Le Renforcement des Compétences

Linguistiques, réforme pressante et

audacieuse aux CPGE

Mina BAAHMAD
Université Ibn Tofail - Kenitra

Résumé : La réforme mise en œuvre en Classes Préparatoires aux

Grandes Écoles, en septembre 2021, aspire à pallier les problèmes
linguistiques des étudiants afin de renforcer leurs compétences
langagières et communicationnelles. Certes, les CPGE offrent un large
choix des écoles d’ingénieurs et de commerce, mais, elles sont de moins
en moins convoitées par les étudiants qui redoutent leur rythme et
n’arrivent pas à faire face au stress de ces deux années de formation et des
concours. De plus en plus appréhendées, elles accueillent désormais non
seulement les meilleurs bacheliers, mais également des élèves très moyens.
Aussi, les professeurs se plaignent-ils de la baisse du niveau en matières
scientifiques tout comme en langues. Une remise à niveau en langues est
ainsi perçue impérative et indispensable.
Mots-clés : CPGE ; Réforme ; Compétence linguistique ;
Communication ; Soft skills.
Abstract: The reform implemented in the “Classes Préparatoires aux

175
Grandes Écoles”, in September 2021, seeks to alleviate the linguistic
problems of students in order to strengthen their language and
communication skills. Despite the fact that the CPGE offers to students
a wide variety of engineering and business schools, they are less and less
attractive to students who fear their pace and are unable to manage with
the stress of these two years of training and challenging exams. Slightly
more apprehensive, they now accept not only the best baccalaureate
students, but also very average ones. Moreover, teachers complain about
the decline in the level of scientific subjects as well as in languages.
Refresher courses in languages are then obligatory and indispensable.
Keywords: CPGE; Reform; Linguistic competence; Communication;
Soft skills.

Introduction

Les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE)

représentent un système particulièrement prisé grâce à la
formation d’excellence et les opportunités qu’il offre aux
étudiants depuis sa création en 1985 au Maroc. Toutefois,
pareillement à l’université, à l’enseignement primaire et
secondaire, ce système traverse une période critique qui
nécessite une réhabilitation tendant à lui redonner son
attrait, notamment en ce qui concerne l’apprentissage des
langues étrangères qui constitue l’un des écueils majeurs
auxquels se heurtent les étudiants de tous les niveaux
scolaires et universitaires. Certes, les résultats des étudiants
des CPGE aux concours marocains ou étrangers prouvent
qu’ils sont doués et hautement qualifiés, néanmoins, la

176
langue constitue un obstacle à surmonter pour la plupart
d’entre eux.
Si à la rentrée universitaire 2021/2022, l’université
marocaine a adopté le bachelor qui fait des soft skills et de
l’enseignement/apprentissage des langues son cheval de
bataille, les CPGE ont opté pour le remplacement des cours
de culture arabe et traduction et les cours de français
(français et culture générale pour la filière économique et
commerciale, et français et philosophie pour la prépa
scientifique) par des activités de renforcement des
compétences linguistiques (RCL).
Dans cet article, nous essaierons de mettre en
exergue les compétences requises dans les CPGE. Ensuite
nous expliquerons les fondements du nouveau
programme ainsi que l’organisation des activités du RCL
pour voir comment elles seront en mesure de développer les
soft-skills chez les étudiants des prépas.

1. Les classes préparatoires aux grandes

écoles, une voie royale

Les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE)

sont un prolongement de l’enseignement secondaire
177
qualifiant, avec des horaires hebdomadaires plus chargés et
des classes à effectifs relativement réduits où l’absence non
justifiée est formellement interdite. Elles dépendent du
département de l’éducation nationale et tiennent lieu d’un
cycle post-baccalauréat de deux années scolaires.
Ce système a pour vocation première la formation
d’une élite politique et intellectuelle nationale à qui incombe
la responsabilité d’affirmer l’identité nationale et contribuer
au progrès social, économique, politique, scientifique et
technologique du pays. D’ailleurs, ayant prouvé son
efficacité, il est considéré par les jeunes bacheliers comme
étant une voie royale susceptible de leur permettre d’accéder
aux écoles supérieures d’ingénieurs ou de commerce les plus
prestigieuses au Maroc ou en France.

2. Les atouts d’un système d’excellence

Le système des classes préparatoires présente

plusieurs avantages qui en font un parcours de formation
fort estimé par les élèves pour la bonne raison que ces
derniers y sont bien encadrés. D’autant plus que
l’administration et les enseignants (dont la plupart sont des
professeurs agrégés) assurent un suivi personnalisé rigoureux
et un accompagnement pédagogique régulier et adapté, en
l’occurrence lors des cours, des colles, des travaux dirigés
(TD), des travaux pratiques (TP), des travaux d’initiative
personnelle encadrés (TIPE), etc., ils sont à la fois exigeants
et disponibles.
178
 En vue d’optimiser et d’améliorer la qualité de la
formation, les étudiants qui sont appelés à étudier au moins
une quarantaine d’heures par semaine, bénéficient d’un
régime d’internat avec buvettes et cantines où sont servis
trois repas par jour, ce régime est généralisé dans tous les
centres de CPGE publics. Il a pour objectif de favoriser
l’intégration, de privilégier le travail en équipe et de faciliter
l’échange et le partage entre les étudiants. De plus, il vise la
réduction des inégalités sociales et promeut l’égalité des
chances.
Étant pris en charge, leur préoccupation essentielle
serait avant tout de concourir à la réussite et
l’épanouissement en se consacrant entièrement à leurs études
et à leur formation.

3. En amont de la réforme

Les étudiants en prépa sont confrontés à deux années

denses avec un programme chargé et un rythme accéléré.
Ils doivent de ce fait apprendre à se concentrer à fond
pendant le cours et, en plus, enchainer par de longues
heures de travail personnel puisque le temps presse et les
professeurs, qui avancent régulièrement sur le programme,
ne peuvent souvent pas revenir sur toutes les notions déjà
vues en classe.
De ce fait, la gestion du stress et la gestion du temps
deviennent des soft skills indispensables et nécessaires à
acquérir par les étudiants, tout en restant motivés,
179
optimistes et enthousiastes afin de ne pas sombrer dans la
dépression sous l’effet des cours, des devoirs et des colles
qu’ils sont régulièrement appelés à préparer. Aussi doivent-
ils anticiper pour gérer les imprévus et s’organiser pendant
les weekends et les vacances en hiérarchisant leurs priorités
et en s’accordant des moments de détente dans le but de
pratiquer du sport ou d’autres activités leur permettant de
se délasser et reprendre haleine.
Dans leur véritable parcours de combattant, une
grande majorité des étudiants rencontrent des difficultés
considérables dues particulièrement à la non-maitrise de la
langue française. A partir de cette constatation, le ministère
de tutelle et le Centre National de l’Innovation
Pédagogique et de l’Expérimentation (CNIPE) ont mené
une enquête en 2021 auprès des enseignants des CPGE.
Les résultats obtenus ont dévoilé une nette régression au
niveau des performances linguistiques. Il s’est avéré que les
étudiants ne détiennent pas les compétences linguistiques
de base susceptibles de faciliter leurs apprentissages et, par
conséquent, améliorer concrètement leurs niveaux. Pire
encore, la langue constituerait un obstacle infranchissable
pour certains étudiants doués en matières scientifiques,
sachant que tous les cours ou presque sont dispensés en
français, de là émane un sentiment de manque de confiance
en soi et en ses capacités intellectuelles qui pourrait être à
l’origine d’une grande insécurité linguistique et
communicationnelle. La maitrise de la langue française est

180
ainsi une condition sine qua non à l’excellence, ou du
moins à la réussite.
Le ministère, par considération pour les résultats de
cette enquête a, ipso facto, estimé urgent et pressant de
lancer un programme de renforcement des compétences
linguistiques à la rentrée scolaire 2021/2022 ayant pour
objectif de pallier les lacunes et les manquements constatés
chez les étudiants. Et corollairement, redonner confiance
aux étudiants en difficultés d’apprentissage et stimuler leur
curiosité et leur créativité.

4. Les origines du pervertissement

Dans le même contexte de l’enquête précitée,

le Conseil Supérieur de l’Éducation de la Formation
et de la Recherche Scientifique, qui admet que
l’enseignement des langues est un défi majeur de
l’école marocaine, avoue que l’enseignement de la
langue française est un terrain semé d’embûches. En
attestent les résultats du PNEA 2019 publiés en
2021 :

« Les niveaux des acquis des élèves en langues

montrent qu’un nombre important ne disposent pas
des compétences linguistiques de base nécessaires pour
suivre le programme de la langue arabe de la 6ème
année du primaire et la 3ème année du secondaire
collégial. (…) Le problème est encore plus accentué
concernant la langue française. Dans cette matière,
181
 41% des élèves du primaire n’ont point acquis durant
les années du primaire les ressources nécessaires pour
suivre les cours de français en fin de 6ème année du
primaire. Seuls 12% des écoliers et 11% des collégiens
ont assimilé tout le programme prescrit. C’est ainsi
qu’à la fin de l’enseignement fondamental, la majorité
des collégiens trouvent des difficultés à écrire en
français d’une manière plus au moins correcte. » 1

En effet, la réforme concernant le

programme du renforcement linguistique (RCL)
vient telle la cerise sur le gâteau pour booster les soft
skills en prépa dans la mesure où elle privilégie
l’aptitude linguistique et communicationnelle en
langue française à travers la prise de parole en public,
l’écoute active et l’esprit d’équipe.

5. Le CECRL socle du RCL

Le RCL, qui repose sur les principes du

Cadre Européen Commun de Références pour les
langues (CECRL), offre l’occasion de recourir à un
enseignement différencié. Nous citons la définition
donnée au premier chapitre de ce document :
« Le Cadre Européen Commun de Référence offre une
base commune pour l’élaboration de programmes de

1
Programme National D'évaluation Des Acquis des élèves de la 6ème année primaire
et 3ème année secondaire collégiale PNEA 2019
182
 langues vivantes, de référentiels, d’examens, de
manuel, etc. en Europe. Il décrit aussi complètement
que possible ce que les apprenants d’une langue
doivent apprendre afin de l’utiliser dans le but de
communiquer ; il énumère également les
connaissances et les habiletés qu’ils doivent acquérir
afin d’avoir un comportement langagier efficace. La
description englobe aussi le contexte culturel qui
soutient la langue. Enfin, le Cadre de Référence
définit les niveaux de compétences qui permettent de
mesurer le progrès de l’apprenant à chaque étape de
l’apprentissage et à tout moment de la vie.» 2

Le CECRL distingue six différents niveaux

de compétences en langue, allant du niveau débutant
(A1) au niveau de maitrise très avancé (C2). Cette
échelle de niveaux de compétences est commune à
toutes les langues étrangères.
Dans cette optique, les étudiants de première
année des CPGE sont répartis, selon leur niveau, en
groupes restreints après avoir passé un test de
positionnement qui permet d’évaluer leurs prérequis
en vue d’adapter l’enseignement à leurs besoins.
En effet, tous les acteurs, notamment les
enseignants de français et de culture arabe et
traduction, ont travaillé d’arrache-pied pour
organiser la répartition et aussi pour préparer les

2
Conseil de l’Europe. 2001. Cadre européen commun de référence
pour les langues. Paris : Didier

183
 cours sur le modèle de la première unité et de
l’ossature des quatre unités suivantes proposées par la
commission de conception.

6. Une réforme visant l’aisance orale et

écrite

Il est à rappeler que les cours, pris en charge par les

enseignants du français et de culture arabe et traduction,
sont organisés en cinq unités de trois séquences chacune.
Dans chaque séquence les étudiants ont comme première
séance une activité de lecture et de compréhension de l’écrit,
suivie d’une ou plusieurs activités de langues, puis une
activité orale pour clore la séquence par une production
écrite.
Au premier trimestre, seuls le niveau A2 et le niveau
B1 ont été proposés pour que les étudiants passent ensuite au
deuxième trimestre aux niveaux supérieurs, en l’occurrence
B1 et B2.
Selon le CECRL, l’apprenant au
« B2 peut communiquer avec spontanéité, montrant
souvent une remarquable aisance et une facilité d’expression
même dans des énoncés complexes assez longs. Peut parler
relativement longtemps avec un débit assez régulier bien
qu’il/elle puisse hésiter en cherchant tournures et expressions,
l’on remarque peu de longues pauses. Peut communiquer avec
un degré d’aisance et de spontanéité qui rend tout à fait possible
une interaction régulière avec des locuteurs natifs sans imposer
d’effort de part ni d’autre. Au B1, il peut s’exprimer avec une
184
 certaine aisance. Malgré quelques problèmes de formulation
ayant pour conséquence pauses et impasses, est capable de
continuer effectivement à parler sans aide. Peut discourir de
manière compréhensible même si les pauses pour chercher ses
mots et ses phrases et pour faire ses corrections sont très
évidentes, particulièrement dans les séquences plus longues de
production libre. Au niveau A2, il peut se faire comprendre
dans une brève intervention, même si la reformulation, les
pauses et les faux démarrages sont très évidents. Peut construire
des phrases sur des sujets familiers avec une aisance suffisante
pour gérer des échanges courts et malgré des hésitations et des
faux démarrages évidents. »

Ce programme s’étale sur le premier et le deuxième

trimestre de la première année et ce n’est qu’au troisième
trimestre que les étudiants suivront leurs cours de français et
de culture arabe et traduction comme auparavant.

7. Développement des soft skills

moyennent le RCL
Le but ultime de cette réforme étant de permettre
aux étudiants d’optimiser leurs performances et d’affronter
les concours nationaux et étrangers aisément, en se
concentrant sur les contenus des épreuves écrites et surtout
orales sans avoir à se soucier des difficultés linguistiques.

En effet, les activités proposées privilégient la prise

de parole en public car les étudiants sont censés lire les textes
185
proposés, ou écouter les documents sonores ou visualiser des
vidéos et ensuite réagir et analyser individuellement, en
binômes ou en groupe ces supports. Ces activités leur offrent
l’occasion de se découvrir et découvrir l’autre, d’exprimer
leurs opinions, de discuter ou de critiquer l’avis d’autrui. Ils
acquièrent de facto les valeurs d’entraide et de solidarité ainsi
que la capacité d’analyser et l’esprit de critique.

Dans l’activité de la compréhension de l’écrit, ils sont

invités à découvrir des documents authentiques d’actualité
comme les articles, les vidéos, les podcasts, etc. qui traitent
des sujets correspondant à leur vécu et à leurs centres
d’intérêt. Ils seront invités à produire oralement et par écrit
en se référant à ces documents.

Ceci dit, la performance et la réussite d’un étudiant

n’est uniquement plus l’apanage des connaissances ou de
l’expertise technique mais aussi et surtout du savoir-faire et
du savoir-être comportementaux et sociaux qui pourront lui
ouvrir toute grande la porte d’un avenir radieux.

Conclusion

En définitive, il faut reconnaitre l’impact positif du

système des classes prépa sur les étudiants dont l’évolution
est bien claire et concrète au fur et à mesure des trimestres
des deux années scolaires. À vrai dire, ils se métamorphosent
complètement pour ne plus rester ces jeunes lycéens qui
186
attendent tout de leurs professeurs. Ils deviennent plutôt
autonomes, motivés, ouverts d’esprit, créatifs et capables de
contrôler leurs émotions et gérer le stress. La confiance en soi
et l’esprit de critique leur permettent de mieux s’adapter et
de prendre l’initiative de manière efficace.
Comme nous admettons que les problèmes de la
langue pourraient avoir une influence négative sur les
compétences communicationnelles, nous ne pouvons que
louer avec enthousiasme l’initiative du ministère de tutelle
qui a programmé d’urgence le renforcement des
compétences linguistiques afin de remettre à niveau celles–ci
chez les étudiants des CPGE.
Néanmoins, si ce programme progresse à bon train
nonobstant la réticence dont il a été accueilli au début par
certains professeurs et élèves, nous jugeons primordial, dans
la conjoncture actuelle, d’intégrer un module à part entière
concernant les Soft Skills, ces compétences transversales qui
permetteraient aux étudiants de se projeter sereinement dans
l’avenir et de répondre aux enjeux des transformations du
monde professionnel particulièrement à l’ère de l’intelligence
artificielle.

187
Références
Conseil de l’Europe. Cadre européen commun de référence pour les
langues. Paris, Didier. 2001.
Le nouveau modèle du développement, rapport général, Avril 2021
PROGRAMME NATIONAL D'ÉVALUATION DES ACQUIS des
élèves de la 6ème année primaire et 3ème année secondaire
collégiale PNEA 2019
Spécial prépas in Challenges, l’économie de demain est l’affaire de tous,
N°684, du 4au 10 février 2021
Vianin, Pierre Comment donner à l’élève les clés de sa réussite, 2e
édition revue et actualisée, Pratiques pédagogiques, Paris, Deboeck
Supérieur, 2020
Van Laethem, Nathalie, Josset, Jean-Marc, La boite à outils des soft
skills, Dunod, Malakoff, 2020

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