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Henri-Philippe s’est montré dès l’adolescence un brillant élève, écumant les bibliothèques et
se construisant une culture très sûre. Cela ne l’a pas empêché pour autant de se développer
aussi physiquement, le jeune Henri-Philippe a pratiqué tous les sports de son rang : aviron,
équitation et ce nouveau jeu si divertissant, le tennis.
Mais ce qu’il préférait par-dessus tout et pratiquait dès qu’il en avait le temps, restaient les
Echecs.
La Diagonale du Fou
Dès son introduction au sein de cette fratrie et ses premières parties de Diagonale, Henri-
Philippe sût qu’il avait trouvé sa place. Il assimila avec une facilité et une rapidité
déconcertante l’intégralité des règles du jeu et devint en quelques mois un redoutable
adversaire. Au début, il ne savait quasiment rien de ses opposants. Karl venait le chercher
chez lui et l’emmenait 33, rue de la Claire (16ème arrondissement) dans un hôtel particulier qui
appartenait à la fratrie d’érudits.
On le conduisait alors directement à un salon particulier, au premier étage, où il découvrait
son adversaire et les échiquiers préparés. Et inlassablement Henri-Philippe remportait la
partie, les premières fois avec beaucoup de difficultés mais de plus en plus facilement au fur
et à mesure qu’il acquérait de l’expérience. Il joua ainsi longtemps sur une version simple de
la Diagonale du Fou, avec seulement deux échiquiers.
Puis on l’initia aux parties avec trois échiquiers simultanés et les portes de la fratrie
s’ouvrirent à lui. Elle s’appelait en fait le Cercle des Parfaits et réunissait les cerveaux les
plus brillants de ce milieu de siècle. De toutes nationalités, d’Europe comme des Amériques,
de toutes professions intellectuelles, les membres de ce cercle étaient choisis avec soin et pour
leur excellence dans leur domaine de prédilection, qui littéraire, qui scientifique.
On fit comprendre à Henri-Philippe que le Cercle était très satisfait par son potentiel et que sa
candidature était actuellement à l’étude.
Le jeune homme attendit ainsi un mois un verdict qu’il savait ne pouvoir être que favorable.
Pour passer le temps, il se mit à enchaîner les parties de Diagonale du Fou, évoluant
rapidement jusqu’au stade ultime des quatre échiquiers en simultané. Et toujours personne
pour arriver à le vaincre. Henri-Philippe était en train de rédiger l’étape supérieure de la
Diagonale qui se jouerait sur cinq échiquiers, lorsque le Cercle l’appela pour ce qu’il croyait
être son intronisation. Mais ce devait être un refus.
Henri-Philippe n’oubliera jamais ce jour du 04 mars 1933. On l’avait amené dans une grande
salle de réunion. Assis à une table, les Anciens du Cercle, quelques autres membres éminents
ainsi que son parrain Karl Zimmer. Et le couperet tombant sans ménagement sur toutes ses
illusions. Le dossier d’Henri-Philippe était il est vrai excellent mais ses origines familiales
n’étaient hélas pas aussi parfaites. Sa grande-mère paternelle était de confession juive, ce qui
entraînait par les liens du sang que son propre père était juif. Pour des raisons qui ne le
concernaient pas, le Cercle des Parfaits avait décidé depuis peu de ne plus accepter de
nouveaux membres dont les origines « laissaient à désirer ». On le refusait pour cause de
juiverie…
Opération Méninges…
Henri-Philippe eut vraiment du mal à se remettre de ce terrible coup. Il se retrouvait seul, les
parties de Diagonale du Fou ne lui étant plus accessibles ou avec des non-membres du Cercle,
incapables d’apprécier toute la finesse du jeu et d’offrir une véritable résistance. Seuls les
évènements tournant autour du Cercle des Parfaits pouvaient encore lui donner quelque
réjouissance.
Il y avait maintenant quatorze mois, une série de disparitions mystérieuses avait en effet
commencé. A travers le monde occidental, un scénario sinistre semblait se reproduire,
toujours à l’identique : un intellectuel brillant et reconnu, scientifique, professeur
d’université, écrivain, ... disparaissait subitement sans explication, du jour au lendemain. On
ne le revoyait plus jamais. Une grande partie des disparus appartenait au Cercle des Parfaits.
Henri-Philippe utilisa les relations de son père au sein du gouvernement pour en savoir plus.
Il apprit que les Anciens commençaient à faire jouer les nombreux contacts du Cercle afin
que ces disparitions cessent. Mais les gouvernements européens semblaient avoir bien
d’autres préoccupations, entre la crise économique mondiale et les relations difficiles avec
l’Allemagne.
Les dernières disparitions du mois d’août 1933 devaient faire évoluer la situation. Pour dieu
sait quelle raison, une cellule de crise fut créée à Paris. Le père d’Henri-Philippe, toujours
poussé par son fils, obtint des informations supplémentaires : cette cellule serait constituée
d’enquêteurs de plusieurs pays dans un essai de coopération internationale et pour arrêter au
plus tôt la vague d’enlèvements. L’enquête devait débuter par un entretien avec les Anciens
du Cercle des Parfaits, ceux là même qui avaient rejeté la candidature du jeune homme.
Mieux encore, le gouvernement français estimait qu’il faudrait pour renforcer cette mission
un contact proche du Cercle mais sans être partie prenante dans l’affaire. Henri-Philippe fit
comprendre à son cher père qu’il avait le profil idéal. Les relations paternelles firent le reste.
Le jeune autodidacte rejoint les membres de l’opération Méninges, constituée à ce jour de
quatre autres personnes :
Le jeune français jubile déjà. Lui, le « petit juif » rejeté par ces éminences, ces maîtres
absolus de la connaissance et du génie, lui qui n’était pas assez bien à leurs yeux, tient enfin
sa revanche à portée de main. Il est officiellement rattaché à une enquête de police et va
rentrer par la grande porte au Cercle pour poser des questions. Les pairs qu’il rêvait d’avoir
vont le rencontrer de nouveau mais cette fois-ci, les rapports de force ne sont plus les mêmes.
Lui et lui seul imposera le rythme de cette soirée et dictera aux Anciens la marche à suivre
s’ils veulent sauver leur misérable existence. Oui, cette soirée risque d’être réellement
mémorable.
Henri-Philippe est de plus ravi de participer à une enquête policière. Il se voit déjà, tel
Sherlock Holmes, dénouer les nœuds d’une intrigue inextricable et déjouer les plans des
machiavéliques esprits se cachant derrière les disparitions !
Le jeune français aurait apprécié de revoir André Testu, seul membre de la commission
d’admission qui avait osé se lever et affirmer l’absurdité d’un refus pour cause d’origine
juive. Réaction hélas bien inutile. Mais André Testu ne sera pas présent ce soir. Il fait partie
des membres du Cercle qui ont disparu.