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UNIVERSITE TUNIS ELMANAR

FACULTE DE DROIT ET DES SCIENCES POLITIQUES


DE TUNIS

L’ABUS DANS LES PROCEDES D E


DE
CONCENTRATION DES SOCIETES : ESSAI
D’UNE THEORIE GENERALE

THESE DE DOCTORAT EN DROIT PRIVE


ANNEE UNIVERSITAIRE 2011-2012

PRESENTEE ET SOUTENUE PUBLIQUEMENT PAR M.


MOHAMED MANOUBI FERCHICHI

SOUS LA DIRECTION DE M. LE PROFESSEUR


NOUREDDINE BESROUR

LE JURY :
PRESIDENT : M.
SUFFRAGANTS : M. NOUREDDINE BESROUR PROFESSEUR
M.
M.
M.
L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION DES SOCIETES ESSAI D’UNE THEORIE GENERALE

La faculté n’entend donner aucune approbation ni


improbation aux opinions émises dans cette thèse. Ces
opinions sont considérées comme propres à leur auteur.

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L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION DES SOCIETES ESSAI D’UNE THEORIE GENERALE

DEDICACES

A
Mon père

A
Ma mère

A
Mes très chers frères et tous mes amis,
en témoignage d’amour et de
reconnaissance pour tous les sacrifices
qu’ils m’ont consentis, qu’ils trouvent dans
ce modeste travail l’expression de mes
sentiments les plus sincères.

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L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION DES SOCIETES ESSAI D’UNE THEORIE GENERALE

Remerciements

Je tiens, tout d’abord, à exprimer mes


vifs remerciements à mon professeur et
encadreur Monsieur Noureddine Besrour
envers qui je té m o i g n e ma v iv e
reconnaissance pour ses précieux conseils,
pour son énorme s o u ti e n et ses
encouragements tout au long de ce travail.
Mes remerciements s’adressent
é g a l e m e n t à to u s l e s e n s e i g n a n ts d e l a F a c u l té
de Droit et des Sciences Politiques de Tunis
qui m’ont fidèlement transmis leur savoir.
Ma reconnaissance s’adresse enfin à
to u s c e u x q u i m ’ o n t a i d é à l a r é a l i s a ti o n d e
cette modeste étude. Qu’ils veuillent bien
accepter l’expression de mon profond respect.

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L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION DES SOCIETES ESSAI D’UNE THEORIE GENERALE

PLAN SOMMAIRE
Première partie : Détermination de la notion d’abus dans les
procédés de concentration
Titre premier : Multiplicité des formes d’abus dans les
procédés de concentration
Chapitre premier : Multiplicité quant aux abus intérieurs à
l’opération de concentration
Chapitre deuxième : Multiplicité quant aux abus
extérieurs à l’opération de concentration
Titre deuxième : Unicité du concept d’abus dans les
procédés de concentration
Chapitre premier : Unicité quant à l’existence d’un usage
dommageable
Chapitre deuxième : Unicité quant à l’atteinte à un intérêt
légitime
Deuxième partie : Unification du régime spécifique à l’abus
dans les procédés de concentration
Titre premier : Prééminence du régime préventif de l’abus
dans les procédés de concentration
Chapitre premier : L’unification quant aux moyens de
prévention de l’abus
Chapitre deuxième : L’unification quant aux organes de
prévention de l’abus
Titre deuxième : Adaptation du régime curatif de l’abus dans
les procédés de concentration
Chapitre premier : L’unification par adoucissement des
sanctions pénales
Chapitre deuxième : L’unification par renforcement des
sanctions extra pénales
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L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION DES SOCIETES ESSAI D’UNE THEORIE GENERALE

Liste des principales abréviations :


Aff. : Affaire
Al. : Alinéa
Art. : Article
Art. pré : Article précité
A.J.T. : Actualité juridique tunisienne
B.C.C. : Bulletin de la Cour de Cassation
B.C.T. : Banque centrale de la Tunisie
B.O.C.C. : Bulletin officiel du conseil de la concurrence
B.R.D.A. : Bulletin rapide de droit des affaires Francis Lefebvre
Bull. : Bulletin
Bull. Joly : Bulletin Joly
Bull. Civ. : Bulletin des arrêts de la chambre civile de la cour de cassation
Bull. Crim. : Bulletin des arrêts de la chambre criminelle de la Cour de Cassation
BVMT : Bourse des valeurs mobilières de Tunis
C.A. : Cour d’appel
Cah. : Cahier
Cah.D.E : Cahier droit de l’entreprise
Cass. Civ : Arrêt de la Cour de Cassation , chambre civile
Cass. Com : Arrêt de la Cour de Cassation, Chambre commerciale
Cass.Crim : Arrêt de la Cour de Cassation, Chambre Criminelle
C.C. : Code de commerce tunisien
CC fr : Code de commerce Français
CDIP : Code de droit international privé
CDR : Code de droits réels.
Cf. : Confer (se référer à)
Ch. : Chambre.
Chron. : Chronique
C.J.C.E. : Cour de justice des Communautés européennes
COC. : Code des obligations et des contrats.
Compt. : Comptabilité
Concl. : Conclusion
Cons. Conc. : Conseil de la concurrence
CP : Code pénal
CPCC : Code de procédure civile et commerciale
CSC : Code des sociétés commerciales
D. : Dalloz
DEA : Diplôme des études approfondies
Déc. : Décision
DESS. : Diplôme des étude supérieures spécialisées
Dic. : Dictionnaire
Doc. : Doctrine

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L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION DES SOCIETES ESSAI D’UNE THEORIE GENERALE

Dr. et Patr. : Droit et patrimoine


Ed. : Edition
Egal. : Egalement
EJ : Etudes juridique
Fasc : Fascicule
FDS : Faculté de Droit de Sfax
FDSEPS : Faculté de Droit et des Sciences Economiques et Politiques de Sousse
FDSPT : Faculté de Droit et des Sciences politiques de Tunis
Franç. ou Fr. : Française
Gaz. Pal : Gazette du palais
Ibidem. : La même référence
I.J. : Infos juridiques
Infra. : Au dessous, plus bas
JCL. Civ : Juris-classeur civil
JCl. Soc. Com. : Juris-classeur des sociétés commerciales
JCL. Com : Juris-classeur du droit commercial
JCP : La semaine juridique(ou bien juris-classeur périodique)
JCP éd. E : La semaine juridique, édition entreprise
JCP éd. G : La semaine juridique, édition générale
JORT : Journal officiel de la république tunisienne
LGDJ : Librairie générale de droit et de jurisprudence
LPA : Les petites affiches
Mém. Pré. : Mémoire précité
N° : Numéro
NRE : Nouvelles régulations économiques
Obs : Observation
Op.cit : Ouvrage précité (opere-citato)
P. : Page
Perm. : Permanent
PUF : Presse universitaires de France
Rec. D. : Recueil Dalloz
Rec. D. S. : Recueil Dalloz Sirey
Rev. B : Revue banque
Rev. Comp. et Fin : Revue de comptabilité et finance
Rev. E : Revue de l’entreprise
Rev. Soc : Revue des sociétés
Rev. Pro. Coll : Revue des procédures collectives
R.F.C. : Revue Française de Comptabilité
R.I.D.C. : Revue internationale de droit comparé
RJDA : Revue internationale de droit des affaires
RIDP : Revue internationale de droit pénal
RJ Com : Revue de jurisprudence commerciale
RJL : Revue de la jurisprudence et législation
RTD : Revue tunisienne de droit

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L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION DES SOCIETES ESSAI D’UNE THEORIE GENERALE

RTD Com. : Revue trimestrielle de droit commerciale et de droit économique


R.T.F. : Revue Tunisienne de Fiscalité.
S. : Suivant
SA. : Société anonyme
SAFAPE : Société anonyme faisant appel public à l’épargne
SARL : Société à responsabilité limitée
SURAL : Société unipersonnelle à responsabilité limitée
Somm : Sommaire
Supra : Au dessus, plus haut
T. : Tome
T. Corr. : Tribunal correctionnel
Th. : Thèse
Th. Pré. : Thèse précitée
TGI : Tribunal de grande instance
TPI : Tribunal de première instance
TPICE : Tribunal de première instance des Communautés européennes
V. : Voir

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‫‪L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION DES SOCIETES‬‬ ‫‪ESSAI D’UNE THEORIE GENERALE‬‬

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‫‪Page 9‬‬
INTRODUCTION
INTRODUCTION

« Comme les hommes, les sociétés balancent entre l’instinct grégaire et la volonté
d’indépendance. Les dures lois de la vie économique ne leur laissent cependant souvent le
choix qu’entre vivre groupées ou mourir absorbées à moins qu’elles ne préfèrent la lente agonie
solitaire »1.
1- Ces expressions significatives ne traduisent-elles pas une réalité incontestable de la vie des
affaires ? Ignorer la multiplication phénoménale des opérations de concentration, dans le monde
économique, relèverait de la gageure ! Ce mouvement s’est très fortement accéléré et développé depuis la
fin des années quatre vingt. Pas une semaine ne passe sans l’annonce d’une opération de ce type dans un
pays donné. Elles sont le plus souvent qualifiées comme un « effet de mode » qui hante de plus en plus le
monde des affaires. N’est-ce pas que la compétitivité passe par la concentration ?
La concentration, ou le désir de conquête, comme condition de survie s’impose à l’évidence2. Le
monde de l’entreprise ne saurait, aujourd’hui, qu’y souscrire3. La nécessité pour les acteurs économiques
de tenter de consolider et d’accroître leur pouvoir est impérieuse. L’internationalisation de l’économie
mène, en effet, à une rude concurrence entre les sociétés. Celles-ci se voient désormais tenues d’accroître
leur taille et leur marché pour être capables de lutter dans un environnement où la dimension se mesure à
l’échelle mondiale4. Elles sont ainsi devenues des adeptes forcées d’une « religion de croissance »5, et
sont, purement et simplement, dans une perpétuelle recherche d’une taille idéale6.
Voici une opération qui mobilise des centres financiers, des banques d’affaires, des cabinets
d’avocats, d’audits, des conseillers fiscaux et juridiques… Elle nécessite certainement une organisation
spécifique de la part des différents partenaires des entreprises qui y recourent. Un véritable marché s’est
ainsi constitué autour de ce qu’il est convenu de dénommer « les procédés de concentration » et notamment
en matière de « fusion-acquisition » 7. L’effervescence autour de ce phénomène de concentration intrigue à
bien des égards !
Recherche de synergies, élargissement des marchés pertinents, réalisation d’économies de
dimension, création de valeur actionnariale, compétitivité et gigantisme8, sont assez souvent les arguments
avancés pour justifier, d’un point de vue économico-financier, cette « frénésie » de concentration9.
Mais parfois, lorsque le rêve devient réalité, nombreuses sont les déceptions. Plus que la moitié des
opérations de concentration échouent laissant derrière elles des actionnaires spoliés, des salariés au
chômage et tant d’autres intérêts gravement préjudiciés10.
Nul doute que la concentration suscite une fascination de tout ce qui est gigantisme, et en même
temps une inquiétude face à des colosses financiers qui font peur à plus d’un niveau11. Le cas
MICROSOFT ne traduit-il pas les deux sentiments à la fois ? Une telle réalité, aussi paradoxale qu’elle
puisse être, n’est plus à démontrer.

1
CHAMPAUD (C), Le pouvoir de concentration dans les sociétés par actions, Th., Rennes, 1962, p 1, n° 1.
2
MESTRE (J) et PANCRAZI (M-E), Droit commercial, 25ème Ed., LGDJ, 2001, p 425, n°522.
3
FARJAT (G), Droit économique, PUF/THEMIS, Paris, 1982, p 215.
4
La mondialisation économique ne cesse de renouveler en profondeur l’environnement légal des entreprises. Par un phénomène d’accélération
sans précédent dans l’histoire, elle bouleverse le cadre traditionnel du commerce international et les stratégies des entreprises multinationales,
ou « entreprises de la mondialisation ». Ce faisant, elle a fait naître des risques d’une nature et d’une ampleur inconnues jusqu’alors, dont la
survenance précède souvent le diagnostic et la mise en place d’instruments juridiques appropriés. Il apparaît dès lors indispensable pour les
entreprises de la mondialisation d’appréhender au mieux ces risques pour pouvoir mieux adapter leur stratégie et leur comportement à la
nouvelle donne. Pour les juristes, s’ouvre ainsi une aire de remise en cause profonde, du fait de l’apparition progressive d’un droit dit
mondialisé qui les oblige à repenser leur rôle au sein de l’entreprise, parfois loin des schémas académiques. De même, les groupes
multinationaux sont voués à une croissance indéfinie et à une extension ininterrompue de leurs investissements pour maintenir leur capacité
concurrentielle sur un marché qui tend de plus en plus à dépasser le cloisonnement des économies nationales. Sur l’ensemble de la question, V.
SALAH (M-M), Les contradictions du droit mondialisé, PUF, 2003, p. 1 ; MORAND (C-A), Le droit saisi par la mondialisation, éd.
Bruylant, 2001, p. 3 ; LOQUIN (E) et KESSEDJIAN (C), La mondialisation du droit, LITEC, 2000, p. 2. TROCHON (J-Y), Les nouveaux
risques de l’entreprise face à la mondialisation : une approche juridique, R.D.A.I., 2003, n° 8, p. 847 ; OPPETIT (B), Les sociétés
multinationales et les Etats nationaux, In Mélanges D. Bastian, Lib. Techniques, Paris, 1974, T I, p. 168.
5
BOUCOBZA (X), L’acquisition internationale de sociétés, LGDJ, 1998, p. 1.
6
Ce mouvement de concentration affecte aussi bien les petites et moyennes entreprises que les grandes firmes. Les premières sont d’abord
concernées parce qu’elles s’efforcent, par une stratégie de croissance externe, d’atteindre une taille internationale, mais également parce
qu’elles sont parfois les cibles idéales d’investisseurs étrangers. Les secondes parce qu’après avoir opté pour une politique de diversification
afin de lutter contre la crise économique, et avoir constitué ainsi des conglomérats hétéroclites, elles se concentrent et se restructurent
aujourd’hui autour d’une activité dans laquelle elles essayent d’affirmer une suprématie mondiale.
7
BOUCOBZA (X), op.cit., p 11.
8
COUTINET (N) et SAGOT-DUVAUROUX (D), Economie des fusions et acquisitions, éd. LA DECOUVERTE, 2003, p. 1.
9
DOUBLET (J-M), Le tournant de l’an 2000, Revue Française de gestion, n° spécial, 2000, p. 1.
10
RIPERT (G) et ROBLOT (R), Traité de droit commercial, T. 1-V. 2 : les sociétés commerciales, L.G.D.J., 18ème Ed., Paris, 2002, p. 560.
11
GUYON (Y), Droit des affaires, 9ème Ed., Economica, 2009, p 556, n° 580.

Page 11
INTRODUCTION

2- La Tunisie, à son tour, n’a pas été à l’abri de cette évolution économique12. En effet, les
opérations de concentration sont « de mode » dans notre pays qui a opté, depuis quelques années, pour la
modernisation des structures de l’économie, sa libéralisation et son insertion dans l’économie mondiale13.
Aujourd’hui, on recense une centaine d’opérations de concentration qui ont lieu chaque année dans la
pratique des affaires tunisiennes14. La dernière en date semble être une opération de fusion absorption par
l’UBCI de quatre filiales pour un montant de 759 mille dinars, opération réalisée au mois de mars 201115.
Le nombre des concentrations est censé considérablement croître dans les années à venir16. En effet,
« l’encours des crédits accordés (en Tunisie) aux entreprises faisant partie de groupes de sociétés est passé
de 14,8 milliards de dinars en 2009 à 17 milliards de dinars en 2010, enregistrant ainsi un accroissement
de près de 14,9%»17.
A croire la banque centrale de Tunisie, en 2010 « l’évolution des investissements internationaux a
continué à être étroitement liée à celle des opérations de fusions-acquisitions d’entreprises à l’échelle
internationale qui ont connu un accroissement de 23% par rapport à 2009, portant sur 2.434 milliards de
dollars et ce, après une baisse de l’ordre de 28% un an plus tôt… Pour l’année 2011, les flux
d’investissements internationaux et les opérations de fusions-acquisitions d’entreprises devraient continuer
à progresser en relation avec des perspectives favorables de l’économie mondiale, l’augmentation des
profits des grands groupes d’entreprises et la poursuite des opérations de concentration et de privatisation
d’entreprises »18.
D’après le professeur Ben Nasr, les banques et les sociétés tunisiennes, de façon générale, n’ont
jamais été en reste par rapport au mouvement de concentration, puisque certaines fusions bancaires ont vu
le jour même avant l’apparition d’une réglementation propre aux rapprochements économiques et avant la
promulgation du code des sociétés commerciales19.
Aussi, la Tunisie n’est plus à l’ombre des crises et des scandales financiers qui ont ébranlé le
capitalisme mondial. C’est ainsi que la crise du groupe BATAM20 a mis en exergue la fragilité du tissu
économique national face à l’agrégat d’abus « enfanté » par la vie des affaires21.
3- Toutes ces raisons font que la concentration déchaîne les passions. Dirigeants, juristes ou
avocats, économistes et financiers, grand public…elle ne laisse personne indifférent22. Défendue par les
uns, répugnée ou combattue par les autres avec une égale virulence, cette opération, au cœur du gigantisme
sociétaire, cristalliserait l’ultime combat entre l’argent et le pouvoir.
12
ZIDI (A), Les répercussions de l’Euro sur l’économie tunisienne, Ed. SOTEPA GRAPHIC, Tunis, 1999, p. 15.
13
V. infra, n° 8.
14
V. http://www.iort.gov.tn/WD120AWP/WD120Awp.exe/CTX_6756-427-ynuqoERqsG/Principal/SYNC_556375938.
15
BVMT, Rapport annuel, 2010, p. 21. Rapport disponible sur le lien suivant : http://www.bvmt.com.tn/publications/stats/reports/2010.pdf.
16
CHAKROUN (C), La fusion entre les banques pourquoi faire ?, Tunis Hebdo, du 27-12-2010 au 2-01-2011, p. 6 où on peut lire ce qui suit :
« Le secteur bancaire tunisien est-il suffisamment outillé et armé pour l’ouverture de son espace aux banques et institutions étrangères ? La
question urge. A l’ère de la globalisation et de l’internationalisation des économies mondiales, l’ouverture des espaces financiers devient
inéluctable, et notre pays se doit de se préparer à cette échéance, laquelle échéance ne tardera pas un jour ou l’autre à arriver. Si la
participation de plus en plus grande des capitaux étrangers dans les banques tunisiennes s’accommode à ce courant libéral, l’établissement en
Tunisie de banques étrangères constitue, à n’en point douter, une nouvelle donne à laquelle seront confrontées nos institutions bancaires. Il est
aussi opportun de savoir si elles sont prêtes ou non à cette concurrence venue d’ailleurs. Actuellement, la réponse est non. De par le volume
respectif de leur produit net bancaire, les banques tunisiennes ne peuvent pas s’aligner sur les performances de leurs homologues
européennes, voire sur certaines banques régionales. Au Maroc, par exemple, une banque peut accaparer les services de 10 millions de
clients, alors que pour le même nombre, nous en avons 14 banques universelles. Comment s’y prendre alors ? La fusion entre deux ou
plusieurs banques (comme se préparent à le faire la STB et la BH) s’avère-t-elle opportune ? Oui sans doute. A travers le renforcement de
leurs structures financières, les nouvelles entités peuvent se permettre de prendre plus de risque et donc d’octroyer davantage de crédits. Les
économies d’échelle qui découleront de ces fusions renforceront, désormais, la compétitivité de nos banques, et peuvent leur permettre, par
conséquent, de s’aligner sur les institutions étrangères. Mais pour l’instant, l’on n’est pas encore là ».
17
BCT, Rapport annuel n°52, 2010, p. 17. Rapport disponible sur le lien suivant :
http://www.bct.gov.tn/bct/siteprod/documents/Rapport_annuel_francais.pdf.
18
BCT, Rapport annuel pré., p. 80. V. aussi BCT, Rapport annuel 2011 où on peut lire à la page 9 ce qui suit : « Les opérations de fusions-
acquisitions d’entreprises dont dépendent dans une large mesure les flux d’investissements internationaux ont connu une progression de 7% à
l’échelle mondiale ». http://www.bct.gov.tn/bct/siteprod/documents/Rapport_annuel_francais.pdf
19
BEN NASR (T), Droit bancaire tunisien, La maghrébine pour l’impression et la publicité, Tunis, 2009, p. 14. V. aussi : Interview du
gouverneur de la banque centrale, Rev. L’économiste maghrébin, n° 296, du 12/09/2001, p. 10.
20
A partir de presque rien, le groupe BATAM est devenu leader national de la grande distribution. Pour avoir frôlé la cessation de paiements,
avec des engagements financiers estimés à environ 300 millions de dinars, ce groupe semble avoir été, ces dernières années, à l’origine de la
première crise du capitalisme tunisien du fait du passage forcé de l’économie d’endettement à l’économie de marché de capitaux. Le calvaire
du groupe BATAM a commencé en octobre 2001, lorsque pour la première fois une de ses traites est retournée impayée alors que la société
croyait pouvoir encore compter sur les largesses du secteur bancaire qui lui accordait volontiers de généreux quotas de découvert et
d’escompte. L’action BATAM est passée de 10 D à 23 D pour retomber à 2,200 D. V. http://fr.wikipedia.org/wiki/Batam_(Tunisie).
21
DHIBI (S), La transparence, Bilan de sept années du C.S.C., Association de droit économique, I.J., n° 38/39, Janvier 2008, p. 15.
22
MASQUEFA (C), La restructuration, LGDJ, 2000, p. 3, n° 5.

Page 12
INTRODUCTION

Fruit d’un environnement économique en perpétuelle évolution, la concentration bouleverse en


retour le milieu économique et social dans lequel elle se développe et génère surtout une kyrielle de
comportements abusifs portant préjudice aux différents intervenants dans ce genre d’opérations23.
Mais si la concentration paraît constituer un milieu propice pour l’apparition et le foisonnement de
toute forme d’abus24, il ne faut pas oublier qu’elle œuvre, en principe, dans l’intérêt de toutes les sociétés
en cause et fournit même plus d’avantages25 que ne pourrait le faire chaque société à titre isolé26. Il serait
donc erroné de ne voir dans ce phénomène juridico-économique que des manifestations d’abus.
Observons, d’ores et déjà, qu’il est difficile de porter un jugement d’ensemble sur l’opération de
concentration, car celle-ci peut constituer un instrument de progrès comme elle peut être, au contraire, une
source intarissable de régression27.
4- Force est de constater que les différents intérêts « catégoriels »28 en présence, opposant assez
souvent les intéressés29 dans les opérations de concentration et susceptibles d’engendrer divers abus,
exhortent, en premier lieu, à survoler l’évolution historico-économique du mouvement concentrationnaire
(I). On s’intéressera, par la suite, à la définition de la notion même de «concentration» (II), puis à
l’encadrement juridique des différents procédés de concentration (III). Il semble aussi fort intéressant
d’analyser la notion d’entreprise sociétaire, terrain d’élection desdits procédés (IV) et de rappeler quelques
règles générales relatives à la notion d’abus (V) ; pour signaler, enfin, les prémisses de cette même notion
dans le cadre des procédés de concentration où les antagonismes économiques, les ambiguïtés, voire les
lacunes juridiques justifient à divers égards le choix de la présente étude (VI).
-I-
5- La concentration, constituant aujourd’hui un dénouement ultime pour ne pas céder face à
une concurrence ardue30, demeure une opération assez complexe et très compliquée31. Il est alors utile et
surtout nécessaire de faire remarquer, dès à présent, que le phénomène de concentration est le fruit d’une
longue évolution confirmée au-delà de nos frontières. On s’attardera, pour l’intérêt scientifique de l’exposé,
sur les étapes les plus importantes par lesquelles ce phénomène est passé. En effet, c’est par l’étude des
origines des mécanismes de la concentration qu’on pourra comprendre la matière et cerner les insuffisances
pour que toute critique soit fondée et que toute proposition soit justifiée. D’où l’intérêt de survoler
l’évolution historico-économique de la concentration, pour s’arrêter ensuite à sa définition et son
encadrement juridique.
6- « Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égard ni patience32 ». Au vu des
bouleversements qu’elle suscite, la concentration mérite manifestement l’un et l’autre.
Il y a plusieurs décennies, la société était conçue comme un être isolé sans liens de parenté, c’était
comme le disait M. RODIERE « l’ère atomique des sociétés33 ». Aujourd’hui, il en va différemment. Les
opérations de concentration sont un fait qui s’impose à l’évidence : pas plus que les hommes, les sociétés

23
Ibidem.
24
GUYON (Y), Droit des affaires, T.I, 12éme édition, ECONOMICA, 2003, n°581, p 626.
، !G 4 ‫ ا‬U N K$‫ را‬7 M ! $ ‫ ﺟ و‬J‫ ا‬K$‫ را‬7 + L$ M ‫ج‬ ‫ ا‬MN @O 4 ‫أو ا‬ ‫ت ا ا‬C 3‫ ا‬M + ‫ ات‬P ‫ د و ا‬K ‫ال و ا‬ ‫ < رؤوس ا‬$ ‫ج‬ ‫ل ا‬S M " 25

.10 ‫ ص‬،2005 ، 7 ‫ رات ا‬34 ‫ ا‬،‫ ت‬C 3 ‫ ا‬X ‫ < ل د‬M ‫ < ق ا ! ھ‬+ < ،‫ ر‬A ( - ." 4‫ ت ا ط‬C 3 + 7 4‫! أﺟ‬G 4 ‫ وﺟ د‬V‫ ظ‬8G A
26
La société opérant à titre isolé est, de prime abord, toute société n’ayant pas participé à une opération de concentration. C’est également toute
société dont l’activité, la politique et la structure économique sont organisées et conçues en fonction de son intérêt et de ses possibilités. Il
s’agit donc d’une société qui n’est soumise à aucun contrôle extérieur. A contrario, la société dépendante ou bien contrôlée ou encore affiliée
est une société juridiquement autonome sur laquelle une autre société, qui est la société dominante, exerce un contrôle prédominant. V.
OMMESLAGHE (V), Les groupes de sociétés : Rapport à la C.E.E., Revue Pratique de sociétés, 1965, p 13.
27
GUYON (Y), op.cit., n° 581, p 627.
28
TREBULLE (F-G), Stakeholders theory et droit des sociétés, Bull. Joly Soc., n°12, 2006, p 1337.
29
Les intéressés dans une opération de concentration sont essentiellement les actionnaires (majoritaires ou minoritaires), les dirigeants, les
créanciers, les fournisseurs, les clients, les salariés, l’Etat…On les appellera également les intervenants ou encore les partenaires de la
concentration.
‫ ت‬C 3 ‫ ا‬6 ّ $ 8G M 4 ‫ ا ا‬+ < ، " 0 ‫ رة ا‬3 .2002،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬،‫ ّج‬P$ A‫ ر‬، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ا‬8G ^ ‫ ا‬+ < ، D ,; : 6‫ُ اﺟ‬+ [! ‫ه ا‬D‫] ص ھ‬P
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." K K‫ و ﺟ‬4 K " +'C " C O K G ‫ ن‬$ ‫ ت‬C O 6 $ V 3$ K4 ، ‫و‬ 7 ‫ ت‬4 $‫ ة ا ت و‬N k ‫ذ‬
31
MASQUEFAT (C), op.cit., p 2 et s.
32
CHAR (R), A la santé du serpent, VII, Le poème pulvérisé, In Fureur et mystère, Poésie/Gallimard, 1962, p 195.
33
RODIERE (R), La protection des minorités dans les groupes de sociétés, Rev. Soc., 1970, p 245.

Page 13
INTRODUCTION

ne vivent et n’agissent isolées34. Pour progresser, elles se regroupent. « Par stratégie, elles essaiment, en
gardant le contrôle des sociétés qui gravitent autour d’elles35 ». Ainsi, à l’âge atomique des sociétés
succède celui des opérations de concentration36, c’est le début de l’ère «moléculaire» des sociétés qui a
atteint son paroxysme à l’occasion du regain du capitalisme au lendemain de la reconstruction qui suivit la
seconde guerre mondiale37.
Déjà en 1908, monsieur Gampel a pu remarquer à cette époque-là, qu’il n’était plus permis d’ouvrir
une revue économique, un journal financier, sans y rencontrer presque à chaque page des avis de fusions de
sociétés, des annonces de combinaisons industrielles ou financières, inspirées de cette tendance universelle
à la concentration38. Un siècle après, rien n’a changé presque. Les opérations de concentration occupent
toujours la une des quotidiens, des journaux financiers et même télévisés.
7- L’apparition du phénomène de la concentration, exemple typique du gigantisme sociétaire,
remonte à la fin du XIXéme siècle39, à une période où les sociétés par actions, accumulant des capitaux
importants, tendaient à « s’agglomérer, à se fédérer pour former des groupements 40». Depuis, le
mouvement prit très rapidement une ampleur aussi considérable que variable selon les continents et les
pays41.

34
Réduite à ses propres moyens, l’entreprise, même importante, apparaît aujourd’hui impuissante à accomplir l’ensemble de ses tâches en vue
d’atteindre un plein épanouissement. Elle est donc conduite, par une loi irréversible, à se rapprocher d’autres entreprises. Le spectacle qu’offre
l’économie actuelle est celui d’un processus accéléré de brassage, sous forme d’ententes, d’éclatements et de restructuration.
35
GUYENNOT, Les aspects juridiques et fiscaux de la constitution des filiales, Revue de droit suisse, 1973, p. 54.
36
RODIERE (R), art. pré., p 245.
37
Pour plus de détails sur l’apparition et le développement des groupes de sociétés, cf. en particulier, LEWINSON (R), Trusts et cartels dans
l’économie mondiale, Paris, 1950 ; CHAMPAUD (C), op. cit., n° 252 et s., p. 199 et s.
38
Ibidem. p 17.
39
Apparu au début du XIXe siècle, ce phénomène prit de l’ampleur à partir des années 1850 et ne tarda pas à attirer l’attention des économistes
qui y décelèrent d’abord un vice inéluctable du capitalisme. (Sur l’évolution du phénomène de concentration, cf., CHAMPAUD (C), Le
pouvoir de concentration, Op. cit., p 4 et s, n° 3 et s). A cet égard, on doit à KARL MARX l’apport le plus décisif et le plus riche. En effet, sa
double théorie de l’accumulation du capital et de la centralisation des différents «foyers d’accumulation» alimente toujours les discussions. La
formulation la plus complète de cette théorie se trouve dans «Le capital», Livre I, 7ème section, chapitres 24 et 25. V. aussi, HILFERDING
(R), Le capital financier, Paris, 1970 ; LUXEMBOURG (R), L’accumulation du capital, vol. 2, Paris, 1967 ; LENINE, L’impérialisme, stade
suprême du capitalisme, In Œuvres complètes, t. XXII, 1967. Pour un résumé des attitudes prises par les économistes non marxistes en face du
phénomène de concentration, cf., PARENT (J), La concentration industrielle, Presses Universitaires de France, 1970, p 10 et s. Les juristes,
non plus, n’ont pas négligé l’étude de ce phénomène dont les aspects et les prolongements juridiques ont retenu leur attention à partir du début
du XXe siècle et inspiré la pensée directrice de nombreux ouvrages. A titre d’exemple, on peut citer les études de : MICHEL (R), Le contrôle
économique des sociétés et ses rapports avec leur nationalité, th. Paris, 1923 ; MAZEAUD (L), Le problème des unions de producteurs devant
la loi française, th. Lyon, 1924 ; GEGOUT (M), Filiales et groupements de sociétés, th. Paris, 1929.
.6 ‫ ص‬،1992 ،‫ وت‬،8! / ‫ و ا‬8 4 ‫ ا‬M ‫ ا‬8G ‫ر‬ A‫ درا‬،l K ‫ ا‬C O ، - M (9 : F+‫ أ‬6‫ُ اﺟ‬+
40
VANHAECKE (M), Les groupes de sociétés, LGDJ, Paris, 1959, p. 3. A ce propos, M. GYON pense que les groupes de sociétés ont vu le
jour à partir du moment où on a admis qu’une société pouvait être actionnaire ou membre du conseil d’administration d’une autre société. In
Les groupements d’affaires, T. II, Economica, 2001, p. 604.
41
Dans l’histoire mondiale de la concentration, on recense quatre principales vagues de rapprochement. La toute première vague se déroula de
1897 à 1904 et concerna exclusivement les Etats-Unis. Ce phénomène nouveau toucha en particulier les industries lourdes et permit la
formation de véritables empires tels General Electric, DuPont ou la Standard Oil de Rockefeller. D’où l’apparition de lois anti-trust, qui
allaient modifier les règles du jeu lors de la seconde vague. Celle-ci fut avant tout le reflet de la prospérité américaine des années 1920, à
laquelle le Krach de 1929 mit un terme brutal. Cette vague eut néanmoins le temps de contribuer à la formation d’importants oligopoles dans
des secteurs comme l’alimentation, la chimie ou les mines. Pour la première fois, le phénomène se développa hors du continent américain et
toucha ainsi l’économie britannique. Il fallut attendre la seconde moitié des années 1960 pour assister à la troisième vague. Aux Etats-Unis
celle-ci fut paradoxalement la conséquence du développement des lois anti-trust, qui incita les grands groupes à se diversifier. C’est pourquoi
on parle de vague conglomérale, dont l’illustration la plus flagrante demeure la firme ITT, présente dans des secteurs aussi divers que la
restauration, la banque, la location de voiture et l’électronique. Parallèlement, l’Europe, particulièrement la France, connut son premier
véritable mouvement de rapprochement. Ces opérations furent surtout motivées par la volonté des groupes industriels d’atteindre une taille dite
critique pour affronter le tout nouveau marché commun. Ainsi, de 1966 à 1972, les pouvoirs publics promurent activement la formation de
fleurons industriels nationaux : Saint-Gobain/Pont-à-Mousson, Usinor/Sacilor, Péchiney/Ugine/Kuhlman. Le premier choc pétrolier et la crise
économique mirent fin à cette troisième vague. Amorcée au début des années 1980, la quatrième vague de concentration fut particulièrement
marquée par la multiplication des offres hostiles ou tout du moins non sollicitées. Contrairement aux autres vagues de rapprochement, celle-ci
ne se caractérise pas tant par le nombre d’opérations que par la taille et les modalités de celles-ci. Il s’agit ainsi de méga fusions, à l’origine de
la consolidation accélérée de certaines industries à l’instar du pétrole ou de la pharmacie. Cette vague est aussi marquée par la modernisation et
la sophistication des instruments financiers, d’où une complexité croissante des stratégies d’acquisition, de cession, voire de défense contre les
offres hostiles. Après une courte pause, le marché de la concentration, en l’occurrence celui des fusions-acquisitions, n’a cessé de monter en
puissance tout au long des années 1990 pour atteindre un sommet historique en 2001. Il s’agit là du premier mouvement de concentration
véritablement mondial : aussi bien en Amérique, qu’en Europe ou en Asie, celui-ci présente les mêmes attributs et résulte des mêmes causes.
Outre un contexte macroéconomique particulièrement favorable, trois forces ont principalement contribué à cette euphorie : la mondialisation,
les dérégulations de toute sorte (énergie, banque, télécommunication, transport aérien) et surtout les bouleversements technologiques ayant
affecté de nombreux secteurs. Si les chiffres en soi, et même les ordres de grandeur, semblent actuellement démunis de toute autorité, il est
pourtant au moins une tendance générale que permet de déceler la statistique, et que ne parait pas affecter le trouble du temps présent : la
poussée irrésistible vers la concentration des entreprises. V. CEDDAHA (F), Fusions acquisitions, Economica, 2005, p. 13 et s.

Page 14
INTRODUCTION

L’Amérique du nord fut le terrain d’élection des formes de concentration où on avait mis au point la
technique du « trust »42 et celle du « mergers »43 au service des groupes monopolistiques et
particulièrement du monopole de l’industrie pétrolière44.
Actuellement, la concentration est une réalité économique incontournable. En effet, plusieurs pays
ont réussi, grâce à des opérations de concentration gigantesques, à passer à un nouveau palier
d’industrialisation et de développement économique. C’est ainsi que se vérifie la célèbre boutade circulant
dans les milieux d’affaires américains selon laquelle « big is beautiful ». Certes, la grandeur est belle, mais
encore faut-il que cette évolution se fasse dans des limites légales qui protègent toutes les parties
concernées par l’opération de rapprochement45.
8- En Tunisie, il convient de rappeler que la genèse des opérations de concentration date des
années soixante dix, juste après la mise en cause de l’expérience socialiste ou coopérative46.
Plus précisément, notre économie s’est inscrite dans un processus de réformes économiques et de
libéralisation depuis 1986 après trois décennies de dirigisme et de participation de l’Etat à l’économie. A
partir de cette date, la Tunisie a entamé un vaste programme de réformes économiques en vue de réaliser
une croissance plus importante à moyen et long termes.
Déjà, en Novembre 1959, la Tunisie a été admise, à titre provisoire, au GATT47, mais ce n’est qu’en
1987 que les négociations commerciales ont été réengagées avec les autres parties contractantes pour une
adhésion définitive de la Tunisie. Ce processus a abouti en Juillet 199048.
Le succès qu’a connu le GATT a donné lieu, le 1er janvier 1995, à la naissance de l’Organisation
Mondiale du Commerce (OMC) regroupant 153 pays accaparant ensemble environ plus de 90% des
échanges mondiaux.
La Tunisie est devenue membre de l’OMC le 29 mars 199549. Par les accords de l'OMC sur
l'économie tunisienne pour l'élimination graduelle des droits de douanes et subventions, le gouvernement
en place a été conscient que pour augmenter les exportations des produits nationaux et avoir un accès plus
libre dans les marchés internationaux, il faudrait surtout trouver les solutions adéquates pour développer la
compétitivité des entreprises et ce, par la mise à niveau globale de l'économie du pays.
Pour ce faire, la Tunisie s’est ancrée davantage dans le processus de libéralisation en signant un
accord d'association avec l'Union européenne le 17/06/1995. C'est la toute première nation de la rive sud de

42
D’après le Lexique juridique DALLOZ, 2012, le vocable « Trust » signifie : « coalition d'intérêts financiers et économiques grâce auxquels
une société-mère possède la totalité ou la majorité des titres de plusieurs sociétés filiales dont elle assure le contrôle. L'objectif visé est d'avoir
un monopole sur un marché donné ». Autrement dit, le trust signifie un groupe d'entreprises ou de compagnies industrielles et commerciales,
en vue de créer un monopole ou un monopsone, pour le plus grand profit des actionnaires. C'est-à-dire une grande entreprise qui possède des
positions fortes, voire dominantes, sur plusieurs marchés proches, au sein d'un secteur industriel. Le droit de la concurrence lutte contre les
trusts qui pourraient se rendre coupables d'abus de position dominante. Les trusts ont joué un rôle économique important dans les sociétés
capitalistes du XIXe siècle. V. aussi TUNC (A), Le droit américain des sociétés, DALLOZ, 1990, p 130.
A‫ ف ر‬K N / ‫ ت ا‬C 3 ‫ ا‬N m]< ‫ أو‬9KA‫ أ‬I 5‫ أو ا‬6 ‫ ا م ﺟ‬C 3 ‫ ا‬a ‫ ﺟ‬k $ ‫ و ا‬+‫ ] د‬7 ‫ ا ] ا‬M N i $ ‫ ھ‬: TRUST ‫ ت‬C 3 ‫ د ا‬$‫" ا‬
‫ [ة‬K ‫ ا‬،‫ة‬ ‫ ا‬8G M+ ‫ ا‬9 ‫ ة‬g ،‫ ت‬C 3 ‫ ا‬6 $ ، N ‫ ز د‬." ‫ ا ! ق‬8G ‫ ت ا ﺟ دة‬4 ‫ ا‬M n# ‫ ا‬U N ‫ ا ! ق أو‬U N ‫ ة‬L ! ‫ ا‬M M $ U < K N ] 7‫ر‬
.3 ‫ ص‬،2005 ،H $ ‫ ع‬G M 4‫ا ط‬
43
« Mergers » est le vocable anglais qui signifie en français fusion. On parle parfois de « fusac », ou de M&A pour Mergers and Acquisitions.
Ces termes recouvrent les différents aspects du rachat d'une entreprise par un acteur économique, généralement une autre entreprise, dans les
domaines de finance d'entreprise et de gestion d'opérations financières. L'entreprise acquise peut conserver son intégrité, ou bien être fusionnée
avec l'entreprise protagoniste. Par extension, la définition comporte également et de plus en plus les opérations de désinvestissements (souvent
appelées dans leur terme anglais de merger, spin-off, carve-out…). Les fusions et acquisitions sont un outil utilisé par les entreprises dans le
but d’accroître leurs activités économiques et d’augmenter leur profit. On parle alors de croissance externe à l’opposé d’une croissance
organique (ou croissance interne) faite par l’augmentation du chiffre d’affaires sur un même périmètre de sociétés. M&A constitue un
acronyme désignant les départements Mergers & Acquisition des banques. Il s'agit de la division spécialisée dans les Fusions et Acquisitions.
44
V. TUNC (A), op.cit., p 130 ; BOUGARRAS (E), La société mère dans le groupe de sociétés, Mémoire de DEA, FDSPT, 2003, p1.
45
BEN NASR (T), Aspects de la fusion dans le code des sociétés commerciales, RTD, 2005, p 70.
- V. annexe n° 26. .1 ‫ ص‬،1994 ،2 ‫ د‬N ،.‫ت‬.‫ق‬.‫ م‬،‫ ] دي‬7 ‫ ر ا‬L # 3$ dC‫ ري أ‬$ 6+ 3$ V‫ أﺟ‬M ،‫ ان‬3 ( 0‫ أ‬46
47
Le GATT a été crée le 1er janvier 1948 dans le but de libéraliser le commerce international et d'assurer la croissance économique mondiale
par la suppression des obstacles au commerce. Des cycles de négociations ont été organisés sous les auspices du GATT pour améliorer le libre-
échange entre ses membres.
48
V. à ce propos : loi n° 90-61 du 28/06/1990 portant ratification du protocole d'adhésion de la République tunisienne à l'accord général sur les
tarifs douaniers et le commerce (G.A.T.T.), JORT n° 44 du 26-29/06/1990, p 839 ; loi n° 95-6 du 23/01/1995 portant ratification des accords de
l'Uruguay round, JORT n° 9 du 31/01/1995, p 271 ; décret n° 98-1009 du 05/05/1998 portant publication des accords de l'Uruguay Round,
signés à Marrakech le 15 avril 1994, JORT n° 46 du 9/06/1998, p 1251.
49
La Tunisie a signé le 15 avril 1994 à Marrakech les Accords instituant l’Organisation Mondiale du Commerce, devenant ainsi membre
originel de cette Organisation. Cet Accord qui a été ratifié le 23 janvier 1995, est entré en vigueur le 29 mars 1995. L’adhésion de la Tunisie à
l’OMC traduit sa volonté de poursuive ses efforts pour l’intégration et l’ouverture de l’économie tunisienne sur l’économie mondiale et de tirer
profit des opportunités offertes par le système commercial multilatéral, en plus de la promotion des exportations tunisienne et l’accès à des
nouveaux marchés. V. à ce propos : loi n° 2001-62 du 25/06/2001 : portant ratification de l'accord instituant le centre consultatif sur la
législation de l'organisation mondiale du commerce, JORT n° 51 du 26/06/2001, p 1540.

Page 15
INTRODUCTION

la méditerranée à conclure un tel protocole du fait qu’elle entretient une relation très étroite avec l'union
européenne aussi bien sur le plan économique (échanges commerciaux, investissements…) que sur le plan
culturel et social. Cet accord d’association, signé le 17 juillet 1995, est entré en vigueur le 1er mars 1998. Il
a engendré dès 1996 le démantèlement progressif des barrières douanières jusqu’au 1er janvier 2008.
Faut-il rappeler aussi l’importance du plan d'ajustement structurel (PAS) qui est un programme
adopté par la Tunisie en 1986 et financé par le Fonds Monétaire International (FMI)50. C'est un Programme
qui visait à stabiliser l'économie du pays et rétablir les grands équilibres structurels tel que le maintien du
taux d'inflation à 5% ou la maîtrise de l'endettement et le passage d'une économie d'endettement à une
économie de marchés et ce, par la restructuration des institutions économiques et surtout financières qui
jouent un rôle très important dans la collecte de l'épargne, la gestion des fonds et l'encouragement des
investissements.
Cette libéralisation bien réfléchie de l’économie tunisienne a exigé des entreprises nationales un
degré minimum de compétitivité51. Pour ce faire, les entreprises, opérant dans des secteurs identiques ou
complémentaires, ont réuni, semble-t-il, leurs efforts par voie de fusion52 ou d’intégration dans le cadre de
groupes de sociétés, ce qui leur a permis d’adopter une stratégie commune pour faire face à une
concurrence tendant à devenir de plus en plus féroce sur le plan interne et international53. Ces tentatives
demeurent néanmoins de faible importance. En effet, en 2006, M. le ministre des finances a indiqué à
l’occasion d’un séminaire organisé sur le sujet « Bourse et groupes de sociétés » que malgré le progrès
enregistré, les résultats restent en deçà des objectifs fixés. La quasi-absence des grands groupes en est une
preuve. Il a déclaré aussi que la bourse ne peut se permettre de faire l’économie des groupes et a souhaité
que soit engagé un débat franc et profond marquant le point de départ d’une nouvelle relation entre la
bourse et ses partenaires naturels pour dissiper les craintes et les malentendus qui ressortent plutôt d’une
appréciation psychologique que d’exigences ou de craintes objectives. Le ministre, de l’époque, a
également rappelé qu’il valait toujours mieux partager le contrôle que mettre son entreprise en péril en la
privant des moyens de développement, soulignant que la bourse de Tunis ne pouvait se passer de l’apport
des groupes de sociétés54.
9- La concentration de façon générale ou la fusion, à titre d’exemple, n’est pas un exercice
nouveau en Tunisie, observe l’ancien directeur des Banques et des dépôts à la banque centrale. Celui-ci
rappelle que la première expérience de ce genre dans le domaine bancaire date de 1989, lorsque la Banque
Nationale de Tunisie (BNT) et la Banque Nationale de Développement Agricole (BNDA) ont uni leurs sorts
et, que dix ans plus tard, la STB a absorbé la Banque de Développement Economique de Tunisie (BDET) et
la Banque Nationale de Développement Touristique (BNDT)55. La taille, mais encore la rentabilité sont
nécessaires demain pour faire face aux banques internationales qui viendront s’installer sur la place de
Tunis, fait-il remarquer aussi. Les banques tunisiennes devront-être parfaitement habilitées à se délocaliser,

50
V. à ce propos : loi n° 88-129 du 04/11/1988: portant ratification de l'accord de prêt conclu à Berlin Ouest, le 26 septembre 1988 entre la
République tunisienne et la banque internationale pour la reconstruction et le développement et relatif au financement du programme
d'ajustement structurel de l'économie tunisienne, JORT n° 76 du 8-12/11/1988, p 1552 ; Loi n° 89-80 du 02/09/1989 portant ratification de
l'accord de prêt conclu à Washington le 30 juin 1989 entre la République tunisienne et la banque internationale pour la reconstruction et le
développement relatif au deuxième prêt d'ajustement du secteur agricole, JORT n° 60 du 5-8-1989, p 1341 ; Loi n° 89-79 du 02/09/1989
portant ratification de l'accord de prêt conclu à Abidjan le 18 mai 1989 entre la République tunisienne et la banque africaine de développement
relatif au "Prêt d'ajustement structurel", JORT n° 60 du 5-8-1989, p 1341 ; Loi n° 92-5 du 27/01/1992 portant ratification de l'accord de prêt
conclu à Tunis en date du 5 novembre 1991 entre le Gouvernement de la République tunisienne et la banque africaine de développement et
relatif au programme d'ajustement sectoriel agricole, JORT n° 7 du 31/01/1992, p 132.
51
L'internationalisation de l'entreprise est une nouvelle alternative économique générée par la globalisation des échanges mettant le potentiel
productif, partout dans le monde, devant un double impératif : s'ouvrir et se mettre constamment à niveau. La Tunisie, ayant opté pour son
intégration dans l'économie mondiale, a engagé à partir de 1995 un programme de mise à niveau de l'entreprise. Ce programme a pour objectifs
de renforcer la capacité concurrentielle des entreprises, encourager le partenariat industriel et renforcer l'environnement socio-économique de
l'entreprise. De ce fait 3600 entreprises ont été ciblées pour la période 1996-2006 en vue de s'engager, de manière volontaire, dans le processus
de mise à niveau et mobiliser leur potentiel de croissance. Le Bureau de Mise à Niveau (BMN) a été créé à l'effet de soutenir cet effort,
sensibiliser et informer les divers intervenants sur le processus et réglementer les procédures de mise à niveau.
52
En Tunisie, on peut citer la fusion par absorption qui a eu lieu entre la STB, la BNDT et la BDET ; ainsi que celle entre l’UIB et la BTEI.
Mais cette dernière fusion n’a pas abouti, elle a été définitivement abandonnée. On peut faire aussi référence à la fusion entre la BNT et la
BNDA qui a donné lieu à la BNA. V. les banques tunisiennes à l’heure de la concentration, l’économiste maghrébin, n° 99, avril-mai, 1999. V.
aussi concernant les fusions bancaires : CHAKROUN (C), art. pré, p 6.
53
LOUNGOULAH (G-L-PH), Vers la transparence des contrats passés par les personnes publiques, R.R.J., 1996, p 116 ; MALAURIE
(PH), Transparence-Secret : Droit à l’information, Ann. Seine, 1997, n°1, p 7 ; BELANGER (L), LIPSIG (C), MORIN (F) ET PERUSSE
(M), Acquisition ou fusion d’entreprise et emploi, les presses de l’Université de Laval, Quebec, 1989, p. 1.
54
La Revue de Droit Infos juridiques, n° 14/15, décembre 2006, p 5.
55
http://www.webmanagercenter.com/management/article-95907-tunisie-fusion-des-banques-publiques-la-bct-precise-et-signe. V. annexe 25.

Page 16
INTRODUCTION

et elles devront-avoir l’expertise et le standing pour le faire, soit sous leurs propres enseignes soit en se
lançant dans des opérations de fusion ou de filialisation au moins au plan africain56.
Actuellement, on croit savoir qu’un projet de fusion entre la Banque tunisienne de solidarité (BTS)
et la Banque de financement des petites et moyennes entreprises (BFPME) est en cours d’étude depuis la
fin de l’année 2010. L’étude serait même à un stade avancée et il n’est pas exclu qu’elle soit présentée
bientôt au gouvernement en place pour approbation57. L’objectif de la fusion étant de fédérer les efforts des
deux banques et fournir des solutions plus efficaces aux jeunes promoteurs, notamment parmi ceux qui
cherchent un emploi depuis une certaine durée et qui n’ont pas de moyens de financement.
Par ailleurs, la fusion tant médiatisée entre la société tunisienne de banque (STB) et la banque de
l’habitat (BH) n’a malheureusement pas encore eu lieu. « L’opération, si elle devait se conclure, serait la
plus importante fusion bancaire jamais réalisée en Tunisie. Au grand dam des banques privées, cette
grosse opération tuniso-tunisienne donnerait naissance à un géant dont la capitalisation boursière
avoisinerait 1,1 milliard de DT », se réjouit Maxula Bourse58. Dans le classement des 200 premières
banques africaines de Jeune Afrique, celui-ci se classerait au 22e rang. Un sacré bon en avant59 !
En attendant la concrétisation de cette gigantesque concentration bancaire, la naissance du fameux
Tunisie Holding, annoncée en 2010 par le gouverneur de la banque centrale de l’époque, est à son tour tant
souhaitée et attendue. Il ne s’agit pas de fusionner les banques publiques60 mais plutôt, de regrouper les
participations de l’Etat tunisien dans les différentes banques publiques sous la bannière d’une nouvelle
entité juridique dénommée : Tunisie Holding61.
Nul doute que sur un marché de plus en plus concurrentiel, et avec la convertibilité du dinar
annoncée pour 201462, les banques tunisiennes doivent se concentrer pour « se muscler ». En effet, la
concentration des institutions financières bancaires, et non bancaires aussi, au sein d’un même groupe est
un facteur déterminant de l’essor du secteur financier. M. Phillipe Gautier, expert anglais a parlé de «l’effet
du groupe» qui caractérise la place londonienne. Selon lui : « c’est la polarisation du marché financier qui
a fait la force de la City of London »63. Pourquoi ne pas faire de même à Tunis ?
10- Pour en venir au terrain juridique, il convient de relever que la concentration est, de longue
date, objet d’une réglementation grandissante et ce, pour la simple raison que les branches du droit qui s'y
intéressent sont nombreuses. Mais, ce sont surtout le droit des sociétés, le droit du travail, le droit de la
concurrence, le droit fiscal et le droit du marché financier qui sont, au premier chef, concernés par les dites-
opérations. Le premier parce qu'il vient les réglementer. Le second parce qu'il s'efforce d'appréhender leurs
conséquences sur l'emploi. Les autres car ils envisagent successivement leurs atteintes à la concurrence,
l’impôt dû et l’épargne investie. Cette précision conduit à poser l'épineuse question de la définition
juridique de la concentration dont on ne trouve trace ni dans la loi, ni dans la jurisprudence. Cette définition
aura comme objectif de faire apparaitre une notion autonome à partir des mécanismes qui la composent et
de regrouper le plus grand nombre de procédés sous une seule et même bannière « la concentration ».

-II-
11- M. Michel Foucault a brillamment remarqué qu’à chaque époque correspondait une épistème
particulière64. On serait tenté de dire que cette épistème est, aujourd’hui, la concentration. On ne cesse, en
56
http://www.webmanagercenter.com/management/article-95787-tunisie-banque-fusion-stb-bh-la-naissance-d-un-champion-re gional.
57
http://www.tunisiebanque.com/index.php/vivvo_general/3194.html
58
MAXULA BOURSE est un intermédiaire en bourse des plus actifs sur la place financière de Tunis.
59
http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAJA2602p069.xml0/actualite-afriquebanques-restructuration-a-marche-forcee.html
60
STB, BNA et BH.
61
Les prérogatives du holding qui sera créé conformément aux dispositions de l’article 463 CSC sont notamment : L’élaboration des stratégies
générales du pôle bancaire ; le suivi de gestion des établissements membres et l’examen de leurs indicateurs ; le développement des fonctions
communes dans les domaines du portefeuille des titres et participations ; le recouvrement des créances ; l’intermédiation en bourse ; le capital
risque… ; la coordination des interventions pour le financement des grands projets ; la synergie des présences à l’étranger ; la mise en commun
d’outils de gestion informatique, de consulting et de formation.
62
En termes pratiques, la convertibilité totale du dinar tunisien implique la liberté pour tout détenteur de dinars de les convertir en n’importe
quelle devise étrangère dans la quantité qu’il veut, où il veut et quand il veut sans être soumis à aucune réglementation de change. Selon les
dernières annonces, elle entrera en vigueur d’ici la fin de 2014. En effet, la Tunisie s’apprête à mettre au point un programme exécutif pour la
convertibilité totale du dinar en deux étapes. La première couvrant la période 2010-2012 et consistant à parachever la convertibilité courante et
la libéralisation de certaines opérations de capital. La deuxième, s’étendant sur la période 2013-2014 devant concerner la libéralisation des
opérations de capital restantes, avec la mise en place de règles pour certaines opérations, notamment celles en rapport avec les capitaux à court
terme, et la refonte radicale du Code de change de manière à l’adapter à la convertibilité totale du dinar.
(http://www.businessnews.com.tn/Que-signifie,-concr%C3%A8tement,-la-convertibilit%C3%A9-du-dinar-pour-le-Tunisien-,519,22388,1).
63
http://www.letemps.com.tn/article.php?ID_art=49861&titre=Quand,-mais-d%92abord-comment-?
64
Cité par LOUNGOULAH (G-L-PH), art. pré., p 116.

Page 17
INTRODUCTION

effet, de parler d’elle. Il ya même une sorte de « vertige de la concentration »65. Le droit n’y échappe
guère, alors qu’il ignorait hier son existence.
L’observateur, simple actionnaire ou manutentionnaire, suit cette opération souvent avec grand
intérêt, soit parce qu’il pourrait être touché plus ou moins directement, soit parce qu’il voudrait en tirer un
enseignement pour sa propre gouverne immédiate ou éventuelle66. Tant d’intérêts et d’intéressements pour
une opération non définie par le législateur, ni par la jurisprudence d’ailleurs.
Le spectacle offert par l’économie actuelle est celui d’un processus accéléré de brassage, sous
forme d’entente, d’éclatement ou de réunion. Le terme fréquent, mais pas inévitable de ce processus, est la
concentration ou encore le rapprochement67.
Face à la diversité des opérations et les possibilités d’enchevêtrement, la tentation est grande de
vouloir en dresser la typologie. Il reste que pour pouvoir les saisir avec justesse et les traduire de façon
réaliste sur le plan juridique, doit-on analyser d’abord la réalité économique.
Certes, il peut paraître inhabituel de parler d’analyse économique dans une étude consacrée à un
problème juridique. Néanmoins, faut-il constater qu’en ce domaine on est bien à cheval entre le droit et
l’économie, le premier étant « le serviteur » de la seconde68. N-a-t-on pas déjà affirmé que « le juriste qui
n’étudie pas l’économie s’expose à devenir un ennemie public »69 ! Que l’on n’oublie pas également que
les travaux d’économistes ont notamment contribué à faire évoluer la réflexion juridique. On se référera à
leurs travaux, dans une perspective purement juridique.
Mais faut-il rappeler aussi que, comme chez les juristes, les divergences d’interprétation et
d’appréhension ne manquent pas entre les économistes. Il n’en reste pas moins vrai que le survol de leur
monde peut seul permettre d’élargir l’horizon juridique afin de dresser le profil des différentes techniques
de concentration possibles et envisageables.
12- D’un point de vue économique, la notion de concentration « n’est ni aussi simple ni aussi
claire que certains économistes le laissent entendre »70. En effet, à force d’avoir été tirée en tous sens, elle
est devenue très ambiguë. Cette confusion s’explique sans doute par la complexité et la fluidité du
phénomène en cause. Elle résulte aussi des divers désaccords doctrinaux ou oppositions idéologiques.
Sans s’attarder sur ces controverses, on peut définir la concentration comme étant « le mouvement
qui tend, de manière relative et parfois absolue, à rassembler des éléments productifs de la richesse et le
pouvoir économique dans un nombre de mains de plus en plus restreint »71. La concentration vise ainsi un
accroissement de la productivité et de la rentabilité et, partant, de la compétitivité des entreprises72.
La concentration peut être horizontale, verticale ou « conglomérale ». Quand elle est horizontale,
elle se traduit par le rapprochement de deux entreprises concurrentes pour n’en faire qu’une seule73. Elle
est verticale, par contre, lorsqu’elle résulte de l’intégration de deux entreprises, l’une étant fournisseur et
l’autre cliente74. Le conglomérat75, quant à lui, provient de la concentration de deux ou plusieurs
entreprises ayant des activités différentes et proposant des biens différents76.

65
Une expression empruntée au professeur MALAURIE (PH) dans son article «Transparence-Secret : Droit à l’information», art. pré., p 7.
66
BELANGER (L), LIPSIG (C), MORIN (F) ET PERUSSE (M), Op.cit., p. 1.
67
DURAND (P) et LATSCHA (P), Les groupements d’entreprises, Collection Droit et Gestion, Librairies Techniques, 1980, p 1.
68
JACQUEMIN (A), Le droit économique, serviteur de l’Economie, RTDC, 1972, p 283 et s. V. aussi RIPERT (G), Aspects juridiques du
capitalisme moderne, Vo. 3, R.E., 1953, p 2 et s.
69
BRANDEIS (L), Discours devant la Harvard Ethical Society, 1905. V. http://fr.wikipedia.org/wiki/Louis_Brandeis
70
CHAMPAUD (C), Le pouvoir de concentration, op.cit., n° 2, p 2. Pour l’examen détaillé de ce phénomène, cf., outre les ouvrages
d’économie politique habituels, PARENT (J), La concentration industrielle, Op. cit. ; MORVAN (Y), La concentration de l’industrie en
Fronce, Paris, 1972 ; CLAUDE (H), La concentration capitaliste, Paris, 1965 ; BLAIR (J-M), Economic Concentration, New York, 1972 ;
DE WASSEIGE (Y) et MABILLE (X), La concentration économique, Dossier du CRISP, Centre de Recherche et d’information Socio-
Politique, Bruxelles, 1973.
71
CLAUDE (H), op. cit., p 8. Dans le même sens, MORVAN (Y), op. cit., p 23 et s ; DE WASSEIGE (Y) et MABILLE (X), op. cit., p 1 ;
Comp. DEAN (J), Théorie économique et pratique des affaires, Paris, 1959, p 114 et s.
72
DE WASSEIGE (Y) et MABILLE (X), op. cit., p 2 ; MORVAN (Y), op. cit., p 24 ; GALASSI (G), Concentrazione e cooperozione
interoziendale, Milano, 1969, p. 132 et s.
73
La concentration horizontale est celle qui aboutit à étendre l’activité de l’entreprise toujours sur le même plan, au même stade de production.
Par exemple, une entreprise métallurgique accroît sa production de fonte ou d’acier. Ce type de concentration accroît les parts de marché de
l’entreprise en augmentant le nombre de clients de la nouvelle structure. Elle est notamment motivée par la recherche des économies
d’échelles. En abaissant les coûts de production ou de distribution, elle permet l’augmentation du pouvoir de négociation face aux clients et
aux fournisseurs. Par conséquent, la concentration horizontale présente le plus grand danger pour la concurrence.
74
La concentration verticale aboutit à étendre l’action de l’entreprise sur des plans superposés. Elle réunit, dans une même entreprise, les
opérations successives concernant la transformation d’une matière première en produit fini. Elle est ascendante ou descendante selon que les
nouveaux stades d’activité concernent l’approvisionnement ou les débouchés de l’entreprise. Par exemple, une entreprise métallurgique
s’adjoint l’exploitation de mines de fer ou de charbon, ou un atelier de construction mécanique pour transformer l’acier brut en produits
œuvrés, ou encore une flotte pour transporter ces produits. La concentration verticale permet, d’une part, de réduire les coûts d’acquisition des

Page 18
INTRODUCTION

13- A l’inverse de la science économique qui tend à expliquer les divers aspects d’une réalité
économique, caractéristique de notre temps, la science juridique cherche à ordonner l’ensemble du
phénomène en cause et assurer son déroulement dans le respect des divers intérêts en présence.
Les juristes ont adopté, en ce domaine, une conception de la concentration aussi vaste que celle des
économistes. Ils y voient un processus qui entraîne la formation d’ensembles économiques de plus en plus
larges, par le biais d’opérations les plus diverses allant des fusions, aux scissions ainsi qu’aux groupes de
sociétés, en passant par les ententes contractuelles77. Les juristes font également remarquer que ces
opérations s’apparentent au niveau du résultat escompté, à savoir la création d’une unité de décision78 qui
se traduit souvent par « l’établissement d’une volonté dominante qui s’impose et réduit ou aliène la volonté
et la liberté des autres entreprises »79. Ainsi, le juriste rattache-t-il la concentration des entreprises à leur
indépendance et leur autonomie de volonté80, et lui fait recouvrir toutes « les techniques de croissance,
d’intégration, de quasi-intégration, de symbiose et d’agrégation »81.
14- Dans le but de cerner davantage la notion de concentration, on tentera de rechercher sa
définition à travers les différentes branches de droit qui l’ont appréhendée et les travaux de la doctrine qui
s’y sont intéressés.
En droit des sociétés, la concentration est considérée comme reflétant l’adaptation du droit à
l’évolution dynamique des entreprises. Le professeur Guyon rappelle, à ce titre, que « les entreprises
doivent, si elles veulent survivre, s’adapter aux fluctuations de la conjoncture économique en général et
surtout conserver une forme qui convient à la nature et à l’importance de l’activité qu’elles exercent 82».
Pour avoir une idée sur ce mécanisme en droit des sociétés, faut-il rappeler que le code des sociétés
commerciales a évoqué le vocable « concentration » une seule fois au sein de l’article 426. Faut-il
remarquer aussi que le même code a consacré un chapitre entier aux fusions, scissions, transformations et
groupements de sociétés, sans avoir pour autant défini la notion de concentration83.
De même, la plupart des auteurs ont directement étudié les opérations de fusion, scission, apport
partiel d’actif, et certains y incluent les cessions de contrôle et les offres publiques qu’elles soient
d’acquisition, d’échange ou de retrait sans avoir apporté une définition générale, claire et intelligible de la
notion même de concentration.
Les professeurs Cozian, Viandier et Deboissy apportent, néanmoins à ce stade, une précision
importante en ce que les techniques juridiques ne sont que les procédés de la concentration84. Il faut donc
distinguer la concentration, proprement dite qui est un fait, de l’opération menant à ce résultat. Cette
dernière n’étant que le procédé ou la technique juridique tendant à réaliser un rapprochement des
structures. Cette distinction ne posera pas de problèmes puisqu’on se propose d’étudier l’abus dans les
procédés de concentration, c'est-à-dire au sein des différentes techniques juridiques menant à la
concentration sociétaire.

produits intermédiaires en supprimant les marges bénéficiaires des fournisseurs. Elle permet, d’autre part, d’assurer la sécurité soit des
approvisionnements soit des débouchés.
75
La concentration conglomérale consiste en l’adjonction d’activités sans aucun rapport les unes avec les autres. Elle permet d’accéder à de
nouveaux secteurs industriels et répartir le risque sur plusieurs activités. Elle constitue une manière transitoire de changer d’activité lorsque la
modification de la conjoncture économique exige d’abandonner progressivement des activités ou des produits obsolètes. V. pour plus de détails
sur ces points, LAJUGIE (J), La concentration, In Traité d’économie politique, publié sous la direction de L. BAUDIN, t. I, Paris, 1951, p 565
; GUITTON (H), Economie politique, t. I, Paris, 1972, p. 259 et s, n° 314 ; MORVAN (Y), op. cit., p 31 et s ; BLAIR (J-M), op. cit, p 3 et s.
76
CHENG (J), Principes applicables à l’acquisition et à la fusion des sociétés cotées : Réflexions sur le droit français et recommandations
pour le droit chinois, Thèse, Université Paris I, Panthéon Sorbonne, 2003, p 15. LAJUGIE (J), Op.cit., p. 565.
77
CHAMPAUD (C), Le pouvoir de concentration, Op. cit., n° 2, p 3. Il convient de relever qu’une telle approche du phénomène de
concentration compte aussi des économistes parmi ses partisans. V. par exemple, MORVAN (Y), op. cit., p. 29, qui considère « comme
processus concentrationniste tout processus qui aboutit au renforcement du pouvoir de certaines unités. Il s’agit non seulement de croissance
interne et même externe des firmes, mais encore de toute prise de participation financière d’une firme dans une autre, de tout acte de
domination économique, de tout accord explicite ou tacite... qui ont pour effet de diminuer le nombre des centres de décision... et de fixer le
pouvoir économique en quelque point de la distribution des entreprises ».
78
CHAMPAUD (C), Les méthodes de groupement des sociétés, Rev. Trim. Dr. Com. 1967, p. 1005.
79
PAILLUSSEAU (J), op. cit., p 115. Pour la définition adoptée par le législateur français dans la loi no 77-806 du 19 juillet 1977, relative au
contrôle de la concentration économique et à la répression des ententes illicites et des abus de position dominante, V. art. 4, al. 6, de la dite loi ;
V. à ce sujet également GAVALDA (CH), Le contrôle des concentrations, p 473 et s. ; JEANTET (F-C), Loi sur le contrôle des
concentrations économiques en France, J.C.P. G, 1977, 1, 2879, n° 23 et s ; (même auteur), Vers un contrôle européen des concentrations
faisant obstacle à la concurrence, JCP, 1975, I, 2675 ; CHAMPAUD (C), Le contrôle des concentrations en France depuis 1977, RTD Com.
1980, p. 421 et s.
80
PAILLUSSEAU (J), op. cit., p. 115.
81
CHAMPAUD (C), op.cit., p. 1005.
82
GUYON (Y), Droit des affaires, Droit commercial général et Sociétés, T. I, Economica, 1996, n° 562, p. 585.
83
V. livre V du code allant de l’article 408 à 479.
84
COZIAN (M), VIANDIER (A) et DEBOISSY (F), Droit des sociétés, LITEC, 2001, p. 533 et s.

Page 19
INTRODUCTION

15- Le droit du travail, ayant pour objet la protection des salariés lors des opérations de
concentration et de restructuration85, ne définit pas la concentration, ni les différentes techniques juridiques
qu’on pourrait regrouper sous le dit-vocable. Il reste que ce droit utilise plusieurs notions pouvant viser le
phénomène concentrationnaire, comme par exemple celle de « modification dans la situation juridique de
l’employeur86 », ou « modification dans la situation juridique de l’entreprise » ou encore « modification de
l’organisation économique ou juridique de l’entreprise ». On serait alors tenté de croire à la lecture de ces
formules que le droit du travail est un droit pragmatique, quoique ces mêmes formules se trouvent
entourées par un encadrement strict de plusieurs techniques juridiques comme les cessions d’entreprises,
les opérations de fusions, scissions et autres87.
16- En droit de la concurrence par contre, l’article 7 de loi n° 91-64 du 29 juillet 1991, relative à
la concurrence et aux prix88, traite directement de la notion en disposant que « la concentration résulte de
tout acte, quelle qu’en soit la forme, qui emporte transfert de propriété, ou de jouissance de tout ou partie
de biens, droits ou obligations d’une entreprise ayant pour effet de permettre à une entreprise ou à un
groupe d’entreprises d’exercer directement ou indirectement sur une ou plusieurs entreprises, une
influence déterminante ».
Le législateur a adopté dans cet article deux critères pour l’appréhension de la concentration89 : le
critère du moyen et celui du résultat. Le critère du moyen appréhende la concentration par la méthode selon
laquelle elle s’effectue (fusion d’entreprises, transfert de propriété ou de jouissance des biens ou droits et
obligations d’une entreprise…)90. Par application de ce critère, le législateur exclut de la concentration
l’expansion réalisée par la croissance interne de l’entreprise91.
Le critère du résultat signifie, quant à lui, l’exercice par une ou plusieurs entreprises d’une influence
ou d’un pouvoir significatif sur une ou plusieurs autres entreprises. La concentration nécessite donc
l’exercice d’un contrôle déterminant par une entreprise sur au moins une autre entreprise. Ce contrôle peut
être exercé soit directement, comme la détention de la majorité des voix dans le conseil d’administration de
l’autre entreprise, soit indirectement comme le pouvoir de nommer les dirigeants de cette entreprise ou le
droit de veto en ce qui concerne les décisions fondamentales92.
Dans son avis consultatif n°1/99 du 11 février 1999 relatif à la concentration économique dans le
domaine des huiles des moteurs et des appareils industriels93, le conseil de la concurrence a appliqué les
deux méthodes de la détermination de la concentration. Il s’agissait en l’espèce de l’achat par la société
« Total » et la société « Mobil » de 25 % des actions de la société « Esso ». Cette opération qui comportait
un transfert de droits permettait aux sociétés qui ont acheté les actions d’influencer les décisions de la
société « Esso ». La même position a été adoptée dans d’autres avis94.
Le conseil de la concurrence a aussi examiné, de la même façon, des fusions absorptions de type
vertical réalisées entre les sociétés «ILI acquisition Corp», «Weatherford acquisition merger sub LLC»95, la

.1996 ،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬،‫ ّج‬P$ A‫ ر‬،V^3 ‫ ا‬# 8/ّ!# ‫ ا‬6L ‫ وى ا‬N‫ د‬8G a A‫ ت و و‬p ‫ء ا‬IN ،,!- O‫ ر‬: 6‫ُ اﺟ‬+ 85
86
V. art. 15 et 279 et 411 C.T.
87
COZIAN (M), VIANDIER (A) et DEBOISSY (F), op. cit., p 533 et s.
88
Telle que modifiée et complétée par la loi n° 95-42 du 24 avril 1995. V. JORT, n° 35, du 2-5-1995, p 976. Cette loi a été également modifiée
par la loi n° 99-40 du 10-5-99, V. JORT, n° 39, 14-5-1999, p 867, ainsi que par la loi n° 2003-74 du 11 novembre 2003, V. JORT, n° 91, 1411-
2003, p 3361.
89
Les deux critères sont exigés cumulativement.
90
Dans son Avis n° 62145 du 7 sep. 2006, Cogitel/Sied (Rapport du Conseil de la concurrence, 2006, pp. 518 et s.), le Conseil de la
concurrence a précisé que :
9+ 8 ‫ ا‬+ L‫ ا‬k$ A ] +‫ و‬...' C ‫ ا‬N K LA‫ " ا‬$ 8 ‫ ا‬A ‫ ا‬8 ‫ ر إ‬O‫ أ‬a ‫ أ‬k ‫ ذ‬M ‫ 'دوﺟ‬/+ #$ ‫ ] دي‬7J‫ ' ا‬C ‫ م ا‬K/ V]/ ‫ا ا‬D‫ل ھ‬S M ‫ ع‬3 ‫ ف ا‬N "
ّ ‫أو‬
." K4 ‫ ع أو ﺟ'ء‬/ J‫" ا‬ V K4N ّ 4+ 8 ‫ ت ا‬# ‫ ا‬VC ‫ أي‬،‫ اء‬3 ‫ ع أو ا‬/ J‫! ت أو إ< <" ا‬Aq ‫ ا‬X ‫ د‬Vd ،‫ دة‬# O‫ أ‬DP $ 8 ‫ ] دي وا‬7J‫ ' ا‬C ‫ ھ ا‬F
V. aussi dans le même sens GLAIS (M), Concentration des entreprises et droit de la concurrence, Economica, Paris, 2010, p 11.
91
Selon le conseil de la concurrence dans son avis n° 62145 du 7 sep. 2006 :
‫! أ ى‬Aq ‫ ة‬/ ‫ ارھ‬7 L A ‫ أو‬K7 < V C MN !Aq K G U P $ 8 ‫ ا ت ا‬#$ 4 ‫ ] دي‬7J‫ ' ا‬C ‫ ت ا‬N M g ‫ رج‬4+ !Aq 8$‫ا‬D ‫ ا‬4 ‫ أن ا‬k ‫ ذ‬M X 4 !+‫"و‬
."‫ ] دي‬7J‫ ' ا‬C ‫ < ت ا‬M < ‫! أ ى‬Aq ‫ ة‬/ K S A‫ ا‬M ‫ ﺟ'ء‬U N ‫أو‬
92
Selon le Conseil de la concurrence dans son Avis n° 62145 du 7 sep. 2006, (Rapport du Conseil de la concurrence, 2006, p. 519) :
‫ م‬N ‫ ض‬/+ ‫ي‬D ‫ ] دي ا‬7J‫ ر ا‬# G‫ ة و‬O 5 ‫ ة أو‬O /] ‫! أ ى‬Aq ‫ ط‬3 U N A < ‫ ة‬L A ‫ أو‬7‫ ر‬L A !Aq ‫ ! ب‬C‫ ا‬a ] G 4 ‫] ا‬4N ‫" أ‬
‫ ة‬O ‫ ة إ‬L ! ‫ه ا‬D‫ ن ھ‬$‫ى و‬ ‫ ا‬U N ‫ ة‬L A‫ و‬A < 7‫ر‬ #G /] ‫ رس إ< اھ‬$ ‫ أن‬I + V + FN L $ ‫! ت‬Aq ‫ ن ا‬$ ‫ أن‬8/ + ‫إذ‬ 3 ‫ ا‬h ‫ ا وا‬U N ‫ ] ر‬7J‫ا‬
." + ‫] ص ا ارات ا ھ‬P n 4 ‫ أو <" ا‬K N L ! ‫! ا‬Aq ‫ ! ي ا‬M #$ ‫ إ‬K 4 ‫! أ ى أو‬Aq ‫ إدارة‬H 8G A < 5[ ‫ ة‬L ! ‫! ا‬Aq ‫ ا‬6 $ Vd
93
Rapport annuel du Conseil de la concurrence de 1999, p. 67.
94
V. Avis du Conseil de la concurrence n° 62155 du 4 janv. 2007, Câble Tunisie/ Télécocable, Rapport du Conseil de la concurrence, 2007,
p. 7 et s ; Avis du Conseil de la concurrence n° 72196 du 29 nov. 2007, Ideal Gômm Industrie SA/ Almawassir, Rapport du Conseil de la
concurrence, 2007, p. 553 et s. ; Avis du Conseil de la concurrence n° 4289 du 25 mars 2004, STAROIL/ Etablissements Abdelmoula,
Rapport du Conseil de la concurrence, 2004, pp. 237 et s. ; Avis du Conseil de la concurrence n° 62145 du 7 sep. 2006, Cogitel/Sied,
Rapport du Conseil de la concurrence, 2006, p. 518 et s.
95
Suite à cette fusion, la société « Weatherford acquisition merger sub LLC » a été dissoute. V. Avis du Conseil de la concurrence
n°82229, du 23 av. 2009, Rapport du Conseil de la concurrence, 2009, p. 225.

Page 20
INTRODUCTION

société PAF, qui exerce dans l’industrie des métaux, et la société F3T, spécialisée dans l’expertise des
métaux96. De même, il a donné son avis sur une fusion absorption de type horizontal, réalisée entre
« Prokim Industrie » et MPC donnant naissance à une nouvelle société dénommée « Prokim-MPC »97.
Certes, l’article 7 précité n’apporte pas une définition générale de la concentration, il précise plutôt
les actes qui peuvent, en droit de la concurrence, aboutir à une concentration d’entreprises susceptible de
déboucher sur des abus. Il est néanmoins, clair et simple que la législation, en ce domaine, conçoit la
concentration de façon extensive comportant aussi bien les opérations de fusions98 que les scissions, les
groupes de sociétés ainsi que les conventions d’ententes99.
17- Le droit boursier, quant à lui, cherche à organiser au mieux le marché financier pour que ce
dernier soit le plus efficient que possible. Dans ce cadre, il appréhende la concentration de telle manière
qu’elle n’ait pas un effet négatif sur le dit-marché. Un parallèle peut être ici établi avec le droit de la
concurrence dont l’objectif est aussi tourné vers la protection de la concurrence et du marché en général.
De la même manière que pour les autres matières, le droit boursier énumère les techniques
juridiques regroupées sous le vocable « concentration » sans pour autant définir cette dernière ni même
l’évoquer explicitement100.
Il sied aussi de préciser que la bourse des valeurs mobilières assure une fonction de restructuration
assez importante, des différents secteurs de l’économie, en permettant des prises de participations, des
fusions, des scissions… qui aboutissent généralement à une concentration des entreprises.
18- Le droit comptable et le droit bancaire ont, à leur tour, appréhendé essentiellement la notion
de groupe de sociétés et non pas celle de concentration au sens général du terme.
Selon le paragraphe 4 de la norme comptable n°35 relative aux états financiers
consolidés: «les termes suivants ont la signification indiquée ci-après : - Le contrôle est le pouvoir de
diriger les politiques financières et opérationnelles d'une entreprise afin d'obtenir des avantages de ses
activités. - Une filiale est une entreprise contrôlée par une autre entreprise (appelée la mère). - Une mère
est une entreprise qui a une ou plusieurs filiales. Un groupe est une mère et toutes ses filiales».
Le droit bancaire définit la notion de groupe en se basant essentiellement sur l'existence d'une unité
de décision. En effet, selon l'article 2 de la circulaire de la Banque centrale de Tunisie n°91-24 «sont
considérés comme «même bénéficiaires» les emprunteurs affiliés à un même groupe. Le qualificatif de
«groupe» est attribué à deux ou plusieurs personnes morales ayant entre elles des interconnexions telles
que : - Une gestion commune. - Une interdépendance commerciale ou financière directe telle que les
difficultés de l'une se répercutent automatiquement sur l'autre. - Des participations directes ou indirectes
au capital se traduisant par un pouvoir de contrôle».
Aussi l’article 10 de la loi n° 2001-65 du 10 juillet 2001 relative aux établissements de crédit, sans
avoir définit l’opération de fusion entre banques, l’a soumise à l’agrément préalable de la banque centrale
de Tunisie101.

19- Enfin, la législation fiscale a longtemps été neutre à l'égard des procédés de concentration
pourtant assez courants à l'échelle interne et surtout internationale. Elle témoigne d'un retard considérable
en la matière. Cependant, au cours des dernières années, le régime fiscal de la fusion de sociétés, par

96
Avis consultatif du Conseil de la concurrence n° 2/1999 du 18 février 1999 relatif à une concentration économique entre PAF et F3T,
Rapport annuel du Conseil de la concurrence de 1999, p. 74.
97
Avis du Conseil de la concurrence n° 72195 du 01 nov. 2007, Rapport du Conseil de la concurrence, 2007, p. 522 et s.
A‫ ر‬،‫ ] دي‬7 ‫ م ا‬# ‫ م ا‬4 ‫ ت و ا‬C 3 ‫ ا ج ا‬،Qّ1F0 ; 0 .2002،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬،‫ ّج‬P$ A‫ ر‬، !G 4 ‫ ن ا‬7 ‫ و‬+‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ا ج ا‬، ‫ ا از‬FP : 6‫ُ اﺟ‬+ 98
.2002 ،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬،‫ ّج‬P$
99
L’article 7 rappelle l’article 86 de la Loi française n° 2001-420 du 15 mai 2001 (Journal Officiel du 16 mai 2001) qui dispose ce qui
suit : « I. -Une opération de concentration est réalisée : 1° Lorsque deux ou plusieurs entreprises antérieurement indépendantes fusionnent ;
2° Lorsqu'une ou plusieurs personnes, détenant déjà le contrôle d'une entreprise au moins ou lorsqu'une ou plusieurs entreprises acquièrent,
directement ou indirectement, que ce soit par prise de participation au capital ou achat d'éléments d'actifs, contrat ou tout autre moyen, le
contrôle de l'ensemble ou de parties d'une ou plusieurs autres entreprises. II. - La création d'une entreprise commune accomplissant de
manière durable toutes les fonctions d'une entité économique autonome constitue une concentration au sens du présent article. III. - Aux fins
de l'application du présent titre, le contrôle découle des droits, contrats ou autres moyens qui confèrent, seuls ou conjointement et compte tenu
des circonstances de fait ou de droit, la possibilité d'exercer une influence déterminante sur l'activité d'une entreprise, et notamment : - des
droits de propriété ou de jouissance sur tout ou partie des biens d'une entreprise ; - des droits ou des contrats qui confèrent une influence
déterminante sur la composition, les délibérations ou les décisions des organes d'une entreprise ».
100
V. art. 125 et 164 du règlement général de la bourse des valeurs mobilières de Tunis tel que visé par l’arrêté du Ministre des Finances en
date du 13/2/97 et modifié par les arrêtés du Ministre des Finances du 9/9/99, du 24 /09/2005, du 24/09/2007 et du 15 avril 2008.
101
V. infra n° 460.

Page 21
INTRODUCTION

exemple, a connu des réformes successives liées à l'instabilité de l'environnement économique mondial. Le
législateur a modifié successivement ce régime par les lois de finances pour la gestion des années 1998102,
2001103, 2003104, 2004105 et 2005106.
Ces nouvelles dispositions traduisent la volonté du législateur d'élaborer un système incitatif afin
d'encourager la réalisation des opérations de concentration de sociétés107 « nécessaires pour la
rationalisation et la spécialisation des produits nationaux »108.
Aussi, compte tenu en droit fiscal, de l’objectif de prélèvement de ce dernier, la notion de
concentration est abordée du point de vue de ses effets sur le statut fiscal de la société ou du groupe de
sociétés concerné. L’incidence qu’a une concentration sur le montant de l’impôt payé est l’objectif
prioritaire. Ce n’est donc pas le rapprochement des structures juridiques qui compte, mais plutôt ce qui en
résulte en matière d’assiette imposable109.
20- Les analyses, ainsi opérées dans le cadre de ces disciplines juridiques, peuvent aider le
juriste à prendre la mesure du phénomène, à percevoir ses enjeux et sortir de ses propres clivages. Certes,
toutes ces branches juridiques ont essayé d’encadrer plus ou moins directement la notion de concentration
des sociétés. Toutefois, aucune d’elles n’en a apporté une définition générale claire ni une classification
simple ou exhaustive. Pour ce faire, faudra-t-il recourir à la doctrine où on relève l’existence d’une
panoplie de critères et de catégories de concentration.
Stricto sensu, la concentration est un phénomène qui se caractérise par la croissance de la taille des
entreprises et par une diminution corrélative de leur nombre110. Partant de cette définition, la concentration
comprend nécessairement les opérations de fusion et de scission, alors qu’elle écarte totalement les groupes
de sociétés, car la taille des sociétés groupées n’augmente pas et leur nombre ne diminue pas.
En dépit de sa clarté, la définition susvisée ne fait pas l’unanimité de la doctrine. Celle-ci admet,
purement et simplement, que le sens strict de la concentration n’est pas le plus communément usité111.
Lato sensu, la concentration est définie comme étant un mouvement entraînant la formation d’unités
économiques de plus en plus vastes. Elle comporte aussi bien les opérations de croissance des entreprises
comme le succursalisme, la fusion et la scission que des opérations d’intégration radicale comme les
groupes de sociétés ou d’intégration souple comme les ententes.
S’appuyant sur cette définition, la concentration des entreprises peut se réaliser selon des modalités
très diverses : elle peut être poursuivie volontairement ou résulter d’une situation de fait. Elle peut aussi
affecter la totalité des activités des partenaires ou ne porter que sur une partie de celles-ci. Elle peut
s’opérer tant entre des entreprises individuelles qu’entre des entreprises sociétaires. Elle peut aussi revêtir
plusieurs aspects que les juristes se sont efforcés d’analyser méticuleusement112.
21- Trois raisons militent en faveur de l’adoption d’une définition large de la concentration.
Primo, il semble permis d’avancer que la majorité de la doctrine définit la concentration de façon laxiste113.
102
V. l'article 50 de la loi n°97-88 du 29 décembre 1997 pourtant loi de finances pour la gestion 1998, JORT n°101, 1997, p 3525.
103
V. l'article 59 de la loi n°200-98 du 25 décembre 2000 pourtant loi de finances pour la gestion 2001, JORT n°101, 2000, p 2930.
104
V. l'article 30 de la loi n°2002-101 du 17 décembre 2002 pourtant loi de finances pour la gestion 2003, JORT n°102, 2002, p 3782.
105
V. les articles 23 et 24 de la loi n°2003-80 du 29 décembre 2003 pourtant loi de finances pour la gestion 2004, JORT n°104, 2003, p 3225.
106
V. l'article 36 et 37 de la loi n°2004-90 du 31 décembre 2004 pourtant loi de fiances pour la gestion 2005, JORT n°105, 2004, p 3438.
107
KOSSENTINI (M), La plus-value en droit fiscal tunisien, Th., FDS, 2006, p 157. (L'Harmattan, 2008).
108
AYADI (H), Droit fiscal, CERT, 1989, p 466.
109
SERLOOTEN (P), La modernisation progressive du droit fiscal des affaires : Le desserrement des entraves aux restructurations
d’entreprises, Dr. Fisc. 1998, n° 14, p 454.
. K + ‫ و‬1 ‫ ص‬،2004،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬،‫ ّج‬P$ A‫ ر‬، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ا‬Vّ 8 ‫ م ا‬4 ‫ ا‬،‫ ب‬S- ‫ ( ا‬- : 6‫ُ اﺟ‬+ [! ‫ه ا‬D‫] ص ھ‬P
110
CHAMPAUD (C), Le pouvoir de concentration de la société par actions, op. cit., p 3.
111
D’après le professeur TARDIEU-NAUDET, la concentration est « le processus qui entraîne la formation d’unités économiques de plus en
plus larges comme la fusion, la création de succursales, le groupe de sociétés… » In Les créanciers du groupe de sociétés, th., Faculté de droit
et des sciences économiques d’Aix, 1973, p 6. V. également Lexique juridique, DALLOZ, 2012 où la concentration est définie, au sens large,
comme étant « toute opération juridique tendant à créer une unité de décision entre des entreprises, dans le but d'en accroître la puissance
économique ». V. également CHAMPAUD (C), op.cit., p 3.
M ‫ ] دي‬7 ‫ ا‬V ‫ " ا‬$ U ‫ ف إ‬K$ 8 ‫ ا‬k $ ‫ و‬+‫ ] د‬7 ‫ ا < ات ا‬9 < ‫ دة‬+‫ ز‬U ‫دي إ‬q$ ‫ أن‬K [O M 8 ‫ ت ا‬# ‫ ا‬VC V 3 4 ‫ا ا‬D‫ ھ‬U N 'C ‫ م ا‬K/ 6! + ‫ و‬... "
A ! ‫ ض ا‬G U N ‫ ا رة‬a ‫ ن‬$ K4 <‫ وا‬U ‫ إ‬+‫ ] د‬7 ‫ ت ا‬N‫ و‬3 ‫ ا‬M N UN ‫ ة‬L!‫و ا‬ 7 ‫ ا‬L A V ‫ ن‬G k ‫ ق ذ‬G ‫ و‬.'C ‫ ا‬N 8G C 3 ‫ ت ا‬N‫ و‬3 ‫ا‬
،.‫ت‬.‫ق‬.‫ م‬،‫ ] دي‬7 ‫ ' ا‬C ‫ ا‬7‫ ا‬، ‫ ري‬17 ‫ل ا‬ .10 ‫ ص‬،.‫ذ‬.‫س‬.‫ م‬، AJ ‫( ا‬63 1J ‫ ا‬, ( ‫! م ا‬0 ." ‫ ] دي‬7 ‫' ا‬C ‫ ا‬V 7 M #+ ‫ ت ا ى‬N‫ و‬3 ‫ ا‬A U N +‫ ] د‬7 ‫ا‬
.143 ‫ ص‬،1999 ‫ ي‬/ G
112
V. à ce sujet, CHAMPAUD (C), Le pouvoir de concentration, n° 2 et s, p. 3 et s. L’auteur, dans une approche moins juridique
qu’économique, distingue deux stades de concentration qu’il qualifie respectivement de primaire (qui accroît la taille et la puissance
économique des entreprises en diminuant leur nombre, et qui rassemble toutes les opérations de fusion) et de secondaire (qui tend à limiter les
méfaits du gigantisme et qui se caractérise par la persistance et la réunion des entreprises au sein d’un ensemble économique à direction
unique). Comp. avec PAILLUSSEAU (J), op. cit., p 114 et s.
113
Ibidem.

Page 22
INTRODUCTION

Secundo, rien n’empêche de dire que la concentration, appréhendée de façon restrictive, perd un procédé
d’une importance grandissante, à savoir le groupe de sociétés qui ne cesse, depuis quelques années, de
déchaîner les passions et captiver les esprits et les pensées de tous, juristes et économistes. Une telle
éviction risque certainement d’amoindrir et d’affaiblir l’intérêt ainsi que l’opportunité de l’étude à bien des
égards. Tertio, il semble que le législateur est pour la définition extensive de la concentration. C’est du
moins ce qu’on peut déduire de l’article 7 de loi n° 91-64 du 29 juillet 1991 relative à la concurrence et aux
prix.
Ainsi, la concentration, qui est un processus par lequel les entreprises sur un marché donné
deviennent moins nombreuses et plus grandes, se définit comme étant toute opération juridique tendant à
créer une unité de décision entre des entreprises dans le but d'en accroître la puissance économique. Plus
précisément, il s'agit d'opérations juridiques tendant à créer une unité de décision entre des entreprises soit
par la création de liens structurels qui modifient l'identité juridique des entreprises intéressées, soit par la
création de liens financiers, ou autres, laissant subsister l'indépendance juridique des entreprises en cause.
La concentration apparaît donc comme un phénomène d'évolution dans le temps et l'espace, un symptôme
de croissance.
22- Dans cet ordre d’idées, il est possible de classer les procédés de concentration selon
plusieurs critères qui diffèrent d’un auteur à un autre114.
Le premier critère de classification des procédés de rapprochement peut être recherché dans l’effet
que produisent lesdites opérations sur la personnalité juridique des entreprises qui y participent. On
opposera alors la concentration radicale115 à la concentration souple116. La première entraîne, par voie de
fusion ou de scission, la disparition d’une ou de plusieurs entreprises au profit d’une ou de certaines autres.
La seconde, par contre, regroupe des techniques qui laissent intacte la personnalité juridique des entreprises
concernées et qui affectent ces dernières seulement dans leur indépendance et non dans leur existence, c’est
le cas du groupe de sociétés par exemple.
Le deuxième critère consiste à prendre en considération les conséquences que la concentration
entraîne sur les relations des entreprises participantes entre elles. Deux ou plusieurs entreprises peuvent se
proposer de croître ensemble en collaborant sur un pied d’égalité. A cet effet, elles réaliseront une unité de
décision qui leur permettra d’accroître leur puissance sur le marché. C’est la concentration par liens
d’égalité117. La concentration peut, au contraire, aboutir à placer des entreprises dans une relation de
maîtrise et de dépendance, et impliquer une hiérarchie entre elles. C’est la concentration par subordination.
Le troisième critère consiste à opérer, au sein de toutes les techniques juridiques par lesquelles la
concentration des entreprises se réalise, une distinction très simple mais primordiale, entre celles qui
aboutissent à une fusion sur le plan formel, c’est-à-dire à une entreprise monolithique sur le plan juridique,
et celles qui l’excluent, mettant en place un groupement dont les membres conservent leur indépendance
juridique. En effet, comme il a été indiqué plus haut, la concentration des entreprises n’est pas forcément
synonyme de fusion. Elle signifie aussi « regroupements des moyens, poursuites d’actions communes par
des entreprises conservant leur individualité juridique »118. C’est dans ce cadre que se placent les
groupements d’entreprises dont les groupes de sociétés ne sont qu’un des aspects.
En plus de ces trois critères de classification, M. Champaud ajoute un autre qui distingue entre deux
types de concentration. Un premier type, qu’il s’est permis de qualifier comme étant une « concentration
primaire », aboutissant à un accroissement de la dimension des entités économiques de base et à la
diminution de leur nombre. Ce type comprend les opérations de fusion et de scission. Le second, qualifié
de « concentration secondaire », consacre les deux aspects de l’intégration, à savoir le groupe de sociétés et
les conventions d’ententes119.

114
V. BERLIN (D), Actualités du contrôle des concentrations, Rev. de jurisp. droit des affaires, n° 1/03, janvier 2003, Chroniques, p. 6-11 ;
CATTON (TH), Le contrôle des concentrations entre entreprises au regard du règlement CEE n°4064-89 du Conseil du 21 déc. 1989, Th.
Montpellier, 1994 ; Concentrations et fusions d'entreprises, Paris 1966, Coll. Direction N°129, juin 1966 ; COT (P-M) ET LA-LAURENCIE
(J-P), Le contrôle français des concentrations, 2ème édition, L. G. D. J. / Droit des affaires, 2003 ; GUIBERT (PH) ET DE LA
LAURENCIE (J-P), Contrôle communautaire sur les concentrations, Les annonces de la Seine, n°51, 12 août 2002, p. 1 et s. ;
PAILLUSSEAU (J), La garantie de conformité dans les cessions de contrôle, semaine juridique, édition générale, 28 mars 2007, n° 13, p 13-
20 ; PEDAMON (M), Droit commercial : commerçants et fonds de commerce, concurrence et contrats du commerce, Coll. Précis, 2000.
115
On l’appelle aussi «concentration parfaite». V. DURAND (P) et LATSCHA (J), Les groupements d’entreprises, Paris, 1973, p. 2, n° 2.
116
On l’appelle aussi «concentration imparfaite». V. DURAND (P) et LATSCHA (J), op. cit.,n° 2, p. 2.
117
On l’appelle également « concentration par collaboration » ou « par coordination » ou encore « par coopération ».
118
LAVABRE (G), Le groupement d’intérêt économique, D., 1969, doctr., p. 35.
119
CHAMPAUD (C), Le pouvoir de concentration de la société par actions, op cit., p. 3.

Page 23
INTRODUCTION

D’autres auteurs120, adoptent une autre classification en distinguant entre deux autres types de
concentration. D’une part, les rapprochements à caractère contractuel qui ne portent pas atteinte à
l’indépendance juridique des entreprises : entente, association en participation et filiale commune. D’autre
part, les rapprochements à caractère structurel qui portent atteinte à l’indépendance juridique des
entreprises : fusion, scission et apport partiel d’actif121.
23- Partant de toutes ces classifications, les concentrations d’entreprises peuvent être réalisées
par diverses techniques allant de la simple association, préservant l’individualité des sociétés concernées, à
la fusion ou scission qui peuvent donner naissance à une entité économique et juridique nouvelle par
disparition des sociétés fusionnantes ou scindées. En suivant cette progression, il est possible de distinguer
les modes suivants de concentration122 : les ententes ou plus précisément les contrats d’entreprise pilote123
et les contrats de coopération124, le contrat de société en participation125, le groupement d’intérêt
économique126, la filiale commune127, le groupe de sociétés et les opérations de fusion et de scission128.
120
HAMEL (J), La personnalité morale et ses limites, D., 1949, doctr., p. 141 ; MAIRE (J-P), Les accords de coopération entre entreprises,
Etude comparative des droits de l’Allemagne, du Marché commun, des Etats-Unis et de la Suisse, th. Lausanne, 1973.
121
V. LATSCHA (M), Fusions, scissions et apports partiels d’actifs, éd. Delmas et cie, 1965.
122
PIROLLI (R), L’évaluation des entreprises dans les opérations de concentration, MASSON, 1981, p. 35.
123
Le contrat d’entreprise pilote lie plusieurs entreprises indépendantes, dont l’une devient mandataire des autres, pour accomplir séparément,
mais dans le cadre d’un marché qui les concerne toutes, un ouvrage commun auquel chacune participe pour la part qui lui est attribuée. Cette
forme de collaboration se rencontre principalement dans le bâtiment et les travaux publics et elle permet de constituer un bloc homogène,
financièrement plus solide, qui se portera adjudicataire. V. à ce sujet, CHAMPAUD (C), Les méthodes de groupement, Op. cit., p 1031 et s ;
DIDIER (P), Droit commercial, Tome III, Le marché financier, les groupes de société, Ed. PUF, Thémis droit privé, 1999, p. 702 et s. En
France, on a parfois analysé un tel groupement en une société de fait (V. par exemple, Cass. Com. Fr., 19 octobre 1959, JCP 1960 1111432,
note DE JUGLART, D., 1960, jurispr. 205, note SAVATIER ; Cass. Com. Fr., 17 novembre 1970, Rev. soc., 1971. 553, note J.F1.,D., l971,
jurispr. 206). Cette assimilation n’est cependant pas approuvée par la majorité des auteurs et la jurisprudence rendue à ce propos est assez
contradictoire. V. sur l’ensemble de la question, TARDIEU-NAUDET (D), Les créanciers du groupe de sociétés, Aix-en-Provence, 1973, p
258 et s ; DALLEVES (L), Problèmes de droit privé relatifs à la coopération et à la concentration des entreprises, RDS, 1973, II, p. 592.
124
Ces derniers sont des conventions singulières et complexes ayant pour but de réaliser, entre deux ou plusieurs entreprises, une unité de
décision généralement assez souple et qui ne concerne qu’une partie de leurs activités (engineering, études de produits nouveaux, achat ou
vente en commun, etc.). V. sur les contrats de coopération, qu’on appelle également «contrats de collaboration», CHAMPAUD (C), Les
méthodes de groupement, Op. cit., p 1032 et s ; MERCADAL (B) et JANIN (PH), Les contrats de coopération interentreprises, Ed. Francis
Lefebvre, Paris, 1974 ; AMILIEN (D), Les moyens juridiques conventionnels susceptibles de pallier les concentrations d’entreprises, In
L’actualité fiduciaire, octobre 1968, n. spécial sur les Techniques de concentration des entreprises, p. 22.
125
Dans certains cas, il peut paraître plus simple aux sociétés désirant s’unir pour réaliser un ouvrage en commun de recourir à un autre type de
contrat mieux connu et plus traditionnel : le contrat de société en participation. Ce contrat permet à plusieurs personnes (physiques ou morales)
d’entreprendre en commun une ou plusieurs opérations déterminées. A vrai dire, il donne naissance à une structure juridique ambiguë,
intermédiaire entre la structure sociétaire et la structure contractuelle. En effet, la société en participation n’a pas de personnalité morale et, sur
le plan économique, tire son avantage d’une imperfection juridique : son caractère occulte. V. les articles 77 à 89 CSC.
126
Cette nouvelle structure juridique répond à un double but : d’une part, permettre à des entreprises juridiquement indépendantes les unes des
autres de mettre en commun certaines de leurs activités telles que services de recherches, études de marchés, publicité commune, comptoirs
d’achat ou de vente, utilisation de méthodes modernes de gestion, etc. D’autre part, conserver à ces entreprises leur individualité et leur
autonomie. Le groupement d’intérêt économique présente autant de souplesse que les contrats de coopération, tout en offrant davantage de
stabilité et d’efficacité. Quel que soit son objet, le groupement d’intérêt économique jouit de la personnalité morale et de la pleine capacité
juridique à partir de son immatriculation au registre du commerce. Quant à la nature juridique du groupement ainsi constitué, elle a donné lieu
à bien de controverses. Certains auteurs ont essayé de faire entrer le groupement d’intérêt économique dans une catégorie juridique connue et
le rattacher soit au groupement à structure sociétaire, soit au groupement à structure contractuelle. V. les articles 439 à 460 C.S.C. V. aussi
GUYON (Y) et COQUEREAU (G), Le groupement d’intérêt économique, 2ème éd., Paris, 1973 ; LAVABRE (G), Le groupement d’intérêt
économique. Une expérience de liberté contractuelle, Paris, 1972 ; BURST (J-J), Le groupement d’intérêt économique, J.CI. Soc., p. 21 ;
GUVENOT (J), Les contrats de groupement d’intérêt économique, Paris, 1970 ; (même auteur), Les groupements d’intérêt économique, Paris,
1970 ; TAITHE (A-G), Le groupement d’intérêt économique, Paris, 1978.
.2005 ،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬،‫ ّج‬P$ A‫ ر‬، +‫ ] د‬7 ‫ ا ] ا‬6 $ ، 1AO ‫ ى ر‬2D : F+‫ أ‬6‫ُ اﺟ‬+
127
La filiale commune ou (joint-venture) est une société dont le capital est, en majorité, détenu par des sociétés ou groupes indépendants ou
concurrents sans qu’aucun d’eux ne puisse exercer sur elle le contrôle. Cette formule permet à des sociétés ou groupes soit de concentrer une
certaine partie de leur activité au sein d’une seule entreprise sociétaire, soit de coordonner une des phases essentielles de leur activité telle que
la recherche, la vente, la publicité et de concevoir ainsi, dans le domaine qui constitue l’objet social réel de ladite filiale, une politique
commune et de l’imposer réciproquement par son intermédiaire. Par rapport au groupement d’intérêt économique, la filiale commune présente
l’avantage d’institutionnaliser plus solidement la coopération inter-entreprise. Mais elle manque de souplesse tant au niveau de la constitution
qu’à celui du fonctionnement. La filiale commune se caractérise par la dualité, voire la pluralité de sociétés mères, ce qui la différencie
profondément des filiales simples et des sous-filiales qui sont sous la domination soit d’une seule société, soit de plusieurs sociétés, mais déjà
liées entre elles et appartenant à un même groupe. Les auteurs divergent sur le point de savoir si, à côté des sociétés mères, il y’a place dans la
filiale commune pour des actionnaires bailleurs de fonds. V. pour une réponse positive, CHAMPAUD (C), Les méthodes de groupement, op.
cit., p 1018 ; BENOIT-MOURY (A), La société anonyme européenne, mode de constitution d’une filiale commune, LPA, n° 103, 1980, p 15
et s ; BRILL (J-P), La filiale commune, th. Strasbourg, 1975, n° 280 et s, p 66 et s (l’auteur, qui refuse la présence des actionnaires bailleurs
de fonds dans une structure simple de filiale commune, l’admet en revanche dans les structures à trois niveaux). V. en ce sens,
LOUSSOUARN (Y), Le contrôle des sociétés par les sociétés en droit français, In Travaux de l’Association H. Capitant, t. XV, Paris, 1967, p.
344 et s, spécialement 354 ; FLEURIET (M), Les filiales communes : le choix d’une forme juridique, JCP 1979 I 2945, n° 1 ; LAZARUS
(C), LEBEN (C), LYON-CAEN (A), VERDIER (B), sous la direction de GOLDMAN et de FRANCESCAKIS, L’entreprise multinationale
face au droit, Paris, 1977, p. 105, n° 112 ; LANGEFELD WIRTH (K), Analyse pratique de la joint venture internationale, In « Les joint
ventrues internationales », ouvrage collectif, éd. GLD Joly, Paris, 1992, p 24.

Page 24
INTRODUCTION

24- Certes, la société en participation permet le rapprochement d’entreprises considérables ainsi


qu’une mise en commun de moyens importants sans que les partenaires en perdent la propriété.
Néanmoins, sa gestion et surtout son contrôle présentent des difficultés sérieuses en raison de la confusion
des affaires de la société et celles de son gérant. Pis encore ! cette société n’est soumise à aucune forme
publicitaire, il est donc très difficile sinon impossible de se rendre compte de son existence. Pour ces
diverses raisons elle a une portée limitée129 et ne fera pas partie de la présente étude.
De son coté le groupement d’intérêt économique (GIE) constitue, dans la pratique des affaires,
l’instrument idéal de préparation des fusions. Il n’est autre qu’une voie d’acheminement vers les réformes
de structures qui seront nécessaires en vue des fusions ou autres concentrations futures130. Le groupement
d’intérêt économique a eu un énorme succès en France131 grâce à sa souplesse et à la plénitude de sa
personnalité132. Malheureusement, cette période de développement passée, le nombre des créations s’est
stabilisé, puis a commencé à décroître. Plusieurs raisons expliquent, semble-t-il, cette décadence. D’une
part, on peut penser à l’étroitesse de l’objet du groupement qui ne peut, en principe, promouvoir une
activité différente de celle de ses membres ainsi que la responsabilité solidaire et illimitée de ceux-ci à
l’égard des tiers133. D’autre part, l’impossibilité de créer des titres négociables et l’atteinte portée à la libre
cession des parts ont contribué également à la disparition du « GIE ». En raison de son aspect transitoire et
précaire ainsi que sa rareté dans la pratique des affaires, aussi bien tunisienne qu’étrangère, le « GIE » ne
fera pas non plus partie de la présente étude.
25- Ayant cerné, tant bien que mal, la définition et les diverses classifications de la
concentration, il semble utile et nécessaire d’observer que cette notion ne devrait pas être confondue avec
des techniques voisines qui pourraient abuser l’interprète non averti. Pour ce faire, il sied de la distinguer
du montage, de la restructuration, de la transformation et de l’acquisition.
26- D’abord, qu'est-ce qu'un montage ? Si le mot est absent du Vocabulaire juridique134, sa
définition suscite l'unanimité de la doctrine. Le montage est l'articulation d'un ensemble d'actes ou
d'opérations en vue d'une finalité propre, une combinaison finalisée d'actes juridiques135. Ces deux critères,
celui d'une pluralité d'actes et celui d'une finalité particulière, se retrouvent dans les définitions proposées
par les différents auteurs qui se sont intéressés à la question. Ainsi, selon M. Poracchia, le montage est une
combinaison réalisée en vue de la création d'un effet déterminé136, un ensemble d'actes juridiques
finalisé137. Pour M. J.-Ph. Dom, le montage est la combinaison finalisée d'actes juridiques ordonnés et

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G $ ]7 ، 6+‫ ج وا ز‬S S ‫ " ا وف ا‬8‫ ھ‬+ 5 " $ U ‫ ا‬8 + ‫ ت‬C O 6 $‫ و‬+‫ ] د‬7‫ ] ا‬6 $‫ ا ج وا ! م و‬M a O‫ ا‬i P ‫ ] دي‬7 ‫ ' ا‬C G " 128
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.38 ‫ ص‬،.‫ ذ‬.‫ س‬.‫ م‬،‫ ت‬C 3 ‫ ا‬6 ّ $ ‫[ة‬3 ، F12V , W ." a‫ـ‬$ ‫ا‬
129
PIROLLI (R), Op.cit., p 36.
130
Ibidem.
131
V. les chiffres cités par MORVAN (P), op. cit., p. 124 ; COB, Rapport 1972, p. 75; RODIERE (R) et OPPETIT (B), Op.cit., p. 348, n°
322.
GS " 8 + ‫ رة‬CD ‫ ا‬/] 6‫ا ا ﺟ‬DK ‫ ورد‬.1532 ‫ ص‬،.‫ذ‬.‫س‬.‫ م‬، K N " # ‫ ا‬+‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬ ،, ( 7 ‫ ا‬, ‫ ظ ز‬$ ‫ ( ا‬- ‫ ري و‬17 ‫ ل ا‬، 2 ‫ ( ا ر‬0‫ ا‬6‫ُ اﺟ‬+ 132
k $ 8G M+ d ! ‫ ن ] ا‬G ،h G K4 ‫أو ا ء وا< ة‬ 4 ‫ت ا‬C 3‫ ا‬6 ‫] ا‬P3 ‫ ر ا‬p ‫ ا‬U ‫دي ا‬q+ ` ،a 4# ‫ ت ا‬C 3 8 ‫ّ ﺟ د ا‬H + ‫ي‬D ‫ ج ا‬S
0P‫ا‬ ‫ وا‬+‫ ] د‬7 ‫ ا‬K ] ‫ ص و‬P ‫ ا‬8 ‫ ا‬K K4 ‫ وا< ة‬VC ‫ ظ‬/ <‫ ا‬6 4 # + 5 " ‫ دھ‬K‫ < ﺟ‬$‫ و‬K4 ‫ ] دي‬7 ‫ رب ا‬l 0 6g‫ و‬8F $ 7 ‫ ت‬C 3 ‫ا‬
6 ، N ‫ ا‬9K ] P ‫وه‬q3 ‫ي أ‬D ‫ ا‬8 ‫ ان ا ن ا‬G ‫ ون دون‬# ‫ ا‬8G M+ d ! ‫ ا‬5 A ‫ ا و وا‬K$' + 7 #$ ^ ]C +‫ ] د‬7 ‫ ا ] ا‬6 $ K‫ ظ‬7‫ و‬. K
‫ < ى‬4 ‫ ھ‬7SN ‫ ورة‬F ‫ ﺟ‬$ ‫ ودون أن‬، K 0 P ‫ا‬ ‫ ا‬K ]PO +‫ ] د‬7 ‫ ا ] ا‬6 $ U ‫ ا‬4 ‫ ت ا‬C 3 ‫ا‬ /$ ‫ دون أن‬،fّ7q ‫ أو‬9 ‫ ون دا‬# ‫ اط ر‬6g‫و‬ ‫ا‬
، F ‫وا‬ ‫ ت ا‬A‫' ا را‬C ،2001 V+ G‫ ا‬6/5 H $ ، +‫ر‬ ‫تا‬C 3‫ا‬ U ، +‫ ] د‬7 ‫ا‬ ] ‫ ا‬6 $ ، "‫وا‬MJ ‫ ا‬X : F+‫ أ‬6‫ُ اﺟ‬+ ." ‫ ت‬C 3 ‫ا‬ UN‫ت‬C 3‫ا‬
.181 ‫ ص‬،2002
133
V. art. 446 C.S.C.
134
CORNU (G) (dir.), Vocabulaire juridique, PUF, 10e éd., 2011.
135
GHERMAZI (M), La contractualisation dans le code des sociétés commerciales, I.J., n° 138/139, Juillet/Août 2012, p 32.
136
PORACCHIA (D), La réception juridique des montages conçus par les professionnels, PUAM, 1998, no 25.
137
Ibidem, no74. L'auteur définit également le montage comme « un assemblage d'actes juridiques, en principe indivisibles, définis dans un
contrat-cadre qui, fixant le principe de ces actes et la manière de les agencer, oblige les parties à les former en vue de la réalisation d'une
opération déterminée » (no 421).

Page 25
INTRODUCTION

interdépendants138. Citons également M. Cohen, pour lequel le montage est la coordination d'opérations
souvent matériellement distinctes mais conçues et organisées intellectuellement dans une même finalité139,
ou encore M. Ducouloux-Favard, qui définit le montage comme une combinaison de normes et
d'institutions qui ensemble permettent d'atteindre une finalité autre que celle qui est attachée aux divers
éléments du montage140.
Ainsi défini, le montage semble être plus large que la concentration. Alors que cette dernière a pour
finalité la mise en place d’entités économiques plus importantes, le montage peut avoir diverses finalités
économiques ou juridiques. Il s’en suit que la concentration est forcément un montage alors que ce dernier
n’est pas nécessairement une opération de concentration.
27- Ensuite, il est à craindre de confondre la concentration et la restructuration, surtout que ces
deux notions peuvent être cristallisées par les mêmes procédés.
La notion de restructuration est difficile à définir. Elle fait généralement référence à l’idée de
réorganisation, c'est-à-dire organiser de nouveau et de manière différente. Ce terme implique une action de
changement pouvant revêtir des formes différentes. La première acception de la restructuration correspond
à un ajustement interne des facteurs de production, de travail, de capital et de matières premières. Dans ce
cadre, il n’y a aucune modification de la personnalité juridique de l’entreprise ni de ses relations avec les
entreprises concurrentes. La seconde signification de la notion fait référence à la restructuration externe et
traduit un rapprochement interentreprises, pouvant prendre des formes assez variées141.
De façon générale, la restructuration signifie « la modification du cadre et du mode d’organisation
d’une structure, entraînant, grâce à un mécanisme juridique support, une transformation durable et
sensible de ses éléments essentiels : le pouvoir et l’activité142 ». Autrement dit, restructurer une société
consiste à lui donner une nouvelle organisation économique, juridique ou technique afin d’obtenir, entre
autres, la satisfaction de visées expansionnistes et la réponse à des contraintes économiques.
Partant de cette définition, la restructuration et la concentration peuvent, bel et bien, avoir un même
support juridique comme la fusion, la scission ou même la filialisation. Il n’empêche que la logique de la
restructuration est entièrement différente de celle de la concentration. Celle-ci cherche, en effet, à croître la
taille et la puissance économique des entreprises sollicitées, celle-là essaye plutôt de modifier leur cadre et
leur mode d’organisation pour s’adapter aux changements incessants de l’environnement économique et
social.
28- Aussi, la concentration diffère radicalement de la transformation143 qui n’a rien à voir avec
le phénomène de concentration144. Il s’agit plutôt d’une technique ayant pour objectif de permettre à
l’entreprise qui a mal choisi sa structure d’accueil, ou celle dont le développement se trouve entravé par
cette dernière, de pouvoir changer de forme pour mieux s’adapter à son environnement145. La
transformation garde la personne morale de la société transformée intacte146 contrairement à la
concentration qui peut affecter considérablement l’existence de la personne morale y participant147.
29- Enfin, il est à craindre de confondre concentration et acquisition. Cette dernière n’étant
qu’une technique, parmi tant d’autres, permettant la constitution de groupes de sociétés, procédé topique de
la concentration des sociétés. Autrement dit, l’acquisition n’est qu’une simple technique, ou procédé de

138
DOM (J-PH), Les montages en droit des sociétés. Aspects de droit interne, Joly, 1998, no 20. L'auteur complète cette définition par une
définition plus précise, selon laquelle le montage est « un assemblage ou une succession organisée d'actes interdépendants, destinés à produire
ou à éviter une situation entièrement nouvelle, tout en générant des effets : - différents de ceux qu'aurait engendré chaque acte pris isolément,
et puis/ou ; - différents de ceux qu'aurait produit un acte équivalent légalement et directement applicable ».
139
COHEN (D), La légitimité des montages en droit des sociétés, L'avenir du droit, Mélanges F. Terré, Dalloz, 1999, p. 261.
140
DUCOULOUX-FAVARD (C), Les montages juridiques, LPA 24 oct. 2006, p. 8.
141
SEVERIN (E), Restructuration de l’entreprise : théorie et pratique, Economica, 2006, p. 13.
142
MASQUEFAT (C), op.cit., p. 185, n° 236.
143
Cette technique est réglementée par le code des sociétés commerciales dans les articles 433 à 438.
V O ^$ ، - ‫ ج‬- ‫ ا‬, 1>6 ‫ ا‬.2002،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬،‫ ّج‬P$ A‫ ر‬،‫ ت‬C 3 ‫ ا‬V O ^$ ،‫ ي‬7 ‫ ن ا‬1FD : 6‫ُ اﺟ‬+ ، N ‫] رة‬ ^ 8 ‫ م ا‬4 ‫] ص ا‬P 144
.93 ‫ ص‬،2004 ، F ‫وا‬ ‫ ت ا‬A‫' ا را‬C 3 ،2003 V+ G‫ أ‬12/11 H $ ، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬ ‫ < ل‬4+ $ ‫ ل دورة‬N‫ أ‬، C 3 ‫ا‬
145
NINNI (A), De quelques aspects du droit économique contemporain. L’exemple de la société faisant appel public à l’épargne, Th., FDSPT,
2005, n° 191 et 192, p. 133 et 134.
146
V. al. 2 de l’article 4 C.S.C.
‫ ي‬4# ‫ ا‬mP3 ‫ ء ا‬F ‫ ا‬C 3 ‫ ا‬V+ $ U N I$ + " 8 + 1972 ‫ ي‬F1 2 [" ‫ ف‬AZ D ‫ ا‬$- ,3 ‫ ا در‬31133 ‫(د‬3 AZ D ‫ @ ار ا‬،‫] ص‬P ‫ا ا‬D‫ ھ‬8G ،‫ﺟ ء‬
.61 ‫ ص‬،1972 4A ،.‫ ت‬.‫ ق‬.‫ م‬6‫ُ اﺟ‬+ ." 9+ ‫ ا‬V 3 ‫ ذات ا‬C 3 ‫ ن ا ادا‬$ + ‫ ا‬V 3 ‫ ا‬Vّ g 8G C 3 ‫ان ا‬ّ V ،aّ + ‫ ﺟ‬mPO ‫ل‬S<‫وا‬
Vd + " 8 + ‫ رة‬CD ‫ ا‬/] 6‫ا ا ﺟ‬DK ‫ ورد‬.1515 ‫ ص‬،.‫ذ‬.‫س‬.‫ م‬، K N " # ‫ ا‬+‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬ ،, ( 7 ‫ ا‬, ‫ ظ ز‬$ ‫ ( ا‬- ‫ ري و‬17 ‫ ل ا‬، 2 ‫ ( ا ر‬0‫ ا‬6‫ُ اﺟ‬+ 147
I$ + ‫ و‬. ^ ‫ا ا‬D‫ھ‬ ‫ا‬M ‫ن‬ ‫ ُ ّا‬+9 ،( 4d A‫ رة ا‬0 8G 8g ‫ دة ) أو ا‬# 7‫ ر‬P ‫ا‬ # ‫ه ا ! ا‬DP $ ‫ ار‬7 UF ‫ ا‬U ‫ ا‬V O M K ّ $ 8G C 3 ‫ ا‬V O ^$
." + ‫ ا‬V 3 ‫ ا‬f $ ‫] ا‬P3 ‫ ا‬H/ V0‫ ا‬$ V ، C 3 ‫] ا‬P3 ‫ ان ا‬G V 3 ‫^ ا‬$ MN

Page 26
INTRODUCTION

concentration des entreprises sociétaires sous forme de groupes de sociétés. Tel est le cas surtout de
l’acquisition d’un bloc de contrôle. En effet, l’acquisition d’un bloc de titres de capital confère souvent le
contrôle à celui qui devient actionnaire majoritaire, ce qui va lui permettre d’exercer une influence
déterminante sur les décisions de l’entreprise concernée et met généralement en place une relation de
société mère/société filiale ou contrôlée. On peut citer comme exemples de prise de contrôle d’une
entreprise indépendante l’opération de concentration réalisée entre le «Magasin Général» et
«Promogro »148. Grâce à cette opération de concentration, le « Magasin Général » a acquis 69 % du capital
de « Promogro ». De même, la concentration effectuée entre « Cogitel » et « Sied », par laquelle la société
« Cogitel » a acheté 52 % des titres de la société « Sied »149. Cette concentration a permis de sauver plus de
60 postes de travail et de relancer une entreprise qui passait par des difficultés économiques150. La
détention d’une quotité minoritaire du capital social peut, cependant, suffire pour gouverner une entreprise.
Ainsi, une participation minoritaire de 39 % a été qualifiée, par la Commission européenne, de
concentration du fait de la dilution du reste du capital puisque aucun actionnaire n’avait plus de 4 %151.
30- En ce début du 21ème siècle, le contexte économique mondial est profondément bouleversé
par un phénomène nouveau qui est la globalisation, c’est à dire l’ouverture des marchés et la liberté quasi
généralisée des échanges dans le monde entier. Les règles du jeu ont changé, les barrières qui jadis
protégeaient les leaders de tel ou tel secteur ont été en grande partie levées et les frontières de l'entreprise
sont remises en question. L'hyper-concurrence est aujourd'hui le nouvel environnement des firmes. Dans ce
contexte, l’importance économico-sociale, voire politique de la concentration est un fait patent qui
s’impose au chercheur intéressé par les phénomènes économiques. Il ne s’agit plus alors de s’étaler sur les
bienfaits économiques de ce phénomène de concentration152, mais plutôt sur le pourquoi ou le comment de
sa réglementation juridique. -III-
31- Nul doute que pareille réglementation constitue une question qui ne cesse de faire couler
beaucoup d’encre, notamment lorsqu’on évoque les divers abus pouvant surgir lors d’une opération de
concentration. Elle a, d’ailleurs, constamment donné lieu à de multiples réflexions et de vives controverses
doctrinales, passionnantes et parfois même passionnées153. En effet, le désir de concentration se présente
aujourd’hui comme une nécessité face aux mutations économiques qui débordent de plus en plus les
frontières du marché national. Ce constat explique l’intérêt porté par le législateur aux différents procédés
de la concentration notamment aux opérations de fusion, scission et groupe de sociétés. Leur
réglementation devenue impérative au regard de l’environnement économique international, révèle les
difficultés de conciliation entre les objectifs que commande l’intérêt supérieur de l’économie et le devoir
de protection des personnes pouvant subir les conséquences de ce phénomène.
32- Avant le code des sociétés commerciales, la concentration était une opération assez
pratiquée dans la vie des affaires154. Certes, elle était méconnue par le droit commercial, puisque le code de
commerce ne lui a pas consacré la moindre disposition, à part l’alinéa dernier de l’article 57 qui a évoqué
les opérations de fusion et de filialisation155. Cela n’a pas pour autant empêché son existence dans la
pratique des affaires qui, « naviguant à vue », se devait de s’inspirer du droit comparé156.
148
V. Avis n° 82238 du 8 oct. 2009, relatif à une opération de concentration entre Le magasin général et Promogro, rapport du conseil de la
concurrence, 2009, p 199.
149
V. Avis n° 62145 du 7 sep. 2006, Cogitel/Sied, Rapport du Conseil de la concurrence, 2006, p. 522.
150
Les difficultés économiques ont laissé la société Sied sur le point de la liquidation. V. Rapport du Conseil de la concurrence, 2006.
151
Décision de la Commission européenne, 10 déc. 1990, Arjomari Prioux/Wiggins, 30,1990, aff. IV,M 025.
152
Technique de concentration par excellence, la fusion permet d’atteindre l’efficacité par la réunion des moyens et des potentialités dans des
branches où seules les grandes unités sont capables de survivre dans des marchés à forte concurrence. V. NINNI (A), Th. pré., n°190, p. 132,
133.
A ، !G 4 ‫ ا‬U N K$‫ را‬7 M ! $‫ ﺟ و‬J‫ ا‬K$‫ را‬7 + L$ M ‫ج‬ ‫ ا‬MN @O 4 ‫أو ا‬ ‫ ت ا ا‬C 3 ‫ ا‬M + ‫ ات‬P ‫ د و ا‬K ‫ < رؤوس ا ال و ا‬$ ‫ج‬ ‫ل ا‬S M "
‫ج‬ ‫ا‬ ‫ه ا‬D‫ ھ‬8G a N " L+ ‫ و‬، #0 M C 3 ‫ إ ذ ا‬U ‫س أو إ‬SGJ‫ ا‬L M ‫ ت‬C 3 ‫ ا‬+ < U ‫ج إ‬ ‫ ف ا‬K+ 7‫ و‬، 4‫ ت ا ط‬C 3 + 7 4‫! أﺟ‬G 4 ‫ وﺟ د‬Vg 8G
.10 ‫ ص‬،2005 ،‫ ون‬O ‫ در‬0 ،‫ ت‬C 3 ‫ ا‬X ‫ < ل د‬M ‫ < ق ا ! ھ‬+ < ،‫ ر‬A ( - ‫ " در‬." 4 ‫ ا‬M ‫ ذ‬v
153
V. ROUTIER (R), op.cit., première page de la préface rédigée par Gilles Martin.
154
BEN NASR (T), Droit bancaire tunisien, op.cit., p. 14. V. aussi : Interview du gouverneur de la banque centrale, Rev. L’économiste
maghrébin, n° 296, du 12/09/2001, p 10. En témoignent également quelques affaires contentieuses : C. A. de Tunis, arrêt n°52676 du 16
janvier 1999, RJL, novembre 2001, n° 9, p 79.
‫ن‬ ‫ وا‬K ‫ ن‬7 4 ‫ ا‬9K ‫ وا ل‬K 0‫ ن ا‬+‫ و‬. C K ‫ ء‬G ‫ ا‬9 + ‫ إن‬U ‫ ا‬A‫ ا‬9KA ‫ ا‬V $‫ و‬.V ‫ أو‬A‫ ا‬9KA ‫ ن ا‬$ ":8 + U N m4+ ‫ ن‬C ‫ م ت‬57 V]/ ‫ ا‬155
‫ ا‬.a 7 87 M a#G‫ د‬V‫ اﺟ‬M V + 9 ‫ء‬G < ‫ا‬UN M N 8F # 4 g U + a + ‫ي‬D ‫ ا‬4! ‫ ا‬V + 9‫ أو ! ھ‬I VC‫ و‬. K 7 6G 9K4 GM F M ' K
8F # ‫اول ا‬ 7 ‫ ن‬$ ‫ ل و‬0 ‫ ا‬M KN L 7‫ ز ا‬+ 9KA ‫ه ا‬D‫ إن ھ‬U N .8 K4 ‫ ا‬K C 3 ‫ ل ا‬A‫ ا‬4N C K ‫ء‬G ‫ا‬ ‫ دا‬I + 4 N m] d ‫ ا‬9KA ‫ا‬
8G C O ‫ < ا ج‬8G‫ و‬.8 K4 ‫ ا‬C 3 ‫ ا‬M+ $ *+‫ ر‬$ 8G KN U N ‫ ل‬+ K N 6 ‫ ط‬6g ‫ ون‬+ ‫ م ا‬+ ‫ه ا ة ان‬D‫ل ھ‬S 8G I +‫ و‬8 K4 ‫ ا‬K C C 3 ‫ ل ا‬A‫ ا‬U N M N
9KA ‫ ع ا‬L 7‫ ا‬M 64 ‫ ن ا‬+ SG ‫تا‬ ‫ا‬M K ‫ى‬ ‫ ا‬8G C O ‫ < ! ھ‬8G ‫ أو‬7 f C ‫ ت‬C O ‫ ة‬N ‫ أو‬C O 9F$ ‫ ة‬+ ‫ﺟ‬ C O ‫ ء‬3 ‫ ب أو ا‬# A ‫ ا‬+ L ‫ا ى‬

Page 27
INTRODUCTION

Outre l’absence, dans le code de commerce157, d’une réglementation spécifique aux procédés de
concentration, les articles 5, 6 et 7 de la loi n° 91-64 du 29-7-91 relative à la concurrence et aux prix158
avaient constitué un empêchement à la réglementation de ce phénomène de rapprochement des
entreprises159. Cette situation a été solidement critiquée par certains auteurs160 qui ont prôné l’élaboration
d’un droit régissant les opérations de concentration tout en montrant leur efficacité surtout au niveau de
l’économie du marché. Pareille proposition puise sa source dans le paysage juridique tunisien qui ne
semble pas avoir totalement ignoré la notion de concentration, étant donné que plusieurs textes l’ont
appréhendée, sinon d’une manière explicite, au moins implicitement. Tel est le cas du droit de travail où on
trouve quelques dispositions concernant les opérations de fusion et les commissions consultatives du
groupe161, ou encore le droit bancaire qui a défini le groupe de sociétés dans la circulaire de la Banque
Centrale de Tunisie n° 94-24 du 17-12-1991162. Aussi, le droit boursier dans la loi relative à la
réorganisation du marché financier a traité des notions de contrôle et de holding au sein des articles relatifs
à l’action de concert163. Que l’on n’oublie pas non plus le droit de la concurrence qui a traité des opérations
de concentration en allant jusqu’à utiliser le vocable « filiale » dans l’article 8 (nouveau) de la loi relative à
la concurrence et aux prix164. Il en va de même pour la loi n° 85-72 du 20-7-1985165 qui a expressément
utilisé le vocable « entreprise-mère »166. C’est aussi le cas des droits comptable167 et fiscal168 qui ont
chacun à son tour traité des opérations de fusion, scission et de groupe de sociétés à plusieurs reprises sans
pour autant en établir un régime juridique propre et exhaustif pour l’opération de concentration169.
33- Pays d’accueil des investissements étrangers170, la Tunisie a fini par mettre à jour sa
réglementation en matière de concentration et ce, grâce à la réforme du droit des sociétés introduite par la
loi n°2000-93 du 3 novembre 2000171 portant promulgation du code des sociétés commerciales172.
Au sein dudit code, la fusion a été réglementée dans les articles 411 et suivants. Aux termes de
l’article 411 CSC « la fusion est la réunion de deux ou plusieurs sociétés pour former une seule société. La
fusion peut résulter soit de l’absorption par une ou plusieurs sociétés des autres sociétés, soit de la
création d’une société nouvelle à partir de celles-ci. La fusion entraîne la dissolution des sociétés
fusionnées ou absorbées et la transmission universelle de leurs patrimoines à la société nouvelle ou à la
société absorbante. La fusion s’effectue sans liquidation des sociétés fusionnées ou absorbées. Quand elle
est le résultat d’une absorption, elle se fait par augmentation du capital de la société absorbée et ce,
conformément aux dispositions du présent code ».

‫ ا ] ا‬K N f O‫ ا‬8 ‫ ا‬IA ‫ ا‬f C ‫ ا ] اذا‬9+ $ ‫ <] ل ا د ج أو‬4N M N D4 7 f C ‫ ! ھ‬C O U ‫ ة ا‬4! ‫ ا‬4 # ‫ ا‬9KA ‫ ا‬U N ‫ا‬DG K ‫ او‬$ ‫ أو‬V0 ‫ ا‬M
."...‫اول‬ 7 9KA‫ ا‬8G A d ‫ دة‬4! ‫ ا‬9KAS +‫ ا د ج أو ا ] ا ' ا ! و‬4N
156
BEN NASR (T), art.pré., p 69.
157
A ce propos, M. le doyen OMRANE (A) a pu écrire que « non seulement ce code ne réglementait pas les rapprochements des entreprises,
mais aussi et surtout instituait deux obstacles à tout phénomène de ce genre. Le premier est l’article 78 sur les conventions réglementées, le
second est l’article 86 incriminant l’abus des biens sociaux ». In Les problèmes suscités par l’entrée en vigueur de la loi n° 2001-117 du 6
décembre 2001 complétant le CSC, E.J., n° 9, 2002, p10.
158
V. JORT, n° 55, 6-8-1991, p 1393.
159
KOSSENTINI (W), le groupe de sociétés et le droit de la concurrence, E.J., n°10, 2003, p 327.
160
KNANI (Y), L’entreprise, l’état et le droit : réflexion sur les insuffisances du droit tunisien, R.T.D., 1993, p 16.
.53 ‫ ص‬،1994 ،2 ‫ د‬N ،.‫ت‬.‫ق‬.‫ م‬،‫ ت‬C 3 ‫ ا‬6 $‫ ' و‬C ‫ ت ا‬# 8 7 ‫ إ< اث إط ر‬V‫ أﺟ‬M ، ‫تا‬0 -
161
V. art 162 C.T. tel que modifié par la loi n° 94-29 du 21-2-1994.
162
V. supra., p 21, n° 18.
163
V. les articles 9 et 10 de la loi n° 94-117 du 14-11-94 telle que modifiée par la loi n°99-92 du 17 août 1999 relative à la relance du marché
financier, la loi n°2005-96 du 18 octobre 2005 relative au renforcement de la sécurité des relations financières et la loi n° 2009-64 du 12 août
2009 portant promulgation du code de prestation des services financiers aux non résidents.
164
Loi n° 91-64 du 29 juillet 1991 relative à la concurrence et aux prix telle que modifiée et complétée par la loi n° 95-42 du 24 avril 1995 (V.
JORT, n° 35, du 2-5-1995, p 976), la loi n° 99-40 du 10-5-99 (V. JORT, n° 39, 14-5-1999, p 867), ainsi que par la loi n° 2003-74 du 11
novembre 2003 (V. JORT, n° 91, 1411-2003, p 3361). La dernière modification a été faite par la loi n°2005-60 du 18 juillet 2005.
165
Loi n° 85-72 du 20-7-1985 relative à la tutelle et aux obligations mises à la charge des établissements publics à caractère industriel et
commercial et des sociétés dans lesquelles l’Etat et les collectivités publiques locales détiennent une participation en capital. V. JORT, n° 56
du 30-7-1985, p 958.
166
V. les articles 7, 8 et 9 de cette loi.
167
V. loi n° 96-112 du 30-12-96 (JORT, n° 105, 31-12-96, p 2577) qui a rendu obligatoire la présentation et la publication des états financiers
consolidés. Cette reconnaissance a été récemment corroborée par la parution des normes comptables du 01-12-03. V. JORT, n° 97, 5-12-2003,
p 3529.
168
V. art. 11, 30, 49 bis, 49 quarter, 49 quinquies, 49 sexies, 49 septies, 49 octies, 49 decies CIRPPIS.
169
V. supra., p 21, n° 19.
M g ‫ ا‬M K N "ّ # ‫ ا‬+‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ّ ا‬9+ $ ،‫ ري‬$ ‫ ا‬1>6 ‫ ا‬.1992 ،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬،‫ ّج‬P$ A‫ ر‬،8! ‫ ا‬6+ 3 ‫ ا‬8G ‫ ر‬d A ‫ ا‬، 3 ّA ‫ ھ ا‬P ‫ ا‬: 6‫ُ اﺟ‬+ 170
. K + ‫ و‬7 ‫ ص‬،2007 ،H $ ، F ‫و ا‬ ‫ ت ا‬A‫' ا را‬C ،‫ ل و < ق ا ! ن‬# ‫ وزارة ا‬،‫ ري‬# ‫ ل ا‬C ‫ و‬8 G‫أ< ا ر‬
171
V. JORT, n° 89, 7-11-2000, p 2936.
172
OUERFELLI (A), Point de départ… Quelle arrivée ?, Bilan de sept années du C.S.C., Association de droit économique, I.J., n° 38/39,
Janvier 2008, p 15.

Page 28
INTRODUCTION

Cette définition légale renferme un certain nombre de conditions nécessaires pour qu’il y ait
véritablement fusion de sociétés et permet de la distinguer d’opérations voisines afin d’éviter tout risque de
confusion et d’embrouillement173.
La fusion suppose tout d’abord, un accord des sociétés en présence, ce qui implique l’existence d’au
moins deux sociétés véritablement indépendantes l’une de l’autre174. Cette opération suppose, ensuite, la
mise en commun des patrimoines des sociétés concernées, et la disparition de l’une d’entre elles au moins.
Elle se caractérise enfin par un troisième élément qui se résume dans la persistance de la qualité d’associé
pour les membres des sociétés qui disparaissent. En effet, si la personnalité morale de la société absorbée,
c'est-à-dire le moule juridique qui servait de cadre à l’œuvre commune des associés, disparaît, la volonté
commune de poursuivre l’objet social subsiste ainsi que le patrimoine qui en permet la réalisation. Il n’y
aurait donc pas fusion, mais simple cession, si en rémunération des biens apportés, la société en dissolution
recevait non pas des actions, mais de l’argent175.
Partant de ces considérations, on s’accorde à reconnaître que la fusion peut s’opérer selon deux
modalités différentes. Tantôt elle a lieu par absorption ; dans ce cas, seule la société absorbée disparaît en
tant qu’être moral alors que la société absorbante recueille son patrimoine moyennant une augmentation de
capital176. Tantôt elle a lieu par combinaison ou création d’une société nouvelle ; dans ce dernier cas, les
sociétés fusionnantes se dissolvent toutes, et une nouvelle société se constitue par l’amalgame des sociétés
anciennes. Ces deux formes de fusion ont été parfaitement représentées par une métaphore selon laquelle
les deux sociétés fusionnantes sont comme « deux rivières qui réunissent leurs eaux, l’une gardant sa
dénomination et se grossissant de l’autre, ou bien toutes deux s’amalgamant pour former une rivière
constituée des deux eaux, rivière qui dorénavant aura une dénomination nouvelle177 ».
Vue d’un angle macro-économique, la fusion se présente comme un procédé mais surtout une
stratégie économique qui permet le rapprochement et l’expansion178. Aussi évoque-t-elle « tout à la fois le
mariage et la conquête guerrière, images au demeurant non contradictoires179 ». Commentant cette
expression, le professeur BEN NASR précise que « le mariage suscite l’union, donc la vie commune et
l’union des patrimoines des époux, alors que la conquête vise le désir d’hégémonie et de domination
économique exprimé par une société qui veut s’affirmer sur le marché afin d’imposer ses conditions180 ».

34- A l’instar de la fusion, l’opération de scission a été réglementée dans les articles 428 et
suivants du CSC. Aux termes de l’article 428, la scission de la société « s’opère par le partage de son
patrimoine entre plusieurs sociétés existantes ou par la création de nouvelles sociétés. La scission peut être
totale ou partielle. Si la scission est totale, il en résulte obligatoirement une dissolution sans liquidation de
la société scindée ».

.1998 ،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬،‫ ّج‬P$ A‫ ر‬، +‫ر‬ ‫تا‬C 3‫جا‬ 8 ‫ م ا‬4 ‫ ا‬،] > ‫ ى ا‬S" : N ‫ ع ] رة‬g ‫ا ا‬D‫ < ل ھ‬6‫ُ اﺟ‬+ 173
174
V. annexe n° 28.
175
MARTIN (J), La fusion des sociétés par actions, th., Paris, 1950, p 6 et s.
a G ‫ ن‬#L ‫ ا‬9 ‫ ر ا‬0 ` < " : 8 + ‫ا ا ار‬DK ‫ ورد‬.231 ‫ ص‬،‫ م‬N 8 ،8 d ‫ ا 'ء ا‬،2003 4! ‫ ن م ت‬،2003 ‫ ي‬21 ‫ _ ّرخ‬23407 ‫(د‬3 61@7; ‫ ار‬: 6‫ُ اﺟ‬+ 176

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177
COPPER (R), De la fusion des sociétés, Paris, 1933, p 101.
178
On dégage généralement trois types de fusion. La fusion horizontale qui se réalise au moyen d’une élimination concurrentielle par le
regroupement d’entreprises produisant le même produit ou offrant le même service. En cette hypothèse, le stade ultime étant le monopole. La
verticale qui se fait par un regroupement d’entreprises situées aux différents stades du processus productif. Le but, dans ce cas, étant de
diminuer les coûts intermédiaires et d’assurer la sécurité soit des approvisionnements ou des débouchés. Enfin, il y a la fusion conglomerale
qui regroupe des entreprises qui sont sur différentes branches d’activités sans complémentarité technique. Ici l’objectif n’est que financier car
on dilue le risque avec plusieurs activités selon l’adage « ne jamais mettre tous ses œufs dans le même panier ».
179
COZIAN (M) et VIANDIER (A), Droit des sociétés, 10ème Ed., 1997, p 551.
180
BEN NASR (T), art.pré., p 70.

Page 29
INTRODUCTION

Il est clair que la scission diffère radicalement de la fusion181. Si celle-ci fait penser au mariage,
celle-là évoque l’idée de divorce. En effet, on parle de scission lorsque le patrimoine d’une société est
partagé entre plusieurs sociétés existantes ou nouvelles. La scission opère, à première vue, d’une logique
contraire à la fusion182 dans la mesure où le patrimoine d’une société servira à la constitution de
patrimoines d’autres sociétés ou à renforcer ceux d’autres déjà existantes183.
Aux dires d’un éminent juriste184, alors que la fusion constitue une réunion, la scission opère une
division185. Il n’en demeure pas moins que ces deux opérations constituent indubitablement deux procédés
fort importants de concentration des entreprises sociétaires. Cela est toujours vrai en matière de fusion186.
Quant à la scission, elle ne constitue un procédé de concentration que lorsqu’elle se réalise en faveur de
deux ou plusieurs sociétés préexistantes. C’est généralement le cas187.
Une entreprise peut faire l’objet d’une scission totale ou d’une scission partielle188. La scission
totale consiste, en effet, à éclater les actifs et passifs de la société scindée en deux ou plusieurs fractions qui
seront apportées à une société existante189 ou à créer190, moyennant l’émission par celle-ci de titres formant
son capital. Ces titres seront attribués aux actionnaires de la société scindée qui auront à détenir une ou
plusieurs participations dans la ou les sociétés bénéficiaires de l’apport. Suite à cette opération, la société
scindée disparaît en se dissolvant de plein droit. La scission partielle, quant à elle, consiste à ôter une partie
du patrimoine d’une société pour l’apporter à une ou plusieurs sociétés existantes ou à créer. Les
actionnaires de la société scindée reçoivent des actions de la société bénéficiaire proportionnellement à leur
participation au capital de la société scindée qui ne se dissolve pas191.
35- Très proche de l’opération de scission, l’apport partiel d’actif consiste, pour une société
« A », société apporteuse, à apporter à une société « B », bénéficiaire de l’apport, société nouvelle ou
existante, une partie de ses éléments d’actif et de passif.
A la différence d’une vente, à l’occasion de laquelle la société « A » percevrait un prix en
contrepartie de la cession de ses éléments, ici la société « A » recevra, en rémunération de cet apport en
nature, des titres composant le capital de la société « B » que cette dernière émettra au moyen d’une
augmentation de capital.
Contrairement au droit français, l’apport partiel d’actif ne dispose pas, en droit tunisien, d’un
régime légal propre. Il est généralement assimilé par la doctrine à une scission partielle192 et soumis, par
conséquent, à son régime juridique193. Rien n’empêche donc de soumettre l’opération d’apport partiel
d’actif au régime de la scission partielle tel que déterminé par le code des sociétés commerciales.

181
La scission est, à première vue, le contraire de la fusion. Elle consiste dans l’éclatement d’une société qui fait apport de son patrimoine à
deux ou plusieurs autres avant de disparaître. Du point de vue économique, la scission apparaît cependant plutôt comme un moyen de
concentration que de déconcentration, dans la mesure où les apports résultant du démembrement de la société scindée sont souvent fait à des
sociétés préexistantes qui augmenteraient ainsi leur puissance. La scission comme la fusion, peut avoir ainsi des justifications économiques
diverses. Le plus souvent elle consacre une division de fait déjà existante au sein de la société scindée, dans laquelle coexistent réellement deux
ou plusieurs entreprises. L’exemple classique est celui de la société de tissage et filature qui fait apport de son département tissage à une
société spécialisée dans cette activité, et de son département filature à une société de filature. La scission peut aussi intervenir entre sociétés
d’un même groupe. Elle constitue, dans ce cas, une simple restructuration interne de l’entreprise divisée entre plusieurs sociétés dont le capital
est détenu par les mêmes actionnaires. Finalement, la scission peut parfois, dans ses effets économiques, se rapprocher de la fusion comme un
moyen de concentration. Elle peut aussi selon le cas avoir l’effet contraire. Quoi qu’il en soit, la fusion et la scission se rapprochent sur le plan
de la technique juridique, à tel point qu’une étude conjointe des deux opérations s’impose. V. RECORDON (P-A), La protection des
actionnaires lors des fusions et scissions de sociétés, GEORG. Librairie de l’Université, Génève, p 3 et s.
U N " 8 + ‫ رة‬CD ‫ ا‬/] 6‫ا ا ﺟ‬DK ‫ ورد‬.1496 ‫ ص‬،.‫ذ‬.‫س‬.‫ م‬، K N " # ‫ ا‬+‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬ ،, ( 7 ‫ ا‬, ‫ ظ ز‬$ ‫ ( ا‬- ‫ ري و‬17 ‫ ل ا‬، 2 ‫ ( ا ر‬0‫ ا‬6‫ُ اﺟ‬+ 182
409 V]/ K N ‫] ص‬4 ‫ ت ا‬+ ^ ‫" ا< ى ا‬ + 4# ‫ ة ذوات‬N U ‫ وا< ة ا‬+ 4# ‫ ذات‬k /$ ‫ ! م ھ‬G dC G ‫ ن‬C O ‫ ه‬K 4 ‫ وا< ة و‬C O ‫ ن ا ! م ؤه‬G ،‫ج‬ ‫ا‬H N
." ‫ ص‬m a ‫ ا ورد‬N ‫ ج‬S 4 ‫ ا‬N‫ ا ا‬U ‫ ا‬6FP+ ‫ ن ا ! م‬G V d ‫ا ا‬D‫ ھ‬U ‫ و ا ا‬. +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬ M
‫ج‬ ‫ ارات ا‬7 U N ‫ اض‬N ‫ <" ا‬،=D , ‫ وك‬6 .2 ‫ ص‬،2006-2005 F ‫ ا‬4! ‫ ا‬،‫ة‬ M+ $ 9 ‫ ة‬g ، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ن ا ج ا‬SL ، 3 ‫ ج‬- 1SA 183
.103 ‫ ص‬،2004 ، F ‫وا‬ ‫ ت ا‬A‫' ا را‬C 3 ،2003 V+ G‫ أ‬12/11 H $ ، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬ ‫ < ل‬4+ $ ‫ ل دورة‬N‫ ا‬، K ! ‫ وا‬+‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬
184
LATSHA (J) et DURAND (R-T), Fusion et scission de sociétés et apports partiels d’actifs, JCP, 1967, éd. CI, II.
185
Il arrive parfois de rencontrer le vocable « fusion-scission ». Ce dernier est évoqué lorsqu’il y a une scission et que chaque fraction du
patrimoine de la société scindée se trouve absorbée par une société existante. V. BEL HAJ AMOR (M), La restructuration juridique des
sociétés et la protection préventive des tiers dans le CSC, mémoire, FDSPT, 2002-2003, p 4.
186
GHAZOUANI (S), La date de prise d’effet de la fusion des sociétés, I.J., n° 16/17, janvier 2007, p 16.
187
RECORDON (P-A), Op. cit., p 3.
188
V. annexe n° 29.
189
On appelle cette opération : « Scission-Fusion ».
190
On appelle cette opération : « Scission-Apport ».
.2003 ،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬،‫ ّج‬P$ A‫ ر‬، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ا ! م ا‬،‫ ح‬6 , F ‫ أ‬: 6‫ُ اﺟ‬+ ، N ‫ ! م ] رة‬S 8 ‫ م ا‬4 "ّ # + G 191
192
V. sur ce sujet : BELAZI (I), L’apport partiel d’actif, Mémoire de Master, FDSPT, 2009-2010.
193
Même en droit français, l’apport partiel d’actif peut-être assimilé aux scissions, lorsqu’il porte sur une branche complète d’activité. En effet,
dans pareil cas, les articles L. 236-22 et L236-24 du Code de commerce français offrent la faculté pour la société apporteuse et la société
bénéficiaire de l'apport d’opter pour le régime juridique des scissions. V. annexe n° 24.

Page 30
INTRODUCTION

36- Nonobstant l’importance de la réforme du droit des sociétés introduite par la loi n°2000-93
du 3 novembre 2000 promulguant le code des sociétés commerciales, le législateur, tout en réglementant
les opérations de fusion et scission194, avait omis d’organiser les groupes de sociétés195 « qui constituent
pourtant une réalité palpable de notre économie »196, et de l’économie mondiale. « Les nombreuses
imperfections du nouveau code des sociétés commerciales héritées du code de commerce ne nous étonnent
pas autant que nous surprend l’absence de toute réglementation propre au groupe de sociétés »197. Ceci est
d’autant plus vrai que la concentration économique trouve son expression la plus aboutie dans le
phénomène du groupe de sociétés198.
Heureusement que cette lacune a été rapidement comblée199. Deux raisons essentielles ont poussé le
législateur à se démarquer de la méfiance longuement entretenue à l’égard d’une réglementation spécifique
aux groupes de sociétés200. D’une part, la jurisprudence tunisienne, à la différence de son homologue
française201, n’a pas fait preuve de créativité ce qui aurait comblé le vide législatif en cette matière202.
D’autre part, l’existence d’un cadre juridique organisant le groupe de sociétés permettrait d’éviter les
incertitudes auxquelles pourraient faire face les investisseurs203. D’autant plus qu’une réglementation claire
et intelligible baliserait la voie aux acteurs économiques204.
37- Nul ne peut méconnaître aujourd’hui la réalité et l’importance des groupes de sociétés205. En
effet, se regrouper relève tant de la stratégie défensive qu’offensive206, telle est la donne économique

194
V. les articles de 411 à 427 CSC relatifs à la fusion et les articles de 428 à 432 CSC relatifs à la scission.
195
Il convient de préciser que, malgré l’absence d’une réglementation générale des groupes de sociétés, l’article 266 CSC qui concerne les
investigations du commissaire aux comptes, comporte dans son alinéa 5 une disposition relative au groupe. En effet, cet alinéa dispose que “les
investigations prévues au présent article peuvent être faites tant auprès de la société que des sociétés mères ou filiales…”. C’est également le
cas de l’article 408 CSC qui utilise expressément le verbe “se filialiser”.
196
KNANI (Y), art.pré., p 16.
197
KOLSI (S), Quelques réflexions sur les insuffisances du nouveau CSC, R.E., n° 51, 2001, p 16.
198
SAKHO (A), op. cit., p 1.
199
Au contraire, certains auteurs français pensent que le manque de législation spécifique, autonome et propre aux groupes de sociétés permet
à ces derniers d’acquérir une certaine souplesse dans leur fonctionnement en s’enrichissant et en se servant notamment des règles en vigueur
dans chaque branche du droit. Un droit des groupes introduirait alors davantage de rigidité et de complexité, empêchant le souci de souplesse et
de simplicité recherché aujourd’hui en droit français. Comme l’a écrit Monsieur Savatier à propos des accords de groupe en droit du travail : «
le silence de la loi n’a jamais empêché l’invention des institutions commandées par la vie » (SAVATIER (J), L’organisation de la
représentation syndicale dans les groupes de sociétés : L’exemple des accords AXA. Dr. soc., 2001, p. 498). D’ailleurs, C’est pour cela que le
législateur français a choisi de s’abstenir de réglementer dans une législation d’ensemble le phénomène des groupes, ne reconnaissant ce
dernier que sous forme de règles éparpillées, ponctuelles et parcellaires, contrairement au législateur allemand qui, par la loi du 6 décembre
1965, intègre dans le droit des sociétés une réglementation sur les groupes. Ainsi, le droit allemand a eu la prescience du droit de la
concentration économique en faisant coïncider la notion économique du contrôle avec sa définition juridique. V. NURIT–PONTIER (L), Les
groupes de sociétés, éd. Ellipses 1998, p 5 ; CARTERON (M), La protection des intérêts des actionnaires minoritaires et la prise de contrôle
des sociétés par les groupes concurrents, Rev. Soc. 1969, p. 147 et s ; MESTRE (J), Lamy sociétés commerciales, éd. Lamy 1990, n° 2304, p.
665 ; PARIENTE (M), Les groupes de sociétés et la loi de 1966, Rev. soc. 1996, p. 465 ; SINAY (R), Vers un droit des groupes de sociétés,
l’initiative allemande et le marché commun, Gaz. Pal. 1967, I, p. 71.
،71/70 ‫ د‬N ، ‫را‬ ‫ ا‬،‫ ت‬C 3 ‫ ا‬6 ّ $ ‫[ة‬3 ، F12V , W .1998 ،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬،‫ ّج‬P$ A‫ ر‬،‫ ت‬C 3 ‫ ا‬6 ّ $ ،‫( ﷲ‬V - : 6‫ُ اﺟ‬+ L 4 ‫ه ا‬D‫] ص ھ‬P 200
.38 ‫ ص‬،2009 ‫ﺟ ان‬
BESSROUR (N), Des doutes sur la cohérence et l’efficacité des dispositions du code, Bilan de sept années du C.S.C., Association de droit
économique, I.J., n° 38/39, Janvier 2008, p 15.
201
Cass. Com. Fr., 26 avr. 1994, n° 92-15.577, RJDA 1994, n° 930, p. 736 ; Cass. Com. Fr., 13 juin 1995, n° 94-21.003 et 94-21.436, JCP
éd. E 1995, II, n° 712, note Guyon ; Cass. Com. Fr., 18 mai 1999, n° 96-19.235, Dr. sociétés 1999, n° 127, Obs. Bonneau, RJDA 1999,
n° 1215, p. 984
202
V. à ce propos BELAID (S), Essai sur le pouvoir créateur et normatif du juge, th., Faculté de dr. et des sciences économiques, Paris, 1970.
203
En droit français on soutient l’idée contraire. En effet, Après quelques hésitations, l’idée semble aujourd’hui acquise qu’il n’est pas
nécessaire d’adopter une réglementation d’ensemble des groupes de sociétés. Certains projets en ce sens sont actuellement en sommeil. En
effet « une étude approfondie a révélé que leur application soulèverait de nombreuses difficultés pratiques ; et le modèle allemand, au surplus
est loin d’avoir fait la preuve de son efficacité ». Il n’existe donc pas en droit positif français de définition juridique du groupe à valeur
interdisciplinaire. Chaque branche du droit s’est dotée de règles spécifiques précisant à partir de quel degré de perte d’autonomie une société
est considérée comme appartenant à un groupe. En conséquence, il existe en l’état du droit positif plusieurs notions de groupe propres à chaque
branche du droit et parfois même des notions de groupe spécifiques à certaines questions précises. V. GERMAIN (M), Sociétés dominantes et
sociétés dominées en droit français et en droit allemand, th., Nancy, 1974 ; KRSJAK (P), Groupes de sociétés en droits français et allemand :
évolution, Gaz. pal. 1975, doctr. p. 485 ; RIPERT (G) ET ROBLOT (R), Droit commercial, T. 1, 17e éd. par M. Germain et L. Vogel, LGDJ,
1998, n° 2013 ; HANNOUN (CH), Le droit et les groupes de sociétés, LGDJ, 1991, p. 8 ; PARIENTE (M), Les groupes de sociétés, aspects
juridique, social, comptable et fiscal, Litec, 1993, p. 131 s.
204
NASREDDINE (H-H), le groupe de sociétés : constitution et fonctionnement, mémoire DESS, FDSPT, 2002, p 6 et 7.
205
Le phénomène des groupes de sociétés n’est pas récent. Il est même, dans sa forme moderne, plus que centenaire. Les premiers groupes de
sociétés ont été constitués pendant la seconde moitié du XIXe siècle tant en Europe qu’aux Etats-Unis. Ils participent au phénomène de la
concentration économique constaté à cette époque-là et qui tend à construire des ensembles en situation de quasi-monopole. Au début du XXe
siècle les découvertes et progrès en matière de communication ont permis l’extension du contrôle managérial sur de longues distances. Les
premiers groupes multinationaux ont été alors créés. En 1914, quarante et une entreprises américaines et quarante entreprises européennes
avaient des filiales à l’étranger. La société française Michelin s’était implantée aux Etats-Unis depuis 1907. Ce phénomène de concentration
des entreprises connaît aujourd’hui son apogée, à tel point que désormais le nombre de grands groupes, qui n’avait jusqu’alors cessé

Page 31
INTRODUCTION

actuelle207 à laquelle le système tunisien ne pouvait qu’y souscrire. Ainsi, le législateur est intervenu pour
réglementer les groupes de sociétés208 et ce, en vertu de la loi n° 2001-117 du 6/12/2001209 qui a ajouté au
livre 5 du code des sociétés commerciales un titre sixième intitulé « du groupe de sociétés »210.
L’article 461 CSC, ajouté par la dite loi, définit le groupe de sociétés, dans son alinéa premier,
comme étant « un ensemble de sociétés ayant chacune sa personnalité juridique, mais liées par des intérêts
communs, en vertu desquels l’une d’elles, dite société mère, tient les autres sous son pouvoir de droit ou de
fait et y exerce son contrôle, assurant, ainsi, une unité de décision »211.
Cette définition reprend globalement les mêmes critères retenus par une conception doctrinale très
ancienne selon laquelle le groupe « est un ensemble de sociétés juridiquement indépendantes les unes des
autres mais en fait soumises à une unité de décision économique »212.
Deux notions principales se dégagent de la définition du groupe : l’autonomie juridique213 et la
dépendance économique214. Cette situation paradoxale a été justement qualifiée de « divorce entre le fait et

d’augmenter, stagne et même régresse du fait des fusions-acquisitions amicales entre groupes existants ou «raids» agressifs. Alors que la
doctrine commercialiste se fait l’écho depuis le début des années cinquante de cette transformation de l’économie, ce n’est que dans les années
soixante-dix avec le premier mouvement massif de concentration d’entreprises qui a pour objet de surmonter la crise économique causée par le
choc pétrolier, que la doctrine travailliste «découvre» le phénomène des groupes de sociétés. V. Le Monde, Bilan du monde 1999, p. 160 ;
TOUIL (H), Le salarié dans le groupe de sociétés, I.J., n° 48/49, Juin 2008, p 36 ; MUCCHIELLI (J-L), Multinationales et mondialisation,
éd. du Seuil, coll. Points, 1998, p. 17 et s ; VANHAECKE (M), Les groupes de sociétés, LGDJ, 1959 ; DESPAX (M), Groupes de sociétés et
contrat de travail, Dr. social 1961, p. 596.
206
Nombreuses sont les raisons de créer ou de conserver une pluralité de personnes morales agissant de concert sous l’autorité d’une société
dominante. La décision de créer un groupe peut permettre de simplifier une gestion trop centralisée. Comme le remarque M. Champaud :
«l’entreprise géante doit se morceler pour survivre. Elle ne peut plus croître qu’en essaimant ». Il est alors envisageable de déconcentrer les
organes de décision tout en centralisant les objectifs. La création d’un groupe peut aussi répondre à des objectifs économiques de
développement ou de partage des risques. En effet, au sein du groupe les échanges entre filiales peuvent se faire à des prix différents de ceux
du marché. Le développement d’une activité à l’étranger peut bénéficier de l’appui et de l’expérience des implantations existantes. Certains
services peuvent être mis en commun telle la gestion et le recrutement du personnel, la comptabilité et la recherche-développement (certains
groupes ont mis en place des G.I.E. afin d’exercer ces activités qui bénéficient à tous). Enfin, le groupe peut soutenir financièrement certaines
de ses filiales, leur permettant de continuer à fonctionner alors qu’une entreprise indépendante aurait déjà déposé son bilan. V. CHAMPAUD
(C), Le pouvoir de concentration dans les sociétés par actions, thè. pré., 1962, p. 195 ; PERCEROU (A), Lois actuelles et projets récents en
matière de sociétés par actions, th., Paris, 1932, p. 528 ; CHALARON (Y), J.-Cl. Travail Traité, Fasc. 16-20, n° 1 ; GUYON (Y), Droit des
affaires, T. 1, 9e éd., Economica, 1996, n° 581 ; RIPERT (G) ET ROBLOT (R), Droit commercial, T. 1, op.cit., n° 1997.
207
En 1997, l’O.N.U. a recensé 44508 groupes multinationaux (contre 7000 à la fin des années soixante-dix) dont la moitié ont leur siège aux
Etats-Unis, au Royaume-Uni, au Japon, en Allemagne et en France. Ils possèdent 276660 « filiales » et emploient 65 millions de personnes,
contre 30 millions en 1970. Le nombre de groupes de sociétés implantés en France est passé entre 1980 et 1995 de 1306 à 6700 (dont 6610
dans le secteur privé). Les plus importants d’entre eux (plus de 10000 salariés) représentent dans l’économie française plus du quart de la main
d’œuvre, la moitié des profits bruts d’exploitation du système productif français et la moitié des capitaux fixes. Dans ces mêmes groupes le
nombre moyen des entreprises qui les composent est passé de 40,9 à 125. Au total, le nombre d’entreprises françaises contrôlées a presque
doublé en quinze ans atteignant 44700 fin 1995 contre 9200 en 1980. V. ONU, Rapport sur l’investissement mondial, Genève, 1997. V. aussi
BAILEY (P), PARISOTTO (A) ET RENSHAW (G), Multinationals and Employment : the Global Economy of the 1990s, BIT, Genève,
1993. VACARIE (I), Groupes de sociétés et relations individuelles de travail, Dr. social 1975, p. 23 ; LYON-CAEN (G), La concentration du
capital et le droit du travail, Dr. social 1983, p. 267. V. également AUROUX (J), Rapport sur les droits des travailleurs, La documentation
française, 1981, p. 76 où on peut lire ce qui suit : « le phénomène de concentration industrielle s’est opéré beaucoup plus par la constitution
d’ensembles de sociétés dépendantes d’un même centre de décision, mais ne gardant leur autonomie juridique que par des fusions ».
208
Contrairement à ce qui est souvent retenu, ce n’est nullement le droit des sociétés qui a reconnu pour la première fois le groupe de sociétés,
c’est plutôt le droit comptable qui, à travers la loi n° 96-112 du 30-12-96, a rendu obligatoire la présentation et la publication des états
financiers consolidés. Cette reconnaissance a été corroborée par la parution des normes comptables du 01-12-03. Il s’agit d’une technique
comptable par laquelle un groupe de sociétés établit des comptes uniques représentant sa situation financière et économique globale, sans tenir
compte de l’indépendance juridique de chaque société y faisant partie. Le droit comptable a été immédiatement suivi par le droit fiscal qui a
établi un régime d’intégration des résultats en matière de groupe de sociétés, et-ce en vertu de la loi n° 2000-98 du 25-12-2000 portant loi de
finance pour l’année 2001.
209
Loi complétant le code des sociétés commerciales, J.O.R.T n° 98 du 7-12-2001, p. 4091.
210
V. art. 461 à 479 CSC.
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212
GUYON (Y), Droit des affaires, op.cit., p 624 et 625. MESTRE (J) ET PANCRAZI (M-E), droit commercial, 25ème éd, L.G.D.J., 2001,
p. 425. LE CANNU (P), droit des sociétés, MONCHRESTIEN, 2ème éd, 2003, p. 863. MERLE (PH), op.cit., p. 761 ; Lexique des termes
juridiques, DALLOZ, 2012, Déf. Groupe de sociétés ; Vocabulaire juridique, 5ème éd., 1996, p. 390.
213
La société affiliée est autonome juridiquement parce qu’elle dispose d’une personnalité juridique distincte et autonome de celle des autres
sociétés du groupe. Ainsi, elle dispose de tous les attributs de la personnalité morale, à savoir : un patrimoine propre, une dénomination propre,

Page 32
INTRODUCTION

le droit »215. En effet, une personne morale peut entièrement dépendre, sur le plan économique, d’une
structure plus vaste216, alors qu’elle est considérée, sur le plan juridique, comme totalement indépendante
de celle-ci217.
Il faut noter, tout de même, que la définition de l’article 461 susvisé n’envisage que les groupes
financiers qui reposent sur des liaisons en capital supposant l’existence d’un élément matériel consistant
dans la détention d’une fraction significative d’actions ou de parts sociales d’une autre société218. Ces
groupes financiers se distinguent des groupes personnels219 qui constituent un ensemble de sociétés ayant
les mêmes associés et/ou dirigeants et dans lesquels aucun lien financier ne rapproche les sociétés
membres220. Le défaut de reconnaissance des groupes personnels ne cadre pas vraiment avec la réalité des
groupes de sociétés tunisiens qui sont presque tous personnels221.
Les groupes financiers diffèrent également des groupes à structure contractuelle222, lesquels
apparaissent à partir d’une volonté de collaboration entre deux ou plusieurs sociétés sur la base de la
conclusion d’un ou plusieurs contrats223.
38- Contrairement aux différents procédés de concentration susmentionnés, l’entente entre
sociétés n’a pas été définie par le législateur, malgré l’existence d’une réglementation spécifique au sein de
la loi de 1991 relative à la concurrence et aux prix. Il est donc nécessaire et utile de recourir à la doctrine

un domicile, une nationalité et une capacité de jouissance. V. BEN AMMOU (N), Cours de droit commercial (II) : Les sociétés commerciales,
Polycopie, FDSPT, 2004-2005, p 34 ; M’ZABI (A), La filiale en droit des sociétés, I.J., n° 12/13, novembre 2006, p 30.
214
La dépendance économique se caractérise essentiellement par le contrôle exercé par la société mère sur ses filiales. Ce contrôle résulte de
deux types de mécanisme : des prises de participation au capital social des sociétés dominées ou la quantité des droits de vote possédés par la
société mère. L’état de dépendance économique implique l’exercice direct ou indirect d’un contrôle par une entreprise sur une autre
juridiquement autonome. (EL HASSANI (M), op.cit., p 45). La dépendance économique en droit des groupes est à distinguer de la
dépendance économique en droit social qui signifie « l’état d'un travailleur, salarié ou non, vis-à-vis de la personne qui l'emploie, lorsqu'il tire
du travail qu'il exécute pour cette personne ses principaux moyens d'existence » (Lexique juridique DALLOZ 2011). Elle est à distinguer
également de l’état de dépendance économique en droit de la concurrence V. Infra, n° 192 et s.
215
VACARIE (I), l’employeur, TOME VI, éd, SIREY, 1979, p 3, cité par TURKI (M), op.cit, p 6.
216
A titre de précision, le groupement constitué par la filiale commune et les sociétés mères ne peut être considéré comme un groupe de
sociétés au vrai sens du terme : la filiale commune n’appartient à aucun des partenaires, car aucun de ceux-ci ne peut faire prévaloir ses
objectifs propres sans tenir compte de ceux de l’autre. Il n’en reste pas moins vrai que c’est un procédé manifeste de concentration, puisque,
par ce biais, des sociétés, ou des groupes, unissent une partie de leur force et aboutissent à une certaine unité de décision dans des domaines
précis. Mais « qui a compagnon à maître». Une collaboration, même sur pied d’égalité est, en fin de compte, une aliénation de l’indépendance
et, très souvent, elle ne tardera pas à déboucher sur un rapport inégalitaire. A la limite, on peut cependant affirmer que la filiale commune
appartient aux deux partenaires ; V. en ce sens, Ordre des Experts Comptables et Comptables Agréés, Les groupes et groupements de sociétés,
n° 98, p 96 ; MERTENS (V), La société holding en droit allemand, Droit et Affaires, n° 208, 1971, Doc. 36/7 1, p 25 et s, particulièrement p
30 ; GORE (F), Rapport sur la filiale commune, p. 20 ; PAILLUSSEAU (J), Rapport sur la filiale commune, In « La filiale commune »,
Litec, 1975, p. 30 et s. ; Rev. Franç. de compt. 1975, p 31 et p 35 ; DALLEVES (L), Problèmes de droit privé relatifs à la coopération et à la
concentration des entreprises, RDS, 1973, II, p. 642 ; CHAMPAUD (C), Les méthodes de groupement, op. cit., p 1018 ; V. aussi Colloque de
Pans, La filiale commune, moyen de collaboration entre sociétés et groupes de sociétés, Paris, 1975. Ordre des Experts Comptables et
Comptables Agréés, Les groupes et groupements de sociétés, p. 63, n° 73, et notamment, p. 72, n° 81 ; FARJAT (G), op. cit., p. 145.
217
Messieurs Cozian, Viandier et Deboissy comparent le groupe de sociétés à une famille dont les membres seraient exclusivement féminins,
composée de sociétés mères, de filles, de sœurs et même de grand-mères entretenant des liens juridiques particuliers et étroits. COZIAN (M),
VIANDIER (A), DEBOISSY (F), Droit des sociétés, 23ème édition, Litec, 2010.
218
GUYON (Y), op.cit, p 628.
.38 ‫ ص‬،.‫ ذ‬.‫ س‬.‫ م‬،‫ ت‬C 3 ‫ ا‬6 ّ $ ‫[ة‬3 ، F12V , W
219
PARIENTE (M), les groupes de sociétés : aspect juridique, social, comptable et fiscal, LITEC, 1993, p 5.
220
Dans les groupes de sociétés personnels il n’existe pas de société mère dominante, mais un ensemble de personnes physiques, très souvent
membres d’une même famille, qui sont associés dans toutes les sociétés du groupe. Le groupe personnel appelé aussi « union personnelle » doit
être réservé à des groupes dont les sociétés sont entièrement indépendantes de secteurs différents et qui n’ont entre elles ni liens fonctionnels ni
liens de gestion. Elles ne constituent qu’une juxtaposition d’entreprises et ne sont liées que par l’identité de leurs administrateurs ou l’entente
de leurs dirigeants. V. NAACKE (H), Le droit français des groupes de sociétés, Th., Lyon, 1977, p 15.
6ّ # ‫ ت ا‬C 3 ‫ ا‬U N ‫ ذ‬/4 ‫ ا‬K G ‫ ن‬+ (groupes de fait) #G ‫ ت‬# ّ $ 8KG I ^ ‫ ا‬8G ‫ و‬، N ‫ ت‬# ّ $ Kّ [ ' $ H $ 8G ‫ ت‬C 3 ‫ ت ا‬# $ 5‫أن ا‬ ّ ‫ م‬# ‫ ا‬M " 221
‫ر‬ ‫ ا‬،(2009 8/ ‫ ﺟ‬5 8G ‫رّخ‬q ‫ ا‬2009 4! 1 ‫ د‬N ‫ )ا ن‬0‫ر‬ ّ ّ
F ‫ ت ا‬C 3 ‫ ! ادراج ا‬$ ، 2 ‫ ( ا ر‬0‫ أ‬." (‫ أ ّم‬C O) ! ُ C O 8# ‫ ط‬mPO
.16 ‫ ص‬،2009 ‫ ي‬/ G ،63/62 ‫ د‬N ، ‫ا‬
222
Dans les groupes contractuels, la dépendance résulte souvent d’accords comme les contrats d’exclusivité, de cession et de sous-traitance.
Par ailleurs, les entreprises peuvent conclure des contrats temporaires, c’est le cas des sociétés en participation dans les travaux publics ou les
« joint-venture » dans les activités pétrolières. Les contrats peuvent également être durables comme les contrats de franchise. Cette dépendance
peut également revêtir la forme d’un accord avec certains actionnaires, par exemple les accords de vote ou de désignation des administrateurs.
Comme elle peut résulter des statuts. Autrement dit, les groupes contractuels se réalisent grâce à la conclusion d’un accord de domination ou
un contrat de transfert des bénéfices, le plus souvent cumulés. Ces contrats sont issus de pratiques fiscales reconnues depuis longtemps en
Allemagne. Ils confèrent le pouvoir de s’immiscer dans la gestion de la filiale et d’en déterminer l’action sans se rendre civilement
responsable. V. HERBEL (P), Le fonctionnement des groupes de sociétés en droit français et en droit allemand, Th., Montpellier, 1975, p 7.
223
Pour approfondir encore plus la notion de groupe de sociétés, la doctrine est allée opérer une autre distinction reposant sur la structure du
contrôle dans le groupe. D’où la distinction entre la structure pyramidale (1), radiale (2) et circulaire (3) : 1- « Une société mère ayant sous sa
coupe des filiales et des sous filiales ». 2- « Une société mère contrôlant toutes les autres sociétés directement ». 3- « La société A contrôle la
société B qui contrôle la société C, qui contrôle la société D, qui à son tour contrôle la société A ». V. MERLE (PH), op.cit. p771 ; LE
CANNU (P), op.cit., p 873.

Page 33
INTRODUCTION

pour essayer de définir et cerner les contours de cette forme de concentration aussi importante que les
autres.
Définie comme étant un contrat entre deux ou plusieurs entreprises suffisamment indépendantes les
unes par rapport aux autres pour pouvoir décider de manière autonome de leur comportement sur le
marché, l’entente exige un concours de volontés. Ce concours se présente généralement comme étant une
adhésion de deux ou plusieurs entreprises à un accord tendant à restreindre la concurrence ou dont la
réalisation est tout simplement susceptible de consommer cette finalité224. Autrement dit, « il ne peut y
avoir d’entente que là où il y a volontés communes de restreindre la concurrence 225». Cette idée a été
clairement affirmée par la commission de concurrence française qui a expressément souligné que « toutes
les ententes supposent un concours de volontés quelle que soit la forme de cet accord, même s’il ne se
formalise pas réellement226. La démonstration ou la conviction qu’il y a eu un concours de volontés … est
une condition absolue de toute incrimination227 »
En plus du concours de volontés, pour qu’il y ait entente, les entreprises concernées doivent être
autonomes, c'est-à-dire indépendantes les unes des autres. L’indépendance juridique ne suffit pas, encore
faut-il qu’elles soient indépendantes économiquement. Un auteur a souligné, à juste titre, qu’une entente
« ne peut être constituée qu’entre entreprises suffisamment indépendantes les unes par rapport aux autres
pour décider de leur comportement sur le marché de façon autonome »228.
39- Ainsi définie puis classée, la concentration constitue bel et bien une notion juridique. En
effet, une notion est, selon M. Gény, « l'idée générale de l'objet proposée au travail de l'esprit »229. Elle est
le fruit d'une démarche intellectuelle d'abstraction et de généralisation permettant de penser le réel230. Sans
aller plus avant dans cette réflexion philosophique, on peut admettre sans difficulté que la concentration,
comme on vient de la définir, est une notion juridique231. Elle est plus précisément une notion doctrinale,
c'est-à-dire créée par la doctrine. Le fait qu'une notion soit créée par la doctrine n'est pas original. M. Gény
affirme ainsi que l'élaboration des concepts est surtout l'œuvre de la doctrine232. Le rôle de la doctrine dans
l'élaboration des notions a également été souligné par M. Eisenmann, qui fait la distinction entre les notions
employées dans une source du droit positif - loi ou jugement - et les notions élaborées par les théoriciens
du droit233. Selon l'auteur, ces notions créées par la doctrine « servent à la connaissance et à l'analyse
systématique du droit »234. Le propre d'une notion doctrinale est qu'elle ne lie pas le juriste. Aussi, la notion
doctrinale ne lie pas le juge. Cela explique que la jurisprudence puisse employer le mot « concentration »
sans que cet usage ne corresponde nécessairement à la notion doctrinale de la concentration235. Cette même
notion doctrinale ne lie pas davantage... la doctrine elle-même236 !
40- Comme les personnes physiques, qui sont souvent amenées à se marier, les sociétés,
personnes morales, peuvent-être, elles aussi, séduites par le mariage. En effet, la concentration est souvent
appréhendée comme étant le mariage d’entreprises sociétaires. Certes, l’image est simple, pour ne pas dire

224
BOUTARD-LABARDE (M-C), Droit français de concurrence, L.G.D.J., Paris, 1994, p 38.
225
SCHAPIRA (J), LE TALLEC (G) et BLAISE (J-B), Droit européen des affaires, P.U.F., 1992, p 249.
226
La forme du concours de volontés importe peu. L’entente peut être écrite, il s’agira alors d’une convention. Comme elle peut être non écrite,
il s’agira, dans ce cas, d’une action concertée. L’action concertée est « une forme de coordination entre entreprises qui, sans avoir été poussée
jusqu’à la réalisation d’une convention proprement dite, substitue sciemment une coopération pratique entre elles au risque de la
concurrence. » C.J.C.E., affaire « matière colorante », 14-7-1972, Rec. 1972, p 619. Cité par KAOUTHER (J), le droit de la concurrence et la
répression des abus de la liberté, mémoire de DEA, FDSPT, 1996, p97.
227
V. Rapport de la commission de concurrence française, 1980, p 223.
228
KOSSENTINI (W), op.cit., p 339 et 340.
229
GENY (F), Science et technique en droit privé positif, Sirey, 1924, t. I.
230
V. en ce sens la définition du professeur de lettres J. Parain-Vial, « Note sur l'épistémologie des concepts juridiques », Archives de
philosophie du droit 1959, p. 131 : la notion est le résultat d'un double acte de généralisation et d'abstraction symbolisé par un mot, qui permet
de penser les choses absentes soit par leur éloignement dans l'espace, soit par leur éloignement dans le temps.
231
Le terme « concept » est souvent utilisé indifféremment à celui de « notion ». V. par ex. CORNU (G), Les définitions dans la loi, In L'art
du droit en quête de sagesse, PUF, 1998, p. 259, spéc. p. 265 ; BERGEL (J-L), Différence de nature (égale) différence de régime », RTD civ.
1984, p. 255, nos 7 et 10.
232
GENY (F), op. cit., t. III, no 218, p. 193. V. égal. JARROSSON (CH), La notion d'arbitrage, LGDJ, 1987, no 457.
233
EISENMANN (CH), Quelques problèmes de méthodologie des définitions et des classifications en science juridique, Archives de
philosophie du droit, 1966, p. 25.
.1992 ،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬،‫ ّج‬P$ A‫ ر‬،‫ ء‬F ‫ ا‬a G ‫ و‬a / ‫ ا‬i7 ، D A! ‫= ا‬A : F+‫ه ا ![ أ‬D‫] ص ھ‬P ،6‫ُ اﺟ‬+
234
EISENMANN (CH), op.cit., p 25.
235
Ce que l'on ne saurait critiquer. V. GAUTIER (P-Y), L'influence de la doctrine sur la jurisprudence, D. 2003, chr., p. 2839, no 19. V. dans
le même sens TERRE (F), La doctrine de la doctrine, In Mélanges Ph. Simler, Dalloz-LexisNexis Litec, 2006, p. 59.
236
GALLOIS-COCHET (D), Les montages en droit des sociétés, Rev. des contrats, 01/07/2007, n° 3, p 1022.

Page 34
INTRODUCTION

simpliste, mais elle permet d’expliquer bon nombre de règles et de dispositions qui gouvernent les
opérations de concentration.
La société, personne morale, semble être donc le terreau de la concentration. Pour bien cerner ce
phénomène et connaître les différentes formes de sociétés servant de soubassement pour la concentration,
faut-il revoir le concept d’entreprise sociétaire dans toute sa généralité. Ce qui permettra de faire les
cantonnements nécessaires du sujet de l’étude. -IV-
41- Très tôt dans l’histoire de l’économie de marché, le pouvoir politique a pris conscience de la
nécessité de réguler le pouvoir de concentration économique qu’étaient capables de réaliser les
entrepreneurs sous des formes juridiques plus ou moins sophistiquées : de la société anonyme au « trust »,
nombreux sont les domaines dans lesquels les gouvernants sont intervenus pour encadrer la croissance des
structures et des mécanismes de la compétition économique. Ce faisant, ils ont contribué à mieux cerner la
notion même d’entreprise sous le voile juridique de la société.
42- La notion d’entreprise n’existe pas en droit positif tunisien. Cependant, dans de nombreux
textes, notamment en droit social237, le concept est explicitement utilisé à plusieurs reprises238. Aussi, un
grand nombre de lois et dispositions, parfois anciennes, utilisent le mot « entreprise » dans son sens
dynamique. Ainsi, l’article 2 C.C. et les articles 867 et 1033 C.O.C. identifient l’entreprise par l’activité
qu’elle exerce pour attacher à cet exercice certaines conséquences juridiques239. Certes, il n’y a pas en
Tunisie de stratégie juridique, générale et ordonnée, de l’entreprise240. Pourtant, cette dernière, dans
l’exercice de ses activités, est soumise à une avalanche perpétuelle de lois et règlements qui la contraignent
de telle façon qu’on a souvent l’impression que cette notion finira un jour par prendre corps, non pas en ce
qu’elle est ou devrait-être, mais en ce qu’elle fait ou ce qu’elle ne doit pas faire.
Pour définir l’entreprise241, il y a autant de manières ou de méthodes qu’il y a d’auteurs à s’être
intéressés à la question. Citer ne serait-ce que les principales serait aussi vain que fastidieux. L’entreprise
est comme « une nasse ; elle ramasse et rejette au hasard des circonstances ; c’est une sorte de contenant
aux contours perméables et de forme changeante ; c’est même parfois un concept vide »242.
D’après M. Kamel Ben Messaoud, publiciste qu’il est, l’entreprise est une notion « d’ordre
essentiellement économique et couvrant des situations juridiques diverses, elle se laisse difficilement
enserrer dans une définition 243». De son coté, M. Jacque Thomas précise que le vocable « entreprise244 »
est quotidiennement utilisé dans des sens très diversifiés pour la simple raison que l’entreprise présente
différents aspects selon l’éclairage qu’on lui donne245. Pour M. Fakher Ben Salem246, l’entreprise est tout
simplement un lieu de rencontre de l’économique et du social247.

237
BEN SALEM (F), L’entreprise et le droit du travail, I.J., n° 1, Mai 2006, p 5.
238
V. art. 2, 3, 5, 8, 14 quarter, 18, 20, 21, 21-2, 21-4… CT
239
L’article 2 CC prévoit que « est commerçant, quiconque, à titre professionnel, procède à des actes de production, circulation, spéculation,
entremise, sous réserve des exceptions prévues par la loi… ». L’article 867 COC dispose que « l'entreprise de construction et tous autres
contrats dans lesquels l'ouvrier ou artisan fournit la matière sont considérés comme louage d'ouvrage ». L’article 1033 COC énonce, à son
tour, que « l'entreprise de dépôt est soumise aux règles générales du dépôt salarié, et aux dispositions suivantes ».
240
La définition de l’entreprise n’apparaît qu’incidemment dans la législation du travail où elle est souvent confondue avec celle
d’établissement. Elle est également méconnue par la législation commerciale qui fait référence aux sociétés.
241
V. à propos de la définition du vocable « entreprise » : PERCEROU (R), Entreprise gestion et compétitivité, ECONOMICA, 1984 ;
FARJAT (G), Droit économique, (Coll. Thémis), P.U.F., Paris, 1971 ; MANOUBI FERCHICHI (M), Le principe de la liberté de gestion de
l’entreprise, Mémoire de mastère spécialisé, FSJPST, 2006, p 2 ; MANOUBI FERCHICHI (M), L’abus dans les opérations de fusion,
Mémoire de mastère spécialisé, FSJPST, 2007, p 2 ; (même auteur) La notion d’abus dans le groupe de sociétés, Master, FDSPT, 2005, p 2.
242
PERCEROU (R), Entreprise, gestion et compétitivité, op.cit., p 1.
243
BEN MASSAOUD (K), La notion d’entreprise publique, La passion du droit, Mélanges en l’honneur du professeur Mohamed Larbi
Hachem, Tunis 2006, p 1052 et 1053 ; V. aussi BEN LETAIEF (M), L’état et les entreprise publiques en Tunisie, L’Harmattan, 1998, p 64.
244
L’entreprise est un « organisme se proposant essentiellement de produire pour les marchés certains biens ou service, financièrement
indépendant de tout autre organisme ; peut comporter un ou plusieurs établissements ». Vocabulaire juridique, 1987, Association Henri-
Capitant, V. déf. Entreprise, p 317.
245
THOMAS (J), Le droit de l’entreprise en Tunisie, Ecole nationale d’administration, Tunis, 1971, p 1.
246
BEN SALEM (F), art. pré., p 5. A son tour Mr. PERROUX (F) définit l’entreprise comme étant « une forme de production par laquelle au
sein d’un même patrimoine, on combine les prix des divers facteurs de production apportés par des agents distincts du propriétaire de
l’entreprise, en vue de vendre sur le marché un bien ou des services et pour obtenir un revenu monétaire qui résulte de la différence entre deux
séries de prix », In Cours d’économie politique, T.II, 1ère éd., p 9.
247
Economiquement parlant, l’entreprise apparaît comme «une unité économique impliquant la mise en œuvre de moyens humains et matériels
de production ou de distribution des richesses reposant sur une organisation préétablie» (Lexique des termes juridiques, DALLOZ, 2012, Déf.
du vocable « entreprise »). Elle est alors envisagée comme étant l’entité qui combine des facteurs de production en vue de mettre à la
disposition d’autrui des biens et des services. Mais, l’aspect purement économique ne peut suffire à lui seul à rendre compte de la réalité de
l’entreprise ; encore faut-il qu’il soit complété par l’aspect social qui apparaît sous trois formes différentes. Tout d’abord, l’entreprise est une
organisation. Elle se présente alors comme une conjugaison d’activités de travail qui sont agencées et hiérarchisées en vue de réaliser une

Page 35
INTRODUCTION

En combinant les apports des différents auteurs, tunisiens et étrangers, on peut aboutir à la
définition suivante : « l’entreprise est une entité autonome, à la fois sujet et objet de droit, regroupant un
apport humain248, un apport capitalistique249 et une direction dans un but spécifique non nécessairement
lucratif 250». Autrement dit, l’entreprise serait une entité exerçant nécessairement une activité économique
et dotée d’un pouvoir de décision251.
43- Dans une optique de classification juridique des institutions252, il est admis que l’entreprise
peut avoir un but lucratif ou non lucratif.
L’entreprise à but non lucratif n’est autre que l’association. A titre de précision, même l’association
peut faire l’objet d’une concentration. Rien n’empêche, par exemple, deux clubs de football de fusionner.
Pour s’en convaincre, il suffit de consulter la section troisième relative à la fusion des associations
sportives dans les règlements généraux de la FTF253.
Aussi, l’entreprise est tantôt privée, tantôt publique254 ou les deux à la fois255. L’entreprise privée
peut être individuelle. Dans ce cas, l’entrepreneur, personne physique, est propriétaire unique de son
entreprise. Il est également entièrement responsable de son activité sur tous ses biens.
L’entreprise privée peut aussi prendre une forme sociétaire256. Elle consiste alors en la mise en
commun de l’activité d’entreprendre257. Plutôt que d’entreprendre à titre individuel, plusieurs personnes
décident de mettre en commun leur activité d’entreprise, c'est-à-dire, de faire ensemble leur calcul
économique, de prendre ensemble leur décision et d’assumer conjointement la responsabilité patrimoniale
et les risques adéquats258. L’entreprise sociétaire est actuellement un gage de réussite259 et de limitation du
risque économique260. L’article 2 CSC la définit comme étant « un contrat par lequel deux ou plusieurs

production commune. Elle constitue également un milieu social, c'est-à-dire, un système de rapports entre les individus (THOMAS (J), op.cit.,
p 5, où il affirme que « leur activité de travail (au sein de l’entreprise) met les travailleurs en contact pendant une large part de leur temps. A
la faveur de ces contacts, ils nouent des relations et forment une communauté humaine qui a ses caractères spécifiques, où s’exercent des
influences diverses »). Enfin, en s’intégrant dans la société globale, l’entreprise exerce une fonction sociale incontestable qui consiste dans la
fourniture de marchandises ou la prestation de services à d’autres membres de la collectivité. Ceci étant précisé, rien n’empêche de dire que les
définitions données par les économistes et les socialistes ne peuvent satisfaire les juristes. Pour un juriste, l’entreprise doit s’entendre de
manière lato sensu, sans se limiter à une activité bien déterminée. Elle ne saurait non plus borner ses objectifs à une simple fonction de
production, ni même à la seule recherche d’un profit (GUEVEL (D), L’entreprise bien juridique, éd. Juris Service, 1994, p 23). Plus
précisément, analysée sous le prisme juridique, l’entreprise apparaît comme un ensemble de droits et de devoirs. En rigueur juridique, elle est
sûrement une source de pouvoirs exercés en fonction d’intérêts propres auxquels sont attachés corrélativement des responsabilités. Il convient
aussi de ne pas confondre entreprise et établissement : ce dernier terme désigne l'unité de production, le premier l'unité juridique. Une même
entreprise peut très bien avoir plusieurs établissements, si elle exerce son activité de façon permanente dans plusieurs lieux distincts. Chacun de
ces établissements n'est que le prolongement de la même entreprise, laquelle est domiciliée à son siège social.
248
Il s’agit du personnel.
249
Il s’agit des biens mobiliers corporels et incorporels, biens immobiliers.
250
GUEVEL (D), op.cit, p 24.
251
L’entreprise est généralement perçue comme étant le rassemblement d’un personnel salarié poursuivant, sous l’autorité d’un même chef,
une activité commune. Ainsi, l’entreprise est constituée de trois éléments : une collectivité de travailleurs, un employeur unique et une activité
commune. V. IDOT (L), La notion d’entreprise, Rev. Soc., n° 2, 2001, p 194.
252
Il y a aussi des classifications économiques comme par exemple la distinction entre petites, moyennes et grandes entreprises.
253
FTF : Fédération tunisienne de football.
.681 ‫ ص‬،2010 V+ G‫ أ‬،H $ ،U ‫ أو‬.‫ ط‬، 34 C G‫ رات دو‬34 ، g + ‫ ن ا‬7 ،‫ّ اص‬ ‫ دي‬E ‫ ` و ا‬N O : ‫ا ا ! ق‬D‫ ھ‬8G 6‫ُ اﺟ‬+
254
V. à ce propos BEN MASSAOUD (K), Le désengagement de l’Etat des entreprises publiques, Th., FDSPT, 1996.
255
L’entreprise ou la société d’économie mixte ou encore à participation publique.
256
En droit des sociétés, tel que revu et modifié par le CSC promulgué le 3-11-2000, on connaît trois catégories d’entreprises sociétaires : 1-
les sociétés de personnes comportant les sociétés en nom collectif, les sociétés en commandite simple et les sociétés en participation. 2- les
sociétés à responsabilité limitée comportant les sociétés unipersonnelles à responsabilité limitée et les sociétés pluripersonnelles à
responsabilité limitée. 3- Les sociétés par actions au sein desquelles on distingue entre deux types d’entreprises sociétaires : la société anonyme
et la société en commandite par actions. Toutes les entreprises, sous forme sociétaire, à l’exception de la société en participation, ont la
personnalité morale. Elles ont alors un nom propre, un patrimoine propre, une nationalité, une capacité de jouissance et un domicile, qu’on
appelle le siège social.
.1991 ،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬،‫ ّج‬P$ A‫ ر‬، K! A[$ N‫ ا‬7 ‫ و‬+‫ ت ا ر‬C 3 ‫ أ اع ا‬،‫(ي‬167 ‫(ة ا‬9 : 6‫ُ اﺟ‬+
.257 ‫ ص‬،1995 ، 34 ‫ ب‬4 ‫ دار ا‬،‫ أ< م ا ق‬، A M ‫ ا‬23 ‫و‬ > ‫ ( ا‬- : 6‫ُ اﺟ‬+ 257
258
Le professeur Paillusseau a précisé, à ce propos, que : « l’entreprise et la société sont deux choses fondamentalement distinctes. La
première est une organisation économique et humaine. Elle n’est pas une notion juridique mais une notion économique et sociale, la seconde
étant une notion juridique au service de la première, permettant de faire accéder l’entreprise à la vie juridique et permettant également de
l’organiser». In Les fondements du droit moderne des sociétés, JCP E 1984, II, n°14193 ; JCP 1984, I, n° 3148 ; JCP N, 1985, I, p.263.
‫]د‬7 ‫ ا‬+ ‫ را‬N‫ ت ا‬C 3 ‫` ا‬# 8G ‫ اص دورا ھ‬P ‫ ن‬C ‫ و‬8N ‫ ] دي وا ﺟ‬7 ‫ ا ل ا‬8G ‫ دورا ھ‬I# $ ‫ ] د‬7 ‫ا‬ N V‫ ظ‬8G +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ا‬f 0‫ " ا‬259
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M #$ ّmP+ G +‫ ت ا ر‬C 3 ‫و واﺟ ت ا‬ ‫ ا‬S! ‫ ن ا‬7 ، 61‫ ا )ھ‬d G ." ‫ ر‬d AS 6G‫ د‬M k ‫ ذ‬8G ‫ ا اﺟ ت‬C‫ او‬M ‫! ت‬Aq ‫ وا‬M+ d ! ‫ ا‬M ‫ ت‬7S# ‫ ا‬G /O
.13 ‫ ص‬،2007 ‫ ي‬/ G ،19/18‫ د‬N ‫ ا‬،‫ <! ت‬8 7‫ا‬
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‫ ت‬7 L ‫ ا‬I ‫ ﺟ‬U ‫ ا‬N‫ و‬4G ‫ رات‬K M ‫ د‬K ‫ ا‬K4 g V$ $ N ‫! ت ﺟ‬Aq V ‫ دا‬V # ‫ ة ا‬G ‫ ﺟ ت‬$ k D ‫ و‬.9 ‫ ء ا‬$‫ر‬ ‫ و‬w # ‫ ن ا‬F V A a ‫ي و‬D ‫ ا‬G‫ا ا‬
‫ ن‬G +‫ د‬/ ‫ ا رة ا‬U ‫ دي ﺟ ع ا‬4$ 8 ‫ ا رات ا‬n# ‫ ر‬K‫ ظ‬95‫ ور‬.‫ ا ل‬6 ‫ ﺟ‬U ‫! وا‬Aq ‫ ا‬9 4 ‫ اداة‬M!<‫ ا‬+‫ ا ر‬C 3 ‫ ا ل ن ا‬U ‫ي ادى ا‬D ‫ ھ ا‬G ‫ا ا‬D‫ وان ھ‬. ‫ا‬

Page 36
INTRODUCTION

personnes conviennent d'affecter en commun leurs apports, en vue de partager le bénéfice ou de profiter de
l'économie qui pourraient résulter de l'activité de la société. Toutefois, dans la société unipersonnelle à
responsabilité limitée, la société est constituée par un associé unique ».
L’entreprise publique261, de son côté, constitue bel et bien une entreprise telle qu’on vient de la
définir. Mais, « dans celle-ci, c’est l’Etat qui a la qualité d’entrepreneur. Il décide d’entreprendre seul ou
avec d’autres personnes privées ou publiques. Il intervient alors dans la vie économique non pas en tant
que puissance publique, qui édicte des règles de droit mais, en tant qu’agent de production qui fournit des
biens ou des services262 ».
Précisons aussi que l’entreprise sociétaire, peut agir seule ou en groupe. En effet, l’existence de
groupements d’entreprises263 et particulièrement de groupes de sociétés264 n’est plus à démontrer. Le tissu
économique tunisien connaît, ces dernières années, une apparition grandissante de groupes de sociétés
nationaux, voire multinationaux265.
44- Ainsi définie puis classée, la notion d’entreprise, appréhendée en matière de concentration,
suscite plus d’un intérêt et appelle plusieurs remarques. En effet, on est souvent amené à constater qu’on ne
peut parler de concentration qu’entre entreprises sous forme sociétaire. Ainsi la concentration d’entreprises
individuelles est difficile à concevoir, car une telle opération reviendrait à fusionner deux ou plusieurs
patrimoines de personnes physiques266. Cette concentration demeure toutefois possible sur la base de liens
purement contractuels. Mais, en raison de son aspect exceptionnel ainsi que sa rareté dans la pratique des
affaires, la concentration d’entreprises individuelles ne sera pas traitée dans le présent travail.
Rien n’empêche également l’avènement d’une opération de concentration moyennant des sociétés
publiques entre-elles ou avec des sociétés privées267. Cependant, en dépit d’une telle possibilité, et malgré
l’importance de la société publique de façon générale, elle ne fera pas partie de cette étude et ce, pour trois
raisons. D’abord, on se permet de qualifier le régime des sociétés publiques comme étant un régime
exceptionnel par rapport à celui des sociétés privées. En effet, la qualité de personnalité morale de droit
public entraîne l’application d’un minimum incompressible de règles exorbitantes du droit commun des

، 34 ‫ دار ا 'ان‬،‫ب‬ ‫ا‬ ، +‫ر‬ ‫ ت ا‬C 3 ‫ ن ا‬7 U N " #$ ، " , e1 ; ." K# V # ‫ا‬ ^ ‫ءو‬C 3 ‫ت‬ gM KG V # ‫ م اط ر‬7‫'ال ا‬$ ‫ و‬f C 3‫ا‬
.2000
261
D’après l’article 8 (nouveau) de la loi n° 89-9 du 1er février 1989 relative aux participations, entreprises et établissements publics telle que
modifiée et complétée par la loi n° 94-102 du 1er Août 1994 ; la loi n°96-74 du 29 juillet 1996 ; la loi n°99-38 du 3 mai 1999 et la loi n°2001-
33 du 29 mars 2001 sont considérées entreprises publiques : « - les établissements publics à caractère non administratif et dont la liste est fixée
par décret ; - les sociétés dont le capital est entièrement détenu par l'Etat ; - les sociétés dont le capital est détenu par l'Etat, les collectivités
locales, les établissements publics et les sociétés dont le capital est détenu entièrement par l'Etat à plus de 50 % chacun individuellement ou
conjointement. Sont considérées participations publiques, les participations de l'Etat, des collectivités locales, des établissements publics et
des sociétés dont le capital est entièrement détenu par l'Etat». D’après l’article 45 CIRPPIS, les entreprises publiques sont soumises, au même
titre que les sociétés commerciales, à l’impôt sur les sociétés.
262
THOMAS (J), op.cit., p 3.
263
On entend par groupement d’entreprises tout ce qui réunit et lie économiquement deux ou plusieurs entreprises afin de créer une unité de
décisions, sans pour autant altérer leur individualité juridique. Les méthodes de groupement des entreprises sont nombreuses. On peut toutefois
les ranger en deux catégories, à savoir les méthodes qui font appel aux techniques du droit des sociétés (méthodes sociétaires) et celles qui
puisent leur source dans le droit ordinaire des contrats (méthodes contractuelles). Si on renforce cette distinction par la mise en œuvre d’une
autre qui se réfère aux conséquences de la concentration sur les relations des entreprises participantes entre elles (assujettissement d’une
entreprise à une autre ou établissement de relations qui reposent sur un principe d’égalité). On aboutit alors, par combinaison, au classement
suivant : les groupements à structure sociétaire ou contractuelle fondés sur une idée de coopération ou de coordination sur pied d’égalité
(groupements d’union) et les groupements à structure sociétaire ou contractuelle fondés sur la subordination (groupes de sociétés). Les
groupements de sociétés ou d’entreprises se différencient des groupes de sociétés en ce sens qu’ils réalisent une collaboration sans lien de
dépendance ni direction unique : chaque membre du groupement conserve son autonomie et son pouvoir de décision pour tout ce qui ne
concerne pas le domaine de la collaboration. Les groupements d’entreprises peuvent être de type sociétaire comme l’association en
participation, soit surtout sous forme contractuelle comme le GIE, les contrats d’union (contrats d’entreprise, accord de collaboration, accord
de non concurrence…) ou les contrats d’intégration (contrat de sous-traitance intégrée, contrat de distribution intégrée, contrat de concession,
contrat de franchise…). V. DUBISSON (M), Les groupements d'entreprises pour les marchés internationaux, 2ème éd., 1985 ; SANDROCK
(O), Groupements de sociétés en droit allemand, In Evolution et perspectives du droit des sociétés, T. Il, 2006, p 409 et s ; Dict. perm. dr. aff.,
« Groupements de sociétés », 2012 ; CHAMPAUD (C), Rev. Trim. Dr. Com. 1967, Les méthodes de groupement, p. 1006 et s ; NAACKE
(H), Le droit français des groupes de sociétés, Th., Lyon, 1977, p 16.
264
Les groupes de sociétés sont réglementés en droit tunisien par la loi n° 2001-117 du 6/12/2001 (loi complétant le code des sociétés
commerciales, J.O.R.T n° 98 du 7-12-2001, p 4091) qui a ajouté au livre 5 du code des sociétés commerciales un titre 6 intitulé « du groupe de
sociétés » (V. art. 461 à 479 CSC). L’article 461 C.S.C. alinéa premier, ajouté par la dite loi, définit le groupe de sociétés comme étant « un
ensemble de sociétés ayant chacune sa personnalité juridique, mais liées par des intérêts communs, en vertu desquels l’une d’elles, dite société
mère, tient les autres sous son pouvoir de droit ou de fait et y exerce son contrôle, assurant, ainsi, une unité de décision ».
265
SAKHO (A), Les groupes de sociétés en Afrique : droit, pouvoir et dépendance économique, Ed. KARTHALA, 2010, p 1 ; MANOUBI
FERCHICHI (M), La notion d’abus dans les groupes de sociétés, Mém. pré., p 1 et s.
266
CHADEFEAUX (M), Les fusions de sociétés : Régime juridique et fiscal, 3ème éd., Groupe Revue Fiduciaire, 1999, p 20.
267
A ce propos, il sied de rappeler les termes de l’article 414 CSC qui dispose que « la fusion entre sociétés privées et entreprises publiques ou
les sociétés faisant appel public à l’épargne est soumise aux dispositions en vigueur ».

Page 37
INTRODUCTION

sociétés268. C’est donc la crainte de s’égarer dans les exceptions du régime des sociétés publiques qui
impose son exclusion de cette étude269. Ensuite, il faut garder présent à l’esprit que la tendance actuelle est,
sans aucun doute, vers la privatisation270 nonobstant le regain d’actualité que connaissent les sociétés
publiques ces dernières années, surtout après la crise économique mondiale271. Cette privatisation,
renforcée en Tunisie272, pourrait aboutir sinon à leur éclipse, du moins à leur raréfaction et dévalorisation.
Enfin, la raison principale réside en ce que l’étude de la société publique touche beaucoup plus au droit
public plutôt qu’au droit privé273. Le fait que l’Etat soit partie prenante à l’opération de concentration
modifie en profondeur les règles juridiques applicables qui relèveront beaucoup plus du droit public que du
droit privé274. C’est ce qui semble légitimer la mise à l’écart de la société publique sachant que l’actuelle
besogne relève, non pas du droit public, mais plutôt du droit privé, en général, et du droit des sociétés, en
particulier.
45- Abstraction faite du domaine de la presse où la concentration est interdite en soi si elle
dépasse un taux préalablement fixé275, le législateur, comme la jurisprudence, ne formule aucune
interdiction de principe à l'égard de la concentration des sociétés ou ses procédés juridiques. Ce n'est pas à
dire que les techniques concentrationnaires sont acceptées sans aucun contrôle. Au contraire, la
concentration se heurte devant le juge à un véritable parcours d'obstacles : faute, fraude et surtout abus.
L'accumulation de ces contrôles pourrait laisser penser que le droit positif est hostile à la concentration.
Mais il n'en est rien. La fraude ou l'abus sont des contrôles ordinaires en droit des sociétés. Ils s'appliquent
à l'ensemble des actes et ne sont pas propres aux procédés de concentration. Il en est de même de la faute.
L'examen de la jurisprudence montre que la concentration n'est pas sanctionnée en elle-même mais en
raison de l'un de ses aspects qui traduit la fraude ou l'abus276. Il ne faut toutefois pas se tromper sur le sens
de ces contrôles. Ils ne témoignent nullement d'une hostilité de la jurisprudence ou du législateur à l'égard
des montages, mais démontrent que ces derniers sont traités à l'instar des autres actes ou opérations. Cette
soumission aux différents contrôles de l'abus, ou autres, traduit une absence d'hostilité de principe aux
procédés de concentration, sauf en matière de presse.
Cela dit, quel que soit le procédé de concentration : entente, scission, fusion ou groupe de sociétés,
le risque d’abus est important. Dans une opération de fusion ou de scission, c’est la décision elle-même de
fusionner ou de se scinder qui peut-être constitutive de plusieurs formes d’abus. Il en est de même des
ententes risquant de fausser le jeu de la libre concurrence, surtout au travers des abus de domination. Dans
le groupe de sociétés, c’est incontestablement l’idée de contrôle exercé par la société mère qui va l’ériger
en un cadre propice pour une possible dérive277. En effet, « le contrôle d’une société par une autre est une
activité périlleuse qui navigue entre l’abus des biens sociaux et l’abus de majorité, entre la correctionnelle
et la nullité des décisions capitales278 ». N’est-ce pas là un sentiment de crainte et de peur envers le
phénomène du groupe de sociétés ? Tantôt emblème national et symbole de réussite

268
BAGBAG (M), Quelques propos à propos de la distinction droit privé droit public, In la passion du droit, Mélanges en l’honneur de M
Mohamed Larbi Hachem, FDSPT, Tunis, 2006, p 2 ; CARTIER-BRESSON (A), L’Etat actionnaire, L.G.D.J., 2010, p 22, n° 12.
269
BEN FREDJ (M), Le juge et le principe de liberté de gestion des entreprises, mémoire de DEA en droit fiscal, FDSEPS, 2001-2002, p 7.
‫ف‬K ‫ ا‬8G ‫ ا ار‬640 ‫ دوا‬I 0 ‫ ورات‬3 ‫ وﺟ د‬MN + ] # L ‫ ] در‬f/3C »: 8 + 9 /] 2012/06/29 8G ‫ ا ] درة‬+ ] ‫ ة ا‬+ ‫ < ` ﺟ ء‬270
‫! ت دات‬Aq ‫ھ ه ا‬ V 4$ ‫أن‬ 4+ ‫ و‬9‫ ﺟ‬4 ‫ ء و ا‬K ‫ ا ي و ا ي و ا ء و ا‬V 4 ‫ ار ا‬5 U N + ‫ ت ا‬N L ‫ ا‬U O 8G # ‫! ت ا‬Aq ‫ ا‬M ‫ د‬N 8G 6 f+ / ‫ا‬
C 3‫ ء و ا^ز و ا‬K ! ‫ ا‬C 3 ‫] ا‬0 P LLP k 4‫ ] در [ن ھ‬f 7 ‫ و‬.‫ ن‬+ L ‫ ا‬9KA‫ رأ‬U N ‫ و‬M ‫ و‬I ‫ أﺟ‬M+ d ! U ‫ ا‬# ‫ ا‬+‫ ] د‬7 ‫ ا‬+‫ا دود‬
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271
En effet, suite à l’actuelle crise économico-financière qui a affecté les Etats-Unis d’Amérique et presque tous les pays du monde, on semble
assister à une certaine revalorisation de l’entreprise publique. Mais rien ne paraît être sûr. Le proche avenir le dira. V. à ce propos : Colloque
international, « Loi et politique de la concurrence en Tunisie », Tunis, 17/12/2009, I. J., n° 82/83, Janvier 2010, p 34 et 35.
272
V. à ce propos BEN LETAIEF (M), L’état et les entreprises publiques en Tunisie, Th. pré, p 13 et s. ; V. aussi de façon générale DAH (O-
K), La privatisation des entreprises publiques en Mauritanie, Th., FDSPT, 1997.
273
En effet, l’étude des opérations de concentration des entreprises publiques impose l’analyse approfondie de plusieurs règles légales et
notions relevant purement du droit public comme : le rôle de la commission d'assainissement et de restructuration des entreprises à
participations publiques, la notion d’action spécifique de l’Etat, l'agrément préalable par le ministre chargé des participations de l'Etat, le plan
de développement économique et social, le rôle du premier ministre, la notion de cahier des charges de la restructuration… avec tous les arrêtés
et les décrets d’application qui s’y rattachent.
‫ ص‬،2007 ،H $ ، ‫ ت ا‬A‫' ا را‬C ،‫ ل و < ق ا ! ن‬# ‫ وزارة ا‬، K N " # ‫ ا‬+‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬ ،, ( 7 ‫ ا‬, ‫ ظ ز‬$ ‫ ( ا‬- ‫ ري و‬17 ‫ ل ا‬، 2 ‫ ( ا ر‬0‫ ا‬6‫ُ اﺟ‬+ 274
M ‫ج‬ ‫ ا‬K 9 + 8 ‫ ا‬/ ‫ ا‬H/4 N ‫ ت ذات ! ھ‬C O ‫أو‬ N ‫ ت‬C O V 3+ ‫ي‬D ‫ج ا‬ ‫ ا‬9 + ‫ أن‬M + " 8 + ‫ رة‬CD ‫ ا‬/] 6‫ا ا ﺟ‬DK ‫ ورد‬.1436
K ]0 ‫و‬ # ‫ت ذات ا ! ھ ت ا‬z34 ‫ا‬ ‫ دة ھ‬N " # + 8G 0 ] ‫ و‬،V # ‫ ا‬K ‫ ا ري‬I $‫ ا ﺟ اءات وا ا‬U ‫ ا‬6FP$ 0 P ‫ه ا ] رة ا‬DKG . 0 P ‫ ت ا‬C 3 ‫ا‬
MN ‫ة‬ ‫ ا‬C 3 ‫ رأس ل ا‬8 ‫ اﺟ‬8G ‫ا و‬ ‫ ! !ھ‬M <‫ آ و‬m + ‫ أن‬a [O M ‫ج‬ ‫ا ا‬D‫ أن ھ‬0 (1989 ‫ ي‬/ G ‫ ة‬5 8G ‫رخ‬q 1989 4! 9 ‫ د‬N ‫ ن‬7)
." +‫! و‬ N ‫ ! ھ‬K G M C O M 6 + 9 ،‫ج‬ ‫ا‬
275
V. arts 33 et 34 du décret-loi n° 2011-115 du 02/11/2011 relatif à la liberté de la presse, de l’impression et de l’édition.
276
GALLOIS-COCHET (D), Les montages en droit des sociétés, Rev. des contrats, 01 juillet 2007, n° 3, p 1022.
277
MANOUBI FERCHICHI (M), La notion d’abus dans le groupe de sociétés, mém. pré., p 15 et s.
278
BELHAJ YAHIA (B), L’abus des biens et du crédit sociaux, th., Paris, 1976, note n° 1, p 202.

Page 38
INTRODUCTION

économique, GENERAL ELECTRIC279 aux USA ; AXA280 en France ; ALLIANZ281 en Allemagne…


Tantôt synonyme de scandales et de manœuvres à la limite de la légalité, ENRON282 ; PECHINEY283 ;
PARMALAT284 ; BATAM285…

279
General Electric a été fondée en 1892 par la fusion d'une partie de Thomson-Houston Electric Company et de Edison General Electric
Company En 1896, la « General Electric » fut l'une des douze compagnies qui ont formé le Dow Jones Industrial Average. Elle est la seule à y
être encore. Jack Welch fut directeur général de General Electric de 1981 à 2001. Il est considéré par la presse comme un des meilleurs
managers de l'histoire. Jeffrey Immelt succède à Jack Welch en 2001. Depuis, Immelt a permis à GE de maintenir une croissance interne de
plus de 8. General Electric a mis en place un plan de réorganisation destiné à accélérer la croissance et à développer la rentabilité du groupe.
Depuis le 5 juillet 2005, il est passé d'une organisation en 11 divisions, à une structure en 6 pôles d'activités. En 2005, la firme a annoncé un
investissement de 1,5 milliard USD par an dans la recherche sur l'environnement. Le 9 octobre 2007, la filiale française de GE a signé le Pacte
PME. GE est composé d'un certain nombre d'entreprises primaires d'affaires. Elles sont chacune de vastes entreprises mais, séparément,
n'auraient pas un poids économique significatif. La liste des entreprises de GE change fréquemment, au gré des acquisitions et des
réorganisations. En 2008, GE se répartit en 6 branches : GE Infrastructure ; GE Healthcare ; GE Money ; GE Industrial ; GE Commercial
Finance ; NBC Universal. A travers ces entreprises, GE participe à un grand nombre d'activités. Dans le domaine de l'énergie, elle fournit des
gros équipements pour la production, le transport et la distribution d'électricité, des turbines à gaz, des éoliennes, des logiciels de gestion de
réseaux (Smallworld). Elle est également un acteur majeur dans la désalinisation et le traitement de l'eau. Dans le domaine du transport, GE est
un important fournisseur de réacteurs d'avions et de locomotives. GE fournit aussi des équipements médicaux aux hôpitaux. GE produit du
matériel d'éclairage, des silicones et des abrasifs, ainsi que des appareils électroménagers. GE est aussi co-fondateur de la chaîne de télévision
NBC. La branche GE Capital fournit des services financiers aux particuliers, mais aussi aux entreprises : immobilier, leasing entre autres.
280
AXA est un groupe international français spécialisé dans l'assurance depuis sa création, dans la gestion d'actifs et dans la banque depuis
2003. Il est le numéro un de l'assurance en Europe. AXA est un groupe d'assurances s'adressant aux particuliers et entreprises en répondant à
leurs besoins de services en matière d'assurance, de prévoyance, d'épargne et de transmission de patrimoine. AXA est un groupe issu de la
fusion de plusieurs sociétés d'assurance, dont la plus ancienne date de 1812. Dans le monde, Axa compte120 000 collaborateurs (salariés et
distributeurs exclusifs) dont 36 000 en France, plus de 80 millions de clients dans le monde dont 9 millions en France. En février 2008, suite à
la crise des subprimes, AXA Investment Managers suspend 3 fonds d'investissement de son réseau.
281
Allianz SE est le second assureur européen, et le sixième en France grâce à sa filiale AGF. Le groupe est diversifié de façon équilibré entre
l'assurance-dommage et l'assurance-vie et dispose de solides positions en Allemagne, en France et en Italie. Le groupe utilise son réseau
d'agents d'assurance pour vendre également des produits bancaires. Allianz est propriétaire d'AGF (Allianz détient 100% des actions AGF
depuis février 2007) et ancien propriétaire de la Dresdner Bank en Allemagne (cédée à Commerzbank en septembre 2008 pour 9.8 MM €).
C'est en 2006 que le groupe devint la première entreprise à adopter le statut de Societas Europaea.
282
ENRON fut l'une des plus grandes entreprises américaines par sa capitalisation boursière. Outre ses activités propres dans le gaz naturel,
cette société texane avait monté un système de courtage par lequel elle achetait et revendait de l'électricité, notamment au réseau des
distributeurs de courant de l'État de Californie. En décembre 2001, elle fit faillite en raison des pertes occasionnées par ses opérations
spéculatives sur le marché de l'électricité. Elles avaient été masquées en bénéfices via des manipulations comptables. Cette faillite entraîna
dans son sillage celle d'Arthur Andersen, qui auditait les comptes d'Enron. Née en 1985, de la fusion d'Houston Natural Gas et de Internorth of
Omaha, Enron était l'une des plus grandes entreprises mondiales et la 7ème entreprise américaine. Elle était selon les comptes, à la tête d'un
chiffre d'affaires de 139 milliards de dollars. Quand l'entreprise démarra ses activités, elle était à la tête d'un réseau de gazoducs tout à fait
respectable. Le nom Enron vient de l'assemblage du préfixe "En" de Energy, du suffixe "On" de Exxon et de "ter" pour la phonétique. Donnant
ainsi Enteron /EnterOn). Malheureusement ce mot veut dire intestin en anglais scientifique et les lettres "t" et "e" seront enlevées pour
conserver : Enron. Le 2 décembre 2001, la multinationale se déclare en faillite ; le cours de l'action chute de 90 dollars à 1 dollar en quelques
mois. Environ 5 000 salariés sont immédiatement licenciés, tandis que des centaines de milliers de petits épargnants qui avaient confié leurs
fonds de pension à Enron (environ les deux tiers des actifs boursiers de la firme étaient détenus par des fonds de pension ou des fonds de
mutuelle) perdent l'essentiel de leur capital-retraite, car celui-ci était constitué principalement de parts dans l'entreprise. Des procédures pénales
sont ouvertes contre les anciens dirigeants de l'entreprise : le trésorier, Ben Glisan fut condamné à cinq ans de prison. Le directeur financier,
Andrew Fastow, à dix ans (son épouse, Lea, fut elle aussi condamnée pour avoir aidé à masquer les comptes). Le 25 mai 2006, Kenneth Lay,
64 ans, fut reconnu coupable de six chefs d'accusation, dont la fraude et le complot ; mais il décéda d'un infarctus le 6 juillet avant de
commencer à purger sa peine. L'ancien numéro deux d'Enron, Jeffrey Skilling fut reconnu coupable de 19 des 28 accusations, dont fraude,
complot, fausses déclarations et délit d'initié et condamné à vingt-quatre ans et quatre mois de prison le 23 octobre 2006. Les anciens
partenaires de l'entreprise sont également inquiétés par les poursuites judiciaires, notamment : le cabinet d'Arthur Andersen, Citigroup, JP
Morgan, Merrill Lynch, Deutsche Bank, la CIBC, et la banque Barclays.
283
L’affaire Pechiney-Triangle est un scandale politico-financier de la fin des années 1980. En novembre 1988, la société nationalisée
française Pechiney annonce une OPA sur ce titre sur la société américaine Triangle, cotée à New York. Pechiney était particulièrement
intéressée par la filiale de Triangle, American National Can (ANC), spécialiste de l’emballage. Pechiney est alors une société nationalisée. Des
hommes de l’appareil d’Etat ayant été mis au courant de l’opération, certains d'entre eux en profitent pour commettre alors un délit d'initié.
Mais très vite les autorités boursières américaines en avertissent la Commission des opérations de bourse française. Une procédure judiciaire
est alors mise en route et neuf acteurs sont inculpés, parmi lesquels : Alain Boublil ancien directeur de cabinet de Pierre Bérégovoy au
ministère des Finances ; Jean-Pierre Emden, homme d'affaires français ; Charbel Ghanem, homme d'affaires libanais ; Patrick Gruman, courtier
en titres ; Roger-Patrice Pelat, homme d'affaires français, un proche du président François Mitterrand ; Robert Reiplinger, associé de Max
Théret ; Max Théret, financier du parti socialiste.
284
PARMALAT S.P.A. (BIT : PLT) est une entreprise italienne spécialisée dans le domaine des produits laitiers. Son activité éparpillée dans
le monde entier inclut au moins 140 centres de production, elle emploie 36 000 employés et de son activité dépendent 5 000 fermes italiennes.
La société a été fondée par Calisto Tanzi qui, en 1961, ouvrit une petite laiterie à Collecchio à proximité de Parme. Au cours des années 1970,
la forte demande de lait à longue conservation permit à Parmalat d'accroître sa part de marché. Dans les années 1990, après sa mise en bourse,
la société commence à acquérir un grand nombre de sociétés en Europe, en Amérique latine et en Afrique pas forcément liées au secteur
alimentaire. Ainsi en Italie, Parmalat acquiert la société de football Parme FC, le groupe de villages touristiques ParmaTour et le réseau de
télévision Odeon TV. Parmalat a été secouée par un scandale financier fin 2003 qui l'a obligée à déclarer banqueroute. Par un décret du
Ministère des Activités Productives, une grande partie des sociétés du groupe ont été admises à la procédure d'administration extraordinaire
pour les grandes entreprises en crise et Enrico Bondi a été nommé commissaire extraordinaire. L'affaire Parmalat est une affaire financière
italienne qui porte sur un trou de 14 milliards d'euros dans les comptes de l'entreprise Parmalat en 2003. Il s'agit du plus grand scandale
financier connu en Europe. Environ 135 000 épargnants italiens ont vu leurs économies englouties dans le krach de Parmalat, en décembre
2003. Avant sa faillite, Parmalat employait plus de 36 000 personnes dans 30 pays. Calisto Tanzi et son directeur financier, Fausto Tonna,

Page 39
INTRODUCTION

Nul doute que les opérations de concentration suscitent une fascination pour tout ce qui est
gigantisme, et en même temps une inquiétude face à des colosses financiers qui font peur à plus d’un
niveau. Ce sentiment fort mitigé, pour le moins surprenant, n’est-il pas pour emprunter cette fois les mots
de Charles Baudelaire, une invitation, non au voyage286, mais à la réflexion ?
D’où l’intérêt certain d’envisager l’étude de l’abus en matière de concentration. Pour ce faire,
faudra-t-il, de prime à bord, déterminer la définition ainsi que l’évolution historico-juridique du vocable
« abus ». On s’efforcera, pour l’intérêt scientifique de l’exposé, d’étudier les étapes les plus importantes
par lesquelles le concept d’abus est passé, car c’est à travers l’étude des origines du mécanisme qu’on
arrive à comprendre la matière et à cerner les insuffisances pour que toute critique soit fondée et que toute
proposition soit justifiée. - V-
46- « De quoi les hommes savent-ils user sans abus ? »287 Se demandait déjà Voltaire. Pourquoi
alors ne pas accepter l’idée toute simple, du même auteur, selon laquelle « tout droit poussé trop loin
conduit à une injustice288 » ? Cette affirmation n’est plus à démontrer lorsqu’il s’agit d’une société isolée.
Que dire d’une opération de concentration où les intérêts des divers intervenants s’enchevêtrent et
s’embrouillent, voire s’opposent donnant lieu à une multitude d’abus portant préjudice tant aux
actionnaires qu’aux différents partenaires des sociétés concernées ?
Mettant en épigraphe l’importance de la notion d’abus pour contrecarrer tout agissement illégal, le
professeur Ripert a observé que « libres de définir l’abus, décidés à ne l’admettre que s’il était grave, les
juges voient dans la notion proposée un de ces moyens suprêmes qui permettent de désarmer le plaideur
malhonnête à l’heure où il croit triompher »289.
L'abus est, tout à la fois, un instrument limitant la portée des droits qui peuvent être consentis à une
personne juridique et un important outil d'évolution juridique entre les mains des juges. La théorie de
l’abus apparaît alors comme une réaction contre la rigidité des règles légales et l’application mécanique du
droit290. Certains auteurs l’envisagent aussi comme le correctif moral d’une stricte légalité. Cette théorie
met ainsi l’accent sur le problème du rapport entre le droit et la morale, mais elle est loin de s’épuiser dans
ce problème. Elle représente, en réalité, un instrument d’assouplissement du droit et son adaptabilité aux
réalités sociales et économiques.
La diffusion de la notion d'abus dans la jurisprudence relative aux sociétés semble confirmer une
prise de conscience, chez les magistrats, de ce que l'application mécanique de la règle de droit peut ne pas
être conforme à l'idée de justice. En effet, la notion d'abus met en évidence un dévoiement de la technique
juridique, qu'on aurait utilisée à des fins égoïstes et aux dépens d'autrui. Cette notion constitue un
contrepoids indispensable de la technicité291, car elle traduit l'esprit de la règle technique292. Aujourd’hui
encore, on souligne qu’il s’agit concrètement pour les juges de faire triompher l’équité293.

avaient créé six sociétés écrans au Grand-Duché du Luxembourg, à l'aide de prête-noms. Deux procés ont été ouvert à cette époque. Le procès
de Milan a porté sur des manipulations des cours boursiers de l'action Parmalat. Dans une première étape (procédure négociée), Fausto Tonna,
le bras droit de Calisto Tanzi, et dix autres personnes ont été condamnés à des peines allant de 10 mois à deux ans et demi de prison ferme.
Calisto Tanzi, quinze de ses proches et les cabinets d'audit Grant Thornton, devenus depuis Italaudit, ainsi que Deloitte et Touche, sont
toujours en cours de jugement. Un deuxième procès Parmalat s'est ouvert le 5 juin 2006 au tribunal de Parme. Callisto Tanzi, fondateur de
Parmalat, Fausto Tonna, son ex-directeur financier, d'anciens membres du Conseil d'administration de Parmalat, des commissaires aux comptes
et d'autres responsables financiers sont accusés de banqueroute frauduleuse, faux bilans, associations de malfaiteurs et fausses
communications.
285
V. supra., p 12, note n° 20.
286
L'Invitation au voyage est une expression souvent extraite de « Spleen et Idéal », première partie des « Fleurs du mal », de Baudelaire.
287
VOLTAIRE, discrétionnaire philosophique, 1974. Cité par NACCACHE (A), la notion d’abus et les sociétés commerciales, mémoire de
DEA, FDSPT, 1999-2000, p1.
288
Ibidem.
289
RIPERT (G), Abus ou relativité des droits, Rev. critique de législation et de jurisprudence, 1929, n°1, p 33.
‫ ] در ا 'ام‬، - ‫ م‬3 ‫ و‬12D , ,1!0 .1998 ،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬،‫ ّج‬P$ A‫ ر‬،" ‫ ل ا‬# A‫ ا‬8G i!# ‫ ا‬، 0H‫ ي ا‬$N : N ‫ه ا ! ] رة‬D‫ < ل ھ‬6‫ُ اﺟ‬+ 290
. K + ‫ و‬158 ‫ ص‬،2011 ،H7 /0 84/ ‫ ا‬/! ‫ ا‬،1 .‫ ط‬، ‫و ا‬q! ‫ وط ا‬O ، S ‫ ا‬D .37 ‫ ص‬،2009 H $ ، +‫ ا راد‬5
291
MAZEAUD (D), Constats sur le contrat, sa vie, son droit, LPA, 06 mai 1998 n° 54, P 8 : « Bonne foi, abus, équité. L'usage immodéré de
ces notions standards permet d'assurer une certaine justice dans le contrat et on ne peut que s'en féliciter. Cela étant, il est clair que le recours
excessif à ces concepts flous ne répond guère à l'impératif de prévisibilité, tant il est vrai qu'ils constituent pour le juge les petits chevaux de
Troie qui lui permettent de modifier parfois substantiellement la loi contractuelle ».
292
HEYMANN (A), La sanction de l’abus de droit après la réforme du droit des sociétés, Gaz. Pal. 1971, I, doctrine, p. 71 et s ; CARTERON
(M), L’abus du droit et le détournement de pouvoir dans les assemblées générales des sociétés anonymes, Rev. Soc., 1964, p. 161 et s ;
COURTIEU (G), Droit à réparation, Abus de droit. Notion, Juris-classeur. Responsabilité civile, article 1382 à 1386, Fas. 131-1, n° 11 ;
PIROVANO (A), Abus de droit , Encyclopédie Dalloz, 1970, n° 31, p. 3 ; POLLAUD-DULLAN (F), Abus de droit et droit moral, D.S. 1993,
chronique XXI, p. 97 et s ; JEANTET (F-C), Esquisse de la jurisprudence de la cour de justice des communautés sur les accords restreignant
la concurrence, J.C.P. 1966, I, doctrine, 2029, n° 10 et 11.
293
DURRY (G), obs. sous Cass. 3ème civ., 12 actobre 1971, RTDC, 1972, p 398.

Page 40
INTRODUCTION

La notion d’abus est alors ressentie comme l’argument incontournable des faibles et des
opprimés294. Par conséquent, déjouer les agissements abusifs au sein d’une opération de concentration
nécessite obligatoirement le recours à cette notion aussi fluctuante, hétérogène et aux contours incertains
qu’elle soit295, ce qui semble expliquer la difficulté pour le législateur de bien l’encadrer en vue de lui
consacrer une définition claire et précise296. L’aide de la doctrine et la jurisprudence apparaît, sur ce plan,
inévitable pour mettre en exergue l’évolution historique et la définition juridique du concept. Un constat
mérite toutefois d’être souligné. Ni le législateur, ni la jurisprudence ne définissent l'abus. Quant à la
doctrine, un phénomène se remarque : chaque fois qu'une définition apparaît, ses faiblesses sont aussitôt
démontrées, de sorte qu'aucune définition ne semble pouvoir réunir autour d'elle l'unanimité des auteurs.
L'imprécision de la notion d’abus demeure l'une des caractéristiques essentielles de celle-ci297.
47- La notion d’abus n’a vu le jour que lorsqu’on a commencé à reconnaître aux droits subjectifs
un certain caractère relatif. Cette idée est apparue en France dès la seconde moitié du XIXe siècle298,
mettant de la sorte fin à l’influence de la tradition romaine qui a toujours soutenu le caractère absolu des
dits-droits299.
L’apparition de la notion d’abus dans l’histoire de la pensée juridique est relativement récente300.
Les auteurs datent généralement sa naissance, doctrinale et jurisprudentielle, à la fin du XIXe siècle.
Certains montrent néanmoins que si la notion est assez récente et innovante, l’idée est ancienne301 et aurait
été établie à l’aide de précédents romains302. En effet, en dépit de la maxime d'Ulpien « celui qui use de son
droit ne lèse personne », le droit romain, admettait d'autres principes susceptibles de corriger les abus tels
que la malice, la mauvaise foi et l'intention de nuire. Certes l’ancien droit n'avait pas théorisé la notion303,
mais sanctionnait, par exemple le « fol appel »304. Autrement-dit, la notion d’abus n’a pas été formellement
294
DREIFUSS-NETTER (F), Droit de la concurrence et droit commun des obligations, RTDC, 1990, p 386.
295
En effet, il a été remarqué que la notion d’abus est naturellement fuyante et que les tribunaux refusent dans cette matière de se laisser
enfermer dans aucun système. Même des études approfondies admettent d’emblée de se résoudre à l’impossibilité d’une théorie générale de
l’abus, celui-ci échappant par nature à toute définition. V. GAIN (M-O), Essai sur l’abus de droit, Th., Lille, 1991, p 6 et 7 ; TUAILLON (C),
l’abus en droit des sociétés, vague concept ou vaste concept de protection ? LPA, 10 mars 2004, n°50, p4.
296
Il existe une définition de l’abus de droit dans l’article 103 COC qui dispose qu’ « il n’y a pas lieu à responsabilité civile lorsqu’une
personne, sans intention de nuire, a fait ce qu’elle avait le droit de faire. Cependant lorsque l’exercice de ce droit est de nature à causer un
dommage notable à autrui et que ce dommage peut être évité ou supprimé, sans inconvénient grave pour l’ayant droit, il y a lieu à
responsabilité civile si on n’a pas fait ce qu’il fallait pour le prévenir ou pour le faire cesser ». Conformément à cet article, la théorie de l'abus
de droit correspond finalement à deux grandes formes d'abus : l'abus-social et l'abus-intention-de-nuire. L'abus social est l'acte de détourner un
droit vers une fin illégitime, contraire à l'objectif poursuivi par ce droit. Est ainsi sanctionnée comme abusive la grève qui n'a pas pour finalité
la satisfaction de revendications professionnelles mais la modification d'une politique gouvernementale. Quant à l'abus-intention-de-nuire, il
correspond à l'emploi d'un droit dans la seule intention de nuire à autrui. Une illustration typique est la construction de hautes palissades sur un
terrain voisinant un espace de décollage de dirigeable, dans le but d'en gêner le fonctionnement et ainsi forcer son voisin à racheter le terrain.
Hormis cet article, inséré sans harmonie dans le cadre de la responsabilité délictuelle, il n’y a aucun texte d’ordre général qui définit la notion
d’abus. En droit civil français, l’abus de droit a été prévu par l’art. 1382 C.C.F.
297
BEN AMMOU (N), Essai sur l’abus de droit à travers l’article 103 du COC, Mémoire de DEA, FDSPT, 1983-1984, p 15.
298
Le 19ème siècle commença le 1 janvier 1801 et finit le 31 décembre 1900.
299
PLANIOL (M), RIPERT (G) et BOULANGER (J), Traité élémentaire de droit civil, 4éme éd., LGDJ, 1952, p 343.
300
ANCEL (P) et DIDRY (C), L’abus de droit : une notion sans histoire ? L’apparition de la notion d’abus de droit en droit français au début
du XXe siècle, L’abus de droit, comparaisons franco-suisses, Publications de l’Université de Saint-Etienne, 2001, p. 51.
301
PERREAU (E-H), Origine et développement de la théorie de l’abus de droit, Rev. générale du droit, 1913, p. 481. CHARMONT (J),
L’abus de droit, R.T.D.Civ., 1902, p. 113 ; RICCOBONO (F), La teoria dell’abuso del diritto nella dottrina romana, B.I.D.R., 1939, p. 1.
302
Pour une démonstration du mal-fondé des thèses qui nient l’existence de l’abus de droit en droit romain classique : ELSENER (U), Les
racines romanistes de l’interdiction de l’abus de droit, Th., 2004, Bruylant, p. 188 ; JOVANOVIC (M), Aequitas and bona fides in the legal
practice of ancient Rome and the prohibition of the abuse of rights, Facta Universitatis, Series Law and Politics, vol. 1, n° 7, 2003, p. 763.
‫ < ت‬8G " ‫ ل ا‬# A‫ ءة ا‬AJ ‫ ] ي‬V A ‫ ا‬n# 6g‫ و‬a ‫ أ‬5 ،`+ ‫ ا ن ا‬8G ‫ن‬x‫ ا‬8‫ ھ‬C " ‫ ل ا‬# A‫ ا‬8G i!# ‫ ة ا‬G ‫ ف‬#+ 9 8 ‫أن ا ن ا و‬ 0 " 303
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.27 ‫ ص‬،1936 H+‫ ر‬،‫ ا ن ا رن‬8G ‫ ل ا ق‬# A‫ا‬
FLACH (J), Histoire du droit romain au moyen âge, imp., 1996, p 187.
DEMOGUE (R), Les obligations en général, T5, Paris, LGDJ, 1925, p 317.
304
RENARD (M-R), L'abus du droit d'agir en justice, Gaz. Pal., 24 mai 2007, n° 144, p 6.
‫ ل‬7 F+‫ ا‬+ 7‫ و‬.8! / ‫ ا ن ا‬k D D ‫ ا‬7‫( و‬Nemo dammun facit, neminem lacdit qui suo jure untitur) " ‫ أ< ا‬F+ 9 a < V # A‫ ا‬M " : ‫ ل ا و ن‬7 ‫ ﺟ ا‬+ 7 »
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Page 41
INTRODUCTION

reconnue par le droit romain en raison notamment de l’inexistence du concept de droit subjectif, elle a
connue quelques applications ponctuelles seulement305.
Il a fallu alors attendre la fin du XIXe siècle pour voir consacrer le concept d’abus de droit par la
jurisprudence306 et ce, sous le coup d’un contexte idéologique et d’une situation économico-sociale en total
bouleversement. Le très célèbre arrêt de la Cour de Colmar de 1855, appelé arrêt « Daerr »307, érigea, dans
une affaire de fausse cheminée, l’idée d’abus de droit de propriété sans pour autant la nommer
explicitement. Mais, c’est à propos du contrat de louage de services que furent posés les premiers jalons de
l’abus. En effet, la Chambre des requêtes de la Cour de cassation française jugea, dans un arrêt datant du 8
février 1859, que dans certaines circonstances une indemnité pouvait-être accordée au cocontractant « vis à
vis duquel la convention a été trop brusquement abandonnée »308.Un courant assez favorable suivi cette
ouverture jurisprudentielle309.
Mais si le concept d’abus s’est développé, tout d’abord, à propos du contrat de louage de services,
le droit de propriété est devenu ensuite son terrain d’élection. On se souviendra de la fameuse affaire
Clément-Bayard310, donnant l'occasion à la Cour de Cassation française de sanctionner, sur le fondement de
l’abus de droit, un propriétaire particulièrement irritable qui avait planté sur son terrain des tiges de fer
destinées à crever les montgolfières de son voisin. Puis, ce fût au tour des plaideurs acharnés de réparer le
dommage résultant de l'exercice abusif de leur droit d'agir en justice311.
Les juristes ont suivi cette évolution312 et les écrits doctrinaux au tournant du XXe siècle ont
spectaculairement foisonné313. Une véritable conceptualisation de l’abus a définitivement eu sa raison
d’être314.
48- En droit musulman, la notion d’abus a été clairement consacrée, il suffit de consulter le
projet Santillana pour s’en convaincre315. En se basant sur ce projet, il semble aisé d’affirmer que la source

‫ ت‬C ‫ ل ا‬0‫ ا‬M ‫ ة‬O # ‫ ا دة ا‬." " ‫ا ا‬D‫ ھ‬4 a ‫ اﺟ‬M ‫ي‬D ‫ أو ا ^ ض ا‬4 ‫ ا‬M!< ‫ < ود‬a < ‫ ل‬# A‫ ء ا‬4p‫ ا‬8G ‫وزه‬ ^ F+ M n+ # ‫ 'م‬+ " a ‫ ا‬a4 124 ‫ا دة‬
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.178 ‫ ص‬،1979 ،8 # ‫ ا‬/ ‫ دار ا‬،‫ م‬# ‫ ا‬9! ‫ا‬
305
En ce sens : VILLEY (M), Signification philosophique du droit romain, A.P.P., 1981, p. 381 ; La genèse du droit subjectif chez Guillaume
d’Occam, A.P.D., 1964.
306
PORCHEROT (E), De l’abus de droit, Th., Dijon, 1901.
307
C.A. Colmar, 2 mai 1855, D.P., 1856, 2, 9.
308
Cass. req. Fr., 8 février 1859, D.P., 1859, 1, p.57.
309
Par ex. : C.A. Sedan, 17 décembre 1901, S. 1904, 2. 217, note Appert. Un propriétaire est coupable d’abus de droit pour avoir érigé une
cloison pour donner à la maison voisine un aspect de prison.
310
Cass. req. Fr., 3 août 1915, D.P., 1917, 1, p.79
311
La Haute Juridiction française décide alors que l’abus est constitué car cette installation avait pour unique but de nuire et elle relève que
seule la « protection de ses intérêts légitimes », peut autoriser le propriétaire à construire une clôture. Les tribunaux engagent la responsabilité
du titulaire du droit sur le fondement de l’article 1382 du Code civil. Ils considèrent ainsi qu’il appartient de démontrer que le présumé auteur
de l’abus a commis une faute dans l’exercice d’un droit et qu’il a par conséquent causé un préjudice à autrui. Le critère de l’abus retenu par les
tribunaux au début du siècle est essentiellement celui de l’intention malicieuse.
312
ANCEL (P) et DIDRY (C), op. cit., p. 55 où on peut lire ce qui suit : « en réalité, même si on en découvre quelques traces, c’est la
doctrine qui, a en quelque sorte « récupéré » a posteriori les quelques décisions antérieures pour donner l’impression d’un corpus
jurisprudentiel préexistant. Ici comme ailleurs, la jurisprudence est très largement le produit d’une construction doctrinale ».
313
V. notamment parmi une abondante bibliographie : SALEILLES (R), De l’abus des droits, Rapport présenté à la première sous-
commission de la commission de révision du Code Civil, Bull. soc. études et législ., 1905, p. 325 ; CHARMONT (J), L’abus de droit, R.T.D.
civ., 1902, p. 113 ; JOSSERAND (L), De l’esprit des droits et de leur relativité, théorie dite de l’abus des droits, 1927, 2e éd., 1939 ; RIPERT
(G), Abus ou relativité des droits. A propos de l’ouvrage de monsieur Josserand, Rev. Crit., 1929, p.33 ; CAMPION (L), Théorie de l’abus des
droits, 1921 ; ROTONDI (M), L’abuso di diritto, th., Padova, 1923 ; MORIN (G), L’abus des droits, Rev. de métaphysique et de morale,
1929, p. 267 ; PORCHEROT (E), De l’abus de droit, Dijon, 1902 ; DE MONTERA (L), De l’abus des voies de droit, th., Lyon, 1912.
314
Les arrêts exposés ne sont pas isolés. L’utilisation de l’abus par les tribunaux français est importante au début du siècle ainsi que les essais
de théorisation de ce concept. Ce foisonnement intellectuel en matière d’abus a ainsi incité la première sous-commission de révision du Code
civil français à établir un rapport sur l’abus en 1905. En effet, cette commission s’est interrogée sur l’opportunité d’introduire l’abus comme un
principe d’ordre général dans le Titre préliminaire à la suite de l’article 6 du Code civil ou de limiter son application à l’article 1382 du Code
civil, sur le fondement duquel la jurisprudence s’était développée. Finalement, l’abus n’a pas été intégré en tant que principe général mais la
sous-commission en a établi une définition, dans l’exact prolongement de la tendance jurisprudentielle de l’époque. Selon elle, «un acte dont
l’effet ne peut être que de nuire à autrui, sans intérêt appréciable et légitime pour celui qui l’accomplit, ne peut jamais constituer l’exercice
licite d’un droit». V. Rapport de la première sous-commission de la commission de révision du Code civil, Bull. de la société d’études
législatives, 1905, p.325. Parallèlement à cette construction jurisprudentielle de l’abus, la doctrine s’est évertuée à élaborer ce que l’on a appelé
la théorie de l’abus des droits.

Page 42
INTRODUCTION

principale de l’article 103 du COC n’est autre que le droit musulman316 au travers des deux rites malékite et
hanafite317. Les bases de la notion musulmane de l’abus sont posées par les textes du Coran318 et la Sunna
du prophète Mohamed319. Reste que les lignes essentielles de la doctrine n’ont été édifiées qu’à partir du
XIe siècle de l’Hégire, et ce n’est qu’au cours des XIV et XVe siècles que l’ensemble du concept s’est,
quelque peu, consolidé et synthétisé 320.
La notion musulmane de l’abus, comme son homologue occidentale, a eu ses partisans321 et ses
adversaires322. Il y a eu une véritable lutte doctrinale323 entre les deux tendances dans l’interprétation du
droit, la tendance moralisatrice tempérée324 et la tendance absolutiste325. Cette lutte n’a toutefois pas abouti
à une théorisation de la notion d’abus en droit musulman dans la mesure où les jurisconsultes musulmans
n’ont appréhendé le concept d’abus qu’à l’occasion de l’interprétation du HADITH du prophète ou
l’analyse des versets coraniques326, sans pour autant chercher à établir une théorie générale de l’abus327.
Mais l’absence d’une théorisation de la notion n’empêche pas d’affirmer que l’abus a été fondé, en droit
musulman, sur le concept d’excès dans l’utilisation du droit328.

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.60 ‫ و‬59 ‫ ص‬،1983 ،‫ ن‬N ، 3 ‫ دار ا‬،8 SAJ‫ا ن ا‬
316
BEN AMMOU (N), Essai sur l’abus de droit à travers l’article 103 COC, mém. pré., p 8.
317
Ces deux rites ont soutenu l’idée d’après laquelle nul ne peut utiliser son droit dans le seul but de nuire aux tiers. V. à ce propos FATHI
(M), La théorie musulmane de l’abus de droit, th., Faculté de droit de Paris I, 1913, p 159.
.191 ‫ ص‬، +‫ ر‬4 AJ‫ ا‬، # ‫ ب ا‬O !Aq ،‫ د‬# ‫و ا‬ ‫ ا‬+ ‫ و‬KP+‫ ر‬$ : SAJ‫ ا‬#+ 3 ‫ ا‬،‫ ن (ران‬17 ‫(ران أ ا‬ -
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‫ اذا‬8N g ‫ ر‬# .‫ ر 'دوج‬# U N ‫ م‬+ SA ‫ ا‬#+ 3 ‫ و ا‬a / ‫ ا‬8G i!# ‫ ا ل ان ا‬0S ‫ ا < م و‬6+ 3$ M + ^ ‫ ا‬f/ ‫ك وا‬SK ‫ ع ا‬3 9K [O‫ و‬4 /! ‫ ا‬V/A‫ ا‬8G M ‫ ك‬$ G
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.315 ‫ ص‬،‫ ا داود‬M4A ; 251 ‫ ص‬،2008 ،6+‫ و ا ز‬34 ‫ وق‬3 ‫ دار ا‬،‫ ء‬F ‫ و ا‬6+ 3 ‫ وا‬a / ‫ ا‬8G a # ‫ ره وط‬# " ‫ ل ا‬# A‫ ا‬8G i!# ‫ ا‬،(1! ‫ا‬ N
320
FATHY (M), Op. cit., p 15, 16, 83, 107 et 127.
^ ‫ ا‬U ‫ و إ‬a < 0 U ‫! إ‬4 N / ‫! وا‬C " ‫ ا‬8G ‫ وا ا ] ّف‬G N ‫ة اﺟ‬ " ‫ ا‬U ‫وا ا‬ iّ!# ‫ ا‬+ 4 M+ ! ‫ ء ا‬K / ‫ ھ ان ا‬8 SA ‫ ا‬6+ 3 ‫ ا‬8G t<Sُ+ " 321
‫ ورد‬7‫ و‬.(71 ‫ د‬N + ‫ا‬، ‫ ن‬4 q ‫ رة ا‬A) " ‫ﱠ‬MKِ ِG M َ ‫ات َوا ْ رْ ضُ َو‬ َ َ ْ
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. #‫ا‬6 ‫ ة ] ا‬N‫ ا‬I‫اﺟ‬ ‫ ا< ا‬+ < V a < V # !+ ‫م ان‬SAJ‫ ا‬8G ‫ د‬/ H k D .(322 ‫ ص‬،1988 ، G # ‫ دار ا‬،8 d ‫ ا 'ء ا‬،‫ از‬9 ‫(ﷲ‬63 ‫ ح‬O ،‫ ت‬G‫ ب ا ا‬C
9ٍ ِ Nَ ‫ﷲ وﷲ‬ ‫َ َ ﱠ‬M ِ ٍ ‫ ﱠ‬0 َ ُ َ ْ 5َ Mٍ +ْ ‫َ أَوْ َد‬Kِ 80
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] k ‫ ذ‬U ‫ ا‬fN‫ اد اذا د‬G ‫ < ق ا‬M ‫ ا ازن‬t/< ‫ وﺟ ب‬U N i!# ‫ ا‬64 HA‫ أ‬k ‫ ن ا م‬G 8 SA ‫ ا‬6+ 3 ‫ ا‬8G ‫ دة‬# ‫ ا‬I‫اھ‬D ‫ ا‬M M H $ 8G 3 4 ‫و ھ ا‬
5 ‫ ر‬g a4N $ ‫ وع اذا‬3 5 " ‫ ل ا‬# A‫ ا‬#+ ، p .a ‫ أﺟ‬M ‫ي وﺟ‬D ‫" ا ^ ض ا‬ ‫ ل ا " ا‬# A‫ ز ا‬+ ، ‫ أو‬: ‫دئ‬ pSp U ‫ ة ا‬/ ‫ه ا‬D‫ ھ‬4 !$‫ و‬. N ‫ا‬
8G " ‫ ل ا‬# A‫ ا‬8G i!# ‫ ان ا< م ا‬kO M ‫ و‬. + $ ‫ ه‬$ ‫ا ا‬D‫ ھ‬H/ 8G 8/4 ‫ ا‬I‫ھ‬D ‫ ر ا‬A ‫ و‬. ^ ‫ ار‬gS #/4 U N ‫] ل‬ ‫ ل ا " ا‬# A‫! غ ا‬+ ، d p .‫ دي‬N
M ‫ا ا‬M 7 7S# ‫ ن ا‬G a N‫ و‬.8 ‫ن ا و‬ ‫ ت ورھ‬p $ d+ ‫ا‬ ^ ‫ ا‬M ‫ ان ا ا‬C ‫ ة‬0 # ‫ا‬ # ‫ ا‬M ‫ ا ] ر ا دي ا‬f ‫ و زا‬f C 8 SA ‫ ا‬6+ 3 ‫ا‬
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،8 d ‫ ا 'ء ا‬،‫ ف‬3 ‫! ا‬/$ ،‫ > ي‬M ‫ ا‬.121 ‫ ص‬،1991 ،8 # ‫ ا‬/ ‫ دار ا‬، d ‫ ا‬# L ‫ ا‬،8 d ‫ ا 'ء ا‬،‫ أ< م ا أن‬،‫ ص‬S ‫ ا‬: 6‫ُ اﺟ‬+ . N ‫ ا ﺟ‬/ ‫ ة ا ظ‬G U N 8 SA ‫ا‬
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; ‫ ^ اد‬،‫ د‬O‫ر‬J‫ ا‬# L ،8 SAJ‫ ا‬a / ‫ ا‬8G ‫ ل <" ا‬# A‫ ا‬8G i!# ‫ ا‬،‫ھ وي‬M ‫( ا‬S ‫( أ‬17D ; 8 ‫ د‬،9 ‫ دار ا‬،8 SAJ‫ ا‬a / ‫ ا‬8G # ‫ ت ا‬+ 4 ‫ ا‬،‫ ن ور < ن‬j3 % ‫ھ ة ; رأ‬
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323
FATHY (M), Op.cit. p 129 et s.
324
Dont les principaux représentants sont : Malek, Abou Hanifah, Abou Youssouf, Al Ghazaly, Mohamed Al Chaïbany, Al Djaou-ziah. V.
MILLIOT (L), Introduction à l’étude du droit musulman, Librairie du recueil Sirey, 1953, p 1 et s. (Introduction).
325
Avec comme représentant Al Chafey. V. ibidem.
8G i!# ‫ ا‬+ ،‫ وي‬P ‫ ( ا‬- ‫ ن‬12D .1983 ،‫ وق‬3 ‫ دار ا‬،‫ ن‬N ،8 SAJ‫ ا ن ا‬8G " ‫ ل ا‬# Az i!# ‫ ا‬+ 4 7 5 0 ،‫ر ء‬M ‫ ( ا‬0‫= أ‬FP : 6‫ُ اﺟ‬+ 326
‫ د‬$ ِ ‫ دار ا‬،‫ ا ھ ة‬، #+ 3 ‫ ا‬8G ‫ ل <" ا‬# A‫ إ‬8G i!# ‫ ا‬،‫ھ وي‬M ‫( ا‬S ‫( أ‬17D .1978 ،H O M N # ‫ ﺟ‬# L ،‫ ا ھ ة‬، ‫ر‬ A‫ درا‬L ! ‫ اف‬J‫ ا‬: L ! ‫ ل ا‬# A‫ا‬
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.1963 ، N ‫ﺟ‬J‫ م ا‬# ‫داب و ا‬x‫ ن و ا‬4/ ‫ ا‬+ N U N ‫ ا‬H ‫ ت ا‬N L
.26 ‫ ص‬،1993-1992 ،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬M ‫ ّج‬P$ A‫ ر‬،‫ق‬ iّ!# ‫ ة ا‬N 7 ،41< (17D , ‫ ھ‬P ‫ ا‬327
9+ $ ‫ ة‬G 8G ‫ ن‬+ SA ‫ ا‬#+ 3 ‫ ا‬8G " ‫ ل ا‬# A‫ ا‬8G i!# ‫ س ا‬A‫ أن ا‬# M KA A‫ ا‬U N ‫ ء ا ! ن‬K / ‫ ا‬i ‫ ا‬7‫ و‬،8 SA ‫ ا‬a / ‫ ا‬8G G‫ و‬# i!# ‫ ة ا‬G 328
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Page 43
INTRODUCTION

49- Etymologiquement, l’abus vient du latin « abusus » dont le préfix « ab » sert à souligner
l’excès dans l’usage329. Le petit Larousse définit cette notion comme étant « l’usage injustifié ou excessif
de quelque chose330 ». De même, le vocabulaire juridique « Cornu » conçoit l’abus comme «l’usage
excessif d’une prérogative »331. L’abus de droit évoque alors l’idée de dépassement des limites intrinsèques
dans l’exercice d’un droit. Autrement dit, « l’abus peut être considéré comme un dépassement du droit,
comme un excès dans l’utilisation du droit »332. Il s’agit d’une pure création jurisprudentielle, adoucissant
ce que peut avoir de trop abrupt l'adage latin « neminem laedit qui suo jure utitur »333. Le concept d’abus
permet de la sorte de remédier au dommage causé par l'exercice abusif d'un droit, par son titulaire, sans
intérêt pour lui-même et dans le seul dessein de nuire à autrui.
En puisant dans la littérature arabe, « abuser » signifie l’utilisation par l’être humain d’un droit lui
appartenant de manière illégale et illégitime334.
Pour donner à la notion d’abus un sens plus précis, il convient de se référer à la controverse
doctrinale suscitée par la théorie de l’abus des droits qui a suscité des débats passionnants entre partisans et
contradicteurs, en droit français.
Pour M. Planiol335, « la formule usage abusif des droits n’est qu’une logomachie »336. Elle est à
l’origine d’une incompatibilité flagrante337. En effet, « le droit cesse où l’abus commence ». Il déclare alors
qu’« il ne peut y avoir d’usage abusif d’un droit quelconque, pour la raison irréfutable qu’un seul et même
acte ne peut pas être, tout à la fois, conforme au droit et contraire au droit »338.
M. Josserand, tout en critiquant la thèse de Planiol339, considère que l’abus n’est autre que le
détournement que fait le titulaire de son droit. C'est-à-dire la méconnaissance de la finalité en vertu de

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31 +x‫ ا‬: M G ! ‫ ا‬I + a ‫ ا ا‬G !$ ‫ ا و‬O‫ وا‬C‫ )و‬U #$ ‫ ل‬7 ،a4 ‫ ون‬+' G ،‫ل‬S ‫ ام ا‬P A‫ ا‬8G ‫ ن‬G !+ ‫ س‬4 ‫ ا‬n# G ، ّ ‫ وز ا‬$ ‫ ه‬4# ‫ اف‬A ‫ وا‬،‫ اف‬A ‫ ا‬M 8$[$ K 3 ‫ا‬
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330
Petit Larousse, Ed. 2012, V. « abus », p 31.
331
CORNU (G), Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, P.U.F., Quadrige, 2003.
332
ESMEL-BERAUDY (P), De la spécificité de l’abus de droit en matière fiscale, Th., Université de Nice-Sophia Antipolis, 2000, n° 3, p. 2.
333
Ne saurait blesser autrui celui qui ne fait qu’user de son droit.
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.‫وت‬
335
« Planiol niait au nom de la logique l’existence de l’abus de droit. Le droit subjectif pierre d’angle des relations d’hommes juridiquement
égaux devant la loi se refuse à l’idée qu’un abus de droit puisse exister. Et, pourtant la jurisprudence civile admet la notion. Le droit public
s’est développé sur le plan des pouvoirs. Aussi n’est-il pas surprenant que l’administration qui a son propre juge, ait admis difficilement
l’abus de droit. Le détournement de pouvoirs permettait facilement au juge administratif l’exercice du contrôle des actes administratifs qu’il
cherchait par l’examen des buts administratifs. Mais la complexité de l’action administrative devait faire apparaître à la vie juridique la
notion d’abus de droit en facilitant au juge sa mission de contrôle. C’est qu’en effet si, comme le dit M. Louis Dubois, l’abus de droit et le
détournement de pouvoirs « ont une parenté », ils ne sont pas frères. L’abus de droit permet au juge de contrôler l’action administrative en
raison de ses caractères, de ses motifs et de son adéquation aux faits qui légitiment sa nécessité et cela aussi bien dans le contentieux de
l’annulation que dans celui de la responsabilité contractuelle ou quasi-délictuelle ». V. DESGRANGES (E), Préface de l’ouvrage de M.
DUBOIS (L), La théorie de l’abus de droit et la jurisprudence administrative, LGDJ, 1962.
336
Cité par COURTIEU (G), Droit à réparation, Abus de droit. Notion, Juris-classeur. Resp. civ., article 1382 à 1386, Fas. 131-1, n° 3, p. 4.
337
Certains auteurs comme Planiol rejettent la théorie de l’abus des droits en considérant qu’il est impossible de faire un usage excessif d’un
droit. En effet, la maxime « Neminem loedit qui suo jure utitur » implique que l’exercice d’un droit confère l’irresponsabilité.
338
PLANIOL (M), Traité élémentaire de droit civil, 1ère éd., T.I, 1900, n°871.
339
Josserand répondait à l’objection de Planiol en distinguant entre droits subjectifs et droit objectif. Ainsi, un acte peut être accompli dans les
limites du droit subjectif dont est investi son auteur, et en même temps, se heurter aux principes du système juridique dans sa généralité. Cette
vision est aujourd’hui critiquée par Monsieur le Professeur Ghestin. Selon lui, les droits subjectifs sont définis par le droit objectif et il est alors
difficile d’admettre une opposition entre les deux. Il propose donc de faire une distinction entre les limites « externes » et « internes » des
droits subjectifs. « Il y a d’abord ce que l’on pourrait appeler les limites « externes » du droit, certains pouvoirs décrits objectivement sont
accordés et d’autres refusés. (...). Mais il existe aussi des limites au droit que l’on peut qualifier d’internes. Les prérogatives accordées par la
loi à une personne ne sont pas absolues. Il y a une mesure à respecter dans leur exercice (...) ». V. GESTIN (J) et GOUBEAUX (G), Traité
de droit civil, introduction générale, Paris, LGDJ, 2 éd, 1982, n°696, p. 616.

Page 44
INTRODUCTION

laquelle le droit a été accordé340. Autrement dit, l’acte abusif est celui qui est « contraire au but de
l’institution, à son esprit ou à sa finalité341 ». Il souligne également le lien intime qui unit la théorie de
l’abus à celle plus générale de la responsabilité civile délictuelle342. En effet, d’après le même auteur,
l’abus implique la commission d’une faute343, consciente ou non et se ramène, de la sorte, à la notion
générique de délit ou de quasi-délit344.
D’autres auteurs345 ont soutenu le contraire en insistant sur le fait que la notion d’abus diffère
entièrement de celle de faute en ce qu’elle nécessite l’existence d’un droit, d’un pouvoir ou plus
généralement d’une prérogative juridique dont le titulaire en abusera ; alors que la faute consiste soit à
omettre ce dont on est tenu de faire, soit à faire ce dont à quoi on est tenu de s’abstenir346.
Dans cet ordre d’idées, le professeur Saleilles ajoute que l’abus consiste en une intention de nuire à
autrui par un exercice anormal de son droit, c'est-à-dire un exercice contraire à la destination économique
et sociale du droit subjectif347.
De son coté, le doyen Ripert348 estime que l’acte abusif est celui qui est pris principalement dans
l’intention de nuire à autrui349. Ainsi, d’après cet auteur, la notion d’abus de droit vient prohiber une
conduite qui, prima facie, est permise mais qui, in fine et toutes choses considérées, s’avère prohibée.

340
Cette conception finaliste de l’abus de droit s’apparente à la notion publiciste du détournement de pouvoirs. Cette dernière se définit comme
le fait, pour un agent administratif, d’exercer sa compétence dans un but autre que l’intérêt général ou, à tout le moins, dans un but différent de
celui en vue duquel il lui a été conféré. V. en ce sens, GHESTIN (J), GOUBEAUX (G) et FABRE-MAGNAN (M), Traité de droit civil.
Introduction générale, op. cit., n° 788 ; STARCK (B), ROLAND (H) et BOYER (L), Obligations. La responsabilité délictuelle, 5° éd., Litec,
1996, n° 371 ; CADIET (L), Rép. Civ. V° « abus de droit », 1992, spéc. n° 21, in fine ; GAUDEMET (Y), Rép. Contentieux administratif V°
« détournement de pouvoir et de procédure », 1989, spéc. n°1 ; CHAPUS (R), Droit administratif général, t. 1, 11° éd., Montchrestien, 1997,
n° 1245, VEDEL (G) et DELVOLVE (P), Droit administratif, t. 2, 12° éd., PUF, 1992, p. 331 et s.
341
Prônant la relativité des droits subjectifs, Josserand considère que ces derniers sont conférés dans le but de remplir une finalité sociale
particulière. Il y a abus de droit lorsque le titulaire de ce droit l’utilise pour d’autres fins que celles auxquelles il était destiné. La théorie de
l’abus de droit développée par Josserand présente un caractère fonctionnel et finaliste. Cette théorie invite à prendre en compte les mobiles.
Comme il le dit lui même, « il s’agit de rechercher le mobile auquel le titulaire du droit obéit, en l’occurrence, la fin qu’il s’est proposée
d’atteindre, et de confronter cette fin avec l’esprit, la fonction du droit en cause ; s’il y a concordance, le droit a été exercé normalement, donc
impunément ; s’il y a discordance, l’usage se révèle abusif et la responsabilité de l’agent est susceptible d’entrer en jeu ». Selon Josserand, il
faut que le titulaire du droit possède un motif légitime pour l’exercer. Ainsi, il place le motif légitime au cœur de la théorie de l’abus : « Le
motif légitime ! C’est bien là le criterium exact, définit, la pierre angulaire de toute la théorie de l’abus ». A contrario, il dresse un inventaire
des motifs illégitimes, variant selon la fonction dévolue aux différents droits. Ainsi, figurent parmi ces motifs illégitimes, la collusion, la fraude
à la loi, l’intention de nuire ou encore la mauvaise foi. V. JOSSERAND (L), Cours de droit civil positif français, 2ème éd., Sirey, 1933, T.II,
p.224. JOSSERAND (L), De l’abus des droits, Paris, 1905, p.57 ; JOSSERAND (L), de l’esprit des droits et de leur relativité, 2éme éd.,
1939, n° 292 ; PIROVANO (A), La fonction sociale des droits, Réflexions sur le destin des théories de Josserand, D. 1978, chr. XIII, p. 67.
342
JOSSERAND (L), De l’esprit des droits et de leur relativité : la théorie dite de l’abus de droit, DALLOZ, 2007, p 16.
343
De nombreux auteurs modernes voient d'ailleurs dans l’abus de droit la faute commise dans l’exercice d’un droit : CADIET (L) et LE
TOURNEAU (PH), Droit de la responsabilité, 4° éd., Dalloz, 1996, n° 3154 ; MAZEAUD (H), MAZEAUD (L), MAZEAUD (J) et
CHABAS (F), Leçons de droit civil, t. 2, 1er volume, op. cit., n° 458 ; MARTY (G) et RAYNAUD (P), Les obligations, op. cit., n° 478 ;
CARBONNIER (J), Droit civil, t. 4, op. cit., n° 225 ; plus nuancés, TERRE (F), SIMLER (PH) et LEQUETTE (Y), Droit civil. Les
obligations, op. cit., n° 711 et s. ; SERIAUX (A), Droit des obligations, 2° éd., PUF, 1998, n° 105 ; ANCEL (P), Critères et sanctions de l'abus
de droit en matière contractuelle, cah. dr. entr. 6/1998 p. 30.
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344
En appliquant cette doctrine, l’abus de droit ne se détachera pas de la notion de faute telle que conçue par l’article 82 COC et 1382 CCF. En
effet, de manière générale les juges français visent dans leurs décisions la démonstration de l’existence d’une faute, un préjudice et un lien de
causalité entre les deux. Les sanctions de l’abus sont donc soit une réparation en équivalent avec l’octroi de dommages-intérêts, soit une
réparation en nature, les juges ordonnant les mesures propres à supprimer le dommage. Dans cet ordre d’idée, la définition de la faute adoptée
par les juges est très extensive. L’intention de nuire n’est plus le seul critère. Les magistrats retiennent l’abus de droit aussi bien lorsque le droit
n’est pas exercé conformément à sa fonction sociale que lorsque l’exercice du droit par son titulaire reflète une erreur de conduite grave,
l’absence de motifs sérieux, ou encore une faute légère. Ce lien étroit entre abus et responsabilité civile délictuelle invite à distinguer l’abus de
droit de deux autres notions. D’une part, l’abus de droit diffère du défaut de droit. Le défaut de droit présuppose qu’un individu accomplit un
acte en dehors de toute prérogative légale. Ce dernier est donc sanctionné même en l’absence de préjudice causé à autrui. D’autre part, l’abus
diffère de l’excès dans l’exercice d’un droit. L’illustration significative de l’excès est celle des troubles du voisinage. Développée tout d’abord
sur le fondement de l’abus, la responsabilité pour troubles de voisinage est actuellement une responsabilité objective et autonome qui ne
nécessite pas la démonstration d’une faute. Ainsi, seul le préjudice compte, au contraire de l’abus de droit, il n’est pas nécessaire de relever une
faute dans l’exercice d’un droit.
345
MAZEAUD (L) et TUNC (A), Traité pratique et théorique de la responsabilité civile, T1, 6éme éd., MONTCHRESTIEN, n°564. De son
coté, le juge tunisien semble parfois négliger la différence entre la faute et l’abus. En effet pour réparer le dommage résultant de l’abus, la cour
de cassation a appliqué les règles de la responsabilité délictuelle telles que prévues par l’article 82 COC. V. à ce propos Cass. Civ., n° 5876, 4-
3-67, RJL, 1969, p. 665.
346
V. art 82 et 83 COC.
347
V. SALEILLES (R), Etude sur la théorie générale de l’obligation d’après le premier projet du code civil pour l’empire Allemand, 3éme
éd., L.G.D.J., 1925.
348
La conception de Ripert est beaucoup plus restrictive que celle de Josserand. Il ne remet pas en cause l’absolutisme des droits subjectifs et
adopte une vision morale et individualiste de l’abus. D’après cet auteur, l’exercice d’un droit par son titulaire ne doit pas constituer un
manquement à son devoir moral. Ce manquement est constaté lorsqu’il use de son droit avec une intention de nuire. Ripert en conclut ainsi que
« l’absolutisme du droit individuel n’a rien de condamnable en soi car il n’est que la traduction juridique du désir légitime de puissance et de

Page 45
INTRODUCTION

Aussi le professeur Desserteaux pense que l'abus de droit consiste à léser un autre droit également
respectable, et mériterait en bonne terminologie d'être appelé le « conflit de droits ». Par conséquent, il est
aisé de faire la différence entre l'acte licite, l'acte illicite et l'acte abusif. L'acte licite est celui qui est
accompli dans l'exercice d'un droit et qui ne lèse aucun autre droit ; l'acte illicite est celui qui n'est pas
accompli dans l'exercice d'un droit et qui lèse un droit ; quant à l'acte abusif, c'est celui qui est accompli
dans l'exercice d'un droit et qui lèse un droit350.
En somme, il semble y avoir un consensus sur la définition fonctionnelle de l’abus de droit comme
étant un agissement qui consiste à exercer son droit sans intérêt pour soi-même et dans le seul dessein de
nuire à autrui, ou, suivant un autre critère, à l’exercer en méconnaissance de ses devoirs sociaux351.
L’accord existe donc sur les buts de l’abus de droit mais pas sur ses fondements et on peut dire avec un
auteur que « les controverses sur la notion et le critère de l’abus de droit, qui furent, au début du siècle,
d’une rare vivacité ne sont pas éteintes, ou du moins n’ont pas abouti à une construction qui fasse l’accord
de tous352 ». Le professeur Philippe Jestaz affirmait aussi que « la controverse existe toujours : il en ira
ainsi par nature même, tant qu’il y aura des juristes »353.
50- Au-delà de cette controverse doctrinale, entraînant certaines difficultés mais aussi une
richesse théorique manifeste, chose est sûre « la qualification d’abus vient surprendre l’ordre serein des
principes classiques. Là, où depuis bientôt deux siècles ceux-ci auraient commandé que le droit soit, l’abus
vient ordonner qu’il cède »354. Pareille acception de la notion d’abus semble être plus ou moins paradoxale
car, en principe, une prérogative, un droit ou un pouvoir est ou n’est pas. S’il est, on a alors le droit ou le
pouvoir de l’exercer pleinement et totalement sans réserve aucune. Il ne saurait être question qu’un tel
exercice soit abusif, car dire qu’on en abuse revient à le dénier purement et simplement355. C’est bien là la
conception manichéenne du droit à plein exercice à laquelle adhérent les législations anglo-saxonnes et
américaines. D’où le caractère tatillonne et profondément méticuleux, notamment de la législation

liberté. Ce qu’il faut seulement demander au droit objectif c’est de réfréner le désir de nuire ou même l’indifférence absolue devant l’intérêt
d’autrui. La puissance ne doit pas être malfaisante. Dès lors qu’on enlève à la théorie de l’abus des droits son fondement moral, on tombe
dans les plus dangereuses fantaisies de la contrainte sociale »348. V. RIPERT (G), Abus ou relativité des droits, Rev. critique de jurisprudence
et législation, 1929, p.33 et s ; RIPERT (G), La règle morale dans les obligations civiles, LGDJ, 4 éd, 1949, p 183, n°93.
349
Même si l’abus de droit a fait l’objet de multiples débats, les auteurs s’accordent à reconnaître que pour particulariser cette notion, il faut
réunir plusieurs éléments constitutifs indispensables. En premier lieu, l’abus de droit ne peut concerner que l’utilisation d’un droit subjectif
régulier. En second lieu, l’action qualifiée d’abus doit avoir pour effet de provoquer un dommage. Enfin, il doit exister une limite qu’on peut
déceler à l’intérieur du droit exercé et qui permet de critiquer ou interdire la conduite envisagée sur le fondement de l’abus de droit. Le droit
subjectif est la condition préalable et existentielle de la présence d’un abus. Il est généralement décrit comme une prérogative accordée à un
individu. Le droit subjectif est caractérisé par une relation entre un détenteur et un destinataire d’une permission. L’exercice de la permission
peut causer un préjudice, généralement, au destinataire. Apparaît alors toute la subtilité de l’abus de droit que certains ont pu dénoncer à
l’instar de Planiol, pour qui, celui qui use de son droit ne peut faire de tort à personne de sorte que le droit cesse où l’abus commence, et il ne
peut y avoir usage abusif d’un droit quelconque parce qu’un même acte ne peut pas être tout à la fois conforme et contraire au droit. En réalité,
l’abus de droit se distingue de l’acte accompli sans droit. L’abus de droit consiste à agir à l’intérieur de son droit mais de manière contestable,
entraînant de la sorte un dommage. C’est l’exercice tout à fait régulier d’un droit qui paradoxalement provoquera un dommage. En
conséquence, il conviendra de rechercher la présence de l’abus dans la conduite. Le dépassement des limites internes de la permission a déchiré
la doctrine. En effet, à partir de quels critères peut-on admettre qu’une personne a dépassé les limites internes de son droit ? Plus simplement
dit, à partir de quel stade l’usage convenable d’un droit devient-il abusif ? L’appréhension des limites internes du droit est envisagée en trois
critères. Certains auteurs reconnaissent uniquement la validité du critère subjectif qui se réfère à l’« abuseur ». Ainsi on dira que ce dernier a
abusé de son droit si on peut déceler une certaine intention de nuire, une absence de mobile légitime ou d’intérêt dans l’exercice du droit.
D’autres ont montré la pertinence du critère objectif qui se traduit, par exemple, par un exercice anormal du droit ou un acte excessif. Enfin,
des critères mixtes ont été soutenus. L’abus de droit est alors l’acte contraire à la finalité assignée par le créateur du droit, à la finalité sociale
du droit ou à la morale. Par conséquent, une certaine diversité concourt à une impression de flou dans les limites inhérentes à un droit.
Pourtant, il semble que ces divers critères peuvent être regroupés en trois propositions. On peut, en effet, considérer qu’un droit sera dépassé
lorsque son exercice s’avère anormal eu égard à ce qu’on pouvait attendre d’un sujet raisonnable ou non malveillant. Une limite sera également
franchie lorsque l’acte se trouve disproportionné au regard des intérêts en présence ou au caractère excessif de l’acte. Enfin, une autre limite
peut être trouvée dans le détournement des finalités du droit concerné. Il convient de préciser que ces critères sont alternatifs et non cumulatifs.
Dès qu’une seule de ces limites est franchie, le dépassement de la conduite convenable peut être discuté sur le fondement de l’abus de droit. Un
abus de droit est donc le dépassement des limites d’une permission d’agir ou de s’abstenir entraînant un préjudice en raison d’une conduite
anormale, disproportionnée ou contraire aux finalités du droit en question. Cette définition large et théorique de l’abus de droit constitue une
base au service de notre réflexion consistant à montrer que la notion peut servir de guide interprétatif lors d’une conduite controversée. V.
concernant la définition de l’abus de droit : ALEXY (R), A theory of constitutional rights, O.U.P., 2002, p. 111 et s ; PLANIOL (M), Traité
pratique de droit civil, t. 2, L.G.D.J., 1953, n° 909 ; JOSSERAND (L), Op. Cit., p. 333; SHAUER (F), Can Rights be Abused ?, Philosophical
Quaterly, vol. 31, 1981, p. 225.
350
DESSERTEAUX (M), Abus de droits ou conflit de droits, RTDC, 1906, p. 124.
351
GAIN (M-O), Essai sur l’abus de droit, Th., Lille, 1991, p 4.
352
LE TOURNEAU (PH), Responsabilité civile, 3ème éd., DALLOZ, Paris, 1982, p. 623, n° 1941.
353
JESTAZ (PH), Déclin de la doctrine, Droits, n° 20, 1994, p. 91.
354
STOEFFEL-MUNC (P), L’abus dans le contrat, LGDJ, 2000, p 1.
355
PLANIOL (M), Traité élémentaire de droit civil, T. II, LGDJ, 1932, n° 871.

Page 46
INTRODUCTION

américaine en vue de se protéger contre tous les agissements anormaux356. C’est tout simplement
l’application de la sacro-sainte règle selon laquelle ce qui n’est pas interdit est forcément permis.
Telle ne semble pas être la position du droit positif tunisien et français qui se sont alliés à la
conception doctrinale disant que ce qui n’est pas interdit n’est pas forcément permis357. En effet, admettre
l’existence de droits subjectifs, ce n’est nullement prendre parti pour une doctrine d’individualisme, encore
moins légitimer un exercice abusif ou antisocial du droit subjectif. Il n’y a rien de contradictoire, semble-t-
il, ni dans l’idée de socialisation du droit subjectif, ni dans celle d’une autonomie limitée selon les
exigences de la vie sociale358.
Sans être définitivement clos359, le débat quant au concept d’abus de droit semble actuellement, en
droit comparé, quitter le cadre des principes et se concentrer plutôt sur les cas particuliers d’application de
la théorie360. On peut déceler la même tendance chez le législateur. Ce dernier, faisant de l’abus de droit
«un mécanisme correcteur, une soupape de sûreté »361 contre l’usage abusif des droits, a tenté de
l’introduire dans la majorité des branches juridiques et de l’extraire du carcan du « droit subjectif ».
51- Certes, nul n’ignore que l’abus a « conquis ses lettres de noblesse en matière civile362 ». Les
exemples sont particulièrement convaincants dans le domaine de la propriété immobilière. Mais, si la
matière civile constitue le fief de l’abus, celui-ci n'est pas absent des autres disciplines du droit privé. Bien
au contraire, il intervient de manière générale dans la vie des affaires et, comme en matière civile, il permet
de réguler et corriger des "excès manifestes". Ceux-ci, comme en témoigne la jurisprudence, peuvent
revêtir des formes très diverses : rupture abusive des pourparlers, abus dans la résiliation d’une convention,
rupture brutale d'une période d'essai, abus dans la fixation du prix dans un contrat cadre, abus dans la
révocation des dirigeants, abus de majorité, abus de minorité …
Manifestement, la notion d’abus a fait tache d’huile en droit privé363. Elle a été consacrée, en droit
civil, dans l’article 103 C.O.C. qui prévoit qu’« il n’y a pas lieu à responsabilité civile lorsqu’une
personne, sans intention de nuire, a fait ce qu’elle avait le droit de faire. Cependant, lorsque l’exercice de
ce droit est de nature à causer un dommage notable à autrui et que ce dommage peut être évité ou
supprimé, sans inconvénient grave pour l’ayant droit, il y a lieu à responsabilité civile si on n’a pas fait ce
qu’il fallait pour le prévenir ou pour le faire cesser »364.
De même, le concept d’abus trouve écho en droit pénal à travers la notion d’abus de confiance365. A
son tour, le droit commercial, et plus précisément le droit des sociétés, a fait référence à l’abus de droit
pour réprimer les agissements illicites des majoritaires et à l’abus de confiance pour incriminer les abus des
dirigeants. Seulement, les limites de ces deux notions orthodoxes de l’abus ont été aussitôt dénoncées par la
doctrine366 qui a prôné l’application d’une notion d’abus autonome au droit des sociétés. D’où l’apparition
des théories de l’abus du droit de vote367 et l’abus des biens, du crédit, des pouvoirs ou des voix368 qui
tiennent parfaitement compte des spécificités du droit des sociétés369.

356
V. à ce propos DELABRE (S), Common Law : introduction au droit anglais et au droit américain, DALLOZ, 2004 ; LEVASSEUR (A-A),
Le droit américain, DALLOZ, 2004 ; TUNC (A), Le droit américain des sociétés anonymes, ECONOMICA, Paris, 1985 ; SEROUSSI (R),
Introduction aux droits anglais et américain, DUNOD, 2007.
357
BARTELEMY (J), COULON (N), EGAL (J), GUIGOU (H), HARDOUIN (M), DEMELLO (X), PETITEAU (G) et SEURAT (P),
Le droit des groupes des sociétés, édition Dalloz, 1991, n° 9588, p 376.
358
DABIN (J), Le droit subjectif, Dalloz, 1952, p 53 et s.
359
GESTIN (J) et GOUBEAUX (G), Traité de droit civil, introduction générale, op.cit., n° 693, p. 613.
360
COURTIEU (G), Droit à réparation, Abus de droit. Notion, op.cit., n° 6, p. 4.
361
PIROVANO (A), La fonction sociale des droits : réflexions sur le destin des théories de Josserand, op.cit., p. 67.
362
MESTRE (J), L'abus de droit dans la vie des affaires : propos introductifs, Droit et patrimoine, juin 2000, n° 83, p. 39.
A ‫ أل ا‬D .835 ‫ ص‬،‫ وت‬،8 # ‫ دار إ< ء ا اث ا‬،‫ ا 'ء ا ول‬،‫ ] در ا 'ام‬،‫ م‬N a‫ ا 'ام ﺟ‬+ ،8 ‫ ح ا ن ا‬O 8G h A ‫ ا‬، ‫ ري‬EA! ‫( ا زاق ا‬63 363
.11 ‫ و‬10 ‫ ص‬، CD ‫ ا‬A ‫ ة‬CD ، ‫ ا دة ا‬8G " ‫ ل ا‬# A‫ ا‬8G i!# ‫ زﺟ ا‬، >1N F ‫ا‬
364
Ce texte a puisé ses sources dans les article 77 et 78 du projet préliminaire du code civil et commercial de 1897. En effet, l’article
77 disposait qu’ « il n’ya pas lieu à indemnité lorsqu’une personne sans intention de nuire a fait ce qu’elle avait le droit de faire ». Aussi
l’article 78 énoncait ce qui suit : « mais nul ne peut faire usage de son droit de manière à nuire à autrui, même sans intention, lorsque ce
préjudice peut être prévu ou supprimé ». Il convient aussi de compléter l’article 103 COC par son homologue 52 du même code qui dispose
que « la crainte inspirée par la menace d'exercer des poursuites ou d'autres voies de droit ne peut donner ouverture à la rescision que si on a
abusé de la position de la partie menacée pour lui extorquer des avantages excessifs ou indus à moins que ces menaces ne soient
accompagnées de faits constituant une violence, au sens de l'article précédent ».
365
V. art. 297 CP.
366
BEN NASR (T), Le contrôle du fonctionnement des sociétés anonymes, EDITIONS 2000, 1994, p 147 ; BEJOT (M), La protection des
actionnaires externes dans les groupes de sociétés en France et en Allemagne, Etablissements Emile Bruylant, Bruxelles, 1976, p 154 ;
SHMIDT (D), Les droits de la minorité dans les sociétés anonymes, Bibliothèque du droit commercial, Sirey, Paris, 1970, p 176.
367
V. art. 290 CSC pour la SA.
368
Ces abus étaient réprimés par les articles 86 CC pour la SA et 169 CC pour la SARL qui ont été abrogés et remplacés respectivement par les
articles 223 CSC pour la SA et 146 CSC pour la SARL et 158 pour la SUARL. V. ABBESSADOK (R), La SUARL, RJL, n° 8, Octobre 2001,

Page 47
INTRODUCTION

Parallèlement à l’envahissement du droit privé par la notion d’abus370, le droit public, a priori
réticent, a été également marqué par la même notion371. Le droit communautaire est également en voie de
consacrer l’abus de droit comme un principe général372. De même, l’abus des libertés est présent dans la
Convention européenne des droits de l’homme ainsi que dans la Charte des droits fondamentaux de
l’Union européenne sous forme d’interdiction formelle373.
La diffusion de la notion d'abus, dans tous les domaines juridiques374, semble confirmer une prise
de conscience, chez les magistrats et le législateur, de ce que l'application mécanique de la règle de droit
peut ne pas être conforme à l'idée de justice375.

p 147 ; DEROUICHE (I), La SUARL, RJL, n° 8, Octobre 2002, p 29 ; GUIGA (J), L’évolution de la SUARL, RJL, n° 2, fervrier 1998, p 9.
L’abus des biens et du crédit sociaux a été prévu également pour le liquidateur par l’article 51 CSC.
، +‫ ت ا ر‬C 3 ّ # ‫ ا‬9 ‫ ا ا‬، N ّ 2 ‫ م ا‬$ .2004 ،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬،‫ ّج‬P$ A‫ ر‬، C 3 ‫ ل أ ال ا‬# A‫ ا‬8G i!# ‫ ا‬، D , ‫ ر‬: 6‫ُ اﺟ‬+ [! ‫ه ا‬D‫] ص ھ‬P
.2005 ،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬،‫ ّج‬P$ A‫ ر‬، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ّ ا‬8G ‫ب‬D ‫ ا‬9 ‫ ﺟ ا‬،‫(ارة‬1 ‫ " در‬.1999 ،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬،‫ ّج‬P$ A‫ر‬
369
Il convient de rappeler que la notion d’abus de droit est souvent absente des textes constitutionnels, tel est le cas de la constitution
tunisienne où aucun article ne fait référence au vocable abus. Seul l’abus des libertés figure dans quelques Constitutions sous forme
d’interdiction générale. On retrouve, par contre, la notion d’abus de droit dans certaines constitutions. Par exemple, l’article 25 de la
Constitution hellénique dispose que « les droits de l’homme, en tant qu’individu et en tant que membre du corps social, sont placés sous la
garantie de l’Etat, tous les organes de celui-ci étant obligés d’en assurer le libre exercice. La reconnaissance et la protection par la
République des droits fondamentaux et imprescriptibles de l’homme visent à la réalisation du progrès social dans la liberté et la justice.
L’exercice abusif d’un droit n’est pas permis. L’Etat a le droit de la part de tous les citoyens l’accomplissement de leur devoir de solidarité
sociale et nationale ». L’interdiction peut concerner aussi l’abus des libertés comme dans l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen qui énonce que « tout citoyen peut parler, écrire, imprimer librement sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas
déterminés par la loi ». De même, l’article 54 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne interdit l’abus de droit en ces
termes : « aucune des dispositions de la présente charte ne doit être interprétée comme impliquant un droit quelconque de se livrer à une
activité ou d’accomplir un acte visant à la destruction des droits ou libertés reconnus dans la présente Charte ou à des limitations plus amples
des droits et libertés que celles qui sont prévues dans la présente Charte ».
370
VOYAME (J), COTTIER (B) et ROCHA (B), L’abus de droit en droit comparé, In L’abus de droit et les concepts équivalents : principes
et applications actuelles, Actes du 19ème colloque de droit européen, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 1990, p. 23. Pour un échantillon
important de pays : Dir. ROTONDI (M), L’abus de droit, Padova, CEDAM, 1979 ; MARKOVITCH (M), La théorie de l’abus des droits en
droit comparé, Librairie générale de droit, Paris, 1936.
371
En droit administratif, l’introduction de la notion d’abus de droit est l’œuvre du juge VIGNAUD qui considère qu’« il n’est guère de
théories qui ne semblent mieux s’allier à celle d’abus de droit que le détournement de pouvoir élaboré par la jurisprudence administrative ».
L’auteur y voit notamment l’application de la même notion à deux branches de droit différentes. VIGNAUD (G), L’abus de droit en matière
fiscale, Th., Bordeaux, 1981, p. 11. Aussi, le doyen HAURIOU qui refusait toute assimilation entre l’abus de droit et le détournement de
pouvoir a fini par relativiser ses propos et admettre l’existence de liens entre les deux notions. V. ESMEL-BERAUDY (P), De la spécificité
de l’abus de droit en matière fiscale, op.cit., n° 11, p. 7. Cf. notamment : HAURIOU (M), note ss C.E. 27 février 1903, «Olivier et
Zimmermann », S. 1905, 3, 17, Jur. Adm., I, p.552 ; LAPARRE (E), La théorie de l’abus du droit et la théorie du détournement de pouvoir,
th., Paris, 1913, p. 81. BONNARD, note ss C.E. 29 novembre 1929, «Compagnie des mines de Siguiri », S. 30, 3, 17 ; CHATELAIN (J),
Contribution à l’étude de la notion d’abus des droits dans le contentieux administratif, th., Paris,1945 ; CORNU (G), Etude comparée de la
responsabilité délictuelle en droit privé et en droit public, th., 1949, p.151 ; DUBOUIS (L), La théorie de l’abus de droit et la jurisprudence
administrative, th., Paris, 1962. GOY (R), L’abus de droit en droit administratif français, R.D.P.1962, p. 5 ; MARTINEZ USEROS (E), La
doctrina del abuso del derecho y el orden juridico administrativo, Reus, Madrid, 1947. L’abus de droit a également pénétré le droit
international public, il y a suscité d’importantes études. POLITIS (M), Le problème de la limitation de la souveraineté et la théorie de l’abus
de droit dans les rapports internationaux, RCADI, 1925, I, p 5 ; KISS (A-C), L’abus de droit en droit international, Th., Paris, 1952.
.1998 ،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬،‫ ّج‬P$ A‫ ر‬،1996 ‫ ن ﺟ ان‬7 8G L ! ‫ وز ا‬$ ‫ ى‬N‫ د‬، 23 # P ‫ ا‬, ‫ د‬3 : 6‫ُ اﺟ‬+
372
En ce sens : SIMON (D), Le système juridique communautaire, 3ème éd., P.U.F., 2001. Pour cet auteur, certains principes généraux « ne
font l’objet que d’une réception prudente, tout en étant formulés d’une manière qui laisse augurer de leur consécration prochaine, comme par
exemple le principe de sanction de l’abus de droit communautaire ». V. aussi NOBLET (A), La lutte contre le contournement des droits
nationaux en droit communautaire. Contribution à l’étude de l’abus de droit communautaire, Th., Rouen, 2004 ; LAGONDET (F), L’abus de
droit dans la jurisprudence communautaire, J.T.D.E., 2003, n° 95, p.8 ; KJELLGREN (A), On the Border of abuse, The Jurisprudence of the
European Court of Justice on Circumvention, Fraud and Other Misuse of Community Law, European Business Law review, 2000, p.179 ;
KARAYANNIS (V), L’abus de droit découlant de l’ordre juridique communautaire, C.D.E., 1999, n° 56, p. 521. GESTRI (M), Abuso del
diritto e frode alla legge nell’ordinamento comunitario, Milano, Giuffre, 2003, p 265.
373
V. Articles 17 de la C.E.D.H et 54 de la C.E.D.F.
374
Concernant l’envahissement de tous les domaines juridiques par le concept d’abus : V. TRIANTA-FYLLOU (D), L'interdiction des abus
de droit en tant que principe général du droit communautaire, Cahiers de droit européen, n° 5-6, 2002, p. 611-63 ; ARCHAMBAULT (A-L),
Un professionnel libéral (architecte) exerçant une activité civile peut entretenir une relation commerciale établie, La Semaine juridique, édition
générale, n°8, 18 février 2009, Jurisprudence, n° 10034, p. 33 à 36, à propos de la chambre commerciale, 16 décembre 2008 ; AVENA-
ROBARDET (V), Clause abusive : contrat de prêt immobilier, Recueil Dalloz, n° 1, 8 janvier 2009, Actualité jurisprudentielle, p. 16, note à
propos de 1re Civ. - 27 novembre 2008 ; BOIZARD (M), L'abus de minorité, Rev. Soc. 1988, 365 ; BRICKS (H), Les clauses abusives, th.
Montpellier, LGDJ, 1982 ; CALAIS-AULNOY (J), Droit de la consommation, Précis Dalloz, 1980 ; CALAIS-AULNOY (J), L'ordonnance
du 1er décembre 1986 et les consommateurs, D. 1987, Chr. 137 ; CHAZAL (J-P), Note sous Com., 23 novembre 1999, Semaine juridique,
2000, n 22, p. 1030. Chevrier (E), Affaire Glaxo : prédation par acquisition d’une réputation, Recueil Dalloz, n° 13, 2 avril 2009, Actualité
jurisprudentielle, p 867-868, note, à propos de Com. - 17 mars 2009 ; DECHERY (J-L), Le règlement communautaire sur le contrôle des
concentrations, Rev. Trim. Dr. Europ. 1990, 307 ; DELEBECQUE (PH), note sous Cass. civ., I, JCP, 1990, 21534 ; GERMAIN (M), L'abus
du droit de majorité, Gaz. Pal. 1977, 157 ; LEGROS (J-P), La nullité des décisions de sociétés, Rev. Soc. 1991, 297 ; MESTRE (J), note sous
Cass. civ. I, Rev. Trim. Dr. Civ. 1990, 277. MOUSSERON (J-M) ET SELINSKY (V), Le nouveau droit français de la concurrence, Litec,
1997 ; MÜLLER (E), L'abus de position dominante, Gaz. Pal. 1991, 10-11 juil. p. 2 ; PAISANT (G), "La notion de consommateur protégé
contre les clauses abusives", note sous Civ., 1ère, 5 mars 2002, Bulletin 2002, I, n° 78, p. 60, Sem. jur., E. G, n° 31-35, 30 juillet 2002, Etude, I
1157, p. 1459-1461 ; PICARD (J), Les clauses d'exonération de garantie dans les contrats de vente d'immeuble, JCP 1976 ed. N, I, 2797 ;
RIVES-LANGE (J-L), L'abus du droit de majorité, Rev. jur. com. n° spec., nov. 1991, 65 ; SERRA (Y), Le droit français de la concurrence,

Page 48
INTRODUCTION

52- La théorie de l’abus de droit a ainsi connu un accroissement durable et continu avec un assez
grand succès en jurisprudence. Envisagée au début dans le cadre de la responsabilité civile, comme un
moyen pour combattre l’intention de nuire, cette notion a étendu lentement son domaine jusqu’à embrasser
l’exercice de tous les droits, les pouvoirs376, les prérogatives377 et même certains faits juridiques378.
Actuellement, il n’existe pas de distinction en droit positif entre abus de droit et abus ... d’autre chose. La
jurisprudence et la doctrine emploient indifféremment les deux expressions « abus » et « abus de droit »,
même s’agissant de simples libertés379. Cette notion a aussi envahi toute la matière du droit privé et du
droit public pour devenir un principe général de la réglementation juridique. Ce phénomène d’abus a fait
l’objet de systématisation. Il est devenu, en fin de compte, l’une des théories classiques du droit privé,
avant de s’élever au rang de théorie générale du Droit380.

Le constat actuel est que la notion d’abus a envahi presque toutes les branches du droit381. C’est le
cas, par exemple, du droit des contrats382, du droit de la famille383, du droit du travail384, du droit de la
concurrence385, du droit boursier386, du droit fiscal387…Qu’en est-il alors du droit de la concentration388 ?
Cette diversité du domaine d’application et surtout cette multiplicité des sources juridiques compliquent
singulièrement l’étude. L’intervention de l’abus dans des branches très différentes du droit privé annonce la
difficulté d’en dégager une signification ou un régime unitaire de l’abus au sein de la concentration.

ed. Dalloz ; STARCK (B), Observations sur le régime juridique des clauses de non-responsabilité et limitatives de non-responsabilité, D. S.
1974, Chr. 157.
375
BARBIERI (J-F), Morale et droit des sociétés, LPA, 07 juin 1995 n° 68, P. 13.
376
Le pouvoir se définit comme l’ « aptitude d’origine légale, judiciaire ou conventionnelle à exercer les droits d’autrui (personne physique
ou morale) et à agir pour le compte de cette personne dans les limites de l’investiture reçue (pouvoir d’administrer, de disposer, etc...) qui
correspond en général, pour celui qui l’exerce, non seulement à un droit d’agir qui fonde son intervention (et rend l’acte accompli par lui
obligatoire pour le représenté) mais à une mission (emportant soit obligation d’agir, soit au moins devoir de diligence), avec faculté
d’appréciation ». CORNU (G), Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, 2012, V° « Pouvoir ». Le pouvoir peut avoir deux sources :
il s’agirait d’une situation de supériorité de fait (le plus souvent d’origine économique, issue par exemple d’une dépendance économique,
comme dans le cadre concurrentiel) ou de droit, c’est-à-dire prévue par la loi (par exemple dans le cadre de l’autorité parentale) ou encore par
la loi des parties, c’est-à-dire une stipulation contractuelle (comme dans le cas de la clause d’exclusivité, mais aussi de la clause résolutoire).
Une relation peut également se constituer sous l’égide des deux types de pouvoirs conjugués, comme dans les rapports entre salarié et
employeur, ce dernier disposant de plusieurs pouvoirs juridiques et d’un évident pouvoir économique sur le salarié, particulièrement en période
de chômage. V. COUTURIER (G), Les relations entre employeurs et salariés en droit français, la protection de la partie faible dans les
rapports contractuels, comparaisons franco-belges, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, T. 261, 1966, p 143 ; JACOTOT (D) et BOURRIER
(C), L’art de détourner la règle de droit : l’usage abusif de la période d’essai dans un contrat à durée indéterminée, D. 1996, chron. p. 343.
377
Le droit positif démontre que le débat initial sur la possibilité d’admettre dans une même expression les mots abus et droit est dépassé,
puisque le droit (objectif cette fois) sanctionne l’abus « tout court ». Même s’il ne l’admet pas de façon généralisée, le droit tunisien et français
acceptent la sanction de comportements ou actes éparpillés, non parce qu’il y a abus de droit, mais simplement parce qu’il y a un abus, quel
que soit l’élément préexistant dont l’auteur a abusé. Dès lors, la conception restrictive originelle de l’abus ne peut que souffrir d’une telle
évolution, ce qui se répercute directement sur le critère.
378
Les abus de domination en droit de la concurrence. V. infra, n° 182.
379
MORACCHINI-ZEIDENBERG (S), L’abus dans les relations de droit privé, Presses Universitaires D’Aix-Marseille, 2004, p. 244.
380
BERGEL (J-L), Théorie générale du droit, 4ème éd., Dalloz, Paris 2003, p. 276, n° 241 ; RIPERT (G), La règle morale dans les
obligations civiles, LGDJ, Paris 1949, p 159, n° 89.
381
Il en résulte certainement un risque d’expansion incontrôlée et une menace de fragilisation du droit, particulièrement dans le domaine du
contrat où il peut être abusé de l’ensemble des facultés contractuelles. V. à ce propos : CATHIARD (A), L’abus dans les contrats conclus entre
professionnels : l’apport de l’analyse économique du contrat, Presses Universitaire d’Aix-Marseille, 2006, p 16, n° 2.
.66 ‫ ص‬،2012 ،H A ! ‫ م ا‬# ‫ ا ق و ا‬C ،‫ راه‬C‫ أط و< د‬، + 7 # ‫ ا دة ا‬8G 4 ‫ ا‬M!< ، 7 6 ‫ا‬ : F+‫ أ‬6‫ُ اﺟ‬+
382
Appréhendé du point de vue du contrat, l’abus « se retrouve aussi bien au stade précontractuel (dans la rupture des pourparlers), au stade
de la formation du contrat, que ce soit dans sa conclusion ou dans son contenu (clauses abusives), au stade de l’exécution du contrat (dans la
fixation unilatérale du prix), au moment de sa rupture (abus dans la résiliation), ou encore lors d’une phase que l’on pourrait qualifier de
post-contractuelle, celle relative à un éventuel litige lié au contrat (procédure abusive) ». V. MORACCHINI-ZEIDENBERG (S), L’abus
dans les relations de droit privé, Th., Bordeaux IV, 2002, p. 3.
383
En matière de divorce V. art. 31 CSP al. 3. V. C.A., Tunis, jugement n° 86249, du 25-12-1982, RTD 1984, p 833, note MEZIOU (K).
384
En matière de licenciement abusif, V. art. 14 ter CT.
385
On peut citer l’exemple de l’abus de position dominante. V. art. 5 (nouveau) tel que modifié par la loi n° 95-42 du 24 avril 1995 ainsi que la
loi n° 99-41 du 10 mai 1999. Cet article dispose qu’ « est interdite également l’exploitation abusive d’une position dominante sur le marché
intérieur ou sur une partie substantielle de celui-ci ».
386
On peut citer l’exemple de l’abus de savoir, appelé également l’abus de marché ou encore le délit d’initié. V. art. 81 de la loi n° 94-117 du
14 novembre 1994.
387
On peut citer l’exemple de l’abus de droit en matière fiscale. V. art.101 CDPF.
388
On parle aujourd’hui de plus en plus du droit de la concentration, V de façon générale sur ce sujet : BOSCO (D), Regards sur la
modernisation de l'abus de position dominante, LPA, 03 juillet 2008 n° 133, P. 14 ; CANIVET (G), La modernisation du droit de la
concurrence, LGDJ 2006 ; La modernisation des règles européennes de concurrence, dir. L. Idot, Rev. conc. consom., juillet-août 2001, no 122,
p. 7 et s. ; Quelle réforme pour l'article 82 CE ?, Concurrences no 4-2005, p. 10 et Le nouveau droit de la concurrence, dir. G. Canivet et F.
Brunet, LGDJ 2008 ; JORDA (J), La modernisation du droit communautaire des concentrations, AJDA 2005, no 4, p. 179 ; IDOT (L), Une
nouvelle facette de la modernisation du droit communautaire de la concurrence : les nouveaux règlements d'exemption, LPA 1er février 2005,
p. 5.

Page 49
INTRODUCTION

-VI-
53- « Concentration » ; voilà un mot qui, pour les uns, traduit une nécessité et, pour les autres,
suscite l’inquiétude. Nécessité de faire face à une nouvelle donne économique ou technologique389 ;
inquiétude de perdre son investissement, son emploi ou des avantages sociaux que l’on espérait acquis.
Si l’économiste s’interroge parfois sur la nécessité économique des concentrations, il est
généralement à l’aise devant ce mode de croissance externe des entreprises constituant, à ses yeux, un
facteur d’expansion rapide en même temps qu’une nécessité sur le plan de la concurrence nationale et
internationale. Il en est autrement pour le juriste à qui ce mouvement de concentration inspire un sentiment
d’inquiétude et d’insécurité. Les carences législatives, le manque de cohérence et le mutisme des tribunaux
n’expliquent pas à eux seuls le sentiment d’insécurité du juriste. La variété des procédés de concentration,
leur plasticité y sont également pour une grande part. D’autant plus qu’il est rare qu’on soit en présence
d’une opération isolée, unique et limitée dans le temps. En effet, la même entreprise qui s’est développée
en accroissant sa dimension au moyen d’une fusion par exemple, peut être amenée ensuite à fonder des
filiales, s’emparer du contrôle d’autres sociétés ou neutraliser ses concurrents en passant avec eux des
conventions d’entente. Seul le juriste de l’entreprise –avocat ou conseiller juridique- qui est souvent chargé
d’aménager les moules juridiques de l’opération de concentration est à même de saisir dans sa totalité le
mouvement de concentration, suivre les différentes phases de son évolution et détecter les différents
intérêts catégoriels nécessitant égard et protection390.
54- Certes, personne ne peut nier les avantages réels que présente l’opération de concentration.
Vouloir les énumérer serait paraphraser simplement l’adage bien connu «l’union fait la force». Mais, si les
avantages de la concentration sont patents et nombreux391, il ne faudra pas se leurrer de l’existence d’abus
inhérents à ce phénomène de rapprochement392. En d’autres termes, les procédés de concentration ne sont
ni la panacée universelle ni la cause de tous nos maux. Les vagues de concentrations qui se sont succédées
depuis la fin du XIXème siècle aux Etats-Unis ont mis en évidence l’impact que peuvent avoir de telles
opérations sur la croissance des entreprises et sur la structure industrielle d’un pays donné. Néanmoins,
elles ont mis en exergue également l’importance des abus et des risques qu’elles peuvent entrainer surtout
sur le plan boursier393. Notre droit doit donc se doter des outils aptes à mener avec célérité l’opération de
concentration, même si elle n’a pas toujours que des vertus394. A défaut, il est à craindre que les
concurrents étrangers qui auront pu croître mieux que « nous » viendront un jour ou l’autre chasser sur
«nos terres» un gibier facile à cibler. Il ne faut pas se cacher également que la négociation d’une opération
de concentration est souvent le résultat d’un rapport de force qui dépend de bien de facteurs comme
«l’intensité du besoin, le degré de concurrence, les antécédents de la relation, l’état de la conjoncture, la
taille respective des entreprises, les réseaux d’alliances… 395». Elle est donc susceptible de se heurter à

‫ م ا‬#‫ا‬ C ،8 ‫ دو‬U ‫^ ل‬O‫ أ‬،‫ ّ ر ؟‬L$ ‫ أي‬: ‫ ا ا 'ا‬# ‫ ا‬، ! ‫ ا‬M! g 9+ ‫ ن ا‬+ i C : 9A ‫ ا‬/ C 3 ‫! ّ ي ا‬ ‫و ا 'ا‬q! ‫ ا‬، " , e1 ; 389
." ‫ ا‬# ّ + ‫ و أن‬9K ‫ أ‬MN ‫ ا‬P + ‫ أن‬M+ d ! ‫ ا‬U N fg G + ‫ ] د ا‬7 ‫ ت ا‬L " ‫أن‬ ّ ‫ل‬ ‫ ورد‬.185 ‫ ص‬،2007 ‫ رس‬10 ‫ و‬9 ‫ و‬8 ، ‫ و‬4 ‫ و ا ] ف‬+‫ ] د‬7 ‫وا‬
390
BAUDEU (G), Protocoles et traités de fusion, Th., Paris, 1967, p 3 et 4.
N M + ^ ‫( أن ا‬62 ‫ ص‬،2000 C‫ أ‬31 *+‫ ا ] در ر‬8 A ‫ )ا ا ا‬+‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬ ‫ ن‬7 ‫ وع‬3 # ‫ اب ا‬4 ‫ ا‬H ‫ او ت‬U ‫ﺟ ع إ‬ F + ` <391
4‫ ت ا ﺟ‬C 3 ‫ ا‬6 4‫ ت ا ط‬C 3 ‫ل ا ج ا‬S M 0 k ‫ ذ‬U$[ + ‫ و‬/ ‫ ا‬U N h^F ‫ ج و ا‬J‫ ا‬V A‫ و‬M ! $‫و‬ 4 ‫ ت ا‬C 3 ‫ رؤوس ا ال‬G $ ‫ ت ھ‬C 3 ‫ا ج ا‬
. d+ ‫ ا‬V # ‫ ق ا‬L ‫ ع‬/ ‫ ا‬k DC ‫ دھ و‬/ K ‫ د‬K N I#]+ ‫ ة‬+ ‫ اق ﺟ‬A‫ م أ‬7‫ ا‬U N K$ N ! ‫ و‬K ‫ رة إ‬L ‫ ﺟ ا‬4 ‫ ا‬V M ‫ ع‬/ ‫ ا‬K P+
D’après la doctrine, les avantages de la concentration sont multiples. On peut citer quelques uns relatifs à la fusion, dont la plupart sont
communs aux autres types de concentration. La fusion de sociétés constitue, tout d’abord, un outil permettant d’assurer la croissance de
l’entreprise. Pour consolider sa position sur un marché, une société peut ainsi absorber un ou plusieurs concurrents, ou s’unir avec l’un d’eux.
Cette politique de croissance externe est souvent le moyen d’augmenter une part de marché. Elle est aussi le moyen d’accéder à de nouveaux
réseaux de distribution, voire à de nouveaux marchés. Les fusions de sociétés constituent également un outil privilégié pour ce que les
spécialistes de politique générale appellent l’intégration verticale. L’extrême dépendance au sein d’un circuit économique quelconque envers
un client ou un fournisseur peut conduire une entreprise, dans une perspective de gestion du risque, à développer une stratégie d’intégration,
par absorption du fournisseur (intégration amont) ou du client (intégration aval). La fusion de sociétés est aussi un outil au service de stratégie
basée sur l’assainissement et la restructuration des groupes de sociétés. Enfin, les fusions peuvent contribuer à la survie des entreprises. En
effet, la loi de 1995 sur le redressement des entreprises en difficulté économiques prévoit que le plan de redressement de l’entreprise peut
reposer sur la cession de l’entreprise en difficulté à un repreneur. En pratique cette reprise va notamment pouvoir s’opérer par absorption de la
société en difficulté par une société tierce. La fusion contribue de la sorte à la pérennité de l’entreprise en difficulté financière. V.
CHADEFAUX (M), op.cit., p 16 et 17.
‫ ّ ل‬+ 7": 8 + ‫ رة‬CD ‫ ا‬/] 6‫ا ا ﺟ‬DK ‫ ورد‬.1684 ‫ ص‬،.‫ذ‬.‫س‬.‫ م‬، K N " # ‫ ا‬+‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬ ،, ( 7 ‫ ا‬, ‫ ظ ز‬$ ‫ ( ا‬- ‫ ري و‬17 ‫ ل ا‬، 2 ‫ ( ا ر‬0‫ ا‬6‫ُ اﺟ‬+ 392
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." N‫ و‬3 5 ‫ " ا‬$‫ ا و و‬+ ‫ ا‬M $[ ‫ت ا‬S # ‫ ا‬n $
393
CUKIERMAN (H), Th. pré., p 8.
8G ‫ دو‬VC I ] M " p ‫ ا ط ا‬U ‫ إ‬/ P ‫ ا‬+‫ ] د‬7 ‫ ا ارس ا‬f4L/$ ‫ أن‬# A ، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ا‬MN `+ S ‫ إط را‬VFG ‫^ ھ ا‬0 ‫ا‬ #$ 9 " 394
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395
DUPONT (C), La négociation, Dalloz, Gestion, 3ème éd., 1990, p 219.

Page 50
INTRODUCTION

plusieurs catégories d’intérêts. En effet, dans toute opération de concentration les intérêts mis en jeu sont
très nombreux, et demeurent même particulièrement vulnérables. La concentration étant « un véhicule à
hauts risques », il semble dès lors nécessaire, voire urgent de dégager tous les intérêts qui méritent d’être
protégés et la manière dont le législateur imagine assurer une telle protection.
En d’autres termes, devenues de plus en plus fréquentes, les opérations de concentration n’en
restent pas moins des exercices périlleux où les réglementations juridiques et comptables s’entremêlent
avec les considérations économico-financières396. Généralement, il est question de plusieurs sociétés qui
accordent leurs volontés dans le but de mettre en commun leurs patrimoines. Mais, derrière les personnes
morales qui concluent cet accord, on rencontre un certain nombre de sujets de droits touchés par
l’opération. Les deux « sociétés concentrationnaires » ne sont pas les seules parties-prenantes dans
l’opération de concentration. De nombreux tiers peuvent venir faciliter ou à l’inverse compliquer, voire
compromettre l’opération. Citons notamment les dirigeants, les actionnaires, les employés, les clients, les
fournisseurs, les créanciers, les concurrents et les différents conseils397, sans oublier les pouvoirs publics et
leurs représentants. Animés par des objectifs et des intérêts souvent contradictoires et parfois différemment
protégés par la réglementation, ces différents tiers peuvent exercer une influence plus ou moins
considérable sur l’opération qu’on ne saurait négliger.
55- Evidemment, le premier intérêt qui vient à l’esprit est celui de la société elle-même. Mais,
lorsqu’on évoque la société, personne morale, on fait automatiquement référence au fameux affectio
societatis398. Celui-ci mérite conséquemment protection. Une communauté d’actionnaires ou d’associés
rassemblés dans la sérénité du pacte social peut singulièrement être remise en question lors d’une opération
de concentration. L’affectio societatis, âme de la société sinon sa raison d’être, pourra ainsi être
considérablement affecté par l’arrivée inopinée de nouveaux acteurs399.
Aussi, l’opération devra-t-elle être examinée au regard des droits et intérêts des actionnaires,
lesquels ne se confondent pas nécessairement avec les intérêts des parties. Vient à l’esprit alors l’intérêt de
ceux qui traditionnellement sont laissés pour compte, c'est-à-dire les actionnaires minoritaires400. En effet,
de l’inégalité qui existe entre « contrôlaires » et minoritaires401 peuvent surgir bien des dangers. Les

396
KARAA (A), Concepts comptables et juridiques, le dilemme, I. J., n° 74/75, septembre 2009, p 6.
397
On peut citer les avocats, les fiscalistes, les banquiers, les comptables, les financiers…
398
« Le contrat de société se caractérise par un élément qui lui est propre : la volonté d’union, l’intention d’agir comme associé ou encore ce
qu’il est commun d’appeler l’affectio societatis…(c’est) la volonté de participer aux décisions sociales…(ou encore) l’engagement de l’associé
de considérer les affaires sociales comme les siennes propres…l’affectio societatis suppose que la volonté de chaque associé tende vers la
coopération positive sur un pied d’égalité en vue de la réalisation de l’objet social ». BEN AMMOU (N), cours pré., p 21 et 22. D’après le
lexique juridique DALLOZ 2012, l’affectio societatis est l’ « intention, qui doit animer les associés, de collaborer sur un pied d'égalité.
L'affectio societatis implique non seulement un esprit de collaboration mais aussi le droit, pour chaque associé, d'exercer un contrôle sur les
actes des personnes chargées d'administrer la société ». V. également DALY (H), L’affectio societatis dans les sociétés commerciales,
mémoire de DEA, FDSPT, 1992.
K$ ‫ و‬C 3 ‫ﺟ د ا‬ A A ‫ ا‬0 4# ‫ ا‬M ":8 + ، # ‫ ا وا ا‬MN ‫ ا ] در‬،1996 V+ G‫ ا‬25 8G ‫رخ‬q ‫ ا‬48915 ‫ د‬N 8 ‫ ا‬8 # ‫ار ا‬ ،‫ا ا ط ر‬D‫ ھ‬8G ،‫ورد‬
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.143 ‫ ص‬،2008 H $ ،2007 ‫ـ‬1961 # ‫ ء ا وا ا‬F7
399
ROUTIER (R), op.cit., n° 26, p 13.
400
L'actionnaire minoritaire est un actionnaire qui, de part sa faible participation dans la société, ne joue pas un rôle décisionnel important
durant les assemblées générales. C'est le cas de la plupart des actionnaires, ils ne disposent ni de la minorité de blocage, ni d'une influence
importante. Néanmoins, si tous ces petits actionnaires se regroupent, ils peuvent devenir importants dans la prise de décision. Dans toutes les
sociétés, il existe ce type de regroupement. Ceux-ci sont craints par les sociétés et par les gros actionnaires. En effet, ces derniers voient leur
pouvoir de décision contesté, ils ne peuvent plus diriger l'entreprise à leur guise. La plupart des sociétés espèrent ne pas voir les petits
actionnaires durant les assemblées générales. Certains sont parfois gênants de par leurs questions et peuvent bloquer certaines décisions.
401
En principe, l’associé, appelé également actionnaire dans les sociétés par actions, est défini comme étant le titulaire d’un titre négociable,
représentant une quote-part du capital social et donnant droit au partage des bénéfices et au vote dans les assemblées générales. On s’entend
aussi à définir l’associé comme étant toute personne physique ou morale qui fait partie d’une société de personne, d’une SARL ou d’une
société par actions en faisant un apport et en participant activement à la vie sociale tout en étant animé d’un affectio-societatis. La doctrine
recommande de distinguer les actionnaires minoritaires non seulement des actionnaires majoritaires mais aussi des actionnaires bailleurs de
fond. D’une part, loin de former un groupe cohérent, la minorité se distingue de la majorité par le fait qu’elle n’est plus associée à la gestion de
la société. Cette masse d’actionnaires ne détient plus le contrôle du groupement sociétaire. La minorité se définit, dès lors, comme étant la
masse des porteurs et du capital, liée par les décisions de la majorité du capital présente ou représentée à l’assemblée. En d’autres termes, par
minorité, il faut entendre les actionnaires qui ne font point partie du groupe dirigeant de l’entreprise. Il s’agit d’une masse d’actionnaires qui,
lors d’une assemblée générale, s’oppose à la position de la majorité. D’autre part, la minorité présente une particularité par rapport aux
actionnaires bailleurs de fond : elle est présente à l’assemblée générale. V. KHALED SLAMA (S), L’exclusion d’un associé dans les sociétés
commerciales, th., FDSPT, 2004, p 18 ; GUYON (Y), La société anonyme, DALLOZ, 1994, p 18 ; DEMARET (S-D) et REINHARD (Y),
Lexique de droit des sociétés et des affaires, DALLOZ, Paris, 1993. Cité par KARABORNI (I), La protection de l’actionnaire dans la société
anonyme, mémoire DEA, SOUSSE, 2002, p 6 ; SCHMIDT (D), Les droits de la minorité dans la société anonyme, éd, SIREY, 1970, p 2 ;
ROUTIER (R), La défense collective des minorités dans les sociétés de capitaux : France, Québec, Belgique, R.I.D.E., I, 1994, p 7 ;

Page 51
INTRODUCTION

premiers seront tentés d’utiliser abondamment, sinon abusivement, la raison de l’intérêt social, pour
légitimer une opération peu conforme aux intérêts particuliers des seconds. En effet, dans bon nombre de
sociétés, y compris celles cotées, les qualités d'actionnaires majoritaires et de dirigeants sont réunies sur la
tête des mêmes personnes ou, à tout le moins, il existe des liens privilégiés entre les actionnaires
majoritaires et les dirigeants402. Il s'avère alors que l'égalité formelle entre associés403 est insuffisante et que
des règles spécifiques doivent être adoptées pour assurer une égalité réelle entre associés et corriger
l'asymétrie de situation entre les majoritaires et les minoritaires. C’est ce qui explique, d’ailleurs, la
politique législative actuelle tournée vers le renforcement des droits de la minorité404. Ce à quoi s'ajoute de
façon plus générale le fait que ce modèle de démocratie indirecte, qui constitue l'essence même du
fonctionnement des grandes sociétés a donné lieu à de multiples dérives dans la gestion ou dans la
représentation des intérêts des associés, d'où la revendication moderne, au moyen des principes de la
corporate governance405, d'un renforcement de la démocratie actionnariale406. Ainsi que l'a très justement
relevé le professeur Alain Couret, « dans la concurrence que se livrent les systèmes juridiques pour séduire
les investisseurs, la protection des actionnaires minoritaires est devenue véritablement un enjeu »407. Le
but, on le comprendra sans peine, est de donner les moyens aux actionnaires d'être informés et de contrôler
l'action des dirigeants408 afin que puisse être satisfait le but recherché par la souscription ou l'acquisition
d'actions, à savoir, la réalisation d'un profit409. Dans cet ordre d’idées, la doctrine américaine410, en

CARTIER-BRESSON (A), L’Etat actionnaire, L.G.D.J., 2010, p 20, n° 11 : « Au sens strict, qui est celui du droit des sociétés, la notion
d’actionnaire désigne le propriétaire d’actions représentatives d’une fraction du capital d’une société anonyme, auxquelles sont attachés des
droits et des obligations d’associé, et dont la responsabilité est limitée au montant de son apport. De la qualité d’associé, membre d’une
société de capitaux, découlent des droits et des devoirs. Ces droits sont à la fois pécuniaires (droit aux dividendes, droit sur les bénéfices mis
en réserve, droit préférentiel de souscription en cas d’augmentation du capital) et politiques (droit de vote à l’assemblée générale, droit
d’information). Les devoirs de l’actionnaire sont moins nombreux. Son obligation la plus importante consiste à libérer le montant de son
apport, sans lequel il ne peut acquérir la qualité d’associé. Il lui incombe également de respecter un minimum de discipline collective, dont le
contenu est déterminé essentiellement par le juge à l’occasion de conflits d’intérêts ». V. sur ce point aussi : GODON (O), Les obligations de
l’associé, Economica, 1999 ; SCHMIDT (D), Les conflits d’intérêts dans la société anonyme, Joly, 2004.
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.2007،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬،‫ ّج‬P$ A‫ ر‬، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ا‬8G ‫م‬SN ‫ ا‬،‫ ن‬67N 1 D .2002،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ا‬
403
Cette égalité a été consacrée par l’article 1300 COC et 288 CSC.
404
V. les principales modifications du C.S.C. : loi n° 2001-117 du 06-12-2001 complétant le code des sociétés commerciales ; loi n° 2005-12
du 26/01/2005 portant modification de quelques dispositions du code des sociétés commerciales ; loi n° 2005-65 du 27/07/2005 modifiant et
complétant le code des sociétés commerciales ; loi n° 2007-69 du 27/12/2007 relative à l’initiative économique ; loi n° 2009-16 du 16 mars
2009, modifiant et complétant le code des sociétés commerciales ; loi n° 2009-1 du 5 janvier 2009, portant amendement du code des sociétés
commerciales V. GHAZOUANI (C), La nouvelle réforme du C.S.C. par la loi de finance 2008, I.J., n° 40/41, février 2008, p 10.
405
La Corporate Governance ressasse deux thèmes principaux : l’organisation de la décision au sein de l’entreprise et la transparence sur le
salaire des patrons. Le premier donne lieu à de multiples publications, codes de conduite, voire une législation organisant la responsabilité des
décideurs. Il s’agit là d’examiner le lien entre le pouvoir exécutif d’une entreprise et son conseil d’administration, la présence d’un
administrateur indépendant, la transparence de la décision. Une transparence toute relative qui vise surtout à éviter le dérapage d’une seule
personne... Le deuxième thème nourrit les fantasmes et les critiques. Combien gagnent les patrons ? Les émoluments patronaux sont
aujourd’hui pressés vers plus de transparence. Certains y voient un moyen de mieux contrôler la stratégie de l’entreprise et de distinguer
l’intérêt personnel du dirigeant des intérêts partagés de l’entreprise. D’autres interprètent cette tendance comme un voyeurisme malsain. Plus
précisément, la gouvernance d'entreprise est l'ensemble des processus, réglementations, lois et institutions influant la manière dont l'entreprise
est dirigée, administrée et contrôlée. La gouvernance inclut aussi les relations entre les nombreux acteurs impliqués (les parties prenantes) et
les objectifs qui gouvernent l'entreprise. Les acteurs principaux sont les actionnaires, la direction et le conseil d'administration. Les autres
parties prenantes incluent les employés, les fournisseurs, les clients, les banques ou autres prêteurs, le voisinage, l'environnement et la
communauté au sens large. V. BOUTILLIER (M), LABYE (A), LAGOUTTE (C), LEVY (N) ET OHEIX (V), Financement et
gouvernement des entreprises : exceptions et convergences européennes, Rev. d’économie politique, juillet-août 2002, Collectif « Le
gouvernement d’entreprise », Rev. d’économie financière, n° 63, 2001 ; KREPS (D), Corporate Culture and Economic Theory, In Alt J.,
Shepsle K., Perspectives on Positive Political Economy, Cambridge University Press, 1990 ; PLIHON (D), Quel scénario pour la gouvernance
d’entreprise ? Une hypothèse de double convergence, Rev. d’économie financière, n° 63, 2001 ; REBERIOUX (A), Gouvernance d’entreprise
et théorie de la firme, Rev. d’économie industrielle, n° 104, 2003. SCHLEIFER (A) ET VISHNY (R), A Survey of Corporate Governance,
The Journal of Finance, vol. 52, juin 1997
406
DEBOISSY (F), L’essentiel des réformes : le renforcement de la démocratie actionnariale, LPA, 02 août 2007, n° 154, p 13.
407
COURET (A), L’amélioration des droits des actionnaires, In la loi NRE et le droit des sociétés, Montchrestien, 2003, spéc., n° 9, p 61.
A‫ ر‬، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫! ي ا‬ ‫و ا 'ا‬q! ‫ ا‬، E ‫ ل ا‬9 .2001،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬،‫ ّج‬P$ A‫ ر‬،9A ‫ ا‬/ C 3 ‫ ا‬8G 7 ‫ ا‬+ < ،‫(ة‬163 = 2D : 6‫ُ اﺟ‬+ 408
‫ ت ذات‬C 3 ‫ ا‬8G V C ‫'ل ا‬N ،‫ ح‬F , ( - .2001،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬،‫ ّج‬P$ A‫ ر‬،9A ‫ ا‬/ ‫ ت‬C 3 ‫ ا‬8G k+ 3 ‫ ا‬،‫ن‬ $ ‫( ا‬63 .2001،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬،‫ ّج‬P$
.2002 ،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬،‫ ّج‬P$ A‫ ر‬،9A ‫ ا‬/ ‫ ت‬C 3 ‫ ا‬8G 7 ‫ ا‬، 123 ]D .2000 ،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬،‫ ّج‬P$ A‫ ر‬،‫و ا ودة‬q! ‫ا‬
409
Il convient de signaler également que le conflit entre actionnaires est du en partie au phénomène d’absentéisme. L’hypothèse n’est pas
simplement théorique. L’absentéisme est un mal qui ronge les sociétés anonymes depuis fort longtemps. Les assemblées d’actionnaires sont
dans la majorité des cas réduites au rôle le plus simple d’enregistrement. Celles-ci ne sont plus l’enceinte où s’expriment les volontés des
actionnaires et où sont prises les décisions les plus importantes dans la vie des sociétés. Le schéma théoriquement prévu par le législateur
suppose que toutes les parties ainsi que toutes les instances jouent leur rôle de manière continue et effective. Pour que toutes les prérogatives
soient remplies, il faut que les actionnaires assistent aux assemblées et qu’ils exercent le droit de surveillance que leur confère la loi. Ce n’est
d’ailleurs que de cette façon que les décisions prises dans les assemblées répondent à l’intérêt social qui est conforme, en principe, à l’intérêt
des actionnaires. Malheureusement, il n’en est pas ainsi en pratique. Les actionnaires se comportent comme des obligataires. Ils se déplacent
très peu, pour ne pas dire jamais, laissant ainsi aux dirigeants toute la latitude pour mener à leur façon personnelle les affaires de la société. En
1952, monsieur Tunc faisait, déjà, remarquer l’inefficacité de l’assemblée générale des actionnaires, la qualifiant d’organe presque fictif. Selon

Page 52
INTRODUCTION

particulier, a mis en exergue le risque de confiscation du pouvoir par les dirigeants. On a ainsi qualifié les
actionnaires de souverains déchus en les comparant aux rois fainéants, ces derniers Mérovingiens411 réduits
à l’inaction par les maires du palais412. La même doctrine prédit la dissociation entre les propriétaires, à
savoir les actionnaires, et les détenteurs du pouvoir incarnés par les dirigeants. Les possibilités d’abus ne
sont pas de cette manière un risque simplement éventuel. L’effacement des actionnaires a donné lieu à la
prédominance des dirigeants effectifs413. La formule selon laquelle le pouvoir doit arrêter le pouvoir ne se
vérifie plus, elle devient un leurre.
Il va sans dire aussi que même l’intérêt du majoritaire impose parfois sa prise en compte. En effet,
s’il est vrai que « … le pouvoir, avec la majuscule, n’appartient pas à la minorité414 », reste que
l’actionnaire, même s’il est minoritaire, a aussi le droit de s’opposer à la majorité415. Autrement dit, il faut
envisager un abus de la minorité qui de part le pourcentage qu’elle détient peut s’opposer par un quasi droit
de veto à l’opération de concentration. Le refus minoritaire absolu, s’il mettait en péril l’existence de la
société elle-même, pourrait alors être contraire à l’intérêt de tous416.
Il ne faut pas oublier non plus ceux qui chaque jour bâtissent l’entreprise, nourrissent sa prospérité
en lui apportant toute la créativité et le savoir faire de leur travail. La rationalité économique des opérations
de concentration est souvent ingrate à leur égard. « Combien de carrières déçues, voire bouleversées ou
interrompues, pour des femmes et des hommes qui n’ont eu que le tort de croire en leur entreprise, et de
faire confiance à ses dirigeants ? »417. En effet, parallèlement aux associés minoritaires qui cherchent à
défendre leurs apports, les salariés veulent surtout assurer la sauvegarde de leurs emplois418. Néanmoins, si
les actionnaires, auxquels la loi reconnaît un droit de surveillance, risquent dans le pire des cas leurs mises,
les salariés risquent leur emploi, c'est-à-dire leur unique source de subsistance419. Ainsi pour Mme
Cherrier-Thormann : « difficultés économiques, financières, mises à la retraite anticipant des
licenciements, sont autant d’éventualités qui jalonnent la vie des salariés des groupes de sociétés »420. La
constitution d’un contre-pouvoir syndical mondial est alors réclamée ! Si la période d’embellie économique
des années quatre-vingt a mis provisoirement un terme à ces inquiétudes, l’actualité récente démontre que
cette accalmie n’était que provisoire. Les groupes de sociétés, surtout multinationaux, accusés notamment
d’être un facteur de fragilisation voire de destruction de l’emploi, sont redevenus l’objet de suspicions et de
critiques. Que certains appellent à nouveau de leurs vœux la constitution d’un syndicalisme mondial
capable de faire face à ces ensembles en est une autre illustration421.
La problématique des droits collectifs des salariés face aux opérations de concentration permet
d’apprécier la place accordée au personnel lorsque des décisions sociales importantes, affectant gravement

lui, la majorité des actionnaires « abdique son droit de vote, normalement entre les mains de la direction. Les pouvoirs de décision et de
contrôle de l’organe souverain sont confisqués par les organes de direction, et cela suffirait à fausser le mécanisme légal ». Il se demande
donc s’il faut renoncer à une organisation « démocratique » de la société anonyme. Le Doyen Ripert remettait également en cause le caractère
démocratique de la société anonyme : « la décision de l’assemblée est une approbation aveugle de la décision préalable du conseil
d’administration… Les actionnaires sont résignés à ne rien comprendre, à ne rien savoir. Ils se fient aux administrateurs. Le régime
démocratique des sociétés aboutit au triomphe d’une petite minorité de capitalistes ». V. TUNC (A), L’effacement des organes légaux de la
société anonyme, D. 1952, Chronique, p 73, n°4 ; RIPERT (G), Aspects juridiques du capitalisme moderne, Paris : L.G.D.J., 1951, réédition
LGDJ 1992, n° 42, p. 98 et s. V. BEN NASR (T), th. pré. ; PERROUD (V), La condition de l’actionnaire, Mélange Ripert T. II. p.319 ;
GUYON (Y), La société anonyme, une démocratie parfaite ! In Propos impertinent de droit des affaires. Mélanges en l’honneur de Christian
Gavalda, Paris, Dalloz, 2001, p. 133, n°3.
410
V. BISHOP (J), Sitting ducks and decoy ducks : new trends in the indemnification of corporate officers and directors, 77 Yale Law
Journal, 1968, p 1078. DODD (E-M), For whom are corporate managers trustees?, 45 Harvard Law Review, 1932, p 1145.
411
Les Mérovingiens sont la dynastie qui régna sur une très grande partie de la France et de la Belgique actuelles, ainsi que sur une partie de
l'Allemagne et de la Suisse, du Ve siècle jusqu'au milieu du VIIIe siècle. Cette lignée est issue des peuples de Francs saliens qui étaient établis
au Ve siècle dans les régions de Cambrai et de Tournai, en Belgique (Childéric Ier). L'histoire des Mérovingiens est marquée par l'émergence
d'une forte culture chrétienne parmi l'aristocratie, l'implantation progressive de l'Église dans leur territoire et une certaine reprise économique
survenant après l'effondrement de l'Empire romain. Le nom mérovingien provient du roi Mérovée, ancêtre semi-mythique de Clovis.
412
Cette comparaison est empruntée à M. Mazeaud (L) In, La souveraineté de fait dans les sociétés anonymes en droit français, vol. 15,
Travaux de l’association Capitant, 1967, p 331.
،‫ ي‬F ‫ ا‬D .2001 8/ ‫ ﺟ‬27/26 H $ ،9 ‫وا‬ ] H $ 'C 9 4$ ، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ن ا‬7 8G + ‫ < ل ا‬U ‫ ل‬N‫ ا‬،k+ 3 ‫ < ق ا‬8G + ‫ ا‬، " A$ ‫] ا‬D 413
.73 ‫ ص‬،2008 C‫ ا‬،.‫ ت‬.‫ ق‬.‫ م‬،9A ‫ ا‬/ ‫ ت‬C 3 ‫ ا‬8G 7 ‫آ ت ا‬
414
Cass. Com. Fr., 18 avril 1961, aff. Schumann-Piquard, JCP, II, n° 12164, 1961, obs. Bastian.
.1994 ،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬،‫ ّج‬P$ A‫ ر‬،9A ‫ ا‬/ C 3 ‫ ادارة ا‬8G ّ 7 ‫ و ا‬5 ‫ ا‬iّ!#$ ،(7D , ( - : 6‫ُ اﺟ‬+ 415
416
DES-GROTTES (A-M), Les associés dans les opérations de restructuration, Th., Université de Paris I, Pantheon-Sorbonne, 2003, p 28.
417
ROUTIER (R), Les fusions de sociétés commerciales, LGDJ, 1994, p 14 et s.
418
BUY (M), Avant-propos, Les salariés et les associés minoritaires dans les groupes de sociétés, Université de Droit, d’Economie et des
Sciences d’Aix-Marseille, Institut de droit des affaires, Presses Universitaires D’Aix-Marseille, 1993.
419
CONTIN (R), Op. cit., p 40.
420
CHERRIER-THORMANN (G), L’expression du droit syndical dans les groupes de sociétés, Th., Paris I, Sorbonne, 1980, p 50.
421
V. DESPAX (M), Groupes de sociétés et contrat de travail, Dr. social 1961, p. 596.

Page 53
INTRODUCTION

leurs situations, doivent être prises. Elle soulève donc la question du rôle dévolu à la collectivité des
salariés face aux décisions de concentration et leurs conséquences. Plus largement, c’est la question de
l’Homme au sein de l’économie qui est posée : la concentration symbolise l’économie et à travers la
collectivité des salariés c’est de l’Homme dont il est question422.
56- L’opération de concentration peut avoir également un impact sur les intérêts qui existent à
l’extérieur de l’entreprise. Rien n’empêche de penser, d’abord, aux créanciers qui peuvent craindre que leur
créance ne souffre, par exemple, de la fusion de leur débiteur du fait du concours d’autres créanciers ou de
l’importation d’un passif plus important. Ensuite, il est à craindre que l’opération n’aboutisse à une
concentration absolue susceptible de perturber le marché en faussant la concurrence. Les consommateurs
devront donc être protégés du risque toujours latent, en cette occasion, de voir tout un secteur de
l’économie fonctionner en situation de monopole423. De façon générale, il est question de protéger la
concurrence, la transparence et l’éthique des marchés financiers. En effet, les Etats craignent que les
groupes internationaux de sociétés ne constituent, au moyen de leur désir hégémonique, des monopoles ou
des oligopoles susceptibles de fausser la libre concurrence interne et internationale. De même, les fortes
concentrations interviennent souvent entre des sociétés cotées, par conséquent les règles impératives qui
président au fonctionnement des marchés financiers ne doivent nullement être bafouées. Aussi, faut-il
remarquer que l’opération de concentration ne doit pas constituer pour les entreprises qui y recourent
l’artifice idéal qui leur permettraient de se soustraire à l’impôt424.
Enfin, il paraît utile de remarquer que l’Etat peut être amené à limiter la puissance de certains
pouvoirs privés économiques, nationaux et même internationaux, pour des raisons de pure souveraineté.
Ainsi un auteur a pu relever que « deux entreprises fussent-elles privées, ne peuvent pas fusionner de par la
seule volonté de leurs présidents, dans la France pompidolienne. Valéry Giscard d’Estaing, libéral
ministre des finances, est opposé à une telle opération qui, dit-il, aboutirait à la création d’un géant
susceptible de dicter sa loi à l’Etat : la fusion de THOMSON et de la CGE sera donc jetée aux
oubliettes425 !».
Une partie de la doctrine s’inquiète alors de la constitution d’un « véritable pouvoir transnational
privé » dont la puissance financière serait comparable à celle de certains Etats427.
426

Manifestement, la concentration présente le risque inhérent à une possible mise en place d’une
emprise étrangère sur l’économie interne d’un pays. Plus précisément, la concentration peut être perçue
comme le moyen de créer une puissance économique capable de contrarier les intérêts étatiques. Le risque
de voir émerger des souverainetés privées à même d’imposer leurs vues à des souverainetés publiques, qui
ne peuvent se passer des premières pour la bonne marche de leur économie, est alors redouté.
57- Tous ces développements font que le droit des sociétés, et plus particulièrement le droit de la
concentration se présente aujourd’hui comme un droit conflictuel où les intérêts des associés s’opposent à
ceux des dirigeants, et parfois ce sont même les différentes catégories d’associés dont les intérêts divergent
entre eux ou avec ceux des autres partenaires de la société. L’entreprise sociétaire est souvent perçue
comme un lieu de lutte par essence. Le droit de la concentration se trouve ainsi refoulé au rang de droit
conflictuel et d’opposition d’intérêts428.

422
AICARDI (L), Restructurations d’entreprise et relations collectives de travail, Th., Toulouse, 2001, p 41 et 42.
‫ ج‬J‫ ت ا‬N L7 i P 8G ‫ ر ا < رات‬K‫ه ا ھ ة ظ‬D‫ ء ھ‬3 U N I$ $ ‫ج و‬ ‫ و ا‬V$‫ ھ ا ر‬M A‫ و‬8G ‫ رة‬d ‫ م ا‬7 V 7 ] 8G ‫ ] دي‬7 ‫' ا‬C ‫ ا‬V A‫ و‬f d $ 7 ‫ " و‬423
AJ ‫( ا‬63 , ( ‫! م ا‬0 ." # ‫ <! ب ا ] ا‬U N Kg‫ ا‬5‫ أ‬P 8 ‫ ] د ا‬7 ‫ ا‬a ‫ ﺟ‬$ M f4 $ ‫ا ر‬ U N M A‫ ا أ‬M 7‫ ة أ‬L A ‫ و‬8N‫ و ا 'را‬8N 4] ‫ا‬
.12 ‫ ص‬،.‫ذ‬.‫س‬.‫ م‬، 1J ‫ا‬
424
ROUTIER (R), La république des loups, Calmann-Lévy, 1989, p 14 et s.
425
Ibidem., p 29.
426
LAZARUS (C), In L’entreprise multinationale face au droit, Librairie Technique, 1977, n° 444 ; V. en ce sens aussi JAVILLIER (J-C),
Les instances internationales de concertation, In Les instances fédératives de représentation du personnel, Litec, coll. Droit, t. IV, 1995, p. 159 :
« le temps était bien celui des critiques radicales de ces démons capitalistes qu’étaient les sociétés multinationales. Le comportement de telles
entreprises était considéré comme incompatible avec l’indépendance des Etats et pouvant mettre en péril la démocratie elle-même. De telles
entreprises étaient aussi souvent présentées comme contribuant à l’appauvrissement des pays en voie de développement ».
427
V. Déclaration de principes tripartites sur les entreprises multinationales et la politique sociale, BIT, Genève, 1977 : « les progrès réalisés
par les entreprises multinationales dans l’organisation de leurs activités hors du cadre national peuvent conduire à des concentrations
abusives de puissance économique et donner lieu à des conflits avec les objectifs des politiques nationales et avec les intérêts des travailleurs.
En outre, la complexité des entreprises multinationales et le fait qu’il est difficile de discerner clairement la diversité de leurs structures, de
leurs opérations et de leurs politiques suscitent parfois des préoccupations dans les pays du siège, dans les pays d’accueil ou dans les uns et
les autres ». - A cet égard, le roman de R. Lattes, (Mille milliards de dollars, éd. Premières, Paris, 1982) dont a été tiré un film célèbre, donne
une bonne idée du climat de suspicion entourant à cette époque les groupes multinationaux.
428
LAGRANGE (F), La nature juridique des fusions de sociétés, Th., Paris II, 1999, p 4 et s.

Page 54
INTRODUCTION

Ceci-étant précisé, il ne faut pas dissimuler que ce bilan ne saurait avoir valeur intangible pour
l’avenir. Une telle politique suppose la vigilance du juriste qui doit porter son attention sur toute source
nouvelle d’abus qui pourrait se révéler. En effet, dans une économie dynamique, l’espoir d’un droit des
sociétés gravé dans le marbre doit être abandonné. Mais, quoiqu’il en soit, dresser l’inventaire des
catégories menacées par l’opération de concentration est une chose, parvenir à les protéger convenablement
en est une autre. Pis encore ! Ces intérêts catégoriels, indubitablement contradictoires, sont-ils
conciliables ? Est-il possible pour le législateur de les protéger tous sur un pied d’égalité ? Ne faut-il pas
avantager certains au détriment des autres ?
Notre souhait est d’étudier, avec l’aide d’une démarche hypothético-déductive, l’utilité et l’efficacité
de la protection de tous les partenaires de la concentration sans aucune différenciation. Il va sans dire
qu’une approche pluridisciplinaire nécessaire pour l’appréhension de la complexité des procédés de
concentration serait, à ce stade, d’une aide judicieuse. On tentera aussi, durant ce travail, de croiser doctrine
juridique et jurisprudence afin de mettre en évidence les différents résultats et conclusions inhérents à
l’éviction des abus en matière de concentration. Ceci permettra certainement de réunir dans un même
modèle des analyses fragmentées et complémentaires pour en tirer des préconisations utiles à l’action.
58- Se dégage, ainsi, l’intérêt théorique du sujet, dans la mesure où l’étude du concept d’abus
dans les opérations de concentration des sociétés ôtera le voile sur l’abondance et la nuisance des abus
inhérents à ce phénomène distinctif de l’économie moderne : abus du droit de vote, abus de biens sociaux,
abus de pouvoirs, abus de majorité, abus de position dominante, abus de marché… et la liste est encore
longue. Il s’agira dès lors de mettre en exergue le système de défense juridique, l’analyser, le critiquer, s’il
y a lieu, et rechercher toutes les solutions adéquates pour combler ses lacunes et redresser ses faiblesses.
De plus, malgré l’ampleur des enjeux économiques et humains qu’elle recèle, la concentration n’a
guère été, jusqu’à présent, objet de recherche de sémantique juridique. Pourtant, la concentration est dotée,
pour le juriste, d’une force évocatrice certaine. Entreprise, société, groupe de sociétés, fusion, scission,
prise de participation, apport partiel d’actifs, offre publique d’achat, contrôle des concentrations, transfert
d’entreprise, information, licenciement pour motif économique…, la liste des concepts ou mécanismes
juridiques, auxquels la seule référence à la concentration renvoie, est loin d’être close.
Tout essai de systématisation de ce phénomène suppose un mode complexe d’appréhension
imposant une lecture croisée des différentes disciplines juridiques que sont le droit des sociétés, le droit de
la concurrence, le droit du marché financier, le droit pénal économique, le droit du travail, le droit fiscal…
Leur confrontation, seule, permettra d’éclairer la réalité juridique de la concentration face à la notion
d’abus.
On essayera également, sur le plan théorique, de démontrer comment un concept juridique, tel que
l’abus, peut-il s’émanciper de sa source première, le droit civil, pour être utilisé dans d’autres domaines du
droit objectif, en l’occurrence le droit de la concentration, pour atteindre les mêmes objectifs.
59- De surcroît, l’intérêt pratique du sujet se vérifie à plusieurs égards. Il suffit de rappeler que
les intérêts en péril ne sont pas ceux des actionnaires minoritaires ou bien des créanciers des sociétés
concentrationnaires seulement. En effet, le phénomène de concentration intéresse aujourd’hui « l’économie
générale du marché »429. L’intérêt, tant des actionnaires que des tiers430, commande alors l’organisation
d’une protection efficace de tous les partenaires de l’opération431, car si on n’arrive pas à prévoir et
réprimer efficacement les abus, la stabilité de l’Etat de droit risque alors d’être menacée432. Il reste que
cette protection aura pour mission d’empêcher toute forme d’abus inhérente aux procédés de concentration
sans pour autant faire obstacle au phénomène de rapprochement. Ainsi, la dialectique « encouragement de
la concentration/protection de tous les intervenants » se pose avec acuité en raison de l’aspect perturbateur,
voire déstabilisateur des procédés de concentration. L’avantage de cette étude est aussi de souligner, sur le
plan pratique, que l’abus demeure toujours l’ultime rempart au service des magistrats. Ce concept
constitue, en effet, un moyen d’intervention du juge au sein des rapports juridiques. Dans cet ordre d’idées,
l’absence de définition légale du concept d’abus permet ainsi d’accorder aux magistrats une marge de
manœuvre plus ou moins variable et d’adapter les éléments constitutifs de l’abus aux circonstances de la
cause. L’abus en droit des sociétés est donc une technique de modération des comportements permettant au
429
SCHMIDT (D), op. cit, p 13.
430
Par exemple l’Etat, les clients des sociétés fusionnantes, les fournisseurs…
،2003 V+ G‫ أ‬12 ‫ و‬11 8 + ، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬ ‫ < ل‬4+ $ ‫ دورة‬، K ! ‫ وا‬+‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ارات ا ج ا‬7 U N ‫ اض‬N ‫ <" ا‬،=D , ‫ وك‬6 : 6‫ُ اﺟ‬+ 431
.114 ‫ و‬113 ‫ ص‬،2004 H $ ، F ‫وا‬ ‫ ت ا‬A‫' ا را‬C ‫ رات‬34
432
SHALBI (G), La responsabilité pénale du dirigeant d’entreprise, Th., Université Panthéon-Sorbonne, Paris I, 2004, p 30.

Page 55
INTRODUCTION

juge de devenir « le censeur des actions humaines»433. Le développement de cette théorie s’inscrit
d’ailleurs dans le mouvement plus vaste de moralisation du droit des affaires434.
60- La complexité du régime juridique de la concentration apparaît ainsi clairement. En effet,
envisagée sous des angles multiples et soumise à des intérêts divergents, l’opération semble tiraillée de
toutes parts. Les actionnaires minoritaires veulent l’attirer dans le champ sociétaire, les parties la cantonner
à leurs relations personnelles, les Etats la contrôler fortement. La nécessité de concilier les intérêts ou d’en
sélectionner certains semble être la première priorité435. Pour réaliser pareil objectif, la mission du
législateur s’avère très délicate. Il ne s’agit pas seulement de lui suggérer la répression de tout agissement
abusif quel qu’en soit le mobile, l’intention ou le but, car toute solution de ce genre risque de freiner toute
initiative d’investissement dans le cadre des opérations de concentration436. Il s’agit plutôt de lui proposer
la recherche des moyens juridiques susceptibles d’endiguer les causes du mal pour pouvoir ensuite
maîtriser autant que possible les différentes formes d’abus, sans pour autant entraver ni obstruer le
phénomène de concentration. Tel sera l’objectif de la théorie générale qu’on essayera d’élaborer :
Protection et promotion437.
Il s’agit, dés lors, de se demander si on peut forger, en présence d’une notion
d’abus élastique et protéiforme, un plaidoyer en faveur d’une théorie générale de
l’abus dans les procédés de concentration, se traduisant par un socle commun
soulignant la cohérence et l'unicité du concept d’abus, à même de satisfaire en ce
domaine deux impératifs antinomiques : protection et promotion ?
61- Selon le professeur Ben Ammou, comme un volcan, la théorie de l’abus se préparait dans les
fins fonds des idées, comme un volcan elle a éclaté dans les milieux doctrinaux du début de notre siècle et
comme un volcan elle se calme de nos temps en suscitant de nombreuses méfiances438. On dirait que le feu,
couve sous la cendre439.
Développée à l’origine en droit civil, la théorie de l’abus s’est propagée à tous les domaines du droit
car ce concept constitue un moyen permettant de résoudre les conflits résultant de l’usage excessif d’un
droit ou d’une prérogative de façon générale440. En utilisant à mauvais escient son droit pour favoriser ses
propres intérêts, le titulaire du droit peut causer préjudice à autrui. Poser des limites à l’exercice d’un droit
est aussi un moyen de faire respecter les règles générales de l’ordre juridique et particulièrement celles de
l’ordre public. Le juge joue un rôle primordial dans le respect de ces règles. Il lui appartient de mettre en

433
RIPERT (G), Abus ou relativité des droits, Rev. crit. de jurisp., 1929, p. 33 et s.
434
« Présente dans la pratique des affaires à travers les codes ou les chartes, l’éthique paraît également exercer une influence sur les
techniques juridiques. D’une part, elle constitue un instrument d’inspiration de la législation. D’autre part, elle est un instrument de
correction de la mise en œuvre des règles juridiques, soit par l’opposition qu’elle cause au résultat de la règle, soit par l’orientation qu’elle
donne à ce résultat. Le monde des affaires a donc amorcé un mouvement d’auto-moralisation salué par une large majorité de la doctrine.
L’éthique des affaires « (…) vise à conjurer les excès de l’individualisme du self interest (…) et tend à définir un compromis entre la morale du
sacrifice et l’amoralisme individualiste ». OPPETIT (B), Ethique et droit des affaires, Mélanges A. Colomer, Litec, 1993, p 333. Sur le
phénomène de recherche de la morale : Observatoire International des Tendances Sociologiques (1997), Retour à la morale ou simple besoin
de nouvelles règles du jeu, sous la direction de CATHELAT (B), p 14. V. égal. : Le TOURNEAU (P), Existe-t-il une morale en droit des
affaires ?, La morale et le droit des affaires, Montchrestien, 1996, p 23 ; DARMAISIN (S), Le contrat moral, préf. B. Teyssié, L.G.D.J., 1999,
p 312, n°488 ; DIENER (P), Ethique et droit des affaires, Dalloz, chron., 1993, p19 ; BARBIERI (J-F), Morale et droit des sociétés, La
morale et le droit des affaires, Montchrestien, 1996, p 104 et s., n°11 et s ; LATHELIZE-BONNEMAIZON (M), Bilan et perspective du
devoir de loyauté en droit des sociétés, LPA, 2000, p 1 ; LE NABASQUE (H), Le développement du devoir de loyauté en droit des sociétés,
Rev. Trimestrielle de Droit Commercial, 1999, p 276 et s ; FOURNIER (G), Le droit pénal et le risque d’instrumentalisation de l’éthique dans
la vie des affaires, Mélanges J. Paillusseau, Dalloz, 2003, p289 ; LE TOURNEAU (P), Ethique des affaires et du management au XXIème
siècle, Droit & patrimoine, 2001, p.23 ; LE TOURNEAU (P), Existe-t-il une morale des affaires ? La morale et le droit des affaires,
Montchrestien, 1996, p 23, n° 35 ; DEVOS (D) ET LOUIS (J-V), avant-propos, L’éthique des marchés financiers, éd. de l’ULB, Bruxelles,
1991 ; DELGA (J), De l’éthique d’entreprise et de son cynisme, Dalloz Affaires, 2004, p 3126 ; OPPETIT (B), Ethique et droit des affaires,
Mélanges A. Colomer, Litec, 1993, p 321 ; FOURNIER (G), Le droit pénal et le risque de l’instrumentalisation de l’éthique dans la vie des
affaires, Mélanges J. Paillusseau, Dalloz, 2003, p 273.
435
BOUCOBZA (X), op.cit., p 13.
U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬،‫ ّج‬P$ A‫ ر‬،‫ ر‬d A ‫ ا‬9 ‫ ﺟ ا‬، !1 V =A6 .1997 ،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬،‫ ّج‬P$ A‫ ر‬،8‫ رﺟ‬P ‫ ر ا‬d AS ‫ ا‬+ ‫ ا‬،‫ ن راس‬0 ‫( ا‬63 : 6‫ُ اﺟ‬+ 436
.2007 ،‫ ء‬F
437
Cette opposition se retrouve, de façon générale, en droit des sociétés. Ainsi un auteur a pu affirmer que « le droit des sociétés est plus que
jamais soumis à deux tendances contradictoires : d’un coté la prolifération d’une réglementation de plus en plus tatillonne ; de l’autre
l’aspiration à davantage de souplesse et de liberté dans l’organisation et le fonctionnement de ses personnes morales ». GUYON (Y), Traité
des contrats, les sociétés, aménagements statutaires et conventions entre associés, LGDJ, 3ème éd., 1997, p 7. V. aussi SCHILLER (S), Les
limites de la liberté contractuelle en droit des sociétés, Th., Université PANTHEON-ASSAS, Paris II, 1999, p 16 et s.
438
BEN AMMOU (N), Essai sur l’abus de droit à travers l’article 103 du COC, mém. pré., p 2.
439
JEANTIN (M), "abus de droit", J. cl., Responsabilité civile, Fasc. IX A. p.1.
440
DESSERTEAUX (M), Abus de droit ou conflit de droit, R.T.D civ, 1906, p 119 et suiv

Page 56
INTRODUCTION

œuvre le mécanisme correcteur de l’abus et en l’absence de définition légale de cette notion, c’est lui qui en
définit les critères. L’étude de la jurisprudence démontre que l’abus est une notion plastique dont les juges
font varier les critères en fonction des circonstances de l’espèce.
Face à ces constations, il est nécessaire de se demander si l’abus est envisagé, en droit des sociétés,
de la même manière qu’il l’est en droit civil. La première remarque, c’est qu’en dépit de certaines
dispositions du code des sociétés commerciales dans lesquelles sont clairement posés les éléments
constitutifs de certains abus en droit des sociétés, ce sont les juges qui se sont évertués à définir le contenu
de l’abus, tel est le cas de l’abus de minorité qui n’est nullement appréhendé par le droit écrit. Ainsi, le rôle
du juge, en droit des sociétés, est aussi important qu’en droit civil. Le second constat, c’est que la spécificité
du droit des sociétés nécessite l’adaptation des critères posés en droit civil. La situation juridique dans
laquelle intervient l’exercice abusif d’un droit, ou d’une prérogative, n’est pas la même qu’en droit civil. En
effet, l’exercice abusif a lieu au sein d’une structure particulière. Le caractère à la fois contractuel et
institutionnel de la société doit être pris en compte lors de l’élaboration de la théorie de l’abus en droit des
sociétés.
La théorie civiliste de l’abus ne peut donc pas être transposée en droit des sociétés, lorsque le droit
utilisé tire sa spécificité de la nature même de la société, d’où l’apparition des notions d’abus de majorité,
abus de minorité, abus d’égalité et abus des biens, des pouvoirs ou des voix. En revanche, la notion civiliste
demeure applicable lorsqu’il apparaît qu’il importe peu que le droit en question soit exercé ou non au sein
d’une structure sociale ou autre.
Inspirés par les fondements civilistes de la théorie de l’abus, les magistrats se sont néanmoins
émancipés de ces derniers pour élaborer une théorie autonome adaptée à la spécificité de la matière du droit
des sociétés. Seule la finalité de l’abus reste la même : il s’agit de réprimer l’exercice anormal d’un droit ou
d’une fonction en faisant jouer le mécanisme correcteur de la notion.
Il en est de même en matière de concentration dans la mesure où il n’est plus question d’une société
isolée mais plutôt d’un ensemble d’entreprises sociétaires qui, pour une raison ou une autre, décident de
s’unir sous quelque forme que se soit. La logique de la concentration est totalement différente de celle de la
société isolée, ce qui impose donc l’instauration d’un concept d’abus différent et nouveau à même de tenir
compte de la nouvelle donne en vue de s’adapter aux spécificités de la matière.
62- La concentration constitue, désormais, une vérité du monde des affaires que les législations
commerciales ne peuvent plus méconnaître. Ce phénomène concentrationnaire devra permettre de repenser
le délicat problème de la notion d’abus. Appliquée à l’opération de concentration, cette notion met le
législateur face à deux défis fortement et forcément opposés. D’une part, il s’agit de promouvoir la
concentration de sociétés considérée, actuellement, comme étant la pierre angulaire de tout système
économique et par conséquent alléger la responsabilité des dirigeants et donc limiter le domaine des abus.
D’autre part, il faudra trouver les outils juridiques adéquats pour parer aux agissements portant atteinte aux
divers intérêts en présence, essentiellement ceux des créanciers, des associés minoritaires et surtout ceux du
marché national en cause. Le rôle du législateur serait alors d’apporter à ceux qui risqueraient d’être
écrasés par l’opération de concentration une protection qui, tout en étant efficace, ne compromet ni la
conclusion ni la réalisation de l’opération441.
Au vrai, tout procédé de concentration génère de nombreux risques. Pour les intérêts les plus
menacés, des protections sont certes aménagées, mais elles se heurtent à la concentration requise et
réciproquement. Une des raisons est sans doute que la théorisation doctrinale classique de la notion d’abus
ainsi que son régime spécifique ne sont pas pleinement satisfaisants. A partir de ce constat une nouvelle
approche est proposée : pour que chaque partenaire puisse faire valoir son point de vue et adhérer au
rapprochement, on ne doit plus chercher à contraindre au nom de l’intérêt général, mais plutôt tenter de
séduire en avançant les gains de chacun dans la recherche d’un intérêt commun. En d’autres termes, le
« trop de réglementation » doit céder le pas au contrat. Cela suppose non seulement moins de
réglementation contre plus d’autonomie de volonté, mais aussi un nouvel état d’esprit et certains contre-
pouvoirs. De même, une politique d’incitation à la concentration apparaît indispensable. Elle peut se
traduire par de simples suggestions des pouvoirs publics assorties de promesses de subventions ou de
commandes de la part de l’administration ou encore par la création d’organismes spécifiques cherchant,
entre autres, à regrouper l’ensemble des entreprises de certains secteurs442. En effet, s’agissant d’un
441
SOUAM (S), L’efficacité préventive des décisions en matière de concentrations, LPA, n° 259, 2000, p. 16.
442
CUKIERMAN (H), La pratique des fusions et des acquisitions aux Etats-Unis, Th., Université de Paris, Panthéon-Assas, 1976, p 7.

Page 57
INTRODUCTION

instrument de vitalité à la fois de l’économie et des entreprises, le législateur a tout intérêt à ne pas entraver
la concentration. L’apparition de dispositifs spéciaux sur le plan fiscal, favorisant les opérations de
concentration et notamment les fusions, les scissions et les groupes de sociétés résulte de cet impératif443.
Leur fonction est d’écarter le régime de droit commun qui peut se révéler rédhibitoire dans certains cas444.
A l’heure de la mondialisation445 et du libre échange, « il faut savoir qui encourager et comment
encourager446 ».
Il ne saurait être aussi question d’une réglementation prohibitive car législateur et auteurs sont
d’accord pour reconnaitre que la nouvelle expression de la concentration des capitaux est un stade
nécessaire de l’évolution économique. Ce mouvement de concentration est aussi irrésistible que celui des
groupements humains, n’a-t-on jamais songé à interdire aux individus de vivre à leur gré, en villes et en
villages ? Si les individus se réunissent, se concentrent, c’est par une force irrésistible. Où est le danger ?
C’est que ces concentrations servent, assez souvent, les intérêts égoïstes de quelques uns, voire d’une seule
personne. Cette concentration peut être alors l’occasion de tyrannies qui, nées des affaires, pourront un jour
attenter à l’autorité publique. Ce n’est pas alors en interdisant ou en frappant la concentration des sociétés
d’un droit fiscal élevé qu’on arrivera à défendre les citoyens contre les dangers de l’accaparement. Au
contraire, c’est par l’établissement d’un contrôle plus complet et plus étendu, par l’intervention de la justice,
par le renforcement des responsabilités des fondateurs, par la publicité donnée à l’opération, par un régime
préventif corroboré, efficace et efficient… C’est à tous ces points de vue que la question doit être réglée447.
L’un des défis les plus délicats de tout système juridique, face aux procédés de concentration, est d’assurer
un certain équilibre entre la sécurité juridique d’une part, et la flexibilité des normes d’autre part448.
« La transition démocratique que vit notre pays marque une nouvelle étape pour améliorer le
climat des affaires, stimuler l’initiative privée et favoriser la bonne gouvernance. Ces nouveaux défis nous
incitent à déployer tous nos efforts pour restaurer la confiance des investisseurs dans notre marché et
promouvoir le rôle de la Bourse dans le financement de l’investissement »449.
Faut-il rappeler aussi que les évènements de décembre 2010 qui ont conduit la Tunisie vers la
révolution du 14 janvier ont eu des répercussions surtout sur l’activité du marché financier. Le volume des
échanges a baissé de moitié sur le premier semestre 2011 et les cours des actions, particulièrement les
valeurs bancaires, ont fortement chuté. La baisse du marché de 16% aurait pu être plus importante n’eût été
les multiples mesures prises de concert entre le Conseil du Marché Financier, la Bourse et la profession des
Intermédiaires en Bourse pour contrecarrer la panique des investisseurs450.
Dans ces conditions, la Tunisie a plus que jamais besoin de retrouver la confiance des investisseurs
aussi bien nationaux qu’étrangers. Incitation et sécurité des transactions financières seront alors de mise
pour retrouver la croissance des années précédentes et encore plus.
63- Cette tension permanente entre contrôle et promotion, entre sécurité juridique et flexibilité
normative, est la caractéristique des procédés de concentration. Evidemment, les situations observées
paraissent fluides, insaisissables : c’est probablement l’une des raisons de l’absence de législation générale
applicable aux différents procédés de concentration. L’autre raison est vraisemblablement l’éparpillement
des secteurs juridiques concernés, car les visées du droit des sociétés sur la concentration ne sont
assurément pas les mêmes que celles du droit de la concurrence, du droit du travail, du droit fiscal, du droit
boursier ou du droit pénal des affaires. Il n’y a donc pas de législation générale sur les procédés de

443
V. sur ce point : Avantages fiscaux et politique de développement, Colloque national, Centre d’études fiscales de la Faculté de Droit de
Sfax, I. J., n° 80/81, Décembre 2009, p 31.
‫ ا ان‬I 5‫ ا‬a #G ‫ ه واول‬O‫ ا‬U N M+ d ! ‫ ا‬I ‫ ﺟ‬U N HG 4 ‫ ا‬0‫ ا ول ا‬G C M +‫ت ا ر‬S # ‫ ا‬U N p‫ي أ‬D ‫ وا‬9 # ‫ ه ا‬KO ‫ي‬D ‫ا‬ ‫ ا‬8$ # ‫ م ا‬4 ‫ ر ا‬K‫ ظ‬# " 444
‫ د ت‬P ‫ او ا‬h G ‫ ا‬4 ‫ ا‬#$ 9 a G k D ‫ و‬. + ‫ ا‬67‫ ا ا‬6 K 7‫ ا‬U N V #$ ‫ و أت‬M+ d ! ‫ ت ا‬# L I !$ S#G f C ‫اذا‬ G # +‫ ] د‬7 ‫ ا‬K$ #+ 3$ 8G 4 ‫ھ ا‬
K N ‫ م‬$ f 0‫ ا‬8 ‫ ا‬#+ 3 ‫ ا دئ ا‬9‫ اھ‬M ‫ و‬.‫ ت‬#+ 3 ‫ ا‬k DC V 4 ‫ ب رؤوس ا ال وم ا‬0‫' ا‬/ $ 8 ‫ و< ھ ا‬8‫ ل ھ‬# 4K ‫ ءات ا‬/ ‫] او ا‬$ ‫ او ا‬+‫ا دار‬
،39/38 ‫ د‬N ، ‫را‬ ‫ا‬، ‫ ا‬C ." I ‫ ن او ا ﺟ‬4‫ ن ا ط‬dN ‫ ا‬K 4 8G V #+ ‫ ان‬M + ‫ اط‬7‫و‬ ‫ و‬7 7 ‫ د‬7 SG ‫ت‬S # ‫ ا‬+ < 8‫ ھ‬+‫ ] د‬7 ‫ ط ت ا‬34 ‫ا‬
.3‫ ص‬،2008 8/ ‫ﺟ‬
‫ ا دل‬C < V K! K ‫ أ‬C ‫ا‬ 5‫ و‬C ‫دا‬ ‫اﺟ' و ا‬ ‫ ا‬6G‫ور‬ 4‫ ت ا ﺟ‬P ‫ و ا‬6 F ‫ ص و ا‬PO ‫ ا‬V 4$ ‫ أ م‬4‫ود ا ط‬ ‫ا‬ G 84#+ # ‫ ا‬L] " 445
.33 ‫ ص‬،2007 8/ ‫ ﺟ‬،17-16 ‫ د‬N ، ‫ ا‬، # ‫ ا‬، 3 , ‫م‬C0‫ أ‬." 8 ‫ا ري ا و‬
« Bien que le mot ne soit pas juridique mais plutôt à connotation économique, le terme mondialisation touche en plein cœur le domaine
juridique. Ainsi, la mondialisation peut-être définie comme étant un processus par lequel on tend à mettre en place un système qui cherche à
unifier les valeurs, les régles et les objectifs. Il s’agit donc d’un système qui cherche à intégrer le tout en son sein ». ETHANI-BARNAT (C),
Internet et mondialisation : aspects juridiques, I.J., n° 54/55, octobre 2008, p 10.
446
MTIR (M), Fiscalité et exportation, I.J., n° 14/15, décembre 2006, p 19.
447
GOMPEL (R), De la fusion de sociétés anonymes, Th., Paris, 1908, p 6 et s.
448
BESROUR (N), Approche en vue d’une sécurisation du système de sanction des règles de formation du contrat, I.J., n° 44/45, 2008, p 24.
449
BVMT, Rapport annuel pré., p 8.
450
Ibidem.

Page 58
INTRODUCTION

concentration, et pas non plus de vision commune des différentes branches du droit sur ce phénomène.
Nécessité alors de se tourner vers le droit commun pour rechercher dans les principes généraux du droit des
obligations, du droit des sociétés et dans la jurisprudence les outils qui permettront à la fois à ces entités de
fonctionner et aux tiers de voir leurs intérêts respectés, car la tension entre promotion et contrôle, se traduit
en pratique par une autre tension existant entre l’optimisation financière créée par la concentration d’une
part et, d’autre part, le respect des droits des tiers : minoritaires, créanciers, salariés…451
Mais, les règles traditionnellement applicables aux sociétés isolées étant le plus souvent inadaptées
en matière de concentration, cette protection ne peut être envisagée qu’au moyen d’une adaptation du doit
commun et l’émergence parallèle d’un nouveau droit applicable aux procédés de concentration.
64- Notre propos est, dès lors, de forger une théorie générale de l’abus dans les procédés de
concentration des sociétés et d’appréhender ses applications dans les différents domaines de la vie juridique.
Cette recherche nécessitera l’application d’une méthode à la fois historique et comparatiste pour
comprendre la genèse des institutions et des concepts, tenter de saisir leur vie interne ainsi que leurs
particularités et essayer de contribuer à déterminer les règles régissant la notion d’abus dans les procédés de
concentration452. Elle s’appuiera sur le code des sociétés commerciales ainsi que d’autres codes et plusieurs
lois spéciales et règlements applicables au domaine de l’étude. La recherche sera axée sur la théorie
juridique marquée par une richesse extraordinaire par rapport à la pratique judiciaire tunisienne qui est assez
peu fournie en décisions de principe. Cette théorisation juridique est, en effet, parvenue à traduire et
maitriser les aspirations du monde des affaires et à « élaborer des schémas généraux où viennent prendre
place, et en quelque sorte se mouler, les faits réels de la vie sociale 453». Elle semble à même de projeter
dans le futur les exigences variables de la vie économique ainsi que les besoins mutants du monde des
affaires, aménager le cadre de leur évolution et anticiper les solutions. Ainsi, Saleilles, n’a-t-il pas soutenu
que « le droit n’est pas une réalité matérielle dont on puisse constater l’existence en dehors de la pensée de
ceux qui la conçoivent 454» ?
La conceptualisation entretenue s’appuiera sur les lacunes juridiques, les imperfections ainsi que le
« flou » marquant certaines dispositions juridiques. On partira de concepts vagues et hétérogènes dans le but
d’aboutir, au moyen d’un effort de systématisation accompagné d’un essai continu de normalisation, à une
théorie générale de l’abus solide et défendable, mais qui pourrait certainement faire l’objet de controverses
et d’objections. Heureusement que « le droit n’est pas cet absolu dont souvent nous rêvons. Le droit est
droit, sans doute, mais les hommes le plient en tous sens, le ploient à leurs intérêts, à leurs fantaisies, voire
à leur sagesse. Flexible droit, droit sans rigueur. Faut-il, d’ailleurs, s’en lamenter ? Il est peut-être
salutaire que le droit ne soit pas cette massue, ce sceptre qu’on voudrait qu’il fût… »455. Le droit n’est pas
une science exacte, il admet nécessairement, en tant que science humaine, un certain coté de doute et
d’incertitude mettant, inéluctablement, en place des contestations et des polémiques.
65- Faut-il rappeler aussi que depuis le début du siècle dernier, le droit tunisien procède
constamment à des transplantations de règles étrangères. Notre législation, traditionnellement fondée sur le
droit écrit, a naturellement manifesté une préférence pour la famille romano-germanique456, notamment le
droit français. Néanmoins, depuis une dizaine d’années, surtout en matière de droit des sociétés, on constate
un engouement du législateur pour les droits de la famille du Common-Law, notamment le droit américain,
mais en transitant toujours par son homologue français. Cette transplantation massive et parfois non
judicieuse de règles étrangères fait que le droit des affaires tunisien n’est qu’un habit d’Arlequin457. Les
divergences des règles provenant tantôt du droit français et tantôt du droit américain et anglais provoquent,
de temps en temps, des incohérences et des confusions. Le temps est, sans doute, venu pour mener une
réflexion sur la méthodologie de transplantation des droits étrangers. Pour un pays comme la Tunisie qui a
l’ambition de construire un Etat de droit, l’introduction tous azimuts d’éléments venus de droits étrangers,
sans tenir compte de la réalité économico-sociale du pays, risque certainement de mettre en place un
451
DEKEUWER-DEFOSSEZ (F), Avant Propos, Groupes de sociétés : contrats et responsabilités, actes de la journée d’études du 19
novembre 1993, Université de Lille II, LGDJ, Paris, 1994.
‫ه‬D‫ وردت ھ‬." ... V #$ ‫ " و‬$ ‫و‬ a4‫ ط‬8G ‫ و‬...‫ أ ر‬U N +'+ ‫ ظ ھ ه‬8G *+‫أن " ا ر‬ ّ P+‫ ت ا ر‬L# ‫ د ا‬N‫] ص ا‬P ‫(ون‬2V , ‫ ن ا‬0 ‫( ا‬63 ّS# ‫ ل ا‬+ 452
.V. http://www.almolltaqa.com/vb/archive/index.php/t-38167.htm ّ ‫با‬ ‫ا‬
453
GENY(F), Méthode d’interprétation et sources en droit privé positif, Essai critique. Préf. R. SALEILLES, Paris, 1954, p 464.
454
SALEILLES (R), De la personnalité juridique, Paris, 1910, p 603.
455
CARBONNIER (J), Flexible droit : pour une sociologie du droit sans rigueur, LGDJ, 6ème Ed., 1988, p 379.
.1995 ،‫ ل‬# ‫ ا‬6 L ، ‫ ا‬9 4 ‫* ا‬+‫ ر‬$ ،l ‫ و ا و‬3 AJ ‫( ا‬63 : ‫ا ا ط ر‬D‫ ھ‬8G 6‫ُ اﺟ‬+ 456
457
L’expression « habit d’arlequin » signifie au sens figuré un ensemble composé de parties disparates ; un ouvrage fait de morceaux pris chez
différents auteurs ou encore un tout composé de parties disparates.

Page 59
INTRODUCTION

obstacle difficile à surmonter. Ce problème a d’ailleurs une valeur universelle dans la mesure où les droits
des différents pays s’influencent en permanence et l’introduction de règles et d’institutions étrangères
constitue toujours un bon moyen de tirer profit des expériences étrangères. Cette introduction est pourtant
très délicate. En effet, nul n’en disconvient que le droit, produit de la culture et de l’histoire, suppose une
extrême prudence dans les opérations de transplantation458.
A ce niveau, déjà, une observation ne manque pas de s’imposer. La Tunisie est aujourd’hui en passe
de devenir une plate-forme financière et un pôle d’affaires important. Les pouvoirs publics ont
certainement compris que le développement passe inévitablement par le chemin du libéralisme
économique. Or d’aucuns ne saurait douter que la règle juridique est le moyen de concrétisation de toute
politique économique. En vue d’atteindre les objectifs tracés, il convient de scruter les dispositions
juridiques existantes et essayer autant que faire se peut de les dynamiser afin de les hisser au niveau des
faits qui évoluent plus vite que les textes459. Il va sans dire que la vivacité et le développement que connait
la pratique des affaires tunisiennes ainsi que les marchés de change et des titres appellent une intervention
législative qui prend en considération les données économiques, sociologiques et psychologiques de notre
pays sans pour autant verser dans un mimétisme condamnable460. Sans pour autant perdre de vue que dans
les pays sous-développés, le premier objectif est à l'évidence, le développement. Ces pays « doivent réaliser
des transformations législatives profondes dans des délais brefs »461.
Notre propos, dans cette thèse, ne sera donc pas de suggérer une transposition aveugle du droit
français ou de son homologue anglais ou américain ou du droit communautaire. Bien au contraire, on
étudiera ces différents systèmes juridiques afin de profiter, dans la mesure du possible, de leurs expériences
en matière de lutte contre l’abus dans les procédés de concentration. Mais, à chaque fois qu’une prise en
compte d’une règle étrangère s’avère nécessaire en droit tunisien, on vérifiera son opportunité ainsi que la
possibilité de réception en tenant compte de l’environnement juridico-économique du pays et en essayant de
préserver, tant bien que mal, l’harmonisation du système juridique tunisien462.
66- « Théorie vient du verbe grec theôrien, dénotant l’idée d’ « observer », de « contempler »,
mais il s’agit, en fait, de « voir » par la pensée, de « visions » de l’esprit, de « regards » purement
intérieurs, c’est-à-dire de l’expérience de ce que, non pas les choses du monde, mais nos propres
opérations intellectuelles font apparaître à notre conscience »463. Sous le mot theoria, « l’usage des
juristes…associe les différents thèmes que suggère l’étymologie. L’idée d’une pluralité d’éléments, celle
d’une présentation ordonnée, d’une observation attentive, d’une étude systématique s’y retrouvent. C’est
bien une vérité qu’il faut tenter de découvrir, de décrire, d’expliquer »464, et non pas une réalité positive qui
s’impose à « nous ». « Aucune théorie n’est jamais le simple reflet, absolument fidèle et neutre –somme
toute presque inutile – d’un droit positif tenu pour parfaitement et indiscutablement déterminé »465.
Le propos d’une théorie générale répond ainsi à l’idée d’une construction intellectuelle, méthodique
et organisée, visant à ériger en synthèse cohérente la pensée relative à une matière déterminée466. De façon
plus méthodique, la théorie générale part de l’observation des systèmes juridiques, de la recherche de leurs
éléments permanents, de leur articulation pour en extraire les concepts, les techniques, les principales
constructions intellectuelles467, etc.
Il est clair que la notion de « théorie générale » revêt bien des définitions. Mais, leur mise en œuvre
est encore plus délicate468. Comment démontrer alors la probable existence d’une théorie générale
applicable à un élément d’un système juridique bien déterminé ? Ou plus précisément comment élaborer
une théorie générale de l’abus dans les procédés de concentration des sociétés ?

458
CHENG (J), Thé. pré., p 33 et s.
459
BEN NASR (T), Thé. pré.
460
Ibidem.
461
GRANGER (R), Pour un droit du développement dans les pays sous-développés, Mélanges HAMEL, DALLOZ, 1961, p. 47.
462
BOUACHBA (T), Un nouveau-né pour le droit de l’entreprise : la loi relative à l’initiative économique, I.J., n° 40/41, février 2008, p 6 ;
CHOYAKH (F), Commentaire de la loi n° 2007-69 du 27 décembre 2007, relative à l’initiative économique, I.J., n° 40/41, février 2008, 20 ;
FRIKHA (S), Les apports de la loi relative à l’initiative économique au droit des sociétés commerciales, I.J., n° 40/41, février 2008, p 30.
463
AMSELECK (P), Science et déterminisme, Ethique et liberté, PUF, Coll .Questions, 1988, p151.
464
ATIAS (CH), Théorie contre arbitraire, PUF. Coll. Les voies du droit, 1987, n°11, p 30.
465
Ibidem.
466
MARTIN (D), Préface de la thèse de J. Duclos, L’opposabilité, essai d’une thèorie générale, LGDJ, 1984.
467
BERGEL (J-L), Théorie générale du droit, Dalloz, Coll., Méthodes du droit, 3ème éd., 1998, n° 4, p 4.
468
GAVIN-MILLAN (E), Essai d’une théorie générale des contrats spéciaux de la promotion immobilière, LGDJ, 2003, p 18, n° 19.

Page 60
INTRODUCTION

La démonstration d’une théorie générale est trop souvent restreinte469. Dans sa conception la plus
courante, la théorie générale de l’abus englobe à la fois une notion et un régime juridique470. Elle pose des
règles communes à l’ensemble des abus dans les procédés de concentration. Elle a ainsi un tour abstrait en
énonçant le régime applicable à tout abus quel qu’il soit471. Il en est de même des autres théories générales
que connaît notre système juridique. Tel est le cas, par exemple, de la théorie générale de la sûreté réelle
qui commence par proposer une définition de la notion de « sureté réelle », avant d’exposer les principes
qui gouvernent son régime472. Il semble, en fait, que l’on confonde théorie générale et règles communes,
puisque, bien que nombreuses et disparates, les sûretés « obéissent à un corps de règles commun »473.
Si l’établissement d’un régime commun est nécessaire au propos d’une théorie générale, il n’est pas
suffisant. Il faut insister sur le fait qu’il y a une unité, peut être, mais dans la diversité des abus. Lorsque la
théorie générale se fonde « sur l’étude d’une petite partie du système juridique…, elle peut…découvrir sous
leur diversité une plate-forme commune composée d’un certain nombre de constante… et d’une structure
de pensée commune »474. Ce n’est que dans la diversité et la multitude que l’on peut constater une
cohérence et des régularités. Une théorie générale naît de la diversité, car l’ensemble cohérent qu’elle
forme suppose différentes espèces. La théorie générale de l’abus n’existe pas par rapport à une notion et un
régime commun de l’abus, elle existe plus exactement par rapport à une notion d’abus unique et un régime
commun applicable à toutes formes d’abus dans les procédés de concentration.
A l’opposé, la démonstration d’une théorie générale est souvent réduite à une classification.
Lorsqu’il s’agit de penser une théorie générale des abus dans les procédés de concentration, elle tient au
seul contenu de la classification de ces abus475. Les « essais de classification synthétique »476 ou
« systématique »477 procèdent uniquement d’une recherche des critères de classification. Il semble qu’il
s’agit moins d’une opération globale de classification, que d’une recherche de systématisation des critères
de classification. L’obsession est avant tout l’ordonnancement et la discipline dans le chaos des espèces
pour remédier à la dispersion des abus dans les opérations de concentration. Il s’agit essentiellement de
donner un nom aux choses qui paraissent nouvelles et étranges. Pourtant, l’opération de classification n’a
pas pour unique objet le rangement au sein de catégories. « Ce n’est rien de nommer les choses »478, ou
c’est insuffisant. On classe les choses, les contrats, ou autres pour découvrir leurs régimes juridiques.
La classification est l’opération préalable qui permettra d’ordonner les abus, puis déterminer leur
régime juridique. Mais, il ne faut pas s’arrêter là. Il faut, ensuite, se demander si cette classification permet
ou non de regrouper les régimes juridiques. Si la classification ne le permet pas et qu’elle conduit à des
différences de régimes juridiques, il n’y a pas alors de théorie générale, car il n’y a ni cohérence, ni
régularité. « L’impossibilité de systématisation est présentée comme un obstacle majeur à l’élaboration
d’une théorie générale »479. Si l’opération de classification des abus conduit à une diversité des régimes,
c’est la marque de l’échec d’une théorie générale des abus. Aucun « standard », aucune « plate-forme
commune » n’ont été découverts sous la diversité480. A l’opposé, si la classification permet un
regroupement des régimes juridiques, il y a certainement là des éléments propices à l’existence d’une
théorie générale de l’abus à l’aune de la concentration.
Ainsi la théorie générale, qu’on se propose d’élaborer, se nourrit des deux composantes, d’une
classification et d’une systématisation des régimes juridiques. Il faut d’abord tenter une classification pour
ordonner la diversité des formes d’abus et parvenir à une définition unique de l’abus. Cette détermination
de l’abus permet l’appréhension des régimes juridiques et provoque leur harmonie. Cette harmonie des
régimes juridiques résulte de la mise en place de nouveaux principes directeurs, distincts de ceux
applicables à l’abus en droit civil ou en droit des sociétés isolées. Ils tendent à assurer la protection des
accédants à la concentration dans une mesure équivalente pour tous les abus.

469
SAVAUX (E), La théorie générale du contrat, mythe ou réalité ?, LGDJ, 1997, n° 37, p38.
470
Ibidem.
471
MALAURIE (PH), Droit civil, Les contrats spéciaux, Les cours de droit, Paris, 1980, p 3.
472
MESTRE (J), PUTMAN (E) et BILIAU (M), Traité de droit civil, Droit des sûretés réelles. Théorie générale, LDGJ, 1996, n° 8, p 7.
473
SIMLER (PH) et DELEBECQUE (PH), Les sûretés. Publicité foncière, Précis Dalloz, 2ème éd., 1995, n°19, p 23 et 24.
474
BERGEL (J-L), op. cit., n°3, p 4.
475
SAVAUX (E), Th. pré., n° 76, p 61.
476
PLANIOL (M), Essai de classification synthétique des contrats spéciaux, Rev. crit. de la leg. et juris., 1904, p 470.
477
BEGAMANS (B), Essai de systématisation nouvelle des contrats de droit privé, R.R.J., 1990, 3, p 411 ; AUBERT (S), Essai sur le contrat
spécial, Th., Tours, 1994, p 6.
478
PROUDHON (P-J), Qu’est ce que la propriété ? Ou recherches sur le principe du droit du gouvernement, Garnier-Flammarion, 1966, p 60.
479
SAVAUX (E), Th. pré., p 9, n° 44 ; dans le même sens DUCLOS (J), L’opposabilité, Essai d’une théorie générale, L.G.D.J., 1984, p 22.
480
GAVIN-MILLAN (E), op. cit., p 20.

Page 61
INTRODUCTION

L’étude envisagée prend alors toute sa signification et son intérêt. Il faudra insister aussi sur
l’orientation strictement positiviste de la démarche entreprise, s’écartant de tout jugement d’opportunité
pour privilégier une recherche essentiellement scientifique481. Il ne s’agit pas, notamment de déterminer si
une utilisation particulière de l’abus, au sein de la concentration, est bonne ou mauvaise, car c’est
introduire un élément non scientifique dans l’étude482. Il s’agit plutôt de faire œuvre d’explication, de
systématisation, en évitant, autant que possible, le parti pris éthique ou politique. En évitant aussi, à la fois,
tout apriori technique et philosophique, la recherche partira de données objectives, à savoir le discours des
acteurs juridiques sur l’abus appliqué à la concentration. Il s’agit plus précisément de transformer le
concret en abstrait, de passer de la réalité au monde de l’esprit483. Mais cette démarche ne reste pas un
simple jeu intellectuel, elle a une utilité car, la notion, une fois identifiée, permettra ensuite de qualifier des
situations concrètes et d’y apporter les solutions prévues par la règle de droit. Ainsi que l’explique
parfaitement M. Jarrosson : « le conceptualisme impose un mouvement ascendant et descendant, qui mène
de la réalité au concept, puis du concept à la réalité. La connaissance et l’étude d’une portion de la réalité
permettent une généralisation grâce à un effort d’abstraction »484.
67- L'analyse des différentes manifestations de l'abus dans les procédés de concentration des
sociétés laisserait à penser que les actes abusifs se matérialisent apriori chacun de façon différente et
spécifique. En effet, l’abus semble avoir autant de visages qu’il existe de prérogatives juridiques. La
construction d’une théorie générale de l’abus semble être alors, sinon impossible485, au moins d’une
exceptionnelle difficulté486. Cependant, si tel était véritablement le cas, il serait illusoire de tenter d'analyser
l'abus dans les procédés de concentration puisqu'il n'y aurait pas un abus mais une pluralité d'abus
distincts487. L'abus ne serait alors qu'un vague concept, un concept mou, pour reprendre une idée chère au
doyen Carbonnier488. Il existe pourtant des constantes, une trame commune, un dénominateur commun
puisque tous ces actes sont regroupés sous le terme « abus ». L'abus, en droit de la concentration, serait
donc bien plus un vaste concept qu'un vague concept. Pour s'en persuader, il convient de mettre en relation
les différentes manifestations de l'abus en la matière. Tous les actes abusifs procèdent d'un comportement
apparemment semblable ce qui justifie le but de la présente recherche, à savoir une esquisse de théorie
générale de l’abus dans les procédés de concentration reposant, tout d’abord, sur une tentative de
détermination de cette notion originale et protéiforme (première partie). A l’affirmation de la dite notion
répond, ensuite, la construction d’un régime juridique spécifique et unifié (deuxième partie).

PREMIERE PARTIE : Détermination de la notion d’abus dans les


procédés de concentration
DEUXIEME PARTIE : Unification du régime spécifique à l’abus dans
les procédés de concentration
481
« Avant de porter sur le droit, le positivisme est une métathéorie, une conception de la science du droit qui dérive de l’empirisme ; il s’agit
de construire une science du droit sur le modèle des sciences empiriques, c’est-à-dire une science qui se borne à décrire le droit tel qu’il est et
non tel qu’il devrait être. Elle ne prescrit donc rien et s’il existe des auteurs qui prêchent l’obéissance au droit positif, ces auteurs ne sont pas
des positivistes mais des pseudo-positivistes ». Le positivisme considère que des jugements de valeur sont envisageables de la part des auteurs,
mais qu’ils « ne peuvent être portés au nom de la science. En d’autres termes, ils consistent simplement dans l’énoncé des conditions
permettant de caractériser un discours comme scientifique » : TROPE (M), La doctrine et le positivisme (à propos d’un article de Danièle
Lochak), In Les usages sociaux du droit, PUF 1989, p. 286.
482
JESTAZ (P) et JAMIN (C), Doctrine et jurisprudence : cent ans après, RTD civil, janvier-mars 2002, p. 1 et s.
483
« Il faut généraliser par une démarche de l’esprit ce qui a été saisi, de manière fragmentaire, dans la réalité » : LECUYER (H), La notion
d’abus, Cours de DEA de droit pénal, Université Panthéon-Assas, Paris 2, 1997 ; LITTRE (H), Dictionnaire de la langue française, Hachette,
1881, V° « Notion» : « idée qui se forme dans l’esprit (..), La notion n’est pas une perception ; elle ne résulte pas seulement de l’action de
l’objet sur les sens ».
484
JARROSSON (C), La notion d’arbitrage, LGDJ, Bibliothèque de droit privé, t. 198, 1987, n° 455. On peut lire aussi ce qui suit : «
Analyser, en effet, ne consiste pas à aller du général au particulier, mais bien de remonter du particulier au général ». V. aussi LE
TOURNEAU (P) et CADIET (L), Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz, 1ère édition 2000, n° 16. Il faut encore ajouter la
remarque de M Rivero : « A un plan plus humble, le faiseur de systèmes, remontant du concret à l’abstrait, passant du multiple à l’un, va
s’efforcer de ramener la pluralité des solutions données par la loi ou la jurisprudence à quelques formules qui en dégagent les aspects
fondamentaux ». RIVERO (J), Apologie pour les faiseurs de systèmes, D., 1951, Chronique, p. 99.
485
DURRY (G), note sous Cass. Fr. 3è civ., 27 Mars 1969 et Cass. 2è civ., 4 Janvier 1968, RTD Civ., 1972, p 395 et s.
486
SORTAIS (J-P), L’abus de droit en droit français : deux cas d’application, In Abus de droit et bonne foi, sous la dir. De P. WIDMER et B.
COTTIER, éd. Université de Fribourg, 1994, p 64.
487
TUAILLON (C), L’abus en droit des sociétés, vague concept ou vaste concept de protection ?, LPA, 10 mars 2004, n° 50, p 4.
488
CARBONNIER (J), Droit civil, Vol. 2, Les biens, P.U.F., 2004, n° 171 ; (même auteur), Flexible droit : pour une sociologie du droit sans
rigueur, op. cit., p 9.

Page 62
PREMIERE PARTIE

Détermination de la notion
d’abus dans les procédés de
concentration
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

68- Edifier les jalons d’une théorie générale « nécessiterait d’avoir tout lu, tout vu et d’être doué
d’une capacité de synthèse hors du commun. Cela conduit, par la force des choses, …à demander au lecteur
de tenir compte de l’inévitable part de subjectivité dont l’auteur de ces lignes, comme d’autres, ne peut
totalement se départir »489. Suffira-t-il de souscrire à ces propos de Didier MAUS pour être à moitié pardonné
de n’avoir pas tout lu et tenté malgré tout de faire une synthèse du concept d’abus à l’aune des procédés
modernes de concentration ? Peut-être pas… Mais faut-il pour autant y renoncer quand la thématique invite à
réfléchir sur un sujet qui préoccupe depuis plus d’un siècle les juristes de l’école romano-germanique : une
théorie générale de l’abus ! L’occasion était trop belle et ne pouvait se refuser…

69- La notion d'abus est loin d'être inconnue en droit des sociétés, et plus précisément en matière de
concentration. Cependant, ses manifestations apparaissent a priori toutes aussi éloignées les unes des autres.
Est-ce à dire que l'abus, en cette matière, est une notion protéiforme, aux contours vagues ? Ou, peut-on au
contraire trouver des constantes, soulignant la cohérence et l'unicité du concept ?
La notion d’abus connaît depuis plusieurs décennies ce qui pourrait être qualifié de « liesse de
croissance » : éclatement de la notion et apparition de plusieurs formes d’abus. Tout cela risque
inexorablement de remettre en cause la possibilité de la construction d’une théorie générale de l’abus dans les
procédés de concentration. En effet, les avatars incessants du concept expliquent les difficultés rencontrées de
tous temps par les juristes à élaborer une approche générale et synthétisée de cette notion élastique et
hétérogène.

L’ambition qui anime cette recherche, au niveau de la première partie, consiste à rompre
catégoriquement avec ce jugement hâtif ; car en prenant le temps de la réflexion, en s’intéressant aux
fondements théoriques et aux éléments constitutifs des différentes formes d’abus, en identifiant les enjeux et
les impératifs à sauvegarder, on retrouve dans cette notion, un noyau dur, un socle commun, ou plus
précisément une véritable unicité.
Pour s'en persuader, il convient de mettre en relation les différentes manifestations de l'abus dans les
procédés de concentration des sociétés. La démonstration débutera alors par un « état des lieux » des
différentes approches législatives du concept. Il s’agira d’étudier chaque forme d’abus de façon individuelle
dans le but de relever ses caractéristiques ainsi que ses éléments constitutifs. L’analyse de l’« existant » mettra
inéluctablement en exergue une multiplicité des approches ou des formes d’abus (titre premier).
Cet état des lieux n’est pourtant pas un inventaire ni une liste des abus possibles dans les procédés de
concentration. Il constitue le préalable nécessaire à toute recherche d’explication de la diversité ainsi
rencontrée. Il est aussi un passage obligatoire, ou une sorte de préparatoire ou de tremplin, pour la synthèse
des différentes approches d’abus dans le but de trouver un socle commun, une trame commune, témoin de
l’unicité du concept malgré ses formes plurales et diversifiées. Cette unicité dans la multiplicité constituera
sûrement un premier soubassement à la théorie générale de l’abus dans les procédés de concentration (titre
deuxième).

Titre Premier : Multiplicité des formes d’abus dans les procédés de


concentration

Titre Deuxième : Unicité du concept d’abus dans les procédés de


concentration

489
MAUS (D), Où en est le droit constitutionnel ? In Mélanges en l’honneur de Franck Moderne, Mouvement du droit public, Dalloz, Paris, 2004,
p 691-737.

Page 64
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Titre Premier : Multiplicité des formes d’abus


dans les procédés de concentration
70- L’abus est partout en droit des sociétés au point qu’un auteur n’hésite pas à soutenir que « les
hypothèses où l'abus est en rapport avec l'activité d'une société sont légion »490. Ainsi, il est possible de
constater qu'en matière pénale, l'abus de confiance côtoie l'abus des biens et du crédit de la société auquel il
convient d'adjoindre l'abus des pouvoirs ou des voix491. En droit de la concurrence, plusieurs abus sont aussi
détectables, tels l’abus de position dominante ou celui de dépendance économique. Dans le domaine
contractuel, les hypothèses où les sociétés rencontrent l'abus de droit se révèlent en quantité considérable. Une
société peut abusivement rompre des pourparlers, ou n'être constituée que dans un but frauduleux, cette
constitution étant qualifiée d'abus de la personnalité morale. Au sein des sociétés, des actionnaires ou associés
peuvent user de leur droit de vote de manière abusive. Le nombre et la variété des actes abusifs semblent
conséquents voire infinis. Les cas d'abus, dans le contrat de société, se ramassent à la pelle492. Il en existe
certes de diverses sortes. Cependant, l'abus ne concerne spécifiquement les procédés de concentration des
sociétés que dans un nombre limité de situations.
Il est véritablement question d'abus dans les procédés de concentration des sociétés lorsque l'acte
considéré comme abusif ne peut prendre place généralement qu'en présence d'un procédé de concentration ou
lorsque les éléments constitutifs de l’abus sont modifiés en matière de concentration, ou encore lorsque les
conséquences de l’abus deviennent si considérables du seul fait de l’existence d’une opération de
concentration. Ceci n'est pas le cas, par exemple, de l'abus de confiance, qui ne suppose pas nécessairement
l'existence d'une personne morale à vocation commerciale. De même, l'abus du droit de rompre des
pourparlers ou une relation contractuelle peut parfaitement exister du fait d'agissements de personnes
physiques. La situation est identique pour l'abus de révocation des mandataires sociaux. S'il est vrai que ceux-
ci prennent place au sein de la société, il reste que l'abus en question touche tous les contrats de mandat, qu'ils
soient sociaux ou non.

Partant de toutes ces précisions, les abus propres aux procédés de concentration, nécessitant une étude
approfondie et détaillée, peuvent être classés en deux catégories. Dans la première, on retrouve les abus
intérieurs à l’opération de concentration, c'est-à-dire ceux qui touchent directement les sociétés
concentrationnaires (Chapitre Premier). Dans la seconde, seront mis en épigraphe les abus extérieurs aux
opérations de concentration, c'est-à-dire ceux qui portent atteinte, non pas aux sociétés protagonistes de
l’opération de concentration, mais plutôt à leurs partenaires (Chapitre Deuxième).

Chapitre premier : Multiplicité quant aux abus intérieurs à


l’opération de concentration
Chapitre deuxième : Multiplicité quant aux abus extérieurs à
l’opération de concentration

490
COURET (A), L'abus dans le droit des affaires, et plus spécifiquement l'abus et le droit des sociétés, Droit et Patrimoine, no 83, juin 2000, p 66
et s.
491
Pour une vision plus large des comportements abusifs répréhensibles du point de vue pénal au sein des sociétés, V. LABROUSSE (C), La
responsabilité pénale des dirigeants, Ed. First, 1996. Sur l'abus de biens sociaux à proprement parler, il est possible de se référer à l'ouvrage de
LARGUIER (J) ET CONTE (P), Droit pénal des affaires, Armand Colin, 10ème Ed. 2001, nos 375 et s., p 336 et s ; JEANDIDIER (M-W), Droit
pénal des affaires, Dalloz, 4e éd. 2000, nos 263 et s., p. 332 et s. Pour une vision moins théorique de ce sujet, V. JOLY (E) ET JOLY-
BAUMGARTNER (C), L'abus de biens sociaux à l'épreuve de la pratique, Économica, 2002.
492
FAGES (B), Des motifs de débat, Revue des Contrats, 01 avril 2004 n° 2, p 563.

Page 65
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Chapitre Premier : Multiplicité quant aux abus


intérieurs à l’opération de concentration
71- Les seules véritables hypothèses où l'abus est interne à l’opération de concentration se limitent à
l'abus des biens ou du crédit de la société, l'abus des pouvoirs ou des voix ainsi que l'abus du droit de vote qui
se traduit par l'abus de majorité493, de minorité494 et d’égalité495. Dans ces situations, l'abus se matérialise
toujours au sein de la société. Il ne peut y avoir, par définition, de tels abus en dehors de l'existence d'un
groupement commercial. On verra que les éléments constitutifs de ces abus doivent-être modifiés dans les
procédés de concentration496.
La même constatation peut se faire, dans une large mesure, concernant l’abus de la personnalité morale
et celui de licenciement abusif. Le premier prend généralement place au sein des groupes de sociétés, alors que
les conséquences du second atteignent des mesures considérables en matière de concentration de sociétés.
Une analyse à partir des personnes en présence, selon l’intéressante proposition de M Stoffel-
Munck497, peut donc être entreprise. Partant de cette proposition, les différentes formes d’abus peuvent être
classées sur deux plans. Le premier englobera les abus commis par les dirigeants (Section première). Le
second embrassera ceux perpétrés par les associés (Section deuxième).

Section Première : Multiplicité des abus commis


par les dirigeants

72- Les gestionnaires d’entreprise ou les dirigeants sont des acteurs majeurs de la vie économique.
De solides compétences juridiques leur sont donc indispensables. De telles compétences sont essentielles,
voire obligatoires afin d’éviter la commission d’abus de gestion car il est communément admis qu’un
dirigeant, juriste de formation, est moins enclin à commettre des abus qu’un dirigeant profane dans la mesure
où le premier a toujours en tête les responsabilités civiles et pénales résultant de la perpétration de tels actes
alors que le second peut totalement ignorer ces conséquences juridiques.
Il arrive toutefois que même un dirigeant, juriste de formation, peut être amené, par pure cupidité, à
commettre des abus lors de la gestion de l’être moral et ce, dans le but de se procurer un enrichissement
personnel direct ou indirect.
Ces abus liés à la gestion de l’activité sociétaire ou encore à la fonction de dirigeant ou
d’administrateur sont nombreux. On distingue généralement entre trois types d’abus : l’abus des biens, du
crédit, des pouvoirs ou des voix (sous-section première) ; l’abus de la personnalité morale (sous-section
deuxième) et l’abus du licenciement (sous-section troisième).

493
Sur ce point, cf. RIPERT (G), ROBLOT (R) ET GERMAIN (M), Traité de droit commercial, T. 1, vol. 2, les sociétés commerciales,
L.G.D.J., 18e éd., 2002, no 1556-1, p. 337.
494
Ibidem, no 1587-1, p. 369.
495
LARGUIER (J) ET CONTE (P), Op. Cit., no 371, p. 331.
496
A titre d’exmple V. concernant l’abus des bien sociaux : infra, n° 100 et s.
497
STOFFEL-MUNCK (P), L’abus dans le contrat, op.cit., n° 241.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Sous-section Première : L’abus des biens et les cas


assimilés dans les procédés de concentration498
73- Force est de constater que l’abus des biens, du crédit, des pouvoirs ou des voix intrigue le juriste
à bien des égards. Il suffit pour s’en convaincre d’évoquer, d’abord, la source fluctuante de cet abus dans les
procédés de concentration des sociétés (-§1-) et, ensuite, envisager l’étude de la complexité de sa
détermination légale (-§2- ) ; pour aborder, enfin, sa spécificité dans les mêmes procédés de concentration
(-§3- ).

-§1- Une source fluctuante de l’abus


74- A l’instar du droit français499, l’abus des biens sociaux est relativement récent en droit tunisien.
En effet, cet abus a eu droit de cité le 13 novembre 1959, date de promulgation du code de commerce dans son
article 86500 qui a été repris par la suite dans le code des sociétés commerciales501. Avant cette date, les

498
Les cas assimilés sont : l’abus du crédit, des pouvoirs ou des voix. On se permettra, tout au long de cette étude, de désigner l’abus des biens, du
crédit, des pouvoirs ou des voix sociaux par le vocable « abus de biens sociaux » ou « abus de biens sociaux et les cas assimilés ».
499
Suite à l’affaire Stavisky, le délit d’usage abusif des biens ou du crédit des sociétés a été institué, en droit français, par le décret-loi du 8 août
1935 qui a modifié et complété la loi du 24 juillet 1867. L’abus de biens sociaux devint alors une infraction autonome. Cependant, il n’y avait pas,
antérieurement, de vide juridique en la matière. En effet, depuis un arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation française du 2 août 1845,
c’est par le truchement de l’article 408 ancien du code pénal français sur l’abus de confiance que les juges réprimaient l’abus de biens sociaux.
Cette incrimination sous l’empire de l’article 408 précité était à la fois plus étendue et plus restreinte par rapport à l’incrimination actuelle résultant
de la loi de 1966 (actuellement reprise par le C.C.F.), laquelle reprend les éléments constitutifs de l’abus de biens sociaux défini par le décret-loi de
1935. En effet, avant ce dernier, ni les poursuites ni les condamnations n’exigeaient que les dirigeants aient agi dans leur intérêt personnel. La
jurisprudence était celle de l’abus de confiance et il suffisait d’établir que les fonds avaient été utilisés à des fins étrangères à celles auxquelles ils
étaient destinés. Les condamnations étaient donc fréquentes. De plus, les poursuites visaient aussi bien le dirigeant social que n’importe quel
mandataire ou représentant social. Aujourd’hui, le délit d’abus de biens sociaux ne concerne, en droit français, que le président, l’administrateur,
les directeurs généraux ou les gérants et il n’exige pas un détournement de fonds, au sens strict, dans la mesure où tout usage abusif des biens ou
du crédit de la société est répréhensible. Le texte fondateur du délit, comme on l’a mentionné, est un décret-loi du 8 août 1935, qui a été pris dans
des circonstances mouvementées puisque la France traversait une grave crise économique, d’une part, et que, d’autre part, s’ajoutaient à cette crise
économique des scandales financiers et des escroqueries retentissantes dont notamment, l’affaire Stavisky et la faillite de la Banque Oustric,
banque dont un grand nombre d’actionnaires était des petits porteurs. Ces petits épargnants, complètement démunis face au comportement
frauduleux de certains individus sans scrupules qui avaient monté des affaires en mettant en avant le nom de personnes tout à fait respectables, ont
alors organisé des manifestations devant le Palais Bourbon pour exprimer leur colère et réclamer justice. Face à ces mouvements, le gouvernement
de l’époque prit prétexte d’une loi du 8 juin 1935 lui donnant les pleins pouvoirs pour agir dans le sens de la défense du Franc, pour introduire dans
le décret-loi du 8 août 1935 le texte incriminant l’abus de biens sociaux. C’est donc dans ce contexte un peu particulier que prit naissance le délit
en droit français. Il fallait notamment rassurer les épargnants ; c’est la raison pour laquelle on a établi un texte qui, sur les éléments matériels, est
extrêmement large et au plan de la sanction, extrêmement sévère. C’est donc une infraction que l’on a voulu sévère parce que, précisément, le
contexte justifiait cette sévérité. V. MEDINA (A), L’abus de biens sociaux, Le particularisme français à l’épreuve de l’Europe, Actes de colloque,
2004, CCDP, CREDA, AFJE, ESCP-EAP, p 10.
.a + ‫ و‬403 ‫ ص‬،.‫ ذ‬.‫ س‬.‫ م‬، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ن ا‬7 U N " #$ ، " , e1 ; : ‫] ص‬P ‫ا ا‬DK 6‫ُ اﺟ‬+ 500
501
V. les articles 146, 158 et 223 CSC. L’article 146 CSC dispose que « sont punis d'un emprisonnement d'un an à 5 ans et d'une amende de 500 à
5.000 dinars : 1- les associés de la société à responsabilité limitée qui dans l'acte constitutif de la société ou lors d'une augmentation du capital
social font sciemment de fausses déclarations. 2- les personnes qui ont sciemment et de mauvaise foi, font attribuer à des apports en nature une
évaluation supérieure à leur valeur réelle. 3- les gérants qui, en l'absence de toute distribution du reliquat des dividendes, ont sciemment présenté
aux associés des états financiers annuels ne reflétant pas la véritable situation de la société ou qui, de mauvaise foi ont fait, des biens ou du crédit
de la société, un usage qu'ils savaient contraire à l'intérêt de celle-ci, dans un dessein personnel ou pour favoriser une autre société ou une autre
entreprise dans laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement, ou ils font usage de pouvoirs qu'ils détenaient ou des voix qui étaient
en leur possession et qu'ils savaient contraire à l'intérêt de la société dans un dessein personnel ou pour favoriser une autre société ou une autre
entreprise dans laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement ». L’article 158, du même code, énonce à son tour que « sera puni d'un
emprisonnement de 1 à 5 ans et d'une amende de 500 à 5.000 dinars ou de l'une de ces deux peines seulement, l'associé unique dans la société
unipersonnelle à responsabilité limité qui sciemment : 1- aura fait dans l'acte constitutif de la société ou lors d'une augmentation du capital, une
fausse déclaration. 2- aura de mauvaise foi fait attribuer à un apport en nature une évaluation supérieure à sa valeur réelle. 3- présente un bilan
inexact en vue de dissimuler la véritable situation de la société. 4- ou qui de mauvaise foi a fait des biens ou du crédit de la société un usage qu'il
savait contraire à l'intérêt de celle-ci dans un dessein personnel ou pour favoriser une autre société avec laquelle il était intéressé d’une manière
quelconque ». L’article 223 CSC ajoute que « sont punis d'une peine d'emprisonnement d'un an au moins et de cinq ans au plus et d'une amende de
deux mille à dix mille dinars ou de l'une de ces deux peines seulement : 1- les membres du conseil d'administration qui en l'absence d'inventaires,
ou au moyen d'inventaires frauduleux ont opéré entre les actionnaires la répartition de dividendes fictifs. 2- les membres du conseil
d'administration qui, même en l'absence de toute distribution de dividendes, ont sciemment publié ou présenté aux actionnaires un bilan inexact en
vue de dissimuler la véritable situation de la société. 3- les membres du conseil d'administration qui, de mauvaise foi, ont fait des biens ou du
crédit de la société un usage qu'ils savaient contraire à l'intérêt de celle-ci dans un dessein personnel ou pour favoriser une autre société dans

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

dirigeants malintentionnés étaient réprimés sous le chef de l’abus de confiance consacré par l’article 297 du
code pénal de 1913502. Ce recours inadapté à l’abus de confiance, en matière sociétale, avait été critiqué par de
nombreux auteurs aussi bien en droit tunisien503 que français504. Ces derniers y voyaient une violation pure et
simple du principe de la légalité des délits et des peines505. De plus, l’article 297 restait un texte mal adapté au
droit des sociétés car, il ne permettait pas d’appréhender toutes les situations dommageables. Par exemple,
l’abus de confiance ne pouvait pas être retenu à l’encontre d’un administrateur ayant donné à bail un immeuble
social à un prix dérisoire, moyennant une commission personnelle donnée par le locataire, parce que l’abus de
confiance ne concerne que les biens mobiliers. Aussi, la condamnation sous le chef d’abus de confiance ne
s’appliquait pas aux avoirs incorporels et ne semblait pas pouvoir appréhender l’abus d’usage du « crédit »
social lorsque ce dernier n’impliquait pas de détournement. De façon générale, cette infraction de droit
commun souffrait de trois limites principales : une liste limitative des contrats en vertu desquels la remise de la
chose détournée devait intervenir, qui ne comprenait pas le contrat de société, une liste limitative des biens
mobiliers objets de l’infraction et le fait que les biens immobiliers n'entraient pas dans le champ de cette
incrimination506. On espérait ainsi que le nouvel abus mettrait un frein aux incertitudes liées à l’interprétation
«extensive » du délit d’abus de confiance à laquelle se livrait la jurisprudence507.

C’est afin de combler ces lacunes que le législateur français a adopté la notion d’abus des biens, du
crédit, des pouvoirs ou des voix sociaux. Le droit français, en avance en ce domaine, a constitué une source
d’inspiration pour la législation tunisienne. Il en est de même en Europe où plusieurs législateurs ont suivi
l’exemple français tels les droits belge508, espagnol509 et italien510. Cette inspiration demeure limitée car

laquelle ils étaient intéressés directement ou indirectement. 4- les membres du conseil d'administration qui, de mauvaise foi, ont fait des pouvoirs
qu'ils possédaient ou des voix dont ils disposaient, un usage qu'ils savaient contraire aux intérêts de la société dans un dessein personnel ou pour
favoriser une autre société dans laquelle ils étaient intéressés d'une manière quelconque ».
502
L’article 297 C.P. dispose que « est puni de trois ans d'emprisonnement et de deux cent quarante dinars d'amende, quiconque détourne ou
dissipe, tente de détourner ou dissiper au préjudice des propriétaires, possesseurs ou détenteurs, des effets, deniers, marchandises, billets,
quittances ou tous autres écrits contenant ou opérant obligation ou décharge, qui ne lui ont été remis qu'à titre de louage, dépôt, mandat,
nantissement, prêt à usage ou pour un travail déterminé, salarié ou non salarié, à charge de les rendre, de les présenter ou d'en faire un usage
déterminé. La peine est de dix ans d'emprisonnement lorsque l'auteur de l'infraction est, soit mandataire, employé, ouvrier ou serviteur du
possesseur de l'objet détourné, soit tuteur, curateur, séquestre, administrateur judiciaire, soit administrateur ou employé d'une fondation pieuse ».
.407 ‫ ص‬،.‫ ذ‬.‫ س‬.‫ م‬، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ن ا‬7 U N " # ‫ ا‬، " , e1 ; 503
MANOUBI FERCHICHI (M), La notion d’abus dans les groupes de sociétés, mém.pré., p 63, n° 132.
504
V. BOULOC (B), Le dévoiement de l'abus de biens sociaux : RJ com. 1995, p. 301 ; VERON (M), L'abus de biens sociaux, évolution ou
dérive : Gaz. Pal. 1996, 2, doctr. p. 623 ; L'abus de biens sociaux : Gaz. Pal. 1996, 2, doctr. p. 906, n° spécial ; ROSENFELD (E), L'abus de biens
sociaux : Dr. et patrimoine oct. 1995, n° 31, p. 29 ; DE ROUX (X) ET BOURGATCHEV (K), L'abus de biens : derniers excès : Bull. Joly 1995,
p. 1025 ; DE MASSIAC (B), Réflexions à propos de l'abus de biens sociaux : RJDA 8-9/1996, p. 719 ; DOMINGUEZ (F), De l'abus de biens
sociaux : éd. du Gaej 1996 ; CHAMPAUD (C), Quand la justice cherche sa voie : l'abus de biens sociaux : Dr. et patrimoine avr. 1997, n° 48, p.
56 ; PRALUS (M), Contribution au procès du délit d'abus de biens sociaux : JCP G 1997, I, 4001 ; DOBKINE (M), Réflexions itératives à propos
de l'abus de biens sociaux : D. 1997, chron. p. 323 ; GODON (L), Abus de confiance et abus de biens sociaux : Rev. Soc., 1997, p. 289 ;
COURET (A), L'abus et le droit des sociétés : Dr. et patrimoine, juin 2000, n° 83, p 66 ; MEDINA (A), L'abus de biens sociaux, Dalloz référence,
1ère Ed., 2001 ; CORDELIER (E), L'abus de biens sociaux, th., Toulouse I, 2002 ; LASSERRE CAPDEVILLE (J), Abus de biens sociaux et
banqueroute, Joly, 2010.
505
V. Colloque relatif à l’abus de biens sociaux, 13 juin 1996, Gaz. Pal., du vendredi 9 au mardi 13 août 1996. V. aussi concernant le principe de
légalité de façon générale : JARRAYA (M), Le système des sanctions dans la politique criminelle tunisienne au regard du modèle Etat
démocratique, Th., Montpellier, 1997, p 48 ; MAHFOUDH (M), L’incrimination, Th., 1998, p 161 et s.
.2010 ،H $ ، 34 # ‫ ت ا‬A‫ ا را‬K# ،I # ‫ا‬ ‫ ء‬F7 a / Nّ ‫ م‬# ‫ ا‬8 ‫ وع ا ن ا 'ا‬G i P 8G 7 ‫ ت‬A‫ درا‬، <VH‫ ا‬SA ‫ ا‬: ‫ا ا ! ق‬D‫ ھ‬8G 6‫ُ اﺟ‬+
506
STASIAK (F), La réception et la cohérence des considérations économiques relatives à l'abus de biens sociaux, LPA, 19 mai 2005 n° 99, P. 36
507
Roger-France (E), Op.cit., p. 534 et 535.
508
Jusqu’en 1997, le droit belge ne connaissait pas l’infraction d’abus de biens sociaux. La jurisprudence réprimait alors les faits caractéristiques
de cette incrimination par la voie des dispositions sanctionnant l’abus de confiance (article 491 du Code pénal) et la banqueroute frauduleuse
(article 489 du Code pénal). La Cour d’appel de Bruxelles consacrait cette pratique dans les termes suivants : « même s’il n’existe pas actuellement
en droit belge une infraction spécifique sanctionnant les abus de biens sociaux commis par un administrateur, il n’en reste pas moins que celui-ci
se rend coupable d’abus de confiance au sens de l’article 491 du Code pénal, lorsqu’il détourne ou dissipe, au préjudice des associés ou des
créanciers de la personne morale dont il gère les intérêts, les avoirs sociaux, en les utilisant consciemment à des fins strictement privées ou, d’une
façon plus générale, d’une manière radicalement contraire à l’objet social et à l’intérêt de cette personne morale ». C. app. Bruxelles, 11 juin
1993, JLMB, 1993, p. 1061.
509
L’histoire de ce délit est, en Espagne, très courte parce qu’il existe un accord pratiquement unanime en doctrine selon lequel la législation
pénale espagnole n’a connu aucune forme de délit d’abus de biens sociaux jusqu’à l’introduction de l’article 295 du nouveau du code pénal de
1995, entré en vigueur le 25 mai 1996. Naturellement, la chambre criminelle du Tribunal suprême espagnol a eu à connaître, dans différents arrêts
très importants, de faits commis avant l’entrée en vigueur du nouveau code pénal mais qui ont été tranchés depuis et qui, déjà avant le nouveau
code, étaient punis comme appropriation indue, une forme d’abus de biens sociaux, à savoir le détournement des fonds administrés. Dans cet ordre
d’idées, l’article 295 du Code pénal espagnol (Titre XIII – Des délits contre le patrimoine et contre l’ordre socio-économique ; Chapitre XIII – Des

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

certains pays européens, comme l’Allemagne511 et l’Angleterre512, ne connaissent pas, jusqu’aujourd’hui, la


notion d’abus de biens sociaux et continuent d’appliquer les dispositions générales de l’abus de confiance.

75- Il est évident que depuis son apparition, l’abus de biens sociaux est, aussi bien dans notre pays
qu’en France, au centre des polémiques sur la délinquance dite « en col blanc »513, cela en raison d’un
accroissement de la répression et d’une forte médiatisation de ce type d’affaires514. Bien que le texte qui définit
cet abus date, aujourd’hui, d’un demi-siècle ou plus, il continue encore à susciter de nombreuses décisions de
justice dont les conséquences concrètes sont complexes à analyser, et parfois même contradictoires515. Il en
résulte pour les chefs d’entreprise un sentiment d’insécurité juridique qui tient, d’une part, à l’interprétation de
plus en plus extensive des éléments constitutifs de l’incrimination et, d’autre part, aux fluctuations de la
jurisprudence qui n’hésite nullement à faire un pas en arrière chaque fois que l’occasion se présente en
appliquant le texte de l’abus de confiance516. Pour cela, « l'abus de biens sociaux est toujours une infraction
pleine d'actualité et, à n'en pas douter, une infraction pleine d'avenir »517.
Il s’agit actuellement d’un abus qui complète l'abus de confiance. Les affaires politico-financières ont
donné un nouveau lustre à cet abus et braqué les projecteurs sur un usage abusif particulièrement technique.

76- L’abus des biens ou du crédit sociaux est un délit dont se rendent coupables les dirigeants, qui,
de mauvaise foi, font des biens ou du crédit de la société un usage qu'ils savaient contraire à l'intérêt de celle-
ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés
directement ou indirectement518. Il est question alors de sanctionner le dirigeant qui profite sciemment de ses

délits sociaux) dispose que : « les administrateurs de fait ou de droit ou les associés de toute société constituée ou en formation qui, pour leur
propre avantage ou pour celui d’un tiers, en abusant des fonctions propres à leur charge, disposent frauduleusement des biens de la société ou
contractent des obligations à la charge de celle-ci causant directement un préjudice économique évaluable à ses associés, dépositaires,
épargnants ou titulaires des biens, valeurs ou capitaux qu’ils administrent seront punis d’un emprisonnement de six mois à quatre ans ou d’une
amende pouvant atteindre le triple de l’avantage obtenu ». V. GOMEZ-BENITEZ (J-M), L’abus de biens sociaux en Espagne, In L’abus de
biens sociaux : Le particularisme français à l’épreuve de l’Europe : Colloque, Gaz. Pal., du 19-20 novembre 2004, n° 324 à 325.
510
Certes l’infraction d’infidélité patrimoniale est inspirée de l’abus de biens en droit français ; néanmoins, en comparant la réglementation
italienne avec le droit français, on trouve une différence essentielle : en Italie, un élément essentiel pour qualifier comme délit cette situation est le
préjudice patrimonial de la société. L’acte de disposition sur les biens sociaux est puni s’il a causé un préjudice patrimonial (avoir simplement
utilisé la voiture de la société pour le week-end avec ses amis n’est pas suffisant). L’abus de biens sociaux est appelé en Italie le délit d’infidélité
patrimoniale. A ce propos l’article 2364 du code pénal italien dispose que : « 1. Les administrateurs, les directeurs généraux et les liquidateurs
qui, ayant un intérêt en conflit avec celui de la société afin de procurer, à eux-mêmes ou à un tiers, un profit injuste ou un autre avantage,
réalisent ou concourent à réaliser des actes de disposition des biens sociaux, en causant intentionnellement à la société un préjudice patrimonial,
sont punis de la réclusion de six mois à trois ans. 2. La même peine est appliquée si le fait commis porte sur des biens qui appartiennent à la
société ou qui sont administrés par la société pour le compte d’une tierce personne, quand l’acte cause un préjudice patrimonial. 3. Dans tous les
cas, le profit d’une société appartenant à un groupe n’est pas injuste, s’il est compensé par des avantages, obtenus ou concrètement prévisibles,
qui proviennent de la liaison ou de l’appartenance au groupe. 4. La poursuite des délits prévus au premier et au deuxième alinéa ne peut être
exercée que sur plainte de la personne lésée ». V. CORAPI (D), L’abus de biens sociaux en Italie, In « L’abus de biens sociaux : Le
particularisme français à l’épreuve de l’Europe », Colloque précité, n° 324 à 325.
511
« Je suis très heureux d’avoir la possibilité d’annoncer que dans ce cas exceptionnel l’Allemagne va s’associer à l’Angleterre, l’Allemagne
étant le seul pays avec l’Angleterre autour de cette table ronde à ne pas avoir de délit d’abus de biens sociaux. Par contre, nous avons un délit de
droit pénal commun qui est l’abus de confiance, et en étudiant les cas qui entrent dans le champ d’application de l’ABS, j’ai l’impression que la
plupart de ces cas entreraient aussi dans le champ d’application de l’abus de confiance en Allemagne. Cependant, cela ne nous donne pas plus de
sécurité juridique, qui pourtant est un des soucis du milieu économique ». TEICHMANN (C), L’exemple allemand, In « L’abus de biens sociaux :
Le particularisme français à l’épreuve de l’Europe », Colloque précité, n° 324 à 325.
512
BURBIDGE (P), L’exemple anglais, In L’abus de biens sociaux : Le particularisme français à l’épreuve de l’Europe Colloque, Gaz. Pal., n°
324 à 325, du 19-20 novembre 2004.
513
BEL HAJ HAMMOUDA (A), La faute de gestion des dirigeants sociaux, I.J., n° 42/43, Mars 2008, p 8.
514
Habituellement, les arrêts apportant de véritables avancées jurisprudentielles sont rendus dans l'indifférence générale des médias. En matière
d’abus de biens sociaux, les affaires sont généralement extrêmement médiatisées car cet abus est parfois commis par des hommes politiques ou des
hommes d’affaires d’une notoriété grandissante. Cette médiatisation a contribué, à n’en point douter, à faire évoluer la jurisprudence de manière
considérable. Ainsi l'affaire Carignon, qui a entraîné la mise en examen puis la condamnation de l'ancien maire de Grenoble, a abouti à ce que la
jurisprudence dégage l'interprétation selon laquelle « quel que soit l'avantage à court terme qu'elle peut procurer, l'utilisation des fonds sociaux
ayant pour seul objet de commettre un délit tel que la corruption est contraire à l'intérêt social en ce qu'elle expose la personne morale au risque
anormal de sanctions pénales ou fiscales contre elle-même et ses dirigeants et porte atteinte à son crédit et à sa réputation ». Cass. Crim. Fr., 27
oct. 1997: Bull. crim. n°352.
515
V. infra, n° 647 et s.
516
Ibidem.
517
CHILSTEIN (D), L'abus de biens sociaux, L.P.A., 18 juin 2008 n° 122, p. 25.
518
V. art 146, 158 et 223 CSC.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

pouvoirs et abuse de la confiance de ses coassociés pour utiliser les biens de la société ou son crédit comme si
celle-ci lui appartenait personnellement519.
De délit d’intérêt privé, il s’est peu à peu transformé en délit d’intérêt général, surtout à partir du
moment où son fondement et ses éléments constitutifs ont été modifiés par la jurisprudence aussi bien en
Tunisie qu’en France520.

77- Contrairement à ce qu’on pourrait penser, cet abus n’est pas propre aux sociétés anonymes, bien
au contraire on le retrouve aussi dans les sociétés en commandite par actions521, dans les sociétés
pluripersonnelles à responsabilité limitée et même dans les SUARL522. Il n’existe par contre pas en matière
d’association ou de sociétés de personnes523. On se rappelle évidemment des montages et acrobaties juridiques
qui ont été organisés, notamment par monsieur Bernard Tapie qui a beaucoup occupé l’actualité judiciaire et
qui l’occupe encore ces derniers temps. On se souvient que les montages qu’il avait mis en place se
traduisaient par le fait qu’au sommet de la pyramide se trouvait une société en nom collectif, de sorte qu’il
pouvait assez commodément effectuer des prélèvements sans tomber sous cette incrimination524. Reste qu’une
condamnation sous le chef de l’abus de confiance demeure toujours possible dans ce cas525. Cette
condamnation n’est toutefois possible qu’en cas de détournement ou dissipation des biens sociaux526.
La conséquence est la suivante : si le même groupe de sociétés comporte des sociétés de personnes et
des SARL ou des sociétés par actions, les dirigeants des secondes sont susceptibles de condamnation sous le
chef de l’abus des biens sociaux alors que ceux des premières ne courent pas ce risque ! Cette différence de
traitement au sein de la même entité juridique, qu’est le groupe de sociétés, porte certainement atteinte au
sacrosaint principe de l’égalité devant la loi527. C’est dire l’importance, en droit français comme en droit

. ‫ ھ‬# ‫ و‬13 ‫ ص‬،2003 ‫ ي‬،.‫ ت‬.‫ق‬. ‫ م‬، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫! ا‬$ 9 ‫ ﺟ ا‬،‫ (ي‬7 ‫ ا‬, ( ‫ح ا‬CG 519
520
V. infra, n° 647 et s.
521
V. art. 391 CSC qui se référe à l’article 223 CSC.
522
V. les arts. 146 et 158 CSC. Une remarque s’impose à ce niveau ayant trait à la difficulté qu’il peut y avoir à retrouver l’élément légal de
l’infraction, puisque celle-ci a été introduite au sein de certaines structures juridiques et pas dans d’autres comme les sociétés de personnes et les
associations. On pourrait se dire qu’à l’origine, l’intention étant de protéger l’épargne, le délit doit se trouver dans des sociétés dans lesquelles
l’épargne peut être menacée et notamment dans les sociétés anonymes. Mais pourquoi alors, avoir étendu l’infraction aux SARL ? Dans ces
structures, en effet, il n’est pas question d’épargne. L’incrimination n’est donc pas la même dans les différentes formes de sociétés, ce qui pour un
texte pénal est extrêmement critiquable dans la mesure où ces différences de contenu ôtent de la sécurité qui est nécessairement attachée à un texte
répressif. C’est donc l'ensemble des sociétés à risque limité qui sont concernées par cette infraction. Au contraire, les sociétés en nom collectif,
mais aussi les sociétés en commandite simple, les sociétés civiles, les associations et les groupements d'intérêt économique, ne sont pas concernées
par cet abus. Ce délit prend cette dénomination lorsqu’il est commis dans les sociétés par actions et les SARL mais on parle d’abus de confiance
dans les sociétés de personnes telle la société en nom collectif, et de délit de banqueroute lorsque l’utilisation abusive des biens intervient
postérieurement à l’ouverture d’une procédure collective.
523
Sur le plan pénal, la responsabilité des gérants de société en nom collectif est allégée si on la compare à celle des autres dirigeants de société. Le
code des sociétés commerciales ne prévoit pas, en effet, de dispositions spécifiques, en matière de distribution de dividendes fictifs, de présentation
de comptes inexacts, d’abus de biens, du crédit, de pouvoir ou de voix, de non- convocation des assemblées... La responsabilité pénale du gérant
est engagée sur le fondement de l’abus de confiance s’il vient à détourner les fonds de la société mais non sur celui de l’abus de biens sociaux,
faute de dispositions en ce sens. Aucune sanction pénale spécifique ne vient sanctionner le non-respect par le dirigeant de ses obligations vis-à-vis
de ses coassociés. V. AIDI (S), Les délits se rapportant à la direction dans les sociétés commerciales, RJL 2003, n°5, p13 et s.
524
KLING (D), Le point de vue du commissaire aux comptes, In L’abus de biens sociaux : Le particularisme français à l’épreuve de l’Europe
Colloque, Gaz. Pal., du 19-20 novembre 2004, n° 324 à 325.
525
AYARI (K), Le gouvernement d’entreprise en droit tunisien, I.J., n° 64/65, Mars 2009, p 19.
526
L’abus des pouvoirs ou des voix demeurent sans sanctions pour les gérants des sociétés de personnes. V. Ibidem.
527
L’égalité devant la loi ou égalité en droit est le principe selon lequel tout individu doit être traité de la même façon par la loi (principe
d’isonomie). Aucun individu ou groupe d'individus ne doit donc avoir de privilèges garantis par la loi. Ainsi, la Déclaration des droits de l'homme
et du citoyen de 1789 proclame-t-elle dans son premier article que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ».
h ! f7q ‫ ا‬9 4 " # ُ 2011/12/16 8G ‫رخ‬q 2011 4! 6 ‫ د‬N 8! A[ ‫ ا ن ا‬M 27 V]/ ‫ ا‬UF U^ ُ ‫ ا‬،1959 ‫ ر‬A‫ د‬M 6 V]/ ‫ان ا‬ ّ ،‫ا ا ط ر‬D‫ ھ‬8G ، CD ‫ ا‬a + ‫و‬
،1967/07/14 8G ‫رّخ‬q 1967 4! 29 ‫ د‬N ‫ ا ن‬M 23 V]/ ‫ ﺟ ء‬C ."‫ اء أ م ا ن‬A 9‫ ا ق وا اﺟ ت وھ‬8G ‫ ! وون‬M 4‫ ا اط‬VC" : ‫أن‬ ّ U N ّm4+ ‫ ن‬C ، #‫ا‬
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‫ ط‬G ‫ وﷲ أن‬، ‫ ا‬a N ‫ ا‬7‫ أ‬i #F ‫ ق ا‬A ‫ ه وإذا‬C $ i+ 3 ‫ ا‬K G ‫ ق‬A ‫ ن إذا‬C 9 7 M k ‫ إ ھ‬، A‫ أ‬+ ‫ < ود ﷲ‬M ّ < 8G 6/3$‫ " أ‬، K !<‫ و‬K !4 ‫ ة‬N‫ ا‬K N 7 ! ‫< ّ ا‬
‫ س‬4 ‫ ا‬M ‫ " آس‬: ‫ ء‬F ‫ ا‬A ‫ ف‬Nُ ‫ي‬D ‫ ا‬، G a g 7 ‫ ي‬#O ‫ ا‬UA 8 ‫ أ‬U ‫ إ‬a C 8G C‫ ذ‬،a4N ‫ ﷲ‬8g‫ ر‬،‫ ب‬LP ‫ ا‬M Nُ M 4 q ‫ وأ ا‬." ‫ ھ‬+ ّ 6L f7 A f4
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7 8 F ‫ ا‬8 SAJ‫ م ا‬4 ‫ ن ا‬+ a N ‫ و‬." ‫ ر‬K M N A ‫ا " و‬ G IF^ ‫ ا‬4N ‫ س‬4 ‫وا ا‬D [$ ‫ ى وأن‬K 9 ‫ وا‬O ‫ وا‬9C +‫ وإ‬،9K + C 9‫ ھ‬# ‫ و‬،9‫ ھ‬# C 9K + 7 ‫ اء‬A "ّ ‫ ا‬8G
...‫ أو ا ه‬M+ ‫ أو ا‬H4 ‫ س ا ل أو ا‬A‫ أ‬U N M ‫ ا‬M 7 /$ ‫ م ا ! واة دون‬7 U N 6 ‫ ا‬U N "ّ Lُ+ <‫ ا ا‬9 ُ ‫ ن ا‬C ‫ و‬،‫ ء‬F ‫ ف وط ّ" أ ا ! واة أ م ا ن و ا‬N

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

tunisien, de la dualité des sources de l’abus des biens sociaux, dans les procédés de concentration des sociétés,
qui rend complexe toute définition légale de cette notion de droit pénal.

-§2- : Une détermination alambiquée de l’abus des biens


78- Le professeur belge Emmanuel Roger-France s’est déjà légitimement posé la question, au
moment où le législateur belge envisageait d’introduire le nouvel article 492 bis dans le code pénal, de savoir
si la nouvelle infraction était réellement utile et si elle ne générait pas des incertitudes supplémentaires, au-delà
du danger de la dérive que cette infraction paraissait connaître en France où « certains n’hésitent pas à
dénoncer un véritable abus de l’abus de biens sociaux »528.
On ne peut qu’adopter cette citation assez symptomatique en dénonçant des éléments constitutifs de
l’abus en porte-à-faux (I), ce qui imposera un essai de redressement (II).

I- Des éléments constitutifs en porte-à-faux

79- Un auteur français a tout simplement décrié la complexité de l'incrimination d'abus de biens
sociaux qui se caractérise doublement par des imperfections de l'élément intellectuel ou moral et une
imprécision de l'élément matériel de l'infraction529.
En analysant attentivement et profondément la définition légale de l’abus des biens, du crédit, des
pouvoirs ou des voix, on constate une largesse, voire une imprécision de la définition de l’abus tant au niveau
de son élément matériel (A) que moral (B).

A- La largesse de l’élément matériel

80- L’abus des biens sociaux exige au niveau de l’élément matériel l’existence d’un acte d’usage (a)
qui est obligatoirement contraire à l’intérêt social (b). La largesse est vérifiée au niveau de ces deux éléments.

a- L’existence d’un acte d’usage :

81- A défaut d’une définition législative ou jurisprudentielle, l’usage peut signifier une simple
utilisation d'un bien de la société. Il peut s'agir d'un acte d'administration ou, a fortiori, de disposition530.
Généralement, il est question d’agissements positifs, une appropriation, peu importe que l’usage soit
temporaire ou qu’il y ait intention de restituer531. De plus, l’usage n’implique pas forcément que l’auteur de
l’abus ait procédé à une interversion de la possession. En effet, la simple utilisation ou le simple acte
d’administration suffit532. En outre, comme il n’est pas nécessaire qu’il y ait appropriation des biens sociaux
528
Roger-France (E), La répression des abus de biens sociaux : le nouvel article 492 bis du Code pénal, Journal des Tribunaux, 1996, p. 533-538.
529
STASIAK (F), La réception et la cohérence des considérations économiques relatives à l'abus de biens sociaux, L.P.A., 19 mai 2005 n° 99,
P. 36.
530
Il peut s’agir d’un acte de prêt, bail, avance ou encore d’un salaire fictif de la maîtresse du dirigeant. Il appartient au juge d'apprécier. Des
appels téléphoniques réalisés par le dirigeant à sa famille ne seront sans doute pas constitutifs d'un abus de biens (sauf coût exorbitant). Le
maintien à découvert pendant presque une année du compte courant personnel du dirigeant dans la société a été constitutif d'un abus de biens
(Cass. crim. Fr., B.R.D.A. 1988/13, p. 7). Il a de plus été jugé que le caractère exagéré de frais de mission, de réception ou un salaire excessif,
même en dépit d'une procédure d'attribution respectée, peuvent constituer un abus de biens dans la mesure où il est alors porté atteinte à la minorité
(R.S.C. 1974, 602 et 1968, 311). Enfin une rémunération excessive du dirigeant compte tenu de la situation de l'entreprise (Cass. crim. Fr., 8
février1988, Bull. crim. no 59) en dépit même du fait que seul le conseil d'administration peut attribuer en droit cette dernière (il ne s'agit pas d'une
convention réglementée) a été considérée comme un abus de biens. Le simple risque d'appauvrissement de la société sans contrepartie d'une chance
de gain raisonnable suffit. Un prélèvement n'est donc pas nécessairement indispensable. Une caution de la société au profit personnel du dirigeant
(abus de crédit) ou la renonciation à un droit dont pourrait bénéficier la société afin que le dirigeant puisse en tirer un profit personnel (renonciation
à lever une option d'achat au profit de la société, en contrepartie d'un emploi ou d'une acquisition à titre personnel) a été considérée comme un abus
de biens (Cass. crim. Fr., 19 octobe 1978, Rev. soc. 1979, 872).
.2009 ،H $ ، 34 # ‫ ت ا‬A‫ ا را‬K# ،‫ ء‬F ‫ ا‬a G ‫ ا ن و‬8G ‫ ا ال‬U N ‫ء‬S A ‫ ا‬9 ‫ ﺟ ا‬، <VH‫ ا‬SA ‫ ا‬: N ‫ ] رة‬6‫ُ اﺟ‬+ 531
532
A ce titre, un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation française du 8 mars 1967 (D. 1967, p.586, note Dalsace, Bull. crim. n.94)
énonce que « la simple utilisation abusive des biens suffit à caractériser l’infraction, en dehors de toute volonté d’appropriation définitive ».

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

pour constituer l’abus, la restitution de sommes utilisées ne fait pas disparaître le délit. On peut avancer alors,
sans risque d’erreurs, que l’idée de l’usage abusif des biens sociaux est celle d’une confusion entre le
patrimoine de la société et le patrimoine propre de ses dirigeants533. Parfois, la Cour de cassation, sans définir
expressément l’usage, le limite à une simple utilisation des biens de la société. Elle a, en fait, décidé dans son
arrêt pénal n° 80313, datant du 8 juillet 1993, concernant l’ancien article 86 du code de commerce, que l’abus
des biens sociaux exige deux éléments : une simple utilisation des biens de la société de mauvaise foi et la
réalisation d’un gain personnel534.

Il est admis aussi que l’usage peut résulter certes d’une action, mais également d’une « abstention
volontaire » du dirigeant535. En effet, à défaut d’une jurisprudence tunisienne soutenue en ce sens, la notion
d'usage est entendue très largement par la jurisprudence française qui considère constitutive d'un usage la
simple omission, celle-ci pouvant ressortir de l'inaction du dirigeant en matière de recouvrement de
créances536. Cette conception audacieuse de l'usage est en totale contradiction avec le sens que revêt ce même
terme en matière d'escroquerie où il ne concerne que des actes positifs537 et notamment dans le domaine de
l’abus de confiance qui exige une appropriation des biens d’autrui538.
La doctrine n’a pas hésité à contester l’analyse de la chambre criminelle de la Cour de cassation
française car, selon elle, l’usage concerne généralement les actes positifs. Dans le respect du principe de la

533
On peut citer, en exemple, le cas du dirigeant qui se fait consentir, sur les immeubles sociaux, des garanties hypothécaires pour obtenir le
paiement de créances qu’il détient sur les sociétés qu’il administre (Cass. crim. 12 juin 1978, Bull. crim. n·189).
M 4C‫ ر‬G $ + ‫ه ا‬D‫ّ ھ‬G ‫ ط‬O‫ ع ا‬3 ‫ أن ا‬U + (86 V]/ ‫ ا‬M d d ‫ ة ا‬/ ‫ ة )ا‬/ ‫ه ا‬D‫ ھ‬V a ‫ ا‬... ": 8 + 1999/7/8 ‫ ا _رخ‬80313 ‫(د‬3 61@7 ‫ ﺟ ء @ ار ا‬534
+ 3 6‫ُ اﺟ‬+ ." ‫ ة‬O 5 ‫ ة أو‬O + L ‫ اء‬A ]PO ‫رب‬z U N ‫ ل‬# A ‫ ا‬k ‫ ﺟ ّاء ذ‬M V ] ‫ ا‬-2 . ]7 ‫ ء‬A MN C 3 ‫ ا‬IA ‫ ل‬# A‫ ا‬-1 : ‫ ھ‬M A A‫أ‬
.182 ‫ ص‬،1999 4A ،1 ‫ د‬N ،I # ‫ا‬
535
Cass. Crim. Fr., 28 janv. 2004, Rev. Soc. 2004, 722, B. Bouloc ; Bull. Joly 2004, p. 861, n° 171, J. F. Barbièri ; Rebut (D), L’abus de biens
sociaux par abstention, D. 2005, p. 1290. V. déjà pour un défaut de recouvrement de créances, Cass. Crim. Fr. 15 mars 1972, Rev. Soc. 1973, p.
357, B. Bouloc. Compar. Crim. 7 sept. 2005, JCP E 2005, 1122, J. H. Robert ; Dr. sociétés 2005, n° 228, R. Salomon (nécessité de prouver la
participation personnelle du PDG à l’infraction).
536
Cass. Crim. Fr., 15 mars 1972 : Bull. crim. no 107 ; Rev. Soc., p. 357, note B. Bouloc ; Cass. Crim. Fr., 24 avril 1984 : D., 1984, p. 508. Cass.
Crim. Fr., 12 juin 1978 : Bull. crim. no 189.
‫ ن‬$ ‫ ا ل‬U N f A‫ و ا‬a 4‫ و رھ‬4+' 5 ] ‫ رت‬# A‫ ا‬M " 8 + a ‫ ورد‬1984/03/21 = ‫ _رخ‬7417 ‫(د‬3 ‫ا‬M9 61@7; ‫ ار‬: ‫ا‬ # ‫ ا ارات ا‬6‫ُ اﺟ‬+ 537
V ‫ "ا‬8 + a ‫ ورد‬1986/03/26 = ‫ _رخ‬14935 ‫(د‬3 ‫ا‬M9 61@7; ‫ ار‬.243 ‫ ص‬،1984 ،2 ‫ د‬N ،‫ ن م ت‬." +‫ ر‬# ‫ ا‬8G I C ‫ ورة ﺟ د‬g ‫ و‬8 ‫ ﺟ'ا‬291 V]/ ‫ ا‬U4# U N
= ‫ _رخ‬20341 ‫(د‬3 ‫ا‬M9 61@7; ‫ ار‬.243 ‫ ص‬،1986 ،2 ‫ د‬N ،‫ ن م ت‬." ^ ‫ ا‬IA U N ‫ء‬S A ‫م و ھ ا‬ 8A A ‫ ا‬MC ‫ ء ا‬/ V ‫ ا‬+ ‫ ﺟ‬G 8/ $ ‫ت‬S N'P ‫و ا‬
‫ < ى‬V0 ‫ ا‬- .8 4‫ ﺟ‬291 V]/ K N ‫] ص‬4 ‫ت ا‬S N'P ‫ ا‬V A‫ و‬M A‫ ل و‬# A‫ ا‬-: ‫ ا‬0 4# ‫ ت ا‬G‫ ا‬$ ‫ إ إذا‬V $ + ‫ ك ﺟ‬4‫ ن ھ‬$ " 8 + a ‫ ورد‬1987/01/20
I!C M n# ‫ أو ا‬V ‫س ا‬S ‫ ا‬K4N X 4+ ‫ أو أن‬a N M+‫ د‬M 8 ‫ا‬ ‫ أو إ ام ذ‬k D N‫ و‬U N V ] ‫ت أو ا‬ ‫ ع أو‬7‫ت أو ر‬ 4 ‫ أ ال أو‬U N ‫ء‬S A ‫ ا‬U ‫إ‬ < ‫ ق ا‬L‫ا‬
= ‫ _رخ‬22207 ‫(د‬3 ‫ا‬M9 61@7; ‫ ار‬.225 ‫ ص‬،1987 ،1 ‫ د‬N ،‫ ن م ت‬." ^ ‫ ل ا‬U N ‫ء‬S A ‫ أو ا‬V ] ‫ ا‬ap‫ ق و< د‬L ‫ ا‬k $ M ! ‫ ا‬7SN G‫ ا‬$ -.a N 84 ‫ا‬
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K C‫ أر‬G ‫ اﺟ إ‬$ V ‫ ا‬+ ‫ أن ﺟ‬4 ‫ا‬ ‫ ا‬M 291 V]/ ‫ ق ا‬L4 M D q+ " 8 + a ‫ ورد‬1992/02/03 = ‫ _رخ‬38609 ‫(د‬3 ‫ا‬M9 61@7; ‫ ار‬.42 ‫ ص‬،1987
‫ ل‬U N ‫ء‬S A ‫ء أو و ا‬S A ‫و ا‬ ‫ ا‬8G a V0‫ وع أ‬3 ‫ ر‬F ‫ ع ا‬47‫ ا‬U ‫ إ‬k ‫ ذ‬VF/ a 0 $ ‫ و‬m4 ‫ ا‬k D ‫ ّ دة‬# ‫ت ا‬S N'P ‫ ا‬V A‫ و‬8 ‫ ل ا‬# A‫ ا‬8G d ‫ا‬ ‫ا‬
+ ‫ ان ﺟ‬4 ‫ا‬ ‫ ا‬M 291 V]/ ‫ ا< م ا‬M D q+ " 8 + a ‫ ورد‬1992/04/29 = ‫ _رخ‬37857 ‫(د‬3 ‫ا‬M9 61@7; ‫ ار‬.85 ‫ ص‬،1992 ،1 ‫ د‬N ،‫ ن م ت‬." a N 84 ‫ا‬
‫ وﺟ د‬6 ^ 6 $ ‫ ھ‬U N ‫ء‬S A ‫ا‬ ‫ء او‬S A ‫ ا‬k ‫ ذ‬LA‫ ا‬a 0 $ ‫ه و‬SN‫ ا‬m4 ‫ رة‬CD ‫ت ا‬S N'P ‫ ا‬V A‫ و‬M A‫ و‬8 ‫ ل ا‬# A‫ ا‬8G Vd $ ‫ ن‬C‫ ار‬G $ I‫! ﺟ‬$ V ‫ا‬
V]/ ‫ رات ا‬N M D q+ " 8 + a ‫ ورد‬1992/04/29 = ‫ _رخ‬37846 ‫(د‬3 ‫ا‬M9 61@7; ‫ ار‬.57 ‫ ص‬،1992 ،2 ‫ د‬N ،‫ ن م ت‬." K ‫ إ‬0 ‫ا‬ 4 ‫ وا‬A ‫ ا‬M A h ‫را‬
LA‫ ا‬V0 ‫ و ا‬4 ‫ا‬ ‫ ا‬M 291 V]/ K N ‫] ص‬4 ‫ت ا‬S N'P ‫ ا‬V A‫ و‬M A ‫ و‬8 ‫ ل ا‬# A‫ ا‬8G Vd $ ‫ ن‬C‫ أر‬G $ I‫! ﺟ‬$ V ‫ ا‬+ ‫ أن ﺟ‬4 ‫ا‬ ‫ ا‬M 291
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V0 ‫ وا‬، ‫ ر‬CD ‫ ا‬V]/ ‫ ا‬K N m 8 ‫ت ا‬S N'P ‫ ا‬V A‫ و‬M A‫ ل و‬# A‫ ا‬: ‫ ن‬C‫ أر‬pSp G G $ V ‫ ا‬+ ‫ م ج أن ﺟ‬M 291 V]/ ‫ ا‬M D q+ " 8 + a ‫ ورد‬1995/09/20
V A‫ و‬M A‫ و‬+‫ ل أ‬# A‫ م ا‬N .‫ء‬S AJ‫ وا‬V A ‫ ا‬k $ M A 7SN ‫ ووﺟ د‬، ^ ‫ ا‬I!C M n# ‫ أو ا‬V ‫ ات ا‬4A ‫ وض أو‬7 ‫ د أو‬U N ‫ء‬S AJ‫ ا‬U ‫ رة إ‬CD ‫ ا‬V A ‫|< ى ا‬
‫ا‬M9 61@7; ‫ ار‬.135 ‫ ص‬،1995 ،1 ‫ د‬N ،‫ ن م ت‬." ‫ ة‬G 5 4 ‫ا‬ ‫ ا‬M 291 V]/ K N ‫] ص‬4 ‫ ا‬+ ‫ ا‬V# + ‫ وھ‬6+‫ ر‬3 ‫ م‬K+J‫ م ا‬N‫ت و‬S N'P ‫ اع وا‬P ‫ا‬
6+‫ ر‬3 ‫ﺟ د‬ ^ ‫ ع ا‬47‫ ا‬K [O M 8 ‫ت ا‬S N'P ‫ و ا‬V ‫ ل ا‬# A G $ ‫ ق ج‬291 V]/ K N ‫] ص‬4 ‫ ا‬V ‫ ا‬+ ‫ " ان ﺟ‬8 + a ‫ ورد‬1999/07/13 = ‫ _رخ‬2348 ‫(د‬3
‫ " ان‬8 + a ‫ ورد‬2000/10/03 = ‫ _رخ‬1040 ‫(د‬3 ‫ا‬M9 61@7; ‫ ار‬.145 ‫ ص‬،1999 ،2 ‫ د‬N ،‫ ن م ت‬." ^ ‫ ا ال ا‬U N ‫ء‬S A ‫ ا‬M K LA‫ ا‬M ‫ و ا‬67‫ ا ا‬8G K V0‫ا‬
‫ ز‬+ 9 ‫ى‬D ‫ ا‬9 ‫ ع ا ^ و ا‬U N ‫ء‬S A ‫ ذب و ا‬C ‫ وع‬3 ‫ﺟ د‬ F ‫ ع ا‬47‫ اع و ا‬P ‫ ا‬V A‫ و‬M A‫ت اى و‬S N' ‫ ل‬# A‫ ا‬U‫ و ھ‬pSp 0 4N G ‫ ما‬$ V ‫ ا‬+ ‫ﺟ‬
V ‫ ا‬+ ‫ ﺟ‬8F $ " 8 + a ‫ ورد‬2003/04/14 = ‫ _رخ‬36291 ‫(د‬3 ‫ا‬M9 61@7; ‫ ار‬.146 ‫ ص‬،2000 ،1 ‫ د‬N ،‫ ن م ت‬." aF a + ‫ و‬V # ‫ ا‬i #g #+ ‫ ن‬C‫ه ا ر‬D‫ھ‬
8G K V0‫ ا‬6+‫ ر‬3 ‫ﺟ د‬ ^ ‫ ع ا‬4 7‫ ا‬K [O M U ‫ ت ا‬N'P ‫ و ا‬V ‫او ا ء‬ 0 5 ‫ ت‬/0 ‫ او‬H A‫ ا‬8 ‫ ل ا‬# A‫ ا‬4 ‫ا‬ ‫ ا‬M 291 V]/ ‫ ا< م ا‬U4# U N
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.196
538
MERLE (R) et VITU (A), Traité de droit criminel, T. I, 7ème Ed., LGDJ, 2000, p. 779.
‫ ن‬C‫م ار‬ ‫ اذ‬G 0 ‫ ا‬P ‫ ا‬+ ‫ ﺟ‬a$‫ < ذا‬8G V 3+ ‫ ا ال‬UG m 4 ‫د ا‬ " 1984/03/28 = ‫ _رخ‬11300 ‫(د‬3 ‫ا‬M9 61@7; ‫ ار‬: ‫ا‬ # ‫ ا ارات ا‬6‫ُ اﺟ‬+
1986/10/16 = ‫ _رخ‬17356 ‫(د‬3 ‫ا‬M9 61@7; ‫ ار‬.269 ‫ ص‬،1984 4A 2 ‫ د‬N ،‫ ن م ت‬." a G h+ / ‫ ا‬#$ ‫ و‬8 ‫ ا‬+ f $ M q ‫ ا ل ا‬U N ‫ء‬S A ‫ ت ا‬p M + ‫ا‬
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.128 ‫ ص‬،2007 4A ،‫ ن م ت‬." a < ] ‫ ار‬gJ‫ ق و ] ا‬/ّ$‫ ا‬Vّ M $ 9 + ^ ‫ و‬a ‫ وإذ‬a N ‫ ون‬K G ‫ ] ّف‬+ K < 0 M C 0 ‫ أو‬7‫أو أورا‬

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

légalité, il faudrait que le législateur prévoie expressément l’hypothèse de l’abstention coupable539. En effet,
«le principe de la légalité impose d'interpréter la loi d'une façon non extensive puisqu'il serait inutile que le
législateur établisse des incriminations précises si, par une interprétation arbitraire ou analogique, les juges
pouvaient donner aux textes pénaux telle portée élargie qui leur paraîtrait désirable : l'incertitude serait
pareille, pour les justiciables, à celle qui naîtrait d'une complète absence de textes législatifs »540.

Comme en droit français, en droit belge, le concept d’usage, qui n’a pas été défini par le législateur, est
entendu dans un sens très large541. Il peut donc s’agir tant des actes d’appropriation ou de disposition que des
actes d’administration et d’omission.
Monsieur Luc Bihain ajoute, dans ce sens, qu’une simple omission, qui n’implique aucun usage, c’est-
à-dire aucun recours direct ou indirect aux biens ou au crédit de l’être moral, ne pourrait être réprimée542. Une
interprétation contraire ruinerait, selon lui, le principe de la sécurité juridique543.
Il est donc clair que la notion d’usage est à connotation assez large : ce n’est pas la disposition, ce n’est
pas le détournement, c’est le simple usage. Ainsi, nécessairement l’introduction d’un terme aussi large va
laisser une part d’appréciation importante à la jurisprudence. Sur ce point, on ne peut qu’adhérer à la position
du professeur Annie Médina qui s’est exprimée, dans un colloque relatif à l’étude de l’abus des biens sociaux,
comme suit « je ne partage pas totalement le point de vue qui a été exprimé ; le fait de dire que les excès sont
imputables à la jurisprudence n’est pas tout à fait exact. Je pense que le texte a été voulu large parce que,
précisément, on a voulu laisser cette part d’appréciation aux magistrats, et évidemment ils en usent, ils
peuvent en abuser parfois, c’est ce qu’on leur a reproché mais, ce faisant, ils restent, malgré tout, dans la
limite du principe de l’interprétation stricte de la loi pénale ; c’est le texte lui-même qui permet une
interprétation large et la notion d’usage en est une illustration »544.

82- Dans le même esprit, la notion de biens de la société s'entend tout aussi largement puisque c'est
l'ensemble du patrimoine social qui est pris en considération545. Autrement dit, l’usage des biens va s’entendre
de tout ce qui appartient à la société546, qu’il s’agisse de biens meubles, corporels ou incorporels, ou

539
D’ailleurs, on peut observer que la chambre criminelle française a récemment jugé que le fait, pour le président d’une société anonyme, de
s’être abstenu de réclamer à une société des commissions qu’elle détenait indûment ne pouvait, dans le cadre du délit assimilé à la banqueroute
frauduleuse, constituer un détournement d’actif, lequel suppose un acte positif de disposition (Cass. crim. Fr. 24 avril 1984, Bull. crim. n° 141 ;
D.1984, p.508, note J.M. Robert ; Gaz. pal. 1985, I, p.16, note Cosson).
540
MERLE (P) ET VITU (A), Traité de droit criminel, I, p. 235. Même sous le NCPC, art. 111-4, « La loi pénale est d'interprétation stricte ».
541
V. en ce sens BIHAIN (L), art. pré., p 95 ; KINT (P-T), L’application aux ASBL du nouveau délit d’abus de biens sociaux en comparaison
avec le délit d’abus de confiance, Revue pratique des sociétés, 1998, p. 376-393 ; ROGER-FRANCE (E), Abus de biens sociaux, droit fiscal et
groupes de sociétés, art. pré. , p. 259-270.
542
BIHAIN (L), Le délit d’abus de biens sociaux, Revue de droit commercial, 1998, p 94 et 95.
543
Selon le professeur Bihain, il n’est nullement certain que la distinction entre l’usage et l’omission soit des plus nettes et qu’en droit belge,
l’omission ne pourrait jamais être sanctionnée par le délit d’abus de biens sociaux. Monsieur Luc Bihain lui-même en fait douter. Après avoir
affirmé qu’une simple omission ne peut être réprimée et qu’un dirigeant d’entreprise ne commet aucune infraction lorsqu’il omet de réclamer le
paiement d’une facture à une société tierce. Il ajoute que, si par cette omission, le dirigeant obtient un avantage, comme celui du règlement d’une
commission occulte, celui-ci userait, de manière indirecte et à des fins personnelles, du crédit de l’être moral qu’il dirige. Dans ce cas, il s’agirait
d’un acte positif qui répondrait aux conditions légales du délit d’abus de biens sociaux. L’omission est dès lors aussi répréhensible que l’usage
lorsqu’elle résulte d’une politique délibérée qui cherche à appauvrir la société en enrichissant son dirigeant. Le délit d’abus de biens sociaux ne
réprime peut-être pas, en son état, les négligents et les paresseux. Mais il paraît bien sanctionner tous les dirigeants « passifs » qui entendent, à la
faveur des omissions dont ils se rendent coupables, s’enrichir par l’obtention d’avantages illicites ; par la reprise profitable du patrimoine d’une
société qui ne peut plus poursuivre ses activités par suite des omissions de ses dirigeants ; par les avantages illicitement recherchés dans la
pyramide de groupes de sociétés ou dans des arrangements multi-sociétaires… BIHAIN (L), art. pré., p 95 ; ROGER-FRANCE (E), Abus de
biens sociaux, droit fiscal et groupes de sociétés, RGF, 1998, p 262.
544
MEDINA (A), L’expérience française, In L’abus de biens sociaux : Le particularisme français à l’épreuve de l’Europe, Colloque précité, n°
324 à 325.
IA ‫ رة‬N ‫ ان‬t<S ‫ ان‬a ‫ ا‬M a ‫ " ا‬: 8 + ‫ رة‬CD ‫ ا‬/] ‫ا ا ب‬DK ‫ ورد‬.406 ‫ ص‬،1996 ،‫ دار ا 'ان‬، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ن ا‬7 U N " #$ ، " , e1 ; : 6‫ُ اﺟ‬+ 545
P "# ‫ ا‬4 ‫ا‬ ‫ ا‬M 297 V]/ ‫ ا‬a N ‫ ا< ى‬6A‫ و او‬V O‫ ا‬D@4 < ‫ ن‬$ ‫ ة ا‬/ G . C 3 ‫ ا‬k U N 8 ‫ ا‬4 ‫ وا‬+‫ ر‬# ‫ ا‬IA ‫ ا‬6 ‫ ﺟ‬U N ‫ ي‬$‫ و‬L C 3 ‫ا‬
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." # ‫ ط‬5 # $ C 3 ‫ ا‬f ّ < 7 ‫ ل‬N ‫ ن ا‬$ ‫ ان‬8/ + V A +‫د‬
546
Par exemple, constitue un abus de biens sociaux le fait pour un président-directeur général, de s’approprier des sommes de ventes sans factures
et devant normalement revenir à la société. Cass. Crim. Fr. 16 mars 1970, Rev. Soc. 1970, p.480.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

d’immeubles, que l’entreprise soit propriétaire ou simplement locataire. Ces termes, qui doivent également être
interprétés dans le sens le plus large, englobent l’intégralité du patrimoine de la société dans toutes ses
composantes mobilières et immobilières, corporelles et incorporelles ou virtuelles547. Ainsi, « les réalités et les
virtualités se conjuguent dans un monde où prédomine le jeu de la finance et où tout paraît possible et légitime
lorsque les images et les rêves séduisent les esprits et emportent, même temporairement, leur conviction »548.

83- En sus des biens sociaux, l’abus social peut avoir pour objet le crédit de la société, c’est à dire la
renommée commerciale née de la bonne marche de l’entreprise, de son capital, du volume et de la nature des
affaires. Par usage du crédit, il faut entendre l’utilisation de la capacité financière de la société ou de sa
réputation. Là, également, cette notion doit être entendue le plus extensivement possible549.
L’usage de la réputation ou de l’image de la personne morale et la manipulation de toutes les
informations qui l’établissent ou la déforment sont peut-être, dans notre monde actuel, la source et l’exemple
d’abus de biens sociaux les plus fréquents, plus subtils et plus malfaisants que le simple détournement de l’un
ou l’autre bien de la société au profit de l’intérêt personnel du dirigeant.

84- A côté de l’abus des biens ou du crédit sociaux, celui des pouvoirs ou des voix550 suppose que
les dirigeants utilisent ces moyens pour accomplir, de mauvaise foi, un acte contraire à l’intérêt de la société
dans un intérêt personnel, direct ou indirect551.
Concernant cet abus, la juxtaposition des termes « pouvoirs » et « voix » a soulevé des controverses
sur l’interprétation de la volonté du législateur. Pour monsieur Cosson, le terme « pouvoir » doit être
rapproché du terme « voix ». Les pouvoirs désignent alors l’ensemble des procurations remises en blanc par
les actionnaires aux dirigeants afin de les représenter lors des assemblées générales552. Cette conception a été
rejetée par la doctrine dominante qui définit les « pouvoirs » comme étant l’ensemble des droits accordés par
la loi ou les statuts aux dirigeants sociaux en vertu du mandat dont ils sont investis553. Cette seconde opinion
semble plus conforme à la volonté du législateur. Elle présente, en outre, l’avantage de permettre la répression

547
ROGER-FRANCE (E), La répression des abus de biens sociaux : le nouvel article 492 bis du Code pénal, art. pré., p. 535. D’après cet auteur,
le délit d’abus de biens sociaux est plus étendu que le délit d’abus de confiance dans la mesure où ce dernier ne peut concerner l’usage abusif des
avoirs incorporels ou immobiliers.
548
HORSMANS (G), L’abus de biens sociaux en droit Belge, In L’abus de biens sociaux : Le particularisme français à l’épreuve de l’Europe
Colloque précité, n° 324 à 325.
549
Le cas le plus fréquent est celui où le dirigeant engage la signature sociale par l’acceptation d’effets de complaisance ou le tirage de traites sans
contrepartie (Cass. crim. Fr. 8 décembre 1971, Bull. crim. n.346).
550
L’abus des pouvoirs ou des voix est pratiquement identique à l’abus de biens sociaux sauf que, dans ce cas, ce qu’on reproche au chef
d’entreprise c’est d’avoir usé de ses pouvoirs. Ce n’est pas un abus des biens directement, c’est un abus des pouvoirs de la part du dirigeant,
contraire à l’intérêt social avec la même définition que l’abus des biens. Il est communément admis que l’abus des pouvoirs est le plus dangereux,
parce que plus large que l’abus des biens sociaux. Si la jurisprudence souhaite aller très loin dans l’immixtion dans la gestion, elle peut le faire à
travers l’abus des pouvoirs. Les tribunaux peuvent poursuivre un dirigeant simplement pour avoir abusé de ses pouvoirs, dans un but contraire à
l’intérêt social. Cette incrimination permet une large répression. Lorsque le texte du décret-loi de 1935 est né en France, deux thèses s’opposaient.
Pour certains auteurs, l’abus des pouvoirs et des voix était simplement le fait pour le dirigeant d’utiliser les pouvoirs en blanc qui lui étaient
accordés par les actionnaires dans un intérêt personnel et contrairement à l’intérêt social. On craignait que le dirigeant utilise ces pouvoirs en blanc,
dont la pratique n’était pas juridiquement encadrée, pour faire voter des résolutions en sa faveur. Et puis, il y avait l’autre partie de la doctrine,
d’après laquelle il faut entendre le terme « pouvoirs » dans un sens général, qui est : les pouvoirs conférés au dirigeant de société. C’est cette
deuxième interprétation qui a prévalu et s’est imposée auprès des juridictions. L’abus de pouvoirs est utilisé lorsque, notamment, on ne peut pas
déterminer l’ABS, tout simplement parce que, soit il n’y a pas eu vraiment d’abus des biens, soit parce que l’abus de biens étant un acte positif, le
comportement reproché au dirigeant relève d’une abstention qui peut, en revanche, entrer dans le cadre du délit d’abus de pouvoirs. Le fait par
exemple de ne pas demander paiement n’est pas un abus de biens au sens strict du terme mais plutôt un abus de pouvoirs. Ainsi, l’interprétation
jurisprudentielle du délit d’abus de pouvoirs permet une large répression si on combine cette notion avec l’interprétation donnée par les juridictions
de l’acte contraire à l’intérêt social. Si ce dernier est entendu dans le sens de l’intérêt des associés mais aussi des créanciers et des salariés, on
pourrait, se fonder sur cette incrimination pour poursuivre, dans certaines affaires récentes, les présidents qui ont utilisé leur pouvoir dans la société
pour satisfaire leur égo, voire leur mégalomanie lorsque leurs actes se sont révélés contraires à l’intérêt social entendu de la façon habituellement
retenue par la jurisprudence. Une telle utilisation du délit pourrait s’avérer dangereuse pour les chefs d’entreprise. V. CARDIX (M) et RENUCCI
(J-F), L’abus de biens sociaux, PUF, 1998. CAPDEVILLE (J-L), Abus de biens sociaux et banqueroute : pratique des affaires, JOLY, 2010.
551
V. art 146 et 223 CSC.
552
COSSON (J), note sous Cass. Crim. 16 janv. 1989, D.S. 1989, p. 495.
[! m P ‫ ا‬a / ‫ ا‬8G V [ ‫ " إن ا‬: 8 + ‫ رة‬CD ‫ ا‬/] ‫ا ا ب‬DK ‫ ورد‬.408 ‫ و‬407 ‫ ص‬، CD ‫ " ا‬A 6‫ ا ﺟ‬، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ن ا‬7 U N " #$ ، " , e1 ; : 6‫ُ اﺟ‬+
L ! ‫ ل ا‬# A‫ ء ا‬A ‫ ن‬V 7 ‫رأي‬ f7‫ و‬8G K‫ ظ‬7‫ و‬.9K+ ‫ ة‬G ‫ ا دارة ا‬H ‫ ء‬FN‫ ط ف ا‬M ‫ ات‬0 ‫ أو ا‬L ! ‫ ل ا‬# A‫ ا‬8G i!# ‫ م ا‬K/ 8G ‫ را‬L$ ‫ ك‬4‫ ى أن ھ‬+ ‫ا‬
." V C ‫ ة ا‬K# ‫ ط‬4 ‫ ا‬C ‫ ا‬P k ‫ ذ‬84#+‫ و‬KG ‫ وھ‬K + 5 MN ‫ ا دارة‬H FN K N M $‫ اؤ‬8 ‫ ات ا‬0 ‫ ا‬V+ $‫ اط و‬G ‫ ا‬8G M + ‫ ات‬0 ‫وا‬
553
LAURET (B), op. cit., p 378. VERON (M), op. cit., n° 199.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

des abus des pouvoirs qui ne se traduisent pas par un usage de biens ou du crédit554. Il reste que l’abus des
pouvoirs est rarement sanctionné de manière autonome et est le plus souvent absorbé par l’abus de biens
sociaux555 car il s’accompagne presque toujours d’un détournement des fonctions du dirigeant social pour
l’obtention d’un avantage matériel.

Contrairement à l’abus des pouvoirs, celui des voix permet de réprimer une autre forme de
comportement abusif, tout en protégeant directement les intérêts des actionnaires. Il s’agit en effet d’empêcher
que, par la méthode des procurations remises en blanc par des actionnaires aux mandataires sociaux, ceux-ci
ne transforment les assemblées en chambre d’enregistrement. Cette incrimination vise à empêcher que par
l’usage des procurations en blanc, les mandataires sociaux « ne transforment une démocratie en oligarchie,
voire en dictature » 556 . En effet, il est de pratique courante, en France, d’envoyer aux associés un pouvoir en
même temps que la convocation. L’associé qui envisage de s’absenter peut renvoyer le pouvoir aux dirigeants,
sans indication de mandataire. C’est un pouvoir en blanc. Cette collecte des pouvoirs en blanc permet
d’atteindre plus facilement le quorum et donne au président de l’assemblée un pouvoir important puisque c’est
lui qui détient le vote attaché aux procurations557. Ces mandats en blancs adressés aux dirigeants, en raison de
l’absence de réglementation, sont très souples. Ils permettent le vote pour des résolutions proposées par les
558
dirigeants, en faveur ou contre les propositions émanant des associés . Ils sont donc davantage utiles aux
dirigeants dont ils confortent la position au sein de l’assemblée qu’aux associés eux-mêmes559. C’est pour
combattre de tels abus que les législations, qui ont réglementé les pouvoirs en blanc560, imposent, outre une
information préalable des associés à qui de nombreux documents sociaux doivent être envoyés, l’obligation
d’utiliser le vote dans un sens déterminé561.

85- Reste que l’abus n’existe, dans tous ces cas, que si le dirigeant a usé des biens, du crédit, des
voix ou des pouvoirs dont il disposait, de manière contraire à l’intérêt social pour obtenir, de mauvaise foi, un
avantage personnel.

554
Il en est ainsi, par exemple, de la conclusion par un administrateur d’un contrat avec sa société, sans profit ni perte pour cette dernière, dans le
but de se faire attribuer une commission.
‫ ا‬+ ‫ ا‬8G ‫ ا رن ا م‬a / ‫ ى ا‬+‫ " و‬: 8 + ‫ رة‬CD ‫ ا‬/] ‫ا ا ب‬DK ‫ ورد‬.408 ‫ ص‬، CD ‫ " ا‬A 6‫ ا ﺟ‬، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ن ا‬7 U N " #$ ، " , e1 ; : 6‫ُ اﺟ‬+ 555
M ‫ و‬. L ! ‫ ا‬A‫ ر‬8G i!#$ ‫ ون‬84#+‫ و‬d ‫ ون ا‬U ‫ ا و‬+ ‫ ا‬6 $ ‫ إن‬M + a ‫ ا‬k ‫ ذ‬L ! ‫ ا‬8G ‡‫ ط‬P ‫ وا ] ف ا‬K # A‫ و‬C 3 ‫ ا‬IA 8G ‫ ا ] ف‬M h ‫ ك ر‬4‫إن ھ‬
‫ ة‬/ ‫ ا‬+ ‫ ﺟ‬9 !$ ‫ إن‬M ‫ ا‬M a G ‫ا‬D ‫ و‬. L ! ‫ ا‬8G ‫ اط‬G ‫ ا‬+ ‫ ﺟ‬S A‫ ام ا‬# ‫ى وا‬ VC M ‫ ة ا‬/ ‫ اغ ا‬G‫ ا‬a [O M a #+ ‫ إن‬M + ‫ا ا أي‬D‫ إن ھ‬t<S ‫ إن‬I‫ا اﺟ‬
." C 3 ‫ ا‬M 0 #/4 U N V ] a L A C O ‫ ادارة‬H FN V # !+ ‫[ن‬C C 3 ‫ ر‬g ‫و ون وﺟ د اي‬ ‫ون وﺟ د‬ ‫ا‬
556
LARGUIER (J), Droit Pénal des Affaires, Armand Colin, 11 éme éd, 2004, n° 380.
557
Cette pratique est évoquée par l’article 223.4 du Code des sociétés commerciales qui sanctionne d’une peine d’emprisonnement d’un an au
moins et de deux ans au plus et/ou d’une amende de deux mille à dix mille dinars, « les membres du conseil d’administration qui, de mauvaise foi,
ont fait des pouvoirs qu’ils possédaient ou des voix dont ils disposaient, un usage qu’ils savaient contraire aux intérêts de la société dans un
dessein personnel ou pour favoriser une autre société dans laquelle ils étaient intéressés d’une manière quelconque ». Les mêmes peines
s’appliquent aux membres du directoire et du conseil de surveillance par renvoi de l’article 257 C.S.C. et par l’article 146 prg. 3 du même code qui
sanctionne les mêmes comportements des gérants dans les S.A.R.L.
558
Certaines législations réglementent étroitement ces pouvoirs en blanc en raison des abus qu’ils permettent. En droit Américain : V. TUNC (A),
Le droit américain des sociétés anonymes, Op. cit., n°96. En droit Français : V. Loi 24 juillet 1966, art. 161 al. 4 modifié par la loi du 3 janvier
1983 (ces deux lois sont actuellement reprises par le C.C.Fr.). V. MERLE (P), Droit commercial - Sociétés commerciales, Op. cit., p 510. En droit
mauritanien : V. art.506 du Code du commerce.
559
DAHDOUH (H) et DAHDOUH (C), Droit commercial, V. 2, Entreprises sociétaires, règles communes, T. 1, 1ère Ed., IHE Editions, 2003, p
401.
560
Le caractère personnel du mandat, suppose qu’il soit donné à une personne dénommée. Qu’en est-il si le mandat est donné sans préciser le
mandataire ? Au lieu de désigner lui-même son mandataire, l’actionnaire peut se borner à envoyer à la société un pouvoir n’indiquant ni le nom du
mandataire ni le sens du vote. Il s’agit du pouvoir en blanc. Cette collecte des pouvoirs en blanc paraît utile car elle permet d’atteindre plus
facilement le quorum. Malgré cette utilité, cette technique de collecte des pouvoirs est ignorée en droit tunisien. Un détournement des pouvoirs en
blanc est alors très perceptible. En l’état actuel de notre législation, rien n’empêche les sociétés de faire recours aux pouvoirs en blanc afin
d’atteindre le quorum requis pour les délibérations des assemblées générales. Pour faire face aux éventuels dangers y afférents, une réglementation
de cette technique semble utile. Les pouvoirs en blanc doivent être utilisés dans le sens fixé par les actionnaires. Le destinataire ne doit disposer
d’aucune initiative et doit se comporter comme une machine à voter. Le contrôle légal du sens de cette utilisation des pouvoirs s’impose pour
assurer une protection de la participation indirecte de l’actionnaire aux assemblées générales. MANSURY (F), Assemblées d’actionnaires, JCL.
Soc., éd. 1999, n° 29 ; RIPERT (G), Aspects juridiques du capitalisme moderne, 2ème éd, LGDJ, 1951, n° 43 ; GUYON (Y), Assemblées
d’actionnaires, op.cit, n° 130.
561
Par exemple V. en droit Marocain, art. l31 al.3 de la loi n°17-95 relative aux sociétés anonymes (la disposition est supplétive et laisse aux
statuts le soin d’en décider autrement). V. Dahir n° 1-96-124 du 14 rabii II 1417 (30 août 1996) portant promulgation de la loi n° 17-95 relative
aux sociétés anonymes. Bulletin officiel n° 4422 du 4 joumada II 1417 (17 octobre 1996).

Page 75
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

b- La contrariété de l’usage à l'intérêt social

86- Pour que l’abus de gestion soit constitué, les actes d’usage, ci-dessus précisés, doivent être
accomplis dans un but contraire à l’intérêt social. En effet, à travers le délit d’abus de biens sociaux, le
législateur veut protéger non pas l’intérêt exclusif des associés mais le patrimoine social dans l’intérêt de la
société. Ainsi un quitus émanant des associés ne devrait-il pas empêcher le délit d’être constitué.

C’est d’ailleurs, à juste titre, que la Cour de cassation a affirmé dans son arrêt pénal n° 9422, en date
du 15 Aout 1984, que « les biens de la SARL ne sont nullement ceux des fondateurs et des associés et tout
usage desdits biens sans motif légal constitue une appropriation des biens d’autrui ce qui est sanctionné
pénalement »562.
Profitant de ce que la loi ne définit pas l’acte antisocial constitutif de l’abus, les juges ont apprécié
l’acte en cause et décidé que s’il aboutit à une perte ou s’il pouvait comporter un risque de perte, il est alors
contraire à l’intérêt social puisque c’est le risque auquel a été exposé l’actif social qui rend l’acte délictueux.
La loi n’étant pas explicite, les mêmes juges se sont approprié le pouvoir de déterminer la consistance de
l’acte antisocial563.
L’intérêt de la société prime ainsi l’intérêt personnel d’un associé ou d’un dirigeant, tout acte
susceptible de menacer la pérennité de l’entreprise étant nécessairement contraire à l’intérêt social.

87- Mais, qu'est ce qu’on entend par une opération contraire à l'intérêt social au regard de
l'infraction d'abus de biens sociaux ? Il n'existe pas de définition unique. Les juges du fond se prononcent en
fonction des circonstances de la cause. La Cour de Cassation peut toutefois exercer son droit de contrôle si les
éléments de fait retenus caractérisent suffisamment l'acte contraire à l'intérêt social564. En substance, à l'analyse
des critères retenus par la jurisprudence, l'opération contraire à l'intérêt social qui devrait être appréciée au
moment des faits565 se rapproche de l'acte anormal de gestion tel qu'il est connu en droit fiscal. Il s'agit d'un
acte qui sans contrepartie pour la société, constitue une charge pour cette dernière, ou la prive d'une recette, ou
lui fait courir un risque anormal de perte auquel elle ne devrait pas être exposée566. La démonstration d'un
préjudice social n'est, semble-t-il, pas alors nécessaire567.
La construction jurisprudentielle française relative à l’usage contraire à l’intérêt social est fort
extensive. Sont concernés tous les actes qui portent atteinte au patrimoine social568. Ainsi, non seulement il y a
atteinte à l’intérêt social dès que la société éprouve un préjudice matériel ; mais encore, les tribunaux vont

8G ‫] ف‬$ VC ‫ وان‬K G M C‫ ر‬3 ‫ وا‬K IA MN ]/4 ‫ودة‬ ‫ا‬ ‫و‬q! ‫ ذات ا‬C 3 ‫ ا‬IA ‫ ن‬$ ":8 + 1984/8/15 ‫ ا _رخ‬9422 ‫(د‬3 661@7 ‫ ﺟ ء @ ار ا‬562
.195 ‫ ص‬،1983 4A 2 ‫ د‬N I # ‫ا‬ + 3 6‫ُ اﺟ‬+ ." 8 4 ‫ن ا‬ ‫ ط ا‬f $ V +‫ ل ا ^ و‬U N ‫ء‬S A‫ ا‬#+ 8 7 ‫ ون ر‬IA ‫ه ا‬D‫ھ‬
563
Dans une première affaire du 17 novembre 1986 (Crim 17 nov.1986, Bull.crim, n°342) la chambre criminelle de la Cour de cassation française
a considéré que le prélèvement d’une somme de 1 million de francs, remise à deux inspecteurs des impôts pour que le contrôle fiscal ne soit pas
trop lourd pour la société, constituait un abus de biens sociaux, alors même que cet acte devait profiter à la société, aux actionnaires et même aux
créanciers. Dans l’affaire CARPAYE (Crim 24 avril 1992, Bull.crim, n°169, Rev.soc 1993, p.124, note B. Bouloc) du 24 avril 1992, la chambre
criminelle a posé le principe selon lequel il y a abus dès lors que l’acte est fait dans un but illicite en estimant que le prélèvement de fonds pour
commettre un délit est un but qui ne peut coïncider avec l’intérêt social. Puis, dans l’affaire NOIR-BOTTON (Crim 6 février 1997, D. 1997, p.334,
note Rennucci) du 6 février 1997, les juges de la chambre criminelle ont considéré que l’utilisation des fonds sociaux à des fins illicites ne relevait
pas nécessairement de l’abus de biens sociaux. Elle a, ensuite, tempéré ce principe dans l’affaire CARIGNON (Crim 27 octobre 1997, Droit Pénal
1998, Comm.n°21, Obs Robert) du 27 octobre 1997. Dans cette affaire on peut lire ce qui suit : « quel que soit l’avantage à court terme qu’elle
peut procurer, l’utilisation des fonds sociaux ayant pour seul objet de commettre un délit (la corruption) est contraire à l’intérêt social car elle
expose la personne morale au risque anormal de sanction pénale ou fiscale contre elle-même et ses dirigeants et porte atteinte à son crédit et à sa
réputation ». Ainsi un acte illicite en soi ne constitue pas ipso facto un acte contraire à l’intérêt social, il ne le sera que s’il expose la personne
morale à un risque pénal ou fiscal, du fait de la commission par le dirigeant d’une infraction pour son propre compte. En plus ce risque doit porter
atteinte au crédit et à la réputation de ladite personne morale. Dans un arrêt du 14 mai 2003 (Crim 14 mai 2003, D. 2003, p.1766, n°26, Obs A.
Lienhard), la chambre criminelle applique le principe précité. En effet, dans cette affaire, on peut lire ce qui suit : « justifie sa décision de déclarer
coupable d’abus de biens sociaux les prévenus, la cour d’appel ayant procédé à une appréciation souveraine des faits, d’où il résulte que l’usage
des biens sociaux a eu pour effet d’exposer la personne morale et ses dirigeants à des poursuites pénales ou fiscales et dès lors qu’il n’est pas
exigé que leur utilisation ait eu lieu à des fins exclusivement personnelles».
.417 ‫ ص‬،2010 ،8# ‫ ا‬34 ‫' ا‬C ،8 ‫ ء ا‬F ‫ ا‬a G M N ‫ ! ن‬، ‫ ا < م ا‬V #$ U N I # ‫ا‬ 7‫ ر‬،f ‫ د ا (رو‬3 : 6‫ُ اﺟ‬+ 564
565
Non pas au regard de son incidence ou du résultat comme tel est le plus souvent le cas.
566
Cass. crim. Fr., 16 décembre 1975, Bull. crim. no 275.
567
Cass. crim. Fr., 16 décembre 1975, Bull. crim. no 279
568
L’exemple le plus fréquent est celui du chef d’entreprise qui utilise librement la caisse sociale pour ses besoins personnels. En ce sens, Cass.
crim. Fr., 7 mars 1968, Bull. crim., n°80.

Page 76
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

beaucoup plus loin en considérant, comme abusif, tout acte qui fait courir un risque anormal au patrimoine
social569. Pour analyser l’acte accompli par le dirigeant social, les tribunaux doivent le replacer dans son
contexte industriel et commercial et, l’examiner tant au regard du préjudice qu’il risquait de faire courir à la
société que des avantages que celle-ci pouvait en attendre570. Il ne faut donc pas se contenter des seuls
résultats mais également prendre en considération les perspectives d’avenir et l’idée que s’en faisait le
dirigeant social571.
De manière générale, les actes contraires à l’intérêt social se divisent en deux catégories : les actes sans
aucune contrepartie et ceux faisant courir à la société un risque disproportionné. Dans la première catégorie, le
dirigeant social fait réaliser par la société des actes dont la nature peut être très variée (cautionnement, cession,
dons, acquisition, prêt etc.) mais qui ne peuvent trouver aucune justification économique.
Contrairement à cette première catégorie d’actes, la seconde met en place des actes disposant d’une
contrepartie prévisible mais qui font courir à la société un risque disproportionné. Ainsi, un dirigeant commet
l’abus s’il conclut pour sa société une affaire excédant ses capacités ou pouvant de manière prévisible remettre
en cause son existence572.
L’intérêt social est apprécié, dans ces conditions, par le juge. Il est indifférent que tous les associés
aient consenti à l’acte incriminé, que l’assemblée générale l’ait ratifié573 ou que la société ait un caractère
exclusivement familial574. La loi a, en effet, pour objet de protéger non seulement les intérêts des associés,
mais aussi le patrimoine de la société et les intérêts des tiers qui contractent avec elle575.

88- En définitive, l’intérêt social est une notion qui n’est pas complètement définie576, et qu’on peut
adapter en fonction de ce qu’on souhaite. Les magistrats peuvent se faire une idée de l’intérêt social qui peut
varier d’une affaire à l’autre et qu’ils vont qualifier a posteriori ; là encore, c’est un facteur d’instabilité et
d’insécurité pour le justiciable. Le recours à l’intérêt social est, selon certains auteurs577, responsable de la
définition insuffisamment rigoureuse de l’abus des biens, du crédit, des pouvoirs ou des voix. La notion
d’usage contraire à l’intérêt social demeure donc trop floue et ne semble pas avoir sa place dans un texte
pénal578. Il en est de même de l’élément moral de l’abus qui, bien qu’il ait son bien fondé dans un texte pénal,
nécessite toutefois d’être restreint et circonscrit afin de respecter les principes fondamentaux de la matière
pénale.

569
Dans un arrêt du 16 décembre 1975, la Cour de cassation française a utilisé la formule selon laquelle « l’actif social doit avoir connu un risque
auquel il ne devrait pas être exposé » (Cass. crim. Fr., 16 décembre 1975, Bull. crim., n°279, JCP 76, éd. G, II, 18476, note Delmas-Marty).
Cependant, la portée de cette formule doit être relativisée. Elle n’a pas pour effet de sanctionner tout acte portant en soi un risque de perte. En effet,
l’acte contraire à l’intérêt social doit être conjugué avec la mauvaise foi du dirigeant et la recherche d’un intérêt personnel pour constituer le délit
d’abus de biens sociaux.
570
V. en ce sens, Trib. com. Seine, 14 nov. 1958, JCP 59, éd. G, 2, 11240, note Bouzat ; D.1959, p 568, note Bonassies.
571
Cette solution a pour principal avantage de dissuader les dirigeants sociaux de certaines opérations trop hasardeuses ou s’apparentant à un
«coup de poker », lancée au mépris d’un minimum de sagesse. Dans certains cas, il arrive que des actes anciens soient examinés aujourd’hui et il
est facile de tenir compte du résultat pour dire si l’acte était bon ou mauvais. Ce serait le succès qui serait le critère de légitimité de l’action. Mais,
en réalité, il faut, pour apprécier l’acte, rechercher quel était le contexte économique quand la décision a été prise.
572
Cass. Crim. Fr., 22 avril 1992, Bull. crim., no 169 ; Cass. crim., 11 janvier 1996 : Bull. crim., no 21 ; Cass. Crim. Fr., 6 février 1997, Bull.
crim., no 48 ; Cass. Crim. Fr., 27 octobre 1997, Bull. Joly Sociétés, 1998, p. 11, § 2, note J.-F. Barbièri ; Joly Sociétés, Traité : vo « Responsabilité
pénale des dirigeants », par C. Mascala ; vo « Abus de biens sociaux », par F. Lenglart.
573
Cass. Crim. Fr., 30 sept. 1991, Rev. Soc. 1992, p. 356, B. Bouloc. Peu importe également l’approbation du conseil d’administration, Crim. 22
sept. 2004, Bull. Joly 2005, p. 45, no 6, J. F. Barbièri ; Rev. Soc., 2005, p 200, B. Bouloc.
574
Cass. Crim. Fr., . 26 mai 1994, Rev. Soc. 1994, p. 771, B. Bouloc.
575
DEKEUWER (A), Les intérêts protégés en cas d’abus de biens sociaux, JCP E 1995, I, 500. Cf. par ex. Crim. 30 sept. 1991 RJDA 1992, p. 32,
no 44 ; Crim. 26 mai 1994, préc.
576
V. infra, n° 294.
577
DEKEUWER (A), art. pré., n°500, p.421.
578
Roger-France (E), La répression des abus de biens sociaux : le nouvel article 492 bis du Code pénal, Journal des Tribunaux, 1996, p. 533-538.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

B- La largesse de l’élément moral :

89- L'usage contraire à l'intérêt social ne suffit pas à la consommation de l’abus. La loi impose en
outre, que « le dirigeant ait agi à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans
laquelle il était intéressé directement ou indirectement »579.
La Cour de cassation exige la preuve de cet élément moral avant toute incrimination. En effet, elle a
décidé dans son arrêt pénal n° 80313, en date du 8 juillet 1993, concernant l’ancien article 86 du code de
commerce, que « du moment que la mauvaise foi n’a pas été prouvée dans la présente affaire, l’élément moral
de l’infraction devient inexistant et les éléments constitutifs défaillants ce qui rend l’arrêt attaqué critiquable
pour mauvaise application de la loi »580.
Cette condition, exigée par la loi et respectée par la jurisprudence, devrait restreindre le champ
d'application de l'incrimination et les possibilités d'engager des poursuites pénales. Elle implique, en effet, que
la partie poursuivante apporte la preuve d'un dol spécial s'ajoutant au dol général.

90- Le dol général se traduit par la conscience et la volonté de transgresser la loi pénale ou encore la
conscience de faire courir à la société un risque anormal distinct du risque inhérent à la nature de l’affaire581.
Mais, la preuve du dol général ne suffit pas, car la loi exige, de surcroît, qu'il soit démontré que l'auteur de
l'acte a poursuivi un objectif personnel, c'est-à-dire qu'il a agi de la sorte pour en retirer un profit personnel. Il
s’agit du dol spécial consistant en la recherche d’un enrichissement matériel ou moral, qui sera direct lorsque
le dirigeant s’enrichi seul au détriment de ses associés pour son compte personnel ou pour celui d’un tiers. Cet
enrichissement est par contre indirect si l’abus a pour but de favoriser une société ou une entreprise dans
laquelle le dirigeant est intéressé directement ou indirectement582.

En conséquence, un acte d'usage contraire à l'intérêt social qui n'est pas réalisé pour satisfaire un but
personnel n'est pas constitutif d’un abus de biens sociaux. Cette exigence permet d'écarter du champ de la
répression le dirigeant qui commet des fautes de gestion583 - qui sont certes des actes contraires à l'intérêt
social - par maladresse, incompétence ou négligence, sans toutefois rechercher un avantage personnel584.
Pourtant, la jurisprudence, en France585 comme en Tunisie586, retient parfois la simple négligence du dirigeant
social poursuivi qui, en raison de ses fonctions, aurait dû connaître ou ne pouvait pas ignorer le caractère
délictueux de l'acte accompli par autrui.
L’exigence d’un dol spécial peut être justifiée « par le souci de ne pas freiner l’esprit
d’entreprendre»587. En effet, tout acte émanant d’un dirigeant quel qu’il soit est, par essence, motivé en partie
par son intérêt personnel. Mais, il ne faudrait pas que la recherche d’un avantage personnel aille à l’encontre
de l’intérêt social. Cette condition supplémentaire a pour finalité d’éviter une répression ipso facto qui se
satisferait d’une cupidité omniprésente dans la vie des affaires588.

579
V. al. 3 art. 146 CSC pour la S.A.R.L., al. 4 art. 158 CSC pour la S.U.A.R.L. et al. 3 de l’article 223 CSC.
‫ س‬A ‫ا ا‬D‫ ھ‬U N‫ دا و‬/ ]+ + ‫ ا ] ي‬MC ‫ ن ا‬G ‫ ا ل‬F7 8G G 5 4 ‫ ء ا‬A MC‫" ط ان ر‬:8 + 1999/7/8 ‫ ا _رخ‬80313‫(د‬3 61@7 ‫ ﺟ ء @ ار ا‬580
.180 ‫ ص‬،1999 4A ،1 ‫ د‬N ،I # ‫ا‬ + 3 6‫ُ اﺟ‬+ ." ‫ " ا ن‬L$ ‫ ! ء‬n 4 g N 4 ‫ ا‬9 ‫ ا‬V# + P K C‫ ار‬f g‫ا‬
581
Cass. Crim. Fr., 16 janvier 1981, Bull. crim., no 17 ; Rev. Soc., 1989, p. 687, note Bouloc (B).
.2008 8/ ‫ ﺟ‬،39/38 ‫ د‬N ، ‫ ا‬،‫ ا ! ؟‬M! g 9+ ‫ ن ا‬+ i C : 9A ‫ ا‬/P ‫ ا‬C 3 ‫! ّ ي ا‬ ‫و ا 'ا‬q! ‫ ا‬، " , e1 ; 582
583
BEL HAJ HAMMOUDA (A), La faute de gestion est-elle impossible à éviter ?, (article publié sur internet) : http://www.investir-en-
tunisie.net/index.php?option=com_ content&task=view&id=262&Itemid=140.
584
CA Rouen, 13 mai 1997 : Rev. Soc., 1997, p. 899 note Guyon (Y).
585
Cass. Crim. Fr., 19 décembre 1973, Bull. crim., no 480 ; D. 1974. 271, note Bouloc (B).
586
V. infra. n° 648.
.105 ‫ ص‬،1977 4A ،1 ‫ د‬N ،.‫ت‬.‫م‬.‫ ن‬،1976/04/12 = ‫ _رخ‬،11555 ‫(د‬3 ، ‫ا‬M9 61@7; ‫ ار‬: 6‫ُ اﺟ‬+ 587
588
Conscient du fait que la transparence reste le meilleur moyen de déjouer les conflits d'intérêts, et voulant protéger la société et ses actionnaires
contre les risques d’abus, le législateur a renforcé le devoir de transparence en prévoyant dans le paragraphe premier de l'article 200 nouveau CSC
que les dirigeants sociaux sont tenus de « déclarer par écrit tout intérêt direct ou indirect qu'ils ont dans les contrats ou opérations conclus avec la
société ou demander de la mentionner dans les procès verbaux du conseil d'administration ». La portée de cette disposition reste cependant limitée
pour plusieurs raisons. En visant « tout intérêt direct ou indirect qu'ils ont dans les contrats ou opérations », l'article 200 CSC ne vise que les
conflits d'intérêts existant réellement et passe sous silence les conflits d'intérêts potentiels qui sont visés par plusieurs autres systèmes juridiques.
Les conflits d'intérêts visés sont uniquement ceux qui naissent à l'occasion de la conclusion des conventions avec la société. L'article 200 CSC

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

91- Partant de ces quelques précisions, il paraît clair que l’intérêt personnel589, est lui aussi entendu
très largement, puisqu’il peut être matériel, économique, professionnel ou même moral590. La preuve de
l’usage à des fins personnelles est grandement facilitée par le recours à la présomption selon laquelle : « s’il
n’est pas justifié qu’ils ont été utilisés dans le seul intérêt de la société, les fonds sociaux prélevés de manière
occulte par un dirigeant, l’ont nécessairement été dans un intérêt personnel »591. Ce qui est contraire à la
présomption d’innocence. Faut-il rappeler, dans cette perspective, que la dite-présomption n'est pas une
« vieille lune », c'est une garantie constitutionnelle fondamentale de notre droit. Le doute doit et devra toujours
bénéficier au prévenu puisqu'il appartient au ministère public qui a, faut-il le rappeler, l'opportunité des
poursuites et la preuve de la commission des infractions. Etendre les présomptions de culpabilité, c'est
favoriser la croyance systématique de la responsabilité des prévenus, ce qui n'est évidemment pas acceptable.

Aussi dans cet ordre d’idées, le dirigeant social est, pour les juges, supposé apprécier la portée de ses
décisions592 et le fait d’alléguer son inaptitude, attestée par les actes délictueux commis, est un moyen de

n'exige pas la divulgation des autres conflits d'intérêts qui peuvent naître dans d'autres circonstances comme ceux qui naissent suite à la nomination
du dirigeant social dans une filiale, une entreprise ou une association, et qui serait de nature à le placer en situation de conflit d'intérêts. L'article
200 se contente aussi de traiter les conflits d'intérêts en la personne du dirigeant uniquement. Le législateur aurait dû étendre l'obligation de
révélation à tous les partenaires de la société, dont notamment les actionnaires non dirigeants. Aussi, Le CSC a omis d’instituer un principe général
d’évitement des conflits. Ce vide législatif, existant également en droit français, a été dûment critiqué par la doctrine. Le professeur Dominique
SCHMIDT écrit qu' « on regrette que les textes législatifs sur les sociétés ne comportent aucune prescription générale de ce type... ». Certains
auteurs français ont même proposé d'ériger l'obligation d'empêcher les conflits d'intérêts en un principe général en se prévalant d'une ancienne
maxime selon laquelle « nul ne peut officier en sa propre cause ». V. SCHMIDT (D), Les conflits d'intérêts dans la société anonyme, Bull. Joly,
2004, n° 23, p. 35 ; CUIF (P-F), le conflit d’intérêts : essai sur la détermination d’un principe juridique en droit privé, RTD com., 2005, p 7.
589
L’incrimination n’exige pas que l’utilisation des biens sociaux ait eu lieu à des fins exclusivement personnelles. V. à ce propos Cass. Crim. Fr.
25 oct. 2006 (aff. Lagardère) Bull. Joly 2007, p. 243, n° 47, J. F. Barbièri ; Rev. Soc. 2007, p. 146, B. Bouloc.
590
C’est le cas lorque l’acte est motivé par la recherche d’un prestige ou d’une notoriété politique, caractéristique d’un abus de biens sociaux. V. à
ce propos, Cass. Crim. Fr. 20 mars 1997, Bull. Joly 1997, p. 855, no 310, J.-F. Barbièri ; Rev. Soc. 1997, p. 581, B. Bouloc ; D. 1999, p. 28. D.
Boccara ; Cass. Crim. Fr., 15 sept. 1999 (aff. Crasnianski), Bull. Joly 2000, p. 65, n° 12, C. Mascala ; D. aff. 2000, p 319 ; MEDINA (A) et
MATSOPOULOU (H), Le retour en grâce de l’intérêt personnel dans l’abus de biens sociaux, D. 2005, p 2075.
591
La Cour de cassation française édicte souvent une présomption selon laquelle les fonds occultes sont utilisés par le dirigeant dans un but
personnel. Cette présomption selon laquelle le dirigeant a agi dans son intérêt personnel renverse le principe de la charge de la preuve et nuit à la
défense. Elle a parfois été considérée comme irréfragable (Arrêt Carpaye, Cass. crim. 22 avril 1992). Or des prélèvements de fonds sociaux de
manière occulte (suite par exemple à la constitution d'une caisse noire) ne sont pas, en effet, toujours destinés à servir « l'intérêt personnel » du
dirigeant. Du personnel peut être rémunéré « au noir » par ces fonds. Il semble que s'il est prouvé que des fonds sociaux occultes sont prélevés et
utilisés dans l'intérêt de la société, au bénéfice de salariés, et non dans l'intérêt personnel du dirigeant l'infraction d'abus de biens est contestable (en
ce sens arrêt Rosemain, Cass. Crim. Fr., 11 janvier 1996). Dans certains arrêts cet élément de « fins personnelles » ne semble pas avoir été
soulevé (arrêt Lyonnaise des Eaux). Les arrêts suivants peuvent illustrer la présomption jurisprudentielle d'intérêt personnel résultant de
l'utilisation de fonds occultes : Arrêt Carpaye (Cass. Crim. Fr., 22 avril 1992, Gaz. Pal., Rec. 1992 som. p. 476, note J.-P. Doucet, Rev. Soc. 193,
p. 124). En l'espèce les magistrats qui ont condamné pour abus de biens le dirigeant corrupteur, en raison de versements occultes, n'ont toutefois
pas cherché à prouver que l'usage de fonds sociaux pour corrompre un élu avait été réalisé « dans l'intérêt personnel du corrupteur » comme s'il
existait en ce domaine une présomption absolue. Arrêt Rosemain (Cass. Crim. Fr., 11 janvier 1996, Gaz. Pal., Rec. 1996, chron. dt. crim. p. 79,
R.J.D.A. 10/97 no 1207). Aussi le dirigeant d'une société hôtelière à la suite du prélèvement d'une somme occulte provenant d'une caisse noire de
l'entreprise à destination inconnue (rémunération de salariés non déclarés) a dû (mais a pu) prouver, pour éviter une condamnation pour abus de
biens, l'absence d'intérêt personnel (versement au bénéfice de travailleurs au noir). Il s'agit là d'une mise en oeuvre d'une présomption
jurisprudentielle simple selon laquelle les fonds sociaux occultes sont utilisés à des fins personnelles (renversement possible de cette présomption).
Arrêt « Lyonnaise des Eaux » (Cass. Crim. Fr. 27 octobre 1997, Gaz. Pal., Rec. 1998, chron. dt crim. note J.-P. Doucet) : Il ne semble pas en
dépit d'une condamnation pour abus de biens du directeur d'une société du groupe Lyonnaise des Eaux que les magistrats aient véritablement
démontré, voire recherché un usage des biens à des fins personnelles (illustration de la présomption d'intérêt personnel du fait de versements
occultes). Arrêt Cass. Crim. Fr. 9 juillet 1998, Gaz. Pal. 10 octobre 2000, p 31, note Gaelle Niddam et Stéphanie Depuntis. L'attendu est le suivant
: « les prélèvements occultes effectués par un dirigeant sont présumés être effectués dans son intérêt personnel » (présomption simple de l'intérêt
personnel du fait de versements occultes et renversement possible de la preuve par la justification de l'intérêt de la société). Arrêt Cass. Crim. Fr.,
14 mai 1998, D. 1999, p. 159 note Me Segond (R.J.D.A. 11/98, no 1238). Un dirigeant avait endossé pour son propre compte des traites à l'ordre de
la société et prétendait qu'il devait y avoir compensation. L'attendu est le suivant « s'il n'est pas justifié que des fonds ont été utilisés dans l'intérêt
de la société, les fonds sociaux prélevés de manière occulte par le dirigeant l'ont nécessairement été dans son intérêt personnel » (attendu
identique à l'arrêt Rosemain et Cass. Crim. Fr., 20 juin 1996 et 9 juillet 1998). V. aussi Cass. Crim. Fr., 11 janv. 1996, Rev. Soc. 1996, p. 586, B.
Bouloc ; Cass. Crim. Fr.27 mars 2002, RJDA 2002, p. 878, no 1037 ; Cass. Crim. Fr., 31 janv. 2007 (aff. Elf) Rev. Soc. 2007, p. 379, B. Bouloc.
Sur la charge de la preuve, lorsque le prélèvement n’est pas occulte, Cass. Crim. Fr., 1er mars 2000, D. aff. 2000, p. 214, A. Lienhard. Le rapport
Marini proposait que deux éléments soient cumulativement remplis pour qu’il y ait abus de biens sociaux : atteinte aux intérêts patrimoniaux de la
société et recherche d’un enrichissement personnel de l’auteur.
592
La mauvaise foi est souvent établie à partir des actes réalisés pour masquer les abus : tenue irrégulière de comptabilité, non convocation des
assemblées etc. L'une des hypothèses les plus fréquentes est sans conteste celle où le dirigeant se fait octroyer par la société des rémunérations
excessives au regard des capacités de trésorerie de cette dernière. C'est le cas lorsque le dirigeant, malgré une démission purement apparente,
perçoit de sa seule autorité une rémunération non prévue par les statuts (Cass. Crim. Fr., 7 mars 1968 : Bull. crim., n° 80). Tel est le cas aussi,
lorsque le dirigeant, profitant de sa situation très fortement majoritaire dans la répartition du capital social, fait prendre par l'assemblée une

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

défense le plus souvent voué à l’échec. De plus, la jurisprudence française a élargi la notion d’intérêt
personnel qui ne doit pas être entendu dans un sens purement patrimonial593. En effet, les ambitions politiques
du dirigeant candidat à une élection qui utilise la structure sociale pour soutenir sa candidature, ou la simple
volonté d’être agréable à un(e) ami(e) peut suffire à mettre au jour l’intérêt personnel visé par le texte. Cette
jurisprudence a reçu de nombreuses applications à l’occasion des affaires politico-financières lancées contre
les industriels qui ont financé des partis politiques avec des fonds sociaux.
Manifestement, l’élément moral de l’abus est apprécié de manière très large par les tribunaux. Dès lors
que tout mobile peut être pris en considération, ce dol spécial devient « superfétatoire »594 et ne permet plus
de distinguer la faute pénale de la faute de gestion595.

92- Si cette interprétation induit un accroissement de la répression, elle est susceptible d'aboutir
corollairement à un déficit de compréhension des acteurs économiques concernés qui ne leur permet peut-être
pas suffisamment d'anticiper les règles et de modifier leur comportement596. En d'autres temps, là où
l'arbitraire régnait, M. Beccaria avait écrit : « les juges des crimes ne peuvent avoir le droit d'interpréter
largement la loi pénale, par la seule raison qu'ils ne sont pas législateurs »597.
Dans cette perspective, on ne peut que saluer la Cour de Cassation qui, dès les années quatre vingt dix,
dans un fameux arrêt n°32705 datant du 22 mars 1990, a purement et simplement dénoncé une interprétation
extensive de l’ancien texte de l’abus des biens, à savoir l’article 86 du code de commerce. La cour de
cassation a carrément cassé le jugement d’appel pour avoir interprété largement le texte précité concernant la
détermination des dirigeants pouvant être condamnés pour abus de biens sociaux alors que la liste qui y est
établie est limitative598. La juridiction de droit a fait prévaloir le principe de l’interprétation stricte de la loi

délibération lui attribuant des appointements excessifs eu égard aux ressources et à la situation financière de la société et perçoit par la suite ces
appointements (Cass. Crim. Fr., 19 oct. 1971 : Bull. crim., n° 272). On citera encore deux arrêts plus récents. Le premier a été rendu à propos du
président d'une société qui s'était attribué, avec une autorisation partielle du conseil, des rémunérations élevées, alors que la société n'ayant qu'une
activité réduite. Il avait été nécessaire, pour assurer leur versement, de faire appel à des emprunts générateurs de frais financiers importants et que
ces rémunérations fixées en fonction d'un train de vie qu'il s'agissait de maintenir étaient hors de proportion avec le travail réellement fourni (Cass.
Crim. Fr., 6 oct. 1980 : Rev. Soc. 1981, p. 133, note B. Bouloc). Le second est relatif au gérant de fait d'une SARL qui, pour compenser le solde
de son compte courant devenu débiteur du fait du paiement par la société de dettes qui lui étaient personnelles, a fait porter à son crédit à titre de
salaire des sommes démesurées par rapport aux possibilités de la société et absolument injustifiées par les services rendus à celle-ci (Cass. Crim.
Fr., 20 juill. 1982 : BRDA n° 23, 15 déc. 1982). Dans certains cas, en revanche, l’abus de biens sociaux est écarté au motif que l’un des éléments
constitutifs de l’infraction est manquant. Cet élément est souvent le bénéfice personnel de celui qui, à défaut de profiter des détournements, les
facilite ou s’abstient de les dénoncer. Dans ce cas de figure, le dirigeant est le plus souvent condamné pour complicité d’abus de biens sociaux. Est
ainsi seulement coupable de complicité d'abus de biens sociaux, le président du directoire d'une société qui a préparé et facilité les agissements
illicites d'un associé majoritaire, par ailleurs membre du directoire, en lui accordant notamment des signatures complaisantes de chèques et en lui
donnant une procuration sur le compte bancaire de la société, ce qui a eu pour effet de favoriser une opération litigieuse et des détournements au
profit de cet associé.(Cass. Crim. Fr., 5 sept. 1988). Est pareillement seulement complice, l'administrateur qui a organisé et fait fonctionner une
caisse noire au profit d’autres administrateurs sans toutefois en avoir personnellement profité (Cass. Crim. Fr., 15 mai 1974).
593
L'intérêt personnel est une notion plus large que la notion d’« enrichissement personnel ». Il peut certes consister en un intérêt matériel. Mais
l'intérêt personnel peut aussi être moral : préserver des relations, y compris le maintien de liens avec sa maîtresse par le biais d'un salaire fictif.
L'intérêt personnel peut aussi être d'ordre électoral : préserver une réputation, rechercher un prestige, des appuis etc. Dans l'affaire Société Kis,
dirigée par S. Crasnianski, il a été reproché à ce dernier de tenter de se ménager les appuis d'une personne importante (P. Botton) dans le monde
politique (Cass. Crim. Fr., Paris, 19 mai 1998). De même, un dirigeant de société a été condamné pour abus de biens à la suite de l'ouverture
intempestive de crédit de sa société à un membre de sa famille en difficulté, en l'absence même de tout profit matériel personnel (Cass. Crim. Fr.,
3 mai 1967 Bull. crim. no 148). La Cour de cassation prévoit très explicitement que le législateur ne fait pas de distinction entre l'avantage moral et
l'avantage pécuniaire (Cass. Crim. Fr., 16 février 1971, Rev. Soc. 1971 p. 423). Par intérêt personnel, il faut comprendre non seulement le profit
pécuniaire ou sa simple perspective, mais aussi tout avantage d'ordre social ou professionnel tel que la sauvegarde de la réputation familiale, la
volonté de préserver des intérêts électoraux, le souci de maintenir et d'entretenir des relations d'amitié avec un tiers. Rien d'étonnant, alors, à ce que
les juges se distinguent, une nouvelle fois, en adoptant une définition extrêmement large de la notion d'intérêt personnel. V. Cass. Crim. Fr., 3 mai
1967 : Bull. crim. no 148. Cass. Crim. Fr., 16 février 1971 : Rev. Soc., 1971, p. 418, note B. Bouloc. Cass. Crim. Fr., 8 décembre 1971 : Rev.
Soc., 1972, p. 514, note B. Bouloc.
594
JEANDIDIER (W), Droit pénal des affaires, 5e éd., Dalloz 2003, no 275. Cependant M. Pralus prône le maintien du dol spécial afin de
renforcer « la vigilance sur le terrain de la preuve des agissements abusifs ». V. PRALUS (M), Contribution au procès de l'abus de biens
sociaux», JCP 1997. I. 4001, no 28.
595
En ce sens, JEANDIDIER (W), op. cit., n° 275.
596
V. à ce propos : LAKHOUA (H), Le rejet explicite de la théorie du rejet implicite, I.J., n° 22-23, Avril 2007, p 6. L’auteur a critiqué fortement
l’interprétation extensive faite par la Cour de cassation en matière de procédure pénale.
597
Ibidem.
]7 ‫ ء‬A MN ‫ ن‬$ + M+D ‫ ا دارة ا‬H ‫ ء‬FN‫ ا‬7 # U N +‫ا ر‬ ‫ ا‬M 86 V]/ ‫ ا‬m ": 8 + 1990/3/22 ‫ ا _رخ‬32705 ‫(د‬3 ‫ا‬MS ‫ ا‬61@7 ‫ ﺟ ء @ ار ا‬598
] ‫ ا‬V A U N ‫ ن‬C 9‫ ھ‬5 ‫ دون‬V]/ ‫ا ا‬D‫ ھ‬8G ‫ ا دارة‬H ‫ ء‬FN‫ ا‬U ‫ ض إ‬# ‫ وان ا‬C 3 ‫ ار ] ا‬g ‫] ا‬7 V]/ ‫ا ا‬D‫ ھ‬M # ‫ ة ا ا‬/ K N ‫] ص‬4 ‫ ل ا‬N ‫ا< ى ا‬
‫ رة ا‬0 8G U <‫ و‬K +‫[و‬$ M + 8 ‫] ل ا 'ا ا‬/ ‫ ا‬M a ‫ اذ ا‬C 3 ‫ ! ي ا‬M ‫ ا دارة‬H ‫ ء‬FN‫ ا‬5 V 3+ 7D‫ وا‬C ‫و‬g; ‫ ان _ول‬,$ V]/ ‫ا ا‬D‫ وان ھ‬CD ‫ ا‬V A U N
.113 ‫ ص‬،1990 4A ،2 ‫ د‬N ،.‫ ت‬.‫ م‬.‫ ن‬6‫ُ اﺟ‬+ ." 9K ‫ ن ] ا‬C ‫ا اذا‬ ‫ ن‬+ ‫ ان‬M + V+‫ا ا [و‬D‫ ن ھ‬G V+‫ا [و‬

Page 80
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

pénale. Le dit-principe, ainsi que celui de l’interdiction du raisonnement analogique, sont entérinés par une
jurisprudence constante en matière pénale599. Le professeur Nasseur Loued a, tout simplement, affirmé qu’il
est « interdit au juge d’interpréter largement le texte pénal ou de combler ses lacunes… »600.

93- Voilà donc comment est défini l’abus de biens, du crédit, des pouvoirs ou des voix. On a pu,
sans doute, constater que le texte lui-même « ample » est de nature à permettre l’interprétation large qu’en a
faite la jurisprudence française et sur laquelle elle a été critiquée. Du moment que le même texte de l’abus
existe en droit tunisien, on a peur que notre jurisprudence ne commette les mêmes erreurs en adoptant une
interprétation extensive des éléments constitutifs de l’abus. Rien n’empêche, dès lors, de tenter un essai de
redressement du texte de l’abus dans le but de se conformer aux principes sacro-saints du droit pénal.

II- Essai de redressement de la définition légale de l’abus

94- En se basant sur la définition législative de l’abus601, certains observateurs ont pu considérer, à
juste titre, que l’abus de biens sociaux constitue en réalité un abus du type "attrape-tout" en raison de la
largesse de ses éléments constitutifs, ce qui est contraire aux principes fondamentaux de légalité et
d'interprétation stricte du droit pénal602. Certes, le recours à des termes « suffisamment vagues »603 est très
bénéfique afin de protéger les intérêts des associés mais aussi le patrimoine de la société et les intérêts des tiers
qui contractent avec elle604. Néanmoins, telle approche aboutit inéluctablement à une interprétation extensive
que dénonce la quasi-unanimité de la doctrine contemporaine605. Ainsi, bien que l'objectif législatif s’avère
louable, la méthode demeure très critiquable606, car pour un technicien du droit, il est clair que l'interprétation
jurisprudentielle ultra-extensive se traduit par une dérive du droit positif par rapport au texte lui-même et aux
principes fondamentaux du droit pénal607. Faut-il alors chercher un équilibre afin de protéger le patrimoine
social contre tout détournement des pouvoirs, sans pour autant mettre les entrepreneurs dans un climat
d'instabilité juridique, surtout en matière de concentration des sociétés.

95- Pour atteindre cette perspective, il s’impose dans la poursuite et la répression des abus de biens
sociaux de ne pas céder à la tentation d’une application systématique et généralisée à laquelle pourrait conduire
la seule évocation de la responsabilité des dirigeants. En plus, il est nécessaire de garder présent à l’esprit la
portée et l’importance des conditions restrictives auxquelles le législateur a subordonné la qualification du dit-
délit. Il faudrait alors nuancer le propos selon lequel l’abus de biens sociaux viserait à sanctionner les
malversations commises par les dirigeants des personnes morales, comme si cette sanction était quasiment
automatique dans tous les cas de responsabilité que ceux-ci pourraient encourir dans l’exécution de leur
mandat. Une telle présentation risque de créer de regrettables équivoques surtout lorsque la finalité de l’abus

F+‫ ﺟ ء أ‬.150 ‫ ص‬،1974 4A ،.‫ ت‬.‫ م‬.‫ ن‬6‫ُ اﺟ‬+ ." 7 a ‫ ! ح‬5 ‫ ا دة ا 'ا‬8G ‫ " ا س‬: 8 + 1974/4/10 ‫ ا _رخ‬9032 ‫(د‬3 ‫ا‬MS ‫ ا‬61@7 ‫ ورد @ ار ا‬599
‫ ص‬،1976 ، 1 ‫ د‬N 8 ‫ ا 'ا‬9! ‫ ا‬،.‫ ت‬.‫ م‬.‫ ن‬6‫ُ اﺟ‬+ ." 9K ‫ < ا‬#+ ‫ ا 'ا‬M ‫ ا ا‬8G 6A ‫ ز ا‬+ " 8 + 1975/03/05 = ‫ _رخ‬10759 ‫(د‬3 ‫ا‬MS ‫ ا‬61@7 ‫@ ار ا‬
f $ ‫ أن‬4 ‫ا‬ ‫ ا‬M 297 V]/ ‫ ت ا‬F #g F7 K+ ‫ رة‬34 ‫ا‬ M + " : 8 + 1980/07/19 = ‫ _رخ‬4736 ‫(د‬3 ‫ا‬MS ‫ ا‬61@7 ‫ @ ار ا‬k DC ‫ ﺟ ء‬.123
V $ ‫ و‬# ‫ ] رة‬8‫ و ھ‬8 ‫ ا ن ا‬8G K ‫ ل‬# ‫ د ا‬# ‫ ت ا‬p‫ إ‬N‫ ا‬7 I!< P ‫ ع ا‬g ‫ ء‬O ‫ ا‬a ‫ ﺟ‬f A ‫ي‬D ‫ ا‬# ‫ ا‬0 M C[ ‫ ا‬# ‫إ‬ ‫ < ا 'ا‬4 ‫ ا‬M K G
U N " : 8 + 1987/10/20 = ‫ _رخ‬104 ‫(د‬3 ‫ا‬MS ‫ ا‬61@7 ‫ @ ار ا‬F+‫ ورد أ‬.200 ‫ ص‬،1983 ، 2 ‫ د‬N 8 ‫ ا 'ا‬9! ‫ ا‬،.‫ ت‬.‫ م‬.‫ ن‬6‫ُ اﺟ‬+ ." ‫دة ا 'ا‬ ‫ ا‬8G ‫ا سا‬
K N !+ ‫ أن‬M + 8 7 m #7‫ وا‬V f C U n# U N KF# 6 7 ‫ ا‬H + ‫ ا دة ا 'ا أن‬8G a4 + a ‫ وأ‬a$‫ را‬N a F $ N‫ و‬m4 ‫ < ود ا‬MN ‫ ج‬P+ ‫ أن‬8 ‫ ا 'ا‬8g ‫ا‬
.21 ‫ ص‬،1987 ،1 ‫ د‬N 8 ‫ ا 'ا‬9! ‫ ا‬،.‫ ت‬.‫ م‬.‫ ن‬6‫ُ اﺟ‬+ ." ‫ن‬ ‫ " ودون ق‬L
.579 ‫ ص‬،2011 ،H $ ،m P ‫ب ا‬ ‫ا ط ش‬6 ‫ رات‬34 ،"8 ‫ ء ا 'ا‬F ‫ ا‬a G M ‫ ن‬7 i] " U ‫^ ل ا‬O‫ أ‬،8 P ‫ ا‬+ ‫ ا‬،‫ ا اد‬G " 600
V. aussi BOURAOUI (S), Le juge et l’interprétation de la loi pénale, Th., FDSPT, 1979 ; MAHFOUDH (M), L’incrimination, Th., FDSPT, 1998.
601
V. de façon générale AYARI (M), Les définitions juridiques dans le code des obligations et des contrats, In Livre du centenaire du code des
obligations et des contrats, Centre de publication universitaire, 2006, p 103.
602
http://fr.wikipedia.org/wiki/Abus_de_biens_sociaux.
603
DEKEUWER (A), Les intérêts protégés en cas d’abus de biens sociaux, JCP E 1995, I, n° 500, p 421.
604
Ibidem.
605
BOULOC (B), Le dévoiement de l’abus de biens sociaux, Rev. jurisp. com., 1995, p 301 ; PRALUSM (S), Contribution au procès du délit
d’abus de biens sociaux, JCP 1997, I, n°4001 ; GOUTAY (P) et DANOS (F), De l’abus de la notion d’intérêt social, D.A. 1997, n°28, p.877 ; DE
ROUX (X) ET BOUGARTCHEV (K), L’abus de biens : derniers excès, Bull. Joly, 1995, p. 1025, no 372 ; MASCALA (C), Le dérapage de
l’interprétation jurisprudentielle en droit pénal des affaires, D. 2005, 3050 ; DEKEUWER (A), Défense et illustration de l’incrimination d’abus de
biens sociaux dans un système de corruption, JCP E 1998, p 310.
606
DAMY (G), La répression de l'abus de biens sociaux : l'imprescriptibilité contestée, Gaz. Pal., 07 octobre 2004 n° 281, p 2
607
V. à ce propos BOURAOUI (S), Le juge et l’interprétation de la loi pénale, Thèse, FDSPT, 1979.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

de biens sociaux est présentée comme devant combler, dans une politique de répression apparemment
généralisée, les lacunes qui seraient celles des délits d’abus de confiance et de banqueroute frauduleuse608.

On est alors convaincu qu’une intervention législative serait opportune de manière à clarifier la
situation pour les chefs d’entreprises. En effet, la coexistence d’une incertitude juridique et d’une menace
pénale ne saurait être admise. Une telle réforme sera assurément délicate et complexe car, faut-il le rappeler, il
s’agit de concilier en droit pénal des affaires deux exigences contradictoires. D’une part, la protection des
libertés qui veut que toute infraction pénale soit précisément définie par un texte de loi et que toute disposition
répressive soit interprétée strictement. D’autre part, la recherche de la vérité qui ne saurait s’accommoder des
subterfuges609 que peuvent mettre en œuvre certains auteurs d’infractions pour échapper aux poursuites
pénales.
La solution n’est pas la suppression de l’abus des biens, mais plutôt d’en préciser les contours et d’en
donner une définition qui soit plus claire pour chacun610. En somme, il importe à notre sens de tirer les
conclusions nécessaires des débordements jurisprudentiels, en droit français, afin de prévenir d’éventuelles et
semblables dérives en droit tunisien. En d’autres termes, et pour citer le professeur Boulon «il faut faire
rentrer la rivière dans son lit » 611. C’est d’ailleurs à propos de ce même raisonnement qu’il est encore permis
de rappeler la célèbre phrase de M. Louis Huguenin : « sous l'afflux des fraudes commises en matière de
sociétés, l'article 408 avait débordé (...). Le moment est venu, pour lui, de rentrer sagement dans son lit » 612.
Ce qui était vrai hier pour l'abus de confiance pourrait l'être désormais pour l'abus de biens sociaux, ne serait-
ce qu'en raison du lien étroit unissant ces deux infractions613.

96- Pour endiguer cette dérive, il convient d’adopter une nouvelle définition légale, plus précise du
délit d’abus de biens sociaux.
Ainsi, s’agissant de l’élément matériel de l’abus, on pourrait proposer de ne sanctionner que les actes
«manifestement» contraires à l’intérêt social. En effet, il est difficile de concevoir qu’à l’occasion d’un
jugement pénal, le juge au répressif, magistrat de métier, se substitue aux organes sociaux pour apprécier
l’intérêt social614.
Rien ne semble interdire aussi d’exiger, concernant l’élément moral de l’abus, que l’usage des biens ou
du crédit soit accompli à des fins « exclusivement » personnelles et matérielles. Il est question alors d’éviter
d’incriminer les situations dans lesquelles l’intérêt se trouve partagé entre la société et le dirigeant. Dans ce
sens, la Chambre de commerce et d’industrie de Paris a proposé une formule encore plus précise de
l’enrichissement personnel et ce, en exigeant un intérêt personnel exclusivement patrimonial. Cette
proposition est, à son tour, motivée par la volonté de restreindre l’intérêt personnel à la seule recherche du
profit, à l’exclusion de tout avantage moral ou professionnel. Dans cet ordre d’idées, en comparant la
réglementation italienne avec son homologue française, on trouve une différence essentielle. En effet, en droit
italien l’existence d’un préjudice patrimonial réellement subi par l’être moral est une condition sine qua non
pour la constitution de l’abus615. De même, le législateur belge, en créant le nouveau délit d’abus de biens
sociaux, s’est inspiré de l’exemple français. Il a cependant voulu, comme les milieux économiques le
souhaitaient avec force, éviter les dérives dans lesquelles est tombée la jurisprudence française. Pour répondre
à cette préoccupation de mesure et de sagesse, la loi belge a précisé que l’abus de biens sociaux devait

608
COLIN (J-P), Abus de confiance et infractions assimilées, in Droit pénal et procédure pénale, Editions Kluwer, p 23 et s.
609
Dissimulations, comptabilité tronquée ou fausse, etc.
610
V. à ce propos COLIN (J-P), art. pré.
611
V. pour plus de précision le colloque concernant l’abus de biens sociaux, Gaz. Pal., n° 324 à 325, du 19-20 novembre 2004.
612
Cité par VERDIER (J-M), L'abus de mandat social : abus des biens et du crédit de la société ; abus de pouvoirs, in Études de droit commercial
sur le droit pénal des sociétés anonymes, Dalloz 1955, p. 151.
613
STASIAK (F), La réception et la cohérence des considérations économiques relatives à l'abus de biens sociaux, LPA, 19 mai 2005 n° 99, p. 36.
614
FRANCK (M), allocution introductive, In L’abus de biens sociaux : Le particularisme français à l’épreuve de l’Europe Colloque précité, n°
324 à 325.
615
CORAPI (D), L’abus de biens sociaux en Italie, In L’abus de biens sociaux : Le particularisme français à l’épreuve de l’Europe Colloque, Gaz.
Pal., n° 324 à 325, du 19-20 novembre 2004. L’article 2364 du Code civil italien, relatif à l’infidélité patrimoniale, réprime « les administrateurs,
les directeurs généraux et les liquidateurs qui, ayant un intérêt en conflit avec celui de la société afin de procurer, à eux-mêmes ou à un tiers, un
profit injuste ou un autre avantage, réalisent ou concourent à réaliser des actes de disposition des biens sociaux, en causant intentionnellement à
la société un préjudice patrimonial ».

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

nécessairement emporter la preuve que l’usage des biens ou du crédit de la personne morale a été
« significativement préjudiciable tant aux intérêts patrimoniaux de la société qu’à ceux de ses créanciers ou
associés »616. L’adverbe « significativement » implique indubitablement le recours à une analyse quantitative
et qualitative de l’usage perpétré avant toute condamnation sur le plan pénal617. Ainsi, en droit belge, « le
nouvel article 492 bis du Code pénal n’a pas reçu vocation de soumettre la création et le fonctionnement des
sociétés commerciales à l’appréciation des autorités pénales. L’intervention de ces dernières doit y demeurer
exceptionnelle dans une économie qui requiert la liberté d’action et la prise des risques qu’elle comporte.
Trois principes devraient, parmi d’autres, dominer l’application du droit pénal en l’espèce : la souveraineté
de ceux qui créent les personnes morales et qui y investissent et le respect des droits de ceux qui leur font
confiance ; la protection de l’existence même des personnes morales et la répression, juste et efficace, des
fraudes et de toutes les techniques frauduleuses qui permettent et qui occasionnent des préjudices
significatifs »618.

97- Le jeu sociétaire doit, en raison même de ses finalités d’initiative, d’entreprise et de risque se
dérouler et se mouvoir entre ceux qui y participent. Sous réserve de certaines exceptions limitées, le droit pénal
en général et le délit d’abus de biens sociaux en particulier doivent y demeurer étrangers afin de ne pas
entraver les initiatives privées et ne pas imposer des frais inutiles de surveillance et d’enquête. L’action
répressive en matière d’abus de biens sociaux doit être donc exercée seulement pour sanctionner toutes les
situations qui détruisent les personnes morales ou qui mettent en péril leur existence. Ainsi, les dirigeants qui
ont volontairement, avec intention frauduleuse, occasionné et causé la cessation des paiements de leur société
et qui ont ébranlé son crédit sont ainsi passibles des peines du délit d’abus de biens sociaux, au-delà des
responsabilités civiles qui sont les leurs.
« Bien sûr, il existerait une solution à la fois simple et radicale pour résoudre d'un seul coup
l'ensemble des problèmes posés ; elle consisterait à dépénaliser l'infraction. À l'heure où le gouvernement,
plus exactement le président de la République, a mis sur pied une commission chargée de réfléchir à une
dépénalisation du droit des affaires, quel dirigeant social n'a pas secrètement rêvé que le projet emporte dans
son sillage les trois lettres maudites : ABS ? Mais, si l'espoir existe, il va rapidement être déçu. Il n'a jamais
été question de supprimer l'infraction, laquelle d'ailleurs a toujours été considérée comme plus grave que
l'abus de confiance dont elle est issue. Peut-être l'incrimination sera-t-elle resserrée, comme l'avait proposé il
y a quelques années le sénateur Philippe Marini ; sans doute sera-t-elle mieux encadrée dans le temps
(l'objectif est d'ailleurs affiché). Mais dépénalisée, certainement pas »619.

98- Toute cette argumentation fait que la réforme de l’abus de biens, du crédit, des pouvoirs ou des
voix soit conforme aux impératifs du droit des affaires, lesquels entendent faire confiance aux acteurs du
monde économique et imposent que l’abus de biens sociaux ne sanctionne que ceux qui bafouent
intentionnellement et égoïstement les règles et les finalités sociétaires en dissimulant leurs actes et leurs profits
et en mettant gravement en péril l’existence même de la société ou du groupement qu’ils dirigent.
Pour atteindre ces objectifs, il est légitime de proposer une modification des deux derniers paragraphes
de l’article 223 CSC comme suit620 : « sont punis d'une peine d'emprisonnement d'un an au moins et de cinq

616
Doc. parl., Chambre, 1995-96, 330/24, p. 22 ; Doc. parl., Sénat, 1996-97, 499/18, p. 4, 6 et 7.
617
« L’analyse quantitative se confond avec celle des montants en jeu, étant, en l’espèce, le montant des préjudices et leur comparaison au regard
de l’objet de la personne morale, de ses avoirs et des possibilités qui sont les siennes. Le critère d’importance quantitative traduit et consacre la
volonté du législateur de ne pas poursuivre, au titre de délit d’abus de biens sociaux, les préjudices de minime importance. Il faut compléter cette
analyse quantitative par une analyse qualitative pour apprécier les préjudices au regard des statuts et du fonctionnement de la personne morale.
Ces préjudices portent-ils sur un élément essentiel et important de l’objet de la personne morale et de ses activités ou n’entravent-ils pas, de
manière directe ou indirecte, le fonctionnement de la personne morale ? Si l’on se risquait à une comparaison médicale, il s’agirait de distinguer
entre les maladies qui sont passagères et bénignes et celles qui risquent de porter gravement atteinte à la santé de la personne et de l’obliger à
modifier son comportement journalier et à prendre continuellement les remèdes adéquats. Si l’on se permettait de faire une comparaison
religieuse, il s’agirait de sanctionner les péchés mortels qui mettent la personne morale gravement en péril et les nombreuses hypothèses de péché
véniel qui, en l’espèce, ne peuvent justifier les poursuites et la saisine du juge pénal ». HORSMANS (G), L’abus de biens sociaux en droit Belge,
In L’abus de biens sociaux : Le particularisme français à l’épreuve de l’Europe, Colloque précité, Gaz. Pal., n° 324 à 325.
618
Ibidem.
619
CHILSTEIN (D), art.pré., P. 25.
620
La même proposition est valable pour les articles 146 et 158 concernant les S.A.R.L.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

ans au plus et d'une amende de deux mille à dix mille dinars ou de l'une de ces deux peines seulement :… 3-
les membres du conseil d'administration qui, de mauvaise foi, ont fait des biens ou du crédit de la société un
usage manifestement contraire à l'intérêt de celle-ci, dans un dessein personnel exclusivement patrimonial et
ce, en causant intentionnellement à la société un préjudice patrimonial. 4- les membres du conseil
d'administration qui, de mauvaise foi, ont fait des pouvoirs qu'ils possédaient ou des voix dont ils disposaient,
un usage manifestement contraire à l'intérêt de celle-ci, dans un dessein personnel exclusivement patrimonial
et ce, en causant intentionnellement à la société un préjudice patrimonial».

99- En attendant qu’une telle réforme soit adoptée par le législateur, tout en espérant voir entre
temps la jurisprudence évoluer dans le sens d’une interprétation stricte des textes621, il sied de remarquer que
l’abus de biens sociaux présente des spécificités assez importantes dans certains procédés de concentration
imposant aussi l’adoption de règles spécifiques à l’abus dans ce genre d’opérations.

-§3- : Spécificité de l’abus des biens dans les opérations de


concentration

100- « Il n'existe pas « un » abus de biens, mais autant d'abus de biens, qui peuvent prendre des
caractéristiques distinctes, que de sociétés concernées par ce délit »622. Aussi, cet abus change de forme et
d’éléments constitutifs et peut même disparaître d’une opération de concentration à une autre. En effet, peut-on
parler d’abus de biens sociaux en matière de fusion ou encore de scission de sociétés ? (I) Y-a-t-il aussi abus
au sein des groupes de sociétés concernant les opérations intra-groupe ? (II)

I- Flottement de l’abus au niveau des opérations de fusion ou de


scission

101- Tel qu’il vient d’être ci-dessus défini, l’abus des biens sociaux et les cas assimilés semblent
relever exclusivement des actes d’administration et de gestion inhérents à l’activité sociale, c'est-à-dire
l’ensemble des actes nécessaires à la conservation et la mise en valeur du patrimoine de l’entreprise
sociétaire623. Dès lors, seuls les actes et les décisions prises par les administrateurs624 ou les gérants625 ainsi que
ceux décidés de façon collégiales au sein du conseil d’administration ou du directoire peuvent être attaqués
sous le chef de l’abus des biens626. Abstraction faite de ces actes, l’abus précité semble difficile, sinon
impossible à concevoir.

Partant du fait que la décision de fusion ou encore celle de scission, exprimée par le vote des
actionnaires réunis dans une assemblée générale extraordinaire, est étrangère à la notion d’acte de direction ou
de gestion, il semble permis d'affirmer que l’abus des biens sociaux est inapplicable à une pareille décision.
Autrement dit, étant obligatoirement une décision relevant de la compétence exclusive de l’AGE et ne
pouvant être qualifiée d’acte de gestion, la décision de fusion ou de scission semble, en principe, échapper au

.535 ‫ ص‬،2010 ،H $ ،8# ‫ ا‬34 ‫' ا‬C ،8 ‫ ء ا‬F ‫ ا‬a G M N ‫ ! ن‬، ‫ أ ذﺟ‬# ‫ ا‬: ‫ ء‬F ‫ ا‬a G ‫ ر‬L$ 8G I # ‫ا‬ ‫ !ھ‬، D : 6‫ُ اﺟ‬+ 621
622
DELGA (J), L'abus de biens au regard de la loi du 24 juillet 1966, Gaz. Pal., 30 octobre 2001, n° 303, p 24.
623
V. Lexique des termes juridiques, Dalloz, 2011, Définition du vocable « administration ».
624
Dans les sociétés par actions.
625
Dans les SARL.
626
Cette analyse ne concerne nullement l’abus des voix.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

chef d’inculpation pour abus627. Cet argument parait irréfutable d’après le professeur Bertel qui précise que
« la décision de fusionner (ou de se scinder) ne peut être constitutive d’abus de biens sociaux puisqu’elle est
prise par les assemblées générales extraordinaires des sociétés concernées et non par leurs dirigeants628 ».

Certes, comme l’a affirmé cet auteur, la décision de fusionner est obligatoirement décidée par l’AGE.
Néanmoins, il faut garder présent à l’esprit qu’une telle opération est généralement, sinon dans tous les cas,
prise sur initiative du conseil d’administration ou du directoire. En effet, d’aucuns n’ignorent que la fusion ou
la scission est d’abord une opération décidée par les dirigeants de l’entreprise qui vont « préparer le terrain »
et arranger le dispositif nécessaire avant de passer la question au vote de l’AGE. Que l’on n’oublie pas aussi
que ce sont les dirigeants eux-mêmes qui voteront pour l’opération car ils sont couramment détenteurs des
règnes du pouvoir dans les AGE. C’est d’ailleurs la position soutenue par la Cour d’appel de Tunis en
déclarant que la fusion entre deux sociétés est une opération contractuelle compliquée qui débute
généralement par un accord de principe entre les dirigeants des deux sociétés et qui se concrétise par la suite
moyennant le vote de l’A.G.E629.

102- Cette argumentation a été aussi, à maintes reprises, adoptée par la Cour de cassation française
en condamnant sous le chef de l’abus des biens sociaux un montage qui ne cesse de faire couler beaucoup
d’encre et d’occuper la une des journaux et des revues financières630, partout dans le monde, connu sous le
nom de l’opération « LBO »631 ou encore de « fusion rapide ».

627
UETTWILLER (J-J), Les risques liés aux LBO, Rev. Soc., n° 4, 1996, p 753.
628
BERTEL (J-P), La fusion rapide, Dr. Et Pat., juin, 1994, p 24.
9p M C 3 ‫ ! ي ا‬M k ‫ ذ‬U N 8 ‫ ق‬/$‫ دة ام ا‬N ‫ ئ‬$ Cّ + 7 #$ N ‫ ھ‬M C O ‫ " إن ا ج‬: 8 + 1999/1/16 ‫ _رخ‬52676 ‫(د‬3 AZ D ‫ < ` ﺟ ء @ ار ا‬629
C 3 ‫ ل اد ج ا‬7 ‫ ارا‬7 K G ‫ج‬ ‫ ا اد ا‬C 3 4d A ‫ ا‬# ‫ ذ ا ! ا‬P$‫ ا ى وا‬C 3 ‫ ا‬8G ‫ج‬ ‫ ل ا‬7 ‫ ارا‬7 K‫ ا ر اد ﺟ‬C 3 4d A ‫ ا‬# ‫ ذ ا ! ا‬P$ 9! $
279‫ ص‬،2001 4A ،9 ‫ د‬N ،‫ م ق ت‬.291 ‫ ص‬،2009 H $ ،6 ‫ ا 'ء ا ا‬،8! ‫ ا‬8 ‫ ء ا‬F ‫ ا‬a G ، D APF ‫ ( ا‬- 6‫ُ اﺟ‬+ ." K ‫ى‬ ‫ا‬
630
PORACCHIA (D), La fusion rapide dans les LBO, Dr. Et Pat., n° 152, 2006, p 77. V. aussi « Mali de fusion et mali de confusion », JCP, Actes
pratiques et ingénierie sociétaire, mars-avr. 1999, n° 44, p 6 ; AGULHON (V), CARSWELL (L) ET JOHNSON (W-R), Fusions et acquisitions
en France, Le Juriste, avr.-mai 2001, p 2 ; BERTEL (J-P), Fusions-acquisitions : une clause d'agrément est-elle applicable en cas de fusion ou
scission ?, Dr. et patrim., avr. 2003, n° 114, p. 33 ; BILLOT (PH) ET DAO (T-T), Fusions-acquisitions dans le secteur bancaire : évolutions
récentes, Le Juriste, juin-juill. 2001, p. 2 ; GAMET (L), Le principe de la personnalité des peines à l'épreuve des fusions et des scissions de
sociétés, JCP G 2001, I, p. 345 ; NONORGUE (S), La fusion rapide à l'épreuve de la jurisprudence, Dr. et patrim., n° 69, mars 1999, p. 42.
MAXWELL (W-M), Les méga-fusions plus que jamais dans le collimateur des autorités, la lettre des télécommunications, 10 juill. 2000, n° 60, p.
8 ; MERAT (V), Fusions et sociétés de personnes : aspects pratiques, Dr. sociétés 2002, chron. n° 9 ; PAILLUSSEAU (J), La rétroactivité des
opérations de fusion : d'une conception juridique « light » à une conception fiscale « lourde », JCP E 2000, comm. p. 1557 ; PAROT (J-C),
Restructurations des sociétés : les conditions de qualification de l'abus de droit dans la jurisprudence judiciaire et administrative, Rev. Soc. 2001, p.
15 ; VILLEMOT (D), La nouvelle définition des fusions et scissions, JCP N 2002, p. 1630.
631
C’est une abréviation de l’expression anglaise « Leverage buy out ». Ce montage se caractérise par la création d’une société holding ad hoc,
constituée afin d’acquérir le contrôle de la société cible avec un apport en fonds propres limité et un endettement maximal, la dette contractée par
le holding étant progressivement remboursée grâce aux dividendes versés par la cible (lesquels résultent de son bénéfice d’exploitation ou de
bénéfices exceptionnels). De même, lorsque la cible dispose d’une trésorerie excédentaire non nécessaire à l’exploitation, il est également possible
que cette dernière la transfère à l’holding sous forme de distribution exceptionnelle de réserves antérieures. L’idée est donc de faire supporter une
grande partie du financement de l’acquisition de la cible par elle-même, une telle technique étant qualifiée par certains de «vampirisme financier».
Certes, la mise en place d’un LBO suppose généralement un emprunt de la part du holding, mais il existe des hypothèses dans lesquelles le LBO ne
s’accompagne pas d’un emprunt. Tel est l’exemple d’une société qui désire acquérir une société X mais ne dispose pas des fonds suffisants. Elle
peut recourir au LBO en créant une société dans laquelle elle s’associerait avec des investisseurs financiers. Cette société acquerrait les droits
sociaux nécessaires à la prise de contrôle puis, les remontées de dividendes de la société X vers cette nouvelle société permettraient de rembourser
progressivement les différents partenaires financiers. De la sorte, en utilisant un tel montage, la société créée ad hoc prend le contrôle d’une société
au moyen d’un apport en fonds propres limité. Néanmoins, dans la majorité des hypothèses, le LBO se double d’un emprunt souscrit par le holding
car cela est plus avantageux pour l’acquéreur. En effet, lorsque le holding contracte un emprunt, l’objectif recherché est un effet de levier au plan
juridique, financier et fiscal. Chacun de ces effets de levier poursuit une finalité différente. Concernant tout d’abord l’effet de levier juridique, il
s’agit de la faculté reconnue au repreneur de la société cible de mettre en place une ou plusieurs holdings afin de réduire le coût d’acquisition du
contrôle convoité. Quant à l’effet de levier financier, grâce à la capacité d’endettement du holding, il consiste à permettre le financement d’une
acquisition non pas par fonds propres, mais par recours à un endettement maximal. En effet, la société holding va supporter des emprunts qui vont
avoir pour vocation de financer la majeure partie de l’acquisition des droits sociaux de la cible. Quant au solde, celui-ci est financé par les apports
en fonds propres des partenaires financiers ayant participé au financement du holding. Le repreneur aura tout intérêt à financer l’acquisition
envisagée par un prêt même s’il dispose des fonds nécessaires, dans la mesure où il n’aura pas à débourser de fonds propres. C’est ainsi que, le
plus souvent, le holding acquiert la société cible avec des fonds propres à hauteur de 30 %, et avec un ou plusieurs emprunts à proportion de 70 %.
Enfin, pour ce qui est de l’effet de levier fiscal, il réside dans la possibilité reconnue à l’holding de déduire fiscalement les intérêts d’emprunt
contractés pour l’acquisition de la cible, ce qui diminue le poids de l’impôt sur les sociétés. En effet, les intérêts d’emprunt sont des charges
financières fiscalement déductibles du résultat imposable. Ainsi, grâce à son triple effet de levier, le LBO est une technique très attrayante. Ceci
explique qu’il n’a cessé de se développer depuis les années 1980, pour devenir aujourd’hui le montage le plus couramment utilisé en USA et en
Europe pour la prise de contrôle de sociétés.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Le montage visé consiste, dans un premier temps, à créer une société holding destinée à s’endetter,
auprès des établissements financiers, en vue de l’acquisition de la majorité des actions d’une société-cible. Les
emprunts contractés, à cet effet, seront remboursés progressivement grâce aux dividendes que la société cible
versera à la société holding, ou encore moyennant des avances consenties par la cible. Hâtivement après
l’opération d’acquisition632, on assistera à une fusion-absorption entre la société cible et la holding633.
L’intérêt de la fusion est capital pour la réussite de l’opération puisqu’elle permet une imputation directe de la
charge de l’emprunt sur les résultats bénéficiaires de la société cible634. Cette ingénierie financière est très
séduisante dans la mesure où elle permet l’acquisition de sociétés importantes avec peu ou même sans fonds
personnels, en faisant indirectement ou directement supporter par la société cible le financement de toute
l’opération dite LBO, d’où le qualificatif bien mérité de « vampirisme financier »635.
Certes, l’opération est très avantageuse sur le plan financier et économique, toutefois elle emporte en
elle des risques à bien des égards636, entre autres, une possible condamnation des preneurs sous le chef de
l’abus des biens sociaux.

Cette condamnation semble incontestable dans la mesure où l’opération LBO est basée, la plupart du
temps, sur une utilisation, à tort et à travers, des fonds provenant de la société cible pour financer, d’une
manière ou d’une autre, l’achat des actions de cette dernière. Mais, encore faut-il que l’opération soit contraire
à l’intérêt social de la société cible. Tel est généralement le cas car ces opérations sont le plus souvent
effectuées dans l’intérêt exclusif des repreneurs. C’est, en effet, parce qu’ils n’ont pas suffisamment de
capitaux pour financer la prise de contrôle de la cible qu’ils utilisent les biens ou le crédit de cette dernière. La
cible sera, par conséquent, appauvrie par des opérations étrangères à son objet social et nuisibles à ses
capacités financières nécessaires à son activité. De surcroît, pour que le délit soit pleinement consommé, il
faut également que les dirigeants aient agi de mauvaise foi. On considère généralement que cet élément moral
découle de la seule connaissance par le prévenu que l’acte incriminé lui a été bénéfique tout en étant contraire
à l’intérêt social. Il parait douteux de prétendre que cet élément n’existe pas dans la plupart des « fusions
rapides » comportant un usage des biens ou du crédit de la société puisque leur finalité est précisément de
faire payer par la société cible l’achat de ses propres actions, ce qui facilitera par la suite la fusion absorption.

En plus de la condamnation des dirigeants sur la base de l’abus des biens ou du crédit sociaux, rien ne
semble interdire une deuxième qualification du montage LBO sous le chef de l’abus des pouvoirs.
A l’instar de l’abus des biens ou du crédit sociaux, de nombreux auteurs ont conclu que l’abus de
pouvoir ne pouvait nullement intéresser une opération LBO puisque la décision est prise au sein des
assemblées générales extraordinaires des sociétés concernées et non par leurs dirigeants. Toutefois, la Cour de
cassation française pense, au contraire, que les dirigeants des sociétés qui fusionnent, sous forme de « LBO »,
peuvent parfaitement être poursuivis et condamnés sur le fondement de l’abus des pouvoirs. En effet, au-delà
des structures purement formelles de l’organisation des pouvoirs dans les sociétés, il est évident que si le

632
D’où l’appellation « fusion rapide ».
633
LAGRANGE (F), Nature juridique des fusions de sociétés, Th., Université de Paris II, 1999, p 159 et s.
634
PAILLUSSEAU (J), note sous cass crim du 10 juillet 1995, JCP E., n°6, 1996, p 35.
635
BERTREL (J-P), Acquisitions de contrôle et vampirisme financier, Droit et Patrimoine, janv. 1993, n° 1, p. 52. - La « fusion rapide » : Droit et
Patrimoine, juin 1994, n° 17, p. 24. - Rappel à l’ordre de la Cour de cassation en matière de « vampirisme financier » : Droit et Patrimoine, mars
1996, n° 36, p. 18.
636
Cette opération présente également un risque d’abus de droit en matière fiscale. Elle peut présenter également un risque d’abus de pouvoir.
Enfin, il y a un risque assez important de nullité sur la base de l’abus de majorité. Mais, pour que l’abus de majorité puisse être accueilli, il faut que
les minoritaires prouvent que la décision de fusion a été prise contrairement à l’intérêt social et dans l’unique dessein de favoriser les membres de
la majorité au détriment des membres de la minorité. Une telle preuve devrait pouvoir être apportée lorsque la fusion de leur société s’effectue avec
un holding dont l’unique objet est la reprise de la société cible pour purger l’emprunt de la première. Il est à peu près certain que la décision est
contraire à l’intérêt général de la cible qui prend en charge une dette sans aucune contrepartie au risque de l’affaiblissement de sa situation
financière, et dont le remboursement est, de surcroît, complètement étranger à la réalisation de son objet social. Le but unique de la prise en charge
de cette dette par la société cible est de libérer le holding du remboursement de ses emprunts. Quant à la condition relative à ce que la décision soit
prise au détriment des membres de la minorité, elle est très vraisemblablement satisfaite. En effet, dans la mesure où la valeur de leurs titres
dépend, au moins pour partie, du montant des capitaux propres de la société, leur réduction à concurrence de l’accroissement du passif engendre
une réduction corrélative de la valeur de leurs titres. En outre, les frais financiers que comporte ce passif ne peuvent que réduire les résultats de la
société et donc leur participation dans les bénéfices. Enfin, la société est fragilisée par l’accroissement de son passif. Dans ces conditions, on voit
mal comment une action en nullité de la fusion fondée sur l’abus de majorité pourrait être rejetée. V. L’efficacité et la sécurité des montages de
reprise, Dr. Et Pat. Février, 1994, p 48.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

repreneur a effectivement le contrôle absolu des deux sociétés, directement ou indirectement, il détient par la
même le pouvoir réel. C’est lui qui prend réellement toutes les décisions fondamentales dans les deux
sociétés. Il est dirigeant de fait dans les sociétés, et le plus souvent aussi dirigeant de droit. Le vrai pouvoir lui
appartient, dont celui de fusionner les sociétés. La réalité de la détention du pouvoir l’emporte ici sur la fiction
de son organisation formelle637.

Dans l’affaire Delattre-Levivier, par exemple, le président directeur général de la cible a reconnu,
selon les juges de fond, avoir lui-même organisé la fusion-absorption des deux sociétés. Il a été alors
condamné pour abus des pouvoirs alors même que le jour de l’assemblée générale extraordinaire approuvant
la fusion il était en détention préventive. Les juges de fond ont observé à cet égard que la fusion a été
« extrêmement déséquilibrée, lésionnaire et dépourvue de toute justification économique pour la société
Delattre-Levivier, (qu’elle) a offert à la banque SDBO, second actionnaire et premier prêteur (de la holding),
une meilleure garantie et a permis à M.P. (le PDG) d’entrer définitivement en possession du capital de
Delattre-Levivier, acquis essentiellement avec les fonds de cette société638 ». La Cour de cassation française a
approuvé la cour d’appel en constatant que le prévenu « a usé de ses pouvoirs de président du conseil
d’administration pour organiser une fusion-absorption contraire à l’intérêt de la société et avantageuse pour
lui-même et d’autres sociétés dans lesquelles il était intéressé directement ou indirectement... 639».

103- En définitive, et en attendant l’intervention de notre jurisprudence, qui aura certainement son
mot à dire, la jurisprudence française a affirmé que le président du conseil d'administration, actionnaire
majoritaire d'une société anonyme, qui décide d'organiser la fusion-absorption de cette dernière par une autre
société dont il est également président du conseil d'administration, après que la première ait avancé les fonds
nécessaires à l'acquisition de ses propres actions par la seconde, se rend coupable d'abus de biens sociaux
même si la décision de fusionner est du ressort exclusif de l’assemblée générale extraordinaire640. Ce qui
pourrait, peut-être, se vérifier pour les opérations intra-groupes.

II- Inadaptation de l’abus au niveau des groupes de sociétés

104- Les analyses précédentes, relatives à la notion d'intérêt social641, prennent une importance
particulière en matière de groupes de sociétés au sein desquels les flux et concours financiers ainsi que les
échanges de services sont habituels mais peuvent être très inférieurs au prix du marché, voire gratuits642. Dans
le cadre des groupes de sociétés, il peut arriver qu'une filiale soit « littéralement vidée de sa substance »643 au
profit d'une autre, il faut alors vérifier si le groupe dans son ensemble a ou non, profité de l'acte litigieux644.
Cela signifie, en grande partie, que l’apparition des groupes de sociétés a eu un impact sur l’appréciation
classique de la notion d’intérêt social. Un don d’argent réalisé sans contrepartie entre deux sociétés membres
d’un même groupe peut, certes, être nuisible à la première mais à plus long terme lui profiter en améliorant la
situation générale du groupe645. La mise en œuvre d'une politique de groupe suppose, en effet, qu'une société
puisse être amenée à consentir des concours financiers à une autre société de son groupe. Dans l'absolu, un tel
concours est susceptible de relever de l'abus de biens sociaux car il constitue un usage contraire à l'intérêt
637
PAILLUSSEAU (J), note pré., p 35.
638
C.A. de Paris, 1994-04-27.
639
Cass. Crim. Fr., 10 juillet 1995, BJS, décembre 1995, n°12, note Le Cannu (P).
640
V. à titre d’exemple : Cass. Com. Fr., 10 novembre 2009, pourvoi n° 05-15810. Cass. Soc. Fr., 2 juin 2009, pourvoi n° 08-40078. Cass. Com.
Fr., 9 juin 2009, pourvoi n° 08-16857. Cass. Crim. Fr., 16 avril 2008, pourvoi n° 07-85132. Cass. Crim. Fr., 19 mars 2008, pourvoi n° 07-
85182. Cass. Crim. Fr., 31 mai 2006, pourvoi n° 05-82596. Cass. Crim. Fr., 19 décembre 2001, pourvoi n° 01-83240. Cass. Crim. Fr., 2 avril
2003, pourvoi n° 02-82674. Cass. Crim. Fr., 25 octobre 2006, pourvoi n° 05-85998. Cass. Crim. Fr., 5 septembre 2007, pourvoi n° 07-80391.
641
V. supra, p 76, n° 85 et s.
642
ROBERT (J-H) ET MATSOPOULOU (H), Traité de droit pénal des affaires, coll. Droit fondamental, PUF 2004, p 478.
643
VITU (A), Traité de droit criminel. Droit pénal spécial, Cujas 1982, no 986.
644
FREYRIA (CH) ET CLARA (J), De l'abus de biens et de crédit en groupe de sociétés, JCP E 1993, p. 247 ; OHL (D), L'intérêt du groupe
contre l'intérêt social : la solidarité limitée, In Le délit d'abus de biens sociaux, Rev. Juridique du Centre Ouest, no spécial, janvier 1997, p. 60.
645
STASIAK (F), art.pré., p. 36.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

social, dénué de toute contrepartie, commis en connaissance de cause afin de favoriser une société dans
laquelle le dirigeant a des intérêts. Il ne fait, cependant, aucun doute que cette situation doit être distinguée de
celle dans laquelle un dirigeant dépouille une société au profit d'une autre, sans autre motif que ses intérêts
strictement personnels.
Plus précisément, les financiers connaissent de plus en plus de difficultés juridiques et fiscales
concernant les opérations qu’ils effectuent au sein d’un même groupe de sociétés. Ces opérations concernent
les crédits directs (prêts, avances, compensations…) ou indirects (garanties sous différentes formes…) ou des
libéralités (subventions, abandon de créances…). Malgré les contraintes qui pèsent sur ces opérations, celles-ci
sont généralement jugées légales. Néanmoins, les intervenants responsables de la gestion risquent malgré tout
d’être poursuivis en cas d’atteinte aux intérêts des associés minoritaires ou ceux de certains créanciers. En
effet, il n’est pas facile dans de nombreux cas de concilier entre l’intérêt commun du groupe et les intérêts
propres des sociétés membres646.

105- Que faire donc dans l'hypothèse où un acte est accompli contrairement à l'intérêt immédiat d'une
société, mais dans l'intérêt d'une autre société du même groupe ? Faut-il écarter l’abus des biens dans ce genre
d’opérations intra-groupes ? Faut-il au contraire maintenir la répression telle quelle ? Serait-il plus intelligent
et judicieux d’adapter, tout simplement, le délit d'abus de biens sociaux aux groupes de sociétés ? Peut-on
considérer, ainsi, que des faits qui seraient délictueux dans l'hypothèse d'une société isolée ne le sont pas
lorsqu'on est en présence d'un véritable groupe de sociétés, caractérisé par un intérêt commun ?
D'un côté, on peut considérer que « l'autonomie juridique des sociétés l'emporte sur leur unité
économique et cette domination de leur intérêt social particulier est nécessaire à la protection des
minoritaires et des créanciers qui contractent avec chaque société prise isolément de l'ensemble »647.
D'un autre, on peut objecter que tout ce qui est susceptible de nuire à une société du groupe, peut être
bénéfique pour l'ensemble de ce groupe.
La majorité de la doctrine a pris partie de la deuxième hypothèse en soulignant que le critère de
l'intérêt social doit être assoupli lorsque la société est intégrée dans un groupe648. Cette opinion a été très bien
étudiée, il y a quelques années déjà, par M. Charley Hannoun dans sa thèse consacrée aux groupes de
sociétés649. Selon cet auteur, spécialiste en droit des groupes, l'existence d'un groupe de sociétés modifie
l'appréciation portée sur la légitimité de certains actes qui seraient certainement irréguliers si la société
concernée était considérée isolément alors qu'ils seront éventuellement justifiés par son appartenance au
groupe. Encore faut-il qu'un juste équilibre soit préservé entre l'intérêt du groupe et celui de chacune de ses
composantes. L'approche fondée sur une analyse à long terme des actes réalisés par les dirigeants a conduit la
doctrine, ainsi que les juridictions répressives, à justifier certaines opérations effectuées dans le cadre d'un
groupe de sociétés. Il a donc fallu concilier les intérêts du groupe avec ceux de la société apparemment
victime650.
Au nom de l’intérêt de l’ensemble, d’aucuns préconisent qu’une société membre du groupe puisse être
gouvernée non pas dans l’intérêt de ses actionnaires, mais dans celui du groupe. Ainsi la société-mère pourrait
imposer à sa filiale la vente de l’un de ses principaux actifs en vue d’affecter les liquidités retirées de cette
opération à la trésorerie du groupe gérée par la société dominante651. Rien n’empêche aussi que celle-ci
impose à sa filiale un apport d’actifs à son profit ou à celui d’une autre société du groupe. Dans ces
hypothèses, il apparaît clairement que l’actionnaire exerçant le contrôle au nom du groupe se trouve en conflit
d’intérêts avec ses coactionnaires dits « hors groupe » ou « externes ». Peut-il leur imposer le sacrifice des
biens de la société pour le bien du groupe ? Lorsque cet actionnaire est une personne physique, la réponse
semble être négative au motif que l’autonomie du patrimoine social s’oppose à ce qu’un actionnaire fasse
supporter ses dettes par la société ou transiter les biens sociaux par son patrimoine personnel. Quant à

646
La Revue de Droit Infos Juridiques, n° 14/15, décembre 2006, p 9.
647
DEKEUWER (W), Les intérêts protégés en cas d'abus de biens sociaux, op. cit., p 421.
648
LEAUTE (J), La reconnaissance de la notion de groupe en Droit pénal des affaires, JCP, éd. G, 1973, I, no 2551. Nicolas Rontchevsky, Note –
Abus de gestion, société civile et groupe de sociétés, Bulletin Joly Sociétés, 01 février 1997 n° 2, p 107.
649
HANNOUN (CH), Le droit et les groupes de sociétés, L.G.D.J.,1991.
650
Ibidem.
651
COZIAN (M), Peut-on immoler une société à l’intérêt du groupe ? (L’arrêt Sofige du 21juin 1995), JCP, E, I, 524.

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l’actionnaire personne morale, on peut répondre par la positive au motif que l’intérêt du groupe ne permettrait
pas de considérer isolément le patrimoine de chaque entité du groupe. Ainsi, selon que l’actionnaire est un être
physique ou moral, les solutions troqueraient.

106- De tout ce qui précède, on peut affirmer, sans risque d’erreurs, que l’abus des biens sociaux tel
qu’institué par le législateur dans l’article 86 CC et, par la suite, dans les articles 146, 158 et 223 CSC, se
trouve aujourd’hui largement contredit par l’inévitable transformation de la réalité économique qu’il était
destiné à régir. La mise en œuvre de cette incrimination révèle une certaine contradiction entre les principes
sur lesquels elle se fonde et le phénomène des groupes de sociétés. En effet, en incriminant les dirigeants qui
ont usé des biens sociaux dans leur intérêt personnel ou en faveur d’une autre société dans laquelle ils étaient
intéressés directement ou indirectement, le législateur semble avoir considéré la société isolément en la traitant
comme une personne juridique autonome et indépendante. Or, cette attitude ne correspond plus à la réalité
économique d’aujourd'hui. L’incrimination ainsi dictée par la loi avait négligé le fait que les concepts
juridiques sur lesquels elle se fondait ne sont plus valables que pour un nombre très restreint de sociétés. Le
législateur a ignoré également dans une large mesure les relations organiques entre la société et les autres
entreprises qui lui sont liées. De même, le rassemblement des sociétés dans des groupes a fait perdre largement
leur autonomie à un grand nombre de sociétés. Celles-ci ne sont plus gérées exclusivement dans leur intérêt
propre, mais dans celui du groupe auquel elles appartiennent652.
Ainsi, concernant l’abus des biens sociaux, la société était conçue comme un être isolé sans parenté
avec d’autres que ses dirigeants. Aujourd'hui, il en va différemment et si certaines sociétés sont encore créées
par un appel public à l'épargne, le phénomène est devenu de plus en plus rare. Les groupes de sociétés sont un
fait qui s’impose à 1’évidence. Or, ici encore le droit positif présente de sérieuses lacunes. Ignorant le terme
même de "groupe" dans les articles précités, il ne connait pas un texte pénal explicite propre aux groupes de
sociétés assurant une protection efficace des intérêts au sein des sociétés dominées et prenant en compte
explicitement l’intérêt commun du groupe. C’est pourquoi, il existe une nette discordance entre le droit
positif qui considère la société isolée comme " la cellule de base " de la législation en vigueur et la réalité
économique des groupes de sociétés qui a tout bouleversé. D'une part, la conception que la loi et les
tribunaux se font de la société ne permet pas encore d’admettre l’existence d'un intérêt du groupe distinct et
supérieur à l’intérêt social et, par la même, de reconnaître aux organes d’administration le droit de prendre des
décisions préjudiciables à la société mais conforme à l’intérêt commun du groupe. D'autre part, nier plus
longtemps l’existence de cet intérêt et la nécessité d'une direction unique dans le groupe semble être
irréaliste653.
Ainsi, a moins d’une intervention législative qui consacrerait la notion d’intérêt du groupe et qui
considérerait le groupe de sociétés lui même un sujet de droit pour déduire certaines conséquences juridiques
sur le plan pénal, on ne voit pas actuellement le moyen de remédier à cet état des choses. La protection des
associés externes au groupe et des dirigeants du groupe pose, dès lors, un problème au regard du droit positif
en raison d’une jurisprudence nécessairement limitée et d’une législation encore fondée sur le postulat
d’indépendance des sociétés654.

107- En définitive, la présence d’un groupe de sociétés paraît susciter un jugement particulier sur la
légitimité d’actes qui pourraient être qualifiés d’abus de biens sociaux ou être soumis à un contrôle spécial des
organes sociaux. Dans tous les cas apparaît l’idée qu’un acte apparemment contraire à l’intérêt de la société,
considéré isolément, peut se trouver justifié par les circonstances économiques qui l’entourent ou par
l’appartenance à un ensemble économique. L’intérêt du groupe permet de transcender l’intérêt de chaque

652
BELHAJ YAHIA (B), L’abus des biens et du crédit sociaux, Colloque : Droit pénal et sociétés commerciales, Association tunisienne de droit
pénal, FDSPT, 2-3-4 Mai 1985, p 165 et s.
653
Ibidem.
654
V. art. 461 CSC.

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société de la même manière que l’intérêt social fonde le pouvoir majoritaire et justifie des décisions qui
peuvent être contraires aux intérêts des minoritaires655.

108- Il est clair que les problèmes posés par les groupes de sociétés sont d’une ampleur et d’une
importance considérables. Ces problèmes ne se limitent d’ailleurs nullement à l’abus de biens sociaux
seulement ; bien au contraire, ils se prolongent nettement pour atteindre également l’abus de la personnalité
morale.

Sous-section Deuxième : L’abus de la personnalité


morale dans les procédés de concentration

109- « En accordant certains droits fondamentaux aux personnes morales, on a sans doute ouvert la
boîte de Pandore, dès lors que les êtres humains ne sont plus les seuls titulaires de droits, on ne sait plus où
s'arrêtera l'évolution »656.

Si le recours à la personne morale657 s'avère essentiel à la vie économique, il n'en demeure pas moins
qu'elle peut être utilisée à de bonnes ou mauvaises fins. C'est ainsi que la personne morale peut permettre
notamment d'organiser intentionnellement son insolvabilité et permettre au dirigeant d'échapper à ses
créanciers. Or, le droit positif n'est aujourd'hui pas nécessairement suffisant pour appréhender ce
comportement. N’est-il pas vrai que « la personnalité morale se laisse difficilement dompter. Et pour cause,
invisible, muette, impalpable, elle ne se donne ni à voir, ni à entendre, ni à toucher : création intellectuelle,
elle se dérobe aux sens ? Et pourtant, elle a une existence propre. Elle dispose d’actifs, de passifs, de
créanciers, de débiteurs. Si ses dirigeants l’incarnent partiellement, ils ne se confondent pas avec elle, et son
patrimoine est et doit rester distinct de celui de ses dirigeants »658. Ces derniers doivent la gérer avec
discernement, bienveillance et honnêteté pour ne pas la mettre en difficulté et lui permettre de prospérer et
inspirer confiance à ses partenaires, ses clients et ses fournisseurs. Tel est l’avis de la Cour de cassation qui,
dès les années quatre vingt dix, a affirmé que « le PDG de toute entreprise est tenu de superviser les organes
soumis à sa tutelle, de faire de son mieux pour en assurer une bonne gestion et de contrôler ses préposés de
sorte à assurer l’essor de l’entreprise »659.
Il se peut néanmoins que les dirigeants de la personne morale abusent de son patrimoine, mais aussi de
son existence même. « Lorsque la personne morale devient un véhicule délictuel, il est aisé pour le dirigeant
social d’en faire un usage frauduleux. Ecran protégeant sa propre personnalité et son propre patrimoine, elle
est parfois l’instrumentum de comportements frauduleux permettant à son maître de s’enrichir indûment, ou
tout au moins d’éviter des déboires financiers dévastateurs »660.

655
CHEVALIER (J), Réflexions sur l’idéologie de l’intérêt général, In Variations autour de l’idéologie de l’intérêt général, Vol. I, PUF, 1978, p.
92. V. aussi DELEBECQUE (PH), groupe de sociétés et procédures collectives : confusion de patrimoines et responsabilités des membres du
groupe, Revue Procédures Collectives, n° 2, 1998, p 129.
656
GUYON (Y), Droits fondamentaux et personnes morales de droit privé, In « Les droits fondamentaux » : AJDA, 1998, n° spécial juill./août, p.
142.
657
Concernant la notion de personne morale V. LAKHOUA (H), L’accès au droit de la personne morale « Personne Immorale », In la passion du
droit, Mélanges Mohamed Larbi Hachem, FDSPT, 2006, p 31 ; CHARFEDDINE (K), Droit civil - Théorie générale - Les personnes - La preuve,
IORT 2002, p 281. En dr.comp. V. COULOMBEL (P), Le particularisme de la condition juridique des personnes morales en droit privé, Thèse
Nancy 1950 ; DAVID (R), La personnalité morale et ses limites, In Travaux et recherches de l’institut de droit comparé Paris 1960, p l ; FADEL
RAAD (N), L’abus de la personnalité morale en droit privé, LGDJ 1991 ; TERRE-FREYRLA (Ch), La personnalité morale à la dérive, In
Mélanges A. BRETON, F DERRJDA. Dalloz 1991, p121 ; GASTAUD (J-P), Personnalité morale et droit subjectif, LGDJ, 1977 ; HAMEL (J),
La personnalité morale et ses limites, D. 1949, chr.141 ; HANNOUN (C), Personnalité morale des sociétés, Juriscl. Soc. 1995 ; LAGARDE (G),
Propos de commercialiste sur la personnalité morale, réalité ou réalisme ? In Etudes offertes à A. JAUFFRET, Aix 1974, p 429.
658
MERVILLE (A-D) et DEMALDENT (J), L’utilisation frauduleuse de la personne morale, L.P.A., 23 avril 2009, n° 81, p. 3
M!< 8G G ‫ ا‬+ 4# ‫ل ا‬D ‫ و‬a$ K# h ‫ أ‬I ‫ دوا‬U N ‫ اف‬O I L !Aq + ‫ م‬# ‫ ا‬+ ‫ ا‬H ‫" ان ا‬:8 + 1997/7/2 ‫ ا _رخ‬84603 ‫(د‬3 61@7 ‫ ﺟ ء @ ار ا‬659
.136 ‫ ص‬،1997 4A ،1 ‫ د‬N ،I # ‫ا‬ + 3 6‫ُ اﺟ‬+ ." !Aq ‫ ض‬K4 ‫ ا‬i $ 7‫ ا‬a+‫ ر‬4 7‫ ا‬6 ‫! ھ‬$
660
MERVILLE (A-D) et DEMALDENT (J), L’utilisation frauduleuse de la personne morale, art. pré., p 3.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

En invoquant la notion d’abus de la personnalité morale, il revient à l’esprit la cinglante observation de


M. Gaston Jeze661 qui enseignait, dans son cours oral, que jamais il n’avait «déjeuné avec une personne
morale». Les partisans de cette théorie considéraient que seul l’Homme, «être de chair et d’os»662, peut être
sujet de droit et avoir une capacité juridique. La personnalité «véritable» supposant une existence corporelle
ou encore biologique, la personnification des groupements et autres entités ne pouvait être qu’une création
arbitraire et artificielle de la Loi. Bref, les personnes morales ne pouvaient être que des fictions juridiques663.

Selon M. Nabil Fadel Raad, l’abus de la personnalité morale est conçu comme un usage mauvais,
excessif et volontaire de cette technique juridique664. On peut évidemment craindre qu’une personne n’utilise
la personne morale pour s’abriter derrière elle. C’est ce qu’on dénonce en parlant de la « dérive
fonctionnelle » qui consiste à ne voir dans la personne morale des sociétés qu’un instrument destiné à
bénéficier de certains avantages665, sans que l’existence de la personne morale corresponde à une réalité
tangible. Sans doute, la personne morale présente-t-elle certains avantages, mais encore faut-il que la société
créée ait une vie réelle et qu’elle ne serve pas seulement à masquer les agissements personnels de certains.

110- De façon générale, il y a abus chaque fois que l’application des règles de la personnalité morale
donne une solution inéquitable ou nuisible à la saine application de l’esprit des lois. L’abus se situe, en
d’autres termes, dans les conséquences que le législateur ou le juge peut tirer de la personnification. Il est
constitué lorsque ses effets sont nuisibles aux tiers, à la société en général mais également à ceux qui ont voulu
la personne morale, c’est-à-dire à ses propres membres. M. Paul Chauveau distinguait, de cette manière, deux
hypothèses. Il y a abus de la notion de personnalité morale, lorsque celle-ci permet à ses membres d’échapper à
des responsabilités ou à des obligations qui auraient été les leurs, si la personne morale n’existait pas. Mais,
inversement, il y a aussi abus de la personnalité morale lorsque « pour s’être réunies sous une raison sociale
des personnes ne peuvent plus accomplir des actes ou jouir de droits qu’elles pourraient accomplir ou dont
elles devraient jouir individuellement666 ». Plus précisément, « l’abus de la personnalité morale de droit
commun relève (en partie) du mécanisme de la simulation667 ». Il apparaît lorsque la société ou le groupement
se présente comme un écran668, lorsque l’entité personnifiée est dénuée de toute réalité sociale. Il y a ainsi abus
en cas de création d’une apparence trompeuse, ce qui suppose que la volonté de ses auteurs soit aiguillée vers
la création d’une telle apparence669. La doctrine considère de la sorte que, concrètement, il y a abus de la
personnalité morale « soit lorsque la création n’a d’autre but que de constituer une [personne morale]
destinée à masquer certaines activités illicites, soit par l’usage abusif qui peut être fait de la personne
morale670 ». On distingue alors entre deux situations671. Il se peut, d’une part, qu’il y ait abus de création de la
personne morale lorsque ses membres ont créé une société ou un groupement fictif ou frauduleux672 (-§1- ). Il
se peut, d’autre part, que l’abus de la personnalité morale apparaisse en cours de vie sociale. Monsieur Jean-
Pierre Gastaud décrit cette hypothèse en ces termes : « la société recouvre bien à l’origine un centre d’intérêt

661
JEZE (G), cité par MALAURIE (P), Nature de la personnalité morale, Rép. Defrénois 1990, art. 34848, p 1068, n° 5.
662
L’expression est empruntée à Mme Simone de BEAUVOIR citée par PAERELS (H), Le dépassement de la personnalité morale, Contribution
à l’étude des atteintes à l’autonomie des personnes morales en droit privé et droit fiscal français, Th., Université de LILLE 2, 2008, p 271
663
La théorie fut exposée par VON SAVIGNY (R), Traité de droit romain, Ouvrage traduit par GUENOUX (C), 2ème éd., Paris : Firmin-Didot,
1860, p. 223 et s. ; MICHOUD (L), La théorie de la personnalité morale et son application en droit français, 1ère éd., Paris : LGDJ, 1906, p. 18.
664
FADEL RAAD (N), L’abus de la personnalité morale en droit privé, op. cit., n° 301, p. 285.
665
Des avantages juridiques ou fiscaux.
666
CHAUVEAU (P), Des abus de la notion de personnalité morale des sociétés, Rev. gén. dr. com. 1938, p 413.
667
FADEL RAAD (N), L’abus de la personnalité morale en droit privé, op. cit. n° 20 et s., p. 19.
668
CUTAJAR-RIVIERE (C), La société écran. Essai sur sa notion et son régime juridique, Bibliothèque de droit privé, LGDJ, 1998, T. 272, n° 2.
669
FADEL RAAD (N), op. cit., p 134, n° 138.
670
GUYON (Y), Personnalité morale des sociétés, Article refondu par BOURGNINAUD (V-M), J.-Cl. Sociétés, fasc. 28-10, janvier 1992, n° 22.
671
En ce sens également : FOYER (J), Sens et portée de la personnalité morale des sociétés en droit français, in La personnalité morale et ses
limites. Etudes de droit comparé et de droit international public, La personnalité morale et ses limites. Etudes de droit comparé et de droit
international public, Travaux et recherches de l’institut de droit comparé de l’Université de Paris, LGDJ, 1960, p. 114 ; GASTAUD (J-P),
Personnalité morale et droit subjectif, Essai sur l’influence du principe de la personnalité morale sur la nature et le contenu des droits des membres
des groupements personnifiés, Bibliothèque de droit privé, LGDJ, 1977, T. 149, p 117, n° 84 et s..
672
BARUCHEL (N), La personnalité morale en droit privé. Eléments pour une théorie, Bibliothèque de droit privé, Paris, LGDJ, 2004, Tome 410,
n° 428 : « L’abus de la personnalité morale repose toujours sur les mêmes techniques : la fictivité, la fraude, l’apparence ou la responsabilité ».
COULOMBEL (P), Le particularisme de la condition juridique des personnes morales de droit privé, Langres Imprimerie Moderne, 1949, p 55 ;
GUYON (Y), Personnalité morale des sociétés, art. pré., n° 23.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

distinct mais un dirigeant s’en est emparé au cours de la vie sociale et l’a détourné de sa trajectoire initiale ».
Dans ce cas, la personne morale perd toute réalité alors qu’elle avait une existence réelle à l’origine. Elle perd,
en cours de vie sociale, toute autonomie vis-à-vis de l’un de ses dirigeants par la confusion des activités et des
patrimoines que celui-ci entretient673 (-§2- ).

-§1 : La « fictivité » de la personne morale dans les procédés


de concentration

111- La fictivité674 se drape d'une nébulosité inhérente à son aspect mystérieux. En effet, cette notion
se caractérise par sa réticence de principe à toute définition juridique675.
Une société fictive est un prétendu sujet de droit qui se révèle n'en être pas un676. Voilà un groupement
qui se prétend société mais qui n'a pas été constitué en vue de réaliser des bénéfices, qui n'a pas donné lieu à la
mise en commun d'apports ou encore dont les associés ne sont pas animés du moindre affectio societatis677.

673
V. en ce sens Mme Pascale ROUAST-BERTIER qui relève que « la jurisprudence et la doctrine semblent tantôt considérer la confusion
d’activités et de patrimoines comme un indice déterminant de fictivité, tantôt la présenter comme une notion autonome de celle de fictivité et
réservée au domaine des procédures collectives » : ROUAST-BERTIER (P), Société fictive et simulation, Rev. Soc. 1993, p. 724, n° 26.
674
La société fictive doit être distinguée de la société nulle, de la société de fait et de la société créée de fait. La société nulle est celle dans laquelle
un ou plusieurs éléments du contrat de société font défaut. Contrairement à la société nulle, la société de fait réunit tous les éléments du contrat de
société, sauf qu’elle a été constituée en violation d’une règle de forme essentielle. La société créée de fait est l’anti-thèse de la société fictive dans
la mesure où les associés ont voulu réellement s’associer sans entamer les règles légales de constitution des sociétés.
675
V. à propos des difficultés éprouvées dans les définitions juridiques : AYARI (M), Les définitions juridiques dans le code des obligations et
des contrats, art. pré., p. 103 ; COMANGE (L), Le dangereux paradoxe de la nullité des sociétés fictives, Bulletin Joly Sociétés, 01 janvier 2003
n° 1, p. 12 ; PAILLUSSEAU (J), Le droit moderne de la personnalité morale, Rev. trim. dr. civil 1993, p 705 et s.
676
LUCAS (F-X), Les filiales en difficulté, L.P.A., 04 mai 2001 n° 89, P. 66.
677
La Commission de modernisation du langage judiciaire en France a traduit l’expression « affectio societatis » par celle d’« intention de
s’associer » (circulaire du 15 septembre 1977, relative au vocabulaire judiciaire, JCP 1977 III n° 46255). La substitution de ce terme à la formule
latine est regrettable. En effet, réduire l’affectio societatis à la volonté de former une société conduit à une impasse, l’un des intérêts du concept
étant de permettre la qualification d’un contrat en société (en ce sens, HAMEL (J), L’affectio societatis, RTD Civ., 1925, p. 761 ; comp.
AMIAUD (A), L’affectio societatis, Mélanges SIMONIUS, Aequitas und bona fides, 1955, p. 1 – V. curieusement, dans une SCI familiale, CA
Toulouse 7 déc. 2000, RTD com. 2001 p. 473, obs. M.-H. MONSERIE-BON). Outre les difficultés inhérentes à l’emploi de termes latins, les
incertitudes proviennent de ce que l’affectio societatis est « plus un sentiment qu’un concept juridique » (VIANDIER (A), La notion d’associé,
Bibl. dr. priv. t. 156, LGDJ, 1978, n° 75 ; REBOUL (N), Remarques sur une notion conceptuelle et fonctionnelle : l'affectio societatis, Rev. Soc.
2000, p 425, spéc. n° 3 - d'une manière générale, sur la place du sentiment dans la formation des actes juridiques, CORNU (G), Du sentiment en
droit civil, In L'art du droit en quête de sagesse, PUF, 1998, p 71). La doctrine classique a vu dans la notion « une volonté de collaboration active,
en vue d’un but commun qui est la réalisation d’un enrichissement par la mise en commun des capitaux et de l’activité des associés » (PIC (P), De
l’élément intentionnel dans le contrat de société, Ann. Dr. comm. 1906 p. 153 ; RIPERT (G), Prêt avec participation aux bénéfices et sociétés en
participation, Ann. Dr. comm. 1905, p. 53). Selon cette approche objective, l’affectio societatis serait une volonté de participation à la vie de la
société, active, égalitaire et intéressée. C’est cette thèse qu’adopte majoritairement la jurisprudence. Ainsi, le tribunal de grande instance de Paris a-
t-il estimé que le concept impliquait « pour les associés, outre leur vocation à la répartition des bénéfices une participation à la conduite des
affaires sociales sur un pied d’égalité, un pouvoir de contrôle et de critique, un concours actif à l’administration de l’affaire » (TGI Paris 14 mars
1973, Gaz. Pal. 1973, 2, p. 913, note M. PEISSE ; Rev. Soc. 1974 p. 92, note M. GUILBERTEAU ; RTD com. 1974 p. 104, obs. R. HOUIN ; dans
le même sens, Cass Civ Fr., 3° 25 juin 1997, pourvoi n° 95-18154, Lexilaser, n° 1112, qui fait référence à la participation, même indirecte, à la
direction de la société, et à un pouvoir de contrôle). Selon ce jugement, l’affectio societatis exige que chaque membre du groupement ait non
seulement une vocation au contrôle de la société mais aussi une participation active à celui-ci (LAUDE (A), La reconnaissance par le juge de
l’existence d’un contrat, PUAM, 1993, préf. J. MESTRE, n° 274 ; MESTRE (J), Lamy Sociétés commerciales, op. cit., n° 296, qui définit
l’affectio societatis comme « une volonté, au moins implicite, de collaboration égalitaire, dans une perspective commune intéressée » ; GUYON
(Y), Droit des affaires, op. cit., n° 124, qui réfute les conceptions unitaires et adopte une approche protéiforme de la notion. V. aussi RIPERT (G)
et ROBLOT (R), Traité de droit commercial, t. 1, 17° éd., par M. GERMAIN et L. VOGEL, LGDJ, 1998, n° 683, pour lesquels l’affectio
societatis exprime l’ « intention des associés de se traiter comme des égaux et de poursuivre ensemble l’œuvre commune » ; DIDIER (P), Droit
commercial, T. 2, L’entreprise en société, 2° édition, PUF, 1997, p. 49). Cette conception classique a néanmoins été contestée par quelques
auteurs. Tout d’abord, le doyen Hamel, raisonnant à partir de la notion de cause, a défini l’affectio societatis comme la juxtaposition d’une volonté
d’union et de celle d’accepter délibérément certains risques (HAMEL (J), L’affectio societatis, RTD civ. 1925 p. 761 ; du même auteur, Quelques
réflexions sur le contrat de société, Mélanges en l’honneur de Jean Dabin, t. 2, 1963, p. 645.). Selon lui, l’affectio societatis est un élément de la
cause du contrat de société (dans le même sens, COPPER-ROYER (J), Traité des sociétés, t. 2, Sirey, 1939, chap. X, L’affectio societatis,
l’intuitu personae, la fraternitas, n° 1 ; adde, TERRE (F), L’influence de la volonté individuelle sur les qualifications, Bibl. Dr. priv. t. 2, LGDJ,
1957, n° 300, qui souligne toutefois que la cause du contrat de société est une notion beaucoup plus vaste que l’affectio societatis. V. aussi SAINT-
ALARY-HOUIN (C), Les critères distinctifs de la société et de l’indivision depuis les réformes récentes du Code civil, RTD com. 1979 p. 645,
spéc. n°50). Cette position subjective ne convainc pas. Elle n’a d’ailleurs été que rarement adoptée par la jurisprudence. Sa lacune essentielle est de
faire de l’affectio societatis la cause du contrat de société. Or, pour la doctrine, tant classique que moderne (Pour les auteurs classiques,

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

« Ce n'est qu'une marionnette agitée par un maître de l'affaire animé de mobiles plus ou moins
avouables »678.
La fictivité s'applique principalement aux sociétés à risques limités, elle permet d'impliquer les
associés dans la procédure collective. Le critère classique de la fictivité réside dans le défaut d'affectio
societatis679 des associés mais aussi parfois dans l'absence absolue d'autonomie de la société680 . Il semble
alors que la fictivité n'est pas tant celle de la société que celle de sa personne morale. En effet, la fictivité des
sociétés correspond à une hypothèse différente : celle de l'utilisation de la personnalité juridique comme
simple écran destiné à cacher, à des fins habituellement frauduleuses, la maîtrise réelle d'une « affaire ». Il
s'agit donc d'une situation d'interposition où la dissociation patrimoniale que permet la personnification se
révèle être seulement un artifice destiné à camoufler l'unité véritable d'un même patrimoine. Ainsi, une société
est fictive lorsque les personnes qui se présentent comme des associés ne sont que des prête-noms ou des
simples comparses du véritable maître de l’affaire. Autrement dit, la fictivité d’une société est établie, lorsque
les personnes qui la composent, se présentant comme associés, ne sont en fait que des prête-noms ou des
complices d’une autre personne elle-même associée, ou complètement étrangère à la société. Cette dernière
est alors une façade masquant les agissements de celui qui se dissimule derrière elle avec une intention
frauduleuse. Elle n’est qu’une personne interposée afin de soustraire, par exemple, des actifs au gage des
créanciers.
Dans cet ordre d’idées, le professeur Plaisant définit la société fictive comme étant celle « qui
constitue un masque pour l’activité d’un individu, maître de l’entreprise, dont le patrimoine se confond en fait
avec celui de la société, les associés n’étant que de simples figurants681 ». On en déduit que la société fictive
n’a aucune existence réelle. Elle n’est qu’une façade pour cacher l’activité d’un individu ou d’une autre
société682.
La fictivité de la société peut exister dès sa création lorsqu’il manque un des éléments constitutifs du
contrat de société683, comme elle peut survenir aussi après la création de celle-ci pour servir des fins
frauduleuses. Dans cette dernière hypothèse, les éléments constitutifs de la convention de société disparaissent
complètement au cours de vie sociale. L’affectio-societatis s’anéantit totalement par ajout de nouveaux
associés, hommes de paille, pour atteindre des objectifs frauduleux.

112- La fictivité, en tant que première manifestation de l’abus de la personnalité morale, trouve son
terrain de prédilection dans les groupes de sociétés et ce, du fait du contrôle exercé par la société mère sur les

THALLER (E), Traité général théorique et pratique de droit commercial. Des sociétés commerciales, par P. PIC, Arthur Rousseau, 1907, n° 420 ;
ESCARRA (J), ESCARRA (E) et RAULT (J), Traité général théorique et pratique des sociétés commerciales, T. 1, Sirey, 1950, n° 98 ;
BAUDRY-LACANTINERIE (G) et WAHL (A), Traité théorique et pratique de droit civil. De la société et du dépôt, 3° éd., Sirey, 1907, n° 65 ;
pour les auteurs modernes, MESTRE (J), Lamy Sociétés commerciales, op. cit., n° 190 ; CHARTIER (Y), Droit des affaires, T. 2, Sociétés
commerciales, PUF, 1992, n° 38 ; MERCADAL (B) et JANIN (PH), Mémento pratique des sociétés commerciales, op. cit., n° 108.), cette
dernière est le but poursuivi par les associés lorsqu'ils se proposent la réalisation d’un certain objet social. De même, l’affectio societatis ne peut
être envisagé comme la cause, au sens de « contrepartie », de l’obligation de l’associé d’effectuer un apport. La cause de celle-ci réside dans
l’attribution de droits sociaux, représentatifs d’une fraction du capital social. En définitive, on peut définir l’affectio societatis comme une norme
de comportement dictée par l’impératif général de bonne foi, tendant au travers d’une collaboration égalitaire, au moins virtuelle, dans un but
commun, à la réalisation de l’objet social.
678
BARBIERI (J-F), Confusion des patrimoines et fictivité des sociétés, P.A. n° 12, 1996, p 47. On peut lire dans cet article ce qui suit : « pas
besoin de sonder les coeurs et les âmes pour les démasquer, il suffit de s'assurer que la vie de la société se déroule normalement et que les organes
sociaux ne sont pas des pantins entre les mains d'un associé. Il faut vérifier que les assemblées s'assemblent, que les conseils se tiennent, en un mot
que la vie sociale suit son cours ». C'est ainsi que l'argument majeur retenu par la Cour d'appel de Paris dans l'affaire A.M.R.E.P. pour écarter
l'argument tiré de la fictivité des filiales du groupe consista à vérifier dans les registres des procès-verbaux que les assemblées générales et les
conseils d'administration des sociétés du groupe avaient été régulièrement tenus (Paris, 3e ch. A, 21 novembre 1989, Lerognon c/ A.M.R.E.P.,
Bull. Joly 1990, p. 186, n° 49, note P. Pétel).
679
Cass. com. Fr., 3 février 1998 : Bull. Joly Sociétés, 1998, p. 654, n° 219, note J.-J. Daigre ; D. Affaires, 1998, p. 174.
680
Cass. com. Fr., 21 novembre 1995 : JCP, éd. E, 1996, II, no 852, note J.-J. Daigre.
681
PLAISANT (R), note sous Cass. Civ. Fr., 14-12-1944. Cité par FKI (N), op.cit., p146.
682
M. BEN NASR considère que « la société fictive, qui n’est qu’une pure façade, n’a été créée que pour cacher l’activité d’un commerçant, elle
n’a donc pas une personnalité morale. Son patrimoine, composé de l’actif et du passif, n’est pas dissociable de celui du maître du projet. Ainsi
l’activité de ce dernier se confond avec celle de la société, celle-ci n’est alors qu’un masque, une simple apparence ». In, op.cit., p 520.
‫ أو‬m] ‫ ء أو وھ ا‬/ ‫ ا‬: ‫ن‬SL A V 3+ I # ] C 3 ‫ه ا‬D‫ ن ھ‬$ 5 .M+‫ ر‬# ! ‫ ص‬PO[ M # !+ <‫ وا‬mPO ‫] ف‬$ 8/P+ ‫ ء‬L5 ‫ إ‬f! ‫ ا ھ‬C 3 ‫إن ا‬...»
.65 ‫ ص‬،.‫ذ‬.‫س‬.‫ م‬، - M (9 ." C‫ ر‬3 ‫ ء و ا‬C 3 ‫ د ا‬#$ : M ‫ ا‬M+ ]4# ‫ ا‬M <‫ ء وا‬/ ‫ ا‬MN X 4$ C 3 ‫ ا‬+‫ ر‬0 ‫ ج إن‬4 A ‫ ا‬44 + ‫ا ا أي‬D‫ ھ‬C[ . C‫ ر‬3 ‫ ء ا‬/ ‫ا‬
K ‫ رأس‬8G < ‫ م وﺟ د ! ھ ت‬N‫ و‬C 3 ‫ ا‬k $ ‫ ع‬g Vّd + ‫ي‬D ‫ وع ا‬3 ‫ ا‬+ ‫ م ﺟ‬# ‫ ا‬8G K ‫وﺟ د‬ C O 8‫ ا ھ ھ‬C 3 ‫ اب أن ا‬4 ‫ ا‬H ‫ او ت‬8G ‫ ﺟ ء‬683
.(104 ‫ ص‬،478 V]/ ‫ < ل ا‬26 ‫ د‬N ‫ال‬q! ‫ ا‬MN ‫ ل‬# ‫ ا‬+‫ ﺟ اب وز‬: ‫ اب‬4 ‫ ا‬H ‫ اك ) او ت‬O ‫ ام ا‬# ‫وا‬

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

sociétés filles684. Ce contrôle finit, dans la plupart des cas, à mettre en place des situations de fictivité néfastes
à bien des égards. Il suffit pour s’en convaincre de se rappeler que le législateur n’a reconnu expressément
l’abus de la personnalité morale qu’au sein des groupes de sociétés dans l’article 478 CSC où il a utilisé pour
la première fois, en matière juridique, les vocables de « fictivité » et « confusion de patrimoine ». Cela
témoigne, sans risque d’erreurs, d’une volonté législative grandissante pour combattre ce fléau qui foisonne
dans les relations intra-groupes à telle enseigne qu’une majeure partie de la doctrine n’hésite nullement à parler
d’un « abus distinctif des groupes de sociétés »685.
Dans cette forme de concentration, le principe est qu’une filiale soit juridiquement une société
autonome et ce, malgré la part que peut représenter la société mère dans le capital de cette dernière. Par
contre, la filiale doit être considérée fictive ou de façade lorsque ses associés ne sont que des prêtes noms de la
société mère. Il en est ainsi lorsque la mère entend exercer tous les pouvoirs et ne créer une filiale que pour
retenir les avantages d’une interposition de personne. La société créée n’apparaît alors que comme un écran
masquant l’activité d’une autre personne morale.
De façon générale, dans un groupe de sociétés, il arrive que la société mère crée une filiale dans le seul
but de bénéficier d’une limitation artificielle de sa responsabilité, simuler un agissement illicite ou encore
détourner une réglementation restrictive. De tels agissements seraient certainement impossibles en l’absence
du contrôle exercé par la société mère sur les sociétés liées. C’est, en effet, le contrôle-pouvoir qui permet à la
société mère, après avoir crée une filiale fictive, de la dépouiller de ses biens ou encore de ses bénéfices,
portant ainsi atteinte aux partenaires éventuels de cette filiale. D’ailleurs, c’est à juste titre que M. Lakhoua a
pu écrire que la personne morale est détournée de sa finalité initiale. Elle devient « une technique
d’insolvabilité, une technique d’irresponsabilité vis-à-vis des coassociés tout d’abord, qui n’ont dans
certaines hypothèses que la qualité de figurants derrière le « maître de l’affaire » qui protège ses intérêts
personnels masqués sous l’intérêt social privé ; mais également vers les « tiers privés », les créanciers ou les
« tiers publics » essentiellement le fisc qui, en voulant recouvrer leurs créances se trouvent confrontés à des
sociétés fictives, des sociétés « écran », une sorte de coquille vide, de tiroir, d’off-shore… des noms multiples
pour une seule réalité : créer un paravent entre les auteurs, les créateurs, les acteurs de la personne morale
et les tiers et même parfois les autres associés686 ».
C’est dans le but de limiter, autant que faire se peut, ces agissements abusifs que le législateur a dû
reconnaître et établir un régime juridique spécifique à la société fictive au sein du groupe de sociétés, chose
qu’il n’a pas faite ailleurs.

113- Nul doute que la notion de société fictive est très difficile à cerner au sein des sociétés groupées,
d’autant plus que le législateur ne l’a pas définie dans l’article 478 CSC687. Toutefois, il est certain qu’une telle
société n’a pas d’existence réelle. Il s’agit, en réalité, d’une simulation qui fait croire aux tiers à la réalité d’une
société qui n’existe qu’en apparence688.

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686
LAKHOUA (H), L’accès au droit de la personne morale « Personne Immorale », art. pré., p 31. V. également RIVIERE (CH-C), La société
écran, LGDJ, 1998, p 410.
687
L’alinéa premier de l’article 478 CSC dispose que « les procédures de faillite et de redressement ouvertes contre l’une des sociétés appartenant
au groupe de sociétés peuvent être étendues aux autres sociétés y appartenant en cas de confusion de leurs patrimoines, d’escroquerie ou d’abus
des biens de la société faisant l’objet des procédures de faillite ou de redressement, ou s’il est établi que la société débitrice était fictive, et que les
sociétés appartenant au groupe ont donné l’apparence d’y être associées ».
688
FKI (N), Les procédures collectives et les groupes de sociétés, E.J. n° 9, 2002, p126.

Page 94
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

En raison de l’ambiguïté de la notion, surtout lorsqu’elle est appliquée au groupe de sociétés, des
questions théoriques ont été posées au ministère de la justice qui, à l’occasion des discussions parlementaires
de la loi n°117-2001 du 6-12-2001, a précisé les critères de la fictivité au sein des groupes de sociétés qui sont
au nombre de trois. La société est fictive si les projets qui représentent son objet social sont dénués de sérieux.
Elle l’est également en cas d’absence de participations réelles à son capital social. Elle l’est encore si l’affectio
societatis689 fait défaut690.

114- Précisée de la sorte, la fictivité d’une société du groupe n’est pas facile à dévoiler. Pour ce faire,
la jurisprudence française recourt généralement à un faisceau d’indices, fonctionnels d’une part, et organiques
de l’autre. Dans ce dernier cas, l’indice de fictivité peut consister dans le déséquilibre flagrant entre la
participation du « maître de l’affaire » par rapport à celle des prête-noms691, ou encore dans la communauté de
dirigeants, l’identité d’associés, l’identité de siège social ou même celle de dénomination sociale…
Les critères organiques ne sauraient suffire à eux seuls pour déclarer la fictivité d’une société
intragroupe692. Des critères fonctionnels viennent s’y ajouter. Il s’agit essentiellement de la subordination
totale de la société fictive qui fait que ses organes de direction ne fonctionnent pas et que ses assemblées
générales ne se réunissent point.

Le premier arrêt à avoir consacré la notion de société fictive dans le groupe de sociétés est celui rendu,
en France, par la chambre des requêtes le 13-5-1929. Dans cet arrêt, la cour déclare que « lorsque trois
sociétés ont les mêmes administrateurs, le même personnel, la même comptabilité, sont installées dans les
mêmes locaux et ont puisé dans la même caisse, …, n’ayant jamais eu d’existences personnelles
indépendantes, ne sont, en réalité, que des agences de la première, faussement présentées comme des
filiales693 ».
La jurisprudence française a notamment considéré que les indices de fictivité sont bien établis en cas
d’absence d’autonomie patrimoniale de la filiale, absence d’activité économique propre, ou en cas de défaut
d’autonomie décisionnelle. Tel est le cas d’une filiale créée dans l’unique but de supporter, aux lieu et place
de la société mère, les risques de commercialisation d’un projet spécifique à qui la société mère a apporté une
assistance dépassant le degré d’organisation inhérent à tout groupe de société, la maintenant sous sa
dépendance et la privant ainsi de toute autonomie694. Il a également été considéré par la Cour de cassation
française qu’ : « est fictive la société qui commercialise des produits fabriqués par une autre dans les locaux
et avec le personnel de celle-ci sans supporter la charge d’un salarié et qui, en dépit des apparences ne
constitue qu’un service de la société mère »695.

Aussi, est fictive la société dépourvue d'activité propre, qui joue le rôle de personne interposée696 afin
de soustraire des actifs au gage des créanciers697 . Néanmoins, la seule affirmation d'une atteinte aux droits des
créanciers est insuffisante à justifier une allégation de fictivité698, de même que sont insuffisantes la

689
A propos de la définition de l’affectio societatis V. supra. note n° 681.
‫ ام‬# ‫ وا‬K ‫راس‬ ْ 8G < ‫ م وﺟ د ! ھ ت‬N‫ و‬C 3 ‫ ا‬k $ ‫ ع‬g Vّd ‫ي‬D ‫ وع ا‬3 ‫ ا‬+ ‫ م ﺟ‬# ‫ ا‬8G K ‫وﺟ د‬ ‫ وھ‬C O 8‫ إ ھ‬4+ ‫ ا‬C 3 ‫ ت أن ا‬p ‫ رة‬0 -" 690
.1 ‫ د‬N " 6‫ُ اﺟ‬+ ،104 ‫ ص‬،5 ‫ د‬N ،2001 G 20 ،‫ اب‬4 ‫ ا‬H ‫" او ت‬.‫ اك‬O ‫ا‬
691
Il faut dire qu’une répartition égalitaire du capital entre les associés n’est pas de l’essence de la société, un associé peut détenir la quasi-totalité
ou même la totalité du capital sans que la société ne soit forcément fictive.
692
Ainsi la cour d’appel de Paris a affirmé que « malgré les liens étroits pouvant exister entre une société mère et sa filiale, celle-ci est
juridiquement distincte des personnes physiques ou morales qui la composent et cela malgré l’importance de la participation que la société mère
peut détenir dans le capital de sa filiale ou l’existence de dirigeants communs ». C.A. Paris, 31-5-89, G.P., II, 1989, n° 603, note MARCHI.
693
Req. 13-5-1929, D 1930, I, p128. V. également C.A. Paris 31-5-1989, G.P., II, 1989, p 603. Cité par BERTIER, Société fictive et simulation,
Rev. Soc., 1993, p 725, dans cet arrêt la cour d’appel de Paris exige « une véritable identité au point que les partenaires des deux sociétés aient pu
croire qu’elles formaient une personne morale unique ». La même cour a déclaré, dans une autre affaire, que le seul fait que la même personne a
disposé de la majorité des capitaux dans les deux sociétés « n’implique pas à lui seul que… les personnalités respectives des deux sociétés se soient
confondues», Paris 30-3-1960, RTD Com., 1973, p357, obs HOUIN.
694
C.A. PARIS, 3ème chambre 28/9/93 PIERREL es-qualité contre PUDET et autres, Bulletin Joly 1994, p 68.
695
Cass. Com. Fr., 19/10/1993 N° 91-11 073 RJDA 1994 N° 169-205.
696
C.A. Paris, 7 juillet 1995, J.C.P., 1996. I. 3916, no 1, obs. A. Viandier et J.-J. Caussain.
697
C.A. Paris, 16 janvier 1996, D. 1996, inf. rap., p. 76.
698
Cass. Com. Fr., 15 novembre 1994, Quot. jur. no 31, du 18 avril 1995, p. 5, note P.M. ; 19 mars 1996, Rev. Soc. 1996, p. 267, note P. Le
Cannu, R.T.D. com. 1996, p. 478, obs. Cl. Champaud et D. Danet, cassant Aix-en-Provence, 18 novembre 1993, Bull. Joly 1994, p. 645, n° 182,
note C. Kessedjian.

Page 95
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

communauté de dirigeants, l'identité de siège social ou encore l'absence de tenue des assemblées
obligatoires699.
Il est donc nécessaire, pour constater l’existence d’une société fictive, d’établir, entre les deux sociétés
en question, une unité effective de telle sorte qu’elles ne forment, en réalité, qu’une seule et même personne
morale700. C’est alors à partir de cette non-conformité à la réalité, imputable au contrôle-pouvoir, que la notion
d’abus de la personnalité morale pourrait être déterminée dans le cadre du groupe de sociétés.

115- Il est, par ailleurs, intéressant de signaler que le législateur, loin d’établir un lien entre la
fictivité et la notion d’abus dans le groupe de sociétés, n’a fait dans l’article 478 CSC que renforcer cette
fictivité par la condition de création d’une apparence trompeuse701. Ce cumul de conditions parait critiquable
car les deux situations sont tout à fait distinctes et ne peuvent être exigées en même temps. En effet, dans le cas
de la fictivité, ce n’est pas la confusion apparente des deux sociétés qui est invoquée, mais leur confusion
réelle. Il semble, toutefois, que l’apparence a été sollicitée par le législateur dans le seul but de déterminer les
personnes responsables de l’abus702. Mais, quelle que soit la valeur de la règle du cumul telle que prévue par
l’article précité, il faut signaler que c’est notamment dans le groupe de sociétés que la fictivité, conséquence
directe du jeu du contrôle-pouvoir, est certainement productrice d’abus mettant en cause la notion même de la
personnalité morale. En effet, si cette fiction légale a été inventée par la pensée juridique pour rendre service à
toute personne intéressée, elle ne doit pas se transformer en une nuisance pour cette même personne. Le
groupe de sociétés ne doit pas constituer un terrain d’élection aux sociétés abusant de la personnalité morale.
La notion d’abus devra donc jouer le rôle de détracteur de ce genre de comportement illicite.

116- En résumé, si la fictivité aide énormément à fixer les contours de la notion d’abus au sein du
groupe de sociétés en vue d’édifier une théorie générale en ce domaine, on verra que le critère de contrôle,
créateur de cette fictivité, est aussi source directe de confusion de patrimoines dans le groupe.

-§2 : La confusion des patrimoines dans les procédés de


concentration703

117- «… La personnalité morale subsiste intacte en apparence, mais elle tend à ne plus être qu’une
apparence704 ». L’illogisme de cette situation est évident. Il est, en effet, très difficile de tirer les conséquences
de la personnalité morale de la filiale sans la prise en considération du contrôle exercé par la société mère705.
Dans la pratique deux situations sont envisageables : Ou bien le groupe de sociétés sera perturbé par des
opérateurs qui, voulant masquer leurs agissements et occulter leurs responsabilités, créent des sociétés fictives.
Ces dernières seront, par la suite, spoliées par le truchement du contrôle exercé par la mère ; ou bien le
contrôle qu’exerce la société mère sera trop accusé au point de fondre le patrimoine de la filiale dans le sien.
Ces deux situations sont bien connues par les juges qui recourent, souvent, à la notion d’abus de la personnalité
morale pour les déjouer. C’est bien là l’illustration d’une notion prétorienne qui a été récemment reconnue en
droit des groupes de sociétés par l’article 478 CSC. Cette reconnaissance témoigne du foisonnement des abus
de la personnalité morale imputables au contrôle exercé par la société mère. Ce contrôle incite, en effet, la

699
C.A. Paris, 5 juillet 1994, D. 1994, inf. rap., p. 218.
700
Cass. Com. Fr., Colmar 21-3-1972, RTD Com, 1973, p357, obs HOUIN.
701
L’article 478 CSC exige que la société soit fictive, « et que les sociétés appartenant au groupe ont donné l’apparence d’y être associées ». A
propos de la théorie de l’apparence, V. MAHFOUDH (M), Contribution à l’étude de l’apparence en droit tunisien, RTD, 2001, p 375 ;
BACCOUCHE (T), L‘apparence en droit des sociétés commerciales Etude de droit comparé français et tunisien, Thèse Nantes 1999. p. 139 et s.
702
C'est-à-dire que se sont les sociétés qui ont donné l’apparence d’être associées dans la société fictive qui devraient être sanctionnées.
703
BARBIERI (M), op. cit.. p 6. Selon cet auteur la confusion des patrimoines est « un phénomène essentiellement comptable qui ressort d’une
imbrication entre les postes d’actif et de passif de deux ou plusieurs patrimoines, imbrication telle qu’un professionnel de la comptabilité
s’avouerait incapable d’attribuer à l’un ou à l’autre des titulaires, les créances et les dettes répertoriées ».
704
CHAMPAUD (C), Le pouvoir de concentration de la société par actions, SIREY, Paris 1963, p273.
705
GARGOURI (A), L’abus de la personnalité morale des sociétés commerciales, mémoire de DEA, Faculté de droit de Sfax, 1997, p 38.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

création de sociétés fictives dans le groupe. Il est également source de confusion de patrimoines, deuxième
facette de l’abus de la personnalité morale.

118- Lorsque le contrôle de la société mère s’exerce de telle façon que la société contrôlée,
juridiquement autonome, se trouve entièrement intégrée dans la société dominante, la personnalité morale et
l’autonomie patrimoniale ne représentent plus que de mauvais prétextes pour éluder une responsabilité
normale. Ainsi, le contrôle de la société mère peut être trop important au point de confondre le patrimoine de
la filiale avec le sien706.
A l’instar du « plus grand saint qui pèche sept fois par jour, il est donné au moins aussi souvent
l'occasion à une filiale de confondre son patrimoine avec celui d'une autre société du groupe »707. En effet,
c’est par nature que le groupe se prête à des opérations de centralisation de trésorerie, à des transferts d'actifs
ou de flux financiers. C'est dire qu’on ne saurait se contenter d'établir l'existence de mouvements financiers
d'une société à une autre pour caractériser la confusion. Il faut avoir de la notion une conception restrictive,
sauf à aboutir au résultat que tout groupe réalise une confusion de patrimoines, ce qu'on ne saurait admettre. Il
est donc utile, voire indispensable de déterminer la notion de confusion des patrimoines et d’en dégager les
contours et les caractéristiques.

119- Force est de constater que la notion de confusion de patrimoines est très proche de celle de la
fictivité. Néanmoins, les deux concepts doivent être « soigneusement distingués notamment parce que la
fictivité de la société implique un patrimoine unique. Tandis que la confusion en suppose, nécessairement, au
moins deux708 ». Autrement dit, alors que la fictivité suppose l’existence d’une seule personne morale, l’autre
société étant par hypothèse inexistante, la confusion postule une dualité préexistante des patrimoines, c’est à
dire des personnalités morales709.
De surcroît, la société fictive, conçue comme une simulation ou un instrument de fraude, peut
naturellement donner lieu à une confusion de patrimoines. L’hypothèse inverse est, au contraire, inconcevable,
pour la simple raison que « la confusion doit reposer sur des personnes morales non fictives. Les sociétés
voient leurs patrimoines confondus non en raison d’une recherche de dissimulation, mais en raison d’une
utilisation abusive du patrimoine mis à la disposition des dirigeants et des associés communs. La fictivité se
caractérise ainsi par l’intention alors que la confusion se caractérise par l’action710 ».

Il est à noter aussi que certains auteurs ont soutenu l’idée de l’identité des notions de fictivité et de
confusion des patrimoines711, alors que la doctrine dans sa majorité plaide pour leur distinction712. Il n’en
demeure pas moins que les deux notions ne sont pas exclusives l’une de l’autre. C’est pour cela que dans
certaines affaires, les critères tant de la fictivité que de la confusion se trouvent réunis713.
Mais, il convient de souligner que la fictivité d'une personne morale ne s'accompagne pas
nécessairement d'une confusion des comptabilités entre le maître de l'affaire et la personne fictive, bien au
contraire, le premier est souvent attentif à séparer clairement les comptabilités afin de parfaire l'apparence
d'une dissociation patrimoniale. La ligne de démarcation est alors bien établie entre la définition classique de

706
BEN NASR (T), op.cit., p 511.
707
LUCAS (F-X), art. Pré., P. 66.
708
DERRIDA (F), note sous cass. 15-3-1982, D, 1982, p404.
709
HANNOUN (CH), redressement et liquidité judiciaire, Juriscl. Soc., fasc. n° 3190, p17 ; LE CANNU (P), La société et les groupes de sociétés
pendant la période d’observation, P.A., n° 7, 2002, p 55 ; SAINT-ALARY-HOUIN (C), Les effets de la confusion de patrimoines et de la fictivité
des sociétés en redressement judiciaire, unité ou dualisme, Mélange JEANTIN, D., 1999, p 456.
710
GAUTHIER (T), op.cit., p 460.
711
Ces auteurs soutiennent que la fictivité est une conséquence de la confusion des patrimoines et inversement, d’une part, parce que la confusion
des patrimoines implique nécessairement la fictivité de l’une des personnes en cause et, d’autre part, parce que la confusion conduit inévitablement
à constater que la société n’a plus aucune réalité et est donc fictive. V. DAIGRE (J-J), Société fictive, Rep. Société Dalloz, p 5 ; SOINNE (B),
Hésitation sur la confusion, Rev. Pro. Coll., n° 5, 2000, p 178.
712
GAUTHIER (T), op.cit., p 460 ; DERRIDA (F), note sous cass. 15-3-1982, D, 1982, p 404 ; HANNOUN (CH), Redressement et liquidité
judiciaire, p17.
713
BARBIERI (J-F), op.cit., p 2.

Page 97
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

la fictivité714 et celle de la confusion des patrimoines. Il convient toujours d’écarter le caractère « fourre-tout »
qui a été donné, par certains arrêts, à la notion de fictivité715.
En somme, la confusion concerne des patrimoines distincts, mais dont les masses ont été
provisoirement imbriquées, alors que le voile de la fictivité recouvre l'unicité d'un patrimoine artificieusement
démembré716.

120- Ceci étant précisé, il convient de remarquer que le législateur n’a pas défini la notion de
confusion de patrimoines. Toutefois, l’examen des travaux préparatoires relatifs à la loi n° 117-2001 du 6-12-
2001 permet d’identifier les éléments distinctifs de la confusion des patrimoines au sein du groupe de sociétés.
Il s’agit, en effet, de la situation dans laquelle les éléments du patrimoine de chacune des sociétés du groupe
sont mis à la disposition des autres, soit dans son propre intérêt, soit dans l’intérêt des autres sociétés groupées.
Elle peut consister également dans l’utilisation des revenus de l’une des sociétés pour payer des biens ou des
services au profit d’autres sociétés du groupe, de telle sorte qu’il serait impossible de départager ce qui
appartient à chacune d’elles séparément et le distinguer des biens appartenant aux autres. Il y a, enfin,
confusion lorsque certaines sociétés s’engagent à l’égard des tiers au profit et pour le compte d’autres sociétés
du groupe à tel point que les patrimoines de ces sociétés se trouvent confondus et apparaissent comme s’il
s’agissait d’un patrimoine unique717.
Le législateur a, ainsi, exposé tous les cas de confusion de patrimoines dégagés par la jurisprudence
française718 qui a, en effet, distingué deux critères pour la constatation de cette confusion. Il s’agit, d’une part,
des indices extérieurs ou extrinsèques et, d’autre part, des indices intérieurs ou intrinsèques à la personne
morale. Les indices extérieurs illustrent le recours à la théorie de l’apparence puisqu’il s’agit de constater une
apparente unité entre les sociétés du groupe. En d’autres termes, « il se peut que les tiers considèrent les
filiales comme des succursales, et pensent de bonne foi contracter avec un entrepreneur unique en se fondant
sur l’actif du groupe tout entier pour accorder leur crédit719». La confusion des patrimoines peut alors se
déduire d’une même implantation juridique, une identité de moyens techniques, de personnel, de comptes
bancaires ou encore d’adresse postale. Comme l’a très justement observé Monsieur Charley Hannoun, les
seuls liens financiers sont insuffisants à créer une apparence trompeuse vis-à-vis des tiers. Cette dernière
suppose raisonnablement des éléments « extérieurs » qui peuvent conduire les tiers à une erreur ou une
croyance erronée, telle qu’une confusion des noms ou des sièges sociaux720. La confusion des patrimoines
résultant, dans ce cas, d’un mélange d’éléments matériels, rappelle la notion d’apparence puisque le critère de
la confusion se dégage de l’erreur des tiers qui ont pu croire que les sociétés du groupe n’étaient que des
succursales en raison de leur apparente unité721.
Seulement, la confusion des patrimoines dans le groupe de sociétés est loin d’être une application pure
et simple de la théorie de l’apparence. En effet, les indices extrinsèques ne sauraient à eux seuls entraîner une
telle qualification, encore faut-il qu’une confusion intrinsèque soit vérifiée. Dans ce sens, la Cour de cassation
française722 a confirmé un arrêt de la cour d’appel qui a refusé de reconnaître la confusion des patrimoines de

714
Selon MM. Mercadal et Janin, il y a fictivité quand « il manque un élément essentiel du contrat de société, ce qui conduit à une absence
d'affectio societatis » : Memento Lefebvre Sociétés commerciales, no 120.
715
Bertier (R), Société fictive et simulation, Rev. Soc., 1993, p. 750 ; DAIGRE (J-J), Confusion des patrimoines et fictivité : mise au point par la
Cour de cassation, Bulletin Joly Sociétés, 01 juin 1998 n° 6, P. 654
716
BARBIERI (J-F), Confusion de patrimoine et fictivité des sociétés, L.P.A., 25/10/1996, p 9.
‫ ل‬# A‫ ت ا ى وا‬C 3 ‫] ا‬ P ‫ أو‬K ] P "/$‫ ا‬/ C 4# ‫ ت ا‬C 3 ‫ ا‬M ‫ وا< ة‬V ‫ ا‬9 D ‫ ا‬0 4N i ‫ ظ‬$ K G 6 + 8 ‫ ا ] رة ا‬8‫ وھ‬9 D ‫ط ا‬S ‫ رة ا‬0 -" 717
،U4< ‫ ت ا‬C 3 ‫ك ا‬S ‫ أ‬MN ‫ 'ه‬$ ‫ و‬،‫ < ه‬U N C O VC a $ ‫ ز‬G ‫ر‬D# + ` ‫ ت‬C 3 ‫ ا‬6 $ U ‫ إ‬4 ‫ ت أ ى‬C O ‫ ة‬/ ‫ت‬ ‫ ء أو‬O‫ ء أ‬4 7 ‫ ت‬C 3 ‫ |< ى ا‬0 ‫ارد‬
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.104 ‫ ص‬،5 ‫ د‬N
718
Cass. Com. Fr., 18 nov. 1986, n° 85-13.591, D. 1987, som., p 73, Obs. Honorat ; Rev. proc. coll. 1987, n° 1, p 30, Obs. Didier. C.A. Paris,
3e ch. A, 12 févr. 1991, Bull. Joly 1991, p. 422. Cass. Com. Fr., 15 oct. 1991, n° 90-10.930, JCP éd. E 1991., n° 1383 ; Bull. civ. IV, n° 289,
p. 200, RJDA 1991, n° 1068, p. 894. Cass. Com. Fr., 11 oct. 1994, n° 90-14.457, D. 1994, p 241. A propos de ces arrêts V. somm. LAMY Soc.
Com., 2004, n° 2329.
719
HANNOUN (CH), Le droit et les groupes de sociétés, édition LGDJ, 1991, p248.
720
Ibidem.
721
COUSSIN (G), Etude juridique d’un groupe industriel constitué par une société mère et ses filiales, th., Nancy 1950, p 94.
722
Cass. Com. Fr., Datant du 11-5-1993, D, 1993, p195.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

deux sociétés qui, bien qu’ayant des dirigeants communs723, une identité d’objet social, une communauté de
clientèles… conservaient un actif et un passif propres, en raison de l’absence de flux financiers anormaux724,
appelés également indices intrinsèques de la confusion. Ces indices peuvent consister en un défaut de
séparation des activités ou des avoirs, une communauté de compte bancaire, une imbrication de contrats
passés entre-elles ainsi qu’un enchevêtrement des éléments du patrimoine725.
De façon générale, pour que l’abus soit prononcé dans le groupe, il ne suffit pas d’une simple
communauté d’intérêt, de siège, de direction ou de moyen de gestion, il faut généralement la constitution d’un
faisceau d’indices comme l’imbrication totale des éléments d’actif et de passif ou l’impossibilité de distinguer
le patrimoine propre de chaque entreprise. La Cour de cassation française726 traite généralement de la
confusion des comptes et des flux financiers anormaux ou parfois des relations financières anormales727.
Il y a confusion des comptes en présence d'une « imbrication des éléments d'actif et de passif »728 des
sociétés du groupe ou encore, pour reprendre des expressions qu'on retrouve sous la plume de la Cour de
cassation française, « en cas de désordre généralisé des comptes et d'imbrication inextricable »729. Il en est de
même en cas de « désordre généralisé des comptes provoquant un enchevêtrement des masses actives et
passives »730 , ou encore en présence d’un « imbroglio des comptes » et l'absence de respect des règles
comptables spécifiques à une forme sociétaire déterminée731.
Il y a, par contre, flux financiers anormaux lorsque l'une des sociétés considérées s'est enrichie aux
dépens de l'autre sans contrepartie732. C'est le cas lorsque des avances ont été faites par une société à une autre
uniquement pour alimenter, sans contrepartie, la trésorerie de la seconde et lui permettre de poursuivre son
activité en masquant son endettement733. Selon M. Tricot, les flux financiers ne sont regardés comme
anormaux que lorsqu'ils procèdent d'une volonté systématique. C'est ainsi que, pour lui, des faits qui relèvent
d'une situation d'abus de biens sociaux ne suffisent pas à caractériser une confusion de patrimoines734.

C’est pourquoi la confusion, phénomène essentiellement comptable, ressort d'une imbrication entre les
postes actif et passif de deux ou plusieurs patrimoines, imbrication telle qu'un professionnel de la comptabilité
s'avouerait incapable d'attribuer à l'un ou l'autre des titulaires les créances et les dettes répertoriées. Pour cela,
certains auteurs paraissent d'ailleurs préférer les termes « confusion des comptabilités » à l'appellation

723
MONEGER (J), Bail commercial et groupe de sociétés, RJCom., n° 20, 2005, p 47. Selon cet auteur, « la cour de cassation marque une
réticence légitime à admettre que la seule existence du groupe de sociétés emporte unité de patrimoine. L’analyse est identique lorsque les
dirigeants sont, en tout ou en partie, les mêmes dans les différentes entités ».
724
Par flux financiers anormaux, il faut entendre des flux dénués de toute contrepartie pour la société concernée. Ce qui aboutit à son
appauvrissement ainsi qu’à l’affaiblissement du gage des créanciers. C’est le cas des actes sans contrepartie immédiate ou future qui réalisent un
transfert d’actif occulte. Par conséquent, il y’a flux financiers anormaux lorsque l’une des sociétés s’est enrichie au dépens de l’autre sans
contrepartie. Tel est le cas lorsque des avances ont été faites par une société à une autre uniquement pour alimenter la trésorerie de la seconde afin
de lui permettre de poursuivre son activité en masquant son endettement. HANNOUN (C), Op.cit., p249.
725
Cass. Com. Fr., n° 71-11 496, datant du 16/5/72, RTDCom., 1973, p 335.
726
Les efforts déployés par la Cour de cassation française et la pédagogie du haut conseiller Daniel Tricot qui s'est employé à systématiser sa
jurisprudence (Rapport Cour de cassation 1997) ont permis de préciser les contours de cette construction prétorienne qu'est l'extension de
procédures collectives pour confusion des patrimoines. On sait dorénavant qu'existent deux critères de la confusion de patrimoines : la confusion
des comptes et l'existence de flux financiers anormaux. La frontière entre ces deux critères n'est pas parfaitement étanche puisque, comme le relève
le haut conseiller Tricot, une anomalie comptable peut traduire un flux financier inexpliqué et donc anormal.
727
Cass. Com. Fr., 7 janvier 2003, Dalloz 2003, Actualité Juridique page 347, 3e espèce, obs. A. Lienhard
728
Cass. Com. Fr., 31 janvier 1995, Association Centre Saint-Martin c/ Gladel ès qual., Bull. Joly 1995, p. 439, 153, note P. Pétel ; Versailles, 13e
ch., 15 décembre 1994, Sté P.M.M. c/ Mandin ès qual., Bull. Joly 1995, p. 272, 86, note P. Pétel. Adde Cass. Com. Fr., 2 février 1999, Olivier c/
Me Charrière ès qual., Act. proc. coll. 1999/6, no 75 (le financement de l'acquisition du capital d'une société par une autre grâce à la trésorerie de la
société cible peut justifier une extension de procédure pour confusion des patrimoines).
729
Cass. Com. Fr., 24 octobre 1995, S.A. Leading c/ S.A.R.L. Forest I, Bull. Joly 1996, p. 158, n° 49, note P. Scholer ; Paris, 3e ch. B, 20 octobre
2000, Baumgartner c/ S.A. I.D.A., Juris-data no 130247 ; Dr. sociétés 2001, no 46, note F.-X. Lucas ; 20 octobre 1995, Me Pellegrini ès qual. c/
S.A. B.I.C.E., Bull. Joly 1994, p. 642, n° 180 ; 5 avril 1994, S.C.I. Chambecor c/ Me Coudray ès qual., Bull. Joly 1994, p. 642, n° 180.
730
Cass. Com. Fr., 24 octobre 1995, Quot. jur. 21 novembre 1995, no 93, p. 2 ; Dr. sociétés 1995, comm. 238, obs. Y. Chaput ; Bull. Joly 1996, p.
158, § 49, note P. Scholer.
731
Cass. Com. Fr., 23 janvier 1996, Bull. Joly 1996, p. 317, n° 109 ; R.F. compt. juin 1996, no 279, p. 63, note R. Marty ; D. 1996, inf. rap., p 134.
732
C'est ainsi qu'il a été jugé que « le financement de l'acquisition du capital d'une société par une autre grâce à la trésorerie de la société cible
peut justifier une extension de procédure pour confusion des patrimoines » (Cass. Com. Fr., 2 février 1999, Olivier c/ Me Charrière ès qual., Act.
proc. coll. 1999/6, no 75).
733
Cass. Com. Fr., 14 octobre 1997, inédit, arrêt no 1875 D, cité par D. Tricot, rapport préc. Mais il a été jugé aussi que « les aides financières
consenties par une société à une autre, fût-elle associée de la première, ne caractérisent pas une confusion des patrimoines » (Cass. Com. Fr., 13
avril 1999, S.A. Soprimap c/ Proc. Rép de Nanterre, Act. proc. coll. 1999/10).
734
Cass. Com. Fr., 25 juin 1996, Sté Quelaire c/ Me Jousset ès qual., Bull. civ. IV, no 190.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

classique « confusion de patrimoines »735 . Cette notion recouvre donc une gestion erratique - volontaire ou
non - de patrimoines qui, en raison de mouvements anormaux entre eux, exprime des positions créancières ou
débitrices ne correspondant pas à la réalité. En revanche, ont été estimés non caractéristiques d'une confusion
condamnable la communauté de dirigeants, de membres, de locaux et la complémentarité d'activités, dès lors
que n'est pas simultanément relevée cette imbrication des éléments d'actif et de passif, qui paraît être
désormais le critère de la confusion de patrimoines736 .

121- En étalant plusieurs situations de confusion de patrimoines tirées des solutions prétoriennes
françaises aux problèmes posés par le droit tunisien, notre législation semble vouloir délimiter certaines
manifestations des abus résultant de la confusion des patrimoines produites par le jeu du contrôle exercé par la
société mère. Les exemples relatés dans les travaux préparatoires précités, illustrant la volonté réelle des
rédacteurs de la loi de 2001, démontrent que cette forme d’abus n’est pas seulement liée à l’abus des biens
sociaux car autrement elle n’a plus son autonomie puisqu’elle va s’identifier aux cas cités par l’article 223
CSC737.
Cette nouvelle forme d’abus se trouve commandée, au sein du groupe de sociétés, soit par un mélange
volontaire des actifs et des passifs des sociétés concernées, par exemple par absence de comptabilité ou suite à
un abus de biens sociaux, soit qu’en présence d’actifs et de passifs distincts, des flux financiers anormaux ont
eu lieu entre les sociétés groupées738. D’où la spécificité de la notion d’abus de la personnalité morale dans le
groupe de sociétés. En effet, le cas de la confusion de patrimoines prouve, si besoin est, que la dite-notion peut
illustrer une situation classique d’abus de biens sociaux, comme elle peut prendre plusieurs autres visages
propres au fonctionnement particulier du groupe.

122- En définitive, de deux choses l’une, ou bien le contrôle est tellement important qu’il va créer
une confusion de patrimoines, ou bien la société mère crée directement une filiale fictive et c’est grâce à son
contrôle-pouvoir qu’elle pourra profiter de la fictivité de sa filiale. Ainsi, l’abus de la personnalité morale
risque de profiter du cadre offert par le groupe de sociétés pour surgir et regorger. Le législateur a donc bien
fait de reconnaître la notion d’abus de la personnalité morale dans le groupe de sociétés, chose qu’il n’a
malheureusement pas faite dans le cadre de la société isolée739.
Si l’abus de personnalité morale trouve son aubaine dans le cadre de la concentration sous forme de
groupe de sociétés, d’autres comportements abusifs, comme l’abus du licenciement débordent le cadre des
sociétés groupées pour prendre place et atteindre des mesures considérables dans toutes formes de
concentration. Faut-il rappeler alors la nécessité d’analyser cette autre approche d’abus en vue d’aplanir le
terrain pour les premiers jalons d’une théorie générale de l’abus dans les procédés de concentration des
sociétés.

735
V. par ex. : CALENDINI (J-M), Conditions d'ouverture, Rev. Proc. Coll. 1994-3, p. 369, no 1.
736
Cass. Com. Fr., 11 mai 1993, Bull. civ. IV, no 187, p. 133 ; D. 1993, inf. rap., p. 195 ; 31 janvier 1995, préc. ; Paris, 5 avril 1994, Bull. Joly
1994, p 642, § 180. Cass. Com. Fr., 11 mai 1993, Didier c/ Sté Marvac, Bull. Joly 1993, p. 1050, n° 305, note P. Pétel ; 20 janvier 1998, S.A.R.L.
Toco International et autres c/ S.A.R.L. Sipafi, Bull. Joly 1998, p 474, n° 163, note J.-P. Dom ; 4 janvier 2000, S.A.G.I.M. c/ Hidoux ès qual., Act.
proc. coll. 2000/5, no 44 ; Paris, 3e ch. A, 21 novembre 1989, Groupe Ast, Sté Ast Concessions et Cie Foncière Lorraine c/ Sté G.T.M.
international, Bull. Joly 1990, p 186, n° 49, note P. Pétel. Cass. com., 20 octobre 1992, Sté Cologep c/ Me Lury ès qual., Bull. civ. IV, no 313.
Cass. Com. Fr., 13 avril 1999, S.A. Soprimap c/ Proc. Rép. de Nanterre, Act. proc. coll. 1999/10, no 129.
737
Concernant le contenu de cet article V. supra, note n° 501.
738
DAIGRE (J-J), note sous Cass., 19 octobre 1993, Bull. Joly, 1993, p1239.
739
C’est l’article 596 CC qui a constitué en droit tunisien le fondement de la notion d’abus de la personnalité morale aussi bien pour la doctrine
que pour la jurisprudence tunisienne. Il n’en demeure pas moins que cet article n’a aucunement évoqué ni la notion de fictivité ni celle de
confusion de patrimoines, les deux facettes de l’abus de la personnalité morale. C’est plutôt l’article 474 CSC qui est le premier à reconnaître
expressément cet abus en droit positif tunisien.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Sous-section Troisième : L’abus du licenciement dans


les procédés de concentration
123- Il convient d’abord de définir l’abus du licenciement (-§1-) pour dégager, ensuite, ses
particularités dans les procédés de concentration des sociétés (-§2-).

-§1- : La détermination de l’abus du licenciement


124- « De nos jours, la relation professionnelle, comme la relation conjugale tend à se fragiliser. Le
travail se précarise et la rupture se banalise »740.

Un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation française, datant du 18 décembre 1979,


considère que « la liberté du patron de mettre fin au contrat est d’ordre public »741. Commentant cet arrêt, le
professeur Fakher Ben Salem considère le licenciement comme un droit discrétionnaire, seul l’abus de ce droit
est sanctionné742.
De façon générale, est abusif le licenciement743 résultant de « l’exercice d’un droit d’une manière qui
dépasse manifestement les limites de celui-ci par un employeur prudent et diligent »744. Par exemple, il y a
abus de droit quand, en exerçant son droit de licencier, le patron dépasse les limites fixées par la bonne foi ou
par l’objectif pour lequel ce droit est accordé ; ou quand un congé malveillant est donné pour nuire ; ou encore
s’il n’y a aucun intérêt légitime ni aucune motivation liée au fonctionnement de l’entreprise.
Le droit de résiliation unilatérale ne doit pas être détourné. Lorsqu’il s'exerce en dehors des limites
normales acceptables, il y a abus de droit. La rupture devient abusive lorsqu'une partie au contrat, usant de son
droit de résiliation unilatérale, le détourne de sa finalité économique ou sociale causant préjudice à l'autre
partie745.

Quatre critères permettent généralement de mettre en exergue l’existence d’une rupture abusive :
- L'intention de nuire ou causer un dommage à autrui ;
- L'insouciance de celui qui cause un dommage à autrui en exerçant son droit ;
- L'exercice du droit par son titulaire sans intérêt pour lui-même tout en causant un dommage à autrui ;
- Le choix par le titulaire du droit, entre plusieurs manières d'exercer celui-ci, du mode d'exercice le plus
dommageable pour autrui, sans un intérêt pour lui-même746.
Ainsi, l'abus de droit permet certainement « d'apporter une limite au droit de résiliation unilatérale
des contrats, en empêchant qu'il s'exerce avec une irritabilité excessive ou qu'il devienne un instrument de
tyrannie »747 . C'est en effet sur « ce terrain que la jurisprudence et parfois la loi sanctionnent celui qui fait un
740
MECHRI (F), Le droit du travail en Tunisie, Sud Editions – Tunis, 2009, p 129.
741
Arrêt cité par BEN SALEM (F), la rupture du contrat de travail à durée indéterminée, I.J., n° 6/7, Juillet 2006, p 23.
742
BEN SALEM (F), art. pré., p 23.
743
Le licenciement se définit comme étant la décision pour l’employeur de rompre le contrat de travail à durée indéterminée qui le lie avec son
salarié. La rupture abusive faisant application de la théorie de l'abus de droit, la jurisprudence a qualifié de rupture abusive, la rupture du contrat de
travail à durée indéterminée inspirée par des motifs blâmables (intention de nuire, légèreté blâmable) ou contrevenant aux dispositions légales ou
conventionnelles particulières à certains licenciements. Elle a aussi apporté un frein à la liberté de rupture de contrats à durée indéterminée. Dans
cet ordre d’idées, la législation française, dans la loi du 14 juillet 1973, a restreint le champ de l'abus de droit et ce, en décidant que le licenciement
individuel du salarié lié par le contrat de travail à durée indéterminée doit avoir une cause réelle et sérieuse et respecter une procédure légale bien
déterminée.
744
Dictionnaire Larousse, 2011, Vocable « licenciement ».
745
L’abus peut provenir aussi bien de l’employeur que du salarié. Comme le licenciement, la résiliation d’un contrat de travail, à l’initiative du
salarié, ouvre droit, si elle est abusive, à dommages-intérêts. L’abus se caractérise ici par l’intention de désorganiser l’entreprise ou un secteur de
celle-ci, ce qui semble bien relever de l’intention de nuire. En effet, la désorganisation de l’entreprise n’apporte normalement aucune satisfaction
au salarié démissionnaire, du moins d’ordre matériel. Il ne s’agit donc pas d’une attitude égoïste au sens le plus strict, le sacrifice de l’entreprise ne
sert pas ses intérêts personnels. La seule satisfaction retirée est celle, d’ordre uniquement moral, de causer un préjudice à autrui.
.13 ‫ و‬12 ‫ ص‬،2007 V+ G‫ أ‬،23-22 ‫ د‬N ، ‫ ا‬، ^3 ‫ ت ا‬7S# ‫ ا‬8G ‫'از‬/ A ‫ ا‬،( 7 ‫ ا دق ا‬: 6‫ُ اﺟ‬+ 746
747
GUYENOT (J), La rupture abusive des contrats à durée indéterminée, in La tendance à la stabilité du rapport contractuel, L.G.D.J. 1960, p.
242, no 8.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

usage déloyal de son droit de rompre un contrat »748. L'abus apparaît, en principe, dans les circonstances
ayant entouré la rupture et, plus exceptionnellement, dans les motifs de la rupture elle-même749. Selon
l'expression désormais consacrée du professeur J. Rivero, « au contrat, le salarié met à la disposition de
l'employeur sa force de travail, mais non sa personne »750.

125- En droit social, les dispositions gouvernant la fin du contrat de travail figurent dans les articles
14 à 27 du Code du travail. Elles ont été amendées par deux lois importantes, la loi n° 94 29 du 21 février 1994
et la loi n° 96-62 du 15 juillet 1996751.
Prenant en considération les différentes approches doctrinales susmentionnées, l’article 14 ter CT752
dispose que « l’employeur qui a l’intention de licencier un travailleur est tenu d’indiquer les causes du
licenciement dans la lettre de préavis.
Est considéré abusif le licenciement intervenu sans l’existence d’une cause réelle753 et sérieuse754 le
justifiant ou sans respect des procédures légales, réglementaires ou conventionnelles 755».
D’après la Cour de cassation, « il appartient au juge d’apprécier le caractère réel et sérieux des motifs
de licenciement ainsi que le respect des procédures légales et contractuelles et ce, en se basant sur les moyens
de preuves apportés par les parties, il peut aussi ordonner tout moyen d’enquête qu’il juge opportun »756.

Sont abusifs également, aux termes de l’article 21-12 CT757, tous les licenciements intervenus sans
l’avis préalable de la commission régionale ou la commission centrale du contrôle du licenciement. Il convient
aussi de préciser que l’article 21 du même code ajoute, dans son alinéa premier, que tout licenciement pour
raisons économiques ou technologiques758 doit être obligatoirement notifié, au préalable, à l’inspection du
travail territorialement compétente759.

748
MARAIS (A), Le maintien forcé du contrat par le juge, L.P.A., 02 octobre 2002 n° 197, P. 7
749
Delebecque (PH), L'anéantissement unilatéral du contrat, In L'unilatéralisme et le droit des obligations, dir. C. Jamin et D. Mazeaud,
Économica, 1999, p. 61 et s., spéc. no 17.
750
RIVERO (J), Les libertés publiques dans l'entreprise, Droit social 1982, p. 423.
‫ل‬S M ^3 ‫ ى ا‬N ‫ ا‬، 0 ‫ م ا‬3 .2008 ،H $ ، 34 ‫ د‬/ A ، F ‫ دات ا‬K ‫وا ﺟ‬ ‫ ا ل ا‬،V ^3 ‫ ت ا‬N‫ 'ا‬8G ‫ ت‬O‫ ا‬، 0 ‫ م ا‬3 : ‫ا ا ط ر‬D‫ ھ‬8G 6‫ُ اﺟ‬+ 751
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752
Ajouté par la loi n° 94-29 du 21 février 1994.
753
Le ministre du Travail français énonçait, lors des débats parlementaires, que la cause est réelle « si elle présente un caractère d’objectivité, ce
qui exclut les préjugés et les convenances personnelles. La cause réelle peut être, par exemple, une faute, une inaptitude professionnelle ou une
réorganisation professionnelle ». Journal officiel, débats de l’Assemblée nationale, 23 mai 1973, p1445, col.2. Dans un arrêt de l’Assemblée
plénière de la Cour de cassation française en date du 8 décembre 2000, il a été décidé qu’il y avait cause réelle et sérieuse dans le licenciement dès
lors que « la réorganisation de l’entreprise est impérative pour la sauvegarde de sa compétitivité ou du secteur d’activité du groupe auquel elle
appartient. L’importance du chiffre d’affaires et les objectifs de la société ne signifient pas que cette dernière est dite en bonne santé ».
http://www.net-iris.com
754
Dans les débats parlementaires français de 1973 à l’Assemblée nationale, le ministre du Travail énonçait qu’une « cause sérieuse est une cause
revêtant une certaine gravité, qui rend impossible sans dommages pour l’entreprise, la continuation du travail et qui rend nécessaire le
licenciement ». Journal officiel, débats de l’Assemblée nationale, 30 mai 1973, p.1619, col.2.
755
Le licenciement abusif est le licenciement qui survient " pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse ». L'hypothèse la plus fréquente est celle
suivant laquelle l'employeur licencie le salarié pour une cause prétendue " réelle et sérieuse " ; motif que le salarié conteste en justice et qui est
effectivement jugé " non réel et sérieux ". C'est le licenciement auquel procède un employeur sans raison légitime tenant à la personne du salarié
concerné par exemple.
‫ د و ى‬L ‫ ب ا‬A + ‫وا‬ ‫ ا‬/] ‫ ى وﺟ د ا‬+ $ 8g 6‫ ﺟ‬+ a ‫ ! م ش ا‬14 V]/ ‫ ا‬UF 7‫" ا‬:8 + 1999/11/15 ‫ ا _رخ‬68175 ‫(د‬3 661@7 ‫ ﺟ ء @ ار ا‬756
+ 3 6‫ُ اﺟ‬+ ." ‫ اھ ز‬+ " $ A‫ و‬VC ‫ا ا ^ ض ا ذن ﺟ اء‬DK a4 +‫'اع و‬4 ‫ ا‬8G ‫ ط‬M ‫ ت ا‬p ‫ ا‬0 4N U N ‫ ء‬4 k ‫ وذ‬a # ‫ ا‬+ 7 # ‫او ا‬ ‫ا< ام ا ﺟ اءات ا‬
.305 ‫ ص‬،1999 4A ،2 ‫ د‬N ،I # ‫ا‬
757
Ajouté par la loi n° 96-62 du 15 juillet 1996.
758
Pour la législation française, le licenciement pour motif économique doit être compris comme une mesure interne à la quelle il est fait recours
en vue de la réorganisation de l'entreprise ou de sa restructuration. Celle-ci peut être décidée afin d'accroître le profit en cas d'une conjoncture
économique obligeant l'employeur à réduire ses activités ou à comprimer l'effectif du personnel.
759
V. aussi les arts 155, 166 CT.

Page 102
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Alors que la définition apportée par l’article 14 ter CT, qui subordonne la qualification du licenciement
abusif à l’absence d’une cause réelle et sérieuse, semble conforme à l’esprit de la notion d’abus de droit760
ainsi qu’aux définitions doctrinales et jurisprudentielles du licenciement abusif, celle de l’article 21-12
qualifiant d’abusifs tous licenciements dépourvus du préavis préalable n’a pas lieu d’être car ce genre de
licenciement n’est pas abusif, il est tout simplement non conforme aux dispositions obligatoires réglementant
les ruptures légitimes. Il en est de même de la deuxième forme de licenciement abusif, prévue par l’article 14
ter, à savoir le licenciement intervenu sans respect des procédures légales, réglementaires ou conventionnelles.
La philosophie de ces textes est la suivante : lorsque la rupture est parfaitement légitime, cette dernière ne peut
toutefois s’opérer que dans le respect de certaines règles obligatoires761. Le non respect de ces règles, à l’instar
de l’avis préalable, ne signifie pas pour autant que le licenciement est abusif. Ainsi, l’employeur qui voudrait
licencier son employé suite à une faute grave commise par ce dernier, comme le vol par exemple, est tenu
avant le licenciement d’informer la commission régionale ou la commission centrale de contrôle du
licenciement. Il est tenu également de le traduire devant le conseil de discipline et lui notifier le licenciement
par écrit762. S’il ne le fait pas, le licenciement n’est pas considéré abusif car l’employé a commis une faute
grave, mais irrégulier ou bien illicite pour non respect des dispositions légales.
On propose donc, par soucis de rigueur et ponctualité dans le choix des vocables utilisés au sein des
textes législatifs, de supprimer l’adjectif « abusif » de l’article 21-12 CT et de le remplacer par l’expression
« est irrégulier ». Il en est de même de la dernière partie de l’alinéa premier de l’article 14 précité qui qualifie
d’abusif tout licenciement ayant lieu sans respect des procédures légales, réglementaires ou conventionnelles.
Malheureusement la Cour de cassation a commis elle aussi ce genre de lapsus dans plusieurs arrêts. En
effet, elle considère, dans son arrêt social n° 16686 du 3 février 1992, que « la décision de licenciement,
décidée par l’employeur de façon unilatérale, en l’absence de toute réunion du conseil de discipline, constitue
une violation d’une procédure essentielle et rend le licenciement abusif et ce, malgré la commission d’une
faute grave par l’employé »763.

126- Très souvent, sous la pression des nécessités économiques et surtout lors de la mise en œuvre
d’une opération de concentration, l’employeur est amené, en vue de reconvertir son activité ou restructurer son
entreprise, à envisager le licenciement de tout ou partie de son personnel. Or, si un licenciement individuel
pose, presque toujours un cas social, celui du travailleur licencié, un licenciement collectif est bien plus grave
encore dans la mesure où « il crée un problème social et risque d’engendrer un véritable malaise social, qui
peut être à l’origine de troubles sociaux »764. On comprend, dès lors, que le législateur ait envisagé
distinctement cette question et qu’il ait soumis le licenciement collectif à une procédure particulière765.
Ce genre de licenciement connait son fief au sein des procédés de concentration des sociétés où il pose
problème à bien des égards ce qui impose l’intervention du législateur pour revoir les droits des salariés à
l’aune de la concentration des sociétés. En effet, «dans un projet de concentration, la complémentarité des
activités accapare les esprits. Mais elle ne dispense pas de s’intéresser, de façon raisonnée, aux facteurs
humains»766. Ainsi, la concentration a fréquemment des conséquences, non seulement juridiques, mais
également sociales et humaines. Une de ces conséquences, le licenciement abusif dont la particularité n’est
plus à démontrer dans les procédés de concentration.

760
On sait que le législateur tunisien, dans l’article 103 C.O.C., a posé le principe selon lequel une personne peut engager sa responsabilité
civile si, bien qu’ayant agi dans la limite de son droit, elle en a abusé, provoquant un préjudice à une autre personne.
761
MECHRI (F), Op.cit., p 141.
762
L’article 14 bis prévoit que « le préavis de rupture du contrat de travail à durée indéterminée est notifié par lettre recommandée adressé à
l’autre partie un mois avant la rupture du contrat. Les travailleurs sont autorisés à s'absenter durant toute la deuxième moitié de la durée du
préavis en vue de leur permettre de chercher un autre emploi. La durée d'absence est considérée comme un travail effectif et n'entraîne pas la
réduction de salaires ou indemnités. Le tout sans préjudice des prescriptions plus avantageuses pour le travailleur résultant de dispositions
spéciales, par l'accord des parties, la convention collective ou l'usage ».
S ‫ ا‬#+ a N ‫ ع‬g ‫ ض ا‬N‫ و‬،I+‫ ا [د‬H N ‫ دة ودون‬/4 /] ‫ﺟ‬q ‫ ا‬V 7 M DP ‫ د ا‬L ‫ ار ا‬7 ": 8 + 1992/2/3 ‫ ا _رخ‬16686 ‫(د‬3 661@7 ‫ ﺟ ء @ ار ا‬763
‫ ا _رخ‬41704 ‫(د‬3 61@7 ‫ @ ار ا‬F+‫ ورد ا‬.129 ‫ ص‬،1992 4A ،1 ‫ د‬N ،.‫ ت‬.‫ م‬.‫ ن‬6‫ُ اﺟ‬+ ." ‫ ة‬L ‫ ة‬/K V # ‫ ب ا‬$‫ ن ر‬C ‫ و‬/!#$ ‫ د‬L ‫ ا‬V# +‫ و‬8A A‫ﺟ اء ا‬
‫ د‬L ‫ ا‬V# + # ‫ ء ا‬L [ ‫ رھ‬#O +‫ ر‬3 A ‫ ا‬4 ‫ ة ا‬N‫ و د‬I+‫ ا [د‬H U N # ‫ ض ا‬# " # + G ‫ د‬L ‫ ا‬N V 7 ‫ﺟ ة أي اﺟ اء‬q ‫ ذ ا‬P$‫ م ا‬N ‫" ان‬:8 + 1996/12/2
D ‫ ا‬M ‫ﺟ‬q ‫ ا‬8/#+ ‫ ھ ة و‬7 ‫ ة‬7 #+ ‫س‬SG ‫" ا‬:8 + 1993/10/30 ‫ ا _رخ‬33760 ‫(د‬3 661@7 ‫ ﺟ ء @ ار ا‬C .187 ‫ ص‬،1996 4A ،1 ‫ د‬N ،.‫ ت‬.‫ م‬.‫ ن‬6‫ُ اﺟ‬+ ." /!#$
.179 ‫ ص‬،1993 4A ،1 ‫ د‬N ،.‫ ت‬.‫ م‬.‫ ن‬6‫ُ اﺟ‬+ ." ! 4 ‫ رأي ا‬D q+ 9 ‫ اذا‬/!#$ ‫ د‬L ‫ ا‬7‫ا‬ 4 ‫رأي‬
764
MECHRI (F), op.cit., p 155.
765
V. les articles 376 et s. CT.
766
JANIN (N) et ANGLES (B), La dimension culturelle au cœur des fusions, Banque magazine, n°601, mars 1999, p.51.

Page 103
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

-§2- : Le particularisme de l’abus du licenciement à l’aune des


procédés de concentration
127- Nul doute que la concentration génère des risques qu’il ne faut pas méconnaître. Les profonds
bouleversements qui vont surgir suite à la réalisation du rapprochement nécessitent la mise en œuvre d’une
protection accrue des intérêts du personnel et ce, pour éviter le foisonnement des abus de licenciement en
matière de concentration dont la particularité se retrouve aussi bien dans les opérations de fusion ou de
scission (I) que dans les groupements de sociétés (II).

I- La particularité de l’abus du licenciement dans les opérations


de fusion ou de scission
128- D’aucuns n’ignorent que les licenciements abusifs connaissent leur terrain de faveur dans le
cadre des opérations de concentration, comme par exemple la fusion entre deux ou plusieurs sociétés qui
génère, par principe, un surplus au niveau de l’effectif salarier767. En effet, d’après l’article 422 CSC « les
contrats de travail des salariés et cadres de chacune des sociétés qui participent à la fusion sont de plein droit
transmis à la société nouvellement crée ou absorbante »768. On retrouve la même règle au sein de l’article 15
CT qui dispose que « le contrat de travail subsiste entre le travailleur et l'employeur en cas de modification de
la situation juridique de ce dernier, notamment par succession, vente, fusion, transformation de fonds et mise
en société »769. Cette règle s’applique également en matière de scission car la liste de l’article 15 est indicative.
La fusion emporte donc transmission de plein droit des contrats de travail en cours, conclus par la
société absorbée, à la société absorbante. Tous les contrats de travail en cours sont transférés : contrats à durée
indéterminée, à durée déterminée, contrats d'apprentissage. La société bénéficiaire des apports est tenue de la
totalité des obligations qui incombaient à la société absorbée au titre de ses contrats de travail.
Cette règle légale a été bien appliquée par la Cour de cassation qui a affirmé purement et simplement
que « la société absorbée perd sa personnalité juridique et s’implante dans la société absorbante qui devient
seule responsable des dettes de l’absorbée et de toutes ses relations contractuelles (y compris les contrats de
travail) »770. La même Cour a précisé aussi, dans un arrêt n°16605 du 01/12/1986, que dans ce cas de figure
l’employeur ne peut pas mettre fin aux contrats de travail dans la mesure où le nouveau propriétaire se
substitue à celui avec lequel avaient été conclus les dits contrats771.
En réalité, cette règle de maintien des contrats en cours a été posée par le législateur pour éviter que les
salariés n’assument le contrecoup des bouleversements économiques de l’entreprise. L’originalité de la
solution retenue dans les articles 422 CSC et 15 C.T réside dans le fait qu’elle écarte le principe civiliste de
l’effet relatif des contrats. Le contrat en cours sera donc opposable au salarié mais surtout, au nouvel
employeur qui doit reprendre en l’état les contrats de travail en cours.
Il en ressort que l’objectif poursuivi par les articles précités est de préserver les travailleurs contre les
répercussions néfastes d’un changement d’employeur. Les salariés de la société fusionnée bénéficient ainsi
d’une large protection qu’ils tiennent de leurs relations de travail.

767
Cependant, une fois le transfert des contrats opérés, la société bénéficiaire de la fusion ou de la scission peut procéder à des licenciements
justifiés par une réorganisation de l'entreprise.
" 8 + ‫ رة‬CD ‫ ا‬/] 6‫ا ا ﺟ‬DK ‫ ورد‬.1479 ‫ ص‬، CD ‫ " ا‬A 6‫ ا ﺟ‬، K N " # ‫ ا‬+‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬ ،, ( 7 ‫ ا‬, ‫ ظ ز‬$ ‫ ( ا‬- ‫ ري و‬17 ‫ ل ا‬، 2 ‫ ( ا ر‬0‫ ا‬6‫ُ اﺟ‬+ 768
H/ V $‫ﺟ و‬q ‫ ا‬/0 K ] G ،‫ج‬ ‫ ا‬MN ‫ة‬ ‫ ا‬C 3 ‫ ا‬U ‫ ا‬V 4$ V^3 ‫ د ا‬N ‫ أن‬C‫ي ا‬D ‫ا‬ ‫ ا‬H/ M 421 V]/ ‫ ا‬M ‫ة‬ ‫ ة ا‬/ ‫ ن ا‬F ‫ ارا‬$ 422 V]/ ‫ ا‬M F$
‫ة‬ ‫ ا‬C 3 ‫ ا‬6 V # ‫ ا‬V0‫ وا‬9p ،‫ ودة ا ة‬V^O ‫ د‬N UF 4 ‫ ا‬C 3 ‫ ى ا‬V # ‫ ا‬8G ‫ ام‬N‫ ا‬pSp UF ‫ ا‬7 ‫ ن ا ﺟ‬C ‫ ذا‬G . 4 ‫ ت ا‬C 3 ‫ ا‬K ّ $ f C 8 ‫ا 'ا ت ا‬
6V]/ S N ،‫ ع‬L ‫ دون ا‬S0‫ ! ّا و ا‬a N ‫ ن‬C ‫ج إن‬ ‫* ا‬+‫ ر‬$ M ‫ م‬# ‫ ا‬+ K4 ‫ را‬7 S N I ‫ ا‬،‫ ود ا ة‬V^O N I‫ج ﺟ‬ ‫ ا‬# <‫ م وا‬N M dC‫ج ة ا‬ ‫ ا‬MN
." V^3 ‫ا‬ M # ‫را‬
8+ ‫ رة‬CD ‫ا‬ /] 6‫ﺟ‬ ‫ا ا‬DK ‫ ورد‬.1477 ‫ ص‬، CD ‫ " ا‬A 6‫ﺟ‬ ‫ ا‬، K N " # ‫ ا‬+‫ر‬ ‫ت ا‬C 3‫ا‬ ،, ( 7 ‫ ا‬, ‫ ظ ز‬$ ‫ ( ا‬- ‫ ري و‬17 ‫ل ا‬ ، 2 ‫ ( ا ر‬0‫ ا‬6‫ُ اﺟ‬+ 769

‫ د‬# ‫ا 'ا ت وا‬ M ‫ ه‬# ‫ و‬828 V]/ ‫ ا‬U4# U N 8 ‫ا د‬ U N ‫ وا ﺟ رة‬64] ‫ ا‬U N ‫ د ا ﺟ رة‬N k DC‫ و‬،‫ ر‬# ‫ ل أو‬4 f #$ ‫ اء‬A ، KN‫ ر ا‬+ ‫ د ا‬N ‫ ل‬$"
C 3 ‫اﺟ ا ى ا‬ 4 ‫ ا‬C 3 ‫ ] اﺟ ا‬G . ‫ازاءھ‬ 7 ‫ة‬DG V^3 ‫ د ا‬N !$‫ و‬.‫ ا ل‬I! ‫ﺟ ة أو اﺟ ة‬q ‫ ا ل‬I‫ﺟ‬ ] G ،‫ج‬ ‫ ا‬MN ‫ة‬ ‫ ا‬C 3‫ ة ا‬/ ‫ ة‬O
." V^3 ‫ا‬ M 15 V]/ ‫ ا‬K4 F$ 8 ‫ ا‬k $ V $ ‫ ة‬N ‫ه ا‬D‫ وھ‬.‫ج‬ ‫ ا‬MN ‫ة‬ ‫ا‬
KG X 4 ‫ ا‬C 3‫ ا‬8 ]$‫ و‬+ 4# ‫ ا‬K ]PO ‫'ول‬$‫ و‬K G X 4 ‫ ا‬C 3 ‫ ا‬8G 4 ‫ ا‬C 3 ‫ ا‬K]4$ ": 8 + 2003/5/21 ‫ ا _رخ‬23407 ‫(د‬3 61@7 ‫ ﺟ ء @ ار ا‬770
.231 ‫ ص‬،2003 4A ،2 ‫ د‬N ،‫ ن م ت‬.293 ‫ ص‬، CD ‫ " ا‬A 6‫ ا ﺟ‬، D APF ‫ ( ا‬- 6‫ُ اﺟ‬+ ." + 7 # ‫ ا‬K$ 7SN MN‫و‬ 4 ‫ ا‬C 3 ‫ ن ا‬+‫ د‬MN ‫و‬q! ‫ ا‬8‫ھ‬
< ^$ ‫ رة‬0 8G ‫ﺟ‬q ‫ و ا‬V # ‫ ا‬M 7 U + V^3 ‫ ا‬N ‫ ان‬V^3 ‫ا‬ M (15) V]/ ‫ ا‬UF 7‫ " ا‬8 + 1986/12/01 = ‫ _رخ‬16605 ‫(د‬3 "( ‫ ا‬61@7 ‫ ﺟ ء @ ار ا‬771
.25 ‫ ص‬،1986 4A ،1 ‫ د‬N ،.‫ ت‬.‫ م‬.‫ ن‬6‫ُ اﺟ‬+ ."... C O M+ $ ‫ أو‬V ‫ ا‬V+ $ ‫ أو‬6 ‫اث أو ا‬ 0 ‫ا‬ ‫ا ا‬D‫ھ‬

Page 104
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Le refus de poursuivre le contrat en cours constitue dés lors un licenciement de la part du nouvel
employeur qui, à ce titre, engage sa responsabilité. C’est ainsi que la jurisprudence assimile le refus de
poursuivre les contrats de travail conclus par l’ancien employeur et le congédiement des travailleurs à un
licenciement abusif et condamne le second employeur, issu de l’opération de fusion, à payer des indemnités
de licenciement772. Tout se passe alors comme si le nouvel employeur avait abusé de son droit de résiliation
unilatérale. N’est-on pas là face à une nouvelle conception de l’abus de licenciement en matière de fusion ou
de scission ?

129- Selon la jurisprudence française, le licenciement automatique des salariés suite à une opération
de fusion ou de scission est qualifié d’abusif car le transfert des contrats de travail en cours est d'ordre public,
il s'impose au salarié comme à l'employeur773. Le salarié ne peut en aucun cas renoncer par avance au bénéfice
de ce transfert, la clause insérée dans un contrat de travail prévoyant une telle renonciation étant nulle de plein
droit. Une fois le transfert opéré, le salarié comme le nouvel employeur doivent impérativement s'y soumettre
et poursuivre la relation contractuelle. Si le salarié refuse de passer au service du nouvel employeur, il ne peut
que démissionner et ne saurait se prétendre licencié. De même, le transfert ne constitue pas, en tant que tel, un
motif valable de licenciement.
La question qui se pose, à ce propos, est de savoir si le nouvel employeur peut changer les conditions
d'exécution des contrats de travail ? A la date du transfert, le nouvel employeur doit poursuivre le contrat de
travail des salariés concernés dans les mêmes conditions. Le salarié concerné a donc droit au maintien des
droits découlant de son contrat de travail et reste soumis aux mêmes obligations. Il conserve notamment les
droits et obligations qui découlent de son contrat, les avantages individuels acquis, l'ancienneté acquise chez
le précédent employeur ainsi que, pour les salariés protégés, la protection résultant de leur mandat. Cela étant,
il est toujours possible à l'employeur de proposer aux salariés une modification de leurs contrats de travail. La
situation sera alors régie par le droit commun de la modification du contrat de travail. Celle-ci sera valable si
elle est acceptée par le salarié774.

130- Par application des articles 422 CSC et 15 CT susmentionnés, les contrats de travail de la
société absorbée, en cas de fusion absorption par exemple, vont automatiquement s’ajouter à ceux de la société
absorbante, créant de la sorte un surplus de salariés au sein de la société issue de la fusion. Une telle situation
conduit continuellement à des licenciements au sein de la société issue de la fusion. Ces licenciements sont très
souvent appréhendés pour motifs économiques775 liés évidemment à la réorganisation de l’entreprise native de
l’opération de fusion776. Sous réserve de justifier d'une cause réelle et sérieuse et respecter la procédure prévue
par la loi, le nouvel employeur a, comme tout employeur, le droit de procéder à des licenciements, sinon ces
derniers seront automatiquement considérés comme abusifs777.
On comprend bien alors que l’application des articles 15 CT et 422 CSC ne fait pas obstacle au
pouvoir du successeur d’organiser ses services et d’affecter en conséquence le personnel. Après la fusion, ces
articles ne paralysent nullement le droit de licencier du repreneur, qui peut le cas échéant modifier les contrats
poursuivis, sous réserve que cette décision soit justifiée par l’intérêt de l’entreprise. Il en résulte que le statut
protecteur accordé aux salariés ne les soustrait pas au pouvoir disciplinaire du chef d’entreprise. En effet, la

772
Ibidem.
773
Cass. Soc. Fr., 13 juin 1990, n° 86-45.217, SA Société Blois Les Saules Automobiles c/ Mlle Level et autres, inédit, V. www.Lexbase.fr. Cass.
Soc. Fr., 22 juin 1993, n° 90-44.705, M. Launay c/ Société Baume et autre, V. www.Lexbase.fr.
774
Cass. Soc. Fr., 17 septembre 2003, n° 01-43.687, Société Cegetel-SFR c/ M. Pascal Aiguier, V. www.Lexbase.fr.
775
« Constitue un licenciement pour motif économique, le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la
personne du salarié, résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification substantielle du contrat de travail,
consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques : motif non inhérent à la personne du salarié. Lorsqu’un
motif personnel et un motif économique sont envisageables, il convient de s’attacher au motif qui a été la cause première et déterminante… La loi
précise « notamment » : implique la possibilité d’un licenciement économique dans le cadre d’une réorganisation préventive si celle-ci est
effectuée afin de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise. La chambre sociale de la Cour de cassation a crée une quatrième hypothèse : celle
dans laquelle il y a une cessation totale de l’entreprise à condition que celle-ci ne résulte pas d’une faute de l’employeur ou de sa légèreté
blâmable ». V. Lexique des termes juridiques, DALLOZ 2012, Déf. vocale « licenciement économique ».
776
Cass. Soc. Fr., 20 juill. 1974 : Bull. civ. V, p. 156.
777
Cass. Soc. Fr., 17 mars 1998, n° 95-42.100, n° 95-42.100, M. Friberg c/ Société Moore France, V. www.Lexbase.fr.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

fonction des articles précités n’est pas le maintien de l’emploi, mais d’éviter seulement que le changement
d’employeur soit ipso facto une cause de rupture du contrat.
A partir de là s’est développée l’idée que ces articles778 n’assuraient qu’une protection limitée. Certains
auteurs osaient parler même d’une protection « trompeuse»779, voire «illusoire»780 dans la mesure où la
protection légale ne va pas au delà du maintien du contrat de travail. Abstraction faite de la permanence du
lien contractuel, les employés de la société absorbée, suite à la réalisation de la fusion, se trouvent dans la
situation de tout employé. Le pouvoir de direction du nouvel employeur demeure et « joue à plein temps »
après la réalisation de la fusion.
Certes, ce constat ne dévalorise pas la portée positive de cette règle d’ordre public protégeant les
postes de travail qui risquent d’être éliminés à la suite de la restructuration de la société. Néanmoins, les
salariés seraient mieux protégés si le législateur intervenait pour mettre fin à certaines insuffisances et lacunes
et pour écarter les difficultés actuelles liées à l’application de la règle du maintien, surtout les effets de cette
règle, aussi bien au niveau des relations individuelles que collectives781.
Mais, peut-être que la cohérence et l’efficacité de la fusion ont empêché le législateur de pousser la
protection au niveau souhaitable et attendu par ses partenaires. Le codificateur a essayé, semble-t-il, de
privilégier le mouvement de concentration des sociétés au détriment des protections souhaitées par les tiers
intéressés dans l’opération de concentration.
On peut affirmer alors, sans risque d’erreurs, que tout le problème est de concilier efficacité
économique et sécurité juridique. En effet, le souci de protéger les intérêts en cause ne doit pas empêcher la
fusion d’atteindre l’efficacité qu’elle cible et le développement qu’elle vise. Il s’agit là de l’équilibre tant
convoité par la notion d’abus dans les procédés de concentration des sociétés, équilibre nécessaire pour
l’élaboration d’une théorie générale de l’abus dans la concentration.

131- De façon générale, les entreprises peuvent faire l'objet, au cours de leur existence, de mutations
juridiques de formes variées mais qui ont toujours, de manière plus ou moins prononcée, des incidences en
matière sociale. C'est lorsque la mutation concerne plusieurs entreprises que l'impact social est le plus
important. Tel est le cas lorsqu'une société fait l'objet d'une fusion-absorption aux termes de laquelle la société
absorbante demeure, alors que la société absorbée disparaît, la totalité de ses actifs et passifs ayant été repris
par la société absorbante. Tout d'abord, la fusion-absorption oblige à respecter un certain nombre de
consultations ou de déclarations sociales. De plus, cette opération, lorsqu'elle s'effectue entre plusieurs
entreprises pour lesquelles les conditions sociales sont différentes, tant en ce qui concerne les contrats de
travail que le statut collectif ou le système de protection sociale, pose d'évidentes difficultés. Celles-ci varient,
bien sûr, en fonction, de la différence existant entre les entreprises concernées par la fusion-absorption. Plus
celles-ci fonctionnent suivant des modes similaires, plus la fusion-absorption se fera aisément en matière
sociale. Cette aisance demeure, toutefois, illusoire si on évoque le problème épineux des licenciements qui
atteignent couramment des chiffres monstrueux en matière de fusion.

778
V. arts. 15 CT, 422 CSC et L.122- 12,C.T. français..
779
PELLISSIER (J), op. cit., p154.
780
HAMZA SAFI (A), Th. pré., p 285.
781
Contrairement au législateur français, le notre n’a pas réglementé le sort du statut collectif des travailleurs suite à une opération de
concentration. Il n’y a pas de texte relatif au sort des institutions représentatives du personnel. De même, et malgré le fait que la fusion exerce des
influences extrêmement importantes sur l’application des conventions collectives auxquelles sont soumis les salariés da la société absorbée, les
articles 422 CSC et 15CT n’assurent pas le maintien de ces conventions. Le silence de notre législateur sur ces aspects diminue la protection
accordée aux salariés suite à une opération de fusion. En effet, si le salarié est dépourvu des avantages acquis ou de sa qualité de représentant du
personnel, on peut douter de la portée de la règle du maintien prévue par la loi. Ni le C.T ni le CSC n’ont réglementé le sort du statut collectif du
personnel suite au changement d’employeur. Rien n’a été prévu concernant les modifications qui peuvent atteindre les institutions représentatives
du personnel, à la suite de la fusion. Aussi, le sort des conventions collectives est indéterminé et imprécis, ce qui peut fortement léser les droits des
salariés. Les travailleurs peuvent donc être privés, à la suite de la fusion d’une convention collective. Il en est de même, en ce qui concerne les
institutions représentatives du personnel. En effet, la fusion peut conduire à la suppression de ces instances représentatives. Dès lors, les salariés et
les personnels cadres qui bâtissent la prospérité de l’entreprise seront les premières victimes de la restructuration. A cet égard, on ne peut
qu’adresser des critiques à notre législateur qui a passé sous silence plusieurs problèmes juridiques. Une nécessité de reconnaissance au salarié
d’une stabilité des relations collectives se fait sentir. Ainsi, il serait bien que le législateur intervienne pour régler les problèmes qui sont restés sans
réponse juridique précise. Une intervention législative est souhaitable pour combler les lacunes et pour assurer par conséquent, la stabilité des
relations collectives du personnel.

Page 106
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

En l’absence d’exemples publiés en Tunisie, il semble permis de citer quelques exemples français et
internationaux où les plans de licenciement peuvent parfois atteindre des chiffres colossaux. En effet, 10 000
postes ont été supprimés, sur un effectif total de 54 000 salariés, par le géant énergétique « ABB-Alstom »
Power issu directement de la fusion du suisse « ABB » et du français « Alstom » en l’année 2000782. Aussi, la
création du nouveau groupe, baptisé « Alcatel-Lucent »783, natif de la fusion entre le français « Alcatel » et
l'américain «Lucent Technologies», officialisée le 1er décembre 2006, a entraîné plus que 6000 licenciements
sur un total de 79.000 salariés dans le monde. De même, suite au rachat de la société de services informatiques
«Electronic Data Systems», le groupe informatique américain « Hewlett-Packard » (HP) avait annoncé en
septembre 2008 la suppression de 24.600 emplois (7,5% des effectifs), dans le monde, sur trois ans784.
Mais, quelque soit le nombre des salariés à destituer, tout licenciement généré par une opération de
fusion, qu’il soit pour raisons économiques ou autres, doit impérativement respecter toutes les formalités
légales, y compris la règle originale du maintien des contrats en cours, sinon il sera ipso facto considéré
abusif. Il en est de même du licenciement en matière de groupe de sociétés dont la particularité est palpable à
plus d’un niveau.

II- La particularité de l’abus du licenciement dans le groupe de sociétés

132- A l’instar de la fusion ou la scission, il apparaît aussi que l’existence d’un groupe de sociétés est
susceptible de compliquer l’application des dispositions légales organisant les relations individuelles et même
collectives de travail, voire de les priver d’effet785. Le Professeur Lyon-Caen pronostique « qu’il n’y aura plus
de droit social sans une réglementation précise des groupes de sociétés»786. De même, pour le Professeur
Despax : «dans les entreprises constituées sous la forme de groupes, la législation sociale risque d’être
entièrement en « porte-à-faux » si on ne tient pas compte de l’existence du groupe. Bien des réformes sociales
risquent de rester à l’état d’enveloppe vide si le groupe n’est pas reconnu »787. Le phénomène des groupes de
sociétés révèle, en effet, l’inadaptation d’un arsenal législatif bâti sur le modèle de la grande entreprise788. Le
Professeur Supiot résume ces difficultés en ces termes : « ces nouvelles formes empruntées par le capital
sapent les éléments constitutifs du paradigme de l’entreprise : la notion d’employeur éclate, celle de
collectivité de travail également. Bon nombre de règles se trouvent ainsi privées de leurs points d’appui. Dans
le cas des groupes de sociétés, cet éclatement résulte de deux types de séparations juridiques : les unes sont
liées à la pluralité des entités juridiques du groupe, les autres à la mobilité de sa structure juridique et
financière ; les premières se situent dans l’espace, les secondes dans le temps »789.

Les relations de travail au sein d’un groupe de sociétés posent, ainsi, des questions spécifiques qui
n’ont pas ou peu été réglées par le législateur ou par la jurisprudence. Ces questions surgissent dès la prise de
contrôle de la société et se poursuivent lorsque le groupe est constitué. Lors d’une prise de contrôle, les
salariés s’interrogent sur l’avenir de leurs intérêts au sein de l’entreprise : sort de leurs contrats de travail, sort
des accords de participation ou d’intéressement, sort des conventions collectives applicables... Plus tard, c’est
la détermination même de la qualité d’employeur qui peut poser problème, c’est aussi la mobilité du salarié au
sein du groupe790...

782
Journal : Humanité, 10 avril 2000.
783
Ce géant hisse à la seconde place des équipementiers télécoms en volume d'affaires juste derrière Cisco et devant Ericsson, Siemens ou Nortel.
Alcatel-Lucent se compose de quatre pôles d’activités : téléphonie fixe, mobile et convergence (pour les opérateurs), la fourniture de solutions
télécoms pour les entreprises, et enfin les services.
784
V. http://www.clubic.com/actualite-168318-thales-licencie.html.
785
TOUIL (H), Le salarié dans le groupe de sociétés, I.J., n° 48/49, Juin 2008, p 36.
786
LYON-CAEN (G), Observations sur les licenciements dans les groupes internationaux de sociétés, Rev. crit. DIP, 1974, p. 439.
787
DESPAX (M), Le droit social et les groupes d’entreprises, Cahiers de droit de l’entreprise, n° 3, janv. 1977, p. 24.
788
JAVILLIER (J-C), Libres propos sur une critique jurisprudentielle (en matière de licenciement pour motif économique), Gaz. Pal., 5-6 fév.
1997, p. 50.
789
SUPIOT (A), Groupes de sociétés et paradigme de l’entreprise, RTDCom. 1985 p 621.
790
MZID (N), les relations de travail à l’intérieur du groupe de sociétés, Rev. Et. jur., 2001, n° 8, p 89, In colloque « La nouvelle réglementation
des groupes de sociétés en droit tunisien », Sfax 7 et 8 mars 2002 ; V. en dr.comp. CAMERLYNCK (G-H), Le transfert du salarié, Dalloz, 1966,
chron.133 ; DESPAX (M), Groupes et contrats de travail, Dr.soc., 1961, p 596 ; LAFARGE (P), Prise de contrôle et intérêt des salariés, RTD

Page 107
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Tenant compte de ces « gênes » juridiques, le droit du travail, qui ignorait totalement le phénomène
des groupes de sociétés, a entrepris de remédier à ce « divorce » entre structure juridique et réalité
économique791 en adoptant une approche pragmatique « qui n’a comme seule contrainte que la réalité des
relations qui peuvent se nouer dans un groupe de sociétés »792.
Dans notre législation, plusieurs règles ont été édifiées afin de mettre fin à ces difficultés juridiques.
Tel est le cas de l’article 21-2 CT qui a précisé le régime de la notification du licenciement en matière de
groupe de sociétés793. C’est l’exemple, aussi, de l’article 162 (nouveau) CT qui a créé des commissions
consultatives au sein des filiales ainsi qu’une commission centrale ayant pour mission la coordination entre les
actions des commissions consultatives des filiales et l'examen des questions nécessitant une étude au niveau
central794. Il reste que le législateur n’a pas prévu de règles spéciales au licenciement ayant lieu au sein d’une
société groupée. Ces quelques règles prévues demeurent insuffisantes et incapables de régler tous les
problèmes posés par les sociétés affiliées en matière sociale.

133- En droit français, l’offensive a d’abord été menée dans le champ des relations individuelles de
travail795. Les rapports des parties au contrat de travail, déjà présumés déséquilibrés au profit de l’employeur,
semblent fragilisés par l’intégration de l’entreprise dans un groupe, d’autant plus s’il s’agit d’un groupe
multinational796. La jurisprudence a ainsi posé la règle selon laquelle les affectations successives d’un salarié
dans les différentes sociétés d’un groupe laissent subsister son contrat de travail797. Aussi, l’article 8 de la loi
n° 73-680 du 13 juillet 1973798 a abordé la question du licenciement d’un salarié par une filiale dans laquelle il
avait été détaché par la société mère799. Par la suite, ont été adoptées des dispositions qui ont pour objet le
maintien de certains droits des salariés en cas de mutation au sein du groupe800.
Les développements récents les plus notables sont d’origine jurisprudentielle et ont eu lieu dans le
domaine des licenciements pour motif économique801. Il est désormais exigé que les difficultés invoquées
pour justifier une mesure de licenciement soient appréciées au regard du secteur d’activité du groupe auquel
appartient l’entreprise802 et que l’obligation de reclassement ait pour périmètre les entreprises du groupe «dont

Com., 2000, p 71 ; LEFFBVRE (F), Groupes de sociétés, 2004, n°1500 ; OPPETIT (B), Groupes de sociétés et droit du travail, Rev. Soc. 1973.
p. 69
791
SAVATIER (J), Les groupes de sociétés et la notion d’entreprise en droit du travail in Mélanges Brun, Lib. soc. et éco., 1974, p. 527. - I.
Vacarie, Groupes de sociétés et relations individuelles de travail, Dr. social 1975, p. 23 ; DESPAX (M), Le droit social et les groupes
d’entreprises, Cah. dr. entr. 1977, p. 24.
792
LANGLOIS (PH), L’originalité de la prise en considération des groupes de sociétés en droit du travail, TPS, mars 1999, p. 7.
793
L’article 21-2 dispose que : « lorsque la notification concerne des travailleurs appartenant à des filiales d'une entreprise situées dans deux
gouvernorats ou plus, cette lettre doit être adressée à la direction générale de l'inspection du travail selon les mêmes conditions indiquées à
l'article 21 du présent code ».
794
L’article. 162 (nouveau) dispose que : « dans les entreprises ayant plusieurs filiales employant chacune un nombre de travailleurs permanents
égal ou supérieur à quarante, il est créé dans ces filiales des commissions consultatives dont la composition et le fonctionnement sont identiques à
ceux de la commission consultative d'entreprise et ayant les mêmes attributions que celle-ci dans la limite des pouvoirs conférés aux chefs des
dites filiales. Il est créé également une commission consultative centrale d'entreprise ayant pour mission la coordination entre les actions des
commissions consultatives des filiales et l'examen des questions nécessitant une étude au niveau central. Cette commission comprend des membres
représentant les travailleurs élus par les représentants du personnel dans les commissions consultatives des filiales et parmi eux et des membres
représentant la direction de l'entreprise désignés par celle-ci et ce compte tenu du principe de parité ».
795
RIVERO (J) ET SAVATIER (J), Droit du travail, PUF, 1975, p. 86.
796
BLANC-JOUVAN (X), L’internationalisation des rapports de travail in Etudes Gérard Lyon-Caen, 1989, p. 67.
797
Cass. Soc. Fr., 23 juin 1960, Bull. V, n° 678. - Cass. soc. 1er juill. 1965, Dr. social 1966, p. 103, obs. J. Savatier. Cass. Soc. Fr., 20 oct. 1998,
Dr. social 1999, p. 95. V. aussi DESPAX (M), Groupes de sociétés et contrat de travail, Dr. social 1961, p 596 ; OPETIT (B), Groupes de sociétés
et droit du travail, Rev. soc. 1973, p. 69 ; TEYSSIE (P), L’entreprise et le droit du travail, Arch. phil. droit (t. 41), 1997, p. 355, spéc. n° 20 ;
BOUBLI (B), La détermination de l’employeur dans les groupes de sociétés in Les groupes de sociétés et le droit du travail, éd. Panthéon-Assas,
1999, p. 23.
798
Devenu l’article L. 122-14-8 du Code du travail.
799
LYON-CAEN (G), Observations sur le licenciement dans les groupes internationaux de sociétés, Rev. crit. DIP 1974, p. 439 ; VACARIE (I),
Groupes de sociétés et relations individuelles du travail, Dr. social 1975, p. 23.
800
Art. L. 227-1, al. 9, C.T. : « la convention ou l’accord collectif détermine notamment (...) les conditions de transferts des droits des salariés en
cas de mutation d’un établissement à un autre ou au sein d’une filiale du même groupe » ; art. L. 122-32-28 : « pour l’application des articles L.
132-32-13 (congé pour création d’entreprise) et L. 132-32-18 (congé sabbatique), est prise en compte au titre de l’ancienneté dans l’entreprise,
l’ancienneté acquise dans toute autre entreprise du même groupe au sens de l’article L. 439-1 ».
801
URBAN (Q), Le licenciement pour motif économique et le groupe, Dr. social 1993, p. 280. V. aussi Divers auteurs, Licenciements
économiques, Gaz. Pal, n° spéc. 5-6 fév. 1997.
802
Cass. Soc. Fr., 5 avr. 1995, RJS 1995, p. 321, concl. Y. Chauvy ; JCP 1995, éd. G, II, 22443, note G. Picca. - V. D. Gautherat, Licenciement
économique. Chacun cherche son secteur, Sem. soc. Lamy 7 déc. 1998, p. 6.

Page 108
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation permettent d’effectuer la permutation de tout ou partie du
personnel »803. Si ces règles ne sont pas respectées, le licenciement est réputé abusif.

134- La protection du salarié a mené donc à l’appréciation du motif économique du licenciement


dans le cadre du groupe en entier et non seulement à l’échelle de la société qui l’a licencié seulement. Il est
alors légitime de se demander si cette même logique prévaut en cas de licenciement du salarié pour faute
grave ? Autrement-dit, une faute grave commise par un salarié, employé par une société du groupe, pose la
question de savoir si l’appréciation de ce motif personnel de licenciement s’effectue exclusivement dans le
cadre de la relation de travail entre l’employé et son patron ou si elle doit prendre en considération le groupe
de sociétés en entier ?
Ce problème est soulevé surtout lorsqu’il s’agit d’un salarié d’une société du groupe qui a été détaché
auprès d’une autre société du même groupe et que cette dernière société le licencie pour faute grave. Dans
cette hypothèse, la société d’origine peut-elle sanctionner le salarié à raison d’une faute commise dans la filiale
de détachement ?
La réponse ne peut-être que négative dans la mesure où si le contrat liant le salarié à la filiale d’accueil
est rompu, le contrat initial le liant à la société d’origine reprend existence et le salarié retrouve son droit de
travailler chez son employeur d’origine. Ce dernier ne peut, en aucun cas, licencier le salarié réintégré au motif
de la faute commise pendant le détachement. Admettre le contraire reviendrait à sanctionner doublement
l’employé pour le même fait.
Cette solution a été appliquée à maintes reprises par la jurisprudence française. En effet, la cour de
cassation a estimé, dans un arrêt datant du 09/12/1997, que « le refus du salarié de fournir à son employeur,
après sa réintégration, des explications sur les faits commis pendant qu’il était détaché en qualité de
mandataire social auprès d’une autre société du groupe ne pouvait lui-être imputé à faute dans l’exécution de
son contrat de travail »804.
Il s’en suit que la faute grave doit-être obligatoirement appréciée dans les strictes limites de la relation
de travail bilatérale. L’appartenance à un groupe de sociétés ne doit avoir aucune influence sur l’appréciation
de ce motif personnel dans la mesure où la protection du salarié exige que l’appréciation s’opère dans le cadre
étroit de la relation contractuelle bilatérale et en fonction des seuls intérêts de l’employeur qui fait jouer son
droit au licenciement.
Si cette règle jurisprudentielle n’est pas respectée, le licenciement du salarié par son employeur
d’origine pour le même motif qui a provoqué la fin du détachement correspondrait alors, dans le groupe de
sociétés, à un licenciement sans cause réelle et sérieuse, c’est-à-dire un licenciement abusif.

Aussi, contrairement à la législation tunisienne, la jurisprudence française a prévu des règles spéciales
en matière de licenciement pour motif économique ayant lieu dans un groupe de sociétés et ce, en imposant
une obligation générale de reclassement du salarié au sein du groupe, avant tout licenciement, sinon le
congédiement serait qualifié d’abusif. Il en est de même du licenciement pour motif personnel, notamment
pour faute grave, en imposant la prise en compte de chaque société groupées de façon indépendante, faisant fi
de l’unité économique ou bien réelle du groupe de sociétés. L’ajout de telles règles en droit tunisien serait
d’une importance considérable805.

Finalement, il faut remarquer que malgré les ambiguïtés et les lacunes existant dans l’encadrement de
la notion d’abus à l’aune de la concentration, le législateur a essayé de protéger tous les intérêts en cause
malgré leur diversité. Il a préservé les droits des tiers intéressés par la concentration même s’il ne les a pas
renforcés. Il a essayé, de ce fait, de concilier l’inconciliable : la promotion de la concentration et la protection
de tous les partenaires à la fois.

803
Cass. Soc. Fr., 5 avr. 1995, préc. - Cpr. CE 18 janv. 1980, Rec. 1980, p. 27. - V. également Cass. Soc. Fr., 19 mai 1998, Bull. V, n° 264 : « le
reclassement d’un salarié inapte à reprendre l’emploi qu’il occupait précédemment, en raison d’une maladie, doit être recherché à l’intérieur du
groupe, parmi les entreprises dont les activités, l’organisation ou le lieu d’exploitation lui permettent d’effectuer la mutation de tout ou partie du
personnel ».
804
Cass. Soc. Fr., 09/12/1997, Drt. Soc., 1998, p 1956, note G. Couturier.
805
TOUIL (H), La protection du salarié dans le groupe de sociétés, Mémoire de Master, FDSPT, 2004/2005, p 93, n° 201.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

135- Il apparaît clairement que les dirigeants sont à l’origine de plusieurs abus en droit de la
concentration : abus de biens, abus de la personnalité morale et abus de licenciement. Il n’en demeure pas
moins que ces responsables, supposés être en principe loyaux et diligents, ne sont pas les seuls à commettre
des abus, car même les associés, majoritaires voire minoritaires, sont parfois amenés à commettre d’autres
formes d’abus dans les procédés de concentration des sociétés.

Section Deuxième : Multiplicité des abus commis par


les associés dans les procédés de concentration

136- Le droit de vote est traditionnellement considéré comme un élément intangible de l'architecture
de la société. En effet, c'est en contrepartie d'un apport économique que l'actionnaire dispose de ce droit pour
que la société réalise le meilleur résultat économique. La théorie libérale des juristes français a toujours relié
étroitement ces réalités806. C'est ainsi que le professeur Roger Percerou écrit au début de ce siècle : « il importe
à la bonne administration des sociétés que ce soit la même personne qui, à la fois, soit appelée à recueillir les
bénéfices de l'entreprise et qui prenne aussi part aux assemblées générales, parce que l'intérêt qu'elle a à
percevoir les bénéfices est une garantie qu'elle s'inspirera dans ses votes de l'intérêt général 807».
Vu l’importance rattachée au droit de vote, « dans les sociétés commerciales, comme dans une
démocratie, les décisions se prennent à la majorité, devant laquelle la minorité doit s’incliner, c’est un gage
d’efficacité par rapport au droit commun des contrats ou de l’indivision, lequel ne connaît que la règle de
l’unanimité808 ».
Le droit des sociétés obéit donc à la loi de la majorité ; celle-ci peut entraîner des effets drastiques pour
les associés, notamment en cas de conflit d'intérêts809. Comme l'écrit le professeur Dominique Schmidt : « les
conflits d'intérêts procèdent soit de la volonté de satisfaire un intérêt extérieur à la société et contraire à
l'intérêt commun des actionnaires, soit de la volonté de s'approprier une part illégitime de la richesse sociale.
Dans les deux cas, l'intéressé transfère à son profit une partie de la richesse sociale. Dans le premier cas, il
sacrifie son intérêt d'actionnaire pour s'enrichir en dehors de la société, et dans le second, il augmente
indûment sa part dans le partage du profit social » 810.

Il va de soi que le fonctionnement des sociétés commerciales est dominé par la règle de la majorité
aussi bien dans les organes de gestion que les organes délibérants. Ainsi, c’est la majorité des actionnaires qui
décide la nomination ou la révocation des membres du conseil d’administration, la désignation du
commissaire aux comptes, l’approbation des comptes sociaux... C’est encore la majorité qui décide d’engager
une action en responsabilité contre les dirigeants. De même, le changement du pacte social est dominé par la
règle de la majorité. Il est vrai que cette règle subit un fléchissement lorsqu’il s’agit d’augmenter les
engagements des actionnaires, auquel cas l’unanimité est requise811, mais c’est là une maigre protection contre
les risques de rupture d’équilibre812. « Il est à craindre alors que les actionnaires majoritaires ne soient tentés
de ne plus utiliser leur droit de vote pour la satisfaction de l’intérêt commun mais pour la satisfaction d’un

806
GERMAIN (M), Le droit de vote, L.P.A., 04 mai 2001 n° 89, p. 8.
807
Cité par Cordonnier, J. Sociétés 1927, p. 6.
808
COZIAN (M), VIANDIER (A) et DEBOISSY (F), Droit des sociétés, éd. LITEC, 2004, n° 470, p171.
809
ROHART-MESSAGER (I), A Propos des conflits d'intérêts dans les sociétés, Conclusions du colloque organisé le 23 janvier 2008 à Paris par
l'Ecole nationale de la magistrature, sous la direction scientifique du professeur Dominique Schmidt, L.P.A., 08 avril 2008, n° 71, p. 14.
810
SCHMIDT (D), Les conflits d’intérêt dans la société anonyme, Ed. Joly Delta, 2004, n° 18, p. 27.
811
V. art. 292 al. 3 C.S.C.
812
MELLOULI (S) et FRIKHA (S), Les sociétés commerciales, Ed. IME, Tunis, 2008, n° 951, p. 250

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

intérêt personnel, rompant ainsi avec le principe de l’égalité »813. Dans ce contexte, les intérêts des associés
minoritaires, c'est-à-dire ceux qui ne détiennent pas une fraction de capital suffisante pour contrebalancer le
pouvoir des majoritaires, se trouvent parfois bafoués. Il en est de même de l'intérêt social, intérêt propre de la
société personne morale indépendante des associés qui la composent. Or, dans toute société, les intérêts des
associés, même s'ils détiennent la majorité du capital, sont essentiellement transcendés par l'intérêt social.
D'où la recherche d'une protection efficace de la société en tant que personne morale et des associés
minoritaires814. Le droit de vote ne doit donc pas être exercé de façon abusive.

137- Nul doute que, dans de telles conditions, les associés, aussi bien majoritaires que minoritaires,
peuvent être enclins à commettre des abus. Il reste que l'exercice du droit de vote n'est pas totalement libre.
L'associé, lorsqu'il émet un suffrage, peut causer un préjudice à autrui et engager ainsi sa responsabilité
personnelle815. Il en est ainsi, lorsque le vote nuit à la communauté des associés dans la mesure où le votant a
privilégié son intérêt personnel sur son intérêt d'associé.
Autrement dit, l’exercice du vote peut se présenter sous deux visages d’une même déloyauté816. Aussi
bien distingue-t-on, en droit des sociétés, entre l’abus de majorité, commis par les majoritaires (sous-section
première) et l’abus de minorité, commis par les minoritaires (sous-section deuxième).

Sous-section Première : L’abus de majorité dans


les procédés de concentration

138- Dans une situation de contrôle, le pouvoir s’exerce directement, sans passer par le biais des
assemblées qui ne sont que les lieux de son origine. Il se manifeste par des ordres donnés aux instances
dirigeantes sur la disposition des actifs et passifs sociaux. On se souvient des termes du télégramme que la
société Fruehauf International a adressé à la direction générale de sa filiale française le 28 janvier 1965 :
« Nous vous donnons par la présente, l’ordre formel, d’annuler le contrat »817. Cet ordre de l’actionnaire ne
s’embrasse pas d’une délibération en assemblée générale ou en conseil d’administration. Plus fréquemment,
l’ordre est verbal.
L’usage du contrôle n’est, cependant, pas discrétionnaire. Il doit servir l’intérêt commun des
actionnaires et non l’intérêt de celui qui le détient au préjudice des autres ; sinon il risque d’être constitutif
d’abus du droit de vote.

813
Ibidem.
814
Dans les sociétés de personnes (SNC et SCS) les minoritaires sont protégés par l'intuitu personae qui prédomine dans ce type de société. De
plus, les statuts peuvent ériger en principe la règle de l'unanimité dans la prise de décision. Toutefois, ces sociétés ont un inconvénient : les
associés sont indéfiniment et solidairement tenus des dettes sociales, d'où la forte tendance des investisseurs à privilégier les sociétés dites à risque
limitée (SA, SCA et SARL) dans lesquelles les associés ne répondent des dettes sociales qu'à concurrence de leurs apports.
815
Cass. Com. Fr., 13 mars 2001, JCP éd. E. 2001 p. 953, note A. VIANDIER ; RTD com. 2001 p. 443, obs. Cl. CHAMPAUD et D. DANET ;
Dr. et patrimoine oct. 2001 p. 104, obs. D. PORACCHIA ; Bull. Joly 2001 p. 891, note C. PRIETO. En l'espèce, la Cour de cassation française
retient la responsabilité personnelle de l'associé qui avait décidé de la révocation du gérant dans des conditions vexatoires et contraires à l'intérêt
social. Sur cette affaire, V. LE CANNU (P), Responsabilité des associés décidant une révocation contraire à l'intérêt social et dans l'intention de
nuire au dirigeant révoqué, Dr. 21, ER 204, in www.droit21.com. – rappr., dans le même sens, C. A. Paris 6 mars 1998, RTD com. 1998 p. 342,
obs. Cl. CHAMPAUD et D. DANET.
816
SCHMIDT (D), Les droits de la minorité dans la minorité dans la société anonyme, Sirey, 1970, n° 208, selon lequel l’abus du droit de vote est
un « comportement antisocial » ; KOERING (C), La règle "une action-une voix", thèse Paris I, 2000, n° 199 et s. ; JEANTIN (M) et CIVIL (J-
C), Art. 1382 à 1386, fasc. 131-3, 1984, spéc. n° 39 ; TRICOT (D), Abus de droits dans les sociétés. Abus de majorité et abus de minorité, RTD
com. 1994 p. 617, MESTRE (J), Réflexions sur les pouvoirs du juge dans la vie des sociétés, RJ com 1985 p. 81 ; du même auteur, Le droit
français des sociétés devant l'exigence de justice, Les cahiers de droit, vol. 41, mars 2000, p. 185 ; du même auteur, Ethique et droit des sociétés, in
Mélanges Adrienne Honorat, Procédures collectives et droit des affaires, 2000, p. 191 et Regard juridique sur l'éthique financière, In Centre de
recherches en éthique économique et des affaires et déontologie professionnelle, Ethique financière, PUAM, 2000, p. 165 ; CABRILLAC (M), De
quelques handicaps dans la construction de la théorie de l’abus de minorité, Mélanges André Colomer, LITEC, 1993, p 109 ; LE CANNU (P), Le
minoritaire inerte (observations sous l’arrêt Flandin), Bull. Joly 1993 p. 537, spéc. n° 11, qui souligne « la parenté (et non l’identité) qui existe
entre les différents abus du droit de vote » ; KENGNE (G), Le rôle du juge en matière d'abus du droit de vote, L.P.A., 12 juin 2000 p. 10.
817
C.A. Paris, 22mai 1965. JCP1965, II, 14274 bis, concl. P. Nepveu ; D. 1968. p. 147. note R. Contin.- Pour une autre illustration de l’exercice
direct du contrôle par l’actionnaire « propriétaire des deux sociétés en cause », et de la constatation subséquente de l’impotence du conseil
d’administration, V. C.A. Paris, 3ème chambre, section B. 18 décembre 1998, Dr. sociétés avril 1999, n°61, note D. Vidal.

Page 111
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Il sied alors de déterminer les contours de la notion d’abus de majorité, riche en conflits âpres et
818
variés (-§1- ) avant de s’intéresser à sa métamorphose au sein des procédés de concentration (-§2- ).

-§1- : Appréhension de l’abus de majorité


139- Alors qu’en droit français l’abus de droit est une création purement jurisprudentielle819, dans
l’optique de sanctionner tout comportement abusif lié à l’exercice du droit de vote des majoritaires, le
législateur tunisien a eu le mérite d’avoir bien précisé les contours de cette notion, en s’inspirant évidemment
de la jurisprudence française. A ce titre, l’alinéa premier de l’article 290 CSC énonce que « les actionnaires
détenant au moins dix pour cent du capital social pourront demander l’annulation des décisions prises
contrairement aux statuts ou portant atteinte aux intérêts de la société, et prises dans l’intérêt d’un ou de
quelques actionnaires ou au profit d’un tiers820 ». Cet article n’est, en réalité qu’une application pure et simple
de la théorie de l’abus de majorité telle qu’instituée par la jurisprudence française qui, depuis 1961821,
considère qu’il y a abus de majorité dès lors qu’une résolution « a été prise contrairement à l’intérêt général
de la société et dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment des membres de la
minorité »822. Cette définition n’a quasiment pas varié depuis823. Manifestement, « le droit de vote est conféré
à l'associé pour qu'il l'utilise dans l'intérêt commun et non pas à des fins égoïstes (...) et qu'ainsi, aucune
délibération d'un organe sociétaire n'est à l'abri de la qualification d'abus de majorité »824. Cette
jurisprudence ne semble pas réservée à certaines personnes morales. Ainsi, bien que la plupart des décisions
aient été relatives à des sociétés anonymes825 ou des sociétés à responsabilité limitée826, l’abus de majorité a
été reconnu également dans les sociétés de personnes827.
Dans cet ordre d’idées, on ne peut que regretter l’absence au sein du code des sociétés commerciales
d’un texte général appliquant l’abus de majorité à toutes les sociétés qu’elles soient des sociétés de personnes,
des SARL ou des sociétés par actions. La question qui se pose, dans ce contexte, est de savoir si l’article 290
CSC, propre aux sociétés anonymes, peut-être appliqué dans les SARL, voire dans les sociétés de personnes ?
Une réponse positive peut-être apportée en se basant sur l’article 535 COC d’après lequel si « un cas ne peut

818
Cass. Com. Fr., 18 avril 1961, D. 1961, p. 661 ; 9 novembre 1966, J.C.P. 1967, II, 15250, note R.D.M.
819
KENGNE (G), Le rôle du juge en matière d’abus du droit de vote, LPA, 12 juin 2000, n° 116 ; MARIN, Mission du juge dans la prévention
des abus, RJ com, n° spéc, nov 1991, n° 110 ; DE VAULX (D-B), Abus et abandaon de majorité, Dr soc 1993, Chr. 3.
820
Une remarque particulière doit être réservée à la référence faite par l’article 290 CSC à une décision prise «au profit d’un tiers». Cette
expression est large, elle semble alors englober les décisions susceptibles d’être prises dans le cadre d’un groupe de sociétés, telles que la décision
des actionnaires majoritaires de faire reprendre par leur société mère le passif d’une filiale dans laquelle ils détiennent le contrôle. D’un certain
point de vue, ces actionnaires prennent une décision contraire à leurs intérêts parce qu’en grevant la société mère dont ils sont majoritaires d’un
passif dont elle n’a que faire, ils nuisent à leurs intérêts. Mais à y bien réfléchir, cette reprise leur procure un avantage du moment qu’ils ont des
intérêts dans la filiale. En étendant la nullité aux décisions prises au profit des tiers, le législateur a peut-être voulu clôturer le débat qui pourrait en
résulter.
821
Cass. Com. Fr., 18 avr. 1961, Schuman c. Picquard, JCP 1961 II n° 12164, note D. BASTIAN ; D. 1961 p. 661, note A. DALSACE ; Grandes
décisions, n° 12 p. 52, obs. Y. CHARTIER et J. MESTRE.
822
Bien que beaucoup plus rare en pratique, l'abus de majorité peut également consister en une abstention des majoritaires, qui bloquent ainsi
l'adoption d'une mesure rendue obligatoire par l'effet de la loi V. par ex., cass civ 1ère 16 juill. 1998, RTD com. 1999 p. 110, obs. Cl. CHAMPAUD
et D. DANET et p. 457, obs. M.-H. MONSERIE-BON ; D. 2000, cahier droit des affaires, p. 63, note B. DONDERO ; Rev. Soc. 1998 p. 778, note
J.-F. BARBIERI ; RD bancaire et bourse 1998 nov.-déc. 1998, Ingénierie patrimoniale, p. 15, obs. F.-X. LUCAS. En l'espèce, la haute Juridiction
sanctionne un majoritaire d'une SCP d'huissiers qui, en ne participant pas à l'assemblée, avait empêché une augmentation de capital par
incorporation de réserves ou de plus values d'actifs, qu'un texte rendait obligatoire dans cette forme sociale.
823
V. toutefois, Cass. Com. Fr., 22 avr. 1976, Rev. Soc. 1976 p. 479, note D. SCHMIDT ; D. 1977 p. 4, note J.-C. BOUSQUET ; Journ. Agréés
1977 p. 93, note Ph. MERLE. Cet arrêt ne fait plus référence qu’à la méconnaissance de l’intérêt social - adde, cass com 21 janv. 1997, RTD civ.
1997 p. 929, obs. J. MESTRE ; JCP éd. E 1997 II n° 965, note J.-J. DAIGRE ; Rev. Soc. 1997 p. 528, note B. SAINTOURENS ; JCP 1997 II n°
22960, note Fr.-X. LUCAS ; Dr et patrimoine avr. 1997 p. 76 ; D. 1998 p. 64, note I. KRIMMER.
824
Cass. Com. Tchad, arrêt N° 322 du 24/09/1999 Revue Juridique Tchadienne, 2002, p.3
825
Les premières décisions étaient, en effet, relatives à une société anonyme : Cass. Com. Fr., 18 avril 1961, Sté Anciens Ets Piquard c/
Schumann, D. 1961, 2ème partie, p. 661, JCP éd. G 1961, II, 12163, note BASTIAN (D.), Rev. Soc. 2000, p. 21 ; Cass. Com., 29 mai 1972, n° 71-
11.739, SA Etablissements Pernot contre Epoux Kruker, Epoux Guerry, Epoux Peltier, Bull. civ. IV, n° 164, p. 160, JCP éd. G 1972, II, 17337,
note GUYON (Y.).
826
Par exemple : Cass. Com. Fr., 30 mai 1980, n° 78-13.836, Dame Picard et autres contre Picard et autre, Bull. civ. IV, n° 223, p. 180 ; Cass.
Com. Fr., 4 octobre 1994, S.A.I.C.O. c. S.A.R.L. Péronnet, Defrénois 1995, n° 36017, p. 251, note LE CANNU (P.).
827
A propos d’une société civile professionnelle d’huissiers de justice, la Cour de Cassation française a relevé que « c’est à bon droit que la Cour
d’appel … a constaté l’opposition abusive de l’un des associés » : Cass. Com. Fr., 16 juillet 1998, Rev. Soc. 1998, p. 778, note BARBIERI (J.-F.).

Page 112
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

être décidé par une disposition précise de la loi, on aura égard aux dispositions qui régissent les cas
semblables ou des matières analogues ; si la solution est encore douteuse, on décidera d’après les règles
générales de droit ». Il reste que la solution par analogie est difficilement envisageable car on est en présence
d’un texte spécial, l’article 290 CSC, qui est nécessairement d’interprétation stricte et ce, conformément à
l’article 540 C.O.C. d’après lequel « les lois restrictives et celles qui font exception aux lois générales ou à
d’autres lois ne doivent pas être étendues au-delà du temps et des cas qu’elles expriment ». D’autant plus que
le dit-article prévoit une sanction civile et les textes instituant des sanctions sont toujours d’interprétation
restrictive.
Face à cette lacune juridique, fort déplorable, on ne peut que prôner une intervention législative dans le
sens de changer l’emplacement du texte de l’article 290 CSC afin de le placer dans les dispositions générales
du code des sociétés commerciales.
En attendant, l’article 103 COC peut-être d’une aide précieuse si jamais les conditions légales de
l’abus de droit sont observées, ce qui est difficilement vérifiable en droit des sociétés.

140- Il appert de l’article 290 CSC qu’une décision régulièrement votée en la forme peut être annulée
si le demandeur administre la preuve de la réunion de deux conditions828. D’une part, la décision incriminée
doit être contraire à l’intérêt social. D’autre part, elle doit être prise dans l’intérêt particulier d’un ou de
quelques actionnaires ou au profit d’un tiers829.
Il ressort de cette définition que l’abus de majorité tire généralement son origine dans les conflits
d’intérêts entre associés830. Si on prend comme exemple une décision de répartition ou de mise en réserve des
bénéfices, les minoritaires souhaitent très souvent percevoir immédiatement les dividendes de leur placement,
alors que les majoritaires ambitionnent de mettre en réserve le bénéfice social afin d’assurer le développement
et la pérennité de la société831. Pour résoudre ce conflit d’intérêts, l’article 290 CSC impose de tenir compte de
l’intérêt de la société. Mais, la double exigence d’une contrariété à l’intérêt social et d’une rupture d’égalité
entre associés rend néanmoins peu aisée la caractérisation de l’abus de majorité. Il ne fait aucun doute qu’il
s’agit bien là de la volonté du législateur de protéger le fonctionnement de la société et garantir sa pérennité
par l’intérêt social sous le couvert de l’abus de majorité.
Il est à constater aussi que l’article 290 précité n’exige pas l’intention de nuire832, il s’éloigne de la
sorte de la théorie subjective de l’abus de droit et s’approche de celle objective, objet de l’alinéa deuxième de
l’article 103 COC. L’article 290 CSC se démarque également d’une certaine doctrine qui postule l’unicité des
conditions, plus précisément la seule condition de la contrariété de la décision à l’intérêt social pour la
commission de l’abus833. Il s’éloigne, de même, de la théorie du professeur Schmidt qui limite les éléments
constitutifs de l’abus de majorité à la seule condition relative à la contrariété à l’intérêt commun des
associés834.

828
Ce double critère est issu de la jurisprudence de la Cour de cassation française : Cass. Com. Fr., 18 avril 1961, n°59-11.394, Bull. civ. IV,
n°175. p. 154, D. 1961, jur., p. 661 et s., S. 1961. p. 257, note DALSACE ; Cass. Com. Fr., 30mai 1980, n°78-13.836, Rcv. Sociétés, 1981, p. 311,
note SCHMIDT Casa. com., 6juin 1990, n°88-19.420, Rev. Soc., 1000, p. 607, observations CHARTIER.
829
FRIKHA (S), la contestation des décisions des organes délibérants : l’action en nullité pour violation des statuts ou pour abus de majorité, I.J.,
n° 52/53, Septembre 2008, p 20.
830
Par exemple, l’actionnaire majoritaire impose à la société la prise en charge des dettes d’une autre société en état de cessation des paiements
dont il assume la direction, ou bien le cas d’une société mère qui vote au sein de l’assemblée d’une filiale un transfert d’actifs pour avantager une
autre filiale. Ou encore, le cas des associés majoritaires d’une société qui donnent en location un local à une autre société et qui décident, par la
suite, une réduction massive du loyer dû pour l’unique raison qu’ils sont les seuls associés de la société bénéficiaire. Dans tous ces cas, on observe
un usage de la loi de la majorité pour servir les intérêts non de tous les actionnaires, mais de certains d’entre eux au détriment des autres. V.
SCHMIDT (D), Les conflits d'intérêts dans la société anonyme, Joly éd., 2005, n° 316.
831
BAILLY-MASSON (C), L’intérêt social : une notion fondamentale, L.P.A., 9 nov 2000, n° 224, p 8.
832
Il faut admettre avec M. Gaillard que la jurisprudence ne relève pas l’intention de nuire, mais seulement une volonté égoïste. Il classe donc
l’abus de majorité dans la catégorie des abus de pouvoirs. Selon lui, l’origine de l’abus de majorité est d’inspiration publiciste, à rapprocher de la
notion de détournement de pouvoir. La jurisprudence y a ajouté un second critère, celui de la rupture d’égalité, pour adapter la technique du
détournement à la matière spécifique des sociétés commerciales. GAILLARD (E), Le pouvoir en droit privé, ECONOMICA, Paris, 1985, n°40 s.
V. aussi MELLOULI (S) et FRIKHA (S), Les sociétés commerciales, IME, Tunis, 2008, p 250, n° 952.
833
PALLUSSEAU (J), La société anonyme technique d’organisation de l’entreprise, Sirey 1967. Les conditions posées par l’article 290 C.S.C.
rappellent celles exigées par l’article 223 C.S.C. pour l’incrimination des actes des dirigeants sociaux constitutifs d’abus de biens sociaux ou
d’abus des pouvoirs,mais le rapprochement s’arrête là puisque la sanction pénale n’est encourue que si l’acte est fait de mauvaise de foi.
834
M. Schmidt a proposé que l’abus de majorité soit caractérisé par la seule rupture d’égalité entre associés. En effet, les décisions abusives des
majoritaires peuvent créer une rupture d’égalité grave entre les associés, sans qu’elles soient contraires à l’intérêt social. Tel est le cas lorsque les

Page 113
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

L’exigence que la décision poursuive la satisfaction de l’intérêt d’un ou plusieurs actionnaires ou faite
au profit d’un tiers pour pouvoir être annulée est sage. Elle a le mérite d’éviter que le juge ne se substitue à la
majorité pour l’appréciation de l’intérêt social835.
Il se dégage donc de l’article 290 CSC que l’abus de majorité n’est consommé, lors d’une décision
émanant de l’assemblée des associés836 que si deux conditions sine qua non sont remplies, à savoir l’atteinte à
l’intérêt social et la rupture d’égalité entre les actionnaires minoritaires et majoritaires de cette même société.
Ces deux critères doivent se conjuguer pour caractériser l’abus. Il faut en déduire que le constat qu’une
décision est contraire à l’intérêt social ne suffit pas à la juger infectée par un abus de majorité. De la même
façon, le fait qu’une délibération sociale favorise les majoritaires au détriment des minoritaires ne devrait pas
en principe suffire à la rendre abusive837. Il convient alors de préciser chacune de ces deux conditions, sachant
que si l'intérêt social permet d'examiner les faits constitutifs de l'abus du droit de vote au regard de la société,
la rupture de l'égalité entre les associés conduit le juge à déterminer les différents types d'abus et permet, ainsi,
de distinguer l'abus de majorité de l'abus de minorité838.

141- Concernant la condition se rapportant à la rupture d’égalité entre minoritaires et majoritaires,


elle mérite d’être clarifiée. Il est, en effet, inadmissible que les majoritaires d’une société se procurent, lors
d’une opération de concentration par exemple, des avantages dont les minoritaires de la même société en
seraient exclus. Une telle situation est certainement constitutive de la rupture d’égalité839 en tant que condition
fondamentale de l’abus de majorité. Dans cet ordre d’idées, nul n’en disconvient que le contrat de société
constitue la terre d’élection de l’égalité entre contractants. D’ailleurs, le Conseil constitutionnel français a

majoritaires décident de ne pas distribuer les dividendes mais de les affecter sous forme de réserve ou de les mettre à la disposition d’une autre
société du groupe. In, Les conflits d’intérêts dans la société anonyme, Pratique des affaires, éd. Joly, 1999, n° 192 et 193. Le législateur tunisien est
d’un avis contraire puisqu’il exige également une atteinte à l’intérêt de la société.
835
Sous la direction de MESTRE (J), Lamy sociétés commerciales, 1994, n°2417.
836
L'abus de majorité peut se manifester au sein de l'assemblée générale comme au sein du conseil d'administration. En effet, l'administrateur est
titulaire d'un droit-fonction, ce qui signifie qu'il doit suivre l'intérêt de la société et ne peut rechercher son intérêt personnel lorsqu'il prend une
décision. Il est, en outre, le mandataire de l'assemblée générale dans son ensemble, et non celui d'un groupe particulier d'actionnaires. Il va de soi
qu'il existe des affinités entre les actionnaires d'une société et le conseil d'administration. Les décisions du conseil d'administration ne peuvent
cependant pas devenir l'instrument d'un abus de majorité. C'est aux administrateurs qu'il appartient d'apprécier l'opportunité des décisions à prendre
dans l'intérêt de la société, et le juge ne peut contrôler leur pertinence que de manière marginale. L'annulation d'une décision du conseil
d'administration pour abus de majorité suppose que deux conditions soient remplies : la majorité doit délibérément sacrifier les intérêts de la
société aux siens propres ou à ceux de tiers ; la décision doit aussi causer un préjudice à la société ou à tout le moins susceptible d'en causer un.
Lorsque ces conditions sont remplies, le juge peut annuler une décision du conseil d'administration. Il s’agit là de l'évolution la plus surprenante de
la jurisprudence française consacrée par l'arrêt rendu par la Cour de cassation le 21 janvier 1997 (Cass. Com. Fr., 21 janvier 1997, Rev. Soc. 1997,
p. 527, note B. Saintourens ; Bull. Joly 1997, p. 312, note P. Le Cannu ; J.C.P. éd. E., 1997, II, 965, note J.-J. Daigre ; Droit et Patrimoine, avril
1997, p. 76, note J.-P. Bertrel.). La Cour a profondément innové en décidant qu'une société pouvait agir en nullité pour abus de majorité contre un
acte accompli par un dirigeant avec l'un des associés. Pour la première fois, les hauts magistrats ont admis que l'abus de majorité pouvait résulter
d'une décision des dirigeants, et que la société avait qualité pour demander l'annulation de cet acte. En décidant ainsi, la Cour a pris en contre-pied
la doctrine qui considérait jusqu'à présent que le juge ne pouvait rechercher l'abus du droit de vote que dans les décisions qui émanaient des
assemblées générales des sociétés. En d'autres termes, ce type d'abus s'appréciait lors du vote des résolutions par la collectivité des associés. Si les
minoritaires refusaient de voter une décision indispensable à la survie de la société, leur comportement pouvait être qualifié d'abusif. Les
majoritaires qui adoptaient une résolution contrairement à l'intérêt de la société et des autres associés étaient également coupables d'abus du droit
de vote. Il semble qu'en admettant que les actes des dirigeants puissent être qualifiés d'abusifs, le juge est en train de proposer une autre définition
de l'abus du droit de vote, qui élargirait du même coup cette notion. Il y a lieu d'indiquer que dans cet arrêt, le juge ne fait aucune référence aux
avantages acquis par les majoritaires au détriment des minoritaires. Cela pourrait signifier que le juge tiendrait actuellement compte, dans
l'appréciation de l'abus du droit de vote, uniquement de la notion d'intérêt social. Ceci donnerait un large pouvoir d'intervention des tribunaux dans
le fonctionnement des sociétés ce qui, à long terme, pourrait être contraire au principe normal de la gestion des sociétés basé sur la loi de la
majorité. Il est donc souhaitable que les juges maintiennent la définition traditionnelle de l'abus du droit de vote des majoritaires et ce, pour mieux
sanctionner les résolutions abusives. V. aussi Cass. Com. Fr., 6 juin 1990, Bull. Joly 1990, note P. LE CANNU, Grands arrêts du droit des
affaires, Dalloz, p. 500.
837
La jurisprudence française est toutefois moins tranchée et il existe des situations dans lesquelles l’abus est caractérisé sans qu’une atteinte à
l’intérêt social puisse être établie. Ce sera le cas lorsque la décision imposée par les majoritaires procédera d’une intention de nuire aux
minoritaires ou lorsque sans être contraire à l’intérêt social, elle sera dépourvue de la moindre justification économique.
838
TRICOT (D), Abus de droit dans les sociétés, abus de majorité et abus de minorité, R.T.D. Com. 1994, p. 617 ; KENGNE (G), Le rôle du juge
en matière d’abus du droit de vote, L.P.A., 12 juin 2000, n° 116, p. 10.
839
Nul doute que le principe d’égalité entre actionnaire est un principe fondamental qui anime le fonctionnement interne de la société. Cependant,
malgré son importance, ce principe n’a été consacré par aucun texte en droit tunisien. Il n’en demeure pas moins que notre droit des sociétés s’en
inspire profondément. L’abus de majorité n’est, à ce niveau, qu’une consécration pure et simple de ce principe. V. à ce propos MESTRE (J),
L’égalité en droit des sociétés, Rev. Soc., 1989, p 399 ; CORDONNIER (P), De l’égalité entre actionnaires, thèse, Faculté de droit Paris I, 1924.
BOUDABBOUS (J), L’inégalité entre les actionnaires dans les sociétés anonymes, mémoire de DEA, Faculté de droit de Sfax, 2000, p 1 ; NSIRI
(S), L’actionnaire minoritaire, mémoire de DEA, Faculté de droit de Sfax, 2001, p 130.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

reconnu au principe d’égalité sa valeur constitutionnelle840. Ainsi, sa force est telle que même le législateur ne
peut arbitrairement y déroger841. Il s’impose également au juge. Comme a pu le souligner le professeur
MESTRE, ce concept est un « principe à efficacité contentieuse »842, dont la manifestation la plus remarquable
est la construction de la théorie de l’abus du droit de vote. En effet, en sanctionnant ces déloyautés, le
législateur et la jurisprudence visent avant tout à réprimer les ruptures d’égalité.
Dans ce cadre, le professeur Schmidt met l’accent sur le fait que la décision abusive est celle prise
« dans l’unique dessein » de favoriser les membres de la majorité au détriment de la minorité. Cette
formulation met en valeur le caractère intentionnel de l’abus de majorité et distingue la résolution abusive de la
décision imprudente, négligente ou malheureuse. L’actionnaire minoritaire ne bénéficie d’aucune garantie le
protégeant des aléas d’une gestion préjudiciable. En revanche, ses intérêts méritent protection lorsque la
décision majoritaire, détournant la loi de la majorité de sa finalité et violant l’intérêt commun des actionnaires,
a pour objectif délibéré l’obtention d’un avantage au détriment des minoritaires843. Cela ne semble pas être
l’avis du législateur, au sein de l’article 290 précité, qui ne paraît pas exigé une quelconque intention
malicieuse.
Cette rupture, dont il est question, se compose, en réalité, de deux éléments : un préjudice subi par les
minoritaires et un avantage réservé aux seuls majoritaires844. En effet, contrairement aux minoritaires qui
subissent un préjudice, les majoritaires réalisent un intérêt personnel injustifié qui prend généralement la
forme d’un gain pécuniaire excessif. Mais en quoi réside la recherche d’un avantage personnel ? En matière
d’abus de majorité, cette notion ne suscite pas de difficultés particulières. Ainsi, en matière de constitution de
réserves, il pourra s’agir de l’octroi aux majoritaires de substantielles rémunérations845. De même, la Cour de
cassation française a sanctionné une scission partielle à une société créée à cette occasion, en retenant que
l’avantage du majoritaire résidait dans l’octroi d’un poste de gérant dans la deuxième société avec une
rémunération assez importante contrairement au minoritaire qui n’a aucunement profité de l’opération846.
La rupture d’égalité suppose également un dommage subi par l’ensemble des associés minoritaires ou
quelques uns d’entre eux847. Ce préjudice peut résider dans le seul fait pour les minoritaires de ne pas profiter
des avantages tirés par les majoritaires848. Cependant, la démonstration d’un dégât est indispensable849, dont la
preuve incombe aux minoritaires850, conformément au principe de bonne foi qui régit les relations
contractuelles851. Reste que le préjudice en question ne concerne pas seulement les minoritaires. Il peut
atteindre aussi tous les intervenants dans l’activité de la société, car si l’abus ne profite en principe qu’à ses
acteurs, ses conséquences négatives sont d’une étendue très vaste852.

840
MESTRE (J), L’égalité en droit des sociétés (Aspects de droit privé), Rev. Soc. 1989 p 399 – sur l'ensemble de la question, V. PERRIN-
NEUNREUTHER (M), Permanence et renouvellement du principe d'égalité entre actionnaires. Vers des principes d'égalité ?, th., Aix en
Provence, 1994 ; MOULIN (J-M), Le principe d'égalité dans la société anonyme,,, th., Paris V, 1999.
841
En réalité, l’égalité est appréciée in concreto. Ce principe ne s’oppose pas, en effet, à ce que soient traitées de manière différente des personnes
qui ne sont pas placées dans la même situation.
842
MESTRE (J), L’égalité en droit des sociétés, art. pré. p 399.
843
SCHMIDT (D), Les conflits d'intérêts dans la société anonyme, Op. cit., n° 333.
844
GERMAIN (A), L’abus du droit de majorité, Gaz. Pal., I, 1976, p168 ; LEPOUTRE (E), Les sanctions des abus de minorité et de majorité
dans les sociétés commerciales, Dr. Et Patr. 1995, n° 33, p. 68 ; TRICO (D), Abus de droit dans les sociétés : abus de majorité et abus de minorité,
RTD Com, 1994, p 617 ; ARMAND (C) ET VIDANDIER (A), Réflexions sur l’exercice de l’action sociale dans le groupe de sociétés :
transparence des personnalités et opacité des responsabilités, RS, 1986, p560.
845
Cass. Com. Fr., 6 juin 1990, D. 1992 p. 56, note J.-Y. CHOLEY-COMBE ; Rev. Soc. 1990 p. 606, note Y. CHARTIER ; Grands arrêts du
droit des affaires, n° 45 p. 496, note J. MESTRE – dans le même sens, V. C. A. Versailles 1er févr. 2001, RJDA 2001 n° 693 ; RTD com. 2001 p.
709, obs. Cl. CHAMPAUD et D. DANET.
846
Cass. Com. Fr., 24 janv. 1995, Defrénois 1995 p. 690, note J. HONORAT ; Rev. Soc. 1995 p. 46, note M. JEANTIN - adde, LE CANNU (P),
La sous-filialisation abusive, Bull. Joly 1995 p. 303.
847
SCHMIDT (D), Les droits de la minorité dans la société anonyme, op. cit., n° 210.
848
RIVES-LANGE (J-L), L’abus de majorité, RJ com nov. 1991, n° spécial, La loi de la majorité, p. 65 – en ce sens, C. A. Aix en Provence, 30
juin 2000, Bull. Joly 2001 p. 168 ; Dr. Sociétés 2000 n° 241, obs. D. VIDAL.
849
Cass. Com. Fr., 4 oct. 1994, Defrénois 1995, p. 251, obs. P. LE CANNU. En l’espèce, le montage critiqué avait entraîné une expansion de la
société dont tous les actionnaires tiraient profit. Dans ces conditions, la décision ne pouvait être entachée d’abus de majorité.
850
Cass. Com. Fr., 9 nov. 1966, RTD com. 1967, p. 526, obs. R. HOUIN.
851
V. les art. 243 et 558 C.O.C. V. à ce propos RIVES-LANGE (J-L), L’abus de majorité, précité, p 65. Cette position se justifie d’autant plus
que les associés majoritaires sont présumés agir dans l’intérêt de la société, V. SCHMIDT (D), Les droits de la minorité dans la société anonyme,
op. cit., n° 219.
. ‫ـــــــــــــــــــــــــــــــــــــــ‬K + ‫ و‬34 ‫ ص‬،1996 ‫ رس‬1 ‫ ي و‬/ G 29 ،" 9AJ‫ ا‬/ ‫ت‬C 3‫! ا‬$ ‫ ت‬O‫ < ل " إ‬H7/] ‫ف‬4@ AJ‫ا‬ ‫ ي ا ة‬K‫ ﺟ‬U ،9AJ‫ ا‬/ ‫ت‬C 3‫ ا‬8G 5 ‫ ا‬i!#$ ،‫ وس‬3 1‫ زھ‬852

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

142- En sus de la rupture d’égalité853, l’abus de majorité n’est retenu, dans une décision émanant de
l’assemblée des associés, que si cette dernière est contraire à l’intérêt social de la personne morale854.
Dans le cadre d’une société isolée, le respect de l’intérêt social est un fait patent à ne plus démontrer.
Cet intérêt constitue le principal critère d’interprétation de la plupart des règles organisatrices des sociétés
commerciales, y compris celles relatives à la notion d’abus855.
Sur ce point, la Cour de cassation française exige que la décision qualifiée d’abus de majorité ait été
« prise contrairement à l’intérêt général de la société »856. L’arrêt, rendu le 5 décembre 2000, par la chambre
commerciale française illustre à la perfection cette exigence857. Un associé minoritaire détenant 25% des parts
demande l’annulation pour abus de majorité de deux délibérations, l’une relative à un apport au profit d’une
filiale à créer et l’autre relative à une augmentation suivie d’une réduction de capital, qui ont eu pour effet de
réduire sa participation à 0,2 %. La cour d’appel d’Aix-en-Provence déclare irrecevable l’appel au motif
«qu’il n‘était nullement démontré que les actes et délibérations critiqués étaient contraires à l’intérêt social ».
La Cour de cassation française rejette le pourvoi en énonçant que la décision entreprise « se trouve justifiée
par ce seul motif ». Pour elle, il est inutile de se demander si l’opération critiquée profite aux uns et nuit aux
autres, il suffit de s’interroger sur la contrariété à l’intérêt social. Faute d’une telle contrariété, il n’y a pas
d’abus.
Symétriquement encourt la cassation, l’arrêt qui juge abusive une résolution prise au détriment d’un
minoritaire « sans rechercher en quoi la résolution était contraire à l’intérêt de la société »858. Il reste que la
preuve de cette contrariété est parfois difficile à établir859. Cette difficulté se vérifie davantage lors de
l’identification de l’acte antisocial. En effet, plusieurs critères ont été avancés pour cerner la définition d’un
tel acte comme par exemple l’absence de contrepartie ou encore celui du risque social860. Pourtant aucune
règle de portée générale n’a pu être dégagée malgré les efforts louables de la doctrine861.

143- Ainsi éclairci, l’abus de majorité peut être facilement contrecarré à condition bien sûr qu’on
reconnaisse au juge le droit de contrôle et même d’immixtion dans l’appréciation de l’opportunité des
décisions prises. Le juge lui-même doit se reconnaître un tel pouvoir. Malheureusement, telle n’a pas été la
position de notre juge dans l’affaire des transports légers de 1973, pourtant c’était là un cas typique d’abus de
majorité. Le juge avait l’occasion propice pour se reconnaître un droit de contrôle sur une institution dont il a
lui-même souligné l’importance économique, il l’a tout simplement ratée862. Les faits étaient simples : un

853
D’après monsieur Schmidt, « ajouter l’atteinte à l’intérêt social apparaît inopportun, inutile et parfois impraticable. Inopportun car cela laisse
croire aux plaideurs qu’ils sont en droit de déférer la politique sociale au contrôle des tribunaux qui deviendraient en quelque sorte les arbitres
entre majoritaires et minoritaires, voire les juges en appel des décisions collectives, voilà qui affaiblirait sensiblement le pouvoir majoritaire.
L’adjonction est aussi inutile puisque, en droit, cette atteinte à l’intérêt social est déjà caractérisée par l’usage du pouvoir majoritaire à des fins
partisanes, et qu’en fait, la jurisprudence publiée n’offre aucune illustration positive d’une situation dans laquelle l’intérêt social serait satisfait
par une décision prise dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité. Enfin, l’adjonction mène parfois à l’impasse : en cas de
fusion, l’impossibilité d’apprécier l’intérêt de la société absorbée qui disparaît interdit en fait la constatation de l’abus. Alors, pourquoi exiger la
contrariété à l’intérêt social ? ». SCHMIDT (D), Les conflits d'intérêts dans la société anonyme, Op. cit., n° 325.
854
Pour éviter tout risque de confusion, il sied de distinguer l’intérêt social de l’objet social défini comme étant l’ensemble des activités
industrielles ou commerciales entreprises directement par la société. L’intérêt social diffère également du but social qui consiste dans l’intention de
réaliser et de partager les bénéfices sociaux (ou même de réaliser des économies). Enfin il est à préciser que l’intérêt social n’est pas toujours
conforme aux intérêts de la majorité. A propos de la définition de l’intérêt social, V. infra, n° 294. V. aussi SCHMIDT (D), De l’intérêt social,
JCP, éd. E., 1995, I, n° 488 ; SOUSI (G), L’intérêt social dans le droit français des sociétés commerciales, Th., Lyon III, 1974 ; HMAMIA (N),
L’intérêt social dans les sociétés commerciales, mémoire de DEA, Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis, 1997, p 11.
855
MESTRE (J) et PANCRAZI (M-E), op. cit., p 240, n° 253.
856
On ne reviendra pas ici sur la discussion portant sur l’adjectif général, on parlera de l’intérêt de la société ou de l’intérêt social.
857
Bull. IV, n° 192 ; BuIL JoIy 2001, § 171. p. 262, note P. Le Cannu ; cet annotateur observe que « l’arrêt se montre d’un classicisme parfait ».
858
Cass. Civ. Fr., 3ème, 18juin 1997, Bull. Joly 1997, n° 346, p. 968. note P. Le Cannu. - Add,: cass. com., 22mai 2001. Defrênois 2001, p. 1204,
obs. H. Hovasse.
859
Ibidem.
860
BELHAJ YAHIA (B), L’abus des biens et du crédit sociaux, Colloque « le droit pénal et les sociétés commerciales », 2 3 et 4 mai 1985,
Centre de recherche d’étude et de publication, FDSPT, p 146.
861
PORACCHIA (D), Le rôle de l'intérêt social dans la société par actions simplifiée, Rev. Soc. 2000, p. 223 ; SCHAPIRA (J), L'intérêt social et
le fonctionnement des sociétés anonymes, RTD Com. 1971, p. 957 ; SCHMIDT (D), De l'intérêt social, JCP éd. E 1995, I, n° 488 ; BERTREL
(J-P), La position de la doctrine sur l'intérêt social, Dr. et Patr. 1997, n° 48, p. 43 ; BISSARA (PH), L'intérêt social, Rev. Soc. 1999, p. 5 ;
BAILLY-MASSON (C), L'intérêt social, une notion fondamentale, PA, 9 nov. 2000, p. 6 ; DEKEUVER (A), Les Intérêts protégés en cas d'abus
de biens sociaux, JCP éd. E 1995, I, p. 500 ; GOUTUY (PH) et DANOS (F), De l'abus de la notion d'intérêt social, D. affaires 1997, p. 877.
.31 ‫ ص‬،2002 ،H‫ــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــ‬ A ! ‫ م ا‬# ‫ ا ق و ا‬C ، # ‫ ت ا‬A‫ دة ا را‬KO V 4 ‫ ة‬CD ،9A ‫ ا‬/ ‫ ت‬C 3 ‫ ا‬8G i!# ‫ ا‬، A ‫زرارة‬
862
BEN NASR (T), Le contrôle du fonctionnement des sociétés anonymes, Editions 2000, p 141.

Page 116
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

groupe d’actionnaires dans cette société avait introduit une action en justice en vue de faire nommer un expert
en comptabilité pour apprécier et vérifier les documents comptables de la société et décider, au vu des résultats
de l’expertise, de l’opportunité de la distribution des bénéfices aux associés. Dans un attendu des plus net, la
chambre commerciale auprès du tribunal de première instance de Tunis, et après avoir affirmé la pleine
souveraineté de l’assemblée générale des actionnaires, a estimé que le tribunal n’a pas à « s’immiscer dans les
affaires internes de la société anonyme dans laquelle seule l’assemblée générale est compétente pour juger de
l’opportunité de la distribution des bénéfices »863. Il est dommage que le tribunal n’ait pas été un peu plus loin,
pourtant l’occasion était là et il n’avait qu’à en profiter s’agissant bien d’un cas d’abus de majorité864. Une telle
position est fort regrettable car « le juge ne doit pas rester en dehors du circuit économique pour la simple
raison de la neutralité »865. L’intérêt majeur de l’entreprise doit être, entre autres, le souci du juge. Il doit avoir
comme guide, à la fois, l’intérêt des associés et celui de la société. Pour ce faire, il doit relever que le pacte
social a été détourné de sa finalité et que, sous couvert des intérêts de la société, certaines décisions ont été
prises en raison d’intérêts purement personnels. Notre cher juge devrait donc se reconnaître ce droit de
contrôle, qualifié de « contrôle sur l’intention des associés »866.
Le regret demeure, à vrai dire, de moindre importance car il ne s’agit là que d’une affaire qui date des
années soixante dix, c'est-à-dire bien avant la promulgation du code des sociétés commerciales et en l’absence
de toute reconnaissance légale de l’abus de majorité. Sans doute, l’attitude jurisprudentielle aurait été
totalement différente, dans le sens de l’application de l’abus de majorité aux faits d’espèce susmentionnés, si
le problème s’était posé sous l’auspice du code précité.
Ce regret se dissipe, par contre, complètement si on rappelle que le tribunal de première instance de
Tunis ainsi que la Cour de cassation867 ont reconnu explicitement l’abus de majorité, même avant la
promulgation du code des sociétés commerciales et ce, dans deux affaires différentes datant respectivement
des années 1973 et 1989868. Le tribunal de première instance de Tunis a jugé que l’abus de majorité existe
« lorsque la décision de cette majorité ne tient compte que de ses intérêts au détriment de l'intérêt de
l'entreprise et celui de la minorité »869. Certes, le tribunal a refusé de s'immiscer dans la gestion de la société.
Il s'est toutefois reconnu le droit d'annuler les décisions sociales aussi bien pour irrégularité formelle que pour
abus de majorité.
Monsieur Fouchard a pu écrire, concernant ce jugement, qu’il s’agit bien là d’ « une décision qui
présente un intérêt tout particulier. Malgré son caractère isolé et le fait qu’elle émane des juges du premier
degré, on peut souhaiter que les principes ici posés orientent la jurisprudence tunisienne de l’avenir870 ».
Plus courageux étaient nos juges avant l’indépendance. Une décision de la Cour d’appel de Tunis du
05/05/1953 en apporte la preuve inéluctable. En effet, dans un jugement datant du 05/05/1953, la Cour d'appel
déclare qu'il en résulte "que, grâce aux 67 voix dont ils disposaient comme propriétaires d'actions ou
représentants d'actionnaires absents, les époux X..., particulièrement intéressés par l'ordre du jour, ont, dans
leur seul intérêt personnel, fait élire un conseil d'administration constitué à leur gré et systématiquement tenu
le groupe minoritaire à leur merci en faisant rejeter par l'assemblée, notamment après l'élection de C...
comme administrateur, toutes les résolutions présentées par le groupe, en permettant de surcroît à X... de se
donner quitus à lui-même par l'approbation de son rapport de gestion depuis 1949 ; que le groupe majoritaire
ne pouvait tenir a priori le groupe minoritaire comme responsable de l'opposition existant entre les deux
groupes et se coaliser contre lui pour l'écarter de la gestion de la société et repousser systématiquement ses

863
T.P.I. Tunis, jugement n° 134, du 30 juillet 1973, RJL, 1974, p 70.
864
BEN NASR (T), op.cit., p 141.
865
Ibidem.
.1991 ،H‫ ـــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــ‬$ ، N L H ‫ أور‬C O ،8 ‫'اع ا‬4 ‫ ا‬8G ‫ ت‬p ‫ و ا‬8g ‫ ا‬،‫ (ي‬0H‫( ﷲ ا‬63 : 6‫ُ اﺟ‬+ N ‫] ص أ ا د ] رة‬P
866
CARTEROU (M-M), L’abus du droit et le détournement des pouvoirs dans les assemblées générales des sociétés anonymes, Rev. Soc., 1964,
p 162.
867
Cass. Civ., Arrêt n° 22409, du 2 février 1989, RTD, 1990, p. 389, note M-L. HACHEM.
868
V. aussi C.A. Tunis, arrêt n° 1895, du 28 décembre 1988, AJT, 1990, n° 3, p. 112, note M-L. HACHEM ; C.A. Sousse, arrêt n° 14663, du 12
avril 1990, RTD, 1990, p. 336, note M-L. HACHEM (en arabe).
6+‫ اھ ز‬A ‫ دون‬4 ] P ‫ ا‬8‫ ھ‬M ‫ ! ھ‬+‫ د‬# ‫ ا‬# ‫ ا‬# ‫ " ان ا‬8 + 1973 + ‫ ﺟ‬30 8G H ‫ا ا‬ ‫ ا‬MN ‫ ا ] در‬134‫ د‬N 8 ‫ ا ري ا‬9 ‫ ورد‬869
‫ ارات‬7 M ‫ ار‬7 8G + ‫ ﺟ‬/] M#L ‫ ا‬6 + 9 ‫ ة ط‬P ‫ ا‬V‫ اھ‬LA‫ ا‬6+‫ ا ز‬N 7‫ ا‬U < ‫ او‬k D ‫ م‬V $ ‫ان‬ H ‫ و‬9A ‫ ا‬/ C O 8G 9‫ ! ھ‬VC U N ‫ا ر ح‬
‫ ة‬3‫ا‬ 1F!7; J6G ! $ 162 ‫ (ة ا‬F ‫ ار‬, ) ;‫ ان ا‬%6W = 13 O ‫ ا‬10 A ‫ ا‬, = 0 ‫ او‬3 ‫ < ا‬4 ‫ ا‬M ‫ن‬ ‫ ق‬a G 5 ‫ ا‬a$‫ ر‬7 ‫ ر ان‬N #‫ ا‬# ‫ا‬
.70 ‫ ص‬،1974 ،1‫ د‬N .‫ ت‬.‫ ق‬.‫ ب م‬9 ‫ا ا‬D‫ ورد ھ‬." ,1 ‫ ا ! ھ‬, 12 ‫ ا‬-2 ‫ ة‬3‫(م ا‬7 ‫ م و‬3 9 !D_ ‫ ا‬-2 ‫ دون‬G ‫ ا‬E -2
870
T.P.I. Tunis, jugement n° 134 du 30 juillet 1973, RTD, II, n° 2, p 162, note Philippe Fouchard.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

propositions de résolution cependant conformes aux statuts" et enfin "que les décisions prises au cours de
l'assemblée du 19 février 1952 apparaissent ainsi comme ayant été dictées moins par l'intérêt social que par
l'intérêt personnel des administrateurs et même par le dessein concerté de nuire au groupe minoritaire"871.
La Cour de cassation française, dans son arrêt 57-02531 du 06/02/1957, approuve cette décision en ces
termes : « Attendu que par ces motifs dépourvus d'ambiguïté la Cour d'appel de Tunis a établi les abus de
droit commis par les membres de la majorité et qu'elle a pu dès lors annuler les décisions ainsi prises, sans
violer aucun des textes visés au moyen, d'où il suit que celui-ci n'est pas fondé »872.
La conclusion est la suivante : avant l’indépendance, nos juges appliquaient expressément la notion
d’abus de majorité en matière de société en dehors de tout texte spécial reconnaissant cet abus. Actuellement,
le texte spécial existe, à savoir l’article 290 CSC, on ne comprend pas pourquoi les juges hésitent encore à
l’appliquer !

144- Après avoir examiné, de façon générale, la définition ainsi que les éléments constitutifs de
l’abus de majorité, la question qui risque de se poser avec beaucoup de stridence est celle de savoir si cet abus
garde la même constitution dans les procédés de concentration, ou bien va-t-il, au contraire, se métamorphoser
pour adopter des constituants nouveaux ?

-§2- : Métamorphose de l’abus de majorité à l’aune des procédés


de concentration

145- Certes, comme toute décision de gestion modifiant le pacte social, la mise en place d’une
opération de concentration émane toujours du pouvoir majoritaire réuni dans une assemblée générale
extraordinaire. Néanmoins, lors d’une opération de concentration, le problème de l’équilibre des pouvoirs a
naturellement un aspect encore plus aigu et permanent873 en raison des innombrables et parfois monstrueuses
combinaisons qui enchevêtrent les intérêts et les capitaux des sociétés en question874. En effet, les minoritaires
dont la situation est déjà désavantageuse dans une société isolée, face à une majorité qui détient tous les leviers
du pouvoir, sont dans une situation bien plus grave encore lorsque leur société décide de fusionner, de se
scinder ou encore se grouper. Dans ces cas, non seulement la disproportion des forces est plus grande, puisque
les intérêts majoritaires débordent la société elle-même, mais les risques d’abus de majorité seraient bien plus
considérables. La majorité ne considérerait la société que comme un pion dans un jeu de plus vaste portée,
qu’on n’hésiterait pas à sacrifier délibérément875.
Dans cette mesure, les opérations de concentration s’avèrent propices à des abus de la part des
majoritaires. Il est tentant, en effet, pour ceux qui détiennent le pouvoir dans la société, d’en modifier la
structure pour pousser leur avantage et renforcer encore leur position au sein du groupement. La loi ne protège
guère les minoritaires contre un tel risque, sauf à ce qu’ils détiennent une minorité de blocage leur permettant
de s’opposer à toute modification des statuts, ce qui limitera la liberté des majoritaires de procéder à une
opération de concentration. En dehors de cette hypothèse, la loi de la majorité joue à plein et les minoritaires
peuvent redouter d’avoir à en faire les frais. La seule certitude qu’ils puissent avoir est que la modification de
l’organisation sociale ne pourra aboutir à augmenter leurs engagements ; sinon l’unique ressource qui leur est
offerte, lorsqu’ils font les frais d’une concentration litigieuse, est de convaincre le juge que celle-ci n’a pu être
acquise qu’au prix d’un abus de majorité.

871
V. annexe n° 21.
872
http://lexinter.net/JPTXT2/assemblees_generales_et_abus_de_majorite.htm
873
RODIERE (R), la protection des minorités dans les groupes de sociétés, Rev. Soc. 1970, p224.
874
FIAMEL (J), La protection des minorités dans les sociétés anonymes, p 678. Cité par KTARI (S), La corporate governance et les groupes de
sociétés tels qu’organisés par la loi n° 117-2001 du 6 décembre 2001, E.J. n° 9, 2002, p207.
875
OPPETIT (B) et SAYAG (A), Méthodologie d’un droit des groupes de sociétés, Rev. Soc. 1973, p594.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

A défaut de jurisprudence tunisienne en la matière, l’examen de son homologue française révèle que
les opérations d’ingénierie juridique et financière, les restructurations, les opérations de concentration et autres
montages offrent au grief tiré d’un abus de majorité de multiples occasions de s’incarner. Conscient d’une
telle réalité, le législateur a bien fait d’étendre l’abus de majorité aux opérations de concentration sous forme
de groupe de sociétés. Mieux encore, il en a consacré des règles nouvelles876 (I). Chose qu’il n’a
malheureusement pas faite en matière de fusion ni de scission où on applique encore la théorie classique de
l’abus de majorité, telle qu’appréhendée pour une société isolée, à savoir celle de l’article 290 CSC, ce qui
risque de compliquer fortement les choses (II).

I- L’abus de majorité dans le groupe de sociétés : une nouvelle


conception

146- Bien que libre, le droit de vote dans les assemblées générales ne peut être exercé de façon
totalement discrétionnaire. Tout vote abusif, c'est-à-dire contraire à l’intérêt social et émis dans l’unique
dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de la minorité, est contestable. Ceci est également
vrai dans les groupes de sociétés où la protection des minoritaires dépasse la protection des individus, car c’est
l’intérêt même des sociétés du groupe qui est en cause. Les minoritaires de ces sociétés se sont donc vus
reconnaître un droit d’agir non pas à l’encontre de leurs propres associés majoritaires mais contre les associés
majoritaires de la société mère. En effet, l’article 477 CSC dispose que « la minorité des associés dans une
société appartenant à un groupe de sociétés dont la participation n'est pas inférieure à dix pour cent peut
exercer l'action sociale contre les associés représentant la majorité dans la société mère, en cas de prise d'une
décision portant atteinte aux intérêts de la société et ayant pour objectif de servir les intérêts de la majorité au
détriment des droits légitimes de la minorité »877.

L’originalité de cet article consiste dans le fait de permettre aux minoritaires d’une société d’attaquer
les majoritaires d’une autre société. La raison est simple, elle est liée à la dialectique même du groupe de
sociétés. En réalité, l’abus de majorité, dans une société du groupe, n’émane pas de l’associé majoritaire de
cette dernière, c'est-à-dire la société mère, mais des associés majoritaires de la mère. Pour cette raison, les
minoritaires, de la filiale ou de la société contrôlée dans le groupe, ont le droit d’attaquer, sous le chef de
l’abus de majorité, les associés majoritaires de leur société mère. Ainsi, « les minoritaires de la filiale
exercent l’action sociale non pas contre l’associé majoritaire au sein de leur propre société, c'est-à-dire
contre la société mère, mais contre les associés majoritaires de l’associé majoritaire878 ».Visiblement, le
législateur considère que seuls les associés majoritaires de la mère peuvent être responsables de la gestion
abusive d’une société du groupe, laquelle gestion porte atteinte aux intérêts de cette dernière et favorise ceux
de la mère en sa qualité d’associé majoritaire.
D’après messieurs Mellouli et Frikha, la solution de l’article 477 CSC tire son originalité du fait que
les actionnaires n’engagent normalement pas leur responsabilité pour faute de gestion ou de dommages
occasionnés à des tiers, ce sont plutôt les organes de gestion qui en sont responsables879. D’après ces auteurs,
une difficulté peut surgir lorsqu’on cherche à définir la notion de majoritaire, étant donné que « ce ne sont pas
seulement ceux qui détiennent plus de la moitié du capital. Les actionnaires qui détiennent en fait les
décisions sociales dans les assemblées générales sont également des actionnaires majoritaires880 ».

876
V. art. 477 CSC.
877
La solution n’est pas sans rappeler l’action sociale exercée ut singuli consacrée par les articles 220 in fine et 118 CSC. Sur le fondement général
de l’action V. DIDIER (P), De la représentation en droit privé, LGDJ, Paris, 2000, p 385.
878
DAHDOUH (H) et DAHDOUH (C), Droit commercial, Entreprises sociétaires et groupements privés, V 2, T 3, 1ère Ed., IHE Editions, 2007, p
276, n° 491.
879
MELLOULI (S) et FRIKHA (S), Op. Cit., p 403, n° 1495.
880
Ibidem.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

147- Dans cet ordre d’idées, l’article précité pourrait être appliqué concernant un montage juridique
assez proverbial, la sous-filialisation abusive881. En effet, une concentration prenant la forme d’une sous-
filialisation est particulièrement propice à l’abus de majorité882. Cette opération consiste, pour une société
mère, à affecter à une société filiale «B», nouvellement constituée, une partie des actifs d'une société «A» et,
parmi ces actifs, des parts sociales d'une filiale «C» dont l’activité génère des bénéfices importants. La société
«C», qui était une filiale directe de «A», devient une filiale indirecte883. En interposant ainsi une structure
supplémentaire entre la mère et la fille, on peut éloigner une filiale opérationnelle de tout contrôle des
minoritaires. Un tel montage peut avoir des effets positifs en donnant une autonomie de gestion à une activité
importante pour le groupe mais elle peut aussi causer un préjudice financier à la société apporteuse qui, en
étant privée de ses actifs les plus importants, peut devenir une coque vide, ainsi qu'aux actionnaires
minoritaires de cette dernière société, qui peuvent être plus ou moins gravement spoliés. Comme le montre un
arrêt rendu par la chambre commerciale française du 24 janvier 1995884, l'abus de majorité peut être retenu en
cas d'évolution particulièrement défavorable de la société apporteuse dans les années qui ont suivi la
réalisation de l'apport, son chiffre d'affaire ayant chuté ainsi que le cours de ses actions. De façon générale, ce
qui déterminera la décision du juge c’est l’équilibre qui peut exister entre l'importance des risques financiers
encourus par la société apporteuse et l'avantage qu’elle pourra retirer de son appartenance au groupe885.
Tel en est le cas aussi lorsque les majoritaires de la mère imposent une décision entraînant une perte de
substance de l’actif social de la filiale sans contrepartie886 ou encore lorsqu’ils font supporter à une société du
groupe un contrat aux conditions lésionnaires887. Constitue, par exemple, un abus de majorité le fait pour une
société mère d’accepter de prendre à sa charge le passif d’une filiale sans y être tenu, mais seulement en vue de

881
Les opérations de filialisation ou de sous-filialisation sont les opérations par lesquelles une société décide d’abandonner toute activité
opérationnelle et de se cantonner dans le rôle de pure holding. C’est le cas par exemple d’une société éditrice d’ouvrages médicaux et d’ouvrages
juridiques ; jusqu’alors, elle exerçait cette double activité. Elle peut se résoudre à confier la poursuite à deux filiales créées pour l’occasion. La
société apporteuse contrôlera à 100% les deux filiales et n’aura plus dans son patrimoine que les actions des dites filiales. Deux filialisations sont à
distinguer bien que toutes deux permettent, à un degré plus ou moins important, d’augmenter la capacité d’emprunt d’une société sans augmenter
ses actifs réels : il s’agit d’un accroissement fictif de la garantie. - la « filialisation en râteau » consiste à filialiser les différents actifs d’une société
en les intégrant chacun dans des structures juridiques distinctes, toutes détenues à 100 % par la société d’origine qui se transforme en simple
holding. L’actif net consolidé de l’ensemble n’a en rien varié. Mais, en apparence, l’actif net initial semble avoir doublé, car seront ajoutés, d’une
part, les litres de participation inscrits désormais à l’actif du holding et, d’autre part, des actifs nets filialisés dont les titres de participation ne sont
que la représentation. La société aura, grâce à ce procédé, un patrimoine apparent deux fois supérieur à son patrimoine réel. - la « filialisation en
chaîne » permet un accroissement encore plus important des actifs détenus par un ensemble de sociétés. Elle permet de conférer un pouvoir
multiplicateur encore plus grand à des actifs consolidés toujours inchangés. Cette filialisation consiste à apporter tous les actifs du holding sauf un,
à une première filiale de rang un. Celle-ci fait de même vis-à-vis d’une seconde filiale de rang deux et ainsi de suite jusqu’à la filiale en bout de
chaîne qui ne contient qu’un seul actif. A partir de trois, l’effet multiplicateur est plus important que pour la « filialisation en râteau ». Seule
l’information comptable permettra ainsi de décomposer ce montage, principalement grâce à la réglementation de la consolidation des comptes. V.
PEYRELEVADE (J), Contrôler sans surface financière, emprunter sans argent, Rev. Banque, 1985, p. 774.
882
LE CANNU (P), La sous-filialisation abusive, Bull. Joly 1995, p. 303.
883
Montage décrit par LE CANNU (P), Art. pré., p 303.
884
Cass. Com. Fr., Bull. Joly 1995, p 321 ; V. com. LE CANNU (P), Art. pré., p 303.
885
La Cour de cassation française a sanctionné, sur le fondement de l’abus de majorité, la technique dite de sous-filialisation et ce, dans différentes
espèces. Dans l’une des affaires, une société anonyme, qui était contrôlée par une personne physique, avait apporté les titres d’une filiale qu’elle
possédait à une société en commandite par actions constituée pour la circonstance. L’associé majoritaire de la société mère devenait commandité
de la sous-filiale. Le résultat de ce montage était d’interposer une société entre la mère et sa filiale originaire. Cependant, au cours des exercices
suivants, les associés minoritaires de la mère se virent privés de toute participation aux bénéfices de la filiale originaire et demandèrent en
conséquence l’annulation pour abus de majorité de la décision d’apport. Cette prétention fut rejetée par la Cour d’appel de Reims au motif que
l’opération litigieuse ne contrariait pas la vocation aux bénéfices des demandeurs. Cette position est néanmoins censurée, en ces termes : « à la
suite de l’interposition de cette société entre elle et sa filiale, la société Giesler est devenue « une coque vide » dont, de 1986 à 1988, le chiffre
d’affaires est tombé de 88.983.631 francs à 295.815 francs et le bénéfice de 33.176.108 francs à 251.531 francs, que les décisions des gérants
statutaires de la société en commandite, sur lesquels les associés minoritaires de la société Giesler n’ont aucune influence ou contrôle,
commandent les orientations données à la filiale et peuvent empêcher toute remontée des bénéfices vers la société Giesler, si bien que le prix de
l’action est passé de 4.607,79 francs en 1986 à 34,94 francs en 1988, et que « grâce aux caractéristiques propres de la SCA Champagne-Burtin,
Gaston Burtin s’est assuré une complète liberté de manœuvre ». On le voit, la Cour de cassation a entendu sanctionner l’absence de remontée des
bénéfices et non pas le fait que la société mère soit devenue une « coque vide ». En d’autres termes, la Chambre commerciale n’annule le montage
que parce qu’il provoquait une rupture d’égalité entre actionnaires. Elle ne sanctionne que « l’usage effectivement abusif » du montage. Sur
l’ensemble de la question, V. PORACCHIA (D), La réception juridique des montages conçus par les professionnels, PUAM, 1998, préf. J.
MESTRE, n° 609 et s. ; COURET (A), L’ingénierie patrimoniale abusive, Dr. et patrimoine mai 1996 p. 46 ; COHEN (D), La légitimité des
montages en droit des sociétés, Mélanges François Terré, L'avenir du droit, Dalloz, Litec, PUF, 1999, p. 261 ; LE CANNU (P), La sous
filialisation abusive, précité, spéc. n° 14 ; JEANTIN (M), Rev. Soc. 1995 p. 46.
886
Cass. Com. Fr., 29 mai 1972, D, 197, somm., p 176 ; JCP G 1973, II, 17337, note Y. Guyon- cass. Civ, 20 mars 1989, Bull. joly 1989, p 411 §
139 , note P. le Cannu.
887
Cass. Com. Fr., 1 re civ, 20 mars 1989, Bull. joly 1989, p 411, n° 139 , note P. le Cannu

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

faire échapper l’un de ses associés majoritaires, gérant de la filiale en difficulté, à une action en comblement de
passif à laquelle il se trouvait exposé compte tenu des fautes de gestion qu’il avait commises 888. Par ailleurs,
peut être regardé comme constitutif d’un abus de majorité le fait de mettre en place, au sein d’un groupe de
sociétés, des conventions d’assistance et de trésorerie qui lésaient une société au profit d’une autre société dans
laquelle les majoritaires avaient des intérêts889.

148- Tous ces exemples d’abus de majorité montrent que la conception classique de l’abus semble
céder le pas à une conception nouvelle qui pourrait s'accommoder des caractéristiques du groupe de sociétés
puisqu’il ne s’agit plus, pour les minoritaires, de critiquer une décision qui émane des majoritaires de leur
société, mais plutôt de ceux de la société mère. Malencontreusement, il n’en est pas de même concernant les
opérations de fusion et de scission où l’application de la notion classique d’abus de majorité, telle
qu’appréhendée pour les sociétés isolées, risque de mettre en place un imbroglio juridique.

II- L’abus de majorité dans les opérations de fusion et scission :


imbroglio juridique

149- Il est communément admis que toute décision de fusionner ou de se scinder doit obligatoirement
émaner de l’assemblée générale extraordinaire des associés. Si la dite-décision est contraire aux intérêts de
l’une des sociétés fusionnantes et qu’elle favorise les intérêts des associés majoritaires seulement, elle risque
alors d’être attaquée pour abus de majorité conformément à l’article 290 CSC et ce, en l’absence de
dispositions propres à ce type d’abus en matière de fusion ou de scission. Il importe alors de se demander si le
fait qu'on soit en présence d'une décision de fusion n'est pas de nature à infléchir le sens de la jurisprudence et
les conditions posées par le législateur aux fins de constater l'abus de majorité ? Autrement dit, l’abus de
majorité change-t-il de cap lorsqu’il s’agit d’une décision sociale relative à la mise en place d’une opération de
fusion ou de scission ?
En l’absence d’une jurisprudence tunisienne soutenue, la Cour de cassation française répond par la
négative en rejetant une demande en annulation d'une décision de fusion au motif que les minoritaires
plaignants n’ont pas rapporté la preuve du double critère jurisprudentiel classique : rupture d'égalité entre
actionnaires et méconnaissance de l'intérêt social890. Ainsi que le souligne le Doyen Roblot : « les juges
recherchent à la fois si l'acte attaqué a réalisé une rupture d'égalité entre les actionnaires et si cette rupture
n'est pas justifiée par la poursuite de l'intérêt social891 ».
Manifestement, une décision de fusion, par exemple, n’est constitutive d’abus de majorité que
lorsqu’elle est contraire à l’intérêt d’une des sociétés membres de la fusion et qu’elle aboutisse en même temps
à une rupture d’égalité entre les minoritaires et les majoritaires de cette même société. Cette double condition
tirée de l’article 290 CSC892 contraint les minoritaires, insatisfaits par une décision de fusion ou de scission, à
rapporter la preuve de ce qu'une telle opération est contraire à l'intérêt général de la société ; et qu’en outre,
elle leur est préjudiciable et profitable exclusivement aux majoritaires. On peut d'ailleurs relever, dans ce sens
et en l’absence d’une jurisprudence tunisienne publiée en la matière, un précédent de la Cour de cassation
française ayant annulé une décision de fusion sur le fondement d'un abus de majorité au motif que « la fusion

888
Cass. Com. Fr., 29 mai 1972, préc.
889
Cass. Com. Fr., 21 janv. 1997, Bull. civ IV, n°26 ; D1998, jur. P.64, note L. Krimmer; D.1998, somm.p. 181, obs. J-C.Hallouin ; D. aff. 1997,
p 292 ; JCP E 1997, II, 965, note J-J. Daigre ; Bull.joly 1997, p. 312, n° 125, note P. Le Cannu; JCP G 1997, 2296, note F-X.Lucas; Rev. Soc.,
1997, p.76, obs. J-P. Bertel ; RJ com.1998, p 23, note E. Putman.
890
Cass. Com. Fr., 7 juill. 1980, no 79-10.543, Bull. civ. IV, no 287, p. 234, Rev. Soc. 1981, p. 315, note J.-H. où la société absorbante était
actionnaire majoritaire dans l'absorbée.
891
RODIERE (R), La protection des minorités dans les groupes de sociétés, Rev.Soc., 1970, p 245.
892
Ce double critère est inspiré de la jurisprudence de la Cour de cassation française : Cass. Com. Fr., 18 avr. 1961, no 59-11.394, Bull. civ. IV,
no 175, p. 154, D. 1961, jur., p. 661 et s., S. 1961, p. 257, note Dalsace D. ; Cass. Com. Fr., 30 mai 1980, no 78-13.836, Rev. Soc. 1981, p. 311,
note Schmidt ; Cass. Com. Fr., 6 juin 1990, n° 88-19.420, Rev. Soc. 1990, p. 607, obs. Chartier Y.

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était contraire à l’intérêt social et n’avait d’autre but que de priver un minoritaire de son droit de rachat de
parts sociales »893.

150- Ceci étant précisé, il convient d’attirer l’attention sur le fait qu’une application pure et simple de
l’article 290 précité, en matière de fusion ou de scission, peut entrainer une difficulté, voire un imbroglio
juridique devant être solutionné par la jurisprudence, sinon par le législateur. En effet, de par la position qu’il
occupe dans le code, l’article 290 CSC suggère deux lectures différentes relatives à son champ d’application.
La première tend à lui donner un domaine restreint, limité aux seules décisions prises par l’assemblée générale
ordinaire. Cet article vient, en fait, juste après les dispositions consacrées aux assemblées générales ordinaires
mais avant celles relatives à l’assemblée générale extraordinaire. La tentation est alors grande de considérer
qu’il est consacré pour déterminer le régime de la nullité des délibérations prises par la seule assemblée
générale ordinaire894, ce qui exclut toute décision émanant des assemblées générales extraordinaires, en
l’occurrence les décisions en matière de fusion ou de scission. Cette position est d’autant plus soutenable
qu’elle est corroborée par l’argument tiré de l’ordre de succession des articles du sous-titre 4 du C.S.C.
consacré aux assemblées générales. En effet, l’article 274 C.S.C. texte inaugural, commence à classifier les
différentes assemblées générales en assemblé générale constitutive, ordinaire et extraordinaire. Viennent
ensuite les articles de 275 à 290 CSC qui traitent de l’assemblée générale ordinaire. Enfin, on y trouve les
articles 291 CSC et suivants traitant des assemblées générales extraordinaires. Si cette première interprétation
l’emporte, l’application de l’article 290 CSC devrait être exclusive aux assemblées générales ordinaires.

893
Cass. Com. Fr., 11 oct. 1967, no 65-13.852, D. 1968, p. 136, RTD com. 1968, p. 94, obs. Houin R. Il s’agit d’une affaire qui a opposé
essentiellement deux associés -Dr DELAGE au Dr GOUBERT- d’une SARL qui comprenait trois associés (Dr DELAGE, Dr GOUBERT et Mme
CONROZIER) et dont l’actif était constitué par une clinique «Mistral» représentant près de 800 000 F. Cette SARL a été absorbée par une SA
dénommée «Clinique Alésienne» au capital de 10 000 F qui a été constituée essentiellement à cet effet par deux des associés et quelques tiers. Le
problème était que le traité de fusion a été conclu sans que le troisième associé ait été informé. De surcroît, les associés CONROZIER et DELAGE
ont signé le traité de fusion sans informer le troisième associé GOUBERT qui a été convoqué ensuite aux fins de délibération. Malgré son absence,
les deux autres associés se sont, quand-même, réunis en assemblée générale extraordinaire de la société clinique Mistral et ont déclaré qu’ils
formaient la majorité en nombre des associés représentant les trois quarts du capital social et ont approuvé le traité de fusion. Dr. GOUBERT les a
alors assignés en nullité du traité de fusion.Cette fusion a été annulée par les juges de fond et la cour de cassation dans son arrêt rendu le 11 octobre
1967 a rejeté le pourvoi. A l’instar de la cour d’appel, la cour de droit a décidé que «les décisions d’une assemblée générale peuvent être annulées
pour abus de droit lorsqu’elles ont été prises sans aucun égard pour l’intérêt de la société, mais uniquement en vue de favoriser l’intérêt d’un
associé ou d’un groupe d’associés majoritaires, au détriment d’un associé minoritaire». Par cet attendu, la cour de cassation a annulé la fusion car
les deux associés majoritaires (Mme CONROZIER et Dr. DELAGE ) s’étaient entendus sur la fusion, parce qu’ils y trouvaient un intérêt
personnel, par une connivence avec des tiers, pour faire échec au droit de rachat qui appartenait au Dr. GOUBERT en faisant absorber la société
par une autre dont le siège était intentionnellement fixé très loin de celui de la société absorbée. D’autant plus que le traité de fusion a été établi et
signé à l’insu de M. GOUBERT. Cette solution ne paraît guerre contestable tous les éléments de l’abus de majorité classique paraissent bien réunis
: défaut d’intérêt social, intérêt personnel des majoritaires, désir de nuire aux droits de l’associé minoritaire. Il sied également d’évoquer une autre
affaire relative à l’abus de majorité en matière de fusion. Une excellente illustration est offerte par l’affaire qui a opposé la société
MAGARITROFF à la société CITROEN. En l’espèce, il s’agissait de l’absorption de la société PANHARD, dans laquelle la société
MARGARITOFF était actionnaire, par la société CITROEN. Au cours de l’opération, l’actionnaire MARGARITOFF s’est plaint de ce que l’actif
net de la société PANHARD a été indument diminué d’un certain montant pour tenir compte de la valeur boursière et la valeur de rendement de
l’entreprise. Estimant avoir subi un préjudice personnel, lors de la détermination de la parité d’échange, cet actionnaire minoritaire a introduit une
action contre la société CITROEN qui, détenant la majorité à l’assemblée de la société PANHARD, a selon lui commis un abus de majorité.
L’action introduite devant le tribunal de commerce de Paris avait pour objectif l’annulation de la fusion et l’obtention de dommages et intérêts en
vue de la réparation du préjudice ainsi éprouvé. Après avoir été débouté en première instance, l’actionnaire a interjeté appel. La cour d’appel de
Paris a estimé que la décision de fusion n’a pas été prise dans l’intérêt exclusif des majoritaires puisque tous les calculs d’évaluation de l’actif et de
la parité d’échange des titres apparaissaient exacts. Elle a aussi décidé que la résolution majoritaire n’était pas à l’encontre de l’intérêt social car
par démonstration la société PANHARD n’avait d’autre choix que de se laisser absorber ou de décider sa liquidation. La cour a décidé
explicitement ce qui suit : « considérant que, dans une opération de fusion, il importe avant tout que les patrimoines des deux sociétés soient
évalués suivant le même critère ; qu’il résulte des investigations des commissaires aux comptes et des commissaires aux apports que la méthode
dite de « Retail » qui fut choisie est une de celles couramment pratiquées ; qu’elle fait intervenir, outre la valeur intrinsèque des entreprises, leurs
valeurs boursières et leurs valeurs de rendement ; que, suivant MARGARITOFF, ces deux dernières valeurs n’auraient eu, en l’espèce, aucune
signification parce qu’elles auraient été faussées par la société CITROEN ; que cette allégation ne repose sur aucune preuve ; que le faible
rendement de l’entreprise s’explique suffisamment par les difficultés avec lesquelles elle était aux prises ; que la valeur boursière devait
nécessairement être influencée par l’incertitude qui régnait sur les possibilités de survie de l’exploitation ; que l’existence d’une prime de fusion,
critiquée par MARGARITOFF, se justifie par la différence entre la valeur des biens apportés et la valeur nominale des actions créées pour
rémunérer les apports provenant de la société PANHARD, puisqu’elle résulte du fait que les actionnaires de la société CITROEN, au moment de
la fusion, étaient propriétaires de titres, dont la valeur était supérieure à la valeur nominale ; (...) que MARGARITOFF n’a donc pas démontré
que les intérêts des anciens actionnaires de la société PANHARD aient été méconnus ; que c’est à juste titre que les premiers juges l’on débouté ;
Par ces motifs, (...) confirme le jugement attaqué ; condamne MARGARITOFF aux dépens d’appel ». C.A. Paris, 17 Janvier 1972, arrêt préc.
894
MELLOULI (S) et FRIKHA (S), Op. cit., p 250, n° 953.

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Autrement dit, toute décision de fusion ou de scission, qui émane nécessairement de l’AGE, serait exempte
automatiquement de toute sanction sur le fondement de l’abus de majorité !
La deuxième lecture attribue, par contre, à l’article 290 précité un domaine étendu englobant les
différentes décisions des assemblées générales, qu’elles soient ordinaires ou extraordinaires. Cette
interprétation est plus convaincante que la précédente pour trois raisons au moins. Tirée de l’agencement des
articles, la première raison tient au fait que l’article 290 CSC est placé dans une sous-section consacrée aux
assemblées d’actionnaires sans distinction. Cette section, dont l’intitulé est général, devrait concerner aussi
bien les assemblées générales ordinaires qu’extraordinaires. La deuxième, repose sur l’emploi par le
législateur, au sein de l’article 290 CSC, du terme « décisions » sans spécifier la nature de celles-ci. Or selon
l’article 533 du code des obligations et des contrats « lorsque la loi s’exprime en termes généraux, il faut
l’entendre dans le même sens ». Ne dit-on pas qu’il ne faut point distinguer là où la loi ne distingue pas ?
La troisième raison se vérifie au travers des dispositions légales précédant l’article 290 CSC qui ne
s’appliquent pas seulement aux assemblées générales ordinaires mais aux deux types d’assemblées : ordinaires
et extraordinaires. Pour s’en rendre compte suffit-il de bien analyser le contenu des articles 277, 280, 281,
282, 284, 285 et 286 du même code895. Ces articles s’appliquent aussi bien aux assemblées générales
ordinaires qu’extraordinaires.
Toutes ces raisons permettent d’avancer qu’il serait plus judicieux d’assigner un champ d’application
large à l’abus de majorité pour toucher n’importe quelle décision émanant d’une assemblée générale qu’elle
soit ordinaire896 ou extraordinaire897. L’abus de majorité peut alors s’appliquer à toute décision prise quelle
que soit l’assemblée898.
En attendant que nos juges choisissent entre les deux lectures précitées, il semble légitime, en vue de
mettre fin à cet imbroglio juridique résultant de l’ambiguïté des dispositions légales, de prôner une
intervention législative dans le sens d’ajouter expressément, au sein de l’article 290 CSC, l’expression
suivante « émanant des assemblées générales ordinaires ou extraordinaires ». Cet article serait alors formulé
de la façon suivante : « les actionnaires détenant au moins dix pour cent du capital social pourront demander
l’annulation des décisions, émanant des assemblées générales ordinaires ou extraordinaires, prises
contrairement aux statuts ou portant atteinte aux intérêts de la société, et prises dans l’intérêt d’un ou de
quelques actionnaires ou au profit d’un tiers ».
Sans doute une telle intervention ôtera le voile sur la possibilité de soumettre les décisions de l’AGE,
en l’occurrence une décision de fusion ou de scission, à la notion classique d’abus de majorité telle que
conçue par l’article 290 CSC.

151- Toujours pour mieux éclaircir la portée de ce texte, il faudra attirer l’attention sur un deuxième
type d’imbroglio inhérent à la notion de « fusion à l’envers », ce qui est généralement le cas lors d’une
opération LBO899.
A ce propos, un auteur s’est déjà demandé si une société pouvait être absorbée alors qu'elle avait un
actif net négatif900 ? Une telle opération était jugée impossible, sauf en cas de fusion simplifiée901. En

895
Ibidem.
896
Les décisions relatives à l’affectation des bénéfices au compte de réserves ou au compte report à nouveau ont été souvent l’objet de contestation
de la part des minoritaires sur le fondement de l’abus de majorité. C.A. Paris, 28 févr. 1959, J.C.P. 1959, 11. n°11175, note D-B., D. 1959, jur., p.
353, note MART1NE. V. aussi, PAPANTONI (M), L’immixtion dans le droit des sociétés, Sakkoulas/Bruylant 1998, p. 337. Affectation
systématique des bénéfices aux réserves sans influence sur la politique de l’investissement et octroi en revanche d’une prime de bilan au gérant
appartenant au groupe majoritaire : Cass. Com. Fr., 1 juill. 2003, J.C.P. éd. E., 2003, 0041, p. 1417. Mais l’affectation importante des bénéfices
aux réserves est jugée préférable à un recours à des fonds extérieurs lorsqu’il y a une politique d’investissement, C.A. Versailles, 7 déc. 1995,
J.C.P. éd. E., 1996, n°11, p. 336.
897
Ce peut-être le cas des décisions de fusion ou de scission. Mais, il s’agit le plus souvent de décisions d’augmentation de capital avec
suppression du droit préférentiel non accompagnée d’une prime d’émission alors que des réserves importantes sont constituées, des résultats
positifs sont enregistrés et les perspectives d’avenir sont prometteuses ou inversement. Il peut également s’agir d’une augmentation de capital avec
une prime d’émission excessive. Pour une réduction de capital critiquée pour abus de majorité, V. C.A. Reims, 8 sept. 2003, J.C.P. éd. E., 2004,
n°24, p. 855. Pour une opération de coup d’accordéon jugée non abusive, V. C. A. Versailles, 16 déc. 2004, J.C.P. éd. E., 2005, n°5, p. 159.
Apport partiel d’actif à une commandite par actions, jugé abusif, Cass. Com. Fr., 24 janv. 1995, J.C.P. éd. E., n°31. p. 913.
898
M’ZABI (A), Assemblée générale extraordinaire des actionnaires, I.J., n° 22/23, Avril 2007, p 13.
899
V. supra., note n° 635.
900
Daigre (J-J), Peut-on absorber une société ayant un actif net négatif ?, JCP, éd. E, 1992, I, no 165.

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revanche, on s'est peu interrogé sur l'hypothèse inverse. Il peut arriver, en effet, que ce soit la société
absorbante qui est celle dont l'actif net est négatif. Les commentaires émis concernant la dite-hypothèse sont
particulièrement elliptiques, certainement en raison de l'absence de précédent jurisprudentiel. La fusion est
donc une fusion à l'envers, la société qui est la plus petite absorbant la plus grande902. Si la société absorbante
a un actif net négatif et qu'elle n'a aucun élément d'actif903 susceptible d'être réévalué, les associés de la société
absorbée peuvent recevoir, par l'effet de la fusion, des actions904 dont la valeur réelle est inférieure à la valeur
nominale. Plus grave, la valeur des titres reçus peut être nulle voire négative. Cette situation peut survenir
notamment en cas de montage LBO puisque, par définition, dans ce type d'opérations, l'acquéreur,
généralement une société holding, s'endette pour pouvoir acquérir les actions d'une société-cible qui
prospère905.
A priori, on pourrait penser qu'aucun actionnaire n'accepterait de voter le principe d'une opération à ce
point contraire à ses intérêts. Mais, dans le cadre d'un groupe de sociétés, l'intérêt de l'actionnaire majoritaire
recommande la réalisation d’une telle opération906. Même en l'absence de participations entre les sociétés
susceptibles de fusionner, il peut être de l'intérêt du bloc majoritaire de procéder à une telle opération si, par
exemple, il a des intérêts dans les deux sociétés et qu'il désire favoriser l'une d'entre elles.

Lorsqu'elle se prononce sur ce point, la doctrine française est unanime à contester que la fusion puisse
avoir lieu dans ces conditions907. En effet, serait-il possible d’imposer aux actionnaires de la société absorbée
de recevoir des actions d'une valeur inférieure à leur valeur nominale à la majorité requise pour la fusion et
non à l'unanimité ? Une telle opération, qui se heurte aux principes régissant le droit boursier, semble très
controversée du point de vue du droit commun des sociétés.
Plus précisément, la question qui se pose est de savoir si on peut annuler ce genre d’opération sur la
base de l’abus de majorité ? Il a déjà été décidé qu'il est possible de demander la nullité d'une fusion pour abus
de majorité si les conditions classiques de l'abus étaient réunies908. Il faudra alors mettre en exergue la
contrariété de l’opération à l’intérêt social et l’existence d’une rupture d’égalité entre majoritaire et
minoritaires.

152- Concernant la rupture d'égalité, il est tout à fait possible de considérer que la fusion entraînant
pour les actionnaires minoritaires de la société absorbée une remise de titres d'une valeur inférieure à leur
valeur nominale constitue à leur égard une décision qui ne les favorise pas. Seul l'actionnaire majoritaire peut y
trouver un intérêt. Ce dernier va récupérer le patrimoine de la société et ce, au détriment des minoritaires qui
eux, ne vont recevoir que des titres dévalorisés. La preuve de la rupture d'égalité peut être facilitée par le

901
Une fusion simplifiée est l'union d'une compagnie mère avec au moins une de ses filiales dont elle détient la totalité des actions, ou entre deux
ou plusieurs filiales entièrement possédées par la même compagnie mère.
902
Lorsque la société absorbante a un actif net négatif, certains auteurs préconisent de changer le sens de la fusion, la société absorbante dont l'actif
net est négatif devenant la société absorbée. Cependant, il faut bien avouer que le plus souvent cette solution est impraticable. En effet, une société
ayant un actif net négatif ne peut être absorbée par une autre. En effet, la fusion-absorption emportant augmentation de capital de la société
absorbante en vue de l'échange de ses titres contre ceux de la société absorbée, elle suppose qu'il y ait une contrepartie réelle à l'augmentation de
capital afin que celle-ci ne présente aucun caractère fictif . Le principe de réalité du capital et des apports exige donc que le capital d'une société
soit intégralement souscrit et effectivement libéré, cela pour protéger les tiers. Parce qu'il y a augmentation de capital dans la société absorbante, la
nécessité d'un apport ayant une valeur positive au moins égale à l'augmentation de capital est une règle impérative. Lorsque l'actif de la société
absorbante est négatif, il est donc impossible de procéder à l'inversion du sens de la fusion car cela aboutirait à une augmentation de capital fictive.
V. en se sens JEANTIN (M), Fusions-scissions. Conditions de réalisation. Phase préparatoire, J.-Cl. Sociétés, Traité, fasc. 164 B, 1988, no 32 ;
BERTREL (J-P) ET JEANTIN (M), Fusions et acquisitions de sociétés commerciales, précit., no 845 ; COQUELET (M-L), Fusion, Scission,
Apport partiel d'actif, Joly Sociétés, Traité, 1994, no 18. Pour un exemple jurisprudentiel a contrario : C. A. Versailles, 24 juin 1993 : Bull. Joly
Sociétés, 1993, p. 1013, n° 295, note P. Le Cannu ; D., 1993, IR, p. 216.
903
Il peut s’agir notamment d’un actif incorporel.
904
Il peut s’agir aussi de parts sociales.
905
SORENSEN (A), La fusion rapide en question, Bull. Joly Sociétés, 2002, p. 325, n° 71.
906
Comp. « Rapport Lepetit sur la protection des actionnaires minoritaires dans les opérations de fusion et les garanties de cours », 1er septembre
1996, p. 20 et s. (Disponible sur le site internet de la COB).
907
Joly Sociétés, Traité, vo « Fusion, Scission, Apport partiel d'actif », par M.-L. Coquelet (1994), no 18 ; J.-Cl. Sociétés, Traité, fasc. 164 B, «
Fusions-scissions. Conditions de réalisation. Phase préparatoire », par M. Jeantin, (1988), no 32 ; J.-P. Bertrel et M. Jeantin, Fusions et acquisitions
de sociétés commerciales, Litec, 1991, 2e éd., no 845 ; Rép. sociétés Dalloz, vo « Fusion et scission », par Ch. Bolze (1990), no 70 ; Lamy Sociétés
commerciales, 2002, no 1713 ; Mémento Lefebvre Sociétés commerciales, 2002, no 26452.
908
Cass. Com. Fr., 11 octobre 1967 : RTD com., 1968, p. 94, obs. R. Houin ; D., 1968, jur. p. 136. C’est également l’avis d’un auteur. Rép.
sociétés Dalloz, vo « Fusion et scission », par Ch. Bolze (1990), no 70.

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rapport émis par le commissaire à la fusion. En pareille circonstance, celui-ci ne peut qu'affirmer que le rapport
d'échange est inéquitable au détriment des actionnaires minoritaires.
Dans de telles conditions, il est manifeste que la rupture d'égalité entre actionnaires, est caractérisée909.
Quid alors de la contrariété à l'intérêt social ?

153- Parmi les arguments soulevés par les demandeurs, pour caractériser la contrariété à l’intérêt
social, on retiendra l'idée que le fait même de la disparition de la société suite à la fusion est en soi contraire à
l'intérêt social. Certes, comme l’a soutenu la Cour d’appel de Paris, « la contrariété à l'intérêt social ne
saurait résider uniquement dans le fait qu'elle a disparu dans la fusion, sous peine d'interdire de fait toute
fusion-absorption à moins d'unanimité » 910. Il est, en effet, difficile d'apprécier l'intérêt d'une société dans le
cadre d'une opération qui entraîne sa disparition. On ne peut dire que l'opération est contraire à l'intérêt de la
société simplement parce qu'elle entraîne sa disparition puisque la dissolution de la société absorbée est un
effet légal de la fusion911 . Or, il est difficile de démontrer que l'effet légal d'une opération entache celle-ci
d'illicéité, sauf en cas de fraude. Il semble du coup quasi-impossible d'apprécier la contrariété à l'intérêt social
de la société absorbée. En pareille situation, seul l'intérêt de ses actionnaires doit prévaloir puisque le critère
de l'intérêt de la société semble inopérant912. « Il suffirait, pour caractériser l'abus, de retenir que la majorité

909
Pour éviter la rupture d’égalité on peut préconiser les deux solutions suivantes. Les auteurs français qui se sont penchés sur le problème que
constitue la remise de titres dont la valeur réelle est inférieure à la valeur nominale ont proposé, en compensation de cette situation, l'attribution
aux actionnaires de la société absorbée d'actions de priorité. Sous réserve de respecter le principe de la prohibition des clauses léonines et celui
d'égalité des actionnaires à l'intérieur d'une même catégorie, l'article L. 228-11 du Code de commerce français (L. no 66-537, art. 269) permet en
effet aux sociétés par actions d'accorder aux titulaires d'actions de priorité divers avantages tels que, par exemple, l'octroi de dividende prioritaire,
droits privilégiés dans le boni de liquidation, rachat prioritaire de ces titres, amortissement prioritaire ou encore un traitement privilégié en cas de
réduction de capital pour cause de pertes. On pourrait ainsi en déduire que dans le cadre d'une absorption d'une société prospère par une société
ayant un actif net négatif, la remise d'actions de priorité aux actionnaires de la société prospère avec stipulation d'un dividende égal à celui qu'ils
touchaient dans cette société serait le moyen de permettre la réalisation de cette opération. Toutefois, cette solution semble en premier lieu difficile
à mettre en œuvre car elle implique que malgré l'absorption, la société issue de la fusion soit susceptible de générer des bénéfices distribuables
suffisants pour compenser le préjudice causé par la fusion. De plus, il sera très difficile de calculer le montant du dividende prioritaire qui devra
être accordé aux actionnaires de la société absorbée pour compenser la perte occasionnée par la fusion. V. en ce sens JEANTIN (M), précit. no 32 ;
COQUELET (M-L), précit. no 18 ; Lamy Sociétés commerciales, 2002, no 1726 ; Mémento Lefebvre Sociétés commerciales, 2002, no 26452 ;
FERRY (C) ET ALII, Les actions de priorité, Dr. sociétés, Actes pratiques, 1993/11, p. 2 ; DAIGRE (J-J) ET ALII, Les actions à privilèges
financiers, Dr. sociétés, Actes pratiques, 1997/32. Une autre solution peut être préconisée pour éviter la rupture d’égalité, à savoir le coup
d'accordéon, c'est-à-dire une réduction de capital qui permet d'assainir la situation de la société absorbante. Celle-ci a lieu par imputation des pertes
sur le capital. Cette imputation entraîne, à due concurrence, la disparition des pertes comptables. Si, à l'issue de cette opération, l'actif net de la
société n'est plus négatif, la valeur vénale des actions de la société absorbante rejoint leur valeur nominale. Mais il n'est pas certain que les
actionnaires de la société absorbante acceptent de procéder à une telle opération qui diminue leurs droits dans la société. De plus, il n'est pas
toujours évident qu'une simple réduction de capital suffise à faire concorder la valeur nominale et la valeur vénale des actions de la société
absorbante. Il peut être nécessaire de la remettre à flot en procédant à une augmentation de capital. Dans ce cas, l'opération peut d'autant plus être
réalisée valablement qu'il est désormais admis que la réduction de capital peut aller jusqu'à zéro pourvu qu'une augmentation de capital
concomitante permette de revenir au minimum légal .On peut cependant comprendre la réticence des actionnaires de la société absorbante à
procéder à ce coup d'accordéon. Non seulement, leurs droits dans la société diminuent à due concurrence de la réduction de capital, mais ils se
voient obligés, s'ils ne veulent pas être dilués, d'apporter à cette société des sommes qu'ils n'ont peut-être ni la volonté, ni la possibilité de lui
transférer. Il est peu vraisemblable qu'ils y consentent dans le cadre d'une opération qui, de plus, ne viserait qu'à protéger les droits des associés
d'une autre société destinée à être absorbée. Le coût de cette solution peut donc être particulièrement dissuasif. V. en ce sens JEANTIN (M),
précit. no 32 ; COQUELET (M-L), précit. no 18 ; Lamy Sociétés commerciales, 2002, précit. no 1726 ; Mémento Lefebvre Sociétés commerciales,
2002, précit. no 26452 ; SYLVESTRE-TOUVIN (S), Le coup d'accordéon ou les vicissitudes du capital, précit., nos 22 et s. Cass. com., 17 mai
1994 : Bull. civ., IV, no 183.
910
C.A. Paris, 3e ch. sect. B, 26 mars 2009, n° 07/04287, C. et a. c/ SA Cofradim et a., Bulletin Joly Sociétés, 01 septembre 2009 n° 9, P. 74, note
Alain Couret.
911
On ne risquerait d'aboutir au même résultat que lorsqu’on prétend que la transmission universelle de patrimoine est un avantage particulier alors
que celle-ci est également un effet légal de la fusion ; cf. T. Com. Roubaix, 6 mai 1994 : Bull. Joly Sociétés, 1994, p. 651, § 184, note P. Le
Cannu ; C.A. Douai, 7 juillet 1994 : Bull. Joly Sociétés, 1994, p. 994, § 265, note P. Le Cannu ; Rev. Soc., 1994, p. 713, note D. Randoux.
912
En revanche, si l’unique objet de la fusion est l’absorption de la société cible afin de lui faire supporter le remboursement des dettes du holding
et que celle-ci ne s’accompagne d’aucun autre projet, la fusion rapide sera contraire à l’intérêt social de l’absorbée. En effet, quel serait l’intérêt
pour cette dernière de procéder à cette opération ? Elle se retrouverait absorbée au sein d’une société fortement endettée : elle devrait donc prendre
en charge les dettes du holding et ce, au risque de mettre en péril sa santé financière. Elle ne bénéficierait donc d’aucune contrepartie susceptible
de l’inciter à procéder à cette fusion. La seule personne qui trouverait un avantage à cette opération serait le holding. Cette analyse est valable
quelle que soit la définition qu’on donne à la notion d’intérêt social. En effet, il existe une controverse doctrinale autour de cette définition.
Certains estiment que l’intérêt social se confond avec l’intérêt des associés, telle est la position des tenants d’une interprétation étroite de la notion,
alors que d’autres, partisans d’une interprétation plus large, considèrent qu’il convient de distinguer entre l’intérêt de la personne morale elle-
même et l’intérêt de ses actionnaires. Pour être conforme à l’intérêt social de la cible, il faut que la fusion s’inscrive dans un projet intéressant pour
elle. Il en est ainsi dès lors que le projet de fusion présenté a pour but le développement de la structure de la cible, ou d’apporter des améliorations
à sa gestion financière ou sociale. Cependant, cette preuve peut parfois être difficile à rapporter, surtout lorsque le holding de reprise est fortement

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

a décidé dans l'unique dessein de favoriser ses membres au détriment de la minorité. Ajouter l'atteinte à
l'intérêt social apparaît inopportun, inutile et parfois impraticable913 ».
Qu’il soit permis d’illustrer cette situation par un cas d’espèce. Une société entend absorber sa filiale
qu’elle contrôle avec plus de deux tiers des voix. La parité d’échange, correspondant à la richesse de chacune
des deux sociétés, équivaut à une action nouvelle contre une action de la société absorbée. La société
absorbante abuse de son pouvoir de vote en décidant une parité de deux contre trois. La rupture d’égalité de
traitement entre actionnaires de la filiale est consommée. Néanmoins, le patrimoine de celle-ci, dévolu à son
actionnaire majoritaire, ne subit aucune atteinte. Dès lors, l’abus de majorité qui reposerait sur l’atteinte au
patrimoine social, c'est-à-dire à l’intérêt social, ne pourrait jamais être caractérisé. Faut-il renoncer à
sanctionner de tels comportements au motif que ce patrimoine demeure intact ? Le professeur Schmidt ne voit
aucune raison de répondre par l’affirmative914.

154- Forcément, à la lumière de la doctrine française915, on déduit qu'il y a là deux sortes d’abus de
majorité : le premier commis à l'occasion d'une fusion à l’envers et qui se satisfait du seul constat de la rupture
d'égalité entre actionnaires ; le second perpétré dans les autres cas et supposant, en outre, une décision
contraire à l'intérêt social916. On se retrouve alors dans une situation d'impasse logique provoquée par la
référence à l'intérêt social dénoncée par le Professeur Dominique Schmidt qui privilégie le seul intérêt
commun des associés917. La notion d'intérêt social semble peu opérationnelle à l'aune des fusions à l’envers.

Ainsi, en l'absence d’une jurisprudence constante ayant sanctionné une fusion réalisée dans de telles
conditions selon les principes du droit commun des sociétés, il est à ce jour difficile de porter un jugement sur
sa licéité, même si on ne peut que la déconseiller.
Il sied aussi de remarquer que pour que la fusion à l’envers ne soit pas critiquable sur la base de l’abus
de majorité, il est nécessaire que les parités d’échanges maintiennent inchangée la valeur des droits des
actionnaires minoritaires de l’absorbée dans la société absorbante et ce, malgré la diminution de l’actif net due
au passif grevant cette dernière. Si le patrimoine de la société absorbée sert indirectement à rembourser un
passif qui pourrait être considéré comme personnel à l’investisseur, l’opération restera néanmoins valable
lorsque les minoritaires de celle-ci sont indemnisés par l’augmentation corrélative de leurs droits, dans le
patrimoine de l’absorbante, qui doit résulter des parités d’échange. Ce qui doit toujours être le cas dans la
mesure où la cible a une valeur patrimoniale largement supérieure à celle de la société absorbante constituée
principalement de la dette d’acquisition. Ainsi dans les opérations de fusions à l’envers ou fusion rapide la
contrariété à l’intérêt social s’observera seulement si la parité d’échange conduit à minorer la valeur des
actions des associés minoritaires dans la société absorbante.

155- Par ailleurs, il sied de remarquer que lorsque la fusion est intragroupe, c'est-à-dire lorsqu’elle
intervient entre une société mère et une de ses filiales, le conflit entre minoritaires et majoritaires atteint un
niveau très élevé. Dans une telle opération, s’opposent l’intérêt de l’actionnaire majoritaire de la société mère
absorbante, qui refuse une forte dilution, et celui des actionnaires minoritaires de la société absorbée, qui
réclament une juste parité. Cette opération, par nature conflictuelle, requiert une parfaite loyauté dans
l’exercice du droit de vote. En effet, lorsque la société mère absorbe une de ses filiales, les actionnaires de
celle-ci perdent leur qualité, contraints par la décision de la mère, coassocié majoritaire, de recevoir les titres

endettée et que son actif est uniquement composé des titres de la cible. Afin d’éviter de tels désagréments et le risque d’annulation de l’opération
pour abus de majorité, certains considèrent qu’il est préférable de prendre le contrôle d’une société dans laquelle il n’y aurait pas de minoritaires.
En d’autres termes, acquérir 100 % des titres de la cible. Ainsi, les dirigeants n’auraient à se soucier que du respect de l’intérêt social. Mais une
telle acquisition n’est pas toujours possible. En effet, il se peut que certains minoritaires refusent de céder leurs droits sociaux. V. en ce sens
SCHMIDT (D), De l’intérêt social, JCP E 1995, no 38, p. 361 ; MARTIN (D), L’intérêt des actionnaires se confond-il avec l’intérêt social ?,
Mélanges Dominique Schmidt, édition Joly, 2005, p. 359. MALKA (L), La fusion rapide, L.P.A., 17 juillet 2009 n° 142, P. 21
913
SCHMIDT (D), Les conflits d'intérêts dans la société anonyme, Joly éd., 2005, n° 325.
914
Ibidem.
915
SYLVESTRE (S), Une société absorbante peut-elle avoir un actif net négatif ?, Bulletin Joly Soc., 01 octobre 2002 n° 10, P. 1003 ; MALKA
(L), Art. pré. ; SYLVESTRE (S), Une société absorbante peut-elle avoir un actif net négatif ?, Bull. Joly Soc., 01 octobre 2002 n° 10, p. 1003.
916
Cf. SCHMIDT (D), op. cit., note 25, p. 319.
917
Ibidem.

Page 126
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

émis par cette dernière918. La société mère décide du principe de l’opération, fixe la parité sans véritable
négociation et réalise l’échange. Pis encore ! dans ce genre de fusion intragroupe, le majoritaire qui est la
société mère peut à lui seul prendre la décision de fusion, la réunion de l’assemblée générale extraordinaire
n’étant alors qu’une simple formalité919. Dire qu’il y a vote de la société absorbée n’est qu’un leurre920. N’est-
ce pas là le summum de l’abus ?
Dans ce cas de figure, les majoritaires nuisent, en apparence, à leur propre intérêt, en attendant de leur
décision une avantageuse compensation en une autre qualité. Une telle décision dictée par l’intérêt individuel
des majoritaires au lieu de l’intérêt social, peut conduire à une opération « extrêmement déséquilibrée,
lésionnaire et dépourvue de toute justification économique921 ». L’affaire Delattre-Levivier n’est qu’une
simple illustration. La décision ainsi prise consacre un abus de majorité des plus nuisibles puisqu’il « affecte
par lui-même la régularité des délibérations922 » dans l’exercice du droit de vote.

156- Ceci-dit, comme les majoritaires, les minoritaires sont, eux-également, parfois amenés à abuser
de leur droit en commettant des abus de minorité. Autrement dit, l'abus peut aussi bien provenir des
majoritaires que des associés minoritaires qui, usant de la détention d'une minorité de blocage, s'opposent à la
prise de décisions essentielles pour la société, ou harcèlent les majoritaires. En effet, « face à la superbe des
forts, il faut aussi compter sur la tyrannie des faibles »923. Selon la position de l’intéressé dans la société : le
majoritaire impose, alors que le minoritaire ne peut que s’y opposer924.
On a tendance, aujourd’hui, à converser de plus en plus du harcèlement judiciaire de la part des
minoritaires925, ou tout simplement de la notion plus générale d’abus de minorité926.

Sous-section Deuxième : L’abus de minorité dans les


procédés de concentration

157- Il est couramment admis, depuis longtemps, que les droits dont dispose la majorité des associés
dans une société peuvent faire l'objet, dans leur exercice, d'un contrôle de finalité. Malgré bien des
fluctuations en jurisprudence, on peut considérer aujourd'hui que la théorie de l'abus de majorité est bien
établie dans notre législation des sociétés. L'abus de minorité, quant à lui, semble procéder de la même

918
Il s’agit là d’une sorte d’expropriation.
f L ‫ ا‬.‫ج‬ ‫ ا‬N U N ‫ ة‬O ‫ ا‬5 7 ‫ ا‬fA‫ و ر‬h A ‫ دور ا‬f # d p C O ‫ اف‬O‫ ا‬f $ ‫ى‬ C O 9g 9$ (T. Com. Seine, 16/5/1957) ،‫ أ ى‬F7 8G ‫ و‬..." 919
M + 9 ` < ‫ل‬S < ‫ ا‬g ‫ ا‬#7‫ و‬M ‫ ا ! ھ‬7‫ ن ا‬، # / K K /0‫ و‬8 ‫ ا‬# ‫ه ا‬D‫ ھ‬9Kg G 8G ‫ ا‬/!#$ 4 ‫ ا‬C 3 ‫ ا‬8G ‫ ء‬FN ‫ ا‬+ dC‫ رھ إن أ‬N 9F ‫ ا‬N ‫ا‬
(Cass. `‫ـــــــــــــــــــــــــــ‬+ ‫ ا ا ار ا‬... a L ‫ ا‬8F + /ّ!#$ 9‫ ارھ‬7 V O k D ‫ و‬، C 3 ‫ ] د ا‬7‫ ا‬V C ‫ ّھ ا‬O 7 ‫ ا‬C ‫ ا دارة‬H ‫ ء‬FN‫ وا ا‬+‫ ] د‬7‫ ا‬#/4 +‫ج أ‬ ‫ ا‬#
‫ ار‬7 f L ‫ < ` ا‬C‫ ر‬3 ‫ ! ا‬+ $ 4N 9K "<S ‫ ا‬M ^ ‫ ا‬U ‫ ا‬a G ‫ ت‬4 A‫ ا‬G M ‫ ا ! ھ‬U N ‫ج‬ ‫ ار ا‬7 ‫ ن‬+ A ‫ م‬N ' ‫ا‬ a G f4 N‫ي أ‬D ‫ ا‬Com. Fr., 10/10/1995)
.114 ‫ ص‬،2005 4A ،U ‫ ا و‬# L ‫ ا‬، 7 ‫ رات ا‬34 ‫ در‬0 ،‫ ت‬C 3 ‫ ا‬X ‫ < ل د‬M ‫ < ق ا ! ھ‬+ < ،‫ ر‬A ( - ‫ " در‬."i!# ‫ ا‬I # ‫ ب‬3 ‫ج ا‬ ‫ا‬
920
CHENG (J), Principes applicables à l’acquisition et à la fusion des sociétés cotées, Th., Université de Paris I, 2003, p 211 et 212.
921
Cass. Com. Fr., 10 juillet 1995, JCP G., II, n° 22572, 1996, note Paillusseau.
922
Cass. Com. Fr., 6 juin 1990, D. 1992, p 56, note J-Y Choley-Combe.
923
Cité par DE LA BASTIDE (B), Les risques nés de présence des minoritaires dans les opérations de restructuration, L.P.A., 20 novembre 1996
n° 140, p. 6.
924
On distinguera l’opposition du minoritaire à une décision collective, attitude relevant du conflit d’intérêts, de l’abus du droit d’agir en justice,
qui relève en principe du droit commun de la responsabilité civile. -Sur l’abus par les minoritaires du droit d’agir en justice, V. l’excellente étude
de COURET (A), Le harcèlement des majoritaire, Bull Joly 1996, p. 112.- Pour une illustration plus récente, V. Cass. Com. Fr., 20 octobre 1998,
BulI Joly 1999. p. 66, note P. Le Cannu.
925
Ibidem.
926
TABRILLAC (M), De quelques handicaps dans la construction de la théorie de l’abus de minorité, In Mélanges offerts à André Colomer, éd.
Litec, Paris 1993, p. 109 ; BRANCHUT (D), Les abus de minorité dans la société anonyme, thèse Paris II 1974 ; MERLE (PH), L’abus de
minorité, RJ Com., novembre 1991, numéro spécial, La loi de la majorité 1991, p. 81 ; BOIZARD (M), L’abus de minorité, Rev. Soc. 1988, p.
365 ; LE CANNU (P), L’abus de minorité, Bull. Joly, 1986, 429 ; CONSTANTIN (A), La tyrannie des faibles, De l’abus de minorité en droit des
sociétés, In Mélanges en l’honneur de Y. Guyon, Aspects actuels du droit des affaires éd. Dalloz, Paris 2003, p. 213 ; SIMONT (L), Réflexions
sur l’abus de minorité. liber amiorum Jan Ronse, éd. Story Scientia, Bruxelles 1986, p. 316 ; LEDOUX (P), Le droit de vote des actionnaires,
LGDJ, Paris 2002, p. 178, n° 205 et s. ; Danglehant (C), Le nouveau statut des minoritaires dans les sociétés anonymes cotées : l'application du
principe de l'équité, Rev. Soc. 1996, p. 217 et s.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

logique, et devrait donc faire l'objet d'une reconnaissance équivalente. Si l'intérêt de la société peut s'imposer à
la majorité, il doit aussi guider les associés minoritaires dans l'exercice de leurs prérogatives927.

D’apparition plus récente que l’abus de majorité, l’abus de minorité n’occupe pas moins désormais une
place importante en jurisprudence, surtout française, comme en doctrine928. La première difficulté rencontrée,
à ce niveau, concerne la définition de cet abus : faut-il distinguer abus positif et abus négatif ou encore abus
interne et abus externe ? Peut-on se contenter de transposer la définition de l’abus de majorité ? Au-delà, c’est
la sanction des abus de minorité qui a soulevé le plus de discussion : quelles sont, en effet, les sanctions
envisageables929 ? Comme le disait un auteur, « le problème le plus délicat est celui de la sanction de l’abus
de minorité » 930.
Le silence observé par le code des sociétés commerciales sur la définition ainsi que la sanction de
l’abus de minorité est problématique. Au plan des principes, l’abus de minorité ne diffère guère dans ses
éléments constitutifs de l’abus de majorité. Des actionnaires, disposant de minorité de blocage, utilisent leur
voix contrairement à l’intérêt social et dans leur intérêt personnel. Le plus souvent, il s’agit de bloquer une
modification du pacte social en refusant par exemple de voter une décision de fusion, scission, augmentation
de capital ou de prorogation de la société… Contrairement à toute attente, le code des sociétés commerciales
s’est révélé, sur ce point, lacunaire dans la mesure où il ne se prononce pas sur le régime juridique spécifique
à l’abus de minorité. A ce niveau de la réflexion, l’article 290 CSC n’est aussi d’aucun secours puisque son
objet se limite à donner aux actionnaires les moyens de remettre en cause la validité des décisions prises. Or à
travers l’abus de minorité, la majorité se plaint généralement du défaut de prise d’une décision jugée conforme
à l’intérêt social931. Comment alors expliquer ce silence et quel enseignement peut-on en tirer quant à la
détermination et la sanction de l’abus ? Est-il exact de dire que par la réception légale de la seule théorie de
l’abus de majorité, le législateur a entendu ne pas reconnaître et sanctionner l’abus de minorité ?932

A présent, vu les contours de la première partie de l’étude933, il s’impose de se borner à l’analyse de la


typologie des abus de minorité en se basant sur des exemples jurisprudentiels témoignant de son existence et
même sa prolifération considérable en matière de concentration des sociétés (-§1- ). Il faudra, aussi, démontrer
que leur variété est telle que les éléments constitutifs de l’abus ne sont pas tous constants (-§2- ), à telle
enseigne qu’on a tendance, aujourd’hui, l’assimiler à l’abus d’égalité (-§3- ).

-§1- : La typologie de l’abus de minorité dans les procédés de


concentration

158- Certes, « … le pouvoir, avec la majuscule, n’appartient pas à la minorité934 ». Cependant,


l’actionnaire, même s’il est minoritaire, a le droit de s’opposer à la majorité. Il dispose, en effet, de deux
moyens distincts pour le faire : l’intervention à l’intérieur de la société en bloquant l’initiative majoritaire ou

927
L’abus de minorité, Bulletin Joly Sociétés, 01 avril 1986 n° 4, P. 429.
928
Pour une étude générale sur l’abus de minorité V. TRICOT (D), Abus de droit dans les sociétés : abus de majorité et abus de minorité, RTD
Com. 1994, p.617 ; LEPOUTRE (E), Les sanctions des abus de minorité et de majorité dans les sociétés commerciales, Dr. et Patrimoine
12/1995, p. 69 ; COURET (A), L’abus et le droit des sociétés, Dr. et Patrimoine 06/2000, p. 66 ; GERMAIN (M), L’abus du droit de majorité. A
propos de l’arrêt du 22 avril 1976 de la Cour de cassation, Gaz. Pal. 1977 ; 1, doctr. 157 ; MERLE (PH), L’abus de minorité, RJ Com., nov. 1991,
p. 81 ; MESTRE (J), Réflexions sur les pouvoirs du juge dans la vie des sociétés, RJ Com. 1985, p. 81 ; BERTREL (J-P), La position de la
doctrine sur l’intérêt social, Droit & Patrimoine, avril 1997, p. 42.
929
V. infra., p 477, n° 657.
930
MERLE (PH), Sociétés commerciales, 7ème édition, Dalloz 2000, p. 666.
931
Tel est l’exemple d’une mesure d’augmentation de capital prévue par un plan de redressement d’une entreprise en difficultés économiques est
présumée conforme à l’intérêt social.
932
MELLOULI (S) et FRIKHA (S), op. cit., n° 956.
933
Sur les sanctions, V. infra, n° 737.
934
Cass. Com. Fr., 18 avril 1961, aff. Schumann-Piquard, JCP, II, n° 12164, 1961, obs. Bastian.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

encore l’ingérence extérieure en recourant aux autorités du marché ou bien au juge dans le but de retarder,
voire obstruer la décision majoritaire.

Mais, si le minoritaire a le droit de s’opposer légalement à la politique majoritaire, cette opposition


qu’elle soit interne (I) ou externe (II)935 risque, dans certain cas, d’être condamnée sur le terrain de l’abus de
minorité.

I- L’opposition interne et l’abus de minorité936

159- « A l’évidence, l’expression est incorrecte. En effet, la minorité se définit d’après une majorité.
Or la majorité qualifiée pour décider n’existe pas. Faute de majorité, il n’y a pas de minorité. Faute de
minorité. Il n’y a pas d’abus de minorité. Mais au-delà des mots, l’idée persiste qu’un groupe, égalitaire ou
détenant une minorité de blocage, utilise ses droits sociaux pour promouvoir un autre intérêt et empêcher une
majorité de se réunir. Ce blocage engendré par un conflit d’intérêts viole l’intérêt commun des
actionnaires 937».
Si certains ont catégoriquement démenti la notion de « minorité », celle d’abus de minorité peu
paraître, à son tour, paradoxale. En effet, la minorité étant, normalement, dans une situation telle, qu’elle ne
dispose d’aucun pouvoir lui permettant d’engager elle-même le groupement, d’imposer ses vues, ou même, de
résister à une décision prise, on voit mal, dans cette hypothèse, comment elle pourrait nuire à la société ! En
effet, la principale caractéristique de la minorité est sa soumission au pouvoir majoritaire.
En réalité, contrairement aux associés que monsieur Champaud938 appelait « les actionnaires bailleurs
de fonds »939, la minorité occupe une position originale dans la société dans la mesure où elle se distingue du
reste du groupement par sa présence aux assemblées. Par minorité des associés on entendra alors « ceux qui,
pour des raisons diverses, n’ont pas voté les résolutions adoptées par les majoritaires »940. Cette minorité941,

935
On peut distinguer aussi les abus « positifs » des abus « négatifs ». Les premiers se concrétisent soit dans une décision sociale obtenue par
surprise par les minoritaires, soit dans une action en justice abusive intentée par un ou plusieurs minoritaires. L'hypothèse de l'action minoritaire
abusive se rencontre, par exemple, lorsqu'un actionnaire détenant moins de dix pour cent du capital social demande en justice la désignation d'un
expert de minorité. Tel est le cas aussi si les conditions de recevabilité de l'action en nomination de l'expert de minorité sont réunies, mais c'est la
nature même des allégations du demandeur qui constitue l'abus du droit d'action de l'actionnaire minoritaire. Cette dernière hypothèse a fait l’objet
d’un arrêt français qui laisse d'ailleurs un peu sceptique, dans la mesure où il reproche au demandeur de « se borner à exciper en termes de portée
générale et imprécise de l'intérêt social, ce qui lui permettrait de remettre en cause à son seul gré, par un véritable abus de minorité, tout acte de
gestion ». Cette formule va un peu trop loin : la demande d'expertise n'atteint pas la validité des actes, elle ne constitue qu'une mesure
d'information complémentaire. Mais, l'idée sous-jacente peut être approuvée : les juges ne peuvent accueillir n'importe quelle demande d'expertise,
le demandeur doit au moins présenter des indices d'une insuffisance d'information. Le troisième exemple d'action abusive rejoint une autre
hypothèse, celle du « vote par surprise ». Des actionnaires minoritaires demandent en justice la nomination d'un mandataire à l'effet de réunir une
assemblée générale, pour profiter de l'impossibilité des majoritaires d'assister à cette assemblée en raison de la perte de leurs titres par la banque
qui les tenait en dépôt. Cette fois, le but de l'action était de commettre un abus de minorité. Encore fallait-il établir que la nature des décisions
prises, ou plutôt projetées, allait être contraire à l'intérêt social. La précipitation des minoritaires, ou l'absence d'urgence dans la prise de telle
décision, commandait effectivement la circonspection. La décision minoritaire abusive constitue un premier type d'abus de droit de vote. Elle ne
peut intervenir que très exceptionnellement lorsque la majorité n'est pas suffisamment représentée, soit à l'assemblée, soit dans un conseil.
D'ailleurs, toute décision prise par la minorité n'est pas forcément critiquable : seules celles qui sont contraires à l'intérêt social peuvent être taxées
d'abus. Beaucoup plus fréquente apparaît la dernière hypothèse d'abus de minorité, car la minorité joue alors son rôle institutionnel habituel : usant
de son pouvoir de blocage, elle empêche la politique voulue par la majorité de se développer. Il s'agit encore d'un abus du droit de vote, mais d'un
abus « négatif », puisqu'au lieu de provoquer une décision sociale, il impose le statu quo. La tentation est forte pour les majoritaires de considérer
comme abusif tout refus des minoritaires, mais il faut bien situer le problème : par principe, dans ce cas de figure, les actionnaires minoritaires ne
font qu'exercer un droit que la loi ou une convention de vote leur confie, et ne recherchent pas à remettre en cause ce qui a été déjà décidé. En
conséquence, l'appréciation du caractère abusif d'un tel refus nécessite une analyse prospective sur les mérites des résolutions écartées par la
minorité. Cette appréciation pose des problèmes plus délicats encore que celle qui jauge l'exécution effective d'une décision, et ne peut qu'incliner à
la prudence. C'est sans doute pourquoi la jurisprudence paraît plus sévère pour le demandeur en cas d'abus « négatif ».
936
L’opposition interne a lieu au sein de la société au niveau de son assemblée générale au cours du vote de la décision objet du conflit.
937
SCHMIDT (D), Les conflits d’intérêts, op. cit., n° 389.
938
CHAMPAUD (C), Le pouvoir de concentration de la société par actions, op. cit., p 115 et s.
939
Ibidem. Pour CHAMPAUD, il existe 2 catégories d’actionnaires, les uns en petit nombre, sont vivement intéressés à la marche de la société et la
contrôlent pleinement, les autres, épargnants ou spéculateurs en très grand nombre se considérant comme de simples créanciers de la société (les
actionnaires “bailleurs de fonds”).
940
GUYON (Y), Droit des affaires, T. I, Economica, 6ème éd., 1990, n° 443.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

bien que soumise, n’est pas tout à fait démunie face au pouvoir majoritaire et c’est, en cela, qu’elle peut se
révéler dangereuse pour la société. Des droits lui sont, désormais, reconnus942 et sa position dans la société
peut s’avérer déterminante lorsque l’exigence d’une majorité renforcée, d’un quorum ou une structure sociale
égalitaire, rendront nécessaire son adhésion aux résolutions projetées par la majorité. Sans oublier que le
principe majoritaire porte lui-même, dans certaines circonstances, le germe de son inefficacité, il peut, en
effet, donner un poids inconsidéré à des groupes charnières, telle qu’une minorité de blocage943. Ainsi, la
majorité se révèlera incapable d’imposer ses décisions à l’assemblée, la volonté d’un seul suffira à emporter la
volonté sociale.
Pour plus de rigueur, il faudra rappeler que la minorité a le droit de s’opposer à la majorité. Chaque
administrateur ou actionnaire dispose du droit de vote pour défendre son opinion, celle du plus grand nombre
n’est pas nécessairement la meilleure. Le majoritaire décide, le minoritaire s’oppose, telle est la règle944.
Tantôt cette opposition ne produit aucun effet parce qu’elle n’empêche pas la formation d’une majorité
capable de décider. Tantôt elle bloque la prise de décision. On parle alors d’une « absence de majorité »945 ou
d’une « minorité de blocage».
De part ses droits et sa position dans la société, la minorité sera en mesure de refuser sa soumission au
pouvoir majoritaire946. Cette attitude en elle-même n’a rien d’abusif, le rôle de la minorité n’est-il pas de
critiquer, de contester la politique majoritaire947 ? Cela fortifie davantage la légitimité de la majorité et la
présomption que les décisions des majoritaires représentent effectivement les intérêts de la collectivité948.
Encore faut-il que cette insoumission soit légitime. C’est justement cette légitimité que contesteront les
majoritaires en intentant contre les associés minoritaires une action sur le fondement d’un abus de minorité.

160- Dans cet ordre d’idées, il est communément admis, par la doctrine et la jurisprudence française,
que l’abus de minorité interne est vérifié lorsque la minorité empêche la politique voulue par les majoritaires
en bloquant une décision estimée indispensable pour la société. Les minoritaires usent, alors, de leur pouvoir

941
On peut adopter une autre définition de la minorité comme suit : les minoritaires sont ceux qui regroupent moins de la moitié des droits de vote
et ils ne sont pas en principe en mesure de bloquer la prise d’une décision. A chaque fois qu’une décision doit être prise à la majorité absolue le
vote des minoritaires sera sans importance. Seulement, il n’en va plus ainsi lorsque la décision qui doit être adoptée doit l’être à la majorité
qualifiée exp : majorité des 2/3 ou des ¾ ou décisions à l’unanimité. Les minoritaires sont parfois en mesure de paralyser la prise de décision. Ils
disposent d’une minorité de blocage.
942
Les minoritaires peuvent poser des questions écrites aux dirigeants, demander l’adjonction d’une question à l’ordre du jour, demander en justice
la désignation d’un expert de gestion etc… Ces droits ne donnent pas aux minoritaires, un pouvoir de décision dans la société, mais leurs
permettent d’intervenir plus activement dans la vie sociale, en observant, critiquant, s’exprimant avec plus de force sur la gestion de la société afin
d’éviter que la majorité ne s’égare et s’assurer qu’elle dirige en fonction de l’intérêt général. MESTRE (J), rapport de synthèse, colloque de
Deauville sur la loi de la majorité in Rev. Juris. Com. n° spécial Nov. 1991 p 139 : « …De là, d’ailleurs, le complément naturel du principe
majoritaire qui est l’affirmation de droits pour la minorité, laquelle va servir en quelque sorte d’aiguillon pour que la majorité, mieux encadrée,
effectivement n’erre pas... ».
943
Un parallèle pourrait être ici établi avec l’expérience de la France sous la IVe République et celle de l’Italie. A cette époque, la représentation
proportionnelle engendrait fréquemment une impossibilité de constituer des majorités de gouvernement. D’où la sollicitation de groupes charnières
aboutissant à la constitution de majorités de rechange ou permettant la survie d’un gouvernement minoritaire. V. DRAGO (R), Aspects
constitutionnels, administratifs et politiques, Rev. Juris. Com., 1991, n° spécial la loi de la majorité, p 31.
944
Un tel blocage n’a rien d’illégitime en soi. Aucune obligation ne pèse sur un administrateur ou un actionnaire de renoncer à sa liberté de vote et
de s’agréger à un groupe qui propose une résolution qui lui déplaît. Au contraire, l’exigence légale ou statutaire d’une majorité qualifiée démontre
par elle-même la légitimité du pouvoir d’empêcher une prise de décision. Quel intérêt d’édicter une majorité qualifiée si on ne pouvait contrer sa
formation ? En revanche, l’opposition devient fautive si elle procède de la volonté de défendre non point un intérêt d’actionnaire mais un intérêt
opposé lié à une autre qualité. V. SCMIDT (D), Les conflits d’intérêts, Op. cit., n°389.
945
LE CANNU (P), L’absence de majorité, RJ Com., novembre 1991, numéro spécial, La loi de la majorité, p. 96.
946
V. de façon générale SCHMIDT (D), les droits de la minorité dans les sociétés anonymes, Sirey, 1970.
947
Comme le disait justement HAMEL, lors de la 3ème journée de droit franco-latino américaine sur la protection des minorités dans la société
anonyme “si la normalité exigeait que le vote fut donné dans tel sens plutôt que tel autre, et si le vote anormal devait être abusif, à quoi bon
donner aux actionnaires le droit de voter librement ? Il suffirait de leur demander leur approbation à telle mesure qu’aurait imposée la normalité
dégagée par les administrateurs ou les experts”. D’ailleurs, un arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 26 juin 1990 semble confirmer cette
opinion. La cour a, en effet, considéré que le refus d’un actionnaire de voter une augmentation de capital qui aboutirait à tripler le capital initial ne
constituait pas un abus de minorité au motif que “ la nécessité d’une participation de tous les associés sur un pied d’égalité à la poursuite de
l’intérêt commun n’implique pas qu’un actionnaire minoritaire vote pour l’adoption d’une résolution contraire à son intérêt personnel”. HAMEL
(M), 3ème journée du droit franco-latino américaine, Toulouse, 2 octobre 1950, sur la protection des minorités jans la société anonyme. Paris, 26
juin 1990, JCP, II 21589, note M. GERMAIN
948
C.A. Besançon, 5 juin 1957, D 1957, p 605 Note DALSACE.

Page 130
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

de blocage par leur abstention, leur vote opposé ou blanc ou, tout simplement, en refusant de participer aux
délibérations de sorte que le quorum exigé pour certaines décisions ne puisse être atteint949.

La minorité de blocage détient le pouvoir de s’opposer aux projets des majoritaires, notamment de
modification du pacte social lorsque la loi ou les statuts exigent un vote à une majorité qualifiée. Certes,
l’opposition des minoritaires qui rejettent la résolution ou empêchent qu’elle soit adoptée en ne participant pas
aux assemblées, n’est pas en soi abusive950. En effet, il est tout à fait normal et admissible que les minoritaires
disposent d’un intérêt légitime à critiquer et contester les mesures proposées. Ils peuvent ne pas partager la
conception de la majorité à propos de l’intérêt social sur laquelle ils ont légitimement le droit de donner leur
avis951. Cependant, cette obstruction du pouvoir majoritaire sera qualifiée d’abusive si la prise d’une décision,
jugée indispensable au groupement, devient impossible, ce qui risque de nuire à la société elle-même. Ainsi,
par leur vote négatif, leur abstention ou leur absence, les minoritaires vont empêcher le fonctionnement
normal des assemblées et bloquer le jeu délibératif. Le pouvoir majoritaire sera entravé dans la mesure où des
décisions graves qui, souvent, conditionnent la vie et la bonne marche de la société952 seront jetées aux
oubliettes. En d’autres termes, faute de pouvoir réunir une majorité suffisante ou d’atteindre le quorum953, un
projet considéré comme indispensable à la survie du groupement reste bloqué, ce qui risque d’engendrer des
effets déplorables sur la gestion. La dissolution de la société est souvent la conséquence du blocage
minoritaire qui justifie une intervention judiciaire préventive, car les décisions faisant l’objet du blocage sont
souvent importantes, elles conditionnent la vie et le fonctionnement de la société.

161- Manifestement, en détenant suffisamment de droits de vote pour être en mesure d’empêcher
l’adoption d’une décision de modification des statuts, le minoritaire va devenir un interlocuteur
incontournable et se trouver dans une situation dont il peut être tenté d’abuser. Son obstruction pourra parfois
être qualifiée d’abus de minorité. Pour la Cour de cassation française954, il en va ainsi lorsque le minoritaire
adopte « une attitude contraire à l’intérêt général de la société » et qu’il « interdit la réalisation d’une
opération essentielle pour celle-ci, et dans l’unique dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de
l’ensemble des autres associés ». L’abus de minorité n’est autre alors que l’aveuglement égoïste du

949
C.A. Lyon, 20 décembre 1984 D 86 p 506 Note Y. REINHARD, Rev. Juris. Com., 1988, p 89, Note D.VIDAL. C. A. Dijon, 16 novembre
1983 Gaz. Pal., 1983, I, p 740, D 84, IR, 394, Obs., BOUSQUET et SELINSKI.
950
GUYON (Y), note sous Cass.Com. 9 mars 1993 D 1993 juris. p 363.
951
Une partie de la doctrine française admet aussi le fait que l’abus de minorité interne, appelé aussi abus positif, peut consister en l’obtention par
surprise d’une décision sociale par les minoritaires en assemblée générale ou en conseil d’administration. Cette situation est désignée par le « vote
surprise », c’est-à-dire le fait pour les associés habituellement minoritaires, d’user de stratagèmes pour faire prendre à l’assemblée, voire au conseil
d’administration une décision qui ne reflète pas la volonté de l’ensemble des associés. Cette décision peut-être simplement sanctionnée par
l’annulation de la délibération. Cette hypothèse ne révèle aucune spécificité, qu’il soit commis par un groupe habituellement majoritaire ou
minoritaire, un abus sera décelé selon les mêmes critères et sanctionné de la même façon. Dans ce sens, M. GAILLARD a même soutenu qu’on ne
pouvait plus parler d’abus de minorité, « puisqu’en emportant la décision, la minorité habituelle est devenue majorité d’un jour ». C’est un
contrôle ordinaire des décisions prises qui s’appliquera conformément à l’article 290 CSC, il conviendrait donc d’écarter cette hypothèse de la
typologie des abus de minorité. V. à ce propos : Vote surprise consécutif à l’éloignement de certains associés : Cass. Com. Fr., 19 janvier 1959 D
1960, 261 ou la perte physique des actions : C.A. Riom, 1er décembre 1972 D 73, 282, Note J.C. BOUSQUET ; GAILLARD (M), Le pouvoir en
droit privé, Ed. Economica, p. 146, n° 228.
952
Fusion, scission, augmentation du capital, prorogation, transformation…
953
Si le terreau de l’abus de minorité est formé par les assemblées d’associés siégeant à l’effet d’adopter des délibérations importantes, il est
également admis de longue date qu’un tel abus peut s’exprimer en d’autres circonstances, en amont notamment, avant le rassemblement des
associés en vue de l’adoption d’une décision collective. Ici, il ne s’agit plus, à l’occasion d’une assise, d’empêcher que la majorité requise pour la
validité de la décision attendue soit obtenue. Il est question plutôt du cas de figure où quelques-uns résolvent d’obstruer la tenue de l’assemblée en
faisant en sorte que le quorum requis pour qu’elle puisse valablement siéger soit atteint. Ce qui est en cause est donc le droit de participer aux
décisions collectives et non plus le droit de vote qui, lui, se situe en aval. L’exemple le plus significatif en est celui de l’associé qui, n’ayant
désigné aucun mandataire pour se substituer à sa personne s’abstient, systématiquement, de réserver les suites attendues aux convocations qui lui
ont été adressées et, ainsi, de participer à une rencontre à l’occasion de laquelle pourrait être prise une décision spécifique intéressant la vie sociale
et jugée essentielle. On comprend alors que le scénario est celui où, par la grâce de clauses statutaires ou d’une disposition légale, la tenue de
l’assemblée suppose inévitablement soit la présence d’un nombre ou d’une fraction déterminée d’associés, soit la présence d’individus détenant
une portion identifiée du capital social.
954
Cass. Com. Fr., 15 juill. 1992, Bull. CIV. IV n° 279, Bull. Joly 1992, D 1083. p 35, note P. Cannu; D.1992, IR 242 ; JCP G1992, II, 21944,
note J, F. Barbierie ; JCP E 1992, II, 375, note Y. Guyon ; RTD com 1993, p 112, obs. Y Reinhard; REV sociétés 1993. P 400, note PH. Merle-
Cass. Com. Fr., 9 mars 1993, Bull. CIV. IV, Rev. Soc. 1993, P.403, note PH. Merle ; D.1993, jur. P. 363, note Y. Guyon ; JCP G 1993, II, 22107,
note Y. PACLOT ; Gaz. Pal.1993, 2, P.334, note, J. Bonnard ; JCP E 1993 II, 448. Note. A. viandier ; JCP N 1993. II, 293, note J- F barbierie;
Bull. Joly 1993 p.537, p 152, CHRON. P. Le Cannu ; RJD A 1993, P.253, concl. Raynaud ; DR. Sociétés 1993, n° 95, obs . H. Le Nabasque ; LPA
24 MARS 1993, p.12, note. P. M ; RF compte.1993/6, p36, note PH Reigré.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

minoritaire qui, uniquement par ce qu’il y trouve intérêt, empêche une opération essentielle pour la société au
risque de la mettre en danger. Ce peu d’égard pour le groupement et pour l’intérêt commun des associés doit
être sanctionné. Il en va a fortiori de même lorsque le minoritaire utilise sa minorité de blocage dans le but de
nuire à la société et aux associés majoritaires955.
Une illustration peut être recherchée dans le refus pour le minoritaire d’exprimer ses vues à l’occasion
d’une assemblée convoquée afin de décider d’une fusion, d’une scission ou d’un apport partiel d’actif, sans
raison sérieuse ou dans le dessein de privilégier ses seuls intérêts. S’il en va ainsi, c’est que l’article 291 CSC
subordonne de telles opérations à une majorité qualifiée pour la modification des statuts. Les décisions de
fusion, scission, augmentation ou réduction de capital… constituent pour cette raison le fief de l’abus de
minorité interne. De même, l'examen de la jurisprudence révèle que ce sont les décisions de transformation et,
plus encore, les décisions d'augmentation de capital, notamment pour réaliser une opération de fusion, qui sont
le plus souvent l'occasion d'une opposition irréductible de la part des minoritaires956.
C’est dans ce sens que le président du tribunal de première instance de Ben Arous a reconnu l’abus de
minorité interne relativement à une action intentée par les majoritaires dans une société à responsabilité
limitée contre la minorité qui a refusé de voter une augmentation de capital de la société prévue par un plan de
règlement judiciaire approuvé par le tribunal. L’ordonnance de référé rendue par le tribunal957 a nommé un
séquestre sur les parts sociales revenant aux minoritaires. Ce dernier a été chargé de voter au nom de la
minorité de blocage, conformément à l’intérêt social lors de l’assemblée générale extraordinaire qui sera
convoquée par le commissaire à l’exécution du plan. Cette reconnaissance explicite de l’abus de minorité par
le juge constitue une première en droit tunisien.

Dans ce contexte, il est tout à fait normal que le juge soit sollicité pour analyser les éventuels abus qui
existent, certes parfois, tant du côté du majoritaire que du côté du minoritaire. Ces abus sont appréciés par le
juge, notamment à la lumière de l'intérêt social. L'intervention du juge dans ces opérations demeure, pour le
moment, exceptionnelle. Le contraire serait anormal, voire inquiétant, car le juge n'a pas vocation à s'immiscer
dans les affaires sociales et encore moins à se substituer aux organes sociaux958.

162- S’il ne fait pas de doute que l’usage négatif de prérogatives politiques constitue le terrain de
prédilection de l’abus de minorité, il peut toutefois être débattu de savoir si cet abus ne devrait pas pouvoir
être retenu en dehors du contexte de l’organisation du blocage du processus d’adoption des décisions
collectives ? Une réponse positive s’impose, car en sus de l’opposition interne aux décisions majoritaires, il
est tout à fait possible que le minoritaire opte pour une opposition externe qui serait, dans certains cas,
constitutive elle aussi d’abus de minorité.

II- L’opposition externe et l’abus de minorité

163- L’opposition externe prend généralement la forme d’un recours en justice ou bien d’une
contestation auprès d’institutions particulières comme le conseil du marché financier, en Tunisie, et la
commission des opérations de bourse ou le conseil du marché financier, en France.

164- Dans cet ordre d’idées, rien ne semble empêcher les minoritaires de contester, devant la justice,
toute décision majoritaire contraire à l’intérêt social et portant préjudice à leurs propres intérêts. Ils peuvent,
par exemple, quereller dans une opération de fusion la parité d’échange décidée par l’assemblée générale

955
Cass. Com. Fr., 5 mai 1998, Bull. Joly, 1998, p.755, n° 245, note L.Godon ; JCP G 1998, I, 163 ; spect n°1, obs. A. Viandier et J- J. Caussain ;
RTD com. 1998, p. 619, obs. C. Champaud et D. Danet ; D. aff. 1999, p. 10, note S. Almaseanu ; Rev. Soc. 1999, p.344, note M. Boizard.
956
Ibidem.
957
Ord. Pr. TPI, Ben Arous, n°30879, de 23 janvier 2007. V. MELLOULI (S) et FRIKHA (S), Les sociétés commerciales, op.cit., p 253, n°
958.
958
LA BASTIDE (B), Les risques nés de la présence de minoritaires dans les opérations de restructuration, art. pré., n° 140, p. 6.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

extraordinaire qui semble inéquitable et injuste. L’affaire « MEDIA SUSTEM / SEGRETIN » en 1999 en
fournit un bel exemple959.
Au contraire, si la décision majoritaire est légale et légitime, toute opposition minoritaire pourrait
sûrement être rejetée sur l’assise de l’abus de minorité. La renonciation par le Crédit Foncier à absorber une
de ses filiales, suite à une opposition minoritaire devant le C.B.V.960, constitue à cet effet un exemple assez
révélateur. En l’espèce, les minoritaires de la future absorbée ont parvenu à convaincre le C.B.V. d’exiger au
Crédit Foncier de lancer une offre publique de retrait avant de procéder à la fusion. En raison de l’aspect très
coûteux de cette O.P.R., le Crédit Foncier a été obligé de renoncer à l’opération. C’est ainsi que les
minoritaires de la société filiale, cible de la fusion, ont réussi à éviter une opération de fusion qui était
essentielle pour leur société mais contraire à leurs intérêts. N’est-ce pas là une contestation abusive qui
s’apparente à un « harcèlement pur et simple, tout aussi condamnable que d’autres modes de harcèlement
dans nos sociétés contemporaines 961» ?
Aussi, une action sociale, intentée par les minoritaires, peut être considérée comme abusive. Tel est le
cas si cette dernière n’aura pas eu l’issue escomptée par ses initiateurs en ce sens que les arguments évoqués
devant le juge ont manqué de pertinence ou de rigueur. Il en est de même, si la preuve a pu être apportée que
les demandeurs ont été inspirés par l’intention de nuire, notamment parce qu’ils y ont eu recours à une
fréquence anormale et, qu’à l’observation, leur dessein était de déstabiliser l’équipe dirigeante ou de jeter sur
elle le discrédit.
Rien d’étonnant à tout cela ! En effet, la paix sociale ne peut être garantie que si chaque membre de la
société a la latitude de s’adresser aux tribunaux afin d’obtenir de ces derniers qu’ils tranchent les contestations
l’opposant aux tiers et, ainsi, assurent la sauvegarde de ses droits. Sous ce rapport, la perte d’un procès n’a
rien d’anormal, chacun pouvant se tromper sur l’étendue de ses droits à une époque où la législation est
devenue d’une redoutable complexité et où la réalité de son opacité et de son instabilité a été bien mise en
évidence. En revanche, il est acquis, depuis longtemps déjà, qu’il y a faute à invoquer en justice un droit par
malice, par mauvaise foi ou à la suite d’une erreur délibérément commise. Dans ces cas de figure en
particulier, le reproche pourrait être adressé aux demandeurs non seulement d’avoir élevé une contestation
inutile contre leurs adversaires, mais surtout d’avoir utilisé le droit d’agir et l’appareil judiciaire à des fins qui
sont loin d’être les leurs.
C’est dans ce sens, que la cour de cassation a depuis longtemps admis le caractère abusif du recours en
justice conformément aux articles 52, 103 COC962 et 151 CPCC963. Ces comportements relèvent d’un abus de
droit classique et peuvent parfois, se réduire à un simple abus du droit d’ester en justice. Plusieurs arrêts en
témoignent de façon générale964. Tel est le cas de l’arrêt civil n° 36887, du 2 novembre 1994, où on peut lire
ce qui suit : « certes le recours en justice constitue un droit légitime pour les parties ; néanmoins le recours
abusif à la justice cause à l’adversaire un dommage superflu et nécessite un dédommagement conformément
aux articles 83 et 107 COC et 128 CPCC »965.

959
C.A. PARIS, 5ème ch., sec. C, 19 février 1999.
960
CBV = Conseil des Bourses de Valeurs Composé de 12 élus parmi des banquiers et ex-agents de change, le CBV établit le règlement général
des bourses de valeurs et décide de l'admission et la radiation à la cote. Il sanctionne les manquements au règlement.
961
COURET (A), Le harcèlement des majoritaires, Bull. Joly Sociétés, février, 1996.
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Page 133
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Seul un arrêt émanant de la Cour de cassation, en date du 10 Mai 2000, a traité à notre connaissance
explicitement de l’abus de minorité par recours abusif à la justice. Dans cet arrêt, unique en son genre, la Cour
de cassation a nettement condamné un recours en justice des minoritaires afin de mettre la société sous
séquestre et ce, pour abus de minorité manifeste car il n’y avait aucune raison légitime et valable justifiant tel
recours en justice966.
Aussi, dans son arrêt n°14663, du 12 avril 1990, la Cour d'appel de Sousse, appelée à statuer sur une
action en annulation d'une délibération sociétaire pour abus de majorité, a discerné un abus de minorité. Elle a,
en effet, décidé comme suit : « Attendu que cette action tend à améliorer la situation des minoritaires au sein
de la société précitée et, peut-être même, leur permettre, si le tribunal fait suite à leurs demandes, de
s’approprier la majorité et renverser, de la sorte, le pouvoir social. Cette action, même si elle prend
l’apparence d’un abus de majorité, elle constitue, en réalité, un abus de la minorité qui demande le maintien
967
de tout ce qui va avec ses droits et l’anéantissement du reste » .

165- L’abus de minorité externe peut aussi avoir lieu en matière d’expertise de gestion968. L’idée
ayant inspiré les concepteurs de cette expertise n’est pas bien difficile à cerner : permettre à l’associé qui a des
raisons de croire qu’un acte de gestion est inopportun ou indélicat, de réclamer que la lumière soit faite dans la
perspective d’un litige sinon déjà né, du moins à naître. Il s’ensuit, selon une opinion, que l’expertise est un
acte perturbateur qui devrait demeurer exceptionnel et ne pas pouvoir être demandé à la légère, car cette
expertise n’a pas été conçue pour permettre aux minoritaires de gérer la société ou imposer leur conception de
son administration à ceux qui en ont la charge. Aussi, se verront condamnées pour abus de minorité, les
personnes ayant recouru à cette voie de droit de manière intempestive dans l’intention inavouée d’entourer de
suspicion, non pas une opération nettement identifiée, mais l’ensemble de la gestion sociale. Seront également
condamnés, les associés ayant succombé à la tentation de solliciter cette mesure d’instruction dans l’intention
d’harceler les dirigeants en place969.

Les minoritaires peuvent utiliser aussi les quelques prérogatives dont ils disposent, pour harceler les
majoritaires970 et se donner ainsi au sein de la société une importance qu’ils n’ont pas. Le procédé pourrait par
exemple être motivé par l’espoir de négocier avantageusement leur participation, que les majoritaires, « las de
ce manège », leur rachèteraient à bon marché. Une décision du tribunal de commerce de Paris offre une
remarquable illustration de ce cas de figure, en condamnant un actionnaire minoritaire qui, au cours de
plusieurs assemblées, avait multiplié les questions écrites aux dirigeants en ne faisant pas mystère du fait
« qu’il ne s’agissait que d’un moyen pour obtenir un complément d’indemnisation qu’il cesserait d’utiliser si
une solution transactionnelle était trouvée » 971. La pratique, tout à fait légitime, des questions aux dirigeants,

I # ‫ ت ا‬N‫ا‬ 4 ‫ا ار ا‬ ‫ ن‬G I # ‫ ا‬I a k! $ GS ` <": 2007/9/17 ‫ ا _رخ‬9492 ‫(د‬3 61@7 ‫ ﺟ ء @ ار ا‬C . 22 ‫ د‬N " ‫ ا‬6‫ُ اﺟ‬+ ،‫ ر‬34 5
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."<S ‫ ا‬6‫ُ اﺟ‬+ ." K# UG 4 + ‫ وز‬$‫و‬
968
V. infra, n° 535.
969
Pour une application, V. Cass. Com. Fr., 12 juin 1976, Bull Joly 1998, D 1977, p 141 ; Rev. Soc. 1976, p330, note PH Merle-CA Paris, 16
févr. 1982 Rev sociétés 1982, p.848, note J-G.- CA Rennes, 11 juin 1986 : Rev société 1987, p. 96, obs. Y. Guyon – CA Lyon, 27 Nov. 1992, RTD
com. 1993, P.112, obs. Y Reinhard.
970
COURET (A), Le harcèlement des majoritaires, Bull. Joly 1996, p. 112, n° 36.
971
T. Com. Paris, 2è ch, 11 mai 2004, Bull. Joly 2004, p. 1238, n° 252, note P. le Cannu ; JCP E 2004, p.1256, note A. Viandier ; Dr. Sociétés
2004, repère, obs. F-X. Lucas – comp. CA Nancy, 8 déc. 1965, D. 1966, P.687.

Page 134
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

avait été dévoyée. Comme le souligne, à juste titre, le tribunal précité, le minoritaire avait « détourné son droit
de son objet et fait de ce droit un usage engageant sa responsabilité envers la société »972.
Il en est de même du minoritaire qui a sollicité la désignation d’un administrateur provisoire ou
persiste à intenter une action manifestement vouée à l’échec dans le seul but de déstabiliser l’actionnaire
majoritaire et la société973. On se trouve en présence d’un usage fautif de prérogatives conférées par la loi aux
minoritaires et il y a évidement matière à engager leur responsabilité.

166- Indubitablement, à l’instar du majoritaire, le minoritaire peut également abuser des droits
spécifiques qui lui sont conférés par la loi. Un tel abus est analysé de façon classique, en termes d’intérêt
légitime à agir, et aboutit, le cas échéant, à la sanction d’une action considérée comme téméraire et
vexatoire974.
Cette obstruction extérieure trouve son fief en matière de fusion ou scission. On peut se demander, dès
lors, quelle peut être la possible stratégie judiciaire des minoritaires dans le but de « mettre les battons dans
les roues » de l’opération de fusion ? Cette stratégie peut apparaître dès l'annonce officielle du projet de
fusion, c'est-à-dire dès le communiqué de presse qui, selon le CMF, doit être divulgué immédiatement après la
tenue du conseil d'administration qui arrête les termes de la fusion, et notamment la parité. Dans quelles
conditions et sous quelles formes cette stratégie peut-elle se développer ? En premier lieu, les minoritaires
peuvent se manifester en demandant des compléments d'information auprès des dirigeants. Ils peuvent aussi
intervenir auprès du CMF, surtout si, en l'espèce, il y a des présomptions d'irrégularités, notamment des
manipulations de cours qui seraient intervenues avant l'annonce officielle de la fusion. Enfin, les minoritaires
peuvent saisir le juge des référés. Cette dernière stratégie vise alors à déstabiliser les dirigeants et surtout
l’expert spécialisé à la fusion en sollicitant une intervention du juge des référés, si possible d'heure à heure et
ce, un jour ou deux avant la tenue de l'assemblée générale appelée à statuer sur l'opération de fusion contestée.
Les deux objectifs recherchés en saisissant le juge des référés sont généralement les suivants : soit obtenir du
juge qu'il ordonne l'ajournement sine die de l'assemblée générale, soit lui demander qu'il ordonne une mesure
d'expertise préventive. Il convient donc de tenter d'impressionner le juge des référés en combinant, si possible,
la demande en référé avec un dépôt de plainte auprès du CMF.

167- Tous les exemples sus évoqués montrent à quel point le minoritaire dispose, entre ses mains,
d’une arme redoutable. Il pourra ainsi mettre en échec, par exemple, une augmentation de capital essentielle
pour réaliser une opération de fusion. Un tel comportement est-il légal et légitime ? Est-il, au contraire,
abusif ?
La réponse est loin d’être aisée ; car le tracé de la frontière entre l’exercice légitime d’un droit
d’opposition et un abus de droit n’est pas non plus une entreprise facile. C’est ce qui explique la prudence de
certains juges hésitant à sanctionner les comportements intempestifs des minoritaires. Il faudra donc
déterminer, au préalable, les conditions d’application ou encore les éléments constitutifs de l’abus de minorité
à l’aune des procédés de concentration des sociétés.

-§2- : Les éléments constitutifs de l’abus de minorité dans les


procédés de concentration
168- Malheureusement, le législateur ne s’est pas intéressé à cette forme d’abus. C’est également le
cas de la jurisprudence qui n’a pas fixé les éléments de l’abus de minorité. Dans de telles conditions, rien ne
semble empêcher le recours au droit comparé, notamment au droit français en tant que source matérielle du
droit des sociétés tunisien.
A son tour, le législateur français n’a pas défini l’abus de minorité, c’est plutôt la Cour de cassation
française qui l’a fait. De cette jurisprudence, on pourra tirer quelques leçons en vue de proposer un projet de

972
Ibidem.
973
C.A. Paris, 12 sept.1995, DR. sociétés 1995, n° 252, obs. D. Vidal
974
TILQUIN (T), Traité des fusions et scissions, éd. KLUWER, Belgique, 1993, p 420, n° 623.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

texte à notre législateur. Pour ce faire, faudra-t-il, d’abord, démontrer l’abus de minorité en tant que
« mécanisme correcteur » (I), pour, ensuite, analyser ses spécificités qui l’éloignent de l’abus de majorité dans
les procédés de concentration des sociétés (II).

I- L’abus de minorité : mécanisme correcteur dans les procédés


de concentration

169- Contrairement à l’abus de majorité, la notion d’abus de minorité a été consacrée, en droit
français, plus tardivement975. Elle est apparue pour la première fois en jurisprudence française en 1957976 mais
ce n’est que par un arrêt du 15 juillet 1992 que la Cour de cassation en a donné une définition précise977. Pour
la Haute Juridiction française, il s’agit de l’attitude du minoritaire adoptée « contrairement à l’intérêt général
de la société, en ce qu’elle interdit la réalisation d’une opération essentielle pour celle-ci, et dans l’unique
dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de l’ensemble des autres associés »978. Cette formule a
été ultérieurement reprise979. Une jurisprudence française, désormais bien établie980, définit l’abus de minorité
comme le fait pour la minorité d’user d’un droit « contrairement à l’intérêt social dans l’unique dessein de
favoriser ses intérêts personnels au détriment de l’ensemble des autres associés » 981.

En s’inspirant de cette jurisprudence française, la définition de l’abus de minorité semble être presque
calquée sur celle de l’abus de majorité. Faut-il pour autant considérer que les deux concepts sont similaires ?
En dépit du silence du législateur et de la jurisprudence, une réponse positive semble difficilement s’imposer.
Cette apparente similitude pourrait bien cacher une réalité toute différente.

170- Comme l’abus de majorité, celui des minoritaires constate aussi l’existence d’un conflit
d’intérêt entre actionnaires. Les majoritaires estiment, à juste titre, que la résolution projetée est contraire à
leur intérêt alors que, de son côté, la minorité considère, tout aussi légitimement, que cette mesure est
conforme à l’intérêt de la société. C’est cet équilibre qui devra être apprécié par le juge, car c’est en fonction
de ces considérations qu’il devra statuer et sanctionner, d’autant plus que l’attitude négative des minoritaires à
l’origine du conflit aura des conséquences graves sur le fonctionnement de la société. Manifestement, l'abus
de minorité semble être un décalque de l'abus de majorité. Par conséquent, il suppose la réunion de deux
éléments, une atteinte à l'intérêt social et une rupture d'égalité entre les associés. Le premier élément est
nécessaire dans tous les cas : on ne peut reprocher aux minoritaires un comportement conforme à l'intérêt
social. Autrement dit, on ne peut parler d'abus de minorité que si le seul but de l'actionnaire minoritaire a été
d'entraver le fonctionnement de la société. Cette condition doit être approuvée, parce qu'on ne peut exiger ni
des uns ni des autres une totale pureté d'intention. En cas de tension, le fonctionnement d'une société donne

975
MERLE (PH), L’abus de minorité, RJ Com., nov. 1991, n° spécial, La loi de la majorité, p. 81 ; CABRILLAC (M), De quelques handicaps
dans la construction de la théorie de l’abus de minorité, Art. pré., p. 109 ; BOIZARD (M), L’abus de minorité, Rev. Soc. 1988 p. 365 ; COURET
(A), Le harcèlement des majoritaires, Art. pré., p. 112. C.A. Paris, 16 avr. 1999, JCP éd. E. 2000, p. 30, obs. A. VIANDIER et J.-J. CAUSSAIN.
976
C.A. Besançon, 5 juin 1957, D. 1957 p. 605, note A. DALSACE. La doctrine n’était guère prolixe à ce sujet (V. toutefois, LEBLOND (J), De
l’impossibilité pour une société de mettre ses statuts en harmonie avec la législation nouvelle, Journ. Sociétés 1944 p. 241).
977
Cass. Com. Fr., 15 juill. 1992, Six, Bull. Joly 1992 p. 1083, note P. LE CANNU ; JCP éd. E II 1992 n° 375, note Y. GUYON ; JCP 1992 II n°
21944, note J.-Fr. BARBIERI ; D. 1993 p. 279, note H. LE DIASCORN.
978
L'abus de minorité, ainsi défini, est d'ailleurs concevable dans d'autres hypothèses que le vote négatif. V. par ex Cass. Com., 10 oct. 1999,
Defrénois 2000 p. 497, note J. HONORAT (solution implicite).
979
Cass. Com. Fr., 9 mars 1993, Flandin, JCP éd. N. 1993 II p. 293, note J.-Fr. BARBIERI ; L.P.A., 24 mars 1993 p. 12, note P.M. ; RTD com.
1993 p. 112, obs. Y. REINHARD ; Gaz. Pal. 1993, 2, p. 334, note J. BONNARD ; D. 1993 p. 363, note Y. GUYON ; RJDA 1993 p.253, concl. M.
RAYNAUD ; Dr. Sociétés 1993 n° 95, obs. H. LE NABASQUE ; RFC juin 1993 p. 86, obs. Ph. REIGNE ; JCP éd. E 1993 II n° 448, note A.
VIANDIER ; JCP 1993 II n° 22107, note Y. PACLOT - adde, pour un historique du litige, M. COZIAN et A. VIANDIER, Droit des sociétés, op.
cit., n° 476 bis.
980
Les tribunaux n'emploient que peu l'expression "abus du droit de vote" mais font seulement référence à l'abus de majorité ou de minorité. V.,
cependant, Cass. Com. Fr., 16 juin 1998, Bull. Joly 1998 p. 1083, note P. LE CANNU ; Rev. Soc. 1999 p. 103, note K. MEDJAOUI.
981
Cass. Com. Fr., 14 janvier 1992, Dr.Soc. mars 1992, Fasc 75, note LE NABASQUE ; Cass. Com. Fr., 9 mars 1993 ed. E p 141 Dr Soc.
mai1993 n° 95.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

des arguments à chacun, il est seulement interdit de les détourner complètement. D'ailleurs, qu'on le
sanctionne ou pas, les conséquences d'un prétendu abus de minorité sont dangereuses pour la société si les
associés ne parviennent pas à retrouver l'harmonie.
Dans de telles conditions, l’abus de minorité suppose que des sociétaires frondeurs, en exerçant leurs
droits politiques, s’opposent à ce que des décisions soient prises ; alors que, d’une part, elles sont rendues
nécessaires par l’intérêt de l’entreprise ; et d’autre part, ils ne peuvent justifier d’un intérêt légitime les
justifiant.
Deux remarques peuvent être soulevées. La première est que l’intérêt des associés doit s’effacer devant
celui de la société. Pour reprendre des formules empruntées aux professeurs Lesourd982 et Bissara983, « tant
que la dissolution d’un groupement n’a pas été décidée, les personnes qui y prennent part ou celles qui
assument sa direction sont tenues d’assurer la prospérité et le bon fonctionnement de l’entreprise commune,
dans le respect du pacte social ». Il apparaît alors, du moins selon l’opinion dominante984, que l’intérêt social
est l’intérêt supérieur de la personne morale elle-même, c’est-à-dire celui de l’entreprise perçue en tant
qu’agent économique poursuivant des objectifs propres985. Il détermine la conduite à suivre dans les cas
critiques spécialement, cet intérêt transcende celui des personnes ayant concouru à sa création, qu’elles soient
majoritaires ou minoritaires. Aussi bien, il y aura incontestablement abus de minorité dans l’ensemble des
hypothèses où la décision litigieuse touchera à la survie de la société et sera susceptible de remettre en cause
soit son intégrité juridique, soit patrimoniale986. C’est alors au groupe majoritaire ayant saisi le tribunal
qu’incombera la charge d’établir en quoi l’attitude de la partie poursuivie a été contraire à l’intérêt de la
société987. La seconde remarque, non moins importante, est que la violation de l’intérêt social ne suffit pas à
caractériser l’abus de minorité et à condamner la partie poursuivie. Pour que le grief soit accueilli contre un
associé ou un groupe d’associés récalcitrants, il importe encore que la méconnaissance de cet intérêt soit
intervenue dans un but égoïste. Autrement dit, la minorité doit avoir agi de manière à favoriser exclusivement
un individu ou un groupe particulier dans des circonstances où l’intérêt de l’entreprise aurait dû primer parce
que sa pérennité était en cause. Ainsi, dès qu’un minoritaire ferait passer ses prétentions individuelles avant
l’intérêt de la société, son comportement serait constitutif d’un abus et mériterait une sanction. Ce serait d’une
certaine manière consacrer la théorie des droits-fonctions selon laquelle le droit de vote ne serait conféré que
dans l’intérêt unique de la société. Dés lors qu’il exercerait son droit dans un but étranger à celui pour lequel il
lui a été conféré, le comportement du minoritaire devrait être sanctionné.

171- Critiquant la condition relative à la rupture d’égalité et prônant sa suppression en matière


d’abus de minorité, une partie de la doctrine française988 considère qu’un vote de refus ne porte pas atteinte
directement à l'égalité, puisqu'il maintient l'égalité précédente. Mieux encore, il vise souvent à éviter qu'une
inégalité ne s'instaure, si les décisions projetées ont pour but de renforcer la domination de la majorité sur la
société. Dès lors, on ne pourra parler de « rupture d'égalité » par abus de minorité que dans l'hypothèse du
vote obtenu par surprise, qui peut effectivement chercher à avantager les seuls minoritaires.

982
LESOURD (N), L’annulation pour abus de droit des délibérations d’assemblées générales, RTD Com, 1962, p. 13.
983
BISSARA (PH), L’intérêt social, Revue sociétés, 1999, chron., p. 12.
984
VENIZET (A), La position des juges sur l’intérêt social, Dr. et patrimoine, 1997, p. 50 ; CONSTANTIN (A), L’intérêt social : quel intérêt ?,
Etudes offertes à Barthélemy Mercadal, éd. F. Lefebvre, Paris, 2002, p. 317 et s. ; BERENGER (Y) et MEUKE (B), De l’intérêt social dans
l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique, Penant, 2007, p. 401 ; PIROVANO (A), La
boussole de la société. Intérêt commun, intérêt social, intérêt de l’entreprise ?, D. 1997, Chron., p. 189 ; BISSARA (PH), op cit., p. 5 et s. ;
MARTIN (D), L’intérêt des actionnaires se confond-il avec l’intérêt social ?, Mélanges en l’honneur de Dominique Schmidt, Joly éd., Paris, 2005,
p. 360 et s. ; NJANDEU-MOUTHIEU (M), L’intérêt social en droit des sociétés, th. d’Etat, Yaoundé II, 2006 ; GOFFAUX-CALLERBAUT
(G), La définition de l’intérêt social : retour sur la notion après les évolutions législatives récentes, RTD com. 2004, p. 35 et s. ; Cass. Com. Fr.,
15 juil. 1992, D. 1992, p. 279, note H. Le Diascorn, RTD com, 1993, p. 112, obs. Y. Reinhard.
985
Si le plus grand nombre semble favorable à cette thèse, il faut dire qu’il n’en a pas toujours été ainsi. V. infra, n° 294 et s.
986
PIROVANO (A), La boussole de la société, Art. pré., p 189.
987
C.A. Paris, 26 juin 1990, préc. Adde : CONSTANTIN (A), La tyrannie des faibles. De l’abus de minorité en droit des sociétés, In Aspects
actuels du droit des affaires, Mélanges en l’honneur de Yves Guyon, Paris, Dalloz, 2003, p. 222.
988
KOERING (C), La règle "une action-une voix", op. cit., n° 216 ; LE CANNU (P), L’abus de minorité, Bull. mensuel d’informations des
sociétés 1986 p. 429 ; CABRILLAC (M), De quelques handicaps dans la construction de l’abus de minorité, Art. pré., spéc. n° 11 ; - contra :
SCHMIDT (D), Les droits de la minorité dans la société anonyme, op. cit., n° 208 ; TRICOT (D), Abus de droits dans les sociétés. Abus de
majorité et abus de minorité, art. pré., p 109.

Page 137
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

En dehors de cette hypothèse, assez exceptionnelle, cette doctrine exhorte l’ajout d’un deuxième
élément subjectif à l'abus de minorité, à la place de la rupture d’égalité, qui consiste dans l’intention de nuire.
En effet, l'associé minoritaire taxé d'abus est toujours animé d’une intention qui vise au dénigrement (action
abusive) ou à l'opposition systématique (vote de refus). S'il ne cherche pas directement un avantage, il a une
intention négative qui peut s'inscrire dans une stratégie d'intimidation. Certains auteurs français989 ont penché
en faveur de cette option, en se fondant sur certains arrêts990. Cependant, si une telle attitude peut être
justement redoutée et sanctionnée, elle n'est nullement la règle, et on ne saurait la présumer à chaque fois
qu'un associé minoritaire développe une attitude de refus. Cette analyse semble désormais condamnée par la
Cour de cassation française, depuis l’arrêt Flandin991. En l’espèce, la Cour d’appel de Pau992, dont la position a
été censurée, avait estimé que l’abstention systématique du minoritaire révélait ipso facto sa volonté
malicieuse. Par conséquent, l’abus était caractérisé. En lui reprochant de ne pas avoir recherché si « l’attitude
de l’associé minoritaire avait été contraire à l’intérêt général de la société et dans l’unique dessein de
favoriser ses propres intérêts au détriment de l’ensemble des autres associés », la Cour de cassation exclut
nécessairement l’intention de nuire993. En effet, la Chambre commerciale exige la poursuite d’un intérêt
personnel « à dessein » 994. Autrement dit, cette recherche doit être consciente, mais n’implique pas forcément
la volonté de causer un dommage. Dans ces conditions, le critère intentionnel pourra résider, comme en
matière d’abus de majorité, dans la « conscience de s’avantager personnellement ».
En somme, cet élément d’ordre subjectif, qui, dans les deux types d’abus, réside dans la « conscience
de s’avantager personnellement » traduit un manquement à l’affectio societatis. C’est cette méconnaissance
qui constitue leur critère commun995, ce qui pose, encore une fois, l’importante question de l’unicité des
critères.

En réalité, ce qui a pu gêner les auteurs pour les amener finalement à conclure que le concept ne
supposait pas forcément une rupture d’égalité, c’est l’absence d’avantage tangible retiré du comportement
abstracteur. Dans cette optique, l’intention de nuire du minoritaire est indispensable pour caractériser l’abus996
puisque ce dernier ne tire aucun profit de son attitude, celle ci ne peut s’expliquer que par la volonté de causer
un dommage.
Certes, les minoritaires ne tireront aucun bénéfice matériel, aucun avantage tangible de leur
conduite997. Cependant, ne peut-on faire valoir que l’opposition systématique est avant tout dictée par la quête
d’un profit personnel, comme en matière d’abus de majorité ? Une réponse affirmative semble s’imposer.
En effet, la recherche d’un avantage n’est pas forcément matérielle. Par exemple, le fait de s’opposer à une
augmentation de capital qui s’autoriserait de l’intérêt social pourrait être motivé par la volonté du minoritaire
de ne pas voir sa participation au capital diluée998. Ce souci, en soi légitime999, peut rendre toutefois son
comportement critiquable, dès lors que l’intérêt de la société, donc des autres associés, commande
l’augmentation projetée. En d’autres termes, si l’intérêt du minoritaire à ne pas voir sa participation réduite le
conduit à émettre un vote contraire à l’intérêt social, alors il y aura poursuite d’un intérêt personnel1000.

989
LE CANNU (P), L’abus de minorité, Art. pré., p. 429
990
C.A. Paris, 15 déc. 1983, Bull. mensuel d’informations des sociétés 1984 p. 292. D’après cet arrêt, puisque la participation aux assemblées
générales n’est pas obligatoire, « l’abstention systématique n’est fautive que si elle révèle une intention de nuire ».
991
Cass. Com. Fr., 9 mars 1993, précité.
992
C.A. Pau, 21 janv. 1991, Rev. Soc. 1992 p. 46, obs. Ph. M.
993
En ce sens, BONNARD (J), art. pré., Gaz. Pal. 1993, 2, p. 334.
994
Le terme « dessein » est traditionnellement défini comme l’intention délibérée d’exécuter quelque chose (Dict. Robert, V° « dessein »)
995
SCHMIDT (D), Les droits de la minorité dans la société anonyme, op. cit., n° 231.
996
VIDAL (D), RJ com., 1988 p. 104.
997
Pour une étude de l’abus de minorité sous l’angle du comportement contractuel, V. FAGES (B), Le comportement du contractant, PUAM,
1997, préf. J. MESTRE, n° 675 et s.
998
C.A. Lyon, 20 déc. 1984, D. 1986 p. 506, note Y. REINHARD ; C.A. Paris, 18 déc. 1985, RJ com 1988 p. 89, note D. VIDAL.
999
C.A. Paris, 26 juin 1990, JCP 1990 II n° 21589 ; Rev. Soc. 1990 p. 613, note M. BOIZARD – Rappr., considérant comme légitime le refus des
minoritaires de se porter caution des dettes sociales, Cass. Com. Fr., 10 févr. 1998, RTD com. 1998 p. 619, obs. Cl. CHAMPAUD et D. DANET.
1000
Un autre argument a été avancé : l’attitude de l’associé minoritaire peut être motivée par le désir de monnayer son vote. Dès lors, il y aurait
lieu d’établir un parallélisme avec la prohibition du trafic de suffrages posée à l’article L. 242-9, 3°, du code de commerce français (ancien art. L.
440), V. DANA (A), Rapport sur l’expression dualiste de la méconnaissance de l’intérêt collectif, Rev. Soc. 1979 p. 714).

Page 138
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Aussi, on peut se demander si l’abus de minorité suppose un préjudice. Une réponse affirmative paraît
nécessaire. En effet, si l’atteinte à l’intérêt social est retenue, il en découlera nécessairement un dommage pour
les associés majoritaires. Si l’intérêt de la société commande sa survie, alors le comportement obstructeur du
minoritaire causera ipso facto un préjudice à ses coassociés, qui pourrait consister en la perte d’une chance de
voir l’activité sociale poursuivie et, partant, d’accroître leur profit.

172- S’inspirant de cet effort doctrinal et jurisprudentiel fort constructif, il ne semble pas interdit de
soutenir que toute opposition minoritaire à un projet de fusion ou de scission peut être qualifiée abusive si elle
met en échec un projet nécessaire pour la survie de la société, et-ce juste pour satisfaire des intérêts
minoritaires égocentriques1001. L’hypothèse la plus courante est celle dans laquelle un minoritaire s’oppose à
une augmentation de capital, nécessaire par exemple pour mettre en place une fusion indispensable pour
assurer la survie de la société. Le minoritaire fait alors prévaloir son propre intérêt sur celui de la société. Il
sait pertinemment que s’il vote la décision d’augmentation du capital social, il en résultera pour lui une
dépense présentant vraisemblablement un intérêt économique incertain. Le minoritaire peut aussi choisir d’y
souscrire, laissant les majoritaires en faire, mais il perdra alors sa minorité de blocage et avec elle tout espoir
de peser sur le sort de la société. Dans la plupart des cas, le minoritaire sera tenté d’empêcher le vote de la
décision d’augmenter le capital social, soit en ne participant pas à l’assemblée et en interdisant ainsi la réunion
du quorum permettant d’adopter une modification statutaire1002, soit en votant contre la résolution proposée et
en empêchant ainsi de réunir une majorité suffisante pour s’accorder sur la délibération. Une telle situation
illustre parfaitement la logique de l’abus de minorité : le minoritaire préfère mettre la société en danger de
mort plutôt que de prendre une décision qui n’est pas conforme à ses intérêts. Evidemment, toute opposition à
une proposition de fusion, scission, augmentation de capital social ou autre n’est pas automatiquement
abusive. Il faut que cette augmentation soit, comme l’indique la Cour de cassation française, « essentielle »
pour la société1003, ou encore « vitale », pour reprendre une formule utilisée par d’autres arrêts1004. A l’inverse,
une opération de concentration seulement utile ou souhaitable ne s’impose pas aux minoritaires1005. Ils y
conservent une entière liberté d’appréciation et sont en mesure de s’y opposer sans commettre d’abus.
Ainsi, l’abus de minorité ne doit être retenu que dans des hypothèses exceptionnelles, dans lesquelles
la survie de la société est en jeu. Dans le cas contraire, le système protecteur des minorités perdrait toute
raison d’être. Autrement dit, comme le fait remarquer un auteur, l’abus de minorité doit demeurer un
« mécanisme correcteur »1006. Mieux encore, ce type d’abus serait beaucoup plus circonscrit si on parvient à
déterminer ses spécificités qui lui donnent son autonomie par rapport à l’abus de majorité à l’aune des
procédés de concentration des sociétés.

1001
DAILLE-DUCLOS (B), L'application extensive du principe du contradictoire en droit des affaires. Le développement du devoir
d'information, du devoir de loyauté et du respect des droits de la défense, JCP éd. E. 2000 p. 1990. Cass. Com. Fr., 27 mai 1997, précité ; V. déjà,
en ce sens, CABRILLAC (M), De quelques handicaps dans la construction de la théorie de l’abus de minorité, Art. pré., p 109. D’après ces
auteurs, pour porter atteinte à l’intérêt social, le vote du minoritaire doit être émis en parfaite connaissance de cause.
1002
Hypothèse de l’associé d’une Sarl détenant plus du quarts des parts sociales, par ex, à qui il suffit de ne pas assister à l’assemblée pour
paralyser l’augmentation de capital.
1003
C.A. Paris, 25 mai 1993, D.1993, JUR. P.541, 852, §250 ; note P. Le cannu ; Dr sociétés 1993, n° 165, obs. H. Nabasque ; Rev. Soc. 1993 p.
827, G. Durand – Lépine.
1004
Cass. Com. Fr., 18 juin 2002, Bull. joly 2002, p. 1197, § 256, note L G odon- adde Cass. Com. Fr., 5 mai 1998, Bull. Joly, 1998, p 755, n°
245, note L. Godon ; JCP G 1998 , I, 163, spect n° 1, obs. A. Viandier et J- J. Caussin ; RTD com. 1998, p. 619, obs. C. champaud et D. Danet ; D.
aff. 1998, p. 1097, obs. M.B ; LPA 19 février. 1999 ? P.10. note S. Almaseanu ; Rev. Société 1999, p. 344, note M. Boizard ; Cass. Com. Fr., 27
mai 1997, Bull. civ. IV, N° 159 ; D. 1998, somm. P.182, obs. J-C Hallouin ; D. aff. 1997, n° 142. note D. Vidal ; Défrénois 1997, p. 1279, obs. H.
Hovasse ; C.A. Lyon, 20 déc. 1984, D. 1986, p. 506, note Y. Reinhard ; RJ com. 1988, p. 89, note D. Vital, qui évoque une augmentation de
capital « nécessaire à la survie de la société ».
1005
C.A. Paris, 3e ch. B, 24 janvier. 1997, Bull. Joly 1997, p. 405, n° 172, note B. Saintourens ; RJ com. 1988, p. 68 note F. Masquelier ; C.A.
Versailes, 25 nov. 1987, bull. JOLY 1988, p. 82 ; JCP E 1988, II, 15168, obs. A. Viandier et J- J Caussain.
1006
MERLE (PH), L’abus de minorité, art.pré. ; KOERING (C), La règle "une action-une voix", op. cit., n° 208 et s.

Page 139
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

II- L’abus de minorité : les traits distinctifs dans les procédés de


concentration

173- Pour plus de précision, il sied de remarquer que contrairement à l’abus de majorité où la simple
atteinte à l'intérêt général de la société constitue la condition objective de l’usage abusif, dans l’abus de
minorité, il faut que l'abstention ou le refus du minoritaire risque d'entraîner des conséquences plus précises
pour qu'on puisse lui reprocher un comportement abusif1007. En effet, il faut que la société démontre que cette
défaillance ou ce refus empêche de prendre une décision indispensable à la survie de la société. La mention
d’une « opération essentielle » peut s’expliquer par la volonté de la jurisprudence française de préciser en quoi
peut consister la méconnaissance de l’intérêt social dans l'hypothèse particulière d'un abus de minorité. Selon
toute logique, cette « opération essentielle » est celle qui met en péril l’avenir même de la société1008 ou celle
qui peut être envisagée comme un acte conservatoire1009. Il va sans dire que le concept d’abus de minorité,
parce qu’il remet en cause la loi de la majorité, doit demeurer d’une application exceptionnelle1010, sous peine
d’aboutir à « un gouvernement judiciaire sur initiative majoritaire »1011.
D’un autre coté, pour qu’il puisse porter atteinte à l’intérêt social, le vote du minoritaire doit être émis
en parfaite connaissance de cause. Le minoritaire ne pourra se voir reprocher d’avoir bloqué l’adoption d’une
« opération essentielle », si l’information sur l’importance de la mesure était insuffisante ou inexistante1012.
Autrement dit, l'absence de transparence sur les affaires sociales légitime l'opposition du minoritaire. Cette
analyse, parfois fondée sur le principe du contradictoire1013, a été consacrée par la Cour de cassation
française1014.
Dans ces conditions, l’abus de minorité est caractérisé par la réunion de trois éléments1015 : il faut que
le minoritaire adopte un comportement contraire à l’intérêt de la société, interdisant la réalisation d’une
opération essentielle pour celle-ci1016 et dans le seul but de favoriser ses propres intérêts au détriment de
l’ensemble des autres associés. Réunis de la sorte, ces éléments composants rendent la définition de l'abus de
minorité beaucoup plus restrictive que celle de l'abus de majorité, l'explication tenant à la volonté de la Cour
de cassation de protéger les minoritaires et leur laisser au maximum le droit de s'opposer aux décisions des

1007
Pour une présentation différente du droit positif, V. TRICOT (D), Abus de droits dans les sociétés (abus de majorité et abus de minorité), Art.
pré., p. 617 et s., spéc. p. 622. V. également BRUNET (A), Le contrôle du gouvernement des sociétés cotées par la minorité en droit français,
L.P.A., no 123 du 14 octobre 1998, p. 28 et s., spéc. p. 32-33.
1008
Cass. Com. Fr., 27 mai 1997, BRDA 11/1997 p. 4 ; Dr. et patrimoine nov. 1997 p. 86, obs. J.-P. BERTREL ; Defrénois 1997 p. 1279, note H.
HOVASSE : " Le refus par un actionnaire minoritaire de voter une augmentation de capital peut constituer un abus de minorité dans le cas où
cette augmentation est nécessaire à la survie de la société ". De même, la Cour de cassation française a pu estimer que le vote d'un associé
égalitaire d'une SARL bloquant la mise en réserves des bénéfices, laquelle était nécessaire aux intérêts vitaux de la société, était abusif, en ce qu'il
empêchait la réalisation d'une opération essentielle pour le groupement : Cass. Com. Fr., 16 juin 1998, précité.
1009
TRICOT (D), Abus de droits dans les sociétés. Abus de majorité et abus de minorité, Art. pré., p 617.
1010
LESOURD (N), L’annulation pour abus de droit des délibérations d’assemblées générales, RTD com., 1962, p. 1
1011
SCHMIDT (D), Rev. Soc., 1976, p. 483.
1012
A ce titre, l’arrêt rendu, le 20 Mars 2007, par la Cour de cassation française est particulièrement intéressant à double titre. En l’espèce, un
associé minoritaire bloquait l’augmentation de capital qui devait être suivie d’une diminution de capital par absorption des dettes. Les juges du
fond ont été censurés pour avoir retenu l’abus de minorité alors que les minoritaires n’avaient pas bénéficié des informations leur permettant de se
prononcer en connaissance de cause sur l’importance et l’utilité de cette opération. Selon la cour de cassation en l’absence d’une telle information,
ils ne commettaient pas d’abus en refusant l’adoption de la résolution proposée. La cour de cassation va confirmer la définition traditionnelle de
l’abus de minorité et indiquer en substance que faute de motivation permettant d’établir en quoi l’opposition des minoritaires au vote de
l’augmentation de capital était fondée sur l’unique dessein de favoriser leur propre intérêt au détriment de l’ensemble des autres associés, la cour
d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision. V. http://www.oboulo.com/chambre-commerciale-cour-cassation-20-mars-2007-abus-droit-
fiscal-93030.html.
1013
DAILLE-DUCLOS (B), L'application extensive du principe du contradictoire en droit des affaires. Le développement du devoir
d'information, du devoir de loyauté et du respect des droits de la défense, JCP éd. E. 2000 p. 1990.
1014
Cass. Com. Fr., 27 mai 1997, précité ; V. déjà, en ce sens, CABRILLAC (M), De quelques handicaps dans la construction de la théorie de
l’abus de minorité, Art. pré., p 109.
1015
Cass. Com. Fr., 15 juillet 1992, Six, Bull. Joly Sociétés, octobre 1992, p.1083 et s.
1016
Le critère de l’opération essentielle limite la protection de la société à sa seule survie et ne permet pas de sanctionner les comportements
nuisibles au bon fonctionnement de la société et à son développement.

Page 140
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

majoritaires1017. C'est la raison pour laquelle l'abus de minorité est encore moins souvent retenu par les
tribunaux que l'abus de majorité1018.
De ce qui précède, on peut déduire que l’abus de minorité requiert une atteinte à l’intérêt social
moyennant une obstruction systématique, interne ou externe, à une opération essentielle pour la société et la
recherche d’un intérêt personnel par le minoritaire. Aussi, l’abus de minorité, il faut le souligner, est une
exception au principe d’autonomie des minoritaires dans l’exercice de leur droit de vote. Il ne doit pouvoir
leur être opposé que dans des situations exceptionnelles où les majoritaires sont en principe exempts de toute
critique. Il faut donc éviter un abus de la notion d’intérêt social qui conduirait à priver totalement le titulaire
du pouvoir de son droit au lieu d’en restreindre tout simplement l’exercice1019.

174- Dans ce sens, on découvre, sans surprise, le contenu de l’article 131 de l’AUSC1020 établi par
l’OHADA1021 qui dispose que « les associés minoritaires peuvent engager leur responsabilité en cas d’abus
de minorité. Il y a abus de minorité lorsque, en exerçant leur droit de vote, les associés minoritaires
s’opposent à ce que des décisions soient prises, alors qu’elles sont nécessitées par l’intérêt de la société et
qu’ils ne peuvent justifier d’un intérêt légitime ».
Il est clair que le droit OHADA a tracé, de manière assez restrictive, le domaine de l’abus de minorité.
Sans doute, le plus fréquemment, un tel abus émane d’une minorité formelle détentrice d’une proportion
déterminée du capital et, par contrecoup, d’un nombre défini de titres sociaux. Rien ne fait, cependant,
obstacle à ce qu’il émane aussi d’une minorité plutôt informelle ou inorganisée, ne détenant pas ou n’exerçant
pas ce droit de véto que la loi reconnaît dans le cadre d’une assemblée d’associés.

En l’absence d’un texte similaire en droit tunisien, il sied de prôner une intervention législative afin de
reconnaitre explicitement la notion d’abus de minorité et ce, en ajoutant un article aux dispositions générales
du code des sociétés commerciales. Cet article pourrait prendre la teneur suivante : « les associés minoritaires
commettent un abus de minorité lorsque, en exerçant leurs droits, ils s’opposent à ce que des décisions
essentielles, nécessitées par l’intérêt de la société, soient prises et qu’ils ne peuvent justifier d’un intérêt
légitime ».

175- Ainsi, l’abus de minorité ne cesse d’affirmer sa propre originalité par rapport à l’abus de droit
et également par rapport à l’abus de majorité. Il dispose de ses propres caractéristiques qui imposent une

1017
ALMASEANU (S), Retour sur la définition et la sanction de l’abus de minorité, L.P.A., 22 février 1999 n° 37, p. 10 ; NEUNREUTHER (M),
Permanence et renouvellement du principe d'égalité entre actionnaires dans les sociétés anonymes, Thèse Aix-en-Provence, 1994, p. 380 où on
peut lire ce qui suit : « admettre trop facilement l'abus de minorité est dangereux pour l'égalité entre actionnaires. Le minoritaire doit pouvoir
contribuer aux équilibres nécessaires au bon fonctionnement des sociétés. La recherche même de ces équilibres, accentuée par des dispositions
législatives de plus en plus nombreuses pour tendre vers plus d'égalité, serait remise en question si le refus des minoritaires était taxé trop
facilement d'abus. On doit, sur ce point, se féliciter de l'attitude prudente adoptée par la jurisprudence. Seuls les abus manifestes sont retenus ».
Sur l'égalité des associés, V. MESTRE (J), L'égalité en droit des sociétés (aspects de droit privé), Rev. Soc. 1989, p. 399 et s. et surtout DIDIER
(P), L'égalité des actionnaires, mythe ou réalité ?, J.C.P., éd. E, Cahiers Dr. entreprise 5, 1994, p. 18 et s. Dans ce dernier article, le professeur
Didier explique de façon très convaincante qu'à l'égalité classique du droit des sociétés, qui est une égalité proportionnelle, tant des droits
patrimoniaux des associés (article 1844-1 du Code civil : « la part de chaque associé dans les bénéfices et sa contribution aux pertes se
déterminent à proportion de sa part dans le capital social... ») que de leur participation à la vie sociale (article 174 de la loi du 24 juillet 1966),
s'oppose une nouvelle forme d'égalité, celle du droit boursier, qui est une égalité arithmétique, résultant d'une série de règles imposant de traiter les
actionnaires, comme les investisseurs, de façon strictement égale (égalité de l'information, égalité du prix).
1018
On mesure alors la distance qui sépare les définitions des abus de majorité et de minorité. Le domaine de l’abus de majorité ne se limite pas
aux opérations essentielles, il s’étend notamment aux décisions de mise en réserve, voire à la révocation d’un administrateur sous curatelle. A
l’inverse, un abus de minorité ne concernerait qu’une opération jugée essentielle. En conséquence, s’opposer à une opération non essentielle ne
contrarierait pas l’intérêt social. En cantonnant la définition du blocage abusif à l’interdiction de réaliser une opération essentielle, la Cour de
cassation défigure et rabougrit l’instrument qu’elle s’est forgée sous le vocable de l’intérêt social. Elle admet de surcroît qu’un blocage est
juridiquement correct si l’opération n’est pas essentielle. En conséquence, un actionnaire peut interdire toute opération non jugée essentielle pour
satisfaire un intérêt personnel : l’intérêt commun peut être alors impunément bafoué, puisque l’opération n’est pas essentielle. V. SCHMIDT (D),
les conflits d’intérêts, n° 392 ; BRUNET (A), Le contrôle des minoritaires, L.P.A., 14 octobre 1998, n° 123, p. 28.
1019
V. sur la question, GOUTAY (P) et DANOS (F), De l’abus de la notion d’intérêt social, D.A., 1997, p. 877.
1020
Acte Uniforme relatif au droit des Sociétés Commerciales et du Groupement d’Intérêt Economique.
1021
L'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA) a été créée par le Traité relatif à l'Harmonisation du Droit des
Affaires en Afrique signé le 17 octobre 1993 à Port-Louis (Ile Maurice). L'OHADA regroupe aujourd'hui 16 pays (les 14 pays de la Zone franc
CFA, plus les Comores et la Guinée Conakry) et elle reste ouverte à tout Etat du continent africain (République Démocratique du Congo en cours
d'adhésion). V. PAILLUSSEAU (J), Le droit de l’OHADA – Un droit très important et original, JCP éd E, N° 5, supp au JCP n° 44 du 28 oct
2004. 1 ; V. sur les objectifs du traité, BAYE (K), L’histoire et les objectifs de l’OHADA, L.P.A., 13 oct 2004, n° 205, p 4.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

conception originale et restrictive d’un tel abus afin de s’accommoder avec la matière sociétale et éviter une
trop facile remise en cause des décisions sociales.
Rien n’empêche aussi, une reconnaissance explicite de l’abus d’égalité afin d’empêcher une
assimilation systématique entre abus de minorité et abus d’égalité qui risquerait d’être préjudiciable à plus
d’un niveau à l’aune des procédés de concentration.

-§3- Pour une reconnaissance de l’abus d’égalité dans les


procédés de concentration

176- L’abus d'égalité se caractérise par l'attitude d'un associé qui consiste à bloquer le vote d'une
décision, favorisant ainsi son intérêt propre au détriment de celui de l'autre associé, et se trouve guidée par une
intention de nuire à l'autre, tout en portant atteinte à l'intérêt social.
Les ouvrages et recueils de doctrine ont tendance, depuis quelques années, à assimiler les notions
d’abus de minorité et d’abus d’égalité1022 ou, plus radicalement, à noyer l'abus d'égalité dans le concept d'abus
de minorité et ce, en considérant que le premier n’est autre qu’une variante du second1023. Cette assimilation,
qui a le mérite de la simplicité, ne doit pas pour autant être une porte ouverte à l'analyse systématiquement
symétrique de l'abus de minorité et celui d'égalité, parce qu'elle entraînerait une banalisation non souhaitable
du second1024. Celui-ci pourrait mériter un traitement particulier dans la mesure où la « rupture d'égalité »1025,
qui est un élément nécessaire à la détermination de l'abus de majorité et l'abus de minorité est peut-être moins
indispensable à l'abus d'égalité. L'élément objectif de l'abus, la contrariété à l'intérêt social, paraît donc
dominant, sinon suffisant, pour constituer l'abus d'égalité. Le second élément, plus subjectif, « l'unique
dessein de favoriser ses propres intérêts au détriment de l'ensemble des autres associés », utilisé en matière
d'abus de majorité comme en matière d'abus de minorité1026, semble être « marginalisable » en matière d'abus
d'égalité. Seul l’intérêt de la société est pris en compte1027. Ce qui peut s'expliquer par le fait que,
contrairement aux majoritaires et minoritaires, qui dès le départ savent que leur interprétation de l'intérêt
social sera différente en cas de conflit, de par la nature même de leurs participations respectives au capital
social, les deux associés égalitaires sont liés par un même intérêt social. Ce qui va à l'encontre de cet intérêt
social commun irait donc automatiquement à l'encontre de l'autre associé. D’où l’exclusion de la condition
relative à la rupture d’égalité entre associés.

177- D'un point de vue pratique, cette idée fera réfléchir à nouveau les fondateurs de joint-
ventures1028 ainsi que leurs conseils, lors de la rédaction des statuts et des actes concernant des événements
marquant la vie de la société1029. En effet, il faut garder présent à l’esprit que l’abus d’égalité trouve son fief

1022
Lamy sociétés commerciales, 1997, no 2418, COURET (A), Le harcèlement des majoritaires, Art. pré., p. 112, n° 36 ; Y. Guyon, obs. sous C.
A. Rennes, 11 juin 1986 : Rev. Soc., 1987, p. 96. Cf. les obs. de E. Lepoutre, note sous Cass. Com. Fr., 8 juillet 1997 : Bull. Joly Sociétés, 1997,
p. 980, n° 352. V. C. A. Paris, 16 février 1982 : Rev. Soc., 1982, p. 848, note J.G. : « Le demandeur ne peut se borner à exciper en termes de
portée générale et imprécise de l'intérêt social, ce qui lui permettrait de remettre en cause à son seul gré, par un véritable abus de minorité, tout
acte de gestion » ; C. A. Lyon, 27 novembre 1992 : RTD com., 1993, p. 112, obs. Y. Reinhard : la demande d'expertise de gestion est interprétée
comme ayant pour but de « jeter le discrédit sur la gestion de la société ». C.A. Paris, 17 septembre 1993 : JCP, éd. E, 1994, pan. no 3795, obs. A
Viandier et J.-J. Caussain spéc. no 1. Paul Le Cannu, Note – Harcèlement égalitaire, Cass. Com. Fr., 20 oct. 1998, n° 1653 D, Curri c/ Curri et
autre (cons. rapp. Poullain), Bulletin Joly Sociétés, 01 janvier 1999 n° 1, P. 66.
1023
J.-Cl. Sociétés, fasc. 139-1, no 165.
1024
Par analogie en matière d'abus de majorité et de minorité, on renvoie aux vivifiantes réflexions de Michel Cabrillac in Mélanges Colomer,
1993, p. 109.
1025
SCHMIDT (D), Les droits de la minorité dans la société anonyme, Th. pré., p. 156.
1026
Cass. Com. Fr., 9 mars 1993 : Bull. Joly Sociétés, 1993, p. 537, n° 152 ; JCP, éd. G, 1993, II, no 22107 ; JCP, éd. E, 1993, II, no 448, note
Viandier ; D., 1993, jur., p. 363, note Guyon ; Dr. sociétés, 1993, no 95, obs. Le Nabasque ; Gaz. Pal., 13 juillet 1993, p. 87, note Bonnard.
1027
Pour un débat sur l'intérêt social, v. étude publiée dans Dr. et patrimoine, avril 1997, p. 48.
1028
Filiale commune.
1029
Note : Vers une singularisation de l'abus d'égalité ? Bulletin Joly Sociétés, 01 novembre 1997 n° 11, P. 980

Page 142
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

dans les SARL dont le capital social est détenu à égalité, ainsi que les joint-ventures, c'est-à-dire les filiales
communes1030.
Ainsi, il a été jugé, à propos d'une société à responsabilité limitée regroupant deux frères, que constitue
un abus d'égalité le refus par l'un d'entre eux de voter une décision essentielle pour la société telle une
opération de fusion, scission ou encore la mise en réserves des bénéfices dont la société avait besoin pour
réaliser un investissement important1031.
En conduisant à l'absence de majorité, la répartition égalitaire du capital peut certes amener le juge à
infléchir les critères classiques de l'abus. Contraints de décider à l'unanimité, les associés égalitaires doivent
en effet plus que tout autre rechercher le consensus, à l'opposé duquel se situe l'obstruction systématique. On
comprendrait que celui qui s'y livre doit supporter la charge de prouver la légitimité de ses motifs, y compris
au regard de l'intérêt social. Mais là devrait s'arrêter la création prétorienne1032.

178- Rien ne semble interdire donc de souhaiter une intervention législative afin de reconnaitre
explicitement la notion d’ « abus d’égalité » en ajoutant un article au code des sociétés commerciales qui
s’appliquerait dans les SARL et les sociétés par actions. Ce projet de texte pourrait-être conçu comme suit :
«abuse de son droit d'associé égalitaire, qui, sans aucune motivation raisonnable, refuse systématiquement
les résolutions présentées par son coassocié et prive la société d'une chance d'améliorer ses résultats,
contrairement à l’intérêt social ».

179- Tous ces exemples permettent de dire que nombreux sont les abus intérieurs à l’opération de
concentration : abus de biens sociaux, abus de personnalité morale, abus de majorité, abus de minorité et abus
d’égalité. Que dire alors si on invoque les abus extérieurs à l’opération, portant atteinte aux intérêts des tiers,
tels les entreprises concurrentes, l’administration fiscale ou encore les salariés. Là, on risque de s’embrouiller,
voire de s’égarer car la liste des abus extérieurs à l’opération de concentration menace de s’élargir davantage.

Chapitre Deuxième : Multiplicité quant aux abus


extérieurs à l’opération de concentration
180- La concentration, qui est le processus de réduction du nombre d’entreprises pour un marché
donné pouvant engendrer la création d’un monopole, est une tendance naturelle de l’économie du marché à
laquelle le droit de la concurrence vise notamment à remédier.
En effet, en temps d’assombrissement conjoncturel il existe une tendance générale à la concentration et
à l’augmentation de la taille des établissements et des entreprises par la réduction du nombre des petites firmes
de production et la multiplication des grandes1033.

1030
Il convient de noter qu'une société filiale peut être commune à deux ou à plusieurs sociétés qui se partagent 50% du capital chacune. Les
conseils d'administration et les conseils de surveillance de ces sociétés ont souvent la même composition. Elle constitue alors un terrain favorable
pour l’apparition et le foisonnement de l’abus d’égalité. V. BOSSER (L), Degré d'autonomie et pouvoir de décision des filiales étrangères de
firmes multinationales, Paris, édité par l'auteur, 1990 ; BRILL (J-P), La filiale commune, thèse Strasbourg, 1975 ; CHAMPAUD (C), Le pouvoir
de concentration de la société par actions, Sirey, 1962. Contin et Hovasse, L'autonomie patrimoniale des sociétés, D. 1971 chr. 197 ; DUPRAT (J),
Contribution à une théorie explicative des systèmes de contrôle et d'incitation des responsables de divisions et de filiales, thèse Dijon, 1998.
HANOUN (C), Le droit et les groupes de sociétés, LGDJ, 1991 ; JEANTIN (M), La filiale commune, thèse Tours, 1975 ; LABBEE (X), L'enfant
de la mère porteuse et la filiation interdite, au sujet de TGI Lille, 22 mars 2007, n° 04/06873, Dalloz, 10 mai 2007, n° 18, p. 1251-1255 ;
PELLETIER (M), Les filiales, thèse Paris II, 1980. Responsabilité des sociétés-mères du fait de leurs filiales, Paris, OCDE, 1980 ; STORCK
(M), La définition légale du contrôle d'une société en droit français, Rev. Soc., 1986, 385. V. annexe n° 31.
1031
Cass. Com. Fr., 16 juin 1998, Rev. Soc., janvier - mars 1999, p. 103 et s. ; Bull. Joly, 1998, p. 1083, note P. LE CANNU.
1032
BOMPOINT (D), Note – Abus d'égalité et obstruction systématique des décisions sociales, T. com. Salon de Provence, 29 juin 1990, Chessa
Frères SARL et autres c/ Louis Chessa, Bulletin Joly Sociétés, 01 mars 1991 n° 3, P. 306.
1033
DIDIER (M), Crise et concentration du secteur productif, article disponible sur le site : http://www.persee.fr,p.

Page 143
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Cette tendance générale à la concentration surtout en temps de crise, qu’elle prenne la forme de fusion,
scission ou encore de filialisation, génère une pléiade de comportements abusifs portant atteinte à des entités
ou institutions externes aux sociétés concentrationnaires.
Ces différents abus extérieurs à la concentration peuvent-être groupés en deux catégories : des abus
ayant lieu dans un marché déterminé (section première) ; d’autres perpétrés hors de tout marché (section
deuxième).

Section Première : Multiplicité des abus inhérents à


un marché déterminé
181- Il sied de distinguer, à ce niveau, entre l’abus de puissance économique inhérent au marché
concurrentiel (sous-section première) ; et l’abus de marché relatif au marché financier1034 (sous-section
deuxième).

Sous-section Première : L’abus de puissance


économique dans les procédés de concentration

182- La puissance économique est un fait essentiel pour l'application du droit de la concurrence. En
effet, l'entreprise puissante ou dominante est « soumise à une responsabilité particulière »1035. Dans cette
mesure, l'objectif du droit de la concurrence « n'est pas de remédier au déséquilibre contractuel mais de
veiller à la régulation des marchés1036 ». Il s'agit, entre autres, de faire obstacle à des comportements jugés
contraires à la libre concurrence sur un marché défini.

Plus précisément, le pouvoir de l'entreprise dans le marché, son indépendance de comportement, sa


puissance économique traduit une aptitude à porter atteinte au bon fonctionnement d'un marché. Dès lors que
cette aptitude est établie, certains comportements sont interdits. C’est bien là le cas de l’abus de position
dominante, d’un coté, (-§-1) ou celui de dépendance économique, de l’autre (-§-2).

-§-1 : L’abus de position dominante dans les procédés


de concentration
183- Selon une tradition « structuraliste » de l’économie industrielle1037, les concentrations
d’entreprises entraînent généralement la constitution de positions dominantes sur un marché et amènent ainsi

1034
On l’appelle aussi l’abus du savoir.
1035
T.P.I.C.E., 7 oct. 1999, Irish Sugar c/ Commission, aff. T-228/97, Rec. CJCE, II, p. 2969, point 112. Également, par ex., CJCE, 9 nov. 1983,
Michelin c/ Commission, aff. 322/81, Rec. CJCE, p. 3461, point 57. Le juge communautaire décide que, « dans des circonstances spécifiques, les
entreprises en position dominante peuvent être privées du droit d'adopter des comportements, ou d'accomplir des actes, qui ne sont pas en eux-
mêmes abusifs et qui seraient même non condamnables s'ils étaient adoptés, ou accomplis, par des entreprises non dominantes », T.P.I.C.E., 17
juill. 1998, ITT Promodia NV c/ Commission, aff. T-111/96, Rec. CJCE, II, p. 2937, point 139.
1036
IDOT (L), La protection par le droit de la concurrence, In Les clauses abusives entre professionnels, Économica, 1998, p. 63. V. également,
NOURRISSAT (C), La violence économique, vice du consentement : beaucoup de bruit pour rien, DALLOZ, 2000, no 10, p. 371, dénonçant «
l'erreur de perspective » qui consiste à voir dans le droit des pratiques anticoncurrentielles « un instrument au service de la justice contractuelle ».
De même, relevant qu'il « faut toujours distinguer la violence du marché et la violence individuelle » ; PARLEANI (G), Violence économique,
vertus contractuelles, vices concurrentiels, Mélanges Guyon, Dalloz. 2003, no 14, p. 893.
1037
BAIN (J), Barriers to New Competition, Cambridge, Mass, Harvard Univ. Press, 1956 ; WEISS (L-W), Concentration and price, Cambridge,
Mass, MIT Press, 1989 ; TIROL (J), The Theory of Industrial Organization, Cambridge, Mass, MIT Press, 1988.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

les entreprises à pratiquer des prix plus élevés que dans une situation de moindre concentration1038. Les
résultats seraient souvent des profits plus élevés et un moindre « bien être » des consommateurs1039.
Tenant compte de ces réalités économiques et en raison du développement de l’économie tunisienne
ces dernières années, le législateur a cru bon d’édicter des dispositions destinées à régir les situations résultant
de la puissance économique de certaines sociétés1040, surtout celles issues d’opérations de concentration qui
constituent, aujourd’hui, une source inépuisable d’abus, notamment en matière de concurrence1041. C’est ainsi
qu’a été introduite en Tunisie la notion d’abus de position dominante1042. Cet abus est expressément prohibé
par l’article 5 (nouveau) de la loi n° 91-64 du 29 juillet 19911043.
En dépit de sa clarté, l’article précité n’apporte aucune précision concernant la définition de l’abus de
position dominante ou des personnes qui en sont responsables1044.
Certes, une définition précise de ce type d’abus ou encore du phénomène de puissance économique
aurait été d’une utilité certaine pour le juge dans son appréhension des inégalités et des déséquilibres
contractuels. Malheureusement, le législateur, dans sa réforme des pratiques restrictives, ne s'est pas tellement
appesanti sur ce problème de définition. D’après un auteur, ce constat n'est pas nouveau dans la mesure où «le
législateur économique n'est plus un législateur juridique »1045. Peut-être aussi que notre législateur, en
gardant le silence, a voulu laisser la porte grande ouverte devant l’effort doctrinal et jurisprudentiel dans une
matière si évolutive.

Nonobstant cette lacune législative, pour qu’il y ait abus de position dominante, au sens de l’article 5
précité, trois conditions doivent être réunies : l’existence d’une position dominante, une exploitation abusive
de cette position et un objet ou un effet restrictif de la concurrence sur un marché. Aussi, convient-il
d’examiner successivement ces différentes conditions (I), pour en tirer quelques constats relatifs à la source
d’un tel abus (II).

1038
http://www.escp-eap.net/conferences/marketing/2006_cp/Materiali/Paper/Fr/Colla.pdf
1039
Selon diverses approches, dont celle de «l’école de Chicago» (Baumol, Panzar et Willig 1982, Scherer 1990, Demsetz 1997), les
concentrations n’entraînent pas toujours et nécessairement ces conséquences et, de surcroît, peuvent améliorer l’efficience des entreprises, et donc
jouer en faveur des consommateurs. Mais même les tenants de cette école reconnaissent que les concentrations peuvent, dans certains cas, avoir
des conséquences négatives en termes de concurrence, et qu’un contrôle est donc utile pour vérifier, cas par cas, si les avantages prévalent sur les
inconvénients.
.85 ‫ ص‬،1996 C‫ أ‬،.‫ ت‬.‫ ق‬.‫ م‬،‫ـــــــ ر‬#A ‫! و ا‬G 4 ‫ ن ا‬7 ، ّ6 ‫ ّ ر ا‬3 1040
DACHRAOUI (L), Droit de la concurrence : état des lieux avant la prochaine réforme, I.J., n° 94/95, Juillet/Août 2010, p 34.
1041
AOUIJ-MRAD (V), Les pratiques anticoncurrentielles, actes du colloque « concurrence et prix ». Tunis janv.1993. Act Jurid.Tun., 1993, n°
7 ; GUIGA (J), Le droit tunisien de la concurrence à l’ère de la mondialisation, Tunis centre de la publication universitaire, 2000 ; MIZOURI (N),
Le conseil de la concurrence, Bilan de dix années d’existence, Mémoire DEA, Faculté de droit Sousse, 2002, p 45 et s. V. aussi de façon générale
FATMA (B-L), Les pratiques anticoncurrentielles, Mémoire DEA, Tunis, 1998-1999.
1042
L’abus de position dominante est une infraction prévue par le droit de la concurrence pour sanctionner une entreprise, en situation de
domination à cause de son pouvoir de marché, qui profite de sa position pour s'émanciper des conditions que devrait lui imposer le marché. La
notion d'« abus de position dominante » a été introduite dans le Droit français le 2 juillet 1963. Selon l’article L.420-2 al 1 du Code de commerce,
« Est prohibée, dans les conditions prévues à l'article L. 420-1, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position
dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées
ou en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif que le partenaire refuse de
se soumettre à des conditions commerciales injustifiées ». En droit communautaire, le comportement d'une entreprise peut être sanctionné pour
abus de position dominante sur le fondement de l'article 82 du Traité sur la Communauté européenne s'il affecte le commerce entre les États
membres de l'Union européenne.
1043
Telle que modifiée par la loi n° 93-83 du 26 juillet 1993, la loi n° 42 du 24 avril 1995, la loi n° 41 du 10 mai 1999, la loi n° 2003-74 du 11
novembre 2003 et la loi n°2005-60 du 18 juillet 2005. L’article 5 (nouveau) prévoit que « sont prohibées, les actions concertées, les collusions et
les ententes expresses ou tacites ayant un objet ou un effet anticoncurrentiel, et lorsqu'elles visent à : 1- faire obstacle à la fixation des prix par le
libre jeu de l'offre et de la demande, limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements, ou le progrès technique, 2- répartir les
marchés ou les sources d'approvisionnement. Est prohibée, également, l'exploitation abusive d'une position dominante sur le marché intérieur
ou sur une partie substantielle de celui-ci, ou d'un état de dépendance économique dans lequel se trouve une entreprise cliente ou fournisseur
qui ne dispose pas de solutions alternatives, pour la commercialisation, l'approvisionnement ou la prestation de service. L'exploitation abusive
d'une position dominante ou d'un état de dépendance économique peut consister notamment en refus de vente ou d'achat, en ventes ou achats liés,
en prix minimums imposés en vue de la revente, en conditions de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales sans
motif valable ou au seul motif que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées. Est nul, de plein droit, tout
engagement, convention ou clause contractuelle se rapportant à l'une des pratiques prohibées en vertu des paragraphes 1 et 2 du présent article.
Est également prohibée, toute offre de prix ou pratique de prix abusivement bas susceptible de menacer l'équilibre d'une activité économique et la
loyauté de la concurrence sur le marché ».
1044
JOINI (K), op.cit., p 63.
1045
OPPETIT (B), Philosophie du droit, Dalloz, coll. « Précis », 1999, no 87, p. 106.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

I- Les conditions de l’abus de position dominante dans les procédés de


concentration
184- Selon M. Azema, « la domination1046 est une situation de fait qui doit être constatée sans égard
aux conditions dans lesquelles l’entreprise a été amenée à l’exercer. La position dominante est une notion
relative qui conduit à apprécier la situation d’une entreprise par rapport à un marché »1047. On en déduit que
deux éléments sont nécessaires pour constituer la position dominante, source éventuelle d’abus : un marché
susceptible d’être dominé ainsi que la domination de ce marché1048.
Cette analyse concorde bien avec la teneur de l’article 5 (nouveau) qui exige que la position dominante
soit détenue « sur le marché intérieur ou sur une partie substantielle de celui-ci ». Dans cette formulation, la
notion de marché est, semble-t-il, entendue dans un sens essentiellement territorial. Il peut donc s’agir d’un
marché régional ou même local. Mais, à côté de l’acception géographique, il existe une autre acception du
marché, cette fois-ci économique, d’après laquelle le marché serait le lieu sur lequel se confronteraient l’offre
et la demande de produits ou de services qui sont considérés par les acheteurs comme substituables entre eux
mais non substituables aux autres biens ou services offerts.
Quant à la domination du marché, elle peut résulter de plusieurs facteurs comme la part du marché qui
est le critère principal de cette notion économique. Il existe également des critères accessoires tels que les
barrières à l’entrée entravant l’accès au marché pour de nouveaux concurrents ou encore l’absence de
concurrence potentielle1049.

185- Dans cet ordre d’idées, le conseil de la concurrence a défini, à maintes reprises, la notion de
position dominante. Cette dernière ne semble se réaliser que lorsque l’entreprise concernée « dispose de tant
de force économique au point qu’elle se trouve autonome et indépendante dans ses relations avec les clients,
les concurrents et les consommateurs, selon sa seule volonté sans être soumise aux pressions du marché et ses
exigences dans un domaine déterminé, de telle sorte qu’elle devient capable d’imposer ses conditions,
contrôler le marché et influencer radicalement sur la position de ses cocontractants et ce, sur la base de

1046
Le concept de domination s’est imposé dans la littérature économique à partir d’un article de François Perroux («Esquisse d’une théorie de
l’économie dominante», In Économie appliquée, no 2-3, 1948). Réagissant contre les conceptions classiques, qui culminent dans l’œuvre de
Wilfredo Pareto, d’une économie «pure» où toutes les relations s’effectuent entre unités de force égale (qu’il s’agisse d’individus, de firmes ou de
nations), l’auteur entendait remettre au centre de l’analyse économique des données et des éléments jusque-là considérés comme extra-
économiques. Puisque la réalité est, en fait, un « ensemble de rapports patents ou dissimulés entre dominants et dominés », ce sont ces rapports
qu’il faut saisir comme tels. L’application du concept de domination à l’étude des firmes et des groupes sociaux est une façon de renouveler la
théorie des monopoles et oligopoles. Sur le plan des relations internationales, on peut également considérer qu’elle est une façon de renouveler la
théorie de l’impérialisme et du colonialisme. Encyclopédie Universalis, 1997, T.7, p.620, Henry Perroy ( dir. )
1047
AZEMA (J), Le droit français de la concurrence, P.U.F., 1981, p328. V. également JAIDANE (R), L’abus de domination économique en
droit tunisien et en droit français, RTD, 2000, p 257.
1048
Le marché est défini par le Conseil de la concurrence français en fonction du critère économique qui est le lieu sur lequel se confrontent l'offre
et la demande de produits ou de services qui sont considérés par les acheteurs comme substituables entre eux mais non substituables aux autres
biens ou services offerts. C'est ainsi qu'a été considéré récemment comme constituant un marché le roquefort (Cass. Com. Fr., 6 décembre 2005),
l'internet à haut débit (Cons. Conc. Fr., 7 nov. 2005), un marché autonome des produits sanguins à usage non thérapeutique prélevé sur des
donneurs présentant des garanties virologiques importantes et un standard biologique moyen (Cass.com. 28 février 2006 ). La jurisprudence
française (C.C. et Cour de cassation) considère donc que le marché est le lieu sur lequel se confrontent l’offre et la demande de produits ou de
services considérés comme substituables entre eux mais non substituables aux autres biens ou services offerts. Cette définition est relativement
floue car les biens sont rarement parfaitement substituables et il faut prendre en compte le comportement des acheteurs. Certains biens peuvent ne
pas être substituables pour eux alors qu’objectivement, ils le seraient. Il faut donc approfondir cette analyse. Il s’agit donc de se placer plutôt du
côté de la demande que de l’offre généralement privilégiée par les économistes. Pour simplifier, prenant l’exemple de l’offre relative à des
véhicules terrestres à moteur. Si on se place du côté de la demande, on va distinguer le marché des poids lourds de celui des camionnettes, des
voitures de tourisme et, à l’intérieur de ce dernier, on peut encore faire des sous-distinctions. C’est ainsi que la Cour de cassation française a
affirmé qu’il convient, pour apprécier l’existence d’un marché pertinent du traitement des déchets en décharge et donc la substituabilité des
procédés existants, de tenir compte du comportement des utilisateurs (Cass. Com. Fr., 22 mai 2001, C.C.C. 2001, n°135, obs.
MALAURIE_VIGNAL).
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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

l’importance de sa part de marché, de son développement technologique, de sa stratégie commerciale, de ses


sources financières ou son emplacement géographique » 1050.
Cette définition rappelle, à bien des égards, celle adoptée par la Cour de Justice des Communautés
européennes dans la décision « United Brands » de 1978, puis reprise par celle d’ « Hoffman-Laroche » de
1979. Dans ces deux affaires, il a été affirmé que « la position dominante visée à l’article 82 du traité sur la
Communauté européenne concerne la situation de puissance économique détenue par une entreprise qui lui
donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d'une concurrence effective sur le marché en cause, en lui
fournissant la possibilité de comportements indépendants vis-à-vis de ses concurrents »1051. La puissance
économique s’envisage donc comme étant le fait de disposer d’un pouvoir si important, sur un marché donné,
à telle enseigne que son détenteur peut agir de manière indépendante, sans prendre en compte les autres
acteurs du marché. Ainsi, l’abus de position dominante est « une utilisation déformée de la notion d’abus de
droit (car) la situation de position dominante n’est pas un droit, mais un simple fait »1052.

186- Cela-dit, il convient de préciser que la position dominante1053, n’est pas interdite en soi, encore
faut-il qu’elle soit exploitée de façon abusive1054. Autrement dit, il n’y a abus que « lorsque l’entreprise en
position dominante profite de cette situation pour se procurer, au détriment des fournisseurs1055,
concurrents1056 ou clients1057, un avantage que le jeu normal de la concurrence ne lui aurait pas permis
d’obtenir » 1058. En effet, l’abus se caractérise par « les comportements d'une entreprise en position dominante
qui sont de nature à influencer la structure du marché… et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours
à des moyens différents de ceux qui gouvernent la compétition normale des produits ou des services sur la
base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le
marché ou au développement de cette concurrence »1059.

187- Partant de cette précision, les manifestations de l’abus de position dominante ne manquent
1060
pas . D’ailleurs des exemples ont été fournis par l’article 5 précité. Il s’agit notamment des refus de vente,

'C 8G !Aq ‫ " أن وﺟ د‬a ‫ي ورد‬D ‫ ا‬2002-12-19 ` ‫ ر‬2135 ‫(د‬3 1<@ ‫ ا‬8G ‫ ا ار ا ] در‬K ‫ ا ارات أھ‬M + # ‫ ا‬8G ‫ ا ! ق‬U N 4 K ‫' ا‬C !G 4 ‫ ا‬H ‫ ف‬N 1050
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. K + ‫ و‬110 ‫ ص‬،2009 ،1 ‫ د‬N ‫ ب‬C
1051
CJCE 13 fév. 1979, aff. 85/76, Hoffmann-La Roche, Rec. CJCE, p.461
1052
JEANTIN (M), J-CI. Civil, art. 1382 à 1386, Fasc. 131-1, V° « Droit à réparation, abus de droit », n°22.
1053
Il convient de signaler que la position dominante peut résulter d’une entente expresse entre entreprises ayant pour but de coordonner leurs
comportements concurrentiels sur le marché. C’est dire que les mêmes faits peuvent constituer à la fois une entente prohibée et un abus de position
dominante. V. GUIGA (J), op.cit., p 96.
‫ م‬7 ‫ ت‬d ‫ ن‬7‫ إ إذا ا‬/ P ]+ a ‫! و أ‬G 4 ‫ ا‬N‫ ا‬7 a$‫ < ذا‬8G V 3+ 4 K ‫] ا‬4N " ‫ أن‬U N H ‫ ا‬Cq+ ` < ، CD ‫ ا‬A !G 4 ‫ ا‬H ‫ ارات‬7 6‫ُ اﺟ‬+ 1054
: F+‫ أ‬6‫ُ اﺟ‬+ .42 ‫ ص‬، CD ‫ " ا‬A + ‫ ا‬،2002-12-19 ،2135 ‫ د‬N ,‫ ق‬." !G 4 ‫ ا‬N‫ ا‬8# L ‫ ا ! ا‬7 N ‫ أو‬M !G 4 ‫ إزا< ا‬U ‫ول إ‬q$ ‫ أن‬K [O M ‫ ت‬A‫ر‬ 4 K ‫! ا‬Aq ‫ا‬
.6 ‫ ص‬،2010 ‫ ي‬/ G ،85/84 ‫ د‬N ، ‫را‬ ‫ ا‬،2008 ‫ أ‬30 ‫ ا _ ّرخ‬،71130 ‫(د‬3 ، ! A ‫[ ا‬2S ‫ار‬
1055
Par exemple, les clauses de fourniture exclusive imposées aux fournisseurs. Ces derniers seront ainsi assujettis à l’entreprise dominante et
contraints de se soumettre à sa loi.
1056
Par exemple, des prix tellement bas qui défient toute concurrence.
1057
Par exemple, un refus de vente qui peut aboutir à l’élimination pure et simple du client.
1058
GOLDMAN (B), Droit commercial européen, DALLOZ, 1975, p339.
1059
CJCE, affaire Hoffman-Laroche de 1979.
‫ا‬D‫ ھ‬U N KG ]$ ‫ أن‬C !G 4 ‫ ا‬N‫ا‬ S ‫ ا‬#+ ‫ ض‬/P ‫ ط ا‬/ ‫ ر‬#A 6 ‫ ا ! ق ا‬U N 4 K ‫! ا‬Aq ‫ ا‬#$ ‫ " إن‬: 2008 6 ! ‫ د‬1 ` ‫ ر‬38657‫(د‬3 ‫ اداري‬61@7; ‫ ار‬1060
‫ ء ا‬F7 a G ." K @ 3 G‫ و‬K G 6 G ‫ ر وا‬#A ‫ ا‬8G k ‫ ذ‬# 9 ‫] ا‬7 ‫ وا< ر ا ! ق‬M !G 4 ‫] ء ا‬7‫ ا < ة ا‬K + 5 ‫ ا ! ق ن‬U N 4 ‫ ھ‬#g ‫ ط‬/ S^ A‫ ا‬#+ 4 ‫ا‬
.667 ‫ ص‬،2008 ، ّ+‫ا دار‬ ‫ ا‬6 ‫ ون‬# ‫ ا ط ش‬6 ‫ رات‬34 ، +‫ا دار‬

Page 147
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

des ventes liées, des conditions de vente discriminatoires ou encore des prix minimums imposés en vue de la
revente… Ainsi, lorsqu'une entreprise domine un marché donné, suite à une opération de fusion par exemple,
elle peut avoir tendance à profiter de cette situation pour imposer des conditions de vente déloyales : prix
exagérés, accords de vente exclusifs, primes de fidélité visant à détourner les fournisseurs de leurs
concurrents. On parle alors d'abus de position dominante1061.
Le même abus est vérifié lorsqu’un groupe de sociétés, détenant une position dominante qui découle
d’un pouvoir économique, exerce des pressions sur d’autres acteurs économiques dans le but d’empêcher
l’entrée de nouveaux rivaux au marché et les soumettre à l’exigence de ses conditions en vue de pouvoir
manipuler tout le mécanisme concurrentiel à son intérêt.
Tel est le cas également, lorsqu’une filiale produisant un bien intermédiaire le réserve à une autre
filiale du groupe, auquel elle appartient, et refuse de le vendre à un tiers concurrent produisant le même
produit1062.

Il est clair donc que le droit de la concurrence ne sanctionne pas les positions dominantes, en tant que
telles, mais seulement leurs abus1063. Autrement dit, une opération de fusion donnant lieu à une position
dominante dans un secteur bien déterminé n’est pas directement sanctionnée ; encore faut-il l’existence d’un
comportement excessif portant atteinte à la libre concurrence.

De façon générale, une concentration d'entreprises n'est pas interdite en soi, sauf si celle-ci crée ou
renforce une position dominante susceptible de déboucher sur des abus. C’est d’ailleurs l’avis du législateur
au sein de l’article 409 CSC qui n’interdit que les fusions visant « l’un des objectifs prohibés par les articles
5, 6, 7 et 8 de la loi sur la concurrence et les prix ». De même, l’article 426 CSC dispose que « lorsque la
fusion aboutit à une entente illicite ou à une concentration horizontale ou verticale ou à une position
dominante, elle peut être annulée conformément aux dispositions de la loi relative à la concurrence et aux
prix ». L’article 438 CSC sanctionne, à son tour, toute personne ayant réalisé la fusion dans « le but d’avoir
une position dominante sur le marché interne aboutissant à restreindre le jeu normal des règles de la
concurrence ». Tel est d’ailleurs l’avis de la Cour de cassation française1064 qui a rappelé, à maintes reprises,
que seule une atteinte sensible à la concurrence peut caractériser une pratique anticoncurrentielle. Ainsi, ne
peuvent être sanctionnés que les abus de position dominante dont les effets, actuels ou potentiels, sont
suffisamment tangibles.

188- Si les conditions et les éléments constitutifs de l’abus sont clairs et bien précisés, quid de la
source de cet abus ?

II- La source de l’abus de position dominante dans les procédés de


concentration

189- La position dominante, telle qu’on vient de la définir, peut émaner aussi bien d’une société
isolée que d’une société issue d’une opération de concentration telle qu’une fusion, par exemple, ou bien
d’une entreprise sociétaire faisant partie d’un groupe de sociétés1065, le groupe sera alors regardé comme une

1061
DACHRAOUI (L), Introduction au nouveau droit des activités commerciales, I.J., n° 24/25, Mai 2007, p 22.
1062
Pour plus d’exemples d’abus de position dominante émanant des groupes de sociétés V. REKIK (S), Les groupes de sociétés et l’abus de
position dominante, Mémoire de Master, FDSPT, 2009/2010, p 57 et s.
1063
Abstraction faite du domaine de la presse où la domination est interdite en soi et ce, pour protéger le principe du pluralisme de la presse : V.
arts 33 et 34 du décret-loi n° 2011-115 du 02/11/2011 relatif à la liberté de la presse, de l’impression et de l’édition.
1064
Cass. Com. Fr., 15 juillet 1992, BOCCRF n°15/92 ; Cass. Com. Fr., 4 mai 1993, BOCCRF n°15/93.
1065
GUIGA (J), op.cit., p 96.
Il peut y avoir des positions dominantes collectives à l’exemple des sociétés TARDI, SICOB et l’Office National de la Vigne dans l’affaire Union
Centrale des Coopératives Viticoles contre les sociétés précitées (1). C’est également le cas des sociétés Mornag Ezzahra, Jenan et le Coq dans
l’affaire POULINA (2). V. JAIDANE (R), art. pré., p 249.
.18 ‫ ص‬،1997 ، !G 4 ‫ ا‬H ‫ ي‬4! ‫ ا‬+ ‫ ا‬،1997-07-10 ‫ _رخ‬،1997-7 ‫(د‬3 ‫ ار‬، .‫م‬.‫ م‬-1-

Page 148
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

seule unité1066. Dans ce dernier cas, les spécificités du droit de la concurrence imposent l’utilisation des termes
« entreprise 1067» et « groupe d’entreprises »1068, pour la simple raison qu’il s’agit de notions plus larges qui
permettent de faire face à toute sorte d’abus en matière de concurrence1069. Cela rappelle la démarche du
conseil de la concurrence, chaque fois qu’il est saisi d’une affaire traitant d’un groupe de sociétés. Ce dernier
commence, en effet, par donner la définition du groupe conformément à l’article 461 CSC. Ensuite, il précise
le fait que l’appartenance de plusieurs sociétés au groupe ne leur permet pas d’éluder les principes de la
concurrence, en se basant sur l’article 464 CSC1070. Il rappelle aussi que malgré la reconnaissance, par le droit
de la concurrence, de l’existence du groupe de sociétés, il tient compte d’une notion plus large, celle de
« groupe d’entreprises ». Le conseil de la concurrence ajoute, enfin, que le groupe d’entreprises constitue une
position dominante collective, chaque fois que les entreprises y appartenant parviennent, grâce à leurs
relations organiques ou financières ainsi qu’à la stratégie et la complémentarité caractérisant la politique du
groupe, à adopter une tactique unique sur le marché qui peut être imposée aux concurrents, aux clients et aux
consommateurs, selon la seule volonté du groupe1071. Aussi, en 1995, le conseil de la concurrence avait eut à
préciser la notion de groupe pour caractériser un abus de position dominante1072. Face au groupe « Poulina »
qui rejetait la qualification de groupe et niait que les sociétés qui le constituaient formaient une seule entité
susceptible de commettre un abus de position dominante, le conseil avait ressorti cinq éléments qui
démontraient, au contraire, l’existence de cette entité : unité des sources de financement, unité de
l’administration et des organes de gestion, unité du contrôle, unité dans la stratégie commerciale et unité de
siège social1073.
De façon générale, pour identifier la position dominante d’un groupe, les parts de marché détenues par
chacune des sociétés du groupe sont additionnées et comparées aux parts de marché détenues par les autres
concurrents. Mais ce critère quantitatif n’est pas toujours suffisant, il faut prendre également en compte le
degré d’intégration de l’entreprise en cause, c’est-à-dire le degré de collaboration entre les départements qui
sont amenés à travailler ensemble pour affronter l’environnement économique de l’entreprise1074. Ce degré
d’intégration peut constituer une barrière à l’entrée du marché en raison de l’avantage concurrentiel procuré.
Autrement dit, il s’agit d’évaluer l’emprise que le groupe a sur les différentes étapes du processus économique

.87 ‫ ص‬،1997 ، !G 4 ‫ ا‬H ‫ ي‬4! ‫ ا‬+ ‫ ا‬،1994-3-12 ‫ _رخ‬،1994-2 ‫(د‬3 ‫ ار‬،.‫ م‬.‫ ل‬-2-
1066
La commission de la concurrence a incriminé une position dominante détenue par le groupe Poulina. V. Aff. Poulina précitée, décision n° 2/94
du 25 mai 1995, conseil de la concurrence, Rapport annuel 1997, p 87 et suiv.
1067
A propos de la définition de la notion d’ « entreprise » en droit de la concurrence, V. GUIGA (J), op.cit., p 50 et s. V. supra, p 35, n°42.
1068
Le groupe d’entreprises est une notion plus large que le groupe de sociétés car il englobe aussi bien les groupes financiers, contractuels que
personnels. V. supra p 33, n° 37.
1069
Le législateur tunisien évoque les notions d’entreprise et de groupe d’entreprises sans les définir, ni les distinguer. La Commission de la
concurrence a même jugé dans l’affaire Poulina qu’« il n’y avait pas de différence entre une entreprise ou un groupe d’entreprises sur le plan de la
qualification juridique » ; elle a considéré qu’il n’était pas nécessaire pour la considération d’un groupe en tant qu’entreprise qu’il existe une
personnalité juridique propre, mais qu’il suffisait d’avoir des relations financières, commerciales ou structurelles entre des entreprises qui peuvent
garder leur indépendance juridique. Ces relations existent dans cette affaire entre un groupe d’entreprises grâce à l’unité des sources de
financement, l’unité des organes de gestion et de contrôle, l’unité de la stratégie de vente et l’unité du siège social. La position de la Commission
de la concurrence a été confirmée par le législateur lorsqu’il a introduit le contrôle des concentrations en 1995. V. Commission de la concurrence,
affaire n° 2/1994, Ministre de l’économie nationale contre les sociétés Poulina, Mornag, Ezzahra, Jenan et le Coq, Rapport annuel du Conseil de la
concurrence de 1997, annexe 8, p. 87.
1070
L’article 464 CSC dispose que « le groupe de sociétés ne peut avoir de finalité contraire à la loi, telle que celle d'éluder l'impôt ou l'atteinte
aux règles de la concurrence ».
‫ ت‬C 3 ‫ ف ا‬40‫ أ‬6 ‫ ﺟ‬U N I !4+ ‫ أن‬V ، ‫ و< ھ‬9A ‫ ا‬/ ‫ ت‬C 3 ‫ ا‬U N ] + ‫! ت‬Aq ‫ ا‬6 $ i+ #$ " ‫ أن‬U ‫! إ‬G 4 ‫ ا‬H ‫ ر‬O‫ا ا ار أ‬D‫ ھ‬8G . CD ‫ " ا‬A ‫ ا ار‬،.‫م‬.‫ م‬1071
U N‫ و‬." 7 ‫ أو‬#G ‫ ن وﺟ دھ‬C ‫ اء‬A a G K!/ 3 $ 8 ‫ أو ا‬،‫ ت‬P ‫ أو ا‬6+‫ ج أو ا ز‬J " # + +‫ ] د‬7‫ ط ا‬3 ‫ رس‬$ 8 ‫وات ا‬D ‫ ا‬VC‫ و‬M # L ‫ ص ا‬PO ‫ ا‬U N ‫ و‬K O ‫ ن‬C K
K ‫ ت ا‬7S# ‫ ا‬9 ، # k $a ‫! ت ا‬Aq ‫ ا‬f C C 8N ‫ ﺟ‬4 ‫' ھ‬C U ‫ ل إ‬+ ‫ أن‬،‫ه‬SN‫ أ‬a< O " A ‫ي‬D ‫! ت ا‬Aq ‫ ا‬6 M + " a ‫ أ‬H ‫ ا‬N‫ ا‬،a C k ‫ س ذ‬A‫أ‬
M K ! ‫ ء و ا‬G ‫ و ا‬M !G 4 ‫ ا‬U N ag G 6 L !$ ،‫ ه ا ! ق‬$ < i7 84 $ U N ‫ ا رة‬، +‫ ] د‬7 ‫ ا‬K A A 8G ‫ ه‬$ ‫ي‬D ‫ ا‬V ‫! " و ا‬4 ‫ ا‬VF/ ‫ و‬، K4 h $ 8 ‫ا‬ ‫أو ا‬
‫ ھ‬4N 4 K ‫ ا‬#g‫] و‬$ ` ‫ ] دي‬7 ‫ ر ا‬# G‫! ت ذات وا< ة و‬Aq ‫ ا‬k $ ‫ ر‬N‫ ا‬K# ‫ ز‬+ 8 ‫ ا‬8 ‫ج ا‬ ‫ درﺟ ا‬f^ 7 7S# ‫ ا‬k $ ‫ ن‬$ ‫ أ‬L+ O ، ‫ و< ھ‬K$‫راد‬J G‫و‬
,53 ‫ و‬52 ‫ ص‬،2003 ، !G 4 ‫ ا‬H 6 ! ‫ ا‬+ ‫ ا‬.‫ أ‬." N ‫ ﺟ‬f! ‫ و‬+‫ د‬G
1072
Décision POULINA, n°2.94 du 25 mai 1995, Conseil de la concurrence, Rapport annuel 1997, p 87 et s. (le groupe tunisien Poulina,
spécialisé dans l’agroalimentaire, compte une quarantaine de filiales. 3000 actionnaires et emploie 6000 personnes,)
1073
Dans l’affaire Poulina, les sociétés avaient les mêmes associés, à travers des participations directes et indirectes, la même personne était le
délégué de pouvoir de la société mère, le directeur général d’une autre société et le gérant d’une troisième, les mêmes personnes détenaient le
pouvoir de décision ; et l’ensemble des sociétés avait un même responsable commercial.
1074
Par exemple dans l’affaire Poulina, l’intégration était très importante : d’une part, les sociétés du groupe importaient les poussins, implantaient
les couvoirs, élevaient les poulets souches reproducteurs et toutes les étapes des soins, nourriture et hygiène. D’autre part, elles assuraient la vente
d’œufs, l’abattage, la découpe, la transformation et la vente de poulets et de dindes. Enfin, elles assuraient la vente aux commerçants et aux
consommateurs à travers un réseau de distribution organisé.

Page 149
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

(production, distribution), mais aussi son avance technologique par rapport aux concurrents, la qualité des
produits, sa notoriété…1075

Ainsi, une domination exercée par un groupe d’entreprise, sera réputée « l’œuvre d’une entité unique
ayant un seul centre de décision et, par conséquent, la position dominante est assurée, individuellement, par
le groupe, et non individuellement, par chaque entreprise du groupe »1076.
Dans le même sens, la jurisprudence de la commission de concurrence française fournit nombre
d’exemples où la position dominante collective1077 résulte de l’addition du pouvoir de marché d’une société
mère et de ses filiales. Dans son avis du 22 avril 19661078, la commission déclare que « considérant qu’il
résulte de l’instruction que la société anonyme PHILIPS, dont le siège est à EINDHOVEN (Pays-Bas), détient
98% de la compagnie française Philips ; que celle-ci est ainsi un simple organe de la société mère, laquelle,
en raison de sa puissance industrielle et financière, a été et est encore par l’intermédiaire de sa filiale
française l’élément directeur en France de la branche d’activité dont il s’agit ; que, dans ces conditions, le
groupe PHILIPS, sans détenir un véritable monopole, réalise cependant une concentration manifeste de la
puissance économique et occupe, à lui seul une position dominante sur le marché intérieur…»1079.
En plus, dans une décision datant de 2006, le Conseil de la concurrence français a récapitulé les
différents critères de l’existence d’une position dominante collective de façon si complète qu’il est utile de la
citer in extenso. D’après le conseil, « pour démontrer l’existence d’une position dominante collective, il faut
établir que les entreprises ont, ensemble, notamment en raison des facteurs de corrélation existant entre elles,
le pouvoir d'adopter une même ligne d'action sur le marché et d'agir dans une mesure appréciable
indépendamment des autres concurrents, de leur clientèle et, finalement, des consommateurs1080 ». De même,
il a été jugé que l’existence de liens structurels entre des entreprises1081 et l’adoption d’une ligne commune
d’action sur le marché suffisent à démontrer l’existence d’une position de dominance collective1082.

1075
DAHDOUH (H) ET DAHDOUH-LABASTIE (C), Droit commercial, V. 2, Entreprises sociétaires et groupements privés, T 3, 1ère édition,
IHE Editions, Tunis, 2007, n° 524, p 299.
1076
BLAISE (J-B), La concentration économique, Guide juridique, DALLOZ, T. II, 1985, p37. Cité par BEN ABDELKARIM (W), L’abus de
position dominante, mémoire de DEA, Faculté de droit de Sousse, 1997-1998, p31.
1077
La doctrine utilise parfois le terme d’abus de position dominante collective ou conjointe, certains auteurs distinguant parfois les deux
terminologies. Pour le professeur Blaise, la position dominante conjointe correspondrait à la situation où plusieurs entreprises se retrouvent en
position dominante alors même qu’elles ne disposent pas de lien financier ou politique et la position dominante collective serait plutôt envisagée
dans le cas de groupement d’entreprises. De même, pour le professeur Bolze, la position dominante conjointe se référerait en réalité à un
comportement concerté alors que la position dominante collective serait un comportement imposé. V. BLAISE (J-B), Une construction inachevée,
le droit français des ententes et positions dominantes, Etudes R. Roblot, LGDJ, 1984, p.170 ; BOLZE (C), Le marché commun face aux trusts,
Etude comparative sur les groupes de sociétés et le droit de la concurrence dans la CEE, publ. Univ. Nancy II, 1981, p.184, n°338.
1078
Avis du 22 avril 1966, Entente dans l’industrie des lampes électriques, J.O. DOC. ADM., 1967, p498. Cité par BRUST (J-J) et KOVAR (R),
Droit de la concurrence, ECONOMICA, 1981, p286.
1079
On peut citer également une affaire non moins importante où le conseil français de la concurrence a considéré que la fédération internationale
de football Association (FIFA) et le comité français d’organisation de la coupe du monde (CFO) détenaient ensemble, lors de la coupe du monde
du football de 1998, une position dominante collective sur le marché des billets destinés à la confection de forfaits touristiques à l’occasion de cette
épreuve sportive. D’une part, le conseil a relevé de nombreux liens structurels entre la FIFA et le CFO, puisque le CFO avait été crée par le FIFA
qui en était membre de droit. D’autre part, l’existence des dispositions du règlement de la coupe du monde prévoyant une répartition des recettes
brutes des matches entre ces deux organismes et les associations nationales membres de la FIFA participant à la compétition finale et, enfin, le
contrôle exercé sur le CFO par la FIFA, qui avait gardé le pouvoir de prendre en dernière instance, les décisions de principe concernant tous les
points. Pour toutes ces raisons, le conseil a considéré que le CFO et la FIFA détenaient ensemble, lors de la coupe du monde de 1998, une position
dominante collective sur le marché des billets. V. Rapport annuel du conseil de la concurrence français, 2000, p 119. V. JAIDANE (R), Art.pré., p
249.
1080
CJCE, 31 mars 1998, aff. jointes C-68/94 et C-30/95, Kali & Salz, pt. 221 ; TPICE, 25 mars 1999, aff. T-102/96, Gencor, pt. 163
1081
Tels que des liens en capital ou encore des accords formalisés entre elles.
1082
CJCE, 16 mars 2000, Compagnie maritime belge ; TPI, 7 octobre 1999, Irish Sugar ; Cour de cassation, 5 mars 1996, Total Réunion
Comores; C.A. Paris, 30 octobre 2001, OMVESA ; C.A. Paris, 4 juin 2002, CFDT Radio Télé. Dans une affaire de 2002, le Conseil a été amené à
se pencher sur la situation du secteur de la distribution d’eau potable et de l’assainissement en France, qui est caractérisé par une forte
concentration de l’offre, trois entreprises détenant entre 98 et 99% du marché [Décision n°02-D-44 du 11 juillet 2002]. Le Conseil a considéré que
deux de ces entreprises, détenant ensemble environ 85% du marché, étaient dans une situation de position dominante collective. Elles étaient unies
par des liens structurels, sous la forme d’entreprises communes agissant directement sur le marché, ce qui créait à la fois une communauté d’intérêt
pour elles et une possibilité de représailles entre elles en cas de comportement agressif sur le marché. Le produit "eau" qu’elles commercialisent est
homogène et sa demande inélastique par rapport à son prix. Le marché pertinent est faiblement contestable étant donné les barrières à l’entrée et
l’habitude des collectivités locales à maintenir en place les offreurs retenus dans le passé. Le Conseil a enfin considéré que les comportements des
deux entreprises concernées étaient parallèles et prévisibles dans les zones où elles possédaient des entreprises communes, et que leurs parts de
marché étaient restées stables pendant toute la période considérée. La Cour d’appel a confirmé cette décision du Conseil, en précisant que la
démonstration de l’existence d’une position dominante collective « suppose l’existence de liens structurels et celle d’une politique d’action

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

A l’inverse, la démonstration de l’existence d’une concurrence effective entre les membres de


l’oligopole et d’un pouvoir de pression effectif des concurrents et clients, peut permettre de rejeter la
définition d’une position dominante collective même en présence de parts de marché fortes, de liens
structurels et d’un certain parallélisme de comportements des membres de l’oligopole1083.

Il faut, enfin, noter que, dans le groupe de sociétés, la position dominante résulte de la puissance
économique de l’ensemble due au contrôle exercé par la société mère sur les filiales et les sociétés contrôlées.
Les liens financiers étant insuffisants, il faut qu’il y ait, en plus, un contrôle effectif qui traduit « une volonté
commune de pratiquer une politique commerciale ou d’approvisionnement coordonné1084 ».
Le droit de la concurrence fait abstraction des personnalités juridiques des sociétés, ce qui a pour
conséquence de reconnaître une seule personne face à la réglementation des abus de position dominante1085.
Inversement, en l’absence de dépendance des filiales de la société mère, la position dominante ne pourrait être
caractérisée alors que la législation sur les ententes trouverait à s’appliquer pour peu que les autres conditions
légales soient remplies.

190- En dépit de la clarté des éléments constitutifs de l’abus de position dominante et sa source,
qu’il s’agisse d’une société isolée ou d’un groupe de sociétés1086, son régime juridique est parfois nettement
outragé par le juge européen. Pour n’en prendre qu’un exemple, la Commission européenne de concurrence
avait autorisé, en 2004, le rapprochement entre « Sony Music », filiale japonaise, et « Bertelsmann Music
Group » (BMG). Suite à cette autorisation, les labels de musique indépendants, réunis au sein d'Impala,
syndicat européen, avaient déposé un recours devant la Cour européenne de justice (CEJ), estimant que cette
fusion posait de sérieux problèmes de concurrence, et induisait une position dominante collective des majors
de la musique. Bien que cette fusion n’ait pas encore été concrétisée et que la position dominante alléguée
n’était qu’éventuelle, la CJE n’a pas hésité à annuler l’autorisation de la fusion par la commission susvisée.
Une telle décision semble mal cadrer avec la législation en vigueur qui impose non seulement l’existence de la
position dominante mais aussi l’utilisation abusive d’une telle position1087.

191- Certes, l’abus de domination ou de puissance économique prend généralement la forme d’un
abus de position dominante, il n’en demeure pas moins qu’il peut aussi prendre la forme d’un abus de
dépendance économique, généralement appréhendé en tant que manifestation indirecte de l’abus de position
dominante dans la mesure où « une firme dominante peut être définie comme détenant une position de force
qui fait d’elle un partenaire obligatoire1088 ».

-§2- L’abus de dépendance économique dans les procédés de


concentration
192- En prohibant les abus de dépendance économique, le législateur a souhaité contrecarrer les
pratiques abusives mises en œuvre par une entreprise ou un groupe d’entreprises, exerçant une domination sur
un ou plusieurs partenaires commerciaux, sans toutefois détenir de position dominante sur le marché ou sur
une partie substantielle de ce dernier.

commune » (C.A. Paris, 18 février 2003. La Cour de cassation a, dans un arrêt du 12 juillet 2004, cassé cet arrêt pour des motifs de procédure. V.
aussi les arrêts de la C.A. Paris, 4 juin 2002).
1083
Décision n°06-D-11 du 16 mai 2006
1084
Cons. Conc. Fr., Rapport de 1987, p22. Cité par JOUINI (K), op.cit., p66.
1085
MIZOURI (N), Le conseil de la concurrence : bilan de dix années cl existence. Mémoire pré., p.54 et pour les ententes. p16.
1086
Sachant que le régime juridique de l’abus de position dominante est presque le même en droit français et en droit tunisien.
1087
LE FIGARO, 6-10-2006, p 12.
1088
Affaire Zoja du 14-3-1972, Commission européenne de Bruxelles. Citée par GLAIS (M), L’abus de dépendance économique au sens de
l’article 8 de l’ordonnance du 1-12-1986, Gaz. Pal., 1989, doc., p 290.

Page 151
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

L’interdiction de l’exploitation abusive d’un état de dépendance économique, qui a été introduite par
l’article 5 (nouveau) de loi n°91-64 du 29 juillet 1991, a aussi pour finalité de tenir compte des
transformations du monde économique particulièrement avec l’apparition de puissants groupes de distribution.
C’est donc l’impératif de protection des fournisseurs contre la « grande distribution1089 », notamment issue
d’opérations de fusion et de filialisation, qui a guidé, voire imposé la réforme législative de la loi précitée1090.

193- Force est de constater que, comme l’abus de position dominante, celui de dépendance
économique n’a pas été non plus défini par le législateur. La doctrine est unanime, cependant, sur la nécessité
de trois conditions cumulatives : l’existence d’une situation de dépendance économique, une exploitation
abusive de cette situation et une affectation réelle ou potentielle du fonctionnement ou de la structure de la
concurrence.
Dans cet ordre d’idées, la doctrine, ainsi que la jurisprudence, définissent la dépendance économique
comme étant une relation contractuelle régulière et durable, dont le maintien s'avère indispensable à
l'existence ou la survie de l'assujetti1091. La réalisation d'une telle situation suppose la réunion de plusieurs
conditions : importance de la part du fournisseur dans le chiffre d'affaires du revendeur, notoriété de la marque
du fournisseur, part de marché de ce dernier et impossibilité absolue pour le détaillant d'obtenir d'autres
fournisseurs des produits équivalents1092. Ainsi, la personne qui est en état de dépendance économique est
celle qui « ne dispose pas de solution équivalente1093 ». D’après la jurisprudence française, la dépendance
économique « ne peut résulter que de l’impossibilité dans laquelle se trouve une entreprise de disposer d’une
solution techniquement ou économiquement équivalente1094 ».
Ainsi, l'entreprise dépendante, au sens de l'article 5 (nouveau), ne trouve pas sur le marché de solutions
de substitution : cette absence de solution alternative offerte par le marché explique l'intensité de la relation
contractuelle nouée. Si, au contraire, il apparaît que la dépendance contractuelle avérée est la conséquence
d'une erreur stratégique de celui qui se plaint de l'abus, et non l'effet de la position de son partenaire sur le
marché, la qualification de dépendance économique est exclue1095. La dépendance est alors une notion de fait.
Sa caractérisation nécessite de considérer la situation respective des deux entreprises l'une par rapport à
l'autre1096.

1089
A l'automne 1995, le thème est d'une brûlante actualité. La grande presse l'a souvent abordé, avant toute manifestation scientifique. Une idée se
répand : celle d'une « dépendance » des fabricants par rapport à la grande distribution, avec son corollaire qui est l'affirmation d'une discrimination
injuste entre la « grande distribution » et le commerce traditionnel. V. DE MELLO (X-A), Dépendance économique ou position dominante,
Colloque A.F.E.C. du 8 janv. 1993, Revue A.F.E.C., no spécial ; V. aussi « Attaquées, les grandes surfaces sont contraintes aux concessions », Le
Monde, 8-9 oct. 1995, p. 14 ; MALAURIE-VIGNAL (M), op.cit., p197. Canivert et Boutard Labarde, Droit français de la concurrence, L.G.D.J.,
1995, no 114, p. 94.
1090
JAIDANE (R), Art. pré., p 257.
1091
DEWOLF (H), L.P.A., 07 février 1997 n° 17, P. 13 ; VIRRASSAMY (G), Les contrats de dépendance, L.G.D.J. 1986 ; PEDAMON (M),
Droit commercial, Dalloz 1994, no 477 et s. ; RIPERT (G) ET ROBLOT (R), Traité élémentaire de droit commercial, 15e éd. par Germain, n°
480 ; THREARD (L) ET BOURGEON (M), Dépendance économique et droit de la concurrence, Cahiers de dr. de l'entrepr., 1987/2 ;
MATHONNIERE (M-H), L'exploitation abusive d'un état de dépendance économique, Revue Concurrence et Consommation, 1987, no 37 ;
JEANTET (F-C), L'exploitation abusive de l'état de dépendance économique, L.P.A., 28 mars 1988 ; GLAIS (M), L'état de dépendance
économique, P.A., 28, 31 juillet et 2 août 1989 ; PEROCHON (F), Responsabilité et dépendance économique, Cahiers de dr. de l'entrepr., 1989/4,
p. 16 ; PIROVANO (A), L'abus de puissance économique : une notion subversive, L.P.A., 21 septembre 1990, p. 4 ; BOUSCANT (B), La notion
de dépendance économique en droit allemand, Colloque A.F.E.C., 8 janv. 1993, Revue A.F.E.C., n° spécial. Sur la dépendance pour cause
d'assortiment en droit et l'affaire « Trivial Poursuit », Décis. Kenner, Parker Tonka, Paris, 12 juillet 1990 et Cass. Com. Fr., 2 juin 1992, Bull. 224.
1092
VIRASSAMY (G), Op. cit., n° 185 et s.
1093
C’est la formule finale adoptée par l’article 8 de l’ordonnance de 1986, en France, et qui a été préférée à une autre formule, dont la teneur est
comme suit « qui ne dispose pas de solution alternative et compétitive ».
1094
Cons. Conc. Fr., 4-6-2002, BOCC, 2002, p 473. V. également Cass. Com. du 9-4-2002, RTD Com., 2003, obs CLAUDEL (E), p 75 où la cour
de cassation française souligne que la dépendance économique d’un distributeur à l’égard d’un fournisseur s’apprécie en tenant compte de la
marque du fournisseur, de l’importance de sa part dans le marché considéré et dans le chiffre d’affaire du revendeur, ainsi que l’impossibilité pour
ce dernier d’obtenir d’autres fournisseurs des produits similaires.
1095
Un distributeur réalise 95 % de son chiffre d'affaires avec un fournisseur. Le Conseil relève toutefois qu'« un tel niveau est hors de proportion
avec les positions respectives des produits de cette marque (du fournisseur) sur le marché » ; la qualification de dépendance est en conséquence
exclue. La règle, qui vise à faciliter l'appréhension des phénomènes de pouvoir d'achat, demeure, par interprétation de l'autorité de concurrence,
une règle de contrôle des pratiques anticoncurrentielles. Le Conseil français de la concurrence l'a affirmé, en dépit de la volonté du législateur : « la
notion même de dépendance suppose l'absence de solution équivalente », Cons. Conc. Fr., 18 août 2003, déc. no 03-D-42, Pratiques mises en
œuvre par Suzuki et autres sur le marché de la distribution des motocycles, BOCCRF 17 déc. 2003, point 46.
1096
BOIZARD (M), La réception de la notion de violence économique en droit, Petites affiches, 16 juin 2004 n° 120.

Page 152
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Dans ce sens, le conseil de la concurrence considère que la dépendance économique est la situation qui
se constitue suite à la réunion de plusieurs éléments rendant le commerçant dans un état où il lui est difficile
de se délier de l’emprise de son fournisseur. Ces éléments consistent essentiellement dans la notoriété de la
marque du fournisseur, sa part du marché et la difficulté de s’approvisionner chez une autre source du même
marché1097.

Dans le même sens, le Conseil de la concurrence français considère de manière constante que « la
dépendance économique, au sens de l'article L. 420-2, alinéa 2, du code de commerce, résulte de la notoriété
de la marque du fournisseur, de l'importance de la part de marché de ce dernier, de l'importance de la part
du fournisseur dans le chiffre d'affaires du revendeur, à condition toutefois que cette part ne résulte pas d'un
choix délibéré de politique commerciale de l'entreprise cliente, enfin, de la difficulté pour le distributeur
d'obtenir d'autres fournisseurs des produits équivalents »1098. Ces conditions doivent être simultanément
réunies pour qu’un état de dépendance économique soit caractérisé et la dernière condition - relative à
l’absence de solutions alternatives - semble faire défaut dans la plupart des affaires.
Quant au type de rapports commerciaux dans le cadre desquels une relation de dépendance peut être
constatée, un arrêt de la Cour d’appel de Paris de 2005 semble indiquer que l’interdiction ne joue que dans les
rapports d’une entreprise avec un client ou un fournisseur1099. Ainsi, saisi par un syndicat professionnel qui
invoquait la dépendance que subirait toute la profession des concessionnaires motos vis-à-vis de l'ensemble
des constructeurs de motos, le Conseil a pu considérer qu’une telle approche serait contraire à l'article L. 420-
2 du code de commerce, qui ne vise que les situations de dépendance s'inscrivant « dans le cadre de relations
bilatérales entre deux entreprises » et doivent donc être évaluées au cas par cas, et non pas globalement pour
toute une profession1100. Ce faisant, le Conseil interprète de façon restrictive la notion de dépendance à l’égard
d’un « groupe d’entreprises », telle que prévue expressément par l’article L.420-2, alinéa 2 du code de
commerce français1101.

194- Comme la position dominante, l’état de dépendance économique n’est pas interdit en tant que
tel. Encore faut-il qu’il soit exploité de façon abusive. Tel est le cas lorsque cet état est accompagné d’un refus
d’achat ou de vente, d’un achat ou une vente liée…1102. Le droit de la concurrence ne sanctionne pas la
dépendance économique en tant que telle mais seulement lorsque qu'elle dégénère en un abus1103 au préjudice
du dominé1104 . Dans cet ordre d’idées, la jurisprudence de notre conseil de la concurrence continue à
considérer que l’exploitation abusive d’un état de dépendance économique suppose l’examen de deux
éléments concomitants à savoir l’existence d’un état de dépendance économique et son exploitation

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.31 ‫ ص‬،2006 G ،13/12 ‫ د‬N ‫ ا‬."‫ و ة ا ر اداري‬f! ‫ و‬g‫ و‬/
1098
Décision n°07-D-14 du 2 mai 2007 ; n°04-D-44 du 15 septembre 2004 ; n°04-D-26 du 30 juin 2004 ; n°02-D-77 du 27 décembre 2002.
1099
C.A. Paris, 15 novembre 2005, Jurisdata n° 2005-293751, concernant les rapports entre un bailleur et un locataire.
1100
Décision n°03-D-42 du 18 août 2003, confirmée par arrêt du 4 mars 2004, qui n’a toutefois pas repris expressément le principe concerné.
1101
Décision n°01-D-81 du 19 décembre 2001, confirmée par la CA Paris, 4 juin 2002 ; Décision n°00-D-81 du 31 janvier 2001 ; Décision n°06-
D-16 du 20 juin 2006.
1102
V. art. 5 (nouveau) de la loi relative à la concurrence et aux prix.
1103
FOURGOUX (J-L), L'abus de dépendance économique, Gaz. Pal. du 13 février 1997, p. 25-26 ; DE FONTBRESSIN (P), L'abus d'état de
dépendance économique, l'équité et la détermination du prix, Gaz. Pal. du 13 février 1997, p. 21-22 ; AUQUE (F), Dépendance ou partenariat :
quelles conséquences à l'égard des tiers ?, LPA du 6 mars 1996, p. 31-35 ; JAMIN (CH), La recherche de nouveaux équilibres entre les parties
dans les réseaux intégrés de distribution, LPA du 6 mars 1996, p. 24-30 ; PARLEANI (G), Référencement et dépendance, LPA du 6 mars 1996, p.
11-16 ; A. Pirovano, M. M. Salah, L'abus de dépendance économique : une notion subversive ?, LPA du 21 septembre 1990, p. 4 et s. et du 24
septembre 1990, p. 4 et s. ; F.-C. Jeantet, L'exploitation abusive de l'état de dépendance économique, LPA 1988, 32 ; J. Threard, C. Bourgeon,
Dépendance économique et droit de la concurrence, Cah. dr. entr., 1987, no 2, 20 ; M. Pédamon, Les abus de domination, Cah. dr. entr., 1987, no 1,
15.
1104
L’article L. 420-2 du Code de commerce français énumère les pratiques anticoncurrentielles susceptibles de constituer un abus de dépendance
économique. Il s’agit du refus de vente, des ventes liées ou des pratiques discriminatoires visées à l’article L. 442-6 du même Code. Cette liste
n’est pas limitative. A titre d’exemple, ont été jugées discriminatoires les pratiques suivantes : primes de référencement, sollicitation de fournitures
gratuites, restrictions à l’entrée sur le marché de nouveaux distributeurs, mises à l’écart de fournisseurs ou réductions brutales de leurs parts à la
suite de la formulation de demandes excessives, corbeille de la mariée (pratique consistant pour un distributeur à renégocier la participation
financière du fournisseur et à subordonner la poursuite des relations à l’acceptation des conditions supplémentaires par rapport à celles acceptées
auparavant), clause du client le plus favorisé, menaces / ruptures abusives de relations commerciales établies.

Page 153
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

abusive1105. L'abus de dépendance existe dès lors qu'une entreprise, non détentrice d'un pouvoir absolu sur le
marché, abuse de sa position de force vis-à-vis d'un partenaire contractuel dépourvu d'alternatives1106. Cet
abus vise donc à sanctionner le déséquilibre contractuel en présence d'une relation de dépendance, c'est-à-dire
imposer au partenaire dominant une obligation positive de respecter un équilibre objectif dans le contrat1107.
Ce dernier ne doit pas « profiter » de sa position vis-à-vis de son cocontractant1108. Le demandeur devra alors
établir qu'il a été victime d'un abus et que le fonctionnement ou la structure de la concurrence a été
affectée1109. En effet, l'article L. 420-2, alinéa 2, du code de commerce français prohibe « dès lors qu'elle est
susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la concurrence, l'exploitation abusive par une
entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve à son égard
une entreprise cliente ou fournisseur » 1110. Cette dernière condition n’a pas été exigée, en droit tunisien, par
l’article 5 précité. On peut tout-de-même la dégager de l’article 6 (nouveau) de la même loi relative à la
concurrence et aux prix. Cet article prévoit, en effet, que « ne sont pas considérées comme
anticoncurrentielles, les ententes et les pratiques dont les auteurs justifient qu'elles ont pour effet un progrès
technique ou économique et qu'elles procurent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en
résulte …».

195- Ainsi déterminé, l’abus de dépendance économique risque de se poser avec beaucoup de
stridence en matière de groupe de sociétés pour la simple raison que la dépendance économique, due au
contrôle exercé par la société mère, est l’un des éléments caractéristiques du groupe. L’abus semble, par
conséquent, retenu chaque fois que la société mère, cliente unique de sa filiale, paiera, à cette dernière, un prix
anodin, profitant ainsi de sa situation de dépendance économique. C’est également le cas lorsque la mère,
fournisseur unique de la société contrôlée, lui imposera une vente liée, profitant ainsi de l’absence de solution
équivalente pour la société filiale spoliée1111.

196- Qu’il s’agisse d’entreprises concurrentes ou de partenaires, tels des clients ou encore des
fournisseurs, on a pu observer que la concentration, opération très avantageuse, peut néanmoins générer une
panoplie d’actes abusifs néfastes à bien des égards. A ce premier tableau d’abus préjudiciables aux partenaires
ainsi qu’aux entreprises concurrentes, s’ajoute un second reflétant les atteintes portées aux épargnants dont les
intérêts peuvent être bafoués par des abus de marché de tailles et effets assez considérables.

1105
Cons. Conc., Aff. n° 5198 du 16/11/2006, I.J., n° 46/47, Mai 2008, p 12 et 13.
1106
PIROVANO (A) ET SALAH (M-M), L'abus de dépendance économique, une notion subversive ? LPA, no 114 et 115 des 21 et 24 septembre
1990.
1107
En d'autres termes, cette notion sanctionne un abus de position dominante relative.
1108
PAYET (M-S), Puissance économique, droit de la concurrence et droit des contrats, Revue des contrats, 01 octobre 2006, n° 4, p. 1338, n° 16.
1109
Aux termes du nouvel article L. 420-2 du Code de commerce français, il suffit que cette affectation soit simplement potentielle. Il est
nécessaire que l’effet sur la concurrence soit suffisamment tangible. En outre, l’infraction ne peut être constituée que s’il existe un lien de causalité
entre la situation de dépendance économique et la pratique incriminée : l’exploitation abusive doit être réalisée par l’utilisation de l’état de
dépendance. Le but de la loi du 15 mai 2001 a été d’assouplir considérablement l’exigence d’une affectation de la concurrence. Bien que la
nouvelle notion définie par le texte soit d’une difficile interprétation, les auteurs s’accordent pour considérer que la disparition ou la menace de
disparition d’une petite ou moyenne entreprise du marché puisse être considérée comme une affectation suffisante du fonctionnement ou de la
structure de la concurrence permettant la caractérisation de l’infraction.
1110
Ainsi, l’abus de dépendance économique ne suppose pas l’existence d’une position dominante ou d’une entente, mais constitue une infraction
au droit de la concurrence à part entière. V. par exemple la décision n°05-D-06 du 23 février 2005.
1111
On verra dans le deuxième titre de cette première partie que la détermination de la notion d’abus dépend également de l’intérêt commun du
groupe. Cela veut dire que les opérations susvisées, qui semblent être constitutives d’abus de dépendance économique, peuvent être immunisées
lorsqu’elles satisfont à l’intérêt commun du groupe. En effet, l’abus n’est retenu que lorsque l’opération querellée est contraire à cet intérêt
commun.

Page 154
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Sous-section Deuxième : L’abus du marché


financier à l’aune des procédés de concentration

197- L’opération « TELNET Holding Tunisie », première introduction boursière post-révolution, a


été un véritable succès qui s’est traduit par un engouement important des investisseurs sur le titre. Cette
réussite a lancé un signal positif et a prouvé que la Bourse demeure un véhicule important pour le financement
de l’économie1112. C’est pourquoi mérite-t-elle protection et sécurité.

Le marché financier est, en principe, un lieu de transparence et de loyauté1113. En théorie les marchés
sont efficients, ce qui signifie que l'information est parfaite, connue de tous et se reflète dans les cours. Or
certaines personnes peuvent porter atteinte au bon fonctionnement du marché, notamment lorsqu'un
investisseur possède une information spécifique avant tout le monde et quand celui-ci s'en sert pour réaliser
des profits personnels1114.

Si le « jeu boursier » apparaît faussé, parce que certains s'enrichissent sans effort en raison de leur
seule situation au sein de la société émettrice, il n'incite plus les épargnants à investir et c'est l'équilibre
général du marché qui peut alors être fragilisé ou détraqué1115. Pour maintenir l’équilibre du marché,
l'incrimination pénale se concrétise en réalité en un « abus d'informations privilégiées ». Elle réprime une
violation du devoir de fidélité et de réserve en exploitant un emploi ou une position privilégiée1116.
Dans ce contexte, la diffusion et la fiabilité de l'information sont alors considérées comme vitales pour
le bon fonctionnement des marchés financiers1117 qui ne peuvent attirer les épargnants qu'à la condition que
ceux-ci puissent choisir en toute connaissance de cause les titres dans lesquels ils investissent. Ainsi,
s'explique l'instauration d'une réglementation relative à l'utilisation, la communication et la diffusion de
l'information boursière ou financière qu'on peut définir comme celle qui est « de nature à influer sur le cours
d'un instrument financier admis aux négociations sur un marché réglementé1118 ». Tel est le cas des
informations relatives à l'imminence d'une fusion ou d'une offre publique d'achat, d'échange ou de vente, la
connaissance de résultats bénéficiaires ou au contraire de lourdes pertes enregistrées par une société ou encore
la démission d'un dirigeant, à titre d’exemple. L'intérêt de cette réglementation apparaîtra immédiatement en
rappelant qu'en août 2000, la diffusion sur Internet de fausses informations a provoqué l'effondrement total du
cours du titre d'une firme internationale cotée à la bourse des Etats-Unis d’Amérique1119. Ainsi, l’usage ou la
communication d’informations privilégiées ou faussées sur le marché financier présente un danger réel en
temps normal et revêt une importance d’autant plus considérable durant la période qui précède une OPA1120
ou une OPE1121. Il est à craindre que les personnes informées n’en profitent pour communiquer l’information à
un tiers, acquérir ou aliéner des titres à des conditions avantageuses1122. D’où l’idée, largement partagée, que
la prohibition de l’abus du marché cherche à prévenir et réprimer l’exploitation de certaines asymétries
informationnelles qui risquerait d’entamer la confiance des investisseurs en l’intégrité du marché1123.

1112
BVMT, Rapport annuel pré., p 8.
.208 ‫ ص‬،2007 ،‫ ط ج‬7 H $ # L ، ! ‫ا‬ ‫ا‬: ‫ ا ! ق ا‬،‫ ء ﷲ‬P3 N 1113
‫ ت‬A‫' ا ث وا را‬C 3 ،2008 V+ G‫ ا‬30 H $ ، +‫ ] د‬7 ‫ ا‬4 ‫وا‬ ‫ < ل ا ! ق ا‬A‫ ل وة درا‬N‫ ا‬، ‫ اق ا‬A ‫ن ا‬ ‫ ة‬0 # ‫ ت ا‬K ‫ ا ﺟ‬،‫ ! ور‬, ( ‫ " ر ا‬1114
'C 3 ،2008 V+ G‫ ا‬30 H $ ، +‫ ] د‬7 ‫ ا‬4 ‫وا‬ ‫ < ل ا ! ق ا‬A‫ ل وة درا‬N‫ ا‬،‫ ر‬L ‫ وا‬i ‫[ة وا ظ‬34 ‫ ا‬: 9 # ‫ ا‬8G ‫ اق ا‬A ‫ ا‬،‫ ء ﷲ‬P3 N .41 ‫ ص‬، ‫ا‬
.18 ‫ ص‬، ‫ ت ا‬A‫ا ث وا را‬
1115
DEFFAINS (B) ET STASIAK (F), Les préjudices résultant des infractions boursières : approches juridique et économique, In Le droit au défi
de l'économie, dir. Y. Chapus, Publications de la Sorbonne, 2002, p. 177 et s.
1116
HINNA-DANESI (F), Le délit d’initié : droit italien, LPA, 15 juin 1994, n° 71.
1117
SCHMIDT (D), Transparence et marchés financiers et boursiers, In « La transparence » : RJ com., no spécial, novembre 1993, p. 168 ;
THEODORE (J-F), Avant-propos à « Information et communication financières », Légicom, 1999/3, p. 1, no 19.
1118
RONTCHEVSKY (N), Liberté d'expression et délits boursiers, Bulletin Joly Bourse, 01 mai 2001 n° 3, p. 211.
1119
Les Echos, 28 août 2000, p. 16 : de fausses informations diffusées sur Internet font s'effondrer le cours d'Emulex.
1120
Offre publique d’achat.
1121
Offre publique d’échange.
1122
TROCHU (M), La réglementation de l’offre publique d’achat, Op. cit. p. 124-5.
1123
BEN BECHER (H), Le juge pénal et l’intégrité du marché financier, Colloque : la justice pénale quelle évolution ?, FSJEGJ, 2007, p 165.

Page 155
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

De façon générale, l’abus du marché, connu également sous l’appellation d’« abus de savoir » ou
encore « délit d’initié »1124, a pour finalité de prévenir toute rupture d’égalité entre les épargnants non avisés et
ceux disposant d’une information privilégiée pouvant affecter le cours normal des transactions en bourse. Il
s’inscrit donc dans une politique générale visant à assurer la transparence du marché financier1125 en guise de
protection des épargnants qui, par ignorance, se trouvent désavantagés par rapport aux initiés. D’après Mme
Ben Becher, l’égalité de traitement des investisseurs occupe une place centrale au sein du marché
financier1126.

198- La définition de l’abus de marché est générale et assez souple. En effet, d’après l’article 81 de
la loi n° 94-117 du 14 novembre 1994 relative à la réorganisation du marché financier, il peut y avoir abus de
marché dans les cas où des investisseurs ont été lésés, directement ou indirectement, par d'autres qui ont
utilisé des informations confidentielles ou bien faussé le mécanisme de fixation des cours d'instruments
financiers ou encore propagé des informations fausses ou trompeuses. Ces différents types de conduites
abusives peuvent porter atteinte au principe général selon lequel tous les investisseurs doivent être placés sur
un pied d'égalité1127.
Une lecture attentive des dispositions de l’article 81 susvisé amène à conclure que la définition d'un
abus de marché est générale et assez souple pour rester valable autant que faire se pourrait. Partant de cette
définition on peut distinguer trois sortes d’abus dans les cas où des investisseurs ont été lésés par d'autres qui
ont utilisé ou communiqué des informations confidentielles (opérations d'initiés) ; ont faussé le mécanisme de
fixation des cours d'instruments financiers ou ont propagé des informations fausses ou trompeuses.

199- Dans cette partie de l’étude, on s’intéressera essentiellement à l’analyse de l’abus de marché
sous forme de délit d’initié. Il s’agit de l’abus le plus important au sein du marché financier à telle enseigne
qu’il a occupé et occupe toujours les écrits de la doctrine dans le monde1128. D’ailleurs monsieur Frank-
Laparde n’a pas hésité à affirmer que «le délit d’initié est le plus emblématique des abus de marché»1129 (-§1).
Les autres formes d’abus de marché seront étudiées, de façon subsidiaire, par rapport au délit d’initié (-§2-).

1124
LAPRADE-FRANK (M), Retour du délit de « dîner en ville », Bulletin Joly Bourse, 01 février 2009 n° 1, p. 10.
VC ‫[ن‬O ‫ھ‬ d +‫دود‬ L $ ‫ ا‬+‫ ط ا ر‬P ‫ إ ^ ء ا‬8G Vd $ K $ U ‫إ‬ ‫ ھ [ة ا ! ق ا‬8 $ 8 ‫ ا‬+ ‫ " إن ا‬1999 4! ‫ [ة ا ! ق ا‬K ‫ ي‬4! ‫ ا‬+ ‫ ط‬1125
.‫ ر‬CD ‫ ا‬+ ‫ ا‬M 1 ‫ ر " ص‬#A INS ‫ ھ و ا‬3 I‫ ت ا اﺟ‬# ‫ ء ا‬/ |C ‫ ا ري‬5 ‫ ط‬P ‫ ا‬M $ 8 ‫ ا‬7 ‫ ل ا‬N ‫ ا‬8G M $ ‫ ] دي و إ‬7‫ ط ا‬3
1126
BEN BECHER (H), Les sanctions des infractions boursières, I.J., n° 6/7, Juillet 2006, p 6.
1127
L’article 81 de la loi n° 94-117 du 14 novembre 1994 relative à la réorganisation du marché financier dispose que « seront punies d’une
amende de 1 000 à 10 000 dinars, les personnes disposant à l’occasion de l’exercice de leur profession ou de leurs fonctions, d’informations
privilégiées sur la situation ou les perspectives d’un émetteur de titre faisant appel public à l’épargne ou sur les perspectives d’évolution d’une
valeur mobilière ou d’un produit financier placé par appel public à l’épargne, qui auront réalisé, directement, ou par personne interposée, une ou
plusieurs opérations avant que le public ait connaissance de ces informations par les voies légales et réglementaires. Dans le cas de réalisation
d’un profit, le montant de l’amende peut être porté au quintuple du montant du profit réalisé, sans que le montant de l’amende puisse être inférieur
à ce profit. Sera punie des peines prévues au premier paragraphe du présent article, toute personne qui aura sciemment répandu dans le public
par des voies et moyens quelconques des informations fausses ou trompeuses sur la situation ou les perspectives d’un émetteur de titres faisant
appel public à l’épargne ou sur les perspectives d’évolution d’une valeur mobilière ou d’un produit financier placé par appel public à l’épargne,
de nature à agir sur les cours. Sera punie des peines prévues au premier paragraphe du présent article, toute personne qui, directement ou par
personne interposée, aura sciemment exercé ou tenté d’exercer sur le marché d’une valeur mobilière ou d’un produit Financier placé par appel
public à l’épargne, une manœuvre ayant pour objet d’entraver le fonctionnement régulier du marché ou d’induire autrui en erreur. Sera punie
d’une amende de 1 500 à 15 000 dinars toute personne qui, disposant dans l’exercice de sa profession ou de ses fonctions d’une information
privilégiée sur la situation ou les perspectives d’un émetteur ou sur les perspectives d’évolution d’une valeur mobilière ou d’un produit financier
placé par appel public à l’épargne, l’aura communiqué à un tiers en dehors du cadre normal de sa profession ou de ses fonctions ».
1128
V. à titre indicatif : LASSERRE CAPDEVILLE (J), Le délit de communication d’une information privilégiée : vingt ans après, Bulletin Joly
Bourse, 01 février 2009 n° 1, p. 69 ; VIANDIER (A), Sécurité et transparence du marché financier, JCP E, 1989, II, n° 15612, spec. n° 43 ;
CARREAU (D) ET MARTIN (J-Y), Le secret boursier, Dr. prat. com. int., 1990, p. 42 ; RONTCHEVSKY (N), Liberté d’expression et délits
boursiers, Bull. Joly Bourse, 2001, p. 211, n° 42 ; DUCOULOUX-FAVARD (CL), Infractions boursières. Délits et manquements boursiers, J.-Cl.
Banque et crédit, v. fasc. n° 1600, 2006, n° 82 ; Dict. Joly Bourse, v. « Infractions boursières. Délits et manquements et fautes disciplinaires », par
Cl. Ducouloux-Favard, 2005, n° 129.
1129
LAPRADE-FRANK (M), art. pré., p. 10.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

-§1- Appréhension du délit d’initié au sein des procédés de


concentration

200- A l’instar de son homologue français1130, le législateur tunisien condamne, au sein de l’article
81 susvisé, toute personne disposant à l’occasion de l’exercice de sa profession ou de sa fonction
d’informations privilégiées. Cette condamnation met en place une panoplie d’initiés1131 dans la mesure où il
peut s’agir d’un dirigeant, un actionnaire, un expert comptable ou même un simple salarié de l’une des
sociétés participant à l’opération, encore faut-il que cet initié détienne une information bien précise qualifiée
communément d’information privilégiée.
De façon générale les initiés sont, en principe, les personnes disposant d’informations avantagées en
raison de leur qualité de membres des organes de direction, d’administration, de délibération ou de contrôle
d’une société faisant appel public à l’épargne ou en raison des fonctions qu’ils exercent au sein d’une telle
société1132. Sont visés aussi, les personnes qui préparent et exécutent une opération financière1133.
Conséquemment, le délit d’initié ne peut toucher essentiellement que ceux qui sont dans le secret des affaires.
Il est de l’évidence que les dirigeants sociaux sont spécialement visés à raison des informations auxquelles
leurs fonctions leur donnent accès et du fait qu’ils s’expriment au nom de la société1134. Ils forment par nature
le premier cercle des initiés.

La doctrine française opère généralement une distinction, sur la base de l’article L. 465-1 du code de
commerce, entre les initiés primaires et les initiés secondaires. Les initiés primaires sont les dirigeants sociaux
à savoir : les administrateurs, les membres du directoire ou encore ceux du conseil de surveillance. Ces initiés
sont présumés avoir connaissance de l’information privilégiée concernant la société dans la mesure où ils
exercent des fonctions sociales au sein de celle-ci1135. Il est, en effet, difficilement concevable que ces
personnes puissent ignorer une information concernant la société qu’elles dirigent1136.
Les initiés secondaires sont définis, quant à eux, comme étant « les personnes disposant, à l’occasion
de l’exercice de leur profession ou de leurs fonctions, d’informations privilégiées »1137. La liste des personnes
susceptibles d’entrer dans cette catégorie est alors très large. Il s’agit, tout d’abord, des personnes qui, sans
être des initiés primaires, appartiennent à la société émettrice et ont eu accès à des informations privilégiées,
comme le secrétaire général1138 , un membre du comité d’entreprise ou encore un simple employé. Mais il peut
s’agir, également, de personnes extérieures à la société, qui entretiennent un lien professionnel avec cette
dernière, et qui ont eu accès à une information privilégiée en raison de ce lien : un banquier1139 , un trader

1130
V. art. L 465-1 du Code de Commerce français.
1131
Dans le langage courant, l'initié est « une personne qui est dans le secret d'un art, d'une science ou d'une affaire et qui s'oppose donc au non-
initié ou profane. Le verbe « initier », étymologiquement, vient du latin initiare « commencer », de initium, « début, commencement » dont dérive
les mots : initial, initiateur, initiation, initiatique. Initier quelqu'un c'est l'admettre à la connaissance d'un savoir ésotérique et, par extension, à la
connaissance de choses secrètes, d'accès difficile, réservée à des privilégiés : c'est donc « être le premier à instruire quelqu'un, à faire accéder
quelqu'un à la connaissance » (Le Grand Robert de la langue française). De ces brefs rappels étymologiques, transparaît une double idée : d'une
part, l'initié est une personne appartenant à un cercle très fermé - à une élite - après avoir passé un rite « initiatique » et qui va accéder à l'origine
d'un savoir, d'une connaissance, d'une information. Il pourra prendre des « initiatives » autrement dit, être le premier à proposer ou à entreprendre.
Mais, d'autre part, puisque l'initié se trouve à l'origine d'un savoir, il peut alors devenir « initiateur », c'est-à-dire celui « qui enseigne le premier
aux autres une chose qu'ils ignorent, celui qui commence à faire connaître et à répandre cette chose ».
1132
V. Article 47 du R. CMF du 17 nov. 2000. Les termes « profession » et « fonction » utilisés par la loi permettent une interprétation
extrêmement large. V. DOUSSET (V-Y), L’ébauche de la jurisprudence en matière d’usage d’informations privilégiées sur le marché boursier,
Gaz. Pal. 1977, I, p. 133 et s.
1133
V. Article 48 du R. CMF du 17 nov. 2000 ; T. G. I. Paris, 29 oct. 1975, aff. Otis Europe / BDR, JCP G 1976, II, n° 18329, p. 25, note A.
Tunc ; Trib. corr. Paris, 26 oct. 1979, Aff. De Vigneral, JCP G 1981, n° 19518, II, note A. Tunc.
1134
MIDOWSKI (A), Le délit d’initié et ses dangers pour les dirigeants et directeurs de société, Petit. Aff. 1996, n° 140, p. 11.
1135
Cass. Crim. Fr., 15 mars 1993 : Bull. crim., 1993, n° 113 ; D., 1993, jurispr. p. 610, note Cl. Ducouloux-Favard ; Rev. Soc., 1993, p. 847, note
B. Bouloc ; Cass. Crim. Fr., 19 oct. 1995 : Bull. crim., 1995, n° 317 ; Rev. Soc., 1996, p. 323, note B. Bouloc.
1136
STASIAK (F), Droit pénal des affaires, éd. LGDJ, 2005, p. 250.
1137
V. art. L. 465-1 C.C.Fr.
1138
TGI Paris, 17 mars 1976 : JCP G, 1976, II, n° 18496, note A. Tunc.
1139
TGI Paris, 13 janv. 1978 : Bull. COB, févr. 1978, n° 101, p. 4.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

d’une société de bourse1140 , un liquidateur de société1141, un directeur de cabinet d’un ministre1142 ou encore
un journaliste financier1143, et même un avocat. A l’égard de ces initiés secondaires, il faut en principe établir
la preuve qu’ils ont eu connaissance de l’information à l’occasion de leur fonction ou de l’exercice de leur
profession. Il importe peu, en revanche, que cette prise de connaissance ait été fortuite ou pas1144.
On parle aussi, en droit français, d’initié tertiaire1145. Il s’agit, notamment, de la famille des initiés
primaires ou secondaires, ou encore des relations amicales. Est également concernée, toute personne qui, « par
hasard », prend connaissance d’une information privilégiée tout en ayant conscience de ce caractère. Le cercle
des initiés a donc été étendu par la loi française. On peut même le qualifier de totalement « distendu »,
n’importe qui étant susceptible désormais d’en faire partie1146.
Ce dernier type d’initié n’a pas lieu d’être en droit tunisien qui traite exclusivement, au sein de l’article
81 précité, des personnes disposant à l’occasion de l’exercice de leurs professions ou fonctions d’informations
privilégiées.
En réalité cette extension législative française est empruntée au droit canadien où le législateur
québécois a défini de manière exhaustive la portée du terme « initié ». On retrouve tout d'abord les initiés
primaires, c'est-à-dire les personnes qui sont, par leur statut ou leur emprise dans le capital-actions de la
société, censées être au courant des décisions importantes concernant l'entreprise. Au niveau des initiés
secondaires, on retrouve une prohibition contre l'initié habile, par exemple l'analyste financier qui obtiendrait
l'information de la part des dirigeants de l'émetteur1147. Il existe également une prohibition contre celui qu'on
pourrait qualifier d'initié chanceux, par exemple, le chauffeur de taxi qui disposerait en toute connaissance de
cause d'une information privilégiée. Enfin, la loi canadienne prohibe aux gestionnaires de portefeuille
d'effectuer ce qu'on appelle communément le « front-running »1148, c'est-à-dire d'acheter ou de vendre pour
leur propre bénéfice des titres en sachant que des transactions qu'ils effectueront pour le compte du
portefeuille géré auront un effet sur le cours de ces titres1149. Une telle énumération démontre que le Québec a
adopté une définition très large de l'initié1150.

201- En droit tunisien, aux termes de l’article 81, alinéa premier, de la loi du 14 novembre 1994, les
personnes punissables sont celles « disposant à l’occasion de l’exercice de leur profession ou de leurs

1140
C.A. Paris, 8 nov. 1993 : Bull. Joly Bourse, 1994, p. 129, § 21.
1141
T. Corr. Paris, 30 mars 1979 : JCP G, 1980, II, n° 19306, note A. Tunc.
1142
Cass. Crim. Fr., 26 oct. 1995: Bull. crim., 1995, n° 324.
1143
TGI Paris, 12 mai 1976 : JCP G, 1976, II, n° 18496, note A. Tunc.
1144
T. Corr. Paris, 15 oct. 1976 : JCP G, 1976, II, n° 18543, note A. Tunc ; Rev. Soc., 1977, p. 123, note B. Bouloc.
1145
Par le passé, ces personnes pouvaient, lorsqu’elles avaient utilisé ces informations pour réaliser des opérations sur les titres de l’émetteur, être
sanctionnées sur le terrain du recel, C.A. Paris, 6 juill. 1994: Bull. Joly Bourse, 1994, p. 583, n° 116, note M. Jeantin ; Cass. Crim. Fr., 26 oct.
1995: Bull. crim., 1995, n° 324; Rev. Soc., 1996, p. 326, note B. Bouloc; Bull. Joly Bourse, 1996, p. 120, n° 23, note N. Rontchevsky.
1146
Depuis la loi no 2001-1062 du 15 novembre 2001, qui fait suite aux attentats du 11 septembre, un troisième alinéa a été ajouté à l'article L. 465-
1 du Code monétaire et financier prévoyant. Cet alinéa énonce qu’est également puni « le fait pour toute personne autre que celles visées aux deux
alinéas précédents, possédant en connaissance de cause une information privilégiée, de réaliser, de permettre de réaliser, directement ou
indirectement, ou de communiquer à un tiers ces informations avant que le public en ait connaissance ». On s'éloigne ainsi sensiblement de
l'origine et du sens commun du terme initié car c'est désormais moins l'appartenance à un cercle, primaire ou secondaire, que la simple possession
d'une information privilégiée qui détermine la qualité d'initié au sens pénal du terme. Pour être initié tertiaire, il suffit de détenir, en connaissance
de cause, une information privilégiée - peu importe la façon dont elle est parvenue - puis d'utiliser ou de communiquer cette information.
1147
Le droit américain exige également, dans un tel cas, qu'on fasse la preuve d'une obligation fiduciaire de l'analyste. Le juge Powell, de la Cour
suprême des Etats-Unis, dans l'affaire Dirks, (v. Securities and Exchange Commission (453 U.S. 646 (1983)), commentait ainsi l'obligation du «
tippee » dans un tel cas : « Thus a tippee assumes a fiduciary duty to the shareholders of a corporation not to trade on material non-public
information only when the insider has breached his fiduciary duty to the shareholders by disclosing the information to the tippee and the tippee
knows or should know that there has been a breach ». En droit français, V. la décision récente de la Commission des opérations de bourse dans
l'affaire Monsieur X, Bulletin COB, no 271, juillet-août 1993.
1148
Le terme Front-Running vient du monde de la finance et dénote un type particulier de délit d'initié. Depuis la directive européenne 2003/6/CE
sur les opérations d'initiés et les manipulations de marché, le « front running » est expressément considéré comme une forme de délit d’initié.
L’article 2, 14°, de la loi du 2 août 2002 relative à la surveillance du secteur financier et aux services financiers prévoit que « toute information
fournie par le client et portant sur les ordres en cours du client est considérée comme information privilégiée pour les personnes chargées de
l’exécution des ordres portant sur des instruments financiers, pour autant que cette information réponde aux exigences de la définition de la notion
d’ »information privilégiée ».
1149
V. également la décision de la Commission des valeurs mobilières du Québec dans l'affaire Nowicki, Tomasz J.A., Bulletin, vol. XXI, no 39,
28 septembre 1990, p. 23.
1150
FORTUGNO (P), Le délit d’initié : droit québéquois, L.P.A., 15 juin 1994 n° 71.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

fonctions, d’informations privilégiées ». Il apparait donc clair que les seules personnes visées par ces délits
sont les professionnels.
Ainsi, contrairement au droit français où toute personne peut être incriminée du délit d’initié, en droit
tunisien on peut très bien exploiter ou communiquer une information privilégiée à partir du moment où on
dispose de cette information dans un cadre privé. Tel est le cas du conjoint, du frère ou encore du fils de
l’initié. Ces personnes qui n’acquièrent pas l’information à l’occasion de l’exercice de leur profession, mais à
l’occasion de relations privées, bénéficient-elles d’une immunité ? On est fort tenté de le croire. Ces
personnes-là pourront vraisemblablement utiliser les informations privilégiées qui leur seront communiquées
sur la situation ou les perspectives d’un émetteur de titre faisant appel public a l’épargne ou sur les
perspectives d’évolution d’une valeur mobilière ou d’un produit financier placé par appel public à l’épargne
en toute impunité et en toute quiétude. Le texte de loi est clair, ne sont punies que les personnes qui acquièrent
l’information privilégiée à l’occasion de l’exercice de leur profession ou de leurs fonctions. Les personnes qui
obtiennent des informations privilégiées, à titre privé, ne seront condamnées que s’il est prouvé qu’elles ont
joué le rôle d’intermédiaires ou de personnes interposées. Si, par contre, elles ont agi pour leurs propres
comptes, elles n’encourent aucun risque1151 !
Pourquoi alors cette clémence, d’autant plus que cette omission pourrait en pratique priver d’effet les
dispositions relatives à la répression du délit de communication d’informations privilégiées et amener à ce qui
pourrait être appelé « l’impasse de la répression » ? «Il peut en effet se révéler impossible d’établir la
culpabilité de la personne qui a communiqué l’information privilégiée que ses fonctions ou sa profession lui
auraient permis de détenir. Au contraire, la détermination du bénéficiaire de l’information est aisée dans la
mesure où cette personne aura agi illicitement. Dans cette perspective, l’article 81 de la loi de 1994, qui ne
sanctionne que la personne qui a communiqué l’information privilégiée en raison de ses fonctions ou de sa
profession ne pourra recevoir, faute de preuves, aucune application »1152.
On ne peut, devant cette lacune, que suggérer au législateur la modification de l’alinéa premier de
l’article 81 de la loi de 1994 comme suit : « seront punies d’une amende de 1 000 à 10 000 dinars, toutes
personnes possédant en connaissance de cause une information privilégiée sur la situation ou les
perspectives d’un émetteur de titre faisant appel public à l’épargne ou sur les perspectives d’évolution d’une
valeur mobilière ou d’un produit financier placé par appel public à l’épargne, qui auront réalisé,
directement, ou par personne interposée, une ou plusieurs opérations avant que le public ait connaissance de
ces informations par les voies légales et réglementaires ».

202- Il est à noter également qu’aucun texte, en droit français, n’a défini ce qu’on entend par
information privilégiée. En revanche, d’après la Cour de cassation française, il s’agit « d’informations
précises1153, confidentielles1154, de nature à influer sur les cours1155 et déterminantes des opérations
réalisées1156 ». Il faut qu’il s’agisse donc effectivement d’une information privilégiée remplissant un certain
nombre de conditions. Ainsi, doit-elle être inconnue du public, suffisamment précise1157 et concernant un ou

1151
Aussi, le texte du règlement du CMF relatif à l’appel public à l’épargne, contrairement au règlement général de I’AMF omet de sanctionner, en
Tunisie, le fait de recommander à une autre personne d’acquérir ou céder ou faire acquérir ou céder par une autre personne, sur la base d’une
information privilégiée, les instruments financiers auxquels se rapporte cette information ou les instruments financiers auxquels ces instruments
sont liés. Il semble donc, qu’un dirigeant pourra, par exemple, recommander à un proche d’acquérir ou de vendre des actions de la société qu’il
dirige, en se basant sur des informations privilégiées en sa possession, sans tomber sous le coup des sanctions du Conseil du marché financier.
Cette lacune est d’autant plus gênante que l’article 81 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994 ne permet pas non plus de sanctionner le fait de
recommander d’acheter des titres en se basant sur des informations privilégiées. Ce comportement qui rompt l’égalité entre les investisseurs
échappe donc à la répression tant pénale qu’administrative en Tunisie.
1152
BEN BECHR (H), Le juge pénal et l’intégrité du marché financier, Actes du colloque : «La justice pénale : quelle évolution ? » 2007, p 168.
1153
L’information doit être précise ce qui permet de distinguer l’information des simples rumeurs. Les renseignements doivent être, en effet,
suffisamment précis pour être immédiatement exploités par le marché.
1154
L’information confidentielle est celle qui est secrète, qui n’est pas connue du public boursier. L’information ne perd son caractère confidentiel
que lorsqu’elle est diffusée dans le public et peu importe qu’elle soit détenue par plusieurs personnes, par exemple par l’ensemble des
administrateurs d’une société. D’ailleurs, la seule publication de l’information dans la presse spécialisée de tirage limitée et d’audience restreinte
ne lui fait pas perdre son caractère confidentiel.
1155
L’information doit être de nature à influer sur le cours de la valeur. Autrement dit, l’information doit être sensible pour le cours de la valeur.
Ce caractère provient, sans doute, de l’objet même de l’information privilégiée.
1156
Cass. Crim. Fr., 26 Juin 1995, Bull. Joly Bourse, 1995, p 285, note Le Cannu.
1157
DUCOULOUX-FAVARD (C), Le délit d’initié, Gaz. Pal. 1984, p. 420 ; Cass. Crim. Fr., 26 juin 1995, aff. Cabessa et Alibert, JCP E 1996,
n° 766, p. 1, note A. Viandier.

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plusieurs émetteurs, une ou plusieurs valeurs mobilières, un ou plusieurs produits financiers qui, si elle était
rendue publique, par les voies légales et réglementaires pourrait avoir une incidence sur le cours de la valeur
ou du produit financier concerné de façon sensible1158. Ces caractères s'apprécient en principe objectivement
en fonction de l'espèce. L'information doit-être, en tout état de cause, susceptible d'influer sur le cours du
titre1159.
Cette définition a été reprise en droit tunisien, à quelques différences près, par le règlement du Conseil
du marché financier relatif à l’appel public à l’épargne1160. Ce règlement donne, en effet, une définition qui
rejoint sur plusieurs points celle dégagée par la jurisprudence française. Ainsi, l’article 51 de ce règlement
précise qu’on entend par « information privilégiée, une information non publique, précise, concernant un ou
plusieurs émetteurs, une ou plusieurs valeurs mobilières, un ou plusieurs produits financiers qui, si elle était
rendue publique, pourrait avoir une incidence sur le cours de la valeur ou du produit financier concerné ».
On comprend de cette définition qu’une information privilégiée est une information précise, non
publique, qui potentiellement pourrait avoir une incidence sur le cours de la valeur.
A l’instar du droit tunisien, le législateur allemand a expressément défini l’information privilégiée
comme étant « une information qui n'a pas été rendue publique concernant soit un ou plusieurs émetteurs de
valeurs mobilières, soit des valeurs mobilières, et qui, si elle était rendue publique, serait susceptible
d'influencer de façon substantielle le cours boursier de ces titres 1161».
De même le législateur anglais a défini les informations privilégiées comme étant « des informations
qui (a) ont trait à des titres particuliers ou à un ou des émetteurs particuliers de titres ; (b) sont spécifiques ou
précises ; (c) n'ont pas été rendues publiques ; et (d) si elles étaient rendues publiques auraient
vraisemblablement un effet significatif sur le prix des titres1162 ».

De façon générale, l'information avantagée doit porter sur les perspectives d'évolutions ou sur la
situation d'un émetteur de titre, sur les perspectives de valeurs mobilières ou sur un contrat négociable. En
principe, dans le cadre d'une information protégée ce sont tous les éléments d'ordre interne qui touchent les
éléments de la société. Ce sont, par exemple, les résultats commerciaux ou financiers de cette société. Mais
aussi des événements extérieurs à la société mais susceptibles d'avoir une incidence sur les cours des titres
émis par cette dernière.
Comme exemples d'informations précises, on notera le fait de connaître le montant exacte des pertes
qui seront annoncées ou au contraire le montant exact des dividendes à verser aux actionnaires ; la
connaissance que l'on a de la signature d'un contrat, d’une opération de concentration ou de restructuration ;
l’existence de négociations internationales relatives à une opération de fusion ou de scission ou encore la
participation dans le capital d'autres sociétés.

Que l’on n’oublie pas aussi que l’information doit être privilégiée. Le privilège consiste à détenir des
informations déterminantes avant que le grand public n’en ait connaissance. Le privilège réside dans
l'antériorité de la connaissance et le nombre de ceux qui partagent l'information. Autrement dit, l'information
reste privilégiée même si le nombre des initiés augmente, dès lors que la grande partie des épargnants ou
investisseurs ne disposent pas de cette information.

Concernant le caractère confidentiel, une affaire de la commission des sanctions de l’AMF semble
confirmer que pour perdre son caractère « non public » l’information doit avoir été communiquée

1158
COURET (A), L’Europe boursière, In l’Europe juridique et financière, CDE 1991, n° 2, p. 18 ; Art. 51 du R CMF du 17 nov. 2000 ;
DELMAS-MARTY (M), Le « délit des initiés » va-t-il changer la bourse ? Rec. D. Sirey 1977, p. 92.
1159
MIDOWSKI (A), Le délit d’initié et ses dangers pour les directeurs et dirigeants de sociétés, L.P.A., 20 novembre 1996 n° 140, p. 11.
1160
Tel qu’approuvé par le Collège du Conseil du Marché Financier en date du 02 mars 2000 , visé par Arrêté du Ministre des Finances en date du
17 novembre 2000 et modifié par les Arrêtés du Ministre des finances du 07 avril 2001, du 24 septembre 2005, du 12 juillet 2006 , du 17
septembre 2008 et du 16 octobre 2009.
1161
RICHTER (D), La publicité ad hocet la répression du délit d'initié en Allemagne depuis la loi du 26 juillet 1994, Bulletin Joly Bourse,
01 mai 1997 n° 3, P. 353. Où on peut lire ce qui suit : « dans le cadre de la deuxième loi pour la promotion des marchés financiers (2.
Finanzmarktförderungsgesetz) du 26 juillet 1994, l'Allemagne a transposé en droit interne la directive communautaire 89/592 du 13 novembre
1989 concernant la coordination des réglementations relatives aux délits d'initié ».
1162
LOWE (S), Le délit d’initié : droit anglais, L.P.A., 15 juin 1994 n° 71, p 23.

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officiellement par la société concernée. Dans cette espèce, l’autorité du marché financier a admis comme date
à laquelle l’information perdait son caractère non public, le jour où un communiqué de presse officiel
concernant la baisse conséquente du chiffre d’affaires a été communiqué par la société cotée en bourse. Les
articles de presse qui portaient, sur les difficultés structurelles qui affectaient le secteur économique auquel
appartenait la société1163, les résultats et les avertissements publiés par les concurrents directs de la société,
confirmant les difficultés du secteur, ainsi que les déclarations, faites plusieurs mois auparavant, par les
dirigeants d’INFOGRAMES à propos des prévisions de baisse de résultats, ne faisaient guère perdre à
l’information son caractère non public1164.
La jurisprudence de la commission des sanctions française, qui semble judicieuse, devrait à notre sens
être reprise par le conseil du marché financier en Tunisie, le jour où il serait amené à interpréter la notion
d’«information non publique ».
Aussi, le texte de l’article 51 du règlement du CMF relatif à l’appel public à l’épargne gagnerait en
clarté s’il était modifié pour préciser qu’une information ne devenait publique que si elle était communiquée
officiellement par la société concernée. Une telle modification faciliterait l’imputation des opérations d’initié
aux sociétés cotées en bourse et à leurs dirigeants.

203- Nul doute qu’en matière de fusion, les informations privilégiées, telles que ci-dessus précisées,
semblent trouver leur terrain de prédilection. En effet, elles peuvent avoir pour objet, par exemple, le projet de
fusion, son contenu, son issue, l’identité des différentes sociétés protagonistes de l’opération ou encore la date
et les principales étapes de la fusion. Ainsi, toute information de ce genre, relative à l’opération de fusion, dès
qu’elle n’est pas rendue publique, constitue une information privilégiée. Il parait donc évident que tout
détenteur d’une information inhérente à une opération de fusion, qu’il soit dirigeant de l’une des sociétés
membres, actionnaire ou même un simple salarié, doit impérativement s’abstenir, avant l’ébruitement de
l’opération de concentration, d’intervenir directement ou indirectement dans le marché financier à la lumière
des informations dont il est le seul à en disposer1165.
Dans cet ordre d’idées, la Commission des sanctions de l’AMF estime de manière constante que la
préparation d’une opération de concentration, comme une fusion industrielle par exemple, est constitutive
d’une information privilégiée dès lors que cette information est précise1166 car « portant sur un projet
suffisamment défini entre les parties pour avoir une chance raisonnable d’aboutir »1167.

204- S’agissant de l’usage illicite de l’information privilégiée, l’intention du législateur est


évidente : ne pas effectuer de transactions dès lors qu’on est en possession d’une information privilégiée. La
réalisation d’une ou plusieurs opérations soit directement soit par personne interposée s’entend de l’ordre de
vente ou d’achat de titres de cet émetteur, avant que le public n’ait connaissance de ces informations. C’est
donc par rapport à cette date qu’il convient de se placer pour vérifier l’antériorité ou non de l’opération sans
qu’il soit nécessaire de démontrer l'existence d'une relation de cause à effet entre ces deux circonstances1168.
Ainsi, l'initié est punissable s'il réalise lui-même ou par personne interposée une opération interdite. L’abus se
consomme alors normalement par le lancement de l'ordre de vente ou d'achat, et non par son exécution. Le
profit n'étant pas un élément constitutif de l'infraction, le délit d'initié peut donc, en théorie, être réalisé en
l'absence de profit, voire en présence de perte si l'initié utilise mal son information privilégiée. L’abus
s'apparenterait ainsi à une infraction formelle puisqu'il semble se consommer indépendamment de tout résultat
préjudiciable1169. De même, l'initié est encore punissable s'il permet, directement ou indirectement à un tiers
de réaliser une opération boursière. Il est indifférent ici que le tiers réalise effectivement ou non l'opération,

1163
Industrie des jeux vidéo.
1164
BONNEAU (TH), Note sous Sanct. AMF, 29 mars 2007, Dr. Soc, n° 11, novembre 2007, p 31.
1165
TILQUIN (T), op.cit., p 433, n° 643.
1166
V. à ce sujet JEANTIN (M), Note sous C.A. Paris, 26 mai 1993, Bull. Joly Bourse, 1993, p. 579, n° 110 ; BONNEAU (TH), Note sous C.A.
Paris, 1ère ch., sect. H, 1CV avril 2003, Dr. Soc.. juillet 2003, p. 30 ; DAIGRE (J-J), Bull. Joly Sociétés, 2003. p. 1054, n° 223 ; BONNEAU
(TH), Note sous Sanct. AMF, 29 mars 2007, Dr. Soc, n° 11, novembre 2007, p 31-32, n° 203 ; BOUTHINON-DUMAS (H), Note sous Sanct.
AMF, 7 février 2008, Bull. Joly Bourse, 2008, p 224 et s., n° 25.
1167
ROCH (G), Note sous Sanct. AMF 1re sect., 22 mai 2008, Clermont-Tonnerre et autres, Bull Joly Bourse, 01 décembre 2008, n° 6, p. 454.
1168
C.A. Paris, 23 janv. 1996, Gaz. Pal. 1996, 1, 200, obs. Y. Jobard.
1169
STASIAK (F), Le délit d'initié mis en scène, L.P.A., 18 juin 2008, n° 122, p. 40.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

l'initié doit simplement lui fournir le moyen de le faire : c'est d'ailleurs la seule fourniture de ce moyen qui
consomme l’abus. Le texte ne fournissant aucune indication à cet égard, tous les moyens peuvent être
appréhendés, y compris le simple conseil ou la simple recommandation émanant de l'initié.
S'agissant des auteurs de l’abus, la loi prévoit large pour fermer à l'initié une échappatoire trop facile.
La loi incrimine les opérations faites par les initiés eux-mêmes mais aussi celles réalisées pour leur compte par
des personnes interposées. Dans les deux cas, qu'il agisse directement ou indirectement, l'initié reste l'auteur
principal du délit.

205- Faut-il rappeler enfin que l’article 81 ne limite pas le champ des délits d’initié aux opérations
effectuées sur le marché. On peut penser alors que les opérations réalisées de gré à gré peuvent aussi être
considérées comme constitutives de l’abus.
Quoique souhaité par certains auteurs1170, qui estiment que délimiter le champ d’application du délit au
marché uniquement encouragerait des infractions portant atteinte au principe de l’égalité de l’information dans
le cadre de cessions directes ; on pense, avec d’autres auteurs1171 que cet élargissement va à l’encontre des
objectifs de la lutte pénale contre les opérations d’initié. En effet, les opérations réalisées en dehors du marché
ne portent pas atteinte au bon fonctionnement du marché, à l’épargne publique ou encore à l’ordre public
boursier. Leur sanction sur le terrain administratif devrait largement suffire1172.

206- Dans cet esprit d'extension du domaine de l’abus du marché, la loi a été encore plus loin en
condamnant aussi des comportements parallèles au délit d’initié.

-§2- : Appréhension des autres formes d’abus du marché au sein


des procédés de concentration

207- Concernant l’abus de communication, il suffit que l’initié communique des informations
privilégiées hors du cadre professionnel, peu importe que ces dernières ne soient nullement utilisées par leur
bénéficiaire1173, pour que l’abus soit consommé. Ainsi, l’initié simplement trop bavard est punissable parce
qu’il permet, par ses propos inconsidérés, à d’autres de tirer profit de ce qui est encore secret1174. On observera
du reste que, ni l'intention spéculative, ni la réalisation d'un gain ne sont des éléments constitutifs de l’abus,
par contre elles sont prises en compte pour la détermination de la sanction. Il s’agit ainsi, pour résumer, d’une
obligation au secret en matière boursière, permettant de sanctionner la seule révélation d’informations
privilégiées par un initié1175. Sous cet angle, l’abus de communication comble un vide, car il n’était pas
possible jusqu’alors, a priori, de poursuivre l’initié qui s’était contenté de communiquer une information
privilégiée à un tiers qui ne l’avait pas utilisée, par la suite, pour réaliser une opération sur le marché1176.
L’élément matériel de l’infraction est donc simple : il s’agit de l’unique fait, pour un initié, de transmettre une
telle information1177. Le texte ne contenant aucune précision sur la manière dont s’opère cette communication,
elle demeure punissable, à l’image de la violation du secret professionnel1178, quel que soit le moyen utilisé
pour la réaliser : parole, écrit, etc. Cependant, il faut préserver la communication dans les sociétés. En

1170
V. notamment, JEANDIDIER (W), Droit pénal des affaires, Précis Dalloz, 2ème Ed., 1996, n°115 ; DUCOULOUX-FAVARD (C), Droit
pénal des affaires, Masson, 2ème Ed., 1993, p 171.
1171
V. notamment DE VAUPLANE (H) ET DENOUN (C), Les justifications de la lutte pénale contre les opérations d’initié, LPA, 28 mars 1994,
p. 4 ; HOVASSE (H), note sous Cass. Com., 18 juin 1996, Droit des sociétés, 1996, n°182.
1172
Ibidem.
1173
DE VAUPLANE (H) ET SIMART (O), Délits boursiers : propositions de réforme, RD bancaire et bourse, 1997, n° 61, p. 93 ; C.A. Paris, 16
mars 1994, JCP éd. E 1994, II, 605, note Th. Forschbach et F. Leloup.
1174
DUCOULOUX-FAVARD (C), Infractions boursières, J. Cl. banque et bourse 2001, fasc. 1600, p. 20.
1175
CARREAU (D) ET MARTIN (J-Y), Le secret boursier, Dr. prat. com. int., 1990, p. 42 ; RONTCHEVSKY (N), Liberté d’expression et
délits boursiers, Bull. Joly Bourse, 2001, p. 211, n° 42.
1176
CAPDEVILLE (J-L), Le délit de communication d’une information privilégiée : vingt ans après, Bulletin Joly Bourse, 01 février 2009 n° 1,
p. 69.
1177
Bien évidemment, le simple fait de détenir des informations privilégiées n’est pas suffisant pour constituer l’abus.
1178
CAPDEVILLE (J-L), Le secret bancaire : étude de droit comparé (France, Suisse, Luxembourg), Ed. PUAM, 2006, n° 470 et s.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

conséquence, ne tombent pas sous le coup de l'interdiction légale toutes les communications d'informations
faites dans un cadre purement professionnel, comme par exemple à l'occasion d'une réunion des dirigeants de
différentes sociétés en cours de négociation. Le législateur a entendu punir les divulgations dépassant le cercle
restreint des initiés.
Plus précisément, une lecture a contrario de l’alinéa 5 de l’article 81 de la loi du 14 novembre 1994
permet d’affirmer que la communication d’une information privilégiée est autorisée dès lors qu’elle rentre
dans le cadre normal de la profession ou des fonctions de la personne qui effectue la communication. Sur ce
point, on peut penser qu’un dirigeant préparant une opération de fusion ou le lancement d’une offre publique
qui communique une information privilégiée à un banquier ou à un avocat, chargés de réaliser l’opération, agit
dans le cadre normal de ses fonctions. De même, on peut penser qu’il soit normal que ce banquier ou cet
avocat communique à son tour l’information privilégiée à un associé ou à un collaborateur.
Pour déterminer ce qui rentre dans le « cadre normal de sa profession ou de ses fonctions » et ce qui
n’en fait pas partie, il semble que l’identité du destinataire de la communication soit primordiale. Par
l’adoption de cette conception, le législateur a voulu limiter l’information privilégiée à un cercle restreint de
professionnels. La communication d’informations privilégiées est donc possible et légale au sein d’une équipe
de travail préparant, par exemple, une opération de concentration. Cette équipe peut comporter des dirigeants,
des banquiers, des avocats et autres conseils, intermédiaires ou partenaires…1179. Ainsi, l’identité du
destinataire de la communication est essentielle. La communication d’informations privilégiées au sein d’une
équipe de travail préparant une opération de concentration ne devrait pas poser de problème quant à sa
légalité.

Pour un courant doctrinal1180, l’abus de communication, comme le délit d’initié, n’exigerait aucun
élément intentionnel. On serait ainsi en présence d’un délit « matériel », c’est-à-dire une infraction constituée
en l’absence, non seulement de toute faute intentionnelle, mais encore de toute faute d’imprudence ou de
négligence1181.
Rechercher systématiquement l’élément moral dans la caractérisation des abus du marché serait un
frein non négligeable à l’efficacité de l’action de l’autorité de régulation. En effet, réprimer les abus du
marché se heurte à des difficultés de preuve qu’accentuerait significativement la recherche mécanique d’un tel
élément. D’ailleurs, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE), elle-même, l’admet dans son
interprétation de la finalité de la directive « abus de marché ». Pour la CJUE, « le législateur communautaire a
opté pour un mécanisme de prévention et de sanction administrative des abus du marché dont l’efficacité
serait atténuée s’il était conditionné à la recherche systématique d’un élément moral »1182.
Dans cet ordre d’idées, le simple fait d’avoir déjeuné avec la personne mise en cause, quelques heures
avant les premières interventions de cette dernière sur le titre d’un émetteur, dont la prise de contrôle avait de
grandes chances d’aboutir, ne suffit pas à établir qu’un associé gérant d’une société de conseil en fusions
acquisitions aurait transmis l’information privilégiée en cause1183. Pour que l’abus soit pleinement constaté, un
simple déjeuner demeure insuffisant, encore faut-il qu’il y ait réellement communication.
Cet abus, qui a été perçu comme une sorte de délit-obstacle1184, destinée à éviter la commission du
délit d’initié, demeure incontestablement très proche de ce dernier. Tout d’abord, les deux abus sont prévus
par le même article. Ils visent, ensuite, les mêmes « initiés », qu’ils soient primaires ou secondaires. Enfin, ils
portent, tous les deux, sur des informations qualifiées de privilégiées. Il n’est donc pas surprenant de noter que

1179
RONTCHEVSKY (N), Liberté d’expression et délits boursiers, Bull. Joly Bourse, 2001, p. 211, n° 42.
1180
BONNEAU (T) ET DRUMMOND (F), Droit des marchés financiers, 3e édition, Economica, 2010, n° 497 ; COURET (A), LE
NABASQUE (H), COQUELET (M-L), GRANIER (TH), PORACCHIA (D), RAYNOUARD (D), REYGROBELLET (A) ET ROBINE (D),
Droit financier, Dalloz, 1ère éd. 2007 , n° 1555 ; VERON (M), op. cit. n° 369 ; ROBERT (J-H) ET MATSOPOULOU (H), Traité de droit pénal
des affaires, éd. PUF, 2004, n° 279.
1181
DE VAUPLANE (H) ET SIMART (O), Délits boursiers : propositions de réforme, Art. pré., p 93.
1182
TORCK (S), Note sous CJUE, 23 décembre 2009, n° aff. C45/08, Spector Photo Group NV, Chris Van Raemdonck c/ CBFA, Bull. Joly
Bourse, 01 mars 2010 n°2, p. 92.
1183
LAPRADE-FRANK (M), Retour du délit de « dîner en ville », Bulletin Joly Bourse, 01 février 2009 n° 1, p. 10
1184
JEANDIDIER (W), Droit pénal des affaires, éd. Dalloz, 2005, 6e éd., n° 128.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

certains auteurs voient la communication d’informations privilégiées comme une application particulière du
délit d’initié1185 .

208- L’article 81, ci-dessus mentionné, condamne également, sous le chef de l’abus de marché1186,
toute manœuvre ayant pour objet d’entraver le fonctionnement régulier du marché ou d’induire autrui en
erreur1187. Il en est de même de toute propagation d’informations fausses ou mensongères pouvant induire le
public en erreur et permettre aux auteurs de l’abus de profiter sur le marché financier de gains pécuniaires
souvent excessifs et injustifiés.
La condamnation du même abus, relatif à la propagation d’informations mensongères, au sein de
l’article 438 CSC1188 inhérent aux opérations de fusion, scission et transformation témoigne certainement de la
gravité de l’abus et de ses conséquences fâcheuses à bien des égards, surtout en matière de concentration.

209- Pour mettre en exergue l’importance de l’abus de marché en matière de concentration, il


semble permis de citer des espèces assez proverbiales qui ont fait la fortune d’une dizaine de personnes en
1999 à la bourse de Paris. Il s’agit d’un journaliste, un écrivain, un cadre supérieur de la Société Générale, des
dirigeants de « Carrefour » et quelques particuliers soupçonnés d’avoir commis un abus à l’occasion de la
fusion « Carrefour-Promodès » officialisée le 30 août 19991189. En effet, il parait que ces derniers ont raflé,
quelques jours avant la fusion « Carrefour-Promodès », plusieurs milliers d’actions « Promodès ». En achetant
ces titres à environ 700 euros (4 600 F) l’unité, entre le 25 et le 27 août 1999, pour les revendre les 30 et 31
août autour de 840 euros l’unité, ces bienheureux ont réalisé une plus-value de quelque 20%. Plusieurs
dirigeants de Carrefour, via une assistante de direction, auraient ainsi ramassé 6 650 titres « Promodès », leur
permettant de dégager, en un temps record, un bénéfice global de plus de 6 millions de francs1190. L’écrivain
qui aurait, pour sa part, raflé un peu plus de 1 000 titres, aurait engrangé une plus-value supérieure à 1 million
de francs. Quant au journaliste, il a visiblement manqué d’audace : n’ayant acheté que 25 actions, il a dû se
contenter d’un gain de 25 000 F, pour une mise de fonds initiale de 139 400 F. Dès le 3 septembre, la COB,
inquiétée des mouvements tout à fait inhabituels qui ont eu lieu sur le titre Promodès les 25, 26 et surtout 27
août, où 120 000 actions ont été échangées, ouvre une enquête. Ses conclusions prouvent bien que des abus de
marché ont été commis dans les jours précédant la fusion1191.

1185
Lamy droit pénal des affaires, éd. Lamy, 2007, n° 1361 ; STASIAK (F), Droit pénal des affaires, éd. LGDJ, 2005, p. 252 ; DUCOULOUX-
FAVARD (CL), Infractions boursières. Délits et manquements boursiers, J.-Cl. Banque et crédit, v. fasc. n° 1600, 2006, n° 82 ; Dict. Joly Bourse,
v. « Infractions boursières. Délits et manquements et fautes disciplinaires », par Cl. Ducouloux-Favard, 2005, n° 129.
1186
L’appelation « abus de marché » n’existe pas en réalité dans la loi c’est plûtot une notion doctrinale.
1187
Aucune description, définition, précision ou mention des manipulations de marché n’est prévue par le règlement général du CMF relatif à
l’appel public à l’épargne. Assurément, on peut s’étonner d’un tel oubli car les manipulations de marché sont une forme d’abus très graves.
D’ailleurs, signe de l’importance de la répression de ces manipulations, le règlement général de l’AMF les définit avec un soin particulier et avec
beaucoup de détails qui sont de nature à conférer plus d’efficacité à l’action de l’AMF. Il en est ainsi, du fait de réaliser des opérations ou
d’émettre des ordres soit qui donnent ou sont susceptibles de donner des indications fausses ou trompeuses sur l’offre, la demande ou le cours
d’instruments financiers soit qui fixent par l’action d’une ou de plusieurs personnes agissant de manière concertée, le cours d’un ou plusieurs
instruments financiers à un niveau anormal ou artificiel. D’ailleurs, les articles 631-1 et 631-2 du règlement général de l’AMF s’avèrent
particulièrement précis sur les éléments permettant de distinguer les manœuvres qui représentent des manipulations et celles qui ne le sont pas.
Ensuite, l’article 631-2 du règlement général de l’AMF établit une liste non exhaustive de sept éléments d’appréciation de ces pratiques par
l’AMF, sans que ces éléments constituent en eux-mêmes une manipulation de cours. Au final, la description faite des manipulations de cours par le
règlement général de l’AMF est exhaustive et couvre un grand nombre de comportements. La précision de cette description étant de nature à
faciliter la caractérisation des manquements de manipulation de cours par l’autorité administrative de contrôle des marchés. D’ailleurs, en
définissant le manquement de diffusion de fausses informations le règlement général de l’AMF a fait preuve d’une précision similaire. En
définitive, on peut affirmer que le caractère complet du règlement général de I’AMF qui s’étend à force de détails sur les actes qui constituent des
manquements boursiers est de nature faciliter la tâche de la commission des sanctions et à conférer à son action une efficacité certaine. Au
contraire, le règlement du CMF relatif à l’appel public à l’épargne ne fait aucunement référence aux manipulations de marché compliquant ainsi
l’action du Conseil qui devrait faire face à des difficultés liées à l’interprétation des textes de son règlement général. V. RONTCHEVSKY (N),
Révision des délits et manquements boursiers, Banque et droit, juillet-août 2006, p. 17.
1188
L’article 438 CSC puni « toute personne ayant fourni des informations fausses ou fictives ayant influencé la réalisation des opérations de
fusion, scission ou transformation ».
1189
C’est ce que révèle la Commission des opérations de Bourse (COB) dans un rapport - dont L’Express a eu connaissance - transmis en juillet
dernier au parquet de Paris. Du coup, celui-ci a ouvert, au début d’août, une information judiciaire contre X pour abus de marché, complicité et
recel, confiée au juge Philippe Courroye. Le magistrat, qui a l’habitude de mener ses enquêtes au cordeau, n’a pas procédé à des mises en examen.
1190
C’est l’équivalent de 1 million d’euro presque (914694.1 E).
1191
Dans la dernière semaine d’août 1999, les accords sont finalisés dans le plus grand secret. Aux termes de ceux-ci, la fusion s’effectuera sous la
forme d’une offre publique d’échange (OPE) lancée par Carrefour sur Promodès. La nouvelle doit être rendue publique au début de septembre. Le

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Aussi, ces vingt dernières années de nombreux scandales financiers ont éclaté au sein de groupes de
sociétés internationaux. L’abus du marché était au cœur de ces scandales qui ont entraîné la chute du cours des
valeurs concernées. L'affaire « Pechiney » en 1988 représente un des plus importants scandales financiers. A
cette époque « Pechiney » envisageait une OPA sur une société américaine « TRIANGLE » cotée sur la place
de New York. A l'époque « Pechiney » était encore une société nationalisée. Des hommes d'Etat ayant étaient
mis au courant de l'opération en ont profité pour faire un délit d'initié1192.
Récemment en 2009, Un ancien patron en Asie de la banque d'affaires américaine « Morgan Stanley »
a été condamné à Hong Kong à 7 ans de prison, soit la peine maximale, pour abus de marché dans le cadre
d'une acquisition à l'étranger par une entreprise chinoise. M. Du Jun, ancien directeur général chez « Morgan
Stanley » en Asie, a également été condamné à une amende de 23,3 millions de dollars de Hong Kong. Soit
environ 2 millions d'euros. Selon la justice, M. Du avait joué de sa position pour effectuer des transactions de
titres au sein de « CITIC Ressources », une filiale du géant chinois « CITIC Group », pour un montant de 87
millions de dollars de Hong Kong (7,65 millions d'euros). M. Du, qui conseillait alors « CITIC » sur des
acquisitions de champs pétroliers au Kazakhstan et dans le nord-est de la Chine, avait réalisé une plus value de
33,4 millions de dollars de Hong Kong (près de 3 millions d'euros), l'action ayant grimpé à la suite de
l'annonce de ces acquisitions. "L'ampleur de cette affaire est sans précédent. Cette affaire est la plus grosse
que j'ai eu à connaître", a déclaré le juge Andrew Chan, en rendant son verdict1193.

210- Pareillement, le délit de manipulation des cours, qui consiste à acheter ou vendre massivement
un titre dans le but de lancer ou d'arrêter une tendance sur la valeur du même titre, est une pratique très
courante en matière de concentration, surtout entre les sociétés d’un même groupe1194. Un exemple-type peut-
être emprunté à la bourse française. En l’espèce, la société « Fideuram Wargny », prestataire de services
d’investissement procédait à l’exécution d’ordres émanant du dirigeant de la société « Deveaux » qui lui
demandaient de procéder à d’importants rachats de titres de cette société, tant par cette dernière que par sa
société mère. Celle-ci rétrocédait ensuite les titres acquis à sa filiale. La finalité de ces opérations était de faire
remonter le cours de l’action, afin de restituer la valeur réelle du titre de la société. La Cour d’appel de Paris
confirme la condamnation du dirigeant de la société Devaux pour manipulation de cours en caractérisant tant
les éléments matériels que l’élément moral du délit1195. La Cour déclare aussi la société « Fideuram Wargny »
pénalement responsable de l’infraction de manipulation de cours1196. En l’occurrence, une conversation
téléphonique a révélé que le dirigeant de cette société avait conscience d’exécuter ces opérations pour «faire
remonter les cours». Les juges ont considéré donc que la dite société a joué un rôle actif dans les opérations
reprochées, en ayant conscience de leur finalité véritable.

La même pratique intragroupe est assez usuelle à la bourse tunisienne. On a vu par exemple
récemment, plusieurs transactions de blocs sur le titre « SOMOCER », portant sur 7,4 millions de titres, soit
30% du capital de l’entreprise, pour une valeur totale de plus de 22 millions de dinars. Il s’agirait
essentiellement de la cession par un des actionnaires de la totalité de sa participation dans ladite société à un
autre groupe privé à un prix moyen convenu. Afin d’atteindre le prix cible, des opérations d’achats et de vente
ont été sciemment orchestrées. Cette opération serait d’ailleurs relativement courante sur le marché boursier
tunisien. Ainsi, lorsque l’actionnaire entend céder sa participation en bloc à un prix convenu avec l’acheteur et

28 août, Le Figaro révèle l’OPE. Du coup, en toute hâte, les états-majors des deux groupes sont contraints d’annoncer leur union le 30 août.
« Ainsi, ce cadre supérieur de la Société générale, gérant de fonds communs de placement (FCP), a raflé 1 700 actions Promodès pour quelques-
uns de ses clients. Il les a cédées trois jours plus tard, permettant à ces derniers de réaliser un gain total de plus de 1,5 million de francs. Il n’a pas
non plus oublié l’un de ses clients célèbres, l’écrivain flamboyant pour le compte de qui il ramasse 400 actions Promodès. Résultat : une plus-
value de 62 400 euros (environ 400 000 francs). Dans la foulée, notre auteur, via une société de gestion dont il est l’animateur, rafle encore plus
de 600 titres. Et réalise une nouvelle plus-value, cette fois de 102 990 euros (plus de 650 000 francs). Certains dirigeants de Carrefour et le
journaliste - pour des broutilles, certes - on l’a vu, ne sont pas en reste ». V. L’EXPRESS, «Révélations sur un délit d’initié», 16/11/2000.
1192
BAILLET (F), Les délits et manquements d'initiés : état de la réglementation, Gaz. Pal., 07 septembre 2006 n° 250, p. 4 ; RONTCHEVSKY
(N), Délit d'initié : l'affaire Péchiney devant la Cour de cassation, Bulletin Joly Bourse, 01 mars 1996 n° 2, P. 120.
1193
Internet.
1194
Le délit de manipulation des cours apparait lorsqu’une personne exerce ou tente d'exercer, directement ou par personne interposée, une
manœuvre, parfois prenant la forme d’interventions sur le marché de la valeur, afin d’induire en erreur les autres investisseurs.
1195
Art. L. 465-2, al.1 du code monétaire et financier français.
1196
Art. L. 465-3 du code monétaire et financier français.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

qui serait plus important que le cours de l’action à cette date, ceux-ci provoquent des demandes sur le titre
jusqu’à atteindre le cours objectif pour permettre la finalisation de la vente de bloc. Ces manipulations seraient
justifiées par le souci de détourner la réglementation du marché financier qui oblige à ce que la cession de
bloc soit réalisée au cours du marché1197.
Ces opérations devraient être considérées comme étant des manipulations de cours. En effet, à cause de
ce genre d’opérations des petits porteurs, intrigués par ces mouvements et par l’évolution des cours, peuvent
être induits en erreur et amenés à acquérir le titre à un cours qui ne correspond pas forcément à la situation
réelle de l’entreprise.
Le législateur aurait dû anticiper ces difficultés et énoncer certains exemples de pratiques assimilables
à des manœuvres pouvant caractériser une manipulation des cours. Une liste indicative serait la bienvenue afin
de guider les autorités judiciaires désirant mettre en œuvre des poursuites et réduire les incertitudes inhérentes
à ce type de procédure.

211- Bizarrement, et contrairement à la pratique boursière internationale, on n’a jamais observé,


parait-il, d’abus de marché devant la justice tunisienne. Pourtant le dispositif est là, il existe déjà. D’autant
plus que le CMF a créé une cellule de surveillance du marché qui le contrôle quotidiennement. Quand cette
cellule relève des anomalies pouvant constituer des abus boursiers, elle déclenche des inspections afin de
vérifier l’existence et l’origine des agissements illégaux. La lecture des rapports du CMF de 1999 et 2000 fait
état de quelques enquêtes mais aucun délit d’initié ni de manipulation de cours n’ont été prouvés. Pourquoi
n’y a-t-il jamais eu de poursuites alors ?
Est-ce le souci de protéger l’image de la bourse tunisienne ? Mais, dans ce cas, c’est l’effet contraire
qui est atteint. Quand des infractions sont détectées et sanctionnées cela prouve l’efficience du système. Ce
qui ne peut que soutenir l’image du marché.
Est-ce alors par manque de moyens ? Il est permis d’en douter. En effet, en vertu des articles 37 et 39
de la loi du 14 novembre 1994, le CMF possède un large pouvoir d’enquête et de sanction qui est pénalement
protégé1198.
On pourrait cependant trouver une explication dans l’opacité régissant le fonctionnement de l’Etat
dictatorial antérieur à la révolution du 14 janvier 2011. Ce n’est donc pas vrai qu’il n’ya jamais eu d’abus de
marché en Tunisie. Bien au contraire les abus se comptent par dizaine, voire plus. Ce qui a bloqué le
processus de révélation, semble-t-il, est l’identité des fauteurs qui sont généralement des proches ou amis de
l’ex-famille au pouvoir.
Pour défendre cette hypothèse, il suffit de citer l’identité des accusés impliqués dans ce qui sera peut-
être la première affaire d’abus de marché à être portée devant les tribunaux tunisiens : le président déchu et
des membres de sa famille.
Dans cette affaire, la compagnie aérienne « Tunis-air » a, en août 2009, cédé la totalité de ses
participations dans la banque UIB (2,2 millions d’actions) au prix de 14,5 dinars l’action pour un montant
total de 32,842 millions de dinars. L’intermédiaire en bourse qui s’est chargé de la transaction « MAC SA »,
n’a pas, à l’époque, indiqué le nom de l’acheteur. Après cette vente, au début du mois de septembre une série
de transactions fictives de bloc sur la Bourse portant sur un grand nombre d’actions de l’UIB, furent
observés1199. Ces transactions importantes dont on ne connaissait pas les acteurs, n’ont suscité aucune réaction
officielle sur l’identité des acheteurs et des vendeurs. Très rapidement le titre de l’UIB a, à l’époque,
soudainement pris de la valeur passant en quelques jours de 14,6 dinars à 17,8 dinars. Les acheteurs des titres
de la compagnie « Tunis-air » ont alors vendu les titres achetés. La plus-value est montée rapidement à plus de
sept millions de dinars en quelques jours. Il s’est avéré ensuite que les trois acheteurs étaient des proches de
l’ex-famille au pouvoir et une entreprise appartenant à des enfants de l’ancien président1200. Ils ont tous acheté

1197
EL OUDI (O), Bourse : Action Somocer, manipulations de cours pour des transactions de blocs ?, www.webmanagercenter.com 03 Octobre
2011, http://finance.webmanagercenter.comlarticle-111024- tunisie-bourse-action-somocer-manipulations-de-cours-pour-des-transactions-de-blocs
1198
Ces moyens seront étudiés dans la deuxième partie. V. infra. n° 762 et s.
1199
BAHLOUL (N), UIB : les transactions se suivent et se…ressemblent, 9/9/2009, http://www.businessnews.com.tn/detai_article.php?t =520
18913 &temp 1 &lang&w=.
1200
BAHLOUL (N), Affaire des 7 MDT de plus value de la vente des actions de 1’UIB : comment Ben Ali a procédé ?, 5/5/2011,
http://www.businessnews.com.tn/detail_ article.php?t=520&a=2465 5&temp =1 &lang.

Page 166
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

les actions au prix de 14,5 dinars l’action via un compte ouvert spécialement à l’ATB qui leur a accordé un
crédit-relais1201. Ils les ont vendus, ensuite, à 17,8 dinars l’action ! Nul doute que les prochains mois
apporteront leur lot de révélations et poursuites.

212- Certes, la spoliation peut paraître colossale ; mais, en réalité, quelque soit l’ampleur des abus de
marché en matière de concentration, leurs conséquences néfastes ne peuvent aucunement égaler celles
générées par des abus de droit en matière fiscale qui portent atteinte grièvement et directement aux avoirs du
trésor public1202.

Section Deuxième : L’abus de droit, en matière fiscale,


à l’aune des procédés de concentration

213- Chacun reconnait la nécessité d’une bonne gestion financière, commerciale, comptable ou
encore sociale. Elle conditionne la croissance, voire la survie des entreprises. On doute, en revanche, qu’il
puisse y avoir une bonne gestion fiscale : certains la récusent au nom du fatalisme fiscal, d’autres la
réprouvent, la confondant, tout bonnement, avec la tricherie fiscale. Les plus avisés, par contre, la pratiquent.
Ils ne sont ni des fatalistes, ni des tricheurs, mais, tout simplement, de bons gestionnaires1203.
Comme le « bonus pater familias » du droit civil1204, ou comme l’entrepreneur avisé et le mandataire
loyal du droit des sociétés1205, le contribuable éclairé doit, lui-aussi, gérer la fiscalité au mieux de ses intérêts,
profitant de la sorte du « libéralisme » du droit fiscal. Cette législation, dans bien des cas, laisse souvent le
choix entre différentes solutions envisageables. « Là comme ailleurs, il est de bons choix et de mauvais
choix 1206». Tout cela pour dire que la fiscalité n’est pas une fatalité ou un « destin incontournable ». Elle est,
aux dires du professeur Cozian, un simple jeu subtil d’options1207. Celles-ci constituent l’œuvre unique du
législateur qui n’a jamais exigé qu’entre plusieurs solutions envisageables il fallait choisir la plus imposée. La
logique et le bon sens indiquent, au contraire, que la voie la moins imposée est toute aussi légitime que
naturelle. Il ne s’agit là que d’une application, pure et simple, de l’important principe de la liberté de gestion
de l’entreprise, communément appelé, le principe de non immixtion de l’administration fiscale dans la gestion
des entreprises privées ou encore le principe de la liberté de gestion fiscale1208.

Avant d’analyser les éléments constitutifs de l’abus de droit, en matière fiscale, à l’aune des procédés
de concentration des sociétés (Sous-section deuxième) ; il sied de préciser les contours du principe de la
liberté de gestion fiscale dans les mêmes procédés (Sous-section première).

1201
BAHLOUL (N), Zine El Abidine Ben Ali aurait réussi une plus value de 7 MDT suite à la cession par Tunis air de ses actions dans l’UIB !,
04/05/2011, http://www.businessnews.com.tn/details_article.php?t=520&a=24639&temp=1&Iang=#2.
1202
MSEKNI (H), La pression fiscale, I. J., n° 80/81, Décembre 2009, p 6.
1203
COZIAN (M), Les grands principes de la fiscalité des entreprises, 2ème éd., LITEC, 1984, Paris, n° 1, p 22.
1204
Le bon père de famille.
1205
V. art. 198 CSC.
1206
COZIAN (M), Op.cit., p 22.
1207
Ibidem ; V. aussi ZAKRAOUI (S), La gouvernance fiscale en Tunisie, I.J., n° 112/113, Mai 2011, p 8.
.43 ‫ ص‬،2003 ،H P ‫ د ا‬# ‫ ا‬،6+ 3 ‫ ء و ا‬F ‫ ا‬، ‫ ا دارة ا‬، "‫ ا‬7 ‫ ا‬1 D 1208

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Sous-section Première : Le principe de la liberté de


gestion et les procédés de concentration
214- Le principe de la liberté de gestion des entreprises est un thème de débat très ancien. Il est
même, d’après le professeur Bernard Plagnet, un thème de polémique fort intéressant, voire passionnant1209.
Tous les enseignements de droit fiscal affirment, à cet égard, que l’administration fiscale ne peut s’immiscer
dans la gestion des entreprises. Les praticiens prétendent, au contraire, que les empiétements sont constants et
constituent certainement une des causes des difficultés rencontrées par certaines entreprises. Qui croire, alors,
et qui a raison ? Le professeur Plagnet y répond, avec beaucoup de sagesse, en disant que « la vérité se trouve,
sans doute, un peu des deux côtés… comme l’écrirait, dit-il, un juriste forcément prudent1210 ». Le principe de
la liberté de gestion de l’entreprise est incontestable quant à son affirmation et son application1211. Il est, en
effet, consacré depuis longtemps par la jurisprudence française1212 qui semble avoir inspiré notre juge. Celui-
ci n’a pas hésité, à son tour, à défendre et à appliquer un tel principe en droit fiscal tunisien1213.

Partant de ce principe, les dirigeants sont juridiquement libres de conclure les actes juridiques de leur
choix1214. Le droit fiscal ne saurait restreindre leur liberté. Il tire simplement toutes les conséquences qui en
résultent au regard des différents impôts. C’est dans cette optique qu’on parle de « choix fiscaux » des
contribuables. Pour ne prendre qu’un exemple, toute personne désireuse d’exercer une activité commerciale
peut, en toute indépendance et en toute liberté, créer une entreprise individuelle ou une entreprise sociétaire et,
parmi les différents types de sociétés, adopter celui qu’elle estimera le mieux convenir à la réalisation de son
projet1215. Autrement dit, les dirigeants de l’entreprise sont les maîtres de sa gestion1216. Ils en supportent, le
1209
PLAGNET (B), La non-immixtion de l’administration fiscale dans la gestion des entreprises, B.F., Francis Lefebvre, 11/99, Chron., p 687.
1210
Ibidem.
1211
Le principe de la liberté de gestion de l’entreprise demeure sur le plan légal d’affirmation implicite. En effet, il peut être rattaché à plusieurs
textes, parmi lesquels on peut citer, à titre indicatif, les articles 4, 7 et 8 de la constitution tunisienne ainsi que son préambule. Il peut être rattaché
aussi à l’article 242 COC. Le dit-principe peut être enfin déduit du principe de la liberté du commerce et de l’industrie ainsi que du droit d’option
dont dispose le contribuable en matière fiscale. V. à ce propos, MANOUBI FERCHICHI (M), Le principe de la liberté de gestion de l’entreprise,
Mémoire de Mastère spécialisé en droit fiscal, p 1 et s. V. aussi KOURDA (Z), Les choix fiscaux du contribuable en matière d’impôt sur le
revenu, I. J., n° 86/87, Mars 2010, p 18.
1212
En droit français, le conseil d’Etat a rendu un arrêt de principe en date du 7 juillet 1958 où il affirmé clairement qu’« … Il appartient dans
chaque cas à l’administration de rapporter la preuve que le contribuable, qui n’est jamais tenu de tirer des affaires qu’il traite le maximum de
profit que les circonstances lui auraient permis de réaliser, a délibérément agi dans un intérêt commercial étranger à son entreprise… ». V. C.E.,
7 juillet 1958, n° 35977, Dr. Fisc., 44/1958, comm. 938.
1213
V. - T.P.I., Tunis, aff. n° 784, 1-7-2004, inédit :
+ ‫ أن‬M ‫ف‬S ` < ‫ و‬... !Aq ‫ون ا ا‬q3 ‫ ا‬8G ‫ ا ] ف‬+ < ‫أ‬ ‫ ھ‬+‫ ] د‬7 ‫! ت ا‬Aq ‫ " ! ا‬# ‫و ا‬ 7 ‫ أن ا أ ا س‬a " A m ] +`<‫»و‬
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- T.P.I., Tunis, aff. n° 793, 8-7-2004, inédit :
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.222 ‫ ص‬،2003 !C ‫ ت ا‬N L ،8 ‫ ا ن ا‬8G ‫ ت‬A‫ درا‬، ّ2 ‫ ( ا ر‬0‫ أ‬1214
1215
SCHMIDT (J), Les principes fondamentaux du droit fiscal, éd. DALLOZ, 1992, p 67.
1216
Les juristes ne cachent pas les difficultés qu’ils éprouvent à définir l’acte de gestion, car ils considèrent que c’est un concept plus économique
que juridique. Mais, le juriste ne doit jamais se dissimuler derrière le caractère technique d’une notion pour éviter de la définir puis de l’étudier.
Lato sensu, le vocable « gestion » signifie toute action de gérer un bien ou un ensemble de biens en vertu de la loi, d’un jugement ou d’une
convention (V. Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, Puf-Delta, Paris, 1987, Déf. Vocable « gestion », p 384). En droit de
l’entreprise et jusqu’à la fin des années cinquante, la gestion était considérée comme une simple exécution des affaires courantes. Les gestionnaires
avaient pour rôle d’administrer l’entreprise de façon plus ou moins empirique. Cette conception est totalement révolue et le terme « gestion » est
aujourd’hui synonyme de pilotage des organisations. La gestion est, en effet, « un processus spécifique consistant en activités de planification,
d’organisation, d’impulsion et de contrôle visant à déterminer et atteindre des objectifs grâce à l’emploi d’êtres humains et à la mise en œuvre
d’autres ressources », (CUYAUBERE (T) et MULLER (J), Contrôle de gestion, T I, LA VILLEGUERIN Editions, 1990, p 10). De cette

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

cas échéant, la responsabilité. Ainsi, il n’appartient pas à l’administration de se faire a posteriori le censeur de
la politique qui a été suivie, quand bien même les résultats auraient été financièrement désastreux1217. Cela
veut dire que l’administration n’a pas à « donner des leçons » aux contribuables sur la gestion de leurs
entreprises1218. Car, si selon la constitution1219, payer l’impôt est un devoir, voire une « honorable
obligation », il va sans dire que le contribuable diligent et avisé a aussi le droit de payer le moins d’impôt
possible1220. Ce droit devient une obligation pour les professionnels, avocats1221, notaires1222, experts-
comptables1223, banquiers1224, dépositaires et gérants de fonds commun de placement1225, dont la
responsabilité pour faute peut être recherchée si leur conseil n'intègre pas cette dimension fiscale1226.
Dans cet ordre d’idées, le professeur belge Victor Gothot1227 s’est exprimé brillamment, en des
phrases exhaustives mais significatives, en précisant que : « dans ce choix, je ne vois rien d’autre que la
liberté laissée aux citoyens par la loi civile et la constitution de faire tout ce qui n’est pas défendu. Et, il n’est
sûrement pas interdit d’éviter de se placer dans les conditions d’exigibilité d’un impôt. Le désir d’échapper à
l’impôt est normal. On n’imagine même guère que le contribuable ait une attitude différente ; que penserait-
on de celui qui, poursuivant un but économique quelconque, commencerait par se demander comment il doit
s’y prendre pour rendre exigible le plus gros impôt possible ? N’est-il pas naturel qu’il se pose la question
inverse ? Et en le faisant, ne se conduira-t-il pas en bon père de famille dans le sens latin du terme, c'est-à-
dire, comme un homme diligent et soigneux ? ».

définition, il est possible d’affirmer que la décision de gestion de l’entreprise est toute décision qui a trait à son fonctionnement aussi bien interne
qu’externe. Dans le cadre de la gestion interne de l’entreprise, il peut s’agir d’une décision relative aux quantités à produire, aux modèles à suivre,
aux emballages, aux méthodes de stockage, aux primes et aux encouragements à accorder au personnel, aux congés des salariés, aux sanctions
disciplinaires, au marketing et aux méthodes de vente. Sur le plan de la gestion externe de l’entreprise, une décision de gestion peut porter sur le
prix d’acquisition ou de vente, sur la quantité des biens ou des services à acquérir ou à céder, sur la date d’exécution des opérations d’achat ou de
vente, sur les garanties exigées ou fournies, l’obtention d’un crédit ou le recours à l’appel public à l’épargne, une scission ou une filialisation d’une
branche d’activité bien déterminée, une fusion absorption ou une fusion création… Dans le cas où un litige naît, la décision de gestion externe peut
bel et bien porter sur le recours à l’arbitrage ou à la justice, sur la continuation ou l’extinction du lien contractuel, sur la mise en jeu des garanties
accordées, sur les fautes de gestion et la responsabilité des dirigeants, pour ne citer que ces quelques exemples. Il ne faut pas oublier non plus que
la décision de gestion puisse être aussi bien positive que négative. Ainsi, un acte de gestion peut consister dans le licenciement d’un salarié, dans la
vente d’un produit à un prix anormalement bas ou dans l’achat à un prix remarquablement élevé. Il peut consister egalement dans l’abstention
d’agir en justice pour obliger le débiteur d’acquitter sa dette, dans la renonciation à exiger des garanties lors de l’octroi d’un crédit ou encore dans
l’oubli de dresser le protêt de non paiement lorsqu’une lettre de change revient impayée (V. OUERFELLI (A), La faute de gestion en droit fiscal,
Mémoire de DEA, Faculté de droit et de sciences politiques de Tunis, 1994-1995, p 70 et 71 ). Définie de la sorte, la gestion de l’entreprise est
qualifiée d’économique ou encore de financière chaque fois qu’elle tourne au tour d’une décision pécuniaire comme, par exemple, l’octroi d’un
crédit, l’approbation d’un emprunt, la détermination du prix de vente ou d’achat… La gestion est dite sociale si elle concerne les salariés de
l’entreprise. C’est le cas de toute décision de licenciement ou encore de retraite anticipée… La gestion peut être également commerciale si elle se
rapporte, par exemple, aux méthodes et aux moyens de commercialisation des produits de l’entreprise. Elle est enfin qualifiée de fiscale si elle a
pour but de choisir la voie la moins imposée. Ce type de gestion est défini comme étant « l’action de l’entreprise pour réduire sa charge fiscale en
réalisant une économie supérieure aux risques qu’elle peut être amenée à prendre », SERLOOTEN (P), Droit fiscal des affaires, 2ème éd.,
DELTA_DALLOZ, 2001, p 23.
1217
COZIAN (M), Les grands principes de la fiscalité des entreprises, 3ème éd., LITEC, 1996, n° 2, p 85.
1218
BORRICAND (J), La notion de fraude fiscale, JCP éd. CI, 1982, II, n° 13856, p 465 et 469.
1219
L’article 16 de la constitution tunisienne abrogée disposait que : « le paiement de l’impôt et la contribution aux charges publiques, sur la base
de l’équité, constituent un devoir pour chaque personne ».
1220
Par ailleurs, le principe de la liberté de gestion de l’entreprise doit être précisé et complété par la notion d’erreur de gestion. En effet, si
l’administration n’a pas à s’immiscer dans la gestion de l’entreprise, elle n’a pas non plus à donner de leçon au contribuable. C’est donc
reconnaître à l’entreprise un droit à l’erreur. « Chacun a le droit imprescriptible de faire de mauvaises affaires », V. C.E., 1-12-1976, Dr. Fisc.
1977, n°5, comm. 123, Concl. LAPRADE (M).
1221
Par ex., Cass. Civ. Fr., 1re, 18 déc. 2001, Bull. Joly 2002, p. 703, RTD com. 2003, p. 588, obs. Fl. Deboissy : non-indication de l'existence d'un
régime de faveur applicable à la mise en société d’une entreprise individuelle.
1222
Par ex., Cass. Civ. Fr., 2e, 12 oct. 2006, pourvoi no 05-12.835, FS P+B, JCP E 2006, 2752 : manquement au devoir de conseil juridique et
fiscal d'un notaire à l'occasion d'une transmission du fonds de commerce.
1223
Par ex., C.A. Reims, 21 janv. 2002, Bull. Joly 2002, p. 707, note C. Nouel : responsabilité de l'expert-comptable n'ayant pas informé son client
des démarches nécessaires pour se mettre à l'abri d'un redressement en matière d'imposition d'une transmission à titre gratuit de droits sociaux.
1224
Par ex., C.A. Caen, 20 juin 2002, RJF 2003, no 192 : responsabilité pour faute de l'établissement de crédit n'ayant pas attiré l'attention d'un
non-résident dont il gérait le patrimoine sur l'existence de conventions fiscales destinées à éviter une double imposition.
1225
Cass. Com. Fr., 3 avr. 2007, pourvoi no 05-21.190, FD, Dr. fisc. 2007, no 24, comm. 613 : condamnation des dépositaires et gérant de fonds
turbo à indemniser le souscripteur du préjudice résultant d'un redressement fiscal. V. pour les contentieux en responsabilité liés à l'affaire des fonds
« turbo » ; BELLOC (C), Sur la prescription des actions en responsabilité ayant pour origine un préjudice fiscal, JCP, E, 2004, p 1637.
1226
DEBOISSY (F), L’opposabilité à l’administration fiscale des montages contractuels, Revue des Contrats, 01 juillet 2007 n° 3, P. 1006.
1227
GOTHOT (V), Conférences prononcées à l’école supérieure des sciences fiscales le 3 mars 1961, reproduite In « Problèmes fiscaux
d’aujourd’hui », série n° 2, 1962, p 89.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

La fiscalité constitue, ainsi, une technique de gestion en liaison avec la gestion juridique, financière,
commerciale et comptable. La gestion fiscale est devenue non seulement un art, mais aussi une science,
presque une industrie. Le langage utilisé, en cette matière, est très révélateur. Autrefois, les juristes parlaient
modestement de la liberté du choix de la voie fiscale la moins imposée. Les gestionnaires utilisent,
aujourd’hui, un vocabulaire plus agressif : ils parlent de gestion fiscale, de stratégie fiscale, de tax-planning,
ou plus généralement d’optimisation fiscale1228. Cette gestion suppose un effort de planification et une
connaissance des textes et des techniques qui composent l’environnement fiscal1229.

215- La question qui se pose, à ce niveau de l’étude, est de savoir dans quelle mesure une opération
de concentration est-elle concernée par le principe de la liberté de gestion fiscale ? Autrement dit, l’impact
fiscal d’une opération de concentration est-il nécessairement pris en compte avant de prendre une décision
finale par le chef d’entreprise ?
La réponse à cette question ne peut-être que positive dans la mesure où la concentration, lorsqu’elle a
lieu, elle produit des effets juridiques non seulement pour les sociétés concernées mais aussi pour les tiers.
Elle emporte aussi des implications fiscales assez importantes. La concentration n'est pas une opération
fortuite. Elle a des intérêts et des répercutions sur tous les plans, essentiellement le plan fiscal.
En effet, le régime fiscal d’une opération de concentration, quelle qu’elle soit, se présente comme un
ensemble complexe de mesures offrant des choix multiples aux sociétés en présence. C'est la raison pour
laquelle les entreprises doivent préparer très soigneusement une opération de fusion, par exemple, si elles
veulent la réussir sur le plan fiscal. Cette réussite est tributaire d’une bonne gestion fiscale qui suppose que les
entreprises veillent à optimiser leurs décisions en ce domaine bien précis. La gestion fiscale des fusions, ou
autres, repose en réalité en grande partie sur l'efficience fiscale des opérations et des choix à faire. Un mauvais
choix, en matière fiscale, peut à lui seul faire échouer toute une opération de concentration.
Il est vrai que deux sociétés ne fusionnent pas, ou une société ne se scinde pas, parce que des
économies fiscales potentielles existent. Néanmoins, la décision de fusionner ou de se scinder est avant tout le
fruit d'une analyse économique et financière qui intègre à des degrés divers le paramètre de la fiscalité. Ce
paramètre ne peut jamais être complètement ignoré.
Ainsi, l’impact fiscal de l’opération de concentration envisagée est souvent décisif pour faire le choix
entre une fusion, scission, un apport partiel d’actif ou une filialisation. L’administration fiscale n’a pas, en
principe, le droit de contester un tel choix au motif qu’il lui est désavantageux sur le plan de l’impôt du. Le
principe de la liberté de gestion fiscale prévaut en matière de concentration des sociétés.

216- Erigé, à juste titre, par certains auteurs1230, au rang de « principe fondamental du droit fiscal »,
le principe de la liberté de gestion de l’entreprise permet de fixer les contours ainsi que les frontières entre la
gestion de l’entreprise et l’« interventionnisme » de l’administration fiscale guidée par son « appétit
insatiable1231 ». Un tel principe met l’accent sur un problème fort épineux concernant l’espace de liberté dont
dispose les dirigeants de l’entreprise en matière de gestion. Autrement dit, cette liberté de gestion est-elle
absolue ? Est-elle, au contraire, relative ? Et, dans ce dernier cas, quelles en sont les limites ? Certes, les
dirigeants sont libres dans leur gestion. Néanmoins, encore faut-il qu’ils agissent dans les limites légales et
réglementaires. La liberté étant « le droit de faire tout ce que les lois permettent », affirma, depuis longtemps,
Montesquieu1232.
Assurément, l’administration fiscale n’est pas un contrôleur de gestion, c’est le principe. Mais, « les
principes ne sont que des…principes ; ils appellent inévitablement des correctifs, des limites, des exceptions.
Le fisc ne saurait admettre que par une gestion fantaisiste les dirigeants laissent s’évanouir la matière

1228
L’optimisation fiscale, par définition, est la recherche, autant que possible, d.une économie d.impôt. Les contribuables, dans cette hypothèse,
respectent scrupuleusement les impératifs de la loi fiscale ; en cela, ils se distinguent des fraudeurs. L’optimisation fiscale (certains auteurs parlent
d’habileté fiscale), peut être définie comme l’emploi de procédés légaux, dans le but de minimiser la charge fiscale que le contribuable aurait
normalement supportée. La distinction entre la fraude fiscale et l’optimisation fiscale peut donc s’effectuer selon un critère de légalité. V.
COZIAN (M), op.cit., p 6 et 20.
1229
BACCOUCHE (N), Rapport introductif, La gestion fiscale, Colloque organisé par la Faculté de Droit de Sfax, I.J., n° 46/47, Mai 2008, p 15.
1230
V., en particulier SCHMIDT (J), Les principes fondamentaux du droit fiscal, Conn. du droit, Dalloz, 1992, p. 67.
1231
REZGUI (S), La responsabilité fiscale des dirigeants, RTD, 1992, p 233.
1232
FRANÇOIS (J-P) ET DE MONCLAR (R), Les commentaires sur l'Esprit des lois de Montesquieu, Institut Michel Villey, impr. 2006, p 1.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

imposable de l’entreprise 1233». Il serait chimérique de penser que cette liberté de gestion ne connaît pas de
limites. Un certain nombre de textes légaux et de règles prétoriennes viennent délimiter le champ d’action du
chef d’entreprise. Ce dernier doit, en effet, se conformer à un ensemble de règles qui sont parfois très
hétérogènes. Pareille conformité ne se passe jamais du contrôle de l’administration fiscale qui dispose, bien
évidemment, du fameux droit de vérification, de rectification et de redressement. Bref, l’administration fiscale
dispose parfois du droit de critiquer un acte de gestion et ce, soit sur le fondement de la théorie de l’acte
anormal de gestion, soit sur le « terrain glissant » de l’abus de droit1234.

217- L’acte anormal de gestion1235 est généralement perçu comme étant un péché contre une certaine
« déontologie », une certaine « morale des affaires ». D’ailleurs, le qualificatif anormal le traduit
explicitement. Il s’agit, en réalité, de tout acte mettant à la charge d’une entreprise une perte ou une dépense
non justifiée ou la privant d’un gain ou d’une recette qui devrait être, normalement, encaissée. Dans l’acte
anormal de gestion, il ne s’agit pas de remettre en cause des situations juridiques voulues par les chefs
d’entreprises, mais plutôt de vérifier que les décisions de l’entreprise ont bien été prises dans l’intérêt de celle-
ci1236. Ce droit, reconnu à l’administration, qui paraît à première vue exorbitant, trouve son fondement dans la
notion même d’entreprise dont l’objet est l’exercice d’une activité économique productrice de revenus. Dès
lors, tous les actes de gestion doivent être engagés dans l’intérêt de l’entreprise. Cela est vrai surtout pour les
dirigeants des entreprises sociétaires dont l’activité doit être dictée par l’intérêt social et non point par leur
intérêt personnel. Au fond, la théorie de l’acte anormal de gestion n’est autre que la transposition en droit
fiscal de la théorie de l’intérêt social propre au droit des sociétés1237.

Bien que la théorie de l’acte anormal de gestion soit essentiellement de nature prétorienne, elle semble
puiser son fondement juridique dans l’article 12 CIRPPIS qui dispose que « le résultat net est établi après
déduction de toutes charges nécessitées par l’exploitation… ». A contrario, toute charge qui n’est pas
nécessaire à l’exploitation ne doit pas être déduite par l’entreprise sinon cette déduction sera constitutive
d’acte anormal de gestion1238.

Ainsi, l’acte anormal de gestion constitue un moyen des plus efficaces auquel pourrait recourir le fisc
pour exercer le contrôle fiscal comme il se doit. Quant à l’abus de droit1239, il constitue la seconde « arme »

1233
COZIAN (M), op.cit., p 84.
ّ #ُ+ K N ‫ ا ] ل‬8G " ‫ ا‬K ‫ اء‬C ‫ ت‬4 # ‫ص‬SP A‫ ا‬MN ‫داء‬ L ‫ ع ا‬4 ‫" و< ` أن ا‬: 2003 ‫ ا‬1 $- ‫ ; ر ` ا‬،43 ‫(د‬3 1<@ ‫ ا‬،[ F 1 ‫ ا (ا‬$- ‫ ا‬: 6‫ُ اﺟ‬+ 1234
‫" و< ` ﺟ ع‬: 2004/7/8 $- ‫ ; ر ` ا‬،793 ‫(د‬3 1<@ ‫ ا‬،[" 1 ‫ ا (ا‬$- ‫ ا‬- ." K$ / ! l M K < a4N I$ $ ‫ دي ط‬# ‫ ا ] ف ا‬MN ‫ رﺟ‬S N
V‫ ظ‬8G i+ ‫ ا‬U N G ‫ ا‬K ‫اھ‬ +‫ ر‬$ ‫ رات‬N‫ ة ا‬N U ‫ ا‬C O 8‫ وھ‬K/+ < 6 ‫ رھ‬#A‫ ا‬8G f#F g # ‫ أن ا‬Fّ + ‫ ت ا ط اف‬N G‫ د‬U ‫ ا ﺟ ري وا‬i ‫ ار ا ظ‬7 U ‫ا‬
8G n /P$ 95‫ ر‬g # ‫ إن ا‬V K ] 6 ‫ رض‬# + ‫ ] ف‬9 $ 9 ‫ أ‬C O K/+ ‫ ت ا ! اة‬P ‫ ا‬M p 8G KF /P g # ‫او إن ا‬ F + ` <‫ و‬+ 3 ‫! ا‬G 4 ‫وﺟ د ا‬
VC U ‫ ا‬G g‫ ة ا‬+ 3 ‫! ا‬G 4 ‫ وﺟ د ا‬6 i+ ‫ ا‬U N G ‫ ا‬V‫ اﺟ‬M k ‫ وذ‬K ] ‫ و‬UO + ‫ ر‬CD ‫ ا‬4 ‫ ا‬U N g # ‫] ف ا‬$ ‫ إن‬: p ، < ‫ " ار‬$ f ‫ ا ! اة‬P ‫ ا‬M d ‫ا‬
U N +‫ ] د‬7 ‫! ا‬Aq ‫ د ا‬N‫أن ا‬ ّ ‫ف‬S ` <‫ و‬.‫ ا ! ق‬8G ‫ ا اول‬M d ‫ ا‬6 ‫ رض‬# + ‫ أو‬K ] ‫ ار‬g‫ ا‬a G g # ‫ ا‬M # ‫ ا‬M d ‫ أن ا‬U N V ‫ م ا‬$ 9 + ‫ ن ادارة ا‬G k ‫ذ‬
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.11 ‫ و‬10 ‫ ص‬،2009
1235
V. à propos de l’acte anormal de gestion LAMORLETTE (T), Les actes anormaux de gestion, Economica, 1981 ; PICARD (J-F), Les actes
anormaux de gestion, R.J.F. 1979, n° 9, p. 276, et n° 10, p. 328 ; SETTEPANI (S), Les actes anormaux de gestion : prospective juridique et
fiscale, L.P.A., 24 juillet 1985 ; FAUROUX (R), L'acte anormal de gestion, Gaz. Pal. 1980, II, Chr., p. 571 ; DAVID (C), FOUQUET (O),
LATOURNERIE (M-A) et PLAGNET (B), Les grands arrêts de la jurisprudence fiscale, Sirey, 2e éd., 1991, thème 31, p. 328. Adde J.-cl. fiscal,
fasc. 226-2, par Ch. LOUIT.
1236
SERLOOTEN (P), op.cit., n° 32, p 33 et 34.
1237
COZIAN (M), Précis de fiscalité des entreprises, 24ème éd. LITEC, 2001, n° 507, p 138.
1238
L’article 12 CIRPPIS doit être complété par l’article 8 du même code disposant que « le revenu net global servant de base à l’impôt est
constitué par l’excédent du produit brut y compris la valeur des profits et avantages en nature sur les charges et dépenses effectuées en vue de
l’acquisition et de la conservation du revenu… ». Il s’en suit que toute charge effectuée non pas pour l’acquisition et la conservation du revenu ne
peut servir comme base à la détermination du revenu net. Cela veut dire que les charges effectuées contrairement à cette finalité ne sont pas
fiscalement déductibles. Que l’on n’oublie pas aussi l’article 14 CIRPPIS qui exclut certaines dépenses du domaine de la déduction, car elles
constituent des dépenses somptuaires. Il s’ensuit que si le chef d’entreprise déduit de telles dépenses du bénéfice imposable, sa décision de gestion
sera constitutive d’acte anormal de gestion. La combinaison des articles 8, 12 et 14 susvisés, ainsi que les articles 30 et 40 CIRPPIS témoignent
incontestablement de l’existence de la théorie de l’acte anormal de gestion en droit fiscal tunisien.
1239
ESMEL-BERAUDY (P), De la spécificité de l’abus de droit en matière fiscale, Thèse de doctorat, Université de Nice-Sophia Antipolis, 2000,
n° 3, p. 2.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

qui vient renforcer l’acte anormal de gestion dans la mission dévolue à l’administration fiscale pour
s’immiscer dans la gestion de l’entreprise1240.

Sous-section Deuxième : La détermination de


l’abus de droit fiscal à l’aune des procédés de
concentration

218- Dans son sens étymologique, l’abus de droit évoque l’idée de dépassement des limites
intrinsèques dans l’exercice d’un droit. Ce concept, n'est ni une invention des fiscalistes, ni une spécificité de
la matière fiscale. Au contraire, il s’agit d’une pure création jurisprudentielle, adoucissant ce que peut avoir de
trop abrupt l'adage latin « neminem laedit qui suo jure utitur ».
On essayera, en premier lieu, de définir l’abus de droit en matière fiscale (-§1-). On relèvera, en second
lieu, son aspect protéiforme, voire polymorphe à l’aune des procédés de concentration (-§2-).

-§1- : La définition de l’abus de droit en matière fiscale

219- Si en droit civil, l’abus de droit traduit, pour ainsi dire, une « méchanceté gratuite » ; en matière
fiscale, il illustre une volonté d'échapper à l'impôt, voire de le diminuer en recourant à des montages et des
manipulations. Dans cette dernière matière, « l’abus de droit consiste à établir une convention apparemment
régulière mais qui ne correspond pas à la volonté réelle des parties dans la mesure où elle n’a été conclue
que dans le but, sinon d’échapper totalement à une imposition plus lourde, du moins d’y obvier
partiellement1241 ». Plus précisément, il s’agit d’une « volonté d’échapper à l’impôt par des procédés
juridiques artificiels, c’est un trucage réalisé par des juristes, une forme de manipulation par ceux qui
comprennent trop bien le droit fiscal…1242 ».
Partant de ces définitions, on peut soutenir, sans risque d’erreur, que « dans l’acte anormal de gestion
comme dans l’abus de droit, le contribuable ne viole aucune prescription de nature fiscale, il ne commet pas

a + a G PA‫ ا دئ ا ا‬M ‫ ن‬C M@ ‫! و‬Aq ‫! ا‬$ + < ‫" و< ` أن‬: 2005/12/08 $- ‫ ; ر ` ا‬،1112 1<@ ‫(د ا‬3 ، 1 6S ‫ ا (ا ة ا‬،[" 1 ‫ ا (ا‬$- ‫ ا‬- : 6‫ُ اﺟ‬+ 1240
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K ‫و‬qO !$ 8G !Aq ‫ ا‬+ < ‫ ھ‬0[ ‫ا‬ ‫ وا‬+‫ ] د‬7 ‫ ا دئ ا‬M a ‫! <" ا ! وا‬Aq ‫ ا ر إن‬8G V0 ‫" و< ` إن ا‬: 2007/12/13 $- ‫ ; ر ` ا‬2391 ‫(د‬3 1<@ ‫ا‬
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.25 ‫ و‬16 ‫ ص‬2008 C‫ ا‬،55/54 ‫ د‬N ‫ رة‬34 ‫ه ا < م‬D‫ ھ‬." ‫ دي‬# ‫] ف ا‬ ‫ ه ا < ھ ا ر‬4A ‫ي‬D ‫ ان وا‬4# ‫ ا‬k ‫ ذ‬7‫ ا‬L A M ‫دارة‬S 6 k ‫ذ‬
1241
CADIET (L), Remarques sur la notion fiscale d’abus de droit, In « Regards sur la fraude fiscale », Etudes coordonnées par L. CADIET et E.
NEVEU, Paris, ECONOMICA, 1986, p. 33 et s, spécialement n° 2, p. 34.
1242
COZIAN (M), La gestion fiscale et l’abus de droit, RFC, 1991, n°229, p 18.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

de fraude fiscale stricto sensu1243 ». En effet, au sens strict, on entend par fraude fiscale toute violation
explicite d’une prescription légale dans le but de se soustraire à l’imposition normalement due. Par contre,
lato sensu, la fraude fiscale englobe tous « procédés permettant d’échapper à un impôt, alors que le
législateur n’a pas prévu d’échappatoire 1244». Elle embrasse donc « tous les gestes matériels, toutes les
opérations comptables, tous les actes juridiques, toutes les manœuvres et combinaisons auxquels ont recours
les contribuables pour se soustraire à l’application des impôts et contributions1245 ». Ainsi, prise dans son
sens général, la fraude fiscale1246 peut comprendre aussi bien les actes constatant un abus de droit que ceux
constituant un acte anormal de gestion dans la mesure où ces agissements aboutissent inéluctablement à la
minoration de l’assiette imposable1247. Ceci est d’autant plus vrai concernant l’abus de droit qui a été
réglementé, au sein du code des droits et des procédures fiscaux, dans une section quatrième intitulée
« sanctions fiscales pénales en matière de fraude fiscale »1248.

Mais, en dépit de ce rapprochement, les notions d’abus de droit et d’acte anormal de gestion doivent
être distinguées. D’une part, à la différence de l’abus de droit, dans l’acte anormal de gestion
« l’administration ne conteste nullement la réalité et la sincérité de l’acte juridique passé ; elle n’invoque
aucune dissimulation. Elle prétend seulement que l’acte est contraire à l’intérêt de l’entreprise et ne lui est
pas opposable pour le calcul de l’impôt 1249 ». D’autre part, l’abus de droit est un acte qui permet au
contribuable de s’enrichir au détriment du trésor, en payant un impôt inférieur à celui qu’il aurait dû payer s’il
n’avait pas accompli cet acte. En revanche, l’acte anormal de gestion est un acte qui conduit un contribuable à
s’appauvrir au bénéfice d’un tiers, en supportant indûment une charge ou en renonçant à un profit1250. En
d’autres termes, l’abus de droit est une perversion essentiellement fiscale dans la mesure où le contribuable
cherche à maximiser le profit de l'entreprise en payant le minimum d'impôt. En ce sens, il met au premier plan
l'intérêt de l'entreprise. Par contre, l'acte anormal de gestion est avant tout une perversion financière, car le
contribuable abuse de l'entreprise, il la pille sans vergogne, il l'appauvrit dans le dessein d'avantager indûment
une tierce personne1251. Certes, cet appauvrissement entraîne une diminution de l'impôt à payer, mais il ne
s'agit là que de la conséquence et non de la cause principale de l'acte qui a été passé1252.

Tel est d’ailleurs l’avis de notre juge du fond qui a distingué entre l’abus de droit et l’acte anormal de
gestion en ces termes : « parmi les fondements permettant de départager entre l’acte anormal de gestion et
l’abus de droit, on relève le fait que le premier entraine un préjudice directe à la personne et un dommage
indirect à autrui comme le trésor public ; alors que le second n’entraine nullement de préjudice direct à la
personne mais il met en place des conséquences négatives à l’égard des tiers parmi lesquels le trésor
public… »1253.

1243
COZIAN (M), Les grands principes de la fiscalité des entreprises, op.cit., p. 51 et s., spécialement n°7, p. 54.
1244
MARGAIRAZ (A), La fraude fiscale et ses succédanées, 1962, p 28.
1245
ROSIER (C), L’impôt, 1936, p152.
.63 ‫ ص‬،1992 ،‫ م ق ت‬،8 ‫ ا‬w^ ‫ ا‬،‫ (ي‬0 ‫( ﷲ ا‬63 1246
REZGUI (S), Les infractions fiscales commises par les dirigeants de sociétés, R.T.D, 1995, p12 ; COURTOIS (P), La réforme du contentieux
fiscal, Gaz. Pal., I, 1964, Doc., p. 85. Dans cet article il a été affirmé que la fraude fiscale ne doit pas être confondue avec l’évasion fiscale. Cette
dernière signifie une utilisation intelligente des failles, des lacunes et des possibilités que procure le droit fiscal pour s’évader de l’impôt
normalement exigible. En effet, « l’évasion peut apparaître comme un moyen légitime, légal, d’éluder l’impôt. La fraude, à l’opposé, est un
procédé illégitime de lui échapper ».
،‫ م خ د ب‬،8 + F ‫ ب ا‬K ‫ ا‬، FD ‫ ار‬0 ‫ اھ ب‬.313 ‫ ص‬،2002-2001 ،8 d ‫ ا‬M! ‫ ا‬# ‫ ﺟ‬،‫ راه‬C‫ اط و< د‬،8 + F ‫ ا‬w^ ‫ ا‬M ‫ ا‬8G ‫ ا‬7 ‫ ا‬،‫ ر‬A ]D 1247
.‫ س‬.‫ م‬،8 ‫ّ ا‬w^ ‫ ا‬،‫ (ي‬0H‫( ﷲ ا‬63 .111 ‫ ص‬،1998 ،U ‫ ا و‬# L ‫ا‬
1248
V. de façon générale : Actes du colloque « La lutte contre la fraude fiscale », RTF, n° 16, Faculté de Droit de Sfax, 2011.
1249
COURTOIS (P), La réforme du contentieux fiscal, art. pré., p. 85.
1250
CHOYAKH (F), L’acte anormal de gestion, I.J., n° 54/55, Octobre 2008, p 24 ; DESMORIEUX (E), Société en participation, abus de droit et
acte anormal de gestion », D.F. 2003, n° 11, p. 426 et s, spécialement n° 7.
1251
OUERFELLI (A), L’acte anormal de gestion en droit fiscal tunisien, Rev. L’Expert, n° 128-129, p 28.
1252
COZIAN (M), La théorie de l’acte anormal de gestion, R.N.Déf., 30 mai 1994 n° 10, p 673.
" ‫ ل ا‬# A‫ ا‬8G i!# ‫ ا‬+ MN ‫ دي ] ف‬# ‫ ا‬5 V # ‫ ا‬+ ‫ ق‬/$ 8 ‫ ا‬HA ‫ ا‬9‫ اھ‬M ‫" و< ` ان‬: 8 + 2005/12/8 8G ‫رخ‬q ‫ ا‬1112 ‫ د‬N 8 ‫ ا‬8 ‫ ا ا‬9 ‫ ﺟ ء‬1253
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." N G

Page 173
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

220- En droit fiscal, la théorie de l’abus de droit puise sa source, essentiellement1254, dans l’article
101 CDPF qui dispose qu’ « est puni d’un emprisonnement de seize jours à trois ans et d’une amende de 1000
dinars à 50000 dinars toute personne qui a :
- simulé des situations juridiques, produit des documents falsifiés ou dissimulé la véritable nature
juridique d’un acte ou d’une convention dans le but de bénéficier d’avantages fiscaux, de la minoration de
l’impôt exigible ou de sa restitution ;
- accompli des opérations emportant transmission de biens à autrui dans le but de ne pas acquitter les
dettes fiscales ;
- majoré un crédit de taxe sur la valeur ajoutée ou de droit de consommation ou minoré le chiffre
d’affaires dans le but de se soustraire au paiement de ladite taxe ou dudit droit ou de bénéficier de la
restitution de la taxe ou du droit. La sanction s’applique dans les cas où la minoration ou la majoration
excède 30 % du chiffre d’affaires ou du crédit d’impôt déclaré »1255.

Cet article est complété par d’autres textes fiscaux et extra-fiscaux. On peut citer, à titre d’exemple,
l’article 94 CDPF1256, ou encore l’article 464 CSC qui prévoit que « le groupe de société ne peut avoir de
finalité contraire à la loi, tel que celle d’éluder l’impôt ».

221- L’article 101 CDPF, qui constitue le fondement principal de la théorie fiscale de l’abus de
droit, rappelle inéluctablement son homologue, l’article 103 COC1257, soubassement de la théorie civile de
l’abus de droit. Le rapprochement entre les deux théories est justifié à divers égards. Primo, le problème
soulevé par la théorie fiscale se pose dans les mêmes termes qu’en droit civil. En effet, il est question de
mettre en exergue les limites objectives des prérogatives dont dispose le titulaire d’un droit. Secundo, le
concept d’abus de droit se traduit, dans les deux disciplines, de la même façon à savoir le franchissement d’un
droit sous le couvert d’une opération illégale, mais offrant tous les aspects de la licéité. Tertio, à l’instar du
droit civil, la théorie fiscaliste de l’abus de droit se révèle d’une efficacité grandissante en l’absence de textes
précis réglementant tous les droits dont se prévaut le titulaire. In fine, l’abus de droit, aussi bien en droit civil
qu’en droit fiscal, se situe à la frontière entre l’absolutisme du droit subjectif et l’atteinte à un intérêt légitime
inhérent à une tierce personne1258.
Malgré cette « proximité » entre les deux notions, force est de constater que l’abus de droit, en matière
fiscale, se détache complètement de la notion civiliste. En effet, par application de l’article 103 COC, celui qui
commet un abus de droit agit, en principe, dans l’intention de nuire à autrui. Le caractère abusif se dégage
alors de l’inutilité de l’acte et de l’intention de nuisance qui l’inspire. En droit fiscal, par contre, l’abus de
droit met en épigraphe, forcément, une volonté incontestable du contribuable de fuir l’impôt normalement dû.
Il s’agit d’une pure satisfaction d’un intérêt personnel ni plus ni moins et ce, en dehors de toute intention de
nuire à quiconque. De surcroît, le concept fiscal d’abus de droit sanctionne deux types de comportements : le
mensonge (la simulation) et le but exclusivement fiscal (la fraude à la loi)1259. Or, en droit civil, de tels
comportements ne sont pas rattachés à la théorie de l'abus de droit, ce qui fait dire à Loic Cadiet : « le

1254
V. également l’art. 62 CDPF.
1255
La présente étude portera essentiellement sur l’alinéa premier de l’article 101 susvisé qui constitue la seule reconnaissance, implicite, de l’abus
de droit en droit fiscal.
1256
Cet article dispose que : « est punie d'un emprisonnement de seize jours à trois ans et d'une amende de 1000 dinars à 50.000 dinars :- toute
personne tenue, en vertu de la législation fiscale, d'établir des factures au titre des ventes ou des prestations de services qui s'abstient d'établir des
factures ou qui établit des factures comportant des montants insuffisants. Dans ce cas, la même sanction est applicable à l'acheteur lorsqu'il est
légalement tenu d'établir des factures au titre de ses ventes ou de ses prestations de services ; toute personne qui établit ou utilise des factures
portant sur des ventes ou des prestations de services fictives, dans le but de se soustraire totalement ou partiellement au paiement de l'impôt ou de
bénéficier d'avantages fiscaux ou de restitution d'impôt ».
1257
Il existe une définition de l’abus de droit dans l’article 103 COC qui dispose qu’ « il n’y a pas lieu à responsabilité civile lorsqu’une personne,
sans intention de nuire, a fait ce qu’elle avait le droit de faire. Cependant lorsque l’exercice de ce droit est de nature à causer un dommage
notable à autrui et que ce dommage peut être évité ou supprimé, sans inconvénient grave pour l’ayant droit, il y a lieu à responsabilité civile si on
n’a pas fait ce qu’il fallait pour le prévenir ou pour le faire cesser ». En droit civil français, l’abus de droit est sanctionné au travers de l’art. 1382
(code civil français, éd. 2005).
1258
UNTERMAIER (M), Déqualification et requalification en droit fiscal, réflexion à propos de la répression de l’abus de droit, Annales de la
Faculté de Droit de Lyon, 1974, I, p 153. HASSEN (D), L’abus de droit en droit fiscal, Mémoire de DEA, Faculté de Droit et des Sciences
Politiques de Tunis, 1997-1998, p 15 et 16.
1259
V. infra, n° 241.

Page 174
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

civiliste…ne manque pas d'être étonné lorsqu'il aborde ingénument les rivages fiscaux de l'abus de droit, …
dans son esprit la fraude à la loi et l'abus de droit sont deux techniques concurrentes1260 ». Dés lors, il serait
chimérique de réduire la portée de l’article 101 CDPF à une transposition, pure et simple, en matière fiscale,
de la théorie civile de l’abus de droit telle qu’appréhendée par l’article 103 COC.
Si tel est le cas, l’abus de droit en matière fiscale n’est-il pas, carrément, une transposition de la théorie
civiliste de la simulation telle qu’exposée au sein de l’article 26 COC1261. Une lecture hâtive des deux articles
101 CDPF et 26 COC, met en exergue une réponse affirmative. En effet, les civilistes définissent la simulation
comme « la création d’une situation juridique apparente destinée à dissimuler la situation juridique
véritable1262 ». Transposée à la matière fiscale, la simulation consiste à présenter à l'administration un acte ou
une situation juridique qui n’est qu'apparence et ne correspondant pas à la réalité demeurée secrète, permettant
ainsi de réduire le montant de l'imposition due, voire de l'effacer entièrement. On retrouve alors la même
définition de la dissimulation juridique prévue par l’article 101CDPF. La consultation des travaux
préparatoires « laisse planer le doute sur ce constat »1263, car le ministre des finances a formellement affirmé
que l’article 101 CDPF constitue plutôt une extrapolation de ce qu’on appelle en droit comparé, « le délit
d’abus de droit »1264.

222- Le droit comparé, cité par le ministre des finances, n’est autre que le droit français1265 qui
constitue en cette matière, aussi, une source matérielle incontestable du droit tunisien.
Dans la législation fiscale française, la théorie de l’abus de droit puise son droit de cité dans l’article L.
64 du livre des procédures fiscales qui, quelques mois auparavant, disposait ce qui suit « ne peuvent être
opposés à l’administration fiscale les actes qui dissimulent la portée véritable d’un contrat ou d’une
convention à l’aide de clauses :
- qui donnent ouverture à des droits d’enregistrement moins élevés ;
- ou qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus ;
- ou qui permettent d’éviter, en totalité ou en partie, le paiement des taxes sur le chiffre d’affaires
correspondant aux opérations effectuées en exécution d’un contrat ou d’une convention.
L’administration est en droit de restituer son véritable caractère à l’opération litigieuse. Si elle s’est abstenue
de prendre l’avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit ou ne s’est pas rangée à l’avis de
ce comité, il lui appartient d’apporter la preuve du bien-fondé du redressement ».
Dernièrement, et par une loi d’appellation insolite, loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008, loi
rectificative pour la gestion de l’année 20081266, l’article susmentionné a été modifié comme suit :
« Afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant
pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que,
recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs
poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer
les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement
supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles. En cas de désaccord sur les rectifications

1260
CADIET (L), Remarques sur la notion fiscale d'abus de droit: Regards sur la fraude fiscale, Economica, 1986, p. 33.
1261
L’article 26 COC dispose que « les contre-lettres ou autres déclarations écrites n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes et leurs
héritiers. Elles ne peuvent être opposées aux tiers, s'ils n'en ont eu connaissance ; les ayants cause et successeurs à titre particulier sont
considérés comme tiers, aux effets du présent article ».
1262
CADIET (L), art. pré., p. 33.
1263
BOUZID (M), op. cit., p 18.
1264
Débats de la chambre des députés relatifs au C.D.P.F, séance du 26 juillet 2000, J.O.R.T., 2000, n° 39, p. 1986 :
. «Délit d’abus de droit »‫ ! ب‬/ K4N ّ #+‫ ا رن و‬6+ 3ّ ‫ و‬4 ‫ّ ا‬ K N ‫] ص‬4 / P ‫ه ا‬D‫أن ھ‬ ّ U ‫ رة إ‬OJ‫ ر ا‬$ ‫و‬
1265
Il convient de préciser que l’abus de droit n’est pas une notion propre au droit français, mais il n’est toutefois pas réprimé dans l’ensemble des
pays industrialisés. Selon un rapport de l’OCDE sur l’évasion et la fraude fiscale internationale, parmi les grands pays européens, seuls la France,
l’Allemagne, les Pays-Bas et la Suisse disposent d’une disposition législative générale de répression des abus de droit. En revanche, dans les pays
de Common-law, il n’existe pas, dans la plupart des cas, de règles générales de répression des abus de droit, mais des dispositions spécifiques pour
certaines catégories d.impôts ou certaines situations.
1266
On peut lire dans l’exposé des motifs de cette loi ce qui suit « la refonte de la procédure de répression des abus de droit qui fait suite au
Rapport Fouquet remis au Ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique en juin 2008 poursuit le double objectif de clarifier
la procédure, en précisant le concept de l’abus de droit et en améliorant ainsi la sécurité juridique, et de renforcement du traitement équitable du
contribuable par un aménagement des conditions d’application et de paiement solidaire des pénalités et de la composition du comité consultatif
pour le répression de l’abus de droit… ».

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du
comité de l'abus de droit fiscal. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité. Si
l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la
rectification. Les avis rendus font l'objet d'un rapport annuel qui est rendu public ».

Une lecture fouillée et combinée des deux articles français susvisés, peut permettre d’avancer que la
théorie de l’abus de droit a été doublement élargie en droit français. D’un côté, elle devient applicable à toute
forme d’impôt ; de l’autre, elle ne se borne plus à la notion de simulation, mais elle embrasse aussi celle de
fraude à la loi fiscale, une notion, jusque là, de fondement purement prétorien en droit français.

223- Nul doute que la théorie de l’abus de droit fiscal met le législateur face à deux défis plus ou
moins opposés. D’une part, il s’agit de respecter le droit à une gestion libre et, par conséquent, respecter toutes
les décisions de gestion, notamment en matière de concentration, et débusquer toute tentative d'ingérence de la
part de l’administration. D’autre part, il faudra trouver les outils juridiques adéquats pour parer aux
agissements portant atteinte aux intérêts du trésor en évinçant toute tentative dolosive ayant pour but
l’affaiblissement de l’assiette imposable. Autrement dit, le rôle du législateur et du juge également, est
d’apporter à l’administration fiscale une protection qui, tout en étant efficace, ne compromet pas le
fonctionnement ni la gestion libre de l’entreprise1267.
Manifestement, un point d’équilibre doit être établi entre l’intérêt du contribuable, constamment tenté
de réaliser une optimisation de sa situation fiscale et l’intérêt du trésor public désireux, inlassablement,
d’assurer le rendement de l’impôt. Un aplomb doit être soutenu et maintenu entre l’impératif de répression de
l’abus et celui de la sauvegarde de la sécurité juridique du contribuable1268.
Dans ce cadre bien précis, la mission du législateur, celle du juge également, s’avère très délicate. En
effet, il ne s’agit pas simplement de suggérer au législateur, ni au juge, d’ailleurs, de réprimer tous azimuts
toute décision de gestion sur la base de l’abus de droit et ce, quel qu’en soit le mobile ou l’intention. Toute
solution de ce genre risque de freiner la gestion libre de l’entreprise et ferait table rase du sacro-saint principe
de la sécurité juridique du contribuable. Il conviendrait plutôt de chercher les moyens juridiques susceptibles
d’endiguer les causes du mal pour pouvoir ensuite traquer toute gestion abusive, en matière de concentration
des sociétés, ayant pour seul but l’affaiblissement de l’assiette imposable. Pour ce faire, faudra-t-il partir de
l’idée certaine, mais devant être démontrée, que l’abus de droit en matière fiscale demeure un abus
protéiforme, voire polymorphe ce qui rend si difficile sa détermination et son appréhension.

-§2- : La multiplicité de l’abus de droit en matière fiscale

224- L’aspect polymorphe de l’abus de droit est doublement mis en évidence. D’un côté, une dyade
d’éléments constitutifs de l’abus, tel qu’appréhendé par l’article 101 CDPF, le confirme (I) ; de l’autre, un
agrégat de formes d’abus le réaffirme (II).

I- Dyade d’éléments constitutifs de l’abus

225- L’abus de droit exige la réunion de deux éléments constitutifs, à savoir l’élément matériel (A)
et l’élément moral (B).

.# ‫ و‬545‫ ص‬،2002 4A 8 ‫ د‬N،6+ 3 ‫ ء و ا‬F ‫ ا‬،8 ‫ ا 'ﺟ ا‬، ‫ دي‬17 ‫ ا‬, ( ‫ح ا‬CG 1267
.6 U ‫ ا‬1 ‫ ص‬،2005 ،8# ‫ ا‬34 ‫' ا‬C ، ! ‫ا‬ ‫ا‬ ‫ ا‬، L ‫ وا‬S ‫ ا‬،H $ 8G ‫ ا‬A ! ‫ ا‬،‫ اوي‬M ‫ ا‬1J ‫ ا‬1268

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

A- L’élément matériel de l’abus de droit

226- L’article 101 précité exige la simulation de situations juridiques1269, la production de


documents falsifiés ou encore la dissimulation de la véritable nature juridique d’un acte ou d’une
convention1270.

Une lecture hâtive de cet article permet d’avancer que le fait juridique1271 devrait être, en principe,
exclu du domaine de l’abus de droit. Cette exclusion paraît, a priori, logique pour la simple raison que les
faits juridiques sont essentiellement involontaires, ce qui s’oppose totalement à l’abus de droit en matière
fiscale qui exige un acte délibéré de la part du contribuable, à savoir une simulation, une falsification ou
encore une dissimulation. La doctrine n’est, cependant, pas uniforme quant à l’exclusion des faits juridiques
du domaine de l’abus de droit. En effet, certains auteurs, partant d’une distinction entre les faits de la nature et
les faits de l’homme, qui peuvent être volontaires, arrivent à déduire que ces derniers peuvent être constitutifs
d’une simulation1272. Le législateur semble être du même avis en raison de l’utilisation de l’expression « la
simulation de situations juridiques ». Cette expression englobe sans aucun doute les faits juridiques.

Mais, si l’hypothèse de l’existence d’un abus de droit moyennant un fait juridique est difficile à
appréhender, il n’en est pas de même concernant l’abus de droit par l’accomplissement d’actes juridiques1273.
En effet, les expressions « documents falsifiés, acte, convention » contenues dans l’article 101 CDPF ainsi que
la pratique et la jurisprudence fiscale1274 ne laissent aucune hésitation à cet égard.
Lato sensu, on entend par acte toute manifestation de volonté en vue de produire des effets juridiques,
que cette manifestation soit écrite ou non écrite, qu’elle soit bilatérale ou multilatérale, dans le cadre de
contrats ou conventions, ou qu’elle caractérise unilatéralement l’intention de son auteur.
Une question risque, néanmoins, de se poser : quelle acception faut-il donner à l’acte juridique tel
qu’exigé par l’article 101 CDPF ? Devrait-il s’agir de tout acte juridique, quel qu’il soit, conformément à la
définition susvisée ? Ou bien, au contraire, devrait-il s’agir d’un acte écrit ? Autrement dit, peut-on se suffire
du negocium, l’instrumentum n’étant pas nécessaire et indispensable pour établir l’abus ? La réponse semble
plus ou moins aisée par application de la règle disant qu’on n’a pas à distinguer là où le législateur ne l’a pas
fait1275. En d’autres termes, ce qui a été édicté par la loi en termes généraux doit être interprété dans toute sa
généralité1276. En vertu de cette règle, il semble permis d’affirmer que tout acte juridique, du moment que son
existence n’est pas contesté, qu’il soit écrit ou bien oral, bilatéral ou même unilatéral, est susceptible de
constituer un abus de droit au sens de l’article 101 CDPF. Tel ne semble pas être l’avis du ministre des
finances qui, lors des débats parlementaires a fait table rase de la généralité des termes de l’article susvisé en

1269
V. JORT, Débats de la chambre des Députés, Session 1999-2000, n° 39, p 1986 :
‫وا ] د ب‬ ‫زات ﺟ‬ ‫ ع‬/ ‫ او ا‬I‫ ا داء ا ! ﺟ‬M m 4 ‫] ا‬7 < 5 7 ‫ ت‬#g‫ ل و‬# G‫ ا‬8G d ‫ ا‬/ P ‫ ا‬7 # U N U ‫ ا و‬a L ّ 8G 101V]/ ‫ ا‬m4+ "
‫ ل‬M g ‫] ا اﺟ‬7 M # 8 ‫ ا ز ﺟ‬4 ‫ وط‬3 ‫ او‬a # ‫ ت ا‬# 3 ‫ وا‬M # ‫ ط‬34 4 ‫ا‬ ‫ ت ا‬#+ 3 ‫ل ا‬S^ A‫ ا‬U N 4 !$ 8 ‫ ت ا‬#g ‫ ا‬8‫" ھ‬ 7 ‫ ت‬#g‫"و‬
." K4N 4$ 8 ‫زات ا‬ ‫ ع‬/ ‫ ھ ا‬K # G‫ ا‬M 8A A ‫ ف ا‬K ‫ ر ان ا‬N ‫ ت وھ‬#g‫ و‬8‫ ت ھ‬#g ‫ه ا‬D‫ وھ‬K L$
1270
En matière de dissimulation de la nature juridique d’un acte ou d’une convention et à titre d’illustration, la note commune n°38/2002 (Texte
DGI n°2002/60) commentant les informations fiscales pénales objet des articles 89 à 105 du CDPF précise ce qui suit : « Les éléments constitutifs
de l’infraction consistent en l’insertion de modifications sur une situation précise et sa présentation au sein d’un acte ou d’une convention sous
une forme différente de sa réalité pour des buts à caractère fiscal qui consistent à se soustraire totalement ou partiellement au paiement de
l’impôt, à bénéficier d’avantages fiscaux ou la restitution de l’impôt ». Cette note commune a cité l’exemple classique du déguisement des
donations en vente : « Supposons qu’une personne physique ait conclu un contrat de vente d’un immeuble avec son cousin qui, en réalité,
dissimulait un acte de donation afin de réduire des droits d’enregistrement exigibles en payant 5 % du prix de la vente au lieu de 25 % de la
valeur réelle de l’immeuble (acte de donation) ». Cité par CHOYAKH (F), L’abus de droit, I.J., n°88/89, Avril 2010, p 18.
1271
Le fait juridique est défini comme étant « un fait quelconque, agissement intentionnel ou non de l’homme, événement social, phénomène de la
nature, fait matériel, auquel la loi attache une conséquence juridique qui n’a pas été nécessairement recherchée par l’auteur du fait ». V.
Vocabulaire juridique, pré.cit., déf. « Fait juridique », p 348. V. art. 82 et 83 COC
1272
DEBOISSY (F), La simulation en droit fiscal, éd. LGDJ, 1997, n° 66, p 28.
1273
L’acte juridique est défini comme étant « une manifestation de la volonté ayant pour objet et pour effet de produire une conséquence
juridique ». V. Vocabulaire juridique, pré.cit., déf. « Acte », p 15.
.280 ‫ ص‬،2004 ،H $ ،84/ ‫ ا‬/! ‫ ا‬# L ،U ‫ أو‬.‫ ط‬،‫ ت ا ق‬p‫ ص – ا‬PO ‫ – ا‬# ‫ ا‬+ 4 ‫ ا‬،, ( ‫ ف ا‬N ‫ ( ل‬- : ‫ا ا ط ر‬D‫ ھ‬8G 6‫ُ اﺟ‬+
1274
La majorité écrasante de la jurisprudence en la matière traite de l’abus de droit moyennant un acte juridique (factures fictives, sociétés
fictives…). V. à titre d’exemple, le jugement du T.P.I. Tunis, n° 787 du 28-10-2004.
1275
V. art. 533 COC qui dispose que « lorsque la loi s’exprime en termes généraux, il faut l’entendre dans le même sens ».
.145 ‫ ص‬،2010 ،H $ ،8# ‫ ا‬34 ‫' ا‬C ،8 ‫ ء ا‬F ‫ ا‬a G M N ‫ ! ن‬،I # ‫ا‬ ‫ ء‬F7 a G 8G ‫ن‬ # ‫ ا‬N‫ ا ا‬،# ‫ ط‬, ( 0‫ أ‬: 6‫ُ اﺟ‬+ 1276

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

écartant, implicitement du domaine de l’abus, les situations juridiques dépourvues de tout support matériel,
c'est-à-dire non constatées par écrit1277. Cette interprétation cadre bien en matière d’enregistrement où l’acte
désigne l’écrit constatant et prouvant une opération juridique créatrice de droits et d’obligations1278.

227- Par ailleurs, appréhendée sous l’angle de son élément matériel, la notion d’abus de droit évoque
absolument l’idée de montage juridique. Ce denier concept est défini comme étant « un ensemble d’actes dont
l’existence de chacun ne peut être contestée et dont le résultat est une situation équivalente, pas forcément
strictement identique à celle qu’on aurait pu obtenir de manière plus naturelle et qui aurait eu des
conséquences fiscales plus lourdes1279 ». Il y a donc un montage juridique ou contractuel, chaque fois que
plusieurs actes juridiques concourent à la réalisation d'une même opération économique et poursuivent le
même but1280. De cette communauté d'objet et de cause s'infère que chacun des contrats faisant l'objet d'un
même ensemble est en principe dépendant de l'autre. Le montage contractuel, en tant qu'ensemble d'actes
juridiques indivisibles, repose alors sur la réunion d’éléments tant objectifs que subjectifs1281, mettant en place
une dyade de situations juridiques, une réelle, mais dissimulée, l’autre artificielle, mais apparente.
Partant de cette dualité de situations juridiques, l’acte réel, tenu pour être secret, doit démentir
l’apparence trompeuse créée essentiellement pour éluder l’impôt normalement dû. L’acte ostensible, quant à
lui, constitue celui vers lequel on souhaite voir converger les regards du fisc. C’est un acte qui tend à
persuader l’administration fiscale que la situation qui lui a été présentée reflète l’intention réelle de son auteur.
Pour y parvenir, l’auteur d’un abus de droit tente d’entourer la situation qu’il présente au fisc d’une régularité
incontestable et ce, au travers de tout un montage juridique. En effet, la situation apparente est impeccable sur
le plan légal, en ce sens qu’elle respecte les conditions de forme imposées par la loi. A ce niveau, on ne peut
rien reprocher au contribuable. La fraude réside ailleurs. Elle découle du caractère purement fallacieux de
l’acte ostensible, ou encore des motivations exclusivement fiscales qui s’incarnent derrière le montage abusif.

228- Un acte juridique, écrit ou bien verbal, un fait juridique, un montage contractuel, une dualité de
situation que faut-il d’autre pour soutenir, sans risque de divagations, que l’abus de droit est un abus
protéiforme, rien que par l’analyse de son élément matériel ?
Il ne faut pas perdre de vue, en revanche, que l’élément matériel, quelque soit son contenu et sa
diversité, ne saurait suffire par lui-même pour constituer l’abus de droit. Encore faut-il qu’il soit complété par
l’élément moral.

B- L’élément moral de l’abus de droit

229- En étudiant l’article 101 CDPF, on peut remarquer que le législateur n’a pas exigé
expressément un élément moral en matière d’abus de droit dans la mesure où des vocables comme
« sciemment », « consciemment » ou encore « volontairement » et « intentionnellement » font totalement
défaut dans le dit-article. Serait-on, alors, en présence d’une infraction matérielle1282 dépourvue de toute
intention frauduleuse1283 ? Une réponse négative semble s’imposer, car le législateur a utilisé, dans ce texte,

1277
Délibérations de la chambre des députés, op.cit., p 1989.
1278
AYEDI (H), Les droits d’enregistrement et de timbre et leur enregistrement, Centre de Publication Universitaire, 2010 ; VIGNARD (G),
L’abus de droit en matière fiscale, Thèse, Bordeaux, 1980, p 43.
1279
COZIAN (M), La gestion fiscale et l’abus de droit, R.F.C., 1991, p 21.
1280
V. supra n° 26, p 25.
1281
DEBOISSY (F), L’opposabilité à l’administration fiscale des montages contractuels, Revue des Contrats, 01 juillet 2007 n° 3, P. 1006.
1282
L’infraction est qualifiée de matérielle lorsque l’élément matériel et l’élément légal suffisent pour sa formation. Dans cette catégorie
d’infraction, la loi pénale réprime l’acte en lui-même, abstraction faite du résultat obtenu.
1283
L’intention frauduleuse est définie, par la doctrine, comme étant la volonté consciente de commettre le délit tel qu’il est déterminé par la loi.
Elle se compose à la fois d’une volonté et d’une intention. La volonté désigne la faculté de se déterminer librement à agir ou à s’abstenir en pleine
connaissance de cause et après mûre réflexion. L’intention, quant à elle, se définit comme étant un projet orienté vers un but déterminé, un résultat
précis, recherché, désiré et poursuivi. En matière d’abus de droit, l’intention frauduleuse signifie que le contribuable décide la perpétration d’un
acte ou d’un montage juridique déterminé, en pleine connaissance de cause, en ayant pour objectif la spoliation du fisc. V. DEBOISSY (F), op.cit.,

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

les expressions suivantes : « (avoir) simulé des situations juridiques », « produit des documents falsifiés »,
« dissimulé la véritable nature juridique », « dans le but de bénéficier d’avantages fiscaux, de la minoration
de l’impôt exigible ou de sa restitution ». Or, toutes ces expressions signifient nécessairement que l’abus de
droit ne peut être qu’une infraction intentionnelle.
Cette analyse est davantage corroborée par l’examen des débats de la chambre des députés au sein
desquels on peut lire que le ministre des finances a formellement exigé la preuve de l’intention frauduleuse
pour l’application de la sanction pénale prévue par l’article 101 CDPF1284.
L’introduction de l’élément moral dans la détermination de l’abus de droit semble sécuriser les
contribuables contre les risques d’abus de l’administration fiscale. En effet, cette dernière ne peut demander la
condamnation du contribuable que si son comportement est dicté par l’intention d’égarer le fisc1285. Soutenir
le contraire, serait courir le risque d’une confusion fortement dangereuse entre l’habileté fiscale, en principe,
permise et la fraude qui est, au contraire, répréhensible.
Etant indispensable, l’élément moral n’est autre que l’intention des parties d’induire les tiers en erreur,
en l’occurrence le trésor public. La simulation est par essence mensongère. D’ailleurs, en se posant la question
de savoir pourquoi un individu crée-t-il une apparence ? Une voix autorisée y répond en disant : « parce qu’il
désire tromper les tiers…1286 ». Il ne faut pas oublier, non plus, que les manœuvres frauduleuses constituent
un indice important traduisant l’intention malicieuse de son auteur. Mais, en dépit de leur importance, ces
manœuvres n’ont pas fait l’objet d’une définition légale. En l’absence d’une telle définition, la doctrine fiscale
les a définies comme étant « la mise en œuvre de procédés ayant pour effet de faire disparaître ou de réduire
la matière imposable. Elles sont le résultat d’actes conscients et volontaires destinés à donner l’apparence de
la sincérité à des déclarations en réalité inexactes et impliquant l’intention manifeste de leurs auteurs
d’éluder tout ou partie de l’impôt 1287».

230- L’introduction de l’élément intentionnel dans la définition du délit d’abus de droit fiscal semble
sécuriser les contribuables contre le risque d’abus de l’administration fiscale. Cette dernière ne doit, en
principe, réclamer la condamnation du contribuable que si on risque une confusion dangereuse entre l’habilité
fiscale, a priori, permise et la fraude répréhensible. En effet, le contribuable qui gère son activité en fonction
des considérations fiscales et réalise une économie considérable d’impôt peut se voir infliger les sanctions
pénales les plus lourdes. La seule prise en compte des motivations qui ont poussé les contribuables à choisir la
solution la plus favorable fiscalement n’est pas suffisante pour déduire l’intention frauduleuse quoiqu’elles
puissent constituer des indices aidant à la révéler. Mais si l’exigence de l’élément moral comme pilier de la
pénalisation de l’abus de droit représente indiscutablement une solution heureuse, force est de souligner le
caractère lacunaire du CDPF quant aux procédures entourant la mise en œuvre de la théorie répressive de
l’abus de droit1288.

231- Une fois les deux éléments -matériel et moral- réunis, l’abus de droit est évidemment constitué.
Il peut alors se présenter, surtout en matière de concentration, sous des formes multiples entérinant ainsi son
aspect polymorphe.

II- Agrégat de formes d’abus de droit en matière fiscale


232- Selon Maurice Cozian, « l'abus de droit est le châtiment des surdoués de la fiscalité. Il est un
péché non contre la lettre, mais contre l'esprit de la loi. C'est enfin un péché de juriste ; l'abus de droit est une

n° 95, p 36 ; MERLE (R) et VITU (A), Traité de droit criminel, Problèmes généraux de la science criminelle, Droit pénal général, 4ème éd., TI,
Paris, n° 524, p 655.
1284
Délibérations de la chambre des députés, op.cit., p 1966.
,350 ‫ ص‬،2009 H $ ، ّm P ‫ب ا‬ ‫ا ط ش‬6 ، ‫ ا ّدة ا‬8G D /4 ‫ و ا‬8g ‫ اﺟ اءات ا‬،‫ّ ري‬17 ‫ ل ا‬1285
1286
DAGOT (M), La simulation en droit privé, L.G.D.J., Paris, 1965, p 34.
1287
LEFEBVRE (F), Les sanctions fiscales en matière de droits d’enregistrement et d’impôt sur les sociétés, B.F., 12/89, n° 32, p 685.
1288
V. infra, n° 588.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

manipulation des mécanismes juridiques là ou la loi laisse place à plusieurs voies pour obtenir un résultat ;
l'abus de droit, c'est l'abus des choix juridiques1289 ».
Ainsi décrit, l’abus en droit fiscal se présente tantôt comme une simulation (A), tantôt comme une
fraude à la loi (B). Etant ambigües et assez complexes, ces deux formes d’abus nécessitent d’être précisées en
dégageant les spécificités ainsi que les différentes espèces de chacune d’elles à l’aune des procédés de
concentration des sociétés.

A- L’abus de droit en tant que simulation

233- L’interprétation littérale de l’alinéa deuxième de l’article 101 CDPF laisse penser qu’il
s’applique à deux comportements différents : la simulation et la dissimulation. Celle-ci consiste à cacher plus
ou moins passivement la vérité. Celle-là, se traduit en un comportement actif, créant volontairement une
apparence trompeuse1290. Néanmoins, il semble que la distinction entre simulation et dissimulation n’est pas
retenue par l’article 101 susmentionné. En effet, la dissimulation visée par cet article porte sur des actes
juridiques et vise l’altération de leur véritable nature1291. Elle constitue de ce fait une variante de la
simulation1292.

Ceci étant précisé, si on consulte la jurisprudence, aussi bien française que tunisienne, on remarque
qu’elle prend en considération les trois formes traditionnelles de la simulation : la simulation par actes fictifs
(a), la simulation par actes déguisés (b) et puis celle réalisée par interposition de personnes (c).

a- La simulation par actes fictifs

234- Il est question d’un acte fictif, lorsque « la contre-lettre détruit totalement l’acte apparent.
L’acte ostensible, présenté à la vue des tiers, n’est qu’une coquille vide, complètement vidée de sa substance
par l’acte réel 1293». Les actes fictifs, présentés comme reflétant la réalité à l’administration fiscale, sont assez
nombreux1294. Il existe, même, toute une « industrie » de fraudes alimentées par de fausses factures, déguisant
de fausses ventes et de faux paiements1295. Les protagonistes de ce type de subterfuge sont appelés, dans la

1289
COZIAN (M), La notion d'abus de droit en matière fiscale, Gaz. Pal., 1993, doctrine, p 50.
1290
La simulation juridique signifie « la création d’une situation juridique purement artificielle qui camoufle une situation au titre de laquelle des
impositions sont dues et qui continue d’exister en réalité derrière les apparences juridiques créées ». V. LOBRY (P), Concl. Sous C.E., 10 juin
1981, req. 19079, D.F., 1981, comm. 2187, p 1438 ; CHARFEDDINE (M-K), Les droits des tiers et les actes translatifs de propriété immobilière, CERP, 1993.
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‫ ل‬# A‫ اوح ا‬$‫ د و‬# ‫ا 'ا ت وا‬ M 444 V]/ ‫ ا‬a ‫ ض‬#$ ‫ي‬D ‫ ا‬X ‫ م ا‬K/ + $ a + +‫ " و ا‬: 8 + M /] ‫ ا‬M $ K ‫ < ` ورد‬.25 ‫ و‬24 ‫ ص‬،2008 V+ G‫ ا‬،45/44 ‫ د‬N
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." ^ ‫ ا‬MN 8/P a4 ‫ و‬8 < ‫ ة ا ^ وا‬# 35 ‫ ذب‬C a4 ‫ ا< ھ ظ ھ و‬M 7
1292
La simulation est à l’origine une notion civile V. art 26 COC qui dispose que « les contre-lettres ou autres déclarations écrites n’ont d’effet
qu’entre les parties contractantes et leurs héritiers. Elles ne peuvent être opposées aux tiers, s’ils n’en ont eu connaissance ; les ayants cause et
successeurs à titre particulier sont considérés comme tiers, aux effets du présent article ».
1293
DEBOISSY (F), op.cit., n° 76, p 31.
+ ^ a ‫ ره 'وﺟ‬N mPO 6 + ‫[ن‬C M+ 7 # ‫ ارادة ا‬8G S0‫ ا‬K ‫ وﺟ د‬8 ‫ د ا‬# ‫ ا‬8‫ وھ‬، L ‫ ا‬+‫ ا ] ر‬-:‫! م‬7‫ ة ا‬N U ‫ ا‬9! 4+ ،‫ اح ا ن‬O aG N / C ، +‫ أو ا ] ر‬X ‫ " ا‬1294
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.25 ‫ و‬24 ‫ ص‬،‫ ر‬CD ‫ ا ل ا‬،‫ ي‬1 > ‫ ا‬3 ." K A‫ ر‬M 6 /3 ‫ < ن ا‬+ ^ Sd #/3 ‫ ا< م ا‬U N S+ $ 6G‫ ار‬4 p ‫ أو‬8 ‫ا‬
1295
COSSON (M), La fraude par opérations fictives, Gaz. Pal., 1969, p 81.

Page 180
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

pratique des affaires, « les sociétés Taxis » dont l’activité consiste essentiellement dans l’échange de factures,
éventuellement de bons de transport et d’enlèvement de marchandises. Le paiement se réalise par des chèques
que le fraudeur émet à l’ordre de la société Taxi. Le gérant de celle-ci remet les chèques à sa banque pour
faire créditer son compte de leur montant, il tire par la suite des chèques à lui-même pour retirer les fond en
espèce et les restituer secrètement au fraudeur1296. La facturation fictive est très fréquente en matière de
groupe de sociétés afin de mettre en place un transfert de bénéfices indus. Ce transfert peut-être opéré, pour un
groupe international, par la facturation à prix majoré, à sa filiale tunisienne, de services d’assistance
technique. Il est surtout mis en place moyennant des facturations fictives faites par des sociétés off-shore
« boites postales » situés, par exemple, au Royaume-Uni, au Luxembourg, en Suisse ou dans d’autres pays
dont la législation permet la création de sociétés off-shore ne travaillant qu’à l’étranger. A ce titre, un séjour
touristique offert par un groupe international à ses cadres en Tunisie peut-être facturé à sa filiale tunisienne
comme de l’assistance technique1297.
Il est également assez fréquent que la jurisprudence relève le caractère fictif de sociétés qui servent de
paravent à l’activité d’une seule et même personne. C’est l’exemple d’une société civile immobilière
purement fictive à propos de laquelle le Conseil d’Etat a pu juger ce qui suit : « considérant qu’il résulte de
l’instruction que la société civile immobilière Saint-Nicolas de Gravigny n’a pas tenu les assemblées
générales ordinaires prévues par les statuts ; que le conseil de surveillance n’a pas été en état de
fonctionner ; que les parts sociales des divers associés n’ont pas été libérées ; que les bénéfices n’ont pas fait
l’objet d’une répartition au prorata des parts sociales ; que la rémunération du gérant n’a pas été
statutairement prévue ; que l’ensemble de ces faits établie clairement que, comme le soutient l’administration,
la dite société avait un caractère fictif ayant pour objet de dissimuler l’activité personnelle de son
gérant1298 ».

235- Dans ce cadre, le groupe de sociétés semble être un milieu propice pour le foisonnement et la
prolifération de ce genre de pratiques frauduleuses. Tel est le cas, par exemple, lorsqu’une société mère,
voulant frauder le trésor public, engage une opération fictive de filialisation. Pour ce faire elle peut constituer
une filiale, pure société de façade, dont le siège social sera délibérément choisi dans une zone de
développement régional et ce, en vue de profiter de tous les avantages reconnus, en faveur de telles sociétés,
par le code des incitations aux investissements1299. Cette filiale, étant fictive, n’aura aucune activité réelle, mis
à part le fait qu’elle servira de paravent pour la société mère, ou encore de contenant permettant la collecte
d’une grande partie des bénéfices de la mère. Cette collecte se fera au travers d’une kyrielle d’opérations
financières intra-groupes fictives, communément décrites comme étant du « vampirisme financier »1300. Ce
montage fictif permettra à la société mère de faire échapper illégalement, à l’impôt, une grande partie de ses
bénéfices.

236- En plus de la simulation par actes fictifs, l’administration fiscale est en droit de s’opposer à la
décision de gestion du chef d’entreprise si elle prouve l’existence d’une simulation par actes déguisés.

b- La simulation par actes déguisés

237- La simulation par acte déguisé est « une variété de simulation dont l’objet est la modification
du contrat apparent 1301». A cet effet, il y a déguisement lorsque le contrat présenté à l’administration ne
correspond pas au contrat réellement conclu entre les parties. Le déguisement peut être total ou partiel. Il est

1296
Ibidem., p 82.
1297
DHAOUADI (L), Le contrôle fiscal des prix de tranfert, I.J., n° 42/43, Mars 2008, p 26.
1298
C.E., 25-2-1981, req. 20577 et 20578, Dr. Fisc., 1981, n°27, comm. 1413, concl. Verny.
1299
RIAHI (M), Activités exportatrices bénéficiant des avantages fiscaux, I.J., n° 56/57, Novembre 2008, p 10.
1300
BERTREL (J-P), Acquisition de contrôle et « vampirisme financier », Droit & Patrimoine, 1993, N° 1, p. 52 ; MEDUS (J-L), Le traitement
fiscal des conventions entre sociétés liées, L.P.A. 2005, n° 50, p. 3
1301
Ibidem.

Page 181
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

total, lorsqu’il porte sur la nature de l’acte ou plus précisément sur sa qualification juridique. Il est, par contre,
partiel lorsque l’accoutrement affecte l’un des éléments du contrat, généralement son prix.
On rappellera, à cet égard, les exemples classiques de la donation déguisée sous forme de vente1302 et
de la cession de droits sociaux déguisant une cession d’entreprise ou celle d’un fond de commerce. Ce dernier
cas pose un problème délicat notamment en droit commercial lorsque, par exemple, l’acquéreur demande la
nullité de la cession des droits sociaux comme couvrant une cession de fonds de commerce. On sait que la
cour de cassation se retranche derrière le pouvoir d’appréciation des juges du fond qui, selon les espèces,
admettent ou rejettent la simulation.
La même diversité d’appréciation se retrouve en droit fiscal, il en résulte, d’après Mr. COZIAN, « une
fâcheuse insécurité, certains vérificateurs ayant tendance à présumer que les cessions de bloc de contrôle
déguisent une cession de l’actif social 1303». Accusée d’une telle insécurité, l’administration fiscale française
n’a pas hésité à rappeler fermement que la requalification n’est possible qu’à condition que soit apportée la
preuve que la volonté réelle était de céder les éléments composant l’actif social1304. Cette opinion a été
d’ailleurs confirmée par le Conseil d’Etat qui a clairement affirmé que la cession de la quasi-totalité des
actions d’une société anonyme ne pouvait être regardée comme déguisant la cession des immeubles sociaux si
la société continue de fonctionner sans autres changements notables1305.

En plus des exemples orthodoxes sus-évoqués, une précision a été fournie par l’administration fiscale
tunisienne, elle-même, dans sa note commune n° 38-2002. Dans cette note, qui comporte un commentaire des
infractions fiscales pénales objets des articles de 89 à 105 CDPF, on peut lire ce qui suit : « les éléments
constitutifs de l’infraction (de l’article 101 CDPF) consistent en l’insertion de modifications sur une situation
précise et sa présentation au sein d’un acte ou d’une convention sous une forme différente de sa réalité pour
des buts à caractère fiscal qui consistent à se soustraire totalement ou partiellement au paiement de l’impôt, à
bénéficier d’avantages fiscaux ou à la restitution de l’impôt »1306.
Dans cet ordre d’idées, le législateur a contrecarré explicitement deux formes de déguisement et ce,
dans les articles 30 CIRPPIS et 29 CDET. Le premier article a institué une présomption de distribution de
revenus affectant les sommes mises à la disposition des associés directement ou par interposition de personnes
à titre d’avances, de prêts ou d’acomptes1307. Le second établit une présomption de déguisement de cession de
biens lorsque la cession des actions, des parts de fondateurs1308 ou des parts d’intérêt dans les sociétés dont le

1302
YAICH (R), Théories et principes fiscaux, Ed. Raouf Yaich, 2007.
1303
COZIAN (M), op.cit., p 26 et 27.
1304
Rép. n° 4962 à M. Cornette, J.O. déb. Ass. Nat., 31 mai 1969, p 1499.
1305
C.E. Fr., 24 juin 1981, req. 18430, Dr. Fisc., 1981, n° 41, comm. 1789, Concl.. Rivière. Dans cet arrêt le Conseil d’Etat a affirmé ce qui
suit : « Considérant qu’il résulte de l’instruction que, en dépit de la cession de la quasi-totalité des actions à de nouveaux actionnaires
appartenant à un même groupe, la société anonyme X …n’a pas été dissoute, a conservé sa forme juridique et son objet social, a poursuivi son
activité dans la même branche professionnelle et n’a pas procédé à des aliénations significatives de ses éléments d’actif, en particulier de ses
immeubles ; que, eu égard à ces constatations, l’expérience n’ayant pas confirmé l’intention qui pouvait être prêtée aux parties de réaliser une
opération autre qu’une cession de titres conférant la maîtrise de l’affaire à une nouvelle majorité d’actionnaires, la preuve n’est pas apportée que
la cession des actions a dissimulé une cession de l’entreprise, assortie d’une liquidation de fait de la société primitive ; qu’il suit de là que la
société requérante ne peut pas être regardée comme ayant cédé ses immeubles, ni par suite comme ayant réalisé des plus-values de cession ».
1306
RAOUF (Y), La doctrine administrative en matière de contrôle fiscal et de contentieux de l’impôt, Ed . Raouf Yaich, 2009.
1307
L’article 29 CDET prévoit que « I. Les cessions d'actions, de parts de fondateurs ou de parts d'intérêts dans les sociétés dont le capital n'est
pas divisé en actions effectuées pendant les deux ans qui suivent la réalisation de l'apport fait à la société, ainsi que les cessions d'actions ou de
parts conférant à leurs possesseurs un droit de jouissance ou de propriété d'immeubles ou fractions d'immeubles sont réputées avoir pour objet les
cessions des biens représentés par ces titres et il est fait application, pour la perception du droit d'enregistrement sur lesdites cessions, de toutes
les règles relatives à la vente de ces biens. Pour les titres attribués en rémunération d'apports en société et pour les besoins de la perception du
droit d'enregistrement, chaque élément d'apport est évalué distinctement avec indication des numéros des actions attribuées à chacun d'eux. A
défaut de ces évaluations et indications, le droit d'enregistrement est perçu au taux applicable aux ventes d'immeubles. II. Dans le cas où une
cession d'actions ou de parts a donné lieu à l'application du droit d'enregistrement, l'attribution des biens représentés par ces titres au moment de
la dissolution de la société ne donne ouverture au droit d'enregistrement que si cette attribution est faite à une personne autre que le cessionnaire.
III. Les dispositions prévues par cet article s'appliquent aux opérations réalisées par les groupements d'intérêt économique ». L’article 30
CIRPPIS énonce que « sont assimilés à des revenus distribués : 1- Sauf preuve contraire, les sommes mise à la disposition des associés,
directement ou par personnes interposées, à titre d'avances, de prêts ou d'acomptes à l'exception de celles servies entre une société mère et ses
filiales ; 2- Lorsque ces sommes sont remboursées à la personne morale, la fraction des impositions auxquelles leur attribution avait donné lieu est
imputée sur l'impôt dû au titre de l'année du remboursement ou des années suivantes ; 3- Les rémunérations, avantages et bénéfices occultes ; 4-
Les jetons de présence et les tantièmes attribués aux membres du conseil de surveillance en leur dite qualité ».
1308
Les parts de fondateur sont actuellement interdites par l’article 314 CSC.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

capital n’est pas divisé en actions est effectuée dans les deux années qui suivent la réalisation de l’apport du
bien immeuble fait à la société1309.

238- En plus de la simulation par actes fictifs ainsi que celle intervenant sur la base d’actes déguisés,
l’administration fiscale est en droit de s’opposer à la décision de gestion du chef d’entreprise lorsque celle-ci
résulte d’une simulation par interposition de personnes.

c- La simulation par interposition de personnes

239- Comme l’a affirmé Mr. Cozian, il s’agit d’un cas d’abus de droit par tromperie sur la
personne, « le maître véritable restant dans les coulisses, tandis que seul un prête-nom1310 intervient de façon
apparente1311 ». La simulation par interposition de personnes peut se réaliser par des personnes physiques,
comme elle peut avoir lieu par des personnes morales.
L’interposition de personnes physiques a lieu lorsque le prête-nom, personne physique, conclue des
opérations juridiques apparemment pour son propre compte mais réellement pour le compte d’une autre
personne1312. Ainsi, le véritable redevable de l’impôt reste en coulisse tout en profitant des faveurs que lui
procure le recours à un prête-nom complaisant ou en évitant les contraintes liées à la qualité de maître de
l’affaire. Pour n’en prendre qu’un exemple, on peut penser au gérant majoritaire d’une SARL qui, voulant
« éviter l’étiquette peu attrayante de gérant majoritaire1313 », décide de vendre une partie de ses parts sociales
à des personnes sûres, proches ou amis de confiance. Une telle manœuvre lui permet, tout en restant
majoritaire de fait, de bénéficier du régime fiscal attrayant du dirigeant minoritaire de la SARL1314. Ce même
gérant majoritaire peut choisir de céder une partie de ses parts sociales, non pas à une personne physique, mais
plutôt à une personne morale dans laquelle il est également majoritaire. Un tel montage, faisant intervenir une
simulation par personne morale, lui permet de tromper le fisc en bénéficiant du régime séduisant du gérant
minoritaire1315, tout en restant majoritaire de fait.
Cette pratique a été dénoncée par le législateur fiscal dans la mesure où l’article 48 CIRPPIS a institué
une présomption irréfragable d’interposition de personnes physiques lorsque l’interposé n’est autre que le
conjoint ou l’enfant mineur non émancipé du gérant. Dans ce cas, il sera tenu compte, pour le comptage des
parts sociales revenant au gérant, de celle détenues personnellement par les personnes susvisées1316.
Malheureusement, cette présomption fait complètement défaut en cas d’interposition de personnes
morales1317. On suggère donc au législateur de l’étendre à ce cas bien précis.

1309
AYEDI (H), Op. cit.
1310
Le prête-nom est la personne qui fait figurer son nom dans un contrat comme si elle agissait pour son propre compte alors qu’en réalité elle
n’intervient que comme mandataire d’une autre, sans que le cocontractant ait connaissance de cette interposition.
1311
COZIAN (M), op.cit., p 29.
# ‫ ن ا‬C‫ار‬ ‫ دون‬K G M+ 7 # ‫ ا< اط اف ا‬U N K G +‫ ا ] ر‬fL !$ 8 ‫وا‬ ] ‫ د ا‬# ‫ رة ا‬0 8‫ ي ھ‬P! ‫ ا‬X ‫ أو ا‬M+ 7 # ‫ ا< ا‬mP3 # ‫! ا‬4 ‫ ا‬+‫ " ا ] ر‬1312
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‫ أو‬9K A ‫ اء‬3 ‫ ن ا‬C ‫ اء‬A 9K / ‫ وظ‬K ‫ ون‬O + 8 ‫ ا‬9C ‫ ى ا‬K G ‫ زع‬4 ‫ اء ا ال أو ا ق ا‬O 9K N + M+D ‫ ول ا‬# ‫ ة وا‬F ‫ وا‬M ‫ ا‬Vd ) ‫ھ‬ 0P‫ ا‬7# ‫ د ا‬7
‫ ا أو‬8G C‫ ر‬3 ‫ ا‬M ‫ ع‬4 a ‫ ا ر أو‬M a !G 4 n# ‫ ة‬+‫ 'ا‬g N ‫ ن‬+ U < ‫ ه‬5 9A 84 N ‫ 'اد‬8G ‫ رك‬3+ ‫ي‬D ‫ ا‬mP3 ‫ م اع( أو ا‬567‫ و‬566 V]/ ‫ ا‬9‫ ھ‬5 9A
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1313
COZIAN (M), Les milles et une tricherie des faux gérants minoritaires de SARL, n° 12, p 482.
m ] + ` < ‫ " و‬8 + 9 ‫ا ا‬DK ‫ < ` ورد‬2004-1-9 ‫ _رخ‬559 ‫(د‬3 E $0 8G k ‫ ص و ذ‬PO ‫ ا‬8G L ^ ‫" ا‬+ ‫ ط‬MN i!# ‫ رة ا‬0 U ‫ إ‬H .‫ ا ب‬. ‫ ا‬fg #$ 1314
5[ 6 + k+ 3 ‫ ا‬V C ‫ أن ا‬M + #7‫ وا‬a ‫ أ‬95‫ ح ر‬L V 7 ‫ ه ھ‬g + ‫ي‬D ‫ ن ا ﺟ ا‬G 8 ‫ رأس ا ل و‬M 10 ‫ ى‬A 7 k + g # ‫ ا‬C 3 ‫ ا‬V C‫ أن و‬a " A
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1315
Conformément au paragraphe 5 de l’article 48 CIRPPIS, le salaire du gérant minoritaire est admis en déduction pour la détermination du
bénéfice imposable de la SARL. Par contre, les rémunérations allouées aux gérants majoritaires ne sont pas admises en déduction. Ce problème ne
se pose plus actuellement dans la mesure où le paragraphe 5 de l’article 48 CIRPPIS a été abrogé par la loi n°2010-58 du 17/12/2010 portant loi de
finance pour l’année 2011.
1316
Pour déjouer cette présomption, un gérant astucieux peut se livrer à des cessions fictives de parts sociales au profit de personnes n’ayant avec
lui aucun lien de parenté tout en faisant signer à son profit des cessions en blanc par les prête-noms. V. CHAUVREAU (R), SARL : les cessions
de parts en blanc, Gaz. Pal., I, 1957, Doc., p 24 et s.
1317
Dans ce cas, la jurisprudence française impose la preuve de deux conditions cumulatives pour que l’abus soit accepté et condamné. Primo, il
faut prouver que le gérant exerce une fonction de direction de droit ou de fait dans la société intercalée. Secundo, il faut prouver que ce même
dirigent détient une participation majoritaire dans le capital de la dite société. C.E. Fr., 7ème, 8ème et 9ème, 4-02-1977, Req. n° 83219, 83823 et
87994, DF 1977, n°26, comm. 1022, concl. LAPARADE (M).

Page 183
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

240- A côté de l’abus de droit par simulation qui peut apparaître dans certaines formes de
concentration, il existe une deuxième forme d’abus de droit fiscal constitutif de fraude à la loi pouvant surgir
lors des opérations de fusion, scission ou de groupement de sociétés.
On peut soutenir que si au niveau des simulations l’abus n’est pas très fréquent dans les procédés de
concentration, il en est autrement quand il s’agit d’abus par fraude à la loi.

B- L’abus de droit en tant que fraude à la loi

241- La notion de fraude à la loi, comme celle d’abus de droit, n’est ni une invention des fiscalistes,
ni une spécificité de la matière fiscale. Le droit international privé en fournit la preuve avec la célèbre affaire
de la princesse de Beauffremont1318. Que l’on n’oublie pas, aussi, la consécration légale de cette même notion
dans l’article 30 CDIP1319. Mais, si en droit international privé, la fraude à la loi peut être définie comme la
modification frauduleuse d’un élément de rattachement1320 dans le seul but d’éviter l’application d’une loi
bien déterminée1321 ; en droit fiscal, elle consiste pour un contribuable à passer des actes réels, en dehors de
tout trucage ou mensonge, mais qui ne sont inspirés que par des considérations fiscales. Autrement dit, selon
la formule du professeur Cozian, la fraude à la loi « c’est du vent, c’est du pipeau, de la prestidigitation1322 ».
Par conséquent, en cas de fraude, il n’y a ni simulation ni mensonge car les actes passés sont réels. En
revanche, le montage juridique est artificiel et contre nature. Il ne peut s’expliquer que par la volonté de
contourner une règle fiscale contraignante et dépasse les limites tolérables de l’habileté fiscale. Comme l'a
rappelé l’ex-commissaire du gouvernement français, Pierre Collin, la fraude à la loi, qui n'est pas une notion
propre au droit fiscal, traduit l'utilisation d'une disposition légale conformément à sa lettre mais en violation
de l'esprit dans lequel elle a été instituée1323. Il a précisé, de plus, que « La fraude à la loi en matière fiscale
est (...) de passer des actes à seule et unique fin de réduire son impôt en faisant un usage de la loi fiscale
formellement régulier mais contraire à son esprit ». Pour le président Fouquet, l'abus de droit par fraude à la
loi « implique la présence d'un élément intentionnel et d'un usage anormal d'un droit légal »1324. Dans cette
catégorie d'abus de droit, entrent ainsi les conventions ou les montages qui répondent à des préoccupations
exclusivement fiscales1325.
En somme, il y’a fraude à la loi lorsqu’un acte, bien que réel, n’a pu être inspiré « par aucun motif que
celui d’éluder l’impôt ou d’atténuer les charges fiscales de l’intéressé1326 ». L’acte ne répond à aucune
justification financière, économique, commerciale, juridique, patrimoniale, familiale, etc. Il trouve sa cause -
son but - dans la seule intention de tenir en échec la règle fiscale1327.

1318
Cass. Civ. Fr., 18 mars 1878 : La princesse de Beauffremont, mariée à une époque, où le droit français ignorait tout du divorce et encore
moins du PACS, et éprise du prince Bibesco, décida de changer de nationalité et d’opter pour celle d’un Etat, favorable au divorce. Par ce
stratagème, la princesse de Beauffremont pouvait divorcer et épouser librement son bien aimé. L’histoire aurait pu se terminer avec la formule
«tout est bien qui finit bien ». Toutefois, en France, la Cour de Cassation ne l’entendit pas de cette oreille. Considérant que le changement de
nationalité, dont avait fait l’objet la princesse de Beauffremont n’avait été motivé par aucune autre considération que celle de contourner la loi
française et d’échapper à l’interdiction de divorcer, la Cour avait jugé son divorce ainsi que son remariage avec le prince Bibesco inopposables au
regard du droit français, car obtenus en fraude de la loi française et dès lors la princesse devenue allemande n’en était pas moins toujours Mme de
Beauffremont.
1319
Conformément à l’article 30 CDIP « la fraude à la loi est constituée par le changement artificiel de l'un des éléments de rattachement relatifs
à la situation juridique réelle dans l'intention d'éluder l'application du droit tunisien ou étranger désigné par la règle de conflit applicable.
Lorsque les conditions de la fraude à la loi sont réunies, il ne sera pas tenu compte du changement de l’élément de rattachement ».
1320
On peut citer par exemple la nationalité, le domicile…
1321
GUTMAN (D), Droit international privé, Dalloz, 1999, n° 123 et s.
1322
COZIAN (M), Une frontière floue entre l’habileté fiscale et l’abus de droit, In La gestion fiscale et l'abus de droit, Table ronde, R.F, compt,
décembre 1991, n° 229, p.18.
1323
Cf. C.E. Fr., Sect., 20 janvier 1989, CNCL c/ TF1, req. no 103063, Lebon, p. 9 : chaîne respectant les quotas de diffusion d'oeuvres
d'expression originale française en les diffusant la nuit.
1324
Optimisation fiscale et abus de droit, EFE Litec, 1990, p. 53.
1325
FOURRIQUES (M), Optimisation fiscale et abus de droit par fraude à la loi : le cas des sociétés d'exercice libéral, L.P.A., 30 novembre 2007,
n° 240, P. 6.
1326
C.E. Fr., 10 juin 1981, req. n° 19079, D.F., 1981, n° 48-49, comm. 2187, concl. LOBRY.
1327
En cette matière, le droit anglo-saxon suit la même démarche. En effet, les montages juridiques suspects sont soumis au test du « reasonable
business purpose » (intérêt commercial raisonnable) grâce auquel le juge examine l’objet du montage douteux et prononce son inopposabilité dès
lors que la contrepartie n’a de fondement ni économique, ni commercial mais purement fiscal. V. GEFFROY (J-B), Grands problèmes fiscaux
contemporains, Paris, PUF, 1993, n° 300, p 566.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Ainsi, l’abus de droit par fraude à la loi permet à l'administration fiscale de remettre en cause une
décision de gestion régulière, en tenant compte de l'animus, c'est-à-dire de la psychologie du chef d’entreprise
au moment où il prend l’acte contesté1328. L’exemple fourni par l’administration fiscale obéit à cette
dialectique. En effet, on peut lire, dans la note commune n° 38-2002, ce qui suit : « supposons qu’une
personne physique exerçant dans le secteur des travaux publics, contre qui des dettes fiscales ont été
constatées au profit du trésor, ait procédé sciemment au gel de son activité en tant que personne physique et
ait constitué une société à responsabilité limitée avec ses enfants en sauvegardant la même activité, ce qui a
engendré la transmission des éléments d’actifs à la société constituée afin d’échapper au paiement des dettes
fiscales constatées à sa charge au profit du trésor en tant que personne physique, ce qui lui permettra de
participer à la réalisation de marchés publics au nom de la société constituée, ce qui a empêché le
recouvrement des dettes fiscales à la charge de la personne concernée. Dans ce cas, la cession des éléments
d’actifs au profit de la société d’une façon concomitante avec l’existence d’une dette fiscale et sans
l’existence d’une raison objective est considérée une opération d’abus de droit par fraude à la loi1329 ».
242- Contrairement à la simulation qui a été expressément visée et sanctionnée par l’article 101
CDPF, l’abus par fraude à la loi n’a pas été légalement « ciblé »1330. C’est d’ailleurs le cas de l’ancienne
législation fiscale française où l’article L.64 du livre des procédures fiscales ne visait que les dissimulations
juridiques. Certains auteurs, à l’instar de Mr. Cozian1331, ont cru bon d’affirmer que l’article L 64 ancien ne
doit pas être interprété au-delà de sa lettre et qu’il n’autorise pas l’administration à poursuivre les habiletés
fiscales constitutives de fraude à la loi. De même, le Conseil d’Etat, dans un arrêt particulièrement clair, rendu
en 1979, avait jugé que la procédure de l’abus de droit n’était pas utilisable là où l’administration ne relevait
aucun acte fictif ou déguisé1332. Mais, dans un arrêt de principe, rendu en 19811333, le conseil d’Etat a rejeté

1328
GERSCHEL (C), Le principe de non-immixtion en droit des affaires, LPA, 01septembre 1995, n° 105, p 4.
1329
Texte DGI, n° 2002-60, note commune n° 38-2002.
1330
La fraude à la loi n’est pas expressément citée au niveau du premier alinéa de l’article 101 du CDPF, à moins qu’on considère qu’elle équivaut
à « la simulation de situations juridique dans le dessein de bénéficier d’avantages fiscaux, de la minoration de l’impôt exigible ou de sa
restitution ». La note commune n° 3/2002(Texte DGI n° 2002/60) semble aller dans ce sens. Cette note commune donne, en effet, l’exemple
suivant, concernant la simulation de situation juridique : « Soit une société qui a été constituée par une personne et les membres de sa famille pour
la réalisation d’un projet dans un secteur bonifiant des dispositions du code d’incantation aux investissements, les souscripteurs au capital de la
société ont bénéficié du dégrèvement au titre des revenus et bénéfices réinvestis de la base soumise à l’impôt exigible sur leur revenu . Cependant,
suite à une opération de contrôle fiscal, il s’est avéré que les promoteurs n’ont entamé aucune procédure pour la réalisation du projet, même
après l’expiration de la période prévue par le code d’incitation aux investissements, et que les souscripteurs ont retiré les fonds souscris au capital
de la société. A la convocation des intéressés par les services de l’administration fiscale pour connaitre la réalité de la situation, aucun motif
raisonnable justifiant la non réalisation du projet n’a été apporté. Dans ce cas, il est possible de constater une infraction fiscale pénale contre les
intéressés consistant en la simulation de situation juridique fictive afin de bénéficier des avantages fiscaux et de minorer l’impôt exigible ». Dans
le cas d’espèce, la société bénéficiaire semble être régulièrement constituée et les actionnaires ont vraisemblablement respecté les conditions de
bénéfice des dégrèvements financiers. Toutefois, l’ensemble du montage juridique est inspiré par un seul motif à savoir le bénéfice d’avantages
fiscaux. Ces éléments qui sont caractéristiques de la fraude à la loi relèvent selon la doctrine administrative du délit de l’abus de droit. Un autre
exemple est donné par la doctrine administrative obéit à cette même logique « Supposons qu’une personne physique exerçant dans le secteur des
travaux publics contre qui des dettes fiscales ont été constatées au profit du Trésor, ait procédé sciemment au gel de son activité en tant que
personne physique et ait constitué une société à responsabilité limitée avec ses enfants en sauvegardant la même activité ce qui a engendré la
transmission des éléments d’actifs à la société constitué afin d’échapper au paiement des dettes fiscales constatées à sa charge au profit du Trésor
en tant que personne physique, ce qui lui permet de participer à la réalisation de marchés publics au nom de la société constituée ce qui a
empêché le recouvrement des dettes fiscales à la charge de la personne concernée. Dans ce cas, la cession des éléments d’actifs au profit de la
société d’une façon concomitante avec l’existence d’une dette fiscale et sans l’existence d’une raison objective est considérée comme une
opération de fraude fiscale ». Cette doctrine administrative se base sur les dispositions du premier alinéa de la l’article 101 du CDPF pour réprimer
cette fraude à la loi et plus précisément sur la « simulation de situations juridiques ». En d’autres termes, la note commune considère implicitement
que la mise en œuvre de montages juridiques dans des buts uniquement fiscaux (et par conséquent la fraude à la loi) est une simulation de
situations juridiques. Une telle acception soulève toutefois deux remarques. Primo, la situation juridique qui résulte du montage visé dans
l’exemple de la note commune n’est pas fictive et est bel est bien réelle. Deuxio, il s’agit d’une interprétation extensive qui se heurte à la version
arabe de l’article 101 du CDPF ou le législateur exige expressément que les situations juridiques en question soient irréelles ce qui revient
forcément à exclure la fraude à la loi dans la mesure ou la réalité des montages (c’est à dire leur caractère réel) est érigée en principe de base.
Ainsi, l’introduction de la notion de fraude à la loi dans le domaine de l’abus de droit semble résulter d’une interprétation large des termes de
l’article 101 du CDPF. Elle risque de méconnaitre les règles d’interprétation stricte qui gouvernent l’interprétation des textes fiscaux et pénaux.
L’article 101 du CDPF ne sanctionne explicitement que la simulation et il parait erroné d’étendre son application à des cas non expressément visés.
V. CHOYAKH (F), L’abus de droit, art. pré., p 20 et s.
1331
COZIAN (M), L’abus de droit, RJF, 1980, n° 5, p 202.
1332
C.E. Fr., 23 fevrier 1979, req. 6688, D.F., 1979, n° 48, comm. 2367.
1333
C.E. Fr., 10 juin 1981, req. 1979, D.F. 1981, n° 48-49, comm. 2187, concl. LOBRY. Dans cet arrêt, le C.E. a affirmé ce qui
suit : « considérant que lorsque l’administration use des pouvoirs qu’elle tient de ce texte dans des conditions telles que la charge de la preuve lui
incombe, elle doit, pour pouvoir écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, établir que ces actes ont un

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

cette interprétation restrictive et a décidé, pour la première fois semble-t-il, que la procédure de l’abus de droit
permet de réprimer non seulement les dissimulations juridiques, mais encore les fraudes à la loi réalisées par
des actes non fictifs1334. Il semble que cette jurisprudence française est devenue, depuis cette date, constante et
bien établie.

Dernièrement, le législateur français a pris à contre pied la doctrine antithétique à l’abus de droit sous
forme de fraude à la loi, en faisant écho à la jurisprudence susvisée du conseil d’Etat. L’article 64 (nouveau)
LPF en fournie la preuve. En effet, en plus de la simulation, ledit article condamne sous le chef de l’abus de
droit, tous les actes qui, n’étant pas fictifs, « n’ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder
ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait
normalement supportées eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ». Cette nouvelle réforme a suscité,
bien avant son apparition, diverses critiques. Voici Monsieur Turot qui juge la nouvelle définition
«préoccupante »1335. En outre, il la considère contradictoire avec « la notion de politique fiscale dont se
servent les pouvoirs publics en tant qu’instrument d’incitation ou de dissuasion à l’égard des comportements
économiques1336 ». Par cette dernière observation, c’est surtout une inévitable insécurité fiscale que M. Jérôme
Turot dénonce, considérant en ces termes que : « … si la notion de dissimulation juridique est une notion
juridique, par contre la notion de fraude d’intention ne peut mener ailleurs qu’à l’insécurité juridique1337 ».
La frontière entre ce qui relève de l’abus de droit par fraude à la loi qui implique qu’un contribuable
accomplisse des actes qui n'ont pu être inspiré par aucun motif autre que celui d'éluder ou atténuer les charges
fiscales et ce qui relève d’une « incitation fiscale » est incertaine, créant par la même un inévitable sentiment
d’insécurité juridique chez l’ensemble des contribuables. Plus que jamais, l’abus de droit par fraude à la loi
semble être un outil de stigmatisation de l’habileté fiscale. Autrement dit, il s’agit d’un critère qui, à lui seul,
étend la subjectivité de la procédure d’abus de droit au risque pour le contribuable malheureux d’être pris
définitivement en flagrant abus d’intelligence.

243- Les exemples d’abus de droit par fraude à la loi ne manquent pas. Il va sans dire que les
opérations intra-groupes constituent un terrain de prédilection de ce genre d’agissement abusif. Tel est le cas
d’une société industrielle qui a fait apport de ses installations, stocks et machines à une de ses filiales dont elle
détenait la quasi-totalité des parts sociales. Suite à cet apport, la société mère est devenue une société
financière, c’est à dire un holding. Aussitôt, elle a consenti à la même filiale un prêt important moyennant des
intérêts élevés. Cette ingénierie financière a permis, d’une part, à la filiale de déduire les intérêts du prêt de
son bénéfice imposable à titre de charges professionnelles. D’autre part, la société mère s’est accaparé presque
la totalité des bénéfices de la filiale sous forme d’intérêt et non pas de dividendes. Ce montage a été battu en
brèche par l’administration fiscale sur la base de la théorie de l’abus de droit par fraude à la loi. Elle a
considéré, en effet, le prêt comme étant un apport en société et, par conséquent, les intérêts perçus comme
étant des dividendes masqués. Le juge de l’impôt a suivi, à son tour, le raisonnement de l’administration en
décidant que « les conventions avenues entre les sociétés avec la volonté d’en déduire toutes les conséquences
juridiques trahissent dans ces condition une volonté de fraude à la loi, ayant été réalisées principalement, si
pas uniquement, afin de diminuer dans la plus large mesure possible les bénéfices éventuels de la société
nouvelle en augmentant les charges 1338».

caractère fictif ou, à défaut, qu’ils n’ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d’éluder ou atténuer les charges fiscales que l’intéressé,
s’il n’avait pas passé ces actes, aurait normalement supporté eu égard à sa situation et à ses activités réelles ».
1334
Faudra-t-il également signaler un autre cas d’abus de droit qui a été légalement retenu sans que la fictivité d’un acte ait été démontrée. Il s’agit
du cas de fusion où le déficit de la société absorbée ne peut, sauf agrément, être imputé sur les bénéfices de la société absorbante (V. art. 209_I
CGI français) ; sachant qu’aucun texte n’interdit, en revanche, l’imputation des déficits de la société absorbante sur les bénéfices de la société
absorbée. Aussi, certains dirigeants ont-ils imaginé des fusions « à l’envers », une société riche de ses déficits reportables absorbant une société
largement bénéficiaire, la fusion n’est en rien fictive, mais pratiquée dans ce sens de manière artificielle, elle ne peut s’expliquer que par
l’interdiction d’imputer les déficits de la société absorbée.
1335
TUROT (J), Chron. à propos de C.E., 21 juill. 1989, no 59970 et C.E., 21 juill. 1989, no 58871, R.J.F. 8-9/89, p. 458) considère que seule la
simulation peut justifier l'abus de droit et que cette extension opérée par la jurisprudence est un abus de texte.
1336
TUROT (J), Réalisme fiscal, abus de droit et opposabilité à l'administration des actes juridiques (ou l’abus de droit rampant), R.J.F., 8-9/89, p.
458.
1337
Ibidem.
1338
C.E. Fr., Arrêt Brepoles, 25 mars 1959, Rec. Géné., 1960, p 459.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

244- En sus des agissements intra-groupes, les opérations de fusion constituent, elles-aussi, un
milieu favorable pour la pullulation de la fraude à la loi fiscale. On se limitera à l’analyse de deux
phénomènes de fusions qui ont fait couler beaucoup d’encre en raison de leurs aspects ingénieux et insolites à
la fois.
En réalité, pour que l’administration fiscale puisse invoquer la notion d’abus de droit par fraude à la loi
à l’occasion d’une fusion-absorption, il faut qu’elle démontre que l’opération est à motivation purement
fiscale. Ce qui n’est pas du tout facile à prouver car, les fusions étant des opérations lourdes, elles sont
généralement décidées pour des motifs de réorganisation, de simplification des structures et de synergie
d’activité. Si ces motifs sont valables pour la plupart des opérations de fusion ordinaires, quid du premier
phénomène de fusion celui permettant à une société déficitaire d’absorber une société bénéficiaire ? Il s’agit là
d’une forme de fusion très répandue dans la pratique française permettant d’éluder la disposition fiscale
voulant que le déficit de l’absorbée soit perdu à l’occasion d’une fusion, sauf agrément du ministre des
finances1339. Mais, partant du fait qu’aucun texte n’interdit l’imputation des déficits de la société absorbante
sur les bénéfices de la société absorbée, certains dirigeants ont imaginé des fusions « à l’envers », c'est-à-dire
une société riche de ses déficits reportables absorbant une société largement bénéficiaire. La fusion n’étant en
rien fictive, mais pratiquée dans ce sens de manière artificielle, elle ne peut s’expliquer que par l’interdiction
d’imputer les déficits de la société absorbée.
Plus précisément, il sied de remarquer que ni le droit des sociétés commerciales, ni le droit fiscal
d’ailleurs, n’indiquent quelle société a vocation à être société absorbante et quelle autre société est appelée à
disparaître en tant que société absorbée. Seules les entreprises doivent déterminer librement dans quel sens va
s’opérer la fusion. Les critères à prendre en considération sont multiples : ils sont à la fois économiques,
juridiques et fiscaux. Ce dernier critère est parfois déterminant dans ce choix. En effet, lorsque l’opération
répond avant tout à des préoccupations techniques, dans le cadre d’une restructuration à l’intérieur d’un
groupe, le choix sera déterminé en fonction du coût de l’opération, et notamment au regard du paramètre
fiscal.
Fiscalement, le sens dans lequel la fusion est réalisée revêt une importance capitale au regard des
reports déficitaires dès lors que les déficits subis par la société absorbée avant l’opération ne sont, en principe,
pas imputables sur les bénéfices de la société absorbante, alors que ceux de la société absorbante restent en
règle générale reportables.
En raison de l’importance du paramètre fiscal et son lien direct avec le sens de la fusion, la question
s’est posée de savoir si les entreprises sont parfaitement libres de déterminer laquelle des sociétés concernées
aura la qualité d’absorbante ? Et si, en particulier, l’absorption d’une société bénéficiaire par une société
déficitaire -fusion à l’envers- peut être réalisée sans risque ? Evidemment, l’administration fiscale a trouvé
dans le choix du sens de la « fusion à l’envers » un terrain d’application de la notion d’abus de droit par fraude
à la loi fiscale, considérant que le choix apparaissait dicté par le seul but de permettre un report des déficits et
donc le sens de la fusion ne se justifiait que par des considérations purement fiscales.
Heureusement, le Conseil d’Etat français, amené à se prononcer sur une fusion réalisée entre deux
sociétés sœurs d’un même groupe et qui exerçaient la même activité, la société déficitaire ayant agi en qualité
d’absorbante, a écarté l’abus de droit. Il a jugé, en effet, que le droit au report des déficits pouvait être
maintenu, dès lors que l’opération n’avait pas un caractère fictif et répondait à un intérêt économique,
d’ailleurs reconnu par l’administration1340. Cette analyse est de nature à limiter les risques encourus par les
entreprises car, d’une manière générale, la réalisation d’une fusion repose, en plus de l’optimisation fiscale,
sur des motivations d’ordre économique qui peuvent être établies sans difficulté. Du coup, les risques d’abus
de droit en cas de fusion « à l’envers » paraissent restreints, même si l’administration a indiqué qu’elle ne
s’estimait pas liée par l’arrêt « Auriège » et qu’elle se réservait la possibilité d’invoquer l’abus de droit en cas
de manouvres manifestement abusives1341.

1339
V. http://www.altexis.fr/xws175_entreprise-fusions-acquisitions-reorganisation.asp.
1340
C.E. Fr., 21 mars 1986, n°53002, Auriège, RJF 5/86, p. 298.
1341
Comité fiscal de la Mission d’organisation administrative, séance du 31 janvier 1994, Dr. fisc. 1995, n°7, p. 332.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Cette forme de « fusion à l’envers » est difficile à concevoir dans la pratique tunisienne pour la simple
raison que la loi de finance pour l’année 2005 permet, au sein de l’article 49 decies II bis1342 , à la société
absorbante de déduire de son bénéfice imposable « les déficits enregistrés au niveau de la société absorbée…
et qui n’ont pas pu être déduits des résultats de l’année de la fusion ». Il s’en suit que lorsque la société
absorbée est déficitaire, la société absorbante est autorisée légalement à imputer le déficit de l’absorbée sur ses
propres résultats, ce qui diminuera d’autant son bénéfice imposable. A défaut d’imputation, l’alinéa deuxième
du même article, autorise la société absorbante à reporter la déduction dudit déficit sur les résultats des
exercices ultérieurs1343.
Instituée par la loi de finance précitée, cette nouvelle mesure, si avantageuse pour la fusion des
entreprises, ne risque-t-elle pas de « créer une sorte de marché des sociétés déficitaires où l’on achèterait du
déficit reportable1344 » ? La fusion-absorption ne deviendrait-elle pas de cette manière une solution appropriée
afin de réduire le bénéfice imposable ? Le législateur français n’a-t-il pas raison d’avoir interdit l’imputation
du déficit de la société absorbée sur les résultats de la société absorbante1345 ?
En réalité, aussi bien le législateur français que son homologue tunisien ont échoué en cette matière
bien délicate. En effet, si le législateur français en interdisant l’imputation a fini par favoriser des fusions à
l’envers réalisées dans le seul but de spolier le fisc ; son homologue tunisien, en autorisant l’imputation du
déficit, croyant résoudre le problème de la fusion à l’envers, a incité l’absorption artificielle de sociétés
déficitaires pour des fins purement fiscales. Dans l’un et l’autre cas, le résultat est le même. La théorie de
l’abus de droit par fraude à la loi constituera certainement l’ultime rempart et le seul recours du fisc pour
éviter toute fuite de l’impôt.

245- Ceci étant précisé, il convient de dévoiler un deuxième montage qui ne cesse de faire la une des
journaux et des revues financières, partout dans le monde, connu sous le nom d’opération LBO ou encore de
«fusion rapide »1346. Cette ingénierie financière est très séduisante dans la mesure où elle permet l’acquisition
de sociétés importantes avec peu ou même sans fonds personnels, en faisant indirectement ou directement
supporter par la société cible le financement de toute l’opération.
Certes, l’opération est très avantageuse sur le plan financier et économique, toutefois elle emporte en
elle des risques à bien des égards, entre autres une possible condamnation des preneurs sous le chef de l’abus
des biens sociaux1347. Cette même opération est, aussi, souvent appréhendée, par la majorité écrasante de la
doctrine française1348, sous le prisme de l’abus de droit par fraude à la loi.
La doctrine adverse1349 a, par contre, largement autorisé l’opération LBO. Elle invoque, à cet égard, le
fait que sur le terrain de la fictivité, la création du holding n’est pas du tout artificielle. En effet, même sans
ressources autonomes, le holding fonctionne juridiquement et comptablement, et favorise la mise en commun

1342
Ajouté par l’article 36 de la loi n° 2004-90 du 31-12-2004 portant loi de finance pour l’année 2004.
1343
Dans la limite de 4 ans à partir de l’année de la réalisation du déficit par la société absorbée.
1344
SERLOOTEN (P), Droit fiscal des affaires, DALLOZ, 2005, n° 709, p 462.
1345
KOSSENTINI (M), Chronique de fiscalité des entreprises : le régime fiscal de la fusion de sociétés, R.T.D.F., Sfax., 2005, p 201.
1346
Concernant la définition de cette opération, V. supra, n° 102.
1347
V. supra n°102.
1348
BARDET (H), CHARVERIAT (A), GOUTHIERE (B) et JANIN (P), Les holdings, Éditions Francis Lefebvre, 1991 ; BERTREL (J-P) et
JEANTIN (M), Droit de l’ingénierie financière, Litec, 1991 ; (même auteur) Acquisitions et fusions des sociétés commerciales, 2e éd., Litec,
1991 ; COURET (A) et FOUGERAT (J), Ingénierie financière des cessions et acquisitions d'entreprises, Éditions liaisons, 1991 ; COURET (A)
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auteur) Grands principes de la fiscalité des entreprises, 3e éd., Litec, 1996 ; DEPALLENS (G), Gestion financière de l'entreprise, 8e éd., Sirey,
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Eurépargne, déc. 1988, p. 54 ; AULAGNON (M), Avantages et incertitudes des montages financiers : Banque, juin 1995, n° 560, p. 26 ;
BERTREL (J-P) ; (même auteur) Acquisitions de contrôle et vampirisme financier : Droit et Patrimoine, janv. 1993, n° 1, p. 52 ; (même auteur)
La « fusion rapide » : Droit et Patrimoine, juin 1994, n° 17, p. 24 ; (même auteur) Rappel à l’ordre de la Cour de cassation en matière de «
vampirisme financier » : Droit et Patrimoine, mars 1996, n° 36, p. 18 ; CHADEFAUX (M), La régularité fiscale d'une opération de LBO suivie de
l'absorption rapide de la cible par la société holding : Dr. fisc. 1993, n° 8, p. 277 ; DESBRIERES (P), Le marché français des LBO, LMBO, RES :
après le développement, la récession : Fusions et Acquisitions magazine, juin 1993, p. 31 ; (même auteur) Buy-outs, buy-ins en France : reprise des
transactions dans un marché européen cyclique : Fusions et Acquisitions Magazine, juil. août 1995, p. 18.
1349
BERTEL (J-P), La fusion rapide, Dr. Et Pat., Juin, 1994, p 25 ; PORACCHIA (D), La fusion rapide dans les LBO, Dr. Et Pat., n° 152, 2006,
p 77.

Page 188
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

de moyens en vue de réaliser une acquisition de contrôle, d’autant plus que la fusion subséquente n’est pas
davantage fictive puisqu’elle permet de réaliser l’opération de reprise dans des conditions fiscales et
financières optimales. Quant à l’argument selon lequel, en dehors même de toute fictivité, le montage serait
réalisé uniquement dans le souci d’éluder l’impôt, on invoque souvent que la fusion rapide, bien qu’elle
présente de réels avantages fiscaux, ne puise pas dans ces avantages sa seule justification. Il semble, en fait,
évident que cette fusion assure des avantages économiques et financiers majeurs dans la mesure où elle
permet de maintenir la confiance des prêteurs, d’assurer le paiement des emprunts, de simplifier la gestion des
sociétés qui fusionnent et tant d’autres avantages économico-financiers.
En revanche, une autre partie de la doctrine1350 qualifie d’abusive toute opération de fusion rapide en
se basant sur plusieurs critères tels que : le bref délai séparant l’acquisition de la fusion ; le faible niveau de
capitalisation du holding ; l’importance des dettes d’acquisition et l’exercice ou non par le holding d’une
activité autre que la détention des titres de la cible. Cette position est confirmée par l’administration fiscale
française qui qualifie la fusion rapide de hold-up patrimonial doublé d’un hold-up fiscal1351. Il semble, par
contre, que la jurisprudence fiscale française est encore défavorable aux avis de l’administration fiscale qui
n’hésite pas à condamner sous le chef de l’abus de droit, par fraude à la loi, la majorité des opérations LBO.
On peut citer, à titre d’exemple, la riposte de la cour administrative d’appel de Lyon évinçant la qualification
d’abus de droit invoquée par l’administration au motif que, « dans un premier temps, la création de la société
holding a permis à ses associés de mettre en commun les moyens dont ils disposaient pour prendre le contrôle
de la cible et, dans un second temps, la fusion a permis de financer la charge de l’emprunt au moyen des
bénéfices de la société absorbée. La circonstance que l’opération se soit en définitive révélée avantageuse
pour les actionnaires du holding n’est pas en elle-même suffisante pour établir l’abus de droit »1352. Il ne faut
toutefois pas exagérer la portée de ce dernier arrêt, car le holding en l’espèce avait eu pendant huit mois une
activité réelle et sa situation n’est pas exactement comparable à celle d’un holding pur créé pour disparaître
immédiatement dans le cadre d’une véritable fusion-rapide1353. Un doute peut donc subsister. Il va sans dire
que la jurisprudence a, quand même, montré qu’une certaine habileté fiscale est permise en matière de fusion
à condition de réaliser l’opération avec prudence.
Remarquons de façon générale que l’étude de la jurisprudence en la matière laisse apparaître des
exigences croissantes de la part des juges dans l’application du critère relatif au but exclusivement fiscal du
montage litigieux. Ainsi, selon la jurisprudence française, l’abus de droit peut être invoqué par
l’administration dans deux hypothèses différentes : - lorsque le montage juridique du contribuable repose sur
des actes et des situations fictifs ou déguisés ; - lorsque, en l’absence même de tout caractère fictif, le montage
juridique a été exclusivement réalisé à des fins fiscales. En outre, la jurisprudence française donne de la fraude
à la loi une interprétation qui, dans certaines espèces, peut être large puisqu’il peut s’agir d’une fraude à
l’esprit de la loi1354, ou même d’une fraude ayant pour objet non d’éluder une imposition immédiate, mais une
imposition ultérieure1355. Il résulte de cette extension une indéniable insécurité, car personne ne pourra jamais
tracer la ligne où s’arrête l’habileté permise et où commence l’abus réprimé. Aussi, certains regrettent-ils cette
évolution jurisprudentielle allant même jusqu’à la qualifier « d’abus de texte » et formulent à son égard de
vives critiques1356.

246- Fraude à la loi, simulation par acte fictifs, déguisement, interposition de personnes physiques,
interposition de personnes morales, la versatilité de l’abus de droit fiscal est bien établie. Nul doute que cet
aspect polymorphe de l’abus de droit rend sa neutralisation de plus en plus difficile. D’autant plus que
l’équilibre doit être sauvegardé entre les droits des contribuables, entre autres leur sécurité juridique, et
l’intérêt du trésor public imposant une condamnation large et efficiente.

1350
QUENTIN (E), Fusion rapides : un hold-up fiscal, Management et Finance, n° 125, 2001, p 32.
1351
Ibidem.
1352
C.A. Lyon, 26 mai 1992, Société Régie Immobilière de Villeurbanne, Dr. fisc. 1993, n°8, comm. 396 ; RJF 10/92, p. 836.
1353
En ce sens CHADEFEAUX (M), La régularité fiscale d.une opération de LBO suivie de l’absorption rapide de la cible par la société holding,
Dr. fisc. 1993, n°8, p. 377 ; BERTEL (J-P), La « fusion-rapide », Droit & patrimoine, juin 1994, p. 25.
1354
C.E. Fr., Plén., 3 février 1984, n°38-230, Dr. fisc. 1984, comm. 1278, concl. LATOURNERIE.
1355
C.E. Fr., 3 février 1986, n°41-026, RJF 4/86, n°413.
1356
TUROT (J), Réalisme fiscal, abus de droit et opposabilité à l’Administration des actes juridiques (ou l’abus de droit rampant), RJF 8-9/89, p.
458.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

247- On a pu ainsi démontrer que les approches législatives de l’abus diffèrent d’une matière à une
autre et d’un procédé de concentration à l’autre. Cette différentiation dans l’appréhension du concept a mis en
place plusieurs formes d’abus aussi différentes les unes des autres, constituant, de la sorte, un obstacle majeur
devant tout essai de théorisation et de synthétisation. On ose même se demander s’il existe vraiment une
théorie générale de l’abus dans les procédés de concentration ? L’abus serait-il alors vraiment, comme le
pensent plusieurs juristes1357, une construction empirique et non logique ?

Plutôt que d’admettre une telle éventualité, somme toute peu probable, il conviendrait pour un
chercheur juriste de prospecter, autant que faire se pourrait, derrière cet apparent désordre, les clefs d’une
réflexion menant à la découverte d’une logique au niveau des constituants de l’abus et l’existence d’une
véritable notion juridique. En effet, comme le remarquent d’éminents auteurs, le chercheur « ne se contente
pas de créer des concepts, il les insère dans un ensemble. Il assigne une place à chaque notion dans le
système juridique ; autant dire qu’il met de l’ordre... La mission de l’homme de doctrine est de transformer la
confusion en ordre, la multiplicité en unicité… »1358.

1357
Plusieurs auteurs se posent la question suivante : « pourquoi s’obstiner à dégager un critère contraignant qui limiterait l’appréciation du juge,
alors qu’en définitive la théorie relève de l’équité plus que de la responsabilité, l’équité échappe à l’esprit de système et relève d’une casuistique
toute empirique ? ». ROLAND (H) et BOYER (L), Adages du droit français, op. cit., n° 423. V. aussi GODE (P), Observations sous le décret
n°78-4M du 24 mars 1978 portant détermination des premières clauses réputées abusives, RTD Civ., 1978, p 744 : (« La notion d’abus est
naturellement fuyante ») ; AUBERT (J-L), note sous Cass. 1er civ. 6/12/1989, Defrénois, 1991, art. 34987, p. 366 : (« Le sentiment d’abus est
beaucoup trop subjectif pour autoriser un accès systématique et individuel aux prétoires sur ce fondement ») ; MARKOVITCH (M), La théorie
de l’abus des droits en droit comparé, LGDJ, Paris, 1936 ; MAZEAU (D), note sous Cass. 1er civ. 26/05/1993, Defrénois 1994, art. 35746, p. 351 :
(« Le concept d’abus se caractérise par sa fluidité et sa subjectivité »).
1358
LE TOURNEAU (PH) et CADIET (L), Droit de la responsabilité et des contrats, DALLOZ, 2002-2003, n°16. Dans un sens proche, MM.
Jestaz et Jamin relèvent la nécessité pratique de la participation de la doctrine à l’élaboration du droit, tout en soulignant avec beaucoup de
clairvoyance le risque de « déformation pédagogique. Les lignes tracées par le savant, quelle que soit la probité de celui-ci, correspondront de
moins en moins à la réalité du droit et refléteront de plus en plus les catégories de son esprit, distingué par des hypothèses, mais impuissant à serrer
au plus près la diversité de l’objet étudié » : JESTAZ (PH) et JAMIN (C), Doctrine et jurisprudence cent ans après, RTD Civ., 2002, p.1.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Titre Deuxième : Unicité du concept d’abus


dans les procédés de concentration
248- Cette diversité de l’abus, au sein de la concentration, peut-elle être rationnellement agencée ?
Malgré la variété des formes d’abus, plusieurs constantes peuvent être relevées. Ainsi, derrière des
«apparences » de pluralité et d’hétérogénéité, se cachent des invariantes mettant en épigraphe l’existence d’un
socle commun, d’un dénominateur unique entre tous les abus dans les procédés de concentration. N’y-a-t-il
pas alors une certaine unicité dans la multiplicité du concept d’abus ?
La tentation est alors grande de rechercher une définition unique de l’abus, assortie de critères
d’utilisation simples mais efficaces, et d’un régime bien défini. Cependant, la tâche semble tout à la fois
ambitieuse et simplificatrice. Ambitieuse, du fait de cette extrême diversité marquée dans tous les champs de
vision de l’abus affronté à la concentration. Simplificatrice, car la richesse du mécanisme réside peut-être dans
cette même diversité, car la première qualité de l’abus semble être sa capacité d’adaptation aux situations qui
le nécessitent1359.
249- La notion d’abus parait simple, mais pourtant elle est complexe1360. Il faudra alors essayer de la
définir avec des critères objectifs, en supprimant toute appréciation subjective.
Force est de remarquer alors que le concept d’abus n’est pas univoque. Outre qu’il soit évolutif, il
répond surtout de la structure et de la finalité du droit subjectif, du pouvoir ou la prérogative auxquels il
s’applique. Selon que ces derniers sont caractérisés par la présence ou l’absence d’un impératif bien
déterminé, la notion d’abus pourrait avoir un contenu plus ou moins variable1361. Elle pourrait même, à
première vue, changer de signification et d’éléments constitutifs si on change d’un procédé de concentration à
un autre ou d’approche législative à une autre.
Mais, en dépit de l’aspect protéiforme et versatile de l’abus qui, comme on vient de le démontrer,
change de visage d’une matière à l’autre, une certaine stabilité de la notion peut être aisément relevée et ce,
quel que soit le procédé de concentration envisagé1362. En effet, l’unicité du concept d’abus semble être bien
mise en exergue par l’existence de deux éléments constants qui ne changent guère quelle que soit la forme
d’abus considérée et le procédé de concentration concerné. Ce socle commun à tous les abus est constitué,
d’une part, par l’existence d’un usage dommageable (Chapitre premier) et, d’autre part, par la transgression
d’un intérêt légitime (Chapitre deuxième).

Chapitre Premier : Unicité quant à l’existence d’un usage


dommageable
Chapitre Deuxième : Unicité quant à l’atteinte à un
intérêt légitime
1359
Certains auteurs pensent, au contraire, que la recherche d’une uniformité des acceptions de l’abus ne doit pas se faire à tout prix, car elle
pourrait aboutir à une vision artificielle, donc erronée, du concept considéré. Ainsi, H. Capitant se prononçait-il contre l’adoption d’un critère
unique de l’abus de droit, qui en réduirait la souplesse d’utilisation : « le système de la jurisprudence est peut-être celui qui convient le mieux à un
concept aussi délicat que celui de l’abus du droit. Ses formules souples et nuancées sont peut-être préférables à un critère trop général, dont
l’application aux multiples situations de fait serait fort délicate. Il y a longtemps qu’on dit et avec raison qu’il ne faut pas mettre trop de logique
dans la recherche de la solution des problèmes du droit ». CAPITANT (H), « sur l’abus des droits », RTD Civ., 1928, p 365. V. aussi
CHARBONNIER (J), Droit civil, T. 3, Les biens, 19ème éd, PUF coll. Thémis Droit privé, 2000, n° 170 : « on peut se demander s’il n’est pas
artificiel de réunir dans une formule unique des solutions que l’histoire a élaboré distinctement et qui correspondent à des données sociologiques
et psychologiques très différentes : paix dans la communauté de voisinage, répression de la chicane procédurale etc. ».
1360
GRELIER-LENAIN (C) et BESNAINOU (J), La notion d'abus en publicité, Gaz. Pal., 19 mai 2001, n° 139, p 5.
1361
RAAD (N-F), Op. cit., n°2, p 9.
1362
MOLIERAC (J), L’abus de droit dans les sociétés, Rev. Soc., 1937, p 65 ; PEYTEL (A) et HEYMANN (G), De l’abus de droit dans les
sociétés commerciales, Gaz. Pal., 1961, p 51 ; DESDEVISES (Y), L’abus de droit d’agir en justice avec succès, D. 1979, Chr. 21.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Chapitre Premier : Unicité quant à l’existence d’un


usage dommageable
250- L'abus semble posséder une certaine constance dans son expression. En effet, les différentes
approches d'abus étudiées, dans le cadre des procédés de concentration, paraissent toutes se définir selon un
premier critère commun, celui de l'usage.
En matière pénale, l'abus est constitué dès lors qu'il est fait un usage abusif des biens ou du crédit d'une
société. Aussi, s'il est fait usage des pouvoirs ou des voix d'une manière contestable, l’abus est considéré
comme étant commis.
En dehors de la sphère pénale, il est aussi possible de constater que l'abus de majorité, de minorité ou
d’égalité par exemple se manifeste par un usage nuisible du droit de vote. Il en est de même des autres cas
d’abus.
La notion d'usage se retrouve donc dans chacune des définitions données. Elle semble constituer le
premier élément essentiel de l'abus qui pourrait unir ses différentes formes ou constituer un point de rencontre
entre elles à l’aune des procédés de concentration des sociétés. Toutefois, l'usage ne devient abusif que dans
l'hypothèse où celui-ci entraine un dommage certain. Ainsi, l'abus semble se caractériser par un acte d'usage
(Section Première), celui-ci étant purement dommageable (Section Deuxième).

Section Première : Le concept d’abus dans les


procédés de concentration et la notion d’usage

251- Quand bien même « les affaires sont les affaires », tout n'est effectivement pas permis, et
particulièrement l’usage inconsidérée d’un droit ou d’une prérogative légale qu’elle quelle soit1363 !
L’usage, dont il est question dans cette étude, n’a pas été défini par le législateur, d’où la nécessité de
cerner ce concept crucial dans la caractérisation de l’abus dans les procédés de concentration.
La notion d’usage envisagée n’est pas le droit réel temporaire qui confère à son titulaire le droit
d'utiliser un bien appartenant à autrui et d'en percevoir les fruits dans la limite de ses besoins et ceux de sa
famille1364. Cette notion n’est pas non plus la coutume qui est un usage juridique oral, consacré par le temps et
accepté par la population d’un territoire déterminé. L’usage en question n’est donc pas la coutume qui est une
source du droit.
La notion d'usage paraît pouvoir être difficilement définie de façon abstraite. Le terme « usage »
renferme un concept particulièrement vaste. Il serait alors périlleux de vouloir le définir en dehors de tout
contexte. Pour ce faire, il serait judicieux d'analyser ce concept dans les domaines essentiels où l'abus se
manifeste. Ceux-ci concernent, en premier lieu, l'aspect pénal du droit des affaires où on rencontre les abus de
biens, de crédit, des pouvoirs ou des voix ainsi que l’abus de marché et l’abus de droit fiscal (Sous-section
Première). Ces domaines visent, en second lieu, certaines matières du droit privé où apparaissent l'abus du
droit de vote, l’abus de domination, l’abus de la personnalité morale et le licenciement abusif1365 (Sous-
section deuxième).

1363
PETIT (S), La rupture abusive des relations commerciales, LPA, 18 septembre 2008, n° 188, p. 33
1364
V. arts 161 et s. CDR.
1365
COZIAN (M), VIANDIER (A) ET DEBOISSY (F), op. cit., p. 216.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Sous-section Première : La notion d’usage en


matière pénale1366

252- Le code des sociétés commerciales, dans les articles 223, 149 et 158 concernant l’abus de
biens, du crédit, des pouvoirs ou des voix fait clairement référence à l'usage, en tant qu’élément constitutif de
l’abus, sans pour autant le définir. Il en est de même du code pénale où la notion d’usage à été utilisée à
maintes reprises sans avoir été pour autant définie par le législateur.
On retrouve, en effet, cette notion dans les articles : 28, 60, 78, 114, 118, 126, 177, 179, 180, 181, 182,
183, 188, 191, 193, 194, 199, 199 ter, 214, 219, 223, 224, 227, 228, 257 bis, 270, 286, 291 et 297 du code
pénal. Mais malgré ce recours législatif excessif au concept, on ne trouve malheureusement aucune précision
concernant sa définition, ses éléments constitutifs ou ses différentes formes. Tout ce qu’on peut dégager, c’est
que la notion d’usage est utilisée aussi bien en matière de délits que de crimes. Elle semble impliquer
nécessairement un acte positif et embrasse une panoplie de comportements différents.

La notion d’usage constitue impérativement un des piliers de la théorie générale de l’abus dans les
procédés de concentration. En effet, la dite-notion est si propagée dans la législation relative à l’abus à telle
enseigne qu’on ne pourrait lui retirer ce droit de cité.

253- Généralement les auteurs ont tendance à comparer l'usage à la notion de détournement et de
dissipation au sens de l'article 408 CPF, l’équivalant du texte 297 CP relatif à l'abus de confiance1367. La
dissipation s'entend comme un acte de disposition et constitue de ce fait une manifestation extérieure de la
volonté d'intervertir la possession précaire d'une chose en propriété. Le détournement est beaucoup plus
difficile à définir car il ne suppose ni un acte de disposition de la chose ni l'impossibilité de la restituer.
Détourner c'est affecter l'objet confié à une destination autre que celle prévue lors de la remise. En revanche,
pour qu'il y ait usage, élément constitutif de l’abus dans les procédés de concentration, il n'est pas nécessaire
qu'il y ait une dissipation ou un détournement, le simple usage caractérise l’abus même s'il n'a pas altéré la
substance de la chose1368 et que la société, personne morale, ne s'est pas trouvée finalement directement
appauvrie1369.
Faire usage donc, c'est accomplir non seulement des actes de disposition comportant aliénation ou
cession au profit d'un tiers, mais aussi de simples actes d'actions, prêts, avances, baux, etc. L'usage abusif peut
résider donc non seulement dans une privation de propriété mais aussi dans une privation de jouissance,
comme il peut s’agir de la simple utilisation d’un bien ou autre.
Ainsi, le vocable « usage » a un sens tout à fait extensif qui permet d'englober tous les moyens
auxquels ont recours les dirigeants pour porter atteinte, par exemple, au patrimoine social1370. Ce concept doit
d'ailleurs être pris dans son acception commune, ce serait en restreindre injustement la portée que de lui
assigner la signification qui lui est attribuée sous l'angle du démembrement du droit de propriété. La chambre
criminelle de la Cour de cassation française abonde dans ce sens en déclarant que la simple utilisation abusive

1366
Par nature, le droit pénal appartient plutôt au droit public que privé : il organise les rapports entre l'État et les individus. Le droit pénal n'a pas
pour première vocation d'organiser les rapports entre délinquant et victime, mais entre la société et le délinquant. Il n’empêche que certains pensent
qu’il devrait-être rattaché au droit privé, car sa sanction dépend des juridictions judiciaires. D’autres prônent, tout simplement, sa nature mixte.
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Page 193
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

des biens de la société dans un intérêt personnel suffit à caractériser le délit d'abus de biens sociaux en dehors
de toute volonté d'appropriation définitive1371.
Cette notion d’usage est ainsi beaucoup plus extensive que celle de détournement ou de dissipation. Elle
comprend toutes les utilisations dont un bien ou un droit quelconque ou une prérogative, de façon générale, est
susceptible et qui varient naturellement suivant la nature du bien ou du droit considéré. Le critère de la
distinction entre le détournement et la dissipation, d’une part, et le simple usage abusif, d'autre part, réside
dans l'absence chez le dirigeant social ou l’associé qui fait un usage abusif des biens ou du crédit de la société
de la volonté de s’approprier les valeurs sociales. Dans ce cas, la société subit non pas une privation de
propriété, mais une privation de jouissance. Le juge répressif pourra ainsi atteindre une série d’abus qui, en
dehors de toute appropriation concrète, constituent des actes antisociaux parfois plus dangereux que l’abus de
confiance en raison de la perversité des moyens employés et des dangers qu’ils comportent pour la société
ainsi que les préjudices qu’ils peuvent entrainer1372.
L'extension de la notion d'usage en droit pénal économique et le manque de précision impliquent que
tout acte d'administration peut être un usage contraire à l'intérêt social. Cependant, cet acte peut-il résider dans
le non-accomplissement d'une opération utile à la société, si du moins cette abstention profite à son auteur ?

254- Dans son acception générale, l'usage se définit comme une « action, le fait de se servir de
quelque chose ; son utilisation, son emploi »1373. Les termes mêmes de cette définition renvoient à l'idée
d'action, c'est-à-dire d'actes positifs. Il semble alors nécessaire, pour constituer l’abus, qu'il y ait une utilisation
ou un emploi, c'est-à-dire un acte indubitablement positif. Cette ligne de conduite est celle adoptée par
exemple par la chambre criminelle de la Cour de cassation1374 à propos de la définition de l’infraction
d'escroquerie qui suppose « l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité ou l'abus d'une qualité vraie »1375 .
Sans cet usage, le délit d'escroquerie n'est pas constitué. Il en est de même en jurisprudence française1376.
Cette solution s'explique commodément, puisque l'escroquerie est une infraction de commission et suppose
donc un acte positif.
Dans le même ordre d’idées, l'abus des biens sociaux, qui répond à une définition excessivement
proche de celle donnée pour l'escroquerie, paraît lui aussi exiger la commission d'un acte positif. Autrement
dit, l'acte constitutif de l’abus, qui ne peut être réalisé que par la commission de faits matériels définis par le
législateur, suppose la réalisation d'un acte d'usage qui doit être objectivement effectué. Cet acte d'usage doit,
fort logiquement, être positif comme cela est le cas dans l'hypothèse de l'escroquerie.
L’abus dans les procédés de concentration suppose donc une action ou une commission, c'est-à-dire
l’existence d’un acte purement positif.

Reste que le juge pénal français s'est aventuré à redéfinir la composition de l'abus, en considérant que
l'usage pouvait être constitué par un acte négatif, c'est-à-dire par une abstention ou, de façon générale, une

1371
Cass. Crim. Fr., 08/03/1967, D. 1967, II, 586, note Bouloc.
1372
BELHAJ YAHIA (B), L’abus des biens et du crédit sociaux, Colloque : Droit pénal et sociétés commerciales, Association tunisienne de droit
pénal, FDSPT, 2-3-4 Mai 1985, p 145 et 146.
1373
Dictionnaire LAROUSSE 2011, V. vocable “usage”.
‫ اﺟ إ‬$ V ‫ ا‬+ ‫ أن ﺟ‬4 ‫ا‬ ‫ ا‬M 291 V]/ ‫ ق ا‬L4 M D q+ " 8 + a ‫ ورد‬1992/02/03 = ‫ _رخ‬38609 ‫(د‬3 ‫ا‬M9 61@7; ‫ ار‬: ‫ ا ارات ا‬6‫ُ اﺟ‬+ 1374
‫ء أو و‬S A ‫و ا‬ ‫ ا‬8G a V0‫ وع أ‬3 ‫ ر‬F ‫ ع ا‬47‫ ا‬U ‫ إ‬k ‫ ذ‬VF/ a 0 $ ‫ و‬m4 ‫ ا‬k D ‫ ّ دة‬# ‫ت ا‬S N'P ‫ ا‬V A‫ و‬8 ‫ ل ا‬# A‫ ا‬8G d ‫ا‬ ‫ ا‬K C‫ أر‬G
V]/ ‫ ا< م ا‬M D q+ " 8 + a ‫ ﺟ ء‬1992/04/29 = ‫ _رخ‬37857 ‫(د‬3 ‫ا‬M9 61@7; ‫ ار‬.85 ‫ ص‬،1992 4A 2 ‫ د‬N ،8 ‫ ا 'ا‬9! ‫ ا‬،.‫ت‬.‫م‬.‫ ن‬." a N 84 ‫ ل ا‬U N ‫ء‬S A ‫ا‬
‫ء او‬S A ‫ ا‬k ‫ ذ‬LA‫ ا‬a 0 $ ‫ه و‬SN‫ ا‬m4 ‫ رة‬CD ‫ت ا‬S N'P ‫ ا‬V A‫ و‬M A‫ و‬8 ‫ ل ا‬# A‫ ا‬8G Vd $ ‫ ن‬C‫ ار‬G $ I‫! ﺟ‬$ V ‫ ا‬+ ‫ ان ﺟ‬4 ‫ا‬ ‫ ا‬M 291
= ‫ _رخ‬65058 ‫(د‬3 ‫ا‬M9 61@7; ‫ ار‬.57 ‫ ص‬،1992 4A 2 ‫ د‬N ،8 ‫ ا 'ا‬9! ‫ ا‬،.‫ت‬.‫م‬.‫ ن‬." K ‫ إ‬0 ‫ا‬ 4 ‫ وا‬A ‫ ا‬M A h ‫ وﺟ د را‬6 ^ 6 $ ‫ ھ‬U N ‫ء‬S A ‫ا‬
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a ‫ ورد‬2000/05/04 = ‫ _رخ‬8850 ‫(د‬3 ‫ا‬M9 61@7; ‫ ار‬.127 ‫ ص‬،1996 ،1 ‫ د‬N ،8 ‫ ا 'ا‬9! ‫ ا‬،.‫ت‬.‫م‬.‫ ن‬." V ‫ ا‬+ ‫ ن ﺟ‬+ a 4 ‫ ا‬9p F ‫ ع ا‬g k 3 ‫ ا‬U N a4
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" 8 + a ‫ ﺟ ء‬2000/09/27 = ‫ _رخ‬11019 ‫(د‬3 ‫ا‬M9 61@7; ‫ ار‬.141 ‫ ص‬،2000 ، 1 ‫ د‬N 8 ‫ ا 'ا‬9! ‫ ا‬،.‫ت‬.‫م‬.‫ ن‬." 4 ‫ا‬ ‫ ا‬M 291 V]/ ‫ ا‬U4# U N ‫ت‬S N'P ‫ا‬
‫ د‬N ‫ ا‬U N a + ‫ ر‬F ‫ ى ا‬N 4 ‫ ا‬f d$ U ‫ ا‬8 ‫ ا‬K ‫ ورا‬M ‫ ف‬K+ U ‫ت ا‬S N'P ‫ ا‬U ‫ء ا‬ ‫او ا‬ 0 5 /0 ‫ ل‬# A‫ ا‬V ‫ ا‬+ ‫ ﺟ‬K N ‫ م‬$ U ‫ ا‬0 4# ‫ ا‬M ‫ان‬
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.138 ‫ ص‬،2000 ، 1 ‫ د‬N 8 ‫ ا 'ا‬9! ‫ ا‬،.‫ت‬.‫م‬.‫ ن‬." 4 ‫ا‬ ‫ ا‬M 291 V]/ ‫ ا‬K ‫ اورد‬6G 4 U N a4 V ] a F ‫ ع‬+ ‫ا‬
1375
V. art 297 CP.
1376
Cass. Crim. Fr., 22 janvier 1914, D.P. 1914. 1, p. 256, S. 1916, 1, p. 128 ; Cass. Crim. Fr., 15 mars 1972, Bull. crim., no 107.

Page 194
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

inaction1377. Ainsi, il a été décidé qu'un dirigeant qui s'abstenait de réclamer le paiement de livraisons à une
autre société du groupe dans laquelle il était intéressé commettait un abus des pouvoirs1378.
Force est de constater que cette acception extensive, voire contradictoire, de l'usage en matière d'abus a
été abondamment critiquée1379 et continue de l'être1380, car il semble difficile de concevoir qu'un abus puisse
procéder d'un usage constitué par une abstention en l’absence de toute mention légale explicite dans ce sens. Il
serait alors particulièrement malaisé de constater la présence d'un abus si l'acte qui le constitue est simplement
négatif. « Le juge n'a d'autre moyen, dans de telles circonstances, que de se fonder sur l'intention de l'auteur
de l'abus, ce qui peut être une source d'abus, judiciaire, cette fois-ci »1381.

Que faut-il penser alors de cet « usage négatif » constitutif de l’abus, en quelque sorte un usage « en
creux » ? Comme le soulignent excellemment les professeurs J.-H. Robert et H. Matsopoulou, la référence
légale à un « usage », constitutif de l’abus, invite, par pur réflexe peut-être, à l'opposer au « non-usage », de
sorte qu'une omission pourrait échapper, « même si elle est préjudiciable à la société, au champ de la
répression »1382 .

De fait, la doctrine classique, reprise de celle professée par messieurs Patin et Rousselet, enseignait
que « le premier élément de l’abus est un acte matériel d'usage »1383, ce qui paraît confirmer que la notion
d'usage s'entend d'un acte positif et qu'elle s'oppose à la passivité, donc à l'abstention.
Si la volonté répressive qui anime ainsi les magistrats est évidente, on ne peut manquer de noter aussi
qu'en dématérialisant la notion d'usage, ils se sont habilement adaptés à la variété des comportements
criminels, que ces comportements soient actifs ou passifs1384.

On pense, tout de même, qu’il devrait revenir à la Cour de cassation, à défaut de précision législative,
de s'assurer de l'unicité de la notion d’ « usage abusif »1385. Les entreprises, premières concernées par ce texte,
auront en effet besoin d'un minimum de visibilité, et donc de sécurité juridique, quant à l'interprétation de
cette notion aux contours incertains1386.

En droit tunisien, le problème ne s'est pas encore posé devant les juridictions pénales, mais il est fort
probable que la position de nos juges serait la même que la jurisprudence française étant donné les liens étroits
entre les deux systèmes juridiques, tunisien et français, le deuxième étant une source matérielle incontestable
du premier1387. C’est pourquoi une clarification judiciaire ou, aux meilleurs des cas, une intervention
législative afin de clarifier les choses dans le sens d’anéantir toute forme d’abus « négatif », en matière de

1377
V. supra., p 73, n° 81.
1378
Cass. Crim. Fr., 15 mars 1972, Bull. crim., no 107 ; Rev. Soc. 1973. 357, note B. Bouloc.
1379
VITU (A), Droit pénal spécial, 1982, Cujas, no 985.
1380
REBUT (D), Recueil pénal Dalloz, v. Abus de biens sociaux, n° 20.
1381
TUAILLON (C), L'abus en droit des sociétés, vague concept ou vaste concept de protection ?, L.P.A., 10 mars 2004 n° 50, p. 4.
1382
ROBERT (J-H) et MATSOPOULOU (H), Traité de droit pénal des affaires, PUF, 2004, spéc. no 294, p. 475.
1383
TOUFFAIT(A), ROBIN (J), AUDUREAU (A) et LACOSTE (J), Délits et sanctions dans les sociétés, Sirey, 1973, 2e éd., spéc. no 243, p.
258.
1384
BARBIERI (J-F), Note – L'abus de biens sociaux par « abstention » : l'usage « intellectualisé » du patrimoine social, Bulletin Joly Soc.,
01 juin 2004 n° 6, P. 861.
1385
De nos jours, le juge joue un rôle important dans la vie des sociétés. Il est investi de la délicate mission d'arbitrer et d'assurer la protection des
intérêts parfois contradictoires des associés et de la société. Les associés, à l'origine du contrat donnant naissance à la personne morale, ont de plus
en plus recours au juge pour dénouer les différents conflits rencontrés dans la gestion de la société. Depuis de nombreuses années, le rôle du juge
s'est considérablement accru en droit des sociétés. C'est notamment le cas s'agissant de la définition de l'abus du droit de vote par les majoritaires
ou les minoritaires et de la sanction de cet abus. V. MESTRE (J), Réflexions sur les pouvoirs du juge dans la vie des sociétés, R.J. Com. 1985, p.
81 ; AZENCOT (M), L'intervention du juge dans la gestion des sociétés commerciales, th. dactyl. Paris II, 1979.
1386
UTZSCHNEIDER (Y) et LAMOTHE (A), Que penser d'une règle de protection contre les clauses abusives dans le Code de commerce ?,
Revue des contrats, 01 juillet 2009 n° 3, P. 1261.
‫ ت‬C 3 ‫ ا‬8G ‫ ا ! ت‬I7‫ ا‬،( D @2 .7 ‫ ص‬،1994 ‫ ي‬/ G ،2 ‫ د‬N ،.‫ ت‬.‫ ق‬.‫ م‬،‫ ] دي‬7 ‫ ر ا‬L # 3$ dC‫ ري ا‬$ 6+ 3$ V‫ اﺟ‬M ،‫ ان‬3 ( 0‫ ا‬: ‫] ص‬P ‫ا ا‬DK 6‫ُ اﺟ‬+ 1387
9 ‫ ي < ل ا ا‬K‫ ء ﺟ‬+ 4# ‫وات ا‬D ‫ ا ! ؤ ا 'ا‬، 1E ( V ‫ل و‬C‫ ھ‬412V.55 ‫ ص‬،1988 ،1 ‫ د‬N ،.‫ ت‬.‫ ق‬.‫ م‬، # ‫ ا‬4 a 7SN ‫ و‬a$ ‫و‬q! ‫ دوره و‬9A ‫ ا‬/P ‫ا‬
‫ < ل‬U ‫ ل‬N‫ ا‬،8! ‫ ء ا‬F ‫ ا‬a G ‫ل‬S M 9K A‫ ل ؤو‬#G‫ ا‬MN +‫ ت ا ر‬C 3 ‫! ي ا‬ ‫و ا 'ا‬q! ‫ ا‬، 120 , D D .1993/5/28 ،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬، +‫ ] د‬7 ‫ا‬
.‫ م‬،‫! ت‬Aq ‫ ا‬4$ 8G ‫ ر‬d A ‫ ا‬6 3$ ‫ دور‬،‫ ن‬2- 23 .1995 ‫ ي‬،H ، A ! ‫ م ا‬# ‫ ا ق وا‬C، 34 ‫ ت وا‬A‫' ا ث وا را‬C ، +‫ ت ا ر‬C 3 8 4 ‫ا ن ا‬
، $12 ‫(ي‬E ‫ ( ا‬- .1994 ‫ ي‬/ G ،.‫ ت‬.‫ ق‬.‫ م‬،H ‫ ت ا ال‬C O V‫ اﺟ‬M ،‫ ة‬9 ‫ رم‬.898 ‫ ص‬،.‫ ذ‬.‫ س‬.‫ م‬، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ا‬8G 9 ‫ ا ا‬،‫ 'ي‬C.181 ‫ ص‬،1994 C‫ ا‬،.‫ ت‬.‫ق‬
I7‫ ا‬، ‫ ت ا‬0 .1995 G ،.‫ ت‬.‫ ق‬.‫ م‬، ! ‫ ن ا‬7‫ و‬8! ‫ ل ا‬N ‫ ن ا‬7 V‫ ظ‬8G +‫ ] د‬7 ‫[ة ا‬34 ‫ ا‬67 ،‫اد‬ 2 .23 ‫ ص‬،1960 4A ،.‫ ت‬.‫ ق‬.‫ م‬، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬
.1994 ‫ ي‬/ G ،.‫ ت‬.‫ ق‬.‫ م‬،‫ ت‬C 3 ‫ ا‬6 $ ‫ ت‬# 8 ‫ ا< اث ا ط ر ا‬V‫ اﺟ‬M ، ‫ ت ا‬0 .1997 V+ G‫ ا‬،.‫ ت‬.‫ ق‬.‫ م‬،‫ م ت‬85 V]/ ‫ ا‬+ ‫ا ! ت وﺟ‬

Page 195
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

procédés de concentration, se trouve indispensable. Seule une telle intervention est à même de relancer les
opérations de concentration au sein de l’économie tunisienne. Sinon l’inadaptation du concept d’usage
risquerait de compromettre le développement de la concentration des sociétés de capitaux qui est largement
tributaire de l’épargne publique laquelle n’afflue que si un dispositif protecteur existe. Ainsi, pour des raisons
aussi bien juridiques qu’économiques, il devient, de nos jours, urgent que les pouvoirs publics adaptent le
concept d’usage, en matière pénale, au contexte de la gestion des sociétés et des procédés de concentrations de
ces dernières.

De toutes les manières, pour que l’abus soit constitué, l’usage doit obligatoirement avoir pour objet les
biens, le crédit, les pouvoirs ou les voix au sein d’une société et ce, tels qu’on les a précédemment définis 1388.

255- Cette même notion d’usage se retrouve, à quelques différences prés, en matière d’abus de droit
fiscal, qui est aussi pénalement répréhensible dans l’article 101 CDPF.
Certes, la notion d’usage n’a pas été expressément mentionnée. Rien n’empêche, toutefois, de pouvoir
facilement la déduire des expressions utilisées dans l’article 101 précité qui exige expressément la simulation
de situations juridiques, la production de documents falsifiés ou encore la dissimulation de la véritable nature
juridique d’un acte ou d’une convention. Nul doute que ces locutions juridiques mettent en exergue une action
positive, une utilisation ou un emploi de quelque chose dans le but de réduire l’assiette imposable. Cette
analyse est davantage corroborée par l’examen des débats de la chambre des députés au sein desquels on peut
lire que le ministre des finances a formellement exigé la preuve d’un usage ou plus précisément d’un acte
positif pour l’application de la sanction pénale prévue par l’article 101 CDPF1389.

256- La même acception de la notion d’usage se retrouve aussi concernant l’abus du marché prévu
par l’article 81 de la loi n° 94-117 du 14 novembre 1994 relative à la réorganisation du marché financier.
Conformément au dit-article, le concept d’usage comme étant un acte positif est explicite dans la
mesure où l’abus du marché exige expressément l’utilisation d’une information privilégiée ou bien la simple
communication d’une telle information, sinon la propagation d’informations fausses ou erronées ou
simplement la manipulation des cours. La notion d’usage est alors nettement perceptible dans cet abus
également.

257- De tout ce qui précède, on peut avancer sans risque d’erreurs que l’usage pénal, en matière
d’abus dans les procédés de concentration, est constitué non seulement par l’accomplissement d’actes de
disposition comportant une aliénation ou une cession au profit des tiers, mais également par de simples actes
d’administration ou autres. L’usage en question est alors une notion dont l’extensibilité permet d’englober
tous les agissements abusifs que peuvent se rendre coupables les dirigeants, les associés et autres parties-
prenantes dans la société personne morale. Ce concept est devenu, de la sorte, l’élément matériel primordial
de l’abus dans les procédés de concentration des sociétés.

Ainsi, en instituant la répression de l’usage abusif des biens sociaux, d’un droit ou d’une prérogative
légale quelle qu’elle soit, le législateur semble avoir substitué aux détournements et dissipations
caractéristiques de l’abus de confiance, un nouveau concept : à savoir le simple usage qui désormais se suffit à
lui-même, en matière pénale économique, pour désigner des infractions propres et spécifiques à l’abus dans
les procédés de concentration.

258- Cette vision claire et limpide du concept d'usage ne semble toutefois pas propre à la matière
pénale à laquelle sont rattachés plusieurs comportements abusifs, car on la retrouve aussi, à quelques
différences près, en certaines matières du droit privé.

1388
V. supra., n° 81 et s.
1389
Délibérations de la chambre des députés, précitées, p 1966.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Sous-section Deuxième : La notion d’usage en


certaines matières du droit privé

259- Pour en revenir aux définitions, selon le Vocabulaire juridique Cornu le mot « abus» vient du
latin abusus, qui signifie faire mauvais usage1390. L'abus consisterait alors dans l'usage excessif d'une
prérogative juridique, dans une « action consistant pour le titulaire d'un droit, d'un pouvoir, d'une fonction, à
sortir dans l'exercice qu'il en fait, des normes qui en gouvernent l'usage licite »1391.

260- En droit privé, essentiellement en matière civile, le concept d’usage est bien présent. D’abord,
Les "usages" sont des règles non écrites suivies par les habitants de certaines régions ou par des personnes
exerçant des professions déterminées qu'ils considèrent obligatoires pour régler leurs rapports1392.

A l’instar de la matière pénale, il ne faut pas confondre le mot « usage » pris, comme ci-dessus dans le
sens de coutume règle traditionnelle qui est une source de droit1393, avec le mot "usage" pris dans le sens
d'"utilisation" comme dans l'expression « user de la chose louée en bon père de famille »1394. Dans cette
dernière acception, le juriste utilise des expressions telles que « droit d'usage et d’habitation»1395 qui est un
droit réel prévu par l’article 12 CDR ou l'expression « non-usage » comme étant une circonstance qui met fin
à l'usufruit1396 et aux servitudes1397. La notion de « non-usage » du droit se retrouve également en matière de
prescription1398.

261- Appliqué aux procédés de concentration des sociétés, l'abus se manifeste essentiellement, en
certaines matières du droit privé, lorsque les majoritaires et les minoritaires usent de leur droit de vote d'une
manière considérée comme abusive. Ici encore, l'abus se fonde principalement sur l'usage d’un droit bien
déterminé, à savoir le droit de vote. Cet abus ne peut être constitué que lorsqu'un groupe, qu'il soit majoritaire
ou minoritaire, voire égalitaire, fait recours à un usage abusif du droit de vote1399 . Il est donc indispensable
qu'il y ait usage d'un droit pour constituer l'abus de majorité, de minorité ou d’égalité. Ceci n'exclut pas
nécessairement l'hypothèse d'un abus par abstention, car ce type d'abus peut survenir lorsqu'un groupe bloque
le processus décisionnel par son abstention. Tel est le cas, par exemple, lorsqu'une augmentation de capital est
nécessaire pour mettre en place une opération de fusion alors qu'un groupe d’actionnaire décide délibérément
de s'y abstenir lors du vote. Il serait faux de croire que, dans une telle hypothèse, l'abus est constitué par une

1390
CORNU (G), Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, 6e éd., 2004, Vo Abus, p. 6.
1391
Ibidem.
1392
DEPREZ (P), Lois, contrats et usages du multimédia, Paris, éd. Dixit, 1997 ; DERAINS (Y), Le statut des usages du commerce international
devant les juridictions arbitrales, Rev. arb. 1973, 122 ; HASSAN (N), Les usages commerciaux dans les contrats internationaux : contribution à
l'étude critique du rôle des normes nationales en matière de contrats, thèse Paris X, 1993 ; HENAFF (G), Les usages en droit des obligations, thèse
Bordeaux I, 1993 ; HILAIRE (J), La Vie du droit : coutumes et droit écrit, Paris, PUF., 1994 ; LEPOINTE (G), Quelques réflexions sur la
coexistence de plusieurs coutumes dans un ressort de droit écrit., Aix-en-Provence, Impr. d'éditions Provençales, 1950 ; MENJUCQ (M) ET
BAHANS (J-M), note sous Com., 13 mai 2003, Bull., n° 82, p. 93, Le Dalloz, Cahier droit des affaires, 12 février 2004, n° 6, Jurisprudence, p.
414-416 ; PEDAMON (M), Y a-t-il lieu de distinguer les usages et les coutumes en droit commercial ?, Paris, éd. Sirey, 1959 ; RICODEAU (B),
La distinction des usages et des pratiques en droit économiques français, thèse Orléans, 1983.
1393
V. principalement les arts. 243, 246, 526, 532, 543 et 544 COC.
1394
V. art. 767 COC.
1395
Le droit d'usage peut se définir comme un droit réel viager strictement attaché à la personne de son titulaire et lui permettant d'user d'un bien
dans les limites de ses besoins personnels et de ceux de sa famille. Ce droit peut être constitué sur toutes sortes de biens. Lorsqu'il porte sur un
immeuble à usage d'habitation, on parle alors de droit d'habitation. Lorsque ce dernier porte sur l'immeuble et le mobilier, on parle couramment de
droit d'usage et d'habitation. V. BONFILS (G), Le droit d'usage et d'habitation, Gaz. Pal., 09 novembre 2002 n° 313, p. 13.
1396
V. art. 157 CDR.
1397
V. art. 189 CDR.
1398
V. les arts. 384 à 413 COC.
1399
Il faut qu'il y ait usage du droit de vote, puisque « l'abus de droit suppose un droit dont il est abusé » : CADIET (L) ET LE TOURNEAU
(PH), Rep. civ. Dalloz, v. Abus de droit, no 8.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

inaction, c'est-à-dire par un acte négatif. « L'abstention procède, en effet, d'une intention matérialisée par un
usage du droit de vote : il y a vote, celui-ci se traduisant par une décision spécifique, par une abstention »1400.
Il paraît donc envisageable d'affirmer que l'usage, dont procède l'abus, est un acte positif sinon par essence, du
moins par nature1401. Il semble relativement malaisé de considérer que l'abus de droit de vote puisse se
manifester par une inaction puisque l'abstention même, en ce domaine, est la manifestation d'un vote, d'un acte
positif, c'est-à-dire d'une action.

262- L’abus du droit de vote rappelle celui du droit de licencier dans la mesure où il est question
dans les deux cas d’un usage abusif d’un droit : le droit de vote d’un coté, le droit de licencier de l’autre.
Tel n’est pas le cas des abus de la personnalité morale ainsi que l’abus de domination où l’usage
concerne, dans le premier cas, la personne morale elle-même ou son patrimoine, alors qu’il intéresse, dans le
second, une situation de fait à savoir la position dominante.

Dans l’abus de la personnalité morale l’usage semble être bien vérifié. S’il est question d’une
confusion de patrimoine, l’acte d’usage a pour objet les patrimoines de deux ou plusieurs sociétés. Ces
derniers seront « mélangés » de telle sorte qu’on ne peut plus savoir la consistance de chacun d’eux, comme
s’il s’agissait en réalité du patrimoine d’une seule société. De même, s’il s’agit d’une personne morale fictive
l’usage aura pour objet le patrimoine de la société fictive qui sera utilisé à tort et à travers dans l’intérêt d’une
personne physique ou d’une autre personne morale. Cette analyse est corroborée par l’examen du texte de
l’article 596 CC qui sanctionne l’abus de la personnalité morale dans la société isolée. Le dit-article énonce
qu’ « en cas de faillite d'une société, la faillite peut être déclarée commune à toute personne qui, sous le
couvert de cette société, masquant ses agissements, a fait, dans son intérêt personnel, des actes de commerce
et disposé en fait des biens sociaux comme de ses biens propres ». Il est clair, selon cet article, que l’abus de la
personnalité morale, consiste en réalité en un usage abusif des biens sociaux, et de façon générale du
patrimoine social.

En sus du patrimoine, l’abus de la personnalité morale parait, de façon générale, évoquer les conditions
d’usage d’une technique juridique, en l’occurrence la personnalité morale. De fait, outre qu’il soit un
phénomène essentiellement subjectif, car s’attachant principalement aux mobiles du sujet actif, cet abus serait
généralement conçu comme le reflet de l’inadaptation du concept avec le réel. Ainsi, selon monsieur Perrot le
vocable technique signifie « procédé de mise en œuvre destiné à atteindre le but recherché par la volonté en
la faisant pénétrer sur le plan juridique »1402. Par là, la technique juridique serait le moyen qu’adopte le droit
pour atteindre certains buts déterminés. C’est entre la technique elle-même et le but que lui accorde le droit
que la volonté pourrait se glisser. Car, il se peut qu’on fasse un usage de la technique juridique sans vouloir
exactement le but que cette technique postule intellectuellement, ou que cette technique elle-même fasse
vouloir un but qui n’est pas totalement conforme à celui qui a été choisi au départ1403. Tel est le cas lorsque
l’usage de la personnalité morale a lieu pour frauder la loi ou les droits des créanciers, ou encore pour minorer
l’assiette imposable ou l’éviter complètement. Il ne s’agit là que d’un mauvais usage de la technique juridique
dans lequel le phénomène volontaire y trouve exclusivement son compte1404. Cette notion de mauvais usage
d’une technique juridique a été mise en exergue, pour la première fois, par le doyen Chauveau. Selon cet
auteur l’usage de la personnalité morale devient mauvais lorsqu’il « arrête le cours normal et le jeu régulier
d’une disposition législative1405 ». A ce propos, monsieur Gastaud parle même d’usage mauvais et excessif de
la personnalité morale. D’après cet auteur, « le caractère exceptionnel de (l’usage excessif) de la personnalité
morale, découlant nécessairement d’un comportement juridique aberrant par rapport aux règles gouvernant

1400
TUAILLON (C), L'abus en droit des sociétés, vague concept ou vaste concept de protection ?, LPA, 10 mars 2004 n° 50, P. 4.
1401
Ibidem.
1402
PERROT (J), De l’influence de la technique sur le but des institutions juridiques, Thèse, Paris, 1947, p 186.
1403
RAAD (N-F), Op. cit., n° 7, p 17.
1404
Ibidem.
1405
CHAUVEAU (P), Des abus de la notion de personnalité morale, Rev. Gen. Dr. Com., 1938, p 397 et s.

Page 198
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

la personnalité morale, suffit à la démunir de réelle portée au regard du sens même qu’il convient de donner
à la personnalité morale »1406.

Contrairement à l’abus de la personnalité morale où l’usage abusif touche à une technique juridique, à
savoir la personne morale ; en matière d’abus de domination, il est plutôt question d’un usage fautif d’une
position dominante, c'est-à-dire d’une situation de fait et non d’un droit ou d’une technique juridique1407. Cette
analyse est confirmée par la teneur de l’article 5 (nouveau) de la loi n° 91-64 du 29 juillet 1991 qui interdit
expressément l’exploitation abusive d’une position dominante. Il en est de même de l’article L.420-2 al 1 du
code de commerce français qui prohibe, à son tour, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe
d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci. Aussi,
l’article 86 de la convention de Rome interdit explicitement tout usage de façon abusive d’une position
dominante sur le marché commun ou sur une partie substantielle de celui-ci. Par là, l’abus de position
dominante a pour source essentiellement un usage fautif d’une situation de fait1408.

263- Il est clair que, dans tous les abus susmentionnés, le concept d’usage peut être défini de façon
générale, comme étant le fait de « se servir de quelque chose dans un but déterminé d’avance »1409. Cette
chose peut être un bien, un pouvoir, un droit, une prérogative juridique, une information, une personne
morale, ou même un fait.

Ainsi, l'abus nécessite de façon générale un acte positif, bien qu'une jurisprudence particulièrement
discutée ait accepté la constitution de l'abus en cas d'acte négatif. Il semble que c’est surtout la notion positive
d’usage qui paraît s’adapter aux divers comportements intéressant les procédés de concentration. Mais rien
n’empêche d’adopter la notion négative de l’usage lorsque ces comportements se traduisent par des
abstentions graves et dangereuses portant atteinte au déroulement normal d’une opération de fusion, de
scission ou de groupement. De toute manière, qu’il soit positif et c’est l’hypothèse la plus fréquente, voire
négatif, l’usage n’est considéré abusif que dès l’instant où il entraine un dommage.
Le dommage exerce une influence sur les autres éléments constitutifs de l’abus à savoir l’usage et
l’intérêt. D'un coté, il maintient des liens particulièrement étroits avec l’usage. Le souci de la réparation des
préjudices subis par les victimes traduit une banalisation du fait générateur. Nonobstant la cause du dommage,
il doit être réparé. Rares sont aujourd'hui les préjudices, qui en raison de la spécificité de leur fait
dommageable, ne sont pas indemnisés. D'un autre côté, le dommage entretient une étroite parenté avec
l’intérêt. Ce dernier tend à s’élargir, en matière de procédés de concentration, en faveur de l'amélioration de
l'indemnisation des préjudices en cas de survenance d’un dommage.

1406
GASTAUD (J-P), Personnalité morale et droit subjectif, LGDJ, Paris, 1976, p 120.
1407
RICHEMONT (V-J), Concentration et abus de position dominante, note sous arrêt de la Cour du 21 février 1973, Rev. Trim. Dr. Europ.,
1973, p 463 et s.
1408
RAAD (N-F), Op. cit., n° 4, p 12.
1409
Définition contenue dans le Grand Larousse Universel, éd. 1995.

Page 199
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Section Deuxième : Le concept d’abus dans les


procédés de concentration et la notion de dommage

264- Celui qui abuse d'un droit, doit en effet réparer le préjudice qu'il cause à autrui1410 . Il ne faut
toutefois pas en déduire que la théorie de l'abus de droit serait une simple application de la responsabilité
civile. En revanche, c'est uniquement une fois l'abus établi, que la responsabilité civile entre en jeu1411.

265- Plusieurs articles s’intéressent en droit tunisien à la notion de dommage, sans pour autant la
définir. On cite, à titre d’exemple, les articles 82 et 83 C.O.C., qui figurent dans les dispositions générales,
consacrant ainsi la conception la plus simple du dommage réparable sans faire de distinction selon les intérêts
lésés et sans pourtant définir ce qu’on entend par « dommage ». Aussi, l'article 107 C.O.C, relatif à la
responsabilité délictuelle, dispose que « les dommages, dans le cas de délits et de quasi-délits, sont la perte
effective éprouvée par le demandeur, les dépenses nécessaires qu'il a dû ou devait faire afin de réparer les
suites de l'acte commis à son préjudice ainsi que les gains dont il est privé dans la mesure normale en
conséquence de cet acte ». Idem, l'article 278 du même code, qui concerne la responsabilité contractuelle en
disposant, dans son premier alinéa, que « les dommages sont la perte effective que le créancier a éprouvée et
le gain dont il a été privé », ne définit pas le dommage de façon générale mais définit plutôt l'étendue de
l'indemnité devant être allouée au créancier.

Ces différents articles tendent à déterminer la notion du dommage, seulement les précisions qu’ils
apportent demeurent lacunaires puisqu'ils ne s’intéressent au dommage que sur la base de ses éléments
réparables. Par la même, de nombreuses lois spéciales ont été promulguées, en Tunisie et en France, pour
indemniser certains dommages spécifiques. Mais ces lois ne sont pas d’une aide grandissante sur le plan des
définitions générales1412.

Pour ces raisons, le terme « dommage » reste ambigu et difficile à cerner à défaut de définition
législative claire et exhaustive.

266- Chercher à identifier le dommage impose principalement de s'intéresser à distinguer entre


dommage et préjudice. Mais, cette distinction ne semble pas utile et reste limitée. Non seulement elle n'est
retenue que par une minorité de la doctrine1413, car la doctrine dominante refuse d'opérer une dissociation
1410
MAZEAUD (H), MAZEAUD (L), MAZEAUD (J) ET CHABAS (F), Introduction au droit, 12e éd. par F. Chabas, op. cit., no 50.
1411
ROUSSEL-GALLE (PH), L’abus en droit des affaires et le pouvoir modérateur du juge : Brève introduction historique, Gaz. Pal.,
19 décembre 2009, n° 353, p. 6.
1412
En France, la loi du 13/12/1991 instituant le fonds de garantie, définit le préjudice de contamination comme suit : « le préjudice personnel et
non économique de contamination par le V.I.H. recouvre l'ensemble des troubles dans les conditions d'existence entraînés par la séropositivité et
la survenance de la maladie déclarée. Il inclut dès les phases de séropositivité, tous les troubles psychiques subis du fait de la contamination par
le V.I.H, réduction de l'espérance de vie, craintes d'éventuelles souffrances physiques et morales, préjudice sexuel et le cas échéant de
procréation. Il inclut en outre, les différents préjudices personnels apparus ou qui apparaîtraient en phase de maladie déclarée : souffrances
endurées, préjudice esthétique et l'ensemble des préjudices d'agrément consécutifs ». V. CHABAS (F), La notion de préjudice de contamination,
In colloque « Encore la responsabilité civile », Resp. civ. et ass. mai 1998, p. 21.
1413
LE TOURNEAU (PH), et CADIET (L), Droit de la responsabilité et des contrats, op.cit., p.298 ; LE ROY (M), La réparation des
dommages en cas de lésions corporelles, D. chron. 1979, p. 49; DESCHAMPS (D), Quelles réparation(s), In colloque « La responsabilité civile à
l'aube de 21ème siècle », Resp. civ. et ass. 2001, hors série, p. 62 ; CORMIER (CH), Le préjudice en droit administratif français, Thèse, L.G.D.J.
2000, p. 64 ; BENOIT (F), Essai sur les conditions de la responsabilité en droit public et privé (problèmes de causalité et d'imputabilité), J.C.P.,
1957,1, 1351 ; LAMBERT-FAIVRE (Y), Le droit du dommage corporel, systèmes d'indemnisation, Dalloz, 5eme éd. 2000, n°21 et 86. D’après
ces auteurs minoritaires, le dommage désigne la lésion objective, commune à toutes les victimes de manière abstraite. Le préjudice est au
contraire une notion subjective appréciée en fonction d'une personne déterminée. Autrement dit, le dommage relève de l’ordre des faits, ces faits
sont susceptibles d'emporter un ou plusieurs préjudices indemnisables. Le préjudice ne peut donc exister qu'en tant conséquence de dommage. Par

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

entre ces deux termes et les emploie de manière indifférente1414. Mais elle est aussi, au regard de la
jurisprudence, dénuée de tout intérêt puisqu'elle ne permet pas d'éclairer un certain nombre de solutions
jurisprudentielles. C'est pourquoi le juge civil ne la prend pas effectivement en considération. Ainsi, cette
différenciation s'effectue sur un plan uniquement conceptuel et reste au rang des débats purement doctrinaux
vu l'absence de critères précis. Aussi ni le droit positif, ni la jurisprudence ne font la distinction entre préjudice
et dommage. De plus cette distinction n'a pas de répercussions concrètes sur la situation personnelle de la
victime. Pour ces raisons, les deux termes -préjudice et dommage- seront employés indifféremment comme
étant deux synonymes.

267- De façon générale, le terme dommage peut avoir plusieurs facettes. Il est communément utilisé
dans la langue courante comme étant une chose fâcheuse ou désagréable. Il peut aussi signifier l'ennui.
Juridiquement, le dommage serait " la lésion, l'atteinte soit à un bien, soit à l'intégrité physique d'une
personne"1415. Plus précisément, le dommage est l'atteinte à un intérêt patrimonial ou extrapatrimonial d'une
personne qu'on appelle victime. L’atteinte peut être « immédiate », si la victime subit le préjudice de façon
directe. Elle peut être également « par ricochet », si le préjudice est subi de façon médiate, c’est à dire par
l'intermédiaire de la victime du préjudice immédiat1416. Ce dommage peut être individuel ou collectif.

Il existe généralement trois types de dommages : le dommage corporel1417, le dommage matériel1418 et


le dommage moral1419. Pour être réparable, le dommage doit être certain1420. D'où la nécessité qu'existe une

conséquent, pour que le préjudice puisse exister réellement, il faut que les conséquences du dommage constituent pour la victime, un tort, un
événement défavorable.
1414
CARBONNIER (J), Droit civil, T. 4, Les obligations, coll. Thémis, droit privé, P.U.F., 22ème éd. 2000, p. 377 : « les deux mots sont devenus
synonymes » ; MAZEAUD (H), MAZEAUD (L), MAZEAUD (J) et CHABAS (F), Leçons de droit civil, T. 2, vol. 1, Les obligations, théorie
générale, Montchrestien, 9eme éd., 1998, par F. CHABAS, p. 412 : « dans le langage juridique moderne, préjudice est synonyme de dommage » ;
PRADEL (X), Le préjudice dans le droit civil de la responsabilité, thèse préc, p. 12 ; STARCK (B), ROLAND (H) et BOYER (L), Droit civil.
Les obligations, T. l, Responsabilité délictuelle, Litec, 5ème éd. 1998, n° 95 ; FLOUR (J), AUBERT (J-L) et SAVAUX (E), Les obligations, T.
2, Le fait juridique, Armand Colin, 3ème éd., 2003, n° 133 ; CHARTIER (Y), La réparation du préjudice dans la responsabilité civile, thèse,
Dalloz, Paris, 1983, p. l.
1415
VINEY (G) et JOURDAIN (P), Traité de droit civil, Les conditions de la responsabilité, sous la direction de GHESTIN (J.), L.G.D.J., 2ème éd.
1998, p.3.
8G ‫ ات‬g ، @ ‫ ( ا‬- .1997 H $ ،H+‫ ر‬# L ،‫ ا 'ء ا ول‬،‫ وا ن ا رن‬8! ‫ ا ن ا‬8G 8 ‫ ر ا‬F ‫ ا‬MN n+ # ‫ ا‬، S2 ‫ ( ا‬- : 6‫ُ اﺟ‬+ ‫ا ا ط ر‬D‫ ھ‬8G 1416
‫ ت ا‬A‫' ا ار‬C ، ‫و ا‬q! ‫ وا‬# ‫ ا ] ف ا < دي وا‬،‫ 'ام‬S # ‫ ا‬+ 4 ‫ ا‬،‫ ظ‬F- ( - .1986 ، 34 ‫ ت وا ث وا‬A‫' ا را‬C ،8! ‫ ا‬8 ‫ ح ا ن ا‬O
+ 4 ‫ ا‬،, M ‫ ( ا‬- . 9 / 8 ‫ د‬N ، ‫ا‬ ‫ ا‬، 0 P ‫] ص ا‬4 ‫ وا‬# ‫ ا‬+ 4 ‫ ا‬،‫ ر‬F ‫ ا‬97 /$ ، 1-! ‫ ا‬12D .1988 H $ ،‫ ا ي‬M [ ‫ ا‬،‫ زھ ة‬, 1>6 ‫ ا‬.2008 H $ ، F ‫وا‬
MN $ 4 ‫ ار ا‬g ‫ ا‬MN n+ # ‫ ا‬، "C ‫= ا‬FP .6‫ و‬5 ‫ د‬N ،‫ م ق ت‬،‫ ي‬4# ‫ ر ا‬F ‫ ا‬+ $ / C ، > ‫ ( ا‬- .1997 H $ ،‫ ء‬G ‫ ا‬# L ،2 P!4 ‫ ا‬، # ‫ ا‬: ‫ 'ا ت‬S # ‫ا‬
‫ دة‬KO V 4 ‫ ة‬CD ، + # ‫و ا‬q! ‫ ا‬MN 9‫ ﺟ‬4 ‫ ا‬67 ‫ ر ا‬F ‫ ا‬MN n+ # ‫ ا‬، "C1S ‫ س ا‬1 ‫ ا‬.1998 ،2005/08/15 8G ‫رخ‬q ‫ ا‬2005 4! 86 ‫ د‬N ‫ ا ن‬V‫ ظ‬8G ‫ ت‬7 L ‫< ادث ا‬
.2003/2002 ،‫ ص‬P ‫ ا ن ا‬8G !‫ا ﺟ‬
1417
V. les articles 82, 83 et 107 COC. Il s'agit d'une atteinte à l'intégrité physique d'une personne. Ces atteintes constituent un préjudice, tels que le
préjudice d'agrément, c'est-à-dire la privation totale ou partielle, provisoire ou définitive des plaisirs de la vie et des joies de l'existence (par
exemple impossibilité de pratiquer un sport, une activité artistique, perte du goût, trouble de la vie sexuelle) mais également le préjudice
d'esthétique consistant dans la persistance d'une disgrâce permanente chez la victime (cicatrices, enlaidissement). Le dommage corporel peut aussi
emporter un préjudice économique (par exemple des pertes de salaires résultant de l'incapacité de travailler après l'accident, frais médicaux, frais
d'appareillages…). V. LE ROY (M) et MARGEAT (H), L'évaluation du préjudice corporel : expertises, principes, indemnités, LITEC, 2007.
1418
Il s'agit d'une atteinte au patrimoine de la victime. En d'autres termes ce sont les dommages qui, consécutifs à une atteinte aux biens d'une
personne, consistent en la lésion d'intérêts de nature économique. Le préjudice matériel ouvre droit à une indemnisation dont la valeur est
appréciée souverainement par les juges du fond en fonction du principe de la réparation intégrale du préjudice. Cette indemnisation se déploie dans
deux directions : la perte subie (damnum emergens) et le gain manqué (lucrum cessans). V. CALFAYAN (C), Essai sur la notion de préjudice :
Étude comparative en tort law et en droit français de la responsabilité civile délictuelle, Université Panthéon-Sorbonne, Paris, 2007.
.18 ‫ ص‬،2009 ‫ ﺟ ان‬،71/70 ‫ د‬N ، ‫را‬ ‫ ا‬،‫ < دث ور‬MN ‡O 4 ‫ ا‬O ‫ ر ا‬F ‫ ا‬MN n+ # ‫ ا‬+ $ ،‫(ّاد‬- ‫ ( ا‬- : ‫] ص‬P ‫ا ا‬DK 6‫ُ اﺟ‬+
‫ ت‬L# U N ‫ه‬ ‫ز‬S ‫ا‬ ‫ ا‬l ‫ ا‬+ $ 8F + ‫ ر ا دي‬F ‫ " إن ا‬8 + a ‫ي ورد‬D ‫ ا‬2000/04/17 = ‫ _رخ‬75543 ‫(د‬3 "( ‫ ا‬61@7 ‫ ا @ ار ا‬: ‫] ص‬P ‫ا ا‬D‫ ھ‬8G 6‫ُ اﺟ‬+
.V N ‫ ان‬/ ‫او‬ ! ‫ل‬D ‫او‬ ‫ ات ر‬/ ‫ ر‬F ‫ ا‬8N " $ 8 ‫ا‬ !P ‫ ا‬MN F+ #$ V 3$ K UF + 8 ‫ا‬ l ‫ ر ا‬N A
6g 5 k D ‫ وھ‬a N '+'N ‫ ان‬/ ‫ او‬8 ' # ag #$ 9 ‫ ر ! ة وا‬#3 ‫ ا‬MN a ‫ ة‬A‫ ر ا‬F ‫] ف‬+ ‫ي‬D ‫ ر ا‬F ‫ا‬ a 3+ KG ‫ ي‬4# ‫ ر ا‬F ‫ ا‬MN n+ # ‫ا ا‬
‫ي‬D ‫ ا‬1985/06/22 = ‫ _رخ‬14389 ‫(د‬3 ‫ا‬MS ‫ ا‬61@7 ‫ ا @ ار ا‬.48 ‫ ص‬،2000 ،1 ‫ د‬N 8 ‫ ا‬9! ‫ ا‬،.‫ ت‬.‫ م‬.‫ ن‬." ‫ د ا‬K ‫ اﺟ‬n #g ‫ ه‬+ $ ‫ ا‬V# + ‫ دة‬H +
8 ‫ ت ا‬L# ‫ و ا‬A A ‫ ا‬0 4# ‫ ر ا دي ا‬F ‫ ا‬mP+ G 9K ‫ ا‬4 + ‫ ط أن‬3 M " L ‫ ع ا‬g ‫ ة ا‬F7 ‫ د‬K ‫ﺟ‬ C ‫ ي‬4# ‫ ا دي و ا‬M+‫ر‬ F‫ ا‬+ $ " 8+ a ‫ﺟء‬
.129 ‫ ص‬،1985 ،2 ‫ د‬N 8 ‫ ا 'ا‬9! ‫ ا‬،.‫ ت‬.‫ م‬.‫ ن‬." a^ + ‫ وھ‬N‫ا‬
1419
Même si les préjudices donnent lieu à une réparation pécuniaire ayant vocation à entrer dans le patrimoine de la victime, certains ne lèsent que
des intérêts de nature extrapatrimoniale, raison pour laquelle on les qualifie souvent de préjudices moraux. Ces préjudices moraux, comme
l'atteinte à l'honneur, à la réputation et au crédit de la personne méritent d'être réparés, que la victime soit une personne physique ou morale.
Cependant pendant très longtemps, la jurisprudence a refusé de réparer le préjudice moral étant donné la difficulté d'appréciation. Certains
préjudices moraux sont particuliers à la personne physique, c'est le cas du pretium doloris (le prix de la douleur). Ce préjudice prend en compte par
exemple : les souffrances physiques endurées par la victime d'un dommage corporel , le préjudice d'affection lié à la souffrance morale causée par
le décès d'un proche, voire par la perte d'un animal, le préjudice sexuel, le préjudice esthétique et plus largement le préjudice d'agrément (que la

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

véritable lésion subie par la victime, laquelle doit pouvoir démontrer qu'elle a éprouvé une perte ou une
dégradation par rapport à un état antérieur. L'exigence d'un dommage certain signifie surtout qu'il ne peut y
avoir de responsabilité que si on a la certitude que le dommage est déjà réalisé1421 ou se réalisera
certainement1422.
Pour que le préjudice soit réparable, il doit découler du fait générateur de la responsabilité. Le
problème se pose alors de savoir jusqu'où peut-on remonter dans les causes du phénomène. Ainsi, deux
théories se dégagent de cette problématique. D’un coté, la théorie de la causalité adéquate, d’après laquelle on
ne retient comme cause du dommage, parmi tous les évènements qui ont concouru à sa réalisation que celui
qui l'a rendu le plus probable. De l’autre celle de l'équivalence des conditions qui prend en considération tout
évènement ayant concouru de près ou de loin à la réalisation du dommage1423.

268- En matière d’abus touchant aux procédés de concentration, le dommage est d’une importance
considérable dans la mesure où il permet la distinction de l’abus des notions voisines telles que la faute et la
fraude principalement (Sous-section deuxième). Le dommage apparaît également plural et multiple mettant en
place une kyrielle de victimes allant de la société personne morale jusqu’aux associés, qu’ils soient
majoritaires ou minoritaire, en passant par les créanciers, les salariés, les investisseurs, les consommateurs,
l’Etat, l’intérêt général… et la liste est encore assez étendue. Ce qui impose la précision des différents types
de préjudice ou dommage occasionnés par l’abus dans les procédés de concentration des sociétés (Sous-
section première).

Sous-section Première : La notion de préjudice


dans l’abus à l’aune des procédés de concentration

269- L'étude de la notion de dommage permet, en premier lieu, de déterminer la place qu'occupe le
dommage au sein de l’abus, de marquer son autonomie et ses rapports avec des notions voisines et avec les
autres éléments constitutifs de l’abus. A ce propos Mme Roujou De Boubee insiste sur le fait que le
comportement abusif ne justifie pas l'octroi d'une réparation ; encore faut qu'il y ait un dommage consécutif à
un tel comportement1424. Idem, la cour de cassation française déclare que « les dommages et intérêts ne

jurisprudence définit comme le préjudice subjectif de caractère personnel résultant des troubles ressentis dans les conditions d'existences). V.
PRADEL (X), BAUDOUIN (J-L), DESLAURIERS (P) et JOURDAIN (P), Le préjudice dans le droit civil de la responsabilité, LGDJ, 2004.
7 h ‫ ا‬g a $ ‫ ت و‬+‫ د‬a $ M + ‫ ى‬4# ‫ ر ا‬F ‫ ا‬+ $ ‫ " ان‬8 + a ‫ي ورد‬D ‫ ا‬2005/10/06 = ‫ _رخ‬1717 ‫(د‬3 "( ‫ ا‬61@7 ‫ ا @ ار ا‬: ‫] ص‬P ‫ا ا‬D‫ ھ‬8G 6‫ُ اﺟ‬+
‫ّد‬ KG a UF + ‫ ن‬C M@ ‫ ر ل و‬+ ‫ ر‬#3 ‫ ورة ان ا‬g a4 + ^ ‫ غ ا‬8/ + ‫ ءه‬a ‫م‬ ‫ ا‬l ‫ ن ا‬C K 9+ ^ ‫د ا‬ ‫ ن‬G ‫ ر‬F ‫ا ا‬D‫ ھ‬N 4 ‫ را‬N|G K7 MN `+ ‫ ا‬M +
‫ " ان‬8 + a ‫ي ورد‬D ‫ ا‬1988/07/06 = ‫ _رخ‬17373 ‫(د‬3 ‫ا‬MS ‫ ا‬61@7 ‫ ا @ ار ا‬.421 ‫ ص‬،2005 ،2 ‫ د‬N 8 ‫ ا‬9! ‫ ا‬،.‫ ت‬.‫ م‬.‫ ن‬." ...a H<‫ ا‬U $ ‫ ر‬F ‫ ة‬A 4
.41 ‫ ص‬،1988 ،2 ‫ د‬N 8 ‫ ا 'ا‬9! ‫ ا‬،.‫ ت‬.‫ م‬.‫ ن‬." ." ‫ د ا‬K ‫ اﺟ‬U ‫ ا‬C ‫ اض ا‬5 ‫ ا‬M K ! U ‫ دھ ا‬4A‫ ي وا‬4# ‫ ر ا‬F ‫ا‬ ‫ز‬S ‫ ا‬+ 4 ‫ ت ا‬F+ # ‫ ا‬+ $
1420
Le dommage certain s'oppose ainsi au dommage éventuel, trop hypothétique pour être réparé. La victime doit rapporter la preuve de la
matérialité et l'effectivité du préjudice. Selon les juges du fond, la simple exposition à un risque ne constitue pas un dommage certain, il ne peut
donc être indemnisé. Au contraire, le dommage futur est réparable. Le préjudice, bien que futur, peut être réparé par l'allocation de dommages-
intérêts à la victime si ce dernier est le prolongement certain et direct de l'état actuel. La perte de chance est aussi un dommage réparable. C'est la
disparition par le fait du défendeur d'une éventualité favorable qui devait se produire dans un avenir proche et qui n'a pas pu être tentée (c'est
l'exemple de l'avocat qui n'a pas fait appel dans le délai requis et qui a fait perdre à son client la chance de gagner). Cependant, comme il demeure
une incertitude dans la perte de chance qui est difficile à évaluer, les juges du fond n'accordent pas la totalité du gain espéré mais une fraction,
qu'ils évaluent par rapport aux chances perdues. La perte de chance est un dommage particulier, intermédiaire entre le dommage éventuel non
réparé et le dommage certain qui lui est entièrement réparé.
1421
C’est la notion du préjudice actuel.
1422
C’est la notion du préjudice futur.
1423
C’est la théorie de l’équivalence des conditions : cette théorie a été développée par le criminaliste allemand Von Buri en 1885 pour expliquer
que le complice puisse être rendu responsable de l’infraction commise par l’auteur principal. Tous les événements qui ont conditionné le dommage
sont équivalents, tous en sont à égal titre la cause : tout fait sans lequel le dommage ne se serait pas produit peut en être la cause et l’auteur du fait,
dès lors, être obligé à la réparation de l’entier dommage.
1424
ROUJOU DE BOUBEE (M-L), Essai sur la notion de réparation, th., LGDJ, Toulouse, 1975, p.69.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

peuvent être alloués, en matière d’abus, que si le juge, au moment où il statue, constate qu'il y a
préjudice»1425.
Cette étude permettra, en second lieu, à la victime ou à la société personne morale, de connaître
globalement les préjudices dont elle peut obtenir réparation. En effet, les préjudices sociaux recouvrent
généralement deux situations. Ainsi la société peut-elle, tout d’abord, subir personnellement un préjudice qui
lui est directement causé par l’abus du dirigeant ou de l’associé. Cet abus peut être civilement répréhensible,
lorsque ce dernier commet, par exemple, un abus du droit de vote, qui est toujours contraire à l’intérêt social.
Le préjudice direct de la société peut être également le résultat d’un abus pénalement répréhensible, par
exemple un abus de biens sociaux. Mais la société peut également subir un préjudice indirect, notamment
lorsqu’elle se trouve obligée de réparer le dommage causé à un tiers par l’abus émanant de son dirigeant lors
de l’exercice de ses fonctions1426.

Pour plus de clarification, on peut utiliser la même distinction communément admise entre deux
catégories de préjudices : le préjudice interne à la société (-§1- ) et le préjudice qui lui est externe (-§2- ).

-§1- : La détermination du préjudice interne à l’opération


de concentration

270- Prima facie, l'abus, qu'il soit civilement ou pénalement sanctionné, prend généralement place
au sein de la société et n'a d'effets qu'au milieu de cette dernière. L'abus du droit de vote, par exemple, touche
le processus décisionnel tandis que l'abus de biens sociaux, lato sensu, affecte le patrimoine social ou
l'équilibre des pouvoirs dans la société.

Si l'abus de biens sociaux s'avère naturellement plus dangereux que l'abus du droit de vote, ce dernier
n'est qu'une première étape vers une situation plus dangereuse et contestable. En effet, l'abus de minorité
entraine un blocage du processus décisionnel, alors que l'abus de majorité permet d'écarter un groupe et de
porter préjudice à la société, personne morale, dans le seul but de profiter aux auteurs de l'acte litigieux.
L'abus de majorité vise généralement à détourner des bénéfices sociaux en faveur d'un seul groupe. Ce
comportement s'avère particulièrement proche de l'abus de biens sociaux mais n'est pourtant pas traité de la
même manière. Dans les deux cas, les auteurs de l'abus prennent, in fine, quelque chose qui ne doit pas leur
appartenir1427.

271- Si on s’intéresse de près à l'abus de biens sociaux lato sensu, on se rend compte que cet abus
n’engendre pas seulement un trouble au sein de la société. En raison de sa gravité et des atteintes qu'il
suppose, c'est autant la société, personne morale, que la société dans son ensemble qui subit les conséquences
de l'abus. Néanmoins, les atteintes constatées au sein de la personne morale sont nettement plus considérables
et palpables par rapport à celles constatées au-dehors. Plus précisément, l’infraction d'abus de biens sociaux
n'emporte de dommage personnel et direct qu'à la société, personne morale, elle-même. Cette opinion est peut-
être juridiquement exacte, compte tenu de l'écran que constitue la personnalité morale d'une société. Mais,
voilà tout de même un peu plus de quarante ans que, pour donner quelque consistance à la constitution de
partie civile, la chambre criminelle de la Cour de cassation française avait admis qu'un actionnaire puisse se
constituer partie civile, car le délit d'abus des biens ou du crédit de la société lui apparaissait de nature « à
causer simultanément un préjudice général à la société et un préjudice particulier à l'associé »1428. Elle en

1425
Cass. Civ. Fr., du 30/01/2002, Bull. Civ. n° 3, 2002, n°17.
1426
CONSTANTIN (A), L’utilité de l’assurance des dirigeants sociaux au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation, Bulletin Joly Soc.,
01 septembre 2010 n° 9, p. 762.
1427
TUAILLON (C), L'abus en droit des sociétés, vague concept ou vaste concept de protection ?, L.P.A., 10 mars 2004 n° 50, p. 4.
1428
Cass. Crim. Fr., 6 janvier 1970 : Rev. Soc., 1971, p. 25, note B. Bouloc.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

avait même déduit que le délit « ne causant de préjudice direct qu'à la société elle-même et à ses
actionnaires», les créanciers étaient irrecevables à exercer l'action civile devant les juridictions répressives1429.
Il en est de même des cautions de la société1430 , des salariés1431 , du syndicat de salariés1432 ou du comité
d'entreprise1433. Elle a, par contre, admis que l'actionnaire de la société-mère était recevable à agir devant les
juridictions répressives, pour un abus commis dans la filiale, dès l'instant qu'il invoquait un préjudice qui lui
semblait « possible » et en relation « potentiellement » directe avec l'infraction poursuivie1434. En revanche,
pour ce qui était de juger du bien-fondé de la demande, elle continuait d'exiger que le dommage soit
réellement en relation de causalité directe avec l'abus des biens sociaux et qu'il soit distinct de celui supporté
par la personne morale.

Actuellement, la cour de cassation française semble aller dans un chemin beaucoup plus circonscrit
dans la mesure où elle limite le préjudice subi en matière d’abus de biens sociaux à la société elle-même
écartant de ce fait toute idée de préjudice direct subi par les associés 1435. En effet, en cas « de poursuite pour
abus de biens sociaux, les associés, hors le cas d'exercice de l'action sociale ut-singuli, ne peuvent pas
demander réparation à la juridiction correctionnelle du préjudice résultant de la perte ou de la baisse de
valeur de leurs titres, ou de la perte des gains escomptés ». En effet, « la dévalorisation des titres d'une
société découlant des agissements fautifs de ses dirigeants constitue non pas un dommage propre à chaque
associé, mais un préjudice subi par la société elle-même » 1436. Par conséquent, la situation des associés est
devenue purement et simplement identique à celle des créanciers1437.

Selon le code des sociétés commerciales, l'abus des biens ou du crédit de la société, tout comme l'abus
des voix ou des pouvoirs n’est consommé que lorsqu’il est contraire à l'intérêt social. La victime est donc
principalement la société1438 . C'est elle qui pâtit directement de l'acte abusif1439. Selon toute logique, elle doit
avoir la possibilité d'agir en responsabilité civile pour voir son éventuel préjudice réparé1440. Le représentant
légal peut agir au nom de la société qu'il incarne, tout comme les actionnaires peuvent agir en vertu de l'action
ut-singuli1441. Ces derniers peuvent aussi se constituer partie civile, sous certaines conditions, en leur nom
propre en cas d'abus pénalement réprimé1442. Il leur faut alors justifier de l'existence d'un préjudice dont ils
auraient personnellement souffert1443, ce qui n'est pas toujours le cas en raison de la stricte position de la
chambre criminelle de la Cour de cassation française sur ce point. La juridiction de droit a effectivement

1429
Cass. Crim. Fr., 24 avril 1971 : Rev. Soc., 1971, p. 608.
1430
Cass. Crim. Fr., 25 novembre 1975 : D., 1976, jur., p. 224, note A. Honorat.
1431
Cass. Crim. Fr., 7 mars 2000 : Bull. Joly Sociétés, 2000, p. 720, § 169, note P. Scholer.
1432
Cass. Crim. Fr., 11 mai 1999 : Bull. Joly Sociétés, 1999, p. 998, § 234, note J.-F. Barbièri.
1433
Cass. Crim. Fr., 4 novembre 1988 : Bull. crim., no 373.
1434
Cass. Crim. Fr., 6 février 1996, Bull. Joly Sociétés, 1996, p. 409, n° 144, note J.-F. Barbièri ; JCP, éd. E, 1996, II, no 837, note critique J.-F.
Renucci et O. Meyer.
1435
Trois arrêts, Cass. Crim. Fr., 13 décembre 2000 : Bull. Joly Sociétés, 2001, p. 497, n° 124, Bull. Joly Sociétés, 2001, p. 498, n° 125 et Bull.
Joly Sociétés, 2001, p. 499, n° 126, note J.-F. Barbièri ; JCP, éd. E, 2001, p 1138, note J.-H. Robert ; RJDA, 2001/5, p. 528, no 593.
1436
LE NABASQUE (H), Note – ABS : la confusion, Cass. Crim. Fr., 5 déc. 2001, n° 7720 F-D, D. (cons. rapp. Dulin), Bulletin Joly Sociétés,
01 avril 2002 n° 4, P. 492.
1437
Cass. Crim. Fr., 13 décembre 2000, RJDA, 2001/5, no 593.
1438
REBUT (D), op. cit., no 207, p. 27.
1439
Ibidem., no 209.
1440
Cass. Crim. Fr., 16 février 1999, J.C.P. éd. E. 1999, p. 1633, note J.H. Robert. Cependant, la société, personne morale, qui nécessite donc une
incarnation, ne peut se constituer partie civile sans un substratum humain. De manière générale, l'action civile est engagée par le biais de son
représentant légal, ce qui peut soulever des conflits d'intérêts lorsque l'abus est commis par ce représentant, ce qui s'avère courant en matière d'abus
des biens ou du crédit de la société.
1441
C.A. Douai, 31 janvier 1975, Rev. Soc. 1975. 282, note J.-J. Taisne ; Cass. Crim. Fr., 19 octobre 1978, D. 1979. 153, note J.C. ; Rev. Soc.
1979. 872, note B. Bouloc ; Cass. Crim. Fr., 12 décembre 2000, Rev. Soc. 2001, p. 323, note A. Constantin ; Dr. pén. 2001, comm. no 48, obs. J.-
H. Robert.
1442
En revanche, ne peuvent exercer l'action civile le comité d'entreprise (Cass. Crim. Fr., 4 novembre 1988, Bull. crim., no 373), un syndicat de
salariés (Cass. Crim. Fr., 11 mai 1999, Bull. Joly 2000, p. 63, note J.-F. Barbiéri) ou un seul salarié (Cass. Crim. Fr., 7 mars 2000, Bull. Joly
2000, p. 720, note P. Scholer).
1443
Cass. Crim. Fr., 13 décembre 2000, 3 espèces, Bull. crim., no 373 ; R.T.D. Com. 2001, p. 446, obs. Champaud ; Rev. Soc. 2001, p. 394 et 399,
note B. Bouloc ; Bull. Joly 2001, nos 124 et s., p. 497 et s., note J.-F. Barbiéri ; J.C.P. éd. E. 2001, no 27, p. 1138, note J.-H. Robert ; Dr. pén. 2001,
comm. no 47, obs. J.-H. Robert ; R.J.D.A. 2001, p. 593 ; D. 2002, p. 1475, note E. Scholastique ; Dr. Aff. 2001. 928, note M.B.

Page 204
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

refusé de considérer que la dépréciation des titres ou du capital d'une société, suite à un abus de biens sociaux,
causait un préjudice direct et personnel aux associés1444.

272- Concernant l’abus du droit de vote, caractériser le préjudice nécessite une analyse des effets des
délibérations sociales dans le patrimoine des actionnaires. Les minoritaires doivent démontrer qu’une
délibération ne leur procure aucun enrichissement ou les appauvrit et qu’elle donne un avantage indu aux
majoritaires.

En droit des sociétés, l'identité des personnes victimes d'un abus, ayant ainsi un intérêt à agir, peut
soulever certaines difficultés. Lorsqu'un abus de majorité est constaté, tant la société que les minoritaires
semblent souffrir de la situation. Il en est ainsi également pour l’abus de minorité. Il faut cependant garder
présent à l'esprit que la société est notamment la réunion des majoritaires et des minoritaires. Il peut être
éventuellement contestable d'indemniser, en pratique, deux fois les minoritaires, voire de forcer les
majoritaires à s'indemniser eux-mêmes sous couvert d'une indemnisation de la société. Déterminer
précisément les personnes ayant un intérêt à agir, et individualiser ces dernières s'avère donc indispensable
pour mieux saisir le mécanisme de correction de l'abus en ce domaine.

273- De façon générale, qu’il s’agisse d’un abus de biens, largement entendu, ou d’un abus du droit
de vote, le préjudice est principalement et directement subi par la société en tant que personne morale. Rien
n’empêche également de reconnaitre l’existence d’un préjudice au détriment des associés, soient-ils
majoritaires ou minoritaires ; mais encore faut-il justifier de l'existence d'un préjudice direct dont ils auraient
personnellement souffert, ce qui est difficile à prouver. Sans oublier que la situation des associés est assez
particulière, essentiellement parce qu’il est parfois conceptuellement délicat de savoir si l’actionnaire doit être
considéré comme un membre de la société ou comme un tiers1445.

Aussi, il convient de préciser que la notion de dommage par ricochet, qu'on présente le plus souvent
comme exprimant le préjudice ressenti par l'entourage d'une personne physique victime principale d'un
dommage corporel1446, semble directement transposable à l'hypothèse de propagation d'un dommage matériel
infligé à une personne morale. Le problème, identique, est celui de l'opportunité de la réparation distincte du
dommage propagé et, en cas de réponse favorable, de la définition du ou des cercles de victimes admises à se
prévaloir d'un droit à réparation, à partir du point d'impact initial. Indiscutablement, s'agissant d'une société
victime des agissements abusifs de ses dirigeants, les associés forment le « premier cercle » des victimes par
ricochet1447.

Ainsi, et en dehors de tout préjudice matériel direct, peut-on alors considérer que la violation par le
dirigeant des droits de l’associé établit le caractère personnel direct du préjudice moral qui pourrait-être, le cas
échéant, allégué par l’associé ? La réponse semble positive. La violation des droits d’associé par le dirigeant,
qui commet un abus, place l’associé dans une situation où ses prérogatives d’associé1448 sont niées par celui
qui, le plus souvent, doit matériellement en assurer la plénitude. Dans cette situation, il paraît dès lors difficile
de considérer a priori que l’associé dont les droits sont violés ne peut subir aucun préjudice moral direct,
c’est-à-dire atteignant sa personne, alors même que son pouvoir d’associé, voire ses droits subjectifs d’associé
ont été méconnus par la commission de l’abus. En d’autres termes, la méconnaissance de ses prérogatives

1444
Cass. Crim. Fr., 13 décembre 2000, préc.
1445
CHOLET (D), La distinction des parties et des tiers appliquée aux associés, D. 2004, p. 1141.
1446
VINEY (G), L’autonomie du droit à réparation de la victime par ricochet par rapport à celui de la victime initiale, D. 1974, chron. p. 3 ;
BORE (L), L’indemnisation pour les chances perdues : une forme d’appréciation quantitative de la causalité d’un fait dommageable, JCP 1974, I,
2620 ; ROMI (R), Les tendances modernes en matière de réparation, LPA, no 91 du 30 juillet 1997, p. 12 ; CLAVIER (J-P), La réparation du
préjudice par ricochet sur le fondement de la loi du 5 juillet 1985, LPA, no 94 du 6 août 1997, p. 4 ; DESDEVISES (M-C), Réparer ou punir : la
médiation pénale, LPA, no 102 du 25 août 1997, p. 3 ; MORLET-HAIDARA (L), Vers la reconnaissance d'un droit spécial du dommage
corporel ? », RCA 2010, chron. no 12 ; LAMBERT-FAIVRE (Y), Le droit du dommage corporel, Systèmes d'indemnisation, Dalloz, 1990, 1re éd.
1447
BARBIERI (J-F), Note – Distinction du préjudice social et du préjudice personnel occasionné par d'anciens dirigeants : refus d'indemniser
distinctement le préjudice subséquent, Bulletin Joly Soc., 01 juillet 1997, n° 7-8, p. 650.
1448
Cela sera le plus souvent ses droits politiques et en particulier le non-respect du droit de participer aux décisions collectives (droits
d’information, de convocation, de vote…).

Page 205
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

d’associé par le dirigeant laisse supposer qu’il peut exister un préjudice au moins moral d’une part, et que ce
préjudice est, d’autre part, personnel à l’associé puisque ce sont ses droits qui ont été violés. Est-ce à dire que
le préjudice moral de l’associé est nécessairement constitué lorsque ses droits d’associé sont violés par le
dirigeant qui commet un abus ?
Il semble que la violation des droits d’un associé n’établit pas à elle seule le préjudice moral direct de
l’associé. Il serait en effet faux, semble-t-il, de considérer que la violation des droits d’associé atteint
nécessairement sa personne. Certes, celui dont le droit d’associé est violé par le dirigeant peut subir un
préjudice lorsqu’il est en mesure de démontrer, par exemple, que la violation de son droit l’a empêché de
participer aux assemblées alors qu’il en avait réellement la volonté. Plus précisément, la violation des droits
de l’associé le place, en réalité, dans une situation où, privé d’une possibilité de s’exprimer, de s’informer, de
voter, et plus largement d’exercer ses droits d’associés, il peut alléguer un préjudice personnel direct au moins
moral. En revanche, la simple démonstration de la violation desdits droits demeure insuffisante. Il faudra qu’il
établisse, en sus, les conséquences dommageables de la violation de ses droits d’associé1449 et donc montrer
qu’il a subi notamment un préjudice moral. A défaut, il ne pourra obtenir aucune indemnisation1450.

274- Pour plus de précision, si un associé ou un actionnaire estime avoir subi un préjudice personnel,
consécutivement aux abus des dirigeants dans l'exercice de leurs mandats sociaux, pour en obtenir la
réparation il devra faire la preuve qu'il a subi un préjudice, moral ou matériel, propre, c'est-à-dire qui lui est
personnel, ainsi que l'exige la jurisprudence. Or la preuve de ce caractère s'avère être très délicate, car il doit
établir qu'il a subi un préjudice, non pas en sa qualité d'associé ou d'actionnaire, mais en tant que personne
individuelle dans son patrimoine propre et non des suites d'une atteinte portée au patrimoine social, selon la
jurisprudence. Celle-ci est jusqu'à présent en effet très réticente à prendre en compte ce type de demande, car
le préjudice dont l'associé demande réparation doit être distinct de celui subi par la société. Pour que son
action soit recevable, l'associé doit donc établir que le préjudice subi par lui a un caractère strictement
personnel suite à l’abus reproché aux dirigeants poursuivis. En conséquence, on comprend que l'action en
réparation du préjudice personnel de l'associé, ou de l'actionnaire, n'est guère admise par les tribunaux
tunisiens et français que dans des cas très restreints1451. Elle ne peut être acceptée, par exemple, que dans des
cas soit de rétention, soit de détournement de fonds, de titres, ou de dividendes appartenant à l'associé ou à
l'actionnaire1452.

On pense que les raisons d'une telle situation sont à rechercher dans la méconnaissance par le droit
positif, aussi bien en Tunisie qu’en France, de la notion de « préjudice économique »1453. Cette notion,
pourtant depuis déjà longtemps familière au droit anglo-saxon, n'est en effet qu'une expression générique et
imprécise en droits tunisien et français où elle est employée en synonyme de patrimonial, pécuniaire ou
financier, sans qu'aucune nature et régime de réparation particuliers lui soient reconnus.
Le préjudice économique, au sens strict, est le préjudice qui naît consécutivement à l'atteinte à un corps
ou à un bien (préjudice économique dérivé), mais aussi en cas d'atteinte directe au processus même d'activité
économique (préjudice économique pur). En d'autres termes, le préjudice économique naît de l'atteinte à une
activité de création de revenus basée sur l'exploitation des capacités physiques et intellectuelles d'un corps

1449
V. sur l’exigence d’un grief exigée par la jurisprudence pour prononcer l’annulation de certaines délibérations sociales violant pourtant, au
moins de façon formelle, les droits de l’associé, Cass. Com. Fr., 16 déc. 2005, n° 04-10986 : Bull. Joly Sociétés, 2006, p. 536, n° 107, note L.
Grosclaude ; BICC, 15 févr. 2006, p. 22, rapp. Foulon et avis M. Domingo ; D., 2006, p. 146, note. A. Lienhard ; D., 2007. Pan. 274, obs. J-C.
Hallouin et E. Lamazerolles ; JCP E, 2006, p. 1177, obs. J.-J. Caussain, Fl. Deboissy et G. Wicker ; Dr. sociétés, 2006, comm. n° 36, obs. F.-X.
Lucas ; RTD com., 2006, p. 148, obs. M.-H. Monsèrié-Bon ; Dr. et patr., juin 2006, p. 105, obs. D. Poracchia ; Rev. Soc., 2006, p. 327, note B.
Saintourens ; Defrénois, 2006, p. 1145, obs. H. Hovasse. ; rapp. Cass. Com. Fr., 19 avr. 2005, n° 02-13599 : Bull. Joly Sociétés, 2005, p. 1269,
n° 280, note P. Le Cannu ; D., 2005, AJ, p. 1287 ; Rev. Soc., 2005, p. 842, note B. Saintourens.
1450
PORACCHIA (D), Note – Interrogations autour du préjudice individuel de l’associé, Bulletin Joly Soc., 01 janvier 2010 n° 1, P. 50.
1451
V. l'article de M. Y. Huyghe de Mahenge, L'indemnisation des actionnaires victimes de délits boursiers, RD bancaire et fin., mars 2002, p. 107.
Cet auteur y constate « le développement récent, aux côtés des associations de défense traditionnelles, de «cabinets» privés qui en font une
spécialité. Ils proposent, lorsque des pratiques répréhensibles au regard du droit boursier se révèlent préjudiciables aux droits de certains
actionnaires, d'agir pour le compte de ceux-ci en vue d'obtenir une indemnisation ».
1452
Cass. Civ. Fr., 26 novembre 1912, DP 1913. I, p. 377, note Thaller ; Cass. req., 22 juin 1936, Gaz. Pal. 1936. II, p. 411 ; CA Paris, 2 mai
1935, Gaz. Pal. 1935. 2. 113.
1453
BELOT (F), Pour une reconnaissance de la notion de préjudice économique en droit français, LPA 2005, no 258.

Page 206
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

humain, des utilités des biens corporels ou incorporels, ou de l'atteinte à la dynamique propre de l'activité
économique en question. Ainsi, la perte de valeur des titres, qui est un dommage matériel, provoque
consécutivement dans le patrimoine de l'associé un préjudice matériel (une perte de valeur), mais aussi, s'il
exerce une activité économique propre grâce à ses titres, un préjudice économique qui ne peut surement, en
raison de ses origines, n'être qu'un préjudice qui lui est personnel. Si le préjudice matériel consistant en une
simple baisse de valeur des titres peut ne pas être considéré comme suffisamment propre par la jurisprudence,
encore que la chose soit discutable, on ne saurait accepter que celle-ci refuse de réparer pour cette même
raison le préjudice économique qui en dériverait. En effet, de par sa nature même1454, le préjudice économique
ne peut qu'être personnel à celui qui le subit.

On considère également, que le préjudice économique qui apparaît par ricochet à l'atteinte au
patrimoine de la société est effectivement direct pour la victime. Si on peut comprendre les hésitations de la
Cour de cassation française à considérer comme un préjudice individuel la chute de valeur des titres, on ne
saurait accepter que l'atteinte à l'activité économique de l'associé titulaire de ces titres1455 , en raison de la
diminution de leur valeur, ne soit pas réparée lorsque cette chute trouve ses origines dans un abus. Certes, la
détermination et l'évaluation du préjudice économique peuvent s'avérer très délicates, mais pour l'aider dans sa
tâche, le tribunal peut dans tous les cas saisir un expert spécialisé dont la mission consiste à l'éclairer sur le
bien-fondé de la demande ou l'étendue du préjudice subi1456. En tout état de cause, ces difficultés ne sauraient
légitimer le refus de la jurisprudence de réparer le préjudice économique subi par l'actionnaire victime de la
dépréciation de ses titres consécutivement à un abus du dirigeant de la société1457.

275- En sus des préjudices internes précités, l'atteinte à l'image de marque constitue également un
dommage interne, non moins important, subi par la société personne morale suite aux usages abusifs de son
crédit ou ses biens par exemple. L'atteinte à l'image de marque, si elle constitue un préjudice beaucoup plus
difficile à établir, a souvent un impact décisif sur ladite marque, surtout au niveau de la perte de chiffre
d'affaires. En effet, le préjudice d'image est déterminant pour les consommations futures dans la mesure où il
réside dans le fait qu'une fois connu par les usages abusifs de ses dirigeants, surtout les abus de droit en
matière fiscale, le produit de la société n'aura plus la même place dans l'esprit du consommateur et par
extension dans la perception qu'il pourra avoir dudit produit1458.
Cette atteinte à l'image de marque est reconnue par la jurisprudence aussi bien en Tunisie qu’en
1459
France . Elle est sanctionnée par les tribunaux car l'image d'une marque représente aujourd'hui un élément
fondamental ayant un impact déterminant sur les modes de consommation et leur évolution1460.

Afin de mieux appréhender la valeur d'une marque, certains cabinets de conseils se sont spécialisés
dans une évaluation financière permettant de déterminer les revenus qu'elle est susceptible de générer. Cette
étude « fait le lien entre une analyse marketing et stratégique de la marque et de son marché et une étude
financière des résultats qui lui sont attribuables »1461. Une fois la valeur d'une marque déterminée, cette
donnée n'est en aucun cas statique et évoluera en fonction des atteintes à son image dont l'impact sera
déterminé par des études marketing qui doivent permettre d'établir l'étendue du préjudice. On aura souvent
recours à des études de ressemblance ou encore à des sondages effectués auprès d'un échantillon représentatif
de consommateurs. Ces études permettent d'appréhender la perception qu'aura le public de la marque, mais

1454
Il s’agit d’un préjudice issu de l'atteinte à l'activité personnelle, non à l'activité de la société émettrice des titres, menée au moyen des titres.
1455
Imaginons le cas d'un associé qui a une activité économique basée sur l'exploitation active de ses titres.
1456
Cass. Com. Fr., 21 octobre 1974, journ. Agr., 1975. 386 note Chartier, RDC, 1975. 551, obs. Houin. Sur la distinction entre cette expertise et
l'expertise de gestion de l'article L. 225-231 Co., voy. Note Chartier, DS 1977. 141 et 1749.
1457
BELOT (F), Le préjudice économique de l'associé victime de la dépréciation de ses titres, LPA, 26 avril 2006 n° 83, P. 6
1458
HOFFMAN ATTIAS (E), L'évaluation du préjudice en matière de contrefaçon, Gaz. Pal., 21 décembre 2006 n° 355, P. 16 ; Sur le dommage
né de l’atteinte à la marque et sa réparation V. notamment VAN INNIS (TH), Les signes distinctifs, Larcier, Bruxelles, 1997, p 457 et s.
1459
Cass. Com. Fr., Arrêt n° 251 du 18 mai 2007. V. http://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/chambres_mixtes_2740/arret_n_10415.html.
1460
HOFFMAN ATTIAS (E), art. pré., p 17.
1461
NUSSENBAUM (M) et JACQUOT (G), La marque, actif à géométrie variable, Revue des marques, no 41, janvier 2003, p. 21. En application
de cette méthode, l'évaluation de la valeur d'une marque se fait en deux temps : 1 - détermination de la valeur de la marque qui correspond à la
valeur actualisée des revenus qu'elle est susceptible de générer ; 2 - transcription de cette analyse en données d'analyse financière (prévision
d'activité avec actualisation).

Page 207
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

l'évaluation du préjudice d'atteinte à l'image de marque s'évalue surtout à l'aune des répercussions des abus ou
encore de la contrefaçon sur l'activité de l'entreprise qui peut se traduire par un avilissement des prix ou de
l'image des produits et services concernés, voire l'éviction du marché1462.

La conjonction des études marketing et de l'analyse financière des effets de l’abus ou de la contrefaçon
sur l'activité de la marque permet d'appréhender le préjudice en termes d'image, élément fondamental et
déterminant pour l'activité et le positionnement d'une entreprise. Ce que la jurisprudence française n'a pas
manqué de souligner, à l'instar de la Cour d'appel de Paris, qui précise que : « l'image de marque (synonyme
de notoriété, de réputation) est un bien incorporel constitué par l'ensemble des représentations tendant à
singulariser aux yeux du public, la notoriété d'une marque - ou de tout autre élément pouvant avoir une
valeur économique - et qui résulte de nombreux investissements »1463.

Afin d'évaluer l'impact de la manière la plus précise qu'il soit, une méthode fiable consiste à évaluer le
« taux de pollution » généré sur la clientèle de la société personne morale pour en déduire la dépréciation des
investissements. Une telle donnée est obtenue en évaluant le degré de dépréciation résultant de l’abus ou de la
contrefaçon auprès du public et ce, avant et après l'agissement abusif : le résultat obtenu permet donc de
déterminer le niveau de dégradation de la marque, et donc par conséquent de déterminer le montant des
sommes qui seront allouées à la compensation du préjudice subi1464.

276- Si les préjudices internes sont difficilement identifiables au sein des procédés de concentration,
il n’en est pas de même pour les préjudices externes.

-§2- : La détermination du préjudice externe à l’opération de


concentration

277- Plusieurs abus sont susceptibles de causer des préjudices extérieurs à la société personne
morale. De tels préjudices sont aisément vérifiables au diapason des procédés de concentration économique.

Rien n’empêche de penser d’abord aux abus de puissance économique qui peuvent causer un préjudice
immédiat aux consommateurs, aux entreprises concurrentes mais également au marché lui-même et ce, en
évinçant toute structure de concurrence effective. En effet, chaque marché est caractérisé par un certain degré
de concurrence entre les vendeurs qui peut être très faible, voire nul, comme c'est le cas en situation de
monopole, ou, au contraire, très élevé, c'est le cas en situation de concurrence parfaite. Entre ces deux
extrêmes, la concurrence imparfaite couvre le spectre des différents degrés de concurrence. La théorie
économique montre que le profit de l'ensemble des vendeurs est maximal en situation de monopole et, d'une
façon générale, augmente quand le degré de concurrence diminue. Il est donc profitable pour les entreprises de
diminuer la pression concurrentielle. Cet objectif peut être atteint de manière tout à fait légale. Ainsi, quand
une firme investit dans une campagne de publicité afin de développer une image de marque, elle se différencie
de ses concurrents et réduit ainsi la pression concurrentielle qu'elle subit. Toutefois, il est également tentant
pour les entreprises de réduire la pression concurrentielle en recourant à des pratiques abusives comme
l’entente ou encore l'abus de domination. L'entente permet à un groupe de vendeurs de supprimer la
concurrence entre eux et, ainsi, de se rapprocher d'une situation de monopole. L'abus de domination ou de

1462
Maurice Nussenbaum, dans son étude sur l'évaluation du préjudice de marque, propose un certain nombre de critères permettant d'appréhender
le préjudice causé par l'atteinte à l'image : - ventes perdues ; - baisses de prix ; - coût de publicité supplémentaire pour compenser les répercussions
de la contrefaçon ; - dépréciation des investissements passés ; - dépréciation de la marque. V. Gaz. Pal., 21 décembre 2006 n° 355, p. 13.
1463
Cité par MACCIONI (H), L'image de marque, émergence d'un concept juridique, JCP éd. G., no 21, p. 205.
1464
HOFFMAN ATTIAS (E), art. pré., p. 18.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

puissance économique traduit, pour sa part, la tentative d'une firme en forte position sur le marché de se
rapprocher de la situation de monopole en enlevant à ses concurrents les moyens de faire des offres
compétitives aux acheteurs, ce qui a pour effet de les sortir du marché. Dans un cas comme dans l'autre, le
degré de concurrence est réduit par les pratiques, le marché se rapproche d'une situation de monopole, le prix
est plus élevé et les vendeurs voient leurs profits augmenter.
Nul doute que cette augmentation du profit des vendeurs se fait au détriment des consommateurs qui
doivent payer un prix plus élevé pour se procurer le bien sur le marché. Les pratiques anticoncurrentielles
induisent donc un transfert entre les acheteurs et les vendeurs. Le surplus des acheteurs, qui mesure le bien-
être que ces derniers retirent de l'achat du bien, diminue et les profits des vendeurs augmentent. Ce transfert
n'est pas le seul effet des abus anticoncurrentiels. En fait, les acheteurs réagissent à la hausse du prix en
réduisant les quantités achetées. En conséquence, une partie de la quantité échangée en l'absence des abus ne
l'est plus en présence des pratiques abusives. Sur cette quantité, les entreprises faisaient des profits et les
acheteurs en retiraient un bien-être. Tout cela est perdu, de sorte que les abus anticoncurrentiels, en induisant
une hausse des prix, induisent une diminution du surplus collectif1465 qui mesure ce que la société retire des
échanges entre vendeurs et acheteurs qui interviennent sur le marché concerné. La doctrine économique parle
d'une perte sèche de surplus collectif, ce qui souligne le fait que cette partie du surplus collectif est perdue
pour tout le monde. Les abus anticoncurrentiels, réduisant le degré de concurrence entre vendeurs, aboutissent
à un transfert de surplus des acheteurs vers les vendeurs et une réduction de la valeur du surplus collectif.
C'est ce dernier terme que les économistes interprètent comme le dommage à l'économie1466.

278- En sus de ce préjudice économique général, le dommage peut être ressenti directement et
individuellement par une victime bien déterminée. Tel est le cas, par exemple, de la société concurrente
victime de boycott soit du fait d'une pratique collective (entente) ou unilatérale (abus de position dominante)
et qui se voit évincée d'un marché ou encore la victime d'un refus de vente qui, de ce fait, est entravée dans
son activité économique1467.
Plus précisément, la référence au préjudice semble toujours se retrouver dans les abus concurrentiels,
mais dans ce dernier cas un double préjudice sera relevé celui de la victime directe de la pratique
anticoncurrentielle, mais aussi celui de la collectivité, l’abus atteignant l’intérêt général, puisqu’il fausse le jeu
de la concurrence sur le marché1468. Il faut souligner d’ailleurs le lien particulièrement étroit entre abus et
préjudice dans l’abus de dépendance économique, puisque l’abus s’y trouve défini par référence à la victime
et non à l’auteur1469.
Au final, les abus en matière de concurrence induisent deux catégories de préjudices extérieurs : l’un
est très grave, l’autre est de moindre importance. Le premier consiste dans le préjudice économique infligé à
la collectivité dans son ensemble. Le second comprend le préjudice individuel subi par chaque concurrent,
client ou consommateur1470.

279- On peut penser, ensuite, aux abus de la personnalité morale qui portent usuellement atteinte aux
droits des créanciers de la société et connaissent presque toujours leur terreau dans les situations de difficultés
financières qui précédent la faillite.
A ce propos, d’aucuns n’ignorent que le recours à une société de façade peut être destiné à soustraire
les actifs de valeur aux créanciers de la société en difficultés économiques ou officiellement mise en

1465
Ce surplus est défini par les économistes comme étant la somme du profit des firmes et du bien-être des acheteurs.
1466
AVENEL (E) et BRESSE (P), Dommage à l’économie et efficacité des sanctions prononcées à l’encontre des pratiques anticoncurrentielles :
de la thèorie à la pratique, L.P.A., 20 août 2001 n° 165, p. 4 ; (mêmes auteurs), L'efficacité des décisions en droit de la concurrence, 7 juin 2000,
L.P.A., numéro spécial du 26 décembre 2000, p 1.
1467
SAINT-ESTEBEN (R), Pour ou contre les dommages et intérêts punitifs, L.P.A., 20 janvier 2005 n° 14, P. 53 ; Cf. FASQUELLE (D),
Concurrence déloyale : amendes civiles ou dommages punitifs, colloque « Conquête de la clientèle et droit de la concurrence », Gaz. Pal.,
novembre-décembre 2001, p. 1681 et s. ; (même auteur) Faut-il moraliser le droit français de la réparation du dommage, Institut de droit des
affaires et de gestion, Faculté de droit de Paris 5, 21 mars 2002, LPA 2002, no 232.
1468
Cette expression est citée de façon expresse dans la loi française, seulement pour l’abus de position dominante.
1469
Sur ce point, V. notamment ALFANDARI (E), Droit des affaires, LITEC, Paris, 1993, n°87.
1470
GUIGA (J), Le droit tunisien de la concurrence à l’ère de la mondialisation, Centre de Publication Universitaire, Collection M/Sciences
juridiques, Tunis 2002, p 78

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

redressement1471. L'originalité de la situation réside aussi dans l'usage d'une société fictive au stade ultime de
la liquidation judiciaire. C'est dire combien de sociétés fictives ont du succès pour tourner les règles des
procédures collectives. Jusqu'à présent, les sociétés fictives justifiant une extension de procédure étaient
décelées pour sanctionner des situations antérieures à l'ouverture de la procédure1472. Désormais, elles sont
aussi détectées dans des mécanismes mis en place ultérieurement à l'ouverture de la procédure et ce, pour
frauder les droits des créanciers.
De même, il faut convenir que, par la souplesse, la « disponibilité » et la rapidité de réaction qu'elles
offrent, les sociétés en sommeil se prêtent à tous les montages1473- c'est là précisément leur utilité - et que, par
voie de conséquence, la pente est douce vers la tentation d'abus de personnalité morale en même temps que de
fraude à la loi1474, portant préjudice toujours et de façon presque systématique aux droits des créanciers de la
personne morale.

280- Enfin, il sied de s’intéresser à l’abus du marché ou plus précisément au délit d’initié qui
constitue la manifestation la plus importante de cet abus. La doctrine analysait en effet traditionnellement le
délit d'initié comme un délit sans victime, si ce n'est le marché1475. Certains osent même parler de victime
«superbement ignorée»1476. Les rares auteurs s'étant penchés sur cette question professaient que
l'incrimination des opérations d'initié n'est pas destinée à assurer la protection des intérêts des personnes et, en
particulier, ceux des opérateurs boursiers. L'infraction serait ainsi exclusivement destinée à protéger l'ordre
public et l'intérêt général attaché à l'intégrité du marché, valeurs dont seul le ministère public a la charge
d'assurer la sauvegarde1477.

Il faut dire que réellement les abus de marché ne font pas de victimes aisément identifiables sur une
base individuelle1478. C’est d’ailleurs le caractère collectif du préjudice en résultant qui a justifié au départ leur
incrimination pénale : il s’agissait en effet davantage pour le juge de réprimer une atteinte à l’ordre public que
de réparer le dommage causé à tel ou tel investisseur, à supposer même qu’on puisse l’isoler dans la masse
anonyme des opérateurs boursiers1479.
A cet égard, il est intéressant de faire le parallèle entre l’un des abus boursiers emblématiques, l’abus
du marché ou le délit d’initié et son équivalent en droit pénal des affaires : le non moins célèbre « abus de
biens sociaux1480 ». Dans les deux cas, un dirigeant se voit reprocher le fait d’avoir « abusé » de ses fonctions
pour profiter – à titre personnel – de quelque chose qui appartenait à sa société1481. Or, on sait qu’il est

1471
C.A. Versailles, 15 décembre 1994 : Bull. Joly Sociétés, 1995, p. 272, n° 86, note Petel.
1472
Cass. Com. Fr., 8 février 1994 : Rev. Soc., 1995, p. 100, note A. Honorat et A.-M. Romani ; C.A. Paris, 28 septembre 1993 : Bull. Joly
Sociétés, 1994, p. 68, n° 11 ; C.A. Paris, 16 novembre 1993 : Bull. Joly Sociétés, 1994, p. 73, n° 12, note Diener ; Cass. Com. Fr., 29 mai 1990 :
Bull. Joly Sociétés, 1990, p. 801, n° 245 ; Cass. Com. Fr., 8 novembre 1988 : D. 1989, p. 372, note A. Honorat.
1473
DOM (P), Les montages en droit des sociétés, Thèse Bordeaux, 1994.
1474
PRIETO (C), Note : Usage frauduleux d'une société en sommeil pour tourner les règles de la liquidation judiciaire affectant une autre société,
CA Paris 3e ch. sect. B, 29 sept. 1995, Frangil c/ Me Carasset-Marillier ès-qual., Bull. Joly Soc., 01 décembre 1995 n° 12, P. 1080. V. aussi, sur
leur danger, MESTRE (J) ET FAYE (S), In Lamy Sociétés commerciales, 1995, no 449.
1475
A croire certains auteurs, il n'y aurait pas de « victimes » d'infractions à la législation et à la réglementation boursière. Du moins ne pourraient-
elles pas être identifiées. Ainsi, selon H. de Vauplane et J.-P. Bornet (Droit des marchés financiers, 3e éd., Litec, oct. 2001, spéc. no 1007, p. 902) :
« comme toutes les infractions qui portent atteinte à la morale publique, les délits boursiers ont la particularité de ne pas concerner une ou des
victimes déterminées, en général parties civiles. Si les auteurs du délit sont identifiables, la victime ne l'est pas, ou plus exactement elle l'est dans
sa composante la plus large, puisqu'il s'agit de la masse des investisseurs ». V. aussi SYNVET (H), Le nouveau droit boursier français après la loi
sécurité et transparence du marché financier, RD bancaire et fin. no 17, janv.-févr. 1990, p. 3, spéc. no 37, p. 10 ; DECOOPMAN (N), Le pouvoir
de sanction administrative de la COB, RD bancaire et fin. no 17, janv.-févr. 1990, p. 16, spéc. p. 18.
1476
VIANDIER (A), Observations sur le délit d'utilisation d'une information privilégiée, Bull. Joly Bourse 1992, p. 253.
1477
HOVASSE (H), obs. sous CA Paris, 9e ch., 15 janvier 1992 : Dr. sociétés, 1992, comm. no 189 ; F. Peltier, obs. sous Paris, 9e ch., 15 janvier
1992 et Cass. crim., 15 mars 1993 : Banque et droit, novembre-décembre 1993, p. 22, spéc. p. 23 ; FRANCHI (F), A quoi peut bien servir la
responsabilité pénale des personnes morales ?, Rev. Sc. Crim., 1996, p. 277, spéc. p. 286 ; SIMART (O) ET DE VAUPLANE (H), Délits
boursiers, une proposition de réforme, RD bancaire et bourse, 1997, p. 85, spéc. p. 95 ; V. la position plus nuancée de M. le Professeur
VIANDIER (A), Observations sur l'utilisation d'une information privilégiée, Bull. Joly Soc., 1992, p. 253, n° 76, spéc. p. 255 et s. V. infra n°357.
1478
V. BRADY (J-M), Entretiens de la COB, nov. 1991.
1479
MARTIN LAPRADE (F), La politique de sanction du régulateur : répression ou réparation ?, Bull. Joly Bourse, 01 décembre 2009,
n° Spécial, p. 439.
1480
MARTIN LAPRADE (F), Concert et Contrôle : plaidoyer en faveur d’une reconnaissance de l’action de concert par le droit commun des
sociétés, coll. Pratique Affaires, Joly éd., 2007, p. 601, § 874.
1481
Crédit, bien ou encore information privilégiée.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

difficile pour un actionnaire individuel de se constituer partie civile dans un procès pour abus de biens
sociaux, dans la mesure où le préjudice est ordinairement subi par l’ensemble de la communauté des associés,
laquelle s’exprime alors par la voix de l’action sociale, le cas échéant « ut-singuli » s’il est nécessaire de
court-circuiter le dirigeant fautif1482 .
Il en va strictement de même pour le délit d’initié1483, sauf si la personne concernée peut
éventuellement justifier d’un préjudice personnel distinct de celui des autres acteurs du marché, notamment
parce qu’elle est en mesure de prouver qu’elle a été la contrepartie directe des opérations conduites
illégalement par l’initié, mais on se rapproche alors de l’action civile pour rétention dolosive1484.

La jurisprudence tunisienne n'avait jamais abordé la question. En France, la chambre de l'instruction de


la Cour d’appel de Paris avait approuvé, aux motifs adoptés que « la cession d'actions par des administrateurs
disposant d'informations privilégiées, si elle peut porter atteinte au fonctionnement normal du marché, ne
cause par elle-même aucun préjudice personnel et direct aux autres actionnaires de la société ni à la société
elle-même »1485. La Cour de cassation française a censuré cette analyse, en affirmant au contraire que « à le
supposer établi, le délit d'initié est susceptible de causer un préjudice personnel direct aux actionnaires »1486.
Abstraction faite de quelques décisions isolées, la jurisprudence française est presque unanime sur
l’absence de préjudice personnel en matière d’abus du marché1487. Dans cet ordre d’idées, il n'est point interdit
de déceler dans la position de la Cour de cassation française la réticence générale qu'elle manifeste depuis
plusieurs années face aux infractions que la doctrine a pu qualifier « d'intérêt général », lesquelles n'auraient
pour objet que de sauvegarder l'ordre public. Elles seraient insusceptibles de causer un préjudice aux
particuliers, et dont la poursuite serait ouverte au seul ministère public, à l'exclusion de toute action civile.

On peut avancer également, de manière générale, que la répression boursière concernant l’abus du
marché vise, pour l'essentiel, des comportements qui portent atteinte à l'égalité de traitement des investisseurs
et à la transparence du marché. L'égalité d'accès à l'information suppose, « d'abolir les privilèges » en
interdisant temporairement à certaines personnes d'utiliser ou de communiquer les informations
confidentielles qu'elles détiennent soit à raison de leur situation au sein de l'émetteur, soit à raison des
relations professionnelles qu'elles entretiennent avec celui-ci. A défaut, ces personnes bénéficient d'un
avantage informationnel réduisant considérablement l'aléa de leurs transactions, au détriment des particuliers
sous-informés qui interviennent sur les marchés financiers. Les « initiés » s'enrichissent alors au détriment des
investisseurs individuels, qui vont devoir déployer davantage d'efforts pour tenter d'accéder, parfois
vainement, aux informations pertinentes1488. Pourtant, il serait possible de considérer que les initiés ne font
qu'introduire sur le marché une information exacte qui, par sa diffusion progressive, serait de nature à éviter
dans certains cas un effet « krach », c’est à dire, l'effondrement brutal du cours d'un titre1489.
D'un point de vue économique, les profits retirés par les initiés pourraient s'analyser comme la
rémunération de ce « service rendu » au marché et toute répression devrait être exclue à leur égard. Aussi
intéressante soit-elle, cette approche semble démentie par la pratique1490 mais elle omet, surtout, une donnée
essentielle dans le bon fonctionnement d'un marché financier : la confiance des investisseurs. Si le « jeu
boursier » apparaît faussé, parce que certains s'enrichissent sans effort en raison de leur seule situation au sein

1482
MARTIN LAPRADE (F), Banques : le poids des responsabilités juridiques, chron., La Tribune, 11 mars 2008.
1483
V. toutefois Cass. Crim. Fr., 11 déc. 2002, Bull. Joly Bourse, 2003, p. 149, n° 23, qui semble admettre le principe de la constitution de partie
civile d’un actionnaire du chef d’un délit d’initié.
1484
MARTIN LAPRADE (F), La contractualisation de la répression exercée par le régulateur, In Les engagements dans la régulation
économique, DER Vol. 4, Dalloz (2006).
1485
DEZEUZE (E), Note – La constitution de partie civile du chef du délit d'initié, Cass. Crim. Fr., 11 déc. 2002, n° 7399 FS-PF, G (cons. rapp.
Challe), Bulletin Joly Sociétés, 01 avril 2003 n° 4, P. 433.
1486
Ibidem.
1487
MERLE (R) ET VITU (A), Traité de droit criminel, T. II, Procédure pénal, Cujas, 2001, 5e éd., no 79 ; STEFANI (G), LEVASSEUR (G)
ET BOULOC (B), Procédure pénale, Dalloz, 1996, 16e éd., no 76 ; CONTE (PH) ET MAISTRE DU CHAMBON (P), Procédure pénale,
Armand Colin, 2001, 3e éd., no 200. Sur la manifestation du déclin jurisprudentiel de cette théorie, voir en particulier MERLE (R) ET VITU (A),
op. cit. no 80.
1488
STASIAK (F), Droit pénal des affaires, LGDJ 2005, p. 247
1489
STASIAK (F), Le délit d'initié mis en scène, L.P.A., 18 juin 2008 n° 122, p. 40.
1490
Ainsi le titre EADS a-t-il perdu 26 euros le jour de l'annonce des retards de livraison de l'A380, malgré des ventes préalables massives par
certains dirigeants du groupe. V. Ibidem.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

de la société émettrice, il n'incite plus les épargnants à investir et c'est l'équilibre général du marché qui peut
alors en être fragilisé1491.

Mais, au-delà du préjudice universel causé au marché financier, la question se pose alors de savoir si le
délit d'initié peut générer des préjudices individuels ? Autrement dit, en quoi l'actionnaire d'une société a-t-il
vocation à se prétendre victime de l'exploitation d'une information privilégiée relative à la société, s'il ne s'est
pas lui-même livré à une opération sur le titre de la société et, plus précisément, à une opération inverse de
celle réalisée par l'initié ? L'actionnaire ayant conservé ses titres de la société ne peut prétendre que l'égalité
des opérateurs sur le marché aurait été faussée par l'opération d'initié, sauf à admettre qu'il tire grief de la
circonstance qu'il n'a pas bénéficié de l'information privilégiée et n'a pu réaliser une opération identique à
celle de l'initié. On ne saurait accepter qu'un préjudice juridiquement protégeable découle pour l'actionnaire du
fait qu'il n'a pas eu l'opportunité de commettre aussi un abus. En effet, les actionnaires de la société n'ayant
pas opéré concomitamment à l'initié ne peuvent revendiquer le moindre préjudice, ni dès lors exercer l'action
civile1492. Dans cet ordre d’idées, monsieur le Professeur Hovasse a contesté l'existence d'un tel préjudice en
des termes éclairants : « si un initié titulaire d'informations boursières se porte acquéreur, il va tirer les cours
vers le haut et toute la communauté financière en bénéficie. S'il n'avait pas acheté, les opérateurs auraient
accompli leurs opérations sur des cours plus bas établis en considération des informations disponibles à ce
moment-là ; ils ne sont pas admis à s'en plaindre car ce qui est reproché à l'initié, ce n'est pas de ne pas avoir
divulgué des informations mais d'avoir opéré grâce à des informations non divulguées »1493. Relevons, avec le
même raisonnement mais en sens inverse, que les opérateurs ne subissent aucun préjudice lorsque l'initié
revend ses titres alors qu'il est en possession d'informations non publiques sur la mauvaise marche de
l'entreprise. Il tire alors le cours à la baisse et peut inciter l'actionnaire qui constate cette baisse à céder, lui
permettant ainsi d'anticiper la révélation des mauvais résultats.

Cette première position qui écarte l’existence d’un quelconque dommage autre que celui ressenti par le
marché financier en sa globalité a été adoptée par une partie de la doctrine. En effet, certains auteurs
considèrent que « les opérations d'initiés ainsi réalisées, si immorales soient-elles, ne causent aucun préjudice
financier aux opérateurs 1494» ou que « la commission du délit d'initié ne crée pas de préjudice pour les
porteurs de titres, d'autant plus que ce délit a un fondement moral et non économique1495 ». Il reste que ce
fondement purement « moral » du délit d'initié ne convainc pas nécessairement car sa répression peut se
justifier par des arguments d'ordre économique. En effet, l'avantage informationnel des initiés peut être de
nature à altérer la confiance des investisseurs non initiés et donc susceptible d'entraîner des répercussions
négatives sur le marché1496. C'est précisément ce qu'avaient considéré les juridictions d'instruction françaises
dans plusieurs espèces1497. De surcroît, de récentes études d'analyse économique ont établi que les transactions
illicites d'initiés, résultant de leur avantage informationnel, réalisent un transfert de richesses des non-initiés
vers les initiés puisqu'en cas de baisse -ou de hausse- des cours, chaque titre vendu -ou acheté- illégalement
par l'initié est détenu -ou vendu- par un non-initié1498. Il est dès lors possible de considérer, par exemple,
qu'une vente illégale de titres par un initié1499, avant une baisse des cours, peut entraîner deux types de

1491
DEFFAINS (B) ET STASIAK (F), Les préjudices résultant des infractions boursières : approches juridique et économique, in Le droit au défi
de l'économie, dir. Y. Chapus, Publications de la Sorbonne, 2002, p. 177 et s.
1492
DEZEUZE (E), Note pré. P 433.
1493
Obs. précit In Dr. sociétés, 1992, comm. no 189, spéc. p. 14.
1494
HOVASSE (H), Dr. sociétés, septembre 1992, comm. no 189.
1495
DE VAUPLANE (H) ET SIMART (O), Délits boursiers : propositions de réforme. Pour une répartition des compétences répressives selon le
caractère économique ou moral de l'infraction, RD bancaire et bourse, mai-juin 1997, no 61, p. 85.
1496
DEFFAINS (B) ET STASIAK (F), Les préjudices résultant des infractions boursières : approche juridique et économique », In Le droit au
défi de l'économie, dir. Y. Chaput, Droit économique, Publications de la Sorbonne, 2002, p. 177 et s.
1497
Cass. Crim. Fr., 15 mars 1993 : Bull. Joly Bourse, 1993, p. 365, n° 76, note M. Jeantin ; D., 1993, jur. p. 160, note C. Ducouloux-Favard ;
Banque et droit, 1993, no 32, p. 21, chron. F. Peltier ; C.A. Paris, 18 décembre 1995 : JCP,éd. E, 1996, I, pan. 482 ; Banque et droit, 1996, no 48, p.
35, chron. F. Peltier et H. de Vauplane. Concernant le délit de manipulation de cours, sa similitude avec la diffusion d'informations fausses ou
trompeuses permet d'opter pour la même solution : cf. FREYRIA (C), Les aspects répressifs de la réglementation boursière actuelle, RD bancaire
et bourse, juillet-août 1988, no 8, spéc. p. 113.
1498
« L'organisation des dispositifs spécialisés de lutte contre la criminalité économique et financière en Europe », dir. B. Deffains et F. Stasiak,
Rapport GIP, ministère de la Justice, janvier 2002, p. 69 et s. (http ://www.gip-recherche-justice.fr).
1499
Le raisonnement serait identique en cas d'achat illégal de titres par l'initié avant leur hausse.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

préjudices individuels. D’un côté, des préjudices d'inexécution subis par les vendeurs non initiés et dont le
montant serait approximativement égal au nombre de titres qu’ils n’ont pas pu vendre multiplié par la valeur
de la différence entre le prix auquel ils auraient vendu leurs titres en l'absence d'initié et le prix lors de la
diffusion publique de l'information privilégiée. De l’autre, des préjudices de contrepartie subis par les
acheteurs non initiés et dont le montant serait tout aussi approximativement égal au nombre de titres achetés
multiplié par la valeur de la différence entre le prix auquel ils auraient acheté leurs titres en l'absence d'initié et
le prix lors de la diffusion publique de l'information privilégiée1500.

En affirmant à juste titre qu'un délit d'initié cause un préjudice direct et personnel aux actionnaires, on
œuvre indubitablement davantage pour la moralisation des marchés financiers ce qui est à même de protéger
les investisseurs et pas uniquement l'investissement. On privilégie ainsi une « morale naturelle » à une
«morale artificielle » dénoncée de longue date par le Professeur Viandier1501.

De toute façon, tel ne semble pas le cas, pour le moment, de la jurisprudence française où l’exercice de
l’action civile continue aujourd'hui comme hier à être refusé aux créanciers, aux associés, aux salariés,
autrement dit, à tous ceux qu'à tort ou à raison, la Cour de cassation considère n'avoir subi qu'un préjudice
indirect1502. En effet, cette cour, en application de l'article 2 du code de procédure pénale et après quelques
hésitations1503, a, par deux arrêts du même jour1504, déclaré irrecevable l'action individuelle de l'actionnaire au
motif que son préjudice est indirect1505.

281- S'agissant de l’abus du marché sous forme de délit de fausse information, la condamnation de
l'auteur de la fausse information est souvent invoquée par les porteurs de titres de la société émettrice1506.
Deux préjudices distincts peuvent être retenus1507. En premier lieu, le préjudice relatif aux « titres acquis
après la diffusion des fausses informations » a pu donner lieu à des dommages et intérêt fixés dans un premier
temps à la différence entre le cours du titre avant et après la fausse information1508 puis dans un second temps
plus généreusement à hauteur du prix de la souscription1509. En second lieu, le préjudice relatif aux « titres
acquis antérieurement à la diffusion de fausses informations ». La chambre criminelle de la Cour de cassation
française s'est toujours refusé à ce jour d'indemniser le préjudice tenant à la conservation des titres acquis
avant la fausse information, au motif qu'il ne présente pas de caractère de certitude. Il convient toutefois de
souligner que ce préjudice pourrait être réparé sur le fondement de la perte de la chance d'éviter le dommage
consistant en la perte du prix d'acquisition des titres1510. Or la perte d'une chance réelle et sérieuse constitue
bien, tant en droit civil qu'en droit pénal, un préjudice certain ouvrant droit à réparation1511.

1500
STASIAK (F), Note, Cass. Crim. Fr., 11 décembre 2002, no 7399, Alain G. c/ X, Délit d’initié, Bulletin Joly Bourse, 01 mars 2003 n° 2,
p. 149.
1501
VIANDIER (A), Observations sur le délit d'utilisation d'une information privilégiée, Bull. Joly, 1992, p. 253, n° 76.
1502
CHILSTEIN (D), art. pré., p 25.
1503
Cass. Crim. Fr., 6 janvier 1970, Rev. Soc. 1971, p. 25, note B. Bouloc ; 25 novembre 1975, Bull. crim., no 257 ; JCP G 1976. II. 18476, note
M. Delmas-Marty, Rev. Soc. 1976, p. 657, note B. Bouloc ; 11 janvier 1996, Bull. crim., no 16.
1504
Cass. Crim. Fr., 13 décembre 2000, Leonarduzzi, Bull. crim., no 373, Dr. pén. 2001, comm. no 47, note J.-H. Robert ; Rev. Soc. 2001, p. 394,
note B. Bouloc, Bull. Joly 2001, p. 500, note J.-F. Barbièri ; 13 décembre 2000, Bourgeois et Castellan, Bull. crim. no 378, Dr. pén. 2001, comm.
no 47, note J.-H. Robert, D. 2001, p. 926, note Boizard, Rev. Soc. 2001, p. 399, note B. Bouloc.
1505
Seuls les actionnaires ou les associés peuvent, dans le cadre de l'action sociale ut singuli, se constituer partie civile du chef de délit d'initié,
comme d'ailleurs de toute autre infraction du droit pénal des affaires. Mais en pareille hypothèse, les dommages et intérêts seront à nouveau
alloués, non à l'actionnaire, mais à la société elle-même.
1506
Cass. Crim. Fr., 15 mars 1993, Bull. crim., no 113 ; Bull. Joly Bourse 1993, p. 365, note M. Jeantin ; D. 1993, jur. p. 610, note C. Ducouloux-
Favard ; Banque et droit 1993, no 32, p. 21, note F. Peltier et H. de Vauplane.
1507
Lamy, Droit pénal des affaires 2005, no 1277.
1508
Cass. Crim. Fr., 15 mars 1993, préc.
1509
T. Corr. Paris, 17 décembre 1997, Affaire du comptoir des entrepreneurs, Bull. Joly 1998, p. 485, note N. Rontchevsky ; 27 décembre 1998,
Bull. Joly 1998, p. 927, note N. Rontchevsky.
1510
DE VAUPLANE (H) ET SIMART (O), Délits boursiers : propositions de réforme pour une répartition des compétences répressives selon le
caractère économique ou moral de l'infraction, RD banc. bour. 1997, p. 85.
1511
La constitution de partie civile peut ensuite émaner de la société elle-même à raison de la faute de ses dirigeants. V. T. Corr. Paris, 17
décembre 1997, Comptoir des entrepreneurs, Bull. Joly 1998, p. 485, note N. Rontchevsky.

Page 213
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Plus précisément, une analyse de la jurisprudence française laisse entrevoir qu’un préjudice est admis
toutes les fois qu’une information inexacte fait prendre à un investisseur une position contraire à celle qu’il
aurait prise s’il avait disposé d’une information exacte. En réalité, il y’a préjudice quand « un investisseur
anticipe, à tort, d’une information excessivement optimiste une forte croissance des résultats et, une
valorisation consécutive des titres, ce qui le pousse, au minimum, à conserver ses titres, au pire, à en acquérir
de nouveaux. A l’inverse une information exagérément pessimiste peut indûment provoquer la vente des
titres»1512.
Ainsi dans l’affaire « Société Générale de Fonderie », la Cour d’appel de Paris a reconnu que «la
certitude d’un tel préjudice est acquise dès lors que les victimes ont acheté des actions à un cours supérieur à
leur valeur réelle et ce, par suite de la diffusion de fausses informations ou d’informations trompeuses»1513.
A ce cas de figure, d’une information trop optimiste, on peut assimiler l’hypothèse consistant à retarder
la diffusion d’une information négative, ce qui inclut le cas de l’initié qui utilise une information privilégiée
pour céder ses titres avant quiconque1514.

En l’absence de jurisprudence tunisienne en la matière, on constate chez le juge pénal français, une
appréciation divergente de la recevabilité de la constitution de partie civile selon les abus en droit des sociétés
ou parfois même s'agissant du même abus, de flux et de reflux. Cette incertitude témoigne de la volonté du
juge tout à la fois de protéger la seule société et de ne pas ostraciser totalement les victimes des abus, dans le
contexte actuel qui leur est propice1515. L’abus du marché est ainsi une nouvelle illustration d'une
incrimination, certes destinée à la protection du fonctionnement honnête d'un marché ou d'une activité
économique ou financière, mais qui assure également la sauvegarde ainsi que la protection des personnes
opérant sur ce marché ou dans le cadre de cette activité1516.

282- En toutes ces hypothèses, face à un pouvoir ou un droit qui a été utilisé à des fins personnelles,
d’une part, et des tiers ou la personne morale elle-même qui ont vu leurs intérêts floués, d’autre part, la notion
d’abus doit rééquilibrer la situation en donnant à ceux qui ont été lésés ce qu’ils étaient en droit d’attendre de
la personne morale. Ainsi, lorsque l’administration fiscale est en droit d’imposer la société pour la totalité des
bénéfices qu’elle a réalisés, le recours au concept d’abus va permettre de reconstituer les bénéfices dont une
partie avait été illégalement dissimulée.
Mais, en plus de l'extension de la notion de préjudice indemnisable, doit être également constatée
une appréciation plus souple des caractères, tels que le caractère direct, personnel et licite, auxquels le
préjudice devrait satisfaire, en matière d’abus, pour être réparable. Ce qui pourrait octroyer à la notion d’abus
toute l’efficacité recherchée. Aussi, le préjudice invoqué doit être certain, ce qui signifie qu’il doit être
vraisemblable et déjà réalisé au moment où les magistrats statuent1517. Cependant, du moment qu’on peut
avoir la certitude que le préjudice se produira dans l’avenir et que l’on peut en apprécier le quantum, la
victime pourrait-être alors en droit d’exiger la réparation1518.

283- Une autre problématique ne devrait pas manquer de se présenter, il s’agit de la question de
l’évaluation du dommage. Une question qui reste imbriquée à celle de l’existence du préjudice.
Traditionnellement, le préjudice invoqué n’ouvre, en effet, droit à réparation qu’à la condition qu’il soit direct,
certain et légitime.

1512
MAGNIER (V), Information boursière et préjudice des investisseurs, Recueil Dalloz, 2008, p 558.
1513
MARCHI (J-P), Note sous CA Paris, 9e ch. A, 15 juin 1992, Société Générale de fonderie, Gaz. Pal. 1992.1.293.
1514
MAGNIER (V), Information boursière et préjudice des investisseurs, art. pré., p 558.
1515
SALOMON (R), Le particularisme de l'action civile en droit pénal des affaires, LPA, 10 janvier 2008 n° 8, p 9.
1516
V. ainsi, pour le délit d'exercice illégal de la profession de banquier, longtemps considéré comme une infraction exclusivement destinée à la
protection de l'intérêt général : Cass. Crim. Fr., 9 mai 1972 : Bull. crim., no 158, avant que la Cour de cassation n'admette qu'il était susceptible de
léser les intérêts des personnes confiant leurs fonds à l'auteur du délit : Cass. Crim. Fr., 7 novembre 1989 : Bull. crim., no 394, et le rapport de M.
le Conseiller Maron : Dr. pénal, novembre 1990, chron. p. 1. V. dans le même sens pour le délit de gestion sans habilitation d'un portefeuille de
valeurs mobilières [C. mon. et fin., art. L. 531-2 et L. 532-1 (L. no 89-531, 2 août 1989, art. 25 et L. no 96-597, 2 juillet 1996, art. 82)] : C.A. Paris,
9e ch. B, 2 décembre 1992 : JCP, 1993, éd. G, IV, no 1183, qui retient l'absence de préjudice susceptible d'être causé à un particulier par ce délit,
puis, en sens contraire : Cass. Crim. Fr., 5 mars 1998 : Bull. crim., no 87.
1517
TOULET (V), Droit civil, op. cité, p. 337.
1518
MAZEAUD (H), MAZEAUD (L), MAZEAUD (J) et CHABAS (F), op.cit., p. 416, n° 411.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Il faut dire, qu’en matière d’investissements boursiers cette question est particulièrement délicate car les
bénéfices ou les pertes qui peuvent en résulter sont toujours marqués par une part prépondérante d’aléa.
A ce propos, la Cour de cassation française a admis que le préjudice subi par les actionnaires, en raison
de la diffusion par la société de fausses informations relatives à une opération de concentration imminentes,
n’est pas égal au montant de l’investissement réalisé mais consiste en la perte d’une chance d’investir ses
capitaux dans un autre placement ou de renoncer à celui déjà réalisé.

284- En s'attachant au caractère du dommage réparable, on remarque que, contrairement aux abus
prévus dans les textes spéciaux1519, le législateur a exigé dans l'article 103 C.O.C. un caractère particulier.
Ainsi pour être réparable, le dommage doit être notable1520. Le dommage doit revêtir donc une gravité
particulière pour qu'il soit indemnisable. Ce caractère semble être logique dans la mesure où le dommage, lié à
l’abus, est causé généralement pendant l'exercice d'un droit. Il s'agit donc d'un préjudice excessif. De plus,
l'article 103 du C.O.C. exige une autre condition. Il faut qu'il soit possible à l'ayant droit d'éviter ou de
supprimer ce préjudice sans inconvénient grave pour lui, mais qu'il n'a rien fait pour le prévenir ou le faire
cesser. Cet article constitue le droit commun de l’abus auquel il est permis de revenir chaque fois que le texte
spécial reste muet.

Il ne faudrait pas perdre de vue aussi que le dommage exerce une influence sur l'aspect financier. C'est
effectivement à la question du financement de la réparation du dommage que vient se heurter l'évolution de la
notion de responsabilité civile1521. Il n'est pas moins certain que des choix indemnitaires doivent pouvoir être
effectués dans un souci d'économie budgétaire. La nécessité d'assurer une réparation complète doit se
concilier avec d'autres exigences non moins impérieuses d'ordre économique.

285- Ainsi, le dommage est considéré comme une condition nécessaire de la responsabilité civile
liée à l’abus1522. Toutes les actions, en matière d’abus dans les procédés de concentration, supposent un

1519
V. CSC, CT, loi relative à la concurrence et aux prix…
1520
L'aliéna 2 de l'article 103 C.O.C. prévoit que «...Lorsque l'exercice de ce droit est de nature à causer un dommage notable à autrui et que ce
dommage peut être évité ou supprimé sans inconvénient grave pour l'ayant droit, il y a lieu à responsabilité civile si on n'a pas fait ce qu'il fallait
pour le prévenir ou pour le faire cesser».
1521
Il convient de préciser, à ce niveau, que le principe de précaution expliquant la conception moderne du droit de la responsabilité, orientée vers
le futur, construit un nouveau droit de la victime. Ainsi, la responsabilité est succeptible d'être engagée avant tout dommage et en l'absence même
de toute certitude de l'existence d'un dommage. Il y a un assouplissement de la notion de dommage, ce qui conduit à se contenter d'une simple
menace du dommage. Ce principe, qui exige de se prémunir contre l'incertain, a pour but d'obliger toute personne à déployer tous les moyens et
anticiper un risque de dommage important quelque infime qu'il soit. Ce principe a été consacré en droit international, communautaire et interne. En
droit français, ce principe est consacré dans divers domaines telles que la chimie, la pharmacie, le nucléaire. De même, l'article 200 du code rural le
présente comme le principe selon lequel « l'absence de certitude compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas
retarder l'adoption des mesures effectives et proportionnelles visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à un coût
économique acceptable ». Le principe de précaution touche non seulement le droit de l’Environnement, mais il est introduit dans le domaine de la
santé et de la sécurité alimentaire aussi. Il occupe une place, de plus en plus importante, dans le système juridique tunisien. Ainsi la réglementation
tunisienne en matière de pollution trouve sa source dans une approche de précaution. La loi n° 2005/9 du 18/Î0/2005, relative à l'élevage et aux
produits animaux a mis en place les instruments nécessaires à la mise en œuvre du principe de précaution tels que l'évaluation des dangers, la
traçabilité des animaux et des produits animaux. V. THIBIERGE (C), Avenir de la responsabilité, responsabilité de l'avenir, Recueil D., 2004,
chron., p. 577 ; JOURDAIN (P), Le principe de précaution et la responsabilité civile, LPA, 30/01/2000, n°293 ; SLAMA (S), Le principe de
précaution, Mémoire, FSJPST, 2000-2001, p. 121 ; TLICHE-ALOUI (K), Le principe de précaution en droit Tunisien : Partir d'une approche
pour consacrer un principe dans une optique de développement durable, Mémoire, FDSPT, année 2004-2005.
1522
La nécessité de cette notion, au sein de la responsabilité civile, est liée à son objectif principalement indemnitaire. En effet elle tend à garantir
une réparation aux victimes lésées et ce par opposition à la responsabilité pénale, qui remplit une fonction répressive. Le dommage est donc un
critère de la responsabilité civile liée à l’abus. Le dommage n'est pas une condition indispensable de la responsabilité pénale inhérente à l’abus.
Cela signifie que cette dernière est établie à défaut de tout dommage. La sanction d'un coupable n'implique pas obligatoirement qu'une personne ait
souffert d'un dommage. Alors que la responsabilité pénale peut sanctionner un coupable sans victime, il n'existe pas de responsabilité sans victime
en matière civile. Si le dommage se trouve au centre des débats de la responsabilité civile, celle pénale est dégagée de la simple violation de la loi.
La loi pénale n'exige pas toujours la production effective d'un dommage. À noter que plusieurs cas dans le droit pénal permettent d'illustrer cette
idée. Le premier concerne l'incrimination des contraventions où l'existence d'un dommage n'est pas nécessaire à la répression. Ces dernières bien
qu'elles n'engendrent aucun dommage et ne créent qu'un risque, la responsabilité de leur auteur est reconnue. C'est l'incrimination d'une attitude ou
d'un comportement dangereux sans porter un dommage réel. Tel est le cas de l'incrimination de la conduite d'un véhicule sous un état d'ébriété.
Ainsi, l'excès de vitesse, prévu dans le code de la route, est pénalement sanctionné. Le second cas concerne la tentative. Un comportement peut
dans certaines conditions établir la responsabilité pénale de son auteur alors même que le résultat envisagé n'a pas finalement été atteint. L'article
59 du code pénal prévoit que la sanction de la personne qui tente de commettre un crime ou un délit encourt la même peine comme si l'infraction
avait été consommée. De ce fait, le droit pénal doit intervenir dés qu'une personne aura manifesté sa volonté d'avoir la tentation de violer une règle

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

dommage : pas de dommage pas d’abus1523. C'est l'application d'une règle de procédure « pas d'intérêt pas
d'action »1524.

On verra, par la suite aussi, que la gravité des peines parfois prévues par le législateur en matière
d’abus dans les procédés de concentration s’insère bien dans le cadre d'une politique criminelle cohérente.
Celle-ci consiste, d'une façon générale, à punir plus sévèrement les abus dont le préjudice peut s'étendre à
plusieurs personnes à la fois ou dont les conséquences sont difficiles à prévoir1525.

286- Toutes ces remarques font que le dommage se présente comme une condition préalable et
essentielle de l’abus dans les procédés de concentration. Il apparait aussi comme étant l’un des premiers
critères constitutifs de l’abus. Cette caractéristique se confirme dans la mesure où la notion de préjudice
permet à elle-seule d’établir une ligne de démarcation nette et limpide entre l’abus et les principales notions
concurrentes, à savoir la faute et la fraude.

Sous-section Deuxième : Le préjudice et les notions


voisines de l’abus dans les procédés de
concentration

287- Se basant sur le fait que la jurisprudence française sanctionne dans de nombreux cas des
agissements non-intentionnels1526, la doctrine dominante tire la conséquence que l'abus des droits serait
simplement la faute commise dans l'usage des droits1527. Ces deux théories : abus et faute sont, en effet, très
voisines « elles se touchent d'assez près pour qu'il soit facile de glisser de l'une dans l'autre »1528. Selon l'opinion
commune « la faute se caractérise par un comportement anormal que n'aurait pas un homme raisonnable et
prudent »1529. Elle consiste soit à omettre ce qu'on était tenu de faire, soit à faire ce dont on était tenu de
s'abstenir, sans intention de causer un dommage ou bien avec une telle intention1530. Or, la théorie de l'abus est
appelée à fonctionner lorsque la source du préjudice consiste dans « un acte dont la licéité abstraite n'est pas
contestée »1531. Malgré cette différence fondamentale, la doctrine française n’hésite pas à assimiler l'abus à la
faute, « une faute au sens de l'article 1382 CCiv. »1532. L'abus serait-il alors la faute au sens de l'article

pénale nonobstant la production d'un dommage à autrui. En outre, la loi pénale réprime l'infraction impossible. Pourtant, par définition, celle-ci ne
peut réussir et ne produit aucun résultat. L'impossibilité due à cette infraction peut être une impossibilité de droit : C'est le cas d'une victime
prématurément décédée, ou une impossibilité de fait : c'est le cas de l'avortement d'une femme non enceinte. V. CHABAS (F), La responsabilité
civile et la responsabilité pénale, thèse préc., p. 34 ; LAMBERT-FAÏVRE (Y), L'éthique de la responsabilité, R.T.D. Civ., 1998, p.5 ; CONTE
(Ph) et MATSTRE DE CHAMBON (P), La responsabilité civile délictuelle, P.U.G., Grenoble, 3ème éd. 2000, p.19 ; MAHFOUDH (M), Cours
du droit pénal, Introduction au droit pénal Tunisien, préf., SADOK BELAID, C.P.U., Tunis, 2004, p. 355 ; DOMINIQUE (A), Le droit pénal,
L.G.D.J., Paris, 2000, p. 52.
1523
LE TOURNEAU (Ph), La responsabilité civile, Dalloz, Paris, 3ème éd., 1982, n°46, p. 156
1524
V. Art. 19 CPCC et Art. 5 C.P.C. Fr.
1525
V. concernant le développement de cette idée en droit français : GBANE (B), Le droit pénal et l’information de gestion, Université de Rennes
I, Faculté des sciences juridiques, 1995, p 437 et 438.
1526
Cass. Req. Fr., 1er juin 1881. D. 1883. I. 332., Cass. 1er juillet 1878 s. 1879. 1.423.
1527
De la faute, un rameau s’est détaché, la théorie de l’abus de droit. Cependant, l’idée selon laquelle l’usage abusif d’un droit serait une faute, est
sujette à de nombreuses controverses sur le plan de la doctrine qui pour la partie dominante, l’abus est une faute dans l’exercice d’un droit
(WEILLE (A) et TERRE (F), Les obligations, op. cit., p. 713 ; STARCK (B), op. cit., p. 130 ; AYNES (M) et MUNCK, op. cit., p. 56) ; et pour
un autre courant de pensée, l’abus même s’il est considéré comme une faute, cette faute est d’une nature particulière (MAZEUD (H), MAZEUD
(L), MAZEUD (J) et TUNC (A), Traité de droit civil, op cit., n° 502 ; GHESTIN et GOUBAUX, Traité de droit civil, Tome 5, 2ème éd. L.G.D.J
1982, p. 619).
1528
SALANSON (L), De l'abus du droit, thèse, Paris, 1903.
1529
GHESTIN (J) et GOBEAUX (G), op.cit. n° 711.
1530
Arts 82 et 83 COC.
1531
SALANSON (L), op.cit., p. 17.
1532
ESMEIN (A), note au Sirey 1898. I. 17. Spé. p. 21, 3ème colonne.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

82 COC ? Ce dernier vise « tout fait quelconque de l'homme qui, sans l'autorité de la loi... ». Or l'exercice d'un
droit, d’un pouvoir ou d’une prérogative légale ne se fait pas sans l'autorité de la loi. C'est la loi qui en a permis
l'exercice. En droit tunisien, le législateur en posant la règle de l’article 103 COC, a déjà fait de l'abus « une
source de responsabilité indépendante de la faute »1533 et ce, contrairement à la jurisprudence qui, bien que de
manière accessoire, s’est référé à maintes reprises à l’article 82 C.O.C pour présenter la notion d’abus1534.

288- A ce propos, il convient de s’interroger si le même lien que celui établi entre préjudice et abus,
peut-il être relevé entre faute et préjudice ? Autrement, le dommage constitue-t-il un élément nécessaire à la
caractérisation de la faute ? Certes, en adoptant une lecture extensive des articles 82 et suivants du COC, ce
lien semble envisageable. Cependant, cela conduirait à dénaturer la notion de faute.

Une lecture extensive peut certes présenter l’article 82 COC comme l’interdiction de nuire à autrui. La
faute consisterait dans la violation d’une règle légale ou coutumière, en y incluant les usages, les bonnes
mœurs, voire la sagesse moyenne, et bien entendu l’interdiction élémentaire de la méchanceté, traduite par
l’adage « malitiis non est indulgendum »1535. Cette conception peut d’ailleurs reposer sur un argument de
texte: l’article 82 semble bien indiquer que la réparation est due en conséquence de « tout fait de l’homme qui
cause à autrui un dommage ». Dès lors, la survenance du dommage ou préjudice associée à l’activité humaine
constituerait la faute. Le lien entre faute et préjudice s’avère donc très étroit dans cette acception.
Il reste que le préjudice ne peut permettre de caractériser la faute, comme le remarquent de nombreux
auteurs. Ainsi, selon M. Carbonnier, « le dommage causé à autrui est quelque chose de moralement
neutre»1536, ce que ne peut être la faute. Admettre l’existence d’un devoir général de ne pas nuire à autrui
comme fondement de la responsabilité revient à supprimer l’élément moral de la faute1537. Cette position
conduit en définitive à changer le fait générateur de la responsabilité : le préjudice devient ce fait générateur,
ou en tout cas le véritable révélateur de la responsabilité, et non plus l’acte qui en est la source, puisqu’il n’est
plus porté de jugement de valeur sur cet acte, le seul fait qu’il ait abouti à un dommage étant constitutif d’une
faute.
D’un point de vue plus technique, M Henriot raisonne ainsi : « déclarer que la réalisation du
dommage excessif est inévitablement la conséquence d’une faute, c’est ramener tout simplement la faute au
dommage [...]. La cause première, la condition primitive de celle-ci [la responsabilité civile] reste l’acte
fautif. Or cet acte est toujours - ne serait-ce que d’un instant de raison - antérieur à la réalisation du
dommage »1538. Planiol lui-même récusait cette position en ces termes : « une faute est une faute non parce
qu’elle est dommageable, mais parce qu’elle est illicite »1539. Il s’avère donc inexact de lui attribuer
l’affirmation d’un devoir général de ne pas nuire à autrui. Plutôt qu’un devoir de ne pas nuire à autrui, il existe
un devoir de ne pas lui nuire volontairement, ce qui correspond bien cette fois à l’adage « malitiis non est
indulgendum ».

Quoi qu’il en soit, dans toutes les hypothèses, la distinction avec la faute existe et est établie, dès lors
qu’on en récuse une conception tentaculaire. Il faut alors préconiser une meilleure frontière des champs
d’application, qui ne toucherait pas seulement la faute. En effet, dans certaines hypothèses, la faute devrait
retrouver sa pleine autonomie et l’abus s’effacer. Ainsi le remarquait Ripert « il est inutile de parler d’un abus
quand une personne a commis une faute qui peut être atteinte par l’application des articles 1382 et
suivants »1540. La violation d’une obligation préexistante et clairement indiquée1541 reste du domaine de la

1533
BEN AMMOU (N), Essai sur l’abus des droits à travers l’article 103 COC, Mém. pré., p 130 ; LOUSSAYEF (C), op.cit. p. 6.
1534
Cass civ, n° 1702, 28 janvier 1963, R.J.L 1964, p. 42-193 ; Cass civ, n° 5876, 4 mars 1969, R.J.L. 1969, p. 665.
1535
Il ne faut montrer aucune indulgence envers ceux qui sont de mauvaise foi.
1536
CARBONNIER (J), Droit civil, Les obligations, op. cit, n°233. Pour l’existence d’un tel devoir, V. SAVATIER (R), Traité de la
responsabilité civile en droit français civil, administratif, professionnel et procédural, vol. 1, 2ème éd., LGDJ 1951, n°35 et s.
1537
Cela produirait aussi des conséquences absurdes, comme de sanctionner une concurrence loyale...
1538
HENRIOT (G-C), Le dommage anormal : contribution à l’étude d’une responsabilité de structure, op, cit, p. 10.
1539
PLANIOL (M), Etudes sur la responsabilité civile, Revue Internationale de Législation et de Jurisprudence, 1905, p. 283.
1540
RIPERT (G), Abus ou relativité des droits, Revue critique de législation et de jurisprudence 1929, p. 33.
1541
Non artificiellement déduite d’une interprétation forcée des textes.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

faute. De même, lorsque la loi prévoit les conditions d’exercice d’une prérogative, le non-respect de ces
prescriptions s’analyse en une illicéité, et appartient donc au domaine de la faute1542.

Mais bien que l’abus soit une source de responsabilité indépendante de la faute, cela n'a pas empêché
certaines décisions tunisiennes de se référer à celle-ci1543 par application de l’article 82 COC1544. Mais ce
qu’il faut cependant remarquer, c'est que cette référence n'a pas été faite à titre principal, mais de manière
accessoire et subordonnée, c'est-à-dire afin de permettre la mise en œuvre de la responsabilité civile de
l'auteur de l'acte1545.

289- Le préjudice permet également d’établir une ligne de démarcation nette entre abus et fraude. En
effet, si on reprend la distinction traditionnelle entre fraude à la loi et fraude aux droits des tiers, il faut
immédiatement remarquer une différence déterminante entre la première et l’abus. En effet, la fraude à la loi
ne correspond pas à une relation intersubjective, n’étant dirigée que contre la loi1546, Ce type particulier de
fraude vise à éviter l’application d’une règle obligatoire ou encore à contourner une interdiction, mais sans
qu’un préjudice en résulte nécessairement pour autrui1547. Comme le remarque clairement M Vidal, « la
considération du préjudice n’est pas essentielle ni indispensable dans la fraude », qui vise l’invalidation d’un
acte juridique et non la réparation du préjudice qui en découle1548. Les exemples les plus pertinents intéressent
le droit international privé. L’auteur de la fraude va utiliser les règles de conflit pour échapper aux règles
impératives de fond, notamment dans la célèbre affaire de la princesse de Bauffremont1549, qui avait changé de
nationalité pour pouvoir échapper à l’interdiction du divorce existant alors en droit français. La fraude ne se
voit pas sanctionner du fait de l’existence d’un préjudice causé à autrui1550, mais du fait du non respect de la
loi, à travers un procédé frauduleux.
Le changement de rattachement constitue certes un droit pour l’individu, mais non un pouvoir, aucun
préjudice à autrui n’apparaissant entrer enjeu. La fraude à la loi pourrait, au mieux, correspondre à un abus de
droit entendu stricto sensu cependant, ce n’est pas l’intention malveillante qui permet de la caractériser, mais
seulement la poursuite d’un but étranger au rattachement lui-même. Ainsi, la princesse de Bauffremont ne
souhaitait pas changer de nationalité, mais seulement profiter d’une législation favorable. Il y a, à la limite,

1542
C’est notamment le cas en matière de licenciement où la confusion entre licenciement abusif et licenciement illicite, encore commise au sein de
la législation sociale et dans presque toutes les décisions judiciaires tunisienne, s’avère très regrettable. La même confusion existe en droit français
entre grève abusive et grève illicite. V. notamment Cass. Soc. Fr., 10/04/1991, arrêt n°1490 (dans la mesure où « les salariés [...] avaient cessé le
travail non par solidarité avec d’autres salariés mais pour soutenir une revendication professionnelle qui les concernait personnellement, les
juges du fond, sans encourir les griefs du moyen, ont décidé à bon droit que les salariés avaient exercé, sans abus le droit de grève ». Il s’agit de la
définition de la grève licite, et non de l’absence d’abus. Dans le même sens, V. encore Cass. Soc. Fr., 19/10/1994, Bull. Civ. V, n° 281 : les
salariés ont voulu appuyer une revendication de caractère professionnel qui ne présentait aucun caractère abusif.
1543
Cass. Civ., n° 1702, 28 janvier 1963, RJL, 1963 ; Cass. Civ. n° 5876, 4 mars 1969, R.J.L., 1969, p 665.
1544
Cette démarche apparaît dans un arrêt de la Cour de Cassation tunisienne du 4 mars 1969. En effet, la Cour a commencé par rappeler le
problème : "Attendu que les demandeurs tendent à obtenir la condamnation de leurs adversaires à la somme de ... pour appel abusif, que cette
demande tend à l'application des règles de la responsabilité civile délictuelle, dont les fondements sont déterminés à l'art. 82 du c.o.c. afin de réparer
le dommage résultant de l'abus". Ayant ainsi présenté le problème, la Cour a commencé par la vérification du problème de savoir si les juges du fond
ont résolu la question de l'abus (vérification des conditions) et ce n'est qu'ensuite qu'elle se prononça sur le bien fondé de la réparation. V. Cass.
Civ. 4 mars 1969 précité. Voy. Spécialement la page 668, 2ème colonne.
1545
Cf. en ce sens GHESTIN (J) et GOBEAUX (G), op.cit., n° 738 p. 619.
1546
V. notamment CARON (C), Abus de droit et droit d’auteur : une illustration de la confrontation du droit spécial et du droit commun en droit
civil français, RIDA, n° 176, Avril 1998, p. 47, n°385. « L’abus de droit suppose toujours une relation personnelle entre deux individus [...]. On
retrouve de telles relations dans différents exemples de fraude. Mais la fraude peut parfois, contrairement à l’abus, n’être dirigée que contre la loi,
sans que l’opération frauduleuse ne vise une personne particulière ».
1547
Ainsi, deux mineurs qui se marient en Ecosse pour contourner la règle de l’article 144 CCF, ne causent a priori aucun préjudice à autrui.
GHESTIN (J) et GOUBEAUX (G), Traité de droit civil : Introduction générale, 4ème éd., Paris : L.G.D.J., 1994, n°813.
1548
VIDAL (J), Essai d’une théorie générale de la fraude en droit français, Le principe « fraus omnia corrumpit », Dalloz, Paris, 1957, p. 364 et
371. Dans le même sens, GHESTIN (J) et GOUBEAUX (G), Introduction générale, op. cit, n°834 : « Si la fraude ne cause pas toujours de
préjudice à des particuliers, cette hypothèse est cependant de très loin la plus fréquente [..]. Les agissement frauduleux sont fautifs ». Mais
« l’existence d’un préjudice, la précision du lien de causalité entre le dommage et l’acte incriminé ne sont pas nécessaires ».
1549
Cass. Civ. Fr., 18/03/1878, S. 1878, 1, p.193, note LABBE. Il faut remarquer que les juges de première instance avaient relevé l’abus d’une
faculté conférée par la loi, mais ne furent pas suivis par les juridictions suivantes, qui retiennent simplement la fraude. Sur la fraude à la loi en droit
international privé, voir notamment LOUSSOUARN (Y) et BOUREL (P), Droit international privé, 7ème éd., Dalloz, coll Précis droit privé,
2001, n°264 s.; ANCEL (B) et LEQUETTE (Y), Les grands arrêts de la jurisprudence française de droit international privé, Dalloz-Sirey, coll.
Grands arrêts, 5e éd., 2006, p 49 ; MAYER (P) et HEUZE (V), Droit international privé, 7ème éd., Montchrestien, coll Domat droit privé, 2001,
n° 266.
1550
Même si cette atteinte à un intérêt peut exister ; ainsi le premier mari de la princesse de Bauffremont était-il l’initiateur de la procédure.

Page 218
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

détournement du droit de changer de rattachement. La différence avec l’abus apparaît ici de façon évidente,
tandis que la fraude aux droits des tiers attirera davantage l’attention.

Par ailleurs, en plus du préjudice, pour certains auteurs, la différence entre abus et fraude réside dans le
fait que la fraude ne suppose pas nécessairement l’exercice d’un droit, d’une prérogative ou un pouvoir
préexistant1551. En envisageant l’abus sous une acception plus large que le traditionnel abus de droit, il suffit
de préciser que l’abus est toujours lié à une prérogative juridique, tandis que la fraude est relative à une règle
juridique. Dès lors, l’élément matériel des deux mécanismes s’avère bien différent.

Aussi, la fraude constitue davantage une ruse que l’abus. Celui qui commet un abus n’a pas besoin de
le faire par ruse, le droit lui en fournit, malgré lui, la possibilité. Il n’a pas besoin de créer une situation
artificielle, Il faut réellement insister sur cette idée, qui caractérise bien la fraude dans ce qu’elle a de
spécifique. « La fraude peut être attestée par la réalisation artificielle d’une situation juridique inspirée
principalement, sinon exclusivement, par le désir de contourner la règle »1552. La sanction de la fraude vise
véritablement la fictivité de la situation présentée, la modification artificielle des faits1553 tandis que l’abus ne
comporte pas cette dimension. Finalement, le fraudeur tente souvent de s’attribuer une prérogative, ce que
l’auteur de l’abus n’a pas besoin de faire, puisqu’il en est par hypothèse titulaire. Autrement dit, la fraude
consiste dans le détournement, non d’une prérogative, mais d’une règle juridique, afin d’acquérir un droit dont
on était privé.

Cette différence entre abus et fraude se renforce par l’observation de leurs rapports en droit fiscal. En
effet, alors que les deux mécanismes semblent totalement confondus, la fraude étant considérée comme une
catégorie d’abus de droit, une analyse plus poussée démontre bien leurs différences1554.

Dans ce domaine, l’expression « abus de droit » désigne deux comportements distincts : la simulation,
expressément prévue par la loi, et la fraude, d’origine jurisprudentielle1555. Cette dernière est principalement
constituée par des actes dont le but consiste exclusivement à éluder l’impôt ; exclusivement et non
essentiellement. Le contribuable se trouvera donc rarement convaincu de cette forme d’abus de droit, car il lui
suffira d’invoquer d’autres motivations que celles purement fiscales1556 . De plus, le juge ne se soucie pas de
la légalité au regard des autres branches du droit, de l’opération considérée, dès lors que son but s’avère
exclusivement fiscal. Cette définition de la fraude est restrictive et ne correspond pas à celle
traditionnellement donnée en droit civil. Il n’y a donc pas lieu de conclure à une confusion de la fraude et de
l’abus, même en droit fiscal.

1551
V. notamment GHESTIN (J) et GOUBEAUX (G), Introduction générale, op. cit., n°833.
1552
COHEN (D), La légitimité des montages en droit des sociétés, In L’avenir du droit, Mélanges en hommage à François Terré, Dalloz - 1997, p.
261. V. aussi DEBOIS (H), La notion de fraude à la loi et la jurisprudence française, Dalloz 1927, p. 59. « Celui qui agit en fraude à la loi
recherche une combinaison ingénieuse, souvent compliquée, pour atteindre par un chemin défilé l’objectif prohibé par le législateur ; celui qui
abuse de son droit, purement et simplement, ne recherche pas des expédients : il fonce droit sur l’obstacle, et use de son droit par la voie la plus
courte et la moins cachée ». ESMEIN (P), La fraude dans les actes juridiques, Defrénois 1933, art. 23398, spéc. n° 24. « En parlant de fraude, on
envisage surtout celui qui se cache ou emploie des procédés compliqués ; en parlant d’abus de droit, celui qui agit ostensiblement et sans détours,
transportant la tromperie dans le domaine de l’interprétation de la loi ».
1553
Ce qui permet de la distinguer de l’habileté permise : « La fraude apparait si la situation de fait n’est pas sérieusement modifiée. Ainsi, pour
relever la fraude des époux qui obtenaient une naturalisation afin de bénéficier d’un divorce alors prohibé par la loi française, les tribunaux
constataient-ils que les intéressés continuaient à vivre en France […]. La distinction de la fraude et de l’habileté dépend donc d’une corrélation
entre la règle éludée et le moyen utilisé. Par hypothèse, dans les deux cas le moyen est juridiquement efficace. Mais tantôt il modifie
substantiellement la situation de fait, de sorte qu’il n’est pas choquant que la loi soit écartée, tantôt le changement qu’il réalise est presque
exclusivement juridique, si bien que les raisons d’appliquer la règle demeurent ». GHESTIN (J) et GOUBEAUX (G), introduction générale, op.
cit, n°825 et 826.
1554
COZIAN (M), Précis de fiscalité des entreprises, 25ème éd., Litec, 2001, n° 3008 ; BOUVIER (M), Introduction au droit fiscal général et à la
théorie de l’impôt, 4ème éd., LGDJ, 2001, n° 51.
1555
V. supra, n° 222.
1556
Pour une application récente de la théorie de l’abus, ayant conduit à la condamnation du contribuable, V. T.A. Paris, 26/06/2001, RJE 2002,
n°367. « Sont constitutives d’un abus de droit les opérations d’achat de titres quelques jours avant le versement des dividendes, suivies de leur
revente immédiatement après, qui entraînent la constatation d’une moins-value égale aux dividendes perçus dans la mesure où l’opération
répondait au but exclusif de permettre à la requérante d’imputer les avoirs fiscaux attachés aux dividendes en cause. En conséquence,
l’administration peut valablement refuser une telle imputation ».

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

290- En définitive, le dommage semble constituer « chronologiquement, financièrement et


logiquement la notion primordiale de l’abus »1557. En effet, l’abus et la responsabilité civile qui s’en suit
n'interviennent, en principe, qu'après le dommage. Ce dernier est un élément inhérent à ces institutions.

Le principe qui prévaut en droit tunisien de la responsabilité délictuelle et contractuelle est celui de la
réparation intégrale du dommage, qui consiste à rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le
dommage et à replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable n'avait pas
eu lieu. Ce principe signifie notamment qu'il doit y avoir une équivalence quantitative entre la réparation
pécuniaire et le dommage1558. En un mot, la réparation ne doit s'attacher qu'au seul critère objectif du
dommage et s'abstraire de tout critère subjectif tiré de l'analyse du comportement ou de la situation des
personnes1559, responsables et victimes1560. Ce principe est également d’application en matière d’abus dans les
procédés de concentration.

291- Ceci étant précisé, l’abus peut-il découler exclusivement d’un préjudice ? Certains auteurs ont
pu confondre les deux notions, mais dans le seul cadre des relations de voisinage1561, et non sur un plan
d’ensemble. L’abus, résultat d’un conflit entre deux intérêts, ne semble pouvoir être exclusivement relié à un
préjudice ; en effet, il nécessite la recherche non seulement de l’atteinte à l’intérêt de la victime, mais aussi en
matière civile celle de l’utilité de l’acte eu égard à l’intérêt de l’auteur.
En plus du fait qu’il doit être établi, le dommage comme étant un élément nécessaire de l’abus en
matière de procédés de concentration doit, aussi, porter atteinte à un intérêt légitimement protégé. Autrement
dit, l’intérêt en question doit présenter un caractère licite c'est-à-dire légitime1562, sinon l’abus ne serait pas
constitué. Bien entendu, l’intérêt apparaît difficile à définir comme à déterminer, même au cas par cas. Il
s’agit d’une notion éminemment floue, ce qui la rend difficile à admettre dans la méthodologie classique.
Pourtant, elle se révèle indispensable à la distinction entre les types de prérogatives concernés par l’abus tel
qu’il a évolué en droit positif. L’intérêt, c’est « ce qui est bon, opportun, avantageux, bénéfique »1563, ou
encore, de façon plus précise, la « disposition stable ou durable à la satisfaction d’un bien matériel ou idéal
qui est, ou tend à être, reconnu et/ou protégé par l’ordre juridique »1564. Plus précisément, l’intérêt doit
s’entendre comme un avantage d’ordre pécuniaire ou moral. Des lors, le lien entre intérêt et préjudice

1557
DUPICHEOT (J), Des préjudices réfléchis nés de l'atteinte à la vie ou à l'intégrité corporelle, Th., L.G.D.J. 1969, n° l, p. 1 ; KHAZRI (D),
Le préjudice par ricochet en matière de responsabilité civile, mémoire en vue de l'obtention du mastère en sciences juridiques fondamentales,
FSJPST, 2002-2003, p. l.
1558
JOURDAIN (P), Les dommages-intérêts alloués par le juge, In Les sanctions de l'inexécution contractuelle, Etudes de droit comparé sous la
direction de G. Viney et M. Fontaine, Bruylant, L.G.D.J. 2001, p. 263 et s., spéc. p. 265.
1559
Exceptionnellement, le droit tunisien tient compte de la situation des personnes en matière de réparation et ce, conformément à l’article 107
COC qui prévoit que « les dommages, dans le cas de délits et de quasi-délits, sont la perte effective éprouvée par le demandeur, les dépenses
nécessaires qu'il a dû ou devait faire afin de réparer les suites de l'acte commis à son préjudice ainsi que les gains dont il est privé dans la mesure
normale en conséquence de cet acte. Le tribunal devra d'ailleurs évaluer différemment les dommages, selon qu'il s'agit de la faute du débiteur ou
de son dol ».
1560
LAUDE (A), L'obligation de minimiser son propre dommage existe-t-elle en droit privé français ?, LPA, 20 novembre 2002 n° 232, p. 55
1561
Il faut citer à cet égard Madame Mourocq (note sous Cass. 2ème civ. 27/04/1979, JCP 1950, éd. G, II, 19408) : « Outre l’existence d’un trouble,
on essaiera autant que possible de démontrer également que le trouble provient d’un usage fautif ou abusif ». M. Raymond n’opère pas non plus
de distinction entre la théorie de l’abus de droit et celle des troubles anormaux du voisinage (Note sous Cass. 2ème civ. 22/10/1964, D. 1965, p.
344). Il faut bien admettre que dans ce domaine précis des rapports de voisinage, les deux théories sont très proches et que l’ensemble du système
mériterait une rationalisation, qui pourrait passer par une uniformisation du traitement des dommages résultant des nuisances diverses produites par
le voisinage.
1562
Il s'agit de l'application de l'article 19 CPCC et 31 CPCF : L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet
d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une
prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. Il s'agit également de l'application de la jurisprudence en son fameux arrêt Perruche. La
condition de la licéité du dommage a longtemps été opposée à une victime particulière, la concubine, victime par ricochet de la mort accidentelle
de son compagnon. Cependant, aujourd'hui cette réparation a été admise, y compris en cas de concubinage adultérin. Mais la condition de
légitimité du préjudice n'a pas disparu pour autant. Ainsi, une victime ne peut obtenir la réparation de la perte de ses rémunérations que si celles-ci
sont licites (déclarées).
1563
CORNU (G), Association Henri Capitant, vocabulaire juridique, 2011, V° « Intérêt ». V. aussi ROUBIER (P), Le rôle de la volonté dans la
création des droits et des devoirs, Arch. Phil. Droit, T III, 1957, p. 56.
1564
ARNAUD (A-J), (dir.), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, LGDJ, 1988, V° «Intérêt».

Page 220
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

s’établit-t-il, le second consistant dans la lésion du premier, du moins lorsqu’il est légitime ou, plus
exactement, lorsqu’il n’est pas illégitime.

Chapitre Deuxième : Unicité quant à l’atteinte à un


intérêt légitime

292- La création d’une société pour la conduite d’une activité économique fait naître des intérêts ;
ses opérations aussi en font naître d’autres. Elle est à la fois la cause et la conséquence de l’existence de
multiples intérêts. Elle en est l’objet et le support. Ils forment ce qu’il est convenu d’appeler les intérêts
catégoriels1565.

Si l’observation a révélé que chaque hypothèse d’abus était destinée à protéger ou promouvoir un
intérêt particulier, il faut en déduire que sans intérêt particulier et légitime à protéger ou à promouvoir, il n’y
aurait pas d’abus. Selon toute vraisemblance, l’abus est subordonné à la nécessité de protéger un intérêt
particulier qui risque d’être gravement touché. Selon M. Ost, « il n’est pas une théorie relative à l’abus de
droit qui ne se ramène, en définitive, à la prise en compte de l’intérêt conçu comme un principe modérateur…
Derrière l’idée de faute aquilienne, c’est en définitive le déséquilibre des intérêts en présence qui est
reproché »1566.
En réalité, par sa seule existence sur la scène du droit, la société en tant que personne morale est en
contact avec d’autres êtres juridiques. Développant son activité, elle noue nécessairement des liens avec
d’autres. Ainsi en est-il lorsqu’elle emploie des salariés ou qu’elle contracte avec des fournisseurs. Chacun de
ces protagonistes a des intérêts propres qui, pour la plupart, sont différents de ceux de son voisin. Entrant en
contact avec la personne morale, il se peut que certains de ces intérêts soient affectés par l’existence de la
société ou du groupement. Les salariés voient ainsi quelques-uns de leurs intérêts satisfaits par le travail et la
rémunération que leur accorde la personne morale. Aussi est-il permis de retenir que la personne morale a une
influence sur la satisfaction des intérêts des tiers qui gravitent autour d’elle. Ceux-ci sont multiples : Etat,
salariés, créanciers, cessionnaires, associés ou sociétaires, et d’autres encore. Toutefois, si elle peut satisfaire
certains intérêts, elle peut également causer un dommage ou, du moins, ne pas répondre aux intérêts qu’elle a
suscités chez les tiers. C’est alors l’existence de la personne morale ou sa condition qui peut porter préjudice
aux tiers. En d’autres termes, la personne morale met en jeu plusieurs intérêts qu’il convient parfois de
protéger, parfois aussi de promouvoir1567.

De surcroît, la personne morale a elle-même des intérêts qui lui sont propres. Si ces intérêts sont
généralement différents de ceux des tiers qui gravitent autour d’elle, ils se distinguent également des intérêts
de ses membres et dirigeants. Du moins faut-il admettre que les intérêts de l’entité personnifiée ne se
confondent pas nécessairement avec ceux de ses membres. Certes, ces derniers, particulièrement lorsqu’il est
question d’une société ou d’un groupement à but lucratif, ont des intérêts en commun avec la personne
morale. Il suffit de songer au fait que dans la société, la satisfaction des intérêts financiers de l’être social
satisfait également ceux de ses membres qui percevront une part de ses bénéfices. Pour autant, chaque
membre a d’autres intérêts qui sont totalement étrangers à la personne morale. Les intérêts familiaux des
associés sont de ceux-ci1568. Dans ces conditions, le juge ou encore le législateur n’accepte la mise en œuvre

1565
PAILLUSSEAU (J), Entreprises, sociétés, actionnaires, salariés, quels rapports ? D. 1999, Chron., p. 162.
1566
OST (F), Entre droit et non droit : l’intérêt, Vol. 2, Publications des. Facultés Universitaires Saint-Louis, Bruxelles, 1990, p. 143.
1567
PAERELS (H), Le dépassement de la personnalité morale : contribution à l’étude des atteintes à l’autonomie des personnes morales en droit
privé et droit fiscal français, Université de Lille 2, Faculté des Sciences Juridiques Politiques et Sociales, Th., 2008, n° 191.
1568
Ibidem.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

de la notion d’abus que lorsqu’un intérêt légitime est en jeu. Et c’est sans doute pour cette raison que la
fiscalité est propice à la découverte d’hypothèses d’abus. Omniprésent, l’intérêt de l’Etat peut conduire, à tout
moment, à faire échec à la diminution de l’assiette imposable en recourant à la notion d’abus1569.
L’idée paraît avoir une grande portée au regard du phénomène d’abus dans les procédés de
concentration. L’existence d’un intérêt particulier et légitime à protéger, qu’il s’agisse de celui de la personne
morale elle-même, c'est-à-dire l’intérêt social (Section Première), ou d’autres intérêts extra-sociaux (Section
Deuxième), subordonne la commission de l’abus.

Section Première : Le concept d’abus en rapport avec


l’intérêt social

293- Le droit des sociétés commerciales, en Tunisie comme en France, reconnaît l’intérêt de la
personne morale et le croit digne d’être protégé1570. De nombreux textes et arrêts font expressément recours à
« l’intérêt de la société » ou de la personne morale1571. Ainsi, le concept d’abus est parfois utilisé dans le but
de protéger les intérêts de la personne morale elle-même. Deux formes d’abus peuvent illustrer cette idée. Il
s’agit, en premier lieu, de l’abus des biens, du crédit, des pouvoirs ou des voix où la protection de l’intérêt
social, expressément cité dans les articles 51, 146, 158 et 223 C.S.C., ne fait pas l’ombre d’un doute. On
songe, en second lieu, aux abus de majorité, de minorité ou d’égalité. En effet, la volonté de protéger la
société est aussi manifeste pour l’abus du droit de vote. Plusieurs éléments permettent de soutenir cette idée. Il
suffit de se rappeler que l’intérêt de la société apparaît clairement dans la définition de l’abus de droit de vote.
Dans ces conditions, la non-conformité à l’intérêt de la société, parfois désigné par « intérêt général »
ou « intérêt social », est un élément absolument nécessaire. Son importance est telle que la Cour de cassation
française a pu considérer, dans un arrêt du 22 avril 19761572, que la contrariété à l’intérêt social était
«suffisante pour caractériser l’abus du droit de majorité ». Certes, cette jurisprudence n’a jamais été
confirmée, mais elle est révélatrice de l’attention que portent les magistrats à la protection de la société elle-
même.
Actuellement, la contrariété à l’intérêt social est seulement indispensable1573 pour considérer que l’acte
ou la décision est entaché d’abus. Dès lors, si l’acte litigieux peut se targuer d’être dans l’intérêt de la société,
il devrait échapper à la sanction quand bien même serait-il contraire aux intérêts de l’autre groupe d’associés.
Vraisemblablement, le législateur, aussi bien tunisien que français, cherche tout autant à protéger
principalement et, par ricochet, la société que ses membres associés. On citera par exemple l'opinion du
professeur Jean Paillusseau1574 selon lequel : « en dépit, cependant, de la place restreinte qui lui a été réservée
dans les études relatives aux sociétés, l'intérêt social apparaît comme l'une des notions fondamentales du
droit des sociétés. La conformité des actes de gestion à l'intérêt social constitue, en effet, l'un des critères de
la validité de ces actes. L'abus de droit et l'abus de pouvoir ne sont appréciés que par référence à l'intérêt de
la société. Les actes qui le contrarient peuvent être annulés alors que ceux qui lui sont conformes sont

. # ‫ و‬13‫ ص‬،2003 8/ ‫ ﺟ‬،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬، A‫ دورة درا‬،9C ‫ ا م ا‬8 ‫'اع ا‬4 ‫ ا‬، CE ‫( ﷲ ا‬63 1569
1570
V. les art. 190, 223 CSC… Pour des éléments supplémentaires : COZIAN (M), VIANDIER (A), DEBOISSY (F), Droit des sociétés, Les
Manuels, 20ème éd., Paris : LexisNexis Litec, 2007, n° 369 et s. ; GOFFAUX-CALLEBAUT (G), La définition de l’intérêt social. Retour sur la
notion après les évolutions législatives récentes, RTD com. 2004, p. 35 ; PIROVANO (A), La « boussole » de la société. Intérêt commun, intérêt
social, intérêt de l’entreprise, D. 1997, 1ère partie, p. 189.
1571
Le Législateur, en Tunisie comme en France a, par exemple, fait de l’intérêt social l’un des éléments constitutifs du délit d’abus de biens
sociaux et du crédit de la société. V. aussi DEKEUWER (A), Les intérêts protégés en cas d’abus de biens sociaux, JCP éd. E 1995, I, 500.
1572
Cass. Com. Fr., 22 avril 1976, Rev. Soc. 1976, p. 479, note SCHMIDT (D.). Cette jurisprudence n’a pas
été confirmée par la suite. L’abus du droit de vote suppose la réunion de deux éléments : la contrariété à
l’intérêt de la société et la poursuite d’un intérêt personnel.
1573
Cass. Com. Fr., 24 février 1975, n° 73-14.141, Consorts Peyrelongue contre Castillon du Perron et autres,
Bull. civ. IV, n° 58, p. 47 ; Cass. Com. Fr., 4 octobre 1994, S.A.I.C.O. c. SARL Péronnet, Defrénois 1995, art. 36017, p. 251, note LE CANNU
(P.).
1574
PAILLUSSEAU (J), La société anonyme, technique d'organisation de l'entreprise, Sirey, 1967, préface Y. LOUSSOUARN, p. 167.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

valables. De même, l'importance de l'intérêt social est telle que sa méconnaissance sera retenue comme l'un
des éléments constitutifs de nombreux abus commis dans la gestion des sociétés ». Le professeur Jean
Schapira estime de son côté que : « l'intérêt social est un instrument souple et pratique, utilisé en
jurisprudence en vue d'une certaine police des sociétés. L'institution qu'il nous rappelle le plus est celle de la
" cause " dans les contrats »1575.
Il est clair que l’intérêt social dispose d’une certaine prépondérance en matière d’abus de biens sociaux
et d’abus du droit de vote. Il faut toutefois garder présent à l’esprit que la personne morale et ses auteurs
semblent mis sur un pied d’égalité si on considère qu’il est reconnu à chacun d’eux le droit d’agir contre un
abus du droit de vote. Ainsi, lorsqu’il est question d’un abus de majorité, le litige n’est pas « un face à face
entre les minoritaires et la société1576 ». Cette dernière est, au contraire, comme les minoritaires, digne de
défendre ses propres intérêts contre ceux de ses membres qui lui portent atteinte. Cette analyse se confirme
avec l’analyse détaillée de la notion d’intérêt social1577. Si certains auteurs, représentés par Monsieur
Dominique Schmidt1578, soutiennent que l’intérêt social doit être entendu comme l’intérêt commun des
associés ; la jurisprudence française, en matière d’abus de droit de vote, semble attachée à l’idée qu’il s’agit
de l’intérêt supérieur du groupement. La non-conformité à l’intérêt social est ainsi retenue lorsque la société
est atteinte dans son fonctionnement1579, son patrimoine ou sa pérennité1580. C’est donc bien la société en tant
qu’individualité juridique qui est protégée. De même, il ne s’agit pas de prendre en considération l’intérêt
social au sens large1581, comprenant tous les intérêts qui gravitent autour de la société et qui constituent son
environnement socio-économique1582. C’est l’intérêt de la société seule qui est l’objet de la protection. Un
problème de définition est alors posé. Que faut-il entendre, en effet, par intérêt social ? Est-ce l’intérêt des
associés ? Est-ce au contraire celui de l’entreprise ? Dans ce contexte, une détermination de la notion d’intérêt
social s’impose à l’aune des procédés de concentration (Sous-section Première) ; ce qui permettra de
déterminer ce qu’on entend précisément par un acte contraire à l’intérêt social lors d’une opération de
concentration (Sous-section Deuxième).

Sous-section Première : La notion d’intérêt social à


l’aune des procédés de concentration

294- Il est très important de pouvoir définir et cerner la notion d’intérêt social dans les procédés de
concentration car c’est de cette définition que dépend celle de la notion d’abus elle-même et c’est de cette
définition aussi qu’on pourra déduire le degré de prise en compte de l’impératif de promotion et celui de
protection dans les procédés de concentration. Quelle définition de l’intérêt social devrait-on alors faire
prévaloir, ou adopter, à l’aune des procédés de concentration des sociétés ? Est-ce celle de l’intérêt commun
des associés ou celle de l’intérêt supérieur de l’entreprise ou autre chose ?

1575
SCHAPIRA (J), L'intérêt social et le fonctionnement de la société anonyme : Rev. trim. dr. com. 1971, p. 970.
1576
LE CANNU (P), note sous Cass. com. 21 janvier 1997, n° 94-18.883, SARL Contact sécurité c/ Sté Delattre-Levivier, Bull. Joly Sociétés
1997, n° 125, p. 314.
1577
Sur cette notion : BERTREL (J-P), La position de la doctrine sur l’intérêt social, Dr. et patrimoine avril 1997, p. 42 ; PIROVANO (A), La «
boussole » de la société. Intérêt commun, intérêt social, intérêt de l’entreprise ?, D. 1997, 1ère partie, p. 189 ; GOFFAUX-CALLEBAUT (G), La
définition de l’intérêt social. Retour sur la notion après les évolutions législatives récentes, RTD com. 2004, p. 35.
1578
SCHMIDT (D), De l’intérêt commun des associés, JCP éd. G 1994, I, 3793 et rectif. 3800 bis ; (même auteur), De l’intérêt social, JCP éd. E
1995, I, 488 ; (même auteur), Les conflits d’intérêts dans la société anonyme : prolégomènes, Bull. Joly Sociétés 2000, p. 9.
1579
Par exemple : Cass. Com. Fr., 24 février 1975, n° 73-14.141, Consorts Peyrelongue contre Castillon du Perron et autres, Bull. civ. IV, n° 58,
p. 47.
1580
La jurisprudence relève ainsi que l’opération était nécessaire à la survie de la société : Cass. Com. Fr., 9 mars 1993, Flandin c/ Sté Alarme
Service Electronique, Bull. Joly Sociétés 1993, § 152, p. 537,
note LE CANNU (P.), Rev. Soc. 1993, p. 403, note MERLE (P.), D. 1993, 2ème partie, p. 363, note GUYON (Y.) ; CAA Lyon, 20 décembre
1984, D. 1986, 2ème partie, p. 506, note REINHARD (Y.).
1581
Ce qui se rapproche de la notion « d’intérêt de l’entreprise » défendue par Monsieur Jean PAILLUSSEAU In : « L’efficacité des entreprises et
la légitimité du pouvoir », RID éco. 1993, n° 3, n° 38.
1582
On entend les intérêts des salariés, des fournisseurs, des clients, des créanciers…

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

295- « Comme la bonne foi ou l’intérêt de la famille, l’intérêt social est un standard, un concept à
contenu variable ; d'autres parlent de concept mou. C’est un impératif de conduite, une règle déontologique,
voire morale, qui impose de respecter un intérêt supérieur à son intérêt personnel »1583. Cette assertion des
professeurs Cozian et Viandier met en lumière les difficultés posées par la définition de l’intérêt social. Ce
concept, à l’instar d’autres standards juridiques, est utilisé pour donner plus de flexibilité au droit, en laissant à
la jurisprudence le soin de préciser la notion selon les cas qui lui sont présentés1584. Ainsi, l’intérêt social, c’est
à dire l’intérêt de la société, n’aurait pas de définition précise et devrait être « découvert » par le juge selon la
nature du litige qui lui est soumis.

Distinct de l'objet social, lequel s'entend de l'ensemble des activités définies par les statuts que la
société peut exercer, l'intérêt social ne présente pas les caractères de permanence et de précision de celui-ci. Il
se caractérise au contraire par sa dimension évolutive, fluctuante, ce qui est de nature à susciter de vives
difficultés au regard notamment des principes du droit pénal1585.
Indéfinissable intérêt social, pourrait-on penser, que plusieurs auteurs l’assimilent à un « standard »,
«une boussole », « un concept à géométrie variable »1586. C'est qu'en effet, la notion est incertaine car elle est
susceptible de revêtir plusieurs significations différentes prenant en compte tantôt l'intérêt des associés, tantôt
celui de la société et tantôt celui des tiers en relation avec la personne morale comme les salariés ou les
créanciers. Cet aspect versatile de l’intérêt social a été brillamment mis en exergue par un auteur italien en
affirmant que « la notion d’intérêt de la société – comme on le sait bien – est très difficile à définir : c’est un
peu comme la définition de gentleman. Tout le monde sait reconnaître un gentleman, mais si on veut en
donner une définition, elle nous échappe. Egalement, tout le monde sait ce qu’est l’intérêt de la société, mais
il est presque impossible d’en donner une définition générale »1587.
Dans ce contexte, le juriste aura tendance à suspecter une notion aussi incertaine, empreinte de
subjectivité, qui constituera selon lui une menace pour la sécurité juridique et peut-être même un risque
d’arbitraire à telle enseigne qu’il semblerait peut-être inutile, voire impossible à adapter au contexte de l’abus
dans les procédés de concentration. Mais, cette réaction épidermique doit être surmontée, car le droit n’est pas
une science exacte et doit nécessairement admettre en son sein cette part d’incertitude que lui confère son
essence humaine. Ne faut-il pas se rappeler, dans ces conditions, de la fameuse phrase du doyen
Carbonnier1588 d’après laquelle : « le droit n’est pas cet absolu dont souvent nous rêvons. Le droit est droit,
sans doute, mais les hommes le plient en tous sens, le ploient à leurs intérêts, à leurs fantaisies, voire à leur
sagesse. Flexible droit, droit sans rigueur. Faut-il, d’ailleurs, s’en lamenter ? Il est peut-être salutaire que le
droit ne soit pas cette massue, ce sceptre qu’on voudrait qu’il fût… ». C’est autant dire que, quelque soit sa
flexibilité, la notion d’intérêt social peut s’accommoder d’une éventuelle théorie générale de l’abus dans les
procédés de concentration des sociétés.

296- De nombreux concepts à contenu variable rendent le droit plus flexible et ce, dans ses diverses
branches. Il en est ainsi de la notion de bonne foi1589, d’intérêt général1590 ou d’ordre public1591 en matière
contractuelle. Le droit de la famille connaît lui aussi des « concepts mous »1592 tels que les « dépenses
manifestement excessives », l’intérêt de la famille ou encore l’intérêt de l’enfant1593. Le droit de la

1583
COZIAN (M), VIANDIER (A), DEBOISSY (F), Droit des sociétés, éd. Litec, 13è, 2000, n°466, p.175.
1584
MAHBOULI (R), La révocation du gérant dans la société à responsabilité limitée, I.J., n° 106/107, Février 2011, p 14.
1585
MATHIEU (G), L'acte contraire à l'intérêt social en matière d'abus de biens sociaux, Gaz. Pal., 02 juillet 2002 n° 183, P. 7
1586
COZIAN (M), VIANDIER (A), DEBOISSY (F), Op. cit., p. 148 ; COURET (A), L'intérêt social : Cahiers du droit de l'entreprise, 4/1996; p.
1 ; PIROVANO (A), la Boussole de la société. Intérêt commun, intérêt social, intérêt de l'entreprise, D. 1997. Chron. p. 189 ; MESTRE (J),
VELARDOCCHIO (D) ET BLANCHARD-SEBASTIEN (C), Lamy Sociétés Commerciales, 2000, no 1331, p. 579.
1587
CORAPI (D), L’abus de biens sociaux en Italie, In L’abus de biens sociaux : Le particularisme français à l’épreuve de l’Europe Colloque,
Gaz. Pal., n° 324 à 325, du 19-20 novembre 2004.
1588
CARBONNIER (J), Flexible droit : pour une sociologie du droit sans rigueur, éd. LGDJ, 6è, 1988, p.379.
1589
V. les articles 72, 73, 80, 81, 88, 134, 243, 252, 310, 336, 338, 365, 488, 489, 491, 558, 630, 638, 655, 747, 801, 1025, 1053, 1139, 1163,
1307, 1313, 1324, 1472 et 1476 COC.
1590
V. les articles 557 et 1288 COC.
1591
V. les articles 67, 500, 544, 834, 1107, 1252, 1382 et 1462 COC.
1592
SAINTOURENS (B), La flexibilité du droit des sociétés, RTD Com., 1987, p.478 et s.
1593
V. Les articles 56, 58, 60, 62, 66 bis et 67 CSP.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

responsabilité civile connaît quant à lui la notion d’abus1594, qu’on n’oublie pas aussi le droit des sociétés où
on retrouve plusieurs notions plastiques telles que celle de justes motifs1595. Etablir une liste exhaustive de ces
concepts serait une entreprise longue et fastidieuse. On constate simplement que ces concepts se multiplient
permettant au juge d’adapter la loi aux situations concrètes que lui soumettent les justiciables, d’évincer la
rigidité du droit écrit au travers d’un mouvement général de moralisation de la loi et ce, dans le but d’atteindre
une certaine équité entre les justiciables. Le professeur Saintourens1596 remarque-t-il, à ce propos, que « la
flexibilité du droit des sociétés résulte… de l’infléchissement des règles écrites dans l’application qui en est
faite par les tribunaux, mais aussi par la pratique ». Le droit des sociétés utilise pour cela des « notions
plastiques » qui établissent « un renvoi implicite mais nécessaire du législateur vers le juge, ce qui constitue…
un efficace vecteur d’infléchissement des règles de droit par le juge »1597.

L’intérêt social apparaît suffisamment dans nos textes en l’absence de toute définition du concept,
malgré son importance en matière d’abus dans les procédés de concentration1598. En droit français, la situation
est pire encore car la notion est quasi-absente du droit écrit. Ceci témoigne certainement de la méfiance du
législateur vis-à-vis d’un standard juridique permettant au juge d’assouplir le droit des sociétés. Toutefois, la
jurisprudence française n’hésite pas à recourir à cette notion même en l’absence de textes précis : ainsi en est-
il par exemple en cas d’abus de majorité1599 ou de minorité1600, en présence d’une convention de vote1601 ou en
cas de nomination d’un administrateur provisoire1602. Le professeur Saintourens a ainsi pu affirmer que : « ce
concept d’intérêt social a été exporté par les juges qui, ayant repéré toute la souplesse que permettait l’appel
à ce concept flou, en ont fait un usage bien plus important dans d’autres hypothèses non visées par les
textes »1603. Le juge dispose ainsi, même en l’absence de texte, d’une notion plastique lui permettant d’adapter
le droit aux nécessités de la pratique en s’immisçant dans la vie sociale1604.

Force est de constater que le législateur, à l’instar de la jurisprudence française, a érigé le respect de
l’intérêt social en principe fondamental du droit des sociétés afin d’assurer la protection de la société et ses
composantes. En effet, c’est l’intérêt social qui met en exergue l’ensemble des mesures visant à assurer que la
société soit efficacement gérée et dirigée, sans pour autant servir une technostructure dirigeante. L’enjeu ici
est non seulement celui de la finalité des organes dirigeants, mais aussi celui de la recherche d’un équilibre
des pouvoirs au sein de la société1605.

297- Alors même que la politique générale à envisager dans l’entreprise est fonction de l’intérêt
social, on peut constater que le législateur n’en donne malheureusement aucune précision ni définition. Il ne
faut pourtant pas y voir une marque de désaffection ou un oubli, car il ne s’agit là que d’un standard juridique,
un concept à contenu variable ou encore un concept mou1606. C’est pour le législateur tunisien, tout comme
son homologue français1607, la possibilité de donner au droit des sociétés un peu plus de flexibilité1608 en

1594
JAMIN (C), Typologie des théories juridiques de l’abus, Revue concurrence et consommation, juillet-août 1996 ; ANCEL (P), Critères et
sanctions de l’abus de droit en matière contractuelle, JCP E 1998/6, Cahiers droit de l’entreprise, p.32 et s.
1595
V. les articles 26, 127, 227, 264 du CSC et les articles 1297 et 1323 COC.
1596
SAINTOURENS (B), art. pré., p 478.
1597
Ibidem, p.479.
1598
V. les articles 1288 COC et 51, 60, 83, 146, 223, 284 bis, 290 et 477 CSC.
1599
V. supra, n° 138.
1600
V. supra, n° 157.
1601
C.A. Paris, 30 juin 1995, Metaleurop, JCP E, 1996, II, n°795. Un engagement de vote est licite dès lors qu’il est « limité à l’opération
concernée, conforme à l’intérêt social et exempt de toute idée de fraude ».
1602
« Pour nommer un administrateur provisoire, le juge des référés doit s’inspirer des intérêts sociaux par préférence aux intérêts personnels de
certains associés … ». C.A. Paris, 22 mai 1965, Fruehauf, JCP 1965, II, n°14274 bis. D.1968, p.147, note Contin.
1603
SAINTOURENS (B), La flexibilité du droit des sociétés, RTD Com., 1987, p.483.
1604
JEANTIN (M), Le rôle du juge en droit des sociétés, Mél. PERROT, Dalloz 1996, p149.
1605
SCHAPIRA (J), art. pré., p66.
1606
V. sur les difficultés posées par la définition de la notion d’intérêt social, COZIAN (M), VIANDIER (A), DEBOISSY (F), Droit des sociétés,
éd Litec 13e, 2000, p 175.
1607
Comme le note le professeur Couret, il avait été envisagé d’introduire une définition de l’intérêt social lors de l’élaboration de la loi du 24
juillet 1966. Cette idée ne fût pas favorablement accueillie par le Garde des Sceaux Jean Foyer qui redoutait un gouvernement judiciaire des
sociétés. Cela explique le recours limité à l’intérêt social dans la loi de 1966 : l’utilisation trop étendue d’un concept à contenu variable serait

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

laissant au juge le soin d’en préciser les contours. Faut-il pour autant se résigner de cette absence de définition
de l’intérêt social et se prévaloir, si besoin est, de la flexibilité de la notion ?
En l’absence d’une doctrine tunisienne soutenue, cette lacune ne devrait pas occulter, ni empêcher de
puiser dans la doctrine française1609 des éléments de réflexion qui reposent essentiellement sur deux approches
antagonistes.
On reconnaît tous que « l’intérêt social (…) est le pôle vers lequel les dirigeants sociaux et tous les
administrateurs doivent orienter leur conduite »1610. Mais la véritable difficulté est de savoir quel est ce pôle
en matière d’abus dans les procédés de concentration ?
Certains estiment que c’est de l’intérêt de l’entreprise qu’il est question, pour d’autres il ne pourrait
s’agir que de l’intérêt commun des associés.
Devant le vide juridique, on relève l’existence d’un hiatus doctrinal. La doctrine est, en effet,
profondément divisée. Trois conceptions de l’intérêt social s’affrontent1611.

298- Une première opinion consiste à voir, dans l’intérêt social, l’intérêt commun des associés. Elle
se fonde sur une analyse contractuelle de la société1612. Pour les partisans de cette thèse1613, la société naît
d’un contrat dont la cause est le partage des bénéfices. D’après l’article 1833 du Code civil français, « toute
société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés »1614. Il ressort de ce
texte, d’une part, qu’il doit exister une communauté d’intérêts entre les associés, qui s’oppose à l’octroi
d’avantages à certains d’entre eux seulement, et d’autre part que le but de la société ne peut être que la
satisfaction de l’intérêt des associés. En d'autres termes, l'intérêt social ne peut être que celui des associés.
Pour le Professeur SCHMIDT, promoteur de ce courant doctrinal, « la société (…) n’est pas constituée en vue
de satisfaire un autre intérêt que celui des associés, qui ont seuls vocation à partager entre eux le bénéfice
social »1615.
Cette interprétation est conforme à l’esprit du Code civil français de 1804, l’intérêt commun ayant été
envisagé à ce moment-là comme l’obligation de chacun de respecter l’intérêt de ses coassociés1616. C'est
d'ailleurs cette approche de l'intérêt social que retient le rapport Marini lorsqu'il affirme que "la première
raison d'être de toute société est l'enrichissement de ses actionnaires"1617. La Cour d’appel de Paris a, de son
côté, implicitement, mais très nettement, avalisé cette thèse1618. En l'espèce, les juges parisiens ont validé une
cession des actions d'autocontrôle intervenant en dehors d'une période d'offre publique, motif pris que
l'opération n'est pas contraire à l'intérêt social, "qui ne se confond pas avec celui de quelques actionnaires ou
groupes d'actionnaires". C'est affirmer que l'intérêt social se confond avec l'intérêt de l'ensemble de la
communauté actionnariale. L'enrichissement des associés est donc la principale raison d'être de toute société.

opposée aux caractères impératifs et dirigistes que la loi de 1966 devait imposer au droit des sociétés. V. COURET (A), L’intérêt social, Art. pré.,
p.1 et s.
1608
SAINTOURENS (B), art. pré., p 483.
1609
V. sur ce point SOUSI (G), L’intérêt social dans le droit français des sociétés commerciales, Thèse, Lyon, 1974 ; COURET (A), L’intérêt
social, Art. pré., p 4
1610
V. le rapport du groupe de travail français CNPF-AFEP, éd ETP, Paris, juillet 1995, p 9.
1611
V. les différentes positions doctrinales dans le dossier consacré à l'intérêt social : Rev. Dr. et patrimoine, avril 1997, p. 42 ; SCHMIDT (D), De
l'intérêt social, J.C.P.E. 1995 I. 488 ; BERTREL (J-P), La position de la doctrine sur l’intérêt social, Dr. et patrimoine avr. 1997 p. 42 ; COURET
(A), L’intérêt social, Art. pré., p. 1.
1612
KHARROUBI (K), Droit des sociétés commerciales, Vol. 1, Regroupe Latrach des livres spécialisés, 2008, p 37, n° 32.
1613
SCHMIDT (D), Les conflits d'intérêts dans la société anonyme, éd. Joly, collection Pratique des affaires, 1999, n° 4 et du même auteur, De
l’intérêt social, JCP éd. E 1995 I n° 488 ; GUYON (Y), La société anonyme, une démocratie parfaite !, In Mélanges Christian Gavalda, Propos
impertinents de droit des affaires, Dalloz, 2001, p. 133, spéc. n° 13 ; GOUTAY (PH) et DANOS (F), De l’abus de la notion d’intérêt social, D.
affaires 1997 p. 877 ; BISSARA (PH), L'intérêt social, Rev. Soc. 1999 p. 5 ; Rappr. cass com. 10 oct. 2000, JCP éd. E. 2001 p. 85, note A.
VIANDIER.
1614
Cette notion d’intérêt commun se retrouve aussi dans les articles 1280 et 1337 du code des obligations et des contrats. On la retrouve aussi
dans l’article 220 CSC.
1615
SCHMIDT (D), De l’intérêt social, JCP, éd E, 1995, n° 38. 488.
1616
SCHAPIRA (J), L’intérêt social et le fonctionnement de la société anonyme, RTD com. 1971, p. 957.
1617
MARINI (P), La modernisation du droit des sociétés, La documentation française, 1996, p. 3.
1618
C.A. Paris, 15 mars 2000, Groupe André, JCP éd. E. 2000 p. 731 et p. 1046, note A. VIANDIER ; D. 2000, cahier Droit des affaires, p. 303,
obs. M. BOIZARD ; RD bancaire et financier 2000 n° 85, obs. M. GERMAIN et M.-A. FRISON-ROCHE ; Bull. Joly 2000 p. 629, note A.
COURET ; Bull. Joly Bourse et prod. fin. 2000 p. 324, note N. RONTCHEVSKY ; RTD com. 2000 p. 675, obs. J.-P. CHAZAL et Y. REINHARD
et p. 694, obs. Ch. GOYET.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Cette thèse ne fait pas l’unanimité. En effet, M. Ducouloux-Favard en a considérablement réduit la


portée en affirmant que « la notion d’intérêt commun est propre aux sociétés de personnes et non aux sociétés
de capitaux »1619. De plus, si on se réfère au raisonnement du Professeur Schmidt, l’intérêt social risque de
constituer un frein au fonctionnement des sociétés. Le risque est de rendre difficiles les mises en réserve des
bénéfices, mais également de fragiliser la répartition du pouvoir social et d’entraver les procédés de
concentration si l’opération n’est pas conforme aux intérêts de quelques actionnaires. De surcroît, dans toutes
les hypothèses où un conflit entre associés1620 menacerait la survie de la société, l’intérêt commun des associés
aboutirait à accepter la disparition de celle-ci, quelle que soit son importance économique et sociale et sans
même tenir compte de sa viabilité. Avouons que cela serait dommage qu’un droit qui a pour objectif de
relancer l’activité économique sur le pays, la desserve au contraire, surtout s’il est question des procédés de
concentration.

L’intérêt social entendu comme l’intérêt commun des associés pêcherait donc par son éviction de
l’impératif de promotion de l’entreprise, de l’emploi, au profit des seuls intérêts capitalistes à court terme des
associés1621. Ce qui, peut-être, ne cadrerait pas avec une politique d’encouragement de la concentration. Il
semblerait alors qu’il faille concevoir dans le cadre du code des sociétés commerciales, l’intérêt social comme
l’intérêt de l’entreprise. Cette approche offre plus de flexibilité puisqu’elle permet une réelle protection de la
société en assurant son fonctionnement et sa pérennité, non pas uniquement l’intérêt des associés. Cette
théorie semble aussi bien cadrer avec la promotion des procédés de concentration des sociétés.

299- A l’opposé de la première position doctrinale, les tenants de la doctrine de l’entreprise,


partisans d’une analyse institutionnelle de la société1622 voient dans l’intérêt social celui de l’entité elle-même
et non pas l’intérêt de ses associés. L’intérêt de l’entité même peut s’entendre soit de l’intérêt de la personne
morale1623, soit celui de l’entreprise1624.

L’intérêt de la personne morale n’est autre que l’intérêt propre de la société, intérêt distinct de celui
des associés. En effet, l’école institutionnelle appelée aussi école de Rennes sous la houlette du professeur
Paillusseau, prône une vision particulière et autonome de l’intérêt social1625. Le rapport Viénot de 1995 en
donne la synthèse: « l’intérêt social peut ... se définir comme l’intérêt supérieur de la personne morale elle-
même, c’est-à-dire de l’entreprise considérée comme un agent économique autonome, poursuivant des fins
propres, distinctes notamment de celles de ses actionnaires, de ses salariés, de ses créanciers dont le fisc, de
ses fournisseurs et de ses clients, mais qui correspondent à l’intérêt commun, qui est d’assurer la prospérité
et la continuité de l’entreprise. Le comité considère que l’action des administrateurs doit être inspirée par le
seul souci de l’intérêt de la société concernée ». Cette définition s’inspire du fait que les actionnaires ne sont
pas propriétaires de l’entreprise1626, ils ont seulement le pouvoir, c’est-à-dire le contrôle de l’entreprise. La
société étant une personne morale, elle a une existence propre et un intérêt distinct. Cette théorie demeure très
présente au Japon et en Allemagne, même si ce dernier pays tente d’insuffler un nouvel esprit avec
l’apparition de la « petite société anonyme ». Adoptant la même opinion, les professeurs Cozian et Viandier
affirment que « l’intérêt social ne se confond pas nécessairement avec l’intérêt des associés, qu’ils soient

1619
DUCOULOUX-FAVARD (C), Actionnariat et pouvoir, D 1995, Chr. 178.
1620
Ce sont les hypothèses d’abus de minorité où selon la thèse de D. SCHMIDT, les minoritaires au nom de l’intérêt commun des associés,
auraient le droit de s’opposer à la réalisation d’une opération nécessaire à la survie de l’entreprise si cette survie ne sert pas leurs intérêts.
1621
V. dans le même sens, BERTEL (J-P), FIELD (B), NEUVILLE (C), VEZINET (I) et BEZARD (P), L’intérêt social, Droit & Patrimoine,
avril 1997, p 44.
1622
La doctrine de l’entreprise est en réalité une analyse fonctionnelle de la société, celle-ci n’étant qu’un moyen au service d’une finalité, et se
borne donc à consacrer l’approche institutionnelle, née au début du XX° siècle.
1623
Selon la définition donnée par le lexique des termes juridiques, la personne morale est un « groupement de personnes ou de biens ayant la
personnalité juridique, et étant par conséquent, titulaire de droits et d’obligations ». La définition de la personne morale porte en elle-même la
distinction entre l’intérêt de cette personne morale et celui des associés : il est dit en effet que la personne morale est « titulaire de droits et
d’obligations », ce qui signifie que la personne morale dispose d’un intérêt propre puisque disposer de droits et d’obligations, c’est devenir un sujet
de droit et disposer d’une autonomie par rapport aux autres sujets de droit. V. GUILLIEN (R), VINCENT (J), Termes juridiques, 10 è éd. Dalloz,
1995, p 410.
1624
V. à propos de la définition et des différentes classifications de la notion d’entreprise supra, n° 42.
1625
KHARROUBI (K), op. ct., p 38, n° 34.
1626
On ne peut pas être propriétaire du personnel, de son efficacité...

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

majoritaires ou minoritaires ; la société a un intérêt propre qui transcende celui des associés »1627. La
distinction entre intérêt de la personne morale et intérêt des associés semble résider essentiellement dans le
principe selon lequel « la société est une personne morale indépendante de la masse des personnes physiques
qui la composent »1628.
Lorsque l'intérêt social est analysé à l'aune de la personne morale, la notion se réduit en une recherche
pure et simple de la pérennité de la société, l’intérêt social transcenderait de ce fait tous les autres intérêts
éventuellement en jeu, ceux-ci étant à leur tour protégés par ricochet.

L’intérêt de la personne morale repose sur la théorie institutionnelle de la société. En effet, « pour que
la personnalité morale soit reconnue à un groupement, il convient […] que deux conditions soient
préalablement remplies. Il faut, d’une part, qu’il existe au sein de ce groupement un intérêt distinct des
intérêts individuels et, d’autre part, que ce groupement, qui aspire à la personnalité morale, ait une
organisation capable de dégager une volonté collective qui le représentera dans les rapports juridiques »1629.
Dès lors, pour être dotée de la personnalité juridique, la société personne morale doit poursuivre un intérêt qui
lui est propre, en disposant d’une organisation juridique autonome par rapport aux associés. Ainsi, l'intérêt
social est entendu comme l'intérêt propre de la société en tant qu'institution hiérarchisée, dans laquelle les
dirigeants et les associés ne sauraient agir en négligeant l'intérêt sociétaire dans son ensemble qui les domine.
Selon cette analyse, il y aurait deux vitesses dans l'intérêt social : l'intérêt immédiat des associés appréhendés
individuellement ou collectivement, conduisant à prendre en considération les désirs de rémunération et de
valorisation de l'investissement effectué ; et l'intérêt « différé » de la société qui suppose, pour assurer sa
pérennité de ne pas se préoccuper que du court terme1630.

300- Pour la doctrine de l’entreprise, la société n’étant que le support juridique de cette dernière, son
intérêt s’identifie alors à celui de l’entreprise. Les principaux représentants du concept d’intérêt de l’entreprise
sont les professeurs Claude Champaud et Jean Paillusseau. Selon cette école, l’entreprise est entendue
« comme un ensemble de moyens en capital et en travail destiné à assurer la production de biens et de
services. Il s’agit donc de l’intérêt d’un organisme économique, point de rencontre de multiples intérêts »1631.
Elle assure ainsi l’amalgame de l’intérêt des associés, des dirigeants, des salariés, du fisc, des créanciers, des
fournisseurs, des clients et tout autre agent participant au fonctionnement de l’entreprise. Dès lors, loin de se
limiter au seul intérêt commun des associés, l’intérêt social serait également celui des salariés, des partenaires
économiques et de l’Etat1632. Dans ces conditions, c’est aux dirigeants qu’il appartient de le déterminer, tandis
qu’en adoptant une conception contractuelle de la notion, seule l’assemblée des associés peut l’apprécier1633.
La notion prend ici un sens économique plus qu'institutionnel et renvoie au concept d'entreprise1634.
Dès lors, la société n’étant qu’un instrument privilégié de l’organisation des entreprises1635, l’intérêt
social serait « l’intérêt propre d’une entité autonome et indépendante. En effet, la protection de l’intérêt de
l’entreprise (ou des intérêts dont la société est la cause et le support) est le meilleur garant de la protection de
l’ensemble des intérêts catégoriels. Il est évident que si l’entreprise est la cause de l’existence de tous ces
intérêts, sa prospérité est aussi le dénominateur commun de leur protection. C’est dans la perspective de son
expansion et de sa rentabilité que des associés lui ont apporté des fonds, que des tiers lui ont accordé du

1627
COZIAN (M), VIANDIER (A), DEBOISSY (F), Droit des sociétés, éd. Litec, 13è, 2000, n°467, p.175.
1628
VERDIER (J-M), L’aménagement contractuel du fonctionnement de la société anonyme, LGDJ 1998, T. 303, n° 762, p. 318.
1629
Ibidem.
1630
BERTREL (J-P), pour une normalisation de l'abus de biens sociaux, Droit & Patrimoine, septembre 1995.
1631
MONSALLIER (M.C), L’aménagement contractuel du fonctionnement de la société anonyme, LGDJ 1998, T. 303, n° 764, p.319.
1632
PAILLUSSEAU (J), La société anonyme, technique d’organisation de l’entreprise, Sirey, 1967, p. 196 ; DESPAX (M), L’entreprise et le
droit, Bibl. dr. priv. t. 1, LGDJ, 1957, n° 274 et s, selon lequel l’entreprise est le carrefour de trois intérêts distincts, celui de l’entreprise, des
associés, des salariés ; CONTIN (R), L’arrêt Fruehauf et l’évolution du droit des sociétés, D. 1968 chron. p. 45 ; BAILLY-MASSON (C),
L'intérêt social, une notion fondamentale, L.P.A., 9 nov. 2000 p. 6 ; BERGERAC (M) et BERNARD (A), Fantaisie à deux voix. A propos de
Dominique Schmidt, Les conflits d'intérêts dans la société anonyme, D. 2000, cahier droit des affaires, p. 315.
1633
On comprend dès lors que le patronat français soit favorable à l’école de l’entreprise alors que les groupements de défense d’actionnaires
penchent davantage pour une conception plus contractuelle - sur l’ensemble de la question, FIELD (B) et NEUVILLE (C), La position des
acteurs de la vie économique sur l’intérêt social, Dr. et patrimoine avr. 1997 p. 48.
1634
Sur la notion d'entreprise, V. MESTRE (J) ET PANCRAZI (M-E), Droit commercial L.G.D.J., 25è éd., p. 159.
1635
V. sur l’ensemble de la question : CHAMPAUD (C), Le pouvoir de concentration des sociétés anonymes, Op. cit. ; PAILLUSSEAU (J), La
société anonyme technique d’organisation de l’entreprise, Op. cit.

Page 228
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

crédit, que des dirigeants la conduisent, que des salariés et des cadres y travaillent, que des partenaires
l’admettent dans une centrale d’achats, (…) »1636. Il en découle que l’intérêt de l’entreprise ne protège pas
seulement les intérêts catégoriels mais également la société elle-même par sa pérennité, sa stabilité, son
fonctionnement, ce qui semble logique puisque la protection des intérêts catégoriels nécessite la protection de
la source de ces différents intérêts.

S’il est souhaitable de considérer l’intérêt social dans les procédés de concentration, comme l’intérêt
de l’entreprise, compte tenu de la plus grande protection qu’offre cette approche, on peut néanmoins reprocher
à cette conception de justifier la mainmise sur la société d’une classe de dirigeants s’abritant « derrière la
bannière de l’intérêt social, entendu comme l’intérêt supérieur dans l’entreprise »1637. L’intérêt social de
l’entreprise pourrait « être le moyen d’une confiscation du pouvoir au profit d’une petite oligarchie de
dirigeants »1638.

Comme toute opinion doctrinale, le rapprochement de l’intérêt social avec celui de l’entreprise ne fait
pas non plus l’unanimité. Ses détracteurs ont fait valoir, à juste titre, qu’il conférait au juge le pouvoir de
s’immiscer dans la vie de la société, non pour trancher les conflits d’intérêts, ce qui entre dans sa fonction
traditionnelle, mais pour apprécier l’opportunité des décisions1639.

301- Face à ces deux écoles antagonistes, un troisième courant doctrinal a tenté de faire la synthèse
et proposé une analyse mixte de l’intérêt social1640. Pour les partisans de cette conception, la faiblesse de
chacune des deux théories précédentes est de n’avoir pas su intégrer l’apport de l’autre1641. Ainsi, les tenants
de la théorie contractuelle n’ont pas tenu compte de la réalité économique, qui fait de la société bien plus que
la chose de ses propriétaires. De même, l’école « Rennaise » considère l’intérêt des associés comme une
composante secondaire de celui de l’entreprise. Or, si cette dernière existe, c’est bien parce qu’il ya eu à
l’origine accord de volontés. En d’autres termes, sans associés point d’entreprise. De plus, ces auteurs ont
négligé le renouveau contractuel du droit des sociétés, dont l’ampleur ne peut échapper actuellement à
personne1642.

Forts de ces constatations, les partisans d’une approche mixte font de l’intérêt social une « notion
protéiforme »1643, qui recouvrirait tantôt l’intérêt de l’entreprise, notamment en matière d’action en justice
contre le dirigeant, tantôt l’intérêt des associés, notamment en matière d’abus de majorité1644. Dès lors, la
condition tenant à la violation de l'intérêt social ne saurait viser uniquement l'intérêt de l'entreprise ou
seulement l'intérêt commun des associés.

1636
PAILLUSSEAU (J), L’efficacité de l’entreprise et la légitimité du pouvoir, L.P.A., 19 juin 1996, n° 74, p 23.
1637
PIROVANO (A), La boussole de la société. Intérêt commun, intérêt social, intérêt de l’entreprise ?, D 1997, Chr. 190.
1638
DAIGRE (J-J), le gouvernement d’entreprise : feu de paille ou mouvement de fond, Droit & Patrimoine, juill - août 1996, p 21.
1639
MESTRE (J), Lamy Sociétés commerciales, op. cit., n° 1267 - contra, Cass. Com. Fr., 21 juin 1982, Cassegrain, RJ com 1983 p. 49, note P.
de FONTBRESSIN. Selon l’annotateur, bien que la question n’ait pas été abordée directement, cet arrêt serait annonciateur d’une nouvelle
approche de l’intérêt social, plus conforme aux réalités économiques, qui autoriserait le juge à apprécier l’opportunité d’une décision de gestion.
1640
MESTRE (J), Lamy Sociétés commerciales, op. cit., n° 1270 ; BERTREL (J-P), Liberté contractuelle et sociétés (essai d’une théorie du
« juste milieu » en droit des sociétés), Art. pré., spéc. n° 50 ; SCHAPIRA (J), L’intérêt social et le fonctionnement de la société anonyme, Art.
pré. ; MESTRE (J) et FLORES (G), Brèves réflexions sur l’approche institutionnelle de la société, L.P.A., 14 mai 1986, p. 25, in fine, qui
souhaitaient que la dimension institutionnelle de la société n’occulte pas son fondement contractuel et qui en appelaient à un compromis entre les
deux approches.
1641
BERTREL (J-P), La position de la doctrine sur l’intérêt social, art. pré., n° 50 et s.
1642
Pour une synthèse, V. JEANTIN (M), Droit des sociétés et droit des obligations, Mélanges Louis Boyer, 1996, p. 317. Selon des auteurs,
l’essor des pactes extrastatutaires entre associés, invoqué pour illustrer ce renouveau contractuel, marquerait en réalité un déclin de la société en
tant que contrat et consacrerait définitivement l’analyse institutionnelle : V. CHAMPAUD (C), Le contrat de société existe-t-il encore ?, In L.
CADIET (sous la direction de), Le droit contemporain des contrats, Economica, 1987 ; DUCOULOUX-FAVARD (C), Actionnariat et pouvoir,
D. 1995, chron. p. 177 - adde, du même auteur, Notes de leçons sur le contrat social, D. 1997, chron. p. 319.
1643
MESTRE (J), Lamy Sociétés commerciales, op. cit., n° 1270
1644
VEZINET (I), La position des juges sur l’intérêt social, Dr. et patrimoine avr. 1997 p. 50.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Dans ces conditions, l’appréciation de l’intérêt social ne peut appartenir ni aux dirigeants, ni à
l’assemblée. En effet, celui-ci est envisagé comme un « standard »1645. Sa détermination ne peut donc
intervenir qu’à posteriori. Aussi, elle relève forcément du juge1646 car ceux qui sont tenus au respect de
l’intérêt social ne pouvant eux-mêmes le déterminer. Cependant, un risque de dérive judiciaire existe,
d’ailleurs pressenti par les magistrats, on craint dans cette perspective non seulement le gouvernement des
juges mais aussi les abus judiciaires1647.

302- On retiendra de cette analyse l’existence de plusieurs définitions doctrinales de la notion


d’intérêt social, aussi critiquables les unes que les autres. Quelle théorie devrait-on faire prévaloir en matière
d’abus dans les procédés de concentration ? Faut-il prendre en considération l’intérêt commun des associés,
celui de la personne morale, celui de l’entreprise ou les trois à la fois ? Comme le dit le professeur
Dekeuwer1648, « s’agit-il de l’intérêt des seuls apporteurs de capitaux, ou de l’intérêt de l’entreprise dans
toutes ses composantes, y compris les salariés et les créanciers sociaux ? A cette question, la Cour de
cassation apporte des réponses contradictoires : d’une part, elle tend à élargir l’intérêt social pour en faire
celui de l’entreprise, de telle sorte que la répression soit assurée malgré l’inertie de la société ; d’autre part,
la Chambre criminelle rétrécit l’intérêt social à celui des seuls associés en refusant aux salariés et aux
créanciers, victimes des abus des dirigeants, le droit de se constituer partie civile ».
La réponse à la dite-question n’est pas du tout aisée. En effet, les nécessaires évocations des différentes
approches sur la notion prouvent que la définir est très complexe. Il existe, toutefois, un point commun à
toutes les définitions, « c’est que la notion est, inévitablement, rebelle à toute définition précise. Il n’y a donc
pas lieu de s’étonner que la loi pénale y fasse simplement référence, laissant aux tribunaux la tâche d’aller
plus loin, au cas par cas » souligne Monsieur Pralus1649.

Malgré cette difficulté inhérente à la définition de l’intérêt social devant prévaloir dans les procédés de
concentration, rien n’interdit d’affirmer que ce concept doit se comprendre comme un intérêt qui est supérieur
à celui des associés et qui ne devrait nullement pas être confondu avec l'intérêt de la majorité ou de la minorité
dont les intérêts peuvent être parfois, sinon toujours contradictoires1650. Il semble aussi, dans le cadre de
l’environnement économico-social actuel de la Tunisie, en tant que pays en voie de développement et plate
forme financière future de l’Afrique et du monde arabe, qu’il faille prendre en compte l’intérêt de l’entreprise
lato sensu et ce, pour plusieurs raisons. En effet, une telle vision a le mérite de faciliter la réalisation de
l’objectif des rédacteurs du code des sociétés commerciales, à savoir : favoriser et accompagner l’essor
économique dans le pays qui passe par la transparence1651, l’équilibre, l’efficacité, le renforcement de la
protection de la société et de ses partenaires, le réajustement des pouvoirs dans l'entreprise et l'élargissement
des droits d'information et d'intervention des actionnaires, dont seul l’intérêt social peut garantir. De même,
concevoir l’intérêt social comme l’intérêt de l’entreprise semble plus pragmatique car la société est alors
appréhendée non pas comme une simple fiction mais plutôt comme un agent économique. Ceci ne revient pas
à dire que les intérêts des associés ne sont pas pris en compte par l’intérêt social. Il suffirait dès lors de
tempérer cette approche en reconnaissant que, même si l’aspect institutionnel de la société oblige à mettre
l’accent sur la personne morale et à faire la part belle à l’intérêt de l’entreprise, l’aspect contractuel de la

1645
COZIAN (M) et VIANDIER (A), Droit des sociétés, op. cit., n° 466. Le standard est traditionnellement défini comme « une norme souple,
fondée sur un critère intentionnellement indéterminé » (Voc. Ass. H. CAPITANT, V° « Standard ») – sur cette question, BERGEL (J-L) ET
ALII, Les standards dans les divers systèmes juridiques, RRJ, 1988 p. 803.
1646
BERTREL (J-P), Liberté contractuelle et sociétés (essai d’une théorie du « juste milieu » en droit des sociétés), Art. pré., spéc. n° 54 - contra :
BOUCHON (M), L’atteinte portée à l’intérêt collectif appréciée à partir de la méconnaissance de l’intérêt social, Rev. Soc., 1979, p. 692.
1647
BEZARD (P), Intérêt social : il faut déterminer avec précision la portée de l’intervention du juge, Droit & Patrimoine, avr. 1997 p. 53.
1648
DEKEUWER (A), Les intérêts protégés en cas d’abus de biens sociaux, JCP 1995, éd. E, n·43.
1649
PRALUS (M), Contribution au procès du délit d’abus de biens sociaux, JCP, 1997, n 8.
1650
PAILLUSSEAU (J), L’Acte Uniforme sur le droit des sociétés, L.P.A., 13 oct 2004, n° 205, p 19.
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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

société recommande la prise en compte du fait que se sont les associés qui ont créé l’entreprise et qu’il serait
naturel que la politique sociale qui sera menée ne perde pas de vue cette légitimité originelle.

Dans ces conditions, « l’intérêt social doit donc être une harmonieuse synthèse temporelle de l’intérêt
des associés et de celui de l’entreprise, au sens œcuménique que donne à cette dernière les partisans de la
doctrine de l’entreprise »1652. Cette approche, déjà mise en épigraphe par le Professeur Chaput1653, a le mérite
de trouver un juste milieu entre l’individualisme libéral et la prise en compte de l’intérêt général1654. M.
Fleuriot écrivait qu’ « au total l’intérêt social est plus qu’un concept, c’est une référence qui ne suppose pas
d’identité de vue, c’est le point cardinal qui marie le fait majoritaire avec l’intérêt de tous les actionnaires et
fait en sorte que chacun ait sa part dans l’intérêt social »1655. Ce qui pourrait, plus ou moins, cadrer avec une
politique encourageante des opérations de concentration. Reste alors à savoir qui doit veiller au respect strict
de ce juste milieu, de ce compromis, de cet équilibre.

303- Qui doit donc déterminer l’intérêt social ? S’il est impératif d’appréhender son contenu dans les
procédés de concentration, la question peut se poser de savoir qui de l’assemblée générale ou de la direction
décide du cap dans le silence du législateur ?
Les partisans de la société-contrat, faisant valoir l’intérêt commun des associés estiment que cette
détermination ne peut relever que des associés, par le biais de l’assemblée générale qui reste l’organe
souverain. Le Professeur Shmidt dira d’ailleurs à ce propos que « les dirigeants sociaux disposent des moyens,
mais l’exercice de leur pouvoir s’inscrit dans le cadre délimité de l’objectif qui leur est fixé (…), c’est
l’assemblée générale qui décide »1656.
Pour ceux qui optent pour la société-institution, la diversité et la multiplicité des intérêts catégoriels à
prendre en compte pour déterminer l’intérêt de l’entreprise, donnent aux dirigeants, mieux placés, la
compétence de déterminer l’intérêt social et d’avoir cette vision d’ensemble. « S’agissant d’assurer la
prospérité et la continuité de l’entreprise, les dirigeants vont apprécier tous les intérêts catégoriels au sein et
autour de l’entreprise, ce qui leur permet de dégager l’intérêt social ; cette tâche ne relève que d’eux car ni
les actionnaires, ni les administrateurs non dirigeants ne disposent des moyens et de l’information nécessaire
à cette fin »1657.

Mais, comme le soutient brillamment le Professeur Bertel1658, il semble qu’il n’appartient pas plus aux
associés qu’aux dirigeants de déterminer l’intérêt social. Ces derniers n’ont qu’une obligation, c’est de le
respecter, car il s’impose à eux comme un standard1659. Ils ont néanmoins la possibilité de s’interroger pour
savoir si les résolutions prises s’y conforment ou pas. En effet, la détermination de l’intérêt social doit
échapper à ceux qui auront à le respecter, on ne peut être juge et partie. Seul le juge aura le pouvoir, en
appréciant son respect et sa conformité, d’en donner les véritables indices et contours. « L’intérêt social est
sans conteste le fondement de l’intervention du juge dans la vie sociétaire »1660. Monsieur Reinhard observe
alors qu’il faut se résoudre à « considérer que l’intérêt social ne fait que refléter, à un moment donné, la
volonté d’un magistrat, et est de ces standards qui permettent au juge de statuer en équité en donnant

1652
V. sur une approche mixte de l’intérêt social, BERTEL (J-P), Liberté contractuelle et sociétés, RTD Com, 1996, p 626, n° 52
1653
CHAPUT (Y), Droit des sociétés, PUF, Thémis Coll. Droit fondamental, 1993 pour qui, « dès lors qu’on parle d’intérêt (social), celui-ci
risque d’éclater s’il n’assure pas un compromis efficace entre les véritables égoïstes ou altruistes en cause ; ceux des associés individuellement
considérés, des cocontractants, des concurrents, comme des pouvoirs publics qui poursuivent cet impalpable intérêt général, fondement de bien
des interventions législatives ».
1654
BERTEL (J-P), La position de la doctrine sur l’intérêt social, Droit & patrimoine, avril 1997, p 30.
1655
FLEURIOT (M), Corporate Governance et Démocratie, L.P.A., 7 mai 1997, n° 55, p 16.
1656
SCHMIDT (D), De l’intérêt social, art. préc ; MESTRE (J), La société est bien encore un contrat…, Mél MOULY, Litec 1998, p 131.
1657
V. à ce propos SCHMIDT (D), De l’intérêt social, art. préc. Cet auteur, tout en donnant le primat à l’intérêt des actionnaires et en estimant que
c’est à l’assemblée générale de décider de l’intérêt social à poursuivre, souligne qu’il revient aux dirigeants d’assurer la prospérité et la continuité
de l’entreprise. L’auteur donne ainsi un argument de taille aux défenseurs de l’intérêt de l’entreprise qui estiment que l’intérêt social a avant tout
pour vocation d’assurer la pérennité de l’entreprise.
1658
BERTEL (J-P), op cit., p 30.
1659
RIALS (S), Le juge administratif français et la technique du standard, LGDJ, 1981.
1660
MESTRE (J), FAYE (S) et BLANCHARD (C), Lamy Sociétés commerciales, 1995, n° 1262.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

l’impression de faire du droit »1661. Il appartiendra à ce dernier, et à lui seul, de mettre en exergue les critères
de l’acte contraire à l’intérêt social1662.

Sous-section Deuxième : L’acte contraire à l’intérêt


social dans les procédés de concentration

304- Certains auteurs ont considéré que l’acte contraire à l’intérêt social est celui qui ne comporte
aucun avantage pour la société1663. Si cette dernière en avait un intérêt quelconque, fût-il simplement aléatoire,
l’opération retrouverait alors toute sa légalité1664. Ce point de vue a été critiqué, car une opération peut ne
présenter aucun avantage pour la société sans être pour autant contraire à son intérêt social. De plus, il peut
s’avérer nécessaire d’accomplir dans l’immédiat, un acte sans aucun avantage pour la société afin d’obtenir
dans l’avenir, un avantage certain. Il est donc préférable de rechercher le critère de l’acte répréhensible dans
une opération négative, c'est-à-dire susceptible de mettre en péril les intérêts de la société1665. Ainsi, la plupart
des auteurs considèrent que pour être contraire à l’intérêt social et constitutif d’abus, l’acte doit avoir causé ou
risqué de causer une perte à la société.

Il est évident que tout acte portant directement atteinte au patrimoine social est susceptible de relever
de l'abus. Les exemples sont innombrables d'actes susceptibles d'entraîner un appauvrissement direct au
patrimoine de la société : tel est le cas de la perception de commissions aussi exorbitantes qu'injustifiées, de la
prise en charge par la société de dettes personnelles des dirigeants1666... Au-delà de ces hypothèses, la portée
de la conception jurisprudentielle de la notion d'intérêt social est considérable eu égard à la qualification
d'abus. Elle conduit, en effet, les juges du fond à apprécier le caractère abusif ou non des agissements
accomplis par les dirigeants ou des associés en se plaçant dans une perspective à long terme. De fait, certains
actes a priori avantageux à court terme seront sanctionnés car susceptibles, à long terme, de mettre la société
en péril. D'autres, paraissant désavantageux à court terme, seront justifiés en considération de prévisions à
long terme. Dès lors, l'intérêt social ne justifie pas tous les actes d'enrichissement et, inversement, il justifie
certains actes d'appauvrissement1667. Pareil constat est d’autant plus important en matière de procédés de
concentration vu les enjeux qu’ils évoquent et les impacts qu’ils peuvent engendrer.
La jurisprudence française a adopté cette position. Le critère du risque de perte comporte cependant le
danger de voir l’abus réduit au seul élément intentionnel dans certains cas. Les limites du critère de risque de
perte ont été mises en évidence par M. Pinoteau, qui a souligné, concernant l’abus de biens sociaux, que le

1661
REINHARD (Y), L’abus de droit dans le contrat de société, JCP, E 1999, Cahiers de droit de l’entreprise, suppl. au cahier n° 3 du 21 janvier
1999, p. 9.
1662
Le professeur Schmidt considère, à ce propos, que « reconnaître au juge le pouvoir de dire qu’une décision est ou n’est pas contraire à
l’intérêt social sans définir cet intérêt, c’est utiliser un standard indéterminable pour intervenir selon les besoins et les opportunités dans la vie
d’une société et en dévier le cours. L’insécurité juridique créée par ce gouvernement judiciaire occasionnel favorise les contestations et affaiblit le
pouvoir majoritaire. Or ce pouvoir, qui structure la société anonyme, doit être fort et libre. Apprécier le comportement des associés et des
dirigeants à l’aune d’un tel intérêt social indéterminé, et non à l’aune de la communauté d’intérêt des actionnaires, sape la loi de la majorité en
réduisant le pouvoir majoritaire par l’interposition d’un pouvoir judiciaire. Le rôle de la justice n’est ni de définir une politique sociale, ni d’en
apprécier la pertinence ou l’efficacité au regard de critères indéfinis. Il est de veiller à ce que la majorité n’abuse pas de ses pouvoirs. L’abus de
pouvoir s’apprécie au regard des intérêts de ceux qui font la loi, les majoritaires, et de ceux qui s’y soumettent, les minoritaires. Comment ne pas
constater que l’on s’égare en appréciant l’abus de majorité au critère déterminant d’un intérêt social distinct de l’intérêt commun des
actionnaires? Par hypothèse, il existe un conflit d’intérêts entre actionnaires, les uns utilisant leurs pouvoirs pour trouver un avantage au
détriment des autres. Ce conflit met en cause l’intérêt commun des actionnaires. Pourquoi régler ce conflit en recourant a un intérêt social distinct
de l’intérêt commun des actionnaires ? C’est incompréhensible ». SCHMIDT (D), Les conflits d'intérêts dans la société anonyme, Op. cit, n° 344.
1663
DAHDOUH (H) et LABASTIE-DAHDOUH (C), Droit commercial, Entreprises sociétaires, Vol. 2, IHE Editions, p 379 et s.
1664
PREVOST, Jurisclass, Société, VI fasc , 132 bis.
1665
SOUSI (G), L’intérêt social dans le droit français des sociétés commerciales, Th., Lyon 1974, p 49.
1666
DU CHAMBON (M), L'abus de biens sociaux, In Le risque pénal de l'entreprise, Droit pénal, décembre 2000, no 12 bis.
1667
MATHIEU (G), L’acte contraire à l'intérêt social en matière d'abus de biens sociaux, Gaz. Pal., 02 juillet 2002 n° 183, p. 7.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

comportement ainsi réprimé se rapprochait plus de la faute de gestion que de la faute pénale1668. En effet, la
gestion sociale implique toujours des choix à faire, lesquels comportent nécessairement des risques. Réprimer
le risque reviendrait à freiner l’expansion des sociétés, le délit se trouvant réduit à l’élément intentionnel qui
est purement subjectif. La constitution du délit reposerait donc principalement sur la connaissance des
intentions de l’auteur de l’acte. Le même auteur a, aussi, proposé que l’abus ne soit retenu que si le dirigeant a
eu nettement conscience en accomplissant l’acte, qu’il agissait contrairement à l’intérêt social. L’acte
punissable doit donc être jugé dans son principe plutôt que dans ses effets. Une partie de la doctrine partage
cette opinion1669. Un autre courant doctrinal suggère, par contre, que l’abus ne soit retenu que lorsque le risque
encouru est à la fois grave et anormal1670.

305- Ceci étant précisé, une question risque de se poser avec beaucoup de stridence consistant à
savoir si un acte illicite est forcément contraire à l’intérêt social ? Une fusion mise en place, par exemple, dans
le but de s’octroyer une position dominante et fausser le jeu normal de la concurrence est-elle contraire à
l’intérêt social alors qu’elle procure un enrichissement certain à la personne morale et par ricochet aux
sociétaires ? Il en de même d’une quelconque opération de concentration ou d’ingénierie financière ayant pour
seul objectif la diminution de l’assiette imposable. Pareille opération serait-elle contraire à l’intérêt social en
dehors de tout appauvrissement de la personne morale ? L'hypothèse est également celle d'une société qui,
grâce à des agissements illicites tels que le versement de commissions occultes à des élus locaux, obtient un
marché public. De tels actes sont de nature à enrichir la société concernée. La question s'est donc posée de
savoir si de tels agissements étaient contraires à l'intérêt social et relevaient, dans ces conditions, de l'abus ?

En l’absence de réponse législative ou jurisprudentielle tunisienne, rien n’empêche pour s’éclairer de


recourir, en ce domaine si délicat, aux apports de la Cour cassation française. Cette dernière a rendu en 1992
une décision dans laquelle elle affirmait que « l'usage des biens d'une société est nécessairement abusif
lorsqu'il est fait dans un but illicite »1671. Pour la haute juridiction, l'acte délictuel doit donc être considéré, par
principe, comme contraire à l'intérêt de l'entreprise même s'il ne lui porte pas préjudice et est commis à son
profit.

Cette décision fut critiquée car jugée non réaliste au regard du monde des affaires et, selon certains
auteurs les juges ont fait une confusion entre l'intérêt social et l'objet social. En effet, « un acte contraire à
l'objet social tel que la commission d'une infraction n'est pas nécessairement contraire à l'intérêt social, celui-
ci pouvant au contraire s'en accommoder »1672. Cette analyse fût tempérée par un arrêt du 27 octobre 1997
rendu à propos de l'affaire Carignon. Selon la Cour de cassation française « quelque soit l'avantage à court
terme qu'elle peut procurer, l'utilisation des fonds sociaux ayant pour seul objet de commettre un délit, telle
que la corruption, est contraire à l'intérêt social en ce qu'elle expose la personne morale au risque anormal
de sanction pénale ou fiscale contre elle même et ses dirigeants et porte atteinte à son crédit et à sa
réputation»1673. L'arrêt Carignon, bien qu'il se rapproche de celui rendu en 1992, est nettement plus nuancé en
ce sens que l'acte illicite en soi ne constitue pas ipso facto un acte contraire à l'intérêt social. Il ne le devient
qu'à la condition que la personne morale soit exposée à un risque pénal ou fiscal du fait de la commission pour
son compte d'une infraction par un dirigeant et que ce risque porte atteinte au crédit de la société ou à sa
réputation. Cette jurisprudence démontre que, pour la Cour de cassation française, l'intérêt social est bien un
intérêt qui transcende celui des associés et des dirigeants de l'entreprise. Il suppose une appréciation fondée
sur le long terme et s'articulant sur le critère du « risque anormal » qui au demeurant n'existerait que pour les
infractions au regard desquelles la responsabilité pénale de la personne morale est prévue.

1668
Ibidem.
1669
SANZ (S), le délit d’abus des biens ou du crédit, le délit d’abus des pouvoirs ou des voix : application aux dirigeants de groupes de sociétés,
thèse, Montpellier 1975, p.107 et s.
1670
Ibidem.
1671
Cass. Crim. Fr., 22 avril 1992, Bull. no 169, Droit pénal 1993. Comm. no 115, Obs. Robert, Rev. Soc. 1993, p. 124, note Bouloc.
1672
REBUT (O), Abus de biens sociaux, Encyclopédie Dalloz, Droit pénal, no 37.
1673
Cass. Crim. Fr., 27 octobre 1997, Droit pénal 1998, Comm. no 21, Obs. Robert.

Page 233
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Ainsi, l'acte contraire à l'intérêt social est celui qui menace directement la prospérité et la pérennité de
la société envisagée en tant qu'agent autonome et qui indirectement est susceptible de nuire aux intérêts des
actionnaires, salariés, créanciers, fournisseurs, clients... C'est d'ailleurs parce qu'ils ne peuvent justifier d'un
préjudice direct découlant de l'infraction d'abus de biens sociaux que les associés, créanciers ou salariés ne
sont pas admis à agir devant le juge pénal1674. Une cohérence et une cohésion certaine se dégage donc de la
notion d’abus en dépit de la complexité de la notion d'intérêt social et de son caractère protéiforme1675.

306- Force est de constater que cette redécouverte des composants à travers le composé peut avoir
des conséquences sur la personne morale. Selon la situation, c’est la décision entachée d’abus qui sera
annulée1676, c’est un mandataire ad hoc qui peut être désigné afin de représenter les associés minoritaires à
une nouvelle assemblée générale1677 et très exceptionnellement, c’est la dissolution anticipée de la société qui
peut être prononcée1678. Ces hypothèses d’abus sont traditionnellement présentées comme des dispositifs de
protection de l’intérêt de la société et par ricochet des associés. C’est une protection qui joue, parfois, pour les
minoritaires qui pourront alors se défendre contre le pouvoir des majoritaires ; parfois aussi, pour les
majoritaires qui pourront se défendre contre un « excès d’égoïsme1679 » ou « une opposition entêtée1680 » des
minoritaires. On ne peut avancer, toutefois, que ces mêmes dispositions protègent principalement la société.
La question a été posée par Monsieur Philippe Bissara1681 en ces termes : ne faut-il pas voir, dans ces
dispositifs, « la protection de l’intérêt général de la société … contre son dévoiement au seul profit d’un
actionnaire influant ou dominant ? ». De même, Monsieur Dominique Vidal, voit dans l’abus une notion clef
dont la finalité est « d’éviter qu’une atteinte ne soit portée à la consistance du patrimoine social au préjudice
de la société1682 ». En effet, logiquement, dès l’instant qu’un dirigeant ou un membre de la personne morale a
été influencé pour servir un intérêt autre que celui de l’entité personnifiée, cette circonstance porte
normalement préjudice à la société. L’action de celui qui est investi d’un pouvoir se fait alors au détriment des
intérêts de la personne morale. C’est cette idée qu’on retrouve dans la législation et la jurisprudence relative à
l’abus de majorité, de minorité ou d’égalité.

Ainsi, remarque-t-on que l’intérêt de la société commande l’existence de plusieurs formes d’abus en
droit des sociétés qui peuvent surgir lors de la réalisation des différents procédés de concentration. En effet,
c’est pour protéger la personne morale elle-même que le juge ou le législateur peut être amené à prendre en
considération ceux qui la composent. En ce sens, on rejoint ici les auteurs qui, comme Monsieur Bernard
Saintourens1683, conçoivent que le recours à la notion d’intérêt social permet d’assouplir le jeu purement
mécanique de certaines dispositions essentielles du droit des sociétés.

307- L’observation ne saurait toutefois s’arrêter là car il apparaît que, pour d’autres formes d’abus,
l’intérêt social risque de céder sa place en faveur d’autres intérêts, le but recherché est sensiblement différent.
Bien plus que la protection de la personne morale, le législateur et les magistrats font parfois table rase de
l’intérêt social pour favoriser des intérêts extra-sociaux.

1674
MATHIEU (G), L'acte contraire à l'intérêt social en matière d'abus de biens sociaux, Gaz. Pal., 02 juillet 2002 n° 183, p. 7.
1675
Ibidem.
1676
Cass. Com. Fr., 21 janvier 1997, n° 94-18.883, SARL Contact sécurité c/ Sté Delattre-Levivier, Rev. Soc. 1997, p. 528, note SAINTOURENS
(B.), Bull. Joly Sociétés 1997, p. 313, note LE CANNU (P.), D. 1998, 2ème partie, p. 64, note KRIMMER (L.).
1677
Cass. Com. Fr., 9 mars 1993, Flandin c/ Sté Alarme Service Electronique, Rev. Soc. 1993, p. 403, note MERLE (P.), D. 1993, 2ème partie, p.
363, note GUYON (Y.), Rev. Soc. 2000, p. 36 ; Cass. Com. Fr., 5 mai 1998, n° 987, P. SA Arti Moul SAAM c/ Couvaud, D. aff. 1998, p. 1097,
obs. M.B.
1678
Cass. Com. Fr., 6 février 1957, Bascou et autres c. Tripier et autres, JCP éd. G 1957, II, 10325, note B. D. ; Cass. Com. Fr., 18 mai 1982,
Rev. Soc. 1982, p. 804, note LE CANNU (P.).
1679
L’expression est empruntée à Monsieur LE NABASQUE (H), Le développement du devoir de loyauté en droit des sociétés, RTD com. 1999,
p. 273.
1680
L’expression est empruntée à COZIAN (M), VIANDIER (A) et DEBOISSY (F), Droit des sociétés, Les Manuels, 20ème éd., Paris :
LexisNexis Litec, 2007, n° 382.
1681
BISSARA (P), L’égalité des actionnaires : mythe ou réalité ?, JCP E 1994, Cah. dr. ent. Supplément n° 5, p. 18.
1682
VIDAL (D), Droit des sociétés, Manuel, 4ème éd. Paris : LGDJ, 2003, n° 955.
1683
SAINTOURENS (B), La flexibilité du droit des sociétés, RTD com. 1987, p. 457, n° 70.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Section Deuxième : Le concept d’abus en rapport avec


des intérêts extra-sociaux

308- Selon toute vraisemblance, la réalisation du concept d’abus est subordonnée à la nécessité de
protéger un intérêt particulier qui risque d’être gravement touché. En effet, en plus de l’intérêt social, on peut
penser à la protection de l’intérêt commun du groupe auquel peut appartenir la société (Sous-section
première) ou à l’intérêt légitime d’un tiers (Sous-section deuxième) ou tout simplement à l’intérêt général
(Sous-section troisième).

Sous-section Première : Pour une prise en compte


de l’intérêt commun du groupe de sociétés

309- Le problème est de savoir si, dans le cadre d’un groupe de sociétés, il existe un intérêt
supérieur, qui transcenderait celui des différentes filiales1684 ? A priori, on est tenté de répondre par
l’affirmative en disant que l’existence d’un groupe de sociétés est un élément important qui peut justifier
l’absence de contrepartie immédiate d’une opération au détriment d’une société du groupe, si in fine, l’intérêt
général du groupement s’en trouve conforté1685. Par contre, si l’intérêt commun du groupe est méconnu,
l’opération querellée sera sûrement déclarée abusive.

Il est constamment admis que dans une société isolée, c’est l’atteinte à l’intérêt social qui détermine la
notion d’abus. Or, dans le groupe de sociétés, c’est plutôt l’atteinte à l’intérêt commun du groupe qui devra
prévaloir (-§1-). Il ne faut cependant pas ignorer le fait que dans le groupe de sociétés deux intérêts
coexistent : l’intérêt commun du groupe, d’une part, et l’intérêt social de chaque société groupée, d’autre part.
Toute la question est donc de savoir comment déterminer la notion d’abus en cas de conflit entre l’intérêt
social et l’intérêt commun du groupe ? (-§2-).

-§1- : La détermination de la notion d’abus par l’atteinte à


l’intérêt commun du groupe

310- La création d’un groupe de sociétés risque d’aboutir à une profonde altération de certaines
règles relatives aux sociétés isolées telles que légalement consacrées. Elle a essentiellement pour conséquence
que les sociétés rattachées au groupe ne seront plus gérées dans leur intérêt propre, ni dans celui de leurs
membres, mais dans l’intérêt du groupe dans son ensemble1686. Une telle altération ne peut que se répercuter

1684
Sur l’ensemble de la question, V. RODIERE (R), La protection des minorités dans les groupes de sociétés, Rev. Soc. 1970 p. 246 ; URBAN
(Q), La "communauté d'intérêts" : un outil de régulation du fonctionnement des groupes de sociétés, RTD Com., 2000, p. 1 - Sur les aspects
internationaux, V. GOLDMAN (B), La loi applicable à la protection des actionnaires minoritaires dans le fonctionnement des groupes
multinationaux de sociétés, In Droit international privé des groupes de sociétés, Genève, 1973, p. 23.
1685
JOLY (E) et JOLY-BAUMGARTNER (C), L’abus de biens sociaux, ECONOMICA, 2002, p 114.
1686
BEL HAJ YAHIA (B), th. pré., p138.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

sur la détermination de la notion d’abus telle qu’elle a été conçue pour une société isolée. Une notion d’abus
autonome pourra-t-elle alors voir le jour en puisant son droit de cité dans l’atteinte à l’intérêt commun du
groupe ? Pour une société isolée, l’intérêt social est porté par la personne morale et exprimé par des décisions
collectives. Dans le groupe de sociétés, il en est autrement car ce groupement ne dispose point de la
personnalité morale1687. L’intérêt du groupe « flotterait dans l’espace, désuni et sans attache ». A l’inverse,
donner la personnalité morale au groupe, c’est unir ses membres et « en fait, le supprimer »1688.
Que signifie alors l’intérêt du groupe ? Le groupe peut il avoir un intérêt propre distinct de celui des
sociétés qui le composent et notamment distinct de celui de la société mère et celui des actionnaires
majoritaires ? Comment reconnaître un intérêt propre à un phénomène de concentration économique dépourvu
de personnalité juridique ? D’après le professeur Schmidt, trois acceptions se présentent à l’esprit : ce serait
l’intérêt soit du groupe, soit de la société qui contrôle le groupe, soit des sociétés membres du groupe1689.

Mais pourquoi devrai-t-on définir l’intérêt commun du groupe ? On ne définit pas un concept
seulement pour le plaisir d’en préciser le sens. Si une précision des concepts est utile, c’est parce qu’elle
participe à la réalisation de l’idée de praticabilité de ces concepts et plus généralement du droit. Si un enfant
de 6 ans arrive à lire sur une pancarte le mot « CHOCOLINE », et qu’il se retourne ensuite vers son père pour
lui demander « papa qu’est-ce que ça veut dire CHOCOLINE ? », c’est qu’à n’en point douter, le concept
pour lui est incompris. Il ne correspond à aucune représentation dans son esprit. Le concept est par conséquent
impraticable. Mais lorsque son père lui répond : « c’est cette poudre que maman mélange tous les matins dans
ton verre de lait », la désignation linguistique correspond alors à une certaine image dans son esprit et il
pourra à partir de ce moment l’utiliser et comprendre ce concept. Celui-ci est alors praticable. C’est vers ce
but de praticabilité du concept1690 et du droit, que doit s’orienter tout effort de précision par la technique des
définitions. Un concept incompris est un concept impraticable, et un concept impraticable est, soit inutile, soit,
plus grave, source d’incertitude1691. Dans cette perspective, on essayera de définir l’intérêt commun du groupe
(I) pour montrer ensuite la nécessité d’instituer la détermination de la notion d’abus sur la violation de cet
intérêt (II).

I- Essai de définition de l’intérêt commun du groupe

311- « Une fois établie l’existence d’une stratégie de groupe, et donc nécessairement d’une structure
de groupe, il est nécessaire d’établir l’existence d’un intérêt commun entre les sociétés groupées »1692. Ainsi,
la notion de groupe de sociétés et celle d’intérêt commun du groupe sont, en réalité, intimement liées à telle
enseigne que l’absence de l’une entraîne systématiquement la disparition de l’autre. Dans ces conditions,
l’intérêt commun du groupe serait un concept d’une grande utilité parce qu’il sert assez souvent à légitimer les
activités du groupe ainsi qu’à enrichir et harmoniser les relations entre le droit des sociétés isolées et celui du
groupe auquel elles appartiennent.
En dépit de son importance, ce concept n’a été évoqué que dans l’article 461 CSC relatif à la définition
du groupe de sociétés1693. Mais il n’a pas été du tout défini par le législateur. Est-ce là une omission délibérée

1687
Cass. Com. Fr., 2avril 1996, Bu1L Joly 1996, p. 510, note P. Le Cannu, Rev. Soc., 1996, p. 573 ; JCPG 1997, II, 22803, note J-P. Chazal.
1688
DIDIER (P), op. cit., p. 322 ; (même auteur), Le groupe, entité juridique ?, Rev. Soc., 1997, p. 557
1689
SCHMIDT (D), Les conflits d’intérêts entre associés, Op. cit., n° 418.
1690
Les définitions comme procédé de la technique, apparaissent dans une relation entre un concept et une formule définitoire. Tous les deux
participent à la mise en forme de la solution juridique : les concepts, traduction juridique du réel, sont accompagnés ou non de définitions, selon
que le législateur les juge suffisamment ou insuffisamment précis. V. DABIN (J), La technique de l’élaboration du droit positif, spécialement du
droit privé, Bruxelles, Etablissement Emile Bruylant, 1935, p 115.
1691
AYARI (M), Les définitions juridiques dans le code des obligations et des contrats, In Livre du centenaire du code des obligations et des
contrats, Centre de publication Universitaire, 2006, p 106.
1692
GAUTHIER (T), les dirigeants et les groupes de sociétés, LITEC, 2000, p 413, n° 649.
1693
Rappelons que l’expression « intérêt commun » a été aussi consacrée dans l’article 220 CSC mais seulement dans le cadre de la société isolée.
En plus l’adjectif « commun » a été utilisé plusieurs fois dans les articles du COC relatifs au contrat de société : Art. 1249 (mettent en commun),

Page 236
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

de sa part ? Est-ce, au contraire, tout simplement un oubli ? Dans les deux cas, il s’agit d’une lacune qui peut
ne pas aider à déterminer les contours exacts de la notion d’abus au sein du groupe de sociétés. Il faut
cependant rappeler qu’assez souvent le législateur répugne à définir certaines notions juridiques, considérant
que c’est bien là l’œuvre de la doctrine ou de la jurisprudence. Il en est ainsi par exemple des concepts de
l’intérêt de l’enfant en matière de garde1694, l’intérêt d’agir en justice1695 et bien entendu l’intérêt social en
droit des sociétés1696. Il faudra alors tenter de tracer une définition de l’intérêt commun du groupe par l’aide de
la doctrine (A) et le recours à la jurisprudence (B).

A- L’apport doctrinal

312- En doctrine1697, il est couramment admis que l’intérêt commun est une notion difficile à cerner.
Elle l’est d’autant plus en matière de groupe de sociétés où les intérêts en cause sont pluraux et protéiformes,
tantôt divergents et tantôt convergents.

Ainsi, distingue-t-on au sein du groupe de sociétés l’intérêt de la société mère qui n’est pas forcément
celui de ses actionnaires, aussi l’intérêt de chaque société filiale ou contrôlée, qui n’est pas obligatoirement
identique à celui de ses associés. On trouve également l’intérêt des associés « contrôlaires » du groupe et celui
des associés minoritaires, appelés également actionnaires hors groupe1698. L’intérêt des créanciers doit être
aussi pris en compte. Que l’on n’oublie pas également l’intérêt des autres partenaires du groupe comme l’Etat,
les salariés, les clients, les fournisseurs1699… Où se situe donc l’intérêt commun du groupe ? Est-ce la somme
de tous ces intérêts ? S’agit-il, au contraire, de la prise en compte de quelques uns d’entre eux au détriment
des autres ?
Non seulement la réponse est loin d’être aisée, mais toute réponse influe inéluctablement sur la
détermination de la notion d’abus. Car, plus le domaine de l’intérêt commun se réduit, plus la notion d’abus
risque de se rétrécir et plus ce domaine s’élargit plus cette notion s’amplifie à son tour.
Certes, on aurait aimé dire que l’intérêt commun du groupe n’est autre que la somme de tous les
intérêts en présence. Néanmoins, « c’est trop beau pour être vrai ». Il est d’ailleurs plus facile d’exprimer ce
que l’intérêt commun n’est pas, plutôt que ce qu’il est. Son contenu est indistinct et « purement négatif »1700.
En effet, quelques intérêts doivent être écartés de la sphère de l’intérêt commun du groupe. « Le traitement
égalitaire des intérêts dans le groupe est non seulement une illusion mais c’est même son opposé qui constitue
son principe organisateur1701 ». Si le droit des sociétés n’est pas un droit égalitaire1702, le droit des groupes
l’est encore moins.

art. 1259 (fonds commun), art. 1274 (affaires communes), art. 1276 (fonds commun), art. 1295 (patrimoine commun), art. 1318 (volontés
communes), art. 1348 (dettes communes).
1694
V. art. 54 et s. du CSP.
1695
V. art. 19 CPCC.
1696
V. à titre d’exemple les art. 51 (liquidation), 146 CSC (SARL), 158 CSC (SUARL), 290 (SA) et 223 CSC (SA).
1697
Le professeur BEN AMMOU définit la doctrine comme suit « dans un sens philosophique primitif, la doctrine serait l’enseignement. C’est la
synthèse qui fait entendre ce que l’analyse a trouvé. Cette définition qui a l’avantage de la simplicité a été adoptée par les juristes. Faire œuvre de
la doctrine consiste à enseigner (docere). La doctrine serait donc l’opinion communément professée par ceux qui enseignent le droit (communis
opinio doctorum). Ainsi, toute doctrine tend à accroître le savoir d’autrui. Il faut cependant se garder de penser que tout ce qui fait l’objet d’un
enseignement en droit appartient à la doctrine. Inversement, nombre de ceux qui n’enseignent pas le droit mais qui émettent des opinions qui s’y
rapportent peuvent communiquer un savoir. La doctrine juridique serait alors, dans une première approche, l’ensemble des opinions exprimées
par les juristes dans leurs publications ». BEN AMMOU (N), La doctrine tunisienne de droit privé de l’aube du XXème siècle à la veille du
XXIème siècle, In Colloque « l’apport du XXème siècle au droit privé tunisien », Tunis le 23, 34 et 25 avril 1998, Collection forum des juristes n°
8, 2000, p 65.
1698
Ils sont appelés également les actionnaires externes parce qu’ils n’ont pas d’intérêt dans la société dominante. V. art. 5 de la proposition de loi
Couste n°1055. Cité par BEL HAJ YAHIA (B), th. pré., p208.
1699
Cela rappelle l’idée de M Paillusseau, qui se résume en ce que « l’entreprise est un centre d’intérêts. C’est, en effet, en elle que convergent les
intérêts des apporteurs de capitaux, de travail, de connaissances ; les intérêts des personnes qui lui sont liées, les fournisseurs et les clients par
exemple ; ou encore les intérêts des personnes qui sont intéressées par sa vie, comme l’Etat, les consommateurs, les concurrents… », In La société
anonyme, technique d’organisation de l’entreprise, op. cit., p198.
1700
SOUSI (G), Intérêt de groupe et intérêt social (Réflexions à propos du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris le 16 mai
1974 dans l’affaire Willot-Saint-Frères), JCPCI 1975, 11, 11816.
1701
URBAN (Q), art. pré., p24.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Force est de constater alors que l’intérêt du groupe n’est pas celui des créanciers, il est encore moins
celui de l’Etat. L’intérêt du groupe n’est pas, non plus, celui des salariés, ni celui des actionnaires externes1703,
ni encore l’intérêt des dirigeants du groupe1704…et comme l’a précisé un auteur, « l’intérêt du groupe ne
couvre pas l’intérêt individuel de l’une des sociétés groupées1705 ». Cette dernière exclusion est utile en
pratique, car la société dominante du groupe considère parfois que son intérêt constitue à lui seul l’intérêt
commun du groupe1706. Ceci n’est pas vrai car l’intérêt du groupe ne s’identifie pas à celui de l’actionnaire qui
le contrôle1707. Dans une société, l’intérêt commun n’est pas l’intérêt propre de l’actionnaire majoritaire. Il en
va de même dans un groupe de sociétés, sauf à prétendre que le mécanisme sociétaire, bâti pour servir l’intérêt
de tous les actionnaires se désintègre lorsque la société intègre un groupe. La Cour de cassation française
résiste à de telles velléités, affirmant sans faiblesse l’indépendance patrimoniale des sociétés membres d’un
groupe1708.

Que reste-t-il alors ? C’est dans l’acception habituelle de l’intérêt commun du groupe qu’on trouvera la
réponse. Dans une telle acception, c’est aux intérêts des différentes sociétés qui composent le groupe qu’il est
fait allusion1709. Il ne peut s’agir alors que « de la somme algébrique des intérêts sociaux de chaque
société1710 ». Autrement dit, il faudra prendre en compte l’intérêt de la société mère, les intérêts des filiales
ainsi que ceux des sociétés contrôlées. La prise en compte de la totalité de ces intérêts étant impossible, c’est
la majorité qui primera. Ainsi, l’intérêt commun du groupe est celui qui tient compte des intérêts, non pas de
la totalité des sociétés y faisant partie, mais de la quasi totalité. Les intérêts écartés trouveront satisfaction à
long terme1711.

Certains auteurs affirment, au contraire, que l’intérêt commun du groupe n’est pas la somme des
intérêts de ses composantes1712. Il s’agit, d’après M. SOUSI1713, d’un intérêt commun à toutes les sociétés du
groupe et non pas la somme de tous les intérêts en présence.
D’autres auteurs, tout en confirmant cette idée, définissent l’intérêt du groupe en se basant sur la
notion d’objet social. Ainsi, d’après M. Hannoun1714, l’intérêt commun serait la réalisation d’un « objet social
unique ». De son côté, M. Gauthier considère que le groupe se présente comme « une société de sociétés,
répondant à un intérêt propre qui serait la somme des divers objets des sociétés du groupe1715 ». C’est

1702
MESTRE (J), L’égalité en droit des sociétés (aspects de droit privé), Rev. Soc., 1989, p399 ; SCHMIDT (D), De l’intérêt commun des
associés, JCP, 1994, I, 3793, p440.
‫ ت‬N /$ 8G U < V ، N ‫ اد ا‬G‫ أ‬8G h G H ‫ ا ا ﺟ دة‬/ ‫ ا‬i P M ‫ ا‬k $ " K [ 6A‫ وا‬V 3 N ‫ ة ا‬G i+ #$ ‫ ء < و ا‬K / ‫ ا‬M 7‫ أن أ‬U ‫ رة إ‬OJ‫ ر ا‬$ 1703
.273 ‫ ص‬،.‫ذ‬.‫س‬.‫ م‬، - M (9 ."M N‫ و ا ز‬M 4 ‫ ا ا‬G F+‫ و أ‬V # ‫ ق ا‬A K G ، 4 # ‫ اق ا‬A ‫ع ا‬ 6 ‫ ا‬K$ 7SN 8G‫ ا و‬# dC ‫ ت ا ة ا‬C 3 ‫ا‬
V. également DUCOULOUX-FAVARD (C), sous Trib. Corr. Mulhouse, 25-3-1983, D. 1984, p 288.
1704
Cass. Crim. Fr., 9 décembre 1991, Billerey, Bull. Crim., n° 467, p12.
1705
GAUTHIER (T), op.cit., n° 650, p 413.
1706
Cette idée a été également confirmée par M. OHL qui a souligné que « l’intérêt du groupe n’est pas celui de la société dominante, bien que
celle-ci le définisse souverainement… (il) est encore moins celui des actionnaires majoritaires de la société dominante ». In, D. 1985, p478,
commentaire sous Cass. Crim. 4-2-85, Rozenblum et Allouch, n° 84-91.581.
‫ ة‬/ ‫ ا‬f! K ‫ أ‬C . N ‫ ا‬+ ]P3 ‫ ة ا‬/ ‫ ا‬6 ‫ أو‬،l K ‫ ا‬C O ‫ أي‬، 4 K ‫ ا‬C 3 ‫ ة ا‬G 6 $ K ‫ أ‬U ‫ رة إ‬OJ‫ ا‬M + ‫ إ‬N ‫ ة ا‬G i+ #$ I#] ‫ ا‬M a ‫ ا‬..."
.273 ‫ ص‬،.‫ذ‬.‫س‬.‫ م‬، - M (9 ."‫ ة‬L ! ‫ ا‬C 3 ‫ ا‬8G 5 ‫ ذوي ا‬M ‫ ء أو ا ! ھ‬C 3 0 P ‫ا‬
1707
Monsieur Barbièri écrit en termes nets : « Dans ces conditions, s’il est évident que l’intérêt propre des sociétés dominées s’efface
complètement devant l’omnipotence de l’actionnaire dominant, il nous parait douteux que puisse se dégager un véritable Intérêt de groupe :
Comment rénover le droit français des groupes de sociétés ? », L.P.A., 5novembre 1997, p. 11.
1708
V. notamment Cass. Com. Fr., 24 mai 1982, Rev. Soc. 1983, p. 361, note J. Beghin ; Cass. Com. Fr., 29 novembre 1982, Rgv. sociétés 1983,
p. 615, note J-L. Sibon ; Cass. Com. Fr., 27 mars 1984, Bull. Joly 1984, p. 528 ; CHARTIER (Y) et MESTRE (J), Les grandes décisions de la
jurisprudence, Les sociétés, éd. PUF. Paris 1988, p. 257.
1709
FREYRIA (C) et CLARA (J), De l’abus de biens et de crédit en groupe de sociétés, JCP, 1993, E, n° 247.
1710
DUCOULOUX-FAVARD (C), note pré., p288.
1711
HANNOUN (C), op.cit., n° 128 où il déclare ce qui suit : « si la société commet un acte contraire à son intérêt social immédiat dans l’intérêt
du groupe, elle poursuit néanmoins un intérêt propre dans la mesure où elle peut raisonnablement attendre une contrepartie future en sa qualité
de société apparentée. La contradiction de l’autonomie formelle des sociétés et de leur utilité économique est en définitive levée grâce à une
dissociation temporelle de la notion d’intérêt social ».
1712
DE FONTBRESSION (F), La volonté individuelle à l’épreuve du droit des groupes, RJ Com., 1988, p 285.
1713
SOUSI (G), Un délit souvent inadapté l’abus de biens et des crédits de la société, RTD Com. 1972, p 297.
1714
HANNOUN (C), op.cit., n° 127.
1715
GAUTHIER (T), op.cit., p 414, n° 652.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

également le cas de M. Hassler qui ajoute que « l’intérêt, c’est ce qui motive les individus à agir1716 ».
Précisant encore plus cette idée, un éminent auteur a pu écrire que « rechercher l’intérêt du groupe c’est donc
rechercher ses motivations. Celles-ci résident dans la nécessité d’édifier une organisation juridique et de
développer ses activités économiques1717 ». A son tour M. OHL, soutient que l’intérêt commun du groupe se
résume dans le fait « d’obtenir un enrichissement global supérieur à la somme des profits qu’aurait pu
réaliser chaque société membre prise isolément1718 ».

313- In globo, deux conceptions s’affrontent sur le plan doctrinal.


Une première tendance nie farouchement toute idée d’un intérêt commun du groupe distinct et
autonome par rapport à celui des sociétés groupées. L’intérêt du groupe n’existerait qu’en tant qu’élément
d’interprétation de l’intérêt des sociétés qui le composent. Il semblerait donc que le groupe ne puisse se
prévaloir juridiquement d’un intérêt en tant que tel1719.
Selon une seconde opinion, les sociétés du groupe doivent s’incliner devant un intérêt global qui ne
s’assimile pas à l’intérêt des sociétés liées, ni à celui de la société mère. Il se situe au-dessus de ces différents
intérêts, à la fois supérieur et autonome par rapport à l’ensemble et dont l’objectif serait d’assurer un équilibre
entre les différents membres et de développer l’activité globale par une politique et une stratégie cohérente. La
société dominante aurait ainsi le droit de faire exécuter par la société dépendante certains actes tels que des
transferts d’actifs ou des glissements de bénéfices qui, selon le droit commun, seraient qualifiés d’abus de
biens sociaux mais qui assureraient la continuité et le développement du groupe dans son ensemble1720.

Tout en respectant ces positions doctrinales enrichissantes et combien séduisantes, on est en droit de
penser que la détermination de la notion d’intérêt commun du groupe peut connaître une autre approche en
faisant recours à la jurisprudence comparée à défaut de jurisprudence tunisienne.

B- L’appréhension jurisprudentielle

314- Faute de décisions publiées de la cour de cassation ou des juridictions du fond tunisiennes
relatives à la définition de l’intérêt commun du groupe de sociétés, il ne parait pas interdit de recourir à la
jurisprudence française.

L'approche fondée sur une analyse à long terme des actes réalisés par les dirigeants, a conduit les
juridictions répressives françaises à justifier certaines opérations effectuées dans le cadre d'un groupe de
sociétés. La mise en œuvre d'une politique de groupe suppose, en effet, qu'une société puisse être amenée à
consentir des concours financiers à une autre société de son groupe.
Dans l'absolu, un tel concours est susceptible de relever de l'abus de biens sociaux car il constitue un
usage contraire à l'intérêt social, dénué de toute contrepartie, commis en connaissance de cause afin de
favoriser une société dans laquelle le dirigeant a des intérêts. Il ne fait cependant aucun doute que cette
situation doit être distinguée de celle dans laquelle un dirigeant dépouille une société au profit d'une autre,
sans autre motif que ses intérêts strictement personnels.
Le silence des textes eu égard à l'application de l'incrimination d'abus de biens sociaux à l'hypothèse
particulière des groupes de sociétés, a conduit la jurisprudence française à adapter, elle-même, l'incrimination

1716
HASSLER (T), L’intérêt commun, RTD Com., 1984, p581.
1717
PARIENTE (M), op.cit., n°39.
1718
OHL (D), comm. pré., p478
1719
DU JARDIN (L), Un confort sous estimé dons la contractualisation des groupes de sociétés : la lettre de patronage, LGDJ, Paris 2002, p. 165,
n° 211 ; GUYON (Y), Droit des affaires, Economica, 1994, p 610 ; NURIT-PONTIER (L), Les groupes de sociétés, Ellipses Le droit en
questions, 1998.
1720
BERR (I), La place de la notion de contrôle en droit des sociétés, Mél. Bastian, 1974, p. 14 ; PARIENTE (M), Les groupes de sociétés, op.
cit., p251 ; PETIT-PIERRE-SAUVAIN (A), Droit des sociétés et groupes de sociétés, Genève Georg, 1972, p 44 ; V. également en France, le
Rapport Sudreau, 1975.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

d'abus de biens sociaux à la notion de groupe. Il a ainsi fallu concilier les intérêts du groupe de sociétés avec
ceux de la société apparemment victime. D'un côté, on peut considérer que « l'autonomie juridique des
sociétés l'emporte sur leur unité économique et cette domination de leur intérêt social particulier, est
nécessaire à la protection des minoritaires et des créanciers qui contractent avec chaque société prise
isolément de l'ensemble »1721. D'un autre côté, on peut objecter que tout ce qui est susceptible de nuire à une
société du groupe, peut être bénéfique pour l'ensemble de ce groupe.

315- En se basant sur cette dernière argumentation, dans l’affaire Agache-Willot1722, le tribunal
correctionnel de Paris, tout en adoptant le fait justificatif de l’abus lié à l’existence d’un groupe de société, a
clairement affirmé que l’intérêt commun du groupe est tout intérêt nécessaire « pour le maintien de son
équilibre ou pour la poursuite d’une politique globale cohérente ».
De son coté, la cour de cassation française exige que le groupe de sociétés justifie d’un intérêt
commun1723 qui peut être, selon la terminologie du fameux arrêt de principe Rozenblum1724, « économique,
social ou financier ». Cette définition a été ultérieurement confirmée par la cour d’appel de paris1725 qui a
clairement soutenu que : « la convention (dans le groupe de sociétés) doit être dictée par un intérêt
économique, social ou financier commun… »
Selon cette acception, l’intérêt commun réside dans « l’existence d’objectifs d’optimisation et/ou de
développement1726 ». Il peut, alors, se traduire dans les domaines économique1727, social1728 ou financier1729.

Autrement dit, l’intérêt commun du groupe réside « dans le maintien d’un équilibre économique,
social ou financier obtenu par la poursuite d’une stratégie élaborée de manière cohérente pour le
développement commun du groupe1730 ». Cette définition rappelle celle du ministère de la justice en Tunisie
qui, lors de la discussion du projet de loi des groupes, a défini l’intérêt commun comme étant un ensemble de
« thèmes de préoccupation économique partagés entre les sociétés groupées1731 ». C’est dire que l’intérêt
commun se trouve réalisé et non point méconnu chaque fois où l’acte effectué ou bien l’opération entreprise
est conforme à la politique générale du groupe et à sa stratégie d’avenir. Et c’est aux juges tunisiens, à l’instar
de leurs homologues français, qu’il appartiendra d’analyser les règles commerciales ainsi que pénales relatives
à la notion d’abus dans une perspective de politique générale protectrice de l’édifice législatif1732 réservé au
groupe de sociétés, sinon tout cet édifice risquerait de s’écrouler un jour ou l’autre.

1721
DEKEUWER (A), Les intérêts protégés en cas d'abus de biens sociaux, op. cit. p. 421.
1722
T. Corr. Paris, 16-5-1974, Soc. Saint Frère, D. 1975, p37. JCP (E), 1975, II-11816, p 381; Rev. Soc., 1975, p 657, note Oppetit (B).
1723
Ibidem.
1724
Cass. Crim. Fr., 4-2-85, Rozenblum et allouche, n° 84-91.581, Bull. Crim. n° 54, p145, D. 1985, p478, note Ohl (D). JCP (E), 1985, II-14614,
note Jeandidier (W). Rev. Soc. 1985, p648, note Bouloc (B). Rev. Int. De Dr. Pénal 1987, p217
1725
C.A. Paris, 29 mai 1986, Bull. CNCC 1986, n° 64, p. 391, note Du Pontavice.
1726
JOLY (E) et JOLY-BAUMGARTNER (C), op.cit., p 129.
1727
Ainsi, l’intérêt économique est retenu, chaque fois qu’une complémentarité d’objets s’articulant autour d’une activité commune est vérifiée.
Au contraire lorsque le groupe est constitué de sociétés ayant des activités totalement étrangères, il est plus difficile de justifier un intérêt
économique commun. En ce sens, certains auteurs soutiennent que l’intérêt du groupe ne peut exister que si les activités des sociétés qui le
composent sont similaires ou tout au moins complémentaires. V. DELAISI (P), L’affaire Agache-Willot et le problème général des groupes de
sociétés, Gaz. Pal. 1975, I, p358.
1728
D’un point de vue social, l’intérêt du groupe est mis en exergue lorsqu’il est demandé à une société de soutenir une autre afin de lui éviter de
procéder à des licenciements et donc, de nuire, par exemple, à l’image de l’ensemble des sociétés du groupe.
1729
Du coté financier « Il est fréquent d’optimiser les ressources des sociétés du groupe. Ainsi, un système de cash-pooling peut être mis en place
afin de gérer au mieux la trésorerie des sociétés du groupe. L’objectif est de mettre la trésorerie de chacune des sociétés à zéro. Certaines
empruntent, d’autres prêtent. Evidemment, celle qui est mise à contribution doit faire une avance dans le cadre d’une convention de trésorerie.
Mais, le lendemain, c’est peut être elle qui sera la bénéficiaire de l’avance. La gestion centralisée de la trésorerie du groupe lui permettra, en plus,
d’obtenir des meilleures conditions de crédit auprès des banques par exemple. C’est là précisément, que se trouve illustrée la synergie potentielle
des sociétés composant le groupe», notamment en matière financière. V. JOLY (E) et JOLY-BAUMGARTNER (C), op. cit., p129.
1730
PIVANO (A), « la boussole » de la société : intérêt commun, intérêt social, intérêt de l’entreprise, D., 1997, chro. n° 24, p149.
6 $ U ‫ إ‬4 ‫ ت ا‬C 3 ‫< ى ا‬J ‫ ] دي‬7 ‫ ح ا‬4 ‫ أن ا‬U4# ،‫ ت‬C 3 ‫ ا‬6 $ U ‫ إ‬4 ‫ ت ا‬C 3 ‫ ا‬K A $ +‫ ] د‬7‫ ھ وﺟ د ور اھ م ا‬C 3 ‫ " إن ا ] د ] ا‬1731
U ‫ إ‬K# 4 ‫ ا ى ا‬C 3 ‫ ت أن ا‬C 3 ‫ إ< ى ا‬M F$ ‫ ن‬C ،V‫ﺟ‬q V 3 ‫ أو‬O 5 V 3 k ‫ ن ذ‬C ‫ و‬،6 ‫ ا‬H/ U ‫ إ‬4 ‫ ت ا ى ا‬C 3 ‫ دة ا‬/ A‫ ا‬U ‫دي < إ‬q+ ‫ ت‬C 3 ‫ا‬
8G ‫ إ< اھ‬m P$ ‫ ن‬C ، L3 M C 3 ‫ ا‬A‫ رة ر‬0 8G ‫[ن‬3 ‫ ا‬k DC‫ و‬. ‫ا ھ‬ CD ‫ ا‬8G ‫ة‬ ‫ ا‬f < ‫ إن‬، ‫ ت‬#0 K‫ اﺟ‬U N K$ N ! K4 + ‫ ت‬C 3 ‫ ا‬6 $
!4 9K i+ < U N FG ، +‫ ] د‬7‫ ا‬K< ‫ ج ا ى و‬4 N M! $ 8G ] K4 ‫ وا< ة‬V ‫ ن‬$ ` ،8 K4 ‫ ا‬K‫ ﺟ‬4 6 4]$ 8G d ‫ ا‬a # !$ 8 '‫ ج ﺟ‬4 6 4]$
.1 ‫ د‬N " ‫ ا‬6‫ُ اﺟ‬+ ،98 ‫ و‬97‫ ص‬،5 ‫(د‬3 ،2001 6 " 20 ،‫ اب‬A ‫[ ا‬2S ‫ (او ت‬." d !4 8A A‫ 'ود أ‬U N ‫ ض‬/ ‫ و‬،U ‫†و‬
U N k ‫ ذ‬VC ‫ اق‬A ‫ ا‬8G 67 ‫ و ا‬PF ‫ رات ا‬d A ‫ ا‬K ‫ رأس ا ل و‬4 C ‫ وا< ة‬+‫ ] د‬7‫ ت ا‬+ 5 8‫ وھ‬C 3 ] " $ ‫ س‬A 8‫ ھ‬6 ‫ ت ا‬C O M V0 ‫" ھ 'ة ا‬
.89 ‫ ص‬، CD ‫ ا‬A ‫ ا او ت‬،"‫ ا م‬C 3 ‫ ا‬7‫ إدارة و ر‬UF ‫ و‬L! ‫! ا‬ $‫ ا‬A‫ س ا‬A‫أ‬
1732
V. les articles 461 à 479 CSC.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

316- Ainsi déterminé, l’intérêt commun du groupe semble être un critère capital dans la
détermination de la notion d’abus dans le groupe de sociétés, ce qui pourrait permettre au juge de réaliser,
dans une certaine mesure, l’actualisation de l’interprétation des articles de 461 à 479 C.S.C. En effet, la notion
classique de l’intérêt, telle que conçue pour la société isolée, devrait-être écartée au profit d’une notion
nouvelle, propre au groupe de sociétés, basée, non pas sur l’atteinte à l’intérêt social, mais plutôt sur la
violation de l’intérêt commun du groupe. Pareille violation pourrait constituer un fondement possible pour la
détermination de la notion d’abus dans le groupe de sociétés.

II- L’atteinte à l’intérêt commun du groupe

317- Il sied de démontrer, avant l’exposé du choix jurisprudentiel de l’atteinte à l’intérêt commun du
groupe comme fondement pour la détermination de la notion d’abus dans le groupe de sociétés (A), quelles
sont les raisons qui militent en faveur d’une telle option (B).

A- Les raisons du choix de l’atteinte à l’intérêt commun du groupe

318- Si on se cantonnait à la notion « classique1733 » d’abus, on devrait l’appliquer chaque fois que
l’intérêt social serait méconnu au profit d’intérêts étrangers. Or, dans le groupe de sociétés, l’existence d’une
politique générale basée sur un intérêt commun à toutes les sociétés groupées et étranger à celui de chaque
société prise isolément est de l’essence même du groupe de sociétés. « Soutenir le contraire serait admettre
que la politique du groupe constitue systématiquement un agissement abusif qui tombe sous le coup de la loi
pénale. On pourrait même se demander si les groupes n’ont pas de ce fait un caractère illicite1734 ».
De surcroît, dissimuler l’intérêt commun du groupe serait juridiquement insoutenable en raison de la
reconnaissance législative des groupes de sociétés renforcée par l’article 461 CSC qui donne une définition du
groupe essentiellement basée sur ce type d’intérêt.
Dans cette perspective, si on essaye d’analyser et d’interpréter les articles 461 et suivants du CSC dans
une approche favorable au groupe de sociétés en optant pour une notion d’abus basée sur la méconnaissance
de l’intérêt commun du groupe, un nombre très important d’actes, manifestement contraires à l’intérêt social,
« perdent leur caractère abusif pour devenir des opérations légitimes, justifiées par l’intérêt du groupe1735 ».
En effet, dans le groupe de sociétés, il peut être intéressant « de chercher, bien que la loi n’en fasse aucune
obligation, si les actes contraires aux intérêts d’une société faisant partie d’un groupe sont justifiés par le fait
d’avoir été accomplis dans l’intérêt commun du groupe. Ainsi la notion juridique d’acte contraire à l’intérêt
social serait modifiée au profit de celle d’acte conforme ou non à la politique d’ensemble du groupe1736 ».

319- De façon générale, les sociétés groupées sont économiquement subordonnées à une société
directrice qui domine l’ensemble en décidant souverainement de la politique générale du groupe1737. Les
sociétés contrôlées sont gouvernées non au vu de leur intérêt propre mais au vu de l’intérêt du groupe tout
entier1738. « L’intérêt des filiales est entièrement subordonné à l’intérêt du groupe1739 ». La situation de
1733
Telle qu’elle a été conçue pour une société isolée.
1734
BEL HAJ YAHIA (B), th. pré., p167.
1735
Ibidem, p168.
1736
DUCOULOUX-FAVARD (C), note pré. p 288.
1737
BEL HAJ YAHIA (B), thèse pré., p8.
G‫دارة و‬J‫ و< ة ا‬l$ K ‫ ا‬K G M q$ ‫ ت‬C O N K 7‫ ا‬$ 8 ‫ ت ا‬C 3 ‫ ا‬6 l K ‫ ا‬V 3$ 8 ‫ و‬. K 7‫ ر‬k! ^ ‫ى‬ ‫ ت ا‬C 3 ‫ ا‬8G ‫ ت‬C‫ ر‬3 ‫ ا‬D [$ l K ‫ ا‬C O ‫ إن‬...» 1738
.272 ‫ ص‬،.‫ذ‬.‫ م س‬، - M (9 "... N ‫ " ] ا‬$ U ‫ ف ا‬K$ O $‫ ا‬A
1739
RIPERT (G) et ROBLOT (R), Traité de droit commercial, T.I, 17éme éd., LGDJ, 1998, p 1459.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

dépendance d’une filiale implique, souvent et même toujours, que les décisions de ses organes soient dictées
par la société dominante. Il arrive même, en pratique, que les intérêts des sociétés subordonnées soient
sacrifiés dans l’intérêt du groupe, sans pour autant que la décision ne soit entachée d’illégitimité. La
subordination des sociétés filiales emporte nécessairement un déplacement de l’intérêt social vers l’intérêt
suprême du groupe1740. Il semble donc inconcevable que la notion d’abus soit retenue chaque fois que l’acte
est contraire à l’intérêt social1741. L’admettre serait une mise en péril de tout l’arsenal législatif composé des
articles 461 et suivants du CSC. En effet, « la sévérité et la rigueur de la solution donnent une mesure de son
irréalisme 1742». Elle aboutirait, en fait, à une impossibilité de mise en œuvre d’une solidarité économique
entre les sociétés groupées et en particulier toute extension du groupe par prise de contrôle deviendrait
irréalisable1743. En outre, il parait excessif de fonder la détermination de la notion d’abus sur le seul fait que
l’acte est contraire à l’intérêt de la société car ce qui peut nuire à celle-ci peut être bénéfique au groupe dans
son ensemble et à long terme à la société elle même1744.

On peut, par contre, légitimement se demander si la justification de l'acte ne proviendrait pas tout
simplement de ce que dans l'hypothèse des groupes de sociétés, les différentes conditions requises par la loi
pour incriminer l'abus ne sont pas réunies notamment au regard de la contrariété à l'intérêt social1745. Sur ce
point, on peut en effet considérer que l'acte ne méconnaît pas l'intérêt social car il est dicté par l'intérêt
économique, social ou financier du groupe apprécié nécessairement à long terme au regard de la politique
mise en œuvre pour l'ensemble du groupe et que, par conséquent, il n'est pas démuni de contrepartie. Plus
précisément, l'idée est la suivante : si la société commet un acte contraire à son intérêt social immédiat dans
l'intérêt du groupe, elle poursuit néanmoins un intérêt propre dans la mesure où elle peut raisonnablement
attendre une contrepartie future et à long terme en sa qualité de société apparentée1746. De cette façon là,
l'intérêt de chacune des sociétés est en quelque sorte transcendé par l'intérêt commun du groupe1747, de la
même manière que l'intérêt immédiat des associés est transcendé par l'intérêt à plus long terme de la société.
Dans l'hypothèse du groupe, c'est la pérennité de celui-ci qui est assimilé à l'intérêt social tandis que dans
l'hypothèse d'une société unique, c'est la pérennité de celle-ci qui est assimilée au même intérêt.

320- C’est à ce niveau que ressort l’importance d’une telle approche puisqu’elle aboutit, forcément,
à l’exclusion de la notion « classique » d’abus, qui ne tient compte que de l’intérêt social, pour appliquer une
notion d’abus « nouvelle », propre au groupe de sociétés où la méconnaissance de l’intérêt commun du groupe
serait un élément fondamental pour cette dernière. Ainsi, de l’atteinte à l’intérêt social en tant qu’élément
primordial pour la détermination de la notion d’abus dans une société isolée, on passe, dans le cadre du groupe
de sociétés, à la méconnaissance de l’intérêt commun du groupe en tant qu’élément essentiel pour la
détermination de cette même notion. Cette dialectique semble, a priori, plus adaptée au groupe de sociétés.
C’est pour cette raison qu’elle devrait être appliquée aussi bien à l’abus des biens sociaux et les cas assimilés,
à l’abus de majorité ainsi qu’à l’acte anormal de gestion en droit fiscal1748. D’ailleurs, en cette dernière
matière, certaines décisions n’ont pas hésité à adhérer au choix jurisprudentiel de la méconnaissance de
l’intérêt commun du groupe comme critère de la détermination de la notion d’abus.

1740
SOUSI (G), art. pré., n° 11816.
1741
A propos de la définition de l’intérêt social et l’acte anti-social.
1742
TROCHU (M), JEANTIN (M) et LANGE (D), De quelques applications particulières du droit pénal des sociétés au phénomène économique
des groupes de sociétés, Recueil Dalloz Sirey, 1975, p7.
1743
A propos de la thèse inverse c'est-à-dire celle qui accorde la prééminence à l’intérêt social au détriment de l’intérêt commun du groupe V.
infra, n° 326.
1744
WILFRID (J), Droit pénal des affaires, 5éme édition, DALLOZ, 2003, p 361.
1745
BOULOC (B), L'abus de biens sociaux dans les groupes d'entreprises, Rev. Soc. 1988, p. 181.
1746
HANNOUN (C), Le droit et les groupes de sociétés, L.G.D.J. 1991.
1747
BERTREL (J-P), pour une normalisation de l'abus de biens sociaux, Droit et Patrimoine, septembre 1995.
1748
A l’instar du droit commercial, en droit fiscal l’acte anormal de gestion est tout acte contraire à l’intérêt de l’entreprise. V. RIPERT (G) et
ROBLOT (R), Traité de droit commercial, T.3, Droit fiscal des affaires, 4ème éd., LGDJ, 1995, p97, n° 79. Dans le cadre de la théorie des actes
anormaux de gestion est apparue l’idée que certaines opérations, jugées insolites entre sociétés indépendantes, devraient être présumées normales
dans le cadre d’un groupe de sociétés. S’il est acquis, en matière fiscale, que l’administration n’a pas à s’immiscer dans la gestion interne des
entreprises. Il est, au contraire, admis que le juge peut intervenir pour contrôler le caractère normal de certaines opérations pour réintégrer, le cas
échéant, au bénéfice imposable, les charges illégalement déduite, sur la base de l’article 12 CIRPPIS qui ne permet de déduire du bénéfice
imposable que les charges nécessaires à l’exploitation. A propos de l’acte anormal de gestion V. supra, n° 87.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

B- Le choix jurisprudentiel de l’atteinte à l’intérêt commun du groupe

321- En l’absence d’une jurisprudence aussi bien commerciale que pénale, c’est le juge fiscal qui a
confirmé le fait que dans un groupe de sociétés il faut raisonner à partir de l’intérêt commun du groupe pour
déterminer la notion d’abus. Autrement dit, c’est de la méconnaissance de l’intérêt commun du groupe que
résulte l’abus ou l’acte anormal de gestion dans le groupe de sociétés.
Tel est le cas de la commission de taxation d’office de Sfax1749 qui, saisie à propos d’une avance sans
intérêts accordée par la société mère à sa filiale, n’a pas hésité à affirmer la normalité de l’opération du point
de vue fiscal en raison de l’existence d’un intérêt financier et/ou commercial commun aux deux sociétés dû à
la détention par la société mère de 99% du capital de sa filiale qui est en difficulté économique1750. Même si la
dite commission n’a pas expressément évoqué la notion « d’intérêt commun du groupe », une telle notion
semble facile à dégager des termes utilisés dans sa décision1751. Il en est de même de la chambre fiscale du
tribunal de première instance de Tunis qui a clairement retenu l’intérêt commun du groupe en situation de
crise1752.

Dans l’affaire susvisée, il semble que le juge du fond s’est inspiré à foison de la jurisprudence fiscale
française1753 qui a fait preuve d’une très grande souplesse dans l’application de la théorie générale de l’acte
anormal de gestion1754 aux groupes de sociétés1755.
Cette reconnaissance fiscale de l’intérêt commun du groupe comme fait justificatif de certains actes
intragroupes vient d’être entérinée récemment par un arrêt de principe de la Cour de cassation datant du 15-
07-2009. Dans cet arrêt, la juridiction de droit a affirmé purement et simplement qu’un acte anormal de
gestion devient normal en cas d’existence de liens juridique, financier ou économique, étroits et bien établis
entre les sociétés participantes du groupe, imposant une entraide mutuelle entre-elles en cas de situation de
difficultés pécuniaires. Ce fait justificatif exige une condition principale : l’existence d’un bénéfice
économique ou financier direct pour la société qui accorde l’aide intragroupe. Cette entraide ne devrait pas
aussi entrainer un préjudice pour la société consentante ni constituer un cas de fraude fiscale ou de
concurrence déloyale1756.

.3 ‫ د‬N " ‫ ا‬6‫ُ اﺟ‬+ ،213 ‫ ص‬،2002 ،.‫ت‬.‫ق‬.‫ م‬،1999 G 26 8G ‫رخ‬q ،46-97 ‫ د‬N ،‫ اﺟ ري‬i ‫ ظ‬$ ‫ ار‬7 1749
1750
Il est à préciser que la jurisprudence fiscale tunisienne n’est pas unanime concernant la nécessité d’appuyer la détermination de la notion
d’abus sur l’atteinte à l’intérêt commun du groupe.
‫ وض‬7 ‫ت و‬S K!$ M K4 $ U N ‫راس ا ل‬ ْ M 99 ‫ رب‬+ / [ ! ‫ ا‬K G k $ 8 ‫ و ا‬+D< ‫ ط و ا‬L ‫ ة‬+ ‫ ا‬C 3 ‫ ا‬6 ‫ ق‬/$ ‫ ا‬M ‫ ك‬A C O 7 64 + ‫ء‬8O ` < " 1751
‫ ھ ا ا ] ف‬Vd ‫ ن‬G 8 ‫ و‬K ‫ أ ا‬K G f/‫ وظ‬8 ‫و ا‬/ [ ! ‫ ! ة ا‬K ‫ ورا‬M ‫ و‬K$ ! V7 #$ ‫ أن‬K ْ O M +‫ ] د‬7‫ وا‬+‫ ت د‬#] ‫ا ورھ‬ K N n ‫ ا‬G i ‫ ظ‬$ ‫دون‬
." ‫ ع‬/ ‫ ْن ھ ا ا‬O 8G i ‫ ار ا ظ‬7 n a $‫ دي وا‬N 5 V N V 3+
‫ رھ‬+ K ‫ ت‬# ‫ ن ا‬G k ‫ﺟ ذ‬ ‫ ا‬+‫ د‬# ‫ ت ا‬G ] ‫ ا‬n# 9C ‫ ا‬f 7 ‫ " و< ` وإن‬: 2004/6/10 ` ‫ ر‬،674 ‫(د‬3 1<@ ‫ ا‬، 1 6S ‫ ا (ا ة ا‬،[" 1 ‫ ا (ا‬$- ‫ ا‬1752
.20 ‫ ص‬،2008 C‫ ا‬،56/57 ‫ د‬N ، ّ ‫ ا‬." ‫ ت‬#] $ ‫ة‬ ‫ه ا‬D‫ ھ‬f C ‫ اذا‬# ‫ ا‬C 3 ‫ رأس ل ا‬8G K ‫ ا م ! ھ‬C 3 ‫ ا‬+ < 8G Vd $ p ] ‫وھ وﺟ د‬
1753
COZIAN (M), Les grands arrêts de la fiscalité des entreprises, D. 1996, p 615 ; MEDUS (J-L), Le traitement fiscal des conventions entre
sociétés liées (Panorama de jurisprudence), L.P.A., n° 50, 11 mars 2005, p. 3 ; C.E., 20 novembre 1974, Rev. Juri. Fisc., 1975, n° 1, p 22 ; C.E., 5
juillet 1978, Rev. Juri. Fisc., 1978, n° 10, p184 ; C.E., 24 février 1978, Dr. Fisc., 1978, n° 30, Comm. 1212, Concl. Riviére ; C.E., 30 avril 1980,
Rev. Soc. 1980, p787, note Plagnet (B).
1754
YAICH (R), La doctrine administrative en matière de contrôle fiscal et de contentieux de l’impôt, Editions RAOUF YAICH, 2009 ; (même
auteur), Théories et principes fiscaux, Editions RAOUF YAICH, 2007 ; AYEDI (H), Droit fiscal : Impôt sur le revenu des personnes physiques et
impôt sur les sociétés, Imprimerie Officielle de la République Tunisienne, 1996 ; MASTOURI (M-M), Droit fiscal de l’entreprise, Regroupement
Latrach, 2006 ; GADHOUM (O), La doctrine administrative fiscale en Tunisie, L’Harmattan, Paris, 2007.
1755
SERLOOTEN (P), Droit fiscal des affaires, DALLOZ, 2003, n° 35, p 37 ; ROBLOT (R) et RIPERT (G), op.cit., p102.
‫ ذ‬P$‫ ا‬8G S A ‫ وا‬+ K+ ! +‫ ] د‬7 ‫! ت ا‬Aq ‫! ا‬$ + < ‫ أ‬8F + M@ " : 8 + 2009 12 9 15 ` ‫ ا در ر‬39570 ‫(د‬3 6S ‫ ا‬61@7 ‫ < ` ورد @ ار ا‬1756
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.19 ‫ ص‬،2010 A ،103/102 ‫ د‬N ، ‫را‬ ‫ا‬

Page 243
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

322- En droit comparé, la jurisprudence pénale française a été la première à admettre la substitution
de l’intérêt social par l’intérêt commun du groupe comme critère fondamental pour la détermination de la
notion d’abus dans le groupe de sociétés.
On peut se contenter de rappeler l’autre facette du fameux arrêt Agache-Willot précité1757 où le
tribunal affirme qu’ « à défaut d’une législation sur les groupes, on doit rechercher : … Si les sacrifices
demandés à l’une des sociétés ont bien été réalisés dans l’intérêt du groupe… 1758 ». Le tribunal ajoute, dans
le même arrêt, que « les éléments juridiques classiques constitutifs du délit d’abus de biens sociaux sont à
écarter, les dirigeants du groupe ayant nécessairement des intérêts directs ou indirects dans l’ensemble des
sociétés et leurs intérêts personnels étant souvent difficiles à distinguer de l’intérêt du groupe ».
De même, dans le célèbre arrêt Rozenblum, déjà cité1759, la cour de cassation française déclare que « le
concours financier apporté, par les dirigeants de droit ou de fait d’une société, à une autre entreprise d’un
même groupe dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement, doit être dicté par un intérêt
économique, social ou financier commun, apprécié au regard d’une politique élaborée pour l’ensemble de ce
groupe… ». Cet arrêt de principe a admis, de la manière la plus claire, que dans un groupe de sociétés, c’est
essentiellement l’intérêt commun du groupe qui détermine la notion d’abus1760. L’importance de cet arrêt
réside en sa portée générale et sa formulation directrice puisqu’il semble avoir orienté, depuis, la
jurisprudence française1761. C’est dire que la notion de groupe de sociétés est apparue aux yeux de la
jurisprudence et la doctrine comme un fait justificatif qualifié, selon les auteurs, soit d'état de nécessité, soit de
permission de la loi1762.

Il est clair donc que la jurisprudence française admet, en droit pénal, que l’existence d’un groupe
puisse justifier un abus de biens sociaux1763 et ce, à plusieurs conditions1764. Tout d’abord, il doit exister un
groupe défini comme étant un groupement économique fortement structuré reposant sur des bases non
artificielles. Ensuite, le sacrifice demandé à une ou plusieurs filiales doit être justifié par l’intérêt économique,
social ou financier commun au groupe, apprécié au regard d’une politique globale du groupe de sociétés. En
outre, l’effort ne doit pas être dénué de toute contrepartie. Enfin, il ne doit pas excéder les possibilités
financières de la filiale qui en supporte la charge.
Dans son ensemble, la doctrine a interprété cette jurisprudence comme reconnaissant, au moins en
droit pénal, l’existence d’un intérêt commun du groupe1765. Le rapport Marini relatif à la modernisation des

1757
V. Supra, n° 315.
1758
T. Corr. Seine, 16-5-1974, Soc. Saint Frère, D. 1975, p 37. JCP (E) 1975, II-11816, p 381 ; Rev. Soc. 1975, p 657, note Oppetit (B). V. dans
le même sens T. Corr. Seine, 11 mai 1955, JCP 1955, II, 8973 ; T. Corr. Paris, 26 nov. 1968, Gaz. Pal. 1969, I, p 309, note Lacan ; Cass. Com.
Fr., 29 mai 1972, JCP, 1973, II, 17 337, note Guyon ; Cass. Com. Fr., 7 oct. 1974, JCP, 1975, éd. G, II, 18129, note GRUA.
1759
V. supra, n° 315.
1760
Cette idée a été également retenue dans le cadre de l’abus de pouvoir. V. Cass. Crim. Fr., 13-2-89, Rev. Soc. 1989, p 692, note Bouloc (B).
1761
Cass. Crim. Fr., 13 févr. 1989, n° 88-81.218, Rev. Soc. 1989, p. 692, note Bouloc ; Cass. Crim. Fr., 4 sept. 1996, n° 95-83.718, RJDA, 1997,
n° 58, p. 35, JCP éd. E 1997, I, n° 639, p. 133, Obs. Viandier et Caussain, D. 1996, I.R., p. 260, Rev. Soc. 1997, p. 365, note Bouloc ; Cass. Crim.
Fr., 5 mai 1997, n° 96-81.482, JCP éd. E 1997, n° 1049, Bull. Joly 1997, p. 953, note Barbiéri, D. affaires 1997, chr., p. 971, RJDA 1997, n° 1493,
p. 1023 ; cf. aussi BOULOC (B), Droit pénal et groupes d'entreprises, Rev. Soc. 1988, p. 181 ; FREYRIA (C) ET CLARA (J), De l'abus de biens
et de crédit en groupe de sociétés, JCP éd. E 1993, I, n° 247.
1762
MESTRE (J), VELARDOCCHIO (D) ET BLANCHARD-SEBASTIEN (C), Lamy Sociétés commerciales, 2000, no 1966 ; MEDINA (A),
Abus de biens sociaux. Prévention, détection, poursuite ; Paris, Dalloz, 2001 ; JEANDIDIER (W), Comm. chambre criminelle, 4 février 1985,
J.C.P. 1986 II, no 20, 585.
1763
L’article 242-6, 4°, du code de commerce (ancien art. L. 437) punit de cinq ans d’emprisonnement et/ou d’une amende de 2.500.000 francs « le
président, les administrateurs ou les directeurs généraux d’une SA qui, de mauvaise foi, auront fait des biens ou du crédit de la société, un usage
qu’ils savaient contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils étaient
intéressés directement ou indirectement ». L’article 241-3, 4°, du même code (ancien art. L. 425) prévoit le même délit dans les SARL.
1764
Cass. Crim. Fr., 4 févr. 1985, Rozenblum, D. 1985 p. 478, note D. OHL - Trib. corr. Paris 16 mai 1974, Willot, RTD com. 1975 p. 123. Cette
jurisprudence est devenue constante ex. : Cass. Crim. Fr., 13 févr. 1989, Rev. Soc. 1989 p. 692, note B. BOULOC - dans les manuels de droit
pénal des affaires, JEANDIDIER (W), Droit pénal des affaires, op. cit., n° 262 ; DELMAS-MARTY (M), Droit pénal des affaires, t. 2, op. cit., p.
290. En revanche, l’intérêt du groupe n’est pas un fait justificatif au délit de banqueroute : Cass. Crim. Fr., 27 avr. 2000, D. 2000, cahier droit des
affaires, p. 327.
1765
VELARDOCCHIO-FLORES (D), Le minoritaire contestant la politique du groupe, In M. BUY (sous la direction de), Les salariés et les
associés minoritaires dans les groupes de sociétés, PUAM, 1993, p. 88 ; COZIAN (M) et VIANDIER (A), Droit des sociétés, op. cit., n° 1954 ;
HANNOUN (CH), Le droit et les groupes de sociétés, op. cit., n° 127 - contra : OHL (D), D. 1985 p. 478 ; BERTREL (J-P), La gestion de
trésorerie dans les groupes de sociétés, RJDA 1992 p. 539, spéc. n° 24.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

sociétés commerciales de septembre 1996 propose d'ailleurs de consacrer l'existence de cet intérêt de groupe
en droit français1766.

323- Contrairement à la matière pénale, la jurisprudence française est beaucoup plus nuancée, en
matière commerciale, pour reconnaître l’intérêt du groupe comme fait justificatif de l’abus de majorité1767.
Dans cet ordre d’idées, un auteur n’a pas hésité à proposer d’étendre au droit des sociétés, notamment
en matière d’abus du droit de vote, les solutions dégagées par la jurisprudence pénale en matière d’abus de
biens sociaux1768, tirant notamment argument d’un arrêt de la Chambre commerciale rendu le 29 mai 19721769.
En l’espèce, une société comprenant deux groupes d’actionnaires était majoritaire en capital dans une autre
société, dont l’activité était différente. Pendant quelques temps, toutes deux furent dirigées par la même
personne. Malgré plusieurs prêts consentis par la mère, dans des conditions irrégulières puisque le dirigeant
commun les avait accordés sans autorisation, la filiale était dans une situation financière précaire. C’est
pourquoi l’assemblée générale des actionnaires de la société mère décida de reprendre son passif. Mais les
minoritaires demandèrent l’annulation de la délibération, pour abus de majorité, car la décision était
uniquement destinée à faire échapper le dirigeant commun à des actions en responsabilité et en comblement
de passif. Les juges du fond accueillirent cette prétention, approuvés par la Cour de cassation. Cette dernière
écarte notamment l’argument tiré de l’existence d’un intérêt commun de groupe, en ces termes « la Cour
d’appel n’a nullement excédé ses pouvoirs en recherchant si la délibération qui lui était soumise présentait
pour la société [mère] un intérêt quelconque et a pu estimer qu’en prenant, au mépris de l’intérêt de la
société, une décision entièrement dictée par celui d’un des actionnaires appartenant à la majorité,
l’assemblée générale avait commis un abus de droit ». Cette décision ne doit pas être interprétée comme
rejetant définitivement l’existence d’un intérêt commun du groupe1770. En effet, d’une part, les deux sociétés
avaient entre elles uniquement des liens de capital. Elles n’entretenaient aucune relation commerciale, leurs
activités respectives étant différentes. D’autre part, s'il est couramment admis que l’intérêt du groupe se
confond quelquefois avec celui de la société mère1771, il ne peut être confondu avec celui des associés
majoritaires de celle-ci. Or, en l’espèce, la délibération litigieuse visait seulement à soustraire l’associé
majoritaire à des sanctions. La société mère ne trouvait donc aucun intérêt à la décision critiquée, tant
immédiat que lointain, puisque l’assemblée avait mis fin à l’exploitation de la filiale. La solution aurait été
certainement différente si l’intérêt commun du groupe était bien justifié.

De la même manière, le Tribunal de commerce de Paris1772 n’a pas tenu compte de l’existence d’un
groupe de sociétés et a retenu l’abus de majorité à l’encontre d’une décision de transformation d’une société
anonyme en société en commandite simple. Tirant argument de la personnalité juridique des filiales, le
tribunal a examiné la conformité de l’opération litigieuse à la lumière du seul intérêt de la société concernée.
Cependant, la Chambre commerciale, sise à la cour de cassation française, a pu valider un prêt
intergroupe, au regard de l’abus de majorité1773. Il convient toutefois de remarquer qu’en l’espèce ce grief
n’était pas retenu parce que le préjudice de l’actionnaire minoritaire n’était pas démontré et parce que la
société mère tirait indirectement profit de l’aide, les deux sociétés entretenant des relations commerciales. En
conséquence, ce n’est pas l’intérêt commun du groupe qui a permis d’écarter l’abus de majorité mais plutôt
l’absence de rupture d’égalité.

1766
MARINI (P), La modernisation des sociétés commerciales, La documentation française, 1996, propositions n° 83, 84 et 85.
1767
MESTRE (J), Lamy Sociétés commerciales, op. cit., n° 1902 ; PARIENTE (M), Les groupes de sociétés (aspects juridique, social, comptable
et fiscal), Litec, 1993, n° 236.
1768
URBAIN-PARLEANI (I), Les comptes courants d’associés, Bibl. dr. priv. t. 189, LGDJ, 1986, n° 313 et s. V. aussi, Ch. HANNOUN, Le
droit et les groupes de sociétés, op. cit., n° 129.
1769
Cass. Com. Fr., JCP 1973 II n° 17337, note Y. GUYON ; Grandes décisions, n° 12 p. 53, obs. Y. CHARTIER et J. MESTRE.
1770
CHARTIER (Y) et MESTRE (J), Grandes décisions, n° 12 p. 53. A l’appui de cette interprétation, on peut invoquer l’emploi par la Haute
Juridiction de l’expression « a pu estimer ». En effet, quand la Cour de cassation veut manifester une franche approbation, elle emploie
généralement la formule « à bon droit », qui confère à la décision l’allure d’un arrêt de principe : VOULET (J), L’interprétation des arrêts de la
Cour de cassation, JCP 1970 I n° 2305, spéc. n° 13 et 14.
1771
GUYON (Y), JCP 1973 II n° 17337.
1772
Trib. Com. Paris, 29 juin 1981, Gaz. Pal 1981, 2, p. 687, note P. de FONTBRESSIN ; Rev. Soc. 1981 p. 792, note M. GUILBERTEAU.
1773
Cass. Com. Fr., 12 nov. 1973, bull. IV n° 322 - Sur l’ensemble de la question, D. OHL, Les prêts et avances entre sociétés d’un même groupe,
Librairies techniques, 1982, n° 294 et s.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

En revanche, la Cour d’appel de Rouen1774, en procédant à la nomination d’un expert de minorité,


donna à ce dernier pour mission de rechercher « si [certaines] opérations lui paraissaient avoir été
régulièrement décidées et si elles étaient conformes à l’intérêt social de la société prêteuse et si elles
s’imposaient, étant donné les circonstances, ou s’avéraient simplement utiles ». Cette formule a pu être
interprétée comme marquant la volonté de la Cour de confier à l’expert le soin de rechercher si les opérations
litigieuses étaient justifiées par l’intérêt du groupe et si elles attentaient à l’intérêt de la filiale1775. Au
demeurant, l’intérêt du groupe, s’il existe, ne saurait être confondu avec l’intérêt de le la société mère1776,
même si parfois les deux coïncident1777, et encore moins avec celui des associés majoritaires de celle-ci.

Il semble délicat après l’examen de la jurisprudence commerciale de trancher la question de la


reconnaissance d’un intérêt commun du groupe comme fait justificatif de l’abus de majorité. En effet, à
l’exception de l’arrêt de la Cour de Rouen, peu de décisions relatives à ce type de déloyauté1778 ont fait
référence au groupe. Certes, l’arrêt du 12 novembre 1973 a écarté l’abus de majorité mais c’était à cause de
l’absence de préjudice de l’actionnaire minoritaire ou du défaut de rupture d’égalité. Mais, qu’elle que soit
l’opinion qu’on adoptera, il est toujours difficile de déterminer l’acte méconnaissant l’intérêt commun du
groupe. Reste qu’en s’appuyant sur la détermination précitée de cet intérêt commun, notre jurisprudence
pourra continuer à analyser les situations litigieuses au cas par cas. Seront alors considérées contraires à cet
intérêt toutes les opérations qui sont faites dans le seul intérêt des dirigeants du groupe, c’est-à-dire les
dirigeants de la société mère1779. C’est également le cas des actes entrepris dans l’intérêt d’une seule société
du groupe, généralement ceux entrepris dans l’intérêt de la société mère uniquement1780, au détriment d’une
ou de plusieurs autres sociétés liées. Que l’on n’oublie pas aussi les opérations réalisées au profit d’un tiers.
Tel est le cas des actes profitant à une société hors groupe dont les dirigeants sont les amis ou bien les
membres de la famille d’un des dirigeants du groupe.

324- En définitive, la notion d’abus classique, fondée essentiellement sur la violation de l’intérêt
social, mérite d’être écartée au profit d’une nouvelle notion d’abus fondée sur l’atteinte à l’intérêt commun du
groupe. Certes, une approche pareille épouse à merveille l’impératif de promotion du groupe de sociétés. Mais
on ne doit pas faire table rase du fait qu’une telle approche, excessivement défendue, risque d’évincer l’autre
impératif de contrôle et de protection qui est loin d’être étranger au groupe de sociétés, d’autant plus qu’en cas
de conflit entre l’intérêt social et l’intérêt commun du groupe la détermination de la notion d’abus deviendrait
une tache ardue, car l’option entre ces deux intérêts ou leur conciliation fixerait le sort de la notion d’abus en
matière de concentration.

Pour le législateur, il n’y a de groupe que si les sociétés qui en font partie sont liées par des intérêts
communs1781. Ceci suppose que les sociétés concernées aient entre elles des liens structurels adoptant une
stratégie commune en vue de la réalisation d’un objectif commun et qu’il y ait une véritable unité

1774
C.A. Rouen, 17 mars 1970, D. 1971 p. 177 ; RTD com. 1970 p. 727, obs. R. HOUIN.
1775
CONTIN (R) et HOVASSE (H), L’expert de minorité dans les sociétés par actions (à propos d’un arrêt de la Cour d’appel de Rouen du 17
mars 1970, D. 1971, chron. p. 75., spéc. n° 23 ; HANNOUN (CH), Le droit et les groupes de sociétés, op. cit.,,, n° 129...
1776
MESTRE (J), Lamy Sociétés commerciales,,, op. cit..., n° 1902 ; adde SOUSI (G), Intérêt du groupe et intérêt social. A propos de l’affaire
Willot St Frères, JCP éd. CI 1975 n° 11816 (cet auteur est défavorable à la reconnaissance d’un intérêt de groupe).
1777
GUYON (Y), JCP 1973 II n° 17337...
1778
A notre connaissance, l’abus de minorité n’a jamais été invoqué dans le cadre d’un groupe de sociétés.
1779
Etant dépourvu de personnalité morale on ne peut concevoir que le groupe de sociétés ait des dirigeants. Ces derniers ne sont dès lors que les
dirigeants des sociétés du groupe. Parmi ces dirigeants une distinction devrait être établie entre : les dirigeants dans le groupe, c'est-à-dire ceux des
différentes sociétés groupées et les dirigeants du groupe, c'est-à-dire ceux de l’état-major du groupe qui n’est autre que la société mère. V.
GAUTHIER (T), Les dirigeants et les groupes de sociétés, LITEC, 2000, Paris, n° 56, p50.
1780
Il faut remarquer que la société mère peut être administrateur dans plusieurs sociétés du groupe. Elle peut alors facilement profiter de cette
situation. En effet, en occupant plusieurs sièges d’administrateur aussi bien dans les filiales que dans les sociétés contrôlées, la société mère peut
toucher des rémunérations importantes, voire gonflées, pour la simple raison que l’organe qui fixe ces rémunérations, à savoir l’assemblée
générale, est dominé par la société mère en sa qualité d’associé majoritaire. Autrement dit, c’est la société mère associée majoritaire qui va
déterminer la rémunération de la société mère administrateur. L’allocation de rémunérations anormalement gonflées à la société mère constitue
certainement un acte contraire à l’intérêt commun du groupe puisqu’il est fait dans le seul intérêt de la société mère, voire des dirigeants et/ou des
actionnaires majoritaires de cette dernière. V. BEL HAJ YAHIA (B), th. pré., p 154 ; LIENHARD (A), art. pré., p 199 ; MALLEK (M), mém.
pré., p 116.
1781
V. art. 461 C.S.C.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

décisionnelle. La question étant alors de savoir si l’intérêt du groupe peut, en cas de conflit, transcender voire
contredire les intérêts sociaux des différentes sociétés qui le composent ?

-§2- : La détermination de la notion d’abus en cas de conflit


entre l’intérêt social et l’intérêt commun du groupe

325- Nul n’en disconvient que l’intérêt commun du groupe « transmue le mal en bien1782 ».
Autrement dit, c’est cet intérêt qui devra en principe déterminer la notion d’abus dans le groupe de sociétés,
de sorte qu’il importe peu que l’acte soit contraire à l’intérêt social, car le plus important est qu’il soit
conforme à l’intérêt commun du groupe. Le législateur ne semble pas du même avis puisqu’il n’a pas hésité,
en cas de conflit entre l’intérêt social et l’intérêt commun du groupe, à accorder la primauté au premier. On en
déduit qu’en droit tunisien, c’est l’intérêt social qui semble déterminer la notion d’abus même dans le groupe
de sociétés1783 (I). Une telle solution est, sans aucun doute, contraire à la logique du groupe puisqu’elle risque
d’affecter les supports nécessaires à la détermination d’une notion d’abus adaptée et conforme aux
caractéristiques du groupe de sociétés (II).

I- La prévalence de l’intérêt social dans la détermination de la


notion d’abus

326- Dans le cadre d’une société isolée, le respect de l’intérêt social est un fait patent à ne plus
démontrer. Cet intérêt constitue le principal critère d’interprétation de la plupart des règles organisatrices des
sociétés commerciales. C’est, en effet, de l’intérêt social que dépend la détermination de la notion d’abus dans
les sociétés isolées1784. En revanche, la situation dans le groupe de sociétés est tout à fait différente, car à côté
de l’intérêt particulier de chaque société groupée, il existe, comme on vient de le voir, un intérêt commun du
groupe qui ne coïncide pas nécessairement avec l’intérêt de chaque société du groupe1785. Le problème est
donc de savoir comment déterminer la notion d’abus en cas de conflit entre l’intérêt commun de groupe et
l’intérêt social ? C’est le cas, par exemple, d’une société filiale qui abandonne sa créance au profit de la
société mère qui, pour une raison ou une autre, se trouve en difficulté économique. Il est clair que tel acte est
conforme, d’une part, à l’intérêt commun du groupe, contraire, d’autre part, à l’intérêt social de la filiale. Dans
un cas pareil, doit-on privilégier le premier intérêt ou bien, au contraire, l’abandonner au profit du second ?
Ou tout simplement les concilier1786 ?
Il semble que le législateur, lors de la codification du droit des groupes de sociétés, n’a pas hésité à
écarter l’intérêt commun du groupe au profit de l’intérêt social. Faut-il alors considérer que cet intérêt
détermine, désormais, la notion d’abus tant au niveau de l’abus de majorité (A) que de l’abus des biens

1782
GUYON (Y), op.cit., p 201.
‫ ا وف‬K‫ ت اﺟ‬C 3 ‫ ا‬6 $ U ‫ ا‬4 ‫ ت ا‬C 3 ‫ ون ا‬# $ ‫ أن‬8 L4 ‫ ا‬M ‫ ن‬+ a G .‫< ة‬ N ‫ أو اﺟ‬+‫ ] د‬7‫وا‬ ] ‫ وﺟ د‬8G Vd ‫ ا‬8A A ‫ ا‬UL# ‫ ا‬M 7SL ‫ " وا‬1783
C O V 0 P ‫ ا ] ا‬I $ ‫ ا < ال أن‬M ‫ ل‬M + (intérêt du groupe) N ‫ أن ] ا‬U ‫ ر ا‬3+ a ‫ ا ا‬، N # ‫ ا ] ا‬U N ‫ ظ‬/< #] ‫ا‬
" $ ‫ )ھ ف‬8 1249 V]/ ‫ < م ا‬S N C O V ‫ل ا ي‬S A ‫إ ا‬ ‫ ا< ا‬، C 3 0 P ‫ ا ] ا‬f ّ 7 ‫ ا ] ن‬fg‫ ر‬#$ ‫ ن‬G ، K V $ ‫( و أن‬intérêt social)
# ‫ ا ] ا‬M " G ‫ ر ھ ا‬CD ‫ ا‬m4 ‫ ط ا‬4 ‫ " اذ أن‬# ‫ ا‬f 7 K4 " G ‫ ا‬M + 9 ‫ و‬0 #/4 ‫ و‬N #/4 fg‫ ر‬#$ ‫ " اذا‬8 557 V]/ ‫ < م ا‬4‫ ھ‬V N ‫ا ( و‬
a / ‫ ا‬V U N ‫وة‬SN k ‫ ذ‬VC ، K4 ّm ‫ وا ى ا‬0 ] M ‫ اي‬، +‫ د‬G ] ‫ و‬+ @G ] M n7 4 4‫ " ھ‬# + ‫ < ل أن ا‬، + @/ ‫ أو ا‬+‫ د‬/ ‫ وا ] ا‬I#3 ‫ أو ا‬S
a ّ ‫ا‬ ‫] ت ا‬P3 ‫ ق ا‬G 6g + 7 ]PO H ‫ ت‬C 3 ‫ ا‬6 $ ‫ اي أن‬، 7 C f! K ‫ ت ط ا‬C 3 ‫ ا‬N 0 ] ‫ اف ﺟ د‬N ‫ م ا‬N U ‫ ء ا‬F ‫وا‬
.88/87‫ ص‬،.‫ ذ‬.‫ س‬.‫ م‬،8 ‫ ا ن ا‬8G ‫ ت‬A‫ درا‬، 2 ‫ ( ا ر‬0‫ أ‬." 5 (Universalité de fait) 8 #G ‫ ن‬C ‫ ھ‬V (superposition)
1784
MESTRE (J) et PANCRAZI (M-E), op. cit., p240, n° 253.
1785
BEL HAJ YAHIA (B), th. pré., p 140.
20 ،‫ اب‬A ‫[ ا‬2S ‫ (او ت‬." V C ‫ ت‬C 3 ‫ ا‬6 #‫ و ا ] ا‬C O V 0P‫ا‬ ] ‫ا‬M ‫ ا از‬8G Vd + ‫أ ﺟ ھ ي‬ UN‫ م‬+ ‫ت‬C 3‫ ا‬6 8 ‫ م ا‬4 ‫ا‬..." 1786
.1 ‫ د‬N " ‫ ا‬6‫ُ اﺟ‬+ ،93 ‫ ص‬،5 ‫(د‬3 ،2001 6 "

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

sociaux (B) ? En est-il de même en matière fiscale où le juge et l’administration n’hésitent point à accorder la
prééminence à l’intérêt social (C) ?

A- La prévalence de l’intérêt social dans la détermination de l’abus de


majorité

327- Dans les sociétés commerciales isolées « comme dans une démocratie, les décisions se
prennent à la majorité, devant laquelle la minorité doit s’incliner, c’est un gage d’efficacité par rapport au
droit commun des contrats ou de l’indivision, lequel ne connaît que la règle de l’unanimité1787 ».
A l’instar d’une société isolée, le groupe de sociétés fonctionne selon le pouvoir majoritaire.
Cependant, dans un tel groupe, le problème de l’équilibre des pouvoirs a naturellement un aspect plus aigu et
permanent1788. Il y aurait « des innombrables, et parfois monstrueuses combinaisons qui enchevêtrent les
intérêts et les capitaux des sociétés de commerce 1789». Les minoritaires dont la situation est déjà
désavantageuse dans une société isolée, face à une majorité qui détient tous les leviers du pouvoir en occupant
les postes de direction, sont dans une situation bien plus grave encore lorsque leur société est affiliée à un
groupe. « Dans ce cas, non seulement, la disproportion des forces est encore plus grande, puisque les intérêts
majoritaires débordent la société elle-même, mais les risques d’abus seraient bien plus considérables. La
majorité ne considérerait la société que comme un pion dans un jeu de plus vaste portée, que l’on n’hésiterait
pas à sacrifier délibérément1790… ».
Conscient d’une telle réalité, le législateur a bien fait d’étendre la notion d’abus de majorité aux
groupes de sociétés1791. Mieux encore, il a consacré des règles nouvelles relatives à cet abus dans le cadre des
sociétés liées. La conception classique de l’abus semble alors céder le pas à une conception nouvelle et
moderne qui pourrait s'accommoder des caractéristiques du groupe de sociétés puisqu’il ne s’agit plus, pour
les minoritaires, de critiquer une décision qui émane des majoritaires de leur société, mais plutôt de ceux de la
société mère.
Cette option législative doit être en principe saluée, mais elle ne semble pas indemne de toute critique,
notamment lorsqu’on approche la notion d’abus de majorité sous l’angle de son fondement juridique et de ses
constituants. C’est pourquoi en évitant toutes les brèches relatives au régime juridique qui seront analysées
dans la deuxième partie de cette étude, on essaiera à présent de se borner à évoquer l’abus de majorité par
rapport au conflit entre l’intérêt social et l’intérêt commun du groupe.

328- A ce propos, l’article 477 CSC dispose que « la minorité des associés dans une société
appartenant à un groupe de sociétés dont la participation n’est pas inférieure à dix pour cent peut exercer
l’action sociale contre les associés représentant la majorité dans la société mère, en cas de prise d’une
décision portant atteinte aux intérêts de la société et ayant pour objectif de servir les intérêts de la majorité au
détriment des droits légitimes de la minorité »1792.
Il ressort de cet article que l’abus de majorité n’est consommé dans le groupe de sociétés que si deux
conditions sine qua non sont remplies, à savoir l’atteinte à l’intérêt social de la société affiliée et la rupture
d’égalité entre les minoritaires de cette dernière société et les majoritaires de la société mère. Il s’agit, à

1787
COZIAN (M) ; VIANDIER (A) et DEBOISSY (F), Droit des sociétés, éd. LITEC, 2004, n° 470, p171.
1788
RODIERE (R), la protection des minorités dans les groupes de sociétés, Rev. Soc. 1970, p224.
1789
FIAMEL (J), La protection des minorités dans les sociétés anonymes, p 678. Cité par KTARI (S), La corporate governance et les groupes de
sociétés tels qu’organisés par la loi n° 117-2001 du 6 décembre 2001, E.J. n° 9, 2002, p 207.
1790
OPPETIT (B) et SAYAG, Méthodologie d’un droit des groupes de sociétés, Rev. Soc. 1973, p594.
1791
V. art. 477 CSC.
1792
A présent on se permet de s’arrêter aux éléments constitutifs de l’abus de majorité pour voir, dans la deuxième partie, les conditions relatives à
la mise en œuvre de l’action sociale.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

quelques différences près, des mêmes composantes de l’abus de majorité tel que prévu par l’article 290
CSC1793 pour la société anonyme isolée1794.

Quant à la condition se rapportant à la rupture d’égalité entre les minoritaires de la société contrôlée et
les majoritaires de la société mère, elle mérite d’être précisée1795. En effet, l’adhésion à un groupe de sociétés
provoque généralement une rupture d’égalité entre les associés. Les actionnaires de la société mère, même
s’ils sont minoritaires, occupent une position plus confortable que celle des minoritaires des autres sociétés du
groupe. Cette inégalité de « nature », provoquée par le simple fait de l’existence d’un groupe de sociétés n’est
pas celle visée par l’article 477 CSC. Il s’agit plutôt d’une rupture d’égalité engendrée par des décisions
abusives provenant des actionnaires majoritaires lors du fonctionnement du groupe de sociétés.
A vrai dire, il est inadmissible que les majoritaires de la société mère se procurent des avantages dont
les minoritaires du groupe en seraient exclus. Une telle situation est certainement constitutive de la rupture
d’égalité1796 en tant que condition fondamentale de l’abus de majorité dans le groupe de sociétés. Cette forme
de rupture se compose en réalité de deux éléments : un préjudice subi par les minoritaires de la filiale et un
avantage réservé aux seuls majoritaires de la société mère1797. Quant au préjudice, il ne concerne pas
seulement les minoritaires. Il intéresse également les sociétés membres, voire le groupe dans son ensemble,
car si l’abus ne profite en principe qu’à ses acteurs, ses conséquences négatives sont d’une étendue très vaste
et peuvent toucher toutes les sociétés groupées. Ainsi, contrairement aux minoritaires de la filiale qui
subissent un préjudice, les majoritaires de la société dominante du groupe réalisent un intérêt personnel
injustifié.
En plus de la rupture d’égalité, l’abus de majorité n’est retenu, dans le groupe de sociétés, que si la
décision querellée est contraire à l’intérêt social d’une des sociétés liées.

329- A ce niveau, force est de remarquer que l’article 477 CSC octroie toujours la primauté à
l’intérêt social au détriment de l’intérêt commun du groupe. En effet, c’est l’atteinte à l’intérêt social et non
point l’atteinte à l’intérêt commun du groupe qui a été expressément prévue par ce texte. On peut alors déduire
qu’il n’y a pas lieu à chercher si l’acte en question satisfait ou non à l’intérêt commun du groupe, il suffit que
l’intérêt social, d’une des sociétés appartenant au groupe, soit transgressé pour que l’abus de majorité soit
retenu1798.

L’attitude du législateur rappelle le célèbre arrêt « FRUEHAUF » dans lequel la cour d’appel de Paris
a donné la primauté à l’intérêt de la société prise isolément. En l’espèce, les « contrôlaires » américains de la
société «Fruehauf France» décidèrent de ne pas exécuter un marché de fourniture de remorque que cette

1793
L’alinéa premier de l’article 290 CSC dispose que « les actionnaires détenant au moins vingt pour cent du capital social pourront demander
l’annulation des décisions prises contrairement aux statuts ou portant atteinte aux intérêts de la société, et prise dans l’intérêt d’un ou de quelques
actionnaires ou profit d’un tiers ».
1794
Il convient de préciser que les articles 290 et 477 du CSC différent essentiellement au niveau des personnes responsables de l’abus de majorité.
En effet, les responsables au sens de l’article 290 sont les majoritaires de la même société, alors que ceux de l’article 477 sont les majoritaires
d’une autre société, à savoir la société mère. Les deux articles sont à distinguer également au niveau des sanctions applicables. Alors que l’article
290 a expressément exigé la nullité, l’article 477 a accordé aux minoritaires une action sociale dont il n’a pas précisé les effets.
1795
M. Schmidt a proposé que l’abus de majorité soit caractérisé par la seule rupture d’égalité entre associés. En effet, les décisions abusives des
majoritaires peuvent créer une rupture d’égalité grave entre les associés, sans qu’elles soient contraires à l’intérêt social. Tel est le cas lorsque les
majoritaires décident de ne pas distribuer les dividendes mais de les affecter sous forme de réserve ou de les mettre à la disposition d’une autre
société du groupe. In, Les conflits d’intérêts dans la société anonyme, Pratique des affaires, éd. Joly, 1999, n° 192 et 193. Le législateur tunisien est
d’un avis contraire puisqu’il exige également une atteinte à l’intérêt de la société.
1796
Nul doute que le principe d’égalité entre associés de la même société est un principe fondamental qui anime le fonctionnement interne de la
société. Cependant, malgré son importance, ce principe n’a été consacré par aucun texte en droit tunisien. Il n’en demeure pas moins que notre
droit des sociétés s’en inspire profondément. L’abus de majorité n’est, à ce niveau, qu’une consécration pure et simple de ce principe. V. BEN
NASR (T), le contrôle de la société anonyme, Op. cit. ; MESTRE (J), L’égalité en droit des sociétés, Rev. Soc., 1989, p 399 ; CORDONNIER
(P), De l’égalité entre actionnaires, thèse, Faculté de droit Paris I, 1924 ; BOUDABBOUS (J), L’inégalité entre les actionnaires dans les sociétés
anonymes, mémoire de DEA, Faculté de droit de Sfax, 2000, p 1 ; NSIRI (S), L’actionnaire minoritaire, mémoire de DEA, Faculté de droit de
Sfax, 2001, p 130.
1797
GERMAIN (A), L’abus du droit de majorité, Gaz. Pal., I, 1976, p168 ; LEPOUTRE (E), Les sanctions des abus de minorité et de majorité
dans les sociétés commerciales, Dr. Et Patr. 1995, n° 33, p. 68 ; TRICO (D), Abus de droit dans les sociétés : abus de majorité et abus de minorité,
RTD Com., 1994, p 617 ; ARMAND (C) ET VIDANDIER (A), Réflexions sur l’exercice de l’action sociale dans le groupe de sociétés :
transparence des personnalités et opacité des responsabilités, RS, 1986, p 560.
1798
Sans oublier bien sûr la première condition relative à la rupture d’égalité entre actionnaires.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

société avait conclu avec la société « Berliet » au seul motif que le matériel était destiné à la Chine populaire
se trouvant, à cette époque là, sous embargo. La cour d’appel de Paris avait constaté que la décision de rupture
du marché était contraire à l’intérêt de la société et qu’elle pouvait « ruiner définitivement l’équilibre financier
et le crédit moral de la société Fruehauf France ... 1799»
Il faut remarquer que la cour, dans cet arrêt, avait opté pour la protection de l’intérêt social car, à vrai
dire, il n’y avait aucun intérêt du groupe à protéger. La décision aurait peut-être été contraire s’il y en avait
un1800.
Quant à l’auteur de l’article 477 CSC, il paraît qu’il a clairement opté pour la prévalence de l’intérêt
social sur l’intérêt commun du groupe. La détermination de la notion d’abus de majorité s’appuiera donc sur
cet intérêt et non pas sur l’intérêt commun du groupe. Une telle position est loin d’encourager l’édification
d’une notion d’abus autonome et compatible aux impératifs du groupe de sociétés1801.

330- L’absence de toute référence à l’intérêt commun du groupe au sein de l’article 477 du CSC
exhorte alors à se demander pourquoi le législateur ne s’est-il pas contenté de faire un simple renvoi à l’article
290 CSC ? En effet, cet article permet aux minoritaires de critiquer les décisions des majoritaires « portant
atteinte aux intérêts de la société et prise dans l’intérêt d’un ou de quelques actionnaires ou profit d’un
tiers ». Il semble que la seule raison qui a emmené le législateur à dépasser l’article 290 est que la décision
abusive n’émane pas des majoritaires de la même société mais de ceux d’une autre société, à savoir la société
mère. Ce qui rend l’article précité inapplicable dans le groupe de sociétés lorsqu’il est question d’atteindre les
majoritaires de la société dominante par les minoritaires de la société dominée1802.

Il va sans dire que le législateur, en refusant de renvoyer à l’article 290 susvisé, aurait dû, à travers
l’article 477 précité, solutionner tout conflit d’intérêt en faveur de l’intérêt commun du groupe au détriment de
l’intérêt social. Il n’a même pas essayé de trouver une solution conciliatrice entre ces deux types d’intérêts
assez souvent antinomiques. Ce refus de consacrer clairement l’intérêt commun du groupe apparaît aussi au
niveau de l’abus des biens sociaux où le législateur semble également donner le primat à l’intérêt social.

B- La prévalence de l’intérêt social dans la détermination de l’abus de biens


sociaux

331- Contrairement à l’abus de majorité, la loi n° 2001-117 du 06-12-2001 relative au groupe de


sociétés n’a pas appréhendé de façon explicite l’abus de biens sociaux inhérent au groupe de sociétés. En
effet, mis à part l’article 478 CSC qui a traité l’abus des biens comme motif pour l’extension de la procédure
collective aux autres sociétés du groupe1803, aucun article de cette loi n’a mentionné explicitement cet abus.
Ainsi, l’article 223 CSC n’a pas d’équivalent en matière de groupe de sociétés. Il n’empêche qu’à la lecture de
l’article 474 CSC, on peut se poser la question de savoir si ce texte fait ou non allusion, du moins
indirectement, à la notion d’abus de biens sociaux ?
Ledit texte1804 annonce que « nonobstant toute disposition contraire, il est permis d’effectuer des
opérations financières entre les sociétés du groupe ayant des liens directs ou indirects de capital, dont l’une
dispose d’un pouvoir sur les autres dû à la détention de plus de la moitié du capital social.

1799
C.A. Paris, 22 mai 1965, JCP, II, 1965, n° 14274 bis. RTD Com., 1965, p 619, note RODIERE.
1800
CONTIN (R), L’arrêt FRUEHAUF et l’évolution du droit des sociétés, D., I, 1968, p45.
‫ م‬+ ‫ي‬D ‫ ا‬l K 8! ‫ ط ا‬34 ‫ ا‬6 L$ dC‫ و أ‬+ V ‫ا ا‬D‫ إذ أن ھ‬. + dC ‫ ا‬i!# ‫ ل‬L J‫ ا‬M 4+ ‫ أن‬8F + h G N ‫ ] ا‬U ‫ د إ‬4 A ‫ا‬DP ‫ ارا‬7 ‫ ا ل [ن‬44 + " 1801
‫م‬N‫د‬ ‫ن‬SL ‫ ا‬i ! ‫ دا‬K l K ‫ه ا‬DP $ ‫ ار‬7 VC ‫ ن‬C ‫ ون إذا‬# ‫ا ا‬D‫ ھ‬7‫ر إ‬D# + 8 ‫ و‬.K N 4 K ‫ ا‬N 4 ‫ ت ا‬C 3 ‫ ا‬M ‫ ] دي‬7 ‫ و ا‬8 ‫ ون ا‬# ‫ ا‬M [$ U N
.210 ‫ ص‬،.‫ذ‬.‫ م س‬، - M (9 ." 4 # ‫ ا‬C 3 ]P3 ‫ إط ر ا ] ا‬8G a C
1802
Cet article reste, bien entendu, applicable chaque fois que les minoritaires de la société liée veulent attaquer les décisions émanant des
majoritaires de la même société. Encore faut-il que la société en question soit une société anonyme.
1803
V. infra, n° 693 et s.
1804
A propos de l’analyse de ce qu’est une opération financière. V. infra, n° 332.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Sont considérées opérations financières, tout prêt au sens de la législation relative aux établissements de
crédit, toute avance en compte courant ou garantie, quelles qu’en soient la nature et la durée.
Ces opérations ne peuvent être effectuées qu’aux conditions suivantes :
1- que l’opération financière soit normale et n’engendre pas de difficultés pour la partie qui l’a
effectuée,
2- que l’opération soit justifiée par un besoin effectif pour la société concernée et qu’elle ne résulte pas
de considérations fiscales,
3- que l’opération comporte une contrepartie effective ou prévisible pour la société qui l’a effectuée,
4- que l’opération ne vise pas la réalisation d’objectifs personnels pour les dirigeants de droit ou de fait
des sociétés concernées ».1805

L’article précité semble viser l’abus de biens sociaux pour trois raisons.

La première raison tient au fait que la doctrine, en matière d’opérations financières effectuées au sein
du groupe de sociétés, n’hésite pas à rattacher les dites opérations à un éventuel abus de biens sociaux au sein
du groupe. C’est ainsi, que le professeur Medina enseigne que si les opérations financières intragroupes sont
faites à titre gratuit, « le dirigeant qui a utilisé les biens de la société pour avantager une autre personne
morale pourra être poursuivi pour abus de biens sociaux1806 ». De même, M. Ohl considère que les opérations
financières sont redoutables, notamment sur le plan de l’abus de biens sociaux pour la simple raison
qu’ « elles permettent un transfert incessant des ressources d’une société à une autre 1807». De leur côté, les
professeurs Cozian et Viandier qualifient, avec un humour noir, les opérations financières de vampirisme
intragroupe en soutenant qu’ : « il faut craindre dans le groupe de sociétés le vampirisme, c'est-à-dire, les
transfusions de substances d’une société à une autre, les bradages d’actifs pour sauver la société mère ou une
société sœur… Ces pratiques sont très connues, elles ont fait la réputation judiciaire de certains hommes
d’affaires ; l’angle d’attaque habituel alors c’est celui de l’abus de biens sociaux »1808.

La deuxième raison consiste à dire que l’article 474 susvisé semble s’inspirer, en partie, de la
jurisprudence française1809 statuant en matière d’abus de biens sociaux dans le groupe de sociétés. En effet,
plusieurs décisions n’hésitent pas à établir une relation causale entre l’opération financière et la commission
de l’abus des biens, de sorte que la première parait constituer le terrain d’élection des agissements abusifs.

La troisième raison peut-être déduite des réponses du ministère de la justice aux questions écrites des
commissions parlementaires. Il a été clairement avancé que la transgression de l’article 474 CSC pouvait être
constitutive d’abus de biens sociaux de la manière suivante : « si les dirigeants effectuent volontairement une
opération contraire aux intérêts de la société qu’ils dirigent, en vue de favoriser une autre société dans
laquelle ils ont des intérêts personnels et-ce, en disposant des biens de la société sans contrepartie ou avec
une contrepartie dérisoire ou en achetant des biens à une valeur qui dépasse largement leur valeur ordinaire
au marché. Il est alors possible de les poursuivre pénalement pour avoir favorisé une autre société ou pour
abus de biens sociaux ou abus des voix et de pouvoir conformément aux articles 146, 223 et 257 du CSC1810 ».

1805
L’article 474 CSC, en autorisant les opérations financières intragroupes, a édicté une exception au monopole bancaire prévu par l’article 14 de
la loi n° 2001-65 du 10-7-2001 relative aux établissements bancaires.
1806
MEDINA (A), op. cit., p 144.
1807
OHL (D), Les prêts et avances entre sociétés d’un même groupe, LITEC, 1982, n° 287, p 195 ; UETTWILLER (J-J), Comment déterminer le
prix de cession intragroupe, Rev. Soc., 1995, p 459 ; SMALLHOOVER (J-J), Avances de trésorerie dans un groupe de sociétés, BRDA, 15-7-
2000, n° 13, p 4.
1808
Expression citée par BERTREL (J-P), Acquisitions de contrôle et "vampirisme financier", Droit et patrimoine, jan. 1993, n°1, p 52.
1809
Cass. Crim. Fr., 14-10-85, n° 84-94.221, BRDA, décembre 1985, n° 23, p 9 ; Cass. Crim. Fr., 13-12-2000, n° 99-80.387, Bull. Joly Sociétés,
mai, 2001, n° 124, p 123. ; JCP, 18-7-2001, n° 29, I-338, p 1425, note Vinay (G) ; Cass. Crim. Fr., 19-12-2000, n° 00-82.896 ; JOLY (E) et
JOLY-BAUMGARTNER (C), op.cit., p 193.
8G f+ / k ‫ وذ‬، 0 ] K G 9K ‫ أ ى‬C O (‫ ر‬d+‫ة )إ‬ + ^ K ‫! و‬+ 8 ‫ ا‬C 3 ‫ م ] ا‬P$ # ‫ ا ! ون ا م‬#$ ‫" إذا‬: ‫ا‬ # ‫ ا‬5 ] ‫ ﺟ‬$ 1810
‫ ل أ ال‬# A‫ ا‬8G i!# ‫ أ ى و ا‬C O ‫ ر‬d+‫ إ‬V‫ اﺟ‬M ‫ ﺟ'ا‬a# $ M + a G ، d ‫ ا ! ق‬8G +‫ د‬N ‫ ا‬K 7 ‫ ق‬/$ ‫ ء‬O‫ ء أ‬4 7 ‫ أو‬،HP V ‫ أو‬V ‫ دون‬C 3 ‫ك ا‬S ‫أ‬
‫(د‬3 ،2001 6 " 20 ،‫ اب‬A ‫[ ا‬2S ‫ (او ت‬.« +‫ر‬ ‫تا‬C 3‫ا‬ M 257 ‫ و‬223 ‫ و‬146 ‫] ل‬/ ‫ ت ط " ورد‬L ! ‫ ات وا‬0 ‫ ا‬M 9K ‫ ل‬# A‫ ا‬8G ‫ أو‬K A ‫ و‬C 3 ‫ا‬
.1 ‫ د‬N " ‫ ا‬6‫ُ اﺟ‬+ ،102 ‫ ص‬،5

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

De ce qui précède, on peut soutenir que le lien entre l’opération financière et l’abus est très étroit à
telle enseigne que l’accomplissement de la première fait craindre la commission éventuelle du second. C’est
dire que la notion d’abus ne peut jamais être écartée du champ d’application des opérations financières. C’est
dire aussi que ces dernières peuvent être utilisées par certains dirigeants du groupe de sociétés pour camoufler
leur intention malveillante. D’ailleurs, cela explique l’intérêt grandiose qu’a accordé le législateur de 2001
aux conditions et procédures nécessaires pour valider les opérations financières intragroupes.

Pour toutes ces raisons, il semble nécessaire d’analyser les dispositions de l’article 474 CSC afin de
dévoiler les éléments caractéristiques de l’abus de biens sociaux dans le groupe de sociétés.

332- L’article 474, tout en autorisant les opérations financières intragroupes1811, impose, tout
d’abord, que l’opération en question soit normale et qu’elle n’engendre pas des difficultés pour la société qui
l’a effectuée. Les concours financiers ne doivent pas mettre en péril la société qui les accorde1812. Autrement
dit, il ne faut pas que l’acte en question conduise à compromettre la santé financière de la société sollicitée1813.
Il doit être plutôt conforme à son intérêt social. L’opération financière doit comporter, ensuite, une
contrepartie effective ou prévisible pour la société qui l’a effectuée. Ce qui est interdit, semble-t-il, n’est pas la
gratuité en tant que telle, mais plutôt la gratuité désintéressée1814. En effet, il est communément admis qu’une
opération désintéressée est indubitablement contraire à l’intérêt de la société en cause. Ce qui n’est pas
forcément le cas d’une opération gratuite. Car, cette dernière, bien que n’ayant pas une contrepartie financière
effective, il n’en demeure pas moins qu’elle peut avoir une contrepartie commerciale ou tout simplement avoir
pour but la réalisation d’une économie1815, ce qui la rend conforme à l’intérêt social de la société concernée.
Par ailleurs, l’article 474 CSC dispose que l’opération financière doit être justifiée par un besoin
effectif pour la société concernée. Le besoin effectif peut avoir un caractère financier, économique ou même
social. Mais, il ne peut jamais servir de prétexte pour servir les intérêts personnels des dirigeants qui sont
généralement contraires à l’intérêt social de la société intéressée1816.

333- Partant de ces diverses précisions, il importe de remarquer qu’une opération normale, qui
n’engendre pas de difficulté, comportant une contrepartie, non justifiée par un intérêt personnel du dirigeant,
n’est-elle pas, tout simplement, une opération conforme à l’intérêt social ? Le législateur aurait donc pu se
limiter, tout simplement, à dire que l’opération financière est autorisée chaque fois que l’intérêt social des
sociétés affiliées est respecté. Il s’ensuit que la détermination de l’abus des biens sociaux, comme celle de
l’abus de majorité dans le groupe de sociétés, ne parait pas en mesure de rompre avec le critère de la violation
de l’intérêt social. Pareille déduction est bel et bien confirmée par le ministère de la justice qui a clairement
affirmé, lors de la discussion du projet de loi des groupes, qu’en cas de contradiction ou d’opposition entre
l’intérêt social et l’intérêt commun du groupe, c’est le premier qui doit l’emporter1817. C’est bien là, donc, une
répugnance pure et simple de l’intérêt commun du groupe, de sorte que la détermination de la notion d’abus
dans le groupe de sociétés semble être, encore une fois, fondée sur l’intérêt social. Ce qui permet de dire que
la codification de 2001 ne parait nullement divorcer avec la conception classique de la notion d’abus. Il n’en
demeure pas moins que cette notion ne peut s’adapter qu’au milieu pour lequel elle a été échafaudée, à savoir
la société isolée. Elle ne peut nullement s’adapter en matière de concentration des sociétés.

1811
Il convient de préciser que l’article 474 CSC n’autorise les opérations financières qu’entre les sociétés du groupe ayant des liens directs ou
indirects de capital, dont l’une dispose d’un pouvoir sur les autres dû à la détention de plus de la moitié du capital social. On en déduit une
exclusion d’office des relations horizontales intragroupe en l’absence de participations majoritaires du capital. Cela rappelle la motivation du
jugement du trib. Corr. Lyon (20-6-85) qui n’a pas hésité à affirmer que « la référence à la notion « intérêt du groupe » implique la prise en
compte de toutes les opérations à l’intérieur du groupe, sans exclure, comme en l’espèce, les relations horizontales entre sociétés sœurs, alors
surtout que l’opération a été décidée par la société mère ». V. Gaz. Pal. décembre 1986, p782, note Marchi (J-P).
1812
JOLY (E) et JOLY-BAUMGARTNER (C), op.cit., p 134.
1813
MEDINA (A), op.cit., p 161.
1814
ELLEUCH (S), Les opérations financières à l’intérieur du groupe de société, E.J., n° 9, 2002, p112 ; BEN ABDELJALIL (S), Les opérations
financières au sein des groupes de sociétés, mémoire de DEA, 97-98, Sousse, p76
1815
V. art. 2 CSC qui permet qu’une société commerciale ait pour finalité la réalisation d’une économie.
1816
ELLEUCH (S), art.pré., p 113.
، 7 ‫ا‬ ] /< k ‫ و د‬،V C 6 ‫ا‬ ] UN C 3 0P‫ا‬ ] ‫ما‬ ،‫ ت‬C 3 ‫ ا‬6 # ‫ ا ] ا‬6 ‫ ت‬C 3 ‫ رض ] إ< ى ا‬#$ 4N a ‫ أ‬t<S ‫ ا‬6 ..." 1817
.1 ‫ د‬N " ‫ ا‬6‫ُ اﺟ‬+ ،93‫ ص‬،5 ‫(د‬3 ،2001 6 " 20 ،‫ اب‬A ‫[ ا‬2S ‫ (او ت‬." K < 7SN K f! ‫ ت أ ى‬C O V A 8G K ] F ‫ا‬UN K <M + 8 ‫ا‬

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

334- En matière d’opérations financières intragroupes, l’article 474 susmentionné pose les limites à
une éventuelle autonomie de l’intérêt commun du groupe par rapport à l’intérêt de chacune des sociétés en se
référant constamment à l’intérêt de chacune des sociétés impliquées pour décider de la validité de l’opération
en cause. Il exige une contrepartie effective, un besoin effectif des sociétés concernées et n’envisage
nullement le fait qu’on puisse sacrifier l’une d’elles pour les besoins du groupe en général. A ces conditions,
l’intérêt du groupe ne permettra jamais aux dirigeants d’échapper à une éventuelle condamnation pour abus de
biens sociaux ou les cas assimilés1818. « L’intérêt du groupe contredisant l’intérêt d’une ou plusieurs sociétés
dépendantes sera donc rarement, si ce n’est jamais, un fait justificatif exonératoire de responsabilité1819 ».
Cette solution législative, confirmée par le juge et l’administration fiscale, est certainement sujette à critique,
car ses conséquences sur la détermination de la notion d’abus dans le groupe de sociétés et par ricochet sur la
responsabilité des dirigeants du groupe, voire sur le groupe lui-même, risquent d’être pernicieuses.

C- La prévalence de l’intérêt social en matière fiscale

335- Malheureusement, la position accordant la prévalence à l’intérêt social par rapport à l’intérêt
commun du groupe a été adoptée par le juge fiscal qui n’a pas hésité à affirmer que le droit fiscal tunisien ne
reconnaît pas encore l’existence d’un intérêt commun du groupe suprême et supérieur aux différents intérêts
des sociétés liées1820.

Inévitablement, la question de la prévalence de l’intérêt commun du groupe a fait l’objet d’un


contentieux fiscal assez important. Les tribunaux s’accordent à considérer que chaque société a un intérêt
propre qui ne saurait être sacrifié au nom de celui du groupe1821. Dans son jugement n°143 du 1er octobre
2003, le tribunal de première instance de Sfax s’est clairement prononcé pour l’application de la théorie de
l’acte anormal de gestion dans le groupe de sociétés. Cet arrêt considère qu’une filiale s’assimile à un tiers
pour les transactions faites avec la société mère partant du fait que cette dernière aurait pu constituer une
branche ou une succursales au lieu de constituer une société indépendante juridiquement d’elle. Il en résulte
l’obligation d’établir des relations commerciales et financières claires entre les sociétés apparentant au même
groupe de manière à faire supporter à chaque entité sa quote-part dans les charges communes. Pour ces
dernières, le tribunal exige d’ailleurs une répartition faite sur des bases objectives qui tiennent compte de
l’importance de chaque société et du volume de son chiffre d’affaires eu égard au chiffre d’affaires du
groupe1822.
1818
BOULOC (B), Droit pénal et groupe d’entreprise, Revue Sociétés 1988, p 181 ; FREYRIA (C) et CLARA (J), De l’abus de biens et du
crédit en groupe de sociétés, JCP éd.E 1993,I , 247 ; JOLY (E) et JOLY–BAUMGARTNER (C), L’abus de biens sociaux à l’épreuve de la
pratique, Economica, 2002, p114 ; LEAUTE (J), La reconnaissance de la notion de groupe en droit pénal des affaires, JCP 1973, I, 2551.
1819
DAHDOUH (H) et DAHDOUH (C), Droit commercial, Entreprises sociétaires et groupements privés, Op. cit., n° 401 et s.
" ‫ ط‬C O VC ‫ ] ف‬$ ‫ أن‬I + ‫ ا ! و‬+ 4# ‫ ا‬K ]PO K C O VC ‫ إن‬V ، # ‫ ت ا‬C 3 ‫ ] ا‬#$ N ‫ ف ﺟ د ] ا‬#+ 8 ‫ " و < ` أن ا ن ا‬1820
.4 ‫ د‬N " ‫ ا‬6‫ُ اﺟ‬+ ،2003-9-25 ` ‫ ر‬628 ‫(د‬3 .‫ ا‬.‫ ح‬،"a ‫ م وﺟ ھ‬# 6G ‫ رد ھ ا ا‬k # $ a $‫ وأ‬. ]P3 ‫ ا‬K ]
Signalons que cette décision n’est pas conforme à la décision de la commission de taxation d’office de Sfax. V. supra, n° 321.
1821
Tribunal de première instance de Tunis, Affaire n°674, 10 juin 2004.
] #$ N ‫ﺟد ] ا‬ ‫ ف ا‬#+ 8 ‫ إن ا ن ا‬M ‫ف‬S ` <‫ " و‬: 2004/06/10 ` ‫ ر‬،674 ‫(د‬3 1<@ ‫ ا‬، 1 6S ‫ ا (ا ة ا‬،[" 1 ‫ ا (ا‬$- ‫ا‬
C 3 n ‫ ا‬G ‫ ون‬g 7 f 4 g # ‫] … و< ` أن ا‬P3 ‫ ا‬K ] " ‫ ] ف ط‬$ ‫ إن‬C O VC U N I +‫ ا ! و‬+ 4# ‫ ا‬K ]PO K C O VC ‫ إن‬V # ‫ ت ا‬C 3 ‫ا‬
‫ ت‬p ‫ م‬# ‫ دي‬N 5 G ]$ ‫ا ا ] ف‬D‫ ھ‬M V# A N ] ‫د وﺟ د‬ 6G ‫ ن ا‬G K ‫ رأس‬8G ‫ ! ھ‬+‫ م وﺟ د ا‬N U ‫ ا‬G g‫ ا‬K4N ! 7 #$ ‫ا ى‬
."a ‫ م وﺟ ھ‬# 6G ‫ا ا‬D‫ رد ھ‬k D # $ a $‫ وا‬8 ‫[ ه ا ن ا‬+ ‫ا ا ] ف وھ‬DK ‫ ا م‬M ] ‫ا‬
1822
TPI Sfax, Affaire n°143, 1er octobre 2003, V. les annexes.
6+‫ ز‬... C O ‫ ن‬+‫ د‬U N n ‫ ا‬G i ‫ ظ‬$ ‫ م‬N g # ‫ ا‬U N ‫ ا دارة‬K‫ ﺟ‬M f N ` < " : 2003 ‫ ا‬1 ` ‫ ر‬،143 ‫(د‬3 1<@ ‫ ا‬، 6S ‫"[ ا (ا ة ا‬ 1 ‫ ا (ا‬$- ‫ ا‬-
8 ‫ ا‬9N ‫ ا‬U N ‫ ا‬G i ‫ ظ‬$ K ‫ واﺟ‬M ‫ ن‬C‫ ك و‬4 ‫ ا‬i P M Kg‫ ا‬7 ‫ھ‬ ‫ ء‬N‫ ا‬V $ N 4] ‫ ا‬... C O h $ 8 ‫ا‬ ‫ ت ا‬7S# ‫ وا‬+‫ ا ر‬7S# ‫ ا‬MN $ ‫وا‬
‫ا‬D‫ ا< م ھ‬M m P !+ ` <‫ و‬. G ] ‫ا‬ 4 ‫ ا‬h g + ^ ‫ ح‬L ‫ ا‬V $ ‫ل‬S^ A ‫ ا‬K ' A‫ ا‬8 ‫ ا‬i+‫ ء وا ] ر‬N ‫ م ض د أ ط ش أن ا‬12 V]/ ‫ و< ` ﺟ ء‬.6 ‫ ت ا‬C 3 ‫ ح‬4 ‫ا‬
‫ ل‬N‫ ر أن ا‬N‫ ا‬U N ‫ ء‬F ‫ ا‬a G ّ A‫ س ا‬A ‫ا ا‬D‫ ھ‬U N‫ و‬+ F ‫ ة ا‬N 7 M K< ‫ ط‬M + !Aq ‫ ] ا‬/ P ‫ ا‬i+‫ل وا ] ر‬S^ A " # $ 8 ‫ ا‬i+‫ ء وا ] ر‬N ‫ أن ا‬V]/ ‫ا‬
C 3 ‫ ا‬V $ N O ‫] ص ى‬P ‫ا‬ O‫ ا‬d+ ‫ ا ل‬F7 ‫ ع‬g ‫'اع‬4 ‫ و< ` أن ا‬. + ‫ا‬ 4 K‫ دة اد ﺟ‬N‫ ا‬6 $ actes anormaux de gestion +‫ د‬# ‫ ا‬5 ‫ا ] ف‬
‫ ي‬/ G 24 8G ‫رخ‬q ‫ وا‬8! / ‫ ا و ا‬H MN ‫ ا ] در‬8 ‫ ا ار ا‬D4 ‫ ء‬F ‫ ا‬a G A‫ و< ` ا‬.6 # ‫ ت ا‬C 3 ‫ ازاء ا‬sacrifices financiers ‫ ت‬F$ ‫ ء أو‬N‫ا م ا‬
‫ه‬D‫ ن ھ‬G 6 ‫ ا‬H/4 # $ ‫ ت‬C O M G ‫ت‬S # ‫] ص ا‬P a ‫ ( ا‬Rivière ) ‫ وب ا‬4 ‫< ت‬S M 1212 " #$ 30 ‫ د‬N 1978 8 ‫ا ن ا‬ ‫ ر‬34 ) 1978
K ]PO U N tG $ ‫ ر‬CD ‫ ا‬6 ‫ت ا‬C 3‫ن ا‬G 6 ‫ء‬ ‫ ا‬M 95 a ‫ ا‬U4# +‫ د‬N 5 ‫] ف‬$ ‫ ل‬N‫ ا‬V 3$ K G ‫ وا‬+‫ د‬N ‫ ن‬p‫ س ا‬A‫ ا‬U N 9ّ $ ‫ أن‬I + ‫ت‬S # ‫ا‬
‫ ت‬C 3 ‫ ة ا‬/ K $ ‫ ء‬N‫ و أ‬i+‫ ة ] ر‬$ G N 6 4 ‫ت ا ى ا‬C 3‫ ة ا‬/ O 5 V 3 ‫ ا ا‬M ‫ ﺟ'ء‬V+ $ ‫ ا م‬C 3 k D # $ " + ‫و‬ ‫ا‬ ‫ا‬
*+‫ ر‬$ M +‫ و ا‬les filiales 6 # ‫ ا‬+‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ن ا‬G ‫ < ا‬4 ‫ ا‬M ‫ و< ` و‬. 7S‫ ت اط‬P ‫ه ا‬D‫ ة ھ‬$ G ‫ م‬# U ‫ ب او‬M ‫ دي أو‬# ‫ ا‬M d ‫ ا‬M V7‫ ا‬M d 6 ‫ا‬
M + V ‫ا ا‬D‫ و< ` أن ھ‬.a ‫ ل‬# ‫ دي أو ا‬# ‫ ا‬M d ‫ س ا‬A‫ ا‬U N 6 # ‫ ت ا‬C 3 K+ !$ 8 ‫ ت ا‬P ‫ ة ا‬$ G K N I + 8 ‫ ا م ا‬C 3 ‫ ا‬6 K #$ 8G ^ ‫ ا‬d #$ K4+ $

Page 253
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Aussi, les entreprises qui engageant des opérations financières impliquant réduction ou dispense
d’intérêts pourraient éviter la réintégration de produits financiers virtuels en établissant la preuve de l’intérêt
du sacrifice financier et la preuve d’une contrepartie équivalente à l’avantage accordé.
Il faut remarquer que la jurisprudence du tribunal administratif semble ne pas réserver de traitement
préférentiel aux sociétés appartenant à un même groupe et reconnait à l’administration le droit d’imposer les
intérêts non perçus au titre des prêts intragroupes non rémunérés1823. Dans un arrêt en date du 03 octobre
2005, le tribunal administratif retient la même orientation en validant l’imposition des renonciations aux
intérêts au taux du marché monétaire. Dans l’espèce, la haute juridiction évoque clairement la notion de l’acte
anormal de gestion1824. Au contraire, le juge fiscal français a fait preuve d’une certaine souplesse dans
l’application de la théorie de l’acte anormal de gestion au sein du groupe de sociétés en écartant des
qualifications d’acte anormaux de gestion qui se bornent à constater l’engagement des renonciations aux
intérêts qui, au fond, servent les intérêts du groupe1825.

336- Il en est de même de l’administration fiscale tunisienne. En effet, traitant du régime de


l’intégration fiscale, la doctrine administrative1826 considère qu’en dehors des provisions pour créances
douteuses, de l’abandon des créances et du réinvestissent des bénéficies entre sociétés concernées par le
régime d’intégration des résultats, « les autres opérations commerciales et financières entre les sociétés
membres du groupe restent régies par les dispositions du droit commun comme s’il s’agissait de sociétés
indépendantes ne faisant pas partie du même groupe. Tels sont les cas, notamment : -des transactions
commerciales entre les sociétés du groupe qui doivent avoir lieu au prix du marché ; - des prêts et avances

‫ا‬ ‫] ا‬P3 ‫< ام ا‬ ' ‫ ن‬$ K G 8N G V ‫ أو‬6 L ‫د ا< اث‬ MN f N‫ و‬8 ‫ ا‬a C a 8 7 mPO " ‫ ا م‬C 3 ‫ ط ا رت ا‬a ‫ ا‬k ‫ ه ذ‬+ $
$ $‫و‬ 7 #g‫ و‬8G + F ‫ ن ازاء ا‬+ ‫ داء‬I L ‫ ن ا‬G ‫ ا ى‬K‫ ﺟ‬M ‫ ا ^ و‬6 V # ‫ ن ا‬C C ‫ دي‬# ‫ س دئ ا ] ف ا‬A‫ ا‬U N K# V # $‫ و‬6 # ‫ت ا‬C 3
‫ وا داء وط ق‬K7 A‫* ا‬+‫ ر‬$‫ و‬+ F 6g P ‫ ا‬mP3 ‫ آ ة ا‬/] ‫ د و‬+ ‫ي‬D ‫ ھ ا‬a$‫ داء أو ا را‬I L ‫ ادارة ا‬H ‫ و‬6+ 3 ‫ أن ا‬U4# situation légale et réglementaire
‫ل‬S A ‫وا‬ ‫] ا‬P3 ‫ ا‬6 ‫ ت ا‬C O M C O VC ‫ ! ب‬C‫ وازاء ا‬K ‫ واﺟ‬M N 4] ‫ ا‬... C O ‫داء‬ L ‫ ت أن ا‬L# ‫ه ا‬D‫ ﺟ ھ‬M 7SL ‫ ل ا‬m P+ ` <‫ و‬.a/ ‫ ظ‬$
VC L ‫ ت و‬C 3 ‫ ا‬i P M ‫ ت ا‬7S# ‫ ا‬f C K K 0 P ‫ ء ا‬N ‫ ا‬6 ‫ ت ا‬C O M C O VC V $‫ ت و‬C 3 ‫ ا‬i P M g‫وا‬ ‫ و‬+‫ ر‬$ ‫ ت‬7SN h ‫ ر‬8 ‫ا‬
0 4N U ‫ دا ا‬4 A‫ وا ا‬6 # ‫تا‬C 3 ‫ ا ا‬M ‫ ﺟ'ء‬V+ $ O 5 V 3 K4N I$ + ‫ ط‬N‫ ا‬/] ‫ ب‬4 ‫ا ا‬D‫ ھ‬+ $ 9 + ‫ ان‬# C 3 ‫ ء ا‬N ‫ ا‬M K 4 6G C O
/ P ‫ت‬ K # ‫ ا‬6+‫ ت ا ز‬C O ‫ ة‬/ ‫ ت‬A‫ ا‬K ‫داء‬ L ‫ ا‬f ! $ ` <‫ و‬.6 ‫ ا‬V C ‫ت‬S # 97 ‫ ر‬K$S # 97‫ ور‬C 3 ‫ ا‬9 < K G UN‫ ا‬+ 7‫ د‬N g
M G K N + V ‫ اي د‬MN ‫دة‬ g # ‫ ت ا‬N G‫ و< ` أن د‬. + ‫ ] ا‬K ‫ رات ] ح‬$ G I‫ ﺟ‬k ‫و وذ‬D ‫ ا‬N ‫ ا‬i+‫ ا ] ر‬8G C O VC ‫ ! ھ‬m P !$ K ‫و‬
M ‫ ت‬7S# ‫ ا‬9 4$ " p‫ ات وو‬+q ‫ ل‬$ 9 g # ‫ ن ا‬G p K‫ ﺟ‬M ‫ و‬.6 # ‫ ا‬6+‫ ت ا ز‬C 3 ‫ ت ا ! اة‬P ‫داء‬ L ‫ ة ا‬$ G f d+ ‫ء‬8O ‫ وﺟ د ي‬a G U ‫ او‬K‫ﺟ‬
%6 !4 ‫ وا رة‬#‫ ا ! ﺟ‬l ‫ ا دارة ن ا‬f ! $ 7‫ و‬A ‫ ا م‬C 3 ‫ ا‬K+ !$ 8 ‫ ت ا‬P ‫ ا‬8G C O VC ‫ ! ھ‬+ $ + ‫ ط‬N g ‫و‬ N + L ‫ د‬$‫ و‬6 ‫ ت ا‬C O
6 # ‫ ت ا‬C 3 ‫ ا ! اة‬K$ P ‫داء‬ L ‫ ة ا‬$ G f d+ 9 ‫ و< ` ط‬. C 3 ‫ ء ا‬N ‫ ا‬U ‫ ا‬G g‫ ر ا‬KO ‫ ء ا‬N‫ ى ا‬A 8L^$ C 3 ‫ ا‬V 7 M V ! ‫ت ا‬S # ‫ ا‬97‫ ر‬M
‫دارة‬S k D # $ " +‫ دي و‬N 5 ‫] ف‬$ ‫ ارا‬7 #+ 6 # ‫ ت ا‬C 3 ‫ ا‬M $[ ‫ وا‬+‫ ا ر‬K$ 7SN MN $ ‫ ء‬N C 3 ‫ ا‬V $ ‫ ن‬G a ‫ ل‬# ‫ دي أو ا‬# ‫ ا‬M d ‫ س ا‬A‫ ا‬U N
.20 ‫ ص‬،2008 C‫ ا‬،56/57 ‫ د‬N ، ّ ‫ ا‬." 6+‫ ت ز‬C O ‫ ن‬+‫ د‬U N n ‫ ا‬G i ‫ ظ‬$
1823
Tribunal Administratif, Requête n°33122, du 31 Mars 2003.
N U ‫ ا‬8 4$ + 4# ‫وات‬D ‫ " ا‬#$ I ! K$ 4A‫ ا‬8 ‫ ا وض ا‬MN L n ‫ ا‬G ‫ ض‬$ 9 K ‫ ّ ا‬# ‫ ا‬#$ ` < " : 2003/3/31 ` ‫ ر‬،33122 ‫(د‬3 ‫ ار‬، ‫ ا دار‬$- ‫ا‬
‫! ط ا ﺟ ط ^ ب‬7 ‫ ا‬6G‫ د‬I‫ ام واﺟ‬# ‫ ا ا‬/] a N I$ + ‫ي‬D ‫ا‬ ‫ ا‬# ‫ ﺟ‬K HAq ‫ ر و< ة ا‬N M ‫ ا ! ھ‬H/ K N C O 8‫ ت و ھ‬C O N 8‫ وھ‬8#7‫ ن وا‬C K
C O M ‫ د ا وض‬4A‫أن ا‬ّ ` < ‫ و‬.8 A ‫ ت ا‬p K L ‫ ب‬M ‫ ا ھ‬K ‫ ا‬4! ‫ ا وض ا‬MN n ‫ ا‬/ K g $ ‫ م‬N ‫ ت‬p ‫ ا دارة‬V 7 M K L ‫ أو‬a#G A‫ و‬8‫ ھ‬8 ‫ا داء ا‬
K ] U ‫ دة ا ر ا‬N‫ا‬ ‫ ل دارة ا‬P+ ‫ ا ! ق‬8G ‫ط اف‬S +‫ د‬# ‫ ا‬5 ‫ ت‬G ] ‫ ا‬V 7 M ّ #+ n# ‫ ا‬KF# K 7SN MN 4 ‫ ا‬n^ ‫ و‬n G ‫ ا ى ون‬C O U ‫ ا‬+‫ ر‬$
#g ‫ د ا ض‬N I‫ ﺟ‬n ‫ ا‬G fg $ 7 ‫ رھ‬N‫ ا ! ق وا‬8G +‫ د‬# ‫ ت ا‬G ] ‫ ا ] وا‬U ‫ ا‬N ‫ دل رﺟ‬#+ ‫ا‬D‫ دي ھ‬# ‫ ا‬5 KG ]$ ‫ ر أن‬N ‫داء‬S g ‫ ا‬C 3 ‫ ع ا‬F ‫وا‬
." M#L ‫ا ا‬D‫ ھ‬nG + ] ‫ ا‬a# 9 +‫[ن و‬3 ‫ا ا‬D‫] ص ھ‬P A 4 ‫ ا‬i7 V# + ‫ي‬D ‫ا‬ ‫داء ا‬S
1824
Tribunal Administratif, Requête n°33102, du 3 octobre 2005.
K N 8 4$ + 4# ‫وات‬D ‫ " ا‬#$ I ! K$ 4A‫ ا‬8 ‫ ا وض ا‬MN n ‫ ا‬G Ug $ 9 K ‫ ا‬# ‫ ا‬#$ ` < " 2005 ‫ ا‬3 ` ‫ ر‬،33102 ‫(د‬3 1<@ ‫ ا دار ا‬$- ‫ا‬
8 ‫! ط ا < ط ^ ب ا داء ا‬7 ‫ ا‬6G‫ د‬I‫ ام واﺟ‬# ‫ ا ا‬/] a4N I$ + ‫ي‬D ‫ا‬ ‫ ا‬K!Aq ‫ ر و< ة‬N M ‫ ا ! ھ‬H/ K N C O 8‫ وھ‬... ‫ ت‬C O ‫ ت‬N 8‫ وھ‬8#7‫ ن وا‬C
‫ ء‬F ‫ ا‬a G‫ و‬a / ‫ و< ` دأب ا‬.8 A ‫ ت ا‬p K L ‫ ب‬M #+ ‫ ا‬K4 ‫ ة‬4! ‫ ا وض ا‬MN n ‫ ا‬/ K g $ ‫ م‬N ‫ ت‬p ‫ ط ف ا دارة‬M K L ‫ أن‬MN SFG a#G A‫ و‬8‫ھ‬
‫داء‬S ‫ ع ا ض‬F ‫ ا‬I‫ ﺟ‬$ 8 ‫ ا‬+‫ د‬# ‫ ا‬5 ‫ ت‬G ] ‫ ا‬V 7 M n G ‫ ض دون‬7 ‫ د‬4A‫ ا‬a# ‫ ن‬+ ‫! ت‬Aq ‫ دي ! ا‬# ‫ را ] ف ا‬N‫ داء ا‬M L ‫ ت ا‬G ]$ + $ U N
8G U < n ‫ ا‬/ ‫ه ا‬D‫ ھ‬U N + F L ‫ ا‬K < M ‫ ن‬G ‫ و< ھ ا ا دارة‬K ' + ‫ ارھ ذاك‬7 ‫ ن‬G n ‫ ا‬/ ‫ه ا‬DK L g ُ ‫ ا‬C 3 ‫ ا‬9 $ 9 M@ G ‫ا‬D ag 7 MN F G Ug $ a C‫و‬
." # MN L ‫ه ا‬D‫ ھ‬nG‫ ر‬a# 9 + a " A # $ A ‫ و‬#+ 4 ‫ ا‬i7 ‫و< ` إن‬ ‫ ا ! ق ا‬8G K ‫ ل‬# ‫ ا‬I!4 ‫ ا‬U N ‫ د‬N k ‫ وذ‬K0SP A ‫ م ا م‬N ‫ رة‬0
En l’espèce, le tribunal administratif a confirmé la décision de la CSTO de Monastir qui a clairement évoqué l’acte anormal de gestion pour
imposer les intérêts non facturés.
C 3 ‫ ا‬M ‫ ت ا ض‬N ‫ ع‬F ‫ ى وﺟ ھ ا‬8G M G L ‫ ا‬M ‫ف‬SP ‫ " و< ` ا ] ا‬: 98/103 ‫(د‬3 1< ،1999 ‫ ي‬7 !29 ، 1 !A ‫ ري‬69 ‫] ا‬1‫ظ‬ G ‫ ا‬AS2 ‫ا‬
8 8‫ وھ‬8 ‫ل ا‬S A ‫ وا‬+ 4# ‫] ا‬P3 6 $ / [ ! ‫ ا‬C 3 ‫ و< ` أن ا‬.a $ ‫ أن‬I + ‫ ن‬C ‫ أو‬F G " $ ‫ رھ‬N ‫داء‬S 8ّ4K N G‫ و‬# ‫ ت ا‬C 3 ‫ ا‬87 ‫ و‬/ [ ! ‫ا‬
# I‫ ﺟ‬$ 8! / ‫ ء ا‬F ‫ ا‬a G a ‫ إ‬a $‫ ا‬I!< ‫ دي‬N 5 G ]$ K 0‫ ا‬M ]4N 8G V ‫ ون‬KL+ /$ a# ‫ ن‬+ 8ّ4K N ‫ ت‬C O 87 MN 7 ! + 4# ‫ذات‬
K ] U ‫ ارﺟ ع ا ر ا‬+ ‫ ّل ادارة ا‬P+ 8# ‫ ط‬5 G ]$ n ‫ ا‬G ‫ دون‬g‫ و‬7 ‫ ا ن‬/ [ ! ‫ اء ا‬A‫ ا‬a# ‫ ن‬+ ‫ ا ! ق‬8G ‫ط اف‬S +‫ د‬# ‫ ت ا‬G ] ‫ ا ] وا‬U ‫ ا‬N ‫ رﺟ‬G ‫ط‬
‫داء‬S / ! ‫ ا‬C 3 ‫ ع ا‬F 8 4‫ ء ا ﺟ‬F ‫ ا ن وا‬a / ‫ دا‬4 A‫ م ا دارة ا‬7 ‫ و< ` إن‬.‫داء‬S 6FP$ n ‫ ا‬G 8‫ ا ض وھ‬N I‫ ﺟ‬n ‫ ا‬G fg $ 7 g ‫ ا‬C 3 ‫ ر أن ا‬N‫وا‬
+[$ a $‫ن وا‬ aG‫ق‬ k ‫ ن ذ‬G ‫داء‬S ‫ ا ! ق‬8G ‫ دي‬N ‫ ق‬L 8G ‫ دة‬N ‫ ا‬n ‫ ا‬/ ‫ ع ا‬F ‫ ا ! ق وا‬8G +‫ د‬# ‫ ا ] ا‬U N ‫ دا‬N‫ ا‬9ّ +‫ و‬V #+ ‫ دي‬# ‫ ا‬5 KG ]$ ‫ ر أن‬N
." a N 84 ‫ي ا‬D ‫ ا‬i ‫ ار ا ظ‬7
1825
CHOYAKH (F), art. pré., p 20.
1826
Note commune n°16/2001 (TEXE DGI 2001/32).

Page 254
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

entre les sociétés du groupe ; - des subventions accordées entre les sociétés du groupe ; - des opérations de
cession d’éléments d’actif entre les sociétés du groupe… ».
Ces dispositions qui traitent du régime de l’intégration fiscale des résultats témoignent de
l’intransigeance de la doctrine administrative à l’égard des opérations intragroupes. Les mêmes dispositions
semblent être également transposables aux groupes de sociétés non régis par le régime de l’intégration fiscale
des résultats puisque le régime de l’intégration constitue un régime préférentiel par rapport au régime du droit
commun.
On retrouve aussi cette intransigeance dans plusieurs autres prises de position de l’administration
fiscale : « - Une société doit procéder à une facturation d’intérêts au titre des avances intragroupes, même
lorsque les sociétés bénéficiaires des avances passent par des difficultés financières »1827. « - Une société ne
peut appliquer un prix préférentiel à d’autres sociétés apparentement à un même groupe, à moins que la
société apporte la preuve que le prix pratiqué est applicable à d’autres client et que l’opération ne soit pas
contraire à l’exploitation »1828. « - Une société ne peut pas surfacturer un loyer à sa filiale établie en
Tunisie »1829.
D’évidence, une application rigide vide le groupe de tout sens et ôte à « la notion d’intérêts
communs » évoquée par l’article 461 du CSC toute sa substance. On ne saurait, en effet, concevoir l’existence
d’un groupe de sociétés où il est interdit d’accorder des remises préférentielles ou des concours financiers aux
filiales1830. Ce choix injustifiable n’est pas indemne de dangers.

II- Les dangers de la prévalence de l’intérêt social

337- Il semble permis de classifier les dangers de la prévalence de l’intérêt social en deux catégories,
la première regroupe les dangers immédiats (A), la seconde concerne les dangers médiats (B).

A- Les dangers immédiats

338- Ces dangers peuvent être résumés en deux formes de déséquilibre qui risquent d’apparaître au
sein du groupe de sociétés. La première peut se vérifier au diapason des relations actionnaires minoritaires-
dirigeants (a). La seconde a trait au bien-fondé juridique de la notion d’abus au sein du droit du groupe de
sociétés (b).

1827
Prise de position DGCF, n° 1155, du 23 novembre 2004 :
X 2002 !+‫ د‬UG U ‫ ا‬1999 8/ ‫ ة ﺟ‬5 M ‫ ة‬/ ‫ ا‬f O # ‫ ﺟ‬#‫ اﺟ‬f#F 7 i ّ ّ hA ‫ا‬ ‫ ا‬C O ‫ أن‬/+ ‫ه‬SN‫ ا‬6‫ﺟ‬ a ‫را‬3 ‫ا‬9 M ّ F$ #‫"و‬
.‫ ا رق‬N 4] XYZ ‫ ري و‬# ‫` ا‬# ABCXYZ 8 C 3 < 4 ‫ ا ! ت ا‬U N n ‫ ا‬G ‫ < ! ب‬k ‫ ت وذ‬C 3 ‫ ا‬U N + F ‫ ان ا‬4# I‫ ا داء ا ! ﺟ‬l 8G V+ #$ 0 K4N
‫ ة‬G ‫ل‬S XYZ C 3 ‫ تا‬# f 7 C K ‫ ت‬8 ‫ ا‬G ‫ا‬ ‫ ت ا‬#] ‫ا‬ ABC C 3 ‫ ح‬4 ‫ ا ض ا‬+ ! f 7 ‫ ا م‬C 3 ‫ رھ ا‬N ‫ أ‬C O ‫ أن‬9 4ّ C
‫ ذ‬U N C 3 ‫ ا‬K#F$ 8 ‫ ا‬l ‫ ن ا‬$ V # ‫ ا‬a ‫ ا ري‬8 ‫ ا‬6+ 3 ‫ ط‬a ‫ ا‬N 9 ‫ ا< ط‬84G 3+ ‫ وﺟ ا‬.‫ه ا ! ت‬D‫ ھ‬U N i‫ ا داء ا ظ‬8G 4 ‫ دة ا‬N‫ ن ا‬L$‫ و‬K4+ $
." ‫ ت‬C 3 ‫ ا‬U N + F #g P ‫ ا‬X 4 ‫ ا‬M g 4 ‫ا ا‬D‫ ھ‬U N ! ‫ ا‬n ‫ ا‬/ ‫ ا‬X ُ$‫ و‬K N n ‫ ا‬G i ‫ ظ‬$ 9ّ + 9 ‫ وان‬U < n ‫ ا‬/ 4 ‫ء‬C 3‫ا‬
1828
Prise de position DGELF, n° 1563, du 8 juin 2005 :
‫ ا‬+ ‫ ده‬N‫ ا‬9 + ‫ي‬D ‫ ا‬6 ‫ ا‬#A ‫ ن‬G ‫ ا ! ق‬8G ‫ ا اول‬#! ‫ ا‬M V7‫ ا‬#! 6 ‫ ا‬8G ‫ ة‬F# ‫ ت ا‬C 3 ‫ ة ا‬/ f /A ‫ دة ا‬M K$ N ‫ ان‬4# (...) C O ‫ د‬N‫ رة ا‬0 8G "
H/4 ‫ ت‬N ‫ز‬ (...) C O ‫ ت‬p‫ رة ا‬0 8G a ‫ ا‬5 KF# 7SN KL $ ‫! ت‬Aq M f $ 6 ‫ ا‬N ‫أن‬ C ‫ ا ! ق‬8G ‫ ا اول‬#! ‫ س ا‬A‫ ا‬U N h F+ + F 6g P ‫ا‬
." ‫ ر‬CD ‫ ا‬#! ‫ د ا‬N‫ ا‬M G ‫ل‬S^ A ‫ ! س ] ا‬k D ‫ ن‬+ ‫ دون أن‬M+ ‫ ء ا‬G ‫ دة‬# /] ‫ ة و‬F# ‫ ت ا‬C 3 ‫ ة ا‬/ $ / ‫ ا‬M d ‫ا‬
1829
Prise de position DGELF (191) du 20 février 2006 :
6G A f C 8 ‫ ا‬l ‫ ا‬U N ] + ‫ ت ا اء‬4ّ # ‫ ن ط ح‬G ،‫ ّ ات‬# ‫ ا‬C 3 ‫ ا‬6 H ‫ ت ا ! ة‬P ‫ ا‬C O h $ 8 ‫ ا‬# ‫ ا‬7SN ‫ ر‬N ‫ و‬a ‫ ا‬k DC ‫ رة‬O ‫ ر ا‬$‫ا و‬D‫" ھ‬
#G‫ ا ا‬C 3 ‫ ا‬X M ‫ ح‬L S 7 ‫ ن‬+ ‫ ن ا 'ء ا 'ا‬G ،‫ ر‬CD ‫ ق ا ّ ا‬/$ ‫ اء‬C ‫ ت‬4 # ‫ ة‬$ G ‫ رة‬0 8G‫ و‬a N ‫ ء‬4 ‫ و‬. #G‫ ا ا‬C 3 ‫ ا‬6 7S# ‫ه ا‬D‫ ھ‬Vd KL $ ‫ ا ى‬C 3
." #/ 4 ‫ ا‬C 3 ‫ ! ى ا‬U N ‫ ا رد ا ري‬M 9]P aN F MN 4 ‫] ف ا‬
1830
CHOYAKH (F), L’acte anormal de gestion, I.J., n° 56/57, Novembre 2008, p 19 et 20.

Page 255
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

a- Déséquilibre au niveau des relations minoritaires-dirigeants dans les


procédés de concentration

339- Nul doute que le groupe de sociétés a une incidence directe sur le rapport de force au sein des
sociétés liées. Il est sûrement une source de déséquilibre au détriment des associés minoritaires et des
créanciers sociaux dont la situation semble être la plus affectée dans le groupe1831.
Conscient de leur condition qui risque d’être alarmante, le législateur n’a pas hésité à faire de l’atteinte
à l’intérêt social de la société groupée un critère déterminant de la notion d’abus dans le groupe de sociétés.
Or, ce faisant, il risque de créer un type de relations non conformes à l’intérêt commun du groupe. En effet, le
maintien de l’exigence de l’intérêt social ne doit pas passer inaperçu. Car, il se peut fort bien qu’au
déséquilibre « naturel » inhérent au groupe soit additionné un autre déséquilibre susceptible de voir le jour au
désavantage des dirigeants du groupe.
En réalité, occulter l’intérêt suprême du groupe, pour n’évoquer que l’intérêt social, parait, dans le
cadre d’une loi spéciale au groupe de sociétés, surprenant pour ne pas dire choquant car en droit du groupe,
force est de reconnaître qu’un acte, jugé abusif à l’état isolé, peut être légitimé par les contingences
économiques. Aussi, n’est-il pas illogique de fonder la notion d’abus sur la violation de l’intérêt immédiat
d’une société dans la mesure où l’intérêt global du groupe n’est pas touché1832 ? S’intéresser à l’intérêt d’une
société, n’importe laquelle du groupe, et par ricochet aux intérêts des actionnaires minoritaires de cette
société, appelés également actionnaires «hors groupe» et laisser de côté l’intérêt suprême du groupe, relèverait
de la pure provocation. C’est le moins qu’on puisse dire à propos d’une loi propre aux sociétés groupées. Dans
le groupe de sociétés on ne devrait plus raisonner par rapport à l’intérêt social mais plutôt par rapport à
l’intérêt commun du groupe. Toute approche différente n’est que contraire à la logique des sociétés groupées.

340- Ainsi, la position du législateur qui répugne, lors de la détermination de la notion d’abus,
l’existence de tout intérêt commun du groupe distinct et supérieur à l’intérêt social, n’est que contraire à la
dialectique des groupes de sociétés. Elle aboutit forcement à la détermination d’une notion d’abus étriquée,
voire erronée qui, au lieu de prendre en considération essentiellement la méconnaissance de l’intérêt commun
du groupe, prend en compte seulement la violation de l’intérêt social. Une telle notion d’abus se répercutera
négativement sur l’initiative des dirigeants du groupe et rendra certainement les minoritaires de véritables
gêneurs, voire des perturbateurs de la politique générale du groupe. En effet, le dirigeant, ayant peur de
tomber sous l’emprise d’une notion d’abus faussée, refusera de prendre toute décision pouvant être
préjudiciable à une société liée, même si elle est justifiée par l’intérêt commun du groupe1833, et même si la
société qui risque d’être lésée est d’une importance minime par rapport au groupe dans sa globalité. Que l’on
n’oublie pas aussi le fait que le préjudice en question peut être incomparable avec la richesse qui pourrait être
engendrée par la décision accusée.
Trop de sévérité à l’encontre du dirigeant du groupe pourrait, en réalité, l’inciter à une réduction
d’activité, alors qu’une atténuation de sa responsabilité pourrait l’exhorter à plus d’initiative.
Nul doute que la mise en jeu d’une notion d’abus erronée, et donc inadaptée, mettra en veilleuse toute
initiative de la part des dirigeants du groupe. Ces derniers peuvent, chaque jour, se voir accusés « d’utiliser
abusivement les biens d’une société du groupe dans l’intérêt d’une autre société et au préjudice de la
première, alors qu’ils n’agissent que dans l’intérêt général du groupe1834 ».

A l'inverse, les actionnaires minoritaires du groupe, se verront plus actifs. A tort ou à raison, ils
essayeront de contester les décisions des « contrôlaires ». Il est même vraisemblable que les minoritaires vont
manifester dans l’avenir une agressivité plus vive en se prévalant davantage de l’action en abus des biens

1831
CHAMPAUT (C), Le pouvoir de concentration de la société par action, éd. Sirey, Paris, 1962, n° 367, p 275.
1832
PARIENTE (M), op.cit., p 249.
1833
Ibidem., p192.
1834
HOUIN (R), Droit des groupes de sociétés, congrès de Rennes, 1972, p 215.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

sociaux ainsi que l’action en abus de majorité. A la limite, on pourrait craindre que la protection illimitée de
l’intérêt social ne devienne un moyen de pression, sinon même de chantage, entre les mains de certains
associés minoritaires. Dans ces conditions, le contrôle d’une société par une autre devient « une activité
périlleuse qui navigue entre l’abus des biens sociaux et l’abus de majorité, entre la correctionnelle et la
nullité des décisions capitales1835 ». Ces expressions significatives ne traduisent-elles pas le sentiment de
crainte et de peur envers une telle notion d’abus étriquée ?

341- Comme on peut facilement le constater, la prévalence de l’intérêt social aux dépens de l’intérêt
commun du groupe peut donner lieu à une forme de déséquilibre entre les intérêts en présence qui ne
s’accommode nullement avec l’impératif de promotion et les objectifs d’incitation de ce phénomène de
concentration. L’intérêt social qui a pu facilement constituer un bien-fondé de la notion d’abus dans le cadre
de la société isolée ne saurait être qu’un élément perturbateur et créateur de déséquilibre au niveau de la
recherche d’un bien-fondé de la notion d’abus dans le groupe de sociétés.

b- Déséquilibre au niveau du bien-fondé de la notion d’abus dans les


procédés de concentration

342- L’histoire de la notion d’abus, au sens large du terme, enseigne que chaque fois où elle a été
rattachée à une matière juridique déterminée les juristes lui ont attribué automatiquement un bien-fondé
juridique propre et autonome. Car, autrement, le risque de créer un déséquilibre juridique se fait
inévitablement sentir. Pour s’en convaincre, il suffit de citer quelques exemples.
Le premier exemple est emprunté au droit pénal général. En effet, le jour où le droit pénal a emprunté
la voie de la codification de l’abus de confiance, les rédacteurs de 1913 ont été obligés d’appuyer cette forme
d’abus sur ce que la jurisprudence appelait un « contrat de confiance1836 ». De ce fait, en citant, « six contrats
de confiance » à titre limitatif, l’article 297 CP annonce dans son alinéa premier qu’ « est puni de trois ans
d'emprisonnement et de deux cent quarante dinars d'amende, quiconque détourne ou dissipe, tente de
détourner ou dissiper au préjudice des propriétaires, possesseurs ou détenteurs, des effets, deniers,
marchandises, billets, quittances ou tous autres écrits contenant ou opérant obligation ou décharge, qui ne lui
ont été remis qu'à titre de louage, dépôt, mandat, nantissement, prêt à usage ou pour un travail déterminé,
salarié ou non salarié, à charge de les rendre, de les présenter ou d'en faire un usage déterminé.
La peine est de dix ans d'emprisonnement lorsque l'auteur de l'infraction est, soit mandataire, employé,
ouvrier ou serviteur du possesseur de l'objet détourné, soit tuteur, curateur, séquestre, administrateur
judiciaire, soit administrateur ou employé d'une fondation pieuse ».
De ce texte, il se dégage que le lien juridique parait indéfectible entre la notion d’abus de confiance et
la liste limitative des contrats dits de confiance.
Dans le même sens, l’abus de droit, tel que consacré par l’article 103 COC, a dû être appuyé sur deux
fondements possibles : soit l’intention de nuire, soit le dommage notable. Certes, cette forme d’abus en droit
civil semble constituer un principe général de droit plutôt qu’un cas de responsabilité civile1837. Mais, quelque
soit la qualification adoptée, son fondement demeure propre à la catégorie d’abus relatif au droit civil.
Dés lors, en rapprochant l’abus de confiance de la notion civile de l’abus de droit et en comparant leurs
fondements respectifs, on ne peut que persister dans la pensée juridique selon laquelle tout rattachement de la
notion d’abus à une branche juridique choisie postule qu’elle soit rattachée à un pilier conforme à ses
caractéristiques ou à ses éléments constitutifs. D’ailleurs, c’est pour cette même raison que la notion d’abus

1835
BELHAJ YAHIA (B), L’abus des biens et du crédit sociaux, th. pré., p 202.
‫ ص‬،.‫ج‬.[ ،1980 ،.‫ت‬.‫م‬.‫ ن‬،1980-7-19 ‫ _رخ‬،4736 ‫(د‬3 ،.‫ج‬.o;.‫ ق‬.209 ‫ ص‬،.‫ج‬.[ ،1968 ،1 ‫(د‬3 ،.‫ت‬.‫م‬.‫ ن‬،1968-7-10 ‫ _رخ‬،5623 ‫(د‬3 ،.‫ج‬.o;.‫ ق‬.‫ أ‬1836
.209 ‫ ص‬،.‫ج‬.[ ،1996 ،.‫ت‬.‫م‬.‫ ن‬،1996-4-24 ‫ _رخ‬،74184 ‫(د‬3 ،.‫ج‬.o;.‫ ق‬.130 ‫ ص‬،.‫ج‬.[ ،1994 ،.‫ت‬.‫م‬.‫ ن‬،1994-12-12 ‫ _رخ‬،57167 ‫(د‬3 ،.‫ج‬.o;.‫ ق‬.165
‫(د‬3 ،.‫ج‬.o;.‫ ق‬.91 ‫ ص‬،2000 ،10 ‫(د‬3 ،.‫ت‬.‫ق‬.‫ م‬،1999-6-3 ‫ _رخ‬،292 ‫(د‬3 ،.‫ج‬.o;.‫ ق‬.185 ‫ ص‬،.‫ج‬.[ ،1998 ،.‫ت‬.‫م‬.‫ ن‬،1998-5-12 ‫ _رخ‬،84038 ‫(د‬3 ،.‫ج‬.o;.‫ق‬
.188 ‫ ص‬،.‫ج‬.[ ،2001 ،.‫ت‬.‫م‬.‫ ن‬،2001-11-16 ‫ _رخ‬،14591
1837
BEN AMMOU (N), Essai sur l’abus des droits à travers l’article 103 COC, Mémoire de DEA, FDSPT, 1983/1984, p 129 et s.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

une fois extrapolée au droit des sociétés commerciales a dû se séparer de la notion d’abus de confiance, d’une
part, et celle d’abus de droit, d’autre part. En effet, il a fallu plus d’un siècle, au droit pénal français, pour que
la notion d’abus de biens sociaux se détache de l’abus de confiance auquel elle était artificiellement liée1838.
De même, la période fût assez longue pour que la notion d’abus de majorité se sépare à jamais de l’abus de
droit1839. Et le jour où la jurisprudence française et le législateur tunisien ont cru bon d’édifier en droit des
sociétés commerciales deux nouveaux abus : l’abus de majorité et l’abus de biens sociaux1840, ils ont dû
rompre avec les anciens bien-fondés de l’abus pour leur substituer de nouveaux fondements tirés du concept
de l’intérêt social. Ainsi, une fois détachée de l’abus de confiance et l’abus de droit, la notion d’abus, en
prenant de plus en plus son autonomie en droit des sociétés, est devenue fondée, quant à son existence, sur
l’atteinte à l’intérêt social.

De tous ces exemples, il ressort clairement que la notion d’abus change de bien-fondé chaque fois où
elle change de domaine d’application. Il y a là un enseignement historique et juridique qui doit être pris en
considération si on veut éviter tout déséquilibre qui risque d'imbiber la notion d’abus, et de permettre, à la
fois, à celle-ci d’être un leitmotiv pour une éventuelle théorie générale dans les procédés de concentration des
sociétés.
Le législateur de 2001 a-t-il respecté cet enseignement ou bien l’a-t-il, peu ou prou, négligé ou, plutôt,
peut-être oublié ? Dans le cadre précis de cette réflexion, il semble que notre législateur n’a pas du tout pris en
considération les contrecoups de l’effort de codification. Car, on a pu démontrer que la notion d’abus étendue
au droit du groupe demeure encore appuyée sur le concept de l’intérêt social tel que conçu pour le droit des
sociétés isolées.
Dans ces conditions, on ne peut que regretter le chemin non parcouru par la réforme de 2001 et qui
aurait pu, semble-t-il, contribuer à effacer tout risque de déséquilibre juridique qui peut entacher la notion
d’abus.

343- A présent, cette notion ne parait pas du tout fondée sur une des principales caractéristiques du
droit des groupes où elle se trouve rattachée, notamment au travers de l’article 461 CSC, à savoir l’intérêt
commun du groupe qui doit normalement guider le fonctionnement de cet instrument de concentration
économique. Le concept d’intérêt commun peut et doit servir de support juridique à la notion d’abus en droit
du groupe. Soutenir le contraire ou continuer à appuyer la notion d’abus sur l’intérêt social, en cette matière
bien précise, c’est dénier toute autonomie que doit avoir cette notion une fois insérée dans le cadre du
phénomène concentrationnaire. Il est, en effet, illogique, voire injuste de vouloir préserver le lien entre la
notion d’abus et le critère de l’intérêt social même au cas où cette notion change de domaine d’intervention, et
se trouve inéluctablement face à de nouvelles données économico-politico-juridiques.

Nul doute que le concept d’intérêt social a rempli sa mission à un moment donné de l’histoire du droit
des sociétés commerciales. Il a, en effet, supplée le concept de « contrat de confiance » quand la notion d’abus
a eu besoin d’une nouvelle assise juridique en droit pénal des sociétés isolées. Mais, il ne peut logiquement
continuer à jouer ce même rôle dans un domaine où la notion d’abus a fermement besoin de s’adapter à des
métamorphoses économiques qui dépassent la capacité financière et l’envergure juridique d’une société isolée.

De même, faut-il rappeler que le concept d’intérêt social a été édifié le jour où le droit pénal des
sociétés commerciales isolées a pris son indépendance par rapport à la notion d’abus de confiance propre au
droit pénal classique. De nos jours, un tel concept semble devenir incapable de s’adapter aux nouvelles
circonstances qui ont précipité la naissance du droit des groupes. Le besoin ou le motif n’étant plus le même,
le bien-fondé de la règle juridique doit aussi changer de contenu.
N’est-ce pas là l’illustration de ce qu’ont pu rédiger les rédacteurs du code de 1906 dans l’article 536
qui dispose avec beaucoup de clarté que « ce que la loi prescrit en vue d’un motif déterminé doit s’appliquer

1838
ANNIE (M), op.cit., p 1 et s.
1839
SCHMIDT (D), op. cit., n° 189, p 140 et s.
1840
Qu’on n’oublie pas aussi l’abus du crédit, des pouvoirs ou des voix.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

toutes les fois que le même motif existe ». Doit-on ajouter dans le même sens que l’article 537 du même code
annonce que « ce que la loi permet en vue d’un motif déterminé cesse d’être permis lorsque ce motif n’existe
plus ».

344- Tout ce qu’on peut dire de l’état actuel de la notion d’abus en droit du groupe est qu’elle est
présentée dépourvue de tout bien-fondé car elle est encore rattachée d’une manière artificielle au concept
d’intérêt social, du coup elle ne peut qu’être imprégnée d’illogisme et de déséquilibre mettant en danger sa
raison d’être.
Certes, il ne s’agit pas tout simplement de proposer le concept d’intérêt commun du groupe comme
fondement possible de la notion d’abus. Mais il s’agit surtout de délimiter ce fondement en le soumettent à
son tour à des conditions bien précises tendant à éviter qu’on tombe dans l’excès susceptible de dénaturer
l’importance de cet intérêt dans le cadre du groupe de sociétés. S’étant arrêté à mi-chemin en refusant d’ériger
l’intérêt commun du groupe en un fondement possible de la notion d’abus dans le groupe de sociétés, le
législateur de 2001 a laissé cette dernière subir les dangers de l’inadaptation juridique des textes. Autrement
dit, le choix législatif de la prévalence de l’intérêt social sur l’intérêt commun du groupe est une forme de
négligence des assises économiques sur lesquelles s’articule le droit des groupes.

Comme il avait pris le pas à d’autres intérêts qui justifiaient les abus de confiance et les abus de droit
au sein des sociétés isolées, l’intérêt social doit, à présent, céder le pas à l’intérêt commun du groupe.
C’est, bien là, le point d’achoppement qu’il faudrait franchir en substituant à l’intérêt social l’intérêt
commun du groupe, ou au moins en tentant de les concilier autant que faire se pourrait. Car, face à une notion
d’abus étriquée, des dirigeants passifs, des minoritaires agressifs, que faut-il de plus pour occire le phénomène
concentrationnaire en faisant fi à l’impératif de promotion et d’incitation ? Surtout qu’aux dangers immédiats
de la prévalence de l’intérêt social se superposent des dangers médiats.

B- Les dangers médiats

345- Plusieurs données économiques doivent être normalement considérées quand on décide de
codifier le droit des groupes de sociétés ; sinon, l’entreprise codificatrice risque de créer plus de problèmes
qu’elle n’en résout. D’abord, il faut tenir compte du fait que les groupes de sociétés constituent une
manifestation de l’économie du marché et que toute adhésion à cette forme d’économie commande qu’on
accorde davantage d’intérêt à ce phénomène de concentration. Ensuite, c’est un fait patent que, bien gérés et
fortement structurés, les groupes de sociétés participent, à coup sûr, au progrès économique surtout d’un pays
en voie de développement. Par ailleurs, il y a une option politico-juridique à faire. Ou bien laisser le droit du
groupe de sociétés à l’appréciation des juges qui, comme ce fût le cas en droit français, auront à adapter,
autant que possible, les règles du droit commercial en général et celles des sociétés commerciales en
particulier aux difficultés et problèmes soulevés au sein de ce type de concentration. Ou bien, opter pour la
codification, comme ce fût le cas de notre législateur, pour essayer d’avoir des règles écrites claires et à même
de solutionner ce genre de problème. Cette seconde hypothèse impose, bien sûr, qu’on tienne compte, au
travers des textes promulgués, des intérêts économiques en jeu. Dans cette optique il est de grande nécessité
d’accorder à l’intérêt commun du groupe toute l’attention qu’il mérite. Car, reconnaître le groupe de sociétés
c’est reconnaître l’existence et la suprématie de l’intérêt commun du groupe sur tout autre intérêt. A contrario,
nier l’intérêt commun du groupe au profit de l’intérêt social, c’est nier le groupe de sociétés lui-même.
Une telle position est, sans aucun doute, fort préjudiciable au groupe de sociétés. Elle risque, en effet,
d’entraver l’impératif de promotion et de développement d’un des plus importants procédés de la
concentration.
Certes, l’intérêt social est « efficace pour protéger les actionnaires et les créanciers dans le cadre
d’une société isolée, mais il est mal adaptée à cette protection dans le cadre du groupe de sociétés. Son

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

inadaptation réside essentiellement dans le fait que son application constituerait nécessairement un obstacle
au bon fonctionnement du groupe1841 ».
En réalité, c’est le groupe de sociétés qui pâtit ou qui risque de pâtir de l’application démesurée de
l’intérêt social en tant qu’élément déterminant de la notion d’abus. La décision fiscale, déjà citée1842, semble
s’inscrire dans le cadre d’un tel danger.

346- Il va sans dire que la chute du groupe de sociétés équivaudrait certainement à l’effondrement de
l’économie générale du marché, pour le simple fait que les entreprises tunisiennes, opérant isolément, ne
résisteront nullement face à une concurrence qui s’avère, de nos jours, de plus en plus barbare. Dans un
environnement pareil, la promotion du groupe de sociétés est assurément l’issue de secours unique pour une
économie libérale en voie de développement qui vient de vivre une révolution populaire des plus importantes.
Les juristes, il faut le reconnaître, ne peuvent dresser que de fragiles digues contre la marée montante
des faits économiques.

En somme, l’intérêt commun du groupe parait constituer un critère très important pour la
détermination de la notion d’abus dans le groupe de sociétés. Malheureusement, il semble que le législateur
n’accorde pas suffisamment de considération à cet intérêt car assez souvent il s’est montré plus favorable à
l’intérêt social comme si le groupe de sociétés n’est qu’une simple « mosaïque de sociétés autonomes1843 ». Le
législateur aurait dû, sans doute, fonder la détermination de la notion d’abus sur l’atteinte à l’intérêt commun
du groupe pour la simple raison que cet intérêt prime l’intérêt social chaque fois que l’existence d’un groupe
de sociétés est incontestable.
Quoi de plus insolite dans une société isolée, institution destinée à réaliser des bénéfices, que la
décision d’assumer, semble-t-il, sans contrepartie, le passif d’une autre société1844 ? Se demandait M. Guyon.
Quoi de plus normal, pourrait-on ajouter, qu’une société groupée consente des sacrifices dans l’intérêt
commun du groupe auquel son sort est inéluctablement lié1845 ?

347- En droit comparé, les contrôles exercés en matière de concentration le sont par le fisc, par le
juge répressif et par le juge commercial1846. De la part du juge répressif, il a fallu un effort particulier
d'adaptation et d'interprétation souple de l'incrimination légale d'abus de biens sociaux1847, ce qui était
indispensable pour éviter de réprimer des opérations tolérées, sinon encouragées par le droit bancaire et
économiquement opportunes, qui seraient tombées sous le coup de l'incrimination de l’abus des biens sociaux
si l'intérêt social avait été appréhendé isolément, l'autonomie juridique des filiales étant prise au pied de la
lettre. Même s'ils ne l'ont pas toujours formulé avec autant de netteté, le juge commercial et l'administration
fiscale française ont fait preuve de la même capacité d'adaptation. Il est remarquable de constater que mutatis
mutandis ils adoptent tous trois la même démarche, respectant le même principe d'équilibre en tenant compte
de la notion d’intérêt commun du groupe. On constate, tout de même, que l'application du fait justificatif du
groupe se fait de manière exceptionnelle, cette solution dérogatoire étant considérée comme une simple
bienveillance des juridictions à l'égard des groupes de sociétés et non comme un principe d'application
générale. En agissant dans l'intérêt du groupe, les dirigeants sociaux ne sont pas à l'abri d'un procès pénal,
dont l'issue est aléatoire. En effet, les décisions jurisprudentielles n'obéissent à aucune exigence d'uniformité
et leur analyse révèle des incertitudes et divergences. Une intervention législative permettrait de poser un
principe général d'exonération des actes accomplis dans l'intérêt du groupe, avec pour corollaire le
renforcement de la protection des actionnaires minoritaires.

1841
BEL HAJ YAHIA (B), th. pré., p 202.
1842
V. supra, note n° 1821.
1843
BOULOC (B), Droit pénal et groupe d’entreprises, Rev. Soc., 1988, p 181.
1844
Cass. Com. Fr., 29 mai 1972, JCP, 1973, II, 17 337, note Guyon.
1845
HANNOUN (C), op.cit., p94.
1846
Notamment sur le fondement des conventions réglementées ou de l'abus de majorité
1847
BOULOC (B), Droit pénal et groupes d'entreprises, Rev. soc. 1988, 181 ; Cass. Crim. Fr., 5 février 1985, Rev. soc. 1985, 648, note B.
Bouloc, D. 1985, 478, note Ohl ; 4 septembre 1996, R.J.D.A. 1/1997, no 58, Bull. Joly 1997, 107, note N. Rontchevsky, Rev. soc. 1997, 365, note
B. Bouloc ; 5 mai 1997, R.J.D.A. 12/97, no 1493.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Cette solution semble devoir être approuvée dans la mesure où elle tient compte de l’évolution
économique. Elle permet aussi de sauver certaines sociétés qui connaissent des difficultés temporaires tout en
évitant de « saigner à blanc » les sociétés les plus florissantes1848. Il en découle que l’atteinte à l’intérêt social
d’une société membre d’un groupe peut être légitimée par l’intérêt du groupe tout entier : le groupe transmue
en quelque sorte le mal en bien1849. Cette possibilité sera évidemment enfermée dans les règles qui s’inspirent
ici encore, de ce qu’on est en droit d’attendre d’un « bon père de famille »1850. C’est donc cette idée qui pourra
permettre de comprendre désormais l’immixtion du juge pour apprécier la conformité d’un acte de gestion à
l’intérêt du groupe tout entier, mais encore faut-il qu’il y ait une reconnaissance législative expresse d’un tel
intérêt si important en matière de concentration1851.

348- En attendant qu’une telle réforme soit concrétisée, espérant que les dirigeants agiront
loyalement et se comporteront vis-à-vis de l’entreprise dont ils ont la responsabilité « en bons pères de
famille, sans prise de risques inconsidérés, et en se déterminant à cette occasion en tenant compte non
seulement de l’intérêt des associés ou actionnaires, mais encore de l’intérêt des tiers » 1852. En effet, dans le
cadre de l'abus de biens sociaux, la jurisprudence, tant tunisienne1853 que française1854, considère, selon une
formule désormais consacrée, que cet abus porte atteinte non seulement aux intérêts des associés mais aussi à
ceux des tiers qui contractent avec la société. Ici, apparaît très directement la protection des tiers intéressés,
créanciers notamment, et c'est cette protection qui interdit de se satisfaire de l'unanimité, de l'approbation de
l'acte par les associés1855 ou encore du fait que la société soit strictement familiale1856 , voire
unipersonnelle1857. Toutefois, la chambre criminelle française considère que le préjudice direct résultant de
l'abus n'est causé qu'à la société elle-même et à ses actionnaires1858 et en déduit que les créanciers ne peuvent
obtenir réparation de leur préjudice qualifié d'indirect que devant les juridictions civiles1859. Cette solution, qui
se recommande de l'interprétation restrictive des règles pénales semble cohérente1860 ; elle prive les tiers
intéressés et les participants de la voie pénale mais n'hypothèque pas leurs chances de succès sur le terrain
civil1861.
Mais si les tiers, notamment les créanciers et l’administration fiscale, ne peuvent rien en matière
d’abus de biens sociaux car leur préjudice n’est qu’indirect, tel n’est pas le cas en cas de commission d’autres
formes d’abus qui visent directement la protection des intérêts légitimes de ces tiers.

1848
VERON (M), art. pré., p. 624 ; en effet, la chambre criminelle a admis qu’au sein d’un même groupe, s’instaurent des relations financières qui,
en elles-mêmes, prises isolément, seraient critiquables au regard de la législation sur les abus de biens sociaux.
1849
COZIAN (M), VIANDIER (A) et DEBOISSY (F), Op. Cit., n° l338, p. 598.
1850
DE MASSIAC (B), Réflexions à propos de l’abus des biens sociaux, RJDA, 8-9/1996, n° l9, p. 724.
1851
Cass. Crim. Fr., 28 nov. 1994, Dr. pénal, mars 1995, n°70, obs. J.M. ROBERT.
1852
DE MASSIAC (B), Réflexions à propos de l’abus de biens sociaux, in RJDA 8/9 96, p.719.
1853
V. infra n° 648.
1854
Cass. Crim. Fr., 26 mai 1994, Bull. crim. n° 206 ; Rev. Soc., 1994, p. 771, note B. Bouloc.
1855
Cass. Crim. Fr., 30 sept. 1991, n° 90-83965 : « l'assentiment de l'assemblée ou le concours financier apporté par les dirigeants sociaux à des
sociétés dans lesquelles ils sont associés, ne peuvent faire disparaître le caractère délictueux des prélèvements abusifs, et sans justification
commerciale, comme en l'espèce, des fonds sociaux, la loi ayant pour but de protéger non seulement les intérêts des associés, mais aussi le
patrimoine de la société et les intérêts des tiers qui contractent avec elle » ; Cass. Crim. Fr., 19 oct. 1971 : Bull. crim., n° 272 ; Cass. Crim. Fr.,
8 mars 1967 : Bull. crim., n° 94 : « L'assentiment des associés ne saurait faire disparaître le caractère délictueux de prélèvements abusifs de biens
sociaux, la loi protégeant le patrimoine de la société et les intérêts des tiers au même titre que les intérêts des associés » ; Cass. Crim. Fr., 5 nov.
1963 : Bull. crim., n° 307.
1856
Cass. Crim. Fr., 4 sept. 2002, n° 01-85893, 26 mai 1994, préc.
1857
Cass. Crim. Fr., 14 juin 1993, Bull. crim., n° 208; Rev. Soc., 1994, p. 90, obs. B. Bouloc.
1858
Cass. Crim. Fr., 24 avr. 1971, Bull. crim., n° 117, p. 303; Rev. Soc., 1971, p. 608, note B. Bouloc.
1859
Cass. Crim. Fr., 9 nov. 1992, Bull. crim., n° 361; Rev. Soc., 1993, p. 433, note B. Bouloc ; Cass. Crim. Fr., 27 juin 1995, Bull. crim., n°
236 ; Rev. Soc., 1995 p. 746, note B. Bouloc.
1860
V. pour un comité d'entreprise, Cass. Crim. Fr., 7 juin 1983 : Bull. crim., n° 172 ; Rev. Soc., 1984, p. 119, note B. Bouloc et pour un syndicat
de branche : Cass. crim., 27 nov. 1991 : Bull. crim. n° 439, p. 1121 ; Bull. Joly Sociétés, 1992, p. 405, n° 128, note Y. Streiff, « considérant qu'a
donné une base légale à sa décision la chambre d'accusation qui a retenu « que la violation de la législation sur les sociétés commerciales par
l'employeur, sans qu'il soit fait état d'un dommage causé par lui à la profession, ne peut justifier l'exercice d'une action par les syndicats, la simple
allégation d'infraction dont se serait rendu coupable l'employeur étant insuffisante pour caractériser un intérêt collectif dont les syndicats auraient
qualité pour assurer la défense » et précisant que « le préjudice indirect qui serait porté, par un délit d'abus de biens sociaux, à l'intérêt collectif
de la profession, ne se distingue pas du préjudice, lui-même indirect, qu'auraient pu subir individuellement les salariés de l'entreprise ».
1861
Tout comme un actionnaire peut obtenir réparation de son préjudice personnel sur ce terrain : Cass. Crim. Fr., 6 janv. 1970, Bull. crim., n° 11.

Page 261
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Sous-section Deuxième : La protection des intérêts


légitimes des tiers dans les procédés de
concentration

349- Dans quelle mesure une entreprise doit-elle tenir compte de l'incidence de son activité sur les
tiers et de l'impact que l'action de ces derniers peut avoir sur elle ? C'est à cette question fondamentale que la
« stakeholders theory » entreprend de répondre depuis la première moitié du vingtième siècle1862.

Littéralement, les « Stakeholders » sont les « porteurs d'intérêts » dont les entreprises doivent tenir
compte, au-delà des actionnaires appelés « Shareholders ». Il ne s'agit rien de moins que de redéfinir l'intérêt
de l'entreprise dans une perspective non plus fermée sur l'actionnariat des sociétés mais ouverte, élargie à
l'ensemble des interactions dont elle est l'occasion1863.
La doctrine anglo-saxonne, extraordinairement foisonnante sur le sujet1864, propose un très grand
nombre de définitions et classifications qui partent toutes de l'idée selon laquelle on ne peut réduire le champ
des personnes intéressées à la bonne marche de l'entreprise à ses seuls associés. Dans la perspective
gestionnaire qui est la sienne, la « Stakeholders Theory », invite à s'intéresser à toute personne qui subit les
conséquences de l'activité de l'entreprise et dont l'action peut avoir un effet sur elle1865. Les économistes, qui
ont porté cette théorie, ne cessent de la développer1866 cherchant à traduire une réalité qui ne peut être évincée
sans discussion dans la mesure où elle plonge au cœur du fait social et plus précisément de l'intérêt social1867.
Elle n'a d'ailleurs pas été ignorée par les meilleures analyses portant sur cette notion1868, et correspond à une
demande très forte de la « société civile » qui exige des entreprises les plus importantes qu'elles lui « rendent
des comptes ». Certaines d'entre elles sont purement et simplement menacées de disparition si elles ne gèrent
pas correctement les conséquences de leurs activités1869.
La question consiste donc à reconnaitre ces tiers porteur d’intérêts légitimes nécessitant d’être
protégés, surtout au moyen de la notion d’abus.
1862
Concernant cette théorie, V. outre l'ouvrage fondateur de Freeman, Strategic Management, a Stakeholder Approach, 1984 ; The Corporation
and its Stakeholders : Classic and Contemporary Readings, ed. M.B.E. Clarkson, Univ. of Toronto Press, 1998 ; FREEMAN (E-R) ET REED (D-
L), Stockholders and Stakeholders : A New Perspective on Corporate Governance, Cal. Man.: Rev., spring, 1983, vol. 25, n° 3, p. 88 ; CAPRON
(M) ET QUAIREL-LANOIZELÉE (F), Mythes et réalités de l'entreprise responsable, la Découverte, Paris, 2004, p.27 ; ORSE, Développement
durable et gouvernement d'entreprise : un dialogue prometteur, ed. d'organisation, 2003 ; WERTHER (W-B) ET CHANDLER (D), Strategic
corporate social responsibility, Stakeholders in a Global Environment : Sage, Miami, 2006 ; FRIEDMAN (A-L) ET MILES (S), Stakeholders,
Theory and practice, Oxford univ. press., 2006.
1863
Il s'agit de traduire ce constat d'évidence que « les entreprises se meuvent dans un environnement qu'elles ne peuvent ignorer sauf à
disparaître», V. FILIBERTI (E) ET QUATREMER (J), Dossier, « La responsabilité sociale des entreprises », éditorial, LPA n° 41, 26 févr.
2004, p. 3.
1864
DIETRICH (A) ET CAZAL (D), RSE : parties prenantes et partis pris, mai 2005 : http ://claree.univ-
lille1.fr/~lecocq/cahiers/rse_cazal_dietrich.pdf ; DAMAK-AYADI (S) ET PESQUEUX (Y), La théorie des parties prenantes en perspective -
Stakeholder Theory in perspective : http ://www.strategie-aims.com/dd03/comdd/damak_pesqueux.pdf ; MORVAN (J), La gouvernance
d'entreprise managériale, Positionnement et rôle des gérants de fonds socialement responsables, thèse, IAE Brest, 2005.
1865
L’Afnor les définit dans sa norme SD 21000 (2003) comme tout « individu ou groupe pouvant affecter ou être affecté, directement ou
indirectement, dans le court terme comme dans le long terme, par les stratégies, les actions, les messages (et leurs conséquences), que l'entreprise
met en oeuvre pour atteindre ses objectifs » (Afnor, 2003).
1866
V. les nombreuses contributions coordonnées par PESQUEUX (Y) sous le titre « Stakeholders in perspective : Corporate Governance » : The
International Journal of Business in Society, vol. 5, n° 2, 2005.
1867
COURET (A), L'intérêt social, JCP E, Cah. dr. entr., 1996/4, p. 1 ; BISSARA (PH), L'intérêt social, Bull. ANSA, n° 3008, juill. 1999 ; Rev.
Soc., 1999, p. 5 ; URBAN (Q), La communauté d'intérêts, un outil de régulation du fonctionnement du groupe de sociétés, art. pré., p. 1, spéc., p.
23 ; DION (N), 2001. Entreprise, espoir et mutation, D., 2001, p. 762.
1868
SCHAPIRA (J), L'intérêt social et le fonctionnement de la société anonyme, RTD com., 1971, p. 957. Déjà en 1971, l'auteur pouvait relever
que la recherche sur l'intérêt social « soulève un problème interdisciplinaire, celui des articulations entre le raisonnement juridique et les
techniques de gestion ».
1869
Il n'est besoin, pour s'en convaincre, que de se référer aux « affaires » les plus retentissantes mettant en cause des violations des droits de
l'Homme ou des pollutions. Qu'est devenue la société Union Carbide ? Pourquoi certaines sociétés sont-elles prêtes à transiger en versant des
montants parfois considérables afin de mettre fin à des procédures mettant en cause leur image au niveau mondial ?

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Qui sont donc ces « porteurs d'intérêts » ? Sommairement, tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre,
côtoyant l'entreprise peuvent être considérés comme intéressés par elle. Ce constat pourrait justifier qu'on
renvoie, sans plus s'y attarder, aux différentes disciplines qui régissent cette coexistence : le droit des sociétés
pour ce qui est des associés, le droit du travail pour les salariés, le droit de la concurrence pour ce qui est des
concurrents, le droit fiscal concernant l’intérêt public etc. Il n'est pas un domaine dans lequel l'influence de la
concentration ne soit susceptible de donner lieu à un traitement juridique1870. On retrouve chez certains auteurs
l'idée selon laquelle les intérêts légitimes de chaque « Stakeholder » doivent être pris en compte dans les
décisions de gestion sans qu'une prééminence soit accordée à l'un d'entre eux ou aux actionnaires. Pour
d'autres, selon une formule parlante, « il ne s'agit pas d'évincer les actionnaires mais de leur donner des
pairs »1871 .

Dans la perspective qui est la sienne la « Stakeholders Theory » fournit une réponse stimulante à
l'interrogation sur l'ouverture de la gestion des entreprises au-delà de la seule recherche de profit. Elle impose
aux dirigeants de prendre en compte la diversité des intérêts liés à l'activité sociale1872. Il s'agit de dépasser le
seul cadre économique pour traduire les attentes dont l'entreprise est l'objet de la part de tous ceux qui la
côtoient. L’entreprise « doit à la fois satisfaire des besoins de nature économique, soit assurer la prospérité
matérielle de ses membres, des parties prenantes et de la société, satisfaire des besoins de nature
psychologique, soit permettre aux individus qui la composent de satisfaire leurs besoins supérieurs, comme la
réalisation de soi, et satisfaire des besoins de nature sociologique, soit participer à la vie des différents
groupes sociaux qui sont en relation directe et indirecte avec elle »1873. Elle s'est particulièrement développée
dans des courants, « business ethics » ou « business and society » qui cherchent à valoriser la dimension
éthique de l'entreprise et trouvent une traduction importante dans l'ensemble des travaux relatifs à la
responsabilité sociale des entreprises qui lui accordent une place centrale1874.

350- Il est patent que la notion d’abus, imprégné dans une large mesure par la stakeholders theory,
repose sur un constat largement dégagé par la « doctrine de l'entreprise » dont l'originalité réside précisément
dans un élargissement des intérêts pris en compte dans le cadre sociétaire1875. Il est possible d'y voir un essai
d'analyse structurelle de la coexistence des intérêts1876 qui se cristallisent autour des sociétés et dont la prise en
compte par le droit des sociétés est un impératif évident1877. Ainsi est apparue la nécessité d'assurer la
protection des tiers face à des éléments purement internes, tels l'objet de la société ou le pouvoir de ses
organes. Le droit des sociétés lui-même s'est intéressé aux questions touchant à la situation de certains tiers,
étrangers au contrat de société mais ayant une position particulière par rapport à la personne morale, à savoir
certains prêteurs1878 ou encore les salariés qui apparaissent comme de véritables sujets du droit des sociétés1879

1870
PAILLUSSEAU (J), Les apports du droit de l'entreprise au concept de droit, D., 1997, chron. p. 97, « la simple approche de la notion de droit
de l'entreprise ou de droit des affaires montre qu'il n'y a pas de discipline ou de branche du droit qui serait le droit de l'entreprise ou le droit des
affaires, mais qu'il y a un certain type d'activité qui est organisé par des techniques juridiques ressortissant à de nombreuses branches du droit ».
1871
MATHEY (N), Recherches sur la personnalité morale en droit privé, Thèse Paris II, 2001, n° 383, p. 163-164 ; LEROY (F), Introduction à la
responsabilité sociale des entreprises, in Mélanges R. Pérez, Ems éd., 2005, p. 20 « une entreprise socialement responsable est celle qui, au
moment de ses décisions, intègre à la fois ses intérêts et ceux de la société dans laquelle elle évolue ».
1872
GUERBAA (B-H), L’éthique, la corporate governance et la protection des stakeholders : étude comparée avec le droit américain, I.J., n°
90/91, Mai 2010, p 18.
1873
LEROY (F), art. préc., p. 20.
1874
SOBCZAC (O), Le cadre juridique de la responsabilité sociale des entreprises en Europe et aux États-Unis, Dr. soc., 2002, p. 806 ;
CHAUVEAU (A) ET ROSE (J-J), L'entreprise responsable, éd. d'organisation, 2003, p. 30 ; TREBULLE (F-G), L'entreprise et l'éthique
environnementale, Rép. Soc. Dalloz, mars 2003 ; (même auteur), La responsabilité sociale des entreprises, LPA, n° 41, 26 févr. 2004.
1875
PAILLUSSEAU (J), L'efficacité des entreprises et la légitimité du pouvoir, LPA n° 74, 19 juin 1996, p. 17 ; (même auteur), La modernisation
du droit des sociétés commerciales. Une reconception du droit des sociétés commerciales, D., 1996, chron., p. 287 ; (même auteur), Entreprise,
société, actionnaires, salariés, quels rapports ?, D., 1999, chron. p. 157 ; COURET (A), L'intérêt social, art. préc., n° 30 ; FARJAT (G), Les «
sujets » de l'entreprise, In Mél. Cl. Champaud, p. 317 ; pour une présentation historique V. HILAIRE (J), Une histoire du concept d'entreprise,
Arch. Phil. Dr. n° 41, 1997, p.341.
1876
PAILLUSSEAU (J), Les apports du droit de l'entreprise au concept de droit, art. préc., n° 49, souligne que l'entreprise « est un centre
d'intérêts dans la mesure où son existence et son activité font naître de multiples intérêts dont elle est la cause et le support : intérêt du chef
d'entreprise, des associés ou actionnaires, du personnel, des créanciers, etc. »
1877
LE CANNU (P), Droit des sociétés, Montchrestien, 2e éd., n° 20 ; URBAN (Q), La communauté d'intérêts, un outil de régulation du
fonctionnement du groupe de sociétés, art. pré., p. 1.
1878
Tel est le cas des obligataires et, plus largement, des titulaires de valeurs mobilières ne donnant pas accès au capital ou n'y donnant accès qu'à
terme.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

de façon générale et en matière de concentration, de façon particulière. Sans oublier évidemment l’Etat et les
créanciers qui sont intéressés directement par la marche de l’entreprise sociétaire, surtout lorsqu’elle fait
l’objet d’une opération de concentration1880.

De manière générale, on sait que le droit tunisien, comme le droit français des sociétés1881, est
profondément marqué par cette idée de protection des différents intérêts qui gravitent autour de la personne
morale. En matière d’abus de biens sociaux, la chambre criminelle de la Cour de cassation française n’hésite
pas à rappeler régulièrement que le but de l’abus est « de protéger le patrimoine social, dans l’intérêt de la
société elle-même et des tiers1882 ». D’ailleurs, même la Cour de cassation tunisienne semble aussi aller dans
le même sens1883. Or, intérêts internes et intérêts externes sont précisément les considérations qui dictent le
choix du juge et du législateur dans la mise en œuvre de la notion d’abus dans les procédés de concentration.
Ceci est particulièrement manifeste en droit fiscal. La protection des intérêts externes à la personne morale,
notamment ceux du Trésor public, justifie traditionnellement le recours à l’abus de droit en matière fiscale
(-§1-). Bien qu’elle soit moins évidente, cette préoccupation se retrouve de la même manière dans l’ensemble
du droit privé. Le juge et le législateur n’ont pas hésité à appliquer la notion d’abus dans le but de protéger
certains intérêts externes, extra-étatiques, que les procédés de concentration mettent en jeu (-§2-).

-§1- : La protection des intérêts de l’Etat en matière fiscale

351- L'Etat et, dans une moindre mesure, les collectivités locales figurent également au nombre de
ceux qui interagissent avec la société, que ce soit au titre de l'édiction de règles particulières dont le coût est
supporté par la personne morale ou par le seul constat de l'incidence des politiques en matière de fiscalité ou
d'emploi. L’impôt dû n’est-il pas la principale source des revenus étatiques1884 ? Par conséquent, l'Etat ne peut
être considéré comme étranger au développement des sociétés, surtout lorsqu’il est question des procédés de
concentration. Faut-il rappeler que monsieur Breton, ex-ministre de l’économie en France, a déjà déclaré, en
2006, que « L'Etat français est en effet un Stakeholder, c'est-à-dire une partie prenante, non-actionnaire, qui
a un intérêt dans le développement économique d'une grande entreprise. Quelles sont ces parties prenantes
non-actionnaires ? Ce sont les salariés, les syndicats, les fournisseurs, les clients, les collectivités locales et
aussi, parfois, lorsqu'un intérêt majeur est en jeu, les Etats » 1885.

Dans ce cadre, l’optimisation fiscale fait partie aujourd’hui de la gestion d’un grand nombre
d’entreprises1886. Dans cette perspective, les sociétés multinationales n’hésitent pas à profiter de leur étendue
et de leurs structures internes pour alléger leur charge fiscale. Si parfois les entreprises ont recours à des

1879
V. Le salarié, sujet de droit des sociétés in Bull. Joly, n° spéc. juill. 2005 ; particulièrement REGNAUT-MOUTIER (C), Propos introductifs,
p. 3.
1880
FRANÇOIS-GUY (T), Stakeholders Theory et droit des sociétés, Bulletin Joly Sociétés, 01 décembre 2006 n° 12, P. 1337.
1881
Ceci est vrai également pour le droit européen. Cette préoccupation apparaît, par exemple, dans le Plan d’action sur la modernisation du droit
des sociétés de la Commission européenne, publié le 21 mai 2003. Celui-ci vise notamment l’équilibre entre les intérêts des associés, des tiers et
des salariés (http://europa.eu.int./eur-lex/fr/com/cnc/2003). V. aussi GOFFAUX-CALLABAUT (G), Le plan d’action de la commission
européenne en droit des sociétés : une approche française, Bull. Joly Sociétés 2003, § 213, p. 997.
1882
Cass. Crim. Fr., 8 mars 1967, RTD com. 1967, p. 937 obs. BOUZAT (P.) ; BOUZAT (P), obs. sous Cass. Crim. Fr., 9 mai 1973, RTD com.
1974, p. 593, n° 3.
.98 ‫ ص‬،1981 4A 1 ‫ د‬N ،.‫ت‬.‫م‬.‫ ن‬،1981/10/05 = ‫ _رخ‬،3895 ‫(د‬3 "( 61@7; ‫ ار‬: 6‫ُ اﺟ‬+ 1883
.6 ‫ ا و ّ ت ا‬3 ‫ ا‬6 ‫ ﺟ‬M 8N ‫ ا ﺟ‬kA ‫ " ا‬$ I ‫ ﺟ‬U ‫ ا‬K$'K‫أﺟ‬ +‫ د‬f d$ ‫ و‬# ‫ون ا‬qO !$ VK!+ Uّ < ‫ أ ر ا و‬a<S] 9 !$ ّ ‫ ردا ھ‬+ ‫ ّ ا‬#$ " 1884
X ‫ ت و ا ا‬#ّ L ‫ و‬K‫ ﺟ‬M ‫ رات ا‬P ‫ و ا‬A ! ‫ف ا ھ اف ا‬S ‫ ا‬I! I!4 ‫ص و ا‬SP A ‫ و ط ق ا‬K$ N 7 ‫ف‬S 7 # ‫ و‬Nّ 4 I ‫ ا‬F ‫ ] در ا‬k D ‫ ن‬$ ‫و‬
‫ ء‬g 8G ّ ‫< ّ ت ا دارة ا‬S0 ، N ّA- ‫ ط رق ا‬." ‫ ا و‬V 7 M ‫ّر‬ ‫ ا داء ا‬M+ $ ‫ف و‬S ‫ ا‬U N ‫ ا‬+ F‫ا‬ 4 ‫ ا‬H+ $ UN A‫اذي ا‬ ‫ ا‬.‫ أ ى‬K‫ ﺟ‬M +‫ ] د‬7 ‫ا‬
‫د‬.‫ م‬11602 ‫ ر‬$ ‫ ا‬V ‫ أن " ا ا‬2010 4! ‫ وع 'ا ا و‬3 ‫ م < ل‬# ‫ ا‬+ ‫ ا‬8G F+‫ ورد أ‬.22 ‫ ص‬،2009 V+ G‫ أ‬،67/66 ‫ د‬N ، ‫را‬ ‫ ا‬، d+ ‫ت ا‬S+ # ‫ا‬
‫ه‬D‫ ھ‬8F/$‫ و‬. 60 !4 ‫ ة‬O 5 ‫ﺟ‬V ‫و ا‬ 40 !4 ‫ ة‬O ‫ ﺟ‬V ‫ ا‬U N #$‫ و‬2009 4! 8 ‫ا‬ ‫ ن ا‬7 ‫ ات‬+ ‫ر‬ 3،10 ‫ دة‬+' ‫أي‬
.6 ‫ ص‬، 2009/12/9 *+‫ ر‬19506 ‫ د‬N ، ‫ ا و‬+ ‫ ر ا‬N‫دون ا‬
‫ ة ا ] ح ا‬+ ‫ ﺟ‬6‫ راﺟ‬،" 7،18‫و‬ 2،20 ‫ < ود‬8G 8 ‫ ﺟ‬8 ‫ ﺟ‬h^g ! U ‫ ات ا‬+ ‫ا‬
1885
V. Déclaration de Mr. Th. Breton, ministre de l'Économie, à propos du projet d'OPA de Mittal Steel sur Arcelor, lors de la discussion du projet
de loi relatif aux OPA au Sénat, le 21 févr. 2006.
.540 ‫ ص‬،2002 4A ،8 ‫ د‬N،6+ 3 ‫ ء و ا‬F ‫ ا‬،8 ‫ ا 'ﺟ ا‬،‫ (ي‬7 ‫ ا‬, ( ‫ح ا‬CG 1886

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

moyens frauduleux, dans la plupart des cas, il ne s’agira toutefois que de procédés d’évasion ou de fraude
fiscale qu’un auteur définit comme étant l’ensemble des procédés « par lesquels les contribuables peuvent
échapper en tout ou partie à l’impôt sans ou avec des manœuvres frauduleuses »1887. Parmi ces techniques,
l’emploi de l’abus de droit est d’usage courant. Le législateur est donc intervenu afin de permettre à
l’administration fiscale de passer outre l’autonomie de gestion de la personnalité morale1888. En effet, l’article
101 CDPF illustre combien la notion d’abus est commandée par le problème juridique qu’elle doit résoudre.
Tout se justifie, en fait, par le souci légitime de lutter contre la fraude fiscale et de préserver les intérêts de
l’Etat1889. L’objectif des dispositions législatives est clairement de dissuader les contribuables d’abuser de
leurs droits en matière fiscale afin de réduire la matière imposable et frauder de la sorte les droits pécuniaires
du fisc. En d’autres termes, on cherche à protéger les intérêts du Trésor public1890.

L’idée qui transparaît est que le législateur recherche une sorte de compromis. D’un coté, il montre sa
volonté de maintenir les principes juridiques. Il s’agit ici des principes d’autonomie de gestion des personnes
morales et de non immixtion dans leur fonctionnement qui, selon le Doyen Georges Ripert1891, sont des règles
essentielles au développement des procédés de concentration des sociétés. De l’autre côté, le législateur
affiche sa volonté de défendre les intérêts des tiers et des créanciers de la personne morale. En droit fiscal, ce
sont les intérêts du Trésor ou de l’Etat qui sont pris en compte1892. Ceux-ci peuvent décider de l’issue de
l’affaire, le législateur considérant que le principe d’autonomie de la personne morale peut être sacrifié
lorsque cette règle va à l’encontre des intérêts du Trésor public. C’est dire que le phénomène d’abus, en droit
fiscal et ailleurs, a un caractère fonctionnel. C’est dans le but de protéger des intérêts externes qu’il est mis en
œuvre.
Pour s’en rendre compte, il suffit de songer au cas d’abus de droit en matière fiscale qui consiste à
reconstituer les bénéfices sociaux en tenant compte de l’enrichissement du dirigeant. En vertu de cette
méthode, l’administration a la faculté de reconstituer le chiffre d’affaires ou les résultats d’une société en se
fondant sur l’enrichissement personnel de celui ou ceux qui la contrôle(nt)1893. Dans ce cas, parce que les
intérêts du Trésor public ont été bafoués par la dissimulation d’une partie des bénéfices sociaux imposables,
c’est sans hésitation que l’administration s’autorise à appréhender le dirigeant abusif1894.

352- Il faut relever, enfin, que la société est un agent économique contrôlé. Les multiples contrôles
internes, liés à son fonctionnement, ne doivent nullement occulter le contrôle de l’agent économique qui est

1887
PENNERA (C), Les sociétés-relais et l’évasion fiscale internationale, JCP, éd. C.I., 1974, I, 11315.
1888
Ibidem.
‫' ا دارة‬C ،‫ ري‬1 ["‫ أ‬. # ‫ و‬1 ‫ ص‬،1999 ، 34 ‫ وا‬6 L `+ ‫ ا‬/ ‫ دار ا‬،U ‫ ا و‬# L ‫ ا‬،8 ‫ ] د ا‬7 A ‫ ا‬+‫ ] د‬7 ‫ ا‬9 ‫ وا ا‬# ‫ ا ال ا‬9 ‫ ﺟ ا‬،‫ّ ش‬A3 ,!0 1889
.a + ‫ و‬1 ‫ ص‬،2004-2003 ، A ! ‫ ا ق‬C ، # ‫ ت ا‬A‫ دة ا را‬KO U N ‫ ة ] ل‬CD ، ‫ ا‬9 ‫ ا ا‬8G # ‫ ى ا‬N ‫ ا‬8G
U ، ‫< ت ا دارة ا‬S0 ، ‫ ( ا ا‬0‫ أ‬.63 ‫ ص‬،2000 G ، A ! A ! ‫ م ا‬# ‫ا ق وا‬ ‫ج‬.‫إ‬.‫ح‬.‫ < ل م‬U ، ‫ ا دة ا‬8G ‫ رة‬+' ‫ <" ا‬، 1A 7> ‫ا‬ D 1890
‫ ت‬A‫ دة ا را‬KO U N ‫ ة ] ل‬CD ، +‫ ] د‬7 ‫ ا‬9 ‫ ا ا‬8G 6 ‫ ا‬، ‫ ا‬9 ‫ ر‬A . # ‫ و‬143 ‫ ص‬،" A 6‫ ﺟ‬، ‫ ا دارة ا‬،‫ ر‬A , 71 ‫ ر‬.119 ‫ ص‬،2005 ،V 4 ‫ ي‬K‫ﺟ‬
.78 ‫ ص‬،2002-2001 ،H7 /] ‫ ا ق‬C ، # ‫ا‬
1891
RIPERT (G), Aspects juridiques du capitalisme moderne, 2ème éd., Paris : LGDJ, 1951.
‫ < ل‬U ،‫ﺟ ري‬J‫ ا‬i ‫ ت ا ظ‬N‫ 'ا‬8G ‫ ت‬p ‫ ا‬،‫ ري‬17 ‫ ل ا‬. # ‫ و‬1 ‫ ص‬،2004-2003 ،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا روس‬9 V 4 A‫ ر‬، ‫ ا‬9 ‫ ا ا‬، ‫ م ا زو‬ED 1892
.11 ‫ ص‬،2003 8/ ‫ ﺟ‬،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬،8 ‫ا ن ا‬
1893
Portant atteinte au principe de séparation des personnes morales et de ses membres, la jurisprudence française a admis que, sous certaines
conditions, la méthode de reconstitution des bénéfices d’après l’enrichissement de son dirigeant pouvait être appliquée aux sociétés. L’admission
de cette méthode dans les sociétés est toutefois subordonnée à des conditions strictes. En premier lieu, la comptabilité de la société doit être
dépourvue de valeur probante. Ceci suppose que l’Administration démontre la présence d’irrégularités de forme dans la comptabilité, de vices ou
d’invraisemblances graves ou encore le défaut de pièces justificatives. En second lieu, la détermination des résultats de la société d’après
l’enrichissement de son dirigeant est subordonnée à la condition que l’intéressé se comporte en maître de l’affaire. Pour la jurisprudence, il s’agit
de limiter la mise en œuvre de la méthode aux hypothèses dans lesquelles des circonstances précises permettent d’estimer que le « dirigeant »
pouvait sans difficulté et à l’insu de tous, s’approprier les bénéfices sociaux. Cette idée avait conduit la jurisprudence, du moins dans un premier
temps, à exiger deux éléments. D’une part, le dirigeant devait détenir une part prépondérante du capital social de telle sorte qu’on puisse présumer
qu’il était « seul maître à bord » et qu’il pouvait agir sans contrainte ni limite. D’autre part, l’administration devait dégager « des circonstances
précises et concordantes tirées du fonctionnement même de la société pouvant laisser à penser que la société avait effectivement réalisé des
bénéfices occultes ». Tel était le cas, par exemple, lorsque la société avait réalisé des ventes sans factures. Les exigences de la jurisprudence
française se sont toutefois renforcées à partir d’une décision du 6 février 1985 (CE, 6 février 1985, n° 43328 et 43330, RJF 4/85, n° 538).
Désormais, la jurisprudence exige que l’administration fasse état « de circonstances précises et concordantes ressortant du fonctionnement de
l’entreprise » et démontrant l’existence d’une confusion des patrimoines privé et social. Cette dernière est donc un élément supplémentaire qui
vient s’ajouter à ceux que l’administration était déjà tenue d’apporter.
U ،‫ج‬.‫إ‬.‫ح‬.‫ل م‬S M ‫ ا‬9 ‫ ا ا‬، ‫ د وا‬N . # ‫ و‬133 ‫ ص‬،2009 H $ ،U ‫ ا و‬# L ‫ ا‬،m P ‫ب ا‬ ‫ا ط ش‬6 ، ‫ ا ﺟ اءات ا 'ا‬8G ‫ دروس‬،‫ ن‬2- =23 1894
.17 ‫ ص‬،2001 ‫ ي‬/ G ،H7 /] ‫ ف‬4@ A ‫ا‬ ‫ج ا ة‬.‫إ‬.‫ح‬.‫ < ل م‬U ، + ‫ ا‬#‫ اﺟ‬8G ‫دارة‬J‫ ت ا‬L A ،‫( < م‬1 ‫ و‬.45‫ ص‬،2001 ‫ ي‬/ G ،H7 /0 ‫ج‬.‫إ‬.‫ح‬.‫< ل م‬

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

opéré afin de savoir s’il agit dans le sens de l’intérêt étatique. Il faut donc veiller en sorte que l’intérêt
économique de la société ne soit pas différent de celui de l’Etat car ce serait contraire au but de la personne
morale1895. Vu sous cet angle, l’intérêt social peut s’entendre comme l’intérêt de l’Etat appliqué à la société.

353- Bien évidemment, l’administration fiscale et l’Etat ne sont pas les seuls intéressés par
l’existence de la personne morale et son évolution. Nombre de personnes extérieures y sont également
concernées, il peut s’agir des membres qui ont créé ou qui participent à la personne morale, des salariés et
investisseurs qui permettent son fonctionnement, des clients et fournisseurs qui sont en rapport d’affaires avec
elle. Leur protection est un objectif clairement affiché au niveau national1896 comme en droit comparé1897.

-§2- : La protection des intérêts extra-étatiques dans les


procédés de concentration

354- Incontestablement, la notion d’abus commande la protection des différents « intérêts


catégoriels1898 » en présence. Il s’agit en l’occurrence des intérêts les plus divers : ceux des salariés, des
créanciers, des investisseurs, des concurrents, des consommateurs...
Si on écarte les intérêts fiscaux de l’Etat, rien n’interdit de qualifier les intérêts des autres tiers précités
d’extra-étatiques. La préoccupation dirigée vers ces intérêts apparaît plus clairement encore lorsque ceux des
salariés de la personne morale sont en jeu. En effet, les salariés constituent le groupe de « Stakeholders » le
plus important numériquement et, là encore, le constat qu'ils influencent l'entreprise et sont influencés par elle
est unanimement partagé. Le véhicule de leur intérêt est alors leur contrat de travail qui se trouve imbriqué
dans le double réseau, collectif et individuel, bien traduit par le droit social1899.

La Cour de cassation française a, à deux reprises, admis de dépasser l’écran de la personnalité morale
pour reconnaître que la cession de contrôle, ayant pour but la constitution d’un groupe de sociétés, équivalait à
la cession de l’entreprise exploitée par la personne morale. A chacune de ces occasions, la volonté de protéger
les salariés de la société est apparue comme le véritable leitmotiv de cette jurisprudence. La Chambre
criminelle, dans l’arrêt Haulotte, du 2 mars 19781900, a considéré que : « s’il est vrai que la vente,
régulièrement conclue entre particuliers, d’actions ou de parts d’une société constitue en règle générale, une
opération patrimoniale d’ordre privé…, il en va autrement au cas où la transmission négociée d’une partie du

‫ق‬ ‫ا‬ C، # ‫ ت ا‬A‫ دة ا را‬KO V 4 ‫ ة‬CD ، ‫ا‬9‫ا‬ ‫ ا‬، 1A ‫ ى‬S" . # ‫ و‬70 ‫ ص‬،2002 ،` d ‫ د ا‬# ‫ ا‬،6+ 3 ‫ ء و ا‬F ‫ ا‬، ‫< ت ا دارة ا‬S0 ، 2 ‫ ( ا ر‬0‫ أ‬1895
.61‫ ص‬،2000/1999 ،H A ! ‫ م ا‬# ‫وا‬
1896
Ibidem ; Le rapport Marini affirme aussi que « la loi doit mettre à la disposition [des entreprises] des formes sociales aussi souples que
possible tout en garantissant la sécurité juridique des salariés, des créanciers et des clients ». Rapport de Monsieur le sénateur Philippe MARINI
sur « la modernisation du droit des sociétés commerciales » commenté par PAILLUSSEAU (J), La modernisation du droit des sociétés
commerciales. Une reconception du droit des sociétés commerciales, D. 1996, 1ère partie, p. 287.
1897
La première directive européenne tendant à l’harmonisation du droit des sociétés dans les pays membres visait ainsi de manière expresse la
protection des tiers et des créanciers. Directive 68/151/C.E.E. du 9 mars 1968, JCP 1968, III, 34105. Cette préoccupation apparaît encore dans le
Plan d’action sur la modernisation du droit des sociétés de la Commission européenne, publié le 21 mai 2003. Celui-ci vise notamment l’équilibre
entre les intérêts des associés, des tiers et des salariés (http://europa.eu.int./eurlex/ fr/com/cnc/2003). V. aussi GOFFAUX-CALLABAUT (G), Le
plan d’action de la commission européenne en droit des sociétés : une approche française, Bull. Joly Soc., 2003, n° 213, p. 997.
1898
L’expression est empruntée à Monsieur Jean PAILLUSSEAU.
1899
TEYSSIE (B), L'entreprise et le droit du travail, Arch. Philo. dr., n° 41, 1997, p. 355.
1900
Cass. Crim. Fr., 2 mars 1978, Comité d’entreprise des Etablissements Haulotte et autre c. Haulotte,
JCP éd. CI 1978, II, 12868, note SALVAGE (P.) ; RTD com. 1979, p. 261, n° 12, obs. HOUIN (R.). Cette jurisprudence fût plusieurs fois
consacrée : Cass. Crim. Fr., 4 avril 1979, Syndicat libre des travailleurs sur métaux CFDT de la région Valenciennes et autre C. Joly et autres,
Rev. Soc. 1980, p. 313, note BOULOC (B.), D. 1980, 2ème partie, p. 125, note BOUSQUET (J.-C.) ; Cass. Crim. Fr., 29 juin 1982, Portier et
autre, JCP éd. G 1982, IV, 321 ; Cass. Crim. Fr., 22 mars 1983, Fédération française des travailleurs du livre CGT et autre, Dr. social 1983, p.
640, obs. SAVATIER (J.), D. 1984, 3ème partie, p. 162, obs. REINHARD (Y.). La solution a reçu une consécration légale par la Loi 82-915 du 28
octobre 1982 (JCP éd. G 1982, III, 53341). Modifiant l’article L432-1 alinéa 4 du Code du travail français (nouvel article L2323-21) qui prévoit
que le comité d’entreprise est informé et consulté sur les modifications de l’organisation économique et juridique de l’entreprise, cet article dispose
en outre que le chef d’entreprise doit l’informer lorsqu’il a connaissance d’une prise de participation.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

capital social est utilisée comme un moyen de placer la société qui exploite une entreprise sous la dépendance
d’une autre société ». Une « telle opération, qui équivaut dans l’ordre économique à la cession de
l’entreprise elle-même » nécessite dés lors que le dirigeant qui en a connaissance soit tenu de consulter le
comité d’entreprise. A défaut, celui-ci se rend coupable du délit d’entrave au fonctionnement de cette
institution1901 et, par conséquent, de licenciement abusif des salariés.

Quels peuvent être les motifs qui ont poussé les magistrats à faire application de la notion d’abus ?
Tout l’enjeu de la question posée aux juridictions résidait dans le bon ou le mauvais fonctionnement de
l’institution représentative du personnel. La Cour française a pris parti pour ce dernier, décidant que la bonne
marche du comité d’entreprise méritait bien le sacrifice de la personnalité morale. Or, au travers de ses
représentants, ce sont les intérêts des salariés dans l’entreprise qui sont protégés. Ces intérêts semblent
commander la décision de dépassement de la personnalité morale ainsi que l’application de la notion de
licenciement abusif par la Cour de cassation.

Ce souci de protéger les intérêts des salariés justifie également que la jurisprudence française ait
distingué selon que la cession de contrôle était réalisée au profit d’un particulier ou d’une autre société.
Monsieur Jean Paillusseau1902 a parfaitement expliqué cette distinction, consacrée par la suite par le
législateur. La prise de contrôle ou l’opération de filialisation ne met en péril les intérêts des salariés que
lorsqu’elle entraîne immédiatement ou a posteriori une restructuration interne ayant des incidences sur l’outil
de travail et l’emploi. C’est l’idée qui semble être à la base du raisonnement de la Cour de cassation française
car cette conséquence n’est que très incertaine lorsque le cessionnaire est un particulier. Celui-ci se contentera
généralement de poursuivre l’exploitation sans y apporter de modifications importantes. Les intérêts des
salariés ne sont donc pas a priori en péril. En revanche, la restructuration est très probable lorsque le
cessionnaire est une autre société. Dans cette hypothèse, l’opération se traduisant par l’entrée de la société
dans un groupe, elle sera l’occasion de réorganiser le travail dans l’ensemble des sociétés. La même idée fut
partiellement reprise par le législateur français1903. L’article L 432-1 du Code du travail français1904 n’impose,
en effet, l’information et la consultation du comité d’entreprise que lorsque la cession de contrôle entraîne des
« modifications de l’organisation économique et juridique de l’entreprise »1905. Dans le cas contraire, lorsque
la société dont les titres sont cédés ne subit pas de modification de son organisation, seule l’information du
comité est requise1906. Les exigences sont donc renforcées lorsque la cession de contrôle a des conséquences
concrètes pour les salariés, c’est donc bien leur protection qui guide la solution jusqu’à son terme.

Cet exemple montre, de manière claire, que le droit se préoccupe des intérêts externes que la personne
morale met en jeu et cherche à les protéger aussi efficacement qu’il paraît nécessaire, quitte à appliquer la
notion d’abus. Ce n’est, d’ailleurs, pas un hasard si les hypothèses d’application du concept d’abus les plus
radicales interviennent en droit fiscal ou en droit social. On sait que dans ces disciplines, le législateur, le juge
et l’administration fiscale sont particulièrement sensibles à la protection des intérêts respectifs de l’Etat et des

1901
Cette infraction est inscrite dans le Code français du travail, à l'article L. 2328-1 du code du travail français : « le fait d'apporter une entrave
soit à la constitution d'un comité d'entreprise, d'un comité d'établissement ou d'un comité central d'entreprise, soit à la libre désignation de leurs
membres, soit à leur fonctionnement régulier, notamment par la méconnaissance des dispositions des articles L. 2324-3 à L. 2324-5 et L. 2324-8,
est puni d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 3 750 euros ».
M # ‫ أو |< ى ا‬4 A ‫ م‬N U ‫ م إ‬+‫ ر و ! أ‬4+‫ د‬300 ‫ و‬30 M ‫ اوح‬$ LP I7 #+ " a ‫ أ‬U N (1994 ‫ ي‬/ G 21 8G ‫رخ‬q ‫ ا‬1994 4! 29 ‫ د‬N ‫ن‬ ّ ) ‫ م ش‬241 V]/ ‫ّ ا‬m4+
." ‫ د‬# ‫ رة ا‬0 8G M ! ‫ دا‬9 + ‫ و‬. # ‫ اب ا‬4 ‫ أو‬4 ‫ه ا‬DK ‫ دي‬# ‫ ط ا‬34 ‫ أو ا‬# ‫ اب ا‬4 ‫! أو‬Aq +‫ ر‬3 A ‫ ا‬4 #‫ا‬8d ّ ‫را‬ ّ M VC h G
‫ اء ا‬A ‫] ا‬7 VLN
1902
PAILLUSSEAU (J), La cession de contrôle, JCP 1986, I, 3224, n° 81 et s.
1903
Sur cette distinction, V. LAFARGE (P), Prise de contrôle et intérêts des salariés, RJ com. 1998, n° spécia, p. 71.
1904
L’article L432-1 alinéa 3 du Code du travail français (nouvel article L2323-21) dispose que « le comité est informé et consulté sur les
modifications de l’organisation économique et juridique de l’entreprise, notamment … lors de l’acquisition ou de la cession de filiales » au sens de
l’article L233-1 du Code de commerce. La distinction n’est toutefois que partiellement reprise car la consultation est aussi obligatoire en cas de
prise de participation dans une autre société, même non accompagnée de modifications de l’entreprise.
1905
Concernant le droit du travail tunisien V. infra n° 389.
1906
L’article L432-1 alinéa 3 du Code du travail français (nouvel article L2323-21) dispose, en effet, que le dirigeant est tenu vis-à-vis du comité
d’entreprise « de l’informer lorsqu’il a connaissance d’une prise de participation dont son entreprise est l’objet ».

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

salariés1907. Cet exemple établit également que la notion d’abus est toujours mise en œuvre pour des raisons
essentielles et des intérêts considérables.

355- Les marchés, bien que non personnifiés, réunissent également un ensemble de personnes
intéressées par la gestion de certaines sociétés, surtout celles faisant appel à l'épargne publique. Là encore, un
grand nombre de règles existent, traduisant la force et la volonté de protection de ces intérêts qui se difractent
entre les diverses structures et les différents acteurs qui concourent à leur fonctionnement. La non-
personnification des marchés n'est ici pas rédhibitoire à leur identification dans la mesure où existent des
institutions personnifiées qui relaient ces intérêts, au premier rang desquelles figurent le conseil du marché
financier et le conseil de la concurrence. On peut aussi rattacher aux marchés les concurrents de la société
dont les intérêts sont consacrés par le droit de la concurrence et protégés par la notion d’abus de puissance
économique1908.

Il faudra donc tenir compte du fait qu'à côté de la figure du minoritaire, apparaît une autre figure, celle
de l'investisseur. Dès lors, la protection du premier tend à se confondre avec celle du second et avec celle du
marché financier dans son ensemble qui a un caractère d'intérêt général1909. La saine gestion des entreprises
cotées étant d'ordre public. L'action publique par l'intermédiaire du procureur, en matière d’abus du marché,
est donc protectrice des intérêts privés des épargnants et aussi de l'intérêt public du marché1910. En d’autres
termes, en sus des intérêts des salariés et de l’Etat, ceux des investisseurs commandent parfois la mise en
place de la notion d’abus. En effet, le bon fonctionnement des marchés, qui est l'une des missions du CMF1911
et dont il peut sanctionner la méconnaissance, implique qu'il ne soit pas faussé par des achats effectués sur le
fondement d'une information privilégiée. Ces achats ne sont d'ailleurs pas seulement préjudiciables au marché:
ils le sont également aux investisseurs1912 dont l'égalité est altérée puisque certains d'entre eux possèdent une
information que d'autres n'ont pas. Il en est également ainsi lorsque les investisseurs sont trompés par des
informations imprécises et fallacieuses ou ne bénéficient pas de l'information permanente qui leur est due. Ces
manquements, qui ont pour effet de fausser la perception que les investisseurs ont de la situation financière de
la société émettrice, perturbent le marché « dont le bon fonctionnement dépend de l'exactitude et de la
sincérité des informations données au public ». Ils portent ainssi gravement atteinte « aux intérêts des
investisseurs qui ont été conduits à acheter ou à conserver un titre dont le cours a chuté de manière
significative après la diffusion d'informations correspondant à la réalité de la situation de l'entreprise »1913.

356- Une des limites de la théorie des « Stakeholders » tient, assurément, au fait que les catégories
ne sont pas étanches et que des intérêts, parfois contradictoires, peuvent être cumulés. L'exemple le plus
commun est celui de l'actionnaire salarié, mais il en va de même de l'actionnaire et/ou salarié militant
écologiste, de l'actionnaire concurrent, du salarié voisin etc. Ceci n'est pas ignoré des analystes qui suggèrent
d'opérer un tri entre les différents intérêts afin de permettre l'optimisation des choix retenus1914 . Ce n'est pas
en vain que la « Stakeholders Theory » impose de différencier les intérêts présents dans l'entreprise. En effet,
il n'est pas possible de les traiter sur un strict pied d'équivalence et il est nécessaire de les hiérarchiser afin de
rendre possible leur prise en compte. Pour ce qui est des associés et des participants, dans la mesure où leurs

1907
PAERELS (H), Le dépassement de la personnalité morale : Contribution à l’étude des atteintes à l’autonomie des personnes morales en droit
privé et droit fiscal français, Université de Lille 2, Faculté des Sciences Juridiques, Politiques et Sociales, Thèse , 2008, n° 129.
1908
Ibidem.
1909
PERNAZZA (F), Les actionnaires minoritaires dans les sociétés cotées : l’évolution du droit italien dans une perspective comparée, L.P.A.,
14 octobre 1998 n° 123, p. 34.
1910
Ibidem.
1911
BONNEAU (TH) ET DRUMMOND (F), Droit des marchés financiers, Économica, 2001, no 268, p. 234.
1912
La cour d’appel de Tunis a eu l’occasion d’affirmer ceci indirectement dans l’arrêt n°347 du 13 novembre 1996, en ces termes :
a# a $‫ي ا‬D ‫ا‬ ‫ ! ق ا‬M # ‫ ار‬g ‫ ا‬U ‫دي < ا‬q+ a 7 M K ‫ل‬S ‫وان ا‬ ‫ ! ق ا‬M # ‫ وا‬M+ ‫و] ا‬ ‫ و ا‬d ‫ ا‬U N U4 $ h A ‫" و< ` أن واﺟ ت ا‬
، ‫ ا < اث ا‬: 6‫ُ اﺟ‬+ ." ‫ ا ! ق ا‬9 4$ ‫ دة‬N " # ‫ وا‬1994 G 8G ‫رخ‬q ‫ ا‬117‫ د‬N ‫ ا ن‬M 42‫ و‬41 M ]/ ‫ ط " ا‬I+‫ ا [د‬H U N k ‫ ﺟ اء ذ‬M h A ‫ا< ا‬
. K + ‫ و‬37 ‫ ص‬،2010 ‫ ي‬/ G ،85/84 ‫ د‬N
1913
BONNEAU (TH), Du bon fonctionnement du marché, de la protection des investisseurs et des garanties procédurales dont les contrevenants
bénéficient , Bull. Joly Bourse, 01 septembre 2002, n° 5, p. 436.
1914
Rappr. Les conflits d'intérêts dans le monde des affaires, un Janus à combattre, sous la dir. de V. Magnier, PUF, 2006, spéc. A. Bennini, «
L'élargissement du cercle des conflits d'intérêt dans les sociétés commerciales », p 155.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

intérêts bénéficient d'ores et déjà de relais institutionnalisés, on peut considérer qu'ils sont, nécessairement
intégrés dans leur spécificité. Au-delà, l'une des priorités d'une gestion satisfaisante consistera certainement
dans le classement stratégique des intérêts des différents tiers-intéressés1915.

Dans cet ordre d’idées, est-il vrai que l'intérêt social « transcende les divers intérêts et tient compte de
la nature de la relation particulière de chaque catégorie d'intéressés avec la société »1916. En réalité, il ne fait
aucun doute qu'une telle tentation ne peut être suivie sans hésitation dans la mesure où, précisément, ces
intérêts sont par essence au moins partiellement contradictoires, ce qui implique que des arbitrages doivent
être réalisés. Il y a, selon l'expression de R. Vatinet1917 , « des choix à faire sur la nature des relations qui se
nouent au sein de la personne morale et autour d'elle, relations qui, souvent, s'entremêlent entre la société,
ses dirigeants, ses associés, et les tiers ». Monsieur Ph. Didier a récemment rappelé1918 qu'à la fin du
XIXe siècle la Cour de cassation française a développé l'idée selon laquelle « les dirigeants devaient être aussi
soigneux de l'intérêt des tiers qu'ils l'étaient des intérêts des associés ».

La réalité juridique de l’accueil des intérêts des « Stakeholders » relève de la simple observation de
certaines solutions jurisprudentielles. Bien évidemment les notions de minorité et de majorité sont accueillies
et témoignent que les associés ne poursuivent pas nécessairement les mêmes objectifs, n'ont pas intégralement
des intérêts convergents, l'intérêt social permet de réguler les dissensions manifestes qui ne doivent pas
dégénérer en abus. De la même manière, cet élargissement phénoménal de la notion d’abus s’intègre dans le
cadre général de la modernisation du droit des sociétés1919 poursuivant l'objectif de « renforcer les droits des
actionnaires et la protection des salariés, des créanciers et des autres parties avec lesquelles les sociétés sont
en relation, tout en adaptant les règles du droit des sociétés et du gouvernement d'entreprise aux différents
types d'entreprises »1920 .

En définitive, ni l'intérêt social ni l’intérêt commun du groupe ne peuvent être envisagés


indépendamment des intérêts des « Stakeholder » ; ceux-ci, qu'ils soient associés, participants ou tiers
intéressés, doivent êtres pris en considération dans la gestion de la société. Si la diversité des intérêts
catégoriels légitimes est d'ores et déjà consacrée en droit positif, elle n'a toutefois pas épuisé ses effets.
Certains sont très sereinement envisageables, mais ils ne doivent pas devenir un facteur de perturbation du
fonctionnement des sociétés. Il est à remarquer aussi que les fondements qui ont justifié la réception de l'abus
de majorité et les diverses voies ouvertes aux minoritaires sont parfaitement conciliables avec la
« Stakeholders Theory ». La notion d’abus implique donc essentiellement une prise en considération des
intérêts catégoriels au sein des structures sociétaires, que celles-ci fassent ou non une place structurelle à
certains des participants.

Dans cet ordre d’idées, les auteurs ont raison de constater que les intérêts « ne sont rien d’autre que le
condensé de la vie intégré par le moule juridique. En d’autres termes, les intérêts sont le moyen pour le droit
de connaître la vie, ce dont il a besoin pour remplir sa mission »1921. Toujours dans ce courant de
méthodologie moderne, il faut relever la position de M. Gény, selon laquelle tous les problèmes juridiques
constituent des conflits d’intérêts, que le juge doit résoudre en équilibrant ces intérêts par rapport aux fins
sociales. C’est ainsi que pourrait selon lui être précisée la théorie de l’abus, exigeant une mesure des pouvoirs
et des droits subjectifs et de leur importance par rapport aux intérêts qu’ils peuvent contrarier. « Cette
question capitale de l’abus [...] exige de l’interprète, pour être judicieusement résolue, une mise en balance

1915
WERTHER (W-B) ET CHANDLER (D), Stratégic corporate social responsibility, Stakeholders in a Global Environment, op. cit. p 50.
1916
BISSARA (PH), art. préc.
1917
VATINET (R), La réparation du préjudice causé par la faute des dirigeants sociaux, devant les juridictions civiles, Rev. Soc., 2003, p. 247.
1918
DIDIER (PH), Les fonctions de la responsabilité civile des dirigeants sociaux, Rev. Soc., 2003, p. 241.
1919
« Modernisation du droit des sociétés et renforcement du gouvernement d'entreprise dans l'Union européenne, un plan pour avancer »,
Communication du 21 mai 2003 ; GOFFAUX-CALLEBAUT (G), Le plan d'action de la Commission européenne en droit des sociétés : une
approche française, art. pré., p 34.
1920
Recommandation de la Commission du 15 février 2005 concernant le rôle des administrateurs non exécutifs et des membres du conseil de
surveillance des sociétés cotées et les comités du conseil d'administration ou de surveillance (2005/162/CE), 1er cons.
1921
MARTY (G) et RAYNAUD (P), Droit civil, T. I, Sirey 1961, n° 137.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

de considérations morales, politiques, sociales ou économiques, qui se trouvent engagées dans le conflit des
intérêts en présence »1922. Tous les intérêts doivent-être pris en considération y compris l’intérêt général.

Sous-section troisième : L’atteinte à l’intérêt


général à l’aune des procédés de concentration
357- L’intérêt général se situe, depuis plus de cinquante ans, au cœur de la pensée politique et
juridique tunisienne, en tant que finalité ultime de l’action publique dans tous les domaines, spécialement en
matière d’investissement1923. Il occupe une place centrale dans la construction du droit public et du droit privé
à la fois.
Cette notion, qui donne aujourd’hui lieu à de multiples interrogations, est-elle toujours d’actualité
surtout si on l’appréhende sous le prisme de la notion d’abus dans les procédés de concentration des sociétés ?
Quelles connexions présente-t-elle avec la notion d’abus ? Comment s'articule-t-elle à l’aune des procédés de
concentration, notamment en droit de la concurrence et en droit boursier ? En quoi la notion d'intérêt général
peut-elle servir la cause de l'abus en matière de concentration ?
La notion d’intérêt général n’en a pas moins besoin d’une reformulation, voire d’un rajeunissement1924.
C’est à cette condition qu’elle pourra mieux s’adapter aux enjeux économiques et sociaux contemporains,
mieux s’harmoniser avec les valeurs de la modernité et mieux répondre aux besoins nouveaux, lesquels
s’expriment à l’épreuve de la concentration des sociétés sous forme de deux impératifs nécessaires mais
antinomiques. D’une part, l’impératif de promotion et d’incitation à la concentration. D’autre part, celui de
protection de toutes les parties prenantes dans ce genre d’opérations si périlleuses et si avantageuses à la fois !

358- Notre juge fait un usage fréquent de la notion d’intérêt général, sans cependant lui donner un
contenu propre. La raison est que l’intérêt général est finalement une notion essentiellement politique, qui peut
varier d’une époque à l’autre et qu’il ne faut donc pas figer, mais dont l’appréciation incombe d’abord au
pouvoir politique, notamment au législateur1925.
L'expression "intérêt général" désigne les intérêts, valeurs ou objectifs qui sont partagés par l'ensemble
des membres d'une société. Elle correspond aussi à une situation qui procure un bien-être à tous les individus
d'une société. En politique, l’intérêt général ou intérêt public est une notion qui décrit la finalité de l'action de
l'Etat au niveau d'un pays sans qu'il soit nécessaire d'en définir le contenu exact. Il peut être à la fois la somme
des intérêts particuliers et un intérêt spécifique à la collectivité qui transcende les intérêts des individus.

1922
GENY (F), Méthode d’interprétation et sources en droit privé positif, T. 2, 2ème Ed. , LGDJ, 1932, p 170.
1923
BEN LETAIEF (M), L’Etat et les entreprises publiques en Tunisie, HARMATTAN, 1998, p. 91. Le débat date depuis plus de deux cents ans
en France. Il apparaît notamment dans les débats de la Révolution française, au cours de laquelle il tend à remplacer la notion plus ancienne
d'utilité publique. Il est censé être porté par les différentes branches de l'autorité de l'Etat (Santé, Instruction publique, Environnement, Sécurité…).
Le cas échéant, l'intérêt public est représenté en justice par le ministère public. Sa fonction est d'intervenir au nom de l'intérêt public lorsque cet
intérêt ou l'ordre public sont menacés ou contestés. Son action peut s'exercer de façon indépendante ou au contraire se joindre à celle des personnes
privées éventuellement parties prenantes de l'action juridique concernée.
1924
En fait, ce n’est qu’au XVIIIème siècle que l’idée d’intérêt général a progressivement supplanté la notion de bien commun, aux fortes
connotations morales et religieuses, qui jusque-là constituait la fin ultime de la vie sociale. Depuis lors, deux conceptions de l’intérêt général
s’affrontent. L’une, d’inspiration utilitariste, ne voit dans l’intérêt commun que la somme des intérêts particuliers, laquelle se déduit spontanément
de la recherche de leur utilité par les agents économiques. Cette approche, non seulement laisse peu de place à l’arbitrage de la puissance publique,
mais traduit une méfiance de principe envers l’Etat. L’autre conception, d’essence volontariste, ne se satisfait pas d’une conjonction provisoire et
aléatoire d’intérêts économiques, incapable à ses yeux de fonder durablement une société. L’intérêt général, qui exige le dépassement des intérêts
particuliers, est d’abord, dans cette perspective, l’expression de la volonté générale, ce qui confère à l’Etat la mission de poursuivre des fins qui
s’imposent à l’ensemble des individus, par delà leurs intérêts particuliers. Le débat entre les deux conceptions, l’une utilitariste, l’autre
volontariste, n’a guère perdu de son actualité et de sa pertinence. Il illustre, au fond, le clivage qui sépare deux visions de la démocratie. D’un côté,
celle d’une démocratie de l’individu, qui tend à réduire l’espace public à la garantie de la coexistence entre les intérêts distincts, et parfois
conflictuels, des diverses composantes de la société. De l’autre, une conception plus proche de la tradition républicaine française, qui fait appel à la
capacité des individus à transcender leurs appartenances et leurs intérêts pour exercer la suprême liberté de former ensemble une société politique.
V. RANGEON (F), L’idéologie de l’intérêt général, Economica, 1986, p 1.
1925
Le juge ne fait généralement référence à l’intérêt général que de manière subsidiaire par rapport au principe d’égalité. Si le principe d’égalité
peut conduire à des solutions différentes dans des situations distinctes, l’intérêt général peut le justifier également pour des situations semblables
ou peu différentes. V. BADINTER (R), Le rôle du juge dans la société moderne, Fayard, Publications de la Sorbonne, 2003.

Page 270
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Pour les partisans de l'utilitarisme, la recherche de l'intérêt général consiste à maximiser le bonheur
individuel du plus grand nombre des membres d'une société. L'intérêt commun, l’intérêt général, ou intérêt
public1926, désignent différemment la finalité des actions ou des institutions qui intéressent l'ensemble d'une
population dans un domaine bien particulier.
Dans la conception française, l’intérêt général ne résulte pas de la somme des intérêts particuliers. Au
contraire, l’existence et la manifestation des intérêts particuliers ne peuvent que nuire à l’intérêt général qui,
dépassant chaque individu, est en quelque sorte l’émanation de la volonté de la collectivité des citoyens en
tant que telle1927.
Dans la conception anglo-saxonne, par contre, l’intérêt général et les intérêts particuliers ne s’y
opposent pas réellement dans la mesure où l’intérêt général est formé de l’ensemble des intérêts
particuliers1928.
La vitalité de cette notion vient précisément de ce que l’on ne peut pas lui conférer une définition
rigide et préétablie1929. La plasticité est consubstantielle à l’idée d’intérêt général, qui peut ainsi évoluer en
fonction des besoins sociaux à satisfaire et des nouveaux enjeux auxquels est confrontée la société. L’intérêt
général est, par nature, rarement consensuel et sa définition résulte d’inévitables confrontations d’intérêts,
entre lesquels il faut, en fin de compte, choisir si l’on veut empêcher le blocage de la décision publique.
De tous les concepts sociaux, celui d'intérêt général est l'un des plus anciens, des moins précis, et de
ceux qui se laissent le moins aisément définir1930.
In globo, l’intérêt général serait « un principe, ou un ensemble de principe, justifiant l’imposition
d’une obligation ou la fixation d’une interdiction » 1931. L'intérêt général pourrait-être défini aussi comme « ce
qui est pour le bien public »1932. Dans ce sens, M. Sabatier a poussé plus loin la réflexion sur l’intérêt général
en affirmant que « la loi recherche à concilier intérêt collectif et intérêt personnel, ou des intérêts particuliers
opposés, elle poursuit toujours un même but : satisfaire l’intérêt général »1933.
Or, si l'intérêt général est invoqué partout, rares sont les textes qui tentent de le cerner sous ses divers
aspects. L’intérêt général national ne se réduit point à l’unité, ses démembrements sont innombrables tels que
l’intérêt de la santé publique, l’ordre public, la moralité publique, l’intérêt d’une bonne administration de la
justice, la protection de l’ordre social, la protection des consommateurs, le maintien et la promotion de
l’activité économique1934...

359- L’intérêt général est, en outre, une notion qui bien qu’elle exprime en apparence une idée
simple, prend des sens variables selon les époques et les individus qui l’emploient1935. Son importance est
indiscutable en matière d’investissement surtout si on évoque les opérations de concentration dont les
avantages sont innombrables pour une économie en crise telle l’économie tunisienne.
De surcroît, ce concept fonde le pouvoir de 1’Etat, « il n’est donc pas surprenant que l’opinion
publique considère la définition et la poursuite de l’intérêt général un monopole de l’Etat et comme le

1926
La distinction entre ces trois termes n'est pas évidente : L'intérêt commun désigne une finalité définie comme étant la résultante de l'ensemble
des intérêts exprimés par les membres de la communauté concernée. Ce qui pose bien entendu la question de la légitimité de cette expression, en
raison des difficultés pratiques de sa détermination (exhaustivité, représentativité, sincérité ...). L'intérêt général désigne une finalité d'ordre
supérieur dont on sous-entend qu'elle dépasse l'intérêt commun dans la mesure où elle prétend être quelque chose de plus ambitieux que la somme
des intérêts individuels. L'intérêt public concerne la mise en œuvre de l'intérêt général à travers le cadre juridique du droit public d'un pays ou
d'une République.
1927
TREMINTIN (J), L’efficacité économique au service de l’intérêt général, éd. Rue de l’échiquier, 2012, p 2.
1928
Ibidem.
1929
Conseil d’Etat, Rapport public 1999, partie thématique «l’intérêt général», Etudes et documents n°50, La Doc. française, 1999, p. 246.
1930
L’intérêt général est une notion juridique qui présente une double utilité. D’une part on lui prête une valeur supérieure à celles des intérêts
particuliers. D’autre part, n’étant pas défini par rapport à un objet spécifique, l’intérêt général permet de légitimer l’intervention des pouvoirs
publics dans n’importe quel domaine. D’ailleurs, Mme. M.-P. DESWARTE a même ajouté que «c’est une notion qui se dérobe à toute prétention
de l’intelligence à vouloir l’enfermer dans une définition structurée et complète ». C’est une notion qui résiste mal à l’analyse conceptuelle,
impuissante à l’inscrire dans une formule qui la définisse, problématique pour quiconque veut en dégager l’essence, elle finit en effet par paraître
douteuse. DESWARTE (M-P), L’intérêt général dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, RFDC, 13/1993, p. 26.
1931
FRANÇOIS-GUY (T), Stakeholders Theory et droit des sociétés, Bulletin Joly Sociétés, 01 janvier 2007 n° 1, p. 7.
1932
Ibidem.
1933
SABATIER (M), L’exploitation des brevets d’invention et l’intérêt général d’ordre économique, Collection du CEIPI, Librairies techniques,
1976, p. 7.
1934
TRUCHET (D), Les fonctions de la notion d’intérêt général dans la jurisprudence du Conseil d’Etat, Paris, L.G.D.J, 1977, p. 15.
1935
RANNGEON (F), L’idéologie de l’intérêt général, Paris, Economica, 1986, p. 7 et s.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

premier de ces devoirs »1936. D’ ailleurs, on parle même d’ «exigences impératives d’intérêt général» et par
«exigence» on vise ce qui est réclamé comme nécessaire. L’emploi de ce terme est renforcé par l’adjonction
du qualificatif «impératif».
Cette notion d’intérêt général n’est donc pas dénuée de contenu idéologique, elle sert en effet à
«renforcer le consensus autour de l’appareil de l’Etat et la croyance en la légitimité de (son) pouvoir»1937.
C’est donc sous l’angle de la fonction qu’on a le plus de chances de l’appréhender. Il apparaît ainsi que
cette notion est un facteur de légalité de l’action de l’administration et autorise, le cas échéant, les restrictions
et atteintes aux droits et aux libertés. Elle permet ainsi à l’administration de disposer d’une certaine liberté et
constitue, en effet, l’unique justification de son action1938. Cette idée est nettement palpable en matière
économique où le législateur intervient au nom de l’intérêt général et, spécialement au nom de l’ordre public
économique de direction pour inciter et promouvoir les opérations de concentration dont l’apport est des plus
importants pour notre économie. Le même intérêt commande également, cette fois-ci au travers de l’ordre
public de protection, la lutte contre les abus en matière de concentration des sociétés1939. En effet, l’atteinte à
cet intérêt permet, dans plusieurs cas, la réalisation de l’abus et légitime, ainsi, l’application des sanctions
adéquates.
L’ordre public économique de direction, ainsi que l’ordre public de protection1940, en tant que
démembrements de l’intérêt général, résultent l’un et l’autre de la «croyance que l’Etat peut orienter la vie
économique dans une direction favorable à l’utilité sociale et qu’il doit intervenir dans les rapports
contractuels mettant aux prises des parties de puissance économique inégale afin de protéger la partie
faible»1941. Telle est la donne, et tel est l’équilibre tant convoité par l’encadrement de la notion d’abus dans les
procédés de concentration des sociétés.

360- Le contexte de l'intervention de l'Etat en matière économique a cependant profondément


changé ces dernières années. Trois facteurs, bien connus, ont contribué à ce changement. Le premier est
l'influence croissante des normes internationales dans l'encadrement des activités économiques1942 . Le second
facteur est le mouvement de déréglementation1943 qui a conduit la plupart des Etats libéraux, à partir des
années 1980, à réduire le poids des contraintes réglementaires pesant sur la vie économique. Le troisième

1936
TRUCHET (D), Op. cit, p. 19.
1937
CHEVALLIER (J), L’intérêt général dans l’administration française, RJSA, 1975, p. 325.
1938
Conseil d’Etat, Rapport public, 1999, partie thématique, « L’intérêt général », EDCE., n° 50, Doc. Fr, p.161.
1939
L’intérêt général est aussi un facteur de constitutionnalité de la loi. Il est la source de l’action législative. Le juge constitutionnel s’y réfère
d’ailleurs abondamment dans sa jurisprudence. Il reconnaît par exemple que le droit de grève peut être atteint par des raisons d’intérêt général. Le
Conseil constitutionnel français a même bien affirmé à plusieurs reprises que les limitations faites au droit de grève pour assurer la sauvegarde de
l’intérêt général pouvaient aller jusqu’à son interdiction. Il en est de même pour le droit de propriété qui «subit les limitations exigées par l’intérêt
général». Les constitutions de certains Etats y font même référence, soit de façon expresse comme la constitution de la République italienne pour
justifier l’expropriation de la propriété privée, et la constitution de l’Espagne pour justifier le cas de monopole, soit par le terme de «bien commun»
qui, dans la constitution de la République d’Irlande et dans la loi fondamentale de la République Fédérale d’Allemagne, légitime les atteintes qui
peuvent être portées au droit de propriété. V. Conseil constitutionnel français, décision n° 79-105 du 25 juillet 1979, V. FAVOREU (L.) et
PHILIP (L), Les rondes décisions du Conseil constitutionnel, 6 éd., Paris, Sirey, 1991, p 391- 406. V. aussi Conseil constitutionnel français,
décision n° 87-230 du 28 juillet 1987, comm. GENEVOIS (B), Quels fondements juridiques des retenues pécuniaires consécutives à une grève : 7
étude à propos de la décision n° 87-230 DC du 28 juillet 1987, RFDA, septembre-octobre, 1987, p 807-817. Conseil constitutionnel français,
décision n° 81-132 du 16 janvier 1982, In FAVOREIJ (L) et PHILIP (L), Les grandes décisions du Conseil constitutionnel, 6ème éd., Paris,
Sirey, 1991, p 470-507. V. article 42, alinéa 3 de la constitution italienne ; V. article 43, paragraphe 2 de la constitution d’Irlande ; article 128,
paragraphe 1et 2 de la constitution espagnole et l’article 14, paragraphe 2 et 3 de la loi fondamentale de l’Allemagne.
1940
L'ordre public soumet l'individu au respect de certaines règles supérieures visant le maintien de l'organisation sociale, au détriment de sa liberté
contractuelle et l'autonomie de sa volonté, principes pourtant chers au droit contractuel. Cependant, dans certains cas, l'ordre public vise
précisément à protéger les intérêts de l'individu. Bien que les intérêts de la société ne soient pas remis en question, le législateur édicte souvent des
règles pour régir les relations juridiques des cocontractants dont la force économique est inégale afin d'assurer une certaine protection à la partie
économiquement la plus faible, il s’agit là de l’ordre public de protection. L'ordre public de direction vise, quant à lui, la protection de l'intérêt
public en général et tente d'imprégner aux agissements des individus une direction politique, sociale ou économique déterminée ; il permet donc
d'assurer l'implantation d'une politique d'économie dirigée. V. BOSLY (H-D), Les infractions contre l'ordre public, Collection droit pénal, 2012, p
1 et 2 ; BEN LETAIEF (M), op. cit., p. 90.
1941
TERRE (F), SIMLER (P) et LEQUETTE (Y), Droit Civil, Les obligations, Paris, Dalloz, Précis droit privé, 1996, p. 300, n° 357.
1942
V. notamment CARREAUD (D) et JUILLARD (P), Droit international économique, Dalloz, 3e éd., 2007 ; MALAURIE (PH), Le marché et
l'Etat à l'heure de la mondialisation, LPA 2008, p. 9 à 16 ; COHEN-TANUGI (L), Une stratégie européenne pour la mondialisation, Odile Jacob,
Doc. fr., 2008.
1943
V. notamment CHEVALLIER (J), Les enjeux de la déréglementation, RDP 1987, p. 281-319 ; LINOTTE (D) et ROMI (R), Droit public
économique, 6e éd., 2006, p. 179 à 188.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

facteur est l'accent mis sur la régulation1944, laquelle se distingue des modes classiques d'intervention de l'Etat
en matière économique en ce qu'elle consiste à assurer le maintien d'un équilibre d'ensemble : l'Etat ne planifie
plus la poursuite de l'intérêt général mais met en place les institutions et les commissions qui permettent à
celui-ci d'émerger.
Le droit des sociétés ne fait pas souvent place à l'intérêt général. En effet, dans les entreprises
sociétaires, les conflits d'intérêts mettent en jeu souvent l'intérêt individuel de certains (l'associé, le
dirigeant…) contre l'intérêt d'une collectivité (collectivité des associés, ou collectivité des personnes
composant l'intérêt social). Si de nombreuses règles ont pour finalité la protection de l'intérêt de la société, cet
intérêt social n'est évidemment pas assimilable à l'intérêt général. L'intérêt social est au mieux un intérêt
transcendant celui des associés mais il reste en tout état de cause purement privé, puisque c'est celui de la
société. Il en est de même de l’intérêt commun du groupe de sociétés. Autrement-dit, l'intérêt protégé à travers
les règles du droit des sociétés est donc souvent trop restreint, il implique trop peu de personnes pour être
assimilé à l'intérêt général, contrairement à ce que l'on peut envisager en droit boursier, ou en droit de la
concurrence1945. Dans ces deux matières, il existe des intérêts catégoriels suffisamment larges pour se
confondre avec l'intérêt général, surtout s’il est question de la concentration qui fait élargir davantage le cercle
des intérêts catégoriels et touche, dès lors, directement à l’intérêt général1946.
Le droit de la concurrence et le droit boursier accordent l'un et l'autre une place centrale à la notion de
concentration. Il n'y a là rien d'étonnant. Si ces deux branches du droit se sont développées séparément, elles
sont fortement liées au fonctionnement des économies modernes : à la complexité croissante du marché des
biens et services pour l'une ; à l'essor des marchés financiers pour l'autre. Le droit boursier et le droit de la
concurrence ont la même préoccupation protectrice de l'utilisateur final, épargnant ou consommateur.
Au-delà de leurs finalités, ils reposent l'un et l'autre sur des présupposés théoriques identiques, entre
autres l’intérêt général. Le bon fonctionnement des marchés et la concurrence entre les acteurs favorisent
l'allocation optimale des ressources ainsi qu'un traitement équitable des participants en essayant de faire fi,
autant que faire se pourrait, de l’atteinte à l’intérêt général1947.

361- Ainsi, en matière de concurrence, l’abus de domination ou de puissance économique met en


exergue les relations entre l’entreprise dominante et les tiers. Généralement, la politique du groupe de
sociétés, qui domine un marché déterminé, est toujours destinée à écarter un concurrent, à borner la liberté
contractuelle d’une entreprise concurrente et forcément à éteindre les intérêts des consommateurs. Le groupe
qui abuse de sa situation dominante affecte l’intérêt des consommateurs, comme il perturbe le bien-être
collectif et cause un préjudice imminent et irréparable à l’économie du marché. Ces atteintes font, à n’en point
douter, obstacle à la finalité et aux objectifs du droit de la concurrence face à la concentration. Il en ressort
que l’atteinte portée par l’abus de domination, surtout émanant d’un groupe de sociétés, menace les intérêts
des tiers et porte atteinte inéluctablement à l’environnement économique et donc à l’intérêt général. En réalité,
l’abus de position dominante, celui de dépendance économique également, se traduisent l’un et l’autre par des
pratiques commerciales douteuses, à la limite de la légalité, portant couramment préjudice à l’intérêt général.
Ces abus affectent gravement les relations contractuelles entre professionnels, non professionnels et
consommateurs. Les différents comportements ou pratiques fondés sur l’exploitation négative d’un état de
domination sur le marché concurrentiel emportent préjudice aux différents opérateurs économiques ainsi qu’à
l’intérêt général dans la mesure où le libre accès au marché sera affecté, son libre fonctionnement détourné, la
production et les débouchés seront limités, les sources d’approvisionnement fortement réparties et
diminuées…
Aussi, certains auteurs admettent qu'un comportement abusif est prohibé dès lors que les intérêts des
consommateurs sont lésés1948. Le droit de la concurrence ne se transforme pas pour autant en un droit de la

1944
V. notamment D'ALBERTI (M), La régulation économique en mutation, RDP 2006, p. 231 à 239 ; MARCOU (G), La notion juridique de
régulation, AJDA 2006, p. 347 à 353 ; VALENTIN (V), Les conceptions néolibérales du droit, Economica, 2002, p. 235 à 250.
1945
V. http://antitrustlair.files.wordpress.com/2011/11/droit-de-la-concurrence-et-intc3a9rc3aat-gc3a9nc3a9ral-final-03-11-11-np2.pdf.
1946
ROUSSILLE (M), QPC et droit des sociétés, LPA, 29 septembre 2011 n° 194, p. 41.
1947
CHAMPARNAUD (F), Le statut comparé de l’information en droit de la concurrence et en droit boursier : la transparence, LPA,
21 juillet 1999, n° 144, p 24.
1948
MULLER (E), L'abus de position dominante, Gaz. Pal. 1991, 10-11 juillet p. 2 ; DECOCQ (G), La position dominante collective est une
détention conjointe d'un pouvoir de marché, revue Contrats, concurrence, consommation, n° 8-9, août-septembre 2009, commentaire n° 227, p. 27.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

consommation, car ce n'est pas la relation individuelle professionnel-consommateur qui est prise en compte,
mais l'intérêt collectif des consommateurs pouvant être affectés par le comportement d'une entreprise
dominante qui a généralement le pouvoir économique de s'abstraire du marché et de fixer ses conditions de
façon unilatérale. Ce pouvoir unilatéral est vu avec suspicion, car il peut être un instrument pour s'affranchir
de toute contrainte économique en écartant les concurrents potentiels ou présents sur le marché. L’abus se
caractérise donc par « les comportements d'une entreprise en position dominante qui sont de nature à
influencer la structure du marché… et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens
différents de ceux qui gouvernent la compétition normale des produits ou des services, au maintien du degré
de concurrence existant sur le marché ou au développement de cette concurrence »1949.
Manifestement, l’abus de domination dans ses différentes facettes est susceptible d’entrainer un
bouleversement potentiel au niveau du fonctionnement normal du marché. Ce bouleversement sera d’autant
plus grave s’il est question d’un procédé de concentration faisant intervenir diverses sociétés et plusieurs
opérateurs économiques. Il s’agira alors d’une altération notable de la concurrence effective et surtout
potentielle. Concernant celle-ci, il a été affirmé que « l’élimination de la concurrence potentielle peut dans
certaines circonstances avoir un impact économique plus fort que l’élimination de la concurrence
effective »1950.
Ne faut-il pas rappeler aussi que l’abus de domination en matière de concentration affecte gravement la
dynamique des petites et moyennes entreprises (PME) et les touchent dans leur existence, surtout que le
marché tunisien est fondé sur ce genre d’entreprises1951. Un tel abus menace de nature la capacité de résistance
et l’apparition de nouvelles PME en instaurant un cadre anticoncurrentiel préjudiciable aux anciennes entités
et exclusif aux nouvelles créations d’entreprises. En effet, un groupe de sociétés en position dominante
n’hésitera nullement à empêcher l’apparition de nouveaux rivaux au sein du marché et exercera des pressions
sur les concurrents existants afin de les soumettre à l’exigence de ses conditions déséquilibrées et restrictives
en vue de pouvoir manipuler tout le mécanisme concurrentiel à son profit. L’atteinte à l’intérêt général du
marché concurrentiel sera, dans ces conditions, des plus graves !

Ce risque d’atteinte à l’intérêt général a été visé semble-t-il par l’alinéa 5 de l’article 5 de la loi de
1991 lorsque le législateur évoque la menace portée à « l’équilibre d’une activité économique et la loyauté de
la concurrence ». La loi française est plus explicite à ce niveau dans la mesure où l’abus de position
dominante n’est interdit, conformément à l’article L 420-2 CCF, que lorsqu’il peut avoir pour effet
d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, et notamment lorsqu'il tend à
limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ; faire obstacle à la
fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ; limiter ou
contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique ou encore lorsqu’il aboutit
à répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement1952.

Toute cette argumentation prouve, bel et bien, l’importance de l’atteinte à l’intérêt général comme
condition souvent nécessaire, mais pas suffisante, pour la constatation de l’abus de domination en matière de

1949
CHAMPARNAUD (F), Le statut comparé de l’information en droit de la concurrence et en droit boursier : la transparence, art. pré., p 24.
1950
MALAURIE-VIGNAL (M), L’abus de position dominante, op. cit., p 53.
1951
Mis à part quelques entreprises employant plus de 500 personnes qui peuvent être considérées comme des grandes entreprises, relevant pour la
plupart des secteurs public et financier, la majorité des entreprises tunisiennes sont des unités privées très petites dont les chiffres d’affaires ne
répondent pas aux conditions de contrôlabilité des concentrations économiques. En effet, la part des entreprises comptant moins de six employés
est demeurée constante à environ 82 % depuis 1987. En 1996, seules quelque 1400 entreprises sur un total d’environ 87 000 comptaient plus de
100 employés. La taille restreinte des entreprises s’explique par deux facteurs principaux : d’une part, les entrepreneurs tunisiens ont été jusqu’à
présent réticents à ouvrir la propriété de l’entreprise hors du cercle familial. Leurs choix d’investissement se limitent souvent à des petits projets
sans prendre des risques majeurs. D’autre part, la politique protectionniste menée par la Tunisie pendant plus de trois décennies qui a mis des
barrières importantes à l’entrée des importations a privilégié ces petits projets qui ne répondent pas à la condition du seuil exigée par l’article 7 de
la loi de la concurrence. V. EL ABASSI (M), Accord d’association et politique de la concurrence en Tunisie, In Séminaire sur « La politique de
concurrence et négociations multilatérales » organisé par CNUCED, Ministère du commerce et Conseil de la concurrence, Tunis, 28-29 mars 2002.
1952
De même, l’abus de dépendance économique n’est interdit que s’il est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la
concurrence.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

concentration des sociétés1953. Il en est de même de l’abus du marché financier où la violation de l’intérêt
général est plus qu’apparente.

362- L’abus du marché financier naît souvent de circonstances dans lesquelles des investisseurs
boursiers ont été déraisonnablement désavantagés que ce soit directement ou indirectement. Cet abus porte
atteinte à l'égalité d'accès des investisseurs à l'information financière et sape la confiance dans le marché. De
cette façon là, l’abus porte préjudice à l’ensemble des intervenants sur un marché en troublant les règles du jeu
basées sur la spéculation. En outre, en profitant d’informations privilégiées ou en propageant des informations
erronées, l’auteur de l’abus rompt l’égalité des chances entre les intervenants et empêche le libre cours de
l’offre et la demande. Si la Bourse était un jeu, il serait alors considéré comme un tricheur du fait qu’il s’est
servi de données qu’une personne normalement avertie n’aurait jamais pu se procurer de façon licite. Par
conséquent, le contrôle de certaines opérations sur le marché financier répond, à sa naissance, à la
préoccupation principale d’assurer la sécurité d’une place financière et par là son attrait et sa compétitivité1954.
Dans le même ordre d’idées, les législations de la plupart des grands pays industrialisés considèrent
l’abus du marché comme « intrinsèquement mauvais » pour le bon fonctionnement du marché financier. Pour
ces législations, le délit d'initié diminue la confiance des investisseurs, et donc l'attrait des marchés surtout s’il
est question d’une opération de concentration telle une opération de fusion ou de scission. On retrouve une
telle justification au Conseil de l'Europe pour qui l'existence des délits d'initiés en matière de
concentration «compromet (...) la crédibilité du marché »1955. Il en est de même pour la directive
communautaire, qui énonce, dans ses considérants, que « le bon fonctionnement d'un marché est dans une
large mesure tributaire de la confiance que celui-ci inspire aux investisseurs (...) les opérations d'initiés (...)
sont de nature à remettre en question cette confiance »1956.
En vertu des objectifs de bonne réputation et de concurrence entre les places financières1957, la lutte
contre les délits boursiers a été instituée et renforcée en droit tunisien. La reconnaissance de l’abus du marché
protège l’intégrité et la sécurité du marché financier contre les dommages qu’il pourrait subir lors d’une
opération de concentration ou autres1958. Il est clair donc que le législateur a entendu sauvegarder la dimension
d’intérêt général. D’ailleurs, un auteur n’a pas hésité à affirmer que « la Bourse est devenue ainsi un problème
essentiel dans le monde moderne, la preuve, c'est que quand elle est en difficulté, c'est le pays en entier qui est
malade »1959. Et lorsqu'on parle d'un lieu où beaucoup de gens interviennent, où beaucoup d'argent circule, où
des entreprises se bousculent et ont tendance peut-être les unes à dominer les autres sinon à les « absorber », il
y a des risques majeurs, une menace d'abus, des contentieux… D'où la nécessité de l’encadrement de la notion
d’abus et la présence d'autorités qui font les gendarmes sur la base de l’intérêt général1960.
Dans la concurrence entre Etats pour rendre leurs places boursières plus attrayante et plus compétitive,
une législation visant la transparence et l'intégrité des marchés apparaît comme un facteur supplémentaire de
protection, et donc d'attirance, pour les investisseurs. Préserver l'intégrité des marchés financiers permet
l'arrivée de nouveaux investisseurs et contribue à l'amélioration de la prospérité des Etats. Par contre, dès lors
que des initiés interviennent sur un marché, les investisseurs peuvent s'en détourner, le considérant peu sûr1961.

1953
Ainsi, le Conseil de la concurrence français a pu exonérer un abus de position dominante en s’appuyant sur une justification d’intérêt général
pour le moins créative. L’espèce concernait une congrégation cistercienne localisée sur l’île d’Honorat, dans la mer Méditerranée. La congrégation,
titulaire d’une concession d’utilisation du domaine public pour l’exploitation des pontons et débarcadères de l’île, avait réservé à sa propre société
commerciale, Planaria, le service de desserte maritime de l’île. Les mesures prises excluaient les nouveaux entrants. Ceux-ci se plaignaient d’un
abus de position dominante. Le Conseil de la concurrence français jugea que les mesures disputées étaient notamment justifiées par la «nécessité
objective » de garantir la « tranquillité du lieu monastique »1953. La pratique contestée était donc conforme à l’intérêt général ce qui justifiait
l’absence de l’abus de domination.
1954
SCHMIDT (D), Les délits boursiers, RJ com., novembre 2001, p.71.
1955
Convention du Conseil de l'Europe du 20 avril 1989 sur les délits d’initiés.
1956
Directive no 89/592 du 13 novembre 1989.
1957
DE VAUPLANE (H), Protection nationale de l’épargne et concurrence entre places boursières, Banque & Droit, mai-juin 1995, p.36.
1958
DEFFAINS (B) ET STASIAK (F), Les préjudices résultant des infractions boursières : approches juridique et économique, in Le droit au défi
de l’économie, Y. Chaput, Droit économique, 2002, p. 177
1959
BEZARD (P), Le juge et le marché boursier : conclusion, LPA, 15 juin 1994 n° 71.
1960
Ibidem.
1961
DE VAUPLANE (H) et DENOUN (C), Les justifications de la lutte pénale contre les opérations d’initiés, LPA, 28 mars 1994 n° 37.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

En réprimant les abus du marché, les législateurs insistent plus sur les attentes des épargnants que sur
un risque réel1962. En effet, même si les craintes du public quant à l'existence d'un préjudice causé par des
opérations d'initiés se révélaient infondées, on a cependant noté que cette attitude conduit systématiquement à
une perte de confiance des investisseurs, les décourageant d'entrer sur le marché1963. Si l'investisseur a
l'impression que les marchés financiers sont de moins en moins sûrs en raison de l'ampleur potentielle des
abus, spécialement ceux relatifs aux opérations de concentration dont les conséquences sont souvent
dramatiques, il peut être tenté de s'orienter vers d'autres investissements. Un sociologue américain a ainsi
estimé, en 1987, que les scandales relatifs aux opérations d'initiés, en matière de groupe de sociétés, ont pu
détourner les petits investisseurs des marchés financiers, au profit des collections de timbres et des tableaux,
jugées moins dangereuses et moins inégalitaires1964. En réalité, l'impression générale, à la suite de ces
scandales, consistait en un sentiment d'injustice, de frustration et d'éloignement systématique du cercle des
«gagnants » qui seuls réalisent des profits importants. Le risque réside alors dans une défiance généralisée des
marchés boursiers.
Les législateurs ne recherchent pas tant une égalité totale d'information sur les marchés, ce qui serait
irréaliste, qu'un niveau acceptable d'inégalité résultant des efforts individuels de recherche et d'analyse. Les
législations nationales tendent plus à une égalité d'accès à l'information, qu'à une égalité de connaissance de
celle-ci. Ces législations tendent tout simplement à sauvegarder l’intérêt général, au sein du marché, en
recourant essentiellement à la notion d’abus.

Ainsi au travers de la notion d’abus dans les procédés de concentration des sociétés, le législateur
entend souvent protéger l'intérêt général, ou encore les intérêts particuliers, des atteintes qui peuvent les
toucher et ce, que ce soit sur le plan financier ou en matière de la concurrence. Mais rien n’empêche aussi que
par la notion d’abus le législateur vise à la fois la protection de l’intérêt général que des intérêts particuliers en
même temps.

363- Par conséquent, qu’elles aient été dictées par l’atteinte aux intérêts internes qui gravitent au
sein de la personne morale ou par l’atteinte à ceux qui lui sont externes, y compris l’intérêt général, les
différentes formes d’abus envisagées mettent en lumière une caractéristique fondamentale du phénomène, à
savoir son aspect fonctionnel. Il s’avère, en effet, que le concept d’abus est essentiellement dicté par des
considérations d’opportunité. Ainsi, législateur et magistrats poursuivent un objectif particulier justifiant leurs
décisions en matière d’abus, à savoir la recherche d’une atteinte à un intérêt légitime qui exige, à la fois,
reconnaissance et protection. Cet aspect purement fonctionnel est un trait distinctif de la notion d’abus dans
les procédés de concentration des sociétés qui la distingue de tout autre phénomène voisin. Dès lors, un socle
commun à tous les abus est vérifié, justifiant à bien des égards l’éventuelle existence d’une théorie générale de
l’abus dans les procédés de concentration des sociétés.

1962
WYMEERSCH (E), L'éthique financière, rapport final de synthèse du Colloque de Bruxelles sur la coopération internationale et la moralité
financière, 12-13 févr., 1990, éd. Université de Bruxelles, p 101.
1963
BRUDNEY (V), Insiders, outsiders and informational advantages under the Federal Securities laws, Harv. L. Rev, no 93 (2) 1979, p. 357.
1964
BLOTNICK (S), it is just not fair, Forbes, janvier 1987, p. 302.

Page 276
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Conclusion de la Première Partie

Page 277
PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

364- L
e Comte de BUFFON1965, dans Histoire naturelle, décrivait ainsi sa méthode d’étude : « il
s’agit de rassembler des faits pour se donner des idées »1966. Suivant les préceptes du Comte de BUFFON, la
première étape de ce travail devait être consacrée à rassembler les différentes approches législatives ou les
différentes formes du concept d’abus dans les procédés de concentration. Cet état des lieux a permis de mettre
en évidence les éléments à la fois théoriques et pratiques d’une réflexion menant à admettre la pluralité de
l’abus en tant que mécanisme juridique. L’objectif poursuivi demeure de rechercher l’explication de la
diversité entourant l’abus, en particulier ses critères, pour parvenir à une systématisation. Ce travail a
contribué à démontrer que, parmi les approches ou les formes d’abus apparemment éparses, se dégage un
socle commun témoin de l’unicité du concept. La démonstration a nécessité au préalable un travail de
définition et de catégorisation des différentes formes d’abus au sein des procédés de concentration. La
tentative de conceptualisation de l’abus s’est donc engagée avec comme premier objectif de rationaliser
l’apparente diversité de ce mécanisme juridique, qui s’exprime principalement par la variabilité de son critère.
Une diversité impossible à encadrer aurait, en effet, conduit à considérer l’abus comme un outil d’ordre
empirique.

En cherchant toujours, comme le Comte de BUFFON, à rassembler des faits, il est apparu que les
différentes acceptions de l’abus présentaient aussi deux traits caractéristiques communs : elles sont
exceptionnelles et fonctionnelles. Dans ces conditions, il fallait admettre que les différentes formes d’abus,
dans les procédés de concentration, participent d’un concept unique. Toutes ont un caractère exceptionnel
puisqu’elles sont réalisées en considération des faits de chaque espèce et ne valent que pour ceux-ci. Toutes
ont également un caractère fonctionnel puisqu’elles ont pour but de protéger ou promouvoir les intérêts de
ceux qui gravitent autour de la personne morale et qui se dégagent notamment lors de la mise en place et
l’exécution d’une opération de concentration.
Dans ces conditions, il s’agit bel et bien d’un concept, à définition unique et générale, qui s’est dégagé
distinct des autres notions déjà connues du droit fiscal et du droit privé. Dans ces différentes disciplines, la
notion d’abus a ainsi été identifiée et vérifiée.

365- Madame Valérie SIMONART concluait son étude sur la « levée du voile social » en ces
termes: « il est de l’essence d’une institution de rassembler les normes apparemment dispersées d’un même
phénomène juridique, de dégager leur finalité, d’éviter l’arbitraire, de guider l’interprétation de la loi,
d’orienter son évolution, bref, de contribuer « à la confection harmonieuse du droit »1967.
Aux termes de nos développements, la première étape de cette démonstration devrait-être réalisée. On
s’est efforcé de rassembler des cas apparemment dispersés autour d’un même phénomène juridique dont les
contours précis ont été dessinés. Pour ce faire, une définition a été dégagée, des éléments constitutifs et des
traits caractéristiques ont été mis en lumière.
La définition dégagée est la suivante : l’abus est conçu comme le phénomène qui consiste, en général,
en un usage dommageable, ayant pour objet un pouvoir, un droit ou une prérogative, de façon générale,
portant atteinte à un intérêt catégoriel nécessitant d’être protégé.
Les éléments constitutifs mis en exergue sont l’usage, le dommage et l’intérêt légitime.
Les traits caractéristiques mis en lumière sont les suivants : Deux aspects - l’aspect exceptionnel et
l’aspect fonctionnel - sont particulièrement caractéristiques de la notion.
Ce concept d’abus peut être aussi présenté plus classiquement, par son objet, ses auteurs, sa portée et
sa finalité.
L’objet de ce phénomène est l’ensemble des personnes morales sans considération de leur
transparence, de leur type et de leur forme.

1965
George-Louis Leclerc, comte de Buffon, né à Montbard le 7 septembre 1707 et mort à Paris le 16 avril 1788, est un naturaliste, mathématicien,
biologiste, cosmologiste et écrivain français. Ses théories ont influencé deux générations de naturalistes, parmi lesquels notamment Jean-Baptiste
de Lamarck et Charles Darwin. La localité éponyme Buffon, dans la Côte-d'Or, fut la seigneurie de la famille LECLERC.
1966
LECLERC (G-L), Comte de BUFFON, Histoire naturelle, publié entre 1749 et 1788.
1967
SIMONART (V), La personnalité morale en droit privé comparé, Coll. De la Fac de Dr, Université Libre de Bruxelles, Bruylant, 1995, n°537.

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PREMIERE PARTIE DETERMINATION DE LA NOTION D’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

366- La diversité des formes de l’abus au sein de la concentration a permis donc de justifier celle de
ses critères, à la fois d’un point de vue purement théorique, et d’un point de vue pratique, par la mise en
lumière des possibilités offertes par cette diversité et cette variabilité, en tant qu’outils de politique juridique.
De ce fait, parmi les catégories de notions existantes, il en est deux en particulier qui semblent bien pouvoir
s’appliquer à l’abus : la notion cadre et la notion à contenu variable. En effet, une notion à contenu variable
est une « notion qui, sous le même vocable, s’applique à des réalités différentes sans que celles-ci puissent
présenter un caractère d’unité »1968. La faute permet de l’illustrer : faute civile, faute pénale, faute
professionnelle... Cette définition semble bien pouvoir être appliquée à l’abus, puisque coexistent en réalité
diverses sortes d’abus, à savoir, dans leur plus simple présentation abus de droit et abus de pouvoir. Par
ailleurs, à l’intérieur même de chaque type d’abus, cette notion reste volontairement floue, ce qui correspond
bien à la définition de la notion cadre. L’abus est, en effet, susceptible de souplesse et d’évolution dans son
appréciation, du fait de la référence à l’intérêt, lui-même évolutif. L’abus constitue donc une notion à contenu
variable, et, à l’intérieur de cette qualification, une notion cadre. Pourtant, l’abus n’est pas le seul mécanisme
empreint de cette souplesse d’utilisation. Bien plus, sa caractéristique de «concept mou» entraîne des
difficultés de frontière avec d’autres notions proches aussi bien quant à leur définition que quant à leur
domaine d’action.

367- L’identification de la notion d’abus ayant été achevée, il reste maintenant à vérifier que le
concept juridique dégagé n’est pas simplement la mise en œuvre d’une technique juridique classique dans un
procédé de concentration déterminé. Les notions de droit commun que sont la faute, la simulation, la fraude
ou l’apparence ne permettent d’appréhender l’ensemble des hypothèses recensées qui sont propres à l’abus au
sein des divers procédés de concentration. La conclusion s’impose alors : les hypothèses étudiées ne peuvent
s’expliquer autrement que par un concept différent et original qu’est le concept d’abus. Cette originalité de la
notion se vérifie-t-elle aussi au diapason de son régime juridique ?
Pour poursuivre le second mouvement de conceptualisation, il faudra encore rechercher la spécificité
de l’abus au plan de son régime, afin de compléter celle, parfois seulement relative, établie au plan de sa
définition. La spécificité de l’abus ressortira non seulement par rapport au fait générateur de la sanction, mais
aussi quant à son régime.

1968
MORACCHINI-ZEIDENBERG (S), L’abus dans les relations de droit privé, Presses Universitaires D’Aix-Marseille, 2004, p 230.

Page 279
DEUXIEME PARTIE :

Unification du régime spécifique


A l’abus dans les procédés de
concentration
DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

368- Une lecture approfondie essentiellement des articles 408 et suivants du code des sociétés
commerciales, accompagnée d’une étude comparative de la jurisprudence et des différentes législations
spéciales applicables au sujet de l’étude, permet de relever l’existence d’un régime juridique unique spécifique
à la notion d’abus et ce, en dépit de la pluralité des procédés de concentration envisagés et envisageables.

L’analyse de ce régime unifié met en épigraphe l’existence d’une réplique législative double face aux
abus perpétrés dans les opérations de concentration. D’une part, une réaction législative préventive ayant
essentiellement pour rôle la prévention de toute forme d’abus inhérents aux opérations de concentration.
D’autre part, une réaction juridique curative ayant pour finalité non seulement la dissuasion mais aussi
l'éviction de tout effet pernicieux résultant de la commission d’un abus lors des opérations de concentration.
Cette dyade de l’intervention législative semble assurer aux partenaires de la concentration une protection
aussi efficace que possible, car dans le cas où la prévention s’avère insuffisante, c’est la sanction qui devra, le
cas échéant, intervenir pour combler, autant que faire se pourrait, les dispositions préventives lacunaires.

Assurer une protection efficace et proportionnée des actionnaires et des tiers est un impératif qui doit
être au cœur de toute politique législative en matière des procédés de concentration des sociétés. L'existence
d'un dispositif solide de protection des actionnaires et des tiers, garantissant un degré élevé de confiance dans
les relations économiques, est une condition fondamentale pour l'efficacité et la compétitivité des entreprises
tunisiennes. C'est ainsi, en particulier, qu'un système performant de protection des actionnaires et de leurs
droits, sauvegardant l'épargne et renforçant durablement les fondements du marché financier apparaît comme
une condition indispensable pour que les entreprises puissent lever des capitaux à moindre coût.
Tous ces éléments semblent se faufiler au sein de la stratégie préventive et la politique curative qui
constituent les deux axes de l’intervention juridique en matière d’abus liés à la concentration. D’ailleurs se
sont ces deux axes qui doivent être utilisés pour essayer d’échafauder une théorie générale de l’abus dans le
domaine propre à la concentration. En effet, insister sur les aspects négatifs de la prévention ou de la sanction
en vue de les améliorer en mettant en exergue un traitement unitaire de l’abus dans la concentration ne
pourrait que faciliter l’élaboration des piliers nécessaires pour forger une telle théorie générale. Reste que, si
la prévention1969 s’avère prééminente et efficiente au point qu’elle devra être maintenue, accentuée et
modernisée (Titre premier) ; la curation ou les sanctions prévues doivent-être révisées, voire adaptées afin de
contrecarrer les abus perpétrés dans les procédés de concentration (Titre deuxième).

Titre premier : Prééminence du régime préventif de l’abus dans les


procédés de concentration

Titre deuxième : Adaptation du régime curatif de l’abus dans les


procédés de concentration

1969
La prévention est l'ensemble de mesures à prendre pour éviter qu'une situation (sociale, environnementale, économique...) ne se dégrade, ou
qu'un accident, une épidémie ou une maladie ne survienne. Elle consiste : - à limiter le risque, c'est la prévention proprement dite : mesures visant à
prévenir un risque en supprimant ou en réduisant la probabilité d'occurrence du phénomène dangereux ; - à prévoir des mesures pour combattre le
« sinistre » si celui-ci survient, c'est la prévision ; on parle également de protection : mesures visant à limiter l’étendue ou/et la gravité des
conséquences d’un phénomène dangereux, sans en modifier la probabilité d'occurrence. V. http://fr.wikipedia.org/wiki/Pr%C3%A9vention

Page 281
DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Titre Premier : Prééminence de la prévention


de l’abus dans les procédés de concentration
369- Le vocable « prévention » relève plus du vocabulaire médical et militaire que juridique.
Prévenir, c’est d’abord informer d’une chose fâcheuse pour qu’on y remédie. En ce sens, l’information est au
centre de la prévention et suppose une grande vigilance des personnes intéressées. Prévenir, signifie ensuite
aller au devant d’un besoin pour mieux le satisfaire ou bien empêcher par des précautions un mal ou un abus.
Le terme « prévention » s’entend ici de façon large, comme toute mesure visant à empêcher la
survenance de l’abus. La prévention présente de multiples mérites. Le premier est certainement d’éviter tout
litige postérieur à la réalisation d’un abus. Alors, la prévention se révèle certainement favorable aussi bien à la
victime potentielle - et qui ne l’est plus - qu’au titulaire de la prérogative concernée, en termes de sécurité
juridique ce dernier peut ainsi ajuster son comportement pour éviter toute condamnation qui remettrait en
cause ses avantages ou l’obligerait à indemniser sa victime. Sans trop anticiper, il suffit de donner ici
l’exemple des professionnels qui, dans la phase de rédaction de leurs contrats-types, ont tout intérêt à
connaître la valeur juridique des clauses qu’ils y insèrent, aux yeux de la jurisprudence et même du droit
positif dans son ensemble. Il ne faut tout de même pas exagérer les mérites de la prévention aux yeux des
titulaires des prérogatives, car ils sont le plus souvent bien moins effrayés par la perspective d’un contentieux
que leurs éventuelles victimes. Le second mérite de la prévention est l’élargissement de la protection ainsi
accordée, sur plusieurs plans. Tout d’abord, le nombre de personnes protégées augmente très clairement
lorsque la prévention emprunte d’autres voies que celles strictement judiciaires, évitant ainsi l’obstacle de
l’effet relatif de la chose jugée. La prévention permet aussi certainement d’empêcher des situations à la frange
de l’abus, par l’effet de précaution qu’elle peut inciter chez les titulaires d’une prérogative. Enfin, dans le
temps, la prévention permet d’éviter que plusieurs abus ne se produisent dans une même relation, lorsqu’elle
se fait définitive ou du moins s’étend sur une certaine durée.
Toutes ces remarques démontrent que la prévention est une politique juridique intéressante, mais aussi
multiple, qu’il convient alors d’ordonner, toujours dans l’objectif de conceptualisation de l’abus qui sous-tend
cette entreprise. En effet, prévenir un abus suppose de mettre en place des mesures de contrôle de l’exercice
de la prérogative contrôlée. Or, le choix de la mesure dépend nécessairement de la nature de cette prérogative
et notamment du degré de liberté qui doit être laissé à son titulaire. Il faut donc partir de ce qui caractérise
chaque type d’abus, pour tenter de le prévenir.
L'arsenal mis à la disposition des partenaires de l’opération de concentration pour assurer le respect de
leurs droits est diversifié. Mais, pour éviter que l'abondance ne tourne à la confusion, est-il opportun que
chacune des mesures envisageables se voit attribuer un domaine spécifique selon une échelle graduée1970.
D’autant plus que cette abondance ne devra pas dissimuler certaines lacunes qui doivent être comblées pour
pouvoir parachever les piliers d’une théorie générale de l’abus relative aux procédés de concentration.
En effet, nul n’en disconvient qu’une politique préventive fignolée, améliorée et renforcée par de
nouveaux outils juridiques déblayera le terrain pour l’édification d’une théorie générale de l’abus en matière
de concentration. Il va sans dire que pareille théorie a nécessairement besoin de moyens préventifs et
d’organes de prévention communs à tous les abus dans les procédés de concentration pour retrouver ses
appuis et son bien-fondé. Pour ce faire, il sied dès lors de distinguer entre deux efforts d’unification : celui
relatif aux moyens de la prévention de l’abus (Chapitre premier) et celui inhérent aux organes de cette même
prévention (Chapitre deuxième).

Chapitre premier : L’unification quant aux moyens de prévention de l’abus dans les
procédés de concentration
Chapitre deuxième : L’unification quant aux organes de prévention de l’abus dans les
procédés de concentration
1970
SAINTOURENS (B), Note : Administrateur provisoire ou contrôleur de gestion : encore un effort de clarification, C.A. Paris, 14e ch. sect. A,
27 oct. 1999, n° 1999/13848, SARL Ateliers techniques graphiques c/ Marin, Bulletin Joly Sociétés, 01 mars 2000 n° 3, P. 336.

Page 282
DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Chapitre premier : L’unification quant aux moyens


de prévention de l’abus dans les procédés de
concentration

370- « C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser1971 ».
C’est bien là une expression qui s’applique à merveille à l’abus dans les procédés de concentration.
Conscient d’une telle réalité, le législateur a institué des mécanismes préventifs qui visent la protection
des minoritaires, des créanciers, voire des sociétés concentrationnaires elles-mêmes. Ces mécanismes, bien
qu’ils soient importants et diversifiés, gagneraient certainement à être consolidés et modernisés afin de
pouvoir mieux juguler les abus susceptibles d’être commis lors d’un procédé de concentration économique
(Section première). Cette consolidation demeure, néanmoins, insuffisante si la réflexion n’est pas orientée
vers la création de nouveaux moyens de prévention dont auraient besoin les partenaires de la concentration et
par là-même les exigences d’un essai d’une théorie générale de l’abus en ce domaine (Section deuxième).

Section Première : L’unification par la


consolidation des moyens classiques de prévention
de l’abus

371- « Un associé averti en vaut deux », telle semble être la nouvelle équation à même d’assurer une
transparence maximale au sein de la société. En effet, en aiguillant son intérêt pour la marche de la société,
l'associé ne se désintéressera certainement pas des garanties qui l’assureraient de l’efficacité de la gestion de
la société. Toutefois, ce souci de sécurité et de transparence rend la mission du législateur délicate dans la
mesure où la législation risque de passer du vide au trop-plein. Le droit de la concentration répugne, en effet,
toute réglementation poussée.
Sans pour autant avoir atteint le trop-plein législatif, le législateur semble avoir utilisé des règles
juridiques spéciales pour réaliser deux objectifs différents mais qui peuvent paraître complémentaires en
matière de prévention. D’un coté, pour réussir une certaine transparence à même de participer à la prévention
des abus, plusieurs règles ont été édictées pour assurer une information1972 efficiente concernant l’opération de
concentration, ses composantes ainsi que sa réalisation (sous-section première). De l’autre, sachant que cette
information est incapable à elle seule d’assurer un rôle préventif assez important, le législateur a cru bon
d’instituer d’autres formes de prévention sans rapport direct avec l’information (sous-section deuxième).

1971
MONTESQUIEU, De l’esprit des lois, V. I, Cérès EDITIONS, 1994, p 24.
1972
L'information est un concept ayant plusieurs sens. Il est étroitement lié aux notions de contrainte, communication, contrôle, donnée, formulaire,
instruction, connaissance, signification, perception, représentation… L'information désigne à la fois le message à communiquer et les symboles
utilisés pour l'écrire ; elle utilise un code de signes porteurs de sens tels qu'un alphabet de lettres, une base de chiffres, des idéogrammes ou
pictogrammes. Au sens étymologique, l'information est ce qui donne une forme à l'esprit. Elle vient du verbe Latin informare, qui signifie "donner
forme à" ou "se former une idée de". Hors contexte, elle représente le véhicule des données comme dans la théorie de l'information et, hors
support, elle représente un facteur d'organisation. On touche là à un sens fondamental où l'information est liée à un projet. Il peut être construit,
comme un programme, ou auto-construit, comme la matière. V. http://fr.wikipedia.org/wiki/Information

Page 283
DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Sous-section Première : La consolidation de la


prévention par l’information
372- « Toute la réglementation doit être orientée vers une information fiable, complète et rapide afin
de permettre une plus grande transparence dans la vie des affaires1973 ». Ainsi, afin de prévenir les abus dans
les opérations de fusion ou de scission par exemple, il est tout à fait indispensable de préparer précisément les
textes des résolutions et d'informer l'ensemble des associés1974. Telle est la position de la Cour de cassation
française1975 qui a refusé de déclarer abusif le refus des minoritaires de voter une augmentation de capital,
nécessaire pour finaliser une opération de fusion, dès lors qu'ils n'avaient pas été valablement informés pour se
prononcer en connaissance de cause. Partant de ce constat, il semble nécessaire de diversifier les mesures
informatives en vue d’assurer un contrôle a priori aussi efficace que possible. Et, c’est semble-t-il pour cette
raison que notre législateur a institué plusieurs moyens d’information, renforcés par le droit accordé aux
associés d’avoir directement des renseignements utiles1976.
Il est clair, dans ces conditions, que l’information permet à l’actionnaire de se prononcer en
connaissance de cause sur la gestion sociale1977. C’est presque le seul moyen qui lui permet de protéger ses
droits politiques et pécuniaires et ce, moyennant l’exercice du droit de vote au sein des assemblées
générales1978. En effet, le droit de vote a toujours été intimement lié au droit à l’information avant la
dissociation faite entre la détention du capital et celle du pouvoir. Cette dissociation a engendré une opposition
flagrante entre les actionnaires dirigeants et ceux qui ne le sont pas. Elle traduit toute la lutte entre le pouvoir
et l’argent dans la société anonyme1979. Comme l’a affirmé très justement le professeur Schmidt,
« l’information profitera essentiellement aux minoritaires. L’actionnaire bailleur de fond, par définition,
n’entend pas intervenir dans la marche de la société. Le groupe majoritaire, de son côté, est parfaitement
informé des choses sociales, soit qu’il cumule sa qualité de majoritaire avec celle du dirigeant, soit qu’il
exerce un contrôle étroit sur ces personnes qu’il a lui même choisies1980 ».
Conçu alors essentiellement comme un moyen d’action au profit des minoritaires, le droit à
l’information se transforme d’un droit absolu à un droit fonctionnel. Il en est, ainsi, car un associé, bien
informé sur les affaires sociales, peut exercer convenablement son pouvoir de contrôle sur la gestion sociale et
réduire, par conséquent, les risques d’abus que pourrait causer la majorité sociale aussi bien à la minorité qu’à
la société. C’est donc à travers la protection du droit à l’information qu’un équilibre de pouvoirs dans la
société peut être réalisé afin de permettre à l’associé d’être sur les bons rails et pouvoir contrecarrer toute
forme d’abus notamment lorsqu’il s’agit de réaliser une opération de concentration1981.
Cet état des choses a influencé profondément la qualité de l’information accordée à l’associé, d’où la
nécessité de l’intervention législative afin d’équilibrer le rapport dirigeant/associé, surtout au sein de la SA, et
promouvoir le marché financier d’une manière générale1982. Pour ce faire, un arsenal de textes juridiques
réglementant l’étendue de l’information a été édicté afin de fournir une connaissance suffisante de l’état
financier de la société et ses perspectives d’évolution1983. A cet effet, il sied de déterminer d’abord l’étendue
de l’information en tant que moyen de prévention de l’abus dans les procédés de concentration (-§1- ), pour
démontrer ensuite la nécessité de sa modernisation en vue d’instaurer un cadre législatif de qualité dans ces
mêmes procédés (-§2-).

1973
AFFES (M), pour un code du droit des sociétés, RJL, n° 2, 1994, p 19.
1974
MOSSER (L), L'abus toléré : à la recherche d'une autorégulation, Gaz. Pal., 19 décembre 2009, n° 353, p 13.
1975
Cass. Com. Fr., 20 mars 2007, pourvoi no 05-19.225, JCP, éd. E, 2007, no 24, p. 18.
1976
NENNI (A), les droits de l’associé depuis la promulgation du code des sociétés commerciales, Infos juridiques, n°38/39 janvier, 2008, p16.
1977
BADINTER (R), Les pouvoirs du P.D.G. de la S.A. de type classique après la réforme du droit des sociétés commerciales, D., 1969, chr. 185.
1978
OMRANE (A), Le droit de l’associé à l’information et à l’accès à la justice,
.111 ‫ ص‬،2009 + ‫ ﺟ‬، F ‫وا‬ ‫ ت ا‬A‫' ا را‬C 9 4$ ،2009 ‫ ﺟ ان‬H7 /0 ،2009‫ رس‬16 4$ # +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ن ا‬7 8G + ‫ < ل ا‬8 N U
‫ ن ا ل ن‬L A V< U < ‫ ة رأس ا ل‬7 U N ' $ $ ‫ت‬S # U ‫ ة ا رادة إ‬7 U N 4 !$ ‫ت‬S #$ M ‫ س‬4 ‫ ا‬M ‫ ا ري‬V # ‫ ا‬X‫ ھ‬4 ‫ ت‬5 8 ‫ ا‬+‫ ] د‬7 ‫ رات ا‬L ‫ ان ا‬5 " 1979
6 ‫ رات‬34 ،‫و ا ودة‬q! ‫ ت ذات ا‬C 3 ‫ ص ا‬PO ‫ ت ا‬C O ، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ا‬8G ! ‫ ا‬،‫ ري‬17 ‫ ل ا‬." ‫ ت ا ال‬C O ‫[ة‬3 ‫ زت‬G‫ ا‬، +‫ ت ا ر‬7S# ‫ ا‬8G ‫ ن ا أي‬L A
.6 ‫ ص‬،2010 H $ ، m P ‫ب ا‬ ‫ا ط ش‬
1980
SCHMIDT (D), Les droits de la minorité dans la société anonyme, op. cit., p 92.
1981
AYARI (K), Le référé et les sociétés commerciales, CIFEDE EDITION, 2007, p 126 et 127.
1982
VENE (A), La lutte du pouvoir et de l’argent dans les sociétés par actions, éd. d’organisation, Paris, 1972, p 111.
1983
Il reste qu’offrir un flux important d’information ne suffit pas pour assurer une bonne qualité de l’information fournie aux actionnaires. En
effet, la mise en œuvre de la responsabilité des débiteurs de l’information est une garantie importante de l’objectivité, de la rentabilité de leurs
missions et de l’effectivité de la qualité de l’information qu’ils sont sensés accorder à l’actionnaire. Il en est de même de la modernisation des
supports et des moyens de transmission de l’information sociale mise à la disposition des partenaires sociaux.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

-§1- : La détermination de l’information sociale dans les


procédés de concentration
373- Alors que M. Heurteux disait qu’ « en France, en Grande Bretagne et aux Etats-Unis, les
actionnaires réunis en assemblée générale constituent le pouvoir souverain (…) eux seuls peuvent approuver
la gestion sociale »1984, M. Tunc insistait sur l’effacement de cet organe dans la gestion quotidienne de la
société1985. Cela traduit indubitablement le divorce entre la théorie et la pratique.
En réalité, la position qu’occupe l’actionnaire dans la vie sociale dépend de son exercice éclairé du
pouvoir au sein de la société, chose qui ne peut se réaliser qu’à travers la consécration à son profit d’un droit à
l’information. Ce droit a un caractère d’ordre public1986, car il ne peut être nullement restreint ou limité par les
statuts et ce, conformément à l’article 11 C.S.C.
Conscient de l’importance du rôle de l’information dans le bon fonctionnement de la société, le
législateur a consacré plusieurs articles du code des sociétés commerciales au droit à l’information qui permet,
en tant que moyen assez efficace, aux associés d’être au courant du déroulement des affaires sociales et ainsi
de détecter les éventuelles déviations et abus. Reconnu à tous les associés, le droit à l’information est alors
érigé en un droit « naturel » et absolu car il suffit d’être associé pour en bénéficier. Un tel droit est assez
étendu dans notre législation des sociétés, c’est ce qu’on essayera de relever moyennant l’étude de l’étendue
de l’information accordée à l’actionnaire1987. Cette information, préventive de l’abus, est tantôt globale car
elle comporte un certain nombre de documents et s’applique à tous les procédés de concentration des sociétés
(I), tantôt ponctuelle car elle concerne des documents bien déterminés et des domaines précis et précisés, mais
applicable aussi à tous les procédés de concentration (II).

I- L’information globale des associés dans les procédés de


concentration
374- « Instrument nécessaire de la fonction de contrôle des actionnaires»1988, l’information est un moyen
d’action pour l’actionnaire qui ne peut participer utilement aux délibérations, ni assurer un vote éclairé au sein des
assemblées s’il n’est pas renseigné régulièrement sur la gestion et la marche des affaires sociales. La jurisprudence
comparée considère, à cet effet, que sans information l’actionnaire ne peut pas émettre un vote libre et
éclairé1989. A cette fin, le législateur a reconnu au profit de l’associé deux types d’information : l’une permanente
mise à sa disposition à toute époque de l’année (B), l’autre occasionnelle puisqu’elle n’est disponible qu’avant la
tenue de l’assemblée générale extraordinaire qui aura à décider de l’opportunité de l’opération de concentration (A).

A- L’information préalable à la tenue de l’AGE

375- Comme son nom l’indique, le droit à l’information préalable à la tenue de l’assemblée est un
droit « limité dans le temps ; cantonné au délai utile à l’actionnaire pour être informé avant la séance ; aussi
l’appelle-t-on droit de communication temporaire ou périodique »1990. Ce droit à l’information préalable
permet aux actionnaires de se faire une opinion personnelle et précise sur la gestion sociale. En effet, la loi
prévoit les principaux documents qui doivent être mis à leur disposition préalablement à la tenue de
l’assemblée générale. Ainsi, l’article 280 C.S.C a mis à la charge du conseil d’administration ou du directoire
selon le cas, l’obligation de « mettre à la disposition des actionnaires, quinze jours au moins avant la date
prévue pour la tenue de l’assemblée, les documents nécessaires pour leur permettre de se prononcer en
connaissance de cause et de donner leur avis sur la gestion et le fonctionnement de la société ».

1984
HEURTEUX (C), Op.cit, p. 153.
1985
TUNC (A), L’effacement des organes légaux de la S.A., D., 1952, chr. 79.
1986
COZIAN (M), VIANDIER (A), Droit des sociétés, Litec, Paris, 13ème éd., 2000, p 130.
1987
AYARI (K), Le référé et les sociétés commerciales, op.cit., p 126.
1988
CONTIN (R), le contrôle de la gestion des sociétés anonymes, Paris Litec ,1975 p 46.
1989
Cass. Com. Fr., 20 mars 2007, cite par LEDOUX (P), op. cit., p 244.
1990
LEFEBVRE (F), sociétés commerciales, Ed. LEFEBVRE, 2006, n° 10210, p 600.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Malgré l’importance dudit texte en droit des sociétés, il demeure malheureusement lacunaire dans la
mesure où il n’établit pas de liste exhaustive des documents nécessaires à mettre à la disposition des associés.
Qu’est-ce qu’on entend, en fait, par l’expression « document nécessaire » ? Cela risque certainement de
constituer un terrain d’ambigüité juridique1991, surtout en matière de concentration des sociétés.
L’article susvisé gagnerait surement en termes de clarté et précision si le législateur intervenait pour
donner une liste exhaustive de ces documents comptable et financier à mettre à la disposition des associés.
Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler que, dans un récent arrêt, le tribunal de première instance de Tunis a
annulé une délibération d’une assemblée générale au motif que les actionnaires n’ont pas reçu les documents
informatifs que huit jours avant la réunion et que le contenu desdits documents ne comprenait pas le détail des
projets de résolutions objet de la délibération, ce qui n’était pas conforme aux dispositions de l’article 280
précité1992. Pour cette raison, il semble opportun que le législateur intervienne pour préciser les documents
objet de la diffusion afin d’éviter les problèmes liés à l’application du texte de loi.
Dans ce cadre, monsieur Ahmed Ouerfelli propose d’interpréter l’article 280 précité en le complétant
par l’ensemble des articles analogues du code1993. A ce propos, il convient de signaler que l’article 284 C.S.C.
protège le droit à l’information et renvoie, concernant les documents à communiquer aux associés, aux
dispositions de l’article 201 C.S.C. Ce dernier impose la communication des documents suivants : les états
financiers, le bilan, un état des cautionnements, avals et garanties données par la société, un état des suretés
consenties par elle et le rapport annuel de gestion. Le droit à l’information s’applique à ces documents
concernant les trois dernières années. Il en est de même pour ce qui est des feuilles de présence et des procès
verbaux des assemblées générales tenues durant les trois dernières années, conformément à l’article 284
susmentionné.
Aussi, il sied de remarquer que les règles régissant la S.A.R.L. sont plus minutieuses que celles de la
S.A. En effet, l’article 128 (nouveau) C.S.C., alinéa deuxième, oblige le gérant à communiquer aux associés
par lettre recommandée avec accusé de réception les documents sociaux suivants, trente jours au moins avant
la tenue de l’assemblée :
- Le rapport de gestion ;
- L’inventaire des biens de la société ;
- Les états financiers ;
- Le texte des résolutions proposées ;
- Le cas échéant, le rapport du commissaire aux comptes.
Compte tenu de la précision des documents à fournir aux associés dans la SARL, le législateur devrait
faire de même dans la SA afin d’éviter les problèmes d’interprétation.
376- Nul doute que ces documents sont d’une importance grandissante pour prévenir les abus dans
les procédés de concentration des sociétés car ils permettent aux associés de voter, en connaissance de cause,
dans un climat de transparence et de loyauté1994.
D’ailleurs, dans le cadre des opérations de fusion, la société concernée par un tel procédé de
concentration doit mettre aussi à la disposition de ses associés deux mois avant la réunion de l’assemblée
générale extraordinaire plusieurs documents à titre informatif. Il s’agit, conformément à l’article 418 du projet
de fusion1995, le rapport du commissaire aux apports, le rapport du commissaire aux comptes, le rapport de

K +‫ [و‬I‫! ﺟ‬+ g /FG ‫ رة‬N 8‫ م ش ت ھ‬M 280 V]/ ‫ا اردة‬ ‫ز‬S ‫ " ا‬p ‫ رة ا‬N ‫ " ان‬+‫ر‬ ‫ ت ا‬C 3 ‫ ن ا‬7 8G ' ‫ ا ﺟ‬a C 8G 8 G‫ ا< ا ر‬8g ‫ ا‬N‫ < ` ا‬1991
.236/235‫ ص‬،2009 ،H $ ،m P ‫ب ا‬ ‫ا ط ش‬6 ،‫ ت‬C 3 ‫ ن ا‬7 8G ' ‫ ا ﺟ‬، 2 ‫ ( ا ر‬0‫ ا‬." 276 ‫ و‬275 M ]/ ‫ ا‬U ‫ا ﺟ ع إ‬
1992
T.P.I. Tunis, arrêt N°18843, du 10 juillet 2007 (voir les annexes).
! ‫ ر ا‬F ‫ ء‬N A ‫ ا‬0 M ‫ ا ! ھ‬U ‫ " إ‬p ‫ه ا‬D‫ ل ھ‬A‫ ار‬280‫ و‬276 ‫ن‬S]/ ‫ ا‬I‫ ﺟ‬+ 9 C . Kg N‫ و‬K ! / C ‫ " و‬p ‫ه ا‬D‫ ھ‬Vd $ 8G 280 V]/ ‫ ا‬M + 9 ‫ " و‬1993
‫ س‬A Vd $ ‫ رة‬CD ‫ " ا‬p ‫ ان ا‬KF# ‫ ا< م ا‬V h ‫ ر‬M M + M 8 ‫و‬ ‫ ا‬+ ‫ ا‬LA‫ ي او ا‬+ ‫ ا‬8]P3 ‫ ء ا‬N A ‫ ا‬LA‫ ا‬9K N A‫ رة ا ر ا‬0 8G U < # ‫ا‬
‫ او‬I7‫ا‬ + $‫ ه ا ! ون و‬#+ ‫ي‬D ‫ ا ] ف ا‬+ $ U N ‫وة‬SN ، ‫ ا‬9 ‫ < ت < ل ا ا‬F+ ‫ وا‬، ‫ ا‬9 ‫ وﺟ ول ا ا‬X 4 ‫ ا ازة و<! ب ا‬: K$ G + 4! ‫ا‬ ‫ ا‬9 ‫ ا ا‬8G
M+‫ ز‬9‫ا ظ‬ 8g ‫ ا‬+' ‫ ا‬U ‫ ا ﺟ إ‬،‫ ري‬17 ‫ و ل ا‬2 ‫ ( ا ر‬0‫ ا‬، M g ‫ " ا‬#$ ، ‫ ـ‬+' ‫ ! ـ ا‬G ‫ـ‬ N ‫ ـ‬K N " # +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬ ."‫ ا ! ت‬8 7‫ا‬
. 893 /0 ,2007 H $ ،M+ # ‫ا‬
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.1450 ‫ ص‬، A ‫ رة‬CD ‫ ا‬+‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬ ،‫ ري‬17 ‫ و ل ا‬2 ‫ ( ا ر‬0‫ ا‬.” ‫ ة‬+ ‫ ا‬C 3 ‫ ا‬8G 3 K 7‫د ا‬ U ‫ رأس ا ل إ‬M ‫! ھ‬
1995
D’après l’article 413 CSC « la fusion doit être précédée par un projet de fusion qui arrête et précise toutes les conditions et les conséquences
de l'opération. Le projet de fusion doit contenir : les motifs, buts et conditions de la fusion envisagée ; la dénomination, la forme, la nationalité,
l'activité et le siège social de chaque société concernée par la fusion ; l'état de l'actif et du passif dont la transmission universelle est prévue ;
l'évaluation financière de l'actif et du passif selon les états financiers et une évaluation économique de l'entreprise faite par un expert comptable
ou un expert spécialisé ; l'évaluation financière et économique à la même date pour toutes les sociétés ; la date de la dissolution et celle de la
fusion ainsi que la date à partir de laquelle les actions ou les parts sociales nouvelles donneront le droit de participer aux bénéfices sociaux ; la

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

gestion des trois derniers exercices1996, les rapports des conseils d’administration, les états financiers1997, le
projet d’acte constitutif de la nouvelle société1998, l’acte constitutif des sociétés participant à la fusion, le
contrat de fusion, les noms, prénoms et nationalités des administrateurs ou gérants des sociétés participant à la
fusion. S’il s’agit d’une fusion absorption, la société doit mettre également à la disposition de ses associés le
texte intégral des modifications à apporter aux statuts.
A leur tour, les associés pourront non seulement avoir communication aux documents susmentionnés
mais aussi en prendre copie au siège social.
Il est clair que cette mise de divers documents à la disposition des associés est destinée à mettre en
exergue les objectifs, l’opportunité ainsi que l’intérêt d’une éventuelle fusion, ce qui permettra, semble-t-il,
aux associés de voter pour ou contre la dite opération, en toute connaissance de cause.

Concernant l’opération de scission, rien de semblable n’a été explicitement prévu par la législation en
vigueur. Cela n’empêche pas pour autant les associés de pouvoir exiger les mêmes documents prévus pour la
fusion. Toute solution de ce genre est certainement soutenue par le raisonnement par analogie conformément
aux dispositions de l’article 535 COC. Cette solution pourrait aussi trouver droit de cité dans l’alinéa premier
de l’article 429 C.S.C. qui dispose que « la scission ne se réalise qu’après l’établissement d’un projet de
scission qui sera soumis au vote de l’assemblée générale extraordinaire dans les mêmes conditions de la
fusion ».

De même, dans le groupe de sociétés, il ressort de l’article 472 que la société mère doit mettre, à son
siège social, à la disposition de tous les associés les états financiers consolidés1999 ainsi que le rapport de
gestion du groupe2000 et le rapport du commissaire aux comptes de la société mère, au moins un mois avant la
réunion de l’assemblée générale des associés.
377- On se permet alors de s’interroger sur l’utilité des documents susmentionnés2001 ?
D’abord, leur importance apparaît à travers les états financiers comprenant le bilan qui « constitue une
représentation à une date donnée de la situation financière de l’entreprise sous forme d’actif, de passif et de
capitaux propres… »2002. Le bilan facilite donc l’information des actionnaires à travers l’état résumé de la
situation active et passive de la société2003.
A côté du bilan, se trouve l’inventaire qui permet de vérifier l’exactitude des indications fournies par le
bilan au moyen d’un état détaillé des valeurs mobilières et immobilières de la société, ce qui « reflète la
véritable situation de celle-ci arrêtée au moment où il a été dressé »2004. Ce document apparaît comme un
moyen nécessaire à l’information des actionnaires car il leur permet d’exercer en connaissance de cause un
contrôle purement matériel concernant la situation financière de la société à partir des renseignements
comptables mis à leur disposition afin d’approuver ou désapprouver les comptes sociaux ou l’opération de

détermination de la parité d'échange des droits sociaux , qu'il s'agisse d'actions ou de parts sociales, le montant de la soulte et le cas échéant, la
prime de fusion et le dividende avant la fusion ; la détermination des droits des associés, des salariés et des dirigeants ; la détermination de la
méthode retenue pour l'évaluation et les motifs du choix effectué ; et dans tous les cas la fusion ne peut être réalisée que si le capital de chaque
société concernée est entièrement libéré ».
5 ‫! رة‬P ‫ ا‬M ‫ ا [ ذ‬i ‫] ا ظ‬4N 8G C 3 ‫ ا‬N‫ ز‬4 ‫] ص‬P ` < ‫ " و‬: 2008 ‫ رس‬12 ` ‫ ر‬60088 ‫(د‬3 [" ‫ ف‬AZ D ‫ ا‬$- ,3 ‫ در‬G 69 AZ D‫ار ا‬
‫ا‬D‫ د وان ھ‬120.000.000 8‫ ھ‬K ‫ ّد‬9$ 8 ‫ ا‬C 3 ‫ا‬ ‫ ن ا‬f ّ A‫ و‬K ‫ د‬9ّ $ 8 ‫ ا‬C 3 M ‫ وا ! ھ‬C 3 ‫ ا‬M 9KA ‫ اء ا‬O ‫ د‬N U N f #‫ س أن ا دارة اط‬A‫ ا‬U N ‫ا رة‬
C 3 9KA ‫ ا‬6 ‫ ﺟ‬M p M ‫ رق‬/ ‫ < ل ا‬+ F ‫ ا‬i ‫ ظ‬$ ‫ ن‬G 8 ‫ إن وﺟ ت و‬+‫ ل ا ر‬0 ‫ وا‬6 F ‫ 'ات وا‬K ‫ ا‬k ‫ ذ‬8G K ‫ د‬67‫ و‬8 ‫ ا‬C 3 ‫ ! ت ا‬6 V O M d‫ا‬
‫] ص‬P ‫ا ا‬DK C 3 ‫ ا‬a ‫ إ‬f ‫ذھ‬ GS ‫ و‬.M $ ‫ ا ري‬V0 ‫ ا‬M p f/‫ وظ‬7 ‫ ن ا دارة‬$ ‫ ا ري‬V0 ‫ ا‬9 $ 9p ‫ ر‬4+‫ د‬i ‫ ا‬30 ^ ‫ وا‬X ‫ ا‬4N ‫ دھ‬N‫ ا‬9$ 8 ‫ا‬ ‫وا‬ ‫ا‬
‫ج‬ ‫ وط ا‬O ‫ م‬$ 9 ‫و‬ ُ ‫ ا‬C 3 G ] ‫ ل ا‬0 ‫ س ا‬A‫ ا‬U N 9KA ‫ ه ا‬K ‫ا‬ ‫ ا‬+ 9 $ 9 K ‫ وا‬K ‫ د‬67‫ ا ا‬C 3 9KA ‫ ا‬6 k ‫ ا‬K‫ ا‬f d‫ ا‬M a G
C 3 ‫ ط أن ا‬a ‫وا‬ ‫ ا‬K 7 ‫ س‬A‫ ا‬U N 4 ‫ ت ا‬C 3 ‫ ل ا‬0‫ ا‬9 $ # ‫ج‬ ‫ وع ا‬3 ‫ اد‬N‫ ا‬K ‫ واھ‬+‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬ M 418 ‫ و‬409 M ]/ K N ‫] ص‬4 ‫ا‬
،56/57 ‫ د‬N ‫ ا‬." ‫] ص‬P ‫ا ا‬D‫ ھ‬8G 8 ‫ ا ا‬9 ‫ ار ا‬7‫ ا‬a $‫ وا‬a + ‫ ط‬8G ‫رة‬ 5 ‫ رھ‬N ‫! رة‬P ‫ه ا‬DK ‫ اد ج‬M ‫ ا دارة‬a ‫ إ‬f ‫ ن ذھ‬G 9KA ‫ ا‬M p ‫ < دت‬8 ‫ ا‬8‫ ھ‬/ P ‫ا‬
.10 ‫ ص‬،2008 C‫أ‬
1996
Dans le cadre de l’entreprise sociétaire, « le rapport du conseil d’administration, lorsqu’il est sérieusement préparé, présente le
meilleur « réfléchissant » de la situation sociale au moment où il a été rédigé, contenant les informations de gestion technique et financière, il
renseigne l’actionnaire surtout non dirigeant ». BEN NASR (T), Le contrôle de fonctionnement des sociétés anonymes, édition 2000, p 58.
1997
V. Le système comptable des entreprises tel que déterminé par la loi n° 96-112 du 30-12-96 et les normes comptables du 01-12-03 : JORT, n°
97, 5-12-2003, p 3529.
1998
Cela vaut dire le projet des statuts de la société issue de la fusion.
1999
V. infra, n° 402.
2000
V. infra, n° 399.
2001
MAAZOUN (M), Rôles et responsabilités des administrateurs en matière d’information comptable, I.J., n° 110/111, Avril 2011, p 30.
2002
V. art. 79 du décret n°96-2459 du 30 déc 1996, portant approbation du cadre conceptuel de la comptabilité.
2003
DAHDOUH (H) et DAHDOUH-LABASTIE (C), Droit commercial, V. 2, op.cit., p 462, n° 792.
2004
Article 8 du C.C.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

concentration envisagée. Dans cette perspective, l’inventaire constitue parfois un document beaucoup plus
important que le bilan2005.
Aussi, pour contrôler la gestion des dirigeants, l’actionnaire peut « consulter les comptes de pertes et
profits qui eux seuls lui permettent de savoir si à la fin de l’exercice la société va enregistrer des gains et
donc procéder par là, du moins théoriquement, à une distribution de dividendes »2006 . De même, les
actionnaires ont intérêt à connaître ces différents comptes pour avoir une idée complète et exacte sur la
performance financière et la rentabilité sociale.
Enfin, il ne faut pas négliger l’importance des rapports des commissaires aux comptes et des rapports
de gestion des trois derniers exercices. Ainsi, l’information à laquelle a droit un actionnaire, au cours de
l’opération de concentration, est non seulement exhaustive mais aussi rétrospective.

378- Outre ces documents chiffrés, l’actionnaire dispose d’un droit de communication des documents
administratifs tels que la feuille de présence, l’ordre du jour et la liste des actionnaires.
A cet égard, il est à signaler que la feuille de présence joue un rôle primordial dans l’information des
actionnaires avant la tenue de l’assemblée générale. En effet, conformément à l’article 282 du C.S.C « avant
de passer à l’examen de l’ordre du jour, il sera établi une feuille de présence sur laquelle sont portés les noms
des actionnaires, leurs adresses et le nombre d’actions dont chacun d’eux est porteur ». Ces mentions
permettent de s’informer sur la composition de l’assemblée et sur le quorum légal afin de garantir la régularité
de sa tenue et ses décisions2007.
Une fois établie, la feuille de présence doit être émargée par les actionnaires présents ou leurs
mandataires, certifiée par le bureau de l’assemblée après avoir vérifié l’exactitude des mentions y figurant et
déposée au siège social pour que tout requérant puisse la consulter2008.
Le défaut d’établissement de la feuille de présence a pour effet d’empêcher l’identification de ceux qui
ont participé au vote et savoir si le quorum a été atteint, ce qui risque de causer la nullité de l’assemblée. De là
découle « le rôle essentiellement probatoire » de cette feuille primordiale2009.
En sus de la feuille de présence, l’ordre du jour constitue un document dont la communication est
nécessaire préalablement à la tenue de l’assemblée. A ce propos, l’article 276 C.S.C dispose que :
« l’assemblée générale ordinaire est convoquée par un avis (…) dans le délai de quinze jours au moins avant
la date fixé pour la réunion. L’avis indiquera la date et le lieu de la tenue de la réunion, ainsi que l’ordre du
jour ».
L’ordre du jour contient en principe la liste des questions sur lesquelles l’assemblée est amenée à se
prononcer ce qui signifie que « l’assemblée générale ne peut délibérer sur des questions non inscrites à
l’ordre du jour »2010.
Ce document est nécessaire pour l’actionnaire qui assistera à l’assemblée puisqu’il lui permet d’être
averti des questions à débattre au sein de l’assemblée générale et d’exercer, par conséquent, son pouvoir de
contrôle à bon escient. Il est utile aussi pour l’actionnaire absent puisqu’il serait impossible de supprimer de
l’ordre du jour une question qui y était portée et d’y ajouter une autre qui n’y était pas prévue2011. En effet, ce
document très important est essentiellement exigé dans le but d’ordonner et de circonscrire les débats de
l’assemblée générale2012 de telle sorte que les dirigeants ne peuvent modifier ou changer à leur gré l’ordre du
jour, ce qui garantie aux actionnaires un vote éclairé sans être pris au dépourvu.
Aussi, dans le but de faciliter le groupement des actionnaires, le législateur a instauré à leur profit un
droit de communication de la liste des actionnaires. Ce droit est fondamental puisqu’il donne à ceux-ci la
possibilité de s’identifier et par là même de se concerter, spécialement dans le cas où les statuts prévoient que
l’accès à l’assemblée est subordonné à la détention d’un nombre minimal d’actions.

2005
Trib. Corr. Seine, 8 juin 1921, J.C.S, 1921 p 503.
2006
BEN NASR (T), Le contrôle de fonctionnement des sociétés anonymes, op.cit., p 54.
2007
CONTIN (R), op. cit p 87.
2008
C’est ce qui a été confirmé par le jugement du Trib. Pre. Inst de Tunis n°12260 en date du 27 déc 2003. V. les annexes.
2009
RODIERE (R), les mentions de la feuille de présence, D. 1961, p 67.
2010
V. alinéa 3 de l’article 289 du C.S.C.
2011
ROBLOT (R), les sociétés commerciales, commentaire de la loi du 24/7/1966, L.G.D.J, Paris, 1968, n°1215, p 620.
2012
SIBON (J.L), note sous C.A de Paris, 12/12/1979, Rev. Soc, 1980, p 761.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Certes, le législateur a signalé dans l’article 286 C.S.C que tout actionnaire a le droit d’obtenir
communication de cette liste avant la réunion de l’assemblée, mais il n’a fourni aucune précision sur le
contenu de ce document même avec la promulgation du code des sociétés commerciales.
Contrairement au droit tunisien, son homologue français a bien précisé le contenu de la liste des
actionnaires communicable. Selon les dispositions du décret du 23 mars 1967 et précisément l’alinéa second
de l’article 140, la liste des actionnaires doit contenir « les noms, prénoms et domiciles de chaque titulaire
d’actions nominatives inscrit à cette date sur les registres de la société et de chaque personne ayant, à la
même date, effectué le dépôt permanent de ses actions au porteur au siège social ainsi que le nombre
d’actions dont chaque actionnaire est titulaire au porteur »2013.
On observe ainsi, que la communication de la liste des actionnaires est le meilleur moyen facilitant le
groupement des actionnaires pour accéder utilement aux assemblées. Mais, il ne faut pas oublier que le silence
du législateur sur le contenu de ce document est regrettable, car une telle lacune risque d’encourager les
dirigeants à méconnaître ce droit aux actionnaires2014.
Personne ne peut nier l’importance des documents administratifs surtout dans les assemblées générales
extraordinaires amenées à se prononcer sur les questions primordiales touchant aux dispositions statutaires,
telles que celles mettant en place une opération de fusion ou de scission. En effet, il est très utile et assez
important pour l’associé de connaitre l’ordre du jour de l’assemblée générale extraordinaire, de consulter la
feuille de présence et la liste des actionnaires afin d’avoir une idée générale sur l’assemblée et pouvoir voter
l’opération de concentration en connaissance de cause.
379- Aussi importante qu’elle paraisse, la reconnaissance législative du droit à l’information semble
malheureusement insuffisante. Si on veut assurer à l’associé une information efficace, le droit à l’information
légalement reconnu doit être assorti d’une garantie judiciaire. Il est, en effet, pratique de permettre à l’associé
de recourir au juge des référés lorsque les dirigeants s’abstiennent de lui communiquer les documents
nécessaires à son information. Toutefois, et malgré le mérite du recours judiciaire à ce sujet, seul l’article 284
C.S.C permet à l’actionnaire de saisir le juge des référés « si la société refuse la communication de la totalité
ou d’une partie des documents sociaux ». L’article 418 CSC, propre à la fusion, et son homologue 472 du
même code, applicables à la société mère, n’admettent pas2015, néanmoins, le recours judiciaire pour optimiser
et protéger le droit à l’information qu’ils consacrent lors des procédés de concentration des sociétés. Si, par
exemple, un actionnaire n’a pas bénéficié du droit à l’information consacré par l’article 418 en matière de
fusion, ce dernier n’a de recours au juge des référés que sur la base de l’article 201 C.P.C.C. pourvu qu’il en
remplisse les conditions, ce qui n’est pas à la portée de tous. Comment prouver, en effet, l’état d’urgence
sociale s’il n’est question que de la violation du droit à l’information d’un minoritaire ? Bien évidement,
prévoir le même recours institué par l’article 284 C.S.C. pour le droit à l’information dans les opérations de
fusion, scission et groupement de sociétés, est fortement sollicité2016.
Aussi, faut-il rappeler que les documents susvisés doivent-ils être entièrement communiqués à
l’actionnaire, sans aucune exception ? En d’autres termes, la société n’est-elle pas admise à refuser la
communication de certains documents sans que le juge des référés ne puisse l’astreindre à le faire ? Certains
auteurs ont admis, à ce propos, que la société peut légitiment refuser de communiquer aux associés certains
documents sociaux en raison de leur caractère confidentiel. N’est-il pas, en effet, contraire à l’intérêt social2017
et à l’intérêt des associés eux-mêmes que le juge des référés oblige la société à divulguer une information
économiquement secrète ? Car « révéler un renseignement confidentiel à l’assemblée d’une grande société,
souligne M. Gavalda, c’est en fait la livrer à la masse financière, aux public, au fisc, aux salariés et à la
concurrence2018 ». En vérité, le problème rappelle une antinomie plus profonde entre deux droits se fondant
tous les deux sur l’impératif de protection. D’une part, le droit de la société au secret des données

2013
Article 140 alinéa 2 du décret de 23/3/1967 : décret d’application de la loi du 24/7/1966 sur les sociétés commerciales, J.C.P, 1967, III, 32897,
33082. Cette disposition a été reprise par l’article R 225-90 du code de commerce français.
'C .‫ ط‬،2006‫ ي‬/ G 4‫و‬3 H $ ،"2005 ‫ت‬S+ #$ # +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬ " U ‫ ل‬N‫ ا‬،" +‫ ] د‬7 ‫ ا ] ا‬6 $‫ و‬+‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ا‬8G ‫ ء‬C 3 ‫ د ا‬#$" : F79 , ‫(ة‬9 2014
.41‫ ص‬، 2006 H $ ، F ‫وا‬ ‫ ت ا‬A‫ا را‬
BEN ALAYA (R), l’information de l’actionnaire dans la société anonyme, mémoire de mastère en droit des contrats et des investissements, Fac de
droit et des sciences politiques de Tunis, 2007, p 35.
2015
Il en est de même des articles 128, 280, 282 et 286 C.S.C.
2016
V. infra, n°549 et s.
2017
Concernant la définition de l’intérêt social, V. supra, n° 294 et s.
2018
GAVALDA (C), le secret des affaires, in mélange Savatier, 1996, p 291.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

confidentielles, que les organes sociaux sont tenus de respecter en vertu de l’article 253 C.S.C2019. D’autre
part, le droit de l’associé à l’information lui permettant de contrôler efficacement le fonctionnement social.
Face à cette situation souvent conflictuelle, il appartient au juge de décider si l’insuffisance de l’information
réduit certainement son effet et, par conséquent, l’efficacité du contrôle qu’exerce l’associé sur le
fonctionnement de la société2020. Autrement-dit, c’est le pouvoir discrétionnaire du juge qui aura le dernier
mot en cette matière.

380- Une autre question risque de se poser avec autant de stridence : qu’entend-on par le vocable
« tout actionnaire » prévu par les articles 284 et 286 précités ? A priori le terme « tout »2021 ne permet
d’exclure du droit à l’information aucun actionnaire de la société. Il suffit donc d’avoir des actions quel qu’en
soit le type pour que l’associé ait un droit à l’information. Mais, malgré les avantages qu’elle fournit aux
actionnaires, la généralisation du droit de l’information parait parfois douteuse et susceptible d’être remise en
cause. Il en est ainsi pour les actionnaires détenteurs des actions prioritaires sans droit de vote conformément
aux articles 346 et suivants du CSC et dont le problème d’avoir un droit à l’information demeure posé.
N’ayant pas, comme leur nom l’indique, le droit de voter, ces actionnaires n’ont pas en fait besoin de
s’informer car l’information n’est utile qu’en assemblée générale. Mais il ne faut pas oublier qu’étant des
actionnaires, et en l’absence de toute exception prévue par l’article 284 CSC, ils ont légalement un droit à
l’information. Le problème mérite quelques nuances car si on nie à ce type d’actionnaires le droit à
l’information, ils ne peuvent pas recourir au juge des référés pour demander à être au courant des affaires
sociales. D’emblée, on ne peut que reconnaitre à ces actionnaires leur droit à être informés car les titulaires
d’actions prioritaires sans droit de vote, sont par définition et avant tout des actionnaires de la société. Ils font
ainsi partie des actionnaires visés par l’article 284 dont les dispositions ne souffrent d’aucune exception. En
plus, l’utilisation du terme « tout », dans ledit article, renforce cette thèse et rappelle que « lorsque la loi
s’exprime en termes généraux, il faut l’entendre dans le même sens ». Exclure ce type d’actionnaires du
domaine d’application de l’article 284 ne serait qu’excepter là ou la loi ne l’a pas fait. De surcroit, les
dispositions de l’article 349 CSC, semblent trancher le problème en disposant que « les titulaires d’actions à
dividende prioritaire sans droit de vote bénéficient des mêmes droits reconnus aux titulaires d’actions
ordinaires… ». En présence de dispositions manifestement claires, il n’est pas admis de nier à ces actionnaires
leur droit d’être au courant des affaires de la société et même de recourir au juge des référés en cas de besoin.
Toutefois, et en dépit de la consistance de ces arguments, le droit des titulaires d’actions à dividende
prioritaire sans droit de vote à l’information demeure discutable. En vérité, l’éclatement de l’actionnariat au
sein des sociétés anonymes a abouti à une distinction devenue de plus en plus plausible entre les actionnaires
soucieux d’exercer un pouvoir et ceux qui sont bailleurs de fonds. En effet, la création d’actions à dividende
prioritaire sans droit de vote n’était qu’une réponse aux attentes de certains actionnaires dont le souci principal
est la réalisation des bénéfices plutôt que l’exercice du contrôle sur la société. C’est justement pour cette
raison que le législateur les a privés du droit de participer et de voter aux assemblées générales des
actionnaires. Dans cet ordre d’idées, si le droit à l’information, dans son aspect fonctionnel, constitue un
moyen d’action qui permet aux minoritaires d’équilibrer le pouvoir au sein de la société et de contrôler le
comportement social de la majorité, il serait insensé de le reconnaitre à ceux dont le contrôle et le pouvoir ne
constituent aucun souci. De plus, on imagine mal l’intérêt de ce droit lorsqu’il est interdit à son titulaire
d’assister aux assemblées générales et d’y voter. En outre, les titulaires d’actions à dividende prioritaire sans
droit de vote bénéficient exclusivement d’un autre moyen juridique pour défendre leurs intérêts. Ils sont réunis
en une assemblée spéciale qu’ils convoquent eux-mêmes, après autorisation du président du tribunal, en cas de
carence de la société et ce, conformément aux articles 354 à 367 CSC2022. Ainsi, en octroyant aux titulaires
d’actions à dividende prioritaire sans droit de vote un moyen d’action spécial pour défendre leurs intérêts, le
législateur a entendu les doter d’un régime protecteur différent de celui conçu pour les actionnaires ordinaires,
à savoir le droit à l’information dans son aspect fonctionnel.

2019
D’après l’article 253 CSC « les membres du directoire et du conseil de surveillance, ainsi que toute personne appelée à assister aux réunions
de ces organes, sont tenus à la discrétion quant aux informations présentant un caractère confidentiel et données comme telles par le président ».
2020
AYARI (K), Le référé et les sociétés commerciales, op.cit., p 140 et 141.
2021
V. arts ; 284 et 286 CSC.
2022
Ces actionnaires peuvent même contester une opération de concentration si elle aboutit à la modification de la forme ou l’objet de la société
concernée et ce, sur la base de l’article 361 CSC qui prévoit que « dans toute société ayant émis des actions à dividende prioritaire sans droit de
vote, les modifications touchant à l'objet ou à la forme de la société ne seront valables qu'autant que l'assemblée générale spéciale des titulaires
des actions à dividende prioritaire sans droit de vote tenue à cet effet aura approuvé ces modifications ».

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Le phénomène de l’éclatement de l’actionnariat a également justifié l’apparition des titres participatifs


et des certificats d’investissement régis respectivement par les articles 368 à 374 et 375 à 386 CSC. Ayant, en
effet, la même situation juridique que les titulaires d’actions à dividende prioritaire sans droit de vote, les
porteurs de titres participatifs et de certificats d’investissement semblent ne pas bénéficier d’un droit à
l’information comme moyen d’action destiné à lutter contre l’abus de la majorité gouvernante.
Admettre que « les nouveaux actionnaires » n’ont pas un droit à l’information sur les affaires sociales
signifie que le juge des référés doit pouvoir débouter leurs demandes d’accès à l’information et ce, sur la base
de l’article 19 C.P.C.C pour absence d’intérêt ou pour absence de qualité2023.
381- Malgré ces limites, il demeure très important que l’actionnaire soit exactement documenté et
bien informé avant d’approuver la gestion sociale. Dans cette perspective, à côté du droit à l’information
occasionnelle ou préalable, l’associé bénéficie également d’une information permanente ou continue pour
savoir tout ce qui se passe au sein de la société, surtout si cette dernière envisage de se concentrer.

B- L’information permanente dans les procédés de concentration

382- L’ancien article 88 du code de commerce, actuellement abrogé2024, disposait qu’ « à toute
époque de l’année, tout actionnaire peut prendre connaissance ou copie au siège social, par lui-même ou par
un mandataire, de tous les documents qui ont été soumis aux assemblées générales durant les trois dernières
années et des procès verbaux de ces assemblées ». Ce droit a été accordé à l’actionnaire pour lui permettre de
connaître l’état des affaires sociales et d’apprécier les performances de la société pendant les trois derniers
exercices2025. Cette information tournée vers le passé permet d’utiles comparaisons2026, ainsi l’étude du passé
peut éclairer l’actionnaire sur l’avenir de la société. Ce type d’information peut être très utile, notamment si la
société envisage de procéder à une opération de concentration.
En comparant cet article aux dispositions postérieures du C.S.C, on constate que l’article 284 y a
apporté une nouveauté qui consiste à limiter le droit à l’information permanente. Ce droit n’est désormais
reconnu qu’aux actionnaires détenant au moins 10% du capital de la société concernée. Ainsi, uniquement
l’actionnaire qui détient cette quotité du capital peut obtenir, à toute époque de l’année, une copie des
documents visés à l’article 201 C.S.C. Il s’agit des états financiers, l’état des cautionnements, avals et
garanties données par la société, l’état des sûretés consenties par elle, le rapport annuel sur la gestion et les
documents sociaux, à savoir les procès verbaux et les feuilles de présence des assemblées. Tous ces
documents concernent les trois derniers exercices et peuvent être communiqués à tout moment à l’associé
demandeur.
En imposant cette limite concernant la quotité du capital à détenir par l’associé, on a l’impression que
le législateur a retiré d’une main ce qu’il a donné par l’autre, car ni le droit antérieur, ni la source
d’inspiration2027 ne posent une telle limite.
Heureusement la loi n°2005-65 du 27 juillet 2005 modifiant et complétant le C.S.C, est venue
reconnaitre au profit des actionnaires minoritaires la possibilité de se regrouper pour atteindre le seuil minimal
de 10%2028. Il est clair que le législateur de 2005 cherche à protéger l’actionnaire minoritaire2029, chose

‫ ا دة‬8G a ‫ أ‬5 .‫ ا م‬8G ] 9 ‫ ن‬$ ‫ <" و أن‬M a I L ‫ <" ا م‬a P$ ‫ وأھ‬/0 a mPO V ‫ ن‬+ 9C ‫أن " <" ا م ى ا‬ ّ U N ‫ م م م ت‬19 V]/ ‫ ا‬m4+ 2023
I L M $ 9 ‫ أو‬#4 K ‫ أن أھ ا م‬F ‫ أوراق ا‬M K M $ ‫ ى إذا‬N ‫ ا‬nG‫ر‬ ‫ ا‬I‫ واﺟ‬M ‫ و‬.9 L ‫ ك‬4‫ ن ھ‬C ‫ ا ' إذا‬0 ‫ ط ف ا‬M ‫ ل ا م‬7 M + #A ‫ا‬
M ‫[ن ط " ھ‬3 ‫ا ا‬D‫ ھ‬8G a$‫ ر‬p‫ إ‬f#7‫ و‬G ‫ ا‬8F $ ‫ و‬.‫ ى‬N ‫] ا‬+ F ‫ ا‬3 ‫ ء‬4p‫ أ‬a GS$ ‫|ن‬G ‫ ا م‬4N V P ‫ ط ا ھ ا ة ھ ا‬O ‫ ن‬C ‫ إذا‬a ‫ أ‬5 . K ‫ ا م‬/0
." 16 V]/
2024
Le COC a prévu deux formes différentes d’abrogation. En effet, l’article 542 du code précité dispose que « les lois ne sont abrogées que par
des lois postérieures, lorsque celles-ci l’expriment formellement, ou lorsque la nouvelle loi est incompatible avec la loi antérieure ou qu’elle règle
toute la matière réglée par cette dernière ». Il y a donc deux types d’abrogation : tacite et explicite. Celle de l’article 88 CC est explicite.
2025
Dans le cadre du C.S.C, le législateur s’est débarrassé de la formule de l’alinéa 3 de l’art 88 du C.C abrogé qui retient l’expression des trois
dernières années et a été remplacée par la formule « trois derniers exercices » et ce, pour être en conformité avec la réalité sociale et les
dispositions de l’art 22 de la loi n°96-113 relative au système comptable des entreprises.
2026
MERLE (PH), droit commercial et sociétés commerciales, D, Paris, 5ème édition, 1996, p 448.
2027
L’article 170 de la loi Française du 24 juil 1966 dispose que « tout actionnaire a le droit à toute époque, d’obtenir communication des
documents sociaux visés à l’article 168 et concernant les trois derniers exercices, ainsi que des procès verbaux et feuilles de présence des
assemblées tenues au cours de ces trois derniers exercices ». Cette disposition a été reprise par l’article 225-17 du code de commerce français.
2028
La version révisée de l’article 284 C.S.C in fine dispose que « Des actionnaires réunis détenant cette fraction du capital peuvent obtenir
communication des dites pièces et donner mandat à celui qui exercera ce droit à leur lieu et place ».
2029
On trouve dans cette réforme les traces des principes de « corporate governance » qui s’attache à la protection des actionnaires minoritaires.
Voir le 2è paragraphe du « A » du titre III des principes de « corporate governance » intitulé « le traitement équitable des actionnaires », site web
www. OCDE. Com.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

relativement méconnue dans l’ancienne version de l’article 284 du C.S.C. De surcroît, la loi n°2007-69 du 27
décembre 2007, relative à l’initiative économique, est venue, à son tour, apporter une modification majeure au
droit à l’information permanente consistant à abaisser le seuil de détention du capital social de 10% à 5% pour
la société anonyme qui ne fait pas appel public à l’épargne et 3% pour celle qui fait appel public à l’épargne.
Ce droit appartient aussi à l’actionnaire détenant une participation dans le capital au moins égale à un million
de dinars2030. Sans oublier que les associés peuvent se regrouper pour atteindre le seuil légal et se faire
représenter par un mandataire pour exercer ce droit en leur nom.
Certes, cette modification parait en harmonie avec l’esprit général du droit tunisien tourné de plus en
plus vers l’information tous azimuts des actionnaires. Ce qui rapproche davantage notre législation des
principes de la « corporate governance »2031 qui considèrent que la propriété d’une action confère au
propriétaire le droit d’être informé sur la société2032. Néanmoins, ladite limite du droit à l’information, malgré
son atténuation, permet de constater encore un recul des acquis de l’actionnaire comparativement avec
l’article 88 CC abrogé qui reconnaissait le droit à l’information à tout actionnaire quelle que soit sa
participation au capital social. Une pareille limite semble toujours incohérente avec un code qui se veut
révolutionnaire afin de parvenir à un contrôle effectif sur la vie des sociétés2033. Cela est vrai. Reste que la
position du législateur n’est pas complètement sans fondements. Un soubassement pratique pourrait lui-être,
d’abord, reconnu car il serait difficile pour une société dont le nombre d’actionnaires excède les milliers, de
pouvoir satisfaire toutes les demandes d’information si le droit d’être informé serait ouvert à chaque
actionnaire sans aucune condition ni limite. D’après le professeur Knani, cette borne légale a été imposée vu
l’impossibilité pour la société d’adresser à des milliers d’actionnaires tous les documents nécessaires à leur
information2034. De plus, une « popularisation » du droit à l’information ne fait qu’encombrer davantage les
tribunaux par des affaires souvent futiles. Un fondement économique peut-être, ensuite, invoqué car la
généralisation du droit à l’information à tout actionnaire risque de nuire à la société dans la mesure où une
divulgation d’informations importantes à des concurrents engendre des effets économiques néfastes. Il suffit
alors pour une société concurrente d’acquérir une seule action pour pouvoir accéder aux assemblées générales
et collecter les renseignements nécessaires qui se rapportent à la stratégie économique et financière de son
concurrent. La condition de la détention d’une portion du capital garantit dès lors un exercice sérieux et sain
du droit à l’information et épargne la société des mauvaises surprises économiques, surtout s’il est question
des opérations de concentration.

383- Aussi, parmi les documents qui peuvent être consultés par l’actionnaire de façon permanente,
surtout avant ou pendant la mise en place d’une opération de concentration, on peut citer les procès verbaux
des assemblées tenues au cours des trois derniers exercices. La communication de ces procès permet à
l’actionnaire de contrôler la régularité des assemblées antérieures et lui assure également une information
satisfaisante et pertinente.
Dans cette perspective, le C.S.C a règlementé d’une manière claire le contenu du procès verbal,
solution qui n’a pas été prévue dans le cadre de la législation antérieure. En effet, conformément aux
dispositions de l’article 285 du C.S.C, le procès verbal doit mentionner la date et le lieu de la tenue de
l’assemblée générale, le mode de convocation, l’ordre du jour, la composition du bureau, le nombre d’actions

2030
L’alinéa premier nouveau de l’art 284 du C.S.C dispose que : « tout actionnaire détenant au moins 5% du capital de la société anonyme qui ne
fait pas A.P.E ou 3% pour celle qui fait A.P.E, a le droit d’obtenir, à tout moment, communication d’une copie des documents sociaux visés à
l’article 201 du présent code, relatifs aux trois derniers exercices, ainsi qu’une copie des procès verbaux et des feuilles de présence des assemblées
tenues au cours des trois derniers exercices... ».
2031
AYARI (K), Le gouvernement d’entreprise en droit tunisien, Infos juridiques, numéros de février et mars 2009 ; ELLOUMI (Y), Le
gouvernement d’entreprise et commissariat aux comptes, colloque sur le code des sociétés commerciales après la réforme de 2005, 3 et 4 février,
2006, CEJJ 2006, p 113 ; MANSOUR (A), Gouvernance, L’Economiste Maghrébin, n° 373, septembre 2004, Forum, p 2 ; KECHICHE (M-R),
La Tunisie a pris l’initiative de mettre en place une série de programmes et réformes pour promouvoir le gouvernement d’entreprise, L’Economiste
Maghrébin, n° 373, septembre 2004, Forum, p 4.
2032
D’après le 3è du « A » du titre II des principes de « corporate governance », l’actionnaire a le droit « d’obtenir en temps opportun et de façon
régulière des informations pertinentes et significatives sur la société ». V. http://www.univ-orleans.fr/deg/GDRecomofi/Activ/doclyon/deffains.pdf
2033
AYARI (K), Le référé et les sociétés commerciales, op.cit., p 128 et s.
‫ ] ـــــــــــ‬H $ 'C V 7 M 9 4 2001 8/ ‫ ﺟ‬27 – 26 ، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ن ا‬7 8G + ‫ < ل ا‬U A 4 f ‫ " ا أ‬k+ 3 ‫ < ق ا‬8G + ‫ ا‬، " $ ‫] ا‬D 2034
‫ ت‬C 3 ‫ ا‬8G # ‫ ا‬+ < ، 76! ‫ ھ ا‬P ‫ ا‬.2003 ‫ ـ‬2002 ،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬M ‫ ج‬P$ A‫ ر‬، <‫ ا ا‬mP3 ‫ ذات ا‬C 3 ‫ ا‬8G k+ 3 ‫ ا‬#g ‫ ا‬، 7 ‫ س‬A ‫ ا‬.9 ‫وا‬
4 ! P ‫ د ص‬N ،2006‫ رس‬،6+ 3 ‫ ء وا‬F ‫ا‬ ،"H $ 8G ‫ ت‬C 3 ‫ ن ا‬7 M ‫ ن‬7 i] ": 2 ‫ ( ا ر‬0‫ ا‬.2001 ‫ ـ‬2000 ،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ج ا‬P$ ‫ ة‬CD ، +‫ا ر‬
U ‫ ل‬N‫" ا‬9A ‫ ا‬/ ‫ ت‬C 3 ‫ ا‬8G 7 ‫ "ا‬: 2 ‫ ( ا ر‬0‫ ا‬.35‫ ص‬،2007 ‫ ﺟ ان‬،6+ 3 ‫ ء وا‬F ‫ا‬ ،" ‫ ت ا‬7S# ‫ ا‬SA‫ و‬G /3 ‫ ا‬H‫"ھ ﺟ‬: 2 ‫ ( ا ر‬0‫ ا‬.139‫ ص‬، ‫ل‬S A ‫ا‬
،" ‫ ت ا‬7S# ‫ ا‬SA ‫ ن‬g ": ; 41E" .123‫ ص‬،2002 H $ ، F ‫وا‬ ‫ ت ا‬A‫' ا را‬C 3 ،2001 V+ G‫ ا‬4‫ و‬3 H $ ،" +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬ "‫ < ل‬8 ‫دو‬
. 161‫ص‬،2008 C‫ ا‬، 6+ 3 ‫ ء وا‬F ‫ا‬

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

participant au vote et le quorum atteint, les documents et les rapports soumis à l’assemblée générale, un
résumé des débats, le texte des résolutions soumises au vote et son résultat.
Quant à la détermination de la forme du procès verbal, le législateur n’en donne aucune précision
contrairement au droit français qui exige que « ces procès soient consignés sur un registre spécial et
conservés au siège social »2035.

384- En plus du droit de communication, l’article 64 CSC permet aux associés non gérants, dans une
société en nom collectif, de poser des questions écrites sur la gestion sociale. Les réponses à ces questions
doivent être faites par écrit dans un délai ne dépassant pas un mois. De même, l’article 128 CSC permet aux
associés de la SARL de poser par écrit des questions au gérant et ce, huit jour au moins avant la date prévue
pour la tenue de l’assemblée générale. Le gérant sera tenu d’y répondre au cours de l’assemblée2036. Aussi,
l’article 138 CSC dispose que tout associé non gérant, dans une société à responsabilité limité, peut deux fois
par exercice poser une question écrite au gérant sur tout acte ou fait de nature à exposer la société à un péril.
Dans ce cadre bien précis, il n’est point douteux que les opérations de fusion, scission et surtout ceux
de filialisation sont des opérations de nature à mettre en péril l’avenir de la société qui y participe2037. En effet,
« le contrôle d’une société par une autre est une activité périlleuse qui navigue entre l’abus des biens sociaux
et l’abus de majorité, entre la correctionnelle et la nullité des décisions capitales2038 ». S’agissant d’une
entreprise cotée, les risques consistent dans la réaction du marché financier, c'est-à-dire l'impact de l’opération
de concentration sur le cours en bourse de la société concernée. Une simple rumeur peut parfois faire chuter le
cours d’une action lorsque le marché estime qu’une scission, par exemple, n’est pas pertinente. Pareillement,
une opération de fusion-acquisition mal menée pourrait amener l'acquéreur à être fragilisé. Celui-ci aurait, en
effet, perdu du temps et de l'argent qu'il aurait pu consacrer ailleurs, et par conséquent perdrait de la crédibilité
auprès des investisseurs. Tout ceci conjugué peut faire diminuer la valeur de l’action et par la suite mettre la
société à son tour en position de proie potentielle2039. Il est donc dans l’intérêt de l’associé de pouvoir poser
des questions au dirigeant afin de se renseigner sur l’opération de concentration en cours et pouvoir voter en
connaissance de cause au sein de l’AGE2040. Ce droit est très important dans les opérations de concentration
car il permet à l’associé d’entamer un dialogue constructif avec le dirigeant, ce qui évitera, dans bon nombre
de cas, de passer directement au contentieux2041.
Concernant les associés d’une société anonyme, rien de semblable n’a été textuellement prévu
jusqu’en 2009, date de l’adjonction de l’article 284 bis au code des sociétés commerciales qui a permis aux
actionnaires de la SA de pouvoir poser des questions écrites à leur dirigeants2042. Cet article précise que « tout
associé ou associés détenant au moins 5% du capital d’une société anonyme ne faisant pas appel public à
l’épargne, ou 3% du capital d’une société anonyme faisant appel public à l’épargne ou détenant une
participation au capital d’une valeur au moins égale à un million de dinars, sans être membre ou membres au
conseil d’administration, peuvent poser au conseil d’administration au moins deux fois par année, des
questions écrites au sujet de tout acte ou fait susceptible de mettre en péril les intérêts de la société. Le

2035
V. art. 149 al. 2 du décret du 23/3/1967, décret d’application de la loi du 24/7/1966. Le décret n°2006-1566 du 11 décembre 2006 a modifié le
décret n°67-236 du 23 mars 1967 sur les sociétés commerciales en application des réformes législatives des trois dernières années mais aussi en
guise de toilettage du décret de 1967 dont certaines dispositions étaient devenues inopportunes ou obsolètes.
2036
KHARROUBI (K), Droit des sociétés commerciales, V. 1, Regroupe Latrach des livres spécialisés, 2008, p 335 et 336.
2037
Bien que les objectifs et les raisons des fusions et acquisitions (F&A) sont souvent valables et nombreux, on peut voir que les résultats sont
parfois décevants. Beaucoup d'études montrent que les taux d'échec dépassent 60%. Les études qui essayent d'expliquer ce phénomène se
concentrent fréquemment juste sur une discipline ou parfois même se limitent à une seule variable. En utilisant un cadre multidisciplinaire, le Prof.
Dr. Thomas Straub montre dans son livre "Reasons for Frequent Failure in Mergers and Acquisitions" (2007) qu'il y a trois dimensions qui ont un
impact fondamental sur la performance des fusions et acquisitions (Post-M&A Performance) : la logique stratégique, les aspects de l'intégration et
la dimension financière, c'est-à-dire le prix payé. Trois méthodes différentes permettant d'évaluer la performance sont utilisées : la réalisation des
synergies, la performance relative et la performance absolue. Si l’opération de concentration échoue, c’est la société toute entière qui risque de
disparaitre. V. http://fr.wikipedia.org/wiki/Fusion-acquisition.
2038
BELHAJ YAHIA (B), L’abus des biens et du crédit sociaux, thèse, Paris, 1976, note n° 1, p 202.
2039
http://fr.wikipedia.org/wiki/Fusion-acquisition
2040
CHOYAKH (F), Les droits de l’actionnaire dans la société anonyme, I.J., n° 78/79, novembre 2009, p 16.
،2009 ‫ ـ رس‬،65/64 ‫ د‬N ، ‫را‬ ‫ ا‬،M ‫ < ق ا ! ھ‬9N‫ د‬6 ‫ازي‬ N / ‫ و ا‬N 4 ‫ " ا‬$ ‫ و‬: +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ّ ا‬ + ‫ ﺟ‬4$ ‫ وع‬3 ،‫ّ اص‬ ‫ دي‬E ‫ ا‬2041
.6 ‫ص‬
.‫و ا ودة‬q! ‫ ذات ا‬C 3 !4 ‫ وﺟ ده‬M 95 k ‫ وذ‬M+ ! ‫ ا‬U N C @A‫ ط ح ا‬8G "< ‫ <" ھ م وھ‬U N 9A ‫ ا‬/ ‫ ت‬C 3 !4 8 ‫ ا ن ا‬m4+ " 2042
V ' $ ‫و ا ودة‬q! ‫ ذات ا‬C 3 " # ‫ ا‬138 V]/ ‫ ة ا‬N p ‫ ة‬N 7 ‫ ار‬7‫ وع ا‬3 ‫ ح ا‬+ ‫ ا < م ا‬M "A 4 $‫ و‬9A ‫ ا‬/ C 3 ‫ ا‬8G G /3 K N $‫و‬
I LC N‫'ا‬4 ‫ ا ﺟ اءات ا‬U ‫ ة ا‬O 9‫ دي ور ا ! ھ‬/$ U ‫ا ا ﺟ اء ا‬D‫ ف ھ‬K+‫ و‬.‫ ت ودة‬N ‫ أو‬N ‫ ح < ل‬F AS 4A VC M $ M+ ! ‫ ا‬U N C @A‫ ط ح ا‬9‫! ھ‬
،78/79 ‫ د‬N ، ‫را‬ ‫ ا‬،2009 ‫ رس‬16 ‫ ا _رخ‬2009-16 ‫(د‬3 ‫@ " ن‬2 1<- ‫ ل ا‬3H‫ ا‬." 8 ‫ ء ا 'ا‬F ‫ ا‬U ‫ ا‬+ 3 ‫أو‬ ‫ ى‬N ‫ ا ] ف أو ا م‬8G ‫ا ر‬
.21 ‫ ص‬،2009 G

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

conseil d’administration doit répondre par écrit dans le mois qui suit la réception de la question. Une copie
de la question et de la réponse sont obligatoirement communiquées au commissaire aux comptes. Ces
documents sont mis à la disposition des actionnaires à l’occasion de la première assemblée générale
suivante »2043.
C’est aussi le cas en droit français où on trouve presque les mêmes dispositions de l’article
susmentionné2044.
Notre législateur aurait pu, tout de même, se suffire des termes généraux de l’article 1295 COC qui
accorde un droit général de poser des questions à tout associé dans toute forme de sociétés. En effet cet article
énonce que « les associés non administrateurs ont le droit de se faire rendre compte à tout moment de
l'administration des affaires sociales, et de l'état du patrimoine commun, de prendre connaissance des livres
et papiers de la société, et même de les compulser. Toute clause contraire est sans effet. Ce droit est personnel
et ne peut être exercé par l'entremise d'un mandataire ou autre représentant, sauf le cas des incapables qui
sont légalement représentés par leurs mandataires légaux, et le cas d'empêchement légitime dûment
justifié »2045.

Faut-il rappeler aussi que l’actionnaire qui satisfait le seuil légal ne peut poser des questions écrites
aux dirigeants que s’il n’a pas la qualité de membre du conseil d’administration. Cette condition se justifie par
la nécessite d’informer les actionnaires non dirigeants seulement qui sont généralement des non professionnels
non impliqués dans la gestion pour qu’ils puissent comprendre les opérations liées à la gestion.
Le droit de poser des questions écrites peut être exercé à l’occasion de toute assemblée et notamment
avant l’assemblée générale extraordinaire compétente en matière de fusion ou de scission. L’importance et
l’utilité de ce droit ne sont plus à démontrer car il permet aux associés, surtout minoritaires, d’avoir toutes les
réponses et les éclaircissements nécessaires afin qu’ils puissent se prononcer en connaissance de cause et
préserver leurs droits en tant qu’associés.
La pratique montre, toutefois, les limites de l’exercice de ce droit. Parfois, aucune réponse n’est
donnée par le dirigeant au motif que la question ne se rattache pas avec évidence à l’ordre du jour. D’autres
fois, le dirigeant excipe de la tardiveté de la question pour échapper à la réponse. Et même si le dirigeant
choisit de répondre, la réponse est généralement superficielle, évasive, voire controversée2046.
A signaler, à ce niveau aussi, que le législateur n’a pas prévu de sanction pour défaut de réponse dans
le délai de 15 jours. Il n’empêche que cette omission peut constituer une présomption de faute ou de

2043
Afin de faciliter le droit des actionnaires non dirigeants de poser des questions écrites certains systèmes juridiques ont écarté la condition
relative aux seuils légaux. Ainsi, l’article 158 de l’Acte Uniforme OHADA relatif au droit des sociétés et du groupement d’intérêt économique
prévoit que «dans une société anonyme, tout actionnaire peut deux fois par exercice, poser des questions au président du conseil d’administration,
au président-directeur général ou à l’administrateur général, selon le cas, sur tout fait de nature à compromettre la continuité de l’exploitation. La
réponse est communiquée au commissaire aux comptes». Le droit de poser des questions écrites est permis à tout actionnaire indépendamment de
la participation qu’il détient au capital social. Cette solution semble plus conforme à la raison de l’introduction d’un tel mécanisme d’information
dans la société anonyme.
2044
Le législateur Français a déjà retenu cette méthode depuis la loi n°84-148 du 1 mars 1984 relative aux préventions et règlements amiables des
difficultés des entreprises. En effet, tout actionnaire peut, quel que soit le nombre de titres qu’il détient, à compter de la convocation de
l’assemblée, poser par écrit des questions auxquelles le conseil d’administration ou le directoire sera tenu de répondre au cours de la réunion de
l’assemblée (V. l’article L225-108, alinéa 3 du C.C). Mieux encore, l’actionnaire peut poser librement ses questions jusqu’au jour de la réunion
tout en respectant, bien évidemment, le contenu de l’ordre du jour (GERMAIN (M), traité du droit commercial, RIPERT et ROBLOT, L.G.D.J,
Paris, 18ème édition, 1998 p 24). D’un autre côté, la technique de la question écrite au dirigeant peut être subordonnée à l’existence d’un fait de
nature à compromettre l’exploitation. Dans ce cadre, un ou plusieurs actionnaires représentants au moins 10 % du capital social peuvent deux fois
par exercice poser par écrit des questions au président du conseil d’administration ou du directoire qui doivent répondre dans un délai d’un moins.
Avec la loi sur les nouvelles régulations économiques, un ou plusieurs actionnaires représentants au moins 5% du capital social peuvent poser des
questions au dirigeant sur tout fait de nature à compromettre la continuité de l’exploitation ou sur une ou plusieurs opérations de gestion pour
lesquelles ils souhaitent des éclaircissements (NANCY(F), assemblées d’actionnaires, Juris-Classeur sociétés, 2002, fasc. 136-30, p 16). Cette
possibilité est ouverte aussi aux associations d’actionnaires par application des dispositions de l’article L 225- 120 du code de commerce. Il en
découle que le législateur Français a abaissé le seuil de 10% à 5% ce qui permet aux actionnaires d’accéder plus facilement à cette technique
d’information.
2045
Sachant que c’est la version arabe qui fait foi, conformément à l’article premier de la loi n°93-64 du 5 juillet 1993, cette version de l’article
1295 COC contient expressément le vocable « question ».
a ‫ وا ! خ‬K$‫ ھ و را‬$ G‫ د‬U N ‫ع‬S‫ط‬J‫ وا‬K ‫ وأ< ال‬C 3 ‫ إدارة ا‬V 0 /$ MN ‫ ا !_ال‬e- ‫ ا‬C 3 ‫دارة ا‬J M+ O ‫ ا‬5 ‫ ء‬C 3 " : 8 + U N ‫ م ا ع‬1295 V]/ ‫ّ ا‬m4+
" N a ‫ ن‬C ‫ وإذا‬a4N ‫ ب‬4+ a ‫|ن و‬G ‫ ] ف‬V‫ أھ‬5 k+ 3 ‫ ر ا‬0 ‫ إ إذا‬C‫ذ‬ G ^‫ا‬ ‫ إ‬a H G k+ 3 ‫ات ا‬D ‫ا ا " ص‬D‫ وھ‬a N V N ‫ا‬DK i P ‫ ط‬O VC‫ و‬K4 ‫ا ﺟ‬
." ‫ ه‬5 ‫ إ‬a G 7‫ل‬
2046
DES GROTTES (A-M), Les associés dans les opérations de restructuration, Th., Université de Paris I, 2003, p 122.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

négligence de la part du dirigeant risquant ainsi de mettre en jeu sa responsabilité personnelle en cas de
préjudice2047.

Ces quelques critiques témoignent que l'exercice du droit de poser des questions écrites devrait être
encadré davantage. Le nombre des questions pourrait être plafonné, par exemple à cinq ou à dix questions par
associé au maximum. Il ne serait pas inutile également de prévoir nettement que le thème de ces questions doit
se rattacher à l'ordre du jour de l’assemblée2048. Il faudrait quand même aussi préciser qui doit répondre au
nom du conseil d'administration ou du directoire2049. De plus, le droit de ne pas répondre pourrait être
explicitement reconnu lorsque la nature de la question ou ses motifs avoués ne sont pas conformes aux règles
précédentes ou porte en elle-même atteinte à des règles d'ordre public (propos diffamatoires, allégations
manifestement mensongères, atteinte au secret professionnel, etc.)2050.

385- Conscient de l’importance du rôle de l’information dans le bon fonctionnement de la société, le


législateur a consacré plusieurs articles au droit à l’information, notamment les articles 11, 128, 280 et 284
précités. Ce droit permet aux associés d’être au courant du déroulement des affaires de la société dont ils font
partie ainsi que détecter les éventuels abus. Bien qu’il soit reconnu à tous les associés et érigé en un droit
« naturel » et absolu qu’il suffit d’être associé pour en bénéficier, le droit à l’information semble encore
insuffisant. En effet, dans le nouveau contexte économique le concept d’entreprise ne se limite plus aux
« propriétaires », mais devraient de plus en plus prendre en considération de nouveaux acteurs. L’information
doit aussi être orientée pour satisfaire le besoin de toutes les parties prenantes (stakeholders) qui incluent
notamment les bailleurs de fonds, les fournisseurs, les créanciers et évidemment les salariés.
Dans sa rédaction initiale, le code des sociétés commerciales n’a pas prévu de dispositions qui
permettent d’étendre le droit à l’information au-delà des associés. Ceci est peut être explicable puisque le
législateur de 2000 ignorait ou du moins n’était pas encore convaincu que d’autres parties pouvaient être
impliquées dans la marche de la société et auraient, par conséquent, besoin d’être informées sur le
fonctionnement de l’entreprise. C’est dans le cadre de cette nouvelle perspective que la loi n° 2005-96 du 18
octobre 2005 relative au renforcement de la sécurité des relations financières a été promulguée. La divulgation
de l’information notamment financière a commencé, en vertu de cette loi, à être généralisée pour profiter à
d’autres intéressés. Ainsi, et en application des nouvelles dispositions, l’information doit parvenir, en plus des
associés, aux institutions suivantes : la banque centrale de Tunisie2051, le conseil du marché financier, la
bourse des valeurs mobilières de Tunis2052 et aussi le public2053.
Il est donc clair que le législateur a bien tenu de divulguer l'information financière à deux types de
parties prenantes : D'abord, les institutions officielles telles que la banque centrale et le conseil du marché
financier qui sont en mesure d'exercer sur la base de l'information parvenue un double contrôle. Un contrôle
de fiabilité, en premier lieu, qui consiste à examiner l'exactitude et la sincérité de l'information financière
destinée aux différentes parties prenantes telles que les bailleurs de fonds et les créanciers. Un contrôle de la
situation économique de l'entreprise, en second lieu, puisque les états financiers détaillés sont censés refléter
de manière fiable l'état économique de l’entreprise. Il est, en effet, possible aux institutions publiques
d'effectuer sur la base des données économiques collectées des différentes entités économiques une évaluation
de la croissance économique nationale et pouvoir détecter les difficultés éventuelles très tôt. Ensuite, il est
question d’informer également les autres usagers qui incluent les bailleurs de fonds, les clients, les
fournisseurs, les salariés, l'administration fiscale et même les médias. L'information financière et sociale
profite à ces parties puisqu'elle leur donne une image fidèle sur la situation économique de l'entreprise et leur

2047
SNOUSSI (N), Présentation de la loi n° 16 du 16 Mars 2009 portant modification du code des sociétés commerciales, I.J., n° 68/69, Mai 2009,
p 18.
2048
Sachant que, pour l'assemblée statuant sur les comptes de l'exercice, la matière est forcément très large.
2049
LE CANNU (P), Note – Questions écrites à l'assemblée d'actionnaires : de l'art à l'abus, Bulletin Joly Soc., 01 octobre 2004 n° 10, P. 1238.
2050
V. « Des questions sans réponse », In Aspects actuels du droit des affaires, Mélanges Y. Guyon, Dalloz, 2003, p. 603.
2051
L’article 13 quarter CSC dispose que « les commissaires aux comptes sont tenus de communiquer à la Banque Centrale de Tunisie une copie
de chaque rapport adressé aux assemblées générales… ». Ceci en vue de contrôler la situation financière des entreprises.
2052
L’article 3 quintes ajouté à la loi n°974-117 du novembre 1994 portant réorganisation du marché financier dispose que « quinze jours au moins
avant la date de la tenue de l’assemblée générale, les sociétés…doivent déposer au conseil du marché financier et à la bourse des valeurs
mobilières de Tunis ou leur adresser : l’ordre du jour… ».
2053
L’article 51 nouveau de loi n° 95-44 du 2 mai 1995 relative au registre du commerce tel que modifié par la nouvelle loi a imposé aux personne
physiques soumises obligatoirement à la tenue d’une compatibilité conformément à la législation en vigueur ainsi qu’aux personnes morales de
déposer en double exemplaires les états financiers en annexe au registre du commerce.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

permet, par conséquent, de minimiser les risques liés à l'investissement. Elle sert également à détecter les
difficultés économiques et les signaler, à temps, à la justice en vue d'entamer, le cas échéant, les procédures de
sauvegarde conformément à la loi n° 95-34 du 17 avril 1995 relative au redressement des entreprises en
difficultés économiques2054.
386- Au final, la transparence financière est bénéfique aussi bien à l'entreprise en tant qu'entité
économique distincte des associés et des dirigeants qui se voit ainsi en mesure de se prémunir contre les abus
notamment ceux liés à la mauvaise gestion, qu'à son entourage qui se voit en mesure de minimiser les risques
d’abus également2055. Mais pour être bien efficace, l'élargissement du domaine du droit à l'information qui
profite aujourd'hui aussi bien aux associés qu'aux différentes parties prenantes doit être également
accompagné d'un renforcement de son objet. Il en est ainsi car l'information ne vaut pas si elle n'est pas
exacte, fiable et exhaustive.
Quelle que soient les critiques qui peuvent lui être adressées, le droit à l’information, y compris celui de
poser des question écrites aux dirigeants, est venu certainement renforcer l’arsenal juridique mis à la
disposition des associés pour se tenir mieux informés de certains actes de gestion dont l’opacité laisse
présumer leur caractère douteux. Cet arsenal juridique préventif ne se limite guère à l’information générale
des associés, il englobe aussi une information ponctuelle exclusive à certaines opérations de concentration.

II- L’information ponctuelle des associés dans les procédés de


concentration
387- En vue de déblayer le terrain pour asseoir les piliers d’une théorie générale de l’abus dans les
procédés de concentration, il sied de s’intéresser, d’une part, aux mesures publicitaires entourant l’opération
de fusion ou de scission (A) pour s’attarder, d’autre part, sur les mesures informatives au sein des groupes de
sociétés (B).

A- Les mesures publicitaires dans les opérations de fusion et de scission

388- L’organisation de ces mesures peut-elle contribuer à bâtir les socles d’une théorie générale de
l’abus en matière de concentration ? La réponse semble positive. En effet, dans le cadre des opérations de
fusion ou de scission, l’information est basée essentiellement sur le projet de l’opération qui doit faire l’objet
de larges mesures publicitaires2056. Outre le fait que ce projet doit être communiqué à l’expert spécialisé de la
fusion ou de la scission et, le cas échéant, au conseil du marché financier qui doit autoriser toute opération de
fusion comportant une société faisant appel public à l’épargne2057, ce projet doit satisfaire à une panoplie de
mesures de publicité destinées à assurer une information aussi générale que possible sur l’opération projetée.
A ce propos, deux types de mesures publicitaires peuvent être relevés. Le premier concerne la publicité
destinée à assurer une information interne2058 sur l’opération de fusion ou de scission (a). Le second intéresse
la publicité externe de la même opération2059 (b).

a- La publicité interne de l’opération de concentration

389- Etant donné que la fusion, ou la scission, entraîne un changement substantiel dans la vie de la
société, il s’avère indispensable d’opérer une publicité fortement répandue pour informer toutes les personnes

2054
Il est à noter cette loi a été modifiée à maintes reprises notamment en 1999 et 2003. Elle fait encore actuellement l'objet de réforme dans le cadre
d'une révision globale portant sur les procédures collectives.
2055
V. en ce sens : DHIBI (S), La transparence, facteur de sécurité juridique, I.J., n° 38-39, janvier 2008, p 15 et s.
2056
Dans son sens large, la publicité désigne tout acte destiné à faire paraître quelque chose. Il s’agit d’une utilisation de procédés divers
(affichage, annonces dans des journaux spécialisés ou non, tenue de registres) afin d'assurer la sécurité des transactions et la justice par l'égalité de
tous en présence d'une situation donnée. La publicité est sanctionnée par le législateur. V. Lexique des termes juridiques, DALLOZ, 2011, déf.
« Publicité des actes juridiques ». Dans le cadre de la présente étude, on vise précisément l’ensemble des formalités imposées par la loi afin de
porter à la connaissance des associés, salariés, du public… certaines informations relatives aux opérations de concentration des sociétés.
2057
D’après l’article 416 CSC « si l'une des sociétés qui fusionne est une société faisant appel public à l'épargne, l'autorisation du Conseil du
Marché Financier est nécessaire ».
2058
La publicité interne est destinée aux associés et aux organes internes de l’entreprise.
2059
La publicité externe est destinée à informer les tiers intéressés par l’opération de fusion.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

intéressées, notamment les actionnaires minoritaires et les salariés de la société absorbée ou scindée. A cet
effet, plusieurs documents doivent être préparés au sein des sociétés concernées en vue d’être présentés aux
associés et aux instances représentatives des salariés avant même d’être communiqués au public.
En plus de l’information générale des associés, conformément à l’article 418 CSC, il semble utile de
rappeler la nécessité d’informer les institutions représentatives du personnel des sociétés participant à la
fusion ou à l’opération de scission et-ce, conformément à l’article 161 bis du code de travail qui dispose que
« la commission consultative d’entreprise tient compte, dans l’accomplissement de ses missions, des intérêts
économiques et sociaux de l’entreprise. A cet effet, l’employeur informe la commission de la situation
économique et sociale de l’entreprise et de ses programmes futurs ».
Il en résulte que les institutions représentatives doivent être informées et consultées sur les motifs de
l’opération de fusion ou de scission ainsi que sur les mesures qui seront envisagées à l’égard des salariés tels
que les licenciements ou encore les changements de branche d’activité2060.
La consultation du comité d’entreprise doit s’effectuer non seulement préalablement à l’adoption de
l’opération de concentration par l’assemblée générale extraordinaire des associés mais nécessairement avant
l’adoption définitive du projet de l’opération de concentration par le conseil d’administration ou le directoire.
Cette consultation ne saurait se restreindre à la simple communication du projet de l’opération mais doit
s’accompagner d’un dialogue avec les représentants du comité. Les employeurs doivent notamment apporter
des réponses motivées aux questions posées par les membres du comité d’entreprise2061.
390- Dans cette perspective, le juge français a estimé que la transmission négociée d’une partie du
capital social qui aboutit à placer une société sous la dépendance d’une autre, justifie également la
consultation du comité d’entreprise2062. Dans cet arrêt2063, la Cour de cassation française a posé l’exigence de
consultations échelonnées. Le comité d’entreprise doit être consulté à plusieurs reprises, c’est-à-dire, dès le
stade des décisions préparatoires, et non pas uniquement avant la conclusion du projet2064.
La consultation du comité d’entreprise doit être préalable c’est-à-dire s’effectuer à un moment où
aucune décision n’a été encore prise. Selon la Cour de cassation française aussi, la consultation revêt un
caractère préalable si elle intervient alors qu’aucune décision n’a été prise de manière irrévocable. Tel est le
cas, par exemple, si l’assemblée générale des actionnaires n’a pas encore approuvé une décision de fusion2065.
De même2066, du moment que la décision n’est pas encore définitive, peu importe qu’elle ait été rendue
publique et qu’ainsi un tiers ou certains salariés ou partenaires soient informés du projet avant le comité2067.
Le caractère préalable de la consultation signifie également que le comité d’entreprise doit bénéficier d’un
délai suffisant pour étudier les documents que lui a transmis le chef d’entreprise. La loi ne fixe pas de délai
précis. En l’absence de dispositions légales, c’est aux juges qu’il revient d’examiner au cas par cas si
l’employeur a laissé au comité d’entreprise un délai raisonnable pour étudier les projets transmis et donner un
avis éclairé2068.
Le comité d’entreprise est ainsi consulté avant l’opération de concentration envisagée mais il ne peut
l’empêcher puisqu’il ne peut émettre qu’un avis. Cependant, son intervention permet de prendre en compte ses
intérêts dans la décision finale en marge des garanties légales.

2060
BERTEL et JEANTIN, op.cit., n° 890, p 379.
2061
CHADEFAUX (M), op.cit., n° 46, p 44.
2062
Même s’il a reconnu que la cession régulière entre particuliers, d’actions, ne saurait, en elle-même, être suspendue ou différée par l’application
des règles du Code du travail intéressant les seuls rapports de chefs d’entreprise et des salariés.
2063
Cass. Soc. Fr., 16-04-1996, société SIETAM c/CE, Bull. Civ., V, n° 163.
2064
Cette jurisprudence s’explique par le fait que les juges estiment, à raison, que les décisions préparatoires ont une influence sur la décision
définitive. En effet, dans cet arrêt, les juges ont estimé que « l’arrêté de budget et les ultimes arbitrages techniques qu’il impliquait avaient une
influence sur le niveau des effectifs et les conditions de travail. Il s’agissait alors des décisions devant donner lieu à la consultation des instances
représentatives du personnel ».
2065
Cass. Crim. Fr., 28 nov. 1984, Bull. Crim., n°375.
2066
Cass. Crim. Fr., 29 mai 1990, RJ soc7/90, n°593 ; Bull. crim, n° 218 ; Cass. Crim. Fr., 6 avr. 1993, RJ, Soc. 6/93, n° 627, Bull. Crim., n°148.
2067
En revanche, le délit d’entrave est caractérisé s’il est établi que le chef d’entreprise a manifestement voulu placer le comité d’entreprise devant
le fait accompli ou si le comité a été informé et consulté préalablement à la mesure envisagée dans un délai ne lui permettant pas d’émettre un avis
en connaissance de cause. Malheureusement, ce délit d’entrave n’a pas encore été institué en droit social tunisien, malgré son importance dans la
lutte dissuasive des abus.
2068
L’appréciation du juge pourra se faire en fonction de la complexité de l’opération.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

391- L’intérêt social fonde la prise en compte des intérêts des salariés au sein des sociétés. C’est
ainsi qu’il leur est reconnu un droit d’intervention dans la société en cette qualité ou par le biais de la
représentation. A ce titre, leur droit de participation à la gestion et à l’information s’est vu renforcé, d’une part
par, à travers la possibilité de participer au capital en devenant actionnaire et par l’octroi des droits
« concurrents » à ceux des actionnaires, d’autre part. De même, en cas de restructuration de la société, les
salariés sont largement associés à l’opération pour laquelle ils sont obligatoirement consultés et doivent
émettre un avis. Ce qui a fait dire que les salariés ont des droits « supérieurs » à ceux des actionnaires. De
cette manière là, les intérêts des salariés sont préservés avant et après l’opération de concentration et à la fois
sur les plans individuel et collectif.

Il faut dire aussi que l’objectif affiché du législateur est de développer sensiblement les droits
d’information et de consultation préalables pour insérer, davantage qu’auparavant, le comité d’entreprise dans
le processus de ces décisions mettant en jeu la situation de nombreux salariés. L’organisme de représentation
du personnel se voit ainsi reconnaître, très ponctuellement, le pouvoir d’influer sur la réalisation de projets
pourtant souverainement décidés par les dirigeants ou par les actionnaires2069. Toutefois, bien que renforcée,
cette influence n’aboutit nullement à l’instauration d’un pouvoir de codécision. En effet, chacune des
procédures spécifiques établies par le législateur tend seulement à renforcer le droit du comité d’être entendu
par les principaux décideurs des opérations en cause, qu’il s’agisse des dirigeants de la société elle-même ou
de ceux d’une tierce société initiatrice d’une offre publique. Certes, le comité d’entreprise ou le délégué du
personnel n’accède pas au rang d’organe social investi d’un pouvoir de gestion de l’entreprise. Mais il n’en
demeure pas moins que l’intensification du droit de discussion, et partant de critique, obligera les organes
dirigeants à ne pas négliger l’intervention des représentants du personnel dans le processus conduisant à
certaines décisions.

392- En plus de la publicité interne, d’autres formalités de publicité externe sont imposées afin de
prémunir les tiers intéressés par l’opération de fusion ou de scission, comme les fournisseurs, les banques, le
fisc…contre tout agissement abusif lié à cette forme de concentration.

b- La publicité externe de l’opération de concentration


393- Aux termes des articles 419 et 423 du CSC, le projet de fusion approuvé doit faire l’objet d’une
publicité conformément à l’article 16 du même code qui soumet cette opération aux formalités de dépôt et de
publicité. Concernant le dépôt, il consiste à déposer le projet approuvé au registre du commerce et-ce, dans un
délai d’un mois à compter de la date de son approbation2070. Quant à la publicité de la fusion, elle doit être
effectuée dans un délai d’un mois à compter de l’inscription du projet approuvé au registre du commerce2071.
Cette publicité2072 était faite par publication du contrat de fusion au journal officiel de la république tunisienne
et dans deux journaux quotidiens dont l’un est en langue arabe2073. Désormais, après l’avènement de la loi
n°2009-16 du 16 mars 2009, cette publicité ne se fait plus qu’au journal officiel de la république tunisienne.
2069
Bien que l’on relève qu’une telle association renforcée des salariés est pour l’instant encore rare et limitée à des opérations spécifiques,
essentiellement celles d’offres publiques d’achat ou d’échange. V. GODON (L), art. pré., n° 22, p. 451.
2070
V. art. 14 combiné avec les articles 419 et 423 CSC. D’après l’article 14 CSC, « la société doit être immatriculée au registre du commerce du
tribunal de son siège social dans un délai d'un mois à compter de la date de sa constitution. L'immatriculation se fait par le dépôt des statuts de la
société et des documents prévus par la loi relative au registre de commerce ». V. aussi concernant les sanctions du défaut d’immatriculation
l’article 68 de la loi n° 1995-44 relative au registre du commerce.
2071
V. art. 16 CSC in fine. D’après cet article, « sont soumis aux formalités de dépôts et de publicité, tous les actes et les délibérations ayant pour
objet : - la modification des statuts, - la nomination des dirigeants des sociétés, le renouvellement ou la cessation de leur fonction, - la dissolution
de la société, - les cessions de parts sociales ou d'actions à l'exception de celles concernant une société cotée en bourse ou d'une société anonyme
dont l'acte constitutif ne comporte pas les conditions de cession, - la fusion, la scission, l'apport partiel ou total d'actif, - la liquidation, - l'avis de
clôture des états financiers après dissolution ou liquidation ou fusion ou scission ou la réalisation d'apport partiel ou total d'actif. (Loi n°2005-65
du 27 juillet 2005,art.3) - le lieu où sont déposés les documents et registres mentionnés aux articles 11 et 11 bis du présent code. (Loi n° 2009-16
du 16 mars 2009, art.2). La publicité doit être effectuée dans le délai d'un mois à compter de l'inscription de l'acte ou du procès verbal de la
délibération, au registre du commerce ».
2072
D’après l’article 15 CSC (avant la modification de 2009) « toutes les sociétés à l'exception de la société en participation doivent procéder à la
publication de leurs actes constitutifs. La publicité est faite par une insertion au Journal Officiel de la République Tunisienne et dans deux
journaux quotidiens dont l'un étant publié en langue arabe et ce, dans un délai d'un mois à partir soit de la constitution définitive de la société, soit
de la date du procès verbal de l'assemblée générale constitutive ». Les formalités de publicité sont effectuées par le représentant légal de la société
et sous sa responsabilité. V. art. 20 CSC concernant les sanctions pénales relatives à cette obligation.
2073
L’article 423 CSC ajoute que la publicité de la fusion dispense de la publicité propre au fonds du commerce.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

La dite-loi a, en effet, supprimé la publication dans les journaux dans le but d’alléger les formalités
publicitaires, surtout qu’il est question du domaine des affaires et de l’investissement. Ce domaine exige, à
bien des égards, l’allégement des formalités et des procédures, spécialement concernant les opérations de
concentration des sociétés et ce, afin de satisfaire l’impératif de rapidité et de célérité, et par là même inciter et
encourager les investisseurs et attirer les capitaux étrangers.
Contrairement à l’opération de fusion, la scission est obligatoirement publiée au journal officiel de la
république tunisienne et dans deux journaux quotidiens dont l’un est en langue arabe, conformément à l’article
432 C.S.C2074. En effet, cet article n’a pas été modifié par la loi n° 2009-16 du 16 mars 2009. La conséquence
est que la publicité de la fusion est plus simple que celle de la scission. Cette différenciation n’a pas lieu
d’être, il faudrait alors harmoniser les solutions entre la fusion et la scission car rien ne justifie une telle
distinction.

394- Dans un délai de trente jours à partir de la publication de la fusion conformément à l’article 16
susmentionné, tout créancier des sociétés membres peut s’opposer à cette opération. Les porteurs des
certificats d’investissement ou de titres participatifs ainsi que les obligataires disposent également du droit
d’opposition à condition que la fusion ne soit pas approuvée par l’assemblée spéciale des porteurs des
certificats d’investissement ou par celle des obligataires ou encore celle des titulaires de titres participatifs.
En cas d’opposition, le président de la chambre commerciale ou le président du tribunal de première instance
compétent décide soit le paiement immédiat des créanciers, soit la constitution de garanties nécessaires, soit,
enfin, le rejet de l’opposition qui se révèle juridiquement infondée2075.

395- Il convient de préciser aussi que les articles 21 et 22 de la loi n° 95-44 du 2-5-1995, relative au
registre de commerce, imposent à toute société ayant participé à une opération de fusion la demande d’une
inscription modificative dans un délai d’un mois à partir de l’opération. Cette inscription doit mentionner le
dénouement de la fusion, c'est-à-dire dissolution ou bien augmentation de capital, pour chaque société
fusionnante ainsi que les noms, formes juridiques et sièges sociaux de toutes les sociétés ayant participé à la
fusion2076. Cette solution devrait-être aussi consacrée en matière de scission.

396- Enfin, conformément au règlement du conseil du marché financier relatif à l’appel public à
l’épargne2077, lors d'opérations de fusion-absorption, de fusion-scission (création d'une troisième entité) ou
d'apports d'actifs, l'émetteur doit établir un prospectus en se conformant au schéma relatif aux titres concernés,
complété par une présentation de l'opération qui a donné lieu à l'émission ou l'admission de titres2078. Le
prospectus d'émission ou d'admission de titres émis en rémunération des opérations de fusion-absorption, de
fusion-scission ou d'apports d'actifs est publié et diffusé dans les mêmes conditions que celles relatives au
prospectus d'émission ou d'admission de valeurs mobilières ou de produits financiers à la cote2079.
Aussi afin de prévenir de possibles opérations d'initiés, un projet d'apports ou de fusion pouvant avoir
une incidence sur les cours de bourse doit être annoncé dès lors qu'il ne peut plus être gardé secret. Le
communiqué annonçant les modalités d'un projet précise clairement que la réalisation de celui-ci est
subordonnée à l'approbation d'une assemblée générale extraordinaire2080.
A ce propos il convient de rappeler aussi que, conformément à l’article 4 du règlement susmentionné,
« l'information donnée au public doit être fiable, pertinente, intelligible, comparable, complète et sincère ».
L’article 5, du même règlement, ajoute que « constitue une atteinte à la bonne information du public, la
communication d'une information qui ne répond pas aux conditions citées à l'article précédent ».

2074
Cet article dispose que « la décision de la scission prise par l'assemblée générale extraordinaire doit faire l'objet d'une publicité au Journal
Officiel de la République Tunisienne et dans deux quotidiens dont l'un est en langue arabe ».
2075
V. Art. 419 CSC.
2076
V. aussi concernant les sanctions du défaut d’immatriculation l’article 68 de la loi n° 1995-44 relative au registre du commerce.
2077
Tel qu’approuvé par le Collège du Conseil du Marché Financier en date du 02 mars 2000 , visé par Arrêté du Ministre des Finances en date du
17 novembre 2000 et modifié par les Arrêtés du Ministre des finances du 07 avril 2001, du 24 septembre 2005, du 12 juillet 2006 , du 17
septembre 2008 et du 16 octobre 2009.
2078
V. article 87 du règlement général de la bourse.
2079
V. article 88 du règlement général de la bourse.
2080
V. article 89 du règlement général de la bourse.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

397- Certes, toutes ces formalités publicitaires jouent un rôle assez important en matière
d’information économique et financière non seulement dans l’environnement interne de la société mais aussi
son environnement externe2081. Il n’en demeure pas moins que cette publicité gagnerait en efficacité si elle
avait été corroborée par une publicité audiovisuelle, comme la radio ou la télévision, d’autant plus que ces
moyens d’information sont beaucoup plus proches du public que les journaux ou bien le JORT2082.
En sus des mesures d’information propres aux opérations de fusion et de scission, d’autres similaires
ont été consacrées au sein du groupe de sociétés afin de prévenir toute forme d’abus dans les sociétés
groupées.

B- Les mesures informatives dans le groupe de sociétés

398- Une information et une transparence complètes sur la structure du groupe et son environnement
interne sont un préalable indispensable si on veut s’assurer que son mode de fonctionnement reste compatible
avec les intérêts des actionnaires, des créanciers, des salariés…à quelque niveau que ce soit.
Aux Etats Unis, il a été décidé depuis déjà longtemps qu'une bonne information, claire et exacte,
assurerait aux actionnaires une meilleure protection2083. En effet, l'actionnaire mieux informé pourra ainsi
participer plus activement aux assemblées générales, d’autant plus que l’appartenance à un groupe de sociétés
engendre des risques importants pour les sociétés contrôlées. Placées au service du groupe, ces dernières
peuvent être vidées progressivement de leurs bénéfices au profit de la société mère ou de certains de ses
membres. Dans ces circonstances, une information assez étendue constitue certainement une protection
préventive des abus dans le groupe.
Pour ce faire, dès la constitution du groupe, « la société mère est tenue de mentionner au registre de
commerce les sociétés appartenant au groupe, et toute société doit mentionner son appartenance au groupe,
au même registre, ainsi que la cessation de celle-ci et la société mère dont elle dépend. Elle doit, le cas
échéant, mentionner, dans son propre rapport de gestion, son appartenance au groupe de sociétés »2084. De
même2085, la société holding2086 est tenue de faire mentionner au registre de commerce sa qualité de holding
et, le cas échéant, la cessation de cette qualité2087. Une fois le groupe de sociétés identifié, l’information doit
se poursuivre au cours du fonctionnement afin de garantir une transparence quasi-parfaite et prévenir toute
forme d’abus. C’est pour cela que le législateur a institué d’autres sources d’information spécifiques au
groupe de sociétés. D’une part, cette information devra porter sur les orientations stratégiques et l’avenir du
groupe. C’est l’objet principal du rapport de gestion (a). D’autre part, il s’agit de réaliser une information
financière. C’est l’objet des états financiers consolidés (b).

a- Le rapport de gestion du groupe


399- Dans le cadre d’une société isolée, « le rapport du conseil d’administration, lorsqu’il est
sérieusement préparé, présente le meilleur « réfléchissant » de la situation sociale au moment où il a été
rédigé, contenant les informations de gestion technique et financière, il renseigne l’actionnaire surtout non
dirigeant2088 ».

2081
Il semble également utile de rappeler que le système publicitaire tunisien est un système déclaratif dont l’efficacité reste conditionnée par la
croyance personnelle des dirigeants en l’utilité et l’opportunité de ces mesures publicitaires pour la prospérité et la pérennité de leurs affaires
commerciales.
2082
Cette remarque a été faite par un député au cours des travaux préparatoires du CSC, Mr le ministre de la justice a répondu en disant que « la
publication à travers le JORT et les quotidiens laisse une trace écrite ayant des conséquences juridiques, ce qui n’existe pas pour les moyens
audiovisuels. Mais cela n’empêche personne de procéder à la publicité par ces moyens ». Délibérations de la chambre des députés, JORT, p 180.
2083
V. à ce propos « L’information des actionnaires aux Etats-Unis et en Europe », Colloque international, Publié par Commission des opérations
de bourse, 1972, www.centrefdc.org
2084
V. alinéas premier et deuxième de l’art. 470 CSC.
2085
V. alinéa troisième de l’article 470 CSC.
2086
D’après l’article 463 CSC « la société mère est dite holding lorsqu’elle n’exerce aucune activité industrielle ou commerciale et que son activité
se limite à la détention et à la gestion des participations dans les autres sociétés. La société holding doit avoir la forme d’une société anonyme et
mentionner sa qualité de holding dans tout document qui en émane ». V. à propos de la société holding, EL KHOURY (I), La holding Libanaise,
RTD Com, 1985, p43.
.‫ذ‬.‫س‬.‫ م‬،l K ‫ ا‬C O ، - M (9 : l K ‫ ا‬C O ‫ < ل‬6‫ اﺟ‬+
2087
A propos des sanctions pénales V. art. 479 CSC ; infra, n° 601.
2088
BEN NASR (T), op.cit., p 58.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Conscient de l’importance de ce type de rapport en tant que moyen efficace d’information et par la
même de prévention des abus, notre législateur n’a pas hésité à exiger l’établissement du rapport de gestion
dans le cadre du groupe de sociétés2089. En effet, d’après l’article 471 CSC2090, la société mère est tenue
d’établir, outre ses propres états financiers annuels et son propre rapport de gestion, un rapport de gestion
relatif au groupe de sociétés. Ce rapport doit contenir, selon l’article 473 CSC, un certain nombre
d’informations obligatoires, à savoir la situation de toutes les sociétés concernées par la consolidation,
l’évolution prévisible de la situation du groupe, les différentes activités en matière de recherche, de
développement et d’investissement relatives au groupe de sociétés, les événements importants survenus entre
la date de clôture des comptes consolidés et la date à laquelle ils sont établis ainsi que les modifications ayant
affecté les participations dans les sociétés groupées.
Ainsi, le rapport de gestion permet d’avoir deux types différents d’information : le premier rassemble
tous les renseignements touchant la situation passée ou actuelle du groupe. Quant au deuxième, il contient
toutes les indications traduisant l’évolution prévisible des sociétés groupées2091. De cette manière, le
législateur a élargi le domaine de l’information donnée aux actionnaires. Cette dernière ne se borne plus à
retracer le passé, mais elle tend aussi à prévoir la stratégie du futur.
De surcroît en utilisant l’adverbe « notamment », l’article 473 CSC ne présente qu’une liste indicative,
ce qui n’empêche pas que le rapport de gestion puisse contenir d’autres informations nécessaires à éclairer la
gouverne des actionnaires.
Manifestement, ce rapport garantit une certaine transparence pour les associés puisqu’il présente une
information détaillée sur la gestion du groupe en entier2092.
400- Abstraction faite du contenu du rapport de gestion du groupe, la question peut se poser de
savoir quelle est la personne habilitée à le présenter et le signer ? Comme le groupe de sociétés ne jouit pas
d’organes propres2093, l’article 471 CSC dispose que le rapport de gestion doit être établi par la société mère.
Plus précisément, c’est le conseil d’administration ou le directoire de la mère qui doit établir et présenter le
rapport de gestion du groupe à l’assemblée générale de la société mère2094.
Certes, ce rapport présente une information supplémentaire et synthétique sur l’administration ainsi
que le déroulement des affaires du groupe. Néanmoins, son intérêt risque d’être sensiblement limité du fait
qu’il sera l’œuvre des dirigeants de la société mère, d’autant plus qu’il sera soumis à l’approbation de son
assemblée générale, notamment lorsque cette assemblée est dominée par les dirigeants sociaux2095. Il semble
donc légitime de prôner l’élaboration du rapport de gestion du groupe par un organe indépendant afin
d’assurer le minimum de transparence et de neutralité escompté2096.
Il sied également de rappeler que l’article 472 CSC exige que le rapport de gestion soit mis « à la
disposition de tous les associés » au siège social de la société mère, au moins un mois avant la réunion de son
assemblée générale2097. Mais, de quels associés s’agit-il, ceux de la société mère ou bien tous les associés de
toutes les sociétés du groupe ? Le législateur n’a apporté aucune précision sur la dite question. Il n’en demeure
pas moins que le vocable « associés » semble avoir été employé d’une manière générale. Or, il est de rigueur
juridique que lorsque la loi s’exprime en termes généraux, il faut l’entendre dans le même sens2098. Par
conséquent, le dit vocable doit englober aussi bien les associés de la mère que ceux des filiales et des sociétés
contrôlées. Les associés doivent donc se déplacer au siège de la société mère pour consulter le rapport de
gestion du groupe. Toutefois, les sociétés groupées peuvent être éparpillées un peu partout dans le monde, ce
qui risque de constituer un obstacle pour la consultation du rapport de gestion. Il est dès lors légitime de

8$[$‫و‬ A ‫ ت ا‬L# ‫ ا‬U ‫ ا‬4 !$ K ‫ا ا‬، A 5 p‫ و‬8‫ وھ‬، aA‫ أ‬$ ‫ي‬D ‫ ا‬6 ‫ ا‬V ‫] ف‬$ + $ #$ ‫ ا م ان‬C 3 ‫ ا‬U N I + ، # ‫ا‬ ‫ ا‬9 ‫ ا ا‬I ‫ ﺟ‬U ‫ ” ا‬2089
( 0‫ أ‬.” ‫ ا‬9 ‫ زھ ا ا‬$ ‫ ت‬L# 8‫ وھ‬، KN $‫ ا‬M + ^ ‫ و ن ﺟ واھ وا‬# ‫ا‬ ‫ ا‬A ! ‫ ا‬+ $ 6 ،‫ ت‬C 3 ‫ ا‬6 $ ‫! ا ر‬+ # ‫ ا‬I ‫ا‬ ‫ و ن ا‬K g $‫ و‬K< 3
.324 ‫ ص‬،.‫س‬.‫ م‬، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ن ا‬7 8G ' ‫ ا ﺟ‬، 2 ‫ا ر‬
2090
En droit français c’est l’article L233-16 CCOM (100ème éd., DALLOZ, 2005). V. DOM (J-PH), Les dimensions du groupe de sociétés après
les réformes de l’année 2001, Rev. Soc., 2001, n°13, p.10.
2091
RIPERT (G) ; ROBERT (R) et GERMAIN (M), Traité élémentaire de droit commercial, T. I, 18éme éd., LGDJ, 2001, n° 2005.
2092
Mémento Pratique : Groupe de sociétés, éd. FRANCIS LEFEBVRE, 2001-2002, n°3225.
2093
LE CANNU (P), Les organes du groupe, P.A., 4-5-2001, p 43.
2094
V. art 201 CSC.
2095
KTARI (S), La corporate governance et le groupe de sociétés tel qu’organisé par la loi du 6-12-2001, E.J. Sfax, n° 9, 2001, p 223.
2096
KTARI (S): art. préc.
2097
V. à propos des sanctions pénales, V. art. 479 CSC ; infra, n° 601.
2098
V. article 533 COC.
.148 ‫ ص‬،2002 ، ! ‫ ا‬+‫ ر‬K A ‫ ا‬# L ‫ ا‬،‫ ت ا ق‬p‫ ص وا‬PO ‫ ا‬: # ‫ ا‬+ 4 ‫ ا‬،8 ‫ ن‬7 ،, ( ‫ ف ا‬N ‫ ( ل‬-

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

regretter qu’un tel moyen d’information ne soit pas mis à la disposition de tous les associés aux sièges sociaux
des différentes sociétés du groupe2099.
Concernant les sociétés cotées en bourse, celles-ci sont tenues de déposer ou d’adresser au conseil du
marché financier et à la bourse des valeurs mobilières de Tunis dans un délai de quatre mois au plus tard de la
clôture de l’exercice comptable et quinze jours au moins avant la tenue de l’assemblée générale ordinaire, les
documents et les rapports prévus selon le cas par les articles 201 ou 235 du CSC et l’article 471 du même
code, c'est-à-dire le rapport de gestion du groupe. Ce rapport doit comporter les informations arrêtées par
règlement du conseil du marché financier2100, et particulièrement un exposé sur les résultats d’activités, leur
évolution prévisible, les changements des méthodes d’élaboration et de présentation des états financiers ainsi
que des éléments sur le contrôle interne2101. Ces informations doivent être fiables touchant à la fois la gestion
quotidienne et les orientations stratégiques de la société concernée2102.
401- En attendant que ce premier moyen d’information soit renforcé dans un avenir proche en vue
de sécuriser davantage les assises d’une politique préventive des abus résultant du phénomène
concentrationnaire, les partenaires du groupe de sociétés disposent d’un autre moyen d’information non moins
important, à savoir les comptes consolidés du groupe.

b- Les comptes consolidés du groupe


402- Il est indéniable qu’un effort important a été réalisé par le législateur dans les articles 471 et
472 du CSC, pour élargir l’information dont peuvent bénéficier les actionnaires et le public. Cet effort s’est
concrétisé par l’institution, en droit tunisien, des comptes consolidés permettant dans une certaine mesure,
d’avoir une meilleure image comptable du groupe2103 et d’avoir aussi une idée complète et claire sur les droits
et les obligations de chacune des sociétés membres. Dans ce cas, les associés sont assurés contre certains abus
dont notamment le glissement des bénéfices2104. Ces états financiers consolidés sont soumis à l’audit du ou
des commissaires aux comptes de la société mère qui doivent être inscrits au tableau de l’ordre des experts
comptables de la Tunisie2105. Ainsi, cette mesure peut constituer un moyen non négligeable pour la protection
des actionnaires minoritaires dans le groupe2106.

2099
On prône alors une intervention législative dans ce sens.
2100
L’article 44 (nouveau) (ajouté par l’arrêté du ministre des finances du 17 septembre 2008) du règlement du conseil du marché financier dispose
que « le rapport annuel sur la gestion des sociétés faisant appel public à l’épargne prévu à l’article 3 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994
portant réorganisation du marché financier susvisée doit contenir les informations suivantes : - un exposé sur l’activité, la situation et les résultats
de la société ; - l’évolution de la société et de ses performances au cours des 5 dernières années ; - les indicateurs spécifiques par secteur tels à
définir par décision générale du Conseil du Marché Financier ; - les événements importants survenus entre la date de clôture de l’exercice et la
date à laquelle le rapport a été établi ; - l’évolution prévisible de la situation de la société et les perspectives d’avenir ; - les activités de la société
en matière de recherche et de développement ; - les changements des méthodes d’élaboration et de présentation des états financiers ; - l’activité
des sociétés dont elle assure le contrôle ; - les prises de participation ou les aliénations ; - les renseignements relatifs à la répartition du capital et
des droits de vote ; - l’information sur les conditions d’accès à l’assemblée générale ; - le rachat d'actions, nature et cadre légal de l’opération ; -
les règles applicables à la nomination et au remplacement des membres du Conseil d’administration ou du Conseil de surveillance ; - les
principales délégations en cours de validité accordées par l’assemblée générale aux organes d’administration et de direction ; - le rôle de chaque
organe d’administration et de direction ; - les comités spéciaux et le rôle de chaque comité ; - l’évolution des cours de bourse et des transactions
depuis la dernière assemblée générale ; - le déroulement des opérations de rachat et les effets que cette opération a engendrés ; - un bref rappel
des dispositions statutaires concernant l’affectation des résultats ; - le tableau d’évolution des capitaux propres ainsi que les dividendes versés au
titre des trois derniers exercices ; - le cas échéant, le rapport du comité permanent d’audit concernant, notamment, la proposition de nomination
du commissaire aux comptes ; - l’intéressement du personnel, la formation ou tout autre forme de développement du capital humain; - les éléments
sur le contrôle interne. Le rapport annuel sur la gestion de la société doit être établi selon le modèle présenté à l’annexe 12 du présent règlement.
La société peut insérer dans son rapport annuel d’autres rubriques spécifiques à son activité en plus de celles mentionnées ci-dessus ».
2101
L’art. 3 (nouveau ajouté par loi n°2005-96 du 18 octobre 2005, art.15) de la loi 14/11/1994 portant réorganisation de marché financier.
2102
Aussi, les sociétés doivent, dans les quatre jours ouvrables qui suivent la date de la tenue de l’assemblée ordinaire, déposer ou adresser au
conseil du marché financier et à la bourse de valeurs mobilières de Tunis, l’état d’évolutions des capitaux propres, la liste des actionnaires, la liste
des titulaires de certificats de droit de vote… V. Art. 3 ter de la loi du 14/11/1994 portant réorganisation de marché financier.
2103
BEZARA (P) ET CHAPPUT (P), art. pré., p.497.
2104
Le glissement des bénéfices consiste pour la société mère à profiter des liens financiers ou du contrôle qu’elle exerce sur les sociétés du groupe
afin de s’octroyer le bénéfice de la filiale, par exemple, moyennant des conventions et des inscriptions comptables fictives. La consolidation
permet de dévoiler ce genre d’opérations frauduleuses.
2105
V. parg. deuxième de l’article 471 CSC.
6g ‫ ا‬S g‫ وا‬V 3 ‫ ز‬$‫ و‬،a ‫ ا‬4 ‫ ت ا‬C 3 ‫ ا‬N H #$ # ّ 9 ‫ ا‬7 ‫ أو‬# ّ A k! ‫ ت وﺟ ب‬C 3 ‫ ا‬6 $ ‫م‬ ‫ ت ا‬N A ‫ ا‬9‫ اھ‬M " 2106
les états financiers consolidés # ّ 9 ‫ ا‬7 k! ‫ ا م‬C 3 ‫ ا‬U N ، ‫ ا ر‬6+‫ ر‬3 ‫ ار ا‬5 U N +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬ f ‫ اوﺟ‬G k D ‫ و‬. N ‫ ] دي‬7 ‫ و ا‬8 ‫ا‬
# ‫از‬ U N A A‫ ا‬# ‫ه ا ! ت ا‬D‫ ھ‬V 3$‫ و‬.‫ ت‬C 3 ‫ ا م وا‬C 3 ‫ ا‬k 0 P ‫ ا‬+ 4! ‫ اد ا ! ت ا‬N‫ ا‬I ‫ ﺟ‬U ‫ ا‬6 ‫ ا‬K3 #+ 8 ‫ا‬ ‫ ا‬#g 7‫ د‬0 ‫ رة‬0 ‫ ن‬$
، 2 ‫ ( ا ر‬0‫أ‬." N ‫ ا‬8G C 3 ‫ ع ا‬g‫ و‬9K SN‫ ا‬8G " ‫ ا‬K4 0 ‫ ا م و‬C 3 ‫ ا‬8G M ‫ < ق ا ! ھ‬+ < M F$ 8‫ ا ى وھ‬# ‫ ا‬A ‫ "ا‬p ‫ا‬ U N‫و‬
.323 ‫ ص‬،‫ذ‬.‫س‬.‫ م‬، +‫ر‬ ‫ ت ا‬C 3 ‫ ن ا‬7 8G ' ‫ا ﺟ‬

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

403- D’après l’article 471 CSC, la société mère, ayant un pouvoir de droit ou de fait sur d’autres
sociétés au sens de l’article 461 CSC, doit établir, outre ses propres états financiers annuels et son rapport de
gestion, des états financiers consolidés2107. Ces derniers doivent être mis à la disposition de tous les associés,
au moins un mois avant la réunion de l’assemblée générale. Ils doivent être aussi publiés dans un quotidien
paraissant en langue arabe et-ce, dans un délai d’un mois de leur approbation2108.
Concernant les sociétés cotées en bourse, elles doivent publier au bulletin officiel du conseil du marché
financier et dans un quotidien paraissant à Tunis, leurs états financiers annuels accompagnés du texte intégral
de l’opinion du commissaire aux comptes2109. Elles doivent aussi publier dans un délai de trente jours après la
tenue de l’assemblée générale ordinaire le bilan après affectation du résultat comptable et les états financiers
lorsqu’ils ont subi des modifications2110.
Il ressort de l’article 471 précité et des autres articles de la loi du groupe que le législateur de 2001 n’a
pas donné une définition de ce qu’est la consolidation ou les comptes consolidés. Il s’est borné tout
simplement à annoncer dans l’article 471 susvisé que l’établissement des états financiers consolidés doit se
faire « conformément à la législation comptable en vigueur ». Ainsi, en revenant à cette source comptable, on
peut affirmer que d’après le système comptable des entreprises2111 les états financiers consolidés comprennent
un journal consolidé, un grand-livre général consolidé, une balance générale consolidée ainsi qu’un état de
résultat consolidé2112. Plus précisément, il est légitime de soutenir que la consolidation des comptes est une
technique comptable par laquelle un groupe, constitué par la société mère et les sociétés affiliées, établit des
comptes uniques représentant leur situation financière et économique globale2113. Elle est également définie
comme étant « une pratique comptable consistant à établir, dans les groupes de sociétés, des comptes
reflétant la réalité financière de l'ensemble des sociétés groupées2114 ».
Ainsi définie, la consolidation comptable doit être distinguée de la consolidation fiscale2115 qui
consiste pour la société mère de reprendre à son niveau les résultats, aussi bien négatifs que positifs, de toutes
les sociétés affiliées afin de calculer l’impôt afférent au groupe de sociétés. Ce qui est totalement différent de
la consolidation comptable qui est destinée essentiellement à combler la défaillance des comptes de chaque
société liée en établissant des comptes financiers uniques.

404- En tant qu’instrument de mesure, la consolidation peut servir au moins à deux objectifs très
importants. D’une part, permettre une meilleure gestion du groupe. D’autre part, assurer une information
importante et nécessaire pour tous les partenaires du groupe. En effet, par l’image synthétique des résultats et
la situation financière qu’elle fournit, la consolidation est un instrument de gestion irremplaçable surtout
« dans les groupes diversifiés où les analyses par branche d’activité (obtenues par sous-consolidation des
entreprises de chaque branche) permet les comparaisons entre branches et ainsi les prises de décisions sur le
développement respectif de chaque branche2116 ». Autrement dit, la consolidation permet aux dirigeants du
groupe de connaître la réalité financière non seulement de l’ensemble mais aussi de toutes les branches
d’activité au sein du groupe ce qui permettra une gestion saine et par la même une prospérité certaine. Par
ailleurs, l’analyse des comptes consolidés constitue une mine d’informations sur la rentabilité des capitaux
investis ou la rentabilité économique générale du groupe ou encore sur l’autofinancement de l’ensemble des

2107
V. art. 471, al. 1 du CSC. En droit français, les modalités d’application de la consolidation ont été définies par le décret n° 86-221 du 17-2-86
puis par l’arrêté du 9-12-86.
2108
V. art. 472 CSC.
2109
L’art. 3 bis de la loi 14/11/1994 portant réorganisation de marché financier.
2110
L’art. 3 quater de la loi précité.
2111
V. Le système comptable des entreprises tel que déterminé par la loi n° 96-112 du 30-12-96 et les normes comptables du 01-12-03. V. JORT,
n° 97, 5-12-2003, p 3529.
2112
V. annexe n° 19.
2113
Dictionnaire permanent droit des affaires, novembre 2010, n° 60, p 3952.
2114
Lexique des termes juridiques DALLOZ 2010, déf. Du vocable « consolidation comptable ».
2115
La consolidation fiscale est prévue par le droit fiscal français, allemand, espagnol, américain… Par contre, elle n’a pas été prévue par le droit
fiscal tunisien qui a opté pour le régime d’intégration des résultats prévu par la loi n° 2000-98 du 25-12-2000 portant loi de finance pour l’année
2001 ainsi que les normes comptables du 01-12-03.
2116
BARTELEMY (J), COULON (N), EGAL (J), GUIGOU (H), HARDOUIN (M), DEMELLO (X), PETITEAU (G) et SEURAT (P), op.
cit., p 478 et 479.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

sociétés groupées et leur endettement2117. Il s’ensuit que l’appréhension de l’état de santé du groupe n’est plus
morcelée2118 puisqu’elle devient globale tenant compte de la santé de toutes les sociétés liées.
D’après les travaux préparatoires du projet de la loi du groupe, « garantir la transparence du groupe
de sociétés ainsi que l’information des tiers sur la situation intégrale de l’ensemble des sociétés groupées,
nécessite l’établissement d’une comptabilité consolidée qui montre clairement les avoirs et les obligations de
chaque société du groupe afin que les tiers aient une idée claire et globale sur les engagements du groupe
tout entier2119 ».

Plusieurs partenaires du groupe sont intéressés par une information aussi importante. Il peut s’agir, tout
d’abord, des salariés des sociétés affiliées cherchant des renseignements sur l’activité, la situation financière et
l’emploi qui sont souvent difficiles à synthétiser sans procédure de consolidation. Ce peut-être aussi le cas des
banques qui analysent attentivement les comptes consolidés à la recherche d’informations indispensables sur
les performances, l’endettement et les besoins de financement du groupe. Comme il peut s’agir des
actionnaires, des créanciers et des investisseurs potentiels qui trouvent dans les états financiers consolidés
toutes les informations relatives à la rentabilité ainsi qu’à l’avenir du groupe de sociétés2120.

De surcroît, il sied de préciser que l’information consolidée est incontestablement un moyen préventif
assez important, car elle permet à tout intéressé non seulement de vérifier l’exactitude des comptes financiers
du groupe mais surtout d’utiliser les outils de contrôle existants pour pouvoir préparer une éventuelle action
en justice. Toutefois, on verra que sur le plan curatif l’obligation d’information consacrée par l’article 472
CSC connaît quelques défaillances, notamment au diapason de son régime juridique répressif2121.
Ces comptes consolidés ont pris de l'importance dans l'évaluation des sociétés composantes d'un
groupe, car les investisseurs et analystes tendent à se fonder davantage sur la part que ces sociétés occupent
dans la consolidation plutôt que sur leurs performances personnelles.
405- En dépit de l’importance incontestable de la consolidation, une difficulté importante apparaît
aussitôt quant à la détermination des associés appelés à se prononcer sur ces comptes. En effet, l’article 471
CSC impose, dans son alinéa dernier, la publication des états financiers consolidés dans un journal quotidien
paraissant en langue arabe et ce, dans le délai d’un mois de leur approbation. Il reste que cet article n’a pas
précisé explicitement l’auteur de cette approbation. Autrement-dit, s’agit-il de l’assemblée générale de la
société mère ou celles des sociétés affiliées ? On craint donc que ces comptes consolidés ne soient approuvés
seulement par les associés de la mère en dehors de tout contrôle exercé par les associés des autres sociétés du
groupe, surtout que la consolidation tend à protéger les intérêts de ceux-ci. Dans ce cadre, le rapport Marini se
contente, en droit français, de proposer une soumission à « l'approbation » de l'assemblée générale de la
société mère, ce qui laisse de côté les associés des filiales. Certes, les « organes compétents des filiales » sont
invités à procéder à un « examen préalable » des comptes consolidés permettant d'apprécier la part de chaque
société composant le groupe dans la consolidation, mais il semble que cela ne vise que les instances
dirigeantes des filiales, de facto dominées par la société mère2122.
En toute hypothèse, l'avis des associés minoritaires de chacune des composantes du groupe n'est
certainement pas recueilli. Or, ce sont eux qui ont le plus à craindre et à souffrir en matière de détermination
de la part contributive de leur société à la consolidation, pourtant déterminante de la valeur de leurs droits. Et
on sait que la latitude laissée par les techniques comptables permet aux dirigeants de la mère de multiples
aménagements au nom de l'intérêt commun du groupe2123. Dans ces conditions, la soumission des comptes
consolidés au vote de la seule assemblée générale de la société mère risque d'apparaître comme une « mesure
gadget » n'améliorant pas substantiellement l'information des associés2124. Ainsi, la non-soumission des

‫ج‬ ‫ ا‬8G ‫ ا ا‬6+‫ ر‬3 ‫ ا‬M ‫ن‬ ‫عا‬ ‫ا‬ ‫و‬8 ‫' ا‬C ‫وا‬ ‫ا‬ D ‫ ا‬MN 0‫و‬ < ‫ رة‬0 8L#$ 7‫ د‬0 ‫و‬ 4 ‫ ن ا ! ت ا‬$ ‫ أن‬8F + " 2117
.234 ‫ ص‬،.‫ذ‬.‫س‬.‫ م‬، ‫ ﺟ‬9 +' ."8 ! ‫ا‬
2118
PARIENTE (M), op.cit., p 135.
‫ و‬a$ C O M ‫ وا< ة‬V M $ # A k! I L + a G ‫ ء‬FN ‫ ت ا‬C 3 ‫ ا‬G ‫ ا‬#g ^ ‫م ا‬SN‫ و إ‬6 ‫ ا‬G /O ‫ ن‬g ‫ " إن‬: ‫ا‬ # ‫ ا‬5 ] ‫ ﺟ‬$ 2119
.1 ‫ د‬N " 6‫ُ اﺟ‬+ ،92‫ ص‬،5 ‫ د‬N ،2001 G 20 ،‫ اب‬4 ‫ ا‬H ‫او ت‬ "...a C[ 6 ‫ ا 'ا ت ا‬MN g‫ ووا‬C ‫ ة‬G M+ $ M ^ ‫ ا‬M + U < , K N
2120
BARTELEMY (J), COULON (N), EGAL (J), GUIGOU (H), HARDOUIN (M), DEMELLO (X), PETITEAU (G) et SEURAT (P), op.
cit., p 478 ; MONDINO (J), La bonne foi dans le droit comptable : l’image fidèle, Gazette du Palais, 17 mars 2009 n° 76, P. 38.
2121
V. art. 477 CSC.
2122
COURET (A), Vers un nouveau droit des groupes ?, LPA, no 97 du 18 avril 1997, n° 9.
2123
En ce sens, DAIGRE (J-J), chron. préc., no 80, p. 65 ; COURET (A), communication préc., no 10.
2124
COURET (A), Vers un nouveau droit des groupes ?, L.P.A., no 97 du 18 avril 1997, n° 9.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

comptes consolidés, pourtant certifiés par les commissaires aux comptes, au vote des associés minoritaires du
groupe crée une dissymétrie importante avec les comptes annuels. La soumission au vote est donc très utile
car elle semble conforme à l’impératif de prévention des abus2125.
406- Il faudra noter en dernier lieu, que ces états financiers consolidés sont préparés en application
des dispositions de la loi n° 96-112 du 30 décembre 1996 relative au système comptable des entreprises. Ils
doivent être conformes aux principes et méthodes comptables tels que définis par le décret n° 96-2459 du 30
décembre 1996 portant promulgation du cadre conceptuel de la comptabilité financière. Un tel système qui
date de plus de 10 ans commence déjà à faire vieux. Il doit évoluer pour intégrer les évolutions de plus en plus
fréquentes et les normes comptables internationales censées assurer la fiabilité de l’information financière et
la transparence de sa diffusion2126.
Quoi qu’il en soit, la consolidation des comptes constitue un moyen d’information nécessaire pour
gérer un groupe de sociétés comportant plusieurs sociétés filles, d’autant plus qu’une telle information permet
« le pilotage au jour le jour mais aussi à vue2127 ». Il reste que l’existence d’une information, aussi étendue
soit-elle, ne suffit pas à elle seule pour donner aux partenaires du groupe une idée claire et juste susceptible de
prévenir toute forme d’abus lors du fonctionnement des sociétés groupées, encore faut-il que cette information
sociale soit susceptible d’évolution et de modernisation2128.

-§2- : La modernisation de l’information sociale dans les


procédés de concentration
407- Nul doute qu’une bonne réglementation de l’information relative aux procédés de concentration
pourrait contribuer à renforcer les piliers d’une efficace prévention des abus, condition nécessaire pour tracer
les contours d’une théorie générale en ce domaine. Dans cette perspective, il faudra étudier, en premier lieu,
les raisons de la modernisation de l’information (I), pour analyser, en second lieu, les manifestations de la
dite-modernisation dans les procédés de concentration des sociétés (II).

I- Les raisons de la modernisation de l’information dans les


procédés de concentration
408- La démission notoire des actionnaires des assemblées relatives aux procédés de concentration
des sociétés (A) et l’accès difficile à l’information au sein des mêmes procédés (B) sont les principales raisons
amenant à une réflexion sur une éventuelle modernisation de l’information sociale.

A- L’apathie des actionnaires : une réalité marquante des procédés


de concentration

409- Dans le but de lutter contre l’absentéisme des actionnaires constatés surtout dans les procédés
de concentration (a), le législateur leur a accordé la possibilité de se faire représenter dans les assemblées
générales. Néanmoins, au lieu de remédier à l’absentéisme, la pratique a démontré que la représentation est un
mode inopérant, voire de nature à aggraver la situation de l’actionnaire et à encourager son apathie, surtout
dans les procédés de concentration de sociétés où le problème prend une ampleur assez inquiétante (b).

a- L’absentéisme des actionnaires : accentué dans les procédés


de concentration

2125
BARBIERI (J-F), Comment rénover le droit français des groupes de sociétés ?, L.P.A., 05 novembre 1997 n° 133, p 6.
2126
V. le principe n°5 des préconisations de la «Corporate Governance» intitulé «transparence et diffusion de l’information», le «B» de ce principe
insiste sur l’indisponibilité d’établir et de diffuser ces informations conformément à des normes de grandes qualités reconnues au niveau
international en matière de comptabilité et de communication financière et non financière.
2127
PARIENTE (M), op.cit., n° 151, p 153.
2128
V. de façon générale sur la modernisation du droit des sociétés : OMRANE (A), Le droit tunisien des sociétés entre l'archaïsme et la
modernité, Etudes juridiques, Revue publiée par la Faculté de Droit de Sfax, 2003, p.123.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

410- Conscient que la présence aux assemblées est un simple droit et non un devoir, la majorité des
actionnaires s’abstiennent aujourd’hui de se rendre aux assemblées et manquent ainsi de prendre une part utile
aux délibérations. Ce qui met en doute le pouvoir souverain de l’assemblée générale2129.
La question qui se pose est de savoir quelles sont les causes de l’absentéisme devenu de plus en plus
important surtout dans les procédés de concentration des sociétés ? Certes, dans les sociétés faisant appel
public à l’épargne, les actionnaires sont nombreux mais la pratique prouve que l’élément humain tend à
s’effacer dans la mesure où la plupart des actionnaires sont dispersés, ne se connaissent pas et ne se sentent
guère intéressés par la marche de la société2130. Cette dispersion est manifeste dans les procédés de
concentration des sociétés, en particulier lorsqu’il est question d’un groupe de sociétés implanté un peu
partout dans le monde. Dans ces conditions, on peut parler non seulement de l’absentéisme physique mais
aussi moral des actionnaires bailleurs de fonds qui manifestent une indifférence totale pour tout ce qui touche
l’administration de la société affiliée et ne s’intéressent qu’à la distribution des dividendes.

411- Cette indifférence peut s’expliquer par le sentiment d’incompétence et en même temps
d’inutilité2131. En effet, comment demander à des actionnaires, généralement profanes, d’apprécier la valeur de
la gestion étant donné la technicité et la complexité des questions posées ? Il suffit de se rappeler des comptes
consolidés du groupe pour s’en convaincre. En réalité, seuls les gestionnaires et les spécialistes de la finance
peuvent apprécier correctement et effectivement la marche des affaires sociales. Par conséquent, il serait
difficile, sinon impossible, à un actionnaire de s’opposer à une décision prise par un dirigeant professionnel. Il
en découle que, le sentiment d’incapacité est l’une des raisons qui ont entraîné l’éloignement des actionnaires
et l’effacement de leur pouvoir de contrôle2132. Ceci est tellement vrai dans les sociétés isolées, que dire alors
du groupe de sociétés quand l’actionnaire de la filiale ou de la société contrôlée est persuadé et pleinement
convaincu que sa participation dans l’assemblée générale est stérile car les décisions ont été déjà prises, et
peut-être même mises en œuvre, par les « contrôlaires » de la société mère. Autrement dit, les actionnaires
minoritaires sont amenés le plus souvent à jouer le rôle de simples figurants. Dans ce cas, le sentiment
d’incompétence est complété par un sentiment d’inutilité. Ces actionnaires pensent généralement que leur
faible participation financière n’aura certainement aucune influence sur la prise des décisions importantes,
comme la fusion ou la scission, et ils savent surtout que même s’ils assistent aux délibérations ils ne peuvent
rien changer, bien au contraire ils vont voter des résolutions qui ont été déjà arrêtées et décidées d’avance.
Dans ce cadre, Messieurs Hémard, Térré et Mabilat observent avec raison que dans les groupes de sociétés,
«la décision prise par la majorité s’impose à tous les actionnaires, aux absents aussi bien qu’aux présents ou
aux représentants, aux abstentionnistes aussi bien qu’aux votants ».2133
Toutes ces raisons font que les actionnaires minoritaires considèrent souvent qu’il vaudrait mieux
s’éloigner de l’assemblée de la filiale que d’être effectivement écartés, voire humiliés par les majoritaires de la
société mère. De cette façon, ils se dessaisissent volontairement de leur droit de contrôle qui est en principe un
droit inaliénable2134.

412- D’un autre côté, l’absentéisme physique des actionnaires peut s’expliquer par certains obstacles
d’ordre matériel. En effet, l’absentéisme dans les réunions des assemblées est dû généralement à la dispersion
géographique des actionnaires, d’ailleurs les associés « éloignés » choisissent couramment de ne pas assister
aux assemblées plutôt que de supporter la charge d’un déplacement coûteux surtout pour un actionnaire qui
travaille loin du siège social ou « un petit porteur » dont le domicile n’est pas moins lointain. Ce problème
n’est plus à démontrer dans les groupes de sociétés internationaux où l’absentéisme est des plus frappants.

2129
JAUFFERT SPINOZI (C), Les assemblées générales d’actionnaires dans les sociétés anonymes réalité ou fiction, Etudes offertes à R.
Rodière, 1981, p 125.
.17‫ ص‬،1996 ‫ رس‬1 ‫ ي و‬/ G 29 ،H7 /] ‫ ف‬4@ A ‫ا‬ ‫ ي ا ة‬K‫ ﺟ‬U ،8< G ‫ ا‬+ ‫ ا‬:9A ‫ ا‬/ ‫ ت‬C 3 ! ‫ ت ا‬O‫ إ‬،‫ خ‬F F ‫ ( ا‬- 2130
.155‫ ص‬،2002 H $ ،‫ت‬.‫ش‬.‫ < ل م‬8 ‫ دو‬U ،"9A ‫ ا‬/ C 3 ‫ ا‬8G 7 ‫ ا‬، 2 ‫ ( ا ر‬0‫ أ‬2131
‫ وھ‬h ! ‫ ا‬i P M ‫ ا ازن‬8G ‫ ا‬C S ‫ ا‬fG N 8 ‫ ا‬+‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ا‬9 4$ 8G ‫ ا‬C S3G F+‫ ا‬8 ، ‫ ا و‬V ‫ دا‬h ! ‫ ا‬9 4$ 8G V3/+ ‫ي أ‬D ‫ ا‬8 ‫ ذج ا ا‬4 ‫ ا‬M ‫ " و‬2132
V‫ ظ‬8G ‫ ى‬C ‫ ت‬L A M a ‫و‬ + ‫ ت‬C 3 ‫ ا‬8G M+ ! ‫ ا‬4 ‫ ھ‬U ‫ل ا ازن إ‬S ‫ د ا‬#+‫ و‬K$‫ ذا‬C 3 ‫ د وﺟ د ا‬K$ ‫ ان‬M + 8 ‫ ا وزات ا‬i P ‫ < ا‬6F+ ‫ ان‬a4 V q+ ‫ ن‬C ‫ ازن‬$
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‫ر‬D4+ 0‫ ا‬a ‫ ا‬V ‫ اح ا ى‬0 ‫[ط‬$ ‫ ول‬$ f ‫ ظ‬8 ‫ ا‬g ‫ا‬ ‫ د ا‬K ‫ ا‬VC i!4 + ‫ د ﺟ‬K+ 0‫ وا‬+‫ ت ا ر‬C 3 ‫ م ا‬8G ‫ ا ازن " از‬8G ‫ل‬S ‫ا ا‬D‫ وھ‬. K# ! ‫را‬
6 ‫ رات‬34 ،‫و ا ودة‬q! ‫ ت ذات ا‬C 3 ‫ ص ا‬PO ‫ ت ا‬C O ، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ا‬8G ! ‫ ا‬،‫ ري‬17 ‫ ل ا‬." N ‫ ا اھ ا ﺟ‬9 4$ ‫[داة‬C a$‫ھ ا ن ذا‬ ‫!س‬
.8‫و‬7 ‫ ص‬،2010 H $ ، m P ‫ب ا‬ ‫ا ط ش‬
2133
HEMARD (J), TERRE (H) et MABILAT (P), Les sociétés commerciales, D, Paris , Tome I, 1972 p 325.
2134
ARMOND-PREVOST (M), Le pouvoir de vote, R.J. Com, 1990 p 147.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Aussi, d’après l’expression de Monsieur Heurteux, « la profession de l’actionnaire est déterminante


dans le pourcentage de l’absentéisme »2135. Cela signifie qu’il est généralement très difficile pour certains
actionnaires qui ont des occupations professionnelles tels que les fonctionnaires et les hommes d’affaires de se
rendre aux réunions de l’assemblée et de prendre part aux délibérations, notamment lorsque les frais de
déplacement vont coûter beaucoup plus cher que le montant des dividendes à percevoir.
Il ne faut pas perdre de vue également que la démission des actionnaires est imputable non seulement
aux associés, eux-mêmes, mais aussi aux dirigeants sociaux. Ces derniers, conscients de leur puissance,
surtout au sein des groupes de sociétés, face à une multitude d’actionnaires isolés et ignorants qui ne veulent
prendre aucune peine à surveiller leurs intérêts, vont profiter de cette situation pour recueillir le pouvoir dont les
actionnaires se désintéressent par négligence et indifférence. Ces dirigeants sont généralement animés par
l’adage selon lequel « on ne peut utilement protéger celui qui ne veut pas se protéger lui-même »2136.
D’ailleurs, selon l’expression de Monsieur Claude Heurteux, le désir des dirigeants est « d’obtenir le plus
grand nombre de pouvoirs et d’y rencontrer le plus petit nombre d’actionnaires »2137.

413- Devant ce constat négatif, le législateur a voulu remédier à l’absentéisme par l’instauration de
la technique de la représentation. Cette dernière a-t-elle vraiment constitué un « outil » juridique efficace pour
lutter contre l’absentéisme des actionnaires dans le cadre des opérations de concentration ?

b- La représentation des associés : « stérile » à l’aune des procédés de


concentration

414- Afin de permettre aux actionnaires absents de participer aux délibérations et de contribuer
effectivement à l’élaboration de la volonté collective au sein de l’assemblée générale, le droit des sociétés leur
a offert la possibilité de recourir au vote par procuration2138. Ainsi, l’article 278 du C.S.C, relatif aux S.A.
prévoit que : « tout actionnaire peut se faire représenter par toute personne munie d’un mandat spécial ».
En se référant aux anciennes dispositions du code de commerce, on remarque que le législateur ne
faisait aucune allusion au principe de la représentation, adoptant l’idée selon laquelle l’intérêt porté à la vie
sociale doit se manifester par la présence personnelle des actionnaires et leur participation aux délibérations
par l’exercice personnel du droit de vote. Il en découle forcément que la représentation des actionnaires est
une innovation du code des sociétés commerciales permettant à l’actionnaire empêché d’assister
personnellement de se faire représenter par une personne qu’il mandate et qui lui inspire confiance. Cette
nouvelle disposition peut paraître, à première vue, importante et très utile surtout dans les groupes de sociétés
et les entreprises de très grandes tailles qui sont implantées un peu partout dans le pays et qui imposent
généralement à l’associé un déplacement au siège social, assez souvent pénible et très coûteux
comparativement avec les dividendes qui seront récoltés.
Dans cette perspective d’encouragement de la représentation, le législateur a laissé le choix à
l’actionnaire de nommer son représentant sans exiger que ce dernier doive avoir la qualité d’actionnaire ni
même qu’il soit un parent ou un conjoint2139. Cette qualité d’associé devient, par contre, imposée dans le cas
où les actionnaires n’ont pas le nombre minimum d’actions, exigé par les statuts, pour participer aux
délibérations2140.

415- Malgré ces données apparemment favorables, il semble que la mise en œuvre de la
représentation n’a pas répondu aux attentes du législateur. Elle a, au contraire, accentué l’absentéisme des
actionnaires. La preuve en est que l’associé, qui est souvent isolé, ne manifeste aucune attitude favorable à
surveiller ses intérêts parce qu’il est toujours prêt à vendre ses titres. Comment demander alors à quelqu’un
qui est désintéressé aussi bien de la marche des affaires sociales que de ses propres intérêts de désigner un

2135
HEURTEUX (C), L’information des actionnaires et des épargnants, op. cit, p 104.
2136
PERROUD (J), La condition de l’actionnaire, Mélanges Ripert, Tome II, L.G.D.J, Paris, 1950, p 326.
2137
HEURTEUX (C), op.cit., p 116.
2138
L’article 11 du C.S.C consacre le droit de représentation au titre des règles communes à toutes les sociétés. Il convient de noter qu’un
actionnaire ne peut à la fois être présent personnellement pour certains titres et être représenté pour certains autres. La représentation doit être pour
la totalité des actions. V. MELLOULI (S) et FRIKHA (S), Les sociétés commerciales, op. cit., p 247.
2139
V. article 278 alinéa 6 du C.S.C.
2140
V. article 279 alinéa 2 du C.S.C.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

mandataire à sa place pour participer aux délibérations des assemblées ? D’autant plus que, dans la pratique, il
est souvent très difficile de trouver un mandataire diligent et compétent, à même de représenter l’actionnaire
et respecter les instructions de vote.
Face à cette situation, l’actionnaire qui envisage de s’absenter se contente généralement d’envoyer à la
société un pouvoir n’indiquant ni le nom du mandataire ni le sens du vote, c’est la pratique des pouvoirs en
blanc. On observe alors que l’actionnaire, empêché d’assister aux assemblées, laisse aux dirigeants le soin de
désigner son représentant. Ainsi, les procurations de vote remises, par les dirigeants, entre les mains des
actionnaires « permettent le vote en faveur des résolutions proposées par eux, en faveur ou contre les
propositions émanant des actionnaires »2141. Ces dirigeants pourront même « faire ratifier par des assemblées
réduites à quelques dizaines de personnes des décisions prises antérieurement »2142. Il en résulte que, le
pouvoir confié aux dirigeants est « davantage utile pour eux… qu’aux actionnaires eux-mêmes »2143.
Certes, le mandat en blanc présente une utilité considérable pour la continuité du fonctionnement de la
société, d’ailleurs les administrateurs recourent souvent à cette pratique afin d’obtenir le quorum exigé pour la
validité des décisions de l’assemblée. De plus, la jurisprudence française était favorable au mandat en blanc
depuis 19382144 quand la cour d’appel de Paris a considéré, dans un arrêt rendu le 22 juillet 1938, que « cette
pratique couramment usitée pour faciliter l’obtention du quorum ne serait elle-même être critiquée »2145.
Toutefois, il est fortement regrettable que notre législation des sociétés n’ait pas déterminé de manière claire
les conditions d’obtention et de validité de ce type de mandat afin d’annihiler tout risque d’abus de la part des
dirigeants2146, surtout dans les groupes de sociétés et dans les grandes entreprises sociétaires où le recours au
mandat en blanc est très récurrent dans la pratique et peut constituer une grande source de nuisance.
Manifestement, cette situation risque de mettre en péril la souveraineté de l’assemblée générale,
ordinaire et extraordinaire, puisque celle-ci réunit dans la plupart des cas des dirigeants qui détiennent les
pouvoirs de sorte que l’assemblée n’exerce plus ses prérogatives. Malheureusement, se sont plutôt les
dirigeants qui prennent les décisions à la place des associés, et jouissent ainsi d’une dictature incontestable2147.
D’où l’effacement du pouvoir de contrôle de l’assemblée générale des associés. Reste à noter qu’en fin de
compte, l’actionnaire est le seul responsable de cette situation défavorable à cause de la confiance aveugle
qu’il témoigne envers les dirigeants sociaux, qui reflète son indifférence et son incompétence à contrôler
sérieusement la gestion sociale. Il y a lieu alors de signaler que, la passivité des actionnaires empêchera bien
souvent un véritable accès à l’information, ce qui laisse à réfléchir à propos d’un véritable problème de
manque d’information de l’associé qui n’aide nullement à contrecarrer les agissements abusifs.

B- Le manque d’information : un problème palpable dans les procédés de


concentration

416- Certes, le législateur a aménagé un droit à l’information au profit de l’actionnaire pour pouvoir
exercer une surveillance effective sur la gestion sociale. Toutefois, aussi important soit-il, le système
d’information souffre de quelques insuffisances. Ainsi, l’actionnaire se trouve souvent confronté à des
difficultés d’accès à l’information (a) ; il demeure également insuffisamment informé à cause des problèmes
liés surtout à la technicité de la documentation propres aux procédés de concentration (b).

a- Les difficultés d’accès à l’information dans les procédés de


concentration

2141
DAHDOUH (C-L) et DAHDOUH (H), Droit commercial vol 2, entreprises sociétaires, T. I, règles communes, éd. I.H.E, Tunis, 2003, p 436.
Il en est autrement pour le droit Français, ainsi le pouvoir en blanc doit être utilisé pour émettre au nom de l’actionnaire un vote favorable à
l’adoption des projets de résolution proposés ou agrées par le conseil d’administration ou le directoire, selon le cas, et un vote défavorable à
l’adoption de tous les autres projets de résolution. Article 225- 106 in fine C.C.F.
2142
JAUFFRET-SPINOSI (C), op.cit, p 128.
2143
DAHDOUH (C-L) et DAHDOUH (H), op.cit., p 437.
2144
HEURTEUX (C), op. cit, p 119 ; BEN NASR (T), op. cit, p119.
2145
C.A. Paris, 28 juillet 1938, Gaz.Pal , 1938 , II, p 222, voir aussi J.C.P , 1956 , II , 9638, note BASTIAN.
2146
Contrairement au droit comparé, comme par exemple le droit Français qui a essayé de réglementer l’usage du pouvoir en blanc en vue de lutter
contre plusieurs comportements abusifs.
2147
GAILLARD (E), La société anonyme de demain, La théorie institutionnelle et le fondement de la société anonyme, éd., Sirey, 1934, p 22.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

417- Dans le cadre de l’information préalable à la tenue de l’assemblée générale, le législateur a


insisté, au sein des articles 11, 128, 280, 284, 418 et 472 CSC, sur l’initiative de l’actionnaire qui doit se
rendre au siège social pour se faire communiquer les documents nécessaires à son information. Le
déplacement au siège social constitue donc, pour l’associé, la seule possibilité afin d’accéder à l’information
recherchée.
S’il est vrai que certains actionnaires s’intéressent à la conduite des affaires sociales, il n’en reste pas
moins vrai que ceux-ci demeurent une minorité, car la majorité des actionnaires se désintéressent de la vie
sociale et ne se déplacent que rarement, sinon jamais, au siège social pour consulter la documentation qui leur
serait mise à disposition. Il semble alors utopique de demander à un actionnaire, qui ne se déplace même pas
pour assister aux assemblées générales, de prendre la peine d’aller consulter les documents dont il a besoin, au
siège social, surtout qu’il doit supporter la charge du déplacement pour la collecte de l’information. Ceci est
d’autant plus vrai dans les groupes de sociétés où le siège social de la mère peut être dans une ville assez
éloignée du domicile de l’actionnaire, il se peut aussi qu’il se trouve dans un autre pays et même dans un autre
continent ! Comment faire alors pour que l’actionnaire de la filiale puisse convenablement et en temps
opportun consulter les comptes consolidés ou le rapport de gestion du groupe si ces derniers ne sont déposés
qu’au siège social de la mère ? Devrait-on imposer à l’associé un voyage à ses frais, risques et périls pour
qu’il puisse légalement exercer son droit à l’information ?
Certes, la limite qui consiste à se déplacer nécessairement au siège social de la société mère pour
pouvoir consulter les informations et voter en connaissance de cause, constitue l’une des difficultés d’accès à
l’information puisque le législateur néglige la possibilité d’envoyer les documents sociaux aux actionnaires, à leurs
domiciles ou aux sièges sociaux des sociétés groupées. Toutefois, il faut garder présent à l’esprit que c’est plutôt la
passivité des actionnaires qui demeure l’entrave la plus importante limitant l’accès à l’information. Autrement
dit, un actionnaire soucieux et intéressé à la situation sociale n’hésitera nullement à se déplacer au siège social
pour demander tous les renseignements nécessaires. Cela est vrai dans les sociétés isolées, mais difficilement
concevable dans les groupes internationaux.
Devant cet état des choses, il devient inutile de mettre au siège social les documents nécessaires à
l’information des actionnaires alors que, d’une part, la plupart d’eux sont indifférents et négligents à l’égard
de la vie sociale et, d’autre part, même pour les plus diligents des associés, le déplacement au siège social est
assez souvent coûteux, voire périlleux. A tout cela, s’ajoute un problème majeur lié à la technicité de la
documentation sociale relative aux procédés de concentration.

b- La technicité de la documentation sociale : spécificité de la


concentration

418- Aucun doute n’est permis sur l’importance du droit à l’information financière et comptable qui
joue au profit du contrôle de la gestion sociale par les actionnaires. D’ailleurs, dans le cadre de préciser la
valeur des comptes sociaux qui reflètent la situation comptable et financière de la société, une décision du
tribunal de commerce de Paris avait jugé que : « …les comptes doivent être tenus dans le respect des
principes de prudence, de régularité, de sincérité et de continuité »2148. Cependant, s’il est vrai que le système
d’information permet, apparemment, aux actionnaires d’apprécier et d’évaluer la situation financière et
comptable de la société, la pratique a démontré l'inefficacité de ce système qui n’a pas pris en considération
l’ignorance du domaine de la gestion, de la comptabilité et de la finance par la majorité des associés.
Autrement dit, il est difficile à un actionnaire non spécialiste en matière comptable et financière de
comprendre la portée de l’information qu’il reçoit vu son caractère purement technique. Face à cette réalité, le
législateur aurait dû exiger l’établissement d’un document simplificateur qui explique davantage les données
comptables et financières et permet aux actionnaires de déchiffrer la documentation.
Ce problème est assez palpable en matière de consolidation des comptes dans les groupes de
sociétés2149. En effet, nul n’en disconvient que cette technique comptable est une des plus compliquées qui
nécessite pour son élaboration un personnel très qualifié en matière comptable. D’ailleurs, c’est ce qui

2148
Trib. Com. Paris, 28/09/1982, R.J.Com. 1983, p 258, obs. H. GAUDMET TALLON.
2149
NEFZAOUI (A), thèse pré., p 110 et s.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

explique sa quasi-absence dans les groupes de sociétés opérant en Tunisie2150. La complexité des comptes
consolidés risque par la même de se répercuter sur les utilisateurs des dits-comptes, et, partant, la question
peut se poser de savoir si tel risque n’influe pas sur l’importance et l’efficacité de la consolidation en tant que
technique préventive des abus ? En effet, comment un profane peut-il comprendre un bilan consolidé
présentant une multitude de tableaux intégrés comportant des inscriptions en langage comptable presque
impossible à déchiffrer que par des personnes disposant d’une formation comptable approfondie2151 ? Une
telle question se pose avec plus d’acuité lorsqu’on lit dans l’article 472 C.S.C. que le législateur exige que les
comptes consolidés soient publiés dans un quotidien paraissant en langue arabe et mis à la disposition des
associés au siège social de la société mère2152. Dans ce cas, un actionnaire d’une des sociétés affiliées, qui peut
bien être agriculteur, médecin et même un illettré au chômage, voulant se renseigner sur la situation financière
du groupe auquel il appartient n’a qu’à consulter les comptes consolidés, mais peut-il les comprendre ? Ou
bien doit-il, chaque fois que les comptes paraissent au journal, supporter les frais d’une consultation auprès
des connaisseurs ?
Pour un public non averti, les comptes consolidés2153 risquent d’être « indigestes », car ils ne sont
accessibles qu’aux professionnels notamment les analystes financiers et les investisseurs institutionnels2154. Le
législateur n’aurait-il pas dû exiger la publication non pas des comptes consolidés mais plutôt d’un sommaire
des dits-comptes commenté par les soins du commissaire aux comptes du groupe, de façon à ce que tout
profane puisse avoir une information accessible et facile à comprendre ?

419- Outre la technicité de la documentation comptable, la pratique révèle l’insuffisance de clarté du


rapport des commissaires aux comptes du groupe qui se limite le plus souvent à une ratification pure et simple
des comptes établis par le conseil d’administration de la société mère. Or, un rapport vague et imprécis risque,
en effet, de vider le contrôle de sa substance et d’en faire une formalité dénuée d’intérêt pour les actionnaires
qui cherchent une bonne qualité d’information2155. D’ailleurs, dans le cadre des conventions conclues entre la
société mère et ses dirigeants, M. Germain avait écrit que « le laconisme trop fréquent des rapports spéciaux
ne permettrait pas aux actionnaires de porter un jugement éclairé sur les conventions et l’opportunité des
contrats soumis à leur examens »2156.

420- Qu’en est-il des rapports de gestion des dirigeants sociaux ?


Il y a lieu de rappeler que le rapport annuel de gestion et surtout le rapport de gestion du groupe,
présenté par le conseil d’administration ou le directoire, est l’une des principales sources d’information des
actionnaires grâce à son caractère récapitulatif et détaillé qui leur permet d’être bien éclairés sur « la situation
commerciale, administrative et comptable de la société » 2157. Cependant, on remarque que le rapport de
gestion du groupe ne garantit pas, en réalité, le droit de l’actionnaire à une information pertinente et détaillée
sur la gestion sociale du groupe entier, car les dirigeants de la société mère se déchargent souvent de
l’établissement de ce rapport pour confier cette tâche à des salariés de la société peu consciencieux de la
marche des affaires sociales à cause de leur éloignement de la gestion. Il en découle que le rapport rédigé est
généralement peu satisfaisant vu son caractère lacunaire et assez souvent sommaire et très technique. Les
organes dirigeants renvoient, aussi, continuellement aux rapports des commissaires aux comptes caractérisés
toujours par leur technicité. Dans ce cas, l’actionnaire surtout celui de la société affiliée, se trouvera face à une
documentation trop complexe ce qui diminue, à bien des égards, son droit à l’information.

421- Ce qui aggrave la situation davantage, c’est que le législateur a imposé aux dirigeants de garder
secrètes les informations à caractère confidentiel2158 sans pour autant en donner une définition claire et
explicite. Ce laconisme juridique entourant la notion de « secret des affaires » a fini par inciter les dirigeants,

2150
D’après plusieurs experts comptables de renommé (M. Ahmed Mansour, M. Moez ben amor…), en 2007 il y avait un seul groupe de sociétés
qui usait de la technique de la consolidation des comptes.
2151
V. annexe n° 19 qui comporte un exemple de comptes consolidés.
2152
Les mêmes critiques relevées concernant le rapport de gestion sont valables pour la consolidation.
2153
Il en est de même du rapport de gestion du groupe.
2154
DAHDOUH (H) et DAHDOUH-LABASTIE (C), Droit commercial, V. 2, Op.cit., p 465, n° 796.
2155
KNANI (Y), les conventions entre la société anonyme et ses dirigeants à la lumière de l’article 200 du C.S.C, R.T.D, 2001, p 335.
2156
GERMAIN (M), traité du droit commercial, RIRERT (G) et ROBLOT (R), L.G.D.J , Paris, 18ème éd. 1998, n°1649.
2157
BEN NASR (T), op.cit., p 57.
2158
V. les articles 198 alinéa 2, 231 alinéa 1 et 253 du C.S.C.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

cherchant toujours à échapper au contrôle des associés, à porter atteinte à leur droit à l’information en
invoquant trop souvent le paravent « secret des affaires ». Autrement dit, pour maintenir discrets certains actes
de gestion ayant des effets inégalitaires, les dirigeants sociaux n’hésitent nullement à invoquer le prétexte du
secret professionnel. Il y a lieu, toutefois, de signaler que la jurisprudence Française a pris le soin de stabiliser
cette situation en considérant que « le secret des affaires ne saurait servir, sur le couvert de périls
imaginaires, à laisser libre cours au bon plaisir des administrateurs et à soustraire, à toute critique, des
pratique discutables »2159.

Une autre attitude, émanant des dirigeants sociaux, portant atteinte au droit à l’information des
actionnaires mériterait aussi d’être déblatérée. Elle consiste dans le fait de n’inclure à l’ordre du jour de
l’assemblée générale que des questions trop larges, assez vagues et très techniques sans permettre, par
conséquent, aux actionnaires de se renseigner effectivement sur les problèmes qui seront débattus lors de
l’assemblée et d’avoir une idée précise sur les questions pertinentes qui seront réellement discutées. De ce fait,
en raison du peu d’intérêt de l’ordre du jour retenu, les actionnaires décideraient de ne pas assister aux
assemblées ce qui rendrait leur contrôle sur la gestion des dirigeants sociaux presque inexistant.

422- De tout ce qui précède, rien n’empêche de signaler que le droit à l’information des associés,
dans les procédés de concentration, est nettement affaibli, ce qui impose une réflexion concernant son
évolution et sa modernisation.

II- Essai sur la modernisation de l’information sociale dans les procédés


de concentration
423- La modernisation proposée est quadripartite. Elle nécessite d’abord une autorisation de l’accès
à l’information par mandataire (A). Elle impose, ensuite, l’instauration d’une information par envoi de
document (B). Il faudra, aussi, généraliser le vote par correspondance (C). Enfin, une prise en compte des
nouvelles technologies de l’information s’avère nécessaire, voire urgente (D).

A- Pour un accès à l’information sociale par mandataire

424- Malgré l’importance du droit à l’information préalable, le législateur impose un exercice


personnel de ce droit par l’actionnaire écartant, de la sorte, toute forme de représentation. Cela veut dire que
l’actionnaire ne peut pas exercer par mandataire son droit à l’information et ce, contrairement au droit de vote
qui peut être délégué2160. Il importe donc que le droit des sociétés évolue dans le sens d’une adoption de
l’accès à l’information préalable par mandataire comme c’est le cas en droit français où l’article 141 du décret
du 23 mars 1967 dispose que « l’actionnaire exerce les droits reconnus par les articles 1392161 et 1402162 par
lui-même ou par le mandataire qu’il a nommément désigné pour le représenter à l’assemblée »2163. A travers
cet article, il est clair que le législateur français fait un lien étroit entre l’exercice du droit à l’information
préalable et l’exercice du droit de vote2164 de sorte que tout actionnaire peut recourir aux services d’un
mandataire non seulement pour le représenter au sein de l’assemblée mais aussi pour exercer à sa place son
droit à l’information. Cette représentation serait la bienvenue dans notre législation surtout dans le cadre des
groupes internationaux de sociétés où le déplacement personnel de l’associé au siège social de la société mère
est assez souvent difficile et très coûteux.

425- Quid de l’accès à l’information permanente ? Par application de l’article 11 alinéa 4 du C.S.C
« tout associé a le droit à tout moment de l’année soit personnellement soit par mandataire de consulter et de

2159
C.A. Lyon, 12/05/ 1952, J.C.P, 1952, II, n° 731.
2160
HOUIN (R), obs.cit, trib.com. Mire court, R.T.D.Com, 1964, n° 7, p 586.
2161
Evoque l’information de l’actionnaire lors de la tenue de l’assemblée générale ordinaire et de l’assemblée générale extraordinaire.
2162
Evoque le droit de prendre connaissance ou copie de la liste des actionnaires.
2163
Cette disposition a été reprise par le C.C.F. dans son article R 225-79.
2164
V. aussi la position de la jurisprudence Française, note sous Cass. Com. Fr., 26 mai 1994, Rev. Soc, 1994, p 774.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

prendre copie de tous les documents présentés aux assemblées générales tenues au cours des trois derniers
exercices ». On en déduit que chaque associé peut donner mandat à une autre personne pour exercer à sa place
le droit à l’information permanente2165. Cette disposition générale, applicable à toutes les formes de sociétés,
mériterait d’être saluée et devrait être élargie afin d’embrasser également le droit à l’information préalable à la
tenue de l’assemblée générale.
Le législateur français a aussi retenu ce cas de représentation dans l’article 142 du décret du 23 mars
19672166. Ce représentant peut être aussi bien un tiers qu’un autre actionnaire. Le choix du mandataire est
d’une importance cardinale pour protéger l’intérêt social contre l’intervention de tiers indésirables vu
l’importance des documents informatifs qui vont être mis à leur disposition. Il conviendrait donc d’exiger que
ce dernier soit un associé, un conjoint, ou au moins un membre de la famille de l’associé représenté. Un tel
choix du représentant permet seul d’anéantir tout risque d’abus lié aux informations sociales importantes
mises à la disposition de ce dernier, surtout si l’assemblée générale en question est extraordinaire amenée à se
prononcer par exemple sur une opération de fusion ou de scission.
En l’état actuel de la législation, et devant la liberté des actionnaires de choisir leurs mandataires, on
peut se demander si les associés peuvent limiter le champ d’application du mandat, en disposant que seul un
associé peut en représenter un autre, que ce soit pour exercer le droit à l’information permanente ou pour le
représenter aux assemblées générales. Ce problème a été soulevé devant la cour d’appel de Tunis dans son
jugement n° 12260 du 27 décembre 2003. Dans cette affaire, le juge du fond a considéré que les dispositions
de l’article 278 CSC, relatives à la représentation de l’actionnaire dans les assemblées, ne sont pas d’ordre
public car elles n’ont pas un caractère impératif. Les statuts peuvent alors limiter le droit de l’actionnaire de se
faire représenter2167.
La démarche du juge de fond est critiquable pour deux raisons. D’abord, le droit de l’actionnaire de se
faire représenter est un droit fondamental qui ne peut être réduit ou limité par les stipulations des statuts et ce,
conformément aux dispositions de l’article 11 CSC. Interdire ou limiter le droit de l’actionnaire de se faire
représenter viole donc le caractère fondamental de ce droit. Ensuite, le vote par mandataire facilite l’accès de
l’actionnaire aux réunions des assemblées générales. La limite qui vise à affaiblir ou à exclure ce droit, n’est
pas conforme aux choix législatifs.

426- En plus de la généralisation de l’exercice du droit à l’information par mandataire, notre


législation gagnerait en termes de contrôle et de prévention des abus si l’information par envoi de document
serait légalisée dans un futur plus ou moins proche

B- Pour une information par envoi des documents

427- D’aucuns n’ignorent que l’exercice obligatoire du droit à l’information au siège social est l’une
des causes essentielles du manque d’efficience de ce droit. C’est pourquoi, il importe d’introduire dans notre
législation des méthodes d’information plus active pour assurer une information plus complète et plus efficace
surtout dans les groupes de sociétés et dans les grandes entreprises faisant l’objet assez souvent d’opérations
de concentration.
Une des mesures d’accès efficace à l’information consisterait à fournir les documents sociaux au
domicile de l’actionnaire. Cette méthode mettra fin à l’inertie des associés en leur assurant une information
portable à leurs domiciles au lieu d’une information quérable au siège de la société.
Etant un moyen efficace pour lutter contre l’apathie des actionnaires et leurs absentéismes au sein des
assemblées générales, l’information par envoi des documents semble être un mode de diffusion utile et
favorable, surtout qu’elle réduit les obstacles devant l’accès à l’information sociale. Malheureusement notre
législation ne s’est nullement préoccupée, dans les règles générales, de ce moyen précieux d’information et ce,
malgré la promulgation du code des sociétés commerciales et en dépit des modifications incessantes que
connait le dit-code2168. La négligence de ce mode d’information est indubitablement très favorable pour les
dirigeants qui veulent garder le contrôle de la société en évitant une information rapide et exhaustive et, par la

2165
Cette disposition rappelle l’article 88 alinéa 3 du code de commerce abrogé qui disposait qu’ « à toute époque de l’année tout actionnaire peut
prendre connaissance ou copie au siège social par lui-même ou par mandataire… ».
2166
Cette disposition a été reprise par le C.C.F. dans son article R 225-79.
2167
Arrêt cité par : GORBEJ (A), La répartition des pouvoirs entre les organes de la société anonyme, Th., FDSPT, 2010-2011, n° 602.
2168
V. supra, note n° 404.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

même, éviter la présence des actionnaires chicaniers aux assemblées générales ordinaires et surtout
extraordinaires compétentes en matière de fusion et de scission.

428- En droit français, sous l’empire de la loi de 1867, la seule possibilité pour que les actionnaires
puissent s’informer sur la situation financière de leur société était de se déplacer au siège social pour examiner
les documents comptables. Afin de surmonter cet obstacle, ces actionnaires ont vivement réclamé une réforme
législative obligeant les sociétés à leur adresser une documentation précise sur la situation de leur société. Les
réformateurs de 1966 ont répondu positivement à cette attente2169. Actuellement, l’actionnaire dispose, en
droit français, préalablement à la réunion de l’assemblée générale, d’une information portable qui vient vers
lui sans besoin de se déplacer au siège social pour l’avoir2170. Cette faculté ouverte, à tout actionnaire,
constitue une innovation de la réforme 1966. Selon l’art 133 de la loi française de 19662171, les documents qui
doivent être joints à toute formule de procuration adressée aux actionnaires sont principalement : l’ordre du
jour, les textes de projets de résolutions, un exposé sommaire de la situation de la société pendant l’exercice
écoulé et l’indication que l’actionnaire, à défaut d’assister personnellement, peut choisir entre donner
procuration, voter par correspondance ou donner une procuration sans indication de mandat. L’ensemble de
ces documents et renseignements doit être adressé à l’actionnaire en même temps que la formule de
procuration, quelque soit la nature de l’assemblée2172. Il en est de même du droit anglais où l’envoi de la
documentation sociale est automatiquement fait aux domiciles connus de tous les associés avant la tenue des
assemblées générales2173. Or, si on parle en Grande Bretagne de l’envoi automatique des documents informatifs
sans aucune demande préalable émanant de l’associé, il est à signaler qu’en France l’envoi d’une certaine
documentation suppose nécessairement une demande de l’actionnaire. Le professeur Neureuther avait déjà
affirmé que « seuls ceux qui font cette démarche positive de demande d’envoi de documents et
renseignements… seront servis à domicile »2174.

429- Comparativement, l’information en droit Tunisien reste en deçà des espoirs. Ce qui ne pourrait
aider à prévenir les comportements abusifs ou permettre d’édifier une théorie générale relative à la notion
d’abus dans le cadre des procédés de concentration d’une manière particulière. On détecte, en effet, une
carence flagrante au niveau de la réglementation de la société anonyme en matière d’information par envoi de
documents comptables. Par conséquent, les actionnaires ne reçoivent pas d’information à domicile. Il faut
qu’ils prennent connaissance des documents au siège de la société, car il n’y a aucune obligation d’envoi
d’information aux actionnaires2175. Le législateur semble donc « fermer les yeux » devant un facteur décisif, à
savoir la passivité des actionnaires. Il n’exige que la consultation des documents au siège social qui demeure
la seule modalité pour accéder à l’information. On dirait qu’il voudrait mettre davantage d’obstacles devant
l’actionnaire en lui imposant les frais du déplacement !
Contrairement à la société anonyme, dans la société à responsabilité limitée le recours à ce mode de
diffusion est reconnu d’une manière explicite. Au terme de l’art 128 « …trente jours au moins avant la tenue
de l’assemblée générale…les documents suivants seront communiqués aux associés par lettre recommandée
avec accusé de réception… ». Cette solution adoptée pour les SARL semble être d’autant plus utile pour les
sociétés anonymes qui sont de plus en plus nombreuses dans la pratique des affaires tunisiennes, elle l’est
aussi dans les sociétés de personnes même si leur nombre ne cesse de diminuer en pratique. Sa consécration
s’avère surtout urgente dans les groupes de sociétés concernant les comptes consolidés et le rapport de gestion
du groupe afin de permettre un accès à l’information rapide, automatique et égalitaire pour tous les associés
dans le groupe de sociétés.

2169
En droit français, la possibilité d’accès aux informations directement adressées à l’actionnaire est une innovation de la réforme de 1966.Ainsi,
il résulte de l’article 138 alinéa premier du décret du 23 mars 1967 qu’ « à compter de la convocation de l’assemblée et jusqu’au cinquième jour
inclusivement avant la réunion, tout actionnaire soit titulaire de titres nominatifs, soit propriétaire de titre au porteur justifiant d’un dépôt de titre,
peut demander à la société de lui envoyer certains documents2169. La société est tenue de procéder à cet envoi avant la réunion de l’assemblée
générale et à ses frais ». Cette disposition a été reprise par le C.C.F. dans son article R 225-88.
2170
MANSUY(F), assemblées d’actionnaires, jurisclasseur, op.cit., p 11.
2171
Cette disposition a été reprise par le C.C.F. dans son article R 225-81.
2172
MANSUY(F), assemblée d’actionnaires, jurisclasseur, op.cit., p 11
2173
POISSON (M.D), La protection des actionnaires minoritaires dans les sociétés de capitaux, th. Clément, 1984, p 36.
2174
NEUREUTHER(M), Permanence et renouvellement du principe d’égalité entre actionnaires dans les sociétés anonymes, th. Aix Marseille,
juin 1994, p 37.
2175
DAHDOUH(H) et LABASTIE(CH), Le droit commercial, entreprise sociétaire, V.2, T 1, règles communes, IHE, éd 2003, p. 114.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

L’envoi de l’information, qui devrait être légalement consacré dans les règles générales applicables à
toutes les sociétés, peut avoir lieu soit à la propre initiative de la société soit à la demande des actionnaires.
La première possibilité tend essentiellement à informer l’actionnaire et éclairer ses choix
automatiquement avant la tenue de l’assemblée générale, surtout s’il décide de ne pas assister personnellement
à l’assemblée. Cette possibilité est déjà usitée dans la pratique des banques et ce, en dehors de toute
consécration légale explicite.
Quant à la deuxième hypothèse, elle permet aux actionnaires éloignés des centres de direction de la
société de bénéficier d’une information continue aussi complète que celle qu’ils auraient pu obtenir en se
déplaçant personnellement au siège social. Cette information ne profite qu’aux actionnaires qui en font la
demande et qui remplissent les conditions exigées par la loi pour exercer ce droit de communication2176.

430- En sus de « l’information portable », le vote par correspondance, qui existe déjà en droit des
sociétés, mériterait, à son tour, d’être adapté aux procédés de concentration et généralisé à toutes les sociétés.

C- Pour la généralisation du vote par correspondance

431- Aux termes de l’article 278 alinéa 6 du C.S.C, « …tout actionnaire peut voter par
correspondance… ». Il ressort de cette disposition que notre législateur autorise l’actionnaire à voter par
correspondance. Ce procédé de vote qui n’était pas reconnu dans le cadre de la législation antérieure est
particulièrement bénéfique puisqu’il permet aux actionnaires de voter contre les résolutions proposées par les
dirigeants sans avoir à se déplacer ou désigner un mandataire spécial2177. Il présente aussi l’avantage d’être un
remède efficace pour surmonter, le cas échéant, l’absentéisme des actionnaires2178 et lutter efficacement contre
ses effets néfastes sur le contrôle de la gestion pour éluder autant que possible les comportements abusifs des
dirigeants.

Vu l’importance de ce nouveau mode de participation aux assemblées générales, il sied de s’interroger


sur les conditions et la procédure de sa mise en œuvre.
Par application de l’article 278 alinéa 7 du C.S.C, « en cas de vote par correspondance, la société doit
mettre à la disposition des actionnaires un formulaire spécial à cet effet ».
A la lecture de ce texte deux solutions sont envisageables. La première consiste à dire que c’est la
société qui doit envoyer le formulaire de vote à tout actionnaire qui le demande. Selon la deuxième, il
appartiendra à l’associé de prendre la peine de se déplacer et s’adresser au siège de la société pour demander
le formulaire de vote. Il reste que la première solution parait plus proche de l’intention du législateur qui
cherche à faciliter la participation des actionnaires aux assemblées. En effet, c’est dans un souci
d’amélioration de la participation de l’associé à l’assemblée générale que le législateur a introduit la technique
du vote par correspondance. Il s’avère donc nécessaire de simplifier les procédures à suivre par l’actionnaire
pour pouvoir voter de cette façon là. Il serait, aussi, opportun que les sociétés prennent l’initiative d’envoyer
le formulaire de vote avec la gamme des documents relatifs à l’information des actionnaires afin de leur
permettre de se prononcer en connaissance de cause sur les questions soumises aux délibérations et donner
leur avis sur la gestion et le fonctionnement de la société, sans avoir à se déplacer au siège social.

Malgré l’importance du formulaire de vote, le législateur n’a pas précisé son contenu et ce,
contrairement à son homologue français. En effet, conformément à la législation française, le formulaire de
vote doit permettre à l’actionnaire de s’exprimer sur chacune des résolutions dans l’ordre de leur présentation
à l’assemblée2179 et doit offrir à l’actionnaire la possibilité d’exprimer sur chaque résolution un vote favorable
ou défavorable à son adoption ou sa volonté de s’abstenir de voter2180. Les actionnaires ont ainsi le choix de
voter chacune des résolutions par un vote pour, un vote contre ou une abstention. Dans ce dernier cas, le
formulaire doit aussi informer les actionnaires de manière très apparente que toute abstention sera assimilée à

2176
LEMEUNIER (F), SA : règles communes aux assemblées, éd. Francis Lefebvre, 2003, p. 142
2177
GUYON (Y), Traité des contrats. Les sociétés. Aménagements statutaires et conventions entre associés, L.G.D.J, Paris, 3ème édition, 1997,
n°301-1.
2178
BERR (J-C), La place de la notion de contrôle en droit des sociétés, Mélange Bastian, Litée, 1974, p 209.
2179
Article 131- 2 du décret de 23 mars 1967, tel que modifié par le décret n°88- 55 du 19 janvier 1988 article 3. J.O.R.F du 20 janvier 1988.
2180
MANSUY (F), Les assemblées d’actionnaires, Juris-Classeur sociétés, 1999, Vol 5, fasc. 136-20, n°57.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

un vote défavorable à l’adoption de la résolution. Il serait alors souhaitable que notre législateur intervienne en
la matière afin de déterminer minutieusement le contenu du formulaire de vote par correspondance et imposer
à la société son envoi automatique à tous les associés.

Dans le même cadre, il y a lieu de signaler que le vote par correspondance « n’est valable que si la
signature apposée au formulaire est légalisée »2181. Il n’est tenu compte que des votes reçus par la société
avant l’expiration du jour précédent la réunion de l’assemblée générale2182. Ce vote par correspondance doit
être adressé à la société par lettre recommandée avec accusé de réception2183. Certes, cette disposition légale
apporte un facteur de complication en exigeant notamment une signature légalisée pour la validité du vote qui
doit être contenu dans une lettre recommandée avec accusé de réception, mais il ne faut pas perdre de vue que
l’intention du législateur est bonne parce qu’elle est motivée par le souci de protéger l’actionnaire. D’ailleurs,
si la signature légalisée garantit l’exercice personnel de son droit de vote, l’accusé de réception joue un rôle
probatoire au cas où le vote de l’actionnaire n’a pas été retenu2184.

432- Il est clair que le vote par correspondance permet à l’actionnaire d’exercer son pouvoir sur
chaque projet de résolution en toute liberté sans avoir à recourir à « un hypothétique représentant ou à utiliser
la formule peu satisfaisante du pouvoir en blanc »2185. Il garantit, par conséquent, la protection du pouvoir de
contrôle des actionnaires sur la gestion sociale. Ces avantages justifient, à bien des égards, le souhait que ce
type de vote ne se limite pas aux sociétés anonymes seulement, mais qu’il soit aussi généralisé à toutes les
autres sociétés au moyen d’une disposition légale explicite insérée au sein des dispositions générales du code
des sociétés commerciales.

Nul doute que l’introduction généralisée du vote par correspondance serait implicitement
une « reconnaissance législative du vote à distance »2186. Or, ce type de vote, très utile dans les groupes de
sociétés et les grandes entreprises sociétaires, peut s’opérer non seulement par voie postale mais aussi par voie
électronique2187.
C’est dans le même but de remédier à l’absentéisme et favoriser l’expression des associés lors des
assemblées générales, qu’il s’avère nécessaire aussi de veiller à faciliter le recours aux nouvelles technologies
de l’information en droit des sociétés qui pourraient, à leur tour, contribuer tant soit peu à endiguer les
agissements abusifs, notamment dans les procédés de concentration des sociétés.

D- Pour un recours aux nouvelles technologies de l’information dans les


procédés de concentration

433- Ce type de modernisation est lié à l’évolution des nouvelles technologies de l’information et de
la communication2188 qui ont actuellement envahi tous les domaines de l’activité humaine, y compris même le
domaine juridique. Notre souhait est que cette expansion extraordinaire du phénomène touche aussi au droit
des sociétés commerciales et surtout les règles applicables aux procédés de concentration. Autrement dit,
pourquoi ne pas diffuser l’information sociale selon ces nouveaux procédés, surtout dans les groupes
internationaux de sociétés ?

2181
L’alinéa 7 de l’article 278 du C.S.C.
2182
L’alinéa 8 de l’article 278 du C.S.C. Quant au droit Français, l’article 131-3 du décret de 1967, modifié par le décret n° 2002- 803 du 3 mai
2002 (J.O.R.F du 5 mai 2002) prévoit que « la date à laquelle il ne sera plus tenu compte des formulaires de vote reçus par la société ne peut être
antérieure de plus de trois jours à la date de la réunion de l’assemblée, sauf délai plus court prévu par les statuts ».
2183
L’alinéa 9 de l’article 278 du C.S.C.
2184
AOUNALLAH (A), l’actionnaire, mémoire de mastère en droit des affaires, FDSPT, 2006, p 33.
2185
NEUREUTHER (M), op.cit, p 132, n°188.
2186
BUREAU (D), La loi relative aux N.R.E. Aspects du droit des sociétés, Bull. Joly sociétés, juin 2001, p 587, n° 73.
2187
www.lettresdudroit.com.
2188
Au sens économique, les technologies de l’information et de communication peuvent se définir comme des nouveaux outils à la disposition des
entreprises qui doivent leur permettre d’améliorer leur productivité. GESPACHE (F) et MELLOU (M), Lexique Juridique, nouvelle édition mise
à jour, lexique ECO Droit, éd Nathan. 2000. Le législateur tunisien utilise ce terme dans la loi N° 2007-13 du 19 février 2007 relative à
l’établissement de l’économie numérique lors de sa définition. En effet, l’article premier de cette loi dispose que « on entend par l’économie
numérique, au sens de la loi, l’économie constituée des activités à haute valeur ajoutée basées sur les technologies de l’information et de
communication ».

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Nul n’en disconvient que le siècle présent est fortement marqué par le progrès technique2189. On est
amplement entré aujourd’hui dans l’ère de l’information où l’économie a réalisé sa mutation vers les
nouvelles technologies de l’information et de la communication. Suite à l’émergence de ces nouvelles
technologies et la mondialisation de l’économie, la participation à la vie sociale et institutionnelle de la société
se trouve nettement bouleversée2190. Comme le disent certains auteurs, deux possibilités se présentent
« s’adapter ou mourir »2191. Mieux vaut s’adapter dira-t-on !
L’utilisation de ces nouveaux moyens de communication pourrait être très utile aussi bien au niveau de
la diffusion de l’information sociale (a) que l’exercice du droit de vote par l’associé (b).

a- Les nouvelles technologies de l’information et la diffusion de


l’information sociale

434- Cette émergence de l’économie numérique a des conséquences multiples sur l’organisation des
sociétés. En effet, à la place de l’envoi postal des documents, la société pourrait recourir à ces types de
procédés et ce, en favorisant la diffusion de l’information selon un moyen électronique. D’ailleurs, en droit
comparé, on remarque que plusieurs législations, en l’occurrence le droit français2192, ont permis la diffusion
de l’information sociale par visioconférence2193, télétransmission, télécommunication2194, formulaire
électronique…2195. Aussi, au niveau européen, dans le but d’harmoniser le droit des sociétés commerciales
avec les principes de la Corporate Governance, la commission européenne à créé en septembre 2000, un
groupe de haut niveau d’experts en droit des sociétés ayant pour mission de formuler des recommandations en
vue de moderniser le cadre réglementaire constituant le droit européen des sociétés2196. Après avoir publié un
premier rapport en janvier 2002, le groupe présidé par M. Jaap Winter, a publié, en novembre 2002, un second
rapport intitulé « un cadre réglementaire moderne pour le droit européen des sociétés »2197, ce rapport traite
quatre questions concernant le gouvernement d’entreprise dont fait partie intégrale l’amélioration de
l’information sociale en autorisant les sociétés isolées, et surtout les groupes de sociétés, à recourir aux
technologies modernes lors de la diffusion de l’information sociale2198. L’objectif est clair, il s’agit
d’améliorer l’information des actionnaires, en permettant l’utilisation des techniques de télétransmission lors
de la réunion de l’assemblée générale et l’accélération de la communication donnant ainsi aux actionnaires
non résidents, en premier lieu, et aux actionnaires résidents, en second lieu, le temps nécessaire pour étudier
les informations transmises. Cette diffusion électronique de documents souvent assez volumineux, coûte
beaucoup moins et nécessite très peu de temps comparativement avec la diffusion traditionnelle.

435- Manifestement, pour rendre le rôle des actionnaires effectif dans l’entreprise sociétaire et
surtout au sein de l’assemblée générale, il faut que ces derniers puissent disposer des moyens nécessaires leur
permettant de jouer ce rôle et d’exercer leur droit de vote dans les meilleures conditions. Ceci assurera

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.325 ‫ ص‬،2011 ،H $ ، F ‫و ا‬
V. aussi BETTAIEB (A), La prevue électronique en matière civile, Colloque “Internet et justice”, I.J., n° 102/103, décembre 2011, p 34.
2190
HENCHIRI (J-E) et PECQUET (P), La pratique d’E-vote, enquête de corporate governance, Colloque Clermont 2005 : Le développement
de l’usage des TICs. , AFME – ESC Clermont, Actes du colloque : 24 juin 2005, p 2.
2191
REIX (R), Les technologies d’information facteurs de flexibilité ?, RFG, N°123,1999.p.111.
2192
En permettant l’utilisation des techniques de télétransmission, la loi NRE du 15 mai 2001, avec son décret d’application du 3 mai 2002, va
ainsi dans le sens préconisé par la doctrine de la « corporate governance ». Le décret d’application de la dite-loi commence par poser un nombre de
principes généraux applicables à toute utilisation de ces moyens de communication, ensuite il détermine les différents cas d’application et leurs
conditions. Si la société propose et si les actionnaires l’acceptent, l’envoi par la poste au domicile des divers documents prévus par les dispositions
des articles 133 et 135 du décret du 23 mars 16-1967 peut être remplacé par un moyen électronique (art 138, al 1).V. à ce propos GUYON (Y), Les
dispositions du décret du 3 mai relatives aux assemblées générales des actionnaires, Rev. Soc., juill-sept, 2002, p. 421.
2193
La visioconférence ou vidéoconférence permet outre la transmission de la parole et des documents, celle de l’image animée des participants. V.
LE LAROUSSE, encyclopédique, V.2. Éd. Larousse 2011, p. 857-1522-1626.
2194
Le terme télécommunication, veut dire toute transmission, émission ou réception de signes, signaux, écrits, images ou toutes autres procèdes
électroniques.
2195
En droit français, lors de débats parlementaires, l’utilisation d’un certain nombre de ces moyens a été écartée tel que le téléphone et la télécopie
puisqu’ils n’offrent pas de garanties. MANSUY(F), Les assemblées d’actionnaires, op.cit. p.1, jurisclasseur 2004, fasc. 140-10.
2196
LAMBRECH (PH), art. pré., p 5.
2197
Ibidem, p. 865.
2198
CAUSSAIN (J-J), op.cit, p 80.

Page 316
DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

certainement la lutte contre l’absentéisme actionnarial. Il faudra alors encourager les sociétés à recourir aux
technologies modernes de l’information et de communication.
Il n’est pas douteux que notre législateur est conscient de la nécessité d’améliorer la diffusion de
l’information des actionnaires, surtout qu’une telle défaillance apparaît impardonnable avec la reconnaissance
légale des moyens électroniques de diffusion aussi bien en matière civile que commerciale et même
pénale2199. D’un côté, le droit civil est venu, depuis une dizaine d’années, reconnaître l’introduction de ces
nouvelles technologies et ce, avec la reconnaissance de la signature électronique et du contrat électronique2200.
Il en est de même de la loi n° 51-2005 du 25 juin 2005 relative au transfert électronique de fond. Aussi, le
droit commercial a reconnu ces nouveaux procédés de communication dans la loi n° 2000-83 du 9 août 2000,
relative aux échanges et au commerce électronique. Le droit des sociétés, lui-même, a adopté également ces
procédés en mettant en place un système de constitution de sociétés en ligne2201. Malheureusement, aucune
disposition ne fait référence à l’utilisation de ces supports électroniques en matière de préparation des
assemblées générales et d’information des associés et ce, bien que l’Internet ait été introduit depuis longtemps
dans notre pays. Devant cette lacune, les moyens de diffusion de l’information sociale demeurent, en Tunisie,
assez traditionnels, leur évolution s’annonce favorable à une meilleure participation aux assemblées. On ne
peut alors qu’espérer un développement rapide des techniques utilisées et des mentalités y afférentes afin que
les publications futures de l’information sociale puissent être assurées par internet2202.

436- L’utilisation des procédés de communication aura certainement des conséquences positives en
matière de diffusion de l’information sociale, car elle assure une transmission à moindre coût et en un temps
record, permettant de la sorte aux actionnaires empêchés par l’éloignement, notamment les non résidents, de
disposer du temps nécessaire pour étudier les informations sociales avant la réunion de l’assemblée générale.
En effet, le document électronique est toujours moins onéreux, plus facile à envoyer, à stocker, à rechercher et
à faire circuler. L’information quand elle est traitée sur un ordinateur, elle se dématérialise et traverse de ce
fait les frontières des Etats sans formalités ni perte de temps2203. Il en est forcément de même du vote
électronique.

b- Les nouvelles technologies de l’information et l’exercice du droit de vote

437- Dans le but d’instaurer un véritable débat au sein des assemblées générales, on assiste
aujourd’hui à une velléité de favoriser le recours aux technologies de l’information par l’actionnaire pour
transmettre sa voix ou son vote. En effet, débattre et voter des résolutions sans être physiquement présent est
actuellement possible et louable avec la visioconférence et le vote à distance. Ces techniques nouvelles
devraient vraisemblablement permettre de lutter efficacement contre l’absentéisme en offrant la possibilité
aux actionnaires de débattre et voter des résolutions sans se déplacer physiquement au lieu de la réunion2204.
Cette éventualité est d’une utilité grandissante surtout dans les groupes internationaux et les sociétés
importantes dont les actionnaires sont assez souvent de nationalités différentes et résidents dans des Etats,
voire des continents différents.
Malheureusement, aucune disposition du code des sociétés commerciales ne permet aux actionnaires
de participer aux assemblées générales moyennant ces nouvelles techniques de communication. « En mettant
l’accent sur l’importance de ces moyens et pour une meilleure harmonisation des textes et afin de créer un
cadre juridique favorables aux investissements étrangers, il serait préférable que le législateur intervienne et
prévoit la possibilité pour les sociétés qui en ont les moyens et qui veulent ; ou sont dans l’obligation de le
faire en raison du grand nombre des actionnaires et de leur existence assez souvent en dehors du territoire

ّ M ّSC f O p ! ‫ّ] ل ا‬$ ‫ ت ا‬4 $ ‫ د‬N‫ ا‬K G ‫ أﺟ ز‬M ‫ ا ا‬M 7ّ / I ‫ ﺟ ا‬f O '‫ ت ﺟ‬4 ‫ ا م‬U ‫ إ‬U ‫ < أو‬8G U#A ` < ‫'اع‬4 ‫ا ا‬D‫ّ ھ‬n/ ‫ ّع‬3 ‫ ا‬V ّ $ 2199
‫( وا ّ ا 'ا‬2000/06/20 8G ‫رّخ‬q ‫ ا‬2000 4! 61 ‫ د‬N ‫ ا ن‬UF ) +‫( وا ّ ا ر‬2000/06/13 8G ‫رّخ‬q ‫ ا‬2000 4! 57 ‫ د‬N ‫ ا ن‬UF ) ‫ د‬# ‫ا 'ا ت وا‬
.(1999/08/02 8G ‫رّخ‬q ‫ ا‬1999 4! 89 ‫ د‬N ‫ ا ن‬UF )
2200
Loi n°2000-57 du 13-06-2000 modifiant certaines dispositions de code des obligations et des contrats.
2201
Loi n° 2004-89 du 31-12-2004 relative aux procédures de constitution des sociétés en ligne.
2202
FEKI (D), La modernisation des assemblées générales des sociétés anonymes, Mémoire de Mastère en droit des affaires, FDS, 2006, p 114.
2203
GADDES (CH), Les nouvelles technologies de l’information et de mise à niveau de l’administration en Tunisie, Mélanges à l’honneur de
monsieur Habib Ayadi, CPU, 2000, p. 453.
.17 ‫ ص‬،2010 G ،101/100 ‫ د‬N ، ‫را‬ ‫ا‬، ‫و‬ ‫ ا‬p ‫ ّر ا‬L$ ،p722 120 , ‫ ن‬A0
2204
ABALLE (TH) et COHEAN-SALMON (S), Le vote électronique dans les sociétés commerciales, vers une internationalisation du rôle des
organes de décisions, réflexion à partir des lois NRE et signature électronique, RDAI / IBLT, N°3, 2003, p. 285.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

tunisien, un texte admettant la validité des assemblées réunies par visioconférences et des votes par
formulaire électronique. Il faudra toutefois, pour les sociétés qui vont recourir à ces nouvelles technologies
de communication, qu’elles les prévoient dans leurs statuts »2205. Ces moyens ont pour finalité de luter contre
l’apathie des actionnaires et les encourager à jouer un rôle de plus en plus considérable à même de participer
d’une manière ou d’une autre à prévenir les abus en les « enterrant » avant qu’ils ne surgissent.

438- Prenant en considération le développement des nouveaux moyens de communication, le droit


français autorise dans l’article L.225-107 CCF, ajouté par la loi sur les nouvelles régulations économiques
(NRE) du 15/5/2001, l’utilisation des nouveaux moyens de télécommunication si les statuts les prévoient
expressément. Cette possibilité était destinée principalement aux sociétés cotées qui ont un actionnariat
géographiquement dispersé et qui ont des difficultés à réunir le quorum nécessaire à la tenue des assemblées
générales2206. Selon un auteur, bien qu’il soit essentiel que les actionnaires se réunissent pour constituer une
assemblée et délibérer, rien n’empêche de tenir une assemblée par conférence téléphonique ou
vidéoconférence. Si dans le passé la présence physique était évidente pour garantir une délibération,
aujourd’hui les techniques modernes permettent virtuellement d’atteindre le même objectif2207.
Dans cet ordre d’idées, le vote électronique ou vote par internet, peu importe le terme utilisé, constitue
l’une des voies utilisant les technologies modernes pour l’amélioration de la participation des actionnaires aux
décisions des entreprises. Aux termes de l’article L.225-107 II CCF issu de la loi NRE « si les statuts le
prévoient, sont réputés présents (…) les actionnaires qui participent par visioconférences ou par des moyens
de télécommunications… ».

439- Outre le vote électronique, le « face-à-face virtuel » ou encore la visioconférence est sans doute
l’un des meilleurs exemples de l’adoption des nouvelles technologies dans les sociétés anonymes. Elle
constitue un procédé qui remplace la présence réelle et physique de l’actionnaire par une présence
virtuelle2208. L’actionnaire ou le « cyber-participant » peut non seulement voter, mais aussi intervenir aux
débats comme s’il était physiquement présent dans la salle de délibération2209.
Prenant l’exemple de la visioconférence2210, ce moyen de vote électronique présente l’avantage de
permettre aux actionnaires, par le réseau internet ou par le réseau téléphonique, d’apparaître sur un écran dans la
salle où se tient l’assemblée2211, ce qui leur permet de suivre les débats et participer personnellement au vote en
temps réel. On en déduit que, l’assimilation de la présence virtuelle à la présence réelle a pour conséquence
que l’actionnaire doit pouvoir non seulement voter mais aussi intervenir dans les débats, comme s’il était
physiquement présent dans la salle des délibérations2212.
L'utilisation du vote à distance, dans ses différents aspects, aura indubitablement des conséquences
positives qui apporteront, à divers égard, un renouveau ainsi qu'une modernisation des assemblées générales,
ce qui favorisera un débat démocratique au sein des sociétés. En effet, améliorer les conditions de vote c'est
faciliter son exercice par l'actionnaire, ce qui contribuera à lutter contre l'absentéisme qui domine les
assemblées et permettra de résoudre le problème du quorum ainsi que lutter contre la pratique du pouvoir en
blanc utilisée par les dirigeants pour atteindre le maximum des voix. Peut être que plus de démocratisation des

2205
SLAMA (K), Droits des sociétés et nouvelles technologies en Tunisie : vidéoconférence et formulaire électronique, I.J., N°16-17, janvier
2007, p. 33.
2206
BELFOND (X-L), Le vote électronique pour les assemblées d’actionnaires, étude offerte à Jaque Dupichot, Ed. Bruylant, 2004, p 313.
2207
BAUW (F), op. cit., p 35.
2208
GUYON (Y), Commentaire du décret du 3/5/2002 portant application aux sociétés de la loi NRE, Dr. et Pat., n° 106, Juil.-aout 2002, p. 22.
2209
Pour garantir la validité des décisions qui seront prises par les techniques modernes de télécommunications ou visioconférences, il faut aboutir
à une certaine démarche. Tout d’abord, que soient remplies des conditions de forme et exiger des précautions techniques. Pour être utilisé par les
actionnaires, il faut que les statuts autorisent expressément ce mode de délibération. Il faudrait aussi un accord formel et préalable de la part des
actionnaires qui souhaiteraient remplacer l'envoi postal par la télécommunication ou le recours à la visioconférence c'est à dire obtenir un
consentement écrit. Ainsi, les actionnaires qui souhaiteraient recourir à ces moyens doivent communiquer leur adresse e-mail. En droit français,
l'art.120-1 prévoit que " les sociétés qui entendent recourir à la télécommunication doivent recueillir au préalable par écrit l'accord des
actionnaires intéressés qui indiquent leur adresse électroniques ". C'est vrai que cette technologie permet de faciliter la tâche devant les
actionnaires, mais l'exigence d'un certain nombre des précautions doit être remplie pour garantir qu'elle joue son rôle. Tout d'abord, la société doit
aménager un site qui doit être dédié à la réunion d'une assemblée. Ensuite, pour assurer un surplus de garantie l'actionnaire absent qui vote par voie
électronique doit s'identifier par un code spécial remis par la société et fourni préalablement pour cette raison. Ce code permet de définir la qualité
de l'actionnaire lors de son usage. Enfin, la retransmission des débats doit se faire d'une manière continue.
2210
Les actionnaires peuvent participer aux assemblées générales par visioconférence depuis la loi sur les N.R.E du 15 mai 2001.
2211
LEFEBVRE (F), Les sociétés commerciales, 2006, n° 10560, p 631.
2212
GUYON (Y), Les dispositions du décret du 3 mai 2002 relatives aux assemblées générales d’actionnaires, Rev. Soc n° 3 juillet / septembre
2002, p 425.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

débats sociaux contribuerait à moins d’occasions ou d’opportunités pour certains dirigeants de commettre des
abus de gestion, surtout dans les procédés de concentration des sociétés.

D’une manière générale, le vote par transmissibilité pendant l’assemblée générale nécessite
l’aménagement d’un site internet exclusivement dédié à la tenue de l’assemblée générale et auquel les
actionnaires ne pourront accéder qu’après s’être identifiés au moyen d’un code fourni préalablement à la
séance2213. Ce site sera destiné non seulement à recevoir le vote de l’actionnaire en ligne mais aussi à
présenter aux actionnaires les informations nécessaires au vote, d’une part, et retransmettre l’intégralité des
délibérations au cas où la participation se fait par voie de visioconférence, d’autre part2214. Il en découle que,
l’actionnaire peut prendre rapidement connaissance en ligne des documents informatifs et suivre l’intégralité
des débats, ce qui facilite par conséquent, sa participation au vote. Il apparaît donc que, le vote électronique
des actionnaires permettra sans doute de favoriser une vie sociale dynamique et démocratique au sein des
assemblées générales conformément aux principes de la Corporate Governance, surtout en assurant aux
actionnaires la possibilité d’assister aux débats et d’y participer activement sans être physiquement présents,
ce qui garantit la diminution de l’absentéisme des actionnaires et par conséquent, l’élargissement de leur
participation aux assemblées. D’après le professeur Y. Guyon, le recours à un système de vote électronique
facilite l’exercice des droits de l’actionnaire, à savoir notamment le droit à l’information et le droit de vote qui
constituent deux attributs essentiels de la qualité d’associé2215. D’où, l’utilité d’introduire ces nouvelles
technologies dans notre droit des sociétés pour être en harmonie avec les législations modernes, car les modes
de diffusion traditionnels semblent être dépassés par les évolutions technologiques.

440- Dans cette perspective, M. et Mme. Dahdouh considèrent que le code des sociétés
commerciales n’autorise, ni n’interdit le recours par les associés aux nouvelles technologies de
l’information2216. Les actionnaires qui utiliseraient ce mode de participation seraient donc considérés comme
présents. En effet, en se référant à la reconnaissance en droit tunisien de la signature électronique et du
document électronique comme moyen de preuve, par la loi du 13 juin 2000, on peut admettre la validité d’un
vote fait par un document électronique et partant valider une assemblée réunie par visioconférence. La
généralité des dispositions de l’article 453 et 453 Bis COC, permet d’admettre une telle interprétation, à
condition de répondre aux exigences légales relatives à l’utilisation d’un procédé d’identification fiable
garantissant le lien entre la signature électronique et le document auquel elle se rattache et la nécessité de
conserver le dit-document dans sa version définitive par un procédé fiable. Cette pratique moderne devrait
alors pouvoir être prévue par les statuts2217. Cet avis est respectable, il reste que le recours à ces procédés
nouveaux de communication, en dehors de toute réglementation juridique, risque de poser pas mal de
problèmes et créer plusieurs difficultés juridiques. Comment faire alors si la liste de présence doit être
émargée avant tout vote ? Comment procéder pour vérifier le quorum ? Plusieurs dispositions du code des
sociétés commerciales seraient, de la sorte, quelque peu malmenées. On ne peut, dès lors, que prôner une
intervention législative afin de moderniser l’information sociale surtout dans les groupes de sociétés et les
entreprises sociétaires de grandes tailles qui font continuellement l’objet d’opérations de concentration.
Les technologies modernes peuvent grandement faciliter l'exercice effectif des droits des associés et
des tiers. Le droit des sociétés devra alors clairement autoriser et encourager fortement le recours des sociétés
aux technologies de l'information et de communication les plus récentes dans leurs diverses relations avec les
associés et les tiers. On estime, en outre, qu'il conviendra d'accorder une attention particulière aux domaines
spécifiques dans lesquels, par souci de protection des actionnaires et des tiers, il pourrait être indispensable
d'imposer aux sociétés l'emploi de ces nouvelles technologies. Il est cependant encore trop tôt pour permettre
aux sociétés d'imposer systématiquement l'emploi des nouvelles technologies à leurs associés et aux tiers sans
les sauvegardes nécessaires.

2213
V. Article 145-3 du décret du 3 mai 2002.
2214
www.webzinemaker.com. Site web précité.
2215
GUYON (Y), Commentaire du décret du 3 mai 2002 portant application aux sociétés de la loi sur les N.R.E, art. pré., n° 106, 2002.
2216
DAHDOUH (H) et DAHDOUH-LABASTIE (C), Droit commercial, V. 2, Op.cit., p 471 et s., n° 808.
2217
KHALED-SLAMA (S), Droit des sociétés et nouvelles technologies en Tunisie : Vidéoconférence et formulaire électronique, I.J., n°16/17,
janvier 2007, p 33.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

441- On devrait également penser à introduire ces nouvelles technologies en matière judiciaire. En
effet, dans le cadre du projet d’appui à la modernisation du système Judiciaire (AMSJ), dirigé par le Ministère
de la Justice et de droits de l’homme et financé par l’Union Européenne, a été organisé à Tunis un colloque
sur « Les Technologies de l’Information et de la communication (TIC) : Applications au domaine judiciaire ».
Dans ce meeting international, M. Errera a précisé que « les systèmes judiciaires d’un nombre croissant de
pays utilisent Internet comme moyen de communication et de transmission des donnés entre les juridictions et
leurs usagers. Cette démarche permet d’améliorer le service rendu à ces derniers et de réaliser des gains de
productivité dans les juridictions »2218.
Les télés-procédures consistent en un échange dématérialisé d’informations entre les autorités
publiques et leurs partenaires et usagers. Elles présupposent l’existence de techniques de numérisations et de
dématérialisation2219.
Le succès marqué des déclarations d’impôt sur le revenu par Internet en France2220 illustre l’intérêt des
usagers pour cette forme de communication avec l’administration, et montre que les télés-procédures se
développeront de plus en plus à l’avenir.
En France aussi, la juridiction administrative dispose, depuis 2005, d’un outil de communication
électronique destiné aux requérants et aux avocats, dénommé « Sagace » dont le coup d’envoi a été donné par
le décret du 10 mars 2005. « Sagace » permet de suivre en ligne le déroulement de l’instruction, au moyen
d’un code délivré à l’enregistrement d’une requête. Fort du succès rencontré par Sagace, le Conseil d’Etat a
entendu anticiper le développement prévisible des télés-procédures. Cette nouvelle procédure, permet aux
avocats de transmettre leurs requêtes par Internet et gérer leur portefeuille de dossiers en instance. L’enjeu est
considérable quand on sait que ce sont plus de deux millions de documents qui sont échangés, en France,
chaque année entre les juridictions administratives, les requérants et les administrations2221.

442- Cette expérience française témoigne, à n’en point douter, de l’importance et l’efficacité des
moyens électroniques en matière sociétale et judiciaire.
On peut légitimement penser que ces mesures incitatives, notamment le vote par correspondance et le
vote par télétransmission, ajoutées à celles qui sont déjà mises en place dans certaines sociétés2222, sortiront
les petits associés de leur torpeur. Cette présence rehaussera certainement la qualité et l’efficacité des débats et
ôtera l’impression de somnolence qui jusque là caractérisait les assemblées générales2223. Il reste que la
fiabilité du vote doit être assurée pour prévenir les risques de piratage.
Ainsi, l’information fournie aux tiers est d’une efficacité limitée à cause surtout des moyens
traditionnels de publicité et de communication qui souffrent de plusieurs insuffisances et qui ne s’adaptent
plus avec la célérité des transactions. Il semble dès lors nécessaire d’actualiser notre système d’information et
améliorer les modes de diffusion de l’information à l’aune des procédés de concentration des sociétés.
Une fois modernisée, l’information pourra jouer effectivement son rôle préventif de l’abus. Il reste que
d’autres mesures, sans rapport avec l’information, demeurent envisageables, voire nécessaires pour que la

2218
Colloque international, « Les Technologies de l’Information et de la communication (TIC) : Applications au domaine judiciaire », Ministère de
la justice et des droits de l’homme, Tunis, 2009, I. J., N° 72/73 juillet/Aout 2009, p 8.
2219
La numérisation désigne la transformation de documents papier en documents électroniques, plus souvent par le biais d’un scanner. La
dématérialisation quant à elle, signifie que les documents circulent sous forme exclusive électronique.
2220
7,4 millions de télé déclaration en 2008.
2221
Le télé-recours constitue une procédure simple, rapide et sécurisée. L’application utilisée se présente sous la forme d’un site internet dénommé
télé-recours, chaque acteur y dispose d’une boite aux lettres applicative. Transmettre une requête ou un mémoire par télé-recours est aussi simple
que l’envoi d’un mail avec une pièce jointe. L’avocat, grâce à son identification et son mot de passe, peut facilement déposer une requête sous
formulaire en y joignant les pièces nécessaires. Le système délivre ensuite un accusé de réception automatique, qui permettra d’attester du dépôt de
la requête dans les délais. Après vérification de ce que le document envoyé constitue bien une requête, le greffe attribue un numéro au dossier et
envoie un message d’enregistrement à l’avocat. Dés lors, ce dernier peut, à tout moment et depuis n’importe quel ordinateur relié à Internet,
accéder à l’intégralité des documents de ce dossier. L’application télé-recours offre à l’avocat d’autres fonctionnalités, notamment l’accès à son
portefeuille de dossiers en instance, qu’ils aient été envoyés sous forme papier ou dématérialisée.
2222
On pense notamment à l’attribution d’un jeton de présence, aux cadeaux offerts aux actionnaires qui se sont déplacés et surtout à la politique
systématique d’information qui commence à porter ses fruits en France. Le requérant qui introduit sa requête par télé-recours s’engage à adresser
ses mémoires et pièces ultérieurs par le même moyen. Il accepte également de recevoir ensuite les mémoires de la partie adverse et les décisions
prises pour l’instruction de son affaire par ce biais. La confidentialité est assurée, en France, par le cryptage au moyen du protocole HTTPS, utilisé
notamment par les banques pour les opérations bancaires en ligne des particuliers.
2223
A titre de précision, la présence de plusieurs catégories d’actionnaires à l’assemblée générale (gérants de portefeuilles, investisseurs
professionnels, actionnaires professionnels) rehausse la qualité et l’efficacité des débats. C’est ainsi qu’on voit l’assemblée refuser le vote de
certaines résolutions, voire révoquer en séance les administrateurs (Le Monde, 5 avril 2000 et 8 mai 2003 cité par Y. GUYON, op. cit., n° 302, p.
311). Il y a donc une renaissance des assemblées d’actionnaires.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

prévention soit poussée au maximum de sorte qu’elle pourra constituer un renfort, des plus efficaces, dans une
politique générale de lutte préventive contre les abus nuisibles au succès des procédés de concentration.
Rechercher l’édification d’une théorie générale de l’abus dans le cadre de la concentration ne peut réussir
qu’au prix d’une modernisation des techniques communes d’information et d’autres outils qui peuvent ne pas
toucher à l’information.

Sous-section Deuxième :
La prévention de l’abus sans rapport avec l’information
443- En plus de l’information, qui constitue indubitablement un moyen très efficace de prévention
des abus résultant des opérations de concentration, le législateur a cru bon de renforcer cette mesure
préventive par d’autres moyens de prévention sans rapport direct avec l’information.
On peut regrouper ces moyens en deux catégories juridiques, ce qui pourrait permettre la réalisation de
l’objet de cette thèse qui consiste à essayer autant que possible à édifier une théorie générale de l’abus en
matière des procédés de concentration. Dans une première direction, il convient de revoir certains droits
auxquels toute politique de prévention devra s’intéresser davantage vu leur importance et notamment leur
impact sur la réglementation de la concentration (-§1-). Dans une seconde direction, l’intérêt de l’étude doit se
diriger vers l’importante question de l’atteinte au principe de la liberté contractuelle dans les opérations
intragroupes (-§2-).

-§1- : La prévention relative à certains droits influant sur la


concentration
444- Il s’agit d’abord du droit de retrait accordé aux minoritaires par le droit boursier qui nécessite
d’être généralisé dans les procédés de concentration (I). Ensuite, la suppression du droit de vote fictif dans les
fusions intragroupes est plus que nécessaire (II). De même, le droit de contrôle a priori accordé au ministre
chargé du commerce ainsi qu’au conseil du marché financier, exercé par ces derniers dans le cadre de la
concentration, mériterait aussi qu’on s’y intéresse (III).

I- Pour une généralisation du droit de retrait des minoritaires2224


445- Dans le droit des sociétés on nomme retrait, le fait pour un associé de demander à se faire
rembourser du montant de sa mise. Cette institution du retrait obligatoire est directement empruntée du
squeeze out britannique2225 ainsi que celui pratiqué aux Etats-Unis, ses pays d’origine, prévu par les
législations réglementant les offres publiques d’acquisitions dont il constitua d’ailleurs le dernier né.
L’expérience anglo-américaine a influencé les législateurs de l’Europe continentale qui ont à leur tour
introduit le retrait obligatoire dans leurs législations financières.

Le retrait peut paraître, à première vue, comme injuste et illégal dans la mesure où il s’oppose à des
principes fondamentaux tel que le droit de rester dans la société et de demeurer propriétaire2226. Il reste que ce

2224
D'une manière générale, le retrait est la faculté donnée par la loi ou par le contrat à une personne de renoncer à un droit, à un avantage ou à
l'exécution d'un contrat.
‫ ت‬N‫'ا‬4 ‫ ا‬I4 C 3 ‫ ا‬M ‫ وج‬P ‫ ا‬U N 7 ‫ ا‬95 $ ‫ ان‬V7 ‫ ا‬U N ‫ رأس ا ل‬M M #! ‫ ا‬5 ‫نا‬ ‫ ان‬U N 979 a$‫ د‬m 2006 4! ‫'ي‬ ‫ ا ن ا‬2225
.242 ‫ ص‬،.‫س‬.‫ م‬، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ن ا‬7 8G ' ‫ ا ﺟ‬، 2 ‫ ( ا ر‬0‫ أ‬.‫] ت‬P ‫وا‬
BOSTON (M) and others, “ A practical Guide to the Companies Act 2006 –A Guide for busy directors and company secretaries “ , Edited by
SARAH HOLMES, Nigel DELALY and JONATHAN GIBSON, CCH-Kluwer, Pricewaterhouse Coopers, London 2008, p 2004 and follower.
2226
La conséquence la plus choquante d’une procédure de retrait obligatoire et qui parait a priori heurter les principes généraux de droit et les
textes internationaux, est la dépossession des minoritaires de leurs titres en contre partie d’une indemnisation équitable, cela parait inadmissible et
discrétionnaire, comment alors tolère-t-on l’application d’une telle procédure ? Qu’en est-il de la constitutionalité d’une telle loi portant un tel
mécanisme ? En France, le mécanisme du retrait obligatoire n’a pas donné lieu à la saisine du conseil constitutionnel sur les fondements de l’article
17 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen et de l’article premier du protocole additionnel n°1 à la convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH). Ce dernier n’autorise aucune atteinte à la propriété qu’en cas de nécessité
ou d’utilité publique légalement constatée, c’est ainsi que les textes fondateurs du retrait obligatoire sont devenus inattaquables. Comme le rappelle

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

mécanisme peut trouver sa justification dans la préservation de l’intérêt suprême de la société ou de l’intérêt
commun du groupe, car il présente un outil efficace pour les situations de blocage, surtout en cas d’abus de
minorité ou d’égalité. Il permet aussi de faire sortir les minoritaires sans recourir à la justice, ni entrer dans le
débat de l’étendue du pouvoir du juge de s’immiscer dans la vie des sociétés2227.

446- Dans notre législation, le retrait des minoritaires a été réglementé aussi bien dans le règlement
général de la bourse que dans la loi relative au marché financier et dernièrement au sein du code des sociétés
commerciales.
D’après l’article 175 du règlement général de la bourse des valeurs mobilières de Tunis du 13 février
19972228, « …la ou les personnes qui contrôlent une société dont les titres sont admis à la cote ou négociés sur
le marché hors-cote, doivent saisir le CMF et examiner avec lui la mise en œuvre éventuelle d'une offre
publique de retrait lorsqu'elles se proposent de soumettre à l'approbation d'une assemblée générale
extraordinaire une ou plusieurs modifications significatives des dispositions statutaires… ». Le CMF
apprécie alors les conséquences de l'opération prévue au regard des droits et des intérêts des détenteurs de
titres de capital et des détenteurs de droits de vote de la société. Avec l'accord de la ou des personnes qui
contrôlent la société, il arrête les conditions de mise en œuvre d'une procédure d'offre publique de retrait2229.
En dernier lieu, il publie l'avis d'ouverture de l'offre2230.
Partant de ces dispositions légales, force est de constater que toute opération de fusion, scission ou
filialisation devrait nécessairement être accompagnée d’une ou plusieurs modifications significatives des
statuts, comme par exemple le changement de l’objet social, de la dénomination sociale, le changement de la
forme de la société, l’augmentation du capital social…et tant d’autres modifications statutaires qui rendent
certainement applicables les dispositions de l’article 175 susmentionné. Il en résulte que l’opération de fusion
ou scission pourrait, bel et bien, s’accompagner d’une offre publique de retrait des associés minoritaires dont
la situation risque de se dégrader suite à la dite opération. Le retrait se présente alors comme un contrepouvoir
des associés minoritaires au pouvoir majoritaire. Selon Madame Frison-Roche, ce droit permettra

la cour d’appel de Paris dans ses arrêts du 16 mai 1995 (Sogénal) et du 3 juillet 1998 (Geniteau) et la cour de cassation française dans une décision
récente du 17 juillet 2001. De même, la contradiction du mécanisme du retrait obligatoire avec l’article premier du protocole additionnel de la
CEDH à été balayé par la jurisprudence. En effet, l’obligation faite aux actionnaires minoritaires de céder leurs actions sur le marché réglementé
n’est pas contraire à l’art 1er du protocole additionnel de la CEDH car le transfert de propriété a lieu dans des conditions définies par la loi pour
satisfaire les fins d’intérêt général et qui assurent l’indemnisation effective des actionnaires. Cette jurisprudence s’inscrit dans le droit fil de la
législation européenne validant l’expropriation dés lors qu’elle est en rapport avec le but recherché et moyennant une juste indemnité. Aussi
surprenant que puisse paraître, ce raisonnement est partagé par la cour européenne des droits de l’homme. En effet, si on veut bien avoir égard aux
enseignements que l’on puisse extraire de sa jurisprudence, interrogée à propos de la légalité de la législation suédoise qui avait introduit le
« squeeze out » dans son droit, la cour de Strasbourg à refusé d’y voir un régime contraire à l’article 1er du protocole additionnel de la CEDH pour
la raison qu’il s’agissait de l’expression et de l’application d’une politique générale en matière de la réglementation des sociétés commerciales.
Cette politique concernait avant tout les relations des actionnaires entre eux et que le législateur suédois a pour objectif général d’atteindre une
réglementation favorable aux intérêts qu’il juge les plus dignes de protection, ce qui n’a toutefois rien à voir avec la notion d’utilité publique telle
qu’elle est usitée dans le domaine de l’expropriation. Pour la juridiction européenne des droits de l’homme, le rachat forcé d’actions résultant de la
mise en œuvre du retrait obligatoire ne constitue pas une expropriation. Il s’agit là d’une conception fonctionnelle de la notion d’utilité publique
qui dépend du cercle des personnes concernées par la mesure. La cour estime, à cet effet, que les réglementations indispensables a toute vie en
société sous un régime libéral ne saurait en principe être considérées comme contraires à l’art 1er du protocole additionnel et ajoute qu’il en irait
différemment si la législation introduisait un déséquilibre entre les personnes tel qu’il aboutirait à dépouiller arbitrairement et injustement une
personne au profit d’une autre, ce qui conduit au principe de proportionnalité et à la règle de la juste indemnité. Il résulte de ce qui a été mentionné
que la jurisprudence interne et internationale valide le mécanisme du retrait obligatoire et ne voit en sa mise en œuvre une atteinte au droit de
propriété et une contrariété aux textes légaux le protégeant des lors qu’il existe une loi le prévoyant, un intérêt général des personnes concernées
par la mesure à réaliser et une proportionnalité entre la mesure et son objectif et une compensation pécuniaire versée. De plus on ne pourrait
réduire l’actionnaire à un propriétaire, la qualité d’actionnaire ne se réduit pas à celle de propriétaire ou titulaire d’actions. Quand il est exclu de la
société, il n’est exproprié de ses titres que par voie de conséquence, il perd la qualité d’actionnaire avant celle de propriétaire, cette qualité est
définitivement perdue à la date du transfert des titres et de versement de l’indemnisation. V. Cass. Com. Fr., 17 juillet 2001, Geniteau- Société
Elyo, Juris Data n°2001-010690 D, Jurispra., p 2749, obs. M. Boizard ; SALOMON (R), article préc, p 12 ; Décision de la cour EDH du 120 oct
1982, requête n°8588/79 et 8589/79, annuaires de la cour EDH, 1982 comm. Eur. Juris., p 11 ; DAIGRE (J-J), La perte de la qualité
d’actionnaire : l’état d’actionnaire à l’épreuve du droit des sociétés, Centre de recherche de droit des affaires et de l’économie de l’université de
paris I, du 14 et 15 avril 1999, p 545.
‫ ا اع ا ﺟ اءات‬6 ‫ ء‬F ‫ ا م ى ا‬MN U ‫ ا‬$ !C 3 ‫ ت‬7‫ ر ا‬K‫ ظ‬I ! `+ ‫] ا‬# ‫ ا‬8G ‫ ا ى‬H‫ اﺟ‬K ‫ ء ا< ا‬C 3 ‫ ا‬M ‫] ت‬P ‫ ت وا‬N‫'ا‬4 ‫ دي ا‬/$ 0‫ “ أ‬2227
‫ ر ا ء‬L$‫ اق و‬A ‫ ح ا‬/ ‫ ا‬9‫ ھ‬A 7‫ و‬.V A MN 9 ‫ ا‬8G fd 8 A ‫ ء ا‬F ‫ ض‬$ 9 ‫ وان‬،8 ‫ ء ا 'ا‬F ‫ ا‬U ‫ [ت ا‬، ‫ وى ا‬N ‫ ا‬/$ 9 ‫ ن‬G . K < ‫ ه‬#$ N ‫ ع‬G 4 ‫ا‬
، C 3 ‫ ا‬M 7 ‫وج ا‬ ! $ ‫ ا ت‬6g‫ و‬U N ' $ $ ‫ ت‬#+ 3 ‫ ا‬f 0‫ ا‬،‫ ت‬N‫'ا‬4 ‫ ا‬p ‫ ا ] ي‬+ ^ ‫ و‬. ‫ ا ق‬MN ‫ ع‬G ‫ ا‬8G $ A ‫] م وا‬P ‫ ا‬N' ‫ ر‬L$ 8G ‫ م‬# ‫ ا د ر ا‬U ‫ا‬
. 243 ‫ ص‬،.‫س‬.‫ م‬، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ن ا‬7 8G ' ‫ ا ﺟ‬، 2 ‫ ( ا ر‬0‫ أ‬.” K!/ 7 ‫ ا‬M I L ‫ او‬5 ‫ ا‬M 8#! k ‫ ن ذ‬C ‫ اء‬A
2228
Tel que modifié par les arrêtés du Ministre des Finances du 09/09/1999, du 24 /09/ 2005, du 24/09/2007 et du 15/04/2008.
2229
Opération par laquelle une société dont les titres sont admis aux négociations sur un marché réglementé peut, à certaines conditions, être
contrainte de procéder à l'achat des titres minoritaires. Dans certains cas, cette société peut contraindre les actionnaires minoritaires à céder leurs
actions ; on parle alors de retrait obligatoire. V. Lexique des termes juridiques, 2011, définition du vocable « offre publique de retrait ».
2230
D’après le même article 175 susvisé.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

incontestablement « de mettre en harmonie le principe d’unanimité qui a seul permis la constitution du pacte
social et le principe majoritaire qui seul permet son fonctionnement ; le minoritaire entré dans le jeu ne peut
infléchir celui-ci, mais peut, en revanche, quitter la table 2231». L’idée est de permettre aux actionnaires
minoritaires de se retirer lorsque des changements importants dans le contrôle de la société sont intervenus. Il
en est ainsi lorsqu’une opération de concentration est envisagée.
La saisine du CMF pour une éventuelle OPR est obligatoire aussi, d’après le même article, en cas
d’apport partiel ou total d’actif2232.

Contrairement à ce que pensent certains auteurs concernant le fait que le CMF n’a aucune autorité pour
contraindre les sociétés à respecter ses décisions et regrettent ainsi l’absence de sanctions directes propres à
l’obligation de dépôt de l’OPR2233, il faut préciser que le CMF, sous la surveillance duquel se déroule
l’opération, a le pouvoir et les moyens nécessaires pour obliger le concerné à déposer cette offre. Il suffit de
consulter les articles 44 et 85 de loi n° 94-117 du 14/11/1994 pour s’en rendre compte2234. Dès lors, il est tout
à fait possible qu’une société qui ne respecterait pas l’article 175 susvisé serait soumise aux dispositions des
articles précités. L’avenir de ce texte concernant notamment les opérations de fusion2235 ou scission semble
être alors assez rassurant. Ajoutons à cela les dispositions de l’article 315 CP qui punit « ceux qui ne se
conforment pas aux règlements pris par les autorités administratives compétentes »2236.
Certes, le règlement du CMF a franchi un pas de géant en accordant la possibilité pour les associés
mécontents de se retirer d’une société faisant appel public à l’épargne, si par exemple la fusion ou la scission
ne permet pas une garantie certaine de leurs droits. Toutefois, l’intervention du législateur est souhaitable afin
de généraliser cette même garantie aux sociétés ne faisant pas appel public à l’épargne, quelle que soit leur
forme sociale, car rien ne semble justifier cette différence de traitement2237. D’ailleurs, lorsqu’il est prisonnier
dans une société, qu’elle soit cotée ou non, « l’actionnaire minoritaire met en œuvre tous moyens pour se
dégager, quitte à dramatiser le conflit et à perturber le fonctionnement de la société. Faciliter sa sortie…c’est
donc, tout à la fois, régler un problème individuel et collectif 2238».

447- En sus de ce premier cas de retrait, l’article 6 nouveau2239 de la loi n° 94-117 du 14 novembre
1994 relative à la réorganisation du marché financier prévoit que « toute personne ou groupe déterminé de
personnes, ayant l’intention d’acquérir un bloc de titres susceptible de conférer une part des droits de vote
dépassant une proportion fixée par décret2240 soit auprès d’actionnaires déterminés soit par une offre
publique d’achat dans une société faisant appel public à l’épargne, doit présenter un dossier en l’objet au

2231
FRISON-ROCHE (A), L’hypothèse d’un droit général de retrait des minoritaires, Rev. Dr. Banc., 1996, n°55, p 75.
2232
On peut lire dans cet article ce qui suit : « la ou les personnes qui contrôlent une société dont les titres sont admis à la cote ou négociés sur le
marché hors-cote, doivent saisir le CMF et examiner avec lui la mise en œuvre éventuelle d'une offre publique de retrait dans les cas suivants : …
- lorsqu'elles décident le principe de la cession ou de l'apport à une autre société de la totalité ou du principal des actifs, de la réorientation de
l'activité sociale ou de la suppression, pendant plusieurs exercices, de toute rémunération des titres de capital ».
2233
TRIGUI (R), Réformer le droit des sociétés cotées, I.J., n°84/85, Février 2010, p 23.
2234
L’article 44 de la loi n° 94-117 du 14/11/1994 portant réorganisation du marché financier prévoit que « le président du tribunal de première
instance de Tunis peut sur demande motivée du Président du Conseil du Marché financier, ordonner par voie de référé toute personne dont les
agissements contraires aux lois et règlements sont de nature à porter atteinte aux droits des épargnants en valeurs mobilières et produits
financiers placés par appel public à l'épargne, de mettre fin à ces agissements. Il peut aussi, pour les mêmes raisons et dans les mêmes conditions,
ordonner par voie de référé les personnes visées de faire ce qu'exigent les lois et les règlements. Le président du tribunal de première instance
peut prendre toute mesure conservatoire afin d'exécuter l'ordonnance qu'il a prononcée ». L’article 85 de la même loi dispose, à son tour, que
« sont passibles des sanctions prévues à l'article 84 de la présente loi, les personnes qui auront, sciemment mis obstacle à l'exécution de
l'ordonnance rendue par le président du tribunal de première instance sur la base de l'article 44 de la présente loi ». L’article 84 de la même loi
prévoit, à son tour, que « sera puni d'un emprisonnement de seize jours à six mois et d'une amende de 500 à 2.000 dinars, ou de l'une des deux
peines seulement, toute personne qui aura sciemment mis obstacle aux enquêteurs chargés des investigations, lors de l'exécution de leur mission ».
2235
Ces opérations sont plus récurrentes que celles de scission et entrainent nécessairement des modifications statutaires contrairement aux
opérations de filialisation.
2236
Inséré dans le code pénal en 1913, cet article est antérieur aux textes qui prévoient des sanctions administratives. Très rarement appliqué,
l’article 315 CP semble tombé en désuétude. Mais rien n’empêche l’application de cet article qui prévoit que « sont punis de quinze jours
d'emprisonnement et de quatre dinars huit cent millimes d'amende : 1- ceux qui ne se conforment pas aux prescriptions des règlements et arrêtés
pris par l'autorité compétente… »
2237
ELHAMMOUMI (A), La protection des actionnaires minoritaires en droit marocain, étude de droit comparé, Th., Université de Nice, 2001, p
139 et s.
2238
Rapport MARINI pour la modernisation du droit des sociétés, 2000, p 71.
2239
Ajouté par la loi n° 96-2005 du 18 octobre 2005, art.16.
2240
Décret n° 2006-795 du 23 mars 2006. D’après l’article 1 du décret : « la proportion des droits de vote, visée aux articles 6 et 7 de la loi n° 94-
117 du 14 novembre 1994 susvisée, est fixée à quarante pour cent à condition qu’aucun autre actionnaire ne détienne seul ou de concert une
proportion supérieure ».

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

conseil du marché financier qui se prononce compte tenu des intérêts du reste des actionnaires et ordonne le
demandeur de procéder à une offre d’achat portant sur le reste du capital qu’il ne détient pas soit sous forme
d’une offre publique d’achat soit sous forme d’une procédure de maintien de cours à prix fixé. Le conseil du
marché financier peut dispenser le demandeur de procéder à une offre d’achat portant sur le reste des
actions, si les actions de la société ne sont pas à l’origine de sa classification parmi les sociétés faisant appel
public à l’épargne, et si cette opération ne porte pas atteinte aux intérêts des porteurs des valeurs mobilières
à l’origine de cette classification ».
Manifestement, le législateur réglemente l’acquisition des blocs de contrôle afin de protéger les
actionnaires minoritaires contre les abus, surtout lors des opérations de concentration des sociétés2241. En effet,
lorsqu’un investisseur acquiert un bloc d’actions auprès d’un ou plusieurs actionnaires détenant le contrôle de
la société cible, cette acquisition entraine forcément une rupture d’égalité entre les actionnaires puisque les
petits porteurs ne pourront pas négocier leurs actions au même prix2242. Les contrôleurs obtiennent toujours un
meilleur prix, lors de la cession, car ils bénéficient d’une prime de contrôle, c’est-à-dire d’une surcote de
l’action liée au fait que le bloc d’actions permet de contrôler la société. Dans les sociétés qui font appel public
à l’épargne, l’opération fait donc l’objet d’une déclaration obligatoire et l’acquéreur sera tenu de faire une
offre publique d’achat ou une opération de maintien de cours destinée à limiter les effets de cette inégalité2243.
Les actionnaires minoritaires auront ainsi la possibilité de négocier leurs actions au même prix que les actions
du bloc de contrôle2244.
L’article suivant de la même loi2245 ajoute, dans le même sens, que lorsqu’une personne agissant seule
ou de concert vient de détenir un nombre de titres de nature à lui conférer une part de droit de vote, supérieure
à une proportion fixée par décret2246 dans une société faisant appel public à l’épargne, elle est tenue
d’informer immédiatement le conseil du marché financier et, le cas échéant, de déposer un projet d’offre
publique visant le reste du capital2247.
La même offre publique est exigée, pour les sociétés faisant appel public à l’épargne, par l’article 163
RGBVM qui prévoit que « lorsque une personne physique ou morale, agissant seule ou de concert, vient à
détenir un nombre de titres de nature à lui conférer le contrôle majoritaire en droit de vote d’une société dont
les titres sont admis à la cote ou négociés sur le marché hors-cote, elle est tenue d’en informer
immédiatement le CMF et le cas échéant de déposer un projet d’offre publique visant le reste du capital… ».
Le conseil du marché financier peut cependant accorder une dérogation à l’obligation de déposer un
projet d’offre publique, si la ou les personnes visées justifient que l’acquisition résulte d’une opération de
fusion ou d’apport partiel d’actif approuvée par les actionnaires de la société dont les titres ont été acquis2248.
L’opération de fusion justifie la dérogation dès lors qu’elle est soumise à l’approbation de l’assemblée
générale des actionnaires. La dérogation paraît encore plus justifiée lorsque les actionnaires des sociétés
concernées ont conclu un accord constitutif d’une action de concert.
Cette procédure de retrait vient protéger les intérêts des minoritaires en leur permettant de se retirer
d’une société et leur confère le droit de profiter d’offres concurrentes plus avantageuses.

448- A côté de ces procédures protectrices des minoritaires, il existe une autre hypothèse où l’offre
publique de retrait est destinée à organiser la sortie des minoritaires parce qu’une majorité écrasante de 95%
du capital ou des droits de vote est détenue par un actionnaire majoritaire ou un groupe d’actionnaires. Cette
offre publique de retrait est facultative dans deux cas différent. Le premier, quand l’OPR est demandée par

2241
Art 6 nov. De la loi n°94-117 du 14 novembre 1994 relative au marché financier telle que modifiée par la loi n° 96-2005 du 18 octobre 2005
relative au renforcement de la sécurité des relations financières.
2242
V. en dr. comp. DONNEDIEU DE VABRES (J), La protection des actionnaires en cas de prise de contrôle par acquisition de titres : Analyse
financières, 1975, 2ème trim., p.1 et s. ; CANAC (A), La protection des minoritaires lors des prises de contrôle des sociétés, Gaz. Pal.1974, doctr., I,
p 35 ; SCHMIDT (D), Quelles remarques sur la minorité dans les cessions de contrôle ?, DS 1972, Chr.223.
2243
V. en dr.comp. BERTREL (J-P) et JEANTIN (M), Acquisition et fusions commerciales, Litec, 1989 ; CAUSSIN-ZANTE (M) et
GERMAIN (M), Jurisc ; Sociétés .Fasc.165.
2244
DAHDOUH (H) ET LABASTIE-DAHDOUH (C), Droit commercial, volume2, Op.cit., p 281et 282.
2245
V. article 7 nouveau de la loi de 94 relative à la réorganisation du marché financier, ajouté par la loi n° 96-2005 du 18 octobre 2005, art.17.
2246
L’article premier du décret n° 2006-795 du 23 mars 2006 a fixé la proportion des droits de vote à quarante pour cent à condition qu’aucun autre
actionnaire ne détient seul ou de concert une proportion supérieure.
2247
Les dispositions de l’article 40 de la loi 94-117 s’appliquent à celui qui ne se soumet pas à la décision du conseil du marché financier et les
valeurs mobilières ainsi acquises sont privées du droit de vote par décision du conseil du marché financier prise après audition de l’intéressé.
2248
Art.164 du règlement général de la bourse des valeurs mobilières de Tunis. Cf. Cass. Com. Fr.,19 oct. 1999, J.C.P.éd.G., 1999, p. 2982, où la
dérogation de déposer une offre public a été justifiée par cette constatation que l’opération de fusion en cause ne modifiait pas la situation
économique des actionnaires minoritaires.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

l’actionnaire minoritaire comme le prévoit l’article 172 RGBVM. En effet, lorsqu’une personne physique ou
morale agissant de concert arrive à détenir au moins 95% des droits de vote d’une société, dont les titres sont
admis à la cote officielle de la bourse ou dont les titres sont négociés sur le marché hors cote, le minoritaire
peut demander au CMF de requérir le dépôt par l’actionnaire ou le groupe majoritaire d’un projet d’offre
publique de retrait. Après avoir procédé aux vérifications nécessaires, le CMF se prononce sur la demande qui
lui a été présentée et s’il la déclare recevable, il le notifie à l’actionnaire ou au groupe majoritaire et lui impose
le lancement d’une offre publique de retrait. Le CMF publie ensuite l’avis d’ouverture de l’offre. Le second
cas, prévu par l’article 173 RGBVM, est celui où l’OPR est proposée par l’actionnaire ou le groupe
majoritaire agissant de concert et détenant 95% des droits de vote d’une société dont les titres sont admis à la
cote ou négociés sur le marché hors cote. Ceux-ci peuvent déposer auprès du CMF un projet d’offre publique
de retrait visant la totalité des titres de capital ou donnant accès au capital non détenu par elles2249.
On remarque que le législateur a limité l’engagement d’acquisition dans le cadre de cette procédure
aux titres émanant d’actionnaires ne détenant pas plus de 5% du capital. Il en résulte que l’actionnaire qui
détient 6 ou 7% du capital, bien qu’il soit minoritaire, ne peut vendre ses titres au même prix que celui auquel
les titres constituants le bloc de contrôle ont été vendus. Ce minoritaire ne pourra se retirer donc de la société
dans les mêmes conditions que les autres.
Ce dernier cas de retrait a été dernièrement élargi aux sociétés ne faisant pas appel public à l’épargne
par l’article 290 Ter CSC2250 qui a permis aux actionnaires détenteurs d’une fraction du capital ne dépassant
pas 5 % de se retirer de la société et imposer à l’actionnaire détenant le reste du capital, soit individuellement
soit de concert, l’achat de leurs parts à un prix fixé par expertise judiciaire2251. On aurait bien aimé voir un tel
article au niveau des règles générales applicables à toutes formes de sociétés et ce, malgré les difficultés
d’application et le risque d’interventionnisme accru du juge. Ce droit de retrait qui serait, le cas échéant, élargi
à toutes les sociétés, qu’elles fassent ou non appel public à l’épargne, tire sa légitimité de l’absence d’un
marché où s’échangent librement liquidités et titres. Les minoritaires peuvent être alors prisonniers de leurs
titres ou contraints de les brader. Le droit de retrait paraît donc, dans ces conditions, beaucoup plus utile dans
les sociétés fermées plutôt que dans les sociétés cotées en bourse où les minoritaires insatisfaits peuvent
aisément céder leurs titres.

449- Malgré l’importance du droit de retrait des minoritaires dans la prévention des abus, le
législateur a cru bon de le corroborer par une autre mesure préventive non moins importante, à savoir
l’exclusion du vote fictif dans les fusions intragroupes.

II- La suppression du vote fictif


450- L’aspect perturbateur des fusions intragroupes n’est plus à démonter. Il suffit de rappeler que
cette forme de fusion constitue un terrain favorable pour la pullulation de plusieurs comportements abusifs dus
aux participations réciproques qui peuvent exister entre les différentes sociétés groupées, et surtout au contrôle
exercé par la société mère sur les sociétés filiales. Ces dernières sont souvent amenées à participer à des
opérations de fusions contraires à leurs intérêts mais conformes à ceux de la société mère sur la base du
pouvoir de contrôle exercé par cette dernière. La société mère décide alors toute seule du principe de
l’opération, fixe la parité sans véritable négociation et réalise l’échange. Dire qu’il y a vote de la société
absorbée n’est qu’un leurre. Cette situation consacre par excellence l’emprise du principe majoritaire qui
donne « l’apparence d’un vote démocratique en assemblée, mais, en réalité, faussé par la position
d’actionnaire majoritaire de la société absorbante2252 ».

2249
Il est à noter que l’OPR connait une réglementation semblable en droit français conformément à la loi n°89-531 du 31 août 1989 relative à la
sécurité et à la transparence du marché financier, reprise par l’article 433-4 du code monétaire et financier, aux termes duquel le règlement général
du CMF fixe les conditions applicables aux procédures d’offres et de demandes de retrait.
2250
Ajouté par la loi n° 16-2009 du 16 mars 2009.
C 3 ‫ رأس ل ا‬M (5) ! ‫ وز‬$ !4 M ‫ ء ا‬C 3 ‫ أو ا‬k+ 3 !ُ+ ‫ ن‬k ‫ وذ‬7S "< 4 ‫ وع‬3 ‫ ح ا‬+ ، 5 ‫ وا‬7 ‫ ا‬M ‫ ت‬N‫'ا‬4 ‫ دي ا‬/$ ! " 2251
4 ‫ ق‬A 8G 9KA ‫ اول ا‬$ 9 + ` < ‫ ا ! ق ا‬0 ]P ‫ ة‬N‫ و ا‬a ‫ ا‬5 8g ‫ ا‬M ‫ ا ر ُ ى ذن‬UF ‫ ّ د‬+ M d 9K ‫ اء ! ھ‬3 5 ‫ وا 'ام ا‬C 3 ‫ ا‬M ‫ وج‬P
N‫ ا ا‬U ‫ ا ﺟ ع ا‬9 + V ‫ر‬ ‫ اﺟ اءات ا‬U ‫ ا ﺟ ع ا‬I‫ ﺟ‬+ ` < 7 ‫ ا‬9KA‫ ا‬6 M p + $ N‫ ا‬7 U N ‫ ء ا و‬/g‫ وع ا‬3 ‫ ح ا‬+ f7‫ و‬VC 8G a ‫ ا ﺟ ع إ‬M + #! ‫ و‬G /O‫و‬
، ‫را‬ ‫ ا‬،2009 ‫ رس‬16 ‫ ا _رخ‬2009-16 ‫(د‬3 ‫@ " ن‬2 1<- ‫ ل ا‬3H‫ا‬." ‫ه ا ! ق‬D‫ ھ‬U N L ‫ ا‬I $‫وا ا‬ ‫ ا ! ق ا‬9 4 "# ‫ ا‬6+ 3 K N ‫] ص‬4 ‫ا‬
.22 ‫ ص‬،2009 G ،78/ 79 ‫ د‬N
2252
LE NABASQUE (H) et BAFFREAU (M), L’obligation de déposer ou de maintenir une offre publique, Actes, Pratiques et Ingénierie
financière, n°46, 1999, p 5.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Conscient de la gravité de cette forme de vote fictif, le législateur a essayé autant que faire se peut d’y
mettre fin en interdisant à la société absorbée, détenant une participation dans le capital de la société
absorbante, de prendre part au vote dans l’assemblée générale extraordinaire appelée à statuer sur la fusion.
En effet, l’alinéa dernier de l’article 424 CSC dispose que « si la société absorbée détient une participation
dans la société absorbante, la première n'a pas droit de prendre part au vote dans l'assemblée générale
extraordinaire appelée à statuer sur la fusion ».
Toutefois, on ne comprend pas pourquoi l’exclusion du vote a-t-elle été limitée au cas de figure
précité, c'est-à-dire celui où la société absorbée détient une participation dans le capital de la société
absorbante alors que la situation dans laquelle la société absorbante détient une participation dans le capital de
l’absorbée a été complètement évincée bien qu’il s’agisse normalement de l’hypothèse la plus courante. Le
législateur aurait certainement gagné sur le plan de l’efficacité s’il avait formulé son interdiction de façon
générale englobant les deux cas de figure précités.
En d’autres termes, l’exclusion aurait due être formulée comme suit : en cas de fusion, il est interdit à
la société qui détient une participation dans le capital de l’autre de participer au vote dans l’assemblée
générale extraordinaire de cette dernière. Il semble que cette formulation générale aurait pu, si elle avait été
choisie par le législateur, constituer une mesure préventive certaine en matière d’abus inhérents à la fusion
intragroupe.
451- En tout état de cause, qu’elle soit intragroupe ou extra-groupe, la fusion semble devoir être
soumise, sous certaines conditions, à un contrôle institutionnel assez important. On peut qualifier ce type de
contrôle a priori comme étant administratif.
N’a-t-on pas affirmé, à ce propos, que la concurrence engendre la concentration laquelle tue la
concurrence. Karl Marx avait relevé cette contradiction qu’il jugeait irréductible. Il existe au moins un moyen
de la réduire, c’est d’intégrer à la politique de sauvegarde de la concurrence un contrôle de la
concentration2253.
L’examen des règles relatives au contrôle administratif préalable des concentrations montrera bien la
difficulté de concilier entre la protection de la concurrence contre les abus commis par les entreprises et la
protection de ces mêmes entreprises de la concurrence surtout internationale.

III- Le contrôle administratif préalable de la concentration


452- Pour concilier entre la liberté économique et l’impératif de protéger l’économie nationale, les
législateurs, partout dans le monde, ont préféré intervenir par la technique de contrôle.
La démarche préventive suivie en matière de concentration consiste dans le contrôle2254, la correction
et éventuellement l’interdiction des concentrations2255. Le contrôle intervient2256 afin d’empêcher que les
entreprises concentrées ne se transforment en des structures génératrices d’abus2257. Mais, le principe demeure
celui de la permission de la concentration, puisqu’elle peut avoir un rôle positif dans l’augmentation de la
compétitivité des entreprises et partant de l’économie nationale2258.

453- Il ya principalement deux formes de contrôle administratif préalable. L’un, exercé par le
ministre du commerce est donc totalement administratif. L’autre, exercé par le conseil de la concurrence2259,
2253
BRAULT (D), Droit et politique de la concurrence, Economica, 1997, p 27.
2254
JAIDANE (R), L’influence du droit communautaire sur le droit tunisien de la concurrence, Th., Université de Nice-Sophia Antipolis, Institut
du Droit de la Paix et du Développement, Atelier national de reproduction des thèses, 2002, p. 14 ; JOUINI (K), Le droit de la concurrence et la
répression des abus de liberté, Mémoire de DEA en droit des affaires, FSJPST, 1995-1996, p. 133.
2255
JEANTET (F-C), La loi sur le contrôle des concentrations économiques en France, JCP, 1977, I, 2879, n° 2.
2256
Le contrôle des concentrations a pris trois formes, qui consistent dans l’interdiction de principe et préalable, à l’intervention à posteriori pour
l’examen au cas par cas et le contrôle préventif qui est la dernière forme. V. sur ces trois formes :
.146 ‫ ص‬،.‫ذ‬.‫س‬.‫ م‬،‫ ري‬17 ‫ل ا‬
2257
SERRA (Y), Le droit français de la concurrence, Dalloz, 1993, p 99.
2258
L’affirmation que : « la concurrence engendre la concentration, laquelle tue la concurrence » (BRAULT (D), Droit et politique de la
concurrence, Economica, 1998, p 27) doit être relativisée car la concentration n’est pas dans tous les cas néfaste pour la concurrence.
2259
Une autorité administrative indépendante (AAI), autorité régulatrice ou quango en anglais (pour « quasi non-governmental organisation ») est
un organisme étatique plus ou moins indépendant du pouvoir exécutif. C'est donc une forme spécifique des organisations administratives, qui
bénéficient d'un plus large degré d'autonomie à l'égard du politique que l'administration classique. Les AAI ont souvent un pouvoir de sanction ou
de réglementation, ce qui en fait des organismes quasi-juridictionnels. Pour cette raison, on parle aussi d'« autorités régulatrices ». La
détermination exacte de ce qui constitue une AAI ou non demeure floue en l'absence de critères généraux, la plupart de ces agences ayant été

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

est plus ou moins administratif si on tient compte du fait que ce conseil, présidé par un juge, a une
composition nettement administrative2260. On peut ajouter aussi un troisième contrôle exercé par la banque
centrale de Tunisie2261 chaque fois qu’un établissement de crédit serait concerné par une opération de
concentration.

454- D’après l’article 7 de la loi n°91-64 du 29 juillet 1991 relative à la concurrence et aux prix, tout
projet ou opération de concentration2262 de nature à créer une position dominante sur le marché intérieur ou
une partie substantielle de ce marché, doit être soumis à l'accord du ministre chargé du commerce2263.
Plus précisément, l’article 8 de la dite loi dispose que « tout projet de concentration ou toute
concentration doit être soumis au ministre chargé du commerce par les parties concernées par l'acte de
concentration dans un délai de quinze jours à compter de la date de la conclusion de l'accord, de la fusion, de
la publication de l'offre d'achat ou d'échange des droits ou obligations, ou de l'acquisition d'une participation
de contrôle. La notification peut être assortie d'engagements destinés à atténuer les effets de la concentration
sur la concurrence ».
A cet effet, l’article 7 (Bis) de la même loi ajoute que le ministre chargé du commerce peut seul, ou le
cas échéant conjointement avec le ministre dont relève le secteur intéressé, prendre toute mesure conservatoire
propre à assurer ou à rétablir les conditions d'une concurrence suffisante. II peut, également subordonner la
réalisation de l'opération de concentration à l'observation de prescriptions de nature à apporter au progrès
économique et social une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la concurrence2264.
Partant de cet ensemble de textes législatifs, il apparaît clair que les fusions, les opérations de scission
ou de filialisation sont soumises, en Tunisie, à un régime de police administrative. Ce régime préventif d’abus

créées de façon ad hoc pour répondre pragmatiquement à certains types de problèmes. Au-delà de leurs différences et d'une diversité des noms
portés par ces agences, toutes se caractérisent toutefois par cette indépendance relative, ou autonomie, vis-à-vis du gouvernement. Ce modèle
original administratif s'est particulièrement développé depuis les années 1970 dans la plupart des démocraties libérales, bien que certaines soient
bien plus anciennes. Selon le Conseil d’Etat français, les autorités administratives indépendantes sont des « organismes administratifs qui agissent
au nom de l'Etat et disposent d'un réel pouvoir, sans pour autant relever de l'autorité du gouvernement » (Conseil d’Etat français, Les autorités
administratives indépendantes, Rapport public 2001). La France en aurait une cinquantaine (DRAGO (R), Pour ou contre les autorités
administratives indépendante, Académie des sciences morales et politiques, communication du 29 octobre 2007). V. le site suivant :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Autorit%C3%A9_administrative_ind%C3%A9pendante#cite_note-3.
2260
Il suffit de consulter la composition du conseil pour se rendre compte de sa nature administrative. Le conseil est composédes treize membres
suivants : 1) Un président exerçant ses fonctions à plein temps, nommé parmi les membres magistrats ou les personnalités choisies pour leur
compétence en matière économique ou en matière de concurrence ou de consommation. 2) Deux vice-présidents : - un conseiller au tribunal
administratif. - un conseiller auprès de l'une des deux chambres chargées du contrôle des entreprises publiques à la cour des comptes. 3) Quatre
magistrats de deuxième grade au moins. 4) Quatre personnalités ayant exercé ou exerçant dans le domaine de la production, de la distribution, de
l’artisanat ou des prestations de services, nommées pour un mandat de quatre ans non renouvelable. 5) Deux personnalités choisies en raison de
leur compétence en matière économique ou en matière de concurrence ou de consommation. Il semble alors que le conseil de la concurence soit
une autorité publique administrative.
2261
D’après l’article premier de la loi n°58-90, du 19/09/1958, portant création et organisation de la Banque Centrale de Tunisie, la banque centrale
est un établissement public national dotée de la personnalité civile et de l’autonomie financière.
2262
Au sens de cette loi, la concentration résulte de tout acte, quelle qu'en soit la forme, qui emporte transfert de propriété ou de jouissance de tout
ou partie de biens, droits ou obligations d'une entreprise ayant pour effet, de permettre à une entreprise ou à un groupe d'entreprises d'exercer
directement ou indirectement, sur une ou plusieurs autres entreprises une influence déterminante (art. 7). L’influence déterminante a été analysée
par le Conseil de la concurrence comme une action opérée lorsqu’une entreprise exerce directement ou indirectement une influence sur une autre
entreprise. Il s’agit d’influencer ses décisions, sa stratégie, ses actions en exerçant sur elle un certain contrôle lui faisant perdre son autonomie
d’action, mais pas son indépendance juridique. Cette notion d’influence déterminante n’est pas définie clairement par le législateur tunisien, ce qui
peut poser quelques problèmes d’interprétation : dans quel domaine l’influence déterminante se manifeste-t-elle ? Dans la gestion, la stratégie du
marché de l’entreprise ou la prise de décision… ? Et à partir de quel moment l’influence devient-elle déterminante ? Les autorités chargées du
contrôle doivent rechercher la réalité économique au-delà des formes juridiques adoptées par les entreprises qui participent à la concentration.
2263
Cette obligation s’applique, d’après le même article à toutes les entreprises concernées par l'opération de concentration qu'elles en soient
parties ou objets ainsi qu'aux entreprises qui leur sont économiquement liées et ce, sous la double condition que la part de ces entreprises réunies
dépasse durant le dernier exercice 30% des ventes, achats ou toutes autres transactions sur le marché intérieur pour des biens, produits ou services
substituables, ou sur une partie substantielle de ce marché. Le chiffre d'affaires global réalisé par ces entreprises sur le marché intérieur doit aussi
dépasser un montant déterminé par décret. Le chiffre d'affaires réalisé sur le marché intérieur par les entreprises concernées s'entend de la
différence entre le chiffre d'affaires global hors taxes de chacune de ces entreprises et la valeur comptabilisée de leurs exportations directes ou par
mandataires.
2264
Le silence gardé par le ministre chargé du commerce pendant trois mois à compter de sa saisine vaut acceptation tacite du projet de
concentration ou de la concentration même ainsi que des engagements qui y sont joints. Pendant ce délai, les entreprises concernées par le projet
ou l'opération de concentration ne peuvent prendre aucune mesure rendant la concentration irréversible ou modifiant de façon durable la situation
du marché. En cas de notification au ministre chargé du commerce de tout projet ou opération de concentration, il incombe aux parties de présenter
un dossier comprenant : - une copie de l'acte ou du projet d'acte soumis à notification et une note sur les conséquences attendues de cette opération
; - la liste des dirigeants et des principaux actionnaires ou associés des entreprises parties à l'acte ou qui en sont l'objet ; - Les comptes annuels des
trois derniers exercices des entreprises concernées et les parts de marché de chaque société intéressée ; - la liste des entreprises filiales, avec
indication du montant de la participation au capital ainsi que la liste des entreprises qui leur sont économiquement liées au regard de l'opération de
concentration. - une copie des rapports des commissaires aux comptes le cas échéant ; - un rapport sur l’économie du projet de concentration.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

accorde de larges pouvoirs à l'autorité administrative représentée, en ce domaine, par le ministre chargé du
commerce. Ce dernier est, en effet, en droit d'enjoindre aux entreprises de ne pas donner suite à un projet de la
concentration ou de rétablir la situation de droit antérieure. Les injonctions ou les prescriptions qu’il peut
adresser aux opérateurs privés s'imposent à ces derniers et-ce, quel que soit l’intérêt de la concentration
projetée2265.

455- Les deux articles 7 et 8 de la loi du 29 juillet 1991 posent, tout de même, un problème
d’interprétation2266 puisqu’il est légitime de se demander est-ce que la notification obligatoire du projet de
concentration ou de la concentration est exigée dans tous les cas ou seulement lorsqu’elle est de nature à créer
une position dominante2267 ?
Deux interprétations ont été avancées pour essayer de concilier entre les deux articles. La première
considère que le champ de contrôle ne couvre que les opérations de concentration qui sont de nature à créer
une position dominante2268. Selon la deuxième interprétation, qui fait prévaloir l’article 8 alinéa 1er sur
l’article 7 alinéa 2, la notification obligatoire concernerait tout projet ou opération de concentration qu’il soit,
ou non, de nature à créer une position dominante2269.
Une troisième interprétation pourrait être avancée, puisque les entreprises concernées peuvent
comprendre de la rédaction des articles 7 et 8, que ces deux articles ont chacun un champ d’application bien
déterminé. En effet, lorsque le projet ou l’opération de concentration est de nature à créer une position
dominante, ce n’est pas la simple notification qui est exigée mais l’accord du ministre chargé du commerce.
Au contraire, pour tout autre projet de concentration ou toute concentration, il est nécessaire de le notifier au
ministre dans un délai de quinze jours sans que son accord ne soit exigé.
On pense que toute opération de concentration doit-être soumise au contrôle du ministre concerné. Il
n’est pas logique d’exclure le projet ou l’opération de concentration qui n’est pas de nature à créer une
position dominante de l’obligation de notification, car l’appréciation de l’opération2270 ne peut être laissée aux
entreprises concernées sans le contrôle de l’autorité compétente. Aussi, on peut concevoir l’existence
d’opérations de concentration qui pourraient léser la concurrence sur le marché de référence sans pour autant
créer une position dominante. D’ailleurs, l’examen des décisions du conseil de la concurrence montre que ce
qui compte en dernier lieu pour le conseil ce n’est pas la création ou non d’une position dominante mais
l’existence ou non d’un effet considérable de l’opération de concentration sur l’équilibre général du

2265
La question qui se pose, à ce niveau, est de savoir quelle est la sanction si la société intéressée ne notifie pas au ministre concerné le projet de
concentration ? La loi n°91-64 du 29 juillet 1991 n’a pas institué de sanction. Mais cela n’empêche pas d’avancer que le projet de concentration
risque la nullité, en ce cas, par application de la règle générale de l’article 539 COC d’après lequel « lorsque la loi défend formellement une chose
déterminée, ce qui est fait contrairement à la loi ne peut avoir aucun effet ». Ceci est d’autant plus vrai que le législateur a sanctionné pénalement
la violation de l’article 8 de la loi de 1994. Faut-il rappeler aussi que notre cour de cassation a déjà frappé d’inexistence tout contrat de vente fait en
faveur d’un étranger en l’absence de l’autorisation du gouverneur. Elle n’hésitera pas à faire de même concernant tout projet de concentration
entériné sans l’accord du ministre du commerce. Mais, si le législateur a édicté une sanction pénale (une amende) en cas de contravention à
l’article 8 de la loi, il n’a pas prévu une sanction civile à l’encontre des actes conclus par les entreprises concentrées avec les tiers. En réalité, ces
actes dépendent de la décision que va prendre le ministre chargé du commerce. Si cette décision est positive, on peut dire dans ce cas que les actes
conclus par les parties à la concentration sont tout simplement soumis à une condition suspensive (V. BLAISE (J-B), Le contrôle des opérations
de concentration, RTD europ., 1990, n° 4,p. 757). Si au contraire la décision est négative le problème devient plus délicat, puisque les actes
peuvent avoir été conclus avec des tiers de bonne foi. Le principe de la bonne foi et la théorie de l’apparence trouveront en la matière un champ
fertile pour leurs applications. V. ELLOUMI (A), La concentration des entreprises en temps de crise, feu de paille ou adaptation nécessaire ?, art.
pré., p 179.
2266
V. les questions soulevées par BEN MRAD (H), Cours droit de la concurrence, polycopié, 2000-2001, p. 68. Les problèmes que suscitent ces
deux articles sont, selon cet auteur, «la conséquence d’une reprise imprudente, par le législateur tunisien, de l’ex-article 38 al. 1 de l’ordonnance
française de 1986 ».
2267
L’article 7 alinéa 2 de la loi du 29 juillet 1991 prévoit que: « Tout projet ou opération de concentration de nature à créer une position
dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de ce marché, doit être soumis à l’accord du ministre chargé du commerce
».L’article 8 alinéa 1er de la même loi prévoit, par ailleurs, que : «Tout projet de concentration ou toute concentration doit être soumis au ministre
chargé du commerce par les parties concernées par l’acte de concentration dans un délai de quinze jours à compter de la date de la conclusion
de l’accord, de la fusion, de la publication de l’offre d’achat ou d’échange des droits ou obligations, ou de l’acquisition d’une participation de
contrôle ».
2268
Dans ses décisions, le Conseil de la concurrence semble toujours appliquer l’art. 7 de la loi du 29 juill. 1991 et non l’art. 8. V. par ex. l’Avis n°
82238 du 8 oct. 2009, relatif à une opération de concentration entre Le Magasin général et Promogro, Rapport du Conseil de la concurrence, 2009,
p. 199 ; Avis du Conseil de La concurrence n° 82229 du 23 av. 2009, Rapport du Conseil de la concurrence, 2009, p. 235 ; Avis n° 22235 du 14
mai 2009 relatif au secteur des assurances, Rapport du Conseil de la concurrence, 2009, p. 304; Avis n° 62145 du 7 sep. 2006, Cogitel/Sied,
Rapport du Conseil de la concurrence, 2006, p. 518.
2269
ELLOUMI (A), La concentration des entreprises en temps de crise, feu de paille ou adaptation nécessaire ? Crise et droit de l’entreprise,
Publications de l’école doctorale de la FDS, SOGIC, 2012, p 179.
2270
Est-ce qu’elle est de nature à créer une position dominante ou non.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

marché2271. Le droit comparé montre, même, que la concentration peut créer une position dominante sur le
marché pertinent et malgré cela elle est autorisée2272.

456- Pour que la concentration soit soumise au contrôle du ministre, un des deux critères suivants
doit-être vérifié : le critère de la part du marché et celui du chiffre d’affaires2273.
Concernant le premier critère, il est obligatoire que la part commune des entreprises concentrées
dépasse 30 % des ventes, achats ou toutes autres transactions sur le marché intérieur pour des biens, produits
ou services substituables, ou sur une partie substantielle de ce marché. Ce pourcentage est calculé en tenant
compte du dernier exercice. Or, il se peut qu’une entreprise n’ait pas fonctionné durant tout un exercice. Dans
un tel cas les autorités compétentes ne peuvent que recourir au critère du chiffre d’affaires qui doit dépasser
un montant déterminé par décret2274.
En réalité, la concentration entre des entreprises qui n’ont pas fonctionné durant tout un exercice est un
indice que la concentration serait plutôt bénéfique aux entreprises concernées, puisqu’elle est de nature à
accroître leur compétitivité et partant elle constitue un facteur de prospérité pour l’économie nationale. Les
concentrations effectuées entre les petites entreprises ne risquent pas d’altérer la concurrence ou le
fonctionnement du marché2275.
Dans son avis sur la fusion de deux unités hôtelières «Sadrabaâl Port Kantaoui » et «Sadrabaâl Djerba»
avec «Sadrabaâl Thalassa », le Conseil de la concurrence a considéré que cette fusion ne peut pas être
contrôlée en tant qu’opération de concentration économique, puisque la part de marché des hôtels est de
l’ordre de 3,32 % et n’atteint pas ainsi les 30 % exigés par l’article 7 alinéa 3 de la loi de la concurrence2276.
Réellement ce seuil de 30 % est difficile à atteindre car la majorité des entreprises tunisiennes sont des
PME2277. Mais cela n’a pas empêché le Conseil de la concurrence de contrôler quelques opérations de
concentration entre des entreprises qui détiennent 30 % ou plus de part de marché2278. Le calcul du seuil de 30
% n’est pas une tâche facile, car le Conseil de la concurrence doit apprécier le pourcentage en tenant compte
des ventes, achats ou toutes autres transactions sur le marché intérieur pour des biens, produits ou services
substituables, ou sur une partie substantielle de ce marché2279.

2271
V. par ex. l’Avis du Conseil de la concurrence n° 82229 du 23 av. 2009, Rapport du Conseil de la concurrence, 2009, p. 248 et s :
‫ ت‬C 3 ‫ ا‬HG 4$ ‫ إط ر‬8G F$ ‫ ت‬A‫ ر‬K4N + ‫ أو أن‬a$ G‫ و‬/ ‫ ا‬V ! ‫ ا ^ زي‬V ‫ ق ا‬A ‫ ازن‬$ ‫ د‬K$ ‫ [ي < ل أن‬K M + ‫ ج ا‬J‫ ا‬N ‫ ار ن‬7J‫ ا‬a# a + ‫"وھ‬
‫ ع‬L7 8G ‫ ت‬P ‫ ق ا‬A 8G LO 4 ‫ ت ا‬C 3 ‫ ' ا‬C $ ‫ ة‬G 9 N $ M # + a |G ‫ ت‬7‫و‬ ‫ ع ا‬L7 8G 4‫ رات ا ﺟ‬d AJ‫ه ا‬D‫ ھ‬Vd ‫ ب‬L A‫ ا‬+' ‫ ف‬K ‫ م و‬$ # $‫ و‬. K4 8G pSd ‫ا‬
‫|ن‬G 4‫ ا ! ق ا ط‬U N ‫ ھ م‬p[$ K H ‫ رة ا ل‬3 A‫ ع ا‬g ' C ‫ ا‬N ‫ را وأن‬N‫ وا‬. 4‫ م ! ق ا ط‬# ‫ ا ازن ا‬U N ‫ ھ م‬p[$ ‫ وع‬3 ‫ا ا‬DK ‫ ن‬+ ‫ ط أن‬3 ‫ ت‬7‫و‬ ‫ا‬
."' C ‫ ا‬N ‫ وع‬3 ‫ ل‬7 ‫ح‬ +H ‫ا‬
2272
V. les ex. cités par THEOPHILE (D) et MELE (P), art. pré., p. 11 et s.
2273
D’après l’alinéa 3 de l’article 7 « les dispositions de l'alinéa précédent s'appliquent à toutes les entreprises concernées par l'opération de
concentration qu'elles en soient parties ou objet ainsi qu'aux entreprises qui leur sont économiquement liées, et ce, sous l'une des deux conditions
suivantes : - la part de ces entreprises réunies dépasse durant le dernier exercice 30% des ventes , achats ou toutes autres transactions sur le
marché intérieur pour des biens, produits ou services substituables, ou sur une partie substantielle de ce marché. - le chiffre d'affaires global
réalisé par ces entreprises sur le marché intérieur dépasse un montant déterminé par décret ».
2274
Ce montant a été fixé par le décret n° 95-12 15 du 10 juillet 1995 à trois millions de dinars, puis il a été rehaussé à vingt millions de dinars par
le décret n° 2005-3238 du 12 décembre 2005, portant fixation du seuil du chiffre d’affaires global à partir duquel les opérations de concentration
sont soumises à une autorisation préalable. L’art. 1 de ce décret prévoit que «le seuil du chiffre d’affaires global à partir duquel les opérations de
concentration sont soumises à une autorisation préalable du ministre chargé du commerce, tel que prévu par l’article 7 nouveau de la loi relative
à la concurrence et aux prix susvisée, est fixé à vingt millions de dinars (20.000.000)». Contrairement à la condition du part de marché, calculée en
tenant compte du « dernier exercice », le législateur n’a pas déterminé en ce qui concerne le chiffre d’affaires la période de référence pour le calcul
d’un tel chiffre. Il semble, cependant, que le Conseil de la concurrence recourt à l’année du dernier exercice comptable clos. V. Avis n° 1/1999 du
Conseil relatif à une concentration économique dans le domaine des huiles des moteurs et des appareils industriels entre d’un côté Mobil et Total et
de l’autre côté Esso, Rapport annuel du Conseil de la concurrence de 1999, p. 67.
2275
ELLOUMI (A), La concentration des entreprises en temps de crise, feu de paille ou adaptation nécessaire ?, art. pré., p 179.
2276
Avis consultatif du Conseil de la concurrence n° 13/99 du 16décembre 1999 relatif à la fusion de deux sociétés Sadrabaâl Port Kantaoui et
Sadrabaâl Djerba dans la société Sadrabaâl Thalassa, Rapport annuel du Conseil de la concurrence de 1999, p 102.
2277
Les entreprises comptant moins de six employés sont estimées à 82 % depuis 1987. En 1996, sur un total d’environ 87 000 entreprises, presque
1400 seulement comptaient plus de 100 employés. Ce ci peut trouver son explication dans la volonté de limiter la propriété de l’entreprise dans le
cercle familial, sans prendre les risques. V. EL ABASSI (M), Accord d’association et politique de la concurrence en Tunisie, In Séminaire sur «La
politique de concurrence et négociations multilatérales», organisé par CNUCED, Ministère du commerce et Conseil de la concurrence, Tunis, 28-
29 mars 2002 ; JAIDANE (R), Th. pré., p. 149.
2278
V. par ex. Avis n° 11-98 du 10 décembre 1998, relatif à l’opération de concentration entre Primagaz et Butagaz, Rapport du Conseil de la
concurrence 1998, p. 113 ; Avis n° 1-00 du 24 fév. 2000, relatif à l’opération de concentration entre Mobil Tunisie et ESSO Standard Tunisie,
Rapport du Conseil de la concurrence 2000, p. 63.
2279
Normalement ce sont les entreprises qui doivent déterminer leur part dans le marché, car ce sont ces entreprises qui ont l’obligation de notifier
le projet de l’opération de concentration aux autorités de contrôle. Le conseil peut vérifier l’exactitude des données présentées avant d’exprimer sa
position. On peut donner comme exemple d’appréciation de la part de marché par les entreprises concentrées elles-mêmes : l’avis du Conseil de la
concurrence n° 62155 du 4 janv. 2007 (Câble Tunisie/Télécocable, Rapport du Conseil de la concurrences 2007, p. 7 et s.) ; Avis n° 72196 du 29

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Contrairement au pourcentage de part de marché qui est assez élevé, il faut préciser que le montant du
chiffre d’affaires nécessaire pour que l’opération de concentration soit soumise au contrôle, qui est de 20
millions de dinars, est relativement bas. La différence avec le montant exigé en France, qui est à l’ordre de 50
millions d’euros, montre que la révision d’un tel montant reste envisageable dans le futur. Un montant de 20
millions de dinars laisse la plupart des concentrations soumises au contrôle, ce qui alourdit la tâche du
ministre concerné et du conseil de la concurrence surtout en cas de crise ravageant toute l’économie du pays
comme c’est le cas actuellement de la Tunisie. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’on peut penser que le
contrôle des concentrations est inutile dans un petit marché, comme le marché tunisien, car il risque
d’empêcher la restructuration d’entreprises.

457- Il convient également de préciser, à ce niveau, que c’est la volonté de prévenir les abus qui a
amené le législateur à octroyer au ministre susvisé tant de pouvoir et d’autorité, lui permettant de modifier un
projet de concentration, de le retarder ou même le « geler ». On peut légitimement craindre, toutefois, que ce
respectable ministre, à trop vouloir prévenir contre les abus, ne commette lui-même des abus2280 ! Cela
n’empêche pas pour autant les parties intéressées de pouvoir saisir, le cas échéant, le tribunal administratif
pour excès de pouvoir2281.

458- Faut-il rappeler aussi que le ministre chargé du commerce soumet tout projet de concentration
ou toute opération de concentration visé à l'article 7 de la loi du 29/07/1991 au conseil de la concurrence qui
doit donner son avis dans un délai ne dépassant pas trois mois2282.
L’importance de la concentration pour l’économie nationale impose au conseil de la concurrence de
tenir compte dans son avis des avantages et des inconvénients de l’opération de concentration2283.
L’appréciation des avantages de la concentration montre que le législateur consacre en la matière la théorie du
bilan économique et social. Les concentrations peuvent améliorer la productivité des entreprises, créer de
nouveaux emplois, développer les moyens de travail et accroître la capacité de l’exportation2284. Les
concentrations permettent surtout de sauver les entreprises en difficultés économiques2285. Le conseil de la
concurrence prend aussi en compte la nécessité de préserver la compétitivité des entreprises tunisiennes face
aux entreprises étrangères2286.
Consulté sur une opération de concentration, le conseil de la concurrence a approuvé l’opération, à
condition d’annuler les articles 4 et 8 du projet de l’acte de concentration2287, qui comportent des clauses
jugées discriminatoires et qui peuvent porter atteinte à la concurrence2288.
Le conseil de la concurrence n’a malencontreusement qu’un rôle subsidiaire en matière de contrôle des
concentrations, puisque son avis est simplement consultatif. Deux arguments ont été avancés lors des travaux
préparatoires pour expliquer ce caractère consultatif de l’avis du Conseil. Premièrement, étant donné que les

nov. 2007 (Ideal Gomm Industrie SA/Almawassir, Rapport du Conseil de la concurrence, 2007, p. 553 et s.) et Avis n° 4289 du 25 mars 2004
(STAROIL/Etablissements Abdelmoula, Rapport du Conseil de la concurrence, 2004, p. 237 et s.).
2280
L’emploi d’expressions fuyantes et subjectives comme celles de «concurrence suffisante» et «contribution suffisante» ouvre au ministre un
large pouvoir d’appréciation (Art. 7 bis de la loi de 1991).
2281
V. Loi n° 72-40 du 01/06/1972 relative au tribunal administratif et ses modifications subséquentes.
2282
V. art. 9 de la loi n°91-64 du 29 juillet 1991, relative à Concurrence et aux Prix.
2283
Dans son Avis n° 22235 du 14 mai 2009 relatif au secteur des assurances (Rapport du Conseil de la concurrence, 2009, p. 305), le Conseil
montre l’importance d’examiner les effets de la concentration sur la situation du marché, sur le consommateur et sur la concurrence. On peut lire
dans cet Avis ce qui suit :
." !G 4 ‫ ا‬U N 8 ‫ و‬k K ! ‫ ا‬U N‫ ا ! ق و‬6g‫ و‬U N ‫ ت‬A # ‫ ا‬M K4N + ‫ أن‬M + ( A‫ درا‬I +) ‫ و‬dC‫ أو أ‬M !Aq V $ N ‫ ّد‬H ‫ و‬..."
2284
V. art. 409 CSC qui énumère les objectifs d’une opération de concentration.
2285
V. art. 415 CSC. Dans son Avis n° 62145 du 7 sep. 2006, Cogitel/Sied, le Conseil de la concurrence a affirmé que la réalisation de la
concentration permet de sauver plus de 60 postes de travail et une entreprise qui était sur le point de la liquidation. V. Rapport du Conseil de la
concurrence, 2006, p. 522 ; V. aussi Collectif, Droit des faillites et restructuration du capital, PUG, 1982, p. 127 ; JACQUEMIN (A),
Concentration industrielle et politique de concurrence européenne, Mélanges Claude CHAMPAUD, p. 384 et s.
2286
Dans son avis consultatif n° 2/1999 du 18 février 1999 relatif à une concentration économique entre PAF et F3T (Rapport annuel du Conseil de
la concurrence de 1999, p. 74), le Conseil de la concurrence affirme que bien que la concentration renforce la position dominante de la société
PAF, elle ne porte pas, cependant, atteinte au fonctionnement normal du marché.
2287
Avis consultatif du Conseil de la concurrence n° 1/99 du 11 février 1999 relatif à une concentration économique dans le domaine des huiles des
moteurs et des appareils industriels, Rapport annuel du Conseil de la concurrence de 1999, p. 67.
2288
Il s’agit d’une clause dans l’accord de concentration qui exige que la nouvelle société concentrée doit avoir l’accord de 3/4 des membres du
conseil d’administration afin de pouvoir conclure des contrats avec des clients non-actionnaires, et d’une autre clause qui stipule que seuls les
actionnaires peuvent bénéficier d’un tarif unique.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

concentrations sont liées à la politique industrielle du pays, le gouvernement est plus apte à les contrôler2289.
Deuxièmement, la nécessité d’une intervention rapide se concilie mal avec l’intervention du conseil de la
concurrence qui demande des délais assez longs pour pouvoir intervenir2290.
Le premier argument semble être plus convaincant que le deuxième, puisque l’intervention du conseil
pour donner son avis est limitée à trois mois seulement. Or, le délai accordé au ministre est de six mois. Il était
donc possible de confier la tâche du contrôle des concentrations au conseil de la concurrence et lui imposer un
délai strict pour décider du sort de l’opération. Cette solution est plus concevable surtout que le ministre
chargé du commerce aura certainement d’autres tâches qui l’empêchent de prendre la décision convenable
dans le délai imparti2291. Le conseil pourrait décider dans des délais plus courts s’il est doté des moyens
techniques, personnels et financiers nécessaires.
Malheureusement, la loi ne prévoit pas, même en cas de crise, la possibilité d’une saisine d’office par
le ministre ou le conseil de la concurrence. Les parties victimes d’une opération de concentration ne peuvent
pas aussi saisir les autorités compétentes pour la contester. Elles ne peuvent agir qu’en cas d’abus de position
dominante ou d’abus de dépendance économique. Le rôle du conseil de la concurrence semble être, à ce
niveau, insignifiant2292. L’institution de l’auto-saisine du conseil semble être une nécessité surtout en cas de
crise économique, qui commande la célérité de l’intervention.
En réalité, la fonction consultative du conseil est aussi importante que sa fonction contentieuse. Les
avis du conseil ont souvent débouché sur des recommandations et des propositions propres à éviter ou à
prévenir des comportements abusifs en matière de concentration. En effet, le Conseil de la concurrence a
éclairé le ministre chargé du commerce sur les arbitrages qu’il devait effectuer pour autoriser certaines
pratiques ou concentrations qui, par principe, étaient restrictives de concurrence. Le Conseil est, en effet, plus
qualifié que les autorités administratives pour évaluer si une concentration pouvait contribuer à un progrès
économique ou technique ou, au contraire, était susceptible de mettre en place des abus et ce, étant l’expert
par excellence en la matière économique.
Pour ce qui est du rôle consultatif du conseil de la concurrence, et vu l’importance des avis qu’il
prononce, il serait opportun de rendre obligatoire sa consultation sur les textes législatifs et réglementaires
comme en matière de contrôle des concentrations.

459- Aussi, l’allongement des délais, six mois pour le ministre et trois mois pour le conseil de la
concurrence, ne peut aider les entreprises à sortir éventuellement de leurs difficultés en fusionnant, par
exemple.
Le délai du contrôle des concentrations semble très long2293, surtout que la décision du ministre peut
faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir2294, ce qui fait perdre aux entreprises, le cas échéant, le temps
nécessaire pour sortir de leur crise.
Le temps nécessaire à la réalisation de la concentration peut être également allongé en cas de fusion de
sociétés faisant appel public à l’épargne, puisque en plus de la procédure prévue par la loi de 1991, ces
sociétés doivent obtenir l’autorisation du conseil du marché financier2295. De même, dans le secteur des
assurances, qui est très sensible aux crises, la fusion entre des sociétés d’assurance est soumise à la procédure

2289
Ce qui est bizarre dans la loi de 1991, c’est que le ministre chargé du commerce peut donner l’ordre pour la réalisation d’une opération de
concentration entre deux entreprises publiques, soumises à sa tutelle ; et c’est lui qui va contrôler cette concentration. Il est ainsi juge et partie !
2290
V. les travaux préparatoires du 18 avril 1995, p. 38.
2291
En France le ministre chargé de l’économie intervient dans des cas exceptionnels seulement. En effet, selon l’article L. 430-7-l-II du Code de
commerce « dans un délai de vingt-cinq jours ouvrés à compter de la date à laquelle il a reçu la décision de l’autorité de la concurrence ou en a
été informé en vertu de l’article L. 430-7, le ministre chargé de l’économie peut évoquer l’affaire et statuer sur l’opération en cause pour des
motifs d’intérêt général autres que le maintien de la concurrence et, le cas échant, compensant l’atteinte portée à cette dernière par l’opération.
Les motifs d’intérêt général autres que le maintien de la concurrence pouvant conduire le ministre chargé de l’économie à évoquer l’affaire sont,
notamment, le développement industriel, la compétitivité des entreprises en cause au regard de la concurrence internationale ou la création ou le
maintien de l’emploi ».
2292
JAIDANE (R), L’évolution du droit tunisien de la concurrence à la lumière de la réforme du 10 mai1999, R.T.D., 2000, p. 247.
2293
C’est un délai assez long comparativement avec le même délai en droit français. En France, l’autorité de la concurrence doit se prononcer sur
l’opération de concentration dans un délai de vingt-cinq jours ouvrés à compter de la date de réception de la notification complète (Art. L. 430-5-I
du CCF). Ce délai peut être prolongé de quinze jours ouvrés, si des engagements sont reçus par l’autorité de la concurrence (Art. L. 430-5-II-§2
CCF). Toutefois, lorsqu’une opération de concentration fait l’objet d’un examen approfondi, l’article L. 430-7-I du même Code prévoit que «...
l’autorité de la concurrence prend une décision dans un délai de soixante-cinq jours ouvrés à compter de l’ouverture de celui-ci ».
2294
Etant un acte administratif, la décision du ministre concerné est susceptible d’un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif,
même si la loi de 1991 ne le prévoit pas.
2295
L’art. 416 du Code des sociétés commerciales prévoit que : « si l’une des sociétés qui fusionne est une société faisant appel public à l’épargne,
l’autorisation du Conseil du Marché Financier est nécessaire ».

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

d’approbation du ministre chargé des finances, conformément à l’article 62 du code des assurances2296. La
réalisation effective d’une fusion dans ce secteur nécessite donc l’intervention de deux ministres, du conseil
de la concurrence et du CMF !
Dans son Avis en date du 14 mai 2009, le conseil de la concurrence avait affirmé que l’autorisation
donnée par le ministre chargé des finances ne dispense pas les sociétés d’assurances d’obtenir l’accord du
ministre du commerce2297.
Si l’article 62 du code des assurances ne fixe pas un délai au ministre chargé des finances pour donner
ou refuser l’approbation, l’article 64 du même code précise que l’approbation2298 ne peut intervenir qu’après
un délai de 3 mois au moins après la publication de l’avis de fusion au JORT. Il est clair donc que dans le
secteur des assurances une opération de concentration nécessite presque une année ou plus pour qu’elle puisse
être réalisée2299. Il en est de même du domaine bancaire où l’agrément de la BCT est nécessaire pour la
validité de l’opération de concentration.
En cas de crise financière, il est nécessaire d’aider les entreprises à trouver des solutions, par
l’accélération de la procédure de contrôle des concentrations, avant que cette crise ne se transforme en une
crise économique qui fera perdre à l’Etat son équilibre social. Si le facteur temps n’est pas maîtrisé, des
milliers de gens seraient menacés de chômage. La crise sera alors à son comble. La révolution tunisienne du
14 janvier 2011 en constitue le meilleur témoin.

460- En sus de l’autorisation émanant du ministre du commerce, encore faut-il obtenir celle du
CMF. En effet, l’article 336 CSC soumet à l’approbation du conseil du marché financier l’opération de fusion
ou de scission comportant une société émettrice d’obligations. Apparemment cette règle est absorbée par une
autre de portée générale véhiculée par l’article 416 du même code aux termes de laquelle est soumise à
autorisation du conseil du marché financier la fusion ou la scission d’une société faisant appel public à
l’épargne2300. En vérité, les deux textes ne sont pas soumis à un régime identique car leur violation n’est pas
sanctionnée de la même manière. Par une application combinée des articles 416 et 425 al. 2 du code de
sociétés commerciales, on peut soutenir que le défaut d’approbation de la fusion par le conseil du marché
financier est une cause de nullité de l’opération, alors que selon l’article 336 CSC, le défaut d’approbation
entraine une simple déchéance du terme et une obligation de réparation du préjudice subi par les obligataires.
Pour concilier les deux positions, il faudra admettre que l’article 416 CSC ne reçoit pas application si la
société est considérée comme faisant appel public à l’épargne par le simple fait d’avoir émis des obligations
par appel public à l’épargne2301.
Il ne faut pas oublier non plus le contrôle préalable exercé par la banque centrale de Tunisie chaque
fois qu’une banque, par exemple, serait concernée par une opération de concentration. En effet, toute
opération de fusion, scission ou filialisation, concernant les établissements de crédit, doit-être soumise à
l’agrément de la BCT et ce, conformément aux articles 7, 8 et 10 de la loi n° 2001-65 DU 10/07/2001 relative
aux établissements de crédit2302. De cette façon là, la Banque Centrale de Tunisie exerce un contrôle continu
2296
Cet article, qui a été modifié par la loi n° 2008-8 du 13 fév. 2008, prévoit que «les entreprises d’assurances peuvent, après approbation du
Ministre chargé des Finances, transférer en totalité ou en partie leur portefeuille de contrats, avec ses droits et obligations à une ou plusieurs
entreprises d’assurances agréées. Les fusions ou absorptions d’entreprises d’assurances sont soumises à la même procédure ».
2297
V. Avis n° 22235 du 14 mai 2009 relatif au secteur des assurances, Rapport du Conseil de la concurrence, 2009, p. 308. Dans cet Avis, on peut
lire que :
."... !G 4 ‫ ا‬H ‫ رة‬3 A‫ ا‬# ‫رة‬ i ‫ ا‬+‫ ا ز‬m $ U N ‫ ورة ا ] ل‬g MN 84^+ M [ ‫! ت ا‬Aq ‫ ده‬4A‫ إ‬U + ‫ي‬D ‫ ا‬m ‫|ن ا‬G k D # $‫"و‬
2298
Il s’agit bien d’une autorisation. Dans son Avis n° 22235 du 14 mai 2009 relatif au secteur des assurances (Rapport du Conseil de la
concurrence, 2009, p. 304), le Conseil affirme que :
8G d ‫ ر وا‬CD ‫ ا‬m ‫ د ا‬4A‫ إ‬K ‫ ل‬P ‫ ا‬K ‫ ا‬+ $ F+‫ ت و أ‬# ‫ ا‬M i4] ‫ا ا‬DK ‫ ا ! " م‬m ‫ اط ا‬O‫] ص إ‬P ‫ ل‬O ‫ ا‬M V O ‫ه ا < م ي‬DK d$ ‫ و‬..."
."...M [ #‫@ ا‬K‫وا‬ ‫ ا‬+‫وز‬
2299
6 mois pour le ministre du commerce, si le dossier soumis à l’appréciation du ministre chargé du commerce comporte tous les éléments exigés
par la loi (V. l’art. 9 bis de la loi de 1991) 3mois pour le conseil de la concurrence et au moins 3 mois pour le ministre chargé des finances.
‫ج ذات ! ھ‬ ‫ ] د ا‬8 ‫ ت ا‬C 3 ‫ ا< ى ا‬f C ‫ " اذا‬a ‫ أ‬U N m4+ ‫ي‬D ‫ ا‬+‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬ M 416 V]/ ‫< م ا‬ L$ ‫ ب‬# A ‫ ا ج‬# m $ I L ..." 2300
C 3 ‫ @ ا‬K ‫ دت ا‬G‫ ا‬m ‫ ا‬I L U N ‫ ردھ‬8G ‫ و‬.‫ ب‬# A ‫ ا ج‬# ‫م‬ @K‫ ا‬m $ N ‫ !ھ‬C O f ‫ ط‬: " +‫ ور‬g ‫ ن‬+ ‫ ھ@ ا! ق ا‬m $ ‫ن‬G N
K ‫ ا ري‬I $‫ وا ا‬M ‫ا‬ K N ‫] ص‬4 ‫ج ا‬ ‫ ا‬# # ‫ ا‬V<‫ ا ﺟ اءات وا ا‬V C ‫ام‬ <‫ ـ ا‬: ‫ وط ا‬3 ‫ا‬ G $ I‫ وﺟ‬K ‫ ا م‬6 ' ‫ج ا‬ ‫ ا‬N‫ م‬$ a 4# ‫ا‬
i 9+ $ ‫ ـ‬. # ‫ ا‬+ّ A U N G ‫ا‬ A‫ ا‬M $ ‫ ا د اذا‬I! 3 ‫ج و‬ ‫ ا‬# ‫م‬SNS ‫ م‬# ‫غ‬S 3 ‫ ـ‬. # ‫ ا‬V<‫ ا‬i P ‫ز‬ 4 ‫@ ز‬K‫ ّ ا‬6 V #‫ا‬
ّ
‫ي‬D ‫ ا‬i ّ ‫ " ا‬p ‫ ء ا‬g U N # ‫ وع ا‬3 A‫ درا‬# m ‫ ا‬4 6 + a‫ ا‬L‫ ا‬C 3‫ا‬ @ K ‫ ا‬f N‫ ا‬C .‫ج‬ ‫ ا‬# # ‫ " ا‬p ‫ ا‬VC M F + ‫ ھ@ ا! ق ا‬U‫ا‬
‫ر‬ ‫ا‬، 7‫و‬ ‫ت اﺟ ا‬ O‫ ا‬Vّ ‫ دات‬K ‫ و اﺟ‬8#+ 3 ‫ ا ط ر ا‬9N‫ د‬: ‫ [ة ا ! ق ا‬K ‫ ي‬4! ‫ ا‬+ ‫ ا‬، 1>1 ( - ." ‫ج‬ ‫ ا‬# # ‫ ة ا‬34 ‫ وع ا‬3 0a + $6 A
.15 ‫ ص‬،2009 G ،79/78 ‫ د‬N ، ‫ا‬
2301
MELLOULI (S) et FRIKHA (S), Op.cit., n° 1363, p 366 et 367.
2302
L’article 10 prévoit que « sont soumis à l'agrément prévu à l'article 7 de la présente loi : - toute fusion d'établissements de crédit, - toute
acquisition, directement ou indirectement, par une ou plusieurs personnes, de parts du capital d’un établissement de crédit susceptible d’entraîner
le contrôle de celui-ci et dans tous les cas toute opération dont il résulte l’acquisition du dixième, du cinquième, du tiers, de la moitié ou des deux

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

sur les banques et les établissements financiers visant pour l'essentiel à assurer la sécurité des dépôts et celle
du système bancaire.

461- Sans aller jusqu’à l’émission de doute sur l’efficacité du régime des institutions de contrôle
dans la préservation de la concurrence2303, on peut se demander s’il n’était pas plus approprié en cas de crise
économique de laisser la concurrence faire ses règles, comme le préconise déjà l’école de Chicago, et
d’intervenir seulement en cas de réalisation de l’abus2304. Cette solution peut trouver une assise dans les
statistiques, puisque sur 3000 concentrations examinées par la commission européenne, seules 18 opérations
ont été interdites et moins de 10% ont été autorisées sous conditions2305. Selon M. Milton Friedman, «si vous
craignait les abus des monopoles il faut enlever les barrières et les obstacles au lieu d’instituer une
Commission de contrôle »2306. Certains pensent que même les ententes doivent être autorisées en temps de
crise2307 !
Le contrôle plurilatéral des concentrations, exercé par les ministres et les conseils concernés ne peut
aider les entreprises à sortir de leur crise rapidement. La lenteur de la procédure de contrôle des concentrations
est inconciliable avec la sécurité juridique, qui est un facteur indispensable dans le monde des affaires2308.
Faut-il rappeler aussi que cette lenteur est contraire aux impératifs de rapidité, de promotion et d’incitation
auxquels postule la concentration.
Etant donné que le facteur temps est crucial dans la vie des affaires2309, une intervention législative en
vue d’accélérer la procédure de contrôle des concentrations avec l’amélioration du rôle du conseil de la
concurrence serait très utile2310.

462- Aussi, convient-il de préciser, à ce niveau, que les fusions effectuées au sein des groupes de
sociétés ne sont pas soumises au contrôle des concentrations dans la mesure où elles échappent aux règles qui
régissent les ententes2311. En effet, la société dominante du groupe trace déjà les décisions et les stratégies de
sa filiale. L’application des règles relatives aux concentrations exige l’indépendance des entreprises qui
fusionnent2312.

tiers des droits de vote. Le délai maximum prévu à l’alinéa 2 de l’article 8 de la présente loi est ramené à un mois. - et tout acte dont il peut en
résulter une cession d'une part importante de l'actif d'un établissement de crédit, susceptible d'entraîner un changement dans la structure
financière ou dans l'orientation de son activité. L'évaluation effectuée par les établissements de crédit intéressés pour déterminer le montant du
capital de l'établissement résultant de la fusion doit recevoir l'accord de la banque centrale de Tunisie en application des dispositions de l'article
13 de la présente loi. Toute réduction du capital est, également, soumise à agrément conformément aux procédures prévues aux articles 7 et 8 de
la présente loi ». L’article 7 énonce, à son tour, que « quiconque entend constituer une société pour se livrer, en qualité de banque ou
d'établissement financier, aux opérations bancaires énumérées à l'article 2 de la présente loi, doit, préalablement à l'exercice de son activité en
Tunisie, obtenir l'agrément conformément aux conditions fixées par la présente loi ». L’article 8 ajoute que « l'établissement de crédit est autorisé
à exercer son activité, en qualité de banque ou d'établissement financier, par arrêté du ministre des finances pris sur rapport de la banque
centrale de Tunisie. La demande d’agrément est adressée à la Banque Centrale de Tunisie qui procède à son examen. Elle est habilitée à cette fin,
à réclamer tous les renseignements et documents qu’elle juge nécessaires. La décision d’agrément est prise dans un délai de quatre mois à
compter de la date de communication de tous les renseignements exigés. La Banque Centrale de Tunisie se charge de notifier à l’intéressé la
décision du ministre des finances arrêtée au sujet de la demande ».
2303
V. par ex. la position d’Henri LE PAGE, cité par SOTY (F), Les sources théoriques de la pensée économique antitrust aux Etats Unis, Conc.
Cons., mai-juin, 1984.
2304
L’intervention après la réalisation de l’abus et même après que l’autorisation ait été donnée par l’autorité de la concurrence a été prévue par le
législateur tunisien, dans l’art. 20 al. 3 de la loi de 1991, et par le législateur français dans l’art. L. 430-9 du Code de commerce, qui prévoit que :
«l’autorité de la concurrence peut, en cas d’exploitation abusive d’une position dominante ou d’un état de dépendance économique, enjoindre, par
décision motivée, à l’entreprise ou au groupe d’entreprises en cause de modifier, de compléter ou de résilier, dans un délai déterminé, tous
accords et tous actes par lesquels s’est réalisée la concentration de la puissance économique qui a permis les abus même si ces actes ont fait
l’objet de la procédure prévue au présent titre ».
2305
LOWE (PH), art. pré., p. 4.
2306
Cité par BRAULT (D), Droit de la concurrence comparé vers un ordre concurrentiel mondial, Economica, 1995.
.151 ‫ ص‬،.‫ذ‬.‫س‬.‫ م‬، ‫ ري‬17 ‫ل ا‬
2307
V. par ex. HUBERT (M-P), art. pré., p. 4.
2308
Parmi les causes de la crise le défaut de réglementation ou la réglementation inadaptée. V. BARRIERE (F), Une cause de la crise financière :
un défaut de réglementation ?, J.C.P., 2009, n° 23, éd. E., p. 16 et s.
2309
BOY (L), art. pré., p. 411.
2310
Sur l’importance du rôle du juge dans le contrôle des concentrations V. THEOPHILE (D) et MELE (P), art. pré., p. 20 et s. et sur l’importance
du rôle du juge d’une manière générale V.
. ‫ ھ‬# ‫ و‬27 ‫ ص‬،2009 C‫ ا‬،.‫ت‬.‫ق‬.‫! م‬Aq ‫ ا‬U N #‫ا‬ ‫ ر ا ز ا‬p‫ آ‬M ‫ ا‬8G ‫ ء‬F ‫ دور ا‬،‫ ري‬17 ‫ ا‬1D‫آ‬
2311
A savoir l’article 5 de la loi n° 91-64 du 29 juillet 1991 relative à la concurrence et aux prix. D’après cet article « sont prohibées les actions
concertées et les ententes expresses ou tacites visant à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence sur le marché… ».
2312
V. Avis du Conseil de la concurrence n° 62155 du 4 janv. 2007, Cable Tunisie/Télécocable, Rapport du Conseil de la concurrence, 2007, p. 7 ;
FRISON-ROCHE (M-A) et PAYET (M-S), op. cit., n° 39, p. 42 ; BOUTARD-LABARDE (M-C) et CAVINET (G), op. cit., n° 355, p. 301.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Ainsi, l’absorption par une société, sous contrôle exclusif d’un holding, d’une filiale à 100 %, n’est pas
soumise à la réglementation des concentrations car, bien qu’il s’agisse de la fusion de deux sociétés distinctes,
elle consiste en la réorganisation interne du groupe et n’implique aucun changement de contrôle2313.
La société mère et sa filiale constituent une unité économique dès lors que la filiale se contente
d’appliquer les instructions de sa mère qui la contrôle2314. En outre, « la circonstance qu’une filiale ait une
personnalité morale distincte ne suffit pas à écarter la possibilité que son comportement soit imputé à la
société mère, lorsque la filiale ne détermine pas son comportement de façon autonome2315 ».
Le Conseil de la concurrence a eu l’occasion de contrôler une opération de fusion intragroupe sur un
marché soumis à des barrières légales. Il s’agissait d’une fusion dans le secteur des explosifs à usage civil dont
les parties étaient la Société Tunisienne des Explosifs et de Munitions (SOTLTEM) et sa filiale
« NITRAGEL », dont elle détenait 90% du capital.
En appréciant si l’absorption par la « SOTIJFEM » de sa filiale « NITRAGEL » était susceptible de
porter atteinte à la concurrence, le conseil a considéré que l’opération projetée ne pouvait avoir aucune
incidence sur le marché intérieur, étant donné que les deux sociétés concernées étaient les seules légalement
autorisées à exercer dans la production, l’exportation et la distribution des explosifs à usage civil et que plus
de la moitié de leur production était destinée à l’exportation. Le conseil a encore ajouté que cette opération ne
pouvait être considérée autrement qu’une simple restructuration interne entre une société mère et sa filiale et
que de ce fait elle ne pouvait affecter ni la structure du marché ni l’approvisionnement des clients.
Du point de vue du conseil de la concurrence, les modifications de contrôle intervenant entre une
société mère et sa filiale n’ont aucune incidence sur la structure du marché, la filiale étant supposée ne pas
disposer d’autonomie. D’ailleurs c’est ce qu’exprime, au même titre, l’article 3-l du règlement communautaire
n° 4064/89 qui prévoit clairement que le contrôle institué ne s’applique pas à une fusion destinée à
l’aménagement d’un groupe déjà constitué2316.

463- A côté du contrôle a priori, exercé conjointement par le ministre du commerce et les autorités
institutionnelles susmentionnées, le législateur a cru bon de porter atteinte au sacro-saint principe de la liberté
contractuelle dans le but de prévenir toute forme d’abus dans les relations intragroupes.

-§2- : La prévention de l’abus par l’atteinte au principe de la liberté


contractuelle2317
464- Conscient de l’insuffisance de l’information en tant que moyen de prévention des abus dans le
groupe de sociétés, le législateur a eu raison de porter atteinte au principe de la liberté contractuelle et-ce, en
réglementant les relations intragroupes qui semblent constituer généralement une source directe d’abus dans le
groupe de sociétés. Il est permis alors de considérer que la codification en ce domaine juridique bien précis
constitue bel et bien une politique préventive des abus, car normalement ces relations relèvent de la libre
volonté des parties contractantes. Aussi bien, faudra-t-il, analyser la portée de l’atteinte à la liberté
contractuelle qui paraît se vérifier par la réglementation préventive à la fois des participations réciproques
entre les sociétés groupées (I) et des conventions intragroupes (II).

2313
V. Lettre du ministre français de l’économie du 9 août 2002, BOCC. 21 oct. 2002 RJDA. 2003, p 6, s.obs. Berlin
2314
MALAURIE-VIGNAL (M), op.cit., p158.
2315
Ibidem., p 159.
2316
GOLDMAN (B), LYON-CAEN (A) et VOGEL (L), Droit commercial européen, Dalloz, 1994, p 479.
2317
Le principe de la liberté contractuelle signifie « que l’on n’est jamais obligé de contracter : il n’y a contrat que si les parties l’ont voulu…on
peut conclure un contrat comme on peut refuser de le conclure. C’est l’expression la plus abrupte et la plus simple de l’autonomie de la volonté.
Ne seront considérées comme stipulations d’un contrat que celles qui sont acceptées par les parties. Notamment la loi ne doit pas s’immiscer dans
le contrat. La plupart des règles légales en la matière doivent être des règles supplétives, destinées à combler les lacunes de la volonté, mais que
celle-ci peut très bien remplacer par d’autres règles ou d’autres dispositions ». LARROUMET (C), Droit civil, T. 3, Les obligations, Le contrat,
3ème éd. ECONOMICA DELTA, 1996, p 102. Plus précisément, la liberté contractuelle est le postulat selon lequel les individus doivent être libres
de définir eux-mêmes les termes de leurs propres contrats, sans aucune interférence d'autrui. C'est le principe directeur en matière de consentement
d'où découlent deux conséquences : chacun est libre de ne pas contracter et chacun est libre de choisir son cocontractant. Ces deux conditions se
voient remises en cause avec l'apparition des contrats forcés et des interdictions légales de contracter, tel que l’interdiction en matière de
participations réciproques.
‫ ة‬N 7 V 3 ‫ < ` ا‬M K4N I$ $ C . + + C # ‫ ن ا‬F ‫ د‬+ ‫ أن‬8G 7 #$ ‫ وإذا‬، 7 # ‫ ا‬MN 64 + ‫ أو أن‬7 # + ‫ أن‬8G mP3 ‫ ا‬+ < 8G V0 ‫ < ` ا‬M Vd $ + 7 # ‫ ا‬+ G... "
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.43 ‫ ص‬،1997 ،H $ ،‫ ء‬G ‫ ا‬# L ، p # ‫ ط‬، # ‫ ا‬:‫ 'ا ت‬S # ‫ ا‬+ 4 ‫ا‬

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

I- L’atteinte à la liberté contractuelle par la réglementation des


participations réciproques2318
465- Avant de mettre l’accent sur l’efficacité d’une telle atteinte (B), il convient, tout d’abord,
d’analyser les raisons qui ont amené le législateur à un tel choix (A).

A- Les raisons de l’atteinte à la liberté contractuelle

466- L’intervention du législateur en vue de réglementer les participations réciproques se justifie à


bien des égards. En effet, ces participations peuvent conduire à des abus très importants lors du
fonctionnement du groupe.
Le plus évident est celui de la fictivité du capital social qui signifie que le montant du capital inscrit
dans les statuts ne correspond pas aux valeurs promises et effectivement apportées à la société2319. Cette idée a
été clairement exprimée par M. le professeur Bel Haj Hammouda qui a écrit que « les participations
réciproques ont pour effet de gonfler artificiellement l’actif des deux sociétés concernées …chaque société se
trouve indirectement propriétaire d’une partie de son propre capital … c’est du capital sur papier. Cette
combinaison financière douteuse échafaudée sur la base de ce genre de participation est contraire à la réalité
du capital social, gage général des créanciers2320. (Le droit anglais l’appelle le mouillage des actifs :
watering). L’argent ne doit pas revenir d’où il est parti2321 ».
Le second abus à craindre est celui du verrouillage de la direction2322. L’abus est très facile à atteindre
lorsque chacune des deux sociétés détient la majorité du capital de l’autre. En effet, lorsqu’une société est
majoritaire dans une autre, elle peut nommer ses leaders. Ces derniers obligés, reconnaissants ou amis,
voteront pour les dirigeants en place dans la première société. Leur réélection sera ainsi permanente.
Etant inamovibles, les dirigeants du groupe profiteront de la situation pour mener une politique
générale tournée, non pas vers l’intérêt commun du groupe, mais plutôt vers le seul intérêt de la société
mère2323.

De son côté, le sénateur Daily2324 a dénoncé la sécurité injustifiée qu’assuraient les participations
réciproques contre les OPA2325 et les OPE2326. « Alors qu’aux USA lorsqu’une société décline en raison de la
mauvaise foi de ses dirigeants, elle est par le mécanisme des OPA rachetée par des capitalistes plus
performants. En France, l’autocontrôle2327 protège les dirigeants contre toute offensive extérieure, et c’est
soit l’entreprise qui périclite, soit même certains de ses actifs industriels qu’il faut brader pour payer le prix
de la tranquillité de certains dirigeants2328 ». N’est-ce pas là une arme fortement dangereuse qui fait tomber
tous les espoirs ? Ne devrait-on pas, comme l’a exprimé M. Alain Minc, dans son œuvre « l’argent fou »2329,
« bousculer » ces dirigeants ?

467- Face à des participations réciproques qui tissent la toile d’araignée, « les proies » sont variées,
tantôt des créanciers attirés par un mirage de prospérité, tantôt des actionnaires « qui ne le sont pas, qui ne le

2318
D’après l’article 465 CSC « une participation est dite réciproque lorsqu’une société appartenant à un groupe de sociétés détient une fraction
du capital d’une ou de plusieurs autres sociétés appartenant à ce même groupe, ayant une participation dans son capital ».
2319
Cet abus est contraire au principe de la réalité du capital social. V. MAMLOUK (A), Le capital social gage des créanciers, th., FSJPS, 1998-
1999, p 114.
2320
Ibidem. V. aussi art 5 CSC.
2321
BEL HAJ HAMOUDA (A), De quelques aspects de droit pénal dans le CSC : liquidation et groupe de sociétés, Session de formation à propos
du CSC, 11 et 12 avril 2003, Centre des études juridiques et judiciaires, Tunis, 2004, p 50.
2322
Ibidem.
2323
Cela ne doit pas pour autant occulter les bienfaits des participations réciproques, ces dernières permettent certainement un contrôle réciproque,
une politique de gestion commune ou encore une coordination durable. V. MAMLOUK (A), th. pré., p 114.
2324
Son rôle a été décisif dans l’élaboration de la réglementation de l’autocontrôle (loi française du 2 août 1989 sur la sécurité et transparence du
marché financier).
2325
Offre publique d’achat.
2326
Offre publique d’échange.
2327
Il désigne les participations réciproques indirectes.
2328
GUYON (Y), Droit des affaires, 11ème éd., ECONOMICA, Paris, 2001, p 565.
2329
MINC (A), L’argent fou, p 107, cité par DE PONTAVICE (E), Rapport introductif, RJ Com., 1990, n° spécial, p 10.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

sont plus face à une oligarchie de club détenant les reines du pouvoir2330 ». En arrière plan apparaît un marché
obscur, une économie en crise de croissance qui appelle au secours par la voie d’une réglementation
préventive efficace.

B- L’efficacité de l’atteinte à la liberté contractuelle


468- L’efficacité est « le mode d’appréciation des conséquences des normes juridiques et de leur
adéquation aux fins qu’elles visent2331».
Partant de cette définition, la réglementation des participations réciproques est-elle efficace ? Y’a-t-il
vraiment atteinte au principe de la liberté contractuelle ? Les dirigeants du groupe ne peuvent-ils pas profiter
des brèches législatives pour retrouver toute la liberté contractuelle redoutée par le législateur ?
Bien que cette réglementation soit nouvelle, les prémisses d’un problème d’efficacité semblent bien
présentes.

469- Conformément aux articles 466, 467, 468, 469 et 479 CSC2332, il parait certain que le
législateur a opté pour la limitation de la liberté contractuelle en matière de participations réciproques. En
effet, qu’il s’agisse de deux sociétés par actions ou bien d’une société par actions et une société autre que par
actions, le législateur a fixé un seuil de 10% à ne pas dépasser2333.
En analysant ces dispositions légales, il sied de remarquer que l’interdiction des participations
réciproques ne porte que sur les actions expressément citées par les articles en question. Aussi, les certificats
d’investissement2334, les certificats de droit de vote2335, les titres participatifs2336 et les obligations2337 qui
constituent des valeurs mobilières autonomes et distinctes des actions2338 échappent à toute interdiction2339. Le
choix législatif parait donc d’une efficacité limitée dans la mesure où ces valeurs mobilières2340, détenues de
façon réciproque, peuvent causer les mêmes dangers suscités surtout en ce qui concerne les certificats de droit
de vote.

470- Par ailleurs, il est indispensable de s’arrêter devant une autre situation qui semble des plus
dangereuses. En effet, le législateur n’a interdit que les participations réciproques entre deux sociétés du
groupe. Il a donc omis d’interdire celles faisant intervenir plus que deux sociétés groupées2341. C’est ce qu’on
appelle les participations réciproques indirectes, appelées également les participations circulaires ou encore
d’autocontrôle. Cette situation consiste pour une société d’assurer son propre contrôle par deux ou plusieurs
sociétés dont elle détient directement ou indirectement le contrôle. C’est le cas lorsqu’une société du groupe
est en partie détenue par l’une de ses sous-filiales. Une telle situation, qui suscite les mêmes dangers que les
participations réciproques directes, va à l’encontre de la volonté du législateur qui cherche, en cette matière, à
limiter autant que possible la liberté contractuelle en tant que source possible de commission des abus. En
2330
TROCHU (M), Le triomphe du capitalisme sauvage ou BSN contre SAINT GOBIN, D., 1969, chro., p 221.
2331
Dictionnaire de la théorie générale de droit, 2011, p 217 et s, (efficacité, effectivité).
2332
Pour lutter contre toutes combinaisons illicites, la loi de 2001 a prévu quatre mécanismes qui sont en réalité complémentaires : une obligation
d’information en cas de participations réciproques dépassant le seuil précité. Cette obligation est mise à la charge de la société acquéreuse. Une
obligation de régularisation dans un délai ne dépassant pas un an et qui peut être aussi bien amiable que légale. Ainsi que des sanctions civiles et
pénales. V. aussi BELHAJ HAMOUDA (A), art. pré., p 51.
2333
D’après GUYON (Y), ce seuil constitue un plafond au dessous duquel l’effectivité du capital n’est pas sérieusement ébranlée. IN, op.cit., n°
587, p 560.
2334
V. art. 375 CSC.
2335
Ibidem.
2336
V. art. 368 CSC.
2337
V. art. 327 CSC.
2338
JAMAI (T), Diversité des produits financiers, I.J., n° 100/101, Novembre 2010, p 30.
، F ‫وا‬ ‫ ت ا‬A‫' ا را‬C ‫ رات‬34 ،2003 V+ G‫ أ‬12 ‫ و‬11 ، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ < ل ّ ا‬4+ $ ‫ دورة‬، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬ 8G ‫ ا وراق ا‬،‫ ي‬$!7 ‫ ( ا‬- : 6‫ُ اﺟ‬+
.2004
2339
OMRANE (A), art. pré. p 10.
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2340
On les appelle aussi produits financiers conformément à l’article 2 de la loi n° 94-117 du 14 novembre 1994 relative à la réorganisation du
marché financier.
2341
L’omission n’a pas été totale puisque l’article 469 CSC dispose que « les participations et droits de vote revenant à une société filiale, telle que
définie par l’article 461 du présent code, ne sont pas prise en considération pour le calcul du quorum et de la majorité dans les assemblées
générales de la société mère ». Bien qu’il permette la neutralisation des droits de vote revenant aux actions d’autocontrôle, cet article est
doublement limité. D’une part il a expressément utilisé le vocable « filiale », il ne s’applique donc pas aux autres sociétés du groupe. D’autre part,
il n’a pas prévu de sanction pour les atteintes à la réalité du capital.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

effet, si deux sociétés groupées veulent nouer entre elles des participations interdites, il leur suffit de transiter
par une troisième société du groupe ou bien hors du groupe.

471- De même, le législateur n’a interdit que les participations réciproques entre deux sociétés
appartenant à un même groupe laissant ainsi la porte grande ouverte devant les sociétés hors groupe ou encore
appartenant à deux groupes différents2342. D'ailleurs, il convient, à cet égard, de remarquer que la
réglementation des participations réciproques dans le titre 6 du CSC est injustifiée dans la mesure où
ces formes de participations ne sont pas spécifiques aux groupes de sociétés, leur réglementation
aurait du être faite au niveau des dispositions générales du code.

472- Aussi, l'article 462 exige que la société mère ait la forme de société anonyme, ce qui offre une
possibilité d'échapper aux contraintes imposées par la loi des groupes en faisant jouer le rôle de société mère
par une SARL ou même par une personne physique. Cette incohérence a engendré l'apparition de 2 catégories
de groupes : les groupes de droit soumis à la législation du CSC et les groupes de fait qui bénéficient de leur
insoumission à la loi.

473- Enfin, il convient de rappeler qu’une loi ne peut s’appliquer en dehors du territoire de l’autorité
qui l’a édictée, sauf si elle est désignée par la règle de conflit en matière de droit international privé ou choisie
par les parties dans une clause compromissoire2343. A cet égard, l’article 10 CSC précise que les sociétés dont
le siège social est situé sur le territoire tunisien sont soumises à la loi tunisienne. A contrario, les sociétés dont
le siège social est hors du territoire tunisien ne sont pas soumises à la loi tunisienne. Ce problème de
territorialité se pose avec beaucoup de stridence dans le cadre des groupes de sociétés qui connaissent, ces
dernières années, une extension phénoménale dépassant les frontières étatiques. En effet, les groupes
multinationaux2344, ayant des filiales un peu partout dans le monde, constituent une réalité à ne plus
démontrer. Certes, de tels groupes sont à présent quasi absents dans l’environnement économique tunisien,
mais leur multiplication semble certaine dans un futur proche. Ainsi, si une société du groupe a son siège
social en Tunisie, elle sera soumise à la réglementation des participations réciproques du droit tunisien, sinon
elle y échappera. Il semble donc facile d’éluder une telle réglementation, ne serait-ce qu’en transférant le siège
social d’une société membre du groupe à l’étranger2345.

Dans toutes ces hypothèses, les participations réciproques demeurent permises à cause de
l'imperfection des textes, qui ne peuvent, en outre, être appliqués d'une manière extensive vu qu'ils constituent
des atténuations au principe de la liberté contractuelle et doivent dès lors être interprétés restrictivement
conformément à l'article 540 C.O.C.

474- Il est vrai que toute initiative de réglementation des participations réciproques est une
satisfaction en soi, car l’essentiel est que le droit ne reste pas en retard par rapport à la pratique. Mais pour être
beaucoup plus satisfaisante, la réglementation ne doit pas creuser le fossé entre le fait et le droit. Réduire
l’écart est une mission possible mais difficile. Le législateur devra donc observer de très près la
réglementation des participations réciproques, préparer s’il le faut des amendements nécessaires pour élargir
la portée de la loi et surtout condamner des montages qui pourraient mettre à néant toute la réglementation et
par ricochet battre en brèche l’atteinte à la liberté contractuelle en tant que moyen préventif des abus dans le
groupe.
En définitive, dépourvues de suffisamment d’efficacité nécessaire pour s’opposer par anticipation aux
abus éventuels dans le groupe de sociétés, les règles codificatrices des participations réciproques, malgré
l’atteinte apparente au principe de la liberté contractuelle, ne semblent pas constituer un moyen préventif qui
pourrait participer à éviter le mal avant qu’il ne soit consommé. En est-il de même concernant l’atteinte au
principe de la liberté contractuelle par la réglementation préventive des conventions intragroupes ?

2342
On pourra également ajouter les sociétés appartenant à un groupe de fait c'est-à-dire un groupe de sociétés non reconnu par la loi tunisienne
comme les groupes contractuels ou bien personnels.
2343
V. art. 4 CDIP.
2344
Exemple : G.M., IBM, AGIL…
2345
Se dégage, dès lors, l’importance de l’unification des règles de droit. Il convient alors de saluer l’effort déployé en ce domaine par
l’organisation de l’UNIDROIT.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

II- L’atteinte à la liberté contractuelle par la réglementation des


conventions intragroupes
475- Les conventions intragroupes peuvent constituer un terrain fertile pour les abus de toute forme.
Avant l’avènement du code des sociétés commerciales, l’article 78 CC n’était pas suffisamment adapté pour
répondre aux divers problèmes que peuvent poser les dites conventions2346. C’est ce qui explique la nouvelle
réglementation, restrictive et contraignante, consacrée pour ce type de conventions par les articles 474 et 475
CSC. Une telle réglementation, grâce à l’atteinte importante au principe de la liberté contractuelle, semble
avoir le mérite de fournir des avantages sur le plan de la sécurité, l’amélioration de l’information et surtout la
prévention des abus susceptibles de causer préjudice aux minoritaires, aux créanciers voire au groupe lui-
même. Ainsi, il convient, avant de déterminer la mesure de l’atteinte à la liberté contractuelle (B) de préciser
le domaine d’une telle atteinte dans les conventions intragroupes (A).

A- Le domaine de l’atteinte à la liberté contractuelle


476- Dans l’article 474 CSC, le législateur s’est intéressé à la réglementation « des opérations
financières » entre les sociétés du groupe. De son côté, l’article 475 du même code2347 a réglementé les
conventions conclues entre la société mère et l’une des sociétés filiales ou entre des sociétés appartenant au
même groupe.
Une lecture hâtive de ces deux textes peut laisser croire que des conflits risquent de se poser
concernant le champ d’application de ces deux dispositions légales, ne serait-ce que parce que le vocable
convention, employé par l’article 475 précité, pris au sens général, peut impliquer toute opération financière.
C’est pourquoi il parait indispensable de préciser le domaine d’application de la réglementation des
conventions intragroupes et donc le domaine de l’atteinte à la liberté contractuelle suivant que l’on se place
dans le cadre de l’un ou de l’autre des deux textes susvisés.
477- On peut soutenir que le domaine d’application de l’article 474 semble se limiter aux opérations
financières qui ont été précisées par son alinéa second en ces termes : « sont considérées opérations
financières, tout prêt au sens de la législation relative aux établissements de crédit2348, toute avance en
compte courant ou garantie, quelles qu’en soient la nature et la durée ».
Comme on peut le constater, ces termes sont utilisés d’une manière générale et sans aucune réserve2349,
car de telles opérations sont autorisées sans prise en compte ni de leur nature ni de leur forme. Il peut s’agir
alors d’une opération financière excluant le recours aux crédits extérieurs telles que toute forme de prêts2350 ou
d’avance en comptes courant2351 comme il peut s’agir d’opérations financières facilitant l’obtention d’un
crédit extérieur par le biais notamment de cautionnements2352, de lettres d’intention2353 ou de garanties à
première demande2354…
2346
Avant la promulgation du CSC, la majorité de la doctrine tunisienne a affirmé que les conventions intragroupes sont soumises à l’article 78
CC. Selon M. KNANI « ce texte n’est pas spécifique au groupe de sociétés, mais en fait il est fréquent que les sociétés faisant partie du groupe
aient des administrateurs communs ». In, « Les groupes de sociétés et le droit commercial », Colloque à propos des groupes de sociétés, les
journées de la décennie de l’ordre des experts comptables de Tunisie, le 13 et 14 mai 1993, p 33. V. également pour le même auteur : Les
conventions entre la société mère et ses dirigeants, RTD, 2001, p 347.
2347
L’article 475 CSC dispose que « lorsque deux sociétés ou plus appartenant à un groupe de sociétés ont les mêmes dirigeants, les conventions
conclues entre la société mère et l’une des sociétés filiales ou entre sociétés appartenant au groupe sont soumises à des procédures spécifiques de
contrôle consistant en leur approbation par l’assemblée générale des associés de chaque société concernée, sur la base d’un rapport spécial établi
par le commissaire aux comptes à l’effet si l a société concernée est soumise à l’obligation de désignation d’un commissaire aux comptes. Le
contrôle n’est pas obligatoire si la convention porte sur une opération courante conclue à des conditions normales ».
2348
L’article 12 de la loi de 2001 relative aux établissements de crédits utilise la formule « prêt dans toutes ses formes ».
2349
ELLEUCH (S), art. pré., p 106.
2350
On entend par prêt tout acte intéressé par lequel une personne, le prêteur, s’engage à fournir un capital en contrepartie d’intérêts payés par
l’emprunteur. V. COLLART-DUTILLEUL (F) et DELEBECQUE (PH), Contrats civils et commerciaux, 5ème éd., DALLOZ, 2001, p 719.
2351
Le compte courant est réglementé en droit tunisien par les articles 728 à 742 CC.
2352
L’article 1478 COC définit le cautionnement comme étant « un contrat par lequel une personne s’oblige envers le créancier à satisfaire à
l’obligation du débiteur si celui-ci n’y satisfait pas lui-même »
2353
La lettre d’intention est une pratique d’origine anglo-saxonne qui reçoit des appellations diverses. Outre celle de lettre d’intension, elle est
appelée aussi lettre de confort, lettre de patronage, de parrainage ou encore d’apaisement. Elle permet de parrainer la filiale auprès d’une institution
financière afin de lui faciliter l’obtention d’un crédit. V. BAILLOD (R), Les lettres d’intention, RTD Com., 1992, p 548.
2354
Elle constitue, comme le cautionnement, une sûreté personnelle dont la singularité se trouve dans son autonomie ou son indépendance par
rapport au contrat de base, ce qui entraîne l’inopposabilité au créancier de toute exception touchant ce contrat. V. STOUFFLET (J), Garantie à
première demande, JCL. Banque et crédit, fasc. 610, p 6 et s.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Toutes ces opérations financières entrent dans le champ d’application de l’article 474 si elles sont
effectuées « entre les sociétés du groupe ayant des liens directs ou indirects du capital, dont l’une dispose
d’un pouvoir sur les autres dû à la détention de plus de la moitié du capital social ». On retient de cette
disposition que les opérations financières ne sont permises qu’entre société mère et filiale2355. Par conséquent,
deux sociétés sœurs2356 ne peuvent nullement entretenir des relations financières à moins qu’elles ne se fassent
transiter par la société mère. « Un tel détour qui sera le plus souvent formel est inutilement imposé » affirme
M. VIANDIER, qui ajoute ce qui suit : « de deux chose l’une, ou bien autoriser (les opérations financières) à
l’intérieur du groupe au nom de l’unité économique, sociale, comptable et patrimoniale, et il est indifférent de
savoir entre qui et qui interviennent les dites opérations, ou bien on n’admet pas cette idée de l’unité du
groupe et l’exception2357 n’est plus justifiée2358 ».

En revanche, s’il s’agit de conventions qui ne constituent pas des opérations financières au sens fixé
par le deuxième alinéa de l’article 474 C.S.C., dans ce cas, c’est bel et bien l’article 475 du même code qui
doit s’appliquer. Plus exactement, toutes les fois où il s’agit de conventions qui ne constituent ni un prêt au
sens de la législation relative aux établissements de crédit ni une avance en compte courant ou garantie,
quelles qu’en soient la nature et la durée, ce sont les dispositions de l’article 475 précité qui devront
s’appliquer. Il faut toutefois que ces conventions soient conclues entre la société mère et l’une des sociétés
filiales ou entre sociétés appartenant au groupe ayant les mêmes dirigeants.

478- Comme on peut le constater, la loi du groupe semble avoir bien précisé le domaine de l’atteinte
à la liberté contractuelle en matière de conventions intragroupes. Il sied dès lors de déterminer la mesure
d’une telle atteinte.

B- La mesure de l’atteinte à la liberté contractuelle dans les conventions


intragroupes
479- Dans quelle mesure le principe de la liberté contractuelle a-t-il été atteint par la réglementation
des conventions intragroupes ? Pour y répondre, il faudra bien démontrer la mesure d’une telle atteinte aussi
bien au niveau des opérations financières (a) qu’au niveau des conventions entres sociétés groupées ayant les
mêmes dirigeants (b).

a- La mesure de l’atteinte au niveau des opérations financières

480- Partant du fait que les dirigeants de la SA doivent la servir et non pas s'en servir, l'article 200
CSC, tel que modifié par la loi n° 2009-16 du 16 mars 2009, consacre, pour la première fois, la notion de
conflits d'intérêts et impose aux dirigeants sociaux de les éviter. Cet article, qui commence par un paragraphe
premier intitulé « évitement des conflits d'intérêts », ne se contente pas d'imposer aux dirigeants sociaux
l'obligation de « veiller à éviter tout conflit entre leurs intérêts personnels et ceux de la société », mais va
plus loin en les obligeant de traiter avec la société suivant des termes équitables et lui révéler les conflits
d'intérêts directs ou indirects. Aussi, pouvant être un instrument d'abus entre les mains des dirigeants, les
conventions que ces derniers concluent avec la société sont désormais soumises au principe de la transaction
équitable. Aux termes de l'article 200 nouveau CSC, « les dirigeants de la société anonyme doivent veiller... à
ce que les termes des opérations qu'ils concluent avec la société qu’ils dirigent soient équitables », c'est-à-dire
formées de bonne foi et suivant des conditions impartiales, justes et loyales.
Pour prévenir davantage le risque d’abus, le même article a aussi soumis certaines conventions à
autorisation, approbation et audit. Il en a également interdit d’autres. Parmi les conventions soumises à
l’autorisation préalable du conseil d’administration on trouve celles conclues entre la société et la personne
morale qui la contrôle au sens de l’article 461 CSC.

2355
ELLEUCH (S), art. pré., p 108.
2356
C’est à dire deux sociétés filiales ou bien deux sociétés contrôlées ou encore une filiale et une société contrôlée.
2357
L’exception au monopole bancaire. V. art. 7 de la loi n° 2001-65 du 10 juillet 2001, relative aux établissements de crédit.
2358
VIVANDIER (A), Les opérations financières au sein des groupes de sociétés, JCP, 1985, doc. n° 3188.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

481- En plus de cette autorisation, l’opération financière intragroupe, pour qu’elle soit autorisée, doit
être soumise à des conditions supplémentaires imposées par l’article 474 CSC. L’analyse de ces conditions
aide certainement à déterminer la mesure de l’atteinte au principe de la liberté contractuelle.
Tout d’abord, l’opération financière doit être normale et ne doit pas engendrer des difficultés pour la
société qui l’a effectuée. Selon le ministère de la justice, l’opération financière est normale lorsqu’elle
s’effectue dans des conditions habituellement usitées dans les rapports de la société concernée avec ses
clients2359. Ainsi, au moment de sa conclusion, l’acte ne doit pas faire courir à la société un risque
déraisonnable. Autrement dit, il ne faut pas que l’opération se traduise à sens unique, pour enrichir l’un des
membres du groupe aux dépens d’une société-cible rendue exsangue par les prélèvement massifs sur son actif
social, qui la contraignent, par exemple, à des licenciements de personnels et à des déficits susceptibles de
compromettre le paiement de ses dettes sociales. Il est vrai que l’activité commerciale se base sur la notion de
risque et d’aléa, sauf que le risque doit être nécessairement raisonnable et acceptable. L’animateur du groupe
doit « jauger les forces de la société contribuant et les confronter avec le poids des engagements assurés pour
déterminer s’ils ne sont point disproportionnés et de nature à mettre en péril l’exploitation sociale2360 ».

En outre, l’opération financière doit comporter une contrepartie effective ou prévisible pour la société
qui l’a effectuée. Dès lors, faut-il bannir d’office les opérations gratuites telles que les abandons de créances et
les crédits gratuits ? Une réponse affirmative contredit l’objectif du groupe de société fondé sur l’entraide
économique, sociale et financière2361.
Par ailleurs, la contrepartie peut être effective, comme elle peut être prévisible. Ainsi les membres du
groupe « sont appelés à se rendre des services mutuels, à se soutenir réciproquement en cas de difficulté
passagère et le sacrifice présenté, aujourd’hui, par l’une peut trouver sa contrepartie dans l’avantage de
demain2362 ».
Mais la question qui se pose est de savoir si l’appartenance à un groupe de sociétés constitue, en soi,
une contrepartie suffisante pour la filiale qui s’y est intégrée. La cour de cassation française a refusé d’adopter
une telle position2363. Elle répugne, en effet, toute idée de compensation purement économique. Toutefois,
certains juges du fond2364 continuent à affirmer que l’opération n’est pas dépourvue de contrepartie lorsque la
présence d’un groupe, fortement structuré, est indiscutable.
L’article 474 CSC dispose également que l’opération doit être justifiée par un besoin effectif pour la
société concernée et qu’elle ne résulte pas de considérations fiscales. Le besoin effectif ne traduit pas
nécessairement une situation de difficulté économique, pour la simple raison qu’une société en puissance a
parfois besoin d’un soutien financier important pour développer son activité ou encore pour acquérir le
contrôle d’autres sociétés2365. Le besoin peut avoir un caractère financier, économique ou même social. Mais
il ne peut jamais servir de prétexte pour éluder l’impôt, ou encore pour servir les intérêts personnels des
dirigeants2366.

482- L’insuffisance des mécanismes préventifs de la réglementation des groupes de sociétés se


manifeste avec une acuité particulière concernant les opérations financières intragroupes où le législateur n'a
pas prévu de mécanisme de contrôle préalable, par les associés, à l'accomplissement de ces opérations, alors
que pour les conventions non financières il a exigé leur approbation par l'assemblée générale des associés de
chaque société sur la base d'un rapport spécial établi par le commissaire aux comptes conformément à l’article
475 CSC. Cette discrimination entre les deux sortes de convention est absolument injustifiée.

483- Nonobstant cette défaillance légale, les conditions imposées par l’article 474 CSC témoignent
du degré de l’importance de l’atteinte que subit le principe de la liberté contractuelle dans le cadre du groupe
de sociétés. En effet, en plus des conditions imposées par le droit commun des contrats telles que prévues par

.1 ‫ د‬N " 6‫ُ اﺟ‬+ ،103 ‫ ص‬،5 ‫ د‬N ،2001 G 20 ،‫ اب‬4 ‫ ا‬H ‫ او ت‬2359
2360
FREYRIA (C) et CLARA (J), art.pré., p255.
2361
D’ailleurs en vertu de la nouvelle définition de la société (art. 2 CSC), la réalisation d’une économie suffit pour consacrer la finalité sociale.
2362
BASTIAN, note sous Cass. Crim. Paris 9-1-1952, JCP, II, 195é, 6970.
2363
Cass. Crim. Fr., 16-12-95, JCP, II, éd. CI, 1976, 18476, note Delmas-Marty (M).
2364
C.A. Paris, 15 novembre 1985, Gaz. Pal., I, 1986, p367.
2365
ELLEUCH (S), art. pré., p113.
2366
D’après GODON (L), « L’intérêt social et l’intérêt commun des associés constituent des finalités légales, jamais l’intérêt personnel des
dirigeants ». In, Fondement juridique du devoir de loyauté du dirigeant social, Rev. Soc., n° 1, 2005, p 149.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

l’article 2 COC qui exige la capacité de s’obliger, une déclaration valable de volonté, un objet certain et une
cause licite, les conditions de l’article 474 CSC doivent être également remplies pour que l’opération
financière soit autorisée dans le groupe de sociétés, sans oublier l’autorisation du conseil d’administration telle
que prévue par l’article 200 du même code. Toute cette rigueur, voire lourdeur au niveau des conditions
d’autorisation de l’opération financière est certainement une preuve incontestable de l’importance de l’atteinte
apportée au principe de la liberté contractuelle. Il en va de même au niveau des conventions entre sociétés
groupées ayant les mêmes dirigeants.

b- La mesure de l’atteinte au niveau des conventions entre sociétés


ayant les mêmes dirigeants2367

484- Pour ne pas entraver les transactions et les opérations au sein du groupe de sociétés, l’article
475 CSC dispose que « le contrôle n’est pas obligatoire si la convention porte sur une opération courante
conclue à des conditions normales ».
Deux questions se dégagent de la teneur de ce texte : qu’est ce qu’on entend par convention courante ?
Et que signifie la normalité des conditions ?
Répondant à la première question, le ministère de la justice a pu affirmer qu’il s’agit en réalité des
opérations habituelles entrant dans l’objet social et qui représentent la part la plus importante des opérations
conclues. Il en est ainsi de l’octroi d’un crédit pour les établissements bancaires, la conclusion des contrats
d’assurance pour assurer la responsabilité des tiers et de leurs biens pour les sociétés d’assurance, l’achat de
matières premières pour une société industrielle2368… Il semble que le ministère de la justice a repris les
mêmes critères déjà dégagés par la doctrine française qui considère que les opérations courantes sont celles
qui sont effectuées par la société d’une manière habituelle dans le cadre de son activité2369. On peut dire alors
qu’est considérée courante toute convention qui relève de l’exercice normal de l’activité de la société.
S’agissant de la deuxième question relative à la normalité des conditions de la convention intragroupe,
le ministère de la justice a clairement affirmé qu’on ne peut parler de conditions normales que si les
conditions du contrat sont les mêmes suivies par la société dans ses relations avec un autre fournisseur ou
client. Ces conditions concernent notamment le prix, l’échéance, les garanties de paiement, la qualité des
produits, et le cas échéant la garantie des vices et les délais de livraison du produit ou du service objet de la
transaction2370.
Ces précisions rappellent aussi une doctrine française dépassée qui considère que les conventions sont
conclues à des conditions normales lorsqu’elles sont effectuées par la société suivant les mêmes conditions
qu’elle pratique habituellement dans ses rapports avec les clients2371. Il reste que l’imprécision de la
notion « client » a amené la doctrine2372, ainsi que la jurisprudence française2373, à abandonner une telle
définition pour dire que la normalité d’une opération exige la prise en compte des conditions dans lesquelles

2367
Ces conventions rappellent le contrat avec soi même, c'est-à-dire le contrat dans lequel une partie s’engage à la fois en son nom et pour son
propre compte et aussi au nom d’une personne physique ou morale qu’elle représente. Ce contrat est une espèce de « one man show » qui a souvent
suscité la méfiance du législateur. C’est ce qui ressort de l’article 549 COC qui figure dans les règles générales de droit, d’après lequel « nul ne
peut user des droits qu’il a pour autrui par exemple, comme administrateur ou tuteur, afin de contracter avec soi-même, même par
intermédiaire ». De même pour les incapacités spéciales prévues par les articles 566, 567 et 568 COC ainsi que l’article 1083 COC qui soumet à
l’autorisation du juge compétent, le contrat par lequel quelqun prêterait ou emprunterait lui-même les capitaux de son fils. La même règle
s’applique au tuteur, au curateur et à l’administrateur d’une personne morale. La méfiance du législateur à l’égard du contrat avec soi-même a été
prévue en droit des sociétés par l’article 78 CC qui a réglementé les conventions entre la société et ses dirigeants ainsi que les conventions entre
sociétés ayant les mêmes dirigeants. Actuellement, ce sont les articles 200 et 202 CSC qui réglementent les conventions entre la société anonyme
isolée et ses dirigeants. V. KNANI (Y), art. pré., p 1.
!Aq ‫ ا‬U ‫! إ‬4 ‫ د ا وض‬4A|C ، K $ ‫ أو‬K+ $ 8 ‫ ت ا‬# ‫ ا‬M ‫ ﺟ'ء‬9‫ أھ‬Vd $ ‫ و‬C 3 ‫ دي ا‬N ‫ ط ا‬34 ‫ ا‬8G V $ 8 ‫ و ا‬G [ ‫ت ا‬S # ‫ ا‬8KG +‫ ت ا ر‬# ‫ " أ ا‬2368
‫ ص‬،5 ‫(د‬3 ،2001 6 " 20 ،‫ اب‬A ‫[ ا‬2S ‫" (او ت‬... N 40 !Aq U ‫! إ‬4 ‫ اء ا اد ا و‬O ‫ و‬M ‫ ت ا‬C O U ‫! إ‬4 9KCS ‫و ا ^ و أ‬q! ‫ د‬N ‫ و إ ام‬، 4 ‫ا‬
.1 ‫ د‬N " ‫ ا‬6‫ُ اﺟ‬+ ،103
2369
HEMART (G), TERRE (F) et MABILAT (P), Sociétés commerciales, T.I, DALLOZ, Paris, 1972, n° 1026, p 901.
0 ] ‫ و‬، ‫ أو 'ود آ‬i+ < ‫ أي‬6 K #$ 8G K V # ‫ ا‬U N C 3 ‫ ا‬f ‫ دأ‬8 ‫ وط ا‬3 ‫ ذات ا‬8‫ ھ‬K O 8G 7 # ‫ ت ا‬F f C ‫ إذا‬+‫ د‬N ‫ وط‬3 # ‫ ھ ه ا‬#$ ‫ " و‬2370
20 ،‫ اب‬A ‫[ ا‬2S ‫ (او ت‬." # ‫ ع ا‬g P ‫ أو ا‬# ! ‫ ا‬9 !$ ‫ ء و آﺟ ل‬F 7 ‫ ا‬4N ‫ ب‬# ‫ ن ا‬g ‫ ج و‬4 ‫ ا‬N ‫ و‬M d ‫ ء‬G ‫ ت ا‬g ‫ص و‬SP ‫ و آﺟ ل ا‬M d " # + 8G
.1 ‫ د‬N " ‫ ا‬6‫ُ اﺟ‬+ ،103 ‫ ص‬،5 ‫(د‬3 ،2001 6 "
2371
MERLE (PH), Les conventions au sein des groupes, P.A., p 51.
2372
Ibidem.
2373
C.A. Aix, 27-1-95, Rev. Soc., 1995, p 367, note GUYON ; C.A. Paris, 20 nov. 1998, Bull. Joly 1999, p. 476, note P. Le Cannu, RTD com.
1999, n° 1, p. 145, Obs. B. Petit, RTD com. 1999, n° 2, p. 426, Obs. Champaud et D. Danet, JCP E 1999, n° 15, p. 669, Obs. A. Viandier et J.-
J. Caussain, D. aff. 1999, p. 134, Obs. M. Boizard ; Cass. Com. Fr., 1er oct. 1996, n° 94-16.315, Dr. sociétés 1996, comm. 235, Bull. Joly 1997,
p. 138, note Le Cannu, RJDA 1997, n° 65, p. 39.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

sont habituellement effectuées les opérations semblables, non seulement dans la société en cause mais aussi
dans les autres sociétés du même secteur d’activité.

En tout cas, l’appréciation du caractère courant, normal ou anormal2374 reste une tâche difficile qui
risque de battre en brèche l’atteinte à la liberté contractuelle consacrée dans le but de prévenir les abus
susceptibles d’être commis si les agissements ou les transactions étaient laissés à la liberté des parties ou à ce
que leur édictent les usages commerciaux.

485- Hormis les conventions courantes conclues à des conditions normales, celles entrant dans le
champ d’application de l’article 475 CSC sont soumises à des procédures spécifiques destinées à éviter toute
sorte d’abus.
L’article 475 CSC exige, en premier lieu, que l’opération fasse l’objet d’un rapport spécial du
commissaire aux comptes de chaque société concernée2375. On peut se demander alors pourquoi le législateur
n’a pas chargé de cette mission le commissaire aux comptes du groupe, d’autant plus que ce dernier dispose
d’un pouvoir d’investigation très large et s’est fait une idée claire sur la situation économique du groupe de
sociétés ainsi que sur la spécificité des relations intragroupes.

Il faut signaler aussi que l’article 475 CSC ne détermine pas la personne qui doit aviser le commissaire
aux comptes. Il ne fixe pas non plus un délai pour l’accomplissement de cette obligation et ne précise pas la
forme de l’avis. Il appartiendra alors aux juges de fond, au cas où ils auront à connaître de ces difficultés, de
considérer que l’avis doit être effectué dans un délai raisonnable par les dirigeants communs des deux sociétés
concernées par la convention. Cet avis peut être donné verbalement, mais il est prudent qu’il soit donné par
écrit pour éviter toute contestation.
La convention doit être également soumise à l’approbation de l’assemblée générale des associés de
chaque société concernée. Cette approbation qui, constitue un véritable moyen pour prévenir toute forme
d’abus lors de la conclusion d’une convention intragroupe, ne doit pas être donnée individuellement par
chaque associé, elle doit faire l’objet d’une véritable délibération avec le vote des associés2376. Mais la
question qui se pose est celle de savoir si les dirigeants associés peuvent prendre part au vote ou non ? A ce
propos, les articles 200 et 474 du CSC n’apportent aucune précision2377. En droit français, le dirigeant associé
ne peut pas prendre part au vote ni au conseil d’administration ni à l’assemblée générale des associés2378. En
droit tunisien, à défaut de disposition expresse, il semble inacceptable d’exclure les dirigeants communs du
vote. En effet, le droit des associés de participer à la gestion de la société ne peut être écarté que par une
disposition légale expresse2379.

2374
Une telle appréciation relève certainement de la compétence des juges du fond, sans pour autant oublier le contrôle exercé par la cour de
cassation. V. art. 175 CPCC. V. BEN AMMOU (N), Le pouvoir de contrôle de la cour de cassation, thèse, Faculté de droit et des sciences
politiques de Tunis, 1996.
2375
Si, bien entendu, la société du groupe est soumise à l’obligation de désignation d’un commissaire aux comptes. V. art. 13 CSC qui dispose
que « toute société commerciale doit désigner un commissaire aux comptes, si durant trois exercices comptables successifs son chiffre d’affaire ou
son capital dépasse un montant fixé par le ministre chargé des finances ». Remarquons à ce propos que l’arrêté du ministre n’a pas encore été pris
en application de ce texte. De toute manière, pour la SA la nomination du commissaire aux comptes est toujours obligatoire. Pour la SARL,
l’article 123 CSC dispose que « lorsque le capital social excède 20000 dinars, les associés délibérant aux conditions de quorum et de majorité
propres aux assemblées générales ordinaires sont tenu de désigner un ou plusieurs commissaires aux comptes ». De même pour la SUARL, V. art
148 CSC.
# ‫ وع ا‬3 ‫ ض‬N I‫ ﺟ‬+ ‫ وع‬3 ‫ ا‬M 475 V]/ ‫ ن ا‬G ، .‫ت‬.‫ش‬.‫ م‬13 V]/ ‫ ت ط‬C 3 ‫ ا‬I7‫ا‬ 7‫ ا‬U ‫ إ‬#g 5 ‫ ت‬C 3 ‫ ا‬6 $ U ‫ إ‬4 ‫ ت ا‬C 3 ‫ إ< ى ا‬f C ‫" إذا‬
‫و دور‬ 7 ‫ ز ا‬K‫ دور ﺟ‬f7 ‫ ا‬H/ 8G ‫ ء‬C 3 ‫ ا‬I# G ،‫ف‬ I7‫ا‬ ‫ أي‬U N ag N A ‫ دون‬a G f ‫ ء‬C 3 ‫ا‬ # ‫ ا ! ا‬U N ‫ ض‬#+ ‫ن ا‬G8 ‫ و‬،‫ <! ت‬I7‫ا‬ UN
.1 ‫ د‬N " 6‫ُ اﺟ‬+ ،103 ‫ ص‬،5 ‫ د‬N ،2001 G 20 ،‫ اب‬4 ‫ ا‬H ‫ او ت‬." C 3 ‫ ا‬V ‫ ز ا ار و ا ! دة دا‬K‫ﺟ‬
2376
C.A. Paris, 18-3-59, RTD Com., 1960, Obs. RAULT, p 109.
2377
Il convient de préciser que l’art. 202 CSC a prévu dans son alinéa dernier, relatif à la couverture de la nullité, que l’intéressé ne doit pas
prendre part au vote.
2378
V. art. L. 225-40 CC fr., 2005, (L. n° 2001-420 du 15 mai 2001) « L'intéressé est tenu d'informer le conseil, dès qu'il a connaissance d'une
convention à laquelle l'article L. 225-38 est applicable. Il ne peut prendre part au vote sur l'autorisation sollicitée… L'intéressé ne peut pas
prendre part au vote et ses actions ne sont pas prises en compte pour le calcul du quorum et de la majorité ».
2379
V. art 11 al 4 du CSC qui dispose que « tout associé a le droit de participer aux assemblées générales ». V. également CATHELINEAU (A),
Assemblée d’actionnaires, JCL sociétés, Fasc. 140-10, 1998, p1 ; MACHOUCH (F), La souveraineté des assemblées générales des actionnaires
de la société anonyme, mémoire de DEA, Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis, 1994 ; EL HAJJAM (S), La protection des
actionnaires dans les sociétés commerciales, mémoire de DEA, Université de Tunis III, 1995, p 51.
،(163 " S1 ‫ ا‬. # ‫ و‬5 ‫ ص‬،9 ‫وا‬ ] H $ 'C ،2001 8/ ‫ ﺟ‬27-26 ، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ن ا‬7 8G + ‫ < ل ا‬8 N U ،k+ 3 ‫ < ق ا‬8G + ‫ ا‬،iA + 8 4 ‫ا‬
.9‫ ص‬،1998 ،4 ‫ د‬N ‫ م ق ت‬،9A ‫ ا‬/ ‫ ت‬C 3 ‫ ا‬8G 9‫< ق ا ! ھ‬

Page 342
DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

486- Par ailleurs, l’article 475 CSC n’a pas consacré une formalité substantielle prévue par l’article
200 CSC, à savoir l’autorisation du conseil d’administration de la société concernée par la convention2380. En
réalité, il semble que le choix législatif est très judicieux dans la mesure où une telle autorisation ne fait que
compliquer encore plus la procédure, surtout que les relations entre les sociétés groupées imposent autant de
simplicité que de souplesse. Il va sans dire que la lourdeur des procédures en ce domaine semble être
incompatible également avec la rapidité à laquelle postulent les relations intragroupes2381. On pourrait même
aller jusqu’à soutenir que, sur le plan préventif, toutes les atteintes apportées au principe de la liberté
contractuelle semblent constituer une forme de contrôle a priori, qui peut être considérée comme plus ou
moins satisfaisante. Car, n’oublions pas deux données importantes : la première est que l’on est parti d’un
droit des groupes non codifié. Dès lors, toute codification ne devra pas se transformer en règles écrites
tracassantes, lourdes et ennuyantes. La seconde consiste à dire que plusieurs systèmes juridiques ne
connaissent pas encore le phénomène de codification du droit des groupes, peut être parce qu’ils considèrent
que légiférer en ce domaine signifie freiner la liberté transactionnelle nécessaire à la promotion du phénomène
de la concentration.
Il convient toutefois de préciser que cette formalité, relative à l’autorisation de la convention par le
conseil d’administration, demeure applicable dans la mesure où l’article 200 nouveau CSC soumet à
l’autorisation préalable du conseil toutes conventions conclues entre la société et la personne morale qui la
contrôle au sens de l’article 461 CSC.

487- Pour éviter que l’atteinte à cette liberté ne dépasse la mesure du raisonnable, le législateur de
2001 a considéré que le formalisme susmentionné n’est envisageable que lorsque les sociétés groupées sont
dirigées par les mêmes personnes. En effet, l’article 475 précité exige expressément que les sociétés en
question aient des dirigeants communs pour que les procédures de contrôles susvisées soient imposées. Une
telle exigence ne passe pas inaperçue surtout qu’elle prouve la bonne intention du législateur2382. Néanmoins,
elle risque de constituer le maillon faible de toute la réglementation préventive des conventions intragroupes,
car il suffit pour le dirigeant d’user de la technique « des hommes de paille » pour éluder tout le dispositif
préventif. Ce qui pourrait réduire à néant toute l’atteinte à la liberté contractuelle en tant que moyen préventif
des agissements abusifs. Aussi bien faudra-t-il penser à de nouveaux moyens préventifs de l’abus aptes à
renforcer la prévention dans les procédés de concentration des sociétés. Nul doute alors que ces nouveaux
moyens de prévention contribueront à édifier une véritable théorie générale de l’abus en ce domaine où
l’effort de concentration a grandement besoin de support et de protection.

Section Deuxième : L’unification par l’adjonction de


nouveaux moyens préventifs de l’abus

488- On propose, dans cette section, l’ajout de nouveaux moyens préventifs des abus dans les
procédés de concentration et ce, dans le but de corroborer la prévention juridique actuelle ne serait-ce que
pour satisfaire l’adage disant que « mieux vaut prévenir que guérir », et permettre par là-même de poser l’un
des jalons nécessaires à l’édification d’une théorie générale de l’abus dans ce type de relations.
Dans cette perspective, on défendra, en premier lieu, l’idée selon laquelle il faudrait introduire la règle
de l’unanimité dans les opérations de fusion ou scission (Sous-section première). En second lieu, il sied de
prôner l’introduction, dans la pratique des affaires tunisiennes des pactes d’actionnaires surtout après la
dernière modification du code des sociétés commerciales qui a ôté le voile sur la légalité de ces pactes dans la
législation des sociétés (Sous-section deuxième).

2380
KNANI (Y), art.pré., p 347.
2381
BARTELEMY (J), COULON (N), EGAL (J), GUIGOU (H), HARDOUIN (M), DEMELLO (X), PETITEAU (G) ET SEURAT (P), Le
droit des groupes des sociétés, édition Dalloz, 1991, p 155.
2382
En effet, il est inconcevable que toutes les conventions intragroupes soient soumises aux procédures de contrôle. Car, cela risque d’entraver le
bon fonctionnement du groupe. C’est pour cette raison que le législateur a exigé la condition de communauté de dirigeants. D’autant plus qu’une
telle communauté est assez souvent suspicieuse d’abus.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Sous-section Première : Pour l’institution de la


règle de l’unanimité dans les opérations de fusion
ou de scission
489- Si la règle de l'unanimité2383 intéresse l'ensemble du droit privé, le droit des sociétés fournit un
champ d'investigation particulièrement fertile pour l'étude de cette règle, illustrant la difficulté, dans une
collectivité, d'adopter des décisions qui satisfont l'ensemble des membres.
La règle de l'unanimité intéresse tout d'abord le droit civil, que l'on pense par exemple au mutuus
dissensus de l'article 242 COC, aux actes d'innovation et de disposition relatifs aux biens indivis2384, au droit
de la copropriété immobilière2385, aux régimes matrimoniaux2386 etc.
La règle unanimiste intéresse, en second lieu et particulièrement, le droit des sociétés2387, si l'on en
juge aux nombreuses dispositions qui visent cette règle2388, et aux difficultés pratiques de sa mise en
œuvre2389. Il reste qu’en droit des sociétés, la majorité constitue le principe, l'unanimité l'exception. Cette
règle, qui déroge au droit commun des contrats, aboutit à ce que « le respect du pacte social est sacrifié à la
nécessité de faire vivre, au prix des modifications nécessaires, l'être qui a été créé2390 ». Comme le note un
auteur, « (le principe majoritaire) constitue le mode pacifique de résolution du conflit2391 ».
490- Etudier la règle de l’unanimité dans les opérations de concentration n’est nullement une
entreprise facile à entreprendre, surtout qu’il sera question de rapprocher la fusion ou la scission d’une
opération qui leur est assez proche, à savoir la transformation.
En ce qui concerne la transformation d'une SA ou d'une SARL, la règle majoritaire est de mise si bien
que l'un des membres de ces sociétés pourrait se voir associé d'une nouvelle structure sans y avoir consenti, à
la condition que cette nouvelle structure ne l'expose pas à supporter des charges excédant son apport initial. Si
tel est le cas c’est la règle de l’unanimité qui devra prévaloir. Ainsi, l’article 143 CSC énonce que la SARL ne
peut se transformer en SNC, en SCS ou en SCA que par une décision émanant de l’AGE prise à l’unanimité
des associés, sous peine de nullité. En l’absence d’unanimité, la SARL ne pourra donc pas changer de forme.
Il suffit qu’un seul associé dise non pour que la transformation se bloque2392.
Pour éviter ce blocage, ou encore pour faire table rase de la règle de l’unanimité, il semble possible de
constituer une SCA et mettre en place une opération de fusion absorption dans la quelle la SARL sera
absorbée par la SCA2393. De cette façon là l’unanimité sera remplacée par la majorité qualifiée !
La question qui se pose alors est de savoir si l'absorption par une SCA d'une SARL emporte-t-elle
transformation de la société cible ? Et de cette façon-là, requiert-elle le consentement unanime des associés ?
Ou au contraire, la qualification de fusion-absorption est-elle exclusive de la qualification de transformation,
auquel cas la majorité qualifiée suffirait pour approuver la restructuration ?
2383
On fait généralement remonter les origines de cette règle à Rome où la société de droit romain fonctionnait sur le principe unanimiste ainsi
qu'au Moyen Age à travers l'institution de la « communauté taisible ». De même, les droits hébraïque et canonique connaissaient-ils cette règle de
l'unanimité : le droit hébraïque au travers l'institution du Sanhédrin, et le droit canonique pour lequel la règle de l'unanimité constituait un idéal,
notamment en matière électorale. Sur tous ces points, V. RUELLAN (C), La loi de la majorité dans les sociétés commerciales, thèse, Paris II,
1994. Aussi, en droit musulman, notamment dans le rite malékite le concept d’unanimité constitue une source juridique après le coran et la sunna,
V. ALDEEB (S), Manuel de droit musulman et arabe, Thebookedition, Lille, 2009.
2384
V. article 69 CDR.
2385
V. article 86 CDR et s.
2386
V. article 17 de la loi n° 98-94 du 9 novembre 1998 relative au régime de la communauté des biens entre époux.
2387
COZIAN (M), VIANDIER (A) ET DEBOISSY (F), Droit des sociétés, LITEC, 17ème éd., n° 295 : « l'associé est citoyen de cette cité qu'est
la société ».
2388
V. les articles 58, 65, 74, 100, 132, 140, 143, 172, 173, 292, 406 et 450 CSC.
2389
RUELLAN (C), thèse préc., II, p. III, pour qui le principe majoritaire va servir à « [tenir] en échec la stérilité engendrée par l'unanimité ».
2390
RIPERT (R), Aspects juridiques du capitalisme moderne, LGDJ, 1992, 2e éd., n° 40, p. 95.
2391
RUELLAN (C), thèse préc., II, p 3.
2392
L’unanimité s’explique, dans ce cas, par le fait qu’une telle transformation va changer la forme de la société d’une entité à risque limité en une
entité à risque illimité.
‫ وھ‬.‫ ء‬C 3 ‫ اﺟ ع ا‬U N ‫ ا ] ل‬M a G 9KA g‫ او ر‬L ! g‫ر‬ C O ‫ او‬g‫ و‬/ C O U ‫ إ‬C 3 ‫ ا‬V O ^$ ‫ دة‬# 7‫ ر‬P ‫ ا‬# ‫ ا ! ا‬K G ‫ ر‬$ 8 ‫ا‬ ‫ ا‬8G
k+ 3 ‫] ا‬+ ‫ ان‬8 M + ‫ و‬K$ ‫ وا 'ا‬K +‫ د‬MN ‫ ء‬C 3 ‫ وا‬C 3 ‫ ا‬6 M F ‫ا‬ ‫ ا‬U ‫ودة إ‬ ‫و‬q! M k+ 3 ‫ ا‬#g‫ ل و‬$ a4N 4 A ^ ‫ ر ان ا‬N 8 L4 ‫ ط‬O
'C ،‫ ل و< ق ا ! ن‬# ‫ وزارة ا‬، ! ‫ ا‬+‫ ر‬K ‫ ا‬،‫ ري‬17 ‫ و ل ا‬2 ‫ ( ا ر‬0‫ ة ا ! دة ا‬F ‫ " ا‬#$ ، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬ . a$‫ دون اراد‬C 3 ‫ ن ا‬+‫ ] ص د‬8G 4 F
.444 ‫ ص‬2007 H $ ، F ‫وا‬ ‫ ت ا‬A‫ا را‬
2393
Cette opération est interdite si la société absorbante est une SNC ou une SCS conformément à l’article 412 CSC qui impose le fait que
l’opération de fusion ou de scission doit donner lieu a une SARL, SA ou SCA.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

En l’absence d’une jurisprudence tunisienne spécifique à la question, on ne peut que recourir à son
homologue française à titre d’enrichissement et d’enseignement juridique2394. Ainsi, l'arrêt rendu par la Cour
d'appel de Versailles le 27 janvier 2005 prend parti dans la controverse en énonçant « qu'une absorption
n'emporte pas transformation de la société absorbée qui se trouve, au contraire, dissoute dès la décision de
fusion »2395. Cette solution, soucieuse du régime juridique propre aux opérations de fusion, traduit l'éviction en
la matière de la règle de l'unanimité.
Sur ce même point, la doctrine française est divisée. Ainsi, pour une partie d'entre elle, l'absorption
d’une SARL par une SCA doit-elle être votée à l'unanimité des associés membres de l'absorbée, cela même en
l'absence de clauses prévoyant un tel vote2396. Selon ce premier courant doctrinal, l'opération de fusion-
absorption reviendrait à passer d'une forme à risque limité, à une autre à risque illimité sans que les associés y
aient consenti2397. L'absorption entraînerait alors pour l'absorbée un changement de forme sociale, autrement
dit une transformation. Il faudrait alors que cette décision soit approuvée à l’unanimité. Pour une autre partie
de la doctrine2398, la transformation et la fusion-absorption étant deux mécanismes juridiques différents, seule
la transformation en société en commandite par actions requiert l'unanimité, aucun texte analogue n'existant
dans le cas d'une absorption. L'article 143 CSC, par analogie avec le droit français, ne saurait alors être
regardé comme « l'expression d'un principe général selon lequel nul ne pourrait devenir associé d'une SCA
sans y avoir consenti2399 ».
En réalité, la transformation est le mécanisme juridique qui a pour objet un changement de forme
sociale2400. Si l'absorption par une société d'une autre de forme différente aboutit ipso facto au changement de
forme sociale de l'absorbée, ce changement ne constitue qu'un effet parmi d'autres, c'est-à-dire une simple
conséquence2401 de l'absorption2402. En effet, si la loi distingue entre les opérations de fusion-absorption et de
transformation2403, c'est qu'elle a entendu leur faire produire des effets de droit différents. Si la société
absorbante « continue la personne » de la société absorbée, recueillant ainsi l'intégralité de son patrimoine par
le biais de la transmission universelle du patrimoine2404, alors que la personnalité morale de l'absorbée s'éteint
2394
Ce même problème s’est posé, en droit français, concernant l’absorption par une SAS d’une société d’une autre forme, car la transformation
en SAS impose l’unanimité des associés et ce, conformément à l’article 227-3 CCF.
2395
Dans cette affaire, les associés minoritaires d'une SA absorbée par une SAS souhaitaient remettre en cause la validité de l'opération de fusion-
absorption à laquelle ils n'avaient pas consenti. Le jugement de première instance (T. com. Nanterre, 3e ch., 18 mars 2003) avait conclu au rejet
partiel de leurs demandes, considérant que l'absorption par une SAS d'une autre société n'étant pas une transformation, l'article L. 227-3 du code de
commerce n'était pas applicable en la cause. Mais en relevant que les nouveaux statuts stipulaient des clauses d'agrément relatives aux cessions qui
constituaient des aggravations de l'engagement des actionnaires et que l'adoption de ces clauses exigeait l'unanimité, le Tribunal de commerce de
Nanterre a conclu à la nullité de ces deux clauses statutaires. La Cour d'appel de Versailles conclut au débouté des associés minoritaires de la SA,
réformant ainsi partiellement le jugement rendu en première instance. Ainsi, les magistrats versaillais énoncent-ils, « qu'une opération de fusion ne
peut encourir la nullité en application de l'article L. 227-3 du code de commerce » avant de préciser qu'aucune aggravation des engagements des
associés ne résultait de l'échange des actions consécutives à la fusion, dès lors que le montant des apports initiaux demeurait inchangé ; de la
faculté par le président de la SAS d'engager la société dans des conventions conclues, directement ou indirectement avec un administrateur ou le
président lui-même sans avoir à saisir préalablement le conseil d'administration ; de l'adoption de statuts comportant une clause d'agrément, dans la
mesure où une telle clause existait déjà dans les statuts de la SA, ou d'une clause de préemption dans la mesure où celle-ci ne constitue qu'une
modalité particulière de la clause d'agrément. La présente décision permet alors d'appréhender le domaine d'application de la règle de l'unanimité
en matière de fusion-absorption. Ainsi, la règle de l'unanimité ne doit-elle pas recevoir application dans l'hypothèse de l'absorption par une SAS
d'une société d'une autre forme. Il n'en serait autrement que si l'opération en cause aboutissait à augmenter les engagements des associés de la
société absorbée.
2396
CHARVERIAT (A) ET COURET (A), La SAS, éd. Francis Lefebvre 2001, n° 1340 ; BOUERE (J-P), Société par actions simplifiée, GLN
Joly 1994, n° 162 ; LE CANNU (P) ET COURET (A), SAS, Dictionnaire Joly Sociétés, n° 135 ; MERCADAL (B) ET JANIN (PH), Mémento
des sociétés commerciales, éd. F. Lefebvre, 2005, n° 16060 ; MESTRE (J), BLANCHARD-SEBASTIEN (C) ET VELARDOCCHIO (D),
Lamy sociétés commerciales, 2005, n° 4037.
2397
MERCADAL (B) ET JANIN (PH), préc., n° 16060 : « l'entrée dans une SAS est subordonnée à un acte de volonté personnel » ; en tout
dernier lieu, V. LE CANNU (P), De la SA à la SAS : pourquoi transformer à l'unanimité si l'on peut absorber à la majorité ?, Bull. Joly 2005, §
127, p. 561, pour qui « dans le cas examiné, l'esprit de la loi est sans mystère ».
2398
GAVOTY (C) ET ULLMANN (P), L'absorption par une société par actions simplifiée exige-t-elle le consentement unanime des associés de
la société absorbée ?, Bull. Joly Sociétés 2001, p. 831 ; UETWILLER (J-J), L'absorption d'une SA par une SAS est-elle une transformation ?,
Gaz. Pal., 20 janv. 2005, p. 12 ; P. Larrive et J.-J. Uetwiller, Guide de rédaction des statuts de la SAS, éd. EFE, 1995, n° 48 ; BONASSE (A), J.-
Cl. Sociétés Traité, fasc. 162-10, n° 94.
2399
LIENHARD (A), D. 2005, AJ p. 716.
.2004 H $ ، F ‫وا‬ ‫ ت ا‬A‫' ا را‬C ‫ رات‬34 ،2003 V+ G‫ ا‬12‫و‬11 ، +‫ ء ا ر‬C 3 ‫ا‬ ‫ < ل‬4+ $ ‫ دورة‬، +‫ ا ر‬C 3 ‫ ا‬V O ^$ ، - ‫ ج‬- 1> 2400
2401
On serait tenté de dire une conséquence accidentelle.
2402
On peut aussi voir dans cette conception l'application de la théorie de l'accessoire : dans le cas de l'absorption par une société d'une société de
forme différente, le changement de forme sociale est accessoire par rapport à la transmission universelle du patrimoine qui constitue l'effet
principal attaché à l'opération de fusion.
2403
Ce raisonnement se prévaut de la règle ubi lex... interprétée a contrario : il convient en effet de distinguer là où la loi distingue.
2404
Sur cette notion, V. JEANTIN (M), La transmission universelle du patrimoine d'une société, Mélanges Derruppé, GLN Joly-Litec, 1991, p.
287 ; COQUELET (M-L), La transmission universelle du patrimoine en droit des sociétés : thèse, Paris X-Nanterre, 1994, dir. M. Jeantin ;
BARRET (O), A propos de la transmission universelle du patrimoine d'une société, Mélanges Jeantin, Dalloz, 1999, p. 109.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

et ne peut donc changer de forme sociale2405. La transformation suppose, au contraire, la continuité dans la
jouissance de la personnalité morale. En effet, conformément à l’article 436 CSC, la transformation régulière
d'une société en une autre de forme différente n'entraîne pas la création d'une personne morale nouvelle, du
coup la personnalité morale de la société transformée continue à subsister2406. La règle de l'unanimité se
justifie, au stade de la transformation, par le fait qu'il « serait… inconcevable qu'un seul d'entre eux [les
associés] puisse prétendre avoir été entraîné dans cette affaire malgré lui » 2407. Dans l'hypothèse où l'associé
serait un profane, l'intervention de la règle unanimiste permettra de s'assurer de l'intégrité de son
consentement. En visant uniquement la transformation, le législateur n'a pas entendu soumettre à la règle
unanimiste les opérations juridiques ayant pour effet un changement de forme sociale. En effet, « soutenir le
contraire reviendrait à imposer une condition supplémentaire que le législateur n'a pas expressément
voulue2408 ». Comme le relève très justement le professeur Terré, « une règle exceptionnelle qu'on étendrait
par analogie deviendrait règle de principe2409 ».

491- Ceci étant précisé, il convient de s’intéresser à l'hypothèse où le choix de l'opération de fusion a
pour unique objet de faire échec à la règle de l'unanimité, imposée par la transformation, pour lui substituer la
majorité. C'est-à-dire le cas dans lequel l’associé majoritaire opte pour une opération de fusion juste pour
imposer sa décision au minoritaire alors que l’opération envisagée réellement est une opération de
transformation. Il s'agit là d’un cas d’abus ou de fraude à la loi.
On ne trouve aucune disposition ni dans le code des obligations et des contrats, ni dans le code de
commerce, relatives à la fraude. Celle-ci provient d'un adage selon lequel fraus omnia corrumpit : la fraude
corrompt toute chose. Il s'agit là d'un principe général du droit dont la vertu est de faire échec au jeu normal
des mécanismes juridiques2410. La caractérisation de la fraude nécessite un élément moral et un élément
matériel2411. Il est, en effet, nécessaire de démontrer que les intéressés ont agi avec l'intention d'éluder une
règle impérative par un moyen juridique régulier2412.
Appliquée au cas d'espèce, la fraude à la règle de l'unanimité consisterait à éluder intentionnellement
l'application de l'article 143 CSC faisant fi à la règle unanimiste et passant outre le blocage des minoritaires
qui seraient opposés à la transformation en SCA. Dès lors, le recours à la fusion n'aurait pour seul objet que de
changer de forme sociale sans que ce changement n'en constitue un simple effet. Il reste que cette situation
juridique semble relever davantage d'un abus de majorité que d'une fraude à la loi, dans la mesure où la mise à
l'écart de la règle de l'unanimité n'aurait d'autre objectif que de lui substituer le principe majoritaire. Reste
alors à caractériser l'abus du droit de vote consistant à absorber par une SCA une société de forme différente
afin de surmonter l'opposition des minoritaires. La fusion devrait être déclarée contraire à l'intérêt social et
décidée au détriment des minoritaires dès lors qu'elle n'est justifiée par aucun impératif fiscal, financier ou de
simplification du fonctionnement. Tel était l'argument dont se prévalaient les appelants, dans l’affaire
française précitée, en énonçant que « la fusion n'avait aucune justification économique et que l'argument de la

2405
Tout au plus est-elle susceptible de se réincarner.
S N k ‫ وذ‬V 3 ‫ ى ا‬A K G ‫ ل‬+ ‫ ا ^ و‬6 K$ 7SN H/4 ‫ و‬K$‫ا‬D !$ ‫ وا‬+ 4# ‫] ا‬P3 ‫ ان ا‬G ‫ ة او‬+ ‫ ﺟ‬+ 4# ]PO ‫[ة‬3 ‫ او‬K S ‫ ا‬C 3 ‫ ا‬V O ^$ MN 4+ ‫ و‬2406
f $ 9p ‫و ا ودة‬q! ‫ ذات ا‬C 3 ‫ ا‬8G S C‫ و‬Sd ‫ ء‬C 3 ‫ ن ا< ا‬C ‫ ذا‬G . C 3 ‫! ي ا‬ ^$ ‫ ا‬8‫ را ا ى وھ‬p‫ ا‬i P+ 7 V 3 ‫^ ا‬$ ‫ ان‬5 . ‫ ا‬M 437 V]/
M ^ A ‫ ء‬C 3 ‫ ا‬#g‫ ان و‬C . K +‫ د‬6G‫ د‬8G 4 F ‫ ن‬C ‫وا‬ 7 C 3 ‫! ا‬$ MN 8 P ‫ا‬ ‫ه ا‬D‫ ھ‬8G a N ‫ ن‬G ،‫ل‬ g‫ر‬ ] L ! g‫ر‬ C O U‫ إ‬C 3‫ا‬
4 U N ‫ ا‬+ U < ‫ ء‬C 3 IA ‫ او‬IA + $ 9+ $ ‫ه ا‬D‫ ھ‬8G C 3 ‫ ا‬V O ^$ " !+ ‫ ان‬8^ 4+ ‫ ن‬C ‫ اذا‬U N ‫ ع‬3 ‫ ا‬m4+ 9 ‫ و‬.M F ‫ ا‬U ‫ إ‬Sd ‫و ا ودة‬q! ‫ا‬
U ‫ إ‬C 3 ‫ ا‬V O ^$ ‫ ار‬7 ‫ ذ‬P$‫ ا‬V 7 ‫ ء‬C 3 ‫ ا ! ت‬I7‫ا‬ + $ 9+ $ 6 + ‫ 'وم ان‬U N 8! A[ ‫ ا‬# ‫ ا‬m4+ ‫ ان‬9 A ‫ ا‬M ‫ و‬.a N f C N +' A 9K ‫و‬q! ‫ وان‬0 9‫ ا ھ‬M
.‫ ء‬F 7 ‫ ا‬4N ‫ ء‬C 3 ‫ ا‬K A 8 ‫ ه ا ^ وا‬$ K +‫ د‬U N 0 ‫ و‬C 3 ‫ ا‬#g‫ و‬U N 9K ‫ع‬S‫ ء واط‬C 3 + < M k ‫ ذ‬8G M4 F KG ‫ء‬C 3‫ ن ا‬+ ‫ ا ى‬C O
445 ‫ ص‬2007 H $ ، F ‫وا‬ ‫ ت ا‬A‫' ا را‬C ،‫ ل و< ق ا ! ن‬# ‫ وزارة ا‬، ! ‫ ا‬+‫ ر‬K ‫ ا‬،‫ ري‬17 ‫ و ل ا‬2 ‫ ( ا ر‬0‫ ة ا ! دة ا‬F ‫ " ا‬#$ ، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬
.446‫و‬
2407
LE CANNU (P), art. préc., Bull. Joly 2005, n° 127, p. 562.
2408
GAVOTY (C) ET ULLMANN (P), op. cit., Bull. Joly Sociétés 2001, p. 831 ; adde, J.-J. Uetwiller, op. cit., Gaz. Pal., 13 et 14 avr. 2005, p. 2
: « si le législateur avait voulu que l'absorption d'une société d'une autre forme par une SAS soit décidée à l'unanimité, il aurait dû en modifier
l'art. L. 236-2, et on ne peut supposer qu'il s'agit d'un oubli, en élargissant la portée d'un texte d'exception, l'art. L. 227-3, pour en faire un texte de
portée générale ».
2409
Introduction générale au droit, Précis Dalloz, 4e éd., 1998, n° 394.
2410
FAGES (B), Lamy Droit du contrat, 2003, n° 241-3.
2411
Ibidem. A, par exemple, été reconnue comme frauduleuse la fusion orchestrée pour rendre caduc l'engagement de caution : V. Cass. Com. Fr.,
10 oct. 1995, Bull. civ. IV, n° 224 ; Bull. Joly 1995, p. 1058, note M.-L. Coquelet ; RTD com. 1996, p. 201, obs. M. Bandrac : « les
transformations successives ont été réalisées pour des raisons de pure convenance personnelle par C... en vue de s'exonérer de son obligation,
sans pour autant vouloir dénoncer son cautionnement ».
2412
En général, la sanction retenue est l'inopposabilité de l'acte litigieux à l'égard de ceux qui le critiquent (V. par exemple Cass. Com. Fr., 10 oct.
1995, préc), mais la jurisprudence retient parfois aussi la nullité des actes incriminés En effet, la fraude est une cause générale de nullité des
sociétés. La fraude n'a pas besoin d'être partagée par tous les associés pour entraîner la nullité de l'acte incriminé. V. Cass. 1re civ. 17 mars 1992,
Bull. civ. I, n° 86 ; RTD civ. 1993, p. 390, obs. J. Patarin ; D. 1992, Somm. p. 401, obs. P. Delebecque, et 1993, Somm. p. 226, obs. M. Grimaldi.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

diminution des coûts de gestion n'est pas pertinent » 2413. L’abus de majorité semble être alors bel et bien
constitué. Encore faut-il prouver l’atteinte à l’intérêt social.
Le même abus peut aussi trouver droit de cité dans l’article 132 CSC qui énonce que la décision de
changer la nationalité de la société doit être prise à l’unanimité. Il suffirait alors de procéder à l’absorption de
la société par une autre de nationalité différente pour faire table rase de la règle unanimiste et battre en brèche
la réticence minoritaire. Il reste que dans ce cas, l’opération de fusion peut-être annulée pour fraude à la loi si
son objectif unique ou principal était de détourner l’application de l’article 132 CSC2414. Une qualification
sous forme d’abus de majorité reste aussi envisageable si on arrive à prouver l’atteinte à l’intérêt social.

492- Prévenir cette forme d’abus de majorité, qui pourrait aussi être qualifiée par certains comme
une fraude à la loi, nécessiterait l’institution, à l’instar du droit français, de la règle de l’unanimité dans les
opérations de fusion ou de scission, chaque fois que l’opération de concentration risque d’augmenter les
obligations des associés de la société absorbée. En effet, l'article L. 236-5 du code de commerce français
prévoit l'unanimité lorsqu'une opération de fusion a pour effet d'augmenter les engagements des associés des
sociétés en cause. Un article semblable serait de mise en droit tunisien afin de corroborer l’effort préventif des
abus.
Dans cet ordre d’idées il sied d’ajouter un article 411 bis au CSC énonçant ce qui suit : « La fusion est
décidée, par chacune des sociétés intéressées, dans les conditions requises pour la modification des statuts.
Toutefois, si l'opération projetée a pour effet d'augmenter les engagements des associés de l'une ou de
plusieurs sociétés en cause, elle ne peut être décidée qu'à l'unanimité desdits associés ».
Certes, la règle majoritaire2415 a été instituée pour assurer l'effectivité des décisions collectives et pour
favoriser l'intérêt social. Traduisant l'omnipotence de l'assemblée générale, cette règle justifie les dérogations
admises par la législation des sociétés2416 au droit commun des contrats, lequel requiert une adhésion expresse
des parties à l'occasion de toute modification du contrat initial. En vertu de ces dérogations, la révision du
pacte social relève de la compétence de l'assemblée générale extraordinaire2417. Néanmoins, l'exigence de
l'expression du consentement de toutes les parties prenantes refait surface lorsque les modifications du contrat
de société ont pour effet d'augmenter les engagements des associés.

493- Il reste que la mise en œuvre de l’unanimité requiert au préalable de définir la notion
d'augmentation des engagements des associés. De manière générale, les engagements des sociétaires ne se
trouvent augmentés que si les dispositions prises par l'assemblée générale entraînent une aggravation de la
dette contractée par eux envers la société ou envers les tiers2418. Cette approche pécuniaire de l'augmentation
des engagements connût une véritable résonance en doctrine2419. De même, il semble que la diminution des
droits des associés constitue inversement, aussi, une augmentation des engagements de ceux-ci2420. Telle est

2413
Néanmoins, pour la Cour d'appel de Versailles, la société en cause avait un intérêt à se faire absorber, dans la mesure où la « fusion de deux
sociétés en une seule a nécessairement pour effet de simplifier les structures juridiques existantes et de diminuer les frais de gestion » et où «
l'opération de fusion avait pour résultat d'éteindre les créances et les dettes réciproques des deux sociétés (...) ce qui constitue un intérêt de
simplification évident ».
2414
Faut-il rappeler, à ce niveau, l’article 409 CSC qui prévoit que « la fusion, la scission, la transformation ou le groupement de sociétés doivent
permettre la réalisation de l'un des objectifs suivants : L'adaptation des mutations économiques tant internes qu'internationales ; La réalisation
d'un capital permettant davantage d'investissement, d'emploi et de productivité ; le développement des moyens de travail et de distribution ;
l'acquisition de technologies nouvelles et l'amélioration de la qualité du produit ; l'accroissement de la capacité d'exportation et de concurrence ;
le renforcement de la crédibilité de l'entreprise envers ses partenaires ; la création et renforcement de l'emploi ». Aussi, l’article 425 énonce
que la nullité de la fusion ne peut être prononcée que pour les causes suivantes : nullité de la délibération de l'assemblée qui a décidé l'opération de
fusion ; défaut de publicité ou non-respect des dispositions du présent code et des dispositions législatives ou réglementaires spéciales.
2415
DONDERO (B), Les groupements dépourvus de la personnalité juridique en droit privé, dir. H. Le Nabasque, thèse, Paris X-Nanterre, 2001,
n° 114 s. ; RIPERT (G), La loi de la majorité dans le droit privé, Mélanges Sugiyama, 1940, p. 351 ; GUYON (Y), Traité des contrats, Les
sociétés aménagements statutaires et conventions entre associés, 1999, LGDJ, n° 6 s.
2416
V. notamment sur l'analyse contractuelle de la société LIBCHABER (R), La société, contrat spécial, Mélanges Michel Jeantin, Dalloz, 1999,
p. 281 ; J. Mestre, La société est bien encore un contrat, Mélanges Christian Mouly, Litec, 1998, p. 130.
2417
Pour les SA, SARL et SNC, la règle est prévue respectivement par les art. L. 225-96, L. 223-30 et L. 221-6 c. com. ; pour les sociétés civiles,
V. l'art. 1852 c. civ.
2418
Cass. Civ. Fr., 9 févr. 1937, DP 1937, Jur. p. 73, note A. Besson ; S. 1937, p. 129, note H. Rousseau ; Rev. gén. dr. com. 1938, p. 529, note A.
Jauffret.
2419
GODON (L), Les obligations des associés, préf. Y. Guyon, Economica, 1999, n° 105 s, qui explique que l'essence de la notion réside dans ce
que « la majorité n'a pas le droit d'obliger un actionnaire, malgré lui, à (...) accroître les charges pécuniaires qu'il a assumées volontairement ».
C'est aussi la position adoptée par HEMARD (J), TERRE (F) ET MABILAT (P), Sociétés commerciales, t. II, Dalloz, 1974, n° 349.
2420
La jurisprudence française exclut cette deuxième hypothèse. Elle ne la considère pas comme une augmentation des engagements de l’associé.
Cette exclusion s'attache à une conception strictement pécuniaire de la notion d'augmentation des engagements des associés puisque seule

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

l’hypothèse lorsque des clauses d'agrément et de préemption figurent dans les statuts de la société absorbante
alors qu’elles ne figuraient pas au sein de l’absorbée. De telles clauses sont de nature à augmenter les
engagements des associés. Les minoritaires ayant subi la fusion peuvent demander au juge de prononcer la
nullité de l'opération pour augmentation de leurs engagements. En relevant la particulière gravité desdites
clauses litigieuses, la jurisprudence française avait décidé que ces clauses étaient nulles et de nul effet à
l'égard des minoritaires, alors que l’opération restait valable2421.
494- Les difficultés liées à la mise en œuvre de la règle de l'unanimité dans les opérations de fusion
concernent également les modalités d'expression du consentement des associés. En effet, sous quelle forme
l'unanimité doit-elle être recueillie ? Faut-il tenir une assemblée générale pour décider à l'unanimité ? La
vocation protectrice de la règle unanimiste justifie l'expression individuelle et objective du consentement de
chaque associé2422. Le caractère personnel du consentement qui doit être fourni en application de la règle de
l'unanimité est exclusif de la qualification de décision collective et c'est donc en leur seule qualité de
contractants que les associés se déterminent. En effet, la notion de collectivité présuppose la primauté de
l'organe collégial qui se réalise moyennant la règle majoritaire alors que la règle unanimiste focalise sur
l'expression des seules volontés individualistes2423. L'intérêt social et l'affectio societatis n'étant plus en cause,
les mécanismes de représentation sociaux et singulièrement l'assemblée générale, fût-elle extraordinaire, n'ont
plus lieu de statuer lorsqu'il est question d'appliquer la règle de l'unanimité. Ainsi, puisque l'associé se
prononce individuellement et non pas en tant que membre d'une assemblée générale, il convient d'écarter
toutes les spécificités affectant son droit de vote car en se déterminant hors assemblée il n'exerce pas un tel
droit. Les titulaires d'actions sans droit de vote2424 sont donc appelés à donner leur consentement. Il en va de
même pour les associés privés de leur droit de vote à titre de sanction. Se pose en plus la question de savoir
qui, de l'usufruitier ou du nu-propriétaire, exprimera son consentement à une opération de fusion susceptible
d'aggraver les engagements des associés2425. La qualité d'associé étant attribuée au seul nu-propriétaire2426, lui
seul serait admis à le donner.
En réalité, lorsqu'il est question d'unanimité, la tenue de l'assemblée générale ne présente plus qu'une
utilité matérielle en permettant la présence ou la représentation de la totalité des associés. Par-là, elle va au
mieux tenir lieu de preuve de l'unanimité. Ainsi, de sa nature d'acte juridique, l’assemblée générale dégénèrera
en instrument probatoire.
495- Il est vrai que la règle unanimiste corrobore à bien des égards l’effort préventif des abus dans
les opérations de fusion ou de scission. Aussi, peut-on songer à l'introduction dans le droit des sociétés ne
faisant pas appel public à l’épargne d'une procédure d'offre d’achat obligatoire que déposeraient les
majoritaires au bénéfice des minoritaires à chaque fois qu'une opération de concentration nécessitant adoption
à l'unanimité est en cours de réalisation2427. Ce serait là un moyen de sécuriser des opérations telles qu'une
fusion-absorption par une société dont les statuts prévoiraient des clauses particulièrement dangereuses pour
les minoritaires ou encore de garantir la bonne fin d'une transformation en SCA qui requiert, en tout état de
cause, une décision prise à l'unanimité.
496- Ces différents mécanismes préventifs des abus cadrent bien avec le mouvement de
contractualisation du droit des sociétés en général et des procédés de concentration particulièrement, car ayant
tous vocation à pousser la prévention à son extremum. Pareille contractualisation constituerait, sans doute, un

l'aggravation de la dette envers la société ou les tiers constitue une aggravation des engagements. On a ainsi circonscrit la notion d'augmentation
des engagements des associés à l'augmentation de leur responsabilité financière, soit seulement aux dettes de sommes d'argent. En positionnant son
curseur sur cette définition, la Cour de cassation française a décidé que l'assemblée générale ne pouvait pas, à la majorité, contraindre les associés à
faire de nouveaux apports ; à consentir à la souscription à une augmentation de capital ; à participer aux charges de l'exploitation en l'absence de
toute stipulation statutaire en ce sens ; à modifier le mode de répartition des pertes sociales dans une société civile. Cass. Civ. Fr., 3 juill. 1979,
RTD com. 1980, p. 94, note Alfandari et Jeantin ; C.A. Paris, 26 janv. 1990, JCP E 1990, I, 19613 ; Cass. Com. Fr., 7 mars 1989, D. 1989, IR p.
709 ; Rev. sociétés 1989, p. 473, note Y. Chartier ; C.A. Paris, 27 juin 2000, Bull. Joly 2001, p. 193, note H. Le Nabasque.
2421
UETTWILLER (J-J), obs. préc., in Gaz. Pal. 19 et 20 janv. 2005, p. 12. Cass. com. 13 nov. 2003, Bull. Joly 2004, p. 413, note H. Le
Nabasque ; Rev. sociétés 2004, p. 97, note B. Saintourens ; D. 2004, Somm. p. 2033, obs. B. Thullier, et Somm. p. 2927, obs. J.-C. Hallouin.
2422
RIZZO (F), op. cit. p 10.
2423
HEMARD (J), TERRE (F) ET MABILAT (P), Sociétés commerciales, op. cit. : « l’unanimité n'est qu'une forme particulière de scrutin
imposée à l'assemblée générale appelée à augmenter les engagements des associés ».
2424
VIANDIER (A), Les actions de préférence, JCP E 2004, p. 1528, n° 21 s.
2425
KADDOUCH (R), L'usufruit, technique de transfert du droit de vote, Bull. Joly 2004, p. 189.
2426
Cass. Com. Fr., 4 janv. 1994, Rev. Soc. 1994, p. 278, note Lecène-Marénaud ; Bull. Joly 1994, p. 279, note P. Le Cannu ; D. 1994, IR p. 40.
2427
Ce texte viendrait, le cas échéant, compléter l’article 290 ter CSC.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

autre jalon qui pourrait déblayer le terrain à une éventuelle théorie générale des abus en matière de
concentration.

Sous-section Deuxième : Pour une contractualisation


des procédés de concentration
497- C’est un fait patent que le phénomène de contractualisation domine le monde des affaires et
marque l’évolution du droit des sociétés en général et celui de la concentration en particulier2428. L’affirmation
de ce mouvement en ce qu’il apporte une certaine flexibilité2429 semble contredire l’idée commune selon
laquelle le droit des sociétés est teinté d’ordre public, rigide, impératif ou encore un droit inadapté aux besoins
des sociétés. En réalité, loin de constituer une contradiction, ces deux courants coexistent pour former le droit
contemporain des sociétés2430.
Malgré la rhétorique contractuelle de la modernité, ce n’est qu’à la fin du XXème siècle qu’un
mouvement de contractualisation, entendu comme la diffusion du modèle contractuel dans des champs
traditionnellement réservés à la décision unilatérale, a été caractérisé. Au fil des décennies, la figure
contractuelle investit les différents secteurs du droit. Une véritable rhétorique contractuelle se propage alors
dans le champ du droit, plaçant la négociation au cœur de la décision juridique. De cette façon là, la
contractualisation a pénétré notre droit, on y recourt presque de manière quotidienne.
Traditionnellement, on constate que la caractéristique principale de notre système de droit est son
solide encadrement par la loi, dans tous les domaines. Pourtant, depuis quelques années, la volonté
individuelle semble primer. Le droit n’est plus obligatoirement posé par la loi. Il peut également résulter d’un
contrat directement négocié : c’est ce qu’on appelle la contractualisation, réforme de grande ampleur à
laquelle on assiste ces dernières années, lorsque le législateur permet à chacun d’organiser, d’échafauder des
constructions toujours plus librement et non plus de devoir se référer à une solution unique, découlant de la
loi.
Cette contractualisation peut prendre deux formes différentes dans les procédés de concentration.
D’une part, encourager le recours aux pactes d’actionnaires ; d’autre part, inciter l’élaboration de contrats-
types pour les opérations de fusion ou de scission. En effet, le recours aux pactes d’actionnaires pour prévenir
les abus serait de mise dans les procédés de concentration, surtout après la reconnaissance de ces pactes suite à
la dernière modification du code des sociétés commerciales (-§1-). Il en est de même de l’élaboration de
contrats-types pour les opérations de fusion ou de scission contenant des clauses spéciales préventives des
abus (-§2-).

-§1- : Une mise en valeur nécessaire des pactes d’actionnaires


dans les procédés de concentration
498- Le regroupement d’actionnaires est une réunion ou un rassemblement d’actionnaires en vue
d’exercer un objectif commun. Ce regroupement est fondé souvent sur une technique juridique qui consiste
dans la conclusion de conventions communément appelées «pactes d’actionnaires »2431. L’objet de ces pactes
consiste généralement dans l’organisation du pouvoir et des cessions de titres2432.
Dans la pratique, on remarque que de plus en plus, les actionnaires des sociétés anonymes concluent
des pactes par lesquels ils cherchent à régler le contrôle de la conduite des affaires et la composition de leur
société. Ces pactes sont l'expression d'un intérêt porté à l'aspect contractuel du droit des sociétés.

2428
KNANI (Y), Les aménagements statutaires dans la société anonyme, I.J., n° 116/117, Juillet/Aout 2011, p 28.
2429
SAINTOURENS (B), La flexibilité en droit des sociétés, RTDcom, 1987, p 457.
2430
GOFFAUX-CALLEBAUD (G), Du contrat en droit des sociétés, Essai sur le contrat instrument d’adaptation du droit des sociétés, Collection
Presses Universitaires de Sceaux, L’Harmattan, 2008, p 9.
2431
V. art 3 CSC ; PETEL (PH), Les pactes visant à organiser le pouvoir dans la société, In Les pactes extrastatutaires, JCP, E. fev. 1993, suppl
n°1, p 58.
2432
SCHILLER (S), Pactes statutaires et pactes extrastatutaires, Ency. Dalloz. éd 2009, n° 17.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

L’évolution de la pratique et de la législation2433 en la matière témoigne que le regroupement


d’actionnaires assure le maintien de leurs pouvoirs. En effet, pris isolement, l’actionnaire minoritaire ne peut
détenir un véritable pouvoir de contrôle. Au contraire, lorsqu’il accepte de se regrouper avec d’autres
actionnaires minoritaires, il constituera un poids considérable au sein de l’être moral. Il s’ensuit que le
regroupement d’actionnaires vise à maintenir leur pouvoir de contrôle.
Les pactes d'actionnaires sont totalement licites au regard des principales branches du droit privé : ils
sont conformes aux règles du droit civil, comme à celles du droit des sociétés. Une organisation d'actionnaires
n'a rien de frauduleux. C’est ce qui ressort d’ailleurs des termes de l’alinéa 3 de l’article 4 CSC, tel que
modifié par la loi n°2009-16 du 16 mars 20092434.
Ces pactes permettent de mettre en place un certain nombre de mécanismes efficaces à bien des égards
dans la prévention interne des abus. En fermant la porte aux imprévus, ils enrayent à la source les
comportements abusifs qui risquent de dégénérer, et prévoient des moyens pour solutionner ceux qui
pourraient survenir pendant la vie de la société.
Plus précisément, le pacte d'actionnaires est un contrat écrit, sous seing privé, signé entre les
principaux associés. Il vise à fournir des garanties aux signataires, qui sont fonction des clauses inscrites dans
le pacte. Ce dernier constitue en réalité un complément aux statuts de la société. Il a pour principal avantage
de pouvoir rester secret si la société n'est pas cotée sur les marchés financiers. Le pacte d'actionnaires est en
fait un " super-consensus " entre le repreneur ou l'acquéreur et ses partenaires financiers, chacune des parties
spécifiant ses attentes surtout moyennant des clauses de répartition des pouvoirs2435, de sortie et de protection.
On se limitera à prendre des exemples des deux dernières clauses, car elles permettent efficacement la
prévention des abus lors des opérations de concentration des sociétés.

499- Parmi les clauses de sortie de la société on peut citer :


La clause de sortie conjointe est très fréquente car elle protège les associés minoritaires. En effet, si
l'associé majoritaire cède ses titres à un tiers ou décide la mise en place d’une opération de concentration, il
doit par cette clause acheter ou faire acheter les titres présentés par les minoritaires-signataires au prix où il
vend les siens. Ainsi, les minoritaires ne risquent pas de devenir les associés d'un acquéreur non choisi.

La clause de retrait permet à un signataire de se retirer du capital si un ou des évènements précisés


dans le pacte surviennent au cours de la période de validité du contrat (fusion, scission, apport partiel ou total
d’actif, filialisation, cession de certains actifs, départ d'un associé,…). Les signataires du pacte sont contraints
de racheter les parts du partenaire souhaitant se retirer à un prix calculé d'avance et précisé dans le pacte. Par
exemple, dans l’éventualité où un tiers se porterait acquéreur de plus de 50 % de l’ensemble des actions du

2433
V. Arts. 220, 279 (alinéa 2), 283 (alinéa 2), 284 (alinéa 1), 290, 290 bis, et 290 ter du CSC.
2434
L’article 3 CSC énonce que « à l’exception de la société en participation le contrat de société doit être rédigé par acte sous-seing privé ou acte
authentique. Si les apports comprennent des apports en nature ayant pour objet un immeuble immatriculé, l’acte doit être rédigé, selon la
législation en vigueur sous peine de nullité. Le rédacteur de l’acte est responsable envers la société et les associés en cas de faute lourde ou
fraude. Aucune preuve n’est admise entre associés contre les statuts. Toutefois, les pactes conclus entre associés en raison de la société sont
valables et obligent leurs parties lorsqu’ils se limitent à régir des droits qui sont propres à ceux-ci et qu’ils ne sont pas contraires aux dispositions
des statuts. Les pactes comprenant des conditions préférentielles pour la vente ou l’achat des titres représentant une participation au capital
conférant le droit de participer au capital émis par les sociétés faisant appel public à l’épargne doivent être transmis à la société concernée ainsi
qu’au conseil du marché financier et ce, dans un délai ne dépassant pas cinq journées de bourse, à compter de la date de leur signature. A défaut,
leurs effets sont suspendus de plein droit et leurs parties en sont déliées en période d’offre publique de vente. La date de la fin de validité du pacte
doit également être notifiée à la société et au conseil du marché financier. Un règlement du conseil du marché financier détermine les conditions
et modalités de l’information du public des termes des pactes visé ci-dessus. Les tiers peuvent, s’il ya lieu, être admis à prouver, par tous les
moyens, l’existence soit de la société, soit d’une ou de plusieurs clauses du contrat de la société ».
2435
On les appelle aussi les clauses de stabilisation du capital : les plus courantes sont les clauses d'inaliénabilité et de préemption. La première
interdit aux signataires de se séparer des parts ou actions acquises pendant une période donnée (généralement 2 à 5 ans), permettant la stabilité du
capital et du pouvoir de la société. La seconde, contraint l'un des signataires du pacte désirant se séparer de ses titres à avertir les autres signataires
selon une procédure bien déterminée (lettre recommandée avec accusé de réception par exemple) de telle sorte que ces derniers puissent exercer le
droit d'achat prioritaire dont ils disposent sur les titres. Les clauses de non dilution, de droit préférentiel à l'information, et les conventions de
management sont moins courantes dans les pactes, mais peuvent être utiles aussi bien à l'acquéreur qu'aux investisseurs. La clause de non dilution
donne un droit préférentiel de souscription lors des augmentations de capital aux actionnaires minoritaires, leur permettant de conserver un
pourcentage de capital identique. Si le droit des sociétés donne à tous les actionnaires un droit d'information, la clause de droit privilégié à
l'information permet aux investisseurs d'obtenir des informations plus fréquentes et détaillées que la normale. Les documents et la fréquence étant
détaillées dans le pacte (tableaux de bords mensuels, " burn rate,… "). Enfin, la convention de management contraint l'acquéreur à consulter ses
partenaires financiers pour les décisions extraordinaires sortant du cadre de l'acte normal de gestion (opérations de croissance externe, cession
d'actifs, emprunts,…). Les partenaires disposent d'un droit de veto leur donnant la possibilité de sortir du capital en cas de désaccord avec
l'acquéreur / gérant.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

capital social (soit du contrôle de la société), les actionnaires minoritaires pourraient-ils, au moyen de cette
clause, se faire reconnaître le droit de pouvoir exiger que ce tiers acquéreur se porte acquéreur de leurs propres
actions, et ce, sur la base des mêmes prix, termes et conditions que ceux consentis aux détenteurs du bloc de
contrôle.

La clause d'exclusion donne le droit aux signataires du pacte d'exclure l'un d'entre eux si certains
évènements surviennent ou si certaines qualités justifiant sa présence disparaissent (commission d’un abus,
d’une fraude, fin d'un partenariat exclusif, objectifs non atteints…). Les signataires doivent racheter les titres
de l'exclu à un prix calculé par avance.

500- Parmi les clauses de protection on cite à titre d’exemple :


La clause de sortie garantie contraint l'acquéreur à racheter des titres à ses partenaires à l'issu d'une
période donnée. A la date convenue, il doit racheter les titres des minoritaires désireux de vendre, à un prix
calculé d'avance (méthode de calcul précisée dans le pacte).

La clause de " Buy or sell " : elle permet à un actionnaire (A) de demander à un autre actionnaire (B)
de lui racheter ses titres à un prix proposé par A. Si l'actionnaire B refuse, A pourra racheter les parts de B au
prix qu'il lui aura proposé précédemment. En simplifiant, A contraint B, soit à lui racheter ses titres, soit à lui
vendre ses titres, d'où le nom de clause "buy or sell", c'est-à-dire achète ou vend. Cette clause est peu
fréquente, mais elle permet de contrecarrer une mauvaise " cohabitation " entre deux actionnaires surtout
égalitaire afin d’éviter les abus2436. Une clause de cette nature, qui permet de solutionner rapidement mais
brutalement une mésentente entre des actionnaires, doit être insérée avec beaucoup de précautions. Cette
clause pourrait toutefois être rédigée de manière à accorder une certaine protection à l’actionnaire le plus
vulnérable contre certains abus auxquels pourrait se livrer l’actionnaire plus avantagé.

La clause de renforcement des conditions de majorité aux assemblées générales : Les actionnaires
peuvent stipuler, entre eux, des majorités qualifiées pour la prise de décisions de l'assemblée générale, voire
imposer l'unanimité pour la mise en place d’une opération de concentration par exemple. Rien ne paraît
s'opposer également à procéder de la même manière pour les délibérations du conseil d'administration ou du
directoire.
501- Comme on peut le constater, la convention entre actionnaires peut disposer d’un grand éventail
de sujets. La pertinence de chaque clause de la convention devra s’apprécier en fonction des besoins et
attentes spécifiques des parties. L’actionnaire, qu’il soit minoritaire ou majoritaire, a grand avantage à
conclure une convention entre actionnaires, laquelle, si elle est bien rédigée, permettra bien souvent de régler
à l’avance diverses sources de conflits potentiels ou d’abus. Il est donc primordial pour tous les actionnaires
ainsi que pour la personne morale de bien comprendre la nature et la portée des clauses qui pourraient être
insérées à la convention afin de s’assurer que cette dernière reflète adéquatement leurs volontés et leur réalité.
A ce sujet, il est opportun de souligner l’importance que revêt la mise à jour ponctuelle de la convention de
manière à ce que cette dernière puisse être en tout temps en harmonie avec la réalité, toujours évolutive, de la
société et des associés.
L'expérience enseigne que ces instruments conventionnels, essentiels à une bonne entente, sont le plus
souvent méconnus ou insuffisamment utilisés dans l'espace tunisien. Il faudra alors inciter les associés à y
recourir surtout pour prévenir les abus dans les procédés de concentration des sociétés. Il en va de même des
contrats de fusion ou de scission qui devraient comporter, au moyen de la pratique des contrats-types,
plusieurs clauses préventives des abus afin de protéger tous les partenaires de la concentration.

‫ ا ان‬8G U G .‫ ت‬C 3 ‫ ت ا‬N‫ 'ا‬M + 7 ‫ ا‬8G ‫ دورا ھ‬I# $ + 7 # ‫ ا رادة ا‬f ‫ ظ‬، K$ N‫ ا‬8 ‫ ا ان ا‬8G k DC‫ و‬، C 3 ‫ ا‬M 7 ‫ ت ا اج ا‬4 $ #$ 9 8 ‫ ا ان ا‬8G " 2436
K ‫ ر ا‬3 ‫ ا‬+ 7 # ‫ وط ا‬3 G .8 ‫ م ا‬4 ‫ " ا‬L$ ‫ وط‬O K G G $ 8 ‫ ا ] ر ا‬8G 0 ^ ‫ [ھ‬buy or sell clauses ‫ ا ! ة‬+ 7 # ‫ وط ا‬3 ‫ ا‬t/ $ ، ! G‫ا و‬ C
U N 8! A[ ‫ ا‬# +‫ ت ا از‬7 /$ ‫ ا‬m4 G .S0‫ ا‬5‫ او ا‬7‫ أ‬MN `+ ‫] ا‬+ ` < ( K4 <‫ وا‬V ‫ رأس ا ل‬M 50) M + O ‫! وي ! ھ‬$ ‫ رة‬0 8G 0 ] " L4$
‫ ن‬G . S a ‫ ! ھ‬6 ‫ او‬a ‫ اء ! ھ‬3 g N 8 d ‫ م‬+ ‫ ان‬K4 <‫ وا‬V M + ( N g ‫ ات‬Oq ‫ ر‬K‫ دون 'وم ظ‬$‫ ذا‬/] ‫ ط ف‬VC ‫ رھ‬+) ‫ف‬S ‫ ت ادر‬K‫ اذا ظ‬a ‫ا‬
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‫ب‬ ‫ا ط ش‬6 ، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ن ا‬7 8G ' ‫ ا ﺟ‬، 2 ‫ ( ا ر‬0‫ أ‬.”‫ دل‬N n+ #$ ‫ ا 'اع دون‬U ‫ا‬ # ‫ ل ا‬$ ‫ اي دون ان‬،k+ 3 A A ‫ق ا‬ ‫ دون ! س‬+ < V
.420‫ و‬419‫ ص‬،2009 H $ ،m P ‫ا‬

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

-§2- : Pour une institution de contrats-types dans les opérations


de fusion ou de scission

502- A vrai dire, la fusion et même la scission nourrissent en leur sein deux grandes leçons de
réalisme. La première est qu’il n’y a pas de grande concentration sans consensus des partenaires ni adhésion à
la norme chargée de la régir. La seconde leçon à tirer renvoie à une autre vérité d’évidence : la fusion ou la
scission est un contrat2437 lequel, au demeurant, constitue la cheville ouvrière de tout montage visant à
rapprocher des sociétés2438. Ces deux opérations peuvent redevenir opérationnelles, et même retrouver un réel
allant, à condition de les appréhender autrement, notamment que leur vraie nature contractuelle soit perçue à
titre principal, et l’idéal serait que l’Etat rende « la pleine liberté aux entreprises, se réservant simplement le
rôle de protecteur ultime »2439, que sa réglementation incohérente qui n’atteint pas ses buts soit réduite à son
strict minimum. Une protection plus contractuelle et moins réglementaire, contrebalancée par un renforcement
des droits d’intervention des catégories menacées semble être, en effet, de nature à assurer une meilleure
conciliation des impératifs de protection avec ceux de la concentration2440.
Adaptant ici une formule célèbre, il s’agit d’organiser a priori une « gestion juridique du risque
économique »2441. La concentration, opération juridique, génère plusieurs abus, c’est donc au contrat qui les a
fait naître qu’il incombe d’en contenir les effets. A cet égard décharger sur une tierce personne, en l’espèce,
l’auditeur2442, pour chercher à prévenir les abus « n’est pas la meilleure illustration du débat contractuel2443 »,
d’autant plus que se sont précisément les carences de celui-ci qui auront permis la réalisation de l’abus.
Si certains auteurs ont pu s’interroger sur la valeur du projet de fusion, rien ou presque n’a été
vraiment écrit2444 sur l’importance des pourparlers qui précédent la rédaction du projet. Pour lever toute
ambiguïté, et dans la lignée de la connotation très contractuelle qu’on défend, on suggère de
« contractualiser » ces pourparlers. Dès lors, l’opération se décomposera en deux phases : la première
cristallisera les principes de la négociation dans un avant-contrat, tandis que la seconde fixera le résultat de
cette négociation dans le contrat proprement dit, dont l’élément principal n’est d’ailleurs que le projet de
fusion.
Ce serait une erreur que de priver les promoteurs de l’opération d’un tel instrument : le succès de la
fusion pourrait en dépendre ! En fait, le protocole peut être considéré comme un avant-contrat ou comme un
contrat préparatoire, dés lors qu’il prépare le projet de fusion et simplement le projet. Cela emporte une
conséquence importante : l’engagement des signataires du protocole doit donc porter sur l’élaboration du
projet et non sur la fusion elle-même. Cet accord, sorte de fil conducteur pour l’ensemble de l’opération, est
un contrat par lequel une obligation de faire, celle de négocier, est mise à la charge des candidats au
rapprochement. Il s’agit moins de conclure que de négocier les termes d’un contrat ultérieur2445. Ainsi, « les
contractants, en fixant par écrit les éléments de leur accord assument par la même, un engagement de
poursuivre légalement les négociations entreprises en vue d’aboutir à la conclusion du contrat escompté.
L’une des parties ne pourrait donc pas, sans manquer à ses obligations, refuser de reprendre les discussions
sur les points qui restaient encore en suspens… »2446.

279 ‫ ص‬2001 ‫ م‬# 9 ‫ د‬N 6+ 3$‫ ء و‬F7 ،‫ ا ول‬H ‫ ا‬V C‫ دا ة و‬،H ‫ ف‬4@ A ‫ا‬ MN 1999/1/16 *+‫ر‬ ‫ ا ] در‬52676 ‫ د‬N 8 ‫ ا‬8G 4@ A ‫ار ا‬ ‫ ﺟ ء‬2437
‫ ارا‬7 K‫رة اد ﺟ‬ ‫ ا‬C 3 4d A ‫وا‬ # ‫ ذ ا ! ا‬P$ 9! $ 9p M C 3 ‫ ! ي ا‬M k ‫ ذ‬U N 8 ‫ ق‬/$‫ دة ام ا‬N ‫ ئ‬$ C + 7 #$ N ‫ ھ‬M C O ‫ج‬ ‫" ان ا‬: 8 +
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.372 ‫ ص‬، 2009 H $ ، m P ‫ب ا‬ ‫ا ط ش‬6
2438
ROUTIER (R), Les fusions de sociétés commerciales, prolégomènes pour un nouveau droit des rapprochements, Tome 2, Bibliothèque de
droit privé, Paris, 1994, p 227.
2439
Le concept est de Jean PEYRELEVADE cité par ROUTIER (A), La république des loups, op.cit p117.
2440
ROUTIER (R), Op.cit., p 228.
2441
MOUSSERON (J-M), parle de « gestion juridique du risque économique », In La gestion des risques par le contrat, op.cit , note n° 12 ,P.485.
2442
L’auditeur au sens général du terme : commissaire aux comptes, expert spécialisé, expert de gestion.
2443
MOUSSERON (J-M), Op.cit., n° 15, p 485.
2444
Même les protocoles sont des « documents ignorés du législateur, de la doctrine et de la jurisprudence … ». BAUDEU (G), Protocole et
traités de fusion, Th., PARIS, 1968, n°8, p 17 cité par BENADOUN (M), La nature juridique des actes préparatoires à la fusion des sociétés,
mémoires de DEA, NICE, 1978, p 3 et In fusions et opératoires à la fusion et opérations assimilés. Etudes juridiques n° XX, CNCC, Octobre 1988,
n° 102 n°P18).
2445
Cass. Soc. Fr., 24 Mars 1958, JSP 1958 II 10868, note J.CARBONNIER.
2446
MOUSSERON (J-M), Technique contractuelle, op.cit., p 53.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

503- Afin d’éviter les éventuels abus, on propose l’insertion, aussi bien dans l’avant-contrat que
dans le contrat définitif de fusion, de plusieurs clauses dont notamment :

-La clause d’audit :


Prendre conscience que la fusion nécessite un audit juridique est une chose, savoir quel devra en être le
domaine en est une autre. En fait, l’audit juridique ici pratiqué devra être entendu au sens le plus large. Il
s’agit en quelque sorte de faire un état des lieux sur la situation de la société avec laquelle il est envisagé de
fusionner2447, aussi bien au plan fiscal2448, social2449, sociétaire2450, que celui des contrats2451 ou même de la
propriété industrielle2452. Pour remplir adéquatement sa mission, l’auditeur devra pouvoir accéder à tous les
documents. Cela suppose la collaboration de chacun. Une réticence de l’audité serait à cet égard assez mal
venue car elle sèmerait le doute dans les esprits, et aiguiserait la méfiance du prescripteur. Elle n’aurait d’autre
résultat que de faire planer une ombre sur l’issue de l’opération qui n’est censée être envisageable que sur le
terrain de la transparence. C’est dans le rapport d’audit que seront consignées toutes les observations de
l’auditeur mais aussi toutes ses conclusions.
A défaut d’audit juridique légal, les partenaires qui envisagent de fusionner devront l’instituer par voie
conventionnelle. Cela suppose qu’un accord intervienne à différents niveaux entre les différentes entités
partenaires. Cet accord peut bel et bien prendre la forme d’une clause insérée dans l’avant-contrat de fusion ou
dans le projet de contrat.
La fascination d’un partenaire pouvant toujours l’emporter sur une claire perception, le rapport d’audit
est à notre avis un élément fondamental pour élaborer un projet équitable, et aboutir à une approbation
éclairée des associés. Aussi parait-il, d’une part, devoir être établi très tôt, afin que son contenu ne soit pas
ignoré de ceux qui ont en charge la rédaction du contrat, et, d’autre part, devoir être communiqué aux associés
avant la tenue de leur assemblée générale extraordinaire. Cela suppose qu’il leur soit accessible. Une clause
du projet de fusion pourrait à cet égard organiser cette accessibilité : « les partenaires s’engagent à mettre à la
disposition des actionnaires les différents rapports d’audit juridique. Ils seront déposés au siège de chacune
des sociétés un mois avant la tenue des assemblées appelées à statuer ». Ce n’est qu’une fois le rapport établi
et communiqué que l’union pourra s’engager sous les meilleurs auspices, chacun apportant en connaissance de
cause ses propres atouts.
La clause de renseignement :
-
Par le biais d’une telle clause, l’accord de négociation pourra ainsi confirmer le devoir respectif de
renseignement qui incombe aux représentants des sociétés qui envisagent de fusionner. Son manquement

2447
Cet audit peut être rapproché de « l’audit médical » prénuptial prévu pour les mariages de personne physiques.
2448
Dans la vie d’une entreprise, on sait qu’un passif fiscal latent n’est pas exceptionnel. La tache de l’auditeur consistera ici à le mettre en
évidence, puis, une fois décelé, à en évaluer le coût. Bien sûr, en ne disposant pas des mêmes pouvoirs d’investigation, son rôle ne pourra jamais
être celui d’un vérificateur du fisc. Néanmoins, il pourra chiffrer l’incidence fiscale de l’opération sur les comptes des sociétés qui fusionnent, et
obtenir une image suffisamment fidèle de la situation fiscale des sociétés qu’il audite, pour alerter éventuellement le partenaire du risque fiscal
encouru.
2449
L’auditeur devra s’attacher à étudier chaque contrat de travail, convention collective ou accord d’établissement, règlements intérieurs, lettre
d’engagement, correspondance échangée avec l’inspection du travail, PV de réunions de délégués du personnel ou syndical, rapport du comité
d’entreprise ou du comité d’hygiène et sécurité…et ce, afin de percevoir correctement la situation des personnels, et d’en restituer une image aussi
claire que possible. Aussi, les dettes sociales imprévues tel qu’un rappel de cotisations émanant des organismes de sécurité sociale, ou telles que
les conséquences d’un accident du travail qui se serait produit sur un salarié de la société disparue… constituent autant d’hypothèses qui ne sont
pas exceptionnelles devant être relevées par l’auditeur. En effet, l’obligation qui pèse sur la société absorbée tenue civilement responsable du fait
de son préposé est transmise à la société absorbante (Cass. Soc. Fr., 29 avril 1980, JCP 1980, n° 8938 ; JCP 80, IV, 263).
2450
Il relève naturellement de la plus élémentaire des précautions que de prendre connaissance des statuts, des inscriptions au greffe, des comptes
rendus des derniers C.A. comme de ceux des A.G., de vérifier que les actifs ne soient pas grevés de sûretés (sinon il convient donc d’en exiger la
liste, et le cas échéant de la compléter) et que les titres soient librement transmissible (on pense aux clauses d’agrément déjà évoquées et aux
conventions d’actionnaires). Dans le même esprit, il faudra rechercher les liens de dépendance financière pour appréhender l’endettement dans son
contexte, et partant éviter une survalorisation des actifs. Il s’agit aussi ici d’appréhender globalement la situation judiciaire ou conflictuelle de la
société, voire sa condition générale. L’auditeur devra non seulement rechercher quelles sont les instances en cours (ou celles qui sont susceptibles
de l’être), mais aussi si le risque judiciaire a été correctement évalué, s’il a été provisionné et, dans l’affirmation, s’il l’est suffisamment. Il faut
aussi voir, à l’inverse, si une action intentée par la société a des chances d’aboutir, et quel serait le gain judiciaire escompté. Le fait de vérifier
qu’aucune action judiciaire n’est en cours, ou susceptible d’être engagée, lui commandera, naturellement, de traquer en priorité tout manquement
patent à une disposition légale ou contractuelle. Cela suppose qu’un audit des contrats soit également entrepris.
2451
L’audit contractuel débutera par un inventaire des contrats de la société auditée. Cette première étape suppose d’abord que les dirigeants
coopèrent et fournissent la liste desdits engagements. L’auditeur s’assurera que l’opération contractuelle est régulière eu égard à la norme en
vigueur. La seconde phase, plus délicate, est affaire d’espèce : il s’agit d’appréhender en termes de risque les incidences financières desdits
engagements, et de les replacer dans leur contexte.
2452
MOUSSERON (J-M), op.cit., p 592 et s.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

pourra être passible des sanctions découlant de la responsabilité contractuelle : le trouble occasionné se
résoudra en dommages-intérêts2453. Cette clause de renseignement pourra mettre à la charge de chacune des
parties signataires, l’obligation de communiquer les informations requises par le partenaire ou l’auditeur
désigné2454.

-Clause d’exclusivité :
Lors de la négociation des modalités de l’opération, qui doivent figurer au projet de fusion, une clause
d’exclusivité serait souvent heureuse pour sceller la volonté de se rapprocher. Une telle clause obligerait ainsi
les parties à ne pas négocier avec d’autres partenaires, ce qui serait tentant si, d’aventure, de meilleures
conditions venaient à leur être ultérieurement proposées. A partir d’exemples plus généraux2455, une telle
clause pourrait être rédigée en notre matière comme suit : « les parties prennent acte de leur volonté
réciproque d’envisager la possibilité de fusionner. A cette fin elles conviennent de ne procéder à aucune
négociation quelle qu’elle soit qui aurait pour but de céder ou transmettre à un tiers acquéreur tout ou partie
des titres des sociétés énumérées ci-dessus et ce jusqu’à la fin des négociations en cours ».

-Clause de confidentialité :
Cette clause impose une obligation de ne pas faire : le comportement recherché ici, c’est de ne pas
divulguer des renseignements recueillis à l’occasion du droit de regard qu’ont mutuellement les partenaires
sur les affaires et la comptabilité de chaque société. Les cocontractants auront naturellement intérêt à ce que
son objet soit rédigé en des termes très larges comme suit : « il est expressément convenu entre les parties à la
fusion, tant pendant le cours du présent projet, qu’auprès sa ratification, et ce jusqu’à la chute de
l’information dans le domaine public, qu’aucune des informations industrielles, commerciales ou autres y
compris celles relatives à la négociation en cours ne devra-t-être divulguée. Les parties garderont secrètes
toutes les informations techniques et financières échangées lors de la négociation. En cas d’échec des
pourparlers, l’obligation survivra à la charge des parties pendant une durée de trois ans à partir de la
constations de l’échec »2456.
-Clause de responsabilité :
L’insertion d’une telle clause, dans le projet ou le contrat de fusion lui-même, peut jouer un rôle
préventif assez important. En effet, même s’ils n’ont pas le pouvoir de réaliser la fusion, les dirigeants qui
négocient les conditions de cette opération ont certainement une responsabilité. Sans en faire des « tiers
garants » à part entière, une telle clause aurait le mérite de les impliquer plus physiquement, ce qui aurait
certainement pour effet d’aiguiser davantage leur vigilance à la formation du contrat proprement dit.
-Clause de contrôle
Il s’agit ici d’aménager au profit des associés qui reçoivent le patrimoine étranger la possibilité de
contrôler la justesse et la pertinence des critères retenus pour définir la parité d’échange. En d’autres termes,
cette clause obligera les artisans de la fusion à fournir, aux associés, tout justificatif relatif au patrimoine
apporté que ces derniers estimeront utile. Ceci semble indispensable pour lutter contre la rétention de certains
documents nécessaires pour l’information des associés. On peut également ranger dans cette catégorie la
clause qui prévoirait pendant la période intercalaire, un droit de présence au sein de l’entreprise absorbée par
exemple.
Il peut-être utile de faire inscrire au projet une telle clause pour lever équitablement les difficultés et
empêcher les instigateurs de pouvoir tirer un avantage supplémentaire disproportionné ou tenter de se retirer.
Si le projet est un contrat qui doit mettre à la charge des parties une obligation, c’est bien celle de négocier de
bonne foi avec les assemblées générales extraordinaires (AGE)2457.
Au rang de la bonne foi, et pour contrecarrer les abus, déjà dénoncés2458, il pourrait être exigé aussi
qu’une clause du projet répute non écrite ; ou nulle et non avenue, toute clause stipulée à l’insu de l’AGE.

2453
V. Art. 273 COC.
2454
ROUTIER (R), Op.cit., p 249.
2455
MOUSSERON (J-M), technique contractuelle, op.cit.,1998, p 55.
2456
Ibidem
2457
ROUTIER (R), Op.cit., p 259.
2458
V. supra, n° 72.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

- Clause d’adaptation
Si l’intervention du juge est difficilement envisageable pour rééquilibrer les relations contractuelles2459
perturbées par une fusion ou scission, rien n’interdit aux parties d’insérer prioritairement une clause
d’adaptation automatique pour obtenir la révision du rapport d’échange. En effet, a posteriori, l’équilibre
initial du contrat peut s’avérer être bouleversé, par des événements qui n’étaient pas intégrés dans le rapport
d’échange. Une clause d’adaptation prévue ab-initio semble alors pouvoir garantir réciproquement, les parties
qui envisagent de fusionner, de toute mauvaise surprise2460.
En matière de fusion ou scission, la clause d’adaptation pourrait être rédigée en ces termes : « Si
ultérieurement l’opération s’avérerait avoir été opérée sur la base d’une partie manifestement mal évaluée,
soit que la réalisation d’un des actifs apportés, soit que la constatation du passif importé fasse apparaître une
minoration substantielle au moment de l’échange, les personnes lésées qui ont toujours la qualité d’associés
devront être récompensées à due proportion de leurs apports ».
Pour la sécurité juridique de l’opération, il n’est pas souhaitable de pouvoir alléguer indéfiniment
l’existence de l’abus, aussi les parties auront-elles intérêt à limiter l’exercice de cette clause dans le temps. A
titre d’exemple, elles pourront la compléter en stipulant que : « toutefois, passé le délai de 5 ans, les parties
conviennent qu’aucune récompense ne sera due ». Bien entendu, le recours à un tiers pour arrêter le montant
de la récompense ou former une recommandation sur l’évaluation pourra être envisagé2461.
- Clause de conscience
Certains employeurs ont envisagé la mise en place de clauses de conscience dans les contrats de
travail2462, ce qui signifierait que le salarié qui rentre dans une entreprise serait en principe d’accord avec la
politique commerciale, ou bien avec « l’esprit » de celle ci. La Cour de cassation française a déjà admis la
validité d’une clause aux termes de laquelle « en cas de modification des statuts de la société, de ses buts,
avec changement de la nature juridique de celle-ci, de modification des structures hiérarchiques ou
fonctionnelles, ou de changement d’orientation technique ou des activités, le salarié aura la faculté de
demander qu’il soit mis fin aux relations de travail; la rupture étant alors considérée comme imputable à
l‘employeur, débiteur, de ce fait, de l’indemnité conventionnelle de licenciement, ainsi que d’une somme égale
au moins à six mois de salaire »2463.
A notre sens, toute clause semblable à celle évoquée par la cour de cassation dans l’arrêt précité
devrait être admise car elle concilie les intérêts des deux parties, ceux de l’employeur et surtout ceux des
salariés. Ainsi, à travers la protection de l’intérêt social, l’on assure celle des salariés quand bien même il n’y
a pas eu changement dans la situation juridique de l’employeur.

504- Cette tendance de contractualisation, malgré son importance et même si elle est de plus en plus
perceptible dans notre législation, doit être encadrée par la loi comme par l'autorité judiciaire.
Ainsi, l’intervention légale, nécessaire dans le contrat, montre bel et bien l’existence d’un conflit
inévitable entre la liberté contractuelle et le souci de sécurité juridique. La régulation volontariste n’est-elle
pas insuffisante ? L’interventionnisme étatique2464 correcteur ne demeure-t-il pas toujours nécessaire2465 ?

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.a + ‫ و‬272 ‫ ص‬،2006 ،H $ ،8# ‫ ا‬34 ‫' ا‬C
2460
Comme le relève MOUSSERON (J-M), cette clause est d’autant plus utile que, dans notre droit, « le juge ne peut refuser d’appliquer les
clauses claires d’un contrat ni les modifier sous prétexte de rééquilibrer ce contrat devenu inéquitable ». Op.cit, p 53.
2461
ROUTIER (R), Op.cit., p 261.
2462
Ceci, à l’instar de ce qui existe pour les journalistes en se fondant sur le fait que le contrat de travail serait en principe un contrat conclu intuitu
personae la clause de conscience est une “clause sous-entendue dans le contrat de travail du journaliste, en vertu de laquelle celui-ci peut
présenter sa démission à son employeur, sans perdre le droit à l’indemnité de licenciement, lorsqu’il est intervenu un changement notable dans le
caractère ou l’orientation du journal ou périodique, si ce changement créé pour la personne employée une situation de nature à porter atteinte à
son honneur, à sa réputation ou, d’une manière générale, à ses intérêts moraux”. MOUTHIEU-NJANDEU (M-A), L’intérêt social en droit des
sociétés, L’Harmattan, 2009, p 256.
2463
Cass. Soc. Fr., 27 nov. 1986, Bull. Civ. V, n° 566.
2464
L'interventionnisme est une politique par laquelle l'État participe à l'économie du pays quand cela lui paraît nécessaire pour protéger les intérêts
des citoyens ou y développer des aspects de l'économie ou du social. L'économiste français Jean-Paul Fitoussi précise que généralement,
l'intervention de l'État accroît l'efficacité économique. (FITOUSSI (J-P), La démocratie et le marché, Grasset, 2004, p. 59). Le dernier rapport de
la Conférence des Nations-Unies sur le commerce et le développement (CNUCED), rédigé par le Groupe d’étude inter-divisions de l’organisation,
est consacré à la crise financière mondiale. Publiée le 19 mars 2009, l’étude s’attache à mettre en lumière les causes profondes de la crise. Pour la
CNUCED en effet, la crise prend avant tout ses racines dans la déréglementation et la libéralisation financière généralisée, elles-mêmes motivées
par la croyance idéologique dans les vertus du marché. Véritable plaidoyer contre le dogme du « laisser-faire le marché », le rapport énumère une
série de préconisations qui consacrent le retour de l’intervention « énergique » et « cohérente » des pouvoirs publics. V.

Page 355
DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Dans cet ordre d’idées, on ne peut que solliciter l’introduction dans notre législation de contrats-types
de fusion ou de scission contenant les différentes clauses susmentionnées, et d’autres, afin de prévenir autant
que faire se peut les abus que pourraient encourir les malheureux partenaires de la concentration. Ceci est
d’autant plus vrai que dans d’autres domaines où l’impératif de protection est moins important on trouve ces
contrats-types2466 dont les vertus protectrices ne sont plus à démontrer. Plutôt que de lutter contre les clauses
abusives, il s’agit de prédéterminer des clauses équilibrées2467. Les pouvoirs publics imposent ainsi des
dispositions impératives concernant les obligations des parties dans plusieurs contrats : opérations de crédit,
contrat d’assurance2468, promesse de vente et vente immobilière2469… pourquoi ne pas faire de même
concernant les procédés de concentration afin d’éviter les abus, et pourquoi pas des contrats-types de fusion
ou de scission ?
Avec la mondialisation, les avocats appelés à accompagner les opérations économiques dans leurs
projets, devraient pouvoir travailler dans un cadre législatif largement uniforme utilisant un langage commun
et des techniques contractuelles adaptées à chaque situation2470.

505- Quelle que soit la nature des opérations de concentration auxquelles on est confronté, de très
nombreuses dispositions légales et réglementaires, tant en droit des sociétés qu'en droit boursier, existent et se
multiplient pour encadrer la préparation de ces opérations qui sont, par définition, très complexes. En
particulier, l’information, les divers mécanismes du contrôle exercé par les autorités du marché, le
resserrement de la liberté contractuelle… constituent de sérieuses garanties pour les actionnaires minoritaires.
Ces mécanismes de contrôle sont toujours de plus en plus sophistiqués, mais sont à la mesure de la complexité
des enjeux de ce type d'opérations. La tendance actuelle d'ailleurs, en droit boursier, en droit de la
concurrence, comme en droit des sociétés est au renforcement de ces mécanismes de contrôle qui restent
toujours perfectibles. Cette tendance, qu’on qualifierait de lourde, s'inscrit dans le mouvement contemporain
plus général d'une plus grande transparence de ces opérations pour permettre une meilleure protection de
l'épargne et des actionnaires. Ce mouvement protectionniste se poursuit davantage avec l’intervention des
organes préventifs de l’abus qui ont essentiellement pour rôle de vérifier la véracité et l’authenticité des
informations financières et comptables. Plus précisément, l’existence d’une information, d’une
contractualisation aussi étendues soient-elles, ne suffit pas pour donner aux partenaires de la concentration une
idée claire et juste à même de prévenir toute forme d’abus perceptible dans cette opération. Il ne suffit pas que
l’actionnaire soit seulement informé, encore faut-il que l’information en question soit aussi vérace que
possible. Autrement dit, l’information doit être contrôlée non seulement quant à son exactitude mais aussi
quant à sa qualité. C’est bien là qu’on saisit l’importance du contrôle exercé par les organes professionnels qui
peuvent jouer un rôle des plus efficaces pour réaliser une meilleure prévention de l’abus dans les procédés de
concentration des sociétés.

http://www.momagri.org/FR/articles/La-CNUCED-justifie-le-retour-de-l-interventionnisme-etatique-sur-les-marches-notamment-
agricoles_493.html.
2465
V. Colloque international, « Les clauses contractuelles sensibles », FDS, 10 et 11 octobre 2011, I.J., n° 56/57, novembre 2008, p 14 et 15.
2466
On cite à titre d’exemple le contrat de franchise. V. la loi n°2009-69 du 12 aout 2009 relative au commerce de distribution et le Décret n°
2010-1501 du 21 juin 2010, portant fixation des clauses minimales obligatoires des contrats de franchise ainsi que des données minimales du
document d'information l'accompagnant.
2467
Sur ce point, V. CALAIS-AULOY (J) et STEINMETZ (F), Droit de la consommation, DALLOZ, 2006, n°194.
2468
V. les arts. 1 à 47 du code des assurances.
2469
V. la loi n° 90-17 du 26/02/1990 portant refonte de la législation relative a la promotion immobilière telle que complétée et modifiée par les
lois suivantes : la loi n° 91-76 du 02/08/1991 ; la loi n° 2000-94 du 11/11/2000 et la loi no 2009-62 du 31/07/2009.
2470
KNANI (Y), Les aménagements statutaires dans la société anonyme, art. pré., p 28.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Chapitre Deuxième : L’unification quant aux


organes de prévention de l’abus dans les procédés
de concentration
506- Le contrôle de la société est normalement dévolu à ses actionnaires mais ceux-ci n’ont pas
toujours les qualités requises pour se retrouver dans l’ensemble des documents qui sont présentés par les
dirigeants, surtout s’il est question des documents sociaux liés aux opérations de concentration2471. Dès lors,
les actionnaires minoritaires sont généralement enclins à solliciter l’intervention d’un expert lorsqu’une ou
plusieurs opérations déterminées leur paraissent suspectes2472. Ainsi, l'intervention de l'auditeur de façon
générale peut être l'une des actions les plus importantes dans les opérations de concentration, qu'il s'agisse de
filialisation, de fusion ou d’une opération de scission… Sous ses différents titres et ses différentes fonctions :
expert-comptable, commissaire aux comptes, expert de gestion ou expert spécialisé… l’auditeur participe à
l'évaluation de l'entreprise, aux négociations, aux audits préalables ou postérieurs à l'opération, etc. On le voit,
son rôle est souvent essentiel2473. Il ne faut donc pas s'étonner si, les choses tournant mal, ou si le cessionnaire
n'est pas satisfait de son acquisition par exemple, que l'on cherche à mettre en cause la responsabilité de
l’auditeur, car il apparaît comme « l'assureur naturel » de ses clients ou de leurs partenaires2474.
Quel que soit le pays considéré, le contrôle externe ou interne de la situation financière de la société,
par des organes autonomes et indépendants, revêt une importance toute particulière. En effet, l'information
financière publiée par une société est utilisée par un grand nombre de « lecteurs ». Les actionnaires de la
société, ses salariés, ses fournisseurs, ses banquiers, ou tout simplement le public au sens large doivent
pouvoir se fier aux documents sociaux de l'entreprise. Afin de garantir la crédibilité de la société et la sincérité
de ces documents d’information, le contrôle apparaît comme une véritable nécessité. D’autant plus que les
entreprises, ayant de bons antécédents en matière de gouvernance, sont en mesure de mobiliser davantage de
ressources à des conditions plus favorables, améliorer la compétitivité et réduire les risques financiers
permettant ainsi de réaliser les objectifs sociétaires et favoriser les opérations de concentration2475.
Plusieurs organes de contrôle sont, d’ores et déjà, imposés par la loi en vigueur. Leurs missions sont,
certes, importantes et essentielles sur plusieurs plans. Leur organisation nécessite, toutefois, d’être améliorée,
voire perfectionnée (Section première). Aussi, de nouveaux organes de contrôle devront être reconnus, par la
loi, afin de pousser le contrôle et, partant, la prévention à un degré maximum de sorte qu’on pourrait réaliser
une opération de concentration sans risque de commettre des erreurs graves, voire des abus irréparables
(Section deuxième).

Section Première : L’unification par le


perfectionnement des organes traditionnels de
prévention de l’abus
507- Le contrôle dont il est question, peut être assuré par plusieurs organes orthodoxes. Les uns sont
internes à la structure sociétaire, c'est-à-dire qu’ils existent généralement dès la naissance de la personne
morale et leur mission est généralement imposée par la loi. Ces organes nécessitent un perfectionnement sur
plusieurs plans (Sous-section Première). D’autres, au contraire, sont externes, c'est-à-dire désignés par le juge
afin d’exercer une mission ponctuelle au sein de la société. Ces derniers postulent aussi une consolidation à
bien des égards (Sous-section Deuxième).

2471
DAHDOUH (H) et LABASTIE-DAHDOUH (C), Entreprises sociétaires et groupements privés, Op.cit., p 481.
2472
Ibidem.
2473
PAILLUSSEAU (J) et BARTHES DE RUYTER (G), La responsabilité des auditeurs, LPA, 05 avril 1995, n° 41, p. 43.
2474
PAILLUSSEAU (J), La responsabilité des professionnels dans les opérations de rachat d'entreprises, R.F.C. 218, déc. 1990, p. 44.
2475
ELLOUMI (Y), La gouvernance d’entreprise et commissariat aux comptes, In Le code des sociétés commerciales suite aux modifications de
2005, Actes du colloque organisé par le Centre d’Etudes Juridiques et Judiciaires, les 3 et 4 février 2006, Tunis, 2006, p 121.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Sous-section Première : Le perfectionnement des


organes internes de la prévention
508- Les organes internes sont ceux qui se trouvent à l’intérieur de l’organisation sociétaire comme
étant des organes imposés par la loi, au sein de la société. Il s’agit principalement du commissaire aux
comptes de la concentration (-§1- ) et de l’expert spécialisé en matière de fusion ou de scission (-§2- ). Il en
est de même du conseil de surveillance (-§3- ).

-§1- Le perfectionnement du rôle du commissaire aux


comptes dans les procédés de concentration
509- Il faut rappeler qu'après la seconde guerre mondiale, jusqu'à nos jours, la complexité du monde
économique des entreprises n'a cessé de croître. S'accompagnant d'une tendance à la concentration, cette
complexité a du être renforcée par un contrôle de plus en plus important, que l'Etat seul ne pouvait assumer.
C'est pourquoi, en France comme en Tunisie, une profession libérale, la profession de commissaire aux
comptes, s'est vue conférer une large mission de contrôle des entreprises sociétaires2476. Ces commissaires aux
comptes sont considérés, par la doctrine commercialiste, comme étant les gardiens de la légalité du
fonctionnement des entités soumises au contrôle censorial. Certains disent même d'eux qu'ils sont les soldats
de garde2477 des entreprises et en font la « pièce maîtresse de la confiance » que peuvent avoir les tiers et les
associés dans les activités des sociétés où s'exerce la mission censoriale2478. Le commissaire aux comptes est
aussi souvent présenté comme étant l’observateur éclairé et indépendant des affaires sociales2479. Ne faut-il
pas aller au-delà et considérer que les commissaires aux comptes constituent la « conscience morale » des
dirigeants, comme l'exprimaient déjà, il y a bien longtemps, messieurs Guyon et Coquereau2480 ? Le
commissaire aux comptes apparaît alors comme le garant de la fiabilité de l'information financière donnée par
les entités qu'il contrôle2481.
Le commissariat aux comptes, tel qu'il a été institué en octobre 1959 à travers la loi n° 59-129 du 5
octobre 1959 portant promulgation du code de commerce, visait essentiellement la communication aux
actionnaires des sociétés anonymes de rapports établis par des professionnels, qui ne sont, du reste, soumis à
aucune obligation de compétence ou de diligence. La création de l'ordre des experts comptables en 1982, la
refonte de la profession d'expertise comptable en 1988, la promulgation de code des sociétés commerciales en
2000 et surtout la promulgation de la loi portant renforcement de la sécurité des relations financières en 2005,
constituent autant d'événements ayant marqué le commissariat aux comptes en Tunisie, pour en faire une
véritable institution au service d'une information financière régulière et sincère2482.
510- Lorsqu'il est nommé dans une entreprise, sa première mission consiste d'abord à prendre
connaissance de l'entité en question, de son environnement, du secteur d'activité où elle opère, des moyens
financiers dont elle dispose, de l'organisation comptable et des ressources humaines qui sont mises en
œuvre… Il s'agit là d'une prise de contact globale. Ensuite, le commissaire aux comptes essayera d'identifier
où se situent les problèmes potentiels que peut rencontrer l'entreprise, c'est-à-dire les zones à risque. Sachant
que les dites-zones ainsi que les dangers d'erreur, d’abus, de fraude, d'anomalies comptables ou financières ne
sont pas les mêmes si on se trouve face à une société isolée, à un groupe de sociétés ou lors de la mise en
place d’une opération de concentration de type fusion ou scission2483.
Considéré à l'origine comme le protecteur des intérêts des seuls actionnaires, le commissaire aux
comptes a été progressivement investi d'une mission d'intérêt général visant la protection de l'ensemble des
utilisateurs de l'information financière, ainsi que le respect de la réglementation.
2476
http://www.hec.unil.ch/urccf/recherche/publications/cahiers/cahier20.pdf
2477
MONEGER (J) ET GRANIER (TH), Le commissaire aux comptes, Dalloz, 1995.
2478
BARBIERI (J-F), Morale des affaires et commissariat aux comptes, LPA, 24 janvier 1996, n° 11, p. 8.
2479
LANGE (D), Le commissaire aux comptes, jurisclasseur sociétés commerciales, fasc. 134-20,
N°42.2002.
2480
GUYON (M-M) ET COQUEREAU, Le commissariat aux comptes. Aspects juridique et technique, Litec, 1971.
2481
PORACCHIA (D), Regard sur l'évolution de la profession de commissaire aux comptes, LPA, 30 septembre 2004 n° 196, P. 3.
2482
DERBEL (F), Commissariat aux comptes et sécurité financière, I.J., n° 50/51, Juillet/Aout 2008, p 18.
2483
NATIVEL (P), Le contrôle exercé par le commissaire aux comptes sur les sociétés d’économie mixte locales, Petites affiches, 25 octobre 1995
n° 128, P. 31.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

511- Le caractère obligatoire de la certification des comptes des sociétés par actions, né de la
nécessité de mieux protéger les actionnaires lors de leurs prises de décisions, a conduit naturellement le
législateur à définir clairement le statut du commissaire aux comptes. Ceci est vrai pour les sociétés isolées
seulement2484 dans la mesure où la loi n’a malheureusement pas fixé de manière précise et exhaustive le statut
du commissaire aux comptes du groupe2485. Le législateur s’est contenté seulement de préciser, dans l’article
471 CSC, qu’il doit être inscrit dans le tableau de l’ordre des experts comptables de Tunisie. Il n’a cependant
pas traité des incompatibilités2486. Le commissaire aux comptes du groupe peut-il alors disposer de
participations dans les sociétés groupées ? Peut-il encore, tout en étant commissaire aux comptes du groupe,
être à la fois commissaire aux comptes de la société mère ou encore celui d’une ou plusieurs filiales ou
sociétés contrôlées ? Certes, une telle situation peut l’empêcher d’exercer sa mission en toute neutralité et
indépendance2487. Il n’en demeure pas moins que le commissaire aux comptes d’une ou de plusieurs sociétés
du groupe ou bien celui de la société mère est sûrement la personne la plus qualifiée pour être nommée
commissaire aux comptes du groupe en raison de son aptitude à avoir toutes les informations et à connaître
tous les rouages du groupement. D’ailleurs, en pratique, le commissaire aux comptes du groupe est
généralement celui de la société mère2488. Cette pratique a été entérinée par la loi n°2005-56 du 18 octobre
2005 relative au renforcement de la sécurité des relations financières. En effet, selon les dispositions du
deuxième paragraphe de l’article 471 du code des sociétés commerciales2489, « les états financiers consolidés
sont soumis à l’audit du ou des commissaires aux comptes de la société mère qui doivent être inscrits au
tableau de l’ordre des experts comptables de Tunis ».
512- Dans le groupe de sociétés, la mission du commissaire aux comptes consiste essentiellement2490
dans le contrôle des comptes consolidés2491. D’abord, il vérifie la conformité de ces comptes aux lois et
règlements en vigueur2492. Ensuite, il examine la véracité des dits-comptes, c'est-à-dire l’absence de tous
déguisements et détours2493. Il vérifie aussi leur sincérité et concordance avec les informations données dans le
rapport de gestion du groupe. Il doit, enfin, certifier que les comptes consolidés sont réguliers, sincères et
donnent une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'ensemble du groupe2494.
En certifiant les comptes consolidés, le commissaire aux comptes doit déclarer expressément, dans son
rapport, qu’il a effectué un contrôle détaillé et qu’il approuve expressément2495 ou sous réserves les dits-
comptes2496 ou tout simplement qu’il les désapprouve2497. La certification n’est pas une garantie d’exactitude,

2484
V. notamment l’article 258 CSC qui a étendu le domaine de son contrôle pour embrasser la constitution légale de la société.
2485
En réalité il n y’a pas de commissaire aux comptes du groupe. Ce dernier n’ayant pas de personnalité morale, il s’agit plutôt du commissaire
aux comptes qui va contrôler les comptes consolidés ainsi que les conventions intragroupes telles que réglementées par l’article 478 CSC.
2486
V. à propos des incompatibilités dans la société anonyme isolée les articles 262 et 263 du CSC. Ces articles s’appliquent également à la SARL
(art. 125 CSC).
2487
BEJOT (M), La protection des actionnaires externes dans les groupes de sociétés en France et en Allemagne, Etablissements Emile Bruylant,
Bruxelles, 1976, p 132 et s.
2488
C’est ce qui a été confirmé lors des discussions avec certains experts comptables de renommée comme M l’ancien président de l’ordre des
experts comptables Ahmed Mansour et M Moez ben Amor.
2489
L’al. 2 de l’art. 471 CSC a été abrogées par l’art. 6 de loi n°2005 du 18 octobre 2005 portant renforcement de la sécurité des relations
financiéres.
2490
Le commissaire aux comptes est amené aussi à exercer des missions spéciales et ponctuelles. En effet, il intervient pour contrôler les
conventions conclues entre les sociétés du groupe en établissant un rapport spécial, car il existe souvent des conventions entre les sociétés ayant
des administrateurs communs. Ces liens sont fréquemment passés sous silence, pourtant ils constituent une composante importante du fond social.
Et pour pallier l’absence des garanties face à ces dangers, l’article 475 CSC a prévu une plus large information des actionnaires. Pour cela, selon
ledit article, les relations conventionnelles entre les sociétés d’un même groupe sont soumises à une procédure particulière protectrice des associés.
Elles doivent être approuvées en assemblée générale sur la base d’un rapport spécial établi par le commissaire aux comptes. Dans ces conditions
les minoritaires sont prévenus des abus possibles par les indications mentionnées dans ce rapport. Aussi, selon l’article 49 du CIRIP et IS « les
comptes des sociétés concernées par le régime de l’intégration des résultats sont soumis au contrôle d’un commissaire aux comptes durant toute la
période concernée par l’application dudit régime, et les rapports du ou des commissaires aux comptes doivent contenir une évolution générale du
contrôle interne ».
2491
V. art 471 CSC.
2492
Cette mission s’exerce d’une manière permanente, avec l’interdiction de toute immixtion dans la gestion (article 266 alinéa 3 CSC). Elle
s’exerce aussi à l’occasion de la réunion d’une assemblée générale pour permettre aux actionnaires de se prononcer en connaissance de cause lors
de l’approbation des comptes au de toute autre décision.
2493
GUYON (Y), Le commissaire aux comptes, Jurisc. Soc., Fasc. 134 A, n° 8.
2494
Dictionnaire permanent, Droit des affaires, 2011, n° 68.
2495
Dans le cadre de la certification pure et simple, le commissaire aux comptes atteste que les comptes sociaux « sont réguliers, sincères et
donnent une image fidèle du résultat des opérations de l’exercice ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la société à la fin de cet
exercice ». LANGE (D), Les commissaires aux comptes, édition du juris-classeur 2001, fasc, 134-20 n°54.
2496
Dans le cas où le commissaire aux comptes donne sa certification avec réserves, il doit préciser clairement dans son rapport la nature du
désaccord ou de la limitation qui l’a conduit à formuler des réserves.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

mais une attestation que les comptes ont été établis de bonne foi en conformité avec les exigences de la
réglementation et des référentiels comptables en vigueur2498. Le rapport du commissaire aux comptes doit,
avant tout, permettre à l’actionnaire, qui n’est généralement pas un spécialiste de la comptabilité, de se faire
une opinion sur le caractère réel et les méthodes d’évaluation des éléments du patrimoine social ainsi que la
sincérité et l’exactitude des résultats de l’exercice. Ce document doit être clair pour être accessible à tous,
précis pour être intéressant, dénué de commentaires inutiles et dépourvu de chiffres fastidieux pour retenir
suffisamment l’attention2499.
Selon la nouvelle disposition apportée par la loi n°2005-65 du 27 juillet 2005, l’article 266 du C.S.C
précise, dans son alinéa deuxième, que « le commissaire aux comptes certifie la sincérité et la régularité des
comptes annuels de la société conformément à la loi en vigueur relative au système comptable des entreprises.
Il vérifie périodiquement l’efficacité du système de contrôle interne ». La version révisée de ce paragraphe met
à la charge du commissaire aux comptes l’obligation d’exprimer une opinion sur la sincérité et la régularité
des états financiers annuels conformément aux dispositions relatives au système comptable des entreprises2500.
Il convient de noter que la nouvelle obligation mise à la charge du commissaire aux comptes qui
consiste à s’assurer de manière périodique de l’efficacité du fonctionnement du système de contrôle interne est
une inspiration de la loi française n°2003-706 du 1 août 2003 relative à la sécurité financière qui a mis cette
obligation à la charge du président du conseil d’administration2501.

513- Pour que le contrôle soit exercé dans les meilleures conditions, l’article 471 CSC a doté le
commissaire aux comptes du groupe d’un pouvoir d’investigation très large. En effet, cet article énonce
qu’«abstraction faite de la possibilité d’effectuer toutes les investigations auprès de l’ensemble des sociétés
membres du groupe, qu’il juge nécessaires, le commissaire aux comptes ne certifie les états financiers
consolidés qu’après avoir consulté les rapports des commissaires aux comptes des sociétés appartenant au
groupe2502… ». Ainsi, le commissaire aux comptes consolidés, armé d’un pouvoir d’investigation très vaste,
peut naviguer entre les différentes sociétés du groupe pour chercher la réalité sans tenir compte des barrières
imposées par l’autonomie de la personnalité morale et le secret d’affaire2503. Il faut cependant préciser la
nature du contrôle exercé. En fait, le commissaire à la consolidation n’agit pas en qualité de contrôleur des
sociétés incluses dans le périmètre de la consolidation2504, ses investigations sont seulement faites pour les
besoins du contrôle des états financiers consolidés2505.
A l’instar du droit tunisien, en droit suisse2506 comme en droit français, les auditeurs peuvent étendre
leurs investigations de la même façon auprès des sociétés mères et de leurs filiales, ils sont généralement
désignés pour toutes les sociétés du groupe et exercent leur mission auprès de l'ensemble des entreprises
comprises dans le périmètre de la consolidation2507.

514- Lors de l’exercice de sa mission, le commissaire aux comptes consolidés peut rencontrer
plusieurs difficultés, parfois difficiles à surmonter, liées essentiellement à l’autonomie juridique des sociétés
2497
Le refus de certification suppose que des vices graves conduisent à douter de la sincérité des comptes et donc de la bonne foi des dirigeants. Ce
refus doit être motivé. Ainsi, le commissaire a, dans ce cas, le devoir d’expliquer les raisons de son refus. V. art. 269 CSC.
2498
FESSI (M), op, cité. p.99.
2499
HEURTEUX (C), L’information des actionnaires et des épargnants : étude comparative, Paris éd. Sirey, 1961, p 315.
2500
DERBEL (F), communication sur « les diligences professionnelles du commissaire aux comptes, Actes du colloque sur le C.S.C, suite aux
modifications de 2005, organisé par le centre d’études juridiques et judiciaires les 3 et 4 Fev 2006 Tunis, 2006 p 130.
2501
V. l’art 117 de la loi qui met à la charge du président du conseil d’administration des nouvelles obligations d’information envers les
actionnaires. Ainsi, son rapport doit indiquer « les conditions de préparation et d’organisation des travaux du conseil d’administration, les
procédures de contrôle interne mises en place par la société et les éventuelles limitations que le conseil d’administration apporte aux pouvoirs du
directeur général ».
2502
Les dispositions de cet article rappellent celles de l’article 266 CSC qui permet au commissaire aux comptes d’une société faisant partie d’un
groupe d’entamer ses investigations aussi bien au niveau de la société mère que de la société filiale. Aussi le même article, dans son alinéa 4,
dispose que les commissaires aux comptes peuvent « se faire communiquer toutes les pièces qu’ils estiment utiles à l’exercice de leur fonction et
notamment les contrats, livres, documents comptables et registres de procès verbaux et les bordereaux bancaires ». Grâce à ce droit le
commissaire peut procéder à toutes vérifications et tous contrôles qu’il juge opportun.
2503
NURIT-PONTIER (L), op.cit., p 66.
8 ‫ ت ا‬# ‫ ا‬M " ‫ ا ! ت وا‬7‫ ا‬a N C ‫ ت‬L# M a 7 #g P ‫ا‬ ‫ ا‬9 ‫ ا ا‬a 4 F$ + ‫ ﺟ‬M C[ ‫ز‬S ‫ ت ا‬+ ‫ ا‬6 ‫ ا ! ت <" اﺟ اء ﺟ‬I7‫ا‬ “ 2504
‫ وا‬+‫'ا وا وراق ا ر‬P ‫ ا‬U N ‫ع‬S‫ ا ط‬F+‫ا‬ ‫ ا‬8F + 7‫ و‬.a ‫و‬q! f $ ‫ ن‬$ K N a 7‫ و ] د‬6 4 ‫ ت ا‬C 3 ‫ <! ت ا‬8G ‫ ا دارة‬H +‫ ر‬$ K 4 F$
MN ‫ ا‬K S A ‫ او ا ري او‬84K ‫ ! ا‬a K K+ ! ‫ ت او‬C 3 ‫ ا‬k M + ‫ و‬. K ‫ او اﺟ ا‬K+ ! U ‫ ع ا‬A ‫ ت او ا‬C 3 ‫ ا‬k $ M ‫ وا< ة‬VC ‫ ى‬8 ‫'و ت ا‬P ‫وا‬
.1645 ‫ ص‬،2007 H $ ،, ( 7 ‫ ا‬, ‫ ظ ز‬$ ‫ ( ا‬- ‫ـــ ري و‬17 ‫ و ل ا‬2 ‫ ( ا ر‬0‫ ا‬M+ ! ‫ ا‬M g ‫ " ا‬#$ ، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬ .”a 4 N 8 ‫ ا م ا‬C 3 ‫ا‬
2505
MELLOULI (S) et FRIKHA (S), Op. cit., n°1476, p 398.
2506
Selon l'article 731, alinéa 1 COC.
2507
V. article 229, alinéa 3, rédaction loi 30 avril 1983.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

groupées. Il peut craindre, par exemple, une résistance de la part des dirigeants des sociétés liées qui peuvent
ne pas comprendre le fait qu’après avoir été contrôlées par leur propre commissaire aux comptes, leur sociétés
devront se soumettre aux investigations du commissaire aux comptes du groupe2508. D’autres obstacles
peuvent apparaître du fait de la multi-nationalité des groupes de sociétés actuels2509. En effet, le commissaire
aux comptes du groupe aura à surmonter deux difficultés : l’une matérielle, l’autre légale. Comment peut-il
exercer sa mission si, par exemple, la société mère siège en Tunisie, alors que plusieurs filiales siègent dans
des pays européens et d’autres dans des Etats africains ? N’est-ce pas là une difficulté matérielle difficile à
surmonter ? Pis encore ! L’auditeur peut être évincé par la loi étrangère applicable à l’une des sociétés
membres2510. N’est-ce pas là une difficulté légale impossible à surmonter ? Il en va de même pour ce qui est
des groupes actuels qui disposent de dizaines, voire de centaines de sociétés contrôlées2511. Là, aussi, la
mission du commissaire aux comptes du groupe s’avère difficilement réalisable vu le nombre élevé des
sociétés appartenant au champ de la consolidation.
Toutes ces difficultés risquent, sans aucun doute, d’affaiblir la mission du commissaire aux comptes du
groupe et, par ricochet, sa participation à renforcer l’arsenal législatif préventif des abus. En fait, il est
incontestable que plus le rôle des organes de contrôle est effectué dans de bonnes conditions plus la
prévention s’avère efficace et rentable quant au nombre des abus à éviter.
515- Une autre difficulté mérite aussi d’être relevée. Elle concerne la portée de l’indépendance et la
neutralité du commissaire aux comptes. Evidemment, ce « contrôleur » doit réaliser sa mission en toute
indépendance2512. Les incompatibilités en sont l'expression même2513. En droit français, l’indépendance est la
première vertu exigée du commissaire aux comptes. Comme l’indique l’actuel code de déontologie
professionnelle dans son article 4 « l’indépendance se manifeste non seulement par une attitude d’esprit qui
s’exprime dans l’intégrité, l’objectivité, la compétence mais aussi dans le fait d’éviter toute situation qui par
son apparence pourrait conduire les tiers à la remettre en cause »2514. Le commissaire aux comptes devrait
donc se cantonner à sa mission de contrôle seulement pour ne pas remettre en cause sa neutralité, surtout dans
les groupes de sociétés. Mais, qu'en est-il lorsque le commissaire aux comptes fait partie d'un réseau qui
fournit des prestations en tous genres à la même société2515 ? L'indépendance du commissaire aux comptes ne
tend-t-elle pas à disparaître ou du moins à s’amenuiser, quand le même réseau enveloppe de sa sollicitude une
entreprise2516 ? On aura tout de suite saisi l'importance de la question, quand on pense aux larges compétences
des « big six », devenus il y a peu les « big five »2517. Les règles d'incompatibilité du code des sociétés
commerciales paraissent-elles hors course ?
2508
V. infra, n° 607 sur les sanctions possibles en cas d’entrave.
.15 ‫ ص‬،1995 ،6+‫ وا ز‬34 G d ‫دار ا‬ ،8 ‫ ا ن ا رد‬8G +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ا‬، 21$7 ‫ ا‬M M3 2509
2510
V. art 10 CSC à propos de la loi applicable aux sociétés commerciales.
2511
En Tunisie, on peut citer groupe Loukil comportant 22 filiales ; le groupe hachicha qui compte 19 filiales ; le groupe Carthago qui comporte 16
sociétés filiales ; le groupe Driss qui comporte 6 sociétés filiales. En France, plusieurs groupes ont atteint un degré de filialisation énorme. Ainsi le
groupe SAINT GOBAIN comporte environ 500 filiales et le groupe PARIBAS environ 450. V. Encyclopédie Microsoft, ENCARTA, 2000.
2512
Elle découle spécialement de dispositions légales visant à assurer une indépendance psychologique et juridique. En ce qui concerne
l’indépendance d’ordre psychologique elle se manifeste par l’organisation de régime des incompatibilités (article 262 CSC) et les modalités de
fixation des honoraires (article 265 al. 1 CSC). En ce qui concerne l’indépendance juridique, le législateur avec la loi relative au renforcement de la
sécurité des relations financières à ajouté un article 13 bis CSC, qui fixe le principe de rotation des commissaires aux comptes. Ici l’influence des
principes de la "corporate governance" est bien aperçue. C’est la manifestation claire de la volonté de législateur d’opter pour une politique de
protection préventive des sociétés contre toute survenance des scandales. Après les scandales survenus ces dernières années, l’appel à renforcer
l’indépendance des commissaires aux comptes présente l’une des préoccupations des législations comparées.
2513
V. l’article 262 CSC.
2514
MERLE (PH), Les sociétés commerciales, 9ème éditions, Dalloz, 2003, p 581 et 582
2515
Conseil en gestion, conseil en informatique, conseil juridique…
2516
GERMAIN (M), Le contrôle du commissariat aux comptes en France, LPA, 14 octobre 1998 n° 123, p. 9.
2517
Les Big Four ou Fat Four (littéralement, les « quatre gros ») sont les quatre plus grand groupes d'audit au niveau mondial : Deloitte,
anciennement Deloitte Touche Tohmatsu (DTT) ; Ernst & Young (E&Y) ; KPMG ; PricewaterhouseCoopers (PwC). Les Big Four succèdent aux
Big Five, qui comprenaient, outre les entreprises citées ci-dessus, la firme Arthur Andersen, qui a disparu en 2002 suite à l'affaire Enron. Elles-
mêmes ont succédé aux Big Six après la fusion de Coopers & Lybrand et de Price Waterhouse en 1998. Si tous les Big Four sont présents
mondialement et peuvent assurer une couverture globale à leurs clients, du fait de l'histoire et de développements contrastés, les positions de
marché de certains réseaux au niveau local sont très inégales. Ainsi KPMG est très puissant au Benelux, alors que Deloitte est numéro un dans la
péninsule ibérique, suite au rachat des cabinets Andersen portugais et espagnols. Dès lors les Big Four en position de challengers dans certains
pays se contentent de missions provenant de clients dont la maison mère se situe à l'étranger (missions dites de referred-in) alors que les cabinets
puissants localement, ayant de grandes multinationales, comme clients effectuent l'audit de l'ensemble du groupe et fournissent des missions aux
cabinets du réseau à l'étranger, en fonction de la localisation des filiales du client dans le monde (missions de referred-out). S'il apparaît
aujourd'hui que les Big Four sont très puissants dans le domaine de l'audit financier et comptable, des problèmes de manque de concurrence font
débat et notamment se pose la question des conséquences d'une hypothétique "nouvelle affaire Enron". Toutefois, les observateurs du secteur
s'accordent à dire que l'émergence d'un cinquième réseau global est fantaisiste. V. http://fr.wikipedia.org/wiki/Fat_Four.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Le problème particulier posé par les grands cabinets internationaux tient davantage à la confusion des
fonctions. Un conflit d'intérêts peut, en effet, surgir entre les différentes fonctions de contrôle, de conseil ou
de tenue des comptes. Le contrôleur peut-il sérieusement remplir sa mission de contrôle à l'égard d'une
entreprise qui aura été conseillée, où dont les comptes auront été tenus par son propre cabinet2518 ? La
compagnie nationale française des commissaires aux comptes, certes, recommande à un tel commissaire, dès
lors qu'il intervient dans une société qui fait appel public à l'épargne, de recenser les prestations qui sont
fournies à celle-ci par les autres membres de son cabinet aux fins de vérifier la compatibilité de ces prestations
avec l'exercice de son mandat2519. Mais il y a tout à craindre d'un système où le contrôleur se fait juge de sa
propre indépendance et, ici comme ailleurs, on peut émettre quelques doutes sur l'efficacité des « murailles de
Chine » qui seront érigées par les cabinets concernés2520. Ceci vaut également pour ceux, qui, sans être
intégrés au même cabinet, travaillent en réseau avec certaines sociétés de service et de conseil. Les rédacteurs
du Rapport Bouton soulignent, à ce propos, que : « pour les sociétés cotées, la mission de contrôle légal des
comptes devrait être exclusive de toute autre. Le cabinet sélectionné devrait renoncer pour lui-même et le
réseau auquel il appartient à toute activité de conseil (juridique, fiscal, informatique...) réalisée directement
ou indirectement au profit de la société qui l'a choisi ou de son groupe »2521. C’est dans ce cadre, que la loi
relative au renforcement de la sécurité des relations financières2522 est venue s’inscrire en droit tunisien, en
insistant sur ces aspects de la mission des commissaires aux comptes. Ainsi, l’article 5 de la loi2523 dispose
que les commissaires aux comptes ne doivent pas être liés par des relations d’association ou par d’autres liens
quels qu’ils soient qui sont de nature à limiter leur indépendance et sont tenus de fixer les conditions et les
modalités d’élaboration de leurs rapports en s’appuyant sur la procédure de l’examen contradictoire2524.
De façon générale, les commissaires aux comptes remplissent une fonction légale dans la société, il y a
des choses qu'ils peuvent ou doivent faire ; il en est d'autres qui leurs sont interdites. Ils ne peuvent, en
particulier, exercer leurs fonctions alors qu'ils se trouvent en situation d'incompatibilité ou de dépendance par
rapport aux actionnaires ou aux dirigeants de la société dont ils sont les commissaires. Tel peut être le cas lors
des opérations de concentration. En principe, ces opérations, du moins les cessions de contrôle ou filialisation,
sont réalisées entre des actionnaires de la société et d'autres actionnaires ou des tiers, elles sont donc
étrangères à la société cédée et le commissaire aux comptes se trouverait le plus souvent en situation
d'incompatibilité ou de dépendance s'il y participait d'une manière ou d'une autre. Il ne peut en aucun cas, par
exemple, être le conseil des cédants ou celui des cessionnaires.
Quoi qu'il en soit, cette indépendance nécessaire du commissaire aux comptes par rapport à l'entité qui
l'a choisi ne suffit plus. Il faut que les organes de l'entité, mais également les tiers puissent en être convaincus.
Il faut plus largement que les dirigeants et les associés puissent réellement connaître les commissaires
auxquels ils désirent confier la mission de contrôle.
Dans cet ordre d’idées, la loi de sécurité financière a innové, en droit français, en obligeant2525 le
commissaire aux comptes d'informer par écrit, la personne dont il se propose de certifier les comptes, de son
affiliation à un réseau, national ou international, qui n'a pas pour activité exclusive le contrôle légal des
comptes. Le cas échéant, la loi l'oblige également à informer la société du montant global des honoraires
perçus par ce réseau au titre des prestations, non directement liées à la mission de commissariat, fournies par
ce réseau aux sociétés du groupe2526. Ces informations sont intégrées aux documents mis à la disposition des
actionnaires. De plus, la société doit mettre à la disposition de ses associés le montant des honoraires versés au
commissaire aux comptes. Ces deux mesures sont directement inspirées de celles préconisées par les
recommandations de la Commission européenne du 16 mai 20022527. Elles permettront aux organes de

2518
En effet, ce problème s’est réellement posé suite à l’affaire ENRON qui a dévoile de multiples insuffisances, quant à l’indépendance des
auditeurs. Ces derniers, à coté de leur mission de vérification des comptes, conduisaient des missions de conseil. Ce qui a causé des conflits
d’intérêts sur plusieurs plans.
2519
Normes professionnelles et Code de déontologie, éd. CNCC, décembre 2000, p. 14 (Code de déontologie, art. 33).
2520
ROUTIER (R), De nouvelles pistes pour la gouvernance ?, Bulletin Joly Sociétés, 01 juin 2003, n° 6, P. 611.
2521
Rapport Bouton, Art.pré., p 19.
2522
La loi n° 2005-96 du 18 octobre 2005.
2523
Ledit article a ajouté l’article 13 ter du C.S.C
2524
KHARROUBI (K), Droit des sociétés commerciales, V. 1, Regrouppe Latrach des livres spécialisés, 2008, p 187
2525
V. art. L. 820-3.
2526
Plus exactement, à « une personne contrôlée ou qui contrôle, au sens des I et II de l'article L. 233-3, la personne dont ledit commissaire aux
comptes se propose de certifier les comptes ».
2527
V. articles A. 4.1. 2 et A. 5 Recommandation précitée. Cette voie était déjà celle suivie par la COB puisqu'elle a décidé dans son règlement
2002-06 que l'information figurant dans les différents prospectus que doivent publier les sociétés cotées, doit indiquer le montant des honoraires

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direction, mais aussi et surtout aux associés de se faire une opinion sur les liens financiers unissant le
commissaire aux comptes avec la société et d'en tirer toutes les conséquences concernant notamment leur
décision d'investissement2528.

516- D’autres interrogations peuvent se poser à propos de la mission du commissaire aux comptes
du groupe. En effet, ce dernier peut-il, lors de l’exercice de sa mission, demander des informations des tiers
comme, par exemple, les banques, les fournisseurs, les clients… ? Peut-il, par ailleurs, jouer son rôle
d’informateur du procureur de la république chaque fois qu’il rencontre des agissements délictueux dans le
groupe ? Et tant d’autres interrogations auxquelles on ne trouve pas de réponse dans la loi spéciale au groupe
mais plutôt dans le droit commun des sociétés isolées qui reste, bien entendu, applicable au groupe de
sociétés. Tel est l’exemple de l’article 266 CSC qui permet aux commissaires aux comptes de recueillir, le cas
échéant, par ordonnance du juge compétant, « toute information utile à l’exercice de leur mission auprès des
tiers qui ont conclu des contrats avec la société ou pour son compte ». Ou encore l’article 270 CSC qui oblige
le commissaire aux comptes « de révéler au procureur de la république les faits délictueux dont ils ont eu
connaissance… » 2529.
Des interrogations semblables peuvent également se poser concernant l’obligation de confidentialité.
En effet, y a-t-il une levée du secret professionnel entre les commissaires aux comptes des sociétés du groupe
ou ceux des sociétés fusionnantes2530 ? Le législateur a manifestement gardé le silence, contrairement à son
homologue français. En effet, selon les dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 822-15 du code de
commerce français : « lorsqu'une personne morale établit des comptes consolidés, les commissaires aux
comptes de la personne morale consolidante et les commissaires aux comptes des personnes consolidées sont,
les uns à l'égard des autres, libérés du secret professionnel. Ces dispositions s'appliquent également
lorsqu'une personne établit des comptes combinés ».
Il convient de préciser que cet article ne s’applique que dans le cadre du contrôle légal des comptes.
Dans ce contexte, le principe est celui de la levée du secret professionnel entre commissaires aux comptes
intervenant dans un même périmètre de consolidation et ce, peu importe la méthode de consolidation
retenue2531.
Comme en droit français, il existe en droit belge un certain nombre d'exceptions à l’obligation de
respect du secret professionnel, notamment en matière de comptes consolidés. Ainsi l'article 79 §2 de la loi
des sociétés belge dispose que : « lorsqu’une personne morale établit des comptes consolidés, le commissaire
de la personne morale consolidante et les commissaires des personnes morales consolidées sont, les uns à
1’égard des autres, libérés du secret professionnel, dans le cadre du contrôle des comptes consolidés d’une
entreprise dont ils sont chargés. Cette disposition s’applique également à l’égard d’une personne exerçant
dans une personne morale de droit d’un pays de l’Union européenne une fonction similaire à celle de
commissaire. Au sens du présent alinéa, est assimilé au commissaire, le réviseur d’entreprises qui, sans
exercer un mandat de commissaire, est chargé du contrôle des comptes consolidés. »
Il convient de préciser, par contre, que les documents transmis par l’auditeur d’une filiale à l’auditeur
de la société consolidante conformément aux instructions reçues ne peuvent être transmis par l’auditeur de la
société consolidante à son client. C'est-à-dire que la levée du secret professionnel n’existe qu’entre auditeurs.
517- En analysant vigoureusement la mission du commissaire aux comptes, on s'aperçoit que son
rôle ne peut pas permettre de tout faire. Il est soumis à une obligation de moyens : le commissaire aux
comptes se doit de formuler, en fonction des moyens qu'il aura mis en œuvre, une opinion objective sur les
comptes qui seront présentés à l'assemblée générale des actionnaires. Il exprime cette opinion au travers d’un
rapport annuel qu'il présente à l'assemblée générale. En exerçant cette mission de contrôle, le commissaire aux
comptes engage une responsabilité tripartite : civile2532, pénale2533 et professionnelle2534.

versés à chacun des commissaires aux comptes chargés de contrôler les comptes de l'émetteur et, le cas échéant, à la société au sein de laquelle il
exerce ses fonctions ou aux autres professionnels du réseau auquel il appartient.
2528
V. La réforme du droit des sociétés et du commissaire aux comptes, In Information financière : quelles nouvelles donnes ?, Rev. Lamy, Dr.
Aff., sup. no 63, septembre 2003, p. 20.
2529
Sinon le commissaire aux comptes risque une triple responsabilité : disciplinaire, civile et pénale.
2530
V. http : // www.Commissaires-aux-comptes-paris.fr /wp-content/ uploads/ 2009/05/ reponse-cej-2008-26-secret-professionnel-comptes-
consolides.pdf
2531
Méthode globale, proportionnelle ou par équivalence.
2532
L’article 272 CSC prévoit que « les commissaires aux comptes sont responsables tant à l’égard de la société qu’a l’égard des tiers des
conséquences dommageables de négligences et fautes par eux commises dans l’exercice de leurs fonctions ». Aussi, les commissaires sont

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Il est vrai que la profession de commissariat aux comptes ne cesse d’évoluer ces dernières années dans
le sens de mettre en place davantage de transparence, de loyauté et d’indépendance surtout avec les
incessantes modifications du code des sociétés commerciales. Ainsi, dans le souci de consolider la
transparence dans la société, la loi n°2005-56 du 18 octobre 2005 a ajouté de nouvelles obligations incombant
aux commissaires aux comptes, outre celles de nature traditionnelle. En effet, quand il s'agit d'une société
faisant appel public à l'épargne, il doit signaler immédiatement au conseil du marché financier tout fait de
nature à mettre en péril les intérêts de la société ou des porteurs de ses titres. En plus, et dans ce même sens,
l'article 13 (quater) ajouté par l'article 7 de la loi 2005, impose aux commissaires aux comptes dans les
sociétés tenues d’établir des comptes consolidés, de communiquer à la banque centrale de Tunisie une copie
de chaque rapport adressé aux assemblées générales. Ces évolutions demeurent, toutefois, insuffisantes et la
quête vers plus de transparence semble ne jamais prendre fin. C’est pour cela qu’en matière de groupe de
sociétés, la société mère est généralement auditée par deux ou plusieurs commissaires aux comptes. En effet,
d’après l’article 13 ter CSC, « sont soumis à la désignation de deux ou de plusieurs commissaires aux comptes
inscrits au tableau de l'ordre des experts comptables de Tunisie : les établissements de crédit faisant appel
public à l'épargne et les sociétés d'assurances multi branches ; les sociétés tenues d'établir des états
financiers consolidés conformément à la législation en vigueur si le total de leur bilan au titre des comptes
consolidés dépasse un montant fixé par décret2535 et les sociétés dont le total de leurs engagements auprès des
établissements de crédit et l'encours de leurs émissions obligataires dépasse un montant fixé par décret… »
Même si elle devrait faire couler moins d'encre que la très «médiatique» mesure instituant la rotation
des commissaires aux comptes, le co-commissariat est l'une des mesures qui marquera très visiblement le
paysage de la profession. Tel que rédigé, le texte laisse entendre un double commissariat dans la mesure où
l'examen contradictoire suppose que le même élément fasse l'objet d'un double contrôle. Chacun des
commissaires procède aux contrôles qu'il juge nécessaires pour asseoir son opinion, pour confronter ensuite
leurs constatations et conclusions selon la procédure de l'examen contradictoire.
« Le double commissariat institué pour certains types de sociétés est une pratique inspirée de la
législation commerciale française. Cette pratique ne semble pas favoriser la transparence financière et
améliorer la qualité de l'information fournie. Sinon, pourquoi elle n'a été prévue par aucune autre législation
étrangère en dehors de la France. Transposer cette disposition de la législation française ne parait pas adéquat
dans la mesure où nous n'avons pas la même histoire, ni la même culture, ni le même tissu économique, ni enfin
la même latitude de présentation des comptes annuels. Les avantages attendus de cette nouvelle pratique sont
réellement insignifiants par rapport aux difficultés de réalisation de la mission, de l'embarras et de la perplexité
des utilisateurs des rapports des commissaires, notamment lorsqu'ils sont contradictoires »2536.

responsables envers la société et les actionnaires selon les règles de mandat et envers les tiers selon les règles de droit commun, en raison des
fautes qu’ils peuvent commettre dans l’exercice de leurs fonctions. En effet, la responsabilité ne peut être retenue que si le demandeur prouve
l’existence de cause entre la faute et le dommage. Ils ne sont responsables des infractions commises par les membres de conseil d’administration
ou les membres du directoire sauf si en ayant eu connaissance, et ils ne les aient pas révélés à l’assemblée générale. (Art 272 CSC)
2533
La sanction encourue en cas de délit de diffusion d’information fausse ou trompeuse est prévue par l’art 271 CSC : « est puni
d’emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de mille deux cents ou l’une de ces deux peines, tout commissaire aux comptes qui aura
sciemment donné ou confirmé des informations mensongères sur la situation de la société ou qui n’aura pas révélé au procureur de la république
des faits délictueux dont il aura connaissance ». L’application la plus célèbre par la jurisprudence est l’affaire BATAM.
2534
En Tunisie, le code des devoirs professionnels des experts comptables est approuvé par l'arrêté du ministre des finances en date du 26-07-1991.
En effet, le renforcement du rôle du commissaire aux comptes dans le contrôle des sociétés, et l'amélioration de l'organisation de cette profession
ont contribué à la mise en place d'une véritable responsabilité disciplinaire. Ainsi, aux termes de l'art 27 de la loi du 18-08-1988 : « il est institué
auprès de l'ordre une chambre de discipline chargée notamment de sanctionner les infractions à la réglementation professionnelle et au règlement
intérieur de l'ordre et en général, toutes infractions à une quelconque des règles de l'ordre…». Aussi, le décret de 1989 consacre son chapitre trois
à la discipline professionnelle. De même pour les techniciens en comptabilité, l'art 20 de la loi du 4-2-2002 prévoit que : « il est institué auprès de
la compagnie des comptables de la Tunisie une chambre de discipline chargée de sanctionner les personnes ayant accompli des infractions
disciplinaires aux dispositions de la présente loi et à ses textes d'application, ainsi, qu'au règlement intérieur de la compagnie et au code des
devoirs professionnels…». Toutes ces dispositions sont destinées à permettre aux commissaires aux comptes, eux-mêmes d'assurer une surveillance
de qualité sur les conditions concrètes d'exercice de la profession. Cette renaissance du corporatisme n'est pas propre à la profession censoriale, on
observe un phénomène identique pour l'ensemble des professions indépendantes, qui tentent de « moraliser » les pratiques professionnelles et
cherchent à dégager, conformément à un mouvement général, une éthique professionnelle.
2535
Décret n° 2006-1546 du 6 Juin 2006, portant application des dispositions des articles 13, 13 bis, 13 ter, 13 quater et 256 bis du CSC. V. JORT
n° 47 du 13 juin 2006, page 1543. L’article 4 de ce décret dispose que « les montants visés aux deuxième et troisième tirets du premier paragraphe
de l'article 13 ter du code des sociétés commerciales sont fixés à cent millions de dinars pour le total du bilan au titre des états financiers
consolidés et à vingt cinq millions de dinars pour le total des engagements auprès des établissements de crédit et l'encours des émissions
obligataires ».
2536
DERBEL (F), Commissariat aux comptes et sécurité financière, art. pré., p 21.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

518- En dehors du groupe, le commissaire aux comptes doit fournir un rapport spécial dans le cadre
des opérations de fusion et de scission. A la suite de l’indication et du contrôle des diverses informations
concernant l’opération envisagée, ce professionnel contribue à éclairer les actionnaires sur les avantages et les
inconvénients éventuels, alors que certains pensent que le rôle du commissaire aux comptes dépasse cette
étroite limite et peut même dans « un rapport fortement motivé engager les actionnaires à refuser
d’approuver l’opération proposée si les causes et les conditions de cette opération paraissent
discutables»2537. Un tel engagement est de nature à effleurer le principe de non immixtion dans la gestion qui
est formellement consacré par la loi2538. Cette obligation d’information concernant les plus importantes
opérations financières de la société profite aux actionnaires et leur accorde un droit de regard sur la gestion
sociale. En contrepartie, le commissaire aux comptes dispose indirectement d’un large pouvoir d’appréciation
pour juger l’opportunité de ces opérations proposées, alors qu’il n’a pas nécessairement les compétences
techniques et juridiques requises pour cette tâche. Le commissaire aux comptes est ainsi chargé indirectement
par le législateur de s’assurer que l’égalité entre les actionnaires est respectée et qu’aucun avantage particulier
n’est accordé abusivement aux administrateurs ou aux membres du directoire ou du conseil de surveillance
aux dépens d’autres actionnaires.
En tout état de cause, le rapport spécial est indispensable pour engager la société dans des opérations
financières assez importantes et constitue une censure objective et active pour éviter certaines dérives
gestionnaires. Le commissaire aux comptes veille donc sur la régularité juridique et la transparence du
fonctionnement de la société surtout qu’il est tenu de dénoncer les faits délictueux relevés à l’occasion de
l’exercice de sa mission au ministère public.

519- Ainsi, le rôle du commissaire aux comptes est assez important à l’aune des procédés de
concentration des sociétés, encore faut-il qu’il soit convoqué en bonne et due forme aux assemblées générales
extraordinaires amenées à se prononcer en matière de concentration. En effet, l’article 266 bis CSC énonce
que le ou les commissaires aux comptes de la société sont obligatoirement convoqués pour assister à toutes les
réunions du conseil d’administration ou du conseil de surveillance et du directoire qui établissent ou
examinent les états financiers. Aussi, une obligation de convoquer le commissaire aux comptes s’impose à
toutes les assemblées générales. Qu’il s’agisse d’une assemblée générale ordinaire ou extraordinaire, la
présence du commissaire aux comptes est nécessaire. Cette obligation légale trouve son fondement dans la
nécessaire protection des intérêts des actionnaires, surtout s’ils sont amenés à décider de l’opportunité d’une
opération de fusion ou de scission. Le commissaire aux comptes, en raison de sa spécialité et son
professionnalisme, peut leur fournir une information financière qui peut être comprise et exploitée sur
plusieurs plans.
Il reste que les modalités de convocation du commissaire aux comptes ainsi que les effets du défaut de
convocation de cet organe aux réunions des organes sociaux ne sont pas réglementés en droit tunisien. Le
droit comparé peut être utile pour le comblement de ces lacunes. Ainsi l’article R823-9 du code de commerce
français dispose que la convocation des commissaires aux comptes aux assemblées d’actionnaires ou
d’associés ou aux réunions de l’organe compétent doit intervenir au plus tard lors de la convocation des
actionnaires, associés ou membre de l’organe compétent et ce, par lettre recommandée avec accusé de
réception.
Il serait utile d’adopter cette règle en droit tunisien. Le commissaire aux comptes disposera alors des
mêmes délais reconnus aux actionnaires ou aux dirigeants. Il sera informé de la date des réunions, comme les
associés, pour qu’il puisse y assister. Mais, dans tous les cas, sa convocation doit laisser une trace écrite afin
d’éviter tout problème de preuve.

520- Manifestement, ce professionnel est investi d’une mission de contrôle et de surveillance à


l’égard des actionnaires et des tiers contractant avec la société qui doivent être sécurisés avant de s’engager
avec elle. La présence de cette instance de contrôle est indispensable vu le contrôle intermittent qui est assuré
par l’assemblée générale des actionnaires, sans oublier l’absentéisme et le désintérêt des associés vis à vis des
affaires sociales et leur moyenne connaissance en matière de gestion. Grâce à sa formation et sa compétence
qui sont assurées par l’inscription obligatoire à un ordre professionnel réglementé, le commissaire aux

2537
CONTIN (R), op. cit., p 272.
2538
V. al. 3 de l’art. 266 CSC.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

comptes est devenu un rouage essentiel dans l’exercice de la surveillance financière au sein de la société
anonyme. En effet, après la promulgation des derniers textes réformant le droit des sociétés depuis 2000, le
rôle du commissaire aux comptes n’a pas cessé de croître. Beaucoup de professionnels et de juristes pensent
que le commissaires aux comptes a cessé d’être le simple « mandataire » des sociétés, chargé de vérifier les
comptes présentés par les dirigeants pour devenir le « protecteur » des intérêts de l’entreprise , des salariés et
même de l’intérêt général. Toutes les parties concernées par la transparence du monde des affaires s’appuient
sur le commissaire aux comptes en tant que premier responsable du respect des règles financières. Malgré
cette évolution, une question se pose toujours avec stridence : est-il nécessaire de le mettre sous la pression
d’une responsabilité pénale lourde ? N’est-il pas plus facile d’établir un régime de responsabilité civile
couvert par une assurance professionnelle obligatoire2539 ?
On l'aura bien compris, la profession de commissaire aux comptes doit encore affronter de nombreux
défis qui, en réalité, ne sont pas nouveaux2540. Cette mission ne peut plus supporter la moindre suspicion et
doit assurer un haut niveau d'indépendance de ses membres, en toute transparence à l'égard des entités
contrôlées, de leurs actionnaires, voire des tiers. Il est vrai que le législateur a bien voulu améliorer sa position
dans la société notamment en édifiant les infractions d’entrave2541. Mais le chemin parcouru reste insuffisant.
Aussi, l’appel à un rapprochement entre les différents systèmes comptables est également souhaitable surtout
que la diversité des législations et pratiques comptables risque d’être très pénalisante pour les transactions
internationales2542.
521- Quoiqu’il en soit ce contrôle général qui « garantit contre certains risques ou évite certains
abus, ne donne pas, et ne peut pas donner une sécurité absolue »2543. Par conséquent, la fonction du
commissaire aux comptes est généralement complétée par celle de l’expert spécialisé en matière de
concentration dont la mission s’avère essentielle pour assurer un équilibre nécessaire de l’opération.

-§2- Le perfectionnement du rôle de l’expert spécialisé dans les


procédés de concentration2544
522- D’après l’article 417 CSC tel que modifié par la loi n° 2005-65 du 27-7-2005, la mission de
contrôle de l’opération de fusion a été confiée à un expert spécialisé inscrit sur la liste des experts judiciaires,
désigné par ordonnance sur requête par le président du tribunal de première instance dans le ressort duquel se
trouve le siège social de la société participant à la fusion. Cette procédure de désignation traduit le souci du
législateur à ce que le contrôle ait lieu en toute indépendance, impartialité et transparence. Mais, cela ne
semble pas satisfaire l’opinion d’un auteur2545 qui n’a cessé de prôner, avant la modification du 27-7-2005,
une désignation du « contrôleur » par l’assemblée générale des associés qui ne peut être que l’organe le plus
compétent et le mieux enclin à décider d’une telle désignation.
En tout état de cause le texte susvisé permet la désignation d’un seul expert spécialisé qui exercera
alors son mandat dans le cadre des sociétés participantes et au profit de l’ensemble de leurs associés. Il semble
alors, en raison de la formulation de l’article 4172546, interdit au juge de désigner deux ou plusieurs experts
2539
I.J., n°18/19, Février 2007, p 7.
- " : ‫ ورة‬F I ‫ ا ! ت اذ ط‬I7‫! ا‬Aq 9N " # $ ‫< ت‬ $ O‫ ر‬P ‫ ّ م ا‬7 ‫ ت ا‬7S# ‫ ا‬SA 9 N $ ‫'رت < ل‬4 ‫ ف‬4@ A ‫ا‬ a ‫ ي‬K‫ ﺟ‬U ‫ اط ر‬8G 2540
MN ‫ن‬SN ‫ ا‬MN 64 ‫اذا ا‬ I7 #+ ‫ ل‬d ‫ ا‬V A U N ‫ ط‬3 ‫ ا‬h g ‫ اذ أن‬p ‫ ا‬9 ‫ ا ا‬M ‫ و‬K4 ‫ ازن‬$ ‫ < اث‬I7‫ا‬ ]]P ‫ ا 'ا ا‬# ‫] ص ا‬P 9+ ‫ ا‬M m ‫ا‬
#‫ اﺟ‬H ‫ ا< اث‬- .‫ < ا ! اء‬U N S A 6 $8 ‫ا‬ # ‫ وا‬0 P ‫ ت ا‬C 3 ‫ <! ت ا‬7‫ ر‬M ‫ ا ! ت‬#‫اﺟ‬ # ‫ ا‬M ‫ ا ا‬VC 7‫ ا‬- .a N U ‫ ا‬f 0‫ و‬+ 4‫ﺟ‬
7 ‫ ا‬# /ّ ‫ ا‬VC K N G g‫ ا‬8L#+ #‫ ا اﺟ‬4 M g 8 L ‫ – ا< اث‬. A ‫ ا‬8G M 4G‫اء و‬ M ‫ ا ! ت‬8 7‫ ا‬84‫ وط‬6 ‫ ء‬3 ‫ ا‬- .‫ا ! ت‬
SA 9 N $ ." a 7‫ و ] ا‬a F SA U N 7‫ ا ! ت ] د‬I7‫ ا‬U N Kg N‫! و‬Aq ‫ ا ا‬7 ‫ < ا‬MN ‫ ي‬4A + $ + C 3 ‫! ا‬$ VC ‫ – ا 'ام ھ‬.‫! ت‬Aq
.21 ‫ ص‬،2007 A ،31/30 ‫ د‬N ، ‫را‬ ‫ا‬، ‫ ت ا‬7S# ‫ا‬
2541
V. art. 13 sexies CSC.
2542
GYRILLE (D), « introduction » colloque corporate governance, Gaz. Pal., nove-decem 2003, n°123, p 3475.
2543
Guyon (Y), op. cit., p368.
2544
En droit français, un contrôle double était effectué à la fois par un commissaire aux comptes et un commissaire aux apports. Mais, suite à la
réforme de la loi du 24-7-1966 par celle du 5-1-1988.
'C ‫ رات‬34 ،2003 V+ G‫ أ‬12 ‫ و‬11 8 + ، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬ ‫ < ل‬4+ $ ‫ دورة‬، K ! ‫ وا‬+‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ارات ا ج ا‬7 U N ‫ اض‬N ‫ <" ا‬,=D , ‫ وك‬6 2545
.114 ‫ و‬113 ‫ ص‬،2004 H $ ، F ‫وا‬ ‫ ت ا‬A‫ا را‬
2546
L’article 417 CSC dispose, dans son alinéa premier, qu’ « un expert spécialisé inscrit sur la liste des experts judiciaires désigné par
ordonnance sur requête par le président du tribunal de première instance dans le ressort duquel se trouve le siège social de l'une des sociétés
concernées par la fusion établit sous sa propre responsabilité un rapport écrit sur les modalités de la fusion après avoir pris connaissance de tous
les documents nécessaires que la société concernée par la fusion ou l'absorption doit lui communiquer, elle doit, en outre, lui permettre d'effectuer
toutes les investigations nécessaires. L'expert évalue, également, les apports en nature et les avantages particuliers ».

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

spécialisés quelle que soit la taille et l’envergure des sociétés participantes. La fusion aurait sûrement gagné
en termes de transparence et de contrôle si le législateur avait prévu la solution inverse2547. D’autant plus que
la désignation d’un deuxième expert qui serait, dans les meilleurs des cas, le commissaire aux comptes de la
société qui fusionne faciliterait la tache du premier et garantirait sans doute une rapidité nécessaire au contrôle
puisqu’il est supposé bien connaître la société concernée, sans pour autant entraver l’impartialité et la
neutralité du contrôle. Ce « double commissariat » permettrait à la fois de profiter de la connaissance de la
société dont dispose le commissaire aux comptes et d’apporter un « regard neuf » et totalement autonome et
indépendant grâce à l’expert désigné par le tribunal2548. Tel est le cas en droit belge où cette mission est
partagée entre l’organe de gestion de chaque société, d’une part, et le commissaire aux comptes ou bien un
réviseur d’entreprise ou encore un expert comptable, d’autre part2549.
Notons, par ailleurs, qu’excepté le fait d’être inscrit sur la liste des administrateurs judiciaires, aucune
indication particulière n’est fournie par l’article 417 suscité en ce qui concerne les personnes pouvant être
désignées pour remplir la fonction d’expert spécialisé. Rien ne semble interdire, en dehors de toute précision
légale, de choisir un expert comptable ou bien un ingénieur spécialisé dans un domaine bien déterminé ou
même un simple commerçant. Sauf que, compte tenu de l’ampleur de la mission de l’expert spécialisé, il serait
prudent et fortement recommandé de choisir une personne figurant sur la liste des experts comptables. Ces
professionnels donnent, en effet, tant par leur formation que leur organisation professionnelle toute garantie de
compétence, d’indépendance et d’impartialité pour l’accomplissement de cette mission2550. D’ailleurs, en
France, le commissaire à la fusion est désigné par le Président du Tribunal de Commerce, statuant sur requête.
Il est choisi parmi les commissaires aux comptes inscrits sur la liste prévue à l'article 249 de la loi sur les
sociétés commerciales, ou parmi les experts comptables inscrits sur l'une des listes établies par les Cours et
Tribunaux.

523- L’article 417 susmentionné n’a rien prévu également concernant les incompatibilités relatives à
l’expert spécialisé. Cela n’interdit en rien, semble-t-il, d’appliquer celles relatives au commissariat aux
comptes telles que déterminées par les articles 262 et 263 CSC2551. Peut être qu’une telle solution par analogie
trouverait un certain appui dans l’article 535 COC qui dispose que « lorsqu'un cas ne peut être décidé par une
disposition précise de la loi, on aura égard aux dispositions qui régissent les cas semblables ou des matières
analogues, si la solution est encore douteuse, on décidera d'après les règles générales de droit ». Observons,
toutefois, que certaines voix autorisées pourraient répliquer qu’un tel raisonnement par analogie n’a pas sa
raison d’être lorsqu’il s’agit de textes spéciaux, car il est de règle générale qu’un texte spécial est
d’interprétation stricte2552. Quoiqu’il en soit il appartiendra au président du tribunal de première instance du
siège social de vérifier si la personne désignée remplit bien les conditions d’indépendance et de compétence
nécessaire. Le rôle du juge pourrait, peut-être, combler la lacune du droit écrit. Il reste que lorsque l’expert à
la fusion désigné a, entre autres, pour mission d’évaluer les apports en nature, l’article 417 susvisé le
considère comme commissaire aux apports. Il sera soumis alors aux règles d’incompatibilité et de
responsabilité prévues pour ce dernier2553. Il faut garder présent à l’esprit également que l’expert à la fusion

2547
Le législateur français autorise la désignation d’un ou plusieurs commissaires à la fusion. V. art. L 236-10.
2548
La protection des actionnaires minoritaires dans les opérations de fusion et de garantie des cours, groupe de travail présidé par LEPAETIT (J-
F), Paris, 1996, p 7.
2549
V. art. 730 et 731 du code des sociétés belge.
2550
BERTEL ET JEANTIN, Op.cit., n° 899, p 382.
2551
D’après l’article 262 CSC « ne peuvent être nommés comme commissaires aux comptes : les administrateurs ou les membres du directoire ou
les apporteurs en nature et tout leurs parents ou alliés, jusqu'au quatrième degré inclusivement Les personnes recevant sous une forme quelconque
à raison de fonction autres que celles des commissaires, un salaire, ou une rémunération des administrateurs ou des membres du directoire ou de
la société ou de toute entreprise possédant le dixième du capital de la société, ou dont la société possède au moins le dixième du capital. Les
personnes auxquelles il est interdit d'être membre d'un conseil d'administration ou d'un directoire ou qui sont déchues du droit d'exercer ces
fonctions. Les conjoints des personnes citées aux numéros (1) et (2) du présent alinéa. Si l'une des causes d'incompatibilité ci-dessus indiquées
survient au cours du mandat, l'intéressé doit cesser immédiatement d'exercer ses fonctions et d'en informer le conseil d'administration ou le
directoire au plus tard quinze jours après la survenance de cette incompatibilité ». L’article 263 CSC ajoute que « les commissaires aux comptes
ne peuvent être nommés administrateurs ou membres du directoire des sociétés qu'ils contrôlent pendant les cinq années qui suivent la cessation
de leurs fonctions. Toute désignation de commissaire aux comptes faite en contravention aux dispositions du présent article et des articles 258,
259, 260 du présent code est considéré comme nulle et non avenue et entraîne à l'encontre de la société contrevenante le paiement d'une amende
égale à 2.000 au moins et à 20.000 dinars au plus. La société encourt la même peine en cas de défaut de désignation de commissaire aux comptes
par son assemblée générale ».
2552
D’après l’article 540 COC « les lois restrictives et celles qui font exception aux lois générales ou à d'autres lois ne doivent pas être étendues
au-delà du temps et des cas qu'elles expriment ».
2553
V. art. 174 CSC.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

est soumis, lors de l’exercice de sa mission de contrôle, aux dispositions de l’article 569 COC qui dispose que
« les courtiers et experts ne peuvent se rendre acquéreurs, ni par eux-mêmes, ni par personnes interposées,
des biens meubles ou immeubles dont la vente ou estimation leur a été confiée, à peine de nullité qui pourra
être prononcée, ainsi que des dommages ».

524- Une fois désigné, cet expert judiciaire aura pour mission d’évaluer, le cas échéant, les apports
en nature et les avantages particuliers. Il vérifiera également si la valeur attribuée au patrimoine objet de la
transmission est réelle et que la parité d’échange est équitable. Cette vérification est sûrement capitale surtout
en ce qui concerne les actionnaires minoritaires dans la mesure où l’expert sera amené à vérifier si la parité
d’échange n’entraîne aucun effet d’appauvrissement au détriment de ces derniers et-ce, en comparant leur
situation avant et après la fusion2554.
Professionnels assermentés, désignés par le juge, « (les commissaires à la fusion) vérifient que la
valeur de l'apport est au moins égale au nominal des actions remises en échange, augmentée éventuellement
d'une prime. Le commissaire à la fusion fait une pesée économique. Il vérifie la valeur de chaque société, puis
si les parités sont correctes en vue de rétribuer équitablement les actionnaires de la société absorbée sans
léser les actionnaires de l'absorbante ». Telle est la définition récemment donnée à la tribune par le président
de la Compagnie nationale des commissaires aux comptes, monsieur Germond selon qui, les commissaires ont
pour mission de vérifier l'équité entre actionnaires de l'absorbante et de l'absorbée, sans plus. L'objectif à
atteindre est cependant clair, l'expertise doit éclairer le conseil d'administration et lui permettre d'informer les
actionnaires appelés à se prononcer sur les deux points suivants : l'opération projetée est-elle conforme à
l'intérêt de la société ? Respecte-t-elle l'équité, non seulement sur le plan vertical entre les actionnaires des
deux sociétés rapprochées, mais aussi sur le plan horizontal, entre l'initiateur et ses coactionnaires lorsque
l'opération leur est imposée ?2555
La mission d’évaluation confiée à l’expert spécialisé s’avère parfois assez complexe. En effet, si le
bien est lui-même composé de plusieurs éléments qui forment un tout, une universalité telle qu’un fonds de
commerce par exemple2556, le problème de l’évaluation est d’une acuité particulière2557. L’évaluation ne sera,
dans ce cas, que relative, en raison des caractères à la fois complexes et vivants de l’entreprise qui ne se
laissent pas facilement traduire en équation. Par exemple, lors d’une fusion acquisition, la société absorbante
augmente son capital et reçoit en apport le patrimoine de la société absorbée2558. Le commissaire à la fusion
doit déterminer la valeur réelle des apports : l’actif brut apporté par la société absorbée doit être amputé, non
seulement du passif existant à la même date, mais encore de l’estimation des charges fiscales que l’absorbante
accepte de supporter du fait de la fusion. Si on se réfère à la valeur vénale, les particularités du bien à estimer
font que la détermination de la valeur n’est pas simple. Il faut d’abord recenser les divers éléments d’actifs et
procéder ensuite à leur évaluation. Les actifs hors exploitation doivent ainsi être retenus pour leur valeur
vénale amputée des frais de vente et éventuellement des charges fiscales liées à l’opération. Les stocks et les
créances seront retenus en principe pour leur valeur de cession. Quant aux immobilisations affectées à
l’exploitation, leur valeur vénale ou la valeur d’usage sera retenue. Les biens incorporels posent aussi des
difficultés spécifiques. Dans ces éléments figurent certes la clientèle mais également tout ce que l’activité du

.20 ‫ ص‬،2007 V+ G‫ أ‬،23/22 ‫ د‬N ، ‫را‬ ‫ ا‬، 4 # ‫ ا‬m] ‫ ا‬I7‫ا‬ ‫ة ا 'ا‬D ‫ا‬q ‫ ا‬،o ‫ي‬M ‫ ظ ر‬F- ‫ دى و‬0 !
2554
L'article 377 alinéa 2 de la loi française sur les sociétés commerciales (la loi du 24 juillet 1966 telle complétée par l'important décret en date du
23 mars 1967 puis incorporée dans le Code de commerce de 2000. Le Livre II du Code de commerce est consacré aux sociétés commerciales et
aux groupements d'intérêts économique) définit la mission du Commissaire à la fusion de la façon suivante : "Les Commissaires à la fusion
vérifient que les valeurs relatives attribuées aux actions des sociétés participant à l'opération sont pertinentes et que le rapport d'échange est
équitable". La vérification de la pertinence des valeurs relatives des actions consiste notamment à s'assurer : * que les méthodes d'évaluation
utilisées :• reposent sur différentes approches, • sont adéquates en l'espèce et appropriées au secteur d'activité respectif des sociétés et, dans la
mesure du possible homogènes, • prennent en compte l'ensemble des engagements contractuels des sociétés en cause, * qu'aucun événement
intervenu pendant la période de rétroactivité n'est de nature à remettre en cause de façon significative le rapport d'échange. La vérification du
caractère équitable du rapport d'échange consiste à s'assurer qu'il est déterminé à partir des valeurs relatives retenues, qu'il offre aux associés
apporteurs une rémunération satisfaisante et garantit à la société bénéficiaire une augmentation de capitaux propres justifiée. En France, le
Commissaire à la fusion assure ainsi la protection des actionnaires (ou associés) minoritaires de toutes les sociétés participant à l'opération.
2555
NEUVILLE (C), La protection des minoritaires dans rapprochements d’entreprises, LPA, 05 avril 1995 n° 41, P. 6.
.30 ‫ ص‬،2009 ‫ ي‬،69-68 ‫ د‬N ، ‫را‬ ‫ ا‬،M+Dّ/4 ‫ ول ا‬# 4‫ [ة ا ط‬K ‫ ا‬،8 N U ، #‫ اﺟ‬U ‫ < ﺟ ا‬8G 8 7 ‫ ھ و م‬+‫د‬ 7 ‫ ا ري‬V0 ‫ ا‬: 6‫ُ اﺟ‬+ 2556
2557
V. en dr. Comp. CANTENOT (G), L’apport en société d’un d’un brevet d’invention, Jour. Soc., 1952, p. 257 ; DANA-DEMARET (S), Le
capital social, Litec, 1989, p. 124, n° 106 ; REYNAUD (C) ET PUYRAVEAU (P), Les problèmes posés par les apports en nature et spécialement
l’apport d’un fonds de commerce ou d’une entreprise commerciale et les clauses de rétroactive, In Mélange BASTIAN, I, Litec, 1974, p 241.
2558
V. en dr. Comp. PINCTEAU (H), L’évaluation des actions des entreprises en cas de fusion, Gaz. Pal., 1959, II, doct., p70 et Gaz. Pal., 1962,
Doct. p 20 ; même auteur, La prise en considération en cas de fusion des résultas obtenus par la société absorbée, Rev. Soc., 1983, p 531 ;
RETAIL, L’évaluation des actions de sociétés à l’occasion des fusions, Jour. Soc., 1960, p 65 et suiv.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

groupe humain, qui constitue l’entreprise et particulièrement celle de ses dirigeants, a crée2559. Ces éléments
doivent être évalués à partir du bénéfice qu’ils produisent. Dans les sociétés importantes, il est très difficile
d’évaluer toutes les immobilisations car avant que les équipes d’évaluations aient achevé leur travail, certains
biens auront été vendus, d’autres achetés et d’autres transformés. Par ailleurs, certains de ces biens peuvent
avoir des caractéristiques tellement particulières que la notion de valeur vénale perd son sens en raison du
nombre restreint d’acheteurs potentiels et leurs convenances particulières. Dans ces cas, la pratique abandonne
la recherche de la valeur spécifique des biens pour retenir une méthode plus globale de tous les biens
concernés. Les méthodes utilisent en général les valeurs de cash flow2560, de bénéfice moyen, de dividende
moyen, de chiffre d’affaires... Ces critères traduisent l’idée qu’un bien ne vaut pas uniquement par le prix que
l’on peut en obtenir mais aussi par l’utilisation que l’on en a, ainsi que la valorisation que l’on peut attendre de
sa possession2561.

525- En raison de la dite complexité et afin d’exercer sa mission dans les meilleures conditions,
l’expert spécialisé peut obtenir auprès de chaque société concernée par la fusion communication de tous les
documents utiles et procéder à toute vérification et investigation qu’il juge nécessaire de faire. Des entretiens
avec les dirigeants des sociétés qui fusionnent sont très souhaités pour qu’il puisse saisir les circonstances et
les objectifs de l’opération, notamment les motivations des parties concernées, les synergies attendues et les
attentes fiscales2562.
Au cours de sa mission, l’expert spécialisé ne doit aucunement se limiter à faire des calculs et à étudier
les documents financiers et les justificatifs socio-économiques qui lui sont présentés par les dirigeants. Il doit,
au surplus, corroborer son étude par un examen exhaustif de l’opération de fusion non seulement du point de
vue de l’avenir des sociétés concernées seulement, mais aussi celui des actionnaires minoritaires, des
employés, des créanciers et toute autre personne intéressée par cette forme de concentration2563.
De manière plus générale, le contrôle des opérations de fusion exercé par l’expert spécialisé doit tenir
compte de certaines réalités de la vie économique telles que l’existence de sociétés dominantes et d’autres
dominées, la présence à l’intérieur des sociétés d’actionnaires dirigeants et d’autres minoritaires ou n’ayant
pas de part à la gestion… C’est à ces conditions, que le contrôle de protection effectué par les experts
s’exercera bien en faveur de l’égalité de tous les actionnaires que le législateur a voulu assurer. Les experts
spécialisés devront donc avoir, au préalable, une bonne connaissance du contexte économique dans lequel se
situe l’opération.
A l’issue de sa mission, l’expert spécialisé a l’obligation de donner son avis à propos de l’opération
dans un rapport écrit où il précise notamment le résultat de l’évaluation des apports en nature, la vérification
des parités d’échange, la ou les méthodes suivies pour la détermination des parités en indiquant si elles sont
adéquates et en déterminant les difficultés particulières d’évaluation, s’il en existe2564. Dans le même sens,
l’expert spécialisé ou le commissaire à la fusion, comme on l’appelle en droit français, doit vérifier que les
valeurs relatives attribuées aux actions des sociétés participant à l'opération sont pertinentes et que le rapport
d'échange est équitable2565.
526- Bien que la mission de l’expert semble claire et bien détaillée, plusieurs interrogations risquent,
toutefois, de se poser. Peut-il, lors de l’exercice de sa mission, demander des informations aux tiers comme,
par exemple, les banques, les fournisseurs, les clients… ? Peut-il, par ailleurs, jouer le rôle d’informateur du
procureur de la république chaque fois qu’il rencontre des agissements délictueux lors de la fusion ? Et tant
d’autres interrogations auxquelles on ne trouve pas de réponse dans les articles relatifs à la fusion mais plutôt
dans ceux relatifs aux sociétés isolées qui restent, bien entendu, applicables à la fusion. Tel est l’exemple de
l’article 266 CSC qui permet aux commissaires aux comptes de recueillir, le cas échéant, par ordonnance du
juge compétant, « toute information utile à l’exercice de leur mission auprès des tiers qui ont conclu des
2559
L’organisation du groupe humain lui-même, son efficacité, sa capacité d’innovation, le bénéfice des conventions, accords conclus, usages
instaurés avec les clients, fournisseurs, banquiers et autres tiers.
2560
Le cash flow représente le montant maximum de l’annuité de remboursement des emprunts que la société pourrait contracter.
2561
LABASITE DAHDOUH (C) et DAHDOUH (H), Droit commercial volume 2, Entreprises Sociétaires, Tome 1, Les Edition I H E Tunis
2003, p 132.
2562
Commissariat aux apports et commissariats à la fusion, CNCC française, Collection Guide d’application, 2002, p 96, n° 107.
2563
BERTRAND (A) et JEANTIN (M), op. cit., n° 903, p 384.
2564
V. art 417 tel que modifié par la loi n° 2005-65 du 17-7-2005.
2565
COZIAN (M) et VIANDIER (A), Droit des sociétés, LITEC, 10è édition, Paris,
1997, n° 1725.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

contrats avec la société ou pour son compte ». Ou encore l’article 270 CSC qui oblige les commissaires aux
comptes « de révéler au procureur de la république les faits délictueux dont ils ont eu connaissance ». Mais,
la question demeure toujours posée, de savoir si on peut procéder par analogie en cette matière si délicate ? A
priori, rien ne semble empêcher l’application de ces différents articles à l’expert spécialisé dont la mission
renferme plusieurs traits de ressemblance avec celle des commissaires aux comptes. Cependant, la
responsabilité pénale que peuvent encourir ces derniers en cas de violation des obligations légales2566 interdit
tout raisonnement par analogie en la matière2567. Etendre cette responsabilité à l’expert spécialisé serait
interprété comme une atteinte au principe de la légalité des délits et des peines2568.
527- A côté de l’expert spécialisé, le conseil de surveillance joue un rôle non moins important dans
la prévention des abus au sein des procédés de concentration dans la mesure où il est question d’un organe
non-exécutif ayant pour mission de veiller au bon fonctionnement de l’entreprise et d'en rendre compte aux
actionnaires.

-§3- : La consolidation du contrôle assuré par le conseil de


surveillance dans les procédés de concentration
528- Connue en France, et bien avant en Allemagne, la société anonyme à directoire et à conseil de
surveillance était une technique organisationnelle pour arrêter la montée envahissante des pouvoirs des
dirigeants sociaux. Faisant en effet partie des solutions proposées par la Corporate Governance, la nouvelle
alternative de société anonyme permet d'instituer un organe social dont la mission consiste à contrôler le
directoire chargé de la gestion de la société.
Ne pouvant être indifférent à cette solution consacrée par le droit comparé, le législateur tunisien a
accordé, au sein du CSC2569, la possibilité aux associés d'adopter cette forme dualiste. Il est donc admis qu'un
conseil de surveillance permanent et indépendant puisse être crée en vue de renforcer le contrôle sur les
dirigeants. Il vient, en effet, pallier à l'insuffisance du contrôle que les associés sont théoriquement tenus
d'exercer et qu’ils n'exercent souvent pas par absentéisme ou profanation2570.
529- Dans la SA dualiste, l’article 229 C.S.C investit le directoire « des pouvoirs les plus étendus
pour agir en toutes circonstances au nom de la société ». En effet, cet organe est seul habilité à gérer
pleinement la société. Ce pouvoir exclusif dévolu au directoire est assimilé, en réalité, à celui reconnu au
conseil d’administration dans la société anonyme moniste.
Pratiquement, les actionnaires de la société anonyme à directoire ne doivent plus se soucier du contrôle
de la gestion étant donné qu’il sera assuré par le conseil de surveillance qui exerce le contrôle permanent de la
gestion sociale et ce, par application de l’alinéa premier de l’article 235 C.S.C.
En France, cette mission qui constitue le rôle principal du conseil de surveillance est instituée par
l’article 225-68, alinéa premier, du code de commerce. Ainsi, « à toute époque de l’année, le conseil de
surveillance opère les contrôles qu’il juge opportuns et peut se faire communiquer les documents qu’il estime
utiles à l’accomplissement de sa mission »2571. Il en découle que, le conseil de surveillance bénéficie d’un
pouvoir d’investigation très étendu puisqu’il peut, à tout moment, examiner non seulement la comptabilité et
les écritures sociales, mais aussi tous les éléments d’actif, la caisse, le portefeuille, les stocks…2572, ainsi que
tous les éléments du passif et, d’une manière générale, tous les documents quels qu’ils soient émanant de la
société2573.
2566
V. art 258 et s. du code des sociétés commerciales.
2567
Il est de règle générale que le texte pénal est d’interprétation stricte. De plus l’analogie est interdite en droit pénal.
2568
V. art. 1 CP et 13 de la constitution. V. aussi BEL HAJ HAMMOUDA (A), Le principe de la légalité criminelle est-il encore actuel ?, I. J.,
72/73, Juillet/Aout 2009, p 16.
2569
V. arts. 224 et s.
2570
V. supra, n° 410 et s.
2571
L’article 235, alinéa 2, du C.S.C qui est l’équivalent de l’article 225-68, alinéa 3, du C.C.F.
2572
Préalablement aux réunions, dans les délais prévus par la loi et les statuts, le cas échéant, les documents nécessaires sont remis aux membres
du conseil de surveillance afin de leur permettre de prendre connaissance des points qui vont être abordés (rapport trimestriel du directoire,
documents de gestion prévisionnelle, comptes annuels, rapport de gestion, rapports du directoire aux assemblées générales d’actionnaires, rapports
des commissaires aux comptes, budget commercial, projets de résolution…). Les membres du Conseil de surveillance qui ne pourront être présents
aux réunions disposeront tout de même de tous documents utiles. En cas de besoin, le conseil de surveillance peut à toute époque de l’année se
faire communiquer l’ensemble des documents qu’il estime utiles à l’accomplissement de sa mission.
2573
CAUSSAIN (J-J), Les sociétés anonymes, conseil de surveillance, Juris-Classeur des sociétés, éd. 2003, fasc. K-170, n°116 p18.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

En précisant qu’il s’agit d’un contrôle de gestion, la loi indique qu’il portera aussi bien sur la régularité
que sur l’opportunité des décisions2574. Autrement dit, le conseil de surveillance est tenu d’exercer un
contrôle, non seulement sur la régularité qui vise la légalité des décisions ou encore leur conformité aux
normes juridiques en vigueur applicables à la société2575, mais aussi sur l’opportunité des actions menées par
le directoire en matière commerciale, financière, administrative ou industrielle2576. C'est-à-dire que les
décisions du directoire doivent être conformes à la politique générale de la société. A partir de là, est mis en
exergue le rôle important de contrôle « politique » du conseil de surveillance sur la gestion menée par le
directoire puisqu’il aboutit, non seulement à relever les erreurs de gestion et les maladresses, mais à critiquer
aussi les fautes commises par l’organe de direction ainsi que les éventuels abus2577. Il en découle aussi que le
contrôle de l’opportunité des décisions du directoire permet de donner à l’assemblée générale une opinion sur
les avantages et les inconvénients des actes accomplis et de pouvoir juger ces actes en toute connaissance de
cause.

530- Parallèlement à l’exercice du contrôle permanent, le conseil de surveillance est également


conduit à exercer un contrôle périodique qui s’effectue en deux temps, soit par trimestre, soit à la fin de
chaque exercice.
Selon l’article 235, alinéa 3, du C.S.C, « une fois par trimestre au moins, le directoire est tenu de présenter
un rapport au conseil de surveillance ». En France, cette mission est réglementée par l’article L225-68, alinéa 4,
du code de commerce qui dispose que le conseil de surveillance est tenu d’exercer un contrôle sur le rapport
trimestriel présenté par le directoire.
Le rapprochement de ces deux textes permet d’affirmer que le directoire est tenu de présenter son rapport
chaque trois mois au moins, mais rien ne s’oppose à ce que le conseil de surveillance, en application des clauses
statutaires, puisse demander au directoire d’établir un rapport sur une opération précise ou lorsqu’il s’agit d’un
événement qui affecte les affaires sociales. Il en est ainsi surtout lorsque le conseil d’administration envisage la
mise en place d’une opération de concentration telle une fusion ou une opération de filialisation.
Le directoire doit encore, dans les trois mois à compter de la clôture de chaque exercice, présenter au
conseil de surveillance, aux fins de vérification et de contrôle, son rapport relatif à la gestion sur les comptes de
l’exercice2578. Suite à son contrôle, le conseil peut, s’il l’estime opportun, proposer la révocation d’un ou plusieurs
membres du directoire à titre de sanction de leur mauvaise gestion2579. De là découle l’importance du rapport établi
par l’organe de direction dans la mesure où il constitue un moyen pour éclairer le conseil de surveillance, et par là
même l’assemblée générale des associés, sur la véritable situation de la société2580.
531- Malgré l’importance du contrôle assuré par le conseil de surveillance, il sied de le corroborer en
imposant son intervention dans des opérations particulières qui seraient le cas échéant énumérées par la loi ou
les statuts. Tel est le cas de l’article L. 225-68 du code de commerce français qui énonce que « le conseil de
surveillance exerce le contrôle permanent de la gestion de la société par le directoire. Les statuts peuvent
subordonner à l'autorisation préalable du conseil de surveillance la conclusion des opérations qu'ils
énumèrent ».
On recommande alors l’ajout au code des sociétés commerciales d’un texte, plus précis que son
homologue français, qui serait rédigé de la façon suivante « le conseil de surveillance exerce le contrôle
permanent de la gestion de la société par le directoire, son contrôle est obligatoire lorsqu’il s’agit des
opérations suivantes :
- Toute prise de participation dans une société ou un groupement existant ou à créer d’un montant
supérieur à un montant qui sera fixé par les statuts,
- Toute décision de fusion, scission, cessation d'activité, dissolution ou liquidation.
- Toute autre opération énumérée dans les statuts ».

2574
CHAPUT (Y), Le droit des sociétés, P.U.F. 1993, n°334, p 160.
2575
CRUEGE (M-D), art. préc., p 428.
2576
CHASSERY (H), Les attributions des conseils de surveillance, R.T.D.Com, 1976, p 463.
2577
M. CRUEGE affirme que : « le conseil doit pouvoir critiquer les fautes commises, reprocher les risques excessifs, relever les maladresses : A
ce titre, il devra notamment dans son rapport aux actionnaires non seulement relever les erreurs de gestion mais expliquer pourquoi ces actes de
gestion constituent des erreurs à ses yeux ». CRUEGE (M-D), art. préc., p 429.
2578
V. art. 235, al. 4, du C.S.C qui est l’équivalent de l’art. L225-68 al. 5 du C.C.F.
2579
V. art. 227, al. 1, du C.S.C.
2580
GHRIBI (W), Le contrôle de gestion de la société anonyme, mémoire de mastère en droit des affaires, fac de droit de Sfax, 2007, p 29.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

532- Contrairement aux membres du conseil de surveillance qui ont accès direct à tous les
documents sociaux2581, les membres du directoire ou du conseil d’administration ne disposent pas du même
droit à l’information dans la mesure où la loi ne consacre aucune disposition dans ce sens. En effet, lorsqu’il
est actionnaire, l’administrateur est informé comme les autres actionnaires. S’il n’est pas associé, par contre, il
n’a pas de droit à l’information. Cette situation n’est pas logique car l’administrateur est chargé de la gestion
qui constitue une tache sensible au sein de la société. L’exercice effectif des attributions de gestion suppose
qu’il soit bien informé. Lorsqu’il n’est pas actionnaire, l’administrateur n’est pas du tout informé. Cette
situation est grave pour plusieurs raisons. En premier lieu, l’information doit être donnée aux administrateurs
en ce qu’il leur est impossible d’accéder par eux-mêmes aux renseignements intéressant la société car le
caractère périodique et intermittent de l’activité du conseil d’administration constitue pour ses membres
ordinaires, non actionnaires, un handicap incontestable par rapport au président dont l’activité est au contraire
continue. D’autant plus qu’il peut-être dans l’intérêt personnel du président directeur général, par exemple,
que les administrateurs ne soient pas bien informés sur l’activité de l’entreprise. En deuxième lieu, la
fourniture de l’information aux administrateurs est utile parce qu’elle est destinée à les éclairer et leur
permettre d’exercer pleinement leurs prérogatives. Bref, l’utilité de l’information découle à l’évidence de la
fonction d’administrateur et de la responsabilité qui y est attachée2582.
Ce vide législatif est étonnant. Une intervention législative en la matière semble impérieuse, non
seulement pour consacrer un droit à l’information de l’administrateur, mais également pour déterminer les
sanctions découlant du défaut d’information des dirigeants. Le législateur doit donc intervenir pour
reconnaitre et réglementer le droit des administrateurs à l’information. En ce sens, une obligation doit être
imposée au président du conseil d’administration, ou celui du directoire, qui est généralement président de
séance, et détenteur principal de l’information, de fournir aux administrateurs les informations nécessaires à
l’accomplissement de leur mission. Par conséquent, ils seront en droit de réclamer une information préalable
aux réunions du conseil d’administration lorsque l’ordre du jour appelle l’examen de questions importantes
comme la mise en place d’une opération de fusion ou de scission. Il faut également leur reconnaître un droit
permanent à l’information, lié à leur mission de conduite des affaires sociales2583.
Il serait souhaitable aussi que le conseil de surveillance, s’il existe au sein de la société, soit chargé de
la vérification de la plénitude de l’information fournie aux membres du directoire. Il faudra penser également
à soumettre l’organe de direction à des sanctions lorsqu’il ne fournit pas les informations nécessaires aux
administrateurs2584.
A ce titre, l’article L.225-35 du code de commerce français prévoit que «chaque administrateur reçoit
toutes les informations nécessaires à l’accomplissement de sa mission et peut se faire communiquer tous les
documents qu’il estime utiles » 2585. La loi française entérine ainsi une jurisprudence qui avait précédemment
créé un droit à l’information pour les administrateurs2586.

2581
L’article 235 CSC prévoit, dans ses deux alinéas premier et second, ce qui suit : « le conseil de surveillance exerce le contrôle permanent de la
gestion de la société par le directoire. A toute époque de l'année, le conseil de surveillance opère les contrôles qu'il juge opportuns et peut se faire
communiquer les documents qu'il estime utiles à l'accomplissement de sa mission ».
2582
GORBEJ (A), La répartition des pouvoirs entre les organes de la société anonyme, Th., FDSPT, 2010-2011, n° 215.
2583
BAILLOD (R), L’information des administrateurs de sociétés anonymes, RTD Com. janv 1990, p 1 ; BOUERE (J-P), l’information du
conseil d’administration, 1992, éd E, 1, 190 ; Cass. Com. Fr., 2juill 1985, Rev Soc. 1986, p. 231 note P. Le Cannu, JCP 1985, éd. E, II, 14578,
note A. Viandier.
2584
Certes, le droit d’information des membres du conseil d’administration risquerait de rester lettre morte s’il n’est pas assorti de sanctions. Deux
sanctions peuvent être imaginées contre un dirigeant qui n’informe pas les administrateurs. D’une part, la nullité des délibérations du conseil
d’administration pour violation de droit des administrateurs à l’information et, d’autre part, l’engagement de la responsabilité de l’organe de
direction si les administrateurs apportent la preuve d’une faute de cet organe, un préjudice subi par la société et un lien de causalité entre cette
faute et le préjudice. Ces deux sanctions sont suggérées par certains auteurs. V. SCHOLASTIQUE (E), Le devoir de diligence des administrateurs
de sociétés, LGDJ, Paris, 1998, p 257.
2585
COURUT (A), La loi sur les nouvelles régulations économiques, la régulation du pouvoir dans l’entreprise JCP, éd EA, n°42, 18 oct 2000, p.
1660 ; VENDEUIL (S), Nouvelles régulations économiques et nouveaux pou vous du conseil d’administration des sociétés anonymes, JCP, éd E
A, n° 30, 26 juillet 2001, p 1266.
2586
Le rôle de l’information dans la gestion sociale explique la position de la cour de Cassation Française dans l’arrêt Cointreau. Elle a prononcé la
nullité de la délibération, considérant que la société avait inexécuté son « obligation d’information » en violant l’article 98 de la loi de 1966. En
l’espèce, le conseil d’administration de la société était convoqué avec un ordre du jour précis. Une administratrice, Mme G. Cointreau, estimait que
l’importance de l’ordre du jour nécessitait une information préalable des administrateurs. Elle demanda donc au juge des référés l’ajournement de
la séance et la communication préalable de divers documents relatifs à l’ordre du jour. Le problème posé devant les tribunaux était de savoir si
l’administrateur pouvait revendiquer un droit à l’information. Le président de tribunal de commerce rejeta sa demande au motif que les
informations nécessaires aux administrateurs devaient précisément leur être données pendant la séance en question. L’ordonnance a été confirmée
en appel. L’administratrice décida alors d’agir en nullité de la délibération parce qu’elle n’a pas reçu l’information sollicitée. Nouvel échec devant
les juges du fond. La Cour d’Appel de Bordeaux a constaté « qu’aucune disposition légale n’impose au président du conseil d’administration de

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

A défaut d’une disposition législative similaire, en droit tunisien, consacrant le droit de


l’administrateur à l’information et ressortissant de sanction le non respect de ce droit, la pratique révèle que
les administrateurs seront souvent mal ou insuffisamment informés. De ce fait, ils ne peuvent délibérer en
connaissance de cause. Le conseil d’administration ou encore le directoire apparaissent alors comme des
organes inactifs et inefficaces2587 surtout lorsque des conflits d’intérêts apparaissent lors des délibérations de
ces organes.
Dans l’attente d’une intervention législative, dans ce sens, le conseil de surveillance doit veiller au
respect du droit à l’information des membres du directoire, surtout si les dirigeants de la société concernée
s’apprêtent à mettre en place une opération de concentration.
533- Certes, l’un des objectifs du système de contrôle interne est aussi de prévenir et maîtriser les
« zones d’ombre » résultant de l’activité de l’entreprise et les risques d’erreur, d’abus ou de fraudes, en
particulier dans les domaines comptables et financiers. Néanmoins, comme tout système de contrôle, il ne
peut cependant fournir une garantie absolue que ces abus soient totalement encerclés et éludés d’avance. Par
conséquent, si le contrôle exercé par les organes internes, y compris le conseil de surveillance, s’avère malgré
tout insuffisant, les minoritaires, et les autres partenaires de la concentration, pourront alors exiger un contrôle
supplémentaire en demandant la désignation d’autres organes de contrôle, à savoir les organes externes.

Sous-section Deuxième : Le perfectionnement du rôle


des organes externes de la prévention des abus
534- Il s’agit essentiellement de l’expert de gestion (-§1- ) ; le CMF (-§2- ) ainsi que le juge des
référés2588 (-§3- ).

-§1- La consolidation du rôle de l’expert de gestion dans les


procédés de concentration2589
535- Les actionnaires minoritaires font de plus en plus fréquemment appel à un expert de gestion
afin d'exercer à bon escient l'ensemble de leurs prérogatives et mettre à jour d'éventuels faits pénalement

joindre à la convocation qu’il adresse aux membres de celui-ci, son projet de rapport ou d’autres documents se rapportant à l’ordre du jour ». La
cour de cassation française a considéré que le président du conseil d’administration devait « mettre les administrateurs en mesure de remplir leur
mission en toute connaissance de cause » et elle a prononcé la nullité de la délibération en rappelant que les pouvoirs du conseil et sa
responsabilité semblent, en même temps, élever l’obligation d’informer au rang d’obligation incontournable. Il s’ensuit que la jurisprudence
française a reconnu un droit à l’information des administrateurs fondé surtout sur le respect du délibératif. Cass. Com. Fr., 12 juill 1985, Bull Joly,
1935, p 919 ; JCP, 1985, éd G, II, 20518 ; Rev. Soc., 1986, p. 231, note P Le cannu.
2587
CHARREAUX (G) et PITOL-BELIN (J-P), Le conseil d’administration, Ed. Vuibert, 1990, p. 1.
2588
Aussi, il ne faut pas oublier le rôle assez important de plusieurs institutions financières qui sont aptes à éclairer l’actionnaire sur l’image
financière d’une société bien déterminée. En effet, l’actionnaire peut être assisté dans ses politiques d’investissement par une agence de notation.
Ces agences n’ont pas été réglementées en droit tunisien. Mais, lorsque les autorités tunisiennes auront besoin d’une notation financière, elles
appelleront des agences américaines ou françaises (Standard and Poor’s, Moody’s et Fitch Rating). Le rôle attribué à ces agences consiste dans
l’appréciation de la valeur d’une entreprise, de son potentiel de développement ou des perspectives d’évolution de ses titres. Ces professionnels
influent, à la hausse comme à la baisse, le comportement concret des opérateurs du marché, des investisseurs et indirectement le Marché Financier.
Pour certaines agences l’objet de la notation consiste à mesurer les «performances sociales» de l’entreprise. Pour d’autres la notation concerne le
gouvernement d’entreprise, la notation tient compte alors de la qualité du système de gouvernement d’entreprise, car un mauvais système de
gouvernement peut avoir un impact négatif sur la solvabilité de la société. La notation constitue pour l’actionnaire institutionnel une aide précieuse
à la prise de ses décisions d’investissement. Elle permet, d’une part, d’avoir une meilleure perception du risque inhérent à l’achat d’un titre et,
d’autre part, de comparer et d’arbitrer de manière objective entre les différentes émissions sur le marché. Elle permet enfin de suivre dans le temps
le risque inhérent à l’investissement réalisé. V. COURET (A), Les agences de notation : observations sur un angle mort de la réglementation, Rev.
Soc., oct-déc. 2003, p 765 ; DE POLIGNAC (J-F), La notation financière, une nouvelle approche du risque, Rev. Banque, 2002 ; LE BRAS (B),
Adoption d’un statut des services d’analyse financière et des agences de notation, LPA, n°228, du 14 novembre 2003, p 63.
2589
Tout d’abord, l’expert de gestion ne doit pas être confondu avec le commissaire aux comptes ni avec l’expert spécialisé. La mission du premier
consiste à présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion, et non à vérifier les comptes et s’assurer que la vie sociale se déroule
dans des conditions régulières. Ensuite, l’expertise de gestion ne se confond pas avec l’expertise judiciaire ordinaire, bien que dans les deux cas,
l’expert est désigné par le tribunal. En effet, l’expertise de gestion tend à informer les demandeurs et non le tribunal. Elle constitue une fin en elle
même, alors que l’expertise judiciaire a un caractère incident puisqu’elle précède et prépare un jugement au fond. V. BEN NASR (T), op.cit., n°
136, p 153. L’expertise de gestion est à distinguer, enfin, de l’expertise préventive, appelée couramment expertise « in futurum ». Ces deux
mesures relèvent, en effet, de deux systèmes juridiques différents : le droit des sociétés, d’une part, et le droit commun procédural, d’autre part. Il
s’en suit que si l’expertise de gestion est orientée vers la protection de l’intérêt social, l’expertise préventive est neutre. Elle se réduit à une
technique permettant de préparer, au niveau des preuves, un éventuel procès. V. art. 145 du nouveau code de procédures civiles et commerciales
français. V. MICHELIN-FINIELZ (S), L’expertise de l’article 226 et l’expertise préventive dans la société anonyme, Rev. Soc., 1982, n° 6 et s.,
p 33.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

répréhensibles, en l’occurrence des abus de biens sociaux commis par les dirigeants des sociétés auxquelles ils
appartiennent. En effet, l’expertise a principalement pour but de prévenir ou encore dévoiler des abus de
pouvoir émanant du groupe majoritaire, de nature à compromettre gravement l’intérêt social2590.
Destinée à l'origine à la protection des seuls actionnaires minoritaires, l'expertise de minorité est
désormais, en droit français, une expertise de gestion compte tenu de l'élargissement des requérants2591 :
ministère public, autorité des marchés financiers et comité d'entreprise2592. Elle est légalement prévue pour les
SARL2593 et les sociétés par actions2594 ainsi que pour les groupes de sociétés2595. Manifestement, l'expertise
de gestion a changé de visage en droit français. Jadis considérée comme une mesure exceptionnelle et
subsidiaire d'information, elle a acquis ses lettres de noblesse en devenant une source indispensable de
renseignements des associés et des tiers. D'une simple requête d'ordre personnel, elle est devenue une
demande tendant à protéger l'intérêt général. Désormais, l'expertise de gestion répond non seulement à l'intérêt
personnel de celui qui la sollicite mais aussi et surtout à l'intérêt social2596 de l'entreprise concernée, et donc à
l'intérêt général2597.

536- En droit tunisien, la situation est tout à fait différente2598. Primo, la demande de nomination
d’un expert de gestion n’est admise que pour ceux qui possèdent la qualité d’associé. En dépit de leurs intérêts
souvent très manifestes, d’autres intervenants tels que le ministère public, les créanciers, le CMF… sont
exclus et ne peuvent réclamer qu’une ou plusieurs opérations soient mises à l’examen d’un ou plusieurs
experts2599. Secundo, le code des sociétés commerciales n’a permis, d’abord, qu’aux associés de la SARL de
pouvoir demander la désignation d’un expert de minorité2600. Ensuite, ce droit a été élargi aux actionnaires de
la société anonyme2601. La situation demeure par contre lacunaire concernant les sociétés groupées. La
question se pose donc de savoir si on peut désigner un expert de gestion lorsqu’il s’agit d’un groupe de
sociétés ? Autrement dit, un associé d’une société appartenant au groupe peut-il demander une expertise de
gestion pour une ou plusieurs autres sociétés du même groupe2602 ? Plus précisément, l'expertise de gestion
peut-elle être demandée par un actionnaire minoritaire d'une société mère sur une opération accomplie au
niveau de la filiale dans laquelle il ne détient pas une participation2603 ? Aucune précision n’est apportée par la
loi organisant le groupe de sociétés. Quelle sera alors la réaction de notre jurisprudence ? Va-t-elle refuser
l’expertise de gestion dans le groupe de sociétés au motif de l’indépendance juridique des sociétés groupées ?
Ou, au contraire, acceptera-t-elle la demande afin de protéger les associés minoritaires appartenant au groupe?
Une interprétation littérale du texte amène à conclure à une réponse négative. Pourtant une réponse
contraire semble pouvoir être admise par référence aux dispositions de l'article 477 CSC. Ce texte autorise en
effet la minorité des associés d'une société appartenant à un groupe de sociétés dont la participation n'est pas
inférieure à dix pour cent à exercer l'action sociale contre les associés représentant la majorité dans la société
2590
http://www.strasbourg.cci.fr/juridique/notes/pdf/abus_de_biens.pdf
2591
MERLE (PH), Droit commercial, Sociétés commerciales, Précis Dalloz, 9e éd., n° 522.
2592
PASQUALINI (F), Brèves remarques sur l'expertise de gestion, JCP éd. E, 1999, p 1283 ; PASQUALINI (F) ET PASQUALINI-
SALERNE (U), Encore et toujours l'expertise de gestion, JCP, éd. E, 2000, n° 12, p 499.
2593
V. art. L. 223-37 CCF.
2594
V. art. L. 225-231 CCF.
2595
V. art. L. 225-231 CCF.
2596
C.A. Rennes, 22 mai 1973, Gaz. Pal. 1973, 2, 700, note Peisse ; Rev. Soc. 1974, 349, note Chartier. A contrario, lorsqu'il n'existe aucun intérêt
social : C.A. Paris, 20 novembre 1997, Dr. sociétés 1998, no 66, note Vidal.
2597
DE LAGE (N-R), La « nouvelle » expertise de gestion en droit des sociétés?, Versailles, 11 mars 1999 : Société Sabic France c/ Société Amca
Chimie, (R.G. no 9998/96), LPA, 07 avril 2000 n° 70, P. 15.
2598
AYARI (K), L’expertise de gestion, I.J., n° 24/25, Mai 2007, p 6.
2599
La position de notre législateur semble être justifiée. En effet, « l’expertise de gestion implique qu’une minorité se manifeste, face aux abus
réels ou présumés de la majorité et fasse des critiques sur la gestion de la société. C’est donc, un moyen consacré au profil des associés
minoritaires pour qu’ils puissent avoir un regard contrôleur sur les affaires sociales. Aussi, aucune raison ne pourrait justifier la reconnaissance
d’un moyen de défense essentiellement reconnu aux associés à ceux qui ne sont pas associés et qui ne s’intéressent pas aux retombés néfastes de
l’application du système démocratique dans la société. A défaut, l’expertise de gestions se transforme en un moyen qui permet aux tiers d’avoir un
pouvoir de contrôle sur la gestion sociale et donc de s’immiscer dans la gestion qui n’est en principe que l’affaire des associés ». AYARI (K),
L’expertise de gestion, art. pré., p 7 et 8.
2600
V. art. 139 CSC qui dispose que : « un ou plusieurs associés représentant au moins le dixième du capital social peuvent, soit individuellement,
soit conjointement, demander au juge des référés la désignation d’un expert ou d’un collège d’experts qui aura pour mission de présenter un
rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion ».
2601
V. art. 290 bis CSC ajouté par l’article 15 de la loi n° 2007-69 du 17-12-2007. L’absence de l’expertise de gestion dans les SA était injustifiée
puisque le besoin à l’expertise se sent plus accru dans les SA ou les droits des actionnaires sont plus exposés au abus de la majorité que dans les
SARL qui sont généralement familiales et relativement fermées. V. AYARI (K), L’expertise de gestion, art. pré., p 6.
2602
LEFEBVRE (F), op.cit., n°87, p 250.
2603
LE CANNU (P), L'expertise de gestion et les filiales, Bull. Joly 1994, p. 147

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

mère en cas de prise d'une décision portant atteinte aux intérêts de la société et ayant pour objectif de servir les
intérêts de la majorité au détriment des droits légitimes de la minorité. Si on reconnaît à la minorité dans un
groupe d'exercer une action en responsabilité contre les majoritaires, il faut lui donner les moyens d'enquêter
sur les opérations de gestion litigieuses qui se déroulent au niveau de la filiale. Autoriser un minoritaire à
demander des explications sur une opération passée dans une filiale pourrait paraître contraire à un principe
fondamental du droit des sociétés, celui de l'autonomie des personnes morales composant un groupe2604. Pour
autant, ce principe ne semble pas être un véritable obstacle à l'action du minoritaire pour deux raisons
principales. D’abord, il est à noter qu’en pratique la justice en référé fonctionnait bien pour ce qui concerne la
nomination d’experts de minorité dans le cadre de la société anonyme isolée et ce, bien avant la modification
de 2007 sus-évoquée2605. Ensuite, le recours aux articles 201 et 214 CPCC demeure toujours possible. Ces
textes constituent le droit commun des procédures auquel il est permis de se référer pour combler le silence
législatif2606.
Aussi, ce n'est pas la première fois que le législateur ou le juge autorisera l'intervention dans une
société d'un personnage étranger à celle-ci sur la demande d'un membre d'une société filiale ou bien société
mère de la première. On rappellera que l'article 471 CSC autorise le commissaire aux comptes du groupe à
procéder à des investigations tant dans la société mère que dans les sociétés filiales de cette dernière. Cet
argument a d'ailleurs été utilisé par les actionnaires minoritaires d'une société holding qui sollicitaient la
nomination d'un expert pour toutes les sociétés du groupe. Selon eux, si le commissaire aux comptes est ainsi
autorisé à agir de la sorte, on ne devrait pas refuser cette prérogative à des auxiliaires de justice agissant pour
des fins identiques2607.
Il semble alors que les juges du fond n’hésiteront pas en cas d’urgence à nommer un expert de gestion
pour protéger les intérêts en présence, mis en péril par une décision de gestion litigieuse. D’autant plus qu’une
telle solution semble bénéfique non seulement aux associés minoritaires mais également au groupe de sociétés
lui-même. Elle est également compatible avec les orientations du législateur qui tend à renforcer la
transparence au sein des sociétés groupées. L'utilisation de l'expertise dans le cadre du groupe intensifie
incontestablement le droit d'information des minoritaires, lesquels vont désormais avoir les moyens d'obtenir
des renseignements sur des opérations que la société-mère fait accomplir par ses filiales en toute discrétion. Le
droit à l'information dans le groupe serait, de la sorte, affirmé au-delà de la présentation de comptes
consolidés. Un coin du voile de la personnalité morale des sociétés groupées se soulèvera, de cette manière, à
bon escient2608.

537- Contrairement à la législation tunisienne qui n’a pas expressément prévu l’expertise de minorité
en matière de groupe de sociétés, le législateur français a innové en la matière en prévoyant cette possibilité en
faveur des minoritaires de la société dominante. Cette innovation issue de la loi relative aux nouvelles
régulations économiques a le mérite de tenir compte de la réalité économique des sociétés du groupe, de
l'interdépendance de chacune d'entre-elles et la subordination économique des filiales à la société mère2609.
Elle laisse pourtant l'impression d'être inachevée parce qu'elle assure seulement l'information des actionnaires
minoritaires de la société dominante2610. Pourquoi ne pas mener à terme ce raisonnement en autorisant aussi

2604
Ibidem. Spéc., p. 148 : « en droit, le voile de la personnalité morale devient sur ce sujet un mur de béton qui empêche de s'intéresser à ce que
font les filiales».
2605
Dans une société anonyme, tout actionnaire minoritaire pouvait demander la désignation d’un expert de minorité sur la base des articles 201 et
214 CPCC. En effet, si l’article 201 donne la possibilité au détenteur d’un droit prétendu de recourir au juge des référés dans tous les cas
d’urgence, l’article 214 assure la même possibilité chaque fois que le droit en question se trouve en péril. V. ABBES (A), L’intervention judiciaire
dans le fonctionnement de la société anonyme, Mémoire de DEA, Faculté de droit de Sousse, 2001-2002, p 37.
2606
DE LAGRANGE (E), Le législateur et ses interprètes, RTD, 1968, p 102.
2607
C.A. Lyon, 31 mars 1996, R.T.D. Com. 1997, p. 107, obs. Champaud et D. Danet.
2608
LAURENT (G), La protection des actionnaires minoritaires dans la loi relative aux nouvelles régulations économiques, Bulletin Joly Sociétés,
01 juillet 2001 n° 7, P. 728.
2609
MARRAU (R), Un paradoxe permanent du groupe de sociétés : indépendance contre unité économique de ses sociétés, LPA, 5-8-1996, p. 4.
2610
Au sens de l'article L. 233-3 du CCF : « I. Une société est considérée (...) comme en contrôlant un autre : 1o Lorsqu'elle détient directement
ou indirectement une fraction du capital lui conférant la majorité des droits de vote dans les assemblées générales de cette société ; 2o Lorsqu'elle
dispose seule de la majorité des droits de vote dans cette société en vertu d'un accord conclu avec d'autres associés ou actionnaires et qui n'est pas
contraire à l'intérêt de celle-ci ; 3o Lorsqu'elle détermine en fait, par les droits de vote dont elle dispose, les décisions dans les assemblées
générales de cette société. II. Elle est présumée exercer ce contrôle lorsqu'elle dispose directement ou indirectement, d'une fraction des droits de
vote supérieure à 40 % et qu'aucun autre associé ou actionnaire ne détient directement ou indirectement une fraction supérieure à la sienne. (...)
III. Deux ou plusieurs personnes agissant de concert sont considérées comme en contrôlant conjointement une autre lorsqu'elles déterminent en
fait les décisions prises dans les assemblées générales ». S'agissant de ce dernier cas de contrôle, on sera amené à s'interroger sur la recevabilité

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

les minoritaires d'une société filiale à poser des questions écrites et, le cas échéant, solliciter la nomination
d'un expert afin que ce dernier examine une opération de gestion passée au niveau de la société mère ou d’une
société sœur2611 ? Ce minoritaire pourrait, par exemple, légitimement s'inquiéter si la société dans laquelle il
est membre faisait l'objet d'une spoliation de ses bénéfices ou ses actifs au profit d'une société sœur. Ce
minoritaire est, semble-t-il, celui qui a le plus à craindre d'être victime d'une politique de groupe si elle passe
par une « vampirisation » des actifs de la société à laquelle il appartient et qui, par conséquent, peut ressentir
le besoin d'être mieux informé sur de telles opérations. Pour cette raison, il semble qu'une meilleure
information est également due aux minoritaires des sociétés filiales2612. L’expertise de gestion devrait leur-être
également ouverte aussi bien en droit français que tunisien. C’est d’ailleurs l’opinion du Professeur Guyon2613
qui soutient que le minoritaire devrait pouvoir réclamer une expertise de gestion au motif que la société mère,
et notamment ses organes de direction, gèrent mal la ou les filiales. Selon lui, l’expert devrait être désigné
chez la mère, mais sa mission s’étendrait à toutes les sociétés du groupe2614.
Sur ce fondement, les minoritaires d'une société filiale tenteront peut-être d'obtenir la nomination d'un
expert afin d'apprécier une opération passée au sein de la société mère ou d'une société sœur, mais il se peut
que leur demande soit jugée irrecevable en dehors d’un texte explicite l’autorisant, faute pour les demandeurs
de qualité d’agir2615. Les actionnaires minoritaires manqueront donc encore d'information sur la vie de la
société mère ou des sociétés sœurs2616. Pour cela, l’élargissement du domaine de l'expertise de gestion
constituera indubitablement un renforcement considérable des droits des associés et favorisera, par conséquent, la
transparence de la gestion sociale et la protection des investisseurs.
Manifestement, l’indépendance juridique ne doit pas priver l’associé minoritaire d’aucun moyen
susceptible de le protéger contre les abus éventuels. En tout cas, la désignation de l’expert de gestion sera
toujours soumise au pouvoir d’appréciation du juge. En effet, l’expertise a vocation à informer l’auteur de la
demande sur une opération de gestion. Le juge ne l’ordonnera pas s’il est prouvé que le demandeur a déjà une
connaissance suffisante de l’opération critiquée ou s’il constate que l’expertise ne pourra apporter aucune
information supplémentaire. Très récemment, la Cour de cassation française l’a rappelé explicitement en
affirmant « qu’une nouvelle expertise ne permettrait pas d’obtenir d’autres informations que celles qui
figuraient déjà dans les deux rapports établis par l’expert-comptable désigné par le comité central
d’entreprise ». La Cour a donc confirmé le rejet de la demande d’expertise au motif que cette mesure était
inutile2617. Si le juge voit, par contre, que la demande est bien fondée, il désignera alors un expert de gestion et
fixera, le cas échéant, l’étendue de sa mission et ses pouvoirs.

538- S’agissant de l’étendue de l’expertise, cette dernière ne peut porter que sur des opérations de
2618
gestion . Tel est le cas des opérations émanant des dirigeants sociaux qu’ils soient les dirigeants de la
société mère ou de n’importe quelle société du groupe. Reste à préciser ce qu'il convient d'entendre par
«opération de gestion». On sait que la jurisprudence française retient un critère organique2619 qui, sans être à

de la demande faite par les minoritaires de l'une des sociétés agissant de concert critiquant une opération passée au sein de la société
conjointement contrôlée, l'article L. 225-231 du Code de commerce n'évoquant pas cette hypothèse ». V. aussi art. 461 CSC.
2611
Avant la réforme de 2001, le professeur Guyon, s'il estimait concevable d'autoriser l'actionnaire minoritaire d'une société mère à demander une
expertise d'une opération passée dans une filiale, refusait en revanche de « donner à l'actionnaire minoritaire d'une filiale le droit de demander la
désignation d'un expert de gestion dans la société mère, car cela reviendrait à lui reconnaître plus de droits qu'aux minoritaires de la mère elle-
même ». Mais aujourd'hui, la brèche est ouverte puisque la loi donne déjà à l'actionnaire minoritaire de la mère plus de droits qu'à l'associé
minoritaire de la filiale. En effet, l'expertise pourra être sollicitée par une personne qui n'est pas actionnaire de la société dans laquelle l'opération a
été passée dès lors qu'il détient plus de 5 % du capital de la société dominante alors qu'elle sera refusée au minoritaire de la filiale s'il ne détient pas
plus de 5 % du capital de cette dernière.
2612
PELOUX (P), Des difficultés quant à la qualité de certains demandeurs à l'expertise de gestion, LPA, 5 août 1999, p. 17 et spéc., p. 23.
2613
GUYON (Y), note sous Cass. Com. Fr., 14 déc. 1993, JCP 1994, éd. E, II, n°567.
2614
Cass. Civ. Fr., 16 déc. 1992, Bull. civ. I, n° 311 ; Bull. Joly 1993, p. 349, note M. JEANTIN : JCP 1993. éd. E. II, n° 440 , note Th.
BONNEAU, Rev. Soc., 1992, p 508, note Y. GUYON.
2615
VELARDOCCHIO (D), article préc., spéc. p. 65 ; Cass. Com. Fr., 14 décembre 1993, Cie de Navigation Mixte : Bull. Joly Sociétés, 1994, p.
189, n° 45 et p. 147, n° 34 ; LE CANNU (P), L'expertise de gestion et les filiales, Rev. Soc., 1994, p. 494 ; note C. Gavalda ; JCP, éd. E, 1994, II,
no 567, note Y. Guyon ; RTD com., 1997, p. 107, obs. C. Champaud et D. Danet.
2616
V. à propos de l'information des associés des sociétés comprises dans un périmètre de consolidation : VELARDOCCHIO (D), op. cit., p. 78.
2617
Cass. Com. Fr.,12 févr. 2008, n° 06-20.121. V. http://www.cfdt adr.fr/Files/521 le ce et l_expertise_de_gestion.pdf
2618
V. à propos de l’imprécision de la notion « opération de gestion » MARTEAU-PETIT (M), note sous Cass. Com., 30 mai 1989, JCP, éd. G,
II, 1990, n° 21405.
2619
La jurisprudence retient une conception étroite de la notion de gestion en adoptant le critère organique. V. Cass. Com. Fr., 30 mai 1989 : Bull.
civ. IV, p. 115 ; Rev. Soc., 1989, p. 641 ; JCP, éd. G, 1990, II, no 21405, note Marteau-Petit ; Bull. Joly Sociétés, 1989, p. 715, n° 258, note P. Le
Cannu ; D., 1989, IR, p. 194 ; Cass. Com. Fr., 19 novembre 1991 : Bull. civ. IV, no 355 ; D., 1991. IR, p. 295 ; Bull. Joly Sociétés, 1992, p. 66, n°
15, note P. Le Cannu ; JCP, éd. G, 1992, II, no 21833, note M. Jeantin ; Rev. Soc., 1992, p. 510, note Marteau-Petit ; RTD com., 1992, p. 639, obs.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

l'abri de la critique2620 présente l'avantage d'une excellente visibilité : il n'est pas nécessaire de s'interroger sur
l'objet de l'acte considéré pour savoir s'il s'agit d'une opération de gestion, il suffit de prendre en considération
la nature de l'organe qui l'a passé. Si l'acte querellé relève de la compétence d'un organe de gestion, il peut
faire l'objet d'une expertise de gestion, s'il relève de la compétence d'un autre organe, la demande d'expertise
sera rejetée. En d’autres termes, toutes les opérations sociales ne peuvent pas faire l’objet d’une expertise. La
demande d’expertise sera refusée si elle porte sur une décision prise par l’assemblée générale2621. La question
se pose alors concernant les opérations de fusion et de scission, sont-elles soumises à l’expertise de gestion ?
Les opérations de concentration font-elles partie des opérations de gestion ?
Nul doute que la décision d'approbation de la fusion ou la scission relève de la compétence exclusive
de l'assemblée générale extraordinaire des associés, sur communication des rapports du conseil
d'administration et des commissaires à la fusion ou à la scission. Ne relevant pas de la compétence du conseil
d'administration, la décision de fusionner ou se scinder ne constitue donc pas une décision de gestion
susceptible de faire l'objet d'une mesure d'expertise de gestion. Les associés restent, par contre, recevables à
solliciter la désignation d'un expert sur le fondement de l'article 101 et suivant du code des procédures civiles
et commerciales, c'est-à-dire sur la base du droit commun de la procédure. Il en est de même, en droit français,
où la jurisprudence a accepté dans certaines affaires l’expertise de droit commun, encore faut-il que ses
conditions soient vérifiées en l’espèce2622.
Il est préférable cependant de prendre parti pour une acception plus large de la notion de décision de
gestion2623. En effet, une opération de concentration relève normalement de la gestion au sens large du terme
car elle est décidée au départ par le conseil d’administration puis votée par les associés2624. Une opération de
fusion dépasse ainsi la gestion « entendu dans son sens banal », puisqu'il s'agit de prendre une décision
économique qui engage la société, et l’engage gravement. « Qui peut le plus peut le moins», note la
jurisprudence française2625. Il ne faut donc pas se borner à expertiser la gestion courante, au contraire plus la
décision est grave, meilleure doit être l'information2626. La loyauté de l'information est alors la dernière clé du
problème. Il ne serait ni honnête, ni réaliste, d'affirmer que cette loyauté existe automatiquement pour tout ce
qui est proposé à la décision de l'assemblée générale extraordinaire2627. Le contrôle de l’information gagnerait
en termes d’efficacité et de transparence en adoptant une définition aussi large que possible de la notion de
gestion englobant aussi bien les décisions émanant des organes de gestion que celles votées par les associés
mais décidées au départ par les dirigeants.
Ainsi, la Cour de cassation française, dans un arrêt du 12 janvier 19932628, a nettement admis la
recevabilité d’une demande de désignation d’un expert de gestion concernant une opération de scission2629.

Reinhard ; Cass. Com. Fr., 12 janvier 1993 : D., 1993, jur. p. 139, note Th. Bonneau ; LPA, 1993, no 15, p. 17, note B. P. ; Bull. Joly Soc., 1993,
p. 343, n° 94, note P. Le Cannu ; Dr. sociétés, mars 1993, no 58, obs. H. Le Nabasque ; JCP, éd. E, 1993, II, p. 415, note A. Viandier ; Rev. Soc.,
1993, p. 426, note B. Saintourens. Paris, 1re Ch. A, 25 février 1991 : Bull. Joly Sociétés, 1991, p. 519, n° 179, et nos obs. ; Dr. sociétés, juin 1991,
no 234, note M. Marteau-Petit ; Rev. dr. bancaire et bourse, 1991, p. 148, obs. M. Jeantin et A. Viandier
2620
MASQUEFA (C), La restructuration, thèse Paris II, décembre 1998, p. 110 et s., nos 106 et s.
2621
Comme par exemple la fixation de la rémunération d’un gérant de SARL (Cass. Com. Fr., 30 mai 1989, n° 87-18.083), l’augmentation du
capital, la mise en réserve les bénéfices réalisés, sur une mesure de reprise de l’entreprise par les salariés (Cass. Com. Fr., 19 nov. 1991, n° 90-
11.950), etc. La jurisprudence a toutefois proposé en 1993 une distinction entre les décisions prises directement par l’assemblée générale et celles
qui lui sont soumises pour examen de leurs conséquences (Cass. Com. Fr., 12 janv. 1993, n° 91-12.548). Cette distinction est très utile notamment
en matière de conventions réglementées à savoir ces conventions passées entre un dirigeant et la société et qui nécessitent l’accord de l’assemblée
générale. L’expertise peut porter sur ces conventions qui sont des actes de gestion puisque passées par les dirigeants même si elles sont par la suite
contrôlées par l’assemblée générale des associés ou actionnaires (C.A. Versailles, 27 févr. 1997, n° 4403/95).
2622
LUCAS (F-X), Note, Apport partiel d'actif et opération de gestion : expertise in futurum et intérêt à agir, C.A. Paris 14e ch. sect. B, 4 sept.
1998, n° 98/03519, SA Groupe Open c/ SA Sip, Bulletin Joly Sociétés, 01 février 1999 n° 2, P. 250
2623
Cass. Com. Fr., 15 juillet 1987 : Bull. Joly Sociétés, 1987, p. 703, n° 289, et nos obs. ; LPA, 1988, no 5, note P. Moretti ; JCP, éd. E, 1987, I,
16959, obs. A. Viandier et J. J. Caussain, no 14 ; RTD com., 1988, p. 75, obs. Y. Reinhard ; D., 1987, IR, p. 182.
2624
LE CANNU (P), Note, Le RES n'est pas une opération de gestion au sens de l'article 226 de la loi du 24 juillet 1966, Cass. Com. Fr., 19 nov.
1991, Sté Galtier c/ Husson et autres, Bulletin Joly Sociétés, 01 janvier 1992 n° 1, P. 66.
2625
Ibidem.
2626
LE CANNU (P), Note, Expertise de gestion : les actions en nue-propriété et les opérations de gestion relevant de l'assemblée générale
extraordinaire, Bulletin Joly Sociétés, 01 février 1990 n° 2, P. 182.
2627
Ibidem.
2628
Cass. Com. Fr., 12 janv. 1993, Georges V, JCP 1993, éd. E, II, n° 415, note A. VIANDIER ; JCP 1993, 11, n°22029, note Y. GUYON; D.
1993, p. 39, note Th. BONNEAU ; Rev. Soc. 1993, p. 426, note B. SAINTOURENS.
2629
On relèvera que cette solution n’est pas récente (Cass. Com. Fr., 27 nov. 1991, RTD Com. 1992, p. 828, note Cl. CHAMPAUD et D.
DANET), mais comme le souligne le Professeur Y. GUYON (note précitée), la chambre Commerciale vient clarifier nettement sa position rendue
floue par un arrêt du 19 nov. 1991 (Cass. Com. Fr., 19 nov.1991, JCP 1992, 11, n° 21833, note M. JEANTIN ; Rev. Soc. 1992, p. 510, note M.
MARTEAU-PETIT), arrêt selon lequel un RES (rachat d’entreprises par les associés) n’était pas un acte de gestion ; mais cet arrêt omettait de
préciser si l’assemblée générale avait ou non été consultée.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Dans cette affaire, une société désirait scinder son activité en conservant la partie immobilière et en apportant
la partie hôtelière à une société d’exploitation. La cour d’appel débouta le comité d’entreprise de sa demande
aux fins de nomination d’un expert de gestion au motif que la scission ne constituait pas une opération de
gestion « puisqu’elle devait conduire à une révision corrélative des statuts qui relevait des seuls pouvoirs de
l’assemblée générale extraordinaire ». Cette analyse fût, par la suite, censurée par la chambre commerciale,
pour défaut de base légale, au motif que la cour d’appel n’avait pas précisé « si l’opération avait été placée
sous le régime de la fusion-scission et relevait ainsi de la compétence de l’assemblée générale, ou si la
décision avait été prise par le conseil d’administration, l’assemblée générale étant appelée ensuite à se
prononcer sur ses conséquences ». Cette appréciation de la cour de cassation vient édulcorer l’utilisation d’un
critère organique strict. L’intervention de l’assemblée générale, après prise de décision en faveur de
l’opération par l’organe de gestion, n’ôte pas à l’opération son caractère d’acte de gestion. Seul compte en
réalité l’organe décisionnaire compétent. Cet arrêt vient à la fois conforter le critère organique et
l’assouplir2630.

539- De surcroît, l’expertise ne peut porter que sur une ou plusieurs opérations de gestion
déterminées. Elle ne peut jamais concerner l’ensemble de la gestion de la société ou du groupe de sociétés2631.
Autrement dit, le minoritaire peut solliciter la désignation d’un expert afin de recevoir des informations sur
des opérations de gestion déterminées, suspectes et sur lesquelles il estime n’avoir pas été suffisamment
informé. La demande doit donc porter sur une ou plusieurs opérations ponctuelles2632. Le juge refusera de
faire droit à une demande portant sur l’ensemble du fonctionnement de la société2633, car si l'expertise de
gestion est considérée comme un moyen d'information ordinaire, elle ne permet pas toutefois de contester tous
azimuts la gestion et les comptes d'une société2634. Les critiques trop vagues ou d’ordre général ne seront pas
non plus acceptées par le juge. Ce dernier n’ordonnera la désignation d’un expert qu’en présence de
«présomptions d’irrégularités affectant une ou plusieurs opérations de gestion déterminées »2635.
En dépit de la clarté de la loi sur ce point, la jurisprudence tunisienne est encore hésitante à ce sujet et
semble peu convaincue d’une rigueur inhabituelle en matière d’expertise2636. En effet, une ordonnance
récemment rendue par le président du tribunal de première instance de l’Ariana a méconnu les exigences
textuelles en désignant un expert conformément à l’article 139 CSC pour vérifier la sincérité de tous les actes
de gestion accomplis par le gérant d’une SARL pendant la période allant de 1991 jusqu’à 20022637. Le tribunal
s’est peut être basé sur l’expression « une ou plusieurs opérations de gestion » pour en déduire la possibilité
d’étendre la mission d’expertise à toutes les opérations accomplies durant des années. Le tribunal de Tunis a
par contre débouté une demande au motif qu’elle est générale et non conforme aux dispositions de l’article
139 qui limite l’examen de l’expert à des opérations bien déterminées2638.

540- Par ailleurs, le juge saisi d'une demande de nomination d'expert a-t-il le pouvoir d'apprécier le
bien fondé de la demande ? Peut-il la rejeter et sur quel fondement ? Le texte ne permet de conclure à aucune
2630
Le problème qui s’est posé était de savoir quelles sont les opérations de gestion ? A défaut de définition légale, la jurisprudence française a
utilisé un critère organique. C'est-à-dire qu’il y a opération de gestion chaque fois qu’elle émane d’un organe de gestion. Ce critère est, cependant,
trop étroit car on peut trouver des opérations de gestion qui nécessitent l’approbation de l’assemblée des actionnaires. Face à cette insuffisance, la
doctrine ainsi que la jurisprudence française ont adopté une définition plus large des opérations de gestion qui tient compte non pas de l’origine de
l’opération mais plutôt de son objet. V. GUYON (Y), note sous Cass. Com. Fr., 12-1-93, JCP, éd. G, II, 1993, n° 22029 ; Cass. Com. Fr., 19-11-
1991, RTD Com., 1992, p 639 ; Cass. Com. Fr., 13-11-1973, D, 1973, p 397, note BURST ; Cass. Com. Fr., 25-3-1974, JCP, éd. G, II, 1974, n°
17853, note CHARTIER.
2631
Cass. Com. Fr., 14 déc. 1993 : RJDA, 1994/4, p. 325, n° 421 ; Cass. Com. Fr., 21 oct. 1997 : RJDA, 1998/1, p. 38, n° 64.
2632
Cass. Com. Fr., 22 mars 1988, n° 86-17.040.
2633
C.A. Versailles, 23 nov. 1988, n°5619/088.
2634
MENJUCQ (M), Note, Expertise de gestion et comptes sociaux, C.A. Versailles 14e ch., 4 juin 1999, n° 1200/99, Cons. Mouton c/ SA
Polyclinique Bel Air, Bulletin Joly Sociétés, 01 novembre 1999 n° 11, P. 1123.
2635
Cass. Com. Fr., 22 mars 1988, préc.
2636
AYARI (K), Le gouvernement d’entreprise en droit tunisien, I.J., n°64/65, Mars 2009, p 18.
‫از ت‬ ‫ ء‬C 3 ‫غ ا‬S ‫ ا‬V C ‫ ا‬U N C 3 8A A ‫ ا ن ا‬M 20 V]/ ‫ ا‬I‫ " < ` اوﺟ‬: 2002/03/23 " ‫ر‬g 1 ‫ ا (ا‬$- ‫ ا‬,3 ‫ در‬G ،19745 ‫(د‬3 ‫ ا (ا‬$0 2637
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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

réponse. D'aucuns peuvent s’incliner à dire que le juge est tenu de donner suite à la demande de nomination de
l'expert puisque le texte énonce qu'un ou plusieurs actionnaire peuvent demander au juge des référés la
nomination d'un expert... et non que le juge peut, sur demande d'un ou plusieurs actionnaires, désigner un
expert ou un collège d'experts. Une telle conclusion est, à notre avis, hâtive, car elle sacrifie une notion
fondamentale de la procédure civile : l'intérêt. Les actionnaires demandeurs doivent non seulement justifier de
leur qualité comme détenteurs d'une fraction du capital, mais aussi justifier d'un intérêt à demander un
complément d'information sur l'acte de gestion. Cet intérêt n'est pas vérifié lorsque l'information est déjà
disponible ou lorsque l'opération de gestion paraît régulière et non suspecte2639. Par ailleurs comme on l’a
précédemment signalé, le juge doit rejeter la demande chaque fois qu'elle est formulée en termes généraux ne
désignant pas une ou plusieurs opérations de gestion déterminées.

541- Aussi, l’associé doit-il posséder au moins le dixième du capital social dans une SARL, 5 % dans
une société anonyme « fermée » et 3 % dans une société anonyme faisant appel public à l’épargne pour
pouvoir agir en justice en vue de désigner un expert de gestion. Cette condition semble raisonnable parce
qu’elle permet d’éviter les demandes fantaisistes qui heurtent le déroulement normal des affaires sociales plus
qu’elles ne servent les intérêts de ceux qui la présentent. Mais faut-il l’avouer, avoir un tel pourcentage du
capital signifie parfois être majoritaire notamment lorsque la société est d’une certaine envergue économique
qui engendre généralement une dispersion du capital social. Dans ce cas, l’expertise de gestion qui n’a été
consacrée que pour protéger les droits de la minorité, demeure purement utopique et ne permet pas aux faibles
d’avoir le soutien de la justice pour se révolter contre les mauvais gestionnaires ou du moins chercher les
preuves pour se faire entendre par l’assemblée générale ou par la justice2640.
Ainsi, qu'il s'agisse de demander communication de documents sociaux, une expertise de gestion ou de
prononcer la nullité d'une délibération pour abus de majorité ou violation des statuts, le même problème
juridique se pose immanquablement puisqu'il faut tenir compte d'un minima de participation pour exercer
l'action en justice destinée à faire valoir un droit. On peut se demander si la réduction, en cours d'instance, du
taux de participation en deçà du minimum légal requis est de nature à rendre l'action irrecevable. Le seuil
minimum de participation requis doit-il être maintenu jusqu'au prononcé du jugement2641 ? Les textes ne
permettent pas de se prononcer sur la question. Si on raisonne en terme d'opportunité, il faudra peut être
opérer une distinction entre la réduction du taux de participation consécutive à une cession et celle consécutive
à une dilution du capital2642. Dans ce dernier cas, l'actionnaire minoritaire mérite toujours protection car il ne
fait que subir les conséquences d'une décision prise par les majoritaires, qui, de surcroît, peut n'être motivée
que par le souci de frauder ses droits, c'est-à-dire le priver de la protection de la loi. Contrairement aux
tribunaux tunisiens, la cour de cassation française s’est prononcée, à maintes reprises, sur une pareille
difficulté en matière d'expertise de gestion. Elle estime que « l'exercice du droit d'agir en justice s'apprécie à
la date de la demande introductive d'instance et ne peut être remis en cause par l'effet de circonstances
postérieures2643». La cour d'appel de Versailles a repris la même motivation dans un arrêt plus récent2644. La
solution semble être puisée non dans une règle de droit des sociétés mais dans une règle de procédure civile.
On peut même envisager l'hypothèse inverse. L'actionnaire ne dispose pas au moment de l'action de la fraction

2639
C.A. Lyon, 8 avril 1994, RTD com., 1994, p 517, obs. Bruno Petit.
2640
En réalité, les actionnaires n’atteindront que rarement ce seuil et dans certaines sociétés anonymes seulement. Ce qui rend difficile la
possibilité de demander la désignation d’un expert de gestion. La difficulté d’atteindre le seuil légal exigé pour demander la nomination de l’expert
alourdie donc la tâche des actionnaires de s’informer sur quelques questions techniques qui nécessitent l’intervention d’un expert de gestion.
Conscient de la difficulté d’atteindre un seuil légal assez élevé, le législateur français a permis aux associations d’actionnaires de demander la
désignation d’un tel expert. En effet, selon les dispositions de l’article L225-120 CC les actionnaires justifiant d'une inscription nominative depuis
au moins deux ans et détenant ensemble au moins 5 % des droits de vote peuvent se regrouper en associations destinées à représenter leurs intérêts
au sein de la société.
2641
C.A. Versailles, 12e ch., 11 mais 1999, RTD. Corn. , 1999, p. 676 ; Contra, C.A. Paris, 14e th., 5 janv. 1978, Rev. Soc. , 1978, p. 742, note
M. Guilberteau. Cet arrêt a décidé que l'actionnaire minoritaire ayant perdu la qualité d'associé en cédant ses actions après la désignation de
l'expert, le magistrat était fondé à rapporter son ordonnance. C.A. Lyon, 16 janv. 1998, J.CP. éd. E., 1999, p. 351, déclarant recevable une demande
d'expertise de gestion en estimant sans incidence le défaut de libération totale des 25 % du capital détenu par un associé.
2642
La réduction du taux de participation peut se réaliser selon différents scénarios : soit que l'actionnaire cède tout ou partie de sa participation soit que la
société décide d'augmenter le capital sans que l'actionnaire ne souscrive aux actions nouvelles. C.A. Versailles, 14e ch., 14 février 2007, note Isabelle
Urbain-Parleani.
2643
Cass. Com. Fr., 6 déc. 2005, RTD Com. 2006, p. 141, obs. Paul Le Cannu ; Recueil Dalloz 2006, AJ, p. 67, obs. A. Lienhard ; Rev. Soc.,
2006, p. 570, note A. Cerati-Gaulhier ; J.C.P. éd. E., 2006, n°3, p. 1123 ; LPA 15 mais 2006, n° 53, p. 10, note D. Gibirila.
2644
C.A. Versailles, 14e ch., 14 fév. 2007, Rev. Soc. 2007, p. 635, note Isabelle Urbain-parleani.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

de capital requise pour agir en justice mais il régularise sa situation en cours de procédure. L'action ne devrait
pas être déclarée recevable même si la régularisation intervient avant que le juge ne se prononce.

542- L’expert de gestion doit être doté d’un pouvoir d’investigation très important, surtout dans le
cadre du groupe de sociétés où les relations sont très compliquées. En effet, pour donner un jugement exact
sur une opération de gestion, l’expert doit faire une étude détaillée de toutes les relations qui existent entre les
différents membres du groupe ainsi qu’une analyse très soignée des effets éventuels de l’opération douteuse
sur le groupe de sociétés en général et sur chaque société groupée en particulier. Il doit être alors investi d’un
pouvoir d’investigation très large lui permettant d’avoir toutes les informations et les explications nécessaires
de la part des organes sociaux des sociétés concernées par l’opération. Il doit également avoir la possibilité de
consulter les documents sociaux, les rapports de gestion, les rapports des commissaires aux comptes des
sociétés groupées… Aussi, l’expert de gestion doit avoir un droit d’enquête auprès de tous les dirigeants dans
le groupe. Ces derniers ne peuvent aucunement l’obstruer au cours de sa mission2645. Enfin, ce professionnel
doit être armé d’une loupe qui lui permet de connaître les moindres détails permettant d’apprécier la validité
ou l’opportunité de l’opération contestée et fournir l’information fiable aux intéressés. Pour ce faire,
l’intervention législative est plus que nécessaire pour préciser la mission ainsi que les pouvoirs de l’expert de
gestion, surtout au sein des groupes de sociétés.
Dans l’exercice de sa mission, l’expert est tenu d’un devoir de secret lorsque les informations
recueillies sont étrangères aux opérations qu’il est chargé d’examiner et d’une obligation de discrétion pour
les autres2646.

543- De tout ce qui précède, nul ne peut douter de l’importance de l’intervention de l’expert de
gestion2647, du commissaire aux comptes ou l’expert spécialisé dont la présence est indispensable pour
prévenir toute forme d’abus dans les différents procédés de concentration des sociétés2648. L’expertise, dans
toutes ses formes, a « notamment pour but de prévenir les abus de majorité et de permettre aux actionnaires
minoritaires de se renseigner sur la nature, la valeur, la portée et les conséquences d'opérations de gestion
susceptibles de porter préjudice à l'intérêt social »2649. L’expertise a donc une finalité préventive, tant pour les
parties prenantes dans la société que pour les dirigeants. Elle améliore aussi, directement ou indirectement, la
circulation d’une information efficiente dans la société. En cela, l’expertise renforce la capacité d’anticipation
et d’intervention préalable des acteurs sociaux, limite l’enracinement des dirigeants et renforce le
fonctionnement du gouvernement d’entreprise. Il reste que notre législation gagnerait sur le plan de la
politique préventive des abus en renforçant les prérogatives des organes de contrôle, à qui on devrait octroyer
tous les instruments juridiques nécessaires pour accomplir leur mission dans l’intérêt de tous les partenaires de
la concentration. Notre législation profiterait également si l’intervention des autorités administratives et
judiciaires serait davantage améliorée.

-§2- : L’amélioration de l’intervention du C.M.F dans les


procédés de concentration
544- Le marché financier tunisien, dont la Bourse est une partie intégrante, est considéré par les
spécialistes comme le baromètre de l’économie par excellence. Ce marché est comme une boule de cristal où
les intervenants et surtout les épargnants doivent être protégés si on veut éviter les effets négatifs susceptibles

2645
V. Infra, n° 607 sur les sanctions possibles en cas d’entrave de la mission de l’expert de minorité du groupe.
2646
http://www.cfdt-adr.fr/Files/521_le_ce_et_l_expertise_de_gestion.pdf
2647
L’importance et la gravité de l’expertise de gestion conduit éventuellement les dirigeants sociaux à refuser de communiquer à l’expert désigné
les documents nécessaires à l’expertise et réduisent, par conséquent, l’effectivité de l’expertise de gestion. Conscient de ces risques, le législateur
français a prévu dans les articles L 458 et L 430 de la loi de 1996 une sanction pénale pour les dirigeants qui s’opposent à la mission de l’expert.
Toutefois, en dépit de son importance, puisqu’elle assure à l’expert une protection efficace contre la carence des dirigeants, cette garantie pénale
n’est pas encore prévue par le CSC. V. AYARI (K), Le gouvernement d’entreprise en droit tunisien, art. pré., p 19.
‫ ت‬N ‫ م‬$‫ أ م إ‬#A‫! ن ا ل وا‬/+ / P ‫و‬ 7V A ‫ ت ا‬# ‫ ا‬#$ ‫ و‬I#3$ ‫ إذ أن‬l K ‫ ا‬C O ‫ ع‬g 8G 0 ‫دارة ذات أھ‬J‫ ة ا‬U ‫ دة إ‬# ‫ " إن ا‬2648
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2649
LE CANNU (P), Note, 101 inhibe-t-il 226 ?, C.A. Paris 14e ch. sect. A, 20 mai 1998, n° 97/20412, Laurent c/ Sté Mico, Bulletin Joly
Sociétés, 01 novembre 1998 n° 11, P. 1159.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

de mettre en cause l’utilité du marché pour l’économie tunisienne. Ceci a encouragé la mise à niveau du
marché financier dans son ensemble, essentiellement au niveau de l’infrastructure et des textes réglementaires,
moyennant la mise en place d’un cadre juridique et technique de nature à le moderniser et le rendre plus
attractif.
Avec la loi n°94-117 du 14 novembre 1994 portant réorganisation du marché financier, un organisme
public doté de la personnalité morale et pourvu d’un pouvoir préventif des abus a été institué2650. Il s’agit du
C.M.F chargé de veiller à la protection de l’épargne investie en valeurs mobilières. Cet organisme qui assure
l’organisation et le bon fonctionnement du marché est chargé de contrôler la fiabilité de l’information déposée
ou publiée par les sociétés faisant appel public à l’épargne. Le conseil du marché financier s’est fixé des
priorités pour mener des actions en matière de protection des épargnants, sans écarter le principe de renforcer
la confidentialité et l'intégrité du marché qui se situe au centre de toutes les préoccupations. Aussi, en matière
de restauration de la transparence au niveau du marché financier, le conseil ne peut qu’occuper une place
primordiale. En effet, sans une régulation efficace, il est illusoire de penser qu’une réelle transparence puisse
être instaurée. De même, sans une régulation intelligente et sans une autorité qui donne confiance, le marché
financier ne pourra bien fonctionner 2651.
Il est vrai qu’une régulation intelligente suppose une capacité à anticiper les abus du marché et à
empêcher leur survenance. C’est pour cela que le travail du Conseil du marché financier ne repose pas
uniquement sur la sanction. A cet égard, le Conseil dispose de prérogatives lui permettant de prévenir les
atteintes à la sécurité des marchés financiers. Dans plusieurs cas, le CMF peut agir préventivement dans
l’objectif d’empêcher la diffusion d’informations financières non-conformes à la réglementation en vigueur.

545- De façon générale, aux termes de l’article 2 de la loi du 14 novembre 19942652, toute émission
de valeurs mobilières ou produits financiers par appel public à l'épargne doit être précédée par la publication
d’un prospectus destiné à l'information du public. Ce prospectus porte notamment sur l'organisation de la
personne morale et sa situation financière. Il porte aussi sur l'évolution de son activité ainsi que les
caractéristiques et l'objet du titre ou produit émis. Le projet de prospectus d'émission est soumis pour visa au
conseil du marché financier. Celui-ci indique, le cas échéant les énonciations à modifier et les informations
complémentaires à ajouter. Il peut demander le cas échéant, toute explication et justification. Si la société ne
satisfait pas à la demande, le visa est refusé. De ce fait, le CMF bénéficie d’un mécanisme intéressant lui
permettant de bloquer une opération lorsqu’il n’est pas satisfait du niveau d’informations fourni par
l’émetteur2653. Ainsi, s’il s’agit d’une information préalable à une opération financière2654, le CMF pourra
empêcher la diffusion de l’information en refusant de viser le prospectus bloquant de la sorte l’opération
douteuse.
Pareillement, dans le cadre de l’information continue des épargnants, les sociétés faisant appel public à
l’épargne sont tenues de fournir au C.M.F et à la bourse des valeurs mobilières, tous renseignements et
documents nécessaires à la négociation ou à l’appréciation de leurs titres dans les conditions fixées par le
règlement général de la bourse. Toute explication supplémentaire peut faire l’objet aussi de publication à la
demande du C.M.F2655. Aussi, conformément aux dispositions de l’article 32 de la loi de 94 susvisée, le
conseil est chargé de contrôler les informations fournies ou publiées par les sociétés et organismes faisant
appel public à l’épargne. Cette transparence est contrôlée par le CMF à l’occasion de la diffusion de
l’information, de la délivrance de visas et du suivi des opérations de rachat des sociétés de leurs propres
actions. Le but étant de pousser les émetteurs à un maximum de transparence.

2650
BEN BECHER (H), Le juge pénal et l’intégrité du marché financier, colloque international : « la justice pénale, quelle évolution ? », organisé
à Jendouba- Tabarka, avec le soutien et la collaboration de la fondation Allemande Hanns Seidel, le 8, 9 et 10 mars 2007, p 172.
2651
PRADA (M), Entretien, L’économiste Maghrébin, N°472 21 mai- 4 juin 2007, p 26.
2652
Telle que modifiée par la loi n°99-92 du 17 août 1999 relative à la relance du marché financier, la loi n°2005-96 du 18 octobre 2005, relative
au renforcement de la sécurité des relations financières et la loi n° 2009-64 du 12 août 2009 portant promulgation du code de prestation des
services financiers aux non résidents.
2653
Mettre en vente des valeurs mobilières ou produits financiers de sociétés faisant appel public à l'épargne sans Visa du CMF est sanctionné par
l’article 82 de la loi du 14 novembre 1994 : « seront punis d'une amende de 500 à 2.000 dinars les présidents directeurs généraux, les directeurs
généraux, les administrateurs ainsi que les intermédiaires en bourse qui auront sciemment émis, proposé à la souscription ou mis en vente des
valeurs mobilières ou produits financiers de sociétés faisant appel public à l'épargne sans que la formalité prévue à l'article 2 de la présente loi ne
soit observée ».
2654
Par exemple une information préalable à l’émission de valeurs mobilières, à l’introduction en Bourse ou à une offre publique.
2655
V. alinéas 1 et 2 de l’article 4 de la loi n°94-117.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

546- Concernant les opérations de concentration, l’article 416 CSC dispose, en matière de fusion,
que « si l’une des sociétés qui fusionnent est une société faisant appel public à l’épargne, l’autorisation du
conseil du marché financier est nécessaire ». La dite autorisation est forcément préalable à l’opération, c'est-
à-dire que la société fusionnante doit obtenir l’autorisation du conseil avant d’entamer l’opération de fusion.
En outre, l’autorisation est nécessaire, c'est-à-dire obligatoire sinon l’opération sera entachée d’irrégularité2656.
Bizarrement, la même autorisation n’a pas été imposée en matière de scission. Cela n’empêche pas,
pour autant, de pouvoir avancer que si l’entreprise scindée est une société faisant appel public à l’épargne
l’autorisation du CMF demeure obligatoire conformément à l’article 429 CSC qui soumet l’opération de
scission au vote de l’AGE dans les mêmes conditions que la fusion. Il reste qu’une telle interprétation large de
l’article précité serait mal venue en cette matière spéciale qui impose une interprétation restrictive. Sans
oublier aussi que le vocable « conditions », utilisé par le dit-article, doit-être interprété dans le sens de
conditions de vote et de quorum.
Aussi, conformément au règlement du conseil du marché financier relatif à l’appel public à
l’épargne2657, lors d'opérations de fusion-absorption, de fusion-scission (création d'une troisième entité) ou
d'apports d'actifs, l'émetteur doit établir un prospectus en se conformant au schéma relatif aux titres concernés,
complété par une présentation de l'opération qui a donné lieu à l'émission ou l'admission des titres2658. Le
prospectus d'émission ou d'admission de titres émis en rémunération des opérations de fusion-absorption, de
fusion-scission ou d'apports d'actifs est publié et diffusé dans les mêmes conditions que celles relatives au
prospectus d'émission ou d'admission de valeurs mobilières ou produits financiers à la côte2659.
De cette façon là, le CMF pourra exercer son contrôle préventif avant la réalisation définitive des
procédés de concentration susmentionnés. Il pourra demander toute information complémentaire pour que le
contrôle exercé soit exhaustif.
De même, afin de prévenir de possibles opérations d'initiés, tout projet d'apports ou de fusion pouvant
avoir une incidence sur les cours de bourse doit être annoncé dès lors qu'il ne peut plus être gardé secret. Le
communiqué annonçant les modalités d'un projet doit clairement préciser que la réalisation de celui-ci est
subordonnée à l'approbation d'une assemblée générale extraordinaire2660.

Le CMF exerce aussi son contrôle, dans les groupes de sociétés, en matière de notification des
franchissements de seuils. En effet, toute personne physique ou morale, agissant seule ou de concert, qui vient
à détenir, directement ou indirectement, plus du vingtième, du dixième, du cinquième, du tiers, de la moitié ou
des deux tiers du capital d’une société faisant appel public à l’épargne, est tenue de déclarer le franchissement
d’un ou des seuils précités à cette société, au conseil du marché financier et à la bourse des valeurs mobilières
de Tunis. Cette déclaration doit se faire dans un délai de cinq jours ouvrables à compter de la date du
franchissement et ce, conformément aux conditions fixées par le règlement du conseil du marché financier2661.

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‫ و‬S0‫ وم ا‬# ‫ ا‬9 < 8G V 8 ! ‫ن‬SL ‫ ا‬A G ‫ ا‬N M + 9 a # ‫ ا‬k ‫* <" ذ‬+‫ ر‬K N V] ‫] ا ] ا‬$ ‫ أن‬C‫ذ‬ ‫لوا‬ ‫ و‬k D # $ ^ !4 ‫ و‬M+ 7 # ‫ا‬
‫رخ‬q ‫ ا‬29001 ‫ د‬N 8 # ‫ ا ار ا‬k ‫ ل ذ‬d .‫أي ا ّ م‬ / P F7 a G ‫ و‬K G ‫ وﺟ د آراء‬U ‫ رة ا‬O ‫ ا‬a $ M .20 ‫ د‬N " ‫ ا‬6‫ُ اﺟ‬+ ." L ‫ وم‬# ‫ا‬ ]$ M +
.247 ‫ ص‬،1989 ،1 ‫ د‬N ،.‫ ت‬.‫ م‬.‫ ن‬." ] ‫ ا‬k $ ‫ ل ون‬#/ ‫ة ا‬DG U $ +‫ ا ] ا دار‬U N ‫ھ‬ ّ a ‫ي ﺟ ء‬D ‫ ا‬1989/03/08 UG
V] + 9 8 ‫ د ا‬# ‫أن " ا‬
V. aussi CARBONNIER (J), Droit civil, T.4, Les obligations, 19ème éd, PUF, Paris 1995, p 156 – 158, n° 90.
2657
Tel qu’approuvé par le Collège du Conseil du Marché Financier en date du 02 mars 2000 , visé par Arrêté du Ministre des Finances en date du
17 novembre 2000 et modifié par les Arrêtés du Ministre des finances du 07 avril 2001, du 24 septembre 2005, du 12 juillet 2006 , du 17
septembre 2008 et du 16 octobre 2009.
2658
V. art. 87 du règlement.
2659
V. art. 88 du règlement.
2660
V. art. 89 du règlement.
2661
Les sanctions applicables en cas de manquement à l’obligation de déclaration sont extrêmement lourdes, privation du droit de vote, tant que la
situation n’a pas été régularisée. Selon l’article 15 de cette loi « A défaut d’avoir été régulièrement déclarées dans les conditions prévues aux
articles précédents, les valeurs mobilières détenues en franchissement de seuils sont privées du droit de vote pour toutes assembles d’actionnaires
qui se tiendraient dans les 3 années qui suivent la date de la régularisation effectuée spontanément par l’intéressé ou après avoir été contraint à le

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

La déclaration est également faite dans le même délai et aux mêmes organismes lorsque la participation au
capital ou bien le nombre des droits de vote devient inférieure aux seuils susmentionnés2662.
En vue de calculer les différents seuils de participation, dans les quinze jours qui suivent l’assemblée
générale, toute société doit informer ses actionnaires et le conseil du marché financier du nombre total de
droits de vote existant à la date de la tenue de cette assemblée2663. La personne tenue à la déclaration doit
indiquer, le nombre d’actions et de droits de vote qu’elle détenait directement ou indirectement avant le
franchissement des seuils visés ainsi que les actions et les droits de vote acquis en franchissement des seuils
de participation prévus par la loi2664.

Concernant les sociétés mères faisant appel public à l’épargne, celles-ci sont tenues, en plus, de
déposer ou adresser au CMF et à la BVMT dans un délai de quatre mois au plus tard de la clôture de
l’exercice comptable et quinze jours au moins avant la tenue de l’assemblé générale ordinaire, les documents
et les rapports prévus selon le cas par les articles 201 ou 235 du CSC et l’article 471 du même code relatif au
rapport de gestion du groupe. Ce rapport doit comporter les informations arrêtées par le règlement du
CMF2665, et particulièrement un exposé sur le résultat des activités, leur évolution prévisible, les changements
des méthodes d’élaboration et de présentation des états financiers ainsi que des éléments sur le contrôle
interne et le rapport du ou des commissaires aux comptes du groupe2666. Ces informations, qui seront
contrôlées vigoureusement par le CMF, doivent être fiables touchant à la fois la gestion quotidienne et les
orientations stratégiques de la société concernée2667.

Le conseil dispose également d’un pouvoir de contrôle de l’information financière à l’occasion


d’opérations d’émission de titres par la voie de l’appel public à l’épargne ou à l’occasion d’opérations d’offres
publiques ou de filialisation. Dans ce dernier cas, avant que le conseil ne publie l’avis d’ouverture de
l’offre2668, il doit procéder à un examen approfondi du projet présenté par l’initiateur de l’offre2669 et la note
d’information présentée par la société concernée qui doit indiquer sa situation financière, la répartition de son
actionnariat, l’avis motivé du conseil d’administration sur l’offre, l’existence éventuelle d’accord avec des
tiers, l’existence ou non d’un accord entre l’initiateur de l’offre et les dirigeants de la société visée.
Ainsi, le CMF exige que les déclarations et informations émanant aussi bien de l’initiateur de l’offre
publique que de la société cible soient soumises à son contrôle. Il s’agit d’un contrôle préventif qui fait du

faire par le conseil du marché financier suite à la constatation du franchissement susvisé. Et le conseil du marché financier prend la décision de
privation après audition de l’intéressé ».
2662
V. art. 8 (nouveau) de la loi du 14/novembre/1994 portant réorganisation du marché financier, V. aussi les articles 9 et 10 de la même loi. En
droit français V. art. 356-1 et s. de la loi du 24 juillet 1966.
2663
V. art. 11 de la loi précitée.
2664
V. art. 12 de la loi précitée.
2665
L’article 44 (nouveau) (ajouté par l’arrêté du ministre des finances du 17 septembre 2008) du règlement du CMF dispose que « le rapport
annuel sur la gestion des sociétés faisant appel public à l’épargne prévu à l’article 3 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994 portant
réorganisation du marché financier susvisée doit contenir les informations suivantes : - un exposé sur l’activité, la situation et les résultats de la
société ; - l’évolution de la société et de ses performances au cours des 5 dernières années ; - les indicateurs spécifiques par secteur tels à définir
par décision générale du Conseil du Marché Financier ; - les événements importants survenus entre la date de clôture de l’exercice et la date à
laquelle le rapport a été établi ; - l’évolution prévisible de la situation de la société et les perspectives d’avenir ; - les activités de la société en
matière de recherche et de développement ; - les changements des méthodes d’élaboration et de présentation des états financiers ; - l’activité des
sociétés dont elle assure le contrôle ; - les prises de participation ou les aliénations ; - les renseignements relatifs à la répartition du capital et des
droits de vote ; - l’information sur les conditions d’accès à l’assemblée générale ; - le rachat d'actions, nature et cadre légal de l’opération ; - les
règles applicables à la nomination et au remplacement des membres du Conseil d’administration ou du Conseil de surveillance ; - les principales
délégations en cours de validité accordées par l’assemblée générale aux organes d’administration et de direction ; - le rôle de chaque organe
d’administration et de direction ; - les comités spéciaux et le rôle de chaque comité ; - l’évolution des cours de bourse et des transactions depuis la
dernière assemblée générale ; - le déroulement des opérations de rachat et les effets que cette opération a engendrés ; - un bref rappel des
dispositions statutaires concernant l’affectation des résultats ; - le tableau d’évolution des capitaux propres ainsi que les dividendes versés au titre
des trois derniers exercices ; - le cas échéant, le rapport du comité permanent d’audit concernant, notamment, la proposition de nomination du
commissaire aux comptes ; - l’intéressement du personnel, la formation ou tout autre forme de développement du capital humain; - les éléments
sur le contrôle interne. Le rapport annuel sur la gestion de la société doit être établi selon le modèle présenté à l’annexe 12 du présent règlement.
La société peut insérer dans son rapport annuel d’autres rubriques spécifiques à son activité en plus de celles mentionnées ci-dessus ».
2666
L’art. 3 (nouveau ajouté par loi n°2005-96 du 18 octobre 2005, art.15) de la loi 14/11/1994 portant réorganisation de marché financier.
2667
Aussi, les sociétés doivent, dans les quatre jours ouvrables qui suivent la date de la tenue de l’assemblée ordinaire, déposer ou adresser au
conseil du marché financier et à la bourse de valeurs mobilières de Tunis, l’état d’évolutions des capitaux propres, la liste des actionnaires, la liste
des titulaires de certificats de droit de vote… L’art. 3 ter de la loi précitée.
2668
V. l’article 31 du règlement général de la bourse.
2669
Ce projet doit présenter l’objectif poursuit par l’initiateur, le nombre et la nature des titres de la société visée que l’initiateur détient déjà ou
tente de détenir. V. note sous C.A. Paris (13 nov 1996, Rev. Soc 1997, p 817) pour un éclairage sur la notion d’initiateur et sur la note
d’information.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

système tunisien l’un des systèmes interventionnistes qui soumettent l’information diffusée par les différents
intervenants sur le marché financier au contrôle préalable des autorités du marché et ce, contrairement aux
systèmes libéraux qui ne supposent aucune intervention de ces autorités préalablement à la diffusion
d’informations au public2670. Le contrôle préventif de l’information est remplacé, dans ce cas, par un contrôle
répressif de la pertinence ou de la légalité de l’information diffusée2671.
De surcroit, le CMF est tenu de vérifier d’une façon permanente que les publications prévues par les
dispositions législatives et réglementaires2672 sont-elles régulièrement effectuées. On rappelle, dans ce cadre,
la publicité des opérations de fusion qui se fait au JORT et celle des opérations de scission qui doit avoir lieu
au JORT et dans deux journaux quotidiens dont l’un est en langue arabe2673.

547- Manifestement, le CMF joue un rôle assez important dans la garantie de la transparence du
marché et par là même dans la prévention des abus liés aux procédés de concentration. Reste alors, à le doter
des moyens de ses ambitions.
Le premier avantage dont bénéficie le CMF est considérable : la quasi-totalité des informations
publiées par les sociétés faisant appel public à l’épargne lui sont communiquées : informations relatives aux
prospectus d’émission, informations relatives aux AGO, données relatives aux AGE, rapports des
commissaires aux comptes, états financiers annuels2674 …
Le CMF bénéficie aussi d’un champ d’action étendu. Il peut agir a priori, avant la diffusion
d’informations fausses ou trompeuses. Ainsi, dans plusieurs cas le CMF agit préventivement pour empêcher la
diffusion d’informations financières non-conformes à la réglementation2675. Il peut aussi agir a postériori afin
de châtier les atteintes à la transparence du marché financier2676.
Pour mener à bien sa mission, le conseil s’est vu doté d’un large pouvoir réglementaire, d’enquête,
d’injonction et même de sanction. Il jouit, d’abord, d’un pouvoir réglementaire qui consiste selon l’article 28

2670
TRIGUI (R), La transparence de l’offre publique d’achat et la protection des actionnaires de la cible, I.J., n° 86/87, Mars 2010, p 30 et s.
2671
Tel est le cas des systèmes américain et anglais. V. LEKKAS (G), L’harmonisation du droit des offres publiques et la protection de
l’investisseur, LGDJ, 2001, p 191et s.
2672
V. les arts. 3 bis, 3 quater, alinéa 2 de l’article 21, alinéa 2 et 3 de l’article 21 bis, V. aussi art. 51 nouveau de la loi n° 2005- 96.
‫ه‬D‫ وان ھ‬# ‫ ا‬C 3 ‫ ا‬8G ‫ ھ‬g # ‫ ا‬C 3 ‫ اد ج ا‬f dُ$ ‫ ﺟ ! ت‬g ‫ ا< و‬N 8G f d $ ‫ ات‬+q ‫ ا‬M ‫ ﺟ‬f 7 k ‫ ت ذ‬p ‫ و‬8N‫ ر ا ا‬# K # ‫ ا‬f !ّ $ " 2673
‫ وط ا اردة‬3 ‫ ا‬VC K G ‫ ت‬G $ ‫ ا اذا‬p‫و‬ 0 ‫ ن‬$ +‫ ت ا ر‬C 3 !4 < ‫ ا د ج وا‬N ‫ م أن‬# ‫ ا‬M ‫ و‬.8N‫ ع ا ا‬g ‫ ر‬# ‫ا < ة‬ ‫ ا‬8‫ ھ‬f 0‫ة ا‬ ‫ا‬
‫ا ار‬ a ‫ وھ اھ ت إ‬# ‫ ا‬k $ ‫ ع‬7‫ و‬U N 7 <‫ م‬$ ‫ ع‬g ‫ا‬ ‫ى‬ # ‫ا‬M ‫ " ا‬p ‫ ﺟ ءت ا‬k D ‫ و‬+‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬ M ‫ ه‬# ‫ و‬411 V]/
F7 ‫ ور ا< م‬0 ‫ أو‬# ‫ ا‬C 3 ‫ ا‬8G K‫ أو ا ﺟ‬K < 8F $ ‫ ھ‬g I # ‫ ا‬C 3 ‫ دة‬# 7‫ ر‬P ‫ أو ا‬+‫ د‬# ‫ ا‬# ‫ ا ! ا‬MN ‫ ارات‬7 ‫ ور‬0 /ُ+ ‫ء‬8O a ‫ ت ا‬N‫ ا‬4N 4 ‫ا‬
M G L ‫ ا‬M UF ُ ‫ وا‬1995/6/6 8G ‫رخ‬q ‫ ا < ا‬N ‫ أن‬C < ‫ ا د ج وا‬N ‫ ت‬p 8/ $ # ‫ ا‬a f !ّ $ d ‫ اع و< ھ‬+ ‫ ر وا‬KO ‫ أن ا م ﺟ اءات ا‬k ‫ ا ^ ض ذ‬8G
C 3 ‫ ا‬Vّ < U N m ]4$ ‫ اي‬M F + 9 ‫ ھ‬g I # ‫ ادارة ا‬H F ‫ أن‬U ‫ ا‬G g‫ ر ا‬# ‫ ا‬8G ‫ ا ] ف‬8G # ‫ ا‬/0 ‫ ت‬p I ‫ ا‬k ‫] ذ‬+ k D ‫ و‬# ‫ ا< ا‬M F +
K ] ‫ ر‬N 8G ‫ ا ] ف‬8G K /0 f d$ 9 4N L ‫ ح إن ا‬g‫ و‬V f4 ‫و‬ 7‫ و‬#7‫وا‬ A U ‫ ا‬fK ‫ ا‬7 4 ‫ا ار ا‬ ‫ ن‬G C‫ ذ‬U N ‫ ء‬4 ‫ و‬. # ‫ ا‬C 3 K‫واد ﺟ‬
‫ _رخ‬30474-2008 ‫(د‬3 "( 61@7; ‫ ار‬." ‫ ا ن‬+ M ‫ و‬K4 l+ !$ 7SN ‫ م‬7 /+ ‫ م وﺟ د‬# ‫ ه‬+q+ ‫ ا‬7 G ‫ ن‬C ‫ ر‬# V^ ! ‫ ا ري ا‬V0S K K‫ أن ا< ﺟ‬C
.17 ‫ ص‬،2009 ‫ رس‬،65/64 ‫ د‬N ، ‫را‬ ‫ ا‬.2008-11-13
2674
Ainsi, aux termes des articles 3, 3 bis, 3 ter, 3quater, 3 quinter, 3 sexis et 4 de la loi du 14 novembre 1994, tels que modifiés et insérés par la loi
n°2005-96 du 18 octobre 2005, les sociétés faisant appel public à l’épargne doivent transmettre les informations dont elles sont débitrices au CMF :
- L’information préalable à l’AGO doit être communiquée au CMF 15 jours de Bourse avant la tenue de l’AGO. L’information qui y est
postérieure, doit quant à elle lui être communiquée au plus tard 4 jours ouvrables après la tenue de l’AGO. - L’information préalable à l’AGE doit
être communiquée au CMF à partir de la date de convocation de l’AGE. L’information qui y est postérieure doit lui être communiquée dès son
adoption. - Les états financiers provisoires des sociétés cotées doivent être communiqués au CMF un mois après la fin de chaque semestre couru de
l’exercice. - L’information préalable à l’émission de valeurs mobilières, à l’introduction en Bourse ou à une offre publique, doit être communiquée
au CMF avant sa diffusion dans le public. - L’information lors des franchissements des seuils de participation doit lui être communiquée dans les
15 jours à compter du franchissement du seuil. - L’information permanente doit lui être communiquée avant sa diffusion dans le public.
2675
Une étude (Etude de diagnostic et de recommandation pour le développement des marchés de capitaux en Tunisie, mai 2002 disponible sur le
site : www.cmf.org.tn) commandée par le CMF suite à une initiative conjointe avec la Banque Mondiale et financée par un don du Gouvernement
Japonais dans le cadre des études liées aux réformes du secteur financier, est édifiante. En effet, la pratique boursière montre non seulement que
l’information financière annuelle se limite à la production des comptes annuels avec des commentaires minimums, alors que son contenu a été
précisé dans les articles 3 de loi 94-117 et 42 du règlement du CMF relatif à l’appel public à l’épargne. La plupart des sociétés ne satisfaisant pas à
l’ensemble de leurs obligations. Mais aussi, beaucoup de sociétés publient leur information annuelle en retard. A la lecture des différents rapports
annuels du CMF, on s’aperçoit que le CMF fait l’éloge de « l’ancrage de plus en plus profond de la culture de la transparence dans l’esprit d’une
grande partie des dirigeants des sociétés faisant appel public à l’épargne, surtout celles admises à la cote, dont la plupart, ont pris conscience de
leur responsabilité à l’égard du marché » (V. Rapport annuel du CMF 2006, p41) . Pourtant cette année là, 33,33% des sociétés admises à la côte
n’ont pas respecté le délai de dépôt auprès du CMF des documents approuvés par les AGO tenues en 2006. En ce qui concerne les états financiers
intermédiaires en juin 2006, 27,66 % des sociétés admises à la côte de la bourse ne respectaient pas le délai de dépôt auprès du CMF des états
financiers intermédiaires tels qu'arrêtés au 30 juin 2006.Pour la même année, Le degré de respect du délai légal des déclarations de franchissement
de seuils de participation était de 4,44% pour les personnes physiques et 31,11% pour les personnes morales. De même, en 2006 l’examen de la
conformité aux exigences réglementaires du contenu des rapports d’activités des sociétés qu’elles soient admises à la côte ou non admises, montre
que les sociétés faisant appel public à l’épargne sont encore loin de satisfaire à leurs obligations légales en la matière. Voilà, le constat est là, un
nombre encore trop important d’émetteurs ne se conforme pas aux exigences légales en matière d’information financière. Un nombre trop
important de sociétés faisant appel public prive les investisseurs d’informations sur la situation réelle de l’entreprise.
2676
V. infra n° 762 et s.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

de la loi n° 94-117 à édicter un certain nombre de règlements, dont les mesures d’applications sont fixées par
des décisions générales2677. Il prend également des décisions individuelles. Le C.M.F dispose ensuite d’un
pouvoir d’enquête2678 dans le cas où il constate une irrégularité ou une infraction lors de l’exécution de ses
missions ou même suite à une demande ou à une plainte formulée par un actionnaire. Les enquêteurs du
C.M.F peuvent se faire communiquer toutes les pièces qu’ils estiment utiles à l’accomplissement de leur
mission2679. Ils peuvent aussi visiter les locaux à usage professionnel2680, convoquer et entendre toute
personne susceptible de leur fournir des informations2681. Le conseil a été doté également du pouvoir de mener
des investigations auprès de toute personne physique ou morale. Une faculté que lui attribue la loi du 14
novembre 1994 dans son article 36. Ces investigations sont effectuées par des agents assermentés et habilités à
cet effet. Ce pouvoir d’investigation a été renforcé par l’article 30 de la loi n°2005-96 du 18 octobre 2005
dans la mesure où le secret professionnel ne peut plus être opposé aux agents du CMF dans le cadre des
investigations menées en bonne et due forme.
Ce renforcement du rôle du conseil est justifié par le besoin accru des épargnants d’être informés,
avant et après la souscription de leurs titres, sur la situation sociale et l’évolution de son activité.
Enfin, un pouvoir de sanction2682 est reconnu au profit du C.M.F en cas de méconnaissance de ses
règlements, surtout en cas d’abus2683.

548- Malgré l’importance du rôle dévolu au CMF, la question qui demeure posée est de savoir si son
intervention est vraiment suffisante pour assurer la transparence requise en matière d’information, ou a-ton
besoin, en plus, de l’aide des autorités judiciaires, notamment celle du juge des référés ?
Traduisant les nouvelles tendances juridiques mondiales en matière de droit des sociétés, le code des
sociétés commerciales s’est remarquablement intéressé à l’intervention du juge des référés dans la vie de la
société. « Le législateur lui a réservé un domaine d’intervention assez vaste puisque les cas d’intervention se
sont élevés à quarante cas après avoir été huit dans le code de commerce »2684. Le juge des référés a, ainsi, pu
acquérir un nouveau champ d’action commercial qui vient s’ajouter à ses œuvres classiques effectuées sur la
base d’un texte général qu’est l’article 201 CPCC2685. Ce juge est devenu alors l’acteur principal d’une culture
juridique basée sur le rapport dialectique entre la réalité économique et les valeurs juridiques2686. Mais quelle
que soit l’importance de son intervention au niveau de la société commerciale, son rôle devrait être amorcé et
promu davantage, surtout au sein des procédés de concentration des sociétés.

-§4- Pour une consolidation du rôle préventif du juge des référés


dans les procédés de concentration
549- Si le contrôle juridictionnel n’est qu’éventuel et exceptionnel, car les tribunaux n’ont pas « à
influencer la gestion d’un patrimoine privé qui demeure la chose des associés »2687, il est à préciser
aujourd’hui que la société n’est plus conçue seulement comme un contrat, elle n’est plus l’affaire des associés

2677
Les règlements du C.M.F doivent se rattacher aussi bien à l’organisation du fonctionnement de marchés placés sous son autorité qu’aux
pratiques professionnelles destinées aux personnes faisant A.P.E, aux intermédiaires en bourse, aux personnes qui assurent la gestion individuelle
ou collective de portefeuilles de titres ou de produits financiers et enfin, aux sociétés de dépôt, de compensation et de règlement de titres. V. Article 29
de la loi 94-117.
2678
L’article 36, 34, alinéa 1, 3 et 8 de l’article 37 de la loi n°94-117, V. aussi BEN FARHAT (S), Le marché financier en Tunisie, Artypo, Tunis
1996, p 27 et s.
2679
L’article 37 de la loi n° 94-117, énumère d’une façon précise les documents pouvant faire l’objet de l’enquête contrairement au droit Français
qui indique dans l’article 5 de l’ordonnance de 28 septembre 1967 l’expression « les nécessités de l’enquête » sans préciser son contenu.
2680
V. art. 37-1 de la loi n° 94-117.
2681
V. art. 37-6 de la loi n° 94-117.
2682
V. l’alinéa 1 et 2 de l’article 42 de la loi n° 94-117, ces sanctions sont l’avertissement, le blâme, l’interdiction à titre temporaire ou définitif de
tout ou partie de son activité et le cas échéant le retrait d’agrément. A titre d’illustration voir Rapport C.M.F, 2005 p 55. www.cmf.org.tn./ rap-
ann05-fr-pdf.
2683
Le CMF peut prononcer des sanctions à l’égard des auteurs des pratiques illicites visées à l’article 40 de la loi de 1994 qui sont de nature à
compromettre les intérêts des éventuels actionnaires.
2684
AYARI (K), Le juge des référés et les sociétés commerciales, colloque sur le C.S.C suite aux modifications de 2005, organisé par le centre
d’études juridiques et judiciaires les 3 et 4 fev 2006, Tunis 2006 p 73.
2685
AYARI (K), Le gouvernement d’entreprise en droit tunisien, I.J., n°64/65, Mars 2009, p 20.
2686
BURGELIN (J-M), COULON (J-M) et FRISON-ROCHE (M-A), Le juge des référés au regard des principes procéduraux, D, 1995, Chr., p
67.
2687
KOLSI (S), Essai sur l’intervention du juge dans la vie des sociétés, R.T.D, 2003, p 137.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

uniquement, c’est ce qui justifie le recours augmenté au juge des référés2688, notamment pour assurer le droit à
l’information des associés, surtout lors de la mise en place d’une opération de concentration.

550- Aussi importante qu’elle puisse être, la reconnaissance législative du droit à l’information
semble malheureusement insuffisante sur deux plans.
Primo, si on veut assurer à l’associé une information efficace, le droit à l’information légalement
reconnu doit être assorti d’une garantie judiciaire. Il est, en effet, pratique de permettre à l’associé de recourir
au juge des référés lorsque les dirigeants s’abstiennent de lui communiquer les documents nécessaires à son
information. Toutefois, et malgré le mérite du recours judiciaire à ce sujet, seul l’article 284 C.S.C permet à
l’actionnaire de saisir le juge des référés « si la société refuse la communication de la totalité ou d’une partie
des documents sociaux ». L’article 418, propre à la fusion, et son homologue 472 C.S.C., applicable à la
société mère, n’admettent malheureusement pas2689 ce même recours judiciaire pour optimiser et protéger le
droit à l’information relatif aux procédés de concentration des sociétés. Si, par exemple, un actionnaire n’a pas
bénéficié du droit à l’information consacré par l’article 418 en matière de fusion, ce dernier n’a de recours au
juge des référés que sur la base de l’article 201 C.P.C.C. pourvu qu’il en remplisse les conditions2690, ce qui
n’est pas à la portée de tous2691. Comment prouver, en effet, l’état d’urgence sociale s’il n’est question que de
la violation du droit à l’information d’un minoritaire ? Bien évidement, prévoir le même recours, institué par
l’article 284 C.S.C., pour le droit à l’information dans les opérations de fusion, scission et groupe de sociétés
est fortement sollicité. Hélas, le législateur ne semble pas en être convaincu puisqu’il ne s’est nullement
intéressé à cette question lors des différentes réformes de la législation des sociétés commerciales.
Dans ces conditions, bien qu’il soit accentué au sein du code des sociétés commerciales2692, le recours
au juge des référés semble malheureusement assez limité concernant le droit à l’information dans les procédés
de concentration. Ce droit doit-être nécessairement assorti d’une garantie judiciaire afin d’assurer à l’associé
une information rapide et efficace. On propose alors l’ajout d’un texte général, aux dispositions communes du
code, qui consacrera le recours au juge des référés pour protéger le droit à l’information des associés dans tous
types de sociétés et dans les différents procédés de concentration. Il pourrait s’agir d’un article 11 ter C.S.C.
qui serait formulé de la façon suivante « le droit à l’information de l’associé est un droit fondamental qui ne
peut être réduit par les statuts. Si la société refuse la communication des documents informatifs prescrits par
la loi, tout associé a le droit de saisir, à cet effet, le juge des référés ».
Secundo, il faut observer qu’à présent la protection judiciaire est d’autant plus limitée qu’elle semble
manquer d’efficacité. En effet, l’exécution de l’ordonnance rendue par le juge des référés au profit de
l’associé privé de son droit à l’information, qu’elle soit sur la base de l’article 284 C.S.C ou 201 C.P.C.C.,
demeure douteuse. En fait, la société peut continuer à refuser de communiquer à l’associé les documents
sociaux objet de l’ordonnance en référé sans que le juge ne puisse la contraindre matériellement à s’incliner à
sa décision judiciaire. L’exécution forcée de l’ordonnance n’est donc pas toujours possible car, si on peut
demander aux officiers de la force publique de prêter main-forte en vue d’obtenir les informations à supports
matériels, il n’en est pas ainsi pour les documents informatisés qui ne sont souvent accessibles qu’à l’aide
d’un mot de passe connu exclusivement par certains responsables de la société. De surcroît, même si la société
décide d’exécuter l’ordonnance de référé, elle peut le faire de façon tardive alors que souvent une information
perd de sa valeur parce qu’elle n’est pas communiquée à temps. Quelle serait l’importance des états financiers

‫ ة‬CD ، +‫ر‬ ‫ت ا‬C 3‫ا‬ A 8G 8g ‫ ا‬V $ ،‫ ن‬3 , ( ‫ " ر ا‬.1998 ‫ ـ‬1997 ، ‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ج ا‬P$ ‫ ة‬CD ، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ا‬A‫ و‬8 # A ‫ ا‬8g ‫ ا‬،r1J2 ( - 2688
.20 ‫ ص‬،2008 ‫ ﺟ ان‬،49/48 ‫ د‬N ، ‫را‬ ‫ ا‬،V # ! ‫ ء ا‬F ‫ ن ا‬C‫ أر‬،‫ ل‬23( ‫ دي ا‬E ‫ ( ا‬- .2001 ‫ ـ‬2000 ، ‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ج ا‬P$
2689
Il en est de même des articles 128, 280, 282 et 286 C.S.C.
2690
Faut-il alors rappeler que l’intervention du juge des référés repose sur deux conditions. La première est positive, elle se rattache à l’urgence ; la
deuxième est négative, celle de ne pas préjudicier au principal. Or, la lecture des différents textes législatifs ne permet de donner aucune définition
précise de la notion d’urgence. Cet état des choses a engendré des divergences doctrinales sur la délimitation des contours de ce concept. A ceci
s’ajoute l’attitude hésitante et ambiguë des décisions jurisprudentielles. D’ailleurs, la cour d’appel de Tunis a laissé au juge le pouvoir
discrétionnaire pour définir la notion d’urgence en présentant le critère de la situation dangereuse. La cour affirme que « la désignation en référé
n’est permise que si l’urgence et le danger entourant les organes de la société les paralysent à tel point qu’ils ne peuvent assurer leurs fonctions
habituelles » (C.A de Tunis, arrêt n°80764, 26 oct 1988, R.T.D, 1990 p 420). La seconde restriction imposée par l’article 201 du C.P.C.C consiste
à ne pas préjudicier au principal, ce qui signifie que le juge des référés doit porter un jugement qui se réfère à la légalité de la décision prise. Il ne
peut, en effet, apprécier son opportunité. V. COSSA (A), l’urgence en matière de référé, Gaz. Pal, 1955, doct, p 45.
.2002 V+ G‫ ا‬4 ،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬،8 # A ‫ ء ا‬F ‫ < ل ا‬U ،8 # A ‫ ء ا‬F ‫ ا‬8G V0 ‫ م ا ! س‬N ‫ م‬K/ ، S ‫ و‬6! ‫ ( ا‬-
N A M 8 # A ‫ ء ا‬F ‫ ا‬.1992 G 28 ،H ‫ ف‬4@ A ‫ا‬ ‫ ء و‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬،8 # A ‫ ء ا‬F ‫ ا‬U ،8! ‫ ا ن ا‬8G 8 # A ‫ ء ا‬F ‫ ا‬، S2 ‫ ( ا‬- 2691
.1992 G 28 ،H ‫ ف‬4@ A ‫ا‬ ‫ ء و‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬،8 # A ‫ ء ا‬F ‫ ا‬U ،8 A ‫ ء ا‬F ‫ ا‬، 2 ‫ ا‬#1P ‫ ا‬.32‫ ص‬،7 ‫ د‬N ،1991 ‫ ق ت‬،‫ ت‬F ‫ ا‬G $‫ و‬V]/ ‫ا‬
.7 ‫ ص‬،1989 ‫ ق ت ﺟ ان‬،‫ ف‬4@ A ‫ا‬ ‫ ا م‬8 # A ‫ ء ا‬F ‫ ا‬، CE ‫( ﷲ ا‬63
2692
V. à titre limitatif les articles 36, 40, 43, 44, 46, 98, 108, 127, 134, 137, 139, 154, 195, 261, 264, 284, 290, 290 bis, 321 et 405 CSC.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

consolidés ou du rapport de gestion du groupe, par exemple, s’ils sont mis à la disposition de l’associé après la
tenue de l’assemblée générale ? Il s’avère, par conséquent, que la protection judiciaire du droit à l’information
est parfois illusoire, voire chimérique2693.
Afin de redonner à cette protection toute son efficacité, il faudrait ajouter un deuxième alinéa à
l’article 11 ter sus-proposé qui serait formulé de la façon suivante : « si la société continue à refuser de
communiquer les documents sollicités après l’intervention du juge, elle devra payer au requérant une somme
d’argent comprise entre 100 et 10.000 dinars pour chaque jour de retard ».
A défaut d’un tel ajout légal, la solution serait alors de demander au juge des référés d’accompagner
son jugement d’une astreinte2694 pour assurer l'exécution de sa décision.
551- En permettant ainsi au juge des référés de s’immiscer dans la gestion de la société et de
condamner une décision de refus illégitime, on réussit à vaincre la réticence et la carence des organes sociaux
notamment les dirigeants qui refusent de communiquer aux associés certains documents informatifs2695.
Certes, ces organes sociaux sont tenus à la discrétion des données confidentielles, mais il ne faut pas oublier
que le juge est en mesure de les obliger à divulguer toute information qui n’est pas secrète et de veiller ainsi à
une information aussi complète que possible des associés étant donné que l’insuffisance de l’information
réduit certainement l’efficacité du contrôle exercé2696 et augmente par conséquent les possibilités de
commission des abus.
L’intervention des autorités judiciaires se présente alors comme un moyen efficace pour préserver
l’intérêt de l’associé et l’épargnant en général. D’ailleurs durant l’année 2004, le juge des référés s’est
prononcé sur trois affaires2697 soulevées par le C.M.F pour demander à des sociétés mères faisant appel public
à l’épargne, qui ont violé les dispositions législatives en vigueur, de publier leurs états financiers consolidés
accompagnés des avis complets de leurs commissaires aux comptes2698. Une copie de ces documents doit être
déposée au C.M.F et à la B.V.M.T afin d’assurer la diffusion d’une information complète et sincère.
Il reste à remarquer, que le recours au juge des référés, qu’il soit entrepris par l’associé ou par le
C.M.F, ne peut avoir lieu qu’avec une demande motivée présentée par la partie lésée qui doit faire preuve d’un
intérêt sérieux et légitime pour que le juge donne droit à sa requête. Il appartient alors au juge d’apprécier
l’existence ou l’absence de l’intérêt mis en cause. La pratique a prouvé que le juge invoque souvent l’intérêt
social et celui des associés pour justifier son intervention2699.
552- Aussi, faudra-t-il se demander si l’associé, d’une société quelconque du groupe, peut recourir à
la justice en référé pour demander la désignation d’un administrateur provisoire qui sera, le cas échéant,
chargé d’administrer la société mère, plusieurs sociétés du groupe ou toutes les sociétés appartenant au
groupe et ce, suite à une mauvaise gestion émanant des dirigeants de la mère et pour éviter la commission
d’abus dans les sociétés dépendantes ?
Si l’administration provisoire est largement admise en jurisprudence2700 et doctrine tunisienne2701, en
matière de sociétés isolées, sur la base des articles 201 CPCC et 2 de la loi n°71-1997 du 11 novembre 1997

2693
AYARI (K), op.cit., p 137 et s.
2694
V. infra., n° 722.
2695
KOLSI (S), art. pré., p 144.
2696
AYARI (K), Le juge des référés et les sociétés commerciales, art. pré. p 73.
2697
T.P.I. Tunis, rendus en référé. V. les annexes.
2698
L’arrêt n°15847 du 6 fev 2004 dispose que :
a F 7‫ ا‬/ C ‫ ا ! ت‬I7‫ ار ا‬7 3 I‫ و إ أوﺟ‬mP ‫د‬ 8G 34 " # ‫ﺟ اء ا‬J‫ ] ا‬+ 9 1994 4! 117 ‫ د‬N ‫ ا ن‬M 3 V]/ ‫|ن ا‬G L ‫ ا‬a ‫ إ‬f ‫ذھ‬ GS "
." 7‫ وا ] ا‬G /3 ‫ إط ر ا‬8G ‫ رج‬4+ ‫ ا ط اف‬6 ‫ ﺟ‬M V # ‫ م ا‬# ‫ وا‬M+ ‫ع ا‬S‫ ف إط‬K k ‫< ت وذ‬S ‫ ا< ازات و‬M a4 F$ ‫ت أي‬.‫ش‬.‫ م‬269 V]/ ‫أ< م ا‬
2699
V. jugement de la 4è ch. Com. du TPI Tunis n°13216 du 13 mars 2004. V. les annexes.
k ‫ إ أن ذ‬K C ‫ إط ر ھ‬8G ‫ھ‬DP $ 8 ‫ ا‬K$‫را‬ ‫ ل‬L ‫ إ‬K ‫ ] دي و ل‬7‫ دور ا‬M K 9A ‫ ا‬/ K4 0 ‫ ت و‬C 3 ‫! ا‬$ 7‫ا‬ #A‫ وا‬L A ‫ ا‬ULN‫ ع وإن أ‬3 ‫" إن ا‬
." M ‫ وا ! ھ‬C 3 ‫ ] ا‬M H + 8A A ‫ ا‬K 7 I $‫ ا‬$‫و‬ ‫ ا‬N‫ ق ا ا‬P ‫ وط‬3
‫ را‬N‫ا‬ ‫ ى ا‬$ ` <‫ " و‬: 8 + 2007/7/9 ` ‫ر‬ 2963/2956 ‫(د‬3 %-; 1 !A ‫ ف‬AZ D ‫ ا‬$- ,3 ‫ ا ّ در‬S7 D ‫ ا‬AZ D ‫ @ ار ا‬،‫ا ا ط ر‬D‫ ھ‬8G ،‫ < ` ﺟ ء‬2700
V 3 K ‫و‬qO ‫ م إدارة‬N LP ‫ر‬D4$ f g‫ أ‬C 3 ‫ ا‬#g‫ن و‬ 4 ‫ّ ة‬G V # ! ‫ ء ا‬F ‫ن وا‬ ‫ ى ا‬N‫ وط د‬O G C ‫ ان‬K ‫ ض إ‬# ‫ا ! " ا‬ ‫ وا‬#7‫ ا ا‬0 4#
‡ 4$ ‫ ب‬A ‫ و‬C[ ‫ ا‬6 ‫ ى ط‬N ‫ ا‬U N 8/F+ ‫ ء وھ‬C 3 ‫ و ا‬C 3 ‫ " ] ا‬+‫ و‬K G h P $ 8 ‫ا ﺟ ا‬ ‫ ا‬#g ‫ ا‬M ‫ وج‬P ‫ ا‬U N ‫ ھ‬N !+‫ دي و‬# ‫ ھ ا‬A M F+ ‫ي‬D ‫ا‬
MG L‫ ا‬M ‫ ا‬0 ‫ ت ا‬N‫'ا‬4 ‫ ا‬9! ُ$ d+‫ ر‬C 3 ‫ون ا‬qO ‫ ادارة‬U N 7q ‫ اف‬OJ iّ ُ+ M $q M #$ ‫ ر‬+ ‫ي‬D ‫ا‬ ‫ ا‬#g ‫ ا‬k $ MN ‫دارة‬J‫ ا‬H ‫ ء‬FN‫و أ‬q! +
8G C ،‫ ء‬C 3 ‫ ا‬M ‫ف‬S ‫ < ث‬U ": 8 + a$ d ‫ اذ ﺟ ء‬.1981 ،‫ م ق ت‬،1980/1/17 ‫ ا _رخ‬2289 ‫(د‬3 61@7 ‫ ا @ ار ا‬F+‫ أ‬6‫ُ اﺟ‬+ . "<S ‫ ا‬6‫ُ اﺟ‬+ ." F7 ‫ او‬g‫ر‬
‫ ا ة‬U ‫ ا‬4 !+ ‫ ل ا دارة ون ر‬N # ‫ ا ! ا‬a$ ‫ اﺟ‬K4N ‫ول‬q! ‫ ا‬+ ‫ل ا‬S ‫ ﺟ اء ا‬M # ‫ ء‬C 3 ‫ و ا‬+ ‫ ا‬C 3 ‫ ار ] ا‬g ‫ ا‬U ‫ ا‬8F/ُ+ 7 ،‫ رة ا ل‬0
U N 8 7‫ و‬M $q M # C ‫ ا‬8GS p ‫ و ودة ا‬7q ^ 0 ‫ ذ اﺟ اءات ذات‬P$ k ‫ وذ‬8OS ‫ دة‬K ‫ ا ق ا‬0 U N K! ‫ ا وف ا‬9 ‫ ء‬F ‫ ا‬I‫ واﺟ‬M ‫ ن‬+ ‫ا ھ ة‬
‫ ء‬C 3 ‫ ا‬6 ‫ ] ﺟ‬K N G ‫ ھ ا‬a4 + ^ ‫ ّ وا ا‬K G V]/ ‫ ا ق وا‬V0 ‫ ا ! س‬a [O M H ‫ وھ اﺟ اء‬4 # ‫ ھ ة‬A 9 4$‫ ا دارة و‬U N a K ] $ C 3 ‫ا‬
‫ وﺟ د ھ @ ت‬K L#+ M $q I] ‫ ى‬N‫أن " د‬ ّ 1996/01/16 = ‫ ا _رخ‬51214 ‫(د‬3 "( ‫ ا‬61@7 ‫ @ ار ا‬F+‫ و < ` ورد أ‬." ‫ ع‬g ‫ ﺟ ھ ا‬8G f ‫ ا‬6 + ‫ ان‬U ‫ ا‬K!/ C 3 ‫وا‬
M C 3 ‫ ا‬VC ‫ ھ‬64 + M $q ‫ ا‬I] ‫ أن‬U ‫ إ‬G gJ ‫ا‬D‫ ھ‬. K4 9K < U N 8A A ‫ ا ن ا‬8G U < ‫ ق‬/$J‫ ز ا‬+ ‫ ء‬C 3 ‫ ا‬+ 8G + 7 ‫ رھ آداة‬N| ‫ وض‬/ ‫دارة و ھ @ ت ا‬J‫ا‬
." K 7‫ ا‬N 8GS$ ‫ر‬D# + ‫ أو‬97 / $ 8 ‫ ط ا‬P ‫ ا‬M C 3 ‫ ] ا‬+ 7‫ و‬A‫ ھ و‬8 # ‫ ن ا‬J‫ ن ا‬C 3 ‫ ا‬A ‫ دة‬# A‫ ء وإ‬L ‫ا‬ ] S ‫ ذ ا ارات ا‬P$‫ﺟ ع وإ‬J‫ا‬

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

relative aux liquidateurs, séquestres, syndic et administrateurs judiciaires, cette éventualité semble
juridiquement impossible en matière de groupe de sociétés en dehors d’un texte expresse l’autorisant et ce, à
cause de l’indépendance juridique qui caractérise les sociétés groupées.
En droit français, par contre, l’actionnaire minoritaire d’une société mère a été déclaré recevable à
demander la désignation d’un administrateur provisoire pour l’ensemble du groupe dont sa société faisait
partie2702. Ainsi, si l’objectif est d’assurer l’intervention de l’administrateur provisoire de manière à garantir et
préserver l’intérêt social, il est nécessaire de lui donner les moyens nécessaires à en avoir une vision correcte.
Cet intérêt, en matière de groupe de sociétés, ne saurait se borner aux frontières de l’une des sociétés dudit
groupe. Aussi, au-delà de la simple appréciation de l’intérêt social par l’administrateur, cet arrêt est aussi
révélateur, en ce qu’il autoriserait un actionnaire non associé dans les autres sociétés du groupe, que l’on
qualifierait d’actionnaire indirect, à demander la désignation d’un administrateur provisoire dans une société
dans laquelle il n’a pas d’intérêt direct. En réalité, cet associé n’est guère plus qu’un tiers pour cette société. Il
s’avère, qu’encore une fois, c’est l’intérêt social ou l’intérêt commun du groupe qui vient légitimer une telle
extension de la recevabilité à agir, assez étonnante dans une matière qui touche au contrat. L’intérêt légitime
permet donc, dans cette situation, de rationaliser l’intervention des auxiliaires de justice dans des situations où
il ne saurait être déterminé qu’au regard d’une politique d’ensemble ; l’intérêt du groupe étant de nature à
transcender l’intérêt des seules sociétés membres2703.
Cet arrêt est une nouvelle fois révélateur de la volonté des magistrats français de prendre en compte la
réalité économique du groupe de sociétés dans leurs solutions. On ne peut alors qu’espérer une intervention
législative tunisienne en ce sens !
553- Certes l’intervention du juge et des autorités administratives externes est d’une aide
considérable en matière de prévention des abus ; néanmoins une mise à niveau institutionnelle est aussi de
mise afin de perfectionner cet effort préventif. Il faudra donc adjoindre aux organes orthodoxes du contrôle,
de nouveaux organes, à même de perfectionner le régime actuel de la prévention des abus dans les procédés de
concentration.

Section Deuxième : L’unification par l’institution de


nouveaux organes de prévention de l’abus

554- Il est question, dans le cadre de cette section, de recommander l’ajout d’autres organes de
contrôle intérieurs à la structure sociétaire (Sous-section première). De même, l’instauration de nouveaux
organes extérieurs serait la bienvenue pour améliorer le dispositif préventif actuel, nécessaire pour prévenir les
abus préjudiciables aux procédés de concentration et permettre la mise en place du socle indispensable à
l’édification d’une théorie générale en ce domaine (Sous-section deuxième).

8G M G L ‫ اك ا‬O‫ ا‬f p ‫ " ط‬aّ ‫ أ‬2003/09/19 = ‫ _رخ‬26170 ‫(د‬3 "( ‫ ا‬61@7 ‫@ ار ا‬ k DC ‫ و < ` ورد‬.82 ‫ ص‬،1996 4A ،1 ‫ د‬N I # ‫ا‬ + 3 6‫ُ اﺟ‬+
+ 3 6‫ُ اﺟ‬+ ." 9K4 ‫'اع‬4 ‫ ا‬9! ُ+ d+‫ ء ر‬C 3 ‫ ا‬MN S ! 4 C ‫ رھ‬N C 3 ‫ ا‬U N tG +‫ر‬ ]$ 8 N M $q !$ ‫ ن‬G K4 ‫ــــــ و <] ل 'اع ﺟ ي‬C 3 ‫راس ل ا‬
.336 ‫ ص‬،2003 4A 1 ‫ د‬N I # ‫ا‬
2701
BEN NASR (T), La mise d’un établissement bancaire sous administration provisoire : le cas de la banque Zitouna, I. J., n° 108/109, Mars
2011, p 18 ; (même auteur), Le contrôle du fonctionnement des sociétés anonymes, Editions 2000, 1994, p 360.
‫ ص‬،2010 H $ ،m P ‫ب ا‬ ‫ا ط ش‬6 ‫ رات‬34 ،‫و ا ودة‬q! ‫ ت ذات ا‬C 3 ‫ ص و ا‬PO ‫ ت ا‬C O ،‫ ا 'ء ا ول‬، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ا‬8G ّ ! ‫ ا‬،‫ ري‬17 ‫ل ا‬
‫ر‬ ‫ ا‬،8 # A ‫ ا‬8g ‫ ا‬V ّ ‫ م‬# ‫ ا ل ا‬،‫ وك‬6 ‫ ( ا‬V .430 ‫ ص‬،2009 H $ ،m P ‫ب ا‬ ‫ا ط ش‬6 ، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ن ا‬7 8G ' ‫ ا ﺟ‬، ّ2 ‫ ( ا ر‬0‫ ا‬.100/99
'C ‫ رات‬34 ،2001 V+ G‫ أ‬06 ‫ و‬05 +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ < ل ّ ا‬U ‫ ل‬N‫ أ‬، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ و ا‬8 # A ‫ ء ا‬F ‫ ا‬، CE ‫( ﷲ ا‬63 .8 ‫ ص‬،2010 ‫ ي‬،91/90 ‫ د‬N ، ‫ا‬
‫ رات‬34 ،2003 V+ G‫ أ‬12 ‫ و‬11 8 + ، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ < ل ّ ا‬4+ $ ‫ دورة‬، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ا‬8G 8g ‫ دور ا‬،‫ّ غ‬6 ‫( ا‬1N‫ ر‬.2002 ،H $ ، ّ F ‫و ا‬ ‫ ت ا‬A‫ا را‬
.24 ‫ ص‬،2011 V‫ــــــ‬+ G‫ أ‬،111/110 ‫ د‬N ، ‫را‬ ‫ ا‬،‫ و ا ن‬67‫ ا ا‬M 8 F ‫ ا ] ّف ا‬، 27 ! ‫ ا‬SA ‫ ا‬.227 ‫ ص‬،2004 ،H $ ، ّ F ‫و ا‬ ‫ ت ا‬A‫' ا را‬C
2702
Cass. Com. Fr., 05 févr. 1985, JCP 1985, Il, n° 20492, note A. VIANDIER ; JCP 1985, éd. E., II, n° 14534, note A. VIANDIER. Il convient
néanmoins de relativiser la portée de cette décision. En effet, le président de la société concernée faisait l’objet de poursuites pénales et les juges du
fond avaient relevé l’importance de la présence et de l’action du président dans les sociétés du groupe. De ce fait, dès son incarcération, celles-ci
avaient, par requête commune, réclamé la désignation d’un administrateur provisoire. D’autre part, la carence des organes sociaux dans toutes les
sociétés du groupe mettait en péril l’intérêt du groupe tout entier.
2703
ZEIDENBERG (S), L’intérêt social : Etude du particularisme du contrat de société, Th., Bordeaux IV, 2000, p. 331.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Sous-section Première : Adjonction de nouveaux


organes intérieurs de prévention de l’abus
555- Il s’agit de prévoir, en plus du comité d’audit, d’autres comités de contrôle (-§1- ). Ensuite, une
consécration légale expresse de la pratique du conseiller juridique serait de mise surtout dans les grandes
entreprises sociétaires (-§2- ). Enfin, un recours aux administrateurs indépendants serait bénéfique au contrôle
interne des abus à divers égards (-§3-).

-§1- Pour une multiplication nécessaire des comités de


contrôle
556- Nombreuses dispositions du code des sociétés commerciales semblent être en phase avec la
Corporate Governance2704, mais la reconnaissance explicite du gouvernement d’entreprise, en droit tunisien,
survint à travers la loi n°2005-96 du 18 octobre 2005 relative au renforcement de la sécurité des relations
financières. Le titre Il de cette loi étant consacré au renforcement de la politique de divulgation financière des
sociétés et leur bonne gouvernance. Cette reconnaissance se manifeste à travers un des outils les plus en vogue
du gouvernement d’entreprise, à savoir la création de comités pour renforcer la démocratie au sein de
l’entreprise.
Il s’agit là de la première consécration explicite du gouvernement d’entreprise en droit tunisien, une
première qui, espérons-le, sera suivie par l’adoption d’autres dispositions qui se révèlent nécessaires en vue du
renforcement de la saine gestion des sociétés.
Indubitablement, cette affirmation de la corporate governance est une bonne chose. Pourtant, le
dispositif juridique demeure approximatif, inefficace et appellerait à être renforcé.

557- Si la création de comités spécialisés figure parmi les principales recommandations formulées en
matière de corporate governance, il est à signaler que ces organes ont été prévus essentiellement pour
permettre aux actionnaires de procéder à un certain contrôle de la gestion opérée par les dirigeants.
A l’origine, le code des sociétés commerciales ne prévoyait aucune disposition de portée générale
permettant la création des comités spécialisés. Ce n’est qu’avec la réforme de 2005 et particulièrement la loi
n°2005-96 qu’une nouvelle disposition a été ajoutée. Il s’agit de l’article 256 bis C.S.C. qui vient combler les
lacunes législatives en instaurant un comité d’audit dans certaines sociétés2705. Ce comité est indispensable
afin de surveiller le mode d’élaboration des documents comptables et de s’assurer de la fiabilisation de
l’information financière.
Cette avancée législative est saluée à bien des égards. Elle demeure, toutefois, limitée ce qui impose
son amélioration au moyen du perfectionnement du régime du comité d’audit (I) et l’ajout d’autres comités de
contrôle (II).

I- Le perfectionnement du rôle du comité d’audit


558- Les comités d’audit se sont développés aux Etats-Unis d’Amérique à partir de l’année 1940 et
surtout au cours des années soixante-dix, puis au Canada et en Angleterre2706. Le comité d’audit se caractérise

2704
Les mesures tendant à l’amélioration du fonctionnement de l’administration des sociétés anonymes s’inscrivent dans cette logique. La
limitation des mandats multiples des administrateurs, le choix ouvert à une direction par un directoire et un conseil de surveillance et
l’élargissement du champ d’intervention des commissaires aux comptes sont des mesures qui s’inspirent ouvertement du concept de gouvernement
d’entreprise. D’autres dispositions confirmaient l’influence de la corporate governance de manière plus claire au niveau des obligations de
diligence et de loyauté auxquelles les administrateurs sont soumis (Articles 198 al 2 du CSC et les alinéas 1 et de 2 de l’article 231 du CSC…).
Nenni (A), De quelques aspects du droit économique contemporain, l’exemple de société faisant appel public à l’épargne, Th., FDSPT, 2005, p
267.
2705
AYARI (K), Le gouvernement d’entreprise en droit tunisien, I.J., n° 64/65, Mars 2009, p 16.
2706
BOURQUI (C) ET BLUMER (A), La Loi Sarbanes-Oxley: faits et conséquences, In Trends & Solutions, Spécial, Ernst & Young, Novembre
2002, pp. 19-23 ; BÖCKLI (P), HUGUENIN (C) ET DESSEMONTET (F), Le gouvernement d’entreprise : rapport du Groupe de travail en vue
de la révision partielle du droit de la Société anonyme, éd. par Dessemontet, F. / Blanc, M. / Perrin, J. trad. française par l'équipe du Centre du droit

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

par une totale indépendance par rapport à l’organe exécutif. De façon générale, ses attributions consistent
essentiellement en la revue des procédures afin de veiller au respect des valeurs de l’entreprise, notamment en
matière de fiabilité de l’information financière à usage interne et externe, à la sécurité des actifs et aux
conditions de passation des marchés. Le comité s’intéresse aussi à l’évaluation des compétences et de
l’intégrité de la direction générale et, le cas échéant, le contrôle de l’application d’un code d’éthique de
l’entreprise. Il surveille également les divergences éventuelles entre les auditeurs externes et l’entreprise sur
les aspects comptables significatifs. Le comité apprécie aussi la qualité du contrôle interne et l’activité des
auditeurs externes.
Ajouté par l'article 12 de la loi n° 2005-96 du 18 octobre 2005, l’article 256 bis CSC impose la
création d'un comité permanent d'audit seulement pour la société mère2707 lorsque le total de son bilan au titre
des états financiers consolidés dépasse un montant fixé par décret2708. Ce comité est également obligatoire
dans les sociétés faisant appel public à l'épargne2709 et les sociétés qui remplissent les limites chiffrées fixées
par décret2710.
Du moment que le législateur n’a pas expressément imposé cette obligation pour toutes les sociétés par
actions, il serait souhaitable pour toute société de ce genre désirant renforcer la communication entre le
conseil d’administration et le commissaire aux comptes ou encore garantir la fiabilité de l’information
financière et la régularité du contrôle de procéder, au niveau des statuts, à la mise en place de ce comité qui est
en quête permanente de transparence.

559- L’article 12 susvisé précise que le comité permanent d'audit veille au respect par la société de la
mise en place de systèmes de contrôle interne performants de nature à promouvoir l'efficience, l'efficacité, la
protection des actifs de la société, la fiabilité de l'information financière et le respect des dispositions légales
et réglementaires. Le comité assure aussi le suivi des travaux des organes de contrôle de la société, propose la
nomination du ou des commissaires aux comptes et agrée la désignation des auditeurs internes2711.
Ce suivi périodique des travaux des organes de contrôle de la société permet ainsi une meilleure
évaluation des divers risques auxquels les sociétés sont exposées. Il assure également la clarté et la fiabilité de
l’information financière destinée aux actionnaires et au public ainsi que le respect des dispositions légales et

de l'entreprise (droit industriel, droit d'auteur, droit commercial) de l'Université de Lausanne, Lausanne, 2004, p 18-52 ; BOHRER (A), Corporate
Governance and capital market transactions in Switzerland : the mechanics of mergers, acquisitions, buyouts, private equity transactions and
restructuring and their impact on the governance of corporations under Swiss law, Zurich / Bâle / Genève 2005, p 49-61 ; FORTMOSER (P),
Corporate Governance in der Schweiz – besser als ihr Ruf, in : Corporate Governance Symposium zum 80 : Geburstag von Arthur Meier-Hayoz,
édité par P. Fortmoser et al., Zurich, Bâle, Genève 2002, p.10 ; PETER (H), La Corporate Governance dans les groupes de sociétés, In Corporate
Governance en Suisse, Publication CEDIDAC vol.54, Lausanne 2003, p. 61 ; même auteur, Creative Accounting et Corporate Governance : les
leçons d’Enron et consorts, In Journée 2002 de droit bancaire et financier, Berne 2003, p. 35 ; BACHMAN (S-A-J), Le comité d’audit et ses
rapports avec les réviseurs internes et externes, (2004) SZW, p. 51-53 ; BUGA (A), Nouvelle circulaire CFB sur surveillance et contrôle interne,
Menace ou opportunité? (2007) ECS, p. 158-163 ; HAWKINS (M) ET DUNANT (O), Le Corporate Governance en Suisse face au contexte
international in : Trends & Solutions, Special, Ernst & Young, Novembre 2002, p. 16-18 ; HOFSTETTER (K), Rapport sur la Directive SWX
ainsi que le Code suisse de bonne pratique sont reproduits dans Corporate Governance en Suisse, Publication CEDIDAC 54, p.355 ; (même
auteur), Un nouveau Corporate Governance en Suisse qui préserve la marge de manoeuvre In Trend & Solutions, Special, Ernst & Young,
Novembre 2002, p.12-15 ; Lula (E), La pratique des comités d’audit en Suisse, De la révision du droit des SA au “Swiss Code of Best Practice”,
(2002) ECS, p. 437-442 ; VON PLANTA (A), Le rôle d’audit dans le gouvernement d’entreprise, SZW, 2004, p. 43-50.
2707
Ce comité existe légalement depuis 2001 en matière bancaire. En effet, conformément à l’article 34 de la loi n°2001-65 du 10 juillet 2001,
relative aux établissements de crédit, telle que modifiée et complétée par la loi n° 2006-19 du 02/05/2006, « les établissements de crédit doivent
créer un comité permanent d’audit interne. Le comité permanent d’audit interne est chargé notamment : de veiller à ce que les mécanismes
appropriés de contrôle interne soient mis en place par l’établissement, de réviser et de donner son avis sur le rapport annuel y compris les états
financiers de l’établissement avant sa transmission au conseil d’administration ou au conseil de surveillance pour approbation, de revoir tout
relevé de l’établissement avant sa soumission aux autorités de supervision, d’examiner tous placements ou opérations susceptibles de nuire à la
situation financière de l’établissement et portés à sa connaissance par les commissaires aux comptes ou les auditeurs externes ».
2708
L’article 6 du Décret n° 2006-1546 du 6 juin 2006, portant application des dispositions des articles 13, 13 bis, 13 ter, 13 quater et 256 bis du
CSC dispose que « le montant du total du bilan, prévu au deuxième tiret du premier paragraphe de l’article 256 bis du code des sociétés
commerciales, est fixé à cinquante millions de dinars au titre des états financiers consolidés. Les limites chiffrées, prévues au troisième tiret du
premier paragraphe de l’article 256 bis du code des sociétés commerciales, sont fixées à cinquante millions de dinars pour le total du bilan et à
vingt cinq millions de dinars pour le total des engagements auprès des établissements de crédit et l’encours des émissions obligataires ».
2709
A l'exception des sociétés classées comme telles du fait de l'émission d'obligations.
2710
Relatives au total du bilan et au total de leurs engagements auprès des établissements de crédit et l'encours de leurs émissions obligataires.
2711
Le rôle du comité d’audit vis-à-vis de l’organe de révision externe consiste à examiner l’étendue et les résultats de l’audit externe, à procéder à
une analyse critique des rapports d’audit sur l’audit des comptes annuels et l’audit prudentiel et à les commenter avec le réviseur responsable, à
s’assurer que les insuffisances constatées sont corrigées et que les recommandations de la société d’audit sont mises en œuvre, à apprécier les
prestations et les rémunérations de l’audit (ce qui l’amène à se prononcer sur le choix, la révocation ou la démission des auditeurs) et à s’assurer de
leur indépendance, ainsi qu’à évaluer la coopération entre société d’audit et révision interne (par exemple, ils devraient au moins se mettre
d’accord sur l’évaluation des risques et sur le plan de contrôle qui en découle).

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

réglementaires. La mise en place de ce comité au sein du conseil de surveillance ou d’administration,


contribue ainsi à améliorer leur fonctionnement et constitue un véhicule important de responsabilisation de
leurs membres et de communication entre eux.
En outre, le comité d’audit est appelé à vérifier les opérations financières douteuses ou encore les
conventions source de conflit d’intérêt. Toutefois, la désignation de ce comité ne procure nullement aux
administrateurs l’immunité car la réalité et la vérité du pouvoir restent au sein du conseil. Les administrateurs
demeurent responsables pour la préparation des états financiers alors que la responsabilité des auditeurs se
limite à la vérification2712.
Le comité d’audit est ainsi un élément de travail, d’approfondissement et de contact permanent entre le
commissaire aux comptes, les différents organes de direction et ceux chargés des affaires financières et
comptables de la société2713.
Manifestement, le recours à ce comité ne fait que garantir une communication satisfaisante entre les
différents intervenants ce qui est de nature à consolider la transparence dans le fonctionnement de la société et
préserver l’équilibre entre les différents organes sociaux.
560- En droit français, l'ordonnance du 8 décembre 2008 a officialisé les comités d'audit2714. Mais,
comme le relève un article du journal « les échos.fr »2715, le texte n'a pas, loin s'en faut, résolu toutes les
questions. A s'en tenir au texte, le « comité spécialisé sera chargé du suivi des questions relatives à
l'élaboration et au contrôle des informations comptables et financières» ». Ce sont essentiellement trois
domaines2716 qui étaient déjà traditionnellement dévolus en pratique au comité d'audit, qui relèvent ainsi de la
compétence du comité spécialisé. Néanmoins, comme en droit tunisien, si l'ordonnance précitée consacre
l'existence de ce comité et le dote de missions légales, elle ne l'érige pas, pour l'heure, en organe social distinct
du conseil d'administration. Le comité spécialisé n'en est en effet qu'une émanation, dépourvue de toute réelle
autonomie, au point qu'il n'agit que « sous la responsabilité exclusive et collective des membres » dudit
conseil. Il ne doit pas décider ; il contrôle et éventuellement peut jouer un rôle de conseil. Le comité spécialisé
n'est donc instauré que dans le but d'épauler, dans les domaines de compétences précités, le conseil
d'administration. Il faut ainsi comprendre que les attributions dévolues au comité spécialisé restent de la
compétence du conseil d'administration qui ne saurait se considérer comme déchargé de ses prérogatives
antérieures. Dès lors, les diligences qu'il doit concrètement effectuer restent imprécises, sinon floues. «
Assurer le suivi du processus d'élaboration de l'information financière [et] de l'efficacité des systèmes de
contrôle interne et de gestion des risques » est en effet susceptible d'englober, en pratique, de très larges
investigations, alors même que le comité spécialisé ne siège pas en permanence.
Ainsi, le comité d'audit aurait pour rôle principal, aussi bien en Tunisie qu’en France, d'apprécier la
fiabilité du processus d'établissement de l'information financière. Il lui faudra en particulier donner son avis
sur la permanence et la pertinence des options retenues et vérifier les procédures internes de collecte de
l'information. De plus, le comité d'audit peut donner son avis sur la nomination des commissaires aux comptes

2712
Le comité ne saurait prendre seul les décisions en la matière. La Cour de cassation française a ainsi considéré que le fait d’annexer au procès-
verbal de réunion du conseil d’administration le rapport d’une commission ad hoc désignée pour déterminer le montant du complément de retraite
à verser au président était illégal. La rémunération allouée au président, notamment sous forme d’un complément de retraite, devant
nécessairement faire l’objet d’une délibération du conseil d’administration sur son montant et ses modalités (Cass. Com. Fr., 4juill. 1995, Bull civ.
IV, n°206, Rev. Soc. 1995, p. 504, note P. LE CANNU ; JCP,1995, II, 22560, note Y. GUYON). Par ailleurs, qu’il s’agisse du comité d’audit
comme de celui des rémunérations, la responsabilité civile éventuelle de ses membres est parfaitement concevable, même si la délimitation exacte
de celle-ci serait souvent malaisée (V. La responsabilité des membres des comités dans les sociétés par actions, Dr. sociétés 2001, actes pratiques,
n°56, p 55).
2713
V. MERDASSI (H), La transparence dans le fonctionnement de la société anonyme, Th., FDSPT, 2009.
2714
En droit Français, il convient de préciser que le code de commerce ne contient actuellement aucune disposition concernant directement le
comité d’audit, et ceci malgré les dernières réformes législatives relatives au droit des sociétés. En effet, ni la loi relative aux nouvelles régulations
économique, ni celle relative à la sécurité financière, ne comportent de dispositions exigeant la mise en place de comités d’audit. Jusqu’en 2008, le
seul texte normatif concernant les comités au sein du conseil d’administration reste l’article 90 du décret n°67-236 du 23 Mars 1967. Ce texte
concerne de manière générale les comités qui peuvent être crées au sein du conseil. Il énonce que le conseil d’administration « ...peut décider la
création de comités chargés d’étudier les questions que lui-même ou son président soumet pour avis à leur examen. Il fixe la composition et les
attributions des comités qui exercent leur activité sous sa responsabilité ». Aussi, on sait que, dans le sillon tracé par une ordonnance du 8
décembre 2008, qui a institué un « comité spécialisé », en vérité comité des comptes ou d’audit, l’Assemblée Nationale a approuvé en première
lecture, le 20 octobre 2009, une proposition de loi qui y adjoindrait un comité des rémunérations pour les SA et SCA excédant certains seuils de
chiffre d’affaires et d’effectif.
2715
http://archives.lesechos.fr/archives/2009/LesEchos/20452-50-ECH.htm
2716
A savoir l'élaboration de l'information financière ; le contrôle interne et la gestion des risques ainsi que le contrôle légal des comptes.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

et sur la qualité de leurs travaux2717. D’une manière générale, le comité d’audit sert de liaison entre le conseil
d’administration, les auditeurs externes, les auditeurs internes et la direction financière.
561- Aux Etats-Unis d’Amérique, le comité d'audit, imposé par le souci de transparence émanant des
marchés, doit être composé de membres indépendants et exercer un véritable contrôle sur les dirigeants de la
société. Force est de constater qu’en traversant l'Atlantique, ce comité s'est transformé en un organe plus
consultatif, sans réel poids juridique, émanant du conseil d'administration et destiné à l'assister dans sa
mission d'établissement de l'information financière2718. D’où son incapacité à assurer un contrôle aussi
efficace que possible. Cette difficulté tient naturellement moins à la présence du comité d’audit qu'à son mode
de fonctionnement. En effet, ses membres étant appointés par ceux qu'ils sont censés contrôler, ne jouent
souvent que le rôle d'une chambre d'enregistrement, et peuvent, comme les auditeurs légaux des comptes, être
aussi enclins à un contrôle complaisant.
Dans ces conditions, la superposition de comités dotés de pouvoirs relatifs pose la question de leur
efficacité. Leur multiplication participe, de cette façon, à la dilution des responsabilités et à l’illisibilité du
droit. Il est donc clair que la création de ce type de comités a un parfum de bureaucratie qui ne peut que plaire
dans le contexte dirigiste actuel. Ces comités ne seraient qu’un doublon servant d’alibi pour les carences du
contrôle prévu par la loi. En effet, alors que « la plupart des études soulignent l’indépendance nécessaire des
membres de ces comités compte tenu des potentiels conflits d’intérêts sur les sujets traités »2719, alors
qu’également la loi Sarbanes-Oxley2720 oblige ce comité à ne compter que des administrateurs indépendants,
le droit tunisien n’exige pas que les membres du comité soient indépendants. Ceux-ci sont désignés, selon le
cas, par le conseil d’administration ou le conseil de surveillance parmi leurs membres. La seule condition est
la suivante : « ne peut être membre du comité permanent d’audit, le président-directeur général ou le
directeur général ou le directeur général adjoint2721 ».

562- Le fonctionnement du comité d’audit n’est pas davantage précisé, bien que l’on devine que ce
silence renvoie aux dispositions d’un règlement intérieur. Sans qu’il soit nécessaire d’en arriver à une
réglementation minutieuse, quelques règles de base, semblables à celles prévues pour les conseils
d’administration, eussent été utiles, ne serait-ce que pour éviter une importante diversité dans les règlements
intérieurs. S’il est sans doute inutile de déterminer une fréquence des réunions du comité, voire d’en fixer le
minimum, le besoin d’une rencontre au moins avec les auditeurs externes et d’un entretien annuel aurait dû
être rappelé2722. Aussi, la présence du commissaire aux comptes aux réunions du comité d’audit au moins une
fois par an sans avoir la qualité de membre, aurait pu conférer plus de crédibilité et d’autorité à cette
institution.
Au demeurant, que se passe-t-il si une société ne se serait pas nantie d’un tel comité alors qu’il est
imposé par le législateur ? La loi n’en donne pas de précision à ce sujet. De toute façon, l’article 12 de la loi
du 18 octobre 2005 le précise bien, ce comité donne un avis. Son avis n’oblige en rien les dirigeants sociaux.
A priori, il n’ya donc pas de sanction. Autant d’interrogations auxquelles la loi ne répond pas et qui risquerait
d’enlever toute efficacité à cette mesure. On le voit bien, quoique l’instauration de tels comités se révèle une
bonne mesure de la part du législateur sur la voie de l’affirmation d’un véritable corps de règles de Corporate
Governance, ces failles pourraient ôter au comité toute utilité.

563- Comme trop souvent aujourd’hui, si l’intention du législateur est louable, son expression écrite
est tellement imparfaite qu’elle brouille l’interprétation. Cela n’a pas empêché pour autant l’existence de ces
comités dans la pratique des affaires tunisiennes. En effet, les statistiques montrent que toutes les sociétés

2717
LITOU (S), Le contrôle des comptes en France et aux Etats-Unis, LPA, 25 juillet 1997, n° 89, p. 11.
2718
Ibidem.
2719
VITRAC (D), Tout savoir sur la bourse, Gualino éditeur collection City & York, 2004, p 555.
2720
Le Sarbanes-Oxley Act, quant à lui, constitue la première réaction du gouvernement américain aux scandales des dernières années qui, d’Enron
à Worldcom, ont provoqué la méfiance des investisseurs. Cette loi très incisive vise à améliorer le gouvernement d’entreprise en élargissant les
règles sur la publication d’informations, renforçant la qualité et la transparence des informations financières et en durcissant les sanctions civiles et
pénales en cas de violation de ses dispositions. En outre, elle oblige les directeurs généraux et les directeurs financiers à certifier que les états
financiers et rapports de gestion sont exactes et fournissent une image correcte de la situation financière et du résultat opérationnel de l’émetteur.
Ensuite, elle impose la constitution de comités d’audit, au sein du conseil d’administration, et dont les membres doivent être strictement
indépendants et ne peuvent en particulier recevoir aucune rémunération d’administrateur. V. The Sarbanes-Oxley Act of July 30, 2002, section 301.
Son texte est disponible à l’adresse suivante : http:// news.findlaw.com /hdocs/docs/gwbush /sarbanesoxley072302.pdf.
2721
V. art. 256 bis CSC.
2722
JEGOUREL (J-Y), Les recommandations de l’IFA, Journ. Soc., 2009, n° 71, p. 4.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

faisant appel public à l’épargne, tenues de désigner un comité d’audit, l’ont déjà fait. Les sociétés fermées,
tenues par la même exigence, ont également désigné un comité d’audit à concurrence de 65 % des sociétés
existantes2723.
Avant de multiplier l’existence légale de comités spécialisés, une réflexion d’ensemble sur leur
constitution, leur composition, leur fonctionnement, les missions et la responsabilité associée serait
certainement bénéfique2724. En attendant une telle réflexion, en sus du comité d’audit, d’autres « comités »
pourraient intervenir dans le domaine des sociétés afin de pousser la transparence à son extrémum.

II- Pour une consécration légale d’autres comités de contrôle


564- Contrairement au droit français, le droit positif tunisien n’a prévu que le comité d’audit, gardant
le silence concernant la création d’autres comités, notamment le comité des comptes, le comité des
nominations ou encore le comité des rémunérations. Il reste que la pratique des affaires tunisiennes, qui
connait ces comités depuis plusieurs années, est nettement en devance par rapport à la loi, surtout en matière
bancaire2725.

565- Si on considère en premier lieu le comité des comptes, son utilité peut, à première vue, sembler
réelle dans la mesure où il pourra offrir une garantie supplémentaire pour croire en la régularité des comptes.
On peut cependant en douter, car les comptes sont établis par des experts comptables dont les erreurs
intentionnelles peuvent entraîner la condamnation pour complicité de présentation de comptes annuels ne
donnant pas une image fidèle2726. Cela veut dire que les commissaires aux comptes en assurent la régularité et
la sincérité et encourent à ce titre une importante responsabilité pénale. Aussi, dans certaines grandes sociétés,
en plus des commissaires aux comptes, des censeurs peuvent également s’assurer de la régularité des comptes.
Par ailleurs, il est souvent fait recours à des auditeurs externes. De surcroît, les documents comptables sont
établis sous la responsabilité du conseil d’administration. Mêmes si ces diverses vérifications ne se recoupent
pas exactement, on peut légitimement douter de l’importance de multiplier encore les personnes chargées de
vérifier les comptes.
Toutes ces raisons font que l’utilité d’un comité des comptes semble encore moins marquée. Par
conséquent, même si ces comités existent dans la pratique des affaires française et anglo-saxonne, on hésite
réellement concernant leur utilité. On peut, tout de même, se suffire à les imposer dans les sociétés mères qui
se trouvent à la tête de groupes internationaux et dont le chiffre d’affaires peut atteindre des montants
colossaux et où le risque d’abus est très élevé.

566- L’instauration d’un comité des rémunérations peut, en revanche, sembler plus pertinente. La
jurisprudence française considère, en effet, que des salaires ou des avantages excessifs peuvent constituer des
abus de biens sociaux lorsque ceux-ci sont disproportionnés par rapport aux possibilités de l’entreprise ou
compte tenu des circonstances2727. La détermination de celles-ci sur des bases objectives pourrait être de
nature à éviter ces excès ; dans le cas contraire, la complicité d’abus de biens sociaux pourrait être retenue à
l’égard des membres du comité.
Le comité de rémunération2728 doit être composé majoritairement de professionnels indépendants ayant
pour mission de proposer sur des critères objectifs les rémunérations que doivent recevoir les administrateurs.

،101/100 ‫ د‬N ، ‫را‬ ‫ ا‬،‫ ت‬C 3 ‫ا‬ C 8! ‫' ا‬C ‫ ا‬،‫ وره‬0 M ‫ ات‬4A 5 # ‫ ت ا‬7S# ‫ا‬ SA 9 N $ ‫ ن‬7 9 "# ‫ ا‬U ‫ه ا <] ت واردة‬D‫ ھ‬2723
.39 ‫ ص‬،2010 ، G
2724
BARBIERI (J-F), Éclairage. Les « comités spécialisés » : quelques interrogations pratiques, Bulletin Joly Sociétés, 01 février 2010 n° 2,
p. 116 ; MANGENET (D), MARTIN (J-Y) ET ROBINE (D), Comités d’audit : une consécration entourée d’incertitudes, RD bancaire et fin.,
2009, étude n° 33 ; Dr. sociétés, 2010, étude n° 2 ; CHRISTELLE (PH), Intervention à la réunion du Département APE de la CNCC, préc., p. 15 ;
dans le même sens : WEBER (C), In Les Échos, 5 nov. 2009, p. 34 ; JEGOUREL (J-Y), Les recommandations de l’IFA , Journ. Soc., 2009,
n° 71, p. 4.
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.39 ‫ ص‬،2010
2726
V. art. 32 CP, 146 et 223 CSC. V. aussi Cass. Crim. Fr., 9 nov. 1992. Rev. Soc., 1993, p. 429, note B. BOULOC.
2727
Cass. Crim. Fr., 19 oct. 1971, Bull. crim. n°272; 9mai1973. Bull. crim. n°216:6 oct. 1980. Rev. Soc., 1981, p. 133, note B. BOULOC; 13 déc.
1988, Bull. crim. n°429 ; 25 mai 1992, Dr. pénal 1992, n°292.
2728
Le Comité de rémunération a les fonctions et responsabilités suivantes : - veiller à ce que la société offre un ensemble de prestations conformes
au marché et à la performance pour attirer et garder les personnes possédant les compétences et les qualités nécessaires. - Veiller à ce que la
rémunération soit en rapport évident avec le succès de l'entreprise sur la durée et la contribution personnelle. S'assurer que la politique et les

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

L’objectif est d’améliorer la transparence et d’adapter la rémunération, en baisse ou en hausse, aux


performances réalisées par les dirigeants au profit des associés. La rémunération des dirigeants est un sujet
délicat que les sociétés préfèrent voir résolu dans des cercles plus restreints que celui de la séance plénière du
conseil d’administration. A ce titre, personne ne peut douter de la nécessité d’instaurer un comité des
rémunérations qui serait chargé de veiller à ce que tous les cadres de la société, reçoivent une rémunération
non excessive et équitable2729. Ce comité, institué au niveau de la société mère du groupe, par exemple,
pourrait parfaitement publier un document dans lequel figureraient les rémunérations moyennes des
administrateurs. Il pourrait aussi donner des avertissements aux sociétés groupées si les rémunérations
s’éloignent trop de cette moyenne ou ne sont pas justifiées. Ce document aurait valeur d’autorité pour les
investisseurs qui se tiendraient informés et pour les entreprises liées qui chercheraient à ne pas recevoir
d’avertissement. L’autorité de l’organe devrait suffire, aucune sanction, hormis la sanction du marché ne
devrait être prévue.
Certes, ce comité aurait seulement pour vocation de faire des propositions et ne pourrait, en aucun cas,
être investi du pouvoir de fixer lui-même les rémunérations, mais il aurait un rôle fondamental dans la
détermination de la part variable de cette rémunération. Il déterminerait aussi les règles de fixation de cette
part et apprécierait l’ensemble des rémunérations et avantages perçus par les dirigeants, ce qui aboutirait
efficacement à lutter contre les abus des organes de direction et protéger ainsi le droit de l’associé à une
distribution égalitaire des bénéfices. Dans cette perspective, le rapport Bouton affirme clairement le rôle de
contrôle du comité de rémunération en ces termes : « la politique de rémunération des dirigeants est une
composante majeure de la bonne gestion… le contrôle de cette politique par le comité des rémunérations et le
conseil d’administration doit être un élément essentiel du gouvernement d’entreprise »2730.
Au cours des dernières années, la rémunération des administrateurs gestionnaires de haut niveau a
attiré l’intérêt du public au Royaume Unis comme aux Etats-Unis, particulièrement lorsque les augmentations
de salaires ne correspondaient pas avec des augmentations de bénéfices pour la société2731.
C’est dans cet esprit que la doctrine préconise la reconnaissance dans notre droit des sociétés de ce
type de comité2732. Il apparaît légitime qu’une information plus complète soit donnée aux actionnaires et que
ces derniers aient une claire connaissance, non seulement de la rémunération individuelle versée aux
mandataires sociaux, mais aussi du coût global de la direction générale de leur société ainsi que la politique
générale de détermination des rémunérations qui est appliquée.
Sans aller jusqu’à instaurer ces comités en droit tunisien, l’article 200 CSC prévoit que les obligations
et les engagements pris par la société anonyme concernant les éléments de rémunération, les indemnités ou les
avantages attribués aux dirigeants sont soumis à l’autorisation préalable du conseil d’administration, à
l’approbation de l’assemblée générale et l’audit du commissaire aux comptes. Ce processus de contrôle et
d’autorisation des rémunérations des dirigeants est intéressant car il permet presque à tous les organes d’avoir
une idée sur les rémunérations et pouvoir, ainsi, les contrôler. Cette mission de vérification et de contrôle
pourrait bel et bien être confiée à un comité spécialisé de rémunération.

pratiques de rémunération (catégories de haute direction, échelles de salaire, directive sur les primes de performance, …) récompensent la création
de valeur pour les actionnaires et reflètent un équilibre approprié entre le rendement à court terme et à long terme de la société. - Passer en revue et
approuver les principes régissant la rémunération des membres du Conseil et de la Direction. - Examiner la performance du Président du Conseil
d'Administration et des membres de la haute direction (en tenant compte des objectifs de la société établis par le Conseil) par rapport à leur
rémunération et présenter des recommandations au conseil. Examiner au besoin la rémunération des administrateurs en leur qualité
d'administrateurs pour s'assurer qu'elle reflète de façon réaliste les responsabilités et les risques en jeu pour un administrateur efficace et présenter
des recommandations au conseil. - Présenter des recommandations au Conseil au sujet des octrois d'options d'achat d'actions et d'autres types de
rémunération incitative à long terme (y compris les incitatifs accordés hors des programmes existants). Revoir la gestion de tout régime de ce genre
adopté par le Conseil. - Vérifier périodiquement auprès des membres de la Direction que ces programmes de rémunération atteignent leurs
objectifs et sont conformes aux lois, aux règlements et aux pratiques exemplaires. - Enfin, se pencher sur toute autre question relative aux
ressources humaines qu'il considère appropriée ou dont il est saisi par le Conseil d'Administration.
2729
BRUNOUW (L), mém. pré., p 65.
2730
BOUTON (D), Pour un meilleur gouvernement des entreprises cotées, rapport du groupe de travail présidé par Daniel Bouton, conférence de
presse, lundi 23 sept 2002, p 14.
2731
COURET (A), op. cit, p. 166.
2732
BEN AMMOU (N) et ALAHMAR (I), Rapport de synthèse et préconisations, In Colloque sur le Code des sociétés commerciales après la
réforme de 2005, éd CEJJ, Tunis, 2006.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

567- On peut penser également au Comité de déontologie et de l'indépendance des commissaires aux
comptes des sociétés mères et des sociétés cotées en bourse2733, qui contribuerait par ses avis et ses
propositions « à garantir l'indépendance des commissaires aux comptes des sociétés faisant appel public à
l'épargne et l'objectivité de leurs conclusions, notamment en facilitant l'exercice par la CNCC et la COB des
missions qui leur sont imparties en ce domaine »2734.
568- On pense aussi au comité de sélection. Il s’agit de constituer un comité composé de
professionnels indépendants pour sélectionner des administrateurs compétents et en particulier proposer la
nomination d’« administrateurs indépendants ». La recommandation de l’instauration d’un « comité de
sélection » ou de nomination dans les grandes sociétés, surtout les sociétés holding ou celles issues des
opérations de fusion, à l’image du « Nominating Committee » dans les pays anglo-saxons semble réaliste et
réalisable dans l’optique d’un contrôle de la loyauté des dirigeants2735. En l’espèce, ce comité aurait la charge
d’examiner de manière circonstanciée tous les éléments importants d’une candidature et spécialement les
diverses activités passées ou actuelles du candidat permettant de déceler les risques d’un éventuel conflit
d’intérêts2736.
569- Il existe, enfin, le comité d’éthique. En effet, afin d'introduire, en France, dans la culture de
l'entreprise les notions de responsabilité, de déontologie et d'éthique2737, certaines entreprises ont adopté un
code d'honneur2738 et un comité d’éthique. C'est ainsi qu'aux Etats-Unis d’Amérique plus des trois quarts des
entreprises ont une charte d’éthique, 20 % ont crée un poste de responsable en éthique. De même,
l'enseignement de l'éthique est assuré dans 40% des entreprises2739. Par ailleurs, en Europe 41% des grandes
entreprises se sont dotées d'une charte et d’un comité éthique2740.
Il faut reconnaître que la déferlante éthique a suscité chez les voisins européens un renouveau de la
pensée et des interrogations. Ce renouveau s'est traduit par une impressionnante quantité d'écrits, dont
beaucoup ont été publiés entre 1991 et 19942741. Cette nouvelle culture entrepreneuriale serait de mise dans la
pratique des affaires tunisiennes2742.
En Tunisie, deux banques seulement ont leur code d’éthique2743 ! Ce nombre, même s’il est faible,
témoigne d’une prise de conscience de l'importance de l'intégration au sein de ces institutions des principes
d'éthiques. Les banques tunisiennes sont alors appelées à ancrer, dans les meilleurs délais, la culture de
l'éthique bancaire, afin de garantir leur pérennité et accroître leur capital confiance, notamment auprès des
investisseurs, surtout en cette période de crise.
Dans cet ordre d’idées, la société civile est appelée à exercer plus de pression sur tous les acteurs
économiques2744 pour qu'ils renforcent la sécurité des transactions financières et qu'ils communiquent davantage

2733
Issu des réflexions du groupe de travail de la CNCC et de la COB sur l'indépendance et l'objectivité des commissaires aux comptes des sociétés
faisant appel public à l'épargne (Rapports Y. Le Portz 1993 et 1997), le Comité de déontologie et de l'indépendance a vu le jour le 2 février 1999,
Bull. COB, no 332, février 1999, p. 3 ; Bull. COB, no 336, juin 1999, p. 3.
2734
Art. 2 des statuts du Comité de déontologie et de l'indépendance, Bull. COB, no 332, février 1999, p. 5.
2735
Rapport VIENOT, précité, p 17 et s.
2736
GODON (L), art. pré., n° 27, p 21.
2737
« La Lyonnaise des Eaux adopte un code de déontologie », Le monde, 20 Janvier 1995.
2738
L’édification de codes de déontologie, phénomène assez récent dans les entreprises, marque une volonté des entrepreneurs de faire adopter par
l’ensemble de leurs collaborateurs un corpus de normes communes, dont le rôle préventif apparaît très bénéfique en ce qu’il décline en pratique le
respect des normes réglementaires et législatives, et contribue ainsi à réduire le risque de violation de ces dernières.
2739
DIENER (P), op. cit., p 70.
2740
Ibidem.
2741
GELINIER (O), L'éthique des affaires. Halte à la dérive !, Seuil, 1991 ; ETCHEGOYEN (A), La valse des éthiques, F. Bourin, 1991 ; MINC
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2742
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2743
V. http://www.webmanagercenter.com/actualite/economie/2009/10/20/81844/tunisie-crise-financiere-ethique-bancaire-ce-n-etait-pas-illegal-
mais-ce-n-etait-pas-honnete
2744
Administration, entreprises, banques, autorités de contrôle…

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

sur tous les indicateurs de la vie financière, tels que le volume des rémunérations des dirigeants et les niveaux
d'engagements des principaux groupes vis-à-vis des établissements de crédit2745. La sécurité financière est
l'œuvre de tous les intervenants : dirigeants sociaux, comités du conseil d'administration, autorités de
régularisation, commissaires aux comptes… Chaque intervenant doit adhérer de manière explicite et sans
équivoque aux principes de transparence, de responsabilité et d'intégrité personnelle. Cette adhésion à une
culture de transparence pourrait être assurée à travers l'adoption et la mise en place d'un code d'éthique. La
profession comptable a déjà adopté son code d'éthique fortement inspiré du modèle fourni par l'IFAC2746, les
communautés des administrateurs d'entreprises, d'analystes financiers, d'autorité de régulation gagneraient à
suivre le pas2747.
570- Vu l’importance des comités susvisés, et même si le législateur ne les a pas expressément
prévu, rien n’empêche la possibilité de les instituer initialement dans les statuts ou à l’occasion d’une
modification statutaire en cours de vie sociale. Tel est le cas de certaines banques tunisiennes qui recourent à
ces comités, et d’autres, en dehors de toute obligation légale. Ainsi, on retrouve par exemple le comité de
rémunération au sein de la banque de Tunisie2748 et Attijari Bank2749. On retrouve aussi un autre comité,
appelé le comité « Charia » au sein de la banque Zitouna2750. De même, un comité des ressources humaines est
opérationnel à Attijari Bank2751…
Il convient de noter, aussi, que les comités spécialisés en général ne peuvent ni empiéter sur les
prérogatives reconnues aux organes sociaux, qu’il s’agisse notamment des assemblées générales, du conseil
d’administration ou son président2752, ni s’immiscer dans la gestion sociale. En effet, dans la mesure où ils
seront composés de membres indépendants, ils seront amenés à analyser en profondeur les problèmes qui leur
sont soumis et proposer des solutions au conseil d’administration qui prendra la décision finale. Ces comités
seront, de la sorte, amenés de manière indirecte à contrôler la direction et à aider les actionnaires surtout en
clarifiant les informations qui leur sont délivrées.
Dans ce cadre, le code suisse de bonne pratique recommande d’adopter certains modèles
d’organisation basés sur la création de plusieurs comités. Ainsi le 1er paragraphe du chiffre 21 du dit-code
énonce que : « le conseil d’administration institue, en son sein, des comités chargés d’analyser en profondeur
certaines questions techniques ou de personnel et de faire rapport au conseil d’administration pour lui
permettre de préparer ses décisions ou d’exercer sa fonction de surveillance ».
Le premier but de la formation de ces comités est donc l’amélioration de l’organisation. L’institution
des comités n’est pas un acte de délégation, mais plutôt un acte de répartition des tâches entre les différents
membres du conseil.
Le Code suisse précité propose notamment la formation de trois comités, à savoir le comité d’audit2753,
le comité de rémunération2754 et le comité de nomination2755.
Aussi, faut-il rappeler que le législateur français impose, dans l’article L 225-68 CC, au président du
conseil d’administration ou du conseil de surveillance des sociétés anonymes, dont les titres financiers sont
admis aux négociations sur un marché réglementé, de rendre compte dans un rapport joint au rapport annuel
de gestion et au rapport sur les comptes consolidés « des travaux de préparation et d’organisation de conseil
ainsi que des procédures de contrôle interne mise en place par la société ». Concrètement ce texte prévoit de
porter à la connaissance des actionnaires la mise en place et l’état d’avancement des travaux des comités
internes aux sociétés, tels que les comités des comptes, des rémunérations et des nominations. Il pourra s’agir
également des dates des réunions du conseil d’administration ou du conseil de surveillance, la liste des
membres présents lors des conseils et la nature des documents qui ont été débattus. Ce rapport doit indiquer en

2745
Banques et compagnies de leasing…
2746
La Fédération Internationale des Experts Comptables.
2747
DERBEL (F), Commissariat aux comptes et sécurité financière, art. pré., p 21.
2748
V. http://www.tustex.com/download/publication/bt_def_20091231.pdf.
2749
V. http://www.attijaribank.com.tn/attijari/site/RP09.pdf.
2750
Le Comité est chargé d'accompagner la banque dans la mise en place, la supervision et l'approbation de l'ensemble des produits selon les
principes de la Finance Islamique. V. http://www.banquezitouna.com/comite-charia_606.
2751
Il trace la politique générale des ressources humaines et valide les stratégies y afférentes. Il assure le suivi des indicateurs de performance des
ressources humaines et veille à la préservation d’un bon climat social. V. http://www.attijaribank.com.tn/attijari/site/ RP09.pdf.
2752
Cass. Com. Fr., 4 juin 1995, J.C.P, édition E, II, 750, p 239, note Y. Guyon.
2753
V. chap. 23 et s. du code suisse.
2754
V. chap. 25 et s. du code suisse.
2755
V. chap. 27 et s. du code suisse.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

outre, le cas échéant, les restrictions que le conseil d’administration apporte aux pouvoirs du directeur général.
Ces informations détaillées ont été exigées afin de rendre la situation de la société plus claire pour permettre
aux actionnaires de mieux comprendre les informations diffusées.

571- Ces comités, qui sont déjà bien ancrés dans la pratique des affaires tunisiennes, surtout dans les
sociétés bancaires, pourraient être encore plus utiles si on leur accordait droit de cité en les insérant dans des
dispositions spéciales du code des sociétés commerciales. On peut même commencer par les rendre
obligatoires dans les sociétés mères pour les imposer, par la suite, dans toutes les sociétés par actions. Une fois
reconnus juridiquement, ces comités pourraient jouer un rôle des plus efficaces dans le cadre d’une politique
préventive et de lutte contre les abus dans les procédés de concentration. La même reconnaissance législative
devrait embrasser aussi une autre pratique non moins importante, à savoir celle du conseiller juridique.

-§2- : Pour une consécration légale de la pratique du conseiller


juridique dans les procédés de concentration2756
572- Le siècle qui vient de s'achever aura été marqué par une évolution de nos sociétés vers une
«juridisation», sans cesse croissante, qui s'est traduite par le fait que, de plus en plus, les rapports humains
s'accompagnent de conséquences juridiques et se transforment en relations judiciaires soumises aux juges2757.
Cette tendance est tout d'abord le fruit d'un processus de multiplication constant des lois et des règlements.
Une récente étude rappelait « l'insupportable dictature des lois »2758. Dans ce contexte, « il est évident que
chaque force de survie de l'entreprise est concernée par le droit. L'entreprise est immergée dans le droit. C'est
très naturel : le droit participe à l'organisation de sa structure, de son fonctionnement, de ses opérations et de
ses relations avec l'environnement »2759. Ainsi, dans les grandes entreprises privées, la fonction juridique a
considérablement évolué et le directeur juridique y joue un rôle très important. Sa place est souvent très près
de la direction générale de l'entreprise2760.
« Aujourd'hui, les besoins de connaissances juridiques conduisent à un développement considérable de
la consommation du droit et les prestataires de services juridiques étendent leur activité depuis le monde
judiciaire et la représentation en justice jusqu'au conseil juridique »2761. Le droit apparaît par ailleurs comme
un outil de compétitivité et de rentabilité dans la mesure où un bon conseil juridique engendre une efficacité
économique certaine. Aussi, compte tenu de la complexité de la société développée, l'impact du droit dans la
croissance économique et sa part dans le secteur des services sont de plus en plus importants2762.

573- Dans cette perspective, la présence du conseiller juridique se veut alors nécessaire, voire
urgente car la vie et l'expansion de l'entreprise dépendent de la qualité de son organisation et son management
juridique. Il est évidemment impératif que les contraintes que subit l'entreprise soient maîtrisées, que les
risques juridiques qu'elle court soient identifiés, évalués, réduits et pourquoi pas évités. Il est aussi impératif
qu'elle soit immédiatement informée de l'existence de tout problème juridique actuel ou potentiel susceptible
d'avoir une incidence, négative ou positive, sur ses forces de vie et de croissance. Il faut, en quelque sorte,
disposer d'une veille juridique, à l'instar de la veille technologique. L'entreprise a réellement besoin d'un
management juridique.
Dans ces conditions, le conseiller doit intervenir, parce qu'il est homme de l'art, mais aussi, et surtout,
parce qu'il n'est pas possible de procéder autrement : seul le juriste a le droit de faire certaines opérations. Le
conseiller ou le juriste de façon générale est perçu comme une sorte de passage obligé2763.
La présence du conseiller juridique est d’autant plus urgente si on garde présent à l’esprit la complexité
et l’ambivalence des problèmes de l'entreprise. En effet, le même problème peut être, à la fois, financier,
2756
Sur le devoir de conseil, v. les thèses de V. Ozenne-Bongrand, Le devoir de conseil, thèse Paris XII, 1997 ; N. Reboul, Les contrats de conseil,
thèse Paris I, 1997 ; également M. Fabre-Magnan, De l'obligation d'information dans les contrats. Essai d'une théorie, LGDJ, 1992.
2757
CERVEAU (B), Le risque juridique : affaire de spécialistes ou de gestionnaires de risque ?, Gaz. Pal., 24 février 2001 n° 55, p. 2.
2758
Le Figaro du 10 janvier 2000, chronique de Thierry Desjardins.
2759
PAILLUSSEAU (J), L'avenir du juriste d’affaires, congrès de l'A.C.E. à Montpellier les 7-8-9 octobre 1993, LPA, 04 mars 1994 n° 27.
2760
TUTIAU (F), L’évaluation du métier de juriste et de la fonction juridique dans l’administration locale, LPA, 15 avril 1999 n° 75, P. 63.
2761
VATIER (B), Y a-t-il un marché du droit ?, Gaz. Pal., 21 mars 2006 n° 80, P. 4.
2762
Ibidem.
2763
PAILLUSSEAU (J), L'avenir du juriste d’affaires, art. pré., n° 27.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

commercial, fiscal, pénal... Sa compréhension, tout autant que la recherche de sa solution, ne peut être que le
travail d'une équipe, soit une équipe interne à l'entreprise, soit une équipe composée de responsables de
l'entreprise et de conseils extérieurs. Ainsi, une opération L.B.O.2764, dont l'objet unique est l'achat du contrôle
d'une société et le financement de cet achat par une fusion absorption, est réalisée au moyen d'une
organisation d'ensemble, dont certains aspects relèvent de l'ingénierie financière, et d'autres du droit et de la
fiscalité. L'organisation juridique est l'un des éléments d'un tout difficilement dissociable2765.
Quelle que soit l’opération envisagée : fusion, scission, filialisation… il est primordial pour
l'entreprise, que le juriste soit pleinement associé à l'équipe, et qu'il y prenne sa vraie place. L'entreprise a
besoin d'un juriste qui soit effectivement un partenaire. Les grandes entreprises sont tellement conscientes de
ce besoin qu'elles ont créé, dans la pratique et en dehors de toute obligation légale, des services juridiques au
plus haut niveau de leur hiérarchie2766.

574- Le conseiller juridique doit assurer une résolution des problèmes de manière adéquate. Cela
signifie au moins deux choses : « que la solution soit rapide. La rapidité d'adaptation des entreprises sera une
des conditions de leur survie. La rapidité du règlement de leurs problèmes juridiques participera à cette
survie. Une bonne réponse qui arrive trop tard n'est plus une réponse. Et puis aussi, et surtout, que la réponse
satisfasse les objectifs stratégiques et tactiques de l'entreprise »2767. Par ailleurs, il est essentiel pour le
conseiller de se doter des moyens pour affronter, dans les meilleures conditions, les risques juridiques
nouveaux, alors même que, la plupart du temps, il les méconnaît, et que la prévision en ce domaine est un art
difficile. De même, il sera exigé de ce conseiller d’avoir une bonne formation juridique en matière de sociétés,
d’une manière générale, et surtout au diapason des procédés de concentration, d’une manière particulière.
C’est une grave erreur que des opérations de fusion, de scission ou de filialisation ne soient pas, aujourd’hui,
soumises d’office à de grands spécialistes en matière de concentration. Prévoir les abus pour les éliminer
d’avance, et donc protéger les entreprises et leurs partenaires contre ce fléau destructeur et dévastateur
exhortent à reconnaître juridiquement la place que doit occuper le conseiller juridique au sein des sociétés.
A titre préventif, il est primordial pour le conseiller d'être en veille permanente. Pour apprécier, ou plus
exactement pour essayer d'anticiper la survenance de tels risques latents ou ignorés, il devra recueillir,
recouper, analyser des informations incertaines et incomplètes, puis en faire une synthèse évolutive. Il est
important également que le conseiller fixe sa relation avec les conseils externes : avocat, notaire, etc. Ceux ci
sont complémentaires du conseil juridique interne. Ce dernier doit coordonner les travaux confiés aux conseils
externes et assurer le suivi des affaires contentieuses traitées par les avocats.
Le conseiller juridique contribue généralement à la rédaction des actes, assure le suivi du contentieux
relatif aux affaires de l’entreprise et assure une veille juridique. Il offre aussi des services de conseils
juridiques à l’ensemble des membres de l’équipe dirigeante concernant les opérations de gestion éventuelles et
ce, principalement dans le but d’éviter ou de prévenir le risque d’abus juridiques. Il peut préparer des
procédures légales et en faire la représentation. Il procède à l’analyse et à la synthèse de toutes les
informations transmises ; il propose des solutions de manière à faciliter la prise de décision et oriente ses
recommandations vers la conciliation et l’entente des parties concernées. Plus précisément, avant de prendre
une décision importante ou signer un document assez important, la prudence recommande aux dirigeants de
consulter leur conseiller juridique à titre essentiellement préventif. Une telle consultation permettra à la
société de connaître ses droits et obligations relativement aux décisions à prendre ; de vérifier leur conformité
à la loi en vigueur ; identifier les éléments susceptibles d’altérer sa situation personnelle, financière ou fiscale;
2764
V. supra, n° 102.
‫ ا ل‬8G M ]]P ‫ ة ا‬P M # !+‫ و‬8 ‫ ا‬K ‫ ﺟ‬O G #3 ‫ا‬ ‫ وا‬+‫ ] د‬7 ‫وا‬ ‫ ت ا‬# ‫ ا م‬a4 + ‫ي‬D ‫ء ا < ا م ا‬iُ ‫ ھ ا‬8 ‫ ان ا‬U N ‫ اح‬3 ‫ ا‬6 ُ+ " 2765
‫ ف‬3 ‫ ن ھ ا‬+‫ و‬8 ‫ وا‬8 ‫ ا ] ص ا‬M 6 $ 8 ‫ ت ا‬# ‫ ا‬M ‫ ھ‬5‫ و‬K# ‫! ت و‬Aq ‫ ' ا‬C $ ‫ ت‬N‫ و‬KGS ‫ ا‬U N ‫ج‬ C K4 #3 ‫ ل ا‬N ‫م‬ A ‫وا‬
+ ‫ ا‬8 # ‫ ا‬8 ‫ ا‬6g ‫ ا‬Kg /+ ‫ ورة‬g 0‫ أ‬a ‫ ا ا‬+ 7 L ‫ ن‬C M@ ‫ و‬9 ‫ ر ا ا‬3 ! ‫ ا‬8 ‫ ا‬L ‫ ار‬7‫ ان ا‬...9K0 ] ‫ف ا‬S ‫ ا‬U N M ‫ ا‬VC U N Maitre d’œuvre
87S ‫ وا‬8N ‫ ا ﺟ‬h # ‫ ا‬h‫ ا‬F‫ ا‬8 ‫ ا‬a4+ $ 9 Iّ ^+ ‫ي‬D ‫ ا‬8 ‫ ا ! ر ا ا‬8G " + 9 ‫ و‬V]< ‫ دي‬/$ M M $ 9 BIG FIVE‫ ا ر‬M A ‫ ا‬I$ 4 KG
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8 ‫ ا ﺟ‬K$S # 97‫ وز ر‬+ C O V ‫ ن‬+ ‫ ان‬،‫ ان ا ى‬8G ‫ھ‬ U N ، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ن ا‬7 8G ‫ ء أ‬A‫ وري ار‬F ‫ ا‬M ‫ ن‬+ + ‫ ] دي ا‬7 ‫ ا‬6g ‫ ادا‬N‫ا ط ر وا‬
‫ ظ وف‬I!< ‫ ھ‬+ $ 6 + +‫ا ر‬ $‫م‬K ‫ و‬C 3 ‫ " ا‬p ‫ ا‬M $‫ اد و‬N‫ وا‬k! 8G Vd $ A A‫ ا‬K ‫ ا م‬U + + 7 4 # ‫ ة‬/ M #+ 9 ‫ ر دا‬3 ! ‫م‬ 4# ‫< ا‬
‫ ا‬،M 4‫ [ة ا ط‬K ‫ ا‬،" 9K C 3 ‫ و‬8 ‫ ا‬I L " ‫ ان‬4# U ‫ ل‬N‫ أ‬، +‫ ] د‬7 ‫! ت ا‬Aq ‫ ر ى ا‬3 ! ‫ ا‬8 ‫ ا‬L ‫ ار‬7‫ ا‬V‫ أﺟ‬M ، ‫ ت ا‬0 ." K$ ‫ و< ﺟ‬C 3 ‫ا‬
. K + ‫ و‬4 ‫ ص‬،‫ [ة‬K ‫ّ ا‬ ‫ﺟ دة‬
2766
Toutefois, quelle que soit l'efficacité de leurs services juridiques, le recours à des juristes extérieurs reste souvent indispensable, mais leur rôle
est différent. En général, le juriste d'entreprise est à la fois un généraliste du droit et un spécialiste du droit de l'entreprise dans laquelle il exerce ses
fonctions. Aussi doit-il consulter un avocat d'affaires quand la complexité devient trop grande, le généraliste doit consulter le spécialiste pour une
réassurance ; pour bénéficier de la signature d'une « autorité » ; pour mieux convaincre sa direction générale ; et, bien sûr, pour plaider un dossier.
2767
PAILLUSSEAU (J), L'avenir du juriste d’affaires, art. pré., n° 27.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

évaluer les avantages et les inconvénients des solutions recommandées ; choisir, le cas échéant, la forme et le
type d’acte juridique qui répondent le mieux aux besoins et aspirations de l’entreprise et prévenir les
problèmes et les abus qu’elle n’avait pas anticipés2768.
Le devoir de conseil comporte aussi l'obligation de s'informer de l'ensemble des conditions de
l'opération envisagée, comme par exemple une opération de fusion, scission ou d'augmentation de capital pour
laquelle son concours est demandé et, le cas échéant, de la déconseiller s’il ya un risque d’abus
insurmontable2769.
De façon générale, la jurisprudence considère que l’avocat-conseiller doit faire un certain nombre
d'investigations et qu'il ne peut donc pas se contenter des déclarations des parties2770. Toutefois, l'obligation de
conseil demeure dans les limites d'une obligation de moyens, le conseil n'étant pas à même de garantir un
résultat2771. Bien évidemment, l'obligation ainsi imposée aux avocats est délimitée par les contours de la
mission conférée à ces derniers. La cour d'appel de Paris a ainsi considéré qu'une « société de conseils
juridiques qui a rempli de façon satisfaisante son mandat d'assurer la régularité juridique d'une absorption
de société ne pouvait se voir reprocher d'avoir manqué à son obligation de conseil en n'attirant pas l'attention
de son client sur les conséquences fiscales de cette opération sur les revenus personnels du dirigeant, car il
n'était pas démontré que son mandat s'étendait aux affaires personnelles de ce dernier »2772. La même
obligation de moyen qui pèse sur l’avocat-conseil a été retenue par notre cour de cassation dans son arrêt
n°12158 datant du 219/11/19842773. Cette idée a été dernièrement entérinée par le décret-loi n° 2011-79 du
20/08/2011, organisant la profession d’avocats, dans la mesure où son article 45 énonce que la responsabilité
de l’avocat ne peut-être invoquée qu’en cas de faute professionnelle.

575- Aujourd'hui, déjà, les dirigeants d'entreprise reconnaissent l'importance du conseiller juridique.
Ce sera encore plus vrai dans l'avenir. En effet, le conseiller juridique n'est pas simplement un clerc, un
rédacteur d'acte, il est un partenaire à part entière. Il participe à l'élaboration de la stratégie de l’entreprise et
aux prises de décisions. Il est l'homme qui, par son savoir-faire et son expérience, contribue à la pérennité de
l'entreprise, à son expansion, à l'accroissement de sa valeur ajoutée et l'amplification de son pouvoir de
concurrence. Son intervention est en elle-même une valeur ajoutée. Ses honoraires ne sont pas un coût, mais
un investissement parce qu'ils sont la contrepartie d'un enrichissement2774. D'une manière générale, le
conseiller partenaire, dont l'entreprise a besoin, est un professionnel compétent qui recherche des solutions
aux problèmes posés. Le conseiller, juriste d'affaires, perçoit parfaitement les problèmes dans la multiplicité
de leurs aspects, maîtrise les objectifs d'ensemble, situe l'organisation juridique dans l'organisation globale de
l’entreprise et peut accepter que des solutions non juridiques soient substituées aux solutions juridiques si elles
sont plus efficaces. Le comportement du juriste d'affaires est généralement inspiré par la volonté de résoudre
les problèmes en apportant une valeur ajoutée à l'entreprise. Il a la volonté de relier constamment les faits au
droit et le droit aux faits ; de saisir les incidences des évolutions du droit sur les faits ; de préconiser, en termes
d'action, les changements qu'il faut apporter aux manières de faire les choses et aux organisations juridiques. Il
a aussi la volonté d'être toujours constructif et positif, d'être constamment adapté aux réalités économiques et

k DC‫ و‬A A ‫ ا‬K4 ‫ ا‬7 ‫ر‬ ‫ ن ھ‬+ ‫ اي ان‬A A ‫ ا‬a K ‫ اط ر‬8G Le secretariat d’entreprise ‫ ت‬C 3 N ‫ا ﺟ‬ ‫ا‬a 8G 8 ‫ ا‬k! ُ+ ‫ا ا ط ر‬D‫ ھ‬8G " 2768
‫ ت‬N‫'ا‬4 ‫ ا‬M C 3 ‫ ا‬+ < K [O M ‫ ة‬+ N ‫ م‬K ‫ا ا ور‬D‫ ھ‬MN ‫ ع‬/ $‫ م و‬# ‫ ا‬8A A ‫ ا ور ا‬k ‫ ن ذ‬+‫ ھ و‬g ‫ى‬ ‫ه ا ! ت و‬D‫ د ھ‬# ‫ ا‬+‫ ور‬I7‫ وھ ا ا‬K$ ! ‫ ﺟ‬g
‫ ا‬a N‫ اط ر ا‬8G 8 ‫ ما‬+. ‫تا‬ ‫ ا‬i P 8G ! ‫ ا‬VC K 9 ‫ دا‬M+ $ ` ‫ و‬M ‫ " ا ا‬L$ U N K! k ‫! ھ وذ‬$ VC ‫ ھ‬VL# ّ ُ$‫ و‬M ‫ ا ! ھ‬M ‫ا‬
8G " ‫ ا‬8 ‫ دات‬N n# ‫ ت‬7‫ ا‬C ، ‫ ھ‬5‫ و‬AUDIT JURIDIQUE 7 7‫ ر‬M ‫ د‬# ‫ه ا‬DK ‫ ة‬# ‫ ل ا‬N ‫ اء وا‬3 ‫ وا‬6 ‫ج وا‬ ‫ وا‬K ‫ ل ا‬N PRIPHERIQUES
‫ ة‬N ! 8G A A‫ دورا ا‬8 ‫ ن‬+ ‫ا‬DK ‫ و‬... 4‫ اﺟ‬M ‫ ا‬7 ‫ ط‬f $ ‫ أو‬4‫ ا ط‬M ‫ اط ر ا ا‬8G ‫ اء‬A TRUSTEE ET FIDUCIE ‫ ت‬C 3 ‫ ر ا ال ] ا‬d A‫ ل ا‬N ‫ا م‬
]4 ‫ ا‬U N ‫ول‬q! ‫ و‬k ‫ ذ‬8G m P ‫ ھ‬M K4 ‫ ا‬I ‫ ك ا ا‬$‫ و‬K‫ ط‬3 M +‫ ] د‬7 ‫ ا‬I ‫ا‬ ‫^ ل‬3 ‫ ا‬U N KN‫ف ا ا‬S ‫ ا‬U N +‫ ] د‬7 ‫! ت ا‬Aq ‫ وا‬+‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬
8G ‫ أو‬F 8 8$[$ ‫ ت‬C 3 ‫ ا‬M + # G 8 ‫ ي وا‬7 # ‫ ا‬K ‫ ﺟ‬8G 0 ‫ ت‬C 3 ‫ه ا‬D‫! ھ‬$ U N ّ ‫ س ﺟ‬# ‫ وع ا‬3 ‫ا ا‬D‫ ھ‬Vd C[ ‫ ن‬+ ‫ ف‬A‫ ت و‬C 3 ‫ه ا‬DK K + 8 ‫ا‬
‫ ر‬d A ‫ ا‬p[$ ‫ ان‬C ، +‫ ور‬F ‫ا‬ ‫ ا < ط ت ا‬K G D [ُ$ 9 ‫ اء‬O ‫ أو‬6 ‫ ت‬N ‫ ب أو‬L ‫ ا‬V ‫ ح ا‬g ‫ ه‬+ $ 6 + 9 N K A‫ و‬KA A‫ ا‬+ F ‫ ا‬M V ! ‫ ا < ن‬n#
K# # ‫ ا‬0 ] ‫! ت ا‬Aq ‫ ض ا‬#+ ‫ى‬ ‫ < ` ا‬M ‫ ا‬#$ k DC‫ و‬9 ‫ < ` ا‬M Pg ‫'داد‬$ ‫ ر‬d A ‫ وا‬C‫ ا‬3 ‫ د ا‬N V#‫ ﺟ‬8 !C A ‫ د وا ن ا‬# ‫ ل‬N ‫وا‬
.11 ‫ و‬10 ‫ ص‬، CD ‫ " ا‬A ‫ ا ل‬، +‫ ] د‬7 ‫! ت ا‬Aq ‫ ر ى ا‬3 ! ‫ ا‬8 ‫ ا‬L ‫ ار‬7‫ ا‬V‫ أﺟ‬M ، ‫ ت ا‬0 ." ‫اھ‬ 9KG‫ و‬K A‫ دون درا‬K ‫ ط ا 'ام‬P U ‫ا‬
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C.A. Paris, 24 mars 1988 : D., 1988, IR, p. 123.
1131 V]/ ‫ ا‬UF 7‫ وا‬N 40 ‫ ء‬L ‫ أ‬M a $ + G ‫ا ا ن‬D‫ و ا< م ھ‬M ‫ول ط < م ا ا‬q! 8 ‫ة أن ا‬ ‫ ن ا‬7 M 28 V]/ ‫ ا‬UF 7‫ "ا‬: 8 + ‫ا ا ار‬DK ‫ < ` ﺟ ء‬2773
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.363 ‫ ص‬،1984 ،2 ‫ د‬N 8 ‫ا‬
2774
Ibidem.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

sociales de l'entreprise. Dans sa fonction de conseil, il est un « architecte du droit ». Il prend une part
essentielle lors de la conception et de la mise en place de l'organisation générale des structures et des relations
économiques et sociales.
576- Toutes ces raisons font que l’ajout d’un texte au code des sociétés commerciales imposant le
recours au conseiller juridique, au moins dans les sociétés mères faisant appel public à l’épargne ou cotés en
bourse, serait d’une importance grandissante pour corroborer l’effort préventif des abus2775, surtout que la
dernière réorganisation de la profession d’avocat, au moyen du décret-loi n°79-2011 du 20/08/2011, n’a rien
prévue en ce domaine2776. Ce rôle très utile du conseiller juridique gagnerait en termes d’efficacité s’il serait
corroboré par l’intervention d’administrateurs indépendants au niveau de l’administration des sociétés par
actions.

-§3- : Pour une optimisation du recours aux administrateurs


indépendants dans les procédés de concentration
577- Selon M. Le Cannu, il faudrait « nommer des personnes qui correspondent à des canons
externes… des personnes qui n’ont pas l’affectio societatis au sens traditionnel, et qui sont là pour juger plus
que pour épauler »2777. Le terme administrateur trouve son origine dans le nom latin administrator2778. Il
désigne une personne chargée de l’administration d’un bien ou d’un patrimoine. Il renvoie ainsi aux qualités
d’un individu ou au titre de certains fonctionnaires ou membres du conseil d’administration qui doivent veiller
sur des biens en bon père de famille2779. En cette qualité, l’administrateur supporte une obligation de prudence
et de diligence, à savoir qu’il doit remplir ses fonctions et agir dans l’intérêt de la société, respecter les lois, les
règlements, les statuts, les décisions du conseil et de l’assemblée générale. Il doit être responsable et faire
preuve de discrétion s’agissant de données confidentielles. Pourtant, au regard de ce portrait idéal, à partir des
années quatre-vingt-dix, certains ont affirmé que l’administrateur ne servait à rien2780 et que les conseils
d’administration n’étaient que des chambres d’enregistrement. Les raisons de cette dérive étaient nombreuses.
Cela s’expliquait par l’existence de trop nombreux mandats, croisés ou non, qui empêchaient les dirigeants
des plus importantes entreprises de jouer convenablement leur rôle2781. Les administrateurs étaient trop
souvent absents ce qui ne leur permettait pas d’être convenablement informés. Ils étaient trop liés au président
qui les nommait dans les faits ce qui les empêchait d’exercer leur liberté de jugement. Ils étaient encore
critiqués pour leur passivité et leur manque de curiosité. Finalement, ils ne jouaient plus le rôle de contre-
pouvoir qui leur était imparti. Les entreprises ont donc cherché à résoudre ces différents maux. Certaines ont
opté pour le modèle de la société anonyme dualiste avec conseil de surveillance assurant le rôle de contre-
pouvoir, mais, la majorité d’entre elles ont considéré que la solution se trouvait dans la personne même de
l’administrateur et dans la composition du conseil. Elles ont ainsi choisi d’introduire des administrateurs
qu’elles ont qualifiés d’« indépendants » en reprenant un modèle anglo-saxon, celui de l’independent non-
executive director. L’introduction de ces administrateurs ne connaissait alors aucun précédent en France ni en
Tunisie2782. Le terme d’indépendant signifiait que ces administrateurs étaient libres de toute dépendance, et

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http://www.chawkitabib.info/spip.php?article600 : 8‫ ا ــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــــ‬8 ‫و‬ ‫ ا‬67 ‫ل‬ ‫ا ا‬D‫ ورد ھ‬،2010/04/26 ،‫ة‬ ‫ا‬
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2777
LE CANNU (P), Légitimité du pouvoir et efficacité du contrôle dans les sociétés par actions, Bull. Joly, 1995, Chron. 227.
2778
FREUND, Grand dictionnaire de la langue latine, T. 1, 2011, p. 48.
2779
LAROUSSE, Grand dictionnaire universel du XIXème siècle, T. 1, 2011, p. 95.
2780
COZIAN (M), VIANDIER (A) et DEBOISSY (F), Droit des sociétés, 15ème éd., Litec, Paris, 2002, p. 206, n° 63 ; LE CANNU (P), Droit
des sociétés, Domat droit privé, Montchrestien, 2002, p. 382, n°667 ; GERSCHEL (C), L’obligation de diligence en droit des affaires, D.
Affaires, 1996, n° 10, p. 283 ; LE NASBAQUE (H), Le développement du devoir de loyauté, RTD com., t. 2, 1999, p. 273.
2781
CHAZAL (J-P) et REINHARD (Y), Les administrateurs dans la loi sur les nouvelles régulations économiques, RTD Com., 2001, p 935.
2782
L’administrateur indépendant est apparu avec la critique du contrôle exercé par les conseils, lorsque les investisseurs institutionnels et les fonds
de pension américains ont pris une part plus active dans la gestion des sociétés. Après les scandales Maxwell, Polly Peck et BCCI, une crise de
confiance est apparue et s’est focalisée autour des conflits d’intérêts entre dirigeants et actionnaires. Ce mouvement né aux Etats-Unis dans les
années soixante-dix a pris le nom de corporate governance. Il désigne un aménagement sous un angle déontologique de la direction et du contrôle
des sociétés anonymes. Il traduit à la fois, la volonté de renforcer le rôle du conseil d’administration, boards of directors, et le souhait d’établir un
équilibre, conçu comme un idéal entre les administrateurs : les administrateurs dirigeants, executive directors et les administrateurs non-dirigeants,

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

tout particulièrement de celle du président qui était en cause. Ils devaient répondre aux attentes des
investisseurs étrangers qui voulaient être rassurés et mieux informés. Pourtant, l’introduction de ces
personnages était et reste la marque d’une culture, d’une organisation de la société commerciale et d’une
problématique anglo-saxonne. Si elle a trouvé un écho favorable aussi bien en France qu’en Tunisie, elle n’en
était pas moins critiquée pour son manque d’utilité et de légitimité tout particulièrement dans les années
quatre-vingt dix lorsqu’elle est apparue. Actuellement, la question de son utilité est devenue secondaire dans
la mesure où les administrateurs indépendants sont présents dans tous les conseils d’administration des
sociétés mères et des grandes sociétés cotées en bourse. Pourtant, s’il faut désormais prendre acte de leur
présence en pratique, il ne faut pas nécessairement renoncer à une évolution du concept surtout en droit
tunisien.
Nul doute que l’efficacité du contrôle de la gestion exercé par les administrateurs dépend en grande
partie du degré de leur indépendance vis-à-vis de la direction. Or, la pratique a souvent prouvé que ce sont les
présidents du conseil d’administration qui cooptent les administrateurs. Devant cette situation, il apparait
effectivement utile de nommer des administrateurs indépendants et libérés de l’influence de la direction, afin
d’assurer au conseil une expertise objective sur la façon dont l’entreprise est dirigée2783, car « le conseil doit
être en mesure de porter un jugement objectif et indépendant sur la conduite des affaires de la société »2784.
D’autant plus que ces administrateurs indépendants, sont pensés comme un contre-pouvoir au sein même du
pouvoir. Dotés d’un large droit d’information, ils peuvent même procéder a des enquêtes sur des aspects de
l’activité de la société et ce, aux frais de celle-ci. Ainsi, la notion d’administrateur indépendant évoque l’idée
que cet administrateur est dégagé de tout intérêt social. Il est désigné ou élu pour assurer le juste équilibre
entre le pouvoir et le contre-pouvoir.

578- La question est de savoir si notre législation des sociétés a consacré la possibilité de recourir à
l’administrateur indépendant ? Il ressort des dispositions de l’article 189, alinéa 2, du C.S.C que la société

non-executive directors. Il est la marque d’une méfiance à l’égard des administrateurs dirigeants siégeant souvent au sein d’un comité exécutif,
executive committee, restreint, et perdant assez facilement, l’idée de démocratisation de la société au profit de ses actionnaires. L’American Law
Institute, qui regroupe les plus grands juristes américains, a réfléchi sur ce sujet et a élaboré des principes. Il a fallu attendre quinze ans en 1993
pour que ceux-ci prennent la forme des Principles of corporate governance. Ils ont insisté sur le rôle des non-executive directors et tout
particulièrement sur l’indépendance de ces derniers qui ne dépend pas seulement des relations individuelles de l’administrateur à savoir
personnelles, de travail ou d’affaires, mais aussi des relations avec la direction. Ces principes vont être complétés et modifiés au fil des ans par le
New York Stock Exchange et le NASDAQ, mais le concept évoluera peu. En Angleterre, la Bourse de Londres, des organisations comptables et la
Banque d’Angleterre ont réagi en suggérant la création d’un comité présidé par Sir Adrian Cadbury qui a publié le premier rapport sur le non-
executive director le 1er décembre 1992. Il a proposé un Code of best practice qui précisait le but de l’institution des non-executive directors. On
attendait alors d’eux qu’ils apportent un jugement indépendant en s’appuyant sur des questions de stratégie, de performance, de finances, des
convocations déterminantes et des règles de conduite. Une majorité d’entre eux devait être indépendante du management ce qui signifiait qu’ils
devaient être dégagés de toute relation d’affaires ou autre qui aurait pu interférer avec l’exercice de leur jugement. Ils avaient aussi une mission de
contrôle qui consistait à s’assurer que le management se conformait à certains standards de conduite et que la comptabilité était régulièrement
tenue. Ils devaient être les seuls à pouvoir apprécier objectivement certaines opérations pour lesquelles la direction était en position de conflit
d’intérêts. Le rapport du comité Greenbury a fait suite au rapport Cadbury en insistant davantage sur la question des rémunérations. Le combined
code a procédé à la synthèse des différentes propositions qui ont pu être faites en matière de corporate governance. Le débat a été relancé, plus
récemment, par une enquête menée par Derek Higgs en juillet 2002 sur le rôle et l’efficacité des administrateurs non dirigeants. Elle a pris la forme
d’un rapport en janvier 2003. Il y précise qu’il n’y a pas de définition de l’administrateur non exécutif. Ils sont généralement considérés comme ces
administrateurs qui, contrairement à leurs collègues dirigeants, ne détiennent pas de fonction exécutive ou de management dans l’entreprise, en
plus de leur rôle de membre du conseil d’administration. Comme d’autres administrateurs de la société, ils doivent se conformer aux devoirs des
administrateurs qui ont été établis par le droit coutumier et la jurisprudence, comme le devoir de prudence, de compétence et de diligence. Il
propose une définition de l’indépendance : un administrateur non-exécutif est considéré indépendant lorsque le conseil d’administration détermine
qu’il est indépendant de par ses qualités morales et dans son jugement et qu’il n’y a aucune relation ou circonstance qui pourrait affecter ou
semblait affecter le jugement de l’administrateur. Le rapport de Laura Tyser va compléter ces dispositions par des informations sur la sélection des
non-executive directors. V. concernant cette évolution historique : LAMETHE (D), L’approche française du gouvernement d’entreprise, RIDC,
1999, p. 1075 ; American Law Institute, Principles of corporate governance, Analysis and Recommendations, 1993 ; Corporate Governance Rule
Proposals Reflecting Recommendations from the New-York Stock-Exchange Corporate Accountability and listing standards Committee as
approved by the NYSE BOARD of Directors, 1er août 2002 ; Nasdaq Corporate Governance Proposals, 10 oct. 2002 ; The Financial Aspects of
Corporate Governance, The Code of Best Practice, Sir Adrian Cadbury’s Report, London, 1er déc. 1992, http//www.ecgi.org/codes/country-
documents/uk/cadbury.pdf., 2.1, “ Non-executive directors should bring an independent judgement to bear on issues of strategy, performance,
resources, including key appointments, and standards of conduct ” ; TUNC (A), Le droit anglais des sociétés anonymes, 4ème éd., Economica,
1997, p. 151 ; SCHOLASTIQUE (E), Le devoir de diligence des membres du conseil d’administration et du « board of directors » en droit
français et en droit anglais, L.G.D.J., 1998, n° 302, p. 359 et s. ; Combined Code, 1999, http://www;gee.co.uk/app/gbn/main ; HIGGS (D), Review
of the role and effectiveness of non-executive directors : a consultation paper, 7 june 2002 ; Derek Higgs report, The role and effectiveness of non-
executive directors, january 2003 ; Laura Tyser Report, The Tyson Report on the Recruitement and developpement of non-executive directors,
january 2003.
2783
HALLOUL (M), Corporate governance et droit des sociétés commerciales en Tunisie, mémoire D.E.A en droit des affaires, Faculté de droit
et des sciences économiques et politiques de Sousse, 2001, p 41.
2784
Les principes de gouvernement d’entreprise de l’O.C.D.E, op.cit, principe n° 6, p 25.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

anonyme peut comporter au sein de son conseil d’administration des administrateurs externes à la société
puisque « la qualité d’actionnaire n’est plus requise pour être membre du conseil »2785. Il en est de même en
matière de SARL ou de sociétés de personnes puisque le gérant n’est pas obligatoirement associé2786. Aussi, la loi
sur le renforcement de la sécurité des relations financières a obligé certaines sociétés à créer un comité
permanent d’audit, composé de trois administrateurs au moins, devant être choisis en dehors du Président
Directeur Général, du Directeur Général et du Directeur Général Adjoint. L’administrateur externe est censé
jouer un rôle important au sein de ce comité permanent d’audit, obligatoire pour les établissements de crédit
depuis l’année 2001. Mais, il reste à savoir dans quels cas l’administrateur externe peut-il être qualifié
d’indépendant ? Pour répondre à cette deuxième interrogation, il faut bien préciser la notion d’administrateur
indépendant.
Selon le rapport Viénot, l’administrateur indépendant est défini comme étant une personne dénuée de
tout lien direct ou indirect avec la société ou les sociétés de son groupe. Ainsi, il ne doit pas être salarié, ni
président ou directeur général de la société ou d’une société du groupe. Il ne doit pas être aussi actionnaire
important de la société, ni être lié de quelque manière que ce soit à un partenaire significatif et habituel,
commercial ou financier de la société ou des sociétés de son groupe2787. Mieux encore, le rapport Bouton
précise que l’administrateur est indépendant non seulement lorsqu’il n’entretient aucune relation avec la
société ou son groupe, mais encore lorsqu’il n’entretient aucune relation avec sa direction2788.
Dans le même sens, la doctrine définit l’administrateur indépendant comme étant la personne n’ayant
«aucun lien d’intérêt direct ou indirect avec la société, ou les sociétés de son groupe, et qui peut ainsi être
réputé participer en toute objectivité aux travaux du conseil d’administration»2789.
Aussi, d’après les principes de la corporate governance2790, l’administrateur ne peut être qualifié
d’indépendant que lorsqu’il remplit certains critères cumulatifs à savoir :
* Ne pas être salarié ou mandataire social de la société, salarié ou administrateur de sa société mère
ou d’une société qu’elle consolide et ne pas l’avoir été au cours des cinq années précédentes.
* Ne pas être mandataire social d’une société dans laquelle la société où il exerce détient directement
ou indirectement un mandat d’administrateur
* Ne pas être client, fournisseur, banquier d’affaire ou banquier de financement.
* Ne pas avoir de lien familial proche avec un mandataire social.
* Ne pas avoir été auditeur de l’entreprise au cours des cinq années précédentes.
* Ne pas être administrateur de l’entreprise depuis plus de douze ans.
* Ne pas être associé de la société qu’il va administrer ou de sa société mère ou filiale.

A ce stade, il convient de signaler que d’un côté, le législateur a donné la possibilité à la société de
comporter au sein de son conseil d’administration, des administrateurs non-actionnaires ou encore externes.
De l’autre, aucune disposition législative n’interdit au conseil de comprendre des administrateurs
indépendants. Par conséquent, rien n’empêche la possibilité de pouvoir nommer des administrateurs
indépendants même en l’absence de l’utilisation de la qualification « indépendant » au sein du code des
sociétés commerciales. Certains auteurs sont allés même jusqu'à affirmer que les dispositions de l’article 189
alinéa 2 du C.S.C, devraient permettre de faire entrer, surtout dans les sociétés groupées, des administrateurs
indépendants au sens des règles de la corporate governance2791.

579- Plusieurs Etats se sont inspirés du système anglo-saxon. On cite notamment la loi belge des
sociétés commerciales qui a imposé en vertu de son article 524 la nomination de trois «administrateurs
indépendants non exécutifs» dans toute société cotée2792. L’article 526 ter, de la même loi, définit la notion

2785
Contrairement à la législation antérieure qui impose la qualité d’actionnaire pour siéger aux conseils d’administration.
2786
V. art. 58 et 112 CSC.
2787
V. rapport Viénot II. Rapport B. Feugere « l’indispensable indépendance de l’administrateur d’une société anonyme ». J.C.P, éd.E, 1999, p
246 ; CHERPITEL (D-J), Les défis du rapport Viénot, banque et stratégie, oct 1995 n°120.
2788
Rapport Bouton : V. http://convictionspolitiques.midiblogs.com/media/00/01/1668464605.pdf.
2789
PAILUSSEAU (J), La modernisation du droit des sociétés commerciales, D. 1996, n° 26, p 287.
2790
Principes de gouvernement d’entreprise, oct 2003 résultant de la consolidation des rapports conjoints de l’A.F.E.P et du M.E.D.E.F de 1995,
1999, 2001 et 2002, p 10, Rapport Bouton, p 10.
2791
LABASTIE-DAHDOUH (C) et DAHDOUH (H), Le droit commercial, vol 2, entreprises sociétaires et groupements privés, tome 2. Ed.
I.H.E, Tunis 2007, p 335.
2792
GEENS (K), Le conseil d’administration dans le système moniste Belge, In l’organisation du pouvoir dans la société anonyme, Hommage à
Madame Benoit-Moury, Bruyant, Bruxelle 2004, p 25.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

d’indépendance d’une façon négative et assez sévère. En effet, l’administrateur indépendant est celui qui,
n’ayant pas été actionnaire, n’a pas exercé un mandat ou une fonction de dirigeant, de délégué à la gestion
journalière ou de cadre de la société concernée. Egalement, l’administrateur indépendant ne peut avoir ni un
conjoint, ni une personne avec laquelle il cohabite légalement, ni un parent, ni un allié jusqu’au deuxième
degré ayant exercé une fonction similaire. De même, les proches cités de l’administrateur indépendant ne
peuvent être titulaires de titres représentant 1/10 ou plus du capital social, du fond social ou d’une catégorie de
titres émis par la société. Il s’ensuit que la loi belge fonde la notion de l’indépendance sur la nécessité de
l’absence de tout lien d’intérêt qui existe ou qui est susceptible d’exister entre la société et l’administrateur
indépendant.
Ces critères devraient-être retenus en droit tunisien car en présence d’un organe de direction cumulant
les pouvoirs de président du conseil et ceux de la direction générale, un contre-pouvoir au sein du conseil
d’administration devient une nécessité. L’organe d’administration devrait comprendre au moins une
personnalité externe pour exercer un contre-pouvoir face au président du conseil d’administration.

580- Il semble alors nécessaire de définir un nouvel équilibre des pouvoirs au sein du conseil
d’administration au travers la mise en place d’un nombre suffisant d’administrateurs indépendants de la
direction. Ces derniers seront capables d’évaluer correctement la gestion sociale et d’exercer un réel contrôle
sur les dirigeants sociaux en raison de leur connaissance approfondie de la gestion, de la finance, de la
comptabilité et leur compétence pour siéger au conseil2793. Leur mission sera d’autant plus importante en
raison du supplément d’objectivité qu’ils apportent au contrôle2794. Ce constat ne se vérifie nullement dans le
cas où le conseil d’administration est composé uniquement par des administrateurs internes peu indépendants
de la direction en raison du lien de cooptation qui existe entre eux. Cette situation les empêchera certainement
d’exercer un contrôle effectif de la gestion, d’où la confiscation du pouvoir par les organes de direction dont
les décisions ne peuvent plus être contestées. De là découle l’importance du rôle des administrateurs
indépendants chargés essentiellement de contrôler les dirigeants, de prévenir les conflits d’intérêts et garantir,
par conséquent, la protection des intérêts des actionnaires non dirigeants contre les abus de pouvoirs de
l’équipe dirigeante.
Manifestement, c’est dans un souci d’aboutir à une bonne gouvernance des sociétés qu’il paraît utile de
nommer des administrateurs indépendants au sein des conseils d’administrations, spécialement dans les
sociétés groupées où le risque d’abus est beaucoup plus considérable. Les sociétés du groupe peuvent, en
effet, prévoir dans leurs statuts la présence de ces administrateurs et le conseil du marché financier pourrait
bien être appelé à fixer un standard minimum en la matière, concernant le nombre, les critères qualificatifs de
ces administrateurs et les modalités de leur recrutement.

581- La loi devrait donc venir clarifier les qualités et la mission de l’administrateur indépendant pour
lui permettre de jouer son rôle efficacement et rendre sa présence dans les conseils d’administration plus
lisible et efficiente. Certaines de ces modalités pourront figurer dans les statuts ou encore dans les règlements
intérieurs afin de laisser aux entreprises une marge de manœuvre. Aussi, un statut autonome est nécessaire
pour donner au concept de l’administrateur indépendant toute son efficacité. Celle-ci est subordonnée à la
durée du mandat, une formation et une mission particulières, ainsi que des garanties financières considérables.
Dans cette perspective, on sollicite une intervention législative afin d’établir un régime juridique
propre aux administrateurs indépendants et imposer leur nomination dans les sociétés mères et les sociétés
cotées en bourse. De même, un organe devrait être créé afin de contrôler les administrateurs indépendants, il
prendrait le nom d’institut des administrateurs. Il permettrait de doubler le contrôle au sein du conseil
d’administration par un contrôle externe de la qualification d’administrateur indépendant. Ces évolutions
légales peuvent, seules, optimiser le recours aux administrateurs indépendants et assurer une efficacité de leur
intervention à même de contrecarrer les agissements abusifs, surtout dans les procédés de concentration des
sociétés. En effet, les entreprises sociétaires ne peuvent plus se contenter de donner à certains administrateurs
2793
Il a été jugé que « la nécessaire confiance des actionnaires dans ces administrateurs passe par une information concernant les compétences de
ces personnes, bien entendu, la composition du conseil joue, et les sociétés côtés devraient inclure dans leur déclaration annuelle sur le
gouvernement d’entreprise, une description de cette composition et expliquer, compte tenu de ce profil, en quoi les différents administrateurs
extérieurs sont qualifiés pour siéger au conseil ». Rapport du groupe du haut niveau d’experts en droit des sociétés, un cadre réglementaire
moderne pour le droit européen des sociétés, Bruxelles, le 04 nov 2002, p 74.
2794
HURSETEL (D), La loi Sarbanes-Oxley doit-elle inspirer une réforme du gouvernement d’entreprise en France ? Rev. Soc, n° 1, janvier /
mars 2003, p 13 et 26.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

le qualificatif d’« indépendant » sans réfléchir aux conséquences juridiques que cette dénomination devrait
entraîner. Une simple existence dans les faits ne peut suffire, il faudrait leur donner les moyens d’exister en
droit. Les propositions qui ont été faites s’agissant de l’élaboration de ce statut autonome devraient aussi
permettre de faire avancer le statut des administrateurs classiques qui demeure également perfectible.

582- S’il est vrai que quelques grandes sociétés tunisiennes ont nommé des administrateurs
indépendants, l’évolution de cette pratique reste à ce jour timide, à cause notamment du caractère peu incitatif
du régime fiscal des rémunérations servies à ces administrateurs. En effet, une rémunération significative d’un
administrateur indépendant constitue la contrepartie logique de son travail et des responsabilités civiles et
pénales engagées en tant que membre du conseil d’administration. Faute de motivation financière
conséquente, une société ne peut nommer une personne qualifiée, ayant suffisamment d’expérience et de
maturité lui permettant de rester réellement indépendant, tout en pesant effectivement dans les débats
stratégiques au sein du conseil. Malheureusement, la loi tunisienne ne traite pas le cas de la rémunération de
ce type d’administrateurs. Par conséquent, la dite-rémunération ne diffère pas, sur le plan légal, de celles des
autres administrateurs.
Dans ce cadre, le CSC, en supprimant la possibilité d’allouer des tantièmes aux membres du conseil
d’administration, précise que les administrateurs ne peuvent recevoir que deux types de rémunération : les
jetons de présence2795 et les rémunérations exceptionnelles2796. Ces dispositions sont strictes et d’ordre public,
puisque l’article 206 du même code interdit toute autre rémunération aux administrateurs et prohibe toute
dérogation au niveau du pacte social en prévoyant que « toute clause statutaire contraire est réputée non
écrite ».
N’ayant pas le caractère exceptionnel, la rémunération des administrateurs indépendants ne peut pas
être effectuée, à notre avis, que sous forme de jetons de présence. On pourrait alors penser que la société
pourrait augmenter la valeur des jetons de présence octroyés aux administrateurs indépendants pour assurer
une correcte rémunération de ces personnes, qui ne peuvent pas être traités financièrement comme les
administrateurs représentants leurs propres actions ou une catégorie particulière d’actionnaires2797. Ainsi, toute
société qui désire améliorer un des principaux mécanismes de gouvernance d’entreprise, en nommant des
administrateurs indépendants, qualifiés et compétents, se trouve obligée de débourser des sommes assez
importantes, à titre de jetons de présence, dans le but d’attirer des compétences talentueuses, capables
d’apporter leur savoir-faire dans un domaine spécifique.
Fâcheusement, bien que qualifiés légalement comme des charges d’exploitation, la déductibilité fiscale
des jetons de présence, au niveau de la société versante, demeure plus que douteuse pour les raisons
suivantes : au niveau de la société, le CIRPPIS limite la déduction des jetons de présence à la seule fraction
correspondante à un remboursement de frais. En effet, l’article 48 du code dispose que « les jetons de
présence du conseil d’administration ou du conseil de surveillance dans les sociétés anonymes et les sociétés
en commandite par actions, au titre de remboursement de frais de présence auxdits conseils, sont déductibles
de l’assiette de l’impôt sur les sociétés ». Selon la doctrine de l’administration fiscale2798, le
terme « remboursement de frais » doit s’entendre au sens des frais occasionnés par la participation aux travaux
des conseils d’administration2799. Tout montant en dépassement sera réintégré au bénéfice imposable.
En appliquant ces dispositions, les jetons de présence octroyés aux administrateurs indépendants, en
rémunération de leurs travaux, ne sont pas déductibles fiscalement, puisqu’ils ne sont pas des remboursements
de frais de présence aux réunions des conseils et comités. Par conséquent, la réintégration des rémunérations
des administrateurs indépendants au bénéfice imposable, alourdissant au passage la charge fiscale de
l’entreprise, constitue un véritable handicap à la généralisation de la nomination de cette forme
d’administrateurs aux conseils d’administration des sociétés anonymes2800. Une évolution vers l’acceptation
2795
Ils sont fixés par l’assemblée générale des actionnaires en rémunération de l’activité des administrateurs au sein du conseil d’administration.
2796
Elles sont allouées par le conseil d’administrateurs pour les missions exceptionnelles. A titre d’exemple des mandats dépassant le cadre normal
des fonctions d’un administrateur, on peut citer les cas de négociation d’un marché important, mission temporaire à l’étranger, inspection d’une
succursale à la suite d’une défaillance grave de ses dirigeants et autres missions délicates pour laquelle le conseil estime l’intervention d’un ou
plusieurs des ses membres préférable à celle d’un directeur.
2797
Les efforts de ces administrateurs « classiques » seront récompensés par les bénéfices réalisés, l’augmentation de la valeur des actions, etc. Ces
motivations n’intéressent pas l’administrateur indépendant, puisque ce dernier est par définition libre de toute relation directe ou indirecte avec
l’entreprise.
2798
TEXTE DGI, 1995/23 – Note commune n° 16/95.
2799
Frais de transport, hébergement, restauration, etc.
2800
La déductibilité demeure possible légalement dans les SARL qui n’ont pas été citées par l’article 48 CIRPPIS.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

de la déductibilité fiscale des jetons de présence lorsqu’ils correspondent à un effort et qu’ils ne sont pas
excessifs eu égard à l’importance du service rendu ne peut qu’encourager les sociétés à nommer des
administrateurs indépendants qualifiés. Ces derniers auront sans doute les capacités d’optimiser la direction
générale dans tous les domaines, y compris la matière fiscale.
Ainsi, en rémunérant correctement la compétence d’un administrateur indépendant, la société vise
l’assurance d’avoir, au sein de son conseil, des personnes qualifiées, capables de jouer pleinement leur rôle,
qui ne peut qu’être bénéfique à la bonne marche de l’entreprise, l’intérêt de ses actionnaires minoritaires et
des parties liées2801. Toutefois, la législation actuelle ne permet la rémunération des administrateurs
indépendants que sous forme de jetons de présence. Or, ces derniers ne sont déductibles fiscalement que
lorsqu’ils représentent des remboursements de frais d’assistance aux conseils. Ainsi, la société se trouve
pénalisée sur le plan fiscal, notamment en cas de rémunération importante ou de pluralité d’administrateurs
indépendants. Ces textes législatifs découragent actuellement les tentatives de généralisation des
administrateurs indépendants, « gage d’impartialité et de sauvegarde des intérêts des actionnaires
minoritaires »2802. Une intervention législative, dans ce sens, serait la bienvenue afin de renforcer les
mécanismes de gouvernance d’entreprise et notamment la prévention des abus dans les procédés de
concentration des sociétés2803.
583- Sous ces importantes réserves et si on fait abstraction des difficultés précédemment évoquées,
l’institution d’administrateurs indépendants peut constituer une voie utile pour accentuer l’efficacité du
contrôle exercé par le conseil d’administration. Il est, en effet, vraisemblable que la mise en place de contre-
pouvoirs effectifs, investis d’une mission de surveillance réaffirmée et déliée de tout conflit d’intérêts, soit de
nature à réfréner la commission d’actes abusifs. En théorie, les administrateurs indépendants ne justifient leur
présence au conseil que par le contrôle sans complaisance qu’on attend d’eux. En outre, sur le plan pénal, leur
complaisance éventuelle peut les exposer à des poursuites en qualité de complices. Par conséquent, il n’est pas
douteux qu’une certaine valeur dissuasive s’attache au fait que les dirigeants sachent que leurs actes seront
soumis à un contrôle scrupuleux2804.

584- En définitive, il apparaît clair que l’administrateur indépendant joue un rôle très important dans
la prévention des abus inhérents à la gestion sociétaire. Ce rôle assez important gagnerait en termes d’efficacité
s’il serait corroboré par l’intervention de nouveaux organes de contrôle externes à la structure sociétaire dont le
rôle pourrait être d’une aide considérable pour combattre les abus dans les procédés de concentration des
sociétés.

Sous-section Deuxième : Adjonction de nouveaux


organes extérieurs de prévention de l’abus
585- Il semble nécessaire d’instituer une commission spéciale de la concentration qui consoliderait,
à bien des égards, le dispositif actuel de prévention de l’abus au sein des procédés de concentration des
sociétés (-§1- ). De même, la reconnaissance des associations de défense des actionnaires jouerait un rôle non
moins important dans le contrôle et la prévention des abus dont les dangers et les inconséquences sont des
plus nuisibles pour les opérations de fusion, scission ou groupement (-§2- ).

-§1- : Pour la création d’une commission spéciale de la


concentration :

2801
Etat, salaires, clients, fournisseurs, etc.
2802
Institut Arabe des Chefs d’Entreprises, Guide de Bonnes Pratiques de Gouvernance des Entreprises Tunisiennes, 2008.
2803
MAAZOUN (M), Rémunération des administrateurs indépendants, I.J., n° 68/69, Mai 2009, p 11.
2804
De manière similaire, une meilleure prévention des agissements répréhensibles peut résulter de la dissociation des fonctions de directeur
général et de président du conseil d’administration. En ce cas, le pouvoir se trouvant morcelé, les abus devraient logiquement être plus difficiles à
commettre et à dissimuler.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

586- Dans le cadre de la mise à niveau institutionnelle, on propose la création d’une commission de
la concentration chargée d’examiner les problèmes y relatifs dans les divers domaines et ce, à l’instar de la
commission française, crée par le décret n° 2005-217 du 8 mars 2005, chargée d’examiner les problèmes de la
concentration dans le domaine des médias2805. Le dit-décret lui a fixé pour mission d’établir un diagnostic, de
porter une appréciation sur la pertinence et l’efficacité de la législation applicable et d’étudier les
modifications qui pourraient y être apportées.
La commission de la concentration devrait, le cas échéant, poursuivre sa mission en ordonnant sa
réflexion autour de trois axes qui formeraient les trois parties essentielles de son domaine d’intervention. Le
premier concernera l’amélioration continue du dispositif de contrôle des opérations de concentration et la
prévention des abus dans les divers secteurs. Le deuxième axe se focalisera, de façon continue, à préparer une
analyse approfondie des enjeux économiques. Partant d’un diagnostic de l’état actuel de la concentration, la
commission cherchera à se projeter dans l’avenir pour préciser ses déterminants et évaluer les conditions de
viabilité et de développement des entreprises dans chaque secteur d’activité. Le troisième axe, quant à lui,
portera sur la formulation de propositions et études destinées à améliorer l’efficacité du dispositif actuel,
suggérant des règles plus simples et mieux proportionnées aux enjeux réels, renforçant les garanties de
pluralisme et de diversité là où elles sont défaillantes et supprimant les atteintes à la liberté d’entreprendre
lorsqu’elles sont devenues inutiles.
La dite commission doit être obligatoirement indépendante et placée de ce fait en dehors des services
de toute administration centrale. Cette indépendance est nécessairement imposée par la nécessité de rompre
avec les structures administratives traditionnelles qui n'ont pas su faire la preuve de leur indépendance à
l'égard des opérateurs économiques. La commission présentera ainsi la garantie de l'impartialité de l'action de
l'Etat surtout lorsque dans des marchés nouvellement ouverts à l’initiative privée, les entreprises entrant sur le
marché sont en concurrence avec l'ancien monopole sous la forme d'une entreprise publique en position
dominante. Cette indépendance est imposée par le principe selon lequel, l'Etat ne peut pas être à la fois juge et
partie ce qui conduit à créer un mur entre l'Etat opérateur et l'Etat régulateur.
587- Mission relevant auparavant de la compétence du ministre, le contrôle des opérations de
concentration a été transféré par la loi de modernisation de l'économie (LME) du 4 août 2008 à l'Autorité de la
concurrence. Cette réforme française rapproche le modèle français de celui en vigueur partout ailleurs en
Europe2806. Une telle réforme pourrait également voir le jour en droit tunisien en accordant ce contrôle, non
pas à l’autorité de la concurrence, mais à la commission de la concentration. La commission aura alors pour
mission de veiller au bon fonctionnement du marché aussi bien concurrentiel que financier en essayant autant
que faire se peut de prévenir mais aussi de détecter les comportements abusifs liés aux procédés de la
concentration sur ces deux marchés. Plus précisément, la commission sera chargée de surveiller les
concentrations susceptibles de porter atteinte à la concurrence, notamment en créant ou en renforçant une
position dominante. Elle interviendra au niveau des projets de concentration soit pour les autoriser sans
conditions, soit les autoriser sous conditions en exigeant que les entreprises concernées prennent des mesures
correctives, soit les interdire purement et simplement pour prévenir les abus2807. Elle peut, par simple
demande ou par voie de décision, demander aux parties concernées de fournir des renseignements
supplémentaires, sachant que toute information recueillie est couverte par le secret professionnel. Elle peut
également décider d’effectuer des inspections. Autrement dit, la commission peut imposer des mesures
provisoires lorsqu’elle constate qu’une concentration notifiée ne soulève pas des doutes sérieux de
compatibilité avec le marché commun ou lorsqu’une simple modification suffirait à rendre la concentration
compatible avec le dit-marché. Par contre, lorsqu’une concentration soulève des doutes sérieux quant à sa
compatibilité avec le marché, la commission peut demander aux personnes ou aux entreprises concernées de
fournir des renseignements supplémentaires et, le cas échéant, effectuer des inspections approfondies sur
place. Elle pourra aussi demander aux entreprises concernées d’apporter les modifications nécessaires pour
rendre l’opération de concentration compatible avec le marché commun.

2805
http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/064000035/0000.pdf
2806
http://www.autoritedelaconcurrence.fr/user/standard.php?id_rub=296
2807
Suite à la réception de la notification du projet de la concentration, la Commission disposera de plusieurs pouvoirs de décision nécessaire pour
engager la procédure, mener des enquêtes et imposer des sanctions.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Le rôle de la commission sera également d'informer les acteurs économiques des éventuels
agissements abusifs ou qui pourraient l’être. Aussi, dans des domaines divers, la commission renseignera les
personnes concernées sur les comportements à éviter pour ne pas commettre des abus.
De façon générale, la Commission aura une mission préventive et consultative à travers l’émission
d’avis ponctuels sans force obligatoire sur la conformité à la législation en vigueur et la formulation de
recommandations d’ordre général sur le développement des bonnes pratiques commerciales. On devrait aussi
accorder à cette commission tous les moyens et les pouvoirs nécessaires pour lui permettre de s'assurer que les
concentrations ne mettent pas en danger le processus concurrentiel essentiel au marché.
588- Cette commission pourrait également jouer un rôle très important dans la prévention des abus
en matière fiscale et ce, à l’instar du droit français. En effet, en raison de l'ambiguïté entourant la notion
d’abus fiscal, et conscient de l’ampleur de cette difficulté2808, le législateur français a prévu un système de
consultation préalable, appelé « rescrit »2809. Ce système préventif de l’abus fiscal consiste, pour le
contribuable français, en cas de doute sur la nature d'une opération envisagée, de poser une question écrite aux
services fiscaux, en leur apportant tous les détails nécessaires. La réponse de l'administration lui permettra, si
besoin est, de modifier l'opération envisagée pour éviter un redressement éventuel pour abus de droit. Si le
contribuable ne reçoit aucune réponse dans les six mois, l'abus de droit ne pourra pas être invoqué en cas de
contrôle ultérieur2810.
Ainsi, lorsqu'en présence d'un montage juridique complexe ou délicat, le contribuable français veut
éviter toute mauvaise surprise fiscale motivée par l'abus de droit, il lui suffit d'adresser au directeur général
des impôts une lettre dans laquelle il expose de la façon la plus complète possible le détail de l'opération
envisagée et des conséquences qui lui semblent en résulter. Dans les six mois de cette demande, ou bien
l'administration répond en jugeant qu'il y a abus de droit, ou bien elle ne répond pas. Lorsque la réponse n'est
pas favorable au contribuable, celui-ci peut passer outre, mais alors la charge de la preuve lui incombe devant

HA ‫ ا‬،C$; [1! ‫ ] ر‬N . # ‫ و‬80 ‫ ص‬1999 ّ+‫ ر‬4 AJ‫ ا‬، ّ+‫وا ر‬ ‫ ا‬9 ‫ ا ا‬،‫( ا > اري‬1S ‫( ا‬63 : 6‫ُ اﺟ‬+ " L ‫ ا‬8G + ‫ه ا‬D‫ ھ ھ‬d$ 8 ‫ ا‬VC 3 ‫] ص ا‬P 2808
،e P6 ‫ ( ا‬0‫ أ‬. 153 ‫ ص‬،2004/2003 ،‫ س‬4 # ‫ ﺟ‬، #‫ا‬ ‫ ا‬8G ‫ ات‬g ، "C71 ‫( ا @ در‬63 . # ‫ و‬221 ‫ ص‬،1997 ،8 # ‫ دار ا‬، p # ‫ ط‬، ‫ا و‬ 9 # d+ ‫ا‬
، D‫ ر‬F ‫( ا‬1EN ( 0‫ أ‬.127‫ ص‬،2001 ، d ‫ ا‬# L ‫ ا‬،8 # ‫ ا‬/ ‫ دار ا‬، ‫ ا‬9 ‫ ر ا ا‬L$ ، ] N ( - .22-19 ‫ ص‬،1998 ، d ‫ ا‬# L ‫ ا‬،‫وت‬ # ‫ ا ار ا‬، ‫ا‬9 4‫ا‬
163 ‫ ص‬،1992-1991 ،2 M! ‫ ا‬# ‫ ﺟ‬،‫ راه‬C‫ اط و< د‬، ‫ ا‬9 ‫ ا ا‬، D ( 0‫ أ‬. # ‫ و‬116 ‫ ص‬،1996 ،U ‫ ا و‬# L ‫ ا‬، 34 ‫ وا‬N L # ‫ ا‬FK4 ‫ دار ا‬،I ‫ ا‬F ‫م ا‬
.# ‫و‬
2809
Le terme « rescrit » provient du latin rescriptum qui désignait la réponse écrite de l’empereur à une question de droit posée par un magistrat, un
gouverneur de province ou bien un particulier. Ce mécanisme recouvre en réalité de multiples applications en droit français, comme par exemple la
saisine pour avis de la Cour de Cassation sur une question de droit, le certificat d’urbanisme, le rescrit financier défini par le règlement de la
Commission des Opérations de Bourse No. 90-07 homologué par un arrêté du Ministre de l’Economie et des Finances du 5 juillet 1990, le rescrit-
valeur, qui est une « procédure administrative (…) crée en 1998 et prorogée en 2001 jusqu’au 30 juin 2006 et qui permet à tout chef d’entreprise
qui souhaite donner (…) son bien professionnel au sens de l’impôt de solidarité sur la fortune, d’aller voir l’administration fiscale et d’obtenir une
garantie à l’euro près sur la valeur de ce bien et, ipso facto, sur la valeur du droit qu’il sera amené à acquitter à cette occasion. » et le rescrit
prévu par l’article L 64 B du L.P.F., qui nous intéressera plus particulièrement ici. Le rescrit fiscal a été instauré par la loi du 8 juillet 1987 et
l’instruction du 16 décembre 1988. La loi s’est inspirée du ruling de droit américain qui a pour effet de clarifier une situation légale complexe au
vu d’un dossier. Les règles concernant cette procédure ont été codifiées à l’article L 64 B du Livre des Procédures Fiscales, texte qui ne contient
toutefois pas le terme de « rescrit », ce nom lui ayant été donné par la pratique. Cette procédure permet au contribuable d’interroger
l’administration sur un montage juridique qu’il envisage, afin de savoir s’il est constitutif ou non d’un abus de droit. V. à ce propos, B. OPPETIT,
La résurgence du rescrit, D. 1991, chron., p.105. B. BENOIT, Le rescrit fiscal, RF compt., mars 1989, p.39. G. HUBLOT, Rescrire ou pas… ?,
Les nouvelles fiscales, 2000, No. 829, p.2. M. GALIMARD, Le rescrit, Journ. Not., 1987, p.895. H-A. COUDERC, P. SCHUSTER, G. BAFFOY
et S. De LASSUS, Transmission de l’entreprise à titre gratuit : quelle sécurité fiscale ?, Colloque organisé le 19 juin 2003 à l’Université Paris-
Dauphine, 2ème table ronde : le rescrit valeur, JCP éd. Notariale, No. 39, 26 septembre 2003, p. 1364. M. GIRAY, Une nouveauté dans la
transmission familiale d’entreprise : le rescrit, JCP éd. Notariale, No. 25, 1998, p. 983. L. RICHER et A. VIANDIER, Le rescrit financier, JCP éd.
Entreprise, 1991, I, 10. P. SCHUSTER, La procédure de rescrit-valeur, intervention lors du colloque organisé le 19 juin 2003 à L’Université de
Paris Dauphine sur le thème de la transmission de l’entreprise à titre gratuit, JCP éd. Notariale, No.39, 26 septembre 2003, p. 1365.
2810
Conformément à l’article L 64 B du L.P.F. (français), tel que modifié par la loi n°2008-1443 du 30 décembre 2008 - art. 35 (V) : « la
procédure définie à l’article L 64 n’est pas applicable lorsqu’un contribuable, préalablement à la conclusion d’un ou plusieurs actes, a consulté
par écrit l’administration centrale en lui fournissant tous éléments utiles pour apprécier la portée véritable de cette opération et que
l’administration n’a pas répondu dans un délai de six mois à compter de cette demande. ». A travers cet article apparaissent quatre conditions, une
condition de fond qui ressort de la référence à l’article L 64 du L.P.F., et trois conditions de forme. La consultation de l’administration doit donc
concerner la portée d’un contrat ou d’une convention susceptible d’être mis en cause dans le cadre de la procédure de répression des abus de droit.
Il faut tout d’abord que la demande soit formulée par les parties préalablement à la conclusion du contrat ou de la convention. La demande doit être
adressée par écrit à l’administration centrale. Elle doit être signée par au moins une partie au contrat et envoyée par lettre recommandée avec
accusé de réception soit à la direction générale des impôts (service du contentieux) à Paris (1er) 93, rue de Rivoli, soit au service de la législation
fiscale. Tous les éléments utiles pour apprécier la portée véritable de l’opération envisagée doivent figurer dans la demande. Celle-ci, rédigée sous
la forme d’un mémoire introductif d’instance doit donc comporter : un exposé clair, complet et sincère de l’opération envisagée, la désignation
exacte de toutes les parties au contrat ou à la convention, la description des liens existant déjà entre les parties et une copie de tous les documents
utiles pour apprécier la portée véritable de l’opération. De plus, le contribuable doit être de bonne foi, il ne peut se prévaloir de la garantie s’il a
fourni des éléments incomplets ou inexacts. Il peut pour la même opération présenter une demande complétée, mais l’administration n’est réputée
saisie qu’à partir du moment où elle dispose de tous les éléments utiles.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

le juge de l'impôt. Si la réponse est favorable (qu'elle soit expresse, dans les six mois de la demande, ou
tacite), le contribuable est assuré que l'administration ne pourra pas utiliser la procédure de l'abus de droit. En
outre, l'immunité fiscale n'est acquise que si l'opération a été très exactement exposée à l'administration, sans
fard et sans omission, et que sa réalisation correspond parfaitement aux éléments contenus dans le rescrit.
La procédure de l’article L 64 B du L.P.F. a sans doute été motivée par des intentions louables, visant
à améliorer le dialogue entre l’administration et le contribuable. Un auteur avait écrit, à ce propos, que « le
rescrit est une procédure très remarquable en ce sens qu’il favorise le dialogue entre l’administration et les
contribuables de bonne foi »2811.
Après avoir reçu la réponse de l'administration à ses propres observations, le contribuable français
dispose de trente jours également pour saisir le « Comité de l’abus de droit fiscal ». Cet organisme national
comprend un conseiller-maître à la Cour des comptes, un conseiller d’Etat, un professeur d’université, un
conseiller à la Cour de cassation, un notaire, un avocat et un expert-comptable nommés par le ministre chargé
du budget2812. La saisine du Comité, qui peut être également à l'initiative de l'administration, suspend le
recouvrement des impôts réclamés. Une copie du rapport adressé par le fisc au Comité est transmise au
contribuable. Celui-ci peut ajouter d'autres observations dans les trente jours suivants. L'avis rendu par le
Comité est purement consultatif et n'engage ni l'administration, ni le contribuable. Cet avis est toutefois
déterminant. En effet, en cas de poursuite du contentieux, le contribuable supporte la charge de la preuve si le
Comité émet un avis conforme à la position du fisc. En d'autres termes, il devra prouver qu'il n'a pas commis
d'abus de droit si le Comité et l'administration sont d'accord. Dans tous les autres cas, y compris si le Comité
n'est pas saisi, c'est à l'administration d'apporter la preuve de l'abus de droit.
Toutes ces garanties spécifiques offertes au contribuable français font totalement défaut, en droit
tunisien, où l’équilibre entre les pouvoirs exorbitants du fisc et les droits des contribuables est plus que jamais
mal-en-point2813. Faut-il rappeler, à ce niveau, que « la lutte contre la fraude fiscale ne se fait pas moyennant
les prérogatives exorbitantes de l’administration ou moyennant des dispositions répressives sévères. L’octroi
de garanties réelles au contribuable et l’instauration d’impositions modérées sont les véritables solutions
durables à la fraude2814 ».
Il serait alors très utile de prévoir, à l’instar du droit français, un régime préventif de l’abus de droit.
Dans cet ordre d’idée, le régime juridique du « rescrit » tel que prévu par l’article L 64 B du LPF et celui
inhérent au « comité de l’abus de droit fiscal » seraient « le bien venu » en droit tunisien. Pourquoi ne pas
instituer ces deux systèmes de prévention de l’abus de droit en matière fiscale ? Notre droit gagnerait
certainement en termes de contrôle et de transparence si les deux régimes susmentionnés faisaient partie
intégrante de la mission préventive de la commission spéciale de la concentration. Cette prévention de l’abus
serait d’autant plus assurée si on reconnaissait par la même, dans une loi spéciale, la possibilité de constituer
des associations de défense des actionnaires, surtout des minoritaires et des investisseurs. Ce phénomène
fondamental de collectivisation des associés et de leurs actions s’inscrit dans un retour aux modes collectifs de
régulation2815, et plus spécifiquement rappelle la place moyenne tenue par la théorie de l’abus, dans la
concentration, entre individualisme et holisme. Le professeur Dominique Schmidt estime, à ce propos, que
«lorsque l'édiction d'interdiction se révèle inapproprié parce qu'elle opère avec trop de brutalités ou trop de

2811
BENOIT (B), Le rescrit fiscal, RF Compt. 1989, No. 199, p.39.
2812
Conformément à l’article 1653 C CGI (français), tel que modifié par la loi n°2008-1443 du 30 décembre 2008 - art. 35 (V) : « le comité prévu
à l'article L 64 du livre des procédures fiscales comprend : a. un conseiller d'Etat, président ; b. un conseiller à la cour de cassation ; c. Un avocat
ayant une compétence en droit fiscal ; d. un conseiller maître à la Cour des comptes ; e) Un notaire ; f) Un expert-comptable ; g) Un professeur
des universités, agrégé de droit ou de sciences économiques. Les membres du comité sont nommés par le ministre chargé du budget sur
proposition du Conseil national des barreaux pour la personne mentionnée au c, du Conseil supérieur du notariat pour la personne mentionnée au
e et du Conseil supérieur de l'ordre des experts-comptables pour la personne mentionnée au f. Des suppléants sont nommés dans les mêmes
conditions. Le ministre chargé du budget désigne en outre un ou plusieurs agents de catégorie A de la direction générale des finances publiques
pour remplir les fonctions de rapporteur auprès du comité ».
V 3 ‫ ا‬H/ . # ‫ و‬217 ‫ ص‬،2006-2005،H $ A ! ‫ م ا‬# ‫ ا ق و ا‬C ،‫ راه‬C‫ اط و< د‬، ‫ا ق و ا ﺟ اءات ا‬ ‫ل‬S M ‫ ا دارة ا‬، N A- ‫ ط رق ا‬2813
.19 ‫ ص‬،2000 ،U ‫ أو‬# ‫ ط‬،‫ ء‬F ‫ ا ار ا‬،6+‫ وا ز‬34 ‫ ا‬C O ،8 d ‫ ا 'ء ا‬،‫ ا ^ ب‬8G I ‫ ا‬F ‫ ا‬،‫ ش‬7" ‫ ع‬1O : " 3 ‫ﺟ د ^ ب ا‬
2814
BACCOUCHE (N), L’environnement fiscal de l’entreprise à l’heure de l’internationalisation de l’économie : le cas tunisien, In « L’entreprise,
l’environnement juridique et fiscal ». Les journées de l’entreprise, Port el Kantaoui, 9-10 Novembre 2001, p 101.
2815
Selon Maffesoli, la postmodernité est marquée par un recul de l’individualisme et un retour à la socialité, à travers des « néo-tribus » qu’il
analyse en un phénomène de résistance de la masse à la toute-puissance de l’Etat, du peuple au politique. MAFFESOLI (M), Le temps des tribus -
Le déclin de l’individualisme dans les sociétés de masse, Méridiens, Livre de poche, 1988. V. aussi HANNOUN (C), La déontologie des activités
financières : contribution aux recherches actuelles sur le néo-corporatisme, RTD Com. 1989, p. 417.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

nuances, il faut adopter une méthode plus flexible. L'une d'entre elles consiste à obliger les opérateurs à
mettre eux-mêmes en œuvre les moyens propres à éviter ou à réduire les risques de survenance d’abus »2816.

-§2- : La nécessaire reconnaissance des associations de défense


des actionnaires et des investisseurs
589- « En 1987, on a concocté une bombe qui explose aujourd'hui : celle de l'actionnariat
minoritaire »2817. Cet actionnariat, parce qu'il ne possède justement qu'un nombre limité d'actions ne peut
peser bien lourd au sein des décisions prisent en assemblée. Seul, l’actionnaire est isolé. Dès lors, l'une des
solutions envisageables pour qu'il puisse efficacement revendiquer ses droits consiste dans le regroupement en
association de défense2818. En effet, nul ne doute aujourd’hui de la nécessité pour les actionnaires minoritaires
de se regrouper pour faire face à la concentration des pouvoirs qui s’opère entre les mains de la majorité
dirigeante. Ainsi, il a été jugé en France, depuis des années, qu’ « il est grand temps de créer une association
de défense des minoritaires »2819. Cette même nécessité est actuellement ressentie, avec beaucoup de
stridence, en droit tunisien. Faudra-t-il alors reconnaître ces associations à l’instar de la législation française
qui en a autorisé la constitution dans le cadre de l’article L225-120 du code de commerce2820 ?
Les associations de défense sont une technique de regroupement organisé de la minorité qui devient
agissante en faisant valoir sa volonté de participer activement à la gestion de la société2821. On distingue
généralement entre les associations d’actionnaires qui peuvent se constituer à l’occasion d’un conflit ou
indépendamment de tout conflit afin de veiller au respect des droits de leurs adhérents au sein d’une société
anonyme donnée, et les associations d’investisseurs qui regroupent généralement des épargnants, ayant pour
finalité de veiller au respect des droits de ces derniers. Les premières ont évidemment un lien plus étroit avec
la vie de la société que les secondes dont l’objectif principal est la défense de l’épargne2822.
Le principal apport de l’association est de faciliter le dialogue avec les dirigeants afin de concilier
entre les différents intérêts en présence, ce qui aboutit à éviter toute concertation individuelle qui conduit
inéluctablement à la paralysie des assemblées générales d’actionnaires. A cet égard, il convient de noter
que « la monté en puissance des associations d’actionnaires ou d’investisseurs est de nature à redonner de la
couleur aux assemblées d’actionnaires »2823. Aussi, les associations de défense, en organisant souvent leurs
réunions à l’occasion des assemblées générales, permettent d’éviter la dispersion des actionnaires ainsi que
leur isolement et faciliter, par conséquent, les contacts entre des actionnaires qui ne se connaissent même pas.
Ainsi, l’activisme accru des investisseurs institutionnels et des associations d'actionnaires minoritaires (Adam,
Déminor) ou salariés (Avas groupe Total) a contribué fortement, en France, à renforcer le rôle des assemblées
générales, dont les décisions sont souveraines2824.

2816
SCHMIDT (D), Les conflits d'intérêts dans la société anonyme, Bull. Joly, 2004, n° 23, p. 35
2817
Ibidem.
2818
ACH (Y-A), Les problèmes juridiques posés par la démocratisation dans les sociétés par actions, LPA, 01 janvier 1997 n° 1, p. 6.
2819
HEURTEUX (C), op. cit p 125- 127.
2820
La loi n°94-679 du 8 août 1994 portant diverses dispositions d’ordre économique et financier, a introduit l’article 172-1 dans la loi du 24 juil
1966 devenu l’article L 225- 120. La loi de 1994 a permis de constater qu'existent, en France, trois catégories d'associations d'actionnaires.
D’abord, les associations de défense des investisseurs, dont le régime est inspiré de celui des associations de consommateurs, notamment quant à
leur procédure d'agrément et à leurs pouvoirs. Ensuite, les associations d'actionnaires de sociétés cotées (article L. 225-120 du Code de commerce),
qui ne sont pas soumises à agrément mais à une procédure de communication de leurs statuts à l'Autorité des marchés financiers, dont les
sociétaires doivent détenir des actions inscrites au nominatif depuis plus de 2 ans représentant entre 1 et 5 % du capital social suivant le volume du
capital de la société, pour pouvoir exercer, au nom desdits sociétaires, certains des droits reconnus aux actionnaires minoritaires. Enfin, les
associations de défense d'actionnaires de droit commun, ou à objet généraliste, qui relèvent de la loi du 1er juillet 1901, et dont l'objet consiste à
représenter leurs membres dans leurs démarches, contentieuses ou non, auprès des sociétés dont ils détiennent des actions, des établissements
financiers ou des autorités de tutelle.
2821
RUELLAN (C), th. pré., p 576.
2822
GUYON (Y), Faut-il des associations d’actionnaires et d’investisseurs ?, Rev. Soc, avril- juin 1995 p 207.
2823
LE CANNU (P), Les attributions et responsabilités des associations de défense des actionnaires et des investisseurs, Rev. Soc., avril- juin
1995, p 239.
2824
L'Adam (Association de défense des actionnaires minoritaires), l'association française la plus ancienne et la plus représentative fondée par
Colette Neuville, a été et est encore présente dans toutes les AG, à la pointe du combat sur les questions d'actualité les plus épineuses relevant du
droit des sociétés et du Code monétaire et financier (Rhodia, Vivendi, Eurotunnel, Accor/Club-Med, Cie du Louvre...). Deminor, d'origine Belge, a
été très active sur les aspects de gouvernement d'entreprise, d'éthique des affaires et de défense des droits des actionnaires minoritaires afin de

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

En outre, les associations peuvent s’organiser pour contacter les actionnaires individuels avant les
assemblées générales afin de recueillir leurs procurations, ce qui leur permettra d’obtenir plus de poids lors du
vote et éviter que ces voix ne soient récupérées par les dirigeants2825. Les actionnaires minoritaires souvent
dominés par l’ignorance et la crainte d’être ridiculisés par les dirigeants sociaux, trouvent ainsi dans le
mouvement associatif l’issue de secours. Monsieur Le Cannu avait déjà affirmé que « les
associations…améliorent la formation économique et financière de leurs membres… »2826. Il en découle
une « très forte montée en puissance des actionnaires, de passifs ils sont devenus actifs. Ils se sont
institutionnalisés. Ils cherchent à imposer leur loi dans les sociétés. Il en résulte une très profonde
modification du rapport de force au sein de la société »2827.
590- Manifestement, le mouvement associatif assure principalement une mission préventive. Celle-
ci consiste à aider les actionnaires à s’organiser pour agir, obtenir et transmettre l’information, garantir la mise
en place d’organes de gestion susceptibles de prendre en considération de façon optimale les intérêts de la
communauté des actionnaires2828 et éviter, par conséquent, tout comportement abusif et irrégulier de ces
organes. Reste que ce contrôle associatif ne comporte pas uniquement le volet préventif, il peut aussi s’exercer
a posteriori. D’ailleurs, la forme associative est révélatrice de l’opportunité de la contestation organisée des
actionnaires minoritaires. Cette contestation peut être en premier lieu extrajudiciaire. Elle se manifeste surtout
dans le droit de poser des questions écrites ou de faire inscrire une question à l’ordre du jour de
l’assemblée2829. Lorsque la contestation prend, en second lieu un aspect judiciaire, les associations sont d’une
grande utilité. D’une part, elles servent de relais à des actionnaires qui n’agiraient pas s’ils étaient isolés mais
renoncent souvent à leur droit à la contestation en cédant leurs titres au lieu de plaider contre les dirigeants
sociaux surtout que la saisine de la justice est le plus souvent coûteuse et aléatoire2830. D’autre part, les
associations permettent aux minoritaires d’atteindre le pourcentage requis exigé par la loi pour agir. On en
déduit donc, le rôle important des associations de défense qui faciliteraient l’accès de la minorité à la justice
surtout lorsque la contestation extrajudiciaire ne permet pas une association effective des minoritaires à
l’organisation sociale. L'association devient ainsi le représentant de l'actionnaire auprès de la société dont il
détient des actions et l'instrument des grandes et des petites causes économiques et financières de l’associé2831.
591- Lacordaire et Portalis écrivaient au 19e siècle qu'« entre le faible et le fort, c'est la liberté qui
asservit et la loi qui libère ». Faut-il aujourd'hui se demander si notre droit des sociétés a trop tendance à
protéger le fort par rapport au faible ? Il est clair que le souci d'éviter les mouvements anarchiques dangereux
a longtemps guidé les pas du législateur2832. Mais peut-on envisager une écoute démocratique sans pôle de
contestations ? Reste à savoir comment ce problème politique projeté aujourd'hui au niveau de notre droit des
sociétés sera réglé. Un auteur a récemment écrit que le phénomène des associations d'investisseurs était de
nature à conférer un nouveau statut aux actionnaires minoritaires2833. C'est sans doute s'avancer de manière un
peu aventureuse sur les faits. Tant que la loi n'aura pas changé la voix, en organisant le statut de ces
associations, le minoritaire restera bien isolé. Les fameuses propositions du sénateur Marini vont dans le sens
d'une meilleure amélioration de l'écoute de l'actionnaire2834. Gageons que l'oreille du législateur ne sera pas
trop entachée de timidité si on souhaite que les associations de défense des actionnaires deviennent des

rappeler régulièrement au management les bonnes pratiques de gouvernance. L'Anaf (Association nationale des actionnaires de France) fondée par
Marcel Tixier, a fait entendre sa voix dans toutes les AG ; son président intervient systématiquement par une question écrite et par une question
orale sur les points de l'ordre du jour, les résolutions, la stratégie ou la formation des résultats, relevant ainsi le niveau des débats. Les AG de
France Télécom, de Vivendi et d'Eurotunnel ont consacré l'audience et l'efficacité de l'activisme des actionnaires minoritaires. Ils sont parfois
relayés par d'autres acteurs nouveaux, les sociétés de services et de conseils pour l'exercice des droits de vote (proxy advisors), comme Proxinvest
fondée par Pierre-Henri Leroy, et ISS (Institutional Shareholders Services), dont le capital était contrôlé par des fonds de pension anglo-
américains. Cités par MASSIE (J-A), La mise en pratique des réformes : Le point de vue des actionnaires, LPA, 02 août 2007 n° 154, P. 21.
2825
BRUNOUW (L), mém. pré., p 81.
2826
LE CANNU (P), op.cit, p 239.
2827
PAILLUSEAU (J), Entreprise, société, actionnaires, salariés, quels rapport ?, Dalloz, 1999, 15ème cahier, chronique, 165.
2828
LE BRAS (B), Les associations de défense d’actionnaires et d’investisseurs, L.G.D.J, Paris, 2004 p 381.
2829
V. supra, n° 384.
2830
HAFNAOUI (A-H), Le pouvoir de contrôle des actionnaires minoritaires dans la société anonyme, mémoire, FDS, 2004, p 271.
2831
LEBARS (B), Associations d'actionnaires et d'investisseurs : un droit rénové d'ester en justice ? LPA, 14 novembre 2003 n° 228, P. 102
2832
ACH (Y-A), art. pré., p. 6.
2833
DANGLEHANT (C), Le nouveau statut des minoritaires dans les sociétés anonymes cotées : l'application du principe de l'équité, Rev. Soc.,
juillet-août 1996.
2834
MARINI (PH), La modernisation du droit des sociétés, La Documentation française, 1996, p. 85 et s.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

interlocuteurs constructifs dans la création d'une véritable entreprise citoyenne au profit de l'intérêt supérieur
de la personne morale2835.
Dans le système actuel caractérisé par la faiblesse des contre-pouvoirs, les administrateurs et les plus
gros minoritaires étant paralysés par les conflits d'intérêts, les commissaires aux comptes n'ayant pas toujours
l'indépendance nécessaire pour exercer pleinement toutes les missions que leur confie la loi, la protection des
minoritaires dans les opérations de concentration est théoriquement assurée par une réglementation préventive
assez contraignante2836, mais contournable. Ce qui place les minoritaires dans une situation d'insécurité
permanente et confère un caractère précaire à la propriété des valeurs mobilières. Le passage de la protection
rituelle à la sécurité juridique exige l'émergence de contre-pouvoirs, capables de mettre en cause la
responsabilité des partenaires privilégiés des actionnaires que devraient être les administrateurs et les
commissaires aux comptes. C'est la condition pour que s'instaure un dialogue équilibré entre partenaires
responsables les uns envers les autres du respect de leur intérêt commun dans les rapprochements d'entreprises
comme en toutes autres circonstances de la vie sociale... A terme, un meilleur équilibre des pouvoirs devrait
ouvrir la voie au reflux de la protection réglementaire et au renouveau de la liberté contractuelle et de la libre
entreprise qui ont pour corollaire et pour limite la responsabilité des dirigeants2837. Cet équilibre des pouvoirs
passe nécessairement par la reconnaissance des contre-pouvoirs, dont notamment les associations de défense
des minoritaires.
592- En Tunisie, la place accordée à de telles associations est particulièrement limitée et apparaît
cantonnée au domaine de la protection du consommateur2838. Aucun texte en matière boursière n’accorde un
quelconque pouvoir à des associations de défense des droits des actionnaires.
Il faudra, par contre, rappeler que la tendance législative vers la création des associations, de façon
générale, est devenue remarquable en Tunisie après la création de 1’Association Tunisienne des Investisseurs
en Capital (ATIC) qui regroupe l’ensemble des sociétés d’investissement à capital risque et des sociétés de
gestion pour le compte de tiers, qui vise l’information de ses membres des bonnes pratiques du métier ainsi
que du développement de l’industrie du capital investissement en Tunisie2839. Il en est de même de
l’Association Tunisienne des Banques et des Etablissements Financiers2840 qui sert d’intermédiaire entre ses
membres, d’une part, et les pouvoirs publics et la banque centrale, d’autre part, pour toute question intéressant
la profession. Il en résulte que l’objectif de la création de ces associations est le renforcement du contrôle de la
gestion.
En France, même si un certain activisme récent de la part des associations de minoritaires n'a pas été
toujours, à ce jour, couronné de succès, il n'en reste pas moins vrai que les questions que ces associations
soulèvent nourrissent les réflexions en cours et contribuent à faire évoluer les mentalités qui sont, comme
chacun le sait, parfois plus difficiles à changer que les lois. D'ailleurs, les intérêts entre majoritaires et
minoritaires sont-ils si divergents que l'on veut bien le laisser entendre ? N'y aurait-il pas lieu de rechercher
davantage les convergences que d'exacerber toujours les différences ? Tel est l'enjeu prochain du droit des
affaires. En particulier, si on ne veut pas en arriver, comme le disait un auteur, à substituer au gouvernement
majoritaire un gouvernement judiciaire sur initiative minoritaire, il convient dès lors de réfléchir, avec la
participation active des associations de minoritaires, au devenir des relations entre dirigeants et actionnaires au
sein des sociétés, dans le cadre de ce qui est désormais convenu d'appeler la « corporate governance »2841.

593- Ainsi, les divers modes de prévention de l’abus ont été ordonnés après avoir souligné la
nécessité de promouvoir et surtout moderniser toutes les mesures préventives étudiées. Certes la spécificité de
l’abus s’inscrit dans le degré de développement et de prééminence de cette prévention, néanmoins si
l’originalité de l’abus, dans les procédés de concentration, ressort une fois de plus, cette pluralité de modes de
prévention ne risque-t-elle pas, par ailleurs, de contrarier l’objectif de conceptualisation, en donnant une

2835
Sur le thème, cf. SCHMIDT (D), de l'intérêt social, Revue de droit bancaire et de la bourse, juillet-août 1995, p. 130.
2836
Par exemple : notes d'informations, expertises…
2837
NEUVILLE (C), La protection des minboritaires dans le rapprochement d’entreprises, LPA, 05 avril 1995 n° 41, p. 6.
2838
A noter que l’organisation de défense du consommateur n’a pas le pouvoir d’ester en justice au nom des consommateurs.
2839
V. La loi n°2003-80 du 29 déc. 2003 portant loi des finances pour l’année 2004 a prévu dans son article 51 la création d’une association
chargée de représenter les acteurs du capital risque en Tunisie , JORT, n°104 du 30 déc., 2003, p 3728.
2840
V. art 31 de la loi n°2001-65 du 10 juillet 2001 relative aux établissements de crédit.
2841
DE LA BASTIDE (B), Les risques nés de la présence des minoritaires dans les opérations de restructuration, LPA, 20/11/1996, n°140, p. 6.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

image trop désordonnée et empirique du traitement de l’abus? La réponse est forcément négative car on a
retrouvé, au cours de la démonstration, une véritable logique dans l’organisation de la prévention de l’abus.
On a réussi, en effet, à mettre en exergue l’existence de moyens et d’organes de prévention communs à tous
les abus quelque soit le procédé de concentration en question, écartant, de la sorte, tout risque de casuistique
ou d’empirisme.
L’examen du régime préventif de l’abus dans les procédés de concentration des sociétés a permis aussi
de faire les constats suivants : D’abord, un tel régime, aussi diversifié soit-il, ne semble pas participer à la
protection des différents partenaires de la concentration en raison notamment de plusieurs lacunes qui sont
apparues tant au niveau des moyens préventifs que concernant les organes de la prévention. Ces lacunes ont
imposé au chercheur la proposition de nouveaux moyens préventifs ainsi que le renforcement des mécanismes
de la prévention par plusieurs autres outils juridiques à même de participer activement dans la grande
compagne de prévoyance des abus susceptibles de nuire, sinon détruire, toute velléité de réussite de la
concentration. Nul doute que pareille réussite dépend inéluctablement des moyens matériels appropriés et du
personnel suffisamment qualifiés mis en place. A ce propos, il semble indispensable qu’une mise à niveau
serait plus qu’applaudie. Ensuite, une telle réussite du genre économique aiderait beaucoup à fortifier les
piliers d’une théorie juridique des abus dans le cadre de la concentration. Certes, les moyens et les organes
communs de la prévention déjà existants constituent les racines d’une telle théorie, car sans ces outils
communs de prévention, l’établissement d’une théorie générale serait un vain mot, voire une gageure. Il reste
que le renforcement de cette théorie a besoin d’autres armes juridiques que seul le législateur pourrait
introduire si vraiment il voudrait partager la considération à laquelle est déjà arrivée la présente étude, selon
laquelle une solide théorie juridique des abus ne va qu’avec des normes préventives communes à la pointe du
progrès.
Par ailleurs, demeure présente la question suivante : une théorie générale, aussi séduisante soit-elle,
peut-elle subsister en se suffisant d’un arsenal juridique préventif ? On ne le pense pas, car nombreux sont les
agissements abusifs qui échappent à toute politique de prévention dans un domaine économique de
concentration où la pensée juridique ne peut jamais se passer des règles répressives. D’autant plus que la
spécificité de l’abus, au sein des procédés de concentration, apparaît particulièrement dans sa sanction. Aussi,
en ce domaine bien particulier, il ne suffit plus de constater avec tristesse que le fort utilise à son profit les
normes juridiques pour asseoir sa domination sur le faible, il convient plutôt de s'interroger sur les moyens
permettant de mieux préserver les équilibres nécessaires à la stabilité de nos sociétés2842. Dans de telles
hypothèses, seule la répression s'impose2843. Faut-il bramer alors la phrase d’après laquelle « vengeance sur
ceux qui ont abusé de leurs droits »2844 qui demeure vivace jusqu’à nos jours où le génie des malfaiteurs
supplante assez souvent l’esprit de la loi et l’intelligence des légistes. En effet, lorsque le conflit au sein de
l’être moral rayonne par ses conséquences néfastes, le recours à la sanction devient une nécessité.
Considérée comme un instrument d'action permettant de faire respecter la politique législative, la
sanction occupe une place importante dans l'arsenal juridique. La raison est qu' « à défaut de sanctions
adaptées, les réglementations ne sont que des recommandations qui ne relèvent que du bon vouloir de ceux
qui en sont concernés »2845. La sanction et son adaptation au domaine en question vont de paire, car une
sanction inadaptée rend la loi inappropriée.

2842
TEBOUL (G), L'abus en droit des affaires et le pouvoir modérateur du juge, Propos conclusifs, Gaz. Pal., 19 décembre 2009 n° 353, p. 37.
2843
NLEND (J-R), Le rôle de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes dans la lutte contre les
pratiques anticoncurrentielles, LPA, 31 juillet 1996 n° 92, p. 23
2844
BAUDELAIRE (C), Lettre autographe inédite signée « le mutin cadet Charles» : datée du 25 mars 1833.
2845
BEZARD (P), L'objet de la dépénalisation de la vie économique, Colloque sur « les enjeux de la pénalisation de la vie économique »,
Organisé à Paris les 20 et 21 mars 1996 par les éditions Dalloz-Sirey, sous la direction de M.A. FRISON-POCHE, Paris, Dalloz, 1997, p. 13.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Titre Deuxième:Adaptation du régime curatif


de l’abus dans les procédés de concentration
594- L'exercice des prérogatives individuelles, étant susceptible d'engendrer des abus, il est
nécessaire que ceux qui en supportent les conséquences puissent demander que justice leur soit faite. Car,
sachant que « celui qui a subi un dommage injuste n'est pas autorisé par cela à causer des dommages à
autrui »2846, c’est au seul juge qu'appartiendra le pouvoir de décider des mesures à prendre. Mais le juge ne
pourra accomplir cette tâche, et le principe de l'interdiction des abus ne sera susceptible de produire effet, que
dans la mesure où l'on aura donné au juge les moyens, et surtout les sanctions, lui permettant de contrôler
efficacement la manière avec laquelle s'exercera la prérogative individuelle.
Une lecture attentive de l’ensemble des textes organisant les procédés de concentration permet de
constater qu’il n’ya pas au sein de cet édifice législatif2847 une manifestation claire d’une théorie juridique
relative au système répressif des abus, qu’il s’agisse des sanctions pénales ou extra pénales. Certes, quelques
textes éparpillés, ici et là, sans aucun ordonnancement ou harmonisation juridique sont loin de constituer une
branche ou un lambeau d’une théorie générale de l’abus dans l’opération de concentration. Aussi, l’appel au
secours d’autres articles inclus ou en dehors du CSC semble une œuvre plus que nécessaire en vue de faciliter
l’édification d’une telle théorie. Toutefois, comme tout secours celui-ci doit être adapté aux circonstances et
aux spécificités de la concentration, notamment en ce qui concerne les sanctions pénales qui semblent
connaître de nos jours un recul au profit d’autres mesures moins répressives et beaucoup plus efficaces. N’a-t-
on pas parlé de l’ère d’un nouveau droit pénal plus adapté aux caractéristiques des sociétés ?
A ce propos, l’ex-ministre de la justice française, Michèle Alliot-Marie, a déclaré, le vendredi 6
novembre 2009 devant le congrès de l'Union syndicale des magistrats, vouloir "une réécriture de tout le droit
pénal". "Notre droit devient illisible", a-t-elle déclaré, lors de ce congrès, au tribunal de grande instance de
Paris. "J'ai l'intention qu'il puisse y avoir une réécriture de tout notre droit pénal", a-t-elle ajouté. "Je pense
qu'il faut aussi, parce que nous sommes confrontés à la montée des contentieux sur un modèle, certains diront
américain, réfléchir ensemble à ce qui doit vraiment aller jusqu'aux magistrats, et à ce qui pourrait s'arrêter
avant, selon des procédures ou modalités que nous avons encore à imaginer ou, pour celles qui existent déjà,
à développer", a-t-elle précisé2848.
Si un adoucissement du droit pénal français est devenu une recommandation de très haut niveau, n’est-
il pas de même en droit tunisien, du moins concernant le droit des sociétés, d’une manière générale, et les
procédés de concentration, d’une manière particulière ?
A l’instar des sanctions pénales de l’abus qui doivent-être unifiées par adoucissement en matière de
concentration des sociétés (Chapitre premier), les sanctions extra pénales, aussi, nécessitent d’être revues et
développées en vue d’un renforcement souhaité (Chapitre deuxième).

Chapitre premier : L’unification par adoucissement


des sanctions pénales

Chapitre deuxième : L’unification par renforcement


des sanctions extra pénales

2846
V. Art .555.du COC.
2847
V. princip. les arts de 408 à 432 inhérents aux opérations de fusion et scission et les arts de 461 à 479 CSC concernant le groupe de sociétés.
2848
Le Monde, numéro du 06-11-2009.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Chapitre premier : Unification par adoucissement


des sanctions pénales dans les procédés de
concentration
595- Le professeur Larguier écrit que « l'apparente froideur du monde de la finance cache - plus ou
moins bien - la passion qui agite certains "hommes d'affaires" (...). Il est des crimes passionnels d'argent qui
peuvent parfaitement s'accompagner de la préméditation calculatrice »2849. Ces crimes font plusieurs
victimes: associés, salariés, créanciers, cocontractants, la liste est encore assez longue... Certaines atteintes au
droit des sociétés, au droit social, au droit de la concurrence, constituent inexorablement des atteintes à l'ordre
public économique, à l'ordre social, nul doute que c'est l'ensemble de la société qui risque d’en pâtir2850.
Ces « crimes passionnels », dits crimes de « cols blancs» nécessitent bel et bien l'institution de
sanctions, en l’occurrence « le droit, et particulièrement le droit pénal, n'est pas seulement contrôle,
contrainte, gêne, menace, sanction ; il est aussi protection, guide, assurance, défense et sécurité »2851. En
effet, la sanction pénale conserve indubitablement une importante fonction dissuasive pour la plupart des
personnes et pour les actes les plus frauduleux2852. Mais son omniprésence provoque aussi une réaction
paradoxale, ainsi que l'a montré le doyen Carbonnier : « à des injonctions trop nombreuses, l'attention ne
répond plus, ni l'obéissance... L'ineffectivité des lois, à des degrés variables, c'est le trop-plein par où
l'équilibre se rétablit entre la volonté du pouvoir et la tolérance du corps social. Ceux qui légifèrent devraient
bien connaître ce principe de saturation2853».
Manifestement, trop de droit pénal tue le droit pénal. On enregistre, en fait, que par une sorte de
sélection naturelle, un grand nombre des délits du droit des sociétés sont nés-morts, les dispositions les
édictant n'ayant jamais été appliquées2854. La place occupée par le droit pénal s'est accrue jusqu'à être
dénoncée par la doctrine comme une inflation pénale2855 porteuse de menace, de moyen de pression2856, voire
créatrice d'un « effet polluant»2857 du droit commercial. N’est-ce pas que « le droit des sociétés par actions a
pris l'aspect fâcheux d'un droit répressif »2858 ?
Au regard des nombreux dysfonctionnements du droit pénal des sociétés qui en ruinent l'efficacité2859,
la nécessité d’adoucir n'apparaît guère douteuse. L’idéal du pénaliste conscient de sa mission, c’est de voir
disparaître graduellement, mais aussi complètement que possible, le droit pénal... C’est à la minceur de son
droit pénal qu’on juge du degré de civilisation d’un Etat, et de l’harmonie entre ses citoyens2860. La question
est aujourd’hui l'objet d'une intense activité doctrinale et une grande partie des auteurs appelle d'ailleurs à une
réforme dans ce sens2861.

Dans ce dessein, le diagnostic des maux doit précéder la détermination des remèdes. Dans un premier
temps, une analyse critique permettra d’identifier les déficiences de la répression pénale de l’abus dans les

2849
LARGUIER (J), Droit pénal des affaires, Armand Colin 2001.
2850
FEUGÈRE (W), Pourquoi un droit pénal de l'entreprise ?, Gaz. Pal., 10 février 2005 n° 41, p. 2
2851
LARGUIER (J), op. cit.
2852
LARGUIER (J) ET CONTE (PH), Droit pénal des affaires, Armand Colin, 2001, 10e éd., no 338.
2853
CARBONNIER (J), Essai sur les lois, Defrénois, 1979, p. 274.
2854
Tel est le cas de l’infraction d’abus des pouvoirs ou des voix conformément au paragraphe quatrième de l’article 223 CSC qui a repris les
mêmes infractions de l’ancien article 86 CC. Aussi, les infractions de l’article 147 CSC relatif à la SARL qui a repris les dispositions de l’ancien
article 169 CC..
2855
DELMAS-MARTY (M), L'inflation pénale, VIème congrès de l'Association française de droit pénal, Montpellier, novembre 1983.
2856
HAMEL (J), préface « Le droit pénal spécial des sociétés anonymes», Dalloz, 1955, p. 8.
2857
VIANDIER (A) ET CAUSSAIN (J-J), JCP, éd. E, 1990, 15677.
2858
Ibidem.
2859
GUYON (Y), De l'inefficacité du droit pénal des affaires, Pouvoirs, 1990, no 55, p. 41.
2860
LEVASSEUR (G), Le problème de la dépénalisation, Rapport de synthèse présenté aux Troisièmes Journées franco-italo-espagnoles de
politique criminelle d’Aix-en-Provence en septembre 1982.
2861
VITU (A), Regards sur le droit pénal des sociétés, art. pré., spéc. p. 258 ; BOULOC (B), Faut-il réformer le droit pénal des sociétés ?, Rev.
Soc., 2000, p. 129 ; REBUT (D), Les sanctions pénales et la gestion des sociétés, In Où en est la dépénalisation dans la vie des affaires ? Actes du
colloque organisé à La Baule les 15 et 16 juin 2001, RJ com., 2001, no spécial, p. 119 ; DELMAS-MARTY (M) ET GUIDICELLI-DELAGE
(G), Droit pénal des affaires, op. cit., p. 9, 33, 36 ; VIANDIER (A), Le droit des sociétés, demain, JCP, éd. E, 2000, p. 3 ; CALAIS-AULOY (M-
T), La dépénalisation en droit des affaires, D., 1988, chron. p. 315 ; MASCALAT (C), Vers une dépénalisation des infractions d'affaires ? Une
réalité ?, D. Affaires, 1998, p. 1030.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

procédés de concentration et d’apprécier l’opportunité d’un système d’incrimination spécifique au droit de la


concentration. Mais la critique serait vaine si elle ne serait pas accompagnée des moyens de pallier les
insuffisances dénoncées. Une analyse constructive, tendue vers la détermination de critères devant gouverner
la répression pénale en droit de la concentration, permettra ensuite de proposer une redéfinition cohérente de
la matière, notamment au diapason des procédés de la concentration. On s’intéressera alors au pourquoi de
l’adoucissement des sanctions pénales (Section première) ; pour en étudier, par la suite, le comment (Section
deuxième).

Section Première
Le pourquoi : Déficience du régime pénal actuel
596- A l’opposé du régime des sanctions civiles2862, le régime répressif des abus semble être
constitué de règles juridiques beaucoup moins cohérentes et assez souvent inadaptées aux agissements
condamnables perpétrés au sein des procédés de concentration des sociétés. On peut même dire que le régime
répressif spécifique à la notion d’abus repose sur un grand paradoxe qui caractérise, d’une part le droit écrit
du groupe de sociétés et, d’autre part, les autres sources juridiques auxquelles on peut recourir pour déduire
certaines sanctions pénales applicables aux abus. En effet, si on se borne aux textes du droit du groupe, on
peut constater que contrairement aux diverses sanctions consacrées pour assurer l’efficacité du régime
préventif des abus, le régime curatif répressif accuse un vide législatif flagrant concernant l’abus de biens
sociaux, de crédit, de pouvoir ou des voix (Sous-section première). N’est-ce pas là une raison majeure pour
essayer de trouver des solutions à même de combler, tant soit peu, ce vide législatif par le recours aux règles
pénales du droit des sociétés commerciales dont l’apport pourrait constituer une soupape de sûreté ? Il semble,
toutefois, que c’est une gageure que de vouloir appliquer ces règles aux abus perpétrés au sein du groupe, car
le pluralisme juridique imprégnant le droit pénal des sociétés commerciales parait empêcher toute solution
juste et harmonieuse (Sous-section deuxième).

Sous-section Première : La notion d’abus face au


vide législatif répressif
597- Sans doute un tel vide n’aide aucunement à parachever une théorie juridique de l’abus dans les
procédés de concentration. Mais, il n’empêche que l’extrapolation des sanctions propres aux sociétés isolées,
une fois assouplies ou adoucies pourrait contribuer à la construction de cette théorie générale.
A comparer la situation du régime répressif des abus en matière du groupe de sociétés, de fusion ou
scission, avec celle des abus dans le cadre des sociétés isolées, on ne peut qu’être surpris de l’état actuel du
code des sociétés commerciales, car parallèlement au défaut total de toute disposition pénale concernant les
premiers abus, ledit code fourmille de sanctions pénales concernant les abus perpétrés dans le cadre des
sociétés isolées2863. Au vide législatif s’oppose un arsenal législatif répressif. Pis encore, un tel vide semble
devenir inadmissible lorsqu’on apprend que le législateur de 2001 n’a pas du tout négligé le régime répressif
applicable en cas de violation de certaines obligations préventives des abus. Une telle situation aussi
antinomique incite à réfléchir sur les raisons (-§1-) et le résultat d’un tel vide législatif (-§2-).

-§1- : Les raisons du vide législatif


598- Est-ce par erreur ou par omission que le législateur n’a consacré aucune sanction pénale aux
abus des biens sociaux, dans le groupe de sociétés et les opérations de fusion ou de scission et ce, quel qu’en
soit le danger ou la gravité ? Ou est-ce plutôt un choix délibéré qui s’insère dans une politique globale de
dépénalisation ? Il en est de même concernant les comptes consolidés qui permettent de traduire la réalité
2862
Ce dernier semble malgré toutes les lacunes relevées assez cohérent.
2863
V. à titre d’exemple les arts. 51, 146, 158, 223 du CSC.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

comptable de l’ensemble du groupe de sociétés. En effet, les dispositions incriminant le délit de présentation
ou de publication de comptes infidèles ne s’appliquent pas aux inexactitudes relatives aux comptes consolidés
puisqu’elles ne font référence qu’aux comptes annuels2864. Si la répression pénale des manquements à cette
obligation est certes concevable d’après la qualification de faux documentaire2865, il serait cependant
préférable, afin de parvenir à une meilleure efficacité de la répression, d’étendre l’infraction de présentation
ou de publication de comptes infidèles aux comptes consolidés2866. Cette lacune est fâcheuse si on considère
l’importance croissante qui est attachée à la consolidation des comptes2867.

599- Il semble loisible d’avancer trois raisons qui peuvent contribuer à comprendre le pourquoi d’un
tel vide législatif relatif aussi bien à l’abus de biens sociaux qu’aux comptes consolidés.

D’abord, on peut facilement penser qu’il s’agit d’une option de politique législative. Bien qu’il soit un
peu tard, mais il n’est jamais trop tard, le législateur semble finalement adhérer au mouvement doctrinal qui
ne cesse de s’opposer à l’intervention du droit pénal en droit des sociétés et plus particulièrement en matière
des procédés de concentration2868. Déjà, on peut citer quelques exemples où le législateur, depuis l’an 2000,
date de promulgation du nouveau code des sociétés commerciales, semble adhérer à cette tendance vers
l’atténuation de la responsabilité des dirigeants des sociétés commerciales. C’est ainsi que les sanctions
pénales prévues pour réprimer plusieurs infractions de l’article 88 CC n’ont pas été du tout reprises par le
nouveau code des sociétés2869. De même, l’infraction de répartition de dividendes fictifs dans la société à
responsabilité limitée n’a plus son droit de cité depuis la réforme de 20002870. Plus encore, la peine privative
de liberté qui était consacrée à certains abus perpétrés dans le cadre de la société anonyme est laissée à
l’appréciation du juge qui a le choix de la prononcer ou lui substituer la peine pécuniaire2871.
A se borner à ce tableau d’exemples, rien n’interdit de penser que l’on commence, peut-être, à assister
à l’ébauche d’une certaine politique de dépénalisation2872 ou du moins d’adoucissement de la peine qui semble
imprégner le régime juridique des opérations de concentration.

2864
V. art. 223 alinéa deuxième.
2865
En ce sens, DELMAS-MARTY (M) et GIUDICELLI-DELAGE (G), op. cit., p. 367.
2866
Une proposition assez proche a été formulée dans le rapport MARINI, Rapport au Premier Ministre sur la modernisation du droit des sociétés,
La documentation française, 1996, p. 106. Il y est proposé l’élargissement du champ d’application du délit aux comptes consolidés. Toutefois, cette
extension devrait néanmoins s’accompagner d’une approche plus restrictive de l’incrimination « qui ne viserait que les dirigeants qui auront
sciemment publié ou présenté aux associés, en vue de dissimuler la véritable situation du groupe, des comptes consolidés ne donnant
manifestement pas, pour chaque exercice, une image fidèle des éléments significatifs, pour l’ensemble du groupe, du résultat des opérations de
l’exercice, de la situation financière et du patrimoine à l’expiration de cette période ». Ces deux restrictions semblent inutiles et de nature à
susciter un abondant contentieux. D’abord, ce serait créer une distinction oiseuse entre l’appréciation de la fidélité des comptes annuels et celle des
comptes consolidés : pour les premiers, le délit supposerait que l’image ne soit pas fidèle, pour les seconds, il supposerait que l’image,
manifestement, ne soit pas fidèle. L’ajout de cet adverbe rendrait nécessaire de subtiles distinctions jurisprudentielles sur l’appréciation du
manifeste. Il en irait de même de la détermination du caractère significatif des éléments à considérer. D’autre part, cette proposition parait contraire
à la logique d’image fidèle qui ne peut être que binaire. En effet, la détermination du caractère fidèle ou non de l’image s’effectue d’après une
appréciation globale des comptes. Ceux-ci peuvent contenir des inexactitudes sans affecter la fidélité de l’image. Dès lors, de deux choses l’une ou
bien les inexactitudes constatées sont de nature à donner une image infidèle des comptes et dans ce cas les restrictions proposées sont inutiles et ne
reviendraient qu’à repousser sur l’appréciation du caractère « manifeste » de l’infidélité ou « significatif » des éléments considérés la question de
la fidélité des comptes ; soit les inexactitudes Constatées sont d’une importance insuffisante pour fausser la transcription fidèle des comptes et dans
ce cas également, les restrictions proposées sont inutiles. On retrouve naturellement cette dualité au niveau de la qualification pénale soit les
comptes donnent une image fidèle et le délit ne peut être caractérisé ; soit ils ne donnent pas une image fidèle et dès lors, cette condition préalable
établie, il est possible de rechercher les éléments constitutifs du délit. En revanche, exclure la sanction pénale lorsque des comptes sont infidèles
mais non manifestement infidèles reviendrait à admettre de manière fâcheuse l’existence d’une tolérance pour cette hypothèse de « fidélité
douteuse ».
2867
En droit français, l’impossibilité de sanctionner sur la base du délit spécial de faux bilan les inexactitudes intentionnelles contenues dans les
comptes consolidés apparaît d’autant plus gênante qu’aux termes de l’article L.233-21 CCF « les comptes consolidés doivent être réguliers et
sincères et donner une image fidèle du patrimoine, de la situation financière ainsi que du résultat de l’ensemble constitué par les entreprises
comprises dans la consolidation ».
2868
MASCALAT (C), Vers une dépénalisation des infractions d’affaires ? Une réalité ? D. Affaires, 1998, p103 ; BOULOC (C), Où en est la
dépénalisation dans la vie des affaires?, RJCom., n° spécial, nov. 2001 ; RIPERT (G), Le déclin du droit, LGDJ, 1949, n° 96, p 175 ; LAGARDE
(G), Le droit des affaires, droit sentimental, Mélanges SAVATIER, 1965, p 491.
2869
On peut résumer ce texte en ce qu’il réprimait l’obligation d’information occasionnelle ou permanente relative au fonctionnement de la société
anonyme.
2870
L’art. 147 CSC n’a pas repris cette infraction qui existait dans l’ancien article 169 CC.
2871
V. arts 186 et 69 CC qui prévoyaient à la fois la peine d’emprisonnement et la peine d’amende, alors que les articles 146 et 223 CSC ont laissé
au juge l’option entre la peine privative de liberté et l’amende.
2872
Tout en observant que dans certaines branches du droit des sociétés commerciales le législateur de 2000 s’est montré trop répressif. L’exemple
de la responsabilité pénale du liquidateur, telle que consacrée par les arts. 49 à 53 CSC, est très frappant à cet égard.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Dans une seconde direction, on peut justifier ce choix de politique atténuante par le fait que le
législateur a le droit de considérer que les sanctions extra pénales2873 proposées contre les abus commis dans
le cadre du groupe de sociétés sont amplement suffisantes et que, pour les opérations de fusions et scissions, le
droit commun pénal des sociétés isolées pourrait suffire. Par conséquent, point n’est besoin de les renforcer
par un éventail de sanctions pénales qui ne ferait qu’alourdir le régime curatif. Mieux vaut, peut-on dire, un
régime souple et facilement applicable, plutôt qu’un régime lourd et dont l’application ne pourrait que nuire
au bon fonctionnement des opérations de concentration. D’ailleurs, une telle position épouserait bien la
fonction de la notion d’intérêt commun du groupe qui, comme on l’a constaté lors de la première partie,
semble constituer un moyen efficace d’atténuation de la responsabilité des dirigeants du groupe de sociétés.
Pour les fusions et scissions, le retour au droit commun pourrait suffire à titre de pénalisation des abus.

Enfin, dans une troisième direction, le vide législatif répressif pourrait peut-être s’expliquer par une
raison purement politico-économique. Le législateur, non seulement dans l’esprit de vouloir réaliser
l’impératif de promotion de la concentration, mais surtout en vue d’encourager les investissements notamment
étrangers, n’a pas considéré de bonne politique le choix de consacrer expressément des sanctions pénales aux
abus perpétrés dans le groupe de sociétés, ou encore dans le cadre des fusions et scissions. A-t-il alors laissé la
tache au juge pénal pour statuer au cas par cas, en appliquant, le cas échéant, les sanctions pénales prévues
pour les sociétés isolées ? Ou bien est-il d’avance conscient que les principes de légalité et d’interprétation
stricte des textes pénaux2874 s’opposeraient à toute tentative d’incrimination dans le cadre de la concentration ?
Quelque soit la réponse, le résultat du vide législatif est clairement établi : il n’y a pas de sanctions
pénales spécifiques aux abus des biens, du crédit, des pouvoirs ou des voix au sein des opérations de
concentration, il en est de même en matière de comptes consolidés. La question se pose alors de savoir quel
sera-ce le résultat de ce vide législatif répressif ?

-§2- : Le résultat du vide législatif répressif


600- Nul doute que l’application des principes de légalité et d’interprétation stricte empêche
normalement d’admettre l’existence de sanctions pénales applicables aux abus précités s’ils sont perpétrés au
sein des opérations de concentration. En effet, le principe de la légalité des délits et des peines ne peut
permettre d’incriminer un abus sans texte préétabli, ce qui est le cas de l’édifice législatif de 2001 codifiant le
droit du groupe où on relève le défaut total de textes répressifs des abus des biens et des autres cas assimilés.
Pareille lacune semble créer une situation juridique injuste, voire illogique qui n’aide nullement à établir une
théorie générale des abus dans le cadre des opérations de concentration (I). Elle peut-être également la cause
de plusieurs dangers (II).

I- L’illogisme du vide législatif répressif

601- A bien analyser le régime curatif des abus au sein du groupe de sociétés, on peut relever
plusieurs formes d’illogisme résultant de la codification lacunaire de 2001.
En premier lieu, si on compare la réglementation des abus des biens dans le cadre de la société isolée,
avec le vide législatif caractérisant en ce domaine le droit écrit du groupe, on ne saurait qu’être frappé par
l’illogisme de la codification. En effet, n’est-ce pas illogique et même injuste que des abus de biens ou de
crédit commis dans une société isolée, pendant son fonctionnement ou lors de sa liquidation2875, soient

2873
C'est-à-dire les sanctions civiles et administratives.
2874
En droit pénal, le principe de légalité des délits et des peines dispose qu'on ne peut être condamné pénalement qu'en vertu d'un texte pénal
préétabli, précis et clair (en latin, Nullum crimen nulla pœna sine lege). Ce principe a été notamment développé par le pénaliste italien Cesare
Beccaria au XVIIIe siècle. Il est consacré actuellement par l’article premier du code pénal ainsi que par les articles 13 et 34 de la constitution
abrogé. On y associe généralement les principes de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère et la rétroactivité de la loi pénale plus douce. Ce
principe a pour corollaire également l’interprétation stricte des textes pénaux. Ce dernier principe s’oppose à l’interprétation analogique qui
consiste à étendre une règle de droit d’une situation précise, prévue pour elle et elle seule, à une situation voisine. Ce principe s’oppose également
à l’interprétation restrictive, qui ferait échapper à la loi pénale des cas prévus par le législateur. La prohibition de ces deux modes d’interprétation
n’est pas comparable : l’interprétation analogique viole ouvertement la prévisibilité de la loi pénale et la sécurité juridique. L’interprétation
restrictive ne contrarie que la séparation des pouvoirs, dans un sens favorable aux intérêts de la personne poursuivie.
2875
V. arts. 51, 146, 158 et 223 CSC.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

fortement sanctionnés, alors que les mêmes abus, perpétrés dans un groupe de sociétés, ou lors d’une
opération de fusion ou scission, peuvent bénéficier d’une certaine impunité si on applique strictement et
uniquement les dispositions légales de la réforme de 2001.
En second lieu, si on reste dans le cadre précis de la loi de 2001 on peut facilement dévoiler une autre
forme d’illogisme illustrée par le défaut total de répression des abus face au nombre assez important
d’infractions consacrées à l’inobservation des règles préventives des abus. Ainsi, on peut dégager de l’article
479 CSC au moins trois infractions2876 tendant à sanctionner la violation des règles de publicité et
d’information au sein du groupe de sociétés. Une telle répression cadre mal avec le vide législatif relatif aux
abus des biens et les autres cas assimilés. Il aurait était plus opportun d’incriminer ceux-ci et de se limiter aux
sanctions civile et administrative pour ceux-là2877.
De même, en matière de fusion, le législateur de 2000 s’est intéressé à pénaliser, en vertu de l’article
438 CSC, certains abus2878 en gardant le silence totalement concernant la pénalisation des abus de biens et
assimilés commis lors de ces opérations.
En troisième lieu, si on s’intéresse au régime répressif tel que prévu par l’article 479 susvisé, on
découvre une autre forme d’illogisme. En effet, vu l’importance des comptes consolidés du groupe2879,
l’article précité réprime le défaut de mise à la disposition des associés ou encore le défaut de publication des
dits-comptes2880 par une amende de cinq milles dinars2881. Il s’agit bien de l’incrimination d’un acte négatif ou
d’une omission. Quid alors de la publication ou encore de la mise à la disposition des associés de comptes
consolidés erronés, inexacts ou insuffisants, c'est-à-dire d’un acte positif contraire à la réalité financière du
groupe ? Un tel agissement, aussi grave soit-il, ne semble pas retenir l’attention du législateur. Pourtant, une
telle manœuvre peut induire en erreur des centaines, voire des milliers d’associés2882. Il suffit de rappeler
certains scandales relatifs aux groupes de sociétés, tant au niveau national qu’international, pour se rendre
compte de la gravité d’un tel agissement. Le cas « BATAM » est, en l’occurrence, très révélateur. En effet, les
dirigeants de ce groupe ont été accusés, avec la complicité du commissaire aux comptes, d’avoir publié des
états financiers consolidés non conformes à la réalité financière des sociétés groupées2883. Ce groupe a connu
d’énormes difficultés financières imputables, entre autres, à la commission d’actes du genre précité. A côté de
l’exemple BATAM, on peut aussi évoquer la faillite du géant américain ENRON2884, le plus grand courtier en
pétrole du monde à cette époque là, suite à la publication d’états financiers erronés à la bourse de Wall
Street2885. Qu’on se rappelle aussi les groupes WORLD COM et PARMALAT, qui ont également chuté en
raison de la publication d’états financiers consolidés inexacts2886 afin d’induire les épargnants en erreur.

2876
La première est relative à la violation de l’obligation d’information imposée en matière de participations réciproques, la deuxième est relative à
la violation des procédures de l’article 472 CSC et la troisième concerne le défaut de publicité de la perte de la qualité de holding.
2877
Aussi sur le plan pénal, il ne faut pas oublier qu’en matière de participations réciproques, le législateur au lieu de sanctionner la réciprocité des
participations ou du moins le défaut de régularisation, il s'est contenté de sanctionner la société acquéreuse qui n'a pas avisé l'autre de son
acquisition. Or, cette société peut accomplir cette obligation d'information sans procéder par la suite à la régularisation et ainsi elle peut échapper à
toute sanction pénale bien que la participation réciproque subsiste. Ainsi, cette sanction est dépourvue de toute utilité et coercition. C'est pourquoi
il convient d'envisager d'autres types de mesures pouvant mieux assurer l'efficacité de la loi, tel que le recours au juge de référé pour ordonner la
cessation des irrégularités ou l'accomplissement de ce qui est exigé, à peine d'astreinte ou de sanctions pénales. La loi du 14 novembre 1994 a
prévu de telles mesures (les articles 44 et 85), mais elles ne sont applicables que lorsque les sociétés du groupe font appel public à l'épargne.
2878
Abus de domination et abus de marché.
2879
V. supra, n° 402 et s.
2880
Cela est valable également pour le rapport de gestion du groupe.
2881
Il ne faut pas oublier non plus l’aspect anodin de cette sanction. En effet, réprimer par une amende de 5000 dinars les dirigeants de la société
mère, dont le capital peut facilement atteindre des centaines de millions de dinars, relève de la pure provocation. A vrai dire, il ne s’agit nullement
d’une répression, mais plutôt d’un encouragement.
2882
YAICH (A), De nouvelles pratiques pour renforcer la sécurité financière, Rev. Comp. et Fin., n° 62, 2003, p 21.
2883
EL KOBBI (F), Restaurer la confiance des épargnants en les entreprises et les marchés financiers, Le temps, suppléments économique, 13-01-
2004, p 14.
2884
SEVERIN (E), Les conséquences de la débâcle d’ENRON sur les métiers exercés par les banques, Banque, n° 655, 2004, p 46 ; BEL HAJ
(H), 2002 sera l’année ENRON, La presse de Tunisie, 20-2-2002, p 20.
2885
Cette situation a poussé le législateur américain à promulguer la loi « Sarbanes Oxley » qui a crée un organisme de supervision indépendant
pour le contrôle de la qualité des travaux des commissaires aux comptes des entreprises faisant appel public à l’épargne. V. THE ECONOMIST,
21-4-2005, p 73, “A price worth paying? America’s response to Enron and other scandals was the Sarbane-Oxley law”. Cette loi a inspiré le
législateur français qui a promulgué la loi n° 2003-706 du 1-8-2003 sur la sécurité financière ayant pour objectif la modernisation du contrôle des
comptes et la garantie de la transparence. V. LIENHARD (A), La loi pour la sécurité financière : quoi de neuf pour les sociétés ?, D., 2003, n° 29,
p1996 ; EL KOBBI (F), art. pré., p 14.
2886
En réalité, ce n’est pas la publication de comptes consolidés erronés qui a directement provoqué la chute des groupes susvisés, c’est plutôt la
découverte d’un tel agissement qui a été la source directe de la faillite de la plupart de ces groupes. Pour s’en apercevoir, il suffit de rappeler

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Il est donc légitime de s’interroger si, en l’absence d’un texte spécial au groupe, les dirigeants de la société
mère échappent à toute sanction en cas de publication d’états financiers consolidés erronés. Nul doute que les
dirigeants de la société mère ne seront pas poursuivis sur la base de l’article 479 CSC ni en vertu des textes
régissant les états financiers d’une société isolée2887, compte tenu du principe de l’interprétation stricte de la
loi pénale. Il est également regrettable que le législateur ne se soit pas inspiré de notre législation relative au
registre de commerce où tous les actes aussi bien négatifs que positifs ont été incriminés2888.
Malgré cette lacune assez déconcertante, on peut répliquer, tout de même, en avançant que les
dirigeants de la société mère peuvent être traqués pour commission du délit d’escroquerie, encore faut-il que
les conditions de ce délit soient réunies conformément aux dispositions de l’article 291 CP2889. Ce pourrait
être le cas si, par exemple, le dirigeant de la société mère use des comptes consolidés erronés afin d’obtenir
des fonds de son banquier. Cette attitude pourrait être qualifiée de manœuvre frauduleuse constitutive du délit
d’escroquerie surtout si les comptes en question sont certifiés par un commissaire aux comptes2890. Rien
n’empêche aussi une poursuite de ces mêmes dirigeants pour faux, détention et usage de faux2891. Il serait
cependant préférable afin de parvenir à une meilleure efficacité de la répression, d’étendre l’infraction de
présentation ou de publication de comptes infidèles aux comptes consolidés2892.
602- Quoiqu’il en soit, la répression relative aux instruments de prévention des abus à laquelle
s’oppose une absence inquiétante du droit pénal là où il devrait normalement intervenir ne peut faciliter la
tâche qui consiste à établir une théorie générale relative à cette notion dans les procédés de concentration.
Cette difficulté s’accentue lorsqu’on garde présent à l’esprit les dangers d’un tel vide législatif.

II- Les dangers du vide législatif

603- Sans doute la question du vide législatif n’est pas une nouveauté, elle est ancienne, puisqu’elle
est le propre non seulement du défaut de règles écrites mais aussi de l’existence même de toute codification.
Cependant, un tel vide peut se transformer inévitablement en une grande anomalie, voire en une panoplie de
dangers, des plus graves, qui risquent de porter atteinte à la réalisation des opérations de concentration et
notamment au fonctionnement du groupe de sociétés.

Le premier danger apparaît notamment au cas où l’abus commis par les dirigeants du groupe, ou les
bâtisseurs des opérations de fusion ou de scission, est si lourd de conséquences qu’il mérite nécessairement
d’être réprimé. Les laisser en dehors de toute poursuite pénale, c’est en réalité accorder une prime à leur
comportement illicite ou nuisible. Si on admet que le droit a pour bien fondé l’idée de justice ou d’égalité des
justiciables devant la loi, il ne semble pas plausible de laisser échapper ces infracteurs à toute condamnation
pénale, ne serait-ce qu’à une peine d’amende.

Le second danger réside en ce que l’absence de toute répression des abus, spécialement ceux portant
atteinte aux biens ou au crédit des sociétés liées, peut donner lieu à la fuite des associés ou de certains
investisseurs qui, par peur de voir leurs participations dilapidées ou ruinées, quittent le groupe ou refusent de
réinvestir à son profit ou de mettre en place une opération de fusion ou de scission. Cela peut-être aussi le cas
des représentants de certaines filiales. Pareille peur risque d’affaiblir toute politique d’épanouissement de la
concentration.

qu’une telle situation porte certainement atteinte à la crédibilité du groupe de sociétés et provoque inéluctablement la fuite des investisseurs et des
créanciers essentiellement les banques, il s’en suit forcément une chute phénoménale du cours de leurs actions en bourse…
2887
V. 223 CSC.
2888
V. les arts 68 69 et 70 de la loi du 2 mai 1995 portant refonte du registre de commerce.
2889
L’article 291 CP dispose que « est puni de cinq ans d'emprisonnement et de deux mille quatre cents dinars d'amende, quiconque, soit en
faisant usage de faux noms ou de fausses qualités, soit en employant des ruses ou artifices propres à persuader de l'existence de fausses
entreprises, d'un pouvoir ou crédit imaginaire ou à faire naître l'espoir du succès d'une entreprise ou la crainte de son échec, de la survenance
d'un accident ou de tout autre événement chimérique, se fait remettre ou délivrer ou tente de se faire remettre ou délivrer des fonds, meubles,
obligations, biens, valeurs mobilières, promesses, quittances ou décharges et a, par l'un de ces moyens, extorqué ou tenté d'extorquer tout ou
partie des biens d'autrui ».
2890
Dans ce cas, nul doute que la responsabilité des dirigeants s’ajoutera à celle du commissaire aux comptes.
2891
Selon les articles 175, 176 et 177 CP.
2892
Une proposition assez proche a été formulée dans le rapport MARINI, précité, p. 106.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Un troisième danger peut être aussi relevé. En effet, si en droit jurisprudentiel on tend vers l’admission
de la possibilité d’appliquer aux abus commis au sein du groupe, ou des opérations de fusion et scission, les
textes applicables aux abus commis au sein des sociétés isolées, on risque de laisser plusieurs abus très graves
en dehors de toute répression, car cette transposition possible de textes inadaptés ne pourrait qu’engendrer des
situations injustes et peut-être même scandaleuses2893. En fait, on peut dire que les textes applicables aux abus
commis dans une société isolée sont inadaptés en matière de concentration, et notamment dans le cadre du
groupe de sociétés, et-ce pour deux raisons au moins. D’une part les éléments constitutifs de l’infraction, tels
que déterminés par l’un de ces articles, peuvent être vérifiés à l’encontre du dirigeant d’une société du groupe.
Si tel est le cas, ce denier sera, en principe, puni même s’il a agi dans l’intérêt commun du groupe. Ce qui
constitue une incrimination injustifiée, voire scandaleuse. D’autre part, si on s’intéresse, par exemple, à
l’article 223 CSC qui ne réprime que les membres du conseil d’administration de la société en cause2894, ce
texte se trouve, en principe, impuissant devant plusieurs abus commis dans les groupes de sociétés, pour la
simple raison que dans plusieurs cas ce sont les dirigeants du groupe, c'est-à-dire les dirigeants de la société
mère qui vont abuser des biens de la filiale et non pas les membres du conseil d’administration de cette
dernière. Plus encore, l’article 223 précité ne réprime que les membres du conseil d’administration qui ont
abusé des biens de la société « dans un dessein personnel ou pour favoriser une autre société dans laquelle ils
étaient intéressés directement ou indirectement ». Qu’en est-il alors des membres du conseil d’administration
qui abusent des biens de la société, non pas dans un dessein personnel mais, plutôt, au profit des dirigeants de
la société mère, de peur d’être révoqués de leurs fonctions2895 ? Là encore, ledit article se trouve
complètement dépassé puisqu’il ne pourra aucunement atteindre les dirigeants de la société mère2896. Faudrait-
il, peut-être, ajouter à ces articles la notion de dirigeant de fait, qui est déjà présente dans plusieurs articles du
code des sociétés commerciales2897 ?
Un problème similaire se pose concernant les opérations de fusion ou de scission. En effet, peut-on
attaquer ce genre d’opérations sous le chef de l’abus de biens sociaux alors qu’elles sont décidées et
approuvées par l’assemblée générale extraordinaire des associés ?

604- Ces dangers ne doivent pas pour autant empêcher le juriste, malgré toutes les critiques
possibles, de réfléchir sur un éventuel recours aux règles du droit pénal, soit celles contenues dans le droit
pénal des sociétés isolées, ou celles beaucoup plus classiques du code pénal. Comment seront, dès lors,
réprimés les abus dans le cadre de ce pluralisme du droit pénal des sociétés commerciales, ce qui pourrait
constituer une solution provisoire à la déficience du droit pénal de la concentration ?

2893
GAUTHIER (T), op.cit., p 417, n°657.
2894
Cet article s’applique aussi aux membres du directoire conformément à l’article 257 CSC.
2895
De façon générale, les prévenus invoquent parfois des contraintes extérieures pour justifier les actes commis. C’est par exemple le cas des
« dirigeants de papier », qui, dans le seul but de conserver leur emploi dans des sociétés où ils sont soumis à la volonté d’actionnaires tout
puissants acceptent à leur demande de leur octroyer des avantages indûs. Ces éléments de contrainte extérieurs, parfois bien réels, s’ils peuvent
influencer le quantum de la peine, n’ont en revanche aucun effet sur la constitution de l’infraction. Il en est de même de l’ignorance. En effet, La
Chambre Criminelle de la cour de cassation française a déjà jugé que l’incompétence du dirigeant en matière comptable ou son éloignement des
tâches comptables ou administratives de la société ne sont pas de nature à l’exonérer de sa responsabilité. Le dirigeant ne peut pas non plus se
retrancher derrière la validation juridique de l’acte par un conseil. En clair, étant présumé diligent et apte à l’exercice de ses fonctions, le dirigeant
ne peut s’exonérer de sa responsabilité en arguant du fait qu’il ignorait le caractère abusif des prestations dont il a bénéficié. Aussi, la restitution ou
la compensation n’effacent pas le délit d’abus de biens sociaux. La jurisprudence française n’a pas accepté le moyen de défense tiré de la
compensation du préjudice subit avec quelques opérations avantageuses réalisées par la société grâce à sa gestion pas plus qu’avec de prétendues
heures supplémentaires non payées. Le remboursement des sommes détournées n’efface pas le délit ainsi que l’a rappelé la Cour de cassation à
plusieurs reprises. Toutefois, si le remboursement des fonds détournés n’est en principe pas pris en compte pour apprécier la seule constitution de
l’infraction, l’absence de préjudice permettra souvent d’obtenir, compte tenu de l’encombrement des tribunaux, soit un non lieu d’opportunité, soit
une dispense de peine. De plus, en droit pénal le consentement de la victime est, sauf exceptions, inopérant sur la constitution de l’infraction. De
plus, l’article L225-253 CCF prévoit que : « aucune décision de l’assemblée générale ne peut avoir pour effet d’éteindre une action en
responsabilité contre les administrateurs ou contre le directeur général pour faute commise dans l’accomplissement de leur mandat ». Par
conséquent, le quitus donné par l’assemblée des actionnaires est inopérant sur la responsabilité des administrateurs.
2896
On peut, tout de même, penser à la notion de dirigeant de fait afin d’atteindre les dirigeants de la mère. Il reste que cette notion risque d’être
aisément contrée au moyen du principe de l’interprétation stricte du texte pénal.
2897
V. les articles 214, 220, 254, 461, 471 et 478 CSC.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Sous-section Deuxième : La notion d’abus face au


pluralisme du droit pénal de la concentration
605- En l’absence de dispositions pénales expresses relatives aux abus dans le droit des procédés de
concentration, la tentation est grande pour essayer d’appliquer les règles répressives du droit des sociétés
isolées. Dans ce cadre bien précis, il semble a priori permis d’appliquer en cas d’abus de biens et les cas
assimilés soit les règles du code des sociétés commerciales, notamment celles consacrées pour la société
anonyme ou la société à responsabilité limitée, soit celles réservées à certains abus par les textes répressifs
économiques, soit encore les règles du code pénal auxquelles ne cesse de recourir notre jurisprudence. Ces
différentes dispositions pénales constituent les manifestations du pluralisme du droit pénal2898 applicable aux
abus perpétrés dans les opérations de concentration (-§1-) et dont les conséquences risquent d’être nuisibles
aussi bien pour les dirigeants du groupe que pour le groupe de sociétés lui-même, ou encore pour les décideurs
des opérations de fusion ou de scission (-§2-).

-§1- : Les manifestations du pluralisme juridique


606- Ces manifestations semblent très nombreuses pour la simple raison que le droit pénal des
sociétés commerciales puise ses règles dans plusieurs sources juridiques. Le droit pénal des affaires est
dispersé dans un grand nombre de corpus normatif.
Tout d’abord, on doit citer certains textes répressifs à caractère économique qui semblent s’appliquer
parfaitement à certains abus perpétrés dans le cadre des opérations de concentration.
Tel est le cas de l’article 36 (nouveau) de la loi n° 91-64 du 29 juillet 1991 relative à la concurrence et
aux prix qui puni d'un emprisonnement allant de seize jours à une année et d'une amende de 2.000 dinars à
100.000 dinars ou de l'une de ces deux peines seulement, toute personne physique qui, par des moyens
détournés, aura pris une part déterminante dans la commission d’un abus de puissance économique2899.
Sachant que le même abus est réprimé également par l’article 438 CSC qui énonce ce qui suit :« sans
préjudice des dispositions en vigueur, est puni d'une peine d'emprisonnement de un à cinq ans et d'une
amende de mille à dix mille dinars ou de l'une des deux peines seulement :…Toute personne ayant réalisé la
fusion, la scission ou la transformation dans le but d'avoir une position dominante sur le marché interne
aboutissant à empêcher ou restreindre le jeu normal des règles de la concurrence ».

De même, il est tout à fait possible que les abus résultant de la violation des dispositions de l’article
474 CSC relatif aux opérations financières intragroupes soient réprimés sur la base de la loi n°2001-65 du 10-
7-2001 relative aux établissements bancaires2900. En effet, l’article 474 CSC, en autorisant les opérations
financières intragroupes, a édicté une exception au monopole bancaire prévu par l’article 142901 de la dite loi.
Par conséquent, si les conditions de l’autorisation sont transgressées, l’exception n’a plus lieu d’être. On
appliquera alors les dispositions du paragraphe premier de l’article 51 de la loi de 20012902 qui réprime d’un
emprisonnement de trois mois à trois ans ainsi qu’une amende de 5000 à 15000 dinars toute violation des
dispositions de l’article 14 précité.

Aussi l’abus du marché financier est sanctionné par une amende de 1000 à 15000 dinars
conformément à l’article 81 de la loi n° 94-117 du 14 novembre 1994 relative à la réorganisation du marché

2898
Le pluralisme juridique signifie « l’existence au sein d’une société déterminée de mécanismes juridiques différents s’appliquant à des
situations identiques ». V. Dictionnaire Encyclopédique de Théorie et de Sociologie du Droit. V. aussi BELLEY (J-G), Le droit comme « terra
incongnita » : conquérir et construire le pluralisme juridique, In Revue canadienne « Droit et Société », vol. 12, n° 2, 1997, p. 5.
2899
L’article 139 du code pénal peut, à son tour, justifier le déclenchement de poursuites pénales pour réprimer le délit d’ « action illicite sur le
marché » qui rappelle étrangement les termes de l’article 36 susmentionné.
2900
V. JORT n° 55, 10-7-2001, p 1671.
2901
L’article 14 dispose que « sans préjudice des dispositions de l’article premier de la présente loi, il est interdit à toute personne non agréée en
qualité d’établissement de crédit d’exercer, à titre habituel, les opérations bancaires… »
2902
Le paragraphe premier de l’article 51 annonce que « est puni d’un emprisonnement de trois mois à trois ans et d’une amende de 5000 à 50000
dinars, ou de l’une de ces deux peines seulement, toute infraction aux dispositions du paragraphe premier de l’article 14 de la présente loi. La
sanction est protée au double en cas de récidive ».

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

financier. Constaté au niveau du groupe ou lors d’une opération de fusion ou de scission, cet abus sera donc
réprimé par une peine pécuniaire. Il faudra se rappeler, toutefois, que le même abus peut-être réprimé
également par l’article 438 précité qui prévoit que « sans préjudice des dispositions en vigueur, est puni d'une
peine d'emprisonnement de un à cinq ans et d'une amende de mille à dix mille dinars ou de l'une des deux
peines seulement : Toute personne ayant fourni des informations fausses ou fictives ayant influencé la
réalisation des opérations de fusion, scission ou transformation… »

De surcroît, si l’infraction d’abus de droit en matière fiscale est consommée, l’auteur de l’abus risque
une répression pénale assez lourde. En effet, conformément à l’article 101 CDPF, toute personne qui commet
un abus de droit est punissable d’un emprisonnement de seize jours à trois ans et d’une amende de 1000 dinars
à 50000 dinars2903. La rupture est saillante, dans ce domaine, avec le droit français qui s’est limité aux
sanctions pécuniaires en dehors de toute peine privative de liberté2904. Mais, notre législateur n’a-t-il pas
raison en choisissant la voix d’une répression lourde, voire draconienne ? N’est-on pas face à une fraude
fiscale dont les conséquences sont fâcheuses pour le budget de l’Etat ? La dissuasion et la punition ne sont-
elles pas mieux assurées avec la sanction d’emprisonnement2905 ? Une réponse affirmative semble, a priori,
s’imposer2906. Il faut, toutefois, garder présent à l’esprit que l’enjeu est de taille. En effet, il est question du
domaine économique où règnent les impératifs de stimulation de l’initiative privée et l’encouragement de
l’investissement interne et externe. Il va sans dire que dans la pratique se sont couramment les groupes de
sociétés, les opérations de fusion et généralement les procédés de concentration et de restructuration des
sociétés2907 qui constituent le terrain de prédilection de l’ingénierie et de l’habileté fiscale et financière. Il s’en
suit que mettre en place des sanctions privatives de liberté, assez lourde, reviendrait purement et simplement à
ralentir l’initiative privée et peut-être évincer, voire occire les chances de relancer les opérations de
concentration qui constituent aujourd’hui l’unique solution pour survivre à une concurrence internationale de
plus en plus féroce2908. Ainsi peut-on remarquer, en droit français, depuis une quinzaine d’années, un certain

2903
Conformément à l’article 74 CDPF, « le Ministre des Finances ou la personne déléguée par le Ministre des Finances à cet effet parmi les
personnes ayant la qualité de chef d'administration centrale ou régionale des impôts, met en mouvement l'action publique et transmet les procès-
verbaux dûment établis au procureur de la république auprès du tribunal compétent. Pour les infractions fiscales pénales passibles d'une peine
corporelle, l'action publique est mise en mouvement après avis d'une commission dont la composition, les attributions et les modalités de
fonctionnement sont fixées par décret (décret n° 5495-2005 du 12/09/2005) ». V. concernant la mise en œuvre de cette infraction : ZAKRAOUI
(S), L’exercice de l’action publique en matière fiscale, Justice pénale : qu’elle évolution ?, ISJEGJ, 2007, p 121 et s.
2904
Conformément à l’article 1729 CGI (français), tel que modifié par la loi n°2008-1443 du 30 décembre 2008 - art. 35 (V) : « les inexactitudes
ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt
ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration
de : a. 40 % en cas de manquement délibéré ; b. 80 % en cas d'abus de droit au sens de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ; elle est
ramenée à 40 % lorsqu'il n'est pas établi que le contribuable a eu l'initiative principale du ou des actes constitutifs de l'abus de droit ou en a été le
principal bénéficiaire ; c. 80 % en cas de manœuvres frauduleuses ou de dissimulation d'une partie du prix stipulé dans un contrat ou en cas
d'application de l'article 792 bis ». Il convient, toutefois, de rappeler que les sanctions pénales de l’article 1741 CGI peuvent s’appliquer en
matière d’abus de droit, mais uniquement à titre subsidiaire.
2905
Cette rigueur exprimée lors de la répression de l’abus de droit peut être justifiée de deux manières au moins. En premier lieu, la sanction
pénale, exprimant la souveraineté de l’Etat, parait assurer plus la dissuasion des comportements jugés les plus graves par le législateur. En second
lieu, l’abus de droit constitue une forme de fraude fiscale affectant la rentabilité de l’impôt qui est la source principale des recettes étatiques. Cette
dernière raison motive l’engagement des pouvoirs publics dans une politique de lutte continue contre la fraude fiscale. V. AYADI (H), Droit fiscal
international, CPU, 2001, n° 70, p 45 ; VIGNAUD (G), L’abus de droit en matière fiscale, Thèse, Bordeaux, 1980, p 283.
‫ ] دي‬7 ‫ ا‬M ‫ " ا‬$ U N‫ و‬0 ] # ‫ ا‬4+'P ‫ ا‬U N " ‫ ل ا‬# A‫ ا‬8G i!# ‫ ا‬+ ‫ اف ﺟ‬7‫ ا‬MN $ ‫ ر ا‬p ‫ ا‬U ‫ ا‬4 a ‫ص ا‬SP A‫ ا‬M + #‫ھ ا‬ !4 " 2906
k ‫ م ج و ذ‬M 5 V]/ ‫ ا رة‬0 ‫ ت ا‬# ‫ ا‬7 M M # ‫ ا‬M+D‫ ھ‬H 7‫ ا‬8 ‫ ع ا‬3 ‫ أن ا‬a G kO ‫ و‬. + ‫ه ا‬DK ‫ ب‬#C M ! ‫ و ا‬LP ‫ ا‬M ‫ ع‬3 ‫ ا‬6 ‫ ﺟ‬G N
M ‫ل ا‬S<‫ ا‬8G ‫ ا‬+ ‫ ت ا 'ﺟ‬# ‫ ا‬9‫! ھ‬$ ‫ ان‬U ‫ ف ا‬K+ ‫ ا ى و‬# 8 d ‫ رھ و ا‬3 ‫ ا‬M ‫ ا‬V7 ‫ ا‬U N ‫أو‬ ‫ ا‬+ ‫ ا‬U N ‫ ء‬F ‫ ا‬U ‫ ا‬+ ‫ و‬V‫ ﺟ‬N ‫ ا ول‬.M G ‫ " ھ‬$ ^
‫ز‬S ‫ ا‬N 4 ‫ " ا‬$ ‫ و< < ل ى‬L ‫ال‬q! ‫ ا‬U + M .84‫ ري ا ط‬A ‫ ا‬I‫ا ا اﺟ‬D‫ ه ھ‬$ + F 6g P ‫ ا‬N ^ k ‫ و ذ‬N ‫ ا‬V ‫ و ا زدھ ر دا‬4 ‫ " ا‬$ ‫ و‬8N ‫ا ﺟ‬
،2009 ،H $ A ! ‫ م ا‬# ‫ ا ق و ا‬C ، d p < ‫ ة‬CD ، ‫ ا دة ا‬8G " ‫ ل ا‬# A‫ ا‬8G i!# ‫ زﺟ ا‬، >1N F ‫ا‬ A ‫ أل ا‬D ."‫ ت ؟‬# ‫ ا‬M V K ‫ ا‬9 ‫ا ا‬D‫ وراء ھ‬M
.60 ‫ص‬
2907
Remarquons, de façon générale, que les opérations de concentration et de restructuration de sociétés constituent un domaine privilégié, pour les
entreprises, dans la mise en ouvre de leurs techniques d’optimisation fiscale. Ces opérations constituent des agissements à haut risque,
particulièrement au regard de l’abus de droit.
2908
BOUCOBZA (X), L’acquisition internationale de sociétés, LGDJ, 1998, p 1 ; COUTINET (N) et SAGOT-DUVAUROUX (D), Economie
des fusions et acquisitions, éd. LA DECOUVERTE, 2003, p 1 ; DOUBLET (J-M), Le tournant de l’an 2000, Revue Française de gestion, numéro
spécial, 2000, p 1 ; MASQUEFA (C), La restructuration, LGDJ, 2000, p 3, prg. 5 ; GUYENNOT (J), Les aspects juridiques et fiscaux de la
constitution des filiales, Rev. De droit suisse, 1973, p 54 ; VANHAECKE (M), les groupes de sociétés, LGDJ, Paris, 1959 ; DURAND (P) et
LATSCHA (P), Les groupements d’entreprises, Collection Droit et Gestion, Librairies Techniques, 1980, p 1 ; CHAMPAUD (C), Le pouvoir de
concentration de la société par actions, éd. Sirey, Paris, 1962 ; PARIENTE (M), Les groupes de sociétés : aspect juridique, social, comptable et
fiscal, LITEC, 1993 ; ATTALI (J-P) et LEVY (J-D), Pratique des fusions, éd. Foucher, 1992 ; AUBONNET (F) et GAMET (L), Restructurer
son entreprise, Aspects sociaux, 1ère éd. DELMAS, 2006 ; BAUDEU (G), Protocoles et traités de fusion, Paris, Librairies techniques, 1968 ; même
auteur, Fusion de sociétés, éd. Librairies techniques, 1970 ; BARTELEMY (J), COULON (N), EGAL (J), GUIGOU (H), HARDOUIN (M),
DEMELLO (X), PETITEAU (G) ET SEURAT (P), Le droit des groupes des sociétés, édition Dalloz, 1991 ; BEJOT (M), La protection des

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

desserrement des entraves aux opérations de restructuration et de concentration d’entreprise2909. L’éviction de


la sanction privative de liberté, en matière d’abus de droit fiscal, n’en est qu’une simple manifestation.
Malencontreusement, il en est autrement en droit tunisien où l’auteur de l’abus de droit risque un
emprisonnement de seize jours à trois ans.
Que l’on n’oublie pas aussi une possible condamnation des abus perpétrés au sein des procédés de
concentration, sous le chef d’escroquerie conformément à l’article 291 CP et du faux selon les articles 175 et
suivants du même code. Les raisons qui seront évoquées ci-après inciteront notre juge à recourir au droit
commun de la répression2910.
607- Ensuite, si on admet le recours aux dispositions pénales du CSC certaines règles concernant à la
fois les instruments préventifs des abus ainsi que les instruments curatifs eux-mêmes peuvent être, sous
quelques réserves, extrapolées au groupe, à la fusion ou à la scission.
Dans cette optique, rien ne semble interdire d’appliquer, en vue d’éviter les abus, les articles 263 et
271 du CSC relatifs au commissariat aux comptes. Ainsi, si le commissaire aux comptes du groupe n’a pas été
désigné par la société mère, on peut considérer que ladite société a failli à sa mission de nommer
obligatoirement un organe fort important de contrôle et de prévention. Le non respect de cette obligation est
sanctionné par l’article 263 CSC qui condamne la société en tant qu’être moral à une amende de 2000 dinars
au moins et 20000 dinars au plus. C’est bien là un cas de responsabilité pénale de la personne morale qui peut
concerner les sociétés du groupe et non point le groupe lui-même puisqu’il n’a pas de personnalité morale.
En revanche, si le commissaire aux comptes, désigné pour la vérification des comptes consolidés,
établit des rapports inexacts ou refuse de révéler des anomalies graves au ministère public, il pourra être
poursuivi en vertu de l’article 271 CSC qui annonce, dans son paragraphe premier, qu’ « est puni d’un
emprisonnement d’un an à cinq ans et d’une amende de mille deux cents à cinq mille dinars ou de l’une de ces
deux peines seulement, tout commissaire aux comptes qui aura sciemment donné ou confirmé des
informations mensongères sur la situation de la société ou qui n’aura pas révélé au procureur de la
république les faits délictueux dont il aura eu connaissance »2911.
Il faut toutefois signaler que la mission préventive du commissaire aux comptes risque d’être freinée
par plusieurs obstacles. A ce propos, on ne peut que saluer l’instauration en 20052912 d’un texte spécial relatif
au délit d’entrave2913, s’appliquant aussi bien pour les sociétés isolées que pour le groupe de sociétés2914.
Sachant qu’un tel délit a été déjà prévu dans l’article 562915 de la loi n° 2001-83 du 24-7-2001 relative à la
promulgation du code des organismes de placement collectif2916 ainsi que dans l’article 842917 de la loi n° 94-
117 du 14 novembre 1994 relative à la réorganisation du marché financier2918.

actionnaires externes dans le groupe de sociétés, éd Bruxelles établissements EMILE BRUYLANT, Belgique, 1976 ; BERTEL (P) et JEANTIN
(M), Acquisitions et fusions des sociétés commerciales, 2ème édition, Litec, 1991.
2909
SERLOOTEN (P), La modernisation progressive du droit fiscal des affaires. Le desserrement des entraves aux restructurations d’entreprises,
Dr. Fisc. 1998, n° 14, p 454.
2910
C'est-à-dire le code pénal.
‫ ص‬،2007 V+ G‫ ا‬،.‫ ت‬.‫ ق‬.‫ م‬،9A ‫ ا‬/P ‫ ت ا‬C 3 ‫ ا‬8G 9 ‫ا‬ +‫ ر‬K ‫ ا‬V C‫ ا ! ت و‬I7‫م ا‬SN‫ م ا‬N + ‫ ت < ل ﺟ‬O‫ ا‬،‫ س ﷲ‬416" : 6‫ُ اﺟ‬+ [! ‫ه ا‬D‫] ص ھ‬P 2911
.6 ‫ ص‬،2006 ، ‫نا‬ ‫ د ص‬N، P‫ا‬ ،‫ ا ! ت‬I7‫ا‬ ‫و ا 'ا‬q! ‫ ا‬، " 1 ‫ ا‬- .63
2912
V. Article 13 sexis (ajouté par l'article 11 de la loi n° 2005-96 du 18 octobre 2005) qui dispose ce qui suit « est puni d'un emprisonnement de
six mois et d'une amende de cinq mille dinars ou de l'une de ces deux peines, tout dirigeant d'une société commerciale ou d'un groupement
d'intérêt économique qui entrave les travaux du ou des commissaires aux comptes ou qui refuse de fournir, à leur demande, par tout moyen qui
laisse une trace écrite, les documents nécessaires à l'exercice de leurs missions ».
2913
En droit français, le délit d’entrave est prévu par l’article L. 820-4 CC.
H $ ، F ‫وا‬ ‫ ت ا‬A‫' ا را‬C ‫ رات‬34 ،2003 V+ G‫ أ‬12‫ و‬11 8 + ، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬ ‫ < ل‬4+ $ ‫ دورة‬، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ا‬8G ‫ ا ! ت‬I7‫ ا‬،‫ در ل‬4 1
‫ ا ! ت‬I7‫ ا‬،( D @2 .1998 ،H A ! ‫ م ا‬# ‫ ا ق و ا‬C ، # ‫ ت ا‬A‫ دة ا را‬KO V 4 ‫ ة‬CD ،‫ ا ! ت‬I7‫ا‬ ‫و ا 'ا‬q! ‫ ا‬،, M ‫ء ا‬CS" .267 ‫ ص‬،2004
V 4 ‫ ة‬CD ،‫ ا ! ت‬I7‫" ا‬+ ‫ ط‬MN 9A ‫ ا‬/ C 3 ‫ ا‬+ < ،‫ ز‬S7 ‫ ء ا‬A!0 .7‫ ص‬،1988 ،1 ‫ د‬N ‫ م ق ت‬، # ‫ ا‬4 a 7SN‫ و‬a$ ‫و‬q! ‫ دوره و‬،9A ‫ ا‬/ ‫ ت‬C 3 ‫ ا‬8G
.2000 ،H A ! ‫ م ا‬# ‫ ا ق و ا‬C ، # ‫ ت ا‬A‫ دة ا را‬KO
2914
Cette proposition est également valable en matière d’expertise de gestion dans la mesure où elle pourrait contribuer à faciliter la mission de
l’expert de gestion. En droit français, les dirigeants risquent, en cas d’entrave de la mission de l’expert de gestion, une amende et même
l’emprisonnement. V. art. 458 de la loi n° 84-148 du 01-03-1984.
2915
L’alinéa troisième de l’article 56 dispose que « est puni d’un emprisonnement de seize jours à cinq ans et d’une amende de cinq cents à cinq
milles dinars ou de l’une de ces deux peines seulement tout dirigeant du gestionnaire d’un organisme de placement collectif ou du dépositaire de
ses actifs et toute personne, dont la responsabilité est prouvée parmi ceux ayant qualité pour représenter l’organisme, qui a sciemment mis
obstacle à la vérification ou au contrôle du commissaire aux comptes ou qui a refusé de lui communiquer les pièces utiles à l’exercice de sa
mission et, notamment, tous les contrats, les documents comptables et les registres de procès-verbaux. La peine est doublée en cas de récidive ».
.39 ‫ ص‬،2003 ،H A ! ‫ م ا‬# ‫ ا ق و ا‬C ، # ‫ ت ا‬A‫ دة ا را‬KO V 4 ‫ ة‬CD ،9A ‫ ا‬/ C 3 ‫ ا‬8G 7 # ‫ ا‬9 ‫ ﺟ ا‬، !2 ‫ ا‬P ‫ ا‬#A ‫ز‬
2916
V. JORT n° 59, 24-7-2001, p 1790.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Aussi, l’expert spécialisé désigné en matière de fusion ou de scission encourt la même responsabilité
pénale que le commissaire aux apports et ce, par application des articles 417 et 184 CSC2919.

608- Par ailleurs, la question se pose de savoir si on peut recourir aux articles 146 et 223 CSC pour
les appliquer aux abus commis dans le groupe de sociétés ou en cas d’une opération de fusion ou de scission ?
A priori, rien ne semble interdire une telle possibilité à condition, bien sûr, que les éléments constitutifs de
l’infraction d’abus de biens sociaux et les cas assimilés soient réunis.
Concernant les abus relatifs à la SARL, l’article 146 CSC punit d’un emprisonnement d’un an à cinq
ans et d’une amende de 500 à 5000 dinars les gérants qui, de mauvaise foi, ont fait des biens, du crédit, des
pouvoirs ou des voix qui étaient en leur possession un usage qu’ils savaient contraire à l’intérêt de la société,
dans un dessein personnel ou pour favoriser une autre société ou une autre entreprise dans laquelle ils étaient
intéressés directement ou indirectement.
Presque avec les mêmes termes les alinéas 3 et 4 de l’article 223 sanctionnent les membres du conseil
d’administration de la SA en cas d’abus des biens, du crédit, des pouvoirs ou des voix.
En s’appuyant sur ces deux articles, on peut soutenir que les dirigeants de la société mère2920, ceux des
sociétés filiales2921, ou encore des sociétés fusionnantes ou scindées, peuvent être poursuivis pour les abus
précités, si, bien entendu, les conditions de l’infraction commise se trouvent établies à leur encontre2922.
On remarque aussi que les conventions intragroupes, telles que réglementées par les articles 474 et 475
CSC, peuvent donner lieu à une poursuite pour abus de biens sociaux si une double série de conditions se
trouvent réunies. La première tient à ce que les conditions de l’autorisation de l’opération ont été
transgressées2923. La seconde a trait à la preuve de l’établissement de toutes les conditions de l’abus telles que
consacrées par les articles 146 ou 223 susvisés.
Il est vrai que la question de la preuve peut ne pas poser de graves problèmes lorsque la poursuite
pénale est dirigée contre un membre du conseil d’administration ou contre un gérant d’une société isolée.
Aussi, elle n’est pas très difficile à apporter en cas de fusion ou de scission. Mais lorsqu’il s’agit d’un groupe
de sociétés, une telle preuve ne semble pas facile à établir notamment en ce qui concerne les éléments
constitutifs de l’abus. En effet, les dirigeants du groupe peuvent toujours se dissimuler derrière la condition de
la qualité que doit remplir l’accusé pour échapper bel et bien à toute poursuite. De même, ils peuvent toujours
soutenir, pour éluder toute responsabilité pénale, qu’ils ont agi, certes non pas dans l’intérêt de la société
affiliée, mais plutôt dans l’intérêt commun du groupe. Or, la réalisation de cet intérêt commun pourrait, peut-
être, mettre en échec la preuve de l’élément intentionnel de l’infraction d’abus. Rien n’est, tout de même,
aussi sûr en dehors d’une reconnaissance législative expresse de cet intérêt.

609- Dans tous ces cas, notre juge pénal sera tenté, vu l’inadaptation de la notion d’abus telle que
conçue pour la société isolée, de recourir aux confins du droit pénal classique, notamment pour appliquer
l’abus de confiance prévu par l’article 297 CP.

2917
L’article 84 dispose que « sera puni d’un emprisonnement de seize jours à six mois et d’une amende de 500 à 2000 dinars, ou de l’une des
deux peines seulement, toute personne qui aura sciemment mis obstacle aux enquêteurs chargés des investigations, lors de l’exécution de leur
mission ». Pareille infraction gagnerait à être étendue au profit du commissaire aux comptes.
‫ ل و < ق‬# ‫ وزارة ا‬،‫ ء‬F U N ‫ ا‬K# ‫ ا‬،2005-4-16 8G H7 /0 ، F ‫ ا‬+ ‫و ا‬ ‫ ي < ل ا ! ق ا‬K‫ ﺟ‬U ، ‫ ا ! ق ا‬+ < 8G ‫ ء‬F ‫ ا‬V $ ‫ ل‬،‫ ا < وي‬d G
.1 ‫ ص‬،‫ ! ن‬J‫ا‬
2918
V. JORT, n° 90, 15 novembre 1994, p 1850.
2919
L’article 417 (nouveau) CSC (Loi n° 2005-65 du 27 juillet 2005, art.1er) énonce ce qui suit : « un expert spécialisé inscrit sur la liste des
experts judiciaires désigné par ordonnance sur requête par le président du tribunal de première instance dans le ressort duquel se trouve le siège
social de l’une des sociétés concernées par la fusion établit sous sa propre responsabilité un rapport écrit sur les modalités de la fusion après
avoir pris connaissance de tous les documents nécessaires que la société concernée par la fusion ou l’absorption doit lui communiquer, elle doit,
en outre, lui permettre d’effectuer toutes les investigations nécessaires. L’expert évalue, également, les apports en nature et les avantages
particuliers. Il vérifie si la parité d’échange est équitable et que la valeur attribuée au patrimoine objet de la transmission est réelle. Il précise la
ou les méthodes suivies pour la détermination des parités d’échange et indique si elles sont adéquates et doit déterminer les difficultés
particulières d’évaluation. Dans ce cas, l’expert est considéré comme commissaire aux apports ». L’article 184 du même code prévoit qu’ « est
puni d'une amende de 1.000 à 10.000 dinars quiconque a sciemment accepté ou conservé les fonctions de commissaire aux apports contrairement
aux dispositions de l'article 174 ci-dessus ».
2920
La société mère ayant toujours la forme d’une SA (V. art. 462 CSC), ses dirigeants seront poursuivis, le cas échéant, sur la base de l’article 223
CSC.
2921
Si la filiale a la forme d’une SA ou d’une SARL.
2922
V. les arts. 146 CSC pour la SARL, 158 CSC pour la SUARL et 223 CSC pour la SA.
2923
V. supra, n° 331.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Pour plusieurs raisons, le recourt à l’abus de confiance semble être, pour notre juge pénal, la solution
la plus proche des mécanismes de fonctionnement des sociétés commerciales isolées ou faisant partie d’une
opération de concentration.
Il convient, tout d’abord, de rappeler une raison d’origine historique qui se résume en ce que l’abus de
confiance a précédé la naissance de l’abus de biens sociaux. On peut même dire que l’application inadaptée de
l’abus de confiance aux sociétés commerciales a précipité l’apparition de l’abus de biens sociaux. D’où le
sentiment affectif du retour à la source qui explique le recours de notre juge pénal aux dispositions classiques
de l’abus.
La deuxième raison semble tenir au fait que ce même juge, relevant de la magistrature debout ou
assise, semble beaucoup plus formé dans l’école classique du droit pénal plutôt qu’en droit pénal économique
ou plus précisément en droit pénal des sociétés2924. D’où sa préférence d’appliquer le premier aux dépens du
second, notamment lorsqu’il s’agit d’opter pour l’une ou l’autre des qualifications pénales en concours.
Par ailleurs, on peut ajouter une troisième raison qui consiste à dire que le contrat de mandat prévu par
l’article 297 CP comme condition préalable à l’application de l’abus de confiance semble faciliter la tâche au
juge pénal de considérer les dirigeants des sociétés isolées, et même ceux du groupe, comme étant
mandataires et, partant, soumis presque ipso facto à l’emprise de cette infraction chaque fois qu’ils gèrent de
manière malveillante les biens sociaux2925.
Peut-être, enfin, que notre juge, comme on a tendance à le dire au palais de justice de Tunis, est
beaucoup plus répressif qu’indulgent. Or, le recours à l’article 297 précité permet facilement une répression
sévère pour la simple raison qu’il comprend à la fois des délits et des crimes2926.
610- Face à ce pluralisme, on ne peut que déplorer une telle diversité des sources du droit pénal des
affaires, en général, et celui de la concentration, en particulier. Les codes concernés sont nombreux, sans
compter les textes éparpillés et difficiles à rassembler. Qui d'autres qu'un professeur, magistrat ou avocat,
possède plus d’une vingtaine de codes chez soi ? Sans oublier un abonnement au Journal officiel pour se tenir
à jour... Ce foisonnement textuel aggravé par cet éclatement est malheureusement un frein important à
l’accessibilité de la norme pénale, pourtant considérée par la Cour européenne des droits de l’homme, avec la
prévisibilité, comme l’un des éléments constitutifs du principe de légalité2927.
Foncièrement, la codification a comme vertu de regrouper des textes épars, pour en faciliter la
consultation, c'est-à-dire la connaissance non seulement par les praticiens mais aussi par les citoyens. C’est
aussi une des meilleures solutions qui aide à établir une théorie générale de l’abus dans les procédés de
concentration des sociétés. Dans ce cadre, créer un code pénal des affaires unique, ou simplement étoffer le
Code pénal actuel, ne serait peut-être pas inutile2928.
Certes la codification assure la stabilité de la règle juridique indépendamment de la méthode utilisée.
Néanmoins, elle est synonyme de conservatisme, lequel n'est pas souhaitable dans le monde des affaires.
L'activité économique et commerciale se caractérise par l'évolution constante, l'innovation et les mutations
rapides des champs d'action et des normes. Le destin de la règle de droit est de suivre sans cesse cette
dynamique. Il n’en demeure pas moins que la nécessité de pallier aux inconvénients du désordre juridique
impose un quota minimum de codification. C’est l’unique solution des problèmes générés par l'éparpillement
des textes.
Force est de constater alors que ce pluralisme caractérisant le droit pénal des sociétés applicables aux
abus est un fait évident qui ne va pas sans engendrer de multiples inconséquences.

-§2- : Les inconséquences du pluralisme juridique


611- Ces inconséquences s’étalent sur deux volets : des inconséquences juridiques (I) et d’autres
pratiques (II).

2924
Une formation des juges dans ce domaine se trouve alors nécessaire, voire urgente. V. infra n° 623 et s.
2925
Il reste qu’un jugement récent de notre Cour de cassation a écarté la qualification de contrat de mandat faisant fi de la sorte à l’application de
l’article 297 CP en matière de société. V. jugement n° 10153 datant du 5-10-2005. V. les annexes.
2926
Ce problème ne se pose pas en droit français car les peines prévues pour l’abus de biens sociaux sont plus sévères que celle prévues pour l’abus
de confiance.
2927
CEDH, 15 novembre 1996, Cantoni c/ France, RSC 1997, p 462.
2928
FEUGÈRE (W), Pourquoi un droit pénal de l'entreprise ?, Gaz. Pal., 10 février 2005, n° 41, p. 2 ; LUC (J), La justice pénale française au
grand jour, Gaz. Pal., 15 décembre 2001 n° 349, p. 30.

Page 425
DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

I- Les inconséquences juridiques


612- De prime abord, il faut signaler que le juge pénal, saisi d’une affaire portant sur un abus de
biens sociaux, peut se trouver devant un dilemme. S’il condamne les dirigeants du groupe pour la simple
raison que les conditions de l’abus sont remplies, notamment celle relative à l’atteinte à l’intérêt social telle
qu’exigée par les articles 146 ou 223 CSC, le risque est qu’une telle condamnation notamment à la peine
privative de liberté peut porter préjudice non seulement au dirigeant agissant dans l’intérêt du groupe mais
encore au groupe lui-même qui n’a aucun intérêt à perdre des responsables de ce genre. Dès lors, une telle
sanction ne parait nullement compatible avec l’impératif de promotion des groupes de sociétés. Il en va de
même pour les opérations utiles et, parfois, nécessaires de fusion ou de scission. Par contre, si le tribunal pénal
considère que l’agissement du dirigeant, bien que remplissant tous les éléments constitutifs de l’abus de biens
sociaux, n’est pas préjudiciable au groupe parce qu’il a été effectué dans son intérêt commun, il pourra
l’exonérer de toute responsabilité pénale. D’autant plus qu’un tel dirigeant pourra toujours bénéficier de la
présomption de bonne foi vu que l’infraction de l’abus, prévue par les articles susvisés, est nécessairement
intentionnelle2929. Mais ce jugement de non lieu, s’il est motivé par la notion de l’intérêt commun du groupe,
sera exposé à la critique pour violation des principes les plus sacro-saints du droit pénal à savoir, le principe
de la légalité ou celui de l’interprétation stricte des textes pénaux2930. Que faire alors ? Doit-on accepter la
violation des articles pénaux relatifs aux abus au nom de l’intérêt commun du groupe, ou l’intérêt inhérent à la
société issue de la fusion ou de la scission ? Ou doit-on sacrifier ces intérêts pour sauver les principes
juridiques précités ?
Partisan de l’école classique et habitué depuis longtemps à appliquer, en matière des sociétés
commerciales, les règles du code pénal de 1913, notre juge sera enclin, pour surmonter tout dilemme, à
recourir aux règles classiques relatives à l’abus de confiance ou à l’escroquerie. D’ailleurs, pour les sociétés
commerciales isolées, la jurisprudence tunisienne continue constamment à qualifier les agissements reprochés
aux dirigeants des SA ou SARL à la fois d’abus de biens sociaux et d’abus de confiance en se targuant des
règles du cumul telles qu’organisées par les articles 54, 55 et 56 du code pénal2931. Dans cette direction, la
sanction pénale que pourrait encourir le dirigeant du groupe, ou le responsable de la fusion ou la scission,
serait celle d’un crime punissable de dix ans d’emprisonnement en application des dispositions de l’article 297
CP. Ce dirigeant sera toujours considéré comme étant mandataire de droit ou de fait du groupe de sociétés ou
d’une société fusionnée ou scindée, sachant que le contrat de mandat constitue d’après ce texte pénal, une
circonstance aggravante de l’abus de confiance qui de simple délit devient qualifié de crime.
Comme on peut le constater, le pluralisme des sources du droit pénal de la concentration des sociétés
donne lieu à des qualifications graves et multiples des abus qui peuvent ne pas encourager les dirigeants à plus
d’initiative et d’intéressement en matière de concentration2932.
Certes, il existe quelques décisions qui tendent à atténuer la responsabilité pénale des dirigeants des
sociétés commerciales en appliquant la règle de l’article 534 COC qui donne le primat au texte spécial aux

2929
M Léauté explique le non lieu des prévenus par le défaut de l’élément moral exigé en cas d’abus de biens sociaux. Examinant, d’abord, la
situation des dirigeants des sociétés dominées, M. Léauté estime que leur relaxe s’impose puisqu’ils ont été « obligés en raison…de la dépendance
économique de leur société, d’ordonner les sacrifices à leur société dans l’intérêt général du groupe ». Pour cet auteur, il s’agit « d’opter entre
deux maux, un sacrifice au détriment de la société liée…ou bien le sacrifice de sa propre situation professionnelle. L’obéissance des ordres venus
d’en haut est d’autant moins une infraction dans cet état de nécessité, que le prévenu peut avoir la conviction de l’utilité finale du sacrifice
demandé. Toutes les données du problème ne lui sont pas connues : il est en droit de supposer que les maîtres de la décision agissent dans l’intérêt
commun ». Puis, analysant la situation des dirigeants de la société dominante, ceux qui ordonnent les sacrifices, M. Léauté estime que l’élément
moral du délit fait également défaut dans la mesure où « personne ne commet d’infraction en accomplissant seulement ce qui est permis par la loi,
la jurisprudence, voire par la coutume. Or, le fait que le droit positif admette la liberté des groupes…autorise les dirigeants à donner leurs ordres
dans la perspective de l’intérêt du groupe ». In, La reconnaissance de la notion de groupe en droit pénal des affaires, JCP, 1973, doc., p255.
D’autres auteurs ont évoqué, d’une part, la contrainte en disant que « n’est pas responsable la personne qui a agit sous l’emprise d’une force ou
d’une contrainte à laquelle elle n’a pu résister », et, d’autre part, l’ordre de la loi : « n’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit
un acte... autorisé par des dispositions législatives » (122-2 CP), ou encore l’état de nécessité (danger actuel ou imminent, V. art.122-7 CP). V.
MEDINA (A), op.cit., p164. D’autres auteurs évoquent le fait que l’intérêt du groupe exclut l’intérêt personnel, direct ou indirect, des dirigeants.
Ainsi, il fait disparaître une partie de l’élément intentionnel du délit (le dol spécial).
2930
« Admettre l’intérêt du groupe en tant que fait justificatif des abus, en dehors de toute base légale, est contraire aux principes qui gouvernent
le droit pénal, tel que celui de la légalité des délits et son corollaire le principe de l’interprétation strict de la loi pénale ». V. MEDINA (A),
op.cit., p162.
‫(د‬3 ،.‫ج‬.o;.‫ ق‬.93 ‫ ص‬،1992 ،.‫ت‬.‫ق‬.‫ م‬،1990-6-21 ‫ _رخ‬،35246 ‫(د‬3 ،.‫ج‬.o;.‫ ق‬.146 ‫ ص‬،1993 ،.‫ج‬.[ ،.‫ت‬.‫م‬.‫ ن‬،1993-11-12 ‫ _رخ‬،53508 ‫(د‬3 ،.‫ج‬.o;.‫ ق‬2931
."<S ‫ ا‬6‫ُ اﺟ‬+ ،.‫م‬.‫ غ‬،2003-7-18 ‫ _رخ‬،45257 ‫(د‬3 ،.‫ج‬.o;.‫ ق‬.209 ‫ ص‬،1996 ،.‫ت‬.‫م‬.‫ ن‬،1996-4-24 ‫ _رخ‬،74184
2932
Si on prend l’exemple des sanctions graves relatives à la responsabilité pénale du liquidateur (art. 49 à 52 CSC), il semble qu’en ce domaine il
y a une tendance à fuir les liquidations de la part des experts aptes à être désignés.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

dépens de texte général2933. Mais, ces décisions ne semblent pas constituer une jurisprudence bien établie.
Elles ont besoin du renfort des chambres réunies de la cour de cassation2934. Il faut toutefois signaler que
même dans cette optique, la règle de la prévalence du texte pénal spécial n’est pas d’un grand secours pour les
abus commis dans les groupes de sociétés pour la simple raison que même les articles 147, 158 ou 223 CSC
demeurent inadaptés à ce genre d’abus. Seule une intervention législative pourrait mettre à l’écart une telle
inadaptation. Cette intervention est d’autant plus impérieuse et urgente dans la mesure où la dite inadaptation
pourra exhorter, le juge pénal, notamment au niveau du ministère public, à recourir aux qualifications du droit
pénal classique essentiellement à l’escroquerie ou à l’abus de confiance. C’est d’ailleurs ce qu’il ne cesse de
faire dans le cadre des SARL et SA, a fortiori il le fera dans le cadre de la concentration, là où il n’y a aucun
texte pénal spécial aux abus des biens et les cas assimilés.

613- Par ailleurs, et pour dévoiler encore plus l’inadaptation des sanctions pénales applicables aux
abus dans la concentration, il convient de préciser que lorsque plusieurs dirigeants sont poursuivis pour abus
de biens sociaux, rien n’empêchera le juge pénal d’opter pour une solution plurale, des plus bizarres qu’on
peut résumer en ces termes, ne serait-ce que pour le groupe de sociétés ou lorsque la fusion ou la scission est
intragroupe :
- Pour les dirigeants de la société mère, qui ne peut être qu’une société anonyme, il appliquera l’article
223 CSC2935.
- Pour les dirigeants d’une filiale sous forme de SARL, il aura à appliquer l’article 146 CSC2936.
- Pour le dirigeant d’une filiale sous forme de SUARL, l’article 158 CSC semble applicable2937.
- Et enfin, si la filiale est une société de personnes comme, par exemple, une société en nom collectif ou
en commandite simple, ses gérants seront poursuivis sur la base de l’article 297 CP à défaut de texte
pénal spécial2938. En effet, les délits prévus pour les dirigeants de SA et les gérants de SARL ne
peuvent s’appliquer dans le cadre de la SNC, et notamment l’abus de biens sociaux2939. C’est là une
absence étonnante. Tout en relevant l’incohérence de cette exclusion, Mme M. DELMAS MARTY
l’explique par « l’idée qu’une protection de la minorité ou des créanciers ne s’impose que lorsque la
société présente une certaine importance et qu’il n’existe pas de confusion, en pratique, entre le
patrimoine social et celui des dirigeants »2940. Si cette logique semble bien être celle du législateur,
elle n’en paraît pas moins erronée. Comme le note M. W. Jeandidier, hostile à cette exclusion, «l’abus
de biens sociaux n’a pas pour finalité de protéger certains associés ou créanciers, mais la société»2941.

Au regard de cette kyrielle de textes disséminés, la répression sur la base d’un texte unique et général
relatif à l’abus de biens sociaux apporterait une simplification évidente. Elle permettrait également de
supprimer des disparités liées aux lacunes du législateur. Cette disparité dans la répression de l’abus des biens
sociaux ne se justifie point. Certes, l’abus de confiance permettra le plus souvent de sanctionner des

‫ د‬N ، !4 .‫ اس‬. ،.‫ج‬.‫ ق‬."<S ‫ ا‬6‫ُ اﺟ‬+ ،.‫م‬.‫ غ‬،1997-3-25 ‫ _رخ‬،83831 ‫(د‬3 ،.‫ج‬.o;.‫ ق‬."<S ‫ ا‬6‫ُ اﺟ‬+ ،.‫م‬.‫ غ‬،2000-4-14 ‫ _رخ‬،3650 ‫(د‬3 ،.‫ج‬.o;.‫ق‬ 2933

# ‫ ط‬a F $ ‫] و‬# ‫ ت ا‬L a C‫ اط ر ا‬8G ،8! ‫ ع ا‬3 ‫ أن ا‬CD ‫ ا‬I‫ " و < ` وﺟ‬: 8 + ‫ا ا ار‬DK ‫ و < ` ورد‬."<S ‫ ا‬6‫ُ اﺟ‬+ ،.‫م‬.‫ غ‬،1994-5-17 8G ‫رخ‬q ،1755
‫ ق‬L 8G a$ ‫ ا م اﺟ‬MN ‫ < د‬M ‫ ا ط اف أو زﺟ‬k $ ‫ ن < ق‬F + G ‫ م‬4 9‫ و ّ'ھ‬+‫ا ر‬ M F ‫ ص‬6+ 3 ‫@ ت‬/ ‫ه ا‬D‫ّ اط اف ھ‬m ، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ت ا‬S #
‫ق‬ G < +‫ا ر‬ ‫ ا‬M 86 V]/ ‫ ﺟ ء ا‬،‫ ت‬N 4 ‫ه ا‬D‫ ھ‬M 7SL ‫ وا‬a!/ ‫ا ا ط ر‬D‫ ھ‬8G‫ ء و‬C 3 ‫ ا‬M ‫ ّ ^ ه‬F$ ‫ ] رة‬6+ 3 ‫ ا‬k ‫ ذ‬a N ag /+ ‫ق‬ ّ #$ ‫ ا ن و‬k ‫ذ‬
‫ < ول‬7 ‫ ه‬V]/ ‫ ا‬k ‫ ت ذ‬F ‫'ة‬Cّ M ‫ و‬L ! ‫ و اءة‬،‫ ا ل‬F7 C 3C ،9A ‫ ا‬/ C 3 ‫ ا دارة‬H ‫ ء‬FN‫ ا‬a $‫ ار‬U ‫ ا‬#+ ‫] ف‬$ ‫ ء‬A VC ‫ ء ازاء‬C 3 ‫و ] ا‬
‫ ا‬K ّ Fُ+ ‫ ا ] و‬k $ M ‫ ل‬4+ ‫ أن‬a [O M VC M ‫ ء‬q‫ ] ھ‬+ < ‫ ورة‬F ‫ ع‬3 ‫ ا‬M +‫ا‬ 3 ‫ ا‬+ ^ ‫ و‬g‫ ] رة وا‬k ‫ وذ‬C 3 ‫ ا‬k $ Vd M ‫ ء‬C 3 ‫ ] ا‬+ <
M # D ‫ ع ا‬3 ‫ ن ا‬C U N <‫ ا‬0 9ّ 4ٌ+ i7 ‫ وھ‬4 ‫ ّ ى درﺟ ا‬# $ K #‫ ر وﺟ‬CD ‫ ا‬86 V]/ ‫ ھ‬7‫ ا‬8 ‫ ت ا‬# ‫ ا‬U N ‫ ص‬6 ‫ ء ط‬/g‫ ا‬M 8! ‫ ع ا‬3 ‫ ا‬64 + 9 ‫ا‬D‫أن ھ‬
k $ Vd ‫ ھ‬+ 8 ‫ ت ا‬#+ 3 ‫ ا‬A 8G 8! ‫ ع ا‬3 ‫ ه ا‬C‫ ر ا‬N‫ ن وھ ا‬C ‫ اي‬M K$ ‫و‬q! V $ 8G ‫ رة‬LP ‫ و ا دوار ا ^ ا‬+‫ ت ا ر‬C 3 ‫ م‬K ‫ ط ا ري ا‬34 ‫ ا‬# ‫ ر ط‬N ‫ا‬
# ‫ ط‬a F $ 9 ‫ و‬84‫ ] د ا ط‬7 ‫ ا‬4$ 8G ‫ دور < ي‬M 9K ‫و ت ﺟ! و‬q! M 9K ، +‫ ا ر‬C 3 ‫ ب ا‬0‫ أن ا‬#+ ‫ ع‬3 ‫ ا< أن ا‬0 a4 i3 ! ‫ ت و‬C 3 ‫ا‬
. +‫ا ر‬ ‫ ا‬M 86 V]/ ‫ رج ا‬4+ ‫ ص‬P ‫ ا‬6+ 3 ‫ ا‬k ‫ ذ‬M g M ‫ و‬+‫ د‬# ‫ ا‬+‫وا ر‬ ‫ت ا‬S # ‫ ا رة ! ا‬M ‫ ا ا‬H N U N ‫ ص‬6+ 3 ‫ ون‬+ ‫ ﺟ‬9KG ، #3 ‫ ا‬9K N
‫ دار‬، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ن ا‬7 U N " #$ ، " , e1 ; ." 7 a + ‫ ط‬5 8G ‫ ا ل‬F7 M g ‫ ق ج‬M 297 V]/ ‫ ت ا‬F k! ‫] ا‬+ a< O " A V 4 ` <‫و‬
.408 ‫ ص‬،1996 V+ G‫ ا‬،U ‫ او‬# ‫ ط‬، 34 ‫ا 'ان‬
2934
BEN AMMOU (N), th. pré., n° 155, p 75.
2935
Le juge peut appliquer aussi l’article 297 CP.
2936
Ibidem.
2937
Ibidem.
2938
Les sociétés de personnes sont réglementées par les articles 54 à 89 CSC. Parmi ces textes, il n’y a aucun article répressif des abus. A défaut de
texte pénal spécial, le recours au droit pénal général, à savoir l’article 297 CP, est inéluctable.
2939
Cass. Crim. Fr., 3 oct. 1963, D. 1963, p. 73 ; Rev. Soc., 1964, p. 35; Gaz. Pal. 1964, I, p. 126. Le gérant d’une société en nom collectif ne peut
être déclaré coupable du délit d’abus de bien sociaux, alors même qu’il a opéré des prélèvements importants
2940
Droit pénal des affaires. 3ème éd., PUF, 1990, p. 304 dans la 4ème éd. (p. 344), l’auteur ne reprend pas exactement l’argument mais insiste
toujours néanmoins sur l’intensité variable de la séparation entre le patrimoine social et celui personnel qui justifierait celte différence selon les
formes sociales.
2941
Abus des biens, du crédit, des pouvoirs ou des voix J.-Cl. Sociétés Traité. Fasc. 132-20, n°4.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

agissements abusifs comparables à ceux de l’abus de biens sociaux2942. Mais il n’est pas souhaitable que les
mêmes faits encourent des peines différentes. Aussi, pour éviter que la SNC, déjà appréciée pour son opacité
comptable et ses qualités fiscales2943, ne soit délaissée pour cette singularité pénale, l’incrimination d’abus de
biens sociaux pourrait utilement être étendue aux sociétés de personnes.
614- En l’absence d’un texte général relatif à l’abus de biens sociaux, quel justiciable s'y retrouvera?
On ne peut que déplorer cette autre difficulté du droit pénal de la concentration, à savoir la pluralité
des qualifications applicables à un même fait juridique. Selon que le fait ait été commis au sein d’une société
de personnes ou d’une société de capitaux, le quantum des sanctions est totalement différent. Impossible au
non juriste de s'y retrouver ! Cette pluralité des qualifications a été qualifiée, en France, d’inconstitutionnelle.
En effet, le Conseil constitutionnel français a clairement affirmé, dans sa décision datant du 16 juillet 1996
que «la création d’une infraction relevant déjà d’une autre incrimination n’est pas justifiée et donc
inconstitutionnelle car contraire au principe de nécessité des incriminations ». L’un des fondements des
sociétés démocratiques étant que la loi ne doit édicter que des sanctions pénales nécessaires et proportionnées.
Pour décrier cette bizarrerie juridique, on ne peut que reprendre la citation de monsieur Gilbert « une
« frénésie de lois, une loi instable, peu lisible, obscure pour les citoyens… Ce constat sévère est récurrent :
les lois formeraient un écheveau complexe et foisonnant dans lequel, dit-on, le juriste lui-même se perd. La loi
serait le fruit d'un travail fastidieux aboutissant à des textes au mieux complexes, au pire incompréhensibles
voire brouillons. La production législative est-elle réellement cette machine folle lancée à pleine
vitesse ? »2944.
Cette justice pénale en « porte-à-faux » aboutit à des distorsions de sanctions peu compréhensibles
entre des infractions de même nature, selon les formes de société. Pareille solution, constituée de mosaïque de
textes répressifs, prouve bel et bien l’inadaptation des textes pénaux relatifs à la société isolée. Le droit pénal
du groupe, comme celui de la fusion et la scission, semblent avoir besoin, plus que jamais, de textes pénaux
spéciaux qui tiennent compte de toutes les spécificités de la concentration, notamment le contrôle et l’intérêt
commun du groupe. Certes, on aurait pu ne faire aucune proposition de codification si le législateur n’a pas du
tout codifié le droit de la concentration. Mais en s’engageant dans la codification, il n’aurait pas dû s’arrêter à
mi chemin. Surtout que, depuis quelques années, la question des abus des biens et du crédit sociaux ne cesse
de faire couler beaucoup d’encre et d’occuper la une des chroniques juridiques et économiques2945. De même,
la fusion et la scission, notamment lorsqu’elles s’effectuent au sein d’un groupe de sociétés, ont besoin
nécessairement d’un régime juridique spécial.
615- Il est apparu clairement ici que la prolifération des règles tue leur lisibilité, leur légitimité et
leur sécurité. Des règles claires connues de tous, comprises et admises, valent mieux que cette prolifération de
normes qui permet souvent aux forts d'imposer leur loi sans partage2946. « Un élément qui ralentit grandement
le commerce est l'imperfection de la loi et l'incertitude frappant son application2947». Cette carence du droit
pénal serait, selon certains auteurs2948, attribuable ici encore à une complexité et à une hypertrophie textuelle,
impuissante à endiguer une criminalité en col blanc très habile.
Globalement, le droit pénal des sociétés, vu sous l’angle de la concentration, offre l’image d’une
construction anarchique. Rapprocher, sinon unifier le régime juridique pénal des procédés de concentration est
la condition sine quoi non d’une théorie générale en ce domaine. Pourquoi alors ne pas lancer l’idée d’un droit
pénal des procédés de concentration ?
A ces inconséquences juridiques grandement déplorables, s’ajoutent d’autres, pratiques ou
économiques, qui ne font qu’aggraver davantage une situation déjà alarmante.
2942
V. notamment, pour une hypothèse concernant deux sociétés, l’une étant une SCI et l’autre une SARL, la condamnation du gérant de ces deux
sociétés à la fois pour abus de confiance commis au préjudice de la SCI et pour abus des biens sociaux de la SARL : Cass. Crim. Fr., 4 sept 1996,
Bull Joly 1997, p. 107, note N. RONTCHEVSKY
2943
Ce fût, semble-t-il, le cas de M. Bernard TAPIE, V. COZIAN (M), VIANDIER (A) et DEBOISSY (F), Droit des sociétés, 17ème éd., Litec
2004, n°1071, p. 470.
2944
GILBERG (K), De l'art de mieux légiférer, par, Le monde, numéro du 27 janvier 2010.
2945
LASSERRE CAPDEVILLE (J), Abus de biens sociaux et banqueroute, Joly éditions, Collection : Pratique des affaires, 2010 ; L’abus de
biens sociaux : Le particularisme français à l’épreuve de l’Europe, les actes de ce colloque ont fait l’objet d’une publication dans la Gaz. Pal., n°
324 à 325 du 19-20 novembre 2004.
2946
TEBOUL (G), L'abus en droit des affaires et le pouvoir modérateur du juge, Propos conclusifs, Gaz. Pal., 19 décembre 2009 n° 353, P. 37.
2947
SMITH (A), Leçons sur la jurisprudence, 1762-1764.
2948
CALAIS-AULOY (M-T), La dépénalisation en droit des affaires, D. 1988, chron. 315 ; BARBIERI (J-F), Morale des affaires commissariat
aux comptes, LPA, 24 janvier 1996 n° 11, P. 8.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

II- Les inconséquences pratiques


616- « Comment faire un calcul économique quand on ne sait pas à l’avance comment la
réglementation va s’appliquer, quand on ne sait pas ce qu’on peut raisonnablement attendre des juges [...]
quand le risque financier lié à l’incertitude juridique se double de plus en plus d’un risque pénal ? »2949. On
est aujourd'hui en présence d'un ensemble d'une grande complexité, édifié par strates successives qui a perdu
sa cohérence et correspond mal aux besoins d'une justice pénale moderne. Une kyrielle de changements
législatifs conçus à la hâte dévalorisent la loi et créent l'insécurité juridique2950. S’y ajoute malheureusement
une justice peu cohérente et souvent même vacillante. Ainsi, s’interroge un auteur : « le législateur ne se
contente-t-il pas trop aisément de prévoir de lourdes pénalités ou de multiplier les incriminations destinées à
cerner toutes les défaillances possibles, en croyant avoir ainsi résolu le problème et avoir suffisamment
convaincu les éventuels auteurs d’infractions de s’abstenir de tout faux pas ? »2951. Plus affirmatif, monsieur
Terre considère qu’ « on a abusé de l’idée curative ; elle semble permettre de conjurer à l’avance les
maladies, mais elle peut aboutir à faire traiter tout le monde comme des malades »2952. Outre l’excès qui la
caractérise, cette attitude constitue à l’évidence un facteur perturbateur du monde des affaires et une cause
légitime de fuite des investisseurs. Tous ces éléments semblent mettre en évidence un paradoxe : le droit
pénal, dont l'un des buts est de garantir la sécurité, serait lui-même devenu une source d'insécurité. La
pénalisation du monde des affaires deviendrait préjudiciable aux hommes d’affaire2953.

L'insécurité juridique, notamment en matière pénale, a plusieurs origines : la quantité de textes


applicables qui en rend la connaissance réelle difficile, voire impossible ; l'intense variabilité, avec des
évolutions profondes trop nombreuses, trop fréquentes ; et enfin l'opacité, la compréhension des textes étant
de plus en plus difficile. « Un élément qui ralentit grandement le commerce est l'imperfection de la loi et
l'incertitude frappant son application»2954. A cela s’ajoute notre jurisprudence pénale qui ne cesse de laisser
de côté les textes spéciaux au profit des infractions générales qui datent de 1913, dont la sévérité ne cadre plus
avec la donnée économique et l’esprit d’initiative. Cette épée de Damoclès qui pèse sur la tête des dirigeants
sociaux est trop lourde et porte atteinte à la liberté d'entreprendre. Face à cette responsabilité pénale, les
personnes peuvent renoncer à leurs projets d’investissement. Déjà, M. Nicolas Sarkozy a prévenu : « Ce n'est
pas un signe de force de l'Etat que de multiplier les sanctions pour appliquer les règles »2955.

617- Aujourd'hui, le droit pénal des affaires ressemble à un gros nuage noir d'où la foudre peut sortir
à tout moment2956, faisant planer l'angoisse sur les décisions de dirigeants contraints de s'entourer d'un luxe de
précautions. Alors que, dans notre monde, tout va plus vite, l'action des décideurs s'en trouve souvent ralentie,

2949
Discours du président de la République française Nicolas Sarkozy à l’université d’été du Medef en 2007. http : // www. Linternaute .com
/actualite /politique/document/discours-nicolas-sarkozy-medef/discours-sarkozy-universite-d-ete-medef.shtml.
2950
CHAZAL DE MAURIAC (R), Quelle réforme de la justice pénale ?, Gaz. Pal., 30 mars 2006 n° 89, P 2.
2951
VITU (A), Regards sur le droit pénal des sociétés, In Aspects actuels du droit commercial français. Etudes dédiées à R. ROBLOT, L,G.D.J.
1984, p. 247 s., spéc. p. 258.
2952
TERRE (M-F), L’avenir de la loi : trop de lois ou trop de droit ? JCP, t 986, éd. E, II, L 4637.
N'4 ‫ ا‬t<Sُ+ + ‫ ا‬+‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ن ا‬7 8G V [ ‫ان ا‬ ّ ‫ ان‬3 ( 0‫ ذ ا‬A ‫ ا‬#$ I!< " : A ! M ‫ ي‬K ‫ ع ا‬/ ‫ ا‬،" +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬ + 3N " ‫ < ل‬U 2953
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.11 ‫ ص‬،2011 8/ ‫ ﺟ‬،105/104
2954
SMITH (A), Leçons sur la jurisprudence, 1762-1764.
2955
Le figaro, 14-10-2007, http://www.lefigaro.fr/economie/2007/09/07/04001-20070907ARTFIG90144-les_projets_ de_nicolas_sarkozy_ pour
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LOUED (M-N), Contribution à la théorie générale de la participation en matière pénale : le consentement participatif et l’imputation de
l’infraction, Justice pénale : qu’elle évolution ?, FSJEGJ, 2007, p11.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

voire paralysée. Cela pèse non seulement sur notre économie mais également sur l'attractivité du pays2957. On
est aujourd'hui confrontés aux effets pervers de l'«envie du pénal» dénoncée par M. Philippe Muray, qui
alimente la judiciarisation de notre société, tétanise les prises de responsabilité et porte atteinte au sentiment
de liberté.
La doctrine commercialiste s'est farouchement élevée contre « ce carcan » pénal imposé aux dirigeants
de sociétés qui va à l'encontre du dynamisme nécessaire à la vie des affaires2958. Outre cette entrave irréfutable
à l'efficacité des affaires, la pression pénale est aussi un facteur de répulsion du droit tunisien au regard d'une
compétition internationale marquée par le succès croissant des blue sky laws2959, ces législations sociétaires
recherchées pour leur souplesse, voire leur complaisance2960.
Dans cet ordre d’idées, monsieur Viandier a justement invoqué un « effet polluant »2961 dont on trouve
une illustration avec l'action « de chantage »2962, exercée pour nuire aux dirigeants sociaux ou s'imposer dans
une confrontation ou une négociation2963. Cette seule menace est d'autant plus redoutable que l'intervention du
droit pénal conserve sociologiquement une dimension infamante et que la seule suspicion médiatique peut
s'avérer dévastatrice, l'autorité de la chose imprimée l'emportant souvent dans les esprits sur l'autorité de la
chose jugée. L’importance et la variété des infractions prévues ne prédisposent-elles pas le droit pénal des
sociétés à servir de moyen de pression ?
En 1991 déjà, le Conseil d'Etat français publiait un rapport célèbre sur la « sécurité juridique»
s'alarmant de l'inflation législative2964. Faisant écho au dit-rapport, « Summum jus, summa injuria »2965
rappelait alors rudement la haute juridiction française. Le même rapport parlait aussi de «marée législative»,
voire de « logorrhée législative et réglementaire» en matière pénale contraire à la souplesse et la rapidité
auxquelles postule la vie des affaires2966. Vingt ans plus tard, le mouvement s'est gravement amplifié. Le droit
pénal des affaires en passe de devenir « obèse », ne sert pas forcément l'intérêt collectif et a tendance à faire
peser sur la vie économique un risque inutile2967 et ce, en constituant un moyen de pression au sein de
l'entreprise et un frein à l'initiative économique 2968.

618- Force est de constater qu’une pénalisation excessive de la vie économique produit des effets
pervers. Les procédures sont souvent longues. Elles ont souvent un retentissement économique hors de
proportion des faits. Elles peuvent être dévoyées par certains plaignants. Ce risque pénal pèse sur l’attractivité
économique de la Tunisie. Notre souhait est alors de lutter contre une pénalisation excessive du droit des
affaires, qui constitue une source d’insécurité juridique et handicape ainsi l’esprit d’entreprise. Le domaine de
la répression pénale, en matière de concentration, repose, en effet, sur la détermination d’un équilibre délicat
entre l’exigence de sanctions proportionnées à la nocivité des comportements illicites au sein des sociétés et
l’impératif d’efficacité qui doit gouverner le droit des sociétés d’une économie moderne2969. En se vouant
exagérément à la sanction pénale, le législateur a méconnu cet équilibre et parait se ranger à l’avis de

2957
Le figaro, 22-02-2008 ; http://www.lefigaro.fr/debats/2008/02/23/01005-20080223ARTFIG00136-droit-des-affaires-pourquoiil-est-urgent-de-
depenaliser-.php
2958
VITU (A), Regards sur le droit pénal des sociétés, Art. pré. p. 257. Même sens, HOUIN (R), préface de l'ouvrage de Launais (H) et Accarias
(L), Droit pénal spécial des sociétés, 1964, p. IX et X ; DALSACE (A), La protection des minorités et le projet de loi sur les sociétés, In Études
sur le projet français de réforme des sociétés commerciales, 1965, p. 84 ; même auteur, Réflexions d'un commercialiste sur le droit pénal des
sociétés, Rev. Soc., 1966, p. 399.
2959
Ce sont des lois américaines souples qui tendent à protéger les investisseurs contre la fraude.V. http://dictionnaire.reverso.net/anglais-
definition/blue-sky%20law
2960
COZIAN (M), VIANDIER (A) ET DEBOISSY (F), Droit des sociétés, Litec, 2002, 15e éd., p. 50, no 81.
2961
Obs. sous T. Corr. Paris, 19 septembre 1989 : JCP, éd. E, 1990, II, no 15, p. 56 et s.
2962
BOULON (B), Qualité d'actionnaire et droit pénal, In Qu'est-ce qu'un actionnaire ?, Actes du colloque du Centre de recherches de droit des
affaires et de l'économie de l'Université Paris-I, 14 et 15 avril 1999 : Rev. Soc, 1999, p. 743.
2963
COHEN (D), Le chef d'entreprise est-il un délinquant ordinaire ?, In Les enjeux de la pénalisation de la vie économique, Dalloz, 1997, p. 79.
"!4 C‫ ا‬M+‫ ا د‬U O 8G KN‫ ا ا‬6 ‫ ت‬#+ 3 ‫ ور ا‬0 ‫ ة‬$‫ ت و‬N ]$ ‫ ت‬4 #! ‫ ا‬+‫ ا‬D4 " : M+‫ ا د‬6 ‫ ! ﺟ‬C‫ ا‬#+ 3$ ‫ ز‬H $ fG N + $ ‫ ة‬/ ‫ ا‬H/ 8G 2964
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.21 ‫ ص‬،2007 A ،25/24
2965
Trop de loi tue la justice.
2966
Cons. D’Etat Fr., Rapport public annuel, La Documentation française, 1991.
2967
Rapport de dépénalisation, pré. cit., p 3.
2968
VIANDIER (A) ET CAUSSAIN (J-J), Chronique de droit des sociétés, JCP éd. E, 1990, 15677, no 15.
2969
GROSCLAUDE (L), Le renouvellement des sanctions en droit des sociétés, th. Paris 1, 1997. p. 46 : « l’efficacité induit l’idée d’un équilibre
entre la nocivité de la nocivité et la nocivité d’une sanction non proportionnée ».

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

M. Goethe qui disait préférer une injustice au désordre2970. En prescrivant un arsenal pénal excessif en
l’absence de toute politique criminelle clairement définie2971, le législateur a obtenu et l’injustice et le
désordre, tout en enfantant une jurisprudence pénale, en matière de sociétés, qui ne cesse de se rechercher,
notamment en face des conflits internes de textes pénaux.

619- La défaillance des sanctions pénales appliquées à la vie des affaires de façon générale a été à de
nombreuses reprises mise en avant, avec raison, tant l’échelle des peines résulte plus parfois des « strates »
législatives que d’une cohérence réfléchie. Remédier à ces incohérences implique d’abord un travail
d’harmonisation et d’unification, qui ne saurait être efficace à plus long terme qu’en renforçant la cohérence
de l’action publique et la production de la norme pénale. Cela est vraisemblablement une tâche ardue, tant elle
reflète la production de la norme et les enjeux de pouvoirs au sein des ministères.
En réalité, c’est toute la mécanique de production de la norme qui se reflète dans cet éclatement des
incriminations. La norme pénale est, en effet, souvent l’accessoire d’une règle civile ou commerciale. Elle est
créée pour assurer la force obligatoire d’une obligation, plus que pour sanctionner un comportement qui
heurte l’intérêt général ou les tiers. C’est ainsi que fréquemment les ministères porteurs d’un projet de texte,
insistent pour créer une infraction pénale, sans qu’une réflexion plus globale sur l’ensemble des sanctions ne
soit effectuée2972. La réforme du droit pénal des affaires est une attente vigoureuse des acteurs économiques.
Le caractère déstabilisant pour l’entreprise et ses dirigeants de la procédure pénale, son impact médiatique à la
fois trop important lors de la mise en examen et négligeable lors des ordonnances de non-lieu et ses
conséquences économiques voire boursières ont ainsi été stigmatisés.
Si le besoin de règles pour l’entreprise a été reconnu comme essentiel, nul n’en disconvient sur la
nécessité de normes claires, stables et cohérentes, dans un souci de lisibilité, ce qui n’est nullement le cas
aujourd’hui. En effet, l’inflation législative pénale, la multiplication des incriminations en concours,
l’incertitude jurisprudentielle et l’instrumentalisation de la justice pénale constituent absolument un risque
pénal anormal pour l’entreprise. C’est le principe de légalité qu’il faut pour cela réaffirmer. Certains risquent
d’aller plus loin, en estimant que cette menace pénale est une des causes de la réticence des entreprises
étrangères à s’implanter en Tunisie. C’est l’attractivité du pays pour les investisseurs qui serait aussi un des
enjeux de l’adoucissement pénal2973.
La doctrine commercialiste la plus éminente s’est élevée de longue date contre « ce carcan pénal
Imposé aux dirigeants de sociétés (qui va) à l’encontre du dynamisme nécessaire à la vie des affaires : l’esprit
d’entreprise, l’audace dans la lutte pour la conquête des marchés et les impératifs de la stratégie dans la
gestion des groupements commerciaux supposent une liberté d’action qui ne peut se concilier avec la sévère
menace de poursuites que le droit pénal brandit à tous les instants de la vie économique »2974.
De gardien zélé des règles qui devraient assurer le bon fonctionnement du droit des sociétés, le droit
pénal, par son excès, est devenu, paradoxalement, un facteur d’inefficacité, et s’il entrave fortement ceux qui y
sont soumis, il dissuade les autres de s’y soumettre. Un commentateur américain de la loi française de 1966,
qui présente presque les mêmes défaillances que le code des sociétés tunisien, s’avouait totalement indigné
par ses dispositions et se demandait « par quel processus de raisonnement les auteurs de cette loi ont cru
nécessaire de traiter les dirigeants de sociétés sur le même plan que des malfaiteurs ou des criminels ? »2975.
2970
GOETHE (J-W), Le siège de Moyenne, In La révolution et l’empire, Ecrits autobiographiques, 1789- 1815, trad. J. PORCFIAT, révisée et
annotée par J. LE RIDER, éd. Bartillat, 2001.
2971
De nombreuses définitions de la politique criminelle ont été proposées. Pour MERLE (R) et VITU (A) (op.cit, n° 51), il s’agit de « l’ensemble
des procédés susceptibles d’être proposés au législateur, ou effectivement utilisés par celui-ci à un moment donné dans un pays donné pour
combattre la criminalité ». Pour STEFANI (G), LEVASSEUR (G) et BOULOC (B) (op. cit, n° 22) : « la politique criminelle n’est autre que
l’organisation de la lutte contre une criminalité préalablement définie, lutte menée sous diverses formes, employant des moyens variés et orientée
vers des buts précis » ; DELMAS-MARTY (M), (Modèles et mouvements de politique criminelle, Economica 1983, p. 13) l’entend de «
l’ensemble des procédés par lesquels le corps social organise la réponse au problème criminel ». On préfére la définition plus précise et volontaire
proposée par RASSAT (M-L) (op. cit., n° 67) : « une politique pénale suppose 1/ La conscience (les plus pessimistes diraient l’illusion) de la
possibilité d’une action sur le volume et les formes de délinquance (ce qui fait que, si l’attitude pénale est de tous les temps, la politique pénale n’a
pu naître qu’après le développement de la criminologie) , 2/ La détermination d’un certain nombre d’objectifs à atteindre, à partir desquels
chaque décision prise dans le domaine pénal devra se situer ».
2972
Rapport du garde des sceaux, Ministre de la justice, La dépénalisation de la vie des affaires, Collection des rapports officiels, Janv. 2008, p 60.
2973
Ibidem, p 14.
2974
VITU (A), Regards sur le droit pénal des sociétés, art. préc., p. 247 s. et spéc. p. 257 ; HOUIN (R), Préface de l’ouvrage de LAUNAIS et
ACCARIAS, Droit pénal spécial des sociétés, 1964, p. IX et X ; ESCARRA (J), Cours de droit commercial, 1952, n°731, p. 442 ; DALSACE
(A), La protection des minorités et le projet de loi, sur les sociétés, In Etudes sur le projet français de réforme des sociétés commerciales,
1965,p.84 ; même auteur, Réflexions d’un commercialiste sur le droit pénal des sociétés, Rev. Soc., 1966, p. 399.
2975
KEVORKIAN (A-J), Quelques critiques pragmatiques de la loi française sur les sociétés commerciales, Gaz. Pal., 1968, doctr., p 97.

Page 431
DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Le droit pénal des sociétés est une véritable épée suspendue au-dessus de la tête des dirigeants.
Comme dans l’antique légende, la ténuité du crin de cheval qui la retient suffit à en paralyser la plupart.
D’autres au contraire, par connaissance, fatalisme ou intérêt, ignorent la menace. « Trop de droit pénal tue le
droit pénal ». C’est un constat bien établi que l’excès a toujours suscité la rébellion. Pour les sociologues du
droit, cette fronde constitue le phénomène d’ineffectivité individuelle et comme l’explique le Doyen
Carbonnier, la cause en est l’inflation législative. « A des injonctions trop nombreuses, l’attention ne répond
plus, ni l’obéissance... L’ineffectivité des lois, à des degrés variables, c’est le trop plein par où l’équilibre se
rétablit entre la volonté du pouvoir et la tolérance du corps social »2976.
L'histoire récente du droit des sociétés depuis une trentaine d'années est celle d'une réforme
permanente2977. Mais curieusement, au milieu de ces bouleversements, les sanctions pénales brillent par leur
impassibilité, îlot de stabilité opposant sa force d'inertie à toute velléité de changement. Omniprésent, souvent
peu cohérent, rarement effectif et parfois dévoyé, les critiques pertinentes abondent pour justifier de la
nécessité d'une réforme d'un arsenal pénal impressionnant et vain2978. Combiner le besoin légitime de
confiance des entreprises dans la norme pénale en respectant l’intérêt général, la protection des
investissements et l’égalité devant la loi constitue, sans doute, l’enjeu fondamental de l’adoucissement du
droit pénal des affaires dont a nécessairement besoin toute politique législative en matière de concentration
économique.

620- En fin de compte « si l'on taxe trop le travail, il se délocalise, si l'on taxe trop le capital, il s'en
2979
va » . De même, si on pénalise trop les investisseurs ou les bâtisseurs de la concentration, ils partiront ! La
dépénalisation serait-elle alors la solution ? La nécessité de repenser en profondeur le droit pénal de la
concentration des sociétés est très largement admise. Cette volonté est d’ailleurs exprimée en doctrine avec
constance depuis plus de quarante ans. Il faut évidemment se garder de voir dans cette dépénalisation
souhaitée la marque d’une quelconque complaisance pour les malversations commises dans le cadre de la
concentration. Tout au contraire, si l’unanimité se fait sur la nécessité de supprimer les infractions inutiles,
c’est afin de mieux assurer la répression effective de celles jugées indispensables, conformément à la vérité
bien connue de Montesquieu que « les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires »2980.

Section Deuxième
Le comment : la dépénalisation en matière de
concentration

621- Pour répondre à ce comment, certaines précisions doivent être apportées. En effet, vouloir
édifier un des ponts nécessaires à une théorie générale de l’abus dans la concentration exige que, concernant
les règles pénales de cette théorie, on détermine d’abord ce qu’on entend par « dépénalisation » en matière de
concentration (Sous-section première). Ensuite, il est question de démontrer que cette dépénalisation, une fois
ses contours et ses raisons fixés, peut être cristallisée de différentes manières (Sous-section deuxième)

2976
CARBONNIER (J), Effectivité et ineffectivité de la règle de droit, In Flexible droit, Pour une sociologie du droit sans rigueur, LGDJ, 10ème
éd., 2001, spéc., p. 138.
2977
LE CANNU (P), L'évolution de la loi du 24 juillet 1966 en elle-même, Rev. Soc., 1996, p. 496 ; RONTCHEVSKY (N), Droit des sociétés :
le mouvement perpétuel, D., 2002, p. 2594.
2978
HASCHKE-DOURNAUX (M), Les voies de la réforme du droit pénal des sociétés, Bull. Joly Soc., 01 avril 2003, n° 4, p. 377.
2979
Discours précité du président de la République française Nicolas Sarkozy à l’université d’été du Medef en 2007.
2980
MONTESQUIEUX, De l’esprit des lois, Livre XXIX, chap.16.

Page 432
DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Sous-section Première : La détermination de


la dépénalisation dans les procédés de
concentration
622- « Si vis pacem para bellum2981 », cette maxime résume bien l’état d’esprit qui prévalait déjà
chez les romains des siècles avant notre ère. Ceux-ci pensaient qu’on pouvait forcer la paix en rendant les
conséquences de la guerre trop coûteuses pour un attaquant. C’est sûrement aussi, l’état d’esprit du législateur
lorsqu’il édicte des sanctions pénales. Il pense en procédant ainsi empêcher quelqu'un de commettre un crime
par la peur des conséquences potentielles. C’est donc en vue d'obtenir le respect de la réglementation en
vigueur que le législateur contemporain a recours volontiers à la répression pénale. Par la sanction édictée, il
espère bien qu'un très grand nombre d'individus, impressionnés par la répression, se soumettront à la loi.
L'effet d'intimidation dissuade du non-respect de la norme2982.
Contrairement à cette logique archaïque, l’ex président Sarkozy n’hésita nullement, aujourd’hui, à
soutenir que « la pénalisation de notre droit des affaires est une grave erreur2983 ». « Je veux y mettre un
terme » affirma-t-il2984. Cette phrase a fait grand bruit dans l’opinion juridique Française. Que faut-il en
penser ?
Il n’est guère de réglementation, en quelque matière que ce soit, qui ne contienne un article final
édictant brièvement que « ceux qui contreviendront aux dispositions précédentes seront punis de...»2985. C’est,
en partie, ce raz de marée législatif, cette inflation pénale envahissante, qui pose tant d’interrogations2986.
Certes les sanctions pénales sont nécessaires à partir du moment où des obligations existent, où des règles sont
posées, car les hommes ne sont pas des anges et les règles qui existent sont souvent indispensables2987. Le tout
est de trouver des sanctions adaptées. Il est certain, et plusieurs rapports ou interventions l’ont rappelé, que la
répression pénale doit être l’ultima ratio des pouvoirs publics2988. Malheureusement, ces derniers ont cédé à la
facilité.
Au-delà de la volonté dirigiste, bien d'autres raisons expliquent l'inflation pénale2989. Il y a d'abord le
«réflexe pénal » du législateur qui s'abuse trop souvent sur la croyance selon laquelle assortir les dispositions
qu'il adopte d'une sanction pénale serait le meilleur moyen d'en assurer l'application effective. Il en résulte un

2981
« Si tu veux la paix, prépare-toi à la guerre ». Phrase extraite de Rei Militaris Instituta ou Epitoma Rei Militaris (Abrégé des questions
militaires), probablement rédigé au tout début du Vème siècle par Végèce (Flavius Vegetius Renatus) qui était un écrivain militaire romain de la
fin du IVème siècle et du début du Vème.
2982
BOULOC (B), La dépénalisation dans le droit pénal des affaires, Rec. Dalloz, 2003 p2492.
2983
L'idée selon laquelle la pénalisation du droit des affaires est une grave erreur est manifestement excessive, car la pénalisation en soi n'est pas
une erreur lorsqu'elle vise des agissements frauduleux, ce n'est pas une erreur non plus lorsqu'elle sanctionne des pratiques préjudiciables à
l'économie en général, à l'intérêt collectif.
2984
Le figaro, 26-10-2007, http://www.lefigaro.fr/debats/2007/10/26/01005-20071026ARTFIG00010-droit-des-affaires-ne-vous-trompez-pas-de-
cible.php.
2985
Depuis la seconde guerre mondiale, la part du pénal n'a cessé de croître, en droit français, pour atteindre aujourd'hui un niveau excessif,
particulièrement en droit des affaires. La France est sans doute le pays développé qui possède l'arsenal pénal le plus important. V. CALAIS-
AULOY (M-T), La dépénalisation en droit des affaires, D. 1988, chr. p. 315 ; DEMICHEL (A), Le droit pénal en marche arrière, D. S. 1995, chr.
p. 213 ; LARIVIERE (D-S), L'ivresse pénale française, In La Revue des deux mondes, novembre 1995, p. 1 et s. ; même auteur, L'entreprise face
au risque pénal, La Lettre des juristes d'affaires, supplément au n° 314 du 22 avril 1996 ; même auteur, La pénalisation nuit-elle à la démocratie ?,
Rencontres internationales du Barreau de Paris, LPA, 27 janvier 1997, n° spécial ; même auteur, La loi, le juge et l'entreprise, Les Entretiens de
Saintes, 1er février 1997 ; RASSAT (M-L), Quelle pénalisation pour la vie économique ?, In Les Annonces de la Seine no 56 du 5 août 1999, p. 1
et s. V. également les actes du colloque de l'association Droit et Commerce : La dépénalisation dans le droit des affaires : où en sommes nous ?, La
Baule, 16 et 17 juin 2001, Revue de jurisprudence commerciale. V aussi, Les Annonces de la Seine no 43 du 18 juin 2001, p. 16.
2986
LEVASSEUR (G), Le problème de la dépénalisation, Rapport de synthèse présenté aux Troisièmes Journées franco-italo-espagnoles de
politique criminelle d’Aix-en-Provence en septembre 1982.
2987
KOTRANE (H), La responsabilité pénale de l’employeur en droit tunisien : une pénologie hésitante, Colloque : Droit pénal et sociétés
commerciales, Association tunisienne de droit pénal, FDSPT, 2-3-4 Mai 1985, p 208.
2988
Ibidem.
2989
DE BRESSON (J-J), Inflation des lois pénales et législations ou réglementations techniques, Rev. sc. crim., 1985, p. 241 ; COSSON (J),
L'inflation pénale dans la loi française sur les sociétés commerciales, RID pén., 1987, p. 69 ; DELMAS-MARTY (M), Criminalisation et
infractions financières, économiques et sociales, Rev. sc. crim., 1977, p. 509.
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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

recours quasi systématique au droit pénal, érigé en un simple procédé de police du droit des sociétés. Trop
souvent, la sanction pénale n'a d'autre justification que d'insister, avec redondance, sur l'aspect impératif d'une
disposition. « De même que le nombre de licteurs à Rome marquaient l'importance des magistrats qu'ils
précédaient, une disposition escortée par une protection pénale peut sembler gagner en importance »2990.
C'est là commettre une inversion logique en prenant à tort l'effet pour la cause, car ce n'est pas parce qu'une
disposition est pénalement sanctionnée qu'elle est essentielle, mais bien parce qu'elle est essentielle qu'elle
doit être pénalement sanctionnée2991. La loi pénale aurait alors un rôle purement sédatif : on veut calmer les
pressions sociales de certains groupes, peu importe alors le caractère éventuellement flou des nouvelles
infractions, voire la création de doublons2992. Cet abus du droit pénal en matière de la concentration est
révélateur d'une réflexion trop sommaire sur la nature des intérêts qu'il convient ou non de protéger par la voie
pénale. M. Foyer, principal concepteur de la loi française de 1966, « faisant acte de contrition », en a fait
l'aveu : « faute d'imagination suffisante, nous nous sommes rabattus sur les dispositions pénales (...), sur ce
point nous avons manqué de perspicacité »2993.

Suite à ce flux pénal inquiétant à bien des égards, un reflux était de mise pour rééquilibrer la matière
juridique. C'est ainsi qu'une tendance de dépénalisation a été signalée, en Tunisie, et esquissée, en France2994,
depuis le début des années 1990, alors que le volet pénal du droit des sociétés semblait figé depuis l'entrée en
vigueur de la loi du 24 juillet 1966. Le rapport rendu par le sénateur Marini en 19962995 a, en effet, annoncé
une suite de textes2996 portant dépénalisation2997. Cette tendance a été très appuyée par l’ex-président Sarkozy
qui a aussi déclaré, lors de son intervention à l'université du MEDEF en date du 6 septembre 2007, vouloir
réformer le droit des sociétés, sous la forme d'une dépénalisation, afin d'amoindrir le risque pénal encouru par
les chefs d'entreprise2998. Aussi, l’ex-ministre de la justice française Rachida Dati, voulant contrer certaines
voix minoritaires qui se sont élevées pour rappeler qu'une infraction même inutilisée possède des vertus
dissuasives qui s'avèrent efficaces2999, a opiniâtrement soutenu que « la sanction pénale est la plus rigoureuse
des réactions sociales. Sa vocation est claire ; elle ne peut être prévue que lorsqu'elle est absolument
nécessaire. Elle doit être proportionnée à la gravité de l'acte. C'est l'un des fondements de la justice dans une
société démocratique. Il est impératif d'y veiller, sous peine de voir le droit pénal discrédité et affaibli. Quelle
considération peut-on accorder à la sanction pénale lorsqu'elle dévie de cette vocation ? Lorsqu'elle vient
réprimer des obligations purement formelles, détachées de toute intention frauduleuse. Lorsqu'elle est établie
dans une logique de prévention plutôt que de répression. Lorsqu'elle est simplement prévue pour veiller au
respect de contraintes administratives »3000.
Le même mouvement de dépénalisation a été aussi légèrement ressenti en droit des sociétés tunisien
avec l’avènement du code des sociétés commerciales qui a purement et simplement supprimé quelques
infractions qui étaient incriminées dans le code de commerce3001.

2990
HASCHKE-DOURNAUX (M), Les voies de la réforme du droit pénal des sociétés, Bulletin Joly Sociétés, 01 avril 2003 n° 4, p. 377.
2991
Ibidem.
2992
LAZERGUES (C), De la fonction déclarative de la loi pénale, RSC 2004, no 1.
2993
« La genèse de la loi sur les sociétés commerciales », Actes du colloque du 24 juillet 1996 consacré au trentième anniversaire de la loi du 24
juillet 1966 sur les sociétés commerciales, Rev. Soc., 1996, p. 431 ; « Réflexions d'un ancien législateur sur le droit des sociétés : réforme sur
réforme vaut », In Mélanges M. Cabrillac, Litec, 1999, p. 575.
2994
Cette tendance semble conforme à l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui dit que le législateur ne doit
prévoir que les peines strictement et évidemment nécessaires. Le droit pénal n’a pas vocation à régler des conflits entre personnes privées. Il n’a
pas non plus vocation à assurer le respect de contraintes administratives. Il doit être destiné à protéger des valeurs sociales essentielles en
sanctionnant des comportements et des malversations condamnables. Mais à partir de là, c'est comme pour le délai raisonnable de la Convention
européenne, une affaire d'appréciation. V. TRUCHE (P), La pénalisation nuit-elle à la démocratie ?, LPA, 27 janvier 1997 n° 12, p. 11.
2995
MARINI (PH), La modernisation du droit des sociétés, La Documentation française, Collection des rapports officiels, 1996.
2996
Il s'agit d'abord de la loi du 15 mai 2001 sur les nouvelles régulations économiques, puis des deux lois du 1er août 2003 respectivement de
sécurité financière et pour l'initiative économique, et enfin les deux ordonnances des 25 mars et 24 juin 2004 portant successivement simplification
du droit et des formalités pour les entreprises et réforme du régime des valeurs mobilières émises par les sociétés commerciales.
2997
Robert (J-H), Tableau récapitulatif des dépénalisations opérées depuis 2003 dans le droit des sociétés par actions, Dr. pénal, 2005, chron. no 3,
p. 6 ; BOULOC (B), Sur la pénalisation et la dépénalisation dans le droit pénal des affaires, RJ com., 2004, p. 131.
2998
La dépénalisation du droit des sociétés : une réforme de l'abus de bien social, Référence : Article de doctrine rédigé par Cabinet Picovschi -
Thème Commercial & Sociétés - Publié le lundi 24 septembre 2007.
2999
DUFOUR (O), Le chantier de la dépénalisation est lancé ! LPA, 11 octobre 2007 n° 204, p. 3.
3000
Discours de l’ex-ministre de la justice de la France Rachida Dati, V. DUFOUR (O), art. pré., p. 3.
3001
Cependant, les récents scandales financiers américains d'Enron et World Com peuvent sembler apporter un démenti cinglant à cette évolution.
De plus, comme l’a rappelé le Conseil de la concurrence français, « un nombre important de pays, notamment européens (Royaume Uni,
Allemagne, Autriche, Italie), se sont engagés ces dernières années dans une re-pénalisation dont l’ampleur est très circonscrite, mais dont la
motivation, qui est partout la même, semble pertinente : certaines pratiques anticoncurrentielles sont si néfastes pour l’économie qu’il faut, outre

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

623- La dépénalisation, ainsi envisagée, ne signifie nullement la disparition du droit pénal en matière
de concentration. Tout au contraire, en resserrant son domaine d'application, le droit pénal reprend la fonction
qui lui est assignée au premier chef, à savoir la protection de valeurs sociales essentielles. Il gagne donc
réellement au plan qualitatif ce qu'il semble perdre au plan quantitatif3002.
Le mot « dépénalisation » a été pris, par la doctrine3003, dans un sens très large. Pour M. Ancel et M.
Beria, il s’agit, lato sensu, d’un affaiblissement de la réaction sociale qui tantôt abandonne la voie proprement
pénale, tantôt la modère, tantôt y substitue d’autres voies, moins traumatisantes et plus efficaces. La
dépénalisation serait donc une forme nuancée de la politique criminelle, dont le trait essentiel est la
«désescalade », pour employer un terme à la fois actuel et imagé. Normalement, elle ne peut être opérée que
par le législateur en vertu du principe de la légalité des délits et des peines. Mais à cette dépénalisation de jure
peut s'ajouter une forme de dépénalisation de facto par l'évolution de la jurisprudence pénale3004.
Stricto sensu, par contre, la dépénalisation consiste à maintenir l’incrimination, mais à atténuer plus ou
moins la répression, la rendant exceptionnelle et plus douce3005. La dépénalisation n’emporte ainsi pas la
disparition de la sanction, mais amène à envisager de nouvelles sanctions3006.

les sanctions administratives et/ou civiles, continuer à prévoir une sanction pénale, pour des raisons tenant à la fois à la morale (réprobation
attachée à la condamnation) et à l’efficacité de l’action de l’État (des sanctions administratives, même élevées, ne suffisent pas, compte tenu des
nombreux cas de réitération constatés, à assurer à elles seules la dissuasion) ». La sanction pénale conserve, ainsi, un effet plus dissuasif à l’égard
des personnes tentées de s’affranchir des règles de concurrence. Aussi, le droit pénal impose une confiance légitime dans le marché, et donc dans
l’ensemble du système économique. Il impose également une protection du faible contre le fort, et donc l’existence d’outils juridiques, pénaux ou
non pénaux, accessibles à tous. C’est une condition essentielle au principe d’égalité devant la loi, garant de la défense de ceux qui sont dans une
position d’infériorité économique, au besoin en rééquilibrant les situations d’inégalité du monde réel. Le législateur veut également utiliser la
sanction pénale pour que les obligations essentielles du droit des sociétés soient respectées. La peine placée à côté de l’obligation donne à celle-ci
une autorité renouvelée et en garantit l’application.
3002
SORDINO (M-C), Flux et reflux du droit pénal au sein du droit des affaires, (À propos de la « dépénalisation de la vie des affaires»), Gaz.
Pal., 24 mai 2008 n° 145, P. 2.
3003
Ibidem.
3004
Si on considère le fondement d’après lequel s’opère la dépénalisation, il est possible de distinguer la dépénalisation dite de jure et la
dépénalisation de facto. La dépénalisation de jure est celle « décidée par le législateur ou par les instances chargées d’appliquer la politique
criminelle (organes judiciaires ou exécutifs) ». Au contraire, la dépénalisation de facto est « le processus tendant effectivement à réduire ou à
supprimer l’application de peine, sans qu‘intervienne aucune modification dans la compétence juridique de ce système à les infliger ». (V. DE
KERCHOVE (V), Réflexions analytiques sur les concepts de dépénalisation et de décriminalisation. art préc. p. 65 ; dans le même sens, Conseil
de l’Europe, Rapport préc.. p. 14). Elle est décidée de manière autonome par les instances chargées de l’application de la politique criminelle
(organes judiciaires ou exécutifs) et qu’elle s’effectue par « la décision d’aiguillage prise au début de l’affaire par la police ou l’autorité
administrative ou judiciaire ou au stade de l’exécution par l’autorité compétente » (DELMAS-MARTY (M), Les grands systèmes de politique
criminelle, PUF 1992, p. 279). Cette dernière forme constitue, pour M G. Levasseur la dépénalisation, au sens « étroit » du terme en ce qu’elle
«consiste à maintenir l’incrimination mais à atténuer plus ou moins la répression, la rendant en fait exceptionnelle et plus douce. Tous les rouages
de la justice pénale jouent un rôle dans ce ralentissement du rythme répressif » (LEVASSEUR (G), art, préc.. p. 57). De façon générale, s'il
n'appartient qu'au législateur de décriminaliser des comportements par la suppression de leur incrimination, le recul du droit pénal peut cependant
s'opérer de manière moins radicale par une dépénalisation de facto. La jurisprudence française a ainsi freiné la répression pénale en droit des
sociétés par les revirements entrepris sur deux aspects sensibles concernant le délit d'abus de biens sociaux : la prescription de l'action publique et
la recevabilité de l'action civile des associés.
3005
Tous les rouages de la justice pénale jouent un rôle dans ce ralentissement du rythme répressif : la police, qui ne recherche pas
systématiquement certaines infractions tolérées par l’opinion publique ; le parquet, qui classe les plaintes et les procès-verbaux quand il a le droit et
la possibilité de subordonner la mise en mouvement de l’action publique à l’opportunité des poursuites ; le juge, qui se contente de prononcer des
peines de principe (et il a, à cette fin, des moyens de plus en plus nombreux) ; les autorités d’exécution, qui disposent de larges pouvoirs (régimes
de faveur, réduction de peines, libération conditionnelle… Sans parler de la grâce, ce droit régalien. Enfin le législateur lui-même, soit par le
moyen de l’amnistie, soit par une décriminalisation totale ou partielle qui consacrera, en droit, la situation de fait.
3006
La dépénalisation doit être distinguée des notions voisines. La « décriminalisation » consiste à cesser d’incriminer un comportement, tout au
moins sous une certaine qualification. Le rapport du Conseil de l'Europe consacré à la décriminalisation distingue entre décriminalisation et
dépénalisation. Alors que celle-ci désigne soit une désescalade dans l'échelle des peines, soit le recours à un autre réseau de sanctions tel que le
droit civil, celle-là vise le fait de faire sortir le comportement répréhensible (le crimen) du champ pénal. La « déprisonalisation », ce terme est
emprunté au rapport de M. Jimenez Villarejo, qui redoute que la dépénalisation ne se borne trop souvent à une « déprisonalisation », c’est-à-dire à
éviter l’incarcération avec les dangers de désadaptation et de corruption qu’elle comporte. La « déjudiciarisation », appelée aussi
«déjuridictionnalisation » et, dans les pays d’Amérique du Nord, « diversion ». Il s’agit de soulager la justice pénale, en dérivant la procédure vers
des voies non répressives ; moins traumatisantes, moins stigmatisantes, mais peut-être plus efficaces. Au nombre de ces procédés de diversion,
d’alternatives, on peut citer : a) la remise à l’arbitrage du soin de régler le différend entre la victime et l’auteur. On organise alors une conciliation
sur le chiffre et les modalités de versement de la réparation ; on recourt au besoin à une médiation raisonnable si l’accord paraît impossible ; b) la
remise à une juridiction civile du soin de fixer l’indemnisation si une procédure de conciliation préalable a échoué. On s’efforce ainsi de dégager le
procès pénal, si celui-ci doit subsister, des complications et de l’animosité dues à la présence de l’action civile ; c) il est possible également de
confier le soin de statuer sur l’action publique (qui prend alors une coloration disciplinaire) à l’autorité administrative qui, dans un cadre fixé par la
loi, sanctionnera l’inobservation des règles mineures de la discipline sociale indispensable. Cette solution, qui a eu ses premières applications en
Allemagne, est désormais appliquée très largement par la loi italienne de novembre 1981. Dans l’un et l’autre cas, un contrôle judiciaire s’exerce
pour protéger le justiciable contre l’illégalité et contre l’arbitraire ; d) le soin d’intervenir pour rétablir l’harmonie troublée pourrait d’ailleurs être
parfois confié à l’autorité sociale, voire médico-sociale. Ces multiples formes de réaction des pouvoirs publics rentrent toutes, les unes et les
autres, dans le domaine de la dépénalisation entendue au sens large. La « déspécialisation » : en effet des infractions pourraient utilement être
«déspécialisées », c'est-à-dire être sanctionnées non plus sur la base d'une incrimination spéciale, abrogée, mais sur celle d'une incrimination plus

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

624- En somme, il y a aujourd’hui trop d’infractions propres aux sociétés, trop mal définies et trop
peu appliquées, notamment en droit pénal tunisien où on a constaté la prévalence du droit commun sur le droit
pénal des sociétés. Longtemps le législateur s’est contenté d’empiler des règles en entretenant l’illusion qu’il
suffisait de leur adjoindre la foudre pénale pour que celles-ci soient dûment appliquées. La faillite de cette
logique sommaire étant avérée, le droit pénal des sociétés est maintenant à repenser et, pour une large part, à
dépénaliser avec cohérence, au profit notamment de sanctions de substitution. Mais pour éviter que le remède
ne soit pire que le mal, le retrait pénal doit être ordonné. La nécessité pénale et les principes essentiels du droit
des sociétés doivent ainsi être érigés en guides logiques de cette reconstruction théorique. A cet effet,
Montesquieu préconisait de n’abroger les lois que d’une main tremblante. De même, signe des temps marqués
par l’inflation des lois, le Doyen Carbonnier recommanda de ne légiférer que d’une main tremblante et
s’attacha à « persuader le législateur qu’il n’est pas moins législateur quand il repousse la tentation de
légiférer »3007 .
Par conséquent, si la nécessité d’une dépénalisation du droit des sociétés s’impose, il ne faut procéder
à celle-ci qu’avec prudence suivant une logique cohérente. A l’analyse critique doit donc succéder l’analyse
constructive.
Dans cet ordre d’idées, la dépénalisation n’est pas simplement affaire de soustraction, elle suppose, de
manière autrement complexe d’adopter une logique globale, rationnelle, fondée sur la détermination préalable
des principes cardinaux du droit des sociétés qu’il est nécessaire et efficace de défendre par l’édiction de
sanctions pénales3008. Cette dépénalisation nécessaire dans les procédés de concentration peut-être réalisée de
différentes manières.
Fixée dans les périmètres de ses contours bien précis, la dépénalisation devra se réaliser au travers
d’un perfectionnement de la législation pénale.

Sous-section Deuxième : La réalisation de la


dépénalisation dans les procédés de concentration
625- Cette dépénalisation peut être cristallisée de deux manières différentes : le perfectionnement de
la législation pénale (-§1-) et l’adaptation ou le redressement de la pratique judiciaire (-§2-).

-§1- : Le perfectionnement de la législation pénale dans les


procédés de concentration
626- Ce perfectionnement passe inévitablement par les quatre étapes suivantes : la décriminalisation
de certains abus3009 (I) ; la modernisation de la sanction (II) et de la responsabilité pénale (III) ainsi que
l’évolution de la légistique pénale (IV).

générale. Plus précisément, la «déspécialisation» d’infractions doit s’entendre de l’abrogation d’incriminations spéciales au profit de la répression
de ces mêmes comportements fondée sur une qualification de droit commun. Il n’y a donc là nulle véritable dépénalisation : les faits demeurent
pénalement sanctionnés, seule la base juridique permettant cette répression a changé. V. pour ces distinctions : TSITSOURA (A), Le rôle du
Conseil de l’Europe dans le domaine de la politique criminelle, In Conseil de l’Europe: 4e Conférence de Politique Criminelle, Strasbourg, 1991,
p. 29 ; SLIWOWSKI (G), Décriminalisation et politique criminelle au Sénégal, In Défense sociale : Le rôle de la décriminalisation dans la
politique criminelle Järvenpää, Helsinki, 20-6-1982, p. 93 ; Conseil de l’Europe, Comité européen pour les problèmes criminels « Rapport sur la
décriminalisation », Strasbourg, 1982, p.13-17 ; DIOUF (E-J), Décriminalisation et politique criminelle au Sénégal, In Défense sociale : Le rôle
de la décriminalisation dans la politique criminelle. Järvenpää, Helsinki, 20-6-1982, p. 93 ; SCREVENS (R), Décriminalisation, In Défense
sociale : Le rôle de la décriminalisation dans la politique criminelle, Järvenpää, Helsinki, 20-6-1982, p. 42-48 ; VOUYOUCAS (C), Vers un
système pénal rationnel et efficace, La rationalité dans les alternatives, La procédure simplifiée et la diversion en Grèce, Heuni, 1984, n° 3, p. 227.
3007
CARBONNIER (J), Essais sur les lois, Defrénois 1979, p277
3008
Les propositions se sont multipliées ces dernières années (Rapport MARINI soi.), sur celles-ci. Sur le constat de la stabilité des textes pénaux
depuis 1966. V. REBUT (D), Les sanctions pénales et la gestion des sociétés, In Où en est la dépénalisation dans la vie des affaires ? Actes du
colloque organisé à La Baule, 15/16 juin 2001, RJ com. 2001. n° spéc., p. 119 et s.
3009
Le sens du terme dépénalisation se perçoit aisément par son étymologie évidente : le préfixe dé- indique l’éloignement, la séparation, la
privation, les définitions générales sont assez semblables. Pour certains auteurs, « on peut parler de dépénalisation lorsque la place du droit pénal
s’amenuise » (STEFANI (G), LEVASSEUR (G) et BOULOC (B), Droit pénal général. 18ème éd., Précis Dalloz 2003, n 85, p. 77). Pour M.G.
LEVASSEUR, la dépénalisation est « l’affaiblissement de la réaction sociale ». La décriminalisation serait, quant à elle, la suppression de
l’incrimination pénale pour un comportement donné (LEVASSEUR (G), Le problème de la dépénalisation, APC 1983, p. 53 et s., spéc. p. 56).
Dans cette première conception, la dépénalisation se présente comme une «désescalade pénale ». Ainsi, pour les auteurs du Rapport du Conseil de
l’Europe sur la décriminalisation « la notion de dépénalisation recouvre toutes les formes de désescalade à l’intérieur du système pénal. C’est

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

I- La nécessaire décriminalisation de certains abus


627- L’abus des voix étant tombé en désuétude et étant également couvert par l’abus des pouvoirs,
pourrait être raisonnablement supprimé3010. Ceci aboutirait, en même temps, à une justice pénale mieux ciblée,
moins surchargée et donc plus efficace.
Cette proposition est très défendable en droit tunisien où on ne recense jusqu’au jour d’aujourd’hui
presque aucune condamnation sur la base de l’infraction d’abus des voix. La même proposition n'est guère
surprenante, en droit français, tant il est vrai que ladite incrimination n'a quasiment plus de domaine propre
depuis que le législateur s'est intéressé à la pratique des pouvoirs en blanc3011.

628- Aussi, même l’abus des pouvoirs constitue une infraction tombée en désuétude, d’où l’utilité de
sa décriminalisation. En effet, l’abus des pouvoirs, très rarement sanctionné, est un peu le parent pauvre de
l’incrimination, plus générale, d’abus des biens et du crédit sociaux. Il s’agit théoriquement d’une infraction
autonome de l’abus des biens sociaux mais qui lui est extrêmement proche. Les deux infractions ont, en
réalité, des éléments constitutifs identiques et ne diffèrent qu’au regard de la condition préalable du délit que
constitue l’objet de l’abus : soit les pouvoirs, soit les biens sociaux. L’abus des pouvoirs est la négation des
devoirs fiduciaires du dirigeant qui détourne les prérogatives qui lui sont confiées à des fins personnelles. Pour
autant, on peut douter de la nécessité de prévoir sa sanction pénale spécifique. La raison essentielle qui milite
en ce sens est l’absence d’autonomie réelle du délit d’abus des pouvoirs, absorbé par l’abus de biens sociaux.
En fait, il est très difficile de concevoir un abus de pouvoirs qui n’aurait pas pour conséquence un abus des
biens ou du crédit social. Un auteur, M. Rebut, soutient toutefois l’idée d’une réelle autonomie des deux
délits. Il avance en ce sens quelques jurisprudences retenant l’abus de pouvoirs dans des circonstances où
aucun abus de biens sociaux n’aurait été commis3012. C’est le cas, par exemple, du dirigeant qui s’abstient de
réclamer le paiement des livraisons à une société dans laquelle il est intéressé3013 ; du gérant d’une
commandite par actions exploitant une banque qui incitait les clients à retirer leurs fonds afin de lui en confier
le placement3014 ou des dirigeants qui font pression sur un comptable pour qu’il falsifie des délibérations du
conseil d’administration3015. Reprenant précisément ces exemples, M. Jeandidier ne les trouve nullement
convaincants : « ainsi, dans l’affaire jugée en 1972, le fait de ne pas réclamer le paiement de livraisons
effectuées par la société n’est-il pas un abus de biens sociaux, le dirigeant paralysant le recouvrement par la
société de ses créances, obérant donc sa trésorerie ? Ainsi encore, dans l’arrêt rendu en 1979, le
détournement, par le gérant, à son profit de la clientèle de la banque qu’il gère n’incite-t-il pas les clients de
la banque à retirer les fonds qu’ils y avaient mis en dépôt, privant nécessairement la banque de faire pour son
profit des opérations sur ces fonds ? La clientèle n’est-elle pas un bien social ? Ainsi encore dans l’affaire
jugée en 1977, l’abus de pouvoirs tendait à l’évidence à la commission d’un abus de biens sociaux »3016.
L’auteur en conclut donc très logiquement qu’un abus des pouvoirs entièrement indépendant d’un abus des
biens ou du crédit est rare, sinon inconcevable. L’abus des pouvoirs est le plus souvent absorbé par l’abus de

ainsi que le passage d’une infraction du statut de “délit” ou “crime” à celui de contravention peut être considéré comme une dépénalisation »
(Conseil de l’Europe, Rapport Sur la décriminalisation. 1980, p. 17). Dans le même sens, mais plus largement, M. B. BOULOC considère que la
dépénalisation doit s’entendre de toutes les mesures tendant à diminuer la peine ou à la supprimer au profit de sanctions non pénales, notamment
administratives ou civiles ; elle comprend aussi les alternatives à la poursuite ou même l’abstention des poursuites (BOULOC (B), Faut-il
réformer le droit des sociétés, Rev. Soc., 2000, p. 129, spéc. p. 135). Mme M. DELMAS-MARTY adopte une conception proche en considérant la
dépénalisation comme « la substitution d’un autre réseau étatique de sanction (administratif civil ou réseau de médiation) au réseau pénal ». Par
ailleurs, pour la plupart de ces auteurs, la décriminalisation s’analyse comme la suppression de l’incrimination d’un comportement ce qui la situe
en dehors de la dépénalisation au sens strict. M. VAN DE KERCHOVE, qui n’adhère pas à cette conception, la présente comme une
« dépénalisation relative qui consiste dans une forme de désescalade à l’intérieur du système pénal et implique une réduction des peines
applicables, mais non pas leur suppression. Cette réduction peut se traduire par une modification de la qualification d’une infraction et la
transformation d’un crime ou d’un délit en contravention ». (DE KERCHOVE (V), Les phénomènes de dépénalisation et leur hétérogénéité. Rev.
int. criminologie et de police technique, 1986, p. 300). M. DELMASMART dépasse toutefois cette conception en considérant la décriminalisation
comme « la pleine reconnaissance juridique et sociale du comportement décriminalisé » et « la reconnaissance d’un droit légitime à un mode de
vie qui était précédemment contraire à la loi », In Modèles et mouvements de politique criminelle, Economica,1983, p. l60.
3010
Rapport au garde des Sceaux, ministre de la Justice, précité, p 33.
3011
SORDINO (M-C), Flux et reflux du droit pénal au sein du droit des affaires, A propos de la dépénalisation de la vie des affaires, Gaz. Pal.,
24 mai 2008 n° 145, p. 2.
3012
REBUT (D), Rép. pénal Dalloz, V° abus de biens sociaux, n° 79.
3013
Cass. Crim. Fr., 15 mars 1972, Bull. crim n° 107.
3014
Cass. Crim. Fr., 19 nov. 1979, Bull. crim. n° 325.
3015
Cass. Crim. Fr., 17 mars 1977, Bull. crim. n° 103.
3016
JEANDIDIER (W), Abus de biens sociaux J-CI. Sociétés Traité, fasc. 132-20, n° 19

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

biens sociaux, ce dernier en étant la conséquence3017. Cette opinion est pleinement partagée par M. Robert qui
constate que « les distinctions que la loi établit à l’intérieur du délit, entre abus de biens, de crédit, de
pouvoirs et de voix, en l’état actuel de la jurisprudence, sont caduques. Elles ne servent qu’à compliquer,
comme en l’espèce, les poursuites et on sent bien qu’elles sont artificielles quand on cherche à imaginer des
cas d’abus de pouvoir qui ne soient en même temps des abus des biens ou du crédit »3018.
Cette position paraît parfaitement justifiée et on peut alors se poser la question du maintien d’une
incrimination largement inutile. Certes, il n’est pas inenvisageable que dans quelques cas marginaux,
l’absence de ce texte spécifique fasse obstacle à la répression, justifiant pour ces rares occurrences les réserves
formulées par M. Rebut. Mais l’hypothèse sera toujours exceptionnelle et ne peut suffire à légitimer le
maintien de cette incrimination. D’autant que le risque existe qu’elle soit interprétée de manière amplifiante
par la jurisprudence : le terme « pouvoirs », qui désigne une réalité difficile à circonscrire, se prête à un
emploi extensif de l’infraction. Un arrêt de la Chambre criminelle française a pu ainsi entendre par «pouvoirs»
des agissements ne relevant pas des pouvoirs reconnus par la loi aux dirigeants des SA. Il était en réalité
reproché au prévenu d’avoir exercé un ascendant, c’est à dire une influence morale d’abord sur le conseil
d’administration, pour qu’il arrête un projet de fusion, ensuite sur l’assemblée générale extraordinaire qui
avait décidé sa mise en œuvre3019.
En définitive, il semble souhaitable de supprimer l’incrimination d’abus des pouvoirs qui est
quasiment inappliquée car relativement inutile3020. Les cas, très rares, qui ne pourraient entrer dans le domaine
d’application de l’actuel délit d’abus des biens ou du crédit sociaux, permettront généralement d’agir en
responsabilité civile à l’encontre du dirigeant qui aurait abusé de ses pouvoirs.

629- De même, l’abus des biens, du crédit, des pouvoirs ou des voix commis dans le groupe de
sociétés devrait connaître la même décriminalisation si certaines conditions sont vérifiées. En effet, lorsqu’une
société fait partie d’un groupe, il peut arriver que ses dirigeants prélèvent des fonds dans sa trésorerie afin
d’aider une autre société du même groupe. A s’en tenir au strict régime du délit d’abus de biens sociaux, les
conditions d’incrimination ne distinguant pas selon que la société soit isolée ou qu’elle fasse partie d’un
groupe, l’infraction devrait être constituée. En fait, le concours financier apporté par la société à une autre
société de son groupe est bien contraire à son intérêt social, en ce qu’il appauvrit la société généralement sans
contrepartie équivalente immédiate. Il est effectué ensuite afin de favoriser une autre société dans laquelle les
dirigeants ont des intérêts. Ce prélèvement étant, enfin, commis en connaissance de la nocivité pour l’intérêt
social, la mauvaise foi est alors certaine.
Pour autant, c’est là une analyse fondée sur la considération du seul intérêt de la société ponctionnée et
surtout, sur son seul intérêt social apprécié comme si celle-ci n’appartenait pas à un groupe. Or, cette
appartenance a nécessairement une incidence sur l’appréciation de son intérêt social. Ainsi, le sacrifice
immédiat de la société dans l’intérêt du groupe peut être de nature, à plus long terme, à profiter à la société
qui, en retour, bénéficiera des avantages de la structure de groupe qu’elle a contribué à sauvegarder. Fondée
sur la solidarité inhérente à la cohésion de l’ensemble, cette approche tend à inclure dans l’appréciation de
l’intérêt social les retombées favorables de son appartenance au groupe. Cela revient certes à faire de l’intérêt
du groupe un élément d’appréciation de l’intérêt social, mais uniquement sous l’angle de ce qui peut, à plus ou
moins long terme, tourner au profit de la société ponctionnée.
La question qui se pose, dans ce cadre bien précis, est de savoir si l’existence d’un groupe de sociétés
constitue-t-il un fait justificatif de l’abus des biens ? La solution d’équilibre trouvée par la jurisprudence
française est assez satisfaisante et d’ailleurs bien reçue par la doctrine3021. Pour autant, il est étonnant d’écarter
ainsi une incrimination par la considération d’éléments que la législation ne prévoit nullement. Pour justifier
cette position, il est généralement proposé d’y voir un fait justificatif3022, ou, plus précisément, selon un
auteur3023 deux sortes de faits justificatifs : l’état de nécessité d’abord, soit celui du dirigeant de la société

3017
JEANDIDIER (W), Op. cit., n° 21.
3018
ROBERT (J-H), note sous Crim., 5 déc. 2001, Dr. pénal 2002, comm. n°42.
3019
Cass. Crim. Fr., 10 juill. 1995, Bull. crim. n° 253, Rev. Soc., 1996, p. 312, note B. BOUWC ; Bull. Joly 1995, p. 1048, note A. COURET et
P. LE CANNU. Décision justement critiquée par D. REBUT, op. cit., n°80.
3020
Sur l’abus de « pouvoirs » au sens de « procurations », la répression pourrait s’opérer d’après l’abus de confiance.
3021
JEANDIDIER (W), Abus des biens, du crédit, des pouvoirs ou des voix, J-CI. Sociétés Traité, Fasc. 132-20, n°68.
3022
LE GUNEHEC (F), Le fait justificatif tiré de la notion de groupe de sociétés dans le droit pénal français de l’abus de biens sociaux, à propos
d’un arrêt de la Chambre criminelle du 4février 1985. RID pén. l987, p. 117.
3023
LEAUTE (J), La reconnaissance de la notion de groupe en droit pénal des affaires, JCP 1973, I, 2551.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

ponctionnée qui est sommé de contribuer, à peine de perdre sa situation, soit l’état de nécessité résultant de la
crise que traverse le groupe. L’autre fait justificatif serait la permission de la loi qui admet la licéité des
groupes et dont découlerait la nécessité d’apprécier l’abus éventuel au niveau du groupe. Cette analyse est
contestable. En ce qui concerne la licéité des groupes, il n’y a rien à en tirer car la licéité d’une structure
n’exclut pas qu’une infraction puisse être commise en son sein et ne permet pas d’en tirer argument pour
déplacer l’appréciation de l’intérêt au niveau du groupe3024. Pour ce qui est de l’état de nécessité, il résulte
d’un conflit entre deux intérêts, le moins précieux étant sacrifié en commettant l’infraction3025. Or, la peur du
dirigeant de perdre sa place en n’obtempérant pas n’est pas une nécessité impérieuse admissible qui puisse
prévaloir sur l’intérêt social dont il a la charge. De même, les difficultés économiques ne peuvent justifier
l’infraction sinon, ce serait admettre l’état de nécessité dans l’exemple assez proche du dirigeant aux abois
qui, pour éviter la faillite, a recours à des moyens ruineux pour se procurer des fonds, cas constitutif de
banqueroute, ou d’une manière générale, dans le cas du dirigeant qui commet une infraction afin de remédier
aux difficultés rencontrées.
Il faudra donc une intervention législative claire et précise afin d’établir un texte général relatif à
l’abus des biens sociaux applicable à toutes formes de sociétés, en premier lieu, et décriminalisant cet abus au
sein du groupe de sociétés si certaines conditions sont vérifiées, en second lieu. On peut, dans cette optique,
adopter les mêmes conditions instituées par l’article 474 CSC inspiré de la jurisprudence française3026.

630- Cette décriminalisation ne saurait, par contre, atteindre les objectifs escomptés si elle n’est pas
accompagnée d’un effort de modernisation des sanctions pénales applicables dans les procédés de
concentration. Il est impératif que la sanction évolue pour que la justice puisse évoluer et atteindre les
impératifs gagés3027.

II- Pour une modernisation de la sanction pénale dans les procédés de


concentration
631- Pour M. Beccaria la sévérité de la sanction, surtout celle privative de liberté, est inutile car
l'efficacité de la répression3028 tient non pas à sa sévérité mais à son caractère certain. En effet, la sévérité à
l’égard d’un individu qui dérape n’a de sens que si la société, dans laquelle il vit, lui accorde tout ce dont il a
besoin pour vivre normalement et sans soucis. C’est l’exemple du système des peines en droit musulman3029.
Aussi, il faut des peines modérées mais que le citoyen soit certain de se voir appliquer s'il commet une
infraction plutôt que des peines cruelles mais aléatoires. Or telle était la solution auparavant dans la mesure où
les peines étaient très cruelles mais comme la répression pénale était mal organisée et lacunaire, les citoyens
avaient toujours l'espoir d'échapper à la répression, du coup ils commettaient des infractions3030.
Adoptant les mêmes idées au Congrès international pénal et pénitentiaire de La Haye, en 1950, M.
Cannat avait créé une certaine sensation en proposant froidement le vœu d’abolir toutes les peines privatives
de liberté inférieures à deux ans. Confronté immédiatement à la question de savoir par quoi on les
remplacerait, il répondit superbement que les pouvoirs publics n’avaient qu’à « faire preuve d’imagination ».
Heureusement que notre législation pénale a adopté, ces dernières années, ce mouvement d’humanisation de
la peine pénale3031 et ce, surtout en supprimant la condamnation aux travaux forcés et en instituant plusieurs

3024
La permission de la loi, fait justificatif général, pourrait résulter de la loi française du 24 janvier 1984 (art. 12) autorisant les opérations de
trésorerie internes a un groupe. Pour autant, c’est là une base assez douteuse pour légitimer des comportements qui demeurent souvent bien
différents de ceux visés par cette loi.
3025
ROBERT (J-H), Droit pénal général 5ème éd., FUF 2001, p. 268.
3026
V. Supra, n° 331 et s.
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3028
C.à.d. son caractère dissuasif.
3029
ALDEEB (S), La peine de mort en droit musulman, Centre de droit arabe et musulman, 2006.
3030
BECCARIA (C), Des délits et des peines, 1764, p 229.
3031
« Si la personnalisation de la peine représente le fondement de la modernité du droit pénal nouveau par rapport à l’ancien système pénal qui
est mitigé entre les hudud de la chariäa, le droit coutumier et le bon vouloir du Bey, l’humanisation de la peine se cristallise autour de la

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

sanctions pénales nouvelles3032. M Ajmi Bel Haj Hammouda l’a d’ailleurs bien souligné en affirmant que
« l’histoire de la peine principale en Tunisie est une histoire de bannissement et d’exclusion graduelle de
toutes sanctions susceptibles d’humilier le condamné, le rabaisser ou le torturer… »3033.
632- En réalité, force est de constater que la prison a démontré qu'elle ne remplissait qu'un de ses
deux objectifs, à savoir la neutralisation du criminel. Celui-ci est hors d'état de nuire pendant la durée de
privation de liberté, d'autant plus qu'on s'évade peu des prisons. Le second objectif, l'amélioration de l'homme
détenu, n'est point atteint, ni semble-t-il atteignable3034. Le professeur Marc Ancel n’a-t-il pas affirmé que 24
heures de prison suffisent, dans certaines circonstances, pour détruire toute une existence3035. L'enfermement
ne met pas à l'abri de la récidive, si bien qu'on s'interroge sur les moyens de prévenir le danger que peut
représenter la mise en liberté d'un détenu après de longues années d'emprisonnement3036. L’objectif du
gouvernement est de faire baisser le sentiment d’insécurité à court terme. La méthode de l’enfermement
massif ne consiste qu’en une mise à l’écart temporaire. Mais, tout prisonnier sortira un jour ou l’autre. On ose
même parler, aujourd’hui, d’une prison criminogène. C’est un phénomène connu depuis le 19ème siècle
d’après lequel l’exemplarité de la délinquance en lieu fermé joue à plein. L’établissement pénitentiaire est
vraisemblablement une école du crime. Le taux de récidive illustre l’inefficacité de notre politique
d’enfermement. Surmonter ce problème nécessite forcément la mise en œuvre d’une véritable stratégie
d’affectation. Il faut repenser la question des courtes peines qui ne permettent aucun travail individualisé sur
le condamné. Un passage en prison devient valorisant pour une carrière chez les délinquants tandis qu’elle
ostracise pour une réinsertion3037. Que l’on n’oublie pas aussi le volet profondément destructeur de
l’incarcération. En fait, l’enfermement entraine souvent des dépressions et des maladies psychologiques des
plus graves chez les détenus3038. Certains mêmes finissent par se donner la mort pour en finir avec une
incarcération dans des conditions morbides. Pour s’en convaincre suffit-il de rappeler que le nombre des

reconnaissance du coupable comme étant un individu, autrement dit un sujet de droit ». RAHMOUNI (K), Le code pénal de 1861, I. J., n° 74/75,
Septembre 2009, p 23.
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V. aussi MARZOUK (H), La peine de mort, I.J., n° 84/85, Fevrier 2010, p 30.
30 ‫ ص‬،2010 8/ ‫ ﺟ‬،83/82 ‫ د‬N ، ‫را‬ ‫ ا‬، # ‫ ا 'ري‬I ‫ و ا‬8<S0 ‫ ا ور ا‬M ‫ از‬MN d ، 0 ‫ ت ا 'ا ا‬# ‫ رّج ا‬$ ،‫ ّ دة‬0 ‫ ج‬- S7 ‫ ا‬3033
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.295 ‫ ص‬،1985 ،‫ ا ط‬،‫ رف‬# ‫ا‬ ،‫ م‬# ‫ ا‬9! ‫ ا‬،8 4 ‫ ر ا ن ا‬L$ ، >12 ‫ ا‬4 ‫ وا‬.29 ‫ ص‬،1986 ، # ‫ ا‬FK4 ‫ دار ا‬،U ‫ ا و‬# L ‫ ا‬،‫ ب‬# ‫وا‬
3035
ANCEL (M), La Défense sociale nouvelle, Ed. Cujas, Paris, 1971.
‫ ا ن‬8G ‫ ت‬# ‫ ّر ا‬L$ ، V V O‫ ر‬.2009 ،H $ ، ّm P ‫ب ا‬ ‫ا ط ش‬6 ،K G ‫ و‬+ ‫ا‬ # ،(163 $ّ ‫ ا‬, ]D : N ‫ ] رة‬6‫ُ اﺟ‬+ ، [! ‫ه ا‬D‫ < ل ھ‬3036
.2006 ،H $ ، F ‫و ا‬ ‫ ت ا‬A‫' ا را‬C ‫ رات‬34 ،8! ‫ ا‬8 ‫ا 'ا‬
3037
Sans doute, faut-il nuancer. On pense notamment au cas de Philippe Maurice, condamné à mort pour le meurtre d'un policier, et gracié en
1981. Il a fait en prison de très brillantes études, obtenu des diplômes qui ont permis, ou en tout cas favorisé, la perspective de la libération
conditionnelle (Le Figaro du 19 novembre 1999). Certes, toutes les personnes condamnées à de longues peines ne pourraient en faire autant, mais
cet exemple n'est pas unique. Que seraient devenus ceux à qui une détention prolongée a permis de faire un retour sur eux-mêmes, s'ils étaient
restés livrés à leurs pulsions et aux habitudes qu'ils avaient prises ? Cependant, il est inutile de nier l'évidence, la prison n'est pas une école de
rédemption, ni encore moins un couvent. C'est certainement, pour ceux qui l'on vécue, une dure épreuve qu'on souhaiterait éviter à tout homme (ou
toute femme) quel qu'il soit.
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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

suicides, dans les prisons françaises, a atteint le chiffre effrayant de 115 morts en 2009, contre 109 en
20083039. Lors d'une conférence de presse, ces chiffres ont été qualifiés de « dramatiques » par l’ex-ministre
de la Justice française, Michèle Alliot-Marie3040.
De surcroît, comme le souligne le fondateur de la défense sociale nouvelle le Président Marc Ancel,
l’emprisonnement « ne constitue pas seulement ce retrait provisoire de liberté qu’il est théoriquement et dont
le juge moyen, qui le prononce sans trop d’hésitation, espère, parfois naïvement, qu’il “fera réfléchir” le
délinquant. Si court qu’il soit, ce “retrait de la vie libre” est une rupture : avec le travail, avec le milieu, avec
la famille : c’est une disgrâce dont beaucoup se relèvent mal, un signe d’infamie aussi solidement marqué sur
l’être social que la flétrissure physique abolie en 1832 ; c’est un obstacle au retour à la vie sociale, une
déviation vers les voies obliques et ces associations différentielles où Sutherland voyait la source principale
de la criminalité »3041. Le Président Marc Ancel ajoute que trop souvent encore, la peine de prison est perçue
comme « une peine aberrante, car elle n’atteint pas seulement le délinquant, mais sa famille, ses proches, ses
enfants, lesquels souffriront parfois plus que lui de la condamnation qui le frappe et la ségrégation qu’elle
opère. La prison est devenue la meilleure école du récidivisme »3042.
La prison serait-elle alors l'école du vice3043 ? Faut-il, tout de suite, conclure à l’échec de la peine
privative de liberté, surtout dans le domaine des affaires où elle est vivement décrier ? On connaît tous,
aujourd’hui, les vices et les tares imputés à la prison. L'argumentaire est en substance celui-ci : inhumaine,
indigne, elle ne résout rien. Les courtes peines ne servent à rien, sinon à générer la récidive3044. Les longues
peines engendrent le désespoir et transforment des hommes en « bêtes fauves ». Présentées à l'époque comme
une alternative à la peine de mort3045, leur suppression est maintenant réclamée, et nul doute que la
revendication est appelée à s'amplifier3046. Le journal « Le Monde », y a même consacré une page entière en
19993047.
Réagissant face aux méfaits de la peine privative de liberté, les abolitionnistes modérés3048 estiment
qu’on peut encourager tout ce qui peut faire tomber en désuétude la prison, par les peines de substitution. Ils
prônent une restriction au maximum des incarcérations. La fermeture des prisons serait, selon eux, inéluctable
vu leur forme misérablement anachronique au XXIe siècle. Ils pensent que, pour commencer, réduire le temps
des peines est le meilleur moyen d’évacuer le maximum des détenus n’ayant pu bénéficier de peines de
substitution3049. Il existe même un congrès abolitionniste, appelé l’ICOPA, rassemblant criminologues et
juristes du monde entier qui se réunit tous les deux ans depuis 1983. A la suite des idées développées au
congrès d’Amsterdam en 1985, l’ICOPA, International Conference On Prison Abolition3050, décida de
s’appeler désormais International Conference On Penal Abolition3051 : il était clairement apparu qu’il ne
servait à rien de lutter contre la prison tant que dureraient le système pénal et la volonté de punir. Les
abolitionnistes proposèrent alors de remplacer la justice rétributive actuelle3052 par une autre qui ferait de la
victime et non du criminel le centre du processus3053. Notre législateur pénal n’a-t-il déjà pas adhéré à ce

3039
C’est la deuxième hausse consécutive du nombre de suicides en détention, alors que le chiffre était passé sous la barre des 100 en 2006 et 2007.
En 2008, ils étaient 115 détenus à se donner la mort. La France est le pays d'Europe où le taux de suicides en détention est le plus élevé (18,1/10
000 en 2009 contre 17,2 en 2008). La ministre de la justice, Michèle Alliot-Marie, a indiqué, lundi 18 janvier, que le nombre de suicides avait
ralenti après la mise en place de mesures de lutte contre le suicide (formation, draps déchirables, etc) en septembre. Elle a confié une mission à
l'ancien homme politique et ancien détenu, Pierre Botton, qui réalise une expérimentation pour diminuer le choc carcéral pour les entrants en
prison à la maison d'arrêt de Nanterre. Le monde du 20 janvier 2010.
3040
Le figaro 18-01-2010 ; http : // www. lefigaro.fr/flash-actu/2010/01/18/01011-20100118FILWWW00673-mam-115-suicides – en – prison – en
- 2009. php
3041
ANCEL (M), La défense sociale nouvelle (Un mouvement de Politique Criminelle Humaniste), Troisième édition entièrement révisée, Paris,
1981, p. 273-275.
3042
Ibidem.
3043
Le monde, numéro du 14-octobre-2009.
3044
Elles sont d'ailleurs de moins en moins exécutées, surtout en Europe.
3045
Abrogée en France le 9 octobre 1981.
3046
COHEN (C), La prison en question, Gaz. Pal., 28 mars 2000, n° 88, p. 29.
3047
Le Monde, numéro du 11 novembre 1999.
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.109 ‫ ص‬،2009 V+ G‫ أ‬17 ‫ و‬16 7 ‫ط‬
3048
Une petite minorité qu’on retrouve en particulier chez des juges.
3049
http://abolition.prisons.free.fr/texte09.html
3050
Congrès international pour l’abolition de la peine de prison.
3051
Congrès international pour l’abolition du système pénal.
3052
Infliger du mal à qui a infligé du mal.
3053
http://abolition.prisons.free.fr/texte09.html.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

mouvement abolitionniste de la sanction privative de la liberté et ce, par l’institution de nouvelles sanctions
pénales substitutives à la sanction d’emprisonnement3054 ?

633- D’après les constatations ci-dessus, et beaucoup d’autres observations semblables, pour faire
face au phénomène de « crise » du droit pénal, les chercheurs ont posé la question suivante : réduire ou abolir
la justice pénale ? La même question se pose avec plus de stridence en matière de la concentration où les
logiques de la justice pénale et celle du domaine des affaires semblent divergentes, sinon antinomiques.
Abolir la justice pénale, en matière des affaires, semble être une utopie. La suppression de la prison
relèverait, pour le moment, de la gageure. Une velléité de recul et réduction de cette peine est, par contre, de
mise3055.
Pour toutes ces considérations, il serait légitime de penser que l’emprisonnement doit au moins cesser
d’être la peine habituelle et devra plutôt être remplacé graduellement par une série d’autres sanctions,
essentiellement patrimoniales et privatives ou restrictives de droits, dont la liste et le régime devront être
soigneusement étudiés3056. Le choix ainsi opéré par le juge sera largement ouvert, mais dans des conditions
légalement précisées et sous un contrôle, ici encore, effectif de la juridiction de droit. Les substituts à la peine
privative de liberté doivent perdre ce caractère de « substituts » plus ou moins dérogatoires à une peine de
prison toujours considérée implicitement comme la sanction normale. Il faudrait même envisager, à côté de
l’incarcération, des mesures extra pénales et notamment des mesures à caractère civil et administratif.
Dans cet ordre d’idées, le Président Marc Ancel remarqua que, parmi les autres mesures, « l’amende
est devenue déjà, dans beaucoup de cas, un substitut de fait (et de droit) de l’emprisonnement ; aussi la
confiscation spéciale a joué un assez grand rôle dans l’arsenal des « mesures de sûreté » au début de ce
siècle. On rattache assez souvent aux sanctions pécuniaires les travaux d’intérêt collectif. A titre d’exemple,
on peut signaler que la suspension (ou la suppression) du permis de conduire tend à être employée à la fois
comme mesure de sûreté, notamment pour les infractions routières, et comme peine dissuasive ; il en va de
même pour les interdictions d’exercer temporairement (ou définitivement) certaines professions ou certaines
activités commerciales »3057. Cette dernière sanction, méticuleusement utilisée, pourrait-être d’une efficacité
grandissante dans le monde de la concentration.
634- Cette nouvelle logique de la sanction pénale n’est pas vraiment novatrice. Elle était déjà
consacrée il y a longtemps par les indiens du continent américain. En effet, chez les Indiens d’Amérique du
Nord, l’auteur d’un délit n’encourait aucune peine privative de liberté, ni d’ailleurs aucune sanction
corporelle, et, de façon générale, aucune peine touchant à la personne n’était appliquée au fauteur. Ce dernier
était tout simplement astreint à la destruction ou bien à la confiscation de tous ses biens. L’ayant réduit à
l’indigence, la société et les autorités l’accueillaient ensuite comme victime pour le réinsérer dans la
communauté. Un système de dons et contre-dons permettait progressivement la réintégration du coupable3058.

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‫ ر ض‬.149 ‫ ص‬،1979 ،‫ ج أ‬، p # ‫ ط‬، ‫ﺟ اءات ا 'ا‬J‫ وا‬# ‫ ا < م ا‬: +‫ ] د‬7 ‫ ا‬9 ‫ ا ا‬8G ‫ ت ا‬# ‫ ا‬،=FP ‫ د‬- ‫ د‬- . 349 ‫ ص‬،1980 ، +‫ ر‬4 AJ‫ا‬
.45 ‫ ص‬،1997/1996 H A ! ‫ م ا‬# ‫ ا ق وا‬C ، 4‫ م ﺟ‬N #O ،‫ ا ق‬8G # ‫ ت ا‬A‫ دة ا را‬KO V 4 ‫ ة‬CD ،‫ ] دي‬7 ‫ ا‬8 4 ‫ ا ن ا‬8G #‫ا‬، ;0
3057
ANCEL (M), La défense sociale nouvelle, op. cit., p. 277-280.
3058
BROSSAT (A), Pour en finir avec la prison, édition de la Fabrique, Paris, 2001, p. 119.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

De nos jours, cette nouvelle dialectique de la sanction pénale semble être parfaitement prise en compte
par le législateur et la jurisprudence belge, spécialement dans le domaine des affaires. En effet, en Belgique, la
peine privative de liberté ne représente qu’environ 4% des condamnations totales prononcées par les cours et
tribunaux. De surcroît plus des ¾ de ces peines sont-elles constituées par de courtes peines d’emprisonnement
de moins de six mois. Les peines les plus fortes ne sont appliquées qu’aux cas les plus difficiles3059.
Le même chemin semble aussi emprunté par le législateur français qui a fait récemment de la prison un
ultime recours. Telle est clairement l'ambition de la loi pénitentiaire française du 24 novembre 2009 dont
l'article préliminaire, consacré au « sens de la peine », assène ce nouveau commandement en ces termes : « la
peine de privation de liberté [devra désormais] concilier la protection de la société, la sanction du condamné
et les intérêts de la victime avec la nécessité de préparer l'insertion ou la réinsertion de la personne
détenue ». Le nouvel article 132-24 du Code pénal français ajoute, dans le même sens, ce qui suit : « une
peine d'emprisonnement ne peut être prononcée qu'en dernier recours dès lors qu'aucune autre sanction
n'apparaît adéquate. [Et] lorsque l'emprisonnement est malgré tout choisi, il doit alors faire l'objet d'une
mesure d'aménagement ». Depuis le 24 novembre 2009, l'aménagement de la peine est donc devenu, en droit
français, une nécessité. « Ce mot sonne comme une véritable révolution. Résonne à tout le moins de manière
dissonante dans une politique pénale jusqu'alors principalement tournée vers l'emprisonnement ferme »,
affirme monsieur Janas3060.
635- La même logique devrait-être cristallisée en droit tunisien où le quantum de l’amende
mériterait d’être considérablement relevé pour être vraiment dissuasif et pour que cette dernière sanction serve
réellement de substitut incontournable à la peine d’emprisonnement, surtout en matière de concentration des
sociétés3061. Ceci est d’autant plus vrai si on sait que la peine de prison n’a cessé d’évoluer, en droit tunisien,
depuis la promulgation du code pénal3062.
Ainsi l’amende prévue pour l’abus de biens sociaux3063, l’abus de droit en matière fiscale3064, l’abus du
marché3065 et l’abus de domination3066 est clairement peu dissuasive au regard des enjeux et mériterait d’être
relevée. Le quantum des amendes existantes est parfaitement inadapté au regard des montants financiers en
jeu dans ce type d’abus en matière de concentration, et devrait être considérablement relevé ; sinon, il est fort
à parier que l’individu aura plutôt envie de tenter sa chance3067.
Si on prend l’exemple des abus de marché, le législateur se propose de châtier les contrevenants en
leur imposant une peine d’amende qui va de 1000 à 10.000 dinars en cas de délit d’initié3068. En ce qui
concerne le délit de communication d’informations privilégiées, la sanction n’est guère plus décourageante,
3059
http://www.defensesociale.org/revista2003/16.pdf
3060
JANAS (M), Les dispositions relatives au prononcé et à l'application des peines, De l'individualisation à l'industrialisation des aménagements
de peines, des peines aménagées aux aménagements low cost ?, Gaz. Pal., 28 janvier 2010, n° 28, p. 30.
M a 4^+ ‫ ان‬M + C‫ ا‬a L+ ‫ ان‬M + ‫ي‬D ‫ ا‬LP ‫ ان ار ا‬a N " ! i!# ‫ ا‬4‫ ب ﺟ‬$‫ ار‬U N ‫ داء‬I L ‫ أ ا‬+ 7 #/$ L I $ ‫ ب ا‬# ‫ ن ا‬+ 4#G " 3061
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N ‫ ء‬A‫ " ر‬# ‫ ا‬2009 ‫ أوت‬12 8G ‫رخ‬q ‫ ا‬2009 4! 68 ‫ د‬N ‫ن‬ 0 ‫ و‬1999 ‫ أوت‬2 8G ‫رخ‬q ‫ ا‬1999 4! 89 ‫ د‬N ‫ن‬ ‫ و‬1989 ‫ ي‬/ G 27 8G ‫رخ‬q ‫ ا‬1989 4!
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3063
L’amende prévue pour cet abus est de 500 à 5000.
3064
L’amende prévue pour cet abus est de 1000 à 50000 dinars.
‫ ان‬5 .‫ ا ود‬V ‫ داء ذي ا‬I L !4 ‫ و‬$ 7 LP ‫ه ا‬D‫ان ھ‬. ‫ ر‬4+‫ د‬i ‫ أ‬M ! ‫ ر و‬4+‫ د‬i ‫ أ‬M ‫ اوح‬$ ‫ م ح ا ج‬101 V]/ K N ‫] ص‬4 ‫ا‬ ‫ا‬ # ‫" ان ا‬
6 7S‫ اط‬IA 4 + 7 ‫ ر‬CD ‫ ا‬LP ‫ار ا‬ ‫ ان‬C. ‫ال ا ھ‬ ‫ ت ذات رؤوس ا‬C 3 ‫ ء او ا‬45 ‫ر ا‬ C ‫ ﺟ ا‬#/$ ‫ ا‬V ‫ ب ا ا‬0‫داء ا‬ M L !4 N‫ و رد‬+ K #/
8G i!# ‫ زﺟ ا‬، >1N F ‫ا‬ A ‫ أل ا‬D ." a#G ‫ھ 'م‬ d dC‫ د ا‬/ A‫ ا‬7 i!# ‫ ا‬I $ ‫ ن‬+ ‫ه ا‬D‫ ھ‬8/G . ‫ ھ أ ا ط‬$ K4 94^+ 8 ‫ا‬ ‫ ل ا‬#G ‫ ا‬n#
‫ ت‬A‫را‬ # ‫! ا‬Aq ‫ ا‬، d‫ ا‬#L‫ ا‬، + ‫ ب و ا ] ي‬# ‫ ا‬/! G ، F79 ( - 23 : F+‫ أ‬6‫ُ اﺟ‬+ .125 ‫ د‬N ،29 ‫ ص‬، CD ‫ ا‬A ‫ ة‬CD ، ‫ ا دة ا‬8G " ‫ ل ا‬# A‫ا‬
.359 ‫ ص‬،2006 ،‫ وت‬،6+‫ و ا ز‬34 ‫وا‬
3065
L’amende prévue pour cet abus est de 1000 à 15000 dinars.
3066
L’amende prévue pour cet abus est de 1000 à 10000 dinars.
3067
Mais il se peut aussi que choisir une législation non dissuasive traduit le souci du législateur de permettre une grande mobilisation de
l’épargne ?
‫ ان‬U ‫ و ا ا‬K$[3 8G f ‫ زا‬H ‫ ا وراق ا‬0‫ ن ر‬C U ‫ " و ا ا‬a ‫ ر ا‬N‫ ا‬9ّ p N‫ راد‬5 ‫ ت‬# ‫ ت ان ا‬N‫ ا‬8 ‫ ا‬4 ‫ال ا‬qA U N ‫ وﺟ ا‬،‫ اب‬4 ‫ ا‬H ‫ او ت‬M g
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.1994
3068
En cas de réalisation de profit, le montant de l'amende peut être porté au quintuple du montant du profit réalisé, sans que ce montant ne puisse
être inférieur à ce profit.

Page 443
DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

puisque seule l’amende est prévue d’un montant allant de 1500 à 15000 dinars. Que dire aussi de la peine
prévue en cas de diffusion d’informations fausses et trompeuses allant de 1000 à 10000 dinars d’amende, alors
que la personne qui se rendra coupable de ces pratiques pourra en retirer des profits bien plus importants ? Il
y’a fort à parier que le jeu vaudra bien la chandelle. Comparé à d’autres législations étrangères3069, le droit
tunisien semble plutôt charitable lorsqu’il s’agit de réprimer des agissements hautement répréhensibles3070.
Le même constat est à relever concernant le délit de manipulation des cours qui est réprimé d’une
amende de 1000 à 10000 dinars. Il est d’ailleurs, frappant de constater qu’en Tunisie, des infractions
similaires à la manipulation de cours sont punissables de peines bien plus sévères. Ainsi, la même
manipulation mais cette fois lorsqu’elle est effectuée sur les prix des produits ou services en général est
réprimée plus sévèrement par la loi n°91-64 du 29 juillet 1991 relative à la concurrence et aux prix. Ainsi,
l’article 39 bis de cette loi punit d’une amende allant de 500 à 50.000 dinars le fait pour quiconque
d’augmenter ou baisser artificiellement, ou tenter d’augmenter ou baisser, le prix des produits ou services par
quelque moyen que ce soit ou procéder à des spéculations pour influencer le niveau normal des prix. Il est
donc paradoxal que ces pratiques lorsqu’elles sont commises sur le marché financier puissent donner lieu à
des sanctions potentiellement moins importantes alors que leur nocivité est bien plus avérée et importante.
Pourquoi alors cette disparité, manipuler le prix des tomates ou des pommes de terre par exemple, est-il plus
grave que de manipuler le prix des actions en Bourse ?
Est-ce alors par souci de ne pas entraver la liberté d’entreprise, de ne pas brusquer ou ne pas effrayer
les investisseurs potentiels par des normes pénales trop rigides ? Peut-être, mais là aussi ça dénoterait d’une
vision à court terme qui ne pourrait pas à la longue assurer l’attractivité du marché. Difficile alors, de trouver
des justifications à ce laxisme.
Devant cet état de fait, et quel qu’en soit les motifs, il est difficile de croire qu’une personne tentée par
la commission d’un abus puisse en être dissuadée par la simple crainte des répercussions éventuelles. Face à
des abus difficiles à caractériser, des sanctions plutôt charitables, une volonté répressive qui tarde à se
manifester, il est fort à parier que l’individu aura plutôt envie de tenter sa chance et de commettre des abus.
Dès lors, il serait à notre avis souhaitable que le législateur se rende compte de la gravité de ses
comportements et des conséquences néfastes qu’ils peuvent engendrer. Une intervention législative serait la
bienvenue et ce, en augmentant considérablement le quantum de l’amende et en écartant peu à peu, sinon
totalement, la peine privative de liberté3071.

636- Bien sûr, il n’est pas dans notre intention d’exagérer la portée des sanctions pénales. Il s’agit
plutôt et surtout d’envoyer un signal fort aux contrevenants en instituant des amendes assez importantes. Leur
signifier la fin de l’ère de l’impunité dont ils bénéficiaient. Cela ne pourra que contribuer à l’instauration d’un

3069
En droit français, le délit d’initié est puni de deux ans d’emprisonnement et d’une amende de 1.500.000 euros dont le montant peut être porté,
au-delà de ce chiffre, jusqu’au décuple du montant du profit éventuellement réalisé, sans que l’amende ne puisse être inférieure à ce même profit
(Article L 465-1 du Code monétaire et financier). La loi américaine, quant à elle, sanctionne très sévèrement le délit d’initié. Ainsi, le département
de justice, peut de sa propre initiative ou sur demande de la SEC, engager des poursuites pénales qui peuvent aboutir à des sanctions très sévères.
La section 32 (a) du Securities Exchange Act de 1934, tel qu’amendé par le Sarbanes-Oxley Act de 2002, prévoit des peines de prison pouvant
atteindre 20 ans pour les personnes physiques et ce, en plus de peines d’amende extrêmement élevées. Plus près de chez nous, au Maroc, la
législation financière s’avère aussi autrement plus sévère que la loi tunisienne. Ainsi, le délit d’initié est puni d’une peine d’emprisonnement
pouvant aller de 3 mois à 2 ans et d’une amende pouvant atteindre le quintuple du profit éventuellement réalisé sans que son montant puisse être
inférieur à 200 000 DH, ou l’une de ces deux peines seulement (Article 25 alinéa I du Dahir portant loi n° 1-93-212 (4 rebia II 1414) relatif au
conseil déontologique des valeurs mobilières et aux Informations exigées des personnes morales faisant appel public à l’épargne). En Jordanie, le
délit d’initié est puni d’une peine d’emprisonnement allant jusqu’à trois ans et d’une peine d’amende allant jusqu’à cent mille dinars en plus d’une
autre amende dont le montant minimum équivaut à deux fois le profit réalisé ou de la perte évitée et dont le montant maximum équivaut à cinq fois
le profit réalisé ou de la perte évitée (Article 110 de la loi jordanienne relative aux valeurs mobilières).
3070
BEN SALAH (W), Transparence et marché financier en Tunisie, Actes du colloque international : Transparence financière et réformes
institutionnelles, FSJEGJ, 2008, p 203.
‫ دورھ ا 'ﺟــــــــ ي‬I ‫ ﺟ‬U ‫ ا‬LP G .8 ‫ ا ان ا‬8G 0 +‫ ور‬g ‫ أ ا‬0‫ أ‬#/$ ‫ا‬ ‫ ذات ا‬LP ‫ ء‬/ C ‫] ة ا ة و ا‬7 M ! ‫ ا‬N M m ‫ ا‬U ‫ ا‬8#! ‫ " ان ا‬3071
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.19 ‫ ص‬،1975 ‫ ^ اد‬،8 # ‫ ا‬# L ،‫ راه‬C‫ د‬A‫ ر‬، d+ ‫ ا‬M ‫ ا ا‬8G 4 ‫ ا ^ ا ا‬،‫ ا ( ق‬23 ( - .105‫ ص‬،" ! ‫ ا‬6‫ ا ﺟ‬،H P ‫ ا 'ء ا‬، 4 ‫ا‬

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

climat plus serein et plus transparent. Il ne pourra que contribuer à rétablir la confiance au sein des procédés
de concentration des sociétés et les marchés auxquels ils sont liés3072.
Aussi, l’éviction de la sanction privative de liberté en faveur d’une peine pécuniaire assez
importante3073, manifestation d’un mouvement de dépénalisation nécessaire dans la vie des affaires, doit être
généralisée à tous les abus en droit de la concentration. En effet, sans lâcher la bride aux investisseurs, les
pouvoirs publics doivent simplifier le cadre législatif et règlementaire et surtout alléger la responsabilité
pénale qui jalonne les différentes étapes de concrétisation d’un investissement3074. Selon le rapport de suivie
international, établi en 2009, par la Banque mondiale : « la simplification des règles, pour les rendre plus
efficaces et plus rationnelles, vise à protéger l’intérêt public »3075.
L'idée n'est pas alors de laisser les entreprises « tricher en toute impunité » en écartant
l’emprisonnement. Ces dernières, comme leurs dirigeants, doivent respecter des dispositions légales et des
obligations contractuelles nombreuses, sous peine de voir leur responsabilité engagée. Mais le droit pénal a
une fonction précise : protéger les valeurs fondamentales d'une société. On attend de lui la sécurité sur un
territoire donné, justifiant ainsi l'octroi, aux autorités publiques, de pouvoirs exorbitants allant jusqu'à placer
un individu en détention. Il doit donc, pour justifier sa puissance, demeurer un instrument d'exception. Cette
redéfinition des contours de la peine en droit pénal des affaires marquerait l’inauguration d’une politique
criminelle plus cohérente et aussi plus réaliste. Elle aurait pour effet de réduire considérablement le nombre
d’infractions aujourd’hui prévues et de concentrer la répression sur les actes mus par une véritable intention
frauduleuse, les seuls qui appellent une sanction rigoureuse et systématique. Cette « civilisation » du droit de
la concentration est donc souhaitable et permettrait certainement de douter moins fortement de l’affirmation
d‘Ihering selon laquelle « l’histoire de la peine se résume en une abolition constante3076 ». Il reste que cette
modernisation de la dialectique de la sanction pénale ne peut réaliser les objectifs sollicités que si elle
s’accompagne d’une modernisation nécessaire de la responsabilité pénale. En effet, la Tunisie ne peut plus
aller à contre-courant et se doit de revoir son système de responsabilité pénale surtout en matière de
concentration des sociétés.

III- Pour une modernisation de la responsabilité pénale dans les procédés


de concentration
637- Notre droit pénal est resté toujours fidèle à sa position récalcitrante à l’adoption d’un principe
général incriminant les sociétés personnes morales3077. En effet, aucun texte général ne vient consacrer la
responsabilité pénale des personnes morales. Tout au plus, certains textes éparpillés prévoient que les
personnes morales peuvent être reconnues pénalement responsables pour certains délits3078.
D’ailleurs, la plupart des textes incriminant une infraction commise par une personne morale, font
reporter la responsabilité sur ses dirigeants3079.
3072
Le marché financier et le marché concurrentiel.
‫ او‬6/$ G 8 ‫ رة ا‬L ‫ و‬+ ‫ ﺟ! ا‬6 9 !4$ ‫ ان‬LP M + C .‫] ة ا ة‬7 ‫ة‬ ‫ه ا‬D‫ ھ‬f C ‫ اذا‬0 + ! ‫ا‬ # ‫ ا‬V ‫ ا‬9‫ أ< أھ‬#$ LP ‫ ن ا‬G ‫ا‬D ‫ " و ھ‬3073
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‫ ا ـــــــــ ق‬C ، d p < ‫ ة‬CD ، ‫ ا دة ا‬8G " ‫ ل ا‬# A‫ ا‬8G i!# ‫ زﺟ ا‬، >1N F ‫ا‬ A ‫ أل ا‬D ." " ‫ ل ا‬# A‫ ا‬8G i!# ‫ ا‬+ ‫ ﺟ‬k ‫ ذ‬8G ‫ا‬9‫ ا ا‬+ #
.56‫ ص‬،1985 +‫ ر‬4 AJ‫ ا‬، # ‫ ت ا‬N L ‫ دار ا‬، +‫وا ر‬ ‫ ا‬9 ‫ ا ا‬: ‫( ﷲ ا > ار‬63 : F+‫ أ‬6‫ُ اﺟ‬+ .54 ‫ د‬N ،42 ‫ ص‬،2009 ،H A !‫ ما‬#‫وا‬
‫ﺟ ام‬J‫ ا‬9 N ،‫ ن‬j3 ‫ ! ا " ر وآ ل‬.16 ‫ ص‬،1967 ‫ ا ھ ة‬،‫ ب‬# ‫ ا‬9 N ، A!0 #1S" ‫ د‬- .32‫ ص‬،1995 ،f+ ‫ ا‬،8$ < ‫ ب‬#+ ‫ ﺟ‬$ ،‫ ت‬# ‫ و ا‬9 ‫ ا ا‬، ‫ ر‬$ ‫اري‬M1>; 3074
.21 ‫ ص‬،1974 ، d ‫ ا‬# L ‫ ا‬، + 4 ‫ ل ا‬0‫ وأ‬V ‫ ا‬،8 4 ‫ ا ن ا‬،(N‫ را‬23 .311 ‫ ص‬،1980 ،‫ وت‬، # ‫ ا‬FK4 ‫ دار ا‬،‫ ب‬# ‫ ا‬9 N‫و‬
3075
Rapport cité par : CHAABANE (N), La liberté de l’investissement, I.J., n°82/83, janvier, 2010, p 36.
3076
Cité par BOUZAT (P) et PINATE (L), Traité de droit pénal et de criminologie, DALLOZ, 1970, n° 1, p 2.
3077
BEL HAJ HAMMOUDA (A), Jusqu’où peut-on aller dans l’antropomorphisme de la personne morale en droit pénal, RTD, 1995, p 16 ;
3078
Il ya, en droit tunisien, plusieurs cas de responsabilité pénale de la personne morale : V. Art. 101 nouveau de la loi n° 2003-75 du 10 décembre
2003 telle que modifiée par la loi n°2009-65 du 12 aout 2009 relative au soutien des efforts internationaux de lutte contre le terrorisme et à la
répression du blanchiment d'argent ; art. 263 CSC ; art. 33 CCCE ; art. 107 CDPF ; art. 11 de la loi n°88-91 du 2 août 1988 portant création de
l'Agence Nationale de Protection de l'Environnement (ANPE), telle que modifiée par la loi 115-92 du 30 Novembre 1992 ; art. 49 de la loi n° 96-
41 du 10 juin 1996 relative aux déchets et au contrôle de leur gestion et de leur élimination ; art. 32 de la loi n° 2001-76 du 17/07/2001 modifiant et
complétant la loi n° 92-81 du 3 aout 1992 portant création des zones franches économiques, telle que modifiée et complétée par la loi no 94-14 du
31 janvier 1994.
3079
V. la loi n° 98-40 du 2 juin 1998 relative aux techniques de ventes et à la publicité commerciale qui énonce, dans son article 39, que
«l’annonceur est responsable à titre principal de l’infraction commise, si le contrevenant est une personne morale, la responsabilité incombe à ses

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Le droit pénal tunisien souffre donc de l’absence d’un équivalent à l’article 121-2 du Code pénal
français3080. Toute tentative d’élargissement de la responsabilité pénale de la personne morale aux textes
incriminant «toute personne» devrait alors se heurter, en droit tunisien, au principe de la légalité des délits et
des peines tel que prévu par l’article premier du code pénal. L’article 37 du même code constitue, à son tour,
un obstacle majeur en prévoyant que nul ne peut être puni que pour un fait accompli intentionnellement, sauf
dans les cas spécialement prévus par la loi3081. Il en est de même de l’article 13 de la constitution abrogée3082
instituant le principe de la personnalité de la peine. Cette position est d’ailleurs constante au niveau de la
jurisprudence3083. Mais, cela n’a pas empêché pour autant l’apparition de quelques arrêts consacrant la
responsabilité pénale de la personne morale et ce, en dépit de l’absence d’un texte général consacrant une telle
responsabilité3084.
Notre droit reste alors à la marge de la tendance prévalant en droit comparé3085. Il persiste dans sa
réticence à l’adoption de la responsabilité pénale de la personne morale en dépit de la consécration de ce type
de responsabilité par un grand nombre de droits étrangers. En effet, la plupart des droits européens3086 et
quelques droits arabes ont depuis plus ou moins longtemps adopté ce type de responsabilité. Ainsi, la Syrie
considère comme pénalement responsables les entités personnifiées pour les actes répréhensibles commis par
leurs directeurs, membres du directoire, représentants et salariés lorsque ces actes sont commis au nom de ces
entités ou par l’un de ses moyens3087. II en est de même, pour l’Algérie où la responsabilité pénale des entités
personnifiées a été consacrée par la loi du 10 novembre 20043088.

dirigeants. Le complice dans l’infraction commise sera puni selon les dispositions du droit commun» ; la loi n° 99- 64 du 16 juillet 1999, relative
aux taux d’intérêt excessifs prévoit aussi dans son article 5 que « lorsque le contrevenant est une personne morale, les peines prévues ci-dessus
sont applicables, personnellement et selon le cas, aux présidents directeurs généraux, directeurs, gérants et en général à toute personne reconnue
responsable et ayant qualité pour représenter la personne morale ».
3080
L’article 121-2 du Code pénal Français (modifié par Loi n°2004-204 du 9 mars 2004 - art. 54 JORF 10 mars 2004 en vigueur le 31 décembre
2005) dispose que : « les personnes morales, à l'exclusion de l'Etat, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-
7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants. Toutefois, les collectivités territoriales et leurs groupements ne
sont responsables pénalement que des infractions commises dans l'exercice d'activités susceptibles de faire l'objet de conventions de délégation de
service public. La responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits,
sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l'article 121-3 ».
3081
BELKNANI (F), La responsabilité pénale des personnes morales, Mouvement du droit contemporain, Mélanges offerts au Professeur Sassi
Ben Halima, Centre de Publication universitaire, 2005, p 489.
3082
La constitution tunisienne de 1959 a été abrogée par l’article 27 de la loi constituante n°6-2011 du 16/12/2011 relative à l’organisation
provisoire des pouvoirs publics.
‫ ء‬L ‫ ﺟ ا‬MN n+ # ‫ ا‬8G ‫و‬q! ‫ّد‬ 8‫ ھ‬+ 4# ‫وات ا‬D ‫و ا‬q! ‫أن‬ ّ ‫ ا‬# ‫] ص‬P ‫ا ا‬D‫ ھ‬8G g‫ وا‬1983/1/7 ‫ ا _رخ‬7 S ‫ < ` ﺟ ء ار ا (وا ا‬3083
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M!<‫ و‬a N M+‫ ا در‬U N ‫] ه‬7 ‫ ء او‬F 7 ‫ ا‬4N a # A‫ ده و< ا‬# ‫ وا‬aF+‫ و‬$‫ و‬a # ‫ ا اد و‬7‫ ا‬U N K! k ‫ رة وذ‬CD ‫ا‬ 4 ‫ دي <] ل ا‬/ ‫ز‬S ‫ ا < ط ت ا‬D
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‫ وف‬# ‫ ا‬8 ‫ ا‬8 # ‫ار ا‬ ‫ورد‬ k‫ذ‬M # ‫] ا‬PO ‫أ‬ H+ $ U N 8! ‫ ا‬8 ‫ ا 'ا‬8g ‫ و < ` دأب ا‬.(167 ‫ ص‬،2008 H $ ،2007-1961 ، # ‫ ء ا وا ا‬F7
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‫ف وأن‬S ` < " : 8 + a ‫ي ﺟ ء‬D ‫ و ا‬2004/5/5 ‫ ا _رخ‬13774 ‫(د‬3 ‫ ارھ‬8G k ! ‫ ا‬H/ f A ‫ أن‬H ‫ ف‬4@ A ‫ا‬ 4 ‫ " ا ة ا‬A ` < ‫ و‬."‫ ل ا ؤوس‬#G‫أ‬
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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Difficile alors d’expliquer pourquoi le droit tunisien, souvent pionnier dans la région, est-il resté
récalcitrant à l’adoption de ce type de responsabilité ? Peut-on continuer à ignorer la criminalité dont peuvent
faire preuve les sociétés, surtout en matière de concentration où les abus sont souvent commis par des
personnes morales ? Pourtant en 1982, ce type de responsabilité a été adopté par le projet de réforme du code
pénal. Malheureusement, ce projet est resté lettre morte.
A notre sens cette situation ne devrait pas perdurer longtemps. Il apparaît souhaitable d’adopter le
principe de la responsabilité pénale des personnes morales dans un texte pénal général qui pourrait participer à
la résolution de plus d’un problème en matière de concentration économique. Ce dernier pourrait-être rédigé
comme suit : « les personnes morales, à l'exclusion de l'Etat et des collectivités publiques locales, sont
responsables pénalement des infractions commises, en leurs noms et pour leurs propres comptes, par leurs
représentants. La responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas celle des personnes physiques
auteurs ou complices des mêmes faits ». Un régime propre des sanctions pénales devrait-être alors aménagé au
nom de la personne morale.
638- Il importe aussi de souligner que la responsabilité pénale du groupe de sociétés, lui-même, ne
peut pas, non plus, être retenue en droit pénal. En effet, les groupes de sociétés, qui sont par définition
constitués d’entités juridiques autonomes, ne sont pas des sujets de droit dans la mesure où le groupe n’a pas
de personnalité morale. D’ailleurs aucun système de droit ne lui reconnaît la personnalité juridique3089. Par
nature donc, les groupes de sociétés n’ont pas vocation à être pénalement responsables. De plus, leur
responsabilité, en tant que telle, n’est en aucune manière prévue expressément par la loi. Dès lors, la question
d’imputabilité des infractions en général, et celle liée à la commission d’un abus en particulier, ne se poseront
ni au niveau des groupes internes ni internationaux, en tant que tels, mais au niveau des sujets de droit,
personnes physiques et personnes morales appartenant au groupe, le cas échéant.
Pourtant, il paraît vrai que la prise en compte de la criminalité émanant des groupes de sociétés
pourrait s’avérer utile surtout dans une optique d’amélioration de l’efficacité des sanctions pénales édictées en
matière d’abus. En effet, même si juridiquement les sociétés groupées sont autonomes, celles-ci sont
caractérisées par une interdépendance économique, financière, bancaire et même comptable. Les décisions
dans certains groupes sont imposées par la société mère et emportent souvent des sacrifices de la part des
filiales ou des sociétés contrôlées et ce, dans l’intérêt commun du groupe. La filiale qui agirait sous couvert du
groupe se verrait seule sanctionnée alors que l’acte répréhensible aura été accompli sur ordre du groupement
dans son intérêt commun, avec des moyens adéquats et fournis généralement par la société mère. Dans cette
hypothèse, la filiale en est réduite à être l’instrument par lequel l’abus a été commis. Par conséquent, l’activité
coupable a été dictée par le groupe grâce aux moyens dont il dispose et en fonction des objectifs qu’il veut
atteindre. La filiale se verrait injustement sanctionnée alors que le véritable auteur de l’abus, à savoir le
groupe de sociétés, resterait à l’écart.
De surcroît, faire supporter à une filiale ou à une société contrôlée par le groupe la charge du paiement
des amendes pénales pourrait être assimilé à une injustice, laquelle serait considérablement plus grave si la
société mise en cause est insolvable alors que le groupe, dans son ensemble, ou la société mère est dans une
situation prospère. Retenir la responsabilité pénale du groupe de sociétés et non pas seulement des entités
personnifiées permettrait alors de mieux coller à la réalité des faits et constituerait la solution appropriée en
l’état actuel des choses. Cette solution demeure malheureusement impensable vu la législation actuelle des
groupes, à moins d’une intervention législative en ce sens pour reconnaître la personnalité morale au groupe
de sociétés.
639- En sus des deux problèmes de responsabilité pénale susvisés, un troisième risque de se poser
avec la même ardeur en matière de fusion.
La fusion, qui consiste en la transmission par une ou plusieurs sociétés de l’ensemble de leur
patrimoine à une autre société existante ou nouvelle, emporte la dissolution de la société fusionnée sans
liquidation et la transmission universelle de son patrimoine à la société bénéficiaire de l’opération, laquelle
continue la société fusionnée comme l’héritier perpétue la personne du défunt3090.

3089
Lamy Droit pénal des affaires, Ed. 2012, p 53. V. alinéa dernier de l’article 461 CSC.
3090
GAMET (L), Le principe de personnalité des peines à l’épreuve des fusions et des scissions de sociétés, JCPG 12 septembre 2001, p 1663.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

A ce titre, l’effet dévolutif du patrimoine désigne la société bénéficiaire de la fusion comme un


responsable de substitution. Toutefois, si la substitution s’impose comme une évidence en matière civile3091, la
situation sur le plan pénal est beaucoup plus compliquée.
En matière pénale, il convient de distinguer entre deux situations. D’abord, si la société participe à une
fusion absorption après avoir été définitivement condamnée, il semble que la société absorbante est tenue
d’exécuter la peine prononcée3092. Qu’il s’agisse donc de personnes physiques ou morales, l’exécution des
condamnations pécuniaires prononcées, sorte de charges successorales3093, incombe aux héritiers.
En revanche, si ce premier cas de figure ne pose pas de problème particulier, la question est toute autre
lorsque la fusion a lieu avant la poursuite pénale ou avant la condamnation de la société absorbée et que les
faits délictueux sont exclusivement imputables à cette dernière. Dans ce deuxième cas, la société absorbante
peut-elle se voir pénalement poursuivie puis condamnée pour les abus commis par la société absorbée?
S’il est clair que la société absorbée a transmis à la société absorbante l’intégralité de son patrimoine
actif comme passif, et que cette dernière est donc civilement responsable des infractions pénales commises par
la société dissoute3094, la situation est moins évidente lorsqu’il s’agit de savoir si la responsabilité pénale est
transmise à la société absorbante. Cette transmission ne se heurterait-elle pas au principe de la personnalité
des peines ? En effet, la société absorbée disparaît et cela fait en principe échec à la mise en mouvement des
poursuites pénales et éteint l’action publique. Les poursuites ne sont-t-elles pas éteintes à la « mort du
prévenu», selon l’article 4 du Code de procédure pénale3095 ?
Contrairement à la jurisprudence tunisienne, le problème s’est posé devant la chambre criminelle de la
cour de cassation française dans un arrêt datant du 20 juin 20003096. L’arrêt concerne des poursuites pour
blessures involontaires mais il n’en demeure pas moins que la solution devrait être la même pour ce qui est de
la responsabilité pénale en général. En l’espèce, des poursuites avaient été engagées contre la société
employeur pour blessures involontaires avant que celle-ci ne fasse l’objet d’une fusion-absorption. La société
absorbante voit alors sa responsabilité pénale engagée pour ce délit. Pour les juges du fond, la société
absorbée, quoique radiée du registre du commerce, n’avait pas été liquidée et par conséquent elle n’avait pas
disparu. La société absorbante s’était dès lors substituée à elle, avec transmission universelle de ses droits,
biens et obligations3097. Toutefois, la cour de cassation française n’était pas du même avis. Se fondant sur
l’article 121-1 CPF qui pose le principe selon lequel nul n’est pénalement responsable que de son propre fait,
elle a décidé que la société absorbante ne pouvait être tenue pour responsable des infractions commises par la
société absorbée, la fusion faisant perdre à la société absorbée son existence juridique. Cette solution fût
entérinée par la même cour dans un autre arrêt mettant en cause une société ayant absorbé une autre déclarée
coupable d’homicide involontaire antérieurement à l’opération de fusion. Elle a ainsi censuré l’arrêt de la cour
d’appel qui a considéré que la société absorbante a continué la personnalité juridique de la société absorbée.
La chambre criminelle a cassé le dit arrêt, estimant que, l’absorption ayant fait perdre son existence juridique
à la société absorbée, les juges du fond ont méconnu l’article 121-1 CPF3098.
La position de la cour de cassation française, bien que difficilement critiquable sur le plan strictement
légal, conduit à émettre la crainte que ces opérations de fusion absorption ne soient de plus en plus inspirées
par la seule volonté d’échapper à une condamnation pénale imminente. En effet, il est inconcevable qu’une
société condamnée pénalement puisse s’y soustraire par un montage juridique de fusion ou de scission. Face à
ce subterfuge, il est malheureux que la justice pénale demeure impuissante.
La solution peut-être recherchée sur le plan civil où le même montage peut faire l’objet d’annulation
pour cause illicite ou fraude à la loi. Mais ce ne serait pas au juge répressif de relever cette nullité et cela
explique peut-être que la pratique n’a pas connu jusqu’ici de cas d’annulation3099. D’autant plus que cette
annulation, pour fraude à la loi ou pour cause illicite, ne peut-être prononcée que si la preuve est apportée que
la fusion a été faite dans l’unique but de détourner les règles de la responsabilité pénale. Ce qui n’est pas du
3091
V. art. 420 CSC.
3092
L’article 133-1 du Code pénal français disposant qu’il peut être procédé au recouvrement de l’amende et des frais de justice, ainsi qu’à
l’exécution de la confiscation après la dissolution de la société jusqu’à la clôture des opérations de liquidation.
3093
ESCHYLLE, Les conditions de fond de la responsabilité pénale des personnes morales en droit du travail, Dr. Soc., 1994, p 644.
3094
DESPORTES (M-M) ET LE GUENEHEC, J.-Cl Soc. 2002, Fasc 28-75 p 14.
3095
Cet article prévoit que l’action publique s’éteint par la mort du prévenu. La dissolution, qui met fin à la société absorbée, est un événement
assimilable à la mort de la personne physique.
3096
COFF DE BOISDEFFRE (M.-J), note sous Cass. Crim., 20 juin 2000, n° 99-86.742, LPA, 13 mars 2001, p 19.
3097
GAMET (L), op.cit p1664.
3098
BARBIERI (J-F), note sous Cass. crim., 14 oct. 2003, no 02-86.3 76, Bull Joly sociétés, février 2004, p266.
3099
Lamy droit pénal des affaires, Ed. 2012, p62

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

tout facile à prouver car une fusion peut-être justifiée par des données financières, économiques... Il est donc
important de trouver une parade définitive à ce risque de fraude à la responsabilité pénale.
Que l’on n’oublie pas aussi que l’opération de scission peut également constituer un terrain fertile pour
l’apparition de ce genre de fraude à la limite de la légalité dans la mesure où une société, risquant des
poursuites pénales, peut se scinder en deux personnes morales nouvelles pour mettre fin à tout risque pénal.
On pourrait alors penser à la possibilité d’interdire toute modification de la personne morale par
fusion, scission ou transformation de la société dès lors que des poursuites pénales sont engagées à son
encontre3100. Le législateur pourrait aussi édicter une dérogation au principe de la personnalité des délits et des
peines en retenant la possibilité, au cas par cas, de poursuivre l’entreprise, quand bien même elle serait
constituée sous une personne morale différente3101, ce qui n’est pas du tout facile à concrétiser sur le plan
juridique car le principe de la personnalité des peines était de valeur constitutionnelle et il le restera. On
pourrait penser également à l’institution d’un cas de responsabilité pénale pour fait d’autrui. La nouvelle
personne morale, issue de la fusion ou de la scission, serait alors responsable pour les faits de la personne
morale dissoute. Ce serait une exception légale au principe de la personnalité des peines.
640- Ainsi, une modernisation ou au moins une adaptation du système de la responsabilité pénale, au
sein des procédés de concentration, s’impose. Il reste que cette modernisation ne peut réaliser les objectifs
sollicités que si elle s’accompagne d’une évolution nécessaire de la légistique pénale3102. En effet, la Tunisie
ne peut plus aller à contre-courant et revenir sur le choix de libérer l’investissement. Elle ne devrait pas non
plus continuer à le freiner par des formalités, des procédures et des lois multiples, compliquées, voire
contradictoires. Notre législation pénale ne doit pas constituer un obstacle face à l’entreprise qui part à la
recherche de marchés étrangers pour se développer. Il faut œuvrer pour une législation de l’investissement
lisible, prévisible, stable et incitative pour attirer et sécuriser l’investissement surtout en matière de
concentration des sociétés3103.

IV- La nécessaire évolution de la légistique pénale dans les procédés de


concentration
641- La loi demeure en démocratie l'expression par excellence de la volonté générale. S'il y a crise
de légitimité, c'est l'ensemble des institutions qui en est affecté. La défiance à l'égard du politique touche
également le législateur. La faiblesse chronique du Parlement, le rôle dominant du gouvernement dans
l'élaboration des lois, l'inflation législative, la mauvaise qualité des textes… tout cela concourt au discrédit de
la loi. Des règles claires connues de tous, comprises et admises, valent mieux que cette prolifération de
normes qui permet souvent aux forts d'imposer leur loi sans partage3104.
642- Il est aujourd’hui rare qu’un projet de loi ne soit présenté sans un volet pénal, sans oublier les
amendements parlementaires qui tendent à renforcer cette pénalisation. N’est-ce pas que la politique
répressive de l’Etat est le premier accusé3105 ? Remédier à cette production chaotique de la sanction3106
implique, pour une dépénalisation à long terme, une véritable évolution légistique. Sans aller jusqu’à
préconiser une centralisation de la production de la norme pénale autour des services du Premier ministre, ni
jusqu’à créer une nouvelle autorité ou institution qui ne ferait que compliquer davantage un processus de
création de la norme déjà sophistiqué, il est essentiel de promouvoir une vision d’ensemble du corpus pénal.
Le système exige cohérence et proportionnalité des réponses, intelligence et utilisation de l’ensemble des
mécanismes juridiques pour garantir l’application de la règle de droit. C’est au ministère de la loi, c’est-à-dire
au ministère de la Justice, que devrait revenir le monopole de la création de la norme pénale. Sans bien sûr
3100
MORVAN (P), note sous Cass. Crim 20 juin 2000, Dr Soc 2000, p 1151.
3101
GAMET (L), Le principe de la personnalité des peines à l’épreuve des fusions et des scissions de sociétés, JCPG, 12 septembre 2001, p l667.
3102
La « légistique », est une notion qui signifie la détermination d’une méthode, des outils ainsi que des préceptes de l' « art de légiférer ». Elle
propose trois axes de réflexion et d'action : un travail sur la forme du texte (qualité rédactionnelle), sur le fond (pertinence technique, sociale,
juridique...) ainsi que sur la procédure (travail gouvernemental, parlementaire...).
3103
CHAABENE (N), La liberté de l’investissement, In Colloque « L’Etat et l’entreprise », organisé par l’IACE, I.J., n°82/83, janvier 2010, p 36.
3104
TEBOUL (G), L'abus en droit des affaires et le pouvoir modérateur du juge, Propos conclusifs, Gaz. Pal., 19 décembre 2009, n° 353, p. 37.
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U ،H ‫ ا‬9 ‫ ا ا‬، V V O‫ ر‬.236 ‫ ص‬،M d ‫ا‬ ‫ د ا ول ا‬# ‫ ا‬،1985 ، ‫ ا‬4 ‫ا‬ ‫ا‬، 0# ‫ا‬6 ‫ ا‬8G ‫ ا و ا 'ا‬/ ‫ وظ‬،o1 ‫ ( ر‬0 .23‫ ص‬،1981
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3106
Cette production bien souvent freinée, en France, par le ministère de la Justice.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

empêcher les ministères techniques concernés par la production d’une loi de solliciter la création d’une
nouvelle incrimination, il conviendrait de procéder à une meilleure évaluation à la fois de la nécessité de la
création d’une nouvelle qualification et la cohérence des sanctions sollicitées avec les incriminations déjà en
vigueur. Il pourrait ainsi être prévu dans le mode de création des textes un examen obligatoire des
qualifications pénales par le ministère de la Justice, avec possibilité pour ce dernier de rejeter la création d’une
nouvelle incrimination, sous l’arbitrage du Premier ministre. Seul ce travail légistique de synthèse serait de
nature à éviter les écueils d’une pénalisation progressive et certaine au gré des réformes successives. En outre,
il garantirait une meilleure cohérence des peines, pour que ces dernières ne soient pas exclusivement
dépendantes des « strates » législatives successives3107.
643- En réalité, un vrai travail légistique a été déjà entrepris en France, mais aussi dans de nombreux
pays européens, aux Etats-Unis ainsi qu’au sein des institutions communautaires, l'OCDE3108 et d'autres
organisations internationales3109 afin de "mieux légiférer". La démarche s'est peu à peu construite et affirmée
pour favoriser la qualité de la loi : définition de principes d'action, élaboration d'outils… Pour y parvenir, les
pouvoirs publics3110 ont pris appui sur une science de la législation. Ce constat, largement partagé, n'est pas
dénué de toute réalité : des textes nombreux, souvent très techniques, des exemples périodiques de malfaçons
législatives, des contradictions... Les pouvoirs publics français ne s'y sont pas trompés en lançant il y a déjà
plus de vingt ans les premiers programmes de "qualité du droit"3111. Pareille qualité est plus que nécessaire
pour revoir les textes relatifs aux abus dans les procédés de concentration. Il va sans dire qu’une telle matière
se trouve au carrefour du droit, de l’économie et de la politique, si bien que légiférer en ce domaine exige une
méthodologie spéciale capable d’embrasser tous les aspects internes et externes des abus. Un véritable
changement de méthode doit être amorcé dont l'enjeu politique et social est d'importance3112, les conséquences
d'une législation foisonnante, mal conçue sont en effet multiples : déficit d'application, manque de
prévisibilité, perte de confiance dans la loi3113… Le coût social, économique mais aussi symbolique d'une
production législative mal maîtrisée est considérable3114. De la réussite de cette méthode dépend
l’établissement d’une théorie juridique bien assise sur des bases solides et cohérentes.
Dans cette perspective on ne peut qu’être pleinement satisfait par la dernière initiative politico-
universitaire consistant à mettre en place un nouveau mastère, au sein de la Faculté de droit et des sciences
politiques de Tunis, spécialisé dans la rédaction et la traduction des textes de loi, des contrats et conventions.
Le régime de ce mastère, important à bien des égards, a été fixé par l’arrêté du ministère de l’enseignement
supérieur datant du 25 mars 20083115.
644- Aussi, les efforts déployés pour améliorer la qualité de la législation doivent être, désormais,
confortés par un travail d'harmonisation. Les raisons de ce mouvement sont claires. Tout d'abord le
développement à la fois extensif et intensif de la loi a fait naître une situation difficile caractérisée par une
3107
Rapport précité sur la dépénalisation.
3108
Organisation de coopération et de développement economique.
3109
Banque mondiale notamment.
3110
Gouvernement, Parlement…
3111
GILBERG (K), De l'art de mieux légiférer, par, Le monde, numéro du 27 janvier 2010.
‫ ھ‬I $ $ F+‫ وا ا‬،a N ‫ ] ر‬7 ‫ ا‬9 + ‫ أن‬I + a ‫ اھ‬U N ‫ي‬D ‫ ا‬،m4 ‫ ا ^ ي‬k ! ‫ أو ا‬h G 8 ‫ ب ا‬A ‫ ا‬6+ 3 ‫ ل ا‬8G ‫او‬ 0‫ أ‬C 84#$ 5 ] ‫ رة ا‬N ‫ " إن‬3112
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3115
V. JORT n° 26/2008.
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.194 ‫ ص‬،2011H $ ، F ‫وا‬ ‫ ت ا‬A‫' ا را‬C ،‫ ري‬# ‫ا‬ 0 / ‫ روح ا‬U ‫ اة ا‬K

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

exubérance de la législation qui ne permet plus, ni aux citoyens, ni aux praticiens, de saisir correctement la
réalité juridique. En outre, le besoin de transparence, de lisibilité et de clarté a dépassé l'intérêt du citoyen
pour se placer dans la sphère privilégiée de l'intérêt général. La transparence est devenue un critère important
d'évaluation de la bonne gouvernance et un moyen décisif d'incitation à l'investissement.
645- Certes, toutes ces réformes de la loi pénale, que ce soit au niveau de la recherche de la peine
adéquate ou la création de la norme pénale convenable en matière de concentration des sociétés, sont
nécessaires, voire urgentes. Néanmoins, si la loi pénale, elle-même, est en cause, la jurisprudence joue elle
aussi un rôle non négligeable. Jean-Denis Bredin avait décrit ce phénomène en disant que : « l'avènement du
juge est le corollaire nécessaire du déclin du droit »3116. Repenser la pratique judiciaire dans le sens de
l’adapter à la vie des affaires constitue aussi, dans ces conditions, une priorité à ne pas négliger.

-§2- : L’adaptation de la pratique judiciaire dans les procédés de


concentration
646- Cette adaptation passe inévitablement par deux étapes inéluctables : la première consiste à
adopter le principe « specialia generalibus derogant » (I) ; la seconde consiste à miser sur la formation des
juges surtout en matière des affaires, en insistant sur le fait qu’une nouvelle culture de la peine et une autre
conception du traitement de l’inculpé devront régner (II).

I- Pour une reconnaissance légale du principe « specialia


generalibus derogant »
647- Dans un pays, écrit le doyen Carbonnier, un Etat et un ministère public peuvent suffire au
bonheur des citoyens. « Mais l’on conçoit mal un ministère public sans code pénal. Il y a lieu de faire
observer aussi que le bonheur des citoyens ira en s’amenuisant au fur et à mesure que ce code vieillisse » 3117.
N’est-ce pas alors qu’un code pénal, datant de 1913 et replâtré en fonction des circonstances, ne
peut prétendre au 21ème siècle donner à ses citoyens la quiétude requise ?
648- Il a été précédemment mentionné que plusieurs juridictions tunisiennes3118 n’hésitent
nullement, aujourd’hui encore, en cas de concours entre les infractions spéciales du CSC3119 et celles
générales du CP3120 à appliquer les secondes, dont la répression est beaucoup plus sévère contrairement aux
premières. La même tendance a été aussi dénoncée en droit français3121, même si aujourd’hui elle n’a plus lieu
d’être3122. Cette indifférence des tribunaux au mobile revient à aligner l’abus de biens sociaux sur l’abus de
confiance et tend à gommer sa spécificité d’infraction de droit des sociétés. Comme a pu l'écrire le Professeur
H. Lécuyer, la question doit être franchement posée : l’abus de confiance, infraction relevant du droit
commun, peut-elle ainsi concurrencer «loyalement» l’abus de biens sociaux, organisée par le droit des
sociétés ? Autrement dit, quelle règle retenir lorsqu’un même comportement est susceptible d'entraîner un
concours idéal de qualifications pénales3123 ? Le choix des qualifications résulte alors du conflit entre une loi

3116
FEUGERE (W), Pourquoi un droit pénal de l'entreprise ?, Gaz. Pal., 10 février 2005 n° 41, P. 2
3117
Cité par LARBI HACHEM (M), Droit pénal et sociétés commerciales, Colloque : Droit pénal et sociétés commerciales, Association
tunisienne de droit pénal, FDSPT, 2-3-4 Mai 1985, p 229.
3118
V. supra, note n° 2931.
3119
Notamment l’infraction d’abus de biens sociaux édictée par l’article 223 CSC.
3120
L’infraction d’abus de confiance de l’article 297 CP à titre d’exemple
3121
DELMAS-MARTY (M) et GUIDICELLI-DELAGE (G), op, cit., p 352 ; JEANDIDIER (W), abus des biens, du crédit, des pouvoirs ou
des voix, J -CI société traité, Fasc, 132-20, n°79.
3122
Ce problème juridique ne se pose plus en droit français car le texte pénal de l’abus de confiance a été modifié comme suit : « l'abus de
confiance est le fait par une personne de détourner, au préjudice d'autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et
qu'elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d'en faire un usage déterminé. L'abus de confiance est puni de trois ans
d'emprisonnement et de 375000 euros d'amende ». Il faut rappeler aussi que l’abus des biens sociaux est réprimé en France par 5 ans
d’emprisonnement. V. arts L241-3 ( 4e point) et L242-6 ( 3e point) CCF.
3123
Il y a un concours idéal de qualifications pénales lorsque différentes dispositions pénales sont susceptibles d'incriminer une même action
délictueuse. En raison de la règle non bis in idem un même fait délictueux ne peut entraîner qu'une seule déclaration de culpabilité ; cf. BOULOC
B., "Chronique de jurisprudence", R.S.C. (1) 1996, ne12 p. 116, Cour de cassation 22 février 1995, Bull criminel ne80 ; cf. article 368 du Code de
procédure pénale. cf. DEKEUWER A, "La classification des concours de qualifications", Revue de science criminelle, 1974 p. 511, spéc. p. 516 et
517, cf. SERLOOTEN P., "Les qualifications multiples", Revue de science criminelle, 1973, p. 45.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

générale et une loi spéciale3124. « Y répondre, c'est poser les règles qui doivent gouverner les rapports entre
droit commun et droit spécial »3125. Ainsi posée, la question intimide, mais ne doit pas décourager.
Certes, quelques décisions émanant aussi bien de la juridiction de second ressort que de la Cour de
cassation3126 ont parfois inversé la tendance en appliquant les infractions spéciales du CSC. Il en est, ainsi, par
exemple des décisions suivantes :
- L’arrêt de la Cour de Cassation n° 1760 du 26-12-1962 où on peut lire que « parmi les principes
juridiques admis par la doctrine et la jurisprudence celui d’après lequel, en cas de concours entre
deux textes de lois, le premier étant général et le second à connotation spéciale, alors le texte spécial
doit être appliqué par priorité car constituant une exception au texte général »3127.
- Aussi, l’arrêt n° 3650 du 24-10-2000 selon lequel « on ne peut traduire l’inculpé que sur la base de
l’article 169 CSC car il s’agit d’un texte spécial aux infractions perpétrées par les mandataires
sociaux et disposant donc de la priorité dans l’application par rapport aux textes généraux tel que
l’article 297 CP sur la base duquel a été traduit celui qui a interjeté cassation »3128.
- Les deux arrêts précités ont été confirmés récemment par l’arrêt n° 47348 datant du 04/07/20093129.
Il est, cependant, navrant de relever que la tendance majoritaire au sein de notre jurisprudence est
tournée plutôt vers l’application des infractions générales du code pénal car assurant une répression beaucoup
plus sévère. « Souvent jurisprudence varie ; bien fol qui s'y fie »3130.
649- En réalité, commettre un abus de confiance, c'est détourner des biens qui avaient été
précédemment remis et qu'on avait acceptés en vue d'un usage spécifique. Cela se justifiait en droit des
sociétés lorsqu'on pouvait réellement parler, notamment, de « mandataires sociaux ». Mais aujourd'hui, les
dirigeants sont dans une position plus statutaire et on parle de moins en moins de mandat3131. Telle est
d’ailleurs la position de la Cour de cassation qui a implicitement écarté la notion de mandat dans le contrat de
société en défendant que « le contrat de société n’est pas un des contrats de loyauté dont l’existence est
nécessaire pour la constitution de l’infraction d’abus de confiance, et par conséquent considérer le mandat
social comme étant une circonstance aggravante de l’incrimination est contraire à la loi »3132. Aussi, dans
l'abus de confiance, il est question de choses, mobilières, qui ont été remises en vue d'en faire un usage
déterminé. Mais dans une entreprise commerciale, qu'est-ce qui est remis ? Est-ce que « tout » est remis ? En
effet, au sein de l’entreprise sociétaire, on crée des richesses, et par la suite de l’argent. Mais cet argent n'a pas
été remis aux dirigeants sociaux par les mandants puisque c'est la richesse créée par l'entreprise qui en est la
source. Il fallait donc élargir le champ de l'incrimination d'abus de confiance pour pouvoir attraire l'ensemble
des biens d'une entreprise.
Pour ces diverses raisons, la mise à l’écart par la jurisprudence de l'abus de biens sociaux en faveur de
l’abus de confiance parait ridicule. Elle pourrait vider plusieurs textes de leurs sens et ferait donc prévaloir la
règle générale sur la règle spéciale : l'adage specialia generalibus derogant s'y oppose3133. C’est, en réalité, un
problème d'articulation du droit spécial avec le droit général. Le droit spécial l'emporte, mais encore faut-il
qu'il existe. Si le droit spécial n'existe pas, dans ce cas seulement il faudra peut-être le combler avec des
dispositions du droit général3134.

3124
V. de façon générale concernant ce sujet : GHAZOUANI (N), Le concours d’infractions et de qualifications, Th., FDSPT, juin 1987.
3125
LECUYER (H), note sous Cass. com., 31 mai 2005 : Bull. Joly sociétés, 2005, p. 1417, n° 308.
‫ ار‬.‫ ر‬34 5 1997 ‫ رس‬25 ‫ _رخ‬83831 ‫(د‬3 ‫ا‬M9 61@7; ‫ ار‬.‫ ر‬34 5 1994/5/17 ‫ _رخ‬1755 ‫(د‬3 1 !A ‫ ف‬AZ D ‫ ا‬$- ,3 ‫ در‬G ‫ا‬M9 ‫ ار‬3126
."<S ‫ ا‬6‫ُ اﺟ‬+ ،‫ ر‬34 5 2000/10/24 ‫ _رخ‬3650 ‫(د‬3 ‫ا‬M9 61@7;
‫ ] ص ا ن‬M ‫] دم ] ن‬$ ‫ اذا‬a ‫ ء أ‬F7‫ و‬K G K 9 ! ‫ا‬ ‫ ا دئ ا‬M ‫ " < ` ان‬: 8 + 1962/12/26 ‫ ا _رخ‬1760 ‫(د‬3 0 AS ‫ ا‬61@7 ‫ ا @ ار ا‬8G ‫ < ` ﺟ ء‬3127
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6‫ُ اﺟ‬+ ،(‫ ر‬34 5) ،" a$ F " ‫ ط‬I # ‫ ة ا‬g f $ 8 ‫ ا‬4 ‫ا‬ ‫ ا‬M 297 V]/ ‫ ا‬Vd # ‫] ص ا‬4 ‫ ا‬M ‫ ه‬5 U N " L ‫ ا‬8G ‫ م‬+‫ و‬C 3 ‫ء ا‬SC‫ ط ف و‬M $ ‫ا‬
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3130
FEUGERE (W), Pourquoi un droit pénal de l'entreprise ?, Gaz. Pal., 10 février 2005 n° 41, p. 2
3131
BEN NASR (T), Th. pré., p 100.
3132
Cass. Pén. n° 10153 datant du 5-10-2005, Revue de la cour de cassation n°1, 2005, p 232.
3133
Mortier (R), Note – Exit la gestion d'affaires pour une société en formation, Bull. Joly Soc., 01 juin 2006 n° 6, p. 801.
3134
BEZARD (P), Débat, LPA, 22 décembre 1999 n° 254, P. 61.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

650- Dans de telles conditions, les justiciables, qu’il s’agisse des citoyens ou des acteurs
économiques, ne pourraient comprendre ni accepter qu’une même norme connaisse des distorsions dans son
application. De tels écarts engendreraient des inégalités de traitement, de l’imprévisibilité, de l’insécurité
juridique, des distorsions de concurrence et des entraves à la pleine réalisation du marché intérieur3135.
Pour éviter cette situation « d’anarchie jurisprudentielle », où les mêmes faits peuvent donner à des
qualifications distinctes et, partant des décisions et des sanctions différentes, il serait utile et opportun, dans
une perspective de sécurité juridique, de poser de manière claire et intelligible le principe de l’utilisation de
l’infraction spéciale et non de l’infraction générale en cas de concours. Une telle disposition permettrait de
mettre fin à la pratique courante de l’utilisation de l’infraction ayant la plus haute acception pénale. Un nouvel
article dans le code pénal pourrait utilement « solidifier » le principe specialia generalibus derogant, qui
permettrait au législateur de tracer plus précisément les contours de la pénalisation3136. Le dit-principe
constitue, en effet, un véritable guide pour le juge dans la mesure où il lui fournit un modèle de solution pour
la résolution des conflits de normes3137. L'adage « specialia generalibus derogant » n'est, en réalité, que le
corollaire de la notion même de «droit commun». Celui-ci, d'après la définition du très classique Vocabulaire
Capitant, est «résiduellement (sic) applicable à tous les cas non exceptés »3138. Il n'a donc vocation à
s'appliquer qu'en l'absence de dispositions spéciales3139.
651- Specialia generalibus derogant : ce qui est spécial déroge à ce qui est général3140. Cet adage du
droit positif « signifie qu'en présence d'une norme générale et d'une norme spéciale, cette dernière doit être
en fin de compte appliquée, à l'exclusion de la première, au règlement du problème concret qui, a priori,
appelle également la compétence de l'une et de l'autre »3141.
Manifestement, une consécration légale de ce principe mettrait un terme à cette situation
jurisprudentielle en porte-à-faux.
Dans ce sens, il serait opportun de rappeler, à titre d’enrichissement, que le principe du « spécial prime
le général » est consacré explicitement en droit pénal italien. En effet, l’article 15 du code pénal italien
dispose qu’ « en cas de concours entre plusieurs infractions, le texte spécial exclu le général sauf dispositions
contraires ». Il en est de même en droit libanais où on peut lire dans l’article 181 du code pénal libanais ce qui
suit : « en cas de concours entre un texte spécial et un texte général, le spécial prime le général »3142
En droit tunisien, certains juristes peuvent invoquer l’existence d’un tel principe dans l’article 534
COC d’après lequel « lorsque la loi réserve un cas déterminé, elle s'applique à tous les autres cas qui ne sont
pas expressément exceptés ». Mais cette place ne cesse de soulever la discussion sur la nature juridique de ce
principe. En effet, si certains auteurs pensent que l’article 534 précité, relevant du droit commun, est
d’application générale à toutes les matières, en l’occurrence au droit pénal3143, on pourrait s’y opposer, par
contre, en invoquant les spécificités et l’autonomie du droit pénal par rapport au droit civil3144. Cette

3135
Ibidem.
‫ ا < م أ م‬n7 4$ ، CE ‫( ﷲ ا‬63 ." ‫ق‬ ‫ا‬M d ‫ ا‬6 Fُ+ 7 ‫ي‬D ‫ل ا‬ ‫ ل ا‬L+ Uّ < ...‫ف‬SP ‫ ا‬V+'+ ‫ ا ﺟ اء و‬g
ّ + 8ّ #+ 3$ Vّ < 6g ‫ارك ا‬ ّ " 3136
ّ N ‫ ّع‬3 ‫ان ا‬
.6 ‫ ص‬،2008 V+ G‫ أ‬،45/44 ‫ د‬N ، ‫را‬ ‫ ا‬، +[ ‫ و ا‬+ 4 ‫ و ا‬+ ‫ا‬M I # ‫ا‬
‫ د‬- ." 0 ] V7 ‫ م او ا‬# ‫ ا‬m4 ‫ د ا‬# A‫ وا‬K G m ‫ ص او ا‬P ‫ ا‬m4 ‫ " ا‬L$ 9p ‫! ھ‬/$‫ و‬N‫ ز‬4 ‫] ص ا‬4 ‫ ا‬m / ‫ ا م‬6 + ‫ ان‬I‫! ﺟ‬+ ‫ ة‬N ‫ه ا‬D‫ " ھ‬L$ ‫" و < ` ان‬ 3137

.650 ‫ ص‬،‫ م‬# ‫ ا‬9! ‫ ا‬،8 4 ‫ ت ا‬# ‫ ن ا‬7 ‫ ح‬O ، A!0 #1S"
3138
V. Déf. Vocable « Commun ».
3139
Cf. Le GUNEHEC (F) et DESPORTES (F), Le nouveau droit pénal, ouvrage précité, n° 292 et 293 ; cf. MERLE (R) et VITU (A), Traité de
droit criminel, n° 367, "concours de qualifications et unité d'infraction", éd Cujas, 7e édition 1997.
3140
D'après Sexte, De regulis juris, XXXIV.
3141
JEAMMAUD (A), Des oppositions de normes en droit privé interne, Lyon III, 1975, p. 677, n° 379.
." ‫ ص‬P ‫ ا‬m4 D ‫ ص أ‬m ‫ ا 'ا و‬#+ 3 ‫ ا‬M ‫ م‬N m V#/ ‫ ا‬U N " L ‫ " اذا ا‬8 + F+‫ ا‬8 4 ‫ ت ا‬# ‫ ن ا‬7 M 181 ‫دة‬ ‫ ﺟ ء‬3142
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.53 ‫ ص‬،.‫ ذ‬.‫ س‬.‫ م‬،‫ ا ن‬A‫را‬
3144
On a toujours tendance à distinguer entre le droit privé et le droit public. En effet, la doctrine classe chaque branche du droit en fonction de son
appartenance à la catégorie du droit privé (c'est-à-dire le droit qui régit les relations entre particuliers) ou à la catégorie de droit public (c'est-à-dire
le droit qui régit les relations entre les administrations ou une administration et un particulier). Mais le droit pénal fait partie des filières du droit
qui sont autonomes et donc inclassables. Le droit pénal ne peut pas rentrer dans la catégorie du droit privé ou celle du droit public. On considère
que son mode de fonctionnement ne permet pas de l’enfermer dans l'une ou l'autre de ces catégories. Plusieurs éléments attestent de son
autonomie. En effet, le droit pénal adopte ses propres définitions et concepts juridiques. Il ne s’en tient pas à la définition de certains concepts
utilisés par d'autres branches du droit, il donne ses propres définitions. Un exemple simple permettra de comprendre ceci. Ainsi, en droit civil,
lorsqu'il y a annulation d'un contrat, celle-ci est rétroactive. A l'inverse, le droit pénal ignore la rétroactivité de l'annulation pour sanctionner
l'auteur d'une infraction, comme par exemple quand le juge pénal sanctionne une personne pour abus de confiance. Le droit pénal général a, en
effet, une nature spécifique. Impossible de le rattacher soit au droit public, soit au droit privé. Car c'est un droit propre, autonome. Concernant
l’autonomie fonctionnelle, le droit pénal général se caractérise par un ensemble d'institutions et de principes qui lui sont rigoureusement propres.
Le droit criminel forme un système juridique cohérent qui ne ressemble à aucun autre. C'est un droit créateur de règles de fond qu'ignorent les
autres branches du droit. C'est une branche autonome du droit, distincte du droit privé et du droit public. V. à ce propos : HENRION (T),

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

autonomie empêche l’application de certains principes et certaines règles du droit commun à la matière
pénale. D’autres juristes, peuvent se prévaloir, en droit des sociétés, de l’abrogation tacite3145 des dispositions
de l’abus de confiance par celles du code des sociétés commerciales3146. Tel ne semble pas être l’avis du juge
qui continue malgré cela à appliquer les règles générale du code pénal dans le domaine des sociétés
commerciales. Seule une consécration légale expresse au sein du code pénal du principe « specialia
generalibus derogant » peut redresser cette tare jurisprudentielle. L’élaboration d’un texte en ce sens
permettra indubitablement d’appliquer les infractions spéciales supposées être plus proche et commodes à la
vie des affaires. Sans doute ces infractions sont bien plus convenables et s’apparentent beaucoup plus que les
infractions générales des spécificités de la matière et des impératifs qui la sous-tendent à savoir, ceux de
rapidité et de promotion3147. Aussi, il faut garder présent à l’esprit que le droit pénal des affaires a été institué
dans le but de prendre en compte les caractéristiques de la matière et de mettre en place une série d’infractions
spéciales propres aux commerçants et convenables à la nature de leurs activités, exclusives des infractions
générales du code pénal3148.

652- Observons aussi que l’unification du régime des abus est une entreprise indispensable car,
comme il a été précédemment souligné3149, l’abus de biens sociaux ne concerne que certaines formes sociales
même si aucun argument suffisant ne justifie cette disparité. Pour les autres, parmi lesquelles on peut citer la
société en nom collectif et la commandite simple, l’abus de confiance demeure le fondement répressif
classique3150. II en va de même pour les formes sociales sans personnalité morale comme la société en
participation3151 et la société de fait. A cet égard, même lorsque la société est d’une forme sociale pour
laquelle l’abus de biens sociaux est prévu, le délit ne sera pas applicable tant que la société n’aura pas été
immatriculée. Les éventuels détournements effectués encourent alors la qualification d’abus de confiance3152.
Cette dualité de base répressive pour des comportements identiques est injustifiée et porte atteinte à l’égalité
devant la sanction pénale, les peines encourues étant sensiblement différentes entre les deux délits. La
suppression de cette « tare juridique » entraînerait une unification qui paraît souhaitable à bien des égards.
Cela permettrait en outre d’éviter, dans de nombreuses hypothèses, que les dirigeants sociaux soient
doublement exposés aux poursuites pour un même comportement abusif3153.

Mémento de droit pénal, 1ère Ed. Livre de poche, 2011 ; BELLOULA (T), Le Droit pénal des affaires et des sociétés commerciales, BERTI
Editions, 2011 ; BOULOC (B), Droit pénal général, Fnac, 2011.
4 ‫ا‬ ‫ و< ` ان ا‬." E o1 9 %63 D‫ اوا‬K G 4 f C‫ او‬+ 0 ] k ‫ ذ‬U N ‫ ا [ ة‬f] ‫ ھ اذا‬# M ‫ا‬ ‫ ا‬M ‫!* ا ا‬4$ ": 8 + ‫ م اع‬542 V]/ ‫ ﺟ ء‬3145
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3146
Les arts 146, 158 et 223 CSC.
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3148
PRADEL (J), Droit pénal économique, 2éme Ed. Dalloz, Paris, 1990, p.4.
3149
V. supra, n° 77.
3150
Cass. Crim. Fr., 5 oct. 1960. Bull. crim., n°422, 3 Oct. 1963, D. 1963, p. 734 ; Rev. Soc. 1964, p. 35; 28 juin 1966, Bull. crim., n° 176, 13
janv. 1970, Bull. Crim., n° 176, 13 juin 1983, Bull. crim., n° 177 ; Rev. Soc. 1984, p. 813, note B. BOULOC ; 27 janv. 1986, Bull. crim., n°34 ;
Rev. Soc. 1987, p. 273, note B. BOULOC.
3151
Cass. Crim. Fr., 26 juin 1973, Bull. crim n°297 ; 16 avril 1975, D. 1976, p. 77, note J-CL. BOUSQUET ; 28 oct. 1981, Bull. crim, n°283
3152
Cass. Crim. Fr., 10 mai 1993, Bull Joly 1993, p. 849, note P. LE CANNU
3153
L’abus de biens sociaux et l’abus de confiance étant deux infractions différentes, la relaxe du chef d’abus de confiance ne met pas obstacle à la
poursuite pour abus de biens sociaux (V. Cass. Crim. Fr., 2 avril 1990, Bull crim. n° 141 ; D. 1990, somm. p 375, obs. J. PRADEL). L’article 132
bis CPP ne permet pas heureusement une telle poursuite car, ajouté au code de procédure pénale par la loi n°93-114 du 22 novembre 1993, il
dispose qu’« aucune personne acquittée ne peut être de nouveau poursuivie en raison des mêmes faits, et ce même sous une qualification
différente ».

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

En attendant la consécration dudit principe en droit pénal, les différentes spécificités de la matière des
affaires, en général, et la concentration, en particulier, ne seront nullement prises en compte si une formation
continue des juges n’est pas fortement assurée et bien mise en place.

II- La nécessaire formation des juges en matière de concentration


653- Chaque fois qu’un président ou gérant de société, en Tunisie, signe un document, donne un
ordre à son personnel ou à son partenaire commercial, il peut et même devrait se demander quelle peine de
prison ou d’amende pénale encourt-il ? Pour obtenir le discernement entre ce qui est autorisé et ce qui ne l’est
pas, il n'est d’autre remède que de moderniser la justice dans le pays et organiser sérieusement la formation
des magistrats spécialisés dans le droit commercial, le droit des sociétés, en matière de concentration… et ce,
afin de pouvoir procéder en la matière à la plus large dépénalisation possible.

654- Afin que la justice devienne véritablement efficace dans le domaine de la concentration, elle
doit être munie des techniques avancées de l'informatique et des idées actuelles portant sur l'organisation et les
méthodes de travail. Il est également nécessaire qu'elle se charge de la formation des magistrats, considérée
actuellement comme étant un enjeu essentiel3154. Pour faire évoluer la justice on doit miser sur la formation
des juges, encore faut-il que ces derniers soient choisis parmi les meilleurs candidats : les plus intelligents et
rusés3155 ! N’a-t-on pas affirmé qu’ « avec de bons magistrats, les mauvaises lois peuvent encore être
supportables »3156. En effet, la formation des magistrats en charge de la régulation économique est une des
clés pour améliorer la qualité et la rapidité des procédures. D’un point de vue quantitatif, elle permet des gains
de productivité et donc une amélioration de la rapidité de traitement des procédures, qui est une des critiques
majeures du contentieux pénal des affaires, trop souvent décalé par rapport au temps économique. D’un point
de vue qualitatif également, elle permet, par une meilleure connaissance du monde de l’entreprise et du droit
économique, de cibler la répression et maitriser les ordonnances de non-lieu et les jugements de relaxe. La
formation des acteurs est donc un gage de qualité et d’efficacité3157. Elle nécessite à l’évidence, à l’instar de
nombreux pays européens, un effort budgétaire significatif.
En outre, beaucoup d’acteurs économiques ont mis en avant la difficulté de communiquer avec le
monde judiciaire du fait de la méconnaissance mutuelle des mondes respectifs des chefs d’entreprises et des
magistrats. Cette amélioration de la formation doit donc être l’occasion de favoriser un dialogue, essentiel
pour renforcer à la fois la confiance des chefs d’entreprises dans la justice, mais également une meilleure
perception des magistrats de la matière économique.
Elargir les connaissances des juges, en matière des affaires, s’avère donc nécessaire, voire urgent pour
qu’ils puissent apprécier et juger de la situation générale d’une entreprise, de la responsabilité respective de
chacun des intervenants de la vie sociale, et de ne plus être aveuglément soumis et liés par les avis des
différents experts, sans jamais pouvoir contrôler leurs affirmations.

655- Actuellement, la plupart des magistrats n’ont pas de formation particulière pour exercer des
fonctions juridictionnelles dans le domaine économique et plus précisément en droit de la concentration. Leur
formation se fait le plus souvent au fur et à mesure des dossiers, et c’est l’ancienneté dans le service qui
constitue la plupart du temps leur meilleure formation et leur légitimité dans la matière économique. Il
n’existe ainsi pas de stages en entreprise, ni de formation particulière, hormis quelques jours de formation
continue facultatifs, avant la prise d’un poste dans le domaine économique et financier. A l’inverse, d’autres
administrations ont mis en place de véritables processus de spécialisation depuis quelques années. C’est le cas
de la gendarmerie nationale, qui investit de manière importante dans la formation, en faisant dispenser à ses
officiers une formation spéciale dans divers domaines juridiques.
Ainsi, la mise en place de formations d’une durée assez longue, en comptabilité ou en analyse
financière, en partenariat avec des écoles ou des institutions spécialisées pourrait être envisagée. Aussi, à
3154
VIDIGAL (E), Le point de vue du juge judiciaire et du juge administratif, L'expérience du brésil, LPA, 21 décembre 2006 n° 254, p. 15.
8g ‫ ا‬8G ‫ ا‬G $ ‫ أن‬I + ‫ ن‬0 P ‫ ن ا‬$ KG .‫ ء‬CD ‫ و ا‬4L/ ‫ ذوي ا‬M ‫ ان‬N ‫ ء ا‬q‫ ا ء ھ‬F+‫ أ‬I + a K A‫ ر‬8G ‫ ا ء‬V 7 8 ‫ و ا <` ا‬8g ‫ ا‬M+ $ ‫ وﺟ ب‬I ‫ ﺟ‬U ‫ " ا‬3155
، ^‫ا‬ ‫ ا‬9 4 ‫ ا‬،=FP ]1 ‫ أ‬." + ‫ ا‬M m ‫ ا‬8G Vd ‫ ا‬aG ‫" ھ‬ ‫ داء‬I L ‫ ا‬K # !+ 8 ‫ ا‬+ /P ‫ ا ' ت و ا‬6 ‫ ﺟ‬U ‫ ا‬ML/ ‫ ن‬L K 8 ‫و ا <` ا‬
.# ‫ و‬313 ‫ ص‬،2001-2000 ، +‫ ر‬4 AJ‫ ا‬# ‫ ﺟ‬،‫ راه‬C ‫أط و< ا‬
3156
Citation de Platon parue à la Revue de Droit Infos juridiques, n° 26/27, juin 2007, p 5.
.22 ‫ ص‬،2009 ‫ ﺟ ان‬،71/70 ‫ د‬N ، ‫را‬ ‫ ا‬، d+ ‫ ت ا 'ا ّ ا‬K‫ و ا ّﺟ‬8g ‫ ا‬، -9 , ( 3157

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

l’instar du Brésil, la création d'une école de formation et de perfectionnement des magistrats, ou l’adjonction
d’un établissement-annexe spécialisé en formation continue des juges à l’école de magistrature, rendra
d'autant plus efficace le processus de sélection des magistrats et leur formation supérieure, promouvant ainsi
l'acquisition continue de connaissances effectivement tournées vers les carrières juridiques3158. James Zhan,
économiste de renommé, considère que le Brésil continue d'être le pays le plus attractif en Amérique Latine,
et le flux pour la région se maintient grâce à l’efficacité de sa justice économique assurée par la formation
continue de ses juges surtout en matière économico-financière3159.

656- En sus de l’impératif de formation, une spécialisation de notre justice pénale serait aussi la
bienvenue. Il serait même très utile pour l’amélioration des sanctions pénales que cette spécialisation soit très
poussée pour être centrée sur la connaissance parfaite de tout ce qui concerne les procédés de concentration
des sociétés. Ce mouvement de spécialisation ne cesse, d’ailleurs, de faire tache d’huile dans les Etats
européens, par rapport auxquels on est malheureusement en retrait sur ce point. Ainsi, aux Pays-Bas, le
ministère public dispose d’un parquet spécialisé à compétence nationale pour les affaires économiques et
financières, composé de cinquante procureurs spécialisés et deux cent cinquante collaborateurs. En Espagne,
une division spécialisée du parquet de Madrid a également une compétence nationale pour certaines
infractions économiques ou lorsque l’affaire présente une grande complexité. En Allemagne, des procureurs
bénéficient de formations spécifiques dans le domaine comptable et économique. Au Royaume-Uni, enfin, le
service des poursuites de la Couronne (Office of Public Prosecution) dispose d’une branche indépendante et
spécialisée, le bureau des fraudes graves (Serious Fraud Office)3160.
Une plus grande spécialisation des acteurs du monde judiciaire est donc souhaitable. Elle ne doit
toutefois pas être un obstacle à la carrière des magistrats et doit-être valorisée. C’est une gestion des carrières
par profil, souhaitée d’ailleurs non seulement dans la matière financière mais aussi dans d’autres domaines où
elle s’avère nécessaire. Ainsi, les contentieux de la propriété intellectuelle ou de l’environnement font
également l’objet de demandes de meilleure prise en compte de la technicité de ces matières et donc de besoin
de spécialisation.
Mieux former les magistrats à la matière financière et au monde de l’entreprise implique en réalité une
rupture avec la gestion de la carrière actuelle des magistrats. Il faut changer les mentalités et mettre en place
une véritable gestion des ressources humaines, qui ne s’appuie plus uniquement sur l’ancienneté dans le grade
mais aussi sur les compétences dans une matière spécifique et sur la formation dans ce domaine. Si de
nombreux rapports ont plaidé pour cette spécialisation, il devient urgent que cette dernière devienne une
réalité, à travers une meilleure utilisation des compétences des magistrats. C’est la confiance des entreprises
dans le système judiciaire qui est ici en jeu3161.

657- De surcroît, il faut garder présent à l’esprit que la lenteur des procédures judiciaires,
caractéristique principale de notre justice civile et commerciale, est antagonique aux impératifs de la
concentration des sociétés. La solution consiste à augmenter le nombre et l’effectif des magistrats et des
greffiers, et la création de nouveaux tribunaux. La loi intervient, à différentes reprises3162, afin de fixer des
délais pour l’examen des affaires, mais cela n’est pas suffisant3163.
Dans le même esprit, même s’il ne s’agit pas d’un mécanisme de substitution stricto sensu, la
formation des entrepreneurs semble être également un efficace outil de limitation de la transgression de la
norme, celle-ci étant parfois méconnue. Une amélioration des offres de formation, notamment à l’attention des
dirigeants de petites et moyennes entreprises, pourrait faire l’objet de la part des organismes professionnels et
des chambres de commerce et de l’industrie d’une étude approfondie.
Il parait donc urgent de désenclaver les esprits. Le rapprochement culturel entre le monde judiciaire et
le monde de l'entreprise doit être facilité, notamment par la réforme de la formation des magistrats, et les chefs

3158
VIDIGAL (E), Le point de vue du juge judiciaire et du juge administratif, L'expérience du brésil, art. pré., p 15.
3159
Ibidem.
3160
Rapport de dépénalisation, précité, p 85.
3161
Ibidem.
9‫ ﺟ ا‬M ‫ ة‬K# ‫ا‬ ‫ ا‬U N ‫ ض‬/+ ‫ ا ي‬، 34 ‫ و ا‬N L ‫ و ا‬G ] ‫ ا‬+ " # ‫ ا‬2011/11/02 8G ‫ ا ] در‬115-2011 ‫ د‬N ‫ م‬A ‫ ا‬،‫ ل‬d ‫ ا‬V A U N ،6‫ُ اﺟ‬+ 3162
. + 3N ! ‫] ه‬7‫ أ‬V‫ أﺟ‬8G 6 ‫ ع ا‬g 8G ‫ رى‬3 ‫ة ا‬ f $ ‫ أن‬G ] ‫ا‬
3163
Colloque « La modernisation et la réforme des législations commerciales en Tunisie », organisé par le Ministère du Commerce, de l’Industrie
et de l’Artisanat et le Centre Arabe de la primauté de loi et l’intégrité, I.J., n° 80/81, décembre 2009, p 14.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

d'entreprise doivent être davantage sensibilisés aux règles du droit pénal qui continueront, malgré toutes les
critiques formulées, de régir la vie des affaires.

658- Au-delà du « toilettage » tant attendu du droit pénal des affaires, l'audace réformatrice invite à
repenser pleinement ce domaine juridique, en mesurant son impact sur l'activité économique et en faisant fi
des attaques politiciennes de collusions avec le supposé « pouvoir économique ». De même, une réduction de
la pression fiscale pesant sur les plus entreprenants est une politique d'efficacité économique et de
rétablissement de la justice fiscale, et non un « cadeau fait aux riches ». La dépénalisation du droit des affaires
est un signal positif à donner à ceux qui, jour après jour, travaillent pour innover, gagner des marchés et
embaucher, et qui ne peuvent se déployer sereinement dans un climat de suspicion sous la menace d'une
répression touffue et disproportionnée. Mais, le plus difficile sera sans doute de changer les mentalités des
parlementaires tout d'abord, pour qui le pénal constitue la norme en matière de sanction, des magistrats ensuite
qui estiment souvent que le pénal demeure le meilleur moyen de rappeler leurs obligations aux justiciables,
des citoyens enfin, pour qui le pénal conserve tout l'attrait attaché au besoin de vengeance3164. On peut
toutefois se demander si les résultats seront à la hauteur des ambitions affichées et s'il ne faudrait aller au-delà
en engageant des réformes plus ambitieuses pour adapter notre système de sanctions et en renforcer
l'efficacité.

659- Cet arbre qui a acquis une véritable maturité, a-t-il toujours vocation à croître ? Va-t-il être
élagué ? Le droit pénal de la concentration est aujourd'hui à un moment fort important de son existence : va-t-
il poursuivre son évolution ? Va-t-il être réduit à sa plus simple expression par le biais d'une dépénalisation
massive de la vie des affaires3165 ? En premier lieu, la dépénalisation du droit de la concentration ne doit pas
ouvrir la porte à tous les abus. Par conséquent, il faut prévoir une sanction de remplacement efficace civile ou
administrative afin d'encadrer les obligations des professionnels en les contraignant à exécuter l'obligation
éludée. Cela ne traduira pas forcément un allégement de la responsabilité des dirigeants, car une sanction
civile ou administrative effective peut être bien plus lourde qu'un risque de sanction pénale jamais appliquée.
En second lieu, il ne faut pas se tromper sur les conséquences d'une perte de pouvoirs du juge pénal au profit
des autorités de régulation telles que le conseil de la concurrence ou le conseil du marché financier. Ce
transfert de compétences qui certes, fait reculer le droit pénal risque de se traduire en réalité par un
renforcement de la sanction, car ces autorités ont des pouvoirs « sanctionnateurs » qui ressemblent
étrangement à ceux du juge pénal sans en présenter toutes les garanties.

Le droit pénal des sociétés est issu de deux droits aux logiques a priori antinomiques. D’une part le
droit pénal, censé défendre des valeurs essentielles à l’ordre social dans son ensemble et qui dispose à cet effet
du pouvoir de fulminer des peines. D’autre part, le droit des sociétés et plus précisément le droit de la
concentration, qui a pour rôle de régir au mieux des intérêts particuliers et qui sert le plus souvent des
impératifs d’efficacité et de rapidité. L’un est rigoureux par essence, théoriquement inflexible pour ceux qui le
violent, l’autre se doit d’être souple, adapté aux exigences de ceux qui l’emploient.
Autre aspect essentiel du droit pénal, celui-ci ne doit intervenir qu’en dernier lieu, qu’après l’échec,
constaté ou évidemment prévisible, de tous les autres modes de prévention ou de sanction. En doctrine, le
droit pénal est théoriquement l’ultima ratio3166. Le seuil d’intervention du droit pénal est en fonction de
l’efficacité des mécanismes civils ou administratifs destinés à protéger les valeurs communes d’une société.
Comme le montre l’évolution historique, alors que le droit archaïque recourait fortement à la régulation
pénale, le droit moderne est issu du remplacement progressif de celle-ci par des dispositions non-pénale
généralement civiles, opérant ainsi la civilisation des rapports sociaux3167. Ainsi que l’a très justement écrit M.
G. Levasseur « C’est à la minceur de son droit pénal que l’on juge du degré de civilisation d’un Etat et de
l’harmonie entre ses citoyens »3168. Ce caractère subsidiaire est aujourd’hui exprimé par le principe à valeur
constitutionnelle de la nécessité de la loi pénale, affirmé par le Conseil constitutionnel français d’après
3164
SIMON (J), La loi du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels : un premier pas vers une dépénalisation du
droit ?, LPA, 21 septembre 2001 n° 189, p. 4.
3165
MASCALA (C), Propos liminaires sur le droit pénal des affaires, LPA, 18 juin 2008, n° 122, p. 3.
3166
STEFANI (G), LEVASSEUR (G), FIOULOC (B), Droit pénal général, 18° éd., Précis Dalloz 2003, n°31, p. 26 ; RASSAT (M-L), Droit
pénal général, 2 éd. PUF, 1999, n°84, p. 102.
3167
MERLE (R) et VITU (A), Droit pénal général, op. cit., n°7, p. 32.
3168
Le problème de la dépénalisation, APC, 1983, p 53.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. On aurait tant aimé voir un tel
principe consacré en droit tunisien !

Sous l’angle du droit comparé, il apparaît nettement que la légitimité du recours à la sanction pénale en
matière de sociétés n’est nulle part contestée. Tout au contraire, les législations sociétaires étrangères
contiennent souvent bon nombre de dispositions pénales. C’est le cas, de manière très nette, du droit anglais
qui compte théoriquement davantage encore d’infractions que le droit français et par ricochet du droit
tunisien. Mais si tous les pays recourent à la sanction pénale, encore faut-il noter qu’ils le font de manières
fort diverses. Ainsi dans les pays de la Common Law, les contraventions sont fréquentes bien plus qu’en droit
français et tunisien3169. En Allemagne, les dispositions applicables aux sociétés ne leur sont pas spécifiques et
les délits commis en leur sein sont réprimés d’après les incriminations du droit pénal commun. Par ailleurs,
une distinction assez nette apparaît presque toujours, au regard de l’importance de la peine encourue, entre les
comportements intrinsèquement malhonnêtes et les autres comportements susceptibles d’être réprimés. Seul le
droit américain se distingue par le libéralisme de ses solutions et, au niveau du droit fédéral, par sa dichotomie
selon que la société est cotée ou non. Cette distinction importante des règles pénales applicables en fonction
de ce dernier critère est appelée à se masquer plus fortement encore dans les années à venir. Les récentes
fraudes comptables qui ont aboutit aux faillites de certains fleurons de l’industrie américaine vont
nécessairement se traduire par une augmentation sensible des dispositions pénales au niveau fédéral et ce,
vraisemblablement, pour les seules sociétés cotées3170. Mais, quelle que soit l’importance de la société, ce qui
est perdu au pénal est de toutes façons largement repris au civil. Aux Etats-Unis, l’ampleur des actions de
nature civile montre le choix très net d’opérer la régulation du droit de la concentration non pas au moyen de
la sanction pénale mais par la responsabilité civile qui peut alors être employée comme une véritable sanction.
On retrouve là une conception libérale selon laquelle l’individu doit faire valoir personnellement ses droits,
l’action des pouvoirs publics devant être exceptionnelle dans la sphère des intérêts privés. Reste que d’une
manière générale dans la plupart des pays, la responsabilité civile tend à occuper une place plus importante
qu’en Tunisie et de plus en plus, celle-ci prend appui sur la violation des obligations fiduciaires imposées aux
dirigeants.
Manifestement, l’apport du droit comparé est assez explicite sur le fait que la répression pénale en
droit des sociétés doit demeurer mesurée et se concentrer sur les comportements les plus véritablement
frauduleux ou malhonnêtes ; là réside d’ailleurs sans nul doute le « fonds pénal commun » aux divers droits
étrangers. Mais en tout état de cause, la sanction pénale ne saurait être le principal moyen de parvenir à
l’observation des règles sociétaires édictées par le législateur. D’autres modes de régulation existent comme
l’atteste la large place faite à l’étranger aux actions de nature civile et administrative. C’est bien là un des
bien-fondés de la théorie générale des abus en matière de procédés de la concentration.

Au final, pourquoi parler de dépénalisation, mot équivoque qui provoque dans l’opinion un rejet à
l’heure même où l’on réclame plus de sévérité pour les délinquants «ordinaires» ? Il s’agit plutôt d’une
«civilisation » : rendre au civil ce qui appartient au civil. Cette entreprise salutaire doit être accompagnée d’un
effort de communication pour faire comprendre qu’il s’agit de faciliter la vie des entrepreneurs, pas de couvrir
les « patrons voyous ». Ce recul d'ampleur du droit pénal devrait naturellement être compensé par un regain
des solutions extra pénales afin de ne pas laisser certaines dispositions orphelines de toute sanction. La nullité
et l'injonction de faire sous astreinte pourraient ainsi être étendues à davantage d'hypothèses3171. Des voies
novatrices pourraient également être empruntées, telle la peine privée dont les abus des punitives damages
américains ont certes altéré l'image3172 mais qui intéresse de longue date une importante doctrine3173. L'utilité

3169
V. de façon générale : SEROUSSI (R), Introduction aux droits anglais et américains, DUNOD, 2011.
3170
Ibidem.
3171
D’après la doctrine française, la nullité, déjà prévue en cas d'omission de la feuille de présence des assemblées de SA (art. L. 225-121, al. 1er)
pourrait aussi s'appliquer aux délibérations pour lesquelles il n'est pas établi de procès-verbal (pour l'heure, seule des sanctions pénales sont
prévues : art. L. 242-7, L. 242-15, 3°, L. 245-13). L'injonction de faire, récemment promue par la loi NRE, pourrait s'appliquer également aux
obligations de convoquer et de réunir certaines assemblées, de communiquer ou d'établir certains documents (par exemple ceux dont la non-
communication est sanctionnée aux arts. L. 242-12, L. 242-13 ou L. 242-7, 1°), ou encore à des obligations d'accomplir certaines formalités (par
exemple celles dont la méconnaissance est actuellement sanctionnée aux arts. L. 241-6, 2°, L. 242-29, 2° ou L. 247-6, 1°).
3172
TUNC (A), Où va la responsabilité civile aux États-Unis ?, RID comp., 1989, p. 711. V. aussi Courrier international, no 645, 13 mars 2003, p.
62, « Justice américaine : la bêtise, ça paie » qui évoque les Stella Awards, du nom d'une plaignante ébouillantée par son propre café, palmarès des
décisions judiciaires les plus aberrantes.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

de cette « sanction infligée en matière civile à titre de punition et non de réparation »3174 réside justement
dans ce double caractère à la fois « pénal » et « privé ».
En définitive, plusieurs mécanismes de substitution sont possibles : civils ou administratifs, a priori ou
a posteriori, existants ou à créer. Une analyse approfondie des sanctions extra pénales, dans le but de les
renforcer, permettra de déterminer dans chaque branche du droit des affaires, notamment en matière de
concentration, comment les infractions pourront être dépénalisées.

Chapitre Deuxième : Unification par renforcement


des sanctions extra pénales dans les procédés de
concentration
660- L’étude du régime curatif extra pénal de l’abus permettra de relever certaines sanctions prévues
expressément par la législation applicable aux procédés de concentration qui, une fois améliorées, peuvent
contribuer à l’édification d’une théorie juridique en ce domaine. Mais l’analyse de la notion d’abus dans ses
diverses facettes oblige à revoir la question de ce régime avec beaucoup de précaution et d’attention, car c’est
un fait patent que le régime pénal, déjà étudié, va de pair avec celui extra pénal. L’un a besoin de l’autre et on
peut même dire qu’assez souvent, l’un est le corollaire de l’autre. Cette corrélation est indispensable pour
asseoir les piliers nécessaires à une théorie générale de l’abus dans les procédés de concentration.
Dans cette optique, il semble permis d’avancer, d’ores et déjà, un jugement de valeur qu’on aura à
vérifier. Ayant déjà démontré, lors du chapitre dernier, que les sanctions pénales sont à la fois plurales,
excessives, voire parfois injustifiées, les sanctions extra pénales qui les accompagnent ne vont certainement
pas échapper à ces aspects négatifs qui influent d’une manière ou d’une autre sur l’harmonisation, la
concordance ainsi que l’efficacité des règles juridiques dont dépend tout régime curatif. Ce n’est, certes, qu’à
la condition de réussir une telle harmonisation qu’on pourrait parfaire les contours d’une théorie juridique de
l’abus dans les procédés de concentration des sociétés.

Appliqué à l’abus dans les procédés de concentration, le régime curatif se compose, en plus des
sanctions pénales, de deux autres formes de sanctions extra pénales, les unes civiles, les autres
administratives. Les sanctions civiles spécifiques à l’abus paraissent certes éparpillées et désorganisées, mais
aptes à constituer un agrégat d’instruments juridiques pouvant participer à la « lutte » civile contre les abus
perpétrés et, donc, faciliter l’édification d’une théorie générale dans le cadre des procédés de concentration
(section 1). Au contraire, la situation juridique semble alarmante concernant les sanctions administratives
constituant, de la sorte, un obstacle à toute répression des abus les plus graves et les plus nuisibles (section 2).
Ces deux types de sanctions se doivent d’être ajustées et renforcées pour pouvoir en dégager une théorie
juridique en cette matière.

Section Première : Le regain des sanctions civiles à


l’aune des procédés de concentration
661- La dépénalisation, développée au chapitre précédant, entrainant obligatoirement la suppression,
ou du moins la réduction de la sanction pénale de certains abus, en matière de concentration, ne les laisse

3173
HUGUENIN (L), L'idée de peine privée en droit contemporain, Th. Dijon, 1904 ; STARCK (B), Essai d'une théorie générale de la
responsabilité civile considérée en sa double fonction de garantie et de peine privée, Th. Paris, 1947 ; CARVAL (S), La responsabilité civile dans
sa fonction de peine privée, préf. G. Viney, LGDJ, 1995 ; VINEY (G), Introduction à la responsabilité, Traité de droit civil, sous la direction de J.
Ghestin, LGDJ, 1995, 2e éd, nos 74-3 et s., p. 122 et s. ; CREMIEUX (M), Réflexions sur la peine privée moderne, In Etudes offertes à P. Kayser,
PUAM, 1979, t. 1, p. 261 et s.
3174
CORNU (G), Vocabulaire juridique, Association H. Capitant, PUF, 2000, 8e éd., vo « Peine ».

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

nullement orphelins de toutes sanctions. Celles civiles ont une vocation naturelle à prendre le relais. Certains
abus une fois décriminalisés, ne nécessitent pas d’autres sanctions que l’application ordinaire des règles
civiles. D’une manière générale, il est souhaitable que les abus de faible gravité n’appellent qu’une sanction
civile plutôt qu’une répression pénale aussi sévère que négative.

On tentera, dans cet ordre d’idées, de déterminer et analyser les sanctions civiles applicables aux abus
dans les procédés de concentration dans deux directions. La première sera consacrée à la nullité, cette sanction
civile dont le champ d’application large et étendu en droit de la concentration laisse le juriste perplexe et
désorienté, on proposera alors une réorganisation nécessaire de son champ d’intervention en cette matière bien
précise (Sous-section première). La seconde direction se rapportera, au contraire, à l’extension souhaitée du
domaine des autres sanctions civiles (Sous-section deuxième).

Sous-section Première :Un « toilettage » nécessaire


de la sanction de nullité dans les procédés de
concentration
662- « Il est des questions qui, telle la tête de l'hydre, ressurgissent périodiquement alors qu'on les
croyait définitivement réglées »3175. Ainsi, la diversité des sanctions frappant l'acte juridique abusif3176
représente une source continuelle de discussion doctrinale et de divergence jurisprudentielle. Mais parmi
l'éventail de ces sanctions, il en est une qui, à l'heure actuelle, mérite qu'on s'y attarde en raison des
interrogations et des incertitudes qu'elle soulève. La nullité3177 est, en effet, à l'origine d'un débat qui, bien
qu'ancien, demeure toujours contemporain et renouvelé3178.
En réalité, conformément à la finalité du contrôle de l’abus, la sanction logique et habituelle consiste
dans l’inefficacité de l’acte abusif, ce qui se traduit le plus souvent par la nullité dudit acte. Laquelle constitue
alors la sanction la plus évidente de l’abus car il s’analyse en une illégalité, l’acte le cristallisant se voit alors
entaché d’irrégularité3179. Mais, qu’on le veuille ou non la remise en cause de la validité d’un acte par le biais
du prononcé de la nullité de ce dernier est toujours considérée comme étant une sanction grave et
destructrice3180. D’autant plus que le domaine de la nullité a envahi le droit des sociétés, d’une manière
générale, et celui des procédés de concentration, d’une manière particulière. Son champ d’application est
devenu trop large et son régime, la plupart du temps flou, et imprécis. Ce qui est contradictoire avec les
impératifs qui sous-tendent la matière, principalement l’impératif de promotion et d’incitation de la
concentration. Il fallait donc orienter la réflexion vers une réorganisation ou un certain « toilettage » de la
nullité afin qu’elle s’accommode davantage à la concentration et ne constitue point un obstacle devant toute
lutte efficace contre les abus qui freinent assez souvent l’épanouissement des groupes de sociétés, des
opérations de fusion ou de scission. Ce toilettage passera nécessairement par deux étapes différentes mais
complémentaires : le rétrécissement du domaine de la nullité vu le laxisme évident qui imprègne cette
sanction, cela ne peut-être fait que par l’institution du principe « pas de nullité sans texte » dans les procédés
de concentration des sociétés (-§1-) et la précision de la portée de cette même sanction pour certains abus liés
aux mêmes procédés (-§2-).

3175
RASKIN (E), Une nébuleuse frontière entre nullité de forme et nullité de fond, Gaz. Pal., 13 décembre 2008 n° 348, p. 13.
3176
TERRE (F), SIMLER (PH) ET LEQUETTE (Y), Droit civil, Les obligations, 6ème éd., Précis Dalloz, 1996, p. 67 et s. ; MALAURIE (PH)
ET AYNES (L), Droit civil, Les obligations, éd. Cujas, 1996, p. 307 ; CHARBONNIER (A), Droit civil, Les obligations, 5e éd., 1995,
Montchrestien, p. 114 s. ; STARCK (B), ROLAND (H), BOYER (L), Obligations, 5ème éd., 1995, Litec, p. 367 ; CARBONNIER (J), Les
obligations, 19ème éd., 1995, Thémis Droit privé, P.U.F., p. 184 s. ; MAZEAUD (H), MAZEAUD (L), MAZEAUD (J) ET CHABAS (F), Leçons
de droit civil, Obligations, Théorie générale, 8ème éd., 1991, Montchrestien, p. 279.
3177
En droit, est frappé de nullité un acte invalide, soit qu'il n'a pas été formé avec le formalisme imposé, soit qu'il lui manque un élément essentiel.
Un acte nul est détruit et ses conséquences sont, dans la plupart des cas, supprimées rétroactivement, comme s'il n'avait jamais été formé. La nullité
sanctionne les conditions de formation d'un contrat tandis que la résolution sanctionne l'inexécution ou la mauvaise exécution de l'obligation.
3178
BESROUR (N), Approche en vue d’une sécurisation du système de sanction des règles de formation du contrat, I.J., n° 44/45, Avril 2008, p
24.
3179
MORACCHINI-ZEIDENBERG (S), L’abus dans les relations de droit privé, Presses Universitaires d’Aix-Marseilles, 2004, p 368, n°682.
3180
GUESTIN (J), Traité de droit civil, Les obligations, 2ème édition, LGDJ, 1988, n° 895.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

-§1- : Pour une institution du principe « pas de nullité


sans texte » dans les procédés de concentration
663- Souvent citée comme le parangon de l'inadaptation des règles civiles au droit des sociétés3181, la
nullité recèle bien des clefs pour celui qui s'interroge sur le sort de la sanction civile en cette matière si
spéciale, et particulièrement en droit de la concentration.
Si le législateur prévoit parfois expressément que la violation de la règle qu’il édicte entraîne la nullité,
il omet le plus souvent de préciser la sanction3182. A bien lire tous les textes du livre cinq du CSC et
notamment ceux relatifs aux fusions, transformation, scission et groupe de sociétés, on ne peut que remarquer
l’absence d’une disposition unique et générale relative à la nullité de ces procédés. La doctrine est presque
actuellement « unanime à admettre qu’il peut y avoir nullité alors même que la loi n’aurait pas prévu la
sanction de manière expresse et explicite »3183. A cet égard, on a présenté plusieurs explications. C’est ainsi,
qu’on a avancé que « la nullité doit être prononcée dans le silence de la loi, quand l’intérêt qu’elle vise à
sauvegarder est assez important pour justifier cette sanction et est mis assez gravement en danger par
l’inobservation de la loi »3184. Il va sans dire que cette explication n’est pas suffisante et son critère n’est pas
facile à appliquer3185. Une autre explication faisant appel à la volonté du législateur a été présentée, selon
laquelle la nullité pourra être prononcée en vertu de la volonté tacite de ce dernier3186. Mais encore faut-il
déterminer les cas où « le législateur a eu l’intention de sanctionner par la nullité des actes contraires à une
disposition impérative ou prohibitive édictée par lui »3187. Ne faudrait-il pas dès lors, en l’absence d’un critère
de caractère général, étudier « pour chaque cas particulier dans lequel la question se présentera, l’esprit de la
loi et les motifs qui ont fait édicter l’ordre ou la défense »3188 ? M. Jacques Ghestin estime, de son côté, qu’il
faut surtout que la nullité soit prononcée chaque fois qu’elle constitue la sanction la plus efficace à la règle
transgressée3189.

664- Si l’admission sans grandes difficultés des nullités virtuelles3190, en droit français, est facilitée
par le fait qu’aucun article général du code civil ne prévoit la nullité des actes faits contrairement à ses
dispositions, aucun texte général ne dispose, non plus, que seuls seront nuls les actes dont la loi en a édicté la
nullité expressément3191. Il n’en est pas de même en droit tunisien où le C.O.C. a délimité le champ
d’intervention de la nullité et l’a soumis à des conditions déterminées. Dès lors, les nullités virtuelles
paraissent être exclues3192.
Ainsi, l’article 325 du C.O.C. a déterminé les cas de nullité de plein droit. Cette sanction est encourue
aux termes de cet article dans les cas suivants : « 1) lorsqu’elle (l’obligation) manque d’une des conditions
substantielles de sa formation ; 2) lorsque la loi en édicte la nullité dans un cas déterminé ».
Il découle de ce texte que les cas de nullité de plein droit3193 sont déterminés limitativement.
Concernant le premier cas de l’article 325, c’est l’article 2 du C.O.C3194 qui énumère « les conditions

3181
HONORAT (J), Les nullités de constitution de sociétés, Defrénois 1998, 491 ; même auteur, Nullités, Rép. Soc., Dalloz, mars 1997 ;
RIPERT (G) ET ROBLOT (R), par M. Germain et L. Vogel, Traité de droit commercial, t. I, 17ème éd. 1997, n° 1491 et s.
3182
BESROUR (N), Sanction des règles de formation du contrat et le maintien du rapport contractuel, Thèse, FDSPT, 2001, p 171, n° 136.
3183
IONASCO (T-R) et BARASCH (E-A), La conception de la nullité des actes juridiques dans le droit civil socialiste roumain. Préface de Marc
Ancel, L.G.D.J, Paris, 1978, n°7, p 22.
3184
PLANIOL (M) ET RIPERT (G), Traité pratique de droit civil français., T. VI, Obligations, 1ère partie avec le concours de Paul Esmein, cité
par IONASCO (T-R) et BARASCH (E-A), op, cit , note 62, p23.
3185
Ibidem.
3186
MAZEAUD (H), MAZEAUD (L) et MAZEAUD (J), Leçons de droit civil, par Michel de Juglart. T. I, 1ère volume, Introduction à l’étude du
droit, Droits Preuves Personnes, n°349 ; CAPITANT (H), introduction à l’étude du droit civil, notions générales, n°277.
3187
CAPITANT (H), op.cit. n°277
3188
Ibidem.
3189
GHESTIN (J), op. cit., n° 728, p.867.
3190
En principe, les nullités sont virtuelles, c'est-à-dire que le juge peut librement déduire d'une règle l'existence d'une nullité. Il existe une
exception à ce principe lorsque la loi prévoit expressément qu'il n'y aura pas de nullité lorsque le texte ne le prévoit pas. Même si un texte
particulier ne prévoit pas la nullité, le juge pourra prononcer cette sanction en se fondant sur un principe général ou sur une règle d’ordre public.
3191
IONASCO (T-R) et BARASCH (E-A), op.cit. n° 7, p 22.
3192
BESROUR (N), Th. pré., p 172, n°137.
3193
C’est-à-dire nullité absolue.
3194
Aux termes de l’article 2 du C.O.C. « les éléments nécessaires pour la validité des obligations qui dérivent d’une déclaration de volonté sont :
1/ La capacité de s’obliger. 2/ Une déclaration valable de volonté portant sur les éléments essentiels de l’obligation. 3/ Un objet certain pouvant
former objet d’obligation. 4/ Une cause licite de s’obliger ».

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

substantielles de formation de l’obligation ». Quant au deuxième cas de l’article 325 précité, il résulte de ses
termes que le législateur n’admet la nullité « de plein droit », en dehors des situations d’absence d’une des
conditions substantielles de formation, que lorsque la loi en a édicté la nullité dans un cas déterminé. Cette
dernière expression est significative. Elle traduit, en effet, l’interdiction d’étendre le domaine de la nullité au-
delà des cas expressément prévus par la loi. Ce qui semble rappeler le principe énoncé par l’article 540 du
C.O.C aux termes duquel « les lois restrictives et celles qui font exception aux lois générales où à d’autres
lois ne doivent pas être étendues au-delà du temps et des cas qu’elles expriment ». Les textes instituant des
sanctions ne devraient-ils pas être considérés comme textes restrictifs dans la mesure où la validité est le
principe, la sanction est l’exception ? Ne peut-on pas parler du principe de la « légalité des peines » ou des
sanctions, même en droit civil3195 ?
Aussi, le législateur a procédé de la même manière concernant la nullité relative. En effet, l’article 330
du C.O.C. dispose que « l’action en rescision a lieu dans les cas prévus au présent code, aux articles 8, 43,
58, 60, 61 et dans les autres cas déterminés par la loi ».
Il ressort de cette disposition que le législateur a, tout d’abord, énuméré limitativement les cas de
nullité relative prévus par le code des obligations et des contrats. Ensuite il a admis d’éventuels autres cas, à
condition toutefois qu’ils soient déterminés par un texte de loi. Ainsi, le principe de la «légalité des sanctions»
est affirmé à propos de la nullité relative également. Celle-ci ne peut être prononcée que dans les cas prévus
par la loi.
665- De tout ce qui précède, peut-on proclamer l’existence du principe « pas de nullité sans texte »
en droit tunisien ? La réponse affirmative reste encore douteuse à cause de la règle énoncée par l’article 539
C.O.C. selon laquelle « lorsque la loi défend formellement une chose déterminée, qui est fait contrairement à
la loi ne peut avoir aucun effet ». Il résulte apparemment de cet article qu’il suffit qu’il y’ait une défense
formulée par un texte législatif pour que ce qui a été fait contrairement à cette défense soit sans effet. Il est à
noter que le terme « nullité » n’est pas utilisé dans la version française contrairement à la rédaction du texte en
langue arabe qui édicte expressément ladite sanction3196. La version arabe étant celle qui fait foi contrairement
à la rédaction française qui n’a de valeur qu’à titre d’information et de publicité3197.
Le professeur Besrour pense, à ce propos, que le principe formulé par l’article 539 COC ne peut
amener à la nullité de n’importe quel acte conclu en violation d’une règle légale. Il s’agit, en effet, d’un
principe trop général qui ne peut s’appliquer indépendamment des éléments de la théorie de la nullité3198.
L’application de ce principe dans tous les cas aboutirait à une situation négativement laxiste dans la mesure où
on serait amené à annuler n’importe quel acte fait en violation de n’importe quelle loi. Ce qui est démenti par
le droit positif et en contradiction avec les éléments et les impératifs de la conception contemporaine de la
nullité. Cette conception se base sur le but de la règle violée et les effets de l’acte conclu en violation de ladite
règle. Se basant sur l’idée du but de la règle, la nullité ne peut sanctionner que les actes qui contreviennent à
l’objectif que le législateur visait en édictant la règle. S’appuyant sur l’idée des effets de l’acte, la nullité ne
devrait ne pas être considérée comme une mesure dirigée contre l’acte en soi même, mais plutôt comme une
mesure tendant à ce que les effets de l’acte qui sont contraires au but de la règle transgressée ne soient pas
réalisés. L’absence de pareils effets est de nature à priver la nullité de toute raison d’être3199. Dans la
conception moderne de la nullité « l’essentiel c’est le but de la règle et l’efficacité de la sanction »3200.
Ainsi, partant de la conception contemporaine de la nullité, il convient de ne pas appliquer le principe
de l’article 539 d’une manière systématique. La nullité ne doit être, en effet, prononcée que lorsqu’elle est
nécessaire. Cependant, même si on insiste à donner effet à ce texte, il faudra aboutir à circonscrire l’étendue
de son application aux textes prohibitifs, dans la mesure où le dit-article emploie le verbe « défendre »3201. Il
est possible alors de l’interpréter dans le sens qu’il ne vise que les dispositions prohibitives qui défendent des
actes bien déterminés à l’exclusion des dispositions édictant des prescriptions positives ordonnant
l’accomplissement de certains actes.
3195
Le principe de la légalité des peines est l’un des plus importants principes du droit pénal. V. MERLE (R) ET VITU (A), Traité de droit
criminel, T. 1. 5ème éd., Cujas, 1984, n°155 et s., p 223 et s.
."‫ء‬8O a N 84 4+ S‫ ط‬a $‫ ن إ‬C M # ‫ء‬8O MN 8K4 ‫ ح ا ن‬0 ‫ " إذا‬: 8 + U N ‫ م ا ع‬539 V]/ ‫ّ ا‬m4+ 3196
3197
V. Art. 3 de la loi n° 93-64 datant du 05-07-1993 relative à la promulgation de la loi.
3198
BESROUR (N), Th. pré., p 174, n° 137.
3199
IONASCO (T-R) et BARASCH (E-A), op.cit n°3, p 9 et s., et n°44, p.115 et s. Ces auteurs ont mentionné des décisions du tribunal suprême
roumain qui a adopté les données de cette conception. V. Aussi GHESTIN (J), op.cit., n°729, p 869 et 870.
3200
GHESTIN (J), op.cit n° 749, p.887.
3201
Le texte arabe utilise le terme "UK " .

Page 462
DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

666- Si l’existence du principe « pas de nullité sans texte » semble contestée en droit tunisien, son
utilité a été par contre jugée certaine dans quelques matières, et ce « afin de préserver la stabilité d’institution
qui intéressent les tiers et, plus largement, l’intérêt général »3202, tels que les contrats de mariage et de société.
C’est en matière de mariage, qu’on a fait le plus appel au principe « pas de nullité sans texte ». En
droit français, la jurisprudence a posé ce principe, et elle est bien fixée sur ce point3203. On a avancé afin de
justifier cette position que « la stabilité du mariage, indispensable à la société, doit faire admettre un régime
spécial de nullité, exorbitant du droit commun », car en effet « la nullité d’un acte juridique ordinaire n’est
pas de même importance que la nullité d’un mariage, qui provoque l’anéantissement d’une famille »3204. Dans
un arrêt qui date de 1844, la chambre des requêtes française a exprimé clairement cette justification en ces
termes : « attendu que le mariage tient trop essentiellement à l’ordre social pour avoir été imprudemment
livré à toutes les attaques des mauvaises passions ; que la nullité ne peut en être prononcée que sur un texte
formel »3205.
En droit tunisien, le législateur a procédé de la même manière, en énumérant limitativement les cas de
nullité du mariage dans les articles 21 C.S.P et 36 de la loi du 1ère août 19573206.
Si le principe « pas de nullité sans texte » a trouvé droit de cité dans le cadre de la nullité du mariage,
c’est en raison de son importance qui s’est traduite par la volonté d’assurer la stabilité des relations
matrimoniales à telle enseigne que certains auteurs ont dû accorder au mariage une nature institutionnelle3207.
Du coup, ce n’est pas un hasard si pour le contrat de société on a fait aussi appel au même principe pour
arriver à qualifier la société d’institution3208. En effet, le contrat de société ainsi que le contrat de mariage
intéressent les tiers ainsi que toute la société et leur stabilité en est certainement un besoin vital. Comme l’a
bien exprimé un auteur « une société n’a jamais été un contrat ordinaire, mais bien une sorte de mariage - de
raisons certes - qui comme tout mariage, laisse des vestiges qu’on ne saurait effacer sans indûment sacrifier
les intérêts légitimes tant des tiers que des parties »3209. Cependant, si pour le mariage, c’est la jurisprudence
qui a, en droit français, posé le principe « pas de nullité sans texte » ; en matière de société, c’est plutôt le
législateur qui l’a institué en vue de réduire les causes de nullité des sociétés dont le besoin s’est fait sentir de
façon pressante à partir de la création de la communauté économique européenne et le développement des
relations d’affaires au sein des pays membres3210. A cet effet, la proposition de directive publiée par la
commission des communautés européenne le 21 février 19643211 a recommandé aux Etats membres d’instituer
un contrôle préalable et de supprimer la plupart des causes de nullité. S’inspirant de cette directive, le projet
primitif de la loi française de 1966 a prévu un contrôle judiciaire préalable à la constitution de toutes les
sociétés. Cependant, les débats parlementaires ont donné lieu à de très « vives objections »3212. On avait
surtout remarqué que l’institution du contrôle préalable entrainerait nécessairement un alourdissement
important dans la constitution des sociétés3213. Suite à ces critiques, le principe du contrôle préalable fût
d’abord limité aux sociétés par actions et aux sociétés à responsabilité limitée, puis il fût finalement
abandonné. Suite à l’échec du contrôle préalable, la loi du 24 juillet 1966 a décidé de réduire dans la mesure
du possible les causes de la nullité3214 et a affirmé le principe « pas de nullité sans texte »3215 afin d’empêcher
toute extension de ce domaine restreint de la nullité des sociétés. De même, il a été prévu dès le vote de ladite

3202
GHESTIN (J), op.cit n° 749, p.887.
3203
MAZEAUD (H), MAZEAUD (L) et MAZEAUD (J), Leçons de droit civil, par Michel de Juglart. T.I, V.3, Les personnes, éd.
MONTCHRESTIEN, p 159, n° 790.
3204
Ibidem.
3205
Req.12 novembre 1844.D.1845.1.98.
3206
Loi n°57-3 du 1ère août 1957 règlement l’état civil .J.O.R.T n°2 et 3 du 30 juillet et 2 Août 1957.
3207
CARBONNIER (J), Terre et ciel dans le droit français du mariage, Etude Ripert, T. I, p 325.
3208
BESROUR (N), Th. pré., p 184, n° 146.
3209
CHANH (N-X), La nullité des sociétés commerciales dans la loi du 14 Juillet 1966, D. S., 1968, p27.
3210
Ibidem., n° 3.
3211
Adoptée par le conseil le 9 mars 1968. V. G. Ripert. Traité élémentaire de droit commercial .11è éd. par René Roblot. Tome I. L.G.D.J. n°
1013.
3212
RIPERT (G), Op.cit., n° 940, p 66l.
3213
Ibidem.
3214
On peut relever par exemple la suppression dans le domaine des SA et des SARL de la nullité pour défaut d’accomplissement des formalités de
publicité. Aussi, « le législateur s’est encore abstenu d’édicter la nullité lorsqu’il s’agit de réglementer le nombre minimum des associés ou
d’exiger la souscription intégrale du capital social, autant de conditions jusqu’ici considérées comme essentielles ». CHANH (N-X), op.cit.
3215
En effet, aux termes de l’article 360 de la loi du 24-7-1966, la nullité du contrat de société ne peut résulter que d’une disposition expresse de la
présente loi, ou des règles régissant la nullité des contrats.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

loi que le droit français devrait être complété pour qu’il soit conforme aux prescriptions de la directive
européenne en préparation3216. Ainsi, et à la suite de l’entrée en vigueur de la directive du 9 mars 1968,
l’ordonnance du 20 décembre 1969 a diminué encore les causes de nullité3217, et le décret du 24 décembre
1969 a amélioré l’examen qui précède l’immatriculation de la société au registre du Commerce3218.
Cette méfiance à l’égard de la nullité s’est encore confirmée par la loi du 4 janvier 1978 portant
réformes des sociétés3219, en droit français, qui a repris les mêmes techniques adoptées par la loi du 24 juillet
1966 servants à éviter la disparition de la société pour cause de violation des règles de sa formation. Le
Professeur Yves Guyon a justifié l’effacement de la nullité par le caractère public de la naissance de toutes
personnes morales. Il avait affirmé, à cet égard, que « puisque la naissance de toute personne morale a
désormais un caractère public, il fallait, par voie de conséquence, réduire sinon supprimer les nullités qui
risquent de remettre en cause l’apparence ainsi créée. La loi de 1966 avait ouvert la route. Celle de 1978
reprend les mêmes techniques (art. 1839 et 1844-10 et s). La nullité de la société ne peut donc résulter que,
soit des causes prévues par la loi de 1978 elle-même, et elles sont rares, soit de l’une des causes de nullité des
contrats en général. De multiples facultés de régularisation sont prévues. La prescription extinctive est de
trois ans. Enfin, la nullité ne rétroagit pas et ne peut être opposée aux tiers de bonne foi »3220.
La réduction des causes de nullité renforcée par l’admission du principe « pas de nullité sans texte » a
laissé développer le domaine de la responsabilité civile en tant que sanction se substituant à la nullité,
et « devenant en réalité la sanction principale des irrégularités de constitution »3221. En effet, il est aisé de
constater que « cet effacement des nullités est contre balancé par une responsabilité civile des fondateurs.
Celle-ci parait constituer la sanction de droit commun du respect des dispositions impératives de la loi »3222.

En dépit de l’édification d’un nouveau code des sociétés commerciales3223, le droit tunisien des
sociétés reste sur ce point en pleine stagnation, et se trouve encore à l’état du droit français d’avant les
réformes précitées, ce qui est un fait à la fois étonnant et regrettable. En effet, le code des sociétés
commerciales n’a fait qu’édicter des dispositions similaires à celles du code de commerce qu’il a abrogées.
Les causes de nullité demeurent très nombreuses. Elles peuvent résulter de l’inobservation des conditions
requises pour la formation de tout contrat ou des règles générales applicables à toute société3224 ou à toutes les
sociétés commerciales3225, ainsi que les règles spécifiques à une forme particulière de société3226. Du fait de
l’absence du principe « pas de nullité sans texte », ce domaine large de la nullité risque d’être encore étendu
par une éventuelle admission par la jurisprudence des nullités virtuelles. C’est pourquoi une réforme s’impose
en vue de circonscrire les cas de la nullité en les réduisant et en proclamant le principe « pas de nullité sans
texte ». La responsabilité civile ne doit plus faire seulement double emploi avec la nullité, mais il faut plutôt la
développer et la faire substituer autant que possible à cette dernière, d’autant plus que les possibilités de
régularisation n’ont été prévues que pour les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés anonymes3227.

667- Cette lacune législative, déjà déconcertante en droit des sociétés isolées, est d’autant plus grave
et inquiétante dans les procédés de concentration qui nécessitent d’être encouragés et fortement privilégiés,

3216
RIPERT (G), op.cit., n° 940, p 662.
3217
L’ordonnance du 20-12-1969 a complété l’article 360 de la loi du 24-7-1966 par une disposition applicable seulement aux SARL et aux
sociétés par actions. Pour ces sociétés, la nullité ne peut résulter ni d’un vice de consentement, ni de l’incapacité à moins que celle-ci n’atteigne
tous les associés fondateurs, ni de l’existence d’une clause léonine. V. RIPERT (G), Op.cit., n° 941, p. 663.
3218
Ibidem.
3219
Si la loi du 24-7-1966 s’applique seulement aux sociétés commerciales, celle du 4 Janvier 1978 régit toutes les sociétés, s’il n’en est autrement
disposé par des lois particulières. La dite loi régit, en effet, les sociétés civiles ainsi que les coopératives agricoles. V. GUYON (Y), Les
dispositions générales de la loi n°78-9 du 4 Janvier 1978 portant réforme des sociétés, Rev. Soc., 1979, Tome IX, n° 12, p1.
3220
Ibidem.
3221
RIPERT (G), op. cit., n° 1132, p 775.
3222
GUYON (Y), op.cit. Pour la responsabilité civile et pénale .V. RIPERT (G), op. cit., n° 1136 et s., p 777 et s.
3223
Promulgué par la loi n° 2000-13 du 3 novembre 2000. JORT n°89 du 7.11.2000.
3224
V. Par exemple les articles 1252, 1253,1301 et 1302 C.O.C.
3225
A titre d’exemple, l’article 17 CSC dispose que : « L’inobservation des formalités de publicité prescrites par les articles précédents entraîne la
nullité de la société nouvellement constituée et la nullité de l’acte ou de la délibération sous réserve de la régularisation prévue par le présent
code ».
3226
V. Art 104 CSC qui dispose, dans son premier alinéa, qu’« est nulle toute société à responsabilité limitée constituée violation des articles 93 à
100 du présent code ». V. aussi art. 179, du même code, qui dispose qu’ « est nulle et de nulle effet toute société anonyme constituée en violation
des dispositions des articles 160 à 778 du présent code ».
3227
V. Article 179 CSC pour les SA, et l’article 107 du même code pour les SARL. Ces deux textes reprennent exactement les articles 64 et 157
CC (abrogés par la loi portant promulgation du CSC) relatifs respectivement à la SA et la SARL.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

aussi bien par la législation que les pouvoirs publics, et non pas bloqués par des sanctions draconiennes dont
le domaine est si large et les conséquences aussi dévastatrices que la sanction de nullité. En effet cette
sanction peut-être considérée, dans l’état actuel de la législation, très néfaste à la concentration à bien des
égards, ce qui impose une réorganisation de la matière dans un futur proche. Pour s’en convaincre on se
limitera à prendre deux exemples, à titre indicatif, en matière de fusion et scission.

D’après l’article 425 CSC, la nullité de la fusion peut être prononcée pour les trois causes
suivantes : « - nullité de la délibération de l’assemblée qui a décidé l’opération de fusion ; - défaut de
publicité ; - non-respect des dispositions du présent code et des dispositions législatives ou réglementaires
spéciales ». Contrairement aux deux premières causes de nullité qui semblent être bien fondées et assez
défendables, la dernière est, par contre, trop laxiste à telle enseigne que son domaine semble difficile, sinon
impossible, à circonscrire. Ce qui la rend dangereuse car elle élargit grandement le domaine de la nullité et
menace, par la suite, la sécurité et la sérénité de l’opération de fusion3228. En effet, il est impossible de savoir,
en dehors de toute précision législative, quels sont les textes du CSC dont la violation entraine la nullité de
l’opération ? Quelles sont-aussi les lois spéciales ou les règlements dont la méconnaissance annule ladite
opération ? Est-ce que la violation de n’importe quel article applicable à l’opération de fusion entraine
automatiquement son annulation ? Ces différents questionnements, et tant d’autres, demeurent sans réponse ce
qui rend le régime de la nullité de la fusion si flou et tellement imprécis et spacieux. Une circonscription du
domaine et de l’étendu de cette nullité, en matière de fusion, est plus que nécessaire et urgente.
Malgré ses défauts, certains peuvent penser que cette dernière cause de nullité pourrait être d’une
utilité grandissante en matière de curation des abus inhérents à l’opération de fusion. C’est le cas, par exemple
de l’abus de marché et du licenciement abusif qui sont, tous les deux, interdis par des lois spéciales3229, ou
encore l’abus des biens ou du crédit sociaux interdits par le CSC3230. Que l’on n’oublie pas aussi l’abus de
position dominante, en matière de concurrence, et l’abus de droit en matière fiscale qui ont été tous deux
prohibé par l’article 409 CSC en plus des dispositions spéciales en ces deux matières3231. Il en résulte que
toute opération de fusion qui donnerait lieu, par exemple, à un abus de droit ou un abus de position
dominante3232 tomberait certainement sous le coup de la nullité de l’article 425 précité pour non respect des
dispositions du CSC ou encore celles des lois spéciales. Il en est de même de l’abus de majorité bien qu’il soit
déjà sanctionné sur la base des articles 290 et 477 CSC.

3228
Il reste que la porte de la régularisation demeure toujours « grande ouverte » devant les partenaires de la fusion. En effet, l’article 425 CSC
permet au juge d’ordonner même d’office la régularisation. Ce dernier peut également accorder un délai de deux mois pour la régularisation s’il
l’estime possible. Mais, à l’expiration du délai précité, et à défaut de régularisation, il doit prononcer la nullité de la fusion. En tout état de cause,
qu’elle soit prononcée ou régularisée, il importe de savoir quelle est la nature juridique de cette nullité frappant l’opération de fusion ? Et quelles
sont les personnes habilitées à intenter une telle action et dans quel délai ? Cette nullité semble d’ordre public et donc absolue, car elle a pour
finalité la curation des abus résultant d’une opération de fusion qui est en étroite liaison avec l’impératif de protection des opérations de
concentration qui, une fois réussi, pourrait participer au progrès de l’économie du pays. On peut alors soutenir qu’il y a là une nécessité de protéger
l’ordre public économique (FARJAT (G), L’ordre public économique, LGDJ, 1963, n° 382, p 311). Cela est confirmé, d’ailleurs, par la liste des
personnes pouvant demander la nullité parmi lesquelles on trouve les ministres concernés et, de façon générale, toute personne intéressée alors
qu’on a appris que la nullité relative ne peut être demandée que par la partie lésée (V. ZINE (M), op. cit., p 115 et s.). Certes, la nullité absolue
permet une protection efficace, semble-t-il, de l’opération de fusion. Il reste que cette forme de nullité cadre mal avec la tendance actuelle vers la
promotion et l’encouragement des opérations de concentration. On peut, en effet, légitimement craindre que le législateur, à trop vouloir protéger,
risque de créer des obstacles limitant toute initiative d’investissement et toute volonté de groupement et de concentration. Etant une nullité absolue,
l’action qui en découle peut être exercée, d’après l’article 425 susvisé, par toute personne physique ou morale intéressée, tels que les actionnaires,
les salariés, les fournisseurs, les banquiers… Cette action peut être également intentée par les ministres concernés, tel que le ministre chargé du
commerce qui peut demander l’annulation une fusion anticoncurrentielle. Rien ne semble empêcher également le CMF d’intenter une action en
nullité si l’une des sociétés fusionnantes au moins fait appel public à l’épargne. Pour éviter la prescription, l’action en nullité doit être intentée dans
un délai maximal de 3 ans à partir de la date d’immatriculation au registre de commerce de la société nouvellement créée ou à partir de la date à
laquelle la fusion est devenue définitive et dans tous les cas à partir de la publication de la fusion conformément à l’article 16 CSC. Mais, si la
nullité est prononcée et à défaut de régularisation dans le délai imparti, cette sanction civile doit faire l’objet d’une publicité au JORT
conformément à l’article 16 CSC. Une fois mise en œuvre, la nullité anéantit l’opération de fusion rétroactivement. Elle est, par contre, sans effet,
sur les contrats et autres obligations crées par la société nouvellement crées ou la société absorbée de la date de sa création jusqu’au jugement
prononçant la nullité. Les sociétés fusionnées et leurs dirigeants demeurent tenus solidairement des dettes et engagements y découlant.
3229
V. art. 81 de la loi du 14 novembre 1994 relative à la réorganisation du marché financier et l’art. 14 et 21 CT.
3230
V. art. 146 et 223 CSC.
3231
La nullité a été également instituée, en matière d’abus de domination, par la loi de 1991 relative à la concurrence et aux prix dans son article 5
alinéa dernier. Cet alinéa prévoit qu’ « est nul, de plein droit, tout engagement, convention ou clause contractuelle se rapportant à l’une des
pratiques prohibées en vertu du présent article ».
3232
Il convient de citer à propos de cet abus l’article 426 CSC qui dispose que « lorsque la fusion aboutit à une entente illicite ou à une
concentration horizontale ou verticale ou à une position dominante, elle peut être annulée conformément aux dispositions de la loi relative à la
concurrence et aux prix ».

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Mais quelle que soit l’étendue de cette nullité et son efficacité face aux abus, elle demeure
fâcheusement très dangereuse pour la promotion et la prospérité des opérations de fusion et, par la même,
contraire à l’impératif d’incitation des opérations de concentration. En effet, l'annulation des délibérations des
assemblées générales est une sanction grave susceptible de paralyser le fonctionnement normal de la société.
C'est pourquoi, il est très hasardeux d’affirmer dans un texte de loi que toute irrégularité est une cause de
nullité, bien au contraire le législateur doit prendre le soin d'enfermer les cas de nullité dans une liste étroite.
Cette nullité « en bloc », telle que prévue par l’article 425 CSC, doit être obligatoirement évincée dans le but
de rendre notre législation des sociétés cohérente et facilement intelligible et accessible surtout dans le
contexte économique actuel du pays.

668- Un second exemple du laxisme de la nullité, en matière des procédés de concentration, peut
être extrait de la combinaison des articles 425, 426 et 438 C.S.C. On doit rappeler que ce dernier article
constitue une disposition pénale déjà critiquée quant à sa place, ou son endroit dans le code, ainsi que sa
teneur. Son dernier paragraphe permet d’affirmer que toute fusion, scission ou transformation, réalisée dans le
but d’avoir une position dominante sur le marché intérieur aboutissant à empêcher ou restreindre le jeu normal
de la concurrence, est une infraction susceptible d’emprisonnement et d’amende. C’est dire qu’une telle
interdiction des opérations de concentration, dans ce cas bien précis, touche à l’ordre public. Autant dire aussi
que de pareilles opérations sont nulles de nullité absolue. Cela est vrai pour tous les procédés de concentration
effectués dans l’objectif d’avoir une position dominante préjudiciable à la concurrence, ce qui pourrait donner
lieu à des abus graves et incontestables. C’est d’autant plus vrai pour la fusion qui est déjà considérée nulle
par l’article 425 C.S.C. en cas de non respect des dispositions du code des sociétés ou des dispositions
législatives ou réglementaires spéciales, notamment la législation en matière de concurrence. Que l’on
n’oublie pas aussi l’article 426 du même code, qui emporte un autre doublon, en disposant que lorsque la
fusion aboutit à une entente illicite ou à une concentration horizontale ou verticale ou à une position
dominante, elle peut être annulée conformément aux dispositions de la loi relative à la concurrence et aux
prix. Ainsi ces trois articles touchent plus ou moins au même domaine et emporte la même sanction en matière
de concentration.
Du rapprochement des articles 425, 426 et 438 C.S.C. on peut déduire que la matière de la nullité dans
les procédés de concentration est mal organisée en raison de l’absence de textes unifiés et précis. Faut-il alors
unifier tous les articles emportant la nullité, en matière de concentration, pour éviter les incohérences et les
répétitions ?

669- Manifestement « les nullités sont odieuses » en droit de la concentration3233, ce cri illustre
l'angle classique d'approche de la nullité en droit des sociétés. Perçue comme un facteur de perturbation de
l'ordre sociétaire, la sanction n'est que très limitativement admise. Passée au crible d'un prisme restrictif, ses
causes, ses conditions et ses effets sont notablement dérogatoires au regard de leur régime de droit commun.
L’antienne est connue, elle fonde le discours convenu d'une mise à distance du droit civil et d'une
émancipation du droit des sociétés3234. Que dire alors du droit de la concentration ?
Mal odieux, la nullité n'en demeure pas moins un mal nécessaire. Non seulement la discipline n'a pu
s'en dispenser totalement pour répliquer aux transgressions relatives aux abus, mais elle constitue encore un
recours utile pour suppléer les carences sociétaires en matière de sanctions. Seul le rétrécissement du domaine
de la nullité par l’instauration explicite du principe « pas de nullité sans texte » et l’interdiction des cas de
nullité « en bloc » serait à même de rétablir l’équilibre entre l’impératif de promotion de la concentration et
celui du contrôle des abus. Mettre fin au laxisme de la nullité dans un domaine économique qui a besoin de
stabilité ne serait qu’une bonne entreprise qui renforcerait, en outre, le contenu d’une théorie juridique de
l’abus en matière des procédés de concentration des sociétés. Dans ces conditions on propose l’ajout, au code
des sociétés commerciales, d’un article 20 bis dont la teneur serait la suivante « la nullité du contrat de société
ou des actes inhérents à son fonctionnement ne peut résulter que d’une disposition expresse de la présente loi,
ou des lois spéciales qui lui sont appliquées ou encore des règles régissant la nullité des contrats ».

3233
SOLON, Théorie sur la nullité des conventions et des actes de tout genre en matière civile, Paris, 1835.
3234
JEANTIN (M), Droit des obligations et droit des sociétés, Mélanges L. Boyer, PU Toulouse 1996, p. 317 et s.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

On sait que de longue main le droit des sociétés s'est efforcé à maîtriser la nullité3235. Le constat d'un
reflux de cette sanction et d'un infléchissement de ses effets civils est classique3236. Il est temps que la
législation sociétale tienne compte de cette évolution. Cette réforme tant attendue du droit des sociétés et de la
concentration sera peut-être amenée à conforter, voire consacrer particulièrement une lutte efficace et bien
ordonnée contre les abus. Elle est susceptible, plus généralement, de mettre en place une législation des
sociétés cohérente, moins répressive et surtout complémentaire avec le mouvement de dépénalisation défendu
et développé dans le chapitre dernier.
Certains, réticents à toute velléité d’évolution diront : certes, la volonté de cantonner les causes de
nullité est louable mais le moyen employé n'est-il pas dangereux ? Le système des nullités textuelles suppose
la perfection de la loi, l'absence de lacunes. Or le législateur a déjà eu des expériences malheureuses en ce
domaine. On dira que mieux vaut une évolution dangereuse qu’une réglementation en porte-à-faux !

670- Rétrécir les cas de nullité en annonçant expressément le principe « pas de nullité sans texte »,
qui va de pair avec l’abolition de l’article 425 C.S.C. dans sa partie relative à la nullité « en bloc »3237, en
matière de concentration, est une œuvre utile et nécessaire non seulement pour l’encouragement et
l’épanouissement des opérations de concentration, mais aussi pour asseoir les jalons d’une théorie juridique en
cette matière. La précision de la nullité dans les opérations de concentration, en cas d’abus, ne ferait que
corroborer cette théorie.

-§2-: La précision nécessaire de la nullité dans les procédés de


concentration
671- La nullité doit être envisagée et précisée aussi bien en cas d’abus de la personnalité morale
(I), ou d’abus du droit de vote (II), ou encore en cas d’abus résultant de la violation des dispositions des
articles 474 et 475 CSC3238 (III).

I- La nullité et l’abus de la personnalité morale dans les procédés de


concentration
672- A ce niveau de l’étude, l’abus visé est celui afférant à la fictivité de la société faisant partie
d’une opération de concentration. Dans un cas pareil, il sied d’évoquer l’existence d’une controverse
doctrinale et d’une hésitation jurisprudentielle entre la sanction de nullité et celle d’inexistence3239 et ce, en
raison du silence législatif qui règne en la matière. De ce fait, la société fictive a été tantôt considérée comme
une société inexistante et tantôt comme une société nulle.
En considérant la société fictive comme une société inexistante, une telle sanction entraîne une
disparition rétroactive de la société et, partant, aucun effet juridique ne pourrait être retenu ni pour le passé ni
pour l’avenir. Autrement dit, la société fictive sera considérée comme n’ayant jamais vu le jour. Aussi, toute
procédure collective sera écartée dans la mesure où le néant ne peut être ni redressé ni mis en faillite.

3235
AZAVANT (M), La sanction civile en droit des sociétés Ou l'apport du droit commun au droit spécial, Rev. Soc., 2003, p 441.
3236
CHANH (N-X), La nullité des sociétés commerciales dans la loi du 24 juill. 1966, D. 1968, chron. 27 ; LEGROS (J-P), Sur la nullité des
décisions de sociétés, Rev. Soc., 1991, 275.
3237
Il s’agit de la partie suivante de l’article 425 « la nullité de la fusion ne peut être prononcée que pour les causes suivantes… - non-respect des
dispositions du présent code et des dispositions législatives ou réglementaires spéciales… ».
3238
Le choix de l’étude de ces trois formes d’abus se justifie notamment par deux raisons. D’abord l’importance et la gravité de ces abus, ensuite le
fait que ces abus ont été expressément prévus par la loi de 2001 relative au groupe de sociétés.
3239
D’après la Cour de cassation française, dans un arrêt du 16 juin 1992, « une société fictive est une société nulle et non inexistante ». Elle en a
déduit que, conformément à l'article 1844-16 du Code civil, sa nullité est inopposable au tiers de bonne foi : en l'occurrence, l'administration fiscale
lui ayant notifié un redressement (Cass. Com. Fr., 16 juin 1992, n° 90-17.237, Bull. civ. IV, n° 243, p. 169 ; Bull. Joly, 1992, p. 960 ; Dr. Soc.
1992, n° 178 ; JCP, éd. E, 1992, pan., n° 1025). V. également Cass. Civ. Fr., 8 janv. 1975, n° 73-13.635, Bull. civ. III, n° 2, p. 2 ; Rev. Soc. 1976,
p. 301, note Balensi ; C.A. Paris, 7 juill. 1995, Sté Ed Le Maraîcher La Courneuve c/Sté Ed Le Maraîcher et Sté Erteco, Dr. Soc. 1996, n° 26, Obs.
Bonneau ; C.A. Paris, 2e ch. A, 1er déc. 1992, Bull Joly, 1993, p. 323, note Saintourens ; D. 1993, p. 55 ; Dr. Soc. 1993, n° 48 ; C.A. Paris,
28 oct. 1999, SARL Foncière du Centre c/Fadlallah et autre, Bull. Joly 2000, p. 219, note Dom. V. aussi LE CANNU (P), Inexistence ou nullité
des sociétés fictives, Bull. Joly 1992, p. 875 ; ROUAST-BERTIER (P), Société fictive et simulation, Rev. Soc. 1993, p. 725. Certains auteurs (
par ex. Jeantin, D. 1978, jur., p. 89 ; Diener, D. 1977, jur., p. 619), V. également certaines décisions de justice (Cass. Civ. Fr., 22 juin 1976, no 74-
10.119, D. 1977, jur., p. 619, note Diener) ont alors préféré parler d'inexistence pure et simple de la société, voulant ainsi souligner que la fictivité
est exclusive de toute idée de réalité et donc incompatible avec la notion de nullité qui sanctionne l'existence irrégulière.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Tenant compte de la lourdeur des effets de la sanction afférente à l’inexistence de la société fictive en
matière de concentration, la majorité de la doctrine ainsi que la jurisprudence semblent actuellement focalisées
sur la sanction de nullité3240. Une telle sanction cadre bien avec la loi de 2001 qui, comme on va le voir3241,
permet la soumission de la société fictive à une procédure collective qui peut être étendue, le cas échéant, aux
autres sociétés du groupe. Ce qui est totalement contraire à la sanction d’inexistence.
La possibilité d'annuler la décision abusive est fortement envisageable3242. Cette réparation en nature a
pour effet de supprimer la cause même du préjudice en provoquant le retour au statu quo ante. Suivant une
doctrine autorisée, l'annulation semble être la sanction la plus naturelle et la mieux adaptée3243. En effet, par le
jeu de la rétroactivité de l'annulation, la décision sera considérée comme n'ayant jamais produit d'effet. Des
lors, une telle sanction pourrait assurer la meilleure réparation, dans la mesure où elle recèle un double
avantage : supprimer la cause de préjudice, outre qu'elle rétablit les actionnaires dans leur situation
antérieure3244.

673- En optant pour la nullité, il semble que la société fictive soit affectée de plusieurs vices
susceptibles de provoquer sa nullité, notamment l’absence de l’affectio societatis ou bien l’illicéité de la cause
ou encore la fictivité des apports3245.
De prime à bord, l’affectio societatis, défini comme étant la volonté d’union ou l’intention d’agir
comme associé3246, n’est pas prévu par le législateur3247. C’est plutôt la doctrine et la jurisprudence qui l’ont
élevé au rang d’une condition primordiale et essentielle sans laquelle on ne saurait parler de l’existence d’une
société3248. D’après le professeur Ben Ammou, ce sont : la mise en commun des apports, la vocation aux
bénéfices et aux pertes et l’affectio societatis qui permettent de distinguer le contrat de société de tout autre
contrat3249. Etant une condition primordiale du contrat de société, le défaut de l’affectio societatis est suivi
ipso facto par la nullité, et-ce sur la base de l’article 325 COC qui définit l’obligation nulle de plein droit
comme étant celle à laquelle manque une des conditions substantielles de sa formation.
En plus de la nullité pour défaut de l’affectio societatis, la société fictive peut être annulée en raison de
la fictivité des apports3250 pour la simple raison que l’article 2 CSC fait de l’apport un élément indispensable
du contrat de société, sans lequel la société ne peut être valablement constituée3251. Dans ce cas aussi la nullité
sera fondée sur l’article 325 susvisé. Les hypothèses d’apports fictifs sont nombreuses. En effet, l’apport est
considéré comme étant fictif s’il n’existe pas du tout ou bien s’il n’a aucune valeur comme, par exemple, un
brevet d’invention périmé3252 ou encore si l’objet de l’apport est constitué d’un bien grevé d’un passif
dépassant sa valeur...3253. Dans toutes ces hypothèses, l’apport n’est qu’une apparence, une fiction entraînant
automatiquement une nullité absolue de la société affiliée.
Par ailleurs, la société fictive peut être annulée pour illicéité de la cause. En effet, en matière d’abus de
la personnalité morale, l’objet statutaire est souvent licite ; mais derrière une façade des plus innocentes, les

3240
La Cour de cassation française opte très nettement, ces dernières années, pour la nullité de la société fictive (Cass. Com. Fr., 22 juin 1999,
n° 98-13.611, D. 1999, I.R., p. 195, RJDA 1999, n° 1077, p. 865 ; Cass. Com. Fr., 16 juin 1992, n° 90-17.237, Bull. civ. IV, n° 243, p. 169,
D. 1993, jur., p. 508, note Collet ). V. également LE CANNU (P), art. pré., p 875. V. LAMY Sociétés commerciales, éd. 2004, n° 473.
3241
V. infra, n° 693 et s.
3242
GODON (L), op, cit, p110.
3243
SHMIDT (D), op., cit., p 184 N˚243 BEN NASR (T)., op, cit. , p149 N˚113.
3244
HAJJEM (S), la protection des actionnaires dans les sociétés commerciales, mémoire, Faculté de Droit et des Sciences Politique de Tunis,
1995, p 135.
.34 ‫ ص‬،2010 ‫ ي‬/ G ،85/84 ‫ د‬N ، ‫را‬ ‫ ا‬، ‫ ا ھ‬C 3 ‫ ا‬، F12V , W 3245
3246
V. supra, note n° 398.
3247
Si l’affectio societatis n’est pas prévu par les articles 2 CSC et 1249 COC qui définissent le contrat de société, son exigence peut être déduite
des articles 1250, 1300, 1302 et 1323 COC.
3248
Cass. Com. Fr., 12 févr. 1973, n° 71-13.615, Bull. civ. IV, n° 70, p. 61 ; Cass. Com. Fr., 9 oct. 2001, n° 98-20.394, Bull. civ. IV, n° 165,
p. 156, RJDA 2002, n° 2, n° 152, p. 125 ; C.A. Paris, 25e ch. B, 21 juill. 2002, Richarme c/Mascart, RTD com. 2002, p. 678, Obs. Champaud et
Danet. V. aussi MESTRE (J) et PANCRAZI (M-E), op.cit., n°226, p 223 ; RIPERT (G) et ROBLOT (R), op.cit., n°686, p 531.
3249
BEN AMMOU (N), Cours pré., p 15.
3250
Cass. Com. Fr., 28 janv. 1974, n° 72-13.611, Bull. civ. IV, n° 34, p. 27 ; Cass. Com. Fr., 21 avr. 1992, n° 90-20.451, Bull. Joly 1992, p. 666,
note Cuisance ; Cass. Com. Fr., 30 mai 2000, n° 97-21.276, Bull. Joly 2000, p. 1094.
3251
L’art. 2 CSC dispose que « le contrat de société est un contrat par lequel deux ou plusieurs personnes conviennent d’affecter en commun leurs
apports… ».
3252
KLAI (A), L’abus de la personnalité morale dans les sociétés commerciales, mémoire de DEA, FDSPT, 2003, p 92.
3253
Il faudra, toutefois, exclure les apports frauduleusement majorés tels que prévus par les art. 146 al 2, 158 al 2 et 186 al 2 du CSC. Ces apports
ne sont pas considérés comme étant fictifs puisqu’ils ont une valeur certaine, le seul problème est qu’elle est surévaluée. D’ailleurs, les articles
précités prévoient des sanctions pénales et non pas la nullité de la société.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

activités exercées sont parfois illicites. Ainsi, la fictivité de la société peut constituer, par exemple, un
tremplin pour une fraude fiscale ou une fraude à la loi ou encore une fraude aux droits des tiers, comme les
créanciers… Dans pareils cas, l’article 1252 COC dispose que : « toute société doit avoir un but licite. Est
nulle de plein de droit, toute société ayant un but contraire aux bonnes mœurs, à la loi ou à l’ordre public ».
Ce texte conçoit la nullité de la société fictive pour illicéité de la cause. Par le terme « but », l’article précité
vise non seulement l’objet social proprement dit, mais aussi toute finalité que les associés entendraient
poursuivre grâce à la personne morale fictive.
674- La nullité de la société fictive entraîne d'abord sa disparition, mais pour l'avenir seulement3254.
Pour le passé, la société devrait être traitée comme une société dissoute à l'égard de tout ayant droit de bonne
foi3255. Autrement dit, la nullité opèrerait sans rétroactivité. Elle ne pourrait être opposée aux tiers de bonne
foi ni par la société elle-même ni par les associés.
Concernant l’application de la sanction, on ne peut qu’emprunter les termes de M. Lakhoua pour dire
que « la sanction de la fictivité ne peut s’opérer de plein droit, le recours à la justice est une nécessité : le
masque ne tombe pas virtuellement, l’arène est nécessaire à la mise à mort de la société3256 ». Notre
professeur vise certainement l’action en déclaration de simulation qui n’a pas été réglementée par le
législateur ni dans la loi de 2001 ni dans le droit commun des sociétés isolées3257. Il va sans dire que cette
action demeure soumise au droit commun des procédures, notamment à l’article 19 CPCC qui exige la
capacité, la qualité et l’intérêt pour agir en justice.

675- En plus de la nullité, il est loisible de préciser que la constitution d’une société fictive engage
aussi la responsabilité civile de celui ou de ceux qui l’ont confectionnée. Autrement dit, les auteurs de la
« personne immorale3258 » doivent répondre conformément à l’article 103 COC de l’abus qu’ils ont commis
en détournant les règles légales et en simulant une fausse apparence.
Abstraction faite de la responsabilité civile des auteurs de l’abus sur laquelle on reviendra plus tard3259,
espérons que notre législateur écoutera nos « cris juridiques » en institutionnalisant la sanction de nullité en
matière d’abus de la personnalité morale, notamment dans les procédés de concentration des sociétés. En
effet, ladite sanction nécessite plus que jamais d’être appréhendée et précisée, en ce domaine, afin de mettre
fin aux controverses doctrinales et jurisprudentielles.

676- A l’instar de l’abus de la personnalité morale, la nullité se doit aussi d’être envisagée et
précisée en cas d’abus de majorité.

II- La nullité et l’abus de majorité dans les procédés de concentration

677- D’après l’alinéa premier de l’article 290 CSC « les actionnaires détenant au moins dix pour
cent du capital social pourront demander l’annulation des décisions prises contrairement aux statuts ou
portant atteinte aux intérêts de la société, et prises dans l’intérêt d’un ou de quelques actionnaires ou au
profit d’un tiers »3260. Cet article est très fameux puisqu’il constitue la première assise juridique frappant de
nullité toute décision sociale constitutive d’abus de majorité3261. Rien n’empêche, bien entendu, que cet article

. K + ‫ و‬235 ‫ ص‬،1997 ،H $ ،‫ ء‬G ‫ ا‬# L ، p # ‫ ط‬، # ‫ ا‬،‫ 'ا ت‬S # ‫ ا‬+ 4 ‫ ا‬،, M ‫ ( ا‬- 3254
3255
Cass. Com. Fr., 22 juin 1999, n° 98-13.611, Bull. civ. IV, n° 136, p. 113 ; D. affaires, 1999, p. 1336 ; RJDA 1999, n° 1077, art. 37061,
p. 1195, note H. Hovasse ; Bull. Joly 1999, p. 978, note A. Couret ; Rev. Soc. 1999, p. 825, note A. Constantin ; JCP, éd. E, 2000, p. 418, note
M. Menjucq ; BRDA 1999, n° 14, p. 3.
3256
LAKHOUA (H), art. pré., p 5.
3257
On peut cependant recourir à l’article 26 C.O.C. qui dispose que « les contre-lettres ou autres déclarations écrites n’ont d’effets qu’entre les
parties contractantes et leurs héritiers. Elles ne peuvent être opposées aux tiers, s’ils n’en ont eu connaissance ; les ayants cause et successeurs à
titre particulier sont considérés comme tiers, aux effets du présent article ».
3258
Telle que qualifiée par M. le professeur LAKHOUA (H), art. pré., p 8.
3259
V. infra, n° 714 et s.
3260
Alinéa modifié par l’article 14 de la loi n° 2007-69 du 27 décembre 2007.
3261
Cet article a été corroboré en novembre 2001 par l’article 477 CSC qui condamne l’abus de majorité au sein des groupes de sociétés.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

soit appliqué en matière de concentration pour contrecarrer toute forme possible d’abus de majorité ; encore
faut-il que les éléments constitutifs de cet abus soient consommés3262.
En revanche, l’article précité n’est pas le seul à frapper de nullité certaines opérations de concentration
en cas d’abus de majorité. En effet, la loi de 2001 a prémuni les associés minoritaires d’une société du groupe,
en leur accordant une action sociale contre les majoritaires de la société mère en cas de prise d’une décision
portant atteinte aux intérêts de leur société et ayant pour objectif de servir les intérêts de la majorité au
détriment des droits légitimes de la minorité.
Avant d’aborder l’examen des effets de l’action sociale, essentiellement la sanction de nullité qu’on
sera amené à appréhender le régime juridique (B), il sied, tout d’abord, de déterminer les conditions de mise
en œuvre d’une telle action (A).

A- Les conditions de mise en œuvre de l’action sociale3263


678- Il faut rappeler d’abord que l’action sociale, telle que prévue par l’article 477 CSC, exige
l’établissement par les minoritaires demandeurs de l’atteinte à l’intérêt social de la société filiale ou contrôlée
et la rupture d’égalité entre eux et les majoritaires de la société mère3264. Il faut aussi remarquer que « l’action
minoritaire » intéresse « la collectivité3265 » et non pas seulement les intérêts de ceux qui l’exercent. Elle est
qualifiée d’action sociale en raison de son objet et n’est minoritaire qu’en raison de la personne de celui qui
l’exerce3266. A priori, Il peut paraître singulier de parler d’une action sociale exercée par un actionnaire. Par
définition, cette action appartient normalement à la société personne morale qui l’exerce par le biais de ses
organes légaux3267. Il ne faut cependant pas oublier que l’intérêt de cette action réside dans la possibilité
reconnue aux actionnaires de forcer l’inertie du conseil d’administration ou de l’assemblée générale, qui
rendent l’efficacité de cette action une simple illusion3268.

679- S’agissant du demandeur, l’action sociale est exercée au nom de la société filiale ou contrôlée
par une minorité d’associés qui, d’après l’article 477 CSC doit détenir 10% au moins du capital de la société
lésée. Aussi l’action sociale peut être intentée par un associé agissant seul, comme elle peut être exercée par
un groupe d’associés représentant 10% du capital de la société en question. A première vue, cette limite paraît
logique et bien fondée pour la simple raison qu’elle permet de combattre les recours superflus et fantaisistes
exercés par des associés détenant une partie négligeable du capital, ce qui risque d’entraver le fonctionnement
du groupe de sociétés. Il est, en effet, aberrant qu’un actionnaire hors groupe, détenant par exemple 0.1% du
capital de la filiale, puisse critiquer les décisions des majoritaires de la société mère et exercer tout seul
l’action sociale contre ces derniers. Il est donc clair que le souci du législateur est d’empêcher les abus de
minorité3269 qui peuvent se traduire par une inflation des procès. Le seuil de 10% est, semble-t-il, destiné à

3262
V. supra, n° 139 et s.
3263
Il est important de distinguer entre l’action sociale et l’action individuelle. D’après MESTRE (J) et PANCRAZI (M-E) « les actions exercées
par des tiers lésés, des créanciers sont toujours individuelles. Mais les actions intentées dans l’intérêt des actionnaires sont tantôt sociales, tantôt
individuelles. Malgré certaines controverses, il faut considérer, avec la jurisprudence, comme individuelles, les actions fondées sur un préjudice
particulier à l’actionnaire demandeur, à certains actionnaires seulement, préjudice distinct de celui éprouvé par la collectivité sociale : ainsi est
individuelle l’action intentée par un actionnaire qui, à la suite de faux renseignements donnés par le conseil d’administration sur une prétendue
prospérité de la société, a acheté des actions de la société. Au contraire, est sociale l’action fondée sur un préjudice qui touche la société elle-
même, qui est commun et égal pour tous les actionnaires…par exemple l’action intentée contre les administrateurs qui, par une gestion
maladroite, ont conduit la société à la ruine. L’actionnaire isolé peut évidemment exercer l’action individuelle. Mais la loi lui permet également
d’exercer individuellement l’action sociale : on dit que les actionnaires exercent cette action « ut-singuli ». La raison en est que les actionnaires
doivent pouvoir vaincre l’inertie des dirigeants, que l’on suppose peu disposés à agir, au nom de la société, contre eux-mêmes. Ils pourraient aussi
l’exercer à travers une association d’actionnaires ». In, op.cit., n° 457, p 365. L’action individuelle a été définie par notre cour de cassation dans
son arrêt n°28533 datant du 4 février 2004 comme étant «celle avec laquelle on agit directement à l’encontre des membres du conseil
d’administration ou du comité d’administration collectif, ou du conseil de surveillance selon le cas sans avoir besoin d’agir contre la société au vu
du caractère individuel de l’action qui a pour base la responsabilité personnelle du fauteur et qui cause un préjudice à l’actionnaire ». Cité par :
AOUINI (A), La promotion de la transparence des mou3amalet dans les sociétés commerciales après les modifications du 16 mars 2009, RJL, n°8,
octobre 2009, p 397.
3264
Sur ces deux composantes de l’abus de majorité V. supra, n° 139 et s.
3265
CHESNE (M), L’exercice ut-singuli de l’action sociale dans la société anonyme, RTD Com., 1962, p 347.
3266
Ibidem.
3267
BEN NASR (T), op.cit., p324.
3268
Ibidem. D’après M. BEN NASR, l’assemblée générale n’exerce pas l’action pour ne pas engager la responsabilité de ses membres majoritaires.
De même pour les administrateurs pour ne pas être révoqués par l’assemblée générale.
3269
A propos de la définition de l’abus de minorité V. supra, n° 157 et s.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

« décourager les actionnaires de se livrer à la chicane, sans les empêcher de jouer leur rôle de contrôle3270 ».
Certes, le choix de ce taux, bien qu’il paraisse plus ou moins arbitraire, parait acceptable parce qu’il pourrait
contribuer à faire obstacle aux actions dilatoires et sans bien-fondé de certains minoritaires. Cependant, il se
peut fort bien que dans certains cas le taux de 10% devienne difficile à atteindre par une minorité d’une
société du groupe. Cette limite pourrait alors priver les minoritaires en deçà du taux, lésés par la décision des
majoritaires, d’intenter l’action sociale, ce qui est de nature à remettre en cause l’efficacité d’une telle
mesure3271.
Outre cette limite légale, une autre limite imposée par la pratique peut paralyser l’initiative des
minoritaires dans l’exercice de l’action sociale. Cette limite n’est autre que la concurrence des organes
sociaux de la société lésée. En effet, cette dernière peut, à travers ses organes sociaux, faire obstacle à
l’initiative des actionnaires externes en exerçant elle-même l’action sociale et en la faisant échouer. Dans ce
cas, le seul recours des actionnaires minoritaires est de montrer la mauvaise foi avec laquelle l’action sociale a
été exercée. Mais la question qui se pose est de savoir pourquoi la société lésée agirait-elle ainsi ? La réponse
est simple. Cette société est, en effet, contrôlée par la société mère qui a nécessairement intérêt à battre en
brèche l’initiative des minoritaires pour protéger les intérêts de ses majoritaires3272.

680- Quant au défendeur à l’action, il ne s’agit pas des associés représentant la majorité dans la
société filiale, mais plutôt ceux représentant la majorité dans la société mère, comme si la foule majoritaire est
considérée comme un sujet de droit à part entière différent de la société mère. Ainsi, l’action sociale, telle que
prévue par l’article 477 CSC, semble puiser sa spécificité de son effet consistant à permettre à l’associé
d’atteindre directement les auteurs d’un abus qui met en péril l’intérêt social, même s’ils occupent de hautes
responsabilités dans une autre société, à savoir la société mère. Autrement dit, ce texte offre à l’associé
minoritaire une sorte d’autorisation qui lui permet de poursuivre les associés d’une société distincte de celle à
laquelle il appartient sans tenir compte du principe de l’autonomie juridique des sociétés groupées et de
l’existence de plusieurs personnes morales différentes au sein du groupe de sociétés. Cet assouplissement
permet d’assurer, autant que possible, une certaine sécurité pour les sociétés liées ainsi que leurs associés
minoritaires.
En droit français, et en l’absence d’un texte spécial homologue à l’article 477 CSC, le principe de
l’autonomie juridique fait obstacle à l’action des associés minoritaires contre les majoritaires d’une société
autre que celle dont ils sont associés. Cette « solution est marquée au coin du classicisme le plus pur, mais
aussi le plus académique3273 ». Notre droit semble, en ce domaine du moins, bien en avance sur le droit
français.

681- Il faut signaler de passage que l’action sociale est soumise au régime de droit commun de la
responsabilité civile. Il faut donc établir un lien de causalité entre la décision contestée, l’atteinte à l’intérêt
social et la rupture d’égalité. Par ailleurs, le fardeau de la preuve parait lourd pour les minoritaires, surtout
lorsqu’il s’agit de prouver la rupture d’égalité. Les difficultés apparaissent spécialement au moment de
prouver l’avantage réalisé par les majoritaires et le préjudice social duquel procède celui des minoritaires3274.
On peut constater aussi que l’article 477 CSC ne détermine pas le délai de prescription de l’action sociale
contrairement aux articles 120 et 290 et 425 CSC.
Quant au tribunal qui aura à connaître de l’action, une telle question peut donner lieu à discussion
surtout que le siège social de la société mère concernée peut se trouver hors du territoire tunisien. D’après
l’article 3 CDIP « les juridictions tunisiennes connaissent de toute contestation, civile et commerciale entre
toutes personnes quelque soit leur nationalité, lorsque le défendeur a son domicile en Tunisie ».
Il s’ensuit que si l’action est intentée contre les majoritaires d’une société mère ayant son siège social
en Tunisie, elle relèvera de la compétence des tribunaux nationaux. Plus précisément, la compétence sera

3270
BEJO (M), La protection des actionnaires externes dans les groupes de sociétés en France et en Allemagne, Etablissements Emile BRYLANT,
Bruxelles, 1971, p 189.
3271
MELKI (H), La société filiale, mémoire de DEA, FDSPT, 2002-2003, p 148.
3272
BEJOT (M), op.cit., p 178.
3273
ARMAND (C) et VIANDIER (A), Réflexions sur l’exercice de l’action sociale dans le groupe de sociétés : Transparence des personnalités et
opacité des responsabilités, Rev. Soc. 1986, p557.
3274
CHESNE (G), L’exercice ut-singuli de l’action sociale dans la société anonyme, RTD Com, 1962, p 80 ; BEN ABDELJALIL (S), mém. pré.,
p119.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

accordée à la chambre commerciale du tribunal de première instance3275 dans la circonscription duquel se


trouve le siège social de la société mère. Si, au contraire, cette société a son siège social hors du territoire
tunisien, c’est le for étranger qui sera en principe3276 compétent. Une fois intentée et déclarée recevable en la
forme et au fond par le juge du siège social de la société mère, l’action sociale pourra produire ses effets à
l’encontre des majoritaires responsables.

B- Les effets de l’action sociale

682- Bien qu’il ait explicitement permis aux minoritaires d’exercer l’action sociale, l’article 477
CSC n’a pas précisé les effets d’une telle action. Les minoritaires peuvent-ils alors demander l’annulation de
la décision litigieuse ou bien doivent-ils se contenter tout simplement de la demande d’une allocation de
dommages-intérêts ?
Afin de cerner les effets de l’action sociale, il est nécessaire de prendre en considération le cadre de
l’étude qui n’est autre que celui des groupes de sociétés où l’intérêt commun du groupe doit prévaloir sans
pour autant sacrifier totalement l’intérêt social. A ce niveau, l’action sociale a été accordée aux minoritaires,
certes pour les protéger, mais également pour protéger l’intérêt social. Mais si la protection de l’intérêt social
s’est faite à travers l’octroi de l’action sociale aux minoritaires de la société lésée, cette action ne doit pas
empiéter sur l’intérêt commun du groupe. Ce risque est certainement écarté par l’exclusion de la nullité en tant
que sanction. Autrement dit, si les majoritaires de la société mère ont pris une décision contraire à l’intérêt
social mais justifiée par l’intérêt du groupe, il appartient aux minoritaires de la société lésée d’intenter l’action
sociale, non pas pour demander l’annulation de la décision, mais pour se faire octroyer des dommages-
intérêts3277. La nullité, en tant que sanction3278 est écartée pour ne pas troubler le fonctionnement du groupe.
De cette façon là le primat est accordé à l’intérêt commun du groupe sans pour autant évincer totalement
l’intérêt social. Toutefois, il ne faut pas faire table rase des décisions adoptées par les majoritaires de la société
mère qui peuvent être contraires à la fois à l’intérêt social et à l’intérêt commun du groupe. En ce cas, la
sanction qui parait efficace n’est autre que le cumul entre la nullité de la décision et les dommages-intérêts.
De ce qui précède, on peut avancer les trois situations suivantes : la première, lorsque la décision des
majoritaires est contraire à l’intérêt social mais conforme à l’intérêt commun du groupe, la sanction semble
être, dans ce cas, l’allocation des dommages-intérêts. La deuxième est retenue lorsque la décision enfreint
seulement l’intérêt commun du groupe, dans ce cas la sanction adéquate semble être la nullité qui, d’après M.
Ohl, « apparaît comme une mesure purement interne destinée à remettre en bon ordre les affaires des
actionnaires3279 ». Enfin, si la décision des majoritaires est contraire aussi bien à l’intérêt social qu’à l’intérêt
commun du groupe, le cumul des deux sanctions est une solution qui parait fort concluante3280.

3275
V. art. 40 CPCC.
3276
Le for étranger est compétent sauf s’il y a une clause compromissoire accordant la compétence au for tunisien. V. art 4 CDIP.
3277
Quant aux dommages intérêts, la question qui s’impose est de savoir s’ils devraient être versés, le cas échéant, à la société affiliée ou bien aux
actionnaires minoritaires qui ont intenté l’action ? A la différence du législateur tunisien, son homologue français a posé dans L’article 232-22
CCF la règle suivant laquelle « les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation de l’entier préjudice subi par la société à laquelle, le cas
échéant, les dommages intérêts sont alloués ». Cette solution est, a priori, logique car l’action est qualifiée d’« action sociale ». Ce qui veut dire
qu’elle doit être exercée an nom et pour le compte de la société. Appliquée au groupe de sociétés, cette solution devient critiquable. A quoi bon, en
effet, permettre aux actionnaires minoritaires d’intenter une action contre les associés représentant la majorité dans la société mère si les
dommages-intérêts seront versés dans le patrimoine social de la société filiale. Ils seront par la suite répartis au titre de dividendes auxquels la
société mère en tant qu’actionnaire majoritaire a droit, ce qui profitera certainement aux actionnaires majoritaires de la société mère responsables
de l’abus3277. Dès lors, il semble plus logique que les dommages-intérêts soient versés directement aux actionnaires minoritaires demandeurs à
l’action. Ces derniers pourront alors demander la réparation de tout le préjudice, rien que le préjudice, pas plus que le préjudice. V. BEN NASR
(T), op.cit. p 135 ; MELKI (H), mém. pré., p151.
3278
A propos de la définition de la nullité V. LARROUMET (C), op.cit., p 507 ; BESSROUR (N), Th. pré., p 1.
.199 ‫ ص‬،1997،.‫ذ‬.‫س‬.‫ م‬،‫ 'ا ت‬S # ‫ ا‬+ 4 ‫ ا‬: # ‫ ا‬، , M ‫ ( ا‬-
3279
OHL (D), op.cit., n° 318, p 219.
3280
D’après le professeur Schmidt, « s’agissant de réparer le préjudice résultant d’une résolution abusive, l’annulation se présente comme la
sanction la plus naturelle et la mieux adaptée. Elle supprime la cause même du préjudice en rétablissant les associés dans leur situation
antérieure. Opérant rétroactivement elle remet de l’ordre dans les affaires entre les associés et clarifie leurs rapports. Il est vrai, certes, que cette
simple projection du passé dans l’avenir n’efface pas les effets de la résolution jusqu’au jour de son annulation et qu’à cet égard la sanction peut
se révéler incomplète. Mais il parait prépondérant d’assurer la régularité des comptes entre les associés avant d’en ajuster précisément le
montant, que le juge de l’annulation pourra parfaire par l’allocation de dommages-intérêts ». SCHMIDT (D), op.cit., n° 243, p 184.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Il semble qu’une telle approche est retenue par la jurisprudence française3281. Celle-ci n’a pas hésité à
annuler les décisions de la société mère chaque fois que l’intérêt commun du groupe est transgressé. Espérant
que les juges tunisiens suivront l’exemple français, surtout qu’une telle solution permet, semble-t-il, de
redonner à l’intérêt commun du groupe sa vraie valeur. En effet, mis en arrière plan par le législateur lors de la
détermination de la notion d’abus3282, l’intérêt commun sera mis en avant plan par le juge lors de la
détermination des sanctions civiles applicables à l’abus de majorité. Ainsi, en s’abstenant de déterminer les
effets de l’action sociale, le législateur nous a fourni les armes nécessaires pour remédier aux dangers
inhérents à la prééminence de l’intérêt social dans le groupe de sociétés. Il reste qu’une intervention législative
en la matière serait toujours « la bien venue » afin d’institutionnaliser toutes ses propositions de réforme et
faciliter, de la sorte, la tache du juge.
683- S’agissant de la sanction relative à la nullité, la question qui se pose est de savoir s’il s’agit
d’une nullité absolue ou bien relative ? Il semble que la nullité est d’ordre public et donc absolue puisqu’elle a
pour finalité le soutien de l’intérêt commun du groupe qui est en étroite liaison avec l’impératif de promotion
des procédés de concentration des sociétés qui, une fois réussi, pourrait participer au progrès de l’économie du
pays. On peut alors soutenir qu’il y a là une nécessité de protéger l’ordre public économique de direction3283.
684- Il convient enfin de se demander si en exerçant l’action sociale, l’associé minoritaire peut
demander la nomination d’un administrateur judiciaire. Autrement dit, est-ce que l’article 477 CSC peut servir
de base légale pour cette demande ? A priori, rien n’interdit de présenter une telle demande auprès du juge
compétent. Il ne faut cependant pas oublier que l’action sociale impose au juge une longue recherche au
niveau des éléments constitutifs de l’abus, ce qui est, à divers égards, contraire à l’esprit de l’institution de
l’administrateur judiciaire3284. C’est pourquoi, il semble que la voie la plus facile et adaptée pour la
nomination de cet administrateur est celle de l’action en référé3285.
685- Bien précisée et corroborée par d’autres sanctions civiles, la nullité semble retrouver une
certaine vigueur en matière d’abus de majorité. En va-t-il de même en cas d’abus résultant de la violation des
articles 474 et 475 CSC ?

III- La nullité et les abus résultant de la violation des articles 474


et 475 CSC

3281
V. T. Com. Paris, 29 juin 1981, Gaz. Pal. 1981, II, jur., p. 687, note de Fontbressin. Ce jugement a annulé, pour abus de droit, la décision de
transformation d'une SA en société en commandite simple. Comme l'observe le tribunal, « cette transformation permet à la société mère de
bénéficier d'un avantage personnel : appréhender les bénéfices de la société avant imputation de l'impôt sur les sociétés en se donnant toute
facilité de transfert des fonds de roulement », mais « elle cause un préjudice aux associés commanditaires minoritaires en les associant au risque
économique de défaillance de la société mère associée commandité unique, sans les associer aux bénéfices qu'elle peut générer » : d'où annulation
de la décision attaquée. Dans une autre affaire où le groupe ne retirait aucun avantage du financement accordé, l'abus de majorité a été retenu par la
chambre commerciale (Cass. Com. Fr., 29 mai 1972, no 71-11.739, JCP éd. G 1973, II, no 17337, note Guyon) : « Le président d'une société
anonyme, qui était également le gérant d'une SARL filiale, avait consenti sur les fonds de la première d'importants prêts à la seconde sans y être
autorisé. Ces soutiens financiers demeurant toutefois insuffisants, la SARL était sur la voie de la procédure collective, et son dirigeant, sur celle
d'une éventuelle action en comblement. Le groupe majoritaire de la SA décida donc, en assemblée, de mettre fin à l'exploitation de la filiale et de
prendre en charge, contre l'avis des minoritaires, l'intégralité de son passif. Cette décision est annulée pour abus de majorité au motif que la
société prêteuse, en tant que telle, n'avait rien à attendre de la filiale bénéficiaire du prêt : les deux entreprises étaient, en effet, économiquement
étrangères puisque exerçant des activités totalement différentes, et par ailleurs, rien ne pouvait ici, même éventuellement, amener la SA à répondre
du passif de sa filiale » : d’où annulation de la décision abusive.
3282
V. supra, n° 326.
3283
FARJAT (G), L’ordre public économique, LGDJ, 1963, n° 382, p 311. D’après cet auteur, la sanction, dans le cas de l’ordre public de
protection est la nullité relative tandis qu’elle est absolue en ce qui concerne l’ordre public de direction.
3284
V. à propos de l’administration judiciaire : BEN REJEB (I), L’administration judiciaire des sociétés commerciales, Thèse, FDSPT, 1996.
CHABBI (R), L’administrateur judiciaire dans les sociétés commerciales (étude jurisprudentielle), mémoire de DEA, FDSPT, 1995.
3285
Cette demande sera donc soumise aux articles 201 et 214 CPCC (l’intérêt social doit être menacé par un danger imminent et certain). Il est
également possible de désigner un administrateur judiciaire par le juge du fond, et-ce dans des cas particuliers comme le règlement amiable ou
encore le règlement judiciaire. En effet, le tribunal de première instance de Sfax a ordonné l’ouverture d’un règlement judiciaire contre la société
mère SOMAF (jugement n° 60 du 5-10-2000, V. les annexes). Ensuite, la juge a nommé un administrateur judiciaire chargé d’élaborer un plan de
redressement pour la société mère et ses filiales (jugement n° 77 du 10-4-2001 et n° 77 du 15 -10 -2002, V. les annexes). Par contre, le conciliateur
judicaire qui a été nommé afin d’établir un accord entre la société BON PRIX appartenant au groupe BATAM et ses créanciers a accompli sa
mission sans se référer aux autres sociétés du groupe (TPI Tunis, V. les annexes).
.13 ‫ ص‬،2002 + ‫ ﺟ‬،.‫ت‬.‫ق‬.‫ م‬،‫ ت‬C 3 ‫ ا‬6 $ U ‫ إ‬8 4$ 8 ‫ و ا‬+‫ ] د‬7‫ ت ا‬#] $ 8 ‫! ت ا‬Aq ‫ ا د ا‬، ‫ ھ‬F ‫( ا‬1S ‫( ا‬63

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

686- Comme on a pu le constater lors de la première partie, plusieurs formes d’abus ont été visées,
en quelque sorte, par l’article 474 CSC qui a imposé une panoplie de conditions bien précises pour que
l’opération financière, source intarissable notamment d’abus de biens sociaux, soit autorisée dans le groupe de
sociétés3286. De même, l’article 475 CSC a exigé des procédures de contrôle a priori, nécessaires pour que la
convention intragroupe soit validée3287 et-ce, chaque fois qu’une telle convention est conclue entre deux
sociétés liées ayant des dirigeants communs, car la communauté de dirigeants est certainement soupçonneuse
de divers abus.
Cependant, ce qui attire l’attention c’est le silence étonnant des deux articles précités quant aux
sanctions applicables en cas de violation des conditions ou bien des procédures de contrôle a priori. Faut-il
alors se contenter de dire qu’il s’agit là de dispositions dépourvues de toutes sanctions, ou bien doit-on
recourir au droit commun des sociétés isolées pour assurer l’efficacité des dispositions précitées ? Nul doute
que le silence des articles précités est délibéré. En effet, plusieurs textes du droit commun des sociétés isolées
peuvent s’appliquer en cas de violation des dispositions des articles 474 et 475 CSC3288.

687- Pour ce qui est de l’article 475, il faut distinguer selon qu’il s’agit du rapport du commissaire
aux comptes ou bien l’approbation par l’assemblée générale des associés.
Quant au rapport du commissaire aux comptes de la société concernée, il est nécessaire de distinguer
deux situations. La première est celle où les personnes devant aviser le commissaire aux comptes et qui sont
les dirigeants communs des sociétés concernées ont failli à leur devoir. Dans ce cas, ces dirigeants peuvent
être condamnés à réparer le préjudice subi par la société. La réparation du préjudice sera fondée sur l’article
207 CSC3289 qui renvoie expressément au droit commun de la responsabilité civile 3290 . La deuxième situation
est celle où le commissaire aux comptes a été avisé mais il n’a pas établi un rapport spécial ou bien le rapport
établi est lacunaire ou bien inexact. Dans ce cas, c’est la responsabilité du commissaire aux comptes qui sera
retenue sur la base du droit commun des sociétés isolées et plus précisément l’article 272 CSC qui dispose que
« les commissaires aux comptes sont responsables tant à l’égard de la société qu’à l’égard des tiers des
conséquences dommageables, des négligences et des fautes commises par eux dans l’exercice de leurs
fonctions ».
S’agissant de l’approbation par l’assemblée générale, l’article 475 ne prévoit pas non plus de sanctions
en cas de violation d’une telle procédure. Quelle sanction faut-il alors appliquer en cas de défaut total de
l’approbation ou bien en cas d’approbation d’une convention qui porte préjudice à la société concernée ? En
cas de défaut d’approbation, la sanction applicable semble être la condamnation des dirigeants communs à la
réparation des préjudices résultant de la convention sur la base de l’article 207 précité. S’agissant de
l’approbation d’une convention qui porte préjudice à la société en question, dans ce cas bien précis il n’y a
plus lieu d’évoquer la responsabilité des dirigeants sociaux. Il faut plutôt se tourner vers l’action en annulation
des décisions de la majorité des associés telle que prévue par les articles 477 et 290 CSC3291 ; encore faut-il
que les conditions prévues par ces articles soient vérifiées et établies.

688- Pour ce qui est de l’article 474 CSC, il semble que la violation des conditions légales
nécessaires pour la conclusion des opérations financières intragroupes entraîne, en cas de préjudice, la
responsabilité des dirigeants sociaux de la société lésée, et-ce sur la base de l’article 207 CSC. De surcroît, il

3286
V. supra, n° 331 et s.
3287
V. supra, n° 476 et s.
3288
Il convient aussi d’ajouter que l’absence de sanctions expresses dans les articles 474 et 475 CSC n’empêchera pas l’application des sanctions
prévues dans d’autres textes relatifs au groupe de sociétés. Tel est le cas de l’article 477 CSC chaque fois que la convention, approuvée par les
assemblées générales des sociétés concernées, témoigne de l’existence d’un abus de majorité de la part des dirigeants du groupe. Ou encore
l’article 478 CSC pour étendre la faillite de la société groupée aux dirigeants communs lorsque cette faillite est inéluctablement due à la convention
conclue en violation des dispositions légales.
3289
L’article 207 CSC dispose que « les membres du conseil d’administration sont solidairement responsables, conformément aux règles de droit
commun, envers la société ou envers les tiers, de leurs faits contraires aux dispositions du présent code ou des fautes qu’ils auraient commises
dans leur gestion notamment en distribuant ou en laissant distribuer, sans opposition, des dividendes fictifs, sauf s’ils établissent la preuve de la
diligence d’un entrepreneur avisé et d’un mandataire loyal ». L’action sociale prévue par cet article peut être exercée aussi bien « ut-universi »
qu’ « ut-singuli » et-ce, sur la base de l’article 220 CSC.
3290
YAHYAOUI (R), Le devoir de diligence des membres du conseil d’administration dans les sociétés commerciales, mémoire de DEA, FDSPT,
2003, p 125.
3291
L’article 290 CSC pourra s’appliquer si l’approbation de la convention par l’assemblée générale des associés porte atteinte aux intérêts de la
société liée et qu’elle a été prise dans l’intérêt de l’un ou de quelques actionnaires ou au profit d’un tiers. On pourra aussi appliquer l’article 223
CSC (ou bien l’article 146 CSC pour les SARL) si la convention indûment conclue dissimule un abus de biens sociaux ou un abus de pouvoir.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

semble possible d’affirmer que la convention ou encore l’opération financière intragroupe conclue en
violation des dispositions légales est une convention nulle, et-ce sur la base de l’article 67 COC qui dispose
que « l’obligation sans cause, ou fondée sur une cause illicite est non avenue ». Le même article ajoute que
« la cause est illicite quand elle est contraire aux bonnes mœurs, à l’ordre public ou à la loi ». Il semble alors
qu’une telle convention est nulle pour contravention aux règles légales impératives. Il ne faut pas oublier non
plus l’article 64 COC qui dispose qu’ « est nulle l’obligation qui a pour objet une chose ou un fait impossible,
physiquement ou en vertu de la loi ». Cet article s’applique parfaitement en cas de violation des dispositions
des articles 474 et 475 CSC. Que l’on rappelle aussi les dispositions de l’article 539 COC selon lequel
« lorsque la loi défend formellement une chose déterminée, ce qui est fait contrairement à la loi ne peut avoir
aucun effet ». Il résulte apparemment de cet article qu’il suffit qu’il y ait une défense formulée par un texte
législatif pour que ce qui a été fait contrairement à cette défense soit nul. Le juge du fond pourra alors
s’appuyer sur les dispositions du code des obligations et des contrats pour annuler toute convention
intragroupe conclues en violation des dispositions de la loi de 2001.

689- Il semble aussi qu’à l’instar de la nullité afférente à l’abus de majorité, celle concernant les
abus résultant de la violation des articles 474 et 475 CSC ne pourrait être qu’absolue parce que sur ce terrain
également il s’agit de protéger, au travers des conventions intragroupes, l’impératif de promotion du
phénomène de la concentration relevant de l’ordre public économique de direction. Il n’en demeure pas
moins, que les conséquences d’une nullité absolue, ou même relative, peuvent s’avérer grave pour les sociétés
groupées. Car, il est, tout à fait possible, que les conditions ou encore les procédures de contrôle soient
transgressées sans que l’on relève la commission d’un quelconque abus ou préjudice. Il semble alors permis
de proposer que la sanction de nullité, en cas de violation des articles précités, soit subordonnée à la
réalisation d’un dommage à la société liée. D’ailleurs, cette même solution a été consacrée, pour la société
isolée, par l’alinéa deuxième de l’article 202 CSC qui a expressément précisé que « nonobstant la
responsabilité de l’intéressé, les conventions sus-indiquées à l’article 200 du présent code, contractées sans
autorisation préalable du conseil d’administration, peuvent faire l’objet d’annulation si elles entraînent des
dommages à la société ». De surcroît, rien ne semble interdire de soutenir qu’avant de passer à la nullité, les
procédures de contrôle, prévues par l’article 475 CSC, peuvent être assorties d’une régularisation a posteriori
pour satisfaire aux impératifs de simplicité et de rapidité auxquels postule la « vie des affaires ». Une telle
solution s’accommode, bel et bien, de l’esprit législatif, notamment la réforme de 2000 où la plupart des
règles de constitution des sociétés commerciales ont été sanctionnées par la nullité tout en laissant possible
une éventuelle régularisation3292.

690- Le recours au droit commun des sociétés isolées pour rechercher les sanctions adéquates aux
abus perpétrés dans les procédés de concentration, en l’occurrence la nullité, est fort regrettable dans la
mesure où il réduit à bien des égards l’accessibilité et l’intelligibilité de la législation en cette matière si
délicate et si importante pour l’économie du pays. On profite alors de cette défaillance pour inviter une
nouvelle fois le législateur à intervenir dans le but d’unifier et rassembler dans un texte unique la règle
juridique et sa sanction. Ce qui permettra une bonne accessibilité au régime de la nullité des actes abusifs dans
les procédés de concentration.

691- De façon générale, M. Mestre remarque que la nullité est « de plus en plus concurrencée par
d’autres sanctions moins radicales, ayant souvent le mérite de sauver le contrat en l’expurgeant simplement
du vice qui l’affecte (clauses réputées non écrites, injonction à corriger le défaut, réduction de l’excès) ou en
le plaçant sous contrôle judiciaire »3293. Il reste que contrairement à la nullité dont le champ d’intervention
doit être circonscrit et bien limité, celui des autres sanctions civiles nécessite une extension à bien des égards.

3292
V. à titre d’exemple art. art 17 CSC (règles communes), 179 CSC (SA) et 107 CSC (SARL).
3293
MESTRE (J), note sous Cass. Com. Fr., 10/02/1998, RTD Civ., 1998, p. 365.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Sous-section Deuxième : Une extension souhaitée


des autres sanctions civiles dans les procédés de
concentration
692- Mise à part la nullité, déjà étudiée, il est plausible d’essayer de déterminer et d’analyser
d’autres sanctions civiles applicables aux abus dans les procédés de concentration et ce, de deux manières
différentes. La première sera consacrée aux sanctions civiles en rapport avec la procédure collective. La
seconde se rapportera à ces mêmes sanctions civiles en dehors de toute procédure collective. Alors que le
premier type de sanction connait une extension légale bien accueillie et applaudie par l’ensemble de la
doctrine dans les procédés de concentration des sociétés (-§1-), le second devrait connaître aussi la même
extension (-§2-).

-§1- : Les sanctions civiles en rapport avec la procédure


collective, une extension entérinée dans la concentration
693- Le principe de l’autonomie patrimoniale dans le groupe de sociétés a pour résultat la
constitution d’actifs et de passifs propres à chacune des sociétés groupées. Ainsi, la procédure collective
ouverte contre une société liée est normalement sans effet contre les autres sociétés du groupe. Toutefois, les
créanciers ont la possibilité, dans des cas extrêmes, de transpercer le principe de l’autonomie patrimoniale afin
de protéger leurs intérêts. C’est dans ce cadre qu’on a pu affirmer que « le groupe de sociétés est un navire qui
réserve souvent de mauvaises surprises à ses pilotes, ils imaginent leur vaisseau protégé par les cloisons
étanches que constituent les personnalités juridiques des diverses entités, mais que la tempête survienne et
leurs prévisions sont souvent déjouées3294 ». Il s’en suit que l’orthodoxie ne règne pas en maîtresse car il y a
parfois des situations dans lesquelles le voile se déchire, le groupe est alors considéré comme un tout,
abstraction faite des personnalités juridiques des sociétés membres3295. Tel est le cas, par exemple, chaque fois
qu’un abus de biens sociaux ou un abus de la personnalité morale est découvert dans le cadre des sociétés
groupées3296. Dans ce dernier cas, l’article 478 CSC trouve certainement application. Ce texte dispose que les
procédures de faillite et de redressement, ouvertes contre l’une des sociétés groupées, peuvent être étendues
aux autres sociétés notamment en cas de confusion de patrimoine ou s’il est établi que la société débitrice était
fictive. Aussi, la sanction civile adéquate des abus précités ne parait être que l’extension de la procédure
collective aux autres sociétés liées3297 (I). Le même article ajoute que l’extension de la faillite peut jouer
contre les dirigeants des autres sociétés du groupe s’il est prouvé que la faillite de l’une des sociétés groupées
est due à leur fait (II).
I- L’extension de la procédure collective aux autres sociétés du groupe

3294
COZIAN (M) ; VIANDIER (A) et DEBOISSY (F), op.cit., n°1968 ; PARIENTE (M), op.cit., n° 126, p120.
3295
CHAMPAUD (C), op.cit., n°2. Cité par MALLEK (M), mém., pré., p79.
3296
Généralement, c’est l’état de cessation de paiement d’une société du groupe qui est révélateur d’abus de la personnalité morale. C’est alors
l’intervention judiciaire ou l’analyse de la situation dans l’espoir d’aboutir à une solution de redressement et le conflit d’intérêts en présence qui
font souvent apparaître la face cachée de l’entreprise liée. Hormis cette situation, c'est-à-dire dans le cadre d’une société in bonis, la démonstration
de l’abus de la personnalité morale nécessite une action en justice tendant à prouver que la situation réelle est différente de celle qui a été
apparemment voulue par les contractants, ou bien que ces derniers n’ont pas consenti à se lier réellement par le contrat de société. Une telle
dénonciation judiciaire de l’abus se fait par le biais de l’action en déclaration de simulation, admise par la jurisprudence sur la base des articles 26
et 535 COC. V. (en France) (Cass. Civ. Fr., arrêt n°8860 du 9-01-1984, BCC, I, 1984, p 317). Cette action, comme toute autre, peut être intentée,
par toute personne justifiant de la capacité, la qualité et l’intérêt pour agir (art. 19 CPCC), devant le tribunal dans la circonscription duquel se
trouve le siége social de la société en question. Ce-ci étant précisé, il revient au juge de constater l’existence de l’abus au vu des preuves apportées
par le demandeur à l’action. Ainsi, le juge cherchera, selon des indices matériels, à mesurer le degré d’imbrication des relations au sein du groupe,
puis décidera si cet enchevêtrement a dépassé le seuil de la normalité ou non. V. GARGOURI (A), L’abus de la personnalité morale des sociétés
commerciales, mémoire de DEA, Faculté de droit de Sfax, 1996-1997, p104.
3297
Il est nécessaire de préciser que l’extension ne concerne pas toutes les sociétés du groupe. En effet, en cas de confusion de patrimoine
l’extension de la procédure concernera la société avec laquelle la confusion est établie. S’agissant de la société fictive, l’extension se fera aux
autres sociétés du groupe qui ont donné l’apparence d’y être associées.

Page 476
DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

694- L’intérêt de l’extension de la procédure est d’attraire à la procédure collective, déjà ouverte à
l’encontre d’un débiteur, un autre patrimoine et donc des actifs supplémentaires. En conséquence, l’extension
de procédure est bien souvent en faveur des créanciers qui disposent dès lors d’une plus grande chance de
recouvrer leurs créances. Quelles sont alors les conditions de mise en œuvre de l’extension de la procédure
collective(A) et quels en sont réellement les effets (B) ?
A- La mise en œuvre de l’extension de la procédure collective
695- La mise en œuvre de la sanction d’extension de la procédure collective appelle à se poser deux
questions principales. D’abord quelles sont les personnes ayant qualité pour demander en justice cette
extension (a) ? Ensuite quel est le juge compétent pour prononcer le jugement d’extension (b) ?
a- La qualité pour agir
696- Contrairement aux articles 447 CC et 19 de la loi n° 95-35 du 17-4-95 relative au redressement
des entreprises en difficultés3298 qui ont précisé respectivement les personnes habilitées à présenter la
demande de déclaration de faillite ou du règlement judiciaire, l’article 478 CSC n’a apporté aucune précision à
ce propos3299. Cet article s’est limité à disposer que « les procédures de faillite et de redressement ouvertes
contre l’une des sociétés appartenant au groupe de sociétés peuvent être étendues aux autres sociétés y
appartenant en cas de confusion de leurs patrimoines, d’escroquerie ou d’abus de biens de la société faisant
l’objet des procédures de faillite ou de redressement, ou s’il est établi que la société débitrice était fictive, et
que les sociétés appartenant au groupe ont donner l’apparence d’y être associés »3300.
S’agissant de la faillite, l’extension est en réalité une mesure qui profite directement à la masse des
créanciers, il semble alors très logique que soit accordé au syndic le droit d’engager l’action en extension de la
faillite3301. S’agit-il alors d’une compétence exclusive du syndic ? Autrement dit, les créanciers sociaux n’ont-
il pas le droit d’engager cette action ? Certes, l’ouverture de la procédure de faillite peut entraîner la
suspension des poursuites individuelles engagées par les créanciers3302. Mais elle ne les prive pas pour autant
de leur droit d’agir contre les tiers lorsque les conditions de l’extension de la faillite sont prouvées3303. En
effet, d’après la doctrine tunisienne3304, l’extension vise l’ouverture d’une procédure collective, laquelle doit
être laissée à l’initiative des créanciers3305. Mais faut-il que l’action de l’article 478 CSC reste l’apanage des
seuls créanciers sociaux et du syndic ? Le tribunal n’a-t-il pas le droit d’étendre d’office la procédure
collective ? L’article 478 est, là aussi, muet. Il ne fournit aucun élément de réponse. Toutefois, cette hypothèse
est largement admise en droit français3306. On ne voit pas pourquoi elle ne le serait pas en droit tunisien3307,
pour la simple raison que le droit français semble en constituer une source matérielle ne serait-ce qu’en cette
matière. D’autant plus que la saisine d’office du juge pourrait constituer une solution rapide et efficace pour
une bonne application de l’extension de la procédure collective prévue par l’article 478 susvisé. On souhaite
alors une intervention législative afin d’instituer un droit d’agir aussi large que possible. Cette
institutionnalisation pourrait consister en l’ajout d’un alinéa troisième à l’article 478 précité dont la teneur
serait comme suit « l’action en extension de la faillite peut être demandée par tout créancier ou par le syndic
des créanciers. Elle peut être aussi soulevée d’office par le juge compétent ».
3298
Telle que modifiée par la loi n° 99-63 du 15-7-99 et la loi n° 2003-79 du 29-12-2003.
3299
C’est également le cas de l’art. 596 CC concernant l’extension de la faillite aux dirigeants sociaux.
3300
Il s’agit des dispositions du premier paragraphe de l’article 478. Le deuxième paragraphe du même article traite de l’extension de la faillite aux
dirigeants des autres sociétés du groupe.
3301
MECHRI (F), Leçons de droit commercial : concordat préventif et faillite, Centre d’étude de recherche et de publication, Tunis, 1994, p 380.
3302
V. art. 459 CC qui fixe cette suspension à partir du prononcé du jugement de faillite.
3303
ARTZ (J-F), L’extension du règlement judiciaire ou de la liquidation des biens aux dirigeants sociaux, RTD Com., 1975, p2.
3304
MECHRI (F), op.cit., p 380 ; BEN NASR (T), op.cit., p 536.
3305
En France, avant la loi du 25 janvier 1985, l’action en extension de la procédure collective était généralement exercée par le syndic. De plus la
jurisprudence (exemple : Cass. Com. 31-1-84, Rev. Soc., 1984, p 365) ouvrait l’action à tous les créanciers individuels. Toutefois, après l’entrée en
vigueur de la loi de 1985, l’article 10 de cette loi a énuméré les personnes ayant qualité pour agir : -le tribunal peut se saisir d’office, -
l’administrateur, -le représentant des créanciers, -le liquidateur, - le commissaire à l’exécution du plan de redressement et le procureur de la
république. Cette liste étant limitative, les créanciers agissant individuellement sont désormais exclus. En droit positif tunisien, bien que le
législateur ne l’ait pas expressément mentionné, certaines décisions semblent admettre que l’extension de la faillite puisse être engagée par les
créanciers sociaux. C’est le cas notamment du tribunal de première instance de Tunis dans l’affaire n° 20504 du 2-11-1989 et celle n° 18352 du 4-
7-1989. Bien que, dans cette dernière affaire, le tribunal ait rejeté l’action en extension quant au fond, il l’a déclaré recevable en la forme. V.
également TPI, Tunis, aff. n° 11404 du 17-7-1978, « affaire SOTUMAD ».
3306
Cette hypothèse a été, tout d’abord, consacrée par le juge français, V. Tribunal de Grenoble, 18 octobre 1964, RTD Com., 1965, p 644. Elle a
été ensuite consacrée par le CCF, V. art. 625-3 et s.
3307
BEN NASR (T), op.cit., p 537.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

697- La même solution extensive qui consiste à octroyer le droit d’agir aux créanciers en le
renforçant par la saisine d’office peut être admise en matière de redressement des entreprises en difficultés
économiques. Deux raisons semblent militer pour une liste exhaustive des personnes ayant qualité d’agir en
extension de la procédure collective à une autre société du groupe. La première raison découle du principe
général de procédure civile et commerciale consacré par l’article 19 CPCC consistant à dire que toute action
est normalement recevable en la forme si elle remplit les trois conditions légales, à savoir la capacité, la
qualité et l’intérêt d’agir. C’est pourquoi il semble admis d’accorder également le droit d’agir en extension au
liquidateur en matière de faillite ou bien au commissaire à l’exécution du plan de redressement ou encore au
chef du contentieux de l’Etat3308. Quant à la seconde raison, elle semble tenir au fait que la pluralité des
demandeurs amoindrit les chances des sociétés impliquées d’échapper à cette mesure et la passivité d’un
demandeur quelconque n’empêchera pas l’activité d’un autre3309. D’ailleurs cette deuxième raison se trouve
en corrélation avec toute politique législative ou judiciaire tendant à lutter tous azimuts contre les abus
nuisibles à l’intérêt commun du groupe et au bien-fondé pour lequel a été instauré le droit des groupes de
sociétés. Ce n’est qu’ainsi qu’on pourrait bien bâtir une théorie juridique des abus en matière de concentration
des sociétés.
698- Le demandeur à l’action en extension de la procédure collective étant déterminé, quel sera le
tribunal compétent ?

b- Le tribunal compétent
699- Deux questions doivent être examinées concernant la compétence juridictionnelle. La première
a trait au conflit international de juridictions, c'est-à-dire le conflit entre le for tunisien et le for étranger. La
seconde concerne le conflit de juridictions internes.

700- S’agissant du premier conflit, l’extension de la procédure collective peut concerner une société
dont le siège social se trouve en Tunisie, comme elle peut intéresser une autre dont le siège est à l’étranger.
Dans un cas pareil quel est le for compétent ? Est-ce le for tunisien ? Est-ce, au contraire, le for étranger où se
trouve le siège social de la société en question ? Il est à noter que lorsque l’action se rapporte à une société
dont le siège social se trouve hors du territoire tunisien, le for étranger est, a priori, compétent pour connaître
de l’affaire3310. Cependant, partant de l’article 8 CDIP, les tribunaux tunisiens sont exclusivement compétents
lorsqu’il s’agit d’une action relative à une procédure collective ouverte en Tunisie telle que le redressement
des entreprises en difficultés ou encore la faillite. Or, l’étude ne concerne pas une action relative à une
procédure collective mais plutôt une action en extension de la procédure collective, ouverte contre une société
du groupe, à une autre société du même groupe. Par conséquent, il semble que l’action en extension de la
procédure collective ne soit pas de la compétence exclusive des juges du fond tunisiens telle que déterminée
par l’article 8 CDIP. Toutefois, le recours à l’article 7 CDIP semble permettre d’utiliser le critère de connexité
comme moyen pour solutionner le conflit en faveur du for tunisien. En effet, ce texte dispose que « les
tribunaux tunisiens sont compétents pour connaître des actions connexes3311 à des affaires pendantes devant
les tribunaux tunisiens ». A cet effet, l’action en extension de la procédure collective n’est-elle pas connexe à
celle relative à l’ouverture de la procédure collective ? Cette dernière étant de la compétence des juges
tunisiens, l’autre le sera également3312.

3308
Ibidem.
3309
DELBECQUE (PH), Groupe de sociétés et procédures collectives : confusion de patrimoines et responsabilité des membres du groupe, Rev.
Pro. Coll., 1998, n° 2, p129 ; YAHYAOUI (I), La protection des créanciers dans le groupe de sociétés, Mémoire de DEA, Université de Tunis II,
2004-2005, p76.
3310
L’art. 3 CDIP dispose que « les juridictions tunisiennes connaissent de toute contestation, civile et commerciale entre toutes personnes quelque
soit leur nationalité, lorsque le défendeur a son domicile en Tunisie ». A contrario, si le défendeur a son domicile à l’étranger (siège social pour les
personnes morales), c’est le for étranger qui sera compétent, sous réserve de la compétence exclusive du for tunisien telle que déterminée par
l’article 8 CDIP.
3311
L’action connexe est une action qui présente un lien étroit avec le litige initial.
U ‫ ل‬N‫ أ‬، C 3 ‫ ا‬U N " L4 ‫ ا ن ا‬، > 3 , 416" .375 ‫ ص‬،2003 ،H $ ،‫ ص‬P ‫ ا‬8 ‫ن ا و‬ ! ‫ا‬ ‫ ح أ< م ا‬O ،=D , ‫ وك‬6 : [! ‫ه ا‬D‫ < ل ھ‬6‫ُ اﺟ‬+ 3312
.63 ‫ ص‬،2004 ، F ‫وا‬ ‫ ت ا‬A‫' ا را‬C 3 ،2003 V+ G‫ أ‬12/11 H $ ، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬ ‫< ل‬

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

701- S’agissant du conflit entre juridictions internes, la difficulté provient de l’existence de deux
personnes morales différentes et donc deux sièges sociaux différents. Dès lors, on peut hésiter entre deux
tribunaux : celui ayant prononcé le règlement judiciaire ou la faillite et celui dans le ressort duquel se trouve le
siège social de la société qui risque d’être atteinte par l’extension. Mais si la question ne pose aucun problème
particulier lorsque les sièges sociaux des sociétés concernées sont du ressort du même tribunal, il en est
autrement toutes les fois où lesdits sièges sont du ressort de tribunaux différents3313. A priori, il doit y avoir
autant de procédures qu’il y a de tribunaux compétents. Une telle approche est certainement de nature à
compliquer la situation procédurale. Elle parait même incompatible avec le résultat escompté, à savoir la
satisfaction des droits des créanciers sociaux3314, surtout qu’une bonne administration de la justice postule
qu’un seul tribunal soit compétent. Il semble donc préférable que le tribunal initialement saisi, c'est-à-dire
celui ayant décidé l’ouverture de la procédure collective, soit compétent également pour connaître de la
procédure d’extension3315. D’ailleurs cette solution semble conforme à la volonté du législateur qui exige dans
l’article 446 CC que « le tribunal ayant déclaré la faillite3316 est compétent pour connaître de toutes les
actions qui s’y rattachent »3317. Elle est conforme, aussi, à la teneur de l’article 35 CPCC qui énonce que « les
actions relatives à une faillite sont portées devant le tribunal du lieu de l’établissement principal du failli ».
Rien n’interdit de proposer en droit des groupes de sociétés le recours à ce critère de rattachement pour
solutionner tout conflit relatif à la compétence interne. On propose alors l’ajout d’un alinéa quatrième à
l’article 478 précité qui disposerait ce qui suit « le tribunal ayant prononcé la procédure collective est
compétent pour connaître de l’action en extension de cette même procédure ». D’ailleurs, une telle solution se
trouve renforcée par l’idée selon laquelle la compétence d’un même tribunal facilite aux juges la connaissance
du dossier dont ils ont été saisis et qu’ils ont déjà examiné lors de l’action principale. Pareil avantage s’ajoute
aux aspects positifs d’une théorie juridique de l’abus dans les opérations de concentration. La sanction
d’extension qu’auront à prendre les juges compétents pour lutter contre les abus pourra alors produire ses
effets juridiques.

B- Les effets de l’extension de la procédure collective dans le groupe

702- Si l’autonomie juridique des sociétés groupées est évincée suite à une confusion de patrimoines
entre deux ou plusieurs sociétés groupées ou encore s’il est prouvé que la société débitrice est une société
fictive, il parait logique qu’une procédure collective unique soit ouverte à l’encontre des différentes sociétés
concernées (a). L’unicité de cette procédure constitue le premier effet direct de l’extension de la procédure
collective qui pourra donner lieu à la constitution d’un patrimoine unique (b).

a- L’ouverture d’une procédure unique


703- En principe, lorsque plusieurs sociétés du même groupe sont soumises à des procédures
collectives, l’ouverture ainsi que le déroulement de chaque procédure s’effectue normalement de manière
autonome et indépendante. Cependant l’extension de la procédure collective à la société mère ou encore aux
autres sociétés du groupe en raison d’un abus de la personnalité morale ou d’un abus de biens sociaux, doit
nécessairement aboutir à l’ouverture d’une procédure unique. La doctrine ainsi que la jurisprudence

3313
YAHYAOUI (I), mém., pré., p78.
3314
SORTAIS (J-P), A propos de certaines questions de responsabilités suscitées par les groupes de sociétés, RJ Com., 1977, p 85.
3315
V. Cass. Com. Fr., 19 oct. 1993, Bull. civ. IV, n° 346, JCP 1993, IV, n° 2661. Dans cette décision, la cour a déclaré que le groupe de sociétés
n'ayant ni personnalité morale, ni siège propre, c’est alors le tribunal de commerce du siège social de la société en redressement judiciaire qui est
compétent pour étendre par un seul et même jugement cette procédure à d'autres sociétés appartenant au même groupe mais ayant leur siège
ailleurs. V. aussi C.A. Paris (3e Ch. A), 7 septembre 2004 qui a précisé les critères de l'action en extension de la procédure collective pour
confusion des patrimoines à l'intérieur d'un groupe de sociétés. Bull. Joly sociétés année 2004, p 1358.
3316
Le tribunal qui a déclaré la faillite est celui dans le ressort duquel se trouve le siége principal de l’entreprise, et-ce conformément aux articles
19 de la loi du 17-4-95 relative au redressement des entreprises en difficulté et 446 CC.
3317
Cette opinion a été confirmée par la jurisprudence française en se basant sur l’article 621-5 CC fr. qui dispose que « s’il se révèle que la
procédure doit être étendue à une ou plusieurs autres personnes, le tribunal initialement saisi reste compétent ». V. BARTHELEMY (J),
COULON (N), EGAL (J), GUIGOU (H), HARDOUIN (M), DEMELLO (X), PETITEAU (G) ET SEURAT (P), op.cit., p 55. V. également
Cass. Com. Fr., 22 oct. 1996, n° 94-20.760, Bull. civ. IV, n° 256, p. 219, Bull. Joly 1997, p. 166, note Le Cannu, D. 1997, I.R., p. 8, BRDA 1996,
n° 23, p. 4, RJDA 1997, n° 62, p. 38 ; Cass. Com. Fr., 5 févr. 2002, n° 98-17.846, Bull. Joly 2002, p. 587

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

française3318 semblent consacrer cette solution. En effet, « la finalité des actions fondées sur la fictivité ou la
confusion des patrimoines est d’aboutir à la reconnaissance d’une procédure unique qui englobe l’ensemble
des sociétés concernées3319 ». Ainsi, l’extension permet de soumettre une société à une procédure déjà ouverte
contre une autre société du même groupe. Les deux sociétés seront alors soumises à une procédure unique
comprenant les mêmes organes selon qu’il s’agit d’une procédure de faillite ou de redressement judiciaire. Si,
par exemple, la société filiale est soumise à un règlement judiciaire au moment de la décision d’extension de
la procédure à la société mère, cette dernière subira le même sort et la procédure lui sera alors étendue. Par
contre, si le règlement judiciaire de la première a déjà été converti en faillite, ou si cette dernière a été
directement prononcée3320, l’unicité de la procédure impose que la seconde société soit directement mise en
faillite sans règlement judiciaire préalable.
Par ailleurs, une des manifestations de l’unicité de procédure c’est que le tribunal décide d’étendre la
procédure collective aux sociétés impliquées, sans qu’il soit nécessaire d’établir leur état de cessation des
paiements3321. Cet état étant déjà retenu pour la première société, il n’est plus besoin de le rechercher pour la
société concernée par l’extension3322. En plus, il est tout à fait possible que la société concernée par
l’extension, surtout s’il s’agit de la société mère, ait un actif disponible à court terme susceptible de couvrir
non seulement son passif exigible mais aussi celui de toutes les sociétés du groupe3323. D’ailleurs, cette
solution a été retenue par la jurisprudence française qui a clairement affirmé que « la simple constatation de
l’existence d’une fictivité des sociétés ou d’une confusion de leurs patrimoines suffit à justifier l’extension de
la procédure collective déjà ouverte contre la première société, sans qu’il ait besoin d’établir pour chacune
d’elles leur impossibilité de faire face au passif exigible par l’actif disponible3324 ». L’extension de la
procédure étant une sanction, on n’a pas alors à chercher si la société sanctionnée est en état de cessation des
paiements ou pas. En l’absence d’une solution législative, on se demandera alors quel sera-ce l’avis de notre
jurisprudence en cette matière si complexe ?
704- Ainsi, l’ouverture d’une procédure unique à l’encontre des sociétés du groupe dont l’autonomie
n’est qu’apparente aboutit à la constitution d’un patrimoine unique comportant un seul actif et un seul passif.

b- La constitution d’un patrimoine unique


705- En principe, l’actif de la société filiale est le gage exclusif de ses créanciers3325. Ces derniers
sont, en effet, les seuls à pouvoir s’emparer des biens de la filiale afin de percevoir leurs créances. Les
créanciers des autres sociétés liées, y compris ceux de la société mère, n’ont en principe aucun droit sur les
biens de la filiale. Mais lorsqu’il s’agit d’une procédure collective unique ouverte contre la société débitrice et
étendue à la société mère ou à une ou plusieurs autres sociétés du groupe, cette procédure aboutit
inéluctablement à la constitution d’un patrimoine unique. Il n’en demeure pas moins que le tribunal statuant
sur le sort des sociétés en question devra prendre en considération les spécificités de chacune des hypothèses
de l’article 478 CSC, avant de décider de l’unité ou la pluralité des patrimoines. En effet, il convient de noter
que la jurisprudence française a affirmé depuis longtemps que si la société mise en faillite était fictive ou de
3318
Cass. Com. Fr., 7 janv. 2003, n° 00-15.316, n° 00-13.192 et n° 99-16.204, Bull. civ. IV, n° 2, 3 et 4, Bull. Joly 2003, p. 402, D. 2003, p. 347.
Cass. Com. Fr., 17 févr. 1998, n° 97-13.098, Bull. Joly 1998, p. 658, note Pétel.
3319
DANA-DEMARET (S), Groupe de sociétés : responsabilité des sociétés groupées, Juriscl. Soc., éd. Technique, 1994, fasc. 2458, n° 43, p 13.
3320
Conformément à l’article 54 de la Loi n° 95-34 du 17 avril 1995 relative au redressement des entreprises en difficultés économiques, tel que
modifié par l'article premier de la loi n° 2003-0079 du 29 décembre 2003, « pour les entreprises soumises aux dispositions de la présente loi, la
procédure de règlement judiciaire doit obligatoirement précéder celle de la faillite, et ce, à l'exception des deux cas prévus à l'article 449 et
l'alinéa 2 de l'article 593 du code de commerce et du cas de cessation définitive de l'activité pour une durée au moins égale à un an au sens de
l'alinéa 2 de l'article 3 de la présente loi ».
3321
ABDELMAJID (F), op.cit., p 29 ; ABDELHAK (I), La constatation de l’état de cessation des paiements, RJL n°7 2004, p 9 ; DACHRAOUI
(L), La difficile conjugaison entre l’intérêt public économique et la réputation de l’entreprise en redressement, I. J., n° 70/71, Juin 2009, p 16.
.57 ‫ ص‬،1999 ، 34 ‫ دار ا 'ان‬،1 # ‫ ط‬، K‫ اﺟ‬/ ‫ وا‬KN g‫[زم أو‬$ M +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ا‬، @1 ‫ (ة‬9
3322
Cette solution ne peut qu’être approuvée surtout en cas de fictivité de la société filiale débitrice qui n’est qu’une société de façade car elle ne
dispose ni de personnalité morale ni un patrimoine propre. Ce qui fait que ses actifs et passifs se trouvent confondus avec ceux de la société mère
qui ne saurait échapper à la procédure collective en faisant valoir qu’elle n’est pas en état de cessation des paiements.
3323
HANNOUN (C), Groupe de sociétés : redressement et liquidation judiciaire, J.CL Com., fasc n° 3190, n° 141.
3324
Cass. Com. Fr., 5 avril 1994, cité par HANNOUN (CH), art.pré., p21. V. également C.A. Paris, 3e ch. A, 17 nov. 1987, Bull. Joly 1987,
p. 997. T. com. Lille, 20 mai 1988, PA, 15 juin 1988, p. 26. C.A. Paris, 3e ch., 19 déc. 1990, Dr. sociétés 1992, n° 50 ; Cass. Com. Fr., 12 oct.
1993, n° 89-17.509, Quot. jur. 20 janv. 1994, p. 2, Rev. Soc. 1994, p. 326, note Saintourens. C.A. Paris, 3e ch. B, 25 févr. 1994, RJDA 1994,
n° 534, p. 415. C.A. Paris, 3e ch. A, 5 avr. 1994, RJDA 1994, n° 931, p. 737. Cass. Com. Fr., 24 oct. 1995, n° 93-11.322, RJDA 1996, n° 266,
p. 191, JCP, éd. E, 1995, n° 1375, BRDA, 1995, n° 21, p. 5 ; Cass. Com. Fr., 24 nov. 1998, n° 94-21.086, Bull. Joly 1999, p. 367.
3325
V. art 5 CSC dont l’interprétation doctrinale fait prévaloir la notion d’actif et non pas de capital social.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

pure façade et donc n’avait pas de patrimoine propre, il y a lieu d’écarter la dualité de procédure et de ne
prononcer qu’une seule mesure avec formation d’un patrimoine unique3326. De même, lorsque la confusion
des patrimoines de la personne mise en faillite et des personnes auxquelles la procédure est étendue est totale,
on estime que la faillite qui, ne peut être qu’une, ne donne lieu qu’à un seul patrimoine3327. Il en serait
autrement lorsqu’il s’agit d’une confusion partielle des patrimoines, ce qui donne lieu à des patrimoines
distincts3328.
A priori, il semble que rien n’empêche qu’une telle solution soit empruntée aux juges français pour
être éventuellement appliquée par la jurisprudence tunisienne.
Une fois les passifs et actifs des sociétés concernées sont mêlés, leurs créanciers respectifs vont se
trouver en concours. Cette « confusion » des patrimoines affectera certainement les garanties prises sur les
biens des différentes sociétés en cause. Il reste que les créanciers titulaires de sûretés spéciales, conservent
leurs garanties sur les biens grevés, car la décision d’extension ne saurait anéantir les privilèges, les
nantissements3329 ainsi que les droits de rétention puisqu’ils ont pour assiette un ou plusieurs biens qui
demeurent toujours grevés de la sûreté malgré l’extension3330.

706- De ce qui précède se dégage l’idée générale que l’organisation légale du régime curatif spécial
aux abus de la personnalité morale ainsi qu’aux abus de biens sociaux ne semble pas aider à résoudre tous les
problèmes susceptibles de se poser aux juges du fond. Sans doute rien n’interdit de s’inspirer des solutions
prétoriennes de la jurisprudence comparée. Mais il va sans dire que l’interprétation des dispositions de
l’article 478 CSC en le rapprochant des dispositions légales relatives aux procédures collectives pourrait aider
à trouver des solutions satisfaisantes. Il semble que la même démarche pourrait intéresser l’extension de la
faillite aux dirigeants des autres sociétés du groupe.

II- L’extension de la faillite aux dirigeants du groupe


707- Dans le groupe de sociétés, il est très fréquent que les dirigeants tendent à favoriser une ou
plusieurs sociétés au détriment des autres et à vider de sa substance une société au profit d’une autre,
notamment par des mouvements de fonds ou des opérations de crédit. Ces manœuvres peuvent être
constitutives d’abus de biens sociaux comme elles peuvent être qualifiées d’abus de majorité ou abus de la
personnalité morale. Certes de telles opérations sont légitimes si l’intérêt du groupe est respecté. Mais que dire
si elles sont effectuées dans l’intérêt personnel des dirigeants du groupe ? La condamnation de ces derniers
n’est-elle pas, dans ce cas, nécessaire ?
En son alinéa second, l’article 478 CSC permet d’étendre la faillite aux dirigeants des autres sociétés
du groupe, notamment ceux de la société mère, s’il est prouvé que la faillite de l’une des sociétés groupées
leur est imputable3331. Il s’impose alors de déterminer les dirigeants visés par l’extension (A) pour examiner
ensuite les faits qui peuvent leur être reprochés (B).

A- Les dirigeants visés par l’extension de la faillite

3326
TARDIEU-NAUDET (D), Les créanciers du groupe de sociétés, Th., Faculté de droit d’Aix, 1973, p325.
3327
Cass. Com. Fr., 6 nov. 1985, Bull. civ. IV, n° 265 : « une procédure collective a été ouverte contre une société d'un groupe puis étendue aux
dirigeants et aux autres sociétés du même groupe avec constitution d'une masse unique pour toutes les personnes physiques et morales du groupe,
car l'ensemble des patrimoines des sociétés du groupe était entre les mains des membres de la même famille. Ces membres, en qualité de
dirigeants sociaux, avaient disposé des biens de ces sociétés comme de leurs biens propres dans le cadre d'une confusion des patrimoines tant
sociaux que personnels ».
3328
Ibidem.
3329
V. 201 CDR, d’après ce texte le vocable « nantissement » signifie à la fois le gage mobilier et l’hypothèque.
3330
V. art. 192 et 193 CDR.
.2004 ،H A ! ‫ م ا‬# ‫ ا ق و ا‬C ، ‫ راه ا و‬C‫ أط و< د‬،8 ‫ ا ن ا‬8G ‫ دي‬# ‫ ا‬M ‫ ا ا‬+ < ، 6;‫ ; ا وا‬0
3331
L’art. 478 al. 2 dispose que « la faillite peut être étendue aux dirigeants de droit ou de fait des autres sociétés appartenant au groupe de
sociétés s’il est établi que la faillite est due à leur fait ». Sans oublier que l’extension de la faillite peut toucher le dirigeant de la société contre
laquelle la procédure a été ouverte et ce, par application des dispositions de l’article 596 CC qui exige des conditions bien déterminées, à savoir :
l’accomplissement d’actes de commerce sous le couvert de la société et la disposition des biens sociaux comme s’il s’agissait des biens propres de
l’utilisateur.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

708- L’extension de la faillite au sens de l’article 478 CSC vise aussi bien les dirigeants de droit que
les dirigeants de fait des autres sociétés appartenant au groupe3332.
De prime à bord, Il semble permis de partager la définition du dirigeant qui, d’après un auteur3333, est
toute personne « qui bénéficie, au sein de la société, d’un pouvoir de décision qui lui permet de diriger,
d’administrer, de gérer et de contrôler l’activité et le fonctionnement de cet organisme et d’avoir la maîtrise
durable de son avenir ». De cette large définition, on peut se permettre de fixer, un tant soit peu, les contours
exacts du concept de dirigeant de droit ou de fait. En effet, est qualifié de dirigeant de droit toute personne qui
dirige la société tout en ayant été formellement mandaté par les associés ou par les organes de la société3334.
Partant de ces définitions, ont la qualité de dirigeants de droit, les organes des personnes morales
déterminés par le CSC3335 tel que le gérant, le président directeur général, le directeur général, le directeur
général adjoint ainsi que les autres membres du conseil d’administration ou du directoire.

Contrairement au dirigeant de droit, le dirigeant de fait est toute personne qui, sans mandat social, s’est
immiscée dans la gestion, l’administration ou la direction de la société3336. Cette approche parait insuffisante
pour bien encadrer l’acception du dirigeant de fait. C’est pourquoi, la jurisprudence ainsi que la doctrine
française3337 exigent trois critères pour appliquer la qualification de dirigeant de fait. Il faut d’abord que soient
effectués des actes positifs. Ces actes doivent être, ensuite, de direction ou de gestion. En plus, l’auteur de
l’acte doit agir en toute liberté ou indépendance et non pas en qualité de subordonné3338.
En somme, par dirigeant de fait il faut entendre les personnes tant bien physiques que morales qui,
dépourvues de mandat social, se sont immiscées positivement, en toute souveraineté et indépendance, dans la
gestion, l'administration ou la direction d'une société3339.
Il n’est pas rare que la notion de dirigeant de fait trouve application dans le cadre des groupes de
sociétés3340, car face à l’insuffisance d’actif de la filiale, les créanciers chercheront à atteindre la société mère
notamment en invoquant sa qualité de dirigeant de fait3341. Ils devraient alors prouver « l’emprise de la société
mère sur les destinées de la filiale3342 ». Il s’agit là d’une question de fait soumise à l’appréciation des juges
de fond. Dans ces conditions, on peut dire que le simple fait que la société mère détienne une participation
importante, voire majoritaire dans le capital de la filiale ne suffit pas à caractériser la gestion de fait. Encore
faut-il démontrer que la société mère s’est réellement ingérée dans la gestion interne de la filiale. C’est à peu
près dans le même sens que le ministre de la justice de l’époque a affirmé, lors de la discussion du projet de
loi relatif au groupe de sociétés, que la société mère ne peut être considérée comme dirigeante de fait que si
elle a dépassé ses compétences dans l’assemblée générale de la société liée en exerçant des actes de
direction3343.

3332
Cela rappelle les dispositions de l’article 596 CC qui permet d’atteindre « toute personne ». Ce terme à vocation générale englobe aussi bien
les dirigeants de fait que de droit. Cependant, la différence entre les articles 596 CC et 478 CSC réside en ce que le premier vise implicitement les
dirigeants de fait alors que le deuxième l’a expressément affirmé.
3333
DEDESSUS-LE-MOUSTIER (N), La responsabilité du dirigeant de fait, Rev. Soc., n° 3, 1997, p 503.
3334
MEDINA (A), op. cit., p198.
3335
V. les arts 112 CSC et s. (SARL) ; 188 CSC et s. (SA).
3336
DEDESSUS-LE-MOUSTIER (N), art. pré., p 503.
3337
Ces critères suggérés par la doctrine (cf. RIVES-LANGE (J-L), La notion de dirigeant de fait, D. 1975, chr., p. 41 ; NOTTE (G), Les
dirigeants de fait des personnes morales de droit privé, Th. Paris, 1978), sont aujourd'hui souvent repris par les juges du fond. V. C.A. Nancy,
15 déc. 1977, JCP éd. G 1978, II, no 18912 ; C.A. Paris, 3e ch., 17 mars 1978, D. 1978, I.R., p. 420 ; C.A. Toulouse, 2e ch., 30 juin 1997, SA
Ford France, Bull. Joly 1998, p. 53. Ils sont repris aussi par la Cour de cassation elle-même. V. Cass. Com. Fr., 23 juin 1982, n° 81-10.560 ; Cass.
Com. Fr., 15 déc. 1982, n° 81-14.054 ; Cass. Com. Fr., 3 avr. 1984, n° 83-11.464 ; Cass. Com. Fr., 7 juill. 1987, n° 86-10.248 ; Cass. Com. Fr.,
23 nov. 1999, n° 97-14.693, RJDA 2000, n° 270, p. 227 ; Cass. Com. Fr., 26 juin 2001, n° 98-20.115, Dr. sociétés 2001, comm. 140, Obs.
Legros ; Cass. Com. Fr., 4 mars 2003, RJDA 2003, n° 724, p. 645 ; cf. Tricot, Les critères de la gestion de fait, Dr. & patr. 1996, n° 34, p. 24, et
N. Dedessus-Le Moustier, art.pré., p. 499.
3338
RIVES LANGES (J-C), La notion de dirigeant de fait au sens de l’article 99 de la loi du 13-7-1967 ou le règlement judiciaire et la liquidation
des biens, D., 1975, p41.
3339
Lamy Soc. Com., Juin 2004, n° 602.
3340
Certes, c’est la responsabilité des dirigeants personnes physiques qui est le plus souvent recherchée. Néanmoins, les personnes morales peuvent
être aussi nommées dirigeantes (V. art. 191 CSC), surtout lorsqu’il s’agit des groupes de sociétés. Il convient, toutefois de préciser que pour les
SARL les dirigeants doivent être nécessairement des personnes physiques. V. art. 112 CSC. Il est à préciser également que le directeur général et le
président du conseil d’administration d’une SA doivent être obligatoirement des personnes physiques.
3341
La société mère peut se comporter soit en actionnaire actif de la filiale soit comme son dirigeant effectif. V. MONEGER (J), Bail commercial
et groupe de sociétés, RJCom., 2005, p 47.
3342
DERRIDA (T), Obs. Dalloz, 1983, I, p60. Cité par YAHYAOUI (I), mém. pré., p111.
.1 ‫ د‬N " ‫ ا‬6‫ُ اﺟ‬+ ،103 ‫ ص‬،5 ‫ د‬N ،2001 G 20 ،‫ اب‬A ‫[ ا‬2S ‫ (او ت‬3343

Page 482
DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

709- De toute façon, qu’il s’agisse du dirigeant de droit ou de fait, la faillite sociale ne saura lui être
étendue que s’il est établi qu’elle est due à son fait.

B- Les faits à reprocher aux dirigeants

710- D’après l’article 478 CSC, l’extension de la faillite aux dirigeants des autres sociétés du groupe
ne peut avoir lieu que s’il est prouvé que « la faillite est due à leur fait ».
A la lecture attentive de cette disposition légale, on peut soutenir que les termes du législateur
paraissent équivoques, car aucune précision n’a été apportée ni par la loi ni par les travaux préparatoires aux
agissements accomplis par les dirigeants et qui sont susceptibles d’entraîner la faillite de la société. Quels sont
donc, au sens de l’article susvisé, les faits qui peuvent être reprochés aux dirigeants parce qu’ils ont causé la
faillite d’une société groupée ? Il semble qu’il est question essentiellement des fautes de gestion, sachant que
cette notion est difficile à définir puisqu’il s’agit de « saisir avec une notion juridique (la faute), un acte de
gestion qui, lui, est d’essence économique3344 ». Certes, la faute de gestion n’est pas forcément un acte qui
contrevient aux dispositions légales et statutaires. Il s’agit, toutefois, d’un acte contraire à l’intérêt social dans
une société isolée3345 et à l’intérêt commun du groupe dans un groupe de sociétés. Tel est notamment le cas
des dirigeants de la société mère qui abusent des biens de la filiale pour servir leurs intérêts personnels. Cette
faute de gestion prendra alors une forme positive. Mais elle peut se présenter aussi sous une forme négative ou
passive. C’est l’exemple du dirigeant qui n’exerce pas les fonctions dont il est investi par la loi et les statuts.
Tel est le cas lorsqu’il n’a pas « exercé son droit, voire son devoir de contrôle3346 ». Définie de la sorte, la
faute de gestion englobe toute sorte d’abus commis par les dirigeants lors du fonctionnement du groupe, à
savoir abus de biens sociaux, abus de pouvoir, abus de majorité…
Cependant, la commission de l’abus ne suffit pas pour étendre la faillite aux dirigeants de la mère ;
encore faut-il prouver le lien de causalité entre le fait abusif et la faillite de la société dominée3347. En effet, il
est fort probable qu’un abus ou plusieurs soient commis sans qu’ils n’entrainent, de près ou de loin, la faillite
de l’entreprise sociétaire. Ce lien de causalité est en principe retenu chaque fois que la société mère entraîne sa
filiale dans une opération onéreuse sans contrepartie. C’est le cas, par exemple, de la société mère qui impose
à sa filiale, lors d’une opération d’achat ou de vente, un prix anormalement majoré ou minoré. Ce qui se
traduit par une perte d’argent chez l’une et une entrée indue chez l’autre3348, sans que l’opération ne soit
justifiée par l’intérêt du groupe. Une telle opération est de nature à rompre l’équilibre entre les engagements
des diverses sociétés concernées. Cet équilibre n’est rétabli que par l’extension de la faillite aux personnes
responsables, notamment aux dirigeants de la mère qui ont abusé des biens de la filiale, s’il est prouvé que
leur fait était la cause directe de la faillite de la filiale en question3349. A vrai dire, de tels comportements sont
délicats à apprécier lorsqu’il s’agit d’une société isolée ; ils le sont davantage lorsqu’ils apparaissent dans une
société affiliée et-ce, en raison des spécificités des rapports intragroupes.
Le dirigeant de la société mère ne peut nullement invoquer son inexpérience pour éviter l’extension de
la faillite. Ainsi, dans un arrêt n°11667 date du 15 juillet 1992, la Cour d’appel de Sfax a refusé de considérer
le bas niveau éducatif du dirigeant social et son manque d’expérience comme cause d’exonération de sa
responsabilité3350.

711- D’une manière générale, on peut dire que l’intérêt majeur de la sanction prévue par l’article
478 CSC est que désormais le dirigeant ne peut plus se dissimuler derrière l'écran constitué par la société liée
pour échapper à la faillite personnelle qu’il risque d’encourir. En effet, la personne morale qui apparaît lors du
fonctionnement normal du groupe comme une « couche d’ozone » protégeant les dirigeants de toute
responsabilité, s’efface par la commission des actes « pollués » de sorte que « la chaleur » de la faillite affecte
intensément les patrimoines personnels des dirigeants fautifs même s’ils ne sont plus à la tête de la société en

3344
CAMPANA (M-J), La responsabilité du dirigeant en cas de redressement judiciaire, RJC, 1993, p135.
3345
BEN NASR (T), op.cit., p466.
3346
Ibidem.
.8 ‫ ص‬،2010 ‫ ﺟ ان‬،93/92 ‫ د‬N ، ‫را‬ ‫ ا‬،‫و ا ودة‬q! ‫ ت ذات ا‬C 3 ‫و ! ّ ي ا‬q! ‫ ' و‬# ‫ ّ ا‬A ‫ ى‬N‫ د‬،(163 $ّ ‫ ا‬, ]D 3347
3348
Un autre exemple : la société mère est souvent tentée de vendre à ses filiales le plus possible de biens. Cet abus a été constaté par la cour
d’appel de Paris dans l’affaire du « Bon Marché » du 9-1-52. V. BEL HAJ YAHIA (B), th. pré., p159.
3349
FEKI (N), art. pré., p123.
3350
V. OUERFELLI (A) et AYARI (K), Code des sociétés commerciales annoté, centre d’études juridiques et judiciaires, Tunis 2007, p 621.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

faillite3351. Il reste que l’efficacité d’une telle sanction peut-être mise en danger dans certaines situations bien
connues. En effet, l’extension de la procédure collective, aussi bien aux sociétés du groupe qu’à ses dirigeants,
peut connaître une difficulté matérielle liée à l’existence de groupes de sociétés multinationaux, surtout que la
Tunisie assiste actuellement à l’implantation de plusieurs groupes étrangers. Le problème se pose alors avec
beaucoup d’acuité chaque fois que la filiale installée en Tunisie fait l’objet d’une procédure collective et que
les créanciers tunisiens de cette dernière veulent étendre la procédure non seulement à la société mère installée
à l’étranger mais aussi aux dirigeants de la mère qui peuvent résider un peu partout dans le monde. Il est vrai,
qu’on a déjà démontré que la compétence en matière d’extension de la procédure collective revient au juge
tunisien3352, mais le problème concerne à ce niveau l’exequatur des jugements émanant des juridictions
tunisiennes. Toute la question est donc de savoir si le for étranger acceptera la compétence du for tunisien ? Si
tel est le cas, acceptera-t-il d’octroyer à la décision tunisienne la force exécutoire nécessaire pour préserver les
droits des créanciers et des associés minoritaires tunisiens ou étrangers ? Sans oublier, bien entendu, toutes les
inconséquences liées au temps que prendront de telles procédures.

712- Nonobstant ces difficultés, il n’en demeure pas moins que les partenaires du groupe semblent
être assez bien protégés en cas de procédure collective puisqu’ils peuvent en demander l’extension aussi bien
aux autres sociétés du groupe, y compris la société mère, qu’aux dirigeants des autres sociétés groupées. Sont-
ils aussi protégés au cas où l’on réfléchit sur le sort des actes ou la responsabilité civile des dirigeants sans
établir de rapport avec la procédure collective.

-§2- : Les sanctions civiles sans rapport avec la procédure


collective, une extension à entériner dans la concentration
713- Lorsque la société personne morale est in bonis3353, les sanctions civiles peuvent être
envisagées et analysées aussi bien concernant la sanction complémentaire de la nullité ou qui se substitue à
cette dernière, à savoir la responsabilité civile, ou les sanctions plurales et originales relatives à l’abus de
minorité.
Si la responsabilité civile devrait connaître un élargissement par l’institution d’une nouvelle forme de
responsabilité civile propre aux procédés de concentration (I), les sanctions de l’abus de minorité, proposées
par la doctrine et la jurisprudence, sont multiples, on fera alors un choix bien réfléchi afin d’amener le
législateur à élargir le cercle des sanctions de cet abus pour bien « frapper sur les mains des fauteurs » en
matière de concentration des sociétés (II).

I- L’élargissement de la responsabilité civile dans les procédés


de concentration
714- En plus de la nullité qui constitue la sanction civile de base, le législateur a bien fait de
renforcer cette mesure de curation importante par une responsabilité civile assez large du point de vue des
personnes responsables et des assises législatives possibles (A). Il reste que cette responsabilité civile de droit
commun demeure insatisfaisante à bien des égards. En effet, certaines insuffisances et lacunes que comporte
le système juridique actuel peuvent être comblées efficacement, en matière de concentration, en ayant recours
aux dommages-intérêts punitifs. La responsabilité traditionnelle présente d’une part, des insuffisances au plan

F ‫ ا‬8G H7 /] ‫ ف‬4@ A ‫ا‬ ‫ال أ م‬q! ‫ ھ ا ا‬p‫ ا ! " ؟ » أ‬U < ‫ أم‬8 ‫ ھ ا ! ا‬V‫ ھ‬،‫ ھ ا ! ا ] د‬M ‫ ى‬N ‫] ص ھ ه ا‬P 8 ‫ال ا‬q! ‫ ح ا‬L+ ‫ أن‬M + 3351
f ‫[ﺟ‬G " ! ‫ م ا‬# ‫ ا‬+ ‫ ا‬H ‫ ا‬M L ‫ ا‬M M 3< 7 ‫ ' و‬# ‫ ا‬+ ! 9K4 M F ‫دارة‬J‫ ا‬H ‫ ء‬FN‫ | 'ام أ‬/! / ‫ ا‬M ‫ أ‬I ‫ ط‬7 ‫( و‬1992-7-15) A C O ‫ رة‬K3 ‫ا‬
Mّ‫ـ ـــــــ‬# + ‫ و‬N ‫ ' إ ﺟ ء‬N M ! / ‫ ا‬D ‫و‬q! ‫ن‬ + 9‫ و< ھ‬9‫ ھ‬H / ‫* ا‬+‫ ر‬$ 8G M+‫دارة ا ﺟ د‬J‫ ا‬H ‫ ء‬FN‫ و أ‬H ‫ أن ا‬M F + 9 ‫ ري‬$ 74 V]/ ‫ن ا‬ ‫ا‬
+! L " !‫ ا‬H ‫ا‬ ‫ ت ا‬N‫ر ا‬ ‫ ا‬+ $ U N ‫ دا‬4 A‫ وا‬. N ‫ ا‬+ ! ‫ ب ر‬L ‫ ا‬a G ‫ ن‬C ‫ي‬D ‫* ا‬+‫ ا ر‬8G ‫ ' ﺟ دة‬# ‫ ب ا‬A‫ أ‬f C ‫ ا ` < ل إذا‬k $ ‫وا‬
K G ‫ ن‬C 8 ‫ ات ا‬4! ‫ ا‬U ‫ إ‬#‫ راﺟ‬A C O K ‫ ت‬8 ‫ ت ا‬#] ‫ور ا‬D‫دارة أي أن ﺟ‬J‫ ا‬H ‫ ب‬L ‫ ا‬A ‫* ر‬+‫ ر‬$ 8G C ‫ ھ ر‬$ 8G f C C 3 ‫ أن < ا‬K M $ a ' # ‫ا‬
.117 ‫ ص‬،1994 ،H A ! ‫ م ا‬# ‫ ا ق و ا‬C ،‫ دات‬+' ‫ ت ا رث‬A‫ درا‬N ، ‫ ! ھ‬U N C 3 ‫س ا‬SG‫ ر إ‬p‫ آ‬، N ‫ھ‬ 7 ‫ ( ا‬- ."‫ م‬# ‫ ھ ا‬+ ‫ و‬K! ‫ ب ر‬L ‫ا‬
3352
V. supra, n° 699 et s.
3353
"In bonis" est une expression d'allure latine, actuellement d'une utilisation peu fréquente, qui caractérise la situation de celui ou de celle qui
jouit de l'ensemble des droits d'usage et de disposition que le Droit lui confère sur son patrimoine. A cette position s'oppose celle des personnes qui
ayant été placées sous le régime de la liquidation judiciaire sont déchues des droits de disposer de leurs biens qui constituent le gage de leurs
créanciers.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

de la finalité comminatoire, et d’autre part, les abus inhérents aux procédés de concentration témoignent d’une
situation où le droit positif est dépourvu de solution adéquate à la réalité. On se demandera alors si ces
insuffisances peuvent-être comblées par les dommages-intérêts punitifs (B) ou encore par une institution
nécessaire, mais assez compliquée, de ce qui est convenu d’appeler l’action de groupe ou encore la class
action (C).
A- Un champ d’application large de la responsabilité civile

715- A côté de l’article 103 COC qui demeure toujours la base légale originelle de la responsabilité
civile liée à la commission d’un abus, plusieurs autres fondements textuels ont vu le jour, en droit des sociétés
commerciales3354, pour faire face à l’opulence des abus dans la société personne morale et surtout en matière
de concentration.
On peut citer notamment l’article 207 CSC qui dispose que « les membres du conseil d’administration
sont solidairement responsables, conformément aux règles de droit commun, envers la société ou envers les
tiers, de leurs faits contraires aux dispositions du présent code ou des fautes qu’ils auraient commises dans
leur gestion notamment en distribuant ou en laissant distribuer, sans opposition, des dividendes fictifs, sauf
s’ils établissent la preuve de la diligence d’un entrepreneur avisé et d’un mandataire loyal ». L’article 220 du
même code ajoute que l’action en responsabilité contre les dirigeants peut être exercée par la société elle-
même, moyennant ses organes sociaux3355, ou encore par un ou plusieurs associés détenant 5% du capital
social si la société anonyme ne fait pas appel public à l’épargne et 3% si la société fait appel public à
l’épargne ou encore par tout associé dont la participation au capital atteint la valeur de un million de
dinars3356.
Dans le même sens, l’article 425 CSC relatif à la fusion précise, dans son alinéa dernier, que les
dommages encourus par les tiers, les associés ou les créanciers seront supportés, en cas de nullité de la fusion,
par les responsables de cette nullité. L’article 427 du même code ajoute, à cet effet, qu’en cas d’annulation de
la fusion, toutes les sociétés qui ont participé à cette opération sont solidairement responsables avec leurs
dirigeants de l’exécution des obligations leur incombant et des dommages causés à toute personne physique
ou morale.
Concernant la scission, il faut remarquer que les articles 428 à 432 CSC, relatifs à cette opération,
n’ont consacré aucune disposition afférente à la responsabilité civile. Toutefois, en combinant les textes du
droit commun et ceux du code des sociétés commerciales organisant cette forme de responsabilité avec les
dispositions de l’article 438 du même code, on peut soutenir que sont civilement responsables tous ceux qui,
en commettant un abus, portent atteinte à autrui ou donnent lieu à une réalisation frauduleuse de la scission ou
dont l’objectif est d’avoir une position dominante préjudiciable à la concurrence sur le marché intérieur. De
tels actes peuvent constituer des délits permettant aux victimes d’opter soit pour se constituer partie civile
dans un procès pénal, soit agir directement devant la juridiction civile compétente en respectant les conditions
des alinéas 2 et 3 de l’article 7 C.P.P3357.
A la différence du silence législatif qui imprègne les articles organisant la scission, pour les groupes de
sociétés le législateur a consacré au moins un texte à la responsabilité civile des dirigeants du groupe et ce,
dans le cadre du titre six du code des sociétés commerciales relatif à ce procédé de concentration. Il s’agit de
l’article 477 qui permet à la minorité des associés, dans certaines conditions, d’exercer l’action sociale en
responsabilité contre les auteurs de l’abus de majorité3358.
716- Partant de cet éventail d’articles, différentes personnes peuvent intenter l’action en
responsabilité relative à une opération de fusion, de scission ou dans un groupe de sociétés. Il peut s’agir des
associés, minoritaires ou même majoritaires, des créanciers, des salariés, des sociétés concurrentes…et, de

3354
GUERMAZI (M), Collégialité du pouvoir : quelles incidences sur la responsabilité civile des dirigeants sociaux ?, I.J., n° 76/77, octobre 2009,
p 12.
3355
Cette action est connue sous le nom d’action « ut universi ».
3356
Cette action est connue sous le nom d’action « ut singuli ».
3357
L’article 7 C.P.P. dispose que « l'action civile appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage causé directement par
l'infraction. Elle peut être exercée en même temps que l'action publique, ou, séparément devant la juridiction civile ; dans ce dernier cas, il est
sursis à son jugement tant qu'il n'a pas été statué définitivement sur l'action publique lorsque celle-ci a été mise en mouvement.
La partie qui a exercé son action devant la juridiction civile compétente ne peut la porter devant la juridiction répressive, il n'en est autrement que
si celle-ci a été saisie par le Ministère public, avant qu'un jugement sur le fond ait été rendu par la juridiction civile ».
3358
V. supra, n° 146.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

façon générale, toute autre personne ayant subi un préjudice suite à la commission d’un abus. Différentes
personnes peuvent également être cible de l’action en responsabilité. Il peut s’agir des dirigeants fautifs, de la
société absorbante, des associés majoritaires, la société mère… et plus précisément toute personne responsable
de la nullité de l’opération de concentration ou de la commission d’un abus.
Indépendamment des personnes pouvant intenter l’action en responsabilité ou celles qui peuvent en
être la cible, cette sanction civile paraît, en raison de son champ d’application très large, d’une efficacité
importante en matière de curation des abus résultant de l’opération de concentration. De plus, une fois
déclarée recevable en la forme et au fond, par le juge compétent, l’action en responsabilité aboutira
certainement à une allocution de dommages et intérêts destinée à réparer les préjudices subis non seulement
par la société et les actionnaires minoritaires mais aussi par toutes les personnes lésées par l’opération abusive.
Il faudra rappeler aussi que généralement, lorsque les actionnaires engagent la responsabilité de
l’organe de direction ils révoquent ses membres3359. La révocation est l’effet le plus important de
l’engagement de la responsabilité du dirigeant. Cette révocation peut prendre plusieurs formes elle peut-être
une révocation ad-nutum3360, une révocation pour justes motifs ou une révocation judiciaire3361. Il reste que la
commission d’un abus constitue, en réalité, un juste motif de révocation en ce qu’il reflète un manquement du
dirigeant à ses fonctions. Ce manquement coïncide mal avec le respect de l’intérêt social.
717- Contrairement à la responsabilité civile des dirigeants et celle des responsables de la nullité de
l’opération de concentration qui semblent, toutes les deux, assez bien réglementées, celle des contrôleurs de
l’information, notamment l’expert spécialisé et l’expert de gestion n’a pas pour autant retenue l’attention du
législateur. Faut-il alors les exempter de toute responsabilité civile ? Il ne le semble pas ; car en plus d’une
possible condamnation sur la base des articles 425 et 426 susvisés, les textes du droit commun des obligations
et des contrats leur restent toujours applicables. A cet effet, rien ne semble interdire l’application des articles
82 et 83 COC si la faute, le préjudice et le lien de causalité sont prouvés à l’encontre du contrôleur. Dans de
telles circonstances, ce dernier, qu’il soit expert spécialisé ou expert de gestion, serait contraint à réparer les
préjudices subis lors de l’opération de concentration mal contrôlée3362. En revanche, la responsabilité du
commissaire aux comptes et celle des membres du conseil de surveillance semblent avoir bien retenu
l’attention du législateur qui les a bien détaillées dans plus d’un article3363. En effet, par application de l'article
272, alinéa premier, du code des sociétés commerciales, le commissaire aux comptes peut être responsable des
fautes commises dans l'exercice de ses fonctions. Cela veut dire que la mise en jeu de la responsabilité civile
du commissaire aux comptes implique toujours l'existence d'une faute. Elle consiste dans le manquement aux
obligations que la loi et les normes professionnelles lui imposent3364. Il faut signaler ensuite que la faute n'est
pas seulement imputable aux commissaires aux comptes, mais aussi aux dirigeants sociaux. Dans ce cas, le
commissaire n'est pas responsable des fautes des dirigeants sauf s'il a contribué par sa négligence à en
aggraver les conséquences. Donc le principe, c'est que le commissaire aux comptes est seulement responsable
de ses fautes personnelles. Il s'en suit qu'il ne saurait être responsable des fautes commises par les dirigeants
sauf si, en ayant eu connaissance, il ne les a pas révélées dans son rapport à l'assemblée générale3365. En tout

3359
REIGNE (PH), Révocabilité ad nutum des administrateurs sociaux et fautes de la société, Rev. Soc., 1991, p 499 ; BRUN (A), De l’abus de
droit de révocation des administrateurs, Rev. Gén. Dr. Com., 1938, p. 753 ; AUBERT (J-L), La révocation des organes d’administration des
sociétés commerciales, Rev. Soc., 1968, p 977.
3360
La révocation des membres du conseil d’administration peut intervenir à tout moment : c’est la révocation ad nutum. La révocabilité ad nutum
lorsqu’elle s’applique, est traditionnellement justifiée par l’idée de mandat dont le propre est, suivant l’article 1160 COC, de pouvoir être rompu
discrétionnairement. Dans la société anonyme de type classique, c’est le régime de la révocation ad nutum qui s’applique aux dirigeants sociaux.
Par contre, dans une société anonyme de type nouveau, la révocation des membres du directoire doit reposer sur un juste motif, sinon elle revêt un
caractère illicite ouvrant droit à indemnité pour les dirigeants concernés3360 et ce, conformément à l’article 277 CSC.
BAILLOD (R), Le «juste motif» de révocation des dirigeants sociaux, RTD Com., 1983, p 395.
3361
Alors que l’article 122 du code des sociétés commerciales prévoit la révocabilité judiciaire pour cause légitime du gérant de la société à
responsabilité limitée, aucun texte n’autorise le juge à révoquer un administrateur ou un membre du directoire, alors même qu’existerait une cause
légitime. Est ce à dire qu’il n’appartient qu’aux actionnaires de se prononcer en la matière ? Encore faudrait-il en donner la raison ? Il semble que
la révocation judiciaire des dirigeants des sociétés anonymes doit être instaurée dans notre législation pour plusieurs raisons. En premier lieu, elle
est nécessaire lorsque le lien de confiance est rompu en raison des fautes du dirigeant. En deuxième lieu, la révocation judiciaire signifie que le
dirigeant reconnu fautif n’est plus autorisé à reprendre son poste au seul motif qu’il détient la majorité des droits de vote. En dernier lieu, la mesure
produit un effet dissuasif et contribue à moraliser le gouvernement des sociétés «on ne corrige pas celui qu’on pend, on corrige les autres par lui»
(Montaigne, Les essais, livre 3, chapitre 8).
3362
En pratique il n’est pas aussi simple de prouver leur faute. Leur responsabilité ne pourra être engagée qu’en présence d’une erreur patente.
3363
La responsabilité du commissaire aux comptes a été traitée dans plusieurs articles dont notamment les arts 258, 267, 271, 272, 273 C.S.C. Cette
responsabilité trouve aussi droit de cité dans le code de déontologie des commissaires aux comptes.
3364
MONEGER (J) et GRANIER (T), le commissaire aux comptes, éd. Dalloz, 1995 p 141, n° 505.
3365
V. l'art. 272 CSC.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

état de cause, les dirigeants ne peuvent pas prétendre échapper à leur responsabilité au motif que les abus ont
pour cause l'absence de contrôle de la part des commissaires3366.
Malgré les derniers amendements du CSC3367 qui marquent un renforcement de la responsabilité du
commissaire aux comptes et qui ont pour conséquence d'inciter ce dernier à être plus attentif et diligent lors de
l'accomplissement de ses fonctions, il y a lieu de signaler la difficulté de mettre en œuvre cette responsabilité
à cause des difficultés qui entourent à la fois la preuve de la faute et du lien de causalité unissant cette faute au
préjudice subi3368. De même, en manquant à leur devoir de contrôler les actes accomplis par le directoire, les
membres du conseil de surveillance peuvent voir leur responsabilité engagée pour faute commise dans
l'exécution de leur mandat. Aux termes de l'article 255 alinéa premier du CSC « les membres du conseil de
surveillance répondent de leurs fautes personnelles commises lors de l'accomplissement de leurs fonctions. Ils
ne supportent aucune responsabilité du fait des actes de gestion et des conséquences qui en découlent... ».
718- Conformément au droit commun de la responsabilité civile ainsi qu’au droit des sociétés, la
réparation de l'abus peut consister en l'allocation de dommages-intérêts. Mais dans la plupart des cas, cette
sanction demeure insuffisante, et la Cour de cassation française elle-même estime qu' « il existe d'autres
solutions permettant la prise en compte de l'intérêt social »3369. Il sied alors d’orienter la réflexion vers une
extension possible de la sanction permettant l’octroi de dommages-intérêts. Faut-il alors institutionnaliser les
dommages-intérêts punitifs3370 ?

B- Pour une institutionnalisation des dommages-intérêts punitifs dans les


procédés de concentration

3366
Cass. Com. Fr., 14 octobre 1959, J.C.P, 1959, 2, 11308, note NECTAUX.
3367
Citons, par exemple, l'article 266 bis CSC, ajouté par la loi du 18 octobre 2005, qui fait de la présence du commissaire aux comptes à
l'assemblée générale et aux réunions du conseil de surveillance, d'administration ou du directoire, une obligation et non plus une possibilité comme
s'était le cas dans le CC. Citons aussi l'obligation mise à la charge du commissaire aux comptes qui consiste à signaler immédiatement au C.M.F,
tout fait de nature à mettre en péril les intérêts de la société ou des porteurs de titres.
3368
Le commissaire aux comptes peut être aussi pénalement responsable soit en tant qu'auteur principal de l'infraction, soit en tant que complice
des dirigeants. En effet, aux termes de l'article 271 CSC, « est puni d'un emprisonnement d'un an à cinq ans et d'une amende de mille deux cents à
cinq mille ou de l'une de ces deux peines seulement, tout commissaire aux comptes qui aura sciemment donné ou confirmé des informations
mensongères sur la situation de la société ou qui n'aura pas révélé au procureur de la république les faits délictueux dont il aura eu connaissance.
Les dispositions de la loi pénale relative à la révélation du secret professionnel sont applicables aux commissaire aux comptes». Il découle de
cette disposition que le commissaire aux comptes peut voir sa responsabilité pénale engagée suite à la commission de trois infractions dont-il est
l'auteur principal. Il s'agit d'abord, de donner ou confirmer des informations mensongères sur la situation de la société. Pour la mise en œuvre de sa
responsabilité, deux éléments doivent être réunis. Un élément matériel qui est le mensonge qui signifie que les informations en cause doivent être
inexactes. Ainsi, dans un arrêt BATAM rendu par le tribunal de première instance de Tunis le 15 mai 2004, le commissaire aux comptes a été
poursuivi pour la confirmation d'informations mensongères qui s'est matérialisée par une certification non sincère des états financiers de la société
Héla BATAM. Ensuite, la non révélation des faits délictueux au procureur de la république. Enfin, la révélation du secret professionnel.
3369
Cass. Com. Fr., N° de pourvoi : 90-13055 , 14 janvier 1992, V.
http://www.lextenso.fr/weblextenso/article/afficher?id=C010IXCXCX1992X01X04X001ZZX039&origin=recherche;6&d=3526888786203.
3370
Une antinomie patente prévaut entre les termes « dommages intérêts » et « punitifs », lesquels sous-tendent respectivement une fonction
compensatoire et punitive. L’expression « dommages punitifs » apparaîtrait plus adéquate, car renvoyant exclusivement à une finalité répressive.
Au surplus, elle constituerait la traduction littérale de l’institution des « punitive damages » de la common law. V. à ce sujet : CARVAL (S), La
responsabilité civile dans sa fonction de peine privée, LGDJ, Bibl. droit privé t. 250, 1995, préf. G. Viney ; Du même auteur, RDC 2006, obs. p.
822 ; JAULT (A), La notion de peine privée, LGDJ Bibl. droit privé, t. 442, 2005, préf. F. Chabas ; FASQUELLE (D) et MESA (R), La sanction
de la concurrence déloyale et du parasitisme économique et le rapport Catala, D. 2005 p. 2066 ; CHAGNY (M), La notion de dommages-intérêts
punitifs et ses répercussions sur le droit de la concurrence, JCP G 2006, I, 149 ; Du même auteur, La place des dommages et intérêts dans le
contentieux des pratiques anti-concurrentielles, Rev. Lamy Dr. conc. 2005, n °4, p. 186 s., spéc. p. 189 ; LAITHIER (Y-M), Clause pénale et
dommages et intérêts incitatifs, In Droit et économie du contrat, dir. C. Jamin, LGDJ Droit et économie, 2008, p. 141 et s. ; GUENZOUI (Y), La
notion d'accord en droit privé, LGDJ Bibl. droit privé, t. 502, 2009, préf. C. Hannoun, n° 346 et 347 ; Rapports C. Jauffret- Spinosi, J. Orthscheidt,
D. Fasquelle, M. Béhar-Touchais au colloque CEDAG du 21 mars 2002, « Faut-il moraliser le droit français de la réparation du dommage ? », dir.
M. Béhar-Touchais, LPA 20 nov. 2002.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

719- Institution spécifique de la common law3371, les dommages-intérêts punitifs se caractérisent par
la condamnation de l’auteur responsable au versement d’une somme supérieure à celle requise pour réparer le
préjudice de la victime. Dès lors c’est l’importance du montant qui traduit une volonté de sanctionner le
responsable3372.
La consécration d’une telle notion pourrait constituer une solution satisfaisante au plan de l’évolution
interne du droit de la responsabilité civile. En d’autres termes, les dommages intérêts punitifs pourraient se
révéler utiles afin de pallier les lacunes du droit positif3373.
L’utilité d’une institutionnalisation des dommages-intérêts punitifs en matière de la concentration
s’inscrit au cœur de la présente étude. Les échos d’une réception de cette notion en droit contemporain sont
contrastés. Pour les opposants traditionalistes, les dommages-intérêts punitifs sont perçus telle une institution
dangereuse, principalement au regard de la dérive procédurale américaine3374 et l’irrespect de la stricte logique
de l’école romano-germanique qui confine au droit de la responsabilité pénale la fonction punitive3375. Une
réplique leur est opposée par les partisans qui relèvent de nombreux domaines où les dommages-intérêts
punitifs apparaissent indispensables. Loin de s’apaiser, cette question suscite un vif intérêt et anime les débats
au sein de plusieurs colloques3376.

720- En droit civil Tunisien, français et même italien3377, les « dommages et intérêts » sont
seulement liés à l'obligation de réparation d'un préjudice. En effet, la référence « au dommage » et à sa
3371
Les dommages-intérêts punitifs semblent être une spécificité des pays de la common law. Apparus en Angleterre à la fin du XVIIIe siècle (les
premiers arrêts datent de 1763), ils ont traversé l'Atlantique et se sont enracinés dans le droit des Etats-Unis, mais d'Angleterre ils ont essaimé dans
les pays du Commonwealth. On les retrouve en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Afrique du Sud, au Canada. Et les dommages-intérêts punitifs
semblent bien vivaces ; s'ils sont parfois attaqués, limités ou contrôlés, aucun pays ne remet en cause leur existence. En Angleterre, étant connue
pour être l’un des pays les plus restrictifs de la common law, les dommages intérêts punitifs ont été délibérément marginalisés. A la suite de
décisions rendues en 1963 et 1971, ils ont été limités à un plus petit nombre de délits qu’en droit américain. Aujourd’hui, la Chambre des Lords,
cherche à limiter l'application de dommages intérêts exemplaires autorisant l’octroi de ce type de dommages dans trois situations : 1) en cas de
faute des agents publics (exemple : priver un citoyen de ses droits fondamentaux) ; 2) chaque fois que quelqu'un cherche à obtenir un
enrichissement en conséquence de son comportement illicite, 3) lorsque les dommages intérêts punitifs sont spécialement prévus par la loi. Comme
en Angleterre, les territoires coloniaux d'Amérique (pendant le XIXe et une bonne partie du vingtième siècle) ont aussi développé l’instrument des
punitive damages. Au début les tribunaux américains limitaient fortement l’allocation des dommages intérêts punitifs en ne les autorisant que pour
les traditionnels Intentional torts. Mais à partir de l’affaire « Woodworth 18 » en 1852, la Court suprême déclare qu’un jury peut condamner le
défendeur au payement des dommages intérêts punitifs en se fondant sur la gravité de l’acte qu’il a commis plutôt que sur la mesure du préjudice
subi par la victime. Dans cette affaire, la cour a précisé que ce recours était « un principe bien établi du droit commun ». Cependant, les dommages
intérêts punitifs n’étaient pas adoptés de façon uniforme dans tous les Etats. Certains rejetant la notion de punition dans les affaires civiles comme
par exemple le Michigan, le New Hampshire et l’Etat de Washington. Dès leur introduction, les « punitive damages » comme type de sanction
civile, ont connu un grand succès au point d’en faire un principe même du droit commun américain voire un instrument ou remède à disposition
des victimes dans un rapport privé. (U.S. Supreme Court, Day v. Woodworth ,13 How, 363, 370- 371. Dans l’affaire “Day v. Woodworth”, 54 U.S.
(13 How.) 363, 371 (1851, Voir par ex. l’affaire”Jackovich v. General Adjustment Bureau, Inc.”, ( 326 N.W.2d 458, 464 ,Mich. App. 1982 «viole
la loi du Michigan relative aux dommages, la décision du jury qui explique que des dommages intérêts punitifs pourraient être allouées seulement
pour punir le défendeur » Mais aussi l’affaire “McFadden v. Tate”, ( 85 N.W.2d 181, 184 ,Mich. 1957) où la cour explique que quand le défendeur
s’engage dans un acte malicieux et cause un préjudice injuste, la victime a droit d’être compensée pour l’outrage et l’humiliation subies. V.
l’affaire “ Vratsenes v. New Hampshire Auto, Inc.”, (289 A.2d 66, 68 N.H. 1972) « Aucun dommage intérêt ne doit être alloué comme punition
contre le défendeur pour le dissuader lui et d’autres ».Voir l’affaire “Stanard v. Bolin”, (565 P.2d 94, 98, Wash. 1977) (Rejettant d’allouer des
damages intérêts punitifs dans un cas de rupture d’une promesse de mariage en absence d’une autorisation statutaire). Malgré une reconnaissance
rapide, l’application des Punitive Damages a soulevé plusieurs questions aux Etats-Unis. Aujourd’hui la doctrine américaine s’interroge toujours
sur une éventuelle incompatibilité des Punitive Damages avec la constitution. V. JAUFFRET-SPINOSI (C), Les dommages-intérêts punitifs dans
les systèmes de droit étrangers, LPA, 20 novembre 2002 n° 232, p. 8.
3372
COUTANT-LAPALUS (C), Le principe de réparation intégrale en droit privé, préf. F. Pollaud-Dulian, thèse Presses Universitaires d’Aix-
Marseille, 2002 ; JAULT (A), La notion de peine privée, préf. F. Chabas, th. Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, Bibliothèque de droit
privé, t. 442, 2005.
3373
Les sanctions punitives étaient déjà connues dans de nombreuses civilisations de l’antiquité. Les lois de Babylone, d’Egypte, de Grèce et de
Rome, imposaient déjà aux auteurs de délits des amendes supérieures à la réalité du dommage qu'ils infligeaient à autrui. Des dispositions
similaires ont été trouvées aussi dans le code Hammourabi, 2000 ans avant J.C. et dans le code Hindu de Manu, 200 ans avant J.C. Même la Bible
approuve les dommages intérêts punitifs dans certaines circonstances. Spécifiquement, le livre de l'Exode, prévoit que « si un homme vole un bœuf
ou un mouton, et le tue, ou le vend il restituera cinq bœufs pour un bœuf, et quatre moutons pour un mouton ».
3374
FAIVRE (L), L’éthique de la responsabilité, 1998, p. 19 ; Sophie Schiller, Hypothèse de l’américanisation du droit de la responsabilité,
Archives de philosophie du droit, 2001, p 177.
3375
PIEDELIEVRE (S), Les dommages et intérêts punitifs : une solution d’avenir ? In La responsabilité civile à l’aube du XXIe siècle : bilan
prospectif, Resp. civ. Et assur., hors série juin 2001, p. 72, n° 22.
3376
« Faut-il moraliser le droit français de la réparation du dommage? », Colloque du 21 mars 2002, sous la direction scientifique du Professeur M.
Behar-Touchais, LPA, 20 novembre 2002; « La responsabilité civile à l’aube du XXIe siècle : bilan prospectif », Colloque organisé par la Faculté
de droit et d’économie de l’Université de Savoie et le Barreau de l’Ordre des avocats de Chambéry des 7-8 déc. 2000, Resp. civ. Et assur., hors
série juin 2001; « L’appréciation du préjudice », Cycle de conférence organisé par la Cour de cassation et la Chaire Régulation de Sciences Po
Paris du 1er mars 2004 au 21 juin 2004, sous la direction scientifique de G. Canivet, Premier Président de la Cour de cassation, M.-A. Frison-
Roche, Agrégée des Facultés de droit, Professeur à Sciences Po Paris, et B. Deffains, Professeur à l’Université Nancy II, Droit in Situ Avril 2005.
3377
De façon générale dans l’école Romano-Germanique.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

réparation figurent aux articles 82, 83 et 103 COC, à l'article 1382 du Code civil français et à l’article 2043 du
code civil italien. Aussi les « dommages et intérêts » sont expressément visés par les articles 107 et 278 COC,
1149 du Code civil français et 1223 du code civil italien, qui précisent d'ailleurs qu'ils sont dus en général, de
la perte que le créancier a faite et du gain dont il a été privé. Dans le domaine de la responsabilité civile
délictuelle en particulier, le principe de la réparation intégrale qui constitue le dogme et la matière3378, se
présente comme un triptyque : « tout le dommage » ; « rien que le dommage » ; « seule compte la situation de
la victime3379 ». Ceci exclut donc l'évaluation du préjudice en équité ou de manière forfaitaire de même qu'est
impossible une indemnisation supérieure au préjudice3380. Appliqué avec rigueur et fermeté, le principe
d’équivalence s’oppose à l’octroi de dommages-intérêts d’un montant supérieur au préjudice réellement subi
et, par voie de conséquence, à la prise en considération de la gravité de la faute de l’auteur responsable3381.
On est là au cœur de notre problématique car, par nature, les dommages- intérêts « punitifs » d’origine
anglo-saxonne tendraient, en raison d'un objectif répressif, à voir accorder à la victime plus, et même
beaucoup plus, que ce à quoi elle aurait droit au titre de la réparation de son seul préjudice. On va au-delà du
préjudice, pour prendre en considération la nature de l’abus ou la faute qu'on veut réprimer. D’ailleurs, les
dommages-intérêts alloués par les tribunaux américains font régulièrement la une des journaux du monde
entier. Chacun connaît le cas de cette cliente d’un restaurant rapide McDonald’s qui, brûlée aux genoux par
une tasse de café trop chaude, a obtenu 260 000 $ de dommages-intérêts compensatoires et 2 700 000 $ de
dommages-intérêts punitifs, parce qu’il avait été prouvé que la chaîne de restauration savait depuis longtemps
que son café était servi trop chaud3382. Nul n’ignore non plus le cas de cet acheteur d’une rutilante berline
routière allemande qui s’est aperçu que la filiale américaine du constructeur bavarois avait maquillé une
éraflure survenue pendant le transport en faisant repeindre la carrosserie. Son affaire est allée jusque devant la
Cour suprême des Etats-Unis qui, dans un arrêt phare, a estimé que la condamnation à 4.000 $ de dommages-
intérêts compensatoires était justifiée, mais que l’octroi de 2.000.000 $ de dommages-intérêts punitifs était
excessif parce que cette somme représentait 500 fois le montant du préjudice3383. Ces sanctions pécuniaires
pharaoniques ne sont cependant pas limitées au droit de la consommation car les dommages-intérêts attribués
dans les affaires américaines, relatives aux abus liés à la concentration, sont parfois tout aussi vertigineux.
C'est là que l'on mesure le caractère fondamentalement étranger à notre législation d'une telle
réparation. Le dogme indemnitaire, avec son triptyque, exclu toute place aux dommages-intérêts punitifs dans
les systèmes de responsabilité civile de l’école de l’exégèse. Cependant la question de savoir s’ils peuvent
néanmoins avoir une place dans ce système s’est posée et alimente les débats car certaines manifestations des
dommages-intérêts punitifs sont déjà présentes dans notre système juridique mais constituent encore une

3378
En vertu de ce principe, le responsable doit réparer tout le dommage survenu mais pas davantage. Cela signifie que le responsable doit a priori
compenser tout le préjudice subi par la victime : celui causé directement par le dommage et aussi celui qui en est une conséquence directe. La
différence étant qu’en matière délictuelle la réparation n’est pas limitée au dommage que l’auteur pouvait prévoir compte tenu de son acte ou
compte tenu des prévisions contractuelles. Les dommages intérêts allouées à une victime doivent réparer le préjudice subi sans qu’il en résulte pour
elle ni perte ni profit. Les dommages intérêts accordés doivent donc correspondre très exactement au préjudice subi, ni plus ni moins. Lorsque la
réparation est pécuniaire, l’équivalence qui assure la réparation intégrale est de type quantitatif. L’indemnité versée à la victime doit alors se
mesurer exclusivement à l’aune de la valeur du dommage, lequel apparaît comme l’unique critère de réparation.
3379
D’ailleurs il n’y a que la victime qui a le droit d’agir contre l’errant.
n+ # ‫أن ا‬ّ ‫ " أ‬L$ U N ّ A‫ ا‬8! ‫ ء ا‬F ‫ ا‬a G ‫ ّن‬G ،‫ ه‬+ ^$ ‫ أو‬M+ ‫[ ا‬L U N ‫ ء‬4 ‫ وت‬/ V 3 ‫! رة‬P ‫ ا‬+ $ M 8g ‫ ن ا‬4 ّ ُ+ ‫ م ا ع‬278 ‫ و‬107 M ]/ ‫أن ا‬
ّ M 95 3380
‫ م ا ع‬107 V]/ ‫ ا‬U4# U N n+ # ‫ ا‬N‫ ا‬7 " ‫أن‬ ّ 2004/09/27 = ‫ ا _رخ‬1667 ‫(د‬3 "( ‫ ا‬61@7 ‫ @ ار ا‬،‫ ل‬d ‫ ا‬V A U N ،‫ < ` ﺟ ء‬.Vّ 7‫ و أ‬dC‫ ر أ‬F ‫ < ود ا‬8G ‫ ن‬+
+ $ 0 4N ‫ د‬N‫ا‬ ‫! 'م ا‬+ 9ّ p M ‫ اء ون ّر و‬p‫ ا‬k ‫ ّ ذ‬#ُ + ‫ اذ‬I A ‫ اء ون‬p‫ ا‬a4N ّ 4+ U < V7‫ و ا‬dC‫ ر أ‬F ‫ < ود ا‬8G n+ # ‫ ا‬K4 g M 7 h ‫ ا‬g U ‫ ا‬6FP$
‫ل‬C ‫ ا‬n+ # ‫ ا ا‬5 + $ " ‫ أن‬1975/02/06 = ‫ ا _رخ‬10887 ‫(د‬3 "( ‫ ا‬61@7 ‫ @ ار ا‬F+‫ ورد ا‬C .(75 ‫ ص‬،2004 ،2 ‫ د‬N 8 ‫ ا‬9! ‫ ا‬،.‫ت‬.‫م‬.‫ )ن‬." p ‫ و‬N g
.(79 ‫ ص‬،1976 ،1 ‫ د‬N 8 ‫ ا‬9! ‫ ا‬،.‫ت‬.‫م‬.‫)ن‬."‫ ب‬L ‫ ا‬l ‫ ر و ا‬F ‫ ا‬0 4N ‫ < ود‬8G ‫ ھ‬+ $ ‫ دام‬V0 ‫ا‬ ‫د‬K‫ﺟ‬
3381
C’est ainsi par exemple que juge la cour d’Appel de Paris dans un arrêt rendu le 3 Juillet 2006 que, « considérant que les intimés répliquent
justement que, en droit français, l’indemnité nécessaire pour compenser le préjudice subi doit être calculée en fonction de la valeur du dommage,
sans que la gravité de la faute puisse avoir une influence sur le montant de cette indemnité ». Par cet attendu, la Cour d’appel de Paris a refusé de
faire droit à la demande d’allocation de dommages et intérêts punitifs formulée par l’ayant droit de trois victimes d’une catastrophe aérienne et
réaffirme toujours le principe de la réparation intégrale. De son coté, le juge italien aussi applique ce qu’en Italie on appelle « principio del danno
effettivo » c'est-à-dire principe du dommage réel. Selon que le dommage soit contractuel (article 1223 CCI) ou délictuel (2043 CCI) le responsable
est tenu au paiement des dommages intérêts dont le montant doit être évalué en référence à l’entendue du préjudice réel, ni plus ni moins.
D’ailleurs dans une affaire récente du 200736, la Cour de Cassation italienne a réaffirmé ce principe en refusant de faire droit à une demande
d’exequatur d’une décision américaine en paiement des dommages-intérêts punitifs. Dans l’espèce, la Cour de cassation a justifié sa décision en
soutenant que reconnaître une telle institution dans le droit italien reviendrait à violer ses principes fondamentaux qui assignent à la responsabilité
civile une fonction exclusivement compensatoire et qui permait à la victime d’être indemnisée seulement du dommage subis afin d’éviter tout
enrichissement sans cause. C’est toujours le principe de la réparation intégrale qui s’applique. (Cassazione Civile, sez. III 19 Gennaio 2007, n.
1183, in Corriere Giuridico 2007 n. 4 pag. 497). V. JOURDAIN (P), Les dommages intérêts alloués par le juge : rapport français, In Les
sanctions de l’inexécution des obligations contractuelles : études de droit comparé, Paris, LGDJ, 2001, 263 à la p. 266.
3382
http://www.veron.com/publications/Publications/dommages_interets_pour_contrefacon_de_brevet_americain.pdf
3383
Ibidem.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

réalité voilée qu’il faudrait bien dévoiler. C’est le cas, par exemple, des deux articles 107 et 278 COC3384 qui
donnent la possibilité au juge d’apprécier le montant des dommages-intérêts différemment selon qu'il s'agit de
la faute du débiteur ou de son dol. Ces deux articles n’ont malheureusement pas été convenablement appliqués
par la jurisprudence qui se limite presque toujours à appliquer le principe selon lequel la réparation doit-être
égale au préjudice, tout le préjudice et rien que le préjudice.
721- Les dommages-intérêts punitifs apparaissent, dans cette perspective, comme une anomalie dans
le droit de la réparation du préjudice, car même dans les pays de la common law, les dommages-intérêts sont
essentiellement indemnitaires. Ils forment ainsi une institution à part, intermédiaire entre le droit civil et le
droit pénal. Ils conduisent dit-on à une confusion entre le rôle du droit de la responsabilité civile et le rôle du
droit pénal. Il appartient, en effet, à ce dernier et à lui seul d'infliger des peines et de prévenir la réalisation des
infractions. La différence est essentielle : l'instance pénale poursuit un intérêt public, l'action civile un intérêt
privé. Le juge civil peut-il assumer un rôle répressif qui n'appartiendrait qu'au juge pénal ? D'ailleurs, le
principe « nullum crimen nulla poena sine lege » ne s'oppose-t-il pas à l'existence de peines privées, et est-il
juste d'être condamné par une juridiction civile à une peine, sans que soient respectées les garanties du procès
pénal, lors d'une procédure, où la charge de la preuve est allégée ? De plus, puisque les mêmes faits
constituent souvent une infraction pénale et une faute civile, n'y a-t-il pas la crainte que le même auteur soit
deux fois puni ? Et pourquoi faut-il enrichir la victime qui par les dommages-intérêts compensatoires a dû déjà
recevoir réparation de son préjudice ? Et lorsque l'on sait que les dommages-intérêts punitifs sont accordés par
un juge, souvent favorable aux victimes, et que leur montant est souvent très élevé, quelle est la raison, pour la
victime, de cette bonne fortune ?
Aucune de ces critiques n'est sans parades. La distinction théorique entre le rôle de la réparation civile
et de la réparation pénale n'est-elle pas largement illusoire ? Leurs sphères souvent se chevauchent, les
garanties du procès civil ne sont peut être pas si éloignées qu'on veut bien le penser des garanties accordées
devant les juridictions pénales et l'enrichissement de la victime n'est-elle pas l'un des meilleurs moyens pour
encourager les victimes à agir contre l'auteur de l’abus, assumant ainsi un rôle de procureur privé3385 ?
L’existence des dommages-intérêts punitifs est donc contestable et contestée, mais les avantages qu'ils
présentent justifient leur reconnaissance et leur maintien dans les législations qui les ont adoptés.
722- Si on élargit le champ des investigations on peut découvrir que le droit positif offre différents
exemples d’accueil implicite des dommages-intérêts punitifs en tant que peine privée3386. Le droit positif offre
un exemple de recours à cette peine, en matière contractuelle, qui s’incarne dans le mécanisme de la clause
pénale3387. Aujourd’hui cette clause est définie comme étant un pacte accessoire au contrat, auquel selon la

3384
L’article 107 COC prévoit que « les dommages, dans le cas de délits et de quasi-délits, sont la perte effective éprouvée par le demandeur, les
dépenses nécessaires qu'il a dû ou devait faire afin de réparer les suites de l'acte commis à son préjudice ainsi que les gains dont il est privé dans
la mesure normale en conséquence de cet acte. Le tribunal devra d'ailleurs évaluer différemment les dommages, selon qu'il s'agit de la faute du
débiteur ou de son dol ». L’article 278 du même code énonce, à son tour, que « les dommages sont la perte effective que le créancier a éprouvée et
le gain dont il a été privé et qui sont la conséquence directe de l'inexécution de l'obligation. L'appréciation des circonstances spéciales de chaque
espèce est remise à la prudence du tribunal ; il devra évaluer différemment le montant des dommages-intérêts, selon qu'il s'agit de la faute du
débiteur ou de son dol… ».
3385
JAUFFRET-SPINOSI (C), Les dommages-intérêts punitifs dans les systèmes de droit étrangers, LPA, 20 novembre 2002 n° 232, P. 8.
3386
Par essence, la peine privée se définit suivant la juxtaposition de ses qualificatifs « peine » et « privée » : « peine parce que le but n’est plus de
réparer, mais de causer un dommage à l’auteur de la faute, de le punir ; peine privée, parce que le dommage souffert par le responsable se traduit
par un avantage dont profite la victime ». MAZEAUD (J) ET CHABAS (F), Traité théorique et pratique de la responsabilité civile délictuelle et
contractuelle, T. 3, 6ème éd., Paris, Montchrestien, 1976, p. 703. Récemment, Jault propose, au terme de sa thèse, une définition de la peine privée
formulée comme suit : « la peine privée est une sanction civile punitive indépendante de toute idée réparatrice, infligée à l’auteur d’une faute qui
lui est moralement imputable, au profit exclusif de la victime qui peut, seule, en demander l’application ». JAULT (A), La notion de peine privée,
préf. F. Chabas, thèse Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, Bibliothèque de droit privé, t. 442, 2005. La notion de peine privée, ainsi
définie, correspond à ce qu’en common law on appelle Punitive damages.
M 4 ‫ ا‬M 223 ‫ ا دة‬f] G . ‫ا ر‬ ‫ا‬ ‫ ا‬I 5 GS k ‫ وذ‬.8 ‫ أو ا 'ا‬8 + ^ ‫ ط ا‬3 8 ‫ م ا‬4 ‫ ا‬h F$ 0 <‫ د ا‬# ‫ا 'ا ت وا‬ M F $ 9 " 3387
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« La clause pénale est la compensation des dommages et intérêts que le créancier souffre de l’inexécution de l’obligation principale… ».
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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

doctrine et la jurisprudence dominante sont attribuées plusieurs fonctions : déterminer à l’avance l’étendue de
la réparation3388 et contraindre le débiteur à l’exécution3389. La clause pénale renvoie à la faculté offerte au
créancier d’une obligation contractuelle de prévoir à son profit, dans le contrat qui le lie au débiteur, que celui
qui manquera de l’exécuter payera une certaine somme à titre de dommages intérêts3390.
De même l’astreinte3391 représente une sanction redoutable en raison de la croissance de sa force
comminatoire avec l’écoulement du temps, d’une part, et son détachement progressif de la notion de
dommages-intérêts pour atteindre sa pleine force répressive et dissuasive, d’autre part. Il s’agit essentiellement
d’une mesure de coercition dont bénéficient les magistrats pour garantir l’exécution de leurs décisions. Elle
consiste en une somme d’argent à payer par jour ou mois de retard.
A non point douter, ces deux mesures législatives sanctionnent la faute du responsable d’un dommage.
On peut donc facilement en déduire que, même si leur forme et appellation sont différentes, le législateur a
déjà accueilli implicitement les « punitive damages ».
L’opportunité de combler aux inconvénients que nos systèmes actuels présentent pourrait convaincre
même les plus hostiles à reconnaître de manière officielle cette institution.
723- Les dommages-intérêts alloués par le juge en cas d’abus dans les procédés de concentration
poursuivent l’objectif principal de compenser le préjudice découlant de l’abus et non de prévenir l’acte abusif,
ni de punir le débiteur en lui infligeant une peine privée. « Il s’agit, pour employer une formule, de remédier à
une situation dommageable plutôt que de sanctionner celui qui l’a causée »3392.
Outre la recherche d’un correctif spécifique propre à chaque abus pour pallier à l’insuffisance des
dommages-intérêts, la voie d’un correctif général applicable à toute hypothèse d’abus peut être privilégiée
mettant ainsi en exergue un essai de systématisation nécessaire à la théorie générale à laquelle on postule. En
fait, l’octroi de dommages-intérêts punitifs, en sus des dommages-intérêts compensatoires, pourrait être cet
instrument de correction du déséquilibre, confié au pouvoir judiciaire, car les dommages-intérêts punitifs
poursuivent une finalité comminatoire et constituent, à ce titre, une incitation au respect de la fonction sociale

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8g ‫ ا‬V $ ‫ ﺟ از‬k DC‫ د و‬# ‫ ا‬8G 8 + ^ ‫ ط ا‬3 ‫ ا‬N O ‫ ار‬7‫ ا‬U ‫ ا‬UK ‫ ا‬8 + ^ ‫ ط ا‬3 ‫ ل ا‬8G ‫ ء‬F ‫ ا‬a / 8P+‫ ر ا ر‬L ‫ و ان ا‬+ ‫ و‬. # ‫ ا‬8G ‫ ل‬# ‫ أو ا‬8 ‫ا ازن ا‬
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‫ي‬D ‫ﺟ ھ ا‬q ‫ ن ا‬M +‫! و‬ 5 a G ‫ ر ان ط‬N ‫ ر‬CD ‫ ا‬# ‫ ا‬0 ] ‫ و‬UG + ‫ ا‬V^3 ‫ ا‬N 8G 8 + ^$ ‫ ط‬O ‫ ان " ادراج‬2001 ‫ ان‬9 6 ` ‫ ر‬85851 ‫(د‬3 61@7 ‫@ ار ا‬
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.237 U ‫ ا‬233 ‫ ص‬،2010 ،H $ ،U ‫ ا و‬.h ‫ ا‬،9A ‫ ن ا‬4G 4$ ‫ و‬34 ! ‫ ا‬C 3 ‫ ا‬،‫ ة‬C‫ا‬D ‫ ا‬8G ‫ ارات‬7 ،‫(ي‬167 ‫ ا‬Q 0 ،‫@ ش‬A ‫ ا‬416" ( - ، 0 ‫ م ا‬3 : ‫ا ! دة‬
V. aussi BEN SLIMA (H), La clause pénale et le pouvoir modérateur du juge, I.J., n° 120/121, Octobre 2011, p 34 ; BESROUR (N), Th. Pré., p
549, n° 365 ; GHRAB (Y), La clause pénale, Les clauses du contrat de travail, Publications de l’école doctorale de la FDS, SOGIC, 2012, p 157.
3388
C’est la thèse indemnitaire.
3389
C’est la thèse comminatoire.
3390
VINEY ET JOURDAIN (P), Les effets de la responsabilité, 2e éd., Paris, LGDJ, 2001, p. 18
3391
En droit Tunisien, l’astreinte a fait son apparition avec le code de procédures civiles promulgué par le décret du 24 décembre 1910 dont
l’article 155 s’est contenté d’en prévoir l’existence. Ce code fût abrogé et remplacé par la loi n°59-130 du 5 octobre 1959, portant promulgation du
code des procédures civiles et commerciales. Depuis, la matière est restée sans réglementation par le législateur. Même l’article 300 de la loi de
1959 qui s’est inspiré de l’article 155 du Code de 1910 ne prévoit plus les astreintes. Aux termes de cet article 155 « lorsque le poursuivi se refuse
à accomplir une obligation de faire ou contrevient à une obligation de ne pas faire, l’agent d’exécution le constate dans un procès verbal et
renvoie le bénéficiaire du jugement à se pourvoir aux fins d’application des articles 275 et 276 C.T (code tunisien des obligations et des contrats)
à moins qu’une astreinte n’ait déjà été prononcée ». L’astreinte a été prévue aussi par l’article 23 (nouveau) de la loi du 7 décembre 1967
réglementant la profession bancaire, telle que modifiée par la loi n° 94-25 du 07/02/1994. En effet, tout retard de communication des documents,
renseignements, éclaircissement et justification à la BCT est passible d’une astreinte au taux de cent dinars par jour de retard. Après l’abrogation
de la loi susmentionnée, la même astreinte a été prévu par l’article 49 de la loi n° 2001-65 du 10 juillet 2001, relative aux établissements de crédit.
Le régime des astreintes est déterminé par les tribunaux qui sont influencés par le droit positif français. (TRIGUI KTARI (Y), L’astreinte, R.J.L.
juin 2004, p. 9). Et après une longue pratique judiciaire, on peut dire que ce procédé fait partie de notre droit jurisprudentiel :
6 ‫ّ و‬ ‫ ^ ا ا‬9 ‫ ا‬8G " ّ ‫ ا‬K 9C ‫[ن ا‬ ّ ‫ دة‬# ‫ ﺟ ت ا‬..." : 157 ‫ ص‬10 ‫ و‬9 ‫ د‬N 1960 6+ 3 ‫ ء وا‬F ‫ ّ ا‬M 1923 ‫ ان‬9 14 ‫ _ ّرخ‬174 ‫(د‬3 "( 61@7; ‫ار‬
‫ ول ّة ى‬K ‫ ط‬6 + ‫ أن‬M + a 9 < ‫ ل‬d J‫ ا‬U N M+ 7 # ‫أ< ا‬ K 9 + 8ّ ‫إن ا ^ ا ا‬ ّ " : 1922 ‫ رس‬25 ‫ _ ّرخ‬21 ‫(د‬3 "( 61@7; ‫ ار‬."k ‫] م ذ‬P ‫ ا‬I ‫ م ط‬N
."a!/ ‫ ء‬$ M K 9 + ‫ أن‬9C M +‫ ف و‬4@ AJ‫ا‬
3392
LAITHIER (Y-M), Etude comparative des sanctions de l’inexécution du contrat, préf. H. Muir Watt, thèse LGDJ, Bibliothèque de droit privé,
2004, p. 425, n° 329.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

du droit subjectif. Ils s’inscrivent dès lors dans le comblement des insuffisances du droit positif au regard de
l’abus lié à la concentration. Faut-il rappeler alors que les situations abusives envisagées, dans leur généralité,
dans la première partie de la démonstration, constituent des exemples d’ « abus lucratifs » du fait qu’elles
participent d’un calcul de rationalité économique. Il importe, à cet égard, de discuter plus exhaustivement de
cet abus qualifié où les dommages-intérêts punitifs apparaissent nécessaires.
724- L’abus ou la faute lucrative3393 peut être défini comme étant celui qui rapporte plus qu’il ne
coûte3394, ou encore, celui dont l’indemnisation de la victime laisse à l’auteur responsable une marge
bénéficiaire3395. Il prévaut lorsque les profits que l’auteur tire de son activité illicite sont nettement supérieurs
aux indemnités calculées en fonction de l’ampleur des dommages causés. Cet abus trouve son terreau dans les
procédés de concentration. Il suffit pour s’en convaincre de se rappeler de l’abus du marché en droit boursier
ou l’abus de position dominante en droit de la concurrence. Il en est de même de l’abus de biens sociaux
perpétré dans les groupes de sociétés ou l’abus de majorité commis au sein d’une opération de fusion
rapide3396. Tous ces exemples d’abus rapportent aux abuseurs des montants colossaux bien supérieurs aux
dédommagements qui seront octroyés aux victimes.
En dépit de l’accroissement des situations dans lesquelles s’inscrivent l’abus et la faute lucrative, le
législateur est resté aussi discret que la doctrine, imitée également par la jurisprudence. En premier lieu, l’abus
lucratif implique un usage qui consiste dans le fait de tirer profit de l’effort d’un autre, ou de prendre avantage
sur un concurrent ou de conquérir une position plus forte sur le marché de façon illicite, ou de poursuivre un
but égoïste, ou encore de tirer profit d’un rapport de force déséquilibré. En second lieu, cet usage abusif
suppose un gain chez l’auteur responsable qui découle d’un calcul mathématique du comportement anticipé
des victimes ou de la difficulté de ces dernières à chiffrer le préjudice.
En présence de ce type d’abus, qui ne peut être compensé par d’autres moyens, et que le droit positif se
montre impuissant à sanctionner, il importe de trouver un remède efficace. Dans ce cadre, à défaut de sanction
efficace, les dommages-intérêts punitifs représentent une réponse bien adaptée face à la pérennisation des
activités dommageables, d’autant plus que dans plusieurs cas l’auteur responsable tire profit de son abus et
demeure quasi-impuni, même en présence d’une incrimination pénale. Ce qui compte pour l’abuseur c’est le
gain pécuniaire qu’il ira chercher après avoir purgé sa peine3397. L’articulation des finalités préventives et
répressives de ce mécanisme s’exercera valablement, notamment s’ils sont mesurés aux profits réalisés,
privant de tout intérêt un calcul de rationalité économique. La dissuasion du responsable d’adopter un même
comportement pourra s’accompagner d’une exemplarité collective lorsque les dommages-intérêts punitifs sont
associés à des mesures de publicité des condamnations. La répression du responsable pourra constituer ainsi,
pour la victime, une véritable satisfaction morale3398.
A cet effet, l’octroi de dommages-intérêts punitifs s’inscrit dans une situation d’inadéquation des
sanctions offertes par le système juridique à la réalité des situations économiques où l’abus est animé d’une
certaine gravité. Il s’ajoute au principe indemnitaire dans le cas où sa stricte application aurait pour effet
manifestement pervers d’encourager les calculs frauduleux et la violation délibérée de la loi.
Comblant la défaillance du caractère comminatoire des dommages-intérêts en matière d’abus dans les
procédés de concentration et palliatif des lacunes du droit positif au regard de l’usage lucratif, les dommages-
intérêts punitifs peuvent constituer un outil juridique adéquat et un remède à privilégier. La froide et
implacable logique économique qui anime certains comportements abusifs doit être dès lors enrayée.
725- Prompte et parfois peu rigoureuse, la condamnation civile est non seulement devenue
indispensable mais s’affirme comme une sanction dont les qualités lui permettent de concurrencer
ouvertement la sanction pénale. Outre l’examen au plan du droit interne, les exemples provenant de systèmes
juridiques étrangers peuvent amener à repenser notre législation de l’indemnisation et en inspirer certaines de

3393
FASQUELLE (D) ET MESA (R), Les fautes lucratives et les assurances de dommages, R.G.D.A, 2005, p 351, n° 2005-02 ; FASQUELLE
(D), L’existence de fautes lucratives en droit français, LPA, 20 novembre 2002, n° 232, p 27.
3394
JOURDAIN (P), Rapport introductif, LPA, 20 novembre 2002, n° 232, p. 4.
3395
BRUN (PH), Les peines privées en droit français, In Congrès Henri-Capitant, 2001, p. 10, n° 13.
3396
La faute lucrative est aussi évoquée dans le cadre de certaines atteintes à la vie privée réalisées par des organes de presse. Elle existe aussi dans
d’autres domaines dont ceux de la concurrence déloyale et de la contrefaçon, des atteintes à l’environnement, ainsi que la consommation.
3397
Qui parmi nos chers PDG ne serait pas prêts à sacrifier deux ou trois années de sa vie pour 2 ou 3 millions de dinars qu’il ira chercher une fois
en liberté !
3398
JOURDAIN (P), Rapport introductif, LPA, 20 novembre 2002, n° 232, p. 3-4.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

ses solutions. A ce titre, les systèmes américain3399 et québécois, qui connaissent le concept de dommages-
intérêts punitifs, seront tout particulièrement utiles. En particulier, l’étude de l’expérience québécoise, sera
profitable pour démontrer que les dommages-intérêts punitifs peuvent être intégrés avec succès dans un
système civiliste inspiré de la tradition napoléonienne. Faut-il rappeler aussi que bon nombre d’Etats
américains suivent la ligne traditionnelle et distinguent la responsabilité délictuelle et contractuelle, niant les
dommages-intérêts punitifs dans le domaine contractuel. Beaucoup d'autres Etats, par contre, allouent des
dommages et intérêts punitifs en dehors de la sphère délictuelle, mais uniquement pour certains types de
contrat comme les contrats d'assurance et ceux impliquant des relations spéciales, comme le contrat de
société3400. Enfin, un petit nombre d'Etats3401 accepte les dommages-intérêts punitifs comme un recours
possible en tout domaine, mais l’application des ces dommages punitifs doit satisfaire des critères spécifiques,
tels que l’imputabilité de la violation et la nécessité de la sécurité commerciale.
Incontestablement partie-intégrante du droit privé de plusieurs pays dans le monde et loin d’être un
épiphénomène, les dommages-intérêts punitifs méritent d’être introduits en notre législation, du moins
concernant les abus perpétrés dans les procédés de concentration.
726- Les échos d’un acceuil des dommages-intérêts punitifs en droit privé européen contemporain
sont tranchés. Au niveau européen, la question des dommages intérêts punitifs suscite un vif intérêt et anime
les débats3402. En France comme en Italie, doctrine et jurisprudence s’interrogent désormais depuis longtemps
sur l’opportunité d’une éventuelle introduction des dommages-intérêts punitifs, mais les obstacles à surmonter
demeurent importants. On pourrait donc en conclure que traditionnellement pour les civilistes européens il n’y
a pas de place pour les dommages-intérêts punitifs. Cette mentalité archaïque a nettement évolué et la doctrine
française3403 n’hésite nullement aujourd’hui à prôner une officialisation des dommages punitifs. Selon un
auteur3404, le responsable d’un abus manifestement délibéré, et notamment d’un abus lucratif, peut être
condamné, outre les dommages-intérêts compensatoires, à des dommages intérêts punitifs dont le juge a la
faculté de faire bénéficier pour une part le Trésor public. La décision du juge d’octroyer de tels dommages-
intérêts doit être spécialement motivée et leur montant doit-être distingué de celui des autres dommages-
intérêts accordés à la victime.
Cette institutionnalisation, si elle a lieu, traduirait une réalité nouvelle dans le domaine de la
responsabilité civile. Il s’agit, en réalité, d’une adéquation à un constat d’inefficacité d’une condamnation
civile purement indemnitaire laissant à l’auteur fautif un large avantage à continuer son activité illicite3405. Les
dommages-intérêts punitifs ne constitueraient pas une institution autonome, ils auraient vocation à combler les
lacunes du droit positif, lorsque les dommages-intérêts compensatoires seraient incapables à remplir leurs
fonctions normative et curative.
On sollicite alors une intervention législative afin d’instituer les dommages punitifs en droit de la
concentration où toutes les circonstances militent en faveur de cette direction. Aussi, la fixation de critères
d’évaluation apparaît requise pour restreindre le pouvoir considérable accordé aux magistrats et pallier le
risque d’une disparité du chiffrage entre les juridictions. Indication de la méthode de calcul à suivre ; fixation
3399
Le système de la responsabilité civile américaine a pour but principal de dédommager la victime du préjudice évaluable subi suite à un délit
civil, mais aussi de récompenser la victime des dommages non pécuniaires (pain and suffering). Cependant certains Etats américains prévoient la
possibilité d’octroyer des Exemplary Damages ou Punitives Damages qui ont un caractère comminatoire c'est-à-dire que leur but est de sanctionner
le comportement illicite du fautif jugé particulièrement répréhensible. Les dommages intérêts punitifs constituent une somme d’argent allouée aux
victimes d’un préjudice qui s’ajoute aux sommes d’argents destinées à réparer le dommage réel subi. Ils sont nécessaires pour compenser
pleinement le plaignant. On peut donc les considérer comme des dommages intérêts contenant, d’une part, le montant en argent de l’indemnité
nécessaire pour la réparation du préjudice et, d’autre part, le montant qui est jugé apte à représenter la juste punition. Ils représentent des peines
privées contre les conduites anti-sociales qui complètent les dommages intérêts compensatoires pour punir le coupable et dissuader dans l’avenir
les malfaiteurs. En règle générale les dommages intérêts punitifs sont accordées pour punir l’auteur d’un préjudice qui relève de la responsabilité
extra contractuelle ou contractuelle en matière de droit de la famille, de propriété, du travail (family law, property and employement), mais aussi en
matière de responsabilité du producteur, conformément à la fonction même de l’institution, c'est-à-dire, sanctionner un comportement socialement
répréhensible. V. CARVAL (S), La responsabilité civile dans sa function de peine privée, LGDJ, Bibl. dr. privé, t. 250, 1995, p. 95 ; HARRIS (A-
P), Rereading Punitive Damages : Beyond the Public/Private Distinction, 40 Ala. L. Rev. 1079, 1097-98.
3400
Pennsylvania.
3401
Notamment , Idaho, New Mexico, Mississippi et South Carolina
3402
V. l’Avant-projet de réforme du droit des obligations et du droit de la prescription présenté le 22 septembre 2005 au ministre de la Justice
française.
3403
CARVAL (S), Vers l'introduction en droit français des dommages-intérêts punitifs ?, Revue des contrats, 01 juillet 2006, n° 3, p. 822 ;
PIEDELIEVRE (S), Les dommages et intérêts punitifs : une solution d’avenir ? In La responsabilité civile à l’aube du XXIe siècle : bilan
prospectif, Resp. Civ. Et Assur., hors-série juin 2001, p. 69, n° 7.
3404
PERRET (L), Le droit de la victime à des dommages punitifs en droit civil québécois : sens et contresens, 2003, 33 R.G.D. 233, p. 241.
3405
JOURDAIN (P), Rapport introductif, LPA, 20 novembre 2002, n° 232, p. 3.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

d’un montant maximum de la sanction ; mention des orientations générales quant à la mesure des dommages
intérêts punitifs, telles sont les diverses facultés offertes au législateur afin de circonscrire le pouvoir
judiciaire. Les juges devront également motiver leurs décisions et distinguer le montant accordé au titre des
dommages-intérêts punitifs de celui des autres dommages-intérêts accordés à la victime, afin que la cour de
cassation puisse utilement exercer un contrôle sur la méthode suivie. Ils ont également la faculté de faire
bénéficier pour une part le Trésor public et pour une autre part la victime. La destination des dommages
intérêts punitifs vient ainsi tempérer les effets pervers d’un enrichissement injustifié de la victime.
De surcroît, il est nécessaire, pour appréhender efficacement un abus lucratif que la sanction pécuniaire
mise à la charge du fautif soit de nature à paralyser les profits qu’il a pu réaliser3406. Ce qui implique que cette
sanction soit calculée en considération de ces profits. Dans ce cadre, les dommages-intérêts punitifs joueront
pleinement leur rôle lorsqu’ils correspondront à un multiple de ces profits illicites3407, ou encore lorsqu’ils
auront pour effet de mettre à la charge du fautif une pénalité supplémentaire, s’ajoutant à l’obligation de
rembourser ces sommes3408.
De même, l’impossibilité de les assurer serait une condition de l’efficacité de cette nouvelle notion.
Elle permet de décourager certains comportements déviants motivés par un calcul purement économique et
assure aux dommages-intérêts punitifs une valeur préventive et répressive, dès lors que l’auteur responsable y
contribue de son propre patrimoine et ne peut nullement s’assurer à l’avance. En effet, la collectivisation des
risques ne doit pas mener à faire supporter la sanction à d’autres en violation du principe de la
personnalisation des peines.
Toutes ces idées peuvent être cristallisées dans un texte de loi qui serait rédigé comme suit : « l'auteur
d'un abus manifestement délibéré, et notamment d'un abus lucratif, peut être condamné, outre les dommages-
intérêts compensatoires, à des dommages-intérêts punitifs dont le juge a la faculté de faire bénéficier pour
une part le Trésor public. La décision du juge d'octroyer de tels dommages-intérêts doit être spécialement
motivée et leur montant distingué de celui des autres dommages-intérêts accordés à la victime. Les
dommages-intérêts punitifs ne sont pas assurables. Leur montant ne peut être inférieur au double du bénéfice
indûment réalisé ».

727- Requis de sortir d’une clandestinité peu satisfaisante, les dommages-intérêts punitifs ne peuvent
qu’emporter un fort sentiment de sympathie. L’officialisation des punitive damages dans notre système de
responsabilité civile ne peut être mise en œuvre sans que soient effectués d’importants aménagements des
règles qui gouvernent cette discipline. L’avantage immédiat qu’on retirerait de cette officialisation, serait de
montrer qu’une seule et même institution peut parfaitement remplir plusieurs missions : réparation, punition et
prévention. Le droit des procédés de concentration semble à présent, le mieux placé pour constituer un terrain
d’élection à cette proposition.

728- En définitive, les dommages et intérêts punitifs sont une institution de common law, implantée
depuis longtemps dans ce système et qui n’est pas du tout ignorée du droit musulman3409. Ils présentent de
grandes difficultés, ils ont suscité des flots d'articles de doctrine, et de nombreux procès. Ils constituent par
nature une institution hétérogène, mi-civile, mi-pénale, s'intégrant péniblement dans des systèmes comme le
nôtre où les règles pénales et civiles veulent être bien distinctes. Seraient-ils utiles ? Doit-on réceptionner ce
modèle de réparation ? Le législateur va-t-il entériner cette démonstration en faveur d’une institutionnalisation
de cette notion en matière d’abus liés à la concentration ? On retrouve ces questionnements et la même
hésitation concernant l’action de groupe ou la « class action » comme on l’appelle aux Etats-Unis
d’Amérique.

3406
MESA (R), La consécration d’une responsabilité civile punitive : une solution au problème des fautes lucratives ? Gaz. Pal.,
21 novembre 2009 n° 325, p. 15.
3407
Tel est le cas en ce qui concerne les dommages doubles, triples ou multiples. Cf., par exemple, s’agissant du droit des ententes aux Etats-Unis,
la section 4 du Clayton Act qui prescrit que la victime de pratiques anticoncurrentielles peut obtenir à titre de dommages et intérêts trois fois le
montant du préjudice subi..
3408
Cf. sur ce point le régime des exemplary damages du droit anglais, ainsi que l’article 1621 du Code civil québécois.
3409
V. POUPART (A), Adaptation et immutabilité en droit musulman, L'expérience marocaine, L’Harmattan, 2010 ; ALDEEB ABU-SAHLIEH
(S-A), Manuel de droit musulman et arabe, Centre de droit arabe et musulman, 2009.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

C- Pour une reconnaissance de la « class action » dans les procédés de


concentration des sociétés :
729- La responsabilité civile ordinaire et les dommages-intérêts punitifs ne peuvent à eux seuls
garantir la protection des épargnants et des consommateurs. La responsabilité civile de droit commun
n’aboutit pas à assurer une juste indemnisation des victimes des abus contraires à la règlementation en
vigueur. A cet égard, l’introduction en droit tunisien de la class action3410 pourrait améliorer cette réalité.
En effet, le coût élevé des avocats spécialisés et des expertises qui risquent de s’imposer pourrait
constituer des obstacles pour des actionnaires dont la valeur de leur portefeuille d’actions demeure très faible.
Que ce soit devant le juge civil ou le juge pénal, l’investisseur apparaît bien isolé. L’action de groupe serait-
elle alors l’ultime solution ?
Aussi, du fait de la nature des investisseurs opérant sur le marché financier tunisien, ce problème
devrait se poser avec acuité en Tunisie. Dans un marché où plus de la moitié des investisseurs disposent d’un
portefeuille dont la valeur globale ne dépasse pas les cinq mille dinars3411, on est tenté à se demander si ces
investisseurs pourraient ou voudraient intenter des actions en justice dont le coût pourrait dépasser le préjudice
individuel subi par chacun d’entre eux, sachant que l’issue du procès demeure incertaine. Ainsi, les abus du
marché financier peuvent constituer un terreau favorable à la mise en place d’actions de groupe. Il en est de
même pour les abus, commis en matière de concentration, sur le marché de la concurrence.
Faut-il rappeler aussi que dans des affaires aussi complexes que celles touchant aux procédés de
concentration des sociétés, les honoraires des auxiliaires de justice correspondent à des montants extrêmement
élevés. « Et il n’existe pas d’épargnant, ou de consommateur, qui serait prêt à débourser en honoraires plus
que son préjudice »3412.

730- Le principe des class actions est né sous sa forme actuelle aux Etats-Unis en 1966 avec pour
but de simplifier l’accès à la justice pour des groupes très imposants de personnes ayant subi des préjudices
lourds ou bien des préjudices assez diffus qui, tout en étant très faibles, sont largement répandus.
Il s’agit, en substance, d’une voie procédurale permettant à un ou plusieurs requérants d’exercer une
action en justice pour leur compte et pour le compte d’une catégorie de personnes sans en avoir
nécessairement reçu de mandat au préalable. Elle peut être aussi bien exercée par des associations que par des
individus.
Plus précisément, le mécanisme de la « class action » suppose qu’une personne, généralement un
cabinet d’avocats, puisse agir en représentation non seulement d’une victime qui lui aurait donné qualité pour
agir mais aussi, sans mandat, au nom et pour le compte d’autres victimes de préjudices ayant la même origine,
mais non encore identifiées au moment de l’introduction de l’action.
C’est un mécanisme en voie de grande expansion, qui a été adopté dans de nombreux pays anglo-
saxons, notamment en Australie, au Brésil et au Canada3413.
La class action n’est pas l’action en représentation conjointe du droit français3414. Elles diffèrent
sensiblement dans leur nature car la class action ne requiert pas de mandat alors que les actions en
représentation conjointe restent dépendantes de mandats, même tacites, de personnes identifiées. Cette
différence d’ordre technique explique, dans une large mesure, le succès des class actions aux Etats-Unis. En
effet, « la personne concernée sera dans la classe sauf volonté exprimée en sens contraire (opt out), ce qui
engendre des classes très nombreuses conférant un impact fort à l’action collective intentée, alors que le droit
français de l’action en représentation conjointe suppose que la personne concernée soit d’accord pour être

3410
L’action de groupe.
3411
V. étude sur le comportement de l’investisseur tunisien, réalisée par le CMF. Disponible sur le site suivant : - http : //
www.cmf.org.tn/pdf/publication_cmf/Etude/comp_inves_tns.pdf.
3412
BONIFASSI (S), L’accès au juge pour l’épargnant, LPA, 31 juillet 2003, n°152, p 39.
3413
GUIRAUD (A), L’introduction en droit français des class actions : L’expérience américaine», LPA, 22 décembre 2005, n° 254, p 6.
3414
V. en France code de la consommation, Chapitre II : Action en représentation conjointe, article L422-1 qui prévoit que « lorsque plusieurs
consommateurs, personnes physiques, identifiés ont subi des préjudices individuels qui ont été causés par le fait d'un même professionnel, et qui
ont une origine commune, toute association agréée et reconnue représentative sur le plan national en application des dispositions du titre Ier peut,
si elle a été mandatée par au moins deux des consommateurs concernés, agir en réparation devant toute juridiction au nom de ces consommateurs.
Le mandat ne peut être sollicité par voie d'appel public télévisé ou radiophonique, ni par voie d'affichage, de tract ou de lettre personnalisée. Il
doit être donné par écrit par chaque consommateur ».

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

comptée dans l’action (opt in), ce qui ne permet que la constitution de classes bien maigrelettes,
n’impressionnant guère l’entreprise défenderesse»3415.
La différence entre opt out et opt in est donc si essentielle en pratique qu’il faut en conclure que pour
l’instant le mécanisme de la class action est bien étranger aux droits tunisien et français. Il s’agit d’un
mécanisme «typiquement» américain3416. Peut-on alors penser que la réception du modèle américain puisse
améliorer l’accès à la justice civile en Tunisie, spécialement en matière de concentration ? Autrement-dit, ce
modèle est-il envisageable en droit tunisien en tant que réplique nécessaire et obligatoire face aux abus
perpétrés dans les procédés de concentration des sociétés ? Une évolution en matière procédurale n’est-elle
pas souhaitable ?

731- Selon le professeur Frison-Roche, devant une perspective effective d’importation d’un
mécanisme d’origine américaine, trois questions s’imposent. En premier lieu, il s’agit de se questionner sur
l’opportunité de la réforme en elle-même, est-ce une bonne idée ? En deuxième lieu, ce mécanisme sera-t-il
accepté par les personnes directement concernées et au-delà par le corps social ? En troisième lieu, le système
juridique est-il techniquement apte à l’accueillir, la nouvelle règle est-elle compatible avec les principes
généraux propres au système juridique d’accueil3417 ?
Il est indéniable que la class action n’est pas dénuée d’avantages. Là où le coût de l’action judiciaire
individuelle serait trop lourd à supporter, la class action, permet aux victimes d’abus boursiers, ou autres,
d’introduire, à faible coût, une action de groupe visant de grandes entreprises ou organisations. De plus, la
class action crée des pressions pour protéger les droits des actionnaires minoritaires, des épargnants et des
consommateurs. Elle permet une utilisation plus efficace des tribunaux, de l’énergie des juges, du temps des
avocats…3418.
L’adoption de la class action semble donc nécessaire dans l’optique du renforcement des droits des
actionnaires et afin d’obliger les sociétés et leurs dirigeants à mieux prendre en compte les droits des tiers
dans les procédés de concentration des sociétés3419. Cette introduction permettrait, en outre, le regroupement
de petits contentieux ayant une origine commune et affaiblirait le risque de se trouver face à des jugements
divergents ou contradictoires.
Si on prend l’exemple de la bourse, une seule fausse information, relative à une opération de
concentration, pourrait éventuellement avoir des effets néfastes sur des centaines, voire des milliers
d’épargnants tout en ayant pour fait générateur du dommage une seule et même décision prise par les
dirigeants d’une même société. L’introduction du mécanisme de l’action de groupe permettrait de sortir de
l’état de quasi impunité dans lequel s’inscrivent certains émetteurs, dès lors que les préjudices sont infimes à
l’échelle individuelle.
Mais malgré son expansion à plusieurs pays, on ne recense aucun débat en Tunisie à ce sujet. Le débat
est, par contre, vif en France sur l’opportunité de son introduction. Entre partisans et détracteurs, il est difficile
de s’y retrouver.

732- Il ne faudrait pas perdre de vue non plus que l’introduction de ce mécanisme peut présenter
quelques inconvénients pour les sociétés concernées. Des inconvénients qui font « frémir » les plus grands
groupes de sociétés rien qu’à l’évocation de l’expression « class action » et font que la polémique à ce sujet
bat son plein jusque dans le berceau américain de ce dispositif.

Les contradicteurs de l’action de groupe s’opposent à lui accorder droit de cité car ils estiment qu’elle ne
fait du bien ni à l’entreprise ni aux petits porteurs, la seule catégorie qu’elle nourrit est celle des avocats. Ces
contradicteurs, même s’ils reconnaissent l’efficacité d’une telle procédure, surtout en matière de
concentration, en redoutent les excès signalés dans les terres d’origine de la procédure. Des excès qu’il faut

3415
FRISON-ROCHE (MA), Les résistances mécaniques du système juridique français à accueillir la class action : obstacles et compatibilités,
LPA, 10 juin 2005, n°115, p 22.
3416
TERRE (F), Rapport de synthèse : l’opportunité d’une action de groupe en droit des sociétés ?, Coll. Ceprisca, 2004, p. 21-38 et p. 158-164.
3417
FRISON-ROCHE (MA), Les résistances mécaniques du système juridique français à accueillir la class action : obstacles et compatibilités,
art. pré., p 22.
3418
WHITE (T-J), Genèse et évolutions récentes de la class action : la class action et ses conséquences sur le cours des affaires, LPA, 13
décembre 2007, n°249, p 7.
3419
LE BARS (B), L’introduction en droit français d’une procédure d’action collective : quand la régulation se fait juridique, bulletin Joly
sociétés, juillet 2005, n°7, p 811.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

reconnaître : «phénomène de l’«Ambulance Chasing», effet du «deep pocket», les honoraires des avocats, la
médiatisation négative «Defearent effect», la tendance à la transaction automatique, la déperdition des
dommages et intérêts, la responsabilité de l’introduction d’une instance, etc. »3420.

Ces inconvénients suffisent-ils pour faire de la class action un épouvantail ? L’action de groupe est-elle
alors un rêve ou un cauchemar ou bien serait-elle tout simplement « un rêve et un cauchemar » à la fois ? Le
rêve « d’une union qui fait la force, celui d’un droit où les absents de la procédure n’auraient pas toujours
tort, celui d’un justiciable agissant une fois pour toutes et pour tous »3421. Mais aussi un cauchemar, celui de
l’importation d’un produit américain en droit tunisien, c'est-à-dire d’une greffe incompatible avec les
principes processuels, voire constitutionnels du pays.
Faire face aux « voltiges » des avocats, ne devrait pas poser de grands problèmes en Tunisie surtout
après la promulgation du décret-loi n° 97 datant du 20 aout 2011. D’abord, la pratique du démarchage :
«Ambulance Chasing » où par intérêt pécuniaire, un avocat prend la peine d’inciter des victimes potentielles à
rejoindre le groupe des plaignants de manière à gonfler l’indemnisation globale, et par la même occasion sa
rémunération, est inconcevable en droit tunisien qui semble interdire à l’avocat la pratique du démarchage et
la publicité. Ensuite, la class action est souvent décriée pour ses excès, en cause le mode de calcul de
l’indemnisation. En effet, aux Etats Unis, la pratique veut que les avocats contractent souvent des conventions
de résultat. Le montant des indemnisations accordées aux victimes peut atteindre des sommes vertigineuses,
ce qui fait que la rémunération des avocats peut se chiffrer en des montants réellement choquants3422. La
même situation ne peut prévaloir en Tunisie où les honoraires des avocats ne sont pas, non plus, fixés de
manière totalement libre et autonome. Le récent décret-loi n° 97 précise dans son article 38 que les honoraires
de l’avocat sont fixés et évalués en vertu d’un accord préalable entre l’avocat et son client sur la base de la
nature du service, de sa durée, de son importance, de l’expérience de l’avocat et son ancienneté, de l’effort
fourni et du résultat qu’il a pu obtenir. Si la rémunération est fixée au moyen d’un pourcentage du résultat
pécuniaire obtenu par l’avocat, ce pourcentage est plafonné à 20% par ledit article.

733- Une fois que la question de l’opportunité de l’introduction de l’action de groupe est tranchée,
des doutes concernant son adéquation à des droits de tradition romano-germanique ne manqueront pas de se
poser avec acuité. La class action est-elle compatible avec les principes fondamentaux du droit tunisien ? Est-
elle, au contraire, incompatible ? La réponse n’est pas du tout aisée.
En sus de la prohibition des arrêts de règlement3423, les détracteurs de la class action ont invoqué le
principe de l’autorité relative de la chose jugée. Ce principe qui est consacré, en droit tunisien, par l’article
481 COC risque de constituer un obstacle majeur à l’institution de l’action de groupe. En effet, à l’instar du
contrat, la décision de justice ne pourrait concerner une personne que si celle-ci a participé à l’instance.
Autrement dit, pour qu’un jugement puisse avoir un effet sur la situation d’une personne, il faut que celle-ci
ait été partie à l’instance. II s’agit là d’une affirmation qui contredit l’essence même de la class action qui peut
être mise en œuvre sans que la volonté des personnes concernées ait été nécessairement recueillie3424. Ainsi, la
«Class action» remet en cause l'autorité relative de la chose jugée, du moins en ce qui concerne l' « opt out
class action ». En effet, celle-ci emporte une conséquence importante : la décision qui sera prononcée, ou
l'accord transactionnel qui sera arrêté, produira ses effets à l'égard de tous les membres de la classe, y compris
ceux qui ne sont pas intervenus formellement dans la procédure3425.

3420
MAINGUY (D), L’introduction en droit français des class actions : Les dérives probables et les techniques permettant de les éviter, LPA, 22
décembre 2005, n° 254, p 6.
3421
HOUTCIEFF (D), Les class actions devant le juge français : rêve ou cauchemar ?, LPA, 10 juin 2005, n° 115, p 42.
3422
Il semble que le record serait d’environ 150.000.000 €.
3423
En France, l’article 5 du Code civil défend aux juges «de se prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur
sont soumises», interdiction que la doctrine française a pris l’habitude de designer sous l’appellation de «prohibition des arrêts de règlement».
Mais, il est peu probable que cette prohibition entrave l’importation des class action. Celle-ci n’apparaît tout simplement pas comme un arrêt de
règlement. Pour le professeur Frison-Roche, la définition de l’arrêt de règlement (celui-ci est considéré comme un arrêt qui lie non seulement
d’autres personnes que les parties identifiées à l’instance particulière mais encore, et le critère est cumulatif, choisit une solution qui vaut pour
l’avenir puisque celle-ci sera obligatoirement reprise pour des cas ultérieurs) n’englobe pas la class action car la décision consécutive a une class
action ne joue pas pour les situations à venir. Il s’agit d’un acte juridictionnel qui apure les comptes du passé, certes a l’égard de multiples et
anonymes personnes mais en n’ayant d’effet que sur des situations déjà passées.
3424
CABRILLAC (S), Pour l’introduction de La class action en droit français, LPA, l8 aout 2006, n° l65, p 4.
3425
Par contre, en matière de l’ « Opt in class action » qui est peu répandue et par laquelle les victimes doivent manifester expressément leur
volonté positive de participer à l’action en justice, l’autorité relative de la chose jugée n’est pas ébranlée, les parties gardent le pouvoir d’impulsion
de l’instance.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Aussi, le droit tunisien est resté depuis fort longtemps hostile à l’action collective. La règle voulant que
«nul ne plaide par procureur», est la manifestation la plus célèbre de cette hostilité. L’adage a aujourd’hui
pour signification que «nul ne peut se faire représenter par un mandataire qui figurerait seul dans l’instance,
que le mandant doit toujours être en nom dans les actes de procédure et les jugements»3426. Ce principe
interdit tout simplement qu’une personne en représente une autre sans mandat exprès3427.
Ces règles et principes sont bafoués dans la class action anglo-saxonne. L’action est très souvent
intentée par un cabinet d’avocat et le nom des victimes n’apparaît pas dans les actes de procédure. Il n’est pas
nécessaire que l’avocat bénéficie d’un mandat express.
Faut-il rappeler aussi qu’en cas de réussite de la class action, se pose la question de la fixation des
dommages-intérêts aux victimes du préjudice de masse et de leur paiement. Avec un caractère automatique,
forfaitaire et égalitaire, sans distinguer les préjudices effectivement subis par chacun, on porte atteinte au
principe selon lequel le préjudice doit être évalué individuellement, au cas par cas, et que la réparation doit-
être aussi intégrale.

734- A côté de ces principes contradictoires à l’essence de l’action de groupe, cette dernière pose
également un problème d’un autre genre. En effet, la question qui subsiste est celle de savoir qui va supporter
le poids de l’indemnisation en cas de succès de la class action ?
En pratique, souvent c’est à une classe d’actionnaires qu’incombera l’indemnisation d’une autre classe
d’associés. Ce cas de figure se vérifie quand c’est la société qui est poursuivie. La class action, en pareille
hypothèse, n’a pour effet que de transférer le préjudice des actionnaires qui ont subi un dommage dans le
passé sur les actionnaires qui auront la qualité d’associé à la fin du litige. Un tel transfert est surement de
nature à diminuer l’efficacité de ce dispositif. II faudrait dès lors limiter l’utilisation de ces plaintes
collectives, au cas où le payeur final n’est autre que la société elle-même et laisser la porte ouverte dans les
autres cas, comme par exemple lorsque la responsabilité du préjudice est imputable à une société extérieure,
notamment la société-mère. Certains y voient d’ailleurs un moyen efficace d’assainir les relations mère-
filiales3428. Il faudra aussi penser à moduler le montant de l’indemnisation afin qu’elle ne porte pas atteinte à
la pérennité de l’entreprise ni à ses actionnaires.
Il est donc nécessaire, au cas où cette nouvelle voie procédurale sera instituée, d’en définir un
encadrement strict et d'en assurer une mise en œuvre raisonnable, afin de ne pas tomber dans l’excès que
connaît la pratique américaine et éviter que les spécialistes ne puissent en profiter pour en faire un business
très rapporteur.

735- Pour le moment, on estime que sans l’assouplissement des règles et principes procéduraux
actuels, l’introduction de la class action, en se heurtant à la logique de notre droit procédural, ne pourra
nullement conquérir le droit de la procédure tunisien.
La crainte serait alors que les investisseurs, parce qu’ils ne disposent pas des outils procéduraux
adaptés pour la reconnaissance du préjudice qu’ils ont subi, sont susceptibles de déplacer leurs
investissements sur d’autres marchés qui offrent une meilleure protection de leurs intérêts.
L’internationalisation des marchés financiers et concurrentiels est désormais une donnée incontestable. En
raison de la concurrence réelle qui existe entre places judiciaires, « il semble critiquable de favoriser une
forme de « délocalisation » du procès vers des horizons plus cléments pour les investisseurs »3429.

736- En définitive, l’action de groupe est une institution du common law, implantée depuis
longtemps dans ce système. Elle présente de grandes difficultés, elle a suscité des flots d'articles de doctrine,
et de nombreux procès. Elle constitue par nature un mécanisme procédural original s'intégrant difficilement
dans un système judiciaire comme le nôtre, à moins que des infléchissements et une logique d’exception
soient mis en place. Le législateur va-t-il entériner cette démonstration en faveur d’une reconnaissance de
cette technique procédurale en matière d’abus liés à la concentration ? On retrouve ces questionnements et la

3426
La procédure civile est régie par l’adage selon lequel « nul ne plaide par procureur », cela signifie que la personne qui intente l’action doit être
mandatée par un mandant dont le nom doit figurer sur les actes de procédure. Il faut être muni d’un pouvoir spécial sauf pour les
avocats. ROLAND (H) et BOYER (L), Locutions latines du droit français, Litec, 4 éd. 1998, p 551.
3427
GUINCHARD (S), Une class action à la française, D. 2005, p 2180.
3428
MAGNIER (V), Les class actions d’investisseurs en produits financiers, LPA, 10 juin 2005, n°115, p 33.
3429
MAGNIER (V), Les class actions d’investisseurs en produits financiers, LPA, 10 juin 2005, n°115, p 33.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

même hésitation concernant la sanction de l’abus de minorité dans les procédés de concentration qui semble
être plurale et indéfinissable.

II- Diversité des sanctions envisageables en cas d’abus de minorité dans


les procédés de concentration des sociétés
737- L'abus du droit de vote peut émaner aussi bien des associés majoritaires que des associés
minoritaires qui, usant d'une minorité de blocage, s'opposent à la prise de décisions essentielles pour la
société, ou harcèlent les majoritaires pour les empêcher, par exemple, de mettre en place une opération de
fusion ou de scission indispensable pour la survie de la société concernée.
Lorsqu'un associé empêche abusivement la prise d'une décision essentielle pour la société, est-il possible
de passer outre à son refus ? Le silence observé par le code des sociétés commerciales sur la sanction de
l’abus de minorité est problématique3430. Au plan des principes, l’abus de minorité est presque homologue,
dans ses éléments constitutifs, à l’abus de majorité. Des actionnaires, disposant de minorité de blocage,
utilisent leur voix contrairement à l’intérêt social et dans leur intérêt personnel. Mais, contrairement à toute
attente, le code des sociétés s’est révélé, sur ce point, une œuvre inachevée dans la mesure où il ne se
prononce guère sur la sanction à donner à l’abus de minorité3431. Ce silence est aussi observé, avec la même
consternation, en droit français. Comment alors expliquer la réticence législative et quel enseignement peut-on
en tirer sur la sanction de l’abus ? Est-il exact de dire que, par la réception légale de la seule théorie de l’abus
de majorité, le législateur a entendu ne pas sanctionner l’abus de minorité ? Certains auteurs français3432 ont
suggéré, dans ce cadre, que la décision judiciaire ait elle-même la valeur de vote. Mais cette solution risque de
se heurter au vieux principe, libéral avant la lettre, « nemo potest cogi ad factum »3433, qu'on retrouve dans
l'article 275 COC et 1142 CCF3434. La même raison semble écarter aussi la condamnation sous astreinte à
voter « convenablement ». Le seul traitement envisageable semble être, au moins dans un premier temps, la
condamnation à des dommages et intérêts. Mais, il est fort délicat d'apprécier le préjudice ! Et, si le refusant
persiste dans sa position, malgré le dédommagement, d'autres solutions doivent être envisagées. Les solutions
« diplomatiques » soulèvent aussi des obstacles de principe, que ce soit la nomination d'un mandataire ad hoc
chargé de convoquer l'assemblée, ou celle d'un administrateur provisoire. Faute de concessions réciproques, la
« sortie du blocage » ne peut que présenter de lourds inconvénients. La solution extrême, c'est-à-dire la
dissolution pour mésentente, n'est envisageable qu'en cas de paralysie du fonctionnement de la société3435.
L'avantage de solutions moins brutales apparaît alors : suspension du droit de vote, exclusion de l'associé
récalcitrant, ou mieux, s'il l'accepte, exercice par celui-ci de son droit de retrait. Mais ces solutions ne peuvent
aujourd'hui encore s'autoriser d'aucun texte législatif et réglementaire. La suspension du droit de vote et
l'exclusion de l'associé portent une atteinte trop grave au droit de propriété de l'associé sur ses parts ou actions
pour être uniquement justifiées par l'atteinte à l'intérêt social. Seuls les associés assez prévoyants pour inclure
dans les statuts une clause portant une telle sanction3436 pourront décider, sous contrôle judiciaire, de mettre à
la raison l'associé rétif. Encore faudra-t-il que les conditions de majorité posées pour la décision sanctionnée
puissent être atteintes. Reste alors la clause qui prévoit que le pouvoir disciplinaire dans la société peut être
déféré à un juge si les associés représentant un certain nombre de droits de vote le demandent. Mais tous ceux
qui y souscriront en risqueront l'application3437 !

‫ ان‬w K ‫ا ا ھ ل او ا‬D‫ ن د ھ‬C ‫ور‬. égalitaires f+ ] ‫ <" ا‬8G 9‫ ھ‬5 6 M+‫ ء ا ! و‬C 3 ‫ ا‬i!#$ U < ‫ او‬7 ‫ ا‬i!#$ [! U ‫ إ‬+‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬ ‫ ق‬L $ 9 " 3430
Cq+ K A‫ درا‬8G " 7 ‫ ا‬M . ‫و ا‬q! # ‫ ا‬N‫" ا ا‬G‫ و‬K < M + [! ‫ه ا‬D‫ ر ان ھ‬N‫ ا‬8G Sd a A F+‫ ن ا‬C ‫ ور‬، 5 ‫ ا‬i!#$ M 67‫ ا ا‬8G ‫ ورودا‬V7‫ه ا ھ ة ا‬D‫ھ‬
‫ ل و< ق‬# ‫ وزارة ا‬، K N " # +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬ ،, ( 7 ‫ ا‬, ‫ ظ ز‬$ ‫ ( ا‬- ‫ ري و‬17 ‫ و ل ا‬2 ‫ ( ا ر‬0‫ ا‬." [! ‫ه ا‬D‫ [ط ھ‬G C 5 ‫و ا‬q! # ‫ ا‬N‫ان ا ا‬
.947/946 ‫ ص‬،2007 H $ ، F ‫وا‬ ‫ ت ا‬A‫' ا را‬C ،‫ا ! ن‬
3431
MELLOULI (S) et FRIKHA (S), Op. Cit., n° 955, p 252.
3432
DALSACE (A), D., 1957, 610, no 3 ; LESOURD (N), L'annulation pour abus de droit des délibérations d'assemblées générales, Rev. Trim.
Dr. Com., 1962, p. 7 ; LE CANNU (P), L'abus de minorité, Bull. Joly 1986, p. 429 et s. ; VIANDIER (A), note sous Cass. com., 9 mars 1993,
J.C.P. 1993, éd. E, II, 448.
3433
Nemo COGI potest factum ad praecise, sed dans l'intérêt tantum id quod est une maxime latine signifie que personne ne peut être contraint de
s'acquitter de son obligation absolue. Elle ne peut le faire que dans la mesure où le créancier de l'obligation a un intérêt pour contraindre les
performances. Le sens de cette maxime est que les contrats ne doivent pas être appliqués judiciairement et que ce qui équivaut pratiquement à la
performance sera suffisante. Alors que tout le monde est tenu de remplir son contrat, l'exécution équitable est suffisante.
3434
En ce sens, Y. Guyon, JCP, 1984, I, 13358, no 7, éd. E.
3435
Envisagent explicitement cette solution : HEMARD (J), TERRE (F) ET MABILAT (P), Sociétés commerciales, T 2, no 390 ; DU
PONTAVICE (E) ET DUPICHOT (J), op. cit., no 781-7.
3436
Cf. CAILLAUD (B), L'exclusion d'un associé dans les sociétés, Sirey, 1966, p. 239 et s.
3437
LE CANNU (P), L’abus de minorité, Bull. Joly Soc., 01 avril 1986 n° 4, P. 429.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Comme le relève rigoureusement certains juges éminents3438, plusieurs sanctions de l’abus sont
envisageables, en dehors de tout consensus doctrinal ou jurisprudentiel. Quelle sera-ce donc la sanction la plus
adéquate à l’abus de minorité perpétré dans les procédés de concentration ? Le législateur de 2000 ne s’est pas
prononcé directement sur la question. Il a, semble-t-il, préférer laisser au juge le soin d’apprécier, en fonction
des circonstances, la sanction à choisir.

Toutes ces remarques montrent bien, une fois de plus, que la question essentielle sur laquelle il faut
choisir reste celle de l'intervention du juge dans le processus de décision des sociétés3439. Il serait absurde de
prétendre écrire là-dessus quelques parôles définitives. On essayera seulement de démontrer que certaines
sanctions de l’abus de minorité sont difficiles à mettre en place, surtout dans les procédés de concentration des
sociétés, et mériteraient peut-être d’être exclues (A) ; d’autres, par contre, semblent être bien meilleures car
plus commodes à la concentration et aux impératifs qui la sous-tendent (B).

A- Les sanctions à éluder dans les procédés de concentration

738- Il a été proposé de débloquer la situation en procédant à l'exclusion des minoritaires, solution
que condamnent la doctrine et la jurisprudence récente (a). Il a été surtout proposé comme mode de réparation
du préjudice né d'un abus de minorité de dissoudre la société. Cette solution a été, à son tour, rejetée (b).

a- L'exclusion des minoritaires

739- Dans notre législation, il n’existe pas un fondement légal d’ordre général accordant au juge le
pouvoir de décider l’exclusion d’un associé dans les sociétés commerciales. Cependant, la consultation des
différentes dispositions relatives à l’exclusion que ce soit dans le code des obligations et des contrats ou dans
le code des sociétés commerciales, démontre que l’exclusion de l’associé est possible dans certains cas
limitativement déterminés par la loi. Plus précisément, l’exclusion ou la mise à l’écart de l’associé est
consacrée par la loi en tant que technique permettant d’éviter la dissolution de la société. Cette exclusion peut-
être soit conventionnelle, soit judiciaire. En effet, conformément à l’article 1271 COC, relatif à la concurrence
faite par l’associé à la société, le législateur donne le droit aux associés de poursuive l’exclusion de l’associé
coupable de concurrence déloyale. Ce droit de poursuite ne se fait en principe que devant le tribunal. Ainsi le
juge intervient à la demande des autres associés pour apprécier la violation de l’intérêt social causé par
l’agissement concurrentiel de celui qu’on veut exclure3440. Il en est de même dans le cadre de l’article 1322

‫ ن ذات‬$ ‫ه ا ارات‬D‫ ان ھ‬I ^ ‫ وا‬. # ‫ ا ! ا‬V 7 M ‫ ء‬C 3 ‫ وا‬C 3 # ‫ " ا ] ا‬$ 8 ‫ ذ ا ارات ا‬P$‫ ا‬64 f+ ] ‫ ل < ق ا‬# A‫ ا‬8G Vd + 7 ‫ ا‬i!#$ ‫ " ان‬3438
‫ ا ﺟ ة ؟‬+ ^ ‫ " ا‬$ U < ‫ ر‬F ‫ ا‬MN n+ # /!# ‫ ا‬7 ‫'ام ا‬ ‫ ا‬8F $ ‫ ان‬8/ + VKG . C 3 ‫ ] ا‬V L#$ ‫ ذھ‬P$‫ ا‬7 N 8G ‫ ن‬G ، C 3 ‫ ا‬V ! + < ‫اھ‬
M .‫ ي‬4 ‫ ا‬n+ # ‫ ا‬U N ] $ ‫ ان‬M + ‫ ر‬F ‫ ! ان ازا ا‬G 8G ‫ ء‬F ‫ وا‬a / ‫ ا‬N‫ ي ؟ ا‬4 ‫ ا‬n+ # ‫ ر‬F ‫ا ا‬D‫ ھ‬Vd ‫'ال‬+ VKG. "‫'ال‬+ ‫ ر‬F ‫ان "ا‬ ‫ ا‬N 3 ‫ ة ا‬N ‫ ا‬8F $
‫ا ا أي‬D‫ ھ‬M . # ‫ ار ا ! ا‬7 V K < V $ ‫ أي ان‬،8N ‫ م م ا ار ا‬+ < ‫] ر‬$ ‫ان‬ M + a ‫ ت ا‬N‫ ا‬9C ‫ ا‬n# G .‫ ة‬F ‫ ازا ا‬a‫ < ل اوﺟ‬C ‫ف‬S 67‫و‬
. 7 ‫ ا‬MN g N # ‫ ر ا ! ا‬F< U + V C‫ و‬M #$ ‫ ر‬$ ‫ان‬ ‫ ز‬+ a ‫ ر ا‬N‫ ا‬U ‫ ا ى إ‬9C fK $‫ ا‬7‫ و‬. C 3 ‫ ا‬VC ‫ ھ‬V a!/ 8g ‫ ا‬V + ‫ ة ان‬N ‫ اذ ا‬، a G ‫ زع‬4
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.947/946 ‫ ص‬،" ! ‫ ا‬6‫ ا ﺟ‬، K N " # +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬ ،, ( 7 ‫ ا‬, ‫ ظ ز‬$ ‫ ( ا‬- ‫ ري و‬17 ‫ و ل ا‬2 ‫ ( ا ر‬0‫ ا‬." C 3 ‫] ا‬
3439
MERLE (PH), L'abus de minorité, R.J. Com., novembre 1991, p. 81 ; CABRILLAC (M), De quelques handicaps dans la construction de
l'abus de minorité, In Mélanges Colomer, 1992, p. 109 ; LE CANNU (P), L'abus de minorité, art. pré., p. 429 ; BOIZARD (M), L'abus de
minorité, Rev. Soc., 1988, p. 365 ; TRICOT (D), Abus de droit dans les sociétés, abus de majorité et abus de minorité, R.T.D. Com. 1994, p. 617.
3440
L’action sera intentée par les associés comme le précise le texte à l’encontre de l’associé concurrent. Le juge recherchera la faute de l’associé à
exclure, qui constitue le fondement d’une telle action. Il appartiendra aux demandeurs de prouver la faute et le lien de causalité ainsi que le
dommage subi par la société, et au défendeur de démontrer l’absence de faute de son coté. Dans son jugement n° 482 du 13 juin 2000, le tribunal
de première instance de Sousse s'est fondé sur cet article pour exclure un associé d'une SARL lorsque l’affectio societatis fait défaut perturbant
ainsi le fonctionnement normal de la société. Après avoir affirmé qu' « un associé ne peut, sans le consentement des autres associé, faire pour son
propre compte ou pour le compte d'un tiers des opérations analogues à celles de la société, lorsque cette concurrence est de nature à nuire aux
intérêts de la société », le tribunal précise qu' « en cas de contravention, les associés peuvent, à leur choix, s’octroyer des dommages-intérêts ou
prendre à leur compte les affaires engagées par l'associé et se faire verser les bénéfices par lui réalisés, le tout sans préjudice du droit de
poursuivre l'exclusion de l'associé de la société ». (V. TPI Sousse, jugement n° 482, du 33 juin 2000, RJL, mars, 2002, p. 197, spécialement p.
203 et 204). Et c'est dans le même sens que s'est prononcé le tribunal de première instance de Jendouba dans un jugement n° 4127, du 25 octobre
1993 ((Inédit, cité par S. KHALED SLAMA, L'exclusion d'un associé dans les sociétés commerciales. Th., FDSPT, 2005). De son côté, la Cour de
cassation, dans deux arrêts n°71263 du 13 mai 1999 et n° 19780-2002 du 31 mai 2003 (Inédits, cités par S. KHALED SLAMA, Thèse précitée),
a considéré que la société est une entité économique et sociale qu'il faut protéger, et pour cette raison, le juge doit prononcer l'exclusion de l'associé
dont les agissements pourraient entraîner sa dissolution. Il s'agissait, en l'espèce, d'une mésentente survenue entre les associés d'une société à

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

COC lorsque le législateur autorise les associés à procéder à l’exclusion de l’associé débiteur dont les
créanciers s’opposent à la prorogation de la société lorsque celle-ci est constituée pour une durée déterminée.
Les associés procéderont à l’exclusion en saisissant le juge qui est doté du pouvoir décisionnel. Egalement,
dans le cadre de l’article 1327 COC, le législateur permet aux associés d’éviter la dissolution, en demandant
au juge de prononcer l’exclusion de l’associé qui la demande3441. Ces derniers peuvent, en outre, demander
l’exclusion de l’associé en cas d’empêchement permanent conformément à l’article 1450 COC.
Le code des sociétés commerciales, à son tour, prévoit aussi, dans l’article 325, un autre cas
d’exclusion de l’actionnaire qui ne libère pas dans les délais fixés par le conseil d’administration ou le
directoire le reliquat du montant des actions par lui souscrites. Ce même cas d’exclusion est prévu, par
ailleurs, par l’article 1263 COC. Que l’on n’oublie pas également les deux cas d’exclusion conventionnelle
prévus, respectivement pour la société en nom collectif et la société à capital variable, par les articles 65 et
407 CSC.

Il est donc clair qu’il n’existe, en notre législation, aucun texte général, ni spécial qui autorise
l’exclusion de l’associé en cas d’abus de minorité. Malgré cela, l’exclusion peut paraître une sanction
adéquate pour un tel abus. En effet, la doctrine3442 a démontré que les obstacles juridiques qui sont
généralement opposés à la possibilité d’exclure un actionnaire étaient loin d’être dirimants. Il semble alors
admis que l’accord de volontés manifesté dans les statuts ou dans une convention extrastatutaire permet de
fonder efficacement le droit d’exclusion dans son principe3443. Il reste que la question se pose différemment
lorsque ni l’associé concerné ni les autres n’ont prévu par avance la possibilité d’être exclus. Dans ce cas,
l’exclusion ne peut être prononcée unilatéralement car le droit des contrats, le droit des sociétés et le droit de
propriété s’y opposent. En effet, la société n’a aucun pouvoir disciplinaire propre pour agir de la sorte. Mais,
là où la volonté unilatérale des associés est impuissante, le pouvoir du juge ne pourrait-il pas s’y substituer ?
Le droit positif, qu’il s’agisse de la loi ou la jurisprudence, introduit incontestablement le juge dans le jeu des
sociétés car le principe de non-immixtion est devenu relatif3444. Mais la difficulté réside, dans cette hypothèse,
dans la précision jusqu’où le juge peut-il aller sans, pour autant, aller trop loin ? La crainte est que la
reconnaissance d’un pouvoir d’exclusion judiciaire porterait atteinte au droit de demeurer actionnaire. Cela
équivaudrait, purement et simplement, à une expropriation pour cause d’intérêt privé ! Cette idée rappelle
l’article 20 CDR qui dispose que « nul ne peut être contraint de céder sa propriété sauf dans les cas prévus
par la loi et moyennant une juste indemnité ». Il en est de même de l’article premier du protocole additionnel
n°1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales précisant
que « toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens et que nul ne peut être privé de sa
propriété que pour cause d’utilité publique... ».
Plusieurs auteurs français3445 ont évoqué cette hypothèse d’exclusion en cas d’abus de minorité, les uns
avec faveur, les autres pour la rejeter. Une réponse ministérielle française du 19 septembre 19853446 avait
également invité à sortir de la situation de blocage que pouvait créer un abus de minorité en stipulant dans les
statuts une clause prévoyant la possibilité d'exclure les minoritaires.
Contrairement à l’opinion de certains auteurs3447, qui y voient une monstruosité juridique, l’exclusion
parait, pour d’autres, nécessaire pour protéger l’intérêt social et la survie de la société. Elle doit être admise,

responsabilité limitée ayant entraîné le blocage de son fonctionnement en raison de l'impossibilité de se réunir en assemblée pour prendre les
mesures qu'exige l'intérêt social. Saisie de l'affaire en tant que juridiction de renvoi, la Cour d'appel de Tunis a rendu un arrêt n° 12258 en date du
26 avril 2005 (Inédit, cité par S. KHALED SLAMA, Th. Pré.) dans lequel elle prononce l'exclusion de l'associé qui est à l'origine de la
mésintelligence paralysant le fonctionnement de la société. Après avoir rappelé les dispositions de l'article 1327 COC, cette juridiction a considéré
que l'objectif du législateur est de préserver le rôle économique et social de la société en assurant sa continuation par l'exclusion de l'associé qui
montre son désintérêt à l'égard de l'intérêt social.
.25 ‫ ص‬،2009 V+ G‫ أ‬،67/66 ‫ د‬N ، ‫را‬ ‫ أ‬،2006-05-23 ‫ _رخ‬،8139-2005 ‫(د‬3 ، "( 61@7; ‫ ار‬: 6‫ُ اﺟ‬+ 3441
3442
MARTIN (D), L’exclusion d’un actionnaire, In n° spécial sur la stabilité du pouvoir et du capital dans les sociétés par actions, Rev. Jur. Com
novembre 1990, p 94 ; DAIGRE (J-J), la perte de la qualité d’actionnaire, In qu’est-ce qu’un actionnaire ? 14/15 avril 1999, centre de recherche
de droit des affaires et de l’économie de l’université de paris I, p 545.
3443
MERLE (P), op. cit., p 88.
3444
GERSCHEL (C), Le principe de non-immixtion en droit des affaires, LPA, 30 août 1995 n° 104, p. 8 ; DESDEVISES (M-C), L'immixtion
dans la gestion d'une société, Eco. et Compta., no 133, déc. 1980, p. 3, et no 134, mars 1981, p. 3. L'auteur considère qu'un tel principe n'existe pas,
et serait même tenté, de « dégager un principe de régularité des immixtions dans la gestion d'une société ».
3445
REINHARD (Y), R.T.D.com. 1992, p. 636 (favorable) ; LE CANNU (P), Bull. Joly 1992, p. 276 (qui considère qu'il s'agit d'une solution
disproportionnée) ; VIANDIER (A), J.C.P. 1992, éd E, II. 301 (défavorable) ; BOUSQUET (J-C), D. 1992, p. 340 (favorable).
3446
J.C.P. 1986, éd. G, IV. 43 ; Rev. Soc., 1985, p. 891.
3447
RODIERE (R), note sous Rouen, 8 fev 1974, Rev. Soc., 1974 p 513 ; DAIGRE (J-J), la perte de la qualité d’actionnaire, art. pré., p 545.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

selon eux, car aucun argument définitif ne s’y opposant de manière absolue, qu’il s’agit du droit de rester
associé ou celui de rester propriétaire.

740- En l’absence de jurisprudence tunisienne relative à l’abus de minorité, son homologue française
a marqué une certaine réticence à l’égard de l’exclusion judiciaire au motif qu’aucune disposition légale ne
donne pouvoir au juge d’obliger un associé à céder ses parts3448, mais un fameux arrêt de la cour d’appel de
Reims de 19893449 s’était prononcé en faveur de la reconnaissance d’un tel pouvoir au juge3450.
Cette solution doit être dorénavant définitivement écartée en droit français. En effet, la Cour de
cassation française a jugé qu'il n'était pas possible, en l'absence de clause statutaire, d'exclure un associé en
l'obligeant à céder sa participation. La chambre commerciale en a jugé ainsi une première fois en rejetant, par
un arrêt du 13 décembre 19943451, le pourvoi formé contre l'arrêt de la Cour d'appel de Montpellier qui avait
refusé l’exclusion. La même chambre de la Haute juridiction française a confirmé cette solution dans un arrêt
proverbial rappelant, dans un attendu de principe, qu'aucune disposition légale ne permet de procéder
judiciairement à une exclusion, même à l'encontre d'un associé qui demande la dissolution de la société3452. Si
la Cour de cassation française refuse d'envisager l'exclusion d'un associé qui agit en dissolution, on voit mal
comment elle pourrait admettre l'exclusion d'un minoritaire qui ne cherche pas à obtenir la dissolution de la
société mais qui se contente simplement de ne pas voter une décision. Dans ces conditions, cette solution ne
peut qu'être écartée.

En date du 31/03/2003, notre cour de cassation a rendu une décision de principe en se prononçant en
faveur de l’exclusion d’un associé lorsque la société est menacée de dissolution3453. En réalité, cette décision
n’est qu’une application pure et simple de l’article 1327 COC susmentionné. Aussi, le juge du fond a
considéré que l’absence d’affectio-societatis pouvait, le cas échéant, justifier le recours au juge afin de
prononcer l’exclusion3454.

741- Quelle que soit l’importance des arrêts précités, en l’absence d’une jurisprudence constante,
l’éviction de l’associé, considérée comme la réparation la plus adéquate du préjudice causé par un abus de
minorité, n'est possible qu'en présence d'une clause statutaire d'exclusion. Elle consiste à contraindre le
minoritaire qui refuse une opération de fusion ou de scission, par exemple, à céder ses droits sociaux. La
validité d'une telle clause est maintenant largement admise, tant en doctrine3455 qu'en jurisprudence3456 sous
réserve du respect des « garanties morales, procédurales et patrimoniales »3457. Cette solution est sans doute
la meilleure pour la société qui ne risque pas d'être dissoute ou de rater un procédé de concentration vital. Elle
l’est aussi pour les majoritaires qui cherchent avant tout à débloquer la situation, et pour les minoritaires
également qui éviteront d'avoir à payer des dommages-intérêts. Aussi ne saurait-on trop insister sur la
nécessité de stipuler dans les statuts des clauses d'exclusion soigneusement rédigées. En l’absence d’une telle
clause, l’éviction de l’associé récalcitrant serait juridiquement inenvisageable, à moins que le législateur
n’accepte d’intervenir, dans un futur proche, afin d’institutionnaliser cette hypothèse. Ce qui serait de mise à
bien des égards. En attendant cette intervention si urgente, l’exclusion relève indubitablement du « domaine
réservé » des statuts. C’est ainsi qu’un auteur3458 a soutenu que « s’agissant d’une clause d’exclusion d’un
associé stipulé dans un cas où aucun texte ne l’envisage, seuls les statuts de la société pouvaient prévoir cette
mesure à l’exclusion des conventions extrastatutaires ». Cette position s’explique par le fait que la qualité
d’actionnaire est née pour chacun d’entre eux par la signature du contrat de société. Dès lors, il ne semble pas

3448
Cass. Com. Fr., Affaire SNC nollet, 12 mars 1996, JCP, Ed E, 1996 II, n°831, note Y. Pachot.
3449
C.A. Reims, 24 avril 1989, Gaz. Pal., 1989, note Defont Bessin, p 423.
3450
DAIGRE (J-J), la perte de la qualité d’actionnaire, In qu’est-ce qu’un actionnaire ? art., pré., p 545.
3451
Bull. Joly 1995, p. 153, note P. Le Cannu.
3452
Cass. Com. Fr., 12 mars 1996 : J.C.P. 1996, éd. E. II. 831, note Y. Paclot.
3453
KHALED (S), l’exclusion d’un associé dans les sociétés commerciales, Th., FDSPT, 2003-2004, p184.
3454
Trib 1er Ins de Tunis, jugement n°7684, du 16/6/2001, cité par KHALED (S), Th. pré., p 349.
3455
VELARDOCCHIO (D), In Grands arrêts du droit des affaires, Dalloz, 1995, p. 534, nos 6 et s. ; GUYON (Y), Traité des contrats, Sociétés, 2e
éd., 1995, p. 152, nos 98 et s. (plus réservé) ; COZIAN (M) ET VIANDIER (A), Droit des sociétés, Litec, 9e éd., 1996, p. 145, no 385.
3456
Cass. Com. Fr., 13 décembre 1994 (Le Midi Libre), JCP 1995, éd. E, II. 705, note Y. Paclot ; Bull. Joly 1995, p. 153, note P. Le Cannu.
3457
DURAND-LEPINE (G), L'exclusion des actionnaires dans les sociétés non cotées, LPA, 24 juillet 1995, p. 11. Adde Y. Guyon, Traité des
contrats, Sociétés, 2e éd., 1995, p. 152, no 99.
3458
STORCK (J-P), La validité des conventions extra-statuaires, D. 1989, p. 267.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

possible qu’une convention extrastatutaire, puisse leur ôter cette qualité3459. Cette opinion semble être
entérinée en droit tunisien par l’article 3 CSC qui interdit les pactes d’associés contraires aux statuts.

742- Outre l'exclusion du minoritaire, la dissolution de la société a fait couler beaucoup d’encre et
suscite, encore et encore, d’âpres débats en tant que sanction de l’abus de minorité dans les procédés de
concentration3460.

b- La dissolution de la société
743- Pour sanctionner un abus de minorité, il semble possible au juge de prononcer la dissolution de
la société et ce, à la demande des associés majoritaires dans la mesure où l’abus témoigne d’une mésentente
entre associés conduisant à une situation irrémédiable et empêchant la continuation de la société3461.

Dans la législation des sociétés, tout associé peut, conformément aux dispositions de l’article 26 CSC,
saisir la juridiction compétente en vue de faire prononcer la dissolution de la société pour justes motifs3462.
Aussi, l’article 1323 COC prévoit, dans une forme générale, que tout associé peut poursuivre la dissolution de
la société, même avant le terme établi, s’il y a des justes motifs. Les associés ne peuvent renoncer à l’avance
au droit de demander la dissolution judiciaire pour justes motifs, ce qui donne à ce droit un caractère d’ordre
public. Le même texte donne trois exemples du standard juridique3463 « justes motifs ». Il s’agit des
mésintelligences graves entre associés, du manquement de l’un des associés à ses obligations et de
l’impossibilité de l’un d’eux d’exécuter ses obligations. Ce sont des sous-standards juridiques. Il en résulte
que les justes motifs sont des questions qui relèvent des pouvoirs souverains des juges du fond qui les
apprécient au cas par cas. Cette liste de l’article 1323 n’est qu’indicative, car d’autres situations peuvent
apparaître comme des justes motifs fondant la demande. De la même manière, on peut douter que les justes
motifs de ce texte puissent servir dans toutes les hypothèses3464.
La question qui se pose alors est de savoir si l’abus de minorité peut constituer un cas de dissolution
pour justes motifs dans les procédés de concentration des sociétés ? D’une part, aucun texte explicite ne
l’interdit. D’autre part, le législateur n’a pas défini la notion de justes motifs, se contentant des quelques
exemples précités. Rien n’empêche alors de considérer, dans ces conditions, l’abus de minorité comme un
juste motif autorisant la mise à mort de la personne morale. Tout dépendra de la position qu’adoptera le juge
du fond3465. Dans ce sens, la cour d’appel de Tunis, sans qualifier l’abstention des minoritaires d’abus de
minorité, n’a pas du tout hésité à sanctionner leur refus continu d’assister aux assemblées générales par la
dissolution de la société suite à une demande des majoritaires3466. N’est-ce pas là un cas d’abus de minorité
négatif qui a donné lieu à la dissolution ?

3459
MONSALLIER (M-C), L’aménagement contractuel du fonctionnement de la société anonyme, LGDJ, 1998, n°705, p 992.
l ‫ ء و‬C 3 ‫ ا‬G C M ‫ف‬SP ‫ ا‬9N ‫ ا اذا‬.‫ د‬# ‫ا 'ا ت وا‬ M 1323 V]/ S N C 3 #‫ا‬ ] ‫ ن ا‬7 #+ M+D ‫ ء ا‬C 3 ‫ او ا‬k+ 3 ‫] ء ا‬7‫ ا‬M 8 7 6 ‫ ﺟ‬+ " 3460
H $ ،.‫ ذ‬.‫ س‬.‫ م‬،‫ ل و< ق ا ! ن‬# ‫ وزارة ا‬، K N " # ‫ ا‬+‫ر‬ ‫ت ا‬C 3‫ا‬ ،, ( 7 ‫ ا‬, ‫ ظ ز‬$ ‫ ( ا‬- ‫ ري و‬17 ‫ و ل ا‬2 ‫ ( ا ر‬0‫ ا‬." K < M / SG ‫ ا ة‬M ‫ ة‬C ‫درﺟ‬
.947/946 ‫ ص‬،2007
‫ _رخ‬،4216 ‫(د‬3 ، "( 61@7; ‫ ار‬: F+‫ أ‬6‫ُ اﺟ‬+ .73 ‫ ص‬،2002 ،6+ 3 ‫ ء و ا‬F ‫ّ ا‬ ، C 3 ‫ ] ا‬U N ‫ ھ‬p[$ ‫ ء و‬C 3 ‫ ا‬M ‫ ت‬GSP ‫ ا‬،# ‫ ] دو‬A ‫ ا‬3461
.94 ‫ ص‬،1969 ،.‫ ت‬.‫ ق‬.‫ م‬،1966/05/18 ‫ _ ّرخ‬،18326 ‫(د‬3 ،[" ; ، AZ D‫ ار ا‬.9 ‫ ص‬،2006 A ،9 / 8 ‫ د‬N ، ‫را‬ ‫ ا‬،2001 !+‫ د‬،.‫ ت‬.‫ ق‬.‫ م‬،2001/11/12
،1994/04/27 ‫ _ ّرخ‬،5175 ‫(د‬3 ، 1 !A ‫ ا‬، AZ D‫ ار ا‬.9 ‫ ص‬،2006 A ،9 / 8 ‫ د‬N ، ‫را‬ ‫ ا‬،1998/10/25 ‫ _رخ‬،50574 ‫(د‬3 ،[" ; ، AZ D‫ار ا‬
.9 ‫ ص‬،2006 A ،9 / 8 ‫ د‬N ، ‫را‬ ‫ا‬
KHALED-SLAMA (S), L’influence des mésententes entre associés sur le fonctionnement des sociétés commerciales, I.J., n° 8/9, septembre
2006, p 6 ; CHERKAOUI (H), La dissolution pour mésentente entre associés, In Le Temps, Maroc, du 21 au 27 mai 1999, n° 186.
3462
L’article 26 C.S.C. dispose que « la dissolution de toute société peut être volontaire ou judiciaire. La société peut être dissoute par une
décision prise par les associés aux conditions prévues par les statuts. Elle est dissoute judiciairement par un jugement. Dans tous les cas, tout
associé peut conformément aux dispositions spécifiques à chaque société, saisir la juridiction compétente en vue de faire prononcer la dissolution
de la société pour justes motifs ».
3463
FARJAT (G), Entre personnes et choses, les centres d'intérêts, prolégomènes pour une recherche, RTD civ., 2002, p. 221. V. sur cette notion,
E. Assi, L'intérêt de la famille, Thèse Montpellier, 1983, 254 p.
3464
La dissolution des sociétés est de la compétence de la chambre commerciale conformément à l’article 40 CPCC (nouveau). Sa décision doit
reposer sur une motivation objective. Un conflit personnel entre associés n’est pas un juste motif. Un conflit qui risque de paralyser l’activité de la
société l’est en revanche. La dissolution pour justes motifs est une décision grave. Elle est économiquement néfaste et ne doit pas être décidée
d’une manière irréfléchie.
"‫ ـ‬L + S #$ S # ‫ ن‬C ‫ ط‬I # ‫ا‬ 7‫ ر‬M V< 8G ‫ ن‬+ ‫ي‬D ‫ ع ا‬g ‫ا‬ ‫ د‬K ‫ ل ﺟ‬C C 3 ‫!* ا‬G ‫ ء‬C 3 ‫ أ< ا‬I ‫ ر ط‬+ ‫ي‬D ‫ ا‬# ‫ ا‬I ! ‫ ا‬+ $ [! ‫ " ان‬3465
.52 ‫ ص‬،1996 4A 1 ‫ د‬N I # ‫ا‬ + 3 ،1996/10/24 = ‫ _رخ‬54932 ‫(د‬3 "( ‫ ا‬61@7 ‫ ا @ ار ا‬6‫ُ اﺟ‬+ ." ‫ و ا ن‬UG + ‫ ّ و‬F ‫ أوراق ا‬a F $ ‫و‬
3466
C.A. Tunis, jugement n° 50574 datant du 28-10-1998. V. les annexes.

Page 503
DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

744- De façon générale, la jurisprudence tunisienne a accepté automatiquement la mésentente grave


pour prononcer la dissolution conformément aux articles précités. Le tribunal de première instance de Tunis
dans un jugement du 01/03/1994 a défini la mésentente comme une absence de confiance qui entraîne une
dégradation importante de la situation financière3467. Aussi dans un arrêt du 25 avril 1996, la Cour de
cassation à eu recours aux règles générales de droit commun et à l’absence d’affectio-societatis pour cerner la
notion de mésentente et autoriser la dissolution de la société pour dissentiment grave entre associés sur la base
de l’article 1323 précité3468. On retrouve presque la même argumentation dans un arrêt n° 54932 datant du 24-
10-19963469. Pareillement, la cour d’appel de Gafsa a retenu la mésentente entre associés comme argument de
dissolution dans l’arrêt n° 35550 datant du 9/5/20003470.
Il convient de préciser aussi que la jurisprudence tunisienne s’est inspirée du droit français pour ajouter
la paralysie du fonctionnement de la société comme critère de mésentente non prévu par le texte de l’article
1323 COC3471. Il reste que la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 12/06/2001, a fait preuve de recul en la
matière et ce, en prononçant la dissolution même d’une société in bonis. Elle a motivé son attitude par
l’existence d’un conflit sérieux et d’une disposition statutaire autorisant à toute partie de demander la
dissolution de la société3472. Ainsi, la cour de cassation a ouvert la voie à la dissolution de sociétés encore
viables alors que chaque décision menaçant la survie de la société peut menacer toute l’économie nationale.
Rien n’empêche alors, conformément à cette décision, de considérer l’abus de minorité comme un juste motif
autorisant le juge à dissoudre l’être moral si les majoritaires le demandent, même si la situation sociale est
florissante !
On se permet de critiquer, à juste titre, cette solution jurisprudentielle, qui ne constitue qu’une décision
orpheline3473, car dans les situations où le conflit ne met pas la société dans une situation irrémédiablement
compromise, il est préférable de se référer à d’autres mesures afin d’éviter la dissolution, surtout s’il est
question des procédés de concentration guidés par l’impératif d’incitation et d’encouragement qui est en totale
contradiction avec la dissolution de la personne morale. Parmi ces mesures, il sied de mettre en exergue celle
relative à la substitution du juge aux organes sociaux compétents. La décision valant vote serait alors bien
meilleure que la dissolution pour sanctionner l’abus de minorité dans les procédés de concentration.

B- La sanction à retenir : La substitution du juge aux organes sociaux


compétents

745- M. Barbiéri3474 a proposé comme mode de réparation du préjudice né d'un abus de minorité
d'annuler la délibération au cours de laquelle les minoritaires ont rejeté la résolution litigieuse. Ce n'est pas
une réparation dira-t-on dans la mesure où on peut douter qu'elle soit efficace. En effet, si cette solution se
conçoit bien en théorie, on perçoit qu'en pratique elle risque de présenter un intérêt limité dans la mesure où
elle demeure inconcevable en cas d’abus de minorité par refus d’assister à l’assemblée générale3475. Dans ce
cas quel sera l’objet de l’annulation ? Aussi, il peut se révéler que le seul mode de réparation véritablement
efficace est celui consistant à allouer à la société, et éventuellement aux majoritaires, des dommages-

3467
V. les annexes.
3468
V. les annexes.
C KP! ‫ د أو‬# ‫ 'ا ت وا‬J‫ا‬ M 1323 V]/ ‫ ه إ ^ ء أ< م ا‬5 ‫ ` أو‬d ‫ ا‬a ]/ M F + 9 +‫ا ر‬ ‫ ار ا‬0| 8g ‫ ا‬1959/10/5 8G ‫رخ‬q ‫ ا‬129 ‫ د‬N ‫ " إن ا ن‬3469
U N ‫ ء‬4 ‫ و‬. K ]G 6 ‫ ﺟ‬f N A‫ إ‬8‫ د و ھ‬# ‫ 'ا ت وا‬J‫ا‬ ‫ ت ا اردة‬C 3 ‫ < م ا‬G 4 M $ 9 +‫ا ر‬ ‫و ا ودة ا اردة‬q! ‫ ت ذات ا‬C 3 # ‫أن ا < م ا‬
CD+ ‫ ﺟ ء‬M@ ‫و ا ودة و‬q! ‫ ذات ا‬C 3 ‫ل ا‬S | " # ‫ ا‬9! ‫ ا ارد‬+‫ا ر‬ ‫ ا‬M 176 V]/ ‫|ن ا‬G ‫ أ ى‬K‫ ﺟ‬M ‫ و‬.1323 V]/ ‫ " أ< م ا‬L$ M 76 a |G k ‫ذ‬
‫ د‬# ‫ 'ا ت وا‬J‫ا‬ M 1323 V]/ ‫ ا اردة‬# ‫ ا‬N‫ ا ا‬U ‫ ا ﺟ ع إ‬M 8 6 ‫ و‬CD ‫ ا‬V A U N V ] ‫ ا‬V A U N M $ 9 ‫ ا ت‬k $ ‫ل إ أن‬S v ‫ ة < ت‬N
"( ‫ ا‬61@7 ‫ ا @ ار ا‬6‫ُ اﺟ‬+ ." +‫ا ر‬ ‫ ا‬M 176 V]/ ‫ ا ت ا اردة‬M g M M + 9 ‫ي‬D ‫ ء وا‬C 3 ‫ ا‬M ‫ ي‬7 ‫'اع‬4C # I A ‫ < وﺟ د‬8G C 3 ‫!* ا‬G | "# ‫ا‬
.48 ‫ ص‬،1996 4A ،1 ‫ د‬N I # ‫ا‬ + 3 ،1996/10/24 = ‫ _رخ‬54932 ‫(د‬3
3470
KHALED (S), l’exclusion d’un associé dans les sociétés commerciales, Thèse pré., p184.
.83 ‫ ص‬،2002 + ‫ ﺟ‬،‫ م ق ت‬، C 3 ‫ ] ا‬U N K$ A # ‫ ء و ا‬C 3 ‫ ا‬M ‫ ت‬GSP ‫ ا‬،# ‫ ] ذو‬A ‫ا‬
3471
Ibidem.
‫ ت‬GSP ‫ ا‬U N K F7 8G ‫ ت‬4 A‫ّ ا‬ 4 ‫ا‬9 ‫ا‬ ‫ " ان‬A ّ m P !+ ` < ‫ " و‬8 + 2003/01/07 ‫ ا _رخ‬21637 ‫(د‬3 61@7 ‫ @ ار ا‬،‫] ص‬P ‫ا ا‬D‫ ھ‬8G ،‫< ` ورد‬
‫ ت‬F / P ‫ و‬/ #g ‫ و‬64 5 K #$ ‫ ن‬+ K‫ ط‬3 ‫ و‬C 3 ‫ ا‬A V L#$ U N ‫ ّل‬$ 8 ‫ ا‬N g ‫ ات ا‬Oّ q ‫ دون ن ا‬K4 G ] ‫ أ‬K A‫ رأ‬6+‫ ز‬$ ‫ و‬M G L ‫ ا‬M ]P3 ‫ا‬
."<S ‫ ا‬6‫ُ اﺟ‬+ ،‫ ر‬34 5 ‫ ار‬7 ." n 4 G K ! 8 ‫ د و‬# ‫ا 'ا ت و ا‬ M 1323 V]/ ‫ا‬
3472
Cass Com., l’affaire « clinique Mohamed el khames », n°9840, 12/06/2001 rapporté par DERBALI (H), mém. préc., p 154.
3473
Concernant la définition de la décision orpheline V. BEN AMMOU (N), Le pouvoir de contrôle de la cour de cassation, Thèse, FDSPT, 1996,
n° 116, p 14 , 35 et s. ; BOURAOUI (S) et MECHRI (F), La cour de cassation en Tunisie, RTD, 1987, p 299 et s.
.365 ‫ ص‬،2010 ،H $ ،8# ‫ ا‬34 ‫' ا‬C ،8 ‫ ء ا‬F ‫ ا‬a G M N ‫ ! ن‬،9 ‫ اط < ل ا ار ا‬، >1N F ‫ا‬ ّA ‫ ا‬1>
3474
BARBIERI (J-F), note sous Cass. com., 14 janvier 1992, J.C.P. 1992, éd. G. 21849.
3475
BUFFELAN-LANORE (Y), Droit civil, Masson, 1995, p. 65 ; LEGROS (J), La nullité des décisions de sociétés, Rev. Soc. 1991, p. 316.

Page 504
DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

intérêts3476. Cette solution a été admise par certains auteurs3477. Pour d’autres3478, cette réparation n'est pas
adéquate puisqu'elle astreint à évaluer la perte de l'avantage purement hypothétique que la société aurait tiré
de l'exécution du projet repoussé3479. Pis encore, l'allocation de dommages-intérêts, même élevés, est
inadaptée et insuffisante car la délibération n'est toujours pas votée suite au refus des minoritaires et
l’opération de concentration sollicitée demeure toujours bloquée alors qu’elle s’avère vitale pour la société.
Pour ces raisons, la cour de cassation française a estimé qu'il existe d'autres solutions permettant la prise en
compte de l’opération de concentration et la préservation de l’intérêt social3480.
La question se pose alors de savoir si le juge a le pouvoir de désigner un mandataire ad hoc pour voter
à la place des minoritaires défaillants (a) ou, tout simplement, d’adopter une décision rejetée, en décidant que
son jugement vaut acte3481 (b) ?

a- La désignation d’un mandataire ad hoc : sanction


inefficace dans les procédés de concentration
746- En l’absence d’une jurisprudence tunisienne soutenue et constante, la position de la Cour de
cassation française est claire à ce sujet : le juge ne peut se substituer directement aux organes sociaux
légalement compétents. Il lui est seulement possible de désigner un mandataire aux fins de représenter les
associés minoritaires défaillants à une nouvelle assemblée et voter en leur nom dans le sens des décisions
conformes à l'intérêt social mais ne portant pas atteinte à l'intérêt légitime des minoritaires3482. L'adoption de
la résolution rejetée doit ainsi se faire dans le cadre d'une nouvelle assemblée convoquée à cet effet3483. En
d’autres termes, il a été clairement admis que le juge n'a pas à se substituer aux organes sociaux, de sorte que
la Cour de cassation française a posé comme principe que le tribunal ne peut adopter une décision en lieu et
place des associés, en cas d'abus de minorité. Selon cette construction prétorienne, le juge doit désigner un
mandataire ad hoc « aux fins de représenter les associés minoritaires défaillants à une nouvelle assemblée et
voter en leur nom dans le sens des décisions conformes à l'intérêt social mais ne portant pas atteinte à
l'intérêt légitime des minoritaires »3484. Le mandataire ainsi désigné pourra permettre un rapprochement des
parties, et initier une solution amiable. Le juge devrait systématiquement inclure dans sa mission celle de
concilier les parties3485.
Le président du tribunal de première instance de Ben Arous a suivi, semble-t-il, cette solution sur une
action intentée par les majoritaires, dans une SARL, contre la minorité qui a refusé de voter une augmentation
du capital de la société prévue par un plan de règlement judiciaire approuvé par le tribunal. L’ordonnance de

3476
Le mode de réparation du préjudice que doit préférer le juge est la condamnation du minoritaire auteur de l'abus à payer à la société des
dommages-intérêts. La solution est satisfaisante. Elle permet de réparer tout en sanctionnant. La Cour d'appel de Lyon (Lyon, 20 décembre 1984 :
D. 1986, p. 506, note Y. Reinhard) a ainsi condamné des minoritaires à réparer le préjudice résultant pour le majoritaire de la faillite de la société
suite au refus de ces minoritaires de procéder à une augmentation de capital, la Cour allant même jusqu'à indemniser le préjudice moral causé au
majoritaire. Le Tribunal de commerce de Salon de Provence (Trib. com. Salon-de-Provence, 29 juin 1990, Bull. Joly 1991, p. 306, note D.
Bompoint) a rendu en la matière une décision exemplaire, puisqu'il a condamné l'associé égalitaire, auteur d'un abus de droit en s'opposant
systématiquement aux résolutions proposées par son coassocié gérant, à payer à celui-ci la somme de deux millions de francs et celle de dix
millions de francs à la société. L'intérêt de telles décisions réside dans l'effet dissuasif qu'elles ne manquent pas d'avoir sur les minoritaires
récalcitrants. Les dommages-intérêts jouent ici pleinement le rôle de peine privée. Les minoritaires doivent savoir que leur opposition abusive peut
les conduire à réparer tout le préjudice qu'ils occasionnent.
‫ ت‬F+ # ‫ ا‬Pg f C ‫ ور‬.f7 ‫ ا‬H/ 8G 5 ‫ و‬C 3 "<S ‫ ر ا‬F ‫ ا‬7 ‫! وي‬+ ‫ ي‬n+ # 9 ‫ ى ا‬A a H 8g ‫ ﺟ ان ا‬،8#+ 3 ‫ ا‬m4 ‫ ت ا‬A V‫ ظ‬8G " 3477
.947/946 ‫ ص‬،" ! ‫ ا‬6‫ ا ﺟ‬، K N " # +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬ ،, ( 7 ‫ ا‬, ‫ ظ ز‬$ ‫ ( ا‬- ‫ ري و‬17 ‫ و ل ا‬2 ‫ ( ا ر‬0‫ ا‬." 7 ‫ دع ا‬+ ‫ا ا ط ر‬D‫ ھ‬8G K 8F + 8 ‫ا‬
3478
CABRILLAC (M), De quelques handicaps dans la construction de la théorie de l'abus de minorité, Mélanges Colomer, Litec, 1993, p. 112, no
9 ; LEPOUTRE (E), Les sanctions d'abus de minorité et de majorité dans les sociétés commerciales, Droit et Patrimoine, décembre 1995, p. 68 ;
LUCAS (F-X), La réparation du préjudice causé par un abus de minorité, LPA, 12 septembre 1997, p 6.
3479
L'objection est apparemment gênante. D'abord, le droit de la responsabilité civile connaît d'autres hypothèses dans lesquelles le juge doit
évaluer un avantage plus ou moins hypothétique, notamment lorsqu'il s'agit de réparer le préjudice causé par la perte d'une chance. Ensuite, dans de
nombreuses hypothèses d'abus de minorité, le préjudice n'est pas hypothétique puisque si le juge a caractérisé l'abus, c'est qu'il a considéré que
l'obstruction des minoritaires causait dès à présent un dommage à la société, par exemple en la privant d’une opération essentielle pour sa
prospérité telle une opération de fusion ou scission.
3480
Cass. Com. Fr., 14 janvier 1992, Quot. Jur. du 5 mars 1992, p. 44, obs. Ph. Merle ; J.C.P. éd. E., 1992, 301, obs. Viandier ; D. 1992, p. 337,
note J.-C. Bousquet.
3481
KHARROUBI (K), Droit des sociétés commerciales, V. 1, Regroupe Latrach des livres spécialisés, Tunis, 2008, n° 293, p 202.
3482
Cass. Com. Fr., 9 mars 1993, D. 1993, p. 363, note Y. Guyon ; Gaz. Pal. 1993, no 194, p. 334, note J. Bonnard ; J.C.P. éd. E., 1993, II, 448,
note A. Viandier ; J.C.P. éd. G., 1993, II, 31326, note Paclot.
3483
KENGNE (G), Le rôle du juge en matière d’abus du droit de vote, LPA, 12 juin 2000 n° 116, p. 10.
3484
Cass. Com. Fr., 9 mars 1993, Bull. civ. IV, no 101
3485
ROHART-MESSAGER (I), A Propos des conflits d'intérêts dans les sociétés, LPA, 08 avril 2008 n° 71, p. 14

Page 505
DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

référé rendue par le tribunal3486 a nommé un séquestre sur les parts sociales revenant aux minoritaires. Ce
dernier a été chargé, par la suite, de voter en leur nom conformément à l’intérêt social lors de l’assemblée
générale extraordinaire qui sera convoquée par le commissaire à l’exécution du plan.
747- Si la doctrine majoritaire approuve cette mesure, le professeur François-Xavier Lucas la
critique au motif qu'elle nuit à la célérité de la solution et induit un coût superflu pour l’entreprise3487. Plus
précisément, cette solution cadre mal avec les exigences de rapidité de certaines décisions de la vie des
affaires, surtout s’il est question des procédés de concentration des sociétés, car la désignation d’un
représentant judiciaire des minoritaires et la prise d’un vote nouveau peut prendre, en pratique, plusieurs jours,
pour ne pas dire plusieurs semaines. Sur le plan pratique, cette solution n'est donc pas défendable. Elle conduit
nécessairement à ralentir le règlement du conflit, alors que précisément la jurisprudence révèle que, dans
chaque espèce, la survie de la société suppose un dénouement rapide. Ladite solution induit également un coût
qui peut se révéler important particulièrement lorsque la société est de dimension modeste.
En outre, si le juge peut annuler une résolution adoptée en cas d'abus de majorité, pourquoi ne peut-il
pas désigner un mandataire pour représenter les majoritaires et faire voter une décision contraire ? Si on admet
que le juge peut imposer une décision aux minoritaires au nom de l'intérêt social, il faut admettre qu'il peut
aussi le faire aux majoritaires au nom du même intérêt social3488.
De surcroît, le recours à un mandataire ad hoc n'est possible que pour représenter des minoritaires
défaillants, ce qui, a contrario, exclut d'y recourir lorsque lesdits minoritaires sont présents à l'assemblée et
votent contre la résolution proposée ou s'y abstiennent. Cette précision vient singulièrement limiter le champ
de compétence de ce mandataire ad hoc et l'intérêt de la solution3489.
748- Ces motifs qui conduisent à écarter le recours au mandataire ad hoc comme modalité de
réparation de l'abus de minorité dans les procédés de concentration excluent avec la même force l’ersatz de
cette sanction, à savoir, la privation des minoritaires de leur droit de vote. M. Barbiéri suggère, en
conséquence, que les juges du fond décident que leur décision vaudra vote3490. Cette affirmation a nourri un
débat passionnant.

b- La décision valant vote : sanction efficace dans les procédés de


concentration
749- Il a toujours été admis en droit de sociétés que le principe est celui de la non-immixtion du juge
dans les affaires sociales. En effet, il lui est interdit de décider ou faire fonctionner la société aux lieu et place
des organes sociaux. Le rôle du juge n'est pas de gérer les sociétés3491. Il est d'autant moins possible de
l'autoriser à s'immiscer dans la gestion que l'on ne sait pas où commencera, ni où s'arrêtera l'immixtion.
Cette idée a été affirmée par le tribunal de première instance de Tunis, d’après lequel « le juge n’a pas
à s’immiscer dans les affaires internes de la société anonyme, dans laquelle seule l’assemblée générale est
compétente »3492. Cette position a été adoptée aussi par une partie de la jurisprudence française3493. Elle
s’explique par la crainte du danger pouvant résulter d’une immixtion judiciaire. En leur permettant cette
intervention, les juges iront jusqu’à orienter la politique de la société. A cet argument s’ajoute un autre, en
effet l’institution judiciaire se caractérisant en général par sa lenteur n’est pas préparée à pénétrer le monde
des affaires où la célérité constitue la pierre angulaire des opérations commerciales3494. Sans oublier que le
juge n’a pas la compétence nécessaire pour apprécier les opérations de gestion ce qui l’empêche de mener à

3486
Ord .Pr. TPI., Ben Arous, n°30879, 23 janvier 2007, V. supra, note n° 957.
3487
LUCAS (F-X), La réparation du préjudice causé par un abus de minorité en droit des sociétés, LPA, 12 septembre 1997 n° 110, p. 6
3488
HEMARD (J), TERRE (F) ET MABILAT (P), Sociétés commerciales, Dalloz, tome II, 1974, n° 390 ; Raynaud (M), concl. sous Cass.
com., 9 mars 1993 (arrêt Flandin), R.J.D.A. 1993, p. 255, no 12.
3489
RAYNAUD (M), concl. pré., n° 12.
3490
BARBIERI (J-F), note sous Cass. com., 14 janvier 1992, J.C.P. 1992, éd. G. 21849.
3491
RAYNAUD (M), concl. sous Cass. com., 9 mars 1993 (arrêt Flandin), R.J.D.A. 1993, p. 255, no 12.
3492
TPI Tunis, chambre commerciale jugement n°134 du 30 juill. 1973, RTD, n°2, 1975, p 166.
3493
Cf. Paris, 25 octobre 1994 (arrêt Augros), Dr. sociétés 1995, no 34, obs. D. Vidal. A propos d'un abus de minorité invoqué à l'occasion d'un
projet d'augmentation de capital, la cour a rappelé qu'il « n'appartient pas au juge de se substituer aux organes sociaux pour décider des options de
la société ». V. aussi LE CANNU (P), note sous Paris, 25 mai 1993, Bull. Joly 1993, p. 852 ; note sous Toulouse, 13 mars 1995, Bull. Joly 1995,
p. 401.
3494
TPI Tunis, n°134, 30/07/1973 RTL 1974 P70, cité par BEN NASR (T), Le contrôle du fonctionnement de la société anonyme, op. cit., p 67.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

bien les missions qui lui sont conférées3495. La décision ne peut être prise que par l'organe compétent aux
conditions de majorité fixées par la loi, et éventuellement par les statuts, mais en aucun cas par le juge3496.
On n’est point d’accord avec cette position qui évince complètement le juge de la vie sociale. En effet,
de nos jours, l’ « appareil judiciaire » joue un rôle important dans la vie des sociétés3497. Il est investi de la
délicate mission d'arbitrer et assurer la protection des intérêts, parfois contradictoires, des associés et de la
société3498. Cette intervention judiciaire est devenue, depuis plusieurs années, l'un des traits dominants du
droit en général, et du droit des sociétés en particulier3499. En effet, les associés, à l'origine du contrat donnant
naissance à la personne morale, ont de plus en plus recours au juge pour dénouer les différents conflits
rencontrés dans la gestion sociale3500. Et si le principe de la force obligatoire s’oppose à ce que le juge puisse
intervenir dans le contrat de société, c’est dit-on parce que la société est plutôt une institution qu’une telle
intervention est possible.
Sous le règne du code de commerce et en dépit de l’absence de textes, la jurisprudence a pu
reconnaître une telle possibilité en vue de maintenir l’activité sociale en cas de crise. Sur la question de savoir
s’il était possible de nommer un administrateur judiciaire, encore appelé administrateur provisoire, en cas de
conflit, la réponse de la Cour de cassation a été nette : « il n’existe aucun texte qui interdit aux tribunaux de
nommer un administrateur judiciaire en vue de diriger provisoirement la société afin d’empêcher qu’elle
disparaisse en raison d’une mésintelligence grave entre les associés tout en tenant compte de leurs intérêts
respectifs. Cette mesure est envisageable même dans la société anonyme »3501. La jurisprudence manifeste à
cet égard un pouvoir créateur incontestable3502. On pourrait toutefois lui reprocher sa conception individualiste
qui met l’accent sur les intérêts respectifs des associés. Ce qu’il fallait mettre en évidence c’est plutôt l’intérêt
social qui doit être apprécié en dehors et indépendamment des intérêts individuels.
L'intervention du juge dans la vie des sociétés a même pris une nouvelle dimension avec la
promulgation du code des sociétés commerciales. Cherchant l'efficacité, les rédacteurs de ce code ont souvent
pris soin de prévoir plusieurs hypothèses de saisine du juge pour que celui-ci oblige les « récalcitrants » à
respecter la loi et les intérêts de toutes les parties concernées par la marche de la société3503.
750- Pourquoi alors ne pas accepter l’intervention du juge, moyennant une décision valant vote, en
matière d’abus de minorité dans les procédés de concentration ? Pour ce faire, quels seront les arguments
juridiques et les assises légales à retenir dans le code des sociétés commerciales ou en se basant sur le droit
commun des sociétés ?
Certes, l’article 290 CSC n’est d’aucun secours puisque son objet se limite à donner aux actionnaires
les moyens de remettre en cause la validité des décisions prises. Or à travers l’abus de minorité, la majorité se
plaint justement du défaut de décisions jugées conforme à l’intérêt social3504. Du coup l’article précité n’est
applicable qu’en cas d’abus de majorité.
En réalité, l'intervention judiciaire dans l'administration des sociétés commerciales est largement
admise en cas de difficultés politiques. En application de l'article 201 alinéa premier du CPCC, aux termes
duquel « dans tous les cas d'urgence, il est statué en référé par provision et sans préjudice au principal », dés
qu'un danger imminent et réel menace la société, particulièrement lorsque le fonctionnement de cette dernière
3495
Cass. Com. Fr., 16/10 1963, 16/12/1969, 9/3/1993, cité par SCHMIDT (D), In « les conflits d’intérêt dans la société anonyme » éd. Joly,
Paris 1999, p 196.
3496
LUCAS (F-X), La réparation du préjudice causé par un abus de minorité en droit des sociétés, art. pré., p. 6
3497
MESTRE (J), Réflexions sur les pouvoirs du juge dans la vie des sociétés, R.J. Com. 1985, p. 81 ; AZENCOT (M), L'intervention du juge
dans la gestion des sociétés commerciales, Thèse dactyl. Paris II, 1979.
‫ ة‬F ‫ ا دور ا‬، K 0‫ وا‬+‫ ا دار‬K C K ‫ات‬D ‫ د او و‬#$ ‫ ت‬C 3 ‫ه ا‬D‫ ن ادارة ھ‬،k ‫ ذ‬8G V ‫ ا‬9K < M H ‫ و‬+‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ادارة ا‬8G 9K ‫ ة دور‬F ‫ ان ا‬V0 ‫ " ا‬3498
U < ‫ ى‬C ‫ اھ‬U! C‫ ر وا‬L$‫ و‬6A $ +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ط ا‬3 ‫ ھ ان‬، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ ادارة ا‬8G ‫ ة دورا‬F ‫ل ن‬ A ‫ي‬D ‫ ان ا‬5 .9K4 [34$ 7 8 ‫ ت ا‬GSP ‫ ا‬nG U N ] G
N 4] ‫ وا‬+‫ وا ر‬N ‫ ا ﺟ‬a ‫ ﺟ ا‬i P 8G V C 84‫ ] د ا ط‬7 H + V h G K 0‫ ا‬U N ‫ رھ‬g‫ و‬K#/ ] + +‫ ] د‬7‫! ت ا‬Aq MN ‫ رة‬N ‫ ت‬C 3 ‫ه ا‬D‫ ھ‬f 0‫ا‬
‫ ت‬A‫' ا را‬C ‫ رات‬34 ،2003 V+ G‫ ا‬12 ‫ و‬11 8 + +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬ ‫ < ل‬4+ $ ‫ دورة‬." +‫ ] د‬7 ‫! ا‬Aq ‫ه ا‬DK + 4# ‫ ا‬+' U ‫` إ‬+ ‫ ا‬M4 ‫ ا‬UN‫ي د‬D ‫ا‬ ‫ا‬، ‫وا‬
.227 ‫ ص‬،2004 H $ F ‫وا‬ ‫ا‬
.227 ‫ ص‬،2004 H $ ، F ‫وا‬ ‫ ت ا‬A‫' ا را‬C ،2003 V+ G‫ أ‬12 ‫ و‬11 8G +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ا‬ ‫ < ل‬U ، +‫ ت ا ر‬C 3 ‫ إدارة ا‬8G 8g ‫ دور ا‬،‫ غ‬6 ‫( ا‬1N‫ ر‬3499
، " , e1 ; .119 ‫ ص‬،1995 C‫ أ‬،.‫ ت‬.‫ ق‬.‫ م‬،‫ ت‬C 3 ‫! ا‬$ 8G 8g ‫ ا‬V $ ، J ‫ ا‬G .9 ‫ ص‬،1998 ،.‫ ت‬.‫ ق‬.‫ م‬،9AJ‫ ا‬/ ‫ ت‬C 3 ‫ ا‬8G 9‫ < ق ا ! ھ‬،(163 " S1 ‫ا‬
.65 ‫ ص‬،1994 ، ! ‫ا‬ ‫ا‬ ‫ ا‬، +‫ ت ا ر‬C 3 +‫ ] د‬7J‫ د ا‬# ‫" ا‬ 8g ‫ ا‬V $ 8G
3500
KENGNE (G), Le rôle du juge en matière d’abus du droit de vote, art. pré., p. 10
3501
Cass. Civ., n°2289 du 17 janvier 1980, RJL, 1981, n°8, p.79.
3502
V. concernant ce sujet BELAID (S), Essai sur le pouvoir créateur et normatif du juge, thèse, FDSPT, 1970.
3503
KOLSI (S), Essai sur l'intervention du juge dans la vie des sociétés, RTD, 2003, p. 141.
3504
Une mesure d’augmentation de capital prévue par un plan de redressement d’une entreprise en difficultés économiques est présumée conforme
à l’intérêt social.

Page 507
DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

n'est plus correctement assuré, soit que le bloc majoritaire risque de prendre des décisions dangereuses ou que
la survie de la société est gravement mise en cause en raison d'un conflit entre ses associés, de la carence ou
de la paralysie de ses organes, les tribunaux reconnaissent à toute personne intéressée3505 le droit de saisir le
juge afin d'obtenir la nomination d'un administrateur judiciaire3506. Il en est de même de la doctrine3507. Ce

3505
Notamment les associés.
M ‫ ا د‬d ‫ ام ا‬# ‫ " ا‬A Vّ C M K + ` < ‫ " و‬: 8 + 1993/11/11 8G H ‫ ف‬4@ A ‫ا‬ MN ‫] در‬ ّ ‫ ا‬9772 ‫ د‬N 8G 4@ A ‫ ا‬9 ،‫ا ا ط ر‬D‫ ھ‬8G ،‫ < ` ﺟ ء‬3506
‫< ق‬UN G ّ / $ A‫ ذ و‬P$‫ ا‬8 a $‫ و ا‬C 3 ‫ دح‬/ ‫ ر ا‬F ‫ ا‬a4N ّ 4 A ‫ي‬D ‫ا‬ ّ 3 ‫ي ل‬
‫ا‬k ّ ‫ أ‬N $ /] K4 ‫م‬ ‫'اع ا‬4 ‫ف ا ّ ي و ا‬SP ‫ و وز ا‬M G L ‫ا‬
9 ،‫ ا ط ر‬H/ 8G ،‫ و < ` ﺟ ء‬.(V. BEN REJEB (I), L’administration judiciaire des sociétés commerciales, Th., FSJPST, 1996, p 126) ." M G L ‫ا‬
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3507
M. Iheb Ben Rejeb admet, dans ce cadre, que « l’administration judiciaire est devenue une mesure d’apaisement des crises politiques… sans
que les organes sociaux ne soient véritablement ou nécessairement affectés ». (BEN REJEB (I), L’administration judiciaire des sociétés
commerciales, Th. pré., p 151). M. Ravalec pense également que « l’administration judiciaire apparait comme un remède à une défaillance
organique lorsque le fonctionnement normal de la société n’est plus assuré, que cette dernière est en péril, qu’apparaissent des troubles graves ou
une ruine menaçante. Il s’agit alors d’éviter (au moyen de la justice en référé) l’aggravation d’une situation préjudiciable à tous ». (RAVALEC
(J-P), L’administrateur judiciaire près le tribunal de commerce, Manuel Dalloz de Droit Usuel, 1972, p 146). Il en est de même concernant le
professeur Taoufik Ben Nasr qui a avancé récemment que « dans ce dernier cas (droit des sociétés commerciales), l’administrateur provisoire ne
peut-être désigné que par une ordonnance judiciaire rendue par le juge des référés. A la demande d’un associé ou un actionnaire le juge nomme
une personne généralement un expert judiciaire en vue de diriger la société et de garantir son fonctionnement évitant ainsi sa paralysie. C’est
qu’un actionnaire ou un groupe d’actionnaires ou d’associés, mécontents de la gestion de la société, demandent au juge des référés de désigner
une tierce personne afin de continuer la gestion de la société pour parer à l’inertie ou aux abus révélés à travers le contrôle de la direction des
affaires de la société par les organes sociaux ». (BEN NASR (T), La mise d’un établissement bancaire sous administration provisoire : le cas de la
banque Zitouna, Infos Juridiques, n° 108/109, Mars 2011, p 18). M. Ben Nasr pense aussi que « le principe de nomination d’administrateurs
provisoires des sociétés anonymes est donc acquis en droit tunisien. La compétence du juge des référés ne fait pas l’objet de contestations non
plus. La seule condition qui semble être exigée par la Cour de cassation tunisienne est que la demande de nomination d’administrateurs
judiciaires doit prouver que les structures de la société sont menacées ». (BEN NASR (T), Le contrôle du fonctionnement des sociétés anonymes,
Editions 2000, 1994, p 360).
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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

mandataire sera chargé de préserver les biens de la société, d'en assurer temporairement la gestion, de protéger
les minoritaires et de résoudre la crise que la société traverse. Dans l'affaire « HILL-DIAR », le président du
tribunal de première instance de Sousse, après avoir constaté que le conflit entre associés est de nature à nuire
réellement aux intérêts de la société, a désigné un administrateur judiciaire qu'il a chargé d'administrer
momentanément les affaires sociales3508. Mais afin d'éviter que le pouvoir du juge ne dégénère en immixtion
flagrante dans les affaires sociales, la Cour de cassation exige que le conflit existant entre les organes sociaux
soit de nature à engendrer leur paralysie effective3509. On en déduit que la désignation d'un administrateur
judiciaire ne se justifie pas dans l'hypothèse où, malgré le conflit, les organes sociaux continuent de
fonctionner normalement. L'exercice de ce droit ne doit cependant pas se transformer en un excès d'égoïsme
ou en initiatives abusives3510. Les juges peuvent, dés lors, sanctionner le comportement antisocial de la
minorité qui serait animé par des considérations personnelles nuisibles à l'intérêt social, et ne doivent pas
hésiter, si nécessaire, à prendre une décision constatant l'abus et valant adoption de la délibération3511.

751- Aussi, la question s’est posée dans des termes identiques en matière de sanction du refus d’un
promettant de conclure un acte définitif de vente. L’analogie avec notre problème est évidente. Il y a une
obligation de consentir à un acte juridique : qu’il s’agisse d’un acte définitif de vente ou d’un vote favorable à
une décision sociale3512. La pratique judiciaire révèle que le bénéficiaire de la promesse agit avec succès pour
demander la condamnation du promettant à conclure l’acte définitif dans un délai qui lui est imparti, et à
défaut de le faire, de dire que le jugement tiendra lieu d’acte définitif de vente3513.
Dans cet ordre d’idées, il est utile de rappeler que l’exécution en nature d’une obligation est posée
comme principe de solution dans l’article 273 COC. « Lorsque le débiteur est en demeure, le créancier a le
droit de le contraindre à accomplir l’obligation si l’exécution en est possible ». La difficulté d’une exécution
en nature provient, cependant, du fait que l’obligation dont on demande l’exécution est une obligation de
faire3514 à propos de laquelle l’article 275 COC prévoit que « l’obligation de faire une chose se résout en
dommages-intérêts en cas d’inexécution ». La réparation par équivalent est posée comme principe de solution
parce que généralement l’obligation de faire nécessite l’intervention personnelle du débiteur. Ce principe
connaît aussi une exception dans la mesure où l’article 275 précité poursuit comme suit : « si l’obligation
consiste en un fait dont l’accomplissement n’exige pas l’action personnelle du débiteur, le créancier peut être
autorisé à la faire exécuter lui-même aux dépens de ce dernier ». Le prononcé d’un jugement valant « vote »
peut alors s’inscrire dans le droit chemin de cette exception3515.
Il reste que messieurs Mellouli et Frikha pensent que cette « apparente analogie que suggère le refus
de consentir à un acte promis et le refus de voter une résolution jugée conforme à l’intérêt social, ne justifie
pourtant pas que le juge se substitue directement à l’actionnaire minoritaire en prononçant un jugement
valant vote favorable. En effet, le vote est un acte spécifique, il s’inscrit dans une logique collective de
discussions et de délibérations. Le prononcé d’un jugement valant vote empiète sur ce mécanisme
d’élaboration de l’expression sociale »3516.
Contrairement à cette opinion respectable, on pense que la décision valant vote est bien meilleure, en
droit de la concentration, que la désignation d’un mandataire ad hoc car elle permet, en plus de l’économie de
certains frais procéduraux, de gagner beaucoup de temps et pouvoir mettre en place la concentration sollicitée
avant qu’il ne soit trop tard pour le faire. Monsieur Ahmed Ouerfelli ajoute, à ce propos, que la décision
valant vote permet une simplification de la sanction en évitant la complexité et la lenteur de la désignation
d’un mandataire ad hoc, laquelle est complètement antinomique à la rapidité et la souplesse auxquelles
postule la vie des affaires et surtout les opérations de concentration3517.

3508
C.A. Sousse, arrêt n°12799 du 22 octobre 1987, inédit, V. les annexes.
3509
Cass. Com., Arrêt n° 51214, du 18 janvier 1996, RTD, 1996, p. 315.
3510
L'expression a été utilisée par M. BOIZARD dans sa note sous C. Cass. Fr. Ch. Com. 26 juin 1973, Revue des sociétés, 1976, p. 613.
3511
Cass. Com. Fr., 14 janvier 1991, R.J. Com., 1992, n° 465, p. 367. V. sur la question, BRANCHUT (J), Les abus de minorité dans la société
anonyme, Thèse, Université de Droit, Economie et Sciences Sociales de Paris (Paris II), 1974 ; MERLE (PH), L'abus de minorité, R.J. Com.,
novembre, 1991, numéro spécial.
3512
MELLOULI (S) et FRIKHA (S), op. cit., n° 956, p 252.
3513
Cass. Civ., n°32771 du 20 août 1992, R.T.D. 1995,p 218, note A. ABOUDA.
3514
Faire l’acte définitif de vente ou faire un vote favorable à un projet de résolution
3515
CHAFFAI (M), La demeure du débiteur, Thèse de Doctorat d’Etat en droit privé, FDSPT, Tunis, 1984, p 256 et s.
3516
MELLOULI (S) et FRIKHA (S), op.cit., n° 958, p 253.
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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

752- Toute cette argumentation semble permettre de pouvoir proposer au législateur l’ajout d’un
article au code des sociétés commerciales instituant une sanction propre à l’abus de minorité dans les procédés
de concentration. Il serait rédigé comme suit « lorsqu’un associé ou un groupe d’associés fait abusivement
obstacle à l’adoption par les assemblées ordinaires ou extraordinaires de mesures conformes et primordiales
pour l’intérêt social, le tribunal pourra rendre exécutoires les résolutions soumises à l’assemblée en
l’absence des conditions nécessaires à leur validité et ce, par simple décision valant acte »3518.
Il sied aussi de proposer, au législateur, l’institutionnalisation d’autres sanctions commodes aux
exigences de la matière. Il pourrait, dans cette perspective, s’inspirer des injonctions de faire, créées par la loi
NRE du 15 mai 2001 pour dépénaliser certaines infractions en droit des sociétés. Ces injonctions de faire sont
définies aux articles L. 238-1 et suivants du code de commerce français. Elles permettent à toute personne
intéressée de demander au juge d’ordonner, au besoin sous astreinte, la production de documents ou
l’exécution d’une obligation. Il s’agit donc de garantir l’effectivité de la norme sans recourir au droit pénal,
mais au mécanisme de l’astreinte, unanimement reconnu comme très efficace. Ces injonctions pourraient être
étendues à beaucoup d’obligations de faire, notamment en droit des sociétés, en cas d’abus de minorité.
Certes, ces mesures rappellent les dispositions des articles 44 et 85 de la loi n° 94-117 du 14/11/1994 portant
réorganisation du marché financier3519. Néanmoins, ces articles demeurent propres aux sociétés faisant appel
public à l’épargne. Il aurait fallu prévoir des dispositions pareilles au sein des règles générales du code des
sociétés commerciales.

753- Au final, malgré son imperfection et les divers problèmes qu’il soulève surtout en matière
d’abus dans les procédés de concentration des sociétés, le code des sociétés commerciales peut être approuvé,
car il a eu, à tout le moins, le mérite incontestable de proposer des solutions là où il n’y avait rien ou il y avait
peu, quoique cette opinion ne fasse pas l’unanimité de tous3520. Les solutions qu’il présente sont peut-être
critiquables3521 et parfois absentes, comme c’est le cas de l’abus de minorité, mais il n’en demeure pas moins

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.436/435 ‫ ص‬،2009 H $ ،m P ‫ب ا‬ ‫ا ط ش‬
3518
Le professeur PLEVEN a été un des défenseurs acharnés de l’institutionnalisation de la décision valant vote. Il a même proposé un texte de loi
à cet effet, au sein du projet de la loi française de 1966. Mais ce texte a été refusé à cette époque là à cause d’une méfiance à l’égard d’un éventuel
gouvernement des juges. V. Journal Officiel de l’Assemblée Nationale, 12 juin 1966, p 2031.
3519
L’article 44 prévoit que « le Président du Tribunal de première instance de Tunis peut sur demande motivée du Président du Conseil du
Marché financier, ordonner par voie de référé toute personne dont les agissements contraires aux lois et règlements sont de nature à porter
atteinte aux droits des épargnants en valeurs mobilières et produits financiers placés par appel public à l'épargne, de mettre fin à ces agissements.
Il peut aussi, pour les mêmes raisons et dans les mêmes conditions, ordonner par voie de référé les personnes visées de faire ce qu'exigent les lois
et les règlements. Le président du tribunal de première instance peut prendre toute mesure conservatoire afin d'exécuter l'ordonnance qu'il a
prononcée ». L’article 85 ajoute que « sont passibles des sanctions prévues à l'article 84 de la présente loi, les personnes qui auront, sciemment
mis obstacle à l'exécution de l'ordonnance rendue par le président du tribunal de première instance sur la base de l'article 44 de la présente loi ».
L’article 84 dispose, à son tour, que « sera puni d'un emprisonnement de seize jours à six mois et d'une amende de 500 à 2.000 dinars, ou de l'une
des deux peines seulement, toute personne qui aura sciemment mis obstacle aux enquêteurs chargés des investigations, lors de l'exécution de leur
mission ».
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3521
V. Colloque organisé par la section des avocats de Sousse « le code des sociétés commerciales… 10 ans après », I.J., n°104/105 janvier 2011, p
9 : les intervenants au colloque n’étaient pas tendres avec le législateur du CSC. Certains, avaient estimé, que le nombre des révisions depuis la
promulgation du texte initial, démontre à lui seul que le code était dés le départ un « mort-né ». D’autres juristes, ont estimé, que le texte était mal
rédigé et mettait la « société » sur la défensive par une répression excessive et des dispositions qui se sont avérées inutiles et inapplicable… A la
fin des travaux, les participants avaient recommandé de modifier la dénomination du code, en « code de l’entreprise », mettre en place des termes

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

que le dit-code a permis au droit tunisien de s’adapter à la réalité économique du monde des affaires3522. Il va
sans dire qu’une réforme à moyen et même à long terme serait toujours « la bienvenue ». On ne peut dès lors
que recommander vivement la désignation d’une commission rassemblant aussi bien des juristes que des
économistes et même « des hommes de terrain » dans le but d’apporter à la notion d’abus dans les procédés de
concentration des sociétés les correctifs ou les adjonctions nécessaires. Car, si le législateur a déjà parcouru un
bon chemin en codifiant le droit de la concentration, par le présent travail on a essayé de démontrer, tant soit
peu, qu’il y a encore un chemin à parcourir. A ce propos, notre regretté, feu Arbi Hachem, l'un des premiers
rédacteurs de l'avant projet du code, n'a jamais cessé de dire que « même la codification la plus complète, a besoin
d'être constamment complétée et développée, au moyen de l'art créateur du juriste »3523.
754- Cette critique, si défendable, se retrouve avec la même virulence presque concernant un autre
type de sanctions des abus dans les procédés de concentration des sociétés, à savoir les sanctions
administratives. Ces dernières, dont la situation juridique semble alarmante à bien des égards, constituent un
obstacle à toute répression des abus les plus graves et les plus nuisibles.
Les sanctions administratives, en matière de concentration, se doivent elles-aussi d’être ajustées et
renforcées pour pouvoir en dégager un des piliers nécessaires à l’édification d’une théorie juridique en cette
matière si délicate.

Section Deuxième : Pour un raffermissement des


sanctions administratives de l’abus dans les procédés
de concentration
755- Il y a, dans l'évocation d'une répression administrative, quelque chose qui heurte à l'évidence
notre sensibilité, notre culture juridique et politique, telles que imprégnées et façonnées depuis deux siècles et
demi presque, par la doctrine de la séparation des pouvoirs3524. En effet, reconnaître à une
autorité administrative le pouvoir d'infliger des sanctions, certes juridiquement différentes des sanctions
pénales, mais en réalité bien proches dans leurs manifestations et leurs effets, apparaît « évidemment très
exorbitant »3525 par rapport à l'ordre convenu des compétences.
L'institution de cette nouvelle voie répressive, en parallèle à la voie pénale, a son origine dans le souci
du législateur, certes, de permettre de poursuivre les personnes morales, mais surtout d'aboutir à une
meilleure sanction des abus économiques dans des conditions de rapidité et d'efficacité que permet
difficilement une procédure d'instruction classique.
Au cours des dernières décennies, les sanctions administratives se sont multipliées. Elles présentent
une caractéristique principale, c'est de n’avoir pas fait l'objet d'une codification législative d’ensemble, mais
d'être dispersées dans les diverses législations ou réglementations économiques et autres.
L’instrument de la sanction administrative a connu un développement croissant. Les domaines de
prédilection sont le droit économique et financier, la protection de l’environnement ou du consommateur, les
nouvelles technologies… Dans le discours politique dominant, le recours à la sanction administrative est
justifié par la volonté de ramener le droit pénal à son domaine originaire et dépénaliser la vie économique. Il

plus précis pour certaines institutions juridiques prévues par le code, regrouper les autres textes régissant l’activité de l’entreprise dans ce code,
unifier les délais de recours et instaurer l’assistance obligatoire d’un avocat chargé d’un suivi du contrôle juridique de l’entreprise.
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.240 ‫ص‬
3523
V. Débats, I.J., n°38/39, janvier 2008, p 21.
3524
DAVIGNON (J-F), Quelle place pour la répression administrative dans notre ordonnancement juridique ?, 11/juillet/1997, n° 83, p. 5.
3525
La notation est de MM. de Laubadère, Vénézia et Gaudemet, in Traité de droit administratif, tome 1, L.G.D.J., 11e éd., 1990, p. 594. La
formulation de cette idée est toutefois beaucoup plus ancienne ; on la trouve ainsi par exemple, chez Romieu (dans ses conclusions rendues à
propos de l'affaire Soc. immobilière de Saint-Just, de 1905 : « Le mode d'exécution habituel et normal des actes de puissance publique est...
la sanction pénale, confiée à la juridiction répressive, sauf le cas où le législateur en aurait autrement ordonné », mais, ajoute-t-il aussi, sauf «
urgence », et sauf hypothèse dans laquelle, où pour surmonter un comportement de résistance à un commandement précis de la loi, il n'y aurait
pas de sanction pénale...).

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

reste que les pénalistes s’indignent devant l’intrusion de l’administration dans un domaine qui a longtemps été
réservé, à la juridiction pénale, on parle alors de « dépénalisation », de « justice sans le juge », de « droit
administratif pénal »3526, de « nouvelles sanctions » plus adaptées et plus rapides que les sanctions pénales et,
certainement plus efficaces, surtout avec les procédures de suspension ou de retrait d’autorisation ou
d’agréments accordés. La sanction administrative permet ainsi de mieux assurer le contrôle sur les activités
économiques. En effet, la spécificité de certains domaines rend la sanction pénale inopérante à cause de la
lourdeur de la procédure et la lenteur dues à l’encombrement des juridictions. La répression administrative
reste plus adaptée au secteur en question, mais extrêmement sévère et dangereuse pour les libertés. L’intérêt
des polices spéciales réside dans la protection des secteurs qu’elles régissent, c’est une protection particulière
d’un domaine spécifique qui par sa spécialisation et sa technicité échappe au juge pénal.
756- Cela dit, on peut admettre comme définition de la sanction administrative : celle qui est
prononcée par l'administration elle-même sans intervention préalable du juge, le contrôle juridictionnel n'étant
exercé qu’a posteriori, soit par le tribunal administratif, soit par les cours et tribunaux de l'Ordre judiciaire3527.
C’est aussi la sanction infligée par une autorité administrative, agissant dans le cadre de prérogatives de
puissance publique, dans la mesure nécessaire à l'accomplissement de sa mission et assortie par la loi de
mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis3528.
La sanction administrative, contrairement à la sanction pénale, n’est pas le fait du juge, mais d’une
autorité dite administrative désignée par la loi. Elle présente alors la caractéristique d’être une véritable peine
pouvant être infligée par une autorité administrative sans l’intervention d’une juridiction. Certains auteurs
estiment que les sanctions pénales et celles administratives ne répondent pas au même but : « les premières
ont pour but de réparer le préjudice causé à l’intérêt général, tandis que les secondes destinées à frapper les
individus ont pour but de réprimer les fautes personnelles »3529.
La sanction administrative s’apparente plus de la sanction disciplinaire que la sanction pénale, en ce
sens qu’elles sont toutes deux prononcées par une autorité administrative. Néanmoins elles demeurent
distinctes l’une de l’autre dans la mesure où il ya un lien hiérarchique pour la sanction disciplinaire et absence
de ce lien pour la sanction administrative.
757- Ainsi, « l’émergence d’un ordre répressif administratif » n’est plus à démontrer, ce qui risque
de porter atteinte au rôle constitutionnel du juge judiciaire et aux droits individuels. Certains sont allés même
jusqu’à avancer que la sanction administrative ne tendrait pas à « dépénaliser mais à mieux pénaliser» et son
but ne serait pas «de déresponsabiliser, mais d'anticiper les responsabilités »3530.
Quelles que soient les difficultés théoriques à l'établissement des sanctions administratives, le
législateur ne s'est pas privé d'établir, dans des domaines variés, des sanctions administratives. Tel est le cas
de certains abus en matière de concentration des sociétés où on rencontre une panoplie de sanctions
administratives allant de la privation de certains droits jusqu’à la peine pécuniaire. Dans le système tunisien,
le législateur qui crée les polices spéciales, habilite l’autorité administrative à prononcer des sanctions qui

3526
Partant de cette conception, on relève que le pouvoir de sanctionner est attribué à l’administration par deux voies : par voie de dépénalisation
dans la mesure où certaines peines sont devenues de simple sanctions administratives et par dé-juridictionnalisation puisque des infractions ne sont
plus réprimées par le juge mais par l’administration. Certes, il est dangereux d’affirmer que les sanctions administratives peuvent paralyser, voire
éliminer les sanctions juridictionnelles. Mais c’est une éventualité fortement présente si l’on admet que la transaction est une sanction
administrative.
3527
On doit en exclure aussi les sanctions civiles qui peuvent être prévues par des contrats de droit privé, passés par l'administration.
3528
Le législateur prévoit généralement qu’une décision administrative doit être procédée de la consultation d’un organisme chargé de donner un
avis sur la mesure à prendre. Lorsqu’elle est prévue, la consultation est une condition de légalité de la décision administrative. S’agissant des
sanctions administratives en matière économique, le législateur ne consacre la règle de consultation que dans certains cas seulement. Ainsi en
matière d’assurance, le ministre des finances est tenu de consulter la commission consultative des assurances préalablement au prononcé de la
sanction. La consultation envisagée est obligatoire puisque la sanction n’est prise qu’ « après avis » de la commission. La même constatation
prévaut en matière fiscale. En fait, l’avis de la commission de conciliation « lie l’administration qui est tenue de prendre la décision appropriée au
vu du dit avis. D’ailleurs, la saisine de cette commission tel que prévu par l’article 67 CIRPPIS est une formalité substantielle dont l’inobservation
vicie l’arrêt de taxation d’office. Aussi, les décisions infligeant une sanction doivent être motivées, c’est à dire que l’acte doit énoncer les
considérations de fait et de droit l’ayant inspiré. Faute de motivation, la décision serait annulée par le juge administratif pour illégalité formelle. La
latitude de choix de la sanction, importante soit elle, est cantonnée à des conditions et principe que l’administration doit respecter. L’administration
doit adapter la répression au manquement. La sanction doit être proportionnée à l’infraction. Généralement, l’administration économique ne peut
cumuler deux sanctions administratives, de manière à disproportionner la sanction à l’infraction, même si le principe de non-cumul n’est pas
clairement établi. L’intéressé exposé à une punition administrative peut solliciter sa protection en exerçant les voies de recours adéquates.
3529
DAVIGNON (J-F), art. pré., p 5.
3530
Rapport «La dépénalisation de la vie des affaires» de la commission présidée par le premier président honoraire de la Cour d'appel de Paris
Jean-Marie COULON, février 2008. V. http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/084000090/0000.pdf

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

s’intègrent à une activité dont l’objet et la finalité sont bien spécifiques. C’est ainsi qu’en matière de
concentration, l’action répressive contre les abus, ou plutôt l’action « sanctionnatrice » de l’administration,
peut être menée avec une finalité punitive et dans un but d’ordre public.
758- Appréhender les sanctions administratives adéquates en cas d’abus en matière de concentration
est une tâche qui s’avère généralement ardue pour le législateur. En effet, il n’existe aucun consensus sur les
différents objectifs à atteindre, qui peuvent consister à anticiper tout nouveau comportement abusif, à rétablir
des conditions propices à la concentration des sociétés, à dédommager les victimes, ou tout simplement à
mettre un terme aux agissements abusifs. Par ailleurs, il n’est pas toujours évident de définir des mesures
correctives et des sanctions permettant de réaliser un ou plusieurs de ces objectifs en matière de concentration.
Néanmoins, les organismes chargés de l’application du droit disposent de diverses options, et ont su en faire
un usage plus ou moins acceptable en prenant en considération les spécificités de chaque domaine avant de
recommander ou de sélectionner les sanctions adéquates. Ces sanctions sont elles-mêmes de nature très
diverse. Il peut s’agir, alternativement ou cumulativement, de la suspension du droit d’exercer une activité, du
retrait d’une autorisation ou encore d’amendes ou d’autres sanctions extra pécuniaires.
759- Manifestement le recours à des activités de régulation est devenu un mode d'exercice de la
puissance publique de plus en plus utilisé en Tunisie et presque partout dans le monde. Ce mode répond aux
besoins d'une économie concurrentielle et complexe.
Ainsi, notre législation présente assez souvent en matière économique un système répressif dualiste. A
la menace pénale vient s’ajouter la sanction administrative. Cette dernière s’avère plus adaptée au domaine
mouvant et évolutif de la concentration des sociétés. En plus d’être plus rapidement mise en œuvre que la
sanction pénale, la sanction administrative est susceptible d’atteindre l’ensemble des citoyens dès lors que ces
derniers approchent les différents procédés de concentration que ce soit au sein du marché financier ou
concurrentiel.
Dans cet ordre d’idées, le pouvoir de punir est une faculté essentielle pour toute autorité de régulation
qui aspire à se faire respecter. Sans cette capacité de châtier, il est vain de penser que telle autorité puisse
mener à bien les missions dont elle est investie. Conscient de cette réalité, le législateur a doté les autorités de
régulation de larges pouvoirs de sanction, notamment en ce qui concerne le conseil du marché financier ou le
conseil de la concurrence appelés, chacun de son coté, à intervenir directement pour contrecarrer tout abus
dans les procédés de concentration des sociétés.
Aussi, l’efficacité est au centre des préoccupations de toute autorité de régulation des marchés. C’est
au nom de l’efficacité que ces autorités administratives ont été dotées d’un pouvoir de sanction. C’est dans ce
même souci d’efficacité que ce pouvoir s’est développé et s’est affiné au fil des années. En effet, dans un
contexte international ultra concurrentiel, la Tunisie n’avait d’autre choix que de suivre cette tendance et se
doter d’autorités de régulation fortes, capables d’imposer transparence, sécurité et intégrité au sein des
marchés. Il ne s’agit là que d’un préalable pour des marchés qui entendent attirer des investissements
étrangers, restés faibles jusqu’à présent3531. Les marchés financier et concurrentiel ne peuvent bien
fonctionner, sans une régulation intelligente et sans une autorité qui aspire confiance au moyen de sanctions
multiples et efficaces3532.
Un état des lieux ou un « diagnostic » des sanctions administratives des abus met en exergue une
multiplicité certaine contre une efficacité douteuse des dites sanctions en matière de concentration (Sous-
section première) ; ce qui impose une intervention « thérapeutique » sous forme d’une consolidation de ce
type de sanction à bien des égards (Sous-section deuxième).

Sous-section première : Diagnostic des sanctions


administratives des abus dans les procédés de
concentration
3531
D’ailleurs, la participation étrangère à la capitalisation de la Bourse des Valeurs mobilières de Tunis a baissé. De 28% en 2007, elle est passée
à 20% en 2010. V. BEN BRAHIM (F), Tunisie : Quelle perspective en 2010-2011 pour la bourse de Tunis ?, Disponible sur le site :
http://www.webmanagercenter.com/management/article-9572-tunisie-quelle-perspective-2010-2011-pour-la-bourse-de-tunis.
3532
PRADA (M), Entretien, L’économiste Maghrébin, n°472, 21 mai- 4 juin 2007, p 26.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

760- La sanction administrative est «à la mode» et différents secteurs d'activités réglementées


réclament chacun leur « autorité administrative indépendante ».
Certes les autorités administratives de contrôle des marchés ont été dotées de larges prérogatives leur
permettant de prononcer plusieurs mesures et sanctions administratives (-§1-). Néanmoins, pour des
considérations multiples l’efficacité des sanctions administratives demeure douteuse à l’aune des procédés de
concentration des sociétés (-§2-),

-§1- : Agrégat de sanctions administratives des abus dans


les procédés de concentration
761- Nul doute que le choix de la politique criminelle en Tunisie est basé sur les peines
juridictionnelles et non sur la répression administrative sauf quelques exceptions. Les sanctions
administratives en droit tunisien ne sont qu’un mécanisme de secours ou d’assistance à la justice judiciaire.
Cette dernière punit les délits graves alors que l’autorité administrative sanctionne souvent les infractions
légères. Mais rien n’empêche que le législateur prévoit pour, le même abus, une double sanction -pénale et
administrative- comme c’est le cas de l’abus du marché et l’abus de domination en matière de concentration
économique des sociétés3533.
Pour mener à bien les missions dont elles sont investies3534, nos autorités administratives ont été dotées
de moyens adéquats. Ainsi, elles disposent de la faculté de prononcer des sanctions administratives, telles que
l’amende, la publication des décisions de sanctions ou encore le prononcé de l’ineffectivité de certaines
clauses contractuelles... Ces sanctions peuvent-être prononcées en matière de concentration aussi bien par le
conseil du marché financier que par le conseil de la concurrence, tout dépendra du lieu de la perpétration de
l’abus : est-ce le marché financier (I) ou le marché de la concurrence (II).

I- Multiplicité des sanctions administratives en matière


financière :
762- Gagnant le secteur boursier3535 depuis la loi n° 94-117 du 14-11-1994, portant réorganisation du
marché financier, les sanctions administratives en matière financière sont en expansion3536. Une seule autorité
monopolise le droit de réprimer les manquements à la réglementation boursière, à savoir le conseil du marché
financier. Il est doté de toutes les prérogatives pour protéger l’épargne et veiller au bon fonctionnement des
marchés de valeurs mobilières. Pour assurer ces fonctions, le C.M.F dispose d’un pouvoir disciplinaire, ainsi
que d’un pouvoir de sanction administrative propre.
Le conseil du marché financier a été également mis dans une position particulièrement avantageuse car
la quasi-totalité des informations publiées par les sociétés faisant appel public à l’épargne doivent lui être
communiquées. L’autorité administrative se trouve ainsi dans une position idéale, censée lui permettre d’agir
aussi bien, a priori, afin d’empêcher les atteintes au marché qu’a posteriori, afin de châtier les abus de marché
surtout en matière de concentration des sociétés.
763- Les pouvoirs répressifs dont est investi le CMF l’autorisent à prononcer les sanctions détaillées
à l’article 40 de la loi du 14 novembre 19943537. Ces sanctions consistent principalement en une amende au
profit du Trésor public qui ne peut excéder 20.000 dinars. Mais, lorsque des profits ont été réalisés, cette
amende peut atteindre le quintuple du montant des profits à condition que le montant de l’amende soit en

3533
DELMAS-MARTY (M), TEITGEN-COLLY (C), Punir sans juger ? De la répression administrative au droit administratif pénal,
Economica, 1992, p 102.
3534
Le CMF, par exemple, a pour mission de veiller à la protection de l’épargne investie en valeurs mobilières. Il est chargé d’assurer
l’organisation des marchés et veiller à leur bon fonctionnement afin de prévenir les manipulations susceptibles d’en entraver le bon
fonctionnement. Il est également chargé du contrôle de l’information financière et la sanction des manquements ou infractions à la réglementation
en vigueur.
3535
DELMAS-MARTY (M), TEITGEN-COLLY (C), Op. cit., p 23.
3536
La loi n°89-49 du 8-3-1989 relative au marché financier (abrogée par la loi de 1994) n’a prévu que des sanctions à caractère
disciplinaire infligées aux intermédiaires en bourse (art. 44).
3537
La formulation de cet article reprend quasi intégralement celle de l’article L.621-15 du code monétaire et financier français.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages ou les profits tirés de ces
manquements.
Cette amende est certainement une sanction patrimoniale dont la finalité est la diminution du
patrimoine du délinquant. Elles s’accommodent aux impératifs financiers de l’Etat. « Reine des sanctions
administratives »3538, l’amende n’est guère, la sanction privilégiée dans le droit économique tunisien. Elle ne
connaît pas l’expansion qui est la sienne en droit comparé3539. Les sanctions privatives de droits -retrait
d’autorisation ou fermeture de l’établissement- paraissent être préférées à la sanction pécuniaire.
L’amende préserve cependant une importance indéniable. Elle est une sanction principale. Sa nature
punitive est certaine. Sa consécration « manifeste avec le plus d’éclat la force répressive de
l’administration »3540 puisqu’elle possède, désormais, une sanction financière qui est identique à celle
prononcé par le juge.
Sur ce point, il est à noter que l’application de la sanction patrimoniale par le CMF est subordonnée à
la mise en évidence de deux conditions cumulatives conformément à l’article 40 précité. Il faut apporter en
premier lieu, la preuve de la commission d’un usage contraire aux règlements du CMF. Ensuite, l’usage en
question doit avoir pour effet de fausser le fonctionnement du marché ; procurer aux intéressés un avantage
injustifié qu'ils n'auraient pas obtenu dans le cadre normal du marché ; porter atteinte au principe d'égalité
d'information ou de traitement des épargnants ou à leurs intérêts ; faire bénéficier les émetteurs et les
épargnants des agissements d'intermédiaires contraires à leurs obligations professionnelles.
La rédaction de l’article 40 ne manque pas de soulever une incertitude importante. Les effets formulés
dans cet article sont-ils cumulatifs ou alternatifs ? Autrement dit, pour être sanctionné un abus doit-il avoir
pour effet cumulatif de fausser le fonctionnement du marché et de procurer aux intéressés un avantage
injustifié et porter atteinte au principe d’égalité d’information... Ou bien la caractérisation d’un de ces effets
uniquement suffit-elle à la mise en œuvre de la sanction pécuniaire par le CMF ? Le texte de l’article 40 ne
donne aucune solution. De même, le recours à la version arabe de ce texte ne permet pas, non plus, de dissiper
le doute, celle-ci ne permettant pas de savoir s’il s’agit là de conditions additionnelles ou alternatives.
Néanmoins, il parait très probable qu’il faille considérer qu’il ne s’agit là que de conditions alternatives. Par
conséquent, la réalisation de l’un desdits effets seulement devrait amener au prononcé des sanctions de la part
du CMF. En effet, considérer qu’il est question de conditions cumulatives amènerait à vider l’article 40 de son
sens et, ainsi, fortement désarmer le CMF qui se verrait en pratique dans l’impossibilité de prononcer des
sanctions d’amende, car prouver qu’un comportement contraire à la règlementation du conseil ait entrainé à la
fois tous ces effets, parait en pratique très difficile, sinon impossible.
764- Encore une fois le CMF s’apparente de très prés à une autorité judiciaire3541. Plus précisément,
dans le cadre d’un tel pouvoir de sanction le conseil apparaît comme une « Juridiction répressive ».
Néanmoins, à la différence du juge répressif lié toujours à certains principes répressifs3542, le CMF semble
avoir une plus grande latitude dans la répression. En effet, c’est le CMF qui identifie l’infraction et la sanction
appropriée car la loi de 1994 se contente de mentionner le montant de l’amende qui ne peut excéder 20.000
dinars. C’est le CMF qui est habilité donc à fixer le montant définitif de la sanction. Le CMF doit, cependant,
respecter le principe de proportionnalité consacré par l’article 40 précité qui exige que le montant de l’amende
soit en fonction de la gravité des manquements commis et en relation avec les avantages ou les profits tirés de
ces manquements3543.
L’attribution au CMF d’un tel pouvoir de sanction est commandée par plusieurs soucis. D’abord, la
rapidité qui peut être mieux assurée dans le cadre de cette voie répressive si simple permettant d’éviter la

3538
DELMAS-MARTY (M), Rapport général, In « les problèmes juridiques et pratiques posés par la différence entre le droit criminel et le droit
administratif pénal », Rev. int. dr. pén., 1988, p.34.
3539
En droit français, les amendes constituent la plus importante pénalité pécuniaire et apparaissent dans plusieurs domaines juridiques. V.
DELLIS (G), Droit pénal et droit administratif, l’influence des principes du droit pénal sur le droit administratif répressif, Paris, Ed. L.G.D.J,
1997, p 197. En droit allemand, les infractions économiques ne sont généralement punies que par des amendes. V. ibidem.
3540
BEN ACHOUR (Y), Normes, foi et loi, CERES Production, Tunis, 1993, p. 258.
3541
En sus du fait que le CMF est présidé par un un juge de troisième degré. V. art. 25 de la loi n° 94-117 du 14/11/1994.
3542
VATEL (D), Aspects judiciaires et juridictionnels du pouvoir de sanction de la COB, Rev. Soc., Janvier-Mars 1994, p. 28.
3543
V. à ce propos, les débats parlementaires, séance du 1er Novembre 1994, p. 45. V. aussi, BORDE (A) et PONCELET (A), L’affaire
Delalande, La sanction administrative par la C.O.B. du devoir absolu d’abstention de l’administrateur, Rev. Droit banc. et bourse. 1994, p. 69.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

longue procédure exigée par les juridictions pénales de l’ordre judiciaire. En outre, dans le cadre d’une telle
sanction l’élément intentionnel, qui est toujours difficile à prouver, n’est pas exigé3544.
Toutefois un problème de cumul entre la sanction administrative infligée par l’autorité de régulation et
la sanction pénale peut être soulevé3545. Mais ce problème ne se pose pas en droit tunisien puisque l’alinéa
dernier de l’article 40 susvisé énonce que « le paiement de l’amende au profit du Trésor public emporte
extinction de l’action publique ».
765- Par ailleurs, en cas de commission d’un abus du marché sous forme de publication
d’informations fausses ou erronées, le conseil dispose dans pareil cas d’un pouvoir d’injonction lui permettant
de corriger les informations inexactes déjà publiées par les sociétés faisant appel public à l’épargne3546. En
effet, afin de corriger les informations publiées qui ne seraient pas compatibles avec la législation boursière ou
encore en vue de faire cesser les agissements entravant le bon fonctionnement du marché financier, le conseil
se doit d’émettre des injonctions de rectification. Ainsi, l’article 32 de la loi du 14 novembre 1994 lui impose
d’ordonner aux sociétés faisant appel public à l’épargne de procéder à des publications rectificatives dans le
cas où des inexactitudes ou des omissions auraient été relevées dans les documents publiés. De même, le
conseil se doit de porter à la connaissance du public les observations qu’il a faites aux dites personnes et les
informations dont la publication lui paraît nécessaire ou erronée.
766- Complémentairement, le conseil du marché financier peut ordonner aux frais des intéressés la
publication de ses décisions dans les journaux qu’il désigne dans les 15 jours qui suivent l’ordre de publier3547.
Cette sanction s’avère particulièrement intéressante pour le conseil. En effet, en annonçant les sanctions prises
à l’encontre des contrevenants à la réglementation, l’attention est attirée sur le rôle du CMF en tant qu’organe
de contrôle et de surveillance du marché financier, garant de la protection de l’épargne. De plus, en donnant
l’exemple, un effet dissuasif peut être ainsi obtenu ce qui pourrait empêcher d’autres intervenants de
commettre des abus. Le CMF gagne ainsi non seulement en termes d’image mais aussi en termes de
moralisation des divers intervenants3548. D’autant plus que de telles mesures permettent non seulement de
dénoncer l’auteur de l’abus mais aussi de contribuer à rétablir la considération perdue de la victime de l’abus.
Il faut préciser à cet égard aussi, que dans le cadre des sanctions disciplinaires dirigées à l’encontre de
la société d’intermédiation FINACORP, en la personne de son représentant légal, le CMF a procédé à la
publication de la sanction sur son site internet3549. Il en a été de même concernant une sanction disciplinaire
infligée à la société SICOFI en la personne de son représentant légal3550. On aurait préféré, tout de même, que
le CMF publie l’intégralité du texte des décisions de sanction prononcées et ce, pour des raisons purement
pédagogiques afin de faciliter l’accès à la « jurisprudence » du conseil.
767- Aussi, l’article 40 de la loi du 14 novembre 1994 donne au conseil la possibilité d’ordonner à
toute personne de mettre fin aux pratiques abusives contraires à ses règlements. Ceci, lorsque ces pratiques ont
pour effet de fausser le fonctionnement du marché, de procurer aux intéressés un avantage injustifié, de porter
atteinte au principe d’égalité d’information ou encore de faire bénéficier les émetteurs et les épargnants des
agissements d’intermédiaires contraires à leurs obligations professionnelles.
3544
BORDE (D) et PONCELET (A), Le pouvoir de sanction administrative conféré à la C.O.B. par la loi du 2 août 1S9 Bilan des premières
décisions. Rev. Droit ban. et bourse, 1993, p. 217.
3545
En effet, dans le cadre de sa soumission à l’examen du conseil constitutionnel français par un groupe de sénateurs qui l’ont déféré, l’art. 5 de la
loi du 2 août 1989, ayant consacré au profit de la COB un pouvoir de sanction pécuniaire, a été considéré inconstitutionnel vu notamment qu’il
porte, selon eux, violation de la règle non bis in idem provoquée par un tel cumul de sanctions. Toutefois, il faut souligner que le juge
constitutionnel a rejeté un tel moyen. En effet, dans le 16ème considérant le conseil affirme que « sans qu’il soit besoin de rechercher si le
principe dont la violation est invoquée, d’après le 15ème considérant, (il s’agit du principe selon lequel une même personne ne peut pas être punie
deux fois pour le même fait) a valeur constitutionnelle, ii convient de relever qu’il ne reçoit pas application au cas de cumul entre sanctions
pénales et sanctions administratives ». Décision n° 89-260, du 28 Juillet 1989, in l’étude de M. Bruno Genevois intitulée « Le conseil
constitutionnel et l’extension des pouvoirs de la Commission des opérations de bourse (à propos de la décision n° 89-260, DC. du 28 Juillet
1989) », Rev. Fr. Droit adm., Juillet-Août 1989, p. 683.
3546
La doctrine n’est pas unanime à intégrer ou écarter le pouvoir d’injonction dans la sphère des sanctions administratives. Ainsi s’agissant des
pouvoirs des AAI, ce pouvoir est considéré par certains comme une simple mesure (GENTOT (M), Les autorités administratives indépendantes,
Paris, Editions Montchrestien, 1991, p.68 et s.), d’autres le considèrent en tant que faisant partie intégrante des sanctions administratives
(COLLIARD (C-A) et TIMSIT (G) (dir.), Les autorités administratives indépendantes, Paris, PUF, Les voies du droit, 1988, p 21).
3547
V. article 40 alinéa 4 de la loi n° 94-17 du 14 novembre 1994.
3548
« Etude de diagnostic et de recommandations pour le développement des marchés de capitaux en Tunisie », Mai 2002, p 134. Disponible sur le
site www.cmf.org.tn
3549
V. communiqué CMF du 29 novembre 2011 : http://www.cmf.org.tn/pdf/publication_cmf/communique_cmf/com_9 1111_fr.pdf
3550
V. communiqué CMF du 19 novembre 2010 : http://www.cmf.org.tn/pdf/publication_cmf/communique_cmf/com_19111_sanction_
SICOFI_fr.pdf

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Ce mécanisme très intéressant semble capable de participer à la diffusion d’une information fiable et
mettre fin de façon rapide et efficiente aux abus perpétrés au sein du marché. Pourtant le CMF ne semble pas
y avoir recours. Ainsi, la lecture du rapport annuel du CMF pour l’année 2004 est assez révélatrice. Selon
l’autorité administrative, « l’effort particulier exercé en 2003 par le CMF auprès des sociétés faisant APE
pour l’amélioration de la qualité de leur rapport de gestion et sa conformité avec les dispositions de l’article
44 du règlement relatif à l’appel public à l’épargne a porté ses fruits. L’examen des différents rapports
d’activité fait ressortir une progression en la matière. Dans le cadre de son contrôle, le CMF a saisi toutes les
sociétés concernées des insuffisances relevées au niveau de ces rapports et les a invitées soit à apporter les
corrections nécessaires et ajouter les informations manquantes, soit à les prendre en considération lors de
l’établissement des prochains rapports d’activité ».
On aperçoit donc la « courtoisie » dont fait preuve le CMF envers les transgresseurs. Pourtant le
pouvoir d’injonction du conseil n’est pas facultatif, bien au contraire c’est un pouvoir dont l’exercice est
obligatoire si les conditions légales sont vérifiées3551. Le CMF s’en rend-t-il compte ? Il ne s’agit pas de
demander affablement aux sociétés faisant appel public à l’épargne de se conformer à leurs obligations légales
ou de mettre fin à leurs pratiques abusives ou encore d’éviter de commettre les mêmes abus les prochaines
fois, il s’agit tout simplement de les contraindre à le faire.
De même, une autre difficulté pourrait surgir au cas où le CMF émettrait une injonction. Que risque
celui qui ne se conforme pas à cette injonction ? En France, les lourdes astreintes qui peuvent être prononcées
par le juge judiciaire en cas d’opposition aux injonctions de l’AMF sont de nature à rendre très efficace ce
dispositif3552. En Tunisie, en l’absence du même pouvoir d’astreinte, tout ce que peut faire le conseil à ce sujet
c’est de recourir au président du tribunal de première instance. Ce dernier peut ordonner par voie de référé
toute personne dont les agissements contraires aux lois et règlements sont de nature à porter atteinte aux droits
des épargnants en valeurs mobilières et produits financiers placés par appel public à l'épargne, de mettre fin à
ces agissements3553. Les personnes qui auront sciemment mis obstacle à l'exécution de l'ordonnance rendue
par le président du tribunal de première instance seront passibles d'un emprisonnement de seize jours à six
mois et d'une amende de 500 à 2.000 dinars, ou de l'une des deux peines seulement3554.
Malgré l’importance de ces sanctions pénales, doter le CMF du même pouvoir d’astreinte, dont est
investie l’autorité des marchés française, aurait été bien meilleur.

768- Contrairement au pouvoir d’astreinte, le législateur n’a pas manqué d’attribuer au CMF un
pouvoir d’investigation et d’enquête et ce, pour faciliter l’exécution des missions dont il est investi. Tout
d’abord, le CMF a été doté du pouvoir de mener des investigations auprès de toute personne physique ou
morale3555. Ces investigations sont effectuées par des agents assermentés et habilités à cet effet par le
conseil3556. Ces enquêtes peuvent déboucher sur des sanctions qui contrairement aux sanctions pénales
peuvent être prises à l’encontre des personnes morales.
Ensuite, dans la perspective d’accorder au conseil du marché financier les moyens à même de lui
permettre de poursuivre les missions qui lui ont été fixées par le législateur, l’autorité administrative a été
dotée aussi d’un pouvoir disciplinaire. Ce pouvoir3557 est particulièrement large quant aux personnes qui y
sont soumises et quant aux sanctions que peut imposer l’autorité de régulation3558. Le conseil est habilité à

3551
L’article 32 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994 impose au CMF de rectifier les informations inexactes qui auraient été relevées : « Le
Conseil du Marché Financier doit ordonner à ces personnes de procéder à des publications rectificatives dans le cas où des inexactitudes ou des
omissions auraient été relevées dans les documents publiés ».
3552
La cour d’appel de Paris est allée jusqu’à condamner le dirigeant d’une société à 204.000 euros d’amende. V. RONTCHEVSKY (N),
Révision des délits et manquements boursiers, Banque et droit, juillet-août 2006, p. 16
3553
V. art. 40 de la loi n° 94-117 du 14 novembre 1994.
3554
V. les arts. 84 et 85 de la même loi.
3555
Une faculté que lui attribue la loi du 14 novembre 1994 dans son article 36.
3556
Le pouvoir d’investigation du CMF a même été renforcé par l’article 30 de la loi n°2005-96 du 18 octobre 2005. Le secret professionnel ne
pouvant plus être opposé dans le cadre des investigations menées par le CMF.
3557
Les décisions du conseil de discipline sont motivées et susceptibles d’appel devant la Cour d’appel de Tunis.
3558
Ainsi, peuvent se voir disciplinairement sanctionnés par l’autorité de régulation des marché financiers : la Bourse des Valeurs Mobilières de
Tunis, ses dirigeants et son personnel ; la société de dépôt, de compensation et de règlement de titres, ses dirigeants et son personnel ; les
intermédiaires en bourse, personnes physiques ou morales, leurs dirigeants et le personnel placé sous leur autorité ; les dirigeants des gestionnaires
et des dépositaires des fonds et des actifs des Organismes de Placement Collectif en Valeurs Mobilières et du personnel placé sous leur autorité.
Ces personnes peuvent donc se voir sanctionnées par le collège du Conseil du Marché Financier érigé en conseil de discipline à partir du moment
qu’une de ces personnes se rend coupable d’un manquement aux règles et usages professionnels applicables.V. Article 41 de la loi n°94-117 du 14
novembre 1994.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

prononcer des sanctions telles que l’avertissement ou le blâme, en plus de celles particulièrement graves, à
savoir l’interdiction à titre temporaire ou définitif de tout ou partie de l’activité et, le cas échéant, le retrait de
l’agrément3559.
769- De tout ce qui précède, il apparaît clair que le CMF a été doté d’un pouvoir de sanction non
négligeable pour lutter contre les abus en matière de concentration. Il en est de même du conseil de la
concurrence dont le pouvoir de sanction est tout aussi large.

II- Multiplicité des sanctions administratives en matière


concurrentielle :
770- Le droit de la concurrence accorde, de son coté, au conseil de la concurrence un
pourvoir grandissant de sanction et d’injonction3560 et ce, pour combattre les pratiques abusives portant
atteinte au fonctionnement du marché.
L’article 19 de la loi n° 91-64 du 29 juillet 1991 prévoit, à cet effet, que les décisions rendues par le
conseil de la concurrence doivent comporter obligatoirement, au cas où la requête serait recevable sur le fond,
si les pratiques présentées devant le conseil sont susceptibles de sanction par des amendes pécuniaires et ce,
en vertu de l’article 34 de la même loi. Ces amendes pécuniaires sont plafonnées à 5 % du chiffre d’affaires
réalisé en Tunisie par l’opérateur concerné au cours du dernier exercice comptable3561.
Le chiffre d’affaires pris en compte par le conseil est le chiffre total et non le chiffre d’affaires réalisé
dans le cadre de la pratique reprochée3562. Dans la décision relative au groupe « Poulina », la commission a
infligé des amendes à la société mère et aux sociétés filiales du groupe selon leurs chiffres d’affaires de
l’année précédente, en tenant compte de la gravité des pratiques mises en cause, de leur influence sur les
mécanismes du marché et la part réelle de chaque partie dans sa réalisation. Ainsi, des amendes d’un montant
de 254.000 dinars ont été prononcées3563.
On en déduit que le montant des amendes qui est fixé par le conseil de la concurrence est déterminé à
partir du chiffre d’affaires réalisé par l’entreprise sanctionnée. La question qui se pose est alors de savoir
comment déterminer l’amende si la personne morale, qui a abusé de sa puissance économique n’a pas de
chiffre d’affaires ?
Cette difficulté a conduit le législateur à intervenir en ajoutant un alinéa deuxième à l’article 34, de la
loi précitée, qui prévoit une amende variant entre 1000 et 50000 dinars, suivant que le contrevenant est une
personne morale ou une organisation, n’ayant pas un chiffre d’affaires propre3564.
La question qui se pose, à ce niveau aussi, est de savoir comment la sanction d’amende sera-t-elle
appliquée quand il s’agit d’un abus commis par un groupe de sociétés ?
La réponse n’est pas prévue par le législateur. Mais puisque le droit de la concurrence fait une
séparation des personnalités juridiques des filiales, alors les sociétés du groupe en position dominante seront,
seules, condamnées sur la base de leur chiffre d’affaires global. Les autorités internes en France préfèrent
sanctionner aussi la ou les filiales, en position dominante seulement, et hésitent à imputer la pratique à toutes
les sociétés du groupe3565. Quant aux autorités communautaires, elles appréhendent le groupe de sociétés en

3559
Ces sanctions s’appliquent aux personnes autres que la Bourse des Valeurs Mobilières de Tunis et la société de dépôt, de compensation et de
règlement de titres. Les sanctions disciplinaires ne concernent pas les sociétés cotées en bourse ni leurs dirigeants. Ces derniers sont passibles
d’autres sanctions pouvant être prononcées par l’autorité administrative. En effet, le CMF est habilité également en cas de manquement de
franchissement de seuil de participation de prononcer la privation des droits de vote des actions détenues en franchissement du seuil de
participation légal. Mais la sanction la plus commune atteignant les dirigeants sociaux devrait consister en des sanctions d’amende.
3560
V. article 20 nouveau de la loi n° 91-64 du 29 juillet 1991 relative à la concurrence et aux prix telle que modifiée ultérieurement par la loi n°
93-83 du 26 juillet 93, la loi n° 95-42 du 24 avril 95, la loi n° 99-41 du 10 mai 99 et la loi n° 2003-47 du 11 novembre 2003.
3561
Les mesures « sanctionnatrices » sont, comme tous les actes administratifs immédiatement exécutoires sans l’intervention du juge et les voies
de recours, exercées à leur encontre, n’ont pas le caractère suspensif, sous réserve du sursis à exécution bien sûr.
3562
Décision n° 2/1994, Ministre de l’économie nationale contre les sociétés Poulina, Mornag Ezzahra, Jenan et le Coq, Rapport annuel du Conseil
de la concurrence de 1997, annexe n° 8, p. 87.
3563
Ibidem.
3564
« Au cas où le contrevenant aux dispositions de l’article 5 est une personne morale ou une organisation n’ayant pas un chiffre d’affaires
propre, l’amende pécuniaire varie de 1000 à 50000 dinars et ce, sans préjudice des sanctions qui pourraient être infligées à titre individuel à ses
membres contrevenants ». Tel que ajouté par la loi n° 99-41 du 10 mai 99.
3565
En ce sens, ARCELIN (L), L’entreprise en droit de la concurrence Française et Communautaire, th. Montpellier, déc. 2001.

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entité unique et sanctionnent, par conséquent, le groupement en entier, c'est-à-dire toutes les sociétés du
groupe3566.
Aussi, convient-il de rappeler, sur ce point, que l’orientation de la commission de la concurrence
tunisienne s’est parfois alliée à celle de la Cour de justice des Communautés européennes en considérant que
la reconnaissance à une filiale d’une personnalité juridique distincte ne suffit pas pour écarter la possibilité de
voir son comportement imputé à la société mère. Tel peut-être notamment le cas lorsque la filiale ne
détermine pas, de façon autonome, son comportement sur le marché, mais applique, pour l’essentiel, les
instructions qui lui sont imparties par la société mère. Dans un cas pareil, la société mère serait seule
administrativement punissable alors que les faits répréhensibles émanent de la filiale3567.

771- Le conseil de la concurrence bénéficie d’autres pouvoirs cités dans l’article 20 de la loi de
1991. Ainsi, il peut prononcer la fermeture provisoire de ou des entreprises incriminées pendant une période
ne dépassant pas 3 mois.
La gravité de la sanction est indéniable. Elle aboutit à la privation d’exercer une activité industrielle ou
commerciale. La consécration d’une telle sanction est souvent contestée, qu’elle soit prononcée par le juge ou
par l’administration, elle « porte en elle des germes anti économiques »3568.
La décision de fermeture, en dépit de son efficacité, peut être de conséquences lourdes pour l’emploi et
la continuité de l’activité économique de l’entreprise avec tous les drames sociaux qui peuvent en résulter.
C’est pour cette raison, d’ailleurs, que le législateur considère que cette mesure ne peut être que provisoire et
que la réouverture de l’établissement sanctionné doit se faire aussitôt à la fin des abus constatés. Néanmoins,
face au mutisme de l’article 20 (nouveau) de la loi 1991, on est en mesure de s’interroger sur les personnes
habilitées à décider de la fin des pratiques abusives, ainsi que la décision de réouverture de cet établissement.
Quant à la question relative aux personnes habilitées à décider de la disparition des pratiques
incriminées et, par conséquent, la réouverture de l’établissement sanctionné, même si l’article 20 est
complètement muet, il serait conforme, au principe du parallélisme des formes, que le conseil de la
concurrence soit le seul compétent pour décider d’une telle réouverture.

772- Aussi avec la dernière modification de 2005, l’article 20 a ajouté que : « le conseil de la
concurrence peut ordonner la publication de ses décisions ou d’un extrait de celles-ci dans les journaux qu’il
désigne, et ce aux frais du condamné ».
Le législateur en édictant cette sanction a accompli un grand pas dans la recherche de la transparence
qui a déjà commencé, depuis la modification de la loi sur la concurrence en 1999, en supprimant la
confidentialité du rapport annuel d’activités du conseil3569.
Cette publication des décisions est à l’origine une sanction du droit commun3570 et ce, en vertu de
l’article 36 alinéa 2 de la loi n° 91-64 qui permet au tribunal d’ordonner que sa décision soit publiée
intégralement ou par extrait dans les journaux qu’il désigne aux frais du condamné. Il peut également
ordonner, dans les conditions définies à l’article 41, l’affichage et / ou la publicité par tous moyens de sa
décision.
La publication joue un rôle très important notamment dans la protection des opérateurs économiques
-consommateurs et professionnels- au sein du marché, afin qu’ils y exercent leurs vigilances contre l’abus de
puissance économique. C’est aussi un moyen d’information important pour les justiciables, les économistes,
les juristes et tous les concernés du domaine de la concurrence.
La publication des décisions prouve l’existence d’un pouvoir répressif diversifié dont est doté le
conseil de la concurrence pour défendre l’ordre public économique et contrôler les abus de puissance
économique faussant le libre jeu de la concurrence sur le marché. On conçoit que la publication joue un rôle
3566
TPICE 1er avril, BPB Industries et British Gypsm, Aff., T-65/89.Europe 1993, n°249, obs. IDOT. Cité par Malaurie-Vignal Marie, l’abus de
position dominante, op.cit p. 47
3567
Arrêt du 21 février 1973, Europemballage Corporation et Continental Can Company / Commission, aff. 6-72, Rec. 1973, p. 215.
3568
BOIZARD (M), art. pré., p.331.
3569
V. article 10 bis, le conseil de la concurrence établit également un rapport sur son activité annuelle qui doit être soumis au président de la
république, ce rapport auquel sont annexées l’ensemble des décisions et avis rendus par le conseil.
3570
Un modèle de partage de compétence entre le juge du droit commun et le conseil de la concurrence dans les sanctions des pratiques
anticoncurrentielles. En conséquence de ce partage, les pratiques de l’article 5 de la loi de 1991 peuvent être soumises, selon la nature de la
demande, à l’appréciation aussi bien du conseil de la concurrence, du juge civil qu’à celle de juge pénal mais une divergence par l’absence d’une
unité d’interprétation des règles de droit du fait que la cassation des décisions du conseil s’effectue devant le tribunal administratif alors que celle
des jugements des tribunaux relève de la cour de cassation. JAIDAINE (R), th., pré., p 462

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

prépondérant dans l’instauration d’une transparence entre l’administration et ses administrés, entre le conseil
de la concurrence et d’autres autorités de régulation étrangères3571.
Il ne faut pas oublier toutefois que ces sanctions humiliantes, telles l’affichage et l’insertion dans la
presse, sont des sanctions accessoires et complémentaires3572. Elles sont dépendantes d’une autre sanction
principale. Il s’agit, en réalité, de l’affichage ou la publication d’une sanction principale, amende par exemple,
prononcée par le conseil de la concurrence. La législation économique prévoit ces deux catégories de
sanctions accessoires qui ont la même incidence, mais leur étendue est différente. L’affichage se limite dans
certains lieux tels que les portes principales de l’usine, les bureaux et ateliers, le siège social de
l’entreprise3573... Alors que l’insertion ou la publication dans les journaux ou dans tout autre moyen est
beaucoup plus étendue3574.
Les sanctions humiliantes sont certes accessoires, mais particulièrement graves. Leur durée n’est pas
toujours fixée par le législateur et leur effet est considérablement intimidant pour le transgresseur3575.
773- Par ailleurs, le conseil de la concurrence bénéficie, en vertu de l’article 20 alinéa premier de la
loi n° 91-64 du 29/07/1991, d’un pouvoir d’injonction non moins important pour ordonner aux opérateurs
auxquels les abus sont imputables, en matière de concentration, d’y mettre fin dans un délai déterminé ou de
respecter dans leurs comportements des conditions particulières3576.
Aussi, ce même article permet au conseil de la concurrence d’enjoindre à la partie en cause de mettre
fin aux pratiques abusives. Le conseil de la concurrence peut aussi, en cas d’exploitation abusive d’une
position dominante, proposer au ministre chargé du commerce d’enjoindre à une entreprise ou un groupe
d’entreprise de modifier, de compléter ou de résilier, tous accords et tous actes par lesquels s’est réalisée la
concentration abusive.
Ainsi, dans la décision inhérente au groupe Poulina, le conseil de la concurrence a enjoint à la
société mère Poulina de modifier certaines clauses et de supprimer d’autres des contrats de distribution
sélective qui la liaient aux revendeurs. Ces clauses interdisaient de façon absolue à ces derniers de
s’approvisionner auprès d’autres sociétés que celles appartenant au groupe Poulina et prévoyaient des
sanctions pour les contrevenants. Le conseil a ordonné aussi au même groupe de supprimer d’autres clauses
des contrats passés avec les distributeurs imposant, à ces derniers, d’assumer seuls la responsabilité en cas de
procédures de contrôle et de poursuite, engagées par les agents du contrôle économique, et exonéraient de la
sorte les sociétés du groupe Poulina de toute responsabilité. Le conseil a estimé que ces clauses n’avaient
aucun fondement juridique et constituaient un abus de puissance économique. La société mère du groupe était
appelée donc à modifier ou supprimer toutes ces clauses3577.
Le conseil de la concurrence a enjoint dans une autre affaire d’annuler complètement le contrat qui
liait deux sociétés parce qu’il l’a jugé incompatible avec les dispositions de la loi sur la concurrence3578. Il a
ordonné à la société mère BOBA d’arrêter d’appliquer le contrat de distribution sélective la liant avec la
société mère SWATCH et les contrats de vente entre BOBA et ses revendeurs accrédités. Le conseil se basa
dans cette décision sur sa jurisprudence constante qui considère la loi sur la concurrence comme une loi
relative à l’ordre public économique et les dispositions des contrats et les engagements qui contrarient les
règles de la concurrence sont présumés interdits et frappés de nullité aux termes de l’article 5 nouveau de la
loi de 1991.

3571
FRISSON-ROCHE (M-A), Philosophie du droit et droit économique, Mélange G. Farjat, Paris, 1994, p. 175.
3572
V. dans le même sens art. 5 CP.
3573
V. article 41 loi de 1991 relative à la concurrence et aux prix.
3574
V. article 40 de la loi n°94-117 relative au marché financier.
3575
DEJUGLERT (M), art. pré., p 283.
3576
A priori, les injonctions sont applicables à tout acteur économique qu’il soit personne de droit privé ou de droit public. Néanmoins, certains
auteurs ont relevé à juste titre la difficulté d’adresser des ordres aux personnes morales de droit public, et d’une manière générale à
l’administration, sur la base du principe de l’interdiction d’adresser des ordres aux administrations de l’Etat. Cela dit, il faut signaler que ces
difficultés sont injustifiées et n’ont pas lieu d’être, car en principe, tant que l’administration se livre comme les personnes de droit privé à des
activités économiques, il ne saurait être justifié de la privilégier en s’abstenant de lui adresser des injonctions, chose qui serait perçue comme un
traitement de faveur. Cette affirmation est d’autant plus logique que le juge judiciaire n’a pas hésité à adresser des injonctions à l’administration
pour imposer la légalité sans que cela ne puisse constituer une violation du principe de séparation entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire.
V. BEN LETAIEF (M), Les marchés publics et la concurrence, A.J.T., 1992, p. 133.
3577
Décision n° 2/1944, Ministre de l’économie contre les sociétés Poulina, Mornag Ezzahra, Jenan et le Coq, déc. pré., p 87.
3578
Affaire SWATCH/BOBA, décision n° 7, 1999, du 30/12/1999, Ministre du commerce contre la société BOBA, Rapport annuel du conseil de
la concurrence de 1999.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

774- Dans son pouvoir de sanction, le conseil est épaulé par les ministres compétents, chacun en son
domaine. En effet, l’article 35 de la loi sur la concurrence dispose que le ministre compétent est habilité à
prendre toutes les mesures nécessaires à l’exécution des décisions du Conseil de la concurrence relatives
notamment aux injonctions qui sont adressées aux entreprises pour la cessation des pratiques abusives ou à la
fermeture provisoire des établissements incriminées et au paiement des amendes.
Dans le cas d’infractions aux engagements pris, l’article 42 (Bis) de la même loi prévoit à l’égard du
contrevenant une amende dont le montant ne peut dépasser 5% du chiffre d’affaires hors taxes réalisé sur le
marché national par les opérateurs concernés au cours de l’exercice comptable écoulé.
Ainsi, la commission de la concurrence a imposé à la société mère Poulina, dans la décision précitée,
de supprimer, dans un délai de trois mois, les dispositions anticoncurrentielles, stipulées par certains contrats
et de modifier la formulation d’autres clauses et ce, sous peine des amendes, prévues par l’article 42 (bis)
précité3579.
775- Cela dit, il faut garder présent à l’esprit que l’article 6 de la loi sur la concurrence et prix
exonère les abus des sanctions administratives si « les auteurs justifient qu’elles ont pour effet un progrès
technique ou économique et qu’elles procurent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte ».
L’article 7 de la même loi prévoit, dans le même sens, que le ministre chargé du commerce peut
« subordonner la réalisation de l’opération de concentration à l’observation de prescriptions de nature à
apporter au progrès économique et social une contribution suffisante pour compenser les atteintes à la
concurrence″
De même, l’article 9 bis énonce que « le conseil de la concurrence apprécie si le projet ou la
concentration apporte au progrès technique ou économique une contribution suffisante pour compenser les
atteintes à la concurrence »3580.
Ainsi, les abus de domination peuvent échapper aux sanctions administratives, et autres, si jamais la
concentration accusée est susceptible de réaliser un progrès technique ou économique. En l’absence de toute
définition juridique, ce progrès peut être défini, dans un premier temps, comme l'ensemble des éléments qui
permettent d'améliorer les méthodes de production et d'accroître la productivité. Le progrès technique s'inscrit
aussi dans les différentes formes d'innovations mises en œuvre par l'entrepreneur, lesquelles peuvent
concerner aussi la fabrication d'un produit nouveau, la mise en œuvre d'une nouvelle méthode d'organisation
de la production ou l'ouverture de nouveaux débouchés.
Notre conseil de la concurrence a retenu une interprétation large de la notion de progrès économique,
la rapprochant, dans une large mesure, de la notion économique d’efficience. Toutefois, il a précisé avec une
certaine rigueur que le progrès invoqué devait constituer un progrès pour la collectivité dans son ensemble et
non simplement permettre une amélioration de la situation des entreprises en cause3581.

776- Manifestement, le conseil de la concurrence dispose, aux termes des articles 20 et 34


(nouveaux) de la loi de 1991, d’une gamme très variée de sanctions administratives infligées aux auteurs des
pratiques anticoncurrentielles, en général, et de l’abus de domination, en particulier. Il en est de même du

3579
Décision n° 2/1994, Ministre de l’économie nationale contre les sociétés Poulina, Mornag Ezzahra, Jenan et le Coq, déc. pré., p. 87.
3580
Ces articles ont une portée exonératoire générale. Ils sont construits autour d’une notion clé, pratiquement insaisissable : celle du progrès
économique ou technique. Par rapport à quels paramètres s’apprécieront ces progrès économiques ou techniques ? L’appréciation de l’exonération
des pratiques abusives prohibées se réfère à des critères subjectifs, comme l’a indiqué le professeur FARJAT, le concept du progrès implique des
jugements de valeur, des choix idéologiques (FARJAT (G), Droit économique, Paris, PVF, 1982 p. 516). Quant à notre conseil de la concurrence,
son appréciation du progrès économique et technique est basée sur un « bilan économique» tout en prenant en considération, lors de
l’établissement de ce bilan la nécessité d’assurer ou de renforcer la compétitivité des entreprises concernées face à la concurrence internationale.
On remarque aussi l’absence d’une définition législative de la notion du progrès économique dans la loi de 1991 à l’instar du droit français. Face à
cette lacune législative, le conseil français de la concurrence est intervenu à plusieurs reprises pour définir la notion du progrès, à la différence du
conseil tunisien qui n’a pas eu encore l’occasion de construire une jurisprudence autour de cette notion Il n’a fait qu’affirmer, pour l’instant, que
cette notion de progrès est d’interprétation stricte. Par ailleurs, pour être justifiée il ne suffit pas que la pratique en question contribue seulement au
progrès économique, il faut encore qu’elle procure aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte. Cette condition semble être dictée
par un souci d’équité entre les agents économiques, comme il y est fait référence dans la loi elle-même. En outre, un autre problème s’ajoute à cette
exemption c’est l’inapplication des exonérations des abus de puissance économique aux abus de dépendance économique, en effet, il est
difficilement imaginable qu’un abus caractérisant un simple rapport bilatéral puisse avoir « pour effet un progrès technique ou économique ».
3581
Avis n°1/1998 du 7 mai 1998 relatif à une concentration économique dans le secteur des explosifs à fins civiles entre la Société tunisienne des
explosifs et des munitions et la société Nitragel, Rapport annuel du Conseil de la concurrence de 1998, p.86 ; Avis consultatif du Conseil de la
concurrence n°2/1999 du 18 février 1999 relatif à une concentration économique entre PAF et F3T, Rapport annuel du Conseil de la concurrence
de 1999, p.74.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

conseil du marché financier qui, comme on vient de le voir, dispose à quelques différences prés du même
pouvoir de sanction.
Ainsi, les sanctions administratives se sont avérées plurales et diversifiées que ce soit en matière
financière ou concurrentielle. Mais la question qui demeure posée est de savoir si les sanctions étudiées sont-
elles efficaces pour saper toutes formes d’abus dans les procédés de concentration des sociétés, car le plus
important n’est pas la multiplicité, plutôt l’efficacité !
En Tunisie, le constat est bien établi : malgré des textes en apparence similaires à la législation
française, l’action des autorités de régulation, surtout celle du conseil du marché financier, est marquée par
une inefficacité patente due au faible pouvoir dissuasif qu’elle opère.

-§2- : Inefficacité des sanctions administratives des abus


dans les procédés de concentration
777- La sanction administrative économique est souvent une sanction consacrée, en matière
économique, en vue de réprimer un comportement illégal par voie administrative et non juridictionnelle, ou
les deux à la fois. Le choix du législateur de réprimer par voie administrative des infractions économiques
n’est point arbitraire. Il s’inscrit dans un mouvement universel de dépénalisation ou de renforcement de la
politique répressive. L’importance des sanctions administratives en matière économique reflète les pas
franchis par le législateur. Elle explique d’ailleurs la dualité de la répression économique. Les sanctions
administratives témoignent de l’inefficacité ou de l’anomalie de la répression judiciaire. Toutefois, les
sanctions administratives sont-elles suffisamment élaborées pour satisfaire l’impératif répressif sans nuire aux
droits et libertés des opérateurs économiques et sans porter atteinte surtout aux impératifs de promotion et
d’incitation des procédés de concentration des sociétés ?
Une autre question se pose de prime abord : indépendantes, les sanctions administratives pourquoi
remplaceraient-elles les sanctions juridictionnelles ? Pour quels motifs et dans quel cadre ?
La recherche de l’efficacité est, incontestablement, avancée en premier rang. L’intervention de l’Etat
régulateur pour contrôler des domaines économiques caractérisés par leur technicité et complexité3582 « pousse
volontiers à la mise au point de modes de répression plus fonctionnels, qui ne passent pas par l’entreprise du
juge »3583. C’est le critère fonctionnel de la sanction administrative qui met à côté l’intervention du juge
« nuisible à l’efficacité de la répression » dit-on3584, surtout en matière de concentration des sociétés.
Un autre élément confère à la sanction administrative plus d’efficacité qu’à la sanction pénale. En
effet, la procédure administrative est sensiblement plus rapide que la procédure pénale. Des atouts qui sont
censés permettre aux autorités administratives de sanctionner plus efficacement les atteintes à la
réglementation économique que les autorités judiciaires. La procédure de la sanction administrative peut
s’avérer, ainsi, d’une efficacité redoutable dans la sanction des abus. Cette efficacité procédurale s’éclipse
malheureusement, sur le plan pratique et ce, pour plusieurs raisons. La sanction administrative apparait ainsi
dépourvue de toute efficacité presque, et incapable d’atteindre les objectifs législatifs de son institution en
matière économique.
L’inefficacité de la sanction administrative, dans le domaine de la concentration, est palpable sur
plusieurs plans : effritement de la sanction en cas d’opérations de fusion ou de scission (I) ; vileté inexpliquée
des sanctions pécuniaires (II) et abdication énigmatique du conseil du marché financier dans la lutte contre les
abus dans les procédés de concentration des sociétés (III).

I- Effritement de la sanction administrative en cas


d’opérations de fusion ou de scission :
778- La sanction administrative est, en Tunisie, la sanction répressive la plus importante pouvant
atteindre les sociétés, personnes morales, si elles commettent des abus de marché ou des abus de puissance
économique. La possibilité d’imputer une sanction administrative à une société constitue, de ce fait, un
3582
Le domaine bancaire, le domaine financier, le commerce électronique...
3583
DAVIGNON (J-F), art. pré., p.7
3584
Ibidem.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

avantage considérable dont jouit le conseil du marché financier et le conseil de la concurrence par rapport aux
autorités judiciaires. Il est à noter que cette possibilité d’imposer des sanctions à l’égard des sociétés, pour les
abus précités, n’est pas offerte aux autorités judiciaires pénales et ce, en l’absence d’un texte prévoyant la
responsabilité pénale des personnes morales en matière d’abus boursiers ou d’abus concurrentiels3585. La
sanction administrative prononcée par lesdits conseils apparait, alors, comme le seul type de sanction
répressive applicable aux personnes morales opérant en bourse ou sur le marché de la concurrence.
En effet, les articles 47 et suivants du règlement général du CMF relatif à l’appel public à l’épargne,
qui ont pour objet de sanctionner les abus boursiers, visent indifféremment toute personne, qu’il s’agisse
d’une personne physique ou d’une personne morale3586. Aussi, pour l’article 3 du même règlement établissant
une liste de définitions, le terme personne lorsqu’il est cité dans le cadre de ce règlement désigne
indifféremment « toute personne physique ou toute personne morale ». On peut en déduire que le pouvoir de
sanction du CMF s’étend alors aux personnes physiques ainsi qu’aux personnes morales.
Il en est de même de l’article 34 de la loi n° 91-64 du 29 Juillet 1991 relative à la concurrence et aux
prix qui condamne « les opérateurs » économiques de façon générale, c'est-à-dire personnes physiques et
personnes morales. D’autant plus que l’alinéa deuxième dudit article dispose expressément qu’ « au cas où le
contrevenant aux dispositions de l’article 5 est une personne morale ou une organisation n’ayant pas un
chiffre d’affaires propre, l’amende pécuniaire varie de 1000 dinars à 50 000 dinars… ».
Il résulte de cette argumentation que les sanctions administratives, en matière financière et
concurrentielle, touchent aussi bien les personnes physiques que les sociétés personnes morales auteurs de
pratiques abusives.

779- Si, contrairement à la matière pénale, les sociétés personnes morales sont visées par les
sanctions administratives, une question importante mérite qu’on s’y attarde longuement : que faire si une
société condamnée ou risquant de l’être, sur le plan administratif, décide de mettre en place une opération de
scission ou de fusion3587 ? Plus précisément est-ce que la sanction administrative, qui frappe une personne
morale déterminée, résiste à une opération de fusion ou de scission qui va donner lieu à un être moral
nouveau, le premier ayant disparu ? La sanction administrative prononcée sera-t-elle appliquée à la personne
morale nouvelle si en cours de procédure, ou avant, la société risquant la condamnation, fait l’objet d’une
fusion absorption par exemple ?
Nul doute que s’il était question d’une poursuite pénale, la disparition de la personne poursuivie
signifie l’extinction de l’action publique. De même, en matière de sanctions administratives, le principe
général de la personnalité des poursuites et des peines devrait prohiber au CMF, et au conseil de la
concurrence, la condamnation d’une personne morale qui n’est pas l’auteur de l’abus, ce dernier ayant disparu
suite à l’opération de concentration.
Comme en matière pénale3588, cette situation suscite des difficultés d’application de la sanction
administrative en cas de fusion ou de scission. En effet, les dites opérations de concentration maintiennent la
réalité économique de l’entreprise dans la mesure où la dissolution de la société ne s’accompagne d’aucune
liquidation. Faut-il s’arrêter alors à la disparition de la personnalité de la société absorbée ou scindée, pour en
déduire que les poursuites cessent du moment que le défendeur n’existe plus ? Ou faut-il, au contraire, prendre

3585
V. supra, n° 637.
3586
Ainsi, l’article 47 suscité interdit aux « personnes », disposant d’une information privilégiée en raison de leur qualité de membres des organes
de direction ou d’administration ou de délibération ou de contrôle, d’un émetteur faisant appel public à l’épargne ou en raison des fonctions
qu’elles exercent au sein d’un tel émetteur, d’exploiter sur le marché, pour compte propre ou pour compte d’autrui, une telle information soit
directement, soit par personne interposée, en achetant ou en vendant des titres de cet émetteur ou des droits liés à ce titre, tant que cette information
n’a pas encore été rendue publique. De même, l’alinéa 2 de ce même article dispose que « les personnes » mentionnées au premier alinéa de cet
article doivent s’abstenir de communiquer l’information privilégiée à des fins autres ou pour une activité autre que celles en raison desquelles elle
est détenue. Ensuite, l’article 48 énonce que « les personnes » disposant d’une information privilégiée en raison de la préparation et de l’exécution
d’une opération financière et les personnes auxquelles a été communiquée une information privilégiée à l’occasion de l’exercice de leurs
professions ou de leurs fonctions ne doivent pas exploiter sur le marché, pour leur compte propre ou pour le compte d’autrui, une telle information
ni la communiquer à des fins autres ou pour une activité autre que celles en raison desquelles elle est détenue, tant que cette information n’a pas
encore été rendue publique. Aussi, l’article 49 prévoit que « toute personne » qui, en connaissance de cause, dispose d’une information privilégiée
provenant directement ou indirectement d’une personne mentionnée aux deux articles précédents, ne doit pas exploiter, pour son compte propre ou
pour le compte d’autrui une telle information sur le marché. Egalement, l’article 40 de la loi n°94-117 du 14 novembre permet au conseil du
marché financier de sanctionner « toute personne » qui contrevient à son règlement.
3587
Cela est vrai également concernant l’opération de transformation.
3588
V. supra n° 639.

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en compte la permanence de l’entreprise, malgré l’opération de fusion ou de scission, et donc maintenir


l’action répressive administrative3589 ?
Contrairement au droit tunisien où législateur et juges n’ont pas répondu à ces questionnements
juridiques, peut-être en raison de l’absence totale de litiges de ce genre en Tunisie, en droit français cela a
donné lieu à une divergence des solutions entre la jurisprudence de la Cour de cassation et celle du Conseil
d’Etat.
En effet, la Cour de cassation française estime que le principe général de la personnalité des poursuites
et des peines s’oppose à ce que soit imputé un manquement d’une société absorbée à la société absorbante. La
position adoptée par la chambre commerciale de la Cour de cassation3590, est d’une « parfaite orthodoxie » au
regard des principes classiques qui gouvernent le système répressif français, comme des règles qui régissent la
matière des fusions-scissions3591. Cette dernière chambre a, tout simplement, approuvé l’annulation par la
Cour d’appel de Paris3592, de vingt-et-une décisions de sanctions prononcées par la COB à l’encontre des sept
sociétés issues de la scission de la société CIP3593. La COB avait infligé des sanctions pécuniaires à ces sept
sociétés en raison de pratiques abusives contraires à son règlement n° 90-02 commises par la société scindée
avant sa dissolution. Pour justifier cette solution, la COB avait affirmé que « le principe de la personnalité des
peines, à supposer qu’il s’applique à des sanctions administratives de nature exclusivement pécuniaire et
prononcées à l’encontre de personnes morales ne fait pas obstacle à ce que soit considérée comme l’auteur
des faits poursuivis une entreprise issue de la scission de la société à laquelle ces pratiques sont
matériellement imputables et qui assure la continuité économique de l’entité préexistante»3594.
La position des magistrats de la Cour d’appel de Paris, fût différente. Ceux-ci déduisent des
dispositions de l’ordonnance du 28 septembre 1967 et du règlement de la COB n°90-02 que seul peut être
poursuivi l’auteur d’un abus et ce, sur la base du règlement général de la COB. Ils y voient une saine
application du principe général de la personnalité des poursuites et des sanctions qui est consacré par l’article
6 de la Convention européenne des Droits de l’Homme. La décision des magistrats parisiens a été approuvée
par la chambre commerciale de la Cour de cassation3595 qui a affirmé que ce principe de la personnalité
s’oppose, dans le cadre d’une opération de scission, à ce que la COB prononce une sanction pécuniaire contre
une personne autre que l’auteur de l’abus3596.
La position de la Cour de cassation française semble conforme à la position de la Cour européenne des
droits de l’homme qui estime que les peines administratives à caractère fortement répressif, comme le sont
celles que prononce l’AMF, doivent respecter les grands principes des droits de l’homme et notamment le
principe de la personnalité de la peine. Néanmoins, cette position est de nature à compliquer l’exercice par
l’AMF de son pouvoir de sanction et d’en limiter l’efficacité. On peut même penser qu’une société pourrait
recourir à une fusion ou une scission afin d’échapper à la sanction de l’autorité de régulation. Le même effet
peut-être atteint aussi par une simple opération de transformation.
780- La solution adoptée par le Conseil d’Etat français, en matière de sanctions disciplinaires, et qui
contredit la position prise par la Cour de cassation, parait intéressante, judicieuse et susceptible
d’extrapolation en droit tunisien en l’absence de solution législative, surtout que le principe de la personnalité
des délits et des peines est propre au droit pénal.
Ledit Conseil a, dans une décision du 22 novembre 20003597, opéré une distinction selon la nature de la
peine entre le blâme et la sanction pécuniaire. Il a considéré le caractère très personnel du blâme et déduit que
la société « Crédit agricole Indosuez Chevreuse » n’était « pas fondée à demander l’annulation de la décision
du 27 janvier 1999 du Conseil des marchés financiers qu’en tant qu’elle lui a infligé un blâme ». Par contre, la
3589
VINCKEL (F), La capacité des sociétés et le droit au procès équitable, Bull/ Joly Sociétés, 01 février 2002, n°2, p. 192.
3590
VATEL (D), Note sous Cass. Com., 15 juin 1999, Rev. Soc. 1999, p. 844.
3591
BARBIRI (J-F), Incidence d’une fusion divergences sur l’imputabilité des sanctions financières applicables au comportement de la société
absorbée, L.P.A, 27 avril 2001, n° 84, p. 15.
3592
COURET (A), Note sous C.A. Paris, 14 mai 1997, J.C.P., éd. E. 1997. II. 973 ; Rontchevsky (N), Bull. Joly Bourse 1997, p. 646 ; LOVASSE
(H), Dr. Soc. 1997, comm. 146 ; LENABASQUE (H), Rev. Soc., 1997, p. 827.
3593
RONTCHEVSKY (N), Note sous décision COB, 12 septembre 1996, Société Anjou Services (Cidotel -Libertel), Bull. Joly Bourse, 1997, p.
379, n° 42.
3594
RONTCHEVSKY (N), note sous C.A. Paris, 14 mai 1997, SNC Compagnie générale d’immobilier George V et autres c/Agent judiciaire du
Trésor, Bull. Joly Bourse, 01 juillet 1997, n°4, p. 646.
3595
Cass. Com. Fr.,15 juin 1999, n° 97-16.439, Recueil G.P. 1999, Panor. Cass., p. 21.
3596
LAFORTUNE (M-A), Les autorités indépendantes de régulation à l’épreuve des principes processuels fondamentaux dans l’exercice de leur
pouvoir de sanction des manquements aux règlements du marché économique, financier et boursier, Gaz. Pal., 25 septembre 2001, n° 268, p. 12.
3597
BOIZARD (M), Note sous CE, 22 nov. 2000, Crédit agricole Indosuez Chevreuse, RJDA 2001, n° 3, n° 10.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

sanction pécuniaire, que le Conseil d’Etat n’a pas considérée comme « très personnelle », s’applique à la
société absorbante alors qu’elle concerne personnellement la société absorbée. Cette solution est pertinente car
la peine pécuniaire, dans ce contexte, s’applique à l’entité économique, laquelle a tiré profit de l’infraction et
subsiste après l’opération de concentration, à savoir la fusion.
781- A défaut d’une solution législative et en l’absence d’une jurisprudence de ce genre en droit
tunisien, la sanction administrative semble, dans ces conditions, inefficace car facile à esquiver par une simple
mise en place d’une opération de concentration prenant la forme d’une fusion ou encore d’une scission3598.
Aussi, plusieurs autres facteurs amènent à douter de l’efficacité de l’action des autorités
administratives tunisiennes au sein des procédés de concentration des sociétés. Parmi ces facteurs, il sied de
s’intéresser à la vileté des sanctions pécuniaires, surtout en matière financière.

II- Vileté des sanctions administratives à l’aune des procédés de


concentration
782- La vileté des sanctions administratives, en matière de concentration, découle de deux points
essentiels. En premier lieu, contrairement aux sanctions édictées par l’AMF qui atteignent des montants
pharaoniques, les sanctions pécuniaires que peut prononcer le CMF sont d’un montant infime. Il en est de
même d’ailleurs en matière concurrentielle. En second lieu, alors que la publication des sanctions édictées par
l’AMF et le conseil de la concurrence français est automatique, cette publication n’est qu’une faculté offerte
aux autorités administratives tunisiennes qui demeurent libres de ne pas procéder à une telle publication.
783- Comme on vient de le voir, le conseil du marché financier est habilité à prononcer à l’encontre
des auteurs des pratiques abusives contraires à la règlementation en vigueur une amende au profit du Trésor
Public qui ne peut excéder 20.000 dinars et lorsque des profits ont été réalisés, cette amende peut atteindre le
quintuple du montant des profits réalisés.
Une comparaison avec les sanctions pécuniaires en droit comparé est assez révélatrice.
En droit français, l’Autorité des marchés financiers est en mesure de prononcer des amendes allant
jusqu’à 100 millions d’euros. En réalité, le montant de ces amendes a été dernièrement multiplié par dix3599
pour atteindre un maximum de cent millions d’euros ou au décuple du montant des profits éventuellement
réalisés. Ces sommes sont versées au Trésor public français. Pour un manquement d’initié la commission
française des sanctions est allée jusqu’à infliger une amende de 500 000 € à une Personne physique3600 et de
1 500 000 € pour une personne morale3601. De même, en matière de manipulation de cours, la commission des
sanctions a infligé une amende de 7 114 668 € à une personne morale3602 et de l’ordre de 1 770 480 € à une
personne physique3603. On le voit donc, le montant des sanctions est dissuasif et de nature à conférer plus
d’efficacité à l’action de l’autorité de régulation française.
Aussi, en Jordanie, le conseil du marché financier est en droit d’infliger une amende allant jusqu’à
cinquante mille dinars3604.
Par ailleurs, la comparaison avec les sanctions qu’est capable de prononcer le conseil de la
concurrence fait ressortir la faiblesse des peines d’amende en matière financière. Ainsi, l’article 34 de la loi
n°91-64 du 29 juillet 1991, relative à la concurrence et aux prix habilite le Conseil de la concurrence à
sanctionner les opérateurs ayant commis l’un des abus édictés par l’article 5 de cette loi, d’une peine
d’amende pouvant atteindre 5% du chiffre d’affaires réalisé en Tunisie par l’opérateur concerné au cours du
dernier exercice écoulé. Au cas où la personne morale n’a pas de chiffre d’affaires, l’amende sera égale à
50000 dinars. Une telle amende, liée au chiffre d’affaires de la société, peut atteindre des sommes très
importantes en fonction de la taille de l’entreprise poursuivie et peut remplir un rôle dissuasif, surtout en
matière de concentration où les profits réalisés et les sommes mises en place peuvent atteindre des chiffres
inimaginables.

3598
Il reste qu’une telle opération de concentration peut-être annulée pour fraude à la loi. V. supra n° 639.
3599
CAPDEVILLE (J-L), Présentation générale de la loi de régulation bancaire et financière, L.P.A., 22 octobre 2010, n° 211, p. 3.
3600
AMF, 20 novembre 2008, par un arrêt du 24 novembre 2009, la cour d’appel de Paris a réduit le montant de la sanction à 3 000 000 €.
3601
AMF, 7 juin 2007, manquement d’initié.
3602
AMF, 9 mars 2006.
3603
AMF, 9 mars 2006, manipulation de cours.
3604
V. article 22 de la loi jordanienne relative aux valeurs mobilières, 2002.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Il reste que même la sanction d’amende que peut prononcer le conseil de la concurrence demeure, à
son tour, infime en la comparant avec le système concurrentiel français. En effet, le droit français qui prévoit
également des sanctions pécuniaires à l’encontre des auteurs d’abus de domination, distingue entre deux
hypothèses. Si le contrevenant est une entreprise qui a un chiffre d’affaire, l’amende correspondra à 10% de
son chiffre d’affaires, sinon la sanction pécuniaire sera déterminée par le conseil avec un maximum de 3
million d’euros3605. La différence est énorme entre 50.000 DT et 3 millions d’euros !
Le 8 novembre 2005, le conseil de la concurrence français a infligé au Groupe France Télécom une
sanction pécuniaire de 80 millions d'euros pour commission d’un abus de position dominante3606.
On voit bien donc que même les sanctions du conseil de la concurrence demeurent faibles, voire très
faibles comparativement avec le droit français où les sanctions administratives apparaissent dissuasives et très
efficaces.

784- En toute hypothèse, il est certain qu’infliger une sanction pécuniaire inférieure au profit retiré
par celui qui a commis un abus ne peut participer à la préservation de l’intégrité des marchés financiers et
concurrentiels et au renforcement de la confiance des investisseurs en ces marchés surtout en cette période
critique que traverse le pays3607.
En définitive, il est évident qu’au vu des enjeux financiers énormes générés par les procédés de
concentration, les peines d’amende que sont capables de prononcer aussi bien le conseil du marché financier
que le conseil de la concurrence sont loin d’être dissuasives. D’autant plus que les abus perpétrés peuvent
porter gravement atteinte à la réputation de notre place boursière et au marché de la concurrence qui sont,
d’ores et déjà, dans une situation critiquable suite à la fuite des investisseurs, nationaux et étrangers, après la
situation quasi-chaotique générée par la révolution du 14 janvier.
Le législateur ferait mieux d’augmenter le quantum des amendes en matière financière et
concurrentielle ne serait-ce que pour dissuader les éventuels fraudeurs3608.

785- En sus de la faiblesse des sanctions administratives, le conseil du marché financier, fait preuve
d’un manque de fermeté flagrant dans sa lutte contre les abus en matière de concentration.

III- Une abdication énigmatique du CMF dans la lutte contre les abus
boursiers
786- La réforme du marché financier, instituée par la loi 94-117, doit sa réussite à celle de l’organe
de contrôle qu’elle a crée. Partant de cette conviction, le législateur de 1994 en chargeant le CMF de la
mission du développement du marché financier n’a pas lésiné en l’armant de puissants moyens d’action de
nature à lui garantir l’efficacité et la réussite dans son ambitieuse entreprise. En effet, le développement du
marché financier passe inéluctablement par l’attraction de l’épargne vers les placements boursiers. Cette idée
a monopolisé l’attention du législateur qui a chargé le CMF de sa protection.
Dans le cadre de cette mission, le CMF a fait du contrôle et de l’amélioration quantitative et qualitative
de l’information diffusée par les sociétés faisant appel public à l’épargne son cheval de bataille. L’information
abondante et fiable est donc l’outil indispensable devant servir à l’investisseur pour une prise de décision
éclairée.
Pour y parvenir, le CMF assure un contrôle portant, à la fois, sur les intervenants que sur les opérations
réalisées sur le marché tout en adoptant une politique de lutte contre les abus boursiers. Il dispose ainsi de
larges pouvoirs allant de son pouvoir d’édiction des normes à caractère réglementaire à son pouvoir quasi
juridictionnel d’injonction et de sanction assorti d’un pouvoir d’investigation. Tous ces pouvoirs se traduisent
par la prise d’actes à caractère administratif soumis à un contrôle juridictionnel de nature à écarter l’abus et
l’arbitraire de l’organisme.

3605
V. arts. L. 420-1, L. 420-2 et L. 420-5 pour la définition et la sanction de l’abus.
3606
http://www.autoritedelaconcurrence.fr/user/standard.php?id_rub=149&id_article=492
3607
STASIAK (F), Répertoire sociétés Dalloz, délits et manquements boursiers, septembre 2007, n° 51.
3608
Il ne faut toutefois pas oublier que, bien que participant à renforcer le pouvoir de dissuasion de l’autorité administrative, le rehaussement du
plafond des sanctions n’a pas que des côtés positifs. Tel rehaussement est traditionnellement critiqué par les associations d’actionnaires
minoritaires qui le jugent contre-productif puisque les premiers pénalisés seraient les actionnaires. En effet, une amende d’une ampleur
considérable ne manquerait pas de peser sur le cours de bourse de la société épinglée. V. Le Monde du 4 mars 2005.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

787- Mais, malgré ces pouvoirs exorbitants, il est tout à fait étonnant, pour ne pas dire mystérieux,
de constater, dans la pratique financière tunisienne, l’absence totale du pouvoir de sanction du CMF
comparativement avec l’importance qu’attache l’autorité de régulation française à ce pouvoir et l’acharnement
dont celle-ci fait preuve lorsqu’il s’agit de défendre cette prérogative face aux rapports et avis doctrinaux qui
proposaient de lui ôter cette faculté de châtier les auteurs des abus boursiers .
L’attitude du CMF pourrait induire en erreur en laissant croire en l’illusion d’une parfaite harmonie,
probité, transparence et intégrité du marché financier tunisien. Malheureusement, au vu de plusieurs éléments
concrets, il est permis de douter de cette vision idyllique de notre marché financier.
Une étude, commandée par le conseil du marché financier suite à une initiative conjointe avec la
Banque Mondiale et financée par un don du gouvernement Japonais dans le cadre des études liées aux
réformes du secteur financier tunisien, est assez révélatrice3609. Cette étude révèle que la pratique boursière
tunisienne montre que l’information financière annuelle se limite à la production des comptes annuels avec
des commentaires minimums, sachant que le contenu de ces comptes a été précisé par les articles 3 de loi
n°94-117 du 14 novembre 1994 et 42 du règlement du CMF relatif à l’appel public à l’épargne. D’après la
même étude, la plupart des sociétés ne satisfont pas à l’ensemble de leurs obligations. De même, beaucoup de
sociétés publient leurs informations annuelles en retard et ce, en l’absence de tout suivi, contestation ou
injonction de la part du CMF.
Aussi, à la lecture du rapport annuel de 2006, on s’aperçoit bizarrement que le conseil fait l’éloge de
«l’ancrage de plus en plus profond de la culture de la transparence dans l’esprit d’une grande partie des
dirigeants des sociétés faisant appel public à l’épargne, surtout celles admises à la cote, dont la plupart ont
pris conscience de leur responsabilité à l’égard du marché »3610. Pourtant cette année-là, 33,33% des sociétés
admises à la cote n’ont pas respecté le délai de dépôt auprès du CMF des documents approuvés par les AGO.
De même, concernant les états financiers intermédiaires devant être arrêtés au 30 juin 2006, 27,66 % des
sociétés admises à la cote de la bourse n’ont pas respecté le délai de leur dépôt auprès du CMF. Pour la même
année, le degré de respect du délai légal des déclarations de franchissement de seuils de participation était de
4,44% pour les personnes physiques et 31,11% pour les personnes morales. Idem, l’examen de la conformité
aux exigences réglementaires du contenu des rapports d’activités des sociétés, qu’elles soient admises à la
cote ou non admises, montre que les sociétés faisant appel public à l’épargne sont encore loin de satisfaire à
leurs obligations légales en la matière.
Il ressort également de la consultation du rapport annuel de 2008 que 23 émetteurs n’ont pas rendu leur
rapport annuel à temps3611.
En 2009, la situation n’a pas changé. Face aux retards sans cesse réitérés de la part de certaines
entreprises cotées en bourse3612, dans la publication des indicateurs d’activité fixés selon les secteurs, le CMF
réagit par une simple invitation à se conformer aux exigences légales faisant fi totalement de son pouvoir
d’injonction.
Dans le même ordre d’idées, la lecture du rapport annuel du conseil de l’année 2008, fait ressortir
qu’en 2005, les services de l’autorité de régulation du marché financier ont détecté des opérations d’achats et
de ventes d’une société cotée en bourse ayant pour effet une évolution significative de l’action de la société
concernée. Les investigations ont abouti à la preuve qu’un investisseur est intervenu continuellement sur le
marché avec des opérations d’achats et de ventes à travers plusieurs intermédiaires en bourse avec pour
conséquence une entrave au bon fonctionnement du marché et une évolution non justifiée du cours des
actions3613. Là encore, le CMF a fait preuve d’une absence particulièrement surprenante puisqu’il « s’est
contenté d’ordonner à l’investisseur de cesser ses agissements et de ne plus recommencer ses forfaitures à
l’avenir ». Pourtant, l’article 40 de la loi du 14 novembre 1994 autorise le conseil à prononcer des sanctions
pécuniaires à l’encontre des fauteurs.
3609
« Etude de diagnostic et de recommandations pour le développement des marchés de capitaux en Tunisie », mai 2002 disponible sur le site :
www.cmf.org.tn
3610
Rapport annuel du CMF 2006, p 41.
3611
Rapport annuel du CMF 2008, p 51.
3612
Celles-ci ne respectaient pas les dispositions de l’article 21 de la loi n°94-117 du 14 novembre 1994 portant réorganisation du marché financier
tel que modifié par la loi n°2005-96 du 18 octobre 2005 dans son article 18 qui leur impose de déposer, au conseil du marché financier et à la
bourse des valeurs mobilières de Tunis ou de leur adresser, outre les documents prévus à l’article 3 de la présente loi, des indicateurs d’activité
fixés selon les secteurs, par règlement du conseil du marché financier, et ce, au plus tard vingt jours après la fin de chaque trimestre de l’exercice
comptable. Lesdites sociétés doivent procéder à la publication desdits indicateurs trimestriels au bulletin officiel du conseil du marché financier et
dans un quotidien paraissant à Tunis aussi.
3613
Rapport annuel 2008 du CMF, p 64.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

On se demande alors quelles sont les raisons qui ont empêché l’autorité administrative d’agir ?
La réponse du conseil est donc toujours la même : une simple réponse « pédagogique »3614. Pour cette
institution, il est clair que là où des sanctions ou des injonctions devraient être prises, une simple invitation de
faire ou de ne pas faire suffit. Pas de quoi dissuader les éventuels auteurs d’abus !

788- Dans ce contexte également, la presse spécialisée se fait l’écho d’autres affaires pour le moins
troublantes mettant en exergue l’existence d’abus de marché incontestables liés aux procédés de concentration
des sociétés et ce, en dehors de toute réaction de la part du CMF qui semble toujours fidèle à son rôle de
simple spectateur.
En effet, le titre boursier SOTETEL a sauté soudainement, pendant un bon bout de temps, à la tête des
hausses à la bourse de Tunis. Ces hausses étaient dues à des rumeurs de l’imminence d’une offre publique
d’achat (OPA) sur les titres en question et d’une opération de fusion-absorption subséquente. Le CMF a réagi,
face à cette situation ombrageuse, en invitant la société à expliquer cette situation et communiquer ses preuves
si elle avait des informations pouvant justifier la hausse constatée. La SOTETEL a démenti, par communiqué,
l’existence d’un fait important susceptible, s’il était connu, d’avoir une incidence significative sur le cours
boursier. Le titre SOTETEL a alors chuté considérablement, durant les jours suivant la publication de ce
communiqué. Pourtant, là encore le CMF n’a pas donné suite et n’a rien fait pour arrêter cette manipulation
des cours constitutive d’abus de marché. Une enquête aurait surement dû être diligentée pour savoir qui a
propagé ces rumeurs. Aussi, savoir qui a profité des hausses du cours du titre aurait pu aider le CMF dans ses
recherches. Une bonne volonté du CMF était de mise pour frapper sur les mains des fauteurs. Mais encore une
fois notre conseil n’a pas bougé d’un cran ! Vainement on a essayé de trouver une explication à ce laxisme
dont fait preuve l’autorité de régulation. Il est inconcevable que notre marché financier puisse être manipulé
par des spéculateurs propageant des rumeurs et profitant, de la sorte, des oscillations du cours du titre ciblé3615
et ce, face à une « démission » plus ou moins troublante de l’autorité de régulation.
Plus récemment, l’énigme de l’envolée démesurée et soudaine de la valeur de l’action de la société
mère ELECTROSTAR n’a pas interpellé pour autant le CMF. En effet, en dépit d’une situation financière
négative et un taux d’endettement plus qu’alarmant, le cours de Bourse de cette société a connu une hausse
très importante. Alors que le titre était coté à 3,700 dinars le 12 mars 2012, sa valeur a grimpé à hauteur de
16,260 dinars, le 9 mai de la même année. Chaque jour, 20 000 titres en moyenne ont changé de main, contre
moins de 500 au cours des deux mois qui ont précédé. Cette toute petite valeur, peu liquide, a vu sa part dans
les échanges multipliée par 503616 et ce, bien que la situation financière du groupe ELECTROSTAR était assez
difficile vu l’endettement assez important des sociétés groupées. Bizarrement, et encore une fois de plus,
aucune enquête n’a été déclenchée pour connaître les raisons ayant conduit à cette hausse déraisonnable. Le
CMF s’est contenté, comme il l’a toujours fait semble-t-il, d’inviter la société mère concernée à expliquer les
mouvements en bourse observés récemment sur ses titres. En réponse à la lettre du conseil du marché
financier, la société a communiqué ce qui suit : « La société ELECTROSTAR informe ses actionnaires
qu’aucune information ou évènement n’est intervenu, susceptible de provoquer une telle hausse du cours et
des titres échangés ou de l’expliquer »3617. Aucune explication n’est donc donnée à cette envolée mystérieuse
du prix de l’action de cette société et le CMF demeure dans sa réticence inexpliquée et inexplicable.

789- Le constat est là, plusieurs abus de marché sont perpétrés au sein de la bourse tunisienne ; un
nombre encore trop important d’émetteurs ne se conforment pas aux exigences légales en matière
d’information financière ; un nombre non moins important de sociétés faisant appel public à l’épargne privent
les investisseurs d’informations sur la situation réelle de l’entreprise et osent même propager des informations
fausses et des rumeurs, le tout sous le regard impuissant du conseil du marché financier.

3614
BEN HEDI (R), Tunisie : le CMF rappelle, une fois encore, aux entreprises leurs obligations, 13/01/2009, disponible sur le site :
http://www.businessnews.com.tn/BN/BN-lirearticle.asp?id=l 086180
3615
BAHLOUL (N), Le marché boursier tunisien ressemble-t-il à un jouet entre les mains de spéculateurs ?, article disponible sur le site suivant :
http://www.businessnews.com.tn/details _article.php?=t=520&a=22112 &temp=1 &lang=&w ,20/l0/2010
3616
MAURY (F), Electrostar, un mystère qui électrise le marché, 25 avril 2012, article disponible sur le site suivant :
http://www.jeuneafrigue.comlArticje/JA2674p128-129.xm10/. ; BEN HEDI (R), Bourse de Tunis : Suspension de la cotation d’Electrostar, V.
http://www.businessnews.com.tn/Bourse-de-Tunis--Suspension-de-la-cotation -d%E2%80%99Electrostar,520,30975,3.
3617
Communiqué du CMF du 30 mars 2012, disponible sur le site suivant :
http://www.cmf.org.tnlpdf/publication_cmf/eommunique_cmf/comste_3003 I 2_ELECTROSTAR.pdf

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

L’efficacité de la sanction en matière de prévention de la délinquance passe par deux canaux


principaux : la neutralisation et la dissuasion. Personne ne conteste aujourd’hui que la « certitude » de la
sanction a un effet préventif important. Plus la probabilité d’être arrêté et condamné augmente, plus la
délinquance diminue. Ces deux canaux d’efficacité sont totalement défaillants au sein de la place financière
tunisienne.
Abstraction faite de la comparaison avec l’Autorité des marchés financiers française, le parallèle avec
le conseil de la concurrence met en épigraphe l’inaction du CMF. En effet, à plusieurs reprises le conseil de la
concurrence a prononcé des sanctions à l’égard d’entreprises qui se rendent coupables de pratiques abusives.
Ainsi, dans une décision n°3146 en date du 27 mars 2004, le conseil de la concurrence a infligé à une société à
laquelle il reproche un abus de position dominante, une peine d’amende de l’ordre de 100.000 dinars. Le
conseil a en outre obligé cette société à publier la décision de sanction dans deux quotidiens. De même, dans
sa décision n°81168 en date du 20 mai 2010, le conseil de la concurrence a sanctionné la société « Mecanica »
d’une peine d’amende pour des pratiques portant atteinte à la concurrence, entre autres un abus de domination,
d’une peine d’amende de 80.000 dinars. Aussi, dans l’affaire n°2137 du 27 mars 2003, le conseil de la
concurrence a infligé à 13 entreprises condamnées des sanctions pécuniaires allant de 2900 dinars à 63100
dinars, calculées selon leur contribution aux pratiques dénoncées et selon le chiffre d’affaires de chacune
d’elles réalisé sur le territoire tunisien, durant le dernier exercice réalisé3618. Dans une autre affaire, objet de la
décision n°81180 en date du 22 juillet 2010, le Conseil de la concurrence a prononcé à l’égard de plusieurs
sociétés productrices de livres scolaires, appartenant à un même groupe de sociétés, des sanctions pour entente
illicite et abus de puissance économique consistant en des peines d’amende allant de 5000 à 80000 dinars3619.
Contrairement au CMF aussi, le conseil de la concurrence a introduit à plusieurs reprises des
engagements et émis des injonctions dans plusieurs opérations de concentrations. A titre d’exemple, on peut
citer son avis relatif au projet de participation par les sociétés « Total » et « Mobil » dans le capital de la
Société « Esso Lubrifiants Tunisie ». Le conseil a imposé au nouveau groupe pétrolier ce qui suit : éviter toute
pratique tarifaire discriminatoire entre les clients associés et les clients non associés de la société « Esso
Lubrifiants Tunisie » ; supprimer de l’accord la clause relative à l’exigence de la majorité des trois quarts pour
signer avec les sociétés tierces non actionnaires des contrats de fabrication, de conditionnement et de
fournitures des lubrifiants ; améliorer les conditions de services offerts aux consommateurs…3620. En
imposant ces engagements, le conseil de la concurrence avait pour objectif de limiter et maitriser la puissance
économique acquise par le nouveau groupe pétrolier. Il avait aussi essentiellement pour but d’affaiblir la
domination du marché, par le nouveau groupe pétrolier en la rendant plus aisément maitrisable3621.

790- L’autorité de régulation se doit d’utiliser toute la panoplie de moyens mis, par le législateur, à
sa disposition. A défaut, le sentiment d’impunité qui prévaut depuis longtemps ne pourra que perdurer et nuire
au bon fonctionnement du marché financier.
Toutes ces raisons font que l’autorité de régulation du marché boursier doit renforcer le suivi de
l’information permanente actuellement livrée à la volonté totale des émetteurs. Elle doit, à ce niveau, être
davantage à l’écoute du marché en mettant en place une cellule de suivi et de collecte d’informations qui soit
constamment en contact avec les intermédiaires et la Bourse et ce, afin d’obliger les dirigeants à confirmer ou
démentir de manière officielle et rapide les rumeurs pouvant influencer les cours. L’autorité administrative se
doit surtout de mettre en place et appliquer le pouvoir de sanction dont elle a été dotée3622.
Le CMF en a peut-être pris conscience et semble lentement s’engager dans la voie d’une plus grande
fermeté. Ainsi, dans une décision récente, le conseil a enfin décidé de sévir et d’exercer ses pouvoirs de
sanction et ce, suite au défaut de déclaration par un investisseur dans le délai réglementaire du franchissement
du seuil de participation de 5%. Le CMF a décidé de priver l’investisseur intéressé ainsi que les personnes
3618
V. aussi la décision du conseil de la concurrence n° 2136 du 17 juillet 2003, rapport annuel de 2003, p 41 à 45 et la décision n° 2145 du 25
décembre 2003, même rapport, p 53 à 57.
3619
JAIDANE (R), L’influence du droit français sur le droit tunisien des concentrations économiques, Revue internationale de droit économique,
2002, p 655.
3620
Rapport annuel du conseil de la concurrence n°6, avis n°2266, 2004, p 190.
3621
Il convient toutefois de remarquer que, bien que les engagements et remèdes adoptés par l’autorité de la concurrence soient d’une importance
majeure dans la mesure où ils servent de modérer le processus du projet ou de l’opération de concentration et restreindre ses éventuels effets
anticoncurrentiels, la loi reste silencieuse sur les moyens dont dispose le conseil de la concurrence pour enjoindre les entreprises à respecter leurs
engagements ou injonctions.
3622
« Etude de diagnostic et de recommandations pour Je développement des marchés de capitaux en Tunisie », mai 2002 p 128. Disponible surie
site g www.cmf.org.tn

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

avec lesquelles il a agi de concert de l’exercice de leur droit de vote au titre des actions détenues en
franchissement du seuil de 5% du capital de la société mère « SOTUVER ». Le conseil a aussi prononcé une
sanction pécuniaire de mille dinars à l’encontre de l’errant3623.
Mettre en œuvre le pouvoir de sanction et d’injonction conditionne certainement la crédibilité de
l’autorité de surveillance des marchés ainsi que l’avenir de la place financière tunisienne. Surtout que le
contexte risque de se compliquer avec l’internationalisation des marchés financiers. La double cotation de
Tunisie Telecom, à la BVMT et Euronext Paris3624, unique en son genre avec celle de la société Ennakl3625,
augure peut-être de nouvelles complications que devra apprendre à gérer le conseil dans un futur plus ou
moins proche.

791- En Tunisie, l’absence de décisions de sanction témoigne de l’inefficacité du CMF. Les


procédures de sanctions n’ayant pas été mise en œuvre, elles ne sont pas éprouvées. En effet, la sanction
administrative n’a pas, à notre connaissance, été mise en œuvre. Elle n’a, par conséquent, pas fait preuve de
son efficacité et efficience.
Le conseil du marché financier fait preuve d’un manque de fermeté dans l’exercice de la mission dont
l’a investie le législateur. Aucune poursuite n’a été diligentée à l’encontre des sociétés faisant appel public à
l’épargne ou de leurs dirigeants jusqu’au jour d’aujourd’hui.
L’efficacité de l’action de l’Autorité de régulation des marchés financiers dépend en grande partie des
sanctions que celle-ci est capable de prononcer. En effet, le pouvoir de sanction est la base sur laquelle repose
toute l’action des autorités de régulation des marchés financiers. Plus ce pouvoir est étendu plus l’action de
l’autorité devrait être efficace. Plus les sanctions que cette autorité est capable de prendre sont dures, plus son
pouvoir dissuasif sera grand et efficient
Malheureusement, le CMF ne semble pas accorder l’importance nécessaire à son pouvoir de sanction.
En effet, il est assez souvent réticent à sanctionner les auteurs des abus boursiers. Une réticence qui, combinée
aux faibles sanctions que le conseil peut prononcer, font que les sanctions administratives en matière boursière
n’ont qu’un faible pouvoir dissuasif en Tunisie.
Peut-être aussi que l’inaction du CMF était imposée par le régime autoritaire qui était en place en
Tunisie. L’avènement de la révolution du Jasmin changera certainement la donne et sera annonciateur d’une
nouvelle ère d’action et de rigueur pour le CMF.

792- Faut-il remarquer également que les prérogatives et les pouvoirs du CMF peuvent-être aussi
source d’arbitraire dans la mesure où le conseil exerce simultanément des fonctions qui sont
traditionnellement réparties entre différents organes et ce, en vertu du principe de la séparation des pouvoirs.
En effet, le CMF est habilité à édicter des règlements, à contrôler la bonne application de sa réglementation et
à sanctionner son inobservation. Le CMF exerce en outre les fonctions d’investigation et d’audition en jouant
le rôle de l’officier de la police judiciaire.
Dans le cadre d’un tel cumul, il paraît difficile de garantir l’objectivité, l’impartialité et l’efficacité tant
requises des décisions.

793- En définitive, il apparait clair que l’autorité tunisienne de régulation du marché financier
semble abandonner, sans raisons, son pouvoir de sanction. A cet état de fait, s’ajoute le faible quantum des
sanctions administratives, la publication facultative des décisions et l’échappatoire facile à l’application de la
sanction prononcée aux personnes morales lorsqu’elles décident de se scinder ou de fusionner. Que faut-il de
plus pour conclure à l’inefficacité du régime actuel des sanctions administratives des abus dans les procédés
de concentration des sociétés. La question qui se pose alors consiste à savoir quels sont les remèdes ou les
solutions possibles ?

3623
Décision du conseil du marché financier datant du 31 décembre 2009 dont l’annonce est disponible sur le site internet suivant :
http://www.cmf.org.tnipdf/publicationcmf/communiquecmf/com311 209_Franchissement_du_seui_de_participation.pdf. On aurait préféré que le
CMF publie le texte intégral de la décision de sanction comme le font ses homologues étrangers en France ou aux USA.
3624
Tunisie Telecom lance son entrée en bourse à Paris et Tunis. V. http://www.1eaders.com. tn/article/tunisi e-telecom-lance-son-entree-en-
bourse-a -paris –et-tunis ?id3490.
3625
Ennakl est entré en bourse via une double cotation à la Bourse de Tunis et à la Bourse de Casablanca, au moyen d’une ouverture de son capital
au public à hauteur de 40 % (30 % placé en Tunisie et 10 % au Maroc), par la cession de 9 000 000 d’actions au prix unitaire de 10, 700 dinars
l’action pour la Tunisie et de 3 000 000 d’actions à 64,22 dirhams au Maroc et ce en juin 2010. Voir http://www.Ieaders.com.tn/article/double-
cotation-du-tunisien-ennakl-automobiles-a-la-bourse-detun i s-et-a-la-bourse-de-Casablanca

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Sous-section deuxième : Thérapeutique des sanctions


administratives des abus dans les procédés de
concentration
794- Si pour longtemps le monde de la justice et le monde des affaires se sont méprisés, il est temps
qu’ils se comprennent et s’entendent non seulement pour faire face aux délinquances économiques à
l’intérieur, mais aussi pour freiner les agissements nuisant au développement d’une économie transnationale.
Une économie universelle nécessite que l’action répressive des Etats soit identique et unifiée. La Tunisie qui
s’associe au processus économique mondial doit adapter son système à une économie de marché. Par
conséquent, elle doit accommoder ses moyens au nouveau contexte mondial. Or, les sanctions administratives
en matière économique sont en expansion continue dans la plupart des systèmes comparés, ce qui témoigne de
leur efficacité. N’est-il pas, dés lors, nécessaire de développer les sanctions administratives pour faire face aux
abus, surtout en matière financière, au lieu de les marginaliser par une inefficience des plus remarquables ?

Les sanctions administratives économiques sont d’existence réelle mais aux contours imprécis :
Domaines étroits, autorités ambigües, catégories ambivalentes… l’imprécision est à son plus haut degré. Ne
souffrent-elles pas d’une infirmité congénitale : celle qui résulte de la confusion de genre ?
L’appréciation de la portée de ces sanctions ne doit donc s’entamer qu’avec vigilance particulière. Or,
pour qu’elles soient efficientes et efficaces, les sanctions administratives économiques doivent-être
suffisamment proches de la date des faits, adaptées à la gravité de ceux-ci et au domaine auquel elles
s’appliquent et doivent-être bien comprises par les opérateurs économiques.
Le défaut d’une systématisation des sanctions administratives économiques est à l’origine de son
déficit. Elles ne sont prévues que cas par cas, selon le domaine réglementé et l’intérêt économique protégé.
L’application de cette politique, en matière économique, peut diminuer encore plus le rôle des sanctions
administratives. Aussi la perplexité du législateur à consacrer les sanctions administratives adéquates est
génératrice d’un obstacle supplémentaire qui ne fait qu’aggraver davantage une situation déjà difficile.
Le ralliement à la consécration de sanctions administratives économiques doit nécessairement
s’accompagner de certaines solutions. D’une part, l’adoption d’une loi cadre sur les sanctions administratives
peut s’accommoder avec la velléité d’unification à laquelle postule le présent travail. Le droit comparé, avec
la diversité des systèmes, a opté en faveur de cette solution qui s’inscrit dans le cadre de la politique de
dépénalisation. Il en est ainsi en droit allemand, italien, portugais3626… D’autre part, rendre automatique la
publication des décisions du CMF et du conseil de la concurrence, à l’instar de ce qui prévaut en France3627,

3626
Le système allemand est « typique » sur ce plan. La logique de substitution des sanctions administratives aux sanctions pénales par la voie de
dépénalisation se manifeste clairement. La singularité et la novation du système résident dans la possibilité de substituer purement et simplement
les sanctions administratives aux sanctions pénales. La tâche est facilitée par l’unification de toutes les « infractions réglementaires » ou « à
l’ordre » dans une loi cadre. Ces infractions sont sanctionnées par des amendes administratives. La réussite est alors effective. Les tribunaux sont
libérés de l’encombrement par application de la réglementation administrative. Le législateur italien a agit dans la même logique. Par la loi du 24
novembre 1981 il a institué un système d’infractions administratives. Le législateur a remplacé plusieurs sanctions pénales par des sanctions
administratives. Toute contravention ou délit puni par la seule peine d’amende est considéré infraction administrative sanctionnée par une amende
administrative. V. GENEVOIS (B), La sanction administrative en droit français, A.P.C, 1984, p 73 ; DELMAS-MARTY (M), De quelques
aspects de la dépénalisation actuelle en France, RSC, juillet-septembre, 1989, p 650.
3627
En droit français la dissuasion s’opère également à travers, la possibilité donnée à la commission des sanctions de rendre publique sa décision,
aux frais des personnes sanctionnées, par des insertions dans des publications, journaux ou supports qu’elle désigne (article L. 621-15-V du code
monétaire et financier ). Cette mesure est très redoutée par les professionnels. La publication des sanctions prononcées a été rendue automatique
par la loi du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière. Le principe est néanmoins accompagné d’un tempérament. En effet, lorsque la
publication en question sera susceptible « de perturber gravement les marchés financiers ou de causer un préjudice disproportionné aux parties en
cause », la décision de la Commission pourra l’écarter (CAPDEVILLE (J-L), Présentation générale de la loi de régulation bancaire et financière,
Op.cit., p. 3). Les éventuels auteurs des manquements aux réglementations de l’AMF devraient donc y réfléchir à deux fois avant de commettre
leur larcin car leur réputation est en jeu si leurs infractions sont découvertes par l’autorité administrative. Toujours, dans un souci de transparence
et pour obtenir un effet dissuasif, la loi du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière a rendu les séances de la Commission des sanctions,
par principe, publiques. Ce qui n’était pas le cas avant la promulgation de cette loi. Mais, ce principe n’est pas absolu et les séances ne seront pas
constamment publiques. Car, d’office ou sur la demande d’une personne mise en cause, le président de la formation saisie de l’affaire pourra
interdire au public l’accès de la salle pendant tout ou partie de l’audience et ce, lorsque l’ordre public, la sécurité nationale ou lorsque la protection
des secrets d’affaires ou de tout autre secret protégé par la loi l’exigera. Au final, les sanctions prononcées par l’AMF se révèlent dissuasives grâce
à leur fort montant et à la publicité qui est faite autour d’elles.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

serait une bonne initiative de la part du législateur dans sa lutte tous azimuts contre les abus, surtout en
matière de procédés de concentration des sociétés.
Aussi, l’institution d’un texte général qui reconnaitrait la responsabilité administrative et pénale de la
société personne morale issue d’une opération de fusion, scission ou transformation pour les abus commis par
la personne morale dissoute et ce, chaque fois qu’il est prouvé que les dites opérations n’avaient pour objectif
que d’échapper aux responsabilités inhérentes à la commission d’un abus, serait plus que souhaitable en l’état
actuel du droit tunisien.

D’autres solutions plus réfléchies sont également de mise. En effet, en France des améliorations
notables ont été réalisées afin de rendre plus efficace l’action des autorités de régulation, en matière
économique, et de sanctionner ainsi convenablement les pratiques abusives. Mais faire face aux infractions
économiques, spécialement en matière de concentration des sociétés, commande une amélioration continue de
l’action des autorités de régulation. Des améliorations qui devraient aussi être prises en compte par le
législateur tunisien car elles sont susceptibles d’améliorer l’efficacité de l’action aussi bien du conseil du
marché financier que du conseil de la concurrence.
Dans un premier temps, nos autorités administratives devraient-être dotées du pouvoir de sanctionner
les tentatives d’abus à l’instar du droit français (-§1-). Ensuite, en vue de protéger les intérêts des victimes des
infractions boursières et concurrentielles et leur éviter de lourdes procédures au pénal ou au civil, le CMF et le
conseil de la concurrence devraient être dotées du pouvoir d’indemniser les personnes lésées par les abus
(-§2). Enfin, un pouvoir de transaction serait aussi le bienvenu, surtout en matière de concentration des
sociétés (-§3-).

-§1- : Pour une consécration des tentatives d’abus en matière de


concentration des sociétés
795- Les tentatives d’abus boursiers ne peuvent être sanctionnées par le conseil du marché financier
en Tunisie. En effet, la loi n°94-117 du 14 novembre 1994 portant réorganisation du marché financier ne
prévoit pas la possibilité de sanctionner les tentatives de manquements d’initié ; de communication d’une
information privilégiée ; de manipulation des cours ou encore les tentatives de propagation de fausses
informations. De même, le règlement du CMF relatif à l’appel public à l’épargne ne sanctionne nullement la
tentative d’abus de marché. C’est ce qui ressort de la lecture de l’article 47 du règlement. Celui-ci interdit
uniquement le fait d’«exploiter» ou de communiquer l’information privilégiée. Il s’en suit que tenter
d’exploiter ou de communiquer une information privilégiée ne devrait pas prêter à conséquence. Tel est le cas
également en matière concurrentielle où les tentatives d’abus de puissance économique ne sont nullement
réprimées sur le plan administratif.
En France, la situation était similaire au droit tunisien dans la mesure où la tentative d’abus du marché
n’était pas directement visée par les textes. Cela n’avait pas empêché l’AMF et les tribunaux de sanctionner
des manquements d’initiés qui n’avaient rien rapporté à leur auteur, l’infraction ayant été consommée. L’AMF
tenait seulement compte de cette absence de profit dans le quantum de l’amende pécuniaire infligée3628. Mais,
la tentative va bien entendu au-delà de ce cas de figure et désormais depuis la loi n° 2005-842 du 26 juillet
2005 pour la confiance et la modernisation de l’économie, dite loi Breton, la tentative de délit d’initié est
devenue punissable par l’autorité de régulation, alors que la même tentative n’est pas punissable par le juge
pénal. En effet, les dispositions de l’article L. 621-15 du code monétaire et financier permettent à l’AMF de
sanctionner non seulement toute personne qui s’est livrée mais aussi toute personne qui a tenté de se livrer à
une opération d’initié. Il reste que le même texte se contente d’accorder à l’AMF la possibilité de punir l’abus
de manipulation de cours ou de diffusion d’une fausse information sans en sanctionner la tentative. Une telle
différentiation n’a pas lieu d’être. Sur ce point, on peut s’étonner de l’absence d’incrimination de la tentative
de manipulation de cours sur le plan administratif, alors que la tentative de délit d’initié l’est. En effet, il
semble plus simple de concevoir une tentative concernant la manipulation de cours que des cas concrets de
tentative d’opération d’initié3629.
3628
BUCHER (F), De quelques aspects de droit boursier issus de la loi n° 2005-842 du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de
l’économie, dite loi Breton, et la loi n° 2005-811 du 20 juillet 2005, Bull. Joly Bourse 2005, p 688 et s.
3629
Ibidem.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

796- En droit tunisien, il faut rappeler à cet égard les dispositions de l’article 59 du code pénal qui
dispose que « toute tentative d’infraction est punissable comme l’infraction elle-même si elle n’a été
suspendue ou si elle n’a manqué son effet que par des circonstances indépendantes de la volonté de son
auteur. Toutefois, la tentative n’est pas punissable, sauf disposition contraire de la loi, dans les cas où
l’infraction ne comporte pas plus de 5 ans de prison».
Puisque les abus boursiers et concurrentiels sont des délits dont la sanction est inférieure à 5 ans de
prison, leur tentative n’est donc pas réprimée sur le plan pénal. Elle ne l’est d’ailleurs pas sur le plan
administratif, cela résulte de la lettre même des articles 34 et 40, respectivement de la loi n°91-64 et la n°94-
117. Ces deux articles répriment la commission de l’abus et non point la tentative.
A ce niveau, la Cour de cassation confirme que le commencement d’exécution est constitué par tout
acte qui tend directement au délit lorsqu’il a été accompli avec l’intention de le commettre. Il n’est pas
nécessaire que l’acte soit en liaison directe avec l’infraction et ce, même, s’il ne s’agit pas d’un de ses
éléments constitutifs3630. Peut-être pourrait-on considérer qu’il y a tentative d’opération d’initié, par exemple,
lorsque le détenteur d’une information privilégiée, relative à une opération de fusion imminente, propose de
vendre ou d’acquérir de gré à gré des titres cotés ou donne un ordre de Bourse qui n’est pas exécuté pour des
raisons indépendantes de sa volonté3631.
La règlementation boursière tunisienne devrait donc permettre au CMF de sanctionner toutes les
tentatives d’abus en matière boursière. Cela conférerait plus d’efficacité et participerait au pouvoir de
dissuasion de l’autorité de régulation. Il en est de même du conseil de la concurrence qui devrait-être doté, à
son tour, du pouvoir de sanctionner les tentatives d’abus de domination. La répression administrative des
tentatives d’abus de puissance économique accorderait, à non point douter, au conseil de la concurrence plus
d’efficacité dans son action répressive. Faut-il rappeler à ce niveau que la section 2 du «Sherman Act» interdit,
aux Etats-Unis, « toute création de monopole, toute tentative de création de monopole ou toute entente visant
à créer un monopole »3632.
En commentant l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 09/03/2010, M. Decoqc a conclu que la tentative
d’abus de domination devrait-être expressément punissable en droit français de la concurrence et a prôné
l’ajout d’un texte de loi dans cette direction3633. La même proposition serait la bienvenue en droit de la
concurrence tunisien, surtout pour lutter contre les tentatives d’abus de puissance économique liées aux
précédés de concentration des sociétés.

797- Cela dit, l’amélioration la plus importante à apporter aux pouvoirs des autorités de régulation
tunisiennes serait de leur accorder la possibilité d’indemniser les victimes des abus. En effet, « la sanction est
importante mais elle n’est qu’une des facettes de la justice »3634. Assurer une bonne indemnisation des
victimes d’abus est tout aussi important que de sanctionner les auteurs des agissements répréhensibles. Il est
donc intéressant de s’interroger sur le rôle que peut jouer l’autorité administrative dans la réparation des
préjudices subis par les victimes des abus dans les procédés de concentration des sociétés ?

-§2- : Pour l’octroi d’un pouvoir d’indemnisation aux autorités


de régulation

‫دي‬q$ ‫ ان‬K [O M ‫ ا ] دة و‬+ ^ ‫ ا‬U ‫ إ‬O $‫و‬ ‫ا‬ g‫ ل وا‬#G[ ‫د ا م‬ M


‫ و‬V] + ‫ وع‬3 ‫ ا‬8G ‫ » إن ا ء‬: 1987/02/10 = ‫ _رخ‬21343 ‫(د‬3 ‫ا‬M9 61@7; ‫ ار‬3630
‫ا‬M9 61@7; ‫ار‬ : F+‫ أ‬6‫ُ اﺟ‬+ .193 ‫ ص‬،1987 ،2 ‫ د‬N 8 ‫ ا 'ا‬9! ‫ ا‬،‫ ن م ت‬. « K$‫ذا‬
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‫ ق ج‬227 V]/ ‫ ردھ ا‬+ 9 #7‫ا‬ 4 # + ‫ ط‬K‫ اط‬O‫أم و ا‬ $ 9K ‫ ول ا‬N ‫اذا‬ ‫ ا‬g $ 9 ‫ و‬.a$‫ اراد‬MN ‫رج‬ [ a #G ‫ ب‬$‫ ار‬MN ‫م‬ ‫ ' ا‬#+ ‫ ان‬U‫ا ن ھ‬
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3631
RONTCHEVSKY (N), Révision des délits et manquements boursiers, Banque et Droit, n° 108, juillet-août 2006, p. 18.
3632
“Every person who shall monopolize, or attempt to monopolize, or combine or conspire with any other person or persons, to monopolize any
part of the trade or commerce among the several States, or with foreign nations, shall be deemed guilty of a felony and, on conviction thereof,
shall be punished by fine not exceeding $10,000,000 if a corporation, or, if any other person, $350,000…”. V.
http://www.stolaf.edu/people/becker/antitrust/statutes/sherman.html.
3633
DECOCQ (G), La tentative d'abus de position dominante est punissable (CA Paris, 9 mars 2010), JurisClasseur, Lexis nexis,
n°5, mai 2010, p 24.
3634
JOUYET (J-P), La place de la sanction dans la régulation des marchés financiers, Bull. Joly Bourse, 01 décembre 2009, n° Spécial, p 419.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

798- Dire que la politique de sanction des autorités administratives relève plus de la répression que
de l’indemnisation des victimes est une vérité. En effet, si l’autorité de régulation dispose de pouvoirs
coercitifs importants, on ne peut en dire autant pour ce qui est des possibilités dont elle dispose pour
indemniser les victimes de ceux qu’elle sanctionne. Les autorités de régulation ne se soucient guère des
victimes des abus. Le rôle du conseil de la concurrence se limite à la protection du pouvoir concurrentiel des
entreprises intervenant sur le marché de la concurrence. Le conseil ne se soucie généralement pas des
consommateurs. Celui du CMF est plutôt tourné vers la protection de «l’épargne investie en valeurs
mobilières, produits financiers négociables en bourse et tout autre placement donnant lieu à appel public à
l’épargne »3635. Le CMF ne se préoccupe souvent pas des épargnants. Tout au plus, la loi habilite les autorités
de régulation à recevoir de tout intéressé les pétitions et plaintes qui entrent, par leur objet, dans leur
compétence3636. Mais là encore, leur pouvoir reste discrétionnaire car l’autorité de régulation est libre de
donner les suites qu’elle considère adéquate dans le délai légal.
Le conseil de la concurrence et le CMF souffrent donc de l’absence d’une dimension réparatrice qui
serait bien utile dans une optique de renforcement de la confiance de l’investisseur et du consommateur dans
les marchés tunisiens, surtout en matière de concentration où le préjudice se compte en millions de dinars !
D’ailleurs, les sanctions administratives infligées à l’encontre des auteurs d’abus boursiers ou concurrentiels,
ne se préoccupent guère du sort des victimes dans la mesure où les amendes édictées ne sont pas restituées aux
victimes des infractions sanctionnées, mais versées au Trésor public.
Une évolution en la matière n’est-elle pas souhaitable ? Associer les autorités administratives à
l’indemnisation des victimes d’abus dans les procédés de concentration permettrait sûrement une amélioration
de leur situation, éventuellement complétée en parallèle par l’introduction d’un mécanisme d’action
collective3637.

799- Il faut remarquer que la question ne désintéresse pas totalement l’autorité de régulation
financière française. Dès 1991, en effet, la COB avait commandé un rapport sur ce thème. Celui-ci avait
conclu à ce qui semble être une évidence, c’est-à-dire l’ «absence quasi-totale de réparation civile des
dommages causés aux investisseurs »3638. Une lacune qui était expliquée par la difficile démonstration d’un
lien de causalité entre l’usage réprimé, le dommage subi et l’absence de mécanismes procéduraux adaptés, en
particulier l’impossibilité pour les investisseurs victimes de se grouper.
Malgré ce constat plusieurs fois renouvelé, les réformes législatives successives n’ont pas fait
progresser la situation des victimes d’abus boursiers. A l’instar, des amendes infligées autrefois par la COB,
les sanctions pécuniaires prononcées, aujourd’hui, par l’AMF sont versées au Trésor public et ne contribuent
pas à l’indemnisation de leurs victimes.
La situation est similaire en droit tunisien. Certes, les autorités administratives, CMF et conseil de la
concurrence, sont des acteurs, sinon majeurs, au moins incontournables de la répression des abus dans les
procédés de concentration des sociétés. Néanmoins, les sanctions pécuniaires infligées par ces autorités sont,
dans tous les cas, versées au Trésor public et ne contribuent en rien à l’indemnisation des victimes de ces
abus. Jusqu’à quand cette situation étriquée va-t-elle perdurer ?

800- Que ce soit en Tunisie ou en France, concernant le marché financier ou son homologue
concurrentiel, l’apport des autorités administratives à l’indemnisation des personnes lésées par des pratiques
abusives demeure limité au fait que ces victimes ne peuvent que s’appuyer sur une sanction prononcée par
l’autorité de régulation pour éventuellement demander au juge judiciaire l’indemnisation de leur préjudice.
Les propos de deux auteurs s’avèrent particulièrement congrus sur cette question. Ces derniers avancent que :
«l’objectif recherché -par le législateur en matière financière- est patent : protéger l’activité et non les
acteurs, l’investissement et non les investisseurs, l’épargne et non les épargnants... » 3639. C’est peut-être sur
ce point qu’il faudrait que le débat se place. L’autorité administrative se doit de prendre en considération les

3635
V. article 23 de la loi n° 94-117 du 14 novembre 1994.
3636
V. article 34 de la loi du 14 novembre 1994.
3637
V. supra, n° 729.
3638
ROBERT (M-C), La réparation civile des infractions boursières, In « La criminalité d’argent : quelle répression ?», Actes du Colloque tenu
par la première chambre de la cour d’appel de Paris le 14 novembre 2003, Ed. Montchreslien, Coll. Grands colloques, déc. 2004, p. 76, spéc. p. 75-
76 cité par LEDOUX (P), ARSOUZE (CH), L’indemnisation des victimes d’infractions boursières, Bull. Joly Bourse, 01 juillet 2006, n°4, p. 399.
3639
DEFFAINS (B) et STASIAK (F), Les préjudices résultant des infractions boursières : approches juridique et économique, In « Le droit au
défi de l’économie », sous la direction de Chaput (Y), Droit économique, Publications de la Sorbonne, 2002, p. 177

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

victimes des usages abusifs, car la justice ce n’est pas seulement de sanctionner les auteurs des abus mais
aussi d’indemniser convenablement leurs victimes.
Le législateur devrait peut-être, s’inspirer de la Securities and Exchange Commission (SEC)
américaine. En effet, en dépit d’un pouvoir de sanctions particulièrement limité, la (SEC) peut, le cas échéant
saisir les juridictions civiles afin de réclamer la réparation du préjudice subi au nom des victimes. En cas de
succès, sauf interruption avant que la procédure n’arrive à son terme par la conclusion d’une transaction, cette
demande peut entraîner des class actions3640 au terme desquelles les fautifs peuvent être amenés à payer aux
victimes des dommages-intérêts très élevés. Dans plusieurs affaires très médiatiques, le modèle de la SEC a
montré les mérites d’une procédure rapide et efficace3641. A cet effet, l’exemple du traitement par la SEC de
l’affaire du Groupe de sociétés mondial « Vivendi Universal » est éclairant. Le 23 décembre 2003, la SEC
avait assigné et immédiatement transigé une action en responsabilité civile contre Vivendi Universal et ses
anciens présidents et directeurs financiers. La société a accepté de payer 50 millions de dollars de dommages
et intérêts3642 et chacune des personnes physiques a dû s’acquitter de plus d’un million de dollars d’amende.
Ces sommes ont servi à l’indemnisation des victimes des abus et ont été reversées aux actionnaires
trompés3643.

801- La difficile prise en compte des victimes de l’abus dans notre système législatif, si elle
s’explique par la volonté prédominante de vouloir sanctionner les comportements abusifs plutôt que de
permettre leur réparation, peut trouver également son origine, en matière financière, dans les réticences
traditionnelles de la société tunisienne face au jeu boursier et à la notion de spéculation qui l’entoure.
Cependant, l’insuffisance de notre droit à assurer la juste indemnisation des investisseurs « abusés » ne paraît
pas acceptable, notamment eu égard aux enjeux existants. A l’ère de la mondialisation des marchés et des flux
financiers transnationaux, il ne s’agit pas simplement d’attirer de nouveaux capitaux mais surtout de ne pas en
entraîner leur fuite vers d’autres marchés qui offrent de meilleures opportunités de réparation.
Des évolutions sont donc appelées de vive voix, d’autant plus que, dans un premier temps, de profonds
changements ne s’avèrent pas forcément nécessaires. De simples infléchissements ou assouplissements de la
législation pour y intégrer la dimension réparatrice seraient porteurs d’une amélioration très nette de la
situation des investisseurs victimes d’abus dans les procédés de concentration des sociétés. Les mécanismes
légaux de la responsabilité civile et du droit judiciaire privé, s’ils soulèvent certes des difficultés, ne
constituent pas véritablement en soi des obstacles à l’indemnisation de ces victimes.
On s’abstiendra d’affirmer comme l’a fait un auteur que les autorités administratives, CMF et conseil
de la concurrence, devraient abandonner leurs rôles coercitifs au profit du juge pénal pour se focaliser sur la
réparation du préjudice subi par les nombreuses victimes des abus, surtout en matière de concentration des
sociétés3644. Il n’en demeure pas moins que les autorités de régulation tunisiennes devraient s’intéresser plus
au sort des victimes. Elles gagneraient aussi à être dotées d’un pouvoir de transaction.
-§3- : Pour un pouvoir de transaction des autorités de régulation
802- Comme leurs homologues français et américain, le conseil de la concurrence et le conseil du
marché financier tunisiens devraient être munis, chacun de son côté, d’un pouvoir de transaction. Un tel
pouvoir pourrait en effet, participer à conférer à l’action desdits conseils plus d’efficacité3645.
Dans le marché financier, la transaction est totalement absente des textes de loi. Par contre, en droit de
concurrence un tel pouvoir de transaction a été accordé au ministre chargé du commerce par l’article 59 de loi
n° 91-64 du 29 juillet 1991 relative à la concurrence et aux prix3646. Ce pouvoir gagnerait en termes

3640
V. supra n° 729.
3641
CONAC (P-H), Le pouvoir de transaction de la Securities and Exchance Commission (SEC), BJB, février 2005, n°2, p 99.
3642
Disgorgement and civil penalties.
3643
MATTOUT (J-P), Information financière et responsabilité des dirigeants, Rev. de Dr. Bancaire et Financier, n° 6, novembre-décembre 2004,
p. 454.
3644
BEL HADJ YAHYA (B), Examen diagnostique, identification des insuffisances et proposition de réforme sur le droit tunisien de la
concurrence et de la consommation, Programme stratégique de réforme de la législation tunisienne, Ministère tunisien de la justice, Tunis 1998, p
20.
3645
BEN FRADJ (M), La globalisation des échanges et ses implications sur les politiques de concurrence, Conjoncture n° 195, novembre 1995, p.
10 ; TOUMI (F), Pour la création d’un cadre juridique des opérations de concentration et de regroupement des sociétés, R J L, février 1994, p. 6.
3646
Cet article énonce que « le Ministre chargé du Commerce peut dans tous les cas, conclure une transaction sur les infractions prévues par la
présente loi. La transaction doit intervenir par écrit et en autant d'exemplaires qu'il y a de parties ayant un intérêt distinct. Elle doit être signée

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

d’efficacité et de rapidité s’il serait octroyé au conseil de la concurrence à la place du ministre du commerce
dont les charges et les missions ministérielles peuvent constituer un obstacle devant une bonne et prompte
réalisation des transactions. D’ailleurs, en doit français, un tel pouvoir est reconnu en faveur du conseil de la
concurrence conformément à la loi n°2001-420 du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations
économiques3647. Pourquoi alors ne pas faire de même en droit de la concurrence tunisien ?
Les avantages pratiques considérables que présente la transaction pour les autorités de régulation ont
poussé semble-t-il l’Autorité française des marchés financiers à vivement réclamer un tel pouvoir3648.
L’autorité administrative pourrait ainsi être en mesure de conclure plus rapidement certaines poursuites, ce qui
conférerait une plus grande effectivité à la répression et efficacité à la sanction, même négociée. Or, comme
l’indiquait déjà Beccaria, « plus le châtiment sera prompt, plus il suivra de près le crime qui a été commis,
plus il sera juste et utile »3649.

803- Une question demeure posée à ce niveau. Il s’agit de savoir si l’octroi d’un pouvoir de
transaction à une autorité administrative telle que le CMF ou le conseil de la concurrence est-il compatible
avec les principes constitutionnels, notamment le principe de la séparation des pouvoirs ?
En réalité, ce pouvoir de transaction, qui n’impliquerait pas nécessairement une reconnaissance
juridique et explicite de la culpabilité de la part de l’acteur incriminé, mais plutôt une reconnaissance des faits
et un engagement de ce dernier de modifier son comportement sur les marchés, constituerait un facteur
puissant de rapidité et donc de crédibilité de l’autorité. Il ne constituerait pas un bouleversement majeur du
droit tunisien, dans la mesure où le conseil constitutionnel a déjà reconnu un tel pouvoir en matière
économique. Celui-ci considère que le principe de séparation des pouvoirs consacré par la constitution interdit
à l’administration de transiger avec les contrevenants sauf lorsqu’il s’agit d’infractions conduisant à des
peines ayant, en plus de leur nature pénale, un caractère indemnitaire, telles que les infractions fiscales,
économiques et douanières3650.
Ainsi, le conseil constitutionnel a acquiescé la transaction administrative prévue par l’article 328 du
projet du code des douanes. Ce texte prévoit, notamment, que l’administration des douanes peut transiger avec
les personnes poursuivies pour des contraventions douanières, avant ou après le jugement définitif et que,
toutefois, la transaction intervenue après le jugement définitif laisse subsister les peines corporelles3651.
Aussi, la position du Conseil constitutionnel fût identique concernant la transaction en matière de
pollution et ce, à propos de l’article 143 paragraphe 4 du projet du code des ports maritimes, qui prévoit
qu’une transaction peut-être conclue par l’administration pour les infractions de pollution3652. Le Conseil
constitutionnel a considéré que les dispositions prévues dans ce paragraphe ne sont pas contraires à la
constitution et sont, au contraire, compatibles avec celle-ci3653.
A cet égard, il semble que pourvoir le conseil de la concurrence et le conseil du marché financier du
pouvoir de transiger, en matière d’abus surtout ceux générés par les procédés de concentration, soit possible et
nullement incompatible avec les principes constitutionnels fondamentaux. En effet, les abus boursiers et
concurrentiels sont des infractions économiques qui conduisent à des peines ayant, en plus de leur nature
pénale, un caractère indemnitaire. La transaction devrait être admise les concernant, surtout que cette
technique a été consacrée par plusieurs lois3654 et connait aujourd’hui une évolution importante dans tous les
domaines, y compris en droit pénal classique3655.

par le contrevenant et doit comporter son aveu explicite et son engagement à s'acquitter dans un délai déterminé du montant sur lequel porte la
transaction ; les actes de transaction sont exonérés des droits d'enregistrement et de timbre. La transaction s'effectue sur la base d'un barème fixé
par décision du ministre chargé du Commerce. La transaction peut intervenir tant que l'affaire est pendante devant les juridictions et n'ayant pas
encore fait l'objet d'un jugement définitif. La transaction annule toutes les sanctions ».
3647
KOEHLER DE MONTBLANC (M) ET BIANCONE (K), La procédure de transaction devant le Conseil de la concurrence, JCP E, 1er
septembre 2005, n°35, p 1374.
3648
Le recours à la transaction permet à l’autorité de régulation d’optimiser la gestion de son personnel, d’améliorer sa force de frappe répressive...
3649
BECCARIA (C), Des délits et des peines, Flammarion, 2006.
3650
La position du conseil constitutionnel est étudiée à titre indicatif dans la mesure où cette institution a été dissoute avec l’abrogation de la
constitution du ler juin 1959.
3651
Conseil Constitutionnel, Avis n° 2-2007 du 24/01/2007, JORT n° 47 du 10/06/2008, p 2153.
.78 ‫ و‬77 ‫ ص‬،2010 ،H $ ،m P ‫ب ا‬ ‫ رات ا ط ش‬34 ،‫ ري‬A ‫ ا‬H ‫ آراء ا‬،‫ ن‬3 ( 0‫ أ‬: 6‫ُ اﺟ‬+
3652
Il s’agit des infractions prévues dans le paragraphe premier de l’article 48, l’article 49, le paragraphe premier de l’article 50, le paragraphe
premier de l’article 52, l’article 71 et le deuxième paragraphe de l’article 79 du projet du code des ports maritimes.
3653
Conseil Constitutionnel, Avis n° 84-2007 du 04/12/2007, JORT n° 56 du 14/7/2009, p 2466.
3654
V. Art. 31 CCCE, art. 95 CIRPPIS, art. 46 de la loi n°92-117 du 7/12/1992 relative à la protection du consommateur, art. 134 CF, art. 21 CT…
3655
V. les arts 335 bis et suivants du code pénal.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

Par son pouvoir de transiger, l’administration économique renonce à l’exercice des poursuites pénales
et substitue une certaine somme d’argent aux sanctions juridictionnelles que le juge aurait dû prononcer.
Intervenant avant le juge, l’administration met un terme à la poursuite et néglige le pouvoir de celui-ci. Bien
que justifié, le pouvoir transactionnel de l’administration consacre une prééminence de l’autorité de régulation
et une atténuation du rôle du juge. La transaction est une justice compensant le juge.
804- En sus des amendes versées au Trésor public, la transaction une fois reconnue en faveur des
autorités administratives pourrait prévoir le paiement d’une somme d’argent permettant de garantir la
réparation des dommages causés par l’abus, voire le paiement d’une somme à une victime lorsque celle-ci est
identifiée au moment de la transaction de nature à réparer les dommages qui lui ont été causés. De ce fait, si la
transaction adoptée comporte des mesures d’indemnisation, les victimes peuvent accepter la somme allouée,
et recouvrer, en cas de besoin, celle-ci suivant la procédure d’injonction de payer.
Ainsi, compléter les attributions de nos autorités administratives par le pouvoir de transiger ouvre de
nouvelles perspectives quant à l’indemnisation des victimes d’abus, surtout dans les procédés de concentration
des sociétés où les dommages sont souvent innombrables en termes de nombre des personnes touchées et
valeur des montants à rembourser.
805- Certes le dispositif de sanction pourrait être renforcé par une éventuelle transaction.
Néanmoins, d’autres types de sanctions, pourraient être aussi prévus. La sanction édictée par le régulateur
grec qui a prévu la possibilité, pour les sociétés qui commettent des abus ou celles incapables de publier leurs
comptes dans les délais légaux, de les afficher dans une liste spéciale appelée «sociétés sous surveillance», est
particulièrement intéressante3656. L’émetteur subit alors une sanction plutôt en terme d’image. Le public est
ainsi averti des risques liés à l’information financière associée aux titres des sociétés sous surveillance.
Il est vrai aussi que le montant des amendes qu’est en mesure d’édicter l’autorité de régulation n’est
pas proportionné à la taille des enjeux financiers en matière de concentration des sociétés. Ce montant
mériterait surement d’être revu à la hausse, si on veut que ces amendes aient un effet dissuasif. Car une
amende maximale de 20.000 ou de 50.000 dinars est insignifiante au vu du poids des sociétés cotées en bourse
dont le chiffre d’affaires se compte en millions de dinars, surtout si elles font l’objet d’opérations de
concentration.
806- En droit comparé, l’expérience française montre que la sanction administrative est adaptée à la
répression des abus en matière économique. En dépit des atermoiements initiaux, l’autorité administrative
française a su faire évoluer, voire moderniser son pouvoir de sanction afin de lui conférer un maximum
d’efficacité. Au fur et à mesure, l’efficacité des autorités de régulation françaises s’est considérablement
améliorée garantissant un véritable effet de dissuasion à l’égard des auteurs d’abus dans les procédés de
concentration des sociétés. La sanction administrative s’est ainsi imposée comme la sanction la plus habituelle
et la plus efficace des abus en domaine de la concentration économique.
Contrairement aux autorités françaises, l’action de l’autorité administrative tunisienne a été
caractérisée par une passivité inexplicable en matière financière et ce, malgré les atouts certains dont cette
autorité dispose. L’autorité de régulation du marché financier tunisien souffre surtout d’un manque flagrant de
fermeté à l’égard des auteurs d’abus. Le CMF devrait suivre les pas de son homologue français et œuvrer à
engager la lutte contre la délinquance dont peuvent faire preuve les hommes d’affaires surtout en matière de
concentration des sociétés. Il en va de la crédibilité et de la transparence du marché financier tunisien.
Il ne faut pas perdre de vue non plus que les sanctions édictées par les autorités de régulation, aussi
bien françaises que tunisiennes, souffrent d’une lacune considérable : elles n’ont pas pour vocation de réparer
le préjudice subi par les victimes des abus en matière économique.
Nos autorités administratives souffrent également de l’absence totale du volet transactionnel et d’une
quelconque répression administrative des tentatives d’abus.
Il reste que confier à l’administration la tâche de réprimer les abus en matière économiques doit
s’opérer «sous haute surveillance». Le législateur est tiraillé entre le pouvoir discrétionnaire de
l’administration et l’impératif de protection des droits de l’individu3657. Il reconnaît à la première des pouvoirs

3656
« Etude de diagnostic et de recommandations pour le développement des marchés de capitaux », mai 2002, V. www.cmf.org.tn.
3657
Heureusement que le cumul des poursuites pénales et administratives ne semble pas possible en Tunisie. En effet, l’article 40 de la loi n°94-
117 du 14 novembre 1994 dispose que «le paiement de l’amende au profit du Trésor Public emporte extinction de l’action publique». Au contraire,
en France, en matière d’infractions boursières, les mêmes faits, commis par une société cotée en bourse ou par ses dirigeants peuvent donner lieu à
une condamnation pénale mais aussi à une sanction administrative prononcée par la COB hier et par l’AMF aujourd’hui. Cette dualité des

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

importants dans le processus d’élaboration de la sanction. La répression économique est maniée totalement
par les administrations économiques : le déclenchement du contrôle, la constatation de l’infraction, la
poursuite, l’infliction de la sanction, et enfin son exécution. Il garantit au deuxième ses droits fondamentaux.
Le contrepoids au pouvoir discrétionnaire de l’administration économique sera toujours sa soumission
rigoureuse au principe de légalité.

807- Aussi, est-il regrettable de constater que le justiciable victime d’un abus dans les procédés de
concentration des sociétés, est partagé entre différents ordres et ne sait plus devant quelle juridiction intenter
son action pour faire cesser les pratiques illégales et souvent immorales. Il peut s’agir d’un tribunal
correctionnel compétent pour recevoir les actions pénales intentées contre les personnes physiques ayant pris
une part déterminante dans la conception et le montage de l’exploitation abusive de position dominante ou
ceux ayant commis l’abus du marché financier. Il peut-être question également d’une juridiction civile, aussi
bien pour les actions civiles en réparation qu’en annulation ou enfin du conseil de la concurrence, ou le conseil
du marché financier, pour appliquer les sanctions administratives adéquates.
Face à cet enchaînement si alambiqué pour un juriste, que dire du profane qui découvre pour la
première fois toutes ces juridictions ? On ne peut, dès lors, qu’inviter le législateur à intervenir pour remédier
à cette situation juridictionnelle si compliquée et complexe pour que l’encadrement de l’abus dans les
procédés de concentration puisse évoluer et, ainsi, contribuer à la transparence et l’épanouissement des
marchés, lesquels passent obligatoirement par des textes clairs, d’une part, et par leur application à tous les
opérateurs quels qu’ils soient, d’autre part.
De cette façon là, le droit de la concurrence, celui du marché financier également, seront bien garnis et
confirmés dans toutes leurs dimensions.
Ce souhait ne pourrait se réaliser que lorsqu’un régime de recours, contre les abus, cohérent et unifié
serait mis en place, notamment par la création d’une juridiction économique spécialisée, et à condition qu’il
prenne en considération la célérité de la vie des affaires et le souci de préservation de l’ordre public.

808- Au final, la farouche concurrence à laquelle se livrent les différents marchés, dans le monde
moderne, pour attirer les investissements étrangers ne laisse que peu de choix aux législateurs. Se doter d’une
autorité de régulation efficace capable de contrecarrer les abus et d’assurer, en même temps, pour les
investisseurs, une incitation nécessaire des opérations de concentration ou risquer de voir ces investissements
partir sous d’autres cieux, telle est la donne et tel est l’aplomb que doit réussir notre législateur, en matière de
sanctions administratives des abus, s’il veut maintenir au sein de la concentration des sociétés deux impératifs
difficilement conciliables : l’impératif de protection et celui de promotion.

CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE

809- S
uivant la méthode de travail du Comte de BUFFON3658, la seconde partie de notre étude
devait consister à « se donner des idées et des solutions ». En d’autres termes, il s’agissait de proposer une

sanctions en matière boursière a très tôt été critiquée (dès l’attribution du pouvoir de sanction à la COB) par la doctrine qui y a vu un risque de
décisions contradictoires. Cette dualité des poursuites est d’ailleurs une spécificité française qui n’existe pas dans d’autres pays. Néanmoins, bien
que paraissant contraire au principe non bis in idem en vertu duquel, une même infraction ne peut donner lieu à deux poursuites, le Conseil
constitutionnel français a reconnu possible la dualité de poursuites et de sanctions en matière boursière. Pour le Conseil, une seule condition limite
le cumul de sanctions. Il s’agit du respect du principe de proportionnalité, c’est-à-dire qu’il ne faut pas que le montant cumulé de l’amende infligée
par le juge pénal et de la sanction financière prononcée par l’autorité de régulation dépassent le montant le plus élevé de l’une des sanctions
encourues. Afin de ne pas faire peser sur les sociétés cotées et leurs dirigeants un trop lourd poids, il serait préférable, que le droit français, évite
les doubles poursuites administratives et pénales qui concernent les mêmes faits. V. PALADE (J), Observations sur un délit à l’ordre du jour,
L.P.A., 23 janvier 1989, p 3 ; DUCOULOUX-FAVARD (C), Nouveaux pouvoirs pour la COB, Gaz. Pal., 1990, doctr., p. 50 ; DE VAUPLANE
(H) et BORNET (J-P), Droit de la bourse, Litec, 1994, n° 404 ; GENEVOIS (B), Note sous décision n°89-260 du 28 juillet 1989 : J.O. 1 Aout
1989, p 9676, RFDA, 1989, p.671 ; DUCOULOUX-FAVARD (C) et RONTCHEVSKY (N), Infractions boursières, Op.cit., p. 6 ; STASIAK
(F), Les cumuls de sanctions en droit boursier , Bulletin Joly Bourse, 01 mars 1997, n° 2, p. 181.
3658
George-Louis Leclerc, comte de Buffon, né à Montbard le 7 septembre 1707 et mort à Paris le 16 avril 1788, est un naturaliste, mathématicien,
biologiste, cosmologiste et écrivain français. Ses théories ont influencé deux générations de naturalistes, parmi lesquels notamment Jean-Baptiste
de Lamarck et Charles Darwin. La localité éponyme Buffon, dans la Côte-d'Or, fut la seigneurie de la famille LECLERC.

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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

analyse du traitement du phénomène d’abus qu’on avait déjà défini et dont on avait aussi dégagé les principaux
éléments constitutifs.
Dans cette seconde partie devait donc s’accomplir le mouvement descendant de la conceptualisation,
c’est-à-dire la mise en exergue de la spécificité de l’abus concernant son régime juridique qui est apparu, en
fin de démonstration, commun et unifié. A cette condition seulement pourra-t-il présenter un véritable intérêt
dans la législation des procédés de concentration, et mériter dès lors l’appellation de notion.
L’unicité de l’abus est surtout apparue déterminante dans l’étude du traitement de la notion, que ce soit
pour en établir la spécificité, ou pour en opérer la mise en ordre et l’unification.
L’obstacle le plus évident à la spécificité de l’abus était son lien original avec la théorie de la
responsabilité civile, entretenu aussi bien en doctrine qu’en jurisprudence qui pensaient devoir et pouvoir
fonder la sanction de l’abus seulement sur les articles 82, 83 et 103 COC.
Le détachement de l’abus, même seulement partiel, a été rendu possible de deux manières différentes.
D’une part, le constat de la grande diversité des sanctions de l’abus a conduit à les ordonner et les unifier pour
tous les procédés de concentration, mettant en évidence une différence de traitement entre abus en droit civil,
abus en droit des sociétés et abus dans les procédés de concentration.
Ce lien avec la théorie de la responsabilité civile une fois relativisé sinon totalement écarté, la
spécificité de l’abus devait, d’autre part, ressortir de l’existence de moyens de prévention mis en place par le
droit positif. La prévention n’apparaît en effet pas de façon évidente comme une exigence commune à toutes
les règles juridiques. Surtout, la prévention de l’abus se relève particulièrement présente et, contrairement aux
apparences, relativement ordonnée, encore que cet aspect puisse davantage s’améliorer par la mise en place
d’une véritable réflexion sur la prophylaxie des abus quels qu’ils soient.
L’abus dans les procédés de concentration se confirme alors comme un outil spécifique.

810- La détermination du régime juridique spécifique à la notion d’abus dans les procédés de
concentration des sociétés a été certainement « un contrat » difficile. En effet, c’est ce régime juridique, tant
préventif que curatif, qui permettra en fin de compte de répondre à l’une des questions qui n’a cessé de se
poser tout au long de la deuxième partie, à savoir dans quelle mesure la réglementation actuelle de la notion
d’abus permet-elle d’éviter et de sanctionner tous les abus possibles dans les procédés de concentration tout en
permettant à la fois la protection et la promotion de la concentration ?
Il semble que l’inefficacité du régime préventif et la défaillance des sanctions tant civiles,
administratives que pénales permettent de conclure, en dehors de toute exagération, que le régime juridique
actuel de la notion d’abus est tantôt peu efficace, tantôt dépourvu de toute efficacité car il paraît s’éloigner, à
biens des égards, des fins escomptées, à savoir la transparence, l’éviction des abus, la dissuasion des
responsables ainsi que la sécurité des divers partenaires de la concentration, essentiellement les actionnaires
minoritaires et les créanciers.
A vrai dire, il est légitime de penser que le législateur, indécis entre l’impératif de promotion de la
concentration et celui de contrôle et de protection de ses différents partenaires, n’a opté ni pour l’un ni pour
l’autre. Il a plutôt choisi de consacrer ces deux impératifs à la fois. La déficience des sanctions pénales traduit
sans aucun doute la volonté de promouvoir les procédés de concentration tandis que la pluralité des mesures
préventives et l’agrégat de sanctions civiles et administratives décrivent la recherche d’un contrôle et d’une
protection nécessaires pour corroborer la confiance des investisseurs dans l’opération de concentration.

811- On a essayé alors, autant que faire se peut, de corriger toutes ces défaillances. Les modes de
prévention et de sanction de l’abus ont donc été ordonnés après avoir souligné, à plusieurs reprises, la
prééminence de la prévention et en même temps la nécessité d’adapter les mesures préventives en les
complétant parfois par d’autres mécanismes plus efficaces.
La spécificité de l’abus s’inscrit dans cette originalité, mais aussi dans le degré de développement de
cette prévention, alors que le droit privé non répressif se caractérise plutôt comme axé sur la sanction. Si la
spécificité de l’abus ressort une fois de plus, la pluralité des modes de prévention et de sanction ne risque-t-
elle pas par ailleurs de contrarier l’objectif de conceptualisation, en donnant une image trop désordonnée et
empirique du traitement de l’abus ?

La recherche ainsi menée sur le régime de l’abus poursuivait un double objectif. D’une part, écarter le
préjugé d’empirisme pesant sur les modes de traitement employés, que ce soit la sanction ou la prévention.
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DEUXIEME PARTIE UNIFICATION DU REGIME SPECIFIQUE A L’ABUS DANS LES PROCEDES DE CONCENTRATION

D’autre part, renforcer la spécificité du régime de l’abus au sein des procédés de concentration des sociétés.
Ces deux buts ont pu être atteints, écartant ainsi les derniers obstacles à la conceptualisation de l’abus dans la
concentration. La mise en ordre et l’unification des modes de traitement ou du régime juridique de l’abus ont
été donc réalisées par la distinction entre la prééminence de la prévention et la nécessaire adaptation des
sanctions qui a bien révélé, au travers de la démonstration, toute sa pertinence.

812- En résumé, on a pu conclure que le rétablissement de la transparence, la sécurité et l’intégrité


au sein des procédés de concentration des sociétés passent nécessairement par un éventail de mesures
nécessaires à prendre : une prévention efficace, une répression efficiente, des autorités administratives fortes,
un meilleur contrôle interne et externe des sociétés, surtout celles faisant appel public à l’épargne… Les
solutions sont donc là, reste encore la volonté de les appliquer.

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CONCLUSION GENERALE
CONCLUSION GENERALE

813- E n conclusion, la théorie de l'abus est de plus en plus utilisée au point que sont rares les
matières qui y échappent, comme le démontre cette modeste étude. Ainsi, pour ne citer qu’un seul exemple,
celui du droit des sociétés, on peut évoquer l'abus de majorité ou l'abus de minorité ou encore l'abus de la
personnalité morale. On pourrait également appréhender cette théorie au regard du droit fiscal ainsi qu’en
matière contractuelle… ou enfin souligner le fait que la jurisprudence est en la matière relativement active.
814- Appliquée aux procédés de la concentration, la théorie de l’abus a fourni l’occasion -ou le
prétexte- d’un véritable « voyage » au sein du Droit, un voyage en plusieurs dimensions. Il s’agit d’abord de la
dimension temporelle. En effet, l’abus, dans son acception actuelle, représente à la fois le fruit et le moyen
d’une évolution. Le fruit, dans la mesure où l’idée d’un correctif à la solution légale remonte à l’Antiquité et
où sa prise en compte à travers la théorie de l’abus de droit a occupé tant la doctrine que la jurisprudence. Le
moyen ensuite car, en tant que mécanisme correcteur et régulateur, l’abus se développe nécessairement par
rapport aux évolutions sociales et économiques. De plus, cette dimension temporelle se retrouve dans le
champ d’application de l’abus, susceptible d’intervenir à toutes les étapes d’une relation de droit privé. Cette
remarque introduit la deuxième dimension de ce voyage guidé par l’abus au sein de la concentration, à savoir
sa dimension géographique. En effet, le champ d’application de l’abus est si vaste qu’il constitue à la fois l’un
des intérêts de l’étude et l’une de ses principales difficultés. Enfin, l’abus entraîne à un voyage dans la
profondeur du Droit, ses méthodes et ses sources, certains de ses concepts de base - droit subjectif, pouvoir,
faute, responsabilité... notamment - et les rapports qu’ils entretiennent. Chacune de ces dimensions éclaire tant
l’objet de l’étude que les questions qu’elle pose.
815- Abus dans toutes ses formes, groupe de sociétés, fusion, scission…, autant d’hypothèses
qualifiées, en introduction de ce travail, « d’invitation à la réflexion sur l’étude de l’abus dans les procédés de
concentration ». Cette invitation a donné lieu à un parcours... Ce parcours s’était engagé sous la forme d’une
recherche de cohérence. L’abus est-il un mécanisme empirique d’une régulation arbitraire de ses relations, ou
pouvait-il prétendre à la qualification de notion juridique ? Une entreprise de conceptualisation s’annonçait,
menée à partir du schéma de réflexion établi en introduction : partant de la réalité de l’abus, c’est-à-dire une
diversité croissante, inspirant précisément le préjugé d’empirisme, il fallait arriver à une systématisation. Ce
premier mouvement ascendant accompli, il fallait alors redescendre vers la réalité, pour confronter l’abus à ses
concurrents directs et dégager par la suite une cohérence au niveau de son régime juridique dans les procédés
de concentration des sociétés. Seul l’établissement de sa spécificité pouvait autoriser la qualification de notion
et permettre l’appréhension d’une théorie générale.
816- Les principaux obstacles rencontrés dans cet effort de conceptualisation étaient au nombre de
deux. D’une part, l’extrême diversité de l’abus, tant dans ses critères que dans ses formulations ou encore ses
sanctions. D’autre part, la proximité d’autres notions, particulièrement la faute, qui augurait d’un lien étroit et
d’autant plus délicat avec la théorie de la responsabilité civile. Il est particulièrement intéressant de remarquer,
sur ce plan, que la diversité annoncée a participé au travail d’autonomisation de l’abus. En effet, c’est en
ordonnant ses différentes sanctions, qu’il a été possible de dégager définitivement l’abus des notions voisines.
Mais c’est ici anticiper sur les aboutissements du mouvement ascendant de la conceptualisation.
Ce premier mouvement a, en effet, conduit à considérer l’abus, non comme une simple notion floue,
tellement vague qu’elle ne serait pas véritablement une notion, mais plutôt comme une notion à contenu
variable. C’est-à-dire que la diversité des critères et des emplois de l’abus a pu s’ordonner non pas de façon
gradualiste, en fonction d’une variabilité d’ordre quantitatif, mais à partir d’une différence de nature et une
unicité des éléments constitutifs entre tous les abus rencontrés dans les procédés de concentration.

Le critère principal de l’abus est la violation préjudiciable de l’intérêt d’autrui entendu lato sensu.
Ainsi, le critère de l’abus varie en fonction de la prise en compte plus ou moins étendue de l’intérêt d’autrui
qu’il est légitime d’attendre de la part du titulaire d’une prérogative ou d’un pouvoir déterminé. Par ailleurs,
ce passage par la notion d’intérêt, elle-même vague, explique que, à l’intérieur de la qualification de notion à
contenu variable, l’abus soit encore une notion cadre. Encore fallait-il en dégager davantage la spécificité,
pour pouvoir lui attribuer cette qualification de notion.

Page 542
CONCLUSION GENERALE

Or, cette recherche d’une originalité de l’abus a été renforcée par la pertinence de son unicité, opérée
lors du mouvement ascendant. Cette unicité, regroupant le triptyque : usage, intérêt d’autrui et préjudice s’est
en effet révélée, soit déterminante, soit très appréciable, dans le travail de différenciation entre l’abus et les
notions voisines c’est-à-dire concurrentes, essentiellement la faute et la fraude. Si des phénomènes d’influence
croisée sont ressortis d’une telle confrontation, il a cependant toujours été possible de dégager une originalité
plus ou moins marquée de l’abus, qui permet d’en renforcer la spécificité.
Un préjugé d’empirisme a pu aussi réapparaître dans le traitement de l’abus, de même qu’il s’était
présenté comme obstacle au moment de la systématisation de la notion. Dans les deux cas, cependant, un
même mode de raisonnement a permis de l’écarter, celui insistant sur les modes communs de prévention et de
sanction applicables à tous les abus dans la concentration. Cette unicité dans la détermination et l’unification
dans le traitement de l’abus ont rendu possible l’affirmation de l’existence d’une théorie générale de l’abus
dans les procédés de concentration des sociétés.
817- Plus précisément, au-delà de l’établissement de sa spécificité et sa consécration en tant que
notion juridique unitaire, l’abus est apparu comme un outil activement utilisé au sein de l’ordre juridique, non
seulement en tant que notion cadre, mais aussi par ses caractères propres. L’abus présente les mêmes intérêts
que toutes les notions-cadres : tous les standards visent à concilier le souci de sécurité et l’exigence de la
justice, supposant de la part du juge une appréciation, par la confrontation aux circonstances d’espèces.
L’abus, à la fois notion à contenu variable et notion cadre, constitue forcément une notion fonctionnelle, par
opposition aux notions conceptuelles. Il faut bien reconnaître que l’abus correspond à l’affirmation selon
laquelle « les notions fonctionnelles présentent l’inconvénient de n’être jamais achevées, d’avoir un contenu
qu’une définition ne peut épuiser à elle seule »3659. Il s’agit alors d’une notion en devenir permanent. Mais,
s’agissant de l’abus, cet aspect prend une coloration particulière.
L’abus, en sa qualité de notion floue, permet une adaptabilité de la norme aux évolutions sociales ou
aux nouvelles nécessités juridiques. « Ces notions floues sont une méthode d’aménagement de la règle de
droit et de dépassement de celle-ci car, notions disponibles et ouvertes au changement, elles appellent les
interprètes à une appréciation morale, sociale et, partant, évolutive de la norme où l’intuition prend la place
du raisonnement et de la logique » 3660. Ce sont des moyens privilèges de régulation sociale. En cela, l’abus
peut être considéré comme ayant une vocation transitoire, et comparé de façon incidente à la responsabilité
pour faute présumée, qui a très souvent servi d’intermédiaire chronologique entre la responsabilité pour faute
et la responsabilité objective. Si l’essentiel est de reconnaître cette relativité et cette transformation
permanente du contenu des droits subjectifs, il faut aussi insister sur le fait que non seulement l’abus permet
cette évolution de la prérogative, en la modérant, mais peut aussi aboutir à l’admission d’une nouvelle
prérogative, que ce soit un contre-pouvoir ou une prérogative complètement nouvelle. L’abus permet, en effet,
de créer des droits ou pouvoirs sans opérer un changement trop radical dans les relations de droit privé
concernées. C’est un opérateur de juridicité, tout comme la notion d’intérêt à laquelle il est intimement lié.
Ainsi, pour M. Ost, l’intérêt a une « fonction promotionnelle ou créatrice qui consiste à transformer certaines
prétentions en prérogatives juridiquement protégées »3661. C’est ce qui fait toute la singularité de la notion
d’abus. Or, cette évolution par le contrôle de l’abus apparaît indispensable à la prérogative elle-même. En
effet, une règle valable d’un point de vue formel peut perdre de cette validité s’il ne s’y ajoute pas une validité
réelle (effectivité) et une validité axiologique minimum (absence d’injustice flagrante).
818- Cette démonstration de la spécificité de l’abus, tant par sa définition, son traitement, que par
son rôle dans le système juridique, est donc aboutie. Selon M. Cornu : « la vertu propre de ce genre de notion
(la notion cadre) est justement de faire naître une image qui a un retentissement de conscience, une image à
conserver et à méditer dans son cœur, une image qui se propage et se perpétue dans la conscience de
l’interprète »3662. Cette remarque résume bien ce que représente l’abus, et chemin parcouru au sein d’un
dialogue entre les acteurs du droit -doctrine, jurisprudence, législateur- pour aboutir à une véritable notion
juridique, même d’application plurale, même floue.

3659
JARROSON (C), la notion d’arbitrage, op.cit. n° 466.
3660
FORTIER (V), La fonction normative des notions floues, op.cit., p 101.
3661
STAMATS (C), Argumenter en droit, op.cit., p 106 et s.
3662
CORNU (G), Regards sur le titre VI du livre III du Code civil, des contrats et des obligations conventionnelles en général, op.cit. p.56.

Page 543
CONCLUSION GENERALE

Cette même démonstration aura, en fin de compte, permis d’analyser l’abus dans les procédés de
concentration non comme un concept figé et inscrit de manière confuse dans la réalité, mais surtout comme
une notion dynamique, opératoire et fonctionnelle.
819- Cette étude a permis, par là même, d’analyser et critiquer plusieurs textes de loi et faire de
nombreuses propositions qu’on se permet de synthétiser comme suit en traitant successivement des
propositions de reformulation de certains textes de loi (I) ; des ajouts de nouveaux textes (II) et de quelques
recommandations juridiques qui se sont avérées fondamentales (III) :

-I-
La reformulation de l’article 223 CSC de la façon suivante3663 : « sont punis d'une peine
d'emprisonnement d'un an au moins et de cinq ans au plus et d'une amende de deux mille à dix
mille dinars ou de l'une de ces deux peines seulement :… 3- les membres du conseil
d'administration qui, de mauvaise foi, ont fait des biens ou du crédit de la société un usage
manifestement contraire à l'intérêt de celle-ci, dans un dessein personnel exclusivement
patrimonial et ce, en causant intentionnellement à la société un préjudice patrimonial ».

La reformulation de l’article 290 CSC de la façon suivante : « les actionnaires détenant au


moins dix pour cent du capital social pourront demander l’annulation des décisions, émanant
des assemblées générales ordinaires ou extraordinaires, prises contrairement aux statuts ou
portant atteinte aux intérêts de la société, et prises dans l’intérêt d’un ou de quelques
actionnaires ou au profit d’un tiers ». Sans doute une telle intervention ôtera le voile sur la
possibilité de soumettre les décisions de l’AGE, en l’occurrence une décision de fusion ou de
scission, à la notion classique d’abus de majorité telle que conçue par l’article précité.

La modification de l’alinéa premier de l’article 81 de la loi de 1994 comme suit : « seront


punies d’une amende de 1 000 à 10 000 dinars, toutes personnes possédant en connaissance
de cause une information privilégiée sur la situation ou les perspectives d’un émetteur de titre
faisant appel public à l’épargne ou sur les perspectives d’évolution d’une valeur mobilière ou
d’un produit financier placé par appel public à l’épargne, qui auront réalisé, directement, ou
par personne interposée, une ou plusieurs opérations avant que le public ait connaissance de
ces informations par les voies légales et réglementaires ». Dans l’actuel article 81, les
personnes punissables sont celles « disposant à l’occasion de l’exercice de leur profession ou
de leurs fonctions, d’informations privilégiées ». Il apparaît donc clair que la modification
sollicitée permet une meilleure répression de l’abus en ne se limitant plus aux seuls
professionnels.

La réécriture de l’article 478 CSC en ajoutant deux alinéas, troisième et quatrième, dont la
teneur seraient comme suit «… l’action en extension de la faillite peut être demandée par tout
créancier ou par le syndic. Elle peut être aussi soulevée d’office par le juge compétent. Le
tribunal ayant prononcé la procédure collective est compétent pour connaitre de l’action en
extension de cette même procédure ». D’ailleurs, une telle solution se trouve renforcée par
l’idée selon laquelle la compétence d’un même tribunal facilite aux juges la connaissance du
dossier dont ils ont été saisis et qu’ils ont déjà examiné lors de l’action principale.

-II-
La reconnaissance explicite de la notion d’abus de minorité et ce, en ajoutant un article aux
dispositions générales du CSC. Cet article pourrait prendre la teneur suivante : « les associés
minoritaires commettent un abus de minorité lorsque, en exerçant leurs droits, ils s’opposent à
ce que des décisions essentielles, nécessités par l’intérêt de la société, soient prises et qu’ils ne
peuvent justifier d’un intérêt légitime. Dans ce cas, le tribunal pourra rendre exécutoires les

3663
La même proposition est valable pour les articles 146 et 158 concernant les S.A.R.L.

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CONCLUSION GENERALE

résolutions soumises à l’assemblée, en l’absence des conditions nécessaires à leur validité et


ce, par simple décision valant acte ».

L’octroi explicite d’un droit de cité à la notion d’ « abus d’égalité » en ajoutant un article au
CSC qui s’appliquera dans les SARL et les sociétés par actions. Ce projet de texte pourrait-être
conçu comme suit : « abuse de son droit d'associé égalitaire, quiconque, sans aucune
motivation raisonnable, refuse systématiquement les résolutions présentées par son coassocié
et prive la société d'une chance d'améliorer ses résultats, contrairement à l’intérêt social ».

L’ajout au CSC d’un texte qui serait rédigé de la façon suivante « le conseil de surveillance
exerce le contrôle permanent de la gestion de la société par le directoire, son contrôle est
obligatoire lorsqu’il s’agit des opérations suivantes :
- Toute prise de participation dans une société ou un groupement existant ou à créer
d’un montant supérieur à un montant qui sera fixé par les statuts,
- Toute décision de restructuration, filialisation, fusion, scission, cessation d'activité,
dissolution ou liquidation.
- Toute autre opération énumérée dans les statuts ».

L’ajout d’un article 411 bis au CSC énonçant ce qui suit : « La fusion est décidée, par chacune
des sociétés intéressées, dans les conditions requises pour la modification des statuts.
Toutefois, si l'opération projetée a pour effet d'augmenter les engagements des associés de
l'une ou de plusieurs sociétés en cause, elle ne peut être décidée qu'à l'unanimité desdits
associés ». En effet, l’exigence de l'expression du consentement de tous les associés doit refaire
surface lorsque les modifications du contrat de société ont pour effet d'augmenter leurs
engagements.

L’ajout d’un texte général, aux dispositions communes du code des sociétés commerciales, qui
consacrera le recours au juge des référés pour protéger le droit à l’information des associés
dans tous types de sociétés et surtout dans les différents procédés de concentration. Il pourrait
s’agir d’un article 11 ter C.S.C. qui serait formulé de la façon suivante « le droit à
l’information de l’associé est un droit fondamental qui ne peut être réduit par les statuts. Si la
société refuse la communication des documents informatifs prescrits par la loi, tout associé a
le droit de saisir, à cet effet, le juge des référés. si la société continue à refuser de
communiquer les documents sollicités après l’intervention du juge, elle devra payer au
requérant une somme d’argent comprise entre 100 et 10.000 dinars à titre de dommages-
intérêts pour chaque jour de retard ».

L’ajout au même code d’un article 20 bis, consacrant le principe « pas de nullité sans texte »,
dont la teneur serait la suivante « la nullité du contrat de société ou des actes inhérent à son
fonctionnement ne peut résulter que d’une disposition expresse de la présente loi, des lois
spéciales qui lui sont appliquées ou des règles générales régissant la nullité des contrats ».

Il apparaît souhaitable d’adopter le principe de la responsabilité pénale des personnes morales


dans un texte pénal général qui pourrait participer à la résolution de plus d’un problème en
matière de concentration économique. Ce dernier pourrait-être rédigé comme suit : « les
personnes morales, à l'exclusion de l'Etat et des collectivités publiques locales, sont
responsables pénalement des infractions commises, en leurs noms et pour leurs propres
comptes, par leurs représentants. La responsabilité pénale des personnes morales n'exclut pas
celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits ».

L’institutionnalisation en droit tunisien de la notion des « dommages-intérêts punitifs dans un


texte de loi qui serait rédigé comme suit : « l'auteur d'un abus manifestement délibéré, et
notamment d'un abus lucratif, peut être condamné, outre les dommages-intérêts

Page 545
CONCLUSION GENERALE

compensatoires, à des dommages-intérêts punitifs dont le juge a la faculté de faire bénéficier


pour une part le Trésor public. La décision du juge d'octroyer de tels dommages-intérêts doit
être spécialement motivée et leur montant distingué de celui des autres dommages-intérêts
accordés à la victime. Les dommages-intérêts punitifs ne sont pas assurables. Leur montant ne
peut être inférieur au double du bénéfice indûment réalisé ».

-III-
Contrairement à la législation tunisienne, la jurisprudence française a prévu des règles spéciales
en matière de licenciement pour motif économique ayant lieu dans un groupe de sociétés et ce,
en imposant une obligation générale de reclassement du salarié, au sein du groupe, avant tout
licenciement sinon le congédiement serait qualifié d’abusif. Il en est de même du licenciement
pour motif personnel, notamment pour faute grave, en imposant la prise en compte de chaque
société groupées de façon indépendante, faisant fi de l’unité économique ou bien réelle du
groupe de sociétés. L’ajout de telles règles en droit tunisien serait d’une importance
considérable.

On regrette l’absence au sein du CSC d’un texte général appliquant l’abus de majorité à toutes
les sociétés qu’elles soient des sociétés de personnes, des SARL ou des sociétés par actions. La
question qui se pose, dans ce contexte, est de savoir si l’article 290 CSC, propre aux sociétés
anonymes, peut-être appliqué dans les SARL, voire dans les sociétés de personnes ? Face à
cette lacune juridique, fort déplorable, on ne peut que prôner une intervention législative dans
le sens de changer l’emplacement du texte de l’article 290 CSC afin de le placer dans les
dispositions générales du CSC.

Aucune réglementation du droit à l’information des dirigeants de sociétés n’a été prévue par la
loi. Ce choix législatif affaiblit les prérogatives de l’organe de gestion car si aucune garantie
n’assure le droit à l’information des administrateurs, ils ne pourront pas délibérer en
connaissance de cause, surtout en matière de procédés de concentration des sociétés. On
recommande alors la reconnaissance d’un droit général à l’information au profit des dirigeants
dans toute forme de société.

La modernisation de l’information sociale dans les procédés de concentration des sociétés. La


modernisation proposée est quadripartite. Elle nécessite d’abord une autorisation de l’accès à
l’information par mandataire. Elle impose, ensuite, l’instauration d’une information par envoi
de document. Il faudra, aussi, généraliser le vote par correspondance. Enfin, une prise en
compte des nouvelles technologies de l’information s’avère nécessaire, voire urgente.

Une intervention législative afin d’introduire dans notre législation des contrats-types de fusion
et de scission contenant plusieurs clauses envisageables afin de prévenir autant que faire se
peut les abus que pourraient encourir les malheureux partenaires de la concentration.

La reconnaissance, au sein du CSC, du recours au conseiller juridique, au moins dans les


sociétés mères faisant appel public à l’épargne ou cotés en bourse ou encore dans les sociétés
dont le chiffre d’affaires dépasse une limite fixée par décret. Ce conseil serait d’une importance
grandissante surtout pour corroborer l’effort préventif des abus dans les procédés de
concentration.

Dans le cadre de la mise à niveau institutionnelle, on propose la création d’une commission de


la concentration chargée d’examiner les problèmes y afférents dans les divers domaines. La
commission de la concentration devrait, le cas échéant, poursuivre sa mission en ordonnant sa
réflexion autour de trois axes qui formeraient les trois parties essentielles de son domaine
d’intervention. Le premier concernera l’amélioration continue du dispositif de contrôle des
opérations de concentration et la prévention des abus dans les divers secteurs. Le deuxième axe
Page 546
CONCLUSION GENERALE

se focalisera, de façon continue, à préparer une analyse approfondie des enjeux économiques.
Partant d’un diagnostic de l’état actuel de la concentration, la commission cherchera à se
projeter dans l’avenir pour préciser ses déterminants et évaluer les conditions de viabilité et de
développement des entreprises dans chaque secteur d’activité. Le troisième axe, quant à lui,
portera sur la formulation de propositions et études destinées à améliorer l’efficacité du
dispositif actuel, suggérant des règles plus simples et mieux proportionnées aux enjeux réels,
renforçant les garanties de pluralisme et de diversité là où elles sont défaillantes et supprimant
les atteintes à la liberté d’entreprendre lorsqu’elles sont devenues inutiles.

La consécration expresse du principe « specialia generalibus derogant » dans le code pénal. En


effet, l’élaboration d’un texte en ce sens permettra indubitablement d’appliquer les infractions
spéciales supposées être plus proches et commodes à la vie des affaires. Sans doute ces
infractions sont plus convenables et s’apparentent beaucoup plus que les infractions générales
des spécificités de la matière des affaires et des impératifs qui la sous-tendent à savoir, ceux de
rapidité et de promotion.

L’abus des voix ainsi que l’abus des pouvoirs étant, tous deux, tombés en désuétude et étant
également couverts par l’abus des biens, pourraient être raisonnablement décriminalisés. Ceci
aboutirait, en même temps, à une justice pénale mieux ciblée, moins surchargée et donc plus
efficace.

La reconnaissance explicite, dans un texte pénal, de la notion d’intérêt commun du groupe. Il


sied également d’affranchir de l’abus de biens sociaux tous les actes de gestion qui sont faits,
contrairement à l’intérêt social, mais conformément à l’intérêt commun du groupe et ce, sous
certaines conditions.

L’emprisonnement doit cesser d’être la peine habituelle, surtout dans les procédés de
concentration, et devra plutôt être remplacé graduellement par une série d’autres sanctions,
essentiellement patrimoniales et privatives ou restrictives de droits, dont la liste et le régime
devront être soigneusement étudiés. Aussi, le quantum des amendes, prévues pour les abus en
matière de concentration, est parfaitement inadapté au regard des montants financiers en jeu, et
devrait être donc considérablement relevé.

L’interdiction de toute modification de la personne morale par fusion, scission ou


transformation de la société dès lors que des poursuites pénales ou administratives sont
engagées à son encontre. Le législateur pourrait aussi édicter une dérogation au principe de la
personnalité des délits et des peines en retenant la possibilité, au cas par cas, de poursuivre
l’entreprise, quand bien même elle serait constituée sous une personne morale différente, ce qui
n’est pas du tout facile à concrétiser sur le plan juridique car le principe de la personnalité des
peines était de valeur constitutionnelle et il le restera. On pourrait penser également à
l’institution d’un cas de responsabilité, pénale et administrative, pour fait d’autrui. La nouvelle
personne morale, issue de la fusion ou la scission, serait alors responsable pour les faits de la
personne morale dissoute. Ce serait une exception légale au principe de la personnalité des
peines.

Une meilleure formation des magistrats en matière financière et une meilleure familiarisation
de ces derniers au monde de l’entreprise et aux procédés de concentration des sociétés seraient
de mise. Aussi, la justice doit être munie des techniques avancées de l'informatique et des idées
actuelles portant sur l'organisation et les méthodes de travail. De même, une spécialisation de
notre justice pénale serait la bienvenue. Il serait même très utile pour l’amélioration des
sanctions pénales que cette spécialisation soit très poussée pour être centrée sur la connaissance
parfaite de tout ce qui concerne les procédés de concentration.

Page 547
CONCLUSION GENERALE

La remédiation à la production chaotique de la sanction. Ceci implique, pour une


dépénalisation à long terme, une véritable évolution légistique. Seul un travail légistique de
synthèse serait de nature à éviter les écueils d’une pénalisation progressive. Ce travail
garantirait une meilleure cohérence des peines, pour que ces dernières ne soient pas
exclusivement dépendantes des « strates » législatives successives.

La nécessaire élimination des cas de nullité en « bloc », spécialement celui de l’article 425
CSC applicable à l’opération de fusion.

La reconnaissance en droit procédural de la class action ou l’action de groupe. En effet, la


responsabilité et la procédure civile de droit commun ne permettent plus d’assurer une juste
indemnisation des victimes des abus en matière de concentration des sociétés, notamment en
droits financier et concurrentiel. A cet égard, l’introduction en droit tunisien de la class action
pourrait améliorer cette réalité.

Les sanctions administratives édictées par les autorités de régulation souffrent d’une lacune
considérable : elles n’ont pas pour vocation de réparer le préjudice subi par les victimes des
abus en matière économique. Nos autorités administratives souffrent également de l’absence
totale du volet transactionnel et d’une quelconque répression administrative des tentatives
d’abus. Revoir ces lacunes rendrait l’intervention de ces autorités plus efficace à bien des
égards en matière de concentration.

820- Tenir compte de ces différentes propositions de réforme constituerait indubitablement un gain
précieux pour notre législation dans le droit des affaires, de façon générale, et en matière de concentration des
sociétés de façon particulière. Car, il va sans dire que le renforcement d’une théorie générale de l’abus dans
les procédés de concentration, grâce à la réalisation de ces diverses propositions, ne pourrait-être que très utile
au droit des sociétés et à l’encouragement des investissements dont a grandement besoin notre pays. Espérons
que la raison l'emportera ; ce serait tout à l'honneur du législateur, surtout que cela pourrait servir l'intérêt le
mieux compris du droit tunisien dans son rayonnement international.
Quoi qu'il en soit, au terme de cette étude, certainement bien incomplète, relative à une théorisation de
l'abus dans les procédés de concentration des sociétés, de nombreuses questions subsistent et, au plan
théorique, le sujet est loin d'être épuisé. Comme le proposait M. Carbonnier, peut-être faudrait-il se demander
si « la théorie de l'abus ne devrait pas être conçue comme un procédé d'équité modératrice à la disposition du
juge (...). Le postulat serait que l'excès en toute chose, et même dans le droit, est un désordre, contraire au
droit ; qu'il est dans l'office du juge, pour prévenir le désordre, d'imposer aux titulaires de droits subjectifs
une certaine modération »3664 ?

‫ـّـ‬2 ‫ ( ا‬- % ّ ;

3664
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‫‪1961 #‬ـ ‪ ،2008 H $ ،2007‬ص ‪.143‬‬ ‫‪ F7‬ء ا وا ا‬

‫‪Page 616‬‬
INDEX ALPHABETIQUE
(Les nombres renvoient aux numéros des paragraphes)
A
Abus de biens sociaux : 74 ; 78 ; 79 ; 83 ; 87 ; 73 et s ; 120 ; 153 ; 270 ; 271 ; 293 ;
305 ; 313 ; 314 ; 322 ; 331 et s ; 348 ; 535 ; 566 ; 598 ; 603 ; 608 ; 612 ; 613 ; 628 ;
629 ; 648 ; 649 ; 652 ; 693 ; 706 ; 707 ; 724 ; 819.

Abus de domination : 45 ; 191 ; 251 ; 262 ; 263 ; 277 ; 361 ; 635 ; 761 ; 776 ;
783 ; 789 ; 796.

Abus de droit : 47 ; 49 et s ; 70 ; 124 ; 139 ; 143 ; 164 ; 167 ; 175 ; 185 ; 213 et s ;
251 ; 255 ; 261 ; 264 ; 273 ; 289 ; 293 ; 323 ; 342 ; 344 ; 350 ; 351 ; 366 ; 588 ; 606 ;
635 ; 667 ; 814.

Abus de majorité : 138 et s ; 157 ; 168 ; 171 ; 172 ; 173 ; 176 ; 270 ; 272 ; 320 ;
333 ; 342 ; 356 ; 491 ; 541 ; 543 ; 667 ; 677 et s ; 707 ; 724 ; 813 ; 819.

Abus de minorité : 51 ; 61 ; 140 ; 157 et s ; 270 ; 272 ; 445 ; 679 ; 713 ; 737 et s ;
813 ; 819.

Abus de la personnalité morale : 70 ; 71 ; 72 ; 109 et s ; 135 ; 251 ; 262 ; 279 ;


672 et s ; 693 ; 703 ; 706 ; 707 ; 813.

Abus de position dominante : 58 ; 70 ; 183 et s ; 262 ; 278 ; 361 ; 458 ; 667 ;


724 ; 783 ; 789.

Abus de savoir (ou abus du marché) : 197 et s ; 256 ; 280 ; 281 ; 355 ; 361 ; 362 ;
544 ; 606 ; 729 ; 761 ; 765 ; 725 ; 807.

Acte anormal de gestion : 87 ; 216 ; 217 ; 219 ; 320 ; 321 ; 335.


INDEX ALPHABETIQUE

Action sociale : 146 ; 164 ; 271 ; 280 ; 328 ; 536 ; 623 ; 677 et s ; 715.

Administrateur indépendant : 577 et s.

Administrateur provisoire : 165 ; 552 ; 749.

Affectio societatis : 55 ; 111 ; 113 ; 171 ; 494 ; 577 ; 673.

Apport partiel d’actif : 35 ; 58 ; 160 ; 215 ; 446 ; 447 ; 499.

Association de défense d’actionnaires : 589 et s.

Avocat : 1 ; 3 ; 53 ; 200 ; 207 ; 214 ; 441 ; 504 ; 574 ; 575 ; 575 ; 588 ; 610 ; 729 ;
731 et s.

B
Bail : 74.

Bailleurs de fonds : 159 ; 380 ; 385 ; 410.

Bonne foi : 120 ; 124 ; 141 ; 295 ; 296 ; 480 ; 503 ; 512 ; 588 ; 612 ; 666 ; 674.

C
Cause : 125 ; 130 ; 134 ; 219 ; 228 ; 241 ; 294 ; 298 ; 483 ; 639 ; 673 ; 688.

Cession : 14 ; 24 ; 33 ; 87 ; 205 ; 210 ; 237 ; 241 ; 253 ; 257 ; 280 ; 298 ; 336 ; 354 ;
447 ; 498 ; 499 ; 515 ; 524 ; 541.

Page 619
INDEX ALPHABETIQUE

Clause pénale : 722.

Comité d’entreprise : 200 ; 354 ; 389 et s ; 538.

Commissaire aux comptes : 376 ; 418 ; 482 ; 485 ; 509 et s ; 522 ; 536 ; 543 ;
558 ; 562 ; 607 ; 687 ; 717.

Compte courant : 331 ; 477.

Concurrence : 1 ; 5 ; 8 ; 10 ; 16 ; 17 ; 21 ; 30 ; 32 ; 38 ; 45 ; 52 ; 53 ; 54 ; 55 ; 56 ;
58 ; 70 ; 180 et s ; 277 ; 278 ; 321 ; 346 ; 349 ; 355 ; 357 ; 360 ; 361 ; 362 ; 379 ; 452
et s ; 505 ; 563 ; 575 ; 586 ; 587 ; 606 ; 635 ; 648 ; 650 ; 667 ; 668 ; 679 ; 715 ; 724 ;
725 ; 729 ; 735 ; 739 ; 752 ; 761 ; 770 et s.

Conflit d’intérêts : 105 ; 136 ; 140 ; 159 ; 515 ; 568 ; 583.

Conseil du marché financier : 202 ; 355 ; 385 ; 388 ; 396 ; 400 ; 403 ; 447 ; 460 ;
517 ; 544 et s ; 546 ; 580 ; 759 ; 762 et s.

Consolidation des comptes : 402 et s ; 418.

Contrat de travail : 125 ; 128 ; 129 ; 134 ; 354.

Contrôlaire : 55 ; 312 ; 329 ; 340 ; 411.

Contrôle : 6 ; 8 ; 14 ; 16 ; 18 ; 24 ; 29 ; 32 ; 37 ; 45 ; 53 ; 58 ; 62 ; 63 ; 87 ; 102 ;
105 ; 112 ; 114 ; 115 ; 116 ; 117 ; 118 ; 121 ; 122 ; 132 ; 138 ; 143 ; 147 ; 153 ; 157 ;
189 ; 195 ; 207 ; 211 ; 217 ; 245 ; 299 ; 310 ; 319 ; 324 ; 340 ; 352 ; 354 ; 362 ; 369 ;
374 ; 377 ; 380 ; 382 ; 385 ; 400 ; 411 ; 415 ; 418 ; 426 ; 427 ; 447 ; 450 ; 452 ; 480 ;

Page 620
INDEX ALPHABETIQUE

484 ; 487 ; 498 ; 499 ; 507 et s ; 633 ; 654 ; 666 ; 669 ; 686 ; 689 ; 726 ; 755 ; 766 ;
786 ; 810 ; 817 ; 819.

D
Déguisement : 237 ; 246 ; 512.

Délit d’initié : 197 et s ; 280 ; 795.

Dépendance économique : 192 et s ; 361.

Dirigeant de droit : 102 ; 708 ; 709.

Dirigeant de fait : 102 ; 708.

Dividendes : 102 ; 140 ; 202 ; 243 ; 274 ; 377 ; 380 ; 410 ; 412 ; 414 ; 524 ; 599 ;
715.

Documents sociaux : 84 ; 375 ; 379 ; 417 ; 427 ; 506 ; 550.

Droit de vote (V. Vote).

E
Egalité : 22 ; 55 ; 57 ; 61 ; 71 ; 77 ; 136 ; 140 et s ; 176 et s ; 197 ; 198 ; 205 ; 256 ;
261 ; 280 ; 293 ; 306 ; 323 ; 328 ; 355 ; 362 ; 445 ; 447 ; 518 ; 525 ; 603 ; 619 ; 651 ;
652 ; 678 ; 681 ; 763 ; 767 ; 819.

Employeur : 15 ; 124 et s ; 389 ; 503 ; 639.

Page 621
INDEX ALPHABETIQUE

Employé : (V. salarié).

Entente : 11 ; 15 ; 16 ; 22 ; 38 ; 45 ; 53 ; 188 ; 189 ; 194 ; 277 ; 278 ; 461 ; 462 ;


668 ; 789 ; 796.

Entreprise (définition) : 42 et s.

Etat : 8 ; 9 ; 43 ; 44 ; 56 ; 59 ; 65 ; 268 ; 292 ; 300 ; 312 ; 351 et s ; 357 et s ; 436 ;


437 ; 459 ; 502 ; 509 ; 514 ; 558 ; 579 ; 586 ; 595 ; 606 ; 616 ; 642 ; 647 ; 656 ; 659 ;
666 ; 697 ; 725 ; 763 ; 777 ; 794.

Exequatur : 711.

Exclusion : 44 ; 96 ; 176 ; 226 ; 280 ; 312 ; 320 ; 449 ; 450 ; 499 ; 613 ; 631 ; 651 ;
665 ; 682 ; 737 et s.

Expertise de gestion : 535 et s.

Extension de la procédure collective :331 ; 693 et s.

F
Faute : 45 ; 49 ; 90 ; 91 ; 125 ; 134 ; 142 ; 146 ; 147 ; 159 ; 160 ; 164 ; 201 ; 207 ;
214 ; 268 ; 287 et s ; 292 ; 304 ; 314 ; 366 ; 384 ; 529 ; 537 ; 574 ; 582 ; 622 ; 687 ;
710 ; 715 ; 720 ; 756 ; 814 ; 816 ; 819.

Fictivité : 111 et s ; 245 ; 289 ; 466 ; 672 et s ; 703.

Filiale commune : 22 ; 23 ; 177.

Page 622
INDEX ALPHABETIQUE

Filialisation : 09 ; 27 ; 32 ; 147 ; 180 ; 192 ; 215 ; 235 ; 354 ; 384 ; 446 ; 454 ; 460 ;
490 ; 506 ; 515 ; 530 ; 546 ; 573 ; 574 ; 819.

Fonds de commerce : 235 ; 524 .

Fraude à la loi : 221 ; 232 ; 241 ; 279 ; 289 ; 491 ; 492 ; 639 ; 673.

Fraude fiscale : 219 ; 321 ; 351 ; 588 ; 606 ; 673.

Fusion : 1 ; 2 ; 6 ; 8 ; 9 ; 13 ; 14 ; 15 ; 17 ; 22 ; 23 ; 24 ; 26 ; 31 et s ; 42 ; 53 ; 56 ;
58 ; 62 ; 100 ; 101 et s ; 128 et s ; 145 ; 149 et s ; 157 ; 161 ; 166 ; 167 ; 172 ; 177 ;
180 ; 187 ; 190 ; 192 ; 202 ; 203 ; 208 ; 209 ; 215 ; 240 ; 244 ; 245 ; 261 ; 262 ; 305 ;
362 ; 376 ; 379 ; 388 et s : 411 ; 425 ; 444 ; 446 ; 447 ; 450 et s ; 453 ; 459 ; 488 ;
489 et s ; 502 et s ; 510 ; 519 ; 522 et s ; 546 ; 550 ; 568 ; 573 ; 574 ; 585 ; 597 ; 598 ;
606 ; 607 ; 608 ; 639 ; 663 ; 724 ; 737 ; 741 ; 778 et s ; 796 ; 815 ; 819.

Fusion « à l’envers » : 244.

G
Groupement d’entreprises : 189.

Groupe de sociétés : 18 ; 19 ; 21 ; 23 ; 32 ; 36 ; 37 ; 45 ; 77 ; 105 ; 106 ; 114 ;


115 ; 116 ; 117 ; 120 ; 122 ; 132 et s ; 146 et s ; 195 ; 234 ; 309 ; 310 ; 311 ; 315 ;
317 et s ; 361 ; 398 et s ; 410 ; 411 ; 481 ; 485 ; 510 ; 536 ; 542 ; 550 ; 552 ; 596 ;
598 ; 608 ; 613 ; 629 ; 638 ; 693 ; 696 ; 770 ; 800 ; 819.

Groupement d’intérêt économique : 23 ; 24.

Page 623
INDEX ALPHABETIQUE

H
Habileté fiscale : 229 ; 241 ; 242 ; 245 ; 606.

Holding : 9 ; 32 ; 102 ; 151 ; 197 ; 243 ; 245 ; 398 ; 462 ; 536 ; 568.

I
Information : 58 ; 83 ; 84 ; 166 ; 173 ; 197 ; 198 ; 200 et s ; 256 ; 263 ; 281 ; 283 ;
302 ; 355 ; 362 ; 369 ; 372 et s ; 415 ; 416 et s ; 464 ; 475 ; 503 ; 505 ; 506 ; 509 ;
510 ; 511 ; 515 ; 516 ; 517 ; 526 ; 531 ; 532 ; 536 ; 540 ; 543 ; 557 ; 558 ; 560 ; 570 ;
574 ; 577 ; 587 ; 590 ; 592 ; 601 ; 635 ; 665 ; 668 ; 717 ; 731 ; 762 ; 763 ; 772 ; 786 ;
790 ; 795 ; 805 ; 819.

Intérêt commun du groupe : 104 ; 309 et s ; 360 ; 552 ; 599 ; 682 ; 683 ; 697 ;
710 ; 819.

Intérêt de l’entreprise : 170 ; 219 ; 297 ; 300 ; 302.

Intérêt général : 76 ; 136 ; 139 ; 142 ; 149 ; 161 ; 169 ; 171 ; 173 ; 280 ; 293 ; 306 ;
308 ; 309 ; 340 ; 357 et s ; 510 ; 520 ; 619 ; 666.

Intérêt public : 349 ; 355 ; 357 ; 358 ; 636.

Intérêt social : 80 ; 86 et s ; 102 ; 104 ; 106 ; 107 ; 112 ; 140 ; 143 ; 146 ; 149 ;
151 ; 152 ; 154 ; 160 ; 164 ; 169 ; 170 ; 171 ; 176 ; 217 ; 293 et s ; 331 et s ; 491 ;
494 ; 543 ; 551 ; 552 ; 629 ; 678 ; 681 ; 710 ; 718 ; 737 ; 740 ; 746 ; 749 ; 819.

Interposition de personnes : 233 ; 237 ; 239 ; 246.

Page 624
INDEX ALPHABETIQUE

Investisseurs : 36 ; 55 ; 62 ; 154 ; 197 ; 198 ; 202 ; 268 ; 280 ; 281 ; 353 ; 355 ;
362 ; 384 ; 393 ; 404 ; 418 ; 447 ; 537 ; 566 ; 569 ; 577 ; 588 et s. ; 603 ; 616 ; 619 ;
635 ; 636 ; 729 ; 735 ; 784 ; 786 ; 787 ; 790 ; 798 et s. ; 808 ; 811.

J
Joint venture : (V. filiale commune)

Jurisprudence : 10 ; 36 ; 39 ; 45 ; 46 ; 47 ; 51 ; 52 ; 57 ; 61 ; 63 ; 74 ; 75 ; 81 ; 87 ;
89 ; 90 ; 92 ; 96 ; 99 ; 103 ; 106 ; 120 ; 124 ; 129 ; 133 ; 138 ; 143 ; 149 ; 154 ; 160 ;
168 ; 169 ; 173 ; 189 ; 194 ; 202 ; 214 ; 226 ; 233 ; 234 ; 245 ; 266 ; 274 ; 275 ; 280 ;
281 ; 296 ; 304 ; 311 ; 313 ; 314 ; 321 ; 322 ; 323 ; 415 ; 484 ; 493 ; 574 ; 616 ; 618 ;
623 ; 629 ; 645 ; 648 ; 706 ; 708 ; 722 ; 740 ; 741 ; 744 ; 746 ; 749 ; 766 ; 773 ; 781 ;
813 ; 819.

Juge des référés : 166 ; 379 ; 380 ; 540 ; 549 et s ; 819.

L
Leverage buy out (LBO) : 102; 151; 245.

Liberté de gestion (principe de) : 214 et s.

Liberté contractuelle : 261 ; 443 ; 464 et s ; 504 ; 591.

Licenciement abusif : 125 ; 127 et s ; 262 ; 354 ; 667.

Liquidation : 33 ; 34 ; 279 ; 531 ; 601 ; 639 ; 779 ; 819.

Page 625
INDEX ALPHABETIQUE

Loi de la majorité : 136 ; 141 ; 145.

Loyauté : 156 ; 197 ; 361 ; 376 ; 517 ; 538 ; 568 ; 649.

M
Mandat : 70 ; 84 ; 95 ; 129 ; 274 ; 342 ; 414 ; 415 ; 424 et s ; 515 ; 516 ; 522 ; 574 ;
577 ; 578 ; 609 ; 648 ; 649 ; 708 ; 717 ; 730 ; 746 et s.

Marché financier : 202 ; 355 ; 385 ; 388 ; 396 ; 400 ; 403 ; 447 ; 460 ; 517 ; 544 et
s ; 546 ; 580 ; 759 ; 762 et s.

Mauvaise foi : 47 ; 76 ; 81 ; 85 ; 89 ; 98 ; 102 ; 164 ; 466 ; 608 ; 629 ; 679 ; 819.

Mésentente : 500 ; 737 ; 743 ; 744.

Ministère public : 91 ; 280 ; 647 ; 655.

Ministre chargé du commerce : 445 ; 452 et s ; 773 ; 775 ; 802.

Minorité de blocage : 145 ; 160 ; 161 ; 172.

Mise en réserves des bénéfices : 177.

N
Nullité : 43 ; 150 ; 151 ; 237 ; 340 ; 378 ; 384 ; 460 ; 490 ; 493 ; 523 ; 541 ; 639 ;
659 ; 662 et s ; 713 ; 714 ; 715 ; 716 ; 717 ; 773 ; 819.

Page 626
INDEX ALPHABETIQUE

O
Objet social : 33 ; 102 ; 113 ; 120 ; 295 ; 305 ; 312 ; 446 ; 484 ; 673.

Offre publique d’achat (OPA) : 58 ; 447 ; 788.

Offre publique d’échange (OPE) : 197 ; 466.

Offre publique de retrait (OPR) : 164 ; 446 ; 448.

Ordre public : 61 ; 124 ; 129 ; 130 ; 205 ; 280 ; 296 ; 355 ; 358 ; 359 ; 373 ;
384 ;425 ; 497 ; 582 ; 595 ; 668 ; 673 ; 688 ; 689 ; 743 ; 757 ; 775 ; 807.

P
Pactes d’actionnaires : 488 ; 498 et s.

Participations réciproques : 450 ; 465 et s.

Passif : 34 ; 35 ; 56 ; 109 ; 120 ; 121 ; 131 ; 138 ; 147 ; 154 ; 254 ; 323 ; 344 ; 346 ;
377 ; 503 ; 524 ; 529 ; 589 ; 639 ; 673 ; 693 ; 703 ; 704 ; 705.

Patrimoine social : 82 ; 86 ; 94 ; 105 ; 270 ; 304 ; 306 ; 512 ; 613.

Personnalité juridique ou morale : 22 ; 27 ; 112 ; 128 ; 310 ; 323 ; 639 ; 770.

Perte : 86 ; 87 ; 147 ; 164 ; 171 ; 197 ; 202 ; 204 ; 217 ; 265 ; 267 ; 271 ; 274 ; 277 ;
281 ; 283 ; 304 ; 362 ; 377 ; 436 ; 643 ; 659 ; 673 ; 710 ; 720 ; 745.

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INDEX ALPHABETIQUE

Pouvoir : 1 ; 3 ; 11 ; 16 ; 18 ; 27 ; 28 ; 37 ; 38 ; 41 ; 42 ; 46 ; 50 ; 52 ; 54 ; 55 ; 56 ;
58 ; 60 ; 61 ; 62 ; 72 ; 73 ; 76 ; 79 ; 84 ; 85 ; 86 ; 93 ; 94 ; 98 ; 107 ; 112 ; 114 ; 115 ;
130 ; 132 ; 138 ; 140 ; 145 ; 153 ; 158 ; 162 ; 164 ; 165 ; 194 ; 223 ; 242 ; 250 ; 251 ;
255 ; 282 ; 289 ; 291 ; 330 ; 331 ; 359 ; 366 ; 370 ; 373 ; 376 ; 379 ; 385 ; 403 ; 410 ;
412 ; 415 ; 432 ; 477 ; 506 ; 513 ; 528 ; 529 ; 537 ; 540 ; 542 ; 544 ; 566 ; 570 ; 579 ;
580 ; 592 ; 594 ; 608 ; 644 ; 654 ; 737 ; 759 ; 792 ; 798 et s ; 809 ; 819.

Prime de contrôle : 447.

Principe de l’interprétation stricte : 81 ; 92 ; 601.

Procédures collectives : 692 et s.

Projet de fusion : 09 ; 166 ; 172 ; 203 ; 376 ; 393 ; 502 ; 628.

Publicité : 62 ; 277 ; 388 et s ; 442 ; 546 ; 601 ; 665 ; 667 ; 725 ; 732 ; 772.

Q
Questions écrites : 165 ; 331 ; 384 ; 537 ; 590.

R
Rapport de gestion : 143 ; 375 ; 376 ; 399 et s.

Rapprochement : 2 ; 7 ; 11 ; 12 ; 14 ; 19 ; 22 ; 24 ; 27 ; 32 ; 33 ; 54 ; 59 ; 62 ; 127 ;
190 ; 219 ; 221 ; 300 ; 502 ; 520 ; 530 ; 591 ; 657 ; 668 ; 746.

Règlement judiciaire : 161 ; 696 ; 703 ; 746.

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INDEX ALPHABETIQUE

Régularisation : 541 ; 561 ; 667 ; 689.

Rescrit : 588 et s.

Responsabilité des dirigeants : 62 ; 334 ; 599 ; 687 ; 688.

Restructuration : 08 ; 15 ; 25 ; 27 ; 130 ; 145 ; 202 ; 244 ; 354 ; 391 ; 456 ; 462 ;


490 ; 606 ; 819.

Retrait obligatoire : 445 et s.

Rétroactivité : 672 ; 674.

Révocation : 51 ; 70 ; 136 ; 530 ; 716.

Risque : 21 ; 33 ; 43 ; 45 ; 54 ; 56 ; 60 ; 62 ; 69 ; 77 ; 81 ; 89 ; 95 ; 96 ; 97 ; 102 ;
104 ; 106 ; 111 ; 112 ; 126 ; 142 ; 145 ; 147 ; 229 ; 304 ; 327 ; 348 ; 362 ; 372 ; 384 ;
385 ; 386 ; 398 ; 417 ; 442 ; 506 ; 521 ; 533 ; 559 ; 566 ; 573 ; 588 ; 726 ; 805.

S
Salariés : 1 ; 15 ; 55 ; 63 ; 114 ; 124 ; 126 ; 128 ; 129 ; 130 ; 132 ; 133 ; 179 ; 200 ;
203 ; 268 ; 271 ; 280 ; 292 ; 295 ; 299 ; 300 ; 302 ; 305 ; 312 ; 342 ; 349 ; 351 ; 354 ;
355 ; 379 ; 385 ; 389 ; 390 ; 391 ; 398 ; 420 ; 502 ; 506 ; 578 ; 589 ; 638 ; 819.

SARL : 77 ; 86 ; 139 ; 177 ; 239 ; 375 ; 383 ; 429 ; 472 ; 490 ; 535 ; 536 ; 539 ;
541 ; 578 ; 608 ; 612 ; 746 ; 819.

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INDEX ALPHABETIQUE

Scission :13 et s ; 17 ; 20 ; 22 ; 23 ; 31 ; 32 ; 34 ; 45 ; 58 ; 62 ; 100 ; 101 et s ; 128 et


s ; 141 ; 145 ; 149 et s ; 157 ; 161 ; 166 ; 172 ; 177 ; 180 ; 208 ; 215 ; 240 ; 263 ;
362 ; 373 ; 376 ; 378 ; 387 et s ; 411 ; 425 ; 427 ; 446 ; 454 ; 460 ; 488 et s ; 501 et s ;
518 ; 519 ; 531 ; 538 ; 545 ; 546 ; 550 ; 573 ; 574 ; 585 ; 597 ; 599 ; 601 ; 612 ; 639 ;
662 ; 667 ; 668 ; 715 ; 716 ; 741 ; 778 et s ; 794 ; 815 ; 819..

Secret professionnel : 207 ; 384 ; 421 ; 516 ; 547 ; 587.

Société mère : 30 ; 37 ; 45 ; 112 ; 115 ; 117 ; 118 ; 121 ; 122 ; 133 ; 146 ; 147 ;
148 ; 155 ; 189 ; 195 ; 210 ; 312 ; 313 ; 321 ; 323 ; 326 ; 327 ; 330 ; 376 ; 379 ; 399 ;
400 ; 402 ; 403 ; 405 ; 417 ; 424 ; 462 ; 466 ; 472 ; 511 ; 514 ; 517 ; 534 ; 550 ; 558 ;
578 ; 601 ; 603 ; 607 ; 613 ; 638 ; 677 ; 679 ; 703 ; 705 ; 707 ; 708 ; 710 ; 711 ; 712 ;
770 ; 774 ; 788.

T
Technologies de l’information : 433 et s. ; 819.

Théorie générale : 48 ; 52 ; 60 ; 64 ; 66 ; 67 ; 68 ; 69 ; 116 ; 130 ; 247 ; 252 ; 295 ;


321 ; 342 ; 363 ; 368 ; 369 ; 370 ; 387 ; 407 ; 429 ; 442 ; 443 ; 487 ; 488 ; 496 ; 554 ;
593 ; 594 ; 600 ; 602 ; 610 ; 615 ; 621 ; 659 ; 660 ; 723 ; 816 ; 819.

Théorie juridique : 64 ; 593 ; 594 ; 597 ; 643 ; 660 ; 669 ; 670 ; 697 ; 701 ; 754.

Transmission universelle du patrimoine : 33 ; 490 ; 639.

Transparence : 56 ; 173 ; 197 ; 280 ; 302 ; 362 ; 365 ; 371 ; 372 ; 386 ; 398 ; 399 ;
400 ; 404 ; 406 ; 503 ; 505 ; 517 ; 518 ; 520 ; 536 ; 537 ; 538 ; 544 ; 546 ; 547 ; 548 ;
558 ; 559 ; 561 ; 563 ; 566 ; 588 ; 644 ; 645 ; 759 ; 772 ; 787 ; 806 ; 807 ; 810 ; 812.

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INDEX ALPHABETIQUE

U
Usage : 39 ; 49 ; 50 ; 61 ; 66 ; 74 ; 76 ; 81 et s ; 86 ; 87 ; 89 ; 96 ; 98 ; 102 ; 104 ;
109 ; 110 ; 124 ; 138 ; 162 ; 165 ; 173 ; 197 ; 204 ; 241 ; 250 et s ; 342 ; 351 ; 358 ;
365 ; 462 ; 484 ; 524 ; 547 ; 558 ; 601 ; 608 ; 649 ; 724 ; 758 ; 763 ; 799 ; 800 ; 816 ;
819.

V
Visioconférence : 434 ; 437 et s.

Vote : 51 ; 58 ; 70 ; 71 ; 84 ; 101 ; 136 ; 137 ; 139 ; 140 ; 141 ; 146 ; 151 ; 153 ;
155 ; 156 ; 160 ; 161 ; 170 ; 171 ; 173 ; 176 ; 177 ; 250 ; 251 ; 261 ; 262 ; 270 ; 272 ;
273 ; 293 ; 296 ; 323 ; 372 ; 374 ; 376 ; 378 ; 380 ; 384 ; 405 ; 411 ; 412 ; 424 et s ;
446 ; 447 ; 450 et s ; 469 ; 485 ; 491 ; 494 ; 546 ; 589 ; 666 ; 737 ; 744 ; 749 et s ;
790 ; 819.

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LES ANNEXES
LES ANNEXES

LISTE DES ANNEXES :

Annexe n° 1 : Les travaux préparatoires du projet de la loi n° 2001-117 du 6-12-2001.

Annexe n° 2 : Jugement du conseil de la concurrence n° 2142 du 25-9-2003.

Annexe n° 3 : Jugement de la commission de taxation d’offre de Sfax du 26 novembre


1999.

Annexe n° 4 : jugement du tribunal de première instance de Tunis n°32 du 25-9-2003.

Annexe n° 5 : Jugement du tribunal de première instance de Sfax n°60 du 5-10-2000 ;


(affaire SOMAF).

Annexe n° 6 : Jugement du tribunal de première instance de Sfax n°77 du 10-4-2001 ;


(affaire SOMAF).

Annexe n° 7 : Jugement du tribunal de première instance de Sfax n°77 du 15-10-2002 ;


(affaire SOMAF).

Annexe n° 8 : Décision (TPI de Tunis) d’homologation d’un accord amiable conclu


entre la société HELA BATAM et ses créanciers.

Annexe n° 9 : Décision (TPI de Tunis) d’homologation d’un accord amiable conclu


entre la société BONPRIX (filiale du groupe BATAM) et ses créanciers.

Annexe n°10 : Cour de cassation, déc.n° 59546, du 27-12-1994.

Annexe n°11 : Cour de cassation, déc.n° 83831, du 25-3-1997.

Annexe n°12 : Cour de cassation, déc. n° 3650, du 14-4-2000.

Annexe n°13 : Cour de cassation, déc.n°45257, du 18-7-2003.

Annexe n°14 : Cour d’appel de Monastir, Arrêt n° 1755, du 17-5-1994.

Annexe n° 15 : Proposition d’un règlement du conseil des communautés portant statut


des SA européennes (comportant une réglementation relative au groupe de sociétés)

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LES ANNEXES

Annexe n°16 : Proposition de loi sur les groupes de sociétés et la protection des
actionnaires et du personnel (proposition de loi Couste)

Annexe n° 17 : Liste des sociétés affiliées au Groupe POULINA.

Annexe n° 18 : Organigramme du groupe Victoire et celui de la compagnie financière


de PARIBAS.

Annexe n° 19 : Un exemple d’états financiers consolidés.

Annexe n° 20 : Cour de cassation, déc.n° 2006/4795, du 06/02/2007.

Annexe n° 21 : Cour de cassation française, déc. n° 57-02531 du 06/02/1957


approuvant l'arrêt rendu, le 5 mai 1953, par la Cour d'appel de Tunis.
.
Annexe n° 22 : Cour de cassation, déc. n° 2007-22157 du 13/01/2009 ; déc. n° 2007-
20412 du 28/10/2008 ; déc. n° 2007-15920 du 19/03/2008 ; déc. n° 15886 du
17/03/2008 et déc. n° 2006-9492 du 17/09/2007.

Annexe n° 23 : Code belge des sociétés commerciales : Chapitre III du livre 11 :


Procédures à suivre lors de la scission de de sociétés.

Annexe n° 24 : Traité d’apport partiel d’actif soumis au régime juridique des scissions.

Annexe n° 25 : Dossier relatif à la fusion absorption entre la STB, la BDET et la


BNDT.

Annexe n° 26 : Tableaux de statistique des opérations de fusion en Tunisie entre 1980


et 2000.

Annexe n° 27 : La directive communautaire relative au régime commun des fusions de


sociétés.

Annexes n° 28 : Exemple de traité de fusion.

Annexes n° 29 : Projet de traité de scission partielle.

Annexe n° 30 : Arrêt de la cour d’appel de Tunis n° 17846 datant du 09/05/2012.

Annexe n° 31 : Modèles de contrat de filiale commune ou Joint-venture

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LES ANNEXES

Annexe n° 1 : Les travaux préparatoires du projet


de la loi n° 2001-117 du 6-12-2001.

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LES ANNEXES

Annexe n° 2 : Jugement du conseil de la


concurrence n° 2142 du 25-9-2003.

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LES ANNEXES

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LES ANNEXES

Annexe n° 3 : Jugement de la commission de


taxation d’offre de Sfax du 26 novembre 1999.

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LES ANNEXES

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LES ANNEXES

Annexe n° 4 : jugement du tribunal de première


instance de Tunis n°32 du 25-9-2003.

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LES ANNEXES

Annexe n° 5 : Jugement du tribunal de première


instance de Sfax n°60 du 5-10-2000 ; (affaire
SOMAF).

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Annexe n° 6 : Jugement du tribunal de première


instance de Sfax n°77 du 10-4-2001 ; (affaire
SOMAF).

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LES ANNEXES

Annexe n° 7 : Jugement du tribunal de première


instance de Sfax n°77 du 15-10-2002 ; (affaire
SOMAF).

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Annexe n° 8 : Décision (TPI de Tunis)


d’homologation d’un accord amiable conclu
entre la société HELA BATAM et ses créanciers.

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Annexe n° 9 : Décision (TPI de Tunis)


d’homologation d’un accord amiable conclu
entre la société BONPRIX (filiale du groupe
BATAM) et ses créanciers.

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Annexe n°10 : Cour de cassation, déc.n° 59546, du


27-12-1994.

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Annexe n° 11 : Cour de cassation, déc.n° 83831, du


25-3-1997.

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Annexe n°12 : Cour de cassation, déc. n° 3650, du


14-4-2000.

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Annexe n°13 : Cour de cassation, déc.n°45257du


18-7-2003.

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Annexe n°14 : Cour d’appel de Monastir, Arrêt n°


1755, du 17-5-1994.

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Annexe n° 15 : Proposition d’un règlement du


conseil des communautés portant statut des SA
européennes (comportant une réglementation
relative au groupe de sociétés)

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Annexe n°16 : Proposition de loi sur les groupes


de sociétés et la protection des actionnaires et du
personnel (proposition de loi Couste)

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Annexe n° 17 : Liste des sociétés affiliées au


Groupe POULINA.

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Annexe n° 18 : Organigramme du groupe Victoire


et celui de la compagnie financière de PARIBAS.

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Annexe n° 19 : Un exemple d’états financiers


consolidés.

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Annexe n° 20 : Cour de cassation, déc. n°


2006/4795, du 06/02/2007

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Annexe n° 21 : Cour de cassation française, déc. n°


57-02531 du 06/02/1957 approuvant l'arrêt rendu,
le 5 mai 1953, par la Cour d'appel de Tunis

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Annexe n° 22 : Cour de cassation, déc. n° 2007-


22157 du 13/01/2009 ; déc. n° 2007-20412 du
28/10/2008 ; déc. n° 2007-15920 du 19/03/2008 ;
déc. n° 15886 du 17/03/2008 ; déc. n° 2006-9492 du
17/09/2007

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ANNEXE 23
Code belge des sociétés commerciales : Chapitre
III du livre 11 : Procédures à suivre lors de la
scission de de sociétés.

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Annexe n° 24 : Traité d’apport partiel d’actif


soumis au régime juridique des scissions.

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Annexe n° 25 : Dossier relatif à la fusion


absorption entre la STB, la BDET et la BNDT

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Annexe n° 26 : Tableaux de statistique des


opérations de fusion en Tunisie entre 1980 et 2000.

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Annexe n° 27 : La directive communautaire


relative au régime commun des fusions de
sociétés.

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Annexes n° 28 : Exemple de traité de fusion.

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Annexes n° 29 : Projet de traité de scission


partielle.

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Annexe n° 30 : Arrêt de la cour d’appel de tunis n°


17846 datant du 09/05/2012.

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Annexe n° 31 : Modèles de contrat de filiale


commune ou Joint-venture.

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(Les nombres renvoient aux numéros des pages)
TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION………………………………………………………………………………………..….11

PREMIERE PARTIE : Détermination de la notion d’abus dans les procédés de concentration ............ 63
Titre Premier : Multiplicité des formes d’abus dans les procédés de concentration ............................. 65
Chapitre Premier : Multiplicité quant aux abus intérieurs à l’opération de concentration .............. 66
Section Première : Multiplicité des abus commis par les dirigeants ...................................................... 66
Sous-section Première : L’abus des biens et les cas assimilés dans les procédés de concentration .. 67
-§1- Une source fluctuante de l’abus .............................................................................................. 67
-§2- : Une détermination alambiquée de l’abus des biens.............................................................. 71
I- Des éléments constitutifs en porte-à-faux ........................................................................... 71
A- La largesse de l’élément matériel ...................................................................................... 71
a-L’existence d’un acte d’usage : ....................................................................................... 71
b-La contrariété de l’usage à l'intérêt social ....................................................................... 76
B- La largesse de l’élément moral :........................................................................................ 78
II- Essai de redressement de la définition légale de l’abus ....................................................... 81
-§3- : Spécificité de l’abus des biens dans les opérations de concentration ................................... 84
I- Flottement de l’abus au niveau des opérations de fusion ou de scission ............................. 84
II- Inadaptation de l’abus au niveau des groupes de sociétés ................................................... 87
Sous-section Deuxième : L’abus de la personnalité morale dans les procédés de concentration ...... 90
-§1 : La « fictivité » de la personne morale dans les procédés de concentration ........................... 92
-§2 : La confusion des patrimoines dans les procédés de concentration ........................................ 96
Sous-section Troisième : L’abus du licenciement dans les procédés de concentration ................... 101
-§1- : La détermination de l’abus du licenciement ....................................................................... 101
-§2- : Le particularisme de l’abus du licenciement à l’aune des procédés de concentration ....... 104
I- La particularité de l’abus du licenciement dans les opérations de fusion ou de scission :
…………………………………………………………………………………………..104
II- La particularité de l’abus du licenciement dans le groupe de sociétés : ............................ 107
Section Deuxième : Multiplicité des abus commis par les associés dans les procédés de concentration
.............................................................................................................................................................. 110
Sous-section Première : L’abus de majorité dans les procédés de concentration…………………111
-§1- : Appréhension de l’abus de majorité ................................................................................... 112
-§2- : Métamorphose de l’abus de majorité à l’aune des procédés de concentration ................... 118
I- L’abus de majorité dans le groupe de sociétés : une nouvelle conception ........................ 119
II- L’abus de majorité dans les opérations de fusion et scission : imbroglio juridique .......... 121
Sous-section Deuxième : L’abus de minorité dans les procédés de concentration .......................... 127
-§1- : La typologie de l’abus de minorité dans les procédés de concentration ............................ 128

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TABLE DES MATIERES

I- L’opposition interne et l’abus de minorité ......................................................................... 129


II- L’opposition externe et l’abus de minorité ........................................................................ 132
-§2- : Les éléments constitutifs de l’abus de minorité dans les procédés de concentration ......... 135
I- L’abus de minorité : mécanisme correcteur dans les procédés de concentration .............. 136
II- L’abus de minorité : les traits distinctifs dans les procédés de concentration ................... 140
-§3- Pour une reconnaissance de l’abus d’égalité dans les procédés de concentration ................ 142
Chapitre Deuxième : Multiplicité quant aux abus extérieurs à l’opération de concentration ................ 143
Section Première : Multiplicité des abus inhérents à un marché déterminé ......................................... 144
Sous-section Première : L’abus de puissance économique dans les procédés de concentration ….144
-§-1 : L’abus de position dominante dans les procédés de concentration .................................... 144
I- Les conditions de l’abus de position dominante dans les procédés de concentration ....... 146
II- La source de l’abus de position dominante dans les procédés de concentration ............... 148
-§2- L’abus de dépendance économique dans les procédés de concentration ............................. 151
Sous-section Deuxième : L’abus du marché financier à l’aune des procédés de concentration ...... 155
-§1- Appréhension du délit d’initié au sein des procédés de concentration ................................. 157
-§2- : Appréhension des autres formes d’abus du marché au sein des procédés de concentration
...................................................................................................................................................... 162
Section Deuxième : L’abus de droit, en matière fiscale, à l’aune des procédés de concentration ....... 167
Sous-section Première : Le principe de la liberté de gestion et les procédés de concentration ....... 168
Sous-section Deuxième : La détermination de l’abus de droit fiscal à l’aune des procédés de
concentration .................................................................................................................................... 172
-§1- : La définition de l’abus de droit en matière fiscale ............................................................. 172
-§2- : La multiplicité de l’abus de droit en matière fiscale .......................................................... 176
I- Dyade d’éléments constitutifs de l’abus ............................................................................ 176
A- L’élément matériel de l’abus de droit ........................................................................... 177
B- L’élément moral de l’abus de droit ............................................................................... 178
II- Agrégat de formes d’abus de droit en matière fiscale ....................................................... 179
A- L’abus de droit en tant que simulation ......................................................................... 180
a-La simulation par actes fictifs ....................................................................................... 180
b-La simulation par actes déguisés ................................................................................... 181
c-La simulation par interposition de personnes ................................................................ 183
B- L’abus de droit en tant que fraude à la loi .................................................................... 184
Titre Deuxième : Unicité du concept d’abus dans les procédés de concentration ................................ 191
Chapitre Premier : Unicité quant à l’existence d’un usage dommageable ...................................... 192
Section Première : Le concept d’abus dans les procédés de concentration et la notion d’usage ......... 192
Sous-section Première : La notion d’usage en matière pénale…………………………………….193
Sous-section Deuxième : La notion d’usage en certaines matières du droit privé ........................... 197
Section Deuxième : Le concept d’abus dans les procédés de concentration et la notion de dommage200

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TABLE DES MATIERES

Sous-section Première : La notion de préjudice dans l’abus à l’aune des procédés de concentration
.......................................................................................................................................................... 202
-§1- : La détermination du préjudice interne à l’opération de concentration ............................... 203
-§2- : La détermination du préjudice externe à l’opération de concentration .............................. 208
Sous-section Deuxième : Le préjudice et les notions voisines de l’abus dans les procédés de
concentration .................................................................................................................................... 216
Chapitre Deuxième : Unicité quant à l’atteinte à un intérêt légitime........................................................ 221
Section Première : Le concept d’abus en rapport avec l’intérêt social ................................................ 222
Sous-section Première : La notion d’intérêt social à l’aune des procédés de concentration ............ 223
Sous-section Deuxième : L’acte contraire à l’intérêt social dans les procédés de concentration .... 232
Section Deuxième : Le concept d’abus en rapport avec des intérêts extra-sociaux ............................. 235
Sous-section Première : Pour une prise en compte de l’intérêt commun du groupe de sociétés ..... 235
-§1- : La détermination de la notion d’abus par l’atteinte à l’intérêt commun du groupe………235
I- Essai de définition de l’intérêt commun du groupe ........................................................... 236
A- L’apport doctrinal ......................................................................................................... 237
B- L’appréhension jurisprudentielle .................................................................................. 239
II- L’atteinte à l’intérêt commun du groupe ........................................................................... 241
A- Les raisons du choix de l’atteinte à l’intérêt commun du groupe................................. 241
B- Le choix jurisprudentiel de l’atteinte à l’intérêt commun du groupe ........................... 243
-§2- : La détermination de la notion d’abus en cas de conflit entre l’intérêt social et l’intérêt
commun du groupe ....................................................................................................................... 247
I- La prévalence de l’intérêt social dans la détermination de la notion d’abus ..................... 247
A- La prévalence de l’intérêt social dans la détermination de l’abus de majorité ............. 248
B- La prévalence de l’intérêt social dans la détermination de l’abus de biens sociaux..... 250
C- La prévalence de l’intérêt social en matière fiscale ...................................................... 253
II- Les dangers de la prévalence de l’intérêt social ................................................................ 255
A- Les dangers immédiats ................................................................................................. 255
a-Déséquilibre au niveau des relations minoritaires-dirigeants dans les procédés de
concentration .................................................................................................................... 256
b-Déséquilibre au niveau du bien-fondé de la notion d’abus dans les procédés de
concentration .................................................................................................................... 257
B- Les dangers médiats ...................................................................................................... 259
Sous-section Deuxième : La protection des intérêts légitimes des tiers dans les procédés de
concentration .................................................................................................................................... 262
-§1- : La protection des intérêts de l’Etat en matière fiscale ........................................................ 264
-§2- : La protection des intérêts extra-étatiques dans les procédés de concentration................... 266
Sous-section troisième : L’atteinte à l’intérêt général à l’aune des procédés de concentration ....... 270
Conclusion de la Première Partie ..................................................................................... 277
DEUXIEME PARTIE : Unification du régime spécifique A l’abus dans les procédés de concentration
.......................................................................................................................................................................... 280

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TABLE DES MATIERES

Titre Premier : Prééminence de la prévention de l’abus dans les procédés de concentration ............ 282
Chapitre premier : L’unification quant aux moyens de prévention de l’abus dans les procédés de
concentration .................................................................................................................................................. 283
Section Première : L’unification par la consolidation des moyens classiques de prévention de l’abus
.............................................................................................................................................................. 283
Sous-section Première : La consolidation de la prévention par l’information……………………284
-§1- : La détermination de l’information sociale dans les procédés de concentration ................. 285
I- L’information globale des associés dans les procédés de concentration ........................... 285
A- L’information préalable à la tenue de l’AGE ............................................................... 285
B- L’information permanente dans les procédés de concentration ................................... 291
II- L’information ponctuelle des associés dans les procédés de concentration ...................... 296
A- Les mesures publicitaires dans les opérations de fusion et de scission ........................ 296
a-La publicité interne de l’opération de concentration ..................................................... 296
b-La publicité externe de l’opération de concentration .................................................... 298
B- Les mesures informatives dans le groupe de sociétés .................................................. 300
a-Le rapport de gestion du groupe .................................................................................... 300
b-Les comptes consolidés du groupe................................................................................ 302
-§2- : La modernisation de l’information sociale dans les procédés de concentration ................ 305
I- Les raisons de la modernisation de l’information dans les procédés de concentration ..... 305
A- L’apathie des actionnaires : une réalité marquante des procédés de concentration ..... 305
a-L’absentéisme des actionnaires : accentué dans les procédés de concentration ........... 305
b-La représentation des associés : « stérile » à l’aune des procédés de concentration..... 307
B- Le manque d’information : un problème palpable dans les procédés de concentration308
a-Les difficultés d’accès à l’information dans les procédés de concentration ................. 308
b-La technicité de la documentation sociale : spécificité de la concentration ................. 309
II- Essai sur la modernisation de l’information sociale dans les procédés de concentration . 311
A- Pour un accès à l’information sociale par mandataire .................................................. 311
B- Pour une information par envoi des documents ........................................................... 312
C- Pour la généralisation du vote par correspondance ...................................................... 314
D- Pour un recours aux nouvelles technologies de l’information dans les procédés de
concentration ........................................................................................................................ 315
a-Les nouvelles technologies de l’information et la diffusion de l’information sociale .. 316
b-Les nouvelles technologies de l’information et l’exercice du droit de vote ................. 317
Sous-section Deuxième : .................................................................................................................. 321
La prévention de l’abus sans rapport avec l’information ................................................................. 321
-§1- : La prévention relative à certains droits influant sur la concentration................................. 321
I- Pour une généralisation du droit de retrait des minoritaires .............................................. 321
II- La suppression du vote fictif ............................................................................................. 325

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1029
TABLE DES MATIERES

III- Le contrôle administratif préalable de la concentration .................................................... 326


-§2- : La prévention de l’abus par l’atteinte au principe de la liberté contractuelle..................... 334
I- L’atteinte à la liberté contractuelle par la réglementation des participations réciproques 335
A- Les raisons de l’atteinte à la liberté contractuelle ........................................................ 335
B- L’efficacité de l’atteinte à la liberté contractuelle ........................................................ 336
II- L’atteinte à la liberté contractuelle par la réglementation des conventions intragroupes.. 338
A- Le domaine de l’atteinte à la liberté contractuelle........................................................ 338
B- La mesure de l’atteinte à la liberté contractuelle dans les conventions intragroupes ... 339
a-La mesure de l’atteinte au niveau des opérations financières ....................................... 339
b-La mesure de l’atteinte au niveau des conventions entre sociétés ayant les mêmes
dirigeants .......................................................................................................................... 341
Section Deuxième : L’unification par l’adjonction de nouveaux moyens préventifs de l’abus........... 343
Sous-section Première : Pour l’institution de la règle de l’unanimité dans les opérations de fusion ou
de scission…………………………………………………………………………………………344
Sous-section Deuxième : Pour une contractualisation des procédés de concentration .................... 349
-§1- : Une mise en valeur nécessaire des pactes d’actionnaires dans les procédés de concentration
...................................................................................................................................................... 349
-§2- : Pour une institution de contrats-types dans les opérations de fusion ou de scission .......... 352
Chapitre Deuxième : L’unification quant aux organes de prévention de l’abus dans les procédés de
concentration .................................................................................................................................................. 357
Section Première : L’unification par le perfectionnement des organes traditionnels de prévention de
l’abus .................................................................................................................................................... 357
Sous-section Première : Le perfectionnement des organes internes de la prévention…………….358
-§1- Le perfectionnement du rôle du commissaire aux comptes dans les procédés de
concentration…………………………………………………………………………………….358
-§2- Le perfectionnement du rôle de l’expert spécialisé dans les procédés de concentration...... 366
-§3- : La consolidation du contrôle assuré par le conseil de surveillance dans les procédés de
concentration ................................................................................................................................ 370
Sous-section Deuxième : Le perfectionnement du rôle des organes externes de la prévention des
abus ................................................................................................................................................... 373
-§1- La consolidation du rôle de l’expert de gestion dans les procédés de concentration………373
-§2- : L’amélioration de l’intervention du C.M.F dans les procédés de concentration ………….380
-§4- Pour une consolidation du rôle préventif du juge des référés dans les procédés de
concentration ................................................................................................................................ 385
Section Deuxième : L’unification par l’institution de nouveaux organes de prévention de l’abus ..... 388
Sous-section Première : Adjonction de nouveaux organes intérieurs de prévention de l’abus……389
-§1- Pour une multiplication nécessaire des comités de contrôle ................................................ 389
I- Le perfectionnement du rôle du comité d’audit................................................................. 389
II- Pour une consécration légale d’autres comités de contrôle ............................................... 393
-§2- : Pour une consécration légale de la pratique du conseiller juridique dans les procédés de
concentration ................................................................................................................................ 397

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1030
TABLE DES MATIERES

-§3- : Pour une optimisation du recours aux administrateurs indépendants dans les procédés de
concentration ................................................................................................................................ 400
Sous-section Deuxième : Adjonction de nouveaux organes extérieurs de prévention de l’abus ..... 405
-§1- : Pour la création d’une commission spéciale de la concentration : ..................................... 405
-§2- : La nécessaire reconnaissance des associations de défense des actionnaires et des
investisseurs.................................................................................................................................. 409
Titre Deuxième:Adaptation du régime curatif de l’abus dans les procédés de concentration ..................... 413
Chapitre premier : Unification par adoucissement des sanctions pénales dans les procédés de
concentration .................................................................................................................................................. 414
Section Première
Le pourquoi : Déficience du régime pénal actuel................................................................................. 415
Sous-section Première : La notion d’abus face au vide législatif répressif……………………….415
-§1- : Les raisons du vide législatif .............................................................................................. 415
-§2- : Le résultat du vide législatif répressif................................................................................. 417
I- L’illogisme du vide législatif répressif .............................................................................. 417
II- Les dangers du vide législatif ............................................................................................ 419
Sous-section Deuxième : La notion d’abus face au pluralisme du droit pénal de la concentration . 421
-§1- : Les manifestations du pluralisme juridique………………………………………………421
-§2- : Les inconséquences du pluralisme juridique ...................................................................... 425
I- Les inconséquences juridiques………………………………………………………….426
II- Les inconséquences pratiques ............................................................................................ 429
Section Deuxième
Le comment : la dépénalisation en matière de concentration .............................................................. 432
Sous-section Première : La détermination de la dépénalisation dans les procédés de
concentration………………………………………………………………………………………433
Sous-section Deuxième : La réalisation de la dépénalisation dans les procédés de concentration .. 436
-§1- : Le perfectionnement de la législation pénale dans les procédés de concentration………..436
I- La nécessaire décriminalisation de certains abus .............................................................. 437
II- Pour une modernisation de la sanction pénale dans les procédés de concentration .......... 439
III- Pour une modernisation de la responsabilité pénale dans les procédés de concentration . 445
IV- La nécessaire évolution de la légistique pénale dans les procédés de concentration ........ 449
-§2- : L’adaptation de la pratique judiciaire dans les procédés de concentration ........................ 451
I- Pour une reconnaissance légale du principe « specialia generalibus derogant » ............. 451
II- La nécessaire formation des juges en matière de concentration ........................................ 455
Chapitre Deuxième : Unification par renforcement des sanctions extra pénales dans les procédés de
concentration .................................................................................................................................................. 459
Section Première : Le regain des sanctions civiles à l’aune des procédés de concentration ............... 459
Sous-section Première :Un « toilettage » nécessaire de la sanction de nullité dans les procédés de
concentration .................................................................................................................................... 460
-§1- : Pour une institution du principe « pas de nullité sans texte » dans les procédés de
concentration ................................................................................................................................ 461

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1031
TABLE DES MATIERES

-§2-: La précision nécéssaire de la nullité dans les procédés de concentration ........................... 467
I- La nullité et l’abus de la personnalité morale dans les procédés de concentration………..467
III- La nullité et l’abus de majorité dans les procédés de concentration ................................. 469
A- Les conditions de mise en œuvre de l’action sociale ................................................... 470
B- Les effets de l’action sociale......................................................................................... 472
-§3- : La nullité et les abus résultant de la violation des articles 474 et 475 CSC ....................... 473
Sous-section Deuxième : Une extension souhaitée des autres sanctions civiles dans les procédés de
concentration .................................................................................................................................... 476
-§1- : Les sanctions civiles en rapport avec la procédure collective, une extension entérinée dans
la concentration ………………………………………………………………………………...476
I- L’extension de la procédure collective aux autres sociétés du groupe .............................. 476
A- La mise en œuvre de l’extension de la procédure collective ........................................ 477
a-La qualité pour agir ....................................................................................................... 477
b-Le tribunal compétent .................................................................................................. 478
B- Les effets de l’extension de la procédure collective dans le groupe............................. 479
a-L’ouverture d’une procédure unique ............................................................................. 479
b-La constitution d’un patrimoine unique ........................................................................ 480
II- L’extension de la faillite aux dirigeants du groupe ........................................................... 481
A- Les dirigeants visés par l’extension de la faillite.......................................................... 481
B- Les faits à reprocher aux dirigeants .............................................................................. 483
-§2- : Les sanctions civiles sans rapport avec la procédure collective, une extension à entériner
dans la concentration .................................................................................................................... 484
I- L’élargissement de la responsabilité civile dans les procédés de concentration ............... 484
A- Un champ d’application large de la responsabilité civile…………………………….485
B- Pour une institutionnalisation des dommages-intérêts punitifs dans les procédés de
concentration ........................................................................................................................ 487
C- Pour une reconnaissance de la « class action » dans les procédés de concentration des
sociétés : ............................................................................................................................... 495
II- Diversité des sanctions envisageables en cas d’abus de minorité dans les procédés de
concentration des sociétés ........................................................................................................ 499
A- Les sanctions à éluder dans les procédés de concentration .......................................... 500
a-L'exclusion des minoritaires .......................................................................................... 500
b-La dissolution de la société ........................................................................................... 503
B- La sanction à retenir : La substitution du juge aux organes sociaux compétents ......... 504
a-La désignation d’un mandataire ad hoc : sanction inefficace dans les procédés de
concentration .................................................................................................................... 505
b-La décision valant vote : sanction efficace dans les procédés de concentration ........... 506
Section Deuxième : Pour un raffermissement des sanctions administratives de l’abus dans les procédés
de concentration ................................................................................................................................... 511
Sous-section première : Diagnostic des sanctions administratives des abus dans les procédés de
concentration .................................................................................................................................... 513

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1032
TABLE DES MATIERES

-§1- : Agrégat de sanctions administratives des abus dans les procédés de concentration .......... 514
I- Multiplicité des sanctions administratives en matière financière : .................................... 514
II- Multiplicité des sanctions administratives en matière concurrentielle : ............................ 518
-§2- : Inefficacité des sanctions administratives des abus dans les procédés de concentration ... 522
I- Effritement de la sanction administrative en cas d’opérations de fusion ou de scission : . 522
II- Vileté des sanctions administratives à l’aune des procédés de concentration ................... 525
III- Une abdication énigmatique du CMF dans lutte contre les abus boursiers ....................... 526
Sous-section deuxième : Thérapeutique des sanctions administratives des abus dans les procédés de
concentration .................................................................................................................................... 531
-§1- : Pour une consécration des tentatives d’abus en matière de concentration des sociétés ..... 532
-§2- : Pour l’octroi d’un pouvoir d’indemnisation aux autorités de régulation............................ 533
-§3- : Pour un pouvoir de transaction des autorités de régulation ................................................ 535
CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE ............................................................... 538
CONCLUSION GENERALE .......................................................................................... 541
BIBLIOGRAPHIE ........................................................................................................... 549
INDEX ALPHABETIQUE .............................................................................................. 617
LES ANNEXES ............................................................................................................... 632
Annexe n° 1 : Les travaux préparatoires du projet de la loi n° 2001-117 du 6-12-2001. 635
Annexe n° 2 : Jugement du conseil de la concurrence n° 2142 du 25-9-2003. ............. 652
Annexe n° 3 : Jugement de la commission de taxation d’offre de Sfax du 26 novembre
1999. ................................................................................................................................. 655
Annexe n° 4 : jugement du tribunal de première instance de Tunis n°32 du 25-9-2003. 669
Annexe n° 5 : Jugement du tribunal de première instance de Sfax n°60 du 5-10-2000 ;
(affaire SOMAF). ............................................................................................................. 673
Annexe n° 6 : Jugement du tribunal de première instance de Sfax n°77 du 10-4-2001 ;
(affaire SOMAF). ............................................................................................................. 677
Annexe n° 7 : Jugement du tribunal de première instance de Sfax n°77 du 15-10-2002 ;
(affaire SOMAF). ............................................................................................................. 683
Annexe n° 8 : Décision (TPI de Tunis) d’homologation d’un accord amiable conclu entre
la société HELA BATAM et ses créanciers. .................................................................... 697
Annexe n° 9 : Décision (TPI de Tunis) d’homologation d’un accord amiable conclu entre
la société BONPRIX (filiale du groupe BATAM) et ses créanciers. ............................... 702
Annexe n°10 : Cour de cassation, déc.n° 59546, du 27-12-1994..................................... 707
Annexe n° 11 : Cour de cassation, déc.n° 83831, du 25-3-1997...................................... 718
Annexe n°12 : Cour de cassation, déc. n° 3650, du 14-4-2000........................................ 720
Annexe n°13 : Cour de cassation, déc.n°45257du 18-7-2003.......................................... 724
Annexe n°14 : Cour d’appel de Monastir, Arrêt n° 1755, du 17-5-1994. ........................ 734
Annexe n° 15 : Proposition d’un règlement du conseil des communautés portant statut des
SA européennes (comportant une réglementation relative au groupe de sociétés) .......... 736

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1033
TABLE DES MATIERES

Annexe n°16 : Proposition de loi sur les groupes de sociétés et la protection des
actionnaires et du personnel (proposition de loi Couste) ................................................. 743
Annexe n° 17 : Liste des sociétés affiliées au Groupe POULINA. .................................. 755
Annexe n° 18 : Organigramme du groupe Victoire et celui de la compagnie financière de
PARIBAS. ........................................................................................................................ 759
Annexe n° 19 : Un exemple d’états financiers consolidés. .............................................. 761
Annexe n° 20 : Cour de cassation, déc. n° 2006/4795, du 06/02/2007 ............................ 786
Annexe n° 21 : Cour de cassation française, déc. n° 57-02531 du 06/02/1957 approuvant
l'arrêt rendu, le 5 mai 1953, par la Cour d'appel de Tunis................................................ 800
Annexe n° 22 : Cour de cassation, déc. n° 2007-22157 du 13/01/2009 ; déc. n° 2007-
20412 du 28/10/2008 ; déc. n° 2007-15920 du 19/03/2008 ; déc. n° 15886 du 17/03/2008 ;
déc. n° 2006-9492 du 17/09/2007 .................................................................................... 804
Annexe 23 : Code belge des sociétés commerciales : Chapitre III du livre 11 : Procédures
à suivre lors de la scission de de sociétés. ........................................................................ 834
Annexe n° 24 : Traité d’apport partiel d’actif soumis au régime juridique des scissions.852
Annexe n° 25 : Dossier relatif à la fusion absorption entre la STB, la BDET et la BNDT
.......................................................................................................................................... 879
Annexe n° 26 : Tableaux de statistique des opérations de fusion en Tunisie entre 1980 et
2000. ................................................................................................................................. 894
Annexe n° 27 : La directive communautaire relative au régime commun des fusions de
sociétés. ............................................................................................................................ 897
Annexes n° 28 : Exemple de traité de fusion. .................................................................. 906
Annexes n° 29 : Projet de traité de scission partielle. ...................................................... 927
Annexe n° 30 : Arrêt de la cour d’appel de tunis n° 17846 datant du 09/05/2012……...949
Annexe n° 31 : Modèles de contrat de filiale commune ou joint-venture…..…………..985

TABLE DES MATIERES ........................................................................................... 1025

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