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Dans ce chapitre, on considère des systèmes dynamiques en temps discret t ∈ IN, c’est-à-dire
que leur évolution temporelle n’est pas définie de façon continue par une équation différentielle,
mais par une application itérative, ou relation de récurrence, discrète. Ces applications simples,
même pour des systèmes uni-dimensionnels, peuvent déjà présenter des comportements chao-
tiques, dont nous allons mettre en évidence les principaux aspects.
La séquence des {x(t)}t∈IN , à partir d’un x(0) ∈ IRd donné forme l’orbite de l’application depuis
x(0), i.e. la trajectoire issue de x(0), qui s’écrit explicitement
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dimensionalité réduite. Le comportement chaotique du système complet peut ainsi être caracté-
risé de façon beaucoup plus simple à partir de la dynamique discrète sur la section de Poincaré.
L’étude et la compréhension des dynamiques discrètes jouent donc un rôle prépondérant. Enfin,
ces modèles en temps discret se prêtent très simplement à des simulations numériques, ce qui les
rend très attractifs pour l’étude du chaos.
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II.1.3 Etude générale
Comme pour les systèmes décrits par une équation différentielle, la dynamique en temps
discret peut être étudiée à partir de l’ensemble des points fixes et leur stabilité. Un point fixe x∗
de l’application f vérifie f (x∗ ) = x∗ . Si pour un temps t donné, x(t) = x∗ , alors l’orbite devient
stationnaire pour tout temps ultérieur, i.e. x(t + k) = x∗ pour tout k > 0. La stabilité d’un point
fixe peut être déterminée par l’analyse d’une petite perturbation ε(t) au point fixe. Supposons
que x(t) = x∗ + ε(t), alors
On en déduit qu’à l’ordre linéaire, ε(t + 1) = f 0 (x∗ )ε(t) ≡ λε(t). L’évolution temporelle de la
perturbation est donc donnée par ε(t) = λt ε(0) et x(t) = x∗ + λt (x(0) − x∗ ). Ainsi,
I si |λ| > 1, alors la perturbation croît avec le temps ε(t) → ∞ pour t → ∞, le point fixe
est instable, ou répulsif,
I si |λ| < 1, alors la perturbation décroît avec le temps ε(t) → 0 pour t → ∞, le point fixe
est linéairement stable ou attractif.
I si |λ| = 1, le point fixe est neutre ou marginal.
Pour étudier la dynamique des systèmes uni-dimensionnels en temps discret, on dispose en
outre d’un outil intéressant qui est la résolution graphique. En effet, l’évolution du système peut
être déterminée graphiquement en traçant le graphe de la fonction y = f (x) et la droite y = x.
A partir d’un point x(t), le point x(t + 1) est donné par l’intersection de la droite x = x(t) avec
la courbe y = f (x), et ce point peut alors être reporté sur l’axe des abscisses en se servant de
la droite y = x. En itérant cette construction, on obtient l’orbite du système à partir d’un point
x(0) choisi.
Pour illustrer cette méthode, considérons l’application linéaire f (x) = ax + b avec a et b réels.
Graphiquement, on obtient un point fixe à l’intersection des deux droites y = x et y = ax + b,
qui est stable si |a| < 1 et instable si |a| > 1, comme montré sur la Fig. II.2. L’analyse donne
effectivement un point fixe x∗ = b/(1 − a) pour a 6= 1, et comme f 0 (x∗ ) = a, il est attractif pour
|a| < 1 et répulsif pour |a| > 1.
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II.2 Application logistique
Après l’application linéaire, l’exemple le plus simple est une application quadratique. Ce-
pendant, malgré sa simplicité apparente, elle donne lieu à un comportement extrêmement riche.
L’application quadratique la plus célèbre est l’application logistique, proposée par Robert May
en 1976 pour modéliser la dynamique d’une population. Ce modèle très simplifié décrit la crois-
sance d’une population. Le nombre d’individus xn de la génération n se reproduit avec un taux
de reproduction µ. Cependant, pour ne pas obtenir simplement une croissance exponentielle
de la population, ce taux décroît lui-même avec xn et devient nul au-delà d’un certain seuil,
µ → µ(1 − x), ce qui prend en compte la déplétion des ressources. L’application logistique s’écrit
donc
xn+1 = f (xn ) f (x) = µx(1 − x) .
On considère des valeurs 0 < µ < 4, pour lesquelles l’image de l’intervalle [0, 1] est cet intervalle :
Pour une condition initiale hors de l’intervalle [0, 1], l’orbite associée diverge xn → −∞ pour
n → ∞. Or si µ > 4, il est probable qu’une itération envoie xn hors de l’intervalle [0, 1] et alors
la suite s’échappe vers l’infini. On se restreint donc dans la suite aux valeurs µ < 4 et à des
conditions initiales x0 ∈ [0, 1], pour lesquelles la dynamique est confinée dans [0, 1].
x∗a = 0 f 0 (x∗a ) = µ
1
x∗b = 1 − µ f 0 (x∗b ) = 2 − µ
Les figures ci-dessous illustrent pour chaque cas la construction graphique de la dynamique, et
l’évolution temporelle résultante xn en fonction de n.
I0<µ<1
le point fixe x∗a = 0 est stable
et x∗b est instable. Toutes les
orbites convergent vers l’ori-
gine quelque soit la condition
initiale x0 ∈ [0, 1].
I1<µ<3
l’origine devient instable et le
point fixe x∗b = 1 − µ1 de-
vient attracteur. Toutes les or-
bites convergent vers le point
x∗b quelque soit la condition
initiale x0 ∈ [0, 1].
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Le point µ = 1 correspond à une bifurcation transcritique.
Pour µ > 3, les deux points fixes x∗a et x∗b sont répulsifs. Considérons à présent les valeurs
3 < µ < 4.
√
I 3 < µ < 1 + 6 ' 3.45
Les deux points fixes x∗a
et x∗b sont instables, l’orbite
converge vers un cycle stable
{x1 , x2 } de période 2.
Les deux points qui constituent ce cycle {x1 , x2 } vérifient donc f (x1 ) = x2 et f (x2 ) = x1 , ce sont
donc des point fixes de l’application f 2 , car ils satisfont f (f (xi )) = xi . La stabilité de ce cycle
peut être déterminée ainsi
d 2 d d
f (x) = f (x) f (x) = f 0 (x1 )f 0 (x2 ) .
dx x=x1 dx x=f (x1 ) dx x=x1
La stabilité de x1 et de x2 est bien sûr identique. On définit un ensemble attracteur A pour l’appli-
cation f comme l’adhérence des orbites {xn } partant de toute condition initiale x0 . L’adhérence
d’une suite est l’ensemble des points x près desquels s’accumulent une infinité de termes de la
suite. On définit l’ensemble répulsif de f comme l’ensemble attracteur de l’application inverse
f −1 . Les deux valeurs {x1 , x2 √
} forment donc l’ensemble attracteur de f .
Après la valeur µ = 1 + 6, le cycle de période 2 devient instable (voir TD). Le système
présente alors une succession de bifurcations vers des cycles stables de période doublée à chaque
bifurcation. Ces cycles stables sont donc des points fixes de l’application f n , et leur stabilité peut
se déduire de manière analogue à partir de
n
d n Y
f (x) = f 0 (xi ) pour tout xk du cycle.
dx x=xk
i=1
Les bifurcations successives apparaissent pour des valeurs de plus en plus rapprochées, selon la
séquence énumérée dans la Tab. II.2.2.
Une observation remarquable, due à Feigenbaum (1978) est que la suite des valeurs de µn
montre une convergence géométrique vers la valeur µ∞ , i.e. µ∞ − µn ∝ δ −n , et que ce rapport
tend vers une constante
µn − µn−1
δn = −−−→ δ ' 4.6692016 .
µn+1 − µn n→∞
En outre, ce nombre s’avère universel, dans le sens où d’autres applications f , qui montre une sé-
quence de bifurcations avec doublement de période, possède le même taux de convergence δ. Plus
précisément, ce taux de convergence est identique pour toutes les applications uni-dimensionnelles
qui possède un maximum unique, localement quadratique 1 . La valeur de ce taux de conver-
2
f 000 (x) 3 f 00 (x)
1. La condition précise est que la dérivée Schwarzienne de f , donnée par 0 − , soit négative.
f (x) 2 f 0 (x)
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n période du cycle µn
1 2 3
2 4 3.44948
3 8 3.54408
4 16 3.56872
··· ··· ···
∞ apériodique 3.569946
Table II.1 – Séquence des bifurcations avec doublement de période pour l’application logistique.
gence a pu être mesurée expérimentalement, par exemple dans des expériences de convection
de Rayleigh-Bénard de mercure sous champ magnétique, ou dans des réactions chimiques de
Belousov-Zhabotinsky, voir dans la table Fig. II.2.2. Les causes sous-tendant l’émergence de cette
universalité sont profondes et peuvent se comprendre par des méthodes de physique théorique
avancées comme le groupe de renormalisation fonctionnel.
I µ > µ∞
Au-delà de µ∞ , la dynamique
devient apériodique, présen-
tant une évolution tempo-
relle chaotique. L’attracteur
est constitué d’une infinité de
points dépendant de la valeur
de x0 .
I µ > µ∞
Cependant, pour des valeurs
de µ dans certaines fenêtres,
apparaissent de nouveau des
cycles stables, mais de période
impaire, comme le cycle 3 ci-
contre observé pour µ = 3.84.
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Entre µ∞ et µ = 4, il existe donc une alternance de comportements chaotique et périodique.
La transition entre ces types de comportements est complexe. Un phénomène caractéristique
de la transition vers le chaos est l’apparition d’intermittence, comme illustré sur la Fig. II.2.2.
Le courbe de f 3 montre l’existence d’un cycle stable de période 3, repéré par les points pleins,
pour 3.8284 · · · < µ < 3.8415 · · · , et sa disparition pour une valeur voisine µ = 3.8. L’allure du
signal temporel observé pour µ = 3.8282 montre une alternance de séquences quasi-périodiques
de période 3, et de comportements chaotiques. Le comportement global du système pour cette
valeur est donc apériodique, mais les “fantômes” des points fixes stables provoquent la résurgence
de mouvement ordonné sur des durées arbitrairement grandes, généralement distribuées de façon
fractale.
Figure II.4 – A gauche, allure de la fonction f 3 , pour µ = 3.84 correspondant à un cycle stable
de période 3 et pour µ = 3.8 juste avant l’apparition de ce cycle. La figure de droite, tirée de [4],
montre le comportement temporel intermittent pour µ = 3.8.
Figure II.5 – Diagramme de bifurcations de l’application logistique pour 1 < µ < 4 puis
3 < µ < 4.
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I universalité
Nous avons déjà souligné que la valeur du taux de convergence δ est universelle, i.e. com-
mune à toutes les applications uni-dimensionnelles de même allure. En fait, non seule-
ment la séquence de doublement de période est universelle, mais tout le diagramme de
bifurcation l’est aussi. Le diagramme de l’application f = µ4 sin(πx) par exemple est
complètement identique à celui de l’application logistique. En particulier, la succession
d’attracteurs périodiques au-delà de µ∞ suit une séquence universelle appelée séquence
U, présentant les périodes
1, 2, × 2}
|2 {z , 6, 5, 3, × 3}
2| {z , 5, 6, · · ·
série 1 de doublement série 2 de doublement
I invariance d’échelle
Si l’on zoom sur une partie du diagramme, celui-ci se reproduit identique à lui-même à
plus petite èchelle, comme illustré sur la Fig. II.6, et ceci indéfiniment. Le diagramme
présente ainsi une structure fractale (voir Chapitre III).
II.3.1 Apériodicité
Une première condition pour l’apparition d’un comportement chaotique est l’apériodicité,
i.e. l’absence de tout point fixe, ou cycle limite stables. L’évolution temporelle du système ne
présente pas de séquences se répétant.
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II.3.2 Sensibilité aux conditions initiales
Une autre caractéristique est la sensibilité aux conditions initiales, c’est-à-dire que des orbites
partant de conditions initiales très proches divergent exponentiellement. Ceci peut se quantifier
à travers les exposants de Lyapunov.
Considérons une application uni-dimensionnelle, et deux conditions initiales arbitrairement
proches x0 et x0 + δ0 . Après n itérations, les orbites seront en xn et xn + δn respectivement.
L’écart entre les deux trajectoires se comportent comme |δn | ∼ δ0 eλn , où λ est appelé exposant
de Lyapunov. Si λ < 0, les orbites convergent à temps long, et si λ > 0, l’écart initial est amplifié
exponentiellement. On peut donc définir l’exposant de Lyapunov comme
1 δn 1 f n (x0 + δ0 ) − f n (x0 ) 1
λ = lim ln = lim ln = lim ln (f n )0 (x0 )
n→∞ n δ0 n→∞ n δ0 n→∞ n
n−1
1X
= lim ln f 0 (xi )
n→∞ n
i=0
On peut montrer (voir TD), que si l’application possède un point fixe, ou un cycle stable
périodique, alors l’exposant de Lyapunov est négatif. La Fig. II.7 montre le résultat du calcul
numérique de l’exposant de Lyapunov pour l’application logistique. Pour µ < µ∞ , cet exposant
est négatif, et s’annule à chaque bifurcation avec doublement de période jusqu’à µ∞ . Les grands
pics négatifs correspondent à des cycles dits “super-stables” (la dérivée aux points du cycle
devient nulle). Pour µ > µ∞ , l’exposant de Lyapunov devient positif, signalant l’apparition des
comportements chaotiques, sauf dans les fenêtres de résurgence de comportement périodique,
comme le cycle de période 3. L’exposant atteint sa valeur maximale pour µ = 4, et vaut λ(4) =
ln(2). Pour ce point, le système devient uniformément ergodique, et l’orbite couvre l’intervalle
[0, 1] de façon dense. Cette notion d’ergodicité est très importante, nous y reviendrons par la
suite.
L’apparition de chaos pour un système uni-dimensionnel peut paraître surprenante. En fait,
ceci est relié au fait que l’application est non-inversible (un point donné xn+1 possède deux
antécédents xn ). Ce caractère multi-valué joue le rôle des mécanismes d’étirement et repliement
nécessaires à la génération de chaos. En effet, l’intervalle [0, 1/2] est étiré sur [0, 1], alors que
l’intervalle [1/2, 1] est étiré et renversé sur [0, 1], induisant le mélange, autre caractéristique
essentielle du chaos abordée dans la suite.
II.3.3 Mélange
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Figure II.7 – Exposant de Lyapunov pour l’application logistique en fonction de µ, tiré de [4].
Figure II.8 – Itérations successives de la transformation “cat map” (Figure tirée de [10]).
Cette transformation consiste à doubler les longueurs dans la direction x et les diviser par deux
dans la direction y. C’est aussi une transformation réversible et qui préserve les aires. Elle s’ap-
parente à la confection d’une pâte feuilletée, par étirements et repliements successifs. Il est clair
que cette transformation aboutit également à un mélange très rapidement. Le mélange implique
un caractère fortement aléatoire. Celui-ci peut être mis en évidence pour cette transformation
en notation binaire. Soit les coordonnées x et y d’un point du carré en binaire
x = .a0 a1 · · · ai · · · y = .b0 b1 · · · bi · · ·
où les ak et bk sont 0 ou 1. Alors, un point du carré peut être représenté en combinant ces
coordonnées en miroir :
X = · · · bi · · · b1 b0 .a0 a1 · · · ai · · ·
Une division ou une multiplication par deux revient simplement en binaire à déplacer la virgule
d’un rang à gauche ou à droite. Ainsi, la tranformation T consiste à déplacer la virgule d’un rang
vers la droite : la partie ai codant la coordonnée x est multipliée par deux, la partie bi codant
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Figure II.9 – Construction et itérations de la transformation du boulanger.
la coordonnée y est divisée par deux car elle est placée en miroir, et le bit suivant est ajouté
en début de séquence, et induit une translation verticale si ce bit est 1, i.e. si 1/2 < x < 1,
ce qui correspond au repliement. Cette opération porte le nom de décalage de Bernoulli. Si l’on
caractérise une orbite, à partir d’une condition initiale (x0 , y0 ) quelconque simplement par 0 si
0 ≤ xn < 1/2 et 1 si 1/2 ≤ xn < 1, ceci correspond à la séquence des ai . Ainsi, l’itération de
n = −∞ à n = ∞ de la transformation du boulanger produit la séquence doublement infinie
· · · bi · · · b1 b0 a0 a1 · · · ai · · ·
Pour toute condition initiale générique, non rationnelle, cette séquence est une série de 0 et 1 qui
ne se répète pas, aussi aléatoire que le résultat d’un tirage pile ou face. Un système complètement
déterministe et réversible génère ainsi une dynamique complètement aléatoire. On appelle de tels
systèmes des systèmes Bernoulli. Cet exemple montre le lien intime qui existe entre chaos et
stochasticité. Un système déterministe chaotique s’apparente à un système stochastique, et il
s’avérera souvent plus utile d’étudier les propriétés d’un ensemble de trajectoires plutôt que de
chercher à décrire des trajectoires individuelles. Cet aspect est fondamental.
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