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Échos d'Orient

Τεσσαρακοστή, Ascension et Pentecôte au IVe siècle


Sévérien Salaville

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Salaville Sévérien. Τεσσαρακοστή, Ascension et Pentecôte au IVe siècle. In: Échos d'Orient, tome 28, n°155, 1929. pp. 257-
271;

doi : 10.3406/rebyz.1929.2610

http://www.persee.fr/doc/rebyz_1146-9447_1929_num_28_155_2610

Document généré le 24/01/2017


Ascension et Pentecôte au IVe siècle

On sait que le Ve canon du concile de Nicée, prescrivant la tenue


de deux synodes annuels par province, demande « que ces conciles
se tiennent, l'un avant la τεσσαρακοστή..., l'autre au temps de
l'automne >> (i). Un critique allemand, Hugo Koch, a rappelé en 1925,
dajQS la Zeitschrift*für· Kir&hßngeschichte, t. XLÎV, p. 481-486, un
travail des Échos d'Orient, vieux de vingt ans bientôt, intitulé :
« La τεσσαρακοστή du Ve Canon de Nicée » (2), dont la conclusion
était qu'il fallait voir dans cette τεσσαρακοστή de 325 non point. le
Carême, mais le quarantième jour (τεσσαρακοστή ήμερα) après Pâques.
Après avoir exprimé le regret que cette note n'ait pas trouvé «
l'attention et l'adhésion qu'elle mérite » (3), H. Koch donné (p. 481-484)
un substantiel résumé de l'article des Échos d'Oriénïy en y ajoutant
seulement (p. 485), au sujet surtout des dates des conciles
provinciaux annuels, un complément de données historiques de nature
à confirmer mes conclusions de 191 o. Il en ressort, en effet, que
« tous les synodes anténicéens dont nous connaissons la date exacte
ont eu lieu après Pâques; et comme cette période post-pascale est
également déterminée par les décisions postérieures à Nicée, rjous
avons là une chaîné de preuves concluantes que la τεσσαρακοστή
de Nicée est à placer pareillement non pas avant Pâques mais après
Pâques, et désigne donc l'Ascension » (4).
C'est simplement sur cette précision finale que je voudrais revenir,
c'est-à-dire sur la fixation de la; fête de l'Ascension au quarantième
jour du temps pascal. ,
H. Koch rappelle justement (5), qu?Eusèbe est le premier à
mentionner cette fête, SOUS le titre de πανέορτος ήμερα της Χρίστου άνα-
λήψδως, dans son écrit De solletnniiatefaschali composé vers 332 (6).
Seulement, à lire avec attention tout ce passage d'Eusèbe, on

(1) Mansi, Conçu., t. \\, col. 669.


.{%) E. O., t. XIII, jiqio, p. 65-72. H. Koch reprend textuellement le même titre : * Die
Τε9(ΐ«]}ίϊκβ<Γτή in ca$. y vqn Nicaeâ (325) », comme article de- tête de ta IVe livraison
de la Zeitschrift fur, Kircfmngeschiçhte 1925, (Voir'aussi E. O., t. XIV, iqii, p. 355-357 :
« Tesssracoste : Carême! qp "Asceiisipn > >) v .
(3) Z. /. KirchengesfiH., t. ÎXLlV^'p. 481 : <· Da aber die Zeitschrift (Ε. Ο.) in
Deutschland, wie es scheint, hur selten vorhanden i^t, so hat sein Aufsatz nicht die Beachtung
und Zustimmung gefunden, eue ér ^inerdient »v
(4) H. Koch, 0^. à'/., p. 486.
(5) Ibid. ' ■:.··-.
\b) P. G., t. XSV, col. 700 Ç.
Échos d'Orient. — 3-ï* année. Ν' ι55. ; Juillet-septembre 1929.
258 ÉCHOS D'ORIENT

state sans peine, sinon sans surprise, que dans le contexte cette
πανέορτος ή [λέρα τής αναλήψεως coïncidait alors avec la Pentecôte, donc
avec le cinquantième jour après Pâques, et non point avec le
quarantième. Cette constatation ayant cependant échappé à un homme
aussi averti que H. Koch, il ne sera pas inutile d'étudier de près
cette page du De sollemnitate pa schalt. Aussi bien, nous y verrons
mentionner, en fonction de la solennité centrale- de la Résurrection,
outre l'Ascension et la Pentecôte, la quarantaine préparatoire
désignée par deux fois, non pas sous le nom de τεσσαρακοστή, mais
SOUS celui de τεσσαρακονθη [Αέρος ασκησις. Ou plutôt et plus exactement
peut-être, nous y verrons la Pâque considérée comme la grande
fête chrétienne, de durée en quelque manière continue, ayant comme
προεορτα les quarantejours de période pénitentielle, et comme μεθέορτα
les cinquante jours du temps pascal auxquels la
Pentecôte-Ascension vient mettre le sceau sacré de l'œuvre rédemptrice consommée.
Un pareil point de vue, dont l'élévation vaut, par elle-même, d'être
attentivement examinée, mérite aussi de répandre toute la lumière
des textes sur les origines liturgiques du Carême et de l'Ascension.
Après avoir exposé les convenances de la saison printanière
pour la Pâque chrétienne. autant que pour la Pâque juive, Eusèbe
conclut ί

... Maintenant, une* fois encore, des fléaux divins sont infligés aux démons
égyptiens, et les peuples établis par toute la terre fêtent leur libération de
la multiforme impiété. Après la défaite des esprits égareurs de peuples,
après la cessation de l'hiver de malheurs, la fécondité de fruits nouveaux,
par la variété des dons du Saint-Esprit, couronne l'Eglise de Dieu. Pour
tout dire d'un mot, tout le genre humain est converti à notre foi : toutes
les contrées, bénéficiant de la culture spirituelle de la part du divin
Laboureur qu'est le Verbe, ont germé les belles fleurs de la vertu : libérés des
maux causés par les ténèbres, nous avons joui de la lumière dans le plein
jour de la connaissance de Dieu (i).

On ne saurait plus nettement marquer le caractère d'unité du


grand mystère du salut qui fait l'objet de la fête de Pâques et aussi
— les lignes ci-dessus l'insinuent déjà, et nous allons le retrouver
avec plus de précision encore — de la Pentecôte regardée comme
le terme final de la Pâque prolongée. Car dans le système cohérent
de l'année chrétienne, Pâques ne se limite pas à un jour, pas même

/L (i) De sollemn. pasch., 3; P. G., t. XXV, col. 697 Β C.


Τεσσαρακοστή, ASCENSION et PENTECOTE 2S9

à une semaine, mais s'étend à toute une série de semaines, précédée


elle-même, en guise de préparation, d'un « exercice » de quarante
jours. *
Tels sont les enseignements nouveaux, figurés jadis par des symboles,
mais récemment dévoilés au clair. C'est pourquoi nous renouvelons chaque
année le point culminant de la fête selon les périodes de cycles,,
ménageant comme avant-fête, en manière de préparation, l'exercice des
quarante jours, par une sainte imitation de Moïse et d'Elie, répétant d'autre
part la fête elle-même en une durée indéfinie.
Και δή και ήμεΐς το κεφάλαιαντης εορτής, κύκλων π^ρίοδοις καθ' εχαστον Ιτος
Ίχναζωπυρουμεν, πραεορτα {&εν προπαρασκευής ένεκα τήν τεσσαρ«κον6ή;{ί.ερον άσκησιν
παρ;αλαμ;βάνοντ£ς κατά τον των άγιων ζηλον Μωϋσέως και Ηλίου., την δε εορτή»
αυτήν εις αληστον αιώνα άνανεού|χενοί (ι).

Préparation, cœur de la fête et prolongement de la fête forment


si bien un seul tout, que l'écrivain, pour développer sa pensée,
applique tels ou tels rites de la Pâque juive ou à l'avant-fête ou à la
prolongation de la Pâque chrétienne.

, Entreprenant donc le voyage vers Dieu, nous ceignons bien nos reins
du lien de la tempérance, et tenant en assurance les pas de notre âme,
comme des voyageurs bien chaussés nous nous disposons à la marche
vers la céleste destinée. En guise de bâton, munis de la parole divine et
de la puissance des prières pour nous Refendre de nos ennemis, nous
franchissons avec ardeur le passage qui mène aux cieux... Après avoir
ainsi dûment passé la Pâque (le passage), une autre grande fête, nous
attend r la Pentecôte, tel est le nom que lui donnent les Hébreux, et qui
porte en elle l'image du royaume des cieux.

Une phrase biblique, qui se trouve être une combinaison de Deu-


tefon. xvi, 9, et dc'Lev.. xxm, 1 6, 17, sert ici de base au rapprochement
entre la Pentecôte juive et la Pentecôte chrétienne, qui se présente
en fait, comme l'achèvement du grand mystère pascal.

En effet, Moïse dit : « Dès le jour où la faucille sera mise à la moisson,


tu commenceras à te compter sept semaines, et tu offriras à Dieu de nou-

veaux pains des moissons nouvelles. » II signifiait par là, à la manière


prophétique, dans la moisson l'appel des nations, dans les pains nouveaux
les âmes offertes à Dieu par le moyen du Christ, et les Églises de la gen-
tiiité, à l'occasion desquelles «e célèbre en l'honneur du bon Dieu la plus

grande des têtes. Moissonnés par ia faucille spirituelle des apôtres et ras-

(1) Ibid., 4, col. 697 C.


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semblés en un seul tout dans les églises de la catholicité comme dans une
aire immense, réunis en corps..., régénérés par l'eau et par le feu du Saint-
Esprit, nous sommas offerts à Dieu par le Christ comme des pains
savoureux et agréables.

On comprendra mieux maintenant l'explication totale qu'Eusèbe


va nous donner de la Pentecôte chrétienne, dans laquelle — c'est là
pour nous le point saillant à noter — la solennité de l'Ascension
pose une sorte de sceau définitif.

Les symboles prophétiques de Moïse ayant ainsi cédé la place aux faits
par les plus augustes résultats, nous avons, nous, reçu avis de célébrer
cette fête avec plus d'éclat, comme réunis au Sauveur et jouissant de son
royaume. C'est pourquoi nous ne sommes plus autorisés à nous imposer
des privations au cours de cette solennité, et l'on ïious enseigne de porter
sur nous l'image du repos, objet de notre espérance dans le ciel. Ainsi,
ni nous ne fléchissons le genou dans les prières, ni nous ne nous mortifions
par l'abstinence... Voilà pourquoi, après la Pâque, nous célébrons la
Pentecôte en sept semaines complètes, après avoir virilement soutenu en six
semaines la période antérieure, celle de l'exercice de quarante jours
préparatoire à Pâques. Car le nombre six est significatif de pratique et
d'activité, et c'est en six jours, est-il dit, que Dieu créa toutes choses. Aux
fatigues de cette période sexénaire succédera la seconde fête en sept
semaines, multipliant pour nous le repos dont le nombre sept est le
symbole. Et le nombre de la Pentecôte ne s'arrête même pas à ces sept semaines :
mais, après avoir dépassé les sept semaines, à la dernière unité qui les suit
immédiatement il met le sceau sur le jour tout festival de l'Ascension du
Christ. C'est donc à bon droit que dans les saints jours de la Pentecôte,
par figure du repos futur, nous réjouissons nos âmes et délassons le corps,
comme nçm« „trouvant désormais réunis à l'Époux et ne pouvant jeûner.

Vu son importance pour le présent travail, le texte grec de la


phrase concernant l'Ascension mérite d'être cité :
Ού μήν έπι ταύτας δ της Πεντηκοστής αριθμός ϊσταται' ύπερακοντίσας δε τας.έπτα
εβδομάδας, μονάδι τγι μετά ταύτας ύστατη την πανέορτον ήμέραν της Χρίστου άνα-
, λήψεως επισφραγίζεται.

Le témoignage, on le voit, est formel. Si étrange que cela nous


puisse paraître, la fête de l'Ascension était célébrée, au temps
d'Eusèbe, le jour qui suivait immédiatement les sept semaines
après Pâques, c'est-à-dire donc le cinquantième jour (πεντηκοστή
ήμερα), mettant ainsi le sceau final à la grande période festivale. Et
ce jour était πανέορτος ήμερα, nous dirions, presque, en empruntant
Τεσσαρακοστή, ASCENSION ET Pentecôte 261

un terme du vocabulaire liturgiqne moderne, Γαπόδοσις de la grande


solennité de la Rédemption ou du Salut.
L'affirmation du caractère d'unité propre à la période sacrée de
Pâques à la Pentecôte, aux cinquante jours de solennité qui
constituent vraiment le temps de Pentecôte, n'est pas spéciale à Eusèbe.
Tertullien considère déjà toute cette époque liturgique comme un
latissimum spatium, « qui est proprement un jour de fête » et qui
porte d'une manière continue la même marque d'allégresse
pascale (1). Ce sont « les jours de Pentecôte », au sujet desquels le
XXe Canon de Nicée rappelle la défense de fléchir le genou h τοις της
πεντηκοστής ή,αέραις (2). Donnée identique dans le XXe Canon du
concile d'Antioche rô encaeniis (en 341), analogue au XXXVIIIe des
Canons apostoliques, et précisant que le synode provincial du
printemps se tiendra « la troisième semaine de la fête de Pâques,
de manière à se terminer dans la quatrième semaine de la
Pentecôte» (3) : expression qui, il me paraît bon de Ae redire, confirme
singulièrement mon interprétation du πρό της τεσσαρακοστής de
Nicée (4). Saint Jérôme, énumérant, comme saint Basile, des
pratiques où la tradition fait loi, range parmi elles l'usage de ne pas
fléchir les genoux et de ne point jeûner die dominico et omni
Pentecoste (5). Même écho dans saint Augustin, qui explique plus
longuement à Januarius cette sorte d'égalité mystérieuse entre le
« temps de Pentecôte », Pâques, et le dimanche (6). Et ce sera
encore le même écho que répétera saint Isidore de Seville, exploi-

(1) Tertull. , De baptismo, c. xix : «Exinde Pentecoste ordinandis lavacris latissimum


spatium est, quo et Domini resurrectio inter discipulos frequentata est, et gratia
Spiritus Sancti dedicata, et spes adventus Domini subostensa, quod tune in caelos recupe-
rato eo Angeli adapostolos dixerunt sic venturum quemadmodum et in caelos consçendit,
utique in Pentecoste. Sêd enim Ieremias cum dicit : * Et-congregabo illos ab extremis
terraé in die festo > {1er, xxi, 8), Paschae diem significat et Pentecostes, qui est proprie
die festus... » — De Oraiione, c. xxm, à propos de la prière à genoux :... Tantumdem
et sp&tio Pentecostes, quae seadem exsultalionis solleninitas est... » — De Idolol., c. xiv :
« Ö melior fides nationum in suam sectam! quae nullam sollemnitatem christianorum
sibi viadicat : non dominicum. diem, non Pentecosten, etiamsi nossent, nobiscum com-
municaaseat... Si quid et carni indulgendum est, habes, non dicam duos dies tantum,
sed et plures. Nam etnnids semel annuus dies quisque festus est, tibi octavus quisque
dies. Excerpe singulas feâtivitates nationum, et in ordinem texe, Pentecosten implere
non poterunt. > P. L.,<t. I, col. 1222, 119t, 682-683.
(2) Mansi, Conçu., t. II, col. 678 B.
(3) Man&i, Concrl.,i. II, CÔl. i3iè : ... μετά την τρίτην εβδομάδα της εορτής τοΰ πάσχα,
\

ώστε τ^ τετάρτη έβδομάδι της πβντηκοστής έπιτίλεϊσοαι την σύνοδον...


(4) Voir Ε. Ô., t. XIII, 1910, ρ. 68-69.
S. (5)Basil.,
S. HiÊRONYM.,
Ζλ? Spir. S.,Dial,
c. xxvn,
contra
n° 66;
Luciferianos,
P. G.t t. XXXII,
n° 8. P.col.L.,192.t. XXIII, col. 164 A; Cf,
(6) S. Augustin., Ad inquisitionès Ianuariil. II, sen Epist. LV, c. xv; Ρ L., t. XXXIII.
col. 218. .'■*"-
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tant en somme le fonds d'idées utilisé par Eusèbe et trouvant, pour


les traduire, des formules assez heureuses comme celles-ci :
... Eaque de causa Pentecoste celebratur, et dies ipse proinde insignis
habetur. Concordat autem haec festivitas Evangelii cum festivitate Legis...
Constat enim ex septimana septimanarum, sed dierum quidem septimanae
générant eamdem Pentecosten, in qua fit peccati remissio per Spiritum
Sanctum... Septem enim septies multiplicati quinquagenarium ex se
générant numerum assumpta monade, quam ex futuri saeculi figura praesumptam
esse maiorum auctoritas tradidit; fit enim ipsa et octava semper et prima,
imo ipsa est semper una, quae est dominicus dies. Necesse est 'enim
sabbatismum animarum populi Dei illuc recurrere atque ibi compleri...
Idcirco autem totius Quinquagesimae dies post Domini Resurrxctionem
soluta abstinentia in sola laetitia celebrantur, propter figuram futurae
resurrectionis, ubi iamnon labor, sed requies erit laetitiae. Ideoque in his
diebus nee genua in oratione flectuntur, quia, sicut quidam sapientium ait,
inflexio genuum paenitentiae et luctus indicium est. Unde etiam^er omnia
eamdem in Ulis soUemnitatem quam die dominica custodimus in qua maiores
nostri nee ieiunium agendum, nee genua esse flectenda, ob reverentiam
resurrectionis dominicae, tradiderunt (i).

Il faut signaler enfin, comme" survivance actuelle de l'antique


tradition, la fête dite de Mi- Pentecôte (τετάρτη της μεσοπεντηκοστής)
que les Eglises de rit byzantin célèbrent le vingt-cinquième jour
après Pâques, marquant exactement le milieu du « temps de
Pentecôte ». Malgré l'influence que semble avoir eue sur l'institution
τής'
de cet office l'expression évangélique εορτές μεσούσης, relative —
comme on sait — à la fête des Tabernacles (Joan, vu, 14) et non
■à la Pentecôte, il n'en est pas moins vrai que l'on a voulu souligner
le milieu de la cinquantaine sacrée et la connexion intime de Pâques
à Pentecôte. C'est ce qu'exprime fort bien Nicéphore Calliste au
début du synaxaire : Την έορτήν ταύτην έορτάζομεν δώ την τιμήν των
δύο μεγάλων εορτών* τοΰ Πάσγα λέγω καΐ τής Πεντηκοστής, ώς έκατέρας
ένοΰσάν τε καί συνδέουσαν. « Nous célébrons cette fête par honneur des
deux grandes solennités, je veux dire Pâques et tel Pentecôte,
comme les unissant et les reliant l'une à l'autre. » (2)
Mais ce qui est bien propre à Eusèbe (3), c'est la coïncidence

(1) S. Isid. Hispal., De eccl. offie, 1. I, c. xxxiv; P. L·, t. LXXXIII, col. 769·
(2) ΓΙεντηκοστάριον, éd. de Venise, 1890, p. 86. A noter, d'ailleurs, que l'existence
même et le nom de ce livre liturgique, Pentecostarion, perpétuent d'une manière
concrète la tradition d'unité du temps de Pentecôte.
(3) Remarquons cependant que la même chose paraît bien tout au moins. insinuée par
le texte de Tertullien, De bapiismo, xix, cité en note à la page précédente.
Τεσσαρακσστή , ASCENSION ET Pentecôte 203

annuelle, au même cinquantième jour, d'une double commémo-


raison : celte de l'Ascension du Sauveur et celle de la descente du:
Saint-Esprit sur les apôtres, constituant une fête unique, à laquelle
Eusèbe prodigue à plaisir les superlatifs et qu'il déclare expressément
la solennité des solennités. De cette fête, que nous appellerions"
volontiers Ascension-Pentecôte, l'évêque de Césarée nous a laissé
une seconde description, occasionnelle cette fois, plus concise, mais
peut-être et par cela même plus suggestive encore, au IVe livre
de la Vita Constantini, écrite vers 335-340. L'empereur mourut le
jour de la Pentecôte. Voici avec quelle insistance le biographe
précise cette date :
Tous ces événements s'accomplissaient au cours de la très grande fête,
c'est-à-dire la très vénérable et très sainte Pentecôte, qui est honorée de
sept semaines, et scellée d'une unité, durant laquelle ont eu lieu, au
rapport des livres divins, l'Ascension aux deux de notre commun Sauveur et
la descente du Saint-Esprit sur les hommes. L'empereur reçut la faveur
d'atteindre ce terme : le dernier jour de toute la sérier celui qu'on ne se
tromperait point en l'appelant la fête des fêtes, vers l'heure de midi, il
faisait son ascension à Dieu.
"Εκαστα δε τούτων επί της μεγίστης συνετελεΐτο εορτής, της δή πανσέπτοι>> καΐ
-παναγίας Πεντηκοστής, έβδομάσι μέν επτά τετιμημένης, μονάδι δ' επισφραγιζομένης,
καθ' ήν την εις ουρανούς άνάληψιν τον κοινού Σωτηρος, την τε το« άγίο» Πνεύματος
ε!ς ανθρώπους κάθοδον λόγοι γεγενήσθαι περιέχουσι θείοι. Έν δη ταύτη τούτων
αξιωθείς βασιλεύς, έττι της ύστατης άπασων ή(Αερας, ήν δη εορτήν εορτών ούκ αν Ttc δία-
μάρτοτ καλών, άμφι μεσημβ ρίνας ηλίου ώρας, προς το* αυτού Θεον αν ελαμβ άνετο... (ι)

On reconnaît ici lé même enseignement que tout à l'heure dans


le De sollemnitate paschali. Mais l'accent y est peut-être mis avec
plus de force encore sur la μεγίστη έορτη' , la πάνσεπτος καΐ παναγία
Πεντηκοστή. Elle est définie comme plus haut, quoique plus brièvement,
par les sept semaines plus l'unité, qui la complète et la scelle : le
lecteur aura remarqué ridentité d'expression dans les deux passages,
μονάδα δ' επισφραγιζομένης, comme tout à l'heure [λονάδι. τ^ ...υστάτη
."..επισφραγίζεται. Rappel très précis des deux augustes souvenirs
vénérés : Ascension du Sauveur et effusion du Saint-Esprit, et
nouvelle affirmation de l'extrême importance de cette solennité :
tout cela tient en ces quelques lignes.
Rapprochés l'un de l'autre, les deux passages mettent en un
saisissant relief la Pentecôte- Ascension, fête définitive de la Rédemption

(ι) Eusèbe, De Vita Constantini, 1. IV, c. lxiv; P. G., t. XX, col. 1221).
264 ÉCHOS D'ORIENT

ou du Salut. C'est le même sens, on le sait, qu'il faut sans doute


donner à l'expression Έπισωζο^ένη servant à désigner l'Ascension
dans le langage cappadocien, d'après la suscription d'un ancien
manuscrit pour une homélie de saint Grégoire de Nysse : Εις τήν
του Χρίστου Άνάληψιν τήν λεγομένην τω επιγωρίψ των Καππαδοκών εθε».
τήν Έπισωζομενην (ι).
Cette idée d'achèvement de l'œuvre rédemptrice par l'Ascension
n'est point rare dans la littérature ecclésiastique et peut aisément
s'expliquer. Le livre VIII des Constitutions Apostoliques appelle
déjà l'Ascension το πέρας της κατά Χριστον οικονομίας, le terme de l'éco-
nomie du Christ (2). Et saint Bernard dira encore au xne siècle :
Ascensio Christi cojtsummatio et adimpletio est reliquarum sollem-
nitatum et felix clausula totius itinerarii Filii Dei (3).
A ce titre, l'Ascension est bien le Jour du Salut, le Spasovo ou
Spasov-dan, disent les Serbes et les Croates, qui ont ainsi comme
transposé en langue slave ΓΈπισωζο^ένη des Cappadociens (4).
L'intérêt du passage d'Eusèbe que nous avons rappelé consiste
surtout dans la détermination très précise du cinquantième jour après
Pâques pour la célébration de l'Ascension comme sceau final de
la solennité du Salut.
La même idée se rencontre avec un peu moins de précision dans
un sermon attribué à saint Ambroise :

Scire débet sanctitas vestra, fratres, hanc sanctam Pentecostes diem qua
ratione curemus, vel cur illorum quinquaginta dierum numéro sit nobis
iugis et continuata festivitas : ita ut hoc omni tempore neque ad obser-
vandum indicamus ieiunia, neque ad exorandum Deum genibus succidamus,
sed sicut Dominica solemusfacere, erecti et feriati resurrectionem Domini
celebramus...
Instar dotninîcae tota Quinquagesima dierum curricula celebrantur , et
omnes isti dies velut dominici deputantur. Resurrectio enim Dominica
est. Nam in dominica resurgens Salvator reversus ad homines est, et post

(1) P. G., t. XLVI, col. 689-690. Par contre, la XIXe homélie De Statuts de saint Jean
Chrysostome, τη κυρίακ^ τής έπισωζομενης (P. G., t. XLIX, p. 188), paraît se rapporter
plutôt, quoi qu'en dise Allatius {De Eccl. perp. cons., col. 1460), à un des derniers
dimanches de Carême, probablement à ce qui est notre dimanche de la Passion; P. G.,
ibid., p. i5.
(2) P. G., t. I, p. n36.
(3) P. L., t. CLXXXIII, col. 3oi.
(4) Cf. N. Nilles, Kalendarium matinale utriusque Ecclesiae..., t. II, Innsbruck, 1897,
p. 36g; F. Miklosich, Lexicon palaeoslovenico-graeco-latinum, Vienne, i8b2-i865>
p. 943, où l'on trouvera de précieuses références sur l'emploi de ce mot dans les anciens
textes serbo-croates et bulgares. Voir aussi N. Nilles, dans Zeitschrift für katholische
Theologie, t. XVII, 1893, p. 527-528.
Τεσσαρακοστή, ASCENSION et Pentecôte 265

resurrectionem tota Quinquagesima cum hominibus commoratus est.


-Aequalis ergo eorum neeessarium ut esset festivitas, quorum aequalis
esset et sanctitas. Sic enim disposuit Dominus, ut sicut eius passione in
'■>- Quadragesimae ieiunio contristaremur, ita eius resurrectione Quinquage-
simae feriis laetaremur (i).
Dans la 21e conférence de Cassien, écrite en 428, nous retrouvons
la même explication générale de la période des cinquante jours après
Pâques constituant un temps de joie et comme une seule fête. Nous
y retrouvons — il est intéressant de le noter — la référence
à Deut. xvi, 9, avec le symbolisme des pains nouveaux, la mention
de l'absence de jeûne et de prières à genoux durant ce temps.
Mais désormais l'Ascension n'occupe plus le terme de cette
cinquantaine, elle est au quarantième jour. La simple teneur de la
question posée est des plus significatives :
Quare igitur tota Quinquagesima abstinentiae rigorem prandiis relaxa-
mus, cum utique Christus quadraginta tantum diebus post resurrectiönem
cum discipulis suis fuerit commoratus (2) ?
On saisiLnettement l'origine du doute énoncé. Le caractère joyeux
et apénitentiel porte sur toute la cinquantaine pascale. L'ascension
marquant le terme de l'économie rédemptrice" ainsi célébrée,
pourquoi, demande-t-on, continuer ce caractère joyeux et apénitentiel
durant les dix derniers jours de la période, maintenant que la
fête de l'Ascension demeure fixée au quarantième jour?
Cent pour répondre à cette interrogation que l'abbé Théonas
fait appel à une argumentation exactement identique à celle d'Eu-
sèbe, à savoir que les prémices des nations, lors de la Pentecôte
chrétienne, sont l'ultime complément du mystère pascal.

... Oblatus Domino comprobatur, verus scilicet primitiarum panis


qui, novae doctrinae institutione prolatus, quinque millibus virorum
escae suae munere satiatis, primitivum de Iudaeis Christianorum populum
Domino consecravit. Et ideo hi quoque decent dies cum superioribus
quadraginta pari sollemnitate sunt ac laetitia celebrandi. Cuius festivitatis
traditio, per apostolicos viros ad nos usque transmissa, eodem tenore
servanda est. Ideo namque in istis diebus nec genua in oratione cur-
vantur, quia inflexio genuum velut paenitentiae ac luctus indicium est (3).

(1) Operum S. Ambrosii t. V, Ro/ne, i585, serra. LX, p. 65-66. Cité par l'annotateur*
de Cassien, dans P. L., t. XLIX, col. 1194C, et par F. de Mendoza, De confirmando
concilia Illiberïtano, 1. III, c. xvn, dans Mansi, Concil., t. II, col. 296 E.
(2) Cassien, Coll. XXI, 19-20; P. L., t. XLIX, col. 1193-Π94.
(3) Ibid., col. 1194·. Il est utile de rappeler que cet usage d^ ne point fléchir les genoux
266 ÉCHOS D'ORIENT

Nous sommes, d'autre part, très exactement renseignés par la


Peregrinatio Aetheriae sur la manière dont l'Ascension se
célébrait à Jérusalem le soir de la Pentecôte, encore à la fin du ive siècle,
3g3-396. Rappelons brièvement ses indications, qui sont une
réplique concrète du passage d'Eusèbe présentant l'Ascension
comme ie sceau final apposé, le cinquantième jour, à la liturgie de
Pâques et de Pentecôte. Le dimanche de la Pentecôte, au matin,
cérémonies* et messe au Saint-Sépulcre, puis procession à l'église
du mont Sion où on lit le récit des Actes sur la descente du Saint-
Esprit et où l'on fait l'office de la Pentecôte; l'après-midi, réunion
à l'Imbomon. ou église de l'Ascension, sur le mont des Oliviers,
avec lecture des passages de l'Évangile et des Actes concernant
l'Ascension du Christ, entremêlée d'hymnes, d'antiennes et
d'oraisons appropriées. A 3 heures, réunion à l'Eleona, autre église du
mont des Oliviers, à un point moins élevé de la colline, au-dessus
de la « Grotte de l'enseignement de Jésus » : on y célèbre le lucer-
naire; puis, à la tombée de la nuit, on redescend en lente procession»
au chant des hymnes; station au Martyrium et à l'Anastasis, d'où
enfin, vers minuit, l'on ramène l'évêque au mont Sion (1).
La surcharge même dont cette journée est l'objet dans le rite
jérosolymitain marque visiblement l'importance exceptionnelle de la

« durant les jours de la Pentecôte ,>, c'est-à-dire durant toute, la cinquantaine pascale,
avait fait l'objet du canon XX de Nicée : «· Comme quelques-uns plient le genou le
dimanche et aux jours de la Pentecôte (έν ταΐς τής πεντηκοστής ήμέ-ραις), le saint concile
a décidé que, pour observer partout une règle uniforme, tous devraient adresser leurs
prières à Dieu en restant debout. » Mansi, Concil., t. II, col. "678 B. Cette tradition se
perpétua avec une remarquable précision. Saint Maxime de Turin écrivait, en termes
à peu près identiques à ceux cités plus haut comme de saint Ambroise : « Istorum
quinquaginta Herum numéro sit nobis iugis et continnata festivitas; ita ut hoc omni
tempore neque ad observandum indicamus ieiunia, neque ad exorandum Deum genibus
succidamus; sed sicut dominica solemus facere, erecti et feriati resurrectionem Domini
celebramus. Omnes isti dies velut dominici deputantur. » Serm. III in Pentec; P. L.,
t. LVII, col. 633. S. Hilaire, Prolog, in Psalmos, XII : « Et haec quidem sabbata sabba-
torum ea ab apostoiis religione celebrata sunt ut his quinquagesimae diebus, nullus-
neque in terram Strato corpore adoraret, neque ieiunio festivitatem spiritualis huius
beatitudinis impediret : quod idipsum extrinsecus etiam in diebus dominicis est institu-
tum. »P. L., t. IX, col. 239.
(1) Binera Hierosolymitana saeculi iv-viii, ex recensione p. geyer, Vienne, 1898,
p. 93-93 : Quinquagesimarum autem die, id est dominica, ... post prandium ascen-
ditur mons Oliveti, id est in Eleona, unusquisque quornodo potest, ita ut nullus christia-
norum remaneat in civitate, qui non omnes vadant. Quemadmodum ergo subitum
fuerit in monte Oliveti, id est in Eleona, primum itur in Imbomon, id estineo loco unde
ascendit Dominus in caelis, et ibi sedet episcopus, et presbyteri, sedet omnis populus,
leguntur ibi lectiones, dicuntur interpo&iti ymni, dicuntur et antiphonae aptae diei ipsi
et loco; orationes etiam, quae interponuntur semper tales pronuntiationes habent, ut
et diei et loco conveniunt, legitur etiam et ille locus de evangelio, ubi dicit de ascensu
Domini in caelis post resurrectionem... »
Τεσσαρακοστή, ASCENSION ET Pentecôte 267

solennité, qui est bien en vérité, selon .le mot d'Eusèbe, la πανέορτος
ήμερα de l'Ascension du Christ coïncidant avec la commémoraison
de la Pentecôte et exprimant, dans le souvenir du Christ monté au
ciel, le suprême enseignement de la liturgie pascale.
La pèlerine occidentale signale aussi, il est vrai, le quarantième
jour après Pâques, mais sans y faire aucune allusion à l'Ascension.
Ce jour-là, qui est un jeudi, dit-elle, on va à Bethléem : la vigile
et la messe ont lieu à la basilique de la Nativité (1).
Un tel renseignement a de quoi surprendre. Dom Câbrol avait
suggéré de voir dans cette cérémonie bethléèmitaine du
quarantième jour après Pâques une fête de l'Annonciation (2). Hypothèse
gratuite et que rien ne confirme. Il faut en dire autant de celle de
A. Baumstark, qui suppose une célébration primitive de la
Nativité à celte date (3). Quant à l'explication du P. F. M. Abel, que
ce pèlerinage de Jérusalem à Bethléem aurait pour but de
commémorer « la descente du Sauveur en ce monde avant de célébrer son
départ pour les deux » (4), elle paraît exclue par le silence absolu
gardé sur l'Ascension au quarantième jour. Il est plus vraisemblable,
croyons-nous, d'admettre, avec A. Heisenberg, que la
commémoraison des Saints Innocents, positivement mentionnée à Bethléem
« le troisième jeudi après Pâques » par le Kanonarion géorgien de
Kekelidze et le 18 mai par l'ancien Rituel arménien, suffit à
expliquer la relation de la Peregrinatio sur laferia quinta quadragesi-
marum post Pascha (5). Cette commémoraison des Innocents,
quoique non mentionnée par iEtheria, aurait été le vrai motif de
la cérémonie de Bethléem. Plus tard, lorsque l'Ascension eut été
définitivement fixée au quarantième jour, la commémoraison des
Innocents fut reportée, du sixième jeudi du temps pascal, au
troisième (Kanonarion de Kekelidze), tandis que. les Arméniens et
peut-être les Syriens lui attribuèrent le 18 mai (6).

(1) Ibid., p. g3 : « Die autem quadragesimarum post Pascha, id est quinta feria...,
fiunt vigiliae in Ecclesia in Bethléem, in qua ecclesia spelunca est, ubi natus est Domi-
nus... Celebratur missa ordine suo, ita ut et presbyteriet episcopus praedicent, dicentes
apte diei et loco... »
(2) F. Cabrol, Etude sur la Peregrinatio Silviae : Les églises de Jérusalem, la
discipline et la liturgia au iv" siècle. Paris, 1895, p. 79 et 123.
(3) A. Baumstark, « Oster und Pßngstfeier Jerusalems im siebten Jahrhundert >, dans
la revue Oriens Christianus, Ν. S.., t. VI, 1916, p. 226-227.
(4) H. Vincent et F. M. Abel, Jérusalem, Recherches de topographie, d'archéologie et
d'histoire, t. II, Jérusalem nouvelle, 1914, p.. 392. -
(5) A. Heisenberg, « Zur Feier von Weihnachten und Himmelfahrt im alten
Jerusalem », dans Byzantinische Zeitschrift, t. XXIV, 1924, p. 329-335.
.

(6) Ibid., p. 335.


268 ÉCHOS D'ORIENT

A quelle date eut lieu cette fixation définitive de l'Ascension au


quarantième jour?
Pour A. Heisenberg, ce serait vers l'année 400, quand, « peu
après l'époque d'Éthérie, peut-être dans le décennium entre 394 et
404, une pieuse femme du nom de Pomnia ou Poemenia, eut bâti
sur l'emplacement de l'Imbomon une nouvelle église de
l'Ascension » (1). Mais la vie de Pierre l'Ibérien, auquel on nous renvoie,
atteste formellement que Poemenia fut antérieure aux deux Melanie.
Or, c'est en 378 que Melanie l'Aïeule fondait sur le mont des
Oliviers un couvent et un hospice. Il faut donc admettre, avec le
P. Abel, que c'est avant 378 que la vertueuse Poemenia « bâtit l'église
de la sainte Ascension et l'entoura de constructions»; et cette église
serait identique à l'Imbomon d'/Etheria. En conséquence,
l'argument de A. Heisenberg, touchant la date où la fête de
l'Ascension aurait été fixée au quarantième jour, perd sa valeur. Il reste
à conclure que cette date est à chercher entre la Peregrinatio JEthe-
riae (3ç3) et les Conférences de Cassien (428) ou la mort de saint
Augustin (430), qui nous apprend que de son temps l'Ascension est
célébrée séparément et au quarantième jour (2).. On peut d'ailleurs

(1) Ibid.
(2) S. Augustin, serm. CCLXII, n° 3; P. L., t. XXXVIII, n° 3, col. 1208 : <■ Hodierno
ergo die, hoc est quadragesimo post résurrectionem suant, Dominus aseendit in caelum...
Ecce celebratur hodiernus dies toto orbe terrarum ;>. — Serm. CCLXV, n° 1, col. 1219:
« Ipso ergo quadragesimo die, quem hodie celebramus, aseendit in caelum ». — Serm.
CCLXVII, n° 3, col. i25o : « Quando celebravimus Quadragesintam, recolite quia com-
mendavimus vobis Dominum Iesum Christum Ecclesiam suam commendasse et ascen-
disse. » Comparer S. Maxime de Turin, nom. LX et serm. XL1V-XLVII; P. L., t. LVII,
col.. 367, 623 sq.
Il est intéressant de noter que, dans le livre II Ad inquisitiones Ianuarii, c. xv,
S. Augustin s'efforce, avec l'extrême ingéniosité arithmétique qu'on lui connaît, a
concilier la mystique traditionnelle du nombre cinquante et de la Pentecôie-Quinquagesima
avec celle du nombre quarante et de la Quadragesima-Ascension : < ... Numero autem
quadragenario vitam istam propterea figurari arbitror, quia denarius in quo est perfectio
beatitudinis nostrae, sicut in octonario quia redit ad primum, ita in hoc mini videtur
exprimi : quia creatura, quae septenario figuratur, adhaeret Creatori, in quo declaratur
unitas Trinitatis per Universum mundum temporaliter annuntianda; qui mundus et
a quatuor ventis delimatur, et quatuor elementis erigitur, et quatuor anni temporum
vicibus variatur. Decem autem quater in quadraginta consummantur, quadragenarius
autem partibus suis computatus addit ipsum denarium et fiunt quinquaginta tamquam
merces laboris et continentiae. Neque enim frustra ipse Dominus et quadraginta dies
post résurrectionem in hac terra et in hac vita cum discipulis convêrsatus est, et postea-
quam aseendit in caelum, decem diebus interpositis promissum mïsit Spirttum Sanctum,
completo die Pentecostes : qui dies quinquagenarius habet alterum sacramentum, quod
septies septem quadraginta novem fiunt; et cum reditur ad initium, qui est octavus,
qui est primus dies, quinquaginta complentur; qui celebrantur post Domini
résurrectionem, iam in figura non laboris, sedquietis et Îaetitiae. Propter hoc et ieiunia relaxan-
tur, et stantes oramus, quod est Signum resurrectionis. »
Cette insistance de conciliation entre la tradition ancienne de Pentecôte-Cinquantaine,
Τεσσαρακοστή, ASCENSION ET PENTECOTE 269

ajouter, avec Dom Cabrol : « Cependant il ne faudrait pas trop


chercher à préciser, car le quarantième jour était une date trop
naturelle pour que l'on puisse affirmer que partout l'on attendit
aussi longtemps pour séparer l'Ascension de la Pentecôte. » "(1)
De fait, il est fort possible, par exemple, que le XLIIIe canon du
concile d'Elvire, vers l'an 3oo, vise une coutume tendant à clôturer
la période pascale au quarantième jour et non au cinquantième,
à célébrer comme solennité finale l'Ascension au quarantième jour,
au lieu de la rattacher à la Pentecôte le cinquantième. Cette
pratique est déclarée mauvaise et hérétique, ce qui confirme à sa
manière ce que nous savons de la haute importance et de la
signification sacrée dont le cycle des cinquante jours est depuis toujours
en possession. Mais ell* atteste clairement, semble-t-il, avec quelle
force l'idée de l'Ascension au quarantième jour se répand et
s'impose peu à peu.

Pravam institutionem emendari plaçait iuxta auctoritatem Scrîpturarum,


ut çuncti diem Pentecostes celebremus (d'anciens manuscrits ajoutent :
non quaâragesimam, nisi quinquagesimam ; et un ancien abrégé des canons
d'Elvire porte :post Pascha quinquagesima teneatur, non quadragesima) ,
ne si quis non feeerit, novam haeresim induxisse notetur (2).

Ce· texte, dont l'interprétation a été longtemps controversée,


' avec
paraîtle bien
De sollemnitate
prendre un sens
paschali
tout àd'Eusèbe,
fait assuré
avec
par le
le passage
rapprochement
cité de

saint Ambroise et avec la 21e conférence de Cassien. Celle-ci


témoigne, par l'intéressante réponse de l'abbé Théonas, que vers
420 la conciliation est faite, dans les monastères égyptiens, entre
l'unité sacrée des cinquante jours après Pâques et l'importance du
quarantième jour commémorant l'Ascension.
De tout ceci il ressort que le terme Quadragesima, et par
conséquent aussi son équivalent grec Τεσσαρακοστή, pour désigner le
quarantième jour du temps pascal (analogue à Quinquagesima =
Πεντηκοστή du cinquantième jour), devait être un terme reçu dès le
début du ive siècle, même avant que la fête de l'Ascension eût été
fixée à ce quarantième jour.

toujours admirablement identique à elle-même, avec l'usage désormais établi de


l'Ascension au quarantième jour, semble être fort significative et fournir un point de repère
assuré pour la fixation de la Quadragesima Ascensionis. P. L., t. XXXIII, col. 218.
(1) Dictionn. d'archéol. chrèl. et de liturgie, t. I, s. v. Ascension, col. 2939.
(2) Mansi, Concil., t. II, col. i3; 26, 295; Hefele-Leclercq, Hist, des conc, t. I,
p. 245-246. ·

270 échos d'orient

Nous nous croyons donc autorisé à retenir l'interprétation que


nous proposions en 1910 au προ της τεσσαρακοστής du ve Canon de
Nicée. Nous persistons à penser qulil ne s'agit pas là du Carême,
mais bien du quarantième jour de la période pascale, dénommé
Tessaracoste. En 325, ce nom ne signifiait pas encore l'Ascension,
puisque la pratique générale rattachait encore cette fête à celle de
la Pentecôte et la considérait comme le dernier couronnement,
Γέπισφραγίς du cycle pascal. Mais déjà le vocable devait être connu,
et il est permis de supposer que l'emploi de ce mot Tessaracpste ou
Quadragesima, en parallèle avec Pentecoste-Quinquagesima, fut
peut-être le plus efficace des éléments qui acheminèrent la
chrétienté à l'identification définitive de l'Ascension avec la
Tessaracoste pascale. -
Du temps de saint Augustin, l'identification était si bien établie,
que Possidius, dressant le catalogue des écrits du grand docteur,
rangeait tous ses sermons de l'Ascension sous cette rubrique
significative :
« Serm. CCLXI, CCLXII, etc. De quadragesima Ascensionis Domini...
Serm. CCLXI, etc., supra. De die quadragesima Ascensionis Domini. » (1)
Cette manière de libeller un titre général des sermons sur un même
sujet dénote manifestement une expression devenue courante.
Le Breviarium causae Nestorianorum et Eutychianorum, rédigé
sur des documents grecs par le diacre Liberatus entre 56o et 566,
nous permet de conjecturer l'existence d'une appellation identique
en Orient. Après avoir rappelé l'excommunication portée par Ibas
d'Edesse contre certains membres de son clergé, il ajoute que
Domnus d'Antioche les fit relever de cette censure à l'occasion de
la fête de l'Ascension, qu'il nomme très explicitement festivitate
quadragesimae Ascensionis :
Sed superveniente festivitate quadragesimae Ascensionis, iussi sunt
·

a Domno excommunicatione absolvi (2).

Je ne crois pas outrepasser les limites dé la vraisemblance en


pensant que cette phrase du diacre carthaginois suppose un texte
grec conçu en ces termes : ή εορτή τής τεσσαρακοστής τής 'Αναλήψεως.
L'Ascension figure sous un nom analogue dans le traité du

(1) Indiculus librorum, tractatuum et epistolarum S. Augustini, c. vm, fin. et c. ix,


init. ; P. L., t. XL VI, col. 18.
(2) P. L., t. LXVIII, col. 992 C.
Τεσσαρακοστή, ASCENSION et Pentecôte 271

musulman Maqrîzi (1 364-1442) sur les Fêtes des Coptes, « la fête


du Jeudi de la quarantaine » (1), « le Jeudi de la quarantaine que
les Syriens appellent le Mislaq, on l'appelle encore fête de
l'Ascension » (2).
Du point de vue morphologique, τεσσαρακοστή et πεντηκοστή se
répondent parfaitement : aussi le sens de quarantième jour est
normal pour τεσσαρακοστή, comme celui de cinquantième pour
πεντηκοστή. Il est donc bien plus naturel que Tessaracoste apparaisse
d'abord avec la signification de quarantième jour, de quarantième
des «jours de Pentecôte », pour employer lejangage de l'ancienne
tradition ecclésiastique (3). Ce n'est que plus tard, par un
détournement de cette acception primitive, que Tessaracoste, comme
Quadragesima en latin, en vint à désigner la quarantaine péniten-
tielle du Carême. Il est très remarquable que, dans le si
intéressant passage du De sollemnitate paschali, Eusèbe emploie par
deux fois, pour désigner cette quarantaine pénitentielle, non pas
le mot τεσσαρακοστή, mais l'expression τεσσαρακονθή μέρος άσκησις,
τεσσαρακονθή μέρος συνάσκησις.. Celle-ci, en effet, est des plus exactes :
ascèse de quarante jours, rien ne saurait mieux définir cette période
de pénitence, que la tradition et la liturgie opposent précisément
à la joie festivale du temps de Pentecôte et, disons-le par manière
de résumé, du temps de Tessaracoste.
S. Salaville.

(1) Edité par R. Griveau, dans Patrologia Orientalis, t. X, igi-5, p. 317.


(2) Ibid., p. 320. Comparer Ibid., le nom de « fête de la Cinquantaine », qui « est la
fête de la Pentecôte [al- "-Ansara) qu'ils célèbrent cinquante jours après la Résurrection >..
(3) Cette ancienne tradition ecclésiastique de la Pentecôte-Ascension trouve sa
meilleure explication dans le rattachement primordial des deux grandes fêtes chrétiennes
de Pâques et de Pentecôte aux solennités parallèles du judaïsme, qui est à la base, des
textes d'Eusèbe et des autres témoignages concordants. Longtemps on semble s'être
fait comme scrupule d'interrompre l'unité du « temps de Pentecôte » par la célébration
de l'Ascension au quarantième jour.

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