Il suffit donc de montrer (11.2), car dans ce cas nous avons f ∗ g ∈ L r (Rn ) et donc f ∗ g( x) < ∞ pour
Rn \ A , avec A ⊂ Rn borélien négligeable. De manière équivalente, (11.2) donne y 7→ f ( x − y) g( y)
est intégrable pour tout x ∈ Rn \ A (ce qui donne la partie a) du théorème).
Notons les relations suivantes : p ≤ r , q ≤ r et 1/ r + (1 − p/ r ) + (1 − q/ r ) = 1. En utilisant ces faits et
l’exercice 10.9 (avec k = 3, p 1 = r , p 2 = ( r p)/( r − p), p 3 = ( rq)/( r − q) et la convention 1/0 = ∞), nous
obtenons, pour tout x ∈ Rn et avec h( y) = f ( x − y) :
Z
f ∗ g ( x) = [ h p/r ( y) g q/r ( y)] h1− p/r ( y) g1− q/r ( y) d y
Rn
p/r
≤ kh g q/r kL r k h1− p/r kL(r p)/(r− p) k g1− q/r kL(rq)/(r− q)
1− p/r 1− q/r
= k h p/r g q/r kL r k hkL p k gkL q
µZ ¶1/r
p q 1− p/r 1− q/r
= f ( x − y) g ( y) d y k f kL p k g kL q
Rn

(vérifier et justifier les deux dernières lignes, en considérant séparément les cas où p = r ou q = r ).
Ceci implique
Z Z µZ ¶
r− p r− q
kf ∗ gkLr r = [ f ∗ g( x)] r
dx ≤ k f kL p k gkL q p q
f ( x − y) g ( y) d y dx
Rn Rn Rn
Z µZ ¶
r− p r− q
= k f kL p k g kL q f p ( x − y) dx g q ( y) d y = k f kLr p k gkLr q
Rn Rn

(vérifier), d’où (11.2).

11.2 Régularisation
Dans cette partie, nous travaillons dans Rn muni de la norme euclidienne, désignée par « | | ».
Les intégrales s’entendent par rapport à la mesure de Lebesgue.

Rappelons le résultat suivant de calcul différentiel.

Lemme 11.1. Il existe une fonction ζ ∈ C ∞ (Rn , R), non identiquement nulle, telle que :
i) 0 ≤ ζ ≤ 1 si | x| < 1 ;
ii) ζ( x) = 0 si | x| ≥ 1.†

La fonction ζ est alors intégrable d’intégrale strictement positive (justifier). En divisant ζ par
son intégrale, nous obtenons ainsi l’existence d’un noyau régularisant.

( †. Voici2 un exemple explicite de telle fonction (dont nous ne vérifierons pas ici les propriétés). ζ( x) =
e−1/(1−| x| ) , si | x| < 1
.
0, si | x| ≥ 1
11.2. RÉGULARISATION 99

Définition 11.2. a) Un noyau régularisant (standard) est une fonction ρ ∈ C ∞ (Rn , R) telle
que :
i) ρ ( x) ≥ 0 si | x| < 1 ;
ii) ρR( x) = 0 si | x| ≥ 1 ;
iii) ρ = 1.

Si ρ : Rn → R, nous posons

ρ ε ( x) = 1/εn ρ ( x/ε), ∀ ε > 0, ∀ x ∈ Rn . (11.3)

Exercice 11.2. Soit ρ un noyau régularisant. Alors pour tout ε > 0 :


a) ρ ε ( x) ≥ 0 si | x| < ε ;
b) Rρ ε ( x) = 0 si | x| ≥ ε ;
c) ρ ε = 1.

Définition 11.3. Si k ∈ N ∪ {∞} et Ω est un ouvert de Rn ,

C kc (Ω) = {ϕ ∈ C k (Ω, R) ; il existe un compact K ⊂ Ω tel que ϕ( x) = 0, ∀ x ∈ Ω \ K }.

Proposition 11.1. Soient 1 ≤ p ≤ ∞ et k ∈ N ∪ {∞}. Soient f ∈ L p (Rn ) et ϕ ∈ C kc (Rn ). Alors :


a) f ∗ ϕ est défini en tout point.
b) f ∗ ϕ ∈ C k .
c) Pour toute dérivée partielle ∂α d’ordre ≤ k, ∂α ( f ∗ ϕ) = f ∗ (∂α ϕ).

Démonstration. Rappelons le résultat suivant : une fonction continue sur Rn qui s’annule en de-
hors d’un compact est bornée.

Soit R < ∞ tel que ϕ( x) = 0, ∀ | x| ≥ R . Soit ∂α une dérivée partielle d’ordre ≤ k. Alors ∂α ϕ est
continue et s’annule en dehors de B(0, R ) (justifier), donc il existe une constante finie C α telle que
|∂α ϕ( x)| ≤ C α , ∀ x ∈ Rn .

Soit q le conjugué de p. De ce qui précède, ∂α ϕ ∈ L q (justifier), et donc f ∗ ∂α ϕ est défini en tout


point (théorème 11.1 c)).

Montrons la continuité de f ∗ ϕ ; la continuité de f ∗R∂α ϕ se montre de la même manière. Soit


h( y, x) = f ( y) ϕ( x − y), x, y ∈ Rn , de sorte que f ∗ ϕ( x) = h( y, x) d y. Nous appliquons le théorème
7.9. La continuité par rapport au paramètre x étant claire, il faut obtenir la majoration exigée par
le (i00 ) du théorème. Soit x ∈ Rn . Alors ϕ( z − y) = 0 si | x − z| ≤ 1 et | y| ≥ r = R + | x| + 1, car dans ce cas
nous avons | z − y| ≥ R (justifier). Il s’ensuit que
Z
f ∗ ϕ( z) = h( y, z) d y, ∀ z ∈ B( x, 1).
B(0,r)

De ce qui précède, nous avons la majoration | h( y, z)| ≤ g( y) = C 0 | f ( y)| χB(0,r) ( y), ∀ z ∈ B( x, 1). Pour
conclure, il suffit de noter que g est intégrable, car, par l’inégalité de Hölder, si q est le conjugué
de p alors

k gkL1 ≤ C 0 k f kL p kχB(0,r) kL q = C k f kL p (avec C = C ( r ) < ∞).

Enfin, notons l’égalité ∂ j ( f ∗ ϕ) = f ∗ (∂ j ϕ). Le raisonnement est analogue à celui qui donne la
continuité de f ∗ ϕ ; on utilise le théorème 7.10 au lieu du théorème 7.9 (vérifier). Par récurrence
sur l’ordre de différentiation, ceci permet d’établir c) pour tous les α concernés.
Pour conclure, f ∗ ϕ a, jusqu’à l’ordre k, des dérivées partielles continues qui vérifient c). La
preuve est complète.
100 CHAPITRE 11. CONVOLUTION

Exercice 11.3. Soient f ∈ C k (Rn ) et ϕ ∈ C c (Rn ). Alors :


a) f ∗ ϕ est défini en tout point.
b) f ∗ ϕ ∈ C k .
c) Pour toute dérivée partielle ∂α d’ordre ≤ k, ∂α ( f ∗ ϕ) = (∂α f ) ∗ ϕ.
d) Si f est un polynôme (de n variables) de degré ≤ m, alors f ∗ ϕ est un polynôme de degré ≤ m.

Théorème 11.2. Soit ρ un noyau régularisant. Soit 1 ≤ p < ∞. Alors

f ∗ ρ ε → f dans L p (Rn ) quand ε → 0, ∀ f ∈ L p (Rn ). (11.4)

En particulier, C ∞ (Rn ) ∩ L p (Rn ) est dense dans L p (Rn ).

Remarque 11.1. Notez l’ambiguïté de la formulation. Considérons par exemple la deuxième par-
tie du théorème 11.2. Au sens stricte du terme, C ∞ ∩ L p n’a pas de sens, car L p contient des classes
et C ∞ des fonctions. Le sens de l’énoncé est le suivant : pour tout f ∈ L p , il existe une suite ( f j )
telle que :
a) f j ∈ C ∞ ∩ L p , ∀ j ;
b) pour tout représentant g de f , f j → g dans L p .
Une formulation équivalente est que, avec f j comme ci-dessus, la classe fej ∈ L p de f j vérifie
fej → f dans L p .

L’ingrédient clé de la preuve du théorème est le lemme suivant.

Lemme 11.2. Soit 1 ≤ p < ∞. Soient f ∈ L p (Rn ) et δ > 0. Alors il existe une fonction étagée de la
forme g = a j χK j , avec K j compact, ∀ j , telle que k f − gkL p < δ.
P

De manière équivalente, l’espace vectoriel engendré par les fonctions χK , avec K ⊂ Rn compact,
est dense dans L p (Rn ).†

Démonstration du théorème 11.2. Pour la deuxième partie du théorème, il suffit de noter que f ∗
ρ ε ∈ C ∞ (Rn ) (proposition 11.1) et d’appliquer (11.4).

Soit

X = { f ∈ L p (Rn ) ; f ∗ ρ ε → f dans L p (Rn ) quand ε → 0}.‡ (11.5)

Par linéarité du produit de convolution par rapport au premier argument, X est un sous-
espace vectoriel de L p . Montrons que X est fermé dans L p . Soit ( f j ) ⊂ X avec f j → f dans L p . Soit
δ > 0. Alors il existe un j et un ε0 tels que k f j − f kL p < δ/3 et k f j ∗ ρ ε − f j kL p < δ/3, ∀ 0 < ε < ε0 .
L’inégalité de Young et le fait que kρ ε kL1 = 1, ∀ ε (exercice 11.2) donnent

k f ∗ ρ ε − f kL p ≤ k( f − f j ) ∗ ρ ε kL p + k f j ∗ ρ ε − f j kL p + k f j − f kL p
≤ k f − f j kL p + k f j ∗ ρ ε − f j kL p + k f j − f kL p < δ, ∀ 0 < ε < ε0 .

δ étant arbitraire, nous obtenons que f ∈ X .

†. Par abus de langage, comme expliqué dans la remarque 11.1, la conclusion du lemme 11.2 est que les fonctions
étagées de la forme g = a j χK j sont denses dans L p (Rn ). Par ailleurs, la conclusion reste valable si nous remplaçons
P

Rn par un ouvert de Rn ; ceci découle de la preuve du lemme 11.2.


‡. Comme expliqué dans la preuve de l’inégalité de Young, nous pouvons considérer f ∗ ρ ε comme une classe, donc
élément de L p , ce qui donne un sens à (11.5). De manière alternative, nous pouvons aller dans le sens de la remarque
11.2. Dans cette perspective, (11.5) affirme que si g, h sont dans la classe de f , alors k g ∗ ρ ε − hkL p → 0 quand ε → 0.
11.2. RÉGULARISATION 101

Au vu du lemme 11.2 et de ce qui précède, afin de conclure il suffit de montrer que f = χK ∈ X ,


pour tout compact K .
Soit K un compact de Rn et δ > 0. Posons, pour j ≥ 1,

K j = { x ∈ Rn ; dist ( x, K ) ≤ 1/ j } = ∪ x∈K B( x, 1/ j ). (11.6)

Alors K j & K , K j est un compact et il existe j tel que λn (K j \ K ) < δ (lemme 9.1). Posons ` = 2 j et
ε0 = 1/`. Soit 0 < ε < ε0 .
Notons les faits suivants (évidents sur un dessin ; les justifier en utilisant la deuxième égalité
dans (11.6)) :

si x ∈ K et y ∈ B(0, ε), alors x − y ∈ K ` ; (11.7)


si x 6∈ K j et y ∈ B(0, ε), alors x − y 6∈ K ` . (11.8)

Il s’ensuit de (11.7) que


Z Z
x ∈ K =⇒ χK ` ∗ ρ ε ( x) = χK ` ( x − y) ρ ε ( y) d y = ρ ε ( y) d y = 1. (11.9)
B(0,ε) B(0,ε)

De même, (11.8) donne (vérifier)

x 6∈ K j =⇒ χK ` ∗ ρ ε ( x) = 0. (11.10)

Par ailleurs, si x ∈ K j \ K alors 0 ≤ χK ` ∗ ρ ε ( x) ≤ 1 (vérifier). Ce fait combiné avec (11.9) et (11.10)


implique

|χK − χK ` ∗ ρ ε | ≤ χK j \K , ∀ 0 < ε < ε0 . (11.11)

Nous obtenons, en utilisant (11.11), respectivement l’inégalité de Hölder :


kχK − χK ∗ ρ ε kL p ≤ kχK − χK ` ∗ ρ ε kL p + kχK ` ∗ ρ ε − χK ∗ ρ ε kL p
≤ kχK j \K kL p + kχK ` − χK kL p = kχK j \K kL p + kχK ` \K kL p (11.12)
1/p 1/p
≤ 2 kχK j \K kL p = 2 (λn (K j \ K )) < 2δ , ∀ 0 < ε < ε0 .

δ > 0 étant arbitraire, nous obtenons (11.4) pour f = χK .

Démonstration du lemme 11.2. Soit f ∈ L p . Nous pouvons travailler avec une fonction borélienne
au lieu d’un classe. Soit ( f k ) une suite de fonctions boréliennes étagées telle que sgn f k = sgn f ,
∀ k, f k → f et | f k | % | f | (l’existence d’une telle suite suit de la preuve du théorème 3.1). Par
convergence dominée, nous avons k f k − f kL p → 0 (justifier). Chaque f k étant une somme finie de
la forme a j χ A j , avec A j borélien et νn ( A j ) < ∞ (la dernière propriété découlant de f j ∈ L p ;
P

justifier), il suffit de montrer la conclusion du lemme si f = χ A , avec A borélien de mesure de


Lebesgue finie. Dans ce cas, rappelons que pour tout ε > 0 il existe un compact K ⊂ Rn tel que l’on
ait K ⊂ A et νn ( A \ K ) < ε (corollaire 4.1). Nous obtenons kχ A − χK kL p = kχ A \K kL p = (νn ( A \ K ))1/p <
ε1/p . ε étant arbitraire, nous obtenons le résultat désiré de densité.

En examinant la preuve de (11.11), nous déduisons le résultat suivant.


Lemme 11.3 (existence de fonctions plateau ; lemme d’Urysohn). Soient K ⊂ U ⊂ Rn , avec
K compact et U ouvert. Alors il existe une fonction ϕ ∈ C ∞
c (U ) telle que :
i) 0 ≤ ϕ ≤ 1 ;
ii) ϕ = 1 sur K .

Démonstration. Soit ε0 = dist (K,U c ), de sorte que ε0 > 0 (pourquoi ?). Soit 0 < ε < ε0 /2. Posons
L = { x ∈ Rn ; dist( x, K ) ≤ ε}, M = { x ∈ Rn ; dist( x, K ) ≤ 2ε}. Alors K ⊂ L ⊂ M ⊂ U (vérifier). Soit ρ un
noyau régularisant. La preuve de (11.11) implique que ϕ = χL ∗ ρ ε a toutes les propriétés requises ;
en particulier, ϕ( x) = 0 si x 6∈ M .
102 CHAPITRE 11. CONVOLUTION

Théorème 11.3. Soient 1 ≤ p < ∞ et Ω ⊂ Rn un ouvert. Alors C ∞


c (Ω) est dense dans L (Ω).
p

Démonstration. Soit f ∈ L p (Ω). Soit f le prolongement de f avec la valeur 0 à Rn \ Ω, de sorte que


f ∈ L p (Rn ). Soit ε > 0 et g ∈ C ∞ (Rn ) ∩ L p (Rn ) telle que k f − gkL p (Rn ) < ε/2 ; l’existence de g suit du
théorème 11.2. Soit g la restriction de g à Ω. Nous avons g ∈ C ∞ (Ω) ∩ L p (Ω) et k f − gkL p (Ω) < ε/2.
Il reste à trouver h ∈ C ∞ c (Ω) telle que k g − hkL p (Ω) < ε/2.

Rappelons le résultat suivant de topologie : il existe une suite (K j ) j≥1 de compacts telle que
K j % Ω.† Soit, comme dans le lemme 11.3, ϕ j ∈ C ∞ c (Ω) telle que 0 ≤ ϕ j ≤ 1 et ϕ j = 1 sur K j .
Alors ϕ j → 1 simplement dans Ω (justifier). Comme | g ϕ j − g| ≤ | g|, nous obtenons par convergence
dominée que k g ϕ j − gkL p (Ω) → 0. Pour j suffisamment grand, h = g ϕ j convient.

Exercice 11.4. Soient 1 ≤ p 1 , . . . , p k < ∞. Soit f ∈ L p1 (Ω) ∩ . . . ∩ L p k (Ω). Montrer qu’il existe une
c (Ω) telle que ϕ j → f quand j → ∞ dans L (Ω), i = 1, . . . , k.
pi
suite (ϕ j ) ⊂ C ∞

Exercice 11.5. En prenant n = 1 et f = χ[0,∞[ , montrer que les théorèmes 11.2 et 11.3 et le lemme
11.2 sont faux si p = ∞.

11.3 Pour aller plus loin

c (Ω) est dense dans L (Ω). Ce résultat per-


p
Si 1 ≤ p < ∞, nous savons (théorème 11.3) que C ∞
met, dans certains cas, d’établir des propriétés de toutes les fonctions f ∈ L p (Ω) en étudiant uni-
c (Ω). Nous donnons ici quelques exemples typiques.
quement les fonctions de C ∞

Proposition 11.2. Soient p, q exposants conjugués. Si f ∈ L p (Rn ) et g ∈ L q (Rn ), alors f ∗ g ∈ C (Rn ).

n
Démonstration. Nous avons soit p < ∞, soit q < ∞. Supposons par exemple p < ∞. Si f ∈ C ∞ c (R ),
la conclusion suit de la proposition 11.1. Soit f ∈ L p (Rn ) quelconque et soit ( f j ) ⊂ C ∞ n
c (R ) telle que
f j → f dans L p . Nous pouvons travailler avec un représentant de f , encore noté f . Alors l’inégalité
de Hölder donne

| f j ∗ g( x) − f ∗ g( x)| = |( f j − f ) ∗ g( x)| ≤ k f j − f kL p k gkL q → 0 quand j → ∞.

Il s’ensuit que f ∗ g est limite uniforme d’une suite de fonctions continues, donc continue.

Notation. Si f : Rn → R, τh f ( x) = f ( x − h), ∀ x, h ∈ Rn .

Exercice 11.6. Si f ∼ g, alors τh f ∼ τh g, ∀ h.

Proposition 11.3 (continuité des translations dans L p ). Soit 1 ≤ p < ∞. Pour tout f ∈ L p (Rn ),
nous avons τh f → f dans L p (Rn ) quand h → 0.

Démonstration. Compte tenu de l’exercice 11.6, nous pouvons travailler avec des fonctions. Soit
n n
f ∈ C∞ c (R ). Soit R < ∞ tel que f ( x) = 0 si | x| ≥ R . Soit h ∈ R tel que | h| ≤ 1. Si | x| ≥ R + 1, alors
τh f ( x) = 0 et f ( x) = 0 (vérifier). Par ailleurs, soit M = max{|∇ f ( x)| ; x ∈ Rn } < ∞ (justifier la finitude
de M ). Le théorème des accroissements finis donne (vérifier)

|τh f ( x) − f ( x)| ≤ M | h|, ∀ x, h ∈ Rn .

Il s’ensuit que, pour | h| ≤ 1, nous avons


Z Z
p p p p
kτh f − f kL p = |τh f ( x) − f ( x)| dx ≤ M | h| dx → 0 quand h → 0.
B(0,R +1) B(0,R +1)

†. Par exemple, les compacts K j = { x ∈ Rn ; | x| ≤ j et dist ( x, Ω c ) ≥ 1/ j } conviennent.


11.3. POUR ALLER PLUS LOIN 103

Soit maintenant f ∈ L p (Rn ) quelconque. Soit ε > 0. Soit g ∈ C ∞ n


c (R ) telle que k f − gkL p < ε/3. Soit
δ > 0 tel que kτh g − gkL p < ε/3 si | h| < δ.
En notant que kτh kkL p = k kkL p , ∀ k ∈ L p (Rn ) (vérifier), nous obtenons, pour | h| < δ :

kτh f − f kL p ≤ kτh f − τh gkL p + kτh g − gkL p + k g − f kL p


= kτh ( f − g)kL p + kτh g − gkL p + k g − f kL p
≤ k f − gkL p + kτh g − gkL p + k g − f kL p < ε.

ε > 0 étant arbitraire, nous obtenons la conclusion de la proposition.

Définition 11.4. Une approximation de l’identité est une famille (ζε )ε>0 telle que :
i) ζRε : Rn → R est (Lebesgue) intégrable, ∀ ε > 0 ;
ii) ζε = 1, ∀ ε > 0 ;
iii) il existe une constante RM < ∞ telle que kζε kL1 ≤ M , ∀ ε > 0 ;
iv) pour tout δ > 0, limε→0 Rn \B(0,δ) |ζε | = 0.
Définition analogue lorsqu’il s’agit d’une suite (ζ j ) j≥1 .

Un exemple fondamental d’approximation de l’identité est donné par le résultat suivant.

Proposition 11.4. Soit ρ ∈ L1 (Rn ) telle que ρ = 1. Soit, comme dans (11.3), ρ ε ( x) = 1/εn ρ ( x/ε),
R

∀ x ∈ Rn , ∀ ε > 0. Alors (ρ ε )ε> 0 est une approximation de l’identité.


En particulier, cette proposition s’applique lorsque ρ est un noyau régularisant.

ρε = ρ = 1 et |ρ ε | = |ρ | = M < ∞ (vérifier), de sorte que i)–iii)


R R R R
Démonstration. Nous avons
sont satisfaites.
Soit δ > 0. Alors (vérifier)
Z Z
|ρ ε ( x)| dx = |ρ ( y)| d y → 0 quand ε → 0,
Rn \B(0,δ) Rn \B(0,δ/ε)

la dernière conclusion étant une conséquence du théorème de convergence dominée (justifier).

Théorème 11.4. Soit 1 ≤ p < ∞. Soit (ζε )ε>0 une approximation de l’identité. Pour tout f ∈ L p (Rn )
nous avons f ∗ ζε → f dans L p (Rn ) quand ε → 0.
De même pour une suite (ζ j ) j≥1 .

n p n
Démonstration. Commençons par expliquer le passage de C ∞ c (R ) à L (R ). Supposons le théo-
∞ n p n n
rème prouvé pour les fonctions de C c (R ). Soient f ∈ L (R ) et ξ > 0. Soient g ∈ C ∞ c (R ) et ε0 > 0
tels que k f − gkL p < ξ et k g ∗ ζε − gkL p < ξ, ∀ 0 < ε < ε0 . Pour un tel ε, nous avons

k f ∗ ζε − f k L p ≤ k f ∗ ζε − g ∗ ζε k L p + k g ∗ ζε − g k L p + k g − f k L p
≤ k( f − g) ∗ ζε kL p + 2 ξ ≤ k f − gkL p kζε kL1 + 2 ξ ≤ ( M + 2) ξ.

ξ > 0 étant arbitraire, nous obtenons la conclusion du théorème pour f . Ainsi, il suffit d’obtenir la
n
conclusion pour f ∈ C ∞c (R ).
Pour les besoins des résultats à venir, nous allons estimer la différence f ∗ ζε − f lorsque f a la
propriété plus faible f ∈ C c (Rn ). Rappelons qu’une telle f est uniformément continue sur Rn .
Donné ξ > 0, soit 0 < δ < 1 tel que

∀ x, x0 ∈ Rn , | x − x0 | < δ =⇒ | f ( x) − f ( x0 )| < ξ.

Soit C < ∞ tel que | f ( x)| ≤ C , ∀ x ∈ Rn (justifier l’existence de C ). Enfin, soit R < ∞ tel que f ( x) = 0
si | x| ≥ R .
104 CHAPITRE 11. CONVOLUTION

Pour tout x ∈ Rn , nous avons


¯Z ¯
ε ε
| f ∗ ζ ( x) − f ( x)| = ¯ f ( x − y) ζ ( y) d y − f ( x)¯¯
¯ ¯
¯
¯Z ¯ Z
ε
= ¯ ( f ( x − y) − f ( x)) ζ ( y) d y¯¯ ≤ | f ( x − y) − f ( x)| |ζε ( y)| d y
¯ ¯
¯
Z Z
ε
= | f ( x − y) − f ( x)| |ζ ( y)| d y + | f ( x − y) − f ( x)| |ζε ( y)| d y
B(0,δ) Rn \B(0,δ)
Z Z
ε
≤ξ |ζ ( y)| d y + | f ( x − y) − f ( x)| |ζε ( y)| d y
B(0,δ) R \B(0,δ)
n
Z Z (11.13)
≤ξ |ζε ( y)| d y + | f ( x − y) − f ( x)| |ζε ( y)| d y
Rn Rn \B(0,δ)
Z
≤ Mξ+ | f ( x − y) − f ( x)| |ζε ( y)| d y
Rn \B(0,δ)
Z
≤ Mξ+ (| f ( x − y)| + | f ( x)|) |ζε ( y)| d y
R \B(0,δ)
n
Z
≤ M ξ + 2C |ζε ( y)| d y.
Rn \B(0,δ)

Par ailleurs, si | x| ≥ R + 1 et | y| < δ < 1, alors f ( x) = f ( x − y) = 0. Il s’ensuit que pour un tel x la


troisième ligne du calcul (11.13) donne
Z
ε
| f ∗ ζ ( x) − f ( x)| ≤ | f ( x − y)| |ζε ( y)| d y = | f | ∗ (|ζε | χRn \B(0,δ) )( x). (11.14)
Rn \B(0,δ)

Soit r = r δ,ε = Rn \B(0,δ) |ζε ( y)| d y, de sorte que limε→0 r δ,ε = 0, ∀ δ > 0. Soit ψ = ψδ,ε = |ζε | χRn \B(0,δ) ,
R

qui vérifie kψkL1 = r .


En utilisant (11.13) si | x| < R + 1 et (11.14) si | x| ≥ R + 1 nous obtenons, avec N = N (R ) < ∞ :
Z Z
ε p p
k f ∗ ζ − f kL p ≤ [ M ξ + 2C r ] dx + [| f | ∗ ψ] p
B(0,R +1) R \B(0,R +1)
n
Z
≤ N [ M ξ + 2C r ] p + [| f | ∗ ψ] p (11.15)
Rn
p p
≤ N [ M ξ + 2C r ] + k f kL p kψkL1 → N M p ξ p quand ε → 0.
p

ξ > 0 étant arbitraire, nous obtenons que f ∗ ζε → f dans L p (Rn ) quand ε → 0.

En faisant ε → 0 dans (11.13) et en tenant compte du fait que ξ est arbitraire dans (11.13),
nous obtenons la conséquence suivante de la preuve du théorème.

Corollaire 11.1. Soit (ζε )ε>0 une approximation de l’identité. Soit f ∈ C c (Rn ). Alors f ∗ ζε unifor-
mément dans Rn quand ε → 0.

Ce corollaire intervient dans la preuve du résultat suivant.

Théorème 11.5 (théorème d’approximation de Weierstrass). Soit K ⊂ Rn un compact. Soit


f ∈ C (K, R). Alors il existe une suite de polynômes de n variables (P j ) telle que P j → f uniformé-
ment sur K .
De manière équivalente, {P : K → R ; P fonction polynômiale} est dense dans C (K, R) muni de la
norme uniforme.

Démonstration. Nous utilisons le résultat suivant de topologie (théorème de Tietze) : si B est une
boule de Rn telle que K ⊂ B, alors toute fonction f ∈ C (K, R) admette une extension g ∈ C (Rn , R)
avec g( x) = 0, ∀ x ∈ Rn \ B. Ainsi, quitte à remplacer K par B et f par g, il suffit de montrer le
11.3. POUR ALLER PLUS LOIN 105

résultat pour la restriction à B d’une fonction f ∈ C (Rn , R) qui s’annule en dehors de B (justifier).
Sans perte de généralité, nous pouvons supposer que B = B(0, R ).

Soit f ∈ C c (Rn ) telle que f ( x) = 0 si | x| ≥ R . Soit ρ la « gaussienne standard » dans Rn , ρ ( x) =


2
(1/πn/2 ) e−| x| , ∀ x ∈ Rn . Rappelons que ρ = 1. La proposition 11.4 combinée avec le corollaire 11.1
R

donne f ∗ ρ ε → f uniformément sur Rn quand ε → 0.


Soit δ > 0. Soit ε > 0 tel que k f ∗ ρ ε − f kL∞ < δ, d’où (exercice 10.2)

| f ∗ ρ ε ( x) − f ( x)| < δ, ∀ x ∈ Rn . (11.16)

Nous allons trouver un polynôme S tel que

|(ρ ε − S )( z)| ≤ δ, ∀ z ∈ B(0, 2R ). (11.17)

En admettant l’existence d’un tel S , nous concluons de la façon suivante. Pour tout ϕ nous avons
Z
f ∗ ϕ( x) = f ( y) ϕ( x − y) d y. (11.18)
B(0,R)

Soit M < ∞ tel que | f ( x)| ≤ M , ∀ x ∈ Rn . Si x, y ∈ B(0, R ), alors x − y ∈ B(0, 2R ). En combinant ce fait
avec (11.16)–(11.18), il s’ensuit que, pour tout x ∈ B(0, R ) nous avons, avec N = N (R ) < ∞,
¯Z ¯
| f ∗ S ( x) − f ( x)| ≤ | f ∗ [S ( x) − ρ ε ]( x)| + |( f ∗ ρ ε − f )( x)| < ¯ f ( y) [S − ρ ε ]( x − y) d y¯¯ + δ
¯ ¯
¯
B(0,R)
Z
≤ Mδ d y + δ = N δ.
B(0,R)

δ > 0 étant arbitraire nous obtenons, pour une suite (S j ) convenable de polynômes, f ∗ S j → f
uniformément sur B quand j → ∞. Pour conclure, il suffit de noter que f ∗ S j est un polynôme
(exercice 11.3 d)).
Ainsi, pour compléter la preuve il suffit de trouver S satisfaisant (11.17). Rappelons que le dé-
veloppement en série de l’exponentielle converge vers l’exponentielle uniformément sur les com-
pacts : si T > 0 et ξ > 0, alors il existe k tel que

k t` ¯
¯ ¯
¯
¯ t X
¯e − ¯ ≤ ξ, ∀ t ∈ [−T, T ]. (11.19)
¯
¯ `=0 ` ! ¯

Soit k tel que (11.19) soit valide avec T = 4 R 2 /ε2 et ξ = πn/2 εn δ. Posons

k −| x − y|2 /ε2 `
¡ ¢
1 X
S= . (11.20)
πn/2 εn `=0 `!

De (11.19), (11.20) et la définition de la gaussienne, nous avons (11.17) (vérifier !).


Chapitre 12

Séries de Fourier

Dans ce chapitre, nous considérons des fonctions f : I → C, avec I ⊂ R intervalle. Le but est
d’écrire f comme une « superposition d’ondes (co)sinusoïdales », ou encore comme la somme d’une
série de Fourier. Le choix de I n’est pas important, les plus populaires étant I =]0, 1[ et I =]0, 2π[.
Nous travaillerons dans I =]0, 2π[ muni de la µ = (1/ m( I )) ν1 . Ainsi, si 1 ≤ p < ∞, alors
¶1/p
1
µ Z
p
kf k Lp = | f ( x)| dx . (12.1)
m( I ) I

Toutes les fonctions f considérées sont supposées être Lebesgue intégrables sur I .

12.1 Un peu d’algèbre bilinéaire


Soit H un espace vectoriel complexe, muni d’un produit scalaire complexe < , >,† qui induit la
norme | x| =< x, x >1/2 , ∀ x ∈ H .
Si ( e j ) j∈ J ⊂ H est une famille orthonormée,‡ alors pour tout x ∈ H et toute famille finie L ⊂ J
nous avons les propriétés suivantes.
¯ ¯2 ¯ ¯2 ¯ ¯2
¯X ¯ ¯ ¯ ¯ ¯
| x |2 = ¯ | < x, e j > |2 + ¯ x −
X X X
< x, e j > e j ¯ + ¯ x − < x, e j > e j ¯ = < x, e j > e j ¯ , (12.2)
¯ ¯ ¯ ¯ ¯ ¯
¯ j ∈L ¯ ¯ j ∈L
¯ j ∈L
¯ j ∈L
¯

d’où en particulier

| < x, e j > |2 ≤ | x|2 .


X
(12.3)
j ∈L

< x, e j > e j et | x|2 = | < x, e j > |2 .


X X
Si x ∈ Vect { e j ; j ∈ L}, alors x = (12.4)
j ∈L j ∈L

Nous allons appliquer ceci à l’espace L2 = L2 (]0, 2π[), muni du produit scalaire

1
Z 2π
< f , g >= f ( x) g( x) dx. (12.5)
2π 0

Exercice 12.1. a) Montrer que (12.5) définit un produit scalaire sur L2 .


b) Posons e n ( x) = e ınx , n ∈ Z, x ∈]0, 2π[. Montrer que la famille ( e n ) est orthonormée.
†. Nous considérons un produit scalaire linéaire dans le premier argument et antilinéaire dans le deuxième argu-
ment. L’exemple typique est C2 3 ( z1 , z2 ) 7→ z1 z2 .
‡. Donc < e i , e j >= 0, ∀ i 6= j et < e i , e i >= 1, ∀ i .

107
108 CHAPITRE 12. SÉRIES DE FOURIER

Définition 12.1. Si f ∈ L1 = L1 (]0, 2π[), le ne coefficient de Fourier de f ( n ∈ Z) est

1
Z 2π
cn( f ) = f ( x) e n ( x) dx. (12.6)
2π 0

Dans le cas particulier où f ∈ L2 , c n ( f ) =< f , e n >.

Posons, pour f ∈ L1 ,
n
X
Sn( f ) = ck( f ) e k. (12.7)
k=− n

Une telle somme est un polynôme trigonométrique, c’est-à-dire une somme finie de la
forme a k e ıkx .
P

Avec ces notations, les relations (12.2), (12.4), respectivement (12.3) avec J = Z et L = { k ∈
Z ; | k| ≤ n} donnent l’inégalité de Bessel
n 1
Z 2π 1
Z 2π
2 2
| f ( x)|2 dx = k f k2L2 , ∀ f ∈ L2 (]0, 2π[)
X
| c k ( f )| = |S n ( f )( x)| dx ≤ (12.8)
k=− n 2π 0 2π 0

et l’identité

k f k2L2 = kS n ( f )k2L2 + k f − S n ( f )k2L2 . (12.9)

12.2 Séries de Fourier dans L2


Théorème 12.1 (théorème de Fatou). Soit f ∈ L2 = L2 (]0, 2π[). Alors :
a) S n ( f ) → f dans L2Zquand n → ∞.
∞ 1 2π
| c k ( f )|2 = | f ( x)|2 dx = k f k2L2 (identité de Parseval).
X
b)
k=−∞ 2π 0

En combinant le théorème 12.1 et le corollaire 10.2, nous obtenons la conséquence suivante.

Corollaire 12.1. Soit f ∈ L2 = L2 (]0, 2π[). Alors il existe une sous-suite ( n j ) de N telle que

S n j ( f )( x) → f ( x) quand j → ∞, pour presque tout x ∈]0, 2π[. (12.10)

2
Théorème 12.2 (théorème de Riesz-Fischer). Soit (a n )n∈Z une suite telle que ∞
P
n=−∞ |a n | < ∞.
Alors il existe une et une seule fonction f ∈ L2 = L2 (]0, 2π[) telle que c n ( f ) = a n , ∀ n ∈ Z.

Démonstration du théorème 12.1. L’ingrédient fondamental dans la preuve est le résultat suivant
de densité, qui sera démontré plus tard.
Théorème 12.3. Soit g ∈ C ([0, 2π]) telle que g(0) = g(2π). Soit ε > 0. Alors il existe un polynôme
trigonométrique P tel que | g( x) − P ( x)| < ε, ∀ x ∈ [0, 2π].
De manière équivalente, soit C pér = { g ∈ C ([0, 2π]) ; g(0) = g(2π)}, muni de la norme uniforme. Alors
les polynômes trigonométriques sont denses dans C pér .

Démonstration du théorème 12.1 (en admettant le théorème 12.3). Soit f ∈ L2 et soit ε > 0. Soit
g ∈ C∞c (]0, 2π[) telle que k f − gkL2 < ε (l’existence de g suit du théorème 11.3). Soit P un polynôme
trigonométrique tel que | g( x) − P ( x)| < ε, ∀ x ∈ [0, 2π]. Notons que k g − P kL2 < ε, ce qui implique
k f − P kL2 < 2 ε.
12.2. SÉRIES DE FOURIER DANS L2 109

P
Soit n 0 tel que P = | k|≤ n 0 a k e k . Alors pour n ≥ n 0 nous avons S n (P ) = P (vérifier). Pour un tel
n, il s’ensuit que

k f − S n ( f )kL2 ≤ k f − P kL2 + kP − S n ( f )kL2 = k f − P kL2 + kS n (P − f )kL2


≤ k f − P kL2 + kP − f kL2 < 4 ε.

Au passage, nous avons utilisé l’inégalité kS n (P − f )kL2 ≤ kP − f kL2 , qui suit de (12.8).
ε > 0 étant arbitraire, nous concluons à S n ( f ) → f dans L2 .
b) suit de (12.9) et de a). En effet,

∞ n
2
| c k ( f )|2 = lim kS n ( f )k2L2 = k f k2L2 .
X X
| c k ( f )| = lim
n→∞ n→∞
k=−∞ k=− n

Démonstration du théorème 12.2. Soit P n = nk=−n a k e k . Alors chaque P n est un polynôme trigo-
P

nométrique et c k (P n ) = a k si | k| ≤ n (justifier). L’identité (12.4) donne, pour 0 ≤ n < m :

kP m − P n k2L2 = |a k |2 → 0 quand n, m → ∞.
X
n+1≤| k|≤ m

Il s’ensuit que (P n ) est une suite de Cauchy dans L2 . Par complétude de L2 , il existe f ∈ L2 telle
que P n → f dans L2 quand n → ∞. Nous avons, pour n ≥ | k| :

| c k ( f ) − a k | = | c k ( f ) − c k (P n )| = | < f − P n , e k > | ≤ k f − P n kL2 k e n kL2


= k f − P n kL2 → 0 quand n → ∞,

d’où c k ( f ) = a k pour tout k.


Pour l’unicité, notons que si c k ( f ) = c k ( g) pour tout k ∈ Z, avec f , g ∈ L2 , alors l’identité de
Parseval appliquée à f − g donne f = g.

Exercice 12.2. Que donne l’identité de Parseval pour f ( x) = x ?

Un autre résultat qui s’obtient en raisonnant par densité, dans l’esprit de la preuve du théo-
rème 12.1 (voir aussi la section 11.3) est le

Lemme 12.1 (lemme de Riemann-Lebesgue). Soit f ∈ L1 = L1 (]0, 2π[). Alors c n ( f ) → 0 quand


| n| → ∞.

c (]0, 2π[). Si n 6= 0, alors une intégration par parties donne


Démonstration. Soit d’abord g ∈ C ∞

1
Z 2π 1
Z 2π
− ınx
c n ( g) = g ( x) e dx = g0 ( x) e− ınx dx,
2π 0 2ı π n 0

d’où | c n ( g)| ≤ max | g0 |/| n| → 0 quand | n| → ∞.

Soient f ∈ L1 et ε > 0. Soit g ∈ C ∞


c (]0, 2π[) telle que k f − gkL1 < ε et soit n 0 tel que | c n ( g)| < ε si
| n| ≥ n 0 . Pour un tel n, nous avons

| c n ( f )| ≤ | c n ( g)| + | c n ( f − g)| ≤ | c n ( g)| + k f − gkL1 < 2 ε,

d’où la conclusion.
110 CHAPITRE 12. SÉRIES DE FOURIER

12.3 Comportement ponctuel des séries de Fourier

Dans cette partie, il sera commode de travailler avec des fonctions définies d’abord sur [0, 2π[,
qui sont prolongées par 2π-périodicité à R. Par exemple, si f ( x) = x, x ∈ [0, 2π[, alors le prolonge-
ment 2π-périodique de f est f ( x) = x − 2πE ( x/(2π)), ∀ x ∈ R.†

Exercice 12.3. Soit f 2π-périodique et intégrable sur ]0, 2π[. Alors :


a) Rf est intégrable
R a+sur tout intervalle borné.
2π 2π
b) 0 f ( y) d y = a f ( y) d y, ∀ a ∈ R.

Pn
Exercice 12.4. Soit f 2π-périodique et intégrable sur ]0, 2π[. Soit D n ( x) = k=− n
e ıkx , ∀ x ∈ R. (D n
est le noyau de Dirichlet).
a) Montrer que

1
Z 2π 1
Z π
S n f ( x) = f ( x − y) D n ( y) d y = f ( x − y) D n ( y) d y, ∀ x ∈ R.
2π 0 2π −π

b) Montrer que

 sin(( n + 1/2) y) ,
 (
si y 6∈ 2π Z sin( n y) cotan ( y/2) + cos( n y), si y 6∈ 2π Z
D n ( y) = sin( y/2) = .

2 n + 1, si y ∈ 2π Z 2 n + 1, si y ∈ 2π Z

Rπ R0
c) Montrer que 0 D n ( y) d y = −π D n ( y) d y = π.

Théorème 12.4 (théorème de Dirichlet). Soit f : R → R mesurable et 2π-périodique. Si f est


de classe C 1 par morceaux, alors S n ( f )( x0 ) → [ f ( x0 +) + f ( x0 −)]/2 quand n → ∞, ∀ x0 ∈ R.
Plus généralement, la même conclusion est vraie au point x0 si :
i) f est mesurable et bornée ;
ii) f a des limites à gauche f ( x0 −) et à droite f ( x0 +) en x0 ;
iii) il existe C < ∞ et ε > 0 tels que | f ( x0 +) − f ( x0 + t)| ≤ C t, | f ( x0 −) − f ( x0 − t)| ≤ C t, ∀ 0 < t < ε.

Démonstration. Traitons directement le cas général.‡ Posons



[ f ( x0 − y) − f ( x0 −)] cos( y/2)
, si 0 < y < π


sin( y/2)

g ( y) = [ f ( x − y) − f ( x0 +)] cos( y/2)
0
, si − π < y < 0



sin( y/2)

et
(
f ( x0 − y) − f ( x0 −), si 0 < y < π
h( y) = .
f ( x0 − y) − f ( x0 +), si − π < y < 0

Les hypothèses i)–iii) impliquent que g et h sont mesurables et bornées. (Vérifier. L’élément clé
est que g est bornée au voisinage de 0, grâce à l’hypothèse iii).) Par conséquent, si nous notons
encore g, h les prolongements 2π-périodiques de ces fonctions, alors g, h ∈ L1 (]0, 2π[).

†. E ( x) désigne la partie entière de x.


‡. Vérifier que les fonctions de classe C 1 par morceaux satisfont les hypothèses i)–iii).
12.3. COMPORTEMENT PONCTUEL DES SÉRIES DE FOURIER 111

En utilisant l’exercice 12.4, nous obtenons

f ( x0 +) + f ( x0 −) 1
Z 0
S n f ( x0 ) − = ( f ( x − y) − f ( x0 +)) D n ( y) d y
2 2π −π
1 π
Z
+ ( f ( x − y) − f ( x0 −)) D n ( y) d y
2π 0
Z π
1 1 π
Z
= sin( n y) g( y) d y + cos( n y) h( y) d y
2π −π 2π −π
Z π
1 1 π
Z
= g( y) [ e ın y − e− ın y ] d y + h( y) [ e ın y + e− ın y ] d y
4 ı π −π 4π −π
1 1
= [ c −n ( g) − c n ( g)] + [ c −n ( h) + c n ( h)] → 0 quand n → ∞,
2ı 2

la conclusion finale étant une conséquence du lemme de Riemann-Lebesgue.

S0 ( f ) + S1 ( f ) + · · · S n ( f )
Définition 12.2. Si f ∈ L1 , alors T n ( f ) = , n ∈ N.‡
n+1

D0 + D1 + · · · + D n
Exercice 12.5. Soit F n = , avec n ∈ N et D j le noyau de Dirichlet (F n est le
n+1
noyau de Fejér). Montrer les propriétés suivantes.
1 π
Z
a) Si f est 2π-périodique et intégrable sur ]0, 2π[, alors T n ( f )( x) = f ( x − y) F n ( y) d y, ∀ x ∈ R.
2π −π
2

 sin [( n + 1) y/2] , si y 6∈ 2π Z

b) F n ( y) = ( n + 1) sin2 ( y/2) .
si y ∈ 2π Z

 n + 1,
EnR particulier, F n ( y) ≥ 0, ∀ y, ∀ n.
π
c) −π F n ( y) d y = 2π.
d) Pour tout 0 < δ < π, F n → 0 uniformément sur [−π, −δ] ∪ [δ, π] quand n → ∞.
En particulier, pour tout 0 < δ < π,
Z
F n ( y) d y → 0 quand n → ∞. (12.11)
[−π,−δ]∪[δ,π]

Théorème 12.5 (théorème de Fejér). Soit f : R → C continue et 2π-périodique. Alors T n ( f ) → f


uniformément quand n → ∞.
De manière équivalente, soit f ∈ C ([0, 2π]) telle que f (0) = f (2π). Alors T n ( f ) → f uniformément
sur [0, 2π] quand n → ∞.

Démonstration. Nous travaillons sur R. Rappelons qu’une fonction continue et périodique sur R
est bornée et uniformément continue.

Soit M < ∞ tel que | f ( x)| ≤ M , ∀ x ∈ R. Soit ε > 0 et soit 0 < δ < π tel que

∀ x, x0 ∈ R, | x − x0 | < δ =⇒ | f ( x) − f ( x0 )| < ε.

‡. T n ( f ) est la moyenne de Cesàro de S 0 ( f ), . . . , S n ( f ).


112 CHAPITRE 12. SÉRIES DE FOURIER

En utilisant l’exercice 12.5 nous obtenons, pour tout x ∈ R :


1 ¯¯ π
¯Z ¯ ¯Z π ¯
1
f ( x − y) F n ( y) d y − 2π f ( x)¯¯ =
¯ ¯ ¯
| T n f ( x ) − f ( x )| = ¯ [ f ( x − y) − f ( x)] F n ( y) d y¯¯
2π −π
¯ 2π −π¯
Z π
1
≤ | f ( x − y) − f ( x)| F n ( y) d y
2π −π
1 δ 1
Z Z
= | f ( x − y) − f ( x)| F n ( y) d y + | f ( x − y) − f ( x)| F n ( y) d y
2π −δ 2π [−π,−δ]∪[δ,π]
Z δ
ε 2M
Z
≤ F n ( y) d y + F n ( y) d y
2π −δ 2π [−π,−δ]∪[δ,π]
Z π
ε M
Z
≤ F n ( y) d y + F n ( y) d y
2π −π π [−π,−δ]∪[δ,π]
M
Z
= ε+ F n ( y) d y → ε quand n → ∞.
π [−π,−δ]∪[δ,π]
Notons que la majoration finale dans la formule ci-dessus est indépendante de x, ce qui entraîne
lim sup sup |T n f ( x) − f ( x)| ≤ ε, ∀ ε > 0.
n→∞ x∈R

ε étant arbitraire, nous obtenons la convergence uniforme de T n ( f ) vers f quand n → ∞.

Démonstration du théorème 12.3. Au vu du théorème de Fejér, il suffit de prendre P = T n ( g) avec


n suffisamment grand.

12.4 Pour aller plus loin


L’étude du comportement de la suite (S n ( f )) a été l’un des moteurs importants du dévelop-
pement de l’analyse entre 1850 et 1970. Nous mentionnons ici sans preuve quelques résultats
marquants.
Théorème 12.6 (critère de Jordan). Si f : [0, 2π[→ R est monotone (étendue par 2π-périodicité
à R), alors S n ( f )( x0 ) → [ f ( x0 +) + f ( x0 −)]/2 quand n → ∞, ∀ x0 ∈ R.
Théorème 12.7 (théorème de du Bois-Reymond). Il existe une fonction continue et 2π-pério-
dique f telle que S n ( f )(0) 6→ f (0) quand n → ∞.†
Théorème 12.8 (théorème de Riesz). Soient 1 < p < ∞ et f ∈ L p = L p (]0, 2π[). Alors S n ( f ) → f
dans L p quand n → ∞.
Théorème 12.9 (théorème de Kolmogorov). Il existe une fonction f ∈ L1 = L1 (]0, 2π[) telle que
la suite (S n ( f )( x0 )) diverge, ∀ x0 ∈ [0, 2π].

Enfin, une amélioration remarquable du corollaire 12.1.


Théorème 12.10 (théorème de Carleson-Hunt). Soient 1 < p < ∞ et f ∈ L p = L p (]0, 2π[). Alors
S n ( f ) → f p. p. sur [0, 2π] quand n → ∞.‡

Pour une description historique de ces problèmes, une bonne référence est Edwards [6, Cha-
pitre 10], qui contient aussi des (ébauches de) démonstrations de ces résultats, sauf du dernier.
La preuve du dernier théorème est longue et difficile, même si elle a été beaucoup simplifiée entre
1973 et 2000 ; voir Grafakos [9, Chapitre 11].
†. Cette propriété négative est vraie pour « la plupart » des fonctions continues, mais donner un sens précis à « la
plupart » nécessite un formalisme qui ne sera pas développé ici.
‡. Le cas p = 2 est dû à Carleson, qui conjectura que le cas général 1 < p < ∞ devait se faire de manière analogue.
Une preuve pour 1 < p < ∞ fut trouvée ultérieurement par Hunt.
Chapitre 13

Transformée de Fourier

Dans ce chapitre, les fonctions considérées sont définies sur Rn et à valeurs complexes ; elles
sont supposées Lebesgue mesurables et/ou intégrables (par rapport à la tribu et à la mesure
de Lebesgue). Nous étudierons les propriétés basiques de la transformée de Fourier. Rappelons sa
définition : si f ∈ L 1 = L 1 (R) = L 1 (R, C) et ξ ∈ R, alors
Z
fb(ξ) = F ( f )(ξ) = e− ıxξ f ( x) dx. (13.1)
R

Notons que si f = g p. p., alors fb = gb en tout point. Nous pouvons donc définir fb pour une classe
f ∈ L1 (R), le résultat étant une fonction définie de manière unique en tout point de R. Pour cette
même raison, nous allons faire les calculs de transformée de Fourier sur des fonctions et non pas
sur des classes.

La définition et les remarques précédentes s’étendent aux fonctions définies sur Rn . Si f ∈


L1 (Rn ) et ξ ∈ Rn , alors
Z
f (ξ) = F ( f )(ξ) =
b e− ıx·ξ f ( x) dx. (13.2)
Rn

Pn
Ici, · désigne le produit scalaire standard dans Rn : x · ξ = j =1 x j ξ j .
Certaines propriétés de la transformée de Fourier s’obtiennent par des intégrations par parties
et/ou par « récurrence » sur les dérivées partielles. Les deux deviennent plus compliquée dans Rn
avec n ≥ 2 ; c’est pourquoi parfois les arguments sont détaillés uniquement en dimension un. Il
est instructif d’essayer d’adapter ces arguments aux dimensions supérieures.

Notations. a) α désigne un multi-indice α = (α1 , . . . , αn ) ∈ Nn .


b) La longueur de α est |α| = nj=1 |α j |.
P

c) Si x ∈ Cn et α ∈ Nn , xα = ( x1 )α1 · · · ( xn )αn .
d) Si f est de classe C |α| , alors ∂α f = (∂1 )α1 · · · (∂n )αn f .

Exercice 13.1. Montrer que

| xα | ≤ | x||α| , ∀ x ∈ Rn , ∀ α ∈ Nn . (13.3)

13.1 Transformée de Fourier dans L1


Nous travaillons dans L1 = L1 (Rn ).

113
114 CHAPITRE 13. TRANSFORMÉE DE FOURIER

Proposition 13.1. Soit f ∈ L1 .


a) fb est continue et

| fb(ξ)| ≤ k f kL1 , ∀ ξ ∈ Rn . (13.4)

b) (lemme de Riemann-Lebesgue)

lim fb(ξ) = 0. (13.5)


|ξ|→∞

c) Si, de plus, g ∈ L1 , alors


∗ g = fb g
b (13.6)

et
Z Z
fb(ξ) g(ξ) d ξ = f ( x) gb( x) dx. (13.7)
Rn Rn

Démonstration. a) Pour la première partie, nous appliquons le théorème 7.7 à la fonction ( x, ξ) 7→


e− ıxξ f ( x), en utilisant la majoration | e− ıxξ f ( x)| ≤ | f ( x)| (vérifier).
Pour la deuxième partie, notons que
Z
| fb(ξ)| ≤ | e− ıxξ f ( x)| dx = k f kL1 .
Rn

n
b) Le raisonnement se fait par densité, en partant de g ∈ C ∞ c (R ) et en utilisant (13.4) (justifier
cette démarche, en adaptant la fin de la preuve du lemme 12.1).
n n
c (R ). Nous prenons sur R la norme k k∞ . Soit R < ∞ tel que g( x) = 0 si k xk∞ ≥ R .
Soit g ∈ C ∞
n
Soit ξ ∈ R \{0}. Soit j = j (ξ) tel que kξk∞ = |ξ j | > 0. Sans perte de généralité, nous supposons j = 1.

Nous écrivons un point de Rn sous la forme x = ( x1 , x0 ), avec x0 ∈ Rn−1 . Le théorème de Fubini


donne (justifier)
Z µZ R ¶
0 0
− ıx1 ξ1
gb(ξ) = e g( x1 , x ) dx1 e− ıx ·ξ dx0
0
[−R,R]n−1 −R
1
Z µZ R ¶
0 0 1 d
− ıx1 ξ1
= e ∂1 g( x1 , x ) dx1 e− ıx ·ξ dx0 =
0
∂1 g(ξ),
ı ξ1 [−R,R]n−1 −R ı ξ1
d’où | gb(ξ)| ≤ (1/kξk∞ ) k|∇ g|kL1 → 0 quand |ξ| → ∞.
c) L’inégalité de Young donne f ∗ g ∈ L1 . En utilisant le fait que Rn ×Rn | f ( x − y)| | g( y)| dxd y < ∞
R

(vérifier), le théorème de Fubini permet de justifier le calcul suivant


Z
f ∗ g(ξ) =
 e− ıx·ξ f ∗ g( x) dx
ZR
n
µZ ¶
− ıx·ξ
= e f ( x − y) g( y) d y dx
Rn Rn
Z µZ ¶
− ıx·ξ
= e f ( x − y) dx g( y) d y
Rn Rn
Z µZ ¶
− ı(x− y)·ξ
= e f ( x − y) dx e− ı y·ξ g( y) d y
R n R n
Z µZ ¶
− ız·ξ
= e f ( z) dz e− ı y·ξ g( y) d y = fb(ξ) gb(ξ).
Rn Rn

L’identité (13.7) est


R une application directe du théorème de Fubini, dont l’application est jus-
tifiée par le fait que Rn ×Rn | f ( x)| | g(ξ)| dxd ξ < ∞ (vérifier).
13.1. TRANSFORMÉE DE FOURIER DANS L1 115

L’exercice suivant liste quelques calculs de routine qui nous seront utiles plus tard.

Exercice 13.2. a) Soient f ∈ L1 (Rn ) et ε > 0. Rappelons que f ε ( x) = ε−n f ( x/ε), ∀ x ∈ Rn .


(i) Montrer que f ε ∈ L1 .
V

(ii) Montrer que f ε (ξ) = fb(ε ξ).


V

(iii) Montrer que | f ε (ξ)| ≤ k f kL1 , ∀ ε > 0, ∀ ξ ∈ Rn .


b) Soient f ∈ L1 (Rn ) et h ∈ Rn . Rappelons que τh f ( x) = f ( x − h), ∀ x ∈ Rn .
(i) Montrer que τh f ∈ L1 .
(ii) Montrer que τh f (ξ) = e− ıh·ξ fb(ξ), ∀ ξ ∈ Rn .
V

c) Soit f ∈ L1 (Rn ).
(i) Montrer que f ∈ L1 . V

(ii) Montrer que f (ξ) = fb(−ξ), ∀ ξ ∈ Rn .


d) Soit f ∈ L1 (Rn ). Soit fˇ( x) = f (− x), ∀ x ∈ Rn .
(i) Montrer que fˇ ∈ L1 .V

(ii) Montrer que fˇ(ξ) = fb(−ξ) = fb̌(ξ), ∀ ξ ∈ Rn .

Si f est « mieux que L1 », alors la transformée de Fourier a quelques propriétés supplémen-


taires.

Proposition 13.2. Soient f ∈ L1 (R) et k ∈ N∗ . Si R | x|k | f ( x)| dx < ∞, alors f ∈ C k et fb(`) (ξ) =
V
R
V

(− ıx)` f (ξ), ∀ 0 ≤ ` ≤ j , ∀ ξ.
Plus généralement, soient f ∈ L1 (Rn ) et k ∈ N∗ . Si Rn | x|k | f ( x)| dx < ∞, alors fb ∈ C k et ∂α f (ξ) =
V
R

(− ıx)α f (ξ), ∀ α tel que |α| ≤ k.


V

Démonstration. Notons que pour 1 ≤ ` ≤ k nous avons t` ≤ 1 + t k , ∀ t ≥ 0.† En combinant cette


inégalité avec l’inégalité (13.3), nous obtenons que la fonction x 7→ xα f ( x) est intégrable si |α| ≤ k.
Ceci permet d’appliquer le corollaire 7.1 et d’obtenir les formules de l’énoncé.

Exercice 13.3. a) Soit g : R → R continue et intégrable. Alors il existe une suite R j → ∞ telle que
| g(R j )| + | g(−R j )| → 0 quand n → ∞.
De manière équivalente, lim inf (| g( x)| + | g(− x)|) = 0.
R →∞ | x|≥R
b) Soit g : Rn → R continue et intégrable, avec n ≥ 2. Donner un analogue de a) faisant intervenir
des intégrales sur les sphères { x ∈ Rn ; k xk∞ = R j }.
α f (ξ) = ( ıξ)α fb(ξ), ∀ α tel
Proposition 13.3. Si f ∈ C k (Rn ) et si ∂α f ∈ L1 , ∀ α tel que |α| ≤ k, alors ∂d
que |α| ≤ k.

Démonstration. Nous considérons uniquement le cas n = 1, qui repose sur l’exercice 13.3 a). La
preuve pour n ≥ 2 est similaire et est basée sur la partie b) de l’exercice.

La preuve se fait par récurrence sur k ; le point essentiel est le passage de k = 0 à k = 1. Soit
(R j ) comme dans l’exercice 13.3 a) avec g = f . Nous avons (justifier)
V
Z Z Rj
− ıxξ
f (ξ) =
0
e 0
f ( x) dx = lim e− ıxξ f 0 ( x) dx
R j →∞ −R j
µh iR j Z Rj ¶ Z
− ıxξ − ıxξ
= lim e f ( x) + ıξ e f ( x) dx = ıξ e− ıxξ f ( x) dx,
j →∞ −R j −R j R

qui est l’égalité désirée.

Corollaire 13.1. Soit f ∈ C nc +1 (Rn ). Alors fb ∈ C ∞ (Rn ) et fb est intégrable.


†. Montrer cette inégalité en examinant les cas 0 ≤ t ≤ 1 et t > 1.
116 CHAPITRE 13. TRANSFORMÉE DE FOURIER

Démonstration. Sous l’hypothèse plus faible f ∈ C c (Rn ), nous avons k


| f ( x)| dx < ∞, ∀ k ∈ N
R
R n | x|
(vérifier), d’où fb ∈ C ∞ (proposition 13.2).
Si |α| ≤ n + 1, alors ∂α f ∈ L1 (vérifier). La proposition 13.3 et l’inégalité (13.4) impliquent
α
|ξ | | fb(ξ)| ≤ C α . En prenant α = (0, 0, . . . , 0), α = ( n+1, 0, . . . , 0), α = (0, n+1, 0, . . . , 0), . . . , α = (0, 0, . . . , n+
1) et en sommant les inégalités obtenues, nous obtenons
à !
n+1 b n+1
X
(1 + kξk ) | f (ξ)| ≤ 1 + |ξ j |
∞ | fb(ξ)| ≤ C < ∞,
j

d’où, pour C 0 < ∞ convenable,


C C0
| fb(ξ)| ≤ ≤ , ∀ξ
1 + k ξ k∞
n+1 1 + |ξ|n+1
(justifier).
Par comparaison avec les intégrales de référence, fb ∈ L1 .
Exercice 13.4. Nous nous proposons ici de montrer (pour simplifier, uniquement pour n = 1) que,
pour k ≥ 2, il y a trop d’hypothèses dans la proposition 13.3.
a) Prenons d’abord k = 2. Soit f ∈ C 2 (R).
(i) Exprimer f ( x + 1) en fonction de f ( x), f 0 ( x) et f 00 en utilisant la formule de Taylor à l’ordre deux
sous forme intégrale au point x. En déduire une formule pour f 0 ( x).
(ii) Montrer qu’il existe une constante C < ∞ telle que k f 0 kL1 ≤ C (k f kL1 + k f 00 kL1 ).
(iii) En déduire que, pour n = 1 et k = 2, la conclusion de la proposition peut s’obtenir sous les
hypothèses plus faibles f ∈ C 2 , f , f 00 ∈ L1 .
b) Soit maintenant k ≥ 3. Soit f ∈ C k (R).
(i) Exprimer f ( x + 1), f ( x + 2), . . . , f ( x + k − 1) en fonction de f ( x), f 0 ( x), . . . , f (k−1) ( x) et f (k) en utilisant
la formule de Taylor à l’ordre k sous forme intégrale au point x. En déduire des formules pour
f 0 ( x), . . . , f (k−1) ( x).
(ii) Montrer qu’il existe une constante C < ∞ telle que k f 0 kL1 +· · ·+k f (k−1) kL1 ≤ C (k f kL1 +k f (k) kL1 ).
(iii) En déduire que, pour n = 1 et k ≥ 2, la conclusion de la proposition peut s’obtenir sous les
hypothèses plus faibles f ∈ C k , f , f (k) ∈ L1 .

Nous présentons maintenant un calcul fondamental : la transformée de Fourier des « gaus-


siennes » (centrées).
2
Exercice 13.5. a) Soit a > 0. Soit g a : R → R, g a ( x) = e−a x , x ∈ R. Nous nous proposons de calculer
V

ha = g a . Z
2
Rappelons que e− x dx = π1/2 .
R
(i) Montrer que g a ∈ L1 et calculer ha (0).
(ii) Montrer que ha ∈ C 1 et donner la formule de ( ha )0 .
ξ h a (ξ ) 2
(iii) En utilisant une intégration par parties, montrer que ( ha )0 (ξ) = − . Indication : x e− x /a =
³ ´0 2a
− a x2
−1/(2a) e .
V

2
(iv) Obtenir la formule e−a x (ξ) = (π/a)1/2 e−ξ /(4a) .
2

Sous une forme plus compacte, nous avons c g a (ξ) = (π/a)1/2 g1/(4a) (ξ).
2
b) Plus généralement, soit g a ( x) = e−a | x| , x ∈ Rn . Montrer que c g a (ξ) = (π/a)n/2 g1/(4a) (ξ), ∀ a > 0,
n
∀ξ ∈ R .
Théorème 13.1 (formule d’inversion de la transformée de Fourier). a) Soit f : Rn → C
continue et intégrable. Supposons fb intégrable. Alors
Z
f ( x) = (2π) −n
e ıx·ξ fb(ξ) d ξ = (2π)−n fb
b(− x) = (2π)−n fb̌
b( x), ∀ x ∈ Rn . (13.8)
Rn
13.1. TRANSFORMÉE DE FOURIER DANS L1 117

b) Soit f ∈ L 1 (Rn ). Supposons fb intégrable. Alors


Z
f ( x) = (2π) −n
e ıx·ξ fb(ξ) d ξ = (2π)−n fb b( x) p. p. dans Rn .
b(− x) = (2π)−n fb̌ (13.9)
Rn

Démonstration. Étape 1. Preuve de (13.8) pour x = 0 si, de plus, f est bornée


L’identité (13.7) avec g = (2π)−n g a , g a étant comme dans l’exercice précédent, donne
Z Z
2 2
−n a ξ n/2
(2π) fb(ξ) e − | |
d ξ = (1/(4π a)) f ( x) e−| x| /(4a) dx . (13.10)
Rn Rn
| {z } | {z }
Ia Ja

2
La domination | fb(ξ) e−a |ξ| | ≤ | fb(ξ)|, l’hypothèse fb ∈ L1 et le théorème 7.7 donnent (justifier)
Z
−n
lim I a = (2π) fb(ξ) d ξ. (13.11)
a&0 Rn

n/2 −| x|2 /4 1
ψ π ψ Rn ψ = 1 (vérifier). Nous
R
Pour étudier J a , posons ( x ) = (1/(4 )) e , de sorte que ∈ L et
1/2
avons Ja = Rn f ( x) ψa1/2 ( x) dx. Le changement de variables x = a y donne (vérifier)
R

Z Z
1/2
Ja = f (a y) ψ( y) d y → f (0) ψ( y) d y = f (0) quand a & 0. (13.12)
Rn Rn

Le passage à la limite dans (13.12) se fait en utilisant le théorème 7.7 et repose sur la continuité
de f et sur la domination | f (a1/2 y) ψ( y)| ≤ (sup | f |) |ψ( y)|, ∀ a > 0, ∀ y ∈ Rn (vérifier).
Nous concluons la première étape grâce à (13.10)–(13.12).

Étape 2. Preuve de (13.8) si, de plus, f est bornée


Soit k = τ− x f , dont la transformée de Fourier est ξ 7→ e ıx·ξ fb(ξ) (exercice 13.2 b)). La fonction k
vérifie les hypothèses assumées à l’étape 1 (vérifier), d’où
Z Z
(2π)−n e ıx·ξ fb(ξ) d ξ = (2π)−n b(ξ) d ξ = k(0) = f ( x),
k
Rn Rn

ce qui équivaut à (13.8) pour un x quelconque.

Étape 3. Preuve de (13.9)


Soit ρ un noyau régularisant. Soit f ε = f ∗ ρ ε . Alors f ε ∈ C ∞ (proposition 11.1), f ε est intégrable
(ceci suit de l’inégalité de Young avec p = 1 et q = 1) et bornée (conséquence de l’inégalité de Young
avec p = 1 et q = ∞, en utilisant le fait que ρ ε ∈ L∞ ). Par ailleurs, nous avons f ε = fb ρ ε (proposition
V
V

13.1). Comme |ρ ε (ξ)| ≤ 1 (exercice 13.2), nous obtenons que f ε ∈ L1 . Grâce à la deuxième étape, il
V
V

s’ensuit que
Z Z
ıx·ξ
e ıx·ξ fb(ξ) ρ ε (ξ) d ξ, ∀ ε > 0, ∀ x ∈ Rn .
V

−n −n
f ∗ ρ ( x) = (2π) f ∗ ρ ε (ξ) d ξ = (2π)
V

e (13.13)
| {zε } Rn Rn
f ε (x) | {z }
L ε (x)

Nous allonsR maintenant faire ε → 0 dans (13.13). Grâce à l’exercice 13.2 a) (appliqué à ρ ), au fait
que ρb(0) = ρ = 1 et à l’hypothèse fb ∈ L1 , nous obtenons
Z
lim L ε ( x) = (2π)−n
e ıx·ξ fb(ξ) d ξ, ∀ x ∈ Rn . (13.14)
ε→0 Rn

Par ailleurs, nous avons f ε → f dans L1 quand ε → 0 (théorème 11.2). Il s’ensuit qu’il existe une
suite ε j → 0 et un ensemble négligeable A ⊂ Rn avec f ε j ( x) → f ( x) quand j → ∞, ∀ x ∈ Rn \ A
(corollaire 10.2). En combinant ce fait avec (13.13) et (13.14), nous obtenons (13.9).
118 CHAPITRE 13. TRANSFORMÉE DE FOURIER

Étape 4. Preuve de (13.8)


De (13.9), l’égalité (13.8) est vraie p. p. Le membre de droite de (13.8) est continu (car la trans-
formée de Fourier de fb l’est, grâce à la proposition 13.1). Nous avons donc l’égalité p. p. de deux
fonctions continues sur Rn , ce qui revient à une égalité partout (exercice 4.13 b)) et implique
(13.8).

Corollaire 13.2. La transformée de Fourier F : L1 → L∞ est injective.

Démonstration. Si f ∈ L 1 (Rn ) et fb = 0, alors f = 0 νn -p. p. (théorème 13.1 b)) et donc la classe de


f est nulle.

En combinant le théorème 13.1 et le corollaire 13.1, nous obtenons le résultat suivant.

Corollaire 13.3. Soit f ∈ C nc +1 (Rn ). Alors


Z
f ( x) = (2π) −n
e ıx·ξ fb(ξ) d ξ, ∀ x ∈ Rn . (13.15)
Rn

Exercice 13.6. Dans R, soit f = χ[0,1] . Montrer que f ∈ L 1 mais que fb 6∈ L 1 . En déduire que la
formule d’inversion (13.9) ne s’applique pas à toutes les fonctions de L 1 .

Exercice 13.7. a) Soit f : R → R, f ( x) = e−| x| , ∀ x ∈ R. Calculer fb.


1
b) Soit g : R → R, g( x) = , ∀ x ∈ R. Calculer gb.
1 + x2
Exercice 13.8. Soit λ > 0. Soit
Z ∞
2
f ( x) = e−λ t (4π t)−n/2 e−| x| /(4t) dt, ∀ x ∈ Rn .
0

a) Montrer que f ∈ L1 (Rn ).


b) Calculer fb.

13.2 Transformée de Fourier dans L2


Proposition 13.4. Soient f ∈ L1 (Rn ) et g ∈ C nc +1 (Rn ). Alors
Z Z
fb(ξ) gb(ξ) d ξ = (2π)n f ( x) g( x) dx. (13.16)
Rn Rn

Démonstration. Notons que f , gb ∈ L1 et fb, g ∈ L∞ (justifier). Grâce à l’inégalité de Hölder, nous


obtenons f g, fb gb ∈ L1 . Il s’ensuit que les deux membres de (13.16) sont donnés par des intégrales
convergentes.
En utilisant la formule (13.8) et le corollaire 13.3, nous obtenons (justifier l’utilisation du
théorème de Fubini)
Z Z µZ ¶ Z µZ ¶
n − ıx·ξ
(2π) f ( x) g( x) dx = f ( x) e ıx·ξ gb(ξ) d ξ dx = f ( x) e gb(ξ) d ξ dx
Rn Rn Rn Rn Rn
Z µZ ¶ Z
− ıx·ξ
= e f ( x) dx gb(ξ) d ξ = fb(ξ) gb(ξ) d ξ,
Rn Rn Rn

d’où la conclusion.
13.2. TRANSFORMÉE DE FOURIER DANS L2 119

Théorème 13.2 (théorème de Plancherel). a) Soit f ∈ L1 ∩ L2 = L1 (Rn ) ∩ L2 (Rn ). Alors fb ∈ L2


et k fbkL2 = (2π)n/2 k f kL2 .
b) L’application L1 ∩ L2 3 f 7→ fb ∈ L2 admet une et une seule extension continue de L2 vers L2 .
Par abus de notation, cette extension est encore notée F , et nous posons fb = F ( f ), ∀ f ∈ L2 .
2 2
c) FZ : L → L a les propriétés Z suivantes :
n
(i) fb(ξ) gb(ξ) d ξ = (2π) f ( x) g( x) dx, ∀ f , g ∈ L2 ;
Rn Rn
(ii) k fbkL2 = (2π)n/2 k f kL2 , ∀ f ∈ L2 ;
(iii) F , F −1 sont linéaires, continus et bijectifs ;
(iv) f = (2π)−n fb̌
b, ∀ f ∈ L2 .

Démonstration. a) La formule (13.16) s’applique en particulier si f ∈ C nc +1 = C nc +1 (Rn ). En prenant


g = f , nous obtenons

k fbkL2 = (2π)n/2 k f kL2 , ∀ f ∈ C nc +1 . (13.17)

Soit f ∈ L1 ∩ L2 . Alors il existe une suite ( g j ) ⊂ C ∞ n 1 2


c (R ) telle que g j → f dans L et dans L quand
j → ∞ (exercice 11.4). Nous avons

ck kL2 = (2π)n/2 k g j − g k kL2 → 0 quand j, k → ∞,


gj − g
kc

g j est de Cauchy dans L2 . Nous obtenons l’existence d’une fonction


¡ ¢
ce qui montre que la suite c
h ∈ L2 telle que cg j → h dans L2 (théorème 10.3). Quitte à passer à une sous-suite, nous pouvons
aussi supposer que c g j → h p. p. (corollaire 10.2).
D’autre part, nous avons g j → f dans L1 , ce qui entraîne c g j → fb uniformément (inégalité (13.1)).
La limite p. p. d’une suite étant unique p. p. (justifier), nous en déduisons que fb = h p. p., d’où en
particulier fb ∈ L2 et c
g j → fb dans L2 .
En appliquant (13.17) à g j et en passant à la limite sur j , nous obtenons la validité de (13.17)
pour tout f ∈ L1 ∩ L2 (vérifier).
b) Rappelons le résultat suivant de topologie. Soient X , Y des espaces de Banach, et Z un sous-
espace vectoriel de X . Soit T : Z → Y une application linéaire et continue. Si Z est dense dans X ,
alors T admet une et une seule extension continue T e : X → Y . De plus, T
e est linéaire.
2 1 2
Appliquons ceci avec X = Y = L , Z = L ∩ L et T = F . Z contient C c , donc Z est dense dans X

(justifier). D’après le point a), T est continu, de norme (2π)n/2 . La conclusion de b) suit de ce qui
précède.
2
c) (i) L’égalité est vraie si f , g ∈ C ∞ c (proposition 13.4). Soient f , g ∈ L et des suites ( f j ), ( g j ) ⊂
2
C∞
c telles que f j → f et g j → g dans L quand j → ∞. Nous avons
Z Z
g j (ξ) d ξ = (2π)n
fbj (ξ) c f j ( x) g j ( x) dx, ∀ j. (13.18)
Rn Rn

Si <, > est le produit scalaire complexe dans L2 , alors (13.18) équivaut à

g j >= (2π)n < f j , g j >, ∀ j.


< fbj , c (13.19)

Pour obtenir c) (i), nous passons à la limite j → ∞ dans (13.19). Nous avons par exemple
¯ ¯ ¯ ¯ ¯¯ ¯
¯< fbj , c
g j > − < fb, gb >¯ ≤ ¯< fbj , gƒj − g >¯ + ¯< f
ƒ j − f , g
b >
¯
¯
° ° ° ° ° °
≤ ° fbj °L2 ° gƒ j − g L2 + ° f j − f ° 2 k gbkL2
° °ƒ°
L
= (2π)n ° f j °L2 ° g j − g°L2 + ° f j − f °L2 k gkL2 → 0 quand j → ∞.
£° ° ° ° ° ° ¤

Le passage à la limite dans le membre de droite de (13.19) se justifie de manière similaire. Nous
obtenons la validité de (i) pour tout f , g ∈ L2 .
120 CHAPITRE 13. TRANSFORMÉE DE FOURIER

c) (ii) Il suffit de prendre g = f dans (i).


c) (iii) Montrons d’abord que l’image de F est fermée dans L2 .† En effet, soit ( h j ) ⊂ F (L2 ) une
suite qui converge vers un h ∈ L2 . Soit f j ∈ L2 tel que fbj = h j . De (ii), nous avons

k f j − f k kL2 = (2π)−n/2 k h j − h k kL2 → 0 quand j, k → ∞.

Nous obtenons que ( f j ) est une suite de Cauchy dans L2 et donc il existe f ∈ L2 tel que f j → f
dans L2 quand j → ∞ (théorème 10.3). Il s’ensuit que h j → fb dans L2 quand j → ∞ (justifier), d’où
fb = h et donc h ∈ F (L2 ).
Par ailleurs, l’image de F contient C ∞ ∞
c . En effet, si g ∈ C c , alors nous avons d’une part (justifier)

g = ǧˇ = F ((2π)−n F ( ǧ)).

D’autre part, nous avons F ǧ ∈ L1 ∩ L∞ ; ceci suit de la proposition 13.1 a) et du corollaire 13.1.
Il s’ensuit que F ǧ ∈ L2 (utiliser l’exercice 10.11). Donc, comme affirmé, nous avons g ∈ F (L2 ),
∀ g ∈ C∞c .
De ce qui précède, F (L2 ) est fermé dans L2 et contient C ∞ 2
c , qui est dense dans L (théorème 11.3).
Il s’ensuit que F (L2 ) = L2 , d’où F est surjectif.
La formule c) (ii) montre que F est injectif. Donc F est bijectif.
F étant bijectif, la formule c) (ii) donne kF −1 ( f )kL2 = (2π)−n/2 k f kL2 (vérifier). En particulier, F −1
est continu.
c) (iv) se démontre de la manière suivante. La formule est vraie si f ∈ C ∞
c . De ce qui précède,
chacun des membres de l’égalité est continu pour la topologie de L2 . Par densité de C ∞ 2
c dans L ,
la formule reste vraie pour tout f ∈ L2 (justifier).

Remarque 13.1. a) Le théorème précédent permet de définir « de manière naturelle » fb pour


2 2 1 ‡ 2 1
Zf ∈ L . Si f ∈ L , nous n’avons pas nécessairement f ∈ L . Si f ∈ L \ L , la formule f (ξ) =
b
e− ıx·ξ f ( x) dx n’a pas de sens et ne définit pas fb.
Rn
La définition de fb se fait de la manière suivante.¡ Nous prenons une suite ( f j ) telle que f j ∈ L1 ∩ L2
et f j → f dans L quand j → ∞. Alors la suite fbj converge dans L2 . Si g est sa limite, alors g ne
2
¢

¡ ¢ et par définition nous avons f = g.


dépend pas du choix de la suite, V
b V

b) Le long d’une sous-suite fbj k , nous avons f j k → g p. p., et donc fb(ξ) = limk→∞ f j k (ξ) p. p.
c) Considérons le choix particulier f j = f χB(0, j) , j ∈ N∗ . Alors f j ∈ L1 ∩ L2 et f j → f dans L2 quand
j → ∞ (vérifier). Il s’ensuit que, pour tout f ∈ L2 , il existe une suite d’entiers j k → ∞ (en principe
dépendante de f ) telle que
Z
fb(ξ) = lim e− ıx·ξ f ( x) dx, pour presque tout ξ ∈ Rn .
k→∞ B(0, j k )

Exercice 13.9. Calculer les transformées de Fourier des fonctions suivantes.


a) f : R → R, f ( x) = (sgn x) e−| x| , ∀ x ∈ R.
1
b) g : R → C, g( x) = , ∀ x ∈ R.
x+ ı

†. Nous donnons une preuve directe de ce fait, mais nous aurions pu invoquer le résultat plus général suivant. Soit
T : X → Y linéaire et continu, avec X , Y espaces de Banach. S’il existe une constante C > 0 telle que kT xkY ≥ C k xk X ,
∀ x ∈ X , alors l’image de T est fermée. Dans notre cas, X = Y = L2 , T = F , et nous avons kF ( f )kL2 = (2π)n/2 k f kL2 ,
∀ f ∈ L2 .
‡. Prendre par exemple n = 1 et f ( x) = 1/(1 + | x|), ∀ x ∈ R.
13.3. POUR ALLER PLUS LOIN 121

13.3 Pour aller plus loin


La transformée de Fourier a d’innombrables applications, par exemple en théorie du signal,
traitement des images et équations aux dérivées partielles. Pour expliquer le rôle joué par la
transformée de Fourier dans l’étude des équations au dérivées partielles, partons d’un calcul for-
mel.
Nous cherchons à résoudre une équation aux dérivées partielles dans l’espace entier, par
exemple

u − ∆ u = f dans Rn , (13.20)

où ∆ est le laplacien, ∆ u = (∂1 )2 u + (∂2 )2 u + · · · + (∂n )2 u. Si nous avons le droit de prendre la


transformée de Fourier dans (13.20) et si la proposition 13.3 s’applique, alors (13.20) devient

b(ξ) = fb(ξ), ∀ ξ ∈ Rn ,
(1 + |ξ|2 ) u (13.21)

ce qui donne

1
b(ξ) =
u fb(ξ), ∀ ξ ∈ Rn . (13.22)
1 + | ξ| 2

Admettons qu’il existe une fonction K telle que

1
b (ξ) =
K , ∀ ξ ∈ R n .† (13.23)
1 + | ξ|2

Alors (13.21) et (13.22) donnent

u b (ξ) fb(ξ), ∀ ξ ∈ Rn .
b (ξ ) = K (13.24)

En comparant (13.21) à (13.7) et en supposant que l’on puisse identifier une fonction à partir
de sa transformée de Fourier,‡ nous obtenons, du moins formellement, l’égalité

u=K∗f. (13.25)

Nous voyons sur cet exemple le besoin de pouvoir définir la transformée de Fourier directe
ou inverse dans un cadre le plus large possible qui préserve les propriétés de la transformée
de Fourier obtenues dans la section 13.1. Le cadre naturel pour de tels résultats est celui des
distributions tempérées introduites par Schwartz. Pour une introduction rapide et efficace à
cette théorie et à quelques applications aux équations aux dérivées partielles, voir par exemple
Hörmander [13, Chapitre VII].

†. K existe bien ! Utiliser l’exercice 13.8 pour le montrer.


‡. Ceci est le cas si le corollaire 13.2 ou le théorème de Plancherel s’appliquent.
Propriétés des ensembles

Les objets qui apparaissent dans les exercices suivants sont :


a) A, B, ... sont des parties d’un ensemble X .
b) I est un ensemble d’indices.
c) f : X → Y .

Exercice 10.1. a) Si ( A n )n∈N est une suite croissante, alors ∪n≥0 A n = ∪n≥n0 A n , ∀ n 0 ∈ N.
b) Si ( A n )n∈N est une suite décroissante, alors ∩n≥0 A n = ∩n≥n0 A n , ∀ n 0 ∈ N.

Exercice 10.2. a) A ∩ (∪ i∈ I B i ) = ∪ i∈ I ( A ∩ B i ).
b) A ∪ (∩ i∈ I B i ) = ∩ i∈ I ( A ∪ B i ) .
c) (∪ i∈ I A i ) c = ∩ i∈ I A ci .
d) (∩ i∈ I A i ) c = ∪ i∈ I A ci .
e) A \ (∪ i∈ I B i ) = ∩ i∈ I ( A \ B i ).
f) (∪ i∈ I A i ) \ B = ∪ i∈ I ( A i \ B).
g) A \ (∩ i∈ I B i ) = ∪ i∈ I ( A \ B i ).
h) (∩ i∈ I A i ) \ B = ∩ i∈ I ( A i \ B).

Exercice 10.3. a) f −1 (∪ i∈ I B i ) = ∪ i∈ I f −1 (B i ).
b) f −1 (∩ i∈ I B i ) = ∩ i∈ I f −1 (B i ).
c) f −1 (B c ) = ( f −1 (B)) c .
d) Si, de plus, g : Y → Z , alors ( g ◦ f )−1 (B) = f −1 ( g−1 (B)).

Exercice 10.4. a) f (∪ i∈ I A i ) = ∪ i∈ I f ( A i ).
b) f (∩ i∈ I A i ) ⊂ ∩ i∈ I f ( A i ). En général, l’inclusion est stricte.
c) En général, il n’y a pas de relation d’inclusion entre f ( A c ) et f ( A ) c .

Exercice 10.5. χ A ∪B + χ A ∩B = χ A + χB .

Exercice 10.6. A ⊂ A 1 ∪ . . . ∪ A n ssi χ A ≤ χA j .


P

Exercice 10.7. A ⊂ B ∪ ( A ∆B).

Exercice 10.8. Si A ⊂ B et A ⊂ ∪ i∈ I A i , alors A ⊂ ∪ i∈ I ( A i ∩ B).

Exercice 10.9. a) ( A c )∆(B c ) = A ∆B.


b) (∪ i∈ I A i ) \ (∪ i∈ I B i ) ⊂ ∪ i∈ I A i \ B i .
c) (∪ i∈ I A i )∆(∪ i∈ I B i ) ⊂ ∪ i∈ I A i ∆B i .

123
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125
Index

A ∆B, 13 lim sup xn , 11


A c , 13 M (A ), 19
A n % A , 14 P ( X ), 13
A n & A , 14 Q j , 81
k(a n )k` p , 91 R, 11
B X , 21 S n ( f ), 108
C (A ), 19 sup{ x i ; i ∈ I }, 11
C pér , 108 sup xn , 11
n≥ n 0
c n ( f ), 108
sup f ( x), 11
diam A , 47 x∈ A
E ( x), 57 sgn, 93
E y , 70 sup A , 11
E x , 70 T , 30
esssup, 89 T (A ), 19
F ( f )(ξ), 113 T ⊗ S , 69
[| f | > t], 55 ( xn ) ⊂ A , 11
[ f ∈ A ], 55 x · ξ, 113
[ f ≤ t], 55 xα , 113
< f , g >, 96 0 · ∞, 26
fb(ξ), 113 α, 113
k f kL p , 89 |α|, 113
f ( A ), 23 λn , 36
f (·, λ), 65 µ-p. p., 31
f ( x, ·), 65 µ ⊗ ν, 71
f ∗ g, 97 µ, 31
f ∼ g, 89 νn , 36
f −1 (B), 23 ρ ε , 99
f −1 ( y), 23 τ, 21
f + , 51 τh , 102
Rχ A , 14
f − , 51
f y , 74
R A f , 52
R A f d µ, 52
f x , 74
inf A , 11
R I f ( x) dx, 58
L 1 , 51
R X f d µ, 49, 50, 51
L 1 ( X , µ), 51
RΩ f ( x) dx, 76
L p ( X , µ), 89
R f , 49, 50, 51, 53
L p , 89 f d µ, 49, 50, 51
L n , 36 α
∂ , 66, 113
L p , 89 ∂ j , 66
L p ( X , µ), 89 t, 15
` p , 91
lim inf xn , 11 a. p. d., 13

127
128 INDEX

approximation de l’identité, 103 identité de Parseval, 108


inégalité
clan, 13 de Bessel, 108
clan de Hölder, 91
engendré, C (A ), 19 de Markov, 55
induit, 14 de Minkowski, 95
classe monotone, 15 de Young (pour ab), 91
classe monotone de Young (pour f ∗ g), 97
engendrée, M (A ), 19 intégrale
coefficients de Fourier, 108 d’une fonction étagée, 49
coordonnées d’une fonction positive, 50
cylindriques, 87
polaires, 86 lemme
sphériques, 87 d’Urysohn, 101
sphériques généralisées, 87 de Fatou, 63
coupe, 70 de Riemann-Lebesgue, 109, 114
cube, 81
cube mesure, 15
taille d’un cube, 81 mesure
σ-additivité d’une mesure, 15
d. d. d., 14 σ-finie, 32
additivité d’une mesure, 29
ensemble borélienne, 33
T -mesurable ou mesurable, 14 complétée, µ, 31
élémentaire, 69 complète, 31
a. p. d., 13 de comptage, 15
borélien, 21 de Hausdorff, 47
dénombrable, 13 de Lebesgue dans Rn , λn , 36
de Cantor, 61 de Lebesgue sur les boréliens de Rn , νn ,
négligeable, 30 36
ensembles d. d. d., 14 de probabilité, 32
escalier du diable, 61 de Radon dans Rn , 33
espace de Stieltjes, 45
mesuré, 15 extérieure, 46
mesurable, 15 extension d’une mesure, 31
exposants conjugués, 91 finie, 32
monotonie d’une mesure, 29
fonction
produit, 71
étagée, 23
sous-additivité d’une mesure, 29
borélienne, 23
multi-indice, 113
caractéristique, χ A , 14
intégrable, 50 noyau
Lebesgue intégrable, 56 de Dirichlet, 110
mesurable, 23 de Fejér, 111
mesurable (à valeurs dans Rn ), 25 régularisant, 98
mesurable (définie sur A ⊂ X ), 25
plateau, 101 p. p., 31
qui a une intégrale, 51 pavé
formule de Rn , 14
d’inversion de la transformée de Fourier, de X × Y , 69
116 polynôme trigonométrique, 108
de dualité L p –L q , 92 presque partout, µ-p. p., 31
probabilité, 32
INDEX 129

produit de convolution, 97 de Dirichlet, 110


pseudométrique, 64 de Fatou (dans L2 (]0, 2π[)), 108
de Fatou (dans L p ( X )), 95
représentation
de Fejér, 111
admissible, 49
de Fubini, 75, 77
canonique, 49
de la classe monotone, 20
normale, 49
de la suite croissante, 30
série commutativement convergente, 59 de la suite décroissante, 30
suite croissante d’ensembles, A n % A , 14 de Plancherel, 119
suite décroissante d’ensembles, A n & A , 14 de Riesz-Fischer, 108
suite de fonctions de Tonelli, 74, 77
convergeant presque uniformément, 38 du changement de variables, 84
convergente en mesure, 38 du presque changement de variables, 86
de Cauchy en mesure, 38 réciproque du théorème de convergence
de Cauchy presque uniforme, 38 dominée, 64
théorème transformée de Fourier, 65, 113
d’approximation de Weierstrass, 104 tribu, 14
d’Egoroff, 38 tribu
de Beppo Levi, 54 borélienne, B X , 21
de Cantor-Bernstein, 16 complétée, T , 30
de Carathéodory, 46 complète, 31
de convergence décroissante, 56 de Lebesgue, L n , 36
de convergence dominée (de Lebesgue), engendrée, T (A ), 19
63 induite, 14
de convergence monotone, 54 produit, 69

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