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Mais la vie reprenait son cours. Et madame Delbosq, encore jeune et vaillante ne mit pas
longtemps à retrouver un courtisan puis un mari. Alors qu’elle reconstruisait son foyer et
pensait déjà à un avenir plus rose, sa petite Jeanne restait dans un état prostré, abandonnée
peu à peu par sa famille qui ne pouvait pas l’aider. Les médicaments n’avaient rien donné, les
encouragements et le soutien de ses proches non plus. Jeanne ne bougea pas de la boutique
jusqu’à ses vingt ans.
Le jour de son anniversaire, le 27 septembre 1923, l’esprit de la jeune femme se réveilla
subitement. Elle prit le peu d’affaires auxquelles elle tenait et quitta le foyer familial pour ne
plus jamais y revenir. Si elle ne s’était pas épanouie intellectuellement, il en était tout
autrement pour son physique. Jeanne était belle.
C’est certainement ce qui lui permit d’être remarquée par un groupe de poètes, alors qu’elle
errait dans les rues de la capitale. Ils l’emmenèrent dans leur squat, un grand loft où vivait
une vingtaine de personnes, et l’initièrent aux joies de la vie, joies artistiques, physiques et
nihilistes. Jeanne devint une dadaïste effrénée. Pendant que ses camarades de délire
expérimentaient d’autres formes d’expressions, elle se nourrit de toutes ces nouvelles
sensations, de ces idées rebelles et de cette vie de bohème qui devait la métamorphoser.
Mais la gêne en elle était toujours là et la rongeait peu à peu : le ressentiment, la haine… la
haine de ces voisins là qui l’avaient privée de l’amour de sa famille, qui avaient détruit sa vie.
La haine du Fridolin qui ne paierait jamais assez le prix du sang français versé pour la Mère
Patrie !
Jeanne sentait qu’elle ne pourrait plus continuer bien longtemps. Elle devait trouver un
moyen d’expulser cette colère, de l’exorciser et peut être de l’oublier. Elle se mit à écrire des
pamphlets contre le Boche. Elle participa à des manifestations anti-allemandes et qui
réclamaient le paiement intégral de la dette de guerre puis les organisa.
Jeanne suivait de très près l’évolution des relations internationales avec la République de
Weimar. Elle redoutait que l’Allemagne ne reprenne une place honorable dans la SDN.
C’est au cours d’une de ces manifestations qu’elle rencontra Jean Trully, un homme qui allait
enfin donner un sens à sa vie. Cette étrange personne la contacta en 1928. Il expliqua à Jeanne
qu’il l’observait depuis quelques temps et qu’il aimait ce qu’il voyait dans la jeune femme.
Qu’il comprenait sa peine et partageait sa crainte du Boche. Jean connaissait un moyen
d’aider plus activement à la lutte anti-allemande et proposa à Jeanne de l’intégrer dans son
équipe. La jeune femme accepta sans hésiter - elle rejoint le groupe de Trully et l’organisation
qui le soutenait. Jeanne intégra les Renseignements…
Les missions de Jeanne durèrent jusqu’à la libération de la Rhénanie par la France, en 1930.
Elle est depuis de retour à Paris, où elle ronge son frein et observe avec beaucoup d’anxiété la
montée en puissance de l’Allemagne nazie.
Son propre pays, mené par Daladier, est en train de signer des accords d’alliance avec
l’Ennemi. La France ne se rend-elle pas compte du danger que représente Hitler et ses
séides ?
Opération Méninges…
Il y a maintenant quatorze mois, une série d’enlèvements mystérieux débutait. A travers le
monde occidental, un scénario sinistre semblait se reproduire, toujours à l’identique : un
intellectuel brillant et reconnu, scientifique, professeur d’université, écrivain, ... disparaissait
subitement sans explication, du jour au lendemain. On ne le revoyait plus jamais.
Les premiers cas furent traités par les polices locales et la voie usuelle mais les dossiers
avaient toujours les mêmes caractéristiques, trop de similitudes. Les Renseignements
s’intéressèrent de plus près à l’affaire.
Une grande partie des disparus appartenaient à un cercle international regroupant des génies,
modestement appelé par ses fondateurs le Cercle des Parfaits. Cette société élitiste
commençait à faire jouer ses nombreux contacts pour que les disparitions cessent.
Le gouvernement français avait hélas bien d’autres préoccupations, entre la crise économique
mondiale et ses relations difficiles avec l’Allemagne voisine. Jusqu’à l’enlèvement de Claude
Lejeune, le 14 août 1933. Député maire en Eure-et-Loir, c’était le cas en trop pour a France.
Les Renseignements savaient que d’autres pays étaient aussi en cours d’investigation
concernant les enlèvements. Devant l’ampleur du phénomène et craignant une accélération
désastreuse, ils rentrèrent en contact avec eux et mirent en place un plan de coopération
internationale, une première à ce jour – l’opération Méninges était née…
Deux pays ont principalement répondu à l’appel, la Grande Bretagne et les Etats Unis. Ils ont
chacun dépêché un enquêteur à Paris, pour répondre enfin et de façon globale à l’appel du
Cercle des Parfaits qui se fait de plus en plus pressant.
Jeanne participera à l’enquête sous la couverture la plus simple : Inspecteur de police.
Quatre autres personnes forment pour l’instant l’équipe :
Henri-Philippe de la Feuillère
Pour faire avancer au mieux l’enquête, le gouvernement français voulait disposer
d’une personne proche du Cercle des Parfaits, mais sans être partie prenante dans
l’affaire. Ils ont opté pour ce jeune homme dont la candidature a été rejetée par le
Cercle. Son admission y a été refusée du fait de ses origines juives et le jeune homme
semble avoir un fort ressentiment à l’égard de l’élite intellectuelle du Cercle. Jeanne
s’est déjà prise de pitié pour Henri-Philippe, dont le simple arbre généalogique
condamne ses chances. Tout ça à cause de ce sale schleu d’Hitler !
de l’enquête. Un rendez-vous vient d’être fixé avec les membres dirigeants du Cercle des
Parfaits pour faire le point avec eux.
A priori tout le gratin du Cercle devrait être présent, ce mardi soir 12 septembre 1933, à la
Grande Loge des Parfaits - 33, rue de la Claire (16ème arrondissement).
Jeanne a déjà un très fort à priori négatif contre le Cercle. Pas spécialement parce que ses
membres sont des élitistes méprisant les gens moins brillants qu’eux, mais bien parce qu’ils
ont refusé le jeune Henri-Philippe pour cause de juiverie. Y aurait-il déjà en Europe un réseau
propageant les idées perverses du nazi Hitler ?
Et quoi que puisse apprendre Jeanne au cours de cet entretien, elle a déjà cette conviction qui
ne peut plus la quitter. Elle seule sait ce qu’il est advenu de tous ces génies perdus pour les
pays occidentaux : cela ne peut être qu’un coup de ces sales boches de malheur. Jeanne est
déjà prête à en découdre directement en Allemagne, avec les instigateurs de ces enlèvements
horribles.