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Moïse, jésus,

Mouhammed
Ali Hamoneau

Moïse, jésus,
Mouhammed
Messages de Dieu à travers la Torah, l’Evangile et le
Coran l’ancien, le nouveau et le dernier Testament
Au Nom de Dieu le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux
« Dis : nous croyons en Dieu, et en ce qui a été révélé, et en ce qui a été révélé
à Abraham, à Ismaël, à Isaac, à Jacob [Israël] et en ce qui a été donné à Moïse
et à Jésus et aux autres Prophètes de la part de leur Seigneur. Nous ne distin-
guons entre aucun d’eux et nous Lui sommes soumis (muslimûn) ».
(Coran, 3,84).

« Avec les Juifs et les Chrétiens, ne discutez que de la manière la plus [affa-
ble] sauf [quand il s’agit] de ceux qui commettent des injustices parmi eux.
Dites-[leur] : « Nous croyons en ce qui nous a été révélé et en ce qui vous a été
révélé. Notre Dieu et le vôtre est le même Dieu et nous Lui sommes soumis
(muslimûn) ». (Coran 29,46).

© Éditions DE LA RUCHE, 2003


PRÉFACE DE L’EDITEUR

Le présent ouvrage fait suite à celui qui a été publié en 1993 (La Torah,
l’Evangile, le Coran - étude critique. Editions Créadif-Livres).
Plutôt qu’une réédition en l’état, nous avons préféré une nouvelle
rédaction permettant de développer et d’approfondir les thèmes évoqués,
et aussi de les compléter par un sujet qui n’avait pas été abordé dans le pre-
mier ouvrage, comme la question de la « guerre » dite « sainte » dans le
Judaïsme et le Christianisme.
Par ailleurs, ce nouvel ouvrage est l’occasion de corriger quelques
erreurs du premier ouvrage, et que l’auteur signalera.
Le dialogue avec les autres Peuples de l’Ecriture (Juifs et Chrétiens) ne
peut porter de bons fruits que dans l’amour de la vérité.

9
PARTIE I
(Un fossé à combler)

Le Prophète illettré (ou des illettrés) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .13


Ahmad et le Paraclet ou Intercesseur (shafî‘) . . . . . . . . . . . . . . . .19
Pour un dialogue courtois et fructueux . . . . . . . . . . . . . . . . . . .25
Un Seul Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .30
Le Verbe de Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .33
La trinité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .40
Le Dernier Rappel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .44
Le Talion et le Pardon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .49
Salomon et les génies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .75
La « Tariqah » (voie) de Jésus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .62
La Vraie Science . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .63

11
LE PROPHÈTE ILLETTRÉ
(ou des illettrés)

Part. I - Chap. I

Dieu - Exalté et Magnifié soit-Il - a dit :

De par le Nom de Dieu Tout-Miséricordieux, Tout-Compatissant.

« Ma Miséricorde embrasse tout. Je l’inscrirai pour ceux qui [Me] craignent,


font l’aumône et tiennent Nos Signes pour vrais, qui suivent l’Envoyé, le
Prophète illettré qu’ils trouvent mentionné dans leur [Ecriture], dans la Thora
et l’Evangile, [Prophète] qui leur ordonne le bien et les met en garde contre
[toute action] blâmable, déclare licite pour eux ce qui est bon et illicite ce qui
est impur, les dégage des contraintes et des carcans qui les entravent. Ceux qui
croiront en lui, le soutiendront, contribueront à son succès et s’éclaireront à la
lumière qui l’accompagne, ceux-là sont les bienheureux ».(Coran 7, 156-157)1
« [Evoque] Jésus, fils de Marie, quand il dit aux fils d’Israël : « Je suis l’en-
voyé de Dieu auprès de vous [venant] confirmer ce qui, de la Thora, est
antérieur à moi et annoncer un Messager qui viendra après moi, dont le nom
sera Ahmad (« Très louangé »). Or, lorsque [Jésus] leur eut fourni les preuves,
[les fils d’Israël] s’écrièrent : « C’est manifestement de la magie ! » Qui est plus
injuste que celui qui attribue des mensonges à Dieu, alors qu’il est appelé à
l’Islâm (« Soumission » à Dieu) ? Dieu ne guide point les peuples injustes. Ils
veulent éteindre la lumière de Dieu par [ce qu’expriment] leur bouches, mais
Dieu parachèvera Sa lumière, quelle que soit l’aversion des infidèles. C’est Lui
qui a envoyé Son Messager pour [indiquer] la bonne direction, [transmettre]
la religion de la vérité et la faire triompher sur tous les cultes, quelle que soit
l’aversion des polythéistes ». (Coran 61, 6 à 9)
« Il n’égare que les pervers qui violent l’Engagement (ou Pacte ou Alliance :
mîthâq) qu’ils ont pris envers Dieu, après l’avoir conclu, rompent ce que Dieu
ordonne de lier et répandent le désordre sur terre. Ce sont ceux-là, en vérité,
les perdants ». (Coran 2, 26-27)

1 - Le Coran. Traduction de Hamza Boubakeur. Enag/Editions, Alger, 1989.


Cette traduction sera utilisée tout au long de cet ouvrage, sauf quelques exceptions qui
seront signalées.

13
Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

« Et rappelez-vous le bienfait d’Allah sur vous, ainsi que l’Alliance Ariens, ces derniers étant des monothéistes radicaux refusant la déification
(mîthâqahou) qu’Il a conclue avec vous... » (Coran 5, 7)2 du Prophète Jésus et la trinité.
La confrontation de l’Islam avec les autres religions a commencé avec Mohammed avait alors une seule épouse, Khadidja, une veuve, femme
son avènement, dès que Dieu - Exalté et Magnifié soit-Il - a commandé à exemplaire, réputée pour sa probité et sa générosité. Elle avait un cousin
son Ultime Messager, Mohammed (sur lui la Grâce Divine et la Paix), âgé, nommé Waraqah ibn Nawfal, qui était un lettré chrétien.
d’annoncer publiquement la Révélation Coranique. Mohammed, même durant son jeune âge, ne recherchait pas la compag-
Cette Révélation avait commencé durant une retraite spirituelle, dans nie des jeunes gens pour s’amuser. Sa quête spirituelle le conduisait plutôt
la grotte de Hirâ’ au mont Jabal-en-Nûr, près de La Mecque, lors d’une vers la méditation dans la solitude. Il s’intéressait par ailleurs à toutes les
nuit du mois de Ramadan. connaissances de son époque, dans toutes les sciences, y compris la
Mohammed avait quarante ans. C’était un homme sage, aimé de tous, médecine. Mais il ne savait pas lire, sauf les chiffres et quelques signes
surnommé al-Amîne (c’est à dire « le digne de confiance »). Il était illettré rudimentaires pour les besoins de son métier, car il était devenu com-
comme beaucoup d’Arabes, peuple issu des Prophètes Abraham et Ismaël merçant, après avoir été berger dans son enfance.
(sur eux la Paix), et qui, à la différence des Juifs et des Chrétiens, n’avaient Ainsi, quand Dieu le Très Haut le choisit comme Sceau (dernier) des
pas encore reçu de Révélation Divine dans leur langue. Prophètes,5 et le désigna comme « le Prophète illettré » (Coran 7, 157), ce
La plupart des Arabes, infidèles à la religion de leurs saints ancêtres, n’était pas seulement en raison de son propre illettrisme, mais aussi du fait
étaient presque tous tombés dans le polythéisme (chirk), à l’exception de que le peuple Arabe n’avait pas encore reçu d’Ecriture révélée. Les Arabes
ceux qu’on appelait Hounafâ’ (au singulier Hanîf ) et qui étaient restés n’étaient pas encore un peuple du Livre, comme les Juifs et les Chrétiens.
monothéistes, fidèles à Abraham et à son fils. Mais ils étaient marginaux, C’est pourquoi cette expression fait aussi allusion à ce fait.6
bien que respectés. Ils étaient spirituellement proches des Juifs et des Chaque verset du Coran est en effet riche de significations, qui ne s’ex-
Chrétiens.
Certains d’entre eux, des ermites démunis de tout, ayant fait vœu de devenus majoritaires (ceux de la trinité : Père-Fils-Saint-Esprit). Les Priscilliens furent per-
renoncer à tout le superflu de ce bas monde, étaient des ascètes dont sécutés cruellement, comme les Ariens non trinitaires. Une communauté active de
quelques uns étaient déjà surnommés soufi, car ils étaient vêtus simple- Priscilliens s’était réfugiée en Arabie jusqu’à l’avènement de l’Islam (le Coran condamne éga-
ment de laine brute (sûf) et avaient la réputation d’être des hommes très lement leur trinité familiale). Cependant, il faut noter qu’au sein même de l’église catho-
purs moralement, la pureté ou limpidité se disant safâ en arabe.3 lique, la Vierge est souvent assimilée au Saint-Esprit (« Tabernacle du Saint-Esprit »,
En Arabie, il y avait aussi des Chrétiens en petit nombre, de toutes « Temple du Saint-Esprit », « Maison de Dieu », « Temple de la Trinité », etc.). Ainsi naquit
sectes, et notamment - entre autres - des Nestoriens, des Priscilliens4 et des le mythe trinitaire, originaire d’Egypte (avec Osiris-Isis-Horus, soit déjà Père-Mère-Fils)
puis avec les égyptiens Melchites entrés dans l’église chrétienne en y important cette hérésie,
2 - Traduction d’après celle de Mohammed Hamidullah (C.R.F. 1410H. Arabie Saoudite) qui sera modifiée et définitivement fixée en 381. Le Coran dit : « [Souvenez-vous] lorsque
3 - Sarrâj et Ibn al-Jawzî affirment que le nom de soufi désignait, avant même l’ère isla- Dieu demanda à Jésus, fils de Marie : « Est-ce toi qui as dit aux hommes de vous prendre,
mique, des ascètes qui venaient faire leurs dévotions auprès de la Ka’ba. Ils précisent égale- toi et ta mère, pour deux divinités au-dessus de Dieu ? - Gloire à Toi ! dit Jésus, il ne m’ap-
ment que ce mot fut islamisé à partir du 2ème siècle de l’Hégire. [Cf. « Théologie partient pas de dire ce qui pour moi n’est pas une vérité. Si j’avais dit cela Tu l’aurais su !
Dogmatique et Mystique des Premiers Sufis du II° au IV° Siècle de l’Hégire » de Khassim Tu sais ce qui est en moi, alors que j’ignore ce qui est en Toi. C’est Toi, en vérité, qui connaît,
Diakhaté. Volume 1, p. 20 à 22. Sorbonne, 1994.] au suprême degré, [toutes les formes de] l’inconnu ». « Je ne leur ai dit que ce que Tu m’as
4 - Priscilliens. Secte Chrétienne dont la trinité était « familiale » : Dieu le père, Marie la ordonné [de leur apprendre, à savoir] : « Adorez Dieu, mon Seigneur et le vôtre. Je fus
mère et Jésus le fils. Cf. Alexandre Hislop : Les Deux Babylones, P.118 (Ed. Fishbaker, témoin contre eux tant que je demeurai parmi eux. Lorsque Tu m’eus rappelé vers Toi, Tu
1972) : « Au Concile de Nicée (325 ap. J.-C.), le parti des « Melchites » (venus d’Egypte) étais à même de les observer, car Tu es témoin de tout ». (5,116-117).
affirmaient qu’il y a trois personnes dans la Trinité : le Père, la Vierge Marie et le Messie 5 - « Muhammad n’est le père d’aucun des vôtres, mais il est l’Envoyé de Dieu et le Sceau
leur Fils ». Ces Melchites aidèrent les adversaires d’Arius (un prêtre chrétien monothéiste des Prophètes (Khâtam an-nabiyyîn). Dieu est Omniscient ». Trad. H. Boubakeur. Op. cit.
absolu) à condamner ce dernier. Ainsi, la première « trinité » à être évoquée dans un concile 6 - D’ailleurs, si effectivement le Prophète ne savait pas lire au début de la Révélation, il
chrétien officiel était bien « familiale ». La Trinité (nouvelle version : le Père, le Fils et le semble bien qu’il ait appris à écrire ensuite, ainsi que cela ressort des Sahih d’al-Bokhari et
Saint-Esprit) ne fut définitivement adoptée qu’au Concile de Constantinople en 381 (ap.J.- de Muslim à deux reprises. Ainsi, le jour où le Prophète « voulu écrire à l’empereur (Qaysar)
C.). La « trinité familiale » (Père, Mère, Fils) eut néanmoins ses adeptes durant encore long- byzantin », et aussi, au moment de sa mort, « il demanda du papier et de l’encre pour faire
temps, notamment chez les « Priscilliens », anciens alliés des anti-Ariens (Nicée 325), mais son testament et ‘Oumar l’en dissuada ». (Cité par Ibn Khaldûn, Al-Muqaddima, Discours
ils furent à leur tour condamnés au concile de Saragosse en 380 par les autres trinitaires sur l’histoire universelle. Traduit par Vincent Monteil, p. 318 et p. 412. Ed. Sindbad, 1997).

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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

cluent pas entre elles mais se complètent. Le Prophète l’a d’ailleurs lui- écrit : « L’Imam ‘Ali Ibn Abou Talib - que Dieu l’agrée - tremblait en s’acquit-
même précisé. C’est pourquoi les traductions « appauvrissent » nécessaire- tant du Dépôt que les cieux et la terre ne voulurent pas assumer, à savoir la
ment le texte, car il est impossible d’évoquer toutes les significations que Prière ». (Quarante Hadiths - « La Réalité spirituelle des hommes de Dieu
le Prophète, ses Compagnons et les savants ultérieurs ont indiqué ou en Islam » - Editions de la Ruche)
décelé. Seul un miracle Divin a permis cette richesse de sens dans le texte Coran 33,72 : « Nous avions proposé le Dépôt [de la Foi] aux cieux, à la
arabe, et c’est pourquoi - entre autres raisons - le Coran est le « miracle des terre et aux montagnes qui ont refusé de s’en charger et s’en sont effrayés. Ce fut
miracles » en Islam. C’est le Verbe7 de Dieu parmi nous. l’homme qui s’en chargea car il est tyrannique et ignorant ».9
Ce Dépôt est en rapport avec l’Appel Primordial de Dieu aux humains
Le terme Mîthâq (Engagement, Alliance, Pacte) revient à plusieurs (Coran 7, 172) : « Et [souviens-toi] lorsque ton Seigneur eut tiré des reins des
reprises dans le Coran. Pour ne citer que les premières Sourates : 2, ver- fils d’Adam leur postérité et qu’Il les fit témoigner contre eux-mêmes : Ne Suis-
set 27 ; 2,63 ; 2,83 ; 2,93 ; 3,81 ; 4,154-155 ; 5,7 ; 5,12 à 14 ; etc. Je pas votre Seigneur ? Certes, oui, répondirent-ils, nous en témoignons. [Il
Dieu - exalté soit-Il - dit aux Musulmans : « Et rappelez-vous le bienfait requit ce témoignage] afin qu’au Jour de la Résurrection ils ne puissent pas
d’Allah sur vous, ainsi que l’Alliance (Mîthâqahou) qu’Il a conclue avec dire : Nous étions dans l’ignorance de tout cela ».
vous »8 (ou qui vous a liés envers Lui : thaqakoum bihi). (Coran 5,7)
En Arabe, « lien » se dit aussi withâq (Dictionnaire Al-Manhal. 1987).
La plupart des traducteurs, excepté dans la traduction précitée (et aussi
dans celle de D. Masson), préfèrent le terme « engagement » ou pacte.
Certes, le terme alliance peut avoir une certaine connotation « égalitaire »
entre ceux qui sont liés, faisant apparaître Dieu comme un « partenaire ».
Le mot « pacte » également. Engagement peut aussi être mutuel.
D’ailleurs, il arrive qu’une superpuissance contracte une alliance avec un
tout petit pays. De toute façon les nuances sont ténues entre ces divers
termes. De plus mîthâq n’indique pas un engagement unilatéral de
l’Homme envers Dieu, mais suppose au contraire l’idée de lien (withâq).
Mîthâq est donc « bilatéral » en ce sens où Dieu Lui-même S’engage exp-
ressément par Sa Promesse (et qui est plus Véridique dans Ses Promesses
que Lui ?). En effet, Il S’impose à Lui-même la miséricorde, Il assure les
repentants de Son Pardon, du Paradis, de la vision de Sa Face satisfaite. Il
y a donc échange : le Coran parle même de « commerce » pour désigner
cette « bilatéralité », ce « lien » indéfectible entre Dieu et les vrais soumis
(muslimoun en arabe) de toute époque, depuis Adam jusqu’à la fin du
monde. Le mot Alliance (utilisé également par les anciens Nazaréens pour 9 - Traduction du Cheikh Sidi Abdallah Penot. Alif Editions. Lyon 2003. Cette traduc-
désigner cet Engagement dans leur legs scripturaire, de même que par les tion dans un français impeccable est l’oeuvre d’un Musulman pratiquant (de la Voie
Fils d’Israël) est donc conforme à cette idée, même s’il n’y a aucune com- Soufie) qui possède donc une compréhension spirituelle « intérieure » du Coran et de
mune mesure possible entre les deux « contractants » qui se sont engagés l’Islam, contrairement aux autres traducteurs français non-musulmans. La traduction de
dans ce Pacte, cette Alliance, cet Engagement. Et Dieu fait ce qu’Il veut. Hamza Boubakeur était, avant celle de Sidi Abdallah, considérée consensuellement comme
Cette alliance ou pacte est d’ailleurs la conséquence naturelle du Dépôt la meilleure. Mais celle de Sidi Abdallah est plus proche du texte original, car sa maîtrise
Initial (ou « engagement primordial »), Amânat, qui est la Foi, c’est à dire aisée du français, sa langue natale, lui permet d’écrire dans un style à la fois sobre et
la Religion en général et la Prière en particulier. Le théologien Al-Rifa’ agréable. Il évite par ailleurs les trop nombreuses adjonctions interprétatives que H.
Boubakeur a fait dans son texte (entre crochets notamment), qui alourdissent l’ensemble et
7 - C’est pourquoi le Coran n’est pas une création, puisque le Verbe ou Parole de Dieu, est forcent unilatéralement l’exégèse des versets dont les sens sont pourtant souvent multiples,
un Attribut éternel de Son Essence. Quand Dieu dit que Jésus est Son Verbe, cela signifie conformément à l’affirmation prophétique. Cette nouvelle traduction du Livre Saint est
que ce Messager est le dépositaire (et non le producteur) du Verbe Divin. C’est sur cette très récente et nous n’avons donc pu l’utiliser dans notre présent ouvrage dont la rédaction
question que les Chrétiens ont achoppé à partir du quatrième siècle de leur ère. prend fin alors que j’écris ces dernières phrases. Nous comptons bien l’utiliser plus large-
8 - Traduction C.R.F. Arabie Saoudite. ment dans nos prochaines études.

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AHMAD ET LE PARACLET OU INTERCESSEUR
(al-Shafî’)

Part. I - Chap. II

Si Jésus et Mohammed sont deux Intercesseurs (Paraclet, du grec


Paraklétos), il en va de même pour le nom « Ahmad » (Coran 61,6), dont
le sens est : « très louangé » en raison notamment de la qualité d’inter-
cesseur de celui qu’il désigne. Le nom « Mouhammad » signifie : « celui qui
est louangé ». Mohammed était le nom que lui avait donné son père
Abdallah et sa mère Aminah. Personne, donc, n’appelait encore « Ahmad »
le fils d’Abdallah. Ce prénom n’a été connu comme son nom « céleste »
qu’après la Révélation. Mais là encore, les traductions ne rendent pas
aisément compte du fait que le texte peut se lire aussi : « dont le nom sera
très louangé », tout simplement, et qu’on peut prendre « Ahmadou », non
seulement comme un nom propre, mais aussi comme un qualificatif du
« nom » qui n’est pas forcément cité.
« [N’avons-Nous] pas élevé ton renom ? » (Coran 94,4)
C’est pourquoi les Chrétiens, par exemple, ne reconnaissent pas ce nom
« Ahmad » dans le « Parakletos » (Intercesseur, Défenseur, Avocat,
Consolateur) annoncé dans l’évangile selon Jean10. Tout simplement parce
que ce n’est pas le même mot. Evidemment, puisque Parakletos est un mot
grec.
Or, Jésus parlait Araméen et Hébreu, et Parakletos est la traduction
grecque d’un mot qu’il a dit (mais lequel en araméen ?) pour désigner le

10 - Evangile de Jean 14, 15 à 18 ; 14,26 ; 15, 26 ; 16,5 ; 16,8 à 15. Dans sa traduc-
tion de la Bible, Emile Osty définit ainsi le terme Parakletos : « Paraclet : simple transcrip-
tion d’un mot grec qui désigne celui qu’on appelle au secours : avocat, conseiller, défenseur,
intercesseur, consolateur./.../ « un autre Paraclet », le premier étant Jésus (1 Jn 2,1) ». p.
2296 note 16. Ed. du Seuil, 1973. La première lettre de Jean (1 Jn 2,1) précise bien qu’un
Paraclet est un Intercesseur auprès de Dieu (« nous avons auprès du Père un « Paraclet »,
Jésus-Christ, le Juste »). « L’autre Paraclet » dont parle l’évangile (Jean 14,15) est donc
comparable à Jésus, c’est à dire un Envoyé de Dieu, un Intercesseur entre les hommes et
Dieu. A noter également un autre nom connu du Prophète Mohammed : al-Wakîl
(l’Avocat) [Cf. Cyril Glassé, Dictionnaire Encyclopédique de l’Islam, p. 298.
Ed. Bordas, 1991].

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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

Consolateur, l’Intercesseur qui allait lui succéder comme Envoyé de Dans les recueils de hadiths authentiques de Bouokhari et de Muslim,
Dieu.11 ainsi que dans les recueils de Ibn Majah, Nissaï et Tirmidhi, le Prophète a
Or, il se trouve justement que Mohammed sera l’Intercesseur par excel- certifié sa qualité de grand Intercesseur pour sa communauté (et au-delà
lence lors du Jugement dernier, ainsi que cela est annoncé dans le Coran d’elle) après le jugement dernier :
et précisé dans les Hadiths (paroles du prophète qui explicitent le Coran) : « Je louerai le Seigneur en formulant des paroles de louange qu’Il m’a
« Afin que ton Seigneur te ressuscite en t’assignant un rang digne de enseignées, puis j’intercéderai (achfa‘u). On me désignera un groupe, /.../ je les
louange ».(Coran 17,79)12 ferai sortir de l’Enfer pour les faire entrer au Paradis »./.../ Ensuite le
« Certes, ton Seigneur te donneras et tu seras satisfait ! » (Coran 93,5) Prophète - sur lui la Grâce Divine et la Paix - récita ce verset : « afin que
Commentant ce verset, Ibn Abbas a rapporté ce Hadith dans lequel ton Seigneur te ressuscite en t’assignant un rang digne de louange ».(Coran
Dieu dit à Son Envoyé : « Je te donnerai satisfaction à propos de ta commu- 17,79)16. Il ajouta : « Cela est le rang glorieux que Dieu a promis à votre
nauté et Je ne te décevrai pas ».13 Prophète ». Sur lui la Grâce Divine et la Paix.17
Le Prophète a également dit : « Mon intercession est pour ceux de ma com- Le grand Saint Musulman de notre époque, Cheikh Ahmadou Bamba
munauté qui auront commis des faits graves ». « La demande de Dieu que je (1855-1927) a écrit, dans un poème en langue arabe, sur les lettres du
garde en réserve est l’intercession pour ma communauté ».14 verset coranique : « Dieu nous suffit et quel Excellent Protecteur Il est ! »
Au sujet de l’Intercession (al-Shafâ’a), Dieu dit dans le Coran : (Coran 3,175), les vers suivants :
« Quiconque s’impose une intercession louable aura une part de son béné- « Je me suis résolu à [continuer] de L’invoquer en demandant
fice ». (Coran 4,85) l’intercession de Son Ami, le plus privilégié des Intercesseurs :
« Ceux qu’ils invoquent en dehors de Lui ne possèdent aucun pouvoir d’in- Ahmad (le Prophète), le Seigneur des hommes, que je salue
tercéder, à l’exception de ceux qui témoignent de la vérité et qui savent ». Tout en demandant son intercession auprès de mon Seigneur ».18
(Coran 43,86) Dans un autre poème, il écrit :
« Si Nous envoyons quelque Prophète, c’est pour qu’il soit, avec la permis- « Un bon guide spirituel ne trahit jamais l’enseignement
sion de Dieu, obéi. S’étant lésés eux-mêmes, s’ils étaient venus te [voir] et de l’Intercesseur (Mohammed - sur lui la Sollicitude Divine et le Salut).19
avaient demandé pardon à Dieu, si le Prophète avait sollicité pour eux un Il ne fait donc aucun doute que le Parakletos annoncé dans la version
pardon Divin, assurément, ils auraient trouvé [auprès] de Dieu une indul- évangélique de Jean est bien l’Intercesseur Mohammed, le Louangé
gence et une compassion plénières ». (Coran 4,64) (Ahmed), sur lui la Grâce Divine et la Paix.
Nombreux sont les hadiths dans lesquels le Messager de Dieu a con- Il se trouve également qu’un moine Nestorien arabe avait, soit con-
firmé sa qualité (et donc ce nom d’Intercesseur par excellence, ou fondu les deux termes, soit noté la similitude entre Parakletos
Paraklétos en grec) pour la communauté musulmane et même pour (Intercesseur) et Beriklitos (Louangé). En fait, le terme utilisé dans Jean est
l’ensemble du genre humain, car il est le « Prophète de la Miséricorde » par bien Paraklétos, et le terme ahmad du Coran n’est devenu un nom propre
excellence. qu’après la Révélation coranique. La lecture : « un Messager qui viendra
« Nous ne t’avons envoyé qu’à titre de Miséricorde pour les mondes » après moi, dont le nom sera très louangé » est donc également conforme à l’e-
(Coran 21,107). sprit et à la lettre du Coran.
Ses Compagnons et tous les exégètes ultérieurs du Coran ont attesté de Et en effet, quel homme est plus louangé que Mohammed ? Sur lui la
la qualité d’Intercesseur du Louangé (Ahmed), comme expression de la Grâce Divine et la Paix. A chaque prière, obligatoire ou supplémentaire,
Miséricorde Divine : Shâfi’u al-Mudhnibîn (Intercesseur pour les des centaines de millions de Musulmans louent et bénissent le Sceau des
pécheurs).15 Prophètes, notamment dans les salutations (Tahiyyât) du Tachahhoud
Tous les Maîtres spirituels et auteurs anciens l’ont indiqué. (durant l’office de Prière), et également à chaque fois que son nom est

11 - Dans Matthieu, il est également fait allusion à un « Béni » qui viendra au Nom du 16 - A noter que ce verset se situe dans la sourate al-’Isrâ’ (le Voyage Nocturne, durant
Seigneur après Jésus, comme nous le verrons plus loin. (Matthieu 23,39) lequel eut lieu l’Ascension du Prophète vers Dieu le Très Haut).
12 - A noter que ce verset se situe dans la sourate al-’Isrâ’ (le Voyage Nocturne, durant 17 - Fin du long Hadith rapporté par Bokhari, Tirmidhi et Ibn Majah; cité dans
lequel eut lieu l’Ascension du Prophète vers Dieu le Très Haut). Al-Ahadiths al-Qoudoussias, p. 124 (Chapitre xxxv « de l’intercession »), traduction
13 - Cité par Tahar Gaïd, Commentaire du Coran (93,5). F. Chaaban, Dar al-Kutub al-Ilmiyah. Beyrouth, Liban.
14 - Ibid. 18 - Lamine Diop Dagana. Irwâ-unnadîm, p.44. Traduction K. M’Backé.
15 - Cf. Coran 4,64 et ailleurs. 19 - Ibid.

20 21
Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

prononcé : les Musulmans pratiquants disent aussitôt : « sur lui la Grâce de « C’est ainsi que Nous t’avons révélé un Esprit de Notre Ordre. Tu n’avais
Dieu et la Paix » (çâlla-Llâhou ‘alayhi wa salâm). auparavant aucune connaissance du Livre de la foi. Or, Nous avons fait [de
Les querelles sémantiques sur cette question ont creusé un peu plus le ce Coran] une lumière par laquelle Nous dirigeons qui Nous voulons parmi
fossé d’incompréhension qui sépare les Musulmans et les Chrétiens. Nos serviteurs. Et en vérité, tu guides vers une voie droite ». (Coran 42,52)
La plupart des Chrétiens continuent à considérer l’annonce par Jésus Dieu n’est pas un « Esprit », mais tout esprit procède de Son Ordre. Il
d’un « autre Paraclet » comme signifiant l’annonce de la venue de la envoie un « esprit de sainteté » (ou Esprit-Saint) sur Ses serviteurs qu’Il
troisième « personne divine » de la trinité, le « Saint-Esprit ». choisit, afin de leur conférer l’infaillibilité ou du moins l’impeccabilité, car
Là encore, il faut noter que « Saint-Esprit » ou plutôt « Esprit de sain- ce sont des Messagers, des Prophètes et des guides spirituels qui doivent
teté » est un des noms du Prophète Mohammed20, et que donc le Paraclet servir d’exemples aux autres créatures. L’Esprit-Saint n’est donc pas un
en question est bien lui. Rûh al-Qudus (Esprit Saint) est en effet une Dieu, pas plus que le Verbe. Le Verbe25 et l’Esprit procèdent de Dieu, ils
expression coranique qui désigne tantôt l’Ange Gabriel, tantôt Jésus et sont Ses « Souffles » qu’Il dépose ou « insuffle » dans Ses Messagers et Alliés
tantôt Mohammed.21 Cet Esprit de sainteté est « insufflé » par Dieu dans (awliya), ce qui ne fait pas de ces derniers des dieux, mais des Dépositaires
les créatures qu’Il choisit. L’expression Esprit Saint ou Saint Esprit désigne de l’Ordre de Dieu.
donc toujours des Messagers de Dieu (anges ou prophètes), ou même de « [Et souviens-toi] de celle qui préserva son sexe [de tout contact], en qui
saints hommes, mais pas Dieu Lui-Même qui n’est jamais qualifié Nous insufflâmes de Notre Esprit et dont nous avons fait, ainsi que de son fils,
d’Esprit22, et ceci est vrai pour les « trois Engagements » (ou testaments)23 un signe pour les mondes ». (Coran 21,91)
(Torah, Evangile, Coran). Par contre, dans ces trois Traditions, Dieu est « Nous avons donné le Livre [de la loi] à Moïse et après celui-ci Nous avons
appelé le Très Saint (al-Quddous en arabe). envoyé d’autres prophètes. Nous avons fourni des preuves à Jésus, fils de Marie,
«Ils t’interroge sur l’Esprit (Rûh). Dis : L’Esprit procède de l’Ordre de mon et l’avons soutenu par l’Esprit Saint. [Se peut-il] que chaque fois qu’un apôtre
Seigneur et vous n’avez reçu que peu de science [à son sujet] ».(Coran 17,85)24 vous apporte [un message] qui ne flatte pas vos passions, vous le receviez avec
Rûh désigne également le côté supérieur de l’âme humaine. C’est le morgue ? Vous avez [déjà] traité les uns d’imposteurs et massacré les autres ».
« Souffle de Vie » par lequel Dieu a animé Ses créatures. Il désigne égale- (Coran 2,87)
ment le Coran, qui est Verbe, Lumière et Esprit de Dieu : « Nous avons davantage favorisé certains prophètes par rapport à d’autres.
A certains, Dieu a parlé. Il en élevé d’autres à des degrés [dans la hiérarchie].
20 - Cf. Cyril Glassé. Op. cit. p. 298./ Al-Jazoulî et Ismaïl al-Nabahani. Nous avons donné les preuves à Jésus, fils de Marie, en l’assistant de l’Esprit
21 - Cyril Glassé Op.cit. p. 298. Saint. Si Dieu l’avait voulu, les hommes, après les envoyés et après les preuves
22 - L’Esprit « procède de l’Ordre » de Dieu, selon le Coran. Interrogé sur la nature de qui leur furent fournies, ne se seraient point entre-tués. Mais ils chicanèrent si
l’Esprit, Le Prophète Mohammed très louangé répondait laconiquement par le Coran qui bien que les uns crurent et les autres sombrèrent dans l’infidélité. Si Dieu
ajoute qu’à ce sujet, nous n’avons reçu que « peu de science ». C’est en effet une notion trop l’avait voulu, ils ne se seraient point entre-tués, car Dieu fait ce qu’Il veut »
élevée pour être dite sans ambiguïté, car l’Esprit se situe au delà de l’exprimable : il n’est ni (Coran 2,253).
tout à fait créé ni tout à fait incréé (mais Dieu sait mieux de quoi il s’agit en vérité), et « Vous qui avez reçu l’Ecriture ! n’exagérez pas en votre religion ! Ne dites
cela dépasse effectivement les capacités de l’intellect. Il en va de même pour la notion de que la vérité ! L’Oint (Messie) Jésus, fils de Marie, est seulement un prophète
prédestination (libre arbitre ou détermination). de Dieu, Son verbe qu’Il jeta vers Marie, un Esprit émanant de Lui.
23 - « Testament » est la traduction latine d’un mot grec : « diathèkè » qui signifie à la fois Croyez en Dieu, en Ses prophètes, et ne parlez plus de trinité. Cessez [de
testament et alliance. C’est cette dernière acception qui est retenue, car le Coran - et l’Islam dire cela], dans votre intérêt mieux [compris].
en général - constitue certes, une « Alliance », ou plus précisément un Engagement Dieu n’est qu’Un ! Gloire à Lui ! [Il est trop haut] pour avoir un fils ! A Lui
(Mîthâq), c’est à dire un Pacte solennel qui lie les croyants à Dieu : « Souvenez-vous des
bienfaits de Dieu et de l’Engagement qui vous a liés envers Lui » (Coran 5,7. Trad. H. 25 - Le Verbe désigne plusieurs « niveaux » de réalité : La Parole de Dieu proprement dite
Boubakeur). « Et rappelez-vous le bienfait d’Allah sur vous, ainsi que l’Alliance (donc « incréée », puisqu’elle est un attribut de Son Essence, et non une « créature »), mais
(Mîthâqahou) qu’Il a conclue avec vous... » (Coran 5, 7. Trad. d’après M. Hamidullah. aussi, métaphoriquement, celui qui est le dépositaire de cette Parole (comme Jésus), et par
CRF 1410 h. Arabie Saoudite). Au cours de cet ouvrage, nous utiliserons indistinctement extension, toute chose créée, puisque toute créature est la « manifestation » de la Parole créa-
ces mots comme synonymes (Mîthâq, Diathèkè, Testament, Engagement, Alliance, Pacte, trice : Kun ! (Sois !) (Cf. Coran 3,59). Et dans l’Homme, Dieu a « insufflé de Son Esprit »,
Rappel), nonobstant les nuances qu’ils peuvent contenir, afin de ne pas compliquer inuti- c’est à dire lui a donné la vie et l’intelligence, et un « dépôt » (Amâna) qu’aucune autre
lement les choses. créature n’a reçu (Cf. Coran 33,72). C’est sans doute une des raisons pour lesquelles Dieu
24 - Traduction A. Penot Ed. Alif-2003. a ordonné aux Anges de se prosterner devant Adam (2,34).

22 23
Moïse, Jesus et Mohammed

appartient ce qui est dans les cieux et sur la terre, et Il suffit comme pro- POUR UN DIALOGUE COURTOIS ET FRUCTUEUX
tecteur ». (Coran 4,171)
« Jamais l’Oint n’a dédaigné - pas plus que les anges rapprochés [du
Seigneur] - d’être un serviteur de Dieu.
Ceux qui trouvent indigne de L’adorer et s’enflent d’orgueil, Dieu les
ramènera en masse vers Lui ». (Coran 4,172)
« Pour Dieu, il en est de Jésus comme d’Adam qu’Il forma de terre, puis dit :
« Sois ! » et il fut ». (Coran 3,59)
« Ayant été instruit [au sujet de Jésus], dis à quiconque voudrait engager
avec toi une controverse sur son cas : « Venez ! appelons nos fils et vos fils, nos Part. I - Chap. III
femmes et les vôtres, nos personnes et les vôtres, et livrons-nous ensuite à un
duel imprécatoire, en proférant la malédiction divine contre les imposteurs ».
(Coran 3,61)26
« Dis [aux Chrétiens et aux juifs] : « O vous qui avez reçu l’Ecriture, adop- Le dialogue islamo-chrétien nécessite de notre part l’établissement
tons une formule valable pour nous et pour vous [impliquant] que nous d’une base suffisamment claire pour qu’il puisse porter de bons fruits, à
n’adorerons que Dieu, que nous ne Lui associeront rien d’autre, que nous ne savoir, au mieux, la reconnaissance par Les Gens du Livre (Juifs et
prendrons point les uns parmi les autres des maîtres en dehors de Dieu. S’ils Chrétiens), de l’authenticité de la mission prophétique du Prophète
refusent, dites [-leur] : « Soyez témoins qu’à la volonté de Dieu nous sommes Mohammed (sur lui la Grâce Divine et la Paix), ainsi que du Message
soumis (muslimun) ». (Coran 3,64) Coranique qu’il a reçu de la part de Dieu (par l’intermédiaire de l’ange
Gabriel) puis qu’il a transmis fidèlement à l’humanité. C’est du moins ce
que peuvent espérer de mieux les Musulmans sincères, ceux qui
recherchent le bien de l’humanité, et non pas ceux qui aiment les affron-
tements, et pour lesquels la religion n’est qu’une occasion comme une
autre de déverser leur haine sur leurs semblables. Mais même dans le cas
où cette clarification du dialogue islamo-chrétien n’apporterait pas les
meilleures résultats escomptés, elle permettra cependant une plus grande
connaissance mutuelle, gage d’un respect encore mieux fondé, si Dieu le
veut (Incha Allâh).
Car c’est Dieu - Exalté et Glorifié soit-Il - qui a institué cette utilité du
dialogue avec les Gens du Livre, et indiqué la façon de le faire :
« Ne controversez avec les Gens du Livre que de la plus belle sorte, sauf avec
ceux d’entre eux qui auraient fait preuve d’iniquité ».27
« A chacun de vous, nous avons donné une loi et une voie. Si Dieu l’avait
voulu, Il aurait fait de vous une seule communauté. [S’Il ne l’a pas fait] cepen-
dant, c’est pour vous mettre à l’épreuve eu égard à ce qu’Il vous a donné.
Rivalisez de vitesse vers les bonnes œuvres. Vous retournerez tous à Dieu. Il
26 - Ce verset est descendu à l’occasion d’une rencontre entre une délégation d’Evêques vous informera sur ce qui vous divise ».28
chrétiens du Najran et Mohammed. Mohammed les appela à l’Islam. Certains d’entre eux C’est dire que nous ne parviendrons pas aisément à résoudre nos divi-
étaient presque convaincus, mais n’osaient l’avouer devant leurs coreligionnaires. Grâce à sions doctrinales avec les Gens du Livre (ceux qui détiennent les écritures
la clairvoyance dont Dieu gratifie ses Elus, Mohammed vit que ses hôtes étaient de mau- antérieures), puisque seul Dieu arrivera à nous faire comprendre les orig-
vaise foi dans la discussion. Aussi, pour couper court, Dieu révéla ce verset à Son Envoyé. ines et les raisons de ces divergences. En tout cas, elles ne justifient pas la
Ce dernier appela sa famille (Ali, Fatima, Hassan et Hussayn), les réunit sous un man- haine et encore moins la violence : « rivalisez de vitesse vers les bonnes
teau avec lui, et proposa à ses hôtes de prononcer ensemble une imprécation mutuelle contre
les menteurs. Les Evêques refusèrent et partirent, après avoir néanmoins accepté un pacte 27 - Coran 29,46. Traduction de Jacques Berque. Albin Michel, 1995.
de non-agression mutuelle avec l’Envoyé. 28 - Coran 5,48. Traduction de Hamza Boubakeur.

24 25
Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

actions » nous dit Dieu à tous. En tant que Musulmans, nous devons donc ne parlera pas de lui-même, mais au Nom de Celui qui l’enverra. C’est
nous efforcer à être les premiers à répondre à cet appel Divin et à rivaliser, donc l’interprétation officielle de ces textes, par les églises chrétiennes, qui
non dans la haine et les mauvaises actions, mais dans le bien uniquement, est en cause. Ce sont leurs commentaires (ou exégèses) qui doivent être
afin de mériter pleinement le compliment que Dieu a fait à la première réinterprétés, afin de redonner leur sens initial à ces textes.
communauté musulmane : Car ni les Juifs, ni les Chrétiens, ne sont propriétaires de la Torah ou de
«Vous êtes la meilleure communauté qui ait été donnée comme exemple aux l’Evangile : ce sont des Révélations qui émanent de Dieu, qui appartien-
hommes : vous recommandez les bonnes actions et réprouvez ce qui est nent à Dieu, et dont Lui seul connaît l’interprétation juste. C’est pourquoi
répréhensible et vous croyez en Dieu. Il eût mieux valu pour ceux qui détien- Il a fait descendre des révélations successives, des Messages successifs, afin
nent l’Ecriture, de croire. Il y a parmi eux des croyants, mais les pervers sont de corriger les erreurs d’interprétations portant sur les textes antérieurs.
en majorité ».(Coran 3,110) Pour preuve, cette Parole Divine très explicite :
Et comment ne ferions-nous pas cet effort, alors que nous avons « Il a révélé le Livre [contenant] la vérité pour confirmer l’Ecriture
comme saint Exemple, la meilleure des créatures de l’univers : antérieure et la préserver de toute altération ».(Coran 5,48)
« Vous avez, dans l’Envoyé de Dieu, un beau Modèle pour vous, pour Le Coran est ce Livre de Vérité révélé non pour infirmer, mais pour
quiconque espère en Dieu au Jour dernier et se souvient fréquemment de Lui ». confirmer l’Ecriture antérieure (Torah, Psaumes, Evangile) et la préserver
(Coran 33,21) de toute altération.
« C’est Lui qui a envoyé Son Messager [pour indiquer] la bonne direction Si cette Ecriture antérieure était complètement altérée, il n’y aurait plus
et la religion de la vérité pour la faire prévaloir sur toute [autre] religion. Dieu rien à préserver. Or, Dieu - Exalté et Magnifié soit-Il - demande aux Juifs
suffit comme témoin ». (Coran 48,28) et aux Chrétiens de juger selon les Ecritures que Dieu leur a déjà données,
Notre communauté ne peut prévaloir sur les autres, donc, qu’en obéis- et ainsi ils pourront reconnaître la vérité contenue dans le Coran, comme
sant à Dieu, c’est à dire, en « rivalisant dans les bonnes actions », et en ne dis- si c’était leur propre enfant. Voilà ce que dit clairement le Savant par excel-
cutant « que de la meilleure façon avec les gens du Livre ». Nous serons ainsi lence :
fidèles à la communauté des anciens et partagerons leurs récompenses, si « Que les Chrétiens jugent d’après ce qui est révélé dans l’évangile ! Ceux qui
Dieu le veut (incha Allâh). ne jugent pas d’après ce que Dieu a révélé, sont des pervers ». (Coran 5,47)
Les bases du dialogue avec les Gens du Livre doivent donc être saines, Comment les Chrétiens pourraient-ils avoir accès à un autre évangile
et non pas bâties sur les sables mouvants de l’ignorance. que celui dont leur parle Dieu, et qui leur est accessible, puisqu’Il le leur
Des siècles de luttes entre religions ont creusé un large fossé entre nous, désigne, afin qu’ils jugent selon ce qui y est révélé ? Dieu dit la vérité.
Musulmans, et les autres communautés qui ont reçu l’Ecriture : les Juifs et Quand le Coran est descendu, le « canon » des écritures évangéliques était
les Chrétiens. Entre Juifs et Chrétiens, les relations ont été encore plus déjà fixé : il s’agit des quatre évangiles canoniques reconnus par toutes les
conflictuelles et parfois dramatiques, et ce jusqu’au siècle dernier, avec églises chrétiennes, et c’est donc ces versions là dont Dieu parle, puisqu’à
l’épouvantable tragédie du Nazisme. part quelques autres évangiles apocryphes, ce sont les seuls dont dispo-
C’est donc sur le terrain des bonnes actions que Dieu nous demande de saient les chrétiens au huitième siècle ap. J.-C.
rivaliser avec les autres Gens du Livre. A plusieurs reprises, Dieu confirme ce fait :
Malheureusement, c’est trop souvent sur le terrain du mépris mutuel « Ne te sera dit que ce qui a été dit aux Messagers d’avant toi
que la cohabitation se fait. (ô Mohammed) ». (Coran 41,4)
En premier lieu, chaque communauté s’en prend au legs scripturaire « Nous envoyâmes, à leur suite (à la suite de Moïse, David, etc., n.d.r.),29
des autres. Le respect intercommunautaire voudrait au contraire qu’on Jésus, fils de Marie, pour confirmer ce qui dans la Torah, avait été antérieure-
commence par respecter les Ecritures Saintes de chacun. Or, Juifs et ment révélé. Nous lui donnâmes l’Evangile contenant une direction et une
Chrétiens voient dans le Coran un simple plagia de la Bible, et en retour, lumière pour confirmer l’ancienne Torah et comme direction et exhortation
les Musulmans accusent leurs prédécesseurs d’avoir falsifié leurs propres pour ceux qui craignaient Dieu.
écritures, et notamment pour en effacer tout ce qui concernait l’annonce Que les Chrétiens jugent d’après ce que Dieu a révélé dans l’Evangile ! Ceux
de la venue du Sceau des prophètes, Mohammed, sur lui la grâce Divine qui ne jugent pas d’après ce que Dieu a révélé, sont des pervers.
et la Paix. A toi aussi (ô Mohammed) Il a révélé le Livre [contenant] la vérité pour
Pourtant, comme on vient de le voir au sujet du Paraclet, ce n’est pas confirmer l’Ecriture antérieure et la préserver de toute altération. Juge entre
tant le texte lui-même qui est en cause, car effectivement, on y lit en toute
lettre l’annonce de la venue, après Jésus, d’un futur Messager de Dieu, qui 29 - Note du rédacteur (n.d.r.).

26 27
Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

eux30 d’après ce que Dieu a révélé et ne les suis pas dans leurs passions [qui les jours et pour toujours. Et on ne peut être vraiment « soumis » à Dieu que
écartent] de la vérité que tu as reçue. A chacun de vous, nous avons donné une si on accepte sans exception tous Ses Envoyés, sans faire de différence entre
loi et une voie. Si Dieu l’avait voulu, Il aurait fait de vous une seule commu- eux, car ils sont tous dans la bonne voie, ils parlent au Nom du même
nauté. [S’Il ne l’a pas fait] cependant, c’est pour vous mettre à l’épreuve eu Dieu Unique, ils sont tous frères au delà des « races », langues et cultures.
égard à ce qu’Il vous a donné. Rivalisez de vitesse vers les bonnes actions.
Vous retournerez tous à Dieu. Il vous informera sur ce qui vous divise ».
(Coran 5,46 à 48)
« Dis : ô vous qui avez reçu l’Ecriture ! N’exagérez point dans votre religion
[au point] de vous éloigner de la Vérité ! ».(Coran 5,77)
« Les mécréants parmi les Juifs ont été maudits par la bouche de David et
de Jésus, fils de Marie, pour leur désobéissance et leur transgression [de la
Loi] ». (Coran 5,78)31
« Dieu atteste ainsi que les Anges et les hommes de science,32 qu’il n’y a de
Dieu que Lui, qu’Il maintient la justice. Il n’y a d’autre Dieu que Lui, le
Puissant, le Sage. Certes, l’Islâm (« Soumission » à Dieu] est, pour Dieu, la
religion même ». (Coran 3, 18-19)
Ainsi, Dieu atteste par Lui-même que la religion par excellence, depuis
toujours, c’est la soumission à Lui.
Le fait de ne pas traduire le mot Islâm, peut laisser croire aux Juifs et
aux chrétiens que leur religion est rejetée depuis toujours par Dieu. Au
contraire, Dieu dit que les Prophètes qu’ils reconnaissent et disent suivre,
sont en réalité soumis (mouslimoun) à Dieu, ainsi que leurs disciples
directs.33 Juifs et Chrétiens étaient donc « musulmans » avant la venue de
Jésus et Mohammed, sur lesquels ils ont « achoppé ». En effet, s’ils
n’avaient pas rejeté ces deux ultimes messagers du Dieu Unique, ils
seraient restés soumis à Dieu, donc musulmans de fait, même si les termes
changent selon les langages et les époques :
« Ceux qui ont cru [en Dieu], ceux qui ont pratiqué le judaïsme, les
nazaréens (Chrétiens n.d.r.), les sabéens, quiconque a cru en Dieu, a, au
Jugement Dernier, accompli une œuvre méritoire, tous ceux-là trouveront leur
récompense auprès de leur Seigneur. Ils seront inaccessibles à la peur et à la
tristesse ». (Coran 2,62)
« Certes, la Soumission est, pour Dieu, la religion même », et ce depuis tou-

30 - Il s’agit du différend fondamental qui oppose les Juifs et les Chrétiens concernant la
véritable nature du Christ. Les premiers ont qualifié Jésus de faux-prophète et les seconds
l’ont divinisé. La vérité est certes dans une troisième conception, formulée par Jésus, et pré-
sente à la fois dans l’Evangile et le Coran : « Qu’ils sachent (ô Dieu) que Tu es le seul vrai
Dieu, et que Jésus-Christ est Ton Envoyé » (Jean 17,3) ; et dans le Coran, Jésus dit : « Dieu
est mon Seigneur et le vôtre. Adorez-le! C’est une voie droite ». (Coran 3,51)
31 - Cf. Bible : David, Psaume 109 ; et Jésus, Matthieu 23,1-39.
32 - ouloûl-`Ilmi : les doués de science, les Oulémas, ceux qui savent (la Vérité).
33 - Coran 5,111 : « [Souviens-toi] lorsque J’ai inspiré aux Apôtres de croire en Moi et en
Mon Messager et qu’ils dirent : « Nous croyons, et sois témoin que nous sommes musulmans
(soumis) ».

28 29
Moïse, Jesus et Mohammed

UN SEUL DIEU « Je ne puis, moi, rien faire de moi-même /.../ je ne cherche pas ma volonté
à moi, mais la volonté de Celui qui m’a envoyé ». (Jean 5,30)
Pourquoi alors s’acharner à travestir son enseignement et l’accuser du
plus grand péché qui soit : celui de s’être proclamé Dieu, alors qu’Un seul
est le vrai Dieu, comme le dit la Torah, l’Evangile et le Coran.
Concernant la vraie nature de Jésus, le Coran confirme le véritable
Evangile et le protège de toute altération et interprétation erronée :
« O Marie, Dieu, en vérité, t’annonce, comme bonne nouvelle, un Verbe
émanant de Lui, dont le nom sera l’Oint [Messie ou Christ], fils de Marie. Il
Part. I - Chap. IV [sera] illustre en la vie d’ici-bas et dans la vie future, et comptera parmi les
rapprochés [du Seigneur] ».(Coran 3,45)
« Dieu lui enseignera l’Ecriture, la sagesse, la Torah et l’Evangile »
(Coran 3,48)
Concernant la nature de Jésus, les trois religions révélées sont en désac- « Il sera le Messager de Dieu auprès des Israélites » (Coran 3,49)
cord. « Sont assurément des infidèles ceux qui disent : « Dieu est l’Oint, fils de
Pour les Juifs, Jésus est un faussaire, un enfant de la fornication34 et un Marie ! » Dis-[leur] : « Qui donc disposerait d’un quelconque moyen [contre la
magicien35. Pour les Chrétiens, depuis le premier concile de Nicée volonté de Dieu, pour empêcher] Celui-ci de faire périr l’Oint, sa mère et tout
(325 ap. J.-C.), il est Dieu en personne. ceux qui sont sur terre ? » A Dieu appartient la souveraineté des cieux et de la
Et depuis le premier concile de Constantinople (381), les Chrétiens ont terre et de ce qui existe entre eux. Il crée ce qu’Il veut. Son Omnipotence s’é-
décidé qu’il y a « trois personnes divines » en un seul Dieu. Ainsi, par une tend sur tout ». (Coran 5,17)
formulation alambiquée et contradictoire, les Chrétiens affirment l’unicité « Sont mécréants ceux qui disent : « Dieu est le troisième d’une trinité ». Il
de Dieu, tout en affirmant également qu’il y a trois personnes en Dieu, et n’est pas de (vraie) divinité sans qu’elle soit unique. S’ils ne cessent pas de tenir
que chacune d’elle est Dieu en personne ! Allez comprendre quelque chose ! un pareil langage, un douloureux châtiment atteindra les infidèles parmi
Ceux qui ne comprennent pas, comme moi (j’étais Catholique), sont eux ».(Coran 5,73)
regardés avec condescendance et pitié par ceux qui feignent d’y comprendre « L’Oint, fils de Marie, n’est qu’un Envoyé que d’autres envoyés ont précédé.
quelque chose ! Et si on les questionne trop précisément sur cette ambiguïté Sa mère était une Véridique. Ils prenaient tous deux de la nourriture. Regarde
insoluble, ils invoquent alors le « mystère » pour protéger ce faux « dogme ». comment Nous mettons en évidence Nos signes pour les Chrétiens. Et regarde
Et pourquoi tout cela ? Pourquoi ne pas juger simplement, comme le comme ils s’en écartent ».(Coran 5,75).
demande Dieu, d’après ce qui est révélé dans l’évangile ? Et dans l’évangile selon Matthieu, Jésus dit « Ne croyez pas que je sois
Jésus y dit clairement : venu renverser la Loi ou les Prophètes ; je ne suis pas venu renverser mais com-
« Qu’ils sachent (ô Dieu) que Tu es le seul vrai Dieu, et que Jésus-Christ est pléter ». (Matthieu 5,17-18)
Ton Envoyé ». (Jean 17,3) Il est venu compléter la Torah, car les Juifs étaient tombés dans un
« Je ne suis pas venu pour faire ma volonté, mais pour faire la volonté de exotérisme réducteur qui avait fait de leur religion une coquille vidée de sa
Celui qui m’a envoyé ». (Jean 5,30) substance. En effet, ils avaient, avec le temps, avec les divisions doctrinales,
appauvri leur legs religieux sur le plan spirituel. Par contre, ils l’avaient
34 - Evangile selon Jean 8, 39 à 44 : « Jésus leur dit : « Si vous êtes les enfants d’Abraham, surchargé de règles extérieures, d’une foule d’interdits supplémentaires, de
faites les oeuvres d’Abraham. Mais non, vous cherchez à me tuer, moi, un homme qui vous rites de plus en plus complexes, ils avaient même fini par oublier des
ai dit la vérité que j’ai entendue de Dieu. Cela, Abraham ne l’a pas fait. Vous faites, vous, vérités essentielles comme la vie éternelle. La secte majoritaire des
les oeuvres de votre père (c’est à dire la diable, n.d.r.). Ils lui dirent : nous ne sommes pas Sadducéens, à l’époque de Jésus, ne croyait plus à la vie éternelle : pour
nés de la fornication : nous n’avons qu’un Père : Dieu ». Jésus leur dit : « Si Dieu était votre eux, la rétribution, bonne ou mauvaise, avait lieu uniquement ici bas. La
Père, vous m’aimeriez, car moi, c’est de Dieu que je suis sorti et que j’arrive. Car ce n’est secte des Esséniens, plus mystique, mais très marginale, croyait encore à la
pas de moi-même que je suis venu, mais Celui-là m’a envoyé. /.../ Vous, vous avez le diable vie éternelle. Les Pharisiens aussi, mais leur puritanisme extrême en faisait
pour père, et ce sont les convoitises de votre père que vous voulez accomplir ». une école très exotériste, encore plus même que les Sadducéens qui étaient
35 - Evangile selon Marc 3,22 : « Les scribes (savants juifs) /.../ disaient : « C’est par le chef somme toute plus tolérants. D’ailleurs, les Pharisiens furent les pires
des démons qu’il chasse les démons ». Traduction E. Osty, p. 2155, Op. cit. adversaires de Jésus, qui annonçait pourtant la « Bonne Nouvelle »
30 31
Moïse, Jesus et Mohammed

(évangile en grec, bouchra en arabe) de la vie éternelle et du rétablissement LE VERBE DE DIEU


prochain du « Royaume de Dieu » (c’est à dire l’avènement de l’Islam).

Part. I - Chap. V

Jésus disait en substance que ce bas monde était entièrement dominé par
Satan, puisque la communauté élue des croyants (les fils d’Israël) était elle-
même tombée sous son joug. Il venait donc comme Messie (Oint, Christ)
de Dieu auprès des Juifs pour les sauver. Mais devant leur rejet, il annonça
qu’il ne pouvait leur délivrer en entier le Message dont il était porteur, en
tant que Verbe de Dieu, et qu’un « autre Paraclet » le ferait à sa place, appor-
tant au monde ce Verbe que Dieu lui avait remis et qui était « à lui » (à
Jésus).36 Le Coran, en effet, est le Verbe (Parole) de Dieu. Et Jésus est
« Verbe » (en tant que dépositaire du Verbe Divin). C’est à dire que tout ce
que disait Jésus, il ne le disait pas de lui-même, mais il répétait ce que Dieu
lui révélait ou lui inspirait. Jésus était un gnostique parfait, c’est à dire un
homme « éteint » et « pérennisé » en Dieu, un soufi accompli (avant que ce
vocable s’applique aux saints musulmans). Il était donc spirituellement
identique à Mohammed. D’ailleurs, ce dernier disait que Jésus et lui étaient
les deux frères les plus proches. Sur eux la Grâce Divine et la Paix.
Le Coran a donc donné au monde ce que Jésus n’avait pu annoncer
complètement, faute d’auditeurs capables de l’entendre. C’est pourquoi
Jésus parlait en paraboles, sachant bien que ses propres disciples ne pou-
vaient pas comprendre et porter tout son Message, ni même donner leur
vie pour le défendre.
En fait, ils étaient perplexes sur la nature de Jésus. Ils étaient dans l’in-
certitude sur son compte.37 C’étaient des gens simples, la plupart illettrés,

36 - Evangile selon Jean 16, 5 à 7 et 16,12 à 14 (passages cités un peu plus loin dans le
présent ouvrage).
37 - Evangile selon Luc 918 à 21 : « Or, comme il était à prier seul, et que les disciples
étaient avec lui, il les interrogea en disant : « Qui suis-je au dire des foules ? » Répondant,
ils dirent : « Jean, le Baptiste ; pour d’autres Elie ; pour d’autres, qu’un des anciens pro-
phètes est ressuscité ». Il leur dit : « Mais pour vous, qui suis-je ? » Pierre, répondant, dit :
« Le Christ (Messie) de Dieu ! » Mais, les reprenant, il leur enjoignit de ne le dire à per-
sonne, disant que le Fils de l’homme devait beaucoup souffrir, et être rejeté par les anciens,
et les grands prêtres et les scribes… ». Trad. E.Osty, Op. cit. p. 2219.

32 33
Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

mais de bonne foi.38 Ils n’ont donc transmis, dans les versions évangéliques, Dans Marc (3, 28-29, cet « Esprit de Vérité » est appelé Esprit Saint
qu’une partie de l’Evangile (c’est à dire la Bonne Nouvelle annoncée par le (Rûh al-Qudus en arabe), et cette expression est un des noms du Prophète
Verbe de Dieu). Les évangiles ne sont donc pas l’Evangile initial, mais des Mohammed dans la Tradition Musulmane.41 Et, concernant cet Esprit de
échos imparfaits et incomplets de celui-ci. Le Coran, en tant que Verbe Sainteté que Dieu mettra dans le Paraclet (Intercesseur, Avocat, c’est à dire
complet, parachevé, contient donc l’essentiel de l’Evangile (bouchra) dans Mohammed : « Celui qui est très louangé »), Jésus annonce une terrible
toute sa vérité. malédiction à l’encontre de ceux qui le rejetteront : « En vérité, je vous dis
Un hadith souligne cette identité entre le véritable Evangile et le Coran. que tout sera remis aux fils des hommes, les péchés et les blasphèmes autant
Dieu dit à Mohammed : « J’ai fait, des poitrines des membres de ta commu- qu’ils en blasphémeront ; mais quiconque aura blasphémé contre l’Esprit, le
nauté, des évangiles, ce que Je n’ai pas fait pour les autres communautés : ils Saint (Rûh al-Qudus en arabe, n.d.r.), n’obtient jamais de rémission : il est
récitent le Coran par cœur ». (Rapporté par Abou Nu‘aym et Ibn Kathir)39 coupable d’un péché éternel ». Et ceci pour deux raisons : la première est que
Par ailleurs, Dieu, dans le Coran, fait parler Jésus, et lui permet de rec- Mohammed est le Sceau des Prophètes, c’est à dire la dernière chance pour
tifier des erreurs qui se sont colportées à son sujet. Et c’est justice, puisque les hommes avant la fin du monde et le Jugement dernier ; la seconde, c’est
Jésus est un dépositaire du Verbe de Dieu, ainsi que l’atteste le Coran. Et qu’il est le Messager de la Miséricorde Divine par excellence, l’Avocat,
Jésus est à juste titre jaloux de cette Grâce Divine dont il était dépositaire l’Intercesseur pour les pécheurs lors de ce même Jugement dernier, donc,
et responsable, même si ses contemporains l’ont rejeté. Et ce n’est pas parce une nouvelle fois, leur ultime chance d’échapper au feu, ou d’en sortir. Le
que ses propres disciples ne l’ont pas entièrement compris (car chacun ne rejeter, blasphémer contre lui, s’est se condamner à refuser cette ultime
comprend qu’à la mesure de la capacité que Dieu lui octroie), qu’il lui faille Miséricorde Divine.
renoncer à ce titre. Non, il est bien le réceptacle, le Verbe de Dieu, et il n’a L’Evangile de Jésus était oral. Sa transmission par la Tradition chréti-
pas démérité de sa charge ; c’est le monde - et particulièrement la commu- enne s’est faite par l’intermédiaire des écrits appelés « évangiles » selon
nauté israélite dont il était le Messie annoncé - qui a démérité de lui. untel et untel. Il existe d’importantes variantes entre ces versions, et même
C’est pourquoi, parlant du Paraclet à venir (qui n’est autre que des contradictions, ce qui prouve que ces Ecritures ne sont pas compara-
Mohammed porteur du Coran), l’évangile selon Jean fait dire à Jésus (avant bles au Coran, qui est unique en son genre.
de quitter ses disciples) : Ce ne sont pas les évangiles proprement dit qui sont le Verbe de Dieu,
« Maintenant je m’en vais vers Celui qui m’a envoyé, et aucun d’entre vous c’est Jésus lui-même qui est le « Verbe de Dieu » (c’est à dire le dépositaire
ne m’interroge : Où t’en vas-tu ? Mais, parce que je vous ai dit cela, la tristesse de la Parole de Dieu). Mais comme il n’a rien écrit, ni fait consigner
a rempli votre cœur. Cependant moi je vous dis la vérité : Mieux vaut pour expressément ses paroles par ses disciples en sa présence, les rapporteurs de
vous que moi je m’en aille, car si je ne m’en vais pas, le « Paraclet » ne viendra ses paroles divergent naturellement entre eux, comme divergent toujours
pas vers vous ; mais si je pars, je vous l’enverrai. /.../ un peu les témoins d’un même fait, car chacun a sa façon de parler, son
J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter à point de vue. Ce qui a frappé l’un n’a même pas été remarqué par l’autre,
présent. Quand il viendra, celui-là, l’Esprit de Vérité (le Paraclet n.d.r.), il ils rapportent différemment les mêmes paroles, etc. Par contre, le Coran
vous guidera vers une vérité totale, car il ne parlera pas de lui-même ; mais il est tout entier Verbe de Dieu, comme Jésus est le « Verbe de Dieu » (en tant
dira ce qu’il entend, et il vous annoncera ce qui doit venir. Celui-là me glori- que dépositaire du Verbe).
fiera, car c’est de ce qui est à moi qu’il prendra (c’est à dire l’Evangile Le Coran est incréé, en tant que parole de Dieu. En effet, Dieu ne
Complet, Bouchra ou Coran n.d.r.) et il vous l’annoncera ». (Jean 16, 5 à 7 « crée » pas sa parole, mais c’est par Sa Parole qu’Il crée toute chose. C’est
et 16,12 à 14)40 par Son Verbe que tout a été fait. Quand Jésus parle du Verbe qui est en
lui, c’est effectivement de la Parole de Dieu qu’il parle, d’où la confusion
38 - Selon Matthieu 11,25, Jésus a dit : « Je Te loue, Père (c’est à dire « Principe », n.d.r.), des Chrétiens à son égard. Il est vrai que la chose n’est pas simple. Dieu
Seigneur du ciel et de la terre, parce que Tu as caché cela aux sages et aux intelligents, et avait placé son Verbe en Jésus. Il l’y avait déposé. Mais cela ne fait pas pour
l’as révélé aux enfants ». Jésus récuse donc l’orgueil que des scribes et Pharisiens hypocrites autant de Jésus un dieu. De même pour le Coran : Dieu y a déposé sa
tirent de leur « science » exotérique, et il loue l’ouverture spirituelle des « pauvres en esprits », Parole, son Verbe, ce qui ne fait pas du Coran un dieu. La chose n’est pas
c’est à dire sincères malgré leur peu de science exotérique, mais spirituellement riches, et simple mais est cependant compréhensible. A condition bien sûr d’être
qu’il nomme métaphoriquement « enfants ». Il précise que c’est à eux qu’est réservé le précis et scrupuleux dans l’usage de ces notions.
« royaume des cieux ». C’est la même chose pour la Torah donnée à Moïse. La vraie Torah orig-
39 - Cité par Tahar Gaïd. Commentaire du Coran (94,4).
40 - Traduction E. Osty. Op. cit. p. 2300. 41 - Cf. Cyril Glassé : Dictionnaire Encyclopédique de l’Islam, p. 298. Ed. Bordas, 1991.

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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

inelle est la Révélation faite « en bloc » à Moïse sur le mont Sinaï, puis une « civilisation chrétienne » de se développer et de se maintenir un cer-
complétée par des révélations suivantes que Dieu fit à son Envoyé (sous la tain temps. D’ailleurs, le Messie Jésus n’était pas un législateur. Sur ce
« tente de la rencontre »), et selon des modalités à peu près similaires à plan, il n’a fait que confirmer formellement la Torah, tout en la relativisant
celles de la Révélation Coranique. Mais là encore, le texte est « de seconde par la puissance de la Foi et du Pardon Divin.43
main », disent tous les spécialistes Juifs et Chrétiens, qui y décèlent la com- Son apport particulier est tout autre, ce qui l’a fait voir comme « héré-
pilation de plusieurs sources appelées « document yahviste », « document tique » par les Juifs « exotéristes », ses contemporains, qui avaient largement
sacerdotal », etc., à l’intérieur de chaque livre qui compose le Pantateuque oublié la dimension mystique de leur Tradition. C’est cette Tradition
(les cinq premiers livres de la Bible) ou « Torah ». métaphysique que Jésus a sauvée et transmise à un petit groupe de disci-
Ni l’Ancien, ni le Nouveau Testament ne sont des révélations directes ples, ainsi que l’a indiqué le Cheikh Abdel Wahid René Guénon qui con-
de Dieu, mais des Ecritures sacrées contenant l’écho, la transmission des sidère le christianisme primitif « comme ayant été proprement une tarîqa,
Paroles Divines par des hommes, parfois très longtemps après les faits évo- c’est à dire en somme une voie initiatique, et non une sharî‘a, ou une législa-
qués. tion d’ordre social et s’adressant à tous ; et cela est tellement vrai que, par la
Il y a néanmoins dans ces Écritures de quoi suivre le bon chemin, suite, on dut y suppléer par la constitution d’un droit « canonique ». (Aperçus
puisque Dieu Lui-même renvoie les Juifs et les Chrétiens à « juger selon ce sur l’Esotérisme Chrétien, p. 22. Editions Traditionnelles).
que Dieu y a révélé ». Dieu ne dirait pas cela s’il s’agissait d’un Texte perdu Aujourd’hui, l’Occident « chrétien » n’est plus chrétien. Les Musulmans
inaccessible aux gens. C’est évident. doivent le comprendre. Le Cheikh Abdel Wahid René Guénon a écrit à ce
Par ailleurs, il y a, dans la Tradition Chrétienne (et dans le Judaïsme sujet : « On dit que l’Occident moderne est chrétien, mais c’est là une erreur ;
aussi), deux voies. L’une est « extérieure », ou exotérique : c’est la partie l’esprit moderne est antichrétien, parce qu’il est essentiellement antireligieux ;
« visible » avec son histoire, ses institutions, ses schismes, ses bons et ses et il est antireligieux parce que, plus généralement encore, il est anti-tradition-
mauvais côtés. Et l’autre, c’est la voie « mystique », dépositaire d’une tradi- nel ; c’est là ce qui constitue son caractère propre, ce qui le fait être ce qu’il est ».
tion spirituelle et métaphysique plus ancienne42. (La Crise du Monde Moderne, p.111. Gallimard).
C’est l’existence de cette dernière qui a validé l’ensemble et permis à Dans le « dialogue islamo-chrétien », on ne doit donc pas se tromper
d’interlocuteur, et savoir de quoi l’on parle, et avec qui. Les athées ou les
42 - La constante principale, et le préalable indispensable, dans toute Tradition métaphy- agnostiques d’origine chrétienne ne sont pas des chrétiens. Le « dialogue »
sique véritable, est l’initiation. (Cf. René Guénon : Aperçus sur l’Initiation. avec ces derniers est d’une toute autre nature.
Ed. Traditionnelles). C’est le point de départ, qui revêt toujours des formes symboliques Avec les vrais Chrétiens croyants, avec les vrais Juifs croyants, il y a un
analogues (la poignée de main par exemple, ou l’imposition des mains sur la tête) : c’est la dialogue qui peut s’avérer utile, et, au milieu de l’athéisme qui se
transmission par le maître au disciple d’une influence spirituelle transcendantale, une généralise, il y a des points communs à mettre en avant, une Tradition
« bénédiction » d’origine divine (baraka en arabe). Dieu en effet gratifie ses Prophètes et Ses commune à défendre, car elle a une source unique.
saints serviteurs (« héritiers » des Prophètes) de cette grâce spéciale. Cette influence spiri- Les trois Pactes44 appelés « testaments »45, avec certes des nuances parfois
tuelle transite donc dans toutes les formes religieuses traditionnelles qu’Il agrée à un sensibles, mais somme toute secondaires, ont à peu près la même cos-
moment de l’histoire et pour une durée déterminée que Lui seul choisit, et selon des inten- mogonie, la même eschatologie, la même théologie centrale, la même
sités variables que Lui seul module. Cette baraka dure autant qu’Il le veut, même dans une morale fondamentale, des rites comparables, les mêmes prophètes (à l’ex-
forme apparemment dépassée par une autre plus récente, tant que cette dernière n’est pas clusion des deux derniers).
parvenue à la connaissance de tous. Le Prophète Mohammed a attesté de cette vérité uni-
verselle : « Celui qui meurt selon la religion de Jésus, dans la soumission (à Dieu) avant 43 - Evangile selon Luc 6, 36-37 : « Montrez-vous compatissants, comme votre Père (c’est
d’avoir entendu parler de moi, selon la langue qu’il comprend, celui-là meurt dans de à dire Dieu, ou « Principe » selon les Ecritures judéo-chrétiennes, n. d. r.) est Compatissant.
bonnes conditions ; mais celui qui entend parler de moi et ne crois pas en moi, celui-là est Et ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; et ne condamnez pas, et vous ne serez pas
perdu ». « Selon la langue qu’il comprend » est l’élément déterminant de ce hadith. Tout condamnés ; absolvez, et vous serez absous ». Trad. E.Osty, Op. cit. p. 2213.
dépend donc de la façon dont est annoncé l’Islam à un Chrétien ou à un Juif. Si l’Islam 44 - D’après Mohammed Hamidullah : « Et rappelez-vous le bienfait d’Allah sur vous
lui est annoncé de façon incorrecte, notamment par des adversaires qui le défigurent, ou ainsi que l’Alliance qu’Il a conclue avec vous... » (Coran 5,7).
encore par certains de ses fils égarés et ignorants, cet individu n’aura pas entendu parler 45 - Testament est la traduction dans les langues latine du mot grec « diathèkè » qui signi-
de Mohammed de la façon qui convient, loin de là. C’est pourquoi, Dieu dans Sa fie à la fois alliance et testament. C’est le sens d’alliance que revêt donc ce mot testament
Miséricorde, n’ôte pas brutalement Sa Baraka aux formes religieuses appelées à être surclas- utisisé pour désigner les anciens Pactes (Torah, Evangile). Le mot arabe coranique qui se
sées, à terme, par le véritable Islam. rapporte à cette notion est Mîthâq (Pacte, Engagement). Cf. Coran 2,27.

36 37
Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

La Soumission (Islâm en arabe) est la religion d’Adam, d’Hénoch « testament » (dans le sens d’Engagement, de Pacte),49 c’est à dire le Sceau
(Idriss), de Noé (Nouh), d’Abraham (Ibrahim), d’Ismaël (Ismaïl), d’Isaac (celui qui ferme la liste) des Livres révélés. « Testament » est pris dans son
(Ichaac), de Jabob-Israël (Yacoub-Israïl), de Joseph (Youssouf ), de Moïse sens ancien d’Alliance (Diathèkè en grec, Mîthâq en arabe).50 D’ailleurs,
(Moussa), de David (Dawoud), de Salomon (Soulayman ou Soliman), de Jésus, à la fin des temps, s’emparera du Coran et le confirmera publique-
Jonas (Younouss), de Jean-Baptiste (Yahya), de Jésus (Issa) et de ment, car, en tant que Verbe vivant de Dieu, il se reconnaîtra pleinement
Mohammed (Mouhammad), parmi les cent vingt quatre mille prophètes dans ce Verbe écrit de Dieu et le considérera comme « sien ». C’est en effet
(dont trois cent treize Messagers porteurs d’un « Livre »), venus à tous les la totalité de la Parole qu’il n’avait pu délivrer que partiellement, car sa
peuples depuis la création de l’homme. mission fut écourtée par le déchaînement de l’opposition du peuple « élu »
Car Eloha46 des Juifs, Jehovah47 des Chrétiens et Allâh des Musulmans contre lui. Ce peuple n’ayant pas mérité de recevoir ce dernier Testament
est un Dieu Unique : (Bouchra ou Coran, qui est donc de fait l’Evangile authentique), Dieu a
« Avec les Juifs et les Chrétiens, ne discutez que de la manière la plus [affa- donné le Coran à une autre lignée de la descendance d’Abraham, un peu-
ble] sauf [quand il s’agit] de ceux qui commettent des injustices parmi eux. ple « illettré » (c’est à dire sans Ecriture sacrée), afin de sauver toute l’hu-
Dites-[leur] : « Nous croyons en ce qui nous a été révélé et en ce qui vous a été manité, ce qui excite la jalousie51 du peuple anciennement préféré de
révélé. Notre Dieu et le vôtre est le même Dieu et nous Lui sommes soumis Dieu. A partir du rejet de Jésus, la communauté des fils d’Israël a perdu
(mouslimoun) ». (Coran 29,46).48 cette « élection », c’est à dire cette préférence Divine dont ils jouissaient
Nous devons donc croire en ce qui a été révélé aux Gens du Livre, tout depuis Jacob-Israël.52 La malédiction conjointe de David et de Jésus con-
en sachant que leurs Livres sont de « seconde main », mais néanmoins tre les mauvais Juifs est devenue alors efficiente, et Dieu a exaucé cette
sacrés et respectables. Il y a en ces livres, pour eux, de quoi se guider con- malédiction.53
venablement, sinon Dieu, dans le Coran, ne demanderait pas aux Gens du
Livre de juger selon leur contenu. Pour autant, ils ne sont pas comparables
au Coran dans le sens où le Coran est de « première main », donc d’une
authenticité parfaite, sans intervention humaine, sans contradiction, sans
interpolation, ni omission. 49 - C’est à dire Pacte, Alliance ou Engagement (Diathèkè en grec, Mîthâq dans le
Par contre, on peut comparer l’Ancien et le nouveau Testament (la Coran).
Torah et l’Evangile pour simplifier) aux recueils de Hadiths de la Tradition 50 - D’après Mohammed Hamidullah : « Et rappelez-vous le bienfait d’Allah sur vous
musulmane. Ces recueils de Hadiths nous rapportent des paroles, des faits ainsi que l’Alliance (Mîthâqahou) qu’Il a conclue avec vous... » (Coran 5,7).
et gestes du Prophète Mohammed, sur lui la grâce divine et la Paix, mais 51 - Deutéronome 32,21 : « Moi, Je vous rendrai jaloux par ce qui n’est pas une nation,
avec des variantes d’un rapporteur à l’autre, exactement comme pour les par une nation insensée J’exciterai votre dépit ». « Insensée » doit être pris dans le sens de «
différentes versions évangéliques : l’évangile selon Matthieu, selon Marc, sans science, sans Ecriture », sans vraie religion. L’expression « pas une nation » doit être
selon Luc, selon Jean, pour ne citer que les quatre « canoniques ». Car prise dans le sens de peuplade morcelée en tribus rivales, sans unité politique, comme
avant Nicée 1 (325), il y avait plusieurs dizaines de versions de l’évangile l’étaient les Arabes avant l’Islam.
qui circulaient dans la chrétienté d’alors. 52 - Jacob-Israël. Jacob (Yacoub), selon la Bible, fut éprouvé par Dieu durant toute une
Ce Concile de Nicée a donc établi le « canon » (liste officielle) des qua- nuit. Dieu lui envoya un ange pour le combattre. Yacoub se battit vaillament jusqu’au
tre évangiles, et d’autres textes (notamment des lettres de Paul) qui ont matin et eut le dessus sur l’ange. Depuis ce jour, selon la Bible, Dieu changea le nom de
constitué ce que les chrétiens ont appelé le Nouveau Testament. Ils ont Jacob en Israël (c’est à dire « qui a lutté avec Dieu », cf. Genèse 32,29 [en arabe le nom ;
alors réservé l’expression « Ancien testament » aux textes d’origine Isrâ’îl veut dire ‘Abd-Allah (serviteur de Dieu) ou encore : Celui qui voyagea de nuit vers
hébraïque (Torah ou Pantateuque, livres de Josué, des Juges, des Rois, Dieu]). Cette anecdote paraît étrange et il se peut qu’elle soit altérée. Au cas contraire, cet
etc.), et ont appelé Nouveau Testament (ou Nouvelle Alliance) les textes épisode avait probablement pour but d’endurcir et d’encourager Jacob-Israël pour la suite
proprement nazaréens. des événements. En effet, selon la Bible, Jacob, surtout élevé par sa mère, manquait peut-
C’est en ce sens qu’on peut dire également que le Coran est le dernier être un peu, à l’origine, de fermeté, sa mère lui ayant plutôt appris la ruse que l’affronte-
ment ouvert, parfois nécessaire, surtout pour un homme appelé à remplir la dure mission
46 - Dont le pluriel de respect est Elohim. Eloha veut dire Dieu (El en araméen). de Prophète de Dieu. Mais Dieu sait mieux.
47 - Jéhovah ou Yahvé est la transcription du fameux tétragramme imprononçable de 53 - Selon les évangiles, Jésus leur dit que ce n’est finalement pas lui qui les accusera
l’Ancien Testament : yhwh, qui signifie : « Je Suis Celui qui Est ». devant leur Créateur au Jugement dernier, mais Moïse en personne, car c’est de lui qu’ils
48 - Traduction de H. Boubakeur. Op. cit. se réclament.

38 39
LA TRINITÉ A l’avènement de l’Islam, cette église arienne, combattue sans pitié
durant des siècles par les trinitaires (notamment par Clovis, roi des Francs)
n’existait plus qu’en Espagne, et par petites communautés isolées en
périphérie de l’empire romain Byzantin. D’ailleurs, les derniers Ariens
entrèrent sans difficulté en Islam, qui les absorba naturellement. C’est
pourquoi il n’y a pratiquement plus, depuis ce temps là, de Chrétiens
monothéistes absolus, mais uniquement des trinitaires. Ceci dit, même à
l’intérieur des Eglises Trinitaires (Catholique, Orthodoxe, Protestantes), il
y a des monothéistes - y compris dans les hiérarchies ecclésiales - qui ne
Part. I - Chap. VI font que peu de cas de la trinité mais évitent les querelles sur ce point déli-
cat avec leurs coreligionnaires. On peut d’ailleurs noter que les théologies
chrétiennes mettent de plus en plus l’accent sur la nature humaine de

Les Juifs ne sont donc plus les « fils » préférés de Dieu, comme ils le la même époque, avait lui-même été exclu (pour d’autres raisons), et sa doctrine, selon
croient encore. Et pour clarifier ce fait, Dieu a récusé ces termes empruntés Jérôme (m. 419) était également « Arienne » (Cf. De Spiritu Sanctu, De vir. ill. 93). Arius
au langage filial : fils, père, etc., car ils avaient induit les ignorants dans l’er- a écrit que « Le Fils a été créé par le Père à partir du néant (ex nihilo) » (lettre à Eusèbe
reur. En effet, ce qui n’était que métaphore évidente a été interprété par les de Nicomédie). Les catholiques affirment qu’il « s’occupa bien peu de l’Esprit Saint ». [Cf.
ignorants comme des indications sur la « nature » de Dieu par rapport à Ses Dictionnaire Encyclopédique du Christianisme Ancien, Deux tomes, Ed. du Cerf, 1990.
créatures. Il devenait, aux yeux des ignorants, le « Père engendrant » (et non Articles : Arius, Donat de Carthage, Conciles, etc.] Ce reproche est tout à fait tendancieux,
plus simplement Créateur). Avec l’apparition de la trinité chez les Chrétiens voire anachronique, puisque la déification du « Saint-Esprit » n’eut lieu qu’en 381 ! En
(entre 325 et 381), Dieu devenait également « engendré » ! Le Coran fait, pour les premiers Chrétiens, le Saint Esprit avait à peu près la même acception qu’il
dénonce clairement cette hérésie dans la Sourate de la Pureté (ikhlâs) : a dans le Coran. Jésus y est appelé Esprit venant de Dieu (dans la tradition soufie aussi,
« Dis : « Il [est] Dieu Unique, Mohammed est appelé Esprit de Vérité et de Sainteté). L’ange Gabriel, et les anges en géné-
Dieu l’Imploré ; ral, ont aussi droit à ce titre dans le Coran. L’Esprit Saint, comme tout esprit, procède de
Il n’a ni enfanté, ni été enfanté. l’Ordre de Dieu. Il y a certes un mystère concernant cette notion, puisque Dieu nous dit,
Nul ne saurait L’égaler ». (Sourate 112) à ce sujet : « vous n’avez reçu que peu de science ». En tout cas l’Esprit Saint n’est pas un
Un des buts du troisième Concile de Constantinople (680-681) était de « dieu », ni une « personne » divine, comme l’affirment les trinitaires qui sont de fait retom-
condamner l’Islam, considéré comme une résurgence de « l’hérésie » bés dans une forme insidieuse de polythéisme. Mis en minorité et accusé d’hérésie à Nicée
Arienne combattue à Nicée 1 (325) et Constantinople 1 (381). Or, cette (325), Arius fut partiellement réhabilité en 328 puis au concile de Tyr en 335 et dans les
« hérésie » Arienne (du Prêtre Arius) était au contraire la doctrine la plus années qui suivirent, avec le soutien de l’empereur Constantin Premier, puis de son succes-
conforme au Christianisme authentique des anciens de la communauté seur Constance. Mais l’évéché de Rome (la « papauté » primitive) parvint peu à peu à
chrétienne. C’est ce christianisme véritable qu’Arius fut le dernier à condamner définitivement l’arianisme et à imposer la déification de Jésus comme « engen-
défendre avec vigueur, au péril de sa vie.54 dré et non pas créé », « égal en tout point au Père », hérésie patente réitérée au Concile de
Séleucie en 359. Sous l’Empereur Julien l’Apostat, puis Valentinien, la division persista,
54 - Arius, né entre 256 et 260 en Lybie ou à Alexandrie, mort en 336 à Constantinople. ariens et anti-ariens se combattant, s’excommuniant parfois et se partageant conflictuel
Les Catholiques trinitaires ont délibérément falsifié sa doctrine. Mais elle est connue grâce lement les évéchés dans toute la chrétienté. Le Concile d’Aquilée en Occident (380) et le
à ses propres écrits, dont les trinitaires n’ont laissé que des fragments (Thaleia et deux 3ème Concile de Constantinople en Orient (380 également) marquèrent la victoire défi-
lettres), ainsi que par les écrits de ses disciples (dont Eusèbe de Nicomédie et Astérius). La nitive des trinitaires dans la direction générale de l’église catholique. Néanmoins, la doc-
doctrine de la Trinité n’était pas encore définitivement fixée (elle ne le sera que par le 1er trine arienne reprit de la vigueur (en églises indépendantes) grâce aux conversions des
Concile de Constantinople en 380). Seule la déification de Jésus était vraiment à l’ordre peuples « barbares » qui entouraient l’Empire Romain. Ces peuples furent peu à peu vain-
du jour du 1er Concile de Nicée (325), qui détermina aussi un canon des écritures, et régla cus par les Francs ralliés à la trinité. Les derniers Ariens (Wisigoths d’Espagne) se joigni-
d’autres questions secondaires. Arius s’opposa à l’hérésie nouvelle qui faisait du Père et du rent aux Musulmans pour combattre les trinitaires du Comte Rodéric (Rodrigue).
Fils deux égaux à part entière. Il défendit, comme il l’avait toujours fait, la doctrine des L’arianisme (en tant que dernier vestige du vrai christianisme primitif ) disparut ainsi en
Anciens de l’église. Mais la majorité des évèques n’attendait que ce Concile pour le mettre tant que religion distincte, puisque tous ses derniers fidèles accueillirent l’Islam en libéra-
en minorité et imposer le nouveau dogme. Un autre théologien, Donat de Carthage, vers teur (annoncé par l’évangile de Jean) et entrèrent en masse en Islam.

40 41
Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

Jésus, de façon à ce que les gens se sentent plus proches de lui. Comment apprenant à prier, en leur montrant que cela représente somme toute un
en effet, prendre un dieu pour modèle ? Par contre, il peut redevenir un effort moins difficile encore que celui du jeûne, et que de plus, il leur
exemple à suivre, même si c’est difficile, si l’on prend en compte son ouvre les portes d’une récompense énorme.
humanité. C’est d’ailleurs tout le sens de son message, confirmé par le De même avec les Gens du Livre, on doit leur dire ce que Dieu nous
Coran, quand il dit, selon l’évangile : « Je suis la vérité, la voie, la vie ». La dit de leur dire : « Notre Dieu, et le Vôtre, est Un Seul Dieu », et leur mon-
vérité parce qu’il est le Verbe de Dieu, la voie parce qu’il est un modèle à trer que ce n’est pas renier Jésus - au contraire - que ce cesser de le
suivre, la vie parce que son message conduit à la vie éternelle. Tout cela est diviniser, chose qu’il a en horreur ! Et que lorsqu’il utilisait la métaphore
parfaitement orthodoxe. « Fils » ou « Père » (comme le faisait déjà la tradition juive dans l’Ancien
Le présent exposé, même s’il peut surprendre mes frères et sœurs en Testament pour désigner les anges, ou les bons Juifs, ou David, etc.), ce
Islam par son ton qui diffère quelque peu de l’habituelle littérature n’était pas pour être adoré à l’égal de Dieu, mais pour faire aimer Dieu
islamique récente sur ce sujet, est une tentative de déplacer le dialogue sur comme Il le mérite, car Il est infiniment plus aimant à l’égard de Ses créa-
un terrain plus solide et plus respectueux du legs scripturaire de chacun, tures que la meilleure des mères ou que le plus tendre des pères, un point
sans complaisance pour autant, car la vérité, même si elle est parfois c’est tout. S’ils le comprennent, tant mieux, ils seront sauvés de ce péché
amère, engendre toujours de doux fruits, ainsi que l’a dit Sidna Ali, lequel grave qu’est le polythéisme, péché que la Torah (confirmée par Jésus)
est, en Islam : « La Porte de la Connaissance ». Ce que j’écris peut paraître désigne comme le pire des péchés contre l’Unicité de Dieu. Ce que con-
nouveau à certains égards et trancher avec les essais plus polémiques que firme le Coran.
scientifiques de certains de mes confrères musulmans, mais il n’en est rien. Selon l’évangile, Jésus a dit : « Le premier (commandement) c’est : « Ecoute,
Il suffit pour s’en convaincre de lire les ouvrages sur cette question de Israël, le Seigneur notre Dieu est Un seul Dieu »55. Ce faisant, Jésus cite la
notre grand imam Abou Hamid al-Ghazalî, notamment : « Réfutation Torah, en fidèle observateur de la Loi Divine. Comment après cela peut-
excellente de la divinité de Jésus, Contestation de la trinité, et fondement on l’insulter et blasphémer contre lui en prétendant qu’il s’est lui-même
théologique du dialogue islamo-chrétien ». Ses considérations sont beaucoup déifié ? Gloire à Dieu ! Jésus est un fidèle serviteur de Dieu, même si,
plus objectives et scientifiques que les écrits ultérieurs, qui tombent sou- comme tous les Juifs depuis toujours, il utilisait la métaphore « Père » (qui
vent dans la polémique stérile et la simple défense apologétique de l’Islam, signifie en réalité « Principe »).56 Dieu a suffisamment clarifié cette ques-
contribuant ainsi à élargir un peu plus ce fossé que Dieu nous demande tion dans le Coran.
de combler.
Certes, nous ne parviendrons jamais à le combler complètement. Seul
Jésus y parviendra lors de son retour à la fin des temps. Et tous les croy-
ants sincères parmi les Gens du Livre entreront alors dans la Soumission
(Islâm) à Dieu. Car le Messager Jésus est un « Musulman » parfait depuis
toujours. Il réussira à convaincre les gens sincères. Mais il ne pourra rien
pour les hypocrites, qu’ils soient « Juifs, Chrétiens ou Musulmans », car les
hypocrites ne sont en fait rien de tout cela, mais uniquement des
Mécréants, des Polythéistes ou des Athées qui mentent sur leurs croyances
véritables.
Pour autant, notre devoir « missionnaire » est également actuel, même si
cela est difficile. Le meilleur prêche se passe d’ailleurs de mots, ou plutôt,
il doit les précéder, sans quoi les mots seuls resteront sans aucun effet. 55 - Evangile selon Marc 12,29. Jésus cite la Torah en pur monothéiste orthodoxe
C’est le bon exemple qui constitue la meilleure prédication (da‘wa), et (Deutéronome 6,4 et Lévitique 19,18).
c’est la prière en faveur des Gens du Livre qui est le meilleur moyen de les 56 - Evangile selon Jean 20,17 : « Je m’en vais vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu
amener vers une vérité entière, car ils possèdent déjà une vérité partielle. et votre Dieu ». On voit donc que « Père » n’est qu’un nom affectueux que les fils d’Israël
On doit, en fait, agir avec eux comme avec les Musulmans qui jeûnent donnaient traditionnellement à Dieu. Inversement, les mécréants étaient appelés « fils du
mais ne prient pas. On ne doit pas dire à ces derniers : « votre jeûne ne Diable », tout aussi métaphoriquement. La chose est claire et ne suscite aucune ambiguïté.
vous sert à rien, puisque vous négligez la prière, qui est une obligation Mais comme des Chrétiens, se basant sur ce genre de métaphores - pourtant évidentes - ont,
divine encore plus importante que le jeûne ». Non, on doit au contraire les dans leur ignorance, divinisé Jésus, Dieu a tranché la question définitivement dans le Coran
féliciter pour leur jeûne et les encourager à parfaire leur pratique en et précisé clairement les choses : Il n’est le Père ou le Fils de personne. Un point c’est tout.

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Moïse, Jesus et Mohammed

LE DERNIER RAPPEL sonnellement. Il les rappelle au souvenir de la Torah, des Psaumes, de


l’Evangile, à la méditation de ces Messages et à leur application.
Ce n’est donc pas parce que la Torah est complètement « fausse » que
Dieu a fait descendre l’Evangile sur Jésus (sur lui la Paix), mais au con-
traire, pour la confirmer, la protéger et l’accomplir. Jésus n’a jamais
désobéi à cette Loi Divine révélée à Moïse et adressée aux fils d’Israël. C’est
cette même Loi, d’ailleurs qui a prévalu jusqu’à la descente du Coran, qui
réitère ses principes, tout en adoucissant sa sévérité, car l’humanité des
derniers temps est devenue particulièrement faible.
Part. I - Chap. VII Et ce n’est pas plus pour abolir le Message de Jésus que Dieu a donné
la Révélation Coranique aux gens, mais pour confirmer et compléter ce
Message du Verbe que le Messie n’avait pu délivrer dans de bonnes condi-
tions, suite à la rébellion des Juifs contre lui.
L’Imam al-Ghazalî, fidèle à cet enseignement Coranique, a interprété C’est donc parce que les hommes ont oublié Dieu et le chemin droit
scientifiquement l’Ancien et le Nouveau Testament. C’est pourquoi c’est qu’Il nous commande de suivre, que Dieu Se rappelle à notre souvenir, en
surtout sur ses travaux que nous baserons notre présent ouvrage. La Torah, nous envoyant des prophètes successivement, et des Messagers chargés
l’Evangile et le Coran correspondent à trois Engagements successifs, trois d’adapter Sa législation aux nouvelles conditions liées à l’espace et au
Pactes ou « Alliances » (mîthâq), ainsi que les désigne Dieu dans le Coran temps. Ainsi, à chaque nouveau Message, Dieu nous récite ce que nous
(2/26-27 ; 5/7 ; etc.) avons oublié, ou altéré, ou caché, dans Ses Messages antérieurs, et surtout,
Mîthâq correspond au terme grec Diathèkè qui signifie tantôt Alliance ce que nous avons interprété de façon erronée.
(Pacte ou Engagement) et tantôt Testament. C’est pourquoi on peut par- La Torah est ancienne, et il n’est pas étonnant qu’on y trouve des altéra-
ler de « trois testaments » ou « trois alliances » ou « trois engagements » en tions, car elle a traversée une histoire mouvementée. Durant la déporta-
parlant des trois Livres révélés : Le premier, le second et le troisième tion des Juifs à Babylone, elle avait même été perdue, et tous les savants
« Testaments », ou encore, l’ancien, le nouveau et le dernier. Au cours de exterminés. Or, la langue porteuse (l’hébreu) n’était plus comprise que par
cet ouvrage, comme nous l’avons déjà signalé, nous utiliserons indistincte- les savants. Les traductions sont faussées par les évolutions linguistiques.
ment ces mots comme synonymes : Mîthâq, Diathèkè, Testament, « Traduire, c’est trahir », affirme un dicton italien, et ce n’est pas faux, c’est
Engagement, Alliance, Pacte, Rappel, nonobstant les nuances qu’ils peu- même quasiment inévitable, y compris pour des gens très scrupuleux. De
vent contenir, afin de ne pas compliquer inutilement les choses. plus, il n’y a pas toujours que des gens scrupuleux, mais il y a aussi ceux
Le présent ouvrage n’est pas polémique, son but est certes de faire qui utilisent de « pieux mensonges », croyant bien faire, mais qui desser-
découvrir ce qu’est l’Islam aux premiers gens du Livre (Juifs et Chrétiens) ; vent finalement leur propre cause quand on s’aperçoit de leurs falsifica-
mais il est aussi écrit à l’adresse de mes frères et sœurs en Islam, afin de tions.
mieux leur faire connaître et comprendre les religions de leurs interlocu- Par exemple, une falsification connue a eu cours dans la Chrétienté,
teurs, car tout dialogue digne de ce nom nécessite un minimum de con- concernant la première lettre de Jean (1 Jn 5, 7-8), où des copistes avaient
naissance mutuelle. L’intention de ce livre s’appuie sur une vérité com- rajouté : « Le Père, le Verbe et le Saint-Esprit », entre les versets 7 et 8, pour
mune trop souvent et trop vite évacuée au moindre conflit : nous sommes accréditer le dogme trinitaire. Mais l’Eglise elle-même, comparant cette
tous les enfants d’Adam et Eve, nos parents à tous, auxquels nous devons version avec des manuscrits plus anciens, a reconnu par la suite cette inter-
amour et respect. Et comment mieux leur témoigner cet amour et ce polation frauduleuse et la fit disparaître de la Bible57. D’autres interpola-
respect qu’en nous comportant fraternellement et pacifiquement entre
nous ? 57 - Cf. E. Osty La Bible op. cit. p. 2539-2540 : « Car il y en a trois qui témoignent :
Il est vrai que par son contenu, le Coran rappelle la Bible. C’est l’Esprit, et l’eau, et le sang, et les trois ne font qu’un ». Le traducteur commente ainsi ce fait
d’ailleurs, au dire même de son Auteur Divin, une de ses fonctions : le (note 7) : « témoignent » ; après ce terme, certains manuscrits ajoutent un texte longtemps
Coran est un dernier Rappel (dhikr), un Rappel des Messages antérieurs, considéré comme authentique : « dans le ciel : le Père, le Verbe et le Saint-Esprit, et ces trois
des vérités éternelles, un ultime Rappel avant la fin du monde et le ne font qu’un. Et il y en a trois qui témoignent sur terre... ». Ainsi, le seul passage étayant
Jugement dernier. explicitement le dogme trinitaire, était une interpolation que l’Eglise a elle-même retirée !
Les Gens du Livre y sont directement interpellés : Dieu leur parle per- Il est vrai que Jean (l’apôtre « préféré » de Jésus, selon son évangile) avait une vénération

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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

tions probables sont discutées dans l’Eglise. Par contre, il y a des passages sions de sens se sont librement répandues, et même des interpolations
qui ont été enlevés, comme celui qui cite le Jeûne pour chasser les démons, dans les textes (qui à l’origine ne devaient être que des notes additives de
pour d’obscures raisons. commentateurs, incorporées plus tard par des copistes ignorants ou trop
Et surtout, il y a le fait de n’avoir pas traduit des mots qui annonçaient « zélés », ne reculant pas devant le « pieux mensonge »). Ceci a été facilité
clairement la venue d’un Avocat, un Intercesseur, cet ultime Esprit de par le fait que tous les évangiles canoniques ont été écrits en grec, qui n’é-
Vérité et de Sainteté, dans la descendance des « frères » d’Israël, qui établira tait pas la langue du Messie (« Christ » en grec), et que tout traducteur des
la justice et auquel les nations obéiront. paroles originelles de Jésus, ne pouvait traduire que selon sa compétence,
Ces mots sont, pour le nouveau testament, on l’a vu : « Paraclet », et, son niveau de compréhension, voire sous l’influence de sa propre doctrine
pour l’Ancien Testament : « Chiloh », dont la traduction ne pose pourtant initiale. En entrant dans l’Eglise, les Grecs y ont apporté leur langue, mais
aucun problème puisqu’il signifie simplement « celui ». Mais qui est ce aussi forcément leur vision du monde, leurs symboles, leur habitudes et
« celui » ? C’est « celui auquel les peuples obéiront » selon ce qui a été doctrines propres. D’ailleurs, il est relativement facile de démontrer que la
annoncé par Moïse, ainsi que nous le verrons dans le chapitre de cet formation du dogme trinitaire est la conséquence de ces influences
ouvrage consacré à cette question, si Dieu le veut (Incha Allâh). étrangères (Egyptienne, Gréco-Romaine, et d’une partie de l’Asie proche,
Le reproche principal que Dieu, dans le Coran, fait aux Gens du Livre, où des trinités « divines » étaient déjà adorées depuis des temps immémo-
c’est de mal interpréter leurs écritures. Il maudit également ceux qui Lui riaux).
attribueraient des Paroles qu’Il n’a pas dite, ou qui retrancheraient des Mais, exception faite de ces quelques distorsions de sens, exagérations,
Paroles qu’Il a dites, et on retrouve cette même malédiction formulée dans contradictions, interpolations, omissions et traces d’influences extérieures,
l’Ancien et le Nouveau Testament. Beaucoup de livres ont d’ailleurs été les textes du Nouveau Testament sont assez fidèles à ceux de l’Ancien
rejetés comme « apocryphes » (c’est à dire douteux, à cacher) par les Juifs Testament. Avec les précautions d’usage nécessaires, on peut dire qu’ils ne
et les Chrétiens. contiennent rien de vraiment « hérétique ». Les fondements théologiques
Mais c’est surtout la mauvaise interprétation et la non application de orthodoxes y sont décelables (avec le concours d’une bonne exégèse
Ses Commandements que Dieu fustige chez les Gens du Livre. C’est comme l’a fait notre grand Imam Abou Hamid al-Ghazalî), et on y
d’ailleurs ce que dit Pierre (le chef des apôtres de Jésus) quand il écrit : retrouve souvent les marques d’une sagesse évidente, comme par exemple,
« Estimez salutaire la patience de notre Seigneur, tout comme notre frère ces conseils de Paul dans une de ses lettres :
bien aimé Paul vous l’a écrit, selon la sagesse qui lui a été donnée. C’est ce qu’il « C’est là une parole sûre : si quelqu’un aspire à l’épiscopat (la prêtrise), c’est
fait d’ailleurs dans toutes ses lettres (épîtres) où il parle de ces sujets. Il y a des une belle oeuvre qu’il désire. Il faut que l’épiscope soit inattaquable, mari
choses difficiles à comprendre, que les esprits ignorants et mal affermis distor- d’une seule femme, sobre, modéré, décent, hospitalier, capable d’enseigner, ni
dent, tout comme les autres Ecritures, pour leur propre perdition ». adonné au vin, ni batailleur, mais modéré, ennemi de la polémique, désin-
(Pierre 3, 15-16) téressé, menant bien sa famille dans la soumission en toute dignité, car si
Ainsi, le fondateur de la Chrétienté dit que des ignorants, au sein de sa quelqu’un ne sait pas gouverner sa maison, comment prendra-t-il soin de
communauté, distordent le sens des Ecritures. Et après sa mort, les distor- l’église de Dieu ? » (Epître à Timothée 3,1-5)
On voit par ailleurs, à la lecture ce passage, que Paul (un des piliers fon-
sans limite pour son maître bien aimé, qu’il appelait « Fils Unique de Dieu » car à ses yeux, dateurs de la Chrétienté) n’interdisait pas le mariage des prêtres, mais
personne ne pouvait l’égaler en sainteté et en puissance, et ses formulations s’en ressentent seulement la polygamie, afin qu’ils soient suffisamment disponibles pour
nécessairement. Mais il prend cependant garde à terminer son épître en disant : « Mes s’occuper de l’église (communauté) et ne pas être tributaires des conflits
enfants, gardez-vous des idoles ». Or, une idole, c’est une créature déifiée. Par ailleurs, Jean entre co-épouses. Par contre, il n’interdit pas la polygamie pour les laïcs
était un « extatique », et il faut mettre ses « exagérations » sur le compte de son amour (c’est à dire ceux qui n’ont pas de charge ecclésiastique). Le mariage des
débordant, de son esprit « ravi » (majdhûb en arabe), et de son manque de formation théo- prêtres, dans l’histoire de l’Eglise Catholique, n’a été interdit que tardive-
logique initiale (les douze apôtres de Jésus étaient au départ illettrés, à l’exception de Judas ment, par le Pape Grégoire VII (1020-1085). C’est donc une « innova-
Iscariote qui l’a trahi). Dans le Soufisme islamique aussi, on a vu des « extatiques », comme tion » par rapport à la vraie Tradition chrétienne.
al-Hallaj ou d’autres, dont les paroles frisaient l’hérésie au point de vue formel. Mais du Dans ce même passage, Paul indique que le Prêtre doit renoncer à l’al-
point de vue mystique, elles peuvent être comprises comme l’expression d’un « ravissement coolisme, et ceci est conforme à l’ancien testament. Et aussi qu’il doit
d’amour » à prendre comme tel. C’est pourquoi la plupart des grands Maîtres spirituels pré- mener sa maison dans la « soumission » (ce qui équivaut à islâm en arabe),
fèrent la pudeur et le silence, et comme le disait Dhoul Noun al-Misrî : « le cœur de car, s’il n’y parvient pas chez lui, comment pourrait-il guider la
l’homme libre est le tombeau des secrets ». Communauté, qui est une famille beaucoup plus grande ?
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Moïse, Jesus et Mohammed

On le verra au cours de cet ouvrage : il existe de nombreuses contradic- LE TALION ET LE PARDON


tions au sein des Ecritures bibliques, que ce soit dans l’Ancien comme
dans le Nouveau Testament, ce qui prouve que Dieu n’est pas leur Auteur
« direct » comme dans le cas du Coran.
Il existe aussi des différences, malgré leur continuité, entre l’Ancien et
le Nouveau Testament.
Les Juifs ne reconnaissent que l’Ancien Testament (qu’ils appellent
TaNaK),58 et les Chrétiens reconnaissent les deux, mais affirment la pri-
mauté du Nouveau sur l’Ancien. Il y a même eu une longue période, avant
la « Réforme Protestante », où l’Ancien Testament était caché au peuple, Part. I - Chap. VIII
qui n’avait accès qu’à des morceaux choisis par l’Eglise. Les raisons en sont
sûrement multiples, mais celle qui me paraît la plus déterminante est
l’usage fréquent, dans l’Ancien Testament, des expressions comme « Fils de
Dieu » et même carrément « dieux », pour désigner métaphoriquement des La grande différence morale entre les deux premiers Testaments, c’est
serviteurs de Dieu. La Théologie chrétienne trinitaire, affirmant au con- l’importance donnée dans l’un au Talion, et dans l’autre au Pardon. Les
traire que Jésus est « Fils unique de Dieu » et « Dieu » Lui-même, une sim- Juifs s’en tenaient au Talion, et la Miséricorde Divine était en quelque
ple lecture de l’Ancien Testament aurait infirmé ces prétentions trinitaires sorte supplantée - à leurs yeux - par Sa Colère. L’Ancien testament fait en
aux yeux de tous. effet beaucoup mention de la Colère Divine. La Loi mosaïque (ou Torah)
est très dure : toute prévarication est punie de lapidation : le vol, le fait de
maudire ses parents, la fornication, et bien sûr l’adultère, le meurtre, l’i-
dolâtrie : tout cela oblige le juge à « retrancher » le pécheur du milieu
d’Israël, c’est à dire, en clair, à le faire tuer.
La Charia59 islamique représente un assouplissement très sensible par
rapport à la Torah. Sur le fond, les mêmes péchés capitaux sont visés, mais

59 - Loi révélée (de la racine arabe charra’a : « prescrire », « ordonner »). Appelée aussi,
dans le Coran : char’ et chir’a. Elle découle donc du Coran, de la Sounnah, et est précisée
par le Fiqh (Droit ou Savoir) des différentes écoles juridiques et rituelles de l’Islam : les
quatres écoles ou madhab sunnites, et les écoles chiites et kharijites. C’est dire qu’il existe
des nuances sensibles selon les écoles dans la formation des règles de la Charia. Dans les
écoles sunnites (Hanafite, Malikite, Chafi’ite et Hanbalite), les sources de la loi sont : le
Coran, puis la Sounnah, puis l’Ijmâ (Consensus) : il s’agit au départ du Consensus des
Anciens (Compagnons du Prophète et leurs suivants, puis de toute la communauté, en com-
mençant bien sûr par les savants), puisqu’un hadith prophétique dit : « ma communauté
ne s’accordera jamais sur une erreur ». Ensuite, selon les écoles (avec des nuances sensibles) :
le Qiyâs (analogie) et le Ra’y (Opinion personnelle) complètent ces trois sources principales.
Un autre principe, l’Ijtihad (« effort » d’interprétation) est controversé, déclaré « ouvert » ou
« fermé » selon les époques, les lieux et les savants. Chez les sunnites, c’est plutôt la ferme-
ture de l’Ijtihad qui prévaut. Chez les Chiites duodécimains, l’Ijtihad connaît au contraire
un développement continuel. Chez les Wahhabites (dernière « école » issue du Hanbalisme,
mais en rupture doctrinale avec ce dernier), l’Ijmâ est réduit aux deux premières « généra-
tions » des Anciens (Compagnons du Prophète et leurs Suivants immédiats), et ils récusent
totalement le Qiyâs, le Ra’y et bien sûr l’Ijtihad. Et ils considèrent le Taçawwuf (Soufisme)
comme un chirk (polythéisme). (Cf. Cyril Glassé, Dictionnaire Encyclopédique de l’Islam.
58 - T-N-K : Torah, Nebiim, Ketoubim (Loi, Prophètes, Ecrits). P. 363. Ed. Bordas, 1991)

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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

certaines sanctions sont commuées en châtiments corporels (comme la mandements ? » Jésus répondit : « Le premier, c’est : Ecoute, Israël, le Seigneur
fornication). Le vol est puni par l’amputation de la main et non plus par notre Dieu est l’Unique Seigneur, tu aimeras donc le Seigneur ton Dieu de
la peine de mort. De plus, dans la pratique, les fondateurs des écoles tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée et de toute ta force.
juridiques en Islam ont défini des conditions et des modalités d’applica- Le second est celui-ci : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a
tion qui atténuent encore la rigueur de la Loi, car Dieu a légiféré dans les pas d’autre commandement plus grand que ceux-là ». Et le scribe lui dit :
grandes lignes, laissant à Son Prophète puis à ses successeurs (les Savants « Bien ! Maître, c’est en toute vérité que tu l’as dit : Il est L’Unique et il n’y en
bien guidés) le soin de préciser concrètement les conditions et modalités a pas d’autre que Lui ; et L’aimer de tout [son] cœur, de toute [son] intelligence
d’application de Ses Lois. On a vu, par exemple, que le Khalife ‘Omar et de toute [sa] force, et aimer le prochain comme soi-même, c’est plus que tous
avait suspendu la sanction « chariatique » concernant le vol, durant une les holocaustes et tous les sacrifices ». Et Jésus, voyant qu’il avait répondu judi-
famine qui poussait beaucoup de pauvres à voler. La plupart des écoles cieusement, lui dit : « Tu n’es pas loin du royaume61 de Dieu ». Et personne n’o-
anciennes (à la différence de certaines courants modernes) n’imposaient sait plus l’interroger ».62
l’amputation de la main qu’aux multi-récidivistes. Et c’est finalement L’équilibre entre Talion et Pardon est par nature difficile. Entre deux
l’emprisonnement simple qui a fini par être adopté presque partout dans religions qu’on peut considérer, au plan moral, l’une comme plutôt
le monde musulman. « rigide » et l’autre comme plutôt « laxiste », un juste milieu a été défini par
Mais revenons à l’Ancien et au Nouveau testaments. Dieu dans Son ultime Message, le Coran, qui intègre, de façon équilibrée,
A l’opposé de l’Ancien Testament, le Nouveau Testament semble dire à la fois le Talion et le Pardon, tout en indiquant cependant la supériorité
que la Loi est transcendée par la Foi, que le Pardon de Dieu l’emporte du second sur le premier, pour ceux qui visent à l’excellence. C’est dire
finalement sur sa Colère (ce qui est conforme à la tradition musulmane) qu’Il laisse une grande latitude au législateur humain (les savants juriscon-
et que tout péché peut être pardonné aux repentants. En conséquence, on sultes musulmans) afin d’adapter l’application de ces principes, selon les
note un réel laxisme moral qui a été toujours en s’amplifiant dans le cas bien sûr, mais aussi selon les lieux et les époques. L’articulation des
monde chrétien. sources de la loi en Islam permet cette grande souplesse, du fait même qu’il
D’un certain point de vue, on peut considérer que chacun de ces deux n’y a aucune confusion entre ce qui est d’origine Divine (le Coran), d’o-
testaments est « déséquilibré », chacun péchant par un excès contraire par rigine Prophétique (la sounna) et d’origine «Consensuelle » (l’ijmâ‘ des
rapport à l’autre. On peut dès lors penser que la tendance générale du sec- Compagnons du Prophète puis des Savants de la communauté). La pre-
ond (l’excès du pardon) vient sans doute pour corriger la rigueur du pre- mière est immuable, quoique prévoyant elle-même de larges possibilités
mier. En effet, trop de Talion tue le Pardon. Mais, à l’inverse, trop de d’adaptation et un grand éventail de choix dans tous les domaines ; la sec-
Pardon abolit la Loi. Or, Jésus affirme qu’il n’est pas venu abolir cette Loi, onde est, foncièrement, l’exégèse de la première, un complément pour des
mais l’accomplir et la compléter. aspects non détaillés par Dieu, et elle possède également une dimension
Dans « compléter » il peut aussi y avoir l’idée de rétablir l’esprit initial dynamique (d’adaptation ou « d’évolution ») établie sur des hadiths très
de la loi qui a pu être quelque peu perdu de vue. En effet, questionné sur clairs sur la question63. La troisième source requiert un effort d’interpréta-
ce sujet, Jésus, selon les évangiles, met sur un plan d’égalité deux tion des responsables (Emirs, Oulémas : les savants religieux de la commu-
Commandements qui lui semblent corollaires et indissociables : adorer nauté) ; c’est l’ijmâ‘ ou Accord de la communauté. Puis, selon les écoles, il
Dieu l’Unique, et aimer son prochain comme soi même. Ce second com-
mandement est une synthèse de tous les commandements « moraux » se 61 - Royaume de Dieu : expression courante dans les évangiles. Pour les chrétiens, elle
rapportant aux devoirs et droits de l’homme60 (tu ne tueras pas, ne com- désigne le Paradis. On peut la comprendre effectivement ainsi, mais dans certains passages,
mettras pas d’adultère, ne voleras pas, etc.). Le premier est la synthèse des comme nous le verrons, elle peut tout aussi bien désigner l’ère islamique qui est véritable-
commandements relatifs aux droits de Dieu (tu n’adoreras qu’un seul ment la reconnaissance de la « Royauté absolue de Dieu sur la terre », puisque son Unicité
Dieu, tu ne feras pas d’images ou statues pour te prosterner devant elles, et sa Royauté y sont établies fermement dans la Communauté Soumise à Lui (la Oummah
etc.). islamique, qui est une seule nation avec un Seul vrai Roi : Dieu).
Dans sa version de l’évangile, Marc relate le dialogue suivant entre un 62 - Marc 12,28 à 34. Traduction E. Osty, p. 2176-2177. Op. cit.
scribe et Jésus : 63 - « Celui qui institue en Islam une bonne coutume, a sa récompense et celle de tous
« …un des scribes /…/ l’interrogea : « Quel est le premier de tous les com- ceux qui agissent selon elle après lui, sans que cela diminue rien de leur propre salaire. De
même celui qui institue en Islam une mauvaise coutume en supporte le péché ainsi que
60 - Le devoir d’un croyant représente en effet un droit pour son prochain : celui de n’être celui de tous ceux qui agissent après lui selon cette coutume sans rien diminuer de leur
pas volé, injurié, tué, trompé, etc. propre péché ». (Muslim)

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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

y a le raisonnement par analogie (qiyâs) puis l’opinion personnelle (ra’y).64 voulaient à tout prix expier leur faute et mourir purifiées de leur péché
C’est dire toute la finesse dialectique du Savoir ou Droit islamique grâce à la peine légale. Cela arriva deux ou trois fois, car la piété et le
(fiqh), finesse qui lui donne une souplesse d’adaptation que n’ont pas con- scrupule étaient grands dans la première communauté médinoise.
nue les religions antérieures, pour les raisons indiquées plus haut, car leurs Le Prophète interdisait qu’on insulte ou maudisse les personnes ainsi
legs scripturaire ne différencie pas clairement ce qui vient de Dieu directe- châtiées, car leur auto-dénonciation et leur exécution constituaient effec-
ment, ou ce qui n’est que l’avis personnel de Prophètes particuliers, et tivement une rédemption.
enfin ce qui vient des rabbins ou des prêtres, le tout étant confondu et figé. Puis descendirent des versets explicites sur la fornication et l’adultère, et
C’est ce qui a rendu ces religions rigides et incapables de s’adapter sans se selon que le fautif soit une personne libre ou un esclave. Dans le cas des
renier. esclaves, Dieu indiquait qu’ils méritaient la moitié du châtiment réservé
La législation Coranique « abolit » la forme de la Torah et de l’Evangile, aux adultères libres (non esclaves). Or, comment pouvait-on tuer
mais non leur esprit, ni la totalité de leur lettre. C’est une « constitution » quelqu’un à moitié ? Pour les non esclaves, Dieu ordonnait de les enfer-
Divine qui remplace l’ancienne, tout simplement. Non que la Torah (et mer jusqu’à ce qu’Il fasse descendre des précisions les concernant. Cette
l’Evangile maintient la Loi de Moïse tout en l’adoucissant en fait) soit précision vint enfin, qui prévoyait que nul ne pouvait être accusé de ce
fausse, mais elle est moins bien adaptée au temps présent que la Charia du péché que sur la foi de quatre témoins (et non plus deux) et que, de plus,
Coran. Et afin de ne pas « rigidifier » son Ultime Message - car il n’y en ces quatre témoins devaient clairement avoir vu l’acte de pénétration sex-
aura pas d’autre jusqu’à la fin de ce bas monde -, Dieu a donné une méth- uelle, c’est à dire les organes génitaux en action. C’est dire que cela rendait
ode, précisée par Son Prophète, afin d’intégrer la dimension dynamique quasiment impossible la punition de ce péché. Ainsi, dans le Coran, Dieu
que j’évoquais, et qui est rendue possible par la distinction clairement assouplissait de fait considérablement la législation antérieure (de la
hiérarchisée entre les sources du Droit Musulman.65 Torah).
Par exemple, en l’absence de précision sur tel ou tel problème, alors que Pour la fornication «simple», c’est à dire le fait pour une personne céli-
le Coran n’était pas encore complètement descendu, le Prophète se basait bataire d’avoir des rapports avec une autre personne célibataire, la sanction
sur la « Sounna de Dieu » (la Coutume de Dieu), c’est à dire La Loi islamique était le fouet, alors que la Torah prévoyait la mort, comme pour
générale, constante, et connue oralement de tous, celle révélée à tous les l’adultère.
prophètes antérieurs, notamment à Moïse (dans la Torah) et confirmée par Pour les voleurs, la peine de mort était abolie et remplacée par l’ampu-
Jésus dans l’Evangile. tation de la main. Pour ceux qui insultaient leurs parents, un châtiment
Ainsi, en ce qui ce qui concerne l’adultère, c’est à dire le fait, pour une corporel remplaçait aussi la peine de mort.
personne mariée, d’avoir des rapports sexuels complets (avec pénétration) On peut se demander pourquoi la Torah était si dure ? C’est assurément
avec une autre personne, si le fait est avéré et attesté par deux ou trois parce que tous les peuples autour des Juifs, même les Arabes (Ismaélites,
témoins, la Torah condamne les adultères, hommes et femmes, à la peine Nabatéens, Qédarites, etc.) et les autres descendants d’Abraham
de mort. (Madianites, Edomites, etc.) étaient tombés dans le polythéisme, la déca-
Le Prophète, responsable de sa communauté, ne pouvait non plus dence morale, l’anarchie sociale, des épidémies de toutes sortes. La
laisser ce péché capital impuni, en raison notamment de ses graves con- débauche sexuelle avait même envahi les temples païens (la « prostitution
séquences sur l’ordre social, la cohésion familiale, la santé publique, etc., sacrée »). Et on allait jusqu’à sacrifier des êtres humains aux idoles.
car la famille humaine est la base naturelle et constitutive de toute com- Les Juifs avaient vécu en Egypte au milieu des polythéistes. Les
munauté saine. Ce n’était d’ailleurs pas de gaieté de cœur que le Sceau des Cananéens, qui étaient les anciens habitants de la Palestine, avaient atteint
Messagers appliquait ces redoutables sentences. Plusieurs hadiths rap- un degré d’abomination indescriptible.
portés par ses Compagnons, relatent que lorsqu’une personne venait s’ac- Dans ces conditions, une « thérapie » de choc s’imposait pour protéger
cuser elle-même d’adultère, le Prophète faisait semblant de n’avoir rien Israël des tentations de ses voisins. Sans quoi, la foi au Dieu Unique se
entendu. Mais certaines personnes insistaient fermement, car elles serait éteinte rapidement et l’abomination sous toutes ses formes les plus
odieuses aurait triomphé. La Loi imposait donc une « ségrégation » totale
64 - Du moins pour les plus anciennes écoles sunnites : Malikite et Hanafite. Pour le mad- pour protéger Israël de l’impiété des autres peuples.
hab Chafi’ite, le ra’y est plus ou moins écarté des sources du Droit. L’école hanbalite est la Au huitième siècle de l’ère chrétienne, à l’avènement de l’Islam, la situ-
plus restrictive des écoles sunnites traditionnelles : elle exclut le Ra’y et se méfie du Qiyâs. ation n’était pas très brillante, mais un peu moins catastrophique qu’à
65 - Cf. Notre Commentaire du Livre de l’Imam Suyutî : Le Retour de Jésus à la fin des l’époque de Moïse, car le Judaïsme et le Christianisme avaient tout de
temps (Notice n°1 : « Les Ecoles rituelles dans le Sunnisme », p. 121). Ed. Iqra, Paris, 2000. même modifié l’état de nombreux peuples, et une certaine morale existait,
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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

y compris chez les Arabes (influencés par leurs voisins les Gens du Livre) était coupable ou non, mais puisque l’accusation avait disparu, il la relax-
bien qu’ils n’aient pas encore reçu de Livre Divin dans leur langue. Il y ait, en Juge juste et scrupuleux de la Loi Mosaïque (Torah)66.
avait des communautés juives et chrétiennes parmi les Arabes, ainsi que Les sanctions Divines sont dures, certes, mais elles ont un effet dissuasif
des hounafa (monothéistes de la tradition orale d’Abraham et Ismaël). qui est une survie pour la société, donc une Miséricorde. Sans ces inter-
Jésus, quant à lui, à son époque, lorsqu’on l’interpellait ou le provoquait dits, toute civilisation s’effondre dans la décadence et - à terme - dans un
(pour l’éprouver) sur la Loi de Moïse, il ne faisait que la confirmer cataclysme.
formellement, mais dans la pratique, il était plus souple et tolérant avec ses Et quand Dieu, après maints avertissements, touche ou même anéantit
disciples, sachant qu’ils étaient tous grandement ignorants des sciences un peuple par les cataclysmes, c’est pour purifier la terre et épargner aux
« extérieures » de la religion. Il les avait choisis, non pour leur science, mais autres peuples et générations suivantes les mêmes abominations et leurs
parce qu’ils possédaient une « ouverture spirituelle » suffisante pour conséquences désastreuses. Sa Colère est donc au fond - encore - une
recevoir au moins une partie de son Message, et constituer une « église » expression de Sa Miséricorde. Louange à Dieu.
(communauté) de gens pieux dans l’attente du futur Envoyé (désigné sous « Dans la loi du Talion il y a pour vous une [chance] de survie, ô hommes
le terme Paraclet). doués d’intelligence. Peut-être craindrez-vous Dieu » dit Dieu (Coran 2,179),
Jésus, sur lui la paix, avait donc choisi ses grands disciples (les douze) en écho à ce qu’Il disait déjà selon la Torah : « Par la Loi vous vivrez ou par
appelés apôtres dans le nouveau Testament. Par contre, il n’avait trouvé la Loi vous mourrez ».67
pratiquement aucun disciple parmi les lettrés (les scribes et les Pharisiens Les sanctions Divines prévues contre les péchés capitaux, notamment
notamment) qu’il fustigeait pour leur hypocrisie. Dieu l’avait doté d’une contre l’adultère, protègent donc la société des graves conséquences de ce
connaissance des cœurs qui faisait que personne ne pouvait le tromper, y péché, tant sur le plan moral et individuel, que sur les plans sociaux et
compris Judas Iscariote, dont Jésus connaissait aussi les pensées. médicaux, et dont nous voyons les effets dévastateurs autour de nous, en
C’est pourquoi, selon les évangiles, il était souvent triste et austère, l’absence de toute sanction.
presque aigri. Sa colère éclatait parfois. Ses mots (selon les évangiles) Entre le rigide Talion de la Torah d’une part, et le doux Pardon
étaient quelquefois durs et violents : « Hypocrites, engeance de vipères, fils évangélique d’autre part, Dieu, exalté et magnifié soit-Il, a donné au
du Diable, etc. ». A son grand disciple Pierre, il dit une fois : « Arrière monde une Loi définitive de juste milieu : le Coran, qui évite les excès
Satan ! ». Cette espèce de clairvoyance est en effet très dure à porter. Il était contraires des deux legs antérieurs (du moins dans la façon dont ils ont été
finalement très seul au monde, ne trouvant de Paix qu’en Dieu - exalté et interprétés), et qui tient compte de toutes les expériences vécues par l’hu-
Magnifié soit-Il. Les Prophètes sont les créatures qui souffrent le plus, a dit manité, la traite « en adulte »68 et impose en conséquence un équilibre
le Sceau des Messagers. Mais souffrance ne veut pas dire malheur, car en facilement compréhensible et acceptable.
leur cœur demeure la Présence béatifique de leur Seigneur, et c’est là le C’est ce qu’on pourrait appeler « l’œuvre pédagogique » de Dieu dans
plus haut bonheur en ce monde et dans l’autre. l’Histoire (depuis Abraham surtout). Il a adapté Ses interventions à la sit-
Quand un groupe d’hypocrites voulut éprouver Jésus en lui amenant
une femme adultère à juger, il répondit simplement, et conformément à la 66 - Evangile selon Jean 8, 1 à 11. Trad. E.Osty. Op. cit.
Loi de Moïse : « Que celui qui est sans péché lui jette le premier une pierre ». 67 - Deutéronome (extraits) 30,15 à 19 : « Vois ; J’ai placé aujourd’hui devant toi la vie
Ainsi, il ne dérogeait pas à la Loi. Au contraire, il la confirmait et l’accom- et le bonheur, la mort et le malheur. /.../ J’ai placé devant toi la bénédiction et la malédic-
plissait, puisque la Loi prévoyait que seuls des gens non passibles eux- tion ». Deut. 32, 46-47 : « Qu’ils veillent à pratiquer toutes les Paroles de cette Loi. Car ce
mêmes de mort (pour leurs péchés), pouvaient exécuter ce genre sentence, n’est pas une parole vide de sens, mais c’est votre vie ». Ibid.
ce qui est logique (puisque dans le cas contraire, ils devraient être déjà tués 68 - Je ne prétend pas, à l’instar des « évolutionnistes » que l’humanité provient d’un âge
eux mêmes). Attendant leur réaction, Jésus, assis, dessinait sur le sol, enfantin et évolue vers un stade adulte. C’est plutôt l’inverse qui est vrai, sur le plan spi-
comme absent. Après un temps d’hésitation, ils laissèrent tous tomber rituel surtout, mais également dans bien d’autres domaines (et je renvoie, sur ces questions,
leurs pierres, en commençant par les plus âgés, et se dispersèrent en le lecteur à l’œuvre du Cheikh René Guénon). Non, ce que j’ai à l’esprit en écrivant ces
silence. lignes, c’est une décadence spirituelle partielle qui a eu lieu au Moyen-Orient à l’époque
Se retrouvant seul avec la femme accusée, Jésus lui demanda où étaient d’Abraham, époque durant laquelle le polythéisme triomphait partout. L’avènement
ses accusateurs (les témoins de son péché). La femme répondit qu’ils d’Abraham est d’ailleurs connu comme une véritable « résurrection » historique de la foi et
étaient partis. Il n’y avait donc plus ni accusateur ni témoin, donc plus de de la soumission à Dieu. A partir de cette époque, la « pédagogie Divine » va permettre une
délit. Il dit à la femme : « Moi non plus je ne te condamne pas. Va ; désormais renaissance spirituelle certaine : Israël, puis les Nazaréens, puis enfin l’Islam appelé à pré-
ne pêche plus ». Jésus, qui lisait dans les cœurs, savait bien si cette femme valoir sur toute religion.

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Moïse, Jesus et Mohammed

uation de chaque peuple, tenant compte de sa réalité et de son univers SALOMON(SUR LUI LA PAIX) ET LES GÉNIES
mental, et a ainsi conduit les enfants d’Adam et Eve, étape par étape, vers
l’âge actuel de l’humanité, qui est également un âge sombre, l’ère de l’ul-
time Rappel, du dernier « Testament »69 : le Noble Coran, avant la fin de
ce bas monde et son Jugement.
Il est donc puéril de vouloir juger les coutumes des anciens en utilisant
les critères qui prévalent dans des coutumes ultérieures. Personne ne réa-
girait comme aujourd’hui s’il était né, il y a cent ans, alors combien plus
s’il était né, il y a quinze ou trente siècles ! Par exemple, la Bible dit que
Jacob-Israël épousa deux sœurs. Cette pratique, en effet, n’a été interdite Part. I - Chap. IX
que plus tard, lors de la descente de la Torah sur Moïse. De même, les pre-
miers enfants d’Adam et Eve s’épousaient entre frères et sœurs, car ils
n’avaient pas d’autre choix possible. Le mal et le bien subissent une rela-
tivité liée au temps et à l’espace. On doit faire cet effort de réflexion quand D’autres différences entre la Bible et le Coran s’expliquent par des
on étudie les Ecritures antérieures au Coran, et ne pas forcément voir des altérations de la Bible, suite à des traductions tendancieuses, des interpo-
falsifications partout là où il y a des différences avec le Coran. Certaines lations et des omissions. Et ceux qui accusent Mohammed d’avoir plagié
de ces différences s’expliquent simplement par ce fait irréfutable que Dieu la Bible devraient se demander pourquoi il n’en a pas également recopié
a adapté Ses législations successives aux réalités contingentes. Et Dieu seul les erreurs. Car erreurs, certes, il y a, puisqu’il y a des contradictions à l’in-
définit ce qui est bien et mal, car Il les connaît par pré-science, alors que térieur même des textes bibliques, comme cela est universellement
nous ne pouvons constater leurs effets que parfois très longtemps après les reconnu, y compris par les savants et théologiens Juifs et Chrétiens.
actes, par « post-science » en quelque sorte. La Raison ne peut qu’adhérer Prenons un exemple significatif de divergence importante entre la Bible
ou ne pas adhérer à la révélation Divine dans Ses dévoilements successifs, et le Coran. Elle concerne le Roi d’Israël, Salomon (Soulayman), fils de
mais en aucun cas la produire. David (paix sur eux). Comparons les textes suivants : Coran 2,102
Ainsi, beaucoup des différences qu’on observe entre la Bible (les deux et 1 Rois 11, 3 à 6.
premiers Testaments) et le Coran s’expliquent par ce phénomène lié à la Le premier livre des Rois dit : « Il eut sept cents femmes de rang princier
relativité de toute chose contingente à l’espace et au temps. Dieu seul est et trois cents concubines, et ses femmes firent dévier son cœur./.../ Salomon alla
Immuable, et cependant Il est sans cesse à l’œuvre. Sa Parole, si elle ne à la suite d’Achtoret (Astarté), la déesses des Sidoniens, et à la suite de Milkom,
change pas, est pourtant en perpétuelle adaptation aux réalités mouvantes. l’ordure des Ammonites. Salomon fit ce qui est mal aux yeux du Seigneur et il
C’est un des aspects miraculeux du Coran : son exégèse (tafsir) n’a pas de ne suivit pas pleinement le Seigneur, comme David son père ».
fin, c’est un trésor infini, qui parle aux anciens le langage des anciens, et Le Coran dit : « [Les Juifs] ont suivi les assertions que les démons inspi-
aux hommes d’aujourd’hui le langage actuel. Chaque verset a plusieurs raient sous le règne de Salomon. Or, Salomon n’était pas infidèle, tandis que
niveaux de signification, qui ne s’annulent pas mais se complètent. les démons l’étaient : ils enseignaient aux hommes la sorcellerie... »
(Coran 2, 102)
Cette divergence flagrante entre le Coran et l’Ancien Testament ne peut
s’éclairer que par les explications que Dieu Lui-même donne dans le
Coran, relativement au règne de Salomon en particulier, et des suggestions
diaboliques en général.
Mais tout d’abord, il faut signaler que ce même premier livre des Rois
se contredit à propos de Salomon, qui dit à son peuple : « Que tous les peu-
ples de la terre sachent que c’est le Seigneur qui est Dieu, qu’il n’y en point
d’autres ; et que votre cœur soit sans partage avec le Seigneur, notre Dieu ».
(1 Rois 8,60-61)
Le fils de David atteste ici sans détour de l’Unicité Divine, en
monothéiste convaincu.
69 - Pacte (Mîthâq). Et au chapitre 3, 12 du même livre, il est écrit que Dieu dit à Salomon :
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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

« Voici que Je te donne un cœur sage et intelligent, de sorte que, comme toi il boliques et des démons qui, dans leurs illusions, inspirent les uns aux autres un
n’y en aura pas eu avant, et qu’après toi, il ne s’en lèvera pas comme toi ». langage enjolivé. Si ton Seigneur l’avait voulu, ils ne l’auraient point fait.
Cette dernière affirmation s’accorde en effet mal avec l’accusation de Laisse-les donc, eux et les mensonges qu’ils forgent ». (Coran 6,112)
polythéisme. « Prétendent-ils qu’il est possédé par des djinns ? Non ! il s’est présenté à eux
Une telle contradiction ne peut être que le fruit de l’addition de sources [comme] porteur de la vérité, mais la plupart d’entre eux exècrent celle-ci ».
différentes et divergentes. Ce livre est donc à l’évidence une compilation (Coran 23,70)
de documents dignes de foi, et d’autres, d’origine douteuse. « O race des démons, vous avez trop abusé des hommes ! » (Coran 6,128)
La réponse est dans le Coran : certains scribes juifs de ces livres his- « Lorsque Nous dîmes aux anges : « Prosternez-vous devant Adam ! », tous se
toriques (Rois, Chroniques, etc.) ont été directement inspirés par des prosternèrent, excepté Satan qui était du nombre des démons et qui se révolta
génies malfaisants qui voulaient se venger de l’humiliation que Salomon contre l’ordre de son Seigneur. Allez-vous le prendre ainsi que sa descendance
leur avait fait subir durant son règne. Dès sa mort, certains scribes prirent pour maître en dehors de Moi, alors qu’ils sont vos ennemis ! Quelle ignoble
pour argent comptant les « assertions que les démons inspiraient sous le règne substitution pour les injustes ! » (Coran 18,50)
de Salomon » (Coran 2,102). En soumettant les démons à Salomon, Dieu avait réalisé en cela un mir-
Le Prophète Jérémie, dans la Bible, dit à ses coreligionnaires, de la part acle en faveur de Son Prophète. Mais les rebelles parmi eux se vengèrent
de Dieu : « Comment pouvez-vous dire : « Nous sommes des sages et la Loi de par la suite :
Yahvé est avec nous » ? Et voici qu’en a fait un mensonge le burin mensonger « Les armées de Salomon [formées] de djinns, d’hommes et d’oiseaux furent
des scribes ». (8,7- 8) rassemblées... ». (Coran 27,17)
La Bible elle-même admet donc cette possibilité d’interpolation dia- « Avec Notre permission des djinns travaillaient sous ses ordres. Nous auri-
bolique dans l’Ecriture. ons fait goûter le supplice du brasier à quiconque parmi eux se serait soustrait
Pour comprendre ce phénomène qui est arrivé après la mort de à Notre commandement ». (Coran 34,12)
Salomon, revenons à son histoire. Dieu avait permis à Son Prophète « Lorsque Nous décidâmes de sa mort, les djinns ne s’en rendirent compte
Salomon d’accomplir de grands miracles, et lui avait octroyé une science que /.../ Quand il s’écroula, il devint évident pour les djinns que s’ils avaient
qui lui permettait d’asservir les démons (les Génies ou Djinns), et égale- eu connaissance du mystère du monde, ils ne se seraient pas astreints à [con-
ment des éléments naturels, comme le vent, etc. tinuer] une besogne avilissante ». (Coran 34,14)
Tous les Génies ne sont pas mauvais. Il y en a qui sont bons. Dieu les a Libérés de leur servitude, certains démons se mirent alors à inspirer des
aussi créés pour qu’ils L’adorent70. Mais les pires parmi eux se vengèrent de calomnies à son égard, dans le cœur d’hommes mauvais. Ce faisant, ces
cette servitude à l’égard de Salomon après la mort du grand roi et sug- démons se replongeaient eux-mêmes dans la malédiction divine. En effet,
gérèrent des calomnies contre lui dans les cœurs de certains scribes impurs. le Coran enseigne que le salut est accessible aux Djinns, à condition qu’ils
Ces calomnies furent ensuite insérées dans ces livres historiques. se soumettent à Dieu, comme les humains soumis.
Aucun historien, d’ailleurs, ne peut échapper à l’influence des calom- « [Souviens-toi, ô Mohammed] lorsque Nous dirigeâmes vers toi une
nies déversées à un moment ou un autre sur tel ou tel personnage his- dizaine de génies pour écouter le Coran. Ayant assisté à [sa récitation] ils
torique, et surtout les hommes politiques ou religieux, qui ont toujours s’écrièrent : « Silence ! » Lorsqu’elle eut pris fin, ils retournèrent vers leur peuple
des ennemis virulents71. C’est pourquoi les hommes célèbres sont toujours pour l’avertir.
controversés et l’exacte vérité historique n’est finalement qu’auprès de O notre peuple ! dirent-ils, nous avons entendu [la récitation] d’une
Dieu, le Savant par excellence. C’est pourquoi aussi Dieu seul peut finale- Ecriture révélée après Moïse, confirmant [les messages] antérieurs. Elle conduit
ment innocenter Ses serviteurs des calomnies qui se sont glissées dans leurs vers la vérité par une voie droite.
biographies, même celles qui sont considérées comme sacrées. O notre peuple ! répondez au prédicateur de Dieu et ayez confiance en lui !
Dieu explique ce processus : [Dieu] vous pardonnera [une partie] de vos péchés et vous accordera un asile
« Ainsi avons-Nous suscité à chaque Prophète un ennemi : des hommes dia- contre un cruel châtiment ». (Coran 46,29 à 31)
La Miséricorde de Dieu embrasse toute Sa création :
70 - Coran 51,26 : « Je n’ai créé les démons et les hommes que pour M’adorer ». « Je n’ai créé les djinns et les hommes que pour qu’ils M’adorent ».
71 - On connaît l’épisode des « versets sataniques » où un mauvais djinn essaya de faire (Coran 51,56).72
insérer des mensonges (concernant quelques idoles arabes) dans le Coran, à l’insu du
Prophète Mohammed très louangé. Ces faux versets furent aussitôt annulés par l’Envoyé,
dès qu’il en eut connaissance. 72 - Traduction d’après M. Hamidullah.

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Moïse, Jesus et Mohammed

LA VOIE DE JÉSUS cable à une société humaine, mais ne peut être la règle que de commu-
nautés restreintes d’ascètes. C’est en ce sens que sa voie se rapproche plus
d’une Tariqah soufie que d’une Charia extérieure, ainsi que l’a noté le
Cheikh Abdel Wahid René Guénon. Il est en effet peu de Chrétiens qui
« tendent l’autre joue » quand on les frappe, qui donnent tout ce qu’ils ont
à ceux qui veulent les voler, qui ne regardent jamais une femme avec con-
voitise (car c’est, selon les évangiles, un « adultère »), qui ne divorcent
jamais, ou mieux, qui restent vierges toute leur vie et qui abandonnent
tous leurs biens terrestres à l’Eglise, etc. Il est clair que la voie de Jésus était
Part. I - Chap. X une voie mystique réservée à une petite élite spirituelle, non destinée à
s’emparer du pouvoir terrestre, mais destinée à sauver l’essentiel de la reli-
gion dans une période intermédiaire trouble, et à préparer l’avènement de
« l’autre Paraclet » qui lui, gouvernera selon le droit, selon des règles adap-
Salomon ne fut pas le seul Prophète auquel les djinns obéissaient. Jésus tées au grand nombre, et auquel les peuples obéiront.
avait également reçu un pouvoir sur eux : celui de les chasser hors des D’ailleurs, après avoir conquis le pouvoir politique, les Eglises chréti-
humains qu’ils « possédaient ». ennes se sont comportées avec une rare férocité à l’égard de ceux qui refu-
Les évangiles selon Matthieu et Marc (avec des variantes entre eux) saient de la suivre : inquisition, tortures abominables, guerres de conver-
racontent par exemple un épisode où Jésus chasse des démons hors de sion forcée, etc., aux antipodes des paroles miséricordieuses de Jésus. Loin
deux hommes (un seul pour Marc) possédés, qui hantaient un cimetière de « tendre l’autre joue », ils persécutaient sans pitié. Loin de s’appauvrir,
et effrayaient les gens. Il y avait plus loin un grand troupeau de cochons les prélats s’enrichissaient au dépend des pauvres, sans parler des péchés
en train de paître. Et les démons supplièrent Jésus en disant : « Si tu nous capitaux fréquents consécutifs au célibat imposé aux prêtres.
chasses, envoie-nous dans le troupeau de cochons ». Et il leur dit : « Allez ». Loin de la lumière de son fondateur, la chrétienté a plutôt fait régner le
Ceux-ci, étant sortis [des hommes], s’en allèrent dans les cochons. Et voici que royaume des ténèbres et de l’obscurantisme. Cette décadence a commencé
tout le troupeau s’élança du haut de l’escarpement dans la mer, et ils mou- avec la conversion des Etats d’Europe (Rome puis la « France » de Clovis)
rurent dans les eaux ». (Matthieu 8, 30 à 32) au trinitarisme, puis s’est accentuée dès le règne de Charlemagne (nais-
Jésus a transmis, par la permission de Dieu, ce pouvoir de chasser les sance du « modernisme »), pour aboutir à l’horreur des Croisades. La déca-
démons des êtres humains, ainsi que de guérir les malades, à ses plus dence, et la subversion lente mais sûre de la vraie Tradition religieuse, est
proches disciples (les douze apôtres) ainsi qu’à d’autres. Cependant, pour devenue éclatante avec la soi-disant « Renaissance » (de fait une résurgence
les cas difficiles, la simple injonction ne suffisait pas : il fallait le secours de de l’antiquité païenne), avec son cortège de guerres de religions et d’atroc-
la prière et du jeûne. ités dans toute l’Europe. Le Christianisme a subi de nouveaux ravages avec
Dans l’évangile selon Matthieu, il y avait autrefois un verset qui disait : le siècle des « lumières » illusoires, qui était plutôt l’entrée fracassante dans
« Cette espèce [de démon] ne s’en va que par la prière et le jeûne » (17,21), le matérialisme, qui est l’avant dernière étape de l’âge sombre de l’human-
mais ce verset a été omis volontairement des versions modernes, car, dit ité.74
notre traducteur de la Bible, Emile Osty : « Ce verset est tenu pour inauthen- Malgré tout, ainsi que l’a écrit le Cheikh René Guénon, le Catholicisme
tique ». Mais il ne nous indique pas la raison de ce jugement.73 Peut-être et la Franc-maçonnerie75 représentent tout ce qu’il reste comme vestiges de
est-ce parce que la plupart des Chrétiens de nos jours ont abandonné la
pratique du Carême ? La majorité des Musulmans accomplissent au con- 74 - Dans Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, le Cheikh Abdel Wahid René
traire le jeûne du mois de Ramadan, ainsi que des jeûnes supplémentaires Guénon indique que le matérialisme (né au 18ème s. du mécanisme et du rationalisme
en dehors de cette période, ce qui fait de nous des disciples de Jésus plus antérieurs) n’est qu’une étape dans la dérive « moderniste » vers la subversion de la
fidèles que ceux qui se réclament de lui mais ne l’imitent en rien. « Contre-Initiation », pseudo-religieuse, étape dans laquelle nous sommes déjà entrés
D’ailleurs, du fait qu’ils l’ont déifié, ils ne peuvent plus l’imiter, car com- presque insensiblement, et qui prépare à l’évidence le règne de l’Antéchrist (Massîh ad-
ment peut-on imiter un « dieu » ? Dajjal) que Jésus viendra détruire aux côtés de l’Imam al-Mahdi, selon les Traditions
Par ailleurs, il est vrai que l’idéal moral de Jésus est difficilement appli- Prophétiques. Cf. : Les Signes de la Fin des Temps (traduit par D. Penot. Ed. Alif ) ; et : Le
Retour de Jésus (de Suyutî, Ed. Iqra).
73 - La Bible Osty. p. 2119, note 21. Op. cit. 75 - La Franc-maçonnerie (ou plutôt les Franc-maçonneries, car les obédiences sont nom-

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Moïse, Jesus et Mohammed

l’authentique Tradition judéo-chrétienne, et métaphysique en général, à LA VRAIE SCIENCE


l’intérieur du monde occidental. Nous ne devons d’ailleurs pas considérer
les Gens du Livre comme des adversaires à priori, car cela n’est pas con-
forme au Coran, ni à la sounna du Prophète Mohammed, sur lui la Grâce
Divine et la Paix.
Les pires adversaires de la religion en général, sont les esprits illusionnés
par ce « modernisme » occidental antireligieux, antichrétien, anti-musul-
man, parce qu’anti-traditionnel. Le dialogue courtois avec les gens du livre
nous est imposé par Dieu, car ils sont plus proches de Lui que les poly-
théistes, les Athées et les Hypocrites. Dieu dit même que les Chrétiens Part. I - Chap. XI
sont « plus proches en amitié » que tous les autres hommes, même les Juifs,
qui ont souvent préféré s’allier aux polythéistes pour nous combattre, car
ils ne peuvent admettre que Dieu ait envoyé Son ultime Messager chez les
Arabes, leurs « frères » qu’ils méprisent, une « nation insensée » comme le Selon Matthieu 11,25, Jésus a dit : « Je Te loue, Père (c’est à dire
dit l’Ancien Testament.76 « Principe », « Premier », n.d.r.), Seigneur du ciel et de la terre, parce que Tu
as caché cela aux sages et aux intelligents, et l’as révélé aux enfants ». Jésus
récuse donc l’orgueil que des Juifs (Rabbins, Scribes, Pharisiens et
Sadducéens hypocrites) tirent de leur « science » exotérique, et il loue l’ou-
verture spirituelle des « pauvres en esprit », c’est à dire sincères malgré leur
peu de science exotérique, mais spirituellement riches, et qu’il nomme
métaphoriquement « enfants ». Il précise que c’est à eux qu’est réservé le
« royaume de Dieu », c’est à dire l’avènement de l’Islam. Jésus ne fustige
donc pas la vraie science du cœur, mais la fausse science extérieure qui
aveugle plus qu’elle n’éclaire, ainsi que l’a dit le Prophète et les Savants
musulmans à sa suite, et jusqu’à nos jours, en la personne du Cheikh
Ahmadou Bamba (1855-1927) qui a écrit :
« Satan le maudit, dis-je, a abusé des gens, c’est pourquoi ils s’occupent des
choses qui ne peuvent leur attirer que du malheur.
Ils s’occupent de la connaissance de choses qui ne les préserve guère du châ-
timent de leur Seigneur, le jour de l’angoisse, et ils persistent dans leur insou-
ciance et leur plaisir.77
Toute science n’est pas utile, tous les érudits ne sont pas égaux.
Il y a des sciences qui endurcissent le cœur, provoquent la fierté du savant
et lui font oublier le Seigneur.
breuses) est un mouvement proprement chrétien certes, mais se rattachant à une tradition De même, il y a des savants qui n’auront, pour récompense, le jour du
initiatique plus large, qui lui permet d’inclure des non chrétiens. Mais sa « dégénérescence » Jugement, que châtiment et réprimande.
constatée par René Guénon est irrémédiable. Certaines « Loges » n’ont plus de « maçon- On lit dans le poème du Cheikh al-Hilâlî (que Dieu le Très Grand soit sat-
nique » que le nom, et servent de clubs d’affaires, de lobbies, voire pire... Mais nul n’est à isfait de lui) :
l’abri de la corruption généralisée à tous les niveaux, ni les institutions religieuses, ni les « La vraie science est celle qui engendre la crainte de Dieu l’Omniscient :
états, ni les partis politiques, ni les associations humanitaires, ni les sectes, ni les syndicats, celui qui n’acquiert pas cette science n’est qu’un ignorant blâmable ».
ni les clubs sportifs, etc., car la crise du monde moderne n’épargne rien. Cf. : l’ouvrage du La science apprise dans le dessein d’être admiré ou loué, ne sert à rien au
Cheikh Abd al-Wahid (René Guénon) : Etudes sur la franc-maçonnerie et le compagno- serviteur le jour de la résurrection,
nage (2 tomes). Ed. Traditionnelles.
76 - Deutéronome 32,21 : « Moi, Je vous rendrai jaloux par ce qui n’est pas une nation, 77 - Selon Abu Horayra, l’Envoyé de Dieu a dit : « Parmi les qualités d’un bon Islam, il
par une nation insensée J’exciterai votre dépit ». y a le fait pour l’homme de ne pas s’occuper de ce qui ne le regarde pas ».(At-Tirmidhî).

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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

Non plus que celle apprise dans l’esprit de compétition, de rivalité ou de Qui incite l’homme à la sagesse, et à entretenir de bonnes relations avec ses
mystification, frères Musulmans, sans jamais se lasser.
Ni celle apprise pour le plaisir de dominer, d’être seul à informer et à porter La science ne peut que conduire l’homme vers la sagesse ou le pousser vers la
des jugements nuisibles, perdition.
Ni celle que l’homme avait cherchée dans l’intention de tenir ses frères croy- Quiconque aide un chercheur de sciences ou de toute autre chose pour
ants en servitude, l’amour de Dieu, aura sa part dans tout ce que celui-ci aura acquis comme
Ni celle avec laquelle on passe le temps à jouer et à se distraire, ô mes frères, récompense.
rendez-vous bien compte de la pertinence de ces propos, De même, celui qui aurait vendu une arme à un brigand embusqué qu’il
Ni celle qui emplit le cœur de jalousie, de rancune ou de fierté et qui éloigne connaît, tremperait dans les crimes et exploits de ce dernier.
le savant de la rectitude,78 La qualité de savant n’est pas attribuée à l’homme pour le grand nombre de
Ni celle qui incite à la haine sourde ou manifeste, à la dispute, aux relations qu’il débite, mais la science est une lumière résidant dans le cœur ;81
polémiques et controverses, Cherche-la, ayant uniquement pour but la Face de Dieu, le Très-Haut, tu
Ni celle qui pousse l’homme à la folle présomption, à l’égoïsme, ou qui auras pour récompense des jouissances permanentes.82
engendre la querelle et la dissidence, Certes, celui qui ne craint pas Dieu n’est pas `âlim (Savant),83 quand bien
Ni celle qui suscite la colère, l’obstination dans l’erreur et dans l’égarement, même il épuiserait toutes les disciplines de la science ».84
dans l’antipathie et dans la lutte, Beaucoup de livres ont été écrits sur le dialogue avec les gens du livre,
Ni celle qui sert d’intrigue, de moyen pour détourner ou pour soutirer les sujet qui nous intéresse ici. Le meilleur est sans conteste l’ouvrage de
biens d’autrui, de thésauriser l’argent et de susciter du bavardage ; l’Imam al-Ghazalî que nous avons déjà cité. L’imam a démontré que ces
Non ! la science utile est celle qui fait connaître à l’homme ses propres textes ne contredisent pas le Coran, à condition bien sûr de faire l’effort
défauts de manière claire79, d’interprétation suffisant pour échapper aux ornières des exégèses juives et
Qui l’incite à la longanimité, à la générosité, à la bonté, à la pureté, à chrétiennes, qui ont distordu le sens de ces Ecritures. Et l’Imam restitue à
l’honnêteté et au scrupule ;80 la Bible une nouvelle fraîcheur, où l’on sent bien l’écho d’une Parole
A aimer la vérité, la retraite spirituelle, la méditation, la réflexion et l’ap- Divine, au-delà des altérations humaines, volontaires ou non.
plication rigoureuse des règles de bonne conduite ; C’est ce que nous allons tenter de mener à bien dans les chapitres qui
C’est celle qui donne à l’homme les bonnes qualités morales, intellectuelles suivent.
et spirituelles, Paix sur les Envoyés et Louange à Dieu Seigneur de l’Univers.
Celle qui ouvre à la crainte de Dieu, le dispose à l’abandon (à Dieu),
à l’ascèse, à l’espoir bien fondé, à l’éloignement du grand monde, à l’at-
tachement à Dieu, de manière indéfectible,
Celle qui exclut les désirs excessifs, l’envie et la pleurnicherie,
Celle qui bannit la jalousie, la fierté, l’égarement, la haine et la
présomption,

78 - D’après Ibn Mas’oud, le Prophète a dit : « Il n’y a que deux personnes que l’Islam per-
met d’envier (sans leur nuire, n.d.r.) : celle à laquelle Dieu a donné la fortune et qui a le
courage de la dépenser pour la cause de la vérité ; et celle que Dieu a doté de sagesse qu’elle
applique dans son jugement et enseigne aux autres ».
79 - Baïhaki a rapporté, d’après Anas, que l’Envoyé de Dieu a dit : « Lorsque Dieu désire
le bien pour un serviteur, Il l’instruira dans la religion, lui fera mépriser ce bas-monde et
lui montrera ses vices ». 81 - Cf. Coran 29,49.
80 - Bokhari a rapporté ce Hadîth prophétique : « Vous verrez (c’est-à-dire vous reconnaî- 82 - Muslim a rapporté, d’après Abou Horayra, que l’Envoyé de Dieu a dit : « Celui qui
trez) les [vrais] Croyants dans leur bonté, leur affection et sentiments réciproques, former emprunte une voie à la recherche de la science, Dieu lui facilite l’accès au Paradis ».
un corps qui, lorsqu’un de ses membres souffre, voit tout le reste du corps partager son 83 - Coran 35,28 : « Seuls les savants redoutent Dieu, parmi les serviteurs ».
insomnie et sa fièvre ». Et at-Tirmidhî a rapporté cet autre Hadîth : « Le Musulman est 84 - Massalik al-Jinân (Les Itinéraires du Paradis), vers 152 à 183. Traduction de
celui dont les gens ne redoutent ni la main ni la langue ». Serigne Same MBaye.

64 65
PARTIE II
(Aperçus sur les Saintes Ecritures)

La Bible . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .68
La Bible Hébraïque (Ancien Testament) . . . . . . . . . . . . . . . . . . .69
Les Bibles chrétiennes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .71
Le Nouveau Testament . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .73
Composition du Nouveau Testament . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .74
Le Coran . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .78
La Sounnah et le Hadith . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .82
Conclusion du chapitre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .89

67
LA BIBLE LA BIBLE HÉBRAÏQUE
(Ancien Testament ou Ancienne Alliance) 85

Part. II - Chap. I Part. II - Chap. II

Le mot « Bible » est d’origine grecque (Ta Biblia, qui signifie « les Les Juifs appellent TaNaK leur grande Ecriture sacrée. Elle contient
livres »). La même racine a donné bibliothèque. vingt-quatre livres répartis en trois sections. TaNaK est une abréviation qui
La Bible catholique (qui comprend l’Ancien et le Nouveau Testament) signifie : Torah - Nebiim - Ketoubim, c’est à dire : Loi, Prophètes, Ecrits. Ce
rassemble soixante-treize livres de longueurs très inégales, écrits par une sont les trois sections de la Bible Hébraïque. C’est l’Ancien Testament Juif,
soixantaine d’auteurs différents. Quarante six livres pour l’Ancien et vingt excluant absolument le Nouveau Testament Chrétien.
sept pour le nouveau testament. Certains de ces livres sont attribués à des La première des trois sections est La Torah (Loi) qui comprend cinq
prophètes, d’autres à des disciples des prophètes, d’autres à des prêtres ou livres (et que les Chrétiens appellent Pentateuque) attribués au Prophète
de simples scribes (chroniqueurs et écrivains anciens). Ils ont été rédigés à Moïse, sur lui la Paix.
l’origine en hébreu, puis pour certains en araméen, puis, pour les plus Ces cinq livres sont désignés par les Juifs par les premiers mots qui
tardifs, directement en grec. L’Ancien Testament a été écrit avant Jésus- ouvrent chacun de ces cinq livres. Ainsi, le livre de la Genèse est appelé par
Christ, et le Nouveau Testament après Jésus-Christ. les Juifs : « Au commencement » ; l’Exode : « Et voici les noms » ; le
Les Juifs ne reconnaissent que l’Ancien Testament (qui commence par Lévitique : « Et Il appela » ; les Nombres : « Et Il parla » et le Deutéronome :
les cinq livres du Pentateuque ou Torah). « Voici les Paroles ».
Le mot « testament » utilisé par les Chrétiens est d’origine latine ; c’est La seconde section, Nebiim (Prophètes) contient huit livres : Josué,
la traduction latine d’un mot grec (Diathèkè) qui a deux sens : Alliance Juges, Samuel, Rois, Isaïe, Jérémie, Ezéchiel et un dernier livre intitulé : les
(engagement mutuel) et Testament (dernière volonté). douze prophètes. Les Chrétiens divisent ce dernier livre en douze livres.
La troisième et dernière section de la bible hébraïque rassemble onze
livres : Les Louanges (Psaumes), Job, Proverbes, Ruth, Cantique des
Cantiques, Qôhélet (Ecclésiaste), Lamentations, Esther, Daniel, Esdras-
Néhémie et Actes des Jours (Chroniques).
Cette liste (ou « canon ») des Ecritures hébraïque est ancienne. Elle est
citée par des sources anciennes au cinquième siècle avant Jésus Christ.
Mais sa rédaction s’est étalée sur plusieurs siècles, par la compilation de
plusieurs sources différentes. Les résultats de l’étude scientifique des cinq
premiers livres semble confirmer les hypothèses avancées par plusieurs
chercheurs, et ce depuis le Moyen Age, puis par Spinoza (1670), Jean
Astruc (1753), et à la fin du dix-neuvième siècle, par Graf et Wellhausen.
Finalement, c’est l’hypothèse « des quatre documents » qui s’est imposée à
la plupart des exégètes actuels de la Bible.

85 - Le mot arabe coranique qui correspond à cette notion est Mîthâq (Pacte,
Engagement). Cf. Coran 2,27.

68 69
Moïse, Jesus et Mohammed

La Torah serait donc un savant mélange de quatre documents initiaux : LES BIBLES CHRÉTIENNES
Yahviste, Elohiste, Deutéronomique et Sacerdotal. Chacun de ces quatre
documents possèderait ses caractéristiques propres : noms divins, style,
expressions fréquentes, perspective, etc. Ce mélange se serait opéré en
plusieurs phases, depuis l’époque de la sortie d’Egypte (treizième siècle
avant J.-C.), jusqu’au retour de la déportation à Babylone (sixième siècle
avant J.-C.), et notamment durant l’installation progressive des tribus
juives en terre sainte, leur unification sous David et Salomon, puis la scis-
sion en deux royaumes ennemis : Juda et Israël, et bien sûr avec les trou- Part. II - Chap. III
bles induits par les guerres avec les voisins d’Israël.
Ainsi, le Deutéronome avait carrément disparu durant ces troubles à
l’époque du Roi Manassé, puis redécouvert sous le règne du Roi Josias
dans une cave du Temple de Jérusalem. La compilation définitive des
divers documents s’opère au cinquième siècle avant J.-C. Les Bibles chrétiennes rassemblent l’Ancien et le Nouveau Testament.
A l’époque de Jésus, selon les versions évangéliques, la bible hébraïque Il y a la Bible Grecque ou Septante (soixante et onze livres à l’origine),86
était couramment appelée : La Loi et les Prophètes. Quelquefois tout sim- la plus ancienne chez les Chrétiens, et qui est devenue par la suite la Bible
plement : La Loi (Torah), pour désigner l’ensemble. de l’Eglise Orthodoxe. Le canon des Ecritures Orthodoxes n’a été fixé
La tradition juive, en séparant ces textes en trois sections bien précises, définitivement qu’au synode de Jérusalem en 1672. Par rapport à la Bible
indique par là même l’importance décroissante qu’elle attache à chacun de Hébraïque, ce « canon » inclut d’autres livres écrits tardivement (en
ces livres. Ils sont tous sacrés, mais la première section est le fondement araméen ou en grec) et que les Juifs rejettent comme apocryphes.
même, elle contient la Révélation faite à Moïse, depuis la cosmogonie uni- Il y a ensuite la Bible latine (soixante-treize livres), traduite initialement
verselle jusqu’à l’élection d’Israël et son installation dans la terre promise à partir de la Septante grecque, mais qui a connu des évolutions
(à Abraham). La deuxième section rassemble des écrits d’autres prophètes ultérieures, par le recours à des traductions à partir des textes hébreux. Sa
ultérieurs et des chroniques historiques (les règnes des rois). La troisième composition latine « canonique » n’est devenue « définitive » qu’au Concile
section vient en complément, avec les Psaumes, les Proverbes, des livres de de Trente en 1546, c’est à dire il n’y a pas si longtemps. On l’appelle
sagesse, quelques prophètes et également des Chroniques des règnes (sen- Vulgate
siblement différentes du livre des Rois de la deuxième section). Et enfin la Bible protestante (trente-neuf livres), qui reprend le canon
Ainsi, pour simplifier, la Torah est la véritable fondatrice de la religion de la Bible Hébraïque (pour ce qui concerne l’Ancien Testament bien sûr),
d’Israël, qui durant le séjour en Egypte, n’était étayée que par une tradi- mais dans un ordre différent, sans retenir la classification hébraïque en
tion orale. La section des Prophètes vient en appui de la Torah, pour reviv- trois sections. Sont donc exclus les sept livres suivants (apocryphes pour
ifier, de génération en génération, sa valeur absolue. Puis les Ecrits les Juifs, mais qui figurent dans les Bibles Catholique et Orthodoxe) :
(Ketoubim) de la troisième section viennent en complément et exégèse de Tobie, Judith, Sagesse, Ecclésiastique (ou Siracide), Baruch, le Premier et
l’ensemble. Mais le tout est lié dans un ordre relativement logique. Les le Deuxième livre des Maccabées ; ainsi que des fragments des livres
autres Ecrits du Judaïsme, comme les Talmud, ne sont pas inclus dans la d’Esther et de Daniel. Le « canon » protestant n’a été définitivement
Bible. Ils sont de rédaction beaucoup plus tardive, échos de la Tradition adopté que depuis les éditions du dix-neuvième siècle. Auparavant, les
orale parallèle à TaNaK, oeuvres de rabbins et théologiens, et constituent Protestants, suivant l’exemple de Luther, mettaient ces sept « apocryphes »
principalement des commentaires du texte de base : TaNaK, agrémentés de pré-cités en appendice de leurs éditions bibliques. Aujourd’hui, ils les
récits plus ou moins légendaires (écho de traditions orales). excluent entièrement.
La constitution des différentes Bibles a donc pris des siècles.
Les Catholiques et les Orthodoxes, comme on l’a vu, ont rajouté des
livres considérés comme apocryphes par la tradition Juive, et ont
bouleversé l’ordre canonique de cette source hébraïque, qui avait sa

86 - On dit qu’elle s’appelle ainsi parce que soixante-dix ou soixante-douze scribes juifs
l’ont traduite, de l’hébreu en grec.

70 71
Moïse, Jesus et Mohammed

logique interne, par sa répartition en trois sections distinctes. Ce classe- LE NOUVEAU TESTAMENT
ment n’était pas seulement le fruit du hasard, bien que la formation de
TaNaK elle-même soit le fruit d’une longue histoire mouvementée et sou-
vent dramatique. Ce classement traditionnel avait certainement une fonc-
tion initiatique propre. Mais Dieu sait mieux.

Part. II - Chap. IV

Les Juifs, qui ont transmis la première partie de la Bible au monde ne


reconnaissent aucune valeur à ce nouveau testament qui relate la vie, les
actes et les paroles attribuées à Jésus et à ses disciples.
Il faut dire que les exagérations propres aux Chrétiens n’ont pas encour-
agé les Juifs à changer d’avis sur le Messie qui est pourtant leur sauveur et
qu’ils ont rejeté. Le Talmud, livre rabbinique postérieur à Jésus, relate l’his-
toire de Jésus en termes insultants. D’après ce livre, Jésus aurait volé un
morceau du livre (rouleau) sacré dans le temple et aurait ensuite opéré une
magie grâce à cette profanation pour subjuguer ses disciples.
Tout en reconnaissant l’Ancien Testament comme un fondement his-
torique de leur religion, les Chrétiens (depuis Paul de Tarse et ses disciples)
ne le considèrent pratiquement plus comme un fondement moral : seul le
Nouveau Testament, à leur yeux, remplit désormais ce rôle. Pour eux, la
Loi mosaïque est surclassée par la Foi en Jésus, Rédempteur de l’human-
ité selon leur théologie, c’est à dire effaceur du « péché originel » qui
rendait la Loi obligatoire. Désormais, selon eux, le Pardon l’emporte sur
le Talion, et Jésus a « payé » pour les pécheurs : il leur suffit de croire en lui.
Il y a dans cette théologie « christique » (surtout à partir du quatrième s.)
des relents païens indéniables (sacrifice du « dieu » pour le salut des
humains, qui ressemble fortement aux croyances égyptiennes et grecques
antiques). Mais aussi, d’un tout autre point de vue, on peut y voir les
prémisses de l’Islam, le Coran annonçant la supériorité du Pardon sur le
Talion. Ceci est indiqué dans le Coran, et explicité dans le hadith qui
indique que Dieu avait inscrit, dès l’origine, sur Son Trône, que Sa miséri-
corde l’emporterait finalement sur Sa colère. La mission de Jésus (qui en
fait n’est que la première partie de sa mission terrestre, puisque Dieu l’a
mis « en réserve » pour finir sa mission « eschatologique » à la fin des temps)
est donc une transition logique entre la Torah (qu’il confirme) et le Coran
(qu’il annonce), comme nous le verrons.

72 73
Moïse, Jesus et Mohammed

COMPOSITION DU NOUVEAU TESTAMENT de « seconde main », qui divergent naturellement comme divergeraient
toutes personnes rapportant les mêmes faits. La simple expérience de la vie
courante prouve ce phénomène, car personne ne voit ou n’entend jamais
exactement les mêmes choses, c’est un fait indéniable. Cela prouve égale-
ment que ces versions évangéliques ne peuvent recevoir, en l’état, le titre
de « Parole de Dieu », mais simplement et tout au plus, le titre de « reflet »
de celle-ci. Il s’agit donc de trois « traductions » différentes et imparfaites,
d’un original araméen oral, ce qui explique leurs contradictions. Les plus
anciens manuscrits de ces évangiles sont tous écrits en grec. Il est probable
Part. II - Chap. V qu’aucun évangile (sauf peut-être celui de Matthieu) n’ait jamais été écrit
en araméen, encore moins en hébreu, car tous les apôtres de Jésus étaient
illettrés, excepté Judas Iscariote et Matthieu (ce dernier, qui était percep-
teur d’impôts, devait, à ce titre, connaître au moins quelques rudiments
Le nouveau Testament est constitué de vingt-sept écrits, dont certains d’écriture). Ce n’est donc, en réalité, que par les disciples des apôtres, que
ne sont que de courtes lettres. Il s’agit des textes suivants : ces « évangiles » nous sont parvenus.
- quatre versions de l’évangile : selon Matthieu, selon Marc, selon Luc Ainsi, Luc, selon la tradition chrétienne, serait un disciple de Paul (qui
et selon Jean. lui n’a pas connu Jésus) ; et Marc serait un disciple de Pierre. Seul
- les Actes des Apôtres, livre attribué à Luc. Matthieu aurait écrit ou fait écrire un original araméen qui est de toute
- quatorze lettres de Paul. façon perdu, et qui n’est connu que par la traduction grecque qu’en a fait
- sept lettres de divers disciples (Jacques, Pierre, Jude et Jean). un de ses disciples.
- le livre da la Révélation (ou Apocalypse) de Jean. Quant au quatrième évangile canonique, celui de Jean, plus tardif, il a
Contrairement au canon de l’Ancien Testament (versions chrétiennes), été également écrit directement en grec par son auteur présumé ou par un
le canon du Nouveau Testament est commun aux trois grands courants du de ses disciples, qui connaissait sans doute les autres biographies précitées
Christianisme. Il a été établi par l’église ancienne, après maintes contro- et a voulu les compléter et en combler les lacunes. C’est également dans
verses, durant le quatrième et le cinquième siècles. Mais la plupart des his- cette version qu’on trouvera la plus forte influence philosophique et méta-
toriens chrétiens actuels contestent l’authenticité des auteurs présumés de physique hellène88, ce qui tend à prouver que cette influence fut précoce
ces livres. Selon eux, Matthieu ne serait pas l’auteur direct de l’évangile qui et augmenta rapidement dès la fin du premier siècle et jusqu’au quatrième
lui est attribué, etc. siècle, avec l’entrée massive dans l’église des Grecs et des Romains d’orig-
Ces livres ont tous été écrits en grec, alors que Jésus parlait l’araméen,87 ine polythéiste, et où l’on peut dire qu’elle refaçonna complètement les
langue sémitique intermédiaire entre l’hébreu, l’arabe et l’assyrien. Les ver- dogmes de l’Eglise primitive.
sions grecques de l’Evangile original araméen (oral), ont introduit des con- Par contre, concernant ce dernier évangile de Jean, et bien qu’il soit le
cepts hérités de l’hellénisme, étrangers aux modes de pensée et d’expres- plus tardivement rédigé, il est peut-être aussi le seul écrit de la main d’un
sion sémitique. apôtre direct de Jésus. Car si Jean était très jeune et illettré durant la
Les trois premiers évangiles, dits synoptiques, sont assez voisins, malgré Mission de Jésus, il a ensuite eu tout le temps nécessaire pour écrire ou
de nombreuses variantes, et parfois des contradictions. Celui de Marc faire écrire, par un proche disciple, en grec, sa relation de l’Evangile.
semble être un résumé approximatif de celui de Matthieu. Et celui de Luc, Contrairement à une impression que j’avais exprimée dans mon premier
qui est le résultat, selon son auteur, d’une enquête personnelle auprès des
témoins encore vivants (et qui affirme connaître plusieurs autres versions 88 - La triade métaphysique de Philon d’Alexandrie, Juif hellénisé comportait : l’Un, le
évangéliques) est plus complet que les deux précédents, mais avec d’im- Logos (Verbe) et l’Ame Universelle. Les chrétiens grecs identifièrent rapidement le Logos
portantes variantes et contradictions par rapport à eux. Ces évangiles sont (déjà surnommé « Fils de Dieu » par Philon d’Alexandrie) au Prophète Jésus. Ainsi, ce qui
le reflet de l’original oral araméen. Ce sont des témoignages personnels ou n’était toujours qu’un titre métaphorique, prit peu à peu le sens d’une désignation de
« nature », Jésus devenant le Fils Unique engendré, Hypostase de l’Un, et non pas créature.
87 - L’Araméen était la langue la plus répandue dans le moyen orient. Elles servait de L’incompréhension de la métaphysique de Philon, liée à l’incompréhension du caractère
langue internationale, commerciale. En Palestine, l’Hébreu n’était pratiquement plus uti- métaphorique et souvent hyperbolique de la littérature juive biblique, ont engendré les
lisé que comme langue liturgique. dogmes hérétiques du christianisme trinitaire.

74 75
Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

ouvrage sur cette question, il me semble maintenant que cette version est (Paraclet), le nouvel Envoyé, établira la justice et que de nombreuses
plus proche de l’Evangile oral originel, notamment dans sa dimension nations (et non plus une seule : Israël) se soumettront au seul Roi de l’u-
spirituelle, métaphysique (malgré l’influence grecque). Jean, s’il n’était pas nivers. Un des corollaires de cette bonne nouvelle (bouchra en arabe, terme
le chef des apôtres, notamment en raison de son jeune âge, n’en était pas également utilisé dans le Coran), est le pardon de Dieu pour ceux qui se
moins, selon la tradition chrétienne, le disciple préféré de Jésus, et sûre- repentent après leur désobéissance à la Loi, après avoir suivi le Diable qui
ment celui qui a le mieux compris, intuitivement et grâce à cette proxim- égarait les nations. La Loi, en effet, condamnait sans appel. La Bonne nou-
ité, la dimension éminemment mystique des paroles du Verbe de Dieu, velle est la Rédemption pour les repentants : la révélation que la
Jésus, sur lui la Paix. Par ailleurs, Jean était un « extatique » qui recevait des Miséricorde de Dieu l’emporte finalement sur Sa colère. Cette bonne nou-
inspirations, comme le livre de la « Révélation » (Apocalypse) qu’il attribue velle évangélique (et coranique), a un aspect individuel et un aspect col-
à Jésus. Il avait donc certainement accès à une « compréhension » lectif, concernant l’homme sur tous les plans, et pas seulement dans son
intérieure supérieure aux autres apôtres. De plus, il est le seul à annoncer culte privé (ou « sphère privée ») comme voudraient l’y cantonner certains
clairement la venue de l’autre Intercesseur (Paraclet), avènement annoncé, penseurs laïcs « modernes » qui cherchent à exclure la religion du champ
pourtant capital et qui n’avait pas marqué les précédents évangélistes, qui social. Et leur intolérance prétend s’appuyer sur la défense de la liberté
n’en font mention qu’allusivement. Jean a comblé cette lacune impor- individuelle ! Or, la laïcité est le respect de l’expression de toute forme de
tante. Ecrivant sous l’inspiration de son Maître Jésus (ayant donc reçu un religion et de philosophie90. A cet égard, il est facile de démontrer que c’est
Esprit de Sainteté), ce dernier lui a permis de ne pas oublier cette annonce l’Islam qui a inauguré cette tolérance à l’égard des autres cultes. Les
décisive, que Dieu rappelle dans le Coran : Chrétiens trinitaires d’autrefois ont malheureusement transmis cette habi-
« [Evoque] Jésus, fils de Marie, quand il dit aux fils d’Israël : « Je suis l’en- tude d’intolérance aux Athées modernes.
voyé de Dieu auprès de vous [venant] confirmer ce qui, de la Thora, est Il faut reconnaître aussi que des groupement sectaires récents, contam-
antérieur à moi et annoncer un Messager qui viendra après moi, dont le nom inés par cet esprit « moderniste » intolérant, défigurent malheureusement
sera Ahmad (« très louangé ») » (61,6). le beau visage de l’ultime religion révélée, qui est l’expression de la
Des dizaines d’autres recueils évangéliques circulaient dans la chrétienté Miséricorde divine pour toute l’humanité. Leur action néfaste ne fait que
jusqu’au Concile de Nicée (325 ap. Jésus-Christ). Le terme « Christ » renforcer et « justifier » la défiance des athées intolérants à l’égard de
(Chrestos) est la traduction grecque de « Messie » (mot d’origine sémitique l’Islam, comme de toute religion en général.
et signifiant Oint, celui qui a reçu l’Onction sacrée, c’est à dire le Roi,
l’Elu). Ce Concile ne retint que les quatre évangiles cités dans le canon,
déclarant apocryphes les autres, c’est à dire « à cacher » au peuple. Ceci en
raison de l’authenticité douteuse de ces documents89. Leur lecture n’était
cependant pas interdite aux ecclésiastiques. C’est donc à l’issue d’un con-
grès (concile) qu’a été définie la « parole de Dieu » pour les Chrétiens, trois
siècles après le départ du Messager Jésus ! L’intervention de l’élément
humain, à l’intérieur même de ce qui est considéré comme « parole de
Dieu », est on ne peut plus manifeste.
Evangile signifie « Bonne Nouvelle ». Il s’agit de la bonne nouvelle
annonçant le Royaume de Dieu lors de la venue de « l’autre Paraclet », car
depuis longtemps, Satan dirigeait les royaumes de la terre, insoumis à
Dieu, ainsi que les évangiles le confirment : « Tous les royaumes de la terre
gisent au pouvoir de Satan » (Cf. Luc 4, 5 à 8). La bonne nouvelle consiste
en cette annonce que cet état de chose ne durera pas, que l’Intercesseur

89 - Notamment l’évangile de Barnabée ou Barnabas, rédigé en Italien, mais probable- 90 - M. Kessler : « L’enseignement est laïc non parce qu’il interdit l’expression religieuse des
ment d’origine espagnole, dont une copie a été retrouvée en Prusse, et qui dit que Jésus n’est différentes fois, mais parce qu’il les tolère toutes ». « La liberté est le principe et l’interdit
pas réellement mort sur la croix, mais a été remplacé par l’esprit de Judas (dans la forme l’exception ». Commentaire le l’Avis du Conseil d’Etat du 27 Novembre 1989. Cité par
de Jésus). Un autre évangile attribué à Ponce Pilate dit que c’est un sosie de Jésus que Pilate Geneviève Koubi, p.110 « Enseignement ». Recueil Dalloz Sirey, 1993, 9ème cahier :
a fait crucifier pour épargner Jésus. Jurisprudence. Cité par Saddek Dabbah, p. 304, dans : L’Islam et les Media.

76 77
Moïse, Jesus et Mohammed

LE CORAN cœur du croyant », selon le Hadith Saint (Qudsî) 92. Et la mort seule peut
nous libérer des obligations de la Loi, car dans le Paradis, un nouvel ordre
de chose prévaut, et l’adoration de Dieu est directe et se passe d’office rit-
uel, de jeûne, d’ablution, car tout y est pureté éternelle.
Le Coran fut révélé depuis l’an 10 avant l’Hégire, jusqu’à l’an 13 après
l’Hégire. L’ordre des versets et la classification des sourates ont été déter-
minés par Dieu, par l’intermédiaire de l’Ange Gabriel, auprès de
Mohammed, à l’attention de l’univers. Le Coran n’est pas un écrit humain
mais Divin. Pour preuve, le manque de contradiction qui le caractérise,
Part. II - Chap. VI alors que la Bible fourmille de contradictions :
« Ne méditent-ils donc pas le Coran ? S’il venait d’un autre que Dieu, ils y
trouveraient de nombreuses contradictions ». (Coran 4,82)
Le premier secrétaire du Prophète, Zayd ibn Thabet, a rédigé un muçhaf
Coran est un mot d’origine arabe, francisé sous cette forme approxima- (livre relié) complet du Coran. Et c’est son recensement des versets et
tive, du vocable original Qur’an. Ce mot signifie Lecture ou Récitation. sourates qui a été unanimement reconnu comme conforme à la récitation
Contrairement à la Bible, il n’est pas la compilation de plusieurs livres. Il orale définitive qu’en avait fait le Prophète durant le dernier mois de
est l’ensemble des paroles transmises à Mohammed - sur lui la Grâce Ramadan qui a précédé son retour vers le Créateur. Il n’y a aucune contes-
Divine et la Paix - et à personne d’autre. L’ultime Prophète fut l’unique tation de ce fait. Une commission d’experts réunis par le Khalife Othman,
réceptacle de ce Message Divin, qu’il annonça ensuite au monde. Entre que Dieu l’agrée, a confirmé la totale conformité de cette recension. Aucun
Dieu et l’homme, l’intermédiaire de ce Message fut l’Ange Gabriel. Ce compagnon ne l’a contestée. Toutes les écoles juridiques de l’Islam,
Message descendit jour après jour durant vingt-trois ans, au fur et à mesure Sunnites, Chi’ites, Karedjites, possèdent cette unique version du texte
des besoins, tant spirituels que juridiques, de la communauté musulmane révélé. Et Dieu coupe court à tout doute sur ce sujet :
naissante. La Torah, était descendue, elle, d’un bloc, sur Moïse, sur le mont « C’est Nous qui avons fait descendre le Rappel, et c’est Nous qui en sommes
Sinaï. Mais ce fut un poids écrasant. Devant le spectacle de l’infidélité de le Gardien (al-Hâfizoûn) » (Coran 15,9)93.
son peuple, Moïse, selon la bible, jeta lui-même à terre les tablettes gravées
qui contenaient la Torah (Loi) et les brisa de colère. Puis Dieu en fit une 92 - Le mot coeur signifie le centre de la conscience. L’Imam Ghâzalî le définit comme
copie et donna également d’autres révélations à Moïse, qui en fit des livres, « le réceptacle de la connaissance de Dieu, et non l’organe de chair et de sang que l’animal
dans lesquels il relata également la chronique des événements. Mais cette et le cadavre ont en commun avec l’homme vivant » (in « Erreur et Délivrance »). Le
explication traditionnelle simple est bien sûr contestée par les « spécialistes Cheikh Abdel Wahid René Guénon écrit : « Le coeur est essentiellement un symbole du
» contemporains qui ont analysé ce texte et sont arrivés à la conclusion centre, qu’il s’agisse d’ailleurs du centre d’un être ou, analogiquement, de celui d’un monde,
qu’il n’est qu’une compilation tardive de sources différentes91. /.../ il est donc naturel, en vertu de cette relation, que la même signification s’attache à la
L’ensemble prit alors le nom de « Torah ». Les Juifs eurent bien du mal à caverne » (Symboles Fondamentaux de la Science Sacrée, Gallimard). C’est d’ailleurs au
porter cette loi tout au long de leur histoire, et ils finirent par en rejeter creux d’une caverne que le coeur de l’Elu de Dieu reçut la lumineuse Révélation. Le coeur
l’essence même, pour s’attacher à des détails extérieurs. Car toute loi, Torah est un réceptacle aux dimensions infinies, puisque le coeur du serviteur croyant est une
ou Charia, n’a pour objet que de conduire à la vie sainte. La vérité (haqiqa) demeure de Dieu, selon une Tradition Sainte (Hadith Qudsî attribué à Dieu) : « Mon ciel
ne peut descendre et s’établir que dans un cœur purifié. Il ne s’agit donc et Ma terre ne peuvent Me contenir, mais le coeur de Mon serviteur croyant, lui, Me
pas d’idolâtrer la Loi, mais de l’appliquer en sachant qu’elle n’est qu’un contient » (Rapporté par Wahb Ibn Mounabbih). Le Hadith complet est : « Vous construi-
moyen de s’approcher de Dieu jusqu’à ce qu’Il fasse « Sa demeure dans le sez des maisons pour Moi. Quelle maison pourrait Me contenir ? Les cieux sont la couver-
ture de Mon Siège et la terre Mon Marchepied. Tout cela est Ma création et M’appartient.
91 - Il est bien difficile maintenant de discerner la vrai du faux en la matière. D’un côté, Seul peut Me contenir le coeur du serviteur scrupuleux et pieux parmi Mes créatures ».
ces travaux critiques confortent les reproches que Dieu, dans le Coran, fait à certains scribes Sahl Ibn Sa’d et al-Nu’man Bachir ont également rapporté ce Hadith prophétique : « Dieu
qui attribuent à Dieu leur propre production littéraire. Mais d’autre part, il faut veiller a sur la terre des réceptacles, ce sont les coeurs des serviteurs. Ceux que Dieu préfère sont les
également à ne pas « jeter le bébé avec l’eau du bain » comme on dit, car le « matérialisme » plus doux, les plus purs et les plus solides ». Et parlant des incrédules, Dieu dit : « Ils ont des
est peut-être et même certainement aussi à l’oeuvre dans ce travail de « destruction » de la coeurs par lesquels ils ne comprennent pas » (7,179)
Bible, au travers des analyses qu’on a évoquées. 93 - Traduction M. Hamidullah.

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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

Le Coran est le Message final adressé aux hommes dans leur totalité : Le Coran est le dernier Rappel avant le Jugement dernier. Il contient
« Nous ne t’avons envoyé que comme annonciateur et avertisseur à tout le des Promesses et des Menaces précises. Il a été annoncé à tout l’univers. Il
genre humain. Mais la plupart des hommes ne savent pas ». (Coran 34,28) est disponible dans toutes les langues. Il confirme et protège les Ecritures
Le Coran est un texte qui a de nombreux aspects. Des aspect antérieures (qui étaient de « seconde main » et ont subi des altérations). Il
« théologiques », réaffirmant principalement l’Unicité absolue de Dieu et indique le Chemin Droit (sirât al-moustaqîm) qui commence par la
désignant Ses Noms et attributs. Des aspects historiques, rappelant cer- Soumission (Islâm), se gravit par la Foi (imân) et fait accéder à la Vertu
tains épisodes édifiants de la vie des prophètes et des peuples antérieurs. Il (ihsân). Arrivé à ce stade, le Vertueux (muhsîn) ressent constamment le
annonce également des événements futurs et le monde à venir (l’au-delà), Regard de Dieu sur lui, il « goûte » à la Présence Divine. Il « habite » déjà,
le Paradis (appelé aussi Vraie Vie) et l’Enfer. C’est aussi un texte législatif en esprit, sa demeure dernière dans la Vraie Vie auprès de son Créateur
déterminant le cadre moral et juridique en matière de règle de vie, pour la Miséricordieux et Aimant. Son « cœur » est devenu une « demeure » de
communauté des croyants, jusqu’au Jour du Jugement dernier. Il indique Dieu - Exalté et Magnifié soit-Il. Ce processus de purification est appelé
également l’attitude que les Musulmans doivent observer à l’égard des taçawwuf par les savants musulmans.95
autres communautés : les Chrétiens, les Juifs, Sabéens, Mages (ou Louange à Dieu, Souverain de l’univers.
Mazdéens ou Parsis), les Polythéistes, les Athées, les Hypocrites avérés,
selon les circonstances. C’est aussi, enfin, un Texte qui ouvre sur la réalité
« métaphysique » et conduit l’aspirant dans la voie du Rapprochement de
Dieu.
Dieu a donné le Coran pour redonner la Foi pure aux humains. Son
ordonnancement même, qui n’est pas chronologique mais répond à une «
logique Divine » supra-humaine, n’est pas le fruit du hasard. Sa lecture
méthodique et sa compréhension permettent de répondre complètement
à toutes les questions essentielles que se pose l’humanité depuis toujours.
Et rien n’y est omis pour nous transmettre et parfaire cette Foi, qui est
certes l’effet d’une grâce Divine « invisible », mais qui se nourrit aussi de Sa
Parole « lisible ».
L’effort humain, pour acquérir et appliquer la science sacrée contenue
dans le Coran, cet effort (jihâd)94 est le signe absolu de notre reconnais-
sance envers Lui, et cela a pour conséquence d’amplifier indéfiniment la
Grâce divine :
« C’est ainsi que Nous récompensons quiconque se montre reconnaissant ». 95 - Le « Prince des hommes spirituels », al-Junayd, que Dieu l’agrée, définit le Soufisme
(Coran 54,35) comme « un processus qui consiste à purifier le coeur, à se débarrasser de ses mauvais pen-
« Souvenez-vous et Je Me souviendrai de vous ! Rendez-Moi grâces ! Ne soyez chants et de tout ce qui est considéré comme une faiblesse liée à la nature humaine, afin
pas ingrats ! » (Coran 2,152) d’acquérir les caractéristiques spirituelles (al-sifât al-rûhâniniyya) et les connaissances
« Si vous êtes reconnaissants, je ferai, certes, encore plus pour vous. Mais si réelles (al-`ulûm al-haqîqiyya). Le Soufi qui arrive à un tel stade se désintéresse complète-
vous êtes infidèles, Mon châtiment sera terrible pour vous ». (Coran 14,7) ment de tout ce qui ne le prépare pas à la vie éternelle ; il donne des conseils aux
Musulmans et respecte les exigences de la vie spirituelle vis-à-vis de Dieu et se conforme,
94 - Jihâd est souvent traduit par « guerre sainte ». Cette dernière expression donnerait, en dans ses pratiques cultuelles, aux règles de la « Sharî’a » (la loi islamique) ». Un des plus
arabe : “harb muquassa”, et elle n’existe abolument pas, ni dans le Coran, ni dans les anciens Soufis, à savoir Bishr al-Hâfî (mort en 226 H.) a dit : « Le soufi est celui qui garde
hadiths ou les écrits des théologiens musulmans. C’est une expression purement chrétienne son Coeur pur (çâfi) ». Sarrâj et Kalabadhî, auteurs des plus anciens traités de soufisme,
utilisée lors des Croisades (contre les Cathares ou Albigeois, puis contre les Musulmans, puis confirment cette définition. Le grand Imam Abou Hamid al-Ghazâlî écrit dans son
entre Chrétiens Catholiques et Protestants). Jihâd signifie en réalité effort, combat, lutte et ouvrage intitulé « Erreur et Délivrance » : « La voie soufie est une purification qui consiste
pas « guerre » (harb). Le « grand combat » (Jihâd al-akbar) est, selon les Traditions prophé- avant tout à nettoyer le coeur de tout ce qui n’est pas Dieu. Elle débute par la fusion du
tiques, le combat contre notre propre âme charnelle, les suggestions démoniaques, les attraits coeur dans le Dzikr Allâh (ou Invocation de Dieu), et elle s’achève par l’extinction en Dieu
et passions de ce bas monde. Nous traiteront de la question de la guerre dans les trois reli- (al-Fanâ) ». Et il définit également le soufisme comme une « saveur », une réalisation goû-
gions du Livre, dans la huitième partie du présent ouvrage, incha Allâh. tée dans le for intérieur du coeur. C’est la science des états du coeur.

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Moïse, Jesus et Mohammed

LA Sounna ET LE HADITH sant que son propre Madhab (école) soit reconnu comme la seule norme
de l’orthodoxie sunnite. En effet, il connaissait le madhab des Ahl Oul
Bayt (premiers Chiites), ainsi que celui que fondait son condisciple Abou
Hanifa (lui aussi élève de Jafar As-Sâdiq) à Bagdad. « L’approche du droit
canon par Mâlik reposait massivement sur les usages coutumiers (a‘mâl) de
Médine, utilisant le consensus (ijmâ‘) et, secondairement, l’opinion (ra’y) ».97
Puis, par ordre chronologique, les autres recueils de hadiths sont : le
musnad de Tyalisi (m. 202 H.), le musnad d’Ahmed Ibn Hanbal (m. 241
H.), fondateur de l’école Hanbalite.
Part. II - Chap. VII Puis le sahih de Boukhari (m. 256 H.), le sahih de Muslim (m. 261 H.),
puis les kutub sunan d’Ibn Mâjâ (m. 273), d’Abou Dawoud (m.279), de
Tirmidhi (m. 279) et de Nassaï (m. 303).
Puis, plus tard, de grandes compilations furent rédigées, sur la base des
La Sounna (Coutume) du Prophète Mohammed est connue par les ouvrages précités. On peut citer les ouvrages de Baghawi (m. 510), Tabrizi
hadiths rapportés par ses Compagnons, sa Famille et ses épouses. (m.737), Abou Nu’aym, Marwazi, Nawâwî, etc.
Les paroles (ahadith) du Prophète sont consignées dans des recueils. Les A l’origine, les hadiths n’étaient généralement pas consignés par écrit.
mieux considérés sont ceux d’Al-Bokhari et de Muslim, ainsi que ceux de Mais plusieurs Compagnons (sahaba) et Suivants (Tabi’oun) possédaient
Tirmidhi, Malik, Ahmad, Abou Dawoud, Ibn Maja, Nassaï et d’autres déjà des recueils personnels, comme Anas, ibn Mas’ud, Zayd Ibn Thabet,
encore. Les ahadith sont classés par degré de fiabilité, selon la fiabilité de Ibn Abbas, Ibn Omar, etc.
leurs rapporteurs, en remontant la « chaîne » des rapporteurs de chaque Mais ils n’en faisaient pas de diffusions écrites, afin que les hadiths ne
hadith jusqu’au Prophète très louangé. soient pas confondus avec le Coran, conformément au souhait initial du
Il y a les hadiths Qudsî (Saints ou Sacrés) où Dieu parle par le Prophète, Messager très louangé.
et les hadiths Charif (« nobles »), qui sont les paroles personnelles et volon- Puis, quand la recension du Coran (déjà complète peu avant la mort du
taires du Prophète (souvent des réponses à des questions, ou face à des sit- Prophète), fut largement diffusée, d’abord oralement, puis par écrit (sous
uations précises). Othman et Ali), la confusion devint impossible, et l’on commença alors à
Chez les Sunnites, le plus ancien recueil de hadiths (et premier traité de songer à la diffusion des hadiths par écrit.
droit sunnite) est celui de l’Imam de Médine, Malik ibn Anas(96), fonda- Le Calife Omeyyade Omar Ibn Abdel Aziz commanda ce travail de
teur de l’Ecole (madhab) malikite. Il eut plusieurs professeurs, dont Jafar recension par écrit des ahadith prophétiques à l’érudit Zuhri (m. 124), qui
as-Sâdiq, descendant du Prophète et sixième Imam des Chi’ites. Il eut mourut avant de terminer son travail, mais qui contribua à définir les
pour condisciple Abou Hanifa (fondateur de l’école hanafite à Bagdad), méthodes qui prévalurent ensuite dans la science du hadith. La norme la
qui étudia aussi auprès de Jafar as-Sâdiq. L’ouvrage de Malik s’intitule : al- plus importante pour définir l’authenticité d’un hadith devint l’Isnad
Kitâb al-Muwatta’ (« Le Livre de la Voie Aplanie »). Il fut encensé par le (chaîne de transmission). Il fallait que chaque rapporteur, entre le
Calife Abbasside officiel qui voulait le domestiquer à son profit, en Prophète et le dernier rapporteur connu, soit reconnu digne de foi.
imposant le Madhab de Malik à tout le Dar al-Islam. Mais Malik réprouva Plusieurs catégories de hadith furent donc définis, selon cette méthode et
cette prétention, et il fut battu publiquement. Mais il ne se dédit pas, refu- aussi selon la fréquence de leur citation par les Anciens. Les hadiths ainsi
unanimement connus par les rapporteurs anciens sont appelés moutawatir
96 - L’Imam Mâlik serait né vers l’an 90 de l’Hégire. Mohammed Hamidullah (Cf. « Le (« récurrent »), ensuite le degré immédiatement inférieur est constitué des
Prophète de l’Islam » T.2, p.1011) situe sa mort en 179 H. Cyril Glassé, dans son hadiths « authentiques » ou « fiables » (sahih), puis en dessous, vient le
Dictionnaire encyclopédique de l’Islam, donne les dates suivantes : 94-179/716-795. hadith hassan (« Bon »), puis da’if (« Faible »), puis le maudu’a (« forgé »,
L’Imam Mâlik, fils de ‘Anas était un disciple direct des Suivants des Compagnons du c’est à dire « faux »).
Prophète Mohammed, sur lui la Grâce Divine et la Paix. Il était de plus l’héritier princi-
pal de la plus ancienne école d’exégèse coranique fondée par le Compagnon ‘Ubay al- 97 - Dictionnaire Encyclopédique de l’Islam, P. 242. Ed. Bordas, Paris, 1991. Cyril
’Ansâri (mort en 28H.) à Médine, la Ville du Prophète, qui était la mieux placée en tant Glassé est un Musulman américain qui a rendu hommage à l’oeuvre de René Guénon
que dépositaire des « traditions connues » (Hadîth Mashhûr). [Cf. H. Boubakeur. Op. cit. (Cheikh Abdel Wahid) grâce à laquelle il a « découvert les clés pour la compréhension de
P. XXVI] la métaphysique et de la pensée traditionnelles ». (Cf. Préface Op. cit)

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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

Les Chi’ites ont d’autres recueils de hadiths, qu’ils appellent akhbâr La plupart de ces Hadiths Qudsî ont en effet un contenu hautement méta-
(« nouvelles »), compilés par des auteurs comme Kulaynî, Tuçî, etc. physique qui ne peut pas être compris correctement sans une éducation
Contrairement au Coran, certains hadiths ont été l’enjeu de querelles spirituelle préalable suffisante, et ils ne s’appliquent donc pas d’emblée au
entre groupes musulmans, pour des raisons politiques souvent, chaque plus grand nombre, mais à un cercle restreint de Compagnons proches du
parti accusant l’autre de forger des hadiths à son profit pour justifier sa Prophète, et à leur suite, à leurs disciples initiés dans la voie spirituelle
politique. qu’on appela taçawwuf à partir du deuxième siècle de l’hégire.
Mais un consensus s’est établi à partir des travaux scrupuleux de C’est ainsi que le Compagnon Abou Horayra a dit : « J’ai gardé dans ma
Boukhari et de Muslim. mémoire deux trésors de connaissance que j’avais reçu du Messager de Dieu.
Le hadith, grâce auquel ont connaît la sounna, devint de fait la seconde L’un, je l’ai rendu public, mais si je divulguais l’autre, vous me trancheriez la
source du droit musulman (fiqh) pour toutes les écoles. gorge ».98
Il existe beaucoup de hadiths qui sont rapportés avec des variantes, ce Le Prophète a dit : « à nous les prophètes, on a ordonné de parler aux gens
qui est normal puisqu’il s’agit d’écrits de « seconde main », comme dans le selon leur compréhension ». Et l’Imam Ghazali a été jusqu’à répondre ainsi à
cas des recensions évangéliques. une question sur les réalisations spirituelles : « Sache qu’il est illicite de les
Leur étude est cependant utile et nécessaire pour comprendre non seule- mettre par écrit ». Le fruit du taçawwuf est en effet au-delà de la parole, c’est
ment la sounna, mais aussi le Coran, car le hadith constitue aussi, de fait, une « gustation » indicible.99 Cela bien sûr fait enrager les « exotéristes »
un commentaire (tafsir) prophétique du Livre de Dieu. D’ailleurs, tous les musulmans (qu’ils se disent « réformateurs » ou « fondamentalistes »), mais
traités de tafsir (exégèse) du Coran font appel principalement au hadith. qui sont en réalité des émules de la dérive moderniste (rationaliste et
Le Coran établit l’importance capitale de la sounna du Prophète : matérialiste) occidentale. Ils récusent par ignorance la réalité métaphysique
« Vous avez, dans l’Envoyé de Dieu, un beau Modèle pour vous, pour (parce qu’elle leur est inaccessible) et vouent au feu de l’enfer les Soufis et
quiconque espère en Dieu au Jour dernier et se souvient fréquemment de Lui ». leurs disciples (assimilés par eux à des « polythéistes »). Que Dieu nous pro-
(Coran 33,21) tège des ignorants intolérants. L’ignorance est le pire ennemi de l’homme,
C’est donc grâce à la fidélité et à l’effort de mémoire de générations de a dit le Messager très louangé. Et le Cheikh Abdel Wahid René Guénon a
Musulmans, que la sounna du Prophète et de ses Khalifes bien guidés n’est écrit : « Au fond, le véritable secret, et d’ailleurs le seul qui ne puisse être jamais
pas tombée dans l’oubli et a servi de référence à la vie communautaire. trahi d’aucune façon, réside uniquement dans l’inexprimable, qui est par là
C’est parce que toute morale est nécessairement relative au temps et à même incommunicable, et il y a nécessairement une part d’inexprimable dans
l’espace, que Dieu ne l’a pas codifiée strictement dans le Coran, excepté toute vérité d’ordre transcendant ; c’est en cela que réside essentiellement, en
pour les principes fondamentaux, les cadres généraux. Il nous a montré réalité, la signification profonde du secret initiatique ; un secret extérieur quel-
surtout le Prophète en exemple, et Mohammed - sur lui la Grâce Divine conque ne peut jamais avoir que la valeur d’une image ou d’un symbole de
et la Paix - est un homme de science, dans le sens noble du terme qui sig- celui-là, et aussi, parfois, celle d’une « discipline » qui peut n’être pas sans profit.
nifie connaissance des choses nécessaires au salut, des données essentielles Mais, bien entendu, ce sont là des choses dont le sens et la portée échappent
de la destinée humaine : son origine, son sens et sa finalité. C’était un entièrement à la mentalité moderne, et à l’égard desquelles l’incompréhension
homme de patience, d’humilité, de courtoisie, d’indulgence, de tem- engendre tout naturellement l’hostilité ; du reste, le vulgaire éprouve toujours
pérance, d’intelligence. Il ne violait pas les croyances et les habitudes mais une peur instinctive de tout ce qu’il ne comprend pas, et la peur n’engendre que
les purifiait patiemment. Il n’était intransigeant que dans le domaine de trop facilement la haine, même quand on s’efforce en même temps d’y échap-
l’Unicité Divine et des Droits de Dieu : pas d’autre Dieu que Dieu. Sur per par la négation pure et simple de la vérité incomprise ».100
tout le reste, il use de pédagogie et inclut la durée comme donnée de sa Le Cheikh al-Akbar, Muhyî al-Dîn Ibn `Arabî (né en 560 H/1165,
mission. On voit ainsi que face aux habitants de la ville de Thaïf, il accepta
même une suspension d’un des cinq piliers pourtant fondamentaux de 98 - Boukhari, Sahih, `Ilm, 42 ; Chapitre « Nom ». Abou Horayra a également relaté ce
l’Islam : il les exempta de verser la Zakat (impôt religieux), et attendit hadith : « Il y a une science qui prend la forme de ce qui est caché (batin) et que seuls
patiemment que ces gens souhaitent la verser volontairement, ce qu’ils connaissent les savants qui connaissent Dieu. Lorsqu’ils la formulent, seuls ceux qui sont
décidèrent après sa mort. aveuglés à l’égard de Dieu, la nient ». Rapporté par Daylami, cité par Sakhawi et Sulami
Les hadiths, qui permettent d’étudier la sounna du Prophète, viennent (Cf. : « Quarante Hadiths sur le Taçawwuf », Ed. Iqra).
donc en complément du Coran et n’ont pas été inclus en lui, bien que cer- 99 - Abou Hamid al-Ghazalî : « Celui qui n’a pas eu le privilège de la gustation ne
tains hadiths (Saints ou Qudsî), soient aussi des Paroles Divines, mais que connaît, de la réalité de la Prophétie, que le nom ». (Erreur et Délivrance. Trad. J.Fabre).
Dieu n’a pas voulu inscrire dans le Coran pour des raisons qu’Il connaît. 100 - Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, p. 88-89. Gallimard.

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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

mort en 638 H/1240) a écrit : « Allah n’a pas créé de gens plus durs et plus antérieurs, ainsi qu’il lui fut révélé, notamment lors de son Ascension vers
acharnés contre les gens d’Allah, que les exotéristes ; ils agissent à leur égard Dieu, durant le Voyage Nocturne. Il est donc la Meilleure des créatures.
comme les pharaons à l’égard des Envoyés Divins - sur eux la paix! » Et en tant que Sceau des Prophètes et des Messagers, il est l’expression par
(Futûhat, ch. 428). excellence de la Miséricorde Divine, l’Avocat et l’Intercesseur pour les
Mais refermons cette parenthèse. pécheurs.
On peut comparer le lien dialectique qui unit le Coran à la sounna à Il n’imposait pas uniformément et d’emblée cet idéal moral à tout un
celui qui existe entre une loi d’un pays et le décret d’application de cette chacun, mais il aménageait des étapes en tenant compte du degré d’éléva-
loi, qui définit concrètement les modalités et le champ d’application de tion spirituelle des individus. C’est pourquoi certains hadiths peuvent
cette loi et peut même déterminer des étapes et des exceptions. paraître se contredire, mais c’est uniquement parce qu’ils ont été donnés à
Ainsi, on a vu que le Calife Omar, que Dieu l’agrée, suspendit un com- des individus différents quant à leur ouverture spirituelle, à leur degré de
mandement Divin concernant la punition des voleurs à cause d’une compréhension. Le hadith précité explique ce phénomène : « à nous les
famine qui poussait certains pauvres à voler pour survivre. prophètes, on a ordonné de parler aux gens selon leur compréhension ».
La sounna n’est pas close avec la mort de l’Envoyé qui a recommandé Ce qui est vrai pour des individus l’était - et l’est toujours - pour des
ses propres Compagnons et Successeurs à notre attention afin que nous les groupes entiers, comme on l’a vu pour les habitants de Thaïf.
suivions. En effet, les circonstances spatiales et temporelles sont en muta- On le voit dans l’histoire de l’expansion de l’Islam : les coutumes
tion perpétuelle et nécessitent un effort d’interprétation par les savants locales, durant un certain temps, entrent en concurrence avec les règles
(ijtihad). La sounna permet une adaptation optimale des principes divins islamiques. Les Savants « islamisent » ce qui n’est pas incompatible avec
aux réalités contingentes. L’articulation judicieuse des sources du Droit en l’Islam, et cherchent à éradiquer le reste, soit rapidement si la chose est
Islam, est propre à l’ultime religion révélée, et lui permet d’exister pleine- possible, soit en aménageant des étapes, si la chose est difficile, car le prin-
ment dans toutes les époques sans jamais se renier. Cette souplesse a fait cipal est bien sûr de faire accepter l’essentiel, c’est à dire déjà les Cinq
défaut aux religions précédentes. Leur rigidité structurelle a sclérosé leur Piliers, puis les autres fondements de la Charia, etc. Mais parfois, il y a des
faculté d’adaptation. Elles ont alors été déchirées entre deux tentations échecs : des coutumes anté-(voire anti-) islamiques arrivent à surclasser
opposées : la fossilisation ou le reniement. C’est pourquoi « l’intégrisme », l’Islam.
qui caractérise la tendance rigide dans les religions antérieures, est com- On le voit encore de nos jours, pour certains peuples (Egyptiens,
plètement étranger à l’esprit et à la lettre de l’ultime religion révélée. En Soudanais, etc.) qui continuent de pratiquer l’excision clitoridienne, alors
tant que Sceau des religions, elle doit nécessairement posséder cette soup- qu’elle est une pratique anté-islamique qui a perduré et s’est faite
lesse intrinsèque pour couvrir toute la période de l’histoire de l’humanité « islamiser » comme coutume locale. Il va de soi que cela ne peut être rec-
qui va de la Révélation Coranique jusqu’à la fin de ce bas monde. Mais le tifié du jour au lendemain. Il en est de même pour le code d’honneur
Prophète a annoncé que, malheureusement, certains « musulmans » suiv- Pachtoune (Pakistan, Afghanistan) qui, notamment dans les affaires de
ront les communautés antérieures dans leurs travers. L’intégrisme soupçon d’adultère, a de fait, surclassé et remplacé la Charia islamique,
« islamique » (qui est un non sens en réalité) fait partie de ce suivisme aveu- laquelle est beaucoup plus tolérante.
gle, de cette rigidité mortelle directement inspirée par le Diable pour Car l’objectif de la sounna est d’éclairer la voie idéale qui mène à la
freiner l’expansion de l’ultime religion sur toute la planète. vérité et non pas d’éblouir, ce qui reviendrait à aveugler ceux qui sont
La sounna permet d’atteindre l’objectif idéal défini par le Coran en ten- restés trop longtemps dans l’obscurité de leurs coutumes ancestrales, qu’ils
ant compte des particularités individuelles et collectives des humains aux ont même parfois réussi à « islamiser », comme l’enfermement des femmes.
divers stades de leur développement spirituel et matériels (qui sont sou- Mais il s’agit là, en réalité, et d’un strict point de vue islamique orthodoxe,
vent, malheureusement, inversement proportionnels). d’innovations (bida’) blâmables.
Lorsqu’on demandait à Aïcha, que Dieu l’agrée : « Quelle était la morale La sounnah est la sagesse mohammédienne dans l’application du Coran
du Prophète ? » Elle répondait : « C’est le Coran ». C’est à dire que son saint qui lui-même est l’expression finale et complète de l’éternelle Sounnah de
époux avait atteint l’excellence dans l’idéal moral - également dans les con- Dieu. La sounnah n’est donc pas scellée avec la mort du Prophète
ditions objectives de son époque - défini par le Coran. Mohammed, mais elle a été continuée, adaptée, par les Compagnons suc-
Le Sceau des Prophètes était donc non seulement le Modèle Excellent cesseurs, ainsi que l’a ordonné l’Envoyé : « Accrochez-vous à ma tradition
de la communauté musulmane (qui elle-même, selon le Coran, est la (Sounnah) et à celle des califes sages et bien guidés ». (Abou Dawoud)
meilleure des communauté que la terre ait portée), mais il fut également Ils ont donc enrichi la sounna à chaque fois que cela leur semblait utile
l’Imam (le président, le chef de file) de tous les Prophètes et Messagers et acceptable par la communauté, car même une innovation bonne peut
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Moïse, Jesus et Mohammed

être une occasion de conflit. C’est pourquoi la prudence doit jouer, mais CONCLUSION DU CHAPITRE
pas au point d’interdire tout progrès, car l’Islam est, par excellence, la reli-
gion du vrai progrès utile à l’humanité. Le Prophète en a suffisamment
montré l’exemple, dans tous les domaines.
Les Califes Rachidines, et les savants bien guidés à leur suite, ont donc
accepté d’islamiser de bonnes innovations (bid’a’ haçanat) et ont rejeté les
mauvaises innovations que certains voulaient introduire (par ignorance ou
mauvaise intention).
Ce faisant, ils se sont comportés en dignes Successeurs de l’Envoyé qui
a recommandé aux responsables l’effort d’interprétation, effort qui ne doit Part. II - Chap. VIII
cesser qu’avec la fin du monde101, allant même jusqu’à dire : « Celui qui
institue en Islam une bonne coutume, a sa récompense et celle de tous ceux qui
agissent selon elle après lui, sans que cela diminue rien de leur propre salaire.
De même celui qui institue en Islam une mauvaise coutume en supporte le L’Islam est la seule religion encore capable de moraliser les sociétés
péché ainsi que celui de tous ceux qui agissent après lui selon cette coutume humaines, car le Droit musulman est par nature dynamique, se nourris-
sans rien diminuer de leur propre péché ». (Muslim) sant continuellement du Coran et de la sounna, par la réflexion des
Et Dieu a investi les autorités religieuses d’un rôle décisif en ce Savants musulmans jusqu’à la fin des temps.
domaine : Cette souplesse intrinsèque fait défaut au Christianisme qui ne sépare
« Croyants ! Obéissez à Dieu ! Obéissez au Prophète et à ceux d’entre vous pas, dans ses textes Sacrés, la part proprement Divine, la part proprement
qui détiennent l’autorité ». (Coran 4,59) prophétique, et la part proprement « interprétative » (exégèse des disciples
Et le Prophète a indiqué que les savants (‘ulamâ) sont les Successeurs et suivants), et qui désigne l’ensemble de la Bible sous le terme fallacieux
(les khalifes) des Prophètes : « Honorez les Savants, car ils sont les successeurs de « Parole de Dieu », ce qui a conduit les Eglises à une inadaptation crois-
des Prophètes ».102 Et il nous a ordonné de leur obéir: « Obéissez, même si sante aux mutations des sociétés humaines. Cette inadaptation s’est sol-
celui qui s’est imposé à vous est un serviteur Abyssin ».103 dée un certain temps par un recours à l’intolérance, voire à la terreur, pour
Parmi les serviteurs abyssins du prophète, on connaît surtout Bilâl. Le faire taire tout effort d’interprétation, puis, après la perte du pouvoir poli-
Prophète aurait également pu dire : un serviteur yéménite, ou romain, ou tique, par une dissolution de l’influence spirituelle des Eglises sur les gens
perse, etc. Non, il a plutôt choisi « Abyssin », c’est à dire un Noir, un de et le devenir des sociétés. Ainsi, le Christianisme est devenu proprement
ceux que les Blancs de son époque avaient tendance à voir comme les incapable d’endiguer la dérive matérialiste où sombrent l’Occident et les
derniers des hommes, presque créés pour l’esclavage. Les Romains, les parties du tiers Monde que l’occident a subjuguées par son apparât fac-
Perses, les Turcs, etc., partageaient presque tous ce préjugé racial à l’égard tice.
des Noirs. Ce n’est donc pas par hasard que le Sceau des Messagers a choisi Pour autant, le déclin du Christianisme n’est pas terminé. S’il était
ce terme « Abyssin ». arrivé au point le plus bas de sa décadence, il disparaîtrait tout simple-
« Le plus noble d’entre vous auprès de Dieu est le plus pieux. Dieu est ment. Mais malheureusement, le Christianisme se délite plus rapidement
Omniscient, en vérité, et bien informé ». (Coran 49,13) qu’il n’est remplacé par la foi musulmane. Sa faillite profite donc surtout
à l’athéisme, qui, en réalité, est la forme ultime du Polythéisme, car les
101 - Dans le Sunnisme, la « porte de l’Ijtihad » est considérée comme « fermée » depuis incroyants prennent toujours leurs passions pour divinités, c’est une vérité
neuf siècles, et la stagnation du monde musulman n’est sans doute pas étrangère à ce fait. éternelle mentionnée par Dieu dans tous Ses Messages. Son déclin prof-
L’Ijtihad n’est pourtant qu’un aspect du Jihad (effort). Et d’ailleurs comment « fermer » ce ite également à une multitude de sectes pseudo-religieuses, qui ne sont
que le Prophète lui-même a ouvert ? En effet, quand le Prophète a chargé Mu’âz d’admi- rien d’autre que les prémisses de la phase de « Contre-Initiation ( contre-
nistrer le Yémen, il lui a demandé quels critères il utiliserait dans ses fonctions. « Le Coran » tradition, contre-religion)» (post-matérialiste) annoncée par le Cheikh
répondit Mu’âz. « Et puis quoi d’autre ? » demanda le Prophète. « La Sounnah ». « Quoi René Guénon.
encore ? ». « Puis je ferai un effort personnel [ijtihâd] et agirai en conséquence ». Le C’est pourquoi le Cheikh Abdel Wahid René Guénon voyait à juste
Prophète donna son approbation. (Cf. Cyril Glassé, op. cit. p. 180) titre le Catholicisme et la franc-maçonnerie comme les seuls vestiges, en
102 - Hadîth prophétique rapporté par El-Khatib (d’après Djaber). Occident, d’une spiritualité authentique. Quelques Musulmans, à mon
103 - Hadîth rapporté par Bokhari. avis, se trompent d’adversaires en faisant des Chrétiens (ou même des
88 89
Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

Juifs) leurs principaux adversaires. Les Gens du Livre ne sont pas désignés ité occidentale, où tout plaisir est souvent associé au mal.105
par Dieu comme nos ennemis, absolument pas ! Ce sont plutôt les l’Islam est une religion dynamique qui a produit jusqu’à nos jours des
Hypocrites, cachés parmi nous, qui jouent ce rôle. saints authentiques. Pour preuve, le grand Soufi contemporain, Cheikh
Dans la situation actuelle de l’Occident, il vaut même mieux souhaiter Ahmed Bamba, qui a parfaitement résumé la fonction et le but de la reli-
voir les Religions du Livre ne pas s’effondrer trop vite, tant que l’Islam gion dans l’univers, la place des prophètes et celle des saints dans la pro-
n’est pas en mesure d’occuper spirituellement le terrain ainsi perdu (et en gression de l’homme vers Dieu :
réalité gagné par l’athéisme ou les sectes pseudo-religieuses). Des conver- « Les Prophètes sont la preuve de l’existence de Dieu. Les saints sont la
gences morales sont même à rechercher pour ralentir le déclin de la civil- preuve que Sa religion est vraie ». (Massalik al-Jinân. « Les Itinéraires du
isation et l’enfermement idéologique des occidentaux dans des « valeurs » Paradis »)
de plus en plus matérialistes ou pseudo-spirituelles. Je comprend que cer- Une religion qui ne suscite plus de saint est une religion malade. L’Islam
tains de mes frères en religion s’étonnent de mes propos sur cette question. est la seule religion encore capable de moraliser la vie des sociétés. Et les
Je pense que cela est pourtant suffisamment clair pour quiconque observe saints exemples, imitateurs du Prophète Mohammed, sont la preuve
la société où nous vivons. Mais Dieu sait mieux. vivante de la valeur de notre religion parfaite, si nous acceptons de la vivre
La Bible, on l’a vu, est un mélange de Paroles Divines, de sentences complètement, sans esprit de querelle, de secte, sans cette raideur réduc-
prophétiques, de sagesses humaines, de commentaires sacerdotaux, de trice qui caractérise souvent ceux qui veulent, soit « moderniser » l’Islam
chroniques historiques. C’est comme si, dans l’Islam, on avait mélangé le (les réformateurs), soit le figer (les « intégristes »). C’est la mécréance qui
Coran, les commentaires (tafsir), les hadiths, les sirat an-Nabi (Biographies est sectaire et archaïque, même quand elle se veut novatrice. Ainsi, la déca-
du Prophète) et les traités de jurisprudence. Mais, grâce à Dieu, un tel dence actuelle de la civilisation occidentale post-chrétienne, athée, repro-
mélange n’a pu avoir lieu, et l’Islam est resté, pour cette raison, une reli- duit les formes de vie et les usages que les païens grecs et romains avaient
gion capable de progresser sans discontinuer depuis son apparition, alors avant l’avènement du Christianisme. Un des aspects les plus extérieurs en
que toutes les autres stagnent ou régressent. est la tenue vestimentaire qui tend vers la nudité (comme dans l’antiquité
La science utile est celle qui nous rapproche de Dieu. Le Tahwid, c’est gréco-romaine), et vers le spectacle de la violence, de l’immoralité, de l’ob-
à dire la science de l’Unicité de Dieu, est le but de toutes les sciences scénité. Il n’y a rien de « civilisé » dans ce retour à la barbarie. C’est la
religieuses. Toutes les sciences, sacrées ou profanes, furent explorées et pudeur, et la douceur106, plutôt, qui sont des marques de civilisation.
encouragées par les Musulmans, suivant le hadith prophétique : « Cherchez
la science jusqu’en Chine, s’il le faut, car la recherche de la science est un devoir
exigé de chaque Musulman, et les anges déploient leurs ailes au service de celui
qui cherche la science, pour lui satisfaire ses demandes ». (Ibn Abdoul Birr)
L’Islam produit une morale de l’action :
« L’homme n’obtient que [le fruit de] ses efforts ». (Coran 53,39)104.
Cette morale est aux antipodes du prétendu fatalisme passif reproché
par ses détracteurs. En effet, il n’existe pas, en Islam, de divorce entre reli-
gion et science, entre foi et action, comme cela avait pu se produire en
Occident dans les siècles passés. L’Islam est une voie du juste milieu qui théistes, puisqu’ils font du diable une puissance co-éternelle à Dieu, alors qu’il n’est qu’un
établit un équilibre entre tous les aspects de l’existence. L’Islam est égale- djinn créé par Dieu, mortel, et que « sa ruse est faible » dit le Coran. L’influence du mani-
ment à l’opposé du Manichéisme qui, bien que farouchement combattu chéisme sur le christianisme porte essentiellement sur la morale sexuelle et tous les plaisirs
par les Chrétiens, les marqua néanmoins de son empreinte pernicieuse. terrestres, regardés comme suspects, même quand Dieu a clairement établi leur caractère
Cette influence est toujours perceptible dans certains aspects de la mental- licite, à condition bien sûr d’en user avec modération et dignité.
106 - La douceur en Islam est une chose très importante. La brutalité, l’arrogance, la vio-
104 - Trad. d’après M. Hamidullah. lence injuste, sont étrangères à la nature de la religion que Dieu a agréée, y compris pour
105 - Selon Mani (ou Manès), il n’existe pas Un, mais deux principes fondamentaux co- Lui-même, puisqu’Il S’est imposé à Lui-même la Miséricorde. Dans un Hadith Qudsî, Il
éternels, l’un bon, l’autre mauvais. Selon lui, l’homme, étant un mélange de ces deux prin- dit : « En vérité, voici une religion que J’agrée pour Moi-même. Ne lui conviennent que la
cipes, la chair est donc diabolique, ainsi que la procréation. La morale proposée par ce faux générosité et le caractère noble. Honorez-la donc par ces deux vertus tant que vous la sui-
prophète est faite pour des anges et non des hommes. Extrêmement persécutée par les vez » (Rapporté par Jabir Ibn ‘Abd Allâh). Même à l’égard du tyrannique Pharaon, Dieu
Mazdéens puis par les Chrétiens, sa secte a fini par disparaître. Les dualistes sont des poly dit à Ses Envoyés Moïse et Aaron : « Parlez-lui gentiment » (Coran 20,44).

90 91
PARTIE III
La Transmission des Ecritures Sacrées

La Transmission de l’Ancien Testament . . . . . . . . . . . . . . . . .94


L’ancienneté des Textes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .95
La disparition de la Torah et le miracle d’Esdras (Ozaïr) . . . . . .99
Pourquoi Dieu n’a t’Il pas conservé la Torah intacte ? . . . . . . . .104
Le Peuple élu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .106
Continuité et modifications des lois révélées . . . . . . . . . . . . . .109
La Transmission du Nouveau Testament . . . . . . . . . . . . . . . .118
La rupture de l’Engagement (Mîthâq), Pacte, Alliance, Testament
(Divisions subséquentes et déclin spirituel de l’Occiden)t . . . . . . .126
La Transmission du Sceau des Messages : le Coran . . . . . . .144

93
LA TRANSMISSION DE L’ANCIEN TESTAMENT L’ANCIENNETÉ DES TEXTES

Part. III - Chap. I Part. III - Chap. II

On a vu dans la partie précédente la liste des titres que contient - La Torah (ou Pantateuque), attribuée à Moïse (et certaines parties à
l’Ancien Testament Hébraïque (TaNaK) et comment les Chrétiens ont Josué) devrait donc avoir au moins 3300 d’âge. Mais les historiens chré-
chamboulé cette liste et ajouté des apocryphes pour former la première tiens actuels contestent cette ancienneté et proposent des dates plus
partie de leur Bible : la version Chrétienne de l’Ancien Testament. récentes, généralement trois siècles plus tard (ou d’avantage encore) que ce
Le legs juif est donc d’une tradition plus ancienne et probablement plus qu’affirmaient les traditions juive et chrétienne anciennes.107
sûre que le legs chrétien, concernant l’Ancien Testament. Cela ne signifie Les historiens chrétiens se basent, à l’appui de leurs affirmations, sur des
pas que la Bible Juive soit exempte d’altération. études scientifiques analytiques des textes. Ils ont abouti à une théorie qui
La première traduction de l’Ancien Testament, de l’Hébreu vers le Grec, décèle l’existence de sources diverses (et parfois divergentes) dans la com-
fut fait par soixante dix (ou soixante-douze) scribes et savants juifs hel- pilation définitive du texte de la Torah. Ils nomment ces sources diverses
lénisés, d’où le nom de « Septante » de cette première traduction. Puis les de la façon suivante :
traductions en latin furent faites d’après la Septante grecque, et d’autres - Le document « élohiste », ainsi nommé parce que Dieu y est appelé
directement de l’hébreu, d’où des différences d’interprétation anciennes Elohim, pluriel de respect d’Eloha, mot hébreu qui signifie Dieu, et qui est
dès ces époques reculées. apparemment de la même racine sémitique (en araméen : El) que le nom
de Dieu en arabe, Allâh.
- Le document « yavhiste » où le nom de Dieu s’écrit en un
Tétragramme : YHWH, imprononçable dans la tradition juive, sous peine
de malédiction. La traduction de ce Tétragramme est « Je Suis Celui Qui
Est » ou « Je Suis Qui Je Suis ». Lors de la lecture de la Torah, les Juifs rem-
placent ce mot par Adonaï (mot d’origine grecque), qui signifie simple-
ment : Seigneur.

107 - A ce propos, nous avions fait une erreur de calcul dans ces datations dans notre pre-
mier ouvrage : La Torah, l’Evangile, le Coran. Mais nous nous sommes aperçus également
que la plupart des savants Juifs et Chrétiens sont encore plus critiques sur ces datations, et
la majorité d’entre eux pensent maintenant que ces Textes de l’Ancien Testament ont été
rédigés à des périodes encore plus tardives que nous ne pensions. La « Torah » initiale est
donc bien bel et bien perdue et il n’en subsiste plus que des « échos » déformés par les
hommes : c’est la conclusion générale des spécialistes chrétiens en la matière. C’est dire qu’ils
vont encore plus loin que les Musulmans qui affirment que ces textes sont seulement alté-
rés, mais reflètent quand même une certaine vérité. Nous nous acheminons vers une époque
où les Musulmans seront de fait les derniers défenseurs des Textes bibliques auxquels ni les
Juifs ni les Chrétiens ne croiront plus du tout. Un comble !

94 95
Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

- Le document « deutéronomique », dénotant un style différent du reste communauté israélite. La version actuelle de la Torah est donc également
du Pantateuque. Il est surtout présent dans le livre du Deutéronome le témoin du martyre de tout un peuple, d’une grande catastrophe spir-
(« Voici les paroles ») qui est le dernier livre de la Torah. ituelle, et en même temps la preuve de l’héroïsme de jeunes croyants face
- Le document « sacerdotal », attribué à des prêtres, composé de com- au désastre.
mentaires et d’additifs historiques, rituels et juridiques, puis mélangé au On pourrait conclure, après tout ce qui vient d’être dit, que l’Ancien
texte de la Torah initiale. Testament n’est qu’un fatras inutilisable d’un point de vue religieux. Il
Il y a donc un consensus, au-delà des confessions, sur cette idée que la n’en est rien, et Dieu Lui-même, dans le Coran, désigne ces Ecritures
Torah originelle n’était qu’un écrit assez court, contenant les paroles de antérieures, à l’attention des Juifs et des Chrétiens, afin qu’ils s’y guident.
Dieu, descendues sur Moïse durant sa retraite sur le mont Sinaï. Puis au (Cf. Coran 5,47 et ailleurs).109
cours des péripéties parfois dramatiques de la communauté juive au cours Et je peux confirmer personnellement que c’est parce que je croyais déja
de son histoire antique, cette Torah initiale fut augmentée de paroles dans la Bible (étant d’origine chrétienne), que j’ai cru au Coran et au
prophétiques, des actes de Moïse, de recommandations, d’exhortations, de Prophète Mohammed, et que je suis ainsi devenu Musulman, par la grâce
législations de toutes sortes, de recherches généalogiques et de comptes de Dieu, exalté et magnifié soit-Il.
rendus historiques, pour donner TaNaK, la « Torah » actuelle. Par ailleurs, grâce au Coran, Dieu nous a donné une Lumière capable
D’où proviennent ces différentes sources ? de lire et de comprendre ces textes et d’en préserver le sens originel (Cf.
Cette compilation aurait été définitivement effectuée après le retour des Coran 5,48 et ailleurs).110
Juifs de leur dernière grande déportation à Babylone, déportation qui eut Des altérations sont certes présentes dans ces textes. Le Coran nous per-
lieu en l’an 587 avant J.-C. et dura soixante-dix ans. met donc de les déceler et surtout il nous permet d’élaborer une exégèse
On peut dire aussi que c’est à cette période que le texte initial s’est prob- orthodoxe de ces textes, ainsi que l’a fait notre grand Imam al-Ghazali
ablement grandement altéré par l’addition de sources différentes, entraî- dans son ouvrage : « Réfutation excellente de la divinité de Jésus, Contestation
nant un oubli de la différentiation primordiale entre la Torah proprement de la trinité, et fondement théologique du dialogue islamo-chrétien ».
dite et les documents additionnels postérieurs. En effet, les Juifs, vaincus Cette version actuelle de la Torah (comme des évangiles) doit donc être
par les Mésopotamiens, furent déportés durant environ 70 ans (soit deux regardée avec respect, comme l’écho d’une parole Divine dans une vaste
générations) à Babylone, loin de leur terre natale et berceau de leur civili- oeuvre, surtout humaine certes, mais pathétique et héroïque, car nous
sation. Le Temple de Jérusalem fut rasé, les ustensiles Sacré du temple, savons qu’au milieu de ces paroles humaines siègent des paroles authen-
fondus, les Rabbins et scribes massacrés, leurs livres brûlés, les hommes tiques de Dieu, qu’on retrouve d’ailleurs confirmées pour beaucoup dans
valides (en état de combattre) tués, leurs femmes et leurs enfants déportés le Coran. Il n’était pas facile pour les Gens du livre de faire la distinction
et réduits en esclavage. entre ces paroles, en l’absence de cette lumière coranique qui permet de
Mais, avec la venue du prophète Daniel, le sort de la communauté distinguer clairement la vérité de l’erreur. C’est pourquoi le Coran est
déportée s’améliora peu à peu et les Juifs purent à nouveau, grâce à Cyrus appelé Furqân (le différenciateur, le discernement, la distinction). Et Dieu
le Grand108, Roi de Perse, se rétablir en Palestine. nous demande de ne pas user de contrainte à l’égard des Gens du Livre,
Mais toute l’ancienne génération était morte. Il ne restait plus du texte mais de les laisser réfléchir à ce que dit le Coran. Ils peuvent se convertir ou
sacré que des bribes divergentes apprises par des jeunes, dans la clandes- conserver librement leur ancienne religion, sans être inquiétés, car dit-Il :
tinité, auprès de vieillards souvent ignorants, puisque tous les rabbins et « Point de contrainte en religion. La vérité se distingue de l’erreur. Celui
scribes étaient morts. Des regroupements s’opérèrent, chacun apportant sa qui renie Taghût (l’idole) pour croire en Dieu, s’est saisi du lien le plus solide,
version et ses souvenirs, les fixant dans des documents qu’il fallut har- [un lien] qui ne peut être rompu. Dieu entend et sait tout ». (Coran 2,256)
moniser. Des compromis eurent donc lieu entre les tenants de ces divers « Béni soit Celui qui a révélé [graduellement le Livre de] la Distinction
documents, pour cimenter la nouvelle cohésion de ce qui restait de la (Furqân) à Son serviteur pour faire de lui l’avertisseur des mondes ».
(Coran 25,1)
108 - Cyrus. Ancêtre présumé de la dynastie Palhavie d’Iran. Il est considéré par la Ceci grâce à l’ultime éclairage du Message final de Dieu, le Coran, qui
Tradition Juive comme un Messie, bien que non Juif. Messie signifie Oint de Dieu, celui
qui a reçu l’Onction sacrée (une onction d’huile sur le front), généralement passée par un 109 - « Que les Chrétiens jugent d’après ce qui est révélé dans l’évangile ! Ceux qui ne
prophète ou un grand-prêtre pour la désignation ou le sacre d’un Roi, dans la Bible. En jugent pas d’après ce que Dieu a révélé, sont des pervers ».
Grec, Messie donne Chrestos (Christ). Par extension, il désigne un homme choisi par Dieu 110 - « Il a révélé le Livre [contenant] la vérité pour confirmer l’Ecriture antérieure et la
pour les guider et les sauver. préserver de toute altération ».

96 97
Moïse, Jesus et Mohammed

est un Rappel des Messages antérieurs, venu les confirmer et les préserver LA DISPARITION DE LA TORAH ET LE « MIRACLE »
de toute altération. D’ESDRAS (Ozaïr)
Si nos frères dans la Tradition Abrahamique (les Gens du Livre) accep-
taient l’apport salutaire de cette lumière coranique, ils pourraient enfin
sortir des ornières d’une exégèse déformante, et lire leurs legs scripturaire
d’un oeil nouveau, et ainsi toute divergence serait aplanie entre les enfants
d’Abraham.

Part. III - Chap. III

Les Livre des Rois et des Chroniques relatent plusieurs déportations des
Juifs en Mésopotamie, ainsi que l’occultation de la Torah durant plusieurs
décennies. La première déportation eut lieu sous le Roi Osée, Roi d’Israël,
un mauvais roi, selon la Bible, un roi tombé dans le polythéisme.
Nous lisons dans le Deuxième Livre des Rois (2 Rois 17,6) :
« La neuvième année [du règne] d’Osée, le Roi d’Assour prit Samarie et
déporta les Israélites en Assour » (Assyrie, Irak actuel). Ces Israélites sont
alors remplacés par des colons Babyloniens (Rois 17,24).
La deuxième déportation eut lieu sous le règne d’Ezéchias, Roi de Juda
(Israël et Juda, les deux royaumes juifs ennemis, étaient en guerre per-
pétuelle, ce qui faisait le jeu de leurs ennemis communs).
En 2 Rois 18,11, nous lisons : « Le Roi d’Assour déporta les israélites en
Assour et en Médie » (nord-ouest de la Perse).
Mais il restait encore quelques Juifs au milieu des colons étrangers, dans
les deux royaumes vaincus. Ensuite, régna Manassé, Roi de Juda, fils
d’Ezéchias, vassal d’Assour, à Jérusalem, durant cinquante-cinq ans. (2
Rois 21). Manassé, fut un roi idolâtre et pervers, selon la Bible. Il adora
Baal et toutes les idoles de Palestine et d’ailleurs. Il sacrifia son propre fils
sur le feu de l’autel d’une idole, pour obtenir des faveurs. Il pratiqua l’as-
trologie (2 Rois 21,6), la magie, la nécromancie et favorisa les devins,
toutes choses interdites par la Loi de Moïse (Torah).
Il introduisit l’idole Achérot (Astarté) dans le Temple de Salomon. Il
égara son peuple « de sorte qu’ils firent le mal plus que les nations qu’avait
anéanties Dieu devant les fils d’Israël » (2 Rois 21,9). La tradition Juive lui
reproche en outre d’avoir fait mourir le Prophète Isaïe (ou Esaïe) en le
faisant scier en deux, parce que ce dernier avait prophétisé la fin de
l’Election Divine d’Israël, comme nous le verrons plus loin.
La Colère de Dieu s’éleva donc contre ce roi et ce peuple pervertis : « Ils
n’ont cessé de M’indigner depuis le jour où leurs pères sont sortis d’Egypte »
(2 Rois 21,15).
Manassé poussa la mécréance jusqu’à interdire la Torah. Les Livres
sacrés furent ainsi détruits, avant même l’invasion des Babyloniens.
98 99
Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

Plus tard, au retour d’exil, Esdras ou Ezra (Ozaïr en arabe) réorganisa la Aussitôt, Josias fait détruire toutes les traces d’idolâtrie, interdire les sac-
communauté des survivants et fit une rédaction, de mémoire, de la Torah, rifices humains et la prostitution « sacrée » dans les temples. Il fait brûler
ce qui fut considéré comme un miracle par ses disciples. Il fut appelé « fils les statues des idoles, et même les ossements des tombes des idolâtres (2
de Dieu » et même « dieu », comme avaient été déjà appelés métaphorique- Rois 23).
ment des prophètes et des saints juifs avant lui. Mais certains de ses disci- Cette pénitence écarte momentanément la Colère de Dieu. Josias a
ples les plus ignorants prirent ces titres pour « argent comptant » et le honte de la conduite de ses pères et veut faire expiation pour eux. C’est
divinisèrent après sa mort.111 ainsi qu’il fit restaurer au mieux le Temple que son père Amon et son
« Les Juifs disent : « Ozaïr est fils de Dieu » et les Chrétiens disent : « L’Oint grand-père Manassé avaient négligé et rempli d’idoles.
(le Messie Jésus) est fils de Dieu ». Voilà ce qu’ils disent de leur [propre] bouche. Josias le repenti, et malgré ses erreurs anciennes dues à son ignorance de
Ils ressassent les assertions des impies qui les ont précédés. Dieu les confonde ! la Torah qui était perdue, devait finalement trouver sa justification dans le
Comme ils se trompent ! ». (Coran 9, 30 à 33) martyre. Selon la Bible, il est tué en combattant l’agression des idolâtres
L’intégrité du texte de la Torah était donc réellement compromise, mais égyptiens du Pharaon Nechao.
il semble que des Rabbins fidèles réussirent à en cacher des parties dans les Nechao place alors Joïaqim, fils de Josias, sur le trône. Et ce Joïaqim
ruines du Temple. Un rouleau de la Loi fut en effet retrouvé quelques retombe dans l’idolâtrie de Manassé l’apostat.
décennies plus tard, sous Josias, petit-fils de Manassé (selon la Bible). A Les Mésopotamiens, ennemis de l’Egypte, envahissent à nouveau la
moins qu’il ne s’agisse là que du texte rédigé « de mémoire » par Ezra Palestine pour la soustraire à la domination égyptienne, et déportent à
(Esdras, Ozaïr en arabe). nouveau des milliers de Juifs. Il ne reste plus qu’un petit peuple israélite,
Après Manassé l’apostat, régna Amon, son fils, qui suivit la voie impie submergé par des colons de toutes nations, sur lequel règne un roitelet
de son père, selon la Bible. Il régna deux ans puis fut assassiné lors d’une placé par les babyloniens (2 Rois 24,17).
conspiration. Son fils Josias, âgé de huit ans, fut proclamé roi du royaume Ce roitelet imprudent, poussé par l’Egypte (qui ne lui enverra d’ailleurs
de Juda (2 R 22). Il régna trente et un ans. aucune aide) se révolte contre Nabuchodonosor. Ce dernier réagit aussitôt,
C’est dans la dix-huitième année de son règne, que fut découvert - dévaste la Palestine, rase totalement Jérusalem et son temple, massacre
durant des travaux - un rouleau de parchemin dans une salle secrète des tous les hommes, à l’exception de quelques vignerons asservis aux colons.
fondations du Temple, que des rabbins avaient dissimulée durant les per- Israël (et Juda) a disparu.
sécutions antireligieuses du roi Manassé (son grand-père impie). Le livre Tous les rabbins sont exécutés (2 Rois 25,18). La Palestine reste
est alors remis au grand-prêtre. dévastée durant soixante-dix ans (Chroniques 36,21).
Ce dernier, après en avoir pris connaissance, s’exclame : « J’ai trouvé le Dans les contrées de l’empire mésopotamien où ils sont déportés, les
livre de la Loi dans la Maison de Dieu ». (2 Rois 22,8) survivants sont dispersés, coupés les uns des autres. Là se joue une lente «
Se faisant lire le livre, Josias est stupéfait. Il consulte ce qui reste de résurrection » spirituelle, par la recomposition, de mémoire, de ce qui pou-
savants et de gens inspirés dans Israël, notamment une ascète nommée vait subsister de l’oeuvre de Moïse et de ses successeurs.
Houlda112, qui confirme l’extrême colère de Dieu contre Israël, et la néces- Soixante dix ans plus tard, Cyrus le Grand, Roi des Perses, conquiert
sité d’un repentir rapide pour sauver ce qui peut encore l’être. toute la Mésopotamie. C’est un monothéiste, bien qu’élevé dans la tradi-
Puis Josias fait lire le rouleau sacré devant tous les chefs de son peuple tion dualiste mazdéenne. En 539 avant J.-C. donc, il s’empare de
et les habitants de Jérusalem. L’angoisse les étreint. Babylone. Aussitôt, il fait libérer les Juifs. Beaucoup restent à Babylone,
Josias dit : « Grande est la fureur de Dieu contre nous, parce que nos pères mais beaucoup aussi retournent sur la terre de leurs ancêtres. Cyrus fait
n’ont pas obéi aux paroles de ce Livre ». (2 Rois 22,13) rebâtir le Temple de Salomon et garantit la liberté du culte israélite dans
tout son empire par un édit royal (2 Chroniques 36, 22-23).
111 - Le Coran fait allusion à ce fait (9,30). L’appellation « Fils de Dieu » était très cou- Mais les dégâts étaient certainement grands au niveau du Livre de la
rante dans l’Ancien Testament. Seuls des ignorants pouvaient penser qu’il ne s’agissait pas Loi. Plusieurs versions et documents disparates coexistaient, reflets de par-
là d’une métaphore. Mais comme les survivants de l’exil à Babylone avaient été élevés dans ties du texte originel, mais rédigés et compilés en dehors du contrôle de
l’ignorance, au milieu des idolâtres, certains d’entre eux tombèrent dans cette confusion, vrais savants, puisque tous les Rabbins et les scribes avaient disparu pen-
tout comme plus tard certains Chrétiens à l’égard de Jésus (sur lui la paix). dant des décennies. Les nouveaux savants qui émergeaient, malgré la
112 - La Bible l’appelle « prophétesse », mais il faut plutôt traduire par « prédicatrice ». Le meilleure bonne volonté, n’auraient pu conserver un Livre religieusement
mot Nabi n’a pas les mêmes connotations dans le Judaïsme et dans l’Islam. La définition utile, sans la grâce de Dieu, qui envoyait très régulièrement des Prophètes
islamique de ce terme est beaucoup plus précise. en Israël pour les guider et leur rappeler l’essentiel de la Loi. Mais beau-
100 101
Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

coup de ces Prophètes furent persécutés ou tués, et leurs livres ne furent rassemblé tout ce qu’il y avait d’authentique, dans Ses Messages antérieurs,
acceptés dans la Bible que parfois longtemps après leur mort, sans garantie pour le mettre dans le Coran. Ainsi Sa Parole Incréée est inaltérable,
absolue d’authenticité. puisque Lui-Même s’en est fait Le Gardien :
C’est à ce moment qu’intervient Ozaïr (Ezra ou Esdras) qui réorganise « C’est Nous qui avons fait descendre le Rappel, et c’est Nous qui en sommes
la communauté et recompose « miraculeusement » de mémoire une « le Gardien (al-Hâfizoûn) » (Coran 15,9)115.
Torah ». Ce « miracle », personne alors ne peut en certifier l’authenticité, Tout passe en ce monde, sauf le Visage de Dieu - Exalté et Magnifié
puisque l’ancienne version de la Torah était perdue et qu’il n’y avait plus soit-Il.
de témoin ni de « gardien » du texte initial. Des ignorants déifièrent ainsi Il en est des Messages antérieurs comme des civilisations anciennes.
Ezra après sa mort. C’était la première fois qu’un Prophète d’Israël était Dieu a dit dans le Coran :
ainsi divinisé ; les idolâtres parmi les enfants d’Israël n’ayant fait jusque là « Nous te faisons là le récit de ce qui est arrivé aux cités [que Nous avons
qu’adopter des « divinités » étrangères. frappées]. Les [vestiges des] unes sont encore debout, tandis que d’autres ont été
Il découle de tout cela qu’on ne peut évidemment pas affirmer que [complètement] rasées.
l’Ancien Testament qui nous est parvenu soit la « Parole » directe de Dieu, Nous n’avons pas traité injustement leurs habitants. Ce sont [ces derniers]
loin s’en faut. Il n’y a que dans quelques sectes chrétiennes aussi récentes qui se sont lésés eux-mêmes. Les divinités qu’ils invoquaient en dehors de Dieu
que mal informées, qu’on trouvera ce genre d’affirmation sans fondement ne leur servirent à rien, lorsque l’ordre de ton Seigneur fut donné, sinon à
scientifique. Les spécialistes Juifs et Chrétiens de ces textes admettent ce aggraver leur perte.
fait irréfutable que ces textes sont tous de « seconde main », et donc sujets Telle est la riposte de ton Seigneur, quand Il porte un coup aux cités conva-
à des contradictions et à des erreurs. incues d’iniquité. Son coup, est, en vérité, douloureux, violent.
Certaines sectes, disais-je, n’acceptent pas cela. Je pense notamment aux Il y a en ces récits, certainement, un enseignement pour la vie future. Ce
« Témoins de Jéhovah » qui affirment que Dieu ne peut pas laisser Sa sera un Jour où les hommes seront réunis. Ce sera un Jour solennel.
parole s’altérer. Dieu peut tout ce qu’Il veut. Et d’ailleurs, cela n’est pas Nous ne le retardons qu’en raison de la pré-fixation de son terme ».
dramatique, puisque le Coran est là. Mais ils prétendent (à l’instar des (Coran 11, 100 à 104)
Chrétiens du temps des Croisades) que le Coran est « la plus belle oeuvre Et Louange à Dieu, souverain de l’univers.
de Satan » ! Pureté à Dieu ! Comme si Satan avait jamais pu créer quelque
chose ! Dieu seul crée113, et d’ailleurs le Coran est incréé, car Dieu ne « crée
» pas Sa propre Parole, mais c’est par Sa Parole qu’Il crée.
Et si, comme ils l’affirment, Dieu ne laisse jamais altérer un de Ses
Messages antérieurs, qu’ils nous montrent alors les Livres d’Hénoch (pour-
tant mentionnés dans le nouveau Testament, dans l’Epître de Jude), ainsi
que les Feuillets d’Abraham, etc.114 Quant aux évangiles, tout Chrétien
sait que Jésus n’a rien écrit ni commandé d’écrire. De sa vie et de ses
paroles ne restent que des « évangiles » différents et souvent contradic-
toires, rédigés comme aide-mémoire par des disciples des apôtres, à leur
propre initiative.
En réalité, Dieu ne conserve que ce qu’Il veut. Tout est périssable, sauf
Lui. Sa Parole (Verbe) est un de Ses attributs essentiels, et non pas une
création. Sa Parole est donc « incréée » par nature. Mais elle peut être
oubliée et déformée par les hommes, dans ce cas elle n’est plus La Parole
de Dieu, mais son simple reflet chez les hommes. C’est pourquoi Dieu a

113 - En fait, cette secte est néo-manichéenne, car elle surévalue la puissance du Diable,
le croyant même capable de « créer ».
114 - Epître de Jude, 14. La Tradition islamique affirme que Dieu a révélé plus de cent
livres : dix à Adam, cinquante à Seth, trente à Idriss (Enoch), dix à Abraham, dix à Moïse
(dont la Torah), puis les Psaumes (Zabûr), l’Evangile et enfin le Coran. 115 - Traduction M. Hamidullah.

102 103
Moïse, Jesus et Mohammed

POURQUOI DIEU N’A-T-IL PAS CONSERVÉ LA TORAH à l’œuvre dans toutes ces lois naturelles que nous subissons et que seul un
INTACTE ? miracle peut suspendre.
4 - Le Coran est ce miracle. Etant le Message définitif, Dieu l’a protégé
plus que tout autre, et a laissé les autres s’altérer, dans les mains corruptri-
ces des hommes, et dans les soubresauts de leur histoire mouvementée, afin
que seul le Message final demeure intact, comme Loi, comme autorité uni-
verselle unique jusqu’à la fin du monde.
Regardons maintenant les conditions matérielles et historiques qui ont
empêché la conservation des Messages antérieurs. Peu d’hommes dans l’an-
Part. III - Chap. IV tiquité savaient lire. Les langues écrites étaient peu nombreuses et les lettrés
étaient minoritaires dans tous les peuples. De plus, les langues évoluaient
vite en raison de cette non fixation scripturaire. L’écriture est en effet tou-
jours « normative » et « fixatrice » d’une langue. Par exemple, l’arabe, dit lit-
Lui Seul le sait, bien sûr, mais on peut citer quelques explications possi- téral ou classique, a été définitivement fixé par le Coran lui-même. Avant ce
bles, que nous avons déjà abordées rapidement. Livre, peu d’Arabes écrivaient cette langue, sa grammaire n’était pas partout
1 - Tout d’abord, ce que Dieu nous donne est toujours pur, comme nous la même, et le vocabulaire changeait vite dans le temps et dans l’espace. Du
le sommes nous mêmes à notre naissance, et c’est l’humanité qui altère la nord au sud de l’Arabie, la communication n’était pas toujours facile. Le
création, tout comme elle laisse disparaître l’œuvre et même le souvenir des dialecte de La Mecque (Qoraychite) était le plus utilisé dans le commerce,
Prophètes116. La disparition du Coran (par la disparition des savants), lors car cette ville était le carrefour de toutes les pistes caravanières de la pénin-
de la fin des temps, a été annoncée par le Prophète. N’accusons donc pas sule. Et en faisant descendre le Coran dans ce dialecte Qoraychite, Dieu l’a
Dieu de nos propres fautes, même s’Il nous laisse les commettre afin que ainsi sacralisé, officialisé, fixé et répandu dans toute l’Arabie et au-delà.
s’avère le fond de nos cœurs. Mais laissons là ce faux dilemme entre la On voit donc qu’il faut un certain degré de maturité, de développement
Prédestination (ou prédétermination) par Dieu, et le libre arbitre relatif à technique et de stabilité politique (favorisant le commerce et les échanges
l’homme, car cela dépasse l’intellect du plus érudit des savants, et le culturels) pour qu’une écriture puisse se généraliser et pour qu’un texte
Prophète nous a conseillé d’éviter toute discussion inutile sur ce sujet puisse être assuré d’être conservé. Ces conditions n’étaient pas partout réu-
inépuisable. nies dans l’antiquité, excepté dans les métropoles impériales. Mais elles le
2 - La Torah est une loi adressée avant tout à un peuple bien particulier, furent plus largement, au moment de la descente du Coran, au début du
préféré de Dieu pendant longtemps, appelé à conserver sa religion, et 7ème siècle après Jésus-Christ. Les civilisations avaient fait des bonds
éventuellement à la transmettre à ses voisins. Mais les Juifs, n’ayant pu importants, avec les Indiens, les Chinois, les Mésopotamiens, les Egyptiens,
porter que difficilement le fardeau de cette loi, furent bien incapables de la les Grecs, les Romains, les Perses, etc. L’humanité était alors matériellement
donner à d’autres. Et Dieu le savait avant d’avoir créé toute chose. prête à recevoir et à conserver un Message Divin définitif.
3 - Les conditions objectives, matérielles, culturelles, morales, etc., n’é- L’invention de l’imprimerie, la vulgarisation de l’écriture, le progrès des
taient pas réunies dans la haute antiquité, pour une parfaite conservation moyens de communication et de transport, ont changé matériellement le
des Livres antérieurs au Coran. Et ils ont tous, soit disparu, soit été altérés. monde et l’on comme « rapetissé ». L’ultime Message surclasse les législa-
Les plus anciens sont effacés (livres d’Hénoch, de Noé, d’Abraham), les plus tions antérieures en tenant compte de ce nouvel ordre mondial, à l’aube des
récents sont endommagés (Torah, Psaumes, Evangile). L’homme seul n’est temps modernes, après l’œuvre fédératrice et « civilisatrice »117 des grands
pas en cause. Il y a également l’effet des forces de la nature que Dieu a créée, empires que furent Rome, Byzance, la Perse, etc.
avec ses lois, ses rapports de causalité, ses contingences incontournables.
C’est pourquoi tout s’use, tout passe. Les monuments grandioses qui ont 117 - Dans l’ordre quantitatif surtout, car la dégénérescence spirituelle universelle était déjà en
fait l’orgueil des anciens ne sont plus que monticules de poussière balayés cours. On peut noter d’ailleurs, que le gigantisme architectural d’une civilisation correspond
par le vent, des repaires de renards et de fantômes. C’est Sa volonté qui est généralement à sa phase de plus grande décadence morale (qui est une conséquence de sa déca-
dence spirituelle). Les manifestations extérieures, en ce domaine comme en d’autres, sont donc
116 - Sur les cent-vingt-quatre mille Prophètes (dont trois cent treize Envoyés ou inversement proportionnelles à l’état spirituel d’une civilisation donnée. C’est un fait qui a
Messagers) qui ont existé entre Adam et Mohammed (sur eux tous la Grâce Divine et la échappé à la plupart des observateurs modernes. Mais comment pourrait-il en être autrement,
Paix), l’humanité n’a conservé que les noms de quelques dizaines. puisque seul le quantitatif et le matériel constituent à leurs yeux les marques d’une «civilisation».

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Moïse, Jesus et Mohammed

LE PEUPLE ELU (Genèse 49,10) que la loi restera entre les mains des fils d’Israël (ou Juda)
jusqu’à la venue de Chiloh (« celui » auquel les peuples obéiront). Le
« Chiloh » en question ne correspond d’ailleurs pas à un nom propre mais
indique seulement : « celui », c’est à dire celui qui ne sera pas de la descen-
dance de Juda (fils aîné d’Israël et qui a donné son nom à toute la commu-
nauté : Judaïsme, Juif, etc.) et auquel les peuples obéiront. Or, Jésus ne peut
être celui-là, car il est descendant de Juda, selon les évangiles. Par ailleurs,
toujours d’après la Bible, Moïse a précisé que ce Prophète à venir surgira
d’entre les frères d’Israël (c’est à dire les fils d’Ismaël) et non parmi les fils
Part. III - Chap. V d’Israël. « Celui » qui est annoncé par Moïse (et au sujet duquel il indique
qu’il s’agit d’un prophète comme lui), ne peut être que Mohammed, car
dans la descendance des « frères » d’Israël, il n’y a personne d’autre que lui
qui corresponde à ce signalement.
La préférence de Dieu pour la descendance d’Israël a été effective depuis le Nous traiterons plus en détail ce sujet dans un prochain chapitre du
Prophète Jacob jusqu’au Prophète Jésus, le Messie que les Juifs rejetèrent vio- présent ouvrage. Pour le moment essayons de comprendre pourquoi Dieu
lemment. Cette préférence Divine est confirmée par Dieu dans le Coran à a retiré Sa préférence à Israël, à partir de la malédiction proférée par Jésus
maintes reprises : contre les infidèles et les hypocrites, malédiction qui a entraîné la dispersion
« Enfants d’Israël ! Rappelez-vous les bienfaits dont Je vous ai comblés. d’Israël et la nouvelle destruction, finale cette fois, du Temple de Salomon.
[N’oubliez pas que] Je vous ai donné la préférence sur les peuples de la terre ». La préférence Divine avait été acquise par les fils d’Israël en raison du car-
(Coran 2,122) actère exceptionnel de leur lignée prophétique. Ils ont en effet, non seule-
« Souvenez-vous] lorsque Moïse dit aux Juifs : « O mon peuple ! rappelez-vous le ment reçu de Dieu un très grand nombre de prophètes (même si ces
bienfait de Dieu à votre égard : Il a choisi des prophètes parmi vous et a fait de derniers n’ont pas toujours été bien accueillis, et parfois même tués), mais,
vous des rois. Il vous a accordé ce qu’Il n’a accordé à nul autre aux mondes ». et c’est là le plus important, il se trouve que quatre saints prophètes ont été
(Coran 5,20) les ancêtres directs de ce peuple, à savoir : Abraham, Isaac, Jacob-Israël et
Cette préférence (ou « élection » dans le langage des Gens du Livre) prit Joseph. C’est en effet tout à fait exceptionnel et sans doute unique dans
donc fin et passa provisoirement aux premiers Chrétiens, puis, après leur éga- l’histoire connue.
rement dans la « trinité » (qui est une scission contre le pur monothéisme), Dans le Coran, Dieu dit :
cette préférence Divine échut aux Musulmans : « O hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle ; Nous vous
« Vous êtes la meilleure communauté qui ait été donnée comme exemple aux avons répartis en peuples et en tribus. Le plus noble d’entre vous auprès de Dieu
hommes : vous recommandez les bonnes actions et réprouvez ce qui est répréhen- est le plus pieux. Dieu est omniscient, en vérité, et bien informé ». (Coran
sible et vous croyez en Dieu. Il eût mieux valu pour ceux qui détiennent l’Ecriture, 49,13).
de croire. Il y a parmi eux des croyants, mais les pervers sont en majorité ». Lorsque les Compagnons demandaient au Prophète Mohammed : « Quel
(Coran 3,110) est le plus noble parmi les humains ? », le Prophète répondait, conformé-
Nous venons de voir que la Torah avait été adressée à un peuple bien par- ment au Coran : « C’est le plus pieux ». Mais, comprenant le sens « inférieur
ticulier, et qui d’ailleurs ne chercha pas vraiment à sortir de son particula- » de leur question, le Prophète savait que cette réponse pouvait leur paraître
risme, mais devint plus une nation ethnique qu’une véritable nation reli- insatisfaisante, car les hommes font ordinairement entrer la notion de lig-
gieuse, comme l’est la Oumma islamique de nos jours.118 nage dans la définition de la « noblesse ». Cette définition purement
La Torah annonce, nous le verrons plus loin au sujet du « Chiloh » humaine, n’est pas Divine. Dieu ne retient que le critère de la piété. Mais le
Prophète connaissait cette connotation purement humaine du terme
118 - Le Christianisme fut plus « universel » que le Judaïsme, mais moins que l’Islam. Car « noble » ; aussi, après avoir répondu par le Coran, il ajoutait : « Au sens où
il n’y a aucun péjugé racial en Islam, contrairement aux tenants de la Bible qui considè- vous l’entendez, le plus noble, c’est Youssouf (Joseph).
rent les Noirs comme des êtres maudits par Noé (selon leur interprétation de la Bible). Les Pourquoi Youssouf ? En effet, Joseph est déjà noble par sa piété person-
Arabes (pré-islamiques) partageaient en partie ce préjugé judéo-chrétien. Mais Dieu et Son nelle, mais il est également fils d’un autre noble, Jacob-Israël, lui-même fils
Prophète le bannirent totalement de l’Islam. Les nations chrétiennes justifièrent longtemps d’un noble, Isaac, et lui-même fils du noble Abraham. Que la Grâce Divine
le trafic d’esclaves noirs, en se servant de ces préjugés racistes inspirés de la Bible. et la Paix soit sur eux.
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Moïse, Jesus et Mohammed

On comprend par cela même l’immense bénédiction dont a joui la CONTINUITÉ ET MODIFICATIONS DES LOIS RÉVÉLÉES
descendance d’Israël, au regard de cette quadruple noblesse accumulée à
l’origine même de son histoire.
C’est cette immense « Baraka » (Bénédiction Divine) qui a permis à
Jacob-Israël et Youssouf d’obtenir pour leur famille une telle sollicitude
Divine, à savoir l’envoi en grand nombre de prophètes, quasiment à
chaque génération, pour guider les Juifs et les purifier des prévarications et
trahisons dont ils se rendaient coupables.
En effet, on voit, rien que par les Livres des Rois et des Chroniques, que
la plupart des monarques Juifs furent infidèles, pervers, idolâtres. Et un roi Part. III - Chap. VI
est toujours un reflet de son peuple. Ces livres donnent une image épou-
vantable du peuple Juif, qui se livrait à toutes les abominations de ses
voisins polythéistes. Beaucoup de prophètes furent, au pire, assassinés, et,
au mieux, laissés de côté comme de vieux fous. Mais il y avait aussi, tou- La Loi Mosaïque (Torah) ne fut cependant pas abolie avec Jésus, mais
jours, une petite partie des fils d’Israël qui vivaient dans la droiture et la reconduite jusqu’à la descente d’une dernière législation délivrée par l’ul-
fidélité à Dieu. A cause de ceux là, tout croyant doit avoir une attitude time Envoyé Mohammed, sur lui la grâce Divine et la paix. Jésus, selon
respectueuse et bienveillante à l’égard des Gens du Livre en général, sauf à l’évangile de Jean, a annoncé ce futur Envoyé comme l’autre « Intercesseur
l’égard de ceux qui se montrent injustes et commettent des désordres sur », appelé Paraclet dans les traductions grecques des paroles de Jésus. Jésus
la terre. parlait araméen et ne peut pas avoir dit ce mot : « Paraclet » dans cette
Cette élection Divine des fils d’Israël, unique dans l’antiquité, a duré forme, mais forcément un autre mot (sans doute araméen), et qui semble
jusqu’à ce que la « coupe » de leur bénédiction se soit vidée, lorsqu’ils ont avoir signifié : Intercesseur, Avocat, Consolateur (tous des noms que la tra-
décidé d’assassiner leur ultime Messie, Jésus, et que personne ne s’est dition musulmane applique d’ailleurs au très louangé : Ahmad). C’est cet
dressé pour le défendre. A partir de là, ils ont encouru la colère Divine au Envoyé annoncé par Jésus, et dont le Coran dit que le nom sera « très
même titre que n’importe quelle autre nation pêcheresse et infidèle. louangé » (Ahmed, mot qui est devenu le nom céleste du Sceau des
Ils sont maintenant désignés, dans le Coran, par l’expression : « ceux qui Prophètes) qui est Mohammed (c’est à dire « celui qui est louangé »), sur
tombent » (Fatiha, 7). De quoi tombent-ils, sinon de cette haute station lui la grâce Divine et la Paix.
dans laquelle Dieu les plaçait durant le temps de cette longue préférence ? Par ailleurs, il se peut aussi que Jésus ait également utilisé un autre
« Pour avoir violé leur engagement, nié les signes de Dieu, assassiné sans terme qu’Intercesseur pour qualifier « l’autre Paraclet » à venir. Jésus a sans
droit les prophètes, déclaré que leurs coeurs étaient insensibles, alors qu’en réal- doute souvent parlé de ce futur sauveur, mais les apôtres n’avaient pas le
ité c’est Dieu qui les avait scellés en raison de leur incrédulité, [Nous les avons cœur à l’entendre, ainsi que le dit Jean dans son évangile, car ils étaient
maudits], et rares sont ceux qui parmi eux ont la foi ». (Coran 4,155) uniquement attachés à Jésus, et cette annonce du Consolateur à venir ne
les consolait pas vraiment, car elle ne leur faisait que leur rappeler le
prochain départ de Jésus. C’est comme quelqu’un à qui on parle du
Paradis, et qui s’en effraye, car cela évoque pour lui, préalablement, sa pro-
pre mort. Jésus a donc forcément utilisé plusieurs qualificatifs pour
désigner celui qui est toujours appelé « Paraclet » dans l’évangile de Jean. Il
est même absolument logique que Jésus ait annoncé le fait que cet Envoyé
de Dieu, qui établira la justice sur terre, sera pour cela même très louangé
par Dieu et par les croyants. C’est évident. Qui ne louerait pas son
sauveur, celui qui console les croyants de siècles d’humiliations et de per-
sécutions ? Quel coupable pardonné ne louerait pas son Avocat devant le
Juge ?
Jésus était venu, non pour abolir la Loi, mais pour tenter de sauver
Israël, et il n’a pu en sauver qu’un reste, un très petit nombre de disciples
(les Nazaréens) ; le peuple juif dans son ensemble, lui ayant été soit hos-
108 109
Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

tile, soit indifférent. Jésus se définit lui-mêrme comme « Paraclet » La vraie science est celle qui engendre la crainte de Dieu l’Omniscient :
(Intercesseur, Avocat), puisqu’il parle de l’Envoyé futur comme de « l’autre celui qui n’acquiert pas cette science n’est qu’un ignorant blâmable.
Paraclet ». Il est en effet, en tant que Messie envoyé aux Juifs, leur Avocat Certes, celui qui ne craint pas Dieu n’est pas `âlim (Savant) (119), quand
et Intercesseur auprès de Dieu, pour écarter d’eux la Colère de Dieu. Il est bien même il épuiserait toutes les disciplines de la science ».(120)
leur dernière chance. Mais que penser d’un accusé qui tente de tuer son Le Coran fait allusion aux allégements de la loi par le Messie Jésus
propre avocat ? Que va faire de lui le Juge ? Le condamner durement et durant sa mission. Dieu donne la parole à Jésus dans le Coran, en ces ter-
l’exiler. mes :
« Les Juifs et les Chrétiens disent : « Nous sommes les fils de Dieu et ses amis ! « [Je viens] confirmer la Thora [que vous avez reçue] avant moi, lever pour
« Demande-leur : « [S’il en était ainsi] pourquoi vous torture-t-Il pour vos vous certaines interdictions et vous apporter un signe de votre Seigneur.
péchés ? Non, vous êtes des hommes [faisant partie] de ce qu’Il a créé. Il par- Craignez Dieu et obéissez-moi.
donne à qui Il veut et Il châtie qui Il veut ! » A Dieu appartient la souveraineté En vérité, Dieu est mon Seigneur et le vôtre. Adorez-Le ! C’est une voie
des cieux et de la terre, ainsi que ce qui existe entre eux. Vers Lui [tend] le droite ! » (Coran 3, 50-51)
devenir ». (Coran 5,18) Ainsi, l’universalité de la Révélation Divine ne commence véritable-
Jésus ne crée pas vraiment une religion nouvelle, il n’inaugure pas un ment qu’avec Mohammed, sur lui la Grâce Divine et la Paix, et bien que
nouveau pouvoir, une nouvelle Loi, et il n’est donc pas le « Chiloh » des signes annonciateurs de cette universalité soient déjà décelables dans
annoncé par Moïse. Car Jésus est Juif et en tant que Prophète et Messie Juif, certaines paroles de Jésus, selon les évangiles.
il vient rénover et non innover, il vient purifier et sauver son peuple. Il avait La Torah s’applique donc principalement aux Juifs, et aux Chrétiens qui
allégé, pour ses disciples (qui étaient tous des gens simples, sans instruction en héritèrent mais la supportèrent encore moins. Paul l’abolit même de
religieuse), certains aspects contraignants de la Loi, comme on le ferait fait. Il n’était pourtant pas un apôtre direct de Jésus. Il n’avait pas connu
pour des enfants, pour le temps qu’il était parmi eux, car le temps pressait. Jésus. Paul était un ancien persécuteur des Chrétiens, un chef de la Garde
Le but de la Loi n’est que de préparer à recevoir la Vérité ; la Loi est un du Grand Sanhédrin (haute instance du Rabbinat Juif ) et un citoyen
chemin qui y mène, mais elle n’est pas une fin en soi. Devant l’urgence du Romain. Il se convertit à la suite d’une illumination sur la route de
salut, le Prophète Jésus a paré au plus pressé et a donc apparemment fait ce Damas. Puis il s’imposa comme fondateur d’églises en Anatolie et en
que les tenants de la lettre de la Torah (non de son esprit) n’ont pas accepté, Grèce et rivalisa avec les apôtres « judaïsants », Pierre (pourtant désigné
ce qui lui a valu une haine accrue des Rabbins et scribes, membres des deux chef par Jésus) et Jacques. C’est Paul qui produisit la rupture cultuelle et
sectes dominantes d’alors, les Saducéens et les Pharisiens qu’il traitait morale d’avec le Judaïsme afin de faciliter la conversion des « Gentils »
d’hypocrites. En fait, il ne dérogeait pas vraiment à la Loi en tant que telle, (c’est à dire des « illettrés », les non juifs en général, notamment les Grecs
comme on l’a vu pour l’épisode de la femme accusée d’adultère, mais c’est et les Romains) à ce qui devenait ainsi une « nouvelle religion ».
surtout les rajouts rabbiniques, les préceptes humains, qu’il écartait, La Torah fut donc une révélation dont le but était limité dans le temps
comme superflus et inadaptés à ce temps de crise spirituelle profonde. Il a et dans l’espace, destinée à une communauté bien déterminée, loi qui n’est
choisi des hommes, certes peu instruit de cette « science » exotérique qui fai- pratiquement plus appliquée par les Juifs (même en Israël), et encore
sait la fierté des Pharisiens, mais qui n’est d’aucune utilité si l’on n’a pas au moins dans la communauté chrétienne qui s’en prétend pourtant l’héri-
préalable acquis la vraie science, celle qui nous fait voir nos défauts en face, tière. Certes, Paul et les autres apôtres réprouvent le péché. Ils exigent
surtout les plus cachés et les plus insidieux. C’est cette science vitale que même un idéal de vie quasi-surhumain. On peut dire qu’à certains égard,
Jésus s’est appliqué à inculquer à ses disciples, avant ce qui lui paraissait à leur Loi est encore plus sévère que la Torah. Mais puisqu’ils ne disposaient
juste titre comme secondaire. Car tous les rituels religieux du monde n’ont d’aucun pouvoir temporel (et ne le recherchaient pas), leurs recommanda-
qu’une seule utilité : nourrir et protéger la Foi, qui est avant tout patience, tions restaient souvent des vœux pieux dans les églises qu’ils fondaient.
pureté et charité. Le « talmudisme » est l’étouffement de toute religion. La Car, pour eux, et surtout pour Paul, le « sang » de Jésus avait déjà lavé les
communauté musulmane n’est pas non plus à l’abri de ce danger qui a fait péchés du monde, et seule la foi, finalement, suffisait au salut. L’ancienne
achopper les communautés antérieures. C’est pourquoi les Savants de Loi était comme morte. On peut estimer que l’interprétation de Paul est
l’Islam, depuis l’origine, et en passant par Junayd, Jilanî, Ghazalî, Chadhilî, déjà fortement déviante par rapport aux paroles de Jésus consignées dans
Tidjanî et jusqu’à nos jours en la personne du Maître spirituel, Khadimou
Raçoul (le « Serviteur du Messager »), ont dit : 119 - Coran 35,28 : « Seuls les savants redoutent Dieu, parmi les serviteurs ».
« Il y a des savants qui n’auront, pour récompense, le jour du Jugement, que 120 - Cheikh Ahmadou Bamba : Massalik al-Jinân (Les Itinéraires du Paradis).
châtiment et réprimande. Traduction de Serigne Same MBaye.

110 111
Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

les versions évangéliques. A sa suite, les déviations par rapport au message promis (même apparemment défavorables) que les combats, afin d’étein-
évangélique ne firent que s’amplifier, pour aboutir, à l’orée du quatrième dre les conflits au plus tôt. C’est cette sounna, aux antipodes du « terror-
siècle, à l’hérésie trinitaire. Puis, après la prise du pouvoir politique, à une isme », qui doit nous servir d’exemple. Et par la grâce de Dieu, il fit de ce
intolérance et une agressivité unique dans l’histoire des religions. Ne pou- peuple disparate (à peine une « nation ») une force irrésistible, capable
vant s’étendre pacifiquement, cette religion a utilisé la force tout au long d’annoncer au monde le Message reçu.
de son histoire, depuis l’éradication du véritable monothéisme chrétien Cet Homme noble du fond de l’Arabie plût tant à Dieu qu’Il lui offrit
(dont un des derniers grands défenseur fut Arius), les guerres de conver- la première place parmi les créatures en ce monde et dans l’autre. Le
sion forcées de Clovis, le génocide contre les Cathares (Chrétiens monde s’étonna, et pas seulement les riches Arabes de La Mecque, mais
« Johanistes »121), les Croisades contre l’Islam, les guerres des Chevaliers aussi les Empereurs de Constantinople et de Perse : comment ce peuple
Teutoniques dans le nord de l’Europe, jusqu’aux massacres et aux conver- frustre et dur, éloigné des grandes civilisations, avait-il pu donner nais-
sions forcées des « Indiens » d’amérique du Sud par les Conquistadors his- sance au sauveur de toute l’humanité ? Comment un peuple aussi
paniques, etc. orgueilleux et insensible à la pitié, avait-il pu engendrer le plus miséri-
Mais ces crimes ne sont pas restés impunis par Dieu, qui les a frappés cordieux des Messagers de Dieu, l’homme le plus doux que la terre ait
les uns par les autres. Les guerres de religion entre Chretiens furent parmi porté ? Il fut certes le plus noble, parce que le plus pieux. La gloire
les plus abominables de l’histoire de l’humanité : immense du « très louangé » provient uniquement de son humilité devant
« Nous avons également pris [acte] de l’engagement de ceux qui se disent Dieu et de sa compassion devant Ses créatures.
Chrétiens. Eux [aussi] ont oublié une partie de ce qui [dans l’Ecriture devait] Il ne fut pas du tout ce tyran que ses détracteurs décrivent. Il fuyait tout
leur servir d’avertissement. Nous avons suscité entre eux l’inimitié et la haine luxe, dans ses vêtements comme dans son habitation ou sa nourriture. Il
et ce jusqu’au Jour de la résurrection. Dieu leur fera alors connaître leurs aimait les pauvres pour leur simplicité, leur labeur, leurs souffrances, leur
actes ». (Coran 5,14) patience, leur espoir, leur charité. Il ne trouvait pas leur égal parmi les
Seul le Coran a véritablement une vocation universelle, étant l’ultime riches. Il fuyait les mondanités. Pourtant personne n’a jamais suscité
révélation faite à la totalité du genre humain. Il institue une Loi, ou plutôt autant d’amour que lui. Ses Compagnons le vénéraient plus qu’un
rétablit l’essentiel de la Loi Divine que les Juifs n’ont pu porter (et ont Empereur, comme l’ont constaté des observateurs étrangers, et leur atti-
d’ailleurs surchargée de préceptes humains), et que les Chrétiens ont telle- tude n’était pas dictée par la crainte ou l’intérêt, mais uniquement par
ment allégée qu’ils ont fini par l’abolir dans les faits. l’amour débordant qu’il faisait naître dans les cœurs de ceux qui le côtoy-
Dieu choisit Son Elu où Il veut. Et Sa Révélation descendit sur un aient. Il avait non seulement les paroles de la vie éternelle, mais aussi celle
homme issu d’un peuple oublié des grands conquérants, confiné dans un de la Consolation dès ce bas monde. Car si tous les Prophètes seront effec-
désert hostile, un peuple farouche et fier, de la lignée d’Ismaël, fils tivement les procureurs de Dieu contre leur propre communauté,
d’Abraham. Mohammed est, lui, le grand Intercesseur, l’Avocat pour les pécheurs au
Et ce peuple, qui stagnait depuis des siècles dans des guerres tribales Jour du Jugement Dernier.
interminables, se divisa à nouveau au sujet de la révélation faite à leur C’est lui l’Imam des Envoyés, parce que la Miséricorde de Dieu l’em-
compatriote Mohammed. Mais le Sceau des Prophètes trouva parmi eux portera sur Sa Colère. Que la Grâce de Dieu et la Paix illuminent son
une force suffisante, bien que minoritaire, face à ses adversaires idolâtres séjour pour l’éternité. Amine.
qui voulaient l’anéantir, lui et sa religion. Comme Moïse, qui avait Les sociétés ne sont pas des choses immuables, elles évoluent sans cesse,
annoncé que viendrait un prophète « comme lui » issu des frères d’Israël et pas toujours vers le mieux, malheureusement. Les lois ont donc toujours
(les Arabes donc), il combattit, sur l’ordre de Dieu, ses agresseurs, mais tendance à se compliquer. Le besoin d’ordre devient toujours plus pressant
avec une miséricorde inégalée, favorisant plutôt la négociation et les com- avec l’accroissement démographique et le développement des techniques,
car la délinquance elle aussi se complique et s’empare des progrès tech-
121 - Ils ne reconnaissaient que l’évangile selon Jean. Ils étaient en outre accusés de « mani- nologiques.
chéisme » (dualisme), mais c’est fallacieux. Leur mode de vie austère (surtout celui des Cette évolution est constante et ancienne, même si elle s’accélère sous
Cathares proprement dits, c’est à dire les ascètes dits « parfaits » qui étaient vénérés par le nos yeux, entraînant un accroissement spectaculaire de la misère sur la
peuple) s’approchait en effet des excès ascétiques des anciens manichéens. Mais « comparai- majeure partie de la planète, avec la crise écologique grave que nous con-
son n’est pas raison ». Jésus et Jean, leurs modèles, étaient eux-mêmes des ascètes, ce rattache- naissons, la déforestation intensive, l’extension des désert qui réduit rapi-
ment spirituel est suffisant pour expliquer leur propre ascétisme, même exagéré, qui rendait dement les surfaces viables.
en fait jalouse une hiérarchie catholique notoirement grasse et corrompue à la même époque. Dieu dans le Coran dit à ce sujet :
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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

« En vérité, Nous avons fait de ce qui existe sur terre une parure pour celle- islations divines, successivement modifiées, sur cette question précise du
ci, afin de les éprouver [et savoir] qui parmi eux, en oeuvres, est le meilleur. mariage. Par exemple, on sait maintenant que la consanguinité répétée sur
Nous ferons assurément de ce qui existe sur terre un sol nu ». (18,7-8) plusieurs générations augmente sensiblement les risques de dégénéres-
Le désert du Sahara n’a que quatre mille cinq cent ans d’âge environ cence physique et mentale d’une lignée humaine. Dieu a donc voulu -
selon les spécialistes. Auparavant, c’était une savane arborée de type entre autres raisons dont Il est le seul vrai Savant - éviter à l’humanité cette
sahélien actuel, qui a été saccagée par les pasteurs nomades, les feux de dégénérescence biologique, en instituant des lois conjugales empêchant
brousse, l’agriculture intensive, la réduction du temps de jachère (repos de l’inceste.
la terre), les guerres avec leurs destructions de toutes sortes, notamment Ce qui se passait sur plan physique avec les mariages consanguins, avait
des systèmes d’irrigation. aussi une répercussion idéologique et culturelle : c’est le risque d’enferme-
Cette crise écologique est donc ancienne, même si elle s’accélère sous ment de la famille, qui devient un petit « clan » exclusif des autres, c’est
nos yeux à une allure dramatique. Les déserts se sont surtout étendus dans l’émergence d’une foule de petits nationalismes, de racismes, engendrant
les régions autrefois occupées par les grandes civilisations antiques, qui ont haines et conflits.
dévasté leur environnement, et cela même constituait une punition En obligeant les garçons à trouver leurs épouses ailleurs que dans leur
Divine. Et Dieu a fait hériter, de ce monde désolé, Son ultime commu- propre famille, Dieu a voulu aussi renforcer, chez les humains, le sens de
nauté religieuse, seule sans doute capable un jour de le restaurer sur tous leur appartenance collective à une seule et même famille originelle, d’où le
les plans, y compris écologique, si Dieu le veut. Nous avons évoqué ce racisme (qui n’est qu’une forme de narcissisme) doit être exclu.
sujet dans un chapitre : « Le Jihâd Vert » dans un précédent ouvrage.122 Plus tard, avec un développement démographique encore plus grand,
Pour ces raisons temporelles, les Messages divins répondent toujours à Dieu interdisait même d’épouser deux sœurs ensemble. Alors que cela ne
des nécessités changeantes au cours des âges. C’est pourquoi le dernier fut pas interdit à Jacob-Israël, qui épousa deux sœurs, Rachel et Léa,
Message annule toujours le Message antérieur dans ses aspects législatifs, d’après le livre de la Genèse. Car la Loi ne descendit que plus tard, avec
tout en confirmant et en protégeant sa substance essentielle : la Foi en Moïse. Ainsi il est écrit dans cette version de la Torah : « Tu ne prendras pas
Dieu l’Unique et en Ses Prophètes, Ses Livres, Ses Anges, la détermination une femme en plus de sa sœur pour en faire une rivale » (Lévitique 18,18). Le
par Lui Seul du bien et du Mal, le Jugement dernier, la Rétribution et la Coran confirme cette interdiction.
vie éternelle. De même, en ce qui concerne la polygamie, elle n’était pas limitée dans
Une société ne peut être gérée dans le cadre de deux constitutions à la les Messages antérieurs au Coran. Ce qui faisait que les riches et les puis-
fois, mais c’est la dernière qui fait autorité jusqu’à son remplacement par sants s’accaparaient les femmes, et que les pauvres restaient célibataires. Le
une autre. Prophète Mohammed a limité la polygamie à quatre épouse au maximum,
Afin d’illustrer ce principe de continuité et d’évolution des lois Divines, nombre indiqué par Dieu dans le Coran. Mais Dieu y conseille explicite-
prenons le cas du mariage au cours des âges. Au temps d’Adam et Eve, les ment la monogamie à ceux qui craignent d’être injustes avec leurs épouses,
frères épousaient forcément leurs propres sœurs, car il n’y avait pas d’autre et afin de ne pas alourdir leurs charges familiales.
choix possible. Il n’y avait donc aucun mal à faire cela, puisque Dieu seul On voit au travers de l’évolution des lois sur le mariage que Dieu
détermine ce qui est bien et ce qui est mal, et cela n’a rien à voir avec nos cherche à faire évoluer toute l’humanité vers un plus grand universalisme,
idées personnelles. Cet état de chose dura un certain temps au début de car Dieu n’a pas créé les races - ou les classes sociales - pour qu’elles s’iso-
l’histoire humaine. Des civilisations très anciennes comme l’Egypte accep- lent ou se détestent, mais pour qu’elles se rencontrent et s’unissent :
taient même le mariage du père avec sa fille, chose qui nous choquerait « Le plus noble d’entre vous auprès de Dieu est le plus pieux. Dieu est
aujourd’hui. De même, chez les Perses, le mariage incestueux était courant Omniscient, en vérité, et bien informé ». (Coran 49,13)
jusqu’à l’avènement de l’Islam. On ne peut juger les coutumes des anciens Et l’union conjugale est certes un très bon moyen de faire connaissance,
avec des critères actuels. Ceux qui le font ne prouvent que leur manque de non pas seulement pour les époux, mais aussi pour leurs familles respec-
réflexion. S’ils étaient nés en Perse il y a deux ou trois mille ans, ils auraient tives, classes sociales et nations, qui apprennent à se respecter et à s’estimer
trouvé tout à fait normal de pouvoir épouser leur sœur. dans la voie de Dieu.
Dieu seul connaît toute chose, mais cela n’interdit pas de réfléchir et Le Coran, Message Divin, tient donc compte de cette universalité à
d’étudier les changements intervenus dans Sa création au cours des âges. laquelle n’étaient pas encore assujettis les Messages antérieurs, plus «
Et on peut souligner plusieurs raisons qui ont prévalu à la descente de lég- nationaux », et s’adressant à des groupes plus restreints, en raison de l’ex-
trême isolement des nations et tribus entre elles. L’Islam a déjà profondé-
122 - Vie et Enseignement du Cheikh Ahmadou Bamba. Al-Bouraq. ment modifié la face du monde, même si beaucoup reste à faire, dans le
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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

cadre de l’Islam, qui est la religion dynamique par essence, malgré les Jérusalem d’en haut (céleste) est libre et elle est notre mère ». C’est tout à fait
préjugés contraires (et les attitudes rétrogrades de certains Musulmans). « tiré par les cheveux » et peu élégant pour cette femme d’Abraham qu’il
Le Christianisme qui possédait les prémisses de ce renouvellement que prit « pour femme » (selon la Bible, et non comme concubine esclave), et
sera l’Islam, a été beaucoup moins loin dans cette oeuvre d’universalisme, qui engendra un noble Prophète, Ismaël, l’ancêtre de Mohammed, sur eux
pour preuve : la traite des esclaves noirs qui, nous l’avons déjà dit mais il la grâce Divine et la Paix.
faut y insister, a duré des siècles, dans des conditions inhumaines, alors Paul, il est vrai, en raison des persécutions dont il était l’objet, et des
que l’Occident chrétien exerçait déjà son hégémonie mondiale, et pré- préjugés racistes issus de sa culture juive, se laissait quelque fois aller à
tendait détenir seul la civilisation des droits de l’homme. quelques « dérapages ». Mais, réaliste, il s’en excusait lui-même : « Ah ! si
Dans l’esprit chrétien, héritier du Judaïsme, le Noir était esclave de vous pouviez supporter de moi un peu de déraison ! » (2 Corinthiens 11,1)
naissance. Au 7e siècle de l’ère chrétienne, un Arabe, Prophète de Dieu, De toute façon, sa « déraison » était limitée, puisqu’il confessait parfois
déclarait : « Obéissez à votre Khalife, même si c’est un esclave Abyssin » lui-même : « Je n’ai pas d’ordre du Seigneur, mais je donne mon avis » (1
(Bokhari), et il annonçait la parole de Dieu : « Le plus noble d’entre vous Corinthiens 7,25). Le problème, avec ses avis, c’est qu’ils ont entraîné
auprès de Dieu est le plus pieux ». (Coran 49,13) l’église de Jésus-Christ dans une voie de rupture d’avec la Tradition
Les préjugés raciaux furent puissants chez les Juifs et les Chrétiens, car hébraïque dont elle était issue. Mais pouvait-il vraiment faire autrement ?
les Messages qu’ils avaient reçu, bien que clairs sur la question, étaient mal On conçoit mal en effet qu’il puisse imposer la Torah à des Grecs et des
interprétés. Romains, alors que les Juifs eux-mêmes n’avaient pu la supporter. Il le dit
C’est pourquoi ils justifièrent l’esclavage des noirs en prétendant que lui-même. Par ailleurs, l’église (communauté) instituée par Jésus est plus
Noé avait maudit Canaan, fils de Cham. Cela ressemble beaucoup à une une « Voie » (tariqa) spirituelle juive qu’une « nouvelle religion ». Elle n’a
interprétation fallacieuse qui n’avait pour effet que d’arranger les affaires d’ailleurs qu’une fonction « intérimaire » dans l’attente de l’autre « para-
des trafiquants d’esclaves. D’ailleurs on voit mal un Prophète de Dieu clet » annoncé, qui lui, établira une législation nouvelle définitive.
maudire son petit-fils Canaan pour punir le père de ce dernier, Cham. Où De toute évidence, en utilisant si mal le nom d’Agar, Paul ne s’attendait
est la justice dans cela ? Et qui plus est, il l’aurait fait en « descente » visiblement pas à ce que le Paraclet annoncé soit un fils de la noble ser-
d’ivresse alcoolique durant laquelle il aurait dansé nu dans sa tente ! Il y a vante de Dieu, Agar l’Egyptienne. Une meilleure interprétation de
certes là une altération évidente du texte biblique. Et même au cas tout à l’Ancien Testament, et notamment des paroles de Moïse se rapportant à
fait improbable où Noé se serait montré injuste en cette occasion, on ne l’ultime Envoyé, aurait pourtant pu le mettre sur la piste. Mais reconnais-
voit pas pourquoi Dieu entérinerait une telle injustice ! sons que cela n’est pas facile sans la lumière du Coran.
« O transcendance de ton Seigneur, Seigneur de la puissance, si loin de ce Emile Osty, en commentant sa traduction de la Bible écrit : « Certes, il
qu’ils fabulent ! Salut sur ceux qui furent envoyés ! Louange à Dieu, Seigneur se peut que parfois Paul se soit montré injuste ». Et aussi : « Paul n’avait guère
des univers ».( Coran 37,180-182) le loisir de peser ses mots ».123
De même pour Agar, deuxième femme d’Abraham, qui n’a droit qu’au
mépris des Juifs et des Chrétiens parce qu’elle était esclave, avant que sa
maîtresse Sarah ne la donne comme femme à son mari. Pourtant n’était-
elle pas fille du noble Adam, l’esclave de Dieu ?
Ces préjugés racistes ont conduit les Juifs à renier l’Envoyé
Mohammed, parce qu’il est descendant de l’Egyptienne Agar, mère
d’Ismaël.
Si le fait d’avoir une esclave dans ses ancêtres empêchait un homme
d’être prophète, les Juifs n’auraient eu aucun prophète parmi eux, car leurs
ancêtres furent esclaves en Egypte.
Ainsi, par exemple - c’est anecdotique mais significatif - Paul, dans une
de ses lettres, utilise le nom d’Agar pour symboliser l’infidélité des Juifs !
Dans sa lettre aux Galates (4, 21 à 31), il symbolise les Chrétiens par
Sarah, l’épouse en titre, et il symbolise les Juifs par Agar, la concubine
esclave. Il écrit : « Agar représente le Sinaï, une montagne en Arabie, et elle
correspond à Jérusalem, car celle-ci est en esclavage avec ses enfants. Mais la 123 - Introduction aux Epîtres de Paul, p. 2372, Op. cit.

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Moïse, Jesus et Mohammed

LA TRANSMISSION DU NOUVEAU TESTAMENT la planète, l’Islam. Je lisais donc une traduction du Coran (celle de
(Conditions historiques de la fixation des imperfections scripturaires, Kasimirsky, qui a annoté sa traduction de remarques désobligeantes), ainsi
des exégèses déficientes et des dogmes hérétiques). qu’une biographie du Prophète (d’Etienne Dinet).
Ma première réaction fut l’étonnement de me retrouver en terrain
connu : celui des deux premiers testaments bibliques. Par ailleurs, le texte
clarifiait certaines questions obscures, comme celles de la « divinité » de
Jésus et de la trinité. Le fait qu’un Dieu puisse mourir sur une croix (alors
que le monde qu’il est censé sustenter continue d’exister autour de lui)
m’avait toujours semblé pour le moins étrange. Mais le « mystère » étant
Part. III - Chap. VII sans cesse invoqué par les prêtres pour éluder les questions délicates, je
mettais mon incompréhension sur le compte de la faible science humaine
que Dieu nous a octroyée.
Et voilà le Coran qui m’affirmait que si je n’avais pas compris ces
Nous venons d’aborder brièvement ces questions, mais il est utile, je choses, c’est simplement parce qu’il s’agissait là de choses incompréhensi-
crois, d’y revenir avec plus de précision. Et pour mieux faire comprendre bles et fausses !
le cheminement spirituel qui m’a amené à la conviction que l’Islam est la Un n’égale pas trois. C’est cependant ce qu’on avait martelé à mon petit
Religion parfaite, je fais une petite parenthèse personnelle qui peut être cerveau jusqu’à ce qu’il s’y habitue sans rechigner. Que Dieu l’Unique ne
utile. soit pas si unique que cela, nécessitait des élucubrations aussi torturées que
Je suis né dans une famille catholique et j’ai reçu une éducation l’image du Christ en croix. La Croix justement ! Censée nous laver de tout
religieuse classique. J’allais « au cathéchisme » tous les Jeudis après midi. péché, comme si le sang lavait plus blanc... Pourquoi fallait-il que Dieu Se
Mon curé m’aimait bien et disait à ma mère qu’il aurait aimé avoir un fils crucifie Lui-même pour arriver à nous sauver ? Sa toute-Puissance n’est-
comme moi. Mais je l’embêtais un peu avec mes questions, qui étaient elle pas suffisante pour cela ? A-t-Il besoin de s’incarner pour se rendre
d’ailleurs sans malice, mais motivées seulement par le désir de comprendre. compte de ce que nous vivons vraiment et s’émouvoir de notre sort ? N’est
En grandissant, je vis que toutes sortes de religions peuplaient la terre, -Il pas l’Omniscient ?
et que si j’étais né ailleurs, j’aurais sans doute partagé d’autres croyances. En méditant sur la réfutation Coranique de la mort de Jésus sur la
Puis vint Mai 1968. A quinze ans, je fus séduit par les idées anarchistes, Croix, après l’étonnement premier, ce fut le soulagement. Je repris confi-
puis marxistes-léninistes, et finalement j’adoptais l’Athéisme comme ance en Dieu. Il ne punit pas l’innocent pour laver le coupable. Il n’est pas
idéologie, balayant toute l’instruction religieuse de mon enfance. Je lisais injuste comme les Idoles Païennes. Il n’a pas besoin de Se « suicider » pour
bien sûr Marx, Engels, Lénine, Trotsky, Mao, mais aussi Freud, Nietzsche, nous comprendre et nous sauver. J’étais heureux pour Jésus : Dieu l’avait
etc. exaucé : « Eloigne de moi cette coupe » dit l’évangile. Et Dieu lui avait
Puis, vers l’âge de vingt ans, l’athéisme m’apparut de plus en plus épargné cette souffrance intolérable et injuste. Dieu merci ! Louange à
comme une idéologie ordinaire, basée sur rien et ne répondant à aucune Dieu, Maître de l’univers.
des questions essentielles de la destinée humaine : pourquoi le monde Avant de devenir Musulman donc, étant redevenu pour un temps
existe-t-il, qu’y faisons-nous, où allons-nous, etc. La lecture du penseur Chrétien, je lisais la Bible régulièrement, cherchant notamment, dans
« hippie » américain Timothy Leary réactualisa pour moi « l’hypothèse » de l’Ancien testament, l’authenticité des citations qui en étaient faites dans le
Dieu. Après tout, il n’y avait que deux possibilités : soit Dieu existe, soit il Nouveau Testament.
n’existe pas. S’Il existe, l’univers prend alors un sens ; s’Il n’existe pas, tout Par exemple, je me souviens d’un passage de l’évangile de Matthieu,
reste absurde. Je lisais aussi Aldous Huxley, puis Ramakhrishna, Maharshi dans lequel Matthieu affirme :
et d’autres sages Hindous. Finalement je me mis à m’intéresser sérieuse- « Alors s’accomplit ce qui avait été annoncé par Jérémie le prophète, quand
ment aux religions. Je m’instruisis sur toutes : Hindouisme, Bouddhisme, il dit : « Et ils ont pris les trente pièces d’argent, prix de celui qui a été mis à
Taoïsme, Sikhisme, Mazdéisme, Manichéisme. Puis je revins à l’étude de prix, qu’ont mis à prix les fils d’Israël, et ils les ont donné pour le champ du
mon patrimoine religieux initial : la Bible, avec l’Ancien Testament Juif et potier, selon ce qu’a prescrit le seigneur ». (Matthieu 27,9-10)
le Nouveau Testament Chrétien. Je retrouvais une certaine foi, mais le A la lecture de cette « citation », on se dit : vraiment, cette citation que
doute ne me quittait jamais vraiment. Je cherchais une certitude. Matthieu fait du Prophète Jérémie s’applique bien à Jésus ! En effet, selon
Je fis alors le constat que j’avais négligé la religion la plus répandue sur le même évangile, Jésus aurait été vendu trente pièces d’argent par le
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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

traître Judas Iscariote aux grands rabbins. Après l’arrestation de Jésus, dire ce supplice, n.d.r.) ! Cependant, que ce ne soit pas ma volonté, mais la
Judas, pris de remords, voulut leur rendre cet argent, mais ils le refusèrent. Tienne qui se fasse ». (Luc 22,42)124
Alors, il jeta cet argent au sol dans le temple. Les rabbins n’osèrent remet- En effet, Dieu avait prévenu Jésus de ce qui allait arriver, ainsi que le
tre cette somme au trésor du temple, aussi ils achetèrent un terrain avec Coran l’atteste :
cet argent, pour en faire un cimetière pour les étrangers. « [Rappelle] lorsque Dieu dit : « O Jésus, Je vais, certes, te rappeler, t’élever
Mais cette « citation » n’existe tout simplement pas dans le livre de vers Moi et t’éloigner des infidèles ! Place ceux qui t’ont suivi au-dessus des
Jérémie. La plus grosse partie du « montage » provient de Zacharie mécréants jusqu’au jour de la résurrection. Vous retournerez ensuite à Moi. Je
11,13-13 et deux petits fragments de Jérémie 32, 6-9 et 19, 1-2. trancherai le différend qui vous oppose ». (Coran 3,55)
Emile Osty, le traducteur de la Bible (que nous utilisons dans notre Reprenons le passage de l’épître de Paul : « et il fut exaucé de sa piété ».
présente étude), qualifie cette « citation », je cite : « d’argument scripturaire Paul dit textuellement, qu’après sa supplication à Dieu, Jésus a été
cher à Matthieu » ! Un « argument scripturaire » pour dire un mensonge ? exaucé. Donc il n’a pas été crucifié, il n’est pas mort sur la croix, malgré
Je ne connaissais pas cette expression. En plus « cher à Matthieu » ! C’est à les apparences. Comment est-ce possible ? Nous avons évoqué les diverses
dire qu’il n’en est pas à ce coup d’essai ! De toute façon, comme l’avouent hypothèses qui ont été avancées sur cette question. Pour le moment,
tous les commentateurs chrétiens, Matthieu n’est probablement pas l’au- jugeons seulement de la valeur du passage de Paul :
teur direct de cet évangile, ce n’est donc pas un menteur. Ceux qui ont « C’est ainsi que le Christ ne s’est pas donné lui-même la gloire de devenir
rédigé cet évangile ont recouru aux « pieux mensonges » dans un but prosé- grand-prêtre ; non, c’est Celui qui lui a dit : « Tu es Mon fils, c’est Moi qui t’ai
lytique. Cela fait certes désordre dans un Texte autrefois présenté comme engendré aujourd’hui » et « Tu es prêtre à jamais selon l’ordre de
la Parole de Dieu. La Torah dit en effet : « Vous n’y ajouterez rien et n’en Melchisédech ». C’est lui (Jésus) qui, au jour de sa chair, offrit des prières de
retrancherez rien » (Deutéronome 13, 1). Et Jean, dans son Apocalypse, supplication avec un cri puissant et des larmes à Celui qui pouvait le sauver
renforce cette interdiction en y adjoignant une malédiction (22,18-19). de la mort ; et il fut exaucé de sa piété ». (5,5-7)
Dans le Coran, Dieu confirme cette interdiction absolue de manipuler Mais quand donc Dieu a-t-Il dit à Jésus ces paroles : (« tu es Mon fils »),
les Paroles de Dieu : « tu es prêtre », etc. ? On a beau chercher dans les quatre évangiles et dans
« Malheur à ceux qui, de leurs mains, écrivent un livre pour le vendre à vil tout le reste du Nouveau Testament : aucune trace de ces paroles. Alors
prix en prétendant qu’il vient de Dieu ! Malheur à eux pour ce que leurs mains d’où viennent-elles ?
ont tracé ! Malheur à eux pour le profit qu’ils en tirent ! » (Coran 2,79) De l’Ancien Testament, longtemps avant que Jésus naisse, dans les
Même d’ailleurs si ce profit n’est pas financier, s’il est motivé seulement Psaumes plus exactement, et ces paroles s’adressent au roi David ! Et pré-
par le prosélytisme. On ne falsifie pas impunément la Parole de Dieu. La cisons, encore, que les termes « fils de Dieu », « engendré », sont légion dans
lumière n’est pas le produit des ténèbres. l’Ancien Testament, qu’ils ne s’appliquent pas du tout à Jésus, et qu’il sont
Autre exemple : dans l’Epître de Paul aux Hébreux, on peut lire : de surcroît purement métaphoriques, ainsi que l’ont toujours compris les
« C’est ainsi que le Christ ne s’est pas donné lui-même la gloire de devenir Juifs orthodoxes et les premiers Chrétiens avant le Concile de Nicée en
grand-prêtre ; non, c’est Celui qui lui a dit : « Tu es Mon fils, c’est Moi qui t’ai 325.
engendré aujourd’hui » et « Tu es prêtre à jamais selon l’ordre de Analysons donc le passage de Paul en question.
Melchisédech ». C’est lui (Jésus) qui, au jour de sa chair, offrit des prières de On a vu que la première expression (« Tu es Mon fils ») est une citation
supplication avec un cri puissant et des larmes à Celui qui pouvait le sauver qui provient du Psaume 2, verset 7.
de la mort ; et il fut exaucé de sa piété ». (5,5-7) La seconde (« tu es prêtre »), est reprise du Psaume 110, 4.
Ce petit texte appelle beaucoup de commentaires, avant de l’analyser Le Psaume de David (n° 2, versets 7 à 9) dit :
plus avant. « Je publierai le décret de Yahvé ; Il m’a dit : « Tu es Mon fils, Moi, aujour-
Tout d’abord : Melchisedech. Il s’agit d’un grand-prêtre d’un autre peu-
ple, qui d’après le livre de la Genèse, avait béni le Prophète Abraham, paix 124 - Cette supplication de Jésus à Dieu, rapportée par Luc, montre bien que Jésus n’est
sur lui. pas Dieu, sinon il n’aurait pas besoin de se supplier ainsi lui-même. Il fait au contraire
La « supplication avec un cri puissant et des larmes » : c’est une allusion à bien la distinction entre la volonté de Dieu et la sienne. Mais, en abandonnant sa volonté
la « Passion » de Jésus la veille de son arrestation. Les évangiles relatent en propre, cette dernière ne fait plus « qu’une » (métaphoriquement) avec celle de Dieu. C’est
effet la terreur de Jésus devant l’approche du Martyre, au point qu’il tran- en ce sens qu’il faut comprendre les métaphores évangéliques concernant « l’unité du Père
spirait du sang ! Et il demanda à Dieu de lui épargner ce supplice : et du Fils » (il s’agit bien sûr de l’abandon par Jésus de sa volonté propre, ou libre arbitre,
« Père (ou Principe, n.d.r.), si Tu veux, écarte de moi cette coupe (c’est à devant la seule Volonté de Dieu).

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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

d’hui, Je t’ai engendré : Demande-Moi et je te donnerai les nations pour ment par le recours à l’hyperbole (et ces métaphores « familiales » en sont
héritage et pour ta possession les confins de la terre ; tu les broieras avec un un exemple) - à la culture grecque, a été l’occasion de cette méprise séman-
sceptre de fer, comme un vase de potier tu les fracasseras ». tique. Chez les Juifs, ces termes étaient absolument et clairement
Rappelons que ce Psaume est attribué à David. Il fut en effet un métaphoriques et couramment utilisées dans l’ancien testament.
Prophète et un guerrier. Il dut conquérir son trône les armes à la main. Il Transposés dans le monde grec, où existaient déjà des divinités « engen-
recevait des révélations Divines qu’il a transcrites dans le Psautier (zabûr drées » les unes par les autres, ces métaphores d’origine hébraïque, en s’hel-
en arabe). lénisant donc, ont pris une toute autre connotation, et se sont confondues
Dans ce passage, Dieu lui promet la victoire sur ses ennemis, et un avec croyances polythéistes pré-établies dans le monde gréco-romain (et
empire en héritage. Malgré les épreuves qu’il dut subir, David réussit à égyptien). Là se trouve l’origine de la déification du Prophète Jésus, ainsi
affermir et agrandir son royaume. Et son fils Salomon hérita d’un trône que du Saint Esprit, lequel, en réalité, peut désigner des anges (notam-
solide et vit tous les royaumes d’alentour se soumettre à lui (même le roy- ment Gabriel), mais aussi des prophètes et des saints ayant reçu de Dieu
aume lointain de Saba). une très grande grâce spirituelle.
Il est donc évident que ce passage du Psaume en question s’applique Jésus dit dans l’Evangile : « Heureux celui pour lequel je ne serais pas une
bien à David et à son fils Salomon. Car Jésus n’a broyé aucune nation avec pierre d’achoppement » (Cf. Luc 20,17-19).
un « sceptre de fer », lui que son propre peuple a rejeté. Ou alors, on peut Il faut comprendre cette parole comme un avertissement adressé à ceux
tout aussi bien, et d’avantage même, l’appliquer au Paraclet annoncé : qui pourraient trébucher sur la qualité et la nature du Messie. Et à ceux
Mohammed, qui lui, a mené des guerres victorieuses et étendu le « roy- qui l’auront divinisé et lui diront : « Seigneur ! Seigneur ! », il leur répondra
aume de Dieu » (l’Islam) aux confins de la terre. Ou encore, on peut : « Eloignez-vous de moi, je ne vous connais pas ». (Matthieu 7,22)
penser au Christ eschatologique, lors de son retour à la fin des temps, qui, A ce propos le Coran dit :
selon le Prophète Mohammed, fera triompher l’Islam sur toute la terre... « Il n’appartient à aucun homme à qui Dieu a accordé le Livre, l’intelli-
Mais les Chrétiens ne croient pas à ce genre de retour en chair et en os du gence et la prophétie de dire aux gens d’être ses serviteurs et non les serviteurs
Messie, et encore moins qu’il combattra et tuera l’Antéchrist de sa propre de Dieu. Soyez plutôt des savants pratiquants, attendu que vous enseignez et
lance, ainsi que cela est annoncé dans les hadiths du Prophète étudiez l’Ecriture.
Mohammed, sur lui la grâce Divine et la Paix. Dieu ne vous prescrit nullement d’adorer les anges, ni les prophètes. Vous
Mais ce texte semble vraiment sans ambiguité : il ne s’agit là que du roi ordonnerait-Il d’être polythéistes maintenant que vous êtes Musulmans ? »
David et de personne d’autre. C’est bien David qui a « broyé » ses nom- (Coran 3,79-80)
breux ennemis (jusqu’en son fils rebelle Absalom)125, durant les guerres qui Et encore : « Hommes ! Le Prophète vous a apporté la vérité de la part de
marquèrent son règne. Ce fut un grand soldat. C’est lui le « fils » en ques- votre Seigneur ! Croyez-y, dans votre intérêt mieux compris. Si vous n’y croyez
tion, non pas au sens naturel, qui ne convient pas à la transcendance pas, [sachez] qu’à Dieu appartient ce qui est dans les cieux et sur la terre et
Divine, mais dans le sens métaphorique, ainsi que l’ont toujours compris qu’Il est omniscient et sage.
les monothéistes juifs et chrétiens, du moins dans leurs traditions authen- Vous qui avez reçu l’Ecriture ! n’exagérez pas en votre religion ! Ne dites que
tiques. la vérité ! L’oint Jésus, fils de Marie, est seulement un prophète de Dieu, Son
Il est clair de ce point de vue, que la plupart des Chrétiens (catholiques, verbe qu’Il jeta vers Marie, un esprit émanant de Lui.
orthodoxes, protestants), ont rompu avec cette tradition authentique Croyez en Dieu, en Ses prophètes, et ne parlez plus de trinité. Cessez [de
dont ils étaient issus. Cette rupture a été consommée au quatrième siècle dire cela], dans votre intérêt mieux [compris].
ap. J.-C. Dieu n’est qu’Un ! Gloire à Lui ! [Il est trop haut] pour avoir un fils ! A Lui
Dieu, dans le Coran, n’a pas utilisé ces métaphores, car au lieu de sym- appartient ce qui est dans les cieux et sur la terre, et Il suffit comme protecteur.
boliser et d’illustrer (ce qui était chose évidente pour les Anciens dont la Jamais l’Oint (le Messie ou Christ) n’a dédaigné - pas plus que les anges
spiritualité étaient moins dégradée que chez les modernes), elles ont rapprochés [du Seigneur] - d’être un serviteur de Dieu.
aveuglé les « littéralistes » (foncièrement exotéristes) qui les ont prises à la Ceux qui trouvent indigne de L’adorer et s’enflent d’orgueil, Dieu les
lettre, et ces expressions sont ainsi devenues des « pierres d’achoppement » ramènera en masse vers Lui.
sur le chemin des ignorants. Quant à ceux qui auront cru et fait oeuvres pies, Dieu les rétribuera inté-
Car le passage de la culture littéraire sémitique - caractérisée notam- gralement et accroîtra généreusement [leur mérite].
En ce qui concerne les dédaigneux et les orgueilleux, Il leur infligera un sup-
125 - 2 Samuel 15 plice cruel et ils ne trouveront ni garant, ni auxiliaire.
122 123
Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

Hommes ! Une preuve vous est, certes, venue de la part de votre Seigneur. l’Evangile, sont inscrites dans la Bible. La même interdiction absolue est
Nous avons fait descendre sur vous une lumière éclatante ! inscrite dans le Coran :
Ceux qui auront cru en Dieu et se seront attachés résolument à Lui, Il les « Malheur à ceux qui, de leurs mains, écrivent un livre pour le vendre à vil
fera entrer en une miséricorde et une grâce qui émanent de Lui et les dirigera prix en prétendant qu’il vient de Dieu ! Malheur à eux pour ce que leurs mains
vers Lui par une voie droite. Coran 4,170 à 175). ont tracé ! Malheur à eux pour le profit qu’ils en tirent ! » (Coran 2,79)
Et à la résurrection, Dieu questionnera ainsi le fils de Marie : Il n’y a pas de « pieux mensonge » quand on falsifie la parole de Dieu,
« Lorsque Dieu demanda à Jésus, fils de Marie : « Est-ce toi qui as dit aux même si l’intention est de faire du prosélytisme forcené en comptant sur
hommes de vous prendre, toi et ta mère, pour deux divinités au-dessus de Dieu l’ignorance d’une partie des gens. Pour masquer ces fraudes évidentes,
? - Gloire à Toi ! dit Jésus, il ne m’appartient pas de dire ce qui pour moi n’est l’église interdira, jusqu’à la réforme protestante, la diffusion de l’ancien
pas une vérité. Si j’avais dit cela Tu l’aurais su ! Tu sais ce qui est en moi, alors testament ainsi que sa traduction à l’usage des masses qu’elle voulait main-
que j’ignore ce qui est en Toi. C’est Toi, en vérité, qui connaît, au suprême tenir dans l’ignorance. En effet, l’ancien testament fourmille d’appella-
degré, [toutes les formes de] l’inconnu. tions métaphoriques : Père, fils, engendré, dieu, etc. pour qualifier des
Je ne leur ai dit que ce que Tu m’as ordonné [de leur apprendre, à savoir] : créatures angéliques ou humaines.
« Adorez Dieu, mon Seigneur et le vôtre. Je fus témoin contre eux tant que je Toute question théologique, pourtant justifiée par le légitime souci de
demeurai parmi eux. Lorsque Tu m’eus rappelé vers Toi, Tu étais à même de recherche de la connaissance, de la part des chrétiens, auprès de leurs doc-
les observer, car Tu es témoin de tout. teurs « savants », se soldait souvent par le couperet du « mystère insond-
Si Tu les châties, ce sont, en vérité, tes serviteurs. Si Tu leur pardonnes, Tu able ». Et ceux qui insistaient trop risquaient bel et bien le bûcher de l’in-
es, en vérité, le Puissant, le Sage ». quisition.
Dieu dit : « Voici le jour où les véridiques tireront profit de leur sincérité. Quelle différence avec la religion musulmane, dont le livre Saint
Leur appartiennent des jardins arrosés par des ruisseaux ; ils y demeureront affirme :
toujours, pour l’éternité ». Dieu sera satisfait d’eux et ils seront satisfaits [de Ses « Point de contrainte en religion. La vérité se distingue de l’erreur. Celui
bienfaits]. C’est là l’immense triomphe ». (Coran 5,116 à 119.) qui renie Taghût pour croire en Dieu s’est saisi du lien le plus solide, [un lien]
Pour en revenir à la première citation : « Tu es Mon Fils » de Paul, prise qui ne peut être rompu. Dieu entend et sait tout.
dans les Psaumes, nous ne pouvons que conclure que la citation existe Dieu est le fondé de pouvoir de ceux qui croient. Il les fait sortir des ténèbres
effectivement, mais qu’elle est détournée de son objet. Elle ne s’applique vers la lumière. Quant aux mécréants, leurs mandataires sont les démons qui
pas à Jésus, mais à David. les tireront de la lumière pour les plonger dans les ténèbres. Ceux-là sont voués
La lecture de ce Psaume ôte tout doute à cet égard. au feu pour l’éternité ». (Coran 2,256-257)
Voyons maintenant la deuxième citation (« Tu es prêtre à jamais, selon
l’ordre de Melchisédech »), que Paul applique aussi à Jésus. Psaume de David
110,4 :
« Yahvé l’a juré et Il ne s’en repentira pas : tu es prêtre à jamais selon l’ordre
de Melchisedech, le seigneur est à ta droite, Il fracasse les rois au Jour de Sa
colère, Il juge les nations remplies de cadavres, Il fracasse les têtes sur de vastes
espaces... »
Ce psaume porte le titre d’Oracle (révélation) de Dieu au seigneur
David.
Le verset 1 dit en effet : « Oracle du Seigneur (Dieu) à mon seigneur (le
roi) : Assied toi à Ma droite, jusqu’à ce que Je fasse de tes ennemis ton marchep-
ied ».
David est donc non seulement roi, mais également prêtre, chef religieux
de la communauté des croyants soumis à Dieu, comme le fut, selon la
Torah, Melchisedec, auquel Abraham versa un impôt religieux.
Malgré ma foi chrétienne, je restais donc perplexe devant ces manipu-
lations des textes par Paul et Matthieu.
Pourtant les malédictions, contre les manipulateurs de la Torah ou de
124 125
Moïse, Jesus et Mohammed

LA RUPTURE DE L’ENGAGEMENT l’Evangile, dit que pas un iota de la Loi ne sera aboli. En conséquence de
(Mîthâq), Pacte, Alliance ou Testament. Divisions subséquentes ce non respect de l’intégrité de la religion de Jésus, Dieu éprouva la com-
et déclin spirituel de l’Occident. munauté chrétienne par les mêmes maux qui avaient touché les enfants
d’Israël.
« Nous avons également pris [acte] de l’engagement de ceux qui se disent
Chrétiens. Eux [aussi] ont oublié une partie de ce qui [dans l’Ecriture devait]
leur servir d’avertissement. Nous avons suscité entre eux l’inimitié et la haine
et ce jusqu’au Jour de la résurrection. Dieu leur fera alors connaître leurs
actes ». (Coran 5,14)
Part. III - Chap. VIII Mais ces premières querelles et divisions n’étaient encore rien à côté des
séditions et schismes graves qui allaient ensanglanter la chrétienté dès le
second siècle, avec les dissensions créées par les hérésiarques Montan129,
Marcion130 et Manès (Mani).131 L’orthodoxie les combattit, mais leur fiel
« Il n’égare que les pervers qui violent l’Engagement126 (mîthâqihi) qu’ils finit par corrompre grandement le christianisme, et à préparer la subver-
ont pris envers Dieu, après l’avoir conclu, rompent ce que Dieu ordonne de sion.
lier et répandent le désordre sur terre. Ce sont ceux-là, en vérité, les perdants Montan (qui s’était proclamé le Paraklétos ou Intercesseur annoncé par
». (Coran 2,26-27) Jésus), s’en prenait violemment aux symboles de la religion et du pouvoir
Dès l’origine de l’Eglise chrétienne, des querelles doctrinales eurent romain, profanant les temples, renversant les statues, etc.132 On aurait pu
lieu. penser que les Montanistes obéissaient aux prescriptions divines contre l’i-
A l’époque où les apôtres de Jésus vivaient encore, elles étaient déjà,
semble-t-il, assez importante, puisque Paul se plaint, dans ses lettres, de la aimeras le Seigneur ton Dieu avec tout ton coeur, et avec toute ton âme, et avec toute ta
défection de nombreuses « églises » (groupements de Chrétiens) qu’il avait pensée. C’est là le plus grand et le premier commandement. Le second, qui lui est sem-
fondées et qui s’étaient rattachées à d’autres prédicateurs concurrents. Les blable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. A ces deux commandements toute la
Epîtres de Paul relatent une importante querelle doctrinale entre les Loi est suspendue, ainsi que les Prophètes ». Trad. E. Osty. Op. cit. p. 2127.
« légalistes » (dont Pierre, le chef des apôtres, désigné par Jésus) et les 129 - Montan ou Montanus, originaire de Phrygie (Grèce) au 2ème siècle ap. J.-C.
« libéraux » (dont le chef est Paul), au sujet de la place à accorder à la Loi 130 - Marcion (né en Anatolie, actuelle Turquie, mort vers 160 ap. J.-C.) était « ultra-
hébraïque dans l’Eglise primitive.127 Finalement, c’est Paul qui l’emporta, paulinien ». Il ne reconnaissait que l’Evangile de Luc (disciple de Paul) et dix lettres de
puisque l’abandon des préceptes de la Torah fut généralisé : circoncision, Paul dans le canon des Ecritures de son église Marcionite. Il rejetait toutes les autres écri-
abstention de la viande de porc, etc. Certes, ce ne sont pas là les fonde- tures de l’Ancien et du Nouveau testament.
ments les plus importants de la Torah qui étaient mis en cause. L’essence 131 - Mort en 273 ap. J.-C. en Perse. Il prétendait être le Paraclet (l’autre Intercesseur
de la Loi consiste, comme la résumait Jésus selon les évangiles, à adorer le très louangé) annoncé par Jésus. Il disait aussi être la réincarnation de Bouddha et de
seul vrai Dieu Unique, par dessus tout, et à aimer son prochain comme Zarathustra. Son « Eglise de Lumière » était une secte syncrétique (entre christianisme,
soi-même128. Mais ce même Jésus avait, selon ces mêmes versions de bouddhisme et mazdéisme), professant le dualisme (co-éternité des « dieux » ou des deux
principes, du Bien et du Mal), en contradiction avec l’orthodoxie monothéiste (et moniste)
126 - Pacte dans les traductions de M. Hamidullah et J. Berque. Parfois Alliance (5,7. qui affirme l’unicité principielle, le Diable n’étant qu’une créature de Dieu qui s’est rebel-
Trad. Arabie Saoudite, d’après celle de M. Hamidullah). lée contre Lui, mais qui ne peut rien contre la volonté de Dieu. L’influence du mani-
127 - Notamment dans Galates, 2, 11. Et ceci, alors que Jésus, selon l’évangile de chéisme sur la chrétienté fut considérable et souvent mal évaluée. L’ascétisme extrême prôné
Matthieu, dit explicitement : « Ne croyez pas que je sois venu renverser la Loi ou les par cette hérésie (qui diabolise le corps et toute la matière) a trouvé un terrain favorable
Prophètes ; je ne suis pas venu renverser, mais compléter. Car, en vérité je vous le dis, avant dans le « subconscient » chrétien. Cette influence pernicieuse aboutira, notamment, au
que ne passent le ciel et la terre, pas un iota ou un seul menu trait ne passera de la Loi que 12ème siècle, à l’interdiction du mariage des prêtres dans l’église Catholique. La suresti-
tout ne soit arrivé. Celui donc qui violera un seul de ces commandements les plus petits et mation de la puissance du Diable (dont le Coran dit que la « ruse est faible ») est un des
enseignera aux hommes [à faire] ainsi sera déclaré le plus petit dans le royaume des points communs qui relie cette hérésie dualiste au christianisme trinitaire.
cieux... » Trd. E. Osty. Op. cit. p. 2097. 132 - C’est comme si, durant la période mecquoise, Mohammed très louangé était rentré
128 - Evangile selon Matthieu 22, 35-40 : « Un légiste l’interrogea pour le mettre à dans la Ka’bah pour détruire les idoles. Il ne le fit que lorsque le rapport de force le permit,
l’épreuve : « Maître, quel commandement est le plus grand dans le Loi?, » Il lui déclara : Tu onze ans après l’Hégire, et sans provoquer d’effusion de sang.

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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

dolâtrie, mais en réalité, seul les diables les poussaient à ces provocations, mée, car la Foi monothéiste n’avait pas encore été déracinée du christian-
afin que la persécution s’abatte sur les vrais Chrétiens et que la religion de isme primitif. L’abandon progressif de la Loi ne suffisait pas, à lui seul, à
Jésus disparaisse. Sa secte est forcément hérétique, puisque le vrai rompre cette Alliance accordée par Dieu aux premiers disciples de Jésus,
« Paraclet » ne peut être Montan. car l’Unicité de Dieu n’était pas encore vraiment mise en cause.
D’ailleurs les vrais Chrétiens condamnaient cette hérésie politico- Mais au début du quatrième siècle ap. J.-C., au premier Concile de
religieuse et se démarquaient des Montanistes jusque dans les arènes de la Nicée (325), l’orthodoxie fut submergée, avec la victoire des infidèles138,
mort, ne voulant pas mêler leur sang à celui de ces hérétiques. au sein de l’Eglise, contre Arius, prêtre d’Alexandrie, farouche et dernier
Car, tout comme il y a eu de faux prophètes, il y aura malheureusement grand défenseur du monothéisme absolu dans le christianisme. Mis en
toujours aussi des hypocrites, dont les discours trompeurs peuvent faire minorité par les évêques partisans de la déification du Prophète Jésus, il
illusion même auprès des croyants, mais dont les buts inavoués sont tout fut persécuté par la hiérarchie ecclésiale. Constantin premier était devenu
autres133. Ils ne sont que des jouets de l’ennemi de Dieu et du genre croyant grâce à Arius. Mais dépassé par les événements à Nicée,
humain. Que Dieu nous en préserve. l’Empereur romain craignit de diviser l’Eglise et entérina de fait la décision
Quant à Mani, sa puissante secte s’implanta dans tout l’ancien monde majoritaire. Cependant, à l’heure de sa mort, le César (Constantin), tour-
durant des siècles : en Perse, son berceau, mais aussi en Anatolie (Turquie menté par son erreur, fit rappeler Arius de son exil et se confia à lui dans
actuelle), Grèce, Rome, Afghanistan, Balkans, Arabie, Inde, Afrique du son dernier souffle. Puis Arius s’exila à nouveau, pour échapper à ses per-
nord, Chine. Le théologien africain Augustin fut membre de cette secte sécuteurs. Ses disciples furent persécutés durant des siècles par les infidèles
avant de se convertir au Catholiscisme et décrivit le manichéisme comme qui avaient divinisé Jésus (puis divinisé le Saint Esprit).
« une fiction monstrueuse et une falsification de bout en bout ».134 L’influence En effet, Dieu dit dans le Coran : « Sont mécréants ceux qui disent :
manichéenne ne toucha d’ailleurs pas que la chrétienté, mais toutes les « Dieu est le troisième d’une trinité ». Il n’est pas de (vraie) divinité sans qu’elle
religions de l’ancien monde. Dans le monde musulman, elle fit également soit unique. S’ils ne cessent pas de tenir un pareil langage, un douloureux châ-
des ravages, et fut à l’origine de la naissance de diverses sectes hérétiques : timent atteindra les infidèles parmi eux ».(Coran 5,73)
les Fatimides, les Assassins d’Alamût, les Qarmates, les Alaouites135, les « L’Oint, fils de Marie, n’est qu’un Envoyé que d’autres envoyés ont précédé.
Druzes, etc.136 Sa mère était une Véridique. Ils prenaient tous deux de la nourriture. Regarde
Revenons à l’église chrétienne primitive. La grande rupture de comment Nous mettons en évidence Nos signes pour les Chrétiens. Et regarde
l’Alliance (Engagement, Lien137, Testament), n’était pas encore consom- comme ils s’en écartent ».(Coran 5,75).
Ces luttes intestines sévères, ces exclusions et persécutions contre les
133 - Coran 2,204-205 : « Tel homme te plaira par les propos qu’il tient sur ce bas monde, « hérétiques » vrais (comme les Montanistes) ou supposés (comme les
en prenant Dieu à témoin de ce que son coeur recèle, alors [qu’en réalité] c’est un dispu- Ariens), dès les premiers siècles de l’histoire chrétienne, n’allèrent ensuite
teur retors, qui, dès qu’il te tourne le dos, saccage sur son passage récolte et bétail, et Dieu qu’en s’amplifiant.
n’aime pas le sabotage ». Traduction H. Boubakeur. Montan provoquait ouvertement les autorités romaines, et la répression
134 - Cf. Cyril Glassé : Dictionnaire Encyclopédique de l’Islam, p. 245. Bordas, 1991.
Cyril Glassé est un Musulman américain qui écrit dans sa préface : « C’est dans l’œuvre de est un grand Livre dans lequel nous pouvons contempler Ses Signes), et aussi par l’intui-
René Guénon que j’ai découvert les clefs pour la compréhension de la métaphysique et de tion dont Il gratifie certains Croyants (conformément au hadith prophétique), et en retour
la pensée traditionnelles ». nous aussi nous Lui parlons dans nos prières (salât) et nos demandes (dou’a). Il y a
135 - Alaouites : principalement en Syrie. Ne pas confondre avec la Tariqah soufie du d’ailleurs un lien direct entre Dieu et l’orant à ces occasions, puisqu’Il dit : « Celui qui renie
même nom (issue du Cheikh Ahmad al-’Alawi, d’Algérie). Ne pas confondre non plus avec Taghût (l’Idole) pour croire en Dieu s’est saisi du lien le plus solide, [un lien] qui ne peut
la famille royale marocaine (Alaouite). être rompu ». (Coran 2,256). Ce « lien » correspond en fait à un « souvenir » (dhikr) réci-
136 - Ibid. Manichéisme. p. 244 à 249. proque : « Souvenez-vous [de Moi] et Je Me souviendrai de vous ! Rendez-Moi grâces ! Ne
137 - A noter que le mot religion dérive du latin religare (relier, lier) qui dérive lui-même soyez pas ingrats ! » (Coran 2,152). Et : « Dis (ô Prophète) : « Mon Seigneur ne prêtera
de la racine sanscrite yoga (jonction, liaison, relation). La religion est en effet ce qui « relie » aucune attention à vous, sans votre prière ». (Coran 25,77)
l’homme à Dieu. Sans cette relation l’homme est perdu. Ce rapport entre le Créateur et Sa 138 - J’utilise ce terme de infidèle (ou mécréant : kafîroun en arabe) en référence à la
créature ne les place pas sur un plan d’égalité, d’équation, pas du tout : ce lien établit au Parole de Dieu dans le Coran qui dit : « Sont mécréants ceux qui disent : « Dieu est le troi-
contraire une « hiérarchie » absolue entre Celui qui subsiste par Lui-même (Al-Qayyûm) et sième d’une trinité ». Il n’est pas de (vraie) divinité sans qu’elle soit unique. S’ils ne cessent
Sa créature totalement dépendante de Lui. Il n’en existe pas moins un lien, un « dialogue pas de tenir un pareil langage, un douloureux châtiment atteindra les infidèles parmi
spirituel » : Dieu nous parle par Son Message révélé et par toute Sa création (qui eux ».(Coran 5,73).

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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

de ces dernières s’abattait sur toute la communauté chrétienne. Son atti- Ainsi, les peuples chrétiens ariens, les Burgondes142 et les Wisigoths143
tude n’est pas éloignée de ceux qu’on appelle aujourd’hui « intégristes » d’Aquitaine furent défaits par Clovis. L’église d’Arius survécut en Afrique
dans toutes les religions, et dont les buts sont plus politiques que vérita- (grâce aux Vandales144) et en Espagne (grâce aux Wisigoths) jusqu’à l’ar-
blement spirituels et religieux. rivée de l’Islam. Les derniers Ariens, c’est à dire les derniers vrais Chrétiens
(dignes de s’appeler disciples de Jésus) entrèrent alors en masse dans la reli-
« Il n’égare que les pervers qui violent l’Engagement qu’ils ont pris envers gion musulmane. En fait, ils ne changeaient pas de religion, mais simple-
Dieu, après l’avoir conclu, rompent ce que Dieu ordonne de lier et répandent ment modifiaient leurs rituels. Car leur religion était déjà une forme de
le désordre sur terre. Ce sont ceux-là, en vérité, les perdants ». (Coran 2,26 27) soumission à Dieu (Islâm en arabe) et ils attendaient tous avec impatience
l’arrivée de « l’autre Intercesseur » (le Paraclet) très louangé que Jésus avait
La foi monothéiste pure n’existait plus que dans la partie « Arienne »139 annoncé avant son ascension vers le Créateur. Ainsi, l’annonce du Coran
de la Chrétienté, dans l’Eglise d’Arius, qualifiée d’hérétique par les vérita- a réjoui le cœur des vrais Chrétiens monothéistes (Ariens), et suscité la
bles hérétiques, en l’occurrence les mécréants trinitaires. Mécréant est la haine dans le cœur des mécréants trinitaires :
traduction du terme arabe Kafiroûn (infidèle, dénégateur, « celui qui « Ceux à qui Nous avons donné l’Ecriture se réjouissent de ce qui t’est révélé,
refuse de voir la vérité »). L’église arienne (ou religion chrétienne authen- tandis que certaines factions en rejettent une partie. Dis-leur : « Il m’a seule-
tique, fidèle à Jésus et à Pierre) était répandue en Europe, notamment en
Gaule Romaine, en Espagne et au Maghreb. 142 - Peuple germanique qui a donné son nom à la Bourgogne. Etabli sur le Rhin, leur
En Gaule, elle fut détruite par le tyran Clovis140, ancien païen poly- royaume fut dévasté en 436 par les mercenaires Huns du Général Romain Aetius. Les
théiste converti à la trinité. C’était un barbare sanguinaire qui convertis- Burgondes survivants le reconstituèrent en Gaule dans le bassin du Rhône et en Savoie en
sait de force les ariens au catholicisme, sous peine de mort. Il n’hésitait 443. Convertis au Christianisme monothéiste absolu d’Arius, ils furent combattus par
d’ailleurs pas à tuer ses propres soldats pour s’approprier leur butin de Clovis et leur royaume annexé à la « France » naissante en 534.
guerre. L’Evêque de Rome (le Pape), le chef des trinitaires, trouva en lui 143 - Ou Visigoths (c’est à dire les « Goths Sages »). Au début du 4ème siècle après Jésus, ce
son bras armé pour répandre l’hérésie et détruire la véritable religion de peuple possédait déjà une brillante civilisation en Europe centrale (entre le Dniepr et le
Jésus. C’est pourquoi la France est toujours appelée « la fille aînée de Danube). La pression des peuples de l’Est les poussa à se déplacer vers l’Occident. En grande
l’Eglise » par Rome, car son fondateur éponyme (Clovis, roi des Francs141) partie convertis au Christianisme d’Arius par l’évèque arien Ulfilas, ils obtinrent des
fut le premier monarque barbare d’Europe à soutenir officiellement la Romains la permission de s’installer en Thrace (Grèce) en 376. Mais mécontent du sort qui
secte trinitaire. leur fut réservé sur ce territoire, ils se soulevèrent et battirent les Romains en 378. Leur Roi
Alaric 1er prit Rome en 410. Puis ils conquirent aussitôt l’Aquitaine. En 476, ils étaient
les maîtres de l’Espagne. Les Wisigoths d’Aquitaine furent ensuite vaincus par Clovis en
139 - Arien n’a rien à voir avec Aryen (avec un y). Aryen est relatif à Arya (nom ancien 507. Et ceux d’Espagne (dirigés par le prince Rodrigue ou Rodéric, rallié à la trinité)
de l’Iran), pays d’origine des premiers indo-européens qui peuplèrent ensuite l’Europe furent vaincus par une coalition d’Ariens africains et de Musulmans Arabo-Berbères et
Occidentale. Wisigoths dirigés par Tariq ibn Zyad et Moussa en 711 ap. J.-C. Les Ariens d’Espagne se
140 - Roi des Francs de 481 à 511 ap. J.-C. Il battit les troupes du Général Romain convertirent ensuite peu à peu à l’Islam. Si bien que leur Eglise fut complètement « absor-
Syagrius à Soissons en 486, puis les Alamans à Tolbiac en 496, puis les Burgondes (Ariens) bée » au point de disparaître en tant que telle. Le véritable christianisme s’était fondu dans
en 500 et le Roi des Wisigoths (Ariens), Alaric II, à Vouillé en 507. Baptisé par l’Evêque l’Islam (« soumission » au Dieu Unique), qui est la religion perpétuelle de tous les Prophètes
trinitaire Rémi à Reims en 496, il devenait ainsi le premier roi barbare catholique. « depuis Adam, sur eux la paix.
L’Hexagone » a ainsi toujours joué un rôle souvent déterminant dans l’histoire (avec des 144 - Groupement de peuples germaniques qui se fixa au 3ème siècle entre l’Oder et la
répercussions mondiales). Il est le centre (le cœur, pas seulement géographique) de l’Europe Vistule. Puis ils descendirent vers le Danube à la fin du 4ème siècle ap. J.-C. Ils passent le
(mère de la « civilisation occidentale ») qui exerce actuellement une influence culturelle Rhin en 406 et traversent la Gaule, puis l’Espagne, et arrivent au Maghreb en 429.
non-négligeable sur la planète. La présence, aujourd’hui, de l’islam en France peut, donc, Chrétiens monothéistes (Ariens), ils s’installent en Numidie, prennent la Tunisie en 439,
être un moment crucial pour l’avenir de toute l’humanité. puis la Corse, la Sardaigne, les Baléares, la Sicile. Ils pillent Rome en 455, ce qui leur vau-
141 - Peuple germanique dont les tribus (Saliens et Ripuaires) s’établirent définitivement dra leur réputation de destructeurs et d’incendiaires. Mais ils n’étaient pas plus « barbares »
en Gaule à partir du Vème siècle ap. J.-C. Leur langue, le francique, s’est éteinte au pro- que les autres peuples de l’époque (y compris Rome), et possédaient, comme les Wisigoths,
fit du Latin et du Gaulois qui sont les vraies sources de la langue dite « française » (dans une civilisation ancienne et raffinée. Leur Royaume d’Ifriqiya fut vaincu par les Byzantins
laquelle il y a également beaucoup de mots d’origine arabe, notamment dans les domaines en 533, qui massacrèrent ces vrais chrétiens et imposèrent aux survivants le faux dogme de
scientifiques, astrologiques, maritimes, bancaires, etc.) la trinité.

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ment été ordonné d’adorer Dieu, de ne rien Lui associer. C’est [à Son culte] l’impitoyable croisade militaire contre les Cathares (appelés aussi
que j’appelle et c’est vers Lui que je retournerai ». (Coran 13,36) « Albigeois »), aurait dit, en prenant d’assaut la ville d’Albi (qui n’abritait
La domination Franque (trinitaire) culmina sur la Gaule avec Charles pas que des Cathares, mais aussi des fidèles de Rome) : « Massacrez-les tous,
Martel qui combattit les Musulmans près de Poitiers. L’Islam put néan- Dieu reconnaîtra les siens ». Il faut dire que le Roi, avec la bénédiction du
moins s’établir dans tout le sud de la Gaule durant près de deux siècles.145 Pape, avait promis à Montfort tout ce que ce dernier espérait, comme pos-
La domination franque s’étendit ensuite sur toute l’Europe avec sessions territoriales.
Charlemagne (Carolus Magnus ou Charles le Grand) qui combattit les En 680, au troisième concile de Constantinople, l’Eglise trinitaire
Musulmans dans les Pyrénées.146 (encore relativement « unie ») avait décrété l’Anathème contre l’Islam. Ce
Le « trinitarisme » était devenu majoritaire. La véritable religion du terme (Anathème) s’est peu à peu édulcoré pour signifier « excommunica-
Christ (mot grec signifiant Messie) ne se trouvait plus désormais que dans tion » voire une simple mise au ban. Mais sa signification réelle est dans
l’Islam. l’Ancien Testament : il s’agit du génocide complet de tout un peuple :
Mais après la monopolisation du christianisme par l’hérésie trinitaire, la hommes, femmes et enfants. C’est cet Anathème là que l’église trinitaire
rupture entre Dieu et la chrétienté trinitaire était consommée. C’est alors, avait prononcé contre l’Islam au 3ème Concile de Constantinople (680-
qu’en punition Divine, d’autres divisions doctrinales ensanglantèrent le 681).149
monde chrétien. En conséquence, ce fut au tour des Musulmans et des Juifs d’Espagne
Ainsi, les infâmes croisades ne furent pas dirigées contre les seuls de connaître la Terreur de la Reconquista150 et de l’Inquisition151. Les
Musulmans, mais aussi contre d’autres chrétiens, notamment contre les Catholiques, à cette occasion, établirent l’Enfer sur terre, sur une terre (al-
Cathares dans le sud de la France. Rome reprochait à ces derniers de n’ac- Andalous) qui n’avait jamais connu une civilisation aussi brillante et
cepter que le seul évangile de Jean comme authentique. Ils étaient égale- tolérante que durant les huit siècles de la domination musulmane.
ment accusés de manichéisme. Cette accusation fallacieuse n’avait pour L’obscurantisme trinitaire ne pouvait subsister en effet que par la terreur
but que de justifier leur extermination. Cette soi-disante « guerre sainte » et la tyrannie, car ses fondements théologiques sont un défi à la raison. Un
était la conséquence de l’Anathème (appel au génocide total) proféré par n’égalera jamais trois, à moins de menacer du bûcher ceux qui savent
Rome et le roi de France147 (la « Fille aînée » de l’église trinitaire) à leur compter ! Ce que firent les trinitaires de toutes tendances : catholiques,
encontre. En langage biblique traditionnel, Anathème signifie destruction orthodoxes, et un peu plus tard, protestants. Ces trois « branches » de la
complète (et non simple excommunication), en référence aux Anathèmes chrétienté professent la trinité, elles sont issues de la majorité
prononcés, selon la Bible, par Dieu, contre certains peuples idolâtres enne- déviante du premier concile de Nicée (325) et du premier concile de
mis d’Israël, durant les missions de Moïse et de Josué.148 Constantinople (381).
Le sanguinaire Simon de Montfort, qui dirigeait (de 1209 à 1218) C’est pourquoi Dieu dit : « Point de contrainte en religion. La vérité se dis-

145 - Dont la dernière capitale maritime était la Garde-Freinet (Fraxinet) près de l’ac- 149 - C’est à dire longtemps avant la scission entre Catholiques et Orthodoxes en 1054.
tuel Saint-tropez. Le languedoc musulman était une conquête de l’Emirat de Cordoue. 150 - « Reconquête » de la péninsule ibérique par les chrétiens trinitaires, du VIIIème au
Narbonne était également une des capitales de la Gaule Musulmane, avant d’être investie XVème siècles (mais surtout du Xième au XIIIème siècles). La Reconquista s’acheva par la
par les Francs. prise de Grenade en 1492. Ce fut une des pires périodes de l’histoire de l’Europe. Les atro-
146 - Par un Capitulaire (loi) il rendit obligatoire le jeûne du Carème chrétien, sous cités commises par les tyrans chrétiens sont connues et incontestées, tout comme la spendeur
peine de mort, car disait-il : les Musulmans sont de bons soldats grâce à la maîtrise acquise et la tolérance de la période musulmane. Le terme de « reconquête » est d’ailleurs impropre,
par le jeûne. puisque les trinitaires n’avaient jamais vraiment dominé l’Espagne avant cette pseudo-
147 - Philippe II Auguste, roi de France de 1180 à 1223 ap. J.-C. reconquête. Il s’agit donc d’une conquête simple, et non d’une reconquête.
148 - L’Anathème est un génocide absolu, une interdiction totale de sauver qui que ce soit 151 - Inquisition. Institution juridique et pénale religieuse créée par l’église Catholique
du massacre. Cf. Deutéronome 2,34 : «...et nous vouâmes chaque ville à l’Anathème : au concile de Vérone en 1184. Dirigée en premier lieu contre les « hérétiques » Lombards,
hommes, femmes et enfants ; nous n’avons pas laissé de survivant ». Egalement Deut. 3,6 ; puis contre les Cathares, elle comportait la pratique systématique de la torture et du sup-
7,1-4 ; 25,19 ; Josué 6,16-17 ; 8,24-25 ; 10,29-40 ; 11,8-23 ; Ezéchiel 9,5. L’Anathème plice du bûcher (avec confiscation des biens). Elle se déchaîna ensuite contre les Musulmans
condamne à mort même les jeunes filles vierges. En cas contraire, il ne s’agit pas d’un d’Espagne, les Juifs et les Maranes (Juifs convertis de force au Catholicisme) dont la foi sem-
Anathème à proprement parler (c’est à dire d’un génocide absolu). Lorsqu’Israël était auto- blait suspecte aux yeux des Inquisiteurs, surtout que les Maranes étaient souvent riches...
risé à garder les jeunes filles vierges de certains autres peuples vaincus, la Bible ne parle pas L’Inquisition a sévi sur cette terre martyre d’Espagne jusqu’au XVIIème siècle, puis s’est
d’Anathème, par exemple en Nombres 31,1 ; Juges 21,10, etc. éteinte, Dieu merci !

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tingue de l’erreur. Celui qui renie Taghût pour croire en Dieu s’est saisi du lien L’Ordre du Temple (composé de chevaliers francs catholiques), qui avait
le plus solide, [un lien] qui ne peut être rompu. Dieu entend et sait tout ». sévi en Palestine, au Liban, en Egypte, s’était considérablement enrichi.
(Coran 2,256) Ayant été en contact durant longtemps avec le monde musulman et la civil-
Et en effet, l’Islam s’est répandu pacifiquement sur la planète, contraire- isation « arabo-musulmane », les Templiers en avaient rapporté également
ment à ce qu’affirment ses détracteurs.152 C’est au contraire le christian- des « secrets » d’architecture et dans diverses autres sciences, ainsi que des
isme qui s’est répandu par la terreur et la conversion forcée. D’ailleurs, dès méthodes d’organisation économique (premières « banques » et système de
qu’elle perdit ses bras séculiers (ses soutiens étatiques) l’expansion de « chèques » au porteur). Cette suprématie économique et scientifique avait
l’Eglise s’arrêta brusquement dans le monde. C’est une réalité historique excité des jalousies contre eux dans le reste de la chrétienté. Ils avaient
incontestable. également acquis certaines valeurs culturelles de l’Orient musulman : l’e-
Lors des croisades anti-musulmanes, les armées croisées franques153 s’at- sprit de « chevalerie » (futuwwa157), des conceptions philosophiques, une
taquèrent aux chrétiens de Constantinople, qu’ils pillèrent pour financer ouverture à l’Orient (berceau de la Tradition abrahamique)158, qui
leurs navires vénitiens ! Ce crime consomma la rupture entre Rome effrayaient les obscurantistes qui dominaient alors l’Occident franc.
(Catholique154) et l’Eglise de Constantinople (Byzance) qui s’appela elle- Comme on ne trouva rien à leur reprocher sur le plan théologique, car c’é-
même Orthodoxe.155 taient aussi de rusés savants en matière de religion chrétienne, ils furent
C’était pourtant l’Empereur de Byzance (capitale de « l’empire Romain accusés de perversion sexuelle, de sodomie ! C’est tout ce que le Roi
d’Orient ») qui avait appelé les Francs à la rescousse, pour se protéger des Philippe le Bel et ses clercs théologiens avaient pu trouver pour les anéan-
Turcs Seldjoukides. tir et accaparer leur richesses matérielles (qui n’étaient pourtant rien au
A Jérusalem, les croisés perpétrèrent d’effroyables massacres contre les regard de leurs richesses intellectuelles acquises en Orient)...
Musulmans et les Juifs. Ces derniers avaient vaillament défendu la Ville Le Cheikh Abd al-Wahid René Guénon indique dans ses ouvrages, que
Sainte aux côtés de leurs frères d’armes Musulmans. Les croisés les firent le début de la déviation moderniste, qui allait préparer le triomphe du
brûler vifs dans leurs synagogues. Affamés après un long siège, certains matérialisme, se situe précisément au moment de la destruction de l’Ordre
barbares croisés firent rôtir des nouveaux nés qu’ils mangèrent. Ce sont des du Temple par le roi de France, en 1312 ap. J.-C.159
chroniqueurs croisés eux-mêmes qui ont relaté ces faits. Ils ont relaté Mais si les dirigeants de l’Ordre furent brûlés vifs, non sans avoir mau-
également que dans certains quartiers de la Ville Sainte, leurs chevaux dit leurs bourreaux,160 le précieux savoir accumulé par les Templiers ne fut
marchaient jusqu’aux genoux dans le sang de la population martyre ! pas entièrement perdu.
Les croisés durent leur victoire à une trahison de quelques arméniens.
En effet, de nombreux arméniens habitaient tout un quartier de la Ville. était sans doute aussi aussi l’expression d’une colère de Dieu contre Son peuple, car les
Ils la défendirent contre les croisés, mais c’est parmi eux que les croisés Musulmans ne se sont pas non plus toujours comportés comme Dieu le veut. Mais Dieu
trouvèrent quelques alliés providentiels. En effet, les croisés étaient sait mieux.
affamés, et ils n’auraient pu maintenir le siège une semaine de plus. Les 157 Al Futuwwa, à l’origine avait le sens d’héroïsme, plus tard elle fût associée au vertus
Musulmans étaient eux aussi divisés à cette époque, et les renforts atten- guerrières de l’initiation chevaleresque. Son prototype est incarné en la Figure du prophète
dus pour sauver la Ville tardèrent trop longtemps.156 Abraham; le jeune brave (al fatâ - dans le Coran -) qui brisa les idoles de son peuple
(Coran s.21, v.51-73 et s.37, v.83-98). A l’époque du Prophète Mohammed -sur lui la
152 - Cf. : Mohammad Amine Alibhaye : « Le sabre ou le pouvoir de l’Islam ? », Ed. FMR grâce et la paix -, l’imam Ali incarna ce prototype de sagesse, force et courage.
(Ile de La Réunion), 1997. 158 - Cf. René Guénon : La métaphysique orientale (Ed. Traditionnelles) ; Orient et occi-
153 - La majorité des croisés étaient en effet originaires de France ou des autres possessions dent (Ed. Traditionnelles) ; Aperçus sur l’ésotérisme islamique et la taoïsme (Gallimard).
carolingiennes, c’était des Francs, des descendants des barbares dirigés par Clovis, fils de 159 - Cf. Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps, note n° 1, p. 110-111.
Mérovée. Ed. Gallimard. Egalement : Autorité spirituelle et pouvoir temporel, p. 111.
154 - « Catholique » signifie : universel. Ed. Traditionnelles. Le calvaire des dignitaires de l’Ordre dura sept ans. En 1307, Philippe
155 - C’est à dire « véridique ». le Bel fait emprisonner 138 responsables, dont le procès se terminera en 1314. Jacques de
156 - Coran 13,31 : « Les croyants ne savent-ils pas que si Dieu le voulait, Il mettrait tous Molay et ses compagnons sont brûlés vifs après avoir été torturés. Leur trésor est pillé par le
les hommes sur la bonne voie ? Cependant, les mécréants ne manqueront pas, en sanction Roi, leurs biens immobiliers transférés aux Chevaliers Hospitaliers (qui constitueront
de leurs actes, d’être atteints par un cataclysme... à moins que tu ne campes [toi-même] aux l’Ordre de Malte). Sur le bûcher, le grand maître des Templiers maudit le Roi et ses des-
approches de leurs demeures, jusqu’à ce que la promesse de Dieu s’accomplisse, car Dieu ne cendants (les « Rois Maudits »).
manque nullement à Sa promesse ». La prise de la Ville Sainte par les barbares trinitaires 160 - Un hadith du Prophète Mohammed dit que la malédiction, même d’un mécréant,

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Beaucoup de templiers retournèrent alors dans la vie civile, en y appor- dépositaires, toutes deux, d’une partie de la tradition métaphysique
tant leurs métiers, notamment celui d’architecte, de maçon, de charpen- authentique, bien qu’altérée et dégénérée. Mais l’Occident, pendant
tier, etc. Un peu plus tard émergèrent des organisations corporatives, et longtemps, n’a eu que ces deux formes traditionnelles163 pour ne pas som-
notamment les premières « franc-maçonneries » opératives, constituées de brer complètement dans l’obscurité totale du matérialisme moderne. Il
maîtres, compagnons et apprentis. Ces franc-maçonneries acceptèrent faut l’admettre objectivement. Issu à la fois du Catholicisme et de la
d’intégrer dans leurs loges (réunions) des non maçons issus d’autres corps Franc-maçonnerie, René Guénon, qui était donc un Savant des Gens du
de métiers, des commerçants, des intellectuels, intéressés par les con- Livre particulièrement érudit (on peut même dire : le sommet de la science
férences qui étaient données dans les loges, dans toutes sortes de métaphysique en Occident) entra donc naturellement en Islam, car de la
domaines. C’est ainsi que naquit peu à peu la franc-maçonnerie spécula- recherche véritable ne peut surgir que la lumière. Son oeuvre écrite est un
tive (ou acceptée), surtout constituée d’intellectuels de tous horizons (et monument irremplaçable pour tout occidental qui veut renouer avec la
de moins en moins de maçons de métiers). Ces loges devenaient des véritable Tradition Métaphysique, telle qu’elle était avant sa subversion par
refuges pour la pensée, la recherche, la communication, toute chose qui le funeste « modernisme » matérialiste dont il a magistralement défini la
était bridée dans les pays chrétiens intolérants. La Franc-maçonnerie per- nature antireligieuse, anti-spirituelle et anti-métaphysique.
mit de sauver de l’anéantissement des pans entier de la science (aussi bien René Guénon est né à Blois le 15 Novembre 1886, et il est mort au
profane que sacrée). Elle constitue un courant de pensée traditionnel Caire le 7 Janvier 1951. Il étudia les religions, les philosophies, des langues
important, mais elle a également dégénéré, s’est divisée, et a donné nais- (dont l’arabe)164, des sciences sacrées et profanes (notamment les mathé-
sance à des regroupements très éloigné de ses buts initiaux fondamentaux. matiques), il fréquenta plusieurs loges maçonniques. Il se fit exclure (ou se
Par exemple, le Grand Orient de France est quasiment sorti de la Franc- laissa exclure) de plusieurs obédiences, qui, selon lui, avaient dégénéré et
maçonnerie traditionnelle en abandonnant toute référence à Dieu ne pouvaient plus valablement initier les chercheurs de vérité à la vraie
l’Unique (appelé « Le Grand Architecte161 de l’Univers » dans les autres connaissance métaphysique. Selon Paul Chacornac (un de ses biographes
obédiences traditionnelles maçonniques). qui le connut pendant longtemps), il fonda même une loge maçonnique
Les buts de ces confréries intellectuelles est la fraternité universelle, le intitulée : La Grande Triade165. Il écrivit dans plusieurs journaux et revues
progrès véritable (dans l’intérêt de tous les humains). Ce sont des buts religieuses. Puis il est initié à l’ésotérisme islamique, en 1912, l’année de
louables que n’aurait pas désavoués notre Prophète Mohammed très son mariage166. Il entre donc en Islam à vingt-six ans. Pour autant, il n’a-
louangé. D’ailleurs, lui même, avant la Révélation Coranique, était mem- bandonne pas son projet central : démontrer l’existence d’une Tradition
bre d’une confrérie de bienfaisance (qui avait pour but, notamment, de métaphysique primordiale dont on trouve les traces dans toutes les formes
défendre les étrangers à La Mecque) et il ne la répudia pas après l’avène- religieuses anciennes. C’est que ce travail de clarification méthodique est
ment de l’Islam.162 nécessaire à l’élite spirituelle de l’occident, afin de pouvoir aborder sereine-
René Guénon a beaucoup écrit sur l’église Catholique et la Franc-
maçonnerie. Elles furent ennemies l’une de l’autre, mais également 163 - Lire à ce sujet : René Guénon : Formes Traditionnelles et Cycles cosmiques.
Gallimard.
injustement traité, est accomplie par Dieu s’Il le veut, car Dieu déteste l’injustice envers Ses 164 - Avec son français natal, il connut douze langues, dont l’arabe, classique et courant
créatures quelles qu’elles soient. « L’invocation de la victime d’une injustice est exaucée, (sans accent nous rapportent ses biographes), l’hébreu, le sanscrit, le grec, le latin, le malais,
même s’il s’agit d’un libertin, car il répondra de son libertinage [lors de son Jugement der- l’anglais, l’italien, l’espagnol, le russe, le polonais, l’allemand. Et il avait étudié toutes les
nier]». Et dans une autre version du même hadith : « Même s’il s’agit d’un religions (dans leurs textes fondateurs) et toutes les philosophies.
mécréant ».(Rapporté par Ahmed ibn Hanbal). 165 - Qui n’a rien à voir avec une quelconque trinité religieuse (composée de trois
161 - Architecte est celui qui conçoit avant de créer. Ce terme désigne Dieu l’Unique « dieux » comme chez les Egyptiens ou les Hindous, ou d’un dieu « en trois personnes »
(notamment dans le Livre de Job). Il correspond à plusieurs de Ses Attributs : Le Créateur, comme chez les Chrétiens trinitaires). Cette grande triade est celle de la métaphysique tra-
Le Formateur, le Sustentateur (en arabe : Al-Khâliq, al-Muçawwir, al-Qayyûm). ditionnelle : Ciel, Homme, Terre. Elle est symbolisée dans la sagesse hermétique par le tri-
162 - Half al-Foudoûl que Martin Lings traduit par « Pacte de Chevalerie » (Le Prophète angle (symbole repris par les Maçons), qui apparaît aussi dans le Sceau de Salomon (dit
Mohammed, p. 42. Ed. du Seuil, 1986. Source ancienne : Ibn Ishâq: Sirât Raçoul Allâh). étoile de David). Lire à ce sujet les ouvrages du Cheikh Abd al-Wahid Yahyia (René
Il s’agissait d’une confrérie de bienfaisance dont l’idéal était la justice et la fraternité uni- Guénon) : La Grande Triade, (Gallimard), Symboles Fondamentaux de la Science Sacrée
verselle. C’est d’ailleurs au sein de cette organisation qu’il se liera d’amitié avec Abou Bakr (Gallimard).
le Véridique. Après la Révélation du Coran, il en disait : « Et si maintenant que l’Islam est 166 - J. L. Maxence. Op. cit. p.53. P. Chacornac : La vie simple de René Guénon, p. 47.
advenu, on m’appelait à prendre part au même pacte, j’y répondrais avec joie ». Ed. Traditionnelles, 1958.

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ment l’Islam et comprendre que l’ultime religion révélée est la restauration ation soufie, mais qui doit s’épanouir par la vie pieuse et simple.
parfaite de la tradition métaphysique primordiale, qui avait été révélée aux Sa pensée est homogène, sans discontinuité, une pure intellectualité au
ancêtres de l’humanité : Adam, Seth, Hénoch, puis après eux, aux autres service de la science sacrée. Dans mon premier ouvrage, j’avais émis un
Messagers du Dieu unique : Allâh en arabe. jugement rapide et infondé le concernant, ainsi que sur ses disciples. C’est
A son époque, les Musulmans étaient très peu nombreux en Occident. l’ignorance seule qui m’avait conduit à cela. Je corrige donc cette erreur
En France notamment, l’Islam n’allait s’implanter vraiment qu’avec l’im- que j’avais commise en prétendant (contrairement à René Guénon), que
migration maghrébine, à partir de la fin des années 50. Il n’y avait donc à l’Eglise Catholique « n’était pas un rempart contre l’idolâtrie moderniste, elle
cette époque que le seul ésotérisme chrétien (dont la franc-maçonnerie, en était le germe même » (p. 84)169. C’est le contraire qui est exact, et c’est
n’en déplaise aux Catholiques sectaires) pour ralentir un peu la subversion le Cheikh Abd al-Wahid, bien sûr, qui a raison, à savoir que cette Eglise,
du « modernisme » matérialiste. malgré sa dégénérescence, est tout de même l’écho d’une Tradition
Il continua donc d’écrire pour indiquer les racines du mal moderne. authentique, et qu’en l’absence de l’Islam, elle vaut bien mieux que le
Car on ne peut remédier à un mal sans en connaître les causes. Mais il modernisme athée et matérialiste. Là encore, c’est, d’une certaine façon, ce
indique également que ce mal est devenu irréversible en Occident et que que Dieu dit dans le Coran dans plusieurs versets.
les formes traditionnelles subsistantes sont elle-mêmes trop altérées pour L’exemple de l’émir Abd el-Kader l’Algérien (un « Akbarien »170) est sig-
inverser la tendance. C’est d’ailleurs impossible, puisque tout est écrit et nificatif à cet égard. Il fut, à n’en pas douter, un de ces dépositaires de la
qu’on aboutit à la fin d’un cycle. Le redressement ne peut venir que science sacrée, de cette Tradition initiatique musulmane (le Soufisme), ce
« d’ailleurs », plus précisément d’Orient, qui a mieux conservé la tradition qui ne l’empêcha pas (bien qu’ayant combattu militairement les Français,
métaphysique dont l’origine est supra-humaine, transcendantale et ayant été emprisonné puis exilé par eux) de défendre la vie des Chrétiens
Divine. du Liban contre des extrémistes Druzes, de donner des conférences dans
Puis, cette mission accomplie, son « testament spirituel » délivré à la les loges maçonniques, car comme Ibn Arabi et plus tard, René Guénon,
méditation de l’élite spirituelle occidentale (il ne se faisait pas d’illusion sur il connaissait les formes religieuses et traditionnelles issues de la Tradition
les grandes masses ravalées au rang le plus inférieur167 par des siècles de Primordiale.
« modernisme » anti-traditionnel et antireligieux), il alla s’installer en Mais revenons rapidement en arrière, dans l’histoire du christianisme.
Egypte, et devint, pour ses disciples, le Cheikh Abd al-Wahid Yahya. Il a La chrétienté continua donc sa dégénérescence, son « involution », son
indiqué l’initiation traditionnelle168 comme condition du salut. Puis il a éclatement, après les affreuses croisades et la destruction de l’Ordre du
continué sa démonstration sans « prosélytisme » islamique, mais en vivant Temple. Un peu plus tard, au 16 ème siècle, les divisions entre chrétiens
son Islam simplement, dans une terre d’Islam. C’était son « repos du guer- trinitaires aboutirent à la réforme protestante (ou plutôt aux réformes) de
rier » après une lutte colossale pour le triomphe de la vérité. Il pouvait alors Calvin et de Luther, d’Angleterre. Le protestantisme a produit une foule
se consacrer à la seule réalisation spirituelle incluse au départ dans l’initi- innombrable de petites et grandes sectes. Le groupement des « Témoins de
Jéhovah », par exemple, l’un des derniers apparus, s’y rattache historique-
167 - Il a écrit : « L’« homme moderne » est réellement inapte à recevoir une initiation, ou ment. Le Protestantisme, du point de vue lucide et informé de René
tout au moins à parvenir à l’initiation effective ; mais nous devons ajouter qu’il y a pour- Guénon, est un christianisme encore plus dégénéré sous l’influence du
tant des exceptions, et cela parce que, malgré tout, il existe encore actuellement, même en « modernisme ». La spiritualité authentique y est submergée par une dérive
Occident, des hommes qui, par leur « constitution intérieure », ne sont pas des « hommes
modernes », qui sont capables de comprendre ce qu’est essentiellement la Tradition, et qui 169 - Quoique le Cheikh dit lui-même que le début de la dérive moderne a coïncidé avec
n’acceptent pas de considérer l’erreur profane comme un « fait accompli » ; et c’est à ceux-là la destruction de l’Ordre du Temple par Philippe le Bel (appuyé par l’église Catholique).
que nous avons toujours entendu nous adresser exclusivement ». Cité par Paul Chacornac : Ainsi est établi d’une certaine façon la co-responsabilité du Catholicisme dans l’origine du
La Vie Simple de René Guénon, p. 97. Ed. Traditionnelles, 1958. modernisme, même si effectivement il n’est pas le seul en cause et ne peut donc être aucu
168 - Lire à ce sujet ses ouvrages : Aperçus sur l’Initiation (Ed. Traditionnelles), Initiation nement qualifié de « germe » de cette dérive. Malgré ce type d’erreur criminelle (comme la
et réalisation spirituelle (Ed. Traditionnelles). En Islam, cette « initiation » est concomi- destruction du Temple), l’église a tout de même rempli un rôle certain de « rempart » contre
tante avec le serment d’allégeance que les Compagnons font au Prophète en lui serrant la la dérive moderniste. Le problème est plutôt que ce « rempart » ébréché n’était pas en mesure
main. A ce moment une Baraka Divine, transitant par le Maître (puis par ses successeurs de résister durablement à l’envahissement du matérialisme. Cf. Le Règne de la Quantité
authentiques, les Khalifes bien guidés et les savants véridiques), « descend » sur l’adepte. et les Signes des Temps, note (1) p. 109-110. Gallimard.
C’est l’Initiation véritable et proprement dite. Le soufisme, qui perpétue cette Tradition 170 - C’est à dire acquis aux enseignements d’Ibn Arabi, le Cheikh al-Akbar, mort en
authentique irremplaçable, est à ce titre, la garantie de l’orthodoxie en Islam. 638 de l’Hégire (1240 ap. J.-C.)

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rationaliste. On peut d’ailleurs le constater facilement : les Protestants romaine, on n’en prit que ce qu’elle avait de plus extérieur ». D’ailleurs, aux
doutent de plus en plus ouvertement des miracles de Jésus, de la virginité yeux de notre philosophe, les hommes du XVIIème siècle n’avaient plus la
de Marie mère de Jésus, etc. Pour ce qui est de la tolérance, ce n’est pas sur moindre notion de ce qu’avait été la civilisation du Moyen Âge « et les mon-
ce terrain que les Catholiques et les Protestants se différenciaient. Les deux uments qui en subsistaient ne représentaient plus rien à leurs yeux ».
camps commirent les mêmes atrocités. Calvin fut un tyran ordinaire à En bref, René Guénon rejoint par-delà le temps un point de vue global comme
Genève. Quant à Luther, il bénit le massacre d’une partie de ses fidèles celui de Régine Pernoud, spécialiste du Moyen Âge, récemment décédée. Ainsi,
(protestants communistes) par les Princes Allemands. nous pouvons dire que Guénon dénonce une «véritable falsification de l’histoire
Pour René Guénon, le sinistre modernisme n’est pas né avec la réforme à laquelle les modernes se sont livrés». Et il n’hésite point à soutenir ensuite que
protestante : elle n’en est qu’un des effets. Le mal vient de plus loin : plus «l’humanisme» (qu’il met entre guillemets, bien entendu) est déjà «une forme de
exactement de la période qui va du règne de Charlemagne jusqu’au 14 ce qui est devenu le laïcisme contemporain ; et voulant tout ramener à la
ème siècle, puis de la pseudo-renaissance (en fait la renaissance du pagan- mesure de l’homme, pris pour une fin en lui-même, on a fini par descendre,
isme gréco-romain). L’idéologie du modernisme s’est affirmée ouverte- d’étape en étape, au niveau de ce qu’il y a en celui-ci de plus inférieur, et par
ment à cette époque, et son triomphe est donc antérieur au siècle des ne plus chercher que la satisfaction des besoins inhérents au côté matériel de
« lumières » (illusoires à plus d’un titre d’ailleurs). Il situe plus exactement sa nature, recherche bien illusoire, du reste, car elle crée toujours plus de
le début de la dérive moderne avec la destruction de l’Ordre du Temple besoins artificiels qu’elle n’en peut satisfaire» (ibid, p. 26)».172
sous Philippe le Bel, roi de France. Aujourd’hui, nous sommes entrés dans la fin de l’âge sombre de l’human-
Jean-Luc Maxence, écrit dans son ouvrage171 sur René Guénon: ité, que certains appellent «post-moderne»: c’est le temps du triomphe
« Pour ce penseur-là, tout est cycle. Et l’altération spirituelle de l’Occident apparent du matérialisme le plus obscur en effet. Nous sommes même entrés
chrétien est une évidence. Celle-ci peut se comparer à la décadence antique par dans une phase post-matérialiste, car une pseudo-spiritualité se développe, ce
bien des traits communs, à savoir, en substance, : envahissement d’une philoso- que René Guénon appelle la «Contre Initiation» (toute diabolique en réal-
phie purement « profane », émergence du scepticisme d’une part, succès du ité). Mais c’est justement à ce point le plus bas que le cycle ne peut
« moralisme » stoïcien et épicurien d’autre part, dégénérescence des anciennes qu’amorcer sa remontée vers la lumière. C’est comme le jour le plus court de
doctrines sacrées « que personne ne comprend plus » et qui deviennent des l’année, le solstice d’hiver: il correspond en même temps au début du ral-
superstitions profanes, puis tentatives de réaction contre cette dégradation. longement des jours. C’est pourquoi, dans toutes les traditions occidentales
« L’hellénisme lui-même tente de se revivifier à l’aide d’éléments (septentrionales) ce moment est fêté. Les chrétiens l’ont fait coïncider artifi-
empruntés aux doctrines orientales avec lesquelles il pouvait se trouver en ciellement avec la naissance de Jésus (Noël), alors que le Messie est né en été
contact ; mais cela n’était plus suffisant, la civilisation gréco-romaine selon les évangiles (puisque les bergers dormaient à la belle étoile, et que les
devait prendre fin et le redressement devait venir d’ailleurs (...) Ce fut le bêtes étaient au pâturage dans les montagnes).173
christianisme qui accomplit cette transformation », explique René Guénon Mais c’était une façon de conserver un symbole important de la science
(La Crise du Monde Moderne, p. 23-24) Encore une fois, tout est cycle ! Et sacrée, en le «christianisant». Il ne faut pas y voir là que l’aspect négatif. Une
l’archéologue de l’âme de poursuivre le raisonnement de son « voyage » dans le religion est toujours un ensemble qui a sa cohésion interne, dont les éléments
passé lointain en disant qu’à la suite d’une période « troublée des invasions ont une fonction symbolique précise, même si, dans le domaine matériel,
barbares, nécessaires pour achever la destruction de l’ancien état des «exotérique», ils semblent s’opposer à des réalités plus concrètes. La méta-
choses », ce fut le Moyen Âge comme « ordre restauré pour une durée de physique n’est pas la physique. Si on ne les distingue pas, il n’y a pas de reli-
quelques siècles ». Ensuite, une nouvelle décadence correspond à un autre
cycle... 172 - Jean-Luc Maxence : « René Guénon le Philosophe invisible ». Pages 21 à 23. Presses
Pour Guénon, c’est net : le « vrai Moyen Âge », qui s’étend du règne de de la Renaissance, Paris 2001. L’œuvre de René Guénon est un monument irremplaçable
Charlemagne au début du XIVème siècle, est la période où se situe « le vérita- dans la perspective de la véritable renaissance de l’Occident, renaissance qui n’aura lieu
ble point de départ de la crise moderne ». Du coup, la Renaissance et la qu’avec son retour à la Tradition, ainsi que l’a démontré le Cheikh, par sa vie et son ensei-
Réforme « consomment la rupture définitive avec l’esprit traditionnel, l’une gnement. Car si effectivement, le Catholicisme et la Franc-maçonnerie ont en quelque sorte
dans le domaine des sciences et des arts, l’autre dans le domaine religieux ». freiné l’irrévocable déclin spirituel de l’Occident, cela n’est plus suffisant, et le redressement
Pour l’observateur initié, la Renaissance fut en réalité « la mort de beaucoup spirituel doit venir « d’ailleurs », c’est à dire de l’Islam (incluant nécessairement le
de choses », puisque « sous prétexte de revenir à la civilisation gréco- Soufisme) qui est l’ultime restauration de la Tradition métaphysique primordiale avant la
fin ce monde.
171 - « René Guénon le Philosophe invisible ». Presses de la Renaissance, Paris 2001. 173 - Evangile selon Luc 2,8. Trad. E. Osty. Op. cit. p. 2205.

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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

gion possible. ce qui constitue son caractère propre, ce qui le fait être ce qu’il est» (La Crise du
D’ailleurs, même sur le plan matériel, extérieur, toute science est para- Monde Moderne, p. 111).175
doxale. Par exemple, il est évident au regard que le soleil tourne autour de la L’attitude juste des Musulmans face aux Chrétiens ne peut être trouvée
terre, et c’est pourtant l’inverse qui est vrai. L’eau est constituée de d’associa- que par une bonne connaissance de la Parole de Dieu (le Coran) qui
tion de deux gaz: l’un explosif (l’hydrogène) et l’autre permettant la combus- définit les bases du dialogue inter-religieux, et par une bonne connaissance
tion. Et c’est avec cela qu’on éteint les incendies! Gloire à Dieu qui nous de l’histoire, ainsi que du legs scripturaire des « gens du livre » tel qu’il leur
émerveillera éternellement et qui a tout enfermé dans le paradoxe, pour nous est parvenu, et dont ils reconnaissent eux-mêmes (du moins leurs spécial-
étonner et nous réjouir, car Il est le Dieu d’Amour, al-Wadoûd. A lui la istes) qu’ils « sont l’oeuvre d’auteurs ou de rédacteurs (...) [dont les] livres ont
Louange. Il est l’Unique, le Seul digne d’être adoré. circulé assez longtemps dans le public, et portent les traces (...) de retouches,
Quant à l’église Catholique, après avoir prononcé l’Anathème contre d’annotations, voire de refontes plus ou moins importantes ».176
l’Islam, déclenché l’horrible Inquisition et les affreuses Croisades, justifié Un autre grand traducteur de la Bible, Emile Osty, écrit, en avant-pro-
l’esclavage des noirs, les conversions forcées durant les conquêtes coloniales, pos de sa traduction : « Nous avons respecté le texte original jusqu’au scrupule,
elle a aujourd’hui changé de visage. Elle a certes été évacuée du pouvoir poli- ne recourant aux corrections et conjectures que dans les cas extrêmes. Lorsque
tique un peu partout, ce qui explique sans doute son retour à de plus nobles le texte est irrémédiablement corrompu, nous n’avons pas cru devoir inventer
sentiments de tolérance et de simple charité, Dieu merci. un sens, mais nous avons indiqué la lacune par de petits points. /.../ Ainsi,
Depuis le 2ème Concile de Vatican (1962-1965), l’église Catholique a notre traduction échappera au reproche de fantaisie et de manque de con-
complètement changé de discours sur le monde en général (notamment sur stance, mérité par tant de versions qui sont l’oeuvre d’une pluralité d’au-
la franc-maçonnerie) et sur l’Islam en particulier, reconnu comme une reli- teurs ».177
gion professant un monothéisme absolu. Comme on le voit, aucune personne informée ne croit plus que le
L’église Orthodoxe a toujours été plus prudente, dès l’origine, avec l’Islam, Nouveau Testament, pas plus que l’Ancien, n’est in extenso l’authentique
car elle était sa voisine géographique, ce qui n’a pas nécessité de sa part un parole de Dieu, mais plutôt une compilation de textes humains se faisant
aussi grand mea culpa que celui prononcé dernièrement par l’actuel pape l’écho de révélations Divines disparues en leur état initial. Une exégèse
Jean Paul II, qu’il faut honnêtement saluer pour cela. L’église Orthodoxe est particulièrement prudente est donc recquise pour les étudier correcte-
également moins universelle que l’église Catholique. L’église Orthodoxe est ment. De ce dernier point de vue, on peut affirmer avec certitude que
plus limitée géographiquement; on peut dire: presque annexée à l’empire l’Imam al-Ghazali (Algazel chez les latins) est celui qui a produit la
Russe, et plus divisée aussi. Elle n’a pas un grand représentant mondialement meilleure exégèse de ces textes depuis leur apparition dans l’histoire. Les
connu comme le Pape catholique. Quand aux multitudes d’églises et sectes Chrétiens, qui tiennent en estime cet éminent théologien musulman
protestantes, elles ne constituent plus, sauf aux USA174, un pôle spirituel et (puisqu’il était enseigné dès le Moyen Âge en facultés de philosophie dans
religieux important. C’est dans sa mouvance que se constituent les myriades les pays chrétiens), feraient bien d’étudier également son exégèse de la
de sectes modernes qui finissent d’affaiblir la spiritualité chrétienne en la dilu- Bible. Ils pourraient ainsi facilement revenir à une compréhension ortho-
ant dans le « new-âge » et ses artifices pseudo-spirituels de la « Contre- doxe de leur legs scripturaire et abandonner les faux dogmes qui se sont
Initiation» dénoncée par notre Cheikh Abdel Wahid René Guénon. formés dès leur quatrième siècle à la suite d’une exégèse particulièrement
L’Occident n’est plus réellement chrétien, il est post-chrétien. La vraie spir- déficiente, et nettement influencée par le paganisme environnant.
itualité chrétienne est en voie de disparition totale. Il n’en subsiste plus que A cette fin, nous consacrerons un chapître au travail de notre Imam en
des lueurs, confinées surtout dans l’élite des hiérarchies Catholique, ce domaine, dans le présent ouvrage. L’apport de l’Imam Ghazali est
Maçonnique et Orthodoxe, et dans quelques individus du «peuple» chrétien. d’ailleurs irremplaçable dans la plupart des disciplines de la science sacrée.
A cet égard, notre Cheikh Abd al-Wahid René Guénon écrit: Mais pour l’instant, il nous faut compléter le présent chapître traitant
«On dit que l’Occident moderne est chrétien, mais c’est là une erreur; l’esprit de la transmission des Ecritures Saintes. Après l’Ancien et le Nouveau
moderne est anti-chrétien, parce qu’il est essentiellement antireligieux ; et il est Testaments, voyons maintenant ce qui se rapporte à la transmission du
antireligieux parce que, plus généralement encore, il est anti-traditionnel; c’est là Coran, depuis sa Révélation, jusqu’à nous.

174 - Cette particularité est compensée par l’importance que la Franc-maçonnerie a tou-
jours joué dans ce pays dès sa fondation. La majorité des députés étaient franc-maçons lors
de la Déclaration d’Indépendance, le 4 Juillet 1776. 176 - Introduction à la Traduction OEcuménique de la Bible.
175 - Cité par J.L. Maxence, Op. cit. p.194. 177 - La Bible, Osty. Seuil, 1973.

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Moïse, Jesus et Mohammed

LA TRANSMISSION DU SCEAU DES MESSAGES l’Ijtihad178, le Qiyâs179 et le Ra’y180, toutes choses non seulement permises
LE CORAN mais recommandées explicitement par Dieu et/ou Son Prophète, prennent
place dans les sources orthodoxes du Savoir ou Droit (Fiqh) islamique.
Le Prophète très louangé a eu dix-sept secrétaires réguliers (dont Zayd
Ibn Thâbet, ‘Alî Ibn Abou Talib, ‘Outhman Ibn ‘Affan, ‘Oubay Ibn Ka’b,
Mou’awiyya Ibn ‘Abou Soufyân, etc.), qui transcrivaient les versets révélés
sur des supports matériels (parchemin, tablettes de bois et de poterie,
omoplates de chameaux).
Par ailleurs, un grand nombre de Compagnons (Sahâba) apprenaient
Part. III - Chap. IX méthodiquement, par coeur, tous les versets révélés, au fur et à mesure de
leur « descente » sur le Messager très louangé. On les appelait « Porteurs du
Coran » (Hâmiloû al-Qu’rân), puis, plus tard, et métaphoriquement
« gardiens » du Coran (Hâfizou al-Qu’rân) car le Seul vrai « Gardien » bien
Avant d’être un écrit (un kitab), le Coran fut une prédication orale, sûr est Dieu Lui-même, ainsi qu’Il l’indique dans le verset plusieurs fois
« descendue », de la part de Dieu, sur Son serviteur Mohammed très cité ici.
louangé, par l’intermédiaire de l’Archange Gabriel, lui-même serviteur et Le Coran était donc bien « gardé », durant la vie du Prophète et de ses
Messager de Dieu, exalté et magnifié soit-Il. successeurs immédiats. Mais la crainte de le voir disparaître (car le
En tant que Parole de Dieu, « le Coran est incréé » (en son essence Messager avait annoncé qu’un jour il s’effacerait des mémoires et « remon-
donc). Une fois transcrit sur des supports matériels (la voix humaine ou terait » donc comme il était « descendu »), poussa les Khalifes Rachidines
tout autre media), il se revêt alors d’une apparence analogue aux choses (« bien guidés », c’est à dire les quatre premiers) à généraliser sa recension
créées. Il faut distinguer ces deux aspects pour comprendre l’affirmation par écrit. Ceci dès l’accession d’Abou Bakr as-Sidîq en l’an 11 de l’Hégire.
d’Ahmad Ibn Hanbal : le Coran est incréé. Les Mu’tazilites affirmaient
l’inverse, car ils se refusaient à distinguer l’essence de l’apparence. Mais En effet, des apostats se prétendirent prophètes pour revendiquer le
dieu Sait mieux. Du vivant du Prophète, sur lui la grâce Divine et la paix, khalifat à leur profit. Le Commandeur des Croyants dû leur livrer bataille,
ces paroles Divines, communiquées par Gabriel, étaient aussitôt gravées et les Hâmiloul-Qu’rân moururent martyrs en grand nombre, car étant
dans la mémoire du Prophète bien sûr, mais aussi de ses Compagnons, parmi les meilleurs Musulmans, c’étaient également les plus empressés à
auxquels il transmettait, à chaque nouvelle révélation, les versets du défendre l’Islam.
Coran. Cette diminution brutale des « Dépositaires » du Coran fut à l’origine
Le Coran est donc une Révélation sans ingérence humaine. L’élément du souci légitime des Khalifes rachidines de fixer matériellement la Parole
humain (comme l’élément angélique) n’étant là qu’un pur support, un de Dieu pour les générations futures. Mais jusqu’à nos jours, la commu-
réceptacle fidèle, un « canal » absolument neutre. Mais étant adressé à des nauté musulmane n’a jamais manqué de récitants du Coran. Ainsi, les
humains, pour leur usage, leur édification, leur salut, le Coran prend for- deux sources originelles (permettant le contrôle de son authenticité), à
cément une « teinte » humaine, culturelle, déterminée, afin d’être reçu pos- savoir la source orale et la source écrite, sont toujours vivantes, sans dis-
itivement dans l’espace-temps où il est révélé. Il doit permettre, priori- continuité, depuis l’origine jusqu’à nos jours. Et les deux sources se con-
tairement de délivrer un message spirituel essentiel concernant l’unicité firment mutuellement, faisant du Coran le texte le plus sûr de toute l’his-
divine (article de foi perpétuellement mis en péril par le polythéisme toire humaine.
ambiant) et ce qui en découle directement, et c’est là l’aspect « intem- Ainsi, ‘Oumar Ibn al-Khattab, très inquiet sur ce sujet, persuada-il son
porel » du Coran, mais aussi répondre à des questions morales pratiques proche ami, le Khalife Abou Bakr, jusque là un peu réticent181, d’adopter
précises concernant au premier chef la communauté des premiers croyants
groupés autour du Sceau des Messagers, et c’est là qu’on décèle la plus 178 - Effort d’interprétation, à partir des deux sources principales du Savoir (ou Droit)
forte « teinte » temporelle du Coran. islamique : Le Coran et la Sounnah (connue par le Hadith).
179 - Raisonnement par analogie.
Par ailleurs, en ce dernier domaine particulier, Dieu donne de grandes 180 - Opinion personnelle, autorisée en dernier ressort, après les sources précitées. Seule
lignes, laissant le soin à Son prophète de préciser les modalités d’applica- l’Ecole Hanbalite exclut complètement le Ra’y.
tion de Ses directives générales, et c’est là que la Sounnah, mais aussi 181 - En raison du fait que l’Envoyé n’avait pas expressément ordonné un tel travail de

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la solution consistant à généraliser une recension écrite - scrupuleusement mieux se taire que d’épier, de médire, et de dénoncer le mal chez son
examinée par les meilleurs spécialistes (parmi les Hâmiloûl-Qou’rân sur- prochain.184
vivants) - du Coran. Les Khalifes et le consensus des Compagnons et savants de cette époque
Abou Bakr, qui donna des consignes précises en ce domaine, chargea reconnurent Zayd comme le meilleur secrétaire du Prophète. C’est donc
Zayd Ibn Thâbet de diriger ce travail. Zayd était un des Hâmiloûl- lui qui dirigea les travaux d’expertise.
Qou’rân et possédait déjà une recension écrite, complète, du Coran. Mais Une consultation générale fut organisée et tous les Musulmans con-
le Khalife Abou Bakr ne régna que deux ans et n’eut pas le temps de voir cernés se mobilisèrent pour mener à bien ce travail. Le dialecte
la concrétisation finale de ce projet, car il mourut rapidement. Son Qoraychite, qui allait devenir, grâce surtout au Coran, la langue liturgique
Successeur ‘Oumar régna dix ans, et il confirma Zayd dans ce travail d’au- et classique, servit de norme, car des non qoraychites avaient appris des
thentification méticuleuse. Ce travail s’acheva sous le troisième Khalife, parties du Coran, mais leur récitation variait parfois sensiblement de l’o-
Outhman. Plusieurs commissions d’experts travaillèrent à l’examen com- riginal (le Prophète recevait et transmettait en Qoraychite).
plet de l’ensemble de la révélation coranique. Leur méthode découlait du Sous le règne d’Outhman, un muçhaf (livre de feuillets complet) fut
Coran lui-même, qui requiert deux témoins pour attester de la vérité ainsi définitivement établi, et servit de référence absolue. Il fut recopié en
d’une chose. Selon les consignes d’Abou Bakr, tout verset qui n’avait pas plusieurs exemplaires officiels et envoyé dans tout le Dar al-Islam.
au moins deux sources (orale et écrite) était écarté. De fait, il n’y eut Les divisions politiques qui assombrirent le règne de Outhman n’eurent
qu’un seul verset ainsi écarté (et pourtant attesté par ‘Oumar en per- cependant pas de conséquences sur ce travail de recension et d’expertise du
sonne), concernant la lapidation des hommes et femmes adultères182. Coran. Des Compagnons aussi savants que Ali Ibn Abou Talib, Abdallah
Ainsi, Dieu a voulu que ce verset soit « oublié », pour des raisons que Lui Ibn Ma’soûd, Ibn Abbas, ne furent pas requis pour participer aux commis-
seul connaît. Les Juristes Musulmans postérieurs ont tenu compte de ce sions d’expertise (pour des raisons politiques apparemment). Mais d’autres
fait, car une législation (aussi importante) doit pouvoir s’appuyer sur le éminents experts y participaient : Zayd Ibn Thâbet, Abdallah Ibn Zubayr,
Coran. Or, dans ce dernier cas précis, le Coran indique seulement que les Sa’d Ibn al-’As et Abder-Rahmân Ibn al-Harith. Leur enquête minutieuse
esclaves adultères n’auront que la moitié de la punition des humains avait duré des années, avait mobilisé des milliers de témoins. Leur travail
libres. Or, comment peut-on donner la moitié de la mort ? C’est était parfait, grâce à Dieu. Aussi, les autres experts sus-mentionnés, qui
pourquoi, excepté dans certaines ethnies (comme les Pachtounes pak- avaient été écartés de ces commissions, ne contestèrent en aucune manière
istano-afghans183), la jurisprudence générale s’est plutôt orientée vers un ce résultat. Les Chiites (Zaydites et Duodécimains) reconnaissent ce fait.
assouplissement. D’ailleurs, deux témoins ne suffisent pas pour attester de Seuls les Druzes et d’autres sectes sorties du Chiisme, affirment que des
la véracité d’un adultère (alors que Dieu ne requiert que deux témoins versets mentionnant le nom d’Alî ont été omis. Ce qui est faux évidem-
pour tout le reste). Pour l’adultère, Dieu réclame quatre témoins de l’acte ment, puisque Alî n’a jamais rien dit de tel. Il est vrai que dans le Coran
(avec vue directe de la pénétration sexuelle !), ce qui dans la pratique, rend des versets font allusion à la famille du Prophète (Ahl oul-Bayt), ou bien
impossible la sanction contre les adultères. Si les témoins sont moins de ont été révélés à l’occasion de faits les concernant, ainsi que le rapportent
quatre, ce sont eux alors qui sont fouettés, pour médisance, ceci car il vaut les Tafsîr185 (y compris sunnites). Mais il faut savoir que chaque verset du
Coran a au moins deux sens : un extérieur, premier, et les mots qui le com-
son vivant, car la tradition arabe ancienne était avant tout orale. Mais cela n’avait pas posent doivent donc alors être considérés dans leur sens obvie, et par
besoin d’être indiqué par le Prophète, car cela « coulait de source » comme on dit. Si le ailleurs chaque verset possède également un sens intérieur (ou ésotérique),
Prophète avait dû tout dire en détail, pour toutes les générations futures, cela aurait repré-
senté un travail inhumain et pour tout dire impossible. Et qu’aurions nous à faire et à quoi 184 - Le Prophète a dit : « Quiconque cache les défauts d’un Musulman (homme ou
servirait justement l’Ijtihad, si notre Prophète avait tout pensé à notre place jusqu’à la fin femme), Dieu cachera les siens au Jour de la Résurrection » (Al-Boukhari et Muslim) ;
des temps ? Dieu nous a donné des capacités de travail, alors travaillons. « Que celui (ou celle) qui croit en Dieu et au Jour Dernier dise du bien, ou alors qu’il se
182 - Cf. H. Boubakeur. Op. cit. p. 720-721. taise » (Muslim).
183 - Par exemple, ces derniers, au lieu de s’en tenir à la Charia, s’appuient de préférence 185 - Traités d’exégèse coranique. Notamment les plus anciens : celui de Tabarî (mort en
sur le code d’honneur Pachtoune (pré-islamique) qui prévoit l’exécution des adultères sur 310 H.), celui de Samarqandi (373 H.), de Nisabûri (427). Par la suite, il y eut celui de
simple dénonciation d’un seul témoin (même s’il n’a pas vu la pénétration) ! Ce « code al-Baghawi (510), d’al-Andalûsi (546), d’Ibn al-Jawzi (597), d’al-Qurtubi (671), d’al-
d’honneur » barbare déshonore totalement les « musulmans » qui s’y réfèrent de préférence Dîrîni (694), d’Ibn Kathîr (774), d’al-Jazayri (876), etc. Chez les Chiites, il y a les taf-
à l’Islam authentique. Ils se replongent eux-mêmes dans la Jâhiliya (l’Ignorance anté-isla- sîr encore plus anciens d’al-Askari (m. 254 H.), d’Ibn Ayysha, d’al-Qummi Alî (3ème s.
mique) et en subiront les conséquences en ce monde et dans l’autre. H.), puis ceux d’al-Tûsi (460) d’al-Tabarsi (538), etc.

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ce qui ne contredit pas le sens obvie mais le complète. Et cela est un min- le Diable de les faire trébucher en suscitant entre eux l’inimitié. Ce jour là
imun, car un même verset peut contenir un plus grand nombre de sens tous les Musulmans médinois vidèrent leurs récipients de vin (et d’autres
qui se complètent et peuvent ainsi éclairer sur des choses très différentes : boissons alcooliques) dans le caniveau.188
c’est un des caractères miraculeux du Coran, une des preuves de son orig- Dieu, s’Il l’avait voulu, aurait pu laisser seulement le verset indiquant
ine Divine. l’interdiction finale, mais Il a voulu montrer un exemple de Sa méthode
C’est pourquoi, ainsi que nous l’avions expliqué au début de cet progressive, faite de douceur et de pédagogie, méthode qui peut servir
ouvrage, quand Dieu le Très Haut a désigné Mohammed très louangé pour beaucoup d’autres choses. Même en ce qui concerne la Zakat que
comme « le Prophète illettré » (Coran 7, 157), ce n’était pas seulement en devaient payer les habitants de Thaïf, le Prophète a accepté une déroga-
raison de son propre illettrisme, mais aussi du fait que le peuple Arabe tion.
n’avait pas encore reçu d’Ecriture révélée. C’est pourquoi cette expression Parmi les Compagnons du Prophète, il y en avait un qui était vraiment
fait aussi allusion à ce fait. alcoolique et qui le resta jusqu’à sa mort. Beaucoup le méprisaient. Quand
Chaque verset du Coran est en effet riche de significations, qui ne s’ex- il mourut, le Prophète alla prier sur sa tombe, alors qu’il n’allait jamais aux
cluent pas entre elles mais se complètent. Le Prophète l’a d’ailleurs lui- funérailles des hypocrites (que lui seul connaissait par la grâce de Dieu).
même précisé. C’est pourquoi les traductions « appauvrissent » nécessaire- Des Compagnons s’étonnèrent de cela. Il leur répondit simplement que
ment le texte, car il est impossible d’évoquer de façon exhaustive toutes les cet homme aimait sincèrement le Prophète et ne s’était jamais endormi
significations que le Prophète, ses Compagnons et les savants ultérieurs sans se repentir auprès de Dieu de sa dépendance à ce vin illicite.
ont indiqué ou décelé. Seul un miracle Divin a permis cette richesse de Dans les Livres antérieurs, le vin n’était pas absolument prohibé, seule-
sens dans le texte arabe, et c’est pourquoi le Coran est le « miracle des mir- ment blâmé. Les humains d’autrefois étaient de constitution plus robuste.
acles » en Islam. C’est le Verbe186 de Dieu parmi nous, un miracle perma- Mais en approchant de la fin des temps, avec une humanité affaiblie
nent. biologiquement, Dieu a préféré interdire l’alcool dont les ravages ne sont
Ainsi, c’est Dieu lui-même qui a déclaré obsolètes quelques versets et les que trop évidents. Cependant, on remarquera qu’aucune sanction n’est
a remplacés par d’autres. Il s’agit des versets « abrogés » par des versets prévue contre ce péché dans le Coran, contrairement au vol, à la médis-
« abrogeant ». Mais Dieu a laissé néanmoins les versets abrogés dans le ance contre les dames mariées, à la fornication, etc.
texte (sauf ceux qu’Il a éventuellement fait totalement disparaître, comme Par ailleurs, les compagnons du Prophète consommaient du vinaigre,
celui dont ‘Oumar se portait garant). Dieu les a laissés en raison de leur c’est à dire du vin devenu acide en vieillissant, alors qu’il contient de six à
utilité pédagogique. Un exemple : les trois versets concernant le vin (et par huit degrés d’alcool. Mais ce ne sont là que des traces (et on ne peut pas
analogie toute boisson alcoolique ou enivrante). Dans un premier verset, boire du vinaigre par verres entiers). Il en va de même pour les fruits très
Dieu indique simplement qu’il y a un bien et un mal dans le vin, mais que mûrs, qui contiennent également des traces d’alcool. Le but de l’Interdit
le mal y est plus grand. Effectivement, on sait maintenant qu’il y a des sub- Divin est ici d’éviter l’ivresse qui fait perdre le contrôle de soi même, c’est
stances bénéfiques (comme les tanins dans le vin rouge qui sont très bons pourquoi par analogie, les Oulémas ont également interdit les drogues qui
pour le cœur) mais que la substance néfaste (l’alcool lui-même) ne com- ont des effets similaires.
pense pas du tout cet aspect bénéfique187. Plus tard, Dieu demande aux Mais revenons à l’histoire de la transmission du Coran jusqu’à nous. Les
Musulmans de ne pas venir en état d’ébriété à la prière. Et comme il y a dernières vérifications du corpus Coranique eurent lieu sous les
cinq prière par jour, cela réduit considérablement les occasions de Omeyyades, sous la direction de Al-Hajjâj ibn Youssouf le Thaqîfite.189
s’enivrer, sans toutefois interdire formellement la consommation de vin. Elles portaient sur la réduction du nombre de variantes concernant
Puis, quelques années plus tard, alors que les consommateurs Musulmans quelques versets. Les autres recensions présentaient des différences
se sont déjà bien désintoxiqués, Dieu leur demande le sevrage complet, mineures. Par exemple, celle de Ali Ibn Abou Talib ne portait que sur l’or-
leur indiquant que le vin (comme le jeu de hasard) est une occasion pour
188 - La consommation de vin (ou de toute boisson alcoolique en général) est prohibée
186 - C’est pourquoi le Coran n’est pas une création, puisque le Verbe ou Parole de Dieu, par Dieu dans le Coran et constitue même un péché majeur, selon des hadiths rapportés
est un Attribut éternel de Son Essence. Quand Dieu dit que Jésus est Son Verbe, cela signi- par Bokhari, Abou Dawoud et d’autres compilateurs. Tout ce qui concerne le vin est pro-
fie que ce Messager est le dépositaire (et non le producteur) du Verbe Divin. C’est sur cette hibé (sa production, sa vente, son achat, son transport, etc.). Par analogie, les drogues sont
question que les Chrétiens ont achoppé à partir du quatrième siècle de leur ère. également prohibées : tout ce qui altère la saine raison, la santé (et qui constitue de plus un
187 - On peut d’ailleurs extraire ces tanins, les séparer de l’alcool. Ainsi Dieu nous gaspillage d’argent qui pourrait être mieux utilisé dans de bonnes oeuvres).
indique, comme pour le miel, un médicament possible. 189 - Cf. H. Boubakeur : Le Coran (commentaires) op. cit. p. 722.

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dre et les titres des sourates ; Celle d’Ubayy ibn K’ab était également sourates, certains versets ont même été déplacés vers d’autres sourates, sur
classée dans un autre ordre et présentait des variantes mineures.190 l’ordre du Prophète, et après expertise des commissions de contrôle dont
L’Irak (sauf Basora) était attaché à la version d’Ibn Mas’ûd. Celle de nous avons parlé.
Ubbay était préférée en Syrie et à Basora (en Irak). Celle de Ali était Des spécialistes anciens ont indiqué un ordre chronologique des
préférée dans sa famille. Mais il ne s’agit pas là à proprement parler de sourates, notamment as-Suyûtî (dans son Kitab oul-Itqân) et Ibn Nadîm
« versions » différentes, tant leur similitude est quasi-complète. Toutes ces dans son ouvrage Fihrist. La première à être révélée fut donc la Sourate 96,
variantes (Qirâ’ât) sont perdues de nos jours, excepté peut-être celle de et la dernière, la Sourate 110.
Sidna Ali, dont Hamza Boubakeur écrit qu’il a pu examiner un exemplaire Sept (voir dix) « écoles de lecture » traditionnelles existent dans l’Islam
à New Delhi en 1964191). Mais c’est sans doute un simple apocryphe, sunnite. Elles concernent la façon de réciter (de « psalmodier ») le Coran.
puisque même les Chi’ites ne l’utilisent pas. En définitive, Dieu n’a con- Cela concerne les intonations, les pauses, les allongements de certaines
servé que le Texte dont Il s’est fait le Gardien. diphtongues, syllabes, les contractions, etc. Chaque école de récitation
Le Calife Outhman et les Omeyyades qui lui succédèrent (après le bref ayant ses règles précises qui sont enseignées de maîtres à disciples depuis
Khalifat de six mois de Haçan, fils de Ali et petit fils du Prophète), l’origine.
imposèrent le Muçhaf-’Uthmân à tout l’empire musulman. Et c’est le seul On peut citer, parmi ces sept écoles de lecture coranique, celle de
en vigueur aujourd’hui dans les trois « branches » historiques de l’Islam Médine, fondée par Nafi’, qui eut dans cette discipline l’Imam Malik
(Sunnisme, Chiisme, Kharijisme). comme disciple, et Warch (m. 197 H.) qui donna son nom à cette forme
Le terme « Sourate » est utilisé pour désigner les 114 chapitres du de récitation. Elle est surtout utilisée en Egypte, Tunisie, Algérie et un peu
Coran, de longueurs très inégales, les plus grandes sourates étant classées partout dans le monde musulman, à côté des autres écoles de lecture. Il y a
au début et les plus courtes à la fin. Etymologiquement, le terme sourate aussi l’école de Damas, dont la lecture est encore en vogue en Syrie. Puis
désigne la cloison entre deux pièces, un mur, et par extension, un degré, l’école de Kûfa, qui s’est subdivisée en trois systèmes de lecture : ‘Asim, le
une étape. plus répandu dans le monde musulman ; Hamza (au Maroc) et Kisâiy
La raison la plus simple invoquée pour ce classement (non (Moyen Orient). Il y a enfin l’école de Basora. Mais il y eut une époque où
chronologique) est que Gabriel l’a lui-même indiqué au Prophète lors du les modes de récitation étaient encore plus nombreux (jusqu’à quatorze).192
dernier Ramadan, mois durant lequel le Prophète avait récité le Coran en Etant la parole de Dieu, le Coran doit être récité d’une belle façon, con-
entier deux fois de suite. Mais les premiers historiens (selon formément aux recommandations du Prophète très louangé. Il aimait par-
H. Boubakeur) indiquent que ce classement a été imposé sous Othman et ticulièrement la façon de réciter de son ami et Compagnon Abou Bakr. Ce
les Omeyyades, puis accepté par le Consensus pour éviter une fitna (désor- dernier était très sensible, et faisait partager son émotion à son auditoire.
dre) inutile. Le plus sage est en effet de considérer cet ordre de classement Des règles précises se sont donc rapidement formées pour conserver
comme provenant de Dieu qui S’est fait Lui-même le Gardien du Coran, intactes les formes de lecture traditionnelles. Ces règles forment une disci-
et qui peut agir en tout temps et en tout lieu (même sous le règne pline appelée Tajwîd. La façon de moduler (ou psalmodier) le Coran s’ap-
d’Othman). Ainsi, ce classement n’est pas le fruit du hazard, mais d’une pelle Tartîl. La lecture du Coran ne doit être accompagnée musicalement
volonté « pédagogique » de Dieu qui connaît le mieux la psychologie par aucun instrument. Mais la musique n’est pas interdite en dehors ce
humaine, et nous conduit ainsi, d’étape (« sourate ») en étape, à une péné- cette restriction, surtout dans les chants à la gloire du Prophète très
tration de la science sacrée. louangé.
Pour l’étude méthodique du Coran (notamment pour son apprentis- La psalmodie coranique reprend les intonations de l’ancienne poésie
sage par coeur, qui était et est toujours son moyen de conservation tradi- arabe, solennelle, harmonieuse, mais virile et dépouillée de tout artifice.
tionnel, ainsi que pour sa récitation liturgique), les professeurs orientaux Pour autant, ce n’est pas de la poésie, mais de la prose, parfois rimée, mais
ont partagé le Texte en sept stations (manzal, pluriel : manâzil), en trente ne correspondant pas un style particulier préexistant. Le Prophète encour-
fractions (juz’, pluriel : ‘ajzâ’). En Occident (Maghreb), le Texte est divisé ageait ses disciples à embellir leur voix pour la récitation du Coran, sans
- pour les mêmes raisons didactiques et liturgiques - en soixante parties toutefois tomber dans le « chant » comme les Païens, les Juifs et les
(hizb, pluriel : ‘ahzab). Chrétiens. Cette interdiction ne s’étend pas aux œuvres purement
L’ordre des Sourates n’est donc pas chronologique. A l’intérieur des humaines. Le Prophète n’a pas interdit le chant pour ce qui est autre que
le Coran, ni les instruments musicaux, quoiqu’il les ait plutôt blâmés à son
190 - Ibid, p.723.
191 - Ibid. 192 - Ibid. P. 726.

150 151
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époque, tout comme la poésie pré-islamique, car ils servaient trop de « Lis, de par le nom de ton Seigneur qui a tout créé !
vecteurs à la débauche, à l’alcoolisme, etc., tout comme aujourd’hui les Qui a créé l’homme d’une jonction [sanguine] !
« boites de nuit », les chansons et danses indécentes, etc. Le Prophète très Lis, car ton Seigneur est très généreux !
louangé a ainsi tracé une nette démarcation entre le plaisir de l’audition Il a enseigné par le calame ;
du Coran, et les réjouissances profanes. Ce n’est pas tant pour « diaboliser » Il a enseigné à l’homme ce qu’il ne savait pas ».
tout ce qui est profane, que le Prophète a ainsi tracé cette démarcation La révélation se poursuivit sporadiquement, au fur et à mesure des
nette, mais c’est surtout pour sacraliser ce qui est Saint sans aucune équiv- événements qui accompagnaient le développement de la communauté
oque. De là à interdire toute joie profane, seuls des fanatiques ignorants musulmane. Le Livre est entièrement axé sur les moyens du salut. C’est
ont franchi ce pas, abolissant par là même la démarcation tracée par le l’ultime expression de la Miséricorde Divine. Il nous prévient des terribles
Sceau des Messagers, que la grâce de Dieu et le salut soient sur lui.193 châtiments qui guettent ceux qui auront fait subir un enfer à Ses créatures
Pour autant la psalmodie ne doit pas devenir un décorum artificiel qui sur terre. Il promet le Paradis à ceux qui font du bien à Ses créatures. Il
surclasse le Texte et fait oublier son sens. C’est pourquoi il n’est pas admis promet le pardon à tous les humains qui croient en Lui, se repentent et
dans la tradition musulmane qu’une femme récite le Coran publiquement effacent leurs mauvaises actions par de bonnes actions. Il nous montre
(quoique cela a été fait du vivant du Prophète194), car on a craint que les quelques aspects de la création pour que nous méditions sur Sa grandeur
hommes s’extasient plus devant le timbre charmant de la récitante que et Sa puissance. Il nous rappelle aussi l’histoire de certains prophètes et de
devant le sens du Coran, qui est avant tout un Guide, une Narration, une certains peuples antérieurs, non en détail, mais en résumé, pour en extraire
Edification spirituelle et morale, une Exhortation, une Promesse, une une morale qui nous concerne au-delà des époques : seule la soumission à
Menace, un Rappel, une Distinction entre le bien et le mal, un Bonheur Dieu (Islâm en arabe) peut nous sauver. Il condamne la fausse croyance en
en soi, qui se passe d’artifice. la trinité et à toutes les idoles et faux dieux que les humains et les djinns
Revenons aux conditions de la révélation. Comme on l’a vu, la pre- ont inventé. Il est le seul Dieu. Jésus n’est pas un dieu, ni un « fils de Dieu
mière sourate fut révélée vers l’an 610 ap. J.-C. Le Prophète se trouvait en » (au sens où l’entendent les chrétiens depuis Nicée 1 en 325). L’Imam
méditation dans la grotte Hira du mont Jabal en-Nour près de La Mecque, Ghazali, comme nous le verrons plus loin a magistralement démontré que
où il se retirait tous les ans pour effectuer un jeûne et une retraite spir- cette expression n’est qu’une simple métaphore dans l’Ancien et le
ituelle, comme le faisaient d’autres Hunafa et Soufis pré-islamiques dans Nouveau Testaments, mais qu’en réalité Dieu n’a pas de fils ni de fille,
des lieux isolés. C’était une nuit du mois de Ramadan, la nuit d’al-Qadr mais des créatures. Ceci dit, il est plus Aimant (al-Wadoud) que la plus
(le Destin, la Détermination). Gabriel lui apparut et lui révéla le début de tendre des mères et que le plus affectueux des pères, pour Ses serviteurs
la Sourate 96 : « Iqra ! » (c’est à dire lis, ou récite), mot d’où vient le mot fidèles.
Qur’ân (Lecture ou Récit) : La révélation coranique dura jusqu’en l’an 632, peu après le pèlerinage
d’adieu (en Mars 632), peu avant la mort du Prophète (le 8 Juin 632) en
193 - Des hadiths relatés, notamment par Aïcha, la Mère des Croyants, confirment que l’an 11 de l’Hégire.
le Prophète tolérait la poésie, le chant, la musique et la danse, même s’il ne les pratiquait Dans le sermon d’adieu, le Prophète récita ces derniers versets :
pas lui-même et s’en méfiait. Il les tolérait durant les fêtes religieuses, tant que ces activités « Aujourd’hui, J’ai parachevé pour vous votre religion, vous ai comblé de
ne dégénèrent pas en passions dévorantes qui détournent du souvenir de Dieu ou entraî- Mon bienfait et ai agréé l’Islam comme doctrine religieuse pour vous ».
nent vers l’interdit (alcool, indécence, débauche, etc.). (Coran 5,3)
194 - Cf. Mohammed Hamidullah : « Le Prophète de l’Islam », Tome 1, p. 165 (Chapitre Jamais un pèlerinage n’avait rassemblé autant de monde en Arabie.
316-317 : l’Islam à Médine). Ed. El-Najah Paris. 6ème édition, 1998. M. Hamidullah Toutes les tribus arabes s’étaient soumises à Dieu et à Son prophète.
se réfère à Ibn Hanbal, Abou Dawoud, Ibn al-Jawzî, Ibn Râhûyah. Il indique qu’une Quelque jours plus tard descendit la Sourate 110 (Le Triomphe) :
femme était Imam de la mosquée de son quartier : « Elle était si hautement douée intellec- « Lorsque le secours de Dieu vient, ainsi que la victoire, et que tu vois les
tuellement qu’elle est devenue hâfiz du Qur’ân. Le Prophète l’estimait tellement qu’à titre gens entrer en foule dans la religion de Dieu, exalte ton Seigneur par la
exceptionnel, il la nomma Imâm de la mosquée de son quartier, où elle dirigeait les offices louange et implore Son pardon ! En vérité, Il accueille volontiers le repentir ».
de prière même des hommes ». Il ajoute : « Nous attendons encore l’historien qui s’attachera Le Coran est donc unique en son genre. Il n’a son équivalent dans
spécialement à nous raconter l’histoire de la femme musulmane au début de l’Islam ». Il est aucune autre religion. Les autres Ecritures sacrées ne sont que les reflets
évident à cet égard que le statut de la femme musulmane, dans maints endroits du monde, d’originaux altérés, et ce fait est admis par les savants des Gens du Livre.
et sans doute sous le poids des coutumes anté islamiques, a parfois régressé par rapport au Une malédiction s’est toujours attachée à la modification délibérée des
« féminisme islamique » originel. Ecritures saintes. Il y en a eu cependant, puisque même des Scribes de la
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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

Bible l’ont affirmé195. Mais c’est surtout l’exégèse qui fut déficiente, et a nombre apparaît aussi dans d’autres calculs inhérents au Livre. C’est ainsi
conduit à des hérésies évidentes, comme la déification de Jésus et l’instau- que cette précision Divine concernant ce nombre, est de nature à fortifier
ration du faux dogme de la trinité, hérésie condamnée par Dieu dans le la foi et la conviction des croyants de toute origine. Car le Livre est adressé
Coran. L’Imam Ghazali a démontré, comme nous le verrons, qu’une à tous les humains : c’est une « mémoration » (dhikr) pour tous.
exégèse correcte peut éviter aux Chrétiens de tomber dans cette hérésie et Et notamment pour les Gens du Livre non-arabophones, qui ne peu-
revenir à Dieu, car c’est Dieu Lui-même qui leur demande de scruter leurs vent apprécier le miracle de beauté du Coran à sa juste mesure, et pour
Ecritures et d’y voir la vérité qui y est incluse. Les premiers Chrétiens lesquels Dieu a spécialement inséré, dans Son dernier Livre, des indica-
avaient une interprétation juste de leurs Ecritures (la même que Ghazali a tions inédites prouvant son authenticité. Ainsi, ce miracle « mathéma-
faite), mais à partir du quatrième siècle de leur ère, les déviations l’ont tique » du Coran est accessible à tous les Gens du Livre, et à tous les
emporté sur la vérité. Musulmans (dont l’immense majorité n’est pas arabophone). Ainsi, la
Une des preuves de l’authenticité du Coran est le manque de contradic- Miséricorde de Dieu a pris des chemins parfois surprenants. Louange à
tion dans le Livre, alors que la Bible en fourmille. Dieu, souverain de l’univers.
« Ne méditent-ils donc pas le Coran ? S’il venait d’un autre que Dieu, ils y Dieu a nourri notre foi par la raison. Il n’oppose pas la foi à la raison,
trouveraient de nombreuses contradictions ». (Coran 4,82) au contraire : Il nous demande sans cesse de raisonner, réfléchir, méditer.
En conséquence, en raison de cette perfection même et de sa fonction Le Fikr (méditation, réflexion) est nécessaire à la foi et au savoir. Ce n’est
universelle et finale, Dieu ne tolère aucune modification de Son Ultime que dans des religions altérées que foi et science finissent par s’opposer, car
Parole. Il renforce Sa menace d’une allusion claire au Châtiment de les dogmes hérétiques violent toujours, par nature, la raison.
l’Enfer. Tout comme Il S’est fait le Gardien du Coran, Il a également placé La recherche de la science est une bonne action. Le sommet de la sci-
« dix-neuf » anges à la garde de l’Enfer. Et les falsificateurs éventuels sont ence est la connaissance de l’unicité de Dieu (Tawhid). Les maîtres soufis
directement concernés. Cette mise en garde a été suffisante pour dissuader affirment que cette science est parfaitement réalisée quand le cœur est
toute tentative en ce sens, ainsi que l’histoire l’a prouvé. entièrement purifié, ce qui est extrêmement difficile et rare. La science est
L’allusion est nette dans plusieurs passages du Coran, et notamment en ce qui permet d’agir dans le bien. Car les actes ne valent que par les inten-
74, 30-31 : tions. Il faut donc connaître le bien pour pratiquer le bien. Le processus
« Dix-neuf [gardiens] veillent sur lui. (l’Enfer Saqar) de purification du cœur s’appelle taçawwuf, tazkiya, tatthir. Son but est
Nous n’avons assigné à la garde de l’Enfer que des anges et n’avons fixé leur plus grand que la connaissance « extérieure » (conventionnelle, livresque)
nombre qu’à titre de tentation pour les mécréants afin que ceux qui ont reçu de l’Unicité divine : c’est la « gustation » intérieure, dans le secret du cœur,
l’Ecriture soient convaincus, que les croyants soient plus fortifiés dans leur foi, de cette Vérité ineffable. On ne peut la décrire, c’est pourquoi les maîtres
afin que les uns et les autres n’aient aucun doute, que ceux dont les cœurs sont soufis utilisent un langage métaphorique, des mots comme « gustation » ou
atteints d’une maladie et les infidèles disent : « Que veut dire Dieu par cette d’autres termes, pour donner envie aux aspirants (murîdoun) de s’engager
parabole ? » C’est ainsi qu’Il égare qui Il veut et guide qui Il veut. Nul ne con- dans la Voie (tariqah) du rapprochement de Dieu, exalté et magnifié soit-
naît les armées de ton Seigneur, excepté Lui. Cela est simplement une mémora- Il.
tion pour les humains ». Les deux conditions du salut sont en effet : premièrement la foi et deux-
Or, ce nombre de Dix-neuf, ainsi que l’ont remarqué des auteurs ièmement les bonnes oeuvres. La première condition est un don de Dieu,
anciens, surtout parmi les gens du Taçawwuf (et d’autres plus récents), est mais que le croyant doit faire fructifier au moyen de la méditation (et de
en lien direct avec la « structure » même du Coran, donc son intégrité. En la science), et la deuxième est la preuve de l’effort (jihad) du croyant, afin
effet, Ibn Arabi avait déjà noté que ce nombre symbolise la réunion des de nourrir cette foi.196 La bonne action efface la mauvaise, dit Dieu. Le
Djinns et des Hommes (7 + 12) qui peupleront ensemble l’Enfer. 1 et 9 péché doit donc être suivi du repentir, et la preuve du repentir est l’efface-
représentent également le premier et le dernier chiffre. Dieu est l’Un, le ment de la mauvaise action par la bonne action.
Premier (al-Awwal) ainsi que l’Héritier de toute chose, le Dernier (al- Ne pas croire, douter, est un péché, car tout porte à croire. La raison
Akhir). La Basmala (la formule qui ouvre les Sourates du Coran) contient nous conduit naturellement vers la foi dès qu’elle est mise en contact avec
dix-neuf lettres. Il y a 114 sourates (multiple de 19) dans le Coran. Ce la Révélation. Car la Révélation ôte tous les doutes, méthodiquement,

195 - Jérémie, dans la Bible, dit à ses coreligionnaires, de la part de Dieu : « Comment 196 - Pour certains Savants, la Foi véritable ne peut jamais décroître. Pour d’autres, elle
pouvez-vous dire : « Nous sommes des sages et la Loi de Yahvé est avec nous » ? Et voici qu’en peut malheureusement même disparaître, ainsi que l’indique un verset coranique : « vous
a fait un mensonge le burin mensonger des scribes ». (8, 7- 8) avez mécru après avoir cru ». Mais Dieu sait mieux.

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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

sans en laisser subsister un seul, à condition de faire l’effort de lire et de Adam, en demandant aux esprits supérieurs (les anges) de servir cette
méditer. Ensuite, Dieu double le degré de la foi dans le cœur de Ses servi- humble créature, ignorante et ingrate. Et pourtant, en raison même de
teurs dès qu’ils s’engagent fermement dans la voie du bien, en évitant tous notre faiblesse, notre effort a quelque chose de « surhumain » qui nous
les grands péchés, puis en traquant même les petits péchés. C’est cela le hisse plus haut que les autres créatures et glorifie singulièrement notre
« grand Jihad », le Soufisme. Sa voie est sans limite, ou plutôt sa limite est Créateur. Notre ignorance et notre fragilité natives sont en effet un « hand-
le Prophète en personne, qui est la Meilleure des créatures et est donc icap » immense, et en dépit de tout cela, un homme : Mohammed - sur lui
insurpassable. Mais il est le Modèle à suivre, et à ce titre il est au moins en la grâce et la paix - a atteint la Perfection ! S’il n’y avait eu que lui, Dieu
partie, « imitable », sinon Dieu ne nous le donnerait pas en exemple. aurait quand même créé l’humanité, car à lui seul, il anéantit le mensonge
C’est d’ailleurs ce qui a fait achopper les Chrétiens à partir du qua- du Diable, il prouve aux anges que Dieu avait raison de leur demander de
trième siècle, quand ils ont divinisé Jésus. En effet, comment peut-on se prosterner devant l’Homme. Et Mohammed, s’il est le meilleur, n’est
imiter un « dieu » ? En divinisant Jésus, il l’ont en quelque sorte « expulsé » pas le seul Elu : Jésus est son frère quasiment-« jumeau » (spirituellement),
au ciel, et il ne pouvait plus être un modèle humain. Ils ont ainsi, objec- et tous les Messagers, Prophètes et Saints, même si Mohammed est leur
tivement et littéralement, détruit sa religion. Car une religion est un Imam et leur Sceau, ont tous vaincu le Diable. Louange à Dieu, souverain
« vecteur », un « lien »197, un moyen de se rapprocher d’un idéal déterminé de l’univers.
par Dieu. En supprimant le Modèle, on supprime tout simplement le lien, Ils sont nos chefs de file, nos protecteurs, nos « chemins » dans la voie
c’est à dire la religion au sens propre.198 droite qui mène à Dieu, qui nous demande seulement de leur obéir et de
C’est ce qui explique également la décadence morale du monde « chré- suivre fidèlement leurs pas. Ils nous « montrent » Dieu, et ne se montrent
tien ». En effet, puisque le « modèle » de référence (Jésus déifié) est propre- pas comme des dieux. Les Sages d’Orient disent métaphoriquement : « Le
ment inimitable, à quoi bon chercher à s’approcher de son idéal moral, de Sage montre la Lune avec son doigt, mais l’idiot ne voit que le doigt ».
près ou de loin ? D’ailleurs, son « sacrifice » (la soi-disant « mort de dieu » C’est ce que les trinitaires ont fait avec Jésus, certains Bouddhistes avec le
absurde !) efface le péché originel (qui est la racine de tout péché dans la Sage Bouddha199, et certains Juifs de l’antiquité avec Esdras (Ezra ou
théologie trinitaire). Comme si le sang lavait les taches... C’est une croy- Ozaïr), etc.
ance absurde héritée des païens qui sacrifiaient même des humains à leurs Notre cœur est créé pour croire, pour adorer Dieu. Il est comme un
idoles. Loin de Dieu de tels blasphèmes ! A Lui la Pureté ! miroir qui ne peut « refléter » la Lumière divine que s’il est propre. Il la
La négation de la Vérité est donc un péché mortel, le pire que puisse reflétera d’autant plus qu’il sera nettoyé. S’il est complètement « oxydé »,
commettre un être humain, car Dieu nous a doté de la faculté de croire en couvert de rouille ou de poussière, il ne reflétera que les ténèbres. Mais il
Lui, grâce à l’usage de la raison. L’incroyance est donc un refus de l’évi- ne peut s’empêcher « d’adorer », c’est sa pulsion naturelle, et s’il ne
dence, un mensonge à soi-même. Pire : c’est un refus du salut. La mauvaise « voit »200 pas Dieu, alors il « adorera » tout autre chose que Dieu : ses pas-
action détruit la foi. Les mécréants sont donc toujours, à terme, des sions, des idoles. C’est là la source de tous les maux.
pécheurs endurcis. Tout humain est faible, et Dieu est Miséricordieux. Ce Si « l’esprit saint » (les inspirations des anges) ne tourne pas notre cœur
n’est pas le péché qui tue, sinon nous serions tous perdus : c’est l’absence vers Dieu, alors « l’esprit impur » (les suggestions démoniaques) le tourne
de repentir qui tue. Le saint (walî) n’est pas celui qui n’a jamais péché, vers des lueurs fallacieuses. Et s’il est complètement obscur, il ne peut plus
mais celui qui s’est repenti avant sa mort. alors que s’adorer lui-même, car il ne « reflète » rien d’autre que lui même,
Le cœur a été créé pour être un « temple » de Dieu, une « demeure » en fait il ne peut rien refléter du tout : il est sa propre obscurité. Il est seul
pour Dieu, car Il n’approche pas d’un cœur impur. Le cœur non purifié avec lui-même, comme Satan fut seul avec lui-même quand il fut aveuglé
n’est qu’un temple d’idoles. Ces idoles sont les passions mondaines, char- (obscurci) par sa jalousie. L’auto-adoration est le polythéisme « subtil ».
nelles, égotiques, profanes. C’est notre ennemi qui nous les suggère pour L’athée est un polythéiste qui adore un autre dieu que Dieu : il s’adore lui-
« prouver » que nous ne méritons pas la considération dont Dieu a honoré même, étant seul avec lui même, car la rouille de son cœur l’empêche
d’apercevoir la Vérité.
197 - Le mot Religion vient du latin religare qui signifie relier, lui-même dérivé du sans- L’athée est donc quelqu’un qui s’empêche de croire, car sa nature pre-
crit yoga (lien).
198 - Selon les évangiles, Jésus a pourtant bien dit : Je suis le chemin, la vérité et la vie 199 - Mohammed Hamidullah, pense que Bouddha était peut-être celui qui est désigné
(c’est à dire le Modèle, le Messager et le Messie). Il était pour ses disciples un chemin véri- dans le Coran comme Dhoul-kifl (Celui à l’arbre) car selon la Tradition bouddhiste, ce
dique vers la vraie vie. Tout ceci est conforme à la religion éternelle (Soumission à Dieu ou dernier aurait reçu l’illumination sous un arbre.
Islâm en arabe), et l’interprétation de ces paroles de Jésus ne soulève aucune difficulté. 200 - C’est à dire s’il oublie que Dieu le voit.

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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

mière est d’être un serviteur de Dieu, un adorateur. C’est uniquement la l’« injecter » avec des bombes ne font que faire détester le vrai Dieu et Son
souillure du péché qui obscurcit son cœur. Le repentir est une « brosse » ultime religion.201
qui nettoie le cœur et lui rend sa faculté de voir la Vérité. Ne pas apporter l’Islam comme il convient de le faire, alors que les
Or les passions sont sources de souffrances et non des joies qu’elles Livres antérieurs ne sont plus efficaces, c’est laisser l’humanité mourir de
promettent d’emblée. Le chemin de l’enfer est pavé de ces joies fallacieuses faim spirituellement. La Parole de Dieu est la nourriture attendue par
qui ne laissent qu’un goût amer. Mais cet « arrière-goût » ne se révèle l’humanité souffrante. La preuve, c’est que les peuples qui n’ont que ces
qu’après coup. Au début, le péché a le goût du délice, puis celui de l’amer- Livres altérés ont pratiquement oublié Dieu après avoir renié tous Ses
tume. La vérité, au contraire, semble souvent amère au départ, mais ses commandements. L’apostasie générale qui touche le monde « judéo-chré-
fruits sont doux, ainsi que l’a rapporté Sidna Ali qui le tenait du Prophète tien » n’est que trop évidente. Face à cela, notre vrai ennemi, le Diable, n’a
Mohammed, sur lui la grâce Divine et la paix. Et tout humain honnête plus, comme alliés, que les hypocrites qui se disent « musulmans » pour
l’atteste par sa propre expérience. défigurer l’Islam et l’empêcher ainsi de sauver l’humanité souffrante. Ils
Mais la Raison sans la Foi est aveugle. Et la Foi sans la Révélation serait présentent le « Remède » comme un poison tellement effrayant que per-
inopérante. Ainsi, tout revient au Créateur Miséricordieux. La sincérité sonne ne veut l’avaler.202
mène à la Vérité, et l’orgueil à la Perte. Mais grâce à Dieu, il y a toujours des serviteurs patients, compatissants
L’Athée croit que le « plus » peut sortir du « moins », or la simple raison pour leurs semblables, qui ne jettent pas le Coran « à la figure » des
plaide contre une telle aberration. L’Athée croit que l’univers est sorti par malades comme une arme de guerre, mais l’apportent humblement aux
hasard de rien. Or, seul une force créatrice peut sortir quelque chose du chercheurs de vérité, tel qu’il est : Parole de salut pour les êtres doués d’in-
néant et la faire retourner au néant. Le néant en lui-même n’a aucun pou- telligence. Les vrais « Gardiens » du Coran sont ceux qui le font compren-
voir de créer, cela aucune intelligence ne peut le démentir. Pour autant, on dre et aimer. Et celui qui aime la Parole de Dieu aime Dieu : il a alors réal-
ne peut contraindre personne à croire. Dieu ne veut pas de la foi des isé sa raison d’être, puisque nous n’avons été créés que pour L’adorer
injustes. comme Il le mérite, puisque tout mérite Lui revient.
Lors de l’Appel primordial, nous avons acquis un destin irrévocable. Notre communauté est certes la plus nombreuse sur la terre. Mais cela
L’amour est le mouvement que les esprits des futures créatures ont fait vers ne peut représenter un sujet d’orgueil, quoique le Prophète sera fier de
Dieu, en le reconnaissant comme leur Seigneur. Notre esprit (qui est au- notre nombre à la résurrection. Nous sommes pauvres et les mécréants
delà de notre cœur, mais en relation éternelle avec le cœur) est donc la sont riches, et alors ? Notre Prophète aimait les pauvres. A quoi sert une
source de notre amour pour Dieu notre Seigneur. Nous L’aimons donc richesse qui dure à peine cent ans, alors que toutes les merveilles les plus
« plus ou moins », selon les êtres, et c’est pourquoi nous sommes plus ou inimaginables nous attendent pour l’éternité ? Allons nous être jaloux de
moins proches ou éloignés de Lui. C’est la notion de « temps » qui trompe ceux qui n’ont aucune part dans l’au-delà ? Alors que le Visage Satisfait de
les dénégateurs. Or, le Temps, c’est encore Dieu. L’encre est donc sèche et Dieu est le plus grand des bonheurs ? Même nos palais d’or et d’émeraudes
pourtant ce que nous vivons n’est que la manifestation de notre réponse à nous paraîtront insignifiants lorsque nous verrons Dieu ! Alors, laissons ces
l’Appel primordial : « Ne Suis-Je pas votre Seigneur ? » pacotilles aux petits rois de ce bas monde illusoire. Le vrai Jihad est l’effort
Dieu a donné le Coran au genre humain parce que les Livres antérieurs, contre tout ce qui peut nous détourner du Visage de Dieu, exalté et mag-
tels des miroirs altérés eux aussi, ne suffisaient plus au salut de la plupart nifié soit-Il. Et à Dieu la louange, Maître de l’univers.
des humains. Certes, il y a eu sans doute d’authentiques saints et justes
dans toutes les religions révélées, même après leur surclassement par une
nouvelle forme révélée, car l’apprentissage de la vérité est parfois long, et
la vérité elle-même n’est pas toujours présentée dans toute sa clarté par 201 - « La Foi entrave le massacre. Aussi le Croyant n’assassine pas ». Hadith Sahih rap-
ceux qui s’en veulent les dépositaires, loin s’en faut. Annoncer le Coran porté par Suyuti (dans son ouvrage Lubbab al-Hadith). Cf. : « La Quintessence du
aux gens, c’est prendre Mohammed pour seul modèle, comme l’ont fait Hadith », Chp 5, hadith 80.
tous les saints depuis le début et jusqu’à nos jours. Le contenant doit cor- 202 - Certains « islamistes » cherchent à opposer les paroles de Dieu entre elles. Ainsi, non-
respondre au contenu. Sinon le Message ne passe pas. Or, le Coran est une obstant les versets qui commandent la douceur et le pardon à l’égard des Gens du Livre, ils
Guérison pour toute l’humanité, c’est pourquoi les « médecins » doivent ne retiennent que les versets qui recommandent d’être durs en certaines occasions (quand
être fidèles et présenter le bon remède dans sa vérité et selon les moyens les Gens du Livre se rendent coupables d’agressions). Dieu nous commande de ne pas ouvrir
préconisés par Dieu et Son Envoyé. La manière d’administrer le traite- les hostilités en premier, et, en cas de conflit, Il nous demande d’accorder la paix dès que
ment a son importance dans le traitement lui-même. Ceux qui tentent de les agresseurs « inclinent à la paix ».

158 159
PARTIE IV
Les contradictions dans les Écritures sacrées

Le Coran homogène . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .163


Contradictions dans l’Ancien Testament . . . . . . . . . . . . . . . . .166
Contradictions dans le Nouveau Testament . . . . . . . . . . . . . . .169

161
LE CORAN HOMOGÈNE

Part. IV - Chap. I

On a vu que le Coran ne comporte pas de contradiction, ainsi que Dieu


le fait remarquer (Coran 4,82).203 Il est donc inutile d’en rechercher. Mais
cette affirmation ne convainc pas forcément toute personne tant qu’elle
n’a pas fait l’effort de lire et de méditer le Livre de Dieu.
Il y a des versets abrogés (nâsikh) par des versets abrogeants (mansûkh).
Ils sont peu nombreux et bien connus des savants musulmans.204 Les ver-
sets abrogés sont maintenus dans le Coran, car ils ont leur utilité, non en
tant que législation (car sur ce plan ils sont justement abrogés) mais sur le
plan de l’éducation : ils permettent de comprendre la méthode péda-
gogique que Dieu a utilisée pour transformer Sa communauté par étapes,
et cette méthode doit être utilisée (analogiquement, comme Dieu nous le
permet), à chaque fois que cela est utile dans la résolution des problèmes
sociaux ou même individuels.
Les trois versets concernant le vin sont significatifs à cet égard, comme
on l’a vu. Plusieurs années les séparent entre eux, car il n’est pas facile de
changer les habitudes de tout un peuple, ni d’un individu, très rapide-
ment. La notion de durée est toujours à prendre en compte dans l’action.
La bonne action est une action éclairée par l’Ordre de Dieu, mais aussi par
la pédagogie qu’Il nous a enseignée, notamment à travers la leçon des ver-
sets abrogeants et abrogés. Ainsi l’Envoyé, on l’a déjà évoqué, avait un
compagnon alcoolique, qui malgré la pédagogie Divine qui s’est étalée sur
des années, n’avait pu se défaire de sa dépendance. C’était pourtant un
Musulman qui aimait Dieu et Son Prophète, mais sa « maladie » était « plus
forte que lui » (c’est une façon de parler, car Dieu ne nous impose jamais
d’épreuve au-dessus de nos forces). Quand il est mort, le Prophète de la

203 - 4,82 : « Ne méditent-ils donc pas le Coran ? S’il venait d’un autre que Dieu, ils y
trouveraient de nombreuses contradictions ».
204 - Suyûti, qui est le plus complet sur cette question, dénombre 21 versets abrogés par
d’autres. Mais le consensus se réduit à 5 seulement : 2,180 abrogé par 4,11-12 ; 2,240
abrogé par 2,234 ; 8,65 abrogé par 8,66 ; 33,50 abrogé par 33,52 ; 58,12 abrogé par
58,13 (Cf. Walfullah, m. 1759. Cité par Tahar Gaïd, Commentaire du Coran).

163
Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

miséricorde est quand même allé à ses funérailles et a fait la prière des Et s’il est salutaire de craindre Dieu, il est encore plus salutaire d’espérer
morts en sa faveur, malgré l’étonnement et les critiques de certains en Lui. La crainte seule, en effet, peut pousser au désespoir, c’est à dire à
Compagnons. Le Prophète leur a dit que cet homme, avant de s’endormir l’injustice. Or, Dieu est Le Clément, le Miséricordieux. Seul l’injuste peut
chaque nuit, se repentait de sa désobéissance envers Dieu, et qu’il est mort l’ignorer, ainsi que Dieu le dit, car Il a été suffisamment explicite sur ce
dans cet état de repentir. C’est pourquoi il ne faut blâmer personne, car point, allant jusqu’à le répéter à chaque Sourate du Coran. Mais un miroir
Dieu seul connaît l’état des cœurs. couvert de poussière ne reflète que sa propre obscurité...
Cela n’abolit pas la Loi (Charia) et l’Envoyé la faisait appliquer dès que Le Coran est la Parole de Dieu par laquelle Il nous éduque. Toute édu-
la transgression devenait publique. Car il y a une vie, pour les gens, dans cation possède deux pôles qui paraissent s’opposer, mais qui ne procèdent
le respect de la Loi, et une société sans loi devient vite un Enfer. Que Dieu en réalité que d’une motivation unique : nous sauver, nous élire auprès de
nous en préserve. Mais il interdisait d’épier, de médire, de dénoncer. On Lui. Alors, nous verrons qu’il n’y avait aucune contradiction en Lui nous
l’a vu pour l’adultère. Le nombre de quatre témoins requis par Dieu est concernant : Son désir est de nous inviter pour l’éternité à partager Son
quasiment impossible à réunir, à moins que le couple adultère ne copule amour et Son bonheur.
dans la rue volontairement. Ou à moins qu’ils soient fous : dans ce cas, on Le caractère homogène du Coran, vierge de toute contradiction, est
ne leur applique pas la Loi, puisqu’ils sont fous, mais on les enferme et on donc une réalité irréfutable, à tout point de vue.
les soigne. Quant aux pires des péchés contre le prochain, à savoir la for-
nication, la persécution, le meurtre, etc., Dieu a dit qu’Il peut pardonner
tous les péchés aux repentants.205 Le Prophète a même donné l’exemple de
celui qui avait tué cent personnes et que Dieu a pardonné ! On pourra
nous reprocher d’être tendancieux dans nos exemples et de surtout mettre
en avant la miséricorde Divine et de faire oublier qu’Il peut être dur aussi.
Mais Dieu a indiqué que Sa miséricorde l’emportera sur Sa colère. Il n’y a
pas de contradiction dans la Parole de Dieu, et on ne peut donc opposer
Sa juste colère à Sa Miséricorde. Si nous n’étions pas pécheurs, Sa miséri-
corde nous resterait inconnue, or, Dieu était « un Trésor caché » selon un
Hadith Saint (Qudsî), et Il a désiré « être connu », alors Il a créé le monde.
Et Il a voulu que nous connaissions Sa Miséricorde, car, ayant créé par
amour et pour l’amour, c’est Sa Miséricorde qui correspond le mieux à
Son désir initial et à Son Plan final.
L’espoir et la crainte ne se contredisent donc pas, bien qu’elle soit toutes
deux dans le Coran. Dieu nous menace et Il nous promet. Tout dépend de
notre réponse à Son appel. Entre Sa menace (de l’Enfer) et Sa promesse
(du Paradis), nous savons bien laquelle Il préfère. S’Il ne S’était pas imposé
à Lui-même la Miséricorde, ainsi qu’Il nous en annonce la Bonne
Nouvelle (Bouchra en arabe) dans le Coran, on pourrait certes voir là une
contradiction irréductible dans le Coran. Mais il n’y a aucune contradic-
tion dans le Coran, ni dans le sens extérieur des versets, ni dans leur sens
intérieur. Et les degrés de signification ne se contredisent pas non plus
entre eux, mais se complètent.

205 - Le Prophète a indiqué plusieurs hadiths comportant des listes de péchés majeurs,
notamment une liste de neuf péchés et une autre de onze péchés majeurs. Dans la liste des
neuf, il n’indique pas la fornication, mais cite le fait de calomnier une femme mariée sans
preuve. Dans les onze, il indique la fornication, mais place la calomnie contre les femmes
mariées juste après le péché de polythéisme (shirk) qui est le plus grand des péchés. (Cf.
Bokhari, Abou Dawoud, al-Hakim, etc.).

164 165
Moïse, Jesus et Mohammed

CONTRADICTIONS DANS L’ANCIEN TESTAMENT tredire le Coran. Par ailleurs, les auteurs qui tombent dans ce travers,
cherchent ensuite à démontrer que ces mêmes Textes (qui selon eux ne
sont que des mensonges) annoncent l’avènement de Mohammed, sur lui
la grâce Divine et la paix. Ce faisant ils s’enferment dans une contradic-
tion qui les discréditent quelque peu face à nos contradicteurs parmi les
gens du livre.
Non, la Bible est certes la compilation de paroles humaines, mais ces
paroles sont des relations - indirectes - des Paroles divines, sinon Dieu ne
demanderait pas aux Juifs et aux Chrétiens de les scruter. Et ces Textes
Part. IV - Chap. II n’ont pratiquement pas changé depuis que le Coran en a parlé, comme on
peut le constater d’après les manuscrits anciens. C’est longtemps avant la
descente du Coran que ces altérations (dont Dieu parle dans le Coran) ont
été opérées. Mais étant finalement mineures et ne touchant pas à l’essen-
Elles sont assez nombreuses, mais portent sur des détails de dates, de tiel de la foi monothéiste, Dieu ne désavoue pas complètement ces Textes,
chronologie, de personnes, de paroles. Elles ne portent pas sur l’essentiel, mais les confirme et les protège de toute autre altération ultérieure, ainsi
à savoir l’Unicité de Dieu. Il y a certes les utilisations métaphoriques de qu’Il le dit textuellement. Car l’altération est déjà là. Si tel n’était pas le cas,
certains termes (« dieux », « fils de Dieu ») mais elles étaient connues c’est que Dieu aurait simplement conservé la Bible comme Il a gardé le
comme telles par les Juifs et les premiers Chrétiens, ainsi que l’a démon- Coran. Mais Dieu a voulu donner une Parole définitive, inaltérable, pour
tré l’imam Abou Hamid al-Ghazalî. Et elles ne sont pas à proprement par- garantir l’accès à la Vérité parfaite jusqu’à la fin des temps.
ler des « contradictions ». Nous traiterons de ce sujet dans un prochain D’ailleurs, les dogmes hérétiques de la chrétienté ne découlent pas du
chapitre, si Dieu le veut. Texte biblique, mais de son exégèse (notamment à partir du quatrième siè-
Il y a de vraies contradictions, mais il y a aussi des différences naturelles cle). Mais nous verrons ce point par la suite. Pour le moment, examinons
entre divers textes composant la Bible (n’oublions pas que c’est une com- les contradictions dans l’ancien testament.
pilation s’étalant sur de nombreux siècles, d’auteurs différents) qui ne sont Elles ont été recensées en détail par El-Hajj Rahmatullah Al-Hindi dans
pas à proprement parler de vraies contradictions mais qui ont pourtant été son ouvrage Manifestation de la Vérité,206 et reprises par beaucoup d’au-
recensées comme telles par certains auteurs Musulmans. Ces différences là teurs dont H. Boubakeur, M. Bucaille, A. Deedat, A. Alem, A.R.
sont fréquentes quand plusieurs personnes relatent une même chose sans Diamashkiah, A.H. Gonin, etc, dans leurs ouvrages sur ce thème.
s’être consultées auparavant : certaines se trompent de bonne foi, et cha- Ces ouvrages sont connus, surtout celui de M. Bucaille, et il est donc
cun a forcément un point de vue différent. On peut comparer ce cas aux inutile d’y revenir trop en détail. Mais certains de ces ouvrages, très
Hadiths du Prophète Mohammed. Certains de ces hadiths sont rapportés polémiques, véhiculent également des erreurs facilement identifiables.
avec des variantes d’un rapporteur à l’autre, et c’est normal et naturel, et Nous ne relèveront donc que les plus criantes, quant aux autres, nous
leur bonne foi n’est pas à mettre en cause. Tout le monde peut faire l’ex- en signalerons quelques-unes, pour montrer leur caractère litigieux, et
périence de ce phénomène dans la vie courante. conforter ainsi la méthode de notre Imam Abou Hamid al-Ghazâlî, qui est
Et c’est bien parce qu’il s’agit de paroles humaines et non directement sans conteste le plus savant sur cette question. Par ailleurs, cet Imam est
divines, que la Bible présente ce genre de contradictions. un théologien étudié depuis le moyen-âge en Europe (sous le nom
Mais à côté de ces différences normales, il y a aussi de vraies contradic- d’Algazel). Il était très apprécié des savants Juifs et Chrétiens. Bien sûr, les
tions qui ont été recensées par beaucoup d’auteurs, dont certains se sont Chrétiens ne faisaient pas mention de sa réfutation de la divinité de Jésus
même fait une spécialité, afin de démontrer que la Bible n’est pas la parole et de la trinité, car ses arguments sont si probants qu’ils auraient été
de Dieu. A cela, nous dirons qu’il faut être plus nuancé et dire de la Bible obligés d’admettre leur hérésie.
ce que Dieu Lui même en dit. Or, il ne fait pas de doute, comme on l’a Il y a des contradictions flagrantes entre les livres de Samuel et les livres
vu, que Dieu renvoie les Gens du Livre à l’étude de leurs Ecritures : c’est des Chroniques, qui relatent les mêmes évènements avec des différences
qu’il y a dans la Bible, malgré ses nombreuses imperfections, de quoi se sensibles. Par exemple :
guider, en attendant de recevoir la Parole Parfaite du Coran. La chose est - En 2 Samuel 24, 9 on lit : « Joab remit au roi le chiffre du recensement
tellement claire qu’affirmer le contraire équivaut à contredire le Coran.
Prétendre que la Bible n’est qu’un tissu de mensonge est donc con- 206 - Idhar ul-Haqq, Ed. Iqra.

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Moïse, Jesus et Mohammed

du peuple : Israël comptait huit cent mille hommes de guerre tirant le glaive, CONTRADICTIONS DANS LE NOUVEAU TESTAMENT
et Juda cinq cent mille ». Alors qu’en 1 Chroniques 21,5, on lit : « Joab remit
le chiffre du recensement du peuple : tout Israël comptait onze cent mille
hommes tirant le glaive, et Juda quatre cent soixante-dix mille homes tirant le
glaive ».207
- Selon 2 Samuel, 24, 1, c’est la colère de Dieu (Yahvé) qui s’enflamme
contre Israël, et Il excite David contre eux. Alors qu’en 1 Chroniques 21,1,
c’est Satan qui se dresse contre Israël et excite David contre eux. On peut
certes considérer qu’il s’agit de deux points de vues différents, puisque la
colère de Dieu peut effectivement S’exprimer par le fait d’abandonner les Part. IV - Chap. III
prévaricateurs à la tentation du diable.
- A l’intérieur du livre de la Genèse également, on lit qu’après le déluge,
Dieu décide que l’être humain ne vivra que cent vingt ans (6,3), alors que
Sem est mort à l’âge de six cents ans (11,11), et qu’Abraham est mort à Elles sont beaucoup plus nombreuses. Il y a des contradictions entre le
175 ans (25,7). Nouveau et l’Ancien testaments, et des contradictions au sein même du
- Par ailleurs, il y a dans ce même livre de la Genèse, deux explications nouveau testament.
de la création : dans l’une, l’homme est créé avant les animaux, dans - Par exemple, dans l’évangile de Jean (3,13), il est affirmé que per-
l’autre, il est créé après les animaux. sonne, excepté Jésus, n’est monté au ciel, alors que l’ancien Testament
Ces contradictions, somme toutes mineures par rapport à la Science de affirme que Enoch (Genèse 5,24) et Elie (2 Rois 2,1) ont connu une telle
l’Unicité Divine, prouvent cependant que ces Textes ne peuvent être Ascension.
attribués directement à Dieu. - Les évangiles de Matthieu et de Luc présentent deux généalogies de
Jésus (en fait celles de Joseph son père adoptif ) totalement différentes. Sur
les listes citées par ces deux évangiles, seuls 15 noms d’ancêtres coïncident,
sur une liste de 56 noms chez Luc et de 39 chez Matthieu, d’Abraham à
Joseph (époux de Marie mère de Jésus, sur eux la paix, selon les données
chrétiennes).
- Les paroles de Jésus sur la croix diffèrent complètement d’un évangile
à l’autre, ainsi que le nombre et les noms des témoins de sa résurrection.
Ainsi, c’est surtout sur ce qu’ils n’ont pu voir par eux-mêmes que les rap-
porteurs initiaux (de ce qui allait devenir les « évangiles ») se sont trompés :
c’est à dire la généalogie, et la crucifiction. En effet, les évangiles eux-
mêmes affirment que tous les apôtres étaient en fuite après l’arrestation de
Jésus, et que leurs « témoignages » sur la crucifiction ne sont donc pas
visuels, mais de « seconde main ». Le seul « témoin » oculaire de cette cru-
cifiction fut peut-être Jean, alors encore très jeune, mais même les spécial-
istes chrétiens doutent que l’évangile portant son nom soit écrit de sa pro-
pre main.
- Seul l’évangile de Jean fait mention de « l’autre Paraclet » annoncé par
Jésus. Les autres évangiles n’y font qu’allusion sans le citer.
- Il y a par ailleurs une foule de petites divergences entre les évangiles,
qu’il serait tout à fait fastidieux de relever, et qui sont mentionnés dans
l’ouvrage Manifestation de la Vérité.208
Tout cela prouve qu’il ne peut s’agir que de livres humains de « seconde

207 - Traduction E. Osty. Op. cit. 208 - Ed. Iqra.

168 169
Moïse, Jesus et Mohammed

main » par rapport au véritable Evangile annoncé par le Prophète Jésus. Il PARTIE V
y a néanmoins, dans leur étude, ainsi que le dit Dieu dans le Coran, de Les Contradictions entre le Coran et la Bible
quoi éclairer les Chrétiens pour qu’ils reconnaissent la vérité du Coran.
Et c’est ce qui m’est arrivé, par la grâce de Dieu. Louange à Dieu,
Souverain de l’univers.

Concordances et divergences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .172


Différences de style et de contexte culturel . . . . . . . . . . . . . . . .175
Un exemple significatif : l’adultère (zinâ) . . . . . . . . . . . . . . . . .178
Les lois : Torah et Charia . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .182
Différences historiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .186
Conclusion : la précellence du Coran
sur les autres écritures sacrées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .195

170 171
Moïse, Jesus et Mohammed

CONCORDANCES ET DIVERGENCES réelles mais pardonnées par Dieu et Il n’en fait donc plus mention dans le
ENTRE LE CORAN ET LA BIBLE Coran, soit elles sont fausses, ou exagérées. On peut se demander toute-
fois pourquoi Dieu n’innocente pas ces Prophètes, comme Il l’a fait pour
Salomon. C’est que la calomnie contre Salomon portait sur le poly-
théisme, péché le plus grave qui soit et est même mortel chez un Envoyé
de Dieu, comme pour tout un chacun. Tous les autres péchés - même
graves - sont pardonnables, comme Dieu l’indique dans le Coran, bien
qu’ils soient choquants de la part de Prophètes. Mais Dieu sait mieux.
Cependant, la sagesse doit nous conduire à ne tenir compte que du Coran
lorsqu’il s’agit de reproches à l’égard des Prophètes de Dieu. Certains
Part. V - Chap. I reproches sont effectivement formulés par Dieu dans le Coran, mais il ne
s’agit pas de reproches concernant des péchés à proprement parler, tout au
plus de rectifications de maladresses, afin que les Envoyés restent vraiment
infaillibles, ainsi que l’a dit le Prophète Mohammed très louangé : « Dieu
Les divergences sont beaucoup moins nombreuses que les concor- m’a éduqué ».
dances. On peut affirmer que ces Ecritures sont concordantes sur l’essen- Par ailleurs, il faut noter que dans la tradition juive, ni Salomon, ni
tiel et sur la majorité des faits relatés, des notions exprimées, des David ne sont considérés comme des Prophètes, mais seulement comme
Commandements divins, etc. des rois faillibles qui devaient obéir à des Prophètes. Le Coran les consid-
Des différences sont cependant notables, ainsi que certaines divergences ère au contraire comme des Envoyés de Dieu.
inconciliables. La Bible (Exode 32, 2-5) accuse Aaron d’avoir cédé - pendant que
On l’a vu pour le cas du Prophète Salomon, que la Bible calomnie et Moïse était dans la montagne - aux demandes des israélites pourqu’il leur
que le Coran innocente. Il y a également des péchés reprochés dans la fasse un Veau d’Or. Mais - même en admettant cela - il apparaît nettement
Bible à des Prophètes comme Noé209 et David210, dont le Coran ne fait pas que c’est à contre-coeur qu’il l’aurait fait, puisqu’il dit : « Demain, fête pour
mention. Cela peut être expliqué de plusieurs façons : soit ces fautes sont Yahvé ! » (alors que des Juifs avaient qualifié ce Veau de « dieu »). Aaron,
selon la Bible, n’a pas la force de s’opposer au parti des apostats, mais tente
209 - Genèse 9,18. Selon ce livre, Noé se serait enivré puis aurait dansé nu dans sa tente. tout au moins de conserver la prééminence du culte de Dieu (Yahvé).
ensuite les choses se gâtent. Cham, un des trois fils de Noé, entre chez son père et voit ce C’est d’ailleurs ce qu’il dira à Moïse en colère : « Tu sais toi même que ce
spectacle. Au lieu de couvrir la nudité de son père et de n’en rien dire à l’extérieur, il va peuple est enclin au mal » (32,22). Puis Moïse appelle les repentis (princi-
aussitôt trouver ses deux frères et leur narre ce qu’il a vu. Ces derniers vont alors couvrir la palement les fils de Lévi) à tuer les partisans de la sédition. Mais la colère
nudité de leur père, en détournant les yeux de lui. Puis, lorsque « Noé se réveilla de son
vin », il apprit l’attitude de Cham, et au lieu de réprimander Cham, il maudit le fils de comme signe du pardon de Dieu. Tout ceci est très très choquant pour un Musulman qui
ce dernier : Canaan : « Qu’il soit l’esclave de ses frères! ». C’est une injustice flagrante, un n’a été habitué qu’à l’image de sagesse et de noblesse de ces prophètes dans la Parole du
péché qui ne sied évidemment pas à un Prophète de Dieu. Même si l’on peut admettre que Coran. F. Schuon rapporte dans son livre « De l’unité transcendante des religions,
les mœurs étaient différentes à cette époque (droit de consommer du vin modérément car Gallimard 1948, p.58 » que : « Le Khalife ‘Ali a dit « quiconque racontera l’histoires de
on sait que le vin n’a été totalement prohibé qu’avec le Coran, code d’honneur particuliè- David comme les conteurs d’histoires, Je lui donnerai cent soixante coups de fouet, et ce sera
rement strict, goût de l’anathème, esclavage généralisé, etc.), une telle injustice est décidé- là la punition de ceux qui porteront faux témoignage contre les prophètes». Par ailleurs,
ment trop choquante. Elle a fait surtout le bonheur des marchands d’esclaves. Canaan était Dieu a clairement indiqué qu’Il pardonne tous les péchés au serviteur repentant. De plus,
Noir, selon les traditions, et ceci explique sans doute cela... nous devons pour notre part nous en tenir au Coran et dire : « Dieu sait mieux » pour ce
210 - 2 Samuel 11. Ce livre accuse David de commettre l’adultère avec Bethsabée, la qui nous dépasse. Mais il ne convient pas d’affronter les Gens du Livre sur des choses pour
femme d’Urie le Hittite (un général Hittite rallié à Israël). Puis il envoie Urie au front et lesquelles Dieu ne nous a rien indiqué de précis. C’est seulement sur la calomnie à l’égard
demande à Joab d’abandonner Urie aux ennemis, dans un véritable guet-apens. Après la de Salomom que Dieu nous a éclairés : là nous pouvons être sûrs de nous. Sur le reste nous
mort d’Urie, David épouse Bethsabée… Ensuite, Dieu punit David. Une partie des Juifs devons garder la mesure et ne discuter avec les Gens du livre que de la meilleure façon,
se révolte contre lui, même son fils Absalom, qui prend pour lui dix concubines de son père ainsi que Dieu nous l’ordonne. Et traiter leurs Livres de mensonges n’est certes pas la
David (Ibid. 16,20). C’est dans ces périodes douloureuses que David, selon la Bible, se meilleure façon de le faire. Si Dieu nous demande de ne pas insulter les idoles des poly-
repent et expie ses fautes, et que Dieu lui pardonne finalement. Et Salomon naît alors, théistes, combien plus les Livres (même altérés) des Gens du Livre !

172 173
Moïse, Jesus et Mohammed

de Dieu ne s’éteint pas pour autant, et Il fera errer les fils d’Israël durant DIFFÉRENCES DE STYLE ET DE CONTEXTE CULTUREL
quarante ans dans le désert du Sinaï (alors que quelques mois de marche
seulement les séparait de la terre promise), afin que toute la génération de
ceux qui s’étaient souillés avec le Veau soit éteinte, excepté Josué qui était
toujours resté fidèle.
Tout cela paraît choquant, encore une fois, à un Musulman qui ne con-
naît principalement que le Coran. Venant du Christianisme, j’ai été
habitué à ces récits et aux exégèses chrétiennes qui les expliquent, c’est
pourquoi je peux les évoquer de façon dépassionnée. Il faut noter qu’au
moment de cette sédition dans Israël, la Torah n’était pas encore descen- Part. V - Chap. II
due (Moïse était dans la montagne pour la recevoir) et que l’interdiction
de faire des statues n’était donc pas encore révélée, ce qui relativise cette
sédition. Elle est cependant extrêmement grave, et la Juste Jalousie Divine
S’exprime parce que ces gens ont qualifié le Veau de « dieu », comme les Ce qui choque aussi parfois certains Musulmans peu habitués au
égyptiens, c’est à dire qu’ils ont renié Yahvé. Dieu décide donc de les « style » biblique, c’est justement la grande différence de style entre la Bible
anéantir (32,10) et de n’épargner que la descendance de Moïse (en l’occur- et le Coran. Cela ne pourrait être vraiment choquant que si l’on croyait
rence Guerchom son fils, c’est à dire un métis judéo-arabe, puisque Moïse que ces textes bibliques sont effectivement la parole de Dieu, or, on a vu
a épousé une madianite211). Mais Moïse intercède pour les survivants de la qu’il n’en est rien et que même les savants parmi les gens du Livre admet-
guerre civile qu’il a lui-même déclenchée pour appaiser la colère de Dieu. tent qu’il ne s’agit là que de textes de « seconde main » où l’on retrouve for-
Et Dieu impose alors un Engagement (Pacte ou Alliance) très strict qui cément les imperfections inhérentes à toute parole humaine, même
prévoit la Bénédiction pour les justes et la Malédiction pour les injustes. lorsqu’elle se fait l’écho de Paroles Divines. Seul le Coran, qui pourtant lui
Toute la Loi (Torah) et les Prophètes confirment cette sévère Justice aussi passe par le langage humain, est préservé de ces sortes d’imperfec-
Divine. Ainsi en 2 Samuel 22,27 il est écrit : « Avec qui est pur, Tu Te mon- tion. Une fois ce fait établi, on peut mieux évaluer ces textes et les étudier,
tres Pur, mais avec le tortueux, Tu Te montre retors ». Ceci est confirmé par voir ce qui les sépare effectivement du Coran (les contradictions mani-
le Coran : « Par l’âme et ce qui l’a équilibrée et lui a inspiré son libertinage festes) et ce qui ne relève que de différences de style, d’époque, de langage,
ou sa piété. Celui qui purifie son âme prospérera et celui qui l’aura corrompue de symboles, de culture, etc.
sera déçu ! » (91, 7 à 10). Ainsi, quelques auteurs Musulmans ont cru lire des passages « éro-
tiques» dans le Cantique des Cantique (Psaume attribué à Salomon) alors
que c’est un poème classique de la littérature sémitique, dont on peut
retrouver des accents similaires dans la poésie arabe, même post-islamique.
Prenons un exemple dans ce Cantique des Cantiques : « Que tu es belle, ma
compagne, que tu es belle ! Tes yeux sont comme des colombes derrière ton voile.
Tes cheveux sont comme un troupeau de chèvres qui dévalent la montagne de
Galaad. /.../ Tes deux seins sont comme deux faons, jumeaux d’une gazelle, qui
paissent parmi les lis, etc. » (4,1-5). Comme « pornographie », il y a certes
211 - Les Madianites sont descendants d’Abraham par Qétoura sa troisième épouse. Ils pire ! C’est à peine si on peut parler de lascivité comme certains le font,
vivaient dans le Sinaï, près des Ismaélites dont ils étaient proches par le sang, la langue, la tout au plus de volupté, de sensualité, mais ce genre d’évocation poétique
culture et le mode de vie. Certains étaient bédouins (donc « arabes », puisque ce terme est plutôt un éloge de la beauté de la création Divine, et à voir strictement
désigne à l’origine les bédouins). Chuayb fut leur prophète. Selon la Bible, Jethro ou comme tel, à moins d’être d’une mauvaise foi évidente, ou d’une pudibon-
Hobab, le beau-père Madianite (« Qénite ») de Moïse, eut une très grande influence sur derie excessive. Inutile de préciser que sur ce point, je ne partage pas du
son gendre, qui l’écoutait en toute chose. Dans le Coran, Dieu dit qu’Il Se mit en colère tout l’avis exagéré de quelques auteurs musulmans ultra puritains et
contre eux et leur envoya un cataclysme, car ils refusèrent d’obéir à Chuayb. Mais avant intolérants. Certaines poésies des maîtres soufis utilisent également des
cela, ils participèrent au côté des Israëlites et de certains Amalécites, à la conquête de la images « sensuelles » empruntées à l’expérience amoureuse (et même au
Palestine (Nombre 10, 29 à 36 ; Exode 2, 16-18 ; 3,1 ; 4,18 ; 18,1 ; Juges 1, 16 et 4,11. vin !) comme symbole pour évoquer les états spirituels. Dieu Lui-même,
Cf. E. Osty. Op. cit. p. 307 note 32.) dans le Coran, décrit le Paradis promis avec profusion de détails qui font
174 175
Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

appel aux délices des sens, avec des houris toujours amoureuses et pures des péchés.212 Les Dix Commandements inscrits dans la Torah (ainsi que
(c’est à dire sans menstrues) pour satisfaire les hommes élus, des rivières de d’autres commandements, interdictions et obligations) sont communs aux
vin et toutes sortes d’autres jouissances inimaginables ici-bas. Certains trois Livres (Ancien, Nouveau et Dernier «Engagements»), c’est à dire la
auteurs austères veulent n’y voir que des allégories et des métaphores, mais Torah, l’Evangile et le Coran. On y trouve également des différences nota-
ceux qui hériteront des joies paradisiaques ne les refuseront certes pas, car bles, mais somme toutes secondaires. Ces différences concernent surtout un
ce serait sottise et ingratitude envers le Créateur, même s’il est vrai que le grand nombre d’allègements dans les rituels, interdits et punitions que Dieu
plus grand bonheur sera la contemplation du Visage satisfait de Dieu, a inscrit dans Ses messages successifs. En effet, la Torah (et l’Evangile qui la
exalté et magnifié soit-Il. confirme) est plus dure et exigeante pour les croyants, que ne l’est le Coran.
De même, dans le langage biblique, le péché est souvent appelé, Par exemple, en ce qui concerne les dix commandements: dans la Torah,
métaphoriquement : « prostitution », même s’il s’agit d’autres sortes de toute prévarication, à l’encontre d’un seul de ces dix commandements, est
péchés graves (polythéisme par exemple). Cela s’explique par la rhétorique punie de mort. Dans la Charia qui découle du Coran, les punitions sont
propre au langage imagé des anciens prophètes d’Israël, qui devaient bien allégées, voire supprimées pour certaines. Le vol dans la Torah est puni de
parler un langage parabolique, « symbolique », pour être facilement com- mort. Dans le Coran, c’est l’amputation de la main des voleurs.213 La forni-
pris de tous, même des moins instruits. Ainsi, puisque Dieu aimait Israël, cation,214 dans la Torah, est punie de mort, et de flagellation dans la Charia.
Israël devait aimer Dieu, et le fait de se détourner de Lui était
métaphoriquement désigné comme une « prostitution » puisque la relation 212 - Muslim a rapporté un hadith (d’après Aïcha, que Dieu l’agrée) indiquant que des
légitime était l’adoration de Dieu seul. C’est facile à comprendre. Si on ne esclaves éthiopiens ont donné un spectacle de danse en présence du Prophète et de son
fait pas l’effort de comprendre ce langage symbolique et métaphorique, épouse, sans qu’il condamne cela. Dans un autre hadith, toujours d’après cette Mère des
aucune discussion courtoise avec les Gens du Livre ne pourra s’établir, or, Croyants (et rapporté par Bokhari, Muslim, Ahmad Ibn Hanbal, Ibn Maja, Nassa’i et
Dieu nous commande cela, afin de les amener à voir la Lumière d’autres compilateurs) il est indiqué que deux servantes d’Abdallah Ibn Salam
Coranique. (Compagnon et ami du Prophète, ancien grand rabbin de Médine), chantaient et jouaient
Ainsi, dans la Bible, les Idoles deviennent des « amants » illégitimes de du tambourin durant un jour de fête, dans la chambre d’Aïcha. Abou Bakr, le père de cette
Jérusalem, comparée à une épouse infidèle à son Seigneur. Ces métaphores dernière (que Dieu les agrée) arriva à ce moment et blâma sa fille en disant : « Des corne-
« conjugales » et « filiales » sont légions dans la Bible. Si l’on ne tient pas muses du diable dans la maison de l’Envoyé de Dieu ? » Le Prophète lui dit alors : « Ô,
compte de ce style propre à la Bible (et à la littérature sémitique classique Abou Bakr ! Chaque peuple a sa fête. Et ce sont des journées de notre fête ». Cf. « Quarante
en général) on ne pourra pas apporter l’Islam aux Gens du Livre, alors que Hadiths sur le Taçawwuf » de Sakhawi, Ed. Iqra.
l’ultime Révélation est faite pour toute l’humanité, et pas seulement pour 213 - Vol (Sariqah). Coran 5,42. Le Fiqh, qui définit les modalités d’application de la
la descendance d’Ismaël. Charia, prévoit des valeurs minimales (environ dix dirhams) en dessous desquelles le vol
Certains auteurs Musulmans font aussi passer les conceptions de leurs n’est pas puni d’amputation. Les législateurs ont en outre imposé des conditions suffisam-
sectes intolérantes pour réfuter certains passages de la Bible. Ainsi, pour la ment importantes pour que cette sanction soit évitée au maximum. Ainsi, la Risala selon
danse, qu’ils considèrent comme un péché grave. Or, lorsque la Bible le rite malikite (d’al-Qayrawani), permet au voleur de restituer l’objet volé et de jurer de
affirme que David a dansé de joie en un jour d’allégresse (ou Noé, ou son innocence (malgré l’évidence) pour sauver sa main, ce qui fait que seul le multi-réci-
d’autres), ils sont scandalisés, car pour eux la danse, le chants, les instru- diviste risque réellement cette terrible punition. La Loi islamique joue cependant un rôle
ments de musique, tout cela est forcément diabolique. C’est une mécon- dissuasif irremplaçable, car il est clair que le laxisme est la source de maux insurmontables
naissance totale de ces sujets qui les trompe. Car rien de tout cela ne fait et même d’une destruction de la société. La jurisprudence (Fiqh) islamique s’est, depuis
l’unanimité d’interdiction (haram). Certains docteurs déclarent ces choses longtemps, orientée vers un adoucissement des sanctions prévues par la Charia, sans toute-
blâmables (makrouh). Mais en vérité ces choses ne sont effectivement fois s’y opposer formellement. A l’époque du Prophète, les lois des autres peuples étaient
blâmables que dans certaines circonstances, notamment si elles conduisent encore plus dures que la Charia. Par ailleurs, le Prophète a dit : « Au début, si quelqu’un
à des péchés (consommation d’alcool ou autres drogues, obscénité, forni- oublie un dixième de la loi, il sera puni, mais à la fin des Temps, celui qui accomplit un
cation ou autres dépravations). Par contre, lorsque ces choses accompag- dixième des commandements sera sauvé » (Cité par Cyril Glassé : Dictionnaire
nent des chants licites (notamment religieux, ou du moins non licen- Encyclopédique de l’Islam, p. 364. Ed. Bordas, 1991). Les historiens musulmans affirment
cieux), il faut savoir qu’il est interdit d’interdire ce que Dieu ou Son que dès l’époque du Khalifat rachidine, la Charia concernant le vol, fut suspendue par
prophète n’ont pas prohibé. Ainsi, dans les confréries soufies et populaires ‘Omar, durant une période de famine qui poussait les pauvres à voler pour survivre.
musulmanes, les chants, la musique et même les danses sont des choses 214 - C’est à dire des relations sexuelles entre deux personnes célibataires. Au contraire de
fréquentes et bienvenues, et il faut vraiment avoir l’esprit tordu pour y voir l’adultère proprement dit, où au moins l’un des deux fautifs est marié.

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Moïse, Jesus et Mohammed

UN EXEMPLE SIGNIFICATIF : L’ADULTÈRE Bible et lire le passage ; puis conformément à cela, il ordonna la lapidation du
(zinâ) couple ». (Fait rapporté par Boukhari, Ibn Hicham, abou Dawoud, etc.).
Cet épisode prouve que la Bible était celle reconnue par les Gens du Livre
de cette époque, sinon ils n’auraient pas demandé le jugement du
Prophète ni accepté qu’il les juge selon un livre qu’ils ne reconnaissaient
pas. Cela montre aussi que la jurisprudence des Juifs de Médine (Yathrib)
avait changé la dureté de la loi (Torah). Cela montre enfin que le Prophète
ne se prononçait jamais sans s’en référer à un Texte sacré. Et en effet, la
condamnation de l’adultère est toujours lisible dans les versions actuelles
Part. V - Chap. III de la Bible, qui n’a donc fondamentalement pas changé depuis l’époque
du Prophète (Lévitique 20, 10-11 ; Deutéronome 22,21 et 24).216
Dans l’évangile de Jean (8,1 à 11), comme on l’a vu précédemment, des
scribes et des Pharisiens amènent à Jésus une femme surprise en adultère
Pour ce qui est de l’adultère, la Torah le condamne également à mort, et disent au Messie (pour le mettre à l’épreuve) : « Maître, cette femme a été
alors qu’un verset coranique, qui confirmait, semble t-il, la Torah sur ce surprise en flagrant délit d’adultère. Or, dans la Loi, Moïse nous a commandé
point, a été exclu de la compilation définitive du Coran215, et cela ne peut de lapider ces femmes-là. Toi donc, que dis-tu ? » On remarque d’emblée que
être que par la permission de Dieu, puisqu’Il en est le Gardien. seule la femme est amenée, alors qu’elle a été prise en « flagrant délit »
En effet, du vivant du Prophète, l’adultère avéré (par quatre témoins (donc son complice a été vu aussi), mais l’homme adultère n’est pas là.
visuels ou par aveu spontané) était effectivement puni de mort, malgré la Peut-être s’est-il enfui...
répulsion qu’en avait le Prophète (qui d’après les Compagnons faisait sem- Le Prophète Jésus savait mieux qu’eux ce que Dieu avait commandé à
blant de ne rien entendre quand un adultère venait se dénoncer lui- cet égard. Et effectivement, il ne les contredit pas. Il ne met pas non plus
même). Mais Dieu a voulu que ce verset concernant cette sanction soit en cause leur témoignage, et ils sont nombreux à lui amener cette femme.
effacé. Après la mort du Prophète, ‘Omar voulut replacer ce verset dans le Alors, conformément à la Torah, il leur dit : « Que celui d’entre vous qui est
Coran, mais les experts s’y opposèrent fermement, considérant que ce ver- sans péché lui jette le premier une pierre ». Quand Jésus dit « sans péché »,
set n’avait qu’un seul témoin (‘Omar) et qu’il était donc effacé de fait du cela veut dire sans péché par rapport aux Dix Commandements (sachant
Coran. Pour autant, les docteurs de l’Islam considèrent néanmoins que la que la prévarication contre un seul de ces dix commandements vaut une
Charia prévoit bien la lapidation pour l’adultère (ou au moins la flagella- condamnation à mort). Jésus ne peut donc instituer comme bourreaux des
tion), mais puisqu’il est objectivement impossible de réunir quatre prévaricateurs qui devraient eux mêmes être morts selon la loi de Moïse
témoins (à moins que les fauteurs n’aient copulé en public), cette sanction (Torah). C’est logique et juste.
n’est plus appliquée, et d’ailleurs, aucun Musulman, à l’instar du Prophète Puis, après avoir dit simplement cela (selon Jean), Jésus attend, en
lui-même, ne souhaite vraiment qu’elle le soit. Malgré tout, son caractère « écrivant sur le sol » (ce qui indique certainement son détachement,
fortement dissuasif joue un rôle psychologique important en Islam, afin sachant très bien ce qu’ils trament). Les accusateurs sont alors pris au
que la dépravation ne se généralise pas, car l’adultère est un mal qui détruit dépourvu. Ils restent silencieux. Puis les plus vieux commencent à se
les familles, et donc la société. retirer, et tous s’en vont, les uns après les autres. Resté seul avec la femme,
Mohammed Hamidullah, dans son ouvrage Le Prophète de l’Islam écrit : Jésus se redresse et lui demande : « Femme, où sont-ils ? Personne ne t’a con-
« Une autre fois, le Prophète fut appelé pour administrer la justice dans un cas damnée ? ». Elle dit : « Personne, seigneur ». Et Jésus dit : « Moi non plus, je ne
d’adultère, les deux parties étant juives. Le Prophète leur demanda quelle était te condamne pas. Va ; désormais ne pèche plus ». En effet, en l’absence de
leur loi à ce propos ? Ils dirent : noircir les figures des coupables et les escorter témoins, le juge ne peut condamner, or, par leur départ, ils se sont tous
publiquement dans les rues. Le Prophète ne leur ajouta pas foi, fit venir la rétractés de fait. Pour autant Jésus ne remet pas en cause leur accusation
préalable, puisqu’il dit : « Va et ne pêche plus ». Cet épisode prouve que
215 - Cf. Hamza Boubakeur : Le Coran, Histoire du Coran, T.2, p. 720-721. Enag/Ed., Jésus connaissait parfaitement la Torah, non seulement sa lettre mais aussi
Alger, 1989 : « C’est ainsi que (Zayd b. Thâbit) refusa d’incorporer (au Coran) un verset son esprit, et ses conditions d’applications précises. Il n’a pu être mis en
relatif à la lapidation des adultères, rapporté par le seul ‘Umar, en dépit de son autorité et défaut par ses contradicteurs sur cette question comme sur toutes les
de sa notoriété de musulman intransigeant, et malgré son insistance, faute d’autres récita-
teurs témoins ». 216 - M. Hamidullah. Op. cit. T.1. P. 566 (article 1009). Ed. El-Najah, Paris,1998.

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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

autres, et il a été lui-même condamné à la suite d’un procès inique en vio- mément à leur « code d’honneur » tribal - tuent sur simple présomption
lation de la Loi de Moïse. d’adultère).219
Le zinâ (fornication et adultère) est considéré également en Islam Il est certain qu’un retour à des lois plus sévères épargnerait peut-être
comme un péché grave et même comme un crime sur le plan social. Le beaucoup de maux préjudiciables aux sociétés corrompues par la déca-
Coran mentionne plusieurs degrés de châtiment. Mais comme l’inculpa- dence morale, mais d’un autre point de vue, l’opinion publique n’étant pas
tion nécessite le témoignage visuel de quatre témoins (eux-mêmes passi- disposée à ce qui apparaîtrait forcément comme un retour à une ère
bles de sanctions en cas d’accusation mensongère ou de rétractation d’un révolue, cela risquerait fortement d’entraîner encore plus de désordres. Le
seul de ces témoins), et puisque l’aveu spontané peut lui-même être remède risquerait même d’être carrément mortel pour le malade : Dieu
rétracté, la Charia place de fait le zinâ au-delà des compétences de la n’impose à chaque individu (et donc à chaque collectivité) que des charges
société islamique pour le punir. Et c’est finalement Dieu qui décidera du supportables. C’est pour cela que le Prophète a dit : « Au début, si
châtiment ou du pardon.217 quelqu’un oublie un dixième de la loi, il sera puni, mais à la fin des Temps,
Pour compléter ce sujet relatif aux contradictions (apparentes ou celui qui accomplit un dixième des commandements sera sauvé ».220
réelles) entre la Bible et le Coran, nous allons aborder quelques autres Cet « allègement » est finalement en relation naturelle avec l’évolution
questions. La première de ces questions est : pourquoi la Torah est elle plus générale des lois Divines (« évolution » qui accompagne de fait la
« dure » que le Coran (en ce qui concerne notamment les sanctions dégénérescence de l’humanité)221, et qu’on peut constater entre la Torah et
pénales) ? La seconde porte sur certaines différences historiques (par exem- le Coran. Car « la miséricorde de Dieu l’emporte sur Sa Colère », ainsi que
ple le fait qu’Abraham ait été jeté au feu par les idolâtres, alors que la Torah le dit le Hadith Qudsî.
n’en fait pas mention, etc.).
Tout d’abord, il faut noter que la Charia218 (du moins telle que le Fiqh
la présentait au commencement de l’Islam), est moins dure que la Torah,
et n’est plus appliquée de nos jours qu’en Arabie saoudite et dans certains
Etats du golfe arabo-persique (et d’une façon partielle). Dans tous les
autres pays, et ce depuis des siècles reculés, l’application de la Charia a été
de fait limitée, soit par le droit coutumier des peuples ayant adopté l’Islam,
soit par des adoucissements justifiés de la part des Jurisconsultes des
diverses écoles du Droit (par le recours à l’Ijtihad). Parfois, elle a été
aggravée par le droit coutumier (comme chez les Pachtounes qui - confor-

217 - Cf. Cyril Glassé, Dictionnaire Encyclopédique de l’Islam. p. 422. Ed. Bordas,
1991. Cet auteur (qui est un Musulman américain) précise en outre : « L’approche de l’is-
lam vis-à-vis de l’application de ses lois les plus rigoureuses est analogue à la situation pré-
valant dans le judaïsme, lequel, dans le cas de lois similaires, impose tellement de condi-
tions pour qu’elles puissent être appliquées, que les sentences extrêmes ne sont jamais impo-
sées pour punir des crimes à caractère moral ».
218 - Loi Islamique. Prescription, Voie, Législation. Le mot provient du Coran 45,18 : 219 - Ce qui constitue d’ailleurs un péché majeur : la calomnie contre une femme mariée
« Nous t’avons ensuite placé sur la voie de l’ordre (charî’atin min al-amri). Suis-là ! Ne suis (en l’absence de quatre témoins).
pas les passions de ceux qui ne savent pas ». Le mot est équivalent de Torah (loi), puisque 220 - Cité par Cyril Glassé, Dictionnaire Encyclopédique de l’Islam. p. 364. Ed. Bordas,
Dieu dit : « A chacun de vous (Juifs, Chrétiens et Musulmans, n.d.r.) Nous avons donné 1991.
une loi (chir’atan) et une voie » (5,48), et : « Il vous a ouvert (Chara’ou lakoum), en 221 - Dieu dit à de nombreuses reprises dans le Coran que les peuples de l’antiquité
matière de religion, une voie qu’il avait recommandée à Noé, celle même que nous t’avons étaient « plus forts » (y compris sans doute aussi dans les sciences sacrées aujourd’hui dégé-
révélée, celle que Nous avons recommandée à Abraham, à Moïse, à Jésus, [à savoir] : nérées en « sciences profanes »), « plus forts » que les peuples venus ensuite. Et le Prophète a
acquittez-vous du culte [à rendre à Dieu] et n’en faites pas un sujet de division »( 42,13). confirmé cette « involution » générale sur tous les plans, jusqu’à la fin des temps. Et ceci
Dieu montre ainsi que Sa Loi est au fond une et éternelle, mais aussi qu’elle revêt des infirme complètement les prétentions des « modernes » sur la pseudo- « évolution » du
aspects particuliers pour chacune des communautés (en raison notamment de leurs divi- monde (chaque jour démentie par l’extension des déserts, la malnutrition croissante, la pol-
sions après que les livres leur furent révélés). lution à un degré objectivement irréversible de l’air, de l’eau, des aliments, etc.).

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Moïse, Jesus et Mohammed

LES LOIS : TORAH ET CHARIA croyant soumis à Dieu l’Unique dans sa génération. A l’époque de Moïse,
un seul peuple était porteur de ce legs monothéiste : Israël. Les Arabes
(Nabatéens et autres tribus), les Madianites (descendants de Madian, fils
d’Abraham), les Edomites (fils d’Esaü, fils d’Isaac), les Moabites et les
Ammonites (descendants de Loth), tous étaient tombés dans l’idolâtrie.
Israël était aussi le seul dépositaire d’un Livre révélé : la Torah. Il fallait
donc une loi très stricte et sévère, d’autant plus stricte qu’Israël était cerné
de toute part par des peuples hostiles prêts à détruire cette foi monothéiste
portée par un seul peuple. Il ne fallait absolument pas qu’Israël se cor-
Part. V - Chap. IV rompt, sinon, c’en était fait du pur monothéisme. Dieu Se fit donc leur
Gardien Jaloux, et même Il combattit souvent à la place des fils d’Israël.
Plusieurs fois, il faillit leur ôter Sa préférence (qu’ils avaient acquise grâce
à leurs saints aïeux). Ils tuèrent plusieurs de leurs Prophètes, à l’instar des
Pourquoi la Torah était-elle si dure, et le Coran si souple ? En raison du peuples idolâtres qui eux aussi voulaient tuer les Prophètes que Dieu leur
Plan Divin. En effet, le but de toute loi est de nous éviter les affres du mal avait envoyé (et c’est pourqoi Dieu a détruit de nombreux peuples, dont
en ce monde et dans l’autre. La Loi Divine, si dure soit-elle, est fondamen- les Madianites, descendants d’Abraham, sur lui la paix). Génération après
talement une expression de la Miséricorde divine. L’ignorer, c’est croire génération, les fils d’Israël s’éloignèrent eux aussi de la Vérité au point où
qu’elle est une fin en soi et non un chemin vers Dieu. La Charia est un ils perdirent, avec leur rejet du Messie, cette préférence Divine. Cette
chemin vers Dieu, c’est le chemin droit. Mais pour qu’il soit agréé par préférence Divine passa donc aux premiers « Nazaréens » (Chrétiens
Dieu, le chemin droit doit être accompli volontairement, car les actes ne monothéistes) jusqu’à la subversion trinitaire contre les Ariens (derniers
valent que par les intentions. Si c’est uniquement la peur du juge défenseurs du Christianisme monothéiste) qui rejoignirent, en Espagne,
(humain) et non la crainte de Dieu qui maintient quelqu’un dans la « droi- l’Islam. La « Meilleure Communauté », ainsi que le dit Dieu dans le Coran,
ture », il évite certes d’endosser des grands péchés, mais sa récompense ne est donc désormais la Oummah (communauté des croyants soumis à Dieu
vaudra que selon son intention : autant dire qu’il aura déjà eu sa rétribu- l’Unique et obéissant à tous Ses prophètes sans exception). La commu-
tion sur terre en évitant la prison et d’autres maux de ce genre. Dans l’é- nauté musulmane a donc hérité de la Préférence Divine que Dieu avait
conomie du salut, il vaut mieux en effet être un pécheur repentant qu’un accordée initialement à la famille d’Abraham, puis à celle de Jacob-Israël,
puritain qui n’agit que par ostentation. C’est clair. Un hadith indique que puis aux disciples de Jésus. Paix sur les Messagers de Dieu.
si l’humanité n’avait pas péché, Dieu aurait créé une nouvelle humanité Lors de la descente du Coran, la foi monothéiste était également en
pécheresse afin de lui témoigner Sa miséricorde. C’est que la Miséricorde danger sur terre, mais l’idolâtrie avait cependant beaucoup reculé par rap-
de Dieu fait partie de ce « Trésor Caché »(222) que Dieu voulait faire con- port à l’époque de Moïse. En effet, au septième siècle après Jésus, le
naître à Ses créatures en créant le monde. Judaïsme était dispersé dans tout l’ancien monde (et non plus restreint au
Pour résumer, on peut dire que la Torah est plus dure que la Charia, seul Proche-Orient). Le Christianisme (même dévié) s’était répandu large-
parce que la foi monothéiste pure, à l’époque de Moïse, était beaucoup ment. Le Mazdéisme (bien que dualiste) en Perse avait ses mystiques
plus en danger qu’à l’époque de Mohammed, sur eux la grâce Divine et la équivalents aux Hunafa (monothéistes) arabes, certes considérés comme
paix. En effet, à l’époque de l’Exode des fils d’Israël, la terre entière était « hérétiques » mais qui jouissaient cependant d’un certain respect et trou-
plongée dans les ténèbres de l’idolâtrie, comme elle le fut auparavant, à vaient un écho dans la société224. Même l’Hindouisme, dégénéré en poly-
l’époque d’Abraham223, sur lui la paix. Il fut en effet pratiquement le seul
C’est alors que (toujours selon la Aggadah) Nemrod, le souverain mésopotamien, jeta
222 - Hadîth Qudsî : « J’étais un Trésor caché et J’ai désiré être connu, alors J’ai créé le Abraham dans une fournaise, d’où il ressortit indemne. (Cf. Dictionnaire Encyclopédique
monde ». Cité par Martin Lings dans « Qu’est-ce que le Soufisme? » P. 26. Ed. du Seuil, du Judaïsme, p. 5. Ed. du Cerf, 1993).
1977. 224 - Il est difficile de savoir si Zarathoustra fut un authentique Prophète, puisque ni le
223 - La Aggadah hébraïque (commentaire rabbinique de la Torah) présente Abraham Coran, ni la Bible n’en font mention. Les évangiles parlent de trois Mages venus d’Orient
comme le père du monothéisme, la première personne à avoir reconnu l’existence du Dieu et qui connaissaient la venue du Messie. Il est dit également dans les livres de « la Sîrat an-
unique par sa seule raison. Toujours selon cette source hébraïque, une fois convaincu de la Nabawiya » que la naissance du Sceau des Prophètes eut des répercussions importantes en
vérité de la foi, Abraham détruisit toutes les idoles façonnées par son père, qui était païen. Perse, annonciatrices de son avènement. C’est que le Mazdéisme (ou Zoroastrisme) n’est pas

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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

théisme « extérieur » n’avait pour autant pas complètement perdu son peuples. Cela explique aussi le respect dont ils jouirent de la part des
fondement métaphysique moniste, et beaucoup de mystiques hindous (de autorités musulmanes, même s’ils décidaient de rester Juifs ou Chrétiens,
même que leurs homologues taoïstes et bouddhistes) avaient de fait et même si leur statut de dhimmi (« protégés ») était juridiquement
renoué avec le monothéisme originel de leurs Traditions respectives et une inférieur à celui des Musulmans. Mais pour bien évaluer ce statut partic-
partie d’entre eux et de leurs disciples étaient même prêts à recevoir ulier, il faut le comparer objectivement avec le statut des Juifs, et a fortiori
l’Islam, ainsi que l’histoire l’a montré. des Musulmans, en terre Chrétienne, aux mêmes époques. Les premiers
C’est pourquoi la Loi Coranique (charia) était plus souple : le danger subissaient persécutions et massacres récurrents. Quant aux seconds, ils
était moins pressant. L’enseignement des Prophètes antérieurs n’était pas étaient tout simplement contraints à l’apostasie ou au martyre, en tant
complètement éteint et Mohammed ne construisait pas sa communauté à qu’adeptes de « l’église du diable » (c’est ainsi qu’était désignée la commu-
partir de quasiment rien. Au contraire, il reçut très tôt le soutien et l’ad- nauté musulmane dès le 3ème concile de Constantinople en 680). L’Islam
hésion de savants parmi les Gens du Livre (comme le moine Bahira dans fut effectivement assimilé à « l’hérésie arienne » (c’est à dire au
son enfance, puis comme Waraqa, cousin de Khadidja, puis à Médine, par Christianisme monothéiste) par les trinitaires, et condamné comme telle,
la conversion d’Abdallah Ibn Salam, grand érudit Juif ). Le Prophète venait dès le commencement (en 680, soit quelques décennies seulement après la
en confirmateur d’un legs encore présent (bien qu’altéré et surtout mal mort du Prophète, sur lui la grâce divine et la paix).
interprété). C’est pourquoi le Coran s’adresse avec tant d’insistance aux
Gens du Livre : le Coran ne vient pas que pour les Arabes, mais pour
toutes les nations, et pour eux aussi, Gens du Livre, appelés par Dieu à le
reconnaître et à le soutenir, ce que plusieurs d’entre eux firent effective-
ment. D’ailleurs l’Islam s’est répandu à la vitesse de l’éclair, en à peine
trente ans, dans toutes les terres chrétiennes situées depuis l’Irak jusqu’à
l’Espagne. Egalement vers l’Est : la Perse et l’Inde, les Musulmans recon-
trèrent des peuples tombés dans le polythéisme, mais dont la vraie tradi-
tion métaphysique était le monisme absolu. Ce qui explique partiellement
les conversions nombreuses, sans contrainte, de beaucoup de gens dans ces

une idolâtrie comparable aux polythéismes classiques. D’ailleurs Dieu, dans le Coran, s’Il
ne permet pas d’épouser les femmes mazdéennes (mages, mâjûs en arabe), comme Il l’au-
torise pour les Juives et les Chrétiennes, réserve cependant aux Mages une place particulière
qui les distingue des polythéistes. Ils ne sont pas tout à fait des Gens du Livre (Ahl al-Kitab,
ou peuple de l’Ecriture), mais ne sont pas non plus tout à fait des Polythéistes, puisqu’ils
croient en un Dieu du Bien (Ahura Mazda), mais ils croient que Son pouvoir est limité
par un « dieu » du mal (Arhiman). Ils croient aussi que le Dieu du bien triomphera du
mal et qu’ensuite commencera un Paradis éternel : Firdaws, mot d’origine persane (que
Dieu reprendra dans le Coran). D’après René Guénon. « …ce dualisme n’est qu’une doc-
trine purement exotérique, recouvrant la véritable doctrine ésotérique de l’Unité, Ahura
Mazda et Ahriman sont engendrés tous deux par Zervané-Akérêné, et ils doivent se
confondre en lui à la fin des temps » (Mélange, Gallimard).
On voit donc que c’est une religion qui comporte des éléments faux, mais aussi des élé-
ments vrais. Ce qui explique leur cas particulier dans la Parole Divine (le Coran).
D’ailleurs, le Khalife ‘Omar les accepta comme « peuple de l’Ecriture » jouissant de la pro-
tection de l’Etat. En fait, à l’origine, les Zoroastriens (vers 1300 av. J.-C.) n’étaient pas
vraiment dualistes, mais monistes, Satan (Arhiman) n’ayant reçu que le pouvoir de cor-
rompre la terre, mais non les « cieux », selon leurs sources. Ce n’est qu’à la suite d’une héré-
sie d’origine Parthe intervenue plus tard (au Vème s. av. J.-C.) que la confusion s’installa,
faisant du Bien et du Mal deux principes co-éternels. [Cyril Glassé. Op. cit. p. 423-424].

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Moïse, Jesus et Mohammed

DIFFÉRENCES HISTORIQUES dans le(s) Talmud (commentaires rabbiniques), la Gemara, le Midrach


(Halakhat et Aggadah), etc. Ainsi, la Aggadah atteste bien qu’Abraham fut
jeté dans une fournaise d’où il ressortit indemne.225
Une autre différence historique, qui n’a somme toute qu’un importance
secondaire (contrairement à l’exégèse chrétienne qui en fait l’événement
« crucial » dans l’économie du salut) est la crucifiction de Jésus. Nous y
reviendons, mais pour l’instant, notons seulement que si les quatre
« évangiles » concordent à peu près pour affirmer que Jésus est mort sur la
croix puis ressuscité, le Coran dit le contraire, à savoir que les Juifs affir-
Part. V - Chap. V ment à tort qu’ils ont crucifié et tué le Messie. Or, l’histoire prouve que ce
sont les Romains qui, seuls, avaient le pouvoir pénal pour infliger cette
peine capitale, et non pas les autochtones de la Palestine qui était alors
occupée militairement par les Romains. Les Juifs ne peuvent donc avoir
Il existe aussi des différences historiques entre le Coran et la Bible. Dans crucifié Jésus. D’ailleurs, les évangiles attestent eux-mêmes de ce fait, le
le Coran, il est fait mention de certains peuples disparus à cause de la Sanhédrin (Conseil des Rabbins de Jérusalem) n’ayant fait que réclamer
Colère Divine : ce sont des peuples qui habitaient autrefois l’Arabie ou des aux Romains l’exécution de Jésus. Par ailleurs, Jésus n’est pas vraiment
régions proches, et dont les Arabes avaient encore des vestiges sous les mort sur la croix, selon le Coran. Selon Al-Qachani (disciple d’Ibn Arabi),
yeux. Le rappel, par Dieu, des cataclysmes qui avaient détruit ces peuples, dans son Tafsîr (commentaire du Coran) Jésus s’est seulement évanoui sur
« parlait » donc ainsi directement à l’univers mental des premiers la croix. Dieu n’a donc pas eu à le « ressusciter », mais seulement à le
Musulmans. Ces récits n’auraient par contre eu aucun intérêt pour un réanimer une fois qu’il a été déposé dans la grotte funéraire de Joseph
peuple situé plus au nord (comme Israël durant la descente de la Torah) d’Arimathie. Mais comme les Chrétiens (trinitaires) croient fermement
qui n’aurait donc pu constater par lui-même les vestiges en question. C’est qu’ils ne peuvent être sauvés que par le sang, par la mort et la résurrection
logique : Dieu ne parle jamais que le langage que les hommes peuvent de Jésus, cette interprétation islamique les horrifie : si leur « dieu » (selon
comprendre, et Il prend donc toujours des exemples proches. Même dans eux) n’est pas « mort » sur la croix, c’est qu’ils ne sont donc pas sauvés non
les versets « ambigus », Dieu ne parle pas un langage incompréhensible, car plus. Ils veulent absolument « tuer » Dieu pour être sauvés ! Cette « théolo-
Il est Le Miséricordieux. S’Il parle, c’est pour être compris et non pour gie » absurde fait naturellement sourire les Musulmans et toute personne
égarer. L’ambiguïté d’un verset est toujours relative au degré de com- sensée, mais il est vrai que l’irrationnel peut prendre le dessus sur la saine
préhension de chaque lecteur ou auditeur, tout simplement. Seulement, Raison, et il faudrait plutôt plaindre les trinitaires que les blâmer. Mais il
Dieu nous met en garde contre des interprétations hasardeuses de ces dits faut tout de même les blâmer pour cela, car cette croyance est vraiment
versets, dont la compréhension nécessite une science particulière venant blâmable, et leur rapporter les Paroles de Dieu qui rétablissent la vérité, sur
de Lui, ou bien dont le sens (ou les sens) ne deviendra clair qu’à une péri- cet épisode comme sur le reste, mais avec patience et courtoisie dans le dia-
ode ultérieure. Pour prendre un exemple simple, les découvertes logue, ainsi que nous le demande Dieu, exalté et magnifié soit-Il.
archéologiques ont permis de mieux comprendre certains versets relatifs, Coran 4,156 à 159 :
justement, à l’histoire de certains peuples disparus. Mais de façon plus « [Nous les avons maudits aussi226] pour leur mécréance et pour l’horrible
générale, beaucoup de versets (et notamment ceux qui sont connus infamie qu’ils ont portée contre Marie.
comme « ambigus ») possèdent des degrés de significations qui s’éclairent [Nous les avons également maudits] pour avoir déclaré : « Nous avons tué
successivement, en fonction du degré de purification spirituelle de l’audi- l’Oint227 (=Messie ou Christ) Jésus, fils de Marie, Messager de Dieu ! » Ils ne
teur, ainsi que l’ont démontré les maîtres soufis.
Une des différences historiques connues, entre la Bible et le Coran, con- 225 - Cf. Dictionnaire Encyclopédique du Judaïsme (sous la direction de Geoffroy
cerne un épisode de la vie d’Abraham, qui selon le Coran, a été jeté au feu Wigoder, éditeur de l’Encyclopaedia Judaica), p. 5 (et cf. articles : Abraham ; Aggadah ;
par les polythéistes dont il avait détruit des idoles. Ce fait n’est pas men- Aggadat Beréchit ; Talmud ; etc.). Ed. du Cerf, Paris, 1993.
tionné dans la Bible (Ancien et Nouveau Testaments). Mais il faut savoir, 226 - Il s’agit des Juifs en particulier, puisqu’ils sont cités dans les versets qui précèdent.
qu’à côté de ses principales Ecritures Saintes (TaNaK), la tradition juive Mais il est égalemant fait allusion à tous les Gens du Livre en général dans les versets sui-
possède beaucoup d’autres livres, qui sont la mise par écrit d’une Tradition vants.
orale ancienne. Il y a la Michnah (loi orale donnée à Moïse), consignée 227 - Oint : celui qui a reçu l’onction sacrée (comme les rois bibliques, avec de l’huile

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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

l’ont point tué, ni crucifié ; ce n’était qu’un faux semblant. Ceux qui, en vérité, chose de choquant : on s’imagine en effet mal le Messie demander cela à
se livrent à des controverses à son sujet sont encore dans l’incertitude. En ce qui un de ses pauvres apôtres, sachant ce qu’il devra souffrir229. Un autre
le concerne, ils n’ont aucune connaissance. [Ce qu’ils affirment] est purement auteur Musulman, Tabari évoque une autre hypothèse : dans la confusion
conjectural. Ils ne l’ont pas tué, c’est certain. de l’arrestation, c’est un sosie de Jésus qui a été pris et crucifié. Mais on
Tout au contraire, Dieu l’a élevé vers Lui, car Dieu est puissant et sage. sait qu’At-Tabari a fait beaucoup d’erreurs historiques, et que ses ouvrages,
Avant la mort [de Jésus], il n’y aura pas un homme parmi les détenteurs de certes respectables, ne possèdent qu’une valeur relative. D’ailleurs l’histoire
l’Ecriture qui ne croie en lui, et au jour de la résurrection, il servira de témoin n’est pas une science exacte. La vérité historique n’est qu’auprès de Dieu.
contre eux ». D’autres commentateurs pensent que c’est l’esprit (l’âme) de Judas
Il faut signaler que les commentaires islamiques de ces versets sont Iscariote qui a été crucifié dans le corps apparent de Jésus. C’est ce qui
nombreux et divergents. Je n’ai cité précédemment que le commentaire découle d’un « évangile » apocryphe italien dit de Barnabé (ou Barnabas)
d’Al-Qachani qui me semble le plus pertinent, mais Dieu sait mieux de ce mais qui semble être un faux médiéval en raison de ses anachronismes. Ce
qu’il en est réellement, pour cela comme pour toute chose. Ces versets texte a été utilisé par certains auteurs musulmans qui ont cru y voir l’é-
sont péremptoires, sans ambiguité, pourtant leur interprétation a donné vangile original.230 Ainsi la plupart des auteurs Musulmans ont leur inter-
lieu à une abondante littérature. En effet, selon une autre interprétation, prétation de ces versets.
c’est un apôtre de Jésus qui a été crucifié. C’est ce qu’indique Ibn Kathir
dans son Tafsîr (Commentaire du Coran), selon Ibn Abbas. Il écrit que effet, le Prophète avait dit : « Lorsque les Juifs et les Chrétiens vous parlent, ne tenez leurs pro-
c’est un des douze apôtres de Jésus qui, sur demande de Jésus, a accepté pos ni pour vrais ni pour mensongers ». Il n’avait pas parlé des convertis, et d’ailleurs tous les
de prendre ses traits (miraculeusement) pour mourir à sa place, puis les Compagnons étaient des convertis venus d’autres religions. Un verset coranique demande
apôtres auraient ensuite fait disparaître le corps pour faire croire à la résur- explicitement au Prophète de consulter les savants parmi les Gens du livre, afin qu’ils confir-
rection de Jésus. Mais Ibn Abbas, que Dieu l’agrée, est connu pour avoir ment la véracité du Coran sur la base de leur propre legs. Et on a vu qu’un passage du Coran,
reçu certains commentaires de docteurs d’origine juive convertis à qui n’est pas évoqué dans la Bible, est confirmé par la Hagaddah hébraïque (Abraham jeté
l’Islam :228 cette interprétation vient peut-être de là. De plus elle a quelque dans le feu par les idolâtres). En ce qui concerne l’enfance de Jésus, également, l’évangile apo-
cryphe de l’Enfance de Jésus, confirme certains détails coraniques absents des évangiles cano-
d’olive bénite). Le mot Messie (Oint) est dérivé des langues sémitiques (massih en arabe), niques. Or, seuls des savants, issus des Gens du Livre, entrés en Islam, pouvaient confirmer ces
et Christ en est la traduction grecque. Dans l’Ancien Testament « Messie » désigne un roi vérités auprès des autres Musulmans, ainsi que leur demandait Dieu dans le Coran. Ainsi,
agréé de Dieu. Jésus aurait donc pu être sacré Roi, si ses partisans l’avaient emporté. Mais certaines assertions peuvent être vraie, d’autres fausses. Le critère absolu est le Coran.
devant son échec à sauver Israël, il annonça le « Royaume de Dieu » à venir (c’est à dire 229 - Cela ne signifie pas forcément que les savants (d’origine juive) qui ont sans doute
l’Islam, où seul Dieu est Roi). Bien sûr, dans la théologie trinitaire, le mot Christ a une suggéré cette interprétation à Ibn Abbas aient été malintentionnés, mais ils ont peut-être
connotation particulière : il signifie l’union des « deux natures » : divine et humaine, en simplement répété une histoire qu’ils avaient eux-mêmes entendue ou lue dans leurs études.
Jésus. Pour nous Musulmans, Jésus n’a qu’une seule nature, et cette nature est uniquement En effet, les opposants à Jésus, après sa « réanimation » (résurrection pour les Chrétiens),
humaine. Le mot Christ, à l’origine, n’a donc pas cette connotation trinitaire, mais signi- firent aussitôt circuler le bruit que les apôtres avaient enlevé le corps de Jésus du tombeau
fie seulement Messie ou Oint, conformément à son étymologie (et à son usage premier chez pour faire croire à sa résurrection. On voit donc que certaines assertions venant des Savants
les vrais chrétiens monothéistes d’avant le Concile de Nicée en 325). convertis pouvaient être vraies, d’autres entachées d’erreur, ce qui est normal et humain
228 - Hamza Boubakeur le présente comme le fondateur de l’école d’exégèse coranique de La dans toute recherche, seul Dieu ne Se trompant jamais.
Mecque : « Ibn Abbas, son fondateur (m. en 68/688) était le cousin et pupille du Prophète./.../ 230 - Cyril Glassé, encyclopédiste musulman, le considère également comme un faux. Op.
L’effort spéculatif est chez lui, à peine notable, mais son recours aux sources bibliques fut si cit. p. 57. Un Evangile de Barnabé est cité comme apocryphe dans le Décret Gélasien de
fréquent qu’il fut jugé ultérieurement comme excessif. Ses informateurs furent, pour le l’église romaine (Vème siècle) et dans le Catalogue des soixante livres canoniques
Christianisme : ‘Abou Jalâb, et pour le Judaïsme, des docteurs de la loi judaïque convertis (VIIème s.). Cet original est considéré comme perdu par les Chrétiens. La version italienne
(‘Ahbâr), comme Ibn Salam et Ka’b al-Ahbâr. Si on peut relever dans leurs commentaires de portant le même nom est considérée par eux comme un faux (utilisant peut-être comme
très rares emprunts à la Halakha, partie casuistique du Talmud et à la Michna, par contre base l’apocryphe ancien remanié), comme une oeuvre de propagande « musulmane » datant
la Hagada, la Haphtara, les Methsourgamon, les Midrashim, les Sira et les Meguileth du XIVème s. (Cf. Dictionnaire encyclopédique du Christianisme Ancien, T.1, p. 343. Ed.
Hassidim sont largement mises à contribution. A ceux qui leur reprochaient de faire appel, du Cerf, 1990). Dieu sait mieux. En tout cas l’interprétation d’al-Qachani est la plus
malgré les réserves du Prophète, aux sources juives et chrétiennes, ils objectaient : « La réserve simple, la plus claire, la plus pertinente, la plus logique, et également la plus juste : Dieu
du Prophète concernait les scripturaires restés juifs et chrétiens. Nous faisons appel à de hautes a épargné à Jésus les souffrances de la crucifixion (sans l’imposer à un autre) : seul son corps
autorités des Ecritures devenues musulmanes » (Le Coran, Introduction, p. XXV, op. cit.). En a été crucifié mais son esprit était ailleurs. Son corps était animé d’une vie uniquement «

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Quoiqu’il en soit, les versets coraniques qui démentent la mort et la *


crucifiction de Jésus, détruisent totalement la croyance absurde (et pour * *
tout dire franchement païenne) de la nécessité du sacrifice d’un « dieu »
pour sauver les hommes. Dans la doctrine trinitaire, la crucifixion et la
mort de « Dieu » (Jésus), efface le « péché originel » (c’est à dire le péché Il existe en outre une foule de différences, plus ou moins importantes
d’Adam et Eve à cause duquel nous ne sommes plus en Eden231) et permet entre la Bible et le Coran, mais qui ne remettent pas en cause leur grande
la Rédemption de l’humanité. Cette idée saugrenue est directement conformité sur l’essentiel. Les relever méthodiquement pourrait faire l’ob-
inspirée des religions polythéistes greques (avec Prométhée « enchaîné et jet d’un ouvrage imposant, mais dont l’utilité serait secondaire, le sujet
torturé » à cause de sa bonté pour les humains, et avec Adonis qui doit ayant été déjà traité par beaucoup d’auteurs ; l’ouvrage le plus exhaustif en
mourir pour redonner vie à la terre) ou égyptienne (avec Osiris qui est tué la matière étant certainement Manifestation de la Vérité (Idhar ul-Haqq de
par Seth et ressucité par Isis, puis réincarné en Horus, etc.). En plus des Rahmatullah al-Hindi, Editions Iqra). Cet ouvrage est une source d’infor-
sacrifices de « dieux », les sacrifices humains étaient également monnaie mations et de réflexions très pertinentes, malgré un ton polémique (car il
courante dans nombre de religions idolâtriques antiques. En sacrifiant un a été écrit en réponse à des attaques de pasteurs protestants). Il a été repris
innocent, les coupables pensaient pouvoir se rendre les « dieux » propices. et résumé par beaucoup d’auteurs.
Mais leurs « dieux » (en fait des hyperboles de leurs plus viles passions) Il existe par ailleurs des différences notables entre la Bible et la Tradition
étaient véritablement cruels. Loin de Dieu de telles suppositions ! Dieu ne (sounnah et exégèse coranique) Musulmane. Ce ne sont pas à proprement
punit que les coupables, pas les innocents, et Il n’a pas besoin du sang et parler des différences entre le Coran et la Bible, mais entre des hadiths et
de la mort d’un innocent pour laver les péchés des coupables. Il est Juste la Bible. Il y a par contre des paroles dans les hadiths, qui confirment cer-
et Bon. Il est Pur de tels blasphèmes. Louange à Dieu, Souverain de l’u- tains passages de la Bible, et qu’on ne trouve pas dans le Coran, par exem-
nivers. ple : « Dieu a fait l’humain à Son Image ». On trouve cette parole dans la
Bible et dans le Hadith, mais pas dans le Coran. A contrario, on peut trou-
corporelle ou organique » (avec une apparence de lucidité), mais en réalité son esprit était ver des hadiths qui démentent la Bible, par exemple en ce qui concerne le
« auprès de Dieu ». Sa mort également fut apparente : c’était en fait un état léthargique, nom du fils qu’Abraham devait sacrifier à Dieu. Dans la Bible, Isaac est
comateux. Il n’a donc pas eu besoin de ressusciter. D’ailleurs, dans les évangiles et les lettres cité. Le Coran ne cite pas de nom. Il n’y a donc pas de contradiction
de Paul, certains indices confortent cette interprétation : l’attitude de Jésus a complètement formelle entre la Bible et le Coran sur ce point, par contre, la Tradition
changé dès son procès inique, comme s’il était « absent » (il ne répond pratiquement pas aux musulmane affirme qu’il s’agit d’Ismaël.232
questions, ne réagit pas « normalement »). En outre, Paul affirme que Dieu a exaucé la Certes, les Hadiths, contrairement au Coran, peuvent être sujets à cau-
prière de Jésus quand ce dernier a demandé à ne pas subir ce martyre : « C’est lui (Jésus) tion, même ceux qui sont classés comme « authentiques » (sahih) par les
qui, au jour de sa chair, offrit des prières de supplication avec un cri puissant et des larmes spécialistes du hadith (comme Bokhari et Muslim). Leur authenticité est
à Celui qui pouvait le sauver de la mort ; et il fut exaucé de sa piété » (Epître aux Hébreux acceptée par les Savants Musulmans, mais pas au même niveau que les ver-
5,5-7). En effet, selon l’évangile de Luc (disciple de Paul), Jésus a ainsi prié la veille de son sets coraniques. Il subsiste toujours un doute sur tout hadith, puisque le
arrestation : « Père (ou Principe, n.d.r.), si Tu veux, écarte de moi cette coupe (c’est à dire Prophète lui-même avait dissuadé ses Compagnons de les transcrire par
ce supplice, n.d.r.) ! Cependant, que ce ne soit pas ma volonté, mais la Tienne qui se fasse ». écrit (pour ne pas les confondre avec le Coran) et que la science du hadith,
(Luc 22,42). On voit donc que, comme l’indique le Coran, les premiers Chrétiens étaient en Islam, a toujours été un sujet de controverse entre les savants, même en
eux-mêmes dans l’incertitude en ce qui concerne la « mort » de Jésus : « Ils ne l’ont point ce qui concerne les hadiths rapportés par l’imam de Médine, Malik, dans
tué, ni crucifié ; ce n’était qu’un faux semblant. Ceux qui, en vérité, se livrent à des contro- son Muwatta’ (le plus ancien recueil de hadiths), et alors qu’il était l’héri-
verses à son sujet sont encore dans l’incertitude. En ce qui le concerne, ils n’ont aucune tier direct de la tradition musulmane dans la ville même du Prophète, sur
connaissance. [Ce qu’ils affirment] est purement conjectural. Ils ne l’ont pas tué, c’est cer- lui la grâce Divine et la paix. La méthode de validation retenue par les
tain ». Traditionnistes réputées les plus « sûrs » (comme Boukharî et Muslim) est
231 - Le Coran ne nie pas que la cause de la « chute » de l’homme (et de Satan) hors de l’étude de la « chaîne des rapporteurs » de chaque hadith, plusieurs siècles
l’Eden soit la conséquence d’un premier péché (la désobéissance concernant l’arbre inter-
dit). Mais ce péché « originel » de l’humanité n’occupe pas la place « cruciale » qu’il occupe 232 - Mais comme on le verra, il n’y avait pas de Consensus des Compagnons sur cette
dans la théologie chrétienne (trinitaire). Ce n’est qu’un péché, qu’Adam et Eve ont regretté, opinion, car Abou Bakr, Ali Ibn Abou Talib et Ibn Mas’oud, par exemple, pensaient que
et que Dieu a pardonné. Dans la théologie trinitaire par contre, seul le « sacrifice » de Jésus le fils en question était Isaac, comme l’affirme la Bible, ainsi que le note Hamza
sur la croix peut effacer ce péché originel. Boubakeur dans son Traité Moderne de Théologie Islamique.

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après la mort du Prophète. Et ceci alors qu’un menteur peut parfois dire louangé a épousé une juive de Khaybar (Safya) qui s’est convertie à
la vérité, et qu’un homme de bonne foi peut parfois se tromper. Cette l’Islam.234
méthode n’a donc rien d’infaillible en soi, mais confère quand même une Mais la majorité des Oulémas s’étant finalement ralliés à la croyance
certaine garantie d’authenticité. Pour autant, la science du hadith, si elle que le fils menacé par le sacrifice en question était Ismaël, on peut tout
ne peut être tout à fait « exacte » (comme le Coran) est cependant utile aussi bien adopter cette interprétation, car cela ne modifie en rien les
dans l’exégèse du Coran et dans les autres sciences de la religion. Mais on fondements de la religion. D’ailleurs, le nom du fils est purement anecdo-
ne peut l’admettre que comme source secondaire, par rapport au Coran. tique et n’a aucune conséquence théologique importante, contrairement à
Hamza Boubakeur fait remarquer, dans son ouvrage Traité moderne de ce que soutiennent les Juifs et les Chrétiens. Dieu nous a simplement, par
Théologie Islamique, que des Compagnons aussi éminents que Abou Bakr cette histoire, montré la soumission d’Abraham, prêt à sacrifier son fils par
as-Sidiq, Ali Ibn Abou Talib et Ibn Masûd partageaient l’avis que le fils obéissance à Dieu. En effet, tous les peuples idolâtres alentour sacrifiaient
d’Abraham, qui a failli être sacrifié, était Isaac et non Ismaël, et que la des humains, parfois leurs propres enfants, pour satisfaire leurs faux dieux.
croyance qu’il s’agissait d’Ismaël ne s’est imposée que plus tard dans la Comment Abraham pouvait-il refuser la même chose au vrai Dieu ? Il y
communauté musulmane. Ceci étonne fortement les Musulmans qui avait également dans cette épreuve une leçon Divine : Dieu ne réclame
n’ont qu’une connaissance superficielle (et « officielle ») de la religion. Les aucun sacrifice humain, contrairement aux idoles. Bien sûr, les Juifs (et les
trois Compagnons en question n’étaient pourtant pas parmi les moindres Chrétiens) tiennent absolument à ce que ce soit Isaac qui soit le fils en
: l’un est appelé : « véridique », l’autre : « la porte de la connaissance » et le question, car ils en tirent des conclusions théologiques particulières dif-
troisième est connu comme ayant été le meilleur connaisseur du Coran ! férentes des Musulmans, conclusions qui ont pour but précis d’exclure la
Si ce que dit Hamza Boubakeur (qui est certes un érudit) est vrai, c’est que lignée d’Ismaël de la bénédiction Divine et de dénier ainsi à Mohammed
la croyance musulmane relative à cet épisode, s’est construite tardivement la qualité de Prophète. Mais la carence de cette « logique » saute aux yeux.
et se base peut-être sur des hadiths « faibles » (inventés). Car effectivement, Il n’est donc pas très grave de les réfuter sur ce plan, à cause des conclu-
on trouve des hadiths où le Prophète aurait affirmé descendre de « deux » sions absurdes qu’ils en tirent, car la vérité métaphysique est plus impor-
hommes ayant échappé à un sacrifice. Mais les noms de ces « deux » ne tante (parce que plus édifiante) qu’une simple vérité historique sans impli-
sont pas cités dans le hadith. Rien n’indique donc formellement que l’un cation particulière. Par ailleurs, on ne peut manquer de remarquer que le
d’eux soit forcément Ismaël, bien que des recoupements avec d’autres texte biblique présente une contradiction frappante, relativement à cet
épisodes peuvent le laisser effctivement supposer. Par ailleurs, des éléments épisode, puisque selon ce texte (Genèse), Dieu demande à Abraham de lui
historiques (confirmés par la Bible, le Coran et l’archéologie) prouvent sacrifier son fils « unique », Isaac. Or, Ismaël était vivant ! Il y a donc là une
que les descendants d’Abraham, du moins dans les premiers siècles, n’é-
taient pas si divisés que cela, et que les mariages entre descendants 234 - Par ailleurs, on a vu qu’Ismaël avait épousé une Jurhumite. Or, la parenté des
d’Ismaël et descendants d’Isaac (et de Jacob) étaient relativement Jurhumites avec les Amaleq est très probable, ainsi que l’indique Mohammed Hamidullah
fréquents. Ainsi, un personnage connu, Esaü, frère de Jacob, épousa - dans sa biographie du Prophète Mohammed. Dans la Genèse, Amaleq est cité comme étant
selon la Bible - une arabe, fille d’Ismaël pour faire plaisir à ses parents. le fils d’Edom, fils d’Esaü, fils d’Isaac. Certes, il paraît assurément anachronique qu’Ismaël
Moïse épousa également une Madianite (fils d’Abraham par sa troisième ait épousé son arrière-arrière petite nièce. Néanmoins, on ne peut exclure l’hypothèse que
épouse Qétoura). Salomon, parmi ses centaines de femmes et concubines, des descendants d’Ismaël et de son épouse Jurhumite se soient mariés avec des Amalécites ou
avait de toute évidence des arabes, puisque son Royaume couvrait pra- des Edomites (descendants d’Isaac) puisque tous les Bédouins de la région (depuis le Sinaï
tiquement toute la péninsule arabique jusqu’au Royaume yéménite jusqu’au Yémen) fréquentaient les mêmes pistes. Dans ce cas, le Prophète Mohammed
(arabo-abyssin) de Saba (dont il épousa même la reine). Au temps de Jésus, pourrait très bien avoir Isaac, en plus d’Ismaël, parmi ses ancêtres femmes. De plus, même
le Roi d’Israël (Hérode) était un métis judéo-arabe, et toute la Galilée était quand Dieu détruit un peuple par un cataclysme (comme ce fut le cas pour les Madianites
appelée « Galilée des nations »233. Le métissage était ancien, et ce depuis et d’autres de la région), il subsiste parfois des survivants qui sont absorbés par d’autres
l’origine d’Israël : il y a toujours eu des arabes en Palestine. Il y a eu aussi, peuples. Mais Dieu sait mieux. En toute chose, il faut se garder du dogmatisme (sauf pour
longtemps, des Juifs et des arabes judaïsés en Arabie, notamment à les articles de la Foi, les cinq piliers de l’Islam et les règles fondamentales de la Charia). Sur
Yathrib, Khaybar, etc., jusqu’à l’avènement de l’Islam. Mohammed très le reste, il faut avoir une attitude plus nuancée, ouverte à la recherche et respectueuse des
opinions de chacun. Les généalogies sémitiques antiques ne retenaient que le côté patrili-
233 - Région du nord de la Palestine, entre le lac de Tibériade et la Méditerranée. Jésus néaire (les ancêtres hommes à l’exclusion des ancêtres femmes). Dieu seul donc connaît avec
y passa sa jeunesse (Nazareth) et une partie de sa vie publique. Villes principales : exactitude le détail des généalogies réelles. Il fait sortir les peuples les uns des autres. Et Il
Capharnaüm, Magadala. sait mieux toute chose.

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Moïse, Jesus et Mohammed

interpolation possible : soit c’est le mot « unique » qui est interpolé, soit CONCLUSION : LA PRÉCELLENCE DU CORAN SUR
c’est le nom « Isaac », car l’un est logiquement de trop. En outre, il n’est LES AUTRES ÉCRITURES SACRÉES
pas impossible que Dieu ait imposé une épreuve à Abraham pour chacun
de ses deux fils.235 En effet, pour les Musulmans, c’est surtout l’exemple
d’Abraham qui est important dans cette histoire édifiante, et ceci quelque
soit le fils, car il les aimait tous les deux et aurait réagi de même de toutes
les façons (que ce soit avec Ismaël ou Isaac) : il était avant tout Soumis
(« Musulman ») à Dieu.
Part. V - Chap. VI

On a vu que les récits bibliques divergent tout naturellement entre eux


comme divergeraient n’importe quelles relations d’un même événement
par des personnes différentes ; car la mémoire est naturellement fragile.
Toute narration humaine est une interprétation forcément personnelle.
Un seul ne Se trompe jamais. Et Il fait appel à notre raison pour discerner
la vérité de l’erreur : « Point de contrainte en religion, car la vérité se distingue
clairement de l’erreur » (Coran 2,256).
Le Coran, étant l’ultime Message, Dieu l’a protégé miraculeusement
contre notre imperfection naturelle ; ce qu’Il n’a pas fait avec les messages
antérieurs, dont la portée était nécessairement limitée dans le temps et l’e-
space pour des raisons évidentes. Pour le Coran, c’est différent : il est le
dernier Message. Il est donc impératif qu’il soit inaltérable : c’est pourquoi
l’Islam est appelé, dans le Coran, à prévaloir sur toute religion
(48, 28-29) :
« C’est Lui qui a envoyé Son Messager [pour indiquer] la bonne direction
et la religion de la vérité pour la faire prévaloir sur toute [autre] religion. Dieu
suffit comme témoin. Muhammad, Envoyé de Dieu, et ceux qui sont avec lui,
sont durs236 envers les infidèles et affectueux entre eux. On les voit inclinés et
prosternés, désireux d’obtenir la grâce de Dieu et [s’efforçant] de Lui plaire.
Leurs visages sont marqués par la trace laissée par la prosternation. Telle est
l’image donnée d’eux dans la Torah. Dans l’Evangile, ils sont comparés à une
semence qui, ayant fait sortir ses plumules, les renforce, en sorte qu’elles grossis-
sent, se tiennent sur leurs tiges, faisant l’admiration des semeurs. Dieu, par
235 - Selon le Coran, la Bible et la Tradition musulmane, Dieu a demandé à Abraham eux, remplit de dépit les infidèles. Il promet à ceux d’entre eux qui croient et
d’amener Agar et Ismaël dans le désert. Abraham s’inquiétait pour la survie de sa femme font de bonnes oeuvres le pardon et une immense rétribution ».
et de son fils, et a prié Dieu en leur faveur, puis les a laissé dans le désert. C’était presque On voit à cette lecture, que les Juifs et les Chrétiens étaient réputés ou
un « sacrifice » que Dieu lui demandait là, car en toute bonne logique, et sans le miracle supposés « Musulmans » (Soumis à Dieu) avant la descente du Coran, mais
de la source (Zem-Zem), Agar et Ismaël étaient effectivement condamnés. C’est la foi qu’en rejetant le dernier Message, en refusant de prendre le dernier
d’Abraham qui a été mise à l’épreuve en cette occasion, tout comme pour le « sacrifice du
fils ». C’est ainsi que souvent des histoires, avec le temps, peuvent se trouver déformées « 236 - Durs mais pas injustes. La dureté en question porte sur le fait de ne pas prendre
extérieurement », mais leur sens profond (leur « morale » si l’on veut) est préservé. Beaucoup pour amis ceux qui renient l’Envoyé de Dieu. Et s’ils nous agressent, notre riposte doit être
de « légendes » dans toutes les Traditions authentiques, remplissent ce rôle éducatif. Et Dieu adaptée et proportionnelle. Mais s’ils cessent leurs hostilité, Dieu ne nous donne aucun
est le plus savant. droit sur eux. Et s’ils se convertissent, ils sont alors nos frères à part entière.

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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

« Engagement », ils s’excluent eux-même de la religion en son entier, la reli- égard à ce qu’Il vous a donné. Rivalisez de vitesse vers les bonnes actions. Vous
gion parachevée, l’Islam complet. retournerez tous à Dieu. Il vous informera sur ce qui vous divise ».
Les Juifs et les Chrétiens, en reniant le Prophète Mohammed (sauf ceux (Coran 5,47-48)
qui l’ont suivi et sont « devenus » ou plutôt « restés » Musulmans), ont On voit que Dieu nous ordonne de rivaliser dans le bien, afin de
donc tourné le dos à Celui qui l’a envoyé. Ils n’ont pas accepté le Messager démontrer la supériorité de l’Islam sur toute religion. C’est par ce moyen
de Dieu et l’ont combattu. Ils ont rompu la chaîne des prophètes qui com- irréfutable que nous pouvons prouver que le Coran est bien la vérité qui
mence avec Adam et se termine avec Mohammed, sur eux la grâce Divine englobe et synthétise tous les Messages antérieurs. C’est pourquoi les hyp-
et la paix. Ce faisant, ils rejettent une partie de la Parole Divine, l’ultime ocrites sont les pires adversaires de l’Islam, car en défigurant l’Islam, ils ne
Engagement (ou Alliance), alors que ce dernier Rappel confirme et scelle font que « rivaliser » dans les mauvaises actions avec les adversaires déclarés
le tout. Ce dernier Engagement contient toute la Parole divine, elle en est de notre religion, et retarder sa suprématie annoncée. Mais Dieu est
la synthèse : et elle est suffisante, alors que l’héritage des deux précédents Omnipotent, et la ruse du Diable est faible. Que Dieu nous en protège.
Engagements est limité et altéré. Nous allons maintenant aborder les prédictions bibliques concernant la
Il est décevant que les tenants de ces religions du Livre, pourtant issues venue de Mohammed (Ahmadou), sur lui la grâce Divine et la paix. Nous
de la Tradition Primordiale, mais en scission contre les deux derniers pouvons ainsi espérer que les gens du Livre, pourront accéder, sur la base
Envoyés de Dieu, fassent trop souvent cause commune avec les négateurs de leurs propres Ecritures, à cette vérité qu’un ultime prophète, en l’oc-
athées ou les idolâtres polythéistes contre les Musulmans qui pourtant les curence le Sceau des Prophètes, a bien été annoncé dans leurs « Testaments
appellent à l’unité dans la vérité, les protègent même contre leurs propres » (Engagements ou Alliances). Ceci doit être fait dans la fraternité des
ennemis, sans exiger d’eux la moindre conversion, leur octroyant le statut enfants d’Adam et Eve, car en tant que derniers dépositaires de la Parole
de protégés (Dhimmi) conformément à la Parole de Dieu et de Son Ultime de Dieu, nous avons à cet égard un rôle à remplir, sachant que nos aïeux
Messager très louangé. nous regardent et se réjouissent de notre unité dans la recherche de la
Notre rôle fraternel est de les interpeler, de les exhorter et de tenter de vérité, tout comme ils s’attristent de nos divisions et de nos transgressions.
les réconcilier avec la Parole de Dieu en son entier. S’ils refusent, nous Si les humains pensaient plus souvent qu’ils sont sortis du même ventre
devons patienter et leur pardonner, suivant les prescriptions divines, et ne (celui de notre mère Eve, bénie soit-elle) et que la terre va bientôt tous
les combattre que s’ils nous agressent. Leur sort est entre les Mains de nous avaler, il ne fait pas de doute que nos rapports seraient très différents.
Dieu : La vérité est la panacée.
« Que les Chrétiens jugent d’après ce qui est révélé dans l’Evangile237 ! Ceux Et c’est Dieu qui dit la vérité. A Lui la louange.
qui ne jugent pas d’après ce que Dieu a révélé, sont des pervers. A toi aussi (ô
Mohammed) Il a révélé le Livre [contenant] la vérité pour confirmer l’Ecriture
antérieure et la préserver de toute altération.238 Juge entre eux d’après ce que
Dieu a révélé239 et ne les suis pas dans leurs passions [qui les écartent] de la
vérité que tu as reçue. A chacun de vous, Nous avons donné une loi (chir’at)240
et une voie. Si Dieu l’avait voulu, Il aurait fait de vous une seule commu-
nauté.241 [S’Il ne l’a pas fait ] cependant, c’est pour vous mettre à l’épreuve eu

237 - Et ainsi ils verront que le Coran le confirme et qu’ils doivent suivre le Sceau des
Messagers.
238 - De toutes les altérations qui s’y sont déjà glissées ou qui pourraient s’y glisser à nou-
veau, et surtout des altérations exégétiques auxquelles se sont livrées les différentes sectes juives
et chrétiennes.
239 - On a vu précédemment qu’en l’absence de précision dans le Coran, le Prophète avait
jugé, notamment entre des Juifs, sur une question d’adultère, et qu’après s’être fait présenter
la Bible, il avait jugé selon ce Livre, malgré les interprétations fausses des rabbins de Médine.
240 - Même racine que Chari’ah.
241 - C’est ce à quoi Il nous appelle, mais comme Il nous a donné un certain « libre-
arbitre », certains refusent et divisent ainsi la communauté qui devrait être une.

196 197
PARTIE VI
Les Prédictions bibliques concernant l’avènement
de Mohammed très louangé

Contexte de cette annonce dans l’Ancien Testament . . . . . . . .201


Ismaël et Israël dans la Torah . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .203
L’Ancien Engagement (Testament, Pacte ou Alliance) :
Bénédiction et Malédiction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .210
Le « Béni » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .228
Du Monothéisme au Polythéisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .231
Le « Chiloh » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .235
Le Fils de l’Homme et le Règne de la Droiture . . . . . . . . . . . .242
L’Elu (al-Mustafa) et l’Esprit de vérité et de sainteté
Le Cantique Nouveau entendu à Qédar
Le Royaume de Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .245
Des falsifications de la Bible . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .251
Le « Paraclet » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .254

199
CONTEXTE DE CETTE ANNONCE DANS L’ANCIEN
TESTAMENT

Part. VI - Chap. I

Le mot Yaoud (Juif en français) provient du nom propre Juda, fils de


Yacoub (Israël). Juda était un des frères aînés de Youssouf (Joseph) et
l’ancêtre de la plus grande tribu des fils d’Israël. Au point que les noms
Juda et Israël sont devenus synonymes puisqu’on dit aussi bien judaïsme
que religion d’Israël. Un royaume juif, rival du royaume d’Israël, s’appellera
d’ailleurs pendant longtemps, royaume de Juda. Dans les textes bibliques,
Juda est souvent pris comme synonyme d’Israël ou de Sion242, pour
désigner le peuple hébreu ou la terre sainte. Pour Mohammed
Hamidullah, une autre origine étymologique est possible : selon lui, les
descendants d’Israël ne se seraient nommés Yaoud (« repentis ») qu’après
leur sortie d’Egypte, et plus précisément après la guerre civile qui éclata
entre eux à l’appel de Moïse. Ceux qui suivirent Moïse lors de cet appel
furent alors appelés (selon M. Hamidullah), Yaoud. Mais la première
explication est plus évidente.243
D’après le Coran, l’idée de façonner un veau d’Or, idole déjà adorée en
Egypte, a été inspirée par un individu appelé le « Samiri »244 (Coran 20,85
et 95). Moïse, descendant de la montagne, porteur des premières Tables de
la Loi (Torah), et voyant l’idolâtrie répandue dans son peuple, brisa ces
premières tables. Il appelle alors les croyants à la guerre civile pour exter-
miner les apostats. Selon la Bible, la tribu de Lévi, surtout des jeunes, se

242 - Sion est la colline de Jérusalem sur laquelle fut construit le Temple de Salomon,
détruit par les Romains au 1er s. ap. J.-C. (actuellement Esplanade des Mosquées). Par
extension, ce nom désigna Jérusalem, puis Israël. D’où le terme « sionisme » pour désigner
le mouvement politique fondé par T. Herzl en 1897 qui aboutit à la création du nouvel
Etat d’Israël en 1948.
243 - De toute façon, un mot peut avoir plusieurs étymons qui se renforcent mutuelle-
ment, comme les racines d’un même arbre.
244 - Le « Samaritain » selon H. Boubakeur. Ce personnage affirma que cette suggestion
de son âme lui était venue ainsi : « J’ai, dit-il, vu ce qu’ils (les autres Juifs) ne voyaient pas.
J’ai pris une poignée [de la terre foulée par la monture] de l’Envoyé et l’ai jetée selon ce que
mon âme m’a suggéré » (Coran 20,96). Alors Moïse le bannit et détruit le Veau d’Or.

201
Moïse, Jesus et Mohammed

rallie à Moïse et chacun massacre son père et son frère pour détruire l’i- ISMAËL ET ISRAËL DANS LA TORAH
dolâtrie. Dieu compléta cette punition en faisant s’ouvrir la terre pour
engloutir quelques rebelles survivants (Nombres 16, 20 à 35). La table de
la Loi, que Moïse apportait, et que Dieu réécrira quelque temps plus tard,
stipulait : (Deutéronome 5, 6 à 9) : « Moi, Yahvé, Je suis ton Dieu, qui t’ai
fait sortir du pays d’Egypte, de la maison des esclaves. Tu n’auras pas d’autres
dieux en face de Moi. Tu ne feras pas de statue, aucune forme de ce qui est
dans les cieux en haut et de ce qui est sur la terre en bas, et de ce qui est dans
les eaux au-dessous de la terre. Tu ne te prosterneras pas devant eux et tu ne les
serviras pas ; car Moi, Yahvé, ton Dieu, Je suis un Dieu Jaloux...» Part. VI - Chap. II

Jusqu’à leur sortie d’Egypte, les enfants d’Israël faisaient partie d’un
ensemble de peuples nommés hébreux245a parmi lesquels on trouvait aussi
bien des peuples descendants d’Abraham245 qu’apparentés à Abraham, il y
avait les descendants d’Ismaël (notamment les Nabatéens descendants de

245a Hébreux : nom donné aux araméens de Haran qui traversèrent l’Euphrate et s’ins-
taaallerent en terre de Canaan (dont Almaham, Lot et leurs déscendants). La langue
hébraïque (sémitique) est apparentée (ou issue) Canaanéen, de l’Accadéen et de
l’Ougaritite. l’Araméen et l’Arabe également.
245 - Abraham était d’origine Araméenne (d’Aram, fils de Sem, fils de Noé). Ibn Ishâq,
premier biographe du Prophète, le confirme sans toutefois préciser l’origine exacte du père
d’Abraham (‘Âzar). La Bible indique que ce père habitait Ur en Chaldée (Basse
Mésopotamie). Il est possible aussi, selon d’autres auteurs, que ce père soit originaire de
Haute Syrie (Amourrou) et soit donc Amorrite (ou Amorrhéen). Vers 1830 av. J.-C.
(époque d’Abraham), le roi Hammourabi dominait la Mésopotamie (Babylone, Sumer,
Chaldée). De toute façon, les Amorrites comme les Araméens étaient sémites. La langue
d’Abraham était sémitique (Araméenne ou Amorrite). Il est le père des Arabes (Ismaélites)
et des Madianites, et le grand-père des Israëlites et des Edomites, ainsi que de nombreux
autres peuples, dont certains ont disparu (Cf. Coran), mais dont quelques survivants se
sont intégrés à d’autres peuples. Ainsi Moïse épousa une madianite et engendra avec elle
Gerchom, intégré à Israël. Esaü (Edom) épousa une Ismaélite (Arabe) et des mariages dans
l’autre sens eurent sûrement également lieu. Les Jurhumites (Sémites) se mélangèrent éga-
lement aux Ismaélites. Les Jurhumites sont Sémites (fils de Sem) donc apparentés à
Abraham. Pour Ibn Ishâq, ils sont fils de Yaqtân, et pour Ibn Hishâm, ils sont fils de
Qahtân (père des Yéménites anciens). Certains ont supposé qu’ils pourraient être fils
d’Ismaël, mais cela est anachronique, puisqu’Ismaël, justement a épousé une Jurhumite : il
est tout à fait improbable qu’il ait épousé une de ses propres filles. Il est pratiquement cer-
tain que les Jurhumites sont des Amaleq (Edomites descendants d’Esaü), ainsi que le dit
Mohammed Hamidullah. (Cf. M. Hamidullah, Le Prophète de l’Islam, T. 1. Ch. 60, p.
39. Ed. El-Najah, Paris, 1998). Amaleq, petit-fils d’Esaü : cf. Genèse 36,12 ; Exode 17,
8-16. Ce fait établi serait de nature à rapprocher les deux Traditions (Musulmane et
Judéo-Chrétienne) sur la question du sacrifice d’Abraham. Mais Dieu sait mieux.

202 203
Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

Nebayot246), les Madianites (descendants de Madian, fils d’Abraham par ensemble pour ensevelir leur saint père, ce qui prouve qu’ils n’avaient pas
sa troisième femme Qetoura), mais aussi des descendants de Lot, neveu rompu les liens de parenté et qu’ils avaient eu le temps de se prévenir
d’Abraham (les Ammonites et les Moabites), et des descendants d’Esaü, mutuellement de cet enterrement (Genèse 25,9) : « Isaac et Ismaël, ses fils,
fils d’Isaac (Edomites, Amaleq, etc.). Tous ces peuples voisins et apparen- l’ensevelirent dans la grotte de Makpéla ».
tés formaient probablement aux yeux des étrangers une même entité eth- Aucune hostilité n’est à noter entre les deux frères dans les textes
nique. Les Egyptiens, semble-t-il, les appelèrent, à un moment : Hyksos.247 bibliques. Au contraire, un détail prouve l’inverse : Esaü, fils d’Isaac et
La Torah montre qu’Ismaël et Isaac, les deux premiers fils d’Abraham, frère aîné de Jacob-Israël, cherche à épouser une fille d’Ismaël pour se réc-
s’entendaient bien et se rencontraient, même après la division du clan (en oncilier avec son père Isaac et sa mère Rébécca, qui étaient fâchés contre
raison de la jalousie qui opposait leurs deux mères, Agar et Sarah). Mais si lui, car au lieu d’épouser des croyantes de la parenté d’Abraham, il avait
les deux branches de la famille étaient séparées, Abraham en faisait néan- épousé des idolâtres Hittites (peuple cananéen). Par ce nouveau mariage
moins la tournée dans ses pérégrinations pastorales et commerciales, car il avec une arabe (ismaélite), il espérait effacer cette faute aux yeux de sa
était bédouin248 et chef d’une importante caravane, avec de nombreux mère et de son père Isaac. En Genèse 28,8, on lit : « Esaü vit que les filles
serviteurs et des troupeaux. Ainsi, les deux frères, Ismaël et Isaac étaient de Canaan (ses épouses hittites) déplaisaient à Isaac son père, et il s’en alla
chez Ismaël et prit pour femme - en plus de celles qu’il avait - Mahalat, fille
246 - Nebayot : Nâbit en arabe (Cf. Ibn Ishâq, Ibn Hishâm : Muhammad, p. 5. Tome d’Ismaël, le fils d’Abraham, sœur de Nebayot ».
1. Traduction A. Badawî, Ed. Al-Bouraq, 2001). On voit donc clairement établies les bonnes relations entre les deux
247 - Selon l’historiographie égyptienne antique, ces Hyksos étaient originaires de haute familles, celle d’Ismaël et celle d’Isaac, qui appartenaient au même clan
Syrie (Amourrou). Ils envahirent l’Egypte au XVIIIème s. av. J.-C. et y fondèrent les abrahamique.
XVème et XVIème dynasties pharaoniques. Ils furent vaincus par une rébellion, et le prince Les liens de parenté et la même foi continuèrent d’unir le clan des
thébain Ahmôsis s’empara de leur capitale Avaris vers 1580 av. J.-C. Mais on sait que l’his- Hébreux issus d’Abraham (ou apparentés), et surtout les deux familles
toriographie officielle d’un peuple reflète toujours les désirs politiques des dominants, et que précitées, alors que les autres (Madianites, Edomites, Moabites,
la vérité historique n’est jamais réellement qu’auprès de Dieu. Quoiqu’il en soit, l’arrivée Ammonites) étaient plus éloignés du noyau de ce clan.
de ces « Hyksos » peut être mise en relation avec l’arrivée des hébreux en Egypte sous Joseph Ismaël était le fils d’une servante Egyptienne, Agar (Hajir) qu’Abraham
(Youssouf, fils d’Israël) à la suite d’une sécheresse qui les avait chassé de Canaan (région avait acquise pour servir son épouse Sarah. Cette dernière, étant devenue
regroupant la Palestine et la Phénicie : Liban et côte méditerranéenne de Haute Syrie). Et âgée et se croyant stérile, avait donnée Agar comme femme à son mari,
Joseph deviendra, selon la Bible et le Coran, un puissant personnage à la tête de l’Egypte. afin qu’elle lui enfante une descendance.
Les hébreux y resteront ensuite durant quatre siècles, jusqu’à leur sortie d’Egypte (XIIIème Mais lorsqu’Ismaël fut né, la jalousie envenima les relations entre les
s. av. J.-C. selon l’histoire officielle actuelle). deux femmes. Et bientôt, Abraham dut les séparer.249
248 - Les Bédouins : Al-A‘râb en arabe. Le terme a fini par désigner la langue des Selon la Bible, il installa Agar et Ismaël près de la montagne de Parân
bédouins (et notamment le dialecte Quraychite, qui deviendra l’arabe coranique, dit litté- (Genèse 21,20),250 tandis que Sarah s’installait à Hébron où elle mourut
ral ou classique), donc également une entité ethnique, mais composée originellement par la (Genèse 23,1).
fusion de plusieurs peuplades sémitiques (individus isolés ou petits groupes issus des
Elamites, Araméens, Amorrites ou Amorrhéens, Moabites, Ammonites, Edomites, 49,14. Traduction H. Boubakeur). Dieu et Son Prophète ont été très clairs sur cette ques-
Madianites, Amaleq, Jurhumites, etc.) autour du groupe principal composé des descen- tion afin d’éviter aux Arabes de tomber dans le piège où se sont enlisés les fils d’Israël qui
dants d’Ismaël. Si la langue coranique était le dialecte « arabe » de Quraych, le terme « ont fait dégénérer la religion de Dieu en nationalisme racial.
arabe » ne désignait pas encore une entité « nationale ». De fait le « nationalisme arabe » 249 - Genèse 21,8 à 13 : « Sarah vit le fils que l’Egyptienne Agar avait enfanté à
est une dérive moderne post-islamique, et une régression vers « l’esprit de clan » (‘açabiyya) Abraham en train de jouer avec Isaac, son fils, et elle dit à Abraham : « Chasse cette ser-
du temps de l’ignorance (Jahiliya) pré-islamique, explicitement condamné par le Prophète vante et son fils, car le fils de cette servante ne doit pas hériter avec mon fils, avec Isaac ».
très louangé, notamment lors de son dernier Sermon d’Adieu. En Islam, il n’y a qu’une Ceci est la traduction d’après E. Osty. D’autres traductions (notamment des Témoins de
seule nation, la Oumma, ou Communauté des croyants de toute origine. Le Coran ne cite Jéhovah) donnent « en train de se moquer d’Isaac », au lieu de « jouer avec Isaac », pour
« l’arabité » que pour qualifier la langue de la Révélation, et aussi dans le sens de « justifier la colère de Sarah. Une certaine exégèse des Gens du Livre a ainsi pu justifier leur
nomade » ou Bédouin : « Les Arabes bédouins (Al-A’râbou) ont dit : « Nous croyons [en haine des Ismaélites (les Arabes), et refuser à cette lignée le droit de recevoir un ultime
Dieu] ! » Dis-leur : « Vous ne croyez pas ! » Dites plutôt : « Nous nous soumettons! » Car la Prophète, en l’occurence Mohammed très louangé. Mais Dieu est au-dessus de ces petitesses.
Foi n’a pas encore pénétré dans vos cœurs et si vous obéissez à Dieu et à Son Envoyé, Il ne 250 - On peut rapprocher ce nom de Farân, mont près de La Mecque. Les indications de
vous lésera en rien dans vos mérites, car Il est très Clément et très Compatissant » (Coran lieux (toponymie et géographie), et notamment les distances, sont sujettes à caution. Le

204 205
Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

Abraham, quand il ne voyageait pas, demeurait à Bersabée (Beer-Shéba) s’installa à cet endroit et fonda la première communauté Mecquoise avec
(Cf. Genèse 22,19). C’est dans ce même désert de Bersabée que, selon la Ismaël.
Bible (21, 14 à 18), Agar se perdit avec son fils.251 Alors Dieu fit jaillir C’est là qu’Agar, selon la Bible, nomma Dieu : « Atta-El-Roï », c’est à
pour eux une source d’eau : « Dieu entendit la voix du garçon (Ismaël qui dire : « Toi, Dieu Visible »254, car dit-elle, « n’ai-je pas vu ici Celui qui me
gémissait), et du ciel, l’ange de Dieu appela Agar et lui dit : « Qu’as-tu, Agar ? voit ? » (Genèse 16,13).
Ne crains pas, car Dieu a entendu la voix du garçon là où il est. Debout ! Dieu établit avec Abraham une Alliance (Engagement) perpétuelle : « Je
Relève le garçon et tiens-le ferme en ta main, car de lui Je ferai une grande te ferai fructifier à l’extrême ; Je ferai de toi des nations, et des rois sortiront
nation ». Dieu lui ouvrit les yeux et elle vit un puits d’eau ; elle alla remplir de toi. J’établirai Mon Alliance entre Moi et toi et ta descendance après toi
l’outre d’eau et fit boire le garçon ». Dieu fut avec le garçon, et il grandit. Il dans toutes ses générations, une alliance perpétuelle, pour être ton Dieu et celui
habita dans le désert et fut tireur d’arc. Il habita dans le désert de Parân, et de ta descendance après toi » (Genèse 17, 6-7). Et comme signe visible de
sa mère lui prit une femme du pays d’Egypte252 » (Genèse 21, 17 à 19). Selon cette alliance, Dieu ordonne à Abraham la circoncision : « Et voici Mon
les historiens musulmans, il a épousé une Jurhumite253. Un clan Jurhumite alliance que vous observerez entre Moi et vous : tout mâle chez vous sera cir-
concis ». (17,10). « A l’âge de huit jours, tout mâle chez vous sera circoncis
sujet est entre les mains de spécialistes, mais ces disciplines sont très difficiles, car elles doi- dans toutes vos générations ». (17,12).
vent recouper la linguistique, la lexicologie des langues anciennes, la topographie, l’archéo- Cette obligation divine est donc perpétuelle, et Paul de Tarse, en la sus-
logie, l’histoire, la géologie, etc. Les divergences sont naturellement infinies dans ce pendant (et en l’abolissant même de fait), a dérogé à la parole de Jésus qui
domaine, car les peuples ont toujours beaucoup bougé, ainsi que leurs langues, leurs noms a déclaré : « Ne croyez pas que je sois venu renverser la Loi [de Moïse] ou les
et les noms de lieux également, les chroniques et traces significatives sont rares et sont mêmes Prophètes ; je ne suis pas venu renverser mais compléter »255
contradictoires entre elles pour des raisons politiques et religieuses, car les luttes entre les Dieu, en effet, menace ainsi (Genèse 17,14) : « L’incirconcis, le mâle qui
hommes n’ont jamais cessé. Ces domaines certes passionnants ne pourront satisfaire les cher- n’aura pas été circoncis dans la chair de son prépuce, cet homme-là sera
cheurs que le Jour où Dieu, dans la Vraie Vie, nous éclairera sur ces divergences et sur ces retranché des siens : il a rompu Mon alliance ».
mystères. « Abraham prit Ismaël son fils et tous ceux qui étaient nés dans sa maison
251 - A cette lecture, on pourrait croire qu’Abraham, a simplement abandonné sa femme /.../ et il circoncit la chair de leur prépuce, ce jour-là même, selon ce que Dieu
et son fils dans une vallée stérile. Mais en réalité, il avait reçu de Dieu une assurance les lui avait dit. Abraham était âgé de quatre-vingt-dix neuf ans quand il fut cir-
concernant (21,11 à 13) : « La chose déplut beaucoup à Abraham : « N’aie pas de crainte concis /.../ Ismaël, son fils, était âgé de treize ans quand il fut circoncis »
pour le garçon et pour ta servante ; en tout ce que te dira Sarah, écoute-là, car c’est par (Genèse 17,23 à 25).
Isaac que tu auras une descendance de ton nom. Quant au fils de la servante, de lui aussi Isaac n’était pas encore né à ce moment là. Sarah était toujours stérile,
Je ferai une grande nation, car il est ta descendance ». Abraham fut donc rassuré sur l’ave- et l’Alliance était déjà conclue (Cf. Genèse. 17,10 à 25). Mais comme la
nir d’Agar et d’Ismaël, et repartit tranquillisé, les laissant près de la montagne désertique, descendance immédiate d’Ismaël n’allait pas donner la même satisfaction
près de laquelle Dieu fit venir une source et les Jurhumites (peuple bédouin) avec lequel à Dieu que celle d’Isaac, Dieu réalisa en premier lieu Son Alliance avec la
Ismaël se lia. descendance d’Isaac (par Jacob-Israël) jusqu’à Jésus, puis Il donna sa
252 - Selon Ibn Hishâm, il s’agit d’une Jurhumite. Les Jurhumites étaient un peuple préférence à Mohammed, descendant d’Abraham, et à sa communauté
bédouin (a’râb) c’est à dire pasteurs nomades et commerçants internationaux. Les jusqu’à la fin des temps.
Jurhumites organisaient sans doute des caravanes entre l’Egypte et le Yémen, puisqu’une Dans un premier temps, Dieu avait donc décidé de donner à Sarah une
partie de leur parenté avait constitué un royaume dans le Sinaï (Amaleq), qu’un autre descendance illustre, des rois et des prophètes, et une alliance privilégiée
groupe important se sédentarisera au Yémen, et qu’enfin un petit groupe groupe fusionna qui n’annulait pas la promesse faite par Dieu concernant Ismaël, mais qui
avec les Ismaélites à l’endroit qui allait devenir La Mecque, c’est à dire sur la route de leurs mettait cette dernière lignée comme en « attente » pour la suite de l’his-
pérégrinations habituelles entre l’Egypte et le Yémen, quand ils virent qu’Agar avait décou- toire, pour le moment où les fils d’Israël auraient failli et rompu leur
vert la source de Zem-Zem. Selon Mohammed Hamidullah, les Jurhumites sont des des- alliance avec Dieu (à l’époque de Jésus puis de Mohammed très louangé).
cendants d’Amaleq (Cf. M. Hamidullah, Le Prophète de l’Islam, T. 1. Ch. 60, p. 39. Ed. Ainsi, historiquement, ce peuple juif, issu de Jacob-Israël (fils d’Isaac),
El-Najah, Paris, 1998). Les Amaleq (peuplade Edomite descendante d’Isaac par Esaü) a obtenu de Dieu ce qu’aucun autre peuple auparavant n’avait jamais reçu.
avaient constitué un royaume dans le Sinaï, limitrophe de l’Egypte, et s’étaient montré hos-
tiles aux Israëlites à leur sortie d’Egypte. 254 - Azh-Zhâhir en arabe : L’apparaissant, le manifeste, l’extérieur, l’apparent…
253 - Jurhum (fils de Yaqtân ou de Qahtân) et descendant d’Amaleq, fils d’Edom, fils 255 - Paroles attribuées à Jésus, dans la version évangélique de Matthieu 5,17-18 et
d’Esaü, fils d’Isaac, fils d’Abraham l’Ami de Dieu. 10,34 à 37. Trad. E. Osty.1973.

206 207
Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

Mais pourtant, à la fin, les Israélites renièrent leur ultime sauveur, leur ciples israëlites s’enfuirent sans le défendre), la préférence Divine pour la
Messie Jésus. Et alors la préférence Divine pour eux cessa et passa aux pre- lignée d’Israël prit fin. Pas complètement cependant, puisque Jésus revien-
miers Chrétiens puis, lors de l’avènement du Sceau des Prophètes (dans la dra à la fin des temps, pour tuer l’Antéchrist et faire triompher la religion
lignée bénie d’Ismaël), cette préférence Divine échut à la communauté de Dieu. Et sa mère est toujours Marie, une fille d’Israël, pour l’éternité.
musulmane. Ainsi, l’ultime sauveur, le vrai Messie, est encore un « juif » (en tant que
La Genèse dit (17,15 à 20) : « Dieu dit à Abraham : « Saraï, ta femme, tu descendant de Juda fils de Jacob), mais c’est un « juif » Musulman (c’est à
ne l’appellera plus du nom de Saraï, mais son nom est Sarah. Je la bénirai, et dire Soumis à Dieu).
même Je te donnerai d’elle un fils. Je la bénirai et elle deviendra des nations ; Ainsi, l’alliance perpétuelle, que Dieu avait donnée à Isaac, est passée à
des rois et des peuples viendront d’elle ». Abraham tomba sur sa face, il rit et Jacob, puis à Jésus, puis à Mohammed. Tous les Prophètes qui l’ont
il dit en son coeur : « Est-ce qu’un homme âgé de cent ans peut engendrer un annoncée et confirmée sont de la descendance bénie d’Abraham. Sur eux
fils ? Et Sarah, une femme âgée de quatre-vingt-dix-neuf ans peut-elle enfan- la grâce Divine et la Paix.
ter ? » Abraham dit à Dieu : « Si seulement Ismaël pouvait vivre devant Ta face
! » Mais Dieu dit : « Pas du tout ! C’est Sarah, ta femme, qui t’enfantera un fils,
et tu l’appellera du nom d’Isaac. J’établirai Mon alliance avec lui en alliance
perpétuelle, pour être son Dieu et celui de sa descendance après lui. Quant à
Ismaël, Je t’ai entendu. Voici que Je le bénis ; Je le ferai fructifier et le multi-
plierai à l’extrême ; Il engendrera douze princes et Je ferai de lui une grande
nation. Mais Mon alliance [première, n.d.r.], Je l’établirai avec Isaac, que
t’enfantera Sarah, à cette époque, l’an prochain ».
Et, effectivement, les choses s’accomplirent ainsi : Sarah enfanta Isaac,
qui fut le père de Jacob-Israël, et le grand-père de Youssouf, et l’ancêtre de
tous les nombreux prophètes juifs : Moïse, Aaron, David, Salomon, Isaïe,
Esdras (Ezra ou Ozaïr), Elie, Jean-Baptiste (Yahya), et des dizaines
d’autres, jusqu’au Messie Jésus, le Sceau des Prophètes Juifs. Cette alliance
(Engagement) est perpétuelle parce qu’elle passe d’Isaac à Israël, puis de
Jésus à Mohammed, qui sont tous dans la descendance bénie d’Abraham.
Seulement, il y a eu des ruptures, non du fait de Dieu, mais de la faute des
hommes, dans cette alliance. C’est pourquoi, au lieu de passer d’Abraham
à la descendance d’Ismaël, elle est passée prioritairement d’Abraham à
Isaac, car Dieu a préféré la descendance immédiate d’Isaac à la descen-
dance immédiate d’Ismaël256. Puis au lieu de passer d’Isaac à Esaü (son fils
aîné), elle est passé à Jacob (Israël) son cadet. Ensuite, elle est restée en
Israël grâce à Moïse, Aaron et Josué (malgré l’apostasie des autres Juifs
dans le Sinaï), puis elle a continué, malgré l’histoire mouvementée de cette
communauté (notamment le meurtre de certains de ses Prophètes), jus-
qu’à Jésus. Mais lorsqu’ils voulurent tuer Jésus (et que même ses rares dis-

256 - En effet, Isaac engendra un saint Prophète, Jacob-Israël, qui engendra lui-même un
autre saint Prophète, Joseph (qui eut aussi des dizaines de saints prophètes dans sa descen-
dance). Quant à Ismaël, c’était un saint prophète également, mais il n’engendra pas de
saint prophète dans sa descendance immédiate (excepté, plus tard, Chuayb et Salih, qui
sont « arabes » en tant que Bédouins, mais pas forcément ismaëlites. Il fallut attendre le
scellement de la prophétie en Israël (par Jésus) pour que la Bénédiction Divine (l’Alliance
privilégiée) revienne à la lignée d’Ismaël, qui engendra donc le Sceau de tous les Prophètes
de Dieu, envoyé pour toute l’humanité.

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Moïse, Jesus et Mohammed

L’ANCIEN ENGAGEMENT (Testament, Pacte ou Alliance) : Et Jésus est bien le Messie (le dernier Sauveur) d’Israël, spécifiquement,
BÉNÉDICTION ET MALÉDICTION. et non un sauveur envoyé à toute l’humanité en général. Car ce dernier
rôle échoit uniquement à Mohammed très louangé, qui selon l’évangile,
est « l’autre Paraclet », c’est à dire l’autre Intercesseur ou Consolateur, mais
pour tout le genre humain cette fois, car c’est à lui que « les peuples
obéiront » dit la Bible (Genèse 49,10). Or, pas même son peuple n’a obéi
à Jésus, sur lui la paix.
Dans les Actes des Apôtres (13,23) on lit : « Dieu, selon Sa promesse, a
amené à Israël un sauveur, Jésus ». Et Paul de Tarse s’exclame : « Nous qui
Part. VI - Chap. III sommes Juifs de nature et non pas pécheurs d’entre les nations » (Epître aux
Galates 2,15). Il confirme également que les Juifs n’ont été préférés par
Dieu qu’à cause de leurs ancêtres : « Ils sont bien-aimés à cause de leurs
ancêtres ». (Epître aux Romains 11,28).
Cet Engagement, on l’a vu, n’est « perpétuel » que tant que ceux qui y Mais en rejetant leur sauveur (Messie), les Juifs se sont eux-mêmes per-
souscrivent n’y dérogent pas gravement ou totalement, par exemple en dus et maudits, car la Malédiction faisait partie des clauses de
conspirant pour assassiner un Messager de l’envergure du Messie, venu l’Engagement (Alliance ou Testament) en cas de rupture unilatérale de leur
pour les sauver. part. Et Jésus fut pour eux la « pierre d’achoppement » sur laquelle ils ont
Mais, malgré la malédiction qui frappe ceux des Juifs qui ont rejeté trébuché et ont chuté. C’était pourtant, à leur intention, la « pierre d’an-
Jésus puis Mohammed (sur eux la grâce divine et la paix), un certain nom- gle », celle qu’ont rejeté les mauvais bâtisseurs, la « clef de voûte » qui devait
bre d’entre eux, minoritaires mais croyants et vertueux, à chaque généra- terminer l’édification du temple « spirituel », du royaume de Dieu sur la
tion, sont entrés dans la foi des premiers Nazaréens (Chrétiens primitifs) terre. Le Temple « visible » fut donc ruiné, à l’image du Temple de
puis en Islam, à la suite de Mohammed très louangé et de ses successeurs Jérusalem. Mais « l’autre Intercesseur », Mohammed très louangé, reprit
jusqu’à nos jours. Beaucoup de Musulmans ont donc du « sang » d’Israël cette pierre et la plaça au faîte de l’édification. Il établit ainsi le « Royaume
(Yacoub) ; comme ils ont du « sang » de toutes les autres nations (ancien- de Dieu » sur terre, et remporta la Victoire promise aux élus dès ce bas
nement polythéistes), Dieu créant des peuples « nouveaux » à partir des monde. C’est ainsi que Mohammed devint la « Pierre » finale de l’édifica-
restes de peuples anciens. tion, ainsi qu’il l’a rapporté dans ses hadiths.
Les premiers Chrétiens participaient également de cet ancien Mais le Dernier Engagement est le prolongement de l’Engagement pri-
Engagement (Pacte), car tous les apôtres étaient Juifs. Puis ils héritèrent mordial que Dieu a pris des fils et des filles d’Adam et Eve depuis l’orig-
d’un « nouvel » Engagement (en fait la continuité de l’Ancien) et y firent ine de notre monde. « Ancien », « Nouveau », « Dernier » ne sont que des
entrer des non-juifs (Romains, Grecs, Anatoliens,257 Arabes, etc.). Ce termes pour distinguer les époques et les législations Divines qui se sont
Nouvel Engagement (Nouveau Testament dans la terminologie chréti- succédées. Mais en réalité il s’agit de l’éternelle Parole de Dieu, inscrite
enne), comportait, à l’instar du premier, des droits et des devoirs, une dans la « Mère du Livre », sur la « Table bien gardée » par les Anges, tracée
Bénédiction et une Malédiction. par la Plume (Calame) céleste qui fut la première chose que Dieu créa afin
Ce Nouvel Engagement fut pris devant Dieu par les disciples de Jésus : de transmettre Sa Parole incréée et inaltérable. Pas de changement dans la
« Lorsque Jésus s’aperçut de leur incrédulité, il demanda : « Qui seront mes Tradition Divine. Seules des modalités secondaires varient avec le mouve-
auxiliaires [dans la voie qui mène] vers Dieu ? » Et les apôtres de répondre : ment perpétuel des réalités contingentes par rapport à la Réalité immuable
« C’est nous qui seront les auxiliaires de Dieu. Nous croyons en Dieu ! Sois qui est Dieu, exalté et glorifié soit-Il.
témoin qu’à Sa volonté nous sommes soumis (muslimoun) ! » (Coran 3,52) Seuls ont donc été maudits, rejetés par Dieu, ceux qui ont rejeté Son
« Nous avons également pris [acte] de l’engagement de ceux qui se disent Message (l’Evangile de Jésus à cette époque). Certains des fils d’Israël l’ont
Chrétiens. Eux [aussi] ont oublié une partie de ce qui [dans l’Ecriture devait] accepté et sont morts martyrs pour l’attester. De fait, on ne les appela plus
leur servir d’avertissement. Nous avons suscité entre eux l’inimitié et la haine « juifs » (bien qu’ils soient du « sang » d’Israël), mais Nazaréens. De même,
et ce jusqu’au Jour de la résurrection. Dieu leur fera alors connaître leurs on n’appelle pas les Musulmans d’après le lignage de leurs ancêtres, car
actes ». (Coran 5,14) tous les Musulmans d’hier, d’aujourd’hui et de demain ont également des
ancêtres polythéistes, chrétiens, juifs, mazdéens, etc. Et ceci est arrivé dans
257 - Anciens habitants de la Turquie actuelle. toutes les générations, les conversions à l’Islam n’ayant jamais cessé. Il y a
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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

de nos jours de grands savants Musulmans d’origine juive ou chrétienne anciennement Juifs, ou Athées, ou Chrétiens ou Bouddhistes ou autres.
ou autre, qui font honneur à notre Communauté et y apportent même En ce cas, personne ne serait Musulman, car nous avons tous dans nos
parfois une revivification des sciences religieuses. Et je suis peiné d’enten- ancêtres des non musulmans, y compris le Prophète Mohammed et tous
dre parfois des frères ignorants, douter, par mépris pur et simple, de l’au- ses Compagnons et Epouses, et y compris Abraham et tant d’autres, sur
thenticité de la foi des nouveaux convertis, surtout quand ils viennent du eux la grâce Divine et la Paix.
Judaïsme. C’est pourtant très difficile à un Juif d’entrer en Islam, notam- Quiconque dit : « Je suis Musulman », qu’il soit ou non de parents
ment à cause des réactions de sa famille ; allons nous lui infliger une musulmans, du moment qu’il a prononcé devant deux témoins la
épreuve supplémentaire parfaitement injuste en le regardant « de travers » ? Chahada, personne n’a le droit de lui dire « tu n’es pas Musulman », car en
J’ai entendu des phrases indignes de Musulmans à ce propos. Notre ce cas, c’est celui qui tient ce dernier propos qui se montre certainement
Prophète de la miséricorde a reçu la conversion sincère de plusieurs Juifs, injuste ou hypocrite. Dieu l’a interdit explicitement dans Son Livre. Et
notamment des savants de Médine (Abdallah Ibn Salâm, Ka’b al-Ahbâr, quiconque contredit Dieu, approuve Iblis. Que Dieu nous en protège !
etc.). Il a épousé une jeune veuve Juive de Khaybar, Safîyah.258 Le Prophète disait à Safîyah, son épouse d’origine juive : « Réponds-leur :
Certes la majorité des Juifs de son époque furent ses pires ennemis. Mon père est Aaron, et mon oncle est Moïse ». Et il disait d’elle : « Elle est
Mais par égard pour la minorité qui s’est battue pour lui, il ne faut pas dire entrée en Islam et son Islam est sincère ».259
« les Juifs » mais « des Juifs ». Et même si de nos jours encore, c’est parmi La préférence Divine pour Israël n’était pas une injustice, mais une
des Juifs que l’Islam trouve ses plus grands détracteurs, nous devons fidélité envers les vénérables patriarches d’Israël (Yacoub, Youssouf ) et
cependant avoir une attitude juste avec eux, car ce sont des Gens du Livre, envers leurs nombreux autres Prophètes ultérieurs jusqu’à Jésus, sur eux la
et Dieu nous ordonne de discuter avec eux de la meilleure façon. Nous Paix. Aussi, lorsque Sa colère S’exprima contre ce peuple, Dieu accomplit
pouvons manger leur nourriture et épouser leurs filles licitement, ainsi que Ses Malédictions qu’Il avait annoncé par la bouche et par la plume de
Dieu a légiféré dans le Coran. Le Prophète n’était pas en guerre contre tous Moïse, puis réitérées par David puis par Jésus, à l’encontre des infidèles
les Juifs, mais seulement contre les tribus juives qui l’avaient trahi après parmi les fils d’Israël. Et lorsque le « reste » des croyants véridiques fut telle-
leur pacte à Médine. Les guerres ont toujours été dures et cruelles, mais le ment réduit qu’il ne pouvait plus écarter le cataclysme qui guette tout peu-
Sceau des Messager fut le Prophète le plus modéré dans la guerre, privilé- ple impie, l’ultime malédiction de Jésus « actualisa » l’antique malédiction
giant tout autre moyen et ne recourant à la guerre (comme les autres Divine inscrite dans la Torah : l’Engagement solennel qui fondait la sécu-
Prophètes antérieurs, Abraham, Moïse, David, etc.) qu’en extrême néces- rité et la cohésion d’Israël fut brisé, et alors la calamité s’abattit sur ce peu-
sité et sur ordre de Dieu uniquement. Jamais par plaisir ou pour tout autre ple tombé de fait dans l’apostasie, car rejeter les Envoyés de Dieu, c’est
motif mondain. rejeter Celui qui les a envoyés.
Comment prêcher l’Islam à des gens qui savent d’avance que nous les « Les mécréants parmi les Juifs ont été maudits par la bouche de David et
regarderons comme des hypocrites ? Qui sont les hypocrites alors ? Non, de Jésus, fils de Marie, pour leur désobéissance et leur transgression [de la loi] »
nous n’avons pas le droit de suspecter les nouveaux convertis, qu’ils soient (Coran 5,78)
Les bons fils d’Israël sont désormais (et il en viendra encore à chaque
258 - « Muhammad pensa à un moyen efficace d’améliorer les rapports judéo-musul- génération future) incorporés à la communauté musulmane à part entière,
mans : il épousa une jeune veuve khaibarienne, Safîyah. Celle-ci continua toujours à aider sans « statut » inférieur de quelque nature que ce soit, car tous les
ses parents non-musulmans ; et au dire des Chroniqueurs (dont Zurqâni et Abu ‘Ubaid), Musulmans sont frères et égaux « comme les dents d’un peigne ». C’est un
elle légua même à sa mort un tiers de ses biens, valant cent mille dirhams, à son neveu (par péché de vouloir les distinguer des autres Musulmans. Et du fait qu’ils ont
sa soeur), qui était resté juif » (Mohammed Hamidullah, Le Prophète de l’Islam, T.1. dû toujours surmonter des épreuves difficiles (notamment de la part de
Ch.974, p. 550. Ed. El-Najah, 5ème édition, Paris 1998). Martin Lings affirme qu’elle leurs ancien coreligionnaires, et quelquefois aussi, malheureusement de
est entrée en Islam en épousant le Prophète, mais qu’elle a subi ensuite des propos racistes leur nouveaux coreligionnaires qui manquent parfois de fraternité et de
de certains, propos qui furent blâmés par le Prophète. Il disait à Safîyah : « Réponds-leur : sincérité), le Prophète a promis une « double récompense » aux Gens du
Mon père est Aaron, et mon oncle est Moïse ». Et il disait d’elle : « Elle est entrée en Islam Livre qui entrent en Islam. L’auteur de ce présent essai vient du christian-
et son Islam est sincère ». Elle était très belle, et le Prophète lui plaisait également beaucoup isme, et il dit : « Bienvenue à tous mes frères en Islam ». Plus on est sincère,
pour toutes ses qualités morales et physiques : ce mariage n’était pas seulement « utilitaire » moins on voit de mal chez autrui. Le meilleur Musulman est celui qui
pour améliorer les relations judéo-musulmanes ; c’était un vrai mariage d’amour, fondé sur scrute ses propres défauts et ne guette pas ceux des autres : « Bienheureux
le libre consentement des deux époux, comme tous ceux qu’a conclu l’Envoyé d’Al-Wadûdo
(Le Prophète Muhammad, p. 318-319 et 321-322. Ed. du Seuil, 1983). 259 - Cf. Martin Lings. Le Prophète Muhammad, Op. cit. Ibid.

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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

celui qui est trop absorbé par le souci de son propre défaut pour s’occuper de d’une lampe limpide (çafî) qui peut laisser passer Sa lumière et illuminer
ceux des autres ».260 notre tréfond (fu’âd). C’est là la base de la voie Soufie (Taçawwuf ) ou sci-
Ainsi, les Gens du Livre entrés en Islam (ou plutôt restés en Islam mal- ence des états du cœur, dont l’objectif est la purification (la limpidité) de
gré la scission de leurs anciens coreligionnaires contre le Sceau des Envoyés l’être en son entier, depuis le corps jusqu’à l’intellect (lubb), en passant par
du Dieu Unique), accumulent « deux » fois la Baraka que Dieu place dans l’âme (nafs), la poitrine (çadr), le cœur (qalb) et le tréfond. Quand tout
les religions authentiquement révélées. Au fond, ils ne se convertissent pas, l’être est ainsi unifié dans la perfection, ce qui est impermanent en lui
puisqu’ils étaient déjà soumis à Dieu et suivaient un Envoyé de Dieu ; ce s’éteint et il ne subsiste plus que l’esprit (rûh), dans la pérennité : or, l’e-
sont les autres qui « sortent » de l’Islam éternel en refusant de croire à un sprit est un mystère qui procède de l’Ordre du Seigneur et qu’on ne peut
ultime Envoyé. La chose est très claire : il n’y a qu’une seule religion droite expliquer ; les itinérants arrivés ne peuvent qu’y « goûter ». C’est pourquoi
depuis Adam, et les autres religions sont « sorties » de cette religion parfaite, « la poitrine des homme libres est le tombeau des secrets », ainsi que l’a dit le
qui est, depuis toujours, la Soumission à Dieu (Islâm en arabe). grand soufi Dhoul-Noûn al-Misrî.
Aussi, quand on parle de la religion de Mohammed, il s’agit de la Ceux, parmi les Gens du Livre, qui refusent le Coran et Mohammed,
Soumission à Dieu, la même Soumission que depuis Adam, en passant par sont donc infidèles à Dieu, et font une scission contre Lui, puisque c’est
Noé, Abraham, Moïse, Jésus et les cent vingt quatre mille Prophètes que Lui qui nous a donné un ultime Message et un ultime Messager pour nous
Dieu a donné au genre humain pour sa guidance. Sur eux tous la paix et sauver. Les Gens du Livre devraient être les premiers à reconnaître ces
la grâce de Dieu. Et à Dieu la Louange, Maître de l’univers. bienfaits de Dieu, puisqu’ils possédaient déjà une lumière venant de Dieu
Il est utile de signaler à nos interlocuteurs non musulmans, surtout ceux pour les éclairer dans cette reconnaissance, alors que les Athées et les
parmi les Gens de l’Ecriture, que le mot Islam signifie seulement Polythéistes n’ont aucun guide pour cela. Et pourtant on voit souvent des
Soumission, que leur Dieu est notre Dieu Unique, que leurs Prophètes Gens du Livre, et surtout parmi des Juifs, se montrer encore plus hostiles
sont aussi les nôtres, que le Coran (Lecture ou Récitation) sacré confirme que des Polythéistes à l’égard de l’Islam. Cela n’est pas normal, et ne peut
et protège leurs propres Ecritures sacrées, qu’Allâh n’est pas un autre dieu dénoter qu’un manque total de foi, car le Coran ne dit rien d’autre que ce
que Dieu l’Unique, que le Nom Allâh est simplement le Nom arabe de qui était déjà dans les Messages antérieurs et Mohammed n’est pas un
Dieu dans le Coran, et que même les chrétiens arabes, quand ils invoquent innovateur en matière de prophétie.
le Nom de Dieu, disent : Allah, et qu’Il en a d’autres, et surtout Ar- Ces négateurs encourent la Colère de Dieu. Ce sont ceux-là que les
Rahmân, Ar-Rahîm, le Très Miséricordieux, le Tout Miséricordieux. Il faut Envoyés ont maudits, et non pas les autres, qui ont rejoint le Sceau des
leur apprendre qu’un de Ses Quatre vingt dix neufs plus beaux Noms, Messagers, ou vont le faire avant leur mort. Il n’y a aucune place, pour
dans le Coran et la Tradition Prophétique, est : Al-Wadoûd (l’Amour ou aucune forme de racisme, en Islam. Les divergences sont uniquement doc-
Celui-Qui-Aime, l’Affectueux), ce qui étonne toujours nos amis Chrétiens trinales, et non pas « génétiques », et Dieu ne nous a pas commandé la
qui pensent parfois détenir le monopole de ce Nom et Attribut Divin dans haine à l’égard de ceux qui se trompent, mais la compassion et l’avertisse-
leur théologie. Il faut dire que certains Musulmans qui ignorent leur reli- ment. Il nous a enjoint de les exhorter à la vérité et au bien avec respect et
gion, par leur attitude, ne reflètent pas toujours ce Nom de Dieu dans leur courtoisie, afin qu’ils soient eux aussi sauvés, comme furent sauvés une
façon de vivre. Or, Si Dieu S’est fait connaître à nous par Ses plus beaux partie des leurs dans les générations précédentes, comme nous fûmes
Noms, c’est pour que nous nous en « imprégnions » - humainement par- nous-mêmes sauvés, alors que nous descendons tous de mécréants (même
lant bien sûr, car Dieu transcende toute ressemblance. Ne nous demande- Abraham et Mohammed, sur eux la grâce divine et la paix, dont certains
t-Il pas d’être nous mêmes miséricordieux, bons, purs, patients, sec- proches parents étaient polythéistes). La lumière n’est pas faite pour être
oureurs, amicaux, pardonneurs, vertueux, véridiques, et pourtant toutes cachée jalousement afin que nul n’en profite. Nous devons donner ce que
ces qualités sont Ses propres Attributs ! Quand Il nous dit « Prosterne-toi et nous avons reçu. C’est en ne répandant pas la lumière qu’on la perd soi-
rapproche-toi », Il le dit à Son Serviteur très louangé, et à nous aussi à tra- même. C’est pourquoi Dieu ne la confie durablement qu’aux bienfaisants,
vers Son Apôtre, et on ne peut se rapprocher de Lui qu’en s’efforçant de « aux miséricordieux.
refléter », dans nos vies, Ses propres Attributs. Il nous a montré ce qu’Il est Dans le Psaume 109, David a maudit les mauvais fils d’Israël. Dans l’é-
et ce qu’Il aime en nous révélant Ses Noms. Par le Rappel (dhikr) de Ses vangile de Matthieu (23, 1 à 39), c’est Jésus qui les a maudits. Ce faisant,
Noms, nous nous nettoyons le cœur, qui devient alors comme le verre ils n’ont fait que rappeler la Malédiction de Moïse à l’égard des mauvais
enfants d’Israël. David à ce moment, est rejeté par son peuple, reclus dans
260 - Hadith cité par Sulamî dans sa Risâlat al-Malâmatiyya, et par Suyûti dans Al- le temple, en guerre contre son propre fils qui veut le renverser du trône
Jâmi’ al-Saghîr. et qui a profané le harem de son père. Désespéré, David maudit l’ infidèle
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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

en s’écriant : « Il a aimé la Malédiction : qu’elle vienne sur lui ! Il n’a pas voulu rez plus désormais, jusqu’à ce que vous disiez : « Béni est celui qui vient au
la Bénédiction : qu’elle s’éloigne de lui ! Il a revêtu la Malédiction comme son Nom du Seigneur ! » (Matthieu 23, 1 à 39 extraits).
manteau : qu’elle entre comme de l’eau au-dedans de lui, et comme de l’huile « Béni celui qui vient au Nom du Seigneur ». Jésus dit donc bien qu’il
dans ses os ! » (Psaume 109). vient au Nom du Seigneur, et non pas qu’il est lui-même ce Seigneur. Ceci
Et Matthieu relate ces paroles attribuées à Jésus : « Les scribes et les est répété des dizaines de fois dans les versions évangéliques dites canon-
Pharisiens261 se sont assis sur la chaire de Moïse : tout ce qu’ils vous disent, iques (les « quatre évangiles » acceptés par les églises chrétiennes). Il dit que
faites-le donc et gardez-le, mais n’agissez pas selon leurs oeuvres ; car ils disent la plupart des fils d’Israël, à cause de leur mécréance, de leur rejet des
et ne font pas... » prophètes et du Messie (lui-même), sont désormais maudits par Dieu
« Toutes leurs oeuvres, ils les font pour être remarqués des hommes... (votre maison, c’est à dire le Temple, vous est laissée, c’est à dire que Dieu
Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, parce que vous resemblez à ne s’en occupe plus, la délaisse...). Cet abandon par Dieu durera jusqu’à
des sépulcres blanchis : à l’extérieur ils paraissent beaux, mais à l’intérieur ils ce qu’ils disent : « Béni est celui qui vient au Nom du Seigneur ! ».
sont pleins d’ossements de morts et de toutes sortes d’impuretés... » Ce « Béni » viendra après Jésus, après ses « prophètes » (en fait des prédi-
« Malheur à vous, scribes et Pharisiens hypocrites, parce que vous bâtissez cateurs justes), sages et scribes qui seront tués, fouettés dans les syna-
les sépulcres des prophètes et ornez les tombeaux des justes, et vous dites : « si gogues, etc.
nous avions été là aux jours de nos pères, nous n’aurions point participé avec Pour Jésus, c’est trop tard : « Vous n’avez pas voulu ! » « vous ne me verrez
eux au meurtre des prophètes. Ainsi, vous témoignez vous-mêmes que vous êtes plus désormais ». Le « Béni qui vient au Nom du Seigneur » est l’autre « par-
les fils des meurtriers des prophètes. Et vous comblez même la mesure de vos aclet » dont parle amplement Jean dans son évangile. Matthieu n’y fait
pères ! Serpents ! Descendance de vipères, comment pourriez-vous fuir le juge- qu’allusion, sous l’expression : « Béni est celui qui vient au Nom du
ment de la Géhenne (l’Enfer) ? » Seigneur ! » et qui viendra après Jésus. Ceux des Juifs qui croiront en lui (ce
« C’est pourquoi, voici que moi, j’envoie vers vous des prophètes262, et des « Béni ») sortiront alors de la Malédiction Divine attestée par Jésus, mais
sages, et des scribes. Vous en tuerez et en crucifierez, vous en fouetterez dans vos comme on le verra, notamment au moment de l’Hégire et ensuite, ils
synagogues, vous en pourchasserez de ville en ville, jusqu’à ce que vienne sur seront très peu nombreux à entrer en Islam, car la majorité des Juifs
vous tout le sang juste répandu sur la terre ; depuis le sang d’Abel le juste, d’Arabie combattront Mohammed avec acharnement.
jusqu’au sang de Zacharie, fils de Barachie, que vous avez tué entre le Les fils d’Israël pouvaient, après le départ de Jésus, retrouver la
Sanctuaire et l’Autel ». Bénédiction incluse dans l’Engagement premier (Torah) en adhérant au
« Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont « second » Engagement263 (Evangile) : en ce cas le « Béni » est, vis-à-vis
envoyés, que de fois j’ai voulu rassembler tes enfants de la manière dont une d’eux, encore Jésus. Mais après l’avènement de Mohammed, la reconais-
poule rassemble ses petits sous ses ailes, et vous n’avez pas voulu ! sance de leur Messie Jésus ne suffit plus, car Mohammed est l’autre et
« Voici que votre maison vous est laissée. Car je vous le dis, vous ne me ver- ultime « Béni qui vient au Nom du Seigneur ». C’est la dernière chance, le
dernier Rappel avant la fin du monde et le jugement dernier.
261 - Secte puritaine juive importante à l’époque de Jésus. Ils croyaient à la vie éternelle, « Béni est celui qui vient au Nom du Seigneur ». Ce « Béni » est certes Jésus
contrairement à l’autre grande secte des Sadducéens. Tous attendaient un Messie. Quand avant la venue de Mohammed, mais aussi Mohammed, et aussi ses
Jésus annonça clairement la vie éternelle à venir, les Pharisiens auraient donc du être les Khalifes bien guidés et ses successeurs authentiques (les Savants bien
premiers à le croire, mais ils furent ses pires ennemis. En réalité leur culte était tout exté- guidés). Il descend d’Ismaël, que Dieu a béni (selon la Bible), dont Il a
rieur et Jésus les qualifie constamment d’hypocrites et de « serpents ». annoncé qu’il engendrerait une « grande nation » (or, avant l’Islam, la
262 - Des prophètes : c’est à dire des hommes inspirés, des prédicateurs, pas des prophètes « nation arabe » était bien petite et confinée dans le désert). Ce « Béni » est
au sens strict établi dans la doctrine de l’Islam. Chez les Juifs, outre les vrais Nebiim celui-là même qui rebâtira la « Maison » de Jérusalem, sur les ruines du
(Prophètes) il y avait des hommes leur ressemblant à cause de leurs qualités de prédicateurs temple antique, sur l’esplanade des mosquées (Le Dôme du Rocher dit
justes, exortant les fidèles, et qui étaient appelés aussi « prophètes » bien que cette qualifi- « mosquée d’Omar », et à côté, la Mosquée d’al-Aqsa). L’Islâm a restauré le
cation ne vienne pas de Dieu. Inversement, la Bible ne qualifie pas David ou Salomon de Temple de Salomon, non pas dans sa forme initiale certes, mais dans une
Prophètes, alors que Dieu a révélé dans le Coran qu’ils étaient bien tels. Par ailleurs, un forme qui marque une ère nouvelle, car la forme ancienne correspond à
hadith indique que certains rêves du croyant sont un « quarante-sixième » de la prophétie,
ce qui ne fait pas, en Islam, un « prophète » de tout croyant ayant rêvé. Les terminologies 263 - C’est en fait la continuité du premier, comme l’indique Jésus dans les évangiles, mais
religieuses ne sont pas toujours parfaitement superposables. Il faut tenir compte de ces pour distinguer les deux périodes, on parle de ces « deux » engagements : l’Ancien et le
nuances pour une bonne compréhension de part et d’autre. Nouveau Testament.

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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

une législation révolue. Et Jésus avait annoncé la destruction de ce Temple convertissent à l’Islam, et rentrent ainsi à nouveau dans l’Alliance de leurs
(sous cette forme ancienne donc), ainsi que la dispersion (diaspora) des saints ancêtres, qui étaient soumis à Dieu (Muslimoun en arabe). Dans le
Juifs à cause de leur infidélité envers Dieu et Ses Prophètes. Lévitique 26, 44 à 46, il est écrit : « Et pourtant, même alors, lorsqu’ils seront
Le fils d’Ismaël (Mohammed) est l’Intercesseur très louangé (le Paraclet) au pays de leurs ennemis265, Je ne les repousserai pas et ne les prendrai pas en
et le « Béni » annoncé par Jésus ; et c’est le « Chiloh »264 annoncé par Moïse. dégoût, au point de les exterminer et de rompre Mon Alliance avec eux ; car
Beaucoup de Juifs et de Chrétiens, on l’a vu, refusent la Prophétie de Je suis Yahvé, leur Dieu. Je Me souviendrai pour eux de l’Alliance avec les
Mohammed parce qu’il est descendant d’une servante égyptienne Agar. aïeux, que J’ai fait sortir du pays d’Egypte, sous les yeux des nations, pour être
C’est absurde, car les Juifs eux-mêmes ont été longtemps esclaves en leur Dieu. Je suis Yahvé ! » Tels sont les décrets, les règles et les lois qu’établit
Egypte et cela ne les a pas empêché d’engendrer ensuite de nombreux Yahvé entre Lui et les fils d’Israël sur le Sinaï par le ministère de Moïse ».
prophètes (Deutéronome 5,6 ; Exode 1,8 à 14 ; 22, 20 à 23 ; Lévitique On voit donc que malgré leur rupture de l’Alliance, qui entraîne de
26,13 ; etc.). De plus, tous les humains sont esclaves d’Un seul et unique graves épreuves sur eux, le « reste » des croyants faisait que ce Pacte n’était
Maître qui élève les humbles et abaisse les hautains, et qui fait que les pas entièrement rompu par Dieu, mais « suspendu » pour un temps, afin
derniers aux yeux des hommes sont souvent les premiers à « Ses Yeux ». Ce de laisser aux pécheurs le temps de se repentir, et aussi parce que le Dieu
préjugé judéo-chrétien à l’égard d’Ismaël est donc sans autre fondement Unique n’était adoré nulle part ailleurs qu’en ce « reste » d’Israël. Et afin
qu’un simple racisme qui n’a évidemment pas de place dans une religion que Son Nom ne soit pas oublié, Dieu le Miséricordieux patienta encore
authentique. et encore, éprouvant puis libérant régulièrement Son peuple, à cause de
Pour Dieu, le plus noble des humains est uniquement le plus pieux : Son Amour pour les Aïeux (Jacob, Joseph, etc.).
« Ô hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femelle ; Nous vous C’est grâce donc à ce petit « reste » qui ne rompait pas le Pacte, que cet
avons répartis en peuples et en tribus. Le plus noble d’entre vous auprès de Engagement Divin a duré si longtemps en faveur des Israélites, jusqu’à la
Dieu est le plus pieux. Dieu est Omniscient, en vérité, et bien informé ». venue de Jésus. Ce n’est qu’ensuite que Dieu a entériné la rupture défini-
(Coran 49,13) tive du Pacte par la grande majorité des Juifs. Ce n’est pas Dieu qui l’a
La Torah (Ancien Testament), ou Loi (Pacte, Engagement, Alliance) de rompu, ce sont eux. Dieu n’a fait qu’avérer la réalité : il n’y avait même
Dieu envers Israël comprend des droits et des devoirs. Cette Alliance plus un « reste » en Israël pour soutenir Jésus, qui le déplore lui-même :
engage ses dépositaires devant leurs responsabilités : elle les place en face Parlant d’un centurion Romain croyant, il dit : « En vérité je vous le
d’un terrible dilemme : la Bénédiction ou la Malédiction (Lévitique 26, 3 dis : chez personne je n’ai trouvé une telle foi en Israël. Je vous dis que beau-
à 46). coup arriveront du Levant et du Couchant et se mettront à table dans le roy-
La Bénédiction : « Si vous suivez Mes Ordonnances, si vous observez Mes aume des Cieux, tandis que les fils du royaume [d’Israël] seront jetés dans les
Commandements et si vous les pratiquez, Je donnerai vos pluies en leur temps ; ténèbres du dehors : là seront les sanglots et les grincements de dents »
la terre donnera sa récolte... Je mettrai la paix dans le pays... Je vous ferai fruc- (Matthieu 8,10 à 12).
tifier et Je vous multiplierai, et Je maintiendrai Mon Alliance avec vous... Je Le « reste » des Juifs qui ont suivi Jésus n’étaient même pas des gens
suis Yahvé, votre Dieu, qui vous a fait sortir du pays d’Egypte pour que vous instruits dans cette religion, ils n’étaient plus « juifs » que de nom, bien
n’en fussiez plus les esclaves... » qu’ils fussent plus proche de l’esprit de la religion de Moïse que les puri-
La Malédiction : « Mais si vous ne M’écoutez pas, vous sèmerez pour rien tains fiers de leur « Judaïsme » ostentatoire et creux. Cette religion était
votre semence : ce sont vos ennemis qui la mangeront. Je dirigerai Ma Face réellement devenue une « coquille vide », semblable au « sépulcre blanchi »
contre vous et vous serez battus par vos ennemis... Je ferai venir contre vous le dont Jésus parle à propos des Pharisiens hypocrites. Il n’y avait plus de
glaive vengeur qui vengera l’Alliance... J’anéantirai vos hauts lieux... Je Pacte, faute de contractants. Alors Dieu donna une nouvelle direction : de
réduirai vos villes en ruine... » (Lévitique 26, 14 à 39. Extraits). ce « reste » exécré et maudit par les soi-disant « juifs », Dieu fit une petite
Malgré ces Menaces, le Miséricordieux patienta, et cette « Alliance » communauté de Soumis (muslimoun) à Lui : les Nazaréens, c’est à dire les
(Engagement, Pacte) ne fut pas totalement anéantie, car après les terribles « apôtres » et disciples illettrés de Jésus, qui furent violemment excommu-
épreuves auxquelles se sont finalement livrés eux-mêmes les fils d’Israël, niés par les Rabbins et les grandes sectes juives de l’époque, persécutés,
tout au long de leur histoire, il a toujours subsisté, à chaque génération, livrés aux autorités occupantes romaines pour les anéantir. Une « nouvelle »
un « reste » de justes, de repentis, parmi eux. Le Coran atteste de cette religion était donc née, du moins en apparence ; en réalité, ce n’était
vérité perpétuelle. Même de nos jours, il y a encore des fils d’Israël qui se
265 - C’est à dire lors de leur déportation à Babylone qui interviendra quelques siècles
264 - Nous évoquerons plus loin cette question du « Chiloh ». après cette annonce biblique.

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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

qu’une forme nouvelle de l’Islam éternel, puisque la forme « israélite » de tes frères266, un Prophète comme moi : c’est lui que vous écouterez »
ce même Islam éternel était en réalité spirituellement « morte » au regard (Deutéronome 18, 15).
de Dieu : elle avait perdu toute Baraka en s’insurgeant contre Dieu et en Le Pacte (Alliance ou Engagement) comportait Bénédiction et
condamnant Son Messie, qui n’était pourtant venu que pour les sauver. Ils Malédiction. Bénédiction pour ceux qui le respectaient, Malédiction pour
mirent le comble à la Colère Divine et rompirent eux-mêmes ceux qui l’ont violé.
l’Engagement pris par leurs ancêtres sur le mont Sinaï. Dieu ne trahit « Vois, J’ai placé devant toi la vie et le bonheur, la mort et la malheur. Si
jamais Ses Promesses. Il diffère parfois Ses Menaces, par bonté et miséri- tu obéis aux Commandements de Yahvé, ton Dieu,... tu vivras, tu te multi-
corde, mais Il ne Se lie pas d’amitié avec les ennemis de Ses Awliya (Ses plieras et Yahvé ton Dieu te bénira... Mais si ton coeur se détourne et que tu
Proches, Ses Amis). Il a dit dans un Hadith Qudsî rapporté par Son n’écoute pas,... vous périrez sûrement, vous ne prolongerez pas vos jours sur le
Messager : « Quiconque fait la guerre à Mon Walî, Je lui fais la guerre » sol où tu vas entrer... J’en prend aujourd’hui à témoin contre vous le Ciel et la
(Bokhari). Terre : c’est la vie et la mort que J’ai placé devant vous, la Bénédiction et la
Néanmoins, l’Evangile (que Jésus n’a pu révéler complètement en rai- Malédiction » (Deutéronome 30,15 à 19, extraits).
son de l’hostilité de ses adversaires et de l’ignorance de ses quelques parti- Dans le Coran, Dieu confirme cet Engagement qui était vie pour les fils
sans), cet Evangile que Jésus avait commencé à annoncer, n’abolit pas d’Israël, et qu’ils ont finalement rompu unilatéralement par leur
formellement la Torah. Ainsi la « nouvelle religion » nazaréeenne est en reniement :
réalité un « rameau » d’Israël sur lequel va être greffé un autre rameau con- « Dieu avait pris acte de l’Engagement (Mîthâq) des Israélites et suscité
stitué des croyants venus d’autres peuples (Grecs, Anatoliens, Romains, parmi eux douze syndics (chefs, représentants). Il leur dit : « Je suis avec vous !
Arabes, etc.). Cette fusion va constituer le Christianisme primitif. Ce n’est Si vous vous acquittez de la prière, faites l’aumône, croyez en Mes envoyés et
qu’avec la Révélation du Coran, que, véritablement, une Nouvelle les assistez, [si] vous consentez un « prêt généreux » à Dieu, Je vous absoudrai
Législation va remplacer l’Ancienne. Le « Nouveau Testament » n’est donc de vos mauvaises actions et vous ferai assurément entrer dans les jardins arrosés
qu’une survivance partielle de l’Ancien Testament. L’Evangile, en effet, n’a par des ruisseaux. Quiconque parmi vous ferait par la suite preuve d’infidél-
pas été complètement révélé : il ne le sera que dans le Coran, qui est la ité, perdrait le droit chemin.
dernière Parole de Dieu. Mais si les infidèles ont fermé la bouche du « Pour avoir violé leur engagement (Mîthâqahoum), nous les avons mau-
Messie, Dieu a mis le comble à Sa lumière dans Son ultime Message. Et dits et avons rendu leurs cœurs durs. Ils adultérèrent les mots et oublièrent une
Jésus lui-même a pu s’exprimer dans le Coran et désavouer les falsifica- partie de ce qui, [dans l’Ecriture], leur sert d’avertissement. Tu ne cesseras pas
teurs de sa parole, car il ne parlait pas de lui-même mais uniquement au de t’apercevoir de leur perfidie, mis à part un petit nombre d’entre eux.
Nom de Celui qui l’avait envoyé, sa parole était la Parole de Dieu. Mais Excuse-les et ne leur en tiens pas rigueur, car Dieu, en vérité, aime ceux qui
les ténèbres d’alors avaient rejeté la lumière. sont bienveillants ». (Coran 5,12-13)
Quand la mort s’approcha de Moïse, Dieu, selon le Deutéronome (31, Dans le verset suivant, Dieu rappelle qu’Il avait pris acte également,
16 à 18), prévint Moïse en ces termes : « Yahvé dit à Moïse : voici que tu vas ensuite, de l’Engagement (Mîthâqa) des Chrétiens, mais qu’ils ne s’y sont
te coucher parmi tes pères, et ce peuple ira se prostituant à la suite des dieux pas tenu non plus. Les deux Peuples de l’Ecriture qui ont précédé la
de l’étranger, de ce pays dans lequel il va entrer (Canaan, ancienne Palestine). Révélation Coranique ont donc rompu l’Alliance dont ils se réclamaient
Il M’abandonnera et rompra Mon Alliance que J’ai conclue avec lui. Ma et qui assurait leur Bénédiction, leur vie, leur sécurité, leur bonheur dans
Colère s’enflammera contre lui ce jour-là ; Je les abandonnerai et leur cacherai les deux mondes.
Ma Face, en sorte que les dévoreront une multitude de maux et de détresses ». On voit aussi que Dieu nous commande l’indulgence (« Excuse-les et ne
Dieu a donc clairement averti Moïse qu’après leur installation dans la leur en tiens pas rigueur »), car cela fait partie de la bienfaisance que Dieu
Terre promise à Abraham, les fils d’Israël finiront par rompre définitive-
ment leur Alliance qu’ils avaient conclue avec Dieu, et que cette rupture 266 - « D’entre tes frères », c’est à dire : Ismaël et sa descendance. « Du milieu de toi » : c’est
sera sans retour. Dieu lui avait également annoncé que cette législation (de à dire qu’il s’affirmera au milieu d’une ville en partie juive (Yathrib, qui deviendra
la Torah), ce Pouvoir, ne s’écartera pas des fils d’Israël tant qu’ils main- Médine). Les Juifs furent donc les premiers témoins de l’avènement de ce Prophète annoncé
tiendraient l’Alliance, qu’ils en resteront donc les dépositaires jusqu’à la parmi leurs frères (les Arabes). « C’est lui que vous écouterez » : en fait une très petite mino-
venue de « celui » auquel « peuples obéiront ». Celui là (le « Chiloh » dans rité écouta et suivit Mohammed très louangé, et la malédiction de Jésus s’abattit sur eux :
la Torah biblique) n’est donc pas un fils d’Israël, mais un « frère » d’Israël, « Beaucoup arriveront du Levant et du Couchant et se mettront à table dans le royaume
c’est à dire un Ismaélite, puisque Moïse a dit (selon le même Livre) à son des Cieux, tandis que les fils du royaume [d’Israël] seront jetés dans les ténèbres du dehors »
peuple : « L’Eternel, ton Dieu, te suscitera du milieu de toi, d’entre (Matthieu, Op. cit. Ibid.).

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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

attend de nous. Cette bienfaisance (et cette bienveillance envers les Gens est la raison d’être de la religion, le pilier central de toute religion, était
du Livre malgré la perfidie de la majorité d’entre eux à notre égard), fait devenue rare (« rares sont ceux qui parmi eux ont la foi »). Or, lorsque la
partie de l’Engagement qui nous lie à Dieu (la religion musulmane), qui foi déserte un peuple, il faut s’attendre à un cataclysme sur lui. C’est ce qui
est l’Anse la plus solide, la corde qui ne se rompt pas. s’est passé pour les fils d’Israël, et c’est ce qui guette tout peuple qui se met
Dieu signale aussi dans le verset (5,13), comme à plusieurs autres dans une position similaire, y compris dans le « monde musulman » de nos
reprises dans le Coran, qu’il y a toujours un « reste », un « petit nombre » jours, car Dieu est Le Juste (Al-’Adlo), Gloire à Lui.
de justes parmi les Juifs et les Chrétiens, et ceci à chaque génération267. Et « O vous qui avez reçu l’Ecriture ! Notre Envoyé est venu à vous pour met-
si nous devons être indulgents même avec les perfides, combien plus tre en évidence pour vous une grande partie de l’Ecriture que vous cachiez, en
devons-nous l’être avec les justes. Et combien plus encore avec ceux qui négligeant [d’ailleurs] de divulguer bien d’autres choses. Une lumière est venue
entrent en Islam et deviennent nos coreligionaires à part entière ! vers vous ainsi qu’un Livre édifiant, par lequel Dieu guide ceux qui cherchent
Dans les versets suivants (5,15-16), Dieu interpelle tous les Gens du à Lui plaire, vers les sentiers du salut, en les faisant sortir, avec Sa permission,
Livre (Juifs et Chrétiens ensemble) et les appelle à reconnaître leur oubli des ténèbres vers la clarté en les mettant sur la voie droite ». (Coran 5,15-16)
de leurs propres Ecritures, et à accepter la Lumière, le Livre ultime, afin En conséquence de la rupture de l’Alliance par les Juifs (puis plus tard
d’échapper aux ténèbres de l’égarement. par les Chrétiens), Dieu a conclu une dernière Alliance (Mîthâq), qui est
En ce qui concerne plus précisément les fils d’Israël, Dieu signale en la continuité des Engagements antérieurs : il s’agit de la Soumission à Dieu
quoi exactement a consisté leur Rupture de l’Engagement : (qui renoue avec la Tradition Primordiale), dont elle est la continuité et la
« Pour avoir violé leur Engagement, nié les signes de Dieu, assassiné sans réhabilitation parfaite et définitive :
droit les prophètes, déclaré que leurs coeurs étaient insensibles, alors qu’en réal- « Souvenez-vous des bienfaits de Dieu et de l’Engagement (Mîthâqahou)
ité c’est Dieu qui les avait scellés en raison de leur incrédulité, [Nous les avons qui vous a liés envers Lui, lorsque vous avez dit : « Nous avons entendu et nous
maudits], et rares sont ceux qui parmi eux ont la foi. avons obéi ! ». Craignez Dieu, car en vérité Il connaît vos pensées intimes ».
« [Nous les avons également maudits] pour leur mécréance et pour l’horri- (Coran, 5, 7-8)268
ble infâmie qu’ils ont porté contre Marie. Dieu a donc « élargi » l’Engagement ancien des fils d’Israël, que ces
« [Nous les avons également maudits] pour avoir déclaré : « Nous avons tué derniers avaient « confiné » à leur seule lignée au point d’en faire une « reli-
l’Oint (Messie), fils de Marie, Messager de Dieu ! ». (Coran 4,155 à 157 gion raciale », donc limitée. Dieu a commencé à élargir cet Engagement à
début du verset) d’autres peuples après la rupture avec Israël (rupture dont le point culmi-
La Rupture de l’Engagement (Pacte ou Alliance) a donc des causes bien nant, le point de non retour, fut leur rejet de leur Messie puis du Sceau des
précises. Dieu avait patienté et beaucoup pardonné, mais leur violation de Messagers). Ensuite Dieu a encore « élargi » l’Engagement par l’Apostolat de
l’Engagement avait atteint une telle proportion que la Malédiction Mohammed, et ceci à toute l’humanité sans exception. L’avènement du
(prévue dans la Torah pour cette éventualité) c’est finalement accomplie. Sceau des Messagers a ainsi ouvert une phase nouvelle et finale de l’histoire
Et on ne peut pas dire que Dieu n’a pas patienté à leur égard. Les meurtres humaine, avant le Jugement Dernier. La Préférence Divine pour Israël,
des prophètes étaient déjà anciens (Jésus, on l’a vu, le leur reprochait attestée par le Coran, s’est terminée en deux moments forts : l’avènement de
ouvertement), mais en plus, ils ont voulu tuer Jésus, leur ultime sauveur, Jésus, puis celui de Mohammed. L’Engagement des Nazaréens n’était pas
et ont calomnié sa mère, la pure Marie, que Dieu l’agrée. La foi, enfin, qui une rupture totale avec l’Engagement Juif, puisque les premiers Nazaréens
étaient tous Juifs, comme le Messie d’Israël. Cet Engagement Chrétien
267 - Par exemple, au moment de la descente de ce verset, cela faisait six siècles que les occupe donc une position intermédiaire, transitoire, entre la Torah et le
Juifs rejetaient Jésus l’Envoyé de Dieu, et pourtant Dieu considère, malgré ce fait gravis- Coran. Il possède des aspects des deux Messages : il est l’héritier légitime de
sime, qu’il y a toujours un « petit nombre » de justes parmi eux. Cet exemple doit nous pous- la Torah, et l’annonciateur du Coran. Mais il n’est pas à proprement parler
ser à la patience à leur égard, et nous faire comprendre que le meilleur prêche (da‘wa) n’est une nouvelle « législation », puisque Jésus dit clairement dans les évangiles
pas l’arrogance, mais avant tout le bon exemple (associé à la prière en leur faveur pour qu’il confirme et complète cette Loi. Les Chrétiens sont donc en réalité un
qu’ils soient sauvés en acceptant l’Islam), puis ensuite la bonne parole courtoise, la patience rameau du Judaïsme, le plus fidèle même (du moins à l’origine), mais qui
et l’indulgence, ainsi que Dieu nous le commande clairement. Les Gens du Livre font par- s’est rapidement altéré par la « greffe » des autres nations qui y a introduit
tie de Son « héritage » : car Il a aimé leurs aïeux. Et Dieu nous aimera d’avantage encore l’hérésie trinitaire, inspirée des anciens grecs et égyptiens notamment.
si nous nous efforçons de les ramener à Lui, exalté et magnifié soit-Il. C’est ainsi que nous
resterons « la meilleure communauté », en nous montrant fidèles à l’exemple du Prophète 268 - D’après Mohammed Hamidullah : « Et rappelez-vous le bienfait d’Allah sur vous
très louangé, de ses Compagnons et de nos Anciens bien guidés. ainsi que l’Alliance qu’Il a conclue avec vous... » (Coran 5,7).

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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

Le Coran, par contre, et à la différence de l’Evangile (qui n’a même pas Coran, qui restera la Sceau des Engagements jusqu’à la fin des temps, sim-
pu être révélé en son entier, comme le dit Jésus dans les évangiles), est une plement Il surclassera les peuples corrompus par d’autres peuples nouvelle-
rupture législative sensible ; il ouvre une ère nouvelle, qui abolit complète- ment entrés dans l’Islam, ce qui constitue une certaine humiliation et une
ment l’ancienne « alliance » et met fin à la Préférence Divine pour Israël épreuve pour les nations qui ont manqué de constance, mais qui leur per-
(même dans sa forme « nazaréenne », qui était son dernier surgeon vivant met de se « ressourcer » par cette même épreuve et de revenir repentants à
après le dépérissement spirituel de l’Israël « historique »). Dieu. Ainsi, les Arabes (et les Perses), qui dominaient la Oummah, furent
Désormais, ceux qui « s’accrochent » aux « Alliances » révolues, sont en un moment surclassés par les Mamelouks (esclaves d’origine anatolienne),
réalité des shismatiques infidèles à la vraie religion parachevée, en son puis ces derniers par les Turcs (Ottomans). Puis d’autres peuples, aux con-
entier. Il ne possèdent qu’un legs altéré et limité (par eux-mêmes fins de l’empire musulman, se sont islamisés indépendamment de cet
d’ailleurs), et aboli par Dieu, le Savant, le Tout-Puissant, le empire ottoman : en Indonésie, en Afrique Noire, etc. Aujourd’hui, aucun
Miséricordieux. peuple n’exerce plus vraiment d’hégémonie politique ou même culturelle
La Dernière Alliance, perpétuelle et finale, comporte, comme toujours, sur le monde Musulman, et cela facilite même l’Islamisation de tous les
des droits et des devoirs. La Bénédiction est une clause inhérente à ce Pacte peuples : l’Islam est soumission à Dieu, et non pas soumission à un autre
(Mîhâq), tant que nous le respectons. La Malédiction également est une peuple. La langue arabe reste naturellement le vecteur scientifique et
clause inhérente à ce Pacte si nous le rompons. Les péchés graves, comme liturgique de l’Islam, mais aucun peuple en particulier ne dirige toute la
le Polythéisme et l’Athéisme (qui sont de même nature), mais aussi le rejet Oummah : c’est Dieu qui dirige la Oummah sur toute la planète, car Il est
des Proches de Dieu (Awliya), ainsi que l’injustice envers un peuple notre seul Roi véritable, exalté et magnifié soit-Il.
quelqu’il soit (par exemple envers les Chrétiens et les Juifs), peut égale- La Oummah peut et doit s’unir, c’est certain, et c’est un ordre de Dieu
ment constituer une cause de malédiction Divine, ce qui explique les de rester unis ou de se réunir après une désunion, mais dans l’égalité de
épreuves parfois douloureuses qu’ont du traverser certains peuples pour- tous les Musulmans, qui sont « comme les dents d’un même peigne », et
tant islamisés, car Dieu est constant dans Sa Coutume et Sa Justice. parmi lesquels l’Arabe n’est pas supérieur au non-arabe, ainsi que l’a
Dieu nous ordonne l’équité comme Il l’a commandé à tous les Soumis affirmé la Meilleure des créatures, notre Messager bien aimé, le très
depuis Adam, jusqu’à la fin des temps. Dieu le dit : « Souvenez-vous des louangé, qui était le plus Noble par sa piété et non par sa couleur ou sa
bienfaits de Dieu et de l’Engagement qui vous a liés envers Lui, lorsque vous langue ou ses ancêtres, car « O hommes ! Nous vous avons créés d’un mâle et
avez dit : « Nous avons entendu et nous avons obéi ! ». Craignez Dieu car en d’une femelle ; Nous vous avons répartis en peuples et en tribus. Le plus noble
vérité Il connaît vos pensées intimes ». (Coran, 5, 7-8)269 d’entre vous auprès de Dieu est le plus pieux. Dieu est Omniscient, en vérité,
Pas plus que les Juifs ou les Chrétiens, nous ne sommes les « enfants et bien informé ».(Coran 49,13)
chéris » de Dieu. Nous n’avons donc aucun privilège sur eux si nous suiv- Juifs et Chrétiens ont cru être les « enfants chéris » de Dieu, alors même
ons la même voie qui les a fait s’égarer et tomber. Et Dieu nous maudirait qu’ils désobéissaient et persécutaient ses Envoyés, ou déformaient leur
comme Il les a maudit, car Il est Juste. Mais Il n’abolira pas pour autant le message. Ils ont cru être vraiment les « fils » (non pas dans un sens simple-
ment métaphorique, mais naturel, comme si Dieu les avait engendrés per-
269 - Cet Engagement Islamique (Alliance ou Pacte) est la continuité et le Sceau des sonnellement, à l’exclusion des autres peuples). Leur complexe de supéri-
Engagements antérieurs, et ce depuis Adam : « Et quand ton Seigneur tira une descendance orité vient de là : ils ont interprété les métaphores comme désignant des «
des reins des fils d’Adam et les fit témoigner sur eux-mêmes : « Ne suis-Je pas votre réalités naturelles » qui les différenciaient du reste de la création. Des Juifs
Seigneur ? » Ils répondirent : « Mais si, nous en témoignons... » (Coran 7,172. Trad. d’après ont vraiment cru cela : pour eux, les autres hommes ne valaient pas mieux
M. Hamidullah). Ce Témoignage primordial, qui est le corollaire du Dépôt (Amanât) que des animaux, eux seuls étaient les « Fils » du Très-Haut parmi les
primordial (Coran 33,72), et qui détermine aussi la responsabilité ou lieutenance humains. Les Chrétiens, qui firent entrer en masse des non-juifs dans leur
humaine (khalîfat) sur la terre (Coran 2,30), constitue donc un engagement perpétuel qui nouvelle communauté, ont déplacé un peu ce concept fallacieux, et ont
concerne toutes les Révélations successives et tous les Prophètes, et ce depuis Adam jusqu’à fait du seul Jésus, le « Fils unique » de Dieu, spécifiquement « engendré »
Jésus (y compris lors de son retour eschatologique qui assurera le triomphe terrestre final de (et non pas créé), un égal de Dieu, ayant lui-même créé le monde et pos-
l’Islam) : « [Rappelez-vous] quand Dieu reçut cet engagement des prophètes : « Lorsqu’un sédant seul le pouvoir de sauver les humains, notamment par son auto-sac-
messager viendra pour confirmer ce que vous aurez reçu de Moi comme Ecriture et comme rifice sur la croix, par lequel il « a vaincu la mort » (comme si Dieu n’avait
sagesse, vous croirez en lui et lui apporterez votre soutien ! Y consentez-vous, ajouta-t-il, et pas « vaincu » la mort, comme toute autre chose, de toute éternité !).
vous chargerez-vous de cette [responsabilité] ? - Nous y consentons ! dirent-ils. - Soyez Juifs et Chrétiens, comme tous les autres humains, ne sont que les
témoins et Je serai parmi ceux qui attestent », dit-Il. » (Coran 3,81. Trad. H. Boubakeur). enfants d’Adam et Eve. Les métaphores « filiales » n’avaient pour but que
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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

« d’illustrer » la Miséricorde de Dieu, car c’est dans les rapports humains teur au Jugement Dernier. En rejetant l’Envoyé de Dieu, en blasphémant
filiaux qu’elle s’exprime le mieux. Cette filialité humaine « reflète » sur son compte, en le déifiant contre sa volonté, ils l’ont comme « expulsé »
l’Attribut de Miséricorde qui appartient absolument à Dieu. En Islam au Ciel et se sont ainsi débarassés de son exemplarité : comment en effet,
aussi, le Prophète a utilisé des métaphores, comparant, par exemple, la imiter ou même suivre un « dieu » ? C’est pourquoi la décadence morale
miséricorde de Dieu à l’amour d’une « mère » pour son enfant270, mais ce du monde chrétien a atteint des abîmes qu’aucune communauté précé-
ne sont là que des paraboles (comme celles de Jésus) pour faire compren- dente n’avait atteints. Désormais, la seule voie du salut, la seule porte
dre des réalités plus hautes, car l’intellect comprend grâce à de tels sym- ouvrant sur la Paradis, passe par Mohammed, sur lui la grâce Divine et la
boles et « représentations » mentales. Tout « Signe » de Dieu est métaphore, paix, qui a dit : « Ceux qui refusent d’entrer au Paradis, sont ceux qui refusent
image, symbole, parabole, car Lui, en Son Essence, est au-delà de toute de m’obéir ».
représentation, et même de toute mention. Quand Dieu évoque Ses
Mains, Sa Parole, Son regard, Son Trône, etc., on sait bien que ces men-
tions évoquent des réalités transcendantales inaccessibles à notre entende-
ment. Dieu nous a parlé avec nos mots, pour que nous Le comprenions, à
condition toutefois que nous fassions l’effort de méditer Son Message, et
que nous acceptions d’emblée le fait qu’Il « exprime » en quelque sorte
l’Inexprimable. C’est pourquoi Dieu dit qu’il y a des versets clairs dans le
Coran, explicites, et d’autres qui sont ambigus et dont l’interprétation se
trouve auprès de Dieu. Mais ces versets ne sont pas les mêmes pour cha-
cun. Chaque Savant a son degré de comphéhension. Pour ceux qui sont
auprès de Dieu (spirituellement), les Awliya, il n’y a plus pour eux de ver-
set obscur, alors que tout le Coran est obscur pour l’ignorant : il est
Lumière seulement pour ceux dont les coeurs sont limpides. Ils voient
clairement cette Lumière dans leur tréfonds, et goûtent en conséquence la
Sérénité (Sakinah) qu’elle procure.
Juifs et Chrétiens ne sont donc que les enfants d’Adam et Eve, comme
tous les autres humains. Ce n’est que métaphoriquement que la Bible
appelle « fils de Dieu » les bons serviteurs de Dieu, et « fils du Diable » les
rebelles. La chose était très claire mais les Juifs ont réellement fini par
penser qu’ils étaient les fils engendrés par Dieu à l’exclusion des autres
humains. Les Chrétiens ont fini également par penser la même chose, et
ont divinisé carrément le Messie que Dieu avait envoyé aux Juifs. Ils sont
donc tous dans l’erreur à l’égard du Messie : les uns l’ont traité de sorcier,
les autres l’ont déifié. Et le péché le plus grave est le second, bien que le
premier soit gravissime, puisqu’il est la cause de la rupture finale de
l’Engagement (Pacte) des Juifs envers Dieu, et de la fin de la Préférence
Divine pour Israël.
En divinisant Jésus, les Chrétiens ont rompu cette « Alliance » de façon
encore plus nette, puisqu’ils ont introduit de fait un Polythéisme (la
trinité) dans la religion qu’ils ont ainsi fourvoyée. Jésus sera leur accusa-

270 - Al-Bokhari rapporte (d’après `Omar) qu’un jour, l’Envoyé et ses Compagnons
virent une femme qui allaitait un nourrisson. Le Prophète demanda alors à ses
Compagnons : - « A votre avis, cette femme jetterait-elle son enfant dans le feu ? - Non,
répondîmes-nous, elle n’a pas été destinée par Dieu à l’y jeter. - Alors, observa-t-il, Dieu
sera encore plus compatissant envers Ses serviteurs que celle-ci envers son enfant ».

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Moïse, Jesus et Mohammed

LE « BÉNI » ses frères sédentaires et en opposition avec eux. Les traits de l’ancêtre carac-
térisent ses descendants, les nomades ismaëlites ».271
Ce passage biblique (Genèse) semble annoncer des heurts, mais aux-
quels les Ismaëlites survivront toujours (« il demeurera en face de tous ses
frères »), et nul ne pourra donc les asservir durablement272. Et on peut
effectivement constater certains de ces traits de caractère chez les Arabes,
dont la culture singulière comporte effectivement un sens hypertrophié de
l’honneur, plus poussé encore que dans les autres peuples sémitiques.
Avant l’Islam, ils étaient particulièrement belliqueux et orgueilleux. La
Part. VI Chap. IV fierté possède aussi un aspect positif : lorsqu’elle est bien canalisée et placée
dans de nobles idéaux (la religion est la seule chose dont on a le droit d’être
fier selon le Messager), cela peut apporter de très belles réalisations, tant
sur le plan individuel que collectif, et dans tous les domaines de la vie
Ismaël est présenté, dans la Bible, comme un « onagre d’homme », c’est humaine, dans ce qui est licite. Mais mal placée (dans l’orgueil tribal,
à dire un « âne sauvage », (c’est à dire zoologiquement proche du zèbre), un l’amour passionné des biens terrestres, etc.), elle peut être au contraire la
animal réputé indomptable (Genèse 16, 10). On peut trouver, dans cette cause des plus graves désordres. Les sens de l’honneur est donc « à double
comparaison, un caractère péjoratif, car l’âne en général est également tranchant ». Jaloux et impulsifs, les Arabes pré-islamiques utilisaient leur
réputé buté, têtu, imprévisible et peu intelligent. Les Juifs ne manquaient énergie en pure perte en se livrant à des guerres tribales au moindre pré-
d’ailleurs pas d’exprimer leur complexe de supériorité contre tous ceux qui texte. La guerre avait fini par devenir un quasi-jeu, qui ne cessait que pour
n’étaient pas, comme eux, des soi-disant « fils de Dieu » supérieurs, et quatre mois sacrés, les huit autres étant consacrés aux tueries, aux razzias,
notamment les Arabes. Néanmoins, les Juifs savent que les Ismaélites sont aux vengeances. Ils ne connaissaient pas ou feignaient d’ignorer la loi du
leurs frères (par Abraham), possédant une langue et une culture voisines, talion qui limite le droit à la vengeance. Leur « Justice » du temps de
et, depuis l’avènement de l’Islam, une religion très semblable. En effet, l’Ignorance (Jahiliya) n’avait rien à voir avec celle ordonnée par Dieu (dans
excepté en ce qui concerne la croyance au Messie Jésus, il n’y a pas de la Torah, puis l’Evangile, puis le Coran). Il faut dire, à leur décharge, que
grande divergence fondamentale théologique entre l’Islam et le Judaïsme, les Gens du Livre, autour d’eux, ne se comportaient pas beaucoup mieux,
mais au contraire énormément de points communs, plus encore qu’avec le voire aussi mal, ce qui n’était pas de nature à leur montrer le bon exemple,
Christianisme (tel qu’il est devenu à partir du 4ème s. ap. J.-C.). C’est nor- alors qu’eux-mêmes n’avaient pas encore reçu de Livre de Dieu dans leur
mal, puisque ces deux formes religieuses proviennent de la même source langue pour être guidés.
Divine. Une fois islamisés, les Arabes, avec leur caractère impétueux, dirigèrent
« L’Ange de Yahvé lui dit (à Agar) : Voici que tu es enceinte et tu enfantera donc leur vitalité vers de plus nobles motifs, et cela devint un bien pour
un fils, et tu l’appelleras du nom d’Ismaël, car Yavhé a entendu ta misère. tout le genre humain. Leur sens élevé de l’honneur, canalisé par l’Islam, les
Celui-ci sera un onagre d’homme, sa main sera contre tous et la main de tous rendait particulièrement longanimes et miséricordieux à l’égard des vain-
contre lui, et il demeurera en face de tous ses frères » (Genèse 16,10). cus, ce qui était tout à fait nouveau dans l’histoire de l’humanité, ainsi que
On voit à la lecture de ce passage que Dieu envoie un Ange à Agar, ce l’ont fait observer d’éminents historiens de tous les horizons. Leurs senti-
qui indique son haut degré spirituel, et que c’est Dieu qui nomme Lui- ments chevaleresques influencèrent toutes les civilisations médiévales.
même Ismaël (qui signifie Dieu entend : « car Dieu a entendu »). Dieu L’Islam a débarrassé les Arabes de leurs « défauts » pour en faire des qual-
annonce qu’Il protègera la descendance d’Ismaël malgré l’hostilité
éventuelle de ses frères (c’est à dire Israël, Madian, Edom, etc.), et ceci en 271 - La Bible Osty. Op. cit.
lui donnant un caractère indomptable et courageux. Si c’est Dieu Lui- 272 - On peut constaster aussi que les Arabes, qui constituent un peuple très ancien, ont
même qui a fait cette comparaison, c’est qu’elle n’a rien de péjoratif, au traversé toute l’histoire en conservant à peu près leur langue originelle, ce qui est un fait
contraire, car dans cette comparaison, l’onagre est un animal « noble », unique en son genre et nous fait dire que le peuple Arabe est, plus que tout autre, le der-
humble certes, mais libre et respectable. nier vrai représentant des peuples anciens. Ceci donne une résonance particulière au ver-
Emile Osty, le traducteur de la Bible que nous citons dans notre présent set biblique : « et il demeurera en face de tous ses frères ». Et ce n’est pas par hasard si Dieu
ouvrage, dit dans ses notes : « Un onagre d’homme : un homme comme un les a choisis pour être un trait d’union vivant entre l’antiquité et la fin des Temps, et entre
âne sauvage, c’est à dire indépendant, vagabond, batailleur, vivant à l’écart de tous les peuples, en tant que porteurs de Son ultime Message.

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Moïse, Jesus et Mohammed

ités au service de Dieu et du genre humain. Auparavant, leur amour DU MONOTHÉISME AU POLYTHÉISME
effréné des plaisirs terrestres, des richesses, du vin, de la guerre, du vol,
etc., les condamnait à l’errance en ce monde et à l’enfer dans l’autre
monde. Et toute culture ancienne laisse des séquelles. En s’éloignant de la
voie droite suivie par les Compagnons du Prophètes, les générations suiv-
antes retombèrent dans les travers de leurs ancêtres, à l’instar de tous les
autres peuples antérieurs, qui s’étaient corrompus après avoir été guidés.
Mais l’Islam étant l’ultime religion, Dieu éprouve chaque peuple de cette
dernière communauté jusqu’à ce qu’il retrouve la bonne voie : car il n’y a
pas d’autre échappatoire que vers Dieu. Et ceci est valable pour tous les Part. VI - Chap. V
peuples musulmans de la planète, pas seulement pour les Arabes, chaque
culture possédant ses caractères propres, positifs et négatifs. Les caractères
positifs sont valorisés par l’Islam, les négatifs sont neutralisés par l’Islam
(voire « retournés » en aspects positifs). Par contre si les aspect négatifs Une des constantes historiques observées dans tous les peuples, est la
d’une culture, quelle qu’elle soit, réaparaissent et l’emportent de fait sur la tendance générale à la dégénérescence du Monothéisme vers le Poly-
religion, et « refont surface », alors l’ignorance triomphe, même sous le « théisme. La Tradition Métaphysique Primordiale (ou Islam Adamique)
vernis » apparent de l’Islam. La confusion s’installe même souvent, et des était un monisme et un monothéisme absolus. Cheikh Abdel Wahid René
innovations blâmables (en fait souvent des résurgences de l’ancienne cul- Guénon l’a scientifiquement démontré, mais cette vérité était déjà attestée
ture), parviennent à se faire « islamiser » et dénaturent ainsi la voie droite. par la Bible et le Coran. Ce processus de dégénérescence spirituelle est
Mais heureusement, Dieu veille, S’étant fait Lui-même le Gardien de Son donc universel. Le stade ultime du Polythéisme est l’Athéisme, mais le rap-
Coran, et suscitant, de siècle en siècle, des revivificateurs de Sa religion port à l’existence (l’amour des passions terrestres) est exactement le même
authentique. dans ces deux formes de négation.
Ismaël est, selon la Genèse (17,20), « béni ». Sa descendance profite de Les Arabes, monothéistes à l’origine, avaient finalement affublé Allâh
cette Bénédiction (Baraka). Mais, excepté pour les Hunafa, fidèles à leurs (le Dieu unique) d’autres « divinités », et notamment de « Filles » (ce qui les
ancêtres Abraham et Ismaël, la plupart des Ismaélites tombèrent dans le différenciait des Juifs et des Chrétiens qui avaient plutôt affublé Dieu de
polythéisme, en adoptant les religions de leurs voisins, jusqu’à la venue du « Fils »). Ces « Filles » étaient peut-être, à l’origine, de simples Anges, mais
Sceau des Messagers, Mohammed, sur lui la grâce Divine et la paix. féminisés et déifiés.273 Le même processus avait été observé chez les
Hindouistes (ou Brahmanistes). L’Hindouisme est un ensemble de reli-
gions dans lesquelles Brahman est le « Dieu » suprême originel, et dont les
« hypostases » sont nombreuses et constituent autant d’émanations de lui-
même, en entités séparées, parfois même en conflit entre elles. Les trois
grands « dieux » principaux (une trinité supérieure), sont Brahma, Vishnou
et Shiva, puis viennent toute l’armée des autres « dieux » principaux et sec-
ondaires, chaque secte ayant ses divinités de prédilection parmi ce pan-
théon surpeuplé. Ces « divinités » sont certainement des déifications de
personnages légendaires et d’Anges, et pour certains probablement aussi,
la personnification de Noms et Attributs du Dieu Unique Primordial. Ce
phénomène d’involution spirituelle date de la plus haute antiquité et a
touché tous les peuples. La division de l’humanité en plusieurs groupes
ethniques a également favorisé l’émergence du polythéisme. En concluant
des traités et des alliances entre eux, différents groupes devaient parfois
adopter, comme gage d’union, les noms de la divinité de leurs alliés. Des

273 - On évoque les Anges au masculin, mais ils ne sont pas sexués, contrairement aux
Génies (Djinns).

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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

poètes (comme Homère chez les Grecs) inventaient ou harmonisaient les expressions métaphoriques (fils, père, engendré, etc.) dans un sens
ensuite des histoires légendaires pour articuler le tout, créer des liens obvie, par manque de vision spirituelle, par aveuglement du cœur.
(familiaux ou autres) entre leurs « dieux ». Ainsi des mythologies se sont Le Coran est tellement clair et insistant sur cette question du
constituées et ont dénaturé les derniers restes de la religion primordiale monothéisme absolu, qu’il est impossible pour un croyant de retomber
adamique dans tous les peuples et langues. dans le Polythéisme formel, classique. Mais un polythéisme (shirk) plus
Les Juifs et les Chrétiens ont également été touchés par ce processus subtil en apparence, guette malgré tout les croyants, qui ne sont pas à
d’involution universel. Ainsi, des tentations « polythéistes » ont marqué l’abri des ruses du Diable (que Dieu nous en protège) et qui peut consis-
toute l’histoire du Judaïsme. Le langage métaphorique « filial », qui avait ter en l’auto-adoration de nos propres passions. Et on voit que chez les
pour but initial de contrer cette tendance, en développant le sens « d’ap- idolâtres, les « divinités » étaient déjà, de fait, des hyperboles, des projec-
partenance mutuelle » d’Israël à l’égard de Dieu (Il est « notre » Dieu, et tions des passions humaines, appliquées aux « dieux », taillés à l’image de
nous sommes à Lui, tandis que les autres peuples « appartiennent » aux l’homme, voire même de l’animal ! Le « shirk » peut être aussi simplement
Idoles), a été détourné de son rôle psychologique protecteur pour aboutir l’oubli de Dieu, l’ignorance et l’ingratitude à Son égard, car en ce cas, le
à l’effet inverse. C’est ainsi que les métaphores « filiales » ont fini par ne cœur se met naturellement à adorer ce que l’âme (et les esprits sataniques)
plus être comprises comme telles et ont même été utilisées pour accréditer lui inspirent, car nous avons une propension naturelle qui nous pousse à
de vraies hérésies néo-idolâtriques. Le Christianisme en est un exemple adorer. Si cette propension ne trouve pas son destinataire (le Seul digne
encore plus récent et significatif, puisque l’hérésie trinitaire a consacré la d’être adoré) alors, cette tendance naturelle à l’adoration se portera sur
déification de deux créatures à côté de Dieu : Jésus et le Saint Esprit (or ce tout autre être ou chose créés. Cette déviation engendre aussi bien le
dernier désigne en réalité aussi bien les Anges que l’Esprit de sainteté qui Polythéisme que l’Athéisme, qui sont en réalité une seule et même chose,
est une grâce accordée par Dieu à certains de Ses élus, mais qui ne les car celui qui a plusieurs « dieux » n’en a aucun en réalité. La « relation » avec
transforme pas pour autant en « dieux »). L’Esprit procède de l’Ordre de l’Unique (l’Adoration véritable) est exclusive par nature. Et si Dieu est
Dieu, dit le Coran. Dans les évangiles, le terme désigne la même chose : Jaloux, c’est parce qu’Il est Unique, et a honte de nous lorsque nous
un ordre sanctificateur provenant de Dieu, par lequel Dieu choisit Ses adorons le néant, alors qu’Il nous a tout donné (dans l’intellect et le cœur)
élus, Ses prophètes, Ses véridiques, Ses anges, etc. Il désigne donc égale- pour nous faire voir et aimer la Vérité.
ment le « Paraclet » à venir, le « Chiloh », le « Béni qui vient au Nom du Le négateur (kâfir) sacrifie ses efforts et ses biens pour ses fausses
Seigneur », c’est à dire celui qui sera très louangé : Mohammed ou Ahmad. divinités (ses passions, qu’elles soient ou non « représentées » par des idoles
La Théologie Musulmane est donc la seule qui soit parfaitement con- formelles), mais qui ne lui seront d’aucun secours lors du Jugement
forme à la Tradition Primordiale. Elle est la vérité parfaite. Dieu nous a Dernier, bien au contraire. Même ses membres le désavoueront, ainsi que
donné un Coran définitif qui a expurgé toutes les expressions les êtres et objets qu’il a suivi aveuglément.
métaphoriques qui ont fait achopper les Gens du Livre. Le but de ces « Te crois-tu l’avocat de celui qui fait de sa passion une divinité ?
expressions métaphoriques n’était certes pas de les faire trébucher, mais au T’imagines-tu que la plupart d’entre eux entendent et comprennent ? Ils ne
contraire de les guider par des paraboles, « illustrant » l’indicible par des sont comparables qu’à des bestiaux. Ils sont, en [leur chemin] plus égarés
exemples pris dans la vie humaine (l’amour filial, la jalousie conjugale, encore ». (Coran 25,43-44)
etc.). Ce style était adapté à l’univers mental des anciens qui comprenaient Il y avait, en Canaan (actuellement Palestine-Liban), une « prostitution
parfaitement les langages allusifs et les symboles fondamentaux des sci- sacrée », ainsi que dans d’autres endroits du monde antique. Les « fidèles »
ences sacrées. Mais avec la régression spirituelle qui a commencé à frapper de certaines sectes polythéistes avaient des rapports sexuels avec les «
l’humanité depuis l’antiquité, et qui s’est généralisée entre l’époque de prêtresses » de telle ou telle divinité, pour se rendre les idoles propices,
Jésus et celle de Mohammed (appelée en arabe l’époque du Fatrah, ou moyennant finance. Ils pensaient ainsi faire « d’une pierre deux coup » : un
confusion, incertitude), Dieu a parlé un nouveau langage (dans la forme, plaisir terrestre et une « bénédiction divine », mais ils n’étaient en réalité
car dans le fond Sa Parole ne varie pas), afin d’être mieux compris par des que les jouets du Diable sous ses différentes facettes. Certains « dieux »
humains de plus en plus insensibles aux réalités spirituelles, et aveuglés par exigeaient même du sang humain ! Et des parents leur sacrifiaient leur pro-
les illusions matérielles. Le triomphe du matérialisme, dans les derniers pres enfants. C’est pourquoi Abraham était prêt à sacrifier son fils : les
siècles, n’est que le résultat moderne de cette dérive déjà ancienne. négateurs de l’Unique adoraient leurs faux dieux au point de tuer leurs fils,
Ainsi, Dieu, dans le Coran, désavoue totalement ceux qui avaient pris et lui hésiterait pour obéir au vrai Dieu ? Il était prêt à s’exécuter (et son
fils aussi, à se laisser immoler), quand Dieu leur montra qu’Il ne demande
pas de tels sacrifices. Il ne s’agissait là que de pratiques païennes que Dieu
232 233
Moïse, Jesus et Mohammed

réprouvait depuis toujours et à jamais, des inventions diaboliques, que LE « CHILOH »


Dieu nous en préserve. Et Dieu, par Abraham, montra également aux
Anges et à toute la création, l’amour que lui portait Son Ami. Les idolâtres
sacrifiaient leurs enfants en pensant tirer un profit de leurs faux dieux.
Abraham, lui, a obéi avec désintéressement, sans rien demander à Dieu en
échange, et « la mort dans l’âme », contrit, mais complètement Soumis et
résigné, s’abandonnant entièrement à Son créateur qui donne la vie et qui
donne aussi la mort. Abraham a remporté une victoire, pour l’amour de
Dieu, sur tous les idolâtres, pour toujours. C’est pourquoi il est le « pre-
mier des soumis » (dans sa génération), le père des croyants et l’Ami de Part. VI - Chap. VI
Dieu, sur lui la grâce Divine et la paix. Et c’est pourquoi Dieu lui a donné
une descendance illustre de Prophètes jusqu’à la fin des temps, et notam-
ment en Mohammed et Jésus, qui sont les deux frères les plus proches en
Dieu, ainsi que l’a dévoilé le Sceau des Messagers, sur eux deux la grâce La Torah (Genèse 49,10) dit : « Le Sceptre du pouvoir ne s’écartera pas de
Divine et la paix. Juda, ni le bâton du Chef (ou Législateur) d’entre ses pieds, jusqu’à la venue
C’est donc à cause de leur insoumission à Dieu et à Ses Prophètes, que de Chiloh, à lui les peuples obéiront ».
Dieu a finalement maudit les fils d’Israël, par la bouche même des Les exégètes et traducteurs Juifs et Chrétiens divergent sur l’interpréta-
Prophètes qu’ils ont voulu assassiner. Ainsi, Malachie qui dit (au Nom de tion de ce mot : « Chiloh ». Ils sont par contre d’accord pour dire que ce
Dieu) dans la Bible (livres des « Douze Prophètes ») : « De Malédiction vous n’est pas un nom propre mais qu’il désigne simplement le mot « celui... ».
êtes maudits, car Moi, vous Me fraudez, oui, la nation toute entière ! » Chiloh veut dire « celui ».
(Malachie 3,9). Voici ce qu’en dit Emile Osty (Op. cit. p. 131) :
« Chiloh, terme énigmatique diversement interprété ou corrigé. La lecture :
« jusqu’à ce qu’il vienne à Silo », n’offre pas un sens acceptable. Grec et Latin :
« jusqu’à ce que vienne ce qui lui est réservé ». Version de Symmaque : « celui à
qui il (le « bâton de chef ») est réservé ». Targum d’Onkélos : « celui à qui
appartient la royauté ». En rapprochant Ezéchiel 21,32 : « celui à qui appar-
tient le droit », on pourrait comprendre : « celui à qui (sous-entendu : le bâton
de chef appartient) ». De toute façon, c’est la désignation voilée de quelqu’un :
Juda détient l’autorité jusqu’à la venue d’un personnage auquel « les peuples
obéiront ». L’oracle se développe ainsi dans la perspective et l’attente d’un roi «
messianique » idéal, même s’il vise d’abord David et sa dynastie. La Vulgate
traduit ainsi : « celui qui doit être envoyé ». (E. Osty).
Or, cette interprétation (relative à David et sa descendance) est évidem-
ment fausse, puisque David et sa descendance (dont Jésus) sont descen-
dants de Juda. Il est clair que le « Chiloh » n’est pas Juif, sinon ce passage
de la Torah (Genèse 49,10), perd tout son sens. Et l’affirmation d’Emile
Osty (relative à David) est de toute évidence une grossière erreur. Juda en
effet, est synonyme d’Israël. Par ailleurs, « les peuples » n’ont jamais obéi
aux prophètes juifs, contrairement aux nombreux peuples qui ont cru au
Coran et obéi au Prophète Mohammed, sur lui la grâce Divine et la paix.
Ce « Chiloh » qui marque la rupture de la lignée prophétique juive, vient
donc dans une autre lignée que celle de Juda (Israël). Etant annoncé parmi
« les frères » d’Israël, ce « Chiloh » apparaît effectivement dans la lignée du
« Béni » (Ismaël) dont parle l’Ancien Testament, et qui n’est autre que le «
Paraclet » confimé dans le Nouveau Testament. Le Chiloh est celui qui tri-
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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

omphe sur terre (et dans le Ciel) après le rejet du Messie Jésus (fils d’Israël tous deux reçoivent la Révélation dans des conditions analogues276, tous
et de Juda) par les Juifs, Jésus a transmis le « Septre » à Mohammed (sur deux conduisent un peuple, tous deux conduisent une Hégire (un Exode),
eux deux la grâce Divine et la paix). tous deux reviennent vers une terre sainte, promise par Dieu, tous deux
Ce « Chiloh » fut donc annoncé par Moïse dans la Genèse (premier apportent une législation nouvelle (la Torah, le Coran), tous deux sont com-
rouleau de la Torah). Ainsi, quand Dieu reçut l’Engagement (Alliance, battus par une partie de leurs frères, tous deux mènent des guerres contre les
Testament) des fils d’Israël, Dieu avertit cette communauté d’un évènement mécréants qui les oppressent, tous deux accomplissent des miracles
considérable survenant dans leur descendance : la Malédiction après la grandioses et tiennent tête à de puissantes nations adverses.
Bénédiction, c’est à dire que la prophétie leur sera finalement retirée, sur Certains miracles opérés - par la grâce de Dieu - à travers Moïse sont
demande de Jésus et permission de Dieu, pour être confiée au « Chiloh » plus « extraordinaires » que ceux opérés par Jésus. On sous-estime égale-
auquel « les peuples obéiront ». C’est bien là la fin du pouvoir spirituel ment les miracles attribués à Mohammed et on veut les réduire au seul
d’Israël et de la Législation ancienne (Torah). Elle n’est pas complètement Coran. Pourtant des faits encore plus étonnants eurent lieu par son
abolie avec Jésus (qui ouvre une période « intermédiaire » et annonce la nou- entremise : la fente de la lune est un miracle encore plus grandiose que la
velle législation à venir). Les premiers Chrétiens (Nazaréeens) sont donc les fente de la mer par Moïse. Beaucoup d’autres miracles sont attestés par les
héritiers et les dépositaires de cette ancienne loi, aménagée et complétée, Compagnons et biographes du Prophète.277 Et notamment l’Ascension,
mais non abolie formellement par Jésus, qui est fils d’Israël et descendant de des victoires militaires inexplicables, avec intervention d’Anges combat-
Juda et a donc détenu le Sceptre de son aïeul jusqu’à la venue du « Chiloh » tants, la multiplication de nourriture en certaines occasions, etc. Ce sont
parmi les frères d’Israël (les Ismaélites). les tendances « rationalistes » (notamment Mu’tazilites, puis de nos jours,
La Torah ne prend donc réellement fin qu’avec l’avènement du Coran, pseudo-salafites), qui veulent amoindrir les miracles prophétiques
qui réaffirme avec force l’Unicité Divine (altérée par les trinitaires qui ont (mu‘jiza) et nier ceux des saints (karâma).
subjugué la chrétienté). Le Coran confirme certes la Torah (et le véritable On voit donc que ce Prophète, d’entre les « frères » d’Israël (et non d’en-
Evangile de Jésus), mais la remplace comme code de loi, comme nouvelle tre leurs « fils ») ne peut en aucun cas être Jésus, interprétation faite par les
législation, comme nouveau « Sceptre » ou « bâton de commandement », Chrétiens trinitaires, car Jésus, outre qu’il n’est pas un « frère » mais un fils
tout comme une « constitution » en remplace une autre dans un Etat donné. d’Israël, a rempli une mission qui a très peu de similitudes avec celle de
Moïse dit (Deutéronome 18,15 à 22) : « L’Eternel, ton Dieu, te suscitera du Moïse, sur eux la paix. Le « Chiloh » est donc bien un descendant d’Ismaël
milieu de toi, d’entre tes frères, un Prophète comme moi : c’est lui que vous (le « Béni »). C’est en lui que se réalise la promesse faite à Abraham et à
écouterez ». Agar selon la Bible :
Ce « Chiloh », ce nouvel Envoyé béni est donc un « frère » et non un « fils » « A l’égard d’Ismaël, Je t’ai entendu. Je le bénirai, Je le rendrai fécond et le
d’Israël. Il ne peut s’agir d’un fils de Qétoura (3ème épouse d’Abraham), multiplierai à l’extrême ; il engendrera douze chefs, et Je ferai de lui une
comme par exemple le prophète Chuayb (Jethro dans la Bible), le beau-père grande nation ». (Genèse 17, 20).
de Moïse. C’était certes un Envoyé de Dieu auprès de ses frères Madianites Or, jusqu’à la venue de Mohammed très louangé, les Arabes n’étaient
(Madian était le fils d’Abraham et de Qétoura), mais les Madianites dans qu’une petite nation. On ne peut dire qu’ils s’étaient multipliés « à l’ex-
leur grande majorité ne crûrent pas en Chuayb et Dieu finit par les anéan- trême ». Ce n’est qu’après leur conversion à l’Islam que les Arabes s’é-
tir dans un cataclysme.274 Le Chiloh ne peut donc être Chuayb, car aucun tendirent sur la terre, et apportèrent la nouvelle Foi, leur langue (et même
peuple ne lui a obéi, pas même le sien.
Le Prophète (« Chiloh ») annoncé par Moïse est un prophète comme 276 - Quand ils recevaient la Révélation, ils avaient des troubles physiques : rougeurs,
Moïse : « un prophète comme moi : c’est lui que vous écouterez ». Pourquoi pré- tremblements, ils ressentaient le besoin de se couvrir d’une couverture, etc.
ciser « comme moi » ? 277 - L’année même de sa naissance, Dieu sauva miraculeusement la Kaaba de la des-
Parce que les similitudes entre Mohammed et Moïse sont évidentes :275 truction prévue par une armée de Chrétiens yéménites. Son grand-père avait redécouvert
la source perdue de Zem-Zem. Un Ange lui ouvrit la poitrine alors qu’il avait environ cinq
274 - Ils disparurent donc en tant que nation distincte, mais comme toujours, un « reste » ans. Un nuage le couvrait durant son enfance dans ses déplacements dans le désert. Il pos-
de croyants fidèles à Chuayb, s’intégra certainement, pour certains, à Israël (comme sa fille, sédait une marque entre les deux omoplates qui était un signe à l’attention d’un savant
l’épouse de Moïse), et pour d’autres, aux Ismaélites. Chrétien (Bahira), etc. Et les miracles ne cessèrent qu’à sa mort, et encore ! (car tous les
275 - Selon la Bible, Moïse était impulsif. Selon le Coran (et les premiers Musulmans), saints affirment que leurs propres charismes ou Karamat sont des miracles « posthumes »
Mohammed était au contraire doux (Coran 3,159). Mais « comme moi » ne s’applique pas provenant du Prophète, qui certes n’est pas mort mais est vivant auprès de Dieu). Cf. Ibn
à leur caractère, mais à leur valeur spirituelle et surtout aux similitudes de leurs Missions. Ishâq, Ibn Hishâm. Muhammad. Ed. al-Bouraq, 2001

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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

leur « filiation ») à d’autres peuples, avec lesquels ils se mélèrent au point pas par hasard non plus qu’Il a réservé un fils d’Israël (Jésus) pour détru-
d’engendrer la plus grande nation terrestre : la Oummah musulmane. ire le faux Messie (l’Antéchrist) à la fin des temps, aux côtés d’un saint fils
Cette grande nation est également grande dans la façon dont elle a tran- d’Ismaël (et de Mohammed) : Al-Mahdi. Sur eux la grâce Divine et la paix.
scendé, grâce à l’Islam, les barrières raciales et ethniques. En effet, le Aucun peuple, excepté une petite partie des Juifs, n’a obéi aux
Prophète a, sur ordre de Dieu, déterminé les nouveaux - et véritables - prophètes d’Israël. Aucun peuple n’a obéi à Jésus. Son propre peuple l’a
critères de la « Noblesse » : ni la race, ni la langue, mais la foi seule, la piété. violemment rejeté, entaînant même la Rupture de l’Alliance (Mîthâq en
Et il ajoutait, à l’adresse des Arabes (quelquefois jaloux et fiers de leur arabe) avec Dieu. Quant aux vrais Chrétiens (les Nazaréens primitifs,
lignée comme de leur patrimoine culturel) ceci : « Même si votre Khalife est appelés Ariens à partir du 4ème s.), ils seront exterminés par les hérétiques
un esclave d’Abyssinie, obéissez-lui ». trinitaires : Jésus n’aura ainsi plus du tout de peuple fidèle à son enseigne-
Les Juifs, sur cette question « ethnique » avaient gravement péché par ment. Quant à ceux qui se diront ensuite Chrétiens et qui l’ont divinisé,
orgueil, en voulant « s’approprier Dieu » pour eux seuls, en Le « réduisant il lui ont désobéi encore plus gravement que les Juifs, en blasphémant con-
» au rôle de « dieu national », à l’instar de certains peuples païens « tre l’Esprit de Sainteté qu’il a reçu de Dieu et en le déifiant, ce qui con-
monolâtres » (c’est à dire adorant une seule Idole « tribale » sensée les priv- stitue le péché le plus grave qui soit. Il les désavouera totalement et sera
ilégier à l’exclusion des autres peuples). même leur Accusateur personnel au Jugement Dernier, et ils ne trouveront
Aucun peuple n’a durablement obéi à un Prophète. Et à cet égard aucun avocat, aucun intercesseur, car le polythéisme est ce « péché contre
d’ailleurs, on peut noter que ce sont les fils d’Israël, dans l’antiquité, qui l’Esprit Saint », irrémissible (selon les versions évangéliques). Mourir dans
ont malgré tout été les plus fidèles à Dieu l’Unique durant si longtemps, cet état ne laisse en effet aucune chance à l’être humain en perdition. Jésus
et c’est aussi pourquoi Dieu les a préférés et « placés au dessus des autres est venu pour combattre l’idolâtrie, non se faire idolâtrer lui-même ; com-
peuples » ainsi qu’Il le dit dans le Coran. Les autres peuples de la même ment ceux qui l’ont déifié peuvent-ils espérer son intercession ? Il est un
période ont voulu tuer leurs propres prophètes, et Dieu les a anéanti. fidèle serviteur de l’Unique, il a abandonné toute volonté propre pour
Certains Prophètes d’Israël aussi ont été tué, mais beaucoup aussi ont été servir l’Unique, ainsi que le dit le Hadith Saint à propos des Awliya
acceptés par les Juifs. Entre l’époque de Jacob-Israël et Jésus, on peut dire (Proches) de Dieu : Il est l’oeil avec lequel ils voient, la main avec laquelle
que seuls les Juifs ont accepté des prophètes. Les autres peuples (notam- ils saisissent, etc. Tel était Jésus, « éteint » devant Dieu et vivant « avec Lui
ment ceux de la péninsule arabique), ont tous, selon le Coran, rejeté leurs ». Et en cela il était semblable comme « un frère » à Mohammed, sur eux
Prophètes (notamment Salih, Chuayb, etc.)278. la grâce Divine et la paix.
Les peuples qui obéiront au « Chiloh » annoncé, qui sont-ils donc ? Il ne reste donc que Mohammed auquel on puisse raisonnablement
Quand cela est-il survenu dans l’histoire ? Il est évident qu’il s’agit des peu- appliquer la prophétie mosaïque concernant le « Chiloh », car à lui seul des
ples nombreux entrés en Islam depuis l’avènement du Sceau des Prophètes peuples ont obéi. Et des peuples nombreux continueront d’entrer, les uns
(Chiloh dans la Torah, Paraclet dans l’Evangile, et Ahmadou dans le après les autres, en Islam, malgré les ruses du Diable (notamment le « ter-
Coran). Ces peuples sont : les Arabes, puis les Perses, les Afghans, les rorisme « soi-disant « islamique » dont le but réel n’est que de retarder ces
Africains, les Turcs, les Indonésiens et la liste n’a cessé et ne cessera de s’al- échéances inéluctables). Satan en est ainsi réduit à un « combat d’arrière
longer jusqu’à couvrir la terre entière, ainsi que Dieu et Son Prophète l’ont garde » car il est clair pour lui que la partie est perdue (mais en avait-il vrai-
annoncé, car le Coran est l’Ultime Message, le Dernier Engagement ment douté ?), et il a même déjà désavoué ses « suiveurs » parmi les
(Mîthâq) auquel sont conviés tous les humains. Tous ces peuples con- humains et les génies. Les « satanistes » n’auront même pas le Diable pour
stituent la Oummah, qui inclut également les minorités musulmanes de intercesseur : il sera lui aussi leur accusateur ! Que Dieu nous en préserve !
tous les pays du monde. Le Prophète Mohammed – sur lui la grâce et la paix – réalise pleine-
Et il était juste, pour Dieu, que ce rôle de Sceau des Prophètes, revienne ment le Décret Divin par lequel Dieu annonce la fin du pouvoir religieux
à un descendant de Son Ami, Abraham et de Son Béni, Ismaël, sur eux la des fils d’Israël, leur retrait de la chaîne prophétique, la fin de leur « élec-
Paix. C’est ainsi, car Dieu fait ce qu’Il veut et personne n’a de titre de pro- tion » (préférence) Divine. Le Coran est, nous l’avons vu, un nouveau
priété sur Lui. C’est aussi ce qu’Il a voulu signifier en « rendant jaloux » pouvoir, une nouvelle législation, un nouveau « Sceptre » (« bâton de com-
ceux qui L’avaient « rendu Jaloux » (comme le dit la Bible) par leur infidél- mandement ») annoncé dans la Bible, un nouveau Dîn (religion, législa-
ité, alors qu’Il leur avait donné ce qu’Il n’avait encore jamais donné jusque tion, pouvoir, civilisation) : c’est l’Islam, dans lequel les nations nom-
là à nul autre peuple au monde. Mais Sa fidélité dure à jamais, et ce n’est breuses sont entrées, au point de constituer la plus grande des
Communautés religieuses de la terre, la religion du Dieu Unique, inen-
278 - Lire à ce sujet : Harun Yahya : Les Nations Disparues. Ed. Essalam. Paris 2001. gendré et inengendrant, le Seul Roi de l’univers. Ces peuples ont obéi à
238 239
Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

l’ultime Envoyé de Dieu et continuent d’accomplir, depuis le commence- font l’aumône et tiennent Nos Signes pour vrais, qui suivent l’Envoyé, le
ment de l’Hégire, la Victoire perpétuelle remportée par Mohammed à La Prophète illettré qu’ils trouvent mentionné dans leur [Ecriture], dans la Thora
Mecque, sur lui la grâce divine et la paix. et l’Evangile, [Prophète] qui leur ordonne le bien et les met en garde contre
Ce dernier en effet, ne s’est pas fait proclamer « roi » (c’est pourquoi il [toute action] blâmable, déclare licite pour eux ce qui est bon et illicite ce qui
n’est pas désigné comme Messie, car un Messie est un roi humain envoyé est impur, les dégage des contraintes et des carcans qui les entravent. Ceux qui
par Dieu), mais il rétablit sur terre le « Royaume de Dieu », royaume croiront en lui, le soutiendront, contribueront à son succès et s’éclaireront à la
annoncé par Jésus dans la première partie de sa mission terrestre. lumière qui l’accompagne, ceux-là sont les bienheureux ».(Coran 7, 156-157)
Certes, le christianisme primitif possédait en partie ce caractère uni- Le Livre des Psaumes (Zabûr en arabe) attribué à David (et certaines
versel, mais moins que l’Islam, en raison de son lien législatif avec la Torah parties à Salomon) est cité dans le Coran, et la citation en est conforme :
(que Jésus confirme). Des Grecs, des Romains, des Anatoliens, des « Les justes possèderont la terre, et pour toujours y demeureront »
Gaulois, des Wisigoths, des Burgondes, des Vandales, etc. sont entrés dans (Psaume 7,29)
le christianisme authentique, mais les Chrétiens monothéistes parmi eux « Nous avons écrit dans les Psaumes, après [l’avoir mentionné] dans l’arché-
ont ensuite été anéantis par les trinitaires. La religion de Jésus n’a duré que type céleste, que Mes saints serviteurs hériteront de la terre » (Coran 21,105)
peu de temps, et les derniers Ariens d’Espagne (wisigoths) sont entrés en On peut donc en déduire qu’au-delà des altérations, la Bible qui nous
Islam. Il n’existe plus d’église chrétienne monothéiste absolue. Il n’existe est parvenue a conservé malgré tout des passages authentiques.
plus que des églises chrétiennes trinitaires : Catholique, Orthodoxe, et la
foule des églises protestantes et les innombrables sectes qui en sont issues.
En rejetant le dernier Messager de Dieu ; Mohammed très louangé –
sur lui la grâce et la paix – et en le trahissant à Médine, la plus grande par-
tie des Juifs contemporains de Mohammed, sont définitivement sortis de
la préférence Divine (acquise à cause de leurs aïeux) qui s’appliquait aussi
aux premiers Chrétiens (Nazaréens). Ils se sont donc eux-mêmes exclus de
la Bénédiction spéciale attachée à la Torah, car cette Torah annonçait la
nouvelle Législation à venir : le Coran, et le nouveau pouvoir ou « scep-
tre » : le Dîn islamique. La jalousie « ethnique » seule, c’est à dire un com-
plexe de supériorité, les a perdu. Mais une petite partie d’entre eux, ainsi
que des Chrétiens, ont cru au Nouvel Envoyé annoncé à toutes les nations
(le Prophète des « illettrés » ou des « gentils », c’est à dire ceux qui n’avaient
pas encore de Livre Saint) et sont entrés en Islam. C’est ainsi qu’une par-
tie du « sang » de Jacob subsiste désormais dans la vaste Oummah
islamique, mélé à toutes les nations. Les précédents Engagements sont
désormais réunis dans le Dernier Rappel. Les Musulmans sont les héritiers
de tous les patriarches Abrahamiques : Ismaël, Isaac, Yacoub, Youssouf,
Chuayb, Moussa, Aaron, etc. Les Musulmans sont les héritiers de l’anci-
enne, de la nouvelle, et de la dernière alliance (Mîthâq). L’Alliance est
définitivement scellée par Mohammed qui a donc « ouvert ce qui était clôt
et clôt ce qui était ouvert».
Quant à ceux qui se sont endurcis dans le schisme contre Dieu, ils
seront jugés par ceux là même qu’ils invoquent, leurs propres prophètes,
car ils ne les ont pas suivi et ont travesti leur parole. Ces prophètes ont
maudit les schismatiques car tous les prophètes sont frères et solidaires. Le
témoignage de Moïse, de David, de Jésus, sera contre eux, car tous ces
prophètes ont annoncé un Envoyé ultime, et ils ont annoncé le malheur
final des hypocrites qui prétendaient les suivre.
« Ma Miséricorde embrasse tout. Je l’inscrirai pour ceux qui [Me] craignent,
240 241
Moïse, Jesus et Mohammed

LE FILS DE L’HOMME ET LE RÈGNE DE DROITURE la poussière... Toutes les nations le serviront. Il délivrera le pauvre qui crie et
le malheureux qui n’a point d’aide. Il les affranchira de l’oppression et de la
violence ».
Dans le Coran, Dieu donne à son ultime Envoyé des ordres similaires,
et le Sceau est vraiment le Prophète de la miséricorde par excellence, venu
non pas pour apporter d’avantage de violence, mais pour la faire cesser :
le mot Islam signifiant, outre la Soumission, également : « la Pacification ».
Toute son énergie était tournée vers ces buts : la Vérité, la Justice et la
Paix.
Part. VI Chap. VII Certes Salomon a soumis quelques peuples limitrophes à son royaume,
mais il est descendant de Juda (donc il n’est pas le Chiloh annoncé) et son
royaume s’est scindé en deux royaumes ennemis après sa mort, et plus
jamais ensuite de « peuples » ne se sont assimilés à Israël : les prédictions
Plusieurs Psaumes, attribués à David, s’appliquent à lui-même, comme bibliques ne le concernent donc pas. « Les justes possèderont la terre, et pour
nous l’avons vu. Les Chrétiens disent que plusieurs de ces Psaumes s’ap- toujours y demeureront » (Psaume 7,29) Et d’ailleurs Salomon lui-même
pliquent à Jésus, comme textes « prophétiques » (dans le sens d’annonces annonce la venue de celui qui dominera : « Toutes les nations le serviront »
et prédictions). C’est vrai pour certains, comme le Psaume 22 souvent cité (Psaume de Salomon 72,11). Les exégètes chrétiens disent qu’il s’agit là de
par les églises chrétiennes. Mais d’autres passages des Psaumes sont inap- l’annonce d’un « Roi Messie ». Mais qui est-ce donc ? Comment peut-on
plicables à Jésus, mais parfaitement applicables à Mohammed – sur lui la s’aveugler à ce point ?
grâce et la paix. Par exemple, dans le Psaume n° 45 de David : Mohammed signifie « celui qui est louangé ». Le mot « Chiloh »
« Tu es très beau, fils de l’homme, la grâce est répandue sur tes lèvres, c’est (« celui ») est dans son nom Mohammed (« celui qui est louangé »). Et
pourquoi Dieu t’a béni pour toujours. Ceins ton épée à tes côtés... » (45,2). pourquoi est-il louangé ? A cause du fait qu’il libérera les opprimés de
« Le Sceptre de ton règne est un Sceptre de droiture » (45,18). toutes nations. Toutes les nations le loueront perpétuellement.
L’expression « fils de l’homme » est très courante dans les évangiles : Salomon a écrit (selon la Bible) :
c’est ainsi que Jésus se désigne lui-même (ce qui prouve qu’il n’est pas « Qu’on prie pour lui constamment, qu’on le bénisse tout le jour ! /.../ Que
Dieu), et d’ailleurs il annonce également un « autre » Paraclet (Intercesseur son nom subsiste à jamais, autant que le soleil puisse durer son nom, que par
ou Avocat) qui est donc aussi un autre « fils de l’homme ». Mais « ton épée » lui se bénissent toutes les familles de la terre et que toutes les nations le procla-
et « ton règne » ne lui correspondent pas, mais correspondent bien à ment heureux ! » (Psaume de Salomon 72, 15 à 17).
Mohammed, sur eux la grâce Divine et la paix. Dans ces Psaumes, et Et chaque jour, le nom de Mohammed est louangé et béni par des cen-
ailleurs, les similitudes sont nombreuses avec Mohammed, béni soit-il. taines de millions d’adorateurs de l’Unique. Dans chacune des cinq
Jésus n’a jamais porté d’épée, il n’a jamais exercé de pouvoir (« Le Sceptre prières canoniques quotidiennes, il y a une prière spécifique pour que
de ton règne est un Sceptre de droiture »). Ces éléments sont également sig- Dieu bénisse Mohammed et sa famille comme Il a béni Abraham et la
nalés dans le verset relatif au « Chiloh » annoncé par Moïse. Dans le famille de ce dernier. Aucun nom n’est donc mentionné et béni autant
Psaume 72, David annonce en outre que ce futur envoyé : « Jugera ton que le sien. Par ailleurs Mohammed porte d’autres noms couramment
peuple avec justice et les malheureux selon le droit ». utilisés et portés par des millions d’hommes : Ahmad (le très louangé) Al-
Jésus, selon les évangiles, annonçant le Paraclet, a les mêmes mots : Amîne (l’Intègre), Al-Mustafâ (l’Elu), etc.279
« Celui-là confondra le monde à propos de péché, et de justice, et de jugement Le Prophète Isaïe (ou Esaïe), dans la Bible, a clairement annoncé la fin
/.../ il vous guidera vers une vérité totale ; car il ne parlera pas de lui-même, dramatique de la préférence Divine pour Israël et une nouvelle Alliance
mais il dira ce qu’il entend ». (Jean 16,7 à 12). Il est donc bien fait allusion qu’il appelle « la Lumière des nations » et un « Cantique nouveau »
à un Droit, une Législation, un juge, dans le futur et après la venue de (le Coran), qui sera révélé par un Elu de Dieu, « chanté » par les Ismaélites
Jésus. Il ne peut donc s’agir que du Sceau des Messagers, car personne (le Coran est « psalmodié », et aussi, quand Mohammed est entré à
d’autre ne correspond à cette description. C’est lui qui apporte la loi
Divine définitive : le Coran. Dans le Psaume de Salomon 72,8 à 14, il est 279 - Cyril Glassé, dans son Dictionnaire Encyclopédique de l’Islam, signale qu’Al-Jazulî,
écrit : « Il dominera d’une mer à l’autre et du fleuve aux extrémités de la terre. dans son ouvrage Dalâ’il ak-Khayrât, cite deux cents noms du Prophète, et que d’autres
Devant lui, les habitants du désert fléchiront le genou et ses ennemis mordront recueils en donnent encore plus. Page 297, op. cit.

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Moïse, Jesus et Mohammed

Médine, les femmes de son clan chantaient un célèbre chant qu’elles L’ELU (Al-Mustafâ)
avaient composé dans son attente, et tout Médine reprit le refrain). ET L’ESPRIT DE VÉRITÉ ET DE SAINTETÉ
(Rûh al-Haqq, Ruh al-Qudus)
LE CANTIQUE NOUVEAU À QÉDAR LE ROYAUME DE DIEU

Part. VI Chap. VIII

Dans l’Ancien Testament, Isaïe (42, extraits) dit au Nom de Dieu :


« Voici Mon serviteur que Je soutiens, Mon Elu, qui a toute ma faveur. J’ai
mis Mon Esprit280 sur lui ; il exposera le Droit aux nations. /.../ Moi, Yahvé
Je t’ai appelé dans la justice, Je t’ai pris par la main, Je t’ai façonné et Je t’ai
destiné à être l’Alliance du peuple et la Lumière des nations, pour ouvrir les
yeux aveugles, pour faire sortir de prison les captifs, et du cachot ceux qui
habitent les ténèbres./.../ Chantez à Yahvé un Cantique Nouveau, Sa louange,
de l’extrémité de la terre. /.../ Qu’élèvent [la voix] le désert et ses villes, les vil-
lages habités par Qédar (fils d’Ismaël. Cf. Genèse 25,13) ! /.../ Telles sont les
choses que Je ferai, je n’y manquerai pas. Ils reculeront, couverts de honte, ceux
qui se fient dans les statues, ceux qui disent aux idoles de métal fondu : « Vous
êtes nos dieux! » /.../ Qui a livré Jacob à la spoliation, Israël aux pillards ?
N’est-ce point Yahvé, contre qui nous avons péché, dont on n’a pas voulu suivre
les voies ni écouter la Loi ? Aussi a-t-Il répandu sur lui (sur Israël) la fureur
de Sa colère et la violence de la guerre ; elle l’a embrasé de toute part, mais sans
qu’il comprenne, elle l’a consumé, mais sans qu’il le prenne à cœur! »
Après avoir ainsi prophétisé la fin d’Israël et la venue du nouvel Elu
acclamé par les Ismaélites, Isaïe fut persécuté par des Israëlites. Seul un
groupe de disciples le soutenait activement. Les autorités l’accusèrent de
diviser le peuple, et surtout d’avoir prophétisé contre le royaume et en
faveur des nations (et notamment de Qédar, fils d’Ismaël, c’est à dire les
Arabes). Le Roi de Juda, Manassé (698-642 av. J.-C.), selon la tradition
juive, le fit arrêter. Isaïe mourut martyr, pour avoir dit ce qu’il entendait
de la part de Dieu.281
Ce texte d’Isaïe résume toute « l’Histoire Sainte » et l’élection, à la place

280 - Esprit désigne deux niveaux : l’Ange qui apporte à l’Elu le « Cantique Nouveau »
(Coran), mais aussi des noms du Prophète Mohammed : Rûh al-Haqq (Esprit de vérité) et
Rûh al-Qudus (Esprit de sainteté) : cf. Cyril Glassé, Dictionnaire Encyclopédique de
l’Islam, p. 297. Op. cit.
281 - Cf. Dictionnaire Encyclopédique du Judaïsme. Op. cit. Quelque temps après le
martyre d’Isaïe, les Assyriens envahirent et dévastèrent la Palestine et réduisirent les survi-

244 245
Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

de l’ancienne alliance rompue par les Juifs, d’un « cantique nouveau » s’él- dans le Royaume de Dieu. Et voilà qu’il y a des derniers qui seront premiers
evant dans le désert (à Qédar, c’est à dire chez les Arabes, les « frères » et des premiers qui seront derniers283 ». (Luc 13,29-30)
d’Israël). Cette prophétie d’Isaïe comprend : d’une part l’annonce d’un Jésus, selon les évangiles, compare ce « Royaume de Dieu » à une petite
Envoyé triomphant, un Elu enseignant le Droit aux nations et recevant, graine qu’il a semé, et qui devient peu à peu un arbre, que l’adversaire
par l’Esprit de Dieu (Gabriel) un « cantique nouveau » (le Coran est cherche à abattre, mais qui finit par s’imposer (Luc, 13, 19 et 16, 16).
psalmodié, comme autrefois les « cantiques » ou psaumes), établissant une « La Loi et les Prophètes [vont] jusqu’à Jean (Yahya) ; depuis lors la bonne
nouvelle Alliance englobant toutes les nations, à commencer par les nouvelle (« évangile » d’après le grec, et bouchra284 en arabe, n.d.r.) du roy-
Ismaélites (Qédar), et elle comprend la condamnation de l’idolâtrie et la aume de Dieu est annoncée, et chacun lui fait violence ». (Luc 16,16)
fin de l’élection des fils d’Israël, car depuis leur sortie d’Egypte, ils n’ont La Bonne Nouvelle (« Evangile ») annoncée par Jésus est donc claire-
cessé de courroucer Dieu (en faisant des idoles de métal, comme le Veau ment le triomphe de l’Islam. Et qui fait violence à ce Royaume de Dieu ?
d’Or, mais encore ensuite, en adorant toutes sortes d’idoles, à maintes Les Juifs et les Romains idolâtres, bien sûr, mais aussi les trinitaires (chré-
reprises au cours de leur histoire), et en s’éloignant du droit, de la justice, tiens hérétiques) qui combattront le Prophète et l’Islam en vain, car le
et refusant de comprendre malgré les épreuves de Dieu. Aussi Sa Colère a Royaume de Dieu, même s’il peut subir des épreuves et des revers (même
embrasé Israël par la guerre et l’a « consumé ». du « vivant » du Prophète, il y eut la défaite de Ohod), est invincible.
Et il en fut ainsi. Après vingt-trois ans de mission prophétique, Et pourtant Jésus s’inquiète sur la fidélité de ses propres disciples : « Le
Mohammed laissait en ce monde une oeuvre colossale jamais accomplie fils de l’homme (l’Elu annoncé, n.d.r.), quand il viendra, trouvera-t-il la foi
par aucun humain depuis la création d’Adam. L’écrivain Lamartine, qui sur la terre ? » (Luc 18,8). Et effectivement, ce n’est ni parmi les Juifs ni
n’était pourtant pas Musulman, a reconnu ce fait extraordinaire dans son parmi les Chrétiens que l’Elu Mohammed trouvera ses plus nombreux
ouvrage Histoire de la Turquie : soutiens, mais parmi les nations « illettrées » (à commencer par les Arabes),
« Si la grandeur du dessein, la petitesse des moyens, l’immensité du résultat, parmi les « derniers » aux yeux des Gens du Livre, dans des peuples « insen-
sont les trois mesures du génie de l’homme, qui osera comparer humainement sés » selon eux.
un grand homme de l’histoire moderne à Mahomet ? » « Et alors il y aura des signes dans le soleil, et la lune et les étoiles, et sur terre
En effet le Sceau des Messagers laissait derrière lui une communauté angoisse des nations... Et alors on verra le fils de l’homme venir dans une nuée
puissante et indépendante des autres royaumes. En quelques décennies, ses avec beaucoup de puissance et de gloire ». (Luc 21,27) Tous ces signes qui ont
successeurs libérèrent (plutôt que « conquirent ») un empire inégalé depuis marqué la naissance et la vie du l’Elu Mohammed sont connus (as-sîrat
Alexandre, mais qui ne s’effondra pas au bout de vingt ans (comme celui an-nabawiya d’Ibn Ishaq, Ibn Hishâm, etc.).285
d’Alexandre). L’Islam, dernière religion révélée, est devenue la plus grande Jésus annonce que viendront, avant cet Elu béni (le paraclet ou « fils de
communauté que la terre ait portée, et elle ne cesse de croître et de s’éten- l’homme » annoncé), des faux-prophètes qui prétendront venir en son
dre, alors que toutes les autres sans exception déclinent. nom et diront « C’est moi » (Luc 21,8). En effet, il y eut Montan, Marcion
Au temps de Jésus, disent les évangiles, « tous les royaumes de la terre et Mani, entre autres, avant l’avènement du vrai « fils de l’homme », de
gisent au pouvoir de Satan ». Et quand le Diable tenta Jésus au désert, il l’ultime Prophète (« comme Moïse » selon l’annonce de ce dernier), de
lui proposa de lui donner tous ces royaumes terrestres, s’il se prosternait
devant lui (Matthieu 4,1 à 11). Que Dieu nous préserve de lui. Mais le 283 - C’est à dire des riches et puissants qui seront pauvres et inversement, mais aussi et
saint Jésus savait que son royaume ne serait pas de ce monde, puisque les surtout surtout des Juifs (« premiers ») qui seront derniers, et des Musulmans (« derniers »)
Juifs ne voulaient pas le reconnaître comme leur Messie. En conséquence, qui seront premiers.
à plusieurs reprises, il annonça la fin de l’élection d’Israël, et même mau- 284 - A noter également qu’un des noms de Mohammed est Al-Bashîr (« celui qui apporte
dit ceux qui le rejetaient. Il annonça alors un nouvel ordre de choses : la bonne nouvelle) ». Cf. Cyril Glassé, Dictionnaire Encyclopédique de l’Islam, p. 297. Op.
« Et on arrivera du Levant (Orient) et du Couchant (Occident)282, à table cit.
285 - Muhammad, op. cit. Et : Le Prophète Muhammad de Martin Lings. Ed. du Seuil,
vants juifs à l’esclavage en déportation. Ils détruisirent le Temple de Salomon à Jérusalem. 1983. Les signes dans le soleil et les étoiles apparurent jusqu’en Perse. La nuée au dessus de
Ce Temple fut partiellement rebâti sous Cyrus, roi des Perses, puis définitivement rasé par Mohammed (la même qu’il y avait au-dessus de Moïse) fut vue par plusieurs personnes,
les Romains en 70 ou 72 ap. J.-C. Cette ruine avait été annoncée par Jésus selon les évan- dont le moine Chrétien Bahira, qui reconnu les signes de la prophétie dans le jeune
giles (notamment Luc 21,5-6). Il n’en susbiste plus que les fondations (mur des lamenta- Mohammed et recommanda à son oncle de le protéger des Juifs (car ils seraient ses pires
tions) qui soutiennent désormais l’Esplanade des Mosquées. ennemis, comme avec Jésus). L’avènement de l’Islam chamboula tout l’ancien monde («
282 - C’est à dire de toutes les nations. angoisse des nations »...), etc.

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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

l’autre Intercesseur (Paraklétos en grec), l’Elu sur lequel Dieu a mis « Son symbolise Jésus avec l’Evangile, et la troisième est la montagne où, selon
Esprit » (la Révélation Coranique par l’intermédiaire de l’Archange la Genèse (21,20), Ismaël est allé habiter. Or le désert des Ismaélites
Gabriel). nomades commençait à Beer-Shéba et descendait vers le sud, englobant
Jésus annonce également à ses premiers apôtres et disciples (les vrais Taymâ (Témân), Parân et La Mecque.
Nazaréens ou chrétiens monothéistes, soumis à Dieu l’Unique), qu’ils Ezéchiel (21, 30-31) a écrit au Nom de Dieu :
devront subir beaucoup de persécutions de la part des infidèles, des « Quant à toi, vil criminel, prince d’Israël... ce qui est bas on l’élèvera et ce
injustes et des idolâtres, jusqu’à la venue du Fils de l’Homme qui est élevé on l’abaissera. Des ruines, des ruines... jusqu’à ce que vienne celui
(Cf. Luc, 21, 8 à 28). à qui appartient le Droit et Je le lui donnerai ». Celui à qui appartient le
* Droit : c’est celui auquel les peuples obéiront (l’Envoyé déjà annoncé par
* * Moïse).
Ainsi, durant les longues ténèbres que traversa l’humanité après Noé, Un autre Prophète d’Israël, dans la Bible, Habaquq (1, 4 et 3,3) con-
seule, en gros, une flamme de loyauté subsistait sur terre : Abraham en fut firme lui aussi cette prophétie de Moïse, de David, de Salomon et d’Isaïe :
le dépositaire, il la transmit à sa descendance (par Isaac dans un premier «...la Loi est inerte et le Droit n’apparaît plus jamais, car le méchant cerne
temps). Puis cette flamme s’est éteinte, quand le Messie ultime d’Israël fut le juste... » (1,4)
livré par son peuple aux idolâtres. Il ne subsista plus alors, sous la cendre « Jetez les yeux parmi les nations, regardez !... » (1,5)
des ruines d’Israël, qu’un « reste » de ce peuple, une braise : les Nazaréens « Parce que toi (Israël), tu as dépouillé des nations nombreuses, tout ce qui
auxquels Jésus avait dit, selon les évangiles : « Soyez prudents comme des ser- reste de nations te dépouillera... » (2,8)
pents et doux comme des colombes » (Matthieu 10,16), et « Si l’on vous frappe « Eloha (Dieu) vient de Témân287, le Saint vient de la montagne de
la joue gauche, tendez aussi la joue droite » (Matthieu 5,39), et « Rendez à Parân ». (3,3)
César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » (Marc 12,17). Et alors Habaquq annonce la Victoire de Dieu sur la terre, la victoire de
Il leur recommandait donc la prudence et la douceur, la patience Sa Lumière sur les nations insoumises, et Sa louange (la nouvelle foi) qui
jusqu’à la victoire prochaine (celle de l’Elu très louangé qui rétablira le « remplit la terre :
Royaume de Dieu » sur la terre). Mais après avoir été persécutés par les « Sa Majesté couvre les cieux et Sa louange remplit la terre » (3,3)
idolâtres, ils oublièrent eux-mêmes l’Unicité absolue de Dieu. Ils s’allièrent « Avec courroux tu arpentes la terre, avec colère Tu piétines les nations. Tu
aux Césars et devinrent les persécuteurs des purs monothéistes (les es sorti pour le salut de Ton peuple, pour sauver Ton Oint (Messie), Tu as fra-
Chrétiens ariens). Ils ne tendèrent plus la joue mais frappèrent les justes et cassé le faîte de la maison du méchant, mis à nu ses fondations jusqu’au roc ».
les innocents. Ils furent imprudents « comme des colombes » et violents « (3,13)
comme des serpents », inversant ainsi le commandement de Jésus. Ils « Ce dernier passage peut être rapproché de la ruine du Temple de
triplèrent » Dieu, séduisant ainsi les polythéistes qui entrèrent alors en Jérusalem (que Jésus qualifia de « repaires de bandits »). Les évangiles dis-
masse dans la nouvelle hérésie. L’Eglise devenait ainsi dominante en ce ent que le faîte du Temple fut fracassé par la foudre lors de la « mort » de
monde, mais spirituellement moribonde. Jésus (l’Oint, qui en réalité a bien été « sauvé » par Dieu de la crucifixion
C’est pourquoi, devant leur aveuglement, Dieu envoya Son Elu très et de la mort, selon le Coran). Puis les Romains massacrèrent les Juifs,
louangé, Sa Lumière, aux nations « illettrées » qui étaient longtemps restées déportèrent les survivants et détruisirent le Temple jusqu’à ses fondations,
dans l’obscurité, dans le « cachot » : « Je t’ai façonné et Je t’ai destiné à être ne laissant à nu que le « roc » (l’actuel Rocher du dôme, duquel
l’Alliance du peuple et la Lumière des nations, pour ouvrir les yeux aveugles, Mohammed commença son Ascension Nocturne).
pour faire sortir de prison les captifs, et du cachot ceux qui habitent les ténèbres Selon Luc (19, 43 à 46, extraits), Jésus dit, à l’adresse de Jérusalem : «
», ainsi que l’avait prophétisé Isaïe (Chapitre 42). Car arriveront des jours sur toi, où tes ennemis t’environneront... Ils
C’est cet Elu que Moïse avait annoncé à maintes reprises également, et t’écraseront, toi et tes enfants en toi, et ils ne laisseront pas en toi pierre sur
notamment quand il dit, au Nom de Dieu (Deutéronome 33,1-3) : pierre, parce que tu n’as pas connu le temps où tu fut visitée ! » Et, entré dans
« Yahvé est venu du Sinaï, Il S’est levé sur eux de Séir, Il a resplendi de la le Temple, il (Jésus) se mit à chasser les vendeurs, en leur disant : « Il est écrit :
montagne de Parân ». Ce sont trois montagnes : la première symbolise la
Torah avec Moïse, la seconde (Séir) est un mont près de Jérusalem286 et le Jourdain, fleuve dans lequel, selon les évangiles, Jean (Yahya) donna l’ablution (« bap-
tème ») à Jésus (qui reçut à ce moment l’Esprit de sainteté).
286 - Selon E. Osty, ce mont était situé en Edom (Cisjordanie). Op. Cit. note p. 436. 287 - Témân (Taymâ) est au Hedjaz, à 370 km au nord de Médine, à mi-chemin donc
Séir est une petite chaîne montagneuse (appelée Pérée à l’époque de Jésus) qui surplombe entre La Mecque et la Palestine. Ce sont des lieux habités par les Ismaëlites selon la Bible.

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Moïse, Jesus et Mohammed

Et Ma maison sera une maison de prière, mais vous, vous en avez fait une cav- DES FALSIFICATIONS DANS LA BIBLE
erne de brigands ».
« Et comme certains disaient du Temple qu’il était orné de belles pierres et
d’offrandes votives, il dit : « De ce que vous contemplez, viendront des jours où
il ne sera pas laissé pierre sur pierre qui ne soit détruite ». (Luc 20,5-6)
« Lorsque vous verrez Jérusalem investie par des armées, vous saurez que sa
dévastation est toute proche ». (Luc 21,20)
« Car il y aura grande détresse sur la terre, et Colère contre ce peuple. Et ils
tomberont sous le tranchant du glaive, et ils seront emmenés captifs dans toutes
les nations, jusqu’à ce que soit accompli le temps des nations ». (Luc 21, 23- Part. VI Chap. IX
24)
Et quand ce temps sera accompli, Dieu enverra de nouveaux « Signes »
célestes, ainsi que le Fils de l’Homme (le Paraclet, l’Elu, n.d.r.) « avec beau-
coup de puissance et de gloire » (Luc 21,25-26). Le Prophète Jérémie, dans la Bible, dit à ses coreligionnaires, de la part
Les indications géographiques de la Bible sont très controversées, de Dieu : « Tu leur diras : Ainsi parle Yahvé : Est-ce qu’on tombe sans se
notamment entre les spécialistes Juifs, Chrétiens et Musulmans, car les relever ? Est-ce qu’on se détourne sans se retourner ? Pourquoi ce peuple a-t-il
enjeux sont évidemment de taille : des prophéties précises s’y attachent, apostasié ? Pourquoi Jérusalem est-elle une apostasie sans fin ? /.../ Comment
comme on l’a vu. Il existe des différences de plusieurs centaines de kilo- pouvez-vous dire : « Nous sommes des sages et la Loi de Yahvé est avec nous » ?
mètres entre les diverses interprétations toponyniques. Et voici qu’en a fait un mensonge le burin mensonger des scribes ». (8,4 à 8,
extraits)
Ce texte affirme que des scribes ont fait de la Loi (Torah) « un men-
songe ».
Emile Osty, l’auteur de la traduction de la Bible que nous utilisons ici,
donne l’explication suivante (note p. 1678) :
« Par « Loi de Dieu », il faut, semble-t-il, entendre les traditions orales ou
écrites, lesquelles, remaniées et complétées, deviendront plus tard le
Pantateuque ». C’est à dire la version actuelle de la « Torah » : Genèse,
Exode, Lévitique, Nombre et Deutéronome, c’est à dire les livres les plus
importants, les plus capitaux, de l’Ancien Testament.288
Jérémie, comme Isaïe, annonce la Malédiction sur Israël :
« Yahvé dit : C’est parce qu’ils ont abandonné Ma Loi, que J’avais placé
devant eux ; ils n’ont pas écouté Ma voix et n’ont pas marché suivant elle... Je
les disperserai parmi des nations que n’ont connues ni eux ni leurs pères, et
J’enverrai derrière eux le glaive, jusqu’à ce que Je les aie exterminés! » (Jérémie
9,12 à 15, extraits)
Sous le ministère de Jérémie, l’Alliance fut provisoirement rompue,
mais Dieu, selon le même livre, la réhabilitera par la suite.
Tout l’Ancien Testament annonce ainsi la terrible Sentence Divine,
mainte fois retardée par Sa Miséricorde. Mais l’instauration d’une nouvelle

288 - Notons que même les auteurs Musulmans les plus critiques ne vont pas aussi loin.
Personnellement je ne partage pas cette opinion que toute la Torah soit devenue un « men-
songe », mais je pense simplement que des mensonges s’y sont glissés, effectivement (notam-
ment dans les biographies des Prophètes), ainsi que des altérations, interpolations, omissions
diverses.

250 251
Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

Alliance (celle de Jésus puis celle de Mohammed) n’exclue pas pour autant cernant les rites musulmans : Prière, Jeûne, etc., et des traités d’éducation
les croyants parmi les fils d’Israël, qui peuvent entrer dans cette Dernière spirituelle ou soufisme) et se faire ainsi une opinion objective.
Alliance (l’Islam), et c’est pourquoi Dieu a toujours maintenu des sur-
vivants parmi eux, et ce jusqu’à nos jours. Ne sont « maudits » que ceux qui
le veulent bien, puisque la porte de la miséricorde est ouverte jusqu’au
dernier souffle de l’homme.
Si cette Ultime Alliance de Dieu excite la jalousie des Juifs, c’est tant
mieux pour eux, et cela peut les stimuler pour qu’ils reviennent à la
Communauté véritable d’Israël, de Jésus et de Mohammed, car l’Islam est
une communauté unique englobant tous les prophètes antérieurs sans dis-
tinction.
Isaïe, on l’a vu, a annoncé un « Cantique Nouveau » qui s’élèvera à
Qédar (fils d’Ismaël). Il confirme cela en disant, au Nom de Dieu : « J’ai
été trouvé par ceux qui ne Me cherchaient pas, Je Me suis manifesté à ceux qui
ne M’interrogeaient pas ». (65,1)
« C’est par des hommes d’une autre langue et par des lèvres d’étrangers que
Je parlerai à ce peuple (Israël), et même ainsi, ils ne M’écouteront pas ». (28,
11-12) Dieu parle du plus grand nombre, qui restera « sourd ».
« Moi, Je vous rendrai jaloux par ce qui n’est pas une nation, par une
nation insensée (c’est à dire sans savoir, sans Livre éclairant, n.d.r.)
J’exciterai votre dépit ». (Deutéronome 32,21. Oracle attribué à Moïse) Les
Arabes, avant l’Islam, constituaient un ensemble de tribus en guerre per-
pétuelle, pas vraiment une « nation » (avec une conscience nationale, un
Etat, une loi, etc.) et ils n’avaient reçu aucun Livre ni science de Dieu.
L’Islam est donc la dernière « alliance » (Mîthâq) que Dieu a donné à
l’humanité toute entière. Il englobe et remplace les alliances antérieures. Il
n’y a donc pas de salut en dehors de l’Islam. Toutes les religions révélées
l’ont affirmé pour elles-mêmes, et cela était vrai pour chacune d’elles à une
période donnée, avant l’avènement d’un nouveau Message, d’une nouvelle
Loi, d’une nouvelle alliance. Nous devons donc annoncer et faire con-
naître cette réalité autour de nous, et notamment aux Gens du Livre, pour
leur salut. Il faut certes le faire avec courtoisie comme nous le demande
Dieu, et surtout montrer le bon exemple, car l’attitude correcte constitue
le meilleur « prêche » (da‘wa).
Et aussi, il faut prier Dieu pour qu’Il donne la foi aux gens, car per-
sonne n’acquiert cette foi sans Sa permission. Nous devons donc appeler
les gens à l’Islam, en commençant par nos proches.
De plus il faut connaître (et reconnaître, quand elles sont vraies ou
proches de la vérité) les valeurs de l’interlocuteur. Prêcher sans patience,
sans courtoisie et sans égard, est inutile et même nuisible, et donne les
effets contraires. Mais ne pas le faire, alors que nous le pouvons, est un
manque de miséricorde pour les créatures de Dieu, car elles n’iront pas au
Paradis si elle n’entrent pas en Islam. Car désormais l’Islam s’est répandu
sur toute la terre : tout un chacun peut l’étudier à la source (par les traduc-
tions du Coran, des Hadiths, des biographies du Prophète, des traités con-
252 253
Moïse, Jesus et Mohammed

LE « PARACLET » l’[Esprit] pour faire : [Esprit] Saint, et se référer ainsi implicitement à la


troisième « personne de la trinité ». C’est anecdotique, mais cela dénote un
état d’esprit partial.
Dans ce passage : « lui vous enseignera tout », veut dire que Jésus n’a pas
pu tout enseigner, faute de temps, en raison de l’hostilité des gens qui
complotaient pour le tuer rapidement. En effet, Jésus a trouvé peu de foi
en Israël, comme il l’a dit lui-même (Cf. l’exemple du centurion romain
qui a plus de foi que les juifs291). Le passage « et (il) vous rappellera tout ce
que moi je vous ai dit », signifie que le Coran rappellera la totalité de
Part. VI Chap. X l’Evangile véritable. Le Coran sera ainsi un Rappel de tous les Messages
antérieurs, mais aussi une garantie contre les altérations qui auraient pu se
glisser dans ces mêmes Messages.
En effet, Dieu révéla à Mohammed toute chose utile, qui complétait et
Emile Osty, traducteur de la Bible, nous indique dans ses parachevait Ses Messages antérieurs, et les protégeait contre toute altéra-
notes :« Paraclet : simple transcription d’un mot grec qui désigne celui qu’on tion (dans le texte et dans les interprétations du texte). Dieu, dans le
appelle au secours : avocat, conseiller, défenseur, intercesseur, consolateur ».289 Coran, donne à plusieurs reprises la parole à Jésus pour qu’il désavoue lui-
Jésus était lui-même, selon l’évangile de Jean, un « paraclet » puisqu’il même sa déification par des infidèles (notamment Sourate 3, versets 49 à
annonce un « autre » paraclet290 qui sera un « Esprit de vérité » (Rûh al- 52). En effet, le Messie avait une mission précise : celle de Messie, et en
haqq, un des noms de Mohammed en arabe, comme on l’a vu). (Jean langage classique, cela signifie qu’il devait être couronné roi-sauveur par
14,16-17). les juifs (comme David), et aussi apporter l’Evangile, un Livre de Dieu,
Jésus y indique également que le monde ne peut encore recevoir cet mais il n’a pu le dicter, car ses disciples étaient illettrés, ni le faire appren-
autre Avocat (Intercesseur, Consolateur) parce que les gens ne sont pas dre par cœur à cause de l’hostilité et de la confusion générale qui a mar-
prêts (la preuve est qu’ils veulent tuer Jésus) et ne pourraient donc encore qué sa mission. Il n’est donc resté que des bribes orales de ses paroles
le « reconnaître » comme tel. Il recommandait donc à ses disciples d’atten- venant de Dieu, transcrites plus tard dans des versions divergentes. C’est
dre la venue de ce nouvel Envoyé, patiemment, en gardant et observant ses pourquoi Jésus, selon ces versions, reconnaît lui-même qu’il ne peut
commandements jusqu’à la venue du « Béni » qui vient au Nom du révéler la totalité de son Message, et dit, au sujet du futur Envoyé : il vous
Seigneur : le Paraclet, l’Esprit de sainteté. apportera ce qui est à moi (c’est à dire la totalité de l’Evangile dans le
« Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles, et la parole que vous Coran) et « je vous l’enverrai » (car Mohammed est solidaire de Jésus, et
entendez n’est pas de moi, mais du Père qui m’a envoyé. Je vous ai dit cela apporte le « complément » qui manquait à l’Evangile). Ainsi, le véritable
quand je demeurais auprès de vous. Mais le « Paraclet », l’Esprit, l’[Esprit] Evangile est dans le Coran. Tout ce qui, dans les versions évangéliques
Saint, qu’enverra le Père en mon Nom, lui vous enseignera tout et vous rap- chrétiennes, est confirmé par le Coran, est donc exact ; et tout ce qui est
pellera tout ce que moi je vous ai dit ». (Jean 14 25-26) A noter que, dans contredit par le Coran, est faux ou altéré. C’est cette méthode que doivent
cette traduction de E. Osty, le traducteur écrit : « l’[Esprit] Saint, qu’en- suivre les Musulmans à l’égard de toute écriture antérieure, car le Coran
verra le Père en mon Nom, lui... » (mon Nom est avec une majuscule alors est vraiment le Différenciateur (Al-Furqân), qui distingue entre le vrai et
qu’il s’agit de Jésus, et alors qu’en d’autres passages, quand il s’agit de Dieu le faux, et c’est pour cela que Dieu l’a révélé, scellé et protégé jusqu’à la fin
en personne, le traducteur ne met pas toujours de majuscules). Le texte des temps.
dit : « l’Esprit, le Saint », mais le traducteur a rajouté entre crochets Selon l’évangile de Jean (15,26), Jésus dit :
« Lorsque viendra le « Paraclet », que moi je vous enverrai d’auprès du Père,
289 - Op. cit. l’Esprit de vérité qui provient du Père, c’est lui qui témoignera à mon sujet. Et
290 - Jean 14, 16-17 : « Il vous donnera un autre « Paraclet » pour être avec vous à jamais, vous aussi, vous témoignez, parce que vous êtes avec moi depuis le commence-
l’Esprit de vérité... ». « à jamais » signifie que la nouvelle législation (le Coran) est défini- ment ». Les « apôtres » de Jésus ont donc bien un rôle de « témoins » dans
tive, qu’elle ne sera jamais remplacée par un autre Message, et que Mohammed (désigné l’attente du Consolateur annoncé, mais c’est ce dernier surtout qui
comme le « Paraclet » et l’Esprit de vérité) sera avec les Saints musulmans (et les Véridiques, témoignera au sujet de Jésus. En effet, ceux qui ont été avec lui « dès le
les Bienfaisants...) à jamais, et même qu’il continuera à les guider dans l’invisible après sa
« mort ». 291 - Cf. Matthieu 8,10.

254 255
Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

commencement » peuvent témoigner valablement, mais viendront des sinon tous, moururent martyrs des Romains, des Grecs, des Juifs, etc.). De
jours où les altérations rendont nécessaires le témoignage du « Paraclet ». plus, leur dispersion par Jésus (deux par deux) dans toutes les nations,
Les trinitaires identifient le Paraclet au Saint-Esprit de la trinité (c’est à pour annoncer l’Evangile (oral), ne permit pas la conservation parfaite des
dire à la « troisième personne divine » selon eux), mais cela est infirmé par vraies paroles de Jésus, ni des vraies circonstances de sa mission. C’est
les évangiles eux-mêmes (à condition toutefois de les interpréter correcte- pourquoi des différences notables existent entre les versions évangéliques,
ment, comme l’a fait l’Imam Abou Hamid Al-Ghazali, que Dieu l’agrée). qui ont été rédigées à des époques non définies avec exactitude, et même
Jean, 16,5 à 14 : « Maintenant je m’en vais vers Celui qui m’a envoyé, et probablement (selon les savants Chrétiens eux-mêmes) après la mort de
aucun d’entre vous ne m’interroge : Où t’en vas-tu ? Mais parce que je vous ai leurs auteurs supposés. C’est qu’à cette époque, les traditions orales con-
dit cela, la tristesse a rempli votre cœur. Cependant moi je vous dit la vérité : stituaient encore le mode de transmission par excellence. Ce mode de
Mieux vaut pour vous que moi je m’en aille, car si je ne m’en vais pas, le « transmission est valable jusqu’à un certain point, tant que les rapporteurs
Paraclet » ne viendra pas vers vous ; mais si je pars, je vous l’enverrai. Et une ne sont pas obligés de se cacher, et peuvent ainsi confronter leur mémoire
fois venu, celui-là confondra le monde à propos de péché, et de justice, et de en se réunissant et en travaillant à cette oeuvre de recension et d’examen
jugement... J’ai encore beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les scientifique dans de bonnes conditions extérieures. Les persécutions dont
porter à présent. Quand il viendra, celui-là, l’Esprit de vérité, il vous guidera ils étaient l’objet ne permettaient pas de réunir ces conditions minimales.
vers la vérité totale ; car il ne parlera pas de lui-même, mais il dira ce qu’il Pour revenir à la confusion entretenue par les trinitaires entre le « Saint-
entend, et il vous annoncera ce qui doit venir. Celui-là me glorifiera292, car Esprit » (qui selon eux est Dieu en personne) et l’autre « Paraclet » annoncé
c’est de ce qui est à moi (l’Evangile restauré, n.d.r.) qu’il prendra, et il vous par Jésus, elle est catégoriquement démentie par les évangiles eux-mêmes,
l’annoncera ». car Luc (3,22 et 1,35) affirme que ce Saint Esprit était déjà descendu à
Le passage qui suit directement ces dernières paroles est « ambigu » et plusieurs reprises (sur Jésus et même sur Marie) avant que Jésus ne dise :
métaphorique, et nécessite une interprétation : « Tout ce qu’à le Père est à « Je dois m’en aller pour que le Paraclet vienne » (« Mieux vaut pour vous
moi ; voilà pourquoi je vous ai dit : C’est de ce qui est à moi qu’il (le Paraclet) que moi je m’en aille, car si je ne m’en vais pas, le « Paraclet » ne viendra pas
doit prendre, et il vous l’anoncera ». Dans ce passage, le mot « Tout » est vers vous ; mais si je pars, je vous l’enverrai »).
peut-être une interpolation. Mais il peut être métaphorique : dans ce cas il Avant cela, au tout début de la mission de Jésus, Luc (3,21-22) écrit :
se réfère à l’Evangile, qui contenait effectivement une vérité parfaite, « Or donc, comme tout le peuple avait été baptisé (par Jean-Baptiste, Yahya
« totale », mais que les gens ont refusé d’entendre, et qui n’a donc été tran- en arabe), et que Jésus, baptisé lui aussi, était en prière, le ciel s’ouvrit, et
scrit que partiellement. Par ailleurs, Jésus lui-même s’est abstenu de l’Esprit, l’[Esprit] Saint, descendit sur lui sous un aspect corporel, comme une
délivrer son Message en entier pour ces mêmes raisons : on ne voulait pas colombe. Et une voix advint du ciel : « C’est toi, mon Fils293, le Bien-aimé, tu
l’entendre chez ses adversires, d’une part, et d’autre part chez ses amis, on as toute Ma294 faveur ».
ne pouvait pas le recevoir complètement (ainsi qu’il le dit : « J’ai encore Ainsi, le Paraclet (l’Esprit de vérité, de sainteté, c’est à dire Mohammed
beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez les porter à présent ».292b très louangé) scellera toute chose : il complètera et rendra universel le
Ceci, non seulement parce que ses apôtres étaient illettrés et peu instruits, Message que Jésus a commencé à révéler et que les Juifs ont rejeté. Et pour
mais surtout parce qu’ils étaient persécutés eux aussi, et que les conditions consoler ses disciples de son propre départ, Jésus explique que son départ
matérielles manquaient pour une fixation écrite vraiment fiable des est une condition indispensable pour que l’autre Paraclet vienne. Et Jésus
Paroles de Jésus. Pour que cela puisse se produire, il aurait fallu que les en parle comme d’un proche, comme d’un membre de son propre corps,
douze apôtres de Jésus ne soient pas dispersés et fassent un travail de recen- comme de lui-même, et cela est conforme à la proximité affective et spir-
sion minutieux, en commission, durant plusieurs mois, voire plusieurs ituelle qui existe entre les croyants, et combien plus entre les Prophètes,
années, et qu’ils finalisent ainsi un travail expertisé par eux-mêmes, qui surtout les deux derniers : Mohammed et Jésus.
étaient les seuls témoins humains de Jésus « depuis le commencement ». Ayant reçu de Dieu le même Esprit de vérité et de sainteté, ils sont en
Mais les drames se succédèrent jusqu’à leur mort (beaucoup d’entre eux, effet les plus proches des frères : ce qui est à l’un est à l’autre. C’est ainsi

292 - C’est à dire me rendra ma gloire, la « purifiera » des mensonges dont on m’a affu- 293 - Mon « Fils » : expression métaphorique signifiant : Mon Messie. Nous étudierons
blé, et rétablira toute la vérité à mon sujet. plus précisémment cette notion dans le prochain chapître : les métaphores bibliques.
292b - Jean 16, 12. Paul confirme cela en 1 Corinthiens 13, 9-10 : « Car partielle est 294 - « mon et « ma » (qui se rapportent à Dieu, dans ce texte), sont mis sans majuscule
notre science, et partielle notre prophétie.Mais lorsque viendra ce qui est parfait, ce qui par le traducteur E. Osty, alors que lorsque Jésus dit « mon Nom » (par ex. en Jean 14,26),
partiel sera aboli » La Bible, E. Osty op. cit. le traducteur met « Nom » avec une majuscule, alors qu’il s’agit du nom de Jésus.

256 257
Moïse, Jesus et Mohammed

qu’il faut comprendre la façon dont Jésus parle de Mohammed (« je vous PARTIE VII
l’enverrai »), alors que bien sûr, c’est Dieu seul qui envoie et que tout (Les métaphores bibliques)
dépend en réalité de la volonté Divine. Mais ils sont si proches de cette
volonté Divine, comme « éteints » en elle, qu’ils s’assimilent à elle dans leur
façon de parler. Jésus est le « Verbe de Dieu », c’est à dire qu’il ne parle plus
de lui-même, mais uniquement au Nom de Celui qui l’a envoyé, sinon il
se tait. C’est pourquoi il s’est tu durant le procès inique que lui ont fait
subir les grands-prêtres Juifs : Dieu ne lui inspirait aucune parole à ces
moments-là, alors Jésus se taisait. Il ne parlait que sous l’inspiration. Pour
Mohammed - sur lui la grâce et la paix -, c’était un peu différent : il sig-
nalait lui-même les Paroles qui lui venaient de Dieu, et les séparait de ses
propres paroles (hadith), car il menait à la fois une vie humaine « ordinaire
», « physique » (pour montrer l’exemple dans la vie courante), et une vie «
métaphysique » avec Dieu. L’aspect « métaphysique » chez Jésus - sur lui la Dieu et les « dieux » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .260
paix - avait complètement absorbé l’aspect « physique », car telle était sa
mission particulière. Il ne venait pas pour établir une nouvelle loi, une La Chahada de Jésus, sur lui la paix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .266
autre façon de vivre, tout cela les Juifs, les Pharisiens (comme il le fait
remarquer lui-même) le connaissaient déjà, il n’y avait qu’à observer les
prescriptions connues. Son rôle était de « ressusciter » une spiritualité
(métaphysique, ou « mystique ») moribonde, et c’était donc là son message
essentiel.
Mohammed, lui, avait tout un nouveau monde à construire : transmet-
tre les deux aspects de la religion, car ces deux aspects (métaphysique et
physique, c’est à dire ésotérique et exotérique) étaient inconnus de son
peuple (comme de tous les autres peuples « illettrés », toutes les nations qui
n’avaient pas de Livre de Dieu).
S’étant « éteints » en Dieu, tous les prophètes sont, dans l’invisible, sem-
blables en esprit, malgré les différences extérieures qui s’expliquent par les
circonstances et le contexte de leur missions. Les buts sont les mêmes,
mais les réalités contingentes différentes ; c’est pourquoi leurs interven-
tions diffèrent également, du moins en apparence. La Réalité essentielle (et
ultime) dont ils procèdent est Une, c’est Dieu, exalté et magnifié soit-Il.

258 259
Moïse, Jesus et Mohammed

DIEU ET LES « DIEUX » C’est sans aucun doute ce qui explique le recours au langage allusif,
métaphorique, parabolique, des Messages de Dieu. Dans Son ultime
Message, Dieu a réduit au maximum les métaphores et les paraboles, tout
ce qui peut paraître ambigu et porter à des interprétations déviantes par
rapport à ce qu’Il a voulu exactement dire. Et ce n’est pas facile parce que,
pour atteindre nos intellects, Dieu utilise forcément nos propres mots,
concepts, et que les « univers mentaux » changent à chaque époque, et
même d’un individu à l’autre. Rien n’est difficile à Dieu, mais à nous, la
compréhension des vérités Divines est complexe. La difficulté ne réside
Part. VII Chap. I pas à la source (en Dieu) mais à l’arrivée (jusqu’à nous).
C’est pourquoi le « style » coranique tranche avec le style biblique. C’est
pourtant la même vérité qui y est exprimée, mais dans des langages
humains différents, car il s’agit bien de langages humains que Dieu a util-
On a vu au cours de cet ouvrage que le premier Concile de Nicée (en 325 isé dans les deux cas. Ces langages sont différents, les notions, symboles,
ap. J.-C.) avait décidé la déification du Prophète Jésus, sur lui la paix. Sa images, contextes culturels sont différents, bien qu’il existe aussi des simil-
qualité de Prophète et de Messager est attestée dans le Coran, ainsi que sa itudes de forme. Dans le Coran, Dieu utilise aussi des Paraboles, car l’in-
qualité de Messie et de Verbe de Dieu. Il y est aussi appelé Esprit de Dieu tellect humain a besoin d’images pour comprendre certaines notions
(c’est à dire un Esprit venant de Dieu, une Grâce qu’il avait reçue, comme abstraites.
d’autres avant lui, et comme Mohammed après lui : un Esprit de vérité et de C’est pourquoi les conflits « théologiques » ne sont souvent que des
sainteté procédant de l’Ordre de Dieu). Ceci afin d’être un guide, pour les querelles de mots. Si l’on n’est pas d’accord, conventionnellement, sur le
hommes, vers Dieu. Mais ces qualités ne font pas de Jésus, ni de sens des mots utilisés, comment pourrions nous nous comprendre ? Et
Mohammed, ni d’aucun autre Messager de Dieu, des « dieux » eux-mêmes, c’est ce qui se passe entre Musulmans et Gens du Livre, et même entre
au sens propre. Dans un langage métaphorique (dans l’Ancien et le Nouveau Gens du Livre, et même entre Musulmans parfois.
Testaments), les croyants les plus distingués ont été appelés « des dieux ». Par exemple, en Islam, le mot « Dieu » (Allâh) ne peut être appliqué qu’à
L’origine de ces métaphores n’est pas Divine, assurément, mais humaine. Il Celui qui est Unique, le Créateur qui a créé toute chose, qui est le
s’agit d’un langage proprement humain. Cela ne signifie pas que Dieu n’ait Miséricordieux, le Saint, etc. (cf. les 99 Noms de Dieu en Islam). Il en va
pas parlé ce langage humain à un moment de l’histoire du peuple Juif, et Lui différemment dans le Judaïsme et le Christianisme : le mot « dieu » peut
seul le sait. Il n’est pas absurde que Dieu parle nos langages, car comment être appliqué à des créatures (ce qui n’en fait pas des égales de Celui qui
autrement Se ferait-Il comprendre de nous ? Ainsi, il ne faut pas trop don- est appelé Eloha, ou Elohim, ou Yahvé, ou Jéhovah, etc., et qui est désigné
ner d’importance à la « forme » des mots dans les Messages antérieurs, mais comme l’Unique, le Très-Haut, l’Eternel, etc.).
rechercher leur sens réel, car à y bien réfléchir, tout « mot » humain est une Mais Jésus lui-même, selon les évangiles, a expliqué le caractère
métaphore. La preuve, si l’on dit : « feu », cela n’enflamme rien. C’est que le métaphorique du mot « dieu » quand il est appliqué à des créatures (ainsi
mot n’est que son et signe, « image », « symbole », convention humaine, et que l’a fait remarquer l’Imam Ghazalî dans son ouvrage qui nous sert de
non pas la réalité qu’il évoque. Pour nous parler, Dieu a toujours utilisé nos guide et détermine notre méthode).
langages, aussi imparfaits soient-ils. Si, dans nos langages, nous entretenons Evangile selon Jean (10,24 à 36) :
des confusions, si le même mot peut désigner des réalités fort différentes « Les Juifs donc l’entourèrent et lui dirent : « Jusqu’à quand nous tiendras-tu
(comme dans le cas du mot « dieu » dans la Bible), cela n’est évidemment pas l’âme en suspens ? Si c’est toi, le Christ295, dis-nous le ouvertement ». Jésus leur
de la « faute » de Dieu. Les carences viennent de nos langues, pas de Sa Parole répondit : « Je vous l’ai dit, et vous ne croyez pas. Les oeuvres que moi je fais au
(même si elle emprunte forcément les voies de notre langage). Nom de mon Père296, ce sont celles qui témoignent à mon sujet ; mais vous,
Dans Sa Parole, il y a donc « l’Esprit » (l’essence inexprimable transcen- vous ne croyez pas, parce que vous n’êtes pas de mes brebis297 à moi. Mes brebis
dante, métaphysique) et la lettre, qui utilise des voies humaines (lettres, à moi écoutent ma voix, et moi je les connais, et elles me suivent ; et moi je leur
signes, sons, images, symboles, supports, paraboles, métaphores, etc.) pour
atteindre notre intelligence, qui est limitée par nature et conditionnée par sa 295 - Christ est un mot d’origine grecque qui traduit le mot d’origine sémitique Messie.
culture. La « descente » du « supra-humain » dans l’humain suit donc un 296 - C’est à dire Dieu l’Unique en langage biblique.
« canal » « réduit » pour ne pas anéantir le réceptacle humain. 297 - C’est à dire ses disciples, puisque Jésus est leur « Berger » (Pasteur, Guide, Imam).

260 261
Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

donne la vie éternelle, et elles ne périront jamais, et nul ne les arrachera de ma Les métaphores filiales et conjugales301 sont fréquentes dans la Bible,
main. Mon Père, qui me les a données, est plus grand que tout, et nul ne peut pour évoquer l’amour de Dieu pour Ses créatures. Ce langage
rien arracher de la Main de mon Père. Moi, et le Père, nous sommes un ».298 métaphorique « parlait » plus directement au coeur des croyants de ces
« Les Juifs apportèrent de nouveau des pierres pour le lapider. Jésus leur époques anciennes, et tranchaient avec un monde très dur où l’esclavage
répondit : « Je vous ai montré, venant du Père, beaucoup de belles oeuvres ; était monnaie courante et les guerres impitoyables. Le premiers Chrétiens,
pour laquelle de ces oeuvres voulez-vous me lapider ? » Les Juifs lui comme les Juifs, ne doutaient pas du caractère métaphorique de ces
répondirent : « Ce n’est pas pour une belle oeuvre que nous voulons te lapider, expressions, mais certains leur ont appliqué un sens littéral absurde.
mais pour blasphème, et parce que toi, étant un homme, tu te fais Dieu ». Jésus Adam est appelé « Fils de Dieu » dans l’évangile de Luc (3,38).
leur répondit : « Ne se trouve-t-il pas écrit dans votre Loi : Moi, J’ai dit : vous Dans la Genèse (6,2 à 4), les Anges sont appelés « Fils de Dieu ».
êtes des dieux ? (Cf. Psaume 86,2) Que si [la Loi] a appelé dieux ceux à qui Le livre de l’Exode (attribué à Moïse) dit : « Tu diras à Pharaon : Ainsi
la parole de Dieu a été adressée - et l’Ecriture ne peut être abolie - celui que le parle Yahvé : Israël est mon fils premier-né ». (4,22)
Père a consacré et envoyé dans le monde, vous [lui] dites, vous : Tu blasphèmes Selon la Genèse (7,1), Dieu a dit à Moïse : « Vois ; J’ai fait de toi un
- parce que j’ai dit : Je suis Fils de Dieu ! Si je ne fais pas les oeuvres de mon dieu302 pour Pharaon, et Aaron, ton frère, sera ton prophète ».
Père, ne me croyez pas ; mais si je les fais, quand même vous ne me croiriez Dans le Psaume 89 (attribué à Etân l’Ezrahite),303 il est écrit : « Tu es
pas, croyez les oeuvres, afin de connaître une fois pour toutes que le Père est en Mon Père, Mon Dieu ». (89,27)
moi et moi dans le Père ». Et ils cherchaient donc de nouveau à l’appréhender, Dans son Epître (3,9-10), Jean appelle « enfants de Dieu » ou « enfants
et il échappa à leurs mains ». du diable » les êtres humains, selon leur foi et leurs oeuvres.
Commentant ce texte, l’Imam Abou Hamid al-Ghazalî dit : « Ce passage Dans le 2ème livre de Samuel, il est écrit : « Moi, Je serai pour lui (David
est en faveur de la thèse que nous voulons établir à propos de la question de et les Israëlites) un Père et lui sera pour Moi un fils ; s’il faut, Je le corrig-
l’union./.../ Nous trouvons aussi dans notre Loi quelque chose de semblable. Le erai... ». Dans cette métaphore, il est fait allusion au caractère bienveillant
Prince des Prophètes (Mohammed très louangé) a dit en s’exprimant au nom et protecteur de Dieu (comme un Père) qui peut aussi se montrer désap-
de Dieu : « Ceux qui veulent se rapprocher de Moi, n’y arriveront jamais probateur.
mieux qu’en accomplissant Mes préceptes. Puis Mon serviteur ne cessera de se Dans Isaïe (43,6-7), il est écrit : « Je dirai au Nord : Donne ! et au Midi :
rapprocher de Moi par les oeuvres surérogatoires jusqu’à ce que Je l’aime. Et Ne retiens pas, fais venir Mes fils et Mes filles de l’extrémité de la terre, tous
quand Je l’aurais aimé, Je serai pour lui l’oreille par laquelle il entend, l’oeil ceux qui sont appelés de Mon Nom, que J’ai créés pour Ma gloire, que J’ai
par lequel il voit, la langue par laquelle il s’exprime, la main par laquelle il façonnés, que J’ai faits ».
accomplit des exploits ». /.../ C’est là un genre de métaphore dont l’emploi est Dans Jérémie (31,9) : « Car Je suis un Père pour Israël, et Ephraïm (un fils
correct, parfaitement licite et hors de conteste. ‘Issa (Jésus), d’ailleurs, a de Joseph, n.d.r.) est Mon premier-né ».
indiqué dans ce passage, le sens métaphorique, /.../ Il s’y est nettement proclamé Dans l’évangile de Jean (1,17-18), Jésus est appelé « un dieu », en
Envoyé de Dieu et s’est défendu de prétendre à la divinité comme les Juifs référence au Psaume 82 : « J’avais dit : Vous êtes des dieux, des fils du Très-
l’avaient cru ».299 Haut, vous tous. Et bien ! comme des hommes vous mourrez... ». Ce passage
L’Imam utilise une méthode simple pour étudier la Bible : si les passages indique la grandeur et la décadence des fils d’Israël en particulier (et de tous
sont en accord avec la raison, ils doivent être pris dans leur sens littéral ; les humains en général), car Dieu a créé l’homme dans la « plus haute sta-
dans le cas contraire, il faut les comprendre dans un sens métaphorique.300 tion », et ensuite Il l’a fait tomber au plus bas, comme l’indique le Coran.
C’est ce qu’ont fait les gens sensés depuis toujours. Mais, en matière de Dans son ouvrage consacré à cette question, l’Imam Ghazalî cite Paul
religion, la passion l’emporte trop souvent sur la saine raison, et les fana- de Tarse et dit que « Paul a donné toute cette explication (sur les métaphores
tiques sont les plus aveuglés des humains, quelque soient leurs passions.
301 - Un exemple de métaphore conjugale (Isaïe 54,1 et 5) : « Crie de joie, stérile... Car
298 - Il s’agit de l’unité de volonté, puisque Jésus, en tant que Soumis « éteint » devant la plus nombreux sont les fils de la délaissée... Car ton mari est Celui qui t’a fait ». « Mari »
volonté Divine, a abdiqué de toute volonté personnelle. Il évoque ici une station (maqâm) désigne Dieu dans ce passage. A la lecture de ce chapitre d’Isaïe, on pense à Agar (la
spirituelle qu’on appelle, en Islam (soufisme) : al-Fanâ (l’extinction). Elle corespond au « délaissée »), à La Mecque (stérile), à la nation issue d’Ismaël (plus nombreux sont ses fils).
Hadith Qudsî déjà cité (« Je suis la main avec laquelle il saisit », etc.) Mais Dieu sait mieux.
299 - Réfutation Excellente de la divinité de Jésus Christ (Al-Rad Al-Jamil li Ilahiyat 302 - C’est à dire un être très puissant, doté par Dieu de pouvoirs miraculeux.
Issa...), p. 9-10. Al-Bouraq 303 - S’agit-il d’un disciple d’Ezra (Esdras ou Ozaïr en arabe), qu’une partie de ses dis-
300 - Ibid. Op. cit. p. 8. ciples avaint déifié ?

262 263
Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

bibliques, n.d.r.) dans sa première304 lettre [aux Corinthiens]..., d’une Gens du Livre. « Engendré » et « né » sont clairement des métaphores sans
manière qui ne laisse subsister aucun doute, sauf pour celui qui aurait perdu aucun sens obvie.
ses deux guides, la Raison et la Science. Il dit donc : «...il n’y a de Dieu que C’est parce qu’elle furent finalement mal comprises et utilisées par les
l’Unique. Car, bien qu’il y ait de prétendus dieux, soit au ciel, soit sur terre - hérétiques, que Dieu condamna l’interprétation littérale et dit dans le
et de fait il y a quantité de dieux et quantité de seigneurs - pour nous du Coran :
moins, il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui viennent toutes choses et pour De par le Nom de Dieu Tout-Miséricordieux, Tout-Compatissant,
qui nous sommes, et un seul Seigneur, Jésus Christ... ».305 « Dis : « Il [est] Dieu l’Un,
Jésus, dans les évangiles, confirme à plusieurs reprises le caractère Dieu qui Se suffit à Lui-même.
métaphorique de ces expressions anciennes : Il n’a pas engendré et n’a pas été engendré
« Heureux ceux qui font oeuvre de paix, parce qu’ils seront appelés fils de et Il n’a aucun pair». (Sourate de la Foi Pure (al-’Ikhlâs), Coran 112.)307
Dieu » (Matthieu 5,9) « A Dieu appartient l’Orient et l’Occident. En quelque direction que vous
« Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent, afin de vous vous orientez, vous serez en face de Lui. Dieu est immense et omniscient.
montrer fils de votre Père qui est dans les cieux, parce qu’Il fait lever Son soleil Ils affirment que Dieu a adopté un fils. Tant s’en faut ! Gloire à Lui ! Ce
sur les mauvais et sur les bons et pleuvoir sur les justes et les injustes ». qui est dans les cieux et sur la terre lui appartient. Tout Lui est soumis.
(Matthieu 5,45) Il est l’Unique Créateur des cieux et de la terre. Quand Il prend une déci-
« Votre salaire sera grand, et vous serez fils du Très-Haut... » (Luc 6,35) sion, Il Lui suffit de dire : « Sois » et elle est.
« Et nous avons contemplé sa gloire, gloire comme celle que tient de son Père Ceux qui ne savent pas disent : « Pourquoi Dieu ne nous parle-t-Il pas
un fils unique ». (Jean, 1,14) [directement], ou ne nous adresse-t-Il pas un signe ? » Ainsi s’exprimaient les
« Dieu, personne ne l’a jamais vu ; un dieu306, fils unique qui est dans le générations qui les ont précédés. Leurs cœurs sont semblables. En vérité, Nous
sein du Père, celui-là l’a fait connaître » (Jean 1,18) avons clairement manifesté Nos signes à des gens qui ont la foi ».
« Je m’en vais vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu » (Coran 2, 115 à 118)
(Jean 20,17) La vérité vient de Dieu le Très Grand.
Selon l’évangile de Jean, Jésus a adressé cette prière à Dieu en faveur de
ses disciples : « Qu’ils soient un comme nous sommes un, Toi en moi et moi en
Toi » (17,20). La métaphore est très claire ici aussi : si le fait d’être « un »
avec Dieu signifiait qu’on accède à la divinité (qu’on devient Dieu soi-
même), alors il y aurait bien plus de « dieux » que dans la trinité chrétienne
; tous les croyants seraient alors autant de « dieux ». Et ils ne pourraient
certes pas l’être, sinon par métaphore.
Dans sa première lettre (Epître), Jean (5,1-2) écrit : « Quiconque croit
que Jésus est le Christ (Messie), est né de Dieu ; et quiconque aime Celui qui
l’a engendré, aime celui qui est né de Lui. En cela nous connaissons que nous
aimons les enfants de Dieu et que nous pratiquons Ses commandements ». Ce
faisant, Jean, comme les autres évangélistes, et comme les prophètes
antérieurs (selon la Bible) utilise le langage métaphorique classique des

304 - La traduction publiée par Al-Bouraq dit : « la seconde épître », mais dans le classe-
ment canonique du N.T., il s’agit de la première épître aux Corinthiens (8,4 à 6). Nous
avons donc rectifié dans la traduction du texte d’al-Ghazalî.
305 - Op. cit. p. 39. Nous ne citons pas la fin de la citation, car la traduction de ce pas-
sage de l’épître par al-Ghazalî diffère sensiblement de celle que nous utilisons (E. Osty) et
ceci pourrait porter à confusion. Le traductions bibliques sont très variables d’un auteur à
l’autre, et parfois même très tendancieuses, c’est pourquoi il n’est pas aisé de travailler sur
ces textes.
306 - Jean reprend la réthorique métaphorique classique de la Bible. 307 Traduction du Coran de A. Penot. Ed Alif )

264 265
LA CHAHADA DE JÉSUS, SUR LUI LA PAIX plus évident pour eux, celui de Jean, fils de Zébédée ».308
Et les autres évangiles aussi, confirment ce fait, et notamment dans les
passages suivants :
« Qui vous accueille, c’est moi qu’il accueille, et qui m’accueille accueille
Celui qui m’a envoyé ». (Matthieu 10,40)
Dans le Coran (4,80), Dieu a des paroles voisines : « Quiconque obéit au
Prophète, obéit [par là-même] à Dieu », ainsi que d’autres versets (48,10,
etc.).
Selon l’évangile de Matthieu (19,16), Jésus refuse d’être appelé « Bon »
Part. VII Chap. II car c’est un Nom de Dieu : « Pourquoi m’appelles-tu bon ? Un seul est
Bon ».309
Dans l’évangile de Marc (12,29 à 31), Jésus dit : « Le premier (comman-
dement), c’est : Ecoute, Israël ! Le Seigneur notre Dieu est l’unique Seigneur, tu
Selon l’évangile de Jean, Jésus a dit : « Et telle est l’éternelle vie : qu’ils Te aimeras donc ton Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, et de toute ton âme, et
connaissent, Toi, le seul véritable Dieu, et celui que Tu as envoyé, Jésus- de toute ta pensée et de toute ta force. Le second (commandement) est celui-ci :
Christ ». (17,3) Voilà établie, de la façon la plus othodoxe qui soit, la pro- Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas d’autre commande-
fession de foi (Chahada en arabe) de Jésus le Messie, sur lui la paix. Il ment plus grand que ceux-là ».
déclare que pour obtenir la vie éternelle, il faut reconnaître que Dieu est Il est, je crois, inutile d’insister sur cette question tellement évidente. La
Unique et que Jésus est Son Envoyé. Il ne disait rien d’autre à son peuple. connaissance du caractère métaphorique des expressions « Fils, Père,
Et même lorsqu’il utilisait des paraboles et des métaphores (qu’ils connais- engendré », etc., est nécessaire à la bonne compréhension de la Bible. Le
saient également très bien depuis l’Ancien Testament), il ne disait en réal- dialogue Islamo-Chrétien est en quelque sorte tributaire de cette com-
ité rien d’autre. Mais il n’est de pire sourd que celui qui ne veut rien enten- préhension. Faire comprendre cette vérité aux Chrétiens leur ouvrira la
dre. porte du salut, si Dieu le veut. Il ne s’agit pas de leur faire renier Jésus, bien
Selon les évangiles, Jésus confirme ce fait à maintes reprises, et notam- au contraire, mais de leur faire recevoir, comme un authentique Messager
ment dans les passages suivants : de Dieu, le Messie qui était annoncé dans la Torah, car, ainsi que le dit l’é-
« C’est le Père qui m’a envoyé ». (Jean 5,36) vangile de Matthieu : « Qui accueille un prophète en qualité de prophète
« Je ne puis, moi, rien faire de moi-même. Selon ce que j’entends, je juge, et recevra un salaire de prophète ». (10,41)
mon jugement à moi est juste, parce que je ne cherche pas ma volonté à moi, « Avec les Juifs et les Chrétiens ne discutez que de la manière la plus [affa-
mais la volonté de Celui qui m’a envoyé ». (Jean 5,30) L’unité de volonté est ble] - sauf [quand il s’agit] de ceux qui commettent des injustices parmi eux.
ici directement exprimée et éclaire parfaitement les métaphores utilisées Dites-[leur] : « Nous croyons en ce qui nous a été révélé et en ce qui vous a été
par ailleurs. révélé. Notre Dieu et le vôtre sont le même Dieu et nous Lui sommes soumis
C’est pourquoi l’Imam Ghazalî déplore l’attitude invraisemblable des (« musulmans »). Nous t’avons ainsi révélé le Livre. Ceux à qui nous avons
trinitaires lorsqu’ils s’évertuent à nier ces évidences et continuent à inter- donné l’Ecriture y croient. Parmi ceux que voici, il y en a qui croient. Seuls les
préter dans un sens littéral les métaphores bibliques. L’Imam écrit : mécréants récusent Nos versets ». (Coran 29,46-47)
« Le croyant (chrétien) ne tient aucun compte des passages obvies de son pro- Louange à Dieu, Souverain de l’univers.
pre Livre où est indiquée l’humanité du fondateur de sa loi ; il ne fait excep-
tion que pour les passages qu’il se refuse à interpréter métaphoriquement et qui
appuient ses prétentions au sujet de la qualité divine (de Jésus, n.d.r.), faisant
en cela, à l’esprit, une violence manifeste. Il existe pourtant, dans l’Evangile,
des passages qui témoignent de l’humanité pure et simple de ‘Issa (Jésus) et ne fais plus de différence entre les quatre évangiles « canoniques » (officiels) de la chrétienté.
d’autres qui témoignent que lui attribuer la Divinité, ainsi qu’ils le préten- Ce n’était de ma part qu’une impression basée sur le fait que cet évangile est le plus tardif,
dent, est chose impossible. Ces passages se rencontrent dans l’Evangile qui est le et que les métaphores y sont plus nombreuses. Mais c’est aussi celui où le Paraclet y est
annoncé de façon plus insistante, alors que les autres évangiles n’y font qu’allusion, comme
308 - Ibid. Op. cit. p. 7. A propos de l’Evangile de Jean, j’avais écrit, dans mon premier indiqué précédemment.
ouvrage, que cet évangile était le moins sûr. J’ai révisé, depuis, mon jugement hâtif, et je 309 - Cyril Glassé traduit ar-Rahmân par « Le Très Bon ». Op. cit. p. 296.

266 267
PARTIE VIII
(La Notion de Combat dans les Trois Engagements)

Préambule . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .270
La Guerre dans la Bible . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .273
Le Jihâd en Islâm . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .277
Islam et Paix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .285

269
Moïse, Jesus et Mohammed

PRÉAMBULE 310 « Notre parole a été antérieurement donnée à Nos serviteurs, les Envoyés,
qu’ils seront assistés [par Nous] et que Notre armée sera victorieuse ».315
Pour autant, cela ne doit pas nous rendre arrogants et injustes, au con-
traire. L’Islam ne pourra plus jamais être en danger réel de disparition, car
le Coran ne peut être révoqué. Nous devons donc être courtois, ainsi que
Dieu nous l’ordonne, et avec encore plus d’assurance dans nos rapports
avec le reste des humains, car nous sommes les vainqueurs de toute éter-
nité, conformément à la Parole de Dieu, exalté et magnifié soit-Il. La Foi
en Dieu nous dote d’une crainte révérencielle pour Lui, et enlève de nous
Part. VIII Chap. I toute crainte face à une autre puissance créée, humaine ou autre, à tel point
que l’armée la plus puissante du monde n’est qu’une fragile « toile
d’araignée ». Et Dieu nous dit :
« Ceux qui se sont donnés des maîtres en dehors de Dieu sont comparables à
On oppose souvent l’Islam aux droits de l’homme, en occultant le fait l’araignée qui prend [sa toile pour] demeure. En vérité, la plus frêle des
que l’Islam a reconnu à l’homme des droits qu’il n’avait jamais eus aupara- demeures est bien celle de l’araignée. Si seulement ils savaient ! »
vant : «...vous n’avez pas à redouter [les Non-croyants]. C’est Moi qu’il faut red-
« Quiconque tuerait une personne non coupable d’un meurtre ou d’une cor- outer, pour que Je parachève Mes bienfaits à votre égard et pour que vous soyez
ruption sur la terre, c’est comme s’il avait tué tous les hommes. Et quiconque lui sur la bonne voie ».
fait don de la vie, c’est comme s’il faisait don de la vie à tous les hommes ».311 « Le Croyant et la Croyante n’ont plus à choisir sur une affaire déjà tranchée
« O hommes ! Nous vous avons crées d’un mâle et d’une femelle ; Nous vous par Dieu et par Son Envoyé. Quiconque désobéit à Dieu et à Son Envoyé s’é-
avons répartis en peuples et en tribus. Le plus noble d’entre vous auprès de Dieu gare de toute évidence ».316
est le plus pieux. Dieu est Omniscient, en vérité, et bien informé ».312 En Islam, le Jihâd ne veut pas dire « guerre » mais Effort, Lutte, Zèle,
Méconnaissant cet apport historique de l’Islam à la pensée universelle, Combat. Guerre se dit Harb, pas Jihâd. Le Jihâd est donc multiforme. Le
les Gens du Livre nous opposent ces notions (droits de l’homme, etc.) plus grand est le Jihâd ul-Nafs : c’est celui pour maîtriser l’âme charnelle,
comme étant en contradiction avec les fondements de l’Islam. Certes, il y les passions profanes, l’attrait de ce bas monde trompeur et les suggestions
a, parmi ceux qu’on appelle « intégristes » (dans toutes les confessions de l’ennemi de Dieu et du genre humain, que Dieu nous en protège. Le tra-
d’ailleurs), des vrais criminels (appelés parfois « terroristes »313) qui défig- vail accompli en ce bas-monde, conformément à l’enseignement du
urent la religion. Prophète (sur lui la Grâce Divine et la Paix) est aussi un effort pour le bien
Dieu a annoncé que l’Islam deviendrait le religion dominante sur la collectif et individuel. Ce travail constitue une adoration : c’est l’énergie
planète, et cela s’est opéré sous nos yeux durant les dernières décennies. que le Musulman dépense dans le cadre de son activité pour subvenir aux
« Quiconque prend pour alliés Dieu, Son Prophète et ceux qui croient... En besoins de sa famille, de son pays et de l’humanité. Au-delà de la dignité
vérité, les partisans de Dieu seront les vainqueurs ».314 d’Homme que lui procure le fruit de son travail, de l’indépendance d’esprit
qu’il acquiert, de l’organisation du temps qu’il maîtrise et qu’il oriente selon
310 - Nous avons emprunté plusieurs passages de ce préambule à notre ami Serigne ses besoins et aspirations spirituels, mais aussi de l’hygiène et de la santé
Ahmadou Drame (Cf. Préface de notre biographie de Khadimou-Raçoul (« Vie et corporelle qu’il met à la disposition de sa communauté, son travail fera que
Enseignement du Cheikh Ahmadou Bamba ». Ed. Al-Bouraq, 1998). ses ennemis qui ne connaissent pas Dieu et qui ne respectent pas ses con-
311 - Coran 5,32. Traduction d’après celle de M. Hamidullah. Ce précepte divin avait victions religieuses, seront obligés de respecter au moins sa force physique,
déja été indiqué aux Juifs. (Cf. D. Masson. Note 32 Sourate V. Le Coran Tome I. Ed. sa réussite sociale et matérielle.316b
Gallimard 1967). Nous reviendrons sur l’aspect « militaire » du Jihâd. Il s’agit du « Petit
312 - Coran 49,13.
313 - Et qu’il ne faut pas confondre avec les vrais « résistants », lesquels suivent les pré- 315 - Coran 37,171 à 173.
ceptes du juste Combat (Jihad), et ne s’en prennent jamais aux populations civiles, au 316 - Coran 29,41 ; 2,150 et 33,36.
femmes et aux enfants, aux non-combattants, conformément à la Sounnah du Prophète et 316b - Cf Ahmadou Dramé. Préface à notre ouvrage « Vie et Enseignement du Cheikh
de ses Khalifes bien-guidés. Ahmadou Bamba ». Sur la notion de Travail - Adoration : voir chapitre VIII de cet
314 - Coran 5,56. ouvrage Ed. Al-Bouraq. 1998

270 271
Moïse, Jesus et Mohammed

Jihad » dont l’envoyé de Dieu a parlé au retour d’une expédition militaire LA GUERRE DANS LA BIBLE
pour la sauvegarde de la communauté musulmane naissante : « Nous
sommes revenus du petit Jihad pour nous livrer au grand Jihad ». (317)
Mais avant cela, voyons quelles sont les paroles de la Bible en ce qui
concerne la guerre.

Part. VIII Chap. II

Tout d’abord, la notion de guerre, sinon sainte, du moins juste ou jus-


tifiée par des cas de force majeure, a toujours existé dans les religions.
Comme chacun le sait, la notion de « guerre sainte » est propre au chris-
tianisme (à partir des Croisades) et Dieu et le Sceau des Messagers très
louangé ne l’ont pas formulée ainsi.318
Selon les recensions évangéliques, le Prophète Jésus (sur lui la Paix) a
plutôt utilisé le symbole du « glaive » (épée) pour désigner la guerre qu’il va
mener319. Le Retour de Jésus, selon les hadîths relatifs à la fin des temps,
sera effectivement marqué par un grand conflit entre, d’un côté, les
Incroyants subjugués par l’Antéchrist et, de l’autre, les Musulmans con-
duits par le Mahdi.
L’Ancien Testament relate une multitude de guerre justes menées par les
croyants pour se défendre contre leurs adversaires de toujours. D’après le
livre de la Genèse, le Prophète Abraham (paix sur lui) combattit des Rois
qui avaient pillé les biens de son neveu Lot.
Moïse combattit, les armes à la main, ses ennemis parmi les Juifs et
parmi les autres nations. Son successeur Josué lutta contre les anciens
occupants idolâtres de Palestine. David fut également un Prophète guer-
rier. Puis, plus tard, les Frères Macchabées luttèrent contre les occupants
polythéistes Grecs, etc.
Tout ceci est bien connu de tous, notamment des Juifs et des Chrétiens
qui reprochent parfois à l’Islam d’être une religion belliqueuse. Un exa-
men attentif des sources et de l’histoire permet d’établir au contraire
clairement que l’Islam est, certes, la religion la moins belliqueuse qui soit,
du moins dans sa forme ultime « Mohammédienne » (car les religions
antérieures aussi étaient des formes de l’Islam éternel, comme on l’a vu).

318 - Dans le Coran, c’est le mot Jihad (Effort, Lutte, Zèle) qui est volontairement uti-
lisé, car ses acceptions sont nombreuses et n’enferment ainsi pas ce terme dans la seule accep-
tion « guerrière », ainsi que l’a dit le Prophète, et ainsi que l’ont confirmé les savants
musulmans, et notamment les maîtres soufis.
317 - Hadîth rapporté par al-Munawî, Rûmî, et d’autres. 319 - Mathieu 10,34-37. Traduction E. Osty. Seuil, 1973.

272 273
Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

Le reconnaître est facile à ceux qui étudient un tant soit peu la question. dire, de la guerre, s’est ainsi opérée. Nous parlons des guerres menées par les
D’ailleurs, tout l’effort actuel du Diable (que le Seigneur Dieu nous en vrais croyants. Car pour ce qui concerne les guerres des impies, elles ont
protège !) est de faire croire le contraire, en suggérant sa propre folie aux « toujours été beaucoup plus atroces, et ceci à toutes les époques. Ainsi au
terroristes » qui font la une des journaux. Je parle des injustes, ceux qui ne temps de Moïse, les ennemis idolâtres ne se contentaient pas, comme les
respectent pas les commandements de Dieu, ni les ordres du prophète, ni Juifs, de massacrer leurs prisonniers à l’épée, mais ils les torturaient le plus
les directives des Savants bien guidés qui sont les successeurs des longtemps possible, avant de les brûler vifs ou de les noyer, ou de les jeter
prophètes. L’Islam nous interdit de persécuter et de tuer des non combat- aux bêtes féroces, de les sacrifier à leurs idoles, etc. L’enfer n’est que la repro-
tants, la chose est claire. Les « terroristes » ne peuvent se réclamer de duction de ce qu’ils ont fait et c’est là ce qu’ils subiront eux-mêmes à leur
l’Islam. Par contre, il en va autrement des « résistants » à l’oppression (en tour, après leur Jugement dernier.
Palestine notamment), du moins ceux qui combattent pour la justice avec Dans le Deutéronome (20, 1 à 14), Dieu aurait dit au peuple (alors) élu
une intention pure et n’emploient pas de moyens prohibés par la religion. : « Lorsque tu partiras (ô Israël) combattre contre tes ennemis et que tu verras
Dans l’antiquité, les Croyants parmi les fils d’Israël (sur lui la paix) des chevaux, et des chars, et une troupe plus nombreuse que toi, tu n’en auras
furent autrement plus guerriers et implacables, dans leurs guerres, que les pas peur ; car Yahvé, ton Dieu, est avec toi, Lui qui t’a fait monter du pays
Croyants de la communauté de Mohammed très louangé, sur lui la grâce d’Egypte. Lors donc que vous serez près de combattre, le prêtre s’avancera et par-
divine et la paix. Le fait est historique et indéniable. lera au peuple. Il leur dira : « Ecoute, Israël ! Vous êtes aujourd’hui sur le point
Les quatre derniers livres du Pantateuque, ainsi que les livres de Josué, de combattre contre vos ennemis ; que votre cœur ne mollisse pas, ne craignez
des Rois, etc., regorgent de sang et de fureur. L’Anathème fut prononcé pas, ne vous troublez pas, ne tremblez pas devant eux ; car Yahvé, votre Dieu,
par Moïse (sur lui la paix) contre sept peuples cananéens qu’il fallait donc marche avec vous pour combattre pour vous contre vos ennemis afin de vous
totalement exterminer. C’était un génocide planifié au sens contemporain sauver /.../
du terme.320 C’est ainsi. Et, si la Bible est fidèle à son original sur ce point, Lorsque tu approcheras d’une ville pour combattre contre elle, tu lui offriras
c’est que cela était justifié par les conditions de l’époque, n’en déplaise aux la paix. Que si elle te répond par la paix et t’ouvre [ses portes], toute la popula-
âmes sensibles. La non violence prônée en Islam n’a rien à voir avec la sen- tion qui s’y trouve sera soumise pour toi à la corvée et te servira. Et si elle ne fait
siblerie. C’est plutôt l’expression d’un surcroît de miséricorde de la part de pas la paix avec toi et engage avec toi le combat, tu l’assiégeras, et quand Yahvé,
Dieu envers les humains de la fin des temps, car en réalité le monde est ton Dieu, l’aura livrée entre tes mains, tu frapperas toute sa population mâle du
aussi atroce qu’autrefois, les mécréants et les hypocrites aussi cruels et tranchant du glaive. C’est seulement les femmes, les enfants, le bétail et tout ce
démoniaques. Ils mériteraient sans doute la même sanction que leurs loin- qui sera dans la ville, toutes ses dépouilles, que tu prendras pour toi en butin, et
tains ancêtres impies, mais Dieu a reporté leur punition à plus tard, pour tu vivras des dépouilles de tes ennemis que t’aura données Yahvé, ton Dieu ».321.
le Jour des Comptes, tout simplement. Selon les évangile, Jésus a confirmé, sur cette question comme sur
L’Anathème n’était heureusement pas la seule forme de guerre que Moïse d’autres, les prescriptions de la Torah : « Ne croyez pas que je sois venu pour
avait ordonnée (selon la Bible). Il y avait aussi, selon la nature de chaque renverser la Loi (Torah); je ne suis pas venu renverser mais compléter. Car en
peuple adverse, des différences de traitement. Certains étaient appelés à se vérité, je vous le dis, avant que ne passent le ciel et la terre, pas un iota ou un
soumettre pour échapper au carnage. D’autres voyaient leur hommes mas- seul menu trait ne passera de la Loi que tout ne soit arrivé ». /.../ « Ne croyez pas
sacrés et leurs femmes épargnées. Ces dernières formes de conflit s’appar- que je sois venu apporter la paix sur la terre ; je ne suis pas venu apporter la
entent plus aux guerres que mèneront les prophètes ultérieurs, notamment paix, mais le glaive. Car je suis venu séparer [et dresser] l’homme contre son père,
David, puis Mohammed très louangé, et enfin probablement Jésus à la fin et la fille contre sa mère, et la bru contre sa belle-mère ; et l’homme aura pour
des temps (sur eux la grâce et la paix). Une « humanisation » si l’on peut ennemis les gens de sa maison. Qui aime père ou mère plus que moi n’est pas
digne de moi, et qui aime fils ou fille plus que moi n’est pas digne de moi... »322
320 - L’Anathème est un génocide absolu, une interdiction totale de sauver qui que ce soit Il disait aussi : « Je suis venu jeter un feu sur la terre ».323
du massacre. Cf. Deutéronome 2,34 : «...et nous vouâmes chaque ville à l’Anathème :
hommes, femmes et enfants ; nous n’avons pas laissé de survivant ». Egalement Deut. 3,6 ; 321 - La Bible. Traduction d’Emile Osty. 1973.
7,1-4 ; 25,19 ; Josué 6,16-17 ; 8,24-25 ; 10,29-40 ; 11,8-23 ; Ezéchiel 9,5. L’Anathème 322 - Matthieu 5,17-18 et 10,34 à 37. Trad. E. Osty. 1973. Pour ce qui concerne
condamne à mort même les jeunes filles vierges. En cas contraire, il ne s’agit pas d’un l’amour principal dû aux Messagers, leur Sceau Mohammed l’a confirmé dans un hadith :
Anathème à proprement parler (c’est à dire un génocide absolu). Lorsqu’Israël est autorisé « Vous ne croirez réellement que le jour où vous m’aimerez plus que vos parents et que vos
à garder les jeunes filles vierges de quelques peuples vaincus, la Bible ne parle pas enfants ». Sur lui la grâce divine et la paix.
d’Anathème, par exemple en Nombres 31,1 ; Juges 21,10, etc. 323 - Luc 12,49.

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Moïse, Jesus et Mohammed

Jésus ne parlait pas d’une guerre qu’il mènerait dans la première partie LE JIHAD EN ISLAM
de sa mission terrestre, bien que dans son Message, la dimension mystique
soit équivalente à celle qui existe en Islam « Mohammédien » (concernant
la distinction entre « petit et grand Jihad »), mais la perspective escha-
tologique est ici lisible, sur un plan temporel donc.
Car la guerre, malheureusement, est née avec l’humanité.
Depuis le commencement, l’homme a fait la guerre à l’homme pour des
motifs égoïstes. Caïn tua Abel. La violence fratricide était donc née, dès la
seconde génération des êtres humains, ainsi que l’avaient prévu les Anges
étonnés par le choix de Dieu concernant le Khalifat d’Adam sur la terre : Part. VIII Chap. III
« [Rappelle aux hommes] lorsque Dieu dit aux anges : « Je vais instituer un
vicaire sur terre ». Et ceux-ci de répartir : « Y placeras-tu quelqu’un qui y
sèmera le désordre et y versera le sang, alors que par nos louanges, nous pub-
lions Ta gloire et magnifions [par nos prières] Ta sainteté ? » - « En vérité [rap- Dieu - Exalté et Magnifié soit-Il - nous ordonne la mesure dans la
pela Dieu], je sais ce que vous ne savez pas ».324 guerre comme en toute chose :
Bientôt, effectivement, la terre devint un lieu de carnage. Dieu envoya « Il n’y a de voie de recours que contre ceux qui provoquent autrui et sèment
des Prophètes au milieu du combat, et Dieu combattit les hommes sur l’injustice sur la terre, sans droit. A ceux-là [est réservé] un châtiment
leur propre terrain, pour leur faire goûter au fruit de leurs oeuvres, car douloureux. Faire preuve de patience et de clémence, en vérité, cela fait partie
chaque âme - selon les Ecritures Saintes - doit être punie par là même où des choses requises ».
elle a péché, ainsi qu’en atteste le Coran : « Par la permission de Dieu, ils (les « O vous qui croyez ! Soyez stricts [dans vos devoirs] envers Dieu, en témoins
Juifs) les mirent en déroute (les mécréants). David tua Goliath et Dieu lui de l’équité ! Que la haine d’un peuple ne vous incite point à user d’injustice !
donna la royauté, la sagesse, et lui enseigna ce qu’Il voulut. Si Dieu ne repous- Soyez justes, car cela est très près de la [véritable] piété. Craignez Dieu, car
sait pas les peuples les uns par les autres, la terre serait assurément corrompue. Dieu est parfaitement au courant de vos actes. Dieu a promis à ceux qui
Mais Dieu est plein de grâce envers les mondes ». croient et accomplissent de bonnes oeuvres, [Son] pardon et une magnifique
« Dieu a acheté aux croyants leur personne et leurs biens en échange du rétribution ». 326
Paradis. [Aussi] combattront-ils pour Sa cause : ils tueront et seront tués. Le Jihâd (lit. effort) militaire, en Islam, est fondamentalement défensif.
Promesse ferme [constituant] un devoir pour Lui [comme Il l’a affirmé] dans En effet, après les terribles épreuves qu’avaient subi les Musulmans à La
la Torah, l’Evangile et le Coran. Et qui est plus fidèle [à Ses promesses] que Mecque de la part des idolâtres, Dieu commanda aux Croyants l’Hégire
Dieu ? Réjouissez-vous du troc que vous avez réalisé. C’est un succès vers Médine, afin d’y préserver leur religion, de s’y organiser en nation
immense ».325 indépendante, de résister dans de meilleures conditions à leurs agresseurs
et de récupérer les biens dont les Mecquois idolâtres les avaient spoliés.
Le Coran précise : « Ne combattriez-vous point un peuple qui viola ses ser-
ments, eut projet de bannir l’Envoyé, et ce sont eux qui commencèrent contre
vous la première fois ? Les craignez-vous ? Dieu est bien plus digne de votre
crainte, si vous êtres des croyants ».327

326 - Coran 42, 42-43 et 5, 8-9.


327 - 9,13. Traduction J. Berque.
- Cette interdiction de démolir les lieux de culte des autres religions du Livre fut généra-
lement et presque toujours scrupuleusement respectée par les Musulmans, les exceptions
étant très rares, alors que la profanation systématique des Mosquées était au contraire la
règle de la part des Catholiques. Les croisés, en 1099, brûlèrent les synagogues après y avoir
enfermé les Juifs et rasèrent ou transformèrent en églises les lieux de prière des Musulmans
324 - Coran 2,30. qu’ils massacrèrent, hommes, femmes et enfants. Le Kurde Salaheddine (Saladin le Grand)
325 - Coran 2,251 et 9,111. reprit al-Qods en 1187 et n’y commit aucune atrocité et aucun sacrilège contre les Eglises.

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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

« Autorisation est donnée aux victimes d’agression [de se défendre], car elles commandé, dans Ses Messages successifs, de purifier la terre de cette
sont vraiment lésées, et Dieu est Omniscient pour les secourir. [Elle est donnée] Abomination : « Combattez tous les polythéistes comme ils vous combattent.
à ceux qui ont été expulsés injustement de leurs foyers pour avoir [seulement] Sachez que Dieu est avec ceux qui Le craignent ». Pour autant, « Dieu ne vous
dit : « Notre Seigneur est Dieu » ! Si Dieu ne repoussait point certains hommes interdit pas d’être bons et équitables envers ceux [des mécréants] qui ne vous
par d’autres, les ermitages seraient démolis ainsi que les synagogues, les ora- ont pas combattu pour votre religion et ne vous ont pas chassés de votre pays.
toires et les mosquées où le Nom de Dieu est fréquemment invoqué. En vérité, Dieu aime ceux qui sont équitables. Dieu vous interdit seulement
Dieu secourra assurément ceux qui aident au triomphe de Sa cause, car de vous lier d’amitié avec ceux des infidèles qui vous ont combattu pour votre
Dieu est, en vérité, Fort et Puissant. [Elle est accordée] à ceux qui, si Nous con- religion, chassés de votre pays, et ont participé à votre expulsion. Ceux qui se
solidions leur position sur terre, accompliraient la prière, s’acquitteraient de lient d’amitié avec ces derniers sont des injustes ».330
l’aumône légale, ordonneraient toute bonne action et dénonceraient toute Quant aux Gens du Livre (les Juifs et les Chrétiens), ils ne sont pas a
action répréhensible. A Dieu appartient, en dernier, l’issue de toute chose ». priori, les ennemis des Musulmans. Ils doivent au contraire être protégés
« Combattez pour la cause de Dieu ceux qui vous combattent, mais ne et leur culte respecté. Mais s’ils agressent les Musulmans, ils sont alors
dépassez pas les limites permises, car Dieu n’aime pas les transgresseurs. Tuez- combattus. Toutefois, même vaincus, ils pourront conserver leur religion,
les où que vous les rencontriez et chassez-les d’où ils vous ont chassés. La sub- contrairement aux Polythéistes dont les idoles doivent être détruites, con-
version est pire que le meurtre. Ne les combattez pas, cependant, près de la formément à la Torah, aux Psaumes, à l’Evangile et au Coran.
Mosquée Sacrée, à moins qu’ils ne vous y attaquent. Dans ce cas, tuez-les. Telle Malgré le pacte qui les liait aux Musulmans à Médine, plusieurs clans
sera la rétribution des mécréants. S’ils renoncent [aux hostilités], Dieu [usera Juifs ont trahi le Prophète très louangé au profit des Polythéistes, et avant
à leur égard] de clémence et de compassion. Combattez-les jusqu’à l’élimina- même la bataille dite « du fossé » à Médine. Ensuite, les Juifs de Khaybar
tion de toute subversion et jusqu’à ce que le culte soit [rendu seulement] à furent également vaincus, réduits en esclavage et affranchis quelques jours
Dieu. S’ils cessent le combat, [fin doit être mise à tout] déni de Droit, sauf à plus tard par la clémence du Prophète de la miséricorde. Quant aux
l’encontre des injustes ».328 Chrétiens Byzantins, en assassinant l’ambassadeur du Prophète très
Le but du Jihad n’est pas la conversion forcée des autres peuples du louangé, béni soit-il, ils ont déclenché, les premiers aussi, les hostilités
Livre (Juifs, Chrétiens), cela est même catégoriquement prohibé, à l’in- contre l’Islam. Les fauteurs de guerre furent peu à peu défaits, mais leur
verse de ce que faisaient la plupart des autres religions, et plus particulière- liberté de culte respectée. Les Gens du Livre avaient même droit à leurs
ment l’église Catholique à partir de la fin du Vème siècle : guerres de con- propres tribunaux, puisqu’ils ne reconnaissaient pas la législation musul-
versions forcées de Clovis à Charlemagne, extermination des Ariens mane. On comparera leur statut avec celui des Juifs en terre Chrétienne à
(Chrétiens monothéistes), croisades contre les Cathares, contre les la même époque. Quant aux Musulmans, ils subissaient toujours
Musulmans, guerres des Chevaliers Teutoniques dans le nord de l’Europe, l’Anathème décidé contre eux par le troisième Concile de Constantinople
puis plus tard guerres de religion entre Catholiques et Protestants, conver- en 680, qui ordonnait la destruction de la Oumma, appelée alors « Eglise
sions forcées dans les guerres coloniales, notamment en Amérique du Sud du Diable », et à ce titre, ils avaient tout simplement été chassés ou exter-
par les Conquistadores ibériques, etc. minés des terres conquises par les Chrétiens.331
Dans le Coran, Dieu interdit en effet de recourir à la contrainte en Abou Dawoud rapporte ce hadith prophétique : « Partez, au Nom de
matière de religion 329. La conversion doit être sincère, et l’hypocrisie est Dieu. Ne tuez aucun vieillard épuisé, ni enfant, ni petit, ni femme. Ne volez
considérée comme le pire des péchés (le Hadîth indique que les hypocrites pas de butin : rassemblez le butin et faites le bien. Soyez bienfaisants car Dieu
habiteront le plus bas étage de l’Enfer). Or, la contrainte ne pouvant aime les bienfaisants ».332
aboutir qu’à l’hypocrisie, elle est donc absolument bannie des modes de Fidèle à l’enseignement qu’il avait reçu du Prophète de la Miséricorde,
propagation de l’Islam. Et s’il a pu exister des exceptions à cette règle dans le premier Successeur (Khalife) de l’Envoyé, Abou Bakr as-Siddiq, réitéra
l’histoire de l’Islam, c’est en transgression des lois musulmanes. ces prescriptions aux armées musulmanes : « Souvenez-vous que vous êtes
Le Jihad est donc avant tout dirigé contre l’idolâtrie, et Dieu a toujours toujours sous le regard de Dieu et à la veille de votre mort... Lorsque vous com-
battrez pour la gloire de Dieu, conduisez-vous comme des hommes sans
En Espagne les Catholiques convertirent de force les Juifs et les Musulmans, brûlèrent les
récalcitrants et profanèrent toutes les mosquées et les synagogues. 330 - 60,8-9.
328 - 22,39 à 41 et 9,36. Les « injustes » sont ceux qui se révoltent après avoir été vain- 331 - Comme en Gaule, en Espagne, en Sicile, en Sardaigne, à Malte, etc.
cus, et sont, dans ce cas, exécutés, ainsi que les criminels de guerre. 332 - Cité par Abdul-Rahman Dimashkik dans La Bible parle elle-même. P. 78.
329 - Coran 2,256 : « Pas de contrainte en religion ! La vérité se distingue de l’erreur ». Ed. IIPH, 2001.

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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

tourner le dos, mais que le sang des femmes ou celui des enfants et des vieil- (Jihâd). Pour contribuer néanmoins aux dépenses publiques, ils versaient
lards ne souille pas votre victoire. Ne détruisez pas les palmiers, ne brûlez pas un impôt propre aux Dhimmi : la Jizya (cet impôt que Jésus supprimera
les arbres fruitiers, et ne tuez le bétail que lorsque vous serez contraints de le définitivement lors de son Retour à la fin des temps). Cet impôt était par-
manger. Quand vous accorderez un traité ou une capitulation, ayez soin d’en fois supérieur à la Zakat, car les Dhimmi ne sont pas astreints au service
remplir les clauses. Au fur et à mesure de votre avance, vous rencontrerez des militaire qui pénalise les Musulmans (lesquels ne peuvent pas, durant ce
hommes de religion qui vivent dans les monastères et qui servent Dieu dans la temps, travailler pleinement). Par contre, si les Gens du Livre s’en-
prière ; laissez-les seuls, ne les tuez pas et ne détruisez pas les monastères ».333 gageaient volontairement dans l’armée de l’état musulman (comme ce fut
Son Successeur Omar al-Khattab limogea le général en chef Khalid, en le cas pour les Juifs Palestiniens durant les Croisades, ou pour les Séfarades
raison de la dureté dont il fit preuve durant la guerre contre les apostats. lors de la Reconquista catholique), ils étaient exonérés d’impôt durant leurs
C’était pourtant un militaire d’une valeur exceptionnelle sur les plans de années de service militaire. Cette différence de statut, loin de vouloir créer
la bravoure et de la stratégie, mais le Sage Khalife plaça la Justice au dessus une discrimination injuste, rétablissait au contraire un équilibre préser-
de l’efficacité. En effet, en Islam, la fin ne justifie en aucun cas les moyens : vant le respect des spécificités de chacun.
cela est une pensée proprement machiavélique et tout à fait « romaine ». Cette jurisprudence, établie au Moyen Âge, peut sembler abrupte
Bien au contraire, pour l’Islam, la fin elle-même est contenue dans les aujourd’hui. Mais pour bien la mesurer, il convient de la comparer avec les
moyens, tout comme l’arbre est contenu dans la graine. « Soyez bien- règles chrétiennes de la même époque. En ce domaine comme en d’autres,
faisants, car Dieu est avec les bienfaisants ». l’Islam fut l’inspirateur d’une humanisation générale des lois de la guerre
Dans le chapitre de la guerre sainte (Jihâd) de l’ouvrage de jurispru- et des rapports internationaux.
dence Mâlikite d’ibn Abî Zayd al-Qayrawânî 334, on lit que : « Le Jihad est La « Risâla » Mâlikite ajoute :
une obligation d’institution Divine. Son accomplissement par certains en dis- « On ne tuera pas les femmes, ni les impubères. On évitera de tuer les moines
pense les autres. Pour nous, Malikites, il est préférable de ne pas commencer les et les rabbins, à moins qu’ils n’aient été combattants ».337
hostilités avec l’ennemi avant de l’avoir appelé à embrasser la religion d’Allah, « L’ennemi qui se convertit à l’Islam alors qu’il est détenteur de biens ayant
à moins que l’ennemi ne prenne d’abord l’offensive ».335 appartenu à des Musulmans, les conservera licitement ».338
Néanmoins, s’agissant des Gens du Livre336, s’ils sont vaincus et se A chaque époque, des savants musulmans (Oulémas) travaillent à con-
soumettent, ils obtiennent le statut de « Protégés » (Dhimmi), qui leur server intacte l’adéquation du Droit musulman aux problèmes concrets
ouvre le droit à tous les métiers et fonctions (même ministre de l’état des sociétés humaines. Le Fiqh s’enrichit donc perpétuellement du
musulman). Et deux possibilités s’offrent alors à eux : soit se convertir, soit développement des connaissances humaines et de l’évolution des rapports
conserver leur religion avec ce statut de Dhimmi qui les intègre au monde internationaux. C’est un Droit par nature dynamique. Et il n’y a pas lieu
musulman sans les contraindre de se soumettre aux règles islamiques, d’opposer des règles ou des décisions juridiques (fatwa) produites à des siè-
comme le versement de l’impôt religieux (Zakat) ou le service militaire cles d’intervalles, ou dans des conditions objectives différentes.
Grâce à l’application de cette législation construite initialement sur la
333 - Cité par Tahar Gaïd dans son Dictionnaire Elémentaire de l’Islam p. 177. Ces Parole de Dieu, puis complétée par la Sounna du Prophète très louangé et
recommandations font écho au Coran 22,40 : « Si Dieu ne repoussait pas certains hommes des Anciens, et enfin constamment adaptée selon l’Ijtihad (effort d’inter-
par d’autres, les ermitages seraient démolis ainsi que les synagogues, les oratoires et les mos- prétation) des responsables de droit de la communauté (les savants bien
quées où le Nom de Dieu est fréquemment invoqué ». guidés), l’expansion Musulmane connut un succès fulgurant en l’espace de
334 - Né en 310 de l’Hégire (922 de l’ère Grégorienne), surnommé « le petit Mâlik », fut quelques générations, car les peuples trouvèrent, grâce à elle, un cadre de
l’un des plus grands Savants de l’école Malikite. vie humanisé, libéré des anciens carcans des impérialismes antiques, des
335 - « La Risâla » selon l’école malikite. Chapitre XXX, p.163. Traduction de Léon tyrannies locales, des religions intolérantes et des cultes avilissants dans
Bercher. Mais une fois vaincus, les « gens du Livre » (Juifs, Chrétiens) ne sont pas contraints lesquels l’homme allait jusqu’à se prosterner devant l’image de la bête.
à la conversion mais peuvent librement garder leur religion. Sigrid Hunke, dans son ouvrage intitulé : « Le Soleil d’Allah Brille sur
336 - Plus tard, les Sabéens, les Mages (Mazdéens ou Parsis), puis les Hindous, l’Occident », écrit : « Ce subit essor culturel des fils du désert, en quelque sorte
Bouddhistes et Taoïstes obtiendront aussi des statuts particuliers leur permettant de vivre issus du néant, est l’un des événements les plus étonnants de l’histoire des civil-
en terre d’Islam. En ce domaine, l’Islam a apporté à la civilisation universelle une tolérance isations. La prodigieuse ascension qui assure aux Arabes la suprématie sur des
inédite qui a heureusement fait école depuis, quoique encore imparfaitement, quand on
voit la situation des Musulmans et Chrétiens en Inde et en Palestine, des Bouddhistes en 337 - Ibid.
Chine, des Chrétiens au Soudan, etc. 338 - Ibid. p.165.

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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

peuples déjà hautement civilisés est un phénomène unique en son genre ; mir- politique et religieuse par les nations. L’historien Pierre Riché écrit :
acle assez stupéfiant d’ailleurs pour qu’il vaille la peine de s’y arrêter un « Il faut bien dire que les populations des provinces orientales de l’Empire
instant. [Byzantin] n’ont opposé aucune résistance aux conquérants. Les Juifs et les
Comment se peut-il qu’un peuple n’ayant jamais joué de rôle politique ni monophysites340 se virent ainsi débarrassés de « la tyrannie des Romains ». /.../
culturel, n’ayant jamais non plus fait entendre sa voix dans le concert des Si les premières conquêtes arabes, réalisées au gré des circonstances, et avec des
nations, ait eu subitement l’audace de se mesurer aux Grecs ? /.../ troupes peu nombreuses, ont pu permettre l’établissement permanent de la
Mais cet assaut n’était pas, comme les chroniqueurs du parti adverse se sont domination musulmane, c’est que les vainqueurs n’ont pas fait figure de
fort injustement plu à le dire, celui d’une horde déchaînée de brigands et d’in- destructeurs. Ils ont respecté partout les civilisations et l’organisation adminis-
cendiaires, ennemis de la foi. trative des empires vaincus. Les populations juives, chrétiennes et même
Les tribus bédouines, qui à l’origine guerroyaient entre elles pour se disputer mazdéistes, les « gens du Livre » comme les appellent les musulmans, ont été
les pâturages, avaient en peu d’années réussi à constituer un groupe homogène, tolérées et n’ont pas été obligées de se convertir à l’islam. Les charges fiscales ne
un peuple enflammé, étroitement soudé par la foi islamique et uni par une très furent pas alourdies... » [Grandes Invasions et Empires - Histoire Universelle,
ancienne solidarité tribale désormais étendue à la communauté de tous les p. 169-170. Editions Larousse, 1968]. Cette vérité historique trouve un
croyants : celle de l’assistance mutuelle, disciplinée par de strictes obligations large consensus, et pas seulement chez les historiens musulmans, mais
morales et religieuses, chacun, en raison de la récompense promise dans l’au- aussi occidentaux, et notamment sous la plume d’Edward Gibbon (Cf. La
delà au combattant de la foi, étant animé d’un invincible mépris de la mort. décadence de l’Empire Romain) et de tant d’autres.
Douées d’une force morale jeune et vigoureuse, placées sous la conduite aussi Tout Musulman sincère déteste la guerre pour ce qu’elle est : un drame
méthodique qu’exaltante de fortes personnalités assistées d’un état-major de épouvantable, mais il doit l’accomplir lorsqu’elle s’impose légalement, et
grande valeur (formé par le Prophète lui-même) toujours responsable devant uniquement par Soumission à Dieu, pour combattre l’idolâtrie et l’injustice.
le gouvernement central, les armées arabes étaient très supérieures aux forces Le Messager très louangé de Dieu a dit : « Ne souhaitez pas la rencontre
auxquelles elles se heurtaient, ceci en dépit d’un armement extrêmement de l’ennemi, mais lorsque vous le rencontrez, sachez que le Paradis est à l’om-
défectueux. Leurs victoires-éclair en sont la preuve. /.../ bre des sabres ».341
Mais ce qui en tout cela est absolument stupéfiant, jamais vu, sinon du Dieu - Exalté et Magnifié soit-Il - contient en effet les peuples les uns
temps de Cyrus le fondateur de l’empire perse, c’est le fait que les vainqueurs par les autres : «...Si Dieu ne repoussait pas certains hommes par d’autres, les
ne se livrent à aucune destruction. Le fanatisme qu’on leur impute, de même ermitages seraient démolis ainsi que les synagogues, les oratoires et les mosquées
que leur prétendue implacable férocité, ne sont que des légendes destinées à où le Nom de Dieu est fréquemment invoqué. Dieu secourra assurément ceux
semer la frayeur, que pure propagande ennemie démentie par les innombrables qui aident au triomphe de Sa cause, car Dieu est, en vérité, Fort et
preuves de leur tolérance et de leur générosité à l’égard des vaincus. Il n’existe Puissant ».342
guère de peuple qui se soit comporté avec autant de clémence et d’humanité Et le Miséricordieux nous ordonne : « S’ils (les ennemis) inclinent à la
vis-à-vis de ses adversaires et des « infidèles ». C’est bien en grande partie à cette paix, inclines-y aussi ».343
attitude que les Arabes doivent d’avoir pu influencer et pénétrer si profondé- Dieu déteste la guerre comme Il déteste le divorce ; Il aime la Paix et
ment et durablement les peuples qu’ils avaient soumis à leur domination. /.../
Bien que les peuples vaincus (y compris les Berbères et les Espagnols) puis- 340 - Monophysite. Une des variétés de la doctrine trinitaire. Elle ne reconnaît que la «
sent se prévaloir d’une tradition culturelle et civilisatrice très supérieure à celle nature divine » du Christ et dénie à ce dernier toute nature humaine. On peut la considé-
du vainqueur arabe, celui-ci ne fait nullement figure de parvenu /.../. Sa dis- rer, de ce point de vue, comme encore plus hérétique que la doctrine romaine. Cette doc-
tinction naturelle et son admirable élégance les fascinent. Sa majesté innée de trine monophysite a été condamnée par le concile de Chalcédoine (451). Aujourd’hui, cette
grand seigneur suffit à l’imposer comme modèle, à donner aux vaincus le désir doctrine est limitée à trois églises indépendantes : l’église arménienne, l’église copte (Egypte
de s’élever jusqu’à lui, bref de passer pour un Arabe. Donc pour un Musulman. et Ethiopie) et l’église jacobite de Syrie. La victoire de l’Islam leur permit d’échapper aux
En outre, sa foi profonde, exempte de tout prosélytisme, agit de manière beau- persécutions de l’église romaine. Beaucoup d’autres tendances chrétiennes trouvèrent refuge
coup plus efficace que ne pourrait le faire une quelconque propagande et gagne dans le monde musulman, en raison de la protection accordée aux Gens du Livre par Dieu
sans cesse de nouveaux adeptes à la sévère religion islamique ».339 dans le Coran.
L’arrivée des Musulmans fut très souvent vécue comme une libération 341 - Cité par l’Imam an-Nawawi dans Ryad as-Salihin, (hadîth n° 53). [Les Jardins
de la Piété. Alif Ed.. Lyon,1991.].
339 - Traduit de l’allemand par Solange et Georges de Lalène. Livre V : « Le Glaive de 342 - Coran 22,40 (fin du verset).
l’Esprit » pages 210 à 220 (extraits). Edition « La Maison des Livres » Alger. 343 - Coran 8,61.

282 283
Moïse, Jesus et Mohammed

l’Amour. Mais Il les a autorisés (la guerre comme le divorce) en dernière ISLAM ET PAIX
limite, à cause de notre faiblesse, et pour nous éviter le pire. Cette sagesse
Divine qui constitue le secret du véritable Jihad est une Coutume Divine
éternelle qu’on retrouve dans les religions révélées des Gens du Livre, mais
aussi dans d’autres spiritualités anciennes, qui sont les échos, comme l’a
démontré le Cheikh Abd al-Wahid René Guénon, de la religion primor-
diale adamique.344

Part. VIII Chap. IV

L’Islam est fondamentalement Paix (Salâm). C’est son étymon. C’est à


dire que Dieu a donné Son propre Nom (As-Salâm, La Paix), comme
racine étymologique de l’ultime religion révélée. Ce n’est pas fortuit. Les
religions antérieures sont appelées par un nom en relation avec leur fon-
dateur : christianisme, judaïsme, bouddhisme, etc. L’Islam, elle, porte un
nom dérivé de Dieu ! Et quel Nom : La Paix !
Les détracteurs de notre religion s’évertuent à extraire du Coran, ou des
hadiths, ou de l’histoire de l’Islam, tout ce qui peut, en le distordant, cor-
roborer leurs dénégations. Les hypocrites s’engouffrent alors dans ces
« démonstrations » fallacieuses, les prenant cela pour argent comptant, et
tombent ainsi, par leur ignorance et leur méchanceté, dans les pièges
grossiers de leur guide à tous (le diable), dont, pourtant, « la ruse est
faible », nous dit Dieu l’Omniscient. 345
Dieu, au contraire, nous commande de maîtriser la colère, de ne pas
rendre le mal par le mal mais de pardonner : « Qu’ils pardonnent ! N’aimez-
vous pas que Dieu vous pardonne ? »346
« Obéissez à Dieu et au Prophète pour [mériter] la miséricorde [divine].
Hâtez-vous [d’obtenir] un pardon de votre Seigneur et un Paradis aussi
vaste que les cieux et la terre, préparé à l’intention de ceux qui craignent le
344 - Le sage chinois Lao-Tseu (VIème s. av. J.C.) dit, dans son Tao-Tö-King (Livre de Seigneur,
la Voie de la Vertu), que lorsque deux armées se rencontrent pour la guerre, celle qui le se montrent charitables dans la félicité aussi bien que dans l’adversité,
déplore le plus l’emportera (Ch. LXIX). Et Krishna, dans la Baghavad-Gita (« Le Chant dominent leur colère, pardonnent à leurs semblables - Dieu aime ceux qui font
du Bienheureux Seigneur ») explique à son ami le Roi Arjuna qu’il doit combattre les forces le bien -,
du désordre, bien (et parce) qu’il déteste la guerre. Ces sagesses sont des échos de la Tradition [à ceux qui craignent le Seigneur] et qui, ayant commis une turpitude ou
primordiale, cet Islam éternel dont on retrouve des traces dans toutes les traditions reli- agi injustement contre eux-mêmes, s’adressent à Dieu pour Lui demander
gieuses de tous les peuples. Charles-André Gilis (Abd ar-Razzâq), a écrit, dans son livre
L’Esprit Universel de l’Islam (Ed. Al-Bouraq, 1998) : « Ceux qui s’étonnent parfois, 345 - Cf. 4,76 et aussi 16,99 : «...[Satan] qui n’a, en vérité, aucun pouvoir sur ceux qui
quelque fois pour leur en faire reproche, que des auteurs musulmans puissent se référer, croient et qui s’en remettent à leur Seigneur ». Coran 14,22 : « Satan dira, lorsque tout
dans leurs études, à des traditions autres que l’Islam, feraient bien d’y réfléchir, car les rap- sera accompli : « Certes, Dieu vous avait fait une promesse vraie. Moi [aussi] je vous avais
prochements opérés ainsi n’ont d’autre but que d’illustrer, au moyen d’exemples d’une net- fait une promesse, mais je vous ai trompés. Je n’avais aucun pouvoir sur vous, sauf de vous
teté indiscutable, l’universa[Satan] qui n’a, en vérité, aucun pouvoir sur ceux qui croient appeler et vous m’avez répondu. Ne me blâmez pas ! Adressez vos blâmes à vous-mêmes!... »
et qui s’en remettent à leur Seigneur 346 - Coran 34,22.

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Moïse, Jesus et Mohammed Moïse, Jesus et Mohammed

d’absoudre leurs péchés et qui peut absoudre ces péchés, en dehors de Dieu ? « Si Dieu l’avait voulu, Il aurait fait de vous (Juifs, Chrétiens,
- et ne persistent pas délibérément dans le mal, en connaissance de cause. Musulmans) une seule communauté. [S’Il ne l’a pas fait] cependant, c’est pour
Ceux-là, leur récompense sera une absolution émanant de leur Seigneur et vous mettre à l’épreuve eu égard à ce qu’Il vous a donné. Rivalisez de vitesse
des jardins arrosés par des ruisseaux. Ils y séjourneront éternellement. Quelle vers les bonnes actions. Ils vous informera sur ce qui vous divise ». (5,48)
excellente rétribution pour ceux qui pratiquent [le bien] ! » 347 Dieu demande aux Musulmans d’avoir de bons rapports avec les Gens
Et le Miséricordieux lance cette injonction à ceux qui hésitent à par- du Livre. On peut demander leur témoignage pour un héritage
donner : (Coran 5, 106). On peut épouser des Juives et des Chrétiennes. On peut
« Qu’ils pardonnent ! N’aimez-vous pas que Dieu vous pardonne ? »348 manger leur nourriture licite. Et surtout discuter avec eux de la meilleure
Le Prophète très louangé a dit : « Soyez bons envers ceux qui sont sur terre, façon possible, car même s’ils ne nous aiment pas, nous les aimons ainsi
vous serez traités avec bonté par Celui qui est dans le Ciel ».349 Il s’agit de tous que nous le dit Dieu353, et nous devons les aider, les pardonner, les con-
les êtres sans exception, pas seulement les autres Musulmans, comme cer- seiller dans le bien :
tains le croient à tort. En effet, le Prophète très louangé a dit : « Et ne discutez que de la meilleure façon avec les gens du Livre... »354
« L’invocation de la victime d’une injustice est exaucée, même s’il s’agit d’un
libertin, car il répondra de son libertinage [lors de son Jugement dernier]». *
Et dans une autre version du même hadith : « Même s’il s’agit d’un * *
mécréant ».350 Ici prend fin notre ouvrage consacré aux Trois Engagements (Pactes).
Les « terroristes » soi-disant « islamistes » devraient d’avantage méditer ce Que Dieu le Clément et le Miséricordieux veuille bien nous pardonner
hadith, du moins s’ils le connaissent, ainsi que la parole de Dieu suivante: nos fautes et nos oublis et faire de ces pages quelque chose d’utile aux gens.
« Que votre haine contre un peuple ne vous pousse pas à commettre d’injus- Amine.
tice ».351 Ô notre Dieu, accorde Ta grâce et Ton salut à notre seigneur
Mais c’est beaucoup trop demander à un coeur rempli de haine, c’est à Mohammed, la meilleure des créatures, ainsi qu’à sa sainte famille, à ses
dire à un coeur où s’est installée la pire des idoles qui soit : Satan ! (Que compagnons, à ses héritiers « dont Khadimou-Raçoul »(Ahmadou Bamba)
notre Dieu, le Vivant, l’Absolu, nous en préserve à jamais !). notre Cheikh bien aimé… et à quiconque chemine dans la droiture.
Le Messager très louangé a dit : Amine.
« Donne à manger, répand la Paix et prie pendant que les gens dorment, tu Que le salut et la paix soient sur les Messagers de Dieu, et Louange à
entreras au Paradis dans la Paix ».352 Dieu, Maître de l’univers.
Le Talion est permis en Islam, à condition de ne pas dépasser sa mesure
exacte ; cependant, Dieu indique, à plusieurs reprises, que le Pardon est
meilleur :
« La bonne action et la mauvaise ne sont pas pareilles. Repousse la [mau-
vaise action] par une [action] meilleure. Alors, celui dont tu es séparé par une
inimitié deviendra [pour toi] un ami chaleureux ». (Coran 41,34)
« Si tu portes la main sur moi pour me tuer, je n’userai pas de réciprocité
[pour autant] dit Abel, car je crains Dieu, Maître des mondes ». (5,28)
« C’est pourquoi nous avons édicté pour les Juifs [cette loi] : Quiconque tue
une personne non convaincue de meurtre ou de dépravation sur terre est à
assimiler au meurtrier du genre humain. » (5,32)

347 - Coran 3, 133 à 136.


348 - Coran 34,22.
349 - Cité dans La Voie du Petit Musulman, Vol. 2, p.37. Ed. Safir Essalam. 353 - 3,119 : « Vous les aimez et ils ne vous aiment pas ». Cela ne doit pas nous inciter
350 - Rapporté par Ahmad ibn Hanbal. C’est dire qu’il ne faut commettre d’injustice à les haïr. Dieu dit « vous les aimez » (c’est donc un constat). Il nous met seulement en
envers personne, même envers un grand pécheur ou un mécréant. garde contre eux, mais ils se lèsent eux-mêmes en nous détestant, surtout quand nous n’en-
351 - Coran 5,8. tretenons aucune animosité à leur égard.
352 - Cité par Ibn al-Jawzî dans « La Piété envers les parents ». Ed. de la Ruche. 354 - Coran 29,46.

286 287
TABLE DES MATIÈRES

PARTIE I
Un Fossé à combler
Le Prophète illettré (ou des illettrés) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .13
Ahmad et le Paraclet ou Intercesseur (shafî‘) . . . . . . . . . . . . . . . .19
Pour un dialogue courtois et fructueux . . . . . . . . . . . . . . . . . . .25
Un Seul Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .30
Le Verbe de Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .33
La trinité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .40
Le Dernier Rappel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .44
Le Talion et le Pardon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .49
Salomon et les génies . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .75
La « Tariqah » (voie) de Jésus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .62
La Vraie Science . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .63
PARTIE II
Aperçus sur les Saintes Ecritures
La Bible . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .68
La Bible Hébraïque (Ancien Testament) . . . . . . . . . . . . . . . . . . .69
Les Bibles chrétiennes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .71
Le Nouveau Testament . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .73
Composition du Nouveau Testament . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .74
Le Coran . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .78
La Sounnah et le Hadith . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .82
Conclusion du chapitre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .89
PARTIE III
La Transmission des Ecritures Sacrées
La Transmission de l’Ancien Testament . . . . . . . . . . . . . . . . .94
L’ancienneté des Textes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .95
La disparition de la Torah et le miracle d’Esdras (Ozaïr) . . . . . .99
289
Pourquoi Dieu n’a t’Il pas conservé la Torah intacte ? . . . . . . . .104 PARTIE VII
Le Peuple élu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .106 Les Métaphores Bibliques
Continuité et modifications des lois révélées . . . . . . . . . . . . . .109
La Transmission du Nouveau Testament . . . . . . . . . . . . . . . .118 Dieu et les « dieux » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .260
La rupture de l’Engagement (Mîthâq), Pacte, Alliance, Testament La Chahada de Jésus, sur lui la paix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .266
(Divisions subséquentes et déclin spirituel de l’Occiden)t . . . . . . .126
La Transmission du Sceau des Messages : le Coran . . . . . . .144 PARTIE VIII
La Notion de Combat dans les trois Engagements
PARTIE IV
Les Contradictions dans les Ecritures sacrées Préambule . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .270
La Guerre dans la Bible . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .273
Le Coran homogène . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .163 Le Jihâd en Islâm . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .277
Contradictions dans l’Ancien Testament . . . . . . . . . . . . . . . . .166 Islam et Paix . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .285
Contradictions dans le Nouveau Testament . . . . . . . . . . . . . . .169
Table des matières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .289
PARTIE V
Les Contradictions entre le Coran et la Bible
Concordances et divergences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .172
Différences de style et de contexte culturel . . . . . . . . . . . . . . . .175
Un exemple significatif : l’adultère (zinâ) . . . . . . . . . . . . . . . . .178
Les lois : Torah et Charia . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .182
Différences historiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .186
Conclusion : la précellence du Coran
sur les autres écritures sacrées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .195
PARTIE VI
Les Prédictions bibliques concernant l’avènement
de Mohammed très louangé
Contexte de cette annonce dans l’Ancien Testament . . . . . . . .201
Ismaël et Israël dans la Torah . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .203
L’Ancien Engagement (Testament, Pacte ou Alliance) :
Bénédiction et Malédiction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .210
Le « Béni » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .228
Du Monothéisme au Polythéisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .231
Le « Chiloh » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .235
Le Fils de l’Homme et le Règne de la Droiture . . . . . . . . . . . .242
L’Elu (al-Mustafa) et l’Esprit de vérité et de sainteté
Le Cantique Nouveau entendu à Qédar
Le Royaume de Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .245
Des falsifications de la Bible . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .251
Le « Paraclet » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .254

290 291
Maquette et mise en page - L. Zebiri
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Achevé d’imprimer à Barcelone - Espagne


Tél : 00 34 609 54 07 01
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