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TU es toujours punk ?
Je crois que oui.
BOBBY GILLESPIE,
CHANTEUR ET PAROLIER DE PRIMAL SCREAM
ENTRETIEN AVEC PABLO GIL
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LES miroirs ne doivent pas être dans une autre position que
verticale, ils ne doivent pas refléter un autre monde que celui
qui s’élève parallèle aux lignes de force gravitationnelles.
Quelle monstruosité constituerait un miroir au sol, horizontal,
qui refléterait uniquement le vide du ciel et son absence
d’horizon, le miroir plane des nageurs qui du coin de l’œil ne
voient que de faux plafonds. Mais, plus encore, quelle
monstruosité constituerait un miroir collé au plafond, nous
copiant sans cesse vus du ciel, tous transformés en cartes, en
simples croquis marchant, flottant au-dessus du centre de la
Terre, tous transformés en lumière saisie, déminéralisée. Mais
les miroirs n’importent plus, plus personne ne s’intéresse aux
copies, le morphing (traitement informatique des visages qui
déforme les traits sans parvenir à les défigurer totalement) fait
rage. Artaud l’a dit : “Le visage humain est une force vide, un
champ de mort. […] Ce qui veut dire que le visage humain n’a
pas encore trouvé sa face […]. Depuis mille et mille ans en
effet que le visage humain parle et respire, on a encore comme
l’impression qu’il n’a pas encore commencé à dire ce qu’il est
et ce qu’il sait.” Ainsi, à ce jour, Frankenstein, Tetsuo,
M. Spock, Mortadel, le Baron Ashura ne sont rien de plus que
de timides émulsions de ce qui adviendra. À ce moment-là, la
lumière s’arrêtera sur chacun de nos visages et il n’y aura
besoin d’aucune image spéculaire. Des scientifiques de
Berkeley viennent d’annoncer dans Nature qu’ils ont déjà
capturé cette lumière.
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ÉPILOGUE
SELON les dires des anciens, celui qui tue un ennemi sur le
champ de bataille doit être semblable au faucon qui tue un
oiseau. Même au cœur d’une nuée de 1000 oiseaux, il ne prête
attention à aucun qui ne soit celui qu’il a désigné.
-
“VOYONS voir, Ji, dis quelque chose pour terminer !” “Eh bien,
y a rien qui me vient…” “Dis ce que tu veux…” “Ah, si ! En
paraphrasant Woody Allen à la fin de Annie Hall : vous savez
bien, en art on essaye toujours de faire en sorte que les choses
soient parfaites, parce que dans la vie réelle, c’est très difficile.
Cependant, j’ai revu Sandra. Cela s’est produit dans la partie
haute de Londres, elle vivait avec un type près de la Tate, et le
comble c’est que, quand je l’ai rencontrée, elle le traînait voir
Voyage en Italie de Rossellini, ce que j’ai considéré comme un
triomphe personnel. Sandra et moi avons déjeuné ensemble
quelques jours plus tard, et nous nous sommes remémoré les
temps anciens, quand je lui ai acheté la cravate Colgate, et à
quel point elle m’avait paru petite le jour où elle m’avait parlé
pour la première fois tandis que je peignais les chewing-gums,
ou le jour où nous avons couché sous la panse du T-Rex, ou
quand je lui racontais mes triomphes soviétiques au parchís et
qu’elle me regardait avec des yeux crédules, et cette fois où
j’ai dessiné un cadre sur le papier peint de sa chambre, et qu’il
lui a tellement plu que, quand elle est partie, elle l’a arraché
tout entier pour l’emporter, et la cuite qu’on s’est prise avec ce
vieux gaucho cinglé qui vivait sur une terrasse et nous parlait
des Boules Ouvertes, ou quand on regardait le catch américain
au lit, sur sa télé portative, et que je me déguisais en super-
héros pour me jeter sur elle. Enfin, après il s’est fait tard. On
devait s’en aller tous les 2, mais ce fut magnifique de revoir
Sandra. J’ai compris que c’était une personne époustouflante,
et qu’il avait été formidable de la rencontrer. Et je me suis
rappelé cette vieille blague, vous savez, celle du type qui va
chez le psy et lui dit : ‘Docteur, mon frère est devenu fou, il se
prend pour une poule.’ Et le médecin répond : ‘Bon, et
pourquoi vous ne le faites pas enfermer ?’ Et le type réplique :
‘Je le ferais bien, mais c’est que j’ai besoin des œufs.’ Et,
finalement, je crois que cela exprime tout à fait ce que je pense
des relations personnelles, vous voyez ? Elles sont
complètement irrationnelles, disparates, absurdes, mais nous
continuons de les entretenir parce que la majorité d’entre nous
a besoin d’œufs.
Précisions et crédits
PRÉCISIONS ET CRÉDITS
1. Pour la présente édition, nous avons donné les versions déjà existantes en français des articles ou
ouvrages cités par l’auteur, ou les avons traduits depuis leur langue originale. Par contre, les textes ayant
fait l’objet d’une réécriture sont directement traduits depuis l’espagnol et signalés dans la présente
bibliographie par un astérisque. Ces références sont données ici par ordre d’apparition dans le texte.
Titre original
TITRE ORIGINAL
Nocilla Experience
Du même auteur
Du même auteur aux éditions Allia
Nocilla Dream
Crédits
Le présent ouvrage a paru pour la première fois aux éditions Alfaguara à Madrid
en 2008.
© Agustín Fernández Mallo, 2008. By arrangement with Literarische Agentur
Mertin Inh. Nicole Witt e. K., Frankfurt am Main, Germany.
ISBN :
978-2-84485-890-0
ISBN de la présente version électronique :
978-2-84485-941-9
Éditions Allia
16, rue Charlemagne
75 004 Paris
www.editions-allia.com