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FORMATION

Comprendre
le Jeudi-Saint…

Par P. Kpandjé Florent Hippolyte


AGNIGORI, Dr

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Le Jeudi Saint, les chrétiens sont réunis en Église, à l’instar du Christ et de ses
disciples à la Cena Domini (Cène du Seigneur). Le Christ choisit ce moment de
célébration de la pâque juive pour surimposer sa propre Pâques, celle du don de
son corps et de son sang. Dans la célébration de la Sainte Cène, trois faits
retiennent notre attention :

- L’institution de l’Eucharistie (Pâques de Jésus-Christ)


- L’institution des premiers prêtres
- Le lavement des pieds des disciples

I- Institution de l’Eucharistie
Le terme eucharistie tire son étymologie du terme grec Eucharistia qui signifie «
action de grâce ». A quoi obéit une
telle expression ? Elle vient replonger
les chrétiens dans la célébration de la
Cène du Seigneur au soir du Seder
juif. En effet, Le repas pascal au
temps de Jésus avait lieu le soir du 14
Nizan. Ce repas appelé Seder
commémorait la libération des
hébreux de l’esclavage qu’ils ont subi
en Égypte et plus précisément le
repas pascal que mangèrent les
hébreux (debout à la hâte) avant de
quitter l’Égypte et de partir vers le
désert.

Il est demandé au peuple juif au chapitre 12 du livre de l’Exode de faire mémoire


de ce jour (où Dieu a sauvé son peuple Ex 12/14). C’est à ce jour choisi pour
commémorer cette libération que Jésus donne un autre sens à cette coutume
juive en précisant son accomplissement : il réalise la Parole de Saint Jean le
Baptiste qui le désigne comme « l’Agneau de Dieu »1. En supplantant l’agneau
d’Egypte, il donne son corps et son Sang en nourriture et en boisson pour
marquer l’amour qu’il a pour le genre humain, exprimer totalement les temps
messianiques et sortir les juifs du joug de la loi. Les paroles qu’il prononce en
Pater Familias juif sont très significatives :

1
Jean 1,29
2
- Ceci est mon Corps :

le déplacement s’opère à ce niveau : prenant le pain


azyme rappelant l’épopée égyptienne, en lien avec
l’agneau de la traversée, Jésus prononce les paroles
qui actualisent l’accomplissement de la Pâque juive ; il est le Pain vivant
descendu du Ciel et l’Agneau de Dieu qui efface le péché du monde en se donnant en
nourriture par le biais du sacrifice non-sanglant exprimé dans ce repas pascal.

- Ceci est mon Sang : jusqu’au bout, Jésus garde la fidélité de la tradition
hébraïque dans ce repas. Au cours du repas pascal juif, il y a 4 coupes qui
représentent 4 promesses de Rédemption sur la base d’Exode 6 :6-7 :
• La 1ère Coupe : « Je vous affranchirai » est la Coupe de Sanctification. ;
• La 2ème Coupe : « Je vous délivrerai » est la Coupe de Délivrance ;
• La 3ème Coupe : « Je vous sauverai » est la Coupe de Rédemption ou
de bénédiction ;
• La 4ème Coupe : « Je vous prendrai pour Mon peuple » est la Coupe de
Restauration.
• Une 5ème Coupe est rajoutée, la coupe d’Elie basée sur Malachie 4,5 : «
… Je vous enverrai Elie le prophète… ». Car c’est Elie qui annoncera
l’âge messianique et la paix dans tout le pays. Mais Elie est déjà venu,
c’est Jean Baptiste (Matthieu 17 ,12).

La prise de parole de Jésus se situe à la fin du repas pascal, au moment où le


Pater familias prend la 3e coupe appelée Coupe de Rédemption, de bénédiction,
symbolique du sang de l’Agneau et prononce les paroles de rachat : le sang de
l’Agneau est désormais remplacé et supplanté par le sang de Jésus dans cette
coupe.

C’est désormais dans cette coupe, symbolique de son


sacrifice non-sanglant que le Christ accomplit la Pâque
juive en lui surimposant sa Pâques. Il annonce les
couleurs du vendredi saint en offrant déjà son sang
comme gage de salut.

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Les apôtres médusés deviennent témoins oculaires de
l’accomplissement de la Pâque juive au soir du jeudi
saint en Pâques du Christ, « Grand prêtre, Agneau de
Dieu » offert pour le salut du genre humain. Il les libère
non de la servitude égyptienne mais de la servitude du
joug de la loi ; il les fait passer de la loi de Moise à la
Foi au Fils unique de Dieu qui leur offre le sacrifice
saint de sa Pâques. Il ne s’agit plus de se préparer à la
traversée de la mer rouge, mais bien à la traversée de
la Mort, par sa Passion et sa Résurrection. De même
que le peuple juif a fait mémoire de l’Exode, de même, le Christ demande aux
apôtres : "Faites cela en mémoire de moi".

C’est une nouvelle alliance (avec le sang du Christ offert) qui se scelle avec le
genre humain. Les apôtres deviennent donc intendants d’un fait nouveau, d’un
mystère qui est grand : c’est ce mystère que l’Eglise appelle Eucharistie, c’est–
à-dire action de grâce ou remerciement au Fils de Dieu par son don sacré.

II- L’institution des premiers prêtres.


« Faites ceci en mémoire de moi »

Le document conciliaire Presbyterorum ordinis sur « le ministère et la vie des


prêtres » en son numéro 3 affirme ceci : « Pris du milieu des hommes et établis
en faveur des hommes, dans leurs relations avec Dieu, afin d'offrir des dons et
des sacrifices pour les péchés", les prêtres vivent avec les autres hommes
comme avec des frères. C'est ce qu'a fait le Seigneur Jésus : Fils de Dieu,
Homme envoyé aux hommes par le Père, il a demeuré parmi nous et il a voulu
devenir en tout semblable à ses frères, à, l'exception cependant du péché…
Par leur vocation et leur ordination, les prêtres de la Nouvelle Alliance sont,
d'une certaine manière, mis à part au sein du Peuple de Dieu ; mais ce n'est pas
pour être séparés de ce peuple ni d'aucun homme quel qu'il soit ; c'est pour être
totalement consacrés à l'œuvre pour laquelle le Seigneur les assume. »

Au jeudi-Saint, les chrétiens commémorent


l'institution de l'Eucharistie par le Christ au
cours de son dernier repas. En disant "faîtes
ceci en mémoire de moi", le Christ institue
les premiers prêtres dont le sacrifice
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eucharistique sera
perpétué tous les jours
pendant la messe partout
dans le monde entier.

Toutes les messes qui sont


célébrées ont la même valeur
que la messe du Jeudi Saint.
Il ne s’agit pas ici de faire
mémoire de ces événements
sur le mode théâtral ou esthétique, il s’agit réellement d’y participer, d’entrer dans
l’événement lui-même par le signe sacramentel. C’est pourquoi, notre participation à
l’eucharistie n’est pas du tout un simple signe d’adhésion ou d’appartenance, c’est
vraiment un acte qui fait entrer les chrétiens dans le sacrifice que Jésus fait de lui-
même.

Les chrétiens participent au sacrifice du Christ par leur adhésion à l’eucharistie


et dans chaque prêtre, à la messe, c’est le même Christ, qui agit (In persona
Christi capitis). Il est en même temps le prêtre, l’autel et la victime (Préface du 5ème
dimanche de Pâques). Ce sont les paroles du Christ lui-même qui consacrent
les apôtres comme prêtres, c’est-à-dire intendants d’un mémorial jamais
dépassé qui actualise, à chaque messe, la Cena Domini du premier Jeudi Saint.
Les apôtres partagent donc en ce soir, le sacerdoce du grand prêtre Jésus qui
les établit comme tels. Ils ne peuvent donc s’ériger d’eux-mêmes prêtres
puisqu’ils n’ont pas ce pouvoir : ce sont les paroles du Christ qui inscrivent
dans leurs êtres la consécration aux mystères divins réalisés dans la sainte
Cène. Il les adjoint donc à son
sacerdoce. Il leur partage donc
son pouvoir, celui de rendre
perpétuel cette messe. Ainsi, la
messe ne sera jamais un simple
souvenir de la cène du
Seigneur, mais une perpétuelle
actualisation du Jeudi-Saint,
puisque dans le prêtre, le Christ
continue de sceller l’alliance
nouvelle avec le monde dans
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l’Eucharistie. La valeur du prêtre réside donc dans ce choix du Christ porté sur
sa personne.

« Le sacerdoce, c’est l’amour du cœur de Jésus », avait coutume de dire le Saint Curé
d’Ars. Les chrétiens doivent ainsi remercier avec affection les prêtres qui leur
sont donnés, non seulement pour l’Église, mais aussi pour l’humanité entière.
Par ailleurs, le prêtre est donc appelé serviteur de Dieu et des hommes car il
devient par son ordination, pontife entre Dieu et les hommes dans le sacrifice
Eucharistique.

Si cette tâche de prêtre est léguée aux hommes, c’est pour qu’ils gouvernent,
enseignent et sanctifient le peuple de Dieu dans l’humilité : le signe du lavement des
pieds en est un signe et un geste à reprendre.

III- Le signe du lavement des pieds.


Autrefois, en Orient (au temps de Jésus), le
lavement des pieds était fréquent à cause de la
poussière des chemins. A cette époque, l’esclavage
aussi prévalait, cependant dans chaque maison,
l’esclavage obéissait à une certaine classification et
hiérarchie (car chaque esclave connaissait sa place
et son rang).

Lorsqu’une personne (le maître de maison, une


personne étrangère ou pas) arrivait ou revenait d’un
voyage, c’est le dernier des esclaves qui était tenu avec obligation catégorique
de lui laver les pieds. L’étude de la littérature juive ancienne ou gréco-romaine
montre que la pratique courante du « lavement des pieds » peut revêtir
différents sens : au-delà de la nécessité hygiénique de se laver les pieds,
proposer le lavement des pieds est une marque d’hospitalité. Laver les pieds
d’un autre est aussi un symbole de servitude.

Dans la soirée du Jeudi Saint, l’impensable,


l’inimaginable se réalise : Jésus et ses
disciples arrivent au lieu du repas, et c’est
lui, le Maître, qui agit comme le dernier des
serviteurs envers ses disciples. Quel maitre
peut-il faire ce que le Christ a fait ? Mêmes nous
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qui disons être croyants, nous sommes parfois si durs, pour ne pas dire
méchants et sans cœur vis-à-vis de nos employés de maisons communément
appelés bonnes, servantes ou boys. Jésus que nous disons adorer avec grand cœur
nous montre ici un geste à imiter. Arrivés à la maison, descendons de nos
chevaux et lavons les pieds de nos serviteurs. Je vous assure, ils sont nombreux
ceux qui ne pourrons pas s’abaisser devant leurs servantes pour un tel geste.
Qui pensons-nous suivre ? Dans l’Evangile, tous nous comprenons donc
l’attitude de Pierre indigné de voir ainsi le maitre. Comment ce Fils de Dieu
peut-il s’humilier à ce point ?

Pierre connaissait bien cette tradition du dernier des serviteurs. Il est si


scandalisé. Dans un premier temps, il
se cabre, mais Jésus donne un sens
particulier à cet « acte ». Ce n’est pas
seulement un exemple d’humilité et
de dévouement, mais le symbole
d’une purification spirituelle, sans
laquelle Pierre ne peut avoir part au
salut (verset 8). Finalement Pierre
comprend mieux ce geste et demande
même à être « entièrement lavé »

Jésus impose sa manière de


gouverner en déstabilisant les assises
humaines qui voient les grands de ce
monde commander en maitres. En ce Jeudi Saint, la profondeur de la Cena
Domini est ainsi exprimée : Jésus s’abaisse au plus bas niveau, il se fait agneau
immolé pour accomplir la Pâques du 14 Nisan de la première lecture et instaure
un sacrifice qui ne rend pas que libre mais qui insère dans la vie divine ceux qui
ont accepté d’être ses disciples.

Dans l’institution de l’Eucharistie, des premiers prêtres et le lavement des pieds,


en cette nuit du Jeudi-Saint, la foi revêt une profondeur à nulle autre pareille :
tous ces actes au Cénacle sont liés. Dans l’Eucharistie, par l’entremise du prêtre,
Jésus se met encore au service des hommes d’une façon encore plus grande
qu’en lavant nos pieds. Il continue de nourrir les chrétiens de sa propre chair et
de son propre sang.

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Il lave leurs âmes. Il les console, il leur apporte sa force pour leurs tâches
quotidiennes ; et pour le suivre comme ses disciples dans l’humilité, Lui qui est
de condition divine, il se fait le serviteur de tous.

Et les pauvres humains que nous sommes, que devons-nous donc faire ? Le
véritable signe de l’humilité serait de nous laisser transformer par l’Esprit pour
être ces chrétiens qui vivent réellement de la communion et qui se rendent
solidaires des autres. Un chrétien recroquevillé et renfermé sur sa propre
personne vit loin de l’Evangile et s’érige en une ile insensée. L’appel du Christ
s’adresse à tous aujourd’hui :

« C’est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez, vous aussi, comme j’ai fait
pour vous » (verset 15). Jésus institue une pratique à renouveler régulièrement.
Il presse les chrétiens à rechercher une humilité profonde et concrète dans leur
vie.

Qui, pridie quam pro nostra omniumque salute pateretur,


hoc est hodie, accepit panem…

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