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UNE DEMANDE
EIV MARIAGE
Comédie en un acte
d'AivTOiv Tchékhov
traduite du russe par
A. CHABOiSEAV
1922
TROISIÈME EDITION
LIBRAIRIE STOCK
PARIS Ci^, Éditeurs.
Oelamain, Boutelieau et
dkS7
J922
UNE DEMANDE EN MARIAGE
COMÉDIE EN UN ACTE
d'ANTON TCHÉKHOV
TRADUITE DU RUSSE PAR A. CHABOSEAU
PERSONNA GES :
LOMOF
Inestimable Stépane Stépanovitch, pensez-
Vous de quoi il s'agit. (Il lui saisit
allez savoir vous que je puisse espérer d'elle une réponse
le bras). Je me suis rendu ici, inestimable Sté- favorable ?
pane Stépanovitch pour vous importuner
,
tôt de faire appel à votre obligeance, et tou- de votre prestance! Je gagerais que déjà elle
jours vous... en somme... pour ainsi dire... raffole de vous. Patientez un instant.
Excusez-moi, je me sens un peu agité... Il faut
que j'avale un verre d'eau, inestimable Stépane (Il sort.)
Stépanovitch.
(Il boit.)
Tout de suite. M'y voilà. (Précipitamment.) D'abord, j'ai trente-cinq ans, et c'est un âge
critique entre tous. Ensuite, j'ai grand besoin
Je suis venu vous demander la main de votre
fille Natalia Stépanovna. d'une existence soigneusement réglée. J'ai une
maladie de cœur, avec des palpitations à propos
TCHÉBOUKOF, exultant de joie. de tout et de rien. Je suis presque constamment
agité. Ainsi, en ce moment, mes lèvres tremblent,
O le plus délicieux des amis, répète ce que et j'ai un battement de la paupière supérieure
tu as proféré là, répète-le, car je crains d'avoir droite. Mais ce qu'il y a de plus atroce, c'est
mal entendu. mon sommeU. Ou plutôt, mon insomnie quasi
LOMOF, gravement. perpétuelle. A peine suis- je installé dans mon
lit, à peine commencé-je à m'assoupir, et, tic !
LOMOF
NATALIA Des actes sont pour l'établir. Je n'ignore
là
Je vous écoute. (Un silence.) Eh bien? pas que, dans le temps, il y a eu des histoires
au sujet de ce pré mais à présent, tout le
;
tienne, moi, à ce pré. Il n'y a là pas plus de que de ma vie je ne me suis approprié les terres
cinq cents déciatines, et qui valent à peine de mon prochain, et que jamais je ne permettrai
trois cents roubles. Mais je ne saurais tolérer à qui que ce soit de formuler contre moi une
l'injustice. Vous direz ce que vous voudrez, accusation qui... (Il se verse précipitamment un
je ne la tolérerai pas !
verre d'eau et l'avale d'un trait.) En un mot
comme en mille, ce pré est à moi.
LOMOF NATALIA
Écoutez-moi, je vous en supplie. Les paysans Ce n'est pas vrai, il est à nous.
du grand-père de votre père, comme j'ai déjà
eu l'honneur de vous l'expliquer, confection- LOMOF
naient des matelas pour la grand'mère de ma A moi.
tante. Cette grand'mère, dans son désir de leur
rendre service... NATALIA
TCHÉBOUKOF
SCÈNE IV Je vous en défie bien, mon bijou.
Permettez à votre tour, mon cher. Vous ainsi que se comportent de bons voisins, Stépane
oubliez que, si ces paysans ne payaient rien Stépanovitch. Non, vous n'êtes pas un bon voi-
à votre grand'mère... sin ; vous êtes un imposteur !
UNE DEMANDE EN MARIAGE
TCHEBOUKOF LOMOF, à part.
TCHEBOUKOF TCHEBOUKOF
Qu'avez-vous dit, monsieur? Vous n'êtes qu'im faux bonhomme, et le
plus astucieux des individus Oui, vous n'êtes !
SCÈNE V
LOMOF TCHEBOUKOF, NATALIA
Je vous défends d'insulter ma famille Tous !
votre oncle.
TCHEBOUKOF NATALIA
N'empêche que tous étaient des aliénés. Quel scélérat ! Fiez-vous donc à vos voisins !
NATALIA TCHEBOUKOF
Oui, tous, tous, tous !
Le bandit ! Le monstre !
TCHEBOUKOF NATALIA
Votre grand-père buvait comm.e le sable, L'horreur Cela vous dévalise, et puis cela
!
TCHEBOUKOF TCHEBOUKOF
Voyez-moi ce fils de joueur, de libertin, de... Parbleu, une demande en mariage. Il voulait
t'épouser, cet animal, ce...
NATALIA
NATALIA
Et votre tante, cette vieille pimbêche, ah !
NATALIA TCHÉBOUKOF
Il voulait... m'épouser... lui... moi? (Elle s'af- Bon ! faut-il que les torts soient de mon côté?
faisse sur un fauteuil et se met à gémir.) Rappelle- (La porte s'ouvre.) C'est lui, je file.
le, rappelle-le ! Vite, vite !
NATALIA
SCÈNE VIII
Lui, lui, Ivan Vassiliévitch. Ah ! je défaille !
NATALIA, LOMOF
Rappelle-le Je me sens m'en aller
! !
TCHÉBOUKOF LOMOF
J 'y cours, ne hurle pas comme ça I
SCÈNE VI NATALIA
NATALIA, seule. Oui, ce pré est à vous, bien à vous. Asseyez-
vous donc. Les torts sont de notre côté.
Qu'avons-nous fait? Reviendra-t-il?
LOMOF
Mon Dieu, il n'y a là qu'une question de prin-
SCÈNE VII cipe. Ce
principe.
n'est pas à ce pré que je tiens, c'est au
NATALIA
LOMOF
Décidément, Ivan VassiHévitch, vous êtes
Je l'ignore. Il ou il aura été
se sera blessé, tourmenté aujourd'hui par le besoin de contre-
mordu par d'autres chiens. Une si bonne bête dire. Tout à l'heure, vous vous figuriez
!
que ce
Et qui m'a coûté si cher Je l'ai payé à Miranof
! pré était vôtre. A présent, vous prétendez
cent vingt-cinq roubles !
qu'Ougadaï est supérieur à Otkataï. Je n'aime
pas que l'on ne dise pas ce que l'on pense. Vous
NATALIA savez parfaitement qu'Otkataï vaut cent fois
plus que votre espèce d'Ougadaï. Alors, poiiir-
C'était trop, beaucoup trop, Ivan Vassilié- quoi parler en sens contraire?
vitch.
LOMOF
LOMOF
Il valait davantage, au contraire. Il n'a pas
son pareil. Je vois, Natalia Stépanovna, que vous me
prenez pour un être borné, que vous vous ima-
NATALIA gmez que j'ai la berlue. Mais, que diable, per-
sonne n'ignore que votre Otkataï n'a pas de
Mon père a acheté quatre-vingt-six roubles
flair.
son Otkataï, et vous conviendrez qu'Otkataï
est infiniment plus beau que votre Ougadaï. NATALIA
de la déclarer plus courte que celle d'Ougadaï? à Otkataï un chien qui n'est plus bon qu'à être
abattu !
LOMOF LOMOF
Je l'ai mesurée.
Excusez-moi, je ne puis discuter davantage,
NATALIA car mes palpitations me reprennent,
D'abord, notre Otkataï est de race. Son père
était lapriagaï, et sa mère, Stameska, NATALIA
tandis
qu on n'a jamais pu savoir qui étaient les pa- Vous n'aviez qu'à ne pas crier tant.
UNE DEMANDE EN MARIAGE
LOMOF TCHÉBOUKOF
Mademoiselle, par pitié, cessez ! Mon cœur va Ne vous agitez pas, mon ami, et écoutez-moi.
éclater ! Votre Ougadaï a beaucoup de qualités. Il est
de race il a de la prestance, il séduit l'œil...
NATALIA ;
NATALIA LOMOF
SCÈNE IX TCHÉBOUKOF
Les mêmes, TCHÉBOUKOF C'est faux, archifaux Tenez, ami, je sens la
!
celle d'Ougadaï?
LOMOF
TCHÉBOUKOF
Et quand même elle serait plus courte, q^u'est- Je me retiendrai, parce que je ne sens plus
ce que cela peut faire? Otkataï n'en serait pas
ma jambe gauche, et que mon cœur est tout
près d'éclater.
moins le meillem: chien du pays.
NATALIA
LOMOF
Ah oui, vos palpitations. Pauvre chasseur
! I
Après Ougadaï, n'est-ce pas? Votre place est dans un fauteuil à oreillettes.
UNE DEMANDE EN MARIAGE
au coin du feu, avec de la tisane à votre portée. NATALIA
Pauvre chasseur î
LOMOF NATALIA
Oui, un intrigant !
Il meurt... Je meurs... Nous mourons...
TCHÉBOUKOF TCHÉBOUKOF
Polisson !
De l'air De l'eau Des médecins {Il appuie
! ! !
Silence, ou je vous tords le cou comme à un attendu jusqu'à ce jour pour me pendre,
poulet ! m'égorger, m'étrangler, m'étouffer, me noyer,
LOMOF m'empoisonner avec le premier revolver venu !
—
!
Personne n'ignore oh mon cœur que — {Lomof remue.) Il ressuscite Tenez, buvez.
—
!
—
! !
Voilà, voilà, ça y est, mon cœur a éclaté, quatre mains et les unit.) Elle consent. Je vous
mon épaule se détache, je... je... Un médecin ! bénis. Et à présent, laissez-moi tranquille.
NATALIA LOMOF
Hou, hou, le vilain pistolet I Hein? EUe consent? Qui? A quoi?
LOMOF TCHÉBOUKOF
Un médecin !... un mé... Oui, oui, embrassez-vous, et déguerpissez,
(Il s'évanouit.) que je n'entende plus de pareils vacarmes.
UNE DEMANDE EN MARIAGE
NATALIA LOMOF
Il est vrai, je consens. Permettez, il vaut mieux que votre chien.
NATALIA
TCHÉBOUKOF
Si l'on peut dire I
je suis heureux !
LOMOF
Ougadaï...
NATALIA NATALIA
Otkataï...
Et moi aussi, je suis heureuse, Ivan Vassilié-
TCHÉBOUKOF
vitch. Seulement, convenez à présent qu'Ou-
gadaï ne vaut pas Otkataï. Du Champagne, du Champagne !
RIDEAU
sous une
Les meilleures productions du théâtre contemporain
forme élégante, à un prix très réduit. Une lecture agréable, —
une collection qui fera prime, un choix d'excellentes
pièces
UBRAIRIE STOC
Delamain, Boutelleau et C'e, Libraires-Éditeurs. PARIS
Honoré (place du Théâtre- Français), et 7. rue du Vieux- Colombier.
155, rue Saint