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Université Paris II- Panthéon-Assas

Ecole doctorale de droit international, droit européen, relations


internationales et droit comparé (Centre Thucydide)

Thèse de doctorat en Science Politique, mention Relations


Internationales

Emergence et promotion de la norme


sur la sécurité des activités spatiales
Thèse de Doctorat / juin 2017

Béatrice HAINAUT

Sous la direction de M. Serge SUR, Professeur émérite à l’université Paris II –


Panthéon Assas

Membres du jury :
Philippe ACHILLEAS, Professeur à l’Université de Caen (Rapporteur),
Lucien RAPP, Professeur à l’Université de Toulouse (Rapporteur),
Jean-Vincent HOLEINDRE, Professeur à l’Université de Poitiers,
M. Xavier PASCO, Directeur de la Fondation pour la Recherche Stratégique,
Mme Isabelle SOURBES-VERGER, Directeur de Recherche, CNRS.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Avertissement
La Faculté n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises
dans cette thèse ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Remerciements

Je remercie vivement mon directeur de thèse, le Professeur Serge Sur qui a cru en
mon travail et a su me remotiver lorsque le doute surgissait. Je remercie également
M. Xavier Pasco pour ses conseils avisés et sa gentillesse hors pair.

Je tiens à remercier chaleureusement toutes les personnes qui ont bien voulu
m’ouvrir leur porte afin que je puisse les questionner longuement sur leur fonction
occupée, leurs relations professionnelles et leur vision du domaine spatial et ses
évolutions récentes. La plupart du temps, ces personnes se sont livrées avec une
réelle liberté d’expression, ce qui apporte, je pense, une véritable plus-value à cette
thèse.

Je remercie toutes les personnes qui ont cru en moi pour mener à bien ce projet. Ma
détermination n’en a été que plus grande.

Enfin, je remercie mes proches de m’avoir encouragée tout au long de ce travail.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Résumé :
Dès les années 1970, à l’appui de travaux scientifiques et statistiques, un petit groupe
de scientifiques de la NASA convainc les plus hautes autorités américaines des
conséquences désastreuses de la prolifération des débris dans l’espace extra-
atmosphérique. Déjà, ils mettent en garde contre les tests antisatellites, accélérateurs
du phénomène. Ces chercheurs essaiment leurs croyances au-delà des frontières
américaines, et au-delà de la communauté des scientifiques. Ils sont aidés en cela par
la popularisation du thème plus global de développement durable. Le résultat est
qu’aujourd’hui, presque n’importe quel citoyen est capable de discourir sur le
problème des débris dans l’espace. Une communauté épistémique s’est formée autour
de ce sujet rassemblant scientifiques, ingénieurs, militaires, diplomates, étudiants et
citoyens. Les savants et les profanes. Fort de ce contexte, la nécessité d’une norme
semble s’imposer afin de sécuriser les activités spatiales. Bien qu’existante depuis la
conquête de l’espace de manière latente, cette norme n’a jamais fait l’objet de
consensus entre les Etats permettant d’aboutir à un régime. Or, de 2007 à 2016 il
devient l’objet de toutes les attentions mais aussi de toutes les divisions entre
puissances spatiales, amenant même à créer de manière schématique deux camps
opposés. Cette thèse interroge la supériorité américaine dans l’espace au 21ème
siècle, le rôle des institutions supranationales dans leur capacité à réguler les
relations entre Etats, mais aussi la place de ces derniers face aux acteurs non
étatiques. Dans cette même idée, elle analyse le rôle, l’influence voire le pouvoir des
communautés épistémiques sur les Etats et inversement.

Descripteurs : espace, sécurité, communauté épistémique, débris, armements, hégémonie,


leadership, Etats, forums, régime, code de conduite, traité, interactions, norme, global
common, biens communs, référentiel, stratégie, multilatéralisme.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Title and Abstract:

Emergence and promotion of the norm on space security


From the seventies, a small group of scientific in NASA convinced American
authorities of the dangerousness of orbital debris. At that time already, they warned
against the antisatellite weapons tests which exacerbate the phenomenon. These
researchers disseminated their knowledge beyond the American borders and beyond
the scientific community. In their struggle of recognition, they are helped by the
global awareness on sustainable development. As a result, today, almost no citizen in
the world ignores the problem of debris in outer space. Thus, an epistemic community
made of scientifics, engineers, servicemen, diplomats, academics, students, and
citizen arose. Scholars and laymen all together. Thanks to that global awareness, the
need for a standard seems to be necessary in order to regulate and secure the space
activities. Although it has existed since the conquest of space in a latent way, this
norm has never been the object of a consensus between the States allowing reaching
a regime. However, from 2007 to 2016, States renew their interest for this norm. But
because they don’t agree with each other, the debate creates schematically two
opposing camps.
This dissertation aims at questioning the American superiority in the 21st century, the
role of the international organizations to mitigate the conflicts between States, but
also the influence of the latter facing the non-States actors. Similarly, the dissertation
tries to assess the role and the influence of the epistemic communities on States and
conversely.

Keywords: space, security, epistemic community, debris, weaponization, hegemony,


leadership, State, fora, regime, code of conduct, treaty, interactions, norm, global
common, global goods, strategy, multilateralism.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Principales abréviations

ABM: Anti – Ballistic Missile


ACO: Allied Command Operations (OTAN)
ACT: Allied Command Transformation (OTAN)
ADM: Armes de destruction massive
ADR: Active Debris Removal
AFSPC : Air Force Space Command
AGNU: Assemblée Générale des Nations Unies
AIAA : American Institute of Aeronautics and Astronautics
AIA : Aerospace Industry Association
AISC: Agence Internationale de Satellites de Contrôle
APL : Armée Populaire de Libération (Chine)
ASAT : Arme Anti-Satellite
ASD : Aerospace and Defence Industries Association of Europe
ASEAN : Association of the Southeast Asian Nations
BDLI : Bundesverband der Deutschen Luft und Raumfahrtindustrie (German
Aerospace Industries Association)
BITD : Base Industrielle Technologique de Défense
BPM : Biens Publics Mondiaux
CAO : Commandement Allié Opérations (OTAN)
CAPS : Centre d’Analyse, de Prévision et de Stratégie
CAS : Centre d’Analyse Stratégique
CAT : Commandement Allié Transformation (OTAN)
CD : Conférence du désarmement
CDAOA : Commandement de la Défense Aérienne et des Opérations Aériennes
CE : Communauté(s) Epistémique(s)
CEMA : Chef d’Etat-major des Armées
CGSP : Commissariat Général à la Stratégie et à la Prospective
CICDE : Centre Interarmées de concepts, de doctrines et d’expérimentations
CIE : Commandement Interarmées de l’Espace
CNAS : Center for a New American Security

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

CNES : Centre National d’Etudes Spatiales


CoC : Code of Conduct
CODUN : Groupe “Désarmement global et maîtrise des armements (Global
Disarmament and Arms Control Working Group)
COPIL : Comité de pilotage
COPS : Comité Politique et de Sécurité
COPUOS : Committee on the Peaceful Uses of Outer Space
COSMOS : Centre Opérationnel de Surveillance Militaire des Objets Spatiaux
COSPAR : Committee on Space Research
CPR: Common-Pool Resources
CSDJF : Chairman’s Strategic Direction to the Joint Force
CSN : Conseil à la Sécurité Nationale
CSUE : Centre Satellitaire de l’Union Européenne
CUPEEA : Comité des Utilisations Pacifiques de l’Espace Extra-Atmosphérique
DARPA : Defense Advanced Research Projects Agency
DAS: Délégation aux Affaires Stratégiques
DGA: Délégation Générale de l’Armement
DGCID : Direction Générale de la coopération et du développement
DIA: Defense Intelligence Agency
DIRISI : Direction Interarmées des Réseaux d’Infrastructures et des Systèmes
d’Information
DoD: Department of Defense
DRM: Direction du Renseignement Militaire
DTRA : Defense Threat Reduction Agency
EDA : European Defense Agency
EEAS : European External Action Service
ELDO : European Launcher Development Organization
ELISA : Electronic Intelligence Satellite
EMA: Etat Major des Armées
EMUE: Etat-major de l’Union européenne
ESA : European Space Agency
ESPI : European Space Policy Institute

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

ESRO: European Space Research Organisation


EU: European Union
EUROSPACE : Association des industries spatiales européennes
FMCT : Fissile Material Cut Off Treaty
FRS: Fondation pour la Recherche Stratégique
GAA : Général d’Armée Aérienne
GEO: Geostationary orbit
GESTRA : German Experimental Space Surveillance and Tracking Radar
GGE: Group of Governmental Experts
GIFAS: Groupement des Industries Françaises Aéronautiques et Spatiales
GPE: Groupe des Parlementaires pour l’Espace
GRAVES : Grand Réseau Adapté à la Veille Spatiale
GSSAC : German Space Situational Awareness Center
HCoC : Hague Code of Conduct Against Ballistic Missile Proliferation
HIROS: HIgh Resolution Optical System
IAC: International Astronautical Federation
IADC: Inter-Agency Space Debris Coordination Committee
ICBM : InterContinental Ballistic Missile
ICoC: International Code of Conduct
ICSS : Interdisciplinary Center for Space Studies
IDS : Initiative de Défense Stratégique
IFRI : Institut Français des Relations Internationales
IRIS : Institut de Relations Internationales et Stratégiques
ISS : International Space Station
ISU : International Space University
ITAR: International Traffic in Arms Regulations
ITU : International Telecommunications Union
JAPCC: Joint Air Power Competence Center
JCS: Joint Chiefs of Staffs
JFCC: Joint Functional Component Command for Space
JOAC: Joint Operational Access Concept
JSpOC: Joint Space Operations Center

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

LEO: Low Earth Orbit


LRBA: Laboratoire de Recherche Balistique et Aérodynamique
LSC : Legal Subcommittee (of the United Nations Committee on the Peaceful Uses of
Outer Space)
LTSSA: Long-Term Sustainability of Space Activities
MAE: Ministère des Affaires étrangères
MD: Ministère de la Défense
MDA: Missile Defense Agency
MDC : Mesures de Confiance
MDCS : Mesures de Confiance et de Sécurité
MDSC: Mesures de Sécurité et de Confiance
MEO: Medium Earth Orbit
MESR: Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche
MIT: Massachussetts Institute of Technology
MoU: Memorandum of Understanding
MTCR: Missile Technology Control Regime
NASA: National Aeronautics and Space Administration
NCS: National Security Council
NMD: National Missile Defense
NMS: National Military Strategy
NOAA: National Oceanic and Atmospheric Administration
NORAD: North American Aerospace Defense Command
NRO: National Reconnaissance Office
NSA: National Security Agency
NSAs: Negative Security Assurances
NSP: National Space Policy
NSS: National Security Strategy
NSSS: National Security Space Strategy
ODQN : Orbital Debris Quarterly News
ODNI: Office of the Director of National Intelligence
OMC: Organisation Mondiale du Commerce
OMD: Objectifs du Millénaire pour le Développement (Nations Unies)

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

ONU: Organisation des Nations Unies


OPECST: Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques
OSCE : Organisation pour la Coopération et la Sécurité en Europe
OST: Outer Space Treaty
OSTP: Office of Science and Technology Policy
OTA: Office of Technological Assessment
OTAN: Organisation du Traité de l’Atlantique Nord
PAROS: Prevention of Arms Race in Outer Space
PESC: Politique étrangère et de sécurité Commune
PIB: Produit Intérieur Brut
PLA: People’s Liberation Army (Chine)
PNUD: Programme des Nations Unies pour le Développement
PPWT: Prevention of the Placement of Weapons in Outer Space and of the Threat or
Use of Force against Outer Space Objects
PSDC: Politique de sécurité et de défense commune
QDR: Quadriennal Defense Review
RCTM: Régime de Contrôle de la Technologie des Missiles
RMA: Révolution dans les Affaires Militaires
SALT : Strategic Arms Limitation Talks
SDC: Space Defense Center
SDI: Strategic Defense Initiative
SEAE: Service Européen d’Action Extérieure
SEREB : Société pour l’étude et la réalisation d’engins balistiques
SGAE : Secrétariat Général à l’Action Extérieure
SGDSN: Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale
SI : Système International
SPR: Space Posture Review
SSA: Space Situational Awareness
SSN: Space Surveillance Network
SSO: Sun-Synchronous Orbit
SSR: Satellite Situation Report
SST: Surveillance and Tracking System (ESA)

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

STANAG: Standardization Agreement


START: Strategic Arms Reduction Treaty
STEW: Space To Earth Weapons
STSC: Scientific and Technical Subcommittee (of the United Nations Committee of
Peaceful Uses of Outer Space)
SWF: Secure World Foundation
TCBM: Transparency and Confidence-building Measures
TFUE : Traité de Fonctionnement de l’Union européenne
TIRA : Tracking and Imaging Radar
TUE: Traité sur l’Union Européenne
UE: Union européenne
UIT : Union Internationale des Télécommunications
UN: United Nations
UNIDIR: United Nations Institute for Disarmament Research
UNOOSA : United Nations Office for Outer Space Affairs
URSS : Union des Républiques Socialistes Soviétiques
USA: United States of America
USAF : United States Air Force
USSTRATCOM : United States Strategic Command
V2 : Vergeltungswaffe 2 (missile)

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Sommaire
Thèse de Doctorat / juin 2017 .................................................................................................1

Introduction .......................................................................................................... 16

PARTIE 1 : Origine et cycle de vie des normes relatives à la sécurité des activités
spatiales ................................................................................................................ 66

1. L’émergence de la norme : motivations des acteurs spatiaux et influence de la


communauté épistémique dans la création du régime ................................................ 66
1.1. Motivations des acteurs spatiaux .................................................................................... 69
1.1.1. Etats-Unis .............................................................................................................. 69
1.1.2. Russie et Chine : l’application de la logique des négociations parallèles .................. 114
1.1.3. Le cas particulier de la France : acteurs et positionnements diplomatiques .............. 123
1.2. Les activités de la communauté épistémique (CE) ......................................................... 178
1.2.1. Le relais des forums internationaux comme animateurs de la CE ............................. 178

2. La diffusion de la norme par les Etats leaders: acteurs et mécanismes


d’influence ................................................................................................................ 202
2.1 Deux groupes d’Etats, deux projets de régime : de l’utilisation des croyances normatives
par les Etats ....................................................................................................................... 202
2.1.1 Le projet de régime sino-russe : le PPWT .............................................................. 204
2.1.2 L’entrepreneur de norme concurrent : le projet de code de conduite de l’Union
Européenne .................................................................................................................... 210
2.1.3 La recherche du soutien du critical state que sont les Etats-Unis ............................. 218
2.2 Les interactions au profit de la persuasion normative ..................................................... 234
2.2.1 Les interactions inter- et trans-gouvernementales ................................................... 234
2.2.2 Les interactions inter-niveaux ................................................................................ 247
2.2.3 Les interactions transnationales ............................................................................. 251
2.3 La place de l’Etat dans la diffusion de la norme ............................................................ 258
2.4 Vers l’internalisation de la norme ................................................................................. 260

PARTIE 2 : Le partenariat transatlantique à l’épreuve de la promotion de la norme


sur la sécurité des activités spatiales .................................................................... 264

1. De l’hégémonie spatiale américaine au maintien du leadership dans l’espace ..... 264


1.1. Le changement d’orientation politique internationale : le smart power appliqué au domaine
spatial ................................................................................................................................ 266
1.1.1. L’ère du space control par l’ « unilatéralisme militariste » ..................................... 267
1.1.2. La présidence de Barack Obama comme fenêtre d’opportunité pour un changement
d’orientation politique internationale .............................................................................. 272

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

1.1.3. L’impact sur les relations spatiales internationales ou les conséquences du smart power
appliqué à l’espace ......................................................................................................... 277
1.2. La promotion du référentiel sécuritaire pour l’espace par la projection des concepts issus du
smart power au sein de l’alliance atlantique ......................................................................... 284
1.2.1. L’apparition du concept de global commons au sein des documents stratégiques et ses
implications ................................................................................................................... 285
1.2.2. La projection des concepts smart au sein de l’OTAN .............................................. 317

2. Opportunites et limites du partenariat transatlantique au profit de la regulation


des activités spatiales ................................................................................................ 327
2.1. Comprendre le rapprochement franco-américain : facteurs et acteurs ............................. 327
2.1.1. Les dynamiques de la convergence ........................................................................ 327
2.1.2. Le rapprochement franco-américain ou l’ère de la « bonhommie stratégique » ......... 331
2.1.3. Le rapprochement franco-américain décliné au secteur spatial, moteur du partenariat
transatlantique naissant ................................................................................................... 335
2.2. Les ambitions de l’Europe spatiale comme acteur international au cœur du partenariat
transatlantique sur la sécurité des activités spatiales ............................................................. 343
2.2.1. Les acteurs corporatifs européens du secteur spatial ............................................... 343
2.2.2. La qualification de la puissance spatiale européenne .............................................. 356
2.3. Les limites du partenariat transatlantique dans l’adoption du référentiel sécuritaire pour les
activités spatiales ............................................................................................................... 363
2.3.1. La réception différentielle du référentiel ................................................................ 364
2.3.2. Le référentiel inspiré de l’imaginaire sécuritaire américain ..................................... 367
2.3.3. L’influence de la culture stratégique américaine sur les cultures stratégiques françaises
et européennes ............................................................................................................... 370
2.3.4. La question de la solubilité du leadership spatial américain dans le multilatéralisme 398

Conclusion générale ............................................................................................ 411

Bibliographie ....................................................................................................... 415

Table des annexes ............................................................................................... 447

Annexe 1: Les principaux textes juridiques en droit de l'espace .......................... 448

Annexe 2 : Les principaux acteurs spatiaux étatiques ......................................... 494

Annexe 3 : Les principaux acteurs spatiaux privés .............................................. 499

Annexe 4 : Les institutions spatiales .................................................................... 503

Annexe 5 : Synthèse des déplacements de Franck A. Rose (Département d’Etat


américain) ........................................................................................................... 506

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Index ................................................................................................................... 511

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Introduction

1. La conquête spatiale vue par la science politique


A. Espace rêvé
L’espace est, dans l’imaginaire collectif, un milieu peuplé de mystère et de rêve.
Devant cette immensité, on ne peut qu’être émerveillé ou inquiet. « Le silence de ces
espaces infinis m’effraie » 1. Cette pensée de Blaise Pascal peut être appliquée à
l’espace extra-atmosphérique, monde sans bruit et sans odeur. Pascal s’interroge sur
la place et la condition de l’homme dans l’infini. Sa pensée, ancrée dans le contexte
du 17ème siècle renvoie à une angoisse existentielle face à l’immensité de l’univers.
Cette peur reflète ce que l’Homme ne maîtrise pas. Ou pas encore. Quelques siècles
plus tard et les progrès technologiques fulgurants aidant, l’Homme part à la conquête
d’un de ces espaces infinis, l’espace extra-atmosphérique. Les Hommes ressentent
alors la nécessité de le conquérir, le maîtriser et le contrôler 2. La conquête est
intellectuelle, par la compréhension des lois physiques régissant le milieu, puis
humaine par l’envoi d’objets artificiels dans l’espace circumterrestre. Pour le
commun des mortels, le domaine spatial est de l’ordre du fantasme où règne la
« pensée-fiction » plutôt que la « pensée-réflexion » 3. Cet imaginaire est alimenté par
une abondante bibliographie et filmographie. Il ne faut d’ailleurs pas y chercher les
véritables lois de la mécanique spatiale 4. De la même manière, la conquête spatiale se
résume pour beaucoup aux vols habités et aux premiers pas de l’Homme sur la Lune.
Les exploits technologiques qui ont peuplé de manière presque imperceptible notre
quotidien sont du domaine de l’acquis et de l’inconscient 5. Même s’il fait moins
rêver, c’est cet espace sublunaire qui est devenu vital pour un nombre important

1
Blaise Pascal, Pensées, Paris, Ed. Gallimard, p. 58-60, 1969.
2
Maitrîser l’espace signifie être en mesure d’y déployer des moyens spatiaux à son profit ; contrôler l’espace renvoie à la
doctrine américaine du Space Control qui comprend des mesures défensives mais également potentiellement offensives à
l’égard d’adversaires.
3
Serge Grouart, La guerre en orbite. Essai de politique et de stratégie spatiales, Paris, Economica, Bibliothèque stratégique,
1994, p. 10.
4
On pense aux plus récents avec notamment Gravity d’Alfonso Cuaron ou Interstellar de Christopher Nolan.
5
Les satellites à vocation militaire représentent pourtant environ 70% des satellites lancés depuis l’origine, in Serge Grouart,
La guerre…, op. cit.,p. 7.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

d’Etats et leurs populations. Les dirigeants des Etats-Unis, des pays européens, de la
Chine et d’autres Etats encore ont fait de cette portion du milieu spatial la pierre
angulaire de leur puissance. Leurs intérêts militaires, stratégiques, économiques voire
intellectuels y sont en jeu. C’est donc bien de l’espace sublunaire dont il est question
dans cette thèse, qui ne prend pas en compte les explorations spatiales lointaines au-
delà des orbites dites utiles.

B. Les caractéristiques physiques de l'espace


Quelques précisions sont nécessaires lorsque l’on parle de l’espace extra-
atmosphérique. On distingue trois espaces. L’espace proche de la terre,
circumterrestre, l’espace solaire et l’espace lointain. Ces trois espaces ont été définis
par Serge Grouart. Son livre, bien que datant de la fin des années 1990, fait encore
référence aujourd’hui pour sa réflexion sur la définition de la stratégie spatiale 6. Il
n’existe pas d’altitude juridiquement établie marquant la limite physique entre le
milieu aérien et le milieu spatial. Cet intérêt pragmatique recoupe une réalité
physique 7. Cependant, même si la limite entre le milieu aérien et le milieu spatial ne
peut être définie, il est généralement admis que la limite basse de l’espace débute à
environ 100km, ce qui correspond à la « ligne Karman » du nom de cet ingénieur et
physicien hongrois naturalisé américain. En deçà, un objet ne peut se maintenir en
orbite car la friction atmosphérique et la gravité y sont trop fortes. De plus, pour se
maintenir en orbite, un objet doit orbiter à environ 7.8 km/s, il s’agit de la vitesse de
satellisation. Juridiquement, aucun texte, et même le plus fondamental, le Traité de
l’Espace de 1967 8, ne précise les limites entre espace aérien et espace extra-
atmosphérique. Les Etats ont un intérêt à ne pas définir de frontière. La limite haute
de l’espace circumterrestre se situe à environ 40 000km. C’est la distance maximum
où peuvent se tenir certains satellites pour le bon fonctionnement de leur charge utile,
principalement des satellites de télécommunication et de météorologie. Cependant,
c’est au niveau de l’orbite basse (200 à 2 000km) que se concentre la majorité de la

6
La stratégie spatiale consiste pour un Etat à penser l’accès, l’occupation et l’exploitation de ce milieu au service de ses
intérêts (économiques, stratégiques et/ou de défense).
7
En effet, entre 50 et 200 km d’altitude, il existe une zone où les aéronefs ne peuvent se maintenir mais où également un
satellite ne peut orbiter. Il s’agit de la limite haute entre la stratosphère et la thermosphère. On estime que vers 120 km
d’altitude, la friction atmosphérique devient moindre.
8
Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d'exploration et d'utilisation de l'espace extra-
atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, 1967.

- 17 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

population des satellites actifs et des débris en orbite (satellites hors d’usage 9, corps
de fusées, débris d’origine humaine en tout genre). C’est au sein de cet espace
qu’évolue la majorité des objets spatiaux. Cet environnement est hostile. Il est
traversé de nombreux rayonnements nocifs (rayons X, gamma, Ultraviolets,
infrarouges) et subit de vertigineux écarts de températures (de +120°C à –180°C). Il
n’y a ni bruits, ni odeurs, ni végétaux ni animaux. Qui plus est, ce milieu est peuplé
d’autres objets spatiaux naturels tels que les météorites. Néanmoins, de par ses
propriétés électromagnétiques, il constitue un excellent relais de communications. Le
maintien d’un satellite en orbite est un travail permanent pour les opérateurs de
satellite, étatiques ou privés. En effet, l’attraction gravitationnelle de la Terre mais
aussi l’attraction exercée par la Lune, le frottement atmosphérique et le rayonnement
solaire provoquent une modification de la trajectoire du satellite et sa chute s’il n’est
pas maintenu à poste. Une dérive trop importante par rapport à son orbite ne lui
permet plus de remplir la mission pour laquelle il a été conçu. Les opérateurs doivent
donc composer avec les lois de la mécanique spatiale mais aussi avec les débris
orbitaux et les autres satellites opérationnels. Ainsi, parfois, il est nécessaire de
manœuvrer le satellite actif pour éviter un risque de collision. Cela réduit néanmoins
l’espérance de vie du satellite qui aura moins de carburant pour être maintenu à poste.
Lorsque le satellite a atteint sa durée de vie, la plupart des opérateurs laissent le
satellite dériver et rentrer dans l’atmosphère où il se consumera totalement ou en
partie. Bien sûr, ces objets spatiaux ne sont pas intéressants en tant que tels mais
plutôt pour les missions officielles qu’ils remplissent (capteurs de la charge utile),
pour le statut de leurs propriétaires (opérateur civil, gouvernemental ou militaire) ou
encore pour leurs utilisations effectives (espionnage). L’intérêt de l’utilisation de
l’espace par les Etats a été vite compris. D’un point de vue stratégique, il constitue le
point haut ultime qui permet de voir sans être vu.

« Il y a quelque chose de plus important que toutes les armes ultimes.


C’est la position ultime- la position du contrôle total sur la Terre qui
réside quelque part dans l’espace. (…) Qui gagne la position ultime gagne

9
A noter que le premier satellite en orbite basse envoyé par la France en 1965 se nomme Astérix et orbite toujours
aujourd’hui (sans être opérationnel).

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

le contrôle, le contrôle total sur la Terre, pour la tyrannie ou au service


de la liberté. » 10

La Guerre froide a donc été le contexte historique idéal pour le développement rapide
des technologies spatiales.

C. La conquête de l'espace dans le contexte de la guerre froide


Course aux armements et course à l’espace entre les deux Grands
La Guerre froide a vu s’opposer deux superpuissances entre 1943 et 1990. L’expression
même de Guerre froide est parfois contestée car elle fut « chaude » dans certaines parties
du monde, se transformant en réels conflits en Asie, en Afrique et dans une moindre
mesure au Moyen-Orient. D’aucuns 11 lui préfèrent le terme de conflit Est-Ouest. Cet
affrontement a structuré les relations internationales pendant presque cinquante ans. On
retient surtout de cette période une opposition se cristallisant sur le sujet de la détention et
de l’utilisation éventuelle de l’arme nucléaire. Pendant ce conflit, les deux Grands
souhaitent connaître la quantité d’armes nucléaires détenue par l’un et par l’autre. Les
Américains nourrissent eux une peur du « missile gap ». Cette expression rend compte
d’une perception 12 américaine d’un déséquilibre entre eux et les Soviétiques sur la quantité
de missiles nucléaires intercontinentaux. Ce supposé déséquilibre en défaveur des Etats-
Unis est cependant largement surestimé 13. Si cette inquiétude disparaît, c’est bel et bien
grâce aux images fournies par les satellites d’observation américains. L’avantage
stratégique fourni par le renseignement d’origine spatiale devient alors une évidence. De
plus, la technologie permettant de lancer des fusées n’est pas éloignée de celle des missiles.
La fusée n’est qu’un missile amélioré afin de mettre en orbite des objets. La plupart du
temps, puissance nucléaire et puissance spatiale vont de pair. La conquête militaire de
l’espace prend place dans la stratégie des Etats. En même temps qu’idéologique, la rivalité
américano-soviétique est politique, militaire mais aussi culturelle, économique et
scientifique. La course à l’espace est également une course au prestige. Chaque
démonstration de force devient un symbole de supériorité sur l’adversaire. Dans cette

10
Cité dans une étude de l’IHEDN, « L’Espace extra-atmosphérique, enjeu du 21 ème siècle ? Dualité civile et militaire de
l’utilisation de l’espace », Etude du cycle 2007-2008, URL : http://www.ihedn-rl-ar14.org
11
George-Henri Soutou, La Guerre froide. 1943-1990, Paris, Hachette Pluriel, 2011.
12
Robert Jervis, Perception and Misperception in International Politics, Princeton, Princeton University Press, 1976.

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course, ce sont les Soviétiques qui sont arrivés les premiers. Le 4 octobre 1957, ils lancent
le premier satellite artificiel, Spoutnik. Lyndon Johnson, futur président des Etats-Unis,
déclare alors :

« C’est un nouveau Pearl Harbour, l’Amérique a perdu parce qu’elle a


sous-estimé les relations entre l’espace et les relations internationales » 14
En faisant référence à la tragédie de Pearl Harbour, Johnson exprime le sentiment que
cette prouesse est aussi une menace pour les Etats-Unis. En effet, cette démonstration
est une preuve de la maîtrise par les Soviétiques de la technologie des missiles
balistiques intercontinentaux, de très longue portée (ICBM, Intercontinental Ballistic
Missile). L’équilibre du système international peut en être bouleversé. Johnson en
vient à la conclusion que le contrôle de l’espace signifie le contrôle du monde. Les
exploits technologiques s’enchaînent par la suite comme autant de ripostes dans cette
compétition duopolistique. Les Américains mettent leur premier satellite artificiel en
orbite (Explorer 1) le 1er février 1958. Le premier homme est envoyé dans l’espace le
12 avril 1961 et il est soviétique. Les Américains répliquent en faisant d’Alan
Shepard le premier américain dans l’espace le 6 mai 1961. L’avance technologique
apparente des Soviétiques n’a cependant pas su empêcher une conquête américaine
très symbolique et prestigieuse, celle de la Lune. Neil Armstrong est le premier
homme à avoir foulé son sol le 21 juillet 1969. Les six missions Apollo réussies par
les Américains n’ont pas d’égal chez les Soviétiques, malgré leur volonté de
conquérir à leur tour la Lune. Ces démonstrations médiatiques ne doivent pas occulter
le fait que la conquête est avant tout militaire. La militarisation de l’espace désigne
alors l’utilisation de ce milieu à des fins militaires mais non offensives. Les deux
protagonistes ont des préoccupations stratégiques différentes 15. Pour les Etats-Unis il
s’agit d’estimer au mieux les capacités stratégiques des Soviétiques. Le satellite de
reconnaissance est alors une parade efficace à la suite de la capture d’un avion U2 par

13
A l’été 1961, les Américains peuvent s’en assurer grâce aux images prises par leurs satellites de reconnaissance CORONA.
Aujourd’hui ils servent à la bonne application des traités et accords de limitation des armements stratégiques.
14
Cette citation est extraite du mémorandum de Lyndon Johnson alors Sénateur au Congrès, le 11 avril 1958, avant donc
qu’il ne soit président. Lyndon Johnson est le trente-sixième président des Etats-Unis, du 22 novembre 1963 au 20 janvier
1969.
15
Isabelle Sourbès-Verger, « Conquête spatiale et relations internationales », in Annuaire Français des Relations
Internationales, Volume IX, juillet 2008, p. 892.

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16
les Soviétiques . Pour l’URSS en revanche, il s’agit de combler la distance qui met
les Etats-Unis à l’abri de toutes représailles en cas d’attaque sur leur sol. Cela passe
par le développement des ICBM. L’activité spatiale de la Guerre froide est fortement
orientée par les développements de l’activité nucléaire. La course à l’espace et la
course aux armements nucléaires sont alors les deux éléments structurants des
relations internationales. Malgré la création des Nations Unies en octobre 1945, force
est de constater que l’autorité supranationale est incapable de maîtriser ce conflit
potentiellement destructeur pour la planète.

La guerre froide propice aux développements de technologie spatiale


La croyance en la haute technologie devient une obsession de la part des décideurs
politiques. Les progrès réalisés deviennent autant de preuves de leur puissance. Cela
amène également les deux superpuissances à réaliser et mettre en orbite dès les années
1960 de véritables stations spatiales espionnes 17. Elles sont plus tard détrônées par la
conception de satellites d’observation, moins coûteux et sans risque pour la vie humaine.
Les dirigeants américains, à partir de la présidence d’Eisenhower, pensent leur stratégie
spatiale au prisme de la prévention contre toute attaque surprise 18. Les origines de la
pensée experte américaine prennent racine à cette période. Peu à peu les satellites
d’observation deviennent également des instruments utiles de vérification d’application des
premiers accords relatifs à la limitation des armements nucléaires, Strategic Arms
Limitation Talks- SALT 1- en 1972. L’utilisation militaire de l’espace, dominée par les
capacités de télédétection optique 19, se diversifie rapidement. La généralisation de
l’utilisation de la télédétection pousse les Nations Unies à encadrer son utilisation 20. Les
progrès technologiques et les besoins se multiplient. Les satellites réalisent à présent de

16
Le 1 er mai 1960, l’avion U2 du pilote américain Gary Powers est abattu au-dessus de l’Union Soviétique. Cet avion de
reconnaissance effectuait des missions de renseignements depuis le Pakistan. Gary Powers a été emprisonné puis libéré
contre un espion soviétique en 1962. Cet épisode met fin à la période de la détente entre les deux Etats.
17
Béatrice Hainaut, « Les drones prennent de la hauteur: de l'utilisation des unmanned space vehicle », in Grégory Boutherin, Emmanuel
Goffi, Jérôme de Lespinois, Sébastien Mazoyer, Christophe Pajon (dir.), Les drones aériens : passé, présent et avenir. Approche
globale, Paris, La Documentation française, coll. Stratégie aérospatiale, 2013, pp. 447-457.
18
Xavier Pasco, « Haute technologie spatiale et conflits », AFRI 2000, Volume I, pp. 831-841.
19
Entre 1960 et 1992, les Etats-Unis lancent 266 satellites de reconnaissance. De son côté, entre 1962 et 1987, l’URSS a mis
sur orbite 712 satellites de reconnaissance photographique sur les 1601 satellites militaires lancés, Jacques Villain, « La
militarisation de l’espace », in L’espace, un enjeu terrestre, Collection Questions internationales, n°67, La Documentation
française, avril 2014, p. 55.
20
Il s’agit de la résolution 41/65 du 03 décembre 1986. Entre autres, cette résolution adoptée sans vote, pose comme principe
(n° XII) que « l’Etat observé a accès aux informations analysées disponibles concernant le territoire relevant de sa juridiction
qui sont en possession de tout Etat participant à des activités de télédection sans discrimination et aux mêmes conditions,
compte dûment tenu des besoins et intérêt des pays en développement ».

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l’écoute électronique, de l’alerte avancée (pour la détection des départs de missiles), de la


météorologie, des communications etc. Les Etats-Unis et l’URSS, seuls acteurs
véritablement structurants le système international, font de la ressource nucléaire et de la
ressource spatiale les éléments constitutifs de leur puissance globale. Ces deux ressources
ont également nourrit les peurs des autres Etats. La détention d’armes nucléaires de part et
d’autre fait naître l’expression d’ « équilibre de la terreur » tandis que la course à l’espace
fait craindre une « guerre des étoiles ». Certes, cette expression est popularisée en 1983 par
l’annonce du projet d’Initiative de Défense Stratégique (IDS) du Président Reagan 21. Mais
les Etats-Unis, tout comme l’URSS, n’ont pas attendu les années 1980 pour penser la
conception d’armes antisatellites (ASAT). La course aux armements est transposée dans
l’espace. Le conflit sur terre trouve son équivalent en orbite. La course aux armements
dans l’espace consiste à développer des armes destinées à porter préjudice aux capacités
spatiales d’un adversaire. Depuis le traité de 1967, les armes de destruction massive ne
peuvent être placées en orbite. Il peut alors s’agir d’armes spatiales placées dans l’espace
ayant pour destination la terre (Space To Earth Weapons, STEW), des différents ASAT :
armes embarquées (air) visant l’espace, des armes dans l’espace avec une cible dans
l’espace (satellites tueurs / intercepteurs), des armes partant du sol vers une cible dans
l’espace ou encore de la défense antimissile depuis l’espace (Space – Based Ballistic
Missile Defense). Même si le déploiement dans l’espace d’armes nucléaires ou d’armes de
destruction massive est interdit par le Traité de l’Espace de 1967, rien n’empêche les Etats
de développer des ASAT, voire de faire transiter dans l’espace un missile balistique
nucléaire. Le premier tir ASAT américain réussi a lieu le 13 octobre 1959, contre le
satellite Explorer 6 à partir du missilier Bold Orion lancé d’un bombardier B-47. Le
missile n’est passé qu’à quelques kilomètres du satellite. A la fin des années 1950, l’armée
de l’air américaine lance plusieurs séries de projets sur des missiles stratégiques. Le nom
de ces programmes est Weapon System WS-199A. Un des projets est ce missile balistique
lancé depuis un avion. Douze tests en vol sont effectués du 26 mai 1958 au 13 octobre
1959, mais ce sont généralement des échecs qui mettent fin au programme. Le système est
par la suite modifié avec l’ajout d’un étage supérieur ALTAIR afin de créer une arme

21
Ce projet américain de bouclier antimissile visait l’obsolescence des armes nucléaires. Le dispositif prévoyait des moyens
d’interception de missiles depuis le sol (par énergie cinétique ou dirigée) mais également depuis l’espace (satellites de la
constellation Brillant Pebbles équipés d’intercepteurs). Les Soviétiques ont tenté de contrer ce projet en invoquant le traité
ABM (Anti-Balistic Missile) de 1972 interdisant le déploiement de systèmes antimissiles depuis l’espace, en vain.

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antisatellite avec une portée de 1700 km. Un seul test en vol est effectué. On simule une
attaque sur le satellite Explorer 6 à une altitude de 251 km. Afin d’atteindre sa cible, le
Bold Orion transmet de la télémétrie au sol, éjecte des fusées éclairantes afin d’aider au
suivi visuel et est continûment suivi par les radars. Le missile s’approche autour des 6.4
km du satellite, ce qui est plus que convenable pour une arme nucléaire. Cependant,
l’administration américaine d’Eisenhower considère le développement d’ASAT contre-
productif 22, pouvant toucher leurs infrastructures spatiales. De 1963 à 1975, des
programmes antisatellites sont menés officieusement 23. Pendant les années 1960, les
Américains ont également pensé l’utilisation des explosions nucléaires en haute altitude
afin de détruire des satellites en orbite. Un test est réalisé en 1958 (Test Hard Track Teak).
Un autre est mené en 1962, le Starfish Prime. L’impulsion électromagnétique endommage
trois satellites et interrompt les communications par satellites au-dessus de l’océan
Pacifique. D’autres tests ASAT sont menés avec la série des DOMINIC I. Une version
adaptée de l’arme nucléaire Nike Zeus a été utilisée comme ASAT à partir de 1962. Sous
le nom de code Mudflap, ce missile (DM-15S) a été déployé dans l’atoll du Kwajalein
jusqu’en 1966 lors de l’arrêt du programme au profit d’un autre, prenant comme base le
missile Thor, opérationnel jusqu’en 1975. Les armes à énergie dirigée, rendues possibles
par la technologie des lasers, sont un autre domaine de recherche relatif à l’armement dans
l’espace. Côté soviétique, le projet de bombe orbitale est lancé en 1962 (projet R-36). Une
tentative remarquable de relance des projets ASAT a lieu sous la présidence de Ronald
Reagan avec le programme désormais connu sous l’expression de « guerre des étoiles » ou
officiellement IDS en 1983. Ce programme de bouclier antimissile a pour ambition de
développer des moyens d’interception des missiles balistiques soviétiques. Dans ce cadre,
le programme Brillant Pebbles voit le jour en 1985 et est poursuivi jusqu’en 1992 (nuancé
sous la présidence de George H. W. Bush dès 1989). L’objectif est de mettre en orbite une
constellation de petits satellites tueurs (dotés de missiles ou agissant par impacts directs)
pouvant détruire des missiles balistiques quelque soit leur phase de vol. Le premier test
ASAT américain atteignant sa cible devient un objet de débat entre les scientifiques de la
NASA et les membres du département de la défense américain. L’arme en question est un
ASAT monté sur un corps de fusée (ALTAIR). L’objectif est de le propulser en altitude

22
Laurence Nardon, « L’arsenalisation de l’espace : projets américains, réactions européennes », note de l’IFRI, URL :
http://www.ifri.org

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vers l’espace grâce à un aéronef, un F-15 modifié. Le 13 septembre 1985, la première


tentative est une réussite. Le satellite visé est détruit en orbite et crée un nuage de débris à
550 km d’altitude. Ce test et ses conséquences marquent le début du travail
d’apprentissage entrepris par les scientifiques de la NASA sur les effets de la production de
débris orbitaux. En effet, à partir de cet événement, véritable catalyseur, la création de
débris dans l’espace devient le cheval de bataille d’une poignée de scientifiques. Bien
qu’officiellement stoppées en 1988, les recherches sur les ASAT ne cessent pas. Le
programme IDS de défense antimissile depuis l’espace, jugé trop cher et irréaliste est
abandonné en 1993 par l’administration Clinton. La course à l’espace s’est en fait achevée
définitivement en 1987 lorsque les Soviétiques échouent à mettre en orbite une station de
combat de cent tonnes équipée de mines, de missiles nucléaires et de laser de puissance 24.
Plus tard, dès le début du mandat de George W. Bush en 2001, une relance des projets de
type offensif dans l’espace est amorcée. Cela doit prendre la forme de « plateformes que
les Etats-Unis pourraient mettre au point et déployer dans l’espace et qui seraient
capables de frapper sur Terre comme dans l’espace extra – atmosphérique » 25. Cette
politique américaine est renforcée et justifiée par les attentats du 11 septembre 2001.
L’effet immédiat est le retrait américain du traité Anti – Ballistic Missile (ABM) la même
année. Le 21 février 2008, les Américains n’hésitent pas à démontrer que leur capacité de
destruction d’un satellite en orbite est maintenue. Ils détruisent le satellite américain
militaire USA 193 grâce à un missile. Cette démonstration de force fait suite au même
événement réalisé par les Chinois un an auparavant. En 2009, la politique spatiale de
Barack Obama semble moins agressive dans le ton mais semblable dans les objectifs.
On constate ainsi que l’espace militaire aux Etats-Unis suit une évolution en « couches
historiques » 26. Ces strates correspondent à des périodes définies et à des enjeux
particuliers pour chacune d’entre elles. Ainsi la Guerre froide est définie comme la période
de la couche stratégique. Cette période est marquée par des besoins de surveillance et de
reconnaissance comme évoqué plus haut. Suit la couche opérative et tactique mise en

23
Sabine Akbar, « Militarisation de l’espace », Publication du comité AeroSpace – ANAJ / IHEDN, URL : http://www.anaj-
ihedn.org/Telecharger/Comites/Militarisation%20de%20l'espace%20(2)%20-%20enjeux%20politiques.pdf.
24
Jacques Villain, « La militarisation de l’espace « ,op. cit.,p. 57.
25
Bruno Gruselle, « La défense antimissile dans l’espace : l’ultime frontière ? », 2007, URL :
www.unidir.org/pdf/articles/pdf-art2609.pdf

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avant dans les années 1990. Au début des années 2000 la couche sécuritaire place le
renseignement d’origine spatial au service de la sécurité nationale. Il devient alors
indispensable de contrôler l’espace afin de protéger ses moyens spatiaux, devenus des
intérêts nationaux vitaux. Xavier Pasco élabore l’hypothèse d’une quatrième couche
historique, en germe depuis les années 1990, qui viserait à contrôler l’espace. Les acteurs
spatiaux étatiques sont en effet de plus en plus nombreux et leurs intentions sont parfois
mal connues. La dépendance des Etats-Unis aux systèmes spatiaux est telle qu’ils ne
peuvent pas se permettre de ne pas avoir un contrôle sur le milieu et ses multiples objets en
orbite. Les dirigeants américains successifs ne seraient pas maîtres de la succession de ces
couches historiques, qui sont autant de stratégies ayant pour but de s’adapter au contexte
international. Seule la manière de les mettre en pratique peut être influencée par la
présidence.
Ce cheminement en couches historiques ne peut se départir d’une dépendance à l’histoire.
La notion de path dependence 27, de dépendance au chemin parcouru, issue de
l’institutionnalisme historique 28, fournit des clefs de compréhension. Elle désigne la
manière dont les acteurs s’habituent à travailler dans un cadre précis et s’attachent à des
manières de faire ou de penser. Cette notion permet de comprendre que les choix des
décideurs sont également contraints par le poids du passé. Ainsi, l’intérêt de vouloir
comprendre ce qui est en apparence un changement de politique prend ici tout son sens. La
politique spatiale de l’administration Obama est-elle le fait d’une conjoncture critique29 ?
Ou s’agit-il davantage d’une construction par le discours servant des objectifs et des
intérêts qui n’ont en rien été modifiés ?

La communauté de l’arms control

26
Xavier Pasco, « De l’utilisation au contrôle de l’espace extra-atmosphérique », in Envol vers 2025. Réflexions prospectives
sur la puissance aérospatiale, Grégory Boutherin, Camille Grand (dir.), Centre d’études stratégiques et aérospatiales, Paris,
La documentation française, 2011, p. 80.
27
Paul Pierson, « Increasing Returns, Path Dependence, and the Study of Politics, The American Political Science Review,
Vol. 94, n°2, juin 2000, pp. 251- 267.
28
Les partisans de l’institutionnalisme historique cherchent à expliquer comment les institutions structurent la réponse d’une
nation donnée à des défis nouveaux. Lire Peter A. Hall, Rosemary C. R. Taylor, « La science politique et les trois néo-
institutionnalisme », in Revue française de science politique, 47 ème année, n°3-4, 197, pp. 469-496.
29
Notion utilisée par Marcussen pour qualifier un changement dans une politique publique. Martin Marcussen, “Constructing
Europe ? The Evolution of Nation-State Identities”, in Thomas Christiansen, Knud Erik Jorgensen, Antje Wiener, The Social
Construction of Europe, Londres, Sage Publication, 2001.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Parallèlement à cette montée des tensions pendant la Guerre froide, l’idée de l’arms
control, c’est-à-dire du contrôle des armements nucléaires, amorcée sous Eisenhower,
prend une réelle importance sous l’administration Kennedy. En France, cette doctrine est
portée à la connaissance du public par le penseur Raymond Aron. En 1960, il assiste à
l’élaboration intellectuelle de cette politique à Harvard et au Massachussetts Institute of
Technology (MIT) lors de séminaires peuplés de futurs membres de l’administration
Kennedy. Dans un article du Figaro datant du 15 mars 1961, Aron explique en substance
que les conseillers du Président Kennedy pensent qu’une guerre nucléaire non voulue,
conséquence d’un malentendu, est possible. Il faut alors rétablir la rationalité des relations
entre l’URSS et les Etats-Unis au moyen d’accords de désarmement destinés à créer la
confiance, en commençant par l’arrêt des expériences nucléaires. De tels accords
freineraient la prolifération nucléaire, ralentiraient une course aux armements
dangereusement déstabilisatrice et permettraient d’instaurer une véritable détente entre
Washington et Moscou 30. L’administration Kennedy crée alors l’Arms Control and
Disarmament Agency. Cette agence subit les nombreuses réorganisations des
administrations successives. Elle est aujourd’hui intégrée au Département d’Etat et joue un
rôle moteur dans la promotion du projet international de code de conduite dans l’espace.
Les mesures véhiculées dans la doctrine de l’arms control ne visent plus un hypothétique
désarmement nucléaire absolu mais bien plutôt une maîtrise sur le nucléaire et un moyen
d’éviter la prolifération. Ainsi, Kennedy recommande un accord à Quatre (les quatre
puissances nucléaires d’alors) contre la prolifération. Cela passe par des mesures de
confiance consistant à échanger des informations sur les manœuvres militaires concernant
le nucléaire mais aussi à procéder à des inspections de part et d’autre. La doctrine de
l’arms control vise donc à « reconstruire la relation américano-soviétique et un ordre
international rationnel à partir de la prise en compte commune du danger partagé par les
armes atomiques. » 31 Malgré de réelles perspectives de cogestion ouverte par la
proposition américaine, l’URSS de Nikita Khrouchtchev préfère l’ignorer et la crise de
Cuba éclate en 1962. Les initiatives de désarmement perdurent pendant la Guerre froide
jusqu’à cet accord historique, le traité sur la limitation des systèmes antimissiles balistiques
en 1972.

30
George-Henri Soutou, La Guerre froide…, op. cit. p. 549.
31
Ibid.,p. 563.

- 26 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

L’arms control a été et est encore un sujet d’étude mobilisant les chercheurs en
relations internationales 32. Emmanuel ADLER a notamment étudié les processus à
l’œuvre concernant ce traité 33. Afin de rendre compte du rôle de la communauté de
l’arms control dans l’élaboration du traité, il utilise le concept emprunté à Peter M.
Haas de communautés épistémiques (CE). Cette expression rend compte de
l’existence de « réseaux » de professionnels ayant une expertise et une compétence
reconnues dans un domaine particulier qui peuvent faire valoir un savoir pertinent
sur les politiques publiques du domaine en question » 34. A première vue, cette
définition pourrait s’apparenter aux autres notions voisines de lobby (en français,
groupe d’intérêt/de pression ou d’influence) ou encore au sein de l’analyse des
politiques publiques de réseaux ou de communautés de politiques publiques.
Cependant, les CE se distinguent des lobbies dans la mesure où les premières
comptent une diversité de profils au sein de ces membres. Ce qui les relie est
davantage une vision du monde particulière ou un référentiel qu’une défense
d’intérêts particuliers. Certes, leur objectif est d’influencer les politiques publiques,
mais cette action est généralement guidée par une réelle conviction de défendre une
cause juste. Le poids des croyances est beaucoup plus prégnant que pour un lobbyiste
rémunéré pour défendre des intérêts qu’il ne partage pas de façon systématique. De
plus, la CE n’a pas vocation à défendre des intérêts privés mais a une certaine
prétention à l’universalisme. Les membres de la CE sont guidés par l’altruisme,
l’empathie et l’engagement idéel 35. Les notions de politiques publiques rendent
compte quant à elles de l’idée de réseaux. L’objectif est alors de cartographier les
acteurs divers et variés d’une politique mais aussi de comprendre comment ces
acteurs, par l’intermédiaire de forums 36, produisent du sens et construisent la réalité
sociale. La notion de communautés de politiques publiques semble être la plus proche
de celle de CE. Cette dernière s’est quant à elle imposée dans les années 1990 au sein

32
Pierre Hassner, « De l’arms control aux S.A.L.T », in Revue française de Science Politique, vol. 19, n°6, 1969, pp. 1266-
1271 ; Paul Dahan et Jean-François Guillaume, « Le paradigme retrouvé de l’arms control », in Annuaire français de
relations internationales, vol. 10, 2009, pp. 1-15.
33
Emmanuel Adler, “The Emergence of Cooperation: National Epistemic Communities and the International Evolution of the
Idea of Nuclear Arms Control”, International Organization, 46, n°1, Winter, 1992.
34
Peter M. Haas, “Introduction: epistemic communities and international policy coordination”, International Organization,
Winter 1992, vol. 46, n° 1, p. 3.
35
Martha Finnemore, Kathryn Sikkink, “International Norm Dynamics and Political Change”, International Organization,
n°52, 4, Autumn 1998, p. 898.
36
Bruno Jobert, « Le retour du politique », in Bruno Jobert (dir.), Le Tournant néo-libéral en Europe, Paris, L’Harmattan,
1994.

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des études de relations internationales. Elle permet donc de penser l’existence d’une
communauté internationale qui interagit dans le but de promouvoir la coopération et
la coordination internationale dans un domaine particulier, qui est ici la sécurité des
activités spatiales. De même, son utilisation s’appuie sur un nombre de travaux
important réalisés par des chercheurs américains permettant ainsi une réelle réflexion
sur le caractère heuristique du concept au profit de cette thèse. Enfin, l’affirmation de
l’existence d’une CE au sein du milieu spatial a été clairement identifiée 37. Une partie
des membres de la communauté de l’arms control est présente lors des discussions
sur la sécurité des activités spatiales. En effet, les partisans de cette doctrine
souhaitent rendre compte d’un danger commun partagé, symbolisé par l’existence des
ASAT. Bien que les effets de ces derniers soient foncièrement différents des armes
atomiques, la dépendance des puissances à l’égard de leur utilisation de l’espace
renverrait ces dernières à un passé révolu si elles décidaient de détruire leur
ressource commune. En 2002, le Président américain George W. Bush rend effective
sa décision de se retirer du traité sur la limitation des systèmes antimissiles
balistiques, traité pour lequel la communauté de l’arms control s’était mobilisée dans
les années 1960 et 1970. Le désengagement des Etats-Unis leur permet alors de
développer et de tester des missiles antimissiles (au profit d’un bouclier antimissile)
pouvant également être utilisés comme ASATs.

La construction du droit spatial par les deux Grands


La législation en matière spatiale est composée de déclarations, d’accords, de traités
et de conventions. Le droit spatial naît avec le lancement du premier satellite artificiel
mis en orbite le 4 octobre 1957. Il s’appuie sur deux règles coutumières que sont la
liberté et la non-appropriation de l’espace. Après le lancement du premier satellite
artificiel américain, le 1 er février 1958, et face à l’intérêt grandissant des Etats pour
l’utilisation de l’espace, l’ONU adopte la même année une première résolution
portant sur la question de l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique à des fins
pacifiques. L’organisation crée également le Comité pour les Utilisations Pacifiques
de l’Espace Extra-Atmosphérique (CUPEEA ou COPUOS en anglais). Un premier

37
James Clay Moltz, The Politics of Space Security. Strategic Restraint and the Pursuit of National Interests, Stanford
Security Studies, Stanford California, 2008, p.177.

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grand texte est ensuite voté par les Nations Unies le 13 décembre 1963. Il s’agit de la
Déclaration des principes juridiques régissant les activités des Etats en matière
d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique. Il préfigure l’adoption
en janvier 1967 du Traité sur les principes régissant les activités des Etats en matière
d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et
les autres corps célestes, dit Traité de l’Espace. Ce texte général est ensuite complété
par des conventions. Ce corpus juridique mélange ainsi des textes dont la portée et
l’engagement diffèrent. De plus, ces textes ne sont pas toujours signés et ratifiés par
les mêmes Etats et en particulier les puissances spatiales. Par exemple, l’Accord sur
la Lune n’a été ratifié que par quinze Etats, dont aucun acteur spatial majeur. La
raison en est que ce texte consacre le satellite naturel de la Terre comme patrimoine
commun de l’Humanité et, à ce titre, soumet les Etats à un régime très strict
d’utilisation et d’exploitation. Cependant, le texte juridique le plus complet et aussi le
plus contraignant reste le Traité de l’Espace qui est lui signé et ratifié par les
puissances spatiales. Ce dernier met en place de grands principes dont deux méritent
d’être cités ici car ils déterminent encore aujourd’hui ce que les Etats sont autorisés à
faire et ne pas faire dans l’espace. Ce traité établit la liberté de l’espace et son
utilisation pacifique.
La liberté de l’espace est le corollaire du principe de non-appropriation énoncé par
l’article II du Traité de l’Espace :
« L’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, ne
peuvent faire l’objet d’appropriation nationale par proclamation de souveraineté, ni
par voie d’utilisation ou d’occupation, ni par aucun autre moyen. » 38
A titre de comparaison, la Convention de Montego Bay, du 10 décembre 1982,
portant sur le droit de la mer et le Traité sur l’Antarctique du 1er décembre 1959,
n’interdisent que la proclamation de souveraineté. L’article n’a pas empêché huit des
treize Etats situés sur l’Equateur de revendiquer leur souveraineté « projetée » dans
l’espace sur l’arc géostationnaire 39.

38
Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d'exploration et d'utilisation de l'espace extra-
atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, 1967.
39
Dans une déclaration signée à Bogota le 3 décembre 1976, après avoir rappelé l’absence de délimitation de l’espace, le
Brésil, la Colombie, l’Equateur, l’Indonésie, le Kenya, l’Ouganda et la République du Congo ont souligné que l’orbite
géostationnaire, située sur le plan de l’équateur, est une ressource naturelle physiquement dépendante de la Terre et donc de
leurs territoires respectifs. Les puissances spatiales ont immédiatement dénoncé cette position contraire à l’article II du

- 29 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Le deuxième grand principe est l’utilisation pacifique de l’espace. La définition de


l’utilisation pacifique de l’espace reste cependant problématique. Le Traité interdit
clairement la mise en orbite d’armes de destruction massive mais pas directement
celle des armes conventionnelles. L’utilisation militaire de l’espace est donc possible.
La course aux armements n’est donc pas non plus formellement interdite même si sa
réalisation nuirait très probablement au principe d’utilisation pacifique. A l’inverse,
le Traité interdit l’implantation de tout type d’armes ou d’installations militaires sur
les corps célestes y compris la Lune. Ce traité est avant tout le résultat d’un
compromis entre les deux seules puissances spatiales de l’époque, URSS et Etats-
Unis. Il a offert une marge de manœuvre confortable à ces protagonistes en matière
de militarisation et d’armements dans l’espace. Tout en se laissant la liberté de
surveiller depuis l’espace l’arsenal au sol de son adversaire, les deux puissances
écartent la possibilité d’une guerre nucléaire en orbite, estimant que cette dernière
serait contre-productive.
Le droit spatial consacre la centralité de l’Etat dans les affaires spatiales. En effet, la
Convention sur l’immatriculation des objets spatiaux pose le principe de la
responsabilité internationale directe de l’Etat pour toutes ses activités nationales dans
l’espace, y compris celles conduites par des entités non gouvernementales. Toute
violation du droit de l’espace par une entreprise privée entraîne la responsabilité de
l’Etat de la nationalité de l’entreprise. De même, la Convention sur la responsabilité
de 1972 identifie l’Etat de lancement comme le responsable de tout dommage causé
par un objet mis en orbite. La France, en tant que puissance spatiale, est ainsi très
exposée. Dès qu’un satellite, quelle que soit sa nationalité, est lancé par Arianespace
ou depuis Kourou, la responsabilité internationale de la France est engagée si un
dommage survient. Bien qu’orientés par les Etats-Unis et la Russie, les textes
juridiques sont signés par plusieurs Etats pendant la Guerre froide. Certains y voient
un moyen de ne pas faire de l’espace un champ de bataille.

Traité de l’Espace. Simone Courteix, « Questions d’actualité en matière de droit de l’espace », in Annuaire français de droit
international, volume 24, 1978, pp. 890 – 919.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

L’évocation implicite du fait spatial chez les commentateurs réalistes


Le mode de pensée réaliste 40 est dominant en relations internationales pendant la
période de la Guerre froide. Ses principes, formalisés par Hans Morgenthau en 1960,
servent d’outils d’explication et d’analyse des relations interétatiques pendant le
conflit Est - Ouest. Le réalisme est protéiforme, c’est pourquoi d’aucuns parlent des
réalismes. Ainsi, Morgenthau 41 est devenu l’auteur par qui partisans et adversaires du
réalisme se définissent. Il énonce les « six grands principes du réalisme politique » 42
et le définit comme une théorie du politique et du diplomatique en négligeant
délibérément les aspects économiques et sociaux. Ainsi, d’autres réalistes se
positionnent sur ces thématiques, à l’instar de Robert Gilpin pour l’économie et de
Raymond Aron pour la dimension sociale (avec sa notion de société internationale).
De plus, Aron moque la tentative de Morgenthau de faire du réalisme classique une
théorie générale. Selon lui, les lois générales en relations internationales ne sont pas
réalisables. De plus, l’idée que la puissance puisse être le but unique des individus lui
semble réductrice. Aron et d’autres commentateurs [Barry Buzan, Robert Gilpin,
Michael Mastanduno] s’inscrivant dans la pensée réaliste, critique la portée
scientifique que Morgenthau souhaite impulser à ses écrits. 43
Le mode de pensée réaliste s’articule autour de trois postulats. Ces postulats peuvent
varier suivant les réalistes pour cause de divergences ontologiques. Les réalistes
placent l’Etat en tant qu’acteur central, unitaire et rationnel des relations
internationales. De plus, l’état d’anarchie domine le système international. Elle
domine, dans le sens où aucune autorité centrale supérieure aux Etats n’exerce le
monopole de la violence légitime, à l’inverse de qui existe au niveau national. Les
organisations supranationales existent pourtant bel et bien mais elles sont le plus
souvent le reflet de la somme des intérêts des Etats qui les ont créées. Leur efficacité

40
Mode de pensée réaliste et non théorie des relations internationales car autant les adversaires que les partisans du réalisme
nient toute aspiration de ce dernier à être une théorie générale des relations internationales, in Alex Mc Leod et Dan O’Meara
(dir.), Théories des relations internationales. Contestations et résistances, Montréal, Athéna Editions, Centre d’Etudes des
Politiques Etrangères et de Sécurité (CEPES), 2010.
41
Hans Morgenthau, Kenneth W. Thompson, David Clinton, Politics Among Nations. The struggle for Power and Peace,
McGraw-Hill Humanities, 7ème edition, avril 2005.
42
Ibid, p. 4-12.
43
Il existe un consensus minimal entre les réalistes qui considèrent le réalisme comme relevant du paradigme. Le paradigme
désigne « l’ensemble de croyances, de valeurs reconnues et de techniques qui sont communes à un groupe donné », in Alain
Faure, Gilles Pollet, Phillipe Warin, La construction du sens dans les politiques publiques. Débats autour de la notion de
référentiel, L’Harmattan, Paris, 1995, p. 17. La notion de paradigme est reprise des travaux d’épistémologie historique de
Thomas Samuel Kuhn, Structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion, 1983.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

est remise en cause. Enfin, le troisième axiome met en avant le besoin des Etats de
satisfaire leur intérêt national défini en termes de puissance. La notion d’intérêt
national suppose que les Etats et leurs dirigeants agissent comme des acteurs
rationnels. La puissance est « (…) sur la scène internationale la capacité d’une unité
politique d’imposer sa volonté aux autres unités. En bref la puissance politique n’est
pas un absolu mais une relation humaine. » 44. Serge Sur définit également la
puissance comme une capacité, « capacité de faire ; capacité de faire faire ; capacité
d’empêcher de faire ; capacité de refuser de faire ». 45
Beaucoup de discussions entre réalistes questionnent ces notions et permettent
souvent d’affiner les principes de base énoncés par Morgenthau. Les présidents
américains de la Guerre froide influencés par la pensée réaliste sont Richard Nixon
(1969-1974) et son secrétaire d’Etat à la Défense Henry Kissinger. Le réalisme
classique connaît une période de vive critique pendant les années 1970 et après. Au
sein même de l’école de pensée réaliste, des voix discordantes s’expriment mais de
fait enrichissent le débat théorique [Robert Gilpin, Stephen Krasner, Joseph Grieco,
Stephen Walt]. Parfois cela débouche sur d’autres approches, parentes du réalisme
classique telles que le néoréalisme et le réalisme néoclassique. En 1979, l’auteur
américain Kenneth Waltz et son ouvrage de référence Theory of International Politics
ouvre la voie au néoréalisme/ réalisme structurel ou structuro-réalisme. Son
ambition est de définir une théorie de la politique internationale. Deux autres
néoréalistes tentent de renouveler le paradigme tels Joseph Grieco et John
Mearsheimer.
Parmi les témoins français de la Guerre froide, Aron est un spectateur engagé qui analyse
les mécanismes à l’œuvre. Ses analyses débutent dès la fin de la seconde guerre mondiale.
Aron s’efforce de rendre explicite les stratégies des deux Grands mais prend aussi position
sur les événements. Aron est souvent assimilé aux tenants de l’école réaliste. Cependant,
ses analyses diffèrent sur certains points avec celles d’autres réalistes, à l’instar de Hans
Morgenthau (réaliste classique) et de Kenneth Waltz (réaliste néoclassique). Aron fait
partie de ces « visionnaires » 46 ayant une certaine idée sur la question de la fin du conflit.
Selon lui, la disparition du conflit idéologique entre les deux Grands est un préalable à tout

44
Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 2004, p. 56.
45
Serge Sur, Relations internationales, Paris, Montchrestien, 6ème édition, 2011.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

accord diplomatique. En effet, l’idéologie façonne les politiques menées et agit sur la
pensée, les croyances et l’action diplomatico-stratégique. Sans le facteur idéologique, les
deux Grands resteraient rivaux quant à leur position dans le système international, mais
cette compétition serait moins dangereuse que celle se focalisant sur l’idéologie. A
l’inverse, pour Morgenthau, un accord diplomatique aurait permis de rendre inopérant le
pouvoir déstabilisateur du conflit idéologique. Ce dernier passe au second plan, derrière la
définition par l’Etat de l’intérêt national. Enfin, selon Waltz, l’idéologie n’a qu’un faible
impact, la structure bipolaire du système international est la véritable variable sur laquelle
la Guerre froide et sa fin reposent. La distribution du pouvoir entre les unités (étatiques) est
la véritable variable.
Aucun de ces commentateurs ne s’est véritablement penché sur la spécificité, si elle existe,
de la course à l’espace pendant la Guerre froide. Ainsi, même si le sujet spatial n’a pas été
traité en tant que tel, l’objectif ici est de déceler ce qui relève de l’évocation implicite du
fait spatial chez ces analystes.
Le premier axiome, l’Etat comme acteur central et rationnel des relations internationales,
semble s’appliquer au domaine spatial. Les utilisations de l’espace se font exclusivement
au profit des Etats. L’utilisation militaire de l’espace sert la défense et la sécurité. La quête
du prestige est aussi un moteur puissant alimentant la course à l’espace qui se joue entre
eux. Le droit spatial a été développé par les Etats-Unis et l’URSS avec le texte référence
qu’est le Traité de l’Espace 47 de 1967. Dans son élaboration, les protagonistes qu’ils l’ont
façonné se sont mutuellement mis d’accord pour se laisser des marges d’action dans leur
utilisation de l’espace. Les autres textes juridiques qui suivent, toujours pendant la Guerre
froide, consacrent les Etats comme seuls responsables de leurs activités spatiales. Les
objets lancés dans l’espace demeurent sous la juridiction des Etats les ayant
immatriculés 48.
Le principe de l’état d’anarchie dans les relations internationales est confirmé dans le
domaine spatial par l’absence d’une instance supranationale régulant les relations entre
Etats. Celle-ci fut cependant déjà proposée par des Etats comme la France en 1989. Mais

46
Marco Cesa, “Realist Visions of the End of the Cold War: Morgenthau, Aron and Waltz”, The British Journal of Politics
and International Relations, Vol. 11, 2009, pp. 177-191.
47
Le titre exact du traité étant : Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d'exploration et
d'utilisation de l'espace extra- atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes. Il a été ratifié par 98 Etats et
signé par 27 autres au 1 er janvier 2006.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

cette initiative a subi l’opposition d’autres Etats, voyant cela comme une entrave à leur
autonomie de décision. Les deux Grands se sont très bien accommodés d’un club spatial
plus que restreint. Malgré leur rivalité, les conflits ont pu être traités directement en
bilatéral. D’autres Etats ont fait eux-aussi leur premier pas dans la conquête de l’espace
(France, Chine, Canada…) mais la nature et la quantité de leurs activités n’étaient pas une
préoccupation pour les deux superpuissances bien plus soucieuses de leur sécurité l’une
vis-à-vis de l’autre. Le conflit idéologique et la menace nucléaire ont éludé la question des
intentions des autres Etats spatiaux.
Enfin, le troisième axiome met en avant le besoin des Etats de satisfaire leur intérêt
national défini en termes de puissance. La puissance est un processus dynamique dans le
sens où elle n’existe que dans l’interaction entre les Etats. A noter que la notion d’intérêt
national définie en termes de puissance a été fortement critiquée par Aron, considérant que
cette notion ne pouvait jouir d’une définition univoque et expliquer à elle seule le
comportement des Etats. En effet, l’Etat n’est pas un acteur purement rationnel. L’action
extérieure peut être influencée par des changements socio-économiques et la psychologie
individuelle des décideurs 49. Aron affirme que la politique, dans le cas des relations entre
Etats, semble signifier « la simple survie des Etats face à la menace virtuelle que crée
l’existence d’autres Etats » 50 et que le premier objectif que l’unité politique peut viser est
la survie, donc la sécurité. Un autre réaliste, Gilpin, complète cette remarque en
reconnaissant que le concept d’ « intérêt vital » est certes imprécis mais que chaque Etat
considère que la défense de certains intérêts est d’une importance primordiale pour sa
sécurité. Fort de ces éléments, la maîtrise de l’espace obéit à cette volonté étatique
d’assurer sa survie. Le point haut ultime, équipé par la télédétection, permet d’observer
son adversaire, de se prémunir d’une attaque surprise et donc de renforcer sa sécurité 51. En
parallèle, montrer ses capacités spatiales augmente son prestige. C’est une ressource de
puissance purement matérielle mais aussi symbolique dans les relations entre entités
étatiques.

48
Convention sur l’immatriculation des objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique, A/RES/3235, 12 novembre 1974.
49
Préface de Raymond Aron dans la 8 ème édition de Paix et guerre entre les nations, Paris, 1984.
50
Ibid., p. 19.
51
Ces objectifs réels et stratégiques sont éloignés des principes sur la télédection portés au sein de la résolution 41/65 du 03
décembre 1986. En effet, ces derniers faisant de la télédection un élément fort de la coopération entre Etats, notamment au
profit des Etats en développement.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

La valeur explicative du concept réaliste en fait un outil de compréhension des relations


internationales 52 et a fortiori des relations spatiales internationales toujours valide.

Les configurations/constellations d’acteurs


Il s’agit ici d’identifier les acteurs pertinents concourant à la définition de la sécurité des
activités spatiales. Au-delà, le but est d’analyser leur positionnement dans ce débat, leurs
motivations et intérêts. Cela implique autant des acteurs civils que militaires. Ces derniers
ont été rencontrés par l’auteure de cette thèse au cours d’entretiens afin d’analyser leurs
discours tout en prenant en considération leur appartenance à une institution particulière.

La sécurité des activités spatiales en tant que politique publique fait intervenir un
grand nombre d’acteurs, individuels, corporatifs et collectifs. Tous orientent l’action.
Afin d’identifier au mieux les acteurs en jeu dans le processus de politique publique,
la science politique allemande par l’intermédiaire de Fritz W. Scharpf, a développé le
concept d’institutionnalisme centré sur les acteurs. Cette approche en termes de
Steuerungstheorie 53 s’est développée en réaction aux idées du politiste allemand
Niklas Luhmann. Ce dernier remet en cause le rôle du politique en tant
qu’ordonnateur de la société. La conséquence en est la formation de sous-systèmes
sociaux, ou de secteurs repliés sur eux-mêmes et quasi-autonomes. A l’inverse, la
Steuerungstheorie portée par Scharpf et Mayntz, tente de mieux comprendre les
orientations de l’action en prenant en compte les capacités de régulation déployées
par les acteurs impliqués, leur jeu et leurs stratégies, les configurations qu’ils forment
et enfin les opportunités et les contraintes institutionnelles à l’intérieur desquelles ils
interviennent. La Steuerungstheorie est une approche qui, malgré son nom, ne
représente pas en soi une théorie. Il s’agit d’une heuristique de recherche, qui attire
l’attention sur certains aspects de la réalité 54. L’institutionnalisme centré sur les
acteurs considère que les institutions n’ont pas un effet déterminant. Elles constituent
des facteurs formant le contexte, qui autorisent ou entravent l’action mais jamais ne la
déterminent. Les institutions, entendues comme des construits sociaux, sont donc des

52
On peut citer à bon escient Scheuerman : « Dans les débats actuels touchant la gouvernance globale, le réalisme fournit
une mine d’or intellectuelle riche pour ceux qui sont sceptiques à l’égard du cosmopolitisme et ses projets de réforme
internationale », cité dans Alex McLeod et Dan O’Meara, op. cit., p. 63.
53
Traduction : les théories de la régulation. Lire Olivier Giraud, « La Steuerungstheorie. Une approche synthétique de
l’action publique contemporaine », Politix, Vol. 14, n°55, Troisième trimestre 2001, pp. 85-93.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

variables aussi bien dépendantes qu’indépendantes. Cependant, cette approche


considère qu’une analyse des structures sans référence aux acteurs est tout aussi
déficiente qu’une analyse de l’action des acteurs sans référence aux structures. Ainsi,
elle englobe autant que faire se peut, les constellations d’acteurs d’un secteur donné.
Au sein de ces constellations, se trouvent les acteurs corporatifs en interactions, les
acteurs individuels et éventuellement les acteurs collectifs. Les acteurs corporatifs
(organisations) peuvent être définis comme un groupe organisé de façon formelle,
majoritaire dans son sous-ensemble social capable d’action, et disposant pour agir de
ressources centralisées dont l’utilisation est déterminée par l’ordre hiérarchique ou à
la majorité 55. Ils sont habituellement créés par une décision de l’Etat, et de fait se
voient conférer une mission et des compétences. Dans le cadre de la régulation
institutionnelle des procédures, des motifs d’interaction entre certains acteurs sont
définis et des arènes sont créées dans lesquelles les acteurs se réunissent pour discuter
ou décider de thèmes spécifiques tout en étant subordonnés à des règles de décision
déterminées. Le cadre institutionnel structure l’accès de ces acteurs aux ressources
nécessaires à l’action et influence leurs orientations. Les acteurs corporatifs ont pour
membres des acteurs individuels. Pour des raisons de simplification, les acteurs
individuels représentant une organisation sont généralement assimilés à l’acteur
corporatif lui-même. Or les organisations sont le plus souvent des coalitions de
groupes ayant des intérêts, des perceptions et des potentiels d’influence différents.
Les individus agissant pour le compte d’une organisation disposent presque toujours
d’une latitude d’action. Mais ces deux catégories, acteurs corporatifs et acteurs
individuels, semblent encore insuffisantes. En effet, les individus se regroupent
également en réseaux de connaissances moins formels, en foules occasionnelles ou en
simples quasi-groupes, catégories de personnes ayant en commun une caractéristique
précise et pertinente pour l’action. Ce quasi-groupe correspond dans cette thèse à la
communauté épistémique abordée plus haut. Sharpf et Mayntz ajoutent : « si les
orientations d’actions des membres d’un tel mouvement social convergent

54
Renate Mayntz, Fritz W. Scharpf, « L’institutionnalisme centré sur les acteurs », in Politix, Vol. 14, n°55, 2001, pp. 95-
123.
55
James Coleman, Power and the Structure of Society, New York, Norton, 1974.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
56
consciemment , autrement dit s’ils aspirent à une action collective sans organisation
formelle, on peut parler d’ « acteur collectif ». » 57 La communauté épistémique
rassemblée autour de la thématique de la sécurité des activités spatiale est un acteur
collectif, aux contours flous certes, mais bel et bien dirigée vers l’action collective.
Les aspects cognitifs et motivationnels de ces acteurs étatiques et non étatiques
occupent une place importante dans l’orientation de l’action. Les orientations
cognitives concernent la perception de la situation de l’action et de sa causalité, les
options disponibles et les résultats escomptés. Dans le cas de la CE, les membres
partagent les croyances causales sur les origines du problème et les solutions à y
apporter 58. Pour la CE comme acteur collectif, « il s’agit de déterminer sa capacité à
mobiliser les ressources dont il dispose dans une action stratégique. De l’intérieur, il
faut analyser les interactions entre acteurs internes aboutissant aux actions
attribuées à l’acteur collectif. » 59.
Cependant, les différences de perception de la réalité par cette constellation d’acteurs
rendent peu probable l’avènement, de manière spontanée, d’une perception concordante de
la situation face à un problème donné.

Les aspects motivationnels de l’orientation concernent les considérations régissant le choix


des options d’action. Ces premiers portent habituellement sur les intérêts, les normes et les
identités guidant l’action 60. Enfin, les orientations de l’action ne sauraient être analysées
sans prendre en compte l’aspect relationnel qui existe au sein de la constellation d’acteurs.

« (…) si le résultat global ne peut être imputé à un seul acteur, il ne


représente pas non plus simplement l’effet agrégé d’une pluralité
d’actions individuelles sans lien : il est le résultat d’une interdépendance
complexe d’actions liées entre elles. » 61
La constellation d’acteurs crée une constellation d’interactions. Dans cette même idée,
Norbert Elias développe sa notion de configurations. Ce concept « met l’accent sur
l’existence de deux niveaux d’observation différents mais inséparables en raison de leur

56
Souligné dans le texte original.
57
Renate Mayntz, Fritz W. Scharpf, « L’institutionnalisme… », op. cit.,p. 107.
58
Traduction de Peter M. Haas, « Introduction: epistemic communities and international policy coordination », International
Organization 46, 1, Winter 1992, p.3, in Thomas Bossy, Aurélien Evrard, « Communauté épistémique », Dictionnaire des
politiques publiques, Presses de Sciences Po., p. 140-141.
59
Fritz W. Scharpf, Games Real Actors Play. Actors-Centered Institutionnalism in Policy Research, Boulder (Colorado),
Westview Press, 1997.
60
Renate Mayntz, Fritz W. Scharpf, « L’institutionnalisme… », op. cit.,p. 110.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

interpénétration : les individus (ou, plus généralement, « les joueurs ») et le réseau


d’interdépendances dans lequel ils sont inscrits (« le jeu ») » 62. Ce concept est proche de
celui des constellations d’acteurs 63. La configuration peut alors être définie comme « la
figure globale mais toujours changeante que forment les joueurs. » 64 Cette analyse issue
de la sociologie eliasienne permet de dépasser l’opposition entre déterminisme et liberté
des acteurs.

« Il y a un tissu d’interdépendances à l’intérieur duquel l’individu trouve


une marge de choix individuel et qui en même temps impose des limites à
sa liberté de choix. » 65

Pour une bonne part, la structuration des interactions est dictée par les institutions.
Cependant cette analyse des réseaux institutionnels ne rend pas compte de l’ensemble
des jeux individuels d’interactions dont les acteurs sont capables.
« Les critères institutionnels ne sont pas les seuls à déterminer si les
acteurs se situent dans un jeu de coordination, de dilemme, voire de
conflit : les interprétations subjectives de la situation réelle ont aussi leur
importance, de même que les orientations gouvernant effectivement
l’action. » 66

Les constellations ou configurations d’acteurs peuvent également rendre compte des


interdépendances entre Etats.

« L’Etat, de la même manière que les relations entre Etats, fonctionne


comme réseau d’interdépendances qui suppose de multiples initiatives et
réintroduit par conséquent l’idée d’une pluralité de joueurs en deçà et
entre les joueurs. » 67

61
Ibid., p. 116.
62
Guillaume Devin, « Norbert Elias et l’analyse des relations internationales », Revue française de Science Politique, 1995,
Vol. 45, n°2, p. 323.
63
Renate Mayntz, Fritz W. Scharpf, « L’institutionnalisme… », op. cit., p. 95-123.
64
Norbert Elias, Qu’est-ce que la sociologie ?, Paris, Ed. de l’Aube, 1991, p.157.
65
Norbert Elias, La société de cour, Paris, Flammarion [1 ère éd.1939], 1985, p. LXXI.
66
Renate Mayntz, Fritz W. Scharpf, « L’institutionnalisme… », op. cit.,p. 120.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Le concept d’interdépendance d’Elias fait écho à celui développé par Robert Keohane
et Joseph Nye qui la qualifie de complexe 68. Cette idée de complexité renvoie à la
multiplication des types d’acteurs inclus dans les configurations. Il s’agit alors de
considérer les acteurs gouvernementaux mais aussi sub-étatiques et non-étatiques qui
tissent des relations interétatiques, transgouvernementales et transnationales 69. La
notion d’interdépendance complexe alimente les réflexions sur le thème de la
coopération.
L’institutionnalisme centré sur les acteurs permet d’avoir une analyse plus proche de la
réalité en considérant l’ensemble des acteurs étatiques et non étatiques dans les jeux
d’interactions. Cependant, cela complexifie grandement l’analyse. Il devient alors
quasiment impossible d’appliquer à une étude empirique une méthode de recherche
intégrant un contexte institutionnel à plusieurs niveaux, des acteurs individuels et
corporatifs, les orientations de ceux-ci, leurs perceptions, relations et interactions.
L’analyse des acteurs de la sécurité des activités spatiales et leurs interactions ne peut
reproduire la réalité à l’identique mais se donne pour objectif d’aboutir à une simplification
exacte et à la résolution des énigmes qui gravitent autour du sujet.

Acteurs et facteurs

Lorsqu’on s’attache à identifier les acteurs d’une configuration ou constellation


particulière, ce n’est pas pour les dissocier des facteurs. Ces derniers ne sont pas des
forces autonomes ni des variables indépendantes qui agiraient comme des contraintes
déterminantes sur les acteurs. Ils ne sont que ce que les acteurs en font. Les actions
des acteurs étant elles-mêmes orientées par les aspects motivationnels et cognitifs vus
précédemment. Les acteurs déterminent pour partie la place et le poids de ces
facteurs 70. La remarque faite par John F. Kennedy illustre parfaitement cette idée :

67
Guillaume Devin, « Norbert Elias et l’analyse des relations internationales », op. cit., p. 323.
68
Robert Keohane, Joseph Nye, Power and Interdependence, Longman Classics in Political Science, Pearson Ed., 4 th Edition,
2011.
69
Dario Battistella, Théories des relations internationales, Paris, Les Presses de Sciences po., 3 ème édition, 2009, p. 221.
70
Sur les liens entre acteurs et facteurs, lire Marcel Merle, Les acteurs dans les relations internationales, Paris, Economica,
avril 1986.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

“Space science, like nuclear science and all technology, has no


conscience of its own. Whether it will become a force for good or ill
depends on man” 71

Pour autant, certains facteurs sont critiques pour un Etat souhaitant être une puissance
spatiale. Une puissance spatiale est un Etat maîtrisant quatre composantes le rendant
relativement autonome dans son accès et dans sa maîtrise de l’espace. Est considéré
comme une puissance spatiale, l’État capable de maîtriser la technologie des lanceurs, de
fabriquer ses propres satellites, de disposer de stations au sol et d’une base de lancement
sur son territoire. On se focalisera donc sur les facteurs scientifique et technique
(compétences et capacités), géographique, économique et militaire. Ces facteurs peuvent
également être considérés comme des ressources matérielles de la puissance. Mais les
ressources ne sont rien sans une volonté politique souhaitant les développer et les
entretenir. Le facteur géographique consiste pour un Etat à disposer d’une localisation
favorable pour y construire une base de lancement. Idéalement, cette dernière est située
près de l’équateur. En effet, cela permet de bénéficier de la vitesse optimale de la rotation
de la terre (dit effet de fronde) lors d’un lancement. Le lanceur a alors besoin de moins de
carburant afin de mettre en orbite le ou les satellite(s) qu’il emporte. Le choix de Kourou
en Guyane pour y établir le port spatial de l’Europe est une localisation idéale. A l’inverse,
le site de Baïkonour (Kazakhstan) est désavantageux. Le coût de lancement est donc plus
important et moins compétitif à l’échelle mondiale. Pour des raisons sécuritaires, Israël, en
plus d’être situé à une trentaine de degrés de l’Equateur, lance vers l’est afin de ne pas
survoler les zones habitées des Etats voisins. Cela ne les empêche pas d’être une puissance
spatiale mais ne les rend pas non plus compétitifs sur le marché des Etats lanceurs. Leur
ambition n’est de toute façon pas de concurrencer les autres sites de lancement mais de
pouvoir lancer leurs satellites militaires en toute autonomie. Le facteur scientifique et
technique désigne le savoir et les compétences indispensables au domaine spatial. Ceci
relève de la haute technologie. Certains Etats font le choix de faire appel au transfert de
technologie. Cependant les Etats opérant ce transfert l’encadre de manière stricte. L’Etat
« receveur » reste dépendant des savoir-faire et compétences que le donneur souhaite bien

71
Cité par Joachim Lommelen, International Code of Conduct for sustainable activities in space, Master Thesis for the Study
Program “Master of Law”, Ghent University, 2003, p. 3.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

transférer. La Chine a par exemple opté, dès 1981, pour l’acquisition de capacités spatiales
par achats et ceci afin de limiter les dépenses en termes de recherche et développement.
Cependant, ce mode d’acquisition de la technologie s’ajoutant également aux règles
contraignantes qu’elle subit en la matière par les Etats-Unis (par l’intermédiaire des
réglementations strictes International Traffic in Arms Regulations- ITAR) font qu’elle
accuse un relatif retard dans des domaines tels que la télédétection ou les communications.
La Russie quant à elle fait fasse aux échecs de certains de ces lancements ces dernières
années. Cela donne à penser que les connaissances acquises durant la Guerre froide ont été
peu à peu perdues dans la période qui a suivi. Un Etat ayant des moyens financiers
importants peut avoir accès à l’espace plus facilement. Bien qu’il soit relativement faux
d’affirmer que l’espace coûte cher au regard d’autres dépenses, les investissements doivent
cependant y être constants si l’Etat souhaite inscrire sa politique dans la durée. La gestion
du budget et de la priorité qui lui est accordée sont une fois de plus du ressort de l’acteur
étatique et le résultat d’arbitrages. Le budget spatial américain pour 2012 est de l’ordre de
29 milliards d’euros quand celui de la France est d’environ 220 millions, hors subvention
au Centre National d’Etudes Spatiales (CNES) qui est de l’ordre de 165 millions d’euros. 72

La dynamique des cercles d’acteurs


Le nombre d’acteurs impliqués est important. Ces acteurs, qui définissent la politique
publique qu’est la politique spatiale, concourent également à définir ce que représente la
sécurité des activités spatiales au niveau national. Il y a complexité en ce sens « qu’il y a
tissu interdépendant, interactif et inter-rétroactif entre l’objet de connaissance et son
contexte, les parties et le tout, le tout et les parties, les parties entre elles » 73. Afin de
hiérarchiser l’analyse des constellations d’acteurs, la dynamique des cercles d’acteurs
développée par Pierre Muller 74 est utilisée. Elle permet de définir et de délimiter les
acteurs d’une politique publique donnée. La présentation des acteurs à l’aide des cercles
permet une simplification exacte de la réalité. Les acteurs du premier cercle sont le
Président de la République et son entourage, ceux du second, les administrations

72
En 2015, le ministère de la Défense aurait investi 596 millions d’euros dans le spatial (25% consacré à la recherche
spatiale duale, 56% pour le développement et la réalisation de programmes spatiaux militaires et 19% pour le maintien en
condition opérationnelle), compte rendu de la Commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale,
17 mai 2016,
http://www.asafrance.fr/images/compte_rendu_commission_de_la_defense_nationale_et_des_forces_armees_audition_du_ge
neral_jean_daniel_teste.pdf
73
Edgar Morin, Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur, Paris, Le Seuil, 2000, p. 39.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

sectorielles, du troisième, les acteurs extérieurs à l’Etat tels que les organisations
professionnelles, les syndicats et les associations. Pierre Muller imagine un quatrième
cercle rassemblant les organes politiques tels le Parlement ainsi que les organes
juridictionnels. Cette superposition des cercles décrit en même temps une hiérarchisation
entre les acteurs selon leur degré d’influence sur la décision. On constate aujourd’hui un
certain élargissement de ces cercles avec une participation grandissante de la société civile
qui souhaite prendre part aux décisions, mais aussi un recours massif de la part de l’Etat à
l’expertise. Cette méthode permet dans le même temps de distinguer les acteurs étatiques et
non étatiques, éventuellement les acteurs individuels, de penser leurs interactions et d’y
inclure les aspects motivationnels et cognitifs. Cela permet d’analyser les liens
d’interdépendance des acteurs au-delà de l’étude simple des organigrammes.

2. Le paysage spatial post-Guerre froide


Que devient la ressource spatiale après la chute de l’URSS et la fin de la Guerre
froide ? Est-elle toujours un critère de la puissance d’un Etat ?

A. L'hégémonie spatiale américaine à l'épreuve d'un paysage spatial en mutation

L’exercice de la supériorité américaine dans l’espace


Après un moment unipolaire 75, le monde évolue vers une configuration multipolaire qui
entraîne de « nouvelles » relations internationales 76. Cette évolution se retrouve dans le
milieu spatial, d’aucuns parlant même de « nouvelle conquête spatiale »77. Loin de
diminuer ses efforts au profit de la conquête de l’espace, les Etats-Unis continuent
d’investir massivement dans ce milieu. Ainsi, succède à la couche stratégique, la couche

74
Pierre Muller, Les politiques publiques, Paris, Coll. Que sais-je, 9 ème éd., Presses Universitaires de France, 2011, p.38.
75
Thèse défendue par Charles Krauthammer selon laquelle, à la chute de l’Union soviétique, seuls les États-Unis dominent le
monde de manière hégémonique. Lire Charles Krauthammer, « The Unipolar Moment », Foreign Affairs, vol. 70, n° 1,
Winter 1990/1991.
76
Le thème des « nouvelles » relations internationales a été abordé par des analystes français tels que Marie-Claire Smouts et
Bertrand Badie. Ils estiment que l’émergence de nouveaux phénomènes (changement dans la nature des conflits,
mondialisation économique, enjeux transnationaux écologiques ou sécuritaires) nécessite une gouvernance régionale, voire
mondiale, de ces problèmes. Marie-Claude Smouts (dir.), Les nouvelles relations internationales. Pratiques et théories,
Paris, Presses de Sciences Po, 1998 et Bertrand Badie, L’impuissance de la puissance. Essai sur les nouvelles relations
internationales, Paris, Fayard, 2004.
77
Alain Dupas, La nouvelle conquête spatiale, Paris, Odile Jacob, 2010.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
78
opérative et tactique . Les bénéfices apportés par les capteurs spatiaux (optique, radar,
GPS etc.) sont généralisés et leur utilisation systématique. La guerre du Golfe de 1991
démontre l’avantage stratégique gagné par l’Etat qui a conquis le point haut face à ses
adversaires. L’emploi des moyens spatiaux y est important, au point de qualifier cette
guerre de « première guerre spatiale », de par l’utilisation massive de produits issus de
satellites (imagerie, écoute, navigation etc.). Cet effort constant des Américains pour
coloniser l’espace de leurs satellites et y développer une stratégie d’occupation du milieu a
consacré leur supériorité dans l’espace, sous la forme de l’hégémonie. L’hégémonie est une
expression particulière de la supériorité. Cette dernière ne reflète que la position d’un Etat
dans la hiérarchie des puissances. Elle est la première. L’hégémonie, elle, caractérise une
manière d’exercer cette supériorité. Par comparaison au leadership qui se maintient par
une politique de rétribution et d’avantages consentis aux partenaires, l’hégémonie se
caractérise par une politique de sanctions 79. L’hégémonie spatiale est donc la forme que
prend la domination exercée par les Etats-Unis dans ce milieu. C’est l’ère de la space
dominance et du refus explicite des Etats-Unis d’interdire l’accès à l’espace à tout Etat
soupçonné d’y contraindre leur liberté. Cette doctrine politique portée par l’administration
conservatrice de George W. Bush a été nourrie des analyses stratégiques d’Everett
Dolman. Ce dernier pense l’hégémonie spatiale en termes d’astropolitik en référence à la
Realpolitik 80. Cette politique militariste, ayant montré ses limites, les Etats-Unis
s’orientent vers l’exercice de la supériorité par le leadership. C’est cette évolution qui est
analysée dans la partie 2 de cette thèse.

La multiplication des acteurs dans l’espace et ses conséquences


La fin de la Guerre froide ne signifie pas la fin de la conquête de l’espace. Bien au
contraire, sous l’effet d’une démocratisation de l’accès aux technologies spatiales,
son utilisation a été généralisée. Il y a une réelle «internationalisation » 81 de l’activité
spatiale. Aujourd’hui on compte une soixantaine d’Etats utilisant l’espace de manière
directe ou indirecte. Des deux superpuissances spatiales de l’époque, la société

78
« De l’utilisation au contrôle de l’espace extra-atmosphérique », Xavier Pasco, in Envol vers 2025. Réflexions
prospectives…op.cit., p. 80.
79
Serge Sur, Relations internationales, Paris, Montchrestien, 2011, p. 141.
80
Everett C. Dolman, Astropolitik: Classical Geopolitics in the Space Age, London and Portland, Frank Cass Publishers,
2002.
81
Anne-Marie Malavialle, Xavier Pasco, Isabelle Soubès-Verger, Espace et puissance, Paris, Ellipses, Coll. Perspectives
stratégiques, 1999, p. 11.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

interétatique compte aujourd’hui neuf Etats possédant au moins trois des quatre
critères de la puissance spatiale 82. Les dépenses spatiales militaires américaines sont
le double de celles de la NASA en charge de l’espace civil 83. L’utilisation américaine
de l’espace n’a pas été stoppée après la Guerre froide, bien au contraire. Son
utilisation sur les théâtres d’opérations extérieures est devenue indispensable via les
nouvelles technologies. La dépendance des Etats-Unis à l’espace est devenue un
thème récurrent et une préoccupation pour les décideurs américains successifs. La
vulnérabilité liée à cette dépendance est accrue par la montée en puissance d’autres
Etats utilisateurs. La Chine investit massivement dans le milieu spatial. Il est difficile
d’obtenir des chiffres quant aux investissements chinois dans l’espace mais le constat
peut être fait que début 2015, la Chine est le troisième occupant de l’espace avec 132
satellites en orbite (528 pour les Etats-Unis et 131 pour la Russie sur une population
totale de satellites opérationnels de 1265) 84. Pour l’URSS devenue Russie, les effets
de la Guerre froide ont été dévastateurs sur la politique spatiale russe. Cette dernière
a été mise en sommeil, subissant les coupes budgétaires nationales. Une des
conséquences a été de provoquer une perte progressive des compétences des
ingénieurs en aérospatial. En arrivant au pouvoir en 2000, Vladimir Poutine souhaite
redynamiser l’industrie spatiale russe. Cela fait partie d’un projet plus global de
restauration de la puissance russe. Poutine développe une stratégie de puissance
économique et militaire plus large 85 avec l’envie de regagner un certain prestige
international.

« Il s’agit aussi d’un élément dans la démarche des autorités russes visant
à rehausser le prestige international de leur pays : la Russie ne saurait se

82
Pour rappel, une puissance spatiale est un Etat qui est autonome dans son utilisation de l’espace : construction de satellites,
possession d’un pas de tir, capacité de les mettre en orbite, de les maintenir à poste voire capacité à surveiller l’espace. Les
puissances spatiales aujourd’hui sont les Etats-Unis, la Russie, la France/l’Europe, le Japon, la Chine, le Royaume-Uni,
l’Inde, Israël et l’Iran.
83
En 2010, les Etats-Unis consacraient près de 64 milliards de dollars à l’ensemble de leurs activités spatiales dont 44
milliards pour le secteur militaire. Jacques Villain, « La militarisation de l’espace », in Questions internationales, L’espace,
un enjeu terrestre, p.55.
84
Union of Concerned Scientists, http://www.ucsusa.org/nuclear-weapons/space-weapons/satellite-
database.html#.VeXpzfntmko
85
Isabelle Facon et Isabelle Sourbès-Verger, « La place du spatial dans le projet de restauration de la puissance russe », Note
de la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS), 19 mai 2007.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

poser en grande puissance si elle exporte principalement du pétrole, du


gaz, des métaux et du bois » 86.

Cependant, la Russie peine à reconquérir son statut de véritable puissance spatiale


d’antan. La partie visible de ses difficultés sont les échecs au lancement de satellites
qui se multiplient depuis décembre 2010 87. Ils sont au nombre de 15 au mois de mai
2015. A l’instar de la Russie, d’autres Etats font de la ressource spatiale, de concert
avec la ressource nucléaire, un critère réel ou supposé de leur puissance. En effet, si
la ressource spatiale définit dans une certaine mesure une réelle capacité matérielle
(maîtrise d’une haute technologie), elle renvoie aussi l’image d’un Etat puissant, au
travers du prestige. Cette recherche sert autant le niveau national qu’international.
Ceci renvoie à l’aspect cognitif de la puissance (image de soi, de l’autre, de soi face
aux autres, d’une menace, du monde etc.) 88, qui n’existe que dans l’interaction entre
les États. Aucune puissance « reconnue » ou qui veut apparaître comme telle ne peut
aujourd’hui ignorer l’espace et son exploitation. Les puissances considèrent que le
fait d’avoir accès à l’espace et de l’utiliser à leur profit (par l’exploitation de
satellites) agit toujours comme une ressource 89 renforçant leur puissance ou
renforçant leur image en tant que puissance, même petite. La ressource spatiale
participe le plus souvent à un projet de puissance plus large. La Chine qui s’est
engagée très tôt dans l’aventure spatiale 90, veut s’affirmer aujourd’hui comme une
grande puissance :

« Avec le lancement de son vaisseau spatial habité Shenzhou-5, le 15


octobre 2003, la Chine passe sur le devant de la scène internationale et la
célébration nationale et internationale de l’événement participe à
l’élaboration de l’image d’une puissance conquérante aux ambitions
technologiques affirmées, s’affichant comme un partenaire désormais

86
Isabelle Facon, Isabelle Sourbès-Verger, « Le spatial russe : implications nationales et internationales d’une apparente
remontée en puissance », Recherches et documents de la Fondation pour la Recherche Stratégique, mai 2007, p. 35.
87
Marcia Smith en fait la liste détaillée :
http://www.spacepolicyonline.com/pages/images/stories/List%20of%20Russian%20Space%20Launch%20Failures%20Since
%20Dec%202010%20as%20of%20May%2016%202015.pdf
88
Tanguy Struye de Swielande, « Les États-Unis face aux puissances émergentes, quelles stratégies à disposition des
protagonistes ? », Diplomatie, n° 45, juillet -août 2010, p. 50.
89
La notion de ressource est ici toujours envisagée selon la définition aronienne citée précédemment.
90
Le premier programme spatial date de 1958.

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incontournable. […] La perception de la Chine comme future grande


puissance internationale est désormais un élément essentiel des relations
internationales. […] Le programme spatial chinois est également exploité
sur le plan externe en donnant à la Chine le moyen d’attester de sa réalité
en tant que puissance régionale via ses moyens spatiaux […] mais aussi
par le biais d’offres de coopération avec d’autres pays en voie de
développement. » 91

La République islamique d’Iran quant à elle, souhaite s’ériger en puissance régionale


:
« À l’instar des autres puissances spatiales avant lui, l’Iran utilise aussi
ses récents succès dans l’espace comme outil de communication, aussi
bien à l'intérieur de ses frontières qu’à l'extérieur […] les succès spatiaux
servent à faire oublier à la population iranienne l’ampleur des difficultés
économiques et sociales. À l’extérieur, ils constituent un message de
puissance qui semble destiné à la fois à l’Occident et au monde musulman
» 92.
La Corée du Nord se place également dans cette démarche 93.
La conquête de l’espace devient un symbole de puissance réelle ou supposée.
D’autres Etats comme l’Inde se dote principalement de capacités spatiales dans le but
de gérer les ressources naturelles de leurs pays et d’éduquer la population avant de
penser à une utilisation militaire. L’Inde est aussi poussée à investir dans le milieu
spatial en réaction à son grand rival qu’est la Chine. L’accès à l’espace s’est
également généralisé pour les sociétés privées. En 1994, le président Clinton décide
d’autoriser les sociétés privées à commercialiser les technologies, produits et données
issus des systèmes satellitaires de télédétection. L’observation par satellites a
fortement bénéficié de cette ouverture. Aujourd’hui, les Etats-majors militaires se
fournissent également en images commerciales afin de compléter les données issues
de leurs propres moyens. Dans le cadre des télécommunications, la privatisation s’est

91
Isabelle Sourbès-Verger, « La Chine et l’espace », AFRI, vol. 5, 2005, p. 417.
92
Raoul Davenac, Florence Nardon, « Le programme spatial iranien », Institut Français des Relations Internationales, E-note,
Actuelles de l’Ifri, mars 2009, p. 2, [en ligne], http://www.ifri.org/?page=detail-contribution&id=5295&id_provenance=97.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

opérée dans les années 1990 et 2000. Le leader mondial et historique étant Intelsat.
Aujourd’hui beaucoup de sociétés se sont lancées dans l’aventure aux quatre coins de
la planète. L’investissement privé dans l’espace se diversifie. Les Etats-Unis
s’appuient sur des sociétés privées américaines pour leur accès à l’espace depuis la
fin de l’utilisation des navettes nationales en 2011. SpaceX et Orbital Sciences
apparaissent comme les leaders du marché. Le tourisme spatial fait également son
apparition. Toutes ces évolutions posent de multiples questions d’ordre juridique et
politique. De plus, l’augmentation du nombre de satellites mis en orbite a pour
corollaire la prolifération des débris issus des lancements, des satellites hors d’usage
et des possibles collisions en orbite. Le nombre des débris orbitaux ne cesse
d’augmenter ces dernières années bien que les effets induits sur les satellites actifs
fassent l’objet de débats d’experts entre différents acteurs. De même, plus le nombre
de joueurs augmentent en orbite, plus les risques d’incompréhension, de malentendu
(misperception) est envisageable. Enfin, les conflits interétatiques sur terre peuvent
être transposés dans l’espace par l’intermédiaire de mesures de rétorsion 94.

La gestion de l’espace reste une « affaire d’Etats »


Dès les années 1990, les thèmes du retrait de l’Etat voire de sa disparition sont
devenus des classiques de la réflexion en relations internationales. Ces approches,
pour la plupart qualifiées de transnationales, datent cependant stricto sensu des
années 1970 95. Cette conception a été nourrie et complétée dans les années 1990 par
les travaux de Susan Strange 96 en économie politique internationale, de James A.
Rosenau, ou encore de Marcel Merle, Bertrand Badie 97, Marie-Claude Smouts et
Didier Bigo en France sous le label de la sociologie des relations internationales. Les
politistes français ont des filiations différentes. La sociologie des relations

93
L’Iran (pré-nucléaire et première mise en orbite en février 2009), la Corée du Nord (pré-nucléaire jusqu’en 1994, tentative
discutée de mise en orbite d’un satellite en 1998), in Thierry Garcin, « L’Espace, enjeu de puissance », AFRI 2002, Volume
III, Bruxelles, Bruylant, p. 114.
94
A cet égard, les relations ponctuellement tendues entre les Etats-Unis et la Russie font craindre des répercussions dans le
domaine spatial. Il est à noter que les Américains sont dépendants des lanceurs russes afin d’envoyer leurs astronautes vers
la station spatiale internationale. Ils sont également dépendants des moteurs de fusées russes (RD-180) pour leurs
lancements.
95
Avec les travaux notamment de Karl Kaiser, Robert Keohane et Joseph Nye ou encore Richard Mansbach et Yale
Ferguson.
96
Susan Strange, The Retreat of the State. The Diffusion of Power in the World Economy, Cambridge, Cambridge University
Press, 1996.
97
Bertrand Badie, Un monde sans souveraineté, Paris, Fayard, 1999.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

internationales de Raymond Aron renvoie à la sociologie de Max Weber, celle de


Badie à Durkheim et celle de Bigo à Bourdieu et Foucault 98.
Appliquées au domaine spatial, c’est par l’introduction en masse des technologies
spatiales que les thèses du retrait de l’Etat peuvent faire sens. Dans un premier temps,
l’espace est le point haut ultime. Les satellites en orbite ne connaissent pas les
frontières et ont fait de la Terre un « village global » 99. Cette perspective a fait
évoluer la vision qu’ont les Hommes de leur planète en diffusant l’idée de la nécessité
de la préserver. Les évolutions technologiques ont participé à cette prise de
conscience. La protection de l’environnement devient indispensable pour la gestion
des ressources sur Terre.
Une partie des acteurs non étatiques se sont appropriés les questions relatives à la
protection du milieu spatial. En effet, à l’image de la Terre qui possède des
ressources en quantité limitée, l’utilisation de l’espace circumterrestre peut être
compromise par des comportements jugés inappropriés. D’autres acteurs non
étatiques se sont emparés du sujet pour des motifs plus économiques qu’écologiques.
Il y a néanmoins autant d’acteurs individuels que de motivations. Au moyen des
nouvelles technologies, ces acteurs communiquent en réseaux et tentent de fédérer la
société transnationale autour de leur problématique. De cette manière, certains acteurs
non étatiques se sont saisis du thème de la sécurité des activités spatiales. Leur
implication pose la question de la place et du rôle de l’Etat dans les « nouvelles »
relations internationales. Ces « intrus » 100 empiètent sur les fonctions régaliennes.
Leur influence doit être, autant que faire se peut, évaluée. En tout état de cause, d’un
point de vue juridique, les Etats restent les seuls acteurs responsables de leur
utilisation de l’espace. De plus, les satellites de reconnaissance demeurent des outils
diplomatiques et militaires fondamentaux pour certains Etats. La préservation de
l’accès à l’espace est devenue essentielle pour la survie de certains Etats. Les Etats-
Unis sont allés jusqu’à le définir comme un « intérêt national vital» 101. Les
dimensions diplomatique, militaire et économique sont ici prégnantes. Pour les Etats

98
Dario Battistella, Théories des relations internationales, Paris, Les Presses de Sciences po., 3 ème édition, 2009, p. 36.
99
Cette expression de Marshall McLuhan qui date des années 1960 est reprise par Alain Dupas dans La nouvelle conquête
spatiale, Paris, Odile Jacob, avril 2010, p. 10.
100
Cette expression fait référence au livre de Bertrand Badie sur ces acteurs qui viennent troubler la diplomatie traditionnelle
des Etats, Bertrand Badie, Le Diplomate et l’Intrus. L’entrée des sociétés dans l’arène internationale, Paris, Fayard, 2008.
101
Mémorandum du secrétaire à la Défense William Cohen, 9 juillet 1999. http://www.au.af.mil/au/awc/awcgate/dod-
spc/dodspcpolicy99.pdf

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

ayant fait de l’utilisation de l’espace une des composantes de leur puissance et de leur
sécurité, un comportement irresponsable dans l’espace pourrait fortement
compromettre leur stabilité et leur survie. La dépendance grandissante des Etats vis-à-
vis de leur utilisation de l’espace fait qu’ils ne peuvent déléguer la complète gestion
de ce milieu à d’autres acteurs. Dans le même temps, l’interdépendance complexe qui
s’est construite entre les Etats et les acteurs non étatiques fait que tous deux sont
contraints de considérer leurs intérêts respectifs. Enfin, l’utilisation croissante de ces
nouveaux moyens au profit du renforcement de la sécurité des Etats ne signifie
nullement le retrait de l’Etat mais au contraire sa capacité à faire siens ses nouveaux
moyens au profit de la réaffirmation de sa souveraineté.

« La tendance à la militarisation des espaces communs tend à infirmer la


thèse d'une démonopolisation croissante de la chose militaire aux dépens
des Etats. » 102

B. L'Union européenne comme acteur spatial international


Si les acteurs transnationaux impliquent une remise en question du rôle des
souverainetés nationales, les acteurs supranationaux également. Dans une moindre
mesure, les institutions intergouvernementales telles que l’OTAN ou l’ESA
influencent les décisions de politique publique au niveau national. Néanmoins, elles
ne sont que la somme des parties et renvoie donc le plus souvent à des logiques
nationales. En revanche, l’Union européenne (UE) est une institution ayant consacré
le principe de supranationalité par la méthode communautaire. Ces champs d’action
se sont historiquement développés autour de l’économie, puis les Etats membres ont
souhaité bâtir une union politique capable d’avoir des positions diplomatiques par
l’intermédiaire de la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC). L’Europe
s’est engagée de la même manière vers un développement conjoint de ses capacités
militaires par la Politique de sécurité et de défense commune (PESD). Ces créations
apportent des changements incrémentaux avec parfois une impression de stagnation.
Certaines institutions disposent de moyens financiers propres (à l’instar de la

102
Frédéric Ramel, « Accès aux espaces communs et grandes stratégies : vers un nouveau jeu mondial », Etudes de l’IRSEM,
n°30, p. 31, 2014.

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Commission européenne) et peuvent ainsi orienter le débat sur un thème particulier.


Le thème de la sécurité des activités spatiales intéresse particulièrement la
Commission qui souhaite développer son propre système de surveillance de l’espace.
Les moyens matériels se doublent d’une volonté normative émanant cette fois-ci du
Conseil, qui adopte les décisions à effets normatifs. Le rôle de l’UE dans la
promotion du code de conduite sur les activités spatiales est réel. Certains Etats de
l’UE ont influencé et suivi de très près les débats. Mais c’est bien cette dernière, au
travers de son nouveau service, le Service Européen d’Action Extérieure (SEAE) créé
en 2010, qui a mené les consultations internationales au profit du Code
successivement à Kiev (mai 2013), Bangkok (novembre 2013) et Luxembourg (mai
2014). Ainsi, l’analyse de l’UE comme acteur international par la puissance
normative est posée dans cette thèse [Partie 2].

3. Cadrage théorique, définition de la problématique, hypothèses et


méthodologie
A. Analyser le comportement des Etats dans leur utilisation de l'espace
La remise en cause des postulats de la théorie réaliste classique, au lendemain d’une
Guerre froide dont les tenants n’ont su prévoir la fin, incite à interroger sa pertinence
aujourd’hui. Son pouvoir explicatif ne semble pas totalement obsolète, au prix de
quelques ajustements. Ainsi, elle peut être complétée et consolidée par
l’institutionnalisme néolibéral. Cette approche permet de penser la coopération dans
une société internationale dominée par l’anarchie. Dans les faits et malgré la nature
égoïste des Etats, la coopération au profit de la gestion collective de l’espace voit le
jour. Les Etats considèrent que leurs intérêts seront mieux servis par la coopération
plutôt que par la guerre. Enfin, l’ouverture au monde des idées évoquée brièvement
par Raymond Aron, est prise en compte par les néolibéraux et par les constructivistes
modérés. Cela amène à interroger l’apport de cette approche dans cette thèse.

La nécessité d’une synthèse réalisme/institutionnalisme néolibéral

Les postulats réalistes ne sont pas inexacts mais ne sauraient suffire à décrire la complexité
des relations internationales post-Guerre froide dans l’espace.

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Le réalisme classique place l’Etat au centre des relations internationales, et a fortiori des
relations internationales spatiales également. Le constat a été démontré précédemment que
l’utilisation de l’espace demeure majoritairement une prérogative des Etats. Cela est rendu
possible par la nécessité de maitriser un large spectre de compétences et de ressources que
seul l’Etat est en mesure de rassembler autour de lui, et par l’utilisation hautement
stratégique qu’ils en font. On note même, dans certains pays, un retour de l’Etat. En Russie
par exemple, il se manifeste par l’établissement d’une tutelle administrative (placement de
personnalités proches du pouvoir) exerçant un contrôle sur les acteurs du secteur spatial 103.
La théorie néolibérale reconnaît elle aussi que l’Etat reste l’acteur dominant en relations
internationales, mais accorde dans le même temps, une importance aux institutions comme
lieux d’échange. Les néolibéraux adoptent donc une approche stato-centrée modérée.
L’état d’anarchie est, dans la pensée réaliste classique, synonyme d’état de guerre car
aucune autorité centrale supérieure aux Etats ne peut empêcher le recours à la violence
armée. L’anarchie a pour corollaire le dilemme de sécurité 104. Force est de constater que le
recours généralisé aux armes n’a pas eu lieu dans l’espace. Il n’y a pas à proprement parlé
de guerre en orbite. Cela n’est pas le fait d’une institution supranationale vertueuse mais
plutôt d’une contrainte stratégique 105 que les Etats se sont imposés à eux-mêmes. Le
système international est certes anarchique mais la proposition constructiviste de Wendt106
de distinguer les anarchies hobbesienne, lockéenne et kantienne apporte un degré de
précision dans l’analyse. Les Etats évoluent dans un système anarchique à tendance
lockéenne au sens où ils se considèrent comme des rivaux à différents degrés, mais sont
tout de même à la recherche de partenariats. Le dilemme de sécurité n’est pas ignoré par
les tenants de l’institutionnalisme néo-libéral. Leurs conclusions sont néanmoins
différentes. En effet, selon eux, il permet de penser la coopération. Les Etats qui coopèrent
en tirent mutuellement des bénéfices. Ils effectuent un calcul coûts-bénéfices qui leur
permettent de conclure, le cas échéant, aux bénéfices de la coopération plutôt que la
confrontation. Les Etats estiment que leurs intérêts égoïstes sont finalement mieux atteints
en coopérant. Et les coopérations dans le domaine spatial, même militaire, existent. Elles
tiennent certes beaucoup aux coopérations scientifiques mais pas uniquement. L’espace

103
Isabelle Facon, Isabelle Sourbès-Verger, « La place du spatial… », op. cit.
104
Développement dans la première grande partie de cette thèse.
105
James ClayMoltz, The Politics of Space Security..., op.cit.
106
Alexander Wendt, “Anarchy is What State’s Make of It : The social construction of power politics”, International
Organization, n°46, 2, Spring 1992, pp 391 – 425.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

militaire est témoin d’efforts de coopération avec plus ou moins de succès 107. Les échanges
de données sont la matière première des coopérations pouvant exister dans le secteur
spatial militaire. Ainsi, en réponse au néoréalisme de Waltz, le néolibéralisme tente de
montrer de manière empirique que les effets structurants de l’anarchie n’empêchent pas la
coopération interétatique. Par ailleurs, la coopération internationale dépend de la
perception qu’ont les Etats de leur intérêt à coopérer ensemble en fonction des bénéfices
qu’ils pourraient en tirer. Les perceptions définissent les intérêts. Le néolibéralisme ouvre
ainsi la porte à une prise en compte des facteurs idéels (perception, idée, valeur, normes) et
interroge la compréhension subjective des êtres humains. Déjà, Aron a évoqué ses notions
mais sans s’y appesantir 108. Ce qui empêche la coopération n’est donc pas nécessairement
la nature anarchique du système international mais plutôt la crainte qu’ont les Etats des
comportements de leurs rivaux. Contrairement aux néoréalistes, les néolibéraux soulignent
le fait qu’il s’agit ici d’un jeu itératif, que les interactions sont multiples et qu’ainsi les
acteurs peuvent apprendre des coups précédents et ajuster leur stratégie en fonction 109.
Avec des interactions répétées, un sentiment de confiance peut, à long terme se développer
entre les acteurs du système international. Ces interactions peuvent avoir lieu au sein des
institutions et sont facilitées lors de l’existence d’un régime qui les impose 110. De même ce
régime garantit a minima que les Etats ne feront pas défection. Le régime est une solution
collective afin de contourner les politiques compétitives des Etats et diminuer les effets du
dilemme de sécurité. La théorie des régimes de Krasner les définit ainsi :

« un ensemble de principes, de normes, de règles et de processus


décisionnels implicites ou explicites autour desquels les attentes d’acteurs
convergent dans un domaine spécifique des relations internationales. » 111

Les régimes influencent le comportement des Etats et réduisent l’incertitude. Ils sont créés
dans le but d’établir la confiance entre les Etats. Le préalable à l’existence du régime est la
promotion de mesures de confiance et de transparence (Transparency and Confidence-

107
François Heisbourg, Xavier Pasco, Espace militaire, Paris, Editions Choiseul, juin 2011.
108
Aron a évoqué « la menace virtuelle » que crée la simple existence d’autres Etats.
109
Robert Axelrod, Comment réussir dans un monde d’égoïstes : Théorie du comportement coopératif, Paris, Odile Jacob,
2006.
110
Pour un historique de ces mesures de transparence et de confiance, lire Béatrice Hainaut, « Vers l’adoption de mesures de
transparence et de confiance dans les activités spatiales », in Questions internationales, n°67, Paris, La Documentation
Française, mai 2014, pp. 92-94.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Building Measures - TCBM), notamment dans le domaine de la sécurité spatiale. Ces


mesures tentent d’établir le contexte favorable entre les Etats. Ainsi, malgré
l’environnement anarchique, ils disposent d’instruments leur permettant d’anticiper le
comportement de leurs partenaires ou rivaux, de réduire l’incertitude et donc de dépasser
leur méfiance réciproque endémique. Pour les réalistes classiques, les organisations
internationales ne peuvent exercer une action autonome. Elles ne dépendent que de la
volonté des Etats et donc du rapport de force entre eux. Pour les néolibéraux, les
institutions internationales sont considérées comme objets d’analyse, mais ne constituent
pas des acteurs en soi. Ce sont davantage des arènes d’échange, appelés forums tout au
long de cette thèse, par lesquels les Etats interagissent. L’Etat continue donc de jouer un
rôle prépondérant dans les rapports internationaux. Le néolibéralisme abandonne
partiellement le postulat libéral du pluralisme des acteurs pour se concentrer sur l’Etat, à
l’instar des néoréalistes, tout en ouvrant la porte à l’étude des normes et des institutions
internationales, telle qu’elle est entreprise par certains constructivistes.
L’Etat est unitaire et rationnel. La manifestation de l’Etat unitaire est sa réification.
L’analyse des politiques spatiales souffrent bien souvent de ce biais. Or même l’étude
préliminaire des acteurs définissant la politique spatiale d’un Etat montre bien que ce
dernier est animé de forces et de volontés multiples. L’Etat renferme un grand nombre
d’acteurs aux intérêts diversifiés. De même, les facteurs internes concourant à l’orientation
d’une politique ne sauraient être ignorés. Cependant, les néolibéraux ne prennent que très
peu en considération les facteurs politiques internes aux Etats comme déterminants leurs
préférences. Sans surestimer leur influence, il est nécessaire de se pencher sur les
processus de décision interne ainsi que sur le régime politique. Le rôle et le
fonctionnement des deux chambres du Congrès américain, Sénat et Chambre des
représentants, en sont un exemple. Même si le président américain seul peut négocier le
contenu d’un traité international, il a besoin de l’approbation des sénateurs pour obtenir
une ratification à la majorité des deux tiers. Cela a des conséquences sur les négociations
internationales que son administration mène en parallèle des discussions internes. Le code
de conduite étant vu par certains sénateurs comme le préalable à un projet de traité, ils
jouent déjà un rôle dans les discussions sur le projet européen. De son côté, le régime

111
Alex Mc Leod et Dan O’Meara (dir.), Théories des relations internationales…, op.cit., p. 156.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

iranien, en souhaitant démontrer sa capacité technologique spatiale, a pour objectif de


convaincre sa population du bien-fondé et de la légitimité du régime politique en place.
Il ne s’agit cependant pas ici de considérer, comme le font les tenants de la théorie
libérale contemporaine 112, que l’Etat ne fait que représenter les individus sur la scène
internationale et que la nature du régime politique interne d’un Etat exerce une
influence prédominante sur son comportement international.
Il ne peut y avoir d’Etat purement rationnel. D’aucuns parlent de rationalité limitée
(« bounded rationality ») 113. Cette nuance est directement liée au fait que l’Etat est
composé d’une pluralité d’acteurs, mais que ces derniers ne fournissent pas nécessairement
l’ensemble des informations au décideur afin de prendre « la meilleure des décisions ». Il
en résulte que les Etats ont plutôt tendance à adopter une stratégie de « satisficing » ou de
suffisance (et non satisfaction).
Le troisième axiome réaliste met en avant le besoin des Etats de satisfaire leur intérêt
national défini en termes de puissance. Comme souligné précédemment, cette définition de
l’intérêt national semble assez réductrice. Sans nul doute, l’utilisation de l’espace par un
Etat est au service de son intérêt national et contribue à sa puissance. Cependant, il apparaît
ici délicat de définir ces deux notions qui ne sauraient être figées mais au contraire
dynamiques et évolutives. La notion d’intérêt national ne peut être réduite à la puissance.
La soixantaine d’Etats qui utilisent actuellement l’espace le font pour servir l’intérêt
national. Le souci de l’éducation de la population peut en être un. De plus, la puissance est
une notion matérielle mais aussi cognitive à laquelle il est impossible de donner une
définition arrêtée. Les néolibéraux n’abordent le concept de puissance que pour souligner
un certain déclin de l’hégémonie américaine. Leur réflexion est d’appréhender le
phénomène de la coopération malgré l’absence d’une puissance hégémonique
stabilisatrice 114. Dans cette thèse il s’agit de montrer qu’effectivement les Etats-Unis
n’exercent plus une hégémonie dans l’espace mais bien un leadership. La théorie
néolibérale pose l’absence d’un hégémon contraire à l’idée de régimes.

112
Andrew Moravcsik affirme que « La politique gouvernementale est contrainte par les identités, intérêts et pouvoirs sous-
jacents des individus et groupes qui –au sein et en dehors de l’appareil d’Etat- exercent en permanence une pression sur les
décideurs en vue de leur faire adopter des politiques conformes à leur préférence. », in Andrew Moravcsik, “Taking
Preferences Seriously. A liberal Theory of International Politics”, International Organization, 51 (4), automne 1997, p.513-
553.
113
Robert O. Keohane, After Hegemony: Cooperation and Discord in the World Political Economy, Princeton University
Press, 1984.
114
Il s’agit de la thèse de la stabilité hégémonique développée notamment par Charles Kindleberger.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Cette thèse utilise donc une approche « néo-néo ». Néoréaliste car elle considère que les
Etats sont les acteurs principaux des relations internationales, qu’ils agissent et se
comportent comme s’ils cherchaient à maximiser leur utilité rationnelle, qu’ils poursuivent
des intérêts égoïstes et qu’aucune force externe n’existe pour leur imposer des accords. De
plus, ils évoluent dans un environnement où l’information est rare, ils sont donc incités à la
fois à obtenir plus d’information sur les actions des autres Etats, et à rehausser leur propre
crédibilité. La synthèse proposée s’éloigne de l’approche néoréaliste en ce qu’elle adopte
une conception néolibérale de l’anarchie, une certaine vision de la coopération
internationale et étudie l’impact des institutions et des régimes internationaux. Même en
n’étant qu’un projet, le Code de conduite international pour la sécurité des activités
spatiales a des effets induits. En effet, sa promotion fait se rencontrer un certain nombre
d’acteurs étatiques et non étatiques, et favorise les échanges par l’intermédiaire de
certaines institutions considérées comme des forums.

L’approche constructiviste modérée


Le constructivisme est une approche qui, en mettant l’accent sur les problématiques
sociologiques, complète les analyses néoréalistes et institutionnalistes néolibérales.
Se fondant sur le principe de la réalité des relations internationales comme étant
socialement construite, il met en avant le rôle des règles, des normes et les pratiques
représentationnelles ou visions du monde des acteurs en interaction. L’approche
constructiviste, en germe depuis les années 1960, a gagné en légitimité tout au long
des années 1980. Elle se place entre les débats théoriques autour de la synthèse « néo-
néo » 115 (ci-dessus) et les approches réflectivistes 116. Il s’agit davantage d’une
approche que d’une nouvelle théorie des relations internationales. Elle complète les
théories réalistes et néolibérales. Alexander Wendt est un des représentants du
constructivisme. Il ne remet pas en cause la place centrale de l’Etat dans le système
international. Il en est de même pour l’anarchie, dont il distingue trois idéaux-types
(hobbesien entre Etats se percevant comme hostiles, lockéen entre Etats se percevant
comme rivaux et kantien entre Etats se percevant comme amis). Cependant, tout en
reconnaissant l’existence de l’anarchie, il souligne qu’elle est « ce que les Etats en

115
Expression développée par le politologue danois Ole Waever pour indiquer les convergences épistémologiques et
ontologiques entre le néoréalisme et le néolibéralisme.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
117
font » . L’anarchie est donc le fruit des interactions entre Etats. Chez les
néoréalistes (Waltz), la structure, immuable, détermine la distribution des capacités
matérielles (puissance) entre Etats. Pour les constructivistes, la structure du système
international, telle que l’anarchie, est un processus, soumis au changement par l’effet
des interactions répétées entre Etats. Poursuivant l’approche néo-libérale et allant au-
delà, la démarche constructiviste consiste à prendre en compte le rôle des idées et de
l’apprentissage sociologique qu’un Etat peut opérer au contact d’un autre. Ces
interactions répétées ont lieu notamment au sein des forums. L’approche néolibérale
permet d’étudier comment les idées sont liées aux faits matériels pour occasionner
des changements de comportements observables. Tout ne serait alors pas subordonné
à l’emploi de la force. Dans ce cadre, l’étude prend appui sur l’analyse de Martha
Finnemore et Kathryn Sikkink 118 relative au cycle des normes. Cet idéal-type
séquentiel permet d’étudier les différentes phases de l’émergence d’une norme et de
son internalisation. Elle s’inscrit dans une démarche cognitive de type constructiviste.
L’approche constructiviste permet alors de considérer la structure comme étant à la
fois matérielle (ressource) et normative (règles). De plus, elle intègre la notion
d’intersubjectivité permettant d’asseoir l’argument néolibéral selon lequel la
coopération interétatique est possible même au sein de l’anarchie. Enfin, l’approche
constructiviste pense le rôle des experts et de leurs actes de langage 119. Les critiques
faites aux approches néoréaliste et néolibérale ont surtout mis en avant la non-prise
en compte du rôle des facteurs internes dans leurs analyses. A présent, ce niveau est
réhabilité par ces approches 120. Certaines vont jusqu’à contester la place centrale de
l’Etat dans les relations internationales en mettant en avant le rôle des facteurs
internes ainsi que des phénomènes transnationaux. Sans valider cette hypothèse, cette

116
Terme utilisé par Robert Keohane pour qualifier les approches théoriques fondées sur l’interprétation, et qui mettent
l’accent sur l’importance du rôle des idées et des croyances pour comprendre la politique internationale.
117
En référence à son article, « Anarchy is What State’s Make of It : The social construction of power politics »,
International Organization, n°46, 2, p. 391-425.
118
Martha Finnemore, Kathryn Sikkink, “International Norm Dynamics and Political Change”, International Organization,
52, 4, Autumn 1998.
119
L’acte de langage est défini comme « l’acte de parler sous une forme qui pousse quelqu’un d’autre à agir », in Vendulka
Kubalkova, Nicholas Onuf, Paul Kowert (dir.), International Relations in a Constructed World, Armonk, New York, M.E
Sharpe,1998.
120
On peut également citer le constructiviste Emmanuel Adler qui permet dans cette thèse de penser l’existence préalable
d’une communauté épistémique nationale.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

thèse prend en compte les facteurs internes par l’intermédiaire de la boîte à outil des
politiques publiques.

L’apport de l’analyse des politiques publiques


Les concepts de politique publique viennent en complément du cadrage théorique
néo-néo. Ils permettent d’en combler les faiblesses, par l’étude des facteurs internes
qui déterminent les préférences des Etats sur la scène internationale. La politique
étrangère est une politique publique. Elle fait partie des politiques publiques
internationales à l’instar des politiques multilatérales. Ces dernières peuvent être
définies comme l’ « ensemble des programmes d’action revendiqués par des autorités
publiques ayant pour objet de produire des effets dépassant le cadre d’un territoire
stato-national » 121. Cette notion regroupe les politiques étrangères, relevant d’une
autorité publique centrale (les Etats, l’UE) et les politiques publiques multilatérales
produites par ou dans le cadre d’organisations internationales 122. Les concepts
d’analyse des politiques publiques tels que ceux de politisation d’un problème, de
fenêtre d’opportunité ou encore de mise sur agenda sont utilisés afin de décortiquer
les mécanismes de production des décisions. Il ne s’agit pas d’étudier une décision
mais un processus décisionnel ayant permis l’émergence de la norme sur la sécurité
des activités spatiales comme politique publique multilatérale. La décision comme
processus ne permet pas à l’avance de connaître le résultat final, ce qui est le cas
concernant le dessein du projet de régime étudié. Les orientations de cette politique
(projet de Code de conduite) sont elles-mêmes le résultat d’autant de diplomaties
(spatiales) nationales comme inputs. La diplomatie spatiale (et la stratégie spatiale)
est subordonnée à la politique spatiale nationale qui est, d’une certaine manière une
politique étrangère. En effet, les Etats spatiaux déterminent en partie leur politique
spatiale en fonction des politiques mises en place par les autres Etats.

« La maîtrise des outils spatiaux est un atout pour la politique étrangère


de la France grâce à la crédibilité et à la stature qu’elle apporte. Elle

121
Franck Petiteville, Andy Smith, « Analyser les politiques publiques internationales », Revue Française de Science
Politique, Presses de Sciences po, 2006/3, Vol.56, pp. 357 – 366.
122
Ibid.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

constitue également une vitrine témoignant du niveau technologique des


réalisations françaises. » 123

La politique spatiale française donne lieu à une politique publique nationale définie
comme un « programme d’action propre à une ou plusieurs autorités publiques ou
gouvernementales» 124. Elle se caractérise par « un contenu, un programme, une
orientation normative, un facteur de coercition et un ressort social. » 125 mais aussi à
un positionnement international propre à la France.

Les essais de théorisation du milieu


Le milieu spatial fait l’objet d’essai de théorisation. Plus particulièrement, d’aucuns
se sont attachés à définir une space power theory. Ces travaux sont essentiellement
américains. Il s’agit de penser l’occupation du milieu spatial au service de la
puissance spatiale. L’objectif ici n’est pas de décrire dans le contenu ces théories du
milieu spatial mais de montrer les liens entre théories des relations internationales et
théories de la puissance spatiale. Les principaux théoriciens sont américains, à
l’instar d’Everett Dolman, de James Oberg et de John Klein. De la théorisation de la
puissance spatiale découle une stratégie d’occupation du milieu, afin d’asseoir un
objectif. L’objectif d’une théorie de la puissance spatiale est évoqué en ces termes :

“Theory is a tool to explain the relationships of the past to the current


space age and anticipate the shift to a future space age. Spacepower
theory provides clues as to how to enable this shift favorably and, as
importantly, what might impede it or influence it in undesirable ways.” 126

Cette théorie se veut donc véritablement pratique et empirique. Elle vise à anticiper
les développements futurs et donc à ne pas, pour l’Etat en question, se laisser

123
Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Stratégie spatiale française, p. 6, mars 2012,
http://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/Politique_spatiale_francaise/09/8/Strategie_spatiale_francaise-
mars-BD_211098.pdf
124
Jean-Claude Thoenig, « L’analyse des politiques publiques », in Jean Leca et Madeleine Grawitz (dir.), Traité de science
politique, vol.4, Paris, PUF, 1985, pp. 1-60.
125
Jean-Claude Thoenig, Yves Mény, Politiques publiques, Paris, PUF, 1989.
126
Charles D. Lutes, “Space power in the 21 st century”, Joint Force Quarterly, n°49, quarter 2008, p. 67.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
127
surprendre par eux. Everett C. Dolman s’appuie sur les analyses de Sir Halford
128
MacKinder ou encore celles relatives au milieu maritime faites par Alfred T.
Mahan 129 à la fin du 19ème siècle. Il considère dès lors que son ouvrage peut permettre
au « Mahan de l’espace » d’émerger 130. Il qualifie son approche d’astropolitique:
“Astropolitik (…) , it is the application of the prominent and refined realist vision of
state competition into outer space policy, particularly the development and evolution
of a legal and political regime for humanity’s entry into the cosmos.” 131
Elle concorde avec les concepts de la théorie réaliste des relations internationales.

“In the short term, despite our best intentions, we may be relegated to a
harsh, discordant, entirely realist paradigm in space.” 132

Son analyse met en cause les acteurs utilisant les facteurs :

“They [international realists] argue it is not weapons or armed force that


destabilizes; it is the attitudes and perceptions of the potential wielders of
weapons that matter.” 133

De la même manière, John Klein utilise la stratégie maritime de Sir Jullian Stafford
Corbett 134 afin d’élaborer une stratégie spatiale 135.
La conquête de l’espace s’est concrétisée par une conquête humaine, dont la Lune
était un des objectifs. Le projet américain de conquête de la Lune faisait d’ailleurs
partie d’un programme plus large intitulé « Nouvelle frontière » par l’administration
J.F Kennedy. Si l’espace peut donc être vu par les Etats comme un nouveau territoire
à conquérir, il est cependant important de souligner que très tôt, il n’a pas pu faire
l’objet en tant que tel d’une appropriation étatique tout comme les corps célestes tels

127
Everett C. Dolman, Astropolitik…, op. cit.
128
John Halford MacKinder, « The geographical pivot of history » (1904), The Geographical Journal, Vol. 170, N° 4,
December 2004, pp. 298 – 321.
129
Alfred T. Mahan, The Influence of Sea Power upon History, 1660-1783 (1890), New York, Dover Publications, November
1987.
130
« The Mahan of Space »; « What I hope to accomplish is to shift the dialogue to a trajectory where the next Mahan can
emerge », Everett C. Dolman, Astropolitik…, op. cit., p. 11.
131
Everett C. Dolman, Astropolitik, op. cit., p. 1.
132
Ibid.
133
Ibid.
134
Sir Julian Stafford Corbett, Some principles of maritime strategy, London, Longmans, Green and Co, 1911.
135
John Klein, Space warfare: strategy, principles and policy, New York, Routledge, 2006.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
136
que la Lune . En revanche, la « conquête » de positions orbitales stratégiques ou de
bandes spectrales peut être considérée comme des positionnements stratégiques à
acquérir par les Etats afin d’en retirer des bénéfices. Cela renvoie, par analogie
stratégique, aux « goulets d’étranglements » 137 maritimes identifiés par Mahan,
emplacements hautement stratégiques par lesquels les autres Etats sont obligés de
transiter pour leur commerce maritime. Leur possession assure une domination du
milieu à celui qui les contrôle.

B. Problématique, questions de recherche et hypothèses


Problématique
On interroge l’émergence et la promotion d’une norme sur la scène internationale. Il
s’agit de la norme sur la sécurité des activités spatiales. Il y a énigme ou anomalie car
bien qu’existante depuis la conquête de l’espace de manière latente, cette norme n’a
jamais fait l’objet de consensus entre les Etats permettant d’aboutir à un régime.
Quel(s) changement(s) fait (font) qu’aujourd’hui la coopération interétatique est, en
apparence, rendue possible sur ce sujet ?

Questions de recherche
Ce constat est-il le fait d’une volonté du leader spatial (Etats-Unis) d’agir comme
leader normatif (avec l’Europe et la France en particulier). Les Etats-Unis voient-ils
un bénéfice à coopérer plutôt qu’à s’opposer ? Cela démontre-t-il un déclin de
l’hégémonie spatiale américaine dans un paysage spatial en profonde mutation ? La
poursuite par les Etats de leurs intérêts égoïstes permet-elle tout de même de dégager
un intérêt commun à coopérer ? Quel est la place et le rôle des acteurs non étatiques
dans la promotion de ce régime ?
L’existence manifeste d’un projet de régime est-il le constat d’un travail
d’apprentissage exercé par une communauté épistémique transnationale contraignant
les Etats ? Ou les Etats se servent-ils de cette communauté afin de servir leurs intérêts
égoïstes et justifier leur volonté d’action ?

136
Conformément aux dispositions du traité sur les principes régissant les activités des États en matière d'exploration et
d'utilisation de l'espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, dit « Traité de l’Espace » entré
en vigueur dès 1967.
137
“bottlenecks / chokepoints”, in Everett C. Dolman, Astropolitik…, op. cit., p. 34.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Cette thèse interroge la supériorité américaine dans l’espace au 21 ème siècle, mais
aussi la place des Etats dans un système westphalien 138 remis en cause par les acteurs
non étatiques et dans cette idée, le rôle, l’influence voire le pouvoir des communautés
épistémiques sur les Etats. Le titre choisi est « Emergence et promotion de la
norme sur la sécurité des activités spatiales. Origine de la norme et rôle des
puissances spatiales comme leaders normatifs de la sécurité des activités spatiales. ».
L’émergence désigne « le moment où les idées, éventuellement existantes de manière
latente, deviennent un objet conceptuel particulier, avec un nom et (ou) une
substance, suscitant un intérêt nouveau » 139.
La promotion d’une norme est entendue comme sa diffusion dans une démarche
d’apprentissage et de co-constitution entre les Etats participants et des acteurs non
étatiques.
La sécurité des activités spatiales renvoie dans cette thèse autant à la lutte contre la
course aux armements dans l’espace qu’à la lutte contre la prolifération des débris
orbitaux. Il est le référentiel sectoriel promu, dans le cadre d’un référentiel global 140
qu’est le développement durable.

Hypothèses de nature causale


La thèse s’inscrit dans la méthode néolibérale, hypothético-déductive. Elle consiste à
émettre des hypothèses de nature causale. Il s’agit d’identifier des relations de causes
à effets. Le choix de cette méthode permet de développer un cadre méthodologique
pouvant être reproduit par d’autres chercheurs en vue de vérifier sa falsifiabilité.
L’étude prend comme hypothèses :
(1) qu’un nombre restreint de scientifiques américains (variable indépendante) est à
l’origine de la constitution d’une communauté épistémique (CE) nationale (variable
dépendante);

138
Expression utilisée en référence aux traités de Westphalie de 1648 faisant de l’Etat la forme privilégiée d’organisation
politique des sociétés et marquant la naissance du système interétatique moderne.
139
Philippe Gros (dir.), Du Network centric à la stabilisation : émergence de nouveaux concepts et innovation militaire,
Etudes de l'IRSEM n°6, 2011, p. 49.
140
Le référentiel global est « une représentation générale autour de laquelle vont s’ordonner et se hiérarchiser les différentes
représentations sectorielles (…) Il constitue la représentation qu’une société se fait de son rapport au monde et de sa capacité
à agir sur elle-même par l’action publique », in Pierre Muller, Les politiques publiques, op. cit., p. 59.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

(2) que cette dernière, par ses actions et un contexte favorable à la réception de ses
idées (variable indépendante), a inscrit le problème des débris au sein de la politique
spatiale américaine (variable dépendante);
(3) que, profitant d’un événement particulier (variable indépendante), la CE
américaine a diffusé ses principes, croyances et valeurs en Europe. La CE devient
transnationale en essaimant ses idées dans les « Etats secondaires » 141, dont les Etats
spatiaux. La diffusion est la variable dépendante.
(4) Un paysage spatial en mutation et de nouveaux événements médiatisés (tir
antisatellite chinois en 2007 et collision dans l’espace en 2009) modifient la position
américaine sur l’opportunité de coopérer et de soutenir une norme internationale sur
la sécurité des activités spatiales. En parallèle sont réactivés les réseaux de diffusion
de la CE. Elle rassemble alors des membres issus d’horizons professionnels plus
diversifiés. Leur épistémè 142 ou vision du monde particulière devient un référentiel
sectoriel au sein du secteur spatial. Ce dernier est conforme au référentiel global
qu’est le développement durable et sert les intérêts égoïstes du leader spatial.
(5) Les puissances spatiales avec en tête l’Union européenne (avec un rôle particulier
pour la France) et les Etats-Unis se saisissent des idées de cette CE qui coïncident
avec leurs intérêts respectifs. Ils opèrent alors une socialisation, un apprentissage
international pour faire accepter ce référentiel sectoriel par le consensus et l’inscrire
dans un régime international. Le consensus permet « de surmonter diverses réserves
ou réticences individuelles mineures, l’accord informel conservant la fluidité
nécessaire à son aboutissement. » 143
(6) Le référentiel sécuritaire pour les activités spatiales, fortement inspiré de
l’imaginaire américain, devient le cadre d’analyse occidental des relations spatiales
internationales. Cette lecture particulière n’est pas sans conséquence sur les rapports
de force entre puissances spatiales.

141
Les Etats secondaires sont les Etats qui ne sont pas des puissances spatiales, mais éventuellement utilisant l’espace à leur
profit. Les Etats secondaires, d’un certain poids politique, sont nécessaires afin de faire de la norme une norme
internationale. Il peut s’agir ici de convaincre les grands Etats du G77 du bien-fondé de la norme sur la sécurité des activités
spatiales. Lire, G. John Ikenberry, Charles A. Kupchan, “Socialization and hegemonic power”, International Organization,
n°44, 3, été 1990.
142
Même si le terme d’épistémè a son origine au sein des travaux de Michel Foucault (Les Mots et les Choses, Paris,
Gallimard, 1990), le concept utilisé en science politique a, à présent, peu à voir avec la pensée de Foucault. Pour une analyse
de la généalogie et de l’utilisation de ce concept, lire Yves Viltard, « L’étrange carrière du concept foucaldien d’épistémè en
science politique », Paris, Presses de Sciences Po, Raisons Politiques, 2006/3, n°23, pp. 193 – 202.
143
Serge Sur, Relations internationales, op. cit.,p. 323.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Ces hypothèses contiennent chacune d’entre elles des variables indépendantes (causes) et
dépendantes (effets). Les variables indépendantes sont les causes qui commandent les
initiatives des acteurs. La CE rassemble deux grands courants : les opposants à la course
aux armements dans l’espace (communauté de l’arms control) et les opposants à la
prolifération des débris dans l’espace. Ses membres convergent vers un intérêt commun qui
est la durabilité de l’espace (« space sustainability »).
Cette thèse s’inscrit dans le temps long, celui des idées. Le projet de CoC
international ne peut être compris sans l’analyse de la genèse du problème des débris
orbitaux et le passage de la norme de l’état latent à manifeste. Les bornes
chronologiques s’étendent donc de 1978 (article du scientifique américain de la
NASA Donald Kessler faisant des débris orbitaux un problème, mais pas encore
politique) au dernier projet de CoC prise en compte pour cette thèse datant du 31
mars 2014.

C. Note méthodologique
Corpus de sources écrites
Cette thèse repose essentiellement sur deux types de matériaux : les sources écrites et
les entretiens d’acteurs individuels. Les sources écrites touchant au sujet sont
nombreuses. Leur contenu ne fait cependant que très rarement le lien entre l’existence
larvée de la norme dans les années 1970 et les discussions interétatiques
contemporaines autour du Code de conduite. Les sources écrites sont aussi fait de
discours, notamment de décideurs politiques. Ces derniers ont été analysés mais sans
perdre de vue qu’ils sont le résultat d’un exercice de communication de la part d’un
interlocuteur. Cependant, des messages y sont parfois passés et peuvent infléchir ou
conforter une analyse. De plus, l’analyse des discours de manière transverse permet
de faire connaître l’existence d’un langage commun ponctués de « mots qui font le
buzz » 144 mais qui confortent l’hypothèse de la constitution d’un référentiel sectoriel
conforme au référentiel global.

Corpus de sources orales

144
Cette expression est revenue à plusieurs reprises dans les propos des interlocuteurs.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

La thèse a été étayée par des échanges avec des interlocuteurs tels que des
diplomates, un universitaire américain, des membres de think tanks, des militaires,
des industriels, des fonctionnaires de l’Union européenne et un membre de
l’administration américaine, tous gravitant autour du sujet de la sécurité des activités
spatiales. Au total une trentaine de personnes ont été consultées. Certains entretiens
ont permis de recueillir de l’information sur le sujet. Un autre type d’entretien a
permis d’analyser le sens que les acteurs donnent à leurs pratiques. Les entretiens
étaient de type semi-directif. Ils ont permis de reformuler les hypothèses de travail
au fur et à mesure de l’évolution de la réflexion. Les sources orales consistent
également en des notes prises lors de colloques et séminaires auxquels l’auteure a
assisté.

La double appartenance : doctorante et praticienne


Le fait d’appartenir à son domaine d’étude peut faire craindre un biais dans les
analyses. Cependant, l’activité opérationnelle effectuée au sein de l’Armée de l’air a
peu à voir avec l’élaboration d’un travail universitaire. Les logiques sont différentes
et les réflexions ne tendent pas vers le même objectif. Il est même plutôt avantageux
pour la recherche d’avoir des prises de contact facilitées par cette proximité de
métiers. En effet, l’auteure a participé aux deux éditions de l’Inter-Agency Space
Debris Coordination Committee (IADC) en 2015 et 2016, en présence de Donald
Kessler et à trois exercices internationaux de surveillance de l’espace permettant ainsi
d’expérimenter les différentes conceptions étatiques du secteur considéré. L’élément
le plus perturbateur a été davantage de réaliser une thèse tout en occupant un poste à
temps plein, et intellectuellement très prenant, même si passionnant.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

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PARTIE 1 : Origine et cycle de vie des normes relatives à la


sécurité des activités spatiales

1. L’EMERGENCE DE LA NORME : MOTIVATIONS DES ACTEURS


SPATIAUX ET INFLUENCE DE LA COMMUNAUTE EPISTEMIQUE

DANS LA CREATION DU REGIME

Comment sait-on que l’on a affaire à une norme ? Dans un premier temps, elle peut
être définie comme un « standard of appropriate behavior for actors with a given
identity » 145. Elle renvoie à un comportement défini comme approprié par un groupe
identifié d’acteurs étatiques à un instant T. Dans un second temps, son existence
matérielle et manifeste, sous forme de traité, code de conduite, accord ou convention,
en fait une norme établie. Ainsi, cette thèse prend comme indicateur de
l’émergence 146 de la norme la date du dépôt officiel du projet européen de code de
conduite 147 relatif aux activités spatiales, en décembre 2008. Mais cette existence
manifeste ne dit rien de son existence latente. Elle se caractérise par une circulation
d’idées et de croyances au niveau national et/ou international et qui sont l’objet de
débats. Cette existence latente de la norme peut être prouvée par des indicateurs
explicites et implicites. Les indicateurs explicites sont l’organisation de discussions
au sein de forums internationaux et la publication de recommandations 148, la tenue de
conférences par des think tanks et des journées d’étude au sein d’universités. Les
indicateurs implicites se glissent dans les discours des décideurs qui sont autant de

145
Martha Finnemore, Kathryn Sikkink, “International Norm Dynamics and Political Change”, International Organization,
52, 4, Autumn 1998, p. 891.
146
Par émergence il faut entendre « le moment où les idées, éventuellement existantes de manière latente, deviennent un objet
conceptuel particulier, avec un nom et (ou) une substance, suscitant un intérêt nouveau », in Philippe Gros (dir.), Du
Network centric à la stabilisation…op. cit., p. 49.
147
Un code de conduite est “a set of conventional principles and expectations that are considered binding on any person who
is a member of a particular group”, « Code of Conduct », WordNet 3.0. Princeton University, 24 novembre 2008,
http://dictionary.reference.com/browse/codeofconduct
148
C’est notamment le cas au sein de la Conférence du Désarmement.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

justifications à l’action et qui préparent l’opinion publique à la future norme. Le


thème de la sécurité des activités spatiales est souvent introduit par un discours
préalable sur la nécessité de la prise en compte du problème des débris orbitaux.
Cette norme est antérieure au dépôt de projet européen. Une telle existence matérielle
ne naît pas ex nihilo. C’est bien plus l’intérêt nouveau qui est montré par le dépôt
d’une proposition officielle que l’existence de la norme en elle-même. Cette dernière
a alors bénéficié d’un contexte favorable ayant permis son émergence. Cela a par la
suite enclenché un processus d’apprentissage et de socialisation à la norme au niveau
international. Certaines étapes du cycle de la norme sont donc facilement identifiables
car datées. La réalité est plus complexe car l’existence latente de la norme se situe
dans le domaine des idées. Pour tenter de saisir cette complexité sans simplifier la
réalité, la thèse s’appuie sur l’idéal-type du cycle de la norme théorisé par Martha
FINNEMORE et Kathryn SIKKINK 149 . Ce cycle se compose de l’émergence de la
norme (« norm emergence »), de sa diffusion (« norm cascade ») puis son
internalisation (« internalization »). C’est véritablement sur l’émergence et la
diffusion que sont focalisées les analyses de cette thèse. L’étude s’achève le 31 mars
2014, date du dernier projet déposé de code de conduite international (International
Code of Conduct, ICoC) à l’heure de la rédaction. La première partie analyse la
genèse de la norme sur la sécurité des activités spatiales. Cette expression n’est
d’ailleurs pas celle originellement utilisée. La sécurité des activités spatiales renvoie
actuellement à deux sous-thèmes ; la lutte contre la course aux armements dans
l’espace et celle contre la prolifération des débris orbitaux. La norme tend vers une
existence matérielle, caractérisée par le régime défini comme :

“A set of implicit or explicit principles, norms, rules, and decision-making


procedures around which actors expectations converge in a given area of
international relations. Principles are beliefs of fact, causation, and
rectitude. Norms are standards of behavior defined in terms of rights and
obligations. Rules are specific prescriptions or proscriptions for action.

149
Ibid., pp. 887-917.

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Decision-making procedures are prevailing practices for making and


implementing collective choice.” 150

Si la norme désigne un comportement souhaité d’un acteur étatique vis-à-vis d’un


autre, les commentateurs réalistes font appel à la moralité et à la responsabilité des
Etats dans leur comportement. L’appel à la moralité des Etats renvoie d’une certaine
façon au comportement approprié que doit adopter l’Etat. A titre d’exemple, Hans
Morgenthau, comme d’autres réalistes pendant la Guerre froide, rejette toute idée
d’une défense antimissile qui ne vaudrait de toute façon pas la peine si elle
n’approchait pas une efficacité de cent pour cent 151. De plus, les normes ne sont pas
l’émanation d’un travail réalisé au sein des institutions internationales. Les principes
normatifs sont évoqués dans de nombreuses approches des relations internationales
telles celles des néolibéraux, de l’Ecole anglaise (Bull, Buzan), du constructivisme,
de la théorie néogramscienne (les normes de l’hégémonie mondiale sont présentes au
sein des organisations internationales grâce auxquelles elles se propagent) etc.
Bien que le régime du CoC pour la sécurité des activités spatiales n’ait pas encore
bénéficié d’une adhésion officielle de la part des Etats, les consultations et
négociations interétatiques organisées en amont ont un effet de socialisation. Cela
permet aux uns et autres de se rencontrer, d’échanger et surtout pour certains de
convaincre et persuader leurs interlocuteurs de la nécessité d’une telle norme. Ces
échanges permettent également une co-constitution de la norme. Le concept de cycle
des normes développé par Finnemore et Sikkink est une méthode heuristique. Les
trois étapes successives (émergence, diffusion et internalisation) sont des idéaux-
types, le constat est qu’elles se superposent à l’épreuve de la démarche empirique.
Elles sont caractérisées par des acteurs différents, des motifs d’action distincts ainsi
que des mécanismes d’influence dissemblables (aspects cognitifs et motivationnels).

150
Stephen D. Krasner, International Regimes, Ithaca/ Londres, Cornell University Press, 1982, p. 2.
151
Alex MacLeod, Dan O’Meara (dir.), Théories des relations internationales…op. cit., p. 79.

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1.1. Motivations des acteurs spatiaux

Lorsque l’on parle des motivations des Etats spatiaux, on réifie l’Etat. Ce n’est pas
l’Etat qui est animé par certaines motivations plutôt que d’autres, mais bien les
acteurs nombreux qui le composent formant des configurations et constellations. Les
aspects cognitifs et motivationnels de ces acteurs sont diversifiés et renvoient autant à
des intérêts personnels que nationaux et stratégiques. Il est donc nécessaire, avant
tout chose, de cartographier autant que faire se peut les configurations d’acteurs des
leaders normatifs que sont les Etats-Unis, la France/l’Europe, la Russie et la Chine.

1.1.1. Etats-Unis

1.1.1.1. Les acteurs civils et militaires du secteur spatial

Dans une certaine mesure, la dynamique des cercles peut s’appliquer aux acteurs de la
politique spatiale américaine. Cependant, le « parlement américain », c’est-à-dire le
Congrès, ne serait être relégué au rang de quatrième cercle comme évoqué dans le
modèle de Muller. De même, le recours à l’expertise aux Etats-Unis n’est pas de la
même nature ni n’a le même poids qu’en France. Il existe une véritable culture
spatiale aux Etats-Unis nourrie par des décennies de course à l’espace et de mise en
valeur de ce milieu par les décideurs vis-à-vis du grand public. La place et le rôle de
l’espace aux Etats-Unis étant beaucoup plus prégnants qu’en France, le nombre des
acteurs étatiques et non étatiques est également plus nombreux. Il est nécessaire de
tenter de décrire dans les grandes lignes cette complexité. Enfin, le soutien
diplomatique apporté par les Etats-Unis au projet européen de CoC pour les activités
spatiales est du ressort de la politique étrangère des Etats-Unis. Il est donc nécessaire
de comprendre de quelle manière s’élabore la politique étrangère américaine et quels
sont les facteurs internes susceptibles de l’influencer.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

1.1.1.1.1. La « présidence impériale » 152 dans l’élaboration de la


politique étrangère
La présidence est dominante dans l’élaboration des orientations de politique
étrangère. Mais lorsque le parti présidentiel ne contrôle pas les deux chambres du
Congrès, Sénat et Chambre des représentants, des coalitions se forment afin de voter
certaines résolutions telles celles concernant une intervention militaire par exemple.
Les enjeux sont alors éminemment politisés et chaque enjeu de politique étrangère
devient un enjeu de politique intérieure. Le débat sur l’opportunité ou non d’apporter
son soutien au CoC répond à cette logique.
Le régime politique américain repose sur une présidence impériale. En effet, même si
la constitution accorde théoriquement plus de pouvoir au Congrès qu’au président, ce
dernier a gagné en substance et a acquis dans une certaine mesure, la maîtrise de la
politique étrangère. Le président est chef de l’Etat. Seul le président peut négocier le
contenu d’un traité international, l’approuver et le signer avant de le présenter aux
cent sénateurs pour ratification à la majorité des deux tiers. Mais les présidents
américains ont préféré inclure le Sénat dans le processus de négociation des traités et
ainsi l’influencer en vue d’obtenir sa ratification. De cette manière, le président prend
en compte par anticipation leurs préoccupations politiques. Parfois ce mécanisme sert
d’ailleurs de prétexte aux négociateurs de l’exécutif à l’international pour justifier
une inflexibilité américaine sans que soit mise en cause leur propre volonté d’aboutir
à un consensus. Ici s’applique le principe du jeu à double niveaux conceptualisé par
Putnam 153. Parfois le Congrès refuse purement et simplement de ratifier des traités.
Certains accords internationaux attendent dans les armoires du Sénat. Ainsi, la
convention sur le droit de la mer de Montego Bay, que Reagan refuse de signer en
1982, amendée pour satisfaire les objections américaines et signée par Clinton en
1994, attend toujours d’être examinée par la Commission des relations extérieures.
De nombreux Républicains ont promis de faire échouer la ratification. Il en va de
même du protocole de Kyoto de 1997. Il pourrait en être de même pour le CoC sur la
sécurité des activités spatiales. Les acteurs européens, s’ils souhaitent voir leur projet

152
Charles-Philippe David, « Le pouvoir exécutif au cœur de l’action internationale », in Charles-Philippe David, Louis
Balthazar, Justin Vaïsse, La politique étrangère des Etats-Unis. Fondements, acteurs, formulation, Paris, Les Presses de
SciencesPo, 2008.
153
Robert D. Putnam, “Diplomacy and domestic politics: the logic of two-level games”, International Organization, Vol. 42,
N°3, été 1988.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

aboutir doivent donc jouer avec les concessions faites aux Américains pour obtenir
leur soutien mais dans le même temps, s’assurer de sa ratification en interne, ou au
moins de l’approbation tacite du Sénat. Il faut cependant relativiser car les accords
exécutifs constituent l’autre forme juridique possible des engagements internationaux
des Etats-Unis. Ils représentent 90% des engagements. En effet, dans la pratique, le
Président peut ne pas soumettre un traité pour approbation s’il craint de perdre le
vote. De la même façon, il peut interpréter les clauses d’un traité ou encore y mettre
fin sans l’assentiment du Sénat. Ce fut le cas notamment lorsque le Président George
W. Bush a décidé de se retirer du traité sur l’interdiction des défenses antimissiles en
2002. Compte-tenu de la rigidité et de la lourdeur de la procédure de signature et de
ratification des traités, les présidents leur préfèrent largement ces accords exécutifs
qui ne sont pas soumis à l’approbation du Sénat mais à la majorité simple dans
chacune des deux chambres. Un traité international est reconnu comme tel par les
Etats membres (en droit international) mais peut, en droit national, être considéré
comme un traité (et donc soumis au Sénat pour ratification) ou comme un accord
exécutif (et donc non soumis à la ratification du Sénat). Le nombre d’accords
exécutifs a augmenté de façon exponentielle ces dernières années. Sur les 15 000
conventions internationales dont les Etats-Unis font partie, 13 500 ont pris la forme
d’accords exécutifs. C’est alors une option intéressante pour la présidence impériale
si elle souhaite éviter un possible refus du Sénat de signer et ratifier l’ICoC voire une
future version sous forme de traité.
Concomitant au projet de CoC est l’arrivée au pouvoir de Barack Obama aux Etats-
Unis. Ce changement ouvre une fenêtre d’opportunité diplomatique. En effet, en
politique étrangère, l’énoncé de grandes doctrines permet au président d’imprimer sa
marque. L’arrivée au pouvoir de Barack Obama permet à ce dernier et à son équipe
dont la secrétaire d’Etat, Hilary Clinton, de présenter la doctrine du smart power
comme la « nouvelle » ligne directrice de leur politique étrangère. Ce smart power est
également applicable à la diplomatie spatiale américaine. Loin d’être le seul à définir
la politique étrangère des Etats-Unis, le président est assisté de conseillers, nommés
les Obamians 154. Parmi les plus influents, on peut citer Tom Donilon (national

154
James Mann, The Obamians. The struggle inside into the white House to redefine American Power, New York, Viking,
2012.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

security adviser) et ses adjoints Denis McDonough et Ben Rhodes. En matière


d’espace, le président est à l’initiative de documents programmatiques dédiés au
milieu. Ce sont les documents de politiques spatiales nationales et les directives. La
National Space Policy (NSP) établit les objectifs en termes d’espace pour le
gouvernement américain. Elle prend en compte les contributions des agences
pertinentes, des experts, des médias, de l’industrie et de l’opinion publique. La
dernière en date est du 28 juin 2010. La NSP donne lieu au plan stratégique de la
NASA, qui est responsable de conduire la majeure partie des activités spatiales
nationales. La NSP indique les responsabilités spatiales du gouvernement, du
Département de la Défense, du département d’Etat, du Commerce et des Transports
parmi d’autres. La NSP inspire la National Security Strategy (NSS) qui est un
document général soulignant les menaces pour la sécurité nationale américaine. Ce
document, exigé par l’acte Goldwater - Nichols de 1986, est présenté formellement
par la Maison Blanche au Congrès. La NSS donne lieu à la National Military Strategy
(NMS) qui est présentée par le président du comité des chefs d’Etats-majors, Joint
Chiefs of Staffs (JCS) qui réunit les trois chefs d’Etats-majors au Secrétaire à la
défense. La NSS nourrit également les réflexions qui donnent naissance à la National
Security Space Strategy (NSSS) dont la dernière date de janvier 2011 155. La Space
Posture Review (SPR) est conduite en amont de la publication de la NSSS afin
d’évaluer la situation spatiale et les éventuels changements stratégiques à prendre en
compte. Ceci est mené par le Département de la Défense et le directeur des services
nationaux de renseignements. Tous les quatre ans, la Quadriennal Defense Review
(QDR) réévalue la NMS et détermine si cette dernière a besoin d’être modifiée.
Chaque service développe alors une stratégie qui est fondée sur ces documents. Enfin,
le département de la Défense, par l’intermédiaire d’une Directive, publie sa politique
spatiale en accord avec les documents précités. La dernière date 18 octobre 2012 156.
Tous ces documents sont nécessaires à la compréhension de la stratégie d’occupation
du milieu spatial établit par les stratèges américains et validée par l’exécutif en la
personne de Barack Obama. Ils permettent aussi de comprendre les ajustements

155
http://www.defense.gov/home/features/2011/0111_nsss/docs/NationalSecuritySpaceStrategyUnclassifiedSummary_Jan201
1.pdf
156
http://www.dtic.mil/whs/directives/corres/pdf/310010p.pdf

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

demandés par l’exécutif américain aux diplomates français et européens sur les
projets successifs de CoC.

1.1.1.1.2. Le Conseil à la Sécurité Nationale auprès de la Maison


Blanche
Le président a le pouvoir de nomination des secrétaires. Ces nominations sont
soumises à l’approbation du Sénat. C’est d’ailleurs lors du Senate confirmation
hearing d’Hilary Clinton en tant que Secrétaire d’Etat (devant donc le Sénat) que
cette dernière choisit de présenter la doctrine du smart power :

“I believe that American leadership has been wanting, but is still wanted.
We must use what has been called smart power, the full range of tools at
our disposal- diplomatic, economic, military, political, legal, and cultural-
picking the right tool or combination of tools for each situation. With
smart power, diplomacy will be the vanguard of our foreign policy.” 157

Seul le conseiller pour la Sécurité nationale ne fait pas l’objet d’une approbation par
le Sénat. Une forte concurrence s’est développée entre ce conseiller et le secrétaire
d’Etat. En effet, leurs prérogatives peuvent apparaître proches à certains égards. Le
conseiller se doit d’informer et d’éduquer le président sur les questions
internationales. Il peut également intervenir comme négociateur diplomatique. Dans
certaines affaires diplomatiques délicates, le conseiller a tendance à court-circuiter le
processus décisionnel et les secrétaires à la défense ou d’Etat dans leurs fonctions. La
fonction essentielle du Conseil à la Sécurité Nationale (CSN ou National Security
Council- NSC) est à l’origine la représentation des différents points de vue des
bureaucraties sur un sujet particulier. Le CSN est devenu très influent et éclipse
aujourd’hui quelque peu le Département d’Etat, déjà peu valorisé en termes
budgétaires notamment par rapport au Département de la défense 158. Alors que le
CSN devait être formellement limité à son rôle de comité de coordination, il s’est en
fait métamorphosé en organisation présidentielle de planification et de mise en œuvre

157
Hilary Clinton, Confirmation hearing before the Senate Foreign Relations Committee, 13 janvier 2009,
http://www.state.gov/secretary/rm/2009a/01/115196.htm.

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de la politique étrangère. Les membres du Conseil civilo-militaire débattent des


orientations des politiques et jugent des options offertes au président. La Maison
Blanche coordonne les travaux du CSN et de l’Office of Science and Technology
Policy (OSTP) afin d’élaborer la politique spatiale des Etats-Unis.

1.1.1.1.3. Les administrations sectorielles du second cercle


Le département de la Défense ou DoD, équivalent du ministère de la Défense
français, est l’acteur principal en matière d’espace militaire. Il met à exécution et
conduit les programmes spatiaux de sécurité nationale. D’autres acteurs corporatifs à
l’instar des départements d’Etat, du Commerce, des Transports ainsi que l’agence
spatiale nationale, la NASA, poursuivent des objectifs en matière d’espace civil. La
distinction entre l’espace civil et l’espace militaire est plus marquée aux Etats-Unis
qu’en France. Les contours sont plus nets, ce qui contraste avec la position du CNES
en France qui, par exemple, opère les satellites de défense français. A cet effet, les
Américains peuvent être parfois réticents à l’idée de coopérer avec la France. Cela
peut poser selon eux des problèmes de confidentialité. Sur la période qui nous
intéresse, quatre secrétaires d’Etat à la défense se sont succédés. Il s’agit de Donald
H. Rumsfeld (20 janvier 2001 – 18 décembre 2006) sous la présidence de George W.
Bush ; Robert Michael Gates (18 décembre 2006 – 1 er juillet 2011) sous la présidence
de George W. Bush et de Barack Obama ; Leon Panetta (1er juillet 2011 – 27 février
2013) et Chuck Hagel (27 février 2013 – 17 février 2015) sous la présidence de
Barack Obama. Le DoD se joint à l’agence du directeur du renseignement national
(Office of the Director of National Intelligence, ODNI) afin d’établir la National
Security Space Strategy (NSSS). Au sein du Département de la Défense se trouve une
représentation civile (under-secretary of defense for policy), où un deputy Assistant
secretary of Defense for Space Policy exerce. Ce service est civil et se situe au plus
haut niveau du département de la défense. Il s’agit de Douglas L. Loverro depuis
mars 2013 sous la présidence de Barack Obama. Ses missions consistent à soutenir le
DoD dans la mise en place de la NSSS et d’établir des normes avec les alliés et autres

158
Le budget du Département d’Etat compte pour à peine le dixième de celui du département de la défense. Charles-Philippe
David, Louis Balthazar, Justin Vaïsse, La politique étrangère des Etats-Unis, op.cit., p. 63.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Etats spatiaux (“Engage with allies and other space-faring countries in establishing
norms and augmenting our capabilities ” 159). Sous la tutelle du DoD, les trois armées
ont des responsabilités spatiales (Department of the Air Force, Department of the
Army, Department of the Navy). Les Etats-Unis ont donc fait le choix d’une
responsabilité interarmées en matière d’espace. Cependant, l’Armée de l’air
américaine est chargée d’assurer la cohésion d’ensemble, elle est qualifiée d’« overall
executive agent for space » 160. De plus, c’est l’Air Force Space Command (AFSPC)
qui entretient la plupart des infrastructures spatiales au service des poursuites
orbitales (orbital tracking), des opérations de lancement et de la majorité des
opérations impliquant des satellites militaires. En complément de ces trois armées, le
United States Strategic Command, commandement unifié communément appelé
USSTRATCOM, conduit les opérations spatiales. Enfin, d’autres agences sont
placées sous tutelle du DoD et utilisent l’espace à des fins militaires. Il s’agit de la
National Security Agency (renseignement d’origine électromagnétique), la National
Geospatial – Intelligence Agency, la Defense Intelligence Agency (DIA) qui conduit
l’analyse du renseignement lié à la défense en utilisant les informations satellitaires,
le National Reconnaissance Office (NRO) ayant la responsabilité des satellites de
reconnaissance, la Missile Defense Agency (MDA) qui utilise l’espace pour détecter
les départs de missiles, le National Security Space Office qui pilote l’analyse tactique
et stratégique des politiques spatiales de sécurité nationale et la Defense Advanced
Research Projects Agency (DARPA) qui a une mission de recherche et
développement concernant les utilisations de l’espace. Certaines d’entre elles sont
impliquées dans la définition de la sécurité des activités spatiales. C’est au sein de
l’USSTRATCOM que les missions de surveillance et de contrôle de l’espace sont
assurées. De plus, ce commandement gère les programmes de partage de données
concernant la surveillance de l’espace. Dans une certaine mesure, cet organisme est le
pendant américain de l’organisme français CDAOA (Commandement de la Défense
Aérienne et des Opérations Aériennes) et de son Centre Opérationnel de Surveillance
Militaire des Objets Spatiaux (COSMOS) relevant de l’Armée de l’air française. Les
missions du STRATCOM space surveillance and space control incluent la

159
http://policy.defense.gov/OUSDPOffices/ASDforHomelandDefenseGlobalSecurity/SpacePolicy.aspx
160
“Space sustainability. A pratical guide”, Secure World Foundation, 2010, p. 26.

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surveillance de l’espace, la protection des systèmes spatiaux américains et amis, la


prévention des actes hostiles provenant d’une capacité adverse d’utiliser les systèmes
et les services spatiaux pour servir des objectifs allant à l’encontre de la sécurité
nationale et le soutien direct à la gestion du champ de bataille au travers des
opérations de commandement, de contrôle, de communications et de renseignement.
La mission de contrôle de l’espace est plus précisément de la responsabilité du Joint
Functional Component Command for Space (JFCC- Space). Ce dernier, au travers de
son Joint Space Operations Center (JSpOC) détecte, suit et identifie tous les objets
artificiels évoluant en orbite. Il sollicite le Space Surveillance Network 161 (SSN) pour
observer ces objets. Ces moyens permettent d’établir le Space Catalog référençant
plus de 25 000 objets spatiaux, rendus public. Les nations spatiales ou space-faring
nations peuvent profiter de ces données. Ainsi, le centre français de surveillance de
l’espace utilise quotidiennement ces informations. Les Américains sont libres de
prévenir ou non des risques de collision pouvant affecter un satellite qui ne leur
appartient pas. Face au nombre croissant d’acteurs dans l’espace et à la prolifération
des débris, la surveillance de l’espace a tendance à être considérée comme le
quatrième critère définissant un Etat en tant que puissance spatiale. Les trois premiers
étant l’accès autonome à l’espace par la possession d’un site de lancement, la capacité
de fabrication des lanceurs et des satellites et l’existence de stations sol avec maintien
à poste autonome. La space situational awareness (SSA) qui est une définition large
de la surveillance de l’espace (surveillance spatiale, météorologie de l’espace, suivi
des météorites) fait l’objet d’accords de coopération entre la France et les Etats-Unis,
et notamment par l’accord du 8 février 2011 (cf. Partie 2).
La sécurité des activités spatiales affecte autant les acteurs spatiaux du monde civil
que du monde militaire. Les administrations sectorielles du second cercle relevant
alors de l’espace civil jouent elles-aussi un rôle non négligeable dans la définition de
la norme et la promotion de cette dernière. Ces administrations sectorielles sont des
acteurs corporatifs tels que le département d’Etat, le Département du Commerce et
des Transports ainsi que la NASA. Le département d’Etat américain peut être
considéré comme le ministère des affaires étrangères américain. Sur notre période, les
Secrétaires d’Etat, « ministres des affaires étrangères », ont été Condoleezza Rice (26

161
Réseau de 29 capteurs de surveillance spatiale à travers le monde, aussi bien optiques que radars, civils et militaires.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

janvier 2005- 20 janvier 2009) sous le mandat de George W. Bush) ; Hillary Clinton
(21 janvier 2009- 1er février 2013) et John Kerry (1 er janvier 2013 – 20 janvier 2017)
sous le mandat de Barack Obama. Les orientations de politique étrangère sont donc
impulsées par le département d’Etat, ce qui a ensuite des répercussions sur la
politique spatiale en ce sens qu’elle sert cette dernière. Au sein du département
d’Etat, c’est l’agence du contrôle des armements, de la vérification et de la
conformité (Bureau of Arms Control, Verification and Compliance) qui est en pointe
sur les questions relatives à la sécurité spatiale. Franck A. Rose, Deputy Assistant
Secretary, est l’acteur individuel représentant son organisation et qui est donc
généralement assimilé à l’acteur corporatif lui-même, à savoir le Département d’Etat.
Ce service est chargé de promouvoir le CoC au niveau international et de faire en
sorte que son contenu ne va pas à l’encontre des intérêts américains. Les multiples
déplacements et interventions de Franck A. Rose de par le monde, recensés dans cette
thèse (Annexe 5), montre qu’il s’adresse autant aux acteurs gouvernementaux qu’aux
acteurs non étatiques (ONG, instituts, universités etc.). Il diffuse la définition
américaine de la sécurité des activités spatiales et met en avant la norme qui permet
de servir cette définition, reflétant une vision du monde particulière. Enfin, pour le
citer, au sein du département d’Etat et plus particulièrement de l’agence des Océans
et des affaires scientifiques environnementales internationales (Bureau of Oceans and
International Environmental and Scientific Affairs), se trouve l’Office of Space and
Advanced Technology s’assurant que les politiques spatiales américaines et les
activités scientifiques multilatérales soutiennent les objectifs de politique étrangère et
améliorent la compétitivité technologique des Etats-Unis.
Traditionnellement, le travail diplomatique du Département d’Etat n’est pas valorisé
par les présidents américains. Leur activité est même dépréciée, chez les
conservateurs en particuliers 162. Néanmoins, la forte visibilité du Département d’Etat
et de son représentant pour le sujet de la sécurité des activités spatiales (Franck A.
Rose) invitent à repenser cette tendance. Même si le Département d’Etat et le
Département de la Défense jouent un rôle primordial dans cette question de la
sécurité des activités spatiales, les scientifiques et ingénieurs de la NASA ont été à
l’origine de l’émergence de la norme.

162
Charles-Philippe David, Louis Balthazar, Justin Vaïsse, La politique étrangère des Etats-Unis, op. cit., p. 64.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

L’agence spatiale américaine créée en 1958, est chargée de mettre à exécution les
missions scientifiques de l’espace civil, les missions de vols habités et mène la
recherche aérospatiale. Très tôt engagée dans la conquête de l’espace, certains de ses
chercheurs se sont penchés sur le phénomène des débris orbitaux. Ainsi, à partir d’un
noyau de scientifiques persuadés du bien-fondé de leurs analyses, s’étend la
conviction que ces débris sont une menace pour la sécurité des activités spatiales. La
discrimination n’est pas faite entre les débris générés par une activité « normale »
d’occupation du milieu (lancement, risque de collision et fin de vie des satellites) et
des actions humaines intentionnelles destinées à polluer l’espace (destruction
intentionnelle de satellites en orbite). Ce noyau de scientifiques est à l’origine de la
naissance de la communauté épistémique. Enfin, parmi les administrations
sectorielles moins marquées « défense », se trouve également la National Oceanic
and Atmospheric Administration (NOAA) sous la tutelle du département du
Commerce. La NOAA utilise les données des satellites afin de surveiller les océans et
l’atmosphère. Cette administration est le fer de lance d’une coopération active et
fructueuse entre la NASA et le CNES au travers du programme d’observation des
océans, JASON.

1.1.1.1.4. La Space Data Association : acteur du troisième cercle


contribuant à la sécurité des activités spatiales
Dès les années 1980, la prolifération des débris spatiaux liés aux projets des armes
antisatellites (ASATs) est une préoccupation de la part des opérateurs privés :

“A concern of private industry which was backed up at the workshop is


the problem of space debris from ASAT weapons test. Studies mentioned at
the workshop indicate that a significant source of debris in low-altitude
orbit is Soviet ASAT testing and ASAT-related activity. ASAT tests at or
near geosynchronous orbit would be of considerable concern to
communications satellite companies.” 163
Les acteurs privés y voient une menace pour leur commerce, notamment en orbite
géostationnaire. Parmi les acteurs du troisième cercle, les membres de l’« association

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

des données spatiales » jouent un rôle fondamental dans la prise de conscience de la


nécessité de gérer le trafic satellitaire. L’association rassemble des opérateurs de
satellites, principalement américains et exerçants dans les télécommunications
spatiales 164. Ces derniers participent à l’élaboration de la norme en promouvant le
partage des données orbitales entre opérateurs, renforçant ainsi la sécurité des
activités spatiales. Ses membres n’ont pas attendu que les Etats se mettent d’accord
sur le partage de données. Leur besoin était urgent et de ce fait, ils ont devancé les
actions poussives des Etats. Mais l’ambition de cette association va bien au-delà.
Depuis l’été 2014, elle coopère, via un accord officiel, avec le Département de la
Défense américain et d’autres agences gouvernementales liées au domaine spatial.

“SDA will continue to collaborate with and seek participation by other


governmental, commercial, and intergovernmental stakeholders as we
promote safe and responsible operations and preservation of the space
environment.” 165

Cet accord semble attester de l’efficacité d’action des acteurs privés au détriment de
l’acteur étatique, dans la gestion d’un problème tel que le trafic spatial. Cependant, il
est à noter que cette surveillance de l’espace ne s’applique encore « que » pour les
orbites géostationnaires (36 000km).

“The agreement demonstrates that even the most advanced government


space operators recognize SDA’s ability to provide important and
valuable services to manage operational risk, including performing
conjunction assessments and activities to mitigate electromagnetic
interference (EMI).” 166

163
Arms Control in Space: Workshop Proceedings, Washington, D. C.: U.S. Congress, Office of Technology Assessment,
OTA-BP-ISC-28, May 1984), p. 18.
164
Inmarsat, Intelsat, SES, Eutelsat, Airbus Defense & Space etc.
165
Discours du président de la SDA, Ron Busch, le 08 août 2014, Ile de Man.
166
Discours du président de la SDA, Ron Busch, le 08 août 2014, Ile de Man.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Dans le même temps, la SDA peut être un intermédiaire efficace, utilisé par le
gouvernement américain pour établir des normes/standards internationaux. Cette SDA
pose ainsi de multiples questions aux acteurs français du secteur spatial, notamment
sur l’opportunité ou non d’y adhérer.

1.1.1.1.5. La place et le rôle du Congrès dans le débat spatial


En matière de débat sur la définition de la politique spatiale, il serait malaisé de tenter de
comparer le parlement français et le Congrès américain.

« Nous avons été frappé, lors de notre déplacement aux Etats-Unis par la
place qu’occupe le Congrès dans l’élaboration de la politique spatiale. La
NASA est en effet en constante négociation avec les deux chambres pour la
définition des objectifs et des budgets de sa politique. Le secteur spatial
n’est certes qu’une illustration parmi d’autres des différences d’approches
entre parlements français et américains. Il nous paraît néanmoins légitime
qu’en France, le Parlement puisse être saisi, à intervalle régulier, de la
politique spatiale française et de la vision défendue au niveau européen
par notre pays. » 167

Il s’agit bien évidemment d’une vision très personnelle des parlementaires français qui
n’ont une connaissance que partielle du fonctionnement des institutions américaines.
Les membres du Congrès peuvent être considérés comme des déterminants internes de la
politique étrangère des Etats-Unis. Ainsi, l’opportunité ou non de soutenir le CoC fait
l’objet d’un réel débat. A l’inverse, ni en France, ni en Europe, ce débat n’a lieu. Cela est
lié pour partie à la culture spatiale omniprésente dans un cas et non dans l’autre. Chaque
membre du Congrès est capable d’avoir une position sur la politique spatiale. Cela en fait
un enjeu national.

Déjà, en 1983, Reagan combat l’opposition du Congrès aux tests ASAT, ce dernier
concourant alors à la non-prolifération des débris.

167
Catherine Procaccia, Bruno Sido, « Europe spatiale : l’heure des choix », Office Parlementaire d’Evaluation des Choix
Scientifiques et Technologiques, 7 novembre 2012, p. 18.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

“(…) we should continue to press for elimination of the testing moratorium


[Congressional moratorium on testing against an object in space] at the earliest
opportunity so that the flight test program can be completed and the system enter
production as soon as possible.” 168
Le moratoire que cite Reagan est celui imposé par le Congrès, lui-même influencé par le
moratoire unilatéral prononcé par Iouri Andropov (URSS) en août 1983, quelques mois
après l’annonce retentissante du président américain de mettre en place l’IDS, le 23 mars
1983. Une opposition se fait alors jour entre les stratèges du Pentagone et les représentants
du Congrès. Les premiers tiennent tête et maintiennent le placement en orbite de deux
satellites cibles lancés par l’Armée de l’air américaine le 12 décembre 1985. Cependant les
seconds font annuler les tests prévus en 1986 puis mettent un terme définitif au
développement du missile MHV en 1988 en coupant les financements. Le réel pouvoir du
Congrès est alors de maîtriser la procédure budgétaire dans l’autorisation et l’attribution de
financements à un programme. C’est de cette manière qu’il peut influencer les décisions de
l’exécutif. Les essais des armes ASAT restent autorisés à la condition que le président en
avertisse au préalable les membres du Congrès et que cet essai réponde à une menace
réelle 169.
Le Congrès a nourri une véritable réflexion sur le milieu spatial au travers de l’Office of
Technological Assessment (OTA) et de ces rapports de 1972 à 1995. L’OTA est composé
de membres issus des deux Chambres du Congrès, à savoir le Sénat et la Chambre des
représentants. Cela permet au Congrès d’avoir une influence sur l’exécutif quant aux
décisions relevant de la science et de la technologie. L’OTA a publié sept rapports 170 sur le
milieu spatial dont un sur la course aux armements dans l’espace en mai 1984, intitulé
Arms Control in Space. Les contributeurs à cette réflexion sont des scientifiques (Los
Alamos National Laboratory, Lawrence Livermore National Laboratory), des
universitaires (Harvard University, Georgetown University, Massachusett Institute of
Technology), des acteurs privés (System Planning Corp., Science Applications, Inc.

168
Ronald Reagan, “Anti-satellite (ASAT) Program”, National Security Decision Directive n°258, National Archives and
Records Administration, 6 février 1987,
http://www.reagan.utexas.edu/archives/reference/Scanned%20NSDDS/NSDD258.pdf
169
Hubert Fabre, L’usage de la force dans l’espace: réglementation et prévention d’une guerre en orbite, Bruxelles, Ed.
Bruylant, 2012, p. 31.
170
Accessibles sur le site OTA Legacy, http://www.princeton.edu/~ota/index.html
Access to Space : The Future of U.S Space Transportation Systems (avril 1990), Affordable Spacecraft: Design and Launch
Alternatives (Janvier 1990), Directed Energy Missile Defense in Space (avril 1984), Arms Control in Space (mai 1984), Big

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Rockwell International etc.), des cabinets d’avocats (Caplin and Drysdale), des think tanks
(Federation of American Scientists, The Brookings Institution etc.) et bien sûr des membres
du Congrès. Fort de leur majorité aux deux chambres du Congrès en 1994, les
Républicains suspendent les financements attribués à l’OTA et obtiennent sa suppression
en 1995. Depuis 2008, le think tank Federation of American Scientists compile les rapports
de l’OTA. L’Union of Concerned Scientists entame des actions afin de restaurer l’OTA.
Les membres du Congrès réagissent aux changements d’orientation qui selon eux engagent
la nation toute entière. Ainsi, en mars 2010, des parlementaires américains déposent deux
projets de loi afin de contraindre l’administration Obama de revenir sur sa décision
d’abandonner les navettes spatiales, prévue pour fin 2011. Leurs angoisses est de dépendre
des Russes et des sociétés privées. L’abandon des vols habités fait réagir les Américains en
général et leurs représentants en particulier. La peur sous-jacente est de perdre leur statut
de grande puissance. L’abandon de « Constellation » (programme de retour sur la Lune) a
inquiété de nombreux parlementaires américains. Les parlementaires réagissent de la
même manière à la décision de l’exécutif d’apporter un soutien au CoC. Il existe une
interaction dense et permanente entre les hauts fonctionnaires de l’exécutif et le Congrès.
Les hauts responsables du Pentagone et du Département d’Etat sont constamment à
l’écoute des parlementaires qui peuvent les convoquer et les interroger, et peuvent surtout
décider de s’opposer à la politique qu’ils mènent, notamment en coupant leurs
financements. Ces auditions (hearings) voire ces commissions d’enquête (congressional
investigations) permettent aux élus du peuple d’exercer leur pouvoir face aux technocrates
de Washington en leur posant toute sorte de questions. Le « sujet espace » est abordé de
manière récurrente lors de ces interventions.
D’un point de vue organisationnel, le Congrès compte 535 parlementaires dont 100
sénateurs (deux par Etat) et 435 représentants (Chambre des représentants), chacun élu
dans une circonscription de taille démographique égale. Les représentants sont soumis à
leur électorat tous les deux ans et donc à des obligations de campagne électorale. Les
sénateurs sont en campagne tous les six ans. Leur élection est largement empreinte de
localisme. C’est la circonscription pour le représentant, ou l’Etat pour le sénateur qui

Dumb Boosters: A Low-Cost Space Transportation Option? (1989), Civilian Space Policy and Applications (1982), Civilian
Space Station and the U.S Future in Space (1984).Site consulté le 15 mai 2013.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

compte le plus. De ce fait, l’intérêt que portent les parlementaires à la politique étrangère
provient souvent des préoccupations particulières de leur électorat ou des lobbies qui les
soutiennent. A cet égard, le rassemblement d’élus des deux partis dans un caucus (groupe
de parlementaires partageant un intérêt précis et généralement une approche particulière
sur un dossier particulier) permet de susciter l’intérêt pour certains problèmes. Dans une
certaine mesure le caucus dédié aux questions spatiales trouve son équivalent français dans
le GPE (Groupe des Parlementaire pour l’Espace). Il s’agit du Congressional Space
Caucus 171. De plus, le Florida Space Caucus 172 rassemble les Etats de Floride, Californie,
Virginie et Colorado et se consacre aux problématiques spatiales. Sur ses terres, la Floride
accueille le Centre Spatial Kennedy et des industries liées à l’espace. La Californie, elle,
bénéficie de l’activité de la base militaire de Vandenberg, site de lancement et implantation
du JSpOC. Ces caucus peuvent disposer d’une influence politique non négligeable. La
défense de leurs intérêts économiques locaux peut les pousser à adopter certaines positions.
Il faut rappeler que la définition de la sécurité spatiale est un réel enjeu, car elle peut
engendrer des investissements dans le domaine des hautes technologies.

Sans nul doute les acteurs décrits ci-dessus contribuent à la définition de la norme sur
la sécurité des activités spatiales. Mais avant la prise en compte par ces acteurs du
thème de la sécurité des activités spatiales sous le prisme des débris spatiaux, il faut
se focaliser sur le rôle de l’action des « entrepreneurs de la norme » qui sont
intervenus en amont. Ces derniers relayent leurs croyances via des « plates-formes
organisationnelles » appelées ici forums. Leur principal mode d’action est la
« persuasion » 173. L’émergence du problème des débris spatiaux est donc à attribuer à
ces acteurs scientifiques.

1.1.1.2. Le rôle de la communauté épistémique nationale dans la mise


sur agenda du problème des débris spatiaux

Cette sous-partie a pour objectif d’analyser le processus en amont qui a donné


naissance à une politique publique des débris spatiaux, inscrite dans la Directive
Présidentielle des Etats-Unis, faisant office de politique spatiale, le 1er février 1988.

171
http://repository.cmu.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1145&context=hsshonors
172
http://spacecaucus.com/
173
Martha Finnemore, Kathryn Sikkink, op. cit., p. 898.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

L’hypothèse est celle de l’action d’un nombre restreint de scientifiques américains


qui seraient à l’origine de la naissance d’une communauté épistémique nationale aux
Etats-Unis. Cette dernière considère que les débris orbitaux sont un problème, et qu’il
doit être pris en compte par les pouvoirs publics. Leur objectif est donc de persuader
les acteurs du premier et deuxième cercle. Considérant que le problème des débris est
un problème collectif, ils souhaitent l’inscrire sur l’agenda politique. Cette
inscription permet la constitution du problème en tant que problème politique. Il fera
ainsi l’objet d’une politique publique. Dès le début, les actions menées par ces
scientifiques dénotent une ambition de diffusion internationale de leurs croyances. Le
concept de communautés épistémiques (CE) rend compte de l’existence de « réseaux
de professionnels ayant une expertise et une compétence reconnues dans un domaine
particulier qui peuvent faire valoir un savoir pertinent sur les politiques publiques du
domaine en question » 174. Pour la thématique des débris spatiaux, il est question dans
un premier temps de l’existence d’une communauté épistémique nationale. Ce type
de configuration a déjà été évoqué par Emmanuel ADLER lorsqu’il suppose
l’existence aux Etats-Unis d’une communauté épistémique nationale de l’arms
control 175. Cette dernière, en influençant les acteurs du premier cercle, aurait permis
l’émergence d’un régime, celui du traité sur la limitation des systèmes antimissiles
balistiques de 1972 (dit traité ABM). Ce travail de thèse se nourrit de l’analyse de
l’émergence de la norme nationale chez Adler pour celle relative aux débris orbitaux.
Les succès de la communauté épistémique ne sont pas systématiquement assurés dans
le temps. Le traité ABM de 1972 a en effet été dénoncé en décembre 2001 par
l’administration de George W. Bush. Cette dénonciation n’est pas sans lien avec
l’émergence par la suite du Code de conduite pour la sécurité des activités spatiales.
En effet, les systèmes antimissiles balistiques peuvent constituer dans le même temps
de véritables armes antisatellites. De même, la CE nationale qu’Adler étudie est
composée de membres qui sont aussi ceux à l’origine de l’émergence de la norme sur
la sécurité des activités spatiales. Au-delà d’Adler, les réflexions de Mai’a K. DAVIS

174
Peter M. Haas, « Introduction: epistemic communities and international policy coordination », International Organization,
Winter 1992, vol. 46, n° 1, p. 3 (cite in Bossy, T., Evrard, A., « Communauté épistémique », in Boussaguet, L., Jacquot, S.,
Ravinet, P. (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po, 2010, p. 140-141. Lire aussi du même
auteur “Do Regimes Matter? Epistemic Communities and Mediterranean Pollution Control”, International Organization,
Vol. 43, N° 3 (Summer, 1989), pp. 377- 403.
175
Emmanuel Adler, « The Emergence of Cooperation : National Epistemic Communities and the International Evolution of
the Idea of Nuclear Arms Control », International Organization, 46, n°1, Winter, 1992.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
176
CROSS permettent de faire le point sur la notion de CE et d’en restreindre les
utilisations parfois abusives. En somme, cette sous-partie tend à analyser la
constitution de la CE nationale sur la limitation des débris spatiaux, puis son action
sur le processus de mise sur agenda du problème qu’elle définit. Ces actions ne se
limitent pas aux acteurs du premier et deuxième cercle. L’ensemble de ces acteurs,
nombreux, évoluent dans un environnement complexe où se croisent les idées, les
institutions comme contraintes ou comme facilitateurs et les intérêts des uns et des
autres. Ces variables indépendantes qui orientent la décision forment le cadrage dit
des « 3 I » 177. Les 3 I ne sont pas à dé-corréler des acteurs, ils n’ont pas d’existence
en soi. Les acteurs les construisent, les utilisent ou les subissent. L’analyse de ces
variables participe à la compréhension du processus d’élaboration d’une politique
publique. Conformément à l’approche néolibérale, il est nécessaire d’étudier
comment les idées et les intérêts portés par les acteurs sont liés aux faits matériels. Il
n’est pas question de postuler a priori qu’une variable a plus d’influence qu’une autre
sur le processus d’élaboration de la politique publique relative aux débris orbitaux.
Les 3 I sont imbriqués et leur étude en est rendue complexe. Le désordre apparent de
l’ensemble de ces variables ne doit pas faire renoncer à la volonté d’y mettre de
l’ordre 178. Cela commence par établir que le temps des idées est rythmé par un temps
long, le temps des institutions par une temporalité intermédiaire et le temps des
intérêts par un temps court. Les acteurs animent les trois variables. Les idées portées
par les acteurs défendant la sécurité des activités spatiales datent de la conquête de
l’espace, leur évocation au sein des institutions existent peu de temps après, mais
l’intérêt des acteurs décisionnels (étatiques) à faire véritablement émerger cette
norme est un phénomène récent et semble même s’inscrire dans un créneau de temps
limité, le temps d’une fenêtre d’opportunité, d’un mandat politique. Ainsi, il faut
analyser le positionnement des acteurs ou groupes d’acteurs par rapport au problème
et les finalités.

176
Mai’a K. Davis Cross, « Rethinking epistemic communities twenty years later », Review of International Studies, British
International Studies Association, 2012, p.1-24.
177
Bruno Palier, Yves Surel (dir.), Quand les politiques changent. Temporalités et niveaux de l’action publique, Paris,
L’Harmattan, coll. Logiques politiques, 2010.
178
Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe, Paris, Seuil, avril 2005, p. 21.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

1.1.1.2.1. Le noyau de la communauté épistémique : les


scientifiques de la NASA
Les recherches sur les débris spatiaux sont l’apanage d’une poignée de scientifiques
de la NASA. Il faut dans un premier que la NASA, en tant qu’acteur corporatif, fasse
siennes les conclusions des recherches de ses propres chercheurs. De plus, les acteurs
individuels subissent des arbitrages financiers pouvant jouer en défaveur de leur
domaine de recherche. Les acteurs individuels de la NASA tentent alors de
convaincre les autres scientifiques de la NASA du bien-fondé, de la légitimité et de
l’utilité de leurs recherches. C’est ensuite l’acteur corporatif NASA qui par son action
stratégique agit sur le processus décisionnel politique. Le travail amorcé dans les
années 1970 par certains scientifiques de la NASA s’effectue sur un temps long, celui
des idées. L’embryon de CE sur le problème des débris est donc national, composé de
scientifiques de la NASA puis d’experts et techniciens en débris orbitaux.
“This social interactionist approach driven by a small “epistemic
community” of NASA experts and associated U.S debris scientists had
begun to make a difference, although military tests did not cease
completely.” 179
Définir la prolifération des débris comme un problème signifie en amont qu’un
processus de problématisation d’une condition a opéré. En effet, il y a donc eu « une
phase de problématisation au cours de laquelle un certain nombre d’acteurs vont être
amenés à percevoir une situation comme « anormale » et vont la qualifier d’une
manière particulière, qui peut être susceptible d’appeler l’attention d’un acteur
public. » 180. Il s’agit d’un noyau de quelques scientifiques américains à la tête duquel
se dégage une figure emblématique, Donald Kessler. Cette petite équipe de
scientifiques américains est la première à identifier la condition des débris comme un
problème 181 et à le construire socialement. Le but de ces entrepreneurs de normes est
donc d’inscrire « leur » problème sur l’agenda politique.
“(…) there was no national recognition that an orbital debris problem
existed...in fact, most agencies were highly skeptical.” 182

179
John Clay Moltz, The Politics of Space Security...op. cit., p. 177.
180
Pierre Muller, Yves Surel, L’analyse des politiques publiques, Paris, Montchrestien, 2000, p. 57.
181
La phase d’ « identification du problème » rappelle la première phase de l’approche séquentielle de Charles O. Jones, An
introduction to the Study of Public Policy, Belmont (Californie), DuxburyPress, 1970.
182
Donald J. Kessler, “A partial History of Orbital Debris: A personal View”, Orbital Debris Monitor, Vol. 6, N°3, p. 16-20,
1er juillet 1993, et Vol. 6, N°4, p.10 -16, 1er octobre 1993.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Leurs actions sont motivées, telles que définies dans le cycle des normes, par
l’altruisme, l’empathie et l’engagement idéel. Leur but est atteint le 1 er février 1988
lorsque la Directive Présidentielle 183 inscrit le problème des débris sur l’agenda et
établit une politique publique des débris spatiaux, la Space Debris Policy. Le
processus de mise sur agenda s’apparente à un des deux modèles qualifiés par
Philippe Garraud de « silencieux » 184. En effet, il s’opère au sein d’ « espaces
confinés » où le problème est défini par des acteurs spécialisés (experts, acteurs
administratifs, groupes d’intérêt), qui ne bénéficient pas d’une attention publique,
médiatique et politique (au moins dans un premier temps). La problématisation et
l’accès à l’agenda politique sont attribués aux actions de la communauté épistémique
nationale. Il est nécessaire de se pencher sur la constitution de cette communauté pour
en comprendre les ressorts.
Donald J. Kessler est l’acteur individuel qui incarne la problématisation des débris
orbitaux. Il s’agit d’un astrophysicien américain et scientifique au sein de la NASA. Il
a un rôle majeur dans l’identification du problème. Il acquière une certaine visibilité
auprès d’experts et de scientifiques grâce à son article rédigé en 1978 185. Ce dernier
expose son diagnostic et ses conclusions quant à la prolifération des débris causée par
les collisions entre satellites artificiels et formant ainsi à terme une « ceinture de
débris ». Son article scientifique est agrémenté de diagrammes dont certains prévoient
l’augmentation du nombre des débris, conséquence des collisions en orbite à venir.
Son modèle donne à voir une situation critique en 2020 si rien n’est fait. Son étude
problématise ce qui jusque-là était une condition : la prolifération des débris en
orbite.
“Under certain conditions the belt could begin to form within this century
and would be a significant problem during the next century.” 186
Il établit un modèle mathématique permettant d’estimer à quel moment cette
« ceinture de débris » se formera. Cette étude sensibilise et mobilise d’autres
scientifiques de la NASA ainsi que des spécialistes américains des débris. L’effort

183
Presidential Directive on National Space Policy”, 11 février 1988,
http://www.hq.nasa.gov/office/pao/History/policy88.html
184
Philippe Garraud, “Politiques nationales: l’élaboration de l’agenda”, L’année sociologique, pp. 17 – 41, 1990.
185
Donald J. Kessler et Burton G. Cour-Palais, "Collision Frequency of Artificial Satellites: The Creation of a Debris Belt,"
Journal of Geophysical Research, Vol. 83, n° A6, 1 June 1978.
186
Ibid. p. 2637.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

fait par Kessler et son équipe permet la création en 1979 du bureau « Programme des
Débris Orbitaux » de la NASA (NASA’s Orbital Debris Program Office), implanté au
Centre Spatial Lyndon B. Johnson à Houston, Etats-Unis. Le modèle théorisé par
Kessler est alors connu sous l’expression de « syndrome de Kessler », qui rend
compte de manière simplifiée de la prolifération des débris. Elle consiste à expliquer
que la quantité de débris spatiaux pourrait atteindre un seuil, où eux-mêmes vont en
produire d’autres, provoquant ainsi une réaction en chaîne, menant à la fin de
l’exploitation de l’espace par l’Homme. Cette simplification découlant d’une
théorisation scientifique du problème, détermine son potentiel de diffusion 187.
Cependant, la simplification prend le risque d’isoler ce risque au détriment d’un autre
ou encore d’éluder ce qui est lié à ce phénomène (il ne peut y avoir d’utilisation de
l’espace sans production, même a minima, de débris). Suite à leurs travaux, Kessler et
son équipe sollicitent une action politique. Celle-ci passe effectivement vers
l’établissement de normes, internes dans un premier temps. A ce titre, ces
scientifiques et experts apparaissent comme des entrepreneurs de normes.
« Norm entrepreneurs are critical for norm emergence because they call
attention to issues or even « create » issues by using language that names,
interprets, and dramatizes them » 188
Kessler retrace lui-même les étapes qui ont permis au problème des débris
d’apparaître pour la première fois sur la Directive Présidentielle, établissant une
politique publique des débris 189. Il divise la période en quatre temps: the limited
studies period (1966-1972), the transition period (1974-1979), the Program
development period (1979-1988) et the post presidential directive period (1988-
present [1993]). Sans détailler chacune de ces périodes, il est essentiel pour notre
thèse d’en signifier les étapes décisives qui concourent à la mise sur agenda
nationale. Ce sont d’abord les débris naturels (météorites, astéroïdes) qui ont fait
l’objet d’études approfondies au regard de l’intérêt politique qu’ils suscitaient. En
effet, en annonçant publiquement que des hommes seraient envoyés sur la Lune et
qu’ils seraient ramenés sur terre sains et saufs, le Président John F. Kennedy 190

187
Cet aspect est fondamental afin de comprendre le potentiel de diffusion des croyances et des idées tant au niveau national
qu’international.
188
Martha Finnemore… ,op. cit., p. 897.
189
Donald J. Kessler, “A partial History…”,op. cit.
190
Discours du 25 mai 1961.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

engage sa responsabilité devant la nation américaine mais aussi devant le monde


entier, et cela en pleine Guerre froide. Cette ambition spatiale implique de
comprendre les dangers liés à l’environnement spatial et notamment de caractériser
les dangers liés aux météorites. Ceci est particulièrement critique pour les vols
habités (Programme Apollo et programme militaire Manned Orbiting Laboratory en
1963). Ainsi dès 1960, la NASA se dote d’un groupe de recherche sur les météorites.
Les outils utilisés sont des stations d’observation au sol, certaines pour
photographier, d’autres utilisant des radars, mais aussi des expériences faites en
laboratoire afin de mesurer les impacts sur les engins spatiaux. Des senseurs ont été
utilisés, placés à bord des satellites Explorer 16, Explorer 23 et Pegasus. Ces
dispositifs permettent de publier des études statistiques. L’environnement spatial tel
qu’il est compris en 1967 montre un danger mineur pour la majorité des vols habités.
L’évaluation ayant démontré que le risque est faible, la NASA cesse ces recherches.

“(…) collision probabilities (…) were less than a factor of 2 apart.


However the study also indicated that the number of untrackable
fragments (…) constitutes an insignificant increase in the total number of
objects in Earth orbit and hence can be neglected in the calculation of
collision probabilities.” 191

Mais dans les années 1970, le projet Skylab change quelque peu la donne. En effet,
contrairement aux missions précédentes, cette station spatiale est plus grande en taille
et doit rester en orbite plus longtemps. Elle est donc exposée davantage aux dangers
de l’environnement spatial. Ces arguments relancent les recherches dans les années
1970. La population non cataloguée des débris est donc reconnue par la NASA
comme augmentant les facteurs de probabilités et de risque. Le NASA’s Marshall
Space Flight est en charge des calculs de probabilités sur collision mais selon
Kessler, ce travail effectué par des spécialistes de mécanique spatiale (« orbital
dynamics ») néglige certains aspects tels que la désintégration des satellites ou la
détection des petits débris. Les résultats sont alors faussés selon lui et les dangers
minorés, véhiculant ainsi des idées erronées :

191
Ibid., p. 3.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

“Finally, there were many false impressions by both the public and high
level DoD and NASA management about orbital debris that were simply
untrue. Some of these false impressions were NORAD [North American
Aerospace Defense Command] is tracking all man-made objects. Space is
infinite. Space is self cleaning. Objects in space float relative to one
another rather than collide at high velocities. Objects placed in space
remain intact. Debris control means limiting the number of payloads in
orbit.”” 192

A ce stade embryonnaire de la constitution d’une CE, la concurrence entre les idées


est déjà présente. De plus, cette idée « nouvelle » se heurte à la contrainte exercée par
les institutions. Plusieurs fois, les financements alloués aux recherches de Kessler
sont suspendus et les personnes travaillant sur ces sujets affectées au sein de
nouvelles équipes. Cependant, Kessler utilise également les institutions comme une
ressource en établissant une coopération avec le NORAD via le Space Defense
Center, afin d’obtenir des données radar venant corroborer ses arguments liés aux
dangers croissants provoqués par les débris orbitaux. Cet accès lui permet d’écrire un
article avec Burton G. Cour-Palais qui marque un tournant dans la prise en compte
des débris comme problème. Ils présentent alors un modèle à partir des débris
observés puis extrapolent dans le temps les résultats afin de prévoir la fréquence des
collisions entre satellites. Les intérêts de Kessler rencontrent alors ceux de la
Défense. Ceci a été facilité par deux événements : la rentrée atmosphérique du
satellite COSMOS 954 (en janvier 1978) et celle de Skylab (le 11 juillet 1979). Ces
événements attirent l’attention du Secrétaire d’Etat américain notamment parce qu’ils
pourraient présenter un risque pour la sécurité nationale. Devant le Sénat et le sous-
comité sur le futur de l’espace de la House of Representatives 193, l’article des deux
scientifiques est cité avant sa publication. De plus, bien que le COSMOS 954,
satellite militaire soviétique, rentre prématurément de son voyage dans l’espace à
cause officiellement d’une défaillance technique, des rumeurs, relayées par les

192
Ibid., p.4.
193
La House subcommittee meetings on the future of space au sein de ce qui peut être vu comme l’équivalent du Parlement
français.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

médias, prétendent que le COSMOS 954 a été victime d’une collision avec un débris
dans l’espace ayant entraîné la perte de contrôle du satellite. Le COSMOS 954 s’est
finalement écrasé au Canada disséminant ses débris radioactifs en grand nombre. Ce
premier incident spatial nucléaire a un fort retentissement médiatique. La rentrée
atmosphérique prématurée de la station spatiale Skylab, faisant suite à une activité
solaire intense, provoque également une attention particulière des médias sur la chute
probable de débris sur terre. Ces deux événements donnent lieu à un nombre
important d’articles sur les débris spatiaux dans les médias. Le ton de scandale 194
adopté par les médias suite à la pollution provoquée par COSMOS 954 permet
d’opérer une prise de conscience dans l’opinion publique, au moins pour un certain
temps. On serait tenté ici d’attribuer un rôle aux médias dans la future mise sur
agenda. L’impact des médias dans ce processus est cependant à nuancer. Même s’ils
contribuent à problématiser la condition et à cadrer 195 le problème, ils ne sont qu’un
relais d’un problème porté par d’autres. De plus, il se passe encore dix ans après ces
événements pour qu’effectivement les débris apparaissent dans la politique spatiale
américaine. Cependant, cela a attiré l’attention du chef de la Division des Affaires
Spatiales des Nations Unies, Lubos Perek, qui s’intéresse alors aux travaux réalisés
précédemment par les scientifiques de la NASA. De même, c’est à cette date que
l’Aerospace Corporation 196 démarre son programme sur les débris orbitaux. Une
équipe 197 traitant des débris orbitaux est alors formellement constituée au Johnson
Space Center, en 1979, le NASA’s Orbital Debris Program Office est né. Ils sont
officiellement chargés de développer un programme, de récolter des données radar,
d’informer et de rechercher des soutiens auprès des autres agences gouvernementales
américaines. Malgré ces avancées, les débris spatiaux ne sont toujours pas reconnus
comme problème autant au sein de la NASA, au niveau national et encore moins au
niveau international. Selon Kessler, la cause en est le manque de données brutes pour
étayer leurs idées :

194
Le Time de l’époque a parlé notamment de “désastre nucléaire”, Time, « Cosmos 954 : augly death », 6 février 1978,
http://content.time.com/time/magazine/article/0,9171,945940,00.html
195
Appelé également processus de « framing », in Clark A. Miller, “The dynamics of Framing Environmental Values and
Policies: Four models of Societal Processes”, in Environmental Values, vol. 9, n°2, 2000, p. 228.
196
Aerospace Corporation est un organisme de recherche scientifique et technique conseillant l’Etat depuis les années 1960
sur les programmes spatiaux impliquant la sécurité nationale. Leur centre de recherche et de développement travaille au
profit de l’Armée de l’air américaine et de la National Reconnaissance Office (NRO). Cette institution est aussi impliquée
dans les projets au profit des agences civiles telles que la NASA, la National Oceanic and Atmospheric Administration
(NOAA), les sociétés privées, les universités et les organisations internationales.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

“There were still no firm commitment from NASA Hq. for a program;
there were no national recognition that an orbital debris problem exist
(…) Internationally, the subject had received even less attention. Finally,
and perhaps most importantly, there was little hard data supporting the
idea that a significant orbital debris population did, or could, exist.” 198

La première reconnaissance du problème des débris (mais non par des décideurs
politiques) en tant que problème national se lit dans un article du comité technique
sur les systèmes spatiaux de l’American Institute of Aeronautics and Astronautics
(AIAA) :
“This position paper was the first to address orbital debris as a national
issue; however, this by no means meant that debris was accepted as a
national issue.” 199

Le début des années 1980 est cependant fructueux pour l’équipe de Kessler. En effet,
en 1981, ses membres sont chargés de rédiger un plan sur dix ans intitulé le “Space
Debris Assessment 10-year Program Plan” et d’établir pour le mois d’avril 1988 la
position américaine officielle sur la question des débris. Enfin, au niveau
international, ils prônent la mise en œuvre d’un International Space Management
Agreement pour l’année 1990. Lors de la rédaction du programme, ils bénéficient de
nouvelles données concernant les petits débris.

“With new data becoming available and new people becoming involved
with various levels of interest, we needed to develop a common starting
spot. Therefore, I organized a 3 day “Orbital Debris Workshop” at JSC.
Beginning on July 27, 1982, the workshop was attended by about 100
representatives from industry and government.”

197
Composée de Joe Loftus, Dennis Fielder, Burton Cour-Palais, Drew Potter, John Stanley et Donald J. Kessler.
198
Donald J. Kessler, “A partial History…”,op. cit. , p. 7.
199
Ibid.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Cette première conférence nationale sur les débris orbitaux a lieu du 27 au 29 juillet
1982. La publication d’un compte rendu devient alors le travail le plus complet et le
plus abouti sur les débris spatiaux en 1982. Ce qui impressionne dans ce document est
la clairvoyance de ses auteurs dans l’exposition des causes, des conséquences et des
solutions à apporter au problème des débris spatiaux. Les éléments du débat, repris
trente ans après sur la scène internationale, sont déjà tous contenus dans ce travail.
Un autre événement leur permet enfin de persuader au plus haut niveau. En 1983, ils
démontrent concrètement pour la première fois qu’un débris orbital cause des
dommages sur une navette (7ème navette spatiale). La preuve matérielle est montrée
au sous-secrétaire à l’armée de l’air, Edward Aldrige, qui est alors convaincu. Tout
cela est présenté et discuté au premier workshop international du COSPAR
(Committee on Space Research) à Graz en Autriche en 1984. Cette manifestation
favorise la prise de conscience nationale et internationale sur les débris spatiaux. Tout
au long de la seconde moitié des années 1980, l’équipe de Cour-Palais et de Kessler
effectue des briefings auprès des « espaces confinés » que sont les institutions
américaines (administrations sectorielles du 2nd cercle) telles que le Département
d’Etat, le Département des Transports, la Division spatiale de l’USAF (United States
Air Force), le NORAD, le Strategic Defense Command et d’autres centres de la
NASA. Ce processus actif de diffusion de la connaissance doit s’adapter au public
visé. Les scientifiques décodent alors leurs données brutes afin de les transformer en
messages lisibles pour des non-scientifiques. Ce décodage n’est cependant pas
exempt de biais. Comme le rappelle Peter M. Haas, « la science n’est pas la sagesse
(ou la vérité). Les universitaires et les études scientifiques récusent la possibilité
d’une connaissance objective du monde et soulignent, au contraire, les dimensions
politiques de toute science et de toute politique scientifique. » 200. Au profit des
décideurs politiques en particulier, les entrepreneurs de normes sont chargés de
produire une « connaissance scientifique utilisable (…) Ce terme désigne alors toute
information précise utilisée par les politiques et les décideurs. Cette information doit
être précise et politiquement docile pour ses utilisateurs » 201.

200
Peter M. Haas, « Le pouvoir et la vérité », Les Courriers de la planète, n° 71, pp. 46 – 49, URL :
http://www.courrierdelaplanete.org/71/article3.php, site consulté le 15 octobre 2012.
201
Ibid.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Les informations diffusées véhiculent des croyances propres aux entrepreneurs de


normes.
« [l]’information n’est ni devinée ni une donnée brute, il s’agit du produit
des interprétations humaines de phénomènes sociaux et physiques. » 202
Les deux citations de Peter M. Haas sont sans concession pour les deux parties. Elles
ne sont pas fausses mais quelque peu excessives. En effet, le problème des débris est
réel, seules les données peuvent être sujettes à caution car dépendantes des outils
utilisés pour les récolter et non vérifiables par ceux qui ne peuvent y avoir accès. Les
décideurs politiques, eux, ne peuvent plus ignorer cette dénonciation faite par
quelques scientifiques, dont les travaux se diffusent de plus en plus à l’échelle
nationale et internationale. De plus, si problème des débris il y a, il peut avoir un
impact direct sur le programme spatial américain, en l’occurrence sur les programmes
de vols habités. Ainsi, comme le relèvent T. Bossy et A. Evrard,
« [L]es décideurs ont recours à des communautés épistémiques afin
d’élucider les relations de cause à effet, de démêler la chaîne des
événements ayant causé un problème, de définir les intérêts des acteurs en
présence et d’aider à la formulation de solutions par un cadrage des
alternatives » 203
Deux autres événements nationaux à résonnance internationale font que les
recherches sur les débris orbitaux deviennent prioritaires. En 1984, la NASA, à la
demande du Président Reagan, s’engage à construire la station spatiale internationale
plus connue sous son acronyme anglo-saxon, l’ISS pour International Space Station.
“Tonight, I am directing NASA to develop a permanently manned space
station and to do it within a decade.” 204
Les résultats des recherches sur les probabilités de collisions et leur degré de
dangerosité sont un élément crucial à obtenir lorsqu’on envisage d’envoyer en orbite
un objet de grande taille, pour un temps long, et qui plus est, avec des passagers à son
bord.
“The amount of shielding required for the space station to protect against
orbital debris increased NASA’s interest in orbital debris significantly.” 205

202
Peter, M., Haas, « Introduction: epistemic communities…», op. cit., p. 4.
203
T. Bossy, A. Evrard, op. cit., p. 142.
204
President Reagan’s State of Union Adress, 25 janvier 1984, http://history.nasa.gov/reagan84.htm

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

La décision de construire l’ISS, en emportant avec elle l’adhésion du Japon, du


Canada et de l’ESA (European Space Agency) au printemps 1985, ne peut que
sensibiliser ces derniers au sujet des débris.
Le deuxième événement à résonnance internationale est l’ambition du Département
de la Défense d’effectuer un test antisatellite (ASAT) en 1985. Le test consiste à tirer
un missile MHV (Miniature Homing Vehicle) sur un satellite américain hors d’usage.
Kessler utilise les modélisations afin de prévoir les effets du test antisatellite de
l’armée de l’air. L’étude conclut que le test produirait des débris en orbite jusque
dans les années 1990, gênant potentiellement la station spatiale. Des protections
additionnelles seraient donc requises pour cette dernière. Joe Loftus travaille avec les
dirigeants de la NASA afin de développer des alternatives et dissuader ainsi les
membres du DoD de maintenir ce test ASAT.

“All options were considered by DoD. However, the only real options,
because of congressional constrains, were to either not do the test, or to
do the test and learn as much as possible about the debris generated. The
Secretary of Defense stated that the test would be conducted.”

Les scientifiques sont davantage préoccupés par la création de débris que par la
course aux armements que ce test pourrait susciter. Cependant, on voit déjà très bien
que les deux phénomènes sont liés. Ce test, finalement réalisé, produit 300 débris
environ. De manière quelque peu paradoxale, il sert à accroître la sensibilisation du
Département de la Défense au problème des débris orbitaux.

"One small bellwether event came from outside the SDI [Strategic Defense
Initiative] program in 1985, when the air force decided to test a kinetic-
kill ASAT weapon. Over the objections of NASA scientists and other
experts who warned about the negative implications of debris, the test
went ahead. But the scientists’ concerns proved justified, and instead of

205
Donald J. Kessler, “A partial History…”,op. cit. , p. 11.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

moving forward with a series of similar tests, the United States began a
second major stage of space learning as the result of this event.” 206

Cette prise de conscience crée ses effets dans le domaine militaire :

“Within a year, the U.S defense department would adopt its first debris
mitigation guidelines.” 207

L’évolution du projet du Président Reagan, l’Initiative de Défense Stratégique,


entretient la préoccupation face aux débris orbitaux. Il s’agit alors de faire de l’espace
un champ de bataille certes, mais en créant le moins de débris possible, ce qui peut,
au premier abord apparaître une fois de plus paradoxal.

“when the Strategic Defense Command planned their Delta-180 test in


1986, where two objects were again intentionally collided in orbit,
General Abrahamson, then director of SDI, ordered that all fragments
were to reenter within a short time after the test.” 208

Comme prévu, en 1988 les représentants de la NASA élaborent une proposition


manuscrite pouvant être insérée dans la politique spatiale nationale.
“NASA representatives drafted an orbital debris statement to be included
in the President’s national space policy signed on February 11, 1988.” 209

Parallèlement, le livre de Nicholas L. Johnson et Darren Mc Knight sur les débris


artificiels a permis de sensibiliser en grand nombre d’autres scientifiques et des
décideurs politiques. Dans les deux mois qui suivent la présentation officielle de la
Directive, le premier numéro de la revue consacrée aux débris orbitaux, Orbital
Debris Monitor 210, est publié.

206
James Clay Moltz, The Politics of Space Security, Strategic Restraint and the Pursuit of National Interests, Stanford
Security Studies, Stanford California, 2008, p.177.
207
Ibid.
208
Donald J. Kessler, “A partial History…”,op. cit. , p. 12.
209
Ibid., p. 13.
210
Aujourd’hui cette revue existe toujours. Il s’agit de l’Orbital Debris Quaterly News de la NASA.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Au-delà de cette chronologie des faits, il faut revenir sur la constitution incrémentale
de la CE nationale et des conditions dans lesquelles elle acquière un poids significatif
sur les prises de décision de politique nationale. Peter M. Haas attribue à la
communauté épistémique quatre caractéristiques : (1) un ensemble de croyances
normatives et de principes qui fournissent des bases à l’action (et qui seront contenus
dans le régime); (2) des croyances causales sur l’origine du problème et les solutions
à y apporter ; (3) des critères de validité des savoirs engagés dans le traitement de
l’enjeu ; et (4) des propositions d’action publique construites sur les pratiques
communes associées au problème qui fait l’objet de leur expertise 211.
(1) Les scientifiques des débris cités plus haut agissent selon des valeurs qui leur sont
propres mais qui renvoient à l’altruisme, l’empathie et l’engagement idéel 212. Dans
leurs actions se dessinent la prise en compte de l’espace comme bien commun de
l’humanité.
« Ideational commitment is the main motivation when entrepreneurs
promote norms or ideas because they believe in the ideals and values
embodies in the norms, even though the pursuit of the norms may have no
effect on their well-being. » 213
La narration de Donald J. Kessler est en soi porteuse de croyances normatives. Il est
indéniable que ces dernières ont servi de base à l’action pour ce noyau de
scientifiques.
(2) Le problème des débris est le résultat selon ces scientifiques d’une logique
causale. Cette croyance causale est parfaitement formalisée dans l’article de Donald
J. Kessler et Burton G. Cour-Palais.
“Since the beginning of the space age, thousands of satellites have been
placed in earth orbit by various nations. (…) Because many of these
satellites are in orbits which cross one another, there is a finite
probability of collisions between them. Satellites collision will produce a
number of fragments, some of which may be capable of fragmenting
another satellite upon collision, creating even more fragments. The result

211
Peter M. Haas, « Introduction: epistemic communities and international policy coordination », International Organization,
Winter 1992, vol. 46, n° 1, p. 3 (cité in Bossy, T., Evrard, A., « Communauté épistémique », in Boussaguet, L., Jacquot, S.,
Ravinet, P. (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po, 2010, p. 143.
212
Martha Finnemore, Kathryn Sikkink, op. cit., p. 898.
213
Ibid.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

would be an exponential increase in the number of objects which time,


creating a belt of debris around the earth.” 214
La réduction de la démonstration scientifique à l’appellation de « syndrome de
Kessler », pure relation de cause à effet, est compréhensible par les profanes sans
avoir à mobiliser de connaissances scientifiques pointues. Cela a alors permis
d’atteindre un niveau de généralisation et de conceptualisation qui a favorisé sa
diffusion 215. Dans ce même document, les auteurs apportent déjà des solutions. Parmi
celles-ci, on trouve des removal mechanisms dont le retrieval [retrait] permettant de
récupérer les satellites usagés. En conclusion d’autres méthodes sont abordées:
“These methods include reducing the projected number of large,
nonoperational satellites and improved engineering designs which reduce
the frequency of satellite breakups from structural failure and explosions
in space.” 216
(3) Dans ce même article fondateur, de nombreuses données sont exposées, sous
forme de graphiques et de diagrammes. Ces données sont compréhensibles mais la
source première qui a permis leur conception n’est pas accessible. Kessler précise
juste en propos liminaires, sans s’étendre sur la question, que les données brutes sont
issues du Satellite Situation Report du 30 avril 1976 fournis par le Space Defense
Center (SDC). Cependant, dans son article historique, Kessler rappelle que maintes
fois, la condition des débris en tant que problème n’a pu être entendue à cause
d’erreurs dans la manipulation des données brutes.
“Unfortunately, due to a computer program error, Brooks’s published
collision probabilities for millimeter debris were less than previous
calculations for catalogued debris.” 217
Si ces erreurs de calculs peuvent sous-estimer le nombre des débris en orbite, on peut
légitimement émettre l’idée que les résultats exposés peuvent aussi surestimer le
nombre des débris. Or, les modèles de calculs statistiques ne sont pas remis en cause.
Les modèles de calculs de la NASA restent les modèles dominants utilisés

214
Donald J. Kessler, Burton G. Cour-Palais, “Collision frequency of Artificial Satellites…”op. cit., p. 1.
215
La théorisation des modèles comme facteur de diffusion est une approche développée par la sociologie des organisations
néo-institutionnalistes qui se focalise sur la théorisation des solutions. Ici, nous nous focalisons sur la théorisation d’un
problème, mais les effets décrits en termes de diffusion restent les mêmes.
216
Donald. J.Kessler et B. G. Cour-Palais, "Collision Frequency… », op. cit.,p.2645.
217
Donald J. Kessler, “A partial History…”,op. cit. , p. 4.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

aujourd’hui par les agences spatiales et très peu mis en cause 218. De plus, si
l’information sur la population des débris est aisément accessible, il n’en est pas de
même pour les outils et les méthodes d’évaluation et de mesure utilisés par la NASA.
(4) La majeure contribution de la CE emmenée par Kessler est l’élaboration d’une
politique publique des débris. En termes d’action publique, ils promeuvent la
diffusion des mesures de réduction des débris (space debris mitigation guidelines).
En 1995, la NASA est la première agence spatiale dans le monde à publier un
ensemble de recommandations complètes relatives à la réduction des débris orbitaux.
En 1997, le gouvernement américain développe un ensemble de pratiques standards
pour la réduction des débris orbitaux (Orbital Debris Mitigation Standard Practices)
inspiré du document de la NASA.
Peter M. Haas ne réduit pas la CE à la communauté scientifique. L’accent est mis sur
la croyance partagée au sein d’un groupe de professionnels et la foi en la vérité que
la CE souhaite incarner. Cet élargissement de la CE est repris par des analyses
contemporaines :
“I argue that the actors that comprise epistemic communities can be
governmental or non-governmental, scientific or non-scientific” 219

218
Les agences spatiales utilisent encore aujourd’hui les logiciels de la NASA pour modéliser l’évolution de la population
orbitale. Cela pose un problème de falsifiabilité. Seul le CNES a décidé en 2012 de réaliser une évaluation indépendante qui
a d’ailleurs montré des résultats différents.
219
Mai’a K. Davis Cross, « Rethinking epistemic communities…”,op. cit., p.11.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

1.1.1.2.2. L’élargissement de la communauté épistémique aux


« experts » internationaux
La CE ne se limite pas aux seuls scientifiques de la NASA en charge des débris
spatiaux mais se constitue en réseau 220 où l’on retrouve pêle-mêle des experts se
revendiquant indépendants, ceux issus de think tanks et des penseurs stratégiques du
domaine spatial. Cet élargissement de la CE est le résultat d’une volonté des membres
de la CE originelle de ne pas persuader uniquement les décideurs politiques mais
aussi les acteurs non-étatiques. De plus, même si la CE élargie tente de peser sur les
décisions des acteurs du premier cercle, ce sont ces derniers qui les mettent en
situation d’expertise, qui les sollicitent. On peut alors s’interroger sur l’utilisation de
la science décodée par les décideurs. Ces experts font partie de l’acteur collectif
qu’est la CE. La question ici est de comprendre dans quelle mesure cette CE constitue
véritablement un acteur collectif. En effet, il est peu probable que, de manière
spontanée, une perception commune face à un problème particulier apparaisse.
L’analyse de la co-construction de cette perception est riche d’enseignement sur les
aspects cognitifs et motivationnels des acteurs. Enfin, la thèse s’évertue à décrire les
conditions dans lesquelles l’acteur collectif CE, s’il en est, peut influencer le pouvoir
politique.
Au-delà des scientifiques, les penseurs stratégiques participent à la construction de
cette perception. Ils sont souvent issus de grandes universités américaines. Ils peuvent
être plus ou moins affiliés à une tendance politique même si leurs recherches tendent
vers une certaine neutralité. Parmi les penseurs stratégiques les plus influents on peut
citer James Clay Moltz, Joan Johnson-Freese, John M. Logsdon, Peter Hays, John J.
Klein, John B. Sheldon, Everett C. Dolman, G. Ryan Faith, Benjamin S. Lambeth,
Forrest E. Morgan et Steven Lambakis. De la même façon qu’au sein des think tanks,
se dessinent deux tendances, schématiquement la tendance républicaine et celle
démocrate. La première promeut le développement de nouvelles capacités spatiales
militaires offensives au nom de l’intérêt national (armes sol-espace, air-espace, armes

220
Cela peut faire référence à la définition donnée par Margaret E. Keck et Kathryn Sikkink du “transnational advocacy
network” incluant des “actors working internationally on an issue, who are bound together by shared values, a common
discourse, and dense exchanges of information and services.”, in “Transnational advocacy networks in international and
regional politics”, International Social Science Journal, Oxford, Blackwell Publishers, UNESCO, Vol. LI, n°159, 1999, pp.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

dans l’espace) répondant ainsi au mieux au dilemme de sécurité spatial émergent.


Leur but est d’éviter un « Pearl Harbour spatial » 221. Ils sont conscients que de cette
manière ils alimentent eux-mêmes le dilemme de sécurité. Cependant, selon eux, les
Etats-Unis ne peuvent préserver leur liberté dans l’espace que de cette manière. La
seconde tendance souhaite un renforcement des normes, des règles et même des textes
juridiques contraignants, voyant en eux l’unique moyen de se prémunir contre une
nouvelle course à l’espace. Ils rejettent l’effet dévastateur du dilemme de sécurité ou
au moins en réinterprètent les conclusions dans une approche néolibérale. La
deuxième partie de cette thèse montrera comment ces deux tendances ont influencé
l’administration démocrate américaine de l’ère Obama.
L’effet produit par le projet reaganien d’Initiative de défense stratégique est une
bonne illustration de l’élargissement des membres composants la CE. En effet, le
noyau de scientifiques opposés à cette initiative est rejoint par des partisans de l’arms
control. De plus, étant sollicités pour leur expertise sur le sujet, les membres des
administrations sectorielles du second cercle, dont la NASA, ont une facilité d’accès
aux décideurs politiques. Dans le même temps, étant en situation de dépendance et
hiérarchiquement soumis au premier cercle, ils ne peuvent critiquer ouvertement le
projet. Les répertoires d’action ne sont pas les mêmes. Les acteurs non étatiques
deviennent alors les relais des croyances partagées avec les scientifiques. Comme
explicité précédemment, il est clair que l’exécution de tests ASAT et la production de
débris sont intimement liés 222. Ainsi les opposants au projet de « guerre des étoiles »
(IDS) deviennent des opposants à la prolifération des débris dans l’espace. Regroupés
au sein de think tanks, ces relais peuvent être des scientifiques mais pas seulement.
Dans les années 1980, l’Union of Concerned Scientists 223 s’oppose à l’IDS. Sur son
site internet, le groupe revendique une responsabilité dans la modération politique
appliquée aux projets IDS.

89- 101. Même si cette définition semble conforme à cette thèse, ce concept reste trop flou. Celui de CE permet de mieux
analyser les ressorts et mécanismes d’une telle communauté transnationale.
221
Expression employée dans le rapport de la Commission Rumsfeld en 2001, U.S House Armed Services Committee,
« Report of the Commission…”, op. cit., Executive Summary, p. vii-viii. Cette expression a été aussi été employée
auparavant par l’administration américaine lors de la mise en orbite du premier satellite artificiel dans l’espace en 1957,
objet soviétique, qui a alors été vécu par les Américains comme un échec de leur politique spatiale.
222
Ceci peut paraître relativement évident mais les débris sont également issus d’autres phénomènes (étages de fusée après
lancement, satellites hors d’usage etc.)

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

“In the 1980s, our research and public education campaign opposing
President Ronald Reagan's Strategic Defense Initiative ("Star Wars")
helped force the government to scale back the program.” 224
Dans sa présentation, l’UCS se présente comme un groupe exerçant une science
engagée (« engaged science »), mais dans le même temps, affirme chercher la vérité
(« seek the truth »). Les Etats-Unis comptent un nombre important de groupes de
réflexion, appelés think tanks dont la vocation est de conseiller mais aussi
d’influencer les décideurs politiques. Certains ont une tendance politique affichée,
d’autres se déclarent non-partisans. Tous ces think tanks véhiculent des croyances
normatives qui peuvent être en concurrence. Il en est de même pour la norme relative
à la sécurité des activités spatiales. Depuis le début des années 2000, de nombreux
think tanks spécialisés dans les réflexions liées à la sécurité internationale, se sont
intéressés à l’espace et la plupart du temps sous l’angle de la course aux armements et
son corollaire, la prolifération des débris. Beaucoup d’entre eux ont écrit sur la course
aux armements dans l’espace mais l’ont abordé comme un sujet en marge de leurs
domaines de recherche principaux (comme la réflexion sur les armes nucléaires).
C’est le cas de la Federation of American Scientists, de la Nuclear Threat Initiative,
de l’Arms Control Association, de la Carnegie Endowment for international peace et
du Center of American Progress. A l’inverse certains en font un domaine de
recherche à part entière avec des « experts » identifiés, c’est le cas du Stimson Center
(programme Space Security dont l’expert est Michael Krepon), Reaching Critical Will
(abordé via le projet de recherche sur les armes spatiales et la technologie de la
défense antimissile), le Center for Strategic and International Studies (CSIS) via les
« Space Initiatives », le Council on Foreign Relations (Technology and
Science/Space), Heritage Foundation (Space Policy dont les experts sont Peter
Brookes (qui a travaillé au sein de l’administration George W. Bush) , Dean Cheng et
James Jay Carafano). Enfin, un think tank est dédié à l’espace et notamment, comme
son site internet l’indique, « à la promotion de solutions coopératives au profit de la

223
L’UCS a été créée en 1969 par un groupe de scientifiques et des étudiants du MIT afin de protester contre la militarisation
de la recherche scientifique.
224
http://www.ucsusa.org/about/ucs-history-over-40-years.html

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
225
durabilité de l’espace » . Il s’agit de la Secure World Foundation et de ses experts,
Dr Michael Simpson, Dr Ray Williamson, Victoria Samson, Brian Weeden,
Christopher D. Johnson et Laura Delgado Lopez. Le Stimson Center est aussi très
actif dans la promotion pour l’adoption d’un code de conduite pour les activités
spatiales. Ces deux derniers think tanks bénéficient de fonds issus de donneurs
philanthropes 226. Ces experts revendiqués sur un thème particulier sont invités par les
décideurs politiques à les conseiller sur un sujet qu’ils ne maîtrisent pas et au sein
duquel un décodage est indispensable. La frontière entre le monde des think tanks et
celui de la politique est poreuse, surtout aux Etats-Unis. Certains membres de think
tanks peuvent occuper une fonction au sein d’une administration pendant un certain
temps. C’est le cas d’Ashley Tellis aujourd’hui à la Carnegie Endowment for
International peace mais qui a travaillé précédemment pour le Département d’Etat et
le National Security Council. Avant cela, il était expert à la RAND Corporation. Il
existe alors une certaine filiation entre décideurs politiques américains et écoles de
pensée au sein des thinks tanks. De manière schématique, deux écoles s’opposent.
Chacune d’entre elles portent des croyances qui leur sont propres. La première est
rattachée à la frange conservatrice des partis politiques américains. Ils sont affiliés à
la pensée réaliste, considérant la société internationale comme anarchique où règne le
dilemme de sécurité. Ils sont favorables au déploiement d’armes dans l’espace, sur
terre vers l’espace ou encore dans l’espace aérien en direction de l’espace. C’est le
cas de l’Heritage Foundation, de l’institut Heartland, de l’Hudson Institute et
l’American Enterprise Institute. C’est au sein de cette école de pensée que règne le
skill thinking, la pensée experte 227. Même si cette caractéristique peut être généralisée
à la politique étrangère américaine toute tendance confondue, elle se matérialise
davantage au sein des administrations conservatrices. Il s’agit de la propension à
répondre systématiquement à un problème par une solution technologique. Ainsi,
Ronald Reagan croit pouvoir mettre fin à la Guerre froide avec l’établissement de son
Initiative de Défense Stratégique visant l’obsolescence des armes nucléaires, projet
hautement technologique s’il en est. De même, le 13 décembre 2001, faisant suite aux

225
http://www.swfound.org/
226
Notamment la famille Collins Arsenault pour la Secure World Foundation. http://www.swfound.org/about-us/our-board/
227
Stanley Hoffmann, Gulliver empêtré, Essai sur la politique étrangère des Etats-Unis, Paris, Le Seuil, Coll. Esprit, 1971,
p.201-221.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

attentats du mois de septembre, George W. Bush annonce le retrait des Etats-Unis du


traité sur la limitation des missiles balistiques lui permettant ainsi de déployer un
bouclier antimissile. Enfin, en 2010 certains conservateurs appellent au
développement d’armes spatiales défensives et offensives afin de dissuader certains
Etats de mener des attaques ou menaces contre les Etats-Unis 228. Si ces solutions
aplanissent les obstacles matériels, peu de cas est fait des « obstacles sociaux » 229.
Cette dimension « sociale » se retrouve davantage dans les think tanks à tendance
démocrate. Il s’agit de la Brookings Institution, du CSIS, du Stimson Center, de la
Secure World Foundation et de tous les think tanks partisans de l’arms control. Ils
mettent l’accent sur la diplomatie et la coopération. Entre ces deux écoles de pensée,
il existe une compétition normative :
“(…) new norms never enter a normative vacuum but instead emerge in a
highly contested normative space where they must compete with other
norms and perceptions of interest.” 230
Par la synthèse des travaux réalisés sur les CE, certains critères permettent de cerner
dans quelles conditions une CE « compte » 231.
(1) Plus l’incertitude est grande, plus l’influence de la CE est forte. La notion
d’incertitude est fondamentale dans cette thèse. L’espace est un milieu incertain.
Dans les années 1960 et 1970, la conquête spatiale est récente. Les questions posées
par le pouvoir politique en lien avec des programmes spatiaux sont nombreuses.
Même si les propriétés physiques de l’espace sont en grande partie connues des
scientifiques, les événements ayant lieu en extra-atmosphère restent souvent
imprévisibles laissant place à une certaine incertitude quant aux potentiels
événements futurs. D’une part, il existe des incertitudes liées au facteur physique
puisqu’il n’est en effet pas toujours possible de prévoir une collision entre satellites
ou entre débris et satellites actifs. De même, l’activité solaire peut rendre inopérant
certains systèmes spatiaux que ce soit temporairement ou de manière définitive. Les
événements solaires peuvent également accélérer la rentrée dans l’atmosphère de

228
U.S House Armed Services Committee, « Report of the Commission to Assess United States National Security Space
Management and Organization”, January, 11, 2001, http://space.au.af.mil/space_commission/
229
Stanley Hoffman, Gulliver…, op. cit., p.226.
230
Martha Finnemore, Kathryn Sikkink, op. cit., p. 897.
231
Ces différents « critères », définissant les conditions dans lesquelles une CE a une influence significative sur les décideurs
politiques, sont issus des travaux de Peter M. Haas et de Mai’a Davis Cross.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

certains objets comme cela a été le cas pour Skylab. Même si des programmes de
météorologie de l’espace sont mis en œuvre, cette discipline reste peu développée et
les prévisions restent difficiles à établir. D’autre part, des incertitudes sont
entretenues par le facteur humain. En effet, les capacités des Etats spatiaux peuvent
éventuellement subir des attaques de la part d’autres acteurs, étatiques ou non, dotés
de capacités spatiales ou pas. Le recours aux experts est ainsi perçu comme étant un
réducteur d’incertitude. Ils émettent à l’attention des décideurs des séries de
recommandations pouvant influencer in fine les décisions politiques. Les experts de la
NASA contribuent ainsi à l’analyse scientifique, apportant des solutions techniques à
la problématique des débris, elle-même liée en partie à la problématique de la course
aux armements dans l’espace. Cela peut se traduire par la conception de satellites
durcis ou par l’utilisation de la redondance des matériels. D’autres experts apportent
une analyse en termes de conduite à tenir, se situant davantage dans l’univers des
constellations diplomatiques 232 et de la soft law. Pendant la Guerre froide, il s’agissait
d’anticiper le comportement de l’Union soviétique. Aujourd’hui, les débats
américains se cristallisent majoritairement sur la conduite à tenir face à la Chine.
L’incertitude est renforcée au 21 ème siècle par la multiplication des acteurs étatiques
et non étatiques dans l’espace. De plus en plus d’acteurs étatiques souhaitent utiliser
l’espace à des fins de développement ou dans un but sécuritaire. On estime qu’une
soixantaine d’Etats bénéficient de nos jours des utilisations de l’espace. D’autres, tels
que les opérateurs privés, l’exploitent dans une ambition lucrative. Même si les Etats-
Unis restent dominants dans l’espace, ils sont loin de l’exploiter seuls, ce qui
augmente l’incertitude. Face à cette multiplication d’objets dans l’espace, les Etats-
Unis ont apporté jusqu’à maintenant majoritairement des réponses technologiques
issues de la pensée experte. L’environnement spatial est alors « un champ
d’affrontement » 233 où y dissiper le « brouillard de la guerre » 234 devient complexe.
Loin de dissiper ce brouillard, les révolutions technologiques le font perdurer 235. La

232
Expression reprise d’un article de Raymond Aron, « De l’analyse des constellations diplomatiques », Revue française de
Science Politique, vol. 4, n°2, 1954, pp. 237 – 251.
233
Concept interarmées, Concept d’emploi des forces, Centre Interarmées de concepts, de doctrines et d’expérimentations
(CICDE), 11 janvier 2010, p. 25.
234
Expression clausewitzienne. Carl von Clausewitz, De la guerre, Paris, Ed. de Minuit, 1959.
235
Référence ici est faite à ce qui a été appelé outre-Atlantique la Révolution dans les Affaires Militaires (RMA). Elle
désigne l’utilisation de la haute technologie dans la conduite de la guerre. L’utilisation de l’espace entre donc pleinement
dans cette RAM – nonobstant les remises en cause du concept au profit de la Transformation.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

complexité est un autre concept abordé dans l’ouvrage de Clausewitz en faisant


référence à la guerre. Ici est envisagée la complexité pour les décideurs comme étant
« le fouillis (…), le brouillard, l’incertitude, la contradiction. » 236 Cela est lié au fait
que les Etats ne savent pas ce que les autres Etats feront des facteurs qu’ils ont en
leur possession. Tout est question d’intention et de spéculation sur les intentions des
uns et des autres. En effet, même s’il n’est pas encore question de guerre à
proprement parler dans l’espace, les caractéristiques physiques de ce milieu, la
multitude des acteurs, des actions et des intentions épaississent ce brouillard et
plongent les gouvernants dans l’incertitude des décisions à prendre. Or, plus
l’incertitude est grande, plus le besoin de recourir aux connaissances de la CE est
considéré comme nécessaire.

« (…) lorsque les informations et les idées ne sont pas accessibles à bas
prix, donc lorsque l’incertitude est élevée, tout en laissant la dimension de
la visibilité politique du problème élevée, nous observons une activité
grandissante des entrepreneurs politiques supranationaux ou des
communautés d’experts qui peuvent gagner de l’influence. Ce mode de
policy-making est celui des « communautés épistémiques » ». 237

(2) Lié à l’incertitude, la nature du problème, la nature de la connaissance est une


condition de l’influence forte de la CE.
Il s’agit d’une connaissance scientifique, à l’origine difficile d’accès pour les
profanes. Malgré le manque de considération que subissent les scientifiques des
débris dans un premier temps, ils sont ensuite sollicités en tant qu’experts lorsque les
administrations gouvernementales comprennent leur intérêt. La CE embryonnaire a
donc une influence importante car elle est la seule à maîtriser cette connaissance
scientifique et à la décoder auprès des profanes au sein des autres administrations
sectorielles américaines.
(3) L’accès direct entre la CE élargie et les décideurs politiques. Les scientifiques de
la NASA sont les acteurs originels de la construction sociale et narrative du problème

236
Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe, op. cit., p. 22.
237
Sabine Saurugger, « L’expertise : un mode de participation des groupes d’intérêt au processus décisionnel
communautaire », Revue française de Science politique, Presses de Sciences Po, Vol. 52, 2002/4, pp. 375- 401.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

des débris. Ce travail a permis une mise sur agenda politique américain. Ces acteurs
portent ce problème car ils estiment être directement concernés par les conséquences
possibles. Dans les années 1980, le problème des débris est peu médiatisé. Les
scientifiques de la NASA sont cependant des acteurs ayant des ressources et un
capital social et relationnel étendu. Ils ont en effet un accès plus aisé aux arcanes du
pouvoir et aux décideurs. On serait donc tenté d’appliquer le modèle élitiste pour
expliquer cette mise sur agenda, d’autant plus que le thème des débris spatiaux s’est
développé au sein d’univers relativement clos, d’espaces confinés (scientifiques,
hauts fonctionnaires, décideurs). Mais cette explication, si elle n’est pas fausse,
semble trop restrictive. Une des caractéristiques de cette « élite » 238 est de maîtriser
un domaine hautement scientifique et technique. La compréhension y serait difficile
si les scientifiques ne faisaient pas cet effort de décodage de la connaissance brute.
Cela pourrait constituer un frein à l’accès au champ politique. Les entrepreneurs de
normes à l’image de Kessler opèrent ce processus de décodage des données
scientifiques. De plus, l’accès au champ politique est facilité par l’intérêt que porte le
DoD au problème des débris, avec une question bien particulière en tête : quelle est la
probabilité qu’un satellite du DoD en orbite basse soit endommagé par une collision
avec un autre objet ? En pleine Guerre froide, au-delà de la problématique des vols
habités, il s’agit d’une question de sécurité nationale. En effet, les satellites
militaires, notamment ceux de reconnaissance, sont placés en orbite basse. Pour cela,
la configuration des acteurs corporatifs NASA / DoD en fait un couple qui se
complète. Les deux institutions en tant qu’administrations sectorielles du 2nd cercle
ajustent leurs intérêts sectoriels aux exigences politiques.

“When it comes to characterizing the environment, DoD and NASA have a


complementary relationship. DoD has responsibility for tracking things
larger than 10 centimeters. NASA has responsibility for characterizing the
environment for anything smaller than that. NASA also has the

238
La notion d’élite est complexe et riche de réflexions sur son sens. Il n’est pas question ici de s’appesantir sur le sujet
sachant que cela n’apporte rien à la démonstration. Cependant, on lira avec intérêt des analyses telles que celle de William
Genieys, Sociologie politique des élites, Paris, Armand Colin, 2011.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

responsibility to predict the future environment for both large and small
pieces.” 239
Le DoD possède les capteurs (radars) via l’US Space Surveillance Network et les
spécialistes de la NASA exploitent les résultats, ils apportent l’expertise technique
(évaluation de la forme et de la densité) sur la question des débris. Cette coopération
débouche en 1990 sur la constitution d’un programme de recherche du DoD sur les
débris spatiaux au sein du U.S Air Force’s Philips Laboratory. NASA et DoD sont
donc interdépendants au sens éliasien. Les scientifiques de la NASA sont en
désaccord avec les projets technologiques envisagés par le DoD mais
paradoxalement, en apportant leur expertise technique et scientifique à ces projets,
l’équipe de Kessler fait progresser leurs propres croyances.
L’OTA permet également à l’équipe de la NASA d’échanger avec les membres du
Congrès. En effet, en 1990, l’OTA publie un rapport concernant le problème des débris
spatiaux 240. Le directeur de l’OTA est à cette époque John H. Gibbons, scientifique
américain 241. Parmi les contributeurs de ce rapport, on observe la présence de membres de
la NASA dont Donald Kessler et Nicholas Johnson, futur scientifique en chef du NASA’s
Orbital Debris Program Office cité précédemment, et le scientifique Ray A.
Williamson 242. Sont présents également plusieurs membres des « ministères » américains
(Department of State, Department of Commerce, Department of Transportation), des
militaires (US Army et US Air Force), des industriels (General Dynamics) et des
universitaires. Contrairement au rapport sur la course aux armements dans l’espace, aucun
think tank n’est présent. Cette instance a permis de donner un accès privilégié aux
scientifiques de la NASA afin de fournir au Congrès une expertise scientifique et
technologique lui permettant in fine d’influencer les décisions de l’exécutif. Ce canal de
communication ne peut plus à présent être utilisé car les Républicains suspendent les
financements attribués à l’OTA et obtiennent sa suppression en 1995.
La question de la proximité du noyau de la CE avec les décideurs politiques en amène une
autre, celle de l’utilisation de la science par le politique et vice-versa. Les chercheurs de la

239
Debra Werner, « Nicholas Johnson, NASA’s Chief Scientist for Orbital Debris », Space News, 10 Mai 2010,
http://www.spacenews.com/article/nicholas-johnson-nasas-chief-scientist-orbital-debris
240
U.S. Congress, Office of Technology Assessment, Orbiting Debris: A Space Environmental Problem-Background Paper,
OTA-BP-ISC-72 (Washington, DC: U.S. Government Printing Office, September 1990).
241
J. H. Gibbons est un scientifique ayant pris partie contre les tests nucléaires. Entre 1993 et 1998, il devient conseiller du
président Clinton pour la Science et la Technologie et dirige le (White House) Office of Science and Technology Policy.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

sociologie des sciences démontrent que la production de connaissances n’est ni


désintéressée ni pure de tout enjeu de pouvoir et de société. Cela va à l’encontre des
représentations classiques de la Science, telles que la recherche de la Vérité.

« L’univers « pur » de la science la plus « pure » est un champ social


comme un autre, avec ses rapports de force et ses monopoles, ses luttes et
ses stratégies, ses intérêts et ses profits, mais où tous ces invariants
revêtent des formes spécifiques » 243
De plus, les scientifiques ne produisent pas une science objective. Ils n’en sont pas
conscients la plupart du temps, étant eux-mêmes influencés par leur formation ou
encore leur culture d’origine, l’ensemble véhiculant certaines valeurs et croyances 244.
Ils fournissent de l’information qui, à leurs yeux, est objective. Cette honnêteté
intellectuelle contraste avec la quête d’informations des décideurs qui semble être
davantage guidée par le pragmatisme (satisfaire un électorat en vue d’une réélection,
répondre à des objectifs de politique étrangère etc.).
« L’information retenue par le pouvoir ne correspond pas aux vérités que
les scientifiques pensent apporter. » 245
La science brute étant peu convertible en politique, les experts servent d’interface.
Cependant, les décideurs politiques faisant appel à cette « science décodée »,
décryptée pour eux, ne sont pas en soi intéressés par la science. Peter M. Haas le
rappelle en notant que le pouvoir politique se sert de la science afin de servir ses
propres objectifs.
« Le pouvoir n’est en rien intéressé par la science. Les politiques ne
veulent pas de science. Ils cherchent une justification pour des
programmes politiques qui préexistent et qui sont principalement
construits autour d’anticipations politiques de gains. » 246

242
De 1979 à 1995, il est expert à l’OTA. On le retrouvera dans cette thèse, quelques années plus tard en tant que directeur
du think tank Secure World Foundation.
243
Pierre Bourdieu, « Le champ scientifique », Actes de la recherche en sciences sociales, Vol. 2, n° 2-3, juin 1976, p. 89.
244
Ce qui fait dire à Krebs que les motivations des membres de la CE reflètent peut-être simplement leur culture nationale et
leur intérêt stratégique plutôt que leur expertise professionnelle, in Mai’a K. Davis Cross, « Rethinking epistemic
communities…”, op. cit., p. 10. Ronald R. Krebs, « The Limits of Alliance : Conflict, Cooperation, and Collective Identity »,
in Anthony Lake and David Ochmanek, eds., The Real and the Ideal: Essays on International Relations in Honor of Richard
H. Ullman, 207-235. Lanham: Rowman and Littlefield/Council on Foreign Relations, 2001.
245
Peter M. Hass, « Le pouvoir et la vérité », op. cit., p. 48.
246
Ibid.p. 1.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

La deuxième partie de cette thèse analysera la configuration des décideurs politiques


et des experts qui se coalisent afin d’atteindre leurs objectifs respectifs.
« Bien que les élites politiques conservent le pouvoir dans les processus
décisionnels, elles justifient de plus en plus leurs décisions sur la base des
analyses techniques des experts avec lesquels elles forment une
coalition. » 247

Dans un premier temps, les recherches de Kessler et de son équipe intéressent peu les
décideurs politiques. Puis cet intérêt croît. En effet, la NASA est une administration
sectorielle dont les décideurs dépendent afin de réaliser leurs ambitions spatiales. De
plus, la prise en compte du problème des débris sert directement ces derniers. En
effet, ils pourraient être accusés de négligence par l’opinion publique si un incident
dans l’espace survenait avec des conséquences sur la vie des astronautes ou sur terre
(prise de conscience avec le COSMOS 954 et Skylab). Enfin, ne pas se préoccuper
des débris remettrait potentiellement en cause leur ambition hégémonique de leader
dans l’espace en le rendant inutilisable. Il est cependant difficile de dire si cette
inscription à l’agenda a servi comme une anticipation politique de gains.
(4) Une autre condition du pouvoir de persuasion de la CE est qu’elle élabore des
solutions (à un problème dont le décideur politique a conscience) non perturbatrices
(non « disruptive » 248) avec les normes existantes. Les scientifiques de la NASA l’ont
bien compris. Ils ne cherchent pas à s’opposer de front avec les croyances normatives
en place. On pense notamment à la croyance en l’obsolescence des armes nucléaires
grâce à l’IDS, système de systèmes 249, dont les ASATs font partie intégrante. A
l’inverse, les scientifiques cherchent des alternatives, comme celle d’utiliser une cible
en orbite plus basse 250 afin que les débris rentrent rapidement dans l’atmosphère.

247
Sabine Sarugger, « L’expertise… », op. cit.,p. 378.
248
Mai’a K. Davis Cross, « Rethinking epistemic communities…”,op. cit., p.9.
249
« J’en appelle aujourd’hui aux scientifiques de notre pays, ceux qui nous ont donné l’arme atomique, de désormais
soutenir de leurs grands talents la cause humaine et la paix dans le monde, en rendant ces mêmes armes impotentes et
obsolètes. » “I call upon the scientific community in our country, those who gave us nuclear weapons, to turn their great
talents now to the cause of mankind and world peace, to give us the means of rendering these nuclear weapons impotent and
obsolete.”, Ronald Reagan, discours télévisé du 23 Mars 1983.
250
Donald J. Kessler, “A partial History…”,op. cit., p. 11.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

(5) Il doit y avoir peu de compétition avec d’autres acteurs. Il semblerait que les
alertes émises par le noyau des scientifiques de la NASA aient été dans un premier
temps ignorées mais jamais concurrencées par d’autres données émanant d’autres
acteurs qui seraient leurs compétiteurs normatifs. Face à cette problématique
naissante qu’ils tentent d’imposer dans le débat public, ils ne sont pas en compétition
avec d’autres coalitions. Par la suite, le problème des débris semble unanimement
reconnu. C’est bien plus sur le terrain des solutions que des coalitions différentes se
créent.
(6) Pour être persuasive, la CE élargie doit assurer sa cohésion interne.
“I hypothesize that if an epistemic community is not internally cohesive,
then it is less likely to be as persuasive as one that is. This internal
cohesion ultimately provides the group with an episteme, a shared
worldview that derives from their mutual socialization and shared
knowledge.” 251
Les scientifiques de la NASA, les membres des think tanks de l’arms control, les
penseurs stratégiques et certains membres de l’administration américaine démocrate
sont les membres d’une même CE bien qu’eux-mêmes ne se définiraient peut-être pas
ainsi. Ils viennent d’horizons professionnels différents mais sont liés par des
croyances normatives partagées et une expertise mise au service du décideur. Pour
Davis Cross, le degré de cohésion interne au sein d’une CE est fondamental afin de
comprendre son influence sur les décisions politiques. Dans les années 1970 et 1980,
la cohésion de la CE élargie est faible. Cependant, lorsque les croyances se diffusent
et que de nouvelles données viennent en support à l’argumentaire des scientifiques,
une certaine cohésion se dégage. Afin de la créer puis de la renforcer, les membres se
rencontrent, échangent, apprennent les uns des autres et se socialisent. Pour cela, la
NASA a multiplié les opportunités de rencontres au sein de forums d’échange. Elle a
très vite compris l’intérêt de persuader et de fédérer un nombre important de
personnes, tout horizon professionnel confondu.
« (…) socialization, relationship, and persuasive processes within 252 the
epistemic community are even more important in ultimately determining

251
Mai’a K. Davis Cross, « Rethinking epistemic communities…”,op. cit., p. 11.
252
En italique dans le texte.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

the strength or weakness. (…) These dynamics reveal how well epistemic
communities are able to frame social reality collectively. Even if there is
initial disagreement on substance, robust social cohesion can enable an
epistemic community to overcome internal differences and thus be more
externally persuasive.” 253
Dans l’optique de cette création et cet entretien de la cohésion interne, Kessler
organise, en juillet 1982, un groupe de travail de trois jours sur les débris orbitaux.
Environ cents représentants de l’industrie et du gouvernement y participent. A l’instar
de la démarche de socialisation opérée par les scientifiques de la NASA, le Stimson
Center, rejoint par la suite par d’autres think tanks, met en place en 2002 un
processus d’apprentissage structuré au travers du Space Security Project. Il cible des
« élites » ou des intermédiaires, ces entrepreneurs de normes pouvant être définis plus
précisément comme des policy brokers ou en français des marginaux sécants 254
pouvant relayer leur message. Ce sont des acteurs individuels qui se trouvent à
l’interface entre plusieurs intérêts, n’ayant pas de frontières « organisationnelles » et
utilisant les ressources liées à cette situation afin de faire avancer leurs idées ou se
poser en médiateurs. En réaction à la politique spatiale menée par l’administration
Bush, le Stimson Center propose une alternative à la domination spatiale.
“So Stimson set about to devise an alternative concept to space dominance
and a diplomatic initiative that might advance space security. The
alternative concept proposed in Stimson Center programming is that of
“space assurance”. The diplomatic initiative Stimson championed is a
Code of Conduct for responsible space-faring nations.” 255
L’objectif de ce think tank est d’influencer les décideurs politiques américains en
matière de diplomatie spatiale. Selon eux, la diplomatie américaine se doit de mettre
en place des normes internationales.
“(…) this diplomatic initiative could help set norms for responsible space-
faring nations in the near term.” 256

253
Mai’a K. Davis Cross, « Rethinking epistemic communities…”,op. cit., p. 12-13.
254
Haroun Jamous, Sociologie de la décision : la réforme des études médicales et des structures hospitalières, Paris, Éditions
du Centre National de la Recherche Scientifique, 1969 ; et Michel Crozier, Erhard Friedberg, L’acteur et le système, Paris,
Ed. du Seuil, coll. Points, 1977.
255
Michael Krepon, « A case Study in Policy Entrepreneurship », http://www.stimson.org/images/uploads/research-
pdfs/A_Case_Study_in_Policy_Entrepreneurship.pdf
256
Ibid.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Le Stimson Center bénéficie de subventions issues de fondations philanthropiques 257


et d’un réseau de personnalités à l’influence étendue.
« (…) the Stimson Center convened former government officials,
negotiators, Capitol Hill staffers, and nongovernmental experts for a
series of workshops convened between April 2002 and February 2003. » 258
Ces travaux ont permis au centre de publier un livre, Space Assurance or Space
Dominance ? The Case Against Weaponizing Space 259, servant alors de support à leur
argumentaire. Il consiste à dire que l’armement dans l’espace aurait un coût beaucoup
plus important que les bénéfices attendus.
“The Stimson Center’s monograph was widely circulated and downloaded
from our website by government officials, diplomats, defense officials,
military officers, legislators, reporters, and NGOs.” 260
Ces extraits rapportés par le Stimson Center lui-même sont à édulcorer. Malgré cet
effort et cet activisme apparent datant de 2006, cette opération de diffusion ne semble
pas rencontrer son public. Les officiels de l’administration Bush font savoir qu’ils
restent réticents à toute proposition de régime, traité ou code de conduite.
Si les contours de la communauté épistémique sont flous, ce n’est pas parce que ce
concept manque de rigueur mais qu’au contraire il permet de penser une réalité
complexe. Il s’agit d’un idéal - type, permettant de décrire un processus qui existe bel
et bien. Il permet de penser une série de phénomènes entre des acteurs différents qui
paraissent isolés, mais qui au contraire forme un tout. L’idéal- type est un« outil
conceptuel pour penser les groupes et les individus, sans épuiser leur singularité. » 261

La CE nationale rencontre les intérêts stratégiques des décideurs américains. Reste


que ces intérêts ne sont pas partagés par les autres puissances spatiales et notamment
par la Chine et la Russie. Les conclusions de ces deux protagonistes sur la
prolifération des débris ne sont pas forcément éloignées des idées de l’équipe de
Kessler. En revanche, les solutions proposées ne peuvent, elles, leur convenir car

257
A l’instar de la Carnegie Endowment for international peace
258
Michael Krepon, « A case Study…”,op. cit.
259
Michael Krepon, Christopher Clary, Space Assurance or Space Dominance ? The Case against weaponizing space,
Washington, The Henry L. Stimson Center, 2003.
260
Ibid.
261
Max Weber, Essai sur la théorie de la science, Paris, Plon, 1965.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

elles touchent à la gestion de l’occupation du milieu stratégique qu’est l’espace. La


défense de leurs intérêts nationaux ne passe pas par l’adoption d’un code jugé trop
occidental. Ils établissent alors ensemble un partenariat qui apparaît de plus en plus
comme en concurrence avec le partenariat transatlantique.

1.1.2. Russie et Chine : l’application de la logique des négociations


parallèles

1.1.2.1. Les relations diplomatiques spatiales sino-russes

Les relations diplomatiques spatiales entre les deux Etats se sont tissées très tôt étant
donné leurs ambitions réciproques similaires dans ce domaine. Le gouvernement
chinois a salué la prouesse soviétique en 1957 lorsque Spoutnik est mis en orbite.
C’est pour les Chinois la preuve que le socialisme a vaincu le capitalisme de l’ouest.
La coopération scientifique et technologique entre les deux Etats se renforce. C’était
sans compter leurs positions divergentes en matière de politique étrangère, de
conception doctrinale, de lutte révolutionnaire et de culte de la personnalité 262. Cela
donne lieu à une rupture des relations entre les deux Etats. La Chine parvient à être la
cinquième puissance spatiale dans l’histoire après la mise en orbite de son propre
satellite le 24 avril 1970. La réconciliation avec l’URSS se réalise à la faveur de
l’effondrement de celle-ci. Mikhaïl Gorbatchev visite Beijing en 1989 et tente de
régler une série de litiges notamment frontaliers avec les dirigeants chinois. Plus tard
en 1996, le groupe des cinq de Shanghai les réunit, ce qui devient en juin 2001
l’Organisation de Coopération de Shanghai. Ce forum est considéré comme une
alternative à l’OTAN et un moyen de lutte contre l’influence américaine. Ainsi, les
Etats-Unis ont reçu une fin de non-recevoir à leur demande de statut d’Etat
observateur au sein de cette enceinte. En 2005, la participation de l’Inde comme Etat
observateur à cette organisation permet de nuancer l’exclusivité de la relation
américano-indienne. Le rapprochement stratégique sino-russe permet à la Chine de
combler ses retards technologiques en se portant acquéreur des technologies spatiales
russes. La Chine fait alors de l’espace un élément parmi d’autres de sa reconnaissance

262
Isabelle Sourbès-Verger, Un empire très céleste. La Chine à la conquête de l’espace, Paris, Ed. Dunod, 2008, p. 22.

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internationale et une ressource de sa puissance en devenir. Peu à peu, les Etats-Unis


perçoivent la Chine comme une menace. Cette position est officialisée dans le rapport
COX 263 en 1996 qui a pour conséquence d’interdire tout transfert de technologie
américaine à la Chine et de fait de ne pas non plus lui permettre de lancer des
systèmes étrangers utilisant des composants américains 264. Cette position existe
encore aujourd’hui par l’intermédiaire des restrictions concernant la Chine au sein de
la réglementation ITAR pour International Traffic in Arms Regulations 265. Cette
inimitié a concouru à créer un rapprochement sino-russe pouvant être qualifié de
partenariat stratégique et qui connaît son point culminant en 2005 266. Ce partenariat
s’illustre par des exercices militaires conjoints (tel que « Mission de paix » en août
2005) et un renforcement de la coopération militaro-technique. Les deux Etats ont
cependant des agendas stratégiques différents. De plus, Moscou ne souhaite pas
heurter inutilement les dirigeants américains. Les décideurs russes modèrent alors
certains échanges avec la Chine, notamment sur les ventes d’armements et les
transferts de technologie. De partenaire stratégique, la Chine peut évoluer vers un
statut de rival. De ce fait, certains experts russes recommandent une « alternative
européenne » 267, même si cette vision n’est pas majoritaire aujourd’hui.
En 2011, l’Organisation de Coopération de Shanghai fêtait ces dix années. A cette
occasion, les déclarations communes ont mis en avant une volonté partagée de
proposer un nouveau traité sur l’espace au sein de la conférence du désarmement 268.
Ces positions sont réaffirmées en 2012 :

“The member states stand for ensuring outer space security, peaceful use
of outer space and prevention of outer space weaponization. They promote
the formulation of a "treaty on the prevention of the placement of weapons
in outer space and the threat or use of force against outer space objects",

263
Final Report of the Select Committee on U.S National Security and Military/Commercial Concerns with the People’s
Republic of China, plus connu sous le nom de rapport COX du nom du représentant républicain qui a préside cette
commission. Une version non classifiée de ce rapport a été publiée en 1999.
264
Isabelle Sourbès-Verger, Un empire très céleste…, op. cit.,p. 72.
265
Ce point est davantage abordé plus tard dans la thèse.
266
Isabelle Facon, « Les relations stratégiques Chine-Russie en 2005 : la réactivation d’une amitié pragmatique », Notes de la
Fondation pour la Recherche Stratégique, 20 janvier 2006,
http://www.frstrategie.org/barreFRS/publications/notes/2006/20060120.pdf
267
Ibid.
268
Déclaration relayée sur le site officiel du Kremlin, http://eng.kremlin.ru/news/2394

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

and the formulation and international implementation of outer space


transparency and confidence-building measures.” 269

La puissance spatiale russe reste l’acteur étatique le plus enclin à dialoguer avec les
Européens sur le projet de CoC.

1.1.2.2. La pax spatialis de 1972 à 2002

1.1.2.2.1. En bilatéral
De 1972 à 2002, la Russie et les Etats-Unis scellent un pacte de non-agression dans
l’espace, une « pax spatialis ». En 1972, au titre de l’article V du traité SALT
(Strategic Arms Limitations Talks), les deux parties s’engagent à ne pas interférer ou
endommager les objets spatiaux participant aux opérations de vérification des
mesures concrètes de réduction des armements stratégiques prévues par le traité 270. Il
s’agit donc des satellites de télédétection. Dans le même temps, ils s’engagent, au
titre du traité ABM (Anti-Balistic Missile), à ne pas déployer de systèmes à vocation
ABM dans l’espace extra-atmosphérique. Cela permet de maintenir un équilibre entre
les deux superpuissances au cœur duquel trône la dissuasion nucléaire. Or, en mars
1983, l’annonce du projet reaganien baptisé « Initiative de Défense Stratégique » est
en contradiction avec ce traité de limitation. En effet, le projet de défense antimissile
américain prévoit des systèmes d’interception depuis le sol mais également depuis
l’espace. Les Soviétiques invoquent alors devant les Nations Unies une violation de
l’accord, en vain. Ils décrètent finalement un moratoire unilatéral sur les essais
ASATs. Cet acte qui pourrait apparaître comme renforçant la pax spatialis se fait
dans un contexte de montée des tensions. Ce moratoire est un coup diplomatique afin
de tenter de freiner le projet titanesque américain. Cet activisme soviétique n’est pas
le résultat d’une CE nationale en URSS. Ces initiatives sont le reflet de la stratégie
adoptée par les dirigeants soviétiques. Ainsi le moratoire de 1983 est davantage un
moyen de freiner les avancées américaines en matière d’ASATs, en espérant que ce
moratoire soit partagé, ce qui est hors de question pour l’administration américaine.

269
Declaration of the Heads of State of the Member States of the Shanghai Cooperation Organization on Building a Region of
Lasting Peace and Common Prosperity, 7 juin 2012, site official de l’Organisation de Cooperation de Shanghai,
http://www.sectsco.org/EN123/show.asp?id=442

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

A l’inverse, les croyances normatives portées par la CE nationale américaine


grandissante ont su, dans des circonstances particulières, passer au niveau politique
(Directive présidentielle de 1988). Bien que considérant ce problème au plus haut
niveau de l’Etat, les décideurs américains ne sont pas promoteur d’un régime
international, à l’inverse de la CE qui considère ce dernier comme le prolongement
naturel de leur cause. Pour la majorité des dirigeants américains, un régime pourrait
aller à l’encontre de leur liberté dans l’espace. Pour garantir leur sécurité dans
l’espace, ils comptent davantage sur leurs moyens techniques (réponse en termes
technologiques de la pensée experte). De même, les Etats-Unis ne sont pas une
puissance normative mais pensent se protéger de leur vulnérabilité spatiale par le
hard power. C’est Joseph S. Nye, professeur à Harvard, qui a conceptualisé le hard et
le soft power, expliquant que le premier renvoie à l’utilisation de la coercition par des
moyens militaires et des outils économiques (relevant dès lors « du bâton et de la
carotte ») tandis que le second tient au pouvoir d’influence 271. L’utilisation du hard
power est illustrée par l’acceptation en mars 1999 du National Missile Defense Act
(NMD Act) par l’administration Clinton. Ce programme, poussé par le Congrès, a
pour ambition de déployer un système antimissile balistique afin de protéger le
territoire américain des nouvelles menaces suite à l’effondrement de l’URSS. Cet acte
marque le premier pas des Etats-Unis vers son retrait du traité ABM conclu en 1972.
La même année et pour la première fois, l’espace est considéré par une directive
américaine comme un intérêt vital national 272. L’intérêt du spatial pour la sécurité
nationale est mise en avant, mais son intérêt économique encore davantage. Cette
période au sein de la politique spatiale américaine est définie comme la couche
« opérative et tactique » 273. Cette dénomination semble signifier que l’espace
participe à la survie de l’Etat américain, qu’il en est un de ses fondements. Cette
perception de l’intérêt vital de l’espace pour la nation définit les préférences de l’Etat
en question, qui guideront alors sa politique spatiale. La mise en place d’un système
de défense antimissile évoque la possibilité d’utiliser des systèmes spatiaux pour

270
Hubert Fabre, L’usage de la force…, op. cit. p. 8.
271
Joseph Nye, Bound to Lead: The Changing Nature of American Power, New York, Basic Books, 1990.
272
Mémorandum du secrétaire à la Défense William Cohen, 9 juillet 1999. http://www.au.af.mil/au/awc/awcgate/dod-
spc/dodspcpolicy99.pdf
273
Xavier Pasco, L’Espace et les approches américaines …, op. cit., p. 88.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

détecter et / ou intercepter des départs de missiles. La frontière devient poreuse entre


capacités défensives et armes antisatellites. La décision nationale du NMD Act, bien
que résultant d’intenses tractations internes 274, a des conséquences diplomatiques
importantes.

1.1.2.2.2. La conférence du désarmement et le comité PAROS


La Conférence du Désarmement s’empare du thème de la course aux armements dans
l’espace à la demande de l’Assemblée générale des Nations Unies, elle-même
sollicitée par l’Union soviétique en août 1981. Deux visions opposées donnent lieu à
deux résolutions adoptées par l’Assemblée générale 275. Une première résolution
(A/RES/36/97) soutenue par les Etats d’Europe occidentale et autre groupe –Western
Europe and Other Group/ WEOG- soutient que la CD se focalise sur la négociation
« d’un accord efficace et vérifiable afin d’interdire les systèmes antisatellite ». La
seconde résolution (A/RES/36/99) soutenue par le groupe des Etats d’Europe de l’est
et autres Etats –Eastern European and other States- prévoit que la CD se focalise sur
la négociation d’un traité afin d’interdire le stationnement d’armes quel que soit leur
nature dans l’espace. En 1982, la résolution PAROS –Prevention of an Arms Race in
Outer Space- est adoptée et ce thème est ajouté à l’agenda de la CD. La création du
PAROS jouit d’un large soutien. Elle est en effet adoptée par le Premier Comité de
l’Assemblée Générale (en charge des thèmes de sécurité internationale et du
désarmement) par un vote de 170 Etats pour, 0 contre et 2 abstentions, les Etats-Unis
et Israël 276. Après d’âpres discussions, un comité ad hoc sur le PAROS au sein de la
CD est créé en 1985. Là encore les deux groupes d’Etats s’opposent. L’un souhaitant
que ce comité négocie, l’autre ne voulant laisser place qu’à la discussion des thèmes
pertinents, en prélude aux négociations. L’URSS est alors très active tout au long des
années 1980 afin de développer des dispositifs permettant d’empêcher la course aux
armements dans l’espace 277. Le comité ad hoc sur le PAROS se réunit annuellement
jusqu’en 1994 sans parvenir à un résultat notable. Ce blocage endémique est

274
Pour une analyse fine de ces débats, lire Xavier Pasco, « La National Missile Defence aux Etats-Unis ou de la difficulté de
bâtir un nouvel ordre mondial, Annuaire français des relations internationales, Bruxelles, Ed. Burylant, vol. 2, 2001 , p.755-
769.
275
“The CD and PAROS.A short History”, UNIDIR Ressources, April 2011.
276
Paul Meyer, “Diplomatic options for reinforcing Outer Space Security”, Space Security Conference 2011, Genève, 4 avril
2011.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

structurel, il vient tout d’abord du fonctionnement interne de la CD. En effet, ce


forum englobe trois thématiques principales que sont le PAROS, le FMCT (Fissile
Material Cut Off Treaty) et la NSAs (Negative Security Assurances). Ainsi, les Etats
ont tendance à conditionner l’avancée des négociations dans une thématique s’ils
obtiennent par ailleurs satisfaction dans une autre. Cette logique des négociations
parallèles a pour conséquence de rendre la CD inopérante. Cela démontre que les
Etats ont toujours une place prépondérante au sein des institutions internationales et
que ces dernières peuvent favoriser ou contraindre l’action collective mais ne sont en
aucun cas déterminantes. Ce sont des arènes facilitatrices d’échanges (forums)
interétatiques mais non des acteurs en soi. De plus, si la coopération dans un domaine
peut faciliter la coopération dans un autre domaine entre deux mêmes Etats, on voit
que la CD, qui en a fait son mode de fonctionnement, doit son blocage au
renversement de cette dynamique.
L’annonce faite par le président Clinton en juillet 1999 de construire un bouclier anti-
missile limité, en signant le National Missile Defense Act, exacerbe les tensions.
Considérant que le développement d’une défense antimissile balistique mènera
inévitablement à une course aux armements dans l’espace, la Chine propose le
rétablissement du comité ad hoc sur le PAROS 278. La Chine parle alors de
« nouveaux développements » 279 liés à la course aux armements. Elle lie les deux
dossiers PAROS et FMCT afin de bloquer tout dialogue. Aux Etats-Unis, la
présidence est à présent républicaine avec George W. Bush au pouvoir. En janvier
2001, Donald Rumsfeld, alors secrétaire d’Etat à la Défense, publie un rapport dans
lequel le scénario d’un « Pearl Harbour spatial » est de nouveau envisagé et le
développement d’ASATs clairement préconisé. Les Etats-Unis, avec Rumsfeld
comme secrétaire à la Défense, réactivent la doctrine du « space control ». Les Etats-
Unis développent la « couche sécuritaire » de l’espace militaire américain 280. L’effet
des attentats du 11 septembre 2001 accélèrent cette démarche. En effet,
l’administration américaine communique en estimant que ces attentats révèlent le

277
Pour une revue de ces différentes initiatives, lire Hubert Fabre, op. cit.,p. 122-126.
278
China : Draft decision on the re-establisment of an ad hoc committee on PAROS, CD/1576, 18 mars 1999.
279
Working paper : China’s position on and suggestions for addressing PAROS at the CD, CD/1606, 9 février 2000.
280
Xavier Pasco, « L’Espace et les approches américaines de la sécurité nationale (1958-2010) », L’Information
géographique, vol. 74, 2010/2, Paris, Ed. Armand Colin, p. 89.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

besoin impérieux des Etats-Unis de disposer d’une défense antimissile. Décision est
alors prise de se retirer du traité sur la limitation des systèmes antimissiles. Cette
annonce est faite le 13 décembre 2001 et effective à partir du 13 juillet 2002. Cela
signifie théoriquement que les Américains peuvent à présent relancer des programmes
de défense antimissile et placer, à l’instar de ce qui était envisagé pour l’IDS, des
systèmes offensifs dans l’espace. Paradoxalement, cette dénonciation a pour effet
d’accélérer l’émergence de la norme sur la sécurité des activités spatiales et de
réactiver le PAROS 281. En effet, c’est en 2002 que la Chine et la Russie déposent
conjointement un document de travail au PAROS afin d’élaborer un futur régime
juridique international sur la prévention du déploiement d’armes dans l’espace, la
menace ou l’utilisation de la force contre les objets spatiaux 282, le futur traité PPWT
(Prevention of the Placement of Weapons in Outer Space and of the Threat or Use of
Force against Outer Space Objects) 283. L’étude du contenu de ces propositions fait
l’objet d’une sous-partie dans cette partie.

1.1.2.2.3. Le blocage à la conférence du désarmement


L’inimitié diplomatique américano-chinoise se prolonge sur d’autres dossiers
sensibles à l’image de la pression exercée sur Pékin pour obtenir son adhésion au
MTCR (Missile Technology Control Regime) ou RCTM en français (Régime de
Contrôle de la Technologie des Missiles) qui est un regroupement informel d’Etats
cherchant à limiter la prolifération des missiles et leur technologie et auquel les Etats-
Unis ont adhéré. De même, plusieurs Etats dont les Etats-Unis souhaitent ardemment
voir le gouvernement chinois adhérer au FMCT abordé précédemment, ce traité visant
à interdire la production de matière fissile pouvant profiter à l’élaboration d’armes
nucléaires. Ce projet discuté au sein de la CD semble être à la source du
rapprochement avec les Russes au sein du PAROS.
« (…) les questions spatiales sont prises par l'ensemble de ces Etats que
ce soient les Américains, les Chinois, les Russes, nous-mêmes, dans un

281
Après une production limitée de documents, le PAROS via les Etats membres publie quatre documents en 2002, un en
2003, deux en 2005, deux en 2006, quatre en 2007, cinq en 2008, quatre en 2009, deux en 2010, trois en 2011 et un en 2012.
282
China and Russia : Possible elements of the future international legal instrument on the prevention of deployment of
weapons in outer space, the threat or use of force against outer space objects, CD/1679, 28 juin 2002.
283
Projet officiellement déposé à la CD le 28 février 2008, CD/1839.

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ensemble stratégique qui comprend les questions nucléaires de défense


antimissile et les questions spatiales. Balistique en général. » 284
Pour les Russes, c’est un moyen de contrer diplomatiquement les ambitions des Etats-
Unis en matière de constitution d’un bouclier antimissile. Pour les Chinois, cela
permet de bloquer les discussions sur le FMCT au sein de la CD. A l’instar des
Russes et face aux projets américains de défense antimissile, les Chinois estiment
aussi que leur dissuasion nucléaire est menacée. En soutenant le PPWT, les Chinois
souhaitent « neutraliser cette volonté américaine de les voir adhérer à ce traité
[FMCT]. » 285 De par le fonctionnement de la CD, si la négociation sur le PPWT ne
progresse pas, celle sur le FMCT est également stoppée. Cette attitude de la Chine
fait partie d’une stratégie globale d’ « instrumentalisation du spatial à des fins
diplomatiques » 286, que l’on peut alors attribuer de la même manière à la Russie.
« (…) pour les Russes, attaquer les Américains au plan du droit international sur le
volet spatial, alors qu’ils [les Américains] développaient ces projets là [projet de G.
W. Bush de réactiver un projet de défense antimissile balistique] ça pouvait être
intéressant puisque eux, ça leur permettait de stopper les Américains dans leur
avance, eux de rester là où ils en étaient et surtout de mettre une pierre dans le jardin
américain en ayant aussi un levier de négociation supplémentaire par rapport à la
négociation nucléaire, (…) donc ils étaient en pleine négociation nucléaire et surtout
effectivement avec des négociations liées au post START qui sont sur la défense
antimissile. » 287
Le levier du FMCT est de taille. En effet, si la signature de ce traité par les Etats-Unis
et la Russie est relativement sans conséquence, cela ne l’est pas pour la Chine. Les
premiers ont déjà atteint un stock d’armes nucléaires qui leur permet de ne plus avoir
besoin de produire de matières fissiles (d’où les négociations START (Strategic Arms
Reduction Treaty) sur la réduction des armes stratégiques, nucléaires). A l’inverse, la
Chine réduit considérablement ses possibilités de se constituer un arsenal nucléaire en
ratifiant le traité en l’état. Si la Chine refuse de négocier ce traité, de le signer et le
ratifier, le risque est également que l’Inde le refuse à son tour, puis le Pakistan. De

284
Entretien au Ministère des affaires étrangères, 9 février 2011.
285
Entretien avec le conseiller Espace au directeur de la Direction aux Affaires Stratégiques (ex-DAS), 1 er octobre 2010.
286
Alain de Nève, La stratégie spatiale militaire chinoise, Institut Supérieur Royal de Défense, Centre d’Etudes de Sécurité
et de Défense, Université catholique de Louvain, Note d’analyse n°4, mai 2009.
287
Entretien au Ministère des Affaires Etrangères (MAE), 9 février 2011.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

leurs côtés, les Américains ne semblent pas disposés à négocier le traité PPWT tant
que les négociations sur le FMCT n’ont pas lieu. Quant au gouvernement russe, il
menace régulièrement de se retirer du traité START si les Etats-Unis concrétisent leur
projet de défense antimissile balistique en installant notamment des systèmes
« défensifs » aux frontières de la Russie, dans les anciennes républiques soviétiques
(République Tchèque, Slovaquie et Pologne). La Russie voit ces installations comme
potentiellement offensives et pouvant constituer une menace pour ses forces
nucléaires. Ils ne veulent ainsi plus réduire leur armement stratégique défensif et
offensif, se sentant menacés par les installations « défensives » américaines, et
maintenant otaniennes.
La CD est placée en situation d’échec dans son rôle de forum de discussion et de
régulation des relations interétatiques. Elle fait face à un réel blocage. Les institutions
nationales sont bien facteurs d’ordre en organisant l’action publique, mais les
institutions internationales ne sont pas systématiquement en mesure d’organiser
l’action publique internationale. Elles sont utilisées par les Etats. Le constat
d’anarchie de la société internationale en l’absence d’autorité supranationale
véritablement déterminante est réaffirmé, même dans le secteur spatial. Ce constat
n’est pas l’échec de la mise en place de politiques publiques multilatérales, mais bien
davantage l’échec du mode de fonctionnement des institutions supranationales elles-
mêmes, qui provoque une inertie. Ce dernier pourrait être modifié car ce sont là
encore les Etats qui l’établissent.
Le Stimson Center propose une solution à ce blocage afin de faire progresser leur idée
de code de conduite :
“Since a Code of Conduct would take the form of an executive agreement
between the United States and other space-faring nations, it could bypass
the Conference of Disarmament which has not been able to agree upon a
program of work of more than a decade.” 288
L’institution est devenue une contrainte, voire un piège, elle est donc contournée par
les Etats. Comme évoqué plus haut dans la thèse, l’accord exécutif peut se substituer
aux résolutions de la CD.

288
Michael Krepon, “A case Study…”,op. cit.

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1.1.3. Le cas particulier de la France : acteurs et positionnements


diplomatiques

1.1.3.1. Historique et acteurs de la conquête spatiale française

1.1.3.1.1. La conquête spatiale française et européenne


A la fin de la seconde guerre mondiale, la France comme d’autres nations
victorieuses, profitent des connaissances allemandes afin de progresser dans la
conception des missiles. Les scientifiques allemands élaborent dès 1942 les tristement
célèbres V2 (Vergeltungswaffe), qui terrorisent la population londonienne. Les
premiers tests français de fusées sont réalisés en 1945. La France confie alors au
laboratoire de recherche balistique et aérodynamique (LRBA) la confection de la
fusée Véronique. A partir de 1954, Véronique est tirée avec succès à quatre reprises
depuis Hammaguir, le centre français d’essais d’engins spatiaux au Sahara. En 1959,
des versions améliorées sont également testées. Ces développements technologiques
sont l’affaire des militaires au regard du contexte historique dans lequel ils évoluent.
Initié par ses prédécesseurs, le programme nucléaire et spatial français connaît une
nouvelle impulsion avec l’arrivée au pouvoir du Général de Gaulle en 1958. En effet,
les deux technologies sont proches et leur développement généralement concomitant.
Une fois acquise la capacité de fabrication de vecteurs balistiques de longue portée
pouvant contenir des ogives nucléaires, ce qui est réalisé en 1960 pour la France, le
vecteur n’est que légèrement modifié pour en faire un lanceur. La Société pour
l’étude et la réalisation d’engins balistiques (SEREB) voit le jour sous la tutelle du
Ministère de la Défense. Le programme « pierres précieuses » est lancé et les missiles
Agathe, Topaze, Emeraude et Saphir sont testés. Le 19 décembre 1961 est créé le
CNES, ce qui constitue la date symbolique de l’existence de la politique spatiale
française. Mais c’est avec le programme Diamant à partir de 1961 que la France
connaît le succès en matière de lancement de fusée. Le 26 novembre 1965, la France
devient la troisième puissance spatiale après l’URSS et les Etats-Unis, par la mise en
orbite de son premier satellite, Astérix. Pendant la Guerre froide, d’autres Etats
suivent la même évolution. La Chine est puissance nucléaire en 1964 et met en orbite
un satellite en 1970. Le Japon est puissance spatiale en 1970 et n’exclut aujourd’hui
plus le nucléaire. L’Inde est un Etat nucléaire en 1974 et Etat spatial en 1975, Israël

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

est nucléaire en 1967 et met en orbite un satellite en 1988. Enfin, le Brésil mène des
politiques en vue d’enrichir son uranium mais décision est prise à la fin des années
1980 de ne pas développer l’arme nucléaire. Cependant, le Brésil demeure un Etat
menant une politique spatiale active malgré un échec retentissant en 2003.
Après la fin de la présence française en Algérie, la France fait envoyer ses satellites
par les Etats-Unis. Mais ces derniers ne souhaitent pas que la France en fasse un
usage commercial. Ils refusent ainsi d’envoyer tout satellite pouvant faire l’objet d’un
commerce entre la France et des Etats tiers. En mars 1964, le gouvernement français
décide de construire un pas de tir à Kourou, en Guyane française. A présent, l’objectif
est de pouvoir y lancer ses propres vecteurs, gage d’autonomie face aux Américains.
Dans cette optique, les Etats européens créent l’Agence Spatiale Européenne (ESA)
en 1973 et élaborent le programme du lanceur Ariane. Le lanceur Ariane 1 effectue
avec succès son premier vol inaugural depuis Kourou le 24 décembre 1979. Suivent
les différentes versions d’Ariane, jusqu’à la décision prise fin 2014 par le Conseil
ministériel de l’ESA de développer Ariane 6. C’est une véritable réussite européenne.
L’Europe avait auparavant tenté de mener un tel projet en créant le European
Launcher Development Organization (ELDO) et l’European Space Research
Organisation (ESRO). Cependant, les échecs du lanceur Europa poussent les
protagonistes à envisager d’abandonner l’idée d’un lanceur européen. Ce projet est
sauvé en 1973 lors de la Conférence Spatiale Européenne (CSE).

1.1.3.1.2. L’utilisation militaire tardive de l’espace et l’absence de


stratégie d’occupation du milieu
Dès le début des années 1960, l’utilisation militaire de l’espace par la France a été
envisagée. En effet, la loi de programmation 1961-1964 prévoyait 500 Milliards de
francs (7 Milliards d’Euros) à cet effet 289. Cependant, l’espace militaire ne s’est pas
développé à ce moment-là. En effet, le premier obstacle était que la France ne
disposait pas d’un lanceur opérationnel capable de mettre en orbite basse des charges
utiles de 500 kg, masse estimée nécessaire pour espérer disposer d’un satellite de
reconnaissance aussi performant que celui des Américains et des Soviétiques. Enfin,
le désintérêt des militaires pour le milieu spatial était manifeste. La force nucléaire

289
http://www.3af.fr/sites/default/files/comaero_05.1_carpentier_equipements_i.pdf

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stratégique retenait toute l’attention. Ce désintérêt pour l’utilisation militaire de


l’espace perdure plusieurs années encore. Lors de la publication des premiers Livres
Blancs (LB), on perçoit que l’enjeu de l’utilisation militaire de l’espace pour la
France n’est pas encore bien identifié. Le président français élabore un Livre blanc de
la défense lorsqu’il considère que les transformations du monde nécessitent une mise
à jour des objectifs nationaux de défense. De plus, il trace les grandes lignes de la
vision présidentielle de la défense française. L’exercice du LB n’obéit pas à une
périodicité fixée officiellement mais il semble être devenu plus régulier. Le premier
date de 1972. Dans les faits, la France n’attache d’intérêt à l’espace que d’un point de
vue scientifique et technique. 1972 est aussi l’année de l’apparition du premier
satellite d’observation civil de la terre, Landsat, de nationalité américaine. Les
autorités américaines disposaient déjà de moyens d’observation militaire, avec les
satellites Corona et la série des Key Hole (d’abord équipés de systèmes
photographiques) dès 1960. Ceci a tout de même généré une certaine réflexion en
France sur l’opportunité de détenir ou pas un tel satellite. Certains événements ont
accéléré la réflexion française sur le sujet. Il s’agit de l’opération Kolwezi au Zaïre
(actuelle République Démocratique du Congo), parfois considérée comme marquant
le début de l’ère des opérations extérieures 290. Cette opération, qui visait à extraire
des citoyens européens d’une région minière dont s’étaient emparés des rebelles, a été
menée avec la coopération des Américains qui ont fourni des avions de transports et
des photographies prises par les satellites américains. Valéry Giscard d’Estaing est
alors impressionné par l’apport de ces renseignements et cela génère un besoin,
d’autant plus que d’autres opérations extérieures viennent le confirmer 291. C’est ainsi
que dans la Loi de Programmation de 1977, des crédits sont prévus afin d’étudier la
réalisation d’un satellite militaire de reconnaissance optique (SAMRO) et d’un
système de télécommunications par satellites, le futur Syracuse. De plus, en 1978 292,
le CNES lance la réalisation du programme SPOT (Satellite Pour l’Observation de la
Terre), un programme « européen » 293 civil mais aussi militaire en ce sens que le

290
http://www.ecpad.fr/kolwezi-une-operation-aeroportee-exemplaire, site consulté le 26 mai 2013.
291
Opération extérieure « Manta » au Tchad où là aussi les satellites espions américains de la série des Key Hole aident les
autorités françaises.
292
Pour un lancement effectif le 22 février 1986 (SPOT 1).
293
Les participants originels sont le CNES, la Belgique avec les Services fédéraux des affaires scientifiques, techniques et
culturelles belges (SSTC) et la Swedish Space Corporation (agence spatiale suédoise).

- 125 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

ministère de la défense participe pour moitié à son financement. En 2008, la société


Spot Image a été rachetée par Airbus Defense & Space. Spot 6 est le premier satellite
de cette famille à avoir été lancé par le secteur privé. En 2014, Spot Image a procédé
au lancement de SPOT 7. L’utilisation commerciale de la famille des SPOT
n’empêche pas la défense française d’en être un client régulier et privilégié. Les
capteurs optiques au profit des militaires auraient pu voir le jour de façon
concomitante. Or, le programme SAMRO est abandonné en 1982 au profit de
Syracuse (télécommunications militaires) qui bénéficie d’une priorité budgétaire. Au
lendemain des prises de positions françaises à l’égard du projet de défense anti-
missile américain, les autorités françaises prennent conscience de l’intérêt du milieu
pour la puissance d’un Etat. C’est également le début de la reconnaissance de l’intérêt
de l’utilisation militaire de l’espace par les décideurs politiques. Ainsi, le premier
satellite militaire français, baptisé Syracuse 1 pour Système de Radiocommunication
Utilisant un Satellite est lancé en 1984. Il s’agit d’un satellite de télécommunication
permettant d’assurer les communications cryptées entre la France et ses troupes
déployées sur les théâtres d’opération. 1983 est donc une période charnière au cours
de laquelle les hommes politiques français prennent conscience de l’enjeu de la
militarisation de l’espace. Jusqu’à cette date, la France, en matière d’espace militaire,
temporise. Cela ne constitue pas une priorité pour le pouvoir politique et militaire. La
volonté de développer ces nouvelles technologies est aussi de ne pas accumuler un
retard technologique pour les industries spatiales françaises et européennes. Même si
encore beaucoup d’hommes politiques et de militaires restent sceptiques quant à la
réelle utilité de satellites militaires dans l’espace, des projets naissent. En mars 1985,
le Ministère de la défense crée le Groupe d’études spatiales (GES) présidé par le
major général de l’état-major des Armées. Les affaires spatiales sont placées à un
niveau de responsabilité comparable à celui des affaires nucléaires militaires. L’idée
de la réalisation d’un satellite de reconnaissance refait surface. Sur les ruines de
SAMRO, se développe Hélios, satellite de reconnaissance optique dont le premier
exemplaire est mis en orbite le 7 juillet 1995. Fait notable, ce programme est réalisé
en coopération avec l’Espagne et l’Italie. Le programme Hélios est amorcé et
capitalise sur le savoir-faire acquis grâce au satellite civil d’observation SPOT, lancé
lui en 1986. Cette volonté politique n’empêche pas un scepticisme certain de la part

- 126 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
294
des chefs d’Etat-major des trois armées . Pourtant les années 1990 accélèrent cette
prise de conscience notamment sous l’effet de la fin de la Guerre froide et du
déclenchement de la guerre du Golfe en 1991, qualifiée de « première guerre
spatiale » 295 au sens où les moyens spatiaux ont été utilisés massivement. Avant la
décision de fabriquer le satellite Hélios, qui est lancé en 1995, un bureau Espace est
créé à l’Etat Major des Armées (EMA) en 1985 296 et la Direction du Renseignement
Militaire (DRM) voit le jour en 1992. Ces développements sont liés en partie à la
volonté politique de Pierre Joxe, ministre de la Défense de 1991 à 1993. Cet homme
politique a la conviction que le milieu spatial a un rôle stratégique à jouer dans la
pérennité du statut de puissance de la France. L’élan impulsé par Pierre Joxe se
retrouve dans le premier Livre Blanc de l’après Guerre froide (et donc deuxième de
l’histoire de France) publié en 1994 sous l’autorité du Premier Ministre Edouard
Balladur. Son objectif premier était d’émettre des orientations stratégiques au
lendemain de la fin du monde bipolaire. Ce document apporte quelques éléments
concernant les orientations en matière d’espace militaire, avec le développement de
satellites d’observation optique, radar et d’écoute 297. Mais l’absence d’avancées
notables malgré les propositions françaises au sein de la CD se double d’une remise
en cause de l’utilité de l’espace militaire au niveau national. Ceci est marqué en 2003
par la suppression du Bureau Espace sous prétexte que l’espace ne contribue pas
directement à la conduite des opérations 298. En 2003, ce sont pourtant les images
Hélios qui fournissent aux décideurs français les éléments concourant au choix de la
France de ne pas intervenir en Irak aux côtés des Américains. En 2008 et par
l’affichage politique que représente le Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité
Nationale (LBDSN), la France réaffirme sa volonté d’accorder une priorité
stratégique au domaine spatial. De ce LBDSN émane une volonté politique de donner
un nouvel élan à l’espace militaire.

294
Général Pascal Valentin (dir.), Espace & opérations, enseignements et perspectives, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 22.
295
La guerre du Golfe de 1990-1991 a été qualifiée ainsi car les Etats-Unis y ont utilisé de manière significative les satellites.
On est alors passé d’une utilisation stratégique à une utilisation opérative et tactique de l’espace. Lire Xavier Pasco,
« L’espace et les approches américaines de la sécurité nationale » op. cit..
296
Jacques Isnard, « M. Hernu installe un état-major de l’espace », Le Monde, 5 juin 1985.
297
Livre Blanc de 1994, p. 80.
298
Général Pascal Valentin, Espace & opérations, op. cit., , p. 24.

- 127 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

« L’espace extra-atmosphérique est devenu un milieu aussi vital pour


l’activité économique mondiale et la sécurité internationale que les
milieux maritime, aérien ou terrestre. (…) le déploiement dans l’espace de
satellites de toute nature – communication, observation, écoute, alerte,
navigation, météorologie, etc. – est devenu un élément indispensable pour
toutes les fonctions stratégiques. Aussi notre pays fera-t-il un effort
particulier dans le domaine spatial, pour que soit assurée la cohérence
avec les besoins de notre défense et de notre sécurité nationale.» 299

Les trois marqueurs de cet intérêt renouvelé sont la création d’un commandement
interarmées de l’espace (CIE), l’annonce d’un doublement du budget et la
réaffirmation de la mission de surveillance de l’espace confiée à l’Armée de l’air. En
parallèle la France renouvelle ses programmes spatiaux militaires afin d’éviter tout
vide capacitaire. Ainsi la poursuite des programmes d’observation et d’écoute est
assurée. La France s’est équipée progressivement de tout le spectre des utilisations
militaires de l’espace et gagne ainsi en autonomie. Lorsque la France décide
d’intervenir sur un théâtre extérieur, l’espace vient alors en support aux opérations
militaires et notamment aériennes. Qui plus est, les interventions se déroulent sur des
terrains où parfois la distinction entre ami et ennemi est brouillée. Les capteurs
spatiaux sont utilisés en planification et en conduite des opérations afin d’atteindre
des objectifs tactiques en limitant les dommages humains et matériels. L’observation
de la terre permet de collecter des images, de les utiliser au profit de l’élaboration de
modules numériques de terrain et donc de réaliser de la cartographie. Les clients de
l’observation sont aussi les acteurs du ciblage. Ce dernier consiste à identifier et
sélectionner les cibles pour agir sur elles avec des moyens létaux ou non létaux en
vue d’obtenir l’effet recherché. La constitution du dossier d’objectifs sur les cibles
s’appuie sur de l’observation spatiale et permet de fournir au commandement les
éléments de la prise de décision et aux unités opérationnelles les éléments techniques
lui permettant de traiter la cible. En conduite, l’utilisation de l’espace existe mais est
complétée par des images de reconnaissance aérienne permettant une évaluation fine
des dommages causés au sol. L’utilisation éventuelle d’armements guidés GPS

299
Livre blanc sur la Défense et la sécurité Nationale (LBDSN), Paris, La Documentation française, juin 2008, p. 143.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

nécessite d’obtenir de cette constellation la meilleure précision possible. La


constellation GPS sert aussi la localisation et le positionnement des avions, lors de
manœuvres de « show of force » 300 par exemple. Par ailleurs, les drones, de par leur
fonctionnement, disposent d’appareils de navigation embarqués utilisant les satellites
de la constellation GPS. Sans eux, le drone est incapable de s’orienter. Le trinôme
station-sol, satellites, drone fonctionne de concert. Si l’acquisition d’images
satellitaires est fondamentale à la prise de décision et à la conduite des opérations, le
renseignement d’origine électromagnétique permet la localisation des émetteurs radar
et donc le positionnement et la caractérisation des moyens adverses. Pour cela, la
France s’appuie sur les satellites de la constellation ELISA (Electronic Intelligence
Satellite). L’utilisation des satellites de météorologie permet de disposer des
conditions de possibilités des opérations aériennes sur les théâtres. Enfin, avec
l’éloignement des théâtres d’opérations, la nécessité de maintenir les communications
avec la chaîne de commandement passe par les liaisons satellitaires. Le programme
Syracuse évoqué précédemment permet à la France de disposer d’un système
autonome de communication cryptée. Il raccourcit en temps la transmission des
informations et donc les prises de décisions. En plus de Syracuse, la France peut
compter sur SICRAL, programme franco-italien, dont le satellite SICRAL 2 a été mis
en orbite en avril 2015. Ce dernier a pour caractéristique de pouvoir identifier et
isoler une source de brouillage en reconfigurant sa zone de couverture. Ces moyens
sont également complétés par des moyens civils si nécessaire. Toutes ces évolutions
technologiques sont aujourd’hui présentées dans les discours comme indispensables.
Elles semblent l’être devenues. Mais l’on peut s’interroger sur l’effet d’entraînement
que provoque le « tout technologique » initié et encouragé par les Etats-Unis. Les
systèmes spatiaux permettent un flux d’informations considérable qui peut placer le
décideur en situation d’incertitude plus grande encore, et recréer une autre forme de
brouillard. De plus, l’adoption irréfléchie de ces systèmes réseaucentrés auraient pour
conséquence l’adoption d’une culture de guerre 301 particulière d’inspiration
américaine. Elle se déploierait d’autant plus aisément en l’absence d’une réelle

300
Un show of force est un passage à très basse altitude effectué par un avion de chasse afin d’avertir ou d’intimider des
assaillants sur le théâtre des opérations.
301
Joseph Henrotin, « Imaginaires techno-informationnels et efficience militaire », in Maryse Carmes et Jean-Max Noyer,
(dir.) Les débats du numérique, Paris, Presses des Mines, p. 185-208, mai 2014.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

réflexion nationale sur le sujet. Ces développements font l’objet d’une analyse
approfondie dans la deuxième partie de cette thèse.
Malgré les quelques exemples de coopérations spatiales militaires cités ci-dessus, le
bilan reste plutôt mitigé. Ces difficultés amènent la France à repenser les modalités
de ses coopérations 302 notamment sur le prochain programme de satellites militaires
d’observation. Malgré les moyens existants et l’affichage d’une volonté politique,
renouvelée lors du discours de Nicolas Sarkozy à Kourou en 2008, le doublement du
budget annoncé dans le LBDSN 2008 n’a pas eu lieu 303. Les dirigeants français
successifs ne portent à l’espace militaire qu’un intérêt dicté par les conjonctures. A
l’inverse, aux Etats-Unis, l’intérêt et la volonté politique sont constants et donc
structurels. Ce relatif désintérêt politique français pour l’espace explique en partie
l’absence d’une véritable politique spatiale, formalisée par un document
programmatique (à l’image de la National Space Policy publiée par l’exécutif
américain) et d’une stratégie spatiale (à l’instar de la National Security Space
Strategy américaine) voire d’une diplomatie spatiale. Car en effet ces deux derniers
s’articulent pour servir la première. La définition aronienne de ces termes sied au
milieu spatial.
« Convenons d’appeler stratégie [spatiale] la conduite d’ensemble des
opérations militaires [spatiales], convenons d’appeler diplomatie
[spatiale] la conduite du commerce avec les autres unités politiques.
Stratégie [spatiale] et diplomatie [spatiale] seront toutes deux
subordonnées à la politique [spatiale], c’est-à-dire à la conception que la
collectivité ou ceux qui en sont responsables se font de « l’intérêt
304
national ».
Ainsi, même si la politique spatiale française existe, elle peut paraître peu lisible pour
le public. La détermination des objectifs et les choix stratégiques sont à rechercher
dans les Livres Blancs, discours ou autres rapports gouvernementaux. En 2012, le
Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR) diffuse un

302
Pour un bilan très complet de la difficulté à coopérer sur les programmes spatiaux militaires, lire François Heisbourg,
Xavier Pasco, Espace militaire. L’Europe entre souveraineté et coopération, Paris, Choiseul, 2011.
303
LBDSN 2008, op. cit., p. 143.
304
Raymond Aron, op.cit., p .36.

- 130 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
305
document intitulé stratégie spatiale française . Or la stratégie dont il s’agit ici ne
renvoie pas à une dimension militaire mais davantage à un effort de hiérarchisation et
de coordination des activités spatiales tant dans les domaines civil, militaire et
commercial. Il s’agit d’exposer une stratégie politique, commerciale ou encore
industrielle. Le terme de stratégie est ici galvaudé par rapport à sa signification
originelle. Ce document était cependant nécessaire en termes d’affichage extérieur.
En effet, c’est la première fois en France qu’est employé le terme de stratégie pour
faire référence au milieu spatial. Qui plus est, elle semble avoir été confectionnée en
réaction à la publication un an auparavant de la stratégie spatiale allemande 306. La
nature duale de l’espace explique que ce soit le MESR et son « ministre chargé de
l’espace » qui jusqu’ici mènent des réflexions autant sur les questions relevant de
l’espace civil que militaire. Cependant, ses prérogatives l’éloignent des
problématiques militaires. Certains stratèges français se sont néanmoins penchés sur
la question d’une stratégie spatiale. C’est le cas du parlementaire, Serge Grouart, qui
a rédigé ce qui est considéré en France comme le premier essai de stratégie
spatiale 307. Certaines réflexions sur les liens entre la stratégie et l’espace sont aussi
faites par le stratège Hervé Coutau-Bégarie 308. Cependant, il ne peut y avoir de
stratégie (spatiale) que lorsqu’il y a une volonté de contrôle du milieu (spatial). Or,
bien que la France fasse une utilisation militaire de l’espace, elle n’a ni l’ambition ni
les moyens d’en prendre le contrôle.
« Il ne pourra y avoir de stratégie spatiale à proprement parler que dès
lors que l’espace deviendra théâtre d’opérations militaires : jusque-là il
ne peut y avoir qu’une doctrine spatiale (une doctrine de l’utilisation des
moyens spatiaux dans leur relation de complémentarité ou de substitution
avec d’autres moyens militaires). » 309

305
Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Stratégie spatiale française, mars 2012,
http://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/Politique_spatiale_francaise/09/8/Strategie_spatiale_francaise-
mars-BD_211098.pdf
306
“Making Germany's space sector fit for the future. The space strategy of the German Federal Government”, Ministère
fédéral de l'Économie et de la Technologie BMWi (Bundesministerium für Wirtschaft und Technologie), novembre 2010,
http://www.bmwi.de/English/Redaktion/Pdf/space-strategy,property=pdf,bereich=bmwi2012,sprache=en,rwb=true.pdf
307
Serge Grouart, La guerre en orbite…, op. cit.
308
Hervé Coutau-Bégarie, Traité de stratégie, Paris, Ed. Economica, 7 ème édition.
309
Christian Malis, « L’espace extra-atmosphérique, enjeu stratégique et conflictualité de demain », ISC-CFHM-IHCC, 2002,
p. 14, [en ligne], http://www.stratisc.org/act/Malis_Astropol.html.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Ce constat fait en 2002 semble avoir évolué. En effet, depuis 2010, l’espace est
qualifié de « champ d’affrontement » 310. La stratégie est alors comprise dans son sens
premier comme « la dialectique des intelligences, dans un milieu conflictuel, fondée
sur l’utilisation ou la menace d’utilisation de la force à des fins politiques. » 311 Cette
définition d’Hervé Couteau-Bégarie ; qui par l’intelligence désigne la finesse, la ruse
et la rapidité d’action, complète celle du Général Beaufre parlant lui de « dialectique
des volontés ». Les deux sont en fait complémentaires.
« Toute intelligence est, par sa nature même, le résultat, à la fois ternaire
et unique, d’une perception qui appréhende, d’une raison qui affirme,
d’une volonté qui agit. » 312

1.1.3.1.3. Les acteurs du premier cercle


En France, la « paternité politique » 313 des décisions est attribuée au Président de la
République et à son entourage chargés d’établir les arbitrages finaux. Ainsi,
officiellement, le Président de la République fixe les grandes lignes de la politique
spatiale, le Premier Ministre, lui, coordonne les actions des ministères dans le
domaine spatial, au niveau du Secrétariat Général de la Défense et de la
Sécurité Nationale (SGDSN), au Secrétariat Général à l’Action Extérieure (SGAE)
pour la politique européenne et effectue les arbitrages ministériels nécessaires entre la
défense, l’industrie, la recherche et les affaires étrangères. Cependant ces décisions
ne sont que le résultat des interactions entre une pluralité d’acteurs. De plus,
Président et Premier ministre ne sont pas en mesure d’avoir une connaissance
exhaustive et précise de tous les dossiers sur lesquels leur arbitrage est attendu, ils ne
sont donc pas en mesure d’adopter la solution optimale. Cela fait d’eux des acteurs à
la rationalité limitée 314. Ils choisissent alors parmi les quelques hypothèses qui leur
sont suggérées la solution la plus satisfaisante. Les notions de rationalité limitée et
de stratégie de suffisance qui sont ici évoquées seront de même pertinentes lors du

310
Concept interarmées, Concept d’emploi des forces, Centre Interarmées de concepts, de doctrines et d’expérimentations
(CICDE), 11 janvier 2010, p. 12.
311
Hervé Coutau-Bégarie, Traité de stratégie, op. cit., p. 78.
312
Joseph de Maistre, Les Soirées de Saint- Pétersbourg, Paris, Librairie grecque, latine et française, 1821, tome 1, p. 87.
313
Pierre Muller, Les politiques publiques, op. cit., p.33.
314
James March, Herbert Simon, Les Organisations, Paris, Dunod, 1964.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
315
traitement des décisions prises à l’international . Les acteurs du premier cercle ont
une position dans l’organigramme fonctionnel qui leur donne a priori le plus de
pouvoir et les exempte de stratégies et de calculs, au moins au niveau interne.
Cependant, l’arbitrage final n’est que le résultat des calculs et stratégies développés
par les acteurs des autres cercles, qui ont su défendre leurs intérêts au plus haut
niveau. A l’inverse, les décisions du premier cercle peuvent être parfois marquées par
le style et la volonté personnelle du président. C’est le cas avec le Général de Gaulle
qui impose une posture particulière et lance véritablement la France dans l’aventure
spatiale. Les présidents successifs n’ont pas forcément impulsé la même dynamique à
la politique spatiale française et encore moins à la politique spatiale de défense. A
défaut de document exécutif présidentiel propre à l’espace, les arbitrages finaux
relatifs à l’espace militaire sont contenus dans les livres blancs sur la défense
nationale, tout en rappelant que ces derniers ne sont que le reflet de multiples
interactions entre des acteurs aux profils parfois très différents. A ce titre, la
commission du LBDSN 2008 est symptomatique 316. Le secteur spatial a cette
particularité, avec d’autres sujets touchant eux aussi à la souveraineté nationale, à
l’instar de la dissuasion ou la défense antimissile, d’être surdéterminé par le
politique. « Le spatial a une empreinte politique forte » 317. Ceci rejoint la remarque
du Professeur Blamont « l’espace est un outil politique » 318. Ce qui était évident
pendant la Guerre froide est toujours pertinent aujourd’hui.

1.1.3.1.4. Les administrations sectorielles du second cercle


Les administrations sectorielles du second cercle cherchent en amont à influencer les
futures orientations de la politique spatiale et lorsque ces dernières sont fixées, à les
ajuster selon leurs intérêts. Il s’agit du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la
Recherche (MESR) et du Ministère de la Défense (MD). Sous la tutelle du MD, on
distingue la Délégation Générale de l’Armement (DGA) et le Chef d’Etat-major des
Armées (CEMA). Le CEMA a sous ses ordres les trois Etats-Majors Terre, Air, Mer.

315
« bounded rationality », « satisficing », concepts développés par Robert O. Keohane, After Hegemony: Cooperation and
Discord in the World Political Economy, Princeton University Press, 1984.
316
Voir composition de la commission du LBDSN 2008, op. cit., p. 321-323.
317
Entretien avec l’adjoint Espace à la Direction générale de l’armement (DGA).
318
Groupe de travail sur la stratégie spatiale à l’initiative du colonel Lefebvre, IRSEM, Paris, Ecole Militaire, 3 février
2010.

- 133 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Chacun des trois est représenté au sein du Commandement Interarmées de l’Espace


(CIE). Ce dernier forme l’équipe Défense avec le Centre National d’Etudes Spatiales
(CNES) qui a lui pour ministères de tutelle le MESR et le MD. Cette équipe peut être
considérée comme une configuration d’acteurs influente au sein de l’espace militaire
en France. Cette équipe est aidée par la Délégation aux Affaires Stratégiques (DAS)
aujourd’hui Direction générale des relations internationales et de la stratégie
(DGRIS) 319, sous l’autorité du MD. Le directeur de la DGRIS peut être considéré
comme le conseiller du Ministre. La DAS disposait même d’un conseiller Espace,
chargé des questions politico-stratégiques. Son pendant diplomatique se trouve au
Ministère des Affaires étrangères (MAE) avec la Direction aux Affaires Stratégiques,
de Sécurité et du Désarmement. La DGRIS joue un rôle dans l’élaboration des
orientations stratégiques « espace » tandis que son homologue au MAE se charge
notamment d’expliquer et de défendre les positions françaises au sein des enceintes
multilatérales. Au sein du MAE, le Centre d’Analyse, de Prévision et de Stratégie 320
(CAPS) mène aussi ses réflexions sur le milieu spatial et notamment sur la question
de la sécurité des activités spatiales. C’est au sein du Ministère de l’Enseignement
Supérieur et de la Recherche qu’est présent le « Ministre chargé de l’espace ». En
concertation avec le CNES sur lequel il exerce officiellement une tutelle, il conduit la
politique de recherche ainsi que la politique industrielle dans le domaine spatial. Il
soutient les activités de l’espace civil étatique et contrôle et surveille les opérateurs
spatiaux. A ce titre, le ministre chargé de l’espace et le CNES participe activement à
la sécurité des activités spatiales. Ce Ministère contribue à la réflexion sur les
orientations de la politique spatiale française. Pour preuve, en 2010, Laurent
Wauquiez, alors ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche commande
auprès du Centre d’Analyse Stratégique (CAS) 321 un rapport sur la vision française
d’ici à 2030 du devenir de l’Europe spatiale. Ce rapport se veut exhaustif et ne fait
pas l’impasse sur l’espace militaire en ajoutant au corps du rapport un complément

319
Réorganisation en 2015.
320
Le CAS a eu comme premier directeur Thierry de Montbrial (1973-1978), fondateur et directeur actuel de l’Institut
Français des Relations Internationales (IFRI), mais aussi Jean-Marie Guéhenno (1989 à 1993), secrétaire général adjoint du
département des opérations de maintien de la paix des Nations Unies de 2000 à 2008, président de la Commission chargée de
la rédaction du LBDSN 2013.
321
Le CAS, devenu le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) dit France Stratégie en 2013 est un
organisme de réflexion, d’expertise et de concertation placé auprès du Premier Ministre (PM). Ses analyses portent
principalement sur les questions économiques, sociales, d’emploi, de développement durable et de numérique. Outil de

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

« défense et sécurité » alimenté par les autres acteurs du second cercle (DAS, CIE).
De même, ce travail a été réalisé en auditionnant des acteurs du troisième cercle. Plus
récemment, en 2012, ce même ministère a publié le document intitulé de manière
ambitieuse « stratégie spatiale française ». Ses prérogatives l’éloignent des
problématiques militaires. Le MD apporte son soutien aux activités militaires et
s’assure de la sûreté des opérations spatiales (surveillance de l’espace). En octobre
2003, la Ministre de la Défense de l’époque, Michèle Alliot-Marie confie à
l’ambassadeur de France Bujon de l’Estang la présidence d’un groupe de travail sur
les orientations stratégiques de politique spatiale de défense (GOSPS). Ce groupe de
travail a donné lieu à la rédaction d’un rapport dont une version allégée, non
classifiée, peut être consultée 322. Ce document a été très clairement une source
d’inspiration, via ses recommandations, pour l’élaboration des orientations
stratégiques relatives à l’espace militaire que l’on retrouve dans le LBDSN 2008.
Dans ce document, un paragraphe est consacré aux « conditions d’accès et de sécurité
dans l’espace ». Il est rappelé que la sécurité dans l’espace est menacée par « la
prolifération des débris » mais aussi par la possible « apparition de moyens orbitaux
offensifs ». « La surveillance de l’environnement spatial devient [donc]
indispensable. » 323 La fonction duale de la surveillance de l’espace permet « de
prémunir le satellite d’un risque de collision accidentelle avec un débris au moment
du lancement ou en orbite [et] d’appréhender les éventuelles menaces (agressions
physiques ou électroniques) susceptibles de peser sur nos moyens spatiaux civils ou
de défense. (…) En contribuant à déceler et à caractériser les agressions possibles
contre les satellites, elle pourrait devenir un outil au service d’un instrument
multilatéral de type « code de bonne conduite » qui viserait à freiner la militarisation
de l’espace. » 324

concertation et outil de pilotage stratégique auprès de l’exécutif, il contribue aux choix de politique publique puis à leur
évaluation. Il a force de propositions et recommandations par les rapports qu’il rédige après commande du PM.
322
« Donnons plus d’espace à notre défense. Orientations d’une politique spatiale de défense pour la France et l’Europe »,
Groupe de travail sur les orientations stratégiques de politique spatiale de défense, Ministère de la Défense, 2007.
323
« Donnons plus d’espace à notre défense... », op. cit., p. 17.
324
Ibid. p. 24.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Enfin, le MD oriente la recherche spatiale au travers de ce qui est appelé le


« programme 191 Recherche Duale ». Ce programme qui est en fait une enveloppe
budgétaire mise à disposition par le MD au profit du CNES, doit servir à financer des
projets spatiaux à caractère dual 325. L’utilisation de cette ligne budgétaire est un des
sujets discutés au sein de l’équipe Défense.
La création de l’équipe Défense a permis de lisser les relations entre le CNES, la
DGA et l’EMA, représenté par le CIE, en les rassemblant de manière périodique. Sa
création date de l’arrivée de M. Yannick d’Escatha en tant que Président du CNES,
fin 2003. Pour les acteurs corporatifs réunis ainsi de manière formelle, c’est un
contact direct avec la culture et l’identité professionnelles de l’autre, très marquées
chez les trois protagonistes, militaires, ingénieurs du secteur spatial et ingénieurs de
l’armement. La configuration créée par cette équipe permet les interactions entre ces
acteurs para-étatiques. Cette structure institutionnellement établie renseigne sur la
qualité moyenne des relations et donc sur les opportunités d’interactions. Néanmoins,
ces acteurs corporatifs ont pour membres des acteurs individuels porteurs d’aspects
motivationnels et cognitifs qui peuvent être différents. L’équipe Défense peut être
considérée comme un laboratoire de l’apprentissage et de la socialisation, l’effet étant
démultiplié par la fréquence de leurs rencontres. Avant d’analyser cette entreprise de
socialisation à l’œuvre, il est nécessaire de revenir sur ce que ces institutions
représentent historiquement pour la politique spatiale française.
Le CNES est l’institution historique de l’espace en France. Crée en 1961 par la
volonté du Général de Gaulle, les membres du CNES garde encore actuellement dans
leur culture professionnelle cette fierté d’avoir été les pionniers de l’espace. Les
interlocuteurs rencontrés n’hésitent pas à parler de « pères fondateurs » pour qualifier
les premiers directeurs du CNES. Le CNES met l’accent sur les programmes duaux, à
l’instar des satellites d’observation Pléiades, mais les compétences de ses ingénieurs
sont utilisées de la même manière pour des programmes strictement militaires
(Hélios). Ils assurent ainsi le développement de certains programmes (Pléiades) et le
maintien à poste (Hélios). « La mission du CNES n’est pas d’industrialiser mais de

325
Plus précisément, le programme 191, dont l’enveloppe budgétaire inscrite au projet de loi de finance 2015 est de 192M€,
vise à maximiser les retombées civiles de la recherche de défense, et inversement, faire bénéficier la défense des avancées de
la recherche civile. Il finance le CNES et le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) dans leurs
recherches duales. Pour le CNES, il s’agit de la poursuite des développements des projets MUSIS CSO (post-HELIOS) et
TARANIS (satellite étude du couplage magnétosphère-ionosphère-atmosphère.

- 136 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
326
faire de l’innovation et de l’expertise. » En disposant annuellement d’une
enveloppe budgétaire dual entre 150 et 200 millions d’Euros, le CNES et la défense
s’accordent sur les programmes à réaliser. Les ingénieurs du CNES n’allant jamais
sur les théâtres d’opération, ne connaissent pas les besoins militaires. Afin de faciliter
ce dialogue, le président du CNES est aidé par un conseiller militaire qui est
actuellement un Général (deuxième section) issu de l’Armée de l’air. Le CIE, en
dehors de l’équipe Défense, fait aussi le lien avec ses partenaires en accueillant dans
son enceinte, un représentant du CNES. Dans ses fonctions, il est davantage le
conseiller « relations internationales » du commandant du CIE. Reste que quelques
rivalités demeurent notamment sur la surveillance de l’espace, dispositif au cœur du
concept de sécurité des activités spatiales. En effet, le CNES souhaitait se doter d’un
centre de surveillance de l’espace autant civil que militaire. La communauté militaire,
elle, tout en reconnaissant la nécessité de travailler de concert avec le CNES,
préférait détenir son propre centre de surveillance de l’espace notamment pour
pouvoir traiter de l’information confidentielle. Il ne s’agit pas simplement
d’incompréhension entre deux cultures professionnelles. Certes, la culture militaire
entretient une méfiance à l’égard d’un partage étendu d’informations. Mais ce souhait
de la communauté militaire répond aussi à un impératif exogène, qui conditionne les
coopérations avec les autres Etats. En effet, le degré de sécurisation des données dans
le partage d’information est une des conditions d’échanges pour les partenaires
américains.
« Les Américains sont très soucieux de cet échange de données mais ils ne
veulent pas partager avec des organismes qui sont civils, même s’il y a
une tutelle défense, pour eux ce sont des civils et ils ne voudront pas
partager les mêmes informations qu’avec nous. C’est d’ailleurs par nous
que transitent souvent certaines informations confidentielles. Les
Américains nous disent, ok, on vous le donne à vous, on vous autorise à le
donner au CNES mais ils ne veulent pas directement transmettre à eux. Il
y aura du civil dans l’espace de plus en plus certes, mais à partir du

326
Entretien avec le conseiller militaire du Président du CNES.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

moment où l’espace deviendra plus dangereux, là aussi c’est pareil, ce


327
sont les moyens étatiques qui reviendront mettre de l’ordre. »
Une particularité française est que le CNES est l’opérateur des satellites militaires
français.
Le CNES a, en revanche, de solides relations avec leurs homologues américains de la
NASA, notamment par l’intermédiaire des coopérations scientifiques. Le CNES est
également en pointe sur l’élaboration de logiciels modélisant l’évolution sur des
décennies de la population orbitale. Leurs résultats remettent en cause les estimations
pessimistes des autres agences spatiales qui se fondent toutes sur les modèles de la
NASA. Le CNES est une des rares agences spatiales à questionner les critères de
validité des savoirs engagés dans le traitement de l’enjeu des débris spatiaux (3ème
caractéristique d’une CE selon Peter M. Haas). En 2012, certains de ses membres ont
présenté leurs résultats au cours d’une conférence de l’IADC, Inter-Agency Space
Debris Coordination Committee, en contradiction avec les prévisions jusqu’ici
présentées. Ces derniers remettent en cause ce sur quoi la CE repose, sachant que
dans le même temps, d’autres acteurs individuels du CNES en font partie. Cela est
développé dans la sous-partie traitant des activités de la CE au sein de l’IADC.
Enfin, le CNES assure la fonction de représentant de l’Etat français au sein du
Conseil de l’Agence Spatiale Européenne (ESA). Le CNES a œuvré pour que les
militaires français soient à présent acceptés au sein de l’ESA au travers du
programme Space Situational Awareness, SSA, qui regroupe une conception large de
la surveillance de l’espace.
L’équipe Défense intègre la DGA, la Délégation Générale pour l’Armement, grand
corps de l’Etat placé sous l’autorité directe du Ministère de la Défense et regroupant
des ingénieurs de l’Armement. Elle occupe une place centrale dans l’élaboration des
programmes d’armements.
« Elle est chargée de superviser l’acquisition des matériels militaires, de
conseiller le gouvernement, et d’assurer une fonction d’interface entre les
Etats-majors et les industriels, privés ou publics, tout en étant elle-même
productrice d’armement. » 328

327
Entretien avec le Général commandant le Commandement de la Défense Aérienne et des Opérations Aériennes (CDAOA),
2013.
328
William Genieys (dir), Le choix des armes. Théories, acteurs et politiques, CNRS Editions, Paris, 2004.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Cette position centrale a parfois valu à la DGA d’être qualifiée d’institution au


service d’un « complexe militaro-industriel étatique » 329, d’autant plus qu’on compte
nombre d’ingénieurs de l’armement en poste au sein des cabinets ministériels, du
SGDSN ou encore des sociétés privées. Cette vision est renforcée par le fait que la
DGA s’est montrée, ces dernières années, moins active en tant que force de
proposition. La DGA compte parmi ses effectifs deux conseillers Espace 330. Un en
tant qu’adjoint au directeur de la Direction de la Stratégie (DS) et un autre au service
du service d’architecture des systèmes de forces (SASF), toujours au sein de la
direction de la stratégie. Le premier est un poste où une réflexion politique y est
menée tandis que le second développe une analyse en termes techniques. Malgré tout,
pour la DGA, l’espace de défense est un « micro sujet » 331. Les relations entre le
CNES et la DGA ne semblent pas être des relations de confiance mutuelles :

« Quand je suis arrivé ici, j’étais perçu comme l’espion du CNES.


Evidemment. (…) Maintenant au CNES je commence à être perçu comme
l’espion de la DGA. Bon, c’est bien, c’est bon signe. Mais ça commence à
rentrer un petit peu. L’intérêt du CNES là-dedans je crois que c’est
d’essayer d’avoir des interlocuteurs mieux placés à la DGA. » 332

Les relations entre la DGA et l’Etat-major sont, elles, « trop formelles » et « les gens
de l’Etat-major nous disait qu’ils étaient très contents de parler avec le CNES pour
passer leur message car leur message ne passait pas à la DGA. » 333
Le CIE devait aussi à l’origine accueillir un représentant de la DGA, ce qui
aujourd’hui n’est toujours pas le cas. Les explications sur cette absence restent
évasives.
Au sein de l’équipe Défense, l’Etat-major est représenté par le point d’entrée de
l’espace militaire en France, le Commandement Interarmées de l’Espace (CIE). Créé

329
Ibid., p. 12.
330
Cette description date du moment où l’analyse des acteurs corporatifs a été menée, c’est-à-dire en 2010-2012.
331
Entretien avec l’Adjoint Espace de la DGA.
332
Entretien avec l’Adjoint Espace à la DGA.
333
Entretien avec l’Adjoint Espace à la DGA.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

officiellement le 2 juillet 2010, le CIE répond à un besoin identifié dans le LBSDN de


2008.
« (…) étant donné l’importance croissante du milieu spatial pour la
défense et la sécurité nationale, la doctrine, les opérations et les
programmes spatiaux seront placés sous la responsabilité d’un
commandement interarmées identifié et dédié, placé sous l’autorité du
chef d’état-major des armées. Sous la direction de ce nouveau
commandement, l’armée de l’air verra ses compétences accrues dans la
mise en œuvre des capacités spatiales. » 334

Auparavant, les compétences spatiales militaires étaient disséminées par applications


sectorielles (télécommunications, observation, recueil de données d’origine
électromagnétique, surveillance de l’espace, positionnement/ navigation ou alerte
avancée) au sein notamment de la division Espace-Programmes Interarmées de l’Etat-
major des Armées, sans qu’une réelle réflexion sur le concept de l’utilisation de
l’espace soit faite. En plaçant le CIE sous une double tutelle, Chef d’Etat-major des
Armées (CEMA) et sous-chef Opérations, la dimension capacitaire est enrichie d’une
démarche stratégique. Cela dénote un souhait de changement dans la manière de
penser l’espace militaire en France. Cette rationalisation peut paraître avantageuse
pour les militaires en ce sens qu’ils sont à présent plus identifiables et donc mieux
organisés pour défendre leurs intérêts et idées. Cette décision politique ne semble pas
refléter un besoin exprimé par les militaires eux-mêmes.

« Au sein des Armées en tout cas, ce qui a imposé de le faire c’est le Livre
Blanc. Dans le Livre Blanc, c’est écrit « il sera créé un Commandement
Interarmées de l’Espace » et le Livre Blanc n’a pas été écrit par les
militaires mais il l’a été par des civils. » 335

En tant qu’acteur corporatif, les Armées ont accueilli de manière neutre la création de
ce commandement, à l’exception peut-être de l’Armée de l’air.

334
LBDSN 2008, op. cit., p. 143.
335
Entretien au Commandement Interarmées de l’Espace, Bureau Maîtrise de l’Environnement Spatial, Paris, 2 décembre
2010.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

« J’ai eu un soutien tout à fait adapté et tout à fait satisfaisant de la part


de l’Etat major des armées ; de la part de la marine ou de l’armée de
terre, je n’ai pas eu… J’ai été aidé mais je n’ai pas senti un allant
particulier. (…) Disons que, autant l’armée de l’air était particulièrement
favorable à la création de cet organisme, donc j’ai eu un soutien assez
franc et direct, les autres armées, je n’ai pas eu d’obstacles ça c’est très
clair. » 336
Les principales réticences dans cette création se situaient au niveau des prérogatives
attribuées à cette nouvelle institution interarmées.
« Il faut quand même savoir que ça s’est bien passé en interarmées pour
plein de raisons et aussi grâce à une décision fondamentale, qui était de
placer le CIE au niveau Commandement opérationnel, au niveau
stratégique, c’est-à-dire, équivalent niveau Etat-major des Armées. Il a
été décidé en septembre 2009 par le Major Général des Armées de
l’époque qui était l’amiral Blériot de laisser le contrôle opérationnel des
moyens aux organismes qui en avaient la charge. Dans l’organisation, la
DRM [Direction du Renseignement Militaire] est contrôleur opérationnel
pour les moyens d’observation. Le CDAOA [Commandement de la
Défense Aérienne et des Opérations Aériennes] est contrôleur
opérationnel pour les moyens de surveillance de l’espace et la DIRISI
[Direction Interarmées des Réseaux d’Infrastructures et des Systèmes
d’Information] est contrôleur opérationnel pour les moyens de
télécommunications par satellites. Ce qui fait que le fait qu’on ne touche
pas à leurs prérogatives a très certainement facilité grandement la
création du CIE, puisqu’en fait je ne marchais sur les plates bandes de
pratiquement personne. » 337

Le contrôle opérationnel des moyens existants reste donc à la charge d’organismes


ayant historiquement ces fonctions. Le choix d’un commandement interarmées
comme point d’entrée de l’espace militaire français permet d’entériner le fait que la

336
Entretien avec le commandant du CIE, Paris, 7 février 2011.
337
Ibid.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

composante spatiale est utilisée par les trois Armées sans qu’aucune, officiellement,
n’ait l’avantage sur l’autre. D’aucuns affirmaient que le milieu spatial était la
continuation physique du milieu aérien et qu’en ce sens ce milieu relevait des
compétences de l’Armée de l’air. Cette idée semble moins partagée aujourd’hui. De
même, il est encore trop tôt pour savoir si les généraux successifs à la tête du CIE
effectueront une rotation par armée. Cette configuration interarmées permet une
visibilité plus nette chez les partenaires étrangers qu’ils soient étatiques ou
institutionnels (Union européenne, OTAN etc.). Le CIE compte en janvier 2016 une
trentaine de personnes réparties au sein de deux échelons, l’échelon technique et
l’échelon de réflexion stratégique (Bureaux « Politique et coopération »,
« Préparation de l’avenir », « Emploi et coordination », « maîtrise de l’environnement
spatial »). Il est composé d’officiers supérieurs ayant déjà occupé des postes touchant
à l’espace militaire. La place accrue de l’espace au sein des Armées tend à constituer
une filière de spécialistes, aptes à prendre la relève des experts militaires ayant connu
les débuts de l’utilisation militaire de l’espace par la France. L’objectif du CIE est
aussi de concourir à cette finalité. Au niveau de l’échelon technique, on retrouve
davantage des personnels n’ayant pas eu a priori une carrière dans le secteur spatial
mais possédant les compétences pour en comprendre les enjeux. De plus, la plupart
de ces officiers en poste au CIE le sont sur volontariat. Ainsi cet échelon correspond
au fonctionnement normal de l’institution militaire (mutation tous les 3 ou 4 années).
Ils ne restent pas forcément dans le domaine spatial après leur passage au CIE. Cette
rotation de l’échelon technique contraste avec les ingénieurs du CNES qui pour la
plupart ont effectué toute leur carrière au sein de l’agence spatiale. Ayant été érigé
comme « seul point d’entrée du spatial en France », le CIE se dote d’une certaine
ascendance sur ses partenaires institutionnels, notamment militaires. Il entretient des
relations constantes avec la DGRIS. Les positions relatives à l’espace militaire qui
sont officialisées par le MD ont été préparées en amont par la DGRIS et le CIE. Sur
le point précis de la surveillance de l’espace, le CIE dispose d’un officier traitant le
sujet dans chacun des deux échelons précités. Au sein du bureau « maîtrise de
l’environnement spatial » pour l’échelon de synthèse, et au sein de la section « SSA »
pour l’échelon technique, les deux étant assurés par des officiers issus de l’Armée de

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

l’air. Cette caractéristique a été précisée au sein du LBSDN 2008 qui a confié
officiellement cette mission à l’Armée de l’air:
« (…) l’armée de l’air, sous la direction du commandement interarmées
chargé de l’espace, assurera la surveillance de l’espace extra-
atmosphérique et verra ses compétences accrues dans la mise en œuvre
des capacités spatiales. » 338
L’équipe Défense est composée d’acteurs aux cultures professionnelles différentes
mais dont la structure institutionnelle fait qu’ils doivent coopérer. Les membres de
l’équipe Défense sont relayés au niveau supérieur par un comité de pilotage (COPIL)
qui ensuite porte les orientations de l’action au niveau politique. Même si ce COPIL
ne doit être que le reflet des réflexions élaborées en amont par les membres de
l’équipe Défense, les membres du COPIL suivent parfois leur propre logique et leurs
propres intérêts. De plus, la proximité de ce COPIL avec le niveau politique brouille
parfois les cartes. En effet, ces derniers sont plus proches des intérêts des acteurs du
premier cercle et sont par conséquent soumis à des logiques politiques de court terme.
L’équipe Défense doit donc faire valoir ses orientations à l’EMA afin qu’elles soient
relayées au plus haut niveau politique.
La réflexion stratégique ainsi que la dimension opérationnelle (mise en œuvre et
exploitation des moyens) de la surveillance de l’espace sont assurées par le CIE.
Cependant, il est important de noter qu’en matière de surveillance spatiale, l’acteur
crucial au sein de l’Armée de l’air est le Commandement de la Défense Aérienne et
des Opérations Aériennes (CDAOA) qui possède le contrôle opérationnel des moyens
existants 339. Ce dernier s’appuie notamment sur le système Grand Réseau Adapté à la
Veille Spatiale (GRAVES), en service depuis 2005, et qui permet de répertorier tous
les objets spatiaux survolant le territoire français de 400 à 1000km d’altitude et ayant
une taille minimale pour le système de détection. Ainsi, le suivi des débris spatiaux
est confié à l’Armée de l’air 340. L’objectif premier n’est de les suivre que pour éviter
une collision qui pourrait être fatale à un satellite de défense français ou européen. La
mission militaire est la surveillance des objets spatiaux pouvant représenter des
menaces, renvoyant à des attaques intentionnelles de satellites tiers contre les

338
LBDSN 2008, op. cit., p. 227.
339
Conformément au Code de la Défense.
340
Fonction dévolue à l’Armée de l’air dans le LBDSN 2008.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

satellites nationaux. Le niveau politique et militaire n’avaient pas anticipé une telle
efficacité du GRAVES, qui en plus d’être un outil opérationnel performant, est
devenu un outil diplomatique efficace. Ainsi, à l’image d’Hélios qui a permis aux
autorités françaises d’avoir une autonomie de décision sur son engagement ou non en
Irak en 2003, GRAVES a permis d’identifier des satellites américains non répertoriés
survolant entre autres le territoire français. A la suite d’une négociation franco-
américaine, les coordonnées des satellites de défense français ont ainsi été retirées du
catalogue public américain en échange du secret gardé par les Français sur le
positionnement des satellites espions américains. Ceci a permis de favoriser la
coopération avec les Américains, rendant les Français plus crédibles aux yeux de
leurs homologues. L’intérêt militaire pour la surveillance de l’espace est donc réel.
D’un point de vue opérationnel, capacitaire, cela permet aux Armées de remplir le
contrat demandé par le décideur politique (autonomie de décision et souveraineté
nationale), mais aussi de diminuer les risques de rupture de moyens (à la suite d’une
collision ou d’une attaque) qui pourraient nuire à la conduite des opérations militaires
au sol. Enfin, cela ouvre des opportunités de coopérations militaires interétatiques
stimulantes pour les Armées.
Au sein des administrations sectorielles du second cercle, se positionne également le
Ministère des Affaires étrangères (MAE). Il participe à l’élaboration du droit spatial
international et veille à la cohérence entre la politique spatiale et la politique
étrangère de la France. Les diplomates du MAE et plus précisément ceux appartenant
à la sous-direction du désarmement et de la non-prolifération nucléaire sont chargés
de représenter la France dans les instances telles que le Comité pour les utilisations
pacifiques de l’espace extra-atmosphérique (CUPEEA plus communément appelé
sous son acronyme anglo-saxon COPUOS, Committee for Peaceful Uses of Outer
space) à New York ou la conférence du désarmement (CD) à Genève, organes des
Nations Unies. Le CIE a des relations étroites avec les diplomates de cette sous-
direction. Les échanges sont nombreux et la compréhension mutuelle semble de mise.
«(…) là-dessus il n’y a pas de problème, on est plutôt en phase, on les
tient informé de ce que l’on fait, ils recueillent notre avis quand ils vont

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

négocier aux Nations Unies donc…et normalement ils en tiennent


compte. » 341
Dans les mêmes thématiques, le CIE a des échanges avec le SGDSN, et plus
particulièrement la direction des affaires internationales, stratégiques et
technologiques. Ce dernier intervient notamment en dernier ressort sur l’attribution
ou non d’autorisation pour l’industriel d’exporter du matériel de guerre. Le SGDSN
recueille les avis de l’EMA, du CIE, de la DGA et du CNES avant de rendre son avis.
Le CIE est de même en lien avec le SGAE placé, comme le SGDSN, sous l’autorité
du Premier ministre. Au-delà de la dichotomie civil/militaire, on ressent au cours des
entretiens avec des diplomates leur fort sentiment d’appartenance au corps des
diplomates, qui se veut différent des autres entités agissant au sein du secteur spatial.
« Je n’étais pas à la DAS au Ministère de la défense, jamais de la vie donc
moi je suis pure diplomate, dix ans au ministère des affaires
étrangères » 342
Le MD a aussi à sa disposition des conseillers diplomatiques. Ces postes sont
fortement politisés et changent la plupart du temps à chaque changement de ministres.
Cette temporalité est en décalage avec les intérêts à long terme portés par les
diplomates. L’épisode important de l’analyse de l’action des diplomates français est
le temps des six mois de la Présidence française de l’Union européenne au second
semestre 2008. Auparavant, les diplomates ont également effectué un travail de
reconquête important auprès des Américains, après la rupture diplomatique de 2003.
Le discours de Dominique de Villepin à la tribune des Nations Unies a laissé des
traces pendant plusieurs années, ternissant les relations franco-américaines. Il est
donc important de rappeler la différence de nature entre la politique étrangère et la
diplomatie. La politique étrangère est le reflet des grandes options qui correspondent
à l’identité d’un pays, l’idée qu’il se fait de ses intérêts profonds et ses objectifs à
long terme. La diplomatie est la mise en œuvre de cette politique étrangère au contact
des partenaires. Une analogie avec le champ militaire reviendrait à dire que la
politique étrangère est la stratégie et la diplomatie la tactique. La diplomatie spatiale
est donc un outil de la stratégie, celle que choisit la France pour soumettre la

341
Entretien au CIE, Paris, septembre 2011.
342
Entretien au Ministère des Affaires Etrangères (MAE), février 2011.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

proposition d’un Code de conduite international pour les activités spatiales. Les
diplomates sont fortement contraints par les facteurs institutionnels et les règles
implicites ou explicites de leur métier. Cependant, certains acteurs individuels qui ne
sont pas formellement rattachés à une institution particulière mais ayant des
interactions régulières avec ces dernières, peut tenir le rôle d’intermédiaires, ce sont
les marginaux sécants 343. Leur réseau de connaissances complexifie les constellations
d’interactions, en favorisant parfois le dialogue entre des acteurs corporatifs.
Maîtrisant mieux que d’autres une zone d’incertitude, il transforme leur capital en
pouvoir. Dans le cadre du sujet sur la sécurité des activités spatiales, un acteur
individuel, au réseau élargi, est choisi par le MAE pour favoriser des discussions sur
le CoC. Il s’agit de Gérard Brachet, évoqué longuement plus tard dans cette thèse.

1.1.3.1.5. Les acteurs du troisième cercle


Le troisième cercle rassemble les syndicalistes, les organisations professionnelles ou
patronales, les associations et les entreprises publiques et privées. Parmi ces acteurs,
ceux qui font le plus sens pour cette thèse sont les organisations professionnelles et
les entreprises privées. Le secteur spatial français se développe autour de quelques
poids lourds de l’industrie spatiale. Ils sont ensuite entourés d’un grand nombre de
petites et moyennes entreprises qui sont autant de sous-traitants soutenant le secteur
de leur expertise et savoir-faire. Cela constitue dans son ensemble la Base Industrielle
Technologique de Défense (BITD). C’est le rôle notamment de la DGA de maintenir
cette BITD dans le cadre d’une politique industrielle et de sa stratégie. Le secteur
spatial se structure autour de quelques grands noms tels qu’Arianespace pour les
lanceurs, Airbus Defense & Space et Thalès Alenia Space (TAS) pour la construction
de satellites. De multiples sous-traitants soutiennent l’activité spatiale. Tous ces
acteurs sont foncièrement européens. Afin de représenter leurs intérêts, la majorité
d’entre eux sont regroupés au sein d’EUROSPACE, l’Association des industries
spatiales européennes, créé en 1961. Son objectif est de discuter des intérêts
industriels au niveau européen. Car en effet, même si les grands maîtres d’œuvre cités
précédemment sont européens, ils n’impliquent que la France, l’Allemagne, le
Royaume-Uni et l’Italie. Or, les sous-traitants ou équipementiers sont présents dans
de nombreux pays européens. Ils ont donc un poids économique, mais au-delà,

343
Michel Crozier, Erhard Friedberg, L’acteur et le système, op.cit.

- 146 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

politique également. EUROSPACE a pour objectif d’identifier un langage commun


entre ces différents acteurs 344. Ses cibles pour faire entendre ce langage commun sont
la Commission européenne et l’ESA. EUROSPACE se situe résolument au niveau
européen. D’autres associations se sont constituées au niveau national, telle que le
Groupement des Industries Françaises Aéronautiques et Spatiales (GIFAS) pour la
France. Les industriels ont été sondés sur leur ressenti quant à leur implication dans
la définition de la politique spatiale française, et de fait sur la sécurité des activités
spatiales. La définition de cette dernière peut engendrer la conception de systèmes
servant la mission de surveillance de l’espace ou la récupération d’objets en orbite 345.
Dans une certaine mesure, leurs orientations en matière de recherche et
développement peuvent être conditionnées par la définition qui sera donnée de la
sécurité des activités spatiales. Par l’intermédiaire des parlementaires, les industriels
expriment leur relative mise à l’écart des discussions :
« (…) lors de nos auditions, les industriels ont exprimé le sentiment de ne
pas être associés comme ils le souhaiteraient, à la définition de la
politique spatiale. Il nous semble qu’un dialogue pérenne doit être
organisé grâce à la création d’une structure de concertation Etat-
industries présidée par une personnalité indépendante. » 346
De ce point de vue, les décideurs politiques américains ont, eux, entrepris une
profonde coopération avec leurs entrepreneurs privés 347. Prenant en compte
l’évolution du secteur spatial, les dirigeants américains s’en sont fait des alliés de
poids. Ainsi, le gouvernement américain a choisi des entreprises privées pour le
lancement de leurs satellites, dont certains sont militaires. De plus, les
administrations sectorielles du ministère de la défense américain ont renforcé leurs
échanges de données par l’intermédiaire de la Space Data Association.
En France, les présidents des grandes entreprises spatiales ont l’occasion d’échanger
avec les parlementaires du GPE lors de rencontres. Les premiers présentent et
défendent leurs programmes aux seconds. Le GPE fait ensuite des recommandations
auprès du pouvoir public et auprès des partenaires européens notamment au cours de

344
Entretien avec le Président de l’association EUROSPACE, Paris, septembre 2011.
345
Dénommé Active Debris Removal (ADR) en anglais.
346
Débats en séance, Débat sur la politique spatiale européenne, Bruno Sido, président et co-rapporteur de l'office
parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques,
http://videos.senat.fr/video/videos/2013/video17168.html

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

la conférence interparlementaire européenne sur l’espace (CIEE) 348. Quant à


EUROSPACE, l’association exerce une activité de lobbying, cherchant à représenter
les intérêts du secteur de l’industrie spatiale et à influencer les pouvoirs publics
européens.
« Et l’esprit c’est vraiment ça, c’est de se dire, les gens à la Commission
ont des décisions à prendre concernant l’espace, ils n’y connaissent rien,
349
mais strictement rien, donc il faut déjà les informer. »
A cet effet, EUROSPACE dispose également d’une antenne bruxelloise.
« (…) nous c’est faire en sorte qu’il y ait des budgets à un moment et que
les budgets soient proportionnels, proportionnés à ce que nous on
entrevoit comme besoin en termes de programmes et de soutien à la
recherche et technologie pour préparer l’avenir. » 350
Les intérêts des acteurs industriels sont de pérenniser l’activité spatiale, et donc de ne
pas créer de rupture dans la recherche et le développement. Les membres du secteur
industriel gravitent autour des solutions technologiques évoquées au sein des forums,
et aux opportunités économiques qui en découleront.

1.1.3.1.6. Le rôle et la place du Parlement dans le débat spatial


Le Parlement français est relativement actif sur les questions spatiales. Les deux
entités (Assemblée Nationale et Sénat) effectuent des consultations et éditent des
rapports d’orientations en la matière. Leur rôle institutionnel leur attribue donc la
possibilité d’interactions multiples avec les acteurs individuels et corporatifs. Elles
font également le lien avec l’opinion publique. Les rapports parlementaires
concernant le secteur spatial sont relativement récents, les travaux du premier datant
d’octobre 1989 351. Ses conclusions ont été rendues après le sommet des Ministres de
l’Espace des 18 et 19 novembre 1991 à Munich. L’objectif affiché était d’étudier
l’avenir de la politique spatiale française et européenne au-delà de l’an 2000.

347
A bon escient, se reporter à l’annexe 3 de cette these portant sur les principaux acteurs privés.
348
URL : http://www.eisc-europa.eu/
349
Entretien avec le Président de l’association EUROSPACE, Paris, septembre 2011.
350
Ibid.
351
A l’origine, il s’agit d’une initiative du sénateur et membre de la Commission des Finances, du Contrôle budgétaire et des
Comptes économiques de la Nation, M. Paul Loridant, qui saisit l’OPECST le 17 octobre 1989.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

D’autres rapports sont rédigés par la suite notamment en 2001 sous le titre « La
politique française : bilan et perspectives » 352.
Concernant l’opinion publique, elle est jugée en 2012, peu intéressée par le sujet. Le
relatif désintérêt des Français vis-à-vis de l’espace « utile » est souvent pointé du
doigt par d’autres acteurs en France.
« L’ambition spatiale est très peu portée aux niveaux politique et
administratif. Elle est, en conséquence, peu partagée par la population.
L’utilité de l’espace dans la vie quotidienne est quelque peu méconnue du
grand public » 353
Les parlementaires essaient donc de porter le sujet tant au niveau politique qu’au
niveau de leurs électeurs. D’un point de vue formel, le parlement français a une
responsabilité dans le domaine militaire en votant les lois quinquennales de
programmation militaire. Elles font suite aux orientations impulsées par le LBDSN
qui déterminent les objectifs en matière d’espace militaire notamment, et exposent
ainsi les moyens financiers mis à disposition afin de mettre en œuvre cette politique.
Le Parlement participe aussi à l’élaboration du LBDSN en faisant part de ses
réflexions via ses groupes de travail. En amont par ses avis, et en aval par la
validation des crédits, il valide la politique spatiale arrêtée par l’exécutif. De manière
permanente, deux commissions traitent des problématiques « défense ». La
commission de la défense nationale et des forces armées au sein de l’Assemblée
nationale et la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées
du Sénat. Une délégation commune à l’Assemblée et au Sénat permet de débattre des
sujets qui acquièrent une importance croissante dans le débat public. Il s’agit de
l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques
(OPECST) dont le président actuel est Jean-Yves le Déaut. Cet office, composé de 18
députés et 18 sénateurs, a pour mission « d’informer le Parlement des conséquences
des choix de caractère scientifique et technologique afin, notamment, d’éclairer ses
décisions. ». A cet effet, l’office « recueille des informations, met en œuvre des
programmes d’études et procède à des évaluations. » 354 Il se présente comme

352
Rapport n°293 (2000-2001) de M. Henri Revol fait au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques
et techniques, déposé le 02 mai 2001, http://www.senat.fr/rap/r00-293/r00-2931.pdf
353
Rapport n°114 (2012-2013) de Mme Catherine Procaccia et M. Bruno Sido au nom de l’Office parlementaire d’évaluation
des choix scientifiques et techniques, déposé le 07 novembre 2012, p. 17, http://www.senat.fr/rap/r12-114/r12-1141.pdf
354
http://www.senat.fr/opecst/presentation.html, site consulté le 14 mai 2013.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

« l’intermédiaire entre le monde politique et le monde de la recherche » 355. La


ministre du MESR pendant la période de cette thèse, Madame Geneviève Fioraso est
une ancienne membre de l’OPECST. L’OPECST est saisi par la Commission des
Finances du Sénat (1991) ou par la Commission des Affaires économiques et du Plan
du Sénat 356 (2001, 2007 et 2012) afin de remettre des rapports. Dépendante de ces
saisines, la périodicité des rapports concernant le secteur spatial est fluctuante. On en
dénombre quatre depuis la création de l’OPECST en 1983 357. Le premier rapport date
du 5 décembre 1991 et est intitulé « Orientations de la politique spatiale française et
européenne ». Ce rapport qui traite aussi de l’espace militaire, « a ainsi donné lieu à
la première incursion de l’Office dans le domaine des choix technologiques liés à la
défense. » 358
En 1991, les parlementaires soulignaient :
« (…) chacun s’accorde pour dire que doit être revalorisé le rôle du
Parlement. (…) le Parlement se serait être réduit à voter chaque année
des crédits budgétaires importants et croissants sans être amené à donner
son appréciation sur des choix aussi lourds. » 359

Cette « revendication » faite en 1991, en faveur d’un rôle accru du parlement, semble
être toujours d’actualité en 2012. En effet, le dernier rapport parlementaire en date du
7 novembre 2012 intitulé « Les enjeux et perspectives de la politique spatiale
européenne » 360 renouvelle cet appel.
Il serait « souhaitable d’associer davantage le parlement à la programmation
spatiale ». 361
Les parlementaires français imaginent un Parlement plus impliqué dans l’élaboration
de la politique spatiale, à l’instar, selon leur perception, des relations entre la NASA

355
Ibid.
356
Il existe d’autres modes de saisine de l’OPECST.
357
Lors de la rédaction de cette thèse, un cinquième rapport est en cours d’édition sur le site de l’OPECST, Rapport n°3253
de M. Jean-Yves Le Déaut, Mme Catherine Procaccia et M. Bruno Sido sur la politique spatiale européenne, novembre 2015.
358
Résumé du rapport n°213, Orientations de la politique spatiale française et européenne, http://www.senat.fr/opecst/o91-
213.html#haut, site consulté le 14 mai 2013.
359
Rapport n°213 (1991-1992) de M. Paul Loridant au nom de l’OPECST déposé le 05 décembre 1991 intitulé « Orientations
de la politique spatiale française et européenne », p. 23,
http://www.senat.fr/opecst/rapport/rapport_t1_polit_spatiale_1991.pdf
360
Rapport n°114 (2012-2013), op. cit.
361
Présentation du rapport sur « les enjeux et perspectives de la politique spatiale européenne », 7 novembre 2012,
http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20121105/opecst.html

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

et le Congrès américain. Au niveau européen, il existe depuis 1987 un mécanisme


similaire avec l’existence du Science and Technology Options Assessment (STOA).
Parallèlement à l’OPECST, un groupe parlementaire thématique sur le milieu spatial
s’est constitué. Il s’agit du Groupe Parlementaire pour l’Espace (GPE) créé en 1994.
Bien que peu influent 362, il tisse des relations avec les parlementaires américains en
organisant des visites de courtoisie. C’est ainsi qu’est née une relation privilégiée
entre Pierre Lasbordes, ancien président du GPE et la députée démocrate américaine
Gabrielle Giffords qui a marqué les esprits en étant victime d’une fusillade lors de
son meeting politique. Le GPE avait développé des liens avec cette députée membre,
au sein de la Chambre des Représentants, de la Commission des Armées, de la
Commission des Affaires étrangères et de la Commission des Sciences et
Technologies (sous-commission de l’énergie et de l’environnement sous-commission
de l’espace et de l’aéronautique). Elle a aussi la particularité d’être l’épouse d’un
astronaute Mark E. Kelly qui était le commandant de la dernière mission de la navette
Endeavour (25) du 16 mai 2011. Le GPE invite chaque année les acteurs du secteur
spatial français et européens à se réunir à l’Assemblée Nationale afin de célébrer la
nouvelle année. A cette occasion, la ministre du MESR était présente en 2011, au
discours des vœux par Pierre Lasbordes pour l’année 2011 :
« Parce que nous sommes convaincus de la nécessité d’avoir une stratégie
française claire et précise pour notre secteur, nous souhaitons au GPE
ouvrir un débat constructif et continu, sous une forme qu’il reste à définir,
avec le Gouvernement sur la politique spatiale. Nous avons déjà engagé
avec le GIFAS un état des lieux précis du secteur spatial français. Nous
souhaitons avec force que ce document, une fois finalisé, puisse devenir
une aide précieuse pour une stratégie efficace et pragmatique. En outre,
les travaux qui sont menés par le Centre d’Analyse Stratégique dans le
cadre de la « mission espace » et auxquels le GPE participe vont
également dans ce sens. » 363

362
Le GPE revendique lui-même quatre axes principaux : s’informer, établir des liens, réfléchir et agir.
http://www.gpespace.fr/A-propos-du-GPE.html
363
Discours des vœux de Pierre Lasbordes, député de l’Essonne et président du GPE, 12 janvier 2011,
http://www.spaceparl.eu/uploads/docs/1678f7017f9843eb7cc0c865aab628a1272f5655.pdf

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

De plus, force est de constater que les acteurs individuels « naviguent » relativement
aisément au sein même du secteur spatial. Ainsi, le précédent secrétaire général du
GPE (2002-2006), M. Emmanuel de Lipkowski, est, depuis 2011 conseiller du CNES
au CIE. Au-delà de ce titre, cet acteur individuel est davantage considéré comme un
facilitateur des relations franco-américaines. Cette position fait sens dans la mesure
où il a été représentant du CNES à l’ambassade de France à Washington D.C de 2007
à 2011. Enfin, un acteur individuel tel que Serge Grouart, ancien député et maire, a
écrit un ouvrage de stratégie spatiale (et autres articles sur l’espace militaire) dans les
années 1990 et qui a été remarqué en son temps. Son ouvrage est considéré comme le
premier essai de stratégie spatiale française 364.

1.1.3.1.7. Le cercle des experts


Les décideurs politiques font appel à des experts afin, pensent-ils, de bénéficier
d’informations fiables aidant la prise de décision. De nombreuses études de science
politique se sont alors interrogées sur cette notion d’expert, son évolution et sur ce
que ce recours massif à l’expertise signifie aujourd’hui pour le décideur politique du
21ème siècle. L’objectif premier semble être de réduire l’incertitude inhérente à toute
prise de décision face à un problème public donné.

La place des experts est un sujet d’étude à part entière 365. Ce n’est pas l’objet
principal de cette thèse. Il est difficile de définir précisément ce qu’est un expert de
nos jours. La signification contemporaine s’est éloignée du sens originel qu’on lui
attribuait au 19ème siècle.

« L’expert du 19ème siècle puisait sa légitimité dans des savoirs


scientifiques reconnus et institutionnalisés au sein et grâce à l’action
d’une profession fermée. (…) La frontière entre savoir profane et expert
était nette et tranchée. » 366

364
Serge Grouart, La guerre en orbite, op. cit.
365
Lire à profit les récentes publications telles celles d’Olivier Cretté et Anne Marchais-Roubelat (dir.), Analyse critique des
normes et de l'expertise : théorie et pratique, Paris, L’Harmattan, 2015 ; Emmanuel Henry, Claude Gilbert, Jean-Noël
Jouzel, Pascal Marichalar (dir.), Dictionnaire critique de l’expertise. Santé, travail, environnement, Paris, Presses de
Sciences Po, Références, 2015.
366
Isabelle Berrebi-Hoffman, Michel Lallement, « A quoi servent les experts », P.U.F, Cahiers internationaux de sociologie,
2009/1, n°126, p.3

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
ème
Ainsi l’expert du 19 siècle est le scientifique abordé précédemment. A l’inverse,
les « experts » de cette thèse, sont plutôt des « consultants » se revendiquant la
plupart du temps indépendants, ce qui est sujet à caution.

« Au regard du professionnel ou de l’universitaire du siècle passé, il


apparaît souvent plus lié à son public, qui est aussi son client (l’Etat, la
grande entreprise, un courant citoyen) mais aussi des normes véhiculées
par ses méthodes, gestionnaires, comptables ou relatives à l’action
militante. » 367
Dans cette thèse, l’expert est défini simplement comme « un individu doté de
compétences et/ou d’un savoir-faire spécialisé » 368. L’élargissement de la CE aux
experts permet de constater que l’acquisition et la maîtrise d’un savoir particulier ne
sont plus réservées aux élites politique, administrative et scientifique. Un décideur
politique ou un groupe d’intérêt ne pourrait aujourd’hui se passer d’experts à ses
côtés. En effet, ils apportent une caution aux propos de ces derniers. De plus, la
prolifération des experts à l’époque contemporaine est aussi le reflet des incertitudes
que le décideur politique souhaite lever. La logique des quatre cercles s’est élargie
vers un autre cercle, celui de l’expertise privée à laquelle l’Etat a de plus en plus
souvent recours. Avec la participation des acteurs non-étatiques au processus de prise
de décision, la hiérarchie entre les cercles tend à se brouiller. Il y a apprentissage
réciproque entre les acteurs des différents cercles. Le monde des experts ne doit pas
être considéré comme monolithique, c’est-à-dire subordonné à l’autorité politique, ni
symbole de la technocratie. Une voie médiane permet de considérer le rôle des
experts comme étant au cœur des phénomènes d’apprentissage et de
transnationalisation. Ainsi la dynamique verticale des quatre cercles évolue vers un
système horizontal sous l’action des acteurs non étatiques (expertise privée et société
civile) 369. En France, les think tanks spécialisés dans la recherche stratégique sont
régulièrement sollicités afin de produire des études aidant à orienter les politiques
dans leurs décisions. Ils sont également conviés lors des phases de réflexion en amont
organisées au profit de la rédaction d’un document programmatique tel que le
LBDSN (ou rédaction d’un rapport parlementaire). Les experts ont un rôle non

367
Ibid.
368
Patrick Hassenteufel, Sociologie politique : l’action publique, Paris, Armand Colin, 2011, p. 217.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

négligeable. Ils produisent de la connaissance et des pistes de réflexion. Ces experts


restent relativement peu nombreux dans le champ de l’analyse stratégique ou des
questions de sécurité internationale 370. Il semblerait qu’en France, les experts de
l’administration soient préférés, et que donc il est du ressort de l’autorité étatique de
financer cette réflexion. La France compte quelques think tanks étatiques pouvant
traiter de manière épisodique de la politique spatiale de la France 371. La France
compte aussi des think tanks « indépendants » traitant des questions de relations
internationales et de politique étrangère. Il s’agit de l’Institut Français des Relations
Internationales (IFRI) de Thierry de Montbrial (Président), la Fondation pour la
Recherche Stratégique (FRS) de Camille Grand et l’Institut de Relations
Internationales et Stratégiques (IRIS) de Pascal Boniface. L’IFRI et la FRS ont leur
programme et leurs chercheurs dédiés à l’espace. L’IFRI se revendiquant comme
étant « le think tank français de référence sur les relations internationales » 372 a crée
en 2001 le « programme Espace » avec ses chercheurs spécialisés sur le domaine
(Laurence Nardon 373 et des chercheurs associés). Concernant l’espace militaire :
« Le programme poursuit un projet de recherche consacré d'une part à la
militarisation/arsenalisation de l'espace, d'autre part à la stabilisation des
activités en orbite. En 2009, le programme a participé à l'élaboration de
recommandations visant à faciliter les discussions internationales sur ce
thème et améliorer la prévention des collisions entre objets spatiaux. » 374
Il s’est doté en mars 2005 d’une antenne à Bruxelles. Quant à la FRS qui se présente
comme « un think tank de référence indépendant », ses experts développent
ponctuellement des réflexions sur l’utilisation du domaine spatial (avec notamment
M. Xavier Pasco). Certains chercheurs de ces think tanks sont invités à participer aux

369
Ces réflexions s’inspirent de l’article de Sabine Saurugger, « L’expertise : un mode de participation…op. cit., p. 380.
370
Selon une étude établie par James McGann en 2009 The Global Go-To Think Tanks, , sur les 407 think tanks considérés
comme les plus influents au niveau international, 9 sont en France : Centre d’études sur l’Afrique noire, Institut d’études de
sécurité de l’Union européenne, FRS, IFRI, Centre d’étude et de recherche en économie mondiale, IRIS, Institute for
Economic Studies Europe, Institut Montaigne et la Fondation pour l’Innovation politique.
371
A l’instar du Commissariat général à la stratégie et à la prospective, l’Institut Français d’Analyse Stratégique (IFAS), la
Fondation pour la Recherche sur les administrations et les politiques publiques (FRAP), le Conseil Supérieur de la Formation
et de la Recherche Stratégiques mais aussi des think tanks rattachés à des centres de recherche tels le Centre d’Etudes et de
Recherches Internationales (Sciences Po) et le Centre Thucydide (Université Paris II, Panthéon-Assas).
372
L’IFRI s’attribue ce titre en référence au classement qui est fait par le « Global Think Tank Report 2011 » qui le hisse au
22 ème rang des 100 think tanks les plus influents dans le monde. C’est aussi le seul institut français présent dans ce
classement. Site de l’IFRI, consulté le 20 février 2013.
373
Laurence Nardon est à présent responsable des programmes Etats-Unis et Canada au sein de l’IFRI.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

réflexions menées au profit de la rédaction des LBDSN. Dans la commission du Livre


Blanc 2008 étaient présents, pour la FRS, François Heisbourg en qualité de
« conseiller spécial », Bruno Tertrais, maître de recherche et Thierry de Montbrial
pour l’IFRI. Certains de ces think tanks ont tissé des relations privilégiées avec leurs
homologues américains. Ainsi on notera que l’IFRI (Programme « Politique
spatiale ») et la Secure World Foundation organisent conjointement depuis 2009 une
conférence spatiale annuelle. Ces experts prennent de plus en plus d’importance dans
les choix de politiques publiques :
« Il est évident […] que le savoir et l’expertise jouent actuellement un rôle
important dans la médiation des décisions politiques. Les experts ne
prennent peut-être pas des décisions finales concernant les politiques
publiques, mais ils servent de plus en souvent d’intermédiaires entre les
élites politiques et le groupe concerné par une politique publique
spécifique […] Ceci implique également que, dans certains cas, les
experts se trouvent dans le rôle « courtier » qui marchande des options
politiques entre les élites politiques et les groupes d’intérêt
concernés. » 375
Les think tanks nationaux coexistent avec des think tanks européens et américains
(Partie 2). Certains d’entres eux ont tissé des liens plus ou moins formels en
organisant par exemple conjointement des journées d’étude. Enfin, certains experts
indépendants, acteurs individuels, vendent leur expertise de par leur expérience. C’est
le cas notamment de M. Gérard Brachet, qui est un acteur clé dans cette thèse. Les
laboratoires de pensée français constituent un vivier de connaissances et de réflexion
que le décideur politique et les acteurs du premier et second cercle consultent au
profit de l’élaboration de prises de position. C’est le cas pour la problématique de la
sécurité des activités spatiales.

1.1.3.2. De la prise de position diplomatique contre la course aux


armements dans l’espace à la prise en compte du problème des débris

374
Site de l’IFRI, consulté le 20 février 2013.
375
Frank Fischer, Technocracy and the Politics of Expertise, Londres, Sage, 1990, p. 171.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

En France, le processus de prise en compte du problème des débris n’est pas


semblable à celui qui a eu lieu aux Etats-Unis. Le thème de la sécurité des activités
spatiales a été longtemps limité au thème de la maîtrise des armements dans l’espace.
Ce n’est que beaucoup plus tard que l’émergence du problème des débris est apparu
au niveau politique, par l’influence de la CE (hypothèse n°3). Issues de la CE
américaine, les croyances ont essaimé dans les Etats secondaires. A la faveur des
événements, les intérêts français et américains ont convergé (hypothèses n°4 et 5).

1.1.3.2.1. Positionnement de la France à l’égard de la course aux


armements dans l’espace, 1970-2006

La France tarde à reconnaître les intérêts de l’utilisation militaire de l’espace. De


même, elle n’a pas rapidement appréhendé le potentiel danger que constitue la course
aux armements dans l’espace avant l’annonce du projet d’Initiative de Défense
Stratégique du Président Reagan en 1983. La course aux armements semblait peu
probable pour les dirigeants français qui l’expriment dans le premier Livre Blanc de
1972 376.
« Une autre menace peut d'ailleurs venir de la 3ème dimension, celle des
véhicules se déplaçant dans l'espace, qu'il s'agisse de satellites, voire de
bombardiers orbitaux, ou plus simplement d'engins balistiques. La
surveillance de l'espace et des satellites d'observation qui s'y déplacent
peut, à l'évidence, être une source de renseignements intéressants, mais ne
présente pas le caractère d'une nécessité absolue. En effet, les moyens
d'attaque qui pourraient venir de l'espace ne sauraient être que des
moyens de destruction massive. Et leur emploi marquerait par lui-même le
niveau d'hostilité de celui qui l'emploierait, sans que celui-ci puisse
s'abriter derrière un anonymat, illusoire pour de longues années tant
qu'un grand nombre de pays n'a pas accédé à l'utilisation militaire de
l'espace. Au surplus, surtout en l'absence de défenses contre les missiles

376
En France, les Livres blancs relatifs à la défense constituent des documents programmatiques instructifs quant aux
orientations souhaitées pour l’espace militaire. Ils sont validés au plus haut niveau de l’Etat, donc par les acteurs du premier
cercle. Ces documents ne sont en soi pas exhaustif sur la politique spatiale militaire menée par la France, mais en l’absence
d’élaboration dans cet Etat de documents dédiés à l’espace militaire (comme le font les Etats-Unis), cette base de travail est
utilisée dans cette thèse.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

balistiques à déjouer, il n'y a guère de raison que l'engin balistique cède


la place au bombardier orbital. » 377

Ce premier Livre Blanc placé sous l’autorité du Ministre de la Défense d’alors,


Michel Debré, a avant tout pour finalité de conceptualiser la stratégie nucléaire
française. Rapidement cependant, la France s’empare du problème de la sécurité et le
porte au niveau international. En effet, en 1978, elle propose de créer une
organisation internationale chargée de promouvoir la transparence, la confiance et la
sécurité dans l’espace. Cette proposition se comprend aisément dans le contexte de
Guerre froide qui prévaut alors. L’objectif de cette agence internationale de satellites
de contrôle (AISC ou son acronyme anglo-saxon ISMA 378) est de fusionner les
capacités d’observation de plusieurs Etats afin de surveiller la prolifération nucléaire
et le respect des accords en vigueur 379. Mais ce premier pas vers une organisation
intergouvernementale promouvant la confiance entre les Etats a aussi pour but
d’éviter une course aux armements dans l’espace en apaisant les tensions. Cette idée
n’a malheureusement pas abouti, notamment à cause du refus des Etats de partager
leur capacité de détection. Cette organisation voit le jour mais dans une envergure
moindre, en 1993 avec la création du Centre Satellitaire de l’Union Européenne
(CSUE).

Le 40 ème président des Etats-Unis, Ronald Reagan prononce le 23 mars 1983 un


discours qui annonce le lancement du projet d’Initiative de Défense Stratégique
(IDS). Cette communication pousse les dirigeants français à amorcer une première
réflexion sur la pertinence de militariser l’espace.

« (…) dès lors, l’espace militaire devient pour la France un enjeu majeur,
un impératif à l’échelle de ce que représentait hier l’entrée dans le
domaine nucléaire. » 380

377
Livre Blanc sur la Défense, 1972. http://www.vie-publique.fr/documents-vp/livre_blanc_1972.shtml
378
International Space Monitoring Agency, U.N Doc. A/ s-10/AC 1/7, 1 er juin 1978. Le projet de création d’une telle agence
a été soumis à un groupe d’experts des Nations Unies dont le rapport est publié en 1981, U.N Doc. AC.206/14, 6 août 1981.
Bien qu’à l’époque cette initiative n’est soutenue ni par les Etats-Unis, ni par l’Union Soviétique, les conclusions dudit
rapport seront reprises dans une proposition soviétique similaire en 1989, CD/OS/W, p. 39, 2 août 1989.
379
Hubert Fabre, op. cit.,p. 118-119.
380
Général Pascal Valentin, Espace & opérations, op. cit., , p. 24.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Ce discours permet ensuite une réelle prise de conscience d’une possible course aux
armements dans l’espace. L’élaboration d’une position française officielle sur le sujet
est donc à l’œuvre.
Le projet pharaonique américain de bouclier antimissile vise l’obsolescence des
armes nucléaires. Le système doit être composé d’armes à énergie cinétique et
d’armes à énergie dirigée. Ces armes visant l’espace peuvent donc servir également
d’armes antisatellites (ASATs) 381. Le projet de Reagan a pour objectif de contrer
définitivement toute menace balistique nucléaire soviétique. Au-delà, Reagan
souhaite le dépassement du nucléaire en rendant obsolète l’arme nucléaire 382. Certains
commentateurs affirment que ce projet, qui n’a finalement jamais été mené à sa fin,
aurait favorisé la chute de l’URSS. En effet, cette dernière se serait lancée dans une
énième course technologique alors qu’elle n’en avait plus les moyens.
De cette manière, cette « course » s’apparente aux effets décrits par le concept du
dilemme de sécurité dans un système international anarchique. Issu de l’école de
pensée réaliste, John Herz 383 considère que les Etats qui renforcent leur sécurité, sont
perçus par les autres comme potentiellement menaçants. Ces derniers s’équipent alors
à leur tour afin de renforcer leur propre sécurité et donc leur survie. Le premier effet
est de créer un cercle vicieux et une course aux armements. Le second effet pour
l’URSS est d’avoir précipité sa chute en voulant suivre les Etats-Unis dans ce projet
colossal.
Dans un premier temps, face à cette « guerre des étoiles » programmée, le
gouvernement français du président François Mitterrand reste dubitatif. Ce dernier
charge alors Hubert Védrine, son conseiller diplomatique, d’évaluer la faisabilité et la
dangerosité du projet reaganien. Les conclusions de cette phase de renseignement
sont mitigés, « « ni approbation, ni critique » (Védrine), tel est le credo au sommet
de l’Etat » 384 .Dans un second temps, et après quelques hésitations, Mitterrand
prononce un réquisitoire contre le déploiement des armes spatiales le 28 septembre
1983 à l’ONU avec propositions concrètes.

381
D’où les mêmes craintes réactivées quand, en 2002, le Président George W. Bush décide de se retirer du Traité ABM
signé en 1972.
382
Paul Chaput, « François Mitterrand et l’initiative de défense stratégique », Point de vue, 5 décembre 2011,
http://www.mitterrand.org/Francois-Mitterrand-et-l.html
383
John H. Herz, « Idealist Internationalism and the Security Dilemma », World Politics, 2, 2, 1950, pp. 157-180.
384
Extrait du discours in Paul Chaput, « François Mitterrand et l’initiative de défense stratégique », op. cit.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

« Prémunir les peuples contre les nouvelles menaces qui peuvent venir de
l’espace est un autre impératif. L’espace deviendra-t-il un champ
supplémentaire où se développent sans limites les vieux antagonismes
terrestres ? N’avons-nous pas pour lui d’autres ambitions ? Ce serait
trahir l’exigence de nos peuples que de ne pas définir à temps un code de
règles intangibles. (…) Un amendement à ce traité [Traité de 1967] qui
interdirait la satellisation de tout type d'armement, qui organiserait le
retrait progressif des armes déjà sur orbite et qui prévoirait une
vérification effective, un tel amendement lui donnerait sa vraie portée. » 385

Plus tard, il charge Hubert Védrine de rédiger un texte qui reprend ses
recommandations. La proposition est déposée à la Conférence du désarmement 386 le
13 juin 1984. Cet acte marque le positionnement de la France contre le déploiement
de défenses situées dans l’espace. En 1985, la posture de Mitterrand sur l’IDS est
sans équivoque, « nette, ferme, hostile » 387. Par le prisme de la maîtrise des
armements dans l’espace, la France s’est opposée diplomatiquement à l’IDS. En plus
d’apercevoir une course aux armements probable dans l’espace, le président français
y voit aussi un dépassement technologique des Etats-Unis voulant créer des systèmes
jamais conçus alors. L’argument du retard technologique en cas de non-participation
au projet américain d’envergure a été un sujet de débat entre le Président Mitterrand
et son conseiller Jacques Attali. En opposition à la « doctrine » du projet mais non à
son intérêt technologique, Mitterrand avait imaginé une « Initiative de sécurité
européenne », projet de programme de R&D sur les grandes technologies, rebaptisé
rapidement EUREKA 388. Son ambition est d’initier de grandes coopérations
industrielles entre Etats européens. Ce programme se veut être une alternative à l’IDS
et aux possibles participations européennes au programme américain. Même si la
France s’est officiellement positionnée contre le projet américain de défense

385
Paul Chaput, La France face à l’Initiative de Défense Stratégique de Ronald Reagan, 1983-1986, Paris, L’Harmattan,
2013, p. 134.
386
La Conférence du désarmement devient, au début des années 1980, le lieu de discussions sur la question de la course aux
armements dans l’espace.
387
Paul Chaput, « François Mitterrand… », op. cit.
388
Cette initiative existe encore aujourd’hui, http://www.eurekanetwork.org.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

antimissile balistique, les avantages économiques à y participer sont de nouveau


abordés en 1991, au moins par les parlementaires.

« La participation à l’IDS nous permettrait d’acquérir des technologies


clés (rayons lasers, etc.) pour la mise en œuvre éventuelle ultérieure d’un
système spatial de défense antimissile balistique. » 389

Enfin, la pérennité de la dissuasion française pourrait bien être mis à mal par le projet
américain s’il se concrétisait.
Le Livre Blanc de 1994 contient une recommandation quant à la possible course aux
armements dans l’espace :

« Le développement des activités spatiales militaires appelle


probablement l’adoption de mesures de transparence et de confiance pour
éviter de voir l’espace entrer à son tour dans une course aux
armements. » 390

D’aucuns ont dit qu’une des raisons sous-jacente de l’existence de ce LB était de


lancer E. Balladur dans la campagne présidentielle de 1995 en lui permettant de se
positionner sur les questions stratégiques, qui plus est dans une période de
cohabitation avec le Président François Mitterrand 391. Son objectif premier était
d’émettre des orientations stratégiques au lendemain de la fin du monde bipolaire. Ce
document n’apporte que peu d’éléments concernant les orientations en matière
d’espace militaire, excepté une recommandation quant à la possible course aux
armements dans l’espace, liée donc indirectement au thème global de la sécurité.
Cependant, il a quand même su rappeler la volonté de la France de voir émerger des
mesures de transparence et de confiance contre une course aux armements.
Au niveau international, la France est effectivement active et la CD est le réceptacle
des propositions françaises. Peu après la prise de position ferme de la France contre la

389
Rapport sur les orientations de la politique spatiale française et européenne…, op. cit., p. 172.
390
Livre Blanc 1997, p. 47.
391
Pascal Boniface, http://leplus.nouvelobs.com/contribution/596280-a-quoi-sert-le-livre-blanc-sur-la-defense-nationale.html

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

course aux armements, la délégation française dépose à la CD un projet 392 de centre


international de trajectographie ou UNITRACE qui s’inscrirait dans l’existence d’un
code de conduite spatial. Il aurait alors comme objectifs de collecter des données
relatives aux immatriculations, de suivre des objets spatiaux en orbite et de calculer
des trajectoires en temps réel. De nouveau, ce projet ambitieux de partage des
informations n’a su convaincre. La proposition française a cependant été structurante
dans l’histoire des initiatives onusiennes car la Russie et la Chine ont repris ce
modèle en 2006 393.
« Certes l’opposition des Etats-Unis constitue un mur infranchissable,
mais les autorités françaises elles-mêmes se sont interrogées sur
l’opportunité de participer à un système reposant sur les données fournies
par les deux seuls Etats susceptibles, à l’époque, de développer et de
déployer des activités spatiales offensives. » 394

La proposition française se heurte donc à deux obstacles. Dans un premier temps, les
Etats-Unis sont fermement opposés à tout texte même non contraignant s’immisçant
dans leur politique spatiale. Dans un second temps, seuls deux Etats ont une capacité
de surveillance de l’espace et ce sont aussi les deux seuls à développer des capacités
offensives dans l’espace. On peut donc mieux comprendre, dans la suite de cette
thèse, que, dans les années 2000, face au même type de proposition, la réponse
apportée par les Etats soit différente, le contexte spatial ayant été bouleversé après la
fin de la Guerre froide. Face à l’hostilité américaine à tout texte contraignant pouvant
limiter sa liberté dans l’espace, la France et d’autres Etats tels que l’Allemagne, la
Suède et le Canada proposent l’idée des mesures de confiance (MDC) et mesures de
confiance et de sécurité (MDCS) 395. Afin de favoriser la confiance entre les Etats, la
délégation française propose la création d’un centre international de notification
chargé d’assurer la gestion concrète et régulière du régime des notifications sous
l’auspice des Nations Unies. La proposition a été déposée par la délégation française

392
CD/937 du 21 juillet 1989.
393
CD/1781, 22 mai 2006, document de travail de la République populaire de Chine intitulé « Aspects de la prévention d’une
course aux armements dans l’espace qui touche à la vérification », p.2.
394
Hubert Fabre, op. cit., p. 121-122.
395
Pour un exposé exhaustif du contenu de ces mesures de soft law, lire Hubert Fabre, L’usage de la force…, op. cit., p. 117.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
396
au Comité spécial de la CD en 1991 . Avec cette proposition, la France est soutenue
par plusieurs Etats européens. Mais ce qui est intéressant est de comprendre comment
la France s’y est pris pour faire en sorte que cette proposition ne reste pas lettre
morte.
« En l’extirpant du cadre de la CD, la proposition française s’est
émancipée de son carcan institutionnel pour aboutir à la conclusion d’un
régime de notifications venant en appui du régime de contrôle de la
technologie des missiles [Missile Technology Control Regime,
MTCR]. » 397
Le MTCR ou RCTM en français (Régime de Contrôle de la Technologie des Missiles)
est un regroupement informel d’Etats cherchant à limiter la prolifération des missiles
et leur technologie. Ce régime a été fondé en 1987 par sept Etats initialement
(Allemagne, Canada, France, Italie, Japon, Royaume-Uni et Etats-Unis). La
proposition française complète la convention sur l’immatriculation des objets lancés
dans l’espace de 1975 (dont la France a là aussi été force de proposition). En liant les
notifications des tirs de missiles à celles des tirs des lanceurs spatiaux, la proposition
française contribue à l’exercice de la transparence dans les activités spatiales. Le
texte définitif du code est adopté à la Haye le 26 novembre 2002 par 93 Etats 398. Il y a
aujourd’hui 130 Etats adhérant. Il est connu sous l’appellation de HCoC pour Hague
Code of Conduct Against Ballistic Missile Proliferation. Il n’existe pas de lien formel
entre le MTCR, le HCoC et les Nations Unies, mais ce code de conduite reste en
complète adéquation avec les objectifs suivis par l’organisation. La France a donc
réussi à imposer un système de notification, fondé sur la bonne volonté des Etats, en
évitant tout blocage au niveau de la CD. Une méthode similaire a été menée par la
délégation européenne (sous leadership français) afin de faire progresser la
proposition du code de conduite sur la sécurité des activités spatiales. La comparaison
entre ce code de conduite et celui qui concerne cette thèse est fructueuse. Par la suite,
les initiatives françaises deviennent rares à la CD. Cela est la conséquence de

396
CD/1079, 3 juin 1991, Annexe « Projet de convention sur la notification préalable des tirs de missiles et de lanceurs
spatiaux », article IV.
397
Hubert Fabre, op. cit., p. 99.
398
A/57/724 du 6 février 2003.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

dissensions entre Etats au sein du comité ad hoc sur le PAROS qui s’est réuni de
1985 à 1994.
Au niveau national, quelques parlementaires se saisissent de la question et la décision
est prise en 1989 d’élaborer le premier rapport parlementaire sur les orientations de la
politique spatiale française et européenne 399. Cette publication a lieu fin 1991 et est
instructive quant aux réflexions naissantes qui se développent chez les
parlementaires, malgré la faible prise en compte de leur analyse par l’exécutif. Ils
soulignent le rôle « révélateur » et « catalyseur » de la guerre du Golfe. Si, en 1972,
le Livre Blanc de la Défense considère que le développement d’une capacité de
surveillance de l’espace n’est pas indispensable, les parlementaires, vingt ans après,
encouragent l’inverse :
« Il [le développement de la capacité de surveillance de l’espace] s’inscrit
(…) dans le cadre de la mise en œuvre du code de bonne conduite dans le
domaine spatial proposé par le président de la République. » 400

Le pouvoir exécutif semble de la même manière être sensibilisé à ces évolutions. En


effet, toujours en 1991, le Président Mitterrand déclare, comme une intuition :

« Nous avons à développer des moyens qui nous manquent dans le


domaine de l’observation, c’est-à-dire la maîtrise de l’espace. Nous
aurons sûrement l’occasion d’en reparler. » 401

La France a fait preuve d’audace en proposant dès le début des années 1990 un code
de conduite dans l’espace. La France met au goût du jour cette proposition en 2008 en
tablant sur l’efficacité de la diplomatie européenne pour le promouvoir et lui donner
naissance.
Après la « première guerre spatiale », le maintien de la supériorité dans l’espace est
réaffirmé dans la stratégie spatiale américaine. L’administration américaine considère
que sa supériorité spatiale doit se réaliser par une avance technologique sur ses

399
Rapport sur les orientations de la politique spatiale française et européenne par M. Paul Loridant, sénateur, Office
parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, 1991.
400
Ibid. p. 169.
401
Interview télévisée de M. François Mitterrand, Président de la République, le 14 juillet 1991, http://discours.vie-
publique.fr/notices/917011300.html.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
402
potentiels compétiteurs . Se développe alors la Révolution dans les Affaires
Militaires (RMA) et son avatar la Transformation. On assiste à une emprise du
concept de technologisation sur la pensée stratégique américaine 403.
La France reste relativement silencieuse sur ces développements ainsi que sur la
question de la course aux armements, et cela jusqu’en 2006 :
« La France était restée relativement silencieuse ces dernières années
après avoir eu une attitude beaucoup plus… active, dynamique et avoir
proposé un certain nombre d’initiatives dans le passé et puis
progressivement notre voix s’est éteinte… » 404

402
Ce concept de « peer competitor», « rival équivalent », désigne les États capables de concurrencer, sur le plan
technologique et militaire principalement, le leader mondial (États-Unis) en tentant de remettre en cause le statu quo. Voir
Szayna, T., Byman, D., Bankes, S., Eaton, D., Jones, S., Mullins, R., Lesser, I., Rosenau, W., The Emergence of Peer
Competitors: A Framework for Analysis, Santa Monica, California, Rand Corporation, 2001.
403
Le chapitre 2 de cette thèse évoque l’évolution de ces débats stratégiques aux Etats-Unis. GDA Vincent Laportes, « Fin de
la RMA et révolutions des doctrines militaires américaines », Défense et Sécurité Internationale, http://www.dsi-
presse.com/?p=416, site consulté le 1 er mai 2014.
404
Entretien avec le conseiller Espace au directeur de la Direction aux Affaires Stratégiques (ex-DAS), 1 er octobre 2010.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

1.1.3.2.2. La prudence diplomatique puis l’amorce d’une nouvelle


réflexion en 2006
Après avoir été très active sur la question de la course aux armements dans l’espace,
la France préfère adopter une attitude plus prudente et devient alors relativement
silencieuse sur la question, jusqu’en 2006.
Concernant les raisons de ce silence, voici quelques éléments de réponse :
« (…) on était sans doute moins à l’aise par rapport à ces questions. (…)
Autrefois nous étions quelques nations, (…) à avoir le privilège d’occuper
l’espace donc on pouvait à quelques-uns essayer d’organiser les choses.
Et puis on a vu augmenter le nombre des acteurs et tout ceci nous a
conduits à avoir une attitude plus prudente. Et d’autre part, les Etats-Unis
ayant par rapport à ces questions une attitude relativement fermée, il
n’était pas non plus souhaitable de rentrer en opposition frontale avec
notre allié américain sachant que sur ces questions-là s’opposaient Chine
et Russie par rapport au partenaire ou à la nation américaine sur la
question… une question particulière qui était celle du traité d’interdiction
de production de matière fissile que nous souhaitions voir signé par la
Chine qui, elle, proposait un traité d’interdiction des armes dans l’espace
pour neutraliser cette volonté américaine de les voir adhérer à ce
traité. » 405

La prudence diplomatique est donc de mise. L’attitude « fermée » des Etats-Unis fait
référence, d’une part, à une politique spatiale déclaratoire plutôt agressive (Chapitre
2) et, d’autre part, à une opposition durable entre les Etats-Unis et la Chine sur le
projet de traité FMCT. Concernant la France, 2006 marque le retour progressif d’une
normalisation des relations diplomatiques franco-américaines. On se souvient de la
prise de parole audacieuse de Dominique de Villepin, alors ministre des Affaires
étrangères, le 14 février 2003 devant l’Assemblée générale des Nations Unis,
s’opposant à une intervention armée aux côtés des Américains en Irak. Cette diatribe

405
Entretien avec le conseiller Espace auprès du directeur de la Délégation aux Affaires Stratégiques (ex-DAS), 1 er octobre
2010.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

avait brusquement tendue les relations diplomatiques franco-américaines. Comble de


cette « rupture », elle s’appuie sur la possession par la France de capacités autonomes
de décision grâce, notamment, aux capteurs optiques des satellites Hélios. Les images
prises par ces derniers n’avaient en effet pas été en mesure de confirmer la thèse
américaine selon laquelle il y avait présence d’armes de destruction massive sur le sol
irakien. Mais le temps a passé, et les diplomates ont œuvré. Ce n’est qu’en 2006 que
les frictions s’apaisent véritablement à la faveur de rapprochements sur des dossiers
diplomatiques où les deux Etats tirent profit d’une position commune 406. L’élection
en France d’un nouveau Président de la République en 2007 a amorcé une ère
nouvelle dans les relations franco-américaines. Les deux Etats ont ainsi œuvré
ensemble sur de multiples dossiers portés jusqu’aux Nations Unies et en particulier,
pour certains, au niveau du Conseil de Sécurité. Bon an, mal an, la rupture de 2003
s’est doucement faite oublier, la confiance s’est peu à peu réinstaurée. L’expression
employée par Hubert Védrine résume finalement bien les relations entre les deux
Etats : « amis, alliés, mais pas alignés ». Ceci est aussi le résultat d’un travail
minutieux des diplomates afin de restaurer la confiance, de « trois années de
rafistolage en coulisse, côté français » 407. Les Français ne souhaitent pas fragiliser ce
« réchauffement » des relations par une opposition franche. Mais en 2006, face aux
évolutions ayant lieu à la CD, les diplomates français de Genève sollicitent
l’administration centrale à Paris pour une mise à jour de la position française.
« Donc, bon c’était une partie un peu difficile et donc nos représentants
diplomates à Genève nous ont poussé à organiser une réflexion afin
d’actualiser notre position sur ces questions ; ce que nous avons fait, je
dirai en ayant le temps même si les diplomates nous pressaient mais les
diplomates localement, c’est-à-dire à Genève. Y’avait pas une grande
pression de la part du Ministère des Affaires Etrangères (MAE). » 408
Il est nécessaire ici de rappeler que 2006 est aussi l’année où le Stimson Center
engage une démarche très active en vue d’élaborer un Code de Conduite et de le
pousser au plus haut niveau politique.

406
Dès 2004, les deux Etats ont commencé à se rapprocher afin de voter la résolution 1559 (CSNU) du 2 septembre 2004 sur
le retrait de l’armée syrienne au Liban.
407
« France-Etats-Unis : l’histoire d’un retournement », auteur inconnu, URL : http://www.lemonde.fr, site consulté le 6 avril
2006.
408
Entretien avec le conseiller Espace au sein de la Délégation aux Affaires Stratégiques, le 1 er octobre 2010.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

« In March 2006, after making a presentation on space weapons and


proliferation at the CD, the author met with key ambassadors to the CD to
promote the Code of Conduct, then spent a day in Paris encouraging
French government officials to lead this charge within the EU. » 409
Le choc du tir antisatellite (ASAT) chinois 11 janvier 2007 agit alors comme
catalyseur de ces premiers développements.
« Et puis, coup sur coup, sont intervenus le tir ASAT chinois de janvier
2007 et là il y a quand même une réaction internationale massive et une
grande inquiétude qui s’est manifesté quand même… (…) Bref, ceci a
provoqué une prise de conscience des autorités nationales et on nous a
demandé de réagir vite et de proposer une position.»
En 2007, le ministère de la défense publie un rapport issu du GOSPS. Bien que ce
travail ait été initié en octobre 2003 par la ministre de la défense d’alors, Michèle
Alliot-Marie, ce n’est qu’en 2007 qu’une version non classifiée du rapport est
consultable par le grand public 410. Dans ce document, un paragraphe est consacré aux
« conditions d’accès et de sécurité dans l’espace ». Il est rappelé que la sécurité dans
l’espace est menacée par « la prolifération des débris » mais aussi par la possible
« apparition de moyens orbitaux offensifs ». « La surveillance de l’environnement
spatial devient [donc] indispensable. » 411 La fonction duale de la surveillance de
l’espace permet « de prémunir le satellite d’un risque de collision accidentelle avec
un débris au moment du lancement ou en orbite [et] d’appréhender les éventuelles
menaces (agressions physiques ou électroniques) susceptibles de peser sur nos
moyens spatiaux civils ou de défense. (…) En contribuant à déceler et à caractériser
les agressions possibles contre les satellites, elle pourrait devenir un outil au service
d’un instrument multilatéral de type « code de bonne conduite » qui viserait à freiner
la militarisation de l’espace. » 412.
Ce groupe de travail, dont la présidence est confiée à l’ambassadeur Bujon de
l’Estang, émet des recommandations servant à nourrir la réflexion « spatiale » que
l’on peut lire au sein du Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité Nationale (LBDSN)

409
Michael Krepon, « A case Study…”,op. cit.
410
« Donnons plus d’espace à notre défense. Orientations d’une politique spatiale de défense pour la France et l’Europe »,
Groupe de travail sur les orientations stratégiques de politique spatiale de défense, 2007.
411
Ibid., p.17.
412
Ibid., p. 24.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

2008. Cependant, même si la surveillance de l’espace est considérée comme un


« enjeu civil et militaire » 413 dans le LBDSN, la référence à la mise en place d’un
code de bonne conduite n’est pas faite. L’ambition de ce LBDSN est d’impulser un
nouvel élan à l’espace militaire, notamment avec la proposition de doubler le budget.
« L’espace extra-atmosphérique est devenu un milieu aussi vital pour
l’activité économique mondiale et la sécurité internationale que les
milieux maritime, aérien ou terrestre. (…) le déploiement dans l’espace de
satellites de toute nature – communication, observation, écoute, alerte,
navigation, météorologie, etc. – est devenu un élément indispensable pour
toutes les fonctions stratégiques. Aussi notre pays fera-t-il un effort
particulier dans le domaine spatial, pour que soit assurée la cohérence
avec les besoins de notre défense et de notre sécurité nationale.» 414
Les intérêts de la France sont clairement identifiés comme étant en partie situés dans
l’espace. Ces propos rappellent le contenu du mémorandum du Secrétaire à la
Défense américaine, William Cohen, en 1999 accompagnant la nouvelle directive de
politique spatiale du Président américain Bill Clinton.

“Space is a medium like the land, sea, and air within which military
activities shall be conducted to achieve U.S. national security objectives.
The ability to access and utilize space is a vital national interest because
many of the activities conducted in the medium are critical to U.S.
national security and economic well-being.” 415
Il est néanmoins évident que le de tir ASAT chinois en 2007 a eu un très fort impact
sur les dirigeants français. Le LBDSN de 2008 en porte les traces :
« L’incertitude et l’instabilité des évolutions internationales rendent
plausibles des scénarios de rupture par rapport aux risques auxquels nos
systèmes de défense et de sécurité publique et civile sont préparés. (…)
une utilisation de l’espace extra-atmosphérique pour y déployer des
armes, sont au cœur de tels scénarios. » 416

413
LBDSN 2008, op. cit., p. 143.
414
Ibid.
415
Mémorandum du secrétaire à la Défense William Cohen, 9 juillet 1999. http://www.au.af.mil/au/awc/awcgate/dod-
spc/dodspcpolicy99.pdf
416
LBDSN 2008, op. cit., p. 58.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

La présidence française de l’Union européenne au second semestre 2008 est alors très
active sur ces questions. C’est en décembre 2008 qu’est avancé le projet européen de
code de conduite pour les activités spatiales. Toujours est-il que les prises de position
françaises des années 1980 contrastent avec la rhétorique politique des années 2000
qui, sans évincer la question des armements dans l’espace, a tendance à se focaliser
sur celle des débris orbitaux, beaucoup plus consensuelle et donc fédératrice. Même
si ces deux thèmes (prolifération des débris et course aux armements dans l’espace)
sont les deux aspects d’une même problématique (la sécurité des activités spatiales
par la surveillance de l’espace), le contexte et la prudence diplomatiques font que
l’on insiste sur un aspect plutôt qu’un autre.

1.1.3.2.3. Le glissement récent vers la prise en compte du


« problème » des débris
Jusqu’alors le problème des débris a été traité au sein de l’Agence Spatiale
Européenne sous l’influence de la communauté épistémique dont le noyau dur se
trouve aux Etats-Unis. Le passage au niveau politique ne s’est pas réalisé de la même
manière qu’aux Etats-Unis, où le problème a été inscrit dans la Directive
Présidentielle de 1988. Avant le rapport publié du GOSPS de 2007, aucune mention
n’était faite du problème des débris dans un document officiel relevant de l’exécutif.
Ce rapport a permis au président de la République d’affirmer sa position sur ce thème
lors de son déplacement au Centre Spatial Guyanais le 11 février 2008.
« Je souhaite enfin soumettre à la réflexion de nos partenaires européens
la question de la surveillance de l’espace. L’accumulation des débris
divers, l’abondance toujours plus grande d’engins spatiaux rend
indispensable une bonne connaissance de l’environnement spatial de la
Terre. Les actions de certains pays qui ont procédé à des tirs pour
détruire leurs propres satellites n’ont fait qu’aggraver la situation et
renforcer ce besoin. (…) Il faut donc que l’Europe se dote d’une capacité
autonome de veille spatiale, comme l’a proposé l’ESA, et développe donc
un programme de surveillance de l’espace, pour répondre au besoin
impératif de renforcer la sécurité des activités dans l’espace. (…) Pour
promouvoir la sécurité des activités spatiales, nous devons passer par des
mesures volontaires de confiance et de transparence, acceptables par le

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

plus grand nombre possible d’Etats. (…) Je proposerai à nos partenaires


de discuter des programmes que je viens de citer avec l’ambition
d’effectuer des avancées visibles et rapides lors de la présidence française
[de l’Union européenne]. Je suggère qu’à cette occasion l’Union
européenne et la Commission adaptent leur organisation interne pour
traiter avec plus de cohérence et d’efficacité cette nouvelle compétence
spatiale. » 417
Le GOSPS a donc clairement nourri les réflexions que l’on retrouve dans le LBDSN
2008, qui reste fidèle aux politiques antérieures. La dépendance au chemin parcouru
(path dependence) par les précédents présidents français est réelle.
« Notre pays n’envisage pas de se doter d’armes dans l’espace et
poursuivra ses efforts diplomatiques en matière de non-militarisation [il
faut comprendre de lutte contre la course aux armements] de
l’espace. » 418
Le problème des débris est reconnu politiquement dans ce document officiel 419. Enfin,
concernant la surveillance de l’espace :
« L’Europe est en situation de dépendance pour la surveillance de
l’espace extra-atmosphérique. Pour pallier cette dépendance, éviter les
collisions prévisibles et anticiper les actes hostiles, la France
encouragera le développement d’un projet européen de détection et de
surveillance des objets susceptibles d’endommager les lanceurs ou les
satellites. Elle constituera, à court terme, à partir du système GRAVES,
une capacité opérationnelle nationale à cette fin. À plus long terme, cette
capacité s’inscrira dans une stratégie plus globale de protection de nos
infrastructures spatiales. » 420

Malgré la mention de ce « projet européen de détection et de surveillance des


objets », aucune mention n’est faite du projet de code de conduite. Ce projet peut
donc rappeler ceux abordés précédemment (de type « UNITRACE »). De même cela

417
Discours de M. le Président de la République Nicolas Sarkozy, CNES, Kourou, 11 février 2008.
418
Livre Blanc…, op. cit.,p. 143.
419
« Les débris spatiaux se multiplient », Livre Blanc…, op. cit.,p. 179.
420
Livre Blanc…, op. cit.,p. 179.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

met en lumière la potentielle participation financière de la Commission européenne à


un programme de surveillance de l’espace. Enfin, en parallèle, l’ESA propose elle
aussi un programme facultatif pour ses Etats membres concernant la Space
Situational Awareness (2008) mais ces derniers ne sont pas explicitement cités dans
le LBDSN.
En 2012, François Hollande, alors élu président de la République, lance à son tour les
travaux d’une commission présidée par Jean-Marie Guéhenno dans le but d’élaborer
un nouveau Livre Blanc. Les réflexions préliminaires ont été résumées dans un
document préparatoire à l’actualisation du LBDSN 2008, publié par le Secrétariat
Général de la Défense et de la Sécurité Nationale (SGDSN). Ce dernier souligne
davantage les « menaces pesants sur les systèmes spatiaux » 421. La question de « la
sécurité des activités et des infrastructures spatiales est devenue un enjeu
crucial » 422.
Bien qu’employée précédemment par Nicolas Sarkozy, l’expression de « sécurité des
activités spatiales » apparaît clairement pour la première fois dans ce document
préparatoire. Même si le Président de la République fixe officiellement les grandes
lignes de la politique spatiale, les orientations de la décision sont le résultat des
interactions entre une pluralité d’acteurs. Le temps de la préparation du LBDSN 2008
et 2013 est un moment propice pour apprécier, au-delà de l’organigramme
fonctionnel, les acteurs des autres cercles ayant eu le plus d’impact sur l’orientation
de la politique de défense en matière spatial. La grille d’analyse de
l’institutionnalisme fondé sur les acteurs est donc ici un outil de compréhension
remarquable. Les acteurs du premier cercle sont déterminants dans les prises de
décision relatives au domaine spatial, même militaire. La volonté politique détermine,
comme dans les autres politiques publiques, la place de l’espace en France. Le dernier
Livre Blanc en date, publié le 29 avril 2013 réaffirme l’importance tactique et
stratégique prise par le milieu spatial.
« L’espace extra-atmosphérique est devenu indispensable au
fonctionnement de services essentiels. Dans le domaine militaire, le libre

421
La France face aux évolutions du contexte international et stratégique, Document préparatoire à l’actualisation du Livre
Blanc sur la défense et la sécurité nationale, Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale (SGDSN), mars
2012, p. 24.
422
Ibid., p. 23.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

accès et l’utilisation de l’espace sont des conditions de notre autonomie


stratégique. Ils rendent possible le maintien et le développement de
capacités technologiques dont dépendent la qualité de notre outil de
défense et, en particulier, la crédibilité de notre dissuasion nucléaire.
Les possibilités d’agression dans l’espace augmentent avec les progrès
des armes antisatellites, en particulier pour les satellites en orbite basse.
Par ailleurs, les risques de collision auxquels ceux-ci sont exposés
s’accroissent à mesure que se multiplient les objets - en particulier les
débris - sur les orbites où ils sont placés. La France et l’Allemagne
disposent de moyens qui pourraient servir de socle au développement
d’une capacité européenne de surveillance de l’espace. » 423
Les références aux armes antisatellites ainsi qu’aux risques de collision dans l’espace
sont le reflet d’une prise en compte politique. Ceci peut être imputé à divers
événements spatiaux. D’une part, pour les armes ASAT, le tir chinois en janvier
2007 424 et la « réponse » américaine le 21 février 2008 425. D’autre part, la collision
entre les satellites Iridium 33 (Etats-Unis) et Cosmos 2251 (Russie) ayant eu lieu le
10 février 2009 et qui aurait provoqué la création d’environ 600 débris spatiaux.
Encore une fois, ce sont des événements à forte visibilité pour le politique et
l’opinion publique qui ont déclenché une prise de conscience. Chaque événement
favorise la diffusion des idées et croyances de la CE qui en même temps, la preuve
par les faits objectifs, légitiment sa démarche. Mais au-delà de ces événements et de
la mobilisation de la CE, le champ politique laisse la place aux intérêts caractérisés
par le temps court. Ceci peut être illustré par l’idée que le thème de la sécurité des
activités spatiales fait l’objet d’un « buzz ». Le buzz peut être défini comme une
« rumeur, un retentissement médiatique autour de ce qui est perçu comme étant à la
mode » 426. Issu davantage du milieu du marketing, ce terme pourrait, sur certains

423
Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité Nationale 2013, Edition numérique, 29 avril 2013, p. 45.
424
De même, en janvier 2010, les Chinois ont intercepté un de leur missile balistique à haute altitude. De plus, en juin 2010,
un satellite chinois a effectué un « rendez-vous » spatial avec un autre satellite chinois. Cette manœuvre pourrait permettre à
la Chine d’effectuer des actes hostiles (brouillage, aveuglements, écoute etc.) autour de satellites ne lui appartenant pas.
Enfin, en mai 2013, la Chine aurait procédé à un test de missile antisatellite capable de frapper sur les orbites moyennes et
géostationnaires des satellites, « La Chine a-t-elle lancé un super-ASAT ? », http://www.dsi-presse.com/?p=5873
425
Destruction, par la marine américaine et à l’aide d’un missile de type SM-3, d’un satellite (USA 193) déclaré
officiellement comme en perdition et à ce titre dangereux en cas de rentrée dans l’atmosphère.
426
Définition du dictionnaire Larousse.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

sujets, expliquer l’émergence facilitée d’un thème dans le champ politique et son
traitement par une politique publique, fusse-t-elle multilatérale.
« Aujourd’hui la surveillance de l’espace au sens des débris, c’est un truc
que les gens comprennent, alors que la météo spatiale c’est un peu
compliqué parce que ce sont des effets induits. Mais peut-être qu’un jour
ça deviendra le nouveau sujet, le nouveau buzz politique. Dès qu’il y a du
buzz politique en tout cas, le spatial est piloté par ça et c’est parfois un
petit peu dangereux. » 427

Le buzz créé par la pollution de l’espace à cause des débris semble s’inscrire dans un
contexte plus large. Celui de la prise en compte de la pollution dans son ensemble et
de la volonté des pouvoirs publics d’agir sur ce phénomène sous la bannière du
développement durable. De plus, la société ne semble plus tolérer la prise de risque et
considère l’Etat comme responsable en cas d’accident.
« C’est un peu dans l’air du temps quoi. C’est au moment du Grenelle tout
ça. « Vous voyez la pollution ça va jusque dans l’espace » donc après ça
fait le buzz ! On a vu dans beaucoup de journaux cette carte où on voit la
terre puis chaque débris représenté par un point, on a l’impression qu’il y
a des débris partout alors qu’en fait c’est l’épaisseur des points qui est
beaucoup plus large que l’épaisseur du débris ramenée à la
proportion. » 428
Le développement durable est un référentiel global qui est à présent appliqué au
milieu spatial et donne naissance à la notion de durabilité de l’espace.
““Space sustainability” has become a buzzword not just at COPUOS but
also among a wide variety of global stakeholders and a coded
acknowledgement of the need for new international processes to underpin
that sustainability.” 429

427
Entretien avec l’adjoint Espace à la Délégation Générale pour l’Armement / Service d’Architecture des Systèmes de
Forces, décembre 2012.
428
Entretien au Ministère de l’Enseignement et de la Recherche (MESR), 19 mars 2013.
429
Theresa Hitchens, « COPUOS wades into the next great space debate », Bulletin of the Atomic Scientists, 26 juin 2008.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Il s’inscrit dans le développement des « sustainable studies » 430 au niveau


académique et est invoqué lors de la production de politiques publiques. On peut
qualifier le développement durable de référentiel global en ce sens qu’il est « une
représentation générale autour de laquelle vont s’ordonner et se hiérarchiser les
différentes représentations sectorielles (…) Il constitue la représentation qu’une
société se fait de son rapport au monde et de sa capacité à agir sur elle-même par
l’action publique ». 431
Ce référentiel global permet de qualifier l’espace de bien public mondial, et de
légitimer ainsi des politiques publiques multilatérales (Partie 2). Au niveau national
également, on invoque le développement durable afin de légitimer des actions de
politique publique. On peut même lire à présent l’expression d’ « écolos spatiaux » 432.
« Vous ne pouvez pas lancer un grand programme en disant que c’est pour
savoir quand il y a des satellites au-dessus de nos troupes. Ça, ce n’est
pas très sexy auprès des électeurs et des contribuables. En revanche si
vous surfez sur la vague « l’environnement c’est le développement
durable, faut pas polluer le spatial etc. », c’est une belle couverture, c’est
une très belle couverture. » 433
Contrairement aux Etats-Unis, la CE nationale n’a pas eu la même influence sur le
pouvoir politique. Ce n’est réellement qu’en 2008 que le problème des débris est mis
sur agenda.
« Avant 2008 on en n’entendait absolument pas parlé. (…) On a créé une
communauté nationale qui s’intéressait au sujet. Je pense que la
présidence française de l’UE y est pour beaucoup. » 434
Cette communauté qui appartient à la CE élargie est porteuse du référentiel sectoriel.
Ce dernier se caractérise par des valeurs (définition de ce qui est bien/mal : l’espace
est un patrimoine que l’on doit protéger), des normes (principe d’action : il ne faut
plus polluer l’espace), des algorithmes (relation de causes à effets : si on ne fait rien

430
Portées par des centres de recherches universitaires tels que l’International Research Center on Sustainability de
l’Université de Reims, le Sustainability Science Program de l'Université Harvard, le CIRED (Centre International sur
l'Environnement et le Développement), le CEDRIE (Centre de Développement de la Recherche Internationale en
Environnement) à l'Université de Montréal et l'ICIS (Centre international pour l'évaluation intégrée et le développement
durable) à l'Université de Maastricht.
431
Pierre Muller, Les politiques…, op. cit.,p. 59.
432
« La pollution spatiale risque d’entraver l’activité orbitale », Le Monde, 25 avril 2013.
433
Entretien au MESR, 19 mars 2013.
434
Ibid.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

contre la prolifération des débris, l’espace ne pourra plus être utilisé par l’Homme) et
des images (telles celles représentant la prolifération des débris en orbite sur des
décennies, images prises régulièrement comme illustrations du syndrome de Kessler
mais ne renvoyant pas à la réalité faute d’une échelle adéquate).
C’est aussi en 2008 que la Loi sur les Opérations Spatiales (LOS) voit le jour.
Cependant, si cette dernière était en préparation quelques années auparavant, ce
contexte favorable permet plus aisément sa promulgation.
« Ce n’est pas une loi qui a été demandé par le milieu politique. C’est
vraiment une loi qui a émergé du niveau technique et le politique a
enfourché ça. » 435
Même si cette loi a pour objectif principal de donner aux autorités françaises un cadre
juridique dans lequel elle exerce un contrôle sur les opérations spatiales 436
susceptibles d’engager la responsabilité internationale de la France, mention est faite
des débris dans ce cadre.
« Les autorisations délivrées (…) peuvent être assorties de prescriptions
édictées dans l'intérêt de la sécurité des personnes et des biens et de la
protection de la santé publique et de l'environnement, notamment en vue
de limiter les risques liés aux débris spatiaux. » 437
D’après Peter M. Haas, le pouvoir politique n’est en rien intéressé par la science mais
l’utilise à son profit dans l’optique de gains par anticipation. En effet, d’aucuns
affirment que les débris ne sont en soi pas le danger le plus probable auquel est
exposé un satellite.
« Du point de vue du Ministère en charge de l’Espace, ce qui compte c’est
quelles sont les causes de perte d’un satellite rangé par ordre de
fréquence croissant. En tout cas celui qui arrivait en haut du panier, ce
n’était certainement pas une collision avec un débris. On a perdu plein de
satellites mais jamais à cause d’une collision avec un débris (…) on met
quand même son argent sur les principales causes de défaillances, avant.

435
Ibid.
436
Une opération spatiale est définie comme toute activité consistant à lancer ou tenter de lancer un objet dans l'espace extra-
atmosphérique ou à assurer la maîtrise d'un objet spatial pendant son séjour dans l'espace extra-atmosphérique, y compris la
Lune et les autres corps célestes, ainsi que, le cas échéant, lors de son retour sur Terre.
437
Loi n°2008-518 du 3 juin 2008 relative aux opérations spatiales.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Et honnêtement la collision avec un débris ça apparaît très très très loin


en bas de la liste. » 438
La prise en compte du problème des débris par les pouvoirs publics français peut être
le reflet d’une réelle préoccupation suite au tir ASAT chinois et à la collision
Iridium/Cosmos qui ont marqué les esprits, mais c’est aussi un levier de poids afin
d’obtenir des financements de la Commission européenne pour développer des
systèmes de surveillance de l’espace. Lorsqu’il s’est avéré que le financement
communautaire était plutôt maigre, l’option américaine a été approfondie et l’accent
mis sur la promotion d’un CoC.
« Il y a eu une fenêtre en 2008 mais maintenant ?(…) Je ne pense pas que
ça débouche très rapidement sur grand-chose et puis maintenant on va
avoir du mal à financer la suite de ce qu’on a déjà, alors financer ce que
l’on ne fait pas encore… enfin pas à ce niveau là en tout cas. (…) Mais ce
n’est pas pour rien d’ailleurs que ça a été poussé au niveau
communautaire car on sentait bien que si on voulait faire du SSA d’une
certaine ampleur, c’était l’européanisation qui était la voie de sortie
budgétaire. La seule bulle d’oxygène était au niveau communautaire, c’est
le seul budget spatial qui augmente, il y a une montée en puissance de
l’UE dans le spatial, on ne va pas alimenter budgétairement cette ligne
là… » 439

1.1.3.2.4. Le rôle des experts des think tanks nationaux et


européens
Les experts des think tanks alimentent ce « buzz » sur le thème de la sécurité des
activités spatiales. La CE s’est considérablement élargie depuis sa naissance aux
Etats-Unis. Le noyau initial des scientifiques de la NASA s’est agrandi sous l’effet
d’une socialisation et d’un apprentissage actifs. Cantonné aux décideurs politiques et
aux agences spatiales dans un premier temps, le thème de la sécurité spatiale sous le
prisme des débris a touché les élites institutionnelles françaises. Mais pour durer dans
le temps, la CE a besoin d’être animée continuellement. C’est l’objectif des forums

438
Entretien au MESR, 19 mars 2013.
439
Ibid.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

internationaux, thématiques ou transverses. Les membres de cette CE se rencontrent


et échangent au sein de ces forums, créant ainsi de la cohésion interne mais
continuant dans le même temps à diffuser leurs croyances normatives.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

1.2. Les activités de la communauté épistémique (CE)

1.2.1. Le relais des forums internationaux comme animateurs de la CE

Les promoteurs de normes doivent nécessairement disposer au niveau international de


forums à partir desquels et par lesquels ils promeuvent leurs normes 440. On parle de
forums entendu comme « un « lieu » producteur d’idées et de représentations [sur
une politique publique] qui peuvent être interprétées en fonction des règles du jeu du
forum, des acteurs et des intérêts qui le composent et des rapports de force qui
opposent ces différents acteurs. » 441 Le forum est habituellement le lieu de la
construction d’un nouveau référentiel 442.

1.2.1.1. Le forum scientifique

Les scientifiques de la NASA présentent naturellement, dans un premier temps, leurs


recherches au sein de la communauté spatiale scientifique. Un forum dédié à l’espace
existe, depuis 1958, il s’agit du COSPAR ou Comité sur la Recherche Spatiale
(Committee On Space Reserach) dont le credo est « Expanding the knowledge frontier
of space for the benefit of humankind ». Ce type de slogan pose un principe
universaliste et guidé semble-t-il par l’altruisme. Ces membres ne peuvent être que
des institutions scientifiques nationales poursuivant des recherches dans le domaine
spatial ainsi que des unions scientifiques internationales. Les scientifiques de la
NASA autour de Donald J. Kessler s’adressent alors tout d’abord à leurs pairs dans
l’objectif de faire connaître leurs recherches et leurs modèles. Ces communications
ont pour objectif de sensibiliser leurs collègues étrangers afin que ces derniers, de
retour dans leurs pays respectifs, disséminent leurs croyances et persuadent à leur
tour d’autres acteurs corporatifs et individuels. Un des effets de cet apprentissage est
l’organisation en 1984 de la première conférence internationale sur les débris
orbitaux au cours de la 25 ème Assemblée Scientifique du COSPAR à Graz en

440
Martha Finnemore, Kathryn Sikkink, op. cit., p. 899.
441
Laurie Boussaget…, op.cit. p. 284.
442
Bruno Jobert est le premier à utiliser ce terme afin d’expliquer le changement de référentiel (vision) qui permet dans les
années 1980 de s’orienter vers le néo-libéralisme. Cette notion est abordée plus particulièrement dans le chapitre 2.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Autriche. Les rassemblements internationaux du COSPAR mettent dès lors


régulièrement à l’ordre du jour le problème des débris spatiaux.

1.2.1.2. Les forums techniques

1.2.1.2.1. L’IADC
Le 13 novembre 1986, l’explosion au lancement du troisième étage d’Ariane 1 avec
le satellite SPOT 1 favorise la diffusion du problème des débris hors du cercle
restreint des scientifiques, et hors des frontières américaines. L’intérêt de l’Agence
Spatiale Européenne (European Space Agency – ESA, créée en 1975) pour les débris
augmente fortement, renforcé par l’expertise des scientifiques américains profitant de
cet événement pour renforcer leur crédibilité et accélérer le processus
d’apprentissage. Cet événement fait partie de la troisième hypothèse de départ.
Profitant d’un événement particulier (variable indépendante), la CE américaine a
diffusé ses principes, croyances et valeurs en Europe. La CE devient transnationale en
essaimant ses idées dans les « Etats secondaires » 443, dont les Etats spatiaux.
“NASA would later begin a process of educating and drawing in foreign
space agencies and commercial actors to begin a process of
internationalizing debris management principles, a process that continues
today.” 444
Peu de temps après cet incident d’Ariane 1, Joe Loftus (Directeur du NASA’s Orbital
Debris Program Office) apprend que le Directeur Général de l’ESA rend visite à
l’administrateur de la NASA. Il profite alors de cette venue pour développer son
argumentaire auprès du représentant européen. Ce dernier, de retour en Europe,
charge Walter Neumann d’étudier le sujet pour l’ESA avec Rémi Hergott,
représentant le CNES. Suite à cet événement spatial ayant créé 492 larges débris dont
il en reste aujourd’hui environ 32 445, le NASA’s Orbital Debris Program Office
accueille au JSC une conférence internationale sur la désintégration des étages

443
Les Etats secondaires sont les Etats qui ne sont pas des puissances spatiales, mais éventuellement utilisant l’espace à leur
profit. Les Etats secondaires, d’un certain poids politique, sont nécessaires afin de faire de la norme une norme
internationale. Il peut s’agir ici de convaincre les grands Etats du G77 du bien-fondé de la norme sur la sécurité des activités
spatiales. Lire, G. John Ikenberry, Charles A. Kupchan, “Socialization and hegemonic power”, International Organization,
n°44, 3, été 1990.
444
Op. Cit., John Clay Moltz…, p. 177.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

supérieurs des lanceurs en mai 1987. Cet apprentissage produit des résultats concrets
que l’on pourrait qualifier d’ « isomorphisme mimétique ». Cela rend compte des
mécanismes de diffusion horizontale de modèles 446. L’apprentissage social opéré par
la NASA, en favorisant l’échange des informations par la mobilité de ses personnels
se rendant en Europe, permet de diffuser leurs idées et de concourir à la création
d’organisations similaires aux leurs dans les Etats ou entités ciblés (agences spatiales,
organisation intergouvernementale).

« L’apprentissage peut être considéré comme représentant un changement


relativement durable dans les comportements, qui résulte de l’expérience ;
habituellement, cette modification est considérée comme un changement
en réponse à des stimuli perçus » 447

Ainsi, sous l’effet du stimuli « événement » (explosion d’un étage de la fusée Ariane
1 et conférence internationale) et du stimuli « apprentissage et diffusion de croyances
normatives » de la part de la NASA, le directeur de l’ESA crée en 1986 un groupe de
travail sur les débris spatiaux (Space Debris Working Group 448), à l’image du NASA’s
Orbital Debris Program Office, qui rend un rapport complet sur le sujet en 1988 449.
Au-delà de cette relation privilégiée entre l’ESA et le CNES, la volonté de la
NASA est de partager ses connaissances avec toutes les agences spatiales dans le
monde mais également avec les acteurs privés exploitant l’espace. Cet
apprentissage croisé se formalise avec l’instauration de forums d’échanges, d’abord
informels dès 1987. Le 22 et le 23 octobre 1987 a lieu la première rencontre de
coordination sur les débris spatiaux entre l’ESA et la NASA à Rolleboise
(Yvelines, France). Les agences spatiales russe et japonaise considérées comme
concernées par le sujet, sont invitées à participer. L’objectif affiché de cette

445
Nicolas Johnson, “Origin of the Inter-Agency Space Debris Coordination Committee”, in Orbital Debris Quarterly News,
Vol. 16, Issue 4, October 2002, p.3.
446
Thierry Delpeuch, « L’analyse des transferts internationaux de politiques publiques : un état de l’art », Questions de
Recherche, n°27, décembre 2008, p. 12.
447
Hugh Heclo, Modern Social Politics in Britain and Sweden. From Relief to Income Maintenance, New Haven (Conn.),
Yale University Press, 1974, p. 306.
448
Aujourd’hui l’ESA dispose d’un Space Debris Office, basé à Darmstadt, Allemagne au sein de l’ESOC (European Space
Operations Center, créé en 1967.
449
ESA’s Report on Space Debris, 1988.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

rencontre est de « discuss the various aspects of space debris, exchange opinions,
present study results and agree on contact points for policy, management, and
technical experts. » 450. Cette première expérience concluante se répète alors chaque
année et permet d’officialiser cette pratique en 1993 en créant l’Inter-Agency Space
Debris Coordination Committee (IADC). L’IADC est une création issue d’une
interaction sociale active entre NASA et ESA 451. Le CNES rejoint officiellement
l’IADC en 1996, après la Chine (CNSA) en 1995 mais en même temps que l’ISRO
(Indian Space Research Organisation) et le BNSC (British National Space Center).
Suivent en 1997 l’adhésion du DLR (German Aerospace Center), en 2000 la NSAU
(Agence Spatiale ukrainienne) et l’Agence Spatiale Canadienne en 2011. Le space
learning fonctionne auprès de l’agence spatiale européenne suivie par plusieurs
agences spatiales nationales des principaux Etats spatiaux. Cet organe devient alors
le forum international relatif à l’aspect technique du problème des débris spatiaux.
Il s’agit uniquement de la réunion de scientifiques et d’experts techniques. L’IADC
devient l’animateur de cette « communauté » 452 et est force de proposition aux
Nations Unies. L’existence de l’IADC permet ainsi, en faisant se rencontrer les
scientifiques et experts des débris des principales puissances spatiales, de mettre en
place un processus de socialisation. En effet, la circulation des solutions sur le
problème de la prolifération des débris au sein de ce forum d’échange peut être
perçue comme un lieu de socialisation et d’apprentissages croisés ayant pour effet
l’homogénéisation des valeurs, des conceptions, des préférences, des identités et
des croyances, préalablement à l’élaboration et à la diffusion de règles et de
politiques multilatérales. Le résultat concret de ce processus est l’adoption en 2002
par l’IADC, après consensus entre ses membres, des recommandations afin de
réduire la production de débris spatiaux 453. De même, la Loi Spatiale Française a
été nourrie des réflexions de l’IADC.

450
Nicolas Johnson, “Origin of the Inter-Agency Space Debris Coordination Committee”, op. cit.,p.3.
451
Les deux agences spatiales (l’ESA était alors l’ESRO) ayant aussi coopéré antérieurement sur d’autres programmes
notamment pour la conception de Spacelab en 1973, le laboratoire scientifique installé dans la navette spatiale. Le premier
module a été remis à la NASA en échange de possibilités de vols pour les astronautes européens.
452
Issu de la théorie sociologique de Ferdinand Tönnies, le concept de communauté (Gemeinschaft) s’oppose à celui de société
(Gesellschaft). La communauté est alimentée par l’affectif et l’intériorisation de valeurs communes partagées entre ses membres, in Guy
Hermet, Bertrand Badie, Pierre Birnbaum, Philippe Braud, Dictionnaire de la science politique, Paris, Armand Colin Cursus, juin 1996,
p. 56.
453
IADC Space Debris Recommandations Guidelines, 15 octobre 2002.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

La communauté des individus travaillant sur les débris spatiaux correspond peu ou
prou aux personnes présentes lors des conférences annuelles de l’IADC. Cette
communauté scientifique est réduite. Ainsi, lorsque des modélisations relatives à
l’évolution de la population des débris en orbite sont présentées, elles sont peu
contestées, peu discutées voire pas du tout. Les controverses scientifiques
n’existent pas et cela représente un risque pour la véracité des propos tenus lors de
ces rassemblements. Ces propos étant émis par des experts, scientifiques ou
ingénieurs, ils sont considérés comme légitimes. Ils ne sont pas remis en cause
lorsqu’ils sont décodés et transmis aux décideurs politiques. Certains membres de
cette communauté tentent tout de même de faire entendre leur voix discordante,
dans le but d’enrichir les débats. Sous l’impulsion de quelques personnes, le CNES
mène en 2012 une évaluation indépendante de l’évolution à long terme de la
population des débris spatiaux 454. Elles présentent ses conclusions à la conférence
de l’IADC en 2014. Cette étude montre que les hypothèses de départ sur lesquelles
le modèle se fonde sont déterminantes sur les résultats finaux. En prenant des
hypothèses de départ différentes de celles de la NASA, mais tout autant
crédibles 455, le CNES obtient un résultat inverse de celui de la NASA. A l’appui de
l’étude du CNES, on ne peut conclure à une augmentation certaine du nombre des
débris en orbite d’ici à 200 ans. Ce qui fait dire à un individu du CNES :
« Tout est fait pour montrer une situation catastrophique. C’est pour se
donner du boulot. » 456
Ces résultats remettent en cause les solutions avancées par cette communauté des
experts en débris orbitaux pour pallier cette situation. La solution technique qui est
promue est le retrait de certains gros débris en orbite, par l’active debris removal
(ADR). Les experts recommandent de retirer cinq à dix gros débris par an en orbite
basse afin de stabiliser la population orbitale. Cette technologie fait déjà l’objet
d’études d’ingénieurs et de prototypes industriels. Elle fait donc travailler des

454
Le modèle développé par le CNES s’appelle MEDEE pour Modelling of the Evolution of Space Debris on the Earth
Environment.
455
La forte instabilité des hypothèses de départ (dû à l’imprévisibilité relative des phénomènes) ne peut pas permettre de
conclure dans un sens ou dans un autre: forte augmentation du nombre de débris, stagnation ou réduction. Les hypothèses de
départ se fondent, entres autres, sur : le nombre de lancements par an, le nombre d’échecs au lancement, le nombre
d’explosions accidentelles en orbite, le nombre de satellites déployés au sein des « méga-constellations », l’activité solaire
etc.
456
Entretien au CNES, 2016.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

équipes et justifie des emplois. Les membres de cette communauté sont donc
prompts, pour la majorité, à ne pas remettre en cause les différentes prévisions
alarmistes.
« Il n’y a dans cette communauté que des gens convertis, comme dans une
secte. » 457
Cela ne veut pas dire qu’elles ne se réaliseront pas, mais l’incertitude est trop
grande aujourd’hui pour affirmer que les choses vont se dérouler ainsi dans 200
ans.
L’ESA, avec son programme clean space, devrait être la première agence spatiale à
réaliser une opération d’active debris removal en 2021 sur le satellite Envisat. Le
NASA soutient activement les développements en matière d’ADR, tandis que le
département d’Etat américain et le Pentagone y voient des utilisations militaires
potentielles allant contre leurs intérêts.
Une autre solution technique visant à contrer l’augmentation de la population en
orbite est d’accroître la fiabilité des composants techniques au sein des satellites,
souvent mis en cause dans les explosions inopinées d’objets en orbite. Cette piste,
pourtant déjà évoquée dans les écrits de Kessler en 1978, est peu discutée.
Donald J. Kessler est invité à chaque conférence de l’IADC. Son « syndrome »
structure et conditionne encore tous les débats sur les débris orbitaux. Pourtant,
depuis 1957, sur les millions d’objets spatiaux en orbite, moins de 15 collisions
458
connues ont eu lieues, so, « why do people worry ? » D’aucuns évoquent
d’autres solutions que l’ADR qui permettent d’éviter les collisions en orbite :
“Many collisions in space can be avoided, but in order to do so, we will
need a robust space situational awareness capability.” 459
Les consensus d’ordre technique obtenus au sein de l’IADC permettent ensuite de
les imposer au niveau politique. La démarche inverse est plus laborieuse tant un
consensus politique sur ce sujet est difficile à obtenir. A bon escient, le sous-
comité technique et scientifique du COPUOS s’inspire de cette démarche réussie
(de bottom-up du niveau technique au politique) de l’IADC.

457
Ibid.
458
Mark Albrecht, Paul Graziani, “A Serious Problem Solved By Hard Work, Not Hysteria”, Space News, 25 avril 2016, p.
22-23.
459
Ibid., p.23.

- 183 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

1.2.1.2.2. Le rôle du sous-comité technique et scientifique du


COPUOS
Le COPUOS est un comité qui a un rôle relativement important dans cette thèse en
tant que forum d’échange et de socialisation interétatique. Le COPUOS est le Comité
de l’Assemblée Générale des Nations Unies pour les Utilisations Pacifiques de
l’Espace. Il regroupe 69 Etats ainsi que des Etats observateurs. Les Nations Unies ont
l’avantage de disposer de ressources et de leviers (« leverage ») importants
permettant de convertir les Etats « faibles » ou en développement à leurs convictions
normatives 460. Les Nations Unies sont une institution qui peut être considérée comme
agent de régulation des relations internationales et incitant dans ce cadre à faire
adopter aux Etats des comportements normalisés. Au sein du COPUOS, l’émergence
de la norme relative à la prolifération des débris se concrétise par son inscription sur
l’agenda interne. C’est au sein du sous-comité scientifique et technique (STSC,
Scientific and Technical Subcommittee) que le thème est le plus débattu. La
marginalisation du sous-comité juridique peut dans un premier temps apparaître
comme paradoxale. En effet, c’est ce dernier qui est à l’origine des premiers textes
juridiques qui ont permis d’encadrer légalement l’utilisation de l’espace dont
notamment le traité de l’espace de 1967. Ces textes juridiques ne font pas
directement référence au problème des débris, ni d’ailleurs à celui des armes dans
l’espace (à part le placement d’armes de destruction massive en orbite et
l’interdiction de construire des bases militaires sur la Lune et les corps célestes). Les
différents protagonistes pourraient aujourd’hui se tourner naturellement vers ce
comité pour imaginer la mise à jour du Traité de l’espace de 1967. Cependant, le
paysage spatial international a changé et ce traité n’a été négocié qu’entre deux
puissances spatiales, les Etats-Unis et l’URSS. La perspective juridique semble donc
mener, pour le moment, à une impasse, à cause de l’opposition de certains Etats à tout
texte contraignant. Une solution alternative se situe du côté de la soft law. Le sujet de
la durabilité des activités spatiales est apparu pour la première fois en 2004 lors du
discours du président du STSC d’alors, Karl DOETSCH (Canada). Mais c’est surtout
l’écriture d’une analyse sur le sujet et sa présentation aux délégations du COPUOS

460
Martha Finnemore, Kathryn Sikkink, op. cit., p. 900.

- 184 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
ème
lors de la 50 session plénière du comité en juin 2007 461 par le français Gérard
Brachet (alors président du COPUOS) qui lance le débat. La même année, l’AGNU
adopte les recommandations du COPUOS sur la réduction des débris. L’activisme de
Gérard Brachet au sein du COPUOS a permis à la France, les 7 et 8 février 2008, de
prendre l’initiative de convoquer à Paris une réunion internationale informelle sur la
« viabilité à long terme des activités spatiales ». Deux autres réunions du groupe de
travail informel ont été tenues, l’une à Glasgow (Royaume Uni) en octobre 2008 en
marge du congrès international d’astronautique, et l’autre en février 2009 à Vienne,
en marge de la session du STSC du COPUOS. Cette troisième réunion a été précédée
d’une présentation informelle des objectifs et des travaux de ce groupe de travail à
toutes les délégations présentes à la session du sous comité du COPUOS 462. Le
document de référence rédigé par ce groupe de travail informel, distribué aux
délégations lors de la session du STSC du COPUOS de février 2010, passe en revue
les différentes questions qui peuvent affecter la viabilité à long terme des activités
spatiales dont la prolifération des débris spatiaux. Dès 2008, ces réunions
internationales informelles réunissent les acteurs spatiaux européens mais aussi les
opérateurs de télécommunications spatiales 463. La présence des acteurs privés lors de
ces rassemblements montre que l’idée de la nécessité d’un space traffic management
transcende les frontières entre cercles d’acteurs.

1.2.1.2.3. La mise sur agenda du COPUOS de la durabilité des


activités spatiales à l’initiative de la France
En parallèle des réunions informelles, la délégation française annonce son ambition
de présenter une proposition officielle afin de faire inscrire ce thème à l’agenda du
COPUOS, ce qui est fait en 2009. Si Gérard Brachet n’est plus président du
COPUOS, il est en revanche l’expert « espace » du ministère français des affaires
étrangères et européenne au second semestre 2008, lors de la présidence française de
l’UE (et le dépôt du premier projet officiel du CoC européen). En 2010 a lieu la
première réunion du working group sur la durabilité à long terme des activités
spatiales (Long-Term Sustainability of Space Activities, LTSSA) placée sous la

461
Document A/AC.105/L.268.
462
Gérard Brachet, “La sécurité des activités spatiales”, 15 mai 2010,
www.cesa.air.defense.gouv.fr/la_securite_des_activites_spatiales .pdf

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

présidence du sud africain Peter Martinez. Ce groupe de travail est une initiative du
STSC. En 2011, ce groupe est composé de quatre sous-groupes d’experts se divisant
entre différents thèmes liés à la durabilité de l’espace. Selon les termes de référence,
le working group LTSSA a pour but d’examiner la durabilité à long terme des
activités spatiales dans le contexte plus large du développement durable sur Terre.
L’objectif est d’éditer un rapport final énonçant des « bonnes pratiques »/ guidelines
devant être appliquées sur base volontaire par les Etats, les organisations
internationales, les ONG et le secteur privé. Un plan de travail sur quatre ans est
établi, de 2011-2014. Le groupe consulte également d’autres organismes onusiens tels
que la CD, l’International Telecommunication Union (ITU), des organismes non
gouvernementaux et non onusiens (IADC et International Academy of Astronautics,
IAA). Les contributions provenant d’ONG ainsi que du secteur privé sont les
bienvenues mais toujours par l’intermédiaire d’une délégation étatique. Dans le
domaine spatial, les acteurs non-étatiques (les « intrus » 464) ne supplantent pas les
prérogatives étatiques. La gestion du milieu spatial reste stato-centrée.
Les quatre sous-groupes du LTSSA sont (1) l’utilisation du milieu spatial de manière
durable afin de servir les besoins (durables) sur terre, (2) les débris spatiaux, les
opérations spatiales et les outils permettant le partage des données SSA (Space
Sustainable Awareness), (3) la météorologie de l’espace, (4) les régimes régulateurs
et l’orientation des nouveaux acteurs du secteur spatial. Le groupe a bénéficié d’une
année de plus afin de compléter son travail. Il ressort de cette expérience une
difficulté des membres à se mettre d’accord sur ce qui constitue les « bonnes
pratiques ».
“The four Expert Groups have made substantive progress on draft best
practice guidelines, which the Chair has compiled into one document
(A/AC.105/C.1/2013/CRP.23). While these are very much draft guidelines,
they reflect the fragmentary nature and lack of unity some feared.” 465

463
Theresa Hitchens, “COPUOS wades into the next great space debate”, Bulletin of the Atomic Scientists, 26 juin 2008.
464
Bertrand Badie, Le Diplomate et l’Intrus, op cit.
465
UNCOPUOS, Long-Term Sustainability of Space Activities Working Group Fact Sheet, Tiffany Show, Secure World
Foundation, juin 2013.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

L’initiative du LTSSA doit pouvoir s’intégrer logiquement avec les initiatives menées
en parallèle. Ainsi les travaux du Groupe des Experts Gouvernementaux ont été
présentés lors d’un meeting du LTSSA. De plus, l’initiative du CoC y est discutée.
The TOR [Terms of Reference] state that the Working Group “should
avoid duplicating the work being done within these international entities
and should identify areas of concern relating to the long-term
sustainability of outer space activities that are not being covered by
them.” 466
La stratégie initiée par Gérard Brachet et la délégation française est donc d’aller
chercher un consensus interétatique d’ordre technique, considéré comme plus facile à
atteindre qu’un consensus d’ordre juridique. Malgré les déclarations faites afin
d’impliquer davantage le sous-comité juridique, il semble avoir été marginalisé par
les experts techniques.
“Similarly, the Working Group acknowledges the need to clarify how the
UNCOPUOS Legal Subcommittee will be involved in this process.” 467
En décembre 2014, le groupe de travail LTSSA a présenté son projet de rapport sur la
viabilité à long terme des activités spatiales 468. L’année 2015 a été l’occasion de
publier des mises à jour, commentaires et amendements 469 de la part des experts
étatiques de trente pays différents ainsi que ceux provenant d’organisations
interétatiques et d’ONG. Le projet de base étant constitué de 33 recommandations
relatives à la durabilité à long terme des activités spatiales. D’après les propos de
Gérard Brachet, cette démarche COPUOS/STSC a fortement été inspirée de la
démarche de l’IADC. En effet, les experts de l’IADC étant parvenus à un accord, ils
ont partagé leur expérience et leur travail avec le STSC du COPUOS en « court-
circuitant » le sous-comité juridique du COPUOS. Les experts techniques de l’IADC
et du STSC se sont donc en quelque sorte associés afin de produire de la connaissance
et créer une vision commune. Il a fallu ensuite convaincre les diplomates que cette
orientation, cette vision du problème et de ses solutions était la plus pertinente. Ce
processus est une nouvelle fois appliqué lors de la constitution en 2011 par les

466
Report from the 54th session of UNCOPUOS to the 66th session of the UN General Assembly, Supplement No. 20
(A/66/20), 2011, p. 51-57.
467
Ibid.
468
http://www.unoosa.org/pdf/limited/c1/AC105_C1_L343F.pdf
469
http://www.unoosa.org/oosa/en/ourwork/topics/long-term-sustainability-of-outer-space-activities.html

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Nations Unies d’un Groupe des Experts Gouvernementaux. Gérard Brachet est choisi
par le Quai d’Orsay afin d’être le représentant de la France. Gérard Brachet a alors
joué un rôle moteur. Il peut être considéré comme un entrepreneur de norme et un
animateur de la CE.
A l’été 2015, les consultations multilatérales menées en parallèle sur le code de
conduite dégradent les débats au sein du COPUOS, qui au sens strict ne traitent pas
du ICoC mais des conclusions et lignes directrices issues de l’initiative LTSSA. De
plus, les crispations accumulées à la CD s’exportent dans les autres forums et
contaminent les discussions. Le débat technique voulu au STSC se politise. Ces
tensions sont également le résultat d’une conjoncture internationale particulière faite
de relations difficiles entre les dirigeants américains et russes. On retrouve en outre
ces dissensions dans d’autres forums internationaux 470.

1.2.1.3. Les forums professionnels : initiatives des opérateurs privés

Les membres du 3ème cercle que sont les organisations professionnelles tendent à se
mobiliser eux aussi pour échanger sur la problématique de la sécurité des activités
spatiales. Au sein du secteur spatial, il existe des regroupements nationaux tels que le
GIFAS (Groupement des Industries Françaises Aéronautiques et Spatiales) en France,
le BDLI (en anglais : German Aerospace Industries Association) en Allemagne ou
encore l’AIA (Aerospace Industry Association) aux Etats-Unis, mais aussi européens
à l’instar de l’ASD (Aerospace and Defence Industries Association of Europe) et
d’EUROSPACE (Association des industries spatiales européennes). L’objectif de ces
regroupements est de discuter entre professionnels des intérêts industriels du secteur
spatial.
« Les cibles du GIFAS c’est donc le CNES, le gouvernement français et le
Parlement français. Les cibles d’Eurospace sont la Commission et
l’ESA. » 471
Du côté américain, la NASA a sensibilisé les opérateurs privés dès les années 1980.
En 1994, ils étendent leurs prérogatives par l’application de la Directive 23 472 du

470
Isabelle Lasserre, « A Vienne, l’OSCE est le théâtre d’une nouvelle guerre froide », Le Figaro, 2 mai 2016.
471
Entretien avec le Secrétaire général d’Eurospace, 14 juin 2011.
472
http://www.clintonlibrary.gov/_previous/Documents/2010%20FOIA/Presidential%20Directives/PDD-23.pdf

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Président Clinton. Ce dernier décide d’autoriser les sociétés privées à commercialiser


les technologies, produits et données issus des systèmes satellitaires de télédétection.
Ce secteur devient très lucratif et les opérateurs privés tiennent à protéger leurs
satellites. Ainsi, plus récemment, ils décident, en l’absence d’initiative politique
multilatérale, de veiller eux-mêmes sur leurs satellites placés en orbite
géostationnaire. Dans un premier temps, certains opérateurs poussent à faire évoluer
les processus et à instaurer des normes uniformisant les pratiques. Ils utilisent alors
les données fournies par le Joint Space Operations Center (JSpOC). Cependant, pour
les grands opérateurs de télécommunications, cette solution n’est pas optimale. L’idée
alors d’un centre de données émerge mais n’est pas sans obstacle. En effet, ce dernier
a pour ambition de fédérer les données des opérateurs sur les orbites, de standardiser
les données et les protocoles opérationnels. Mais afin d’être réellement efficace, ce
centre devrait obtenir des données de satellites non opérationnels ou
gouvernementaux. Les acteurs privés se sont réunis à Washington en février 2008 et à
Ottawa en décembre 2008 afin de créer ce centre de données. Aujourd’hui ce
« centre- prototype » compte sept exploitants opérant de plus de 120 satellites en
orbite géostationnaire. La confidentialité des données a cependant été prise en compte
avec une interdiction pour les non-membres d’avoir accès aux données via le centre
(si les exploitants n’ont pas donné leur accord). Une autre initiative en parallèle est
lancée, celle concernant les interférences radioélectriques. Là encore par rapport à la
coopération entre Etats, les exploitants commerciaux ont une longueur d’avance.
« L’industrie et le gouvernement doivent absolument travailler ensemble
s’ils veulent indiquer la voie à suivre pour les questions de gestion de
l’espace afin de protéger les activités spatiales de demain. » 473
La Space Data Association est créée en 2009 par Intelsat, InmarSat et SES. Elle
acquière sa pleine capacité en avril 2011. La position de la France est de rester
prudente face à ces initiatives privées.
« Alors si nous entrons là-dedans ou si cela devient un nouveau standard
international, il est clair que cela peut être assez préoccupant pour nous.
Les Américains imposent aux opérateurs commerciaux américains de leur

473
Richard DalBello, « Des initiatives commerciales de gestion de l’environnement spatial », UNIDIR forum du
désarmement 2009, n°4, p. 35, URL : http://www.unidir.org/files/publications/pdfs/un-environnement-spatial-plus-sur-en-
482.pdf.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

donner toutes les garanties sur la fiabilité, l’intégrité et la protection des


moyens spatiaux dont ils peuvent se servir, qui sont susceptibles de servir
en tant que compléments nécessaires, et du coup, là encore on met en
place un standard comme ces opérateurs commerciaux ont besoin de
clients et que le client américain est prépondérant, ce sera à celui qui fera
appel le plus à eux qui fera la loi. Et donc ceci peut nous produire
quelques problèmes. » 474
Ce type d’initiative peut poser d’autant plus de problème que l’accès à la capacité en
matière de télécommunication peut en France évoluer vers une acquisition via un
opérateur privé 475. Enfin, cette initiative pourrait également voir le jour au profit des
objets en orbite basse 476. Cette orbite est considérée comme critique par les
gouvernements eu égard au nombre de débris situés sur cet orbite, mais aussi à la
présence de satellites militaires.

1.2.1.4. Le dialogue entre les savants et les profanes au sein des forums
hybrides

Le rôle des « profanes » (les non-scientifiques et les non-experts) dans la


« démocratie technique » est au cœur des travaux de Michel Callon, Pierre
Lascoumes et Yannick Barthe. Ces travaux permettent de s’interroger sur les moyens
d’action et le poids des non-experts dans un milieu très technique (l’espace) et
incertain (prolifération des débris et menaces).

474
Entretien avec le conseiller Espace au directeur de la Direction aux Affaires Stratégiques (ex-DAS), 1 er octobre 2010.
475
En 2010, un débat public vif a animé la communauté spatiale (Armées et industriels) et le champ politique sur la
possibilité d’externaliser l’usufruit des satellites de télécommunications militaires. Suite à de nombreuses consultations, ce
projet a été abandonné.
476
La société américaine Leolabs propose de vendre les données orbitales de satellites en orbite basse grâce à deux radars
situés en Alaska et au Texas. Leur ambition est grande : suivre tous les objets à partir de 2 cm en orbite basse. Lire avec
intérêt : http://spacenews.com/satellite-tracking-firm-leolabs-opens-for-business-with-4-million-banked/

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

1.2.1.4.1. Les profanes et les démocraties techniques français et


américaine
Le poids de la culture spatiale est plus prégnant aux Etats-Unis qu’en France.
Néanmoins, dans ces deux démocraties techniques 477, la définition de la politique
spatiale relève du monopole étatique. Les parlements jouent un rôle qui est le plus
souvent consultatif, surtout en France comme abordé précédemment. Ce déficit
démocratique a été souligné dans un des rares ouvrages en français sur le sujet 478. Si
l’aventure spatiale bénéficie d’un large assentiment grâce aux rêves qu’elle véhicule,
une grande majorité des utilisations pratiques de l’espace sont ignorées par les
citoyens. Cette ignorance relative a un impact sur la participation populaire aux
décisions publiques relatives à l’espace.
« Comment ont été opérés les grands choix du passé récent dans le
domaine spatial ? Comment sont arrêtées aujourd’hui encore les
orientations qui marquent de leur empreinte la longue période ? Par qui
sont fixés les priorités, les objectifs et les moyens ? La réponse tient en
trois mots : par quelques uns. (…) Citoyens, citoyennes, force est de
constater que vous êtes ici exclus des processus décisionnels. » 479
Une fois de plus, la comparaison avec les Etats-Unis est faite afin de mettre en avant
qu’existe là-bas une plus grande implication des élus du peuple dans les décisions
spatiales engageant la nation toute entière.
« Les Etats-Unis sont sans doute le moins mauvais élève de la classe. Un
certain jeu démocratique s’y déroule par élus interposés au sein du
Congrès. Le budget de la NASA, chaque année, y fait l’objet de débats
argumentés. Les grands projets y sont examinés avec compétences grâce
aux procédures des auditions et aux moyens d’investigation dont dispose
l’Office d’évaluation des choix technologiques. Les responsables des
programmes spatiaux y sont entendus. Ils doivent faire effort pour
convaincre les élus de la nation. » 480

477
Jean-Paul Gaudillière, « A propos de « démocratie technique » », La Découverte, Mouvements, 2002/3, n°21-22, p. 191-
193.
478
Roger Lesgards, Conquête spatiale et démocratie, Paris, Presses de Sciences Po, mars 1998.
479
Ibid., p. 63.
480
Ibid.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

A titre d’exemple, en France, seuls quelques hommes décidèrent de la création


d’Ariane : dirigeants du CNES, Président de la république et quelques ministres.
Aucune réflexion approfondie n’a eu lieu à l’Assemblée nationale 481.
« Car tel est bien le grand danger du processus décisionnel à
configuration restreinte : la complicité d’un milieu politique qui se
passionne pour une grande aventure (les occasions sont rares) et d’un
milieu technocratique qui, emporté par sa propre logique, masque les
difficultés et les vrais enjeux ; le tout présenté en spectacle à une opinion
publique mal informée et à des citoyens auxquels on explique qu’ils n’ont
pas le choix. » 482
Ce constat sévère fait par Roger Lesgard, est-il mutatis mutandis le même pour le
développement durable de l’espace ? Ce « problème » des débris ne constitue pas en
soi une controverse technique ou scientifique. Les profanes s’en sont emparés sans le
remettre en cause. Pour eux aussi, la science décodée s’est présentée sous la forme
schématique du syndrome de Kessler et de ses images de prévisions
catastrophiques 483. Au début, les profanes, sensibilisés par la CE, s’en sont emparés
suite à la relative inertie des Etats et dans le but d’élaborer des solutions. La
prolifération des débris et la probabilité de l’impossibilité de son utilisation à terme
relève du risque. Le risque peut être défini comme un danger identifié, associé à
l’occurrence d’une série d’événements descriptibles, dont on ne sait pas s’ils se
produiront mais dont on sait qu’ils sont susceptibles de se produire. En revanche,
l’incertitude réside plutôt dans la manière dont évoluera l’environnement spatial face
aux menaces : deviendra-t-il un champ de bataille ou sera-t-il protégé comme
sanctuaire ? 484 Ce sont sur ces questions que les profanes s’expriment. Le terrain
national n’est pas le plus favorable pour cette expression. Ce que l’on appelle alors
les « forums hybrides » jouent un rôle important afin de donner de la voix aux
profanes dans ce débat. Ces forums rassemblent tour à tour experts, hommes
politiques, techniciens et profanes qui s’estiment concernés. Ce sont des espaces

481
Ibid., p. 66.
482
Ibid., p. 79.
483
Pour un exemple de ces prévisions et de la solution que représente l’ADR :
http://www.esa.int/spaceinvideos/Videos/2013/04/Space_debris_story
484
Pour certains auteurs, le choix est plus subtil. Lire Michael E. O’Hanlon, Neither Star wars nor Sanctuary. Constraining
the Military Uses of Space, Brookings Institution Press, 2004.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

« ouverts où des groupes peuvent se mobiliser pour débattre des choix techniques qui
engagent le collectif ». Les forums sont dits « hybrides » car ces groupes engagés et
leurs porte-parole sont hétérogènes (experts, profanes, hommes politiques…) 485. Un
modèle de « démocratie dialogique » serait ainsi en construction dans les pratiques.
Ce type de démocratie s’oppose alors à la démocratie définie comme « délégative ».
Cette dernière repose sur une séparation rigide entre représentants politiques et
mandataires, doublée d’une séparation entre savants et profanes. Ceci est à l’origine
de l’incapacité des profanes à peser sur les décisions. Les forums hybrides permettent
de repolitiser les questions de science et de technique. Au cours de l’échange
réciproque, de l’apprentissage commun produit pendant le dialogue, ces groupes
concernés participent à « l’élaboration du monde commun ». Le modèle de la
démocratie dialogique présentée par les trois auteurs comporte cependant des
limites 486. Tout d’abord, il ne prend pas en compte les inégalités économiques,
sociales et culturelles qui sont présentes dans le corps social et qui empêchent
l’expression et la prise en compte de la parole de chacun. Ensuite, le livre évoque très
peu le fait que les enjeux de la technoscience sont également des enjeux
économiques. De ce fait, l’influence des logiques industrielles sur la construction des
savoirs est ignorée. Ces deux limites sont parfaitement intégrables dans le sujet de la
prise en compte des débris dans l’espace et présentes en filigrane dans cette thèse.

1.2.1.4.2. Un exemple de forum hybride : l’université spatiale


internationale
Le poids actuel des profanes sur les décideurs politiques est à relativiser. Cependant
et afin d’illustrer la notion de « forum hybride », il n’est pas vain d’évoquer le rôle de
l’International Space University (ISU) au travers notamment de ses Space Studies
Program (SSP) et de ses symposiums annuels. L’université spatiale est l’archétype du
forum hybride et par là même se fait l’animateur de la communauté épistémique. Elle
a été fondée en 1987 par trois étudiants, Peter Diamandis, Todd Hawley et Robert D.
Richards 487. L’université est une association à but non lucratif, enregistrée en Alsace
et possédant une filiale aux Etats-Unis, reconnue en 2004 comme institut
d’enseignement supérieur par le ministère français de l’éducation. Les membres de

485
Michel Callon…op. cit., p. 35-36.
486
Jean-Paul Gaudillière, « A propos de « démocratie technique »…, op.cit, p. 193.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

l’association (governing members) élisent les représentants au conseil


d’administration chargés de définir les objectifs de l’université et d’élire son
président. Il s’agit de personnes individuelles ou d’organisations internationales,
d’agences spatiales, d’institutions académiques et d’industries. Le thème de l’ISU est
l’espace extra-atmosphérique tout domaine confondu. L’interdisciplinarité est l’une
des caractéristiques principales de cette université au même titre d’ailleurs que la
diversité des profils de ses étudiants. Leur origine ainsi que celle des conférenciers
est très variée, tant du point de vue des nationalités qui y sont représentées – une
centaine – que des métiers – industriels, militaires, chercheurs, universitaires etc.
Cette diversité est néanmoins moins sociale quand on sait que l’accès à la scolarité en
master coûte 25 000€ et que le programme d’été est conditionné à un paiement de
18 000€. Situé à Strasbourg, la localisation du siège de l’ISU a fait l’objet d’une
compétition entre le Canada, l’Italie et la France (Strasbourg et Toulouse) avant que
le choix ne se porte finalement sur l’Alsace, carrefour de l’Europe. N’en demeure pas
moins que l’origine nord-américaine de l’ISU reste très perceptible. Tout d’abord, par
la présence d’une importante communauté d’étudiants nord-américains sur le campus,
puis par le fait que l’anglais soit la langue officielle de l’institution. En dépit de son
implantation en France, cette université se veut résolument tournée vers
l’international. Le livret académique de l’ISU reprend le credo de ses pères
fondateurs en rappelant qu’elle « est fondée sur la vision d’un futur pacifique,
prospère et sans limite par l’étude, l’exploration et le développement du spatial au
profit de toute l’humanité. L’ISU est une institution dédiée à la coopération
internationale, à la collaboration et ouverte, menant des activités intellectuelles liées
à l’exploration de l’espace et au développement. C’est un lieu où les étudiants et les
enseignants de toute formation sont les bienvenus ; où la diversité de culture, de
philosophie, de style de vie, d’instruction et d’opinion sont estimés et
encouragés. » 488

487
Peter Diamandis est médecin et diplômé en ingénierie aérospatiale, Todd Hawley est diplômé de l’Institut de Politique
Spatiale de l’Université George Washington. Enfin, Robert D. Richards est ingénieur et physicien.
488
ISU Credo, Peter Diamandis, Todd B. Hawley, Robert D. Richards, ISU Founders. http://www.isunet.edu/blog/what-is-
isu/isu-credo/87

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Le credo de l’ISU renvoie dès lors à trois dimensions. Premièrement, tout en étant
ouverte à toutes les opinions, elle prône une vision pacifique de l’espace au sein de
laquelle la coopération internationale est le maître mot. L’attention portée aux
utilisations pacifiques de l’espace ne saurait toutefois signifier que l’ISU ne puisse
pas traiter de problématiques militaires. On retrouve ici l’esprit du Traité sur l’Espace
de 1967 qui, s’il interdit le placement d’armes de destruction massive en orbite, ne
prohibe nullement l’utilisation militaire de l’espace, exception faite d’installations
militaires sur les corps célestes. Deuxièmement, l’ISU insiste, dans l’exposé de ses
missions, sur le fait qu’elle n’entreprendra pas de programmes ou d’activités qui
limiteraient sa vocation internationale ou son dévouement pour la promotion des
activités pacifiques. Ce point est important en ce qu’il dénote une prise de position
contre le placement d’armes dans l’espace. Au regard de ses missions, il n’est alors
pas étonnant de constater que l’ISU a développé une coopération avec les Nations
Unies, que ce soit en qualité d’observateur permanent au COPUOS ou en conduisant
des activités conjointes avec l’UNESCO. Ces exemples sont révélateurs de la volonté
de l’ISU d’influencer les prises de décisions au niveau international. Enfin,
l’institution se dit également dévouée à la création et à l’expansion de la
connaissance, à l’échange et à la dissémination des savoirs et des idées. Les
dirigeants de l’ISU souhaitent en faire un forum international de discussion autour des
questions spatiales. Dans cette optique, ils proposent chaque année aux professionnels
du secteur spatial des stages pluridisciplinaires d’une durée de deux mois (SSP).
Chaque année, un à deux officiers de l’Armée de l’air française y participent, en
provenance du CIE ou du CDAOA notamment. Des membres du CNES y sont
également régulièrement représentés. On y compte aussi des jeunes professionnels de
l’ESA ou des industries spatiales françaises. Ces stages sont l’occasion pour la
centaine de stagiaires retenus chaque année de bénéficier des compétences des
conférenciers sur un thème de leur choix 489. Ils présentent en outre l’intérêt de se
dérouler systématiquement dans un lieu différent. Ainsi le programme 2009 fut
hébergé par le centre de recherche de la NASA de MottetField, près de San Francisco
alors que celui de 2012 s’est tenu à l’institut de technologie de Melbourne (Floride) et

489
Les thématiques abordées sont particulièrement larges en ce qu’elles peuvent porter, par exemple, sur la science de la vie,
l’espace et la société, l’ingénierie spatiale, la physique spatiale, le droit spatial, etc.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

au Kennedy Space Center. Outre ces stages, l’ISU propose également, sur son campus
de Strasbourg, des formations universitaires sous forme de master et organise
annuellement un symposium international dont la finalité est « d’aider les utilisateurs
et les fournisseurs de systèmes liés à l’espace et de faire progresser la discussion des
problèmes vers la formulation de solutions innovantes. »
Le 16e symposium de l’ISU, qui s’est tenu du 21 au 23 février 2012, a été l’occasion
de rassembler un large public de spécialistes sur le thème de la durabilité des
activités spatiales : problèmes internationaux et solutions potentielles. Plusieurs
agences spatiales étaient représentées (NASA, CNES, DLR (agence spatiale
allemande), JAXA (agence spatiale japonaise) mais aussi ESA), de même que des
industriels (avec une forte représentation des ingénieurs d’Airbus Defense & Space),
de nombreuses universités (Madrid, Hokkaïdo, Tel Aviv etc.), l’ONG Secure World
Foundation, des instituts et fondations, ainsi que les départements américains de la
Défense et d’Etat. Outre cette participation que l’on pourrait qualifier de
traditionnelle, on observe depuis 2006 une présence grandissante d’auditeurs en
provenance des BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), passés de moins d’une
vingtaine à près d’une soixantaine par an, illustration s’il en est de l’intérêt que ces
États portent à l’espace. Durant cette édition 2012, les trois jours de débats ont été
dominés par la problématique des débris et ont permis aux intervenants de dégager un
certain nombre de pistes visant aussi bien à protéger les satellites qu’à favoriser la
baisse de la production de nouveaux débris, voire à permettre le retrait des débris
dans l’espace. Même si certains intervenants ont rappelé la hausse conséquente du
nombre de ces débris à la suite du tir antisatellite (ASAT) chinois de février 2007, on
notera qu’en revanche aucune session n’a spécifiquement porté sur la problématique
des débris causés par les capacités ASAT. Certaines interventions y ont tout de même
fait indirectement référence, comme lors de la session consacrée aux approches
coopératives visant à favoriser la durabilité de l’espace (interventions sur la définition
du comportement responsable dans l’espace, sur la gouvernance mondiale des biens
communs, sur l’utilisation de la surveillance de l’espace etc.). Ce relatif désintérêt
pour les thématiques militaires peut être facilement compris par les motivations
mêmes qui ont poussé à la création de l’ISU. Comme le relève un observateur averti

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

des problématiques spatiales, les programmes proposés par l’ISU sont très complets,
quand bien même peut-on relever
« La quasi-absence de conférences sur l’utilisation de l’espace à des fins
de sécurité et de défense. Aucune conférence ne traitait véritablement de
ce domaine de manière dédiée, alors qu’il concentre, historiquement et
encore actuellement, la majeure partie des applications issues de systèmes
spatiaux. Ce constat s’explique facilement lorsqu’on comprend dans quel
cadre a été créé l’ISU à l’époque : la motivation principale était (et reste)
de rassembler une communauté spatiale, de dispenser un enseignement
multidisciplinaire dans le domaine de l’espace, et de favoriser les
échanges autour de sujets de réflexions sur l’exploration et l’utilisation
pacifiques de l’espace au profit de l’humanité toute entière » 490.
La problématique des débris a fait l’objet quelques mois plus tard d’un « team
project » au cours du SSP de l’été 2012. L’objectif de cet atelier était notamment
l’édition d’un rapport, dans lequel les stagiaires de l’ISU expose clairement leur
objectif :
“The goal of this report is to propose a way forward that addresses these
aspects by recommending a preferred technical solution (…) and
suggesting amended or new political, legal and financial frameworks to
implement our preferred solution.” 491
Même s’il faut relativiser l’impact des travaux réalisés par les stagiaires à l’issu des
SSP, les rapports comme celui sur les débris énoncent des recommandations qui
peuvent être poussées au-delà du seul cadre de ces programmes d’été. L’ISU a donc
finalement vocation tant à former qu’à rassembler des experts du milieu spatial. Ces
stagiaires peuvent ensuite être des relais des idées et croyances véhiculés au sein de
l’ISU. Parce qu’elle réunit ces experts l’ISU devient le catalyseur de la production de
connaissance. Elle permet tout d’abord de créer un sentiment d’appartenance à une
« communauté spatiale ». La qualification de communauté sous-entend que ce groupe
« vit », échange, partage au-delà de la participation au stage. C’est ce qu’illustre par
exemple la communauté SSP qui est « très active, qui perdure au-delà du stage lui-

490
Entretien avec un commandant de l’Armée de l’air. Si ce dernier fait ici référence au SSP auquel il a participé, on peut
sans difficulté élargir son propos au symposium.
491
Space Debris, Team Project Report, International Space University, Space Summer Program 2012.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

même (notamment grâce aux réseaux sociaux), de nombreux « anciens » se recroisant


de manière assez fréquente dans un cadre professionnel comme extra-professionnel.
C’est bien là le cœur et la force de l’ISU : former une communauté spatiale
grandissante et pérenne » 492. De plus, l’ISU entretient cette communauté en invitant
tous les anciens 493 (les alumni) à participer à un week-end de « retrouvailles » lors du
stage d’été annuel. Cette communauté spatiale se constitue ainsi en réseau, à l’échelle
monde, en réunissant du juriste à l’ingénieur, tous intéressés par les questions
spatiales. Enfin, le credo de l’ISU précédemment énoncé permet de créer un lien
solide entre les membres. C’est notamment ce que souligne John Farrow, enseignant
permanent à l’ISU et directeur de l’organisation des symposiums depuis 2004, en
expliquant que par « le haut niveau d’intérêt que suscitent les activités spatiales et
parce que les membres de la communauté spatiale, et plus particulièrement les
anciens provenant de nos programmes, sont très dévoués au concept et au credo de
l’ISU, nous n’avons aucun problème afin de maintenir un réseau actif de
supporters. ». Si l’ISU apparaît donc comme une forme de communauté lato sensu,
ce n’est pas à elle seule la communauté épistémique. Elle est un réseau de profanes et
d’experts produisant du sens et ayant adopté une conception commune d’un
problème. Par-delà les jeux d’intérêts existants, émerge une lecture commune ou du
moins dominante de la question soulevée. L’ISU sait mobiliser une communauté
d’experts du domaine susceptibles d’appartenir à une CE pour répondre aux besoins
d’expertise des décideurs politiques et ainsi influencer les décisions de politiques
publiques. En effet, tout groupe d’experts ou de professionnels ne peut pour autant
être qualifié de communauté épistémique. Les membres de l’ISU intègrent la CE en
ce sens qu’ils partagent les quatre caractéristiques de cette dernière, à savoir (1) un
ensemble de croyances normatives et de principes qui fournissent des bases à
l’action ; (2) des croyances causales sur l’origine du problème et les solutions à y
apporter ; (3) des critères de validité des savoirs engagés dans le traitement de
l’enjeu ; et (4) des propositions d’action publique construites sur les pratiques
communes associées au problème qui fait l’objet de leur expertise 494. Tout d’abord,
au regard de l’édition 2012 du symposium, le thème de la durabilité de l’espace,

492
Entretien avec un commandant de l’Armée de l’air.
493
Le site internet de l’ISU évoque 3 300 anciens dans près de cents pays différents.
494
Peter M. Haas, “Introduction: epistemic communities…”, op.cit., p. 3.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

partagée par l’ensemble des participants, illustre parfaitement la croyance normative.


Elle sert également de base à l’action. En effet, le fort engagement de certains
participants, le plus souvent les anciens, au service de cette croyance normative ne
peut que transparaître dans leur activité professionnelle. Cela a d’autant plus d’impact
dès lors que l’on sait que 75% des anciens travaillent dans le secteur spatial 495. Dans
un second temps, l’ISU s’est saisi en 2012 d’un problème dont les logiques causales
qui y sont à l’origine font l’objet d’un consensus entre les membres. Nombre
d’intervenants ont rappelé que l’augmentation des débris dans l’espace est
irrépressible et que si rien n’est fait pour endiguer ce problème, les Hommes
devraient faire face à une impossibilité totale d’utiliser l’espace. Le syndrome de
Kessler a été cité comme le scénario à venir en cas de non-action. L’intitulé et le
contenu du symposium affiche nettement l’objectif qui est de trouver des solutions.
Le symposium a été alors l’occasion d’aborder toute une série de solutions possibles,
tant techniques – à l’image par exemple des projets présentés par les industriels – que
politiques. Troisièmement, aucune voix discordante n’est apparue pour remettre en
cause les critères de validité des savoirs engagés. Les graphiques et statistiques,
présentés en amont des démonstrations par bon nombre d’intervenants pour illustrer
la prolifération des débris en orbite, n’ont par exemple pas suscité d’interrogations
quant aux outils et méthodes d’évaluation et de mesure mis à profit pour les élaborer.
Enfin, la problématique de la durabilité de l’espace est au cœur de débats
internationaux et notamment au sein des institutions supranationales. En se situant en
droite ligne d’un sujet d’actualité et hautement politique, on peut raisonnablement
penser que le symposium ait l’ambition de se faire une place dans le débat.
Témoignant de son attention sur ce sujet, l’ISU a d’ailleurs co-organisé avec la
Secure World Foundation une conférence sur ce même thème de la durabilité en
novembre 2012 en Chine. Certaines solutions envisagées s’acheminent ainsi vers de
réelles propositions d’action publique. Les organisateurs du symposium ont d’ailleurs
laissé le soin à G. Brachet de prononcer le discours d’ouverture, lui permettant de
décrire les origines de la démarche du COPUOS. S’il n’est pas à proprement parlé un
ancien de l’ISU, ni même l’un de ses membres, reste qu’il renforce, du fait des

495
Sondage mené par l’ISU sur 600 “alumni” (anciens), http://www.isunet.edu/about-us/presidents-welcome

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

responsabilités de haut niveau qu’il a occupé et occupe toujours dans ce secteur, la


crédibilité de l’ISU dans ce domaine. L’ISU a ainsi réussi à tisser des liens avec un
acteur central, qui plus est politique. Cela étant, l’ISU s’efforce de ne pas prendre
position et accepte toutes les opinions. Comme le soulignait John Farrow,
« Le fait que l’ISU inclut toutes les nuances d’opinion mais n’a pas de
position partisane signifie que nous pouvons agir comme un forum pour
une discussion objective (…). Nous diffusions de la connaissance et des
idées au sein du champ spatial mais nous nous efforçons de le faire d’une
manière neutre et objective sans parti pris particulier ».
Aussi nobles et louables que soient les objectifs de l’ISU, reste que la diffusion de la
connaissance et des idées ne peut jamais se faire sans véhiculer une certaine vision du
monde. Cette entreprise est donc a fortiori subjective et comme le relevait Peter
Haas, « [l]’information n’est ni devinée ni une donnée brute, il s’agit du produit des
interprétations humaines de phénomènes sociaux et physiques. ». Enfin, d’un point de
vue quantitatif, les représentants du niveau politique étaient quasi absents lors du
symposium 2012, quand bien même les cadres de l’université établissent de manière
ponctuelle des contacts avec l’échelon politique. A cet égard, John Farrow explique
que l’ISU souhaiterait « avoir des participants provenant de la sphère politique mais
[qu’] il est difficile de les attirer vers un événement se déroulant sur trois jours,
couvrant des problématiques bien plus larges que simplement la politique. Les
dirigeants de l’ISU rencontrent et fournissent des conseils/de l’information à des
représentants politiques quand l’occasion se présente, par exemple aux membres du
comité spatial du Parlement européen, au comité des Nations Unies COPUOS, etc ».
Néanmoins, l’agence spatiale européenne, représentée au symposium par trois
intervenants, apparaît comme un soutien de poids pour l’ISU et ce d’autant plus
qu’un des chanceliers de l’ISU n’était autre que le président de l’ESA 496. On
comprend alors que les échanges sont fréquents. Il existe un aller-retour entre les
deux champs et une certaine dynamique d’ajustements des sujets au regard des
préoccupations et des attentes des uns et des autres. Par conséquent, l’ISU ne
constitue pas en soi la communauté épistémique mais elle en est l’animatrice

496
Il s’agissait, lors de la réalisation de cette thèse, de Jean-Jacques Dordain. Son successeur est Dr « Buzz » Aldrin (nommé
en octobre 2015), http://www.isunet.edu/pages/buzz-aldrin-new-isu-chancellor/273

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

principale au sein de laquelle elle cherche à promouvoir son propre credo. Elle peut
être qualifiée de forum hybride au sens où elle rassemble des personnes d’une
extrême diversité du profane au savant, tous concourant à réfléchir à des solutions
techniques engageant le collectif.

CONCLUSION de la PARTIE 1 / 1. L’émergence de la norme :


Au sein de cette sous-partie, les acteurs en présence ont été présentés.
Le problème de la sécurité des activités spatiales n’est pas nouveau. Sur ce sujet, la
France s’est distinguée dès les années 1970 en faisant preuve, à multiples reprises,
d’initiative au sein des institutions internationales. Cela n’a cependant pas abouti sur
une meilleure régulation des activitiés spatiales. La faute peut être attribuée à
l’opposition des puissances spatiales d’antan. Paradoxalement, les Etats-Unis sont
sensibilisés à cette question grâce à Donald J. Kessler (NASA) à la même époque. La
petite communuauté autour de Kessler est alors persuadée du bien-fondé de leurs
études, et essaiment ainsi leurs croyances au sein des Etats spatiaux. Ils atteignent
leurs objectifs au niveau national avec l’inscription du problème des débris au sein de
la Directive Présidentielle de 1988 et la publication des premières recommandations
sur le sujet par la NASA en 1995. Le potentiel de diffusion de leurs idées étant
puissant, les forums animés par d’autres acteurs individuels convaincus prennent le
relais. La problématique des débris orbitaux et donc de la pollution spatiale devient le
sujet. La thématique qui lui est intimement liée, celle de la course aux armements
dans l’espace, est le plus souvent éludée car hautement stratégique et moins
consensuelle. La Russie et la Chine évoquent pourtant davantage le thème de la
sécurité des activités spatiales sous cet angle. Le paroxysme de ce biais sont les deux
projets concurrents proposés dans les années 2000, le code de conduite et le PPWT,
analysés ci-après dans leur contenu et au travers des processus mis en place par les
Etats afin de les promouvoir.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

2. LA DIFFUSION DE LA NORME PAR LES ETATS LEADERS:


ACTEURS ET MECANISMES D’INFLUENCE

2.1 Deux groupes d’Etats, deux projets de régime : de l’utilisation


des croyances normatives par les Etats

Cette partie a pour objectif de montrer comment la CE influence le contenu normatif


des deux projets de régime et comment à l’inverse les deux groupes d’Etats utilisent
ces croyances normatives afin de légitimer leur proposition et décrédibiliser celui du
« concurrent ». Au sein des deux projets, il existe des « arrangements » afin de faire
cohabiter les croyances de la CE avec les intérêts des Etats. La théorie néo-libérale
aide à analyser et à comprendre l’imbrication des idées liées aux faits matériels qui
occasionne des changements de comportements observables 497. Cela peut parfois
s’apparenter à du « bricolage ». Les deux projets de régime ne sont pas discutés de
manière similaire. L’un, le projet de traité sino-russe, est l’objet de discussions à la
conférence du désarmement alors que l’autre, le CoC, s’élabore en dehors de tout
cadre institutionnel officiel jusqu’en 2015. Bien que la chronologie des faits laisse
penser que le CoC ait été élaboré en partie en réaction au projet de traité, les deux ont
un angle d’approche différent. Le projet de traité aborde clairement la question de la
course aux armements dans l’espace en revendiquant l’interdiction totale de
déploiement d’armes dans l’espace. A l’inverse, le projet de CoC adopte le prisme de
la lutte contre la prolifération des débris en orbite en recommandant de ne pas créer
de débris qui resteraient longtemps en orbite. Ceci pourrait laisser penser que ces
deux projets sont différents voire complémentaires. Or, ces projets sont tous deux
porteurs de croyances normatives similaires empruntées à la CE. Il reste néanmoins
complexe voire impossible de faire la distinction entre les croyances d’abord issues
de la CE ou les idées portées en premier par les Etats. Il s’agit d’une co-construction
dans laquelle les acteurs étatiques et non étatiques s’influencent mutuellement. Les

497
Alex MacLeod, Dan O’Meara (dir.), Théories des relations internationales…op. cit., p. 170.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

groupes d’Etats ont quant à eux des objectifs officieux qui consistent pour l’un à
bloquer des négociations menées en parallèle (Chine), à rééquilibrer un rapport de
puissance (Russie), et pour l’autre à maintenir un statu quo stratégique qui lui est
favorable (Etats-Unis). Les perceptions ou misperceptions 498 des dirigeants de ces
Etats à l’égard de la politique spatiale de l’autre les amènent à penser que la survie de
leur Etat est en jeu. Les croyances normatives de la CE sont utilisées dans le
processus de normalisation afin de faire valider les prises de position des décideurs.
Emmanuel Adler et Peter Haas étudient tous deux l’émergence des régimes à l’aide
de la notion de communautés épistémiques. Peter Haas a davantage travaillé sur la
définition de la notion avant de la mettre à profit afin d’analyser la coopération
internationale en matière de pollution environnementale en mer méditerranée. De son
côté Emmanuel Adler se focalise sur le rôle des CE dans la formation du traité ABM
en 1972. L’existence de communautés épistémiques permet donc de penser
l’émergence du régime défini comme des
“sets of implicit or explicit principles, norms, rules, and decision-making
procedures around which actors’ expectations converge in a given area of
international relations. Principles are beliefs of fact, causation, and
rectitude. Norms are standards of behavior defined in terms of rights and
obligations. Rules are specific prescriptions or proscriptions for action.
Decision-making procedures are prevailing practices for making and
implementing collective choice.” 499
Les principes sont des croyances de fait, de cause et de justice. Ils sont d’ordre
général. Les normes sont des standards de comportements définis en termes de droits
et de devoirs. Elles sont socialement construites et intersubjectives. Elles visent le
concret. Les règles sont des recommandations spécifiques ou des interdictions pour
l’action. Enfin, les processus décisionnels sont des pratiques qui s’imposent afin de
mettre en place des choix collectifs. Il faut, dans un premier temps, se pencher sur le
contenu des projets en eux-mêmes afin de distinguer pour chacun d’eux, les
principes, normes et règles qu’ils véhiculent.

498
Robert Jervis, op. cit.
499
Stephen D. Krasner, International Regimes, op. cit.,p. 2.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

2.1.1 Le projet de régime sino-russe : le PPWT

Précédemment dans cette thèse, il a été dit que les dirigeants chinois ont œuvré via la
CD afin de réactiver le comité ad hoc sur le PAROS. Ils ont présenté, conjointement
avec la Russie en juin 2002, le premier document de travail sur la constitution d’un
futur instrument juridique sur la prévention du déploiement d’armes dans l’espace 500.
En février 2008, les dirigeants de ces deux Etats déposent un nouveau projet, une
mise à jour du précédent 501. C’est sur ces deux textes ainsi que les commentaires
additionnels de la Chine et de la Russie que l’analyse de texte s’appuie.

2.1.1.1 Version du 28 juin 2002

Le document de travail a été préparé par les délégations chinoise, russe,


vietnamienne, indonésienne, biélorusse, zimbabwéenne et syrienne. Ces Etats ne sont
pas reconnus en tant que puissances spatiales mais servent davantage d’appuis
diplomatiques pour les Russes et les Chinois. Les principes sont énoncés sous forme
de constats :
“Outer space is the common heritage of mankind”
Qualifier l’espace extra-atmosphérique de patrimoine commun de l’humanité n’est
pas sans conséquence sur le plan juridique. Cette qualification apparaît pendant la
Guerre froide où Etats-Unis et URSS englobent la Lune et les fonds marins dans leurs
négociations de limitation des armements (arms control) 502. La notion de patrimoine
commun renvoie à l’environnement au sein large : terre, eau, air, espace etc. Parfois
cette expression est utilisée abusivement dans les discours touchant de nombreux
domaines 503 hétéroclites qui rendent la notion confuse et finalement vide de sens.
Malgré cette confusion, les discours sur l’environnement comme patrimoine commun
ont permis de jeter les bases de l’idée de développement durable, qui est aujourd’hui
presque systématiquement accolé à ces ressources communes.

500
CD/ 1679, 22 juin 2002.
501
CD/ 1839, 29 février 2008.
502
Marie-Claude Smouts, « Du patrimoine commun de l’humanité aux biens publics globaux »,
http://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers10-07/010037531.pdf.
503
Le génome humain, la diversité culturelle etc. Smouts, op. cit., p. 66.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

« Juridiquement, ni l'espace extra-atmosphérique, ni les eaux de haute


mer, ni l'Antarctique n'en font partie, encore moins la forêt amazonienne.
Les seuls espaces relevant de cette catégorie sont la lune et les corps
célestes, l'orbite des satellites géostationnaires et le spectre des
fréquences radioélectriques, les grands fonds marins. » 504

Le cas du milieu spatial et du milieu maritime sont très proches en ce sens où les
négociations pour leur codification se sont déroulées en même temps au sein des
Nations Unies. Mais ce n’est qu’avec l’entrée en vigueur de l’article 136 de la
Convention de Montego Bay en 1994 que « le fonds des mers et des océans au-delà
des limites de la juridiction internationale ainsi que ses ressources sont des éléments
du patrimoine commun de l’humanité». 505
Le Traité de l’espace de 1967 n’a pas inscrit la notion de patrimoine commun de
l’humanité dans le texte.

« L'exploration et l'utilisation de l'espace extra-atmosphérique, y compris


la lune et les autres corps célestes, doivent se faire pour le bien et dans
l'intérêt de tous les pays, quel que soit le stade de leur développement
économique ou scientifique; elles sont l'apanage de l'humanité toute
entière. » (Art. 1 de la Convention de 1967)

L’apanage n’a aucun contenu juridique. Seul l'accord du 18 décembre 1979 régissant
les activités sur la Lune et les autres corps célestes à l'intérieur du système solaire
retient la notion:
«La lune et ses ressources naturelles constituent le patrimoine commun de
l'humanité» (article 11). 506

Au sein du projet sino-russe, le constat suivant est énoncé :

504
Ibid.
505
Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, conclue à Montego Bay, le 10 décembre 1982,
http://www.un.org/depts/los/convention_agreements/texts/unclos/unclos_f.pdf
506
Marie-Claude Smouts, « Du patrimoine commun … », op. cit., p. 57.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

“There exists a potential danger of an armed confrontation and combatant


activities being extended to outer space”
Le principe est aussi d’ordre général:
“For the benefit of mankind, outer space shall be used for peaceful
purposes, and it shall never be allowed to become a sphere of military
confrontation.”
Les principes insistent sur l’utilisation pacifique de l’espace au profit de la « paix
internationale ». Les normes (droits et devoirs) intersubjectives sont des mesures de
construction de la confiance :
“To enhance mutual trust, each State Party to the Treaty shall promulgate
its space program, declare the locations and scopes of its space launch
sites, the property and parameters of objects being launched into outer
space, and notify the launching activities.”

Les règles sont des interdictions marquées par la répétition des « Not to ». Enfin, les
processus décisionnels sont précisés en fin de texte. Ils concernent le règlement des
conflits (via les consultations et clarifications) mais se référent aussi au texte lui-
même et ses possibles amendements, sa signature, sa ratification ainsi que son entrée
en vigueur.

2.1.1.2 Version du 29 février 2008

Il s’agit ici d’un véritable texte juridique respectant la forme adéquate. L’objectif ici
étant de constater les ajustements faits par rapport au premier document.
Concernant les principes d’ordre général, il est intéressant de remarquer que
l’expression de « patrimoine commun de l’humanité » a disparu au profit d’une
formule moins connotée et moins engageante juridiquement : « Reaffirming that outer
space is playing an ever-increasing role in the future development of mankind ».
Cette nouvelle formulation n’a aucun contenu juridique. Ne plus utiliser l’expression
de « patrimoine commun de l’humanité » permet aux Etats de revendiquer des droits
sur ces biens communs. Quant bien même, l’expression renvoie à une notion floue car
elle n’a jamais été revendiquée, notamment parce que la Lune et les fonds marins
n’ont pas encore fait l’objet d’exploitation. Cela permet, dans la limite de
« l’utilisation pacifique », de faire fructifier les intérêts publics et privés dans ces

- 206 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

espaces. Or, au départ ce concept devait garantir aux pays en développement une
exploitation équitable des ressources de ces espaces communs par les Etats qui en
étaient capables. Aujourd’hui la notion de patrimoine commun de l’humanité semble
s’éclipser au profit de celle des biens publics mondiaux (Partie II).
Le préambule du projet utilise le champ lexical de la guerre avec des expressions et
substantifs tels que la « military confrontation » ou encore la répétition du mot
« weapons » (trois fois) et « arms race in outerspace » (quatre fois). L’utilisation de
l’expression de la course aux armements fait clairement référence à l’historique des
consultations et concertations ayant eu lieu pendant la Guerre froide sur les
armements stratégiques. Ainsi, les dirigeants chinois endossent cet héritage en
reconnaissant le poids historique de cette référence entre les Etats-Unis et l’URSS.
De même, en employant cette expression dans les deux versions de 2002 et 2008, les
Russes et les Chinois réactivent les communautés épistémiques de l’arms control. A
l’instar de l’utilisation massive des armements nucléaires, la course aux armements
dans l’espace et ses conséquences doivent s’appuyer sur des scénarios « imaginés »
car sans précédent 507. Le texte sino-russe aboutit à un constat qui est similaire aux
éléments de langage de certains think tank.
”Recognizing that prevention of the placement of weapons in outer space
and of an arms race in outer space would avert a grave danger for
international peace and security.” 508
“The weaponization of space would destroy strategic balance and
stability, undermine international and national security, and disrupt
existing arms control instruments, in particular those related to nuclear
weapons and missiles. These effects will inevitably lead to a new arms
race.” 509
Après la définition des termes, l’article II se focalise sur les règles avec une série de
« not to ». Les normes reprennent l’idée des mesures de construction de la confiance
mais sans citer leur contenu à l’inverse de la première version. Ces normes ne sont
alors pas précisées. Les processus décisionnels restent inchangés. Un nouvel élément

507
Emmanuel Adler, “The Emergence of Cooperation ...”,op. cit., p. 107.
508
CD/ 1839, page 2.
509
Ray Acheson, Beatrice Fihn, “Outer space : militarization, weaponization and the prevention of an arms race”, Reaching
Critical Will, reachingcriticalwill.org

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

attire l’attention. Il s’agit de la référence au droit à la légitime défense qui apparaît


dans l’article 5 alors qu’elle était absente au sein de la première version. Ce rajout a
pu être effectué après les remarques américaines sur le projet. En effet, dans ses
remarques faites au cours d’une conférence informelle puis officialisée dans un
document de la CD, le représentant permanent des Etats-Unis rappelle que l’article 51
de la Charte des Nations Unies permet aux Etats de manière individuelle ou
collective, de faire valoir leur droit à la légitime défense 510.
Le projet de traité présenté par la Russie et la Chine est la continuité des nombreuses
initiatives menées par la Russie à partir de 1981. La résolution 36/97 du 9 décembre
1981 au sein de l’Assemblée Générale des Nations Unies a abordé précisément les
dangers de la course aux armements dans l’espace. La réactivation de ce processus de
normalisation doit beaucoup à la prise de position de la Chine sur cette question. Les
logiques de l’action ont été citées précédemment, elles sont liées aux négociations
parallèles que mènent la Chine et les Etats-Unis sur d’autres dossiers sensibles (traité
FMCT). Il est intéressant de souligner que la Chine a choisi ce mode d’expression
afin de contrer les ambitions américaines. Elle s’avère la plus efficace car fortement
contraignante (blocage de la CD). La rhétorique reprend celle des croyances
normatives véhiculées par la CE de l’arms control. Les réactions américaines à la
première version ont probablement renforcé les dirigeants chinois dans leur certitude
d’avoir choisi le bon levier pour atteindre leurs objectifs plus larges. En passant par la
CD, les Chinois font coup double. D’une part, ils bloquent les négociations sur le
projet de traité FMCT, et d’autre part, ils donnent une visibilité internationale à leur
position officielle qui est d’interdire les armes dans l’espace. L’image d’une Chine
pacifiste peut être un élément de soft power, notamment auprès du groupe 77 des
Nations Unies 511 ou du groupe des non-alignés (non-aligned movement). De plus,
utiliser la CD a un effet multiplicateur 512 et force les Etats restés silencieux, à l’instar
de la France, à réactualiser leur position sur le sujet.

510
CD/1680, 10 juillet 2002, Letter dated 26 June 2002 from the permanent representative of the USA to the CD addressed to
the secretary-general of the conference transmitting the text of his remarks on Outer space during the informal conference on
“Future security in space: commercial, military, and arms control trade-offs”.
511
Groupe qui structure les Etats du tiers monde au sein des Nations Unies.
512
Margaret E. Keck et Kathryn Sikkink appellant cela la politique à effet de levier, ” leverage politics”, “Transnational
Advocacy Networks in International and Regional Politics”, in Activists Beyond Borders: Advocacy Networks in
International Politics, Ithaca, Cornell University Press, 1998.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

2.1.1.3 La proposition en contradiction avec les valeurs américaines

L’émergence de la norme est visible lorsque les principaux concernés qui subiront les
effets de la norme, se positionnent. Concernant les Etats-Unis, on peut même parler
de contestation. La norme préconisée apparaît pour cet Etat comme dissonante par
rapport à ses normes existantes et ses valeurs qui rentrent en contradiction avec les
propositions 513. Considérant l’ensemble du corpus juridique existant sur l’espace
comme suffisant, les représentants des Etats-Unis ne voient pas l’intérêt d’un
nouveau mécanisme de régulation. De plus, les dirigeants américains placent la
sécurité nationale comme « essentielle et nécessaire » 514. A ce titre, il ne peut exister
de limitations à opérer librement dans l’espace, qui plus est en cas de légitime
défense. Le libre accès, la liberté d’action et la sécurité nationale sont érigés comme
valeurs fondamentales 515. Ce sont des croyances normatives et ontologiques produites
par la socialisation et qu’il est très difficile de modifier (Partie 2). Melvyn Leffler les
nomme valeurs nationales centrales 516. Ces valeurs conditionnement la définition de
la culture stratégique américaine (Partie 2). Le débat devient alors impossible entre
les protagonistes. Le texte américain affirme de fait :
“There simply is no problem in outer space for arms control to solve.” 517
Le désaccord n’est donc pas sur l’objectif ou les solutions, qui peuvent eux être
matière à discussions, mais sur le constat de départ. Le texte sino-russe ne fait pas
état d’un constat de départ objectif, irréfutable. De plus, les réflexions américaines
qui font suite au projet déposé en 2008 par les Russes et les Chinois, soulignent que
le texte sino-russe n’interdit pas les tests d’un Etat contre ses propres objets
spatiaux 518. Ainsi, en s’appuyant sur cette réflexion américaine, on peut noter que si

513
Grégoire Delhaye, « Résonance et dissonance dans la globalisation des normes. Les leçons de l’échec de la liberté
religieuse », URL : http://www.afsp.msh-paris.fr/archives/congreslyon2005/communications/tr5/delhaye.pdf
514
CD/ 1680, op. cit., p. 3.
515
Ces valeurs fondamentales sont appelées des “deep core beliefs” par Paul Sabatier pour décrire son concept de l’Advocacy
Coalition Framework (ACF). Il existe des « strates » de croyances au sein d’un Etat. Chacune d’entre elles a un degré
d’enracinement différent suivant l’Etat.
516
En anglais, “domestic core values”, cité par David Grondin, in, La généalogie de l’espace comme champ de bataille dans
le discours astropolitique américain. La stratégie de construction identitaire des Etats-Unis comme puissance stratégique
globale, thèse de doctorat de science politique, Université du Québec à Montréal, mars 2008, p. 274.
517
Ibid.
518
CD/1847 du 26 août 2008, Letter dated 19 August 2008 from the permanent representative of the USA addressed to the
Secretary-General of the conference transmitting comments on the draft « Treaty on Prevention of the Placement of Weapons
in Outer Space and of the threat or use of force against outer space objects (PPWT)” as contained in document CD/1839 of
29 February 2008.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

les tests ASATs réalisés par les Etats-Unis, l’URSS et la Chine depuis la conquête de
l’espace auraient pu légitimer ce projet de régime, la proposition normative sino-russe
n’en fait pas état. Les motivations sous-jacentes sino-russes à voir ce projet de régime
aboutir pose donc question.

2.1.2 L’entrepreneur de norme concurrent : le projet de code de conduite


de l’Union Européenne

Au cours des années 1990, les tentatives d’élaboration d’un texte se rapprochant de
l’idée d’un code de bonne conduite dans l’espace n’ont pas abouti. Les initiatives
françaises sont restées vaines. Le silence français qui a suivi, motivé notamment par
la prudence diplomatique, a été rompu sous l’effet d’événements inédits dans
l’histoire de la conquête spatiale. En effet, les facteurs et les acteurs combinés ont
changé le paysage spatial. La démocratisation de l’accès à l’espace permet
aujourd’hui à une soixantaine d’Etats d’utiliser l’espace à leur profit. Certains
d’entres eux étudient la faisabilité de tests ASATs par un jeu d’action-réaction
alimenté par le dilemme de sécurité 519. Ainsi, dans un contexte plus général de
relative compétition avec les Etats-Unis, les Chinois ont réalisé un test ASAT le 11
janvier 2007. Cet événement ainsi que la proposition sino-russe de traité du 29 février
2009 réactivent la volonté française de pousser à une meilleure régulation des
activités spatiales. Pour ce faire, la démarche choisie est celle de la promotion d’un
projet via la voie/voix européenne, posant par la même occasion la question de
l’Union européenne comme acteur international et puissance normative (Partie 2).
Que peut-on attendre d’un document né au sein du groupe chargé des questions de
désarmement au Service Européen pour l’Action Extérieure (SEAE) ? Le tout jeune
SEAE est-il un acteur crédible ? Le CoC est-il un texte concurrent du PPWT ? Quelle
est l’influence des croyances de la CE sur ce texte ? Sans se lancer dans une étude
exhaustive de texte, la démarche heuristique adoptée ici consiste à analyser les
changements, ajustements effectués entre les différentes versions du projet de CoC et
leurs significations. Les différents textes sont ceux du premier projet officiel de

519
Référence est faite ici aux couples d’Etats rivaux tels que Chine-Etats-Unis, Inde-Pakistan, Inde-Chine ou encore Chine-
Japon.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

décembre 2008, de la révision d’octobre 2010, de la version du code devenu « code


international » en juin 2012, d’une mise à jour datant du 16 septembre 2013 et enfin
la dernière version pour cette thèse qui est celle du 31 mars 2014.

2.1.2.1 Un code élaboré au sein du CODUN Espace : le groupe du


désarmement global et de la maîtrise des armements du SEAE

Les initiatives européennes relatives au code de conduite datent de l’été 2007. Quant
on parle d’initiative européenne, il faut comprendre qu’à l’occasion de la présidence
tournante au Conseil de l’Union européenne (UE), certains Etats se sont
particulièrement impliqués dans ce projet. Il s’agit principalement de l’Italie, de
l’Allemagne, de la France et de la Grande-Bretagne une fois le soutien américain
officialisé 520. Dans un premier temps, l’Allemagne organise à Berlin en juin 2007 un
séminaire sur la sécurité et la maîtrise des armements dans l’espace et le rôle de
l’UE 521. A cette occasion le représentant adjoint de l’Allemagne pour le désarmement
et la maîtrise des armements soutient l’idée d’un code de conduite, tout en
reconnaissant l’importance d’une approche progressive. A cette occasion,
l’ambassadeur italien souligne lui que, malgré l’objectif de parvenir à un accord
juridique contraignant, l’UE peut s’appuyer sur un document proposé par son pays
dès mars 2007 au sein du Global Disarmament and Arms Control Working Group
(CODUN) au sein du Service Européen pour l’Action Extérieure/ the European
External Action Service (SEAE/EEAS). Cette proposition prend alors la forme d’un
code de bonne conduite 522. Les discussions intra-européennes sur le projet de CoC se
déroulent presque exclusivement au sein du CODUN Espace. Le texte est défendu par
Annalisa Gianella, co-responsable des questions de non-prolifération des armements
au sein du SEAE. Le sujet du CoC y est débattu très régulièrement. En septembre
2007, l’UE appelle le COPUOS à considérer plus spécifiquement l’élaboration d’un
Code de conduite. Dans le même temps, la France annonce son ambition de présenter

520
« Les Britanniques étaient moyennement chauds avant le soutien américain », entretien au SEAE, 12 septembre 2012.
521
Cette historique s’inspire fortement de l’article de Wolfgang Rathgeber, Nina-Louisa Remuss et Kai-Uwe Schrogl, « La
sécurité de l’espace et le code de conduite européen pour les activités menées dans l’espace extra-atmosphérique », Forum du
Désarmement, n°4, 2009,http://www.unidir.org/files/publications/pdfs/un-environnement-spatial-plus-sur-en-482.pdf
522
Ambassadeur Carlo Trezza, « A Possible Comprehensive Code of Conduct for SpaceObjects in an EU Perspective »,
présentation faite lors du séminaire de l’UE sur la sécurité et la maîtrise des armements dans l’espace et le rôle de l’UE,
Berlin, 21-22 juin 2007.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

une proposition officielle afin de faire inscrire la durabilité à long terme des activités
spatiales à l’agenda du COPUOS, ce qui est fait en 2009. En octobre 2007, le
Portugal (au nom de l’UE) déclare que le soutien unanime apporté par l’UE aux
résolutions de l’AGNU sur les TCBMs et le PAROS atteste la détermination de l’UE
à élaborer un CoC et des règles de comportement dans l’espace 523. Lors du deuxième
semestre 2007, la présidence portugaise rédige alors une deuxième version (après la
version de la présidence italienne de l’UE) du CoC. La présidence suivante, slovène,
publie une nouvelle version début 2008. Le document est accepté par les Etats de
l’UE en juin 2008. Les premiers contacts ont alors lieu entre l’UE et les Etats-Unis.
La Russie et la Chine sont aussi sollicités. La présidence française du second
semestre 2008 fait de ce projet de CoC son cheval de bataille. En parvenant à mettre
d’accord les Etats de l’UE, le projet de CoC est publié officiellement en décembre
2008 524. Bien que ce code soit né en partie en réaction au projet sino-russe présenté à
la CD et qu’il ait été largement débattu au sein du CODUN Espace, la seule référence
au thème de la course aux armements dans l’espace se trouve dans la version révisée
du 11 octobre 2010 (V.2010) :
“4.5 The Subscribing States resolve to promote further security
guarantees within the appropriate fora for the purposes of enhancing the
security of outer space activities by all States and the prevention of an
arms race in outer space (PAROS).” 525
(II.General Measures /4. Measures on space operations)

Les versions suivantes ne mentionnent plus le PAROS littéralement mais rappellent


simplement dans le préambule que ce code ne porte pas préjudice aux travaux
présents et futurs se déroulant au sein du COPUOS et de la CD. De plus, l’expression
« space debris » est reprise de nombreuses fois dans les textes des différentes
versions. Ceci peut être analysé comme un tournant dans la manière de justifier
l’existence de ce CoC (par rapport aux initiatives des décennies antérieures) et sa

523
Ambassadeur José Pereira Gomes au nom de l’UE lors du débat thématique sur les autres armes de destruction massive,
62 ème session de l’AGNU, 19 octobre 2007 cité dans Wolfgang Rathgeber…, op. cit.,p. 40.
524
Projet de code de conduite pour les activités menées dans l’espace extra-atmosphérique, Conseil de l’Union européenne,
document 17175/08, PESC 1697, CODUN 61, Bruxelles, 17 décembre 2008, Annexe II.
525
Council conclusions concerning the revised draft Code of Conduct for Outer Space Activities, General Secretariat,
Council of the European Union, Bruxelles, 10 octobre 2010, p. 8.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

légitimité. De même cela dénote sa différence d’avec le projet PPWT. D’ailleurs le


fait que le projet CoC ne doit pas être considéré comme un concurrent au droit de
l’espace mais davantage comme un complément aux initiatives existantes fait l’objet
d’un ajout dans la version révisée de 2010 :
“Convinced that the formation of a set of best practices aimed at ensuring
security in outer space could become a useful complement to international
space law.” 526

De plus, d’un point de vue purement sémantique, on remarque un glissement du terme


de “conflictˮ à celui de “dispute” de la V.2008 à la V.2010. Ce changement marque
la volonté d’édulcorer quelque peu le différend d’ordre spatial qui pourrait opposer
certains Etats. Enfin, une référence explicite est faite à la résolution onusienne issue
du COPUOS sur les recommandations de réduction des débris orbitaux :
“4.4. To that purpose, they resolve to adopt and implement, in accordance
with their own internal processes, the appropriate policies and procedures
or other effective measures in order to implement the Space Debris
Mitigation Guidelines of the United Nations Committee for the Peaceful
Uses of Outer Space as endorsed by United Nations General Assembly
Resolution 62/217 (2007).ˮ (V.2013)

Les recommandations sur la réduction des débris orbitaux adopté en 2007 par les
Nations Unies est une réussite de la CE. En effet, on se souvient qu’en 1995, la
NASA est la première agence spatiale dans le monde à publier ce type de
recommandations grâce notamment à l’apprentissage opéré par Donald Kessler et son
équipe. Le gouvernement américain lui emboîte le pas en 1997 et adopte ces
recommandations. Mais ce sont surtout les recommandations de l’IADC adoptées en
2002 qui sont poussées aux Nations Unies non sans difficultés. Finalement, après
cinq années de négociations, les recommandations s’inscrivent au niveau
international et politique, l’IADC n’engageant que les agences spatiales nationales.
L’inscription de l’ensemble de ces recommandations au sein de l’organisation
internationale est un succès pour la CE. La politique publique des débris spatiaux

526
Préambule du projet révisé de Code de conduite pour les activités spatiales, Bruxelles, 11 octobre 2010.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

défendue au niveau national dans les années 1970 et 1980 tend à devenir une
politique multilatérale dans une approche « bottom-up » 527. De ce fait, l’inscription
des recommandations au sein du CoC peut les rendre plus que « recommandées ».

2.1.2.2 L’objectif affiché du code de conduite

La présentation de l’objectif du CoC conditionne et structure l’ensemble du régime. Il


y a une évolution dans les termes choisis au court des différentes versions :

“The purpose of the present code is to enhance the safety, security and
predictability of outer space activities for all. »(V. 2008)
“The purpose of this Code is to enhance the security, safety and
sustainability of all outer space activities.” (V. 2010 et 2012)
“The purpose of this Code is to enhance the safety, security, and
sustainability of outer space activities.” (V. 2013)
“The purpose of this Code is to enhance the safety, security and
sustainability of all outer space activities pertaining to space objects, as
well as the space environment” (V.2014) 528

Le changement de terme contenu dans la version de 2008 marque la consécration de


la notion de durabilité ou “sustainabilityˮ. Ce terme est le mot qui « fait le buzz » et
qui est directement le reflet du vocabulaire utilisé par la CE porteuse des idées et
croyances notamment de la Secure World Foundation puis relayé efficacement dès
2004 par le COPUOS. Le deuxième changement intervenu est la négociation autour
de l’ordre d’apparition des mots entre safety et security. La différence de sens est
subtile entre ces deux termes. La space safety est de faire en sorte que, malgré un
milieu spatial où évolue une quantité croissante de satellites et de débris, l’intégrité
de ces derniers soit assurée via ce que l’on pourrait appeler un space traffic
management ou une régulation du trafic spatial. La space security renvoie, elle,
davantage aux mesures de contrôle et de vérification « humaines » qui peuvent être

527
Nicholas Johnson, “Cleaning Up Space: The Development of International Space Debris Policies”, Harvard International
Review, Spring 2012, Vol. XXXIII, n°4, p. 71.
528
http://www.eeas.europa.eu/non-proliferation-and-disarmament/pdf/space_code_conduct_draft_vers_31-march-
2014_en.pdf

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

mises en place afin de protéger les activités spatiales d’actes hostiles notamment.
L’ordre de ces termes a donc son importance. L’hypothèse est qu’en plaçant le terme
de security en premier, les rédacteurs du CoC considèrent ainsi que les dangers futurs
se situent davantage dans les potentiels conflits interétatiques dans l’espace que dans
la bonne gestion de l’évolution des satellites en orbite. Ceci est la marque d’une
compréhension différente entre vision occidentale et asiatique portée notamment par
les CE de l’arms control.
“While drafters in the arms control communities in EU and the U.S. may
see space and space programmes through a “securitised” lens with a
head-nod to exploration, the Asian space powers fundamentally see space
and their space programmes in terms of economic development.” 529

C’est aussi la marque d’une vision américaine mettant en avant un milieu spatial qui
au-delà d’être « congestionné », est aussi « contesté » et « compétitif » 530. Il en va
alors de la sécurité nationale et de l’intérêt national des Etats-Unis que de protéger
cet espace. Lors d’une conférence, l’ex-adjoint du Secrétaire au Bureau du contrôle
des armements, de la vérification et de la conformité, Franck A. Rose, définissait la
space security ainsi :
“(…) we in the United States associate “space security” with the pursuit
of those activities that ensure the sustainability, stability, safety, and free
access to, and use of, outer space in support of the vital interests of all
nations…” 531

Cette définition, très large, associe à la sécurité dans l’espace à beaucoup de sous-
thèmes différents. Cet accent mis sur la sécurité est aussi contenu dans l’affirmation
du droit à la légitime défense individuelle ou collective en cas d’atteinte ou menace
d’atteinte aux intérêts d’un Etat 532. Cette exigence des Etats spatiaux établis ou

529
Lt. Col. Peter Garretson, “What’s in the Code?: Putting Space Development First”, in Dr Rajeswari Pillai Rajagopalan,
Daniel A. Porras (éditeurs), Awaiting Launch : Perspectives on the Draft ICOC For Outer Space Activities, Observer
Research Foundation, 2014, p. 31, http://www.onforline.org
530
National Security Space Strategy, Unclassified Summary, Department of Defense, Office of the Director of National
Intelligence, janvier 2011, p. 1.
531
Intervention de Franck A. Rose, Deputy Assistant Secretary, Bureau of Arms Control, Verification and Compliance,
“Space Security: an American Perspective”, the 7th Ilan Ramon International Space Conference, Herzliya, Israël, 29 janvier
2012.
532
Cette référence est faite dans toutes les versions. Dans version 2013, I. 2.General Principles - 24.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

émergents n’est pas vraiment du goût des Etats en développement considérant qu’ils
n’ont pas les capacités pour faire valoir ce droit. De même, son invocation sera, selon
eux, une légitimation au recours aux armements dans l’espace 533. D’autres Etats tels
que l’Allemagne, l’Italie et les pays scandinaves ne sont pas favorables à cette
mention, bien que voulue par les Etats-Unis et le Royaume-Uni 534. Cette mention
permet aux Etats spatiaux de débuter ou de poursuivre leur recherche et
développement dans le domaine des armes ASAT.

“The language employed by this clause [le droit à la légitime défense],


instead threatens to undermine any future efforts to restrain the
weaponisation of space.” 535

Ces mêmes Etats en développement se sentant marginalisés dans les versions


précédentes, sont nommés littéralement dans la version 2013 :

(6.3) “Subscribing States (…) are encouraged to contribute to promoting


and fostering international cooperation in outer space activities, giving
particular attention to the benefit and the interests of developing
countries.”

2.1.2.3 La distinction faite entre les futurs adhérents et les autres

La version 2012 permet aux Etats non adhérents au Code de bénéficier tout de même
des notifications émanant des Etats adhérents si les premiers peuvent être « affectés »
par une activité spatiale 536. Etonnement, cet article disparaît dans la version de 2013.
Les Etats adhérents ne coopèrent qu’entre eux pour les notifications. Ce changement
n’a pas été voulu par les membres de la CE qui revendiquent au contraire une large
coopération internationale. A l’inverse, ce renversement est à attribuer davantage à un
marchandage diplomatique entre Etats, à une monnaie d’échange.

533
Dr Rajeswari…, op. cit., p. 2.
534
Wolfgang Rathgeber…, op. cit., p. 42.
535
Arvind K. John, “And Space (Debris) Remains the Same”, in Dr Rajeswari…, op. cit., p. 41.
536
“The Subscribing States commit to provide the notifications described above to all potentially affected States, including
non-Subscribing States where appropriate…”, Version du 5 juin 2012, III. Cooperation Mechanisms/6.Notifications of Outer
Space Activities/6.2.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

“While this distinction may have been introduced as a bargaining chip on


the part of the EU, this can prove to be a major flaw if it is not removed
finally.” 537

2.1.2.4 L’appel à une large adhésion au code

Les rédacteurs de la version 2013 du code ajoutent deux phrases soulignant le souhait
de voir ce CoC largement adopté à l’instar des dispositifs existants :
(Préambule) “4. Recognising the need for the widest possible adherence
to relevant existing international instruments that promote the peaceful
uses of outer space.ˮ
“8. Convinced that a multilateral code of conduct aimed at enhancing
safety, security, and sustainability of outer space activities…”

2.1.2.5 Les hésitations à faire du code un régime

La version 2013 du CoC consacre l’assimilation du CoC à un régime :


‟1.3 This Code forms a regime of transparency and confidence-building measures…”

La volonté est donc bien présente en 2013 de faire du CoC un véritable régime.
Etonnamment cette mention du régime disparaît dans la version de 2014. On peut
penser que la référence à un régime tend à laisser penser que ce CoC sera
contraignant. Sans cette mention, le CoC reste un ensemble de mesures de
construction de la confiance, qui ont déjà montré au préalable leur caractère non
contraignant.
Enfin, dernière modification importante dans les versions du CoC depuis 2008, la
modification de son nom. De code de conduite pour les activités spatiales, il devient
code de conduite international pour les activités spatiales dans la version 2012. Au-
delà des consultations ayant eu lieu jusqu’alors, il semble bien que le soutien officiel
des Etats-Unis à ce code ait déterminé ce changement d’appellation. C’est ce que
Finnemore et Sikkink appellent l’adhésion du « critical State ». Ici, il s’agit de la

537
Dr Rajeswari Pillai Rajagopalan, Daniel A. Porras (dir.), Awaiting Launch : Perspectives on the Draft ICOC For Outer
Space Activities, Observer Research Foundation, 2014, p. 3.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

première puissance spatiale. On peut alors questionner les conditions de ce soutien


tardif qui a été accordé après de nombreuses hésitations au niveau national.

2.1.3 La recherche du soutien du critical state que sont les Etats-Unis

En termes de politique spatiale, les dirigeants américains successifs ont exprimé leur
volonté de garder une liberté d’action totale dans leurs activités spatiales. Ils se sont
ainsi opposés à tout projet de texte juridique les contraignant à adopter un certain
comportement. Même si non contraignant, le projet de CoC pour les activités
spatiales peut tout de même contraindre « moralement » les Etats-Unis à adopter
certains comportements. De plus, ce CoC étant vu par les Européens comme une
étape préalable avant l’adoption d’un texte juridiquement contraignant, les
observateurs de la politique internationale auraient pu s’attendre à une fin de non-
recevoir ferme et définitive de la part de l’administration américaine. Or,
l’administration de Barack Obama apporte officiellement son soutien au code en
janvier 2012. Ce soutien ne signifie cependant pas qu’un jour, les Etats-Unis
signeront et ratifieront ce code, à l’instar de la Convention de Montego Bay 538. Cette
convention avait pourtant été modifiée selon les desiderata américains :
« (…) la Convention sur le droit de la mer de Montego Bay, que Reagan
refuse de signer en 1982, amendée pour satisfaire les objections
américaines et signée par Clinton en 1994, attend toujours d’être
examinée par la Commission des relations extérieures ; mais de nombreux
républicains ont promis de faire échouer la ratification. » 539
Le CoC subira-t-il le même destin funeste ?
Cette sous-partie a pour objectif de décrire les étapes de ce soutien ainsi que le jeu
national/international ou interne/externe avec lequel Obama a dû composer.

2.1.3.1 La démarche européenne d’apprentissage

538
Il s’agit de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer qui, bien que soutenue par les Etats-Unis n’est pas
ratifiée par ce dernier. Voir Leslie-Anne Duvic-Paoli, La convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Instrument de
régulation des relations internationales par le droit, Coll. Justice internationale, Ed. L’Harmattan, mai 2012.
539
Charles-Philippe David, Louis Balthazar, Justin Vaïsse, La politique étrangère des Etats-Unis. Fondements, acteurs,
formulation, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2008, p. 363.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Les Etats de l’UE souhaitent voir les Etats-Unis adhérer à ce code. En effet, en tant
que première puissance spatiale, il est le “critical Stateˮ sans qui l’adhésion à ce
Code aurait beaucoup moins de poids et de sens.
« Les normes embrassées par les acteurs forts ont simplement beaucoup
plus de chances de se reproduire à travers le plus grand nombre
d’opportunités offertes aux Etats puissants de persuader les autres du bien
fondé de leur point de vue. » 540
Le code a a priori plus de chance d’aboutir. Mais les autres critères rentrant en ligne
de compte ne rendent pas ce processus automatique.
L’objectif des Européens est donc de convaincre de la même manière l’Inde, la Chine
et la Russie qui, bien que moins avancés que les Etats-Unis, sont des puissances
spatiales ayant une influence sur d’autres acteurs étatiques susceptibles de soutenir le
code. Cet état de fait montre encore combien la distribution de la puissance entre les
Etats n’est pas sans importance. Elle conditionne l’influence d’un Etat sur la scène
internationale.
Suite à l’annonce du soutien américain, les diplomates français affirment :
« En tout cas, il y a une impulsion, les autres pays tièdes savent que les
Américains soutiennent, donc les choses vont se développer. » 541
« Le fait que les Etats-Unis soutiennent ce processus a donné un coup
d’accélérateur, c’est indéniable » 542.
Le projet de CoC a été présenté en priorité par les représentants européens à
l’administration américaine au cours du dernier trimestre 2008, avant sa publication
officielle en décembre. Une série d’observations et de modifications souhaitables a
été récoltée à cette occasion. On peut dire que c’est, dans un premier temps, une
opposition franche de la part des Etats-Unis à ce projet. Cette opposition peut être
attribuée aux résistances nationales qui influencent pour partie l’orientation de la
politique étrangère américaine. Cette tendance isolationniste d’une partie de l’opinion
publique est incarnée par le Congrès. Si cet isolationnisme « historique » ne peut être
nié, il n’est pas généralisable à toute la population américaine. La simplification de

540
Ann Florini, “The evolution of international norms”, International Studies Quaterly, Blackwell Publishing Limited, 1996,
p. 375.
541
Entretien au Ministère des Affaires Etrangères (MAE), 25 juillet 2011.
542
Entretien au Service Européen d’Action Extérieure, Bruxelles, 14 septembre 2012.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

l’analyse consiste à considérer que les membres du Parti Républicain sont moins
enclins à s’impliquer dans des politiques multilatérales. Bien que cela ne soit pas
totalement faux mais avéré par les faits dans l’histoire américaine, l’annonce
officielle de soutien au CoC par l’administration démocrate américaine est tardive. Et
cela malgré un soutien officieux apporté dès février 2011. L’officialisation est
finalement faite en janvier 2012. Il semble que cette démarche soit davantage liée à la
personnalité de Barack Obama et de son entourage politique, les Obamians 543, que de
l’idéologie du Parti démocrate en tant que tel.
« Le fait que l’administration américaine actuelle apporte une bouffée
d’air frais sur ces questions spatiales puisqu’ils sont plus ouverts sur la
coopération internationale, ils sont très proches de la France, ils
travaillent beaucoup avec nous, ils savent qu’on est la puissance spatiale
un peu leader en Union Européenne, qu’on a une capacité d’entraînement
sur les autres pays, effectivement une administration démocrate avec une
politique spatiale ouverte c’est un bon point quand même. » 544

2.1.3.2 Le jeu à deux niveaux de l’administration américaine

2.1.3.2.1. Les alliés, les indifférents, les méfiants et les opposants


Ce changement de position d’un jour à l’autre pourrait être également interprété
comme un moyen pour l’administration américaine de faire accepter aux Européens
les modifications demandées au projet. L’administration Obama doit cependant
véritablement faire face au scepticisme voire à une réelle opposition en interne. Le
jour de la déclaration d’Hilary Clinton, le Département d’Etat publie un document
annonçant ce soutien. Il est intéressant de remarquer que le document officiel du
Département d’Etat, qui est le défenseur de ce projet international 545, s’adresse aux
différents catégories d’acteurs nationaux que l’on peut schématiquement distinguer
selon leur degré d’adhésion au projet : les réceptifs (ou alliés), les indifférents, les

543
James Mann, The Obamians, op. cit.
544
Entretien au MAE, 25 juillet 2011.
545
Le Département d’Etat était dans un premier temps favorable à un « ambitieux nouveau traité », in Michael Krepon,
“Space Diplomacy and an International Code of Conductˮ, 21 juin 2012, e-international relations, http://www.e-
ir.info/2012/06/21/space-diplomacy-and-an-international-code-of-conduct/

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
546
méfiants et les opposants . Les auteurs du document souhaitent ainsi idéalement
persuader chaque acteur. Pour les réceptifs (l’administration Obama, le Département
d’Etat, la NASA), il s’agit d’un message de confirmation du projet soulignant son
importance.
ˮ The European Union’s draft Code of Conduct is a good foundation for
the development of a non-legally binding International Code of Conduct
focused on the use of voluntary and pragmatic transparency and
confidence-building measures to help prevent mishaps, misperceptions,
and mistrust in space.” 547
Pour les indifférents (les Démocrates du Sénat), c’est un message de mobilisation
présentant les gains et les risques de cette décision.
“An International Code of Conduct, if adopted, would establish guidelines
for responsible behavior to reduce the hazards of debris-generating events
and increase the transparency of operations in space to avoid the danger
of collisions.”
Les méfiants sont parmi les membres du Département de la Défense dont les
militaires de la US Air Force Space Command. En effet, malgré l’adoption par le
DoD de recommandations pour la réduction des débris orbitaux dès la fin des années
1980, d’aucuns s’inquiètent des contraintes qui pourraient peser sur les futures
opérations menées dans l’espace. Pour ce faire, le Département de la Défense prend le
temps d’étudier les projets de code afin d’en évaluer les possibles impacts néfastes
pour les intérêts américains. En janvier 2011, une analyse menée entre plusieurs
agences américaines conclut que la mise en œuvre de ce code par les Etats-Unis ne
porterait pas atteintes aux intérêts nationaux et n’empêcherait pas de continuer à
mener des programmes classifiés 548. En avril de la même année, le Département de la
Défense adopte alors une position plus favorable et le fait savoir. L’Ambassadeur
Gregory Schulte, secrétaire adjoint à la défense pour la politique spatiale affirme que
ce projet de Code constitue une « approche positive » 549. Le Département d’Etat leur

546
Ce découpage en catégories est considéré comme un idéal-type qui s’appuie sur l’analyse stratégique issue de la
sociologie des organisations.
547
“An International Code of Conduct for Outer Space Activities: Strengthening Long-Term Sustainability, Stability, Safety,
and Security in Space”, U.S Department of State, Bureau of Public Affairs, http://www.state.gov/r/pa/pl/2012/180998.htm,
17 janvier 2012.
548
http://www.washingtontimes.com/news/2011/feb/7/report-calls-for-restraints-in-space-activity/?page=all
549
Michael Listner, op. cit.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

adresse alors un message de confiance sur le caractère non agressif du projet en


insistant sur les thèmes qui leur sont chers :
“The Obama Administration is committed to ensuring that an
International Code enhances national security and maintains the United
States’ inherent right of individual and collective self-defense(…) The
United States would only subscribe to such Code of Conduct if it protects
and enhances the national and economic security of the United States, our
allies, our friends.”
La position favorable du Département de la Défense est officiellement publiée par
une fiche d’information (« fact sheet »). La justification du soutien au projet est
exprimée en ces termes :
“An international Code of Conduct can enhance the U.S national
550
security”
L’acceptation par la communauté militaire de ce soutien peut être comprise en partie
par l’explication de texte donné par le Secrétaire adjoint à la Défense, William Lynn.
En effet, il fait publier à l’été 2011, un article 551 établissant les conditions d’« un
nouveau type de leadership » :
« En se fondant sur les normes de comportement naissantes et un
engagement renouvelé afin de partager les compétences avec les alliés et
partenaires, la stratégie dessine la manière dont nous maintiendrons notre
avantage stratégique en dépit d’un environnement [spatial] compliqué ».
Il se dit favorable au CoC, en affirmant tout de même que l’accès à l’espace par les
Etats-Unis relève de l’intérêt national vital de sorte qu’ils répondront aux attaques
potentielles, au nom de la légitime défense, au moment et au lieu de leur choix.
Autrement dit, la réponse ne se fera « pas nécessairement dans l’espace ». Ces
éléments nous renseignent davantage sur la stratégie spatiale de l’administration
Obama et les motivations qui sous-tendent leur volonté de soutien au CoC (Partie 2).
Mais les justifications destinées au niveau interne aux différents interlocuteurs ont
difficilement convaincu dans la durée. En effet, les dissensions perdurent au-delà du

550
Fact Sheet, “International Code of Conduct for Outer Space Activities”, Department of Defense,
http://www.defense.gov/home/features/2011/0111_nsss/docs/DoD%20Fact%20Sheet%20-
%20International%20Code%20%208-18-11.pdf
551
William J. Lynn, “A Military Strategy for the New Space Environment”, The Washington Quarterly, Summer 2011,
vol. 34, n° 3.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

soutien affiché par les militaires. Début janvier 2014, le Général William Shelton,
commandant du Commandement Spatial de l’Armée de l’air américaine, émet
toujours des doutes, considérant que rejoindre le CoC « contraindrait inutilement »
les opérations spatiales américaines. De plus, il considère que ce projet est
« irréaliste » et qu’il nécessite de s’appuyer sur des « participants honnêtes » 552. Les
membres des administrations sectorielles peuvent, s’ils ne sont pas persuadés par les
membres du premier cercle, changer de catégories. Ainsi, il serait délicat pour le
Président américain de voir les membres du Département de la Défense devenir des
opposants à une possible adhésion des Etats-Unis au code.
Enfin, le message destiné aux opposants a pour but de confirmer le projet, de manière
ferme, avec ouverture sur les modalités. L’objectif du message est simplement de les
informer mais en aucun cas de les consulter ou encore moins de se concerter avec
eux. Ici les opposants sont avant tout les membres républicains du Congrès et plus
spécifiquement de la Chambre des Représentants (House of Representatives), alors à
dominante républicaine depuis 2011.
“The Administration is committed to keeping the U.S Congress informed
as our consultations with the space faring community progress.”
Les membres du Parti républicain se considèrent d’autant plus marginalisés qu’ils
n’ont pas été consultés lors des discussions entre l’administration Obama et les
porteurs européens du projet. Pour l’exécutif, cette consultation n’est pas un passage
obligé sachant qu’ils n’ont pas besoin de leur approbation pour adhérer à ce code. En
effet, étant un texte non contraignant, l’administration Obama peut avoir recours au
dispositif de l’accord exécutif beaucoup moins risqué que la procédure de signature et
ratification des traités internationaux. A l’inverse de cette dernière, il ne nécessite pas
l’accord des deux tiers du Sénat 553 mais la majorité simple dans chacune des deux
Chambres. Ainsi les leviers d’action des Républicains souhaitant rejeter ce code sont
limités.
De 1972 à 1995, le Congrès disposait d’un moyen d’influencer les décisions de
l’exécutif en matière de science et technologie par l’intermédiaire de ses rapports

552
Bill Gertz, “General : Strategic Military Satellites Vulnerable to Attack in Future Space War”, The Washington Free
Beacon, 8 janvier 2014, http://freebeacon.com/national-security/general-strategic-military-satellites-vulnerable-to-attack-in-
future-space-war/
553
Au 3 janvier 2013, sur 100 élus, on comptait 53 Démocrates, 45 Républicains et 2 Indépendants au Sénat (113 ème Congrès
en fonction jusqu’au 3 janvier 2015). 2/3 tiers du Sénat représente alors l’approbation de 67 élus.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

issus de l’Office of Technological Assessment–OTA. Paradoxalement, ce sont les


Républicains qui ont obtenu sa suppression en 1995. Face aux critiques de sa
suppression, toujours persistantes dans les années 2000, Hilary Clinton avait promis
de travailler à son rétablissement 554. La conséquence de cette suppression est la perte
d’intérêt et de compétence des membres du Congrès sur ces questions spécifiques de
science et de technologie, sans compter sur la perte d’influence sur l’exécutif.
Aujourd’hui, les entités censées « remplacer » ou du moins pallier l’absence de
l’OTA sont la National Academy of Sciences (NAS), le Congressional Research
Service (CRS) et le Government Accountability Office (GAO) au travers de son
service de Technology Assessment. Les partisans d’une renaissance de l’OTA
soulignent que malgré la qualité reconnue de ces différents centres, il semble que
leurs prérogatives et objectifs ne sont pas exactement les mêmes que ceux qui étaient
remplis d’antan par l’OTA. La NAS répond à des problématiques précises grâce à des
comités d’experts. Le GAO évalue des programmes en cours. L’OTA analysait les
sujets liés à la science et à la technologie en les replaçant dans leur contexte socio-
culturel. Les conséquences économiques, sociales et environnementales étaient donc
prises en compte dans les choix scientifiques ou technologiques qui pouvaient être
faits par le politique. En parallèle, la baisse d’influence des commissions
parlementaires, suite à la décentralisation de l’activité législative 555, ont entraîné une
hausse de la capacité d’initiative individuelle de certains élus. Ainsi, en 2002, un élu
démocrate du Congrès, Dennis J. Kucinich, dépose en 2002 à la Chambre des
Représentants le Space Preservation Act, auquel est annexé un projet de traité, le
Space Preservation Treaty. Par son action, il enjoint l’exécutif de se diriger vers la
négociation internationale d’un traité interdisant les armes dans l’espace 556. De la
même manière, trente-sept des quarante-sept sénateurs républicains, opposants à
l’adhésion des Etats-Unis au Code, relayent leurs questionnements dès février 2011
dans une lettre adressée à l’administration Obama. Les trente-sept Sénateurs
emmenés par Jon KYL se disent « profondément soucieux » 557 des nouvelles

554
Si elle était élue Présidente. Déclaration faite en 2007.
http://www.nytimes.com/2007/10/05/us/politics/05clinton.html?_r=2&oref=slogin&, site consulté le 15 mai 2013.
555
Daniel Sabbag, « Les déterminants internes de la politique étrangère des Etats-Unis: une perspective diachronique »,
Revue internationale de politique comparée, 2001/1 Vol. 8, p. 135-161.
556
Hubert Fabre, L’usage de la force…, op. cit., p. 142.
557
Colin Clark, “Senators Warn Clinton on Space Code”, http://www.dodbuzz.com/2011/02/04/senators-warn-clinton-on-
space-code/, 4 février 2011.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

orientations impulsées par la nouvelle administration. De plus, ils enjoignent


l’administration de consulter les comités du Sénat avant tout prise de décision. Leurs
inquiétudes datent de la publication de la National Space Security Strategy ainsi que
du complément 558 publié par le Département de la Défense semblant engager la
nouvelle équipe dirigeante vers l’adoption de normes de comportement et de mesures
de transparence et de confiance (TCBMs). Leurs préoccupations redoublent lors de
l’expression officielle du soutien de l’administration américaine au Code. Quatre
membres du Congrès et Sénateurs républicains Michael Turner (Ohio), Joe Heck
(Nevada), Jeff Sessions (Alaska) et Jon Kyl (Arizona) 559, adressent alors une
deuxième lettre au Président Obama en janvier 2012. Bien qu’approuvant la décision
de l’administration Obama de ne pas signer le CoC en l’état, ils s’inquiètent toujours
de l’impact de ce dernier sur la politique spatiale de défense américaine.
“Such an international agreement could establish the foundation for a
future arms control regime that binds the United States without approval
of Congress (…) [Although] it is worth considering whether a non-binding
arrangement for outer space activities could be in the interest of the
United States, we are not comfortable that all policy and operational
impacts of doing so have been assessed.” 560

Malgré les déclarations rassurantes de l’administration Obama ainsi que du


Département de la Défense à l’intention des Sénateurs et Membres du Congrès
républicains, leurs inquiétudes ne se sont pas résorbées. Afin de peser sur les
discussions, les Républicains développent leur argumentaire. Ils utilisent leurs
ressources que sont leurs prérogatives. Il s’agit du commerce entre Etats, de
l’affectation du budget (vote de la loi de finances) et des engagements en relations
internationales et leurs possibles impacts sur le plan national (cela est issu de la
volonté des Pères fondateurs de ne pas confier la politique étrangère à une seule
entité, la branche présidentielle 561). De cette manière, ils justifient et légitiment leurs
interventions et demandes de clarifications. Ils interrogent l’administration sur la

558
National Security Space Strategy. Department of Defense Initiatives,
http://www.defense.gov/home/features/2011/0111_nsss/docs/DoD%20Initiatives%20Fact%20Sheet.pdf
559
Turner, Heck, and Sessions hold senior positions on their respective chamber’s armed services or intelligence committees;
Kyl is the Senate minority whip and a leading Republican voice on national security issues.
560
https://www.armscontrol.org/act/2012_03/US_Backs_Efforts_to_Draft_Space_Code

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

mise en conformité de la politique spatiale américaine avec les principes du code.


Cela impliquerait alors des ajustements (regulations) au sein du Département de la
Défense et d’autres agences fédérales. Selon eux, ces ajustements peuvent avoir un
impact sur la sécurité nationale. Ils pourraient de même avoir un effet induit sur le
secteur privé, notamment sur l’industrie spatiale et en conséquence affecter le
commerce entre les Etats-Unis et ses clients étatiques potentiels. Enfin, ils posent la
question du coût de cette mise en conformité. Tous ces points soulevés par les
Républicains sont autant de leviers afin de justifier leur légitimité à être consultés sur
ce dossier. Concernant les financements, rien ne sort du Trésor qui n’ait été autorisé
et imputé explicitement. Ce sont deux étapes distinctes de la procédure budgétaire qui
sont autant d’occasions pour le Congrès d’imprimer sa marque aux orientations de
politique étrangère 562. C’est d’ailleurs avec cette dernière « arme » que le Congrès
républicain a tenté de s’opposer au code de conduite. En effet, la possible mise en
œuvre de ce code aux Etats-Unis a fait l’objet d’une disposition au sein de la House
of Representatives 4310 (Defense Department authorization act for fiscal year 2013).
Ce projet de loi permet d’affecter les budgets pour le département de la Défense. Plus
particulièrement, la section 913 sur les limitations aux accords internationaux
concernant les activités spatiales extra-atmosphériques (limitation on international
agreements concerning outer space activities) interdit au département de la Défense
d’utiliser des fonds afin de mettre en place un accord international pour les activités
spatiales qui n’aurait pas été ratifié par le Sénat ou autorisé par une loi fédérale. De
cette manière, ils souhaitent échapper à la classification de l’accord international
comme accord exécutif. Bien que le Sénat soit acquis par une courte majorité aux
Démocrates, les 2/3 du Sénat impliquent tout de même de convaincre environ 14 élus
non démocrates (en considérant que les 53 Démocrates voteraient pour). Par cette
stratégie, les Républicains ont pensé profiter d’un contexte particulier, celui de
l’année de l’élection présidentielle. Leur tactique peut forcer les Démocrates à
approuver un projet de loi avec cette disposition déterminante pour l’avenir du code
si l’accord international ne peut être ratifié par le Sénat. Les Démocrates auraient pu

561
Charles - Philippe David…, op. cit., p. 40.
562
Ibid., p.357.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

être en effet pressés de faire passer ce texte de loi avant la fin de l’année de peur que
le prochain président ne l’approuve pas en dernier ressort. En effet, après le vote de la
Chambre des Représentants (à majorité républicaine) puis du Sénat, c’est au président
de signer le texte. De plus, ce projet de loi ne se limitant pas à l’affectation de fonds
pour la mise en place du code, son approbation est structurante pour l’ensemble du
département de la Défense :
“(…) with elections fast approaching, the pressure to pass an
authorization bill for the Department of Defense could compel members
who are up for reelection to acquiesce to one [la disposition de la Section
913].” 563

Putnam cite les propos d’une membre du Congrès américain quant à son soutien d’un
projet de loi en 1986, explications qui pourraient s’appliquer au dilemme des élus
démocrates en 2016.
“As worried as I am about what this bill does, I am even more worried
about the current code. The choice today is not between this bill and a
perfect bill; the choice is between this bill and the death of tax reform.” 564
Le Président Obama a cédé sa place en 2017 à un nouveau locataire républicain à la
Maison Blanche. L’incertitude est pour l’instant de mise quant aux décisions de la
nouvelle équipe qui pourrait retirer les Etats-Unis de cet engagement verbal. Au
niveau international, ces évolutions peuvent remettre en cause l’adhésion des alliés au
code.
« (….) allies (…) may not be willing to enter into a Code of Conduct that
will be nullified by Congress. » 565
Cette incertitude des alliés est liée à leur faible connaissance des discussions internes
(Niveau 2) du négociateur (les Etats-Unis). Cela peut alors être autant un outil de
négociation qu’un obstacle. Les accords interétatiques peuvent être fixes seulement
au moment où chacun des négociateurs sait que les arrangements obtenus sont dans le
« win-set » de l’autre et ont donc toutes les chances d’être ratifiés en interne. Les

563
Michael Listner, “Separation of powers battle over a space code of conduct heats up”, The Space Review,
21 mai 2012, http://www.thespacereview.com/article/2084/1
564
Robert D. Putnam, « Diplomacy and domestic politics: the logic of two-level games », International Organization, Vol.
42, N°3, été 1988, p. 437.
565
Michael Listner, “Separation of powers battle…”, op. cit.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

alliés sont donc « rassurés » lorsque la disposition pouvant empêcher la mise en


œuvre du CoC par les Etats-Unis n’apparaît finalement plus dans le texte final de la
HR 4310 566, voté par la Chambre des Représentants le 18 mai 2012 puis par le Sénat
le 4 décembre 2012 et enfin signé par le Président le 02 janvier 2013. Concernant les
membres de la Chambre des Représentants et du Sénat, il est judicieux de noter
qu’eux-mêmes, en tant qu’élus de la circonscription pour les premiers et élus de l’Etat
pour les deuxièmes, subissent aussi l’influence de leurs électeurs. Certes, les cents
élus du Sénat (deux par Etat) ont un mandat d’une durée de six ans mais un tiers
d’entre eux est tout de même renouvelé tous les deux ans. Ainsi,
« L’intérêt que porte les parlementaires à la politique étrangère provient
souvent des préoccupations particulières de leur électorat ou des lobbies
qui les soutiennent. A cet égard, le rassemblement d’élus des deux partis
dans un caucus (groupe de parlementaires partageant un intérêt précis et
généralement une approche particulière au dossier en question) permet
parfois de susciter l’intérêt pour les problèmes particuliers » 567.
Le milieu spatial fait partie de ces sujets particuliers auquel l’électorat local ou
certains lobbies manifestent leur position. Ces sujets ont une résonnance
internationale Concernant le domaine spatial, le Florida Space Caucus 568a pour
objectif de garantir la place de premier rang détenue par la Floride dans le domaine
de l’exploration spatiale. Mais il y a aussi l’Aerospace Caucus. Enfin, la Californie,
la Virginie et le Colorado ont des organisations gouvernementales dédiées aux
questions spatiales. Ces groupes sont davantage concernés par les implications
économiques de l’espace pour leur propre Etat. Ils pourraient donc se positionner en
considérant les implications économiques de l’adhésion au CoC. Les quatre membres
du Congrès cités précédemment ne font pas partie de ces caucus mais appartiennent
tous à l’Armed Service Committe de la Chambre des Représentants ou du Sénat. C’est
donc logiquement sous le prisme de la sécurité nationale qu’ils s’opposent au CoC. Il
faut donc s’attendre à ce que ces groupes aux intérêts différents mais liés au milieu
spatial expriment leur point de vue sur la diplomatie spatiale du Président.
L’administration de Barack Obama a fait connaître son intention de soutenir le projet

566
http://www.opencongress.org/bill/hr4310-112/text
567
Charles - Philippe David…, op. cit., p. 379.
568
http://www.spacecaucus.com/

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

européen dès le début de l’année 2011. Il aura cependant fallu attendre un an pour
rendre cette position officielle, qui malgré tout ne signifie nullement une adhésion
automatique et intégrale au code dans sa version finale.
Les négociateurs du Niveau 1 ayant œuvré de décembre 2008 à janvier 2012 sont
l’Union européenne et plus particulièrement le SEAE, et encore plus précisément en
son sein, Mme Annalisa Giannela (avant son départ à la retraite fin 2010) et M.
Pierre-Louis Empereur (qui animait le CODUN en tant que Président adjoint),
responsables des questions de prolifération et désarmement , mais aussi en pointe
dans ce dossier la France, le Ministère des Affaires étrangères et plus précisément la
sous-direction du désarmement et de la non-prolifération nucléaire avec enfin les
Américains, du Département d’Etat et en particulier M. Franck ROSE, , ex-Deputy
Assistant Secretary for Space and Defense Policy du Bureau of Arms Control,
Verification and Compliance. D’autres intervenants, tels Audrey M. Schaffer, Space
Policy Analyst de l’Office of the Under Secretary of Defense for Policy au Pentagone
sont présents. En mêlant très vite les Américains à ce projet, l’UE souhaitait s’assurer
du soutien américain pour donner du poids à leur projet. Les Européens savaient au
préalable que l’administration Obama était déjà sensible aux idées et croyances
véhiculées par le code, qui reprennent pour partie les croyances de la CE américaine
analysée précédemment. Selon Putnam, un accord dans une négociation
internationale, qui est ici une négociation en vue d’un soutien officiel, n’est possible
que si une minorité puissante au sein de l’Administration favorise un changement
voulu au niveau international. En orientant le problème sur la prolifération des débris,
on peut penser que le soutien de l’administration américaine a été facilité. Le rôle du
décideur politique est central en tant que médiateur entre les pressions provenant du
niveau national et international. Ainsi, afin d’atteindre une certaine cohérence
apparente entre la politique suivie au niveau national et les positionnements au niveau
international, des ajustements rhétoriques sont parfois nécessaires afin de tendre vers
la construction d’un langage commun. Le processus étant toujours en cours, les
allers-retours entre le niveau national et international ne sont pas terminés.
Cependant, une fois le soutien officiel américain apporté en janvier 2012, il est
difficile pour les Etats-Unis de se retirer, la défection ayant un coût diplomatique et
politique pour des acteurs étatiques appelés à se revoir et par ailleurs engagés dans

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

d’autres négociations en parallèle. La défection involontaire n’est cependant pas à


exclure en imaginant que les Etats-Unis ne ratifient pas l’ICoC, maintenant qu’une
nouvelle administration est en place, qui plus est républicaine.

2.1.3.2.2 Les relations transgouvernementales, inter-niveaux et


transnationales
Bien qu’utile à l’analyse, la théorie du jeu à deux niveaux peut être complétée par
l’approche dit « three-and-three » développée par Jeffrey W. KNOPF 569. Cette
dernière permet de différencier les interactions nationales/internationales avec
plusieurs niveaux différents : transgouvernementales, transnationales et inter-niveau
(cross-level). L’intérêt de ces distinctions est de montrer qu’elles ont des effets
distincts sur les résultats des discussions. De plus, l’approche intègre davantage les
acteurs nationaux (« domestic players ») comme pouvant façonner l’agenda des
négociations internationales. Ceci nous permet de mieux comprendre l’influence de la
CE dans la mise sur agenda du problème des débris puis de suivre son action dans le
processus de socialisation, d’apprentissage auprès des décideurs politiques. Knopf
définit ainsi les relations transgouvernementales:
« Transgouvernemental processes come into play when officials on one or
both sides are internally divided and one or both sides seek to bolster the
influence of the like-minded faction in the other government. »
Le processus transgouvernemental est exercé par la France qui cherche dès le début
des soutiens au sein du Département d’Etat. Ce dernier est favorable à l’option d’un
traité et l’ambition de la France est la même, le CoC n’étant considéré que comme
une étape.
« On voudrait d’abord que le CoC soit adopté puis on continue sur l’idée
d’un nouveau traité qui ne serait peut-être pas formulé de la même façon
[que le projet sino-russe]. » 570
Le transgouvernementalisme est intimement lié à l’émergence de la soft law.
« La nature du transgouvernementalisme est la souplesse des mécanismes
normatifs mis en œuvre. (…) Le réseau transgouvernemental offre une voie

569
Jeffrey W. Knopf, « Beyond two-level games : domestic-international interaction in the intermediate-range nuclear forces
negotiations, International Organization, Vol. 47, n°4, Automne 1993, pp. 599-628.
570
Entretien au MAE, 25 juillet 2011.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

normative flexible, informelle et hautement adaptable aux conditions


changeantes induites par la mondialisation. » 571
Les interactions transgouvernementales nous permettent de comprendre que le soutien
des Etats-Unis, certes apporté qu’en 2012, a bénéficié d’une « fenêtre
d’opportunité » 572 politique, favorisée par un mode d’adhésion flexible (l’accord
exécutif). C’est une occasion pour les acteurs européens de relancer l’action. La
fenêtre d’opportunité est la « rencontre conjoncturelle des activités et des intérêts de
différents types d’acteurs qui travaillent d’habitude indépendamment les uns des
autres [les rapprochements transgouvernementaux, transnationaux et inter-niveaux ne
vont pas de soi] et qui tirent profit d’un événement, d’une modification du contexte
pour échanger des projets, des offres de solutions. » 573
La possibilité d’actions concrètes est relancée, ce qui permet aussi aux acteurs de
montrer leur capacité à agir et leurs compétences. Ceci est largement la conséquence
de l’élection du démocrate Barack Obama à la Maison Blanche ainsi que des
croyances et idées portées par son administration (Partie 2). Ceci a élargi le « win-
set » américain pour inclure cette possibilité d’adhésion au code. Ainsi, sous l’effet
d’une évolution du paysage spatial (multiplication des acteurs dans ce milieu), du
retentissement qu’a eu le tir chinois de janvier 2007 et enfin de la proposition sino-
russe, les acteurs européens ont « pressenti » que le contexte était davantage
favorable que sous l’administration américaine précédente. Il était temps de relancer
une telle initiative, l’alternance politique ayant grandement augmenté les chances de
dialogue transatlantique constructif. La fenêtre d’opportunité a rapproché d’autres
acteurs transnationaux et inter-niveaux.
Les relations transnationales sont définies ainsi par Knopf :

« The transnational pathway involves links between domestic actors, by


which I mean actors outside the executive branch or its equivalent, on
both sides, where each seeks to add to the like-minded coalition on the
other side. » 574

571
Karim Benyekhief, Une possible histoire de la norme: les normativités émergentes de la mondialisation, Université de
Montréal, Ed. Thémis, 2008.
572
John W. Kingdon, Agendas, Alternatives and Public Policies, Glenview-Londres, Scott Foreman and Co., 1984.
573
Ibid.
574
Jeffrey W. Knopf, “Beyond…”,op. cit., p. 606.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Par l’intermédiaire des forums mais aussi des échanges bilatéraux, le dialogue est
intense entre agences spatiales (notamment entre la NASA et l’ESA et le CNES) mais
aussi entre scientifiques. On note aussi des échanges réguliers entre think tanks
transatlantiques et notamment entre la Secure World Foundation et l’Institut Français
des Relations Internationales (IFRI).
De plus, dès 2006, le Stimson Center rencontre des membres officiels du
gouvernement français. Ce type d’échange renvoie alors aux relations inter-niveaux
définies comme

« cross-level processes involve communication between leaders on one


side and domestic constituents on the other, regardless of which sides
initiates the connection » 575

Le soutien américain au code permet de multiplier ces dernières. En effet, Franck


Rose n’hésite pas à donner des conférences et à participer à des débats dans le cadre
de rencontres organisés par des think tanks. Ces relations inter-niveaux font partie du
processus d’apprentissage et de socialisation.
Ces différents interactions, transgouvernementales, transnationales et inter-niveaux
ont des impacts sur l’évolution des négociations créant une interdépendance
complexe entre ces configurations d’acteurs.
Le soutien officiel des Etats-Unis, en tant que critical state, au code permet au
processus de s’engager sur une deuxième étape, celle de la « norm cascades » 576. Ce
n’est pas un processus passif.
« (…) we argue that the primary mechanism for promoting norm cascades
is an active process of international socialization intended to induce norm
breakers to become norm followers. » 577

La socialisation est un processus par lequel de nouveaux Etats sont incités à modifier
leur comportement en adoptant des normes “préférées” par une société internationale

575
Ibid.
576
Martha Finnemore…, op. cit., p. 902.
577
Ibid.

- 232 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
578
d’Etats . Dans notre thèse, l’Union européenne avec en tête la France puis les Etats-
Unis deviennent les Etats actifs de cette socialisation, ce sont les leaders normatifs du
code. Ainsi, même si l’approche de Putnam a permis de comprendre en partie le
soutien américain au code en mettant en relief le dialogue transatlantique (dialogue
inter-alliance), la méthode proposée par Knopf incite à se pencher davantage sur le
jeu inter-alliance. Dans notre cas, les deux « blocs » d’Etats sont visibles. Il s’agit du
bloc « occidental » promouvant l’ICoC et le bloc composé des acteurs étatiques du
G77/ du mouvement des non-alignés favorables au projet de traité sino-russe. L’enjeu
de la socialisation se joue véritablement au niveau inter-alliance, opposant des
puissances spatiales. Le bloc occidental cherchant à faire de ces Etats des norms
followers du CoC.

578
Ibid.

- 233 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

2.2 Les interactions au profit de la persuasion normative

2.2.1 Les interactions inter- et trans-gouvernementales

2.2.1.1 Le processus des négociations intergouvernementales de


l’Union européenne

Le SEAE est l’organe responsable des discussions bilatérales puis des négociations
internationales sur le CoC. Cette institution récente, puisqu’elle a été officiellement
créée en janvier 2011 579, a la charge de mener à bien ce projet d’envergure
internationale. Le SEAE est à présent le bras diplomatique de l’UE et est placé sous
la responsabilité de la Haute Représentante pour les affaires étrangères et la politique
de sécurité, Catherine Ashton, nommée en novembre 2009. Elle est également vice-
présidente de la Commission européenne. Ces évolutions sont instituées par le Traité
de Lisbonne, rentré en vigueur en décembre 2009, celui-là même qui octroie à l’UE
des prérogatives plus étendues en matière de politique spatiale (ce point sera détaillé
dans la deuxième partie de la thèse). Le SEAE a choisi de multiplier les discussions
bilatérales avant d’amorcer le processus des négociations multilatérales en juin 2012.
Ainsi Annalisa Giannela a animé jusqu’en 2011 ces rencontres bilatérales de par le
monde (exemple des discussions UE-Chine qui ont eu lieu en juillet 2011). Bien
qu’amorcé en amont du soutien américain, ce processus de socialisation au code
devenu international, est annoncé officiellement par l’UE le 6 juin 2012 580. Sous la
présidence de Maciej Popowski, alors Secrétaire général adjoint du SEAE, 110
participants provenant de plus de 40 pays se sont rassemblés pour la première réunion
multilatérale à Vienne. Deux autres suivront, une à Kiev en mai 2013, une autre à
Bangkok en novembre 2013 et une dernière au Luxembourg du 27 au 28 mai 2014. A
Vienne, l’UE annonce que les Etats-Unis, le Japon et l’Inde apportent déjà leur

579
Création par décision du Conseil du 26 juillet 2010 établissant l’organisation et le fonctionnement du Service Européen
pour l’Action Extérieure, 2010/427/UE, Journal officiel de l’Union européenne,
http://www.eeas.europa.eu/background/docs/eeas_decision_en.pdf
580
« L’Union européenne lance les négociations sur un code de conduite international pour les activités menées dans l’espace
extra-atmosphérique », A 252/12, Bruxelles, 6 juin 2012,
http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/FR/foraff/130702.pdf

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

soutien à cette initiative. Cette annonce fait sens car ces deux derniers Etats peuvent
aussi être considérés comme des « critical States » dans la mesure où ils ont un
pouvoir d’influence au sein de leur zone géographique et un fort potentiel spatial.
Ceci est particulièrement important car la phase de socialisation nécessite de
persuader les autres Etats à soutenir le projet de code. La persuasion a pour
conséquence la socialisation qui peut être définie comme :
« The process through which national leaders internalize the norms and
values orientations espoused by the hegemon and, as a consequence,
become socialized into the community formed by the hegemon and other
nations accepting its leadership position. » 581
Par ailleurs, l’Inde est un membre du groupe des 77, son soutien est donc crucial pour
la promotion mondiale du ICoC. Le moment choisi par la diplomatie européenne pour
lancer les négociations multilatérales est opportun. En effet, le soutien américain a
permis à certains Etats « tièdes » d’être définitivement favorables à ce projet. Cela
crée un effet d’entraînement vertueux en vue d’atteindre une masse critique d’Etats
favorables. Les Etats-Unis ont quant à eux mis en place une political review en
septembre 2012 afin d’étudier les effets négatifs potentiels de l’adhésion de leur pays
à ce CoC. Cependant, comme le fait remarquer un diplomate, « si on a une masse
critique d’Etats qui sont déjà en train de négocier, les Américains suivent ou ne
suivent pas mais ce n’est pas eux qui vont décider » 582 de l’issue favorable donnée à
ce texte. Il est donc sous-entendu ici que le soutien américain a véritablement donné
une chance au CoC d’être adopté par un nombre plus important d’Etats
qu’initialement, ce qui lui permettra à terme d’entrer en vigueur même si les Etats-
Unis décidaient in fine de ne pas y adhérer. Cela reviendrait malgré tout à répéter le
scenario de Montego Bay.
L’objectif des diplomates du SEAE est de parvenir à mettre d’accord les acteurs
étatiques sur un langage commun et des croyances communes dont le projet de CoC
est le résultat. Les diplomates européens s’attachent donc à obtenir
« quelque chose d’un peu neutre (…) chacun y voit ce qu’il a envie d’y
trouver. Les Etats-Unis se disent qu’avec ça ils sont satisfaits et ils ne

581
G. John Ikenberry, Charles A. Kupchan, “Socialization and hegemonic power”, International Organization, n°44, 3, été
1990, p. 289.
582
Entretien au SEAE, 12 septembre 2012.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

vont pas plus loin et les Russes disent que cela ne les empêchent pas de
négocier et même dans un sens ça les aide pour ensuite une négociation
pour un traité. » 583
A l’instar des conditions de persuasion de la CE, les solutions proposées par le SEAE
ne doivent pas être perturbatrices (« non disruptive ») avec les normes existantes des
Etats avec lesquels les diplomates européens négocient. Les élites des « Etats
secondaires » peuvent cependant ressentir une dissonance cognitive heurtant leurs
croyances. Ces discussions multilatérales ont donc pour objectif de les faire participer
au « système hégémonique » et de les inciter, via un processus d’apprentissage et
d’ajustements, à embrasser les fondations normatives de ce système 584. Ainsi, à titre
d’exemple, les Etats en développement considèrent au mieux le principe de la
légitime défense comme dénué de sens et au pire comme favorisant la course aux
armements dans l’espace. Ils font aussi remarquer que ce « droit » ne les concerne pas
car ils n’ont pas les moyens de le mettre en application 585. Gagner la confiance de
ces Etats n’est donc pas chose aisée d’autant plus que la méthode envisagée par l’UE
afin d’universaliser l’ICoC n’incluait pas initialement les Etats tiers dans la
négociation. En effet, le SEAE souhaitait mettre en place un core group de cinq ou
six Etats pouvant négocier ensemble et présenter ensuite les résultats de cette
négociation à un ensemble d’Etats plus important. Le processus de négociation
pourrait effectivement gagner en efficacité et donc rapidité mais la diplomatie
européenne s’expose là à un grief dont elle fut déjà accusée lors de la négociation sur
le Code de conduite de La Haye (HCoC). L’objectif est donc de ne pas répéter les
erreurs commises lors de ce processus de socialisation qui pour la première fois a fait
de l’UE un acteur normatif. En effet, le « péché originel » de ce code contre la
prolifération des missiles balistiques est d’avoir procédé à une consultation tardive
des pays émergents, qui ont alors purement et simplement refusé de participer aux
consultations. Le HCoC a alors souffert du « paradoxe » 586 de ne pas être ratifier par
les critical States (Corée du Nord, Iran, Chine, Brésil, Mexique, Arabie Saoudite).

583
Entretien au SEAE, 12 septembre 2012.
584
Toutes les citations entre guillemets sont issues du document de G. John Ikenberry…, op.cit., p. 291.
585
Dr Rajeswari Pillai Rajagopalan, Daniel A. Porras (editeurs), Awaiting Launch : Perspectives…, op. cit., p. 2.
586
Mark Smith, EU workshop on how to strengthen the HCoC, Vienne, 25 mars 2010.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

« Most of the countries located in the region going from the north of
Africa to eastern Asia do not participate in the HCoC. » 587
La discussion tardive avec les pays émergents n’a pas permis de lever la suspicion sur
un texte issu du « club occidental ». Cela n’a fait que créer du scepticisme et des
erreurs de perception (misperception). Initialement, l’ICoC a souffert de la même
manière d’une méfiance de la part de l’Inde 588 notamment, mais des Etats tiers en
général. La comparaison avec le HCoC permet de « tirer des leçons » et faire du
processus d’universalisation de l’ICoC 589 une réussite. La diplomatie européenne
tente alors d’inclure au mieux tous les Etats tout en veillant à ne pas créer
d’amalgame en donnant l’impression de recréer les Nations Unies. La discussion du
code aux Nations Unies aurait permis de lui donner plus de légitimité mais les Etats-
Unis ont refusé de prendre ce risque, le contenu du code aurait pu leur échapper. Le
SEAE a donc créé un steering group (comité de pilotage) composé de 20 Etats dont
les principaux Etats spatiaux 590. Un autre groupe, informel, baptisé les « amis du
Code » rassemble six Etats : l’Australie, les Etats-Unis, le Japon, l’Inde, la Corée du
Sud et le Canada. Ce groupe fondé et animé par l’Australie promeut le Code et
rencontre régulièrement les diplomates du SEAE. On retrouve ce type de groupe
informel partageant la même vision et les mêmes valeurs au sein du COPUOS 591. Par
ces différents canaux, la diplomatie européenne tente de socialiser une masse critique
d’Etats. Chaque Etat convaincu devenant à son tour un agent de la socialisation. Il est
important de noter que les Etats tiers ne font pas que subir les normes du système
hégémonique. La socialisation est un « two-way process ». La multiplication des
interactions entre élites du système hégémonique (bloc occidental) et élites des Etats
secondaires permettent de modifier la formulation initiale de l’ordre (spatial) désiré.
Le contenu des échanges lors de ces réunions multilatérales restent relativement
méconnu.

587
European Space Policy Institute (ESPI), Lucia Marta, “The Hague…”, op.cit., p. 3.
588
Entretien au MAE, 25 juillet 2011.
589
C’est une analyse faite par le European Space Policy Institute (ESPI), Lucia Marta, “The Hague Code of Conduct Against
Ballistic Missile Proliferation : “Lessons Learned” for the European Union Draft Code of Conduct for Outer Space
Activities”, ESPI Perspectives n°34, juin 2010.
590
Au sein de ce comité de pilotage, on trouve la Chine, la Russie, l’Inde, l’Indonésie, les Etats-Unis, le Mexique, le Brésil,
l’Afrique du Sud, le Nigéria et les Etats européens souhaitant y participer avec en pointe la France, l’Allemagne, l’Italie, la
Grande-Bretagne ou encore le Portugal.
591
Avant les réunions du COPUOS, le mouvement des like-minded se réunit pour uniformiser leurs positions diplomatiques.
Il s’agit du Royaume-Uni, des Etats-Unis, de la Corée du Sud, du Canada, du Japon et des pays européens dont l’Italie et
l’Allemagne.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Ces activités sont un défi pour le tout jeune SEAE. Le président adjoint du CODUN
Espace fait remarquer en septembre 2012 que ses autres activités concernant les
armes chimiques et biologiques passent au second plan. Le domaine spatial à lui seul
représente maintenant 80% de son emploi du temps. Cette situation est en partie la
conséquence du non remplacement de Mme Giannela fin 2010, figure emblématique
du désarmement et de la non-prolifération en UE 592. Il faut attendre plus de deux ans
et la nomination de son remplaçant Jacek Bylica pour que cette situation critique
cesse. Cependant, le crédit de l’UE en tant qu’acteur international en a pâtit, que ce
soit auprès des alliés du code que des Etats tiers réticents. C’est une critique facile
dont se saisit la Russie pour porter le coup de grâce au code à l’été 2015.
Malgré ces écueils, le Japon et l’Inde semblent être des soutiens crédibles. Le Japon
fait référence à la réunion des « amis du code » 593 en février 2012 à Bruxelles. Pour
l’Inde,
« Au niveau technique, l’Inde a pas mal de questions mais au niveau
politique, ils ont l’instruction de soutenir le code. » 594

Des hypothèses peuvent être formulées quant au soutien politique de l’Inde malgré
une réticence de la part de ses experts. En effet, en considérant que la
« normative persuasion alone is insufficient to drive the socialization
process (…) Material incentives and opportunities for political
advancements thus play a crucial role in making elites susceptible to the
socializing efforts of the hegemon » 595.
Parmi les avantages que les élites des Etats secondaires peuvent entrevoir à adopter
ces normes se situe, outre la possibilité d’influencer les normes elles-mêmes, le
bénéfice d’une certaine reconnaissance. L’Inde fait partie des Etats spatiaux
émergents souhaitant asseoir leur statut de puissance spatiale sur la scène
internationale. La ressource spatiale étant devenue un attribut de la puissance d’un
Etat, cette visibilité est un avantage politique certain. Cette ressource est au service

592
Annalisa Giannella a été nommée, en octobre 2003, par Javier Solana, Haut représentant de l’Union européenne pour la
politique étrangère et de sécurité commune, en tant que représentante personnelle pour les questions qui ont trait à la non-
prolifération.
593
http://www.mofa.go.jp/policy/outer_space/pdfs/coc1304.pdf
594
Entretien au SEAE, 12 septembre 2012.
595
G. John Ikenberry, Charles A. Kupchan, “Socialization…”, op. cit.,p. 293.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

d’une politique de puissance plus large, notamment dans son aire géographique
d’influence et encore plus face à la Chine, porteur du projet de traité PPWT. La
persuasion normative peut être aussi complétée par des incitations matérielles qui ne
sont pas directement liées au Code. On peut penser notamment à des transferts de
technologie dont l’Inde a déjà bénéficié de la part des Etats-Unis. Ces hypothèses
peuvent être nuancées dans la mesure où la coopération internationale dans son
ensemble est un élément stratégique de la politique spatiale indienne 596. La
coopération internationale est selon ses dirigeants le meilleur moyen de faire face aux
enjeux mondiaux dont la problématique des débris spatiaux. L’Inde entretient donc de
multiples échanges autant avec le bloc occidental que dans ses relations avec les pays
du Sud.

2.2.1.2 Les interactions transgouvernementales au sein du Groupe


d’Experts Gouvernementaux

A première vue, la constitution d’un groupe d’experts gouvernementaux peut être


interprétée comme un outil du système hégémonique afin de persuader les acteurs
étatiques encore réticents à soutenir l’ICoC. En effet, ce dispositif issu d’une
initiative des Nations Unies regroupe quinze experts internationaux nommés par leur
gouvernement afin de constituer ce groupe de travail. Le GGE sur les mesures de
confiance et de transparence dans l’espace qui se forme de 2011 à 2013 regroupe la
France, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, la Chine, la Russie, le Brésil, le Chili,
l’Italie, le Kazakhstan, le Nigéria, la Roumanie, l’Afrique du Sud, la Corée du Sud, le
Sri Lanka et l’Ukraine. Cet échantillon se veut représentatif de la « communauté
internationale ». D’autres Etats, à l’instar de l’Australie, y apporte leur contribution
ponctuellement. Au départ, cette création est accueillie défavorablement par la
diplomatie européenne car la création du GGE naît d’une volonté russe de négocier le
projet de régime dans cette enceinte. En effet, le GGE de 2011 ne peut se départir de
son précédent historique qui a opposé les Russes aux Européens.
Les représentants de la Russie et de la Chine ont élaboré et fait adopter une résolution
à la CD traitant des mesures de transparence et de confiance dans l’espace le 22 mai

596
Florence Gaillard-Sborowsky, Emmanuel Puig, Isabelle Sourbès-Verger, « Analyse comparée de la stratégie spatiale des

- 239 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
597
2006 . Les acteurs européens ont estimé que cette initiative allait dans le bon sens et
se sont prononcés en faveur d’un code de conduite. Les Russes ont considéré que
cette proposition européenne de CoC était déjà contenue en filigrane dans la
résolution précitée. Ces derniers poussent alors à la création d’un GGE qui est effectif
par la résolution 63/68 de l’Assemblée générale des Nations Unies 598 (AGNU). Cette
résolution est issue de la première commission de l’AGNU traitant exclusivement des
questions de désarmement et de sécurité. Les Européens ont appuyé cette initiative au
mandat limité car la résolution se cantonnait à traiter des TCBMs sur les questions de
désarmement. Or, l’interprétation de la résolution par les Russes est différente. Si on
lit attentivement le texte, les deux parties de la résolution peuvent conduire à des
interprétations différentes. La première partie s’inscrit véritablement dans les travaux
de la première commission avec des références claires au désarmement. La seconde
au contraire s’arroge un mandat plus large. Et les Russes s’appuient sur cette
résolution pour créer le GGE. Bien que traitant officiellement des TCBMs, les Russes
pensaient pouvoir profiter du forum du GGE pour y négocier le CoC. Les diplomates
européens tentent alors de faire comprendre aux Russes que ce n’est pas le but du
GGE. Ainsi, malgré la présidence russe de Victor Vasilev (qui aurait pu orienter les
travaux vers la discussion sur le Code), les Etats présents au GGE et favorables au
Code font comprendre qu’ils ne le négocieront pas dans ce forum 599.
Le GGE en est à sa deuxième édition, le précédent datant de 1991-1993. En effet,
face à l’impossibilité apparente de parvenir à un nouveau traité, des solutions
alternatives ont émergé à l’instar des mesures de sécurité et de confiance (MDSC) ou
Transparency and Confidence-building Measures (TCBMs) relevant de la soft law. Ce
sont des normes non contraignantes auxquelles les Etats se soumettent librement.
Elles évoluent davantage dans un univers cognitif, définissant ainsi le comportement
approprié à adopter pour un acteur donné. Le contenu de ces mesures appliquées au

pays émergents : Brésil, Inde, Chine », Etudes de l’IRSEM, n°15, 2012, p. 216.
597
République populaire de Chine, Fédération de Russie, Conférence du Désarmement CD/1778, Mesures propres à
promouvoir la transparence et à renforcer la confiance dans les activités spatiales et prévention du déploiement d’armes dans
l’espace, Document de travail, 22 mai 2006, http://daccess-dds-
ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G06/615/92/PDF/G0661592.pdf?OpenElement
598
Résolution adoptée par l’Assemblée générale le 2 décembre 2008, 63/68, Mesures de transparence et de confiance relatives
aux activités spatiales, http://www.un.org/en/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/RES/63/68&Lang=F
599
Entretien au SEAE, 12 septembre 2012.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

milieu spatial renvoie à un objectif de transparence entre les Etats spatiaux, dont les
échanges d’informations sont le fondement. Bien que la traduction française de cette
expression ait fait disparaître l’idée de la construction (building) de la confiance, ces
mesures ont bien comme dessein final de l’établir entre les Etats via un processus
itératif et incrémental. Il peut paraître étrange de mettre en place des outils normatifs
afin de faire naître de manière artificielle la confiance, qui est du domaine du
ressenti. De plus, ces mesures supposent qu’actuellement règne la méfiance entre les
acteurs dans un espace extra-atmosphérique convoité.
Dans l’histoire des relations internationales, ces dernières ont été utilisées notamment
pendant la Guerre froide. Leur but d’alors était d’éviter un conflit lié à la course aux
armements et à la prolifération balistique. Même si ce dernier n’a pas eu lieu, il n’est
pas sûr que ce succès doive être attribué aux TCBMs. La confiance entre les deux
Grands n’a jamais été un sentiment partagé. Malgré tout, face au constat d’échec de
parvenir à l’élaboration d’un nouveau traité pour l’espace, le recours aux TCBMs
semble préférable à l’inertie. Non seulement elles peuvent permettre d’éviter un
conflit, mais elles sont parfois envisagées comme favorisant l’établissement d’un
futur traité. Ainsi, en 1991, un groupe d’experts gouvernementaux est créé sur les
TCBMs dans le cadre de la prévention de la course aux armements dans l’espace. Son
rapport 600 publié en 1993 établit alors clairement le lien entre débris spatiaux et
activités militaires dans l’espace :
“Any use of an anti-satellite weapon against an orbiting space object is
feared to produce debris that in some cases could affect other space
objects or may also fall over populated areas, with unpredictable
consequences.” 601
Mais ce rapport n’a pas permis l’établissement des mesures de soft law. Il est « tombé
aux oubliettes » 602. Les recommandations sont restées lettre morte, les Etats étant
davantage préoccupés par les conséquences de la chute de l’Union soviétique mais
aussi et surtout par la guerre du Golfe. Cette guerre a été déterminante dans la prise
de conscience par les décideurs politiques et belligérants américains de l’importance

600
“Prevention of an Arms Race in Outer Space: Study on the application of confidence-building measures in outer space,” Report by
the Secretary General, UN General Assembly (A/48/305), Oct. 15, 1993, online:
http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=a%2F48%2F305&Submit=Search&Lang=E.
601
Ibid. p. 24.
602
Entretien avec Gérard Brachet, 13 septembre 2012.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

de l’utilisation militaire de l’espace en opérations. Il n’est alors pas question pour les
Etats-Unis de limiter de quelque manière que ce soit leur liberté d’action dans
l’espace.
Qu’en est-il du GGE de 2011-2013 ? Les relations transgouvernementales qu’il
permet sont une opportunité d’aboutir à un résultat différent des relations purement
intergouvernementales.
« Though GGE experts are nominated by Member States, they are
expected to provide politically neutral expertise to the process. » 603
Ce vœu pieux est pourtant vain. L’expert envoyé par son gouvernement reflète le
degré d’intérêt que les Etats portent au sujet et le profil de l’expert en dit long aussi
sur la position de l’Etat. Cependant, en tant qu’experts, ce sont des acteurs
transgouvernementaux pouvant, au contact des autres experts du GGE, et loin de leur
territoire national et administration centrale, évoluer sur leur position. Ce forum
permet d’homogénéiser les positions. De retour dans leur Etat d’origine, ces élites
peuvent ensuite persuader à leur tour leurs décideurs politiques que telle orientation
normative est préférable. Cela est d’autant plus faisable que ces experts
gouvernementaux sont des experts techniques, et non des diplomates. Le résultat de
leurs discussions, bien que ne pouvant pas éluder les dissensions diplomatiques sous-
jacentes, tend à atteindre plus facilement un consensus car celui-ci sera avant tout
technique. Selon Gérard Brachet, le GGE doit s’inspirer de la démarche gagnante de
l’IADC qui a abouti à l’adoption par le COPUOS des recommandations de l’IADC en
2002. Les experts de l’IADC ont présenté leur texte, résultat du consensus entre
techniciens, au comité scientifique et technique du COPUOS (STSC). Ils ont alors
« court-circuité » le comité juridique arguant notamment de leur incompétence
technique et ainsi du risque d’enlisement des discussions. L’objectif des experts de
l’IADC était ensuite de convaincre les diplomates du COPUOS, ce qui a pu être
réalisé. Il s’agit d’une méthode de « bottom-up », au sein de laquelle les experts
techniques du domaine aboutissent à un consensus et réussissent à l’imposer au
niveau politique via les Nations Unies. Les diplomates ont simplement la
responsabilité de négocier le texte.

603
Tiffany Chow, “Group of Governmental Experts on TCBMs in Outer Space Activities”, Fact sheet, Secure World
Foundation, 21 juin 2012.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

« Une négociation diplomatique, on peut négocier des fraises, des choux,


c’est toujours la même chose. Donc quand on fait ce type de négociation
là, ce qu’il faut c’est connaître les processus et avoir surtout un lien, faire
un rapport à sa capitale, et pouvoir prendre position dans les réunions
(…) Nous, on fait une négociation diplomatique. Donc voilà, là c’est le
code de conduite, les mêmes collègues deux heures après peuvent négocier
quelque chose de tout à fait différent. Et moi c’est un petit peu comme ça
que je l’ai pris. Ca fait deux ans et demi maintenant que je suis ce sujet,
j’ai une compétence technique assez limitée, je ne me suis jamais penché
vraiment là-dessus. (…) Par contre, bien évidemment, les politiques, les
diplomates doivent être épaulés par des experts (…) Si les diplomates sont
épaulés par les experts, c’est que comme ça que ça peut marcher mais je
pense qu’il ne faut pas, enfin je vous dis ça dans l’autre sens, il ne faut
pas que les experts prennent le pas sur les diplomates parce que là on
rentre dans une discussion de chapelle, ce n’est pas ça le but du jeu. » 604
Le consensus diplomatique qui doit faire suite au consensus technique peut être alors
être facilité par des forums techniques tels que le GGE. Ce processus est visible dans
l’évolution de l’attitude des représentants nationaux. La première réunion du GGE
qui a lieu à New York du 20 au 27 juillet 2012 a fait apparaître des positions fortes.
Parmi les opposants, on retrouve le Brésil dont le gouvernement a envoyé un juriste
aux positions peu flexibles. Cela rappelle que le Brésil ne voit pas d’un œil
bienveillant le projet de CoC (l’existence du GGE étant associée par cet Etat au
processus de socialisation au profit du CoC). De même, le choix d’un juriste par le
gouvernement brésilien renvoie à la position de cet Etat en faveur d’un traité. Le
représentant du Kazakhstan ne parlait que le russe alors que tous les échanges se
faisaient en anglais. Ceci paraît anecdotique mais cela montre le refus de cet Etat
d’entrer en discussion. Enfin, l’Ukraine a eu, via son représentant, une position très
ferme contre les mesures de soft law. Ses discours ont été vindicatifs. Les
représentants chinois sont venus en nombre, et ont été paradoxalement ouverts au
dialogue et de bonne volonté. Les Etats-Unis ont envoyé Franck Rose et deux
assistants. La France n’était représentée que par Gérard Brachet.

604
Entretien au SEAE, 12 septembre 2012.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

A l’instar des réunions du COPUOS et des discussions multilatérales sur le code, il y


a eu en amont de chaque réunion du GGE, une coordination des positions entre les
experts français, américains et britanniques. Cette alliance illustre très bien les
connexions transgouvernementales de Knopf. En effet, au sein d’une alliance, il y a
le leader. Ici on peut considérer que les leaders sont la France et les Etats-Unis. Au
sein de cette alliance, on distingue les followers. Au sein du GGE, ce sont la Grande-
Bretagne, l’Italie et la Corée du Sud. Les autres Etats sont soit méfiants vis-à-vis de
la démarche du GGE, soit véritablement fermés à la discussion car ne souhaitant que
l’avènement d’un projet de traité type PPWT. Cependant, à l’instar des représentants
chinois, l’acteur transgouvernemental, même si envoyé par son Etat, peut chercher à
établir des convergences lors des discussions. Il peut ensuite persuader à son tour ses
acteurs décisionnels. On observe d’ailleurs un assouplissement des positions que l’on
peut attribuer au va et vient de l’expert national avec le service diplomatique de son
pays. Sa relation avec les autres experts au sein du GGE permet d’homogénéiser les
positions. L’expert peut alors invoquer une ou des position(s) commune(s) avec les
autres experts du GGE pour favoriser un positionnement de ses décideurs nationaux
dans un sens ou dans un autre.
“(…) those involved in a transgouvernemental coalition are more likely to
use such an alliance as a persuasive argument (“ look, they’re thinking
the same way we are, so we know we could get an agreement on these
terms”)” 605

Bien que la somme des Etats leaders et Etats followers soit inférieure à la somme des
Etats méfiants ou opposants (5/15), un consensus est atteint dont le rapport est le
résultat. Il faut tout de même relativiser l’efficacité de ces relations
transgouvernementales. Knopf souligne que ces interactions ont la plupart du temps
comme effet d’apporter des « ajustements incrémentaux » 606 par rapport aux
politiques spatiales de ces Etats. La lecture du rapport de ce GGE confirme cette
affirmation. Cependant, et bien que sa portée en soit limitée, ce rapport a permis de
faire accepter l’idée de la nécessité d’un régime sur la sécurité des activités spatiales.

605
Jeffrey W. Knopf, “Beyond…”,op. cit., p. 606.
606
Jeffrey W. Knopf,”Beyond…”,op. cit., p. 606.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Les Etats-Unis, qui ont préparé en amont chaque réunion du GGE avec leurs plus
proches alliés, déploient d’autres moyens afin de promouvoir un CoC qu’ils
souhaitent façonner.

2.2.1.3 La persuasion normative en action

La socialisation implique:
“diplomatic praise or censure, either bilateral or multilateral, which is
reinforced by material sanctions and incentives.” 607
Selon Finnemore et Sikkink, la socialisation est exercée par l’intermédiaire de
leviers: la censure ou la louange diplomatique et des incitations ou sanctions
matérielles. Ceci rejoint l’analyse de G. John Ikenberry et Charles A. Kupchan qui
assurent que l’hégémon se doit de manipuler les « material incentives » et d’influer
sur les « substantive beliefs » afin que le résultat de la socialisation concorde avec les
intérêts de l’hégémon. Dans cette thèse, l’objectif est de persuader les élites des Etats
secondaires que sont les dirigeants des Etats du G77 et surtout parmi eux les
puissances spatiales établies ou en devenir. Les incitations matérielles renvoient à
l’utilisation de la menace ou des promesses afin de peser sur les préférences des
décideurs dans les Etats secondaires. Les « croyances essentielles » renvoient aux
croyances de l’hégémon légitimant l’ordre international servant ses intérêts.
Ikenberry et Kupchan applique leur modèle aux Etats-Unis en tant que puissance
hégémonique. Pour cette thèse, le modèle sert uniquement à établir que les Etats-Unis
sont l’hégémon spatial. Les éléments constitutifs de cette hégémonie étant les
capacités militaires dans l’espace, le contrôle du milieu, le contrôle du marché par les
importations et les avantages détenus par les Etats-Unis dans la compétition sur les
biens à haute valeur ajoutée (haute technologie spatiale). L’ICoC permettrait alors
aux Etats-Unis d’asseoir leur puissance spatiale sur le droit, quand bien même non
contraignant, en stabilisant une situation stratégique en leur faveur. L’exercice de la
force ou de la menace afin de convaincre les Etats du G77 d’adhérer au Code ne
semble pas une solution optimale, et n’est pas non plus le mode d’action des acteurs
européens.

607
Martha Finnemore…, op. cit., p. 902.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

A l’inverse, les Etats-Unis utilisent les outils du hard power dans leur politique
spatiale envers la Chine. Les deux composantes du hard power (outils militaire et
économique) ont été mises en œuvre pour empêcher ou freiner l’accès à la ressource
spatiale par la Chine. La relation spatiale entre les Etats-Unis et la Chine semble être
celle de deux Etats engagés dans une démarche d’apprentissage où l’hégémon (Etats-
Unis) souhaite assigner à une puissance « inférieure » (Chine) un rôle qu’elle n’a pas
forcément envie de jouer. Washington veut clairement freiner l’ascension de Pékin en
tant que puissance et pour cela lui paraît-il essentiel de l’empêcher d’utiliser l’espace
de manière optimale. Le versant économique du hard power est aussi utilisé contre la
Chine. Les Etats-Unis mettent en place des barrières à l’avancée technologique de la
Chine via des politiques très contraignantes visant à contrôler les transferts de
technologies sensibles. C’est le but des règlementations ITAR (International Traffic
in Arms Regulations) qui concernent tous les Etats voulant se doter de technologies
américaines. Pour la Chine et l’Iran, aux règles ITAR s’ajoutent des restrictions
spécifiques aux importations. La Chine ayant opté dès 1981 pour l’acquisition de
capacités spatiales par achat (afin de limiter les dépenses en R&D), elle accuse dès
lors aujourd’hui un retard dans un certain nombre de domaines tels que la
télédétection ou les communications. Chacun des deux « sticks » du hard power sont
donc employés contre la Chine : la menace militaire (essais ASAT) et les embargos
économiques liés au transfert de technologies sensibles. Les premiers mois de la
présidence de B. Obama ont néanmoins permis d’apaiser les relations sino-
américaines, à tel point qu’il fut même question d’alléger les règles ITAR
s’appliquant à la Chine. Mais si les signes de bonne volonté se sont multipliés de part
et d’autre, les relations connaissent un regain de tension début 2010, en partie du fait
du nouvel essai d’ASAT chinois (11 janvier). Pourtant, en dépit des discours
réprobateurs d’H. Clinton, aucune réplique américaine n’a eu lieu cette fois-ci. Bien
au contraire même puisque de multiples appels à la négociation, qui resteront lettres
mortes, ont été lancés par Washington.
L’allègement des règles ITAR est un débat récurrent. Envisagé sous W. Bush, Obama
en fait un véritable objectif de sa politique spatiale essentiellement pour deux
raisons : d’une part, elles affaiblissent l’économie américaine et, d’autre part, étant
très contraignantes, elles encouragent les autres nations à développer des capacités

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

indigènes. Le recours par les États-Unis au versant économique du hard power induit
donc ici un effet pervers, voire contre-productif. Cependant, aujourd’hui cet
affaiblissement ne concerne toujours pas la Chine. Il est donc indispensable de
replacer ces éléments de diplomatie spatiale entre les deux Etats afin de comprendre
que persuader la Chine d’adhérer à un code d’origine transatlantique n’est pas une
mince affaire.

2.2.2 Les interactions inter-niveaux

Les interactions inter-niveaux sont considérées comme pouvant générer des


changements significatifs (« large shifts » 608) en comparaison à une négociation qui
resterait purement intergouvernementale. Knopf définit des processus impliquant une
“communication between leaders on one side and domestic constituents on
the other, regardless of which side initiates the connection.” 609
Le premier exemple de ces interactions inter-niveaux est celui du dialogue initié par
le Stimson Center avec le gouvernement français en 2006. Cette prise de contact fait
suite à la fin de non-recevoir qu’ont reçu les membres de ce think tank de la part de
l’administration américaine d’alors.
“Meetings with Bush Administration officials clarified that they remained
disinclined -some more strongly than others- to pursue a Code of Conduct,
with those most opposed viewing this initiative as “arms control by other
means”.” 610
Les membres du Stimson Center parviennent de la même manière à rencontrer des
représentants du gouvernement allemand, des officiers de l’Armée Populaire de
Libération (APL) en Chine, des fonctionnaires du Ministère des Affaires étrangères
chinois, des membres du gouvernement italien et ceux du gouvernement indien à New
Delhi. Les membres du Stimson Center sont accueillis là où leur discours a une
chance d’être entendu, leurs idées discutées voire même véhiculées vers des décideurs
politiques ou membres du premier cercle plus réticents. Il s’agit là encore de
convaincre des élites, en particulier ceux des Etats secondaires, afin de diffuser leurs
croyances. Les relations inter-niveaux peuvent de la même manière s’effectuer à

608
Jeffrey W. Knopf, “Beyond…”,op. cit., p. 609.
609
Ibid., p. 606.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

l’initiative de membres d’une administration et cela d’autant plus lorsque deux


« camps » aux propositions divergentes s’opposent.
“One interalliance interaction has the potential to produce an especially
sharp shift. This is a cross-level connection between one bloc leader’s
proposals are attractive to domestic elements in a state’s junior partners,
that senior partner may face a difficult trade-off. Because a non-ally is
involved, it will be especially concerned about preventing the other side
from achieving a relative gain [jeu à somme nulle].” 611
On peut considérer que le premier changement d’envergure pour les Etats-Unis est
d’avoir officiellement soutenu ce Code. Ceci est fortement lié à l’attrait qu’a pu
exercer le projet PPWT sur un certain nombre d’Etats dont certains sont des alliés des
Etats-Unis. Ces derniers s’engagent ainsi aux côtés des acteurs européens et
enclenchent à plus grande échelle un processus d’apprentissage et de socialisation
vis-à-vis des partisans et des partenaires « tièdes » du Code. C’est le cas de l’Inde et
du Brésil qui, bien que partenaires des Etats-Unis, ont plutôt tendance à soutenir le
projet PPWT et restent méfiants de toute proposition estampillée « occidentale ».
« En tout cas, il y a une impulsion, les autres pays tièdes savent que les
Américains soutiennent, donc les choses vont se développer. Il y a aussi
une espèce de part de jeu tactique car le seul projet sur la table
actuellement est le projet russe. » 612

En choisissant de soutenir le code, les Américains ont convaincu « les pays tièdes »
d’en faire de même. Ils donnent ainsi un signe fort aux Etats qui appellent à plus de
régulation dans les activités spatiales et qui faute d’alternatives, ne pouvaient prendre
que comme base de négociation possible le PPWT. Le soutien américain sape, en
partie, l’attractivité du projet PPWT, seul projet proposé à la soixantaine d’Etats
utilisateurs du milieu spatial et porté par deux puissances spatiales.
Mais ce soutien n’est qu’une première étape car l’administration démocrate semble
avoir compris que convaincre les acteurs de la société civile des Etats favorables au

610
Michael Krepon, “A case Study… ˮ, op. cit., p.8.
611
Jeffrey W. Knopf, “Beyond…”,op. cit., p. 611.
612
Entretien au MAE, 25 juillet 2011.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

PPWT est peut-être plus efficace que de négocier directement avec les décideurs
politiques en question. Cette hypothèse peut être étayée par les nombres voyages
effectués par l’ex- secrétaire adjoint en charge des questions spatiales, Franck A.
Rose. Au cours de ces déplacements, il ne se rend pas que dans les ministères de ces
homologues mais multiplient les conférences organisées par des think tanks, des
centres culturels etc. La « persuasion normative » 613 en action permet d’agrandir le
nombre d’individus partageant ces croyances et de fait, appartenant à la communauté
épistémique. Ces rencontres permettent de rassembler un public de jeunes adultes,
parlant anglais, appartenant à une certaine élite. Le but est alors d’initier une
démarche de bottom-up, dans laquelle la relation inter-niveaux joue un rôle de
catalyseur. Les rhizomes de la CE permettent la socialisation. Les CE sont des
« canaux par lesquels de nouvelles idées circulent des sociétés vers les
gouvernements, et d’un pays à l’autre » 614. Pour ce faire, Franck A. Rose devient à
son tour un entrepreneur de norme. Il est ainsi intervenu au Vietnam (Hanoï) à
l’American Center le 8 mars 2012 devant 70 jeunes adultes sur le thème « Sustaining
the Space Environment for the Future » 615. En préambule, il précise:
“Of course, I speak from an American perspective, but I am also here to
gain a better understanding of Vietnam’s interests in space.”
Devenu un des animateurs de la CE, Franck A. Rose utilise les quatre critères qui
permettent d’actionner les leviers de persuasion normative de la CE. Dans son
discours, il utilise un ensemble de croyances normatives et de principes qui
fournissent des bases à l’action ; (2) des croyances causales sur l’origine du problème
et les solutions à y apporter ; (3) des critères de validité des savoirs engagés dans le
traitement de l’enjeu ; et (4) des propositions d’action publique construites sur les
pratiques communes associées au problème qui fait l’objet de leur expertise. Franck
A. Rose rappelle ainsi que l’espace est de plus en plus « congestionné », et qu’il est
nécessaire pour les générations futures de développer les activités spatiales avec
responsabilité et sécurité. L’origine du problème est rappelée, notamment l’accès à

613
G. John Ikenberry, Charles A. Kupchan, “Socialization…”, op. cit., p. 290.
614
Peter M. Haas, « Introduction: epistemic communities and international policy coordination », International Organization,
Winter 1992, vol. 46, n° 1, p. 3 (cité in Bossy, T., Evrard, A., « Communauté épistémique », in Boussaguet, L., Jacquot, S.,
Ravinet, P. (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po, 2010, p. 143.
615
“Sustaining the Space Environment for the Future”, Franck A. Rose, Deputy Assistant Secretary, Bureau of Arms Control,
Verification and Compliance, American Center, Hanoï, Vietnam, 8 mars 2012, http://www.state.gov/t/avc/rls/185413.htm

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

l’espace par un nombre croissant d’Etats mais aussi une croissance exponentielle du
nombre de débris. Il aborde les conséquences catastrophiques d’une inaction de la
communauté internationale :
“Experts warn that the current quantity and density of man-made debris
significantly increases the odds of future damaging collisions. Unless the
international community addresses these challenges, the environment
around our planet will become increasingly hazardous to human
spaceflight and satellite systems, which would create damaging
consequences for all of us.”

Afin d’appuyer son propos, il recourt aux chiffres :


“That’s about 6000 metric tons of debris orbiting the Earth, and these
numbers do not include the hundreds of thousands of pieces of debris
smaller than 10 centimeters that are too small to track, but just as
potentially deadly to satellites and manned spaceflight when traveling at
speeds of up to 17,000 kilometers an hour.”

Cet exposé permet à Franck A. Rose de justifier le soutien américain à l’ICoC et de


proposer ainsi une solution d’action publique, ici une politique (publique)
multilatérale.
“The United States views the European Union’s draft Code of Conduct as
a good foundation for working with other spacefaring nations to develop a
non-legally binding International Code. An International Code of
Conduct, if adopted, would help prevent mishaps, misperceptions, and
mistrust in space by establishing guidelines to reduce the risks of debris-
generating events and to avoid the danger of collisions. As more countries
field space capabilities, it is in all of our interests to work together to
establish internationally-accepted “best practices” to ensure that the
safety and sustainability of space is protected.”

Franck A. Rose ne manque pas de souligner que cette proposition est déjà soutenue
par des grands Etats de la zone Asie-Pacifique.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

“In the Asia-Pacific Region, both Japan and Australia have also endorsed
developing such an International Code of Conduct.”

Fait notable, cette conférence a lieu dans un Etat qui a participé à la rédaction du
PPWT dans sa version de juin 2002. Franck A. Rose ne s’adresse pas ici aux
décideurs politiques vietnamiens mais à la société civile. Il revient au Vietnam en
décembre 2012 pour s’exprimer sur le même sujet lors du forum de l’Association of
the Southeast Asian Nations (ASEAN). De la même manière, Franck A. Rose
s’exprime aux Emirats Arabes Unis, de nombreuses fois au Japon (pays amis du
Code), aux Etats-Unis, en France, en Belgique, en Allemagne, en Autriche, en Suisse,
en Israël et en Turquie 616. La permanence de cet interlocuteur dans le rôle
d’entrepreneur de norme sur la sécurité des activités spatiales assure au projet (ICoC)
une crédibilité accrue et un représentant unique à travers le monde. A l’inverse, sur la
période étudiée dans cette thèse, trois diplomates se succèdent au MAE, et le SEAE
connaît les difficultés de ressource humaine. Cette mise à disposition de moyens au
profit de la socialisation internationale produit des effets sur l’élargissement de la CE
et donc sur le nombre de partisans de l’ICoC. A travers Franck A. Rose,
l’administration démocrate souhaite générer des croyances normatives communes et
ainsi produire un consensus sur la solution à apporter, l’ICoC.

“The ability to generate shared beliefs in the acceptability or legitimacy


of a particular international order-that is, the ability to forge a consensus
among national elites on the normative underpinnings of order- is an
important if elusive dimension of hegemonic power.” 617

2.2.3 Les interactions transnationales

Les relations transnationales sont les relations établies entre acteurs internes d’Etats
différents. Ce sont habituellement des acteurs d’organisations non gouvernementales
bien que ce terme renvoie à une multiplicité d’organisations possibles. Les acteurs

616
Voir la liste de ses déplacements et thèmes des conférences en annexe 5.
617
John Ikenberry, Charles A. Kupchan, “Socialization…”, op. cit., p. 289.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

non étatiques ayant une influence sur l’orientation des débats sur la sécurité des
activités spatiales appartiennent à la CE. Ces derniers ne représentent pas
obligatoirement la position officielle de leur Etat d’appartenance. Ce sont des
scientifiques, des experts, des professionnels, des membres de think tanks etc.
Souvent même, la relation transnationale qu’il cherche à établir leur sert de levier
pour atteindre la sphère politique nationale.
“(…) domestic groups probably feel a need to form transboundary
connections only when they are having difficulty influencing policy
working solely within their own political system. (…) this implies that the
motive for such an alliance will be a desire by groups to enhance their
resources, credibility, and/or expertise in order to gain additional
leverage against a government that is opposed to their demands.” 618
L’existence de ces relations permet de traduire le relatif échec des négociations
internationales et des organisations intergouvernementales.

2.2.3.1 Le Stimson Center

Cette démarche est celle du Stimson Center lorsque ses représentants n’avaient pas le
soutien escompté de l’administration Bush. Ils ont cherché à établir des relations avec
un nombre important d’ONG dont certaines dans des Etats a priori non favorables à
l’idée du Code.
“Stimson did succeed in recruiting outstanding NGO partners from
Canada, China, France, Japan and Russia.” 619
De cette entreprise transnationale a émergé leur projet de Code de conduite.
“This approach reflected a consensus view that a multilateral NGO effort
could be most useful in clarifying norms rather than engaging in a
painstaking drafting process akin an international negotiation. Our

618
Jeffrey W. Knopf, “Beyond…”,op. cit., p. 606.
619
Le Stimson Center precise ses connections: Setsuko Aoki de l’université Keio; Alexei Arbatov de la Carnegie Moscow
Center; Vladimir Dvorkin du Center for Policy Studies; Trevor Findlay et Scott Lofquist-Morgan du Canadian Centre for
Treaty Compliance; Katsuhisa Furukawa de la Japan Science and Technology Agency; Laurence Nardon de l’Institut des
Relations Internationales; Sergei Oznobistchev de l’Institut of Strategic Studies and Analysis; Li Genxin de l’Association
China Arms Control and Disarmament et Zhang Tousheng de la China Foundation for International and Strategic Studies.
Michael Krepon, “A case Study… ˮ, op. cit., p.8

- 252 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

proposed norms, if adopted by major space-faring nations, would then


facilitate detailed drafting by government officials.” 620

Leur objectif est clair : proposer aux gouvernements une solution clé en main et avoir
au préalable, pour chaque Etat à convaincre, une entité nationale en soutien, prête à
son tour à diffuser les idées et les croyances dans la sphère politique jusqu’aux
décideurs clés. Cette démarche se révèle d’autant plus efficace lorsque
l’administration américaine devient favorable à leur prosélytisme normatif en
s’engageant dans une démarche similaire. Ainsi, les acteurs internes des autres Etats
sont déjà sensibilisés au sujet. La force d’une CE se trouve notamment dans sa
capacité à être proche du pouvoir politique, d’avoir accès relativement facilement aux
membres du premier cercle. Dans le cas du Stimson Center, on peut dire que ses
relations avec des hauts fonctionnaires ont été essentielles pour diffuser ses idées.
Michael Krepon lui-même, a été conseiller politique du candidat démocrate Barack
Obama en 2008 sur les sujets relatifs à l’espace et à l’Asie du Sud.

2.2.3.2 L’université spatiale internationale

Comme démontré plus haut, l’ISU est une animatrice de la CE. Elle est elle-même
une organisation non gouvernementale, transnationale. Les étudiants ou jeunes
professionnels qui décident d’y réaliser un parcours universitaire complet ou d’été
connaissent déjà les croyances normatives qu’elle véhicule. Ainsi, leur volonté
d’inscrire le parcours ISU dans leur formation peut être guidée par un besoin de tisser
des liens transnationaux avec des personnes partageant leurs croyances. La
constitution d’un réseau est au cœur de la préoccupation de ces étudiants. Les teams
project de la session d’été permettent aux étudiants de travailler en petits groupes.
Souvent les stagiaires devenus les « anciens » entretiennent des relations durables une
fois le stage terminé. Le réseau peut alors être activé lors d’organisation de colloque
ou de conférence dans tel ou tel Etat. Ainsi à l’instar du team project sur les débris
spatiaux, chaque participant peut faire appel à un « ancien » par l’intermédiaire des
réseaux sociaux grâce auxquels ils sont restés en contact. Ce team project

620
Michael Krepon, “A case Study… ˮ, op. cit., p.9.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

réunissaient des Chinois (4), des Français (4), des Belges (2), des Allemands (2), des
Canadiens (4), des Espagnols (2), des Brésiliens (3), un Russe, des Australiens (2), un
Indien, un Autrichien, un Italien, un Portugais, un Monténégrin, un Américain et un
Japonais. Ils peuvent devenir des soutiens dans la volonté de pousser certaines idées
au sein du premier cercle. En règle générale, c’est toute la promotion du Space
Studies Program qui reste en contact permanent.

2.2.3.3 La Secure World Foundation et l’IFRI

Ces deux think tanks ont établi un partenariat entre leur domaine de recherche
« Espace ». Cela a pris tout son sens avec l’établissement en 2010 d’une antenne de la
SWF à Bruxelles, ville où était déjà présent l’IFRI. Ce partenariat a donné lieu à
plusieurs conférences organisées en binôme. A Paris par exemple, du 18 au 19 juin
2009 où l’objectif était de susciter une discussion entre des experts gouvernementaux,
commerciaux ou issus de la société civile sur le thème “Towards Greater Security in
Outer Space : Some Recommendationsˮ. Puis une seconde en février 2010 sur
“Enhancing Space Security : Expert Recommandations ˮ. Les intervenants du panel
étaient Laurence Nardon de l’IFRI, Bruce MacDonald du United States Institute of
Peace, Ray Williamson et Victoria Samson de la SWF. La conférence a eu lieu dans
les locaux d’un autre think tank, le Carnegie Endowment for International Peace dans
la ville de Washington. Une autre conférence est organisée sur « l’Europe et la
sécurité spatiale » en octobre 2010 à Bruxelles. La localisation des deux think tank à
Bruxelles n’est pas un hasard, cela permet d’être proche des lieux de pouvoir et des
acteurs de l’Union européenne. On retrouve ici une démarche davantage perçue
comme du lobbying. Il n’est pas rare de voir lors de ces conférences des membres de
la Commission européenne ou du SEAE. Les deux laboratoires de réflexion
s’emparent du thème de la durabilité des activités spatiales. Périodiquement, et en
parallèle de leurs travaux respectifs sur le sujet, ils co-organisent des conférences qui
plaident en faveur d’une régulation des activités spatiales et de l’instauration d’un
code de conduite. Le 13 septembre 2012 a lieu une conférence commune sur le thème
des « relations internationales et de l’espace : une approche européenne ». Les
conférences organisées en commun entre les deux think tanks permettent de faire
interagir des personnalités de haut rang américaines et européennes. Pour cette

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

édition, on pouvait écouter les interventions de Jean-Louis Fellous du COSPAR,


Peter Hulsroj de l’ESPI, Hans-Joachim Kroh de la DLR, Jean-Paul Malingreau du
Joint Research Center, Géraldine Naja de l’ESA, Rajeswari Pillai RAJAGOPALAN
de l’Observer Research Foundation, Vincent Sabathier du CSIS, Stefano Scarda de la
Commission européenne, Maciej Staniak du Ministère des Affaires étrangères
polonais, Kazuto Suzuki de l’Université de Princeton, et Christophe Venet de l’IFRI.
Au sein même de leurs conférences les deux think tanks n’hésitent pas à en inviter de
nouveaux acteurs afin d’enrichir le débat et d’en susciter de nouveaux dans d’autres
pays.

2.2.3.4 L’UNIDIR

Le centre de recherche des Nations Unies sur le désarmement est un précurseur en


termes d’analyse portant sur la course aux armements dans l’espace. En effet, il
publie un rapport exhaustif sur le sujet en 1987 621. Le rapport clarifie la distinction
entre la militarisation de l’espace et la course aux armements dans l’espace
(« weaponization »). Il pose également la question de la définition d’une arme
spatiale (destructrive / défensive / offensive) et fait le point sur les positionnements
diplomatiques des uns et des autres en cours au PAROS et à la conférence du
désarmement. Ce n’est donc pas un hasard si, en 2012, l’UNIDIR a été choisi par
l’Union européenne afin de promouvoir la proposition de CoC. Ceci a été officialisé
par la décision 2012/281/PESC du Conseil du 29 mai 2012, donc quelques mois après
le soutien américain au Code. La mise en œuvre technique est apportée par le centre
de recherche des Nations Unies sur le désarmement et adossé à une enveloppe
financière de 1,5 millions d’euros. Ce financement doit servir à mettre en place des
activités telles que des séminaires d’informations, l’organisation de trois réunions
multilatérales d’experts et la coordination d’un consortium d’experts non
gouvernementaux. Ce soutien est indispensable car l’Union européenne ne peut à elle
seule assurer cette diffusion. Dans ce domaine de la persuasion normative, elle
manque d’expérience et de ressources financières. Ainsi, l’UNIDIR organise des
conférences comme celle qui a lieu le 12 décembre 2012 en Malaisie sur le thème
« Ensuring Asia-Pacific’s Secure and Sustainable Use of Space : The Role of Norms

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

of Behaviour ». La journée d’étude s’est focalisée sur l’adoption d’un code de


conduite pour les activités spatiales. Parmi les intervenants, on note la présence
d’Agnieszka Lukaszczyk, directrice de l’antenne bruxelloise de la SWF et ancienne
chercheure à l’ESPI (2006-2008). D’autres individus membres de la CE sont présents.
L’UNIDIR soutient activement le processus de socialisation au code. L’organisation
de conférences dans des Etats du G77 montre la volonté de ne pas reproduire les
erreurs du HCoC. L’UNIDIR travaille en parallèle des négociations diplomatiques
pour faciliter ces dernières. En tant qu’organe des Nations Unies, le centre a ce
pouvoir de potentiellement sensibiliser tous les Etats membres des NU. Cela est
particulièrement le cas lors de l’organisation annuelle des conférences sur la sécurité
de l’espace. Ces Space Security Conferences thématiques rassemblent chaque année
un grand nombre d’Etats. Elles sont organisées conjointement avec la Simmons
Foundation et la SWF. La conférence qui s’est tenue du 19 au 20 mars 2014 à Genève
avait pour thème « The Evolving Space Security Regime : Implementation,
Compliance and New initiatives ». Ces actions concourent inévitablement à pouvoir
atteindre, en plus du « critical state », une masse critique d’Etats favorables au code.
L’UNDIR devient un acteur de poids et central dans l’animation et l’élargissement
des membres de la CE. Ainsi, même si l’Union européenne ne souhaitait pas faire du
ICoC un texte négocié au sein des Nations Unies (sous l’influence des Américains et
par peur des contraintes que cela pouvait apporter et in fine du blocage des
discussions), elle en utilise tous les outils. Ainsi, au-delà de la diffusion et de
l’apprentissage qu’exerce l’UNIDIR via ces activités, elle participe à gommer
certains aspects négatifs du projet.
« Les institutions internationales peuvent aider à produire et à diffuser
des informations en les « nettoyant », afin qu’elles ne paraissent plus
douteuses aux utilisateurs potentiels, qui souvent craignent que les
informations soient contrôlées par un pays. » 622

621
« Disarmament: Problems related to Outer Space », UNIDIR, New York, 1987. URL :
http://www.unidir.org/files/publications/pdfs/disarmament-problems-related-to-outer-space-en-428.pdf
622
Peter Hass, « Le pouvoir et la vérité », op. cit.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Cet organisme des Nations Unies apporte une certaine légitimité aux analyses qu’il
promeut. Les thèmes ne sont pas corrélés à un ou des Etats qui pourraient avoir un
intérêt dans l’adoption d’un tel régime.

2.2.3.5 La Space Data Association

La SDA, en incitant les opérateurs privés du monde des télécommunications à


partager leurs informations sur le positionnement de leurs satellites, crée une
organisation non gouvernementale transnationale. Certains Etats, et notamment la
France, sont réticents à l’idée de partager leurs données avec des opérateurs privés.
Les Etats-Unis entament dès 2010 des discussions avec cette organisation
gouvernementale enregistrée sur l’Île de Man. Le DoD conclut finalement un
accord 623. Ainsi, la SDA devance les négociations interétatiques qui piétinent, visant
pourtant à instaurer une politique multilatérale de partage d’informations. La SDA est
aussi en discussion avec l’ESA et le réseau russe de télescopes ISON. La SDA est
issue de la volonté des acteurs privés d’apporter une solution à leur problématique.
Ce sont ensuite les Etats, à l’image des Etats-Unis, qui participent à ce mécanisme.
Cette initiative est pour le moment limitée à quelques opérateurs privés et aux
satellites en orbite géostationnaire mais un tel regroupement transnational au sein des
opérateurs de satellites optiques en orbite basse n’est pas à exclure à l’avenir. Les
Etats ne pourront faire face à une telle initiative qu’en y participant sous quelque
forme que ce soit. Pour les acteurs privés, la naissance d’un ICoC mettant en avant le
partage d’informations ne peut être que gage de plus de sécurité pour leurs propres
systèmes.
Il faut distinguer cet acteur des précédents abordés. En effet, les intérêts des
opérateurs de satellites tout comme celui de l’industrie spatiale est clairement
économique. D’après le rapport 2013 de l’Association des industries spatiales, le
revenu pour l’année 2012 s’élève à 189,5 milliards de dollars 624. On imagine alors
aisément combien il serait dommageables pour ces acteurs privés de ne plus pouvoir
vendre des satellites parce que la non prise en charge du problème des débris a permis

623
Cet accord est conclu en août 2014. La SDA participe ainsi au Space Situational Awareness Data Sharing Program des
Etats-Unis. Il s’agit du premier accord avec une organisation qui n’est pas un opérateur de satellites.
624
Li Juqian, “Mission completed and Mission Ahead”, in Dr Rajeswari Pillai Rajagopalan, Daniel A. Porras, op. cit., p. 47.

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l’émergence du « syndrome de Kessler ». Une fois en orbite, ces satellites sont pour
57% d’entre eux des satellites commerciaux (statistiques d’août 2012). Sans une
régulation du trafic de l’ensemble des satellites en orbite, ce ne sont pas seulement
ces acteurs privés qui verraient leur industrie péricliter, mais aussi les Etats dont les
revenus sont fortement alimentés par cette manne financière, à savoir principalement
les Etats-Unis et l’Europe. L’objectif final vise donc à établir des normes de
comportement certes, mais aussi des normes techniques ou standards, appliquées par
tous les opérateurs de satellites, qu’ils soient publics ou privés. Cette initiative de la
SDA rejoint une volonté politique américaine d’établir des standards mondiaux
(Partie 2). La volonté des Etats-Unis de contrôler l’environnement spatial dans son
exhaustivité concourt à ces nouvelles coopérations qu’elle établit avec des acteurs
privés.

2.3 La place de l’Etat dans la diffusion de la norme

Ces différentes formes d’interactions pourraient, à première vue, sembler être la


marque du recul de l’Etat sur la promotion des croyances normatives. Or, même si ces
interactions se développent en parallèle des négociations interétatiques, elles ne font
le plus souvent que mettre en avant l’importance de l’Etat en tant qu’acteur central
des relations internationales. En effet, les acteurs animant ces interactions réclament
eux-mêmes une intervention accrue de l’Etat sur leur problème. L’appel à davantage
de régulation au sein du milieu spatial s’adresse avant tout à l’Etat. De même, le
processus de socialisation analysé n’opère que grâce une ou des volontés étatiques.
Cependant, cette vision stato-centrée peut être nuancée par le fait qu’il ne s’agit pas
de n’importe quels Etats mais bien des puissances spatiales. La Space Data
Association a par exemple sollicité les Etats ayant des capacités de surveillance de
l’espace. Enfin, on peut analyser la manière dont l’Etat s’adapte à ces nouvelles
configurations. Pour les Etats favorables au code, les interactions transnationales au
profit de leurs idées ne peuvent être qu’encouragées. Pour les conférences organisées
sur le territoire d’Etats moins favorables au code mais davantage au PPWT (Malaisie,
Vietnam ou encore Chine), les acteurs non étatiques de la CE peuvent être vus comme
des « intrus », interférant avec l’orientation politique nationale. Malheureusement,
ces informations sont difficiles d’accès. En tout état de cause, les réseaux d’échange

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

d’informations ne semblent pas une attaque au monopole de l’Etat. Lorsqu’il s’agit de


mettre en place une politique multilatérale, seuls les décideurs au sommet de l’Etat
possèdent les outils pour la mener. Les acteurs étatiques choisissent ou non de se
servir de ces réseaux transnationaux afin de diffuser leur vision du monde.
« Si les ONG ont vu leur rôle s’accroître au sein des organisations
intergouvernementales, cela tient souvent à la complicité des Etats,
soucieux de capter à leur avantage les courants d’opinion qui prennent
corps au sein des mouvements associatifs. De leur côté, c’est en spéculant
sur les tensions interétatiques et en marchandant au besoin leur appui que
les ONG ont réussi à s’immiscer dans les débats internationaux. » 625
De plus, les institutions internationales telles que les Nations Unies sont loin de
constituer un pouvoir supranational éclipsant celui des Etats. Au contraire, ils sont
parfois des garde-fous face à la montée en puissance des acteurs non étatiques. Ainsi,
le rapport du Groupe d’experts gouvernementaux sur les mesures de transparence et
de confiance relatives aux activités spatiales précise la place que doivent occuper les
organisations non gouvernementales sur le thème de la sécurité des activités
spatiales :
« Le Groupe a pris acte du précieux apport conceptuel des organisations
internationales et des organisations non gouvernementales dans le cadre
des activités de sensibilisation (…) Les Etats devraient vivement
encourager toutes les parties prenantes, notamment les milieux
universitaires et les organisations non gouvernementales, à prendre une
part active à la sensibilisation du public aux politiques et activités
spatiales. » 626
La contribution des acteurs non étatiques aux travaux internationaux est très souvent
acceptée et même encouragée, mais cette contribution doit le plus souvent être
rattachée clairement à un Etat. Ainsi, pour pouvoir s’exprimer, une organisation non
gouvernementale doit avoir le soutien de son Etat d’appartenance, ce qui peut limiter
son influence. Enfin, concernant les activités spatiales en tant que telles, le GGE
rappelle aussi la place centrale de l’Etat :

625
Marcel Merle, Les acteurs dans les relations internationales, Paris, Economica, Coll. Politique comparée, 1986, p. 181.
626
Groupe d’experts gouvernementaux sur les mesures de transparence et de confiance relatives aux activités spatiales, 68 ème
session, Assemblée Générale des Nations Unies, 29 juillet 2013, p. 21.

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« (…) il [le Groupe] a reconnu qu’il appartenait en dernier ressort aux


Etats d’autoriser et de superviser toutes les activités spatiales relevant de
leur compétence. » 627

Si l’action transnationale peut constituer un levier 628 vis-à-vis des dirigeants


politiques, nous n’assistons pas (encore ?) à l’émergence d’un « système
629
international sans territoire » . L’action concrète et efficace a lieu au niveau
national, par l’Etat. Cela est illustré par l’adoption dans la législation nationale de
texte de loi concernant les activités spatiales. Ceci est déjà le cas dans la législation
américaine, française, britannique, canadienne et russe. C’est une étape vers
l’internalisation de la norme.

2.4 Vers l’internalisation de la norme

L’internalisation de la norme signifie que la norme, là où elle est en place, est


considérée comme allant de soi. Cette étape de la vie de la norme est, sur le plan
conceptuel, l’aboutissement de son cycle. L’internalisation suppose que les normes ne
sont pas remises en cause et intégrées dans le fonctionnement de telle ou telle
institution de manière automatique. L’internalisation opère par deux procédés : la
formation professionnelle et les comportements répétés créant des habitudes. La
formation professionnelle dans le domaine spatial peut par exemple intégrer très tôt la
croyance selon laquelle les systèmes de demain doivent limiter la production de
débris orbitaux.

“Professional training does more than simply transfer technical


knowledge; it actively socializes people to value certain things above
others.” 630

Les futurs professionnels ou experts du secteur spatial seront ensuite intégrés dans les
bureaucraties nationales et organisations internationales avec ces croyances

627
Ibid.
628
Béatrice Pouligny, « Le rôle des ONG en politique internationale », Revue Projet, Paris, n°269, 2002/1, pp. 16-24.
629
Marcel Merle, « Un système international sans territoire ? », Cultures & Conflits, n°21-22, printemps-été 1996, pp. 1-11.

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normatives. C’est déjà en quelque sorte le cas pour les étudiants possédant le Master
de l’International Space University.

“(…) we should expect to see policy increasingly reflecting the normative


biases of the professions in that staff decision-making agencies.” 631

Certains de ces professionnels peuvent alors devenir membre de la CE. Par le partage
de ces normes professionnelles et d’une culture commune, ils peuvent renforcer la
cohésion interne de la CE 632.
Selon Finnemore et Sikkink, la consolidation et l’universalisation des normes est
favorisée par des interactions fréquentes entre individus travaillant en commun sur
des tâches techniques. Cela crée de la prévisibilité de part et d’autre et de la
confiance. Il n’est pas question d’autre chose quand on cherche à instaurer des
TCBMs.

“Diplomatic tools such as confidence-building measures and track 2


diplomacy may follow a similar logic.” 633

De même, de multiples exercices multilatéraux organisés par les Etats-Unis


permettent de créer des habitudes de travail et donc de façonner des comportements
standardisés. Tous ces mécanismes mènent à la convergence normative et politique.
Cela est clairement le cas depuis quelques années entre les Etats-Unis et la France
dans le domaine de la sécurité des activités spatiales (Partie 2).

630
Martha Finnemore, Kathryn Sikkink, op. cit., p. 905.
631
Ibid.
632
Sur ce point, lire Mai’a K. Davis Cross, « Rethinking epistemic communities…”,op. cit., p. 14.
633
Ibid.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

CONCLUSION de la PARTIE 1 / 2. La diffusion de la norme par les


Etats leaders : acteurs et mécanismes d’influence
Les deux projets de régimes opposent deux groupes d’Etats. Au-delà, ce sont deux
visions stratégiques différentes de ce que doit être l’espace extra-atmosphérique.
Aucun ne souhaite céder du terrain à l’autre en apportant un quelconque crédit à son
projet.
Les Etats occidentaux sont aidés, dans leur travail de persuasion normative, par la
communauté épistémique. Les membres qu’elle rassemble n’ont pas nécessairement
en tête les intérêts stratégiques également en jeu dans cette concurrence normative.
Les liens tissés en réseaux sont multiples et perturbent les relations interétatiques
classiques. Cette « aide » des acteurs non étatiques ne remet nullement en cause la
place centrale qu’occupe l’Etat dans l’élaboration de normes et de politiques
multilatérales.

CONCLUSION de la PARTIE 1 :
Prenant appui sur le cycle des normes, les mécanismes d’émergence et de diffusion de
la norme relative à la sécurité des activités spatiales a été décrite en détails.
A l’origine résultat des travaux d’une petite communauté de scientifiques de la
NASA, le problème des débris est devenu le moteur d’une communauté épistémique
active. Encouragée et soutenue par les Etats favorables au code de conduite, ses
actions de persuasion normative ont opéré à travers le monde. La réactivation de
l’idée d’une norme pourtant évoquée dès les années 1970 ne doit pas faire oublier que
l’angle adopté est différent dans les années 2000. Il ne s’agit plus véritablement de
mettre en garde contre la course aux armements dans l’espace, mais d’empêcher la
prolifération des débris dans l’espace. Si une partie de la communauté épistémique en
est convaincue, ce n’est pas l’avis des Etats, aux premiers desquels les Etats-Unis, la
Chine et la Russie. Ces derniers ont bien compris que l’enjeu ici est plus grand, celui
du leadership dans l’espace.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

En effet, les Etats-Unis souhaitent, au travers de cette opportunité de régime, faire


évoluer leur politique d’hégémonie spatiale qui n’est plus tenable, vers un leadership
dans l’espace. Pour ce faire, ils comptent d’appuyer largement sur leurs alliés.

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PARTIE 2 : Le partenariat transatlantique à l’épreuve de la


promotion de la norme sur la sécurité des activités spatiales

1. DE L’HEGEMONIE SPATIALE AMERICAINE AU MAINTIEN DU


LEADERSHIP DANS L’ESPACE

A Prague, en juin 2011, s’est tenue une conférence sur un thème novateur : le
partenariat transatlantique au profit de la sécurité spatiale 634. Il s’agit de la première
conférence transatlantique non-gouvernementale de ce type. Une centaine de
personnalités expérimentées y ont participé : des représentants des institutions
multilatérales, des ONG, des universités, de l’industrie et certains membres de haut
niveau des gouvernements des trois Etats et groupe d’Etat : l’Union européenne, les
Etats-Unis et le Japon. L’objectif annoncé par les organisateurs 635 est :
« It sought to launch an on-going « Track II » non-governmental process
designed to help craft a future architecture for the management of this key
dimension of space policy on a trilateral, and eventually global, basis. » 636
Malgré la présence de représentants gouvernementaux des trois entités, ce sont
principalement les acteurs non gouvernementaux qui animent le débat. Ils souhaitent
atteindre ainsi le « track II » ou niveau 2 des négociations internationales ayant pour
objectif de concourir à donner une issue favorable du niveau 1 des relations
diplomatiques interétatiques classiques. Le niveau 2 étudié dans la partie précédente
décrit les relations entre acteurs non-étatiques au sein d’un même Etat. Ici, il s’agit de
relations inter-niveaux. Certains évoquent un « track 1.5 » afin de caractériser le

634
Jana Robinson, « Space Security through the Transatlantic Partnership : Conference Report and Analysis », ESPI, Report
38, novembre 2011.
635
Les deux principaux organisateurs sont l’ESPI (European Space Policy Institue) et le PSSI (Prague Security Studies
Institute).
636
Jana Robinson, “Space Security…”,op. cit., p. 4.

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mélange d’acteurs étatiques et non-étatiques au niveau international 637. Le travail des


acteurs non-étatiques est un travail de réflexion mais pas seulement. La socialisation
est à l’œuvre. Cela permet tout d’abord de favoriser les discussions interétatiques en
fournissant des solutions ; puis de créer en amont une tendance favorable au sein de
l’opinion publique. Cette dernière avalisera alors tacitement les futures décisions de
ses dirigeants politiques 638.
L’objectif des organisateurs de la conférence de Prague, membres de la CE, est de
participer aux discussions qui ont lieu plus particulièrement entre les Etats-Unis et la
France / Europe :
« (…) there is a need to forge a common understanding of space security
« red lines » of acceptable behaviour. Positive incentives will necessarily
have to be accompanied by sufficient levels of deterrence and penalties for
infractions. Perhaps most importantly, active engagement of all three
partners in international fora supporting common objectives would prove
especially helpful in formulating and enforcing such norms.” 639

Cette partie a pour objectif d’interroger les conditions de réalisation du partenariat


dont la conférence fait l’objet. Et éventuellement considérer que celui-ci puisse
prendre appui sur l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), symbole de
l’alliance stratégique transatlantique, Japon mis à part. Envisager un tel partenariat ne
se pense qu’en rapport à la politique américaine, et à ses (ré)orientations
contextuelles. Comment peut-on à présent définir la politique, la stratégie et la
diplomatie spatiale américaine ? Quelles en sont les conséquences pour la France et
l’Europe spatiale ? Enfin, en quoi la réalisation de ce partenariat est-il en lien avec le
référentiel sectoriel de la durabilité de l’espace et sa déclinaison sécuritaire ? De
quelle manière le « common understanding of space security » élaboré dans le cadre
de la thématique de la space sustainability se forme-t-il ? Le consensus (une vision
commune de la sécurité dans l’espace) s’appuie-t-il avant tout sur une rhétorique

637
United States Institute of Peace, Glossary of terms for Conflict Management and Peace Building, “Tracks of diplomacy”,
http://glossary.usip.org/resource/tracks-diplomacy
638
Joseph V. Montville, “Track Two Diplomacy: The Work of Healing History,” Whitehead Journal of Diplomacy and
International Relations, vol. 17, no. 2, Summer/Fall 2006.
639
Jana Robinson, “Space Security…”,op. cit., p. 5.

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commune ? Ces efforts conjugués mais orientés par les Etats-Unis afin de faire
aboutir la norme portée par le CoC, font-ils de l’UE une puissance normative ?

1.1. Le changement d’orientation politique internationale : le smart


power appliqué au domaine spatial

Comme abordé dans l’introduction, les Etats-Unis ont joui d’un statut d’hegemon
spatial jusqu’à la fin de la Guerre froide. Très vite cependant ce statut a été ébranlé
par un nombre de nouveaux acteurs spatiaux toujours plus important, privés ou
étatiques. Les Etats-Unis semblent s’adapter aisément à l’implication croissante du
secteur privé au sein du milieu spatial. A l’inverse, la compétition interétatique est
celle qui focalise les réflexions stratégiques. En effet les Etats tels que la Chine,
l’Inde ou encore la Russie contestent l’hégémonie américaine dans son intégralité. La
puissance spatiale n’en n’est qu’une déclinaison. Leur objectif est d’obtenir « un rôle
dans le maintien du système international proportionnel à leur puissance perçue et à
leurs intérêts nationaux » 640. S’il est incontestable de dire que les Etats-Unis ne sont
plus seuls dans l’espace et que donc leur domination dans ce milieu est affaiblie, leur
objectif reste d’assurer cette supériorité dans l’espace 641. La supériorité n’est pas en
elle-même une forme de domination. Il ne suffit pas de la détenir, encore faut-il
l’exercer 642. Cette sous-partie a pour objectif d’analyser comment les penseurs
stratégiques et les décideurs politiques américains ont appréhendé cette évolution de
l’environnement spatial et quels sont les concepts stratégiques qui sous-tendent cette
évolution (seront abordées les notions de global commons, smart power, smart
defense, offshore balancing, coalition building). La mise en œuvre de ces derniers
doit permettre aux Etats-Unis de maintenir le contrôle de l’espace 643 par la maîtrise
de ce commun (en français), ou global common. Cette conception stratégique sert la
promotion de la norme sur la sécurité des activités spatiales.

640
Michèle Flournoy, Shawn Brimley, The Contested Commons, U.S Naval Institute, Proceedings 135, n°7, Juillet 2009,
http://www.usni.org/magazines/proceedings/2009-07/contested-commons
641
Travis C. Stalcup, “U.S in Space : Superiority, Not Dominance”, The Diplomat, 16 janvier 2014,
http://thediplomat.com/2014/01/u-s-in-space-superiority-not-dominance/
642
Serge Sur, Relations internationales, op. cit., p. 140.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

1.1.1. L’ère du space control par l’ « unilatéralisme militariste » 644

Utilisé systématiquement depuis la guerre du Golfe en 1991, le milieu spatial est


devenu un pilier économique et stratégique pour les Etats-Unis. La dépendance des
Etats-Unis aux moyens civils et militaires situés dans l’espace étant élevée, la
maîtrise de ce domaine devient vitale à leurs yeux.
“Freedom of action in space is essential not only to the American way of
war but to the American way of life. Everything from theater missile
defense to Facebook relies on satellites high above that beam signals back
and forth to Earth.”645
Cette dépendance pousse les Etats-Unis à souhaiter empêcher ou freiner l’accès à
l’espace à d’autres Etats. En 1997, le Commandement Spatial américain bâtit sa
stratégie sur cette idée :
“The Joint Vision 2010 operational concepts of dominant maneuver,
precision engagement, full-dimensional protection, and focused logistics
are enabled by information superiority and technological innovation. The
end result of these enablers and concepts is Full Spectrum Dominance.
Information superiority relies heavily upon space capabilities to collect,
process, and disseminate an uninterrupted flow of information while
denying an adversary’s ability to fully leverage the same” 646.

Dans la pensée stratégique, le concept de déni d’accès n’est pas nouveau. C’est une
constante appliquée dans d’autres milieux et théorisée par Mac Kinder :

“Crucial to Mac Kinder strategy for Britain was the notion that if a state
desired control of global affairs but could not physically occupy the

643
L’espace « contrôlé » pourrait constituer la « quatrième époque de l’espace militaire », in « De l’utilisation au « contrôle
de l’espace extra-atmosphérique », Xavier Pasco, Envol vers 2025. Réflexions prospectives sur la puissance aérospatiale,
Boutherin, G., Grand, C. (dir.), Centre d’études stratégiques et aérospatiales, La documentation française, 2011, p. 80.
644
Xavier Pasco, « De l’utilisation au contrôle… », op.cit., p. 80.
645
Travis C. Stalcup, U.S…, op. cit., p.1.
646
United States Space Command, Vision for 2020, Février 1997.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

critical keys to geodetermined power, then it must deny control of those


areas to its adversaries. To the astrostrategist the parallel is all too
obvious” 647.

Cette tendance est renforcée par l’affirmation en 1999 de l’accès et de l’utilisation de


l’espace comme « intérêt national vital » 648. Il est difficile voire impossible
d’apporter une définition satisfaisante de l’intérêt national. Certes, Morgenthau le
voit comme la « maximisation de la puissance », mais Aron souligne à bon escient
que « la pluralité des objectifs concrets et des objectifs ultimes interdirait une
définition rationnelle de « l’intérêt national ». Sa position est partagée dans cette
thèse. La complexité des motivations d’un Etat ne permet pas de faire preuve d’une
rationalité absolue quant à sa définition. De même, la « maximisation de puissance »
ne peut être considérée comme un objectif rationnel. L’intérêt national défini par
l’Etat à un instant T évolue dans le temps et est soumis à l’imbrication d’un nombre
important d’acteurs et de facteurs. Aron souligne cependant que la survie de l’Etat et
donc la question de sa sécurité peuvent être considérées comme un objectif commun à
toutes les entités étatiques existantes. Ainsi, peut-on dire ici que l’intérêt national des
Etats-Unis est préservé par l’exercice de la supériorité, sous la forme de l’hégémonie
ou du leadership dans l’espace. En définissant l’espace comme un intérêt national
vital, les dirigeants américains insistent doublement. L’intérêt national est par
définition vital. Le concept d’ « intérêt vital » est le choix que l’Etat fait en
considérant que certains intérêts sont plus primordiaux que d’autres pour sa
sécurité 649. La doctrine du space control en germe depuis les années 1990 se
concrétise au sein de documents programmatiques. Mais ce n’est que sous la
présidence de George W. Bush que cette doctrine est soutenue par des programmes et
des budgets véritables. La doctrine du space control se caractérise par trois grandes
catégories d’activité : le renforcement des moyens de surveiller l’espace, la protection
passive des satellites en orbite et la mise au point d’armes spatiales 650. La National
Space Policy de 2006 est emblématique de cette volonté de contrôler l’espace. Un des

647
Everett C. Dolma, Astropolitik…, op. cit.,p. 41.
648
Mémorandum du secrétaire à la Défense William Cohen, 9 juillet 1999. http://www.au.af.mil/au/awc/awcgate/dod-
spc/dodspcpolicy99.pdf
649
Robert G. Gilpin, War and Change in International Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1981.
650
Xavier Pasco, “De l’utilisation…”, op. cit.,p. 87.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

points clés de cette politique reste le déni d’accès à des adversaires potentiels. En
science politique, cette approche stratégique américaine s’apparente à la mise en
application du hard power. Bien que présente chez les réalistes classiques, le hard
power est clairement identifié, défini et qualifié ainsi par Joseph Nye qui l’a opposé
au soft power. Il définit le premier ainsi:
“(...) the ability to use the carrots and sticks of economic and military
might to make others follow your will.” 651
Le soft power est quant à lui défini comme :
« the ability to obtain preferred outcomes through attraction rather than
coercion or payments. The resources that produce soft power for country
include its culture (…); its values (…); and policies (…).”
Le hard et le soft power sont des utilisations différentes de l’indéniable supériorité
américaine dans l’espace. Ces deux faces d’une même pièce ne sont que des modes de
mise en œuvre distinctes de la puissance spatiale de l’Etat américain. Une fois de
plus, les facteurs de la puissance sont les mêmes (supériorité économique,
technologique et militaire) mais ce sont les acteurs qui décident de l’utilisation qui en
sera faite. Dans ce cadre-là, les acteurs (dirigeants américains) du début des années
2000 mettent l’accent sur une utilisation « hard » des facteurs de la puissance
américaine dans l’espace. La NSP de 2006 valide cette orientation hard de la
politique spatiale américaine. Cette dernière est d’autant plus remarquable qu’elle
constitue une rupture avec le précédent document publié dix ans plus tôt par
l’administration Clinton. Le ton est moins consensuel et le contenu entièrement
tourné vers l’intérêt national, ne faisant que peu de cas des autres acteurs spatiaux.
Les rédacteurs estiment qu’avec ce type de politique hégémonique ils sauvegardent la
sécurité nationale. Ils énoncent clairement leur intention de refuser l’accès à l’espace
à des Etats définis comme adversaires, et assument leur défiance à l’égard de tout
régime juridique qui empêcherait les Etats-Unis d’utiliser l’espace de la manière dont
ils le souhaitent. En présentant une stratégie de combat « dans, de et à travers
l’espace », la NSP 2006 a soulevé des inquiétudes quant à l’éventuelle conception et
utilisation d’armes antisatellite (ASATs). Ce document reflète finalement d’une

651
Joseph S. Nye., Power in the Global Information Age: From Realism to Globalization, London, New York, Routledge,
2004.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

certaine manière – au moins dans le ton – l’approche unilatéraliste, si ce n’est


militariste, de l’administration Bush. Cela étant, et quand bien même la politique
déclaratoire pouvait le laissait penser, les Etats-Unis ne se lancent pas dans une
nouvelle « guerre des étoiles ». Cette politique est naturellement le reflet de la
perception qu’avait l’administration Bush des institutions internationales et du
manque de confiance qu’elle leur accordait. Certes mention est faite, dans la NSP de
2006, de la « diplomatie publique » et de la coopération mais elles sont alors définies
selon les règles du jeu américaines. La NSP 2006 sacralise en quelque sorte la liberté
d’action américaine dans l’espace. En publiant cette politique, les Etats-Unis
alimentent le mécanisme de « dilemme de sécurité » 652. La NSP 2006, préparée
depuis 2002 par le National Security Council, semble être fortement inspirée du
rapport de Donald Rumsfeld de janvier 2001 dans lequel le scénario d’un « Pearl
Harbor spatial » 653 est envisagé, et le développement d’ASATs offensives clairement
préconisé. Les Etats-Unis, avec Rumsfeld comme secrétaire à la Défense, déroulent
alors la doctrine de space dominance.
Les Etats-Unis possèdent sans conteste la supériorité dans l’espace. Cependant,
d’autres puissances investissent dans l’espace et parfois de manière massive comme
c’est le cas pour la Chine alors considérée comme « peer competitor » 654. Le clivage
Etats-Unis / Chine est donc le plus significatif dans la compétition interétatique au
sein du milieu spatial. Les deux entités se sont livrées à des démonstrations de
puissance mutuelles qui avaient pour but de démontrer leurs capacités
technologiques. Ainsi, les Chinois ont procédé à la destruction par missile d’un de
leur satellite le 9 janvier 2007. Les Américains ont alors répliqué par un autre tir
antisatellite (ASAT) le 20 février 2008. Même si les Américains ont justifié ce tir
pour raison de sécurité, d’autres observateurs y voient plutôt la marque d’un
comportement au relent de Guerre froide. Cependant cette analogie semble un peu
hâtive. Par ailleurs, la condamnation du test ASAT chinois a été faite du bout des
lèvres à Washington. Les Etats-Unis ne veulent pas se trouver dans une position
délicate en s’interdisant eux-mêmes de continuer à faire de tels tests à l’avenir. Pour

652
Theresa Hitchens, “The Bush National Space Policy : Contrasts and Contradictions”, Center For Defense Information,
Space Security, 13 octobre 2006.
653
Expression employée par Lyndon Johnson pour qualifier la réussite soviétique de Spoutnik en 1957.
654
Szayna, T., Byman, D., Bankes, S., Eaton, D., Jones, S., Mullins, R., Lesser, I., Rosenau, W., The Emergence of Peer
Competitors...op. cit.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

empêcher ou au moins freiner l’accès à la ressource spatiale par la Chine, la


composante économique du hard power est mise en œuvre. Les Etats-Unis mettent en
place des « barrières » à l’avancée technologique de la Chine via des politiques très
contraignantes visant à contrôler les transferts de technologies sensibles. C’est le but
des règlementations ITAR (International Traffic in Arms Regulations). Les réflexions
stratégiques sont prolifiques sur la potentielle menace chinoise et démontrent
l’inquiétude grandissante face aux intentions réelles ou supposées de la Chine dans
l’espace. Exercer la supériorité dans l’espace est une ambition crédible pour les Etats-
Unis qui supplantent en budget et en compétences tout autre Etat. Ils sont en mesure
de refuser l’accès à ce milieu de manière plus ou moins subtile. L’éventualité qu’une
autre puissance spatiale puisse envisager de refuser l’accès à l’espace aux Etats-Unis
est peu crédible. L’utilisation hard de la puissance américaine permet de qualifier une
forme particulière de domination pratiquée par l’administration Bush, la domination
hégémonique.
« L’hégémonie se définit par une vision négative plutôt que positive du
monde extérieur. (…) L’hégémonie recherche des ennemis pour une
grande querelle. (…) [elle] se marque davantage par une politique de
« sanctions » (…) l’hégémonie implique une puissance solitaire. » 655

Certains commentateurs mentionnent l’idée d’une hégémonie bienveillante dans


l’espace 656. Bien que controversée, cette expression se doit d’être explicitée. Elle est
utilisée par les partisans de l’hégémonie américaine qui est pour eux synonyme de
leadership. Ils y voient une donnée positive de la société internationale, parce qu’elle
en conditionne la stabilité et le progrès 657. Cette notion est utilisée par ceux qui
refusent d’utiliser le qualificatif unique d’hégémon, car selon eux la puissance
dominante met en place un ordre, et en assume le coût, qui pourtant profitent à tous
(aux puissances secondaires) 658. Cela peut être rattaché à la notion économique et

655
Serge Sur, Relations internationales, op. cit.,p. 142.
656
Par l’expression « benevolent hegemon in space », in Gene V. Milowicki, Joan Johnson-Freese, “Strategic Choices:
Examining the United States Military Response to the Chinese Anti-Satellite Test”, United States Naval War College,
Astropolitics, Issue 1, Vol.6, 2008, pp. 1 – 21.
657
Serge Sur, Relations internationales, op. cit.,p. 142.
658
Charles Kindleberger, La grande crise mondiale, 1929-1939, Paris, Economica, 1988.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
659
sociologique de free riders (passager clandestin) pour l’ensemble des Etats utilisant
l’espace sans en assumer le coût. 660
D’un point de vue général, la politique étrangère des administrations américaines a
oscillé entre le libéralisme internationaliste et le libéralisme interventionniste. Des
expressions telles que « l’empire du mal », « l’axe du mal », « notre mission » ne font
pas partie du langage du réalisme. Le lien simpliste fait entre les présidents
conservateurs et l’école réaliste est la conséquence d’une confusion entre le réalisme
classique et la Realpolitik (la seule règle étant l’action au nom de la raison d’Etat) 661.
Il s’agit bien plutôt de néoconservatisme et de néoconservateurs tels que Richard
Perle, Paul Wolfowitz ou Douglas Feith gravitant autour de George W. Bush lors de
sa présidence. Ce sont les néoconservateurs qui développent cette idée d’ « empire »
et d’ « hégémonie bienveillante » 662 à forte valeur morale universelle.
« Bienveillant » ne renvoie pas ici à un intérêt purement matériel mais à des valeurs
américaines supérieures que les Etats-Unis se devraient de rendre universelles.

1.1.2. La présidence de Barack Obama comme fenêtre d’opportunité pour


un changement d’orientation politique internationale

Le changement politique est un moment opportun pour évoquer une rupture, un avant
et un après, notamment dans le cas de l’administration controversée de G. W. Bush.
Ce moment est qualifié de « policy window » 663 , ce qui peut être traduit par « fenêtre
d’opportunité politique ». Les fenêtres d’opportunité politiques correspondent à des
moments d’ouverture de l’agenda pour des acteurs qui en sont écartés en conjoncture
habituelle 664. Les entrepreneurs politiques, à l’instar des promoteurs du smart power,
nourrissent leurs réflexions et poussent leurs concepts en attendant l’événement qui
leur permettra de proposer leur alternative. L’acteur individuel quel qu’il soit pourra
alors, s’il le souhaite, s’en saisir et les développer au sein de sa politique. C’est le cas
des promoteurs du smart power qui proposent leurs idées dès 2006.

659
Mancur Olson, Logic of Collective Action: Public Goods and the Theory of Groups, Harvard University Press, 1971.
660
A l’instar de certaines fonctionnalités telles que l’utilisation de la constellation GPS.
661
Alex McLeod, Dan O’Meara, Théories des relations internationales…op. cit., p. 64.
662
Robert Kagan, « The Benevolent Empire », Foreign Policy, pp. 24-35, 1998.
663
John Kingdom, Agendas, Alternatives and Public Policies, Boston, Little Brown and Company, 1984.
664
Patrick Hassenteufel, Sociologie politique ,op. cit., p. 61.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

“In 2006, CSIS launched a bipartisan Commission on Smart Power to


develop a vision to guide America’s global engagement. This report lays
out the commission’s findings and a discrete set of recommendations for
how the next president of the United States, regardless of political party,
can implement a smart power strategy.” 665
L’événement politique que constitue l’élection d’un nouveau président a donc ouvert
cette fenêtre d’opportunité. L’intérêt accordé par B. Obama à ce concept a réellement
conduit à faire du smart power la « nouvelle » pratique diplomatique des Etats-Unis.
Les entrepreneurs de norme tels Suzanne Nossel ont donc pu diffuser leurs idées en
vue d’un changement d’orientation politique. Lors de son audition de confirmation
devant le Sénat, Hilary Clinton, alors nouvelle secrétaire d’Etat déclare :
« Avec le smart power, la diplomatie sera à l’avant-garde de la politique
666
étrangère. »
L’adoption de cette orientation diplomatique par la nouvelle administration est l’œuvre
d’entrepreneurs politiques ayant cherché à proposer une alternative à la politique de
George W. Bush. Ainsi dès 2004, une alternative posant les fondements du smart power
est proposée par Suzanne Nossel, alors adjointe à l’ambassadeur de la mission américaine
auprès de l’ONU et cadre dans une société de médias, devenue depuis l’une des
responsables de l’ONG Human Rights Watch. Suzanne Nossel présente le smart power
comme une nécessité après une présidence marquée par un « agenda militariste et
évangélique » 667. Selon ses termes, cette notion signifie :
« qu’il faut comprendre que les Etats-Unis à eux seuls ne peuvent tout
assumer. Les intérêts des Etats-Unis sont servis en les rattachant à ceux
des autres en faveur des objectifs des Etats-Unis, au travers d’alliances,
des institutions internationales, de la diplomatie prudente et le pouvoir
des idées » 668.
Elle prône ainsi l’idée d’un retour à l’« internationalisme libéral »669 au service de la
politique étrangère américaine tel qu’il a pu, par le passé, être exercé par des présidents

665
CSIS Commission on Smart Power: A smarter, more secure America, CSIS, Richard L.Armitage, Joseph S. Nye Junior,
2007, p. 1.
666
Hilary Clinton, Confirmation hearing before the Senate Foreign Relations Committee, 13 janvier 2009,
http://www.state.gov/secretary/rm/2009a/01/115196.htm.
667
Suzanne Nossel, “Smart Power”, Foreign Affairs, vol. 83, n°2, 2004, p. 134.
668
Ibid.,p. 138.
669
Ibid., p. 131.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

américains à l’image de W. Wilson, F. Roosevelt, H. Truman, J. F. Kennedy ou B. Clinton.


Nossel n’est pas la seule entrepreneuse politique à défendre l’idée d’un smart power. Le
Center for Strategic and International Studies (CSIS), think tank américain implanté à
Washington D.C, a créé en 2006 une commission bipartisane chargée de porter le concept
de smart power au plus haut niveau. Pour ce faire, elle publie régulièrement des analyses
sur les bénéfices que les Etats-Unis pourraient retirer de sa mise en œuvre. Ses rapports,
qui ont pour objectif d’influencer les décisions politiques de la prochaine administration,
s’adressent au « nouveau président » et à la « nouvelle administration » 670. Au nombre des
membres de cette commission figure Joseph S. Nye, Professeur à Harvard. Il a
conceptualisé le hard et le soft power, déjà évoqués dans cette thèse. Pour rappel, le
premier renvoie à l’utilisation de la coercition par des moyens militaires et des outils
économiques (relevant dès lors « du bâton et de la carotte ») alors que le second tient au
pouvoir d’influence. Selon Nye, le smart power serait un habile mélange de ces deux
notions et doit être exercé avec une « intelligence contextuelle »671, impliquant de fait que
l’outil choisi (le moyen) soit exercé au bon moment pour atteindre l’objectif poursuivi (la
fin).
La proximité d’une échéance électorale constitue en soi une fenêtre d’opportunité pour un
éventuel changement dans la conduite d’une politique publique. En 2008, cette espérance
était d’autant plus grande aux Etats-Unis que la présidence de George W. Bush a déçu une
partie de la population. De la même manière, l’image des Etats-Unis à l’international est
sérieusement entachée par la conduite d’une politique extérieure jugée unilatéraliste. Cette
promotion du smart power est à dé-corréler de la personne de Barack Obama mais pas de
son parti politique. Les idées du CSIS, à tendance démocrate, ont d’autant plus de chance
d’être retenues par un président démocrate, même s’il aurait pu tout autant se tourner vers
d’autres propositions conceptuelles. L’intérêt accordé par B. Obama à ce concept a
réellement conduit à faire du smart power une nouvelle pratique diplomatique. Toujours
devant le Sénat lors de son audition de confirmation, Hillary Clinton précise son propos sur
le smart power évoquant à cette occasion :
« (…) toute la gamme des outils à notre disposition – diplomatique,
économique, militaire, politique, légal et culturel – choisissant l’outil

670
R. L. Armitage, J. S. Nye, « Implementing Smart Power: Setting an Agenda for National Security Reform », Statement
before the Senate Foreign Relations Committee, 24 avril 2008, p. 6.
671
Jospeh S. Nye Jr, The Power to Lead, New York, Oxford University Press, 2008, p xiii.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

approprié ou une combinaison d’outils pour chaque situation. Avec le


smart power, la diplomatie sera à l’avant-garde de la politique
étrangère » 672.
C’est là un appel au retour à une diplomatie plus pragmatique, toujours aussi réaliste mais
davantage libérale ; l’objectif étant de maintenir le système international dans un statu quo
de sorte que les Etats-Unis demeurent la puissance dominante. L’objectif n’est donc pas de
se retirer du monde mais au contraire d’affirmer son leadership. Le discours du Président
américain à Westpoint en 2009 justifie et confirme le rôle des Etats-Unis dans les affaires
du monde. En 2014, toujours à Westpoint, le discours est tout aussi combatif à l’égard de
ceux qui auraient un doute sur la pérennité de la puissance américaine.
“In fact, by most measures, America has rarely been stronger relative to
the rest of the world. Those who argue otherwise -- who suggest that
America is in decline, or has seen its global leadership slip away -- are
either misreading history or engaged in partisan politics.” 673
De même, il réaffirme la nécessité de ne pas limiter l’exercice de la puissance à la
force armée:
“America must always lead on the world stage. If we don’t, no one else
will. The military that you have joined is and always will be the backbone
of that leadership. But U.S. military action cannot be the only -- or even
primary -- component of our leadership in every instance.”
Depuis 2009, cette réaffirmation du leadership américain se distingue du style du néo-
conservatisme guerrier de George W. Bush. L’élection de Barack Obama a donc été
une opportunité pour les entrepreneurs de normes de promouvoir et faire adopter leur
modèle comme ligne de conduite de la politique étrangère américaine.
Il faut modérer l’efficacité d’une telle approche ayant pour fondement le diptyque
sanctions/récompense. En effet, le smart power ne semble pas donner de meilleurs
résultats avec un Etat-continent tel que la Chine. Ce peer competitor nécessite une
autre forme d’approche. Ce sont en tout état de cause les conclusions auxquelles
l’administration Obama est parvenue. Ainsi, les premiers mois de la présidence de

672
Hilary Clinton, Confirmation hearing before the Senate Foreign Relations Committee, 13 janvier 2009,
http://www.state.gov/secretary/rm/2009a/01/115196.htm.
673
Remarks by the President at the United States Military Academy Commencement Ceremony, U.S Military Academy –
West Point, New York, mai 2014, https://www.whitehouse.gov/the-press-office/2014/05/28/remarks-president-united-states-
military-academy-commencement-ceremony

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

B. Obama ont permis d’apaiser les relations sino-américaines, à tel point qu’il fut
même question d’alléger les règles ITAR s’appliquant à la Chine. Mais si les signes
de bonne volonté se sont multipliés de part et d’autre, les relations connurent un
regain de tension début 2010, en partie du fait du nouvel essai d’ASAT chinois (11
janvier 2007). Pourtant, en dépit des discours réprobateurs d’Hilary Clinton, aucune
réplique américaine n’a eu lieu cette fois-ci. Bien au contraire même, puisque de
multiples appels à la négociation, qui resteront lettres mortes, furent lancés par
Washington. Toutes ces actions de la nouvelle administration à la Maison Blanche
dessinent les contours d’un nouveau leadership :
« La présidence de George W. Bush a été encadrée par les attentats du 11
septembre 2001 et par la crise financière de l’automne 2008. Sous la
présidence Obama, il semble que les Etats-Unis ne pourraient maintenir
leur position dominante que grâce à un changement d’orientation
politique internationale. Une multipolarité non maîtrisée relativiserait
leur rôle et créerait de nouvelles divisions sur le plan universel. Pour
contribuer à une relance de la gouvernance internationale, il leur faudrait
développer une vision plus large et plus ouverte de l’intérêt de la société
internationale tout entière, vision qui seule pourrait fonder un nouveau
Leadership. » 674
Barack Obama officialise dès 2007 sa volonté de renouveler le leadership
américain 675.
« Cette réaffirmation du leadership américain s'éloigne avec le
messianisme idéologique porté par le néo-conservatisme sous
l'administration Bush fils précédente. Elle n'est pas sans présenter des
caractéristiques réalistes puisque fondée sur la reconnaissance des
puissances étatiques émergentes ou bien encore l'absence d'un
engagement militaire sans référence aux intérêts vitaux des Etats-
Unis. » 676

674
Serge Sur, Relations internationales, op. cit.,p. 148.
675
Barack Obama, “Renewing American Leadership”, Foreign Affairs, 86, juillet-août 2007.
676
Frédéric Ramel, « Accès aux espaces communs et grandes stratégies : vers un nouveau jeu mondial », Etudes de l’IRSEM,
n°30, 2014, p.16.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

L’exercice de la supériorité par le smart power obamien rappelle en creux l’éthique


de la responsabilité présente entre autres au sein de l’école réaliste. Il s’agit d’avoir
une utilisation responsable de la puissance, à savoir un recours non-aveugle à la
force 677. La différence entre l’administration néo-conservatrice de G. W. Bush et celle
démocrate-réaliste d’Obama est alors la pratique de l’éthique de conviction pour l’un
et de l’éthique de la responsabilité pour l’autre. L’éthique de la responsabilité
s’oppose à l’éthique de la conviction. D’après la définition de Max Weber, la
première est le fait d’un acteur prenant en compte la conséquence de ses actes tandis
que la seconde est celle qui pousse l’acteur à agir sans penser aux conséquences
malheureuses ou attribuant ces dernières à la sottise des Hommes. Il est donc aisé
d’attribuer ces deux comportements distincts à ces deux hommes politiques
américains.

1.1.3. L’impact sur les relations spatiales internationales ou les


conséquences du smart power appliqué à l’espace

La vision néoconservatrice, hégémoniste portée par l’administration de G. W. Bush a laissé


place à un exercice plus subtil de la supériorité depuis l’élection de Barack Obama. Les
documents programmatiques gouvernementaux concernant le domaine spatial sont moins
agressifs dans le ton et moins hégémonistes dans leurs orientations. Cependant, si le ton est
moins ferme, ce n’est peut-être pas parce que le but ultime du maintien de la supériorité a
diminué mais bien plutôt parce que la méthode a changé. Il semble que la nouvelle ligne
diplomatique américaine se soit inspirée davantage du versant « soft » du pouvoir issu des
analyses de Joseph S. Nye. On assiste même à leur dépassement par l’utilisation, au moins
rhétorique, du smart power, notion développée par Suzanne Nossel 678, alliant hard et soft.
C’est dans ce contexte que la voie vers la définition de normes de sécurité relatives aux
activités spatiales peut être pensée. Cependant, le smart power est-il applicable à l’espace ?
Pour le think tank Center for Strategic and International Studies (CSIS), c’est une
évidence. Le lien entre les deux a même été analysé dans un rapport intitulé Smart power

677
Max Weber, Le savant et le politique, Paris, Plon, 10/18, 1995.
678
Suzanne Nossel, « Smart power », Foreign Affairs, Volume 83, n°2, 2004, p. 131-142.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
679
through Space . Une rupture s’opère entre les politiques spatiales de George W. Bush et
de Barack Obama.

Le CSIS déjà promoteur du smart power, démontre que ce concept est aussi
applicable à la politique spatiale des Etats-Unis. Ils profitent de cette ouverture de
l’agenda pour faire véhiculer leurs idées au plus haut niveau.
La fenêtre d’opportunité politique intervient à l’intersection de trois flux 680 : le
problem stream, le policy stream et le political stream. Les situations problématiques
(problem stream) sont révélées par des indicateurs (dans le cas de cette thèse, par les
statistiques montrant l’augmentation exponentielle des débris orbitaux), par des
événements (le tir ASAT chinois en 2007 puis la collision Iridum 2251/Kosmos 33 en
2009) et des feedbacks (les nombreuses recherches de la NASA sur ce problème). Le
policy stream consiste en la diffusion par des entrepreneurs de normes de solutions.
Enfin, le political stream renvoie aux événements se déroulant au niveau national au
regard du calendrier politique interne. L’adoption du smart power par
l’administration Obama procède elle aussi à la conjonction des trois flux dont certains
indicateurs sont exposés dans une étude du CSIS 681. La publication d’études avec
recommandations peut donc servir de pistes de réflexions et d’orientation pour le
décideur politique. C’est dans ce but que le CSIS a publié une fiche d’analyse. Il tente
de démontrer par la persuasion que le président devrait associer le smart power et
l’espace.
Même si l’administration Bush s’est quasiment systématiquement opposée à tout
texte considéré comme pouvant limiter la liberté des États-Unis à agir dans l’espace,
une certaine inflexion est perceptible durant les dernières années du mandat. Ceci est
en partie le fait du tir ASAT chinois de 2007. L’administration américaine a alors pris
conscience de l’échec d’une politique unilatéraliste dans un paysage spatial
multipolaire, à l’image de l’évolution générale des relations internationales. Ainsi
certains contacts ont été initiés afin de partager des informations relatives à la

679
Vincent G. Sabathier, G. Ryan Faith, « Smart Power Through Space », Center For Strategic and International Studies, 20 février
2008, URL : http://csis.org/files/media/csis/pubs/080220_smart_power_through_space.pdf
680
John Kingdon, Agendas, Alternatives, and Public Policies, Boston, Little Brown and Company, 1984.
681
Cette étude fait état notamment de plusieurs sondages d’opinion démontrant la dégradation de l’image des Etats-Unis à
l’étranger (qui se traduit par une perte de confiance vis-à-vis des actions menées par les Etats-Unis à l’étranger et la
« perception » d’un rôle négatif joué sur la scène internationale. CSIS Commission on Smart Power: A smarter, more secure
America, CSIS, Richard L. Armitage, Joseph S. Nye Junior, 2007.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

surveillance de l’espace. De même, l’idée européenne du code de conduite sur les


activités spatiales n’a pas été totalement déconsidérée par l’administration
finissante 682.
L’inflexion se confirme à la faveur du changement de président à la tête des Etats-
Unis. Une fois de plus, la National Space Policy est un révélateur de cette mutation.
En effet la NSP de 2010 683 tranche nettement, dans le ton, avec celle de 2006. Elle
souligne que les systèmes spatiaux de toutes les nations doivent pouvoir évoluer dans
l’espace sans être gênés par des interférences émises par d’autres 684. Plus encore, elle
met clairement l’accent sur la coopération, y compris militaire. L’annonce de la
volonté du renforcement du leadership américain est d’ailleurs faite dans le
paragraphe sur la coopération internationale.
“Fifty years after the creation of NASA, our goal is no longer just a
destination to reach. Our goal is the capacity for people to work and learn
and operate and live safely beyond the Earth for extended periods of time,
ultimately in ways that are more sustainable and even indefinite. And in
fulfilling this task, we will not only extend humanity’s reach in space—we
will strengthen America’s leadership here on Earth.”
685
— President Barack Obama, April 15, 2010
Les documents programmatiques gouvernementaux relatifs au domaine spatial sont
moins impérialistes dans leurs ambitions. Il ne faut pas pour autant conclure à
l’abandon de l’objectif ultime des Etats-Unis qu’est la préservation de la supériorité
américaine dans l’espace. Le statu quo, en tant que tel, est impossible à pérenniser.
Le paysage spatial se modifie grandement, tant par l’entrée de nouveaux acteurs
étatiques que par la part croissante occupée par les sociétés privées. L’objectif des
Etats-Unis ne serait alors pas tant le maintien du statu quo qu’une adaptation et une
recherche de la stabilité permettant à la première puissance spatiale de continuer à

682
Xavier Pasco, « De l’utilisation… », op. cit.,p. 88.
683
Présidence des Etats-Unis, National Space Policy of the United States of America, 28 juin 2010,
http://www.whitehouse.gov/sites/default/files/national_space_policy_6-28-10.pdf
684
“The United States considers the space systems of all nations to have the rights of passage through, and conduct of
operations in, space without interference. Purposeful interference with space systems, including supporting infrastructure,
will be considered an infringement of a nation’s rights” (NSP 2010) ;“The United States considers space systems to have the
rights of passage through and operations in space without interference. Consistent with this principle, the United States will
view purposeful interference with its space systems as an infringement on its rights” (NSP 2006).
685
Présidence des Etats-Unis, National Space Policy…, op.cit., p. 1.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

utiliser l’espace comme elle le fait aujourd’hui. Bien que le contexte ne soit pas le
même, Morgenthau met en garde sur la confusion entre statu quo et stabilité :

« Le problème n’est pas comment conserver la stabilité face à la


révolution, mais comment créer la stabilité à partir de la révolution » 686

Les évolutions inédites touchant l’occupation du milieu spatial peuvent être


assimilées à une petite révolution technologique et politique. Les Etats-Unis
recherchent davantage une stabilité qu’un statu quo impossible à tenir. L’instabilité
renverrait à une absence totale de régulation dans l’espace, ayant comme conséquence
une multiplication des risques et des menaces envers les moyens spatiaux américains.
La stabilité passe par la possibilité d’accepter un régime international, qui somme
toute reste sous influence américaine. Le soutien américain à ce code est également
un gage de bonne volonté et donc un message positif envoyé aux alliés et partenaires.
Ces derniers sont utiles dans la construction du maillage d’infrastructures spatiales
(implantation de radars sur le territoire de ces Etats) voulu par les Etats-Unis.
Les dirigeants américains actuels, conservateurs ou démocrates, considèrent leur Etat
comme une puissance-pivot 687. Ils ne sont pas prêts à renoncer à l’exercice de leur
supériorité. Totalement absent dans la NSP de 2006, le terme de leadership est cité
huit fois dans le document de quatorze pages de la NSP 2010. Dans un article de
2011, le Secrétaire d’Etat adjoint William J. Lynn établit les conditions de ce
« nouveau type de leadership » :
« En se fondant sur les normes de comportement naissantes et un
engagement renouvelé afin de partager les compétences avec les alliés et
partenaires, la stratégie dessine la manière dont nous maintiendrons notre
avantage stratégique en dépit d’un environnement [spatial]
compliqué » 688.

686
Hans J. Morgenthau, A new Foreign Policy for the United States, New York, Washington, Londres, Council of Foreign
Relations, Frederik A. Praeger, 1969.
687
US Department of Defense, Defense Strategic Guidance : Sustaining U.S. Global Leadership: Priorities for 21st Century
Defense, January 2012.Le document officialise la conception du pivot, terme formulé par Hillary Clinton en 2010 à Honolulu
ainsi que dans un article de Foreign Affairs (« America's Pacific Century ») en 2012.
688
Williamn J. Lynn, “A Military Strategy...”, op. cit.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

L’administration Obama a ainsi dès 2008 conclu un partenariat stratégique avec


l’Australie concernant la surveillance de l’espace dans le cadre du forum bilatéral de
consultations ministérielles Australie/US (AUSMIN). Ce forum rassemble les
secrétaires d’Etat et de la Défense américains et les ministres des Affaires étrangères
et de la Défense australiens sur une base annuelle. Dans un premier temps, les
rumeurs concernant l’implantation d’un radar en Australie ont été démenties par les
officiels américains 689, puis une annonce a été faite officiellement lors de l’AUSMIN
2012. Lors de l’AUSMIN 2013, il a été décidé qu’un télescope américain soit
redéployé en Australie. En parallèle, les Américains entretiennent un dialogue
trilatéral avec l’Australie et le Japon. En matière de relation bilatérale, les Etats-Unis
adoptent une méthode similaire avec le Japon.

“The U.S. and Japanese governments have been slowly increasing their
space situational awareness (SSA) relationship in recent months [année
2013] with bilateral exchanges, notably through the Comprehensive
Dialogue on Space and an agreement in March on sharing SSA
information.” 690

Un accord bilatéral Etats-Unis / Japon a été signé en mai 2013 ainsi qu’un accord
d’échange de données d’origine spatiale en mai 2014. Ces accords, que ce soit avec
l’Australie, le Japon ou même la Corée du Sud 691, permettent aux Etats-Unis
d’obtenir des données sur une zone, l’hémisphère sud, peu couverte par les capteurs
nord-américains. De plus, cela permet de diffuser sa définition de la sécurité des
activités spatiales dans la zone Asie-Pacifique. Le Japon est d’autant plus prompt à
coopérer que ses craintes se focalisent sur ses voisins proches ; la Chine qui est une
puissance spatiale ayant démontré ses capacités ASAT ; et la Corée du Nord, qui
outre la menace nucléaire, est capable à présent d’envoyer des satellites en orbite 692.

689
« Accord USA/Australie sur la surveillance pour la défense spatiale », AFP, 8 novembre 2010.
690
Peter B. de Selding, “U.S., Japan Pledge Closer Cooperation On Space Surveillance”, Space News, 4 octobre 2013, URL:
http://spacenews.com/37551us-japan-pledge-closer-cooperation-on-space-surveillance/.
691
Les Etats-Unis y ont également initié un dialogue bilatéral sur la sécurité spatiale et envisagent à l’instar de ces autres
alliés de signer un accord d’échange de données (SSA Sharing Agreement). URL :
http://www.state.gov/t/avc/rls/2014/222792.htm
692
Malgré plusieurs échecs, la Corée du Nord a probablement en 2016 deux satellites Kwangmyŏngsŏng en orbite (KMS 3-2
et KMS-4) lancés respectivement en décembre 2012 et janvier 2016. Leur état de fonctionnement reste incertain.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

De la même manière, les Etats-Unis (US Strategic Command) ont conclu un accord
d’échange de données de surveillance de l’espace avec le Canada (Department of
National Defence) le 26 décembre 2013. Enfin, dès 2011 693, les Etats-Unis tentent de
s’assurer le soutien d’un « émergent », l’Inde, influent acteur régional de la zone
Asie-Pacifique, et contrepoids relatif à la Chine. Fin septembre 2014, une déclaration
conjointe met en avant la nécessaire coopération américano-indienne dans le cadre de
la sécurité des activités spatiales :
“The United and India also intend to start a new dialogue on maintaining
long-term security and sustainability of the outer space environment,
including space situational awareness and collision avoidance in outer
space”. 694
Cette boulimie d’accords, de partenariats renouvelés est symptomatique de la mise en
œuvre d’une nouvelle orientation de la politique étrangère. Cette politique générale
est déclinée au milieu spatial et aux intérêts que cela peut engendrer dans le cadre de
la sécurité des activités spatiales telle que définie par Washington.
Au sein de son article, Lynn soutient le code de conduite européen. Dans le même
temps, il réaffirme que l’accès à l’espace par les Etats-Unis relève de l’intérêt
national vital de sorte qu’ils répondront aux attaques potentielles, au nom de la
légitime défense, au moment et au lieu de leur choix. Chose surprenante, Lynn
emploie l’expression d’« acteurs voyous » (« rogue actors ») pour qualifier les
acteurs, étatiques ou non étatiques, qui agiraient à l’encontre des normes de
comportement établies par le code de conduite. Cette expression de « rogue actors »
reste pourtant fortement connotée en ce qu’elle fait écho à celle de « rogue states »
employée par la précédente administration. Cette formulation avait été vertement
critiquée par certains alliés des Etats-Unis considérant qu’au final les rogue states
étaient tout simplement les Etats allant à l’encontre des intérêts américains.
Le leadership envisagé sous la présidence de Barack Obama prend en compte la non-
faisabilité voire l’inefficacité d’une forme de domination pratiquée par l’hégémonie.
Cette dernière impliquerait de mener des actions qui contrecarreraient la liberté des

693
En 2011 se tiennent les premières discussions Etats-Unis/Inde sur la sécurité des activités spatiales. URL :
http://www.state.gov/t/avc/rls/2014/222792.htm
694
US – India Joint Statement, The White House, Office of the Press Secretary, 30 septembre 2014,
https://www.whitehouse.gov/the-press-office/2014/09/30/us-india-joint-statement

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

autres puissances spatiales alliées des Etats-Unis. Or, il est peu probable que le Japon
ou l’Union européenne acceptent de telles conditions. Le leadership permet au
contraire de prendre « la tête d’un groupe sur une base volontaire et [de mettre] sa
puissance au service d’un grand dessein qu’il [le leader] définit et fait accepter par
les autres. » 695 En prenant la tête du groupe s’étant donné pour mission de définir les
normes de sécurité des activités spatiales, les Etats-Unis s’assurent la définition de la
configuration stratégique dans l’espace pour les années à venir. Cela signifie
concrètement que si cette définition parvient à son terme, selon les desideratas des
Etats-Unis, ces derniers auront déterminé le tissu d’interdépendances entre les joueurs
spatiaux 696, ce qui limitera de fait la liberté de chacun des joueurs. Il s’agit bien sûr
en premier lieu des Etats, mais aussi des acteurs non-étatiques évoqués plus haut dans
un environnement conditionné par une interdépendance complexe. Pour réaliser ce
dessein, les Etats-Unis, en tant que leader, doivent savoir regrouper et unir. Cela est
facilité par l’utilisation et l’instrumentalisation du concept mou de global commons.
La maîtrise de ces global commons est essentielle aux intérêts économiques et
stratégiques des Etats-Unis et ne peut se faire avec un retrait des affaires du monde.
Le smart power permet de repenser la coopération, par l’intermédiaire d’alliances ou
de partenariats vus ci-dessus. Les porteurs du discours sur le smart power promeuvent
le « nouveau » leadership américain. La déclinaison de ce pouvoir intelligent aux
milieux fluides 697 (HENNIGER) tels que l’espace s’est donc réalisée par les
entrepreneurs de normes eux-mêmes (CSIS) puis a été reprise et développée par les
stratèges américains. L’utilisation du concept stratégique de global commons ne peut
se réaliser efficacement que si les partenaires des Américains adhérent à cette vision.
En effet, la protection du global common qu’est l’espace implique la constitution
d’un réseau d’infrastructures de surveillance de l’espace de par le monde. Cela doit
permettre aux Américains de ne jamais devoir subir leur dépendance à l’espace, soit
en anticipant les événements spatiaux, soit en parvenant à basculer sur des systèmes
alliés créant ainsi un « espace réactif » et donc résilient.

695
Serge Sur, Relations internationales, op. cit.,p. 141.
696
Conformément à la définition de la configuration développée plus haut inspirée de Norbert Elias.
697
Les espaces fluides sont lisses, isomorphes et inhabitables. Les solides, habitables par l’Homme, susceptibles de
viscosités. Laurent Henninger, « Espaces fluides et espaces solides : nouvelle réalité stratégique ? », Revue de Défense
Nationale, Paris, n°753, Octobre 2012.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Pour se faire, le concept de global commons est intégré au sein des réflexions
stratégiques de l’OTAN afin de socialiser les alliés des Etats-Unis à cette pensée.

« Faire des global commons une des composantes d'une grande stratégie
relayée dans une alliance militaire et ayant comme finalité un autre
rapport au territoire peut aussi et surtout répondre à une logique de
«stabilité hégémonique». Cette idée d'extension s'articule ici à une
qualification : les Etats-Unis incarnent un «hegemon libéral» qui cherche
à préserver son statut. » 698
Les pays membres de l’OTAN tirent également profit de cette redéfinition des
milieux (maritime, air, espace, et cyberespace) 699 en global commons. Ils justifient
ainsi la pérennité et l’utilité de leur alliance militaire au 21ème siècle.

1.2. La promotion du référentiel sécuritaire pour l’espace par la


projection des concepts issus du smart power au sein de l’alliance
atlantique

Le smart power consiste à persuader plutôt qu’à contraindre. En définissant de


manière sibylline l’espace extra-atmosphérique comme un global common,
l’administration Obama tente de persuader un grand nombre d’Etat de l’importance
de sécuriser les activités spatiales. En toute logique, cette entreprise de persuasion
passe tout d’abord par convaincre ses propres alliés réunis au sein de l’OTAN mais
pas seulement. Un effort particulier est porté sur les alliés de la région Asie-
Pacifique.
Cette démarche proactive est la même que celle développée pour la promotion du
code de conduite. Au lieu d’avoir le Département d’Etat à la manœuvre, c’est le
Département de la Défense qui est en pointe sur ces questions à connotation militaire.
L’objectif est le même : la promotion et la définition américaine du référentiel
sécuritaire pour l’espace. Cette définition étant duale (militaire et civile) la promotion

698
Frédéric Ramel, « Accès… », op. cit.,p. 30.
699
Major General Mark Barrett, Dick Bedford, Elizabeth Skinner, Eva Vergles, “Assured access to the Global Commons”, 3
avril 2011, Commandement Allié à la Transformation, OTAN, http://www.act.nato.int/globalcommons

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

de la norme se déroule dans le même temps dans des enceintes des Nations Unies
(COPUOS et CD) ou de l’OTAN (Allied Command Transformation-ACT).

1.2.1. L’apparition du concept de global commons au sein des documents


stratégiques et ses implications

1.2.1.1. Généalogie du concept dans la pensée stratégique américaine

La notion de global commons apparaît dans plusieurs documents de stratégie


américaine. L’étude 700 réalisée par Frédéric RAMEL permet d’éclairer cette
« nouveauté » conceptuelle au sein de la Grande stratégie américaine. La définition
des global commons pourrait être celle « de milieux qui n’appartiennent à aucun Etat
mais donnant accès à l’ensemble du monde » 701. C’est donc de l’espace qu’il s’agit
mais aussi potentiellement de la mer et de l’air. Si la question de la mise en place
d’une gouvernance mondiale sur les communs est présente dans ce qu’on appelle la
théorie des biens communs mondiaux, cette réflexion n’est que très peu présente dans
la pensée stratégique américaine. Au contraire, les questions stratégiques se focalisent
sur deux points : l’identification des spécificités propres à chaque « commun » (air,
mer, cyber et espace extra-atmosphérique) et la remise en cause d’une stratégie qui
serait propre à chaque milieu, notamment parce que ces milieux sont interdépendants.
L’apparition du concept de global commons dans les discours américains de stratégie
est le reflet d’une orientation particulière de la politique d’Obama :
« Une tendance affecte le discours relatif à la Grande stratégie
américaine de nos jours : l'intégration des global commons comme l'un de
ses piliers constitutifs. (…) les documents adoptés par l'administration
Obama qui rendent compte de cette Grande stratégie fonctionnent comme
des révélateurs ontologiques sur le plan stratégique. Ils permettent de
mettre en évidence les manières dont un collectif politique définit sa place
et son rôle dans le monde. » 702

700
Frédéric Ramel, « Accès aux espaces communs et grandes stratégies : vers un nouveau jeu mondial », Etudes de l’IRSEM,
n°30, 2014.
701
Barry R. Posen, “Command of the Commons. The Military Foundation of U.S Hegemony”, in International Security, Vol.
28, n° 1, Summer 2003, pp. 5-46.
702
Frédéric Ramel, « Accès… », op. cit.,p. 13.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Les espaces communs sont évoqués de manière récurrente dans les documents
stratégiques tels que la Quadriennal Defense Review 2010, Defense Strategic
Guidance 2012, Concept Air-Sea Battle de 2011, Joint Operational Access Concept
(JOAC) de 2012, Chairman’s Strategic Direction to the Joint Force (CSDJF),
Capstone Concept for Joint Operations 2012 ou encore Joint Forcible Entry
Operations. La stratégie américaine n’est pas modifiée en soi. En effet, à l’instar de
la politique spatiale de George W. Bush, le concept de global common reste lié à la
volonté américaine d’interdire l’accès à l’espace commun par d’autres acteurs si les
Etats-Unis le jugent nécessaire.
« Le concept de global commons est d'abord et avant tout lié au
phénomène de « déni d'accès » (anti-access), lequel «vise par des moyens
militaires et politiques, à perturber ou empêcher une opération de
projection de forces ». Il s'agit de procéder à une interdiction navale ou
aérienne par les Etats-Unis d'utiliser les « espaces communs » 703.

Comme évoqué précédemment et à présent souligné par Ramel, il y a bien


changement de discours et non pas de stratégie américaine dans ses fondements
ontologiques. Le discours construit autour de la thématique des global commons «
(…) n’est rien de plus qu’un jeu d’écriture (…), de lecture (…), d’échange. » 704. Il
est clair ainsi que la politique spatiale des Etats-Unis n’a pas fondamentalement
changé par rapport à celle de G. W. Bush. Le concept de global common semble être
un outil du discours à l’usage du leader. Les documents stratégiques justifient
l’emploi de cette notion en proposant un approfondissement à la fois conceptuel,
doctrinal et opérationnel à l’image de la Quadriennal Defense Review 2010. Cette
publication du Département de la Défense américain fait également de l’espace un
global common au même titre que l’air, la mer et le cyberespace. En voici la
définition :
“The global commons are domains or areas that no one state controls but
on which all rely. They constitute the connective tissue of the international
system. Global security and prosperity are contingent on the free flow of

703
Ibid.
704
Michel Foucault, L’ordre du discours, p. 51.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

goods shipped by air or sea, as well as information transmitted under the


ocean or through space.” 705

La préoccupation mercantile est au cœur de la définition des global commons.

« Cet usage de la force en vue de garantir l'accès aux marchés et l'essor


des échanges marchands constitue un des aspects de cette Grande
stratégie. (…) Cette articulation entre espaces communs et commerce
renvoie à une apologie de la liberté dans un sens large. » 706

On retrouve ici une des valeurs américaines (la liberté) évoquées précédemment.
Dans son analyse sur la définition stratégique américaine des global commons,
Olivier KEMPF souligne que de nombreux stratégistes américains actuels font
référence à Alfred MAHAN. Il s’agit d’un stratégiste naval américain du début du
20ème siècle. Or, selon lui, ne penser aujourd’hui les autres milieux qu’en référence au
milieu maritime biaise la réflexion. Le renvoi récurrent à ce milieu n’est pas le fait du
hasard. Il est vrai que des analogies stratégiques peuvent être établies à bon escient.
Cela est dû en partie au fait que les deux milieux, spatial et maritime, ont des
implications économiques fortes. A son époque, l’objectif de Mahan est dès lors
d’élaborer une stratégie qui protège le commerce maritime.
« (…) la dimension économique (et mahanienne) (…) inspire beaucoup les
auteurs américains : ces espaces d’intérêt commun doivent être l’objet
d’une attention stratégique afin de permettre le commerce, selon une
logique libre-échangiste typique des Etats-Unis. » 707
Les global commons sont également pensés comme un tout. Cette particularité
renvoie à leur interdépendance actuelle les uns avec les autres. L’approche par les
global commons est holistique car elle « traite les global commons non pas comme
des géographies distinctes mais plutôt comme un système complexe et interactif» 708.

705
Quadrennial Defense Review Report, Department of Defense, Février 2010, p. 8.
706
Frédéric Ramel, « Accès… », op. cit.,p. 19.
707
Olivier Kempf, Introduction à la cyberstratégie, Paris, Economica, 2012, p. 44.
708
Mark E. Redden and Michael P. Hughes, « Defense Planning Paradigms and the Global Commons », Joint Forces
Quarterly, 60, janvier 2011, p. 65.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Par exemple, à proximité d’un théâtre d’opération, une frégate anti-aérienne (mer)
détecte des aéronefs ennemis grâce à ses radars. Elle transmet l’information via des
communications satellitaires (l’espace) à son Etat-major ou directement aux aéronefs
alliés en vol qui pourraient en être victimes (air). Durant ces opérations, elle reste
vulnérable aux attaques (cyberespace) pouvant dégrader sa mission. Les quatre
milieux sont sans cesse fortement imbriqués et dépendants les uns des autres. Cette
évolution de l’utilisation des milieux et de leur imbrication croissante a été facilitée
par l’apport des technologies. Un apport conséquent de ces dernières a été réalisé
durant la période dite de la « Révolution dans les Affaires Militaires » (RMA) dans
les années 1990 et 2000. Les concepts issus des réflexions autour de la RMA et de
son avatar la Transformation soulignent l’emprise de la technologisation sur la
pensée stratégique américaine. Les milieux sont pensés comme étant en réseau. Ces
évolutions technologiques sont mises au service de la pensée experte des Etats-Unis.
De plus, le « tout technologique » semble favoriser les objectifs américains de
domination et de contrôle 709. En substance, la RMA puis la Transformation
impliquent l’utilisation d’un nombre croissant de capteurs techniques. Leur
diversification et leur combinaison est une évolution, elle participe de la guerre
réseau-centrée. La gestion informatisée de la bataille se développe dans les milieux
fluides 710 que sont les domaines aérien, cyber, maritime et spatial.
Le global common qu’est l’espace fait donc partie de ces réflexions car il est traversé
par un nombre important de capteurs, de flux ayant des fonctions différentes (de
l’observation, de l’utilisation GPS, des communications etc.). La Defense Strategic
Guidance de 2012 insiste sur une nécessaire coopération des Etats-Unis avec ses
alliés en vue d'assurer l'accès aux espaces communs. Cette posture est réitérée dans
les documents préparatoires au budget de la défense de 2014. Autrement dit,
l'élaboration d'une Grande stratégie américaine passe par la projection de la notion de
global commons au-delà des frontières américaines. Les alliés historiques (les « five
eyes » 711) sont les premiers à être sensibilisés à cette notion. Mais la volonté des
décideurs et stratèges américains est de convaincre un public plus large. Pour cela,

709
Joseph Henrotin, La technologie militaire en question, le cas américain, Ed. Economica, Paris, 2008, p10.
710
Laurent Henninger, « Espaces fluides et espaces solides : nouvelle réalité stratégique ? », op. cit.
711
Etats-Unis, Canada, Royaume-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
712
l’Alliance atlantique est un forum de diffusion à forte résonnance. Ce point est
étudié plus tard dans la thèse.
Le gouvernement américain et ses administrations sectorielles ne sont pas les seuls à
promouvoir ces concepts stratégiques. Ils sont aidés pour cela par certains think
tanks. Certains d’entre eux sont des promoteurs du concept renouvelé de global
commons. Ces écrits sont publiés dès 2010. Ce concept est proche, dans son
appellation mais pas forcément dans son contenu, d’un nombre important d’autres
expressions. Il est essentiel dans un premier temps, de faire cette distinction. Cela est
d’autant plus nécessaire que l’ambigüité est parfois volontairement entretenue par les
acteurs étatiques ou non-étatiques.

1.2.1.2. Global commons, patrimoine commun de l’humanité, bien


public mondial : la qualification de l’espace comme enjeu des relations
internationales

Le point commun à ces dénominations est le souhait des acteurs qui les promeuvent
de susciter ou d’entretenir une action collective par la coopération internationale.
Mais qualifier un bien ou un milieu n’est pas anodin. Qualifier est un enjeu pour les
acteurs. L’usage de certains termes peut ainsi impliquer des conséquences en droit
international. En relations internationales, la labellisation d’une situation critique est
un enjeu en ce sens qu’elle détermine l’action diplomatique internationale. Si cette
idée est fondamentale dans la définition des situations critiques qui agitent le monde à
l’instar des crises 713, elle prend également tout son sens dans l’opération de
labellisation de l’environnement spatial au 21ème siècle.
Ce sont en premier lieu les penseurs stratégiques de l’administration américaine qui
sont les promoteurs des global commons ; puis les think tanks à portée stratégique.
Ainsi le Center for a New American Security (CNAS 714) et l'Atlantic Council 715 ont

712
Frédéric Ramel, « Accès… », op. cit.,p. 19.
713
Yves Buchet de Neuilly, « La crise ? Quelle crise ? : Dynamiques européennes de gestion des crises » in Marc Le Pape,
Johanna Siméant et Claudine Vidale (dir.), Crises extrêmes. Face aux massacres, aux guerres civiles et aux génocides, Paris,
La Découverte, 2006, pp. 270-286, URL : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00271743/document.
714
Le CNAS a été créé en 2007 par Kurt Campbell et Michele Flournoy (sous-Secrétaire à la défense de 2009 à 2012). Des
conférences sur le thème des global commons ont régulièrement été organisées : « Contested Commons : The Future of
American Power in a Multipolar World » (26 janvier 2010) ; « India, the United States and the Global Commons » (working
paper, octobre 2010), « 150 Years of Amity and 50 Years of Alliance: Cooperation in the Global Commons” (conférence sur
l’alliance américano-japonaise, juin 2010), http://www.cnas.org/

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

régulièrement organisé des conférences ou publié des documents de travail sur ce


thème. Des travaux collectifs ont aussi été menés par le Naval Postgraduate School
en la personne notamment de Scott Jasper 716. Dans ses réflexions, le CNAS appelle :
à créer des régimes et des accords mondiaux qui protègent et préservent les global
commons ; à engager les acteurs majeurs qui peuvent contribuer à la pérennité de ces
régimes ; à remodeler les forces militaires américaines afin de défendre et de
préserver les espaces communs contestés, de maintenir la liberté de manœuvre des
forces au sein de ces espaces dans l'éventualité où ils seraient inutilisables ou
inaccessibles 717. Là encore, la peur du déni d’accès est mise en avant. Trois
recommandations sont émises afin que « les Etats-Unis renouvellent leur engagement
au profit des global commons » :
“Build global regimes (…), Engage pivotal actors (…), Re-shape
American hard power to defend the contested commons” 718

L’expression est utilisée par d’autres think tanks à l’instar de la Secure World
Foundation. Les membres de ce think tank ont élaboré une réflexion sur les communs
mêlant les réflexions stratégiques sur les global commons à la théorie des biens
publics mondiaux. Cet amalgame est aisément réalisable car l’expression de global
commons souffre de deux écueils : une définition anglo-saxonne originelle imprécise
voire floue et de fait, de multiples traductions françaises, toutes aussi vagues. On
comprend dès lors la popularité de cette expression, tant elle est utile pour démontrer
tout et son contraire. Ainsi, en anglais, il est possible de lire global commons mais
aussi global public goods, common pool resources ou common heritage of mankind. Il
est possible d’établir des distinctions entre ces termes mais les acteurs étatiques ou
non-étatiques ont tendance à mélanger ces vocables dans leurs discours. En langue

715
En 2010, l’Atlantic Council lance, en partenariat avec le Commandement Allié Transformation de l’OTAN, une série de
conférences sur l’importance des milieux maritime, spatial et cyber pour la sécurité internationale et en tant que global
commons, http://www.atlanticcouncil.org/events/past-events/global-commons-workshop-in-partnership-with-allied-
command-transformation. Ou encore en février 2011, un workshop de trois jours sur le thème : « NATO in the Global
Commons : Global Perspectives », http://www.atlanticcouncil.org/events/past-events/nato-in-the-global-commons-global-
perspectives
716
Il a notamment publié: Securing Freedom in The Global Commons, Stanford Security Studies, Stanford University Press,
2010 et Conflict and Cooperation in the Global Commons. A comprehensive Approach for International Security,
Washington D.C, Georgetown University Press, 2012.
717
Abraham M. Denmark, Dr. James Mulvenon, (dir.), Contested Commons: the future of American power in a multipolar
world, CNAS, janvier 2010.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

française on trouve les traductions de communs, biens communs


mondiaux/globaux/internationaux, biens publics mondiaux et patrimoine commun de
l’humanité. Sans rigueur de la part des acteurs les employant, ces expressions sont
employées indifféremment. Pourtant, pour l’ensemble, se dessine la distinction entre
ce qui est du domaine du public (monopole étatique) et ce qui est de l’ordre du
communautaire (d’origine privée mais protégé par les autorités publiques). Là encore
les théoriciens s’affrontent. L’objectif n’est pas ici de retranscrire ce débat riche mais
complexe entre les économistes et les politistes 719. Cependant, il est nécessaire
d’aborder ci-après ces différents auteurs et leurs analyses dans la mesure où leurs
théories sont utilisées par les acteurs de la CE. La notion de patrimoine commun de
l’humanité est peut-être la plus facile à distinguer des autres dénominations car elle a
une portée juridique que ne possèdent pas les autres. Qualifier une entité de
patrimoine commun de l’humanité est loin d’être anodin. Les rédacteurs sino-russes
du PPWT en avaient d’ailleurs bien conscience en faisant disparaître cette référence
lourde de sens entre les versions du 28 juin 2002 et celui du 29 février 2008 (Partie
1).
La notion de patrimoine commun renvoie à l’environnement au sein large : terre, eau,
air, espace etc. Parfois cette expression est utilisée abusivement dans les discours
pour caractériser de nombreux domaines 720 rendant ainsi la notion confuse et
finalement vide de sens. Malgré cette confusion, les discours sur l’environnement
comme patrimoine commun ont permis de jeter les bases de l’idée de développement
durable, qui est aujourd’hui presque systématiquement accolé à ces ressources
communes. Cette idée est d’ailleurs désignée dans cette thèse comme le référentiel
global. La qualification de patrimoine commun au profit de la Lune et des fonds
marins apparaît pendant la Guerre froide lors de négociations sur la limitation des
armements (arms control) 721 entre les Etats-Unis et l’URSS.

718
Ibid.
719
L’analyse de François Constantin est éclairante à cet égard, in François Constantin (dir.), Les biens publics mondiaux. Un
mythe légitimateur pour l’action collective ?, Paris, Ed. L’Harmattan, 2002, p. 23.
720
Le génome humain, la diversité culturelle etc. Smouts, op. cit.,p. 66.
721
Marie-Claude Smouts,, “Du patrimoine commun de l’humanité aux biens publics globaux”,
http://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers10-07/010037531.pdf, site consulté le 19 novembre 2013.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

« Juridiquement, ni l'espace extra-atmosphérique, ni les eaux de haute


mer, ni l'Antarctique n'en font partie, encore moins la forêt amazonienne.
Les seuls espaces relevant de cette catégorie sont la lune et les corps
célestes, l'orbite des satellites géostationnaires et le spectre des
fréquences radioélectriques, les grands fonds marins. » 722

La France, par l’intermédiaire de son président de l’époque, a cependant qualifié


l’espace de patrimoine commun de l’Humanité :

« L'espace est par essence le patrimoine commun de l'humanité. Ce serait


trahir l'intérêt de nos peuples que de ne pas définir à temps un droit qui le
préserve. Or, il n'existe pas de frein au développement des armes anti-
missiles situées dans l'espace, pas de limite au nombre des satellites
puisque seules les armes de destruction massive, c'est-à-dire les armes
nucléaires, sont interdites par le Traité de 1967. Un amendement à ce
traité qui interdirait la satellisation de tout type d'armement, qui
organiserait le retrait progressif des armes déjà sur orbite et qui
prévoirait une vérification effective, un tel amendement lui donnerait sa
vraie portée. » 723
Définir l’espace extra-atmosphérique de « patrimoine commun de l’humanité »
impliquerait d’y appliquer les dispositions déjà en place pour la Lune et ses
ressources naturelles. Les parties s’engagent à « établir un régime international
régissant l’exploitation des ressources naturelles lorsqu’elle sera sur le point de
devenir possible ». 724 Un peu plus loin, ce même article précise que l’un des buts
principaux de ce régime est de « ménager une répartition équitable entre tous les
Etats parties des avantages qui résulteraient de ses ressources, une attention spéciale
étant accordée aux intérêts et aux besoins des pays en développement. » Ce statut
implique donc une internationalisation des ressources et une gestion collective de leur
utilisation avec l’accent mis sur les besoins des pays en développement. Cela ne

722
Ibid.
723
Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, devant la 38 ème session de l’Assemblée générale des
Nations Unies, New York, mercredi 28 septembre 1983.
724
Accord régissant les activités des Etats sur la Lune et les autres corps célestes, United Nations, A/RES/34/68 du 5
décembre 1979, § 1, article 11.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

renvoie pas à une préoccupation actuelle de la politique spatiale américaine. L’ICoC


reste d’ailleurs timide sur cette question. Enfin, en poursuivant l’analogie avec la
Lune comme patrimoine commun de l’humanité, le dernier aspect, et non des
moindres, est que :
« Sont interdits sur la Lune l'aménagement de bases, installations et
fortifications militaires, les essais d'armes de tous types et l'exécution de
manœuvres militaires. » 725
Or, la dimension militaire de l’espace est consubstantielle à sa conquête dans les
années 1950. Les « bases » ou « installations » militaires que pouvaient constituer les
stations spatiales espionnes ont été envisagées (Projet américain de MOL, Manned
Orbiting Laboratory) ou réalisées (Station soviétique ALMAZ-Saliout). Enfin, on
peut aussi considérer que l’explosion nucléaire Starfish Prime testée par les
Américains est un essai d’arme, tout comme les tests antisatellites américains,
soviétiques ou récemment chinois. De même, que penser des manœuvres de rendez-
vous afin de « butiner » (approcher et espionner) un autre satellite ? Cela pourrait
s’apparenter à des manœuvres militaires. On le voit bien, qualifier l’espace extra-
atmosphérique de patrimoine commun de l’humanité est peu probable au regard de la
motivation originelle pour laquelle il a été conquis. Et d’autant plus aujourd’hui au
moment où l’espace est devenu pour les Etats-Unis un enjeu de sécurité nationale. La
défiance des Etats-Unis à l’égard de tout régime international, ressenti comme
contrainte à leur liberté d’action, empêche une telle qualification. L’utilisation
rhétorique d’un autre concept si possible « mou » comme celui de global common
permet d’évacuer ces risques. La non-qualification du milieu spatial a permis, dans la
limite de son utilisation pacifique, de faire fructifier les intérêts gouvernementaux et
privés.
Le concept des global commons, création des penseurs stratégiques américains du
21 ème siècle, est très souvent considéré comme un synonyme des biens communs
mondiaux. Or, ces derniers ont une histoire et une signification particulière. Cette
confusion est sciemment entretenue par certains acteurs. Ce quiproquo permet de
donner une légitimité à un concept stratégique visant à soutenir l’exercice de la
supériorité américaine dans l’espace.

725
Ibid., p. 456.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

La publication en 1999 d’un livre intitulé « Global Public Goods » 726 au profit du
Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) a popularisé
l’expression de biens communs mondiaux. Cet ouvrage fait pour la première fois le
lien entre les biens publics nationaux et les biens publics mondiaux :
“I believe that the book breaks new ground by extrapolating the concept
of “public goods” from the national level to the global level.” 727
Les débats sur la théorisation des biens publics mondiaux ne sont alors que la
continuation des débats sur la théorie des biens publics en économie fermée. La
notion de bien commun désigne à l’origine des biens essentiellement nationaux.
Utilisés dans les communautés rurales en Occident du 9ème au 18 ème siècle, les
communaux représentaient ces parties du territoire d’un village qui, n’étant pas
l’objet d’actes (formels ou non) de propriété privée (même limitée), étaient de ce fait
déclarés commun à tous les habitants. Cependant, le seigneur, « premier habitant » de
la communauté, possédait juridiquement un droit éminent sur la totalité de son
territoire 728. Les communaux sont ensuite remis en question arguant qu’ils seraient
exploités plus efficacement s’ils appartenaient à un propriétaire identifié comme
l’Etat. Ces biens communs évoluent ainsi vers des biens publics devant faire l’objet
d’une prise en compte par les pouvoirs publics via une politique publique qui leur est
destinée.
« (…) la forme publique paraissant seule capable de transcender les
particularismes sectoriels associés aux intérêts privés, portés par des
acteurs privés, pour réaliser l’intérêt général. » 729
Ainsi seule une action collective semble pouvoir préserver le bien public commun des
intérêts privés au profit de l’intérêt général. Il n’y a qu’un pas pour généraliser cette
analyse aux biens communs partagés par le monde entier. En France, la Direction
Générale de la Coopération et du Développement (DGCID) s’est emparée de cette
thématique dans le cadre de la réflexion sur l’Aide Publique au Développement

726
Inge Kaul, Isabelle Grunberg, Marc A. Stern, Global Public Goods. International Cooperation in the 21 st century, New
York/Oxford, UNDP/Oxford University Press, 1999.
727
Ibid., Prologue du Professeur Tommy Koh.
728
Françoise Moyens, “Communaux”, Encyclopaedia Universalis en ligne, URL :
http://www.universalis.fr/encyclopedie/communaux/.
729
François Constantin (dir.), Les biens publics mondiaux…, op.cit. p. 23.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

(APD). Un rapport du Ministère des Affaires étrangères réalisé par trois universitaires
730
permet de préciser la définition de ces Biens Publics Mondiaux (BPM) :

« Les biens publics internationaux qualifient des biens, des services, des
ressources dont l’existence est bénéfique à un pays, à une région, voire à
la planète entière. Il s’agit des biens « environnementaux » (changement
climatique, couche d’ozone), des biens « humains » (connaissance
scientifique et technique, héritage culturel mondial, infrastructures
transnationales – Internet – normes, etc.), des questions de politiques
mondiales (paix, santé, stabilité financière…). Ils placent la coopération
internationale au premier plan des politiques de développement
économique au sein des grandes institutions internationales dans un
contexte de globalisation. » 731

Les auteurs précisent que le bien public ou collectif –termes employés


indifféremment- n’est pas un bien qui relève de la compétence de l’Etat.

« (…) associé à l’air du temps, la promotion du discours sur les BPM,


nouveau référentiel de l’action internationale légitime, suggère un
reclassement des acteurs impliqués. La suspicion dont était l’objet l’Etat
et à travers lui toute intervention publique avait eu pour corollaire la
valorisation des acteurs privés et de la « société civile » au point de
promouvoir quelque forme d’appropriation privative du « bien » pour
mieux assurer sa « production ». Depuis différents mythes [dont celui de
la « tragédie des communs » 732] entourant ces propositions ont été mis en
évidence. » 733
Ainsi, les « intrus » 734 de la diplomatie se sont emparés du thème des biens publics
mondiaux, mais généralement, les conclusions de leurs réflexions mettent en évidence

730
Audrey Aknin, Jean-Jacques Gabas, Vincent Geronimi, « Les biens publics internationaux », in Développement : 12
thèmes en débat », DGCID, Paris, Ministère des Affaires étrangères, rapport 3, 27-32, 2000.
731
Ibid., p. 27.
732
Garrett Hardin, “The Tragedy of the Commons”, Science, Vol. 162, n° 3859, décembre 1968, pp. 1243-1248.
733
François Constantin (dir.), Les biens publics mondiaux…, op.cit. p. 35.
734
Bertrand Badie, Le diplomate et l’intrus, op. cit.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

le rôle de l’Etat dans la préservation de ces biens. L’implication et l’engagement des


acteurs non-étatiques n’impliquent alors pas la fin de l’Etat, au contraire, ils
révéleraient sa nécessité. Ceci renforce l’idée développée tout au long de la première
partie de cette thèse. En filigrane, au sein du rapport du MAE se trouve la référence à
la menace de la tragédie des communs 735. Cette expression renvoie au scénario de la
surexploitation de la ressource, pouvant de fait mener à sa fin. Le discours sur les
BPM permet, au nom des insuffisances de la gouvernance mondiale, de légitimer une
action renouvelée des Etats qui collectivement établissent de nouvelles normes de
comportement. L’action de l’Etat est donc légitimée et les institutions internationales
sont chargées d’assurer la régulation de ces biens communs. Les différents rapports
de la DGCID présentent la notion de biens communs comme permettant de réduire les
inégalités Nord-Sud, autrement dit les inégalités d’accès aux ressources entre les pays
développés et les pays en développement. L’utilisation de l’espace n’est jamais citée
en tant que telle mais l’on comprend facilement que sa place est parmi ces biens
communs mondiaux. En effet, ces derniers portent en eux une dimension économique
et environnementale. La dimension économique de l’espace est aujourd’hui
clairement démontrée et sans cesse en expansion. Quant à sa dimension
environnementale, l’espace est un milieu au même titre que la terre, la mer ou l’air.
De plus, à l’instar de l’analyse d’Olivier Kempf sur le cyberespace, l’espace peut être
considéré comme une « ressource naturelle non géographique » étant une « ressource
naturelle informationnelle » 736. Ces réflexions contemporaines se sont nourries des
analyses de P. SAMUELSON, qui dès 1954 invente la notion de BPM. Il en cite
quatre : la stabilité économique internationale, la sécurité internationale,
l’environnement international, l’aide humanitaire internationale et la connaissance 737.
Bien que limitée, cette « liste » ouvre un champ des possibles important tant ces
thématiques peuvent être déclinées en sous-thèmes nombreux. Bien plus tard et dans
le sillage des Objectifs du Millénaire pour le Développement 738 des Nations Unies
(OMD), la France crée un groupe de travail international sur les Biens Publics

735
L’expression de Garett Hardin est même expressément employée à la page 36.
736
Olivier Kempf, Introduction à la cyberstratégie…op. cit., p. 42.
737
Paul A. Samuelson, “The Pure Theory of Public Expenditure”, Review of Economics and Statistics, vol. 36, 1954.
738
Les huit Objectifs du Millénaire pour le développement ont été adoptés par la communauté internationale le 8 septembre
2000 lors de la 55 ème session de l’AGNU. Les 191 Etats membres de l’OBU se sont engagés à les réaliser d’ici 2015.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
739
Mondiaux dont les conclusions sont rendues en 2006. Là encore, l’utilisation de
l’espace n’est pas citée même si les biens publics mondiaux retenus, au nombre de
six, impliquent l’utilisation de l’espace 740. L’utilisation de l’espace peut être vue
comme étant au service de ces BPM. Malgré tout, les défaillances conceptuelles ne
permettent pas la claire distinction et la compréhension de ce qui est et de ce qui n’est
pas un bien commun ou public.
« Renonçant à identifier clairement ce dont on parle car au gré de
l’imagination des auteurs, la liste s’allonge chaque jour (ce qui témoigne
peut-être de l’attractivité du concept), une partie du débat entre experts a
dérivé vers l’établissement de typologies plus ou moins abstraites
identifiants différents modèles de biens publics en fonction notamment de
leur disponibilité et de leur « mondialité », c’est-à-dire (…) de leur
accessibilité. » 741

Pour essayer de gagner en sérénité sur ces notions, on peut revenir à la définition des
Global Public Goods telle que Samuelson la formule. La différence entre les BPM et
les global commons se situe alors au niveau des deux critères « canoniques » associés
aux BPM : la non exclusion et la non rivalité. Si la santé, l’air pur ou la paix ne
peuvent exclure des utilisateurs ni même entraîner une quelconque rivalité, il en est
autrement des milieux tels que l’air, la mer, le cyberespace et l’espace extra-
atmosphérique. La notion de rivalité est bien présente dans les documents de stratégie
spatiale américaine :
“Space, a domain that no nation owns but on which all rely, is becoming
increasingly congested, contested, and competitive.”
Malgré ce constat, la phrase qui suit assène sans ambigüité l’objectif de la politique
américaine :

739
La coopération internationale française, « des OMD au BPM », Ministère des Affaires étrangères, juillet 2005, p. 27,
http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/DGCID-Strategie-2005-2.pdf
740
Le milieu spatial est donc davantage considéré comme un moyen au service de ces BPM: lutte contre les maladies
infectieuses, lutte contre le réchauffement climatique, stabilité financière internationale, système commercial international,
paix et sécurité et connaissance et recherche dans ces domaines. Lire « Rapport sur les Biens Publics Mondiaux : du débat
académique à l’action politique », in Les Notes du Jeudi, DGCID, Direction des Politiques de Développement, n°61, 21
septembre 2006, p. 3, http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/Note_61_1_.pdf
741
François Constantin, op. cit.,p. 27.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

“These challenges, however, also present the United States with


opportunities for leadership and partnership.” 742
Les BPM et les global commons ne sauraient alors être de même nature ni de même
portée.
Enfin, et afin de conclure sur la pluralité des termes employés ça et là pour qualifier
le milieu spatial, Kempf propose de traduire global common par espace d’intérêt
commun. Selon lui, cette traduction permet de mettre en exergue la dimension
économique et environnementale du bien en question. Laurent BLOCH parle lui
d’espaces publics mondiaux car ces espaces n’appartiennent à personne.
Comment et pourquoi une notion utilisée par les acteurs du développement est reprise
et confondue sciemment avec un concept mou (Global Commons) créé par les
stratèges américains ? Les acteurs du développement tout comme les acteurs
politiques et stratégiques utilisent le référentiel global du développement durable
pour promouvoir leurs croyances. Cependant, ces deux acteurs ne semblent pas servir
les mêmes intérêts.

1.2.1.3. Un concept repris puis porté par les thinks tanks : l’exemple de
l’apprentissage social opéré par la SWF et la confusion entretenue
entre global commons et BPM

A l’image du CNAS et de l’Atlantic Council, les think tanks qui développent des
réflexions stratégiques sont pour certains des promoteurs du concept de global
commons. Cet autre « buzz word », qui nomme sans définir, pullule dès 2010 dans les
discours (lors de conférences de haut niveau) et dans les écrits (working papers,
guidelines etc.). La notion fait corps avec l’autre concept promu à savoir la sécurité
des activités spatiales. Le lien entre les deux thèmes est fait par les décideurs
américains et repris par les think tanks. L’argumentaire est celui-ci : s’il est admis
comme évident que l’espace est un global common (soutenu par une réflexion
stratégique américaine prolixe), et donc que son utilisation par tous sans régulation ne
peut mener qu’à sa perte, (dommageable pour l’ensemble de l’Humanité et conforme

742
Ces deux citations sont issues de la National Security Space Strategy, Unclassified Summary, Department of Defense,

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

au scénario de la tragédie des communs), alors assurer sa régulation par des normes
(de sécurité des activités spatiales) devient nécessaire et impérieux. Le résultat en
sera la durabilité de l’espace extra-atmosphérique.
Enfin, pourquoi parler de confusion sciemment entretenue entre les BPM et les global
commons ?
Afin de qualifier le milieu spatial, le think tank Secure World Foundation propose
une définition :
“As opposed to many commons issues on Earth 743, which
must deal with extraction of a finite resource (for example,
monitoring fish populations so they are not overly
depleted), space sustainability revolves around efficient use
of limited orbital zones and radio frequencies, and
preventing actions that could have long-term
negative impacts.” 744
Et de titrer leurs réflexions: « Space sustainability for the global commons of outer
space ». Cela pourrait être traduit comme : la durabilité de l’espace au service des
biens communs de l’espace. Et de compléter par:

“Outer space as whole is a public good, but heavily used regions of Earth
Orbit (LEO, GEO) are Common-Pool Resources (CPRs)” 745

Ainsi, pour la SWF, l’espace en tant que milieu est un bien public et ses utilisations
(positions orbitales exploitées et fréquences radio) sont des biens communs mondiaux.
Cela rejoint d’une part la définition de la DGCID, pour qui l’espace est au service des
BPM mais qui d’autre part insère l’expression de global commons, qui bien qu’issue
de la pensée stratégique américaine ne désigne ici pas le milieu fluide lui-même mais
ses utilisations. Les utilisations citées font davantage référence à la définition
mercantile classique des commons goods. Au travers de ces deux citations, la SWF

Office of the Director of National Intelligence, janvier 2011, p. 1.


743
Ils s’agirait donc ici des Global Public Goods.
744
http://swfound.org/

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

utilise dans le même temps l’expression des stratégistes américains (global commons)
pour qualifier les utilisations de l’espace, puis une expression découlant de la théorie
des biens publics mondiaux (Common-Pool Resources) afin de définir deux orbites
spécifiques fortement utilisées par les Etats. Comment ne pas perdre le lecteur
profane en mélangeant les expressions de public good, global commons et Common-
Pool Resources pour qualifier des éléments du même milieu ? En amalgamant les
notions qui ne désignent pas les mêmes réalités, la confusion est inéluctable. Est-elle
voulue ? Sans pouvoir affirmer avec certitude que oui, force est de constater que cela
produit ses effets. A la question posée à un diplomate sur la qualification de l’espace
en tant que global common, voici sa réponse :

« Il est évident que l’espace comme toute ressource d’environnement, est


un bien public mondial. » 746

Fin 2009, lors du 60ème Congrès de l’International Astronautical Federation, quatre


membres de la SWF ainsi qu’une personne de l’université d’Hokkaïdo et une
personne du European Space Policy Institute (ESPI) présentent une contribution sur
la durabilité de l’espace 747. Au cours de cette contribution, il est question de global
commons dans le sens entendu par la SWF et ses partenaires de la CE :

“Space sustainability of the global commons of outer space is a


fundamentally international question with profound national
implications.” 748

Cette déclaration est la résultante des travaux menés au sein du comité technique de
l’International Astronautical Federation sur la sécurité spatiale. Ce comité et la SWF
ont organisé un forum sur la durabilité des activités spatiales (Long-Term
Sustainability of Space Activities). Les membres de ce comité déjà évoqués dans cette

745
SWF, “Space Policy and Priorities”, CODER Workshop, College Park, 18-20 novembre 2014.
746
Entretien au Ministère des Affaires étrangères, le 9 février 2011.
747
Ray A. Williamson (SWF), Kazuto Suzuki (JPN), Nicolas Peter (ESPI), Brian Weeden (SWF), Ben Baseley-Walke (SWF),
Agnieszka Lukaszcyzk, Report on the status of progress toward the Long-term sustainability of space activities,
748
Site de la SWF, URL: http://swfound.org/media/5638/reportspacesust-rw-bbw-al-iac.pdf

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

thèse sont Gérard Brachet (marginal sécant), Agnieszka Lukaszczyk (SWF), Xavier
Pasco (FRS), Peter Martinez (qui prendra la tête du premier groupe de travail
LTSSA) et John M. Logsdon (universitaire). Les autres membres ont travaillé pour
l’UNIDIR ou encore pour l’Agence Spatiale Européenne. Les termes employés par
les membres de la CE pour qualifier leurs forums de discussions et d’échanges sont
peu ou prou les mêmes que ceux employés par les Nations Unis. En effet, le working
group « Long-Term Sustainability of Space Activities, LTSSA » est une initiative du
sous-comité Technique et Scientifique (STSC). Ce groupe est créé en 2010.
L’initiative non-gouvernementale est donc antérieure à celle des Nations Unis. A y
regarder de plus près, certains membres de l’IAC et notamment ceux présents au sein
du comité sur la sécurité spatiale ont tenu des postes sur les mêmes thématiques au
sein des Nations Unies. Les idées de la CE se sont donc diffusées entre 2009 et 2010,
par une démarche de bottom-up ; de l’organisation internationale non
gouvernementale à but non lucratif IAC vers les entités des Nations Unis. Pour
conclure, de manière assez surprenante, la contribution présentée lors de l’IAC en
2009 est téléchargeable sur deux sites internet différents, mais les deux documents
présentent des différences. En effet, l’expression de space security a disparu dans le
document mis en ligne sur le site de la SWF 749.
Dans ses documents, la SWF qualifie donc l’espace de bien public, ses utilisations de
global commons et ses orbites de common-pool resources (CPRs). Le concept de
CPRs est directement issu de la théorie des biens communs et des travaux d’Elinor
OSTROM, prix Nobel d’économie en 2009. Sa théorie des biens communs consiste à
réfuter l’idée d’une tragédie des communs inéluctable. Cela pourrait se réaliser par la
gestion par les acteurs locaux de la ressource en question et par l’intermédiaire de
normes sociales et d’arrangements institutionnels. Elle liste les huit principes qui
selon elle, rendent la gouvernance des CPR possible. Il ne s’agit pas ici d’étudier de
manière exhaustive cette théorie mais de voir comment cette dernière est utilisée par
la SWF. La SWF par l’intermédiaire de Tiffany Chow présente en février 2012 les
huit principes d’Ostrom comme cadre possible au profit d’une gouvernance durable

749
Pour une comparaison des deux contributions voir http://swfound.org/media/5638/reportspacesust-rw-bbw-al-iac.pdf (site
de la SWF) et https://iafastro.directory/iac/archive/browse/IAC-09/E3/4/4979/ (site de l’IAC). Sites consultés le 21 mars
2015.

- 301 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
750
de l’espace . Il est à noter que jamais Ostrom ne fait référence à l’espace dans ses
réflexions. Ainsi pour la SWF, les global commons de l’espace sont assimilés, à
quelques nuances près, aux BPM sur terre. Comment alors comprendre que la SWF
utilise la même notion que les stratégistes américains mais au pluriel, quand les
stratèges l’utilisent au singulier pour qualifier le milieu spatial dans sa globalité ?
Une hypothèse de cette utilisation est que l’évocation des biens publics mondiaux :
« vise à ranimer la discussion internationale sur les biens qui intéressent
l'ensemble des pays et profitent à tous. Elle fournit des arguments pour
relancer la coopération internationale et l'effort d'aide publique en
direction des pays pauvres en soutenant que les crises internationales
tiennent au fait que les biens publics mondiaux sont produits en quantité
insuffisante. » 751

Finalement ces deux acteurs corporatifs agissent de concert, dans un même but. Car,
rapporté au milieu spatial, la définition de l’espace ou de ses utilisations comme
global common(s) permet de justifier et de légitimer l’intérêt qui leur est porté, et
d’ériger en préoccupation universelle le développement durable de l’espace. Pour les
stratèges américains, cela justifie leur conception de la sécurité spatiale qui est, selon
eux, un préalable indispensable afin de permettre sa durabilité. Leur définition de la
sécurité spatiale est intimement liée à leurs intérêts nationaux :
“Each of us here at this conference has a different interpretation of what
“space security” means based principally upon our respective country’s
national interests. (…) we associate “security” as it relates to space with
the pursuit of those activities that ensure the sustainability, stability, and
free access to, and use of, outer space in support of a nation’s vital
interests.” 752

750
Tiffany Chow, “An introduction to Ostrom’s Eight Principles for Sustainable Governance of Common-Pool Resources as a
Possible Framework for Sustainable Governance of Space”, International Space University, 16ème symposium spatial
international annuel, 21-23 février 2012, Strasbourg.
751
Marie-Claude Smouts, “Du patrimoine commun de l’humanité… », op.cit.
752
Intervention de Franck A. Rose, « Defining Space Security for the 21 st century”, Space Security Through Transatlantic
Partnership Conference, ESPI and Prague Security Studies Institute, Prague, République Tchèque, 13 juin 2011.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

On l’a vu, l’utilisation rhétorique du concept de global commons entretient la


confusion avec la notion de Global Public Goods 753 ou BPM. Cela permet de mettre
en valeur tout ce qui a de noble et de louable dans la définition des BPM et ainsi
légitimer une action étatique. Cela tend à favoriser la coopération internationale sans
pour autant renvoyer à la même réalité. En effet, les membres de la CE reconnaissent
que les utilisateurs de ces milieux peuvent être rivaux et donc pour certains en être
exclus. Les discours des acteurs étatiques et non-étatiques mélangent ces deux
notions. Sans faire une étude des discours, il est important de souligner que les
messages alors véhiculés par ces acteurs sont ensuite relayés par un public plus large.
Mélanger un concept au service de l’aide de développement avec un concept à but
stratégique et économique n’est pas sans conséquence sur la vision du monde qui est
promue. La préoccupation de certains membres de think tanks se situe effectivement
dans les bienfaits de l’utilisation de l’espace au profit des Etats en développement.
Les Etats-Unis ont quant à eux défendus l’inscription de la notion de légitime défense
dans le régime du CoC. Cette notion à valeur hautement sécuritaire n’évoque
pourtant rien ou peu de chose pour les pays en développement qui n’ont pas les
moyens de l’appliquer. Mais en s’alliant aux think tanks et autres ONG qui prônent la
durabilité de l’espace, les leaders normatifs du régime bénéficient du « mythe
légitimateur pour l’action collective » 754. De là, la sécurité et la durabilité sont deux
notions qui se confondent. La sécurité spatiale relève du concept stratégique
américain des global commons tandis que les global public goods n’ont de sens que
pour les partisans du développement durable de l’espace. Ainsi le référentiel global
(le développement durable) est utilisé au service d’un référentiel sectoriel censé être
sa déclinaison. Or des paradoxes éclairants disent le contraire. Un exemple l’illustre ;
La politique spatiale chinoise se caractérise par la mise en orbite de dizaines de
satellites sous couvert de « mission de télédétection au profit de l’étude des
ressources naturelles ; mission de type étude des terrains, des champs et apport à la
surveillance des catastrophes naturelles et plans de prévention de la gestion des

753
A cet égard, l’article de Marie-Claude Smouts fait le rapprochement entre l’apparition de la notion de bien public mondial
et la possibilité pour l’espace exo-atmosphérique d’être qualifié ainsi. Cela permettrait l’action collective sur ce milieu
malgré sa non-définition en tant que patrimoine commun de l’humanité, op. cit.
754
François Constantin (dir.), Les biens publics mondiaux. Un mythe légitimateur pour l’action collective ?, Paris, Ed.
L’Harmattan, 2002.

- 303 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
755
crises » . En théorie, ces satellites utilisent donc l’espace au profit du
développement durable sur terre. En fait de mission écologique, il s’agit plus
vraisemblablement de missions de reconnaissance (observation) au service d’objectifs
militaires. Sous couvert du développement durable de la terre grâce à l’espace, la
Chine accroît considérablement le nombre de satellites en orbite et donc de futurs
débris. Le paradoxe est éclairant : davantage de sécurité nationale au détriment de la
sécurité et de la durabilité des activités spatiales.
Marie-Claude SMOUTS estime que la notion de BPM n’a « ni valeur analytique, ni
utilité opérationnelle » 756 et conclut à l’ « inanité des biens publics mondiaux ». Qui
plus est l’utilisation de la notion de BPM pour le milieu spatial peut être comprise
ainsi :
« En dernière analyse, sont dits « biens publics mondiaux » les domaines
d’intérêt de ceux qui ont accès au discours international, les grandes
organisations multilatérales, quelques personnalités, des ONG, des hauts
fonctionnaires. Le fondement des BPM n’est pas une théorie économique
mais un dessein politique, voire bureaucratique. Il s’agit de gérer
l’interdépendance par l’action collective avec le moins de conflit possible
dans les secteurs dont on a la charge. Dans cette optique, on peut
s’accommoder sans difficulté d’une définition assez floue des BPM :
« biens, services et ressources dont l’existence est bénéfique à tous pour le
présent et pour les générations futures. » 757

Parlant des BPM, Smouts ajoute :


« La question est de savoir si une notion aussi molle aide à accroître la
coopération internationale voire à la susciter là où elle fait défaut, si elle
permet d’avancer vers la satisfaction équilibrée des besoins de
l’humanité. Sur ce point, les travaux ici réunis font apparaître des
réponses réservées. » 758

755
Ces informations sont relayées par l’agence de presse nationale XINHUA.
756
Conclusion faite à l’issue du colloque sur les BPM organisé par la Section des Etudes Internationales de l’Association
française de Science politique, in François Constantin, op. cit., p.370.
757
Marie Claude Smouts, « Du patrimoine commun de l’humanité… », op.cit.
758
Marie-Claude Smouts, « Une notion molle pour des causes incertaines », in François Constantin, op. cit., p. 375.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Cette même remarque peut être faite pour le concept de global commons. Cette
expression tout aussi « molle » et malléable dans son contenu sert-elle tout de même
à accroître la coopération interétatique ? La satisfaction des besoins de l’humanité
n’est peut-être pas un résultat qui va de soi. Il s’agit davantage dans ce cas de la
satisfaction des intérêts nationaux, et en premier lieu ceux des Etats-Unis. Les Etats
spatiaux opèrent donc un calcul coût-bénéfices en fonction de leurs intérêts nationaux
et décident ou non de coopérer. Le discours sur le développement durable de l’espace
est monopolisé par les puissances spatiales et les entreprises privées. Il est
majoritairement sujet de débats au sein des espaces confinés. La démarche de
socialisation et d’apprentissage amorcée par les think tanks et soutenue par les
nations spatiales. Elle reçoit un accueil plutôt favorable par l’opinion publique déjà
sensibilisée au développement durable de la terre éventuellement grâce aux satellites.
De plus, ce référentiel global est porteur de valeurs positives difficilement
contestables. Le scénario de la tragédie des biens communs, complétant celui du
syndrome de Kessler, est utilisé par les membres des think tanks pour décrire le destin
funeste qui attend l’espace circumterrestre si aucune action n’est entreprise afin de
gérer la population croissante des satellites en orbite. HARDIN 759 part lui du constat
que la population humaine ne cessera de croître dans un monde qui n’est pas infini. Il
met en avant les problèmes que cela posera dans quelques années en termes de
ressources. Il s’attache à noter que « le problème de la population ne connaît pas de
solution technique mais demande une extension fondamentale de la moralité ». Il note
deux caractéristiques de la ressource en accès libre menacée par une surexploitation :
il n’existe aucun droit de propriété sur ce bien ; c’est un bien qui peut faire l’objet de
rivalité car ce que je possède, un autre individu ne peut le posséder. La ressource est
en libre accès mais limitée. Par analogie avec le domaine spatial, il est indéniable que
la population des objets spatiaux est en croissance exponentielle et qu’aucun Etat ne
peut se revendiquer propriétaire d’une partie ou de l’ensemble de l’espace. L’espace
n’appartient à personne. De plus, un emplacement occupé par un satellite ne peut
l’être par un autre. La tragédie des communs menacerait d’autant plus l’espace que ce
dernier a vu le nombre de satellites décupler et cela sans coordination préalable entre
les Etats. La rivalité entre les Etats peut s’exprimer via l’attribution des allocations de

759
Garrett Hardin, “The Tragedy of the Commons”, op. cit.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

fréquence sur l’orbite géostationnaire mais aussi sur d’autres orbites où la proximité
des satellites entre eux peut provoquer des interférences. L’assignation et la
régulation des positions en orbite géostationnaire ainsi que l’attribution des bandes de
fréquence utilisées par les satellites est de la responsabilité de la division des services
spatiaux de la commission ITU (International Telecommunication Union) des Nations
Unies. Les décisions de l’ITU n’ont pas un caractère contraignant. Cependant, les
opérateurs de satellites et leur Etat ont intérêt à les prendre en compte s’ils ne veulent
pas risquer de perdre leur satellite ou qu’il soit inutilisable. Longtemps, l’ITU a
attribué les bandes de fréquence aux « premiers arrivés, premiers servis ».
Aujourd’hui des positions orbitales sont réservées aux futurs utilisateurs de l’espace
(pays en développement). La rivalité entre Etats se matérialise de différentes
manières. En effet de nombreux Etats et sociétés privées ont bloqué des positions et
des fréquences en déposant des demandes pour des projets futurs qui ne verront
jamais le jour. De plus, malgré les prérogatives de l’ITU, la Chine a en 1991 a placé
un satellite sur une position en orbite géostationnaire qui ne lui été pas attribuée, et
sans tenir compte des éventuels problèmes d’interférence. Enfin des interférences
volontaires sous forme de brouillages préjudiciables sont réalisées par des Etats.
C’est le cas d’Eutelsat qui a eu à subir des dizaines de brouillages ayant pour origine
l’Iran. Par ces actions, l’Iran empêche la retransmission d’émissions de télévision qui
ne sont pas favorable à sa politique 760.
Pour échapper à la tragédie des communs, Hardin considère que seule la privatisation
du bien ou l’usage de la coercition mutuelle sous l’autorité d’un gouvernement
central (nationalisation) peut permettre son l’usage à long terme :
“what I recommend is mutual coercion, mutually agreed upon by the
majority of the people affected.” 761
La privatisation du bien commun qu’est l’espace est impossible. Le principe de non-
appropriation s’applique à l’espace (en vertu de l’article II du Traité de l’espace). La
coercition mutuelle est peu ou prou ce qui a prévalu lors de la Guerre froide. En effet,
dans le souci de maintenir un équilibre stratégique, Etats-Unis et URSS se sont
contraints mutuellement :

760
Sur ces questions, lire Guilhemn Penent (dir.), “Governing the Geostationary Orbit. Orbital Slots and Spectrum Use in an
Era of Interference”, Note de l’IFRI, janvier 2014.
761
Garrett Hardin, “The Tragedy…”, op. cit., p. 1247.

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« During the Cold War, the United States and the Soviet Union (…) had
the potential to render space unusable. The launch of even a dozen
nuclear weapons or the dispersal of large amounts of speeding debris into
critical low-Earth orbits could have ruin near-Earth space (…) for an
indefinite period of time.” 762
Cette contrainte mutuelle ne s’est cependant pas réalisée sous l’autorité d’un
gouvernement central. En revanche, après la chute de l’URSS, le placement du milieu
spatial sous l’autorité d’un souverain bien a pu être pensé et envisagé par les Etats-
Unis. Cette période d’hégémonie spatiale est aujourd’hui remise en cause par les
évolutions de l’environnement spatial. MOLTZ évoque la retenue ou la contrainte
stratégique (“strategic restraint”) qui empêchent les joueurs spatiaux de développer
des capacités militaires dans l’espace qui pourraient provoquer à terme sa destruction.
« (…) because of their shared national interest in maintaining safe access
to critical regions of space. » 763
Les deux solutions proposées par Hardin ne semblent donc pas applicables à l’orbite
basse de l’espace extra-atmosphérique. Son modèle a d’ailleurs été dans son ensemble
contesté dans les années 1970 car jugé simpliste. Selon ses détracteurs, il confond les
biens en propriété commune et les ressources en libre accès. Le bien en propriété
commune permet d’exclure des membres qui ne respecteraient pas les limitations. La
ressource en libre accès n’appartient à personne et chacun cherche donc à maximiser
son profit en négligeant celui d’autrui, voire en voulant le réduire à la portion
congrue.
“Ruin is the destination toward which all men rush, each pursuing his own
best interest in a society that believes in the freedom of the commons.
Freedom in a commons brings ruin to all.” 764
Elinor Ostrom 765 souligne qu’Hardin néglige le fait que certains groupes sociaux se
sont organisés pour créer des institutions autonomes afin de préserver le bien
commun, en dehors de sa privatisation ou de sa nationalisation.

762
James Clay Moltz, The Politics of Space Security...,op. cit., p. 5.
763
Ibid.
764
Garett Hardin, “The Tragedy…”, op. cit., p. 1244.
765
Elinor Ostrom, Governing the Commons:The Evolution of Institutions for Collective Action. Cambridge University Press, UK, 1990.

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De plus, à l’inverse de l’absence de solution technique concernant l’accroissement de


la population, des solutions techniques sont proposées pour rendre l’utilisation de
l’espace durable. Certaines s’attachent à changer la technologie future. Concernant
l’existant, l’IADC recommande en 2002 que les opérateurs de satellites s’engagent à
désorbiter leurs objets spatiaux vingt-cinq ans après leur fin de vie. Cela demande à
ces derniers de prévoir une quantité de carburant suffisante afin de pouvoir désorbiter
leurs objets. D’autres solutions techniques visent à agir sur ce qui a été lancé
auparavant. C’est ce qui a déjà été évoqué dans cette technologie avec le
développement des technologies d’ADR (retrait actif des débris). Les recherches sur
l’ADR sont inscrites dans la National Space Policy de 2010 :
“For the purposes of minimizing debris and preserving the space
environment for the responsible, peaceful, and safe use of all users, the
United States shall: (…) Pursue research and development of technologies
and techniques, through the Administrator of the National Aeronautics
and Space Administration (NASA) and the Secretary of Defense, to
mitigate and remove on-orbit debris, reduce hazards, and increase
understanding of the current and future debris environment” 766
Les résultats de certaines études 767 réalisées par la NASA prévoient que la population
des objets en orbite basse pourrait être stabilisée pour les 200 prochaines années si
chaque année pendant 100 ans cinq débris sélectionnés sont désorbités. Il est
extrêmement difficile de pouvoir prévoir ce que l’environnement spatial sera dans les
décennies à venir. L’ADR est un domaine de recherche de la NASA, de la DARPA
mais aussi de certains industriels ayant investi dans des solutions techniques, à
l’instar d’Aerospace 768. Pour les décideurs américains, pousser au développement de
techniques d’ADR permet de se garantir un accès à l’espace sans restrictions pour les
années à venir. Si les résultats prometteurs des études théoriques se concrétisent dans
l’espace, cela garantirait aux autres joueurs l’accès à l’espace même s’ils
n’investissent pas dans ces technologies d’ADR. Cela suppose le maintien d’une base
industrielle et technologique de défense américaine. Cela permet de maintenir et de

766
Présidence des Etats-Unis, National Space Policy…, p. 7.
767
Jer Chyi Liou, Nicolas L. Johnson, n-M Hill, “Controlling the growth of future LEO debris populations with active debris
removal”, Acta Astronautica, Vol. 66, Issues 5-6, April 2010, pp 648-653.
768
Glenn E. Peterson, « Target Identification and Delta-V Sizing For Active Debris Removal and Improved Tracking
Campaigns”, http://issfd.org/ISSFD_2012/ISSFD23_CRSD2_5.pdf

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développer les compétences afin de rester compétitif et autonome. Un rapport du


Congrès américain datant de janvier 2014 préconise d’ailleurs de poursuivre les
recherches sur l’ADR :
“(…) more aggressive measures, such as active debris removal, could be
considered to protect U.S. national security interests in space and the
769
long-term sustainability of the space environment.”

En plus de désencombrer l’espace, les techniques d’ADR peuvent être envisagées


comme mesures dissuasives contre un adversaire et donc comme garant de la sécurité
nationale. Elles ne sont pas sans poser des problèmes juridiques. En effet, qui est
autorisé à retirer quoi dans l’espace ? Qui est responsable si, par mégarde ou de
manière intentionnelle, un satellite actif est désorbité ? On imagine aisément les
utilisations militaires et hostiles qui peuvent découler de cette technologie duale.
Dans le cadre des dilemmes d’action collective, le pendant de la tragédie des
communs s’apparente à la logique du dilemme du prisonnier. Ce type de jeux mixte 770
met aux prises des acteurs liés par une relation à la fois de dépendance mutuelle et de
conflit, de partenariat et de compétition 771. Dans le cas du dilemme du prisonnier, la
stratégie de chacun des joueurs empêchent la coopération mutuellement profitable. A
l’inverse, la coopération entre Etats, même si elle n’est pas un penchant naturel, peut
conduite à servir un intérêt mutuel. Dans cette thèse, on constate une volonté de
coopération de la part de certains joueurs spatiaux. Ainsi, il n’y a pas de coopération
sans discorde 772.
Le partage des données concernant l’environnement spatial en est un des aspects.
L’élaboration du régime de code de conduite en est sa traduction concrète. La
diffusion de l’information plus que la répartition de la puissance est le principal
facteur structurant des relations internationales. Au sein du milieu spatial (parfois
qualifié de multiplicateur de puissance ou de force), la supériorité provient d’un
nombre d’information plus important obtenu pour l’Etat possédant plusieurs satellites
aux missions diverses et complémentaires (observation, météorologie, écoute etc.).

769
Steven A. Hildreth, Allison Arnold, “Threats to U.S National Security Interests in Space: Orbital Debris Mitigation and
Removal”, Congressional Research Service, 8 janvier 2014, http://www.fas.org/sgp/crs/natsec/R43353.pdf
770
Thomas Schelling cité par Dario Battistella, Théories des relations internationales…, op. cit.,p. 442.
771
Ibid.

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Christian Malis qualifie ce phénomène d’infosphère 773 : « La maîtrise de


l’information est sans doute aujourd’hui un de ces nouveaux paramètres immatériels
qui conditionnent la puissance » 774. Par analogie stratégique avec les autres milieux,
Klein qualifie les routes par lesquelles ces informations circulent de « lignes de
communication célestes » 775. Les acteurs spatiaux jouent ainsi un jeu à somme nulle.
Ce qu’un Etat possède comme information/renseignement grâce aux satellites, l’autre
Etat ne le possède pas forcément. Enfin, la masse des informations obtenue doit être
maîtrisée. La surinformation peut nuire à l’information nécessaire et utile.
Le régime de CoC s’explique ainsi davantage en termes d’intérêt plus que de
puissance. Les intérêts nationaux des Etats peuvent certes constituer des freins à la
coopération, notamment lorsque cette dernière est envisagée dans des domaines
stratégiques et militaires. Ainsi les coopérations spatiales militaires sont souvent
l’objet de tractations longues et de complications inextricables 776.
Le domaine de la surveillance de l’espace n’échappe pas à cette logique. Comme vu
précédemment, les implications sont duales. La surveillance de l’espace peut se faire
au profit du contrôle de la population des débris orbitaux mais aussi à des fins de
renseignement militaire. Au niveau européen, un partage tacite des capacités est
réalisé entre la France et l’Allemagne. La France opère une surveillance avec un
système de veille, GRAVES 777, au profit majoritairement des activités militaires.
L’Allemagne s’est faite une spécialité de l’observation radar et a fait l’acquisition
d’un radar imageur, TIRA 778. Les deux radars pourraient se compléter. Cependant, le
radar TIRA est géré par des utilisateurs civils. Son partage est donc complexe entre
représentants civils et représentants militaires allemands. Le partage avec un
partenaire étranger augmente encore la difficulté. Les échanges de données entre ces
deux Etats sont donc très limités. De même, les accords tacites franco-allemands

772
Robert O. Keohane,, After Hegemony : Cooperation and Discord in the World Political Economy, Princeton, Princeton
University Press, 1984.
773
Christian Malis, « L’espace extra-atmosphérique, enjeu stratégique et conflictualité de demain », ISC-CFHM-IHCC, 2002,
p. 8, [en ligne], http://www.stratisc.org/act/Malis_Astropol.html (consulté le 30 juin 2011).
774
Ibid.,p. 25.
775
« Celestial lines of communication (CLOC) », in John Klein, Space warfare: strategy, principles and policy, New York,
Routledge, 2006, p. 51.
776
Même si ce thème n’est pas l’objet de la thèse, on lira avec intérêt cet ouvrage, éclairant la difficulté de coopérer
militairement entre les Etats spatiaux, Xavier Pasco, François Heisbourg, Espace militaire. L’Europe entre souveraineté et
coopération, Paris, Ed. Choiseul, 2011.
777
Grand Réseau Adapté à la Veille Spatiale.
778
Tracking & Imaging Radar.

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779
semblent se fissurer petit à petit . En effet, l’Allemagne est un acteur spatial
ambitieux. Il a créé récemment son propre centre de surveillance de l’espace. Au-delà
du radar TIRA, les Allemands envisagent de développer un système similaire à celui
de GRAVES. On peut dire qu’entre les deux alliés franco-allemands, la compétition
spatiale est de mise. Les coopérations bilatérales avec les Etats-Unis semblent plus
fructueuses. L’espace peut apparaître comme un domaine où la coopération est
essentielle (les satellites évoluent tous dans le même environnement), mais les
applications militaires confèrent aux Etats une supériorité qu’ils ne sont pas prêts à
partager avec tous, voyant ces coopérations comme autant de contraintes à leur
souveraineté.

1.2.1.4. La construction du référentiel sectoriel pour l’espace comme


horizon commun

Un référentiel sectoriel peut être défini comme suit :


« une représentation du secteur, de la discipline ou de la profession. Son
premier effet est de baliser les frontières du secteur. (…) Comme le
référentiel global, le référentiel d’un secteur est un construit social dont
la cohérence n’est jamais parfaite. » 780

Le référentiel se caractérise par des valeurs (définition de ce qui est bien/mal : ici
l’espace est un patrimoine que l’on doit protéger pour qu’il soit durable), des normes
(principe d’action : il ne faut plus polluer l’espace), des algorithmes (relation de
causes à effets : si on ne fait rien contre la prolifération des débris, l’espace deviendra
inutilisable) et des images (telles celles représentant la prolifération des débris en
orbite sur des décennies prises comme illustrations du syndrome de Kessler). Ce
référentiel peut être soumis à changement. Le référentiel sectoriel fait lui-même
appelle au référentiel global défini comme :

779
Un accord tacite répartit les compétences ainsi : à la France les technologies des radars de veille et les satellites
d’observation optique, à l’Allemagne les technologies de l’imagerie radar (radar au sol et satellites).
780
Pierre Muller, Les politiques publiques, Paris, Presses Universitaires de France, Que sais-je ?, 2011, p. 61.

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« constitué d’un ensemble de valeurs fondamentales qui constituent les


croyances de base d’une société, ainsi que de normes définissant le rôle
de l’Etat et des politiques publiques. Il constitue la représentation qu’une
société se fait de son rapport au monde et de sa capacité à agir sur elle-
même par l’action publique. » 781

En bref le référentiel global est structure de sens et renvoie à une vision du monde
particulière pour un groupe de personnes donné (Etat). Inspiré par le référentiel
global, le référentiel sectoriel permet de se faire une représentation d’un secteur en
particulier. De ce fait, les solutions aux problèmes posés au sein de ce secteur seront
inspirés par le référentiel qui cadre et oriente l’ensemble des réflexions. C’est en
référence à cette image cognitive que les acteurs organisent leur perception du
problème, débattent des solutions et définissent leurs propositions d’action. Cette
vision du monde sera le référentiel de la politique publique ainsi créée.
Au sein de cette thèse, le référentiel sectoriel renvoie à la représentation d’un secteur
spatial qui doit être durable (la place de ce secteur est alors définie comme centrale
pour ces sociétés). Il le sera grâce à une régulation des activités spatiales pensée en
termes de sécurisation du milieu (solution). Des propositions d’actions nationales se
matérialisent par l’inscription à l’agenda politique de ces Etats du problème des
débris spatiaux débouchant sur les politiques publiques afférentes 782. Des
propositions d’actions multilatérales voient le jour également, dont les dernières en
date sont les projets de code de conduite et le PPWT. Le référentiel sectoriel peut
souffrir d’une réception différentielle parmi les acteurs qui le partagent. En effet, le
référentiel véhiculé grâce à l’apprentissage et à la socialisation peut laisser une marge
de manœuvre dans son interprétation malgré l’emploi d’un langage commun. Le
référentiel d’une politique a le plus souvent une composante identitaire forte 783.
Ainsi, le référentiel du secteur spatial exprime les intérêts et la vision du monde du
groupe dominant conduit par les Etats-Unis.
Dans cette thèse, le développement durable est considéré comme un référentiel global
qui renvoie à une vision du monde particulière. De ce référentiel global découle le

781
Ibid., p. 59.
782
Un exemple avec l’adoption de la Loi sur les Opérations Spatiales (LOS) en 2008 en France.

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référentiel sectoriel. Le développement durable est décliné au secteur spatial. Cela


implique une forte dimension sécuritaire. En effet, l’espace étant un milieu hautement
stratégique, toute volonté étatique de le surveiller est interprétée par d’autres comme
une potentielle attaque à ses intérêts dans l’espace. Or, si l’espace veut être rendu
durable, il est nécessaire qu’il soit « surveillé » comme l’est la Terre par les satellites
d’observation ou de météorologie qui par leurs données constatent les changements
climatiques. Concrètement, il est profitable à tous les utilisateurs de l’espace que les
Etats communiquent davantage entre eux lorsqu’ils procèdent à des lancements. Les
notifications de lancements sont recommandées dans le projet d’ICoC. Mais en
souhaitant inclure certaines notions à caractère sécuritaire au sein de l’ICoC, telles la
légitime défense, la définition purement écologique liée à la sauvegarde de l’espace
extra-atmosphérique (population spatiale et interactions en orbite, gestion de la
ressource) ne tient plus. En revanche, en utilisant et en invoquant le référentiel global
du développement durable, les décideurs ont pu légitimer l’action collective.
S’agissant de ces décideurs, ce sont principalement ceux des Etats dont les intérêts
dans cet espace commun sont les plus vitaux. La capacité de diffusion d’un référentiel
renvoie au porteur de ce dernier. Il doit représenter le modèle à suivre et de fait jouir
d’un certain prestige et de sa centralité dans les réseaux d’échanges d’informations.

« (…) le discours sur les BPM apparaît comme un instrument nouveau par
lequel les plus puissants (…) s’appliquent à imposer au reste du monde de
nouveaux référentiels d’action collective, de nouvelles formes de
comportement au nom de ce qui, vu du Nord, apparaît comme des intérêts
supérieurs de « l’Humanité » ou des « Générations futures ». Ces
préoccupations peuvent en soi apparaître louables pour tous, mais elles
n’en sont pas moins spécieuses pour ceux qui, actuellement, n’ont rien ou
partagent le pire et qui devraient encore plus se restreindre ou même
subir de nouvelles formes de dépossession (…) au nom de ces
abstractions. » 784

783
Pierre Muller, in Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot, Pauline Ravinet, Dictionnaire des politiques publiques, Presses de
Sciences Po., Paris, 2010, p. 561.
784
François Constantin (dir.), op. cit., p. 33.

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Le discours est donc l’outil qui permet de susciter l’action collective. Sans s’adonner
à une étude systématique des discours diplomatiques sur la sécurité dans l’espace, les
mots clés pouvant susciter l’action collective sont utilisés :

“(…) space is vital for development and security of all nations, and that
we must work together to preserve the benefits for future generations.” 785

Il est compréhensible que certains Etats, notamment les émergents, ne se


reconnaissent pas dans ces déclarations. Les BPM tout comme le référentiel sectoriel
qu’il sert sont des « construits historiques » 786. L’identification du milieu spatial à un
BPM ou à un global common répond à un besoin stratégique émanant principalement
de la politique américaine. Ce ne serait que la « récurrence de l’hégémonie » 787, la
perpétuation des rapports inégaux entre les Etats. Malgré l’implication sans aucun
doute sincère d’un certain nombre d’acteurs, les fondements des inégalités restent
inchangés. L’objectif premier de l’utilisation d’une telle thématique est donc avant
tout de créer un consensus entre les acteurs dont les vues et les intérêts initiaux ne
sont pas nécessairement identiques ni convergents 788. Ainsi, la conférence de Prague
et son objectif affiché de construire le « common understanding of space security »
est une illustration de la création de ce consensus par la négociation. Cependant, la
volonté de création d’une compréhension commune de la sécurité spatiale se réduit
aux participants des trois zones géographiques représentées : Europe, Amérique du
Nord et Japon. Même entre ces partenaires, la construction sociale de la réalité ne
peut cependant se réaliser sans conflit, car les BPM ne se construisent qu’au cœur de
luttes d’intérêt entre puissances 789. La théorie des BPM est ici utilisée à des fins
rhétoriques autant par les membres de la CE que par les décideurs politiques afin de
persuader 790. Auparavant ce type de discours était tenu essentiellement par les think

785
Discours de Franck A. Rose, « Rebalancing Towards Asia With Space Cooperation”, National Space Symposium,
Colorado Springs, 11 avril 2013, US Department of State.
786
« Naissance des biens publics globaux ? », Le Courrier de la planète, n°55, 2000.
787
François Constantin (dir.), op. cit., p.32.
788
Ibid., p. 43.
789
Gérard Wormser, « La négociation, norme fonctionnelle d’un bien public mondial », in François Constantin (dir.), op. cit.,
p. 64.
790
Jean Coussy, “Biens Publics Mondiaux: Théorie scientifique, réalité émergente et instrument rhétorique », in François
Constantin (dir.), op. cit.,p. 76.

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tanks. A présent, les décideurs politiques devenus les leaders normatifs de l’ICoC
sont à leur tour devenu des entrepreneurs de normes.

« Les textes sur les BPM sont, de ce fait, fréquemment structurés pour
convaincre des interlocuteurs. Il s’agit d’argumentations, donc
d’exercices rhétoriques qui sont visibles tant dans les exposés de la
théorie des BPM que dans les tentatives d’utiliser celle-ci à des fins
concrètes. » 791

De ce fait l’utilisation par certains de la définition canonique des BPM n’est qu’un
instrument de persuasion 792.

« Ces rhétoriques de circonstance sont d’autant plus fréquentes que les


analyses veulent non seulement influencer les compromis concrets mais
aussi se faire accepter personnellement par la « communauté
épistémique » réelle ou simulée qui se constitue autour des réunions
diplomatiques et des colloques scientifiques qui les préparent. L’emploi du
langage codé dans des réunions vient du désir de coopération, mais c’est
aussi un mode d’insertion dans un groupe social multinational bien défini
où tout emploi d’un langage démodé entraîne vite la disqualification des
arguments et des personnes. » 793

Le langage codé dont il est fait mention n’est pas celui des scientifiques de la NASA.
A l’inverse, les scientifiques décodent leur langage afin qu’il soit utilisable par les
entrepreneurs de norme. L’utilisation de la théorisation 794 rend possible la circulation
du modèle auprès des entrepreneurs de transferts / normes, ce qui démultiplie d’autant
le nombre d’adoptants du modèle.

791
Ibid., p. 77.
792
Ibid.
793
Ibid., p. 89.
794
Qui peut être définie comme « l’élaboration d’un discours visant à présenter de manière simplifiée et abstraite les
caractéristiques d’un modèle, ainsi qu’à spécifier les relations de causalité entre la mise en œuvre de tel ou tel aspect de ce
modèle et les effets qui sont supposés en découler », in David Strang, John W. Meyer, « Institutional Conditions for
Diffusion », Theory and Society, vol. 22, n°4, 1993, pp. 487-511.

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Le pouvoir de diffusion du référentiel peut se manifester sous la forme concrète des


transferts. Le transfert peut être défini ainsi :

« Le processus par lequel des informations et des savoirs concernant les


politiques publiques propres à un système politique (…) sont empruntées
et utilisées dans le cadre du développement de politiques publiques dans
un autre système politique. Une telle définition implique la présence d’un
modèle de référence, d’acteurs engagés dans l’exportation et/ou dans
l’importation de ce modèle, d’une variété de canaux, mécanismes et
stratégies de transfert, de processus complexes de réception aboutissant à
l’appropriation du modèle sous une forme altérée, avec, le plus souvent,
des conséquences imprévues. » 795

Le transfert est visible par des créations concrètes, qui peuvent être constatées
objectivement d’un partenaire chez un autre : programmes d’action, politiques ou
institutions empruntés de systèmes étrangers. Il s’agit d’une convergence horizontale.

« L’adoption non contraignante (…) d’éléments d’une politique publique


mise en place dans un ou plusieurs pays, dans une logique d’émulation
et/ou d’inspiration » 796.

A cet égard, on constate des isomorphismes mimétiques dans la création en Europe


d’organisations en charge des débris similaires dans leurs prérogatives à leurs
homologues américaines. D’un point de vue militaire, la création d’un
Commandement Interarmées de l’Espace (CIE) en 2010 rappelle celle en 2006 du
Joint Functional Component Command for Space (JFCC- Space), même si ce dernier
concentre l’ensemble des prérogatives liées à l’espace. A l’inverse, l’apprentissage et
la socialisation obéissent à une logique de diffusion en réseau. Au processus
horizontal (transfert ; entre mêmes niveaux, le plus souvent nationaux, d’action

795
Thierry Delpeuch, L’analyse des transferts internationaux de politiques publiques : un état de l’art, Centre d’Etudes et de
Recherches Internationales de Sciences Po, Questions de Recherche, n°27, décembre 2008, p. 5.
796
Patrick Hassenteufel, in Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot, Pauline Ravinet, Dictionnaire des politiques publiques, op.
cit., p. 184.

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publique) s’oppose le processus vertical (diffusion). Un exemple de cette logique de


diffusion est parfaitement assumé par la Secure World Foundation.

“By framing space as a commons, it becomes possible to learn from and


apply a wealth of academic research and knowledge on CPRs to the space
sustainability problem”. 797

Les membres de la CE cherchent à élaborer cette structure de sens, en faisant de


l’espace un commun à l’instar des autres milieux ayant subi une même évolution.
Ainsi le référentiel sur la sécurité des activités spatiales tend à édifier par une double
dynamique, à force de diffusion et de transfert, un cadre de compréhension (« frames
of meaning » 798) qui fait sens jusqu’à acquérir un statut canonique (« canonical
status » 799). Ces cadres de compréhension deviennent alors si profondément acceptés
qu’ils en deviennent normalisés, c’est-à-dire qu’ils s’imposent à tous
« naturellement », sans remise en cause. Cela rappelle la troisième étape du cycle des
normes décrite par Finnemore et Sikkink (Partie 1), l’internalisation de la norme. Il
s’agit de son intégration pleine et entière dans les valeurs profondes d’un groupe
donné.

1.2.2. La projection des concepts smart au sein de l’OTAN

Au sein de l’Alliance Atlantique est défini le pendant « défense » du smart power, à


savoir la smart defense. Cette dernière consiste à partager entre les alliés le fardeau
financier des nouveaux équipements militaires. C’est une approche qui se veut
coopérative et qui met une fois de plus en exergue l’importance de la notion d’alliés
dans la nouvelle politique internationale américaine qui se veut intelligente. La notion
de global commons s’articule parfaitement avec le concept de smart defence
développé par l’OTAN. Parce que les acteurs spatiaux atlantistes sont dans une
configuration d’interdépendance les uns par rapport aux autres, il semble bénéfique
d’échanger des informations et des moyens dans le cadre de l’OTAN. Les partenariats

797
Tiffany Chow, http://swfound.org/media/61531/isusymposium2012paper_tchowbweeden.pdf
798
Clark A. Miller, “The dynamics of Framing Environmental Values and Policies: Four models of Societal Processes”, in
Environmental Values, vol. 9, n°2, 2000, p. 228.
799
Ibid., p. 224.

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semblent facilités par l’institution. La smart defence intervient ici afin de mutualiser
les moyens des alliés et faire porter l’effort de surveillance de l’espace par tous.

“Sharing the information from multiple producers in a NATO context


would improve the combined knowledge of all and thereby enhance SSA.
Adopting a shared SSA approach within NATO may aid the ability to
attribute space capability activities to terrestrial actors; a known shortfall
in the current system.” 800

1.2.2.1. La projection du concept de global commons

L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord a introduit dans ses documents stratégiques


la notion de global commons. Le document “Multiple Futures Project” publié en avril
2009 801 évoque les global commons dans le sens défini par la stratégie américaine. Ses
rédacteurs assimilent l’espace extra-atmosphérique aux différents milieux fluides. L’idée
maîtresse est là encore de protéger et de sécuriser l’accès et l’utilisation de ce milieu. Le
Commandement Allié Transformation (ou ACT pour Allied Command Transformation)
organise en 2010 un cycle de consultations sur la thématique des global commons et
conclut à leur intérêt stratégique en termes de sécurité. La force de l’argumentaire est de
souligner que les adversaires non otaniens pourraient interdire l’accès aux communs et en
ce sens remettre en cause la sécurité internationale. La sécurité transatlantique peut donc
être en péril. La cristallisation de ces peurs se fait à l’encontre des dirigeants chinois.

« ACT propose à l'Otan de devenir un leader dans la défense des global


commons. Cette perspective rencontre un besoin : redéfinir l'alliance
transatlantique dans un nouveau siècle politique où les ennemis auraient
changé de figure. Cette réorientation des objectifs s'articule avec la
projection conceptuelle américaine » 802.

800
Joint Air Power Competence Center (JAPCC), “Filling the Vacuum. A Framework for a NATO Space Policy”, p. 17, Juin
2012.
801
ACT, Multiple Futures project. Navigating towards 2030, Final Report, avril 2009,
https://transnet.act.nato.int/WISE/NATOACTRes/Training/MultipleFu/file/_WFS/20090503_MFP_finalrep.pdf
802
Frédéric Ramel, « Accès… », op. cit.,p. 20.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Le renouvellement des champs d’action de l’organisation transatlantique est en effet un


souci constant de ses membres en vue de sa pérennité 803. Afin de transférer le concept des
global commons au sein de l’OTAN, l’organisation a recours à des entrepreneurs de norme
qui, entre autres, animent des ateliers au sein de l’ACT. Ce commandement, l’un des deux
principaux de l’OTAN avec le Commandement Allié Opérations (ACO pour Allied
Command Operations), est en charge d’établir la doctrine militaire de l’OTAN et de
« tester » de nouveaux concepts stratégiques.
Depuis la réintégration de la France dans le Commandement intégré de l’OTAN annoncée
en novembre 2007 et effective en avril 2009, le commandant allié Transformation est de
nationalité française. Cette réintégration, polémique au moment de la décision du chef de
l’Etat Nicolas Sarkozy, a fait espérer que la France ait une influence sur les débats
stratégiques et conceptuels otaniens. Lorsque le premier commandant allié Transformation
post-réintégration est nommé en la personne du Général d’Arme Aérienne (GAA)
Stéphane Abrial, en septembre 2009, la diffusion du concept de global commons est déjà
en cours au sein d’ACT.
Cette entreprise a été confiée au think tank Atlantic Council et plus particulièrement à son
Programme sur la Sécurité Internationale. Le think tank est le partenaire privilégié
d’ateliers organisés à partir de juillet 2010 804 et accueille une des réunions organisées par
ACT le 03 février 2011. Au sein de l’ACT, ce sont les militaires et les fonctionnaires
américains qui défendent le concept de global commons en se faisant les relais des autres
membres de la CE. Les forums de socialisation que sont ces ateliers permettent
l’apprentissage du concept au profit des partenaires otaniens. Ce référentiel stratégique
tend à s’imposer à des Etats ayant déjà leur propre culture stratégique, et une utilisation de
l’espace qui n’est pas similaire à celle des Américains.

« Une telle stratégie d'internationalisation rencontre toutefois un obstacle


de taille : l'absence d'appropriation par les autres Etats membres, en
particulier les Britanniques. Ce développement conceptuel et doctrinal
ainsi que sa projection otanienne sous l'administration Obama suscite

803
Une organisation qui malgré la disparition de l’URSS et du Pacte de Varsovie, n’a pas mis fin à son existence. Serge Sur,
Relations internationales, op. cit., p. 150.
804
Frédéric Ramel, “Accès…, op.cit., p. 20.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

parfois des critiques dans la communauté académique. Elles sont encore


plus fortes au sein de la sphère dirigeante des émergents. » 805

Frédéric Ramel rappelle que cette notion est totalement étrangère à une puissance militaire
telle que la Chine. Cet Etat-continent utilise les global commons mais développe une
interprétation différente de ce que doit être son utilisation stratégique.
Le 14 novembre 2012, un rapport 806 commandé par la présidence de François
Hollande rend compte des conséquences du retour de la France dans le commandant
intégré de l’OTAN. Ce rapport rédigé par Hubert Védrine tente d’évaluer l’influence
de la France au sein de l’OTAN depuis sa réintégration, l’avenir de la relation
transatlantique et les perspectives de l’Europe de la défense. Le constat s’effectue sur
un court laps de temps. En 2012, cela ne fait que cinq ans que la France a fait ce
choix et trois ans que le retour est effectif.
En matière de contribution française à la réflexion stratégique otanienne, le bilan
semble mitigé. Le débat otanien a majoritairement tourné autour de la réflexion sur
l’adoption d’un programme de défense antimissile balistique, acté lors du sommet de
Lisbonne en novembre 2010. Bien que timorée à cette idée, la France a suivi son
partenaire américain. Ainsi, Hubert Védrine de mettre en garde ;

« Notre vigilance doit s’exercer aussi sur le risque de « phagocytage »


conceptuel et théorique. Il faudra que notre armée préserve sa capacité
propre d’analyse des menaces, de réflexion et de prévision sur les
scénarios et même de planification, ce qui a été le cas jusqu’ici, sans «
s’en remettre » aux structures de l’OTAN, ou européennes. » 807

La projection du concept de global commons au sein de l’OTAN prive la Défense


française d’une réflexion stratégique sur les milieux, dont le milieu spatial, qui lui
serait propre. Le risque est alors d’adopter une pensée stratégique « prête à l’emploi »
qui peut être pourtant en décalage avec la culture stratégique nationale.

805
Ibid.
806
Hubert Védrine, Rapport pour le Président de la République française sur les conséquences du retour de la France dans le
commandement intégré de l’OTAN sur l’avenir de la relation transatlantique et les perspectives de l’Europe de la Défense,
14 novembre 2012.
807
Ibid.,p. 20.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

L’OTAN a pour objectif d’élaborer des standards applicables à l’ensemble des global
commons. Cette standardisation des pratiques se réalise au nom de l’interopérabilité
entre les Etats membres de l’OTAN. L’interopérabilité renvoie à la conception de
systèmes destinés à fonctionner en commun bien plus qu’à des systèmes développés
collectivement 808. C’est donc un type de coopération qui sauvegarde la souveraineté
des Etats. La standardisation des pratiques affecte la manière d’agir sur le théâtre des
opérations, autant dans les phases de planification que de conduite. Par incidence,
c’est la culture de guerre de l’Etat qui se modifie et donc également sa culture
stratégique. Dans un document otanien de 2011, les standards appliqués aux global
commons sont érigés en objectifs à atteindre pour l’Alliance 809.

“(…) how can NATO help the international community to establish


training and education that sets codes for conduct and standards for
interoperability?” 810

Malgré l’absence de moyens spatiaux propres à l’OTAN, certains membres de cette


organisation engagent une réflexion sur les utilisations de l’espace. Leur volonté est
même d’aller plus loin en souhaitant mettre en place une organisation otanienne
dédiée à la surveillance de l’espace et rédiger une politique spatiale.

“One of the larger questions NATO needs to address is what SSA


information it needs, how and where will the data be distributed, and who
will receive it. This could be done through the creation of a space-
situational information sharing centre, or possibly through a series of
formal Memoranda of Understanding with space-faring nations, which
would provide such information.” 811

“NATO may find it easier to first develop a policy framework among


member nations that codifies agreed activities, behaviours, and methods.

808
François Heisbourg, Xavier Pasco, L’Espace militaire…, op. cit., p. 57.
809
Major General Mark Barrett, Dick Bedford, Elizabeth Skinner, Eva Vergles, “Assured Access to the Global Commons”,
avril 2011, URL: http://www.act.nato.int/images/stories/events/2010/gc/aagc_finalreport_text.pdf.
810
Ibid, p. 45.
811
Ibid., p. 29.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

The new ESA Space Code of Conduct, which has been accepted by several
NATO members, may serve as a good template for such an agreement.” 812

La pratique des MoU (Memoranda of Understanding) a déjà été largement mise en


place par l’administration Obama auprès de ses proches alliés, membres de l’OTAN.
L’OTAN préconise un régime partagé au sein de ses membres, prenant appui sur le
modèle du code de conduite européen. Au passage, il est surprenant mais éclairant de
constater que les rédacteurs de haut niveau de ce document confondent l’agence
spatiale européenne avec l’Union européenne. Cette confusion ne permet pas à
l’Union européenne de se présenter comme un acteur normatif crédible.

« Stratégiquement, l’approche de l’Alliance atlantique consiste à se


préoccuper de l’accès à ces espaces, et du transit dans ces espaces. Elle
vise à prévenir les stratégies de déni d’accès (voire de déni de transit).
Toutefois l’approche alliée est très séquentielle : une fois énoncées
quelques généralités sur ces espaces d’intérêt commun, on les analyse l’un
après l’autre (…). Mais au fond, personne ne s’intéresse vraiment à la
notion commune d’un point de vue stratégique et transverse. Elle demeure
une catégorie nouvelle, affichable et communicable, quasiment
publicitaire, mais qui n’emporte pas, par elle-même, de conséquences
stratégiques partagées : elle ne comprend pas une stratégie commune. Les
Global Commons n’ont pas grand-chose en commun ! » 813

Deux stratèges américains ont tenté de remédier à ce biais. Le colonel M. Hughes et


le capitaine de vaisseau M. Redden constatent en 2010 que la plupart des stratégistes
se sont focalisés sur leur milieu géographique, physique. Ils recommandent
dorénavant de planifier les opérations sur l’ensemble du spectre, selon un nouveau
« paradigme de planification » 814.

812
Ibid, p. 35.
813
Frédéric Ramel, « Accès aux espaces communs »…, op.cit., p..45.
814
Ibid., p. 46.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Cela rejoint l’idée de la théorie des sphères stratégiques 815. La planète peut être
représentée par des sphères gigognes. Aux premières sphères physiques (terre, air,
mer, espace électromagnétique et espace exo-atmosphérique) s’ajoutent des sphères
immatérielles : espace nucléaire, cyberespace, espace des perceptions. Le Centre
Interarmées de Concepts, de Doctrines et d’Expérimentations (CICDE), organisation
militaire française, fait cette distinction avec les milieux physiques d’un côté et les
« nouveaux champs d’affrontement immatériels » 816 de l’autre. Une sphère autour
d’une autre ne permet plus sa domination. L’intersection des sphères est aujourd’hui
une exigence et une réalité. Les sphères sont sécantes.

« Il convient d’étudier les intersections de sphères, car ce sont elles qui


sont au centre du système stratégique. » 817

Malgré l’effort apparent de vouloir penser les espaces d’intérêt commun dans leur
intégralité (ce qu’aurait pu laisser penser la notion de global commons), cette
dénomination n’a pas réellement porté ses fruits dans l’analyse stratégique. Le
transfert de cette notion floue au sein de l’OTAN permet d’en faire une question de
sécurité collective. L’organisation transatlantique s’apparente alors plutôt à « un
instrument de l’hégémonie individuelle des Etats-Unis avec parfois le concours de
leurs alliés » 818. L’utilisation de la notion de global commons au sein de l’OTAN, et
sa confusion récurrente d’avec les BPM, ne seraient qu’une « arme discursive utile,
sinon nécessaire pour repenser l’action collective internationale » 819 au profit du
leadership américain. Enfin, la reprise de cette notion au sein de l’OTAN est
également une aubaine pour le renouvellement de ses activités. En effet, cette
organisation internationale est en recherche perpétuelle de nouveaux arguments pour
pérenniser et légitimer son existence.

815
Ibid., p.58 – 59.
816
Concept d’emploi des forces, Concept interarmées CIA-01 (A)_CEF (2013), n°130/DEF/CICDE/NP du 12 septembre
2013, Etat-major des armées, CICDE, p. 11.
817
Frédéric Ramel, « Accès aux espaces communs »…, op.cit., p. 63.
818
Serge Sur, Relations internationales, op. cit., p. 475.
819
François Constantin (dir.), op. cit.,p. 36.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

1.2.2.2. La smart defence au service des global commons et comme


palliatif à la réduction des budgets défense des Etats européens

La smart defence est définie par le Secrétaire général de l’OTAN en ces mots :

“Smart defence is about building security for less money by working


together and being more flexible. This requires identifying those areas in
which NATO allies need to keep investing.” 820

C’est une déclinaison économique et militaire du smart power. La coopération par la


mutualisation des moyens entre alliés doit donc se réaliser dans les domaines
identifiés par l’OTAN. Or, les Etats européens ont la fâcheuse tendance à ne plus
investir massivement pour leur sécurité mais au contraire dépendre de l’aide
américaine. C’est en tout cas la vision qu’ont les Américains de la défense
européenne. Si l’on en croit le discours de Robert Gates, alors secrétaire à la Défense,
du 10 juin 2011, l’Europe obère sa capacité d’exercer un hard power. La réduction de
ses budgets de défense et le manque de volonté politique condamnent l’Europe de la
défense et la participation de l’Europe à l’OTAN. 821
Cette mise en garde fait écho aux propos d’Erwan Lagadec:
“the US security guarantee remains indispensable to Europeans, even
while it has ceased to be so in Americans eyes.” 822
Du côté français, ce constat est validé par l’amiral Édouard Guillaud, alors Chef
d’état-major des armées françaises dans une intervention prononcée le 9 juin 2011.
Lors du colloque du Conseil économique de Défense, il met en garde contre le
« désarmement collectif » de l’Europe 823. Dans une Europe devenue « cacophonique
ou aphone », il appelle les Européens à prendre en compte le « repositionnement
américain » en prônant une « logique de smart power ». Ce constat amer pose la
question des capacités de l’Europe à exercer sa puissance autant sur les versants hard
que soft du pouvoir. Cette question est traitée un peu plus loin dans cette thèse. Cette

820
Joint Air Power Competence Center (JAPCC), “Filling the Vacuum…”, op. cit., p. 24.
821
« Reflections on the status and future of the transatlantic alliance », discours de Robert Gates au sommet OTAN-UE à
Bruxelles, 10 juin 2011.
822
Erwan Lagadec, Transatlantic Relations in the 21st Century : Europe, America and the Rise of the Rest, London,
Routledge, 2012.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

réflexion est d’autant plus fondamentale que l’OTAN ne possède pas en propre de
capacité spatiale. Les opérations extérieures menées en son nom font appel aux
capacités nationales. La préoccupation de l’OTAN est donc de s’assurer de ce soutien
capacitaire :
“Nations within NATO, particularly the United States, United Kingdom,
France and Germany, have developed or are developing SSA capabilities.
The European Union is also endeavoring to develop an SSA capability.
(…)NATO’s first priority for these space capabilities is thus to assure
their continued delivery in support of NATO operations.” 824
Les événements et défis sécuritaires des années 2000 semblent redonner une
légitimité à l’OTAN. Ces facteurs associés à la volonté des acteurs ont également
permis de relancer le partenariat franco-américain. Leurs interdépendances s’en
trouvent renforcées.

“(…) we are experiencing the best of times for NATO; this is especially
true if we concentrate solely upon the important sea-change that has
occurred in respect of relations between the US and France (…).” 825

823
Allocution de l’Amiral Edouard Guillaud, Chef d’état-major des Armées, lors du colloque du Conseil économique de la
Défense, 9 juin 2011.
824
Ibid, p. 17-18.
825
David G. Haglund, “Hard power and doctrinal «transformation » in american foreign policy : a tales of two cycles”, in
Maya Kandel, Maud Quessard-Salvaing (dir.), Les stratégies du smart power américain: redéfinir le leadership dans un
monde incertain, Etudes de l’IRSEM, n°32, 2014, p.52.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

CONCLUSION de la PARTIE 2 / 1. De l’hégémonie spatiale américaine


au maintien du leadership dans l’espace
La présidence de Barack Obama a constitué une fenêtre d’opportunité pour la mise en
pratique d’une « nouvelle » façon de faire de la politique étrangère, par le smart
power. Ce ne sont pas tant les finalités que la méthode qui a changé. Le réalisme
politique reste la règle. Cette réorientation s’applique également à la stratégie
spatiale.
La conceptualisation du smart power a été préparée par des entrepreneurs de normes.
L’objectif ultime reste l’assurance de la supériorité américaine dans l’espace par
l’exercice d’un leadership, c’est-à-dire une « domination » consentie par les alliés des
Etats-Unis, et donc non ressentie en tant que telle.
Pour le domaine spatial cela se traduit par la diffusion du concept flou de global
common. Légitimé grâce à une confusion sciemment entretenue avec les concepts
louables issus du développement, le global common renvoie davantage à un
référentiel sécuritaire promu jusqu’au sein de l’alliance militaire qu’est l’OTAN.
L’organisation devient un instrument du leadership spatial en diffusant le concept et
ses implications (interopérabilité, standardisation) auprès de ses membres. Cette
persuasion normative a d’autant plus de conséquences sur des Etats spatiaux pouvant
développer leur propre réflexion sur le milieu, et donc éventuellement penser l’espace
autrement que comme un global common. En ce sens, le cas de la France et de
l’Europe présenté ci-après permet d’illustrer ce propos.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

2. OPPORTUNITES ET LIMITES DU PARTENARIAT


TRANSATLANTIQUE AU PROFIT DE LA REGULATION DES

ACTIVITES SPATIALES

2.1. Comprendre le rapprochement franco-américain : facteurs et


acteurs

2.1.1. Les dynamiques de la convergence

La convergence comme processus dynamique de rapprochement est soutenue par quatre


dynamiques : juridique, fonctionnelle, cognitive et politique 826. Il s’agit d’évaluer ces
quatre dynamiques à l’œuvre dans la convergence transatlantique.
La dynamique juridique consiste pour les parties à souhaiter l’adoption de normes,
éventuellement contraignantes, pour un ensemble d’Etats. L’adoption de normes
contraignantes dans le milieu extra-atmosphérique préexiste. L’augmentation de la
population spatiale fait qu’un ensemble d’Etats (principalement les puissances spatiales)
souhaite mettre en œuvre d’autres normes contraignantes et non contraignantes. Sur la
période considérée de cette thèse, le projet du « bloc occidental » semble plus enclin à
aboutir. Les partisans de ce régime non contraignant déploie alors moult efforts afin
d’aboutir à son adoption par le plus grand nombre. Ce régime « occidental », accompagné
par un processus de socialisation et d’apprentissage, vise l’harmonisation
827
transnationale . Le soutien américain au code de conduite européen est donc une
dynamique juridique participant à la convergence franco-américaine. Autre exemple, la
dynamique juridique est présente dans le rapprochement sino-russe au profit de la
promotion du PPWT. Mais l’on peut dire dès maintenant que cette dynamique n’est pas
soutenue par les autres, ce rend leur convergence fragile (prise en considération de la
logique des négociations parallèles).

826
Katharina Holzinger, Christophe Knill, “Causes and Conditions of Cross-national Policy Convergence”, Journal of
European Public Policy, 12 (5), 2005, p. 775-796.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

La dynamique fonctionnelle consiste pour les parties à être confrontées à des problèmes
similaires qui peuvent engendrer des interdépendances. Dans ce cas et au regard des
développements précédents de cette thèse, il est clair que la préoccupation des Européens
et des Américains d’assurer la sécurité de leurs activités spatiales est commune. Pour cela,
le tir ASAT chinois de 2007 a joué le rôle de catalyseur et a rapproché les joueurs. La
défiance à l’égard des stratèges du programme spatial chinois issus de l’Armée Populaire
de Libération (APL) est certes plus prononcée du côté des Américains mais n’est pas non
plus absente chez les décideurs européens 828. Les deux parties, américaine et française,
peuvent avoir des intérêts, des enjeux et des objectifs distincts, reste que la convergence
s’opère sur cette préoccupation sécuritaire, cette menace.
La dynamique cognitive a déjà été longuement traitée jusqu’ici. Les logiques d’influence et
de transfert entre la politique et la stratégie spatiales américaines vers celles de la France et
de l’Union européenne matérialisent la convergence horizontale. Conjuguée à la logique de
diffusion (socialisation et apprentissage) portée par la CE, la convergence est également
rhizomatique et omnidirectionnelle (en réseau).
La dynamique politique peut prendre la forme de l’imposition : un Etat impose à un autre
sa vision d’une politique. Cette situation de dépendance et/ou de domination est créée par
l’asymétrie de pouvoir. La supériorité américaine permet en partie ce type de relation.
Mais la dynamique politique peut avoir lieu lorsqu’il y a émergence de nouveaux acteurs.
Cela modifie les configurations de pouvoir existantes et incite à la convergence. La
convergence transatlantique se nourrit de ces deux formes de dynamique politique.
L’asymétrie de pouvoir est réelle. Mais les Etats-Unis n’imposent pas à proprement parlé
une politique à ses alliés européens. En revanche, ces derniers, en requérant le soutien des
Etats-Unis au CoC en sa qualité de critical state subissent, malgré tout, d’autant plus son
influence. De plus, la convergence franco-américaine est indubitablement liée à
l’émergence des nouveaux acteurs au sein du milieu spatial, notamment les acteurs
étatiques. La France peut également être considérée comme un acteur nouveau, du moins
récent, dans le domaine de la surveillance de l’espace. Ses décideurs ont acquis cette

827
Patrick Hassenteufel, in Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot, Pauline Ravinet, Dictionnaire…, op. cit., p. 182.
828
Le souhait de la Chine de participer au programme européen de satellites de navigation GALILEO a suscité des craintes
tant du côté des Américains que des Européens. Finalement, sa participation ne s’est pas concrétisée.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

capacité depuis 2005. Cela a été l’occasion de nouveaux accords entre les deux, et donc de
matérialiser une dynamique politique.
La question est à présent de savoir si la convergence de ces deux puissances spatiales
(Etats-Unis et France/Union européenne) peut déboucher sur un projet de CoC
international, signé et ratifié par une majorité d’Etats. Cette convergence transatlantique
conjoncturelle renforce une alliance historique, structurelle. Peut-elle se décliner en un
partenariat réel dans le domaine spatial ? Dans un rapport de l’OPECST datant de 1991, les
parlementaires posaient une question édifiante sur la position des Etats-Unis vis-à-vis de la
France et de l’Europe :
« Vis-à-vis des Etats-Unis, comment passer d’une situation d’hégémonie à
un statut de partenaire ? » 829

C’est la question qui structure les relations transatlantiques. La conférence de Prague


reprend en filigrane cette problématique. A l’instar de la déclaration des parlementaires ci-
dessus, les organisateurs de la conférence de Prague parlent de partenariat et non
d’alliance. Quelle est donc la différence ? En quoi le partenariat appelé de ses vœux par les
organisateurs de la conférence de Prague est-il différent des actions menées au sein de
l’alliance atlantique ?
Il existe une catégorisation des alliances, plus prompt à la pérennité que les partenariats.
Ces derniers s’établissent généralement entre un petit groupe d’Etats et dans un domaine
particulier relatif à l’économie ou encore à la sécurité. Les partenaires ne sont pas
forcément des alliés, mais les alliés sont souvent des partenaires dans de nombreux
domaines. Les partenariats relèvent parfois du pragmatisme (à l’instar du partenariat
stratégique russo-chinois) quand les alliances requièrent un degré plus élevé de confiance
entre les Etats. Stefan BERGSMANN définit l’alliance militaire comme :

« (Un) accord explicite entre Etats dans le domaine de la sécurité


nationale » grâce auquel « les partenaires se promettent une assistance
mutuelle qui revêt la forme d'une contribution substantielle de ressources

829
OPECST, Rapport sur les orientations de la politique spatiale française et européenne, 1991, p. 19.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

dans le cas de l'avènement d'une situation qui peut s'avérer incertaine


» 830.

Ce sont typiquement les mécanismes mis en place au sein de l’OTAN. Jeremy GHEZ dans
son rapport sur les implications du partenariat américano-européen 831 tente d’expliquer ce
qui rapproche ou éloigne les alliés. Pour cela ils distinguent trois types d’alliances :
tactiques, historiques et naturelles 832. Pour l’auteur, l’alliance naturelle caractérise le
partenariat américano-européen.

“The concept of natural alliances goes beyond partners’ shared sense of


history by additionally hypothesizing commonalities in political culture
and in narratives about how the world works or should work. These
commonalities adapt to the new landscape through a constant
reconstruction of the identities of natural allies who seek to tell or retell
history to better face the present and to adjust to the future.”

Malgré certains désaccords, la France et les Etats-Unis restent des alliés en toute
circonstance, dont l’histoire est témoin. Ainsi, malgré la crise diplomatique de 2003
entre Français et Américains, l’idée même que ces Etats ne pourraient plus être
considérés comme des alliés n’a pas été évoquée. La relation franco-américaine est
caractérisée par une path dependence 833 diplomatique. Dans ce cadre-là, un
changement des liens diplomatiques entre Français et Américains est peu probable sur
le long terme. L’alliance franco-américaine se matérialise au travers de nombreux
partenariats. La conférence de Prague appelle à un partenariat dans le domaine de la
sécurité des activités spatiales. La France et les Etats-Unis coopèrent déjà sur ce
sujet. Ces coopérations correspondent à des progrès capacitaires réalisés par la

830
Stefan Bergsmann, « The Concept of Military Alliance », in Erich Reiter and Heinz Gärtner (dir.), Small States and Alliances,
Heidelberg, Physica-Verlag, 2001, pp. 25-39.
831
Jeremy Ghez, “Alliances in the 21st Century. Implications for the US-European partnership”, Rand Corporation avec le
soutien du Ministère français de la Défense, 2011.
832
Ibid., p. viii. “The primary purpose of a tactical alliance is to counter an immediate threat or adversary that has the
potential to challenge a state’s most vital interests. Tactical alliances are instrumental and often opportunistic in nature as
they allow states to address a pressing and urgent issue.”
“Historical alliances are enduring partnerships that sustain in spite of significant ruptures or changes in the international
system. The structural features of such an alliance, which outlast time- or threat-specific contingencies, empower allies to
sustain cooperation, relying on past successes as focal points to justify additional partnerships. ”
833
Paul Pierson, “Increasing Returns…”, op. cit.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

France. L’outil technologique devient un outil diplomatique favorisant les échanges


entre les deux nations. Les dynamiques de la convergence se situent également au
sein même de la structure du système international en profonde mutation.

2.1.2. Le rapprochement franco-américain ou l’ère de la « bonhommie


stratégique » 834

2.1.2.1. L’impulsion franco-britannique au profit du nouveau


trilatéralisme

Le rapprochement franco-américain s’est nourri de façon concomitante d’un renforcement


des relations franco-britanniques notamment dans le secteur de la défense. Plusieurs
rencontres, sommets et exercices militaires prometteurs ont marqué le début des années
2000. En tout premier lieu, le sommet franco-britannique de Saint Malo en décembre 1998
a marqué en son temps les esprits. Il jette les bases, du moins dans le discours, d’une
Europe de la défense. Les réticences britanniques récurrentes ont été édulcorées lors de la
déclaration commune et des avancées notables ont fait espérer à de réelles possibilités
d’actions militaires européennes. Vient ensuite le sommet de Lancaster House qui
proclame « un niveau de confiance mutuelle sans précédent » 835 entre les deux Etats. Le 2
novembre 2010, les Français représentés par Nicolas Sarkozy et les Britanniques par leur
Premier ministre David Cameron ont signé un accord de coopération en matière de défense
et de sécurité. Les accords dits de Lancaster House abordent ainsi une dizaine de domaines
de coopération (avions de transports, nucléaire civil, drones etc.). Le 14ème point fait état
d’une future coopération dans le domaine des satellites de communications militaires.
L’objectif est de mener une étude de concept pour des satellites entrant en service entre
2018 et 2022. La déclaration n’aborde rien de plus concernant l’utilisation militaire de
l’espace. Rien non plus sur la sécurité des activités spatiales. Les sommets franco-
britanniques sont annuels mais leur contenu « spatial » est maigre voire inexistant. Les
résultats du sommet de Lancaster House ont semblé sonner le glas des espoirs de
construction d’une Europe de la défense, pourtant portée aux nues lors du rassemblement
de St Malo. En revanche, ces sommets sont un signe fort de rapprochement entre les deux

834
David G. Haglund, “Hard power and doctrinal «transformation »…”, op. cit., p.52.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Etats, qui, de proche en proche, resserrent également les liens entre Français et Américains.
Cela participe ainsi à la revitalisation de la relation transatlantique. En matière d’espace,
les coopérations franco-britanniques restent rares même si les initiatives existent. Cette
volonté de coopération s’est manifestée plus spécifiquement sur les programmes de
télécommunications spatiales militaires pendant la deuxième moitié des années 1990 mais
cela s’est traduit par un échec 836. Malgré ce bémol concernant la coopération spatiale
franco-britannique, les deux partenaires ont tout de même initié une coopération renforcée
en ce qui concerne la défense et la sécurité. Les sommets successifs et leurs engagements
pris en témoignent. Cela fait dire à Haglund qu’on assiste à un « nouveau
trilatéralisme » 837 au cœur de la sécurité transatlantique. Ce trilatéralisme ne doit pas être
confondu avec la coopération trilatérale promue par les Etats-Unis dans le cadre de la
Space Situational Awareness qui rassemblerait les Etats-Unis, l’Europe et le Japon.
Ce trilatéralisme a été effectif lors des discussions dans le cadre du GGE de 2011-2013. En
effet, en amont des réunions programmées du GGE, les représentants des Etats-Unis, de la
France et de la Grande-Bretagne se sont réunis afin d’harmoniser leurs positions. Cette
coordination de position est un exercice diplomatique dans lequel les positions françaises
du Quai d’Orsay sont relayées par Gérard Brachet sans empêcher un consensus trilatéral.
La coordination des positions entre les trois acteurs a également été réalisée dès les
premières discussions sur le projet européen de code de conduite, les Britanniques se
faisant les relais des positions américaines.
La position de la France dans cette configuration peut être inconfortable. Le Royaume-Uni
a des positions diplomatiques et doctrinales très proches de celles des Américains. Dès la
fin des années 1960, le Royaume-Uni a fait le choix de l’option atlantiste et du
pragmatisme économique en dépendant des capacités américaines. Là où la France voit son
autonomie stratégique dans la constitution de capacités spatiales militaires autonomes ou
en coopération avec les autres Etats européens 838, le Royaume-Uni considère que son

835
Communiqué à l’issue du sommet de Lancaster House, 2 novembre 2010.
836
Lire avec intérêt « Le Royaume-Uni et l’échec Trimilsatcom », François Heisbourg, Xavier Pasco, L’Espace militaire…,
op. cit., pp. 54-62.
837
David G. Haglund, “Hard power…, op.cit., p. 62.
838
Par exemple avec le programme européen Hélios, les satellites nationaux d’écoute (Essaim, ELISA et futur CERES), la
complémentarité des satellites de télécommunications militaires Syracuse et Athena-Fidus (Italien) etc.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

autonomie stratégique passe par sa « relation spéciale » avec les Etats-Unis 839. Le pays fait
alors le choix de ne disposer d’aucun satellite militaire institutionnel, et ne fait pas partie
du programme européen Ariane.

« Ce qui apparaît comme une dépendance extrême vis-à-vis des Etats-Unis


vu de France constitue au contraire un gage d’indépendance stratégique
de l’autre côté du Channel. (…) il semble bien que le fossé entre les
cultures stratégiques britannique et continentale soit infranchissable dans
le spatial militaire. » 840

Au sein de la doctrine spatiale britannique, conceptualisée par la Royal Air Force, le


contrôle de l’espace est érigé en objectif ultime. Les positions sont là aussi, sans surprise,
très proches de celles des Américains. Les notions de liberté d’accès à l’espace pour la
Grande-Bretagne et ses alliés, et de déni d’accès pour les potentiels adversaires sont
sanctuarisées. Les actions défensives et offensives ne sont pas exclues à l’encontre
d’ennemis souhaitant utiliser l’espace. La capacité de surveillance de l’espace est alors
présentée comme indispensable afin d’assurer le contrôle de l’espace 841.
Il semble que de ce point de vue, la définition de la sécurité des activités spatiales
entre Américains/Britanniques et Français/Européens ne soit pas spontanément
commune.

2.1.2.2. Le rapprochement franco-américain concomitant

Le rapprochement suppose ici un éloignement antérieur. C’est paradoxalement la


ressource spatiale militaire qui éloigne les deux alliés que sont la France et les Etats-
Unis. En effet, en 2003, les capteurs optiques des satellites d’observation militaire
Hélios permettent à la France de disposer de capacités autonomes de décision. A cette
époque, les Américains sollicitent la communauté internationale pour intervenir en
Irak et justifient cette action au nom de la guerre contre le terrorisme. Clichés à

839
Christophe Venet, « Dans l’espace aussi, l’Angleterre est une île », 25 octobre 2012, Ultima Ratio : Blog du Centre des
Etudes de Sécurité (CES) de l’IFRI, http://ultimaratio-blog.org/fr/archives/5183
840
Ibid.
841
British Air and Space Power Doctrine, Ap 3000 Fourth Edition, Air Staff, Ministry of Defense,
http://www.raf.mod.uk/rafcms/mediafiles/9E435312_5056_A318_A88F14CF6F4FC6CE.pdf

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

l’appui, Colin Powell alors secrétaire d’Etat à la défense de George W. Bush,


présente les « preuves » de la possession d’armes de destruction massive par Saddam
Hussein. Les images prises par les satellites Hélios montrent des clichés différents, ne
permettant pas d’accréditer cette déclaration. La France s’appuie donc sur ses clichés
pour s’opposer à une intervention armée en Irak. Par la voix de son ministre des
affaires étrangères d’alors, M. Dominique de Villepin, et devant l’Assemblée
générale des Nations Unies le gouvernement français exprime une fin de non recevoir
à la demande américaine d’intervention. Ce discours du 14 février 2003 ressenti
comme une diatribe contre les Américains inaugure une période de relations
diplomatiques tendues entre les deux alliés. Dans ce cas, la ressource spatiale a été un
outil de décision à disposition du pouvoir exécutif ayant des conséquences dans le
champ de la diplomatie. A l’inverse, certains Etats européens comme l’Espagne, face
aux mêmes clichés d’Hélios, ont tout de même décidé de soutenir l’intervention en
Irak en y envoyant des troupes.
Peu à peu, les relations franco-américaines ont repris à la faveur d’un travail
minutieux des diplomates, de « trois années de rafistolage en coulisse, côté
français » 842. En 2007, l’élection en France d’un président considéré comme pro-
américain facilite le rapprochement 843. L’ère Chirac peut être oubliée. Plus tard
également, François Hollande semble apprécié outre-Atlantique :
“(…) he is much more popular there than he is at home, and even
conservatives in America have been quick to applaud for foreign-policy
844
decisions taken.”

Haglund insère cet éloignement puis ce rapprochement au sein d’un « cycle


transatlantique » 845 plus global. Il va jusqu’à qualifier le renouveau diplomatique de
« bonhomie stratégique ». Cette dernière s’opère à la suite d’évolutions
conjoncturelles et structurelles. Ainsi, dès 2006, les frictions s’apaisent à la faveur de

842
« France-Etats-Unis : l’histoire d’un retournement », auteur inconnu, URL : http://www.lemonde.fr, site consulté le 6 avril
2006.
843
Lire avec grand intérêt l’article du Monde sur les relations franco-américaines sous l’ère Sarkozy, construit à partir des
câbles diplomatiques de WikiLeaks, « WikiLeaks : Nicolas Sarkozy, « l’Américain » », URL :
http://www.lemonde.fr/international/article/2010/11/30/wikileaks-nicolas-sarkozy-l-americain_1447153_3210.html
844
Ibid., p. 55.
845
Relevant de la « nature cyclique de la dynamique des alliances », Ibid., p. 59.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

positions communes sur certains dossiers diplomatiques 846. Le changement de


dirigeants étatiques crée une conjoncture favorable au rapprochement. En France,
Nicolas Sarkozy remplace Jacques Chirac en 2007 (jusqu’en 2012) et aux Etats-Unis,
Barack Obama remplace George W. Bush en 2009 (jusqu’en 2016). Les deux chefs
d’Etats partants ont eu des mandats marqués par leurs relations diplomatiques
tumultueuses. La décision française de rejoindre le commandement intégré de
l’OTAN en 2009, d’intervenir au Mali en 2013 et la même année de soutenir la
position américaine visant à opérer des frappes de représailles contre la Syrie ont été
très appréciés du côté américain. Dans le même temps, le passage à une « doctrine
Obama » mettant en exergue l’exercice du smart power au profit du leadership a
favorisé une meilleure compréhension mutuelle. De plus, les deux alliés se
rassemblent dans « l’adversité » 847. En effet, tous les deux subissent les mutations
économiques d’un monde post-Guerre froide marqué par la multipolarité. Mais le
relatif déclin de l’économie européenne associé aux crises financières successives ont
fait vaciller la construction économique, politique et identitaire de l’Union
européenne. La capacité de l’Union européenne à maintenir une cohésion entre ses
Etats membres est remise en cause. Sur cela, la « doctrine Obama » a fait de l’Asie-
Pacifique son centre d’intérêt stratégique principal laisse orpheline une Europe en
quête de soutien américain, notamment dans le domaine militaire. Cependant, le
retour d’une Russie expansionniste conduite par Vladimir Poutine, et donc considérée
comme menaçante par les anciennes républiques soviétiques peut œuvrer au profit du
rapprochement euro-américain.

2.1.3. Le rapprochement franco-américain décliné au secteur spatial,


moteur du partenariat transatlantique naissant

2.1.3.1. La promotion du réseau spatial allié ou « allied space


network » 848

846
Notamment sur les dossiers de politique étrangère suivants : Iran, Syrie-Liban et Soudan.
847
Ibid., p. 55.
848
James Clay Moltz, “Coalition Building in Space. Where Networks are Power”, Defense Threat Reduction Agency, Office
of Strategic Research and Dialogues, Octobre 2011.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

La maîtrise des communs passe par la constitution d’une infrastructure définie


comme un réseau d’installations et d’équipements à travers le monde au profit de la
supériorité spatiale américaine. Ce sont également des structures de commandement
réparties autour du globe 849.

“The specific weapons and platforms needed to secure and exploit


command of the commons are expensive. They depend on a huge scientific
and industrial base for their design and production” 850

Ces investissements coûtent chers. Les Américains ne peuvent plus en assurer seuls le
fardeau. Les stratèges considèrent donc que la liberté des Etats-Unis dans l’espace
doit s’appuyer sur un réseau d’infrastructures appartenant à leurs alliés mais dont ils
peuvent disposer librement. C’est le sacre de l’interopérabilité au détriment de la
constitution de capacités collectives. C’est une idée portée par certains stratèges
américains dont James Clay Moltz. En 2011, Moltz propose le concept de « réseau
spatial allié » (« Allied space network ») 851 au profit de la sécurité des activités
spatiales. Il développe son concept dans le cadre d’un projet de la Defense Threat
Reduction Agency (DTRA), agence du DoD en charge plus spécifiquement de la
réduction de la menace liée aux armes de destruction massive (ADM). Dans un
premier temps, il conseille de lier les capacités spatiales des Etats alliés des Etats-
Unis (typiquement les fives eyes mais aussi les Etats membres de l’OTAN), puis dans
un second temps de s’adresser aux « pays amis ». Selon lui, cela pourrait constituer
une dissuasion spatiale (space deterrence) face à de potentiels adversaires voulant
entraver la liberté d’accès des Etats-Unis à l’espace. Ces partenariats spatiaux
pourraient concourir au développement d’un réseau de satellites interopérables et
redondants.

849
Il s’agit des ”commandements unifiés”. Chacun possède une aire d’influence particulière: USNORTHCOM (Amérique du
Nord), USSOUTHCOM (Amérique Centrale du Sud), USEUCOM (Europe géographique), USAFRICOM (Afrique),
USCENTCOM (Golfe Persique, Océan Indien, Moyen-Orient), USPACOM (Pacifique et Asie du Sud-est).
850
Barry R. Posen, “Command of the Commons...”,op. cit, p. 10.
851
James Clay Moltz, “Coalition Building in Space…”, op.cit.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

“This could provide considerable benefits in terms of U.S and allied space
security and improve chances for developing norms of peaceful
international behavior.” 852

Il souligne que les Etats-Unis ont tort, en 2011, de ne pas prendre en compte ce
potentiel inexploité, à l’inverse de la Chine ou de la Russie qui ont été établis des
accords de coopération avec leurs alliés. Par ailleurs, selon lui, le projet européen de
code de conduite véhicule trop d’incertitude. L’alternative ("middle ground
alternative") serait alors celle de la création de ce réseau spatial allié. In fine,
l’objectif est de renforcer la sécurité spatiale et permettre de développer des normes
de comportement pacifique à l’échelle internationale ("norms of peaceful
international behavior"). Moltz préconise l’échange de données radars entre les Etats
otaniens, l’interconnexion des systèmes de navigation et de positionnement, la
possibilité de partager des clichés issus de satellites de reconnaissance, la capacité de
remplacer rapidement un satellite défaillant mais enfin et surtout la constitution d’une
alliance militaire pour l’espace 853. Cette alliance ou coalition serait constituée des
principales puissances spatiales alliées des Etats-Unis. Elle aurait « the collective
ability to deter, disable, and, if necessary, to destroy hostile space assets (…) in
extreme circumstances. ». Plus loin, il désigne expressément le « rogue state »
comme danger commun aux puissances spatiales. En 2011, le Secrétaire d’Etat
adjoint William J. Lynn emploie également ce terme d’acteur voyou, ennemi désigné
des Américains dans l’espace 854 et la nécessité pour les Etats-Unis de constituer des
alliances dans l’espace. Les deux pensées se rejoignent donc. La constitution d’une
alliance ou d’une coalition ad-hoc dans l’espace afin de combattre un ennemi, fait
foncièrement penser à la manière de procéder des Etats-Unis pour ses opérations au
sol. La constitution de coalitions ad-hoc, chère à George W. Bush, semble être un
mode opératoire préconisé dans l’espace et transcendant les clivages politiques. Moltz
nomme les alliés crédibles à ses yeux pour construire ce réseau spatial allié. Il cite la
France, l’Italie, l’Allemagne, le Luxembourg, le Royaume-Uni, l’Espagne, la
République tchèque, les Pays-Bas, la Turquie et le Canada. Pour les partenariats

852
Ibid., p.5.
853
“military alliance-building for space”, ibid., p. 17.
854
William J. Lynn, “A Military Strategy for the New Space Environment”, op. cit., p. 11.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

possibles avec les Etats de la zone Asie-Pacifique, il préconise tout d’abord le Japon,
mais aussi la Corée du Sud, l’Australie, Taïwan, la Thaïlande et l’Inde. Et tous ces
Etats sont effectivement visités par Franck A. Rose les mois et années qui suivent.
Enfin, Moltz promeut la création d’un centre opérationnel et transnational :

“(…) any allied approach to space security would likely have to create a
functioning transnational, operational body to manage share systems,
provide joint training, and handle finances.” 855

L’OTAN serait une fois de plus le forum approprié pour une telle création. D’ailleurs
il en a été question en 2009 lors de l’établissement d’un bureau spatial au sein du
siège de l’OTAN. Néanmoins, ce type de forum met de côté les Etats non otaniens
(zone Asie-Pacifique) avec lesquels les Etats-Unis souhaitent établir un partenariat
spatial fructueux. Un centre dédié serait alors souhaitable. Il intégrerait dans un
premier temps les principales puissances spatiales : Australie, France, Allemagne,
Italie, Luxembourg, Royaume-Uni et Corée du Sud. Ces Etats doivent également
réaliser des exercices communs afin d’homogénéiser leurs pratiques par des standards
et échanger les savoirs. Ce premier regroupement d’alliés ne doit pas paraître offensif
aux yeux des Etats n’y étant pas conviés. Moltz fait explicitement référence à
l’importance de la communication extérieure sur ce sujet, qui ne doit pas enclencher
un dilemme de la sécurité.

“The United States and its allies need to be careful about their rhetoric
and, when possible, inclusive in terms of confidence-building measures
with other countries, portraying the alliance as defensively [en italique
dans le texte] oriented and non-threatening to other countries.” 856

Le recours aux alliés et aux partenariats stratégiques a pour objectif le partage du


fardeau (burden-sharing). Cela fait partie intégrante des concepts véhiculés par le

855
James Clay Moltz, “Coalition Building in Space…”, op. cit., p. 28.
856
Ibid, p. 32.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
857
smart power .

“Smart power is simply a rhetorical device through which is


masquerading the longstanding, and contentious, « burden-sharing »
problem in transatlantic relations” 858

Les capteurs disséminés de par le monde permettent une surveillance de l’espace en


continu. Les partenariats ont été multipliés ces dernières années. Ils ont tout d’abord
été naturellement établis entre les five eyes. Cette communauté est effective mais la
participation de certains Etats aux capacités est anecdotique (Nouvelle-Zélande
notamment). Dès la fin du mandat de George W. Bush, des contacts sont établis afin
d’étendre les bénéfices des systèmes de surveillance de l’espace, en Europe
notamment 859. La liste des capteurs et/ou implantations de capteurs américains a été
enrichie à la faveur de l’augmentation du nombre d’Etats membres au sein de
l’OTAN. Cela a été observé lors de la volonté des Etats-Unis d’implanter en
République Tchèque ou en Pologne des radars au profit de leur futur système de
défense antimissile. Les Etats-Unis se sont alors attirés le mécontentement des
dirigeants russes voyant d’un mauvais œil cette intrusion dans leurs anciennes zones
d’influence.

2.1.3.2. L’outil technologique au service du rapprochement franco-


américain

Si la France n’appartient pas à la communauté des five eyes, un élément a fait évoluer
les relations franco-américaines dans le domaine du renseignement : l’acquisition par
la France du système GRAVES, Grande Réseau Adapté à la Veille Spatiale. Le
système, livré à l’Armée de l’air en décembre 2005, est capable de détecter tout objet
survolant le territoire français, d’une taille égale à un mètre carré à 1000 km
d’altitude. L’acquisition de cette capacité, conçue à l’origine comme démonstrateur, a
permis à la France de voir des objets non référencés officiellement. Le système a fait

857
Richard L. Armitage, Joseph S. Nye, CSIS Commission On Smart Power: A smarter more secure America, Center for
Strategic & International Studies (CSIS), Library of Congress, 2007.
858
Martial Foucauld, Frédéric Mérand, “The Challenge of Burden-Sharing”, International Journal, n°67, Spring 2012, pp.
423 – 429.
859
Xavier Pasco, « De l’utilisation… », op. cit.,p. 88.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

ses preuves au-delà des espérances. L’outil militaire opérationnel s’est alors
transformé en outil diplomatique, quand ce dernier a permis de détecter des satellites
militaires, inconnus auparavant. Une fois ces satellites identifiés, la France a alors été
en mesure de mener des négociations et des transactions avec l’Etat concerné. Par
l’acquisition de cette capacité technologique, c’est toute la crédibilité de la France en
tant que puissance spatiale (par la capacité de surveillance de l’espace) qui a été
réaffirmée. A partir du moment où la France a en sa possession une monnaie
d’échange, elle devient un partenaire crédible avec lequel il est de bon ton de
coopérer, ne serait-ce que pour savoir ce qu’il est capable d’observer. Cet épisode a
constitué l’amorce de la coopération franco-américaine. Après deux ans d’existence
informelle, le forum de coopération spatiale franco-américain est officialisé le 14 mai
2009. Plus tard, le 8 février 2011, une déclaration de principes a été signée entre
Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères et Robert Gates, secrétaire à la
Défense des Etats-Unis, afin de favoriser la coopération franco-américaine dans le
domaine de la surveillance de l’espace. En 2015, c’est un accord sur l’échange de
données confidentielles qui a été conclu.
En parallèle, et à l’initiative des Etats-Unis, certains Etats alliés participent
conjointement à des exercices communs et développent des procédures standardisées.
C’est l’objectif des Schriever Wargames et des Space Situational Awareness Table
Top Exercises (SSA TTX). Les Schriever Games sont des exercices OTAN, des war
games in space qui existent depuis 2001. Ils sont organisés par le US Air Force Space
Command et ne rassemblent jusqu’en 2012 que les Américains, les Australiens, les
Canadiens et les Britanniques. Les Américains donnent un signal fort en invitant,
pour la première fois en 2012 des Etats otaniens du continent européen tels que la
France, l’Allemagne, la Grèce, le Danemark, l’Italie, les Pays-Bas et la Turquie.
L’objectif de cet exercice est de planifier et de coordonner les capacités spatiales et
cyber des Etats participants au cours d’un scénario particulier. Si l’OTAN n’en est
qu’à ses débuts en matière spatiale, les possibilités de développements sont
importantes. Ainsi, l’ouverture de cette simulation à d’autres Etats ne doit pas être
considérée comme anecdotique. Elle permet de côtoyer les alliés, de confronter les
points de vue, les manières de procéder et ainsi d’améliorer la coordination des
capacités spatiales entre les Etats. L’exercice a aussi pour objectif d’acculturer un

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

grand nombre d’Etats aux standards otaniens. Cela a tendance a lissé les différences
entre Etats, notamment au regard de leur culture stratégique. Ils adoptent ainsi peu à
peu la culture otanienne qui n’est qu’une excroissance de la culture stratégique
américaine. Les interactions étatiques répétées à l’occasion d’exercices permettent ce
type de transferts.

« Dans la mesure où ces réseaux rassemblent des représentants des élites


sectorielles de plusieurs pays partageant des objectifs et des intérêts
communs, ils contribueraient à propager internationalement des façons
identiques de définir, d’appréhender et de traiter les problèmes publics.
(…) les interactions durables et répétées entre les membres du réseau (…)
entraîneraient la convergence de leurs manières de voir et de penser, ainsi
que l’émergence d’une préférence marquée pour certains types de
solutions, tandis que d’autres sont tenues pour inacceptables, voire
deviennent impensables. » 860

Pour les Etats qui ne sont pas des alliés historiques des Etats-Unis, l’alignement sur
les standards otaniens et donc l’adoption de normes et de pratiques semblables à ces
derniers, permet de faciliter les échanges. Pour l’OTAN et donc a fortiori les
Américains, cela étend leur réseau de partenaires susceptibles de partager leurs
manières de faire, de voir et de penser. La relation spatiale franco-américaine prend
de cette manière appui sur l’OTAN pour se réaliser pleinement.
Dans le même ordre d’idée, l’exercice Space Situational Awareness Table Top
Exercise (SSA TTX) a pour objectif d’établir des standards internationaux (ou au
moins entre alliés des Etats-Unis) dans le domaine spécifique de la surveillance de
l’espace. Cet exercice ne se réalise pas dans le cadre de l’OTAN mais rassemble les
five eyes ainsi que la France, l’Allemagne et le Japon pour l’édition 2017. Cela
permet de réaliser peu à peu l’objectif d’alliance militaire spatiale cité précédemment.
Car en effet, si l’édition 2017 a accueilli le Japon comme nouveau participant à
l’exercice, les porte-paroles de l’USSTRATCOM se sont dits ouverts à l’accueil
d’observateurs d’autres nationalités encore, élargissant ainsi l’embryon d’alliance

860
Thierry Delpeuch, « L’analyse des transferts internationaux… », op. cit., p. 44.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

spatiale opérationnelle. Ce nouveau forum créé, à l’instar de l’IADC, un contexte


favorable d’échange entre les nations alliées des Etats-Unis. L’objectif de l’exercice
SSA TTX est présenté ainsi par ses organisateurs :

“Facilitate interaction among partner operations personnel (…) host and


educate senior leaders on the event” 861

Prenant naissance dans la U.S National Security Space Strategy de 2011, cet exercice
permet de réaffirmer le credo américain d’un espace « congested, contested,
competitive » et de dérouler des procédures standardisées lors d’événements spatiaux
(collisions entre objets spatiaux, support au lancement, explosion en orbite etc.). A
l’appui de ces récents développements, la coopération au profit de la sécurité des
activités spatiales se réalisera par l’intéropérabilité plutôt qu’à des systèmes
développés collectivement 862. Se développent ainsi des standards d’interopérabilité
qui se satisfont d’une coopération réduite. L’interopérabilité passe par la constitution
d’un réseau de capteurs de surveillance de l’espace mis en commun au sein du
partenariat transatlantique.
Lors de l’exercice SSA TTX, l’Europe n’est pas représentée comme un acteur unique
mais séparément par la présence de la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne.
Malgré les documents européens 863 sur la question, l’Union européenne n’apparaît
pas ici comme un acteur militaire international. La non-représentation de l’Union
européenne à cet exercice met en lumière son problème récurrent : son impossibilité à
bâtir l’Europe de la défense et a fortiori, l’Europe spatiale militaire.

861
Brochure de l’exercice, SSA TTX II, 22-30 October 2015, Lockheed Martin Center for Innovation, Suffolk, Virginia, p.5.
862
François Heisbourg, Xavier Pasco, L’Espace militaire…, op. cit., p. 57.
863
Projet European Union Space Surveillance and Tracking System (EU SST).

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

2.2. Les ambitions de l’Europe spatiale comme acteur international


au cœur du partenariat transatlantique sur la sécurité des activités
spatiales

Au sein de la stratégie américaine, les partisans de la fidélisation des alliés des Etats-Unis
au profit de l’interopérabilité dans l’espace considèrent les Etats européens séparément et
non comme un seul acteur que serait l’Union européenne. Les Etats visés sont les Etats
jugés « spatialement » crédibles. Il s’agit des Etats possédant l’expertise du milieu, des
systèmes spatiaux, des capacités de surveillance ou encore un positionnement
géographique stratégique. Cette vision américaine ne doit pas éluder la volonté proprement
européenne de se construire en tant que puissance spatiale. Le constat est que, jusqu’à
présent, cette construction est laborieuse. Le volet civil jouit d’un relatif succès quand, à
l’image d’autres sujets de débats au niveau communautaire, le volet militaire est peu
porteur de consensus. L’utilisation militaire de l’espace renvoie à la souveraineté des Etats
et donc à leurs intérêts stratégiques et de défense. L’agence spatiale européenne (ESA)
ainsi que l’Union européenne essayent cependant de lancer des initiatives afin de faire en
sorte que l’espace soit le précurseur de la mise en place d’une politique européenne de
défense.

2.2.1. Les acteurs corporatifs européens du secteur spatial

Il existe plusieurs institutions européennes ou de l’Union européenne traitant de


l’espace en termes de programmes et de politique. Il faut distinguer les agences
intergouvernementales (ESA) des agences de l’Union européenne (type Commission
européenne) où les règles ne sont pas les mêmes.

2.2.1.1. L’agence spatiale européenne (ESA) et l’Union européenne


(UE)

2.2.1.1.1 L’ESA, acteur intergouvernemental efficace

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

L’Agence Spatiale Européenne est créée en 1975 et compte aujourd’hui 22


membres 864. Le Canada est un membre historique de l’ESA et lui est lié par un accord
de coopération. Sur les programmes facultatifs, le Canada est considéré comme un
Etat membre, avec un droit de vote. De 2003 à 2015, Jean-Jacques Dordain en est le
Directeur général. Le siège de l’ESA se situe à Paris, où se décident la politique
spatiale et les programmes. Son fonctionnement consiste à établir des programmes
obligatoires auxquels les Etats membres se doivent de participer et donc financer. En
parallèle, se développent des programmes facultatifs, dits optionnels, auxquels les
Etats participent s’ils le souhaitent. Les contributions obligatoires sont calculées sur
le Produit Intérieur Brut (PIB) des Etats membres. Le budget de l’ESA fourni par les
Etats membres est de 3,241.2 millions d’Euros pour 2015. L’ESA, via son site
internet, est présentée comme devant promouvoir, dans des buts exclusivement
pacifiques, la coopération entre les Etats européens dans le domaine de la recherche
spatiale et des technologies. Ces dernières devant être mises au service de systèmes
opérationnels et scientifiques. Il n’est pas anodin de préciser que les utilisations sont
exclusivement pacifiques. En effet, cette mention fait écho au Traité de l’Espace de
1967, qui lui n’évoque que les utilisations pacifiques. La nuance est de taille. Le
terme exclusivement signifierait que l’ESA se refuse également à promouvoir des
utilisations militaires de l’espace. Une autre organisation européenne a davantage la
vocation de traiter des problématiques militaires. Il s’agit de l’Agence de défense
européenne (EDA pour European Defense Agency). Ses programmes touchent à la
Défense en général et ne concerne pas que le milieu spatial.
En 2004 les Etats membres de l’ESA sont consultés sur l’opportunité ou non de
travailler sur des programmes ayant une résonnance dans le champ militaire. Les
interlocuteurs rencontrés semblent présenter la réponse positive comme allant de soi.
Or, la Convention de l’ESA mentionne dans son article II :
« L’Agence a pour mission d’assurer et de développer, à des fins
exclusivement pacifiques, la coopération entre États européens dans les
domaines de la recherche et de la technologie spatiales et de leurs

864
Autriche, Belgique, République Tchèque, Danemark, Estonie, Finlande, France, Allemagne, Grèce, Hongrie, Irlande,
Italie, Luxembourg, Les Pays-Bas, Norvège, Pologne, Portugal, Roumanie, Espagne, Suède, Suisse, Royaume-Uni et Canada.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

applications spatiales, en vue de leur utilisation à des fins scientifiques et


pour des systèmes spatiaux opérationnels d’applications » 865

Le relatif flou de cet article concourt à ce que les dirigeants de l’ESA répondent par
l’affirmative. Cependant, le terme « militaire » étant trop connoté, on parlera
davantage de défense et de sécurité, termes plus consensuels. De même, l’espace
étant fortement dual, les futurs programmes de l’ESA seront élaborés afin de
répondre à la fois à des besoins civils et militaires. La nature civile ou militaire de
l’agence est conditionnée par sa source de financements. Or, jusqu’au début des
années 2000, le financement de l’ESA est réalisé exclusivement par les ministères de
la recherche.

« On a eu pour la première fois un financement du ministère de la défense


avec le programme SSA. Ca date qu’il y a quelques années. Le programme
préparatoire a été lancé en 2008 donc ca doit correspondre au lancement
du programme préparatoire en 2008. Pour ce programme dual, cela avait
tout son sens d’avoir le ministère de la défense autour de la table. » 866

L’ESA n’est pas totalement à l’aise avec cette nouvelle source de financement car ce
propos est vite tempéré par une autre personne travaillant pour l’ESA :
« (…) le problème c’est qu’à coup de petites sommailles on va pas refaire… » 867
Et justifier que cela ne pose de toute façon aucun problème :

« Pendant 30 ans, on a vécu dans la légende que l’ESA était un organisme


civil. Vous pouvez chercher dans la convention de l’ESA vous ne trouverez
pas l’adjectif civil. Vous trouverez à des fins pacifiques mais comme dans
le traité de l’espace qui n’a pas empêché l’utilisation militaire de
l’espace. » 868

865
Convention portant création d’une agence spatiale européenne, 30 mai 1975, Article II,
http://download.esa.int/docs/LEX-L/ESA-Convention/20101200-SP-1317-FR_Extract_ESA-Convention.pdf
866
Entretien au siège de l’ESA, Paris, juin 2012.
867
Deuxième interlocuteur présent lors de l’entretien au siège de l’ESA, Paris, juin 2012.
868
Ibid.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

L’ESA tarde également à se saisir des problématiques de sécurité et de défense face


au scepticisme des militaires. La communauté militaire doute de la capacité de l’ESA
à garantir la confidentialité des données qu’elle serait amenée à manipuler.
« Les militaires sont méfiants que des irresponsables de l’ESA puissent
voir des choses qui ne les intéressent pas. Je ne demande que la mise sur
pied d’un système qui me permette de travailler, c’est tout ce que je
demande. » 869

De cette méfiance naît, au début des années 2000, et au sein de la défunte Union de
l’Europe Occidentale (UEO) 870, l’idée de créer une agence spatiale européenne de
défense, et donc exclusivement militaire. Cette proposition n’a pas été suivie des
faits. En particulier, il a été admis que cela avait peu de sens d’établir une rupture
nette entre utilisations civiles et militaires quand un même système peut remplir à
merveille les deux missions.
L’ESA travaille donc sur un programme de surveillance de l’espace baptisé SST pour
Surveillance and Tracking System, en concertation avec l’AED. L’ESA et notamment
son directeur général d’alors, Jean-Jacques Dordain promeut ce projet qui doit
permettre à l’ESA de protéger ses propres satellites et limiter ainsi sa dépendance aux
alertes provenant des Américains.

« Les Américains nous informent mais avec un préavis qui n’est pas
forcément compatible avec tous les calculs que nous devons faire pour
dérouter ou pas le satellite. » 871

C’est donc lui qui a posé les premiers jalons tant politiques que programmatiques de
la coopération avec les secteurs de la défense et de la sécurité. L’ESA a les
compétences techniques pour relever un tel défi. De plus, son fonctionnement interne
assure un succès aux programmes initiés en son sein. Deux caractéristiques peuvent
expliquer son efficacité. Dans un premier temps, il s’agit d’une agence

869
Ibid.
870
L’Union de l’Europe Occidentale est une alliance défensive fondée en 1948 et qui a servi de cadre à la création d’une
politique européenne de la défense. A la suite de l’adoption du Traité de Lisbonne, toutes les fonctions de l’UEO ont été
intégrées dans l’Union européenne et l’UEO a été dissoute en 2011.
871
Entretien au siège de l’ESA, juin 2012.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

intergouvernementale. Cela signifie qu’à deux, trois, quatre ou plus, les Etats peuvent
réaliser un programme s’ils réunissent les financements nécessaires. Les autres Etats
ne peuvent s’opposer à ce projet sauf si ce dernier menace l’usage exclusivement
pacifique de l’espace et entre donc en violation avec l’article II de la Convention de
l’ESA.
« Toute décision prise dans cette maison réclame de l’énergie, mais d’un
autre côté, une fois que la décision est prise, ça rend les programmes très
solides. Dans cette maison les programmes sont décidés un par un mais
jusqu’à achèvement. Les pays sont engagés jusqu’à achèvement du
programme. Chaque programme est un traité international et cela donne
une très grande stabilité. » 872

La deuxième caractéristique est le principe du juste retour. Cela signifie que tout
Euro investi par un Etat est retourné vers ce dernier sous forme d’investissements
dans son industrie spatiale nationale. Cela garantit aux Etats de l’ESA et a fortiori à
l’Europe la non-délocalisation de ses industries spatiales. Cela concourt à entretenir
un capital technologique à haute valeur ajoutée et un capital économique pouvant
renforcer la puissance européenne.
Les règles régissant l’ESA, agence intergouvernementale, sont très différentes de
celles régissant l’Union européenne, organisation supranationale. Cela n’a pas
empêché la remise en cause du principe du juste retour. L’objectif de cette réforme
est d’harmoniser les modes de fonctionnement sur ceux de l’Union européenne, pour
faire, à terme, de l’ESA une agence de l’UE. Mais l’Allemagne s’oppose fermement à
ce projet. Cela est compréhensible dans la mesure où, à l’inverse de la France,
l’Allemagne n’a développé que des technologies spatiales de niche et ne maîtrise
donc pas l’ensemble des technologies. Dans le cas d’un appel d’offre pour un
programme complet, elle serait alors défavorisée, ne pouvant fournir que des briques
technologies et non pas le système dans son ensemble. L’Allemagne étant, tout
programme confondu, le premier contributeur de l’ESA, cette réforme a été pour le
moment suspendue. Malgré cet échec d’harmonisation des réglementations, l’ESA
entretient de bonnes relations avec l’Union européenne, et notamment avec la

872
Ibid

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Commission via la Direction Générale -DG- Entreprises et Industries, avec qui elle
élabore la politique spatiale européenne. Cette proximité ne doit pas faire oublier que
l’ESA reste une organisation indépendante, notamment par le fait que tous les
membres de l’ESA ne sont pas des membres de l’UE, et inversement, tous les
membres de l’UE n’ont pas adhéré à l’ESA. Dans ce cadre-là, l’ESA peut
difficilement contribuer à faire de l’UE une puissance économique voire
diplomatique. Or, si l’ESA se dote d’un système de surveillance de l’espace
concurrençant le système américain, les Etats européens participants pourraient
gagner en crédibilité et donc convertir ce capital technologique en capital
diplomatique au profit de l’Union européenne. L’ESA, quant à elle, a établi dès les
années 1970 des liens avec l’agence spatiale américaine (NASA). C’est ensemble
qu’ils créent l’IADC.

2.2.1.1.2 Les compétences élargies de l’UE


Certains personnels de l’ESA ne se privent pas de qualifier la Commission d’ « élément
perturbateur ». Ceci renvoie aux critiques de la Commission envers l’ESA sur sa légitimité
à mener des programmes militaires. Les arguments du directeur de l’ESA sont de souligner
que le Traité de l’espace contenant la mention « d’utilisations pacifiques » n’a pas
empêché ses Etats signataires, et notamment les Etats-Unis et la Russie, de mettre en place
des programmes spatiaux militaires. La Commission, elle, préconise de réaliser un contrôle
renforcé sur les activités défense et sécurité de l’ESA. Son argumentaire est appuyé par le
fait que l’ESA a, parmi ses membres, deux Etats n’appartenant pas à l’Union européenne
(Norvège et Suisse). Selon elle, cela finirait par poser un problème si l’ESA a en charge
des contrats européens militaires. En creux se joue le rattachement de l’ESA dans la
constellation des agences de l’UE. Dans un rapport parlementaire, le gouvernement
britannique s’oppose à cette tutelle :

“Rather than seeking to oversee ESA’s work, the EU should focus on


developing its role as a policymaker and customer for space services,
leaving ESA to act as a technical and design authority. We recommend

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

that the Government resists attempts by the European Commission to


873
bring the European Space Agency under its control.”

Ainsi, derrière le débat sur la remise en cause du principe du juste retour était envisagée la
transformation de l’ESA en agence de l’Union européenne. Cela entraînerait l’application
de la règle de la libre concurrence. Jean-Jacques Dordain met en garde sur cette pratique.
Actuellement les appels d’offre sont limités aux Etats européens et le principe du juste
retour est appliqué. Cela garantit un secteur spatial sans délocalisation. Ouvrir les appels
d’offre au monde entier revient à prendre le risque d’avoir des programmes européens
réalisés à l’étranger, et donc freiner le dynamisme de l’industrie spatiale en Europe.
Au sein de la Commission européenne, l’activité spatiale se réalise essentiellement au sein
de la Direction Générale Entreprises et Industries et de la DG Transport (GALILEO). Cette
dernière dispose d’un budget alloué aux programmes spatiaux qu’elle choisit de mener. En
matière de surveillance de l’espace, c’est en 2008, sous présidence française que la
Commission européenne est invitée à formuler des propositions. L’ESA initie de son côté
le même type de réflexion. Même si l’ESA s’exprime davantage sur la faisabilité
technique, cela la place en situation de concurrence avec la Commission.
Les ambitions militaires françaises, celles de l’Etat-major des Armées, étaient de souhaiter
s’appuyer sur les fonds de la Commission afin de rénover et renouveler les systèmes de
surveillance de l’espace tels que le système GRAVES. Au niveau national, les choix
politiques ne donnaient pas la priorité à la surveillance de l’espace malgré les volontés
affichées au sein du LBDSN 2008. Il semblerait que par la suite, l’EMA, déçu de
l’enveloppe budgétaire proposée par la Commission 874, n’a pas insisté pour poursuivre
dans cette voie 875. C’était sans compter également sur les difficultés liées aux demandes
des Etats européens de bénéficier en parts égales du budget accordé par la Commission et
cela quelque soit leur contribution. C’était sans compter également sur les oppositions
britannique et allemande :

873
House of Commons, Science and Technology Committee, « Work of the European and UK Space Agencies: Government
Response to the Committee’s Fourth Report of Session 2013-14”, 6 mars 2014, p. 6,
http://www.publications.parliament.uk/pa/cm201314/cmselect/cmsctech/1112/1112.pdf.
874
Budget de 70 millions d’Euros.
875
Entretien au MESR, 19 mars 2013.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

« (…) aujourd’hui les velléités sur la surveillance de l’espace par la


Commission sont légèrement arrêtées par des positions comme celles de
l’Angleterre ou de l’Allemagne qui disent « commencez déjà par finir
Galiléo et GMES 876 dans les coûts et les délais prévus et on verra ensuite
pour le reste ». » 877

Enfin, les contacts entre le Ministère de la défense français et le Département de la défense


américain (DoD) sont avancés pour expliquer ce désintérêt progressif. Même si l’influence
américaine ne peut à elle seule expliquer les difficultés que connaissent les Etats européens
à coopérer, force est de constater qu’elle ne facilite pas non plus ce processus.

« C’est ainsi que la politique américaine est en défiance devant toute


perspective d’une Europe puissante qui pourrait contrebalancer sa
domination. Le destin de l’Europe serait de demeurer une sorte de
protectorat américain en termes de sécurité. » 878

A l’appui, deux exemples permettent de saisir les réactions américaines aux fragiles
tentatives de construction européenne dans le domaine de la défense et de la sécurité.
D’une part, les Etats européens, par l’intermédiaire de la Commission européenne,
décident de constituer, au début des années 2000, un système autonome de navigation par
satellites GALILEO. Les Américains jugent ce système redondant au leur, inutile voire
même dangereux pour leur propre système. En décembre 2001, Paul Wolfowitz, alors
secrétaire d’Etat adjoint américain, adresse officiellement ses inquiétudes dans une lettre
destinée aux quinze Etats membres de l’Union 879. Il invoque le fait que le signal
GALILEO sera dans le même spectre de fréquences que le GPS militaire américain. Cela
nuirait à l’utilisation qu’en font les forces américaines lors de crise ou de conflit. Il
s’inquiète également de l’utilisation d’un signal GALILEO militaire qui pourrait être
utilisé par ses adversaires, et donc qui pourrait nuire à la sécurité des Etats-Unis. En
filigrane, il demande purement et simplement l’abandon du projet pour cause

876
GMES : Global Monitoring for Environmental Security.
877
Entretien au CIE, 7 février 2011.
878
Serge Sur, Relations internationales, op. cit., p. 142.
879
“I am writing you at this time to convey my concerns about security ramifications for future NATO operations if the
European Union proceeds with Galileo satellite navigation services that would overlay spectrum of the Global Positioning
System (GPS) military M-code signals”, Paul Wolfowitz, Deputy Secretary of Defense, 1 er décembre 2001.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

d’interférences radio. On peut considérer qu’au-delà des préoccupations sécuritaires des


Etats-Unis, il existe des considérations économiques. Cette réaction américaine n’a pas
tardé à avoir des effets directs et néfastes sur le programme en lui-même et entre les Etats
de l’UE. Les plus atlantistes d’entres eux se sont désolidarisés du programme 880. Après
moult discussions formelles et informelles, un accord a été trouvé en 2004 entre
Américains et Européens. Ce dernier stipule notamment que les deux systèmes seront
interopérables. Les Américains peuvent ainsi considérer le système européen comme une
amélioration et une redondance de leur propre système à moindre coût. Cela intervient au
moment même où Chinois (système Beidou Compass) et Indiens (Système IRNSS)
développent ou exploitent eux-aussi leurs propres constellations. Ces derniers peuvent a
priori se situer dans les mêmes gammes de fréquence que le GPS.
D’autre part, et de la même manière, une méfiance de la part des Américains s’est
manifestée vis-à-vis des projets européens de SSA, autant sur les projets de programmes
portés par l’ESA que sur le projet européen de code de conduite. Mais l’attitude adoptée a
été foncièrement différente. Les Etats-Unis ne se sont pas opposés frontalement aux projets
européens. Dans un premier temps, les Américains ont instrumentalisé les ambitions
européennes afin de justifier et légitimer au niveau national la constitution d’un nouveau
réseau de surveillance de l’espace (Space Fence). La Space Fence est un nouveau système
de surveillance de l’espace, ayant comme base un radar installé dans l’atoll du Kwajalein
(sud-est d’Hawaï), beaucoup plus puissant que le précèdent datant des années 1960. Ce
système est capable de détecter des objets de petites tailles et sur toutes les orbites.
USSTRATCOM annonce que son catalogue actuel de 23 000 objets passera à 200 000. La
Space Fence s’intègre dans le réseau de surveillance de l’espace déjà évoqué
précédemment. Ce projet de plusieurs milliards de dollars a été pour partie justifié au
niveau national par la prolifération des débris en orbite, mais aussi par les développements
européens en la matière :

« Ils ont utilisé les ambitions européennes pour justifier un


renouvellement, une modernisation de leur système auprès de leur système
politique. » 881

880
Principalement la Grande-Bretagne, l’Allemagne, les Pays-Bas et le Danemark. Jean Quatremer, « Galileo pourrait être
enterré sous la pression américaine », Libération, 20 décembre 2001.
881
Entretien au siège de l’ESA, Paris, juin 2011.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

A certains égards, cela évoque le mécanisme du jeu à deux niveaux de Putnam.


Ce programme est également pleinement intégré au modèle de l’allied space network
évoqué précédemment. En effet, au sein de ce système de systèmes, n’importe quelle
donnée radar pourra être intégrée afin d’améliorer la qualité des objets déjà suivis, mais
aussi et surtout combler les vides de détection du système actuel.
Dans un second temps, les Américains s’appuient sur les Britanniques afin de connaître et
même d’influencer le projet européen de code de conduite. Par la voix des Britanniques,
les Américains s’invitent à la table des discussions intra-européennes.

« Il y avait déjà en permanence les Anglais qui étaient en contact avec les
Américains pendant qu’on discutait entre nous du CoC (…) Je l’ai vécu en
direct, j’ai su qu’ils [Britanniques] correspondaient avec les Américains.
Sur certains paragraphes on était là comme experts on disait « il vaut
mieux mettre ça », alors ils contactaient les Américains pour leur
demander « est-ce que ça vous va ? ». On était encore en train de discuter
au niveau européen, pourquoi devaient-ils avoir l’avis des Américains ?
» 882

L’influence américaine reste donc très prégnante, à la faveur d’Etats atlantistes, sur des
actions entreprises par l’Union européenne. A noter que la sortie de la Grande-Bretagne de
l’Union européenne peut avoir une influence toute relative sur les futures discussions
concernant la régulation des activités spatiales.
L’Union européenne se dote de compétences spatiales, sur lesquelles elle a à se prononcer
au nom des 27 Etats membres. En effet, le 1er décembre 2009, par l’entrée en vigueur du
Traité de Lisbonne (rassemblant le Traité sur l’Union Européenne TUE 883 et le Traité de
Fonctionnement de l’Union européenne TFUE) 884, les Etats membres ont fait des activités
spatiales une compétence spécifique de l’UE. L’article 189 du TFUE donne un nouvel élan
à la politique spatiale européenne en conférant à l’Union la responsabilité d’élaborer une
politique spatiale destinée à favoriser le progrès scientifique et technique, la compétitivité

882
Ibid.
883
http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:12012M/TXT&from=FR
884
http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:12012E/TXT&from=FR

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

industrielle et la mise en œuvre de ses politiques. Sur cette base, la Commission adopte en
avril 2011 la communication « Vers une stratégie spatiale de l’Union européenne au
service du citoyen » 885 qui confirme les priorités identifiées auparavant par la Commission,
c’est-à-dire la nécessité pour l’UE de se doter d’une solide politique spatiale d’une part et
de réévaluer ses relations avec l’ESA d’autre part :

« L’implication croissante de l’Union européenne dans l’espace requiert


une réévaluation de ses relations avec l’ESA et une adaptation
progressive du fonctionnement de cette dernière, pour tirer profit des
atouts de ces deux organisations. » 886

Le Traité de Lisbonne a ajouté deux critères qui sont essentiels pour l’avenir du secteur
spatial en Europe. Il dote l’UE de la personnalité juridique internationale et modifie la
donne sur les sujets liés à la Défense et la Sécurité. Ainsi, en faisant de l’UE une
personnalité juridique indépendante, les Etats membres lui permettent de négocier et de
conclure des accords internationaux, y compris pour ce qui aurait trait à la mise en œuvre
de la politique spatiale européenne. De plus, le TUE, par son article 27, crée le Service
Européen pour l’Action extérieure (SEAE). Le SEAE a alors en charge de mener les
actions diplomatiques nécessaires à la promotion du Code de conduite pour les activités
spatiales. Le nouvel organe institutionnel de l’UE est très vite confronté à un défi de taille
qui est de s’imposer comme acteur crédible en incarnant la diplomatie européenne sur la
scène internationale. Cette construction de la crédibilité aurait pu se réaliser au travers du
processus de discussions, négociations et adoption du code de conduite sur la sécurité des
activités spatiales.

2.2.1.2. Le SEAE à l’épreuve : les tribulations d’un acteur débutant


sur la scène internationale

Le Service Européen pour l’Action extérieure concrétise la volonté de l’Union européenne


de se doter d’une politique étrangère. Cela fait suite à différentes étapes dont la première
est la création de la Politique Etrangère et de Sécurité Commune initiée en 1992 par le

885
Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au
comité des régions, « Vers une stratégie spatiale de l’Union européenne au service du citoyen », Bruxelles, 4 mai 2011,
http://www.eurosfaire.prd.fr/7pc/doc/1302100483_com_2011_152_fr.pdf
886
Ibid., p. 12.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

traité de Maastricht. En 2009, la création du SEAE a pour objectif d’ « essayer de faire une
culture commune de diplomatie européenne » 887. Non seulement le SEAE en tant que tel
est une institution récente mais elle doit également rapidement faire face à des difficultés
de fonctionnement interne. En effet, elle doit pallier l’absence d’un directeur lorsque le
service en a le plus besoin. Cela se produit lors de la promotion du code de conduite, et
donc lorsque l’UE doit s’imposer en tant que puissance (normative) crédible aux yeux des
autres acteurs étatiques internationaux. Au sein du SEAE, le CODUN (Groupe de travail
« Désarmement global et maîtrise des armements ») se subdivise en un CODUN Espace
qui est une formation d’experts des questions spatiales. Le CODUN Espace a donc pour
mission de promouvoir le projet de CoC. A sa tête jusqu’en 2011, est positionnée Mme
Annalisa Giannela, chef du service désarmement et non- prolifération. Son départ à la
retraite et son non-remplacement immédiat a eu des conséquences néfastes portant
préjudice à la crédibilité de la diplomatie européenne. Au-delà de ses qualités intrinsèques
sur ces dossiers, Mme Giannela a donné une direction politique à ce groupe. De même, sa
suppléance assurée parfaitement sur le fond par son adjoint le diplomate Pierre Louis
Lempereur, a souffert sur la forme.

« Et le plus gros problème qu’on a ce n’est pas tant dans la charge de


travail certes, mais, comment le dire diplomatiquement, il y a une question
de direction politique. C'est-à-dire que moi j’ai le groupe de travail, on
fait bien entendu des rapports et on dit c’est bien mais il faut qu’il y ait
quelqu’un, il y a les Etats tiers qui depuis un an nous disent qu’il nous
faut quelqu’un au niveau minimum d’ambassadeur qui puisse gérer ça. Je
vous donne un exemple mais c’est parlant j’ai fait la dernière négociation
avec les Russes donc j’étais président de la délégation française. En face
de moi il y avait un directeur général adjoint russe avec 20 personnes que
ce soit des militaires tout ça… Je peux faire mon boulot autant que je veux
mais je ne suis pas crédible. L’image même qu’on donne c’est que si on
envoie quelqu’un qui a ce niveau là, … il y avait une délégation de notre
côté mais ce sont des experts nationaux qui sont au CODUN espace,

887
Entretien au SEAE, 12 septembre 2012.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

quelques uns sont venus …mais la diplomatie c’est aussi une question
d’image, de titre etc. » 888

Durant cette suppléance, le CODUN a été monopolisé à 80% par les affaires spatiales. Or,
certains documents soulignent sa relative incompétence en la matière :

“Another difficulty was that this framework [CODUN] comes under the
auspices of the EU’s Defense and Security Policy- an entity not staffed
with space experts.” 889

Le SEAE n’est pas (encore ?) dimensionné correctement pour assurer la défense d’un
projet de régime international. Or c’est sur ce type de projet diplomatique qu’il est jugé par
ces partenaires étatiques et non étatiques internationaux.

« (…) c’est le grand projet emblématique de l’Union européenne. » 890

Les acteurs de la conférence de Prague soulignent également le rôle « parasite » du SEAE


dans les coopérations touchant à la sécurité des activités spatiales :

“The structure of the new EEAS, as well as its approach to diplomacy, is


often confusing for foreign partners, at least at this early stage, as it adds
a new layer of diplomatic complexity beyond traditional government-to-
government relations. It does not help that the competencies within the
EEAS are still not clearly established.” 891

A l’heure de la rédaction de cette thèse, les personnes les plus proches du dossier
considèrent qu’il s’agit d’un échec pour l’UE. L’Union n’a pas su être un acteur crédible.
Les intérêts en jeu et les oppositions frontales entre puissances concurrentes (Etats-Unis
contre Russie et Chine) n’ont pu être surmontées par les actions du SEAE et de ses

888
Entretien au SEAE, septembre 2012.
889
IFRI Space Policy Program et SWF, “The Continuing Story of Europe and Space Security”, Bruxelles, 4-5 octobre 2010.
890
Entretien avec un diplomate du Ministère des Affaires étrangères en charge des questions de non-prolifération et
désarmement, juillet 2011.
891
Jana Robinson, “Space Security…”,op. cit., p. 13.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

diplomates. Face à ce constat de demi-échec, peut-on dire que l’Union européenne n’a joué
aucun rôle dans la promotion du CoC ? Est-ce l’aveu que l’UE peine à être une puissance,
même dans le domaine normatif ?

2.2.2. La qualification de la puissance spatiale européenne

La question de la qualification de l’UE comme puissance est une question récurrente en


science politique. Au-delà, c’est le type de puissance exercée par l’UE qui est interrogé. Au
sein de l’Europe spatiale, des exemples de l’exercice hard et soft de la puissance peuvent
être cités. La question se pose également de savoir si la promotion de l’ICoC aurait été une
opportunité pour l’UE de s’affirmer comme puissance normative.
C’est souvent le côté soft de la puissance qui vient à l’esprit lorsqu’on évoque l’Union
européenne. La création de l’Union a d’ailleurs été motivée par le refus de la puissance au
sens classique. Cependant, elle souffre de la difficulté de s’y soustraire dans un monde où
le refus de la puissance est perçu comme une impuissance 892. Elle est particulièrement
malmenée par des Etats qui entretiennent leur hard power : Etats-Unis, Chine et Russie.
Ces Etats tentent de « créer la réalité mondiale » quand l’Union tend d’agir sur elle. Pour
illustration, au sein des documents officiels de l’Union, on ne pense pas l’ennemi (le hard
power à l’inverse distingue un « eux » d’un « nous ») mais les menaces. L’expression de
« menaces hybrides » est utilisée 893. Ce concept fait son apparition dans le champ lexical
stratégique du LBDSN 2013 894. Il désigne une réalité de plus de 30 ans, mise en lumière
par les conflits dans les Balkans, en Afghanistan ou encore en Irak. Les auteurs du LBDSN
les définissent ainsi :

« (…) nos forces devront également s’adapter à l’émergence de «


menaces hybrides », lorsque certains adversaires de type non-étatique

892
Ibid., p. 18.
893
Conclusions du Conseil sur la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), mai 2015 [Consilium 8971/15].
894
Ce concept est également issu d’une étude stratégique contemporaine menée par deux généraux américains. Pour une
analyse de ces « menaces hybrides », lire Arne Schallock, Franck Pourny, « La pensée stratégique face aux menaces
hybrides », Tribune n°684, 11 septembre 2015, http://www.defnat.com/site_fr/pdf/Schallock_Pourny%20-
%20La%20pens%C3%A9e%20strat%C3%A9gique%20face%20aux%20enjeux%20hybrides%20(T%20684).pdf

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

joindront à des modes d’action asymétriques des moyens de niveau


étatique ou des capacités de haut niveau technologique. » 895

Les documents de l’Union citent nommément les infrastructures spatiales comme cibles de
menaces 896. L’Union présente alors la surveillance de l’espace comme un moyen
d’accroître la résilience de ces infrastructures face à ces menaces hybrides 897. Mais en ne
définissant pas ses ennemis ou adversaires, l’Union risque de ne pas savoir développer une
stratégie pour servir ses objectifs. A l’inverse, l’administration américaine, républicaine ou
démocrate, emploient continument l’expression de rogue states. En matière d’espace, ses
inquiétudes se cristallisent sur la Chine. L’Union initie des réflexions au profit d’une
stratégie européenne relative aux relations spatiales internationales mais ces dernières
restent générales 898.
Faut-il pour autant en conclure que l’Europe ne peut restreindre sa puissance spatiale qu’au
soft power ?
On rappelle que la puissance est :
« (…) sur la scène internationale la capacité d’une unité politique
d’imposer sa volonté aux autres unités. En bref la puissance politique
n’est pas un absolu mais une relation humaine. » 899.
Serge Sur définie également la puissance comme une capacité, « capacité de faire ;
capacité de faire faire ; capacité d’empêcher de faire ; capacité de refuser de faire ». 900
Aron distingue les forces (militaires, économiques et morales) de la puissance. Cette
dernière est « la mise en œuvre de ces forces dans des circonstances et en vue d’objectifs
déterminés. » 901

895
LBDSN 2013, p. 136.
896
Commission des Communautés européennes, Rapport sur l’état d’avancement de la politique spatiale européenne,
Document de travail de la Commission, COM(2008)561 Final, Bruxelles, 11 octobre 2008, p. 13, http://eur-
lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52008DC0561&from=EN
897
Communication conjointe au Parlement européen et au Conseil, Cadre commun en matière de lutte contre les menaces
hybrides. Une réponse de l’Union européenne, Commission européenne, Bruxelles, 06 mai 2016, http://eur-
lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52016JC0018&from=FR
898
Commission des Communautés européennes, op.cit., p. 14.
899
Raymond Aron, Paix et guerre…, op. cit., p. 56.
900
Serge Sur, Relations internationales, op. cit.
901
Raymond Aron, Paix et guerre…, op. cit., p. 58.

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2.2.2.1. Les outils de hard power à la disposition de l’Europe spatiale

Les ambitions affichées par les décideurs politiques présentent l’Europe comme une
puissance en devenir. Dans les années 1990, des parlementaires français font de l’espace la
pierre angulaire de cette puissance.

« Votre rapporteur exprime le souhait que la politique spatiale soit un


puissant catalyseur de la construction d’une grande Europe indépendante
et autonome. Non sans dépit, il a pu constater que les réflexes nationaux
demeurent prédominants et constituent bien plus un frein qu’un
stimulant. » 902

Cette volonté politique perdure dans les années 2000 avec un autre rapport de l’OPECST
titré sans équivoque : « Politique spatiale : l’audace ou le déclin. Comment faire de
l’Europe le leader mondial de l’espace. » 903
Quelques mois avant la publication du LBDSN qui fait de l’espace un enjeu stratégique
pour le 21ème siècle, le président Nicolas Sarkozy se rend à Kourou durant la première
année de son mandat. Le discours est là aussi prometteur :

« Je crois que l’Union européenne doit continuer à s’affirmer comme une


puissance spatiale à part entière. (…) Il faut donc que l’Europe se dote
d’une capacité autonome de veille spatiale, comme l’a proposé l’ESA, et
développe donc un programme de surveillance de l’espace, pour répondre
au besoin impératif de renforcer la sécurité des activités dans l’espace.
(…) Il faut se mettre à trouver des solutions internationales pragmatiques
pour répondre à ce problème concret. Pour promouvoir la sécurité des
activités spatiales, nous devons passer par des mesures volontaires de
confiance et de transparence, acceptables par le plus grand nombre
possible d’états. Je compte sur Bernard Kouchner pour que l’Union

902
OPECST, Rapport sur les orientations de la politique spatiale française et européenne, p.25, 1991.
903
Christian Cabal (député) et Henri Revol (sénateur et président de l’OPECST), « Politique spatiale : l’audace ou le déclin.
Comment faire de l’Europe le leader mondial de l’espace », OPECST, Rapport parlementaire du 7 février 2007 sur les grands
domaines programmatiques de la politique spatiale du futur, http://www.assemblee-nationale.fr/12/pdf/rap-off/i3676.pdf

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

européenne en prenne l’initiative pendant la présidence française. (…) Je


suggère qu’à cette occasion l’Union européenne et la Commission
adaptent leur organisation interne pour traiter avec plus de cohérence et
d’efficacité cette nouvelle compétence spatiale » 904

Ce discours a été suivi des faits. La présidence française de l’Union européenne a été très
active dans la promotion du projet de code de conduite. En revanche, il n’est pas sûr que
l’UE ait suffisamment de force militaire, économique et morale pour faire adhérer un
nombre suffisant d’Etats à son projet. Il est vrai qu’en la matière d’espace, les dépenses
européennes ne représentent qu’un milliard d’euros contre 40 milliards de dollars pour les
Etats-Unis. La France, elle, ne consacre que 3 % de ses investissements militaires au
milieu spatial 905. Malgré cela, elle fait figure d’exemple en UE. Mais le doublement du
budget alloué à l’espace, prévu dans le LBDSN 2008, n’a pas eu lieu. Le budget spatial a
même, semble-t-il, diminué. Par conséquent, l’exercice hard de la puissance européenne ne
peut pas s’appuyer sur des budgets européens conséquents. De plus, l’Europe s’est
positionnée contre le développement d’armements dans l’espace. La possession d’ASAT
pourrait alimenter un exercice « dur » de la puissance. Ce positionnement contre le
développement d’ASAT correspond aux valeurs prônées par l’UE mais peut apparaître
dans le même temps comme un choix politique risqué à l’heure où les menaces sur les
systèmes spatiaux sont avérées. En l’état, d’un point de vue militaire, L’Europe spatiale se
limite aux moyens militaires appartenant aux Etats membres, seul ou en coopération
restreinte. Le système français de surveillance de l’espace (GRAVES) est un exemple de
ce que l’Europe pourrait mettre en œuvre pour peser davantage sur la scène internationale.
L’ESA a développé certains projets de ce type (radars bi- et mono- statiques) mais les
utilisations militaires ne sont pas envisagées, du moins jusqu’ici. Cela traduit la vision des
décideurs européens qui ne se voient pas comme les garants ultimes de leur sécurité. Dans
ces conditions, l’Europe spatiale ne peut être pas être considérée comme un hard power 906.
Cependant, le hard power ne se résume pas au développement d’armes dans l’espace. On
retrouve une forme d’exercice du hard power par l’outil économique. Celui-ci n’est pas

904
Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur les défis et priorités de l’industrie spatiale
européenne, 11 février 2008, Kourou, http://discours.vie-publique.fr/notices/087000516.html
905
Xavier Pasco, François Heisbourg, L’espace militaire…op. cit., p.7.
906
Zaki Laïdi, La norme sans la force, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2008, p. 20.

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utilisé pour contraindre mais bien plutôt pour attirer, au détriment des Etats-Unis. Comme
le souligne Joseph Nye, « Les ressources économiques et militaires peuvent parfois être
utilisées autant pour attirer que pour contraindre » 907.
L’UE a ainsi décidé de mettre en place des alternatives en exploitant les failles des
réglementations américaines, en l’occurrence les réglementations ITAR. Les Européens,
également soumis aux contraintes ITAR, ont développé dès 1999 des solutions
alternatives, nouant ainsi de nouveaux partenariats avec le Japon et la Russie. Les
restrictions ITAR ont conduit les industries spatiales européennes à développer par elles
mêmes les technologies protégées, donnant naissance à des systèmes entièrement « ITAR-
free » dans lesquels aucun composant américain n’est utilisé de sorte que ces produits
peuvent rencontrer un marché demandeur et soumis aux contraintes ITAR. On estime ainsi
que depuis le passage des réglementations ITAR, la part de marché de l’industrie
américaine dans le domaine des satellites commerciaux serait passée de 83% à 50% en
2008 908. Afin de réduire au maximum la dépendance vis-à-vis de composants sensibles
d’origine américaine, l’ESA, en collaboration avec les agences spatiales nationales des
différents États européens, a mis en place la European Component Initiative, permettant à
l’Europe de se libérer d’une dépendance américaine. Cette action économique permet
également de ne plus laisser la décision d’acquisition d’une technologie par un Etat aux
seuls États-Unis.

2.2.2.2. Le smart power spatial de l’Europe

Ces outils économiques et, dans une moindre mesure, militaires à la disposition des Etats
européens restent modestes. L’UE a davantage l’ambition de s’imposer par l’exercice du
soft power. La volonté de l’UE de promouvoir son régime au niveau international la place
en position de puissance normative. Elle diffuse de cette manière, en transparence, des
valeurs européennes qui agissent comme des pôles d’attraction envers d’autres acteurs. Cet
élan normatif proprement européen a pu par la suite souffrir des concessions accordées à
l’allié américain en échange de son soutien. Tout l’enjeu pour l’Europe est d’exercer son
influence pour internationaliser ces normes, autrement dit les faire accepter et adopter

907
Joseph S. Nye, « Get Smart, Combining Hard and Soft Power », Foreign Affairs, Juillet/Août 2009.
908
Valérie Niquet, « Le débat sur la réforme des règles de contrôle des exportations ITAR dans le contexte des relations sino-
américaines », Fondation pour la Recherche Stratégique, note n°03/11, p. 2.

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formellement par un nombre maximal d’Etats, dans une approche multilatérale. A l’instar
de la lutte contre le changement climatique 909, l’Union tente d’imposer la régulation des
activités spatiales en haut de l’agenda mondial.
Si l’UE se tourne vers le soft power voire le smart power, c’est en partie parce que cette
union politique tente de pallier l’absence de peuple européen 910. Ainsi, même si les
Européens partagent des défis communs (à l’instar de la sécurité des activités spatiales car
tous utilisateurs, à différents degrés, de l’espace), cela n’exonère pas les Etats européens
des menaces locales qui les touchent différemment (l’ombre russe sur les anciennes
républiques socialistes soviétiques par exemple). Ainsi, les Etats européens ne se résignent
pas à choisir entre l’Europe, gage de prospérité, et l’OTAN, gage de sécurité. Cette
dichotomie ne peut faire progresser dans les faits la construction d’une Europe de la
défense. Par conséquent, qualifier l’Union de puissance normative dans l’espace
signifierait qu’elle est une puissance qui n’a que la norme comme instrument privilégié,
voire exclusif, d’action internationale dans le cadre spatial. Pour ce faire, elle peut
s’appuyer sur certains think tanks de réflexion spatiale qui lui permettent de développer ce
discours normatif. Trois sont dédiés à la politique spatiale : le European Space Policy
Institute (ESPI), l’Interdisciplinary Center for Space Studies (ICSS) et le United Nations
Office for Outer Space Affairs (UNOOSA). L’ESPI (Peter Hulsroj en a été le directeur de
2011 à 2016 911), implanté à Vienne en Autriche, est créé à la suite à d’une décision du
Conseil de l’Agence Spatiale Européenne et a un statut d’association. Elle a pour mission
de fournir des analyses de fond sur des sujets d’actualité concernant les activités spatiales
européennes, afin d’aider les dirigeants à la prise de décision. Ce think tank est sponsorisé
par la plupart des agences spatiales européennes, les industries spatiales et les opérateurs
commerciaux. Ses partenaires sont entre autres le COSPAR, l’ISU ou encore la SWF.

« Il s’agit clairement d’un instrument de lobbying, visant à développer la


culture spatiale civile dans le cercle des décideurs politiques pour assurer
le financement de politiques publiques favorables. » 912

909
Zaki Laïdi, La norme sans la force, op. cit. p. 13.
910
Ibid.
911
Il est intéressant de noter que Peter Hulsroj a été remplacé par Jean-Jacques Tortora, président d’EUROSPACE,
Association des industries spatiales européennes, évoqué en Partie 1 de cette thèse.
912
Jean-Jacques Patry, Nicole Vilboux, Philippe Gros, « L’élaboration d’une culture stratégique européenne dans le domaine
« aérospatial » », Note de la Fondation pour la Recherche Stratégique, n°11/2010, p. 106.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

L’ICCS, créé en 2004, se situe à l’université catholique de Louvain. Le centre organise des
séries de conférences connues sous le nom du « processus de Louvain ». L’UNOOSA est
un organisme des Nations Unies chargé de promouvoir la coopération internationale et
l’utilisation pacifique de l’espace. Il est localisé, tout comme l’ESPI, à Vienne en Autriche.
L’IFRI dispose lui d’une antenne à Bruxelles. Ce dernier, en coopération étroite avec la
SWF, est force de proposition concernant l’approche européenne des relations spatiales
internationales. Ses experts conseillent aux membres de l’UE de continuer à entretenir une
relation spatiale soutenue avec les Etats-Unis, primus inter pares, mais de capitaliser sur la
disgrâce diplomatique que subit actuellement la Chine aux yeux des Américains, pour
développer la relation sino-européenne. Ils évoquent même une « opportunité historique »
en la matière 913. De la même manière, ils promeuvent le développement plus poussé d’une
coopération avec la Russie, servant ainsi de contrepoids à une relation transatlantique
déséquilibrée. La diffusion de ces croyances essaimées via les conférences, les notes et les
livres ne serait combler les lacunes du service diplomatique de l’UE. Comme évoqué
précédemment, le SEAE est une institution jeune, qui pour le moment, n’est pas en mesure
de porter à elle seule la responsabilité de la promotion et de la ratification d’un régime
international. De même, sur ces sujets, les rapports de force interétatiques sont
omniprésents entre les Etats-Unis, la Chine et la Russie. Le renforcement des liens
diplomatiques avec ces trois puissances spatiales pourrait permettre à l’Union de
transcender ces rapports de force et s’imposer comme un acteur médiateur. Enfin, si
l’Union peut considérer que le soutien américain au code a été d’une grande aide pour
l’aider à socialiser la communauté internationale sur le problème, il est aussi un handicap.
Il devient un texte promu par le « camp occidental » et donc sur lequel il est aisé de semer
le doute, à tort ou à raison, dans l’esprit des élites des Etats secondaires, et notamment
celui des puissances spatiales émergentes 914. Il est vrai que les Américains utilisent cette
norme sur la sécurité des activités spatiales pour assurer une situation stable dans l’espace
ne remettant pas en cause leur supériorité. Ils ne peuvent se permettre de l’imposer par la
force donc ils tentent de partager cette préoccupation avec d’autres, afin de la légitimer

913
IFRI et SWF, “International Relations and Space: The European Approach”, 13 septembre 2012, p. 6.
914
Bien que faisant partie du groupe des « amis » du CoC, l’Inde reste sceptique vis-à-vis de cette initiative. Ses
représentants le trouvent trop idéaliste et considèrent qu’il ne sera efficace car respecté que si la contrainte lie les Etats. En
ce sens, ils sont davantage favorables à un traité.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

auprès des Etats. En parallèle du régime, leur ambition est de créer une interdépendance
complexe par la mise en place d’un réseau de surveillance de l’espace international avec
ses alliés, acteurs étatiques et non étatiques. Pas sûr que cette ambition américaine soit
également l’objectif des institutions européennes 915 même si, de manière un peu
paradoxale, les Etats européens pris séparément en prennent le chemin par des accords
bilatéraux passés avec les Etats-Unis. A l’inverse, les documents programmatiques de
l’Union européenne accordent une place majeure à la notion d’autonomie d’accès à
l’information issue de l’utilisation de l’espace, au développement de capacités propres
même si cela doit se réaliser dans un souci d’interopérabilité 916. Même si les capacités ne
sont pas développées en commun avec les Etats-Unis, l’UE aura-t-elle véritablement le
choix de fournir ou non une information à son allié américain ?

2.3. Les limites du partenariat transatlantique dans l’adoption du


référentiel sécuritaire pour les activités spatiales

La définition de la sécurité des activités spatiales n’est pas la même entre les Etats-Unis et
la France/ l’Europe. De ce fait, elle sert des objectifs différents. Quand les premiers
souhaitent maintenir leur supériorité dans l’espace par le leadership, les seconds veulent
avant tout éviter les accidents et les collisions entre les objets spatiaux, les actes
malveillants et les accidents qui pourraient être à tort interprétés comme des actes
hostiles 917. Ces définitions et objectifs ultimes distincts trouvent leur origine au sein de
cultures stratégiques propres.
La recherche absolue d’une convergence diplomatique incarnée par le projet du code
implique-t-elle une uniformisation des cultures stratégiques occidentales dans le domaine
spatial, et une acceptation, en creux, par les Européens du projet américain de leadership
dans l’espace ?

915
La constitution de ce réseau serait un frein à l’idée d’une Europe autonome en matière spatiale, pourtant promue par des
think tanks comme l’ESPI.
916
Commission des Communautés européennes, op.cit., p. 8.
917
Intervention prononcée par M. Jean-Hugues Simon-Michel en séance plénière de la Conférence du Désarmement, à
Genève le 5 juin 2012.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

2.3.1. La réception différentielle du référentiel

L’un des objectifs de la conférence de Prague est la recherche d’une « compréhension


commune de la sécurité spatiale » et la définition « du comportement acceptable » dans
l’espace. Il est donc bien question de s’accorder sur un référentiel sectoriel commun dans
le but d’établir une norme (« un standard de comportement adéquat »). Il a été établi que ce
référentiel sectoriel était la déclinaison d’un référentiel global qu’est le développement
durable. Le référentiel comme structure de sens articule quatre niveaux de perception du
monde : les valeurs, les normes, les algorithmes et les images. Le référentiel global
(développement durable) et le référentiel sectoriel (développement durable de l’espace par
la sécurité de l’espace) sont fortement inspirés d’une perception occidentale du monde. Le
référentiel ne fait donc pas spontanément consensus parmi les Etats.
On distingue alors deux types de conflits : les conflits sur le référentiel et les conflits dans
le référentiel 918. Les premiers désignent les moments de transition lorsqu’une vision
précédemment dominante dans un secteur de politique publique (multilatérale) est
remplacée par une autre. Jusqu’ici l’espace n’est véritablement soumis qu’à un texte
majeur, fondateur qu’est le Traité de l’Espace, héritage de la Guerre froide. Dans le monde
post-Guerre froide, et les évolutions du secteur spatial aidant 919, l’idée d’une nouvelle
régulation des activités spatiales s’impose. Schématiquement, le camp occidental propose
l’ICoC ; la Chine, la Russie et le mouvement des non- alignés 920 refusent ce code, et pour
certains soutiennent le projet de traité sino-russe. En filigrane, s’opposent des visions du
monde distinctes contenues dans chacun des deux régimes comme projets normatifs. Les
conflits sur le référentiel sont donc ici des conflits sur la nature même du projet proposé
(code ou traité) et sur les conséquences de l’adoption de l’un ou l’autre (pour le code par
exemple, une des conséquences envisagée est le gel du statu quo spatial en faveur des
Etats-Unis). Le changement de référentiel sectoriel, conséquence de la transition entre une
utilisation de l’espace marquée par la Guerre froide et une autre prenant acte des évolutions
du monde au 21ème siècle, semble inévitable. Mais tout comme la vision du monde post-

918
Alain Faure, Gilles Pollet, Philippe Warin (dir.), La construction du sens dans les politiques publiques..., op.cit., p. 160.
919
Sont concernées ici autant la démocratisation de l’accès à l’espace que la remise au goût du jour des projets ASAT.
920
Le mouvement des non-alignés comporte des membres faisant également partie du Groupe des 77 des Nations-Unis.

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bipolaire est conflictuelle (ce qu’il est et ce qu’il doit être), la vision du domaine spatial
l’est tout autant. En analysant la première, on renvoie à la seconde.
La fin du monde bipolaire a provoqué de multiples réflexions et définitions parfois
conceptuelles de la « nouvelle » configuration des relations internationales. Or, cette
définition est conflictuelle. Plusieurs visions du monde post-guerre-froide sont portées par
différents acteurs étatiques. Les Etats-Unis souhaitent pérenniser leur statut d’hégémonie
ou de leader au sein du système international. Les puissances « émergentes » ou
« émergées » (Chine, Inde, Brésil) promeuvent la multipolarité tandis que les Etats
européens alliés des Etats-Unis (Allemagne) mettent en avant le multilatéralisme 921. La
multipolarité suppose une vision hiérarchisée des relations internationales, avec des
regroupements autour de pôles régionaux. Le multilatéralisme est le processus par lequel
des modes de solution ou de gestion universels sont pensés pour répondre à des problèmes
qui touchent la société internationale dans son ensemble. La position de la France peut
paraître à certains égards changeante sur ces deux orientations 922. Sur la période étudiée, le
multilatéralisme a été « joué » par les Européens et les Américains d’une certaine manière.
A l’inverse, fort de son influence sur les Etats constituant le mouvement des non-alignés et
du G77, et profitant du soupçon entourant systématiquement tout projet proposé par le
« camp occidental », la Chine et la Russie ont agi en tant que pôles régionaux. Dans le
cadre du référentiel sécuritaire pour les activités spatiales, les Etats-Unis ne souhaitaient
pas vigoureusement réguler l’espace par un régime. Ils ambitionnent avant tout de
conserver leur statut de première puissance mondiale régulatrice (position d’hégémon ou
de leader) ou plus prosaïquement dit, d’être le « gendarme (spatial) du monde ». Les
conflits sur le référentiel renferment en germe ces visions du monde. Ce qui est en jeu est
la forme que prendra le mode de régulation des activités spatiales - aucun régime, un
régime contraignant ou un régime non contraignant. L’élaboration de la norme sur la
sécurité des activités spatiales est alors une illustration de ce conflit entre visions du
monde.

921
Serge Sur, Relations internationales, op. cit., p. 147.
922
En effet, dans les discours, les représentants français appellent de leurs vœux la construction d’un « pôle Europe »
contrepoids de la puissance américaine. Dans les faits, la France pratique le multilatéralisme. C’est notamment le cas pour la
promotion du code de conduite.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

« Ce qui est en jeu, ce ne sont pas seulement les idées abstraites, mais
l’existence même des groupes en cause en tant qu’acteurs, à travers
l’image qu’ils se font et qu’ils cherchent à faire accepter de leur place
dans le monde. » 923

Ces porteurs de visions du monde sont les entrepreneurs de normes ou médiateurs. Le


médiateur est l’acteur qui produit le référentiel, la « vérité » du moment. Même si le projet
de CoC est une initiative européenne, on voit bien que l’empreinte normative américaine y
sera forte. Avant même les discussions officielles, les consultations officieuses entre les
Britanniques et les Américains pendant les discussions intra-européennes montrent
clairement que ce projet ne peut aller à l’encontre des intérêts américains. En apportant
leur soutien au projet, ce dernier devient conforme à la vision américaine de l’espace. Au
sein de la National Security Space Strategy de 2011, cette dernière est résumée ainsi, un
milieu spatial de plus en plus « congested, contested and competitive ». Ces « 3C »
annoncent une transformation déjà amorcée et présentée comme inévitable et inéluctable.
Le DoD n’y voit que des opportunités pour les Etats-Unis d’y exercer un leadership et de
conclure des partenariats.

« Il y a une sorte de relation circulaire entre le processus de construction


du sens et le processus de prise de pouvoir : c’est parce qu’il définit le
nouveau référentiel qu’un acteur prend le leadership du secteur en
affirmant son hégémonie mais, en même temps, c’est parce que cet acteur
affirme son hégémonie que sa vision du monde devient peu à peu la
nouvelle norme. » 924

Une fois acceptée par certains Etats le fait que l’espace est effectivement encombré,
contesté et compétitif (ce qui est une acceptation du référentiel sectoriel), la conflictualité
n’a pas disparu.
Il y a conflits dans le référentiel. Cela désigne les affrontements qui portent sur l’obtention
des ressources légitimes (instruments d’action) ou des positions de pouvoir (distribution

923
Ibid.
924
Alain Faure, Gilles Pollet, Philippe Warin (dir.), La construction du sens dans les politiques publiques..., op.cit., p. 165.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

des ressources) dans le cadre du référentiel sectoriel sur la sécurité des activités spatiales.
La construction d’une vision commune de la sécurité des activités spatiales qui peut être
atteinte par le consensus ne règle pas la question des instruments d’action et de la
distribution du pouvoir. La question est notamment de savoir quel acteur aura la légitimité
et/ou le pouvoir de constater une infraction et de sanctionner les déviants à la norme. Les
Américains et les Chinois semblent les plus à même d’effectuer ces vérifications au regard
de leurs capacités d’action (multiples radars, télescopes et satellites au service de la
surveillance de l’espace). Même si un consensus en amont est atteint, la définition de la
gouvernance globale sous-entend une conflictualité ultérieure. L’évolution du paysage
spatial, présentée comme inéluctable, est dictée par la formule américaine des 3C qui agit
dès lors comme une prophétie auto-réalisatrice. Cette conception de l’espace se nourrit de
l’imaginaire américain ayant comme fondement une culture stratégique sécuritaire.

2.3.2. Le référentiel inspiré de l’imaginaire sécuritaire américain

La généalogie de cet imaginaire sécuritaire, fortement lié à la culture stratégique nationale,


a été analysée par David GRONDIN. Sa thèse consiste à étudier le discours stratégique
américain sous George W. Bush, et à l’inscrire dans l’évolution générale du régime
gouvernemental de sécurité nationale des Etats-Unis. Ce dernier évolue d’un national
security state (assimilé à une stratégie de sécurité nationale) à un global security state (une
puissance stratégique globale). Cette évolution est conduite sous les effets conjoints de la
guerre contre la terreur (par l’instrumentalisation du 11 septembre 2001) et de la
mondialisation néolibérale. Grondin met au jour la construction rhétorique identitaire des
Etats-Unis comme Etat de sécurité globale, et montre que l’espace est envisagé par les
décideurs américains comme la « dernière frontière » à sécuriser et territorialiser (investir
un territoire de nouvelles significations). Son travail met en lumière le rôle des élites de
sécurité nationale. Sa notion de régime gouvernemental de sécurité nationale désigne alors
« les individus, intellectuels comme praticiens, qui œuvrent en dehors de l’Etat, dans des
thinks tanks notamment » 925. Grondin qualifie ces experts comme appartenant à un

925
David Grondin, La généalogie de l’espace comme “champ de bataille” dans le discours astropolitique américain. La
stratégie de construction identitaire des Etats-Unis comme puissance stratégique globale, Thèse de doctorat en science
politique, Université du Québec à Montréal, mars 2008, p. 35.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
926
« complexe militaro-intellectuel » et met en avant le rôle structurant de la RAND
corporation au sein de l’administration conservatrice. Cette logique gouvernementale de
sécurité nationale a été transposée à la stratégie militaire spatiale. La menace a été

« interprétée, décrite, voire créée, par le truchement d’agents d’influence,


eux-mêmes imprégnés d’une culture stratégique particulière qui a pu
conditionner leur vision du monde et du rôle des Etats-Unis dans le
monde » 927.

Bien que focalisant son étude sur les évolutions bellicistes marquées par la présidence des
néoconservateurs et inscrite dans la National Space Policy de 2006, les fondements
idéologiques relatifs à la stratégie de domination globale libérale américaine sont enracinés
depuis les années 1980, eux-mêmes s’inscrivant dans la culture politique du régime
gouvernemental de sécurité nationale. La rhétorique de la présidence actuelle d’Obama,
bien que plus encline à la coopération internationale, est l’héritière de ce régime
gouvernemental de sécurité nationale mis en place depuis la fin de la deuxième guerre
mondiale, et érigeant les Etats-Unis au rang de puissance stratégique globale. Les mandats
conservateurs n’ont fait que « profiter » du caractère exceptionnel des événements du 11
septembre 2001 et du sentiment patriotique qu’ils ont généré, afin de faire accepter l’idée
d’une inévitable guerre dans l’espace. L’écriture des imaginaires sécuritaires a permis au
régime de définir ce qu’est une menace et de dire comme la « sécuriser ». La culture de la
sécurité nationale implique la préparation militaire permanente et nécessite la présence
d’un ennemi et d’une imagination constante des menaces possibles. Le discours
astropolitique est peut-être davantage l’apanage d’une administration néoconservatrice,
mais les professionnels de la puissance militaire spatiale, c’est-à-dire les militaires chargés
de mettre en place la politique spatiale, ne subissent pas les changements de pouvoir. Il est
donc compréhensible à cet égard de constater des écarts de discours entre le président
démocrate Barack Obama et le Général William Shelton en janvier 2014. Les membres des
think tanks continuent également à produire même s’ils ne détiennent pas les faveurs du
pouvoir en place. A l’instar du CSIS et de Suzanne Nosel promouvant le smart power, ils

926
Ibid., p. 111.
927
Ibid., p. 44.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

tentent constamment d’influencer les idées et les croyances et se saisissent d’une nouvelle
fenêtre d’opportunité politique lorsqu’elle apparaît. Le discours astropolitique actuel peut
être compris comme alliant la même volonté d’exercice de la supériorité dans l’espace,
mais sans que la nécessité de l’armer soit affirmée. De George W. Bush à Barack Obama,
deux contenus et « styles » différents encadrent une même ambition de sécuriser l’espace.
Pour les néoconservateurs, il faut sécuriser l’espace et donc l’armer, en répondant à la
logique préventive de l’après-11 septembre, c’est-à-dire avant que d’autres ou des
éléments menaçants créent la surprise (stratégique). Pour les démocrates, il faut sécuriser
l’espace en multipliant les coopérations avec les alliés, créant de fait une interdépendance
complexe et partageant ainsi le fardeau. Il faut pouvoir disposer de redondances et faire
preuve de résilience. Pour tous, la sécurisation n’est plus envisagée comme relevant du
domaine de l’exception mais dépend des pratiques des professionnels de la
sécurité/insécurité qui agissent comme de véritables gestionnaires de la peur, du danger et
de l’inquiétude. Pour faire des imaginaires sécuritaires les seuls cadres de compréhension
du réel dans l’esprit de la population américaine, les décideurs américains utilisent une
analogie au fort pouvoir évocateur et émotionnel, l’événement de Pearl Harbour. Il
constitue la surprise stratégique par excellence. Lyndon Johnson a employé cette analogie
au lendemain de la mise en orbite de Spoutnik par les Soviétiques en 1957. En janvier
2001, la Commission Rumsfeld souligne dans son rapport que : “ The U.S is an attractive
candidate for a “Space Pearl Harbor”” 928. L’analogie est réactivée de plus belle au
lendemain du 11 septembre, lorsque ces attaques sont utilisées dans le but de montrer que
l’inimaginable peut être réel. Dans le domaine spatial, c’est le tir ASAT chinois de 2007
qui permet de fixer cette idée sur un fait réel. Dans ces conditions, le Pearl Harbor spatial
doit être imaginé. Il fait partie des « nouvelles menaces » 929 qui concourent à développer
une lecture dominante de la conflictualité. Pour Grondin, le scenario de la guerre spatiale
est la guerre imaginée qui remplace celle de la guerre nucléaire. Les Etats-Unis entraînent
dans leur sillage leurs alliés. En termes de solutions, ils font appel à la pensée experte, où
le tout technologique est censé régler le problème. Les Etats-Unis demandent à leurs alliés
d’entrer dans cette logique qui a moins de sens voire pas de sens pour eux au regard de leur

928
Report of the Commission to Assess United States National Security Space Management and Organization, pursuant to
Public Law 106-65, 11 janvier 2001, p. 13.
929
Grégory Daho, « Nouvelles menaces », « nouvelles guerres » : la construction des discours sur le désordre international,
Les Champs de Mars, n°20, avril 2009, pp 109-130.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

culture stratégique. Cet imaginaire sécuritaire propre à la culture stratégique nord-


américaine ne prépare pas les alliés des Etats-Unis aux guerres du futur, mais les
conforment à leur culture stratégique. Quelles en sont les conséquences pour la France et
l’avenir de la sécurité des activités spatiales ?
Au regard de la convergence franco-américaine sur la question de la sécurité des activités
spatiales, l’expression employée par Hubert Védrine caractérisant les relations entre les
deux Etats, « amis, alliés, mais pas alignés » 930 est-elle toujours pertinente ?

2.3.3. L’influence de la culture stratégique américaine sur les cultures


stratégiques françaises et européennes

Une culture stratégique :

« émerge d’un ensemble de pratiques internationales, à la fois militaires,


diplomatiques et économiques, impliquant une communauté étatique sur la
scène extérieure. Il ne s’agit pas d’un mécanisme structuré, mais d’un
ensemble de contraintes propres à la culture d’une société et qui
conditionnent la « production » de sa stratégie »931.

Chaque culture stratégique est unique et provient d’une expérience spécifique. Certains
facteurs 932 peuvent aider à cerner les spécificités nationales car le lien est fort entre la
culture nationale et la culture stratégique. Les décideurs ont un rôle particulier par rapport
à la culture stratégique nationale car ils sont en mesure d’en occulter certains aspects
lorsque les événements l’exigent. La culture stratégique reste donc de l’ordre du processus
construit socialement et historiquement. Elle est donc pour une partie conditionnée aux
choix des décideurs nationaux et subit également l’influence d’autres Etats dans la mesure
où sa construction sociale est sujette aux relations qu’entretient l’Etat avec ses alliés. Elle
est tout de même composée d’un socle de caractéristiques permanentes, mais reste

930
Hubert Védrine, La France et la mondialisation, Rapport pour le Président de la République, septembre 2007, p. 52.
931
Bradley S. Klein cité par Bruno Colson, « La culture stratégique française », http://www.institut-
strategie.fr/strat_053_Colson.html
932
Parmi lesquels la position géopolitique, les relations internationales, l’idéologie, la culture politique, la culture militaire
les relations civils-militaires, l’organisation bureaucratique, l’armement et la technologie militaire, in Carnes Lord,
"American Strategic Culture”, Comparative Strategy, vol. 5, 1985, 3, p. 272.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

malléable et se soumet à des changements conjoncturels. Ces derniers peuvent


éventuellement devenir des orientations permanentes de la culture stratégique et donc font
ensuite partie intégrante de sa structure. En tant que processus, la culture stratégique est en
perpétuel renouvellement. La France, allié historique des Etats-Unis, a donc été influencée
par cette culture stratégique.
Il n’est ainsi pas étonnant de lire que « la culture stratégique américaine, dominante
depuis la Guerre froide, a fini par nous [Français] imprégner. Or, cette culture est un
piège. » 933
Bruno Colson considère que les caractéristiques de la culture stratégique américaine sont :

« la façon frontale d’aborder l’ennemi, l’anéantissement de l’adversaire,


la recherche d’une écrasante supériorité des moyens en lien avec un souci
particulier de la dimension logistique » 934.

A l’inverse de la pensée stratégique de Clausewitz, la guerre est considérée par les


Américains comme le moyen d’éradiquer un mal et ne peut se mener en parallèle d’un
dialogue diplomatique avec l’ennemi. Alain Joxe parle également de « l’assassinat
clausewitzien du monde entier » 935. Cette culture serait donc un piège pour un Etat comme
la France, qui ne partage pas ses caractéristiques issues de la culture stratégique
américaine. Appliquée au milieu spatial, elle renvoie à l’exercice de la supériorité sur les
autres entités et à la désignation d’Etats voyous, ce qui concoure à faire de l’espace un
champ de bataille. Bien qu’opposée à cette vision belliciste de l’espace, la France est
perméable à ce discours de menaces issu de l’imaginaire sécuritaire américain. La France
est d’autant plus sensible à ce discours qu’elle n’a pas développée en propre sa stratégie
spatiale. Cela explique par le fait qu’une stratégie de milieu est développée par un Etat
lorsque celui-ci souhaite en prendre le contrôle. Ce n’est pas l’ambition de la France à
l’égard de l’espace.
En revanche, la culture stratégique française existe bel et bien. Quelles sont donc les
caractéristiques de cette culture stratégique qui semblent en contradiction avec la culture

933
Général Vincent Desportes, http://www.xerfi-precepta-strategiques-tv.com/emission/Vincent-Desportes-La-culture-
strategique-americaine_1904.html
934
Bruno Colson, « Culture stratégique américaine », in Dictionnaire de stratégie militaire, Gérard Chaliand, Arnaud Blin
(dir.), Paris, Librairie académique Perrin, 1998.
935
Alain Joxe, Le cycle de la dissuasion (1945-1990). Essai de stratégie, Ed. La Découverte, 1990, p. 291.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

stratégique américaine ? Comment cette imprégnation relevant du soft power a-t-elle


opérée ? Comment cela se manifeste t’il ? Quelles en sont les conséquences sur la vision
française de l’espace et de ses utilisations ? Enfin, la convergence apparente franco-
américaine pour la promotion d’un ICoC peut-il tenir face à des objectifs ultimes si
différents ?

2.3.3.1. Les caractéristiques de la culture stratégique française au


regard du milieu spatial

Bruno Colson rend compte de traits caractéristiques propres à la culture stratégique


française qu’ils considèrent comme permanentes et comme ayant structuré les choix
militaires français. Ces choix ont été la plupart réalisés lors de la présidence du général de
Gaulle. Colson distingue alors la politique d’indépendance, d’universalisme et de souci du
rang, la recherche des alliés, le leadership européen et la réflexion géopolitique avec une
mise en avant de la « valeur terre ».
Ces fondements servent de base à une réflexion sur ce que pourrait être la stratégie
spatiale française. On considère la stratégie comme :

« la dialectique des intelligences, dans un milieu conflictuel, fondée sur


l’utilisation ou la menace d’utilisation de la force à des fins
politiques. » 936.

Fort de cette définition, la stratégie spatiale française pourrait faire une place à une
forme de dissuasion dans l’espace. En développant sa réflexion sur une stratégie
spatiale française en cohérence avec ses valeurs, la France serait moins perméable
aux concepts importés d’outre-Atlantique. Les caractéristiques mises en avant par
Colson sont donc ici analysées au regard de l’utilisation française de l’espace.

936
Hervé Coutau-Bégarie, Traité de stratégie, Paris, Economica, 7 ème édition, p. 78.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

2.3.3.1.1 La politique d’indépendance, d’universalisme et le souci


du rang

« L’autonomie de décision est essentielle dans la culture stratégique


française et l’examen du passé lui donne toute sa dimension. (…) toujours,
il s’agissait de préserver la souveraineté nationale. (…) C’est à la lumière
de cette constante historique que se comprennent le rejet de la
Communauté européenne de Défense en 1954, le retrait de l’OTAN en
1966 et la réputation « d’allié difficile et exigeant » que la France garde
auprès de ses amis anglo-saxons. » 937

Bien que la France ait réintégré le commandement intégré de l’OTAN en 2009 938, elle
garde l’ambition de son autonomie. Ainsi, au sein du rapport traitant des
conséquences de ce retour, Hubert Védrine souligne que :

« (la) question est plutôt de déterminer comment la France défendra au


mieux, aujourd’hui et demain, ses intérêts fondamentaux de sécurité et de
défense, son indépendance, son autonomie de décision, et (…) la maîtrise
de son destin, à la fois au sein de l’Alliance, dans l’Union européenne
(…) » 939.

L’espace, domaine stratégique par excellence, n’échappe pas à cette volonté


d’indépendance et d’autonomie de la part de la France. Elle s’est exprimée tout
d’abord par l’ambition de développer un programme de lanceurs européens. Les
débuts ont été marqués par l’échec, du fait de l’abandon britannique au projet du
lanceur Europa 940. Le projet est définitivement abandonné en 1972. En 1962 pourtant,

937
Bruno Colson, http://www.institut-strategie.fr/strat_053_Colson.html#Note30
938
La France reste cependant toujours en dehors du groupe des plans nucléaires, bien que tous les Etats membres de l’OTAN
y participent.
939
Hubert Védrine, Rapport pour le Président de la République sur les conséquences du retour de la France dans le
commandement militaire intégré de l’OTAN, sur l’avenir de la relation transatlantique et les perspectives de l’Europe de la
défense, 14 novembre 2012, file:///D:/Cl%C3%A9%20USB/FRANCE-EUROPE/Rapport_Vedrine-2.pdf
940
Les Britanniques abandonnent leur programme Blue Streak (missile balistique britannique), qui devait remplir le rôle de
premier étage du lanceur Europa. Cette décision marque la baisse des ambitions stratégiques britanniques.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

dans le sillage de la construction européenne, quelques Etats européens créent


l’ELDO (European Launcher Development Organization) et l’ESRO (European
Space Research Organization). L’ESRO est devenu l’ESA en 1975 mais l’ELDO n’a
pas survécu. La France continue d’argumenter en faveur d’un lanceur européen
(projet L3S). L’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni sont eux prêts à recourir aux
lanceurs de la NASA. Cependant, une « maladresse américaine » 941 permet de
relancer les ambitions européennes. Tout commence lorsque Français et Allemands
de l’Ouest conviennent de la conduite d’un programme commun de satellites de
télécommunications expérimental, Symphonie. Les Etats-Unis acceptent en 1973 de
procéder au lancement de ces satellites géostationnaires mais à une condition ; que les
Symphonie ne fournissent pas de services commerciaux ni entrent en concurrence
avec Intelsat, la société américaine présente sur ce marché commercial prometteurs
des télécommunications. S’en suit une réaction de la part de l’Allemagne, de l’Italie
et de la Belgique qui décident finalement de soutenir le projet la France et la
proposition du programme Ariane. Le premier lancement Ariane a lieu le 25
décembre 1979 depuis le Centre Spatial Guyanais, à Kourou. Cette réaction
européenne, promue par la France, est une affirmation forte de la volonté
d’indépendance et d’autonomie face à l’hégémonie spatiale américaine de l’époque.
La naissance de la France et de l’Europe spatiale a été fortement impulsée par la
politique général de Gaulle 942. Aujourd’hui encore les discours de politique spatiale
sont marqués par cette volonté d’autonomie et d’indépendance. En 2008, lors de sa
visite au Centre Spatial à Kourou, le président de la République Nicolas Sarkozy
rappelle que l’autonomie stratégique est une nécessité :

« Gardons-nous d’oublier les leçons de la crise irakienne. L’autonomie


stratégique, la liberté d’action des gouvernements européens, et l’exercice
de responsabilités mondiales ont un prix et requièrent un minimum
d’investissements. » 943

941
Alain Dupas, La nouvelle conquête spatiale, Paris, Odile Jacob, 2010, p. 166.
942
Il a notamment décidé la création du CNES, la construction d’un lanceur français pour des satellites de petite taille et le
développement de la coopération scientifique entre les Etats européens.
943
Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur les défis et priorités de l’industrie spatiale
européenne, 11 février 2008, Kourou, http://discours.vie-publique.fr/notices/087000516.html

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Ces idées sont largement reprises dans les Livres Blancs de la défense et de la
sécurité nationale de 2008 et 2012, ce dernier érigeant :

« le maintien de l’autonomie stratégique [de la France comme] le premier


principe de notre stratégie » (…) « Dans le domaine militaire, le libre
accès et l’utilisation militaire sont des conditions de cette autonomie
stratégique. » 944

Ce discours est également repris par les autorités militaires du Commandement


Interarmées de l’Espace, créé par le LBDSN 2008 :

« Le Commandement Interarmées de l’Espace veille à assurer la


disponibilité des capacités spatiales au profit de nos forces armées
engagées en opérations et au bénéfice de nos hautes autorités afin qu’elle
puisse prendre en toute autonomie les décisions qui lui incombent. » 945

Cette constante de la culture stratégique française est donc très présente dans la
vision qu’ont les autorités françaises de leur utilisation de l’espace et du rôle que ce
dernier doit jouer au profit de la France.
La France a également des prétentions universalistes qui se réalisent dans « la volonté
de défendre, puis d’exporter ses idéaux » 946. En ce sens, France et Etats-Unis sont
tous deux animés par une aspiration universaliste mais aux visions du monde
différentes.
Sans nier le fait que la France, comme tout autre Etat, défend ses intérêts, sa tradition
humaniste contraste avec l’approche sécuritaire qui est celle des Etats-Unis et qui
supplante toutes leurs valeurs. Au sein des discussions relatives à la sécurité des activités
spatiales, cela s’illustre par la volonté américaine de préserver à tout prix leur liberté dans
l’espace. Bien que la France emploie un discours similaire, ses décideurs invoquent
également leur volonté de contribuer à une égale exploitation de l’espace entre les Etats.

944
Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité Nationale, Ministère de la Défense, 29 avril 2013, p. 88 et p. 45.
945
Général Arnaud, commandant le Commandement Interarmées de l’Espace (CIE), « Souveraineté nationale et efficacité
militaire », Armée d’aujourd’hui, avril 2012, n°369, p. 48 – 49.
946
Bruno Colson, op.cit.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Ce sont généralement des idées portées par les Etats « émergents » (Chine et Inde). Bien
que les Etats-Unis utilisent de manière pragmatique la notion de gobal common pour le
milieu spatial, ils n’envisagent pas l’espace comme un « territoire commun » à l’humanité,
comme l’ont montré les analyses développées précédemment dans cette thèse. D’aucuns
considèrent même que cette notion floue alimente la course aux armements :
« La promotion du concept de global commons aboutit à une forme de militarisation des
espaces communs » voire mène à la course aux armements dans l’espace 947.
Les Etats-Unis ne se sont jamais positionnés contre la course aux armements dans
l’espace, bien au contraire, ce sont les premiers à avoir alimenté ce qui s’apparente à
un dilemme de sécurité. A l’inverse, depuis la conquête de l’espace, la France a
toujours mis en garde contre cette escalade. Elle a été très active sur ce sujet même si
son discours s’est fait plus rare dans les années 2000. Le président Sarkozy rappelle
en 2008 que la stratégie spatiale française doit être « raisonnée et cohérente, réaliste
au regard de nos moyens, mais respectueuse de notre ambition, de notre histoire, et
de notre avenir. »

2.3.3.1.2 La recherche des alliés et le leadership européen

Bruno Colson évoque qu’historiquement, la France a toujours recherché un « allié de


revers ». Cela consiste à rechercher un ou des alliés dans le camp de l’adversaire afin
d’établir un équilibre des puissances. Dans le cas des discussions sur le code de
conduite, la démarche française et européenne a été plutôt de discuter avec
l’ensemble des délégations et d’essayer de persuader des Etats plus favorables à la
proposition sino-russe. De l’extérieur, une démarche multilatérale, au moins dans les
discours, a semblé être favorisé. En tout état de cause, les Russes et les Chinois
n’apparaissent pas comme les adversaires des Français. Cependant, pouvoir rallier à
l’idée du code des Etats plus prompts à accepter le projet du PPWT est une méthode
de fragilisation de la proposition sino-russe.
La France et les Européens ont très tôt cherché à obtenir le soutien américain. Ce
dernier s’est fait à la faveur d’ajustements sur le fond du projet CoC. La France et
l’Europe ont donc fait des Etats-Unis leur partenaire naturel pour ce projet de code.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Cela n’annihile pas la volonté de la France de faire entendre sa voix face aux
exigences américaines.

« Il y a dans la culture stratégique française un vaste courant qui


n’accepte pas une conduite dictée et qui exige au contraire un débat, ce
qui n’empêche pas de choisir la "solidarité" avec les alliés. » 948

Pour se faire entendre, la France a choisi de s’exprimer par l’intermédiaire de l’Union


européenne, faisant d’elle le leader normatif, par l’intermédiaire de son service
diplomatique, le SEAE. Sur ce projet de régime, la France s’approprie le leadership
européen. Cela lui permet par la même occasion de faire entendre sa voix, qui seule,
serait probablement inaudible. En règle générale, les décideurs politiques français
favorisent les forums de discussions internationales pour exprimer leur position. Le
temps de la présidence française de l’Union européenne au second trimestre 2008 a
été en cela très opportun. Le leadership spatial européen est également détenu par la
France qui, dès les débuts de la conquête spatiale jusqu’à aujourd’hui, est l’Etat
européen le plus ambitieux en la matière. Entretenant les savoir-faire acquis par
l’expérience, La France pérennise son rang de première puissance spatiale en Europe.
Mais si le leadership européen dans le domaine normatif (promotion du code) ne lui a
pas été contesté, il n’en est pas de même du leadership spatial économique.
La France est concurrencée par l’Allemagne qui souhaite renouer avec ses ambitions
spatiales d’antan. En effet, l’Allemagne nazie avait été, avec ses ingénieurs, à
l’origine du développement de la technologie des missiles V-2 et donc des futures
fusées. Avec la dissémination de ses « cerveaux » vers les Etats-Unis, l’Union
soviétique et même la France, l’Allemagne avait perdu de son potentiel. Cela est
aujourd’hui en partie comblé. Trois événements permettent de l’avancer ; la
publication d’une stratégie spatiale allemande, la révélation via les câbles
diplomatiques Wikileaks de discussions germano-américaines sur la conception d’un
satellite de reconnaissance allemand au profit des Américains, et enfin la création

947
Frédéric Ramel, « Accès… », p. 31.
948
Bruno Colson, http://www.institut-strategie.fr/strat_053_Colson.html#Note30

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

d’un centre de surveillance de l’espace, le German Space Situational Awareness


Center (GSSAC) 949. En fait de stratégie, il ne s’agit pas là de définir une stratégie
militaire mais de hiérarchiser et coordonner les activités spatiales tant dans les
domaines civil, militaire et commercial. Reste que, c’est une première pour
l’Allemagne, et à cette époque, la France n’a pas publié de document équivalent. Les
rédacteurs du document allemand soulignent que leur pays doit véritablement jouer
un rôle de compétiteur crédible sur les marchés commerciaux à l’exportation.
L’Allemagne s’affirme comme un réel concurrent au savoir-faire français. Un autre
élément, plus politique, permet de mettre en lumière les ambitions allemandes. Il
s’agit d’un câble diplomatique révélant que les services de renseignements allemands
ont mené des discussions bilatérales avec les Américains sur la période allant de
février 2009 à février 2010. Ce câble révèle que des membres de l’agence allemande
de renseignement extérieur (le Bundesnachrichtendienst - BND) tentent de
convaincre la chancelière allemande et le gouvernement américain de mener un
programme spatial conjoint consistant en la fabrication d’une constellation de trois
satellites d’observation à haute résolution baptisée HIROS (HIgh Resolution Optical
System). Ce projet porté par le BND doit obtenir le soutien financier et politique de la
Chancellerie et du Ministère de la Défense allemand. Ce dernier semble peu enclin à
accepter cet accord car il mettra à mal les relations franco-allemandes, et le
programme européen d’observation MUSIS 950 dans lequel l’Allemagne s’est engagé.

“HiROS Achilles’ heel has been a lack of German interagency agreement


in the face of heavy French political opposition, who are concerned that
HiROS would directly compete with French commercial imagery
951
satellites.”

Ce projet HiROS n’a jamais vu le jour, mais ce câble révèle que pour certains, dont le
BND, le partage des compétences spatiales (optique/radar) avec la France n’est pas

949
Ce sont les homologues du COSMOS français (Centre Opérationnel de Surveillance Militaire des Objets Spatiaux).
950
Multinational Space-Based Imaging System for Surveillance, Reconnaissance and Observation
951
“BND lobbying Merkel and USG on Satellite Reconnaissance Cooperation”,
https://wikileaks.org/plusd/cables/10BERLIN161_a.html

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

immuable. En effet, ce câble ne souligne que la résistance du Ministère de la défense


allemand face à l’optimisme de l’agence spatiale allemande.
En matière de surveillance de l’espace, l’Allemagne s’affirme également. Elle crée le
GSSAC en 2009 en s’appuyant sur son radar d’imagerie, le Tracking and Imaging
Radar - TIRA. De plus, l’Allemagne développe un radar expérimental de veille, le
German Experimental Space Surveillance and Tracking Radar- GESTRA- à l’image
du radar français GRAVES. GESTRA devrait être pleinement opérationnel en 2020.
Enfin, les Allemands ont conclu un accord bilatéral de coopération militaire avec le
Commandement stratégique américain sur le partage des données issues de la
surveillance de l’espace 952.
Concurrencé par l’Allemagne, le leadership français sur l’espace européen ne va plus
de soi.
La volonté de la France de construire une Europe spatiale est conforme à l’héritage
gaullien. Les Etats-Unis sont certes un allié, mais il est souhaitable que l’Europe lui
oppose un contrepoids. Les présidents successifs français affichent, au moins au sein
de leurs discours, leur préférence pour la multipolarité au détriment du
multilatéralisme.

2.3.3.1.3 La réflexion géopolitique par la mise en avant de la


valeur « terre »

Selon Bruno Colson, la valeur « terre » serait prédominante sur les autres milieux au
sein de la culture stratégique française. Bien que n’évoquant pas cette valeur terre au
regard du développement du secteur spatial en France, cette valeur a pu jouer un rôle.
En effet, les différents Etats-majors (Air, Terre et Mer) ne semblent pas avoir saisi
rapidement toute l’étendue des potentialités qu’offraient le milieu spatial et sa
conquête par les satellites. C’est le cas des satellites d’observation dans les années
1980-1990.

952
Mike Gruss, “U.S and Germany Sign Space Surveillance Pact”, Space News, 31 janvier 2015, http://spacenews.com/u-s-
and-germany-sign-space-surveillance-pact/

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« Je détenais, dans mes dossiers d’Officier de Programme, les lettres des


chefs d’Etat-major des trois armées (Terre, Mer et Air) qui déclaraient à
l’unisson qu’Hélios ne présentait aucun intérêt pour les armées
respectives et que, dès lors, ils ne financeraient pas cette capacités jugée
trop stratégique. » 953

Cette prise de position est évidemment liée au contexte de la Guerre froide et à


l’utilisation stratégique de l’espace qui en est faite par les deux Grands. L’apport du
milieu spatial pour les opérations terrestres n’est pas encore une réalité. Les
utilisations militaires de l’espace réalisées lors de la Guerre du Golfe en 1991
permettent aux Etats-majors français d’entrevoir les gains potentiels apportés par les
satellites, et notamment par les satellites d’observation optique. En effet, les images
prêtées par la partie américaine étonnent les militaires et les décideurs politiques
français. La contribution spatiale au champ de bataille met en exergue le rôle des
satellites dans la réussite de la mission. Le succès de l’offensive terrestre est la
conséquence de l’utilisation de ces moyens spatiaux (observation, télécommunication
et navigation) par un Etat quand l’adversaire est dans le dénuement spatial. C’est en
cela qu’on parle de l’utilisation de l’espace comme un « multiplicateur de forces » 954.
Les décideurs politiques et les militaires français prennent alors peu à peu conscience
de l’importance de l’utilisation de l’espace au profit de la « valeur terre ». Des crédits
sont alloués pour l’observation militaire. La France met en orbite son premier satellite
de reconnaissance Helios 1A en 1995. L’observation apporte des moyens de
cartographie, de renseignement et de ciblage. Malgré tout, des doutes subsistent sur le
véritable apport de l’espace aux opérations :

« En 2003, arguant que l’Espace n’était pas un milieu isolé et qu’il ne


contribuait pas directement à la conduite des opérations, le Chef d’Etat-
major des Armées a décidé la suppression du Bureau Espace. » 955

953
Général Pascal Valentin (dir.), Espace et Opérations. Enseignements et Perspectives, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 23.
954
Car « il permet de voir plus loin, de décider plus vite et en meilleure connaissance de cause », discours du chef d’état-
major des armées à la création du Commandement interarmées de l’espace (CIE), 2 juillet 2010.
955
Ibid., p. 24

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Les capacités spatiales continuent cependant d’être développées mais certaines restent
à la marge, c’est le cas de la surveillance de l’espace. Cela peut s’expliquer par le fait
qu’il faut intégrer une logique inverse qui est l’observation de l’espace à partir de la
Terre au profit de la planification et de la conduite des opérations. Certains regrettent
que l’attribution des crédits au profit de l’espace militaire se fasse essentiellement au
bénéfice de la capacité d’observation.
[A propos du budget spatial militaire français] « Pour l’instant c’est 400 millions
pour le programme successeur d’Hélios, MUSIS et 0 pour la surveillance. » 956
Ces choix politiques sont à lier à la visibilité immédiate qu’offre l’observation de la
Terre. En effet, le décideur est sensible à cette capacité spatiale qui lui permet d’avoir
sous les yeux, en peu de temps, des images qu’il pourra convertir en outil
diplomatique. Il sera alors plus enclin à y consacrer une part importante du budget. La
surveillance de l’espace comme outil diplomatique n’est véritablement comprise que
lors de la mise en œuvre du système GRAVES et de ses résultats peu après 2005 957.
Enfin, bien que l’apport de l’utilisation de l’espace ait été compris par les décideurs
français, on note que cela peut être remis en cause facilement. En effet, avant
l’annonce du doublement du budget spatial d’ici à 2020 par le LBDSN 2008, ce
budget avait accusé une baisse de 33% entre 1993 et 2006. En 2008, le budget spatial
a atteint son plus bas niveau avec 380 millions d’Euros, du fait de l’absence de
programmes nouveaux 958. Bien qu’utilisé aujourd’hui au quotidien par les forces
armées françaises, et devenu indispensable à certains systèmes embarqués (GPS pour
guidage des bombes et télécommunications pour drones par exemple), il semble
nécessaire de rappeler régulièrement que cette contribution est devenue une
dépendance 959. La France et ses décideurs continuent majoritairement à percevoir
l’espace comme hautement stratégique, ce qu’il est certes, mais pas seulement.
Depuis la guerre du Golfe, la France aurait eu intérêt à prendre davantage en compte

956
Entretien avec le Commandant le Commandement de la Défense Aérienne et des Opérations Aériennes, CDAOA, en
charge de la surveillance de l’espace, Paris.
957
Laurent Zecchini, « Le radar « GRAVES » scrute l’espace et détecte les satellites espions américains », Le Monde, 20 juin
2007.
958
La Loi de Programmation Militaire 2014-2019 prévoit une augmentation annuelle des dépenses d’investissement au
bénéfice du domaine spatial.
959
En 2015, 100% des missions militaires réalisées par les forces maritimes, terrestres ou aériennes françaises ont utilisé le
GPS. De la même manière, 67% des armements délivrés par la France l’ont été sur coordonnées (utilisation d’images
satellites puis guide inertiel ou GPS).

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

les dimensions « Terre » de l’espace, c’est-à-dire opératives et tactiques. La France


n’a su décrypter les différentes « couches » de l’évolution de l’utilisation de l’espace.
La valeur terre, portée par la culture stratégique française, est en opposition avec la
culture stratégique américaine. Là où les nombreux hommes de guerre français ont
marqué leur attachement à la Terre de France, les Etats-Unis voit leur territoire
comme « une surface de déplacement » 960. A l’inverse, la France est une « entité
solide, compacte et enracinée » 961. L’empire américain ne serait pas un empire
terrestre mais « une forme nouvelle d’empire universel « maritime », surgissant de
l’unicité de l’économie-monde et du contrôle continu en temps réel que permet le
space power » 962. Alain Joxe voit un danger dans l’absence de valeur terre de cette
domination, cela mènerait en effet à l’ « empire du désordre » 963. La notion de global
commons du début des années 2000 est ainsi la continuité de l’idée de cet empire
déterritorialisé.

« Faire des global commons une des composantes d'une grande stratégie
relayée dans une alliance militaire et ayant comme finalité un autre
rapport au territoire peut aussi et surtout répondre à une logique de
«stabilité hégémonique». Cette idée d'extension s'articule ici à une
qualification : les Etats-Unis incarnent un « hegemon libéral» qui cherche
à préserver son statut. » 964

Si elle ne cède pas à la culture dominante, la France, puissance moyenne, peut


transférer certaines constantes de sa culture stratégique au sein d’une culture
stratégique européenne. L’Union européenne est encore une fois pour la France un
moyen de se faire entendre et promouvoir une alternative à la domination
intellectuelle et conceptuelle des Etats-Unis. Cela peut déboucher sur une véritable
stratégie européenne d’occupation du milieu spatial.

960
Bruno Colson, op. cit.
961
François Géré (dir.), Les lauriers incertains. Stratégie et politique militaire des Etats-Unis 1980- 2000, FEDN, 1991, pp.
374-375.
962
Alain Joxe, Le cycle de la dissuasion (1945-1990). Essai de stratégie critique, Ed. La Découverte, Paris, 1990, p. 287.
963
Ibid., p. 287.
964
Frédéric Ramel, « Accès… », op. cit.,p. 30.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

2.3.3.2. La culture stratégique européenne en germe

Au début des années 2000, de multiples travaux universitaires posent la question de


l’existence d’une culture stratégique européenne. Celle-ci pourrait être issue de la
réunion des cultures stratégiques des Etats européens. On ne peut exclure également
la constitution d’une culture stratégique proprement européenne, n’étant ni la somme
des cultures nationales, ni l’adoption de la culture dominante. Quoiqu’il en soit,
l’existence d’une culture stratégique européenne constitue la condition sine qua none
d’une politique de sécurité et de défense commune (PSDC) efficace. Les réflexions
sont prolifiques à partir de 2003. Cette date n’est pas un hasard, elle renvoie aux
oppositions intra-européennes sur la question de la guerre en Irak. Le ralliement à la
cause américaine et donc l’engagement de troupes nationales issues d’Etats européens
en Irak sème le trouble dans une Europe divisée. La guerre en Irak est l’illustration
d’une certaine vision de l’emploi de la force, propre à la culture stratégique
américaine. L’existence d’une culture stratégique européenne aurait pu permettre de
dépasser la question du choix cornélien (schématiquement tel que l’a exposé
l’administration de George W. Bush : pour ou contre les Etats-Unis) et de
s’émanciper des concepts américains anti-clausewitziens, peu évocateurs dans la
majorité des cultures stratégiques européennes. De plus, les Européens ont des
priorités stratégiques différentes des Américains qu’ils devraient être capables
d’exprimer clairement. Christoph Meyer identifie une culture stratégique de l’UE
dans : « les idées, normes et types de comportement partagés par les acteurs et les
opinions impliqués dans la poursuite des politiques de sécurité et défense
européennes » 965. L’UE a fait cet effort de réflexion et publié une stratégie
européenne de sécurité fin 2003. Ainsi, « l’énonciation politique d’objectifs
stratégiques permet de considérer l’UE comme un acteur international, dont on
commence à percevoir les finalités stratégiques » 966. Dans son sillage, elle a lancé ses
premières opérations militaires à l’étranger. Mais ces opérations sont davantage

965
Christoph O. Meyer, “Theorising European Strategic Culture: Between Convergence and the Persistence of
National Diversity”, CEPS Working Document, n° 204, June 2004, p. 4.
966
Alessia Biava, « La culture stratégique de l’Union européenne dans le domaine de la sortie des crises et des conflits : un
cadre de référence », in Vincent Chetail, Cédric Van Der Poel, Sylvie Ramel, René Schwok, Prévention, gestion et sortie des
conflits, Actes de séminaire, Genève, IEUG/Collection Euryopa, 2006, p. 61. Une des priorités stratégiques définies alors
était la promotion d’un multilatéralisme efficace.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

l’expression d’activités civilo-militaires et de conseil et formation. Bien que le


contexte international ait changé, la stratégie européenne n’a fait l’objet que d’un
rapport d’actualisation en 2008. La stratégie de 2003, tout en soulignant l’importance
de la coopération transatlantique, marque sa différence avec l’emploi américain
unilatéral de la force. Cette différence est également soulignée par les participants de
la conférence de Prague :

“ The threats delineated on the U.S side often involved offensive actions
by other space-faring actors, whereas Europe primarily focuses on the
threats posed by space debris, satellite collisions and other such
phenomena.” 967

C’est bien en se distinguant de la réflexion conceptuelle américaine que l’UE peut


s’émanciper et développer une culture stratégique conforme à ses valeurs et intérêts.
Le point de départ est d’identifier les constantes d’une culture stratégique
européenne. Les comités européens existants tels que le COPS (Comité Politique et
de Sécurité) ou l’EMUE (Etat-major de l’Union européenne) contribuent par leurs
échanges réguliers à créer des normes européennes d’engagement. Ainsi, il ressort
que la culture stratégique de l’Union privilégie les initiatives civiles et une utilisation
minimale de la force 968.

« La culture stratégique qui émerge au sein de l’UE se concentre sur les


niveaux les plus bas d’emploi de la force, tout en comptant sur les
éléments de soft power pour atteindre ses buts » 969.

L’instrument militaire n’a vocation qu’à contribuer aux efforts de prévention et


règlement des conflits dans le cadre d’une approche globale de la sécurité. Ces
caractéristiques culturelles stratégiques représentent ainsi la base du référentiel
cognitif commun entre les pays européens, qui est susceptible de formater leur

967
Jana Robinson, “Space Security…”,op. cit., p. 13.
968
Jean-Jacques Patry, Nicole Vilboux, Philippe Gros, « L’élaboration…, op. cit., p. 87.
969
Craig B. Greathouse, « Challenges of Power and the European Union: Conflicting Strategic Cultures and
Traditional Power Politics », in The EU as a Global Actor: Perspectives on Power, conférence Georgia Tech University,
September 19, 2008, p. 4.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

préférence stratégique et opérationnelle, que ces pays interviennent dans le cadre de


l’UE ou au sein d’une coalition.
L’utilisation de l’espace s’achemine vers ce que les forces aériennes européennes ont
déjà acquis, c’est-à-dire une culture technico-opérationnelle relativement commune.
Cette culture commune est générée et entretenue par le biais de la puissance
normative de l’OTAN. Deux éléments ont contribué à orienter les forces aériennes
vers des savoir-faire, ressources et fonctionnements communs. Tout d’abord, l’OTAN
constitue des architectures communes de commandement. Cela implique que les Etats
participants soient capables de mettre en place un haut niveau interopérabilité.
Ensuite, l’OTAN est capable de produire un grand nombre de normes et de
règlements interalliés sous la forme des STANAG (« Standardization Agreement »).
Des exercices d’entraînement binationaux ou multinationaux divers et variés
permettent de les mettre à l’essai et de conformer petit à petit les Etats à leur respect
systématique. Il existe donc d’ors et déjà une véritable convergence euro-atlantique
des savoir-faire aéronautiques militaires. De la même manière, si les Etats européens
ont réalisé de grands progrès quant à leur interopérabilité intra-européenne, elle est la
conséquence de l’adoption des normes technico-opérationnelles OTAN. Il ne s’agit
donc nullement de la création d’une culture commune de l’utilisation de l’air et de
l’espace. La source culturelle aérienne et spatiale militaire la plus influente demeure
celle provenant des États-Unis, notamment de l’U.S. Air Force. Sa production est
facilitée et amplifiée par l’existence de l’Air University et des activités de partenariats
USAF / armées de l’Air alliées. Afin de faire en sorte qu’une culture spatiale
européenne émerge, il faut avoir des raisons de la créer et de la développer. Cela ne
peut donc intéresser que les armées de l’Air de quelques États impliqués dans ce
processus et qui disposent encore d’une masse critique de moyens et de capacités
significatives, à savoir la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne.
Evoqués précédemment, les Schriever Wargame sont des exercices otaniens
permettant d’intégrer les utilisations de l’espace avec ce même objectif de
standardisation. Depuis peu, ces exercices sont ouverts aux Français et aux
Allemands, nations aux ambitions spatiales hautes. Mais les exercices SSA TTX sont
indéniablement ceux qui portent en eux l’objectif de standardisation des utilisations
militaires de l’espace dans le cadre de la surveillance de l’espace. Chaque événement

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

spatial dispose d’une procédure dont chaque étape est codifiée. Cet exercice est sur le
point de devenir annuel. L’avantage de ce forum non-OTAN est que d’autres nations
peuvent y participer. Les Japonais ont réalisé cette démarche pour l’édition 2016,
mais les organisateurs (USSTRATCOM) ont exprimé leur souhait d’y convier
d’autres nations sous le statut d’observateurs. Bien que la conceptualisation du milieu
spatial soit présente dans les documents de l’OTAN via la notion de global common,
il n’existe pas actuellement de doctrine spatiale otanienne 970. D’après un observateur
averti de ces questions, les pays membres de l’OTAN ne souhaitent pas rédiger une
doctrine spatiale évoquant le sujet épineux du développement d’armes dans l’espace
par peur de susciter une surenchère.
La réintégration de la France dans les organismes intégrés de l’OTAN a fait espérer
qu’une influence conceptuelle s’y distillerait. Hubert Védrine en a même fait une
condition de la réussite de cette réintégration. En guise de reconnaissance, la France a
obtenu le commandement allié Transformation de l’OTAN (SACT). C’est au sein de
ce SACT que se situe le Joint Air Power Competence Center (JAPCC), localisé en
Allemagne. Ses missions consistent à appliquer les processus transformationnels
importés des États- Unis pour la mise à niveau des forces aériennes et spatiales de
l’Alliance. Le Centre existe afin de diffuser une culture aérienne et spatiale (aux
niveaux stratégique et opératif) largement inspirée par le modèle américain. On peut
cependant raisonnablement penser que cette influence américaine n’est pas
unidimensionnelle, bien qu’au final les Européens valident les idées et concepts
venus d’Outre-Atlantique.
Qu’en est-il alors de la « manière proprement européenne de percevoir, interpréter et
réagir aux menaces et aux opportunités diplomatiques » 971 ? Cette question est
d’autant plus cruciale que sont observés maintenant depuis une dizaine d’années des
transferts normatifs et conceptuels de la culture stratégique dominante (d’origine
nord-américaine) vers les documents programmatiques et stratégiques français. Outre
le fait que ces transferts permettent de faire l’économie d’un véritable travail de
réflexion stratégique purement nationale, quelles en sont les « conséquences

970
L’OTAN, par l’intermédiaire du Joint Air Power Competence Center, JAPCC, a tout de même publié un document ouvrant
la voie à la future politique spatiale otanienne, « Filling the Vacuum. A Framework for a NATO Space Policy », JAPCC, juin
2012, http://www.japcc.org/wp-content/uploads/SPP_2012_web.pdf
971
Joanna Spear, « The Emergence of a European 'Strategic Personality' », Arms Control Association, 2003.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
972
imprévues » sur la culture stratégique réceptrice ainsi que sur la culture de
commandement qui lui est associée ?

2.3.3.3. L’acculturation stratégique et ses conséquences imprévues

Sous l’influence de trois facteurs principaux 973, les recherches américaines dans le
domaine de la réflexion stratégique sont depuis quelques décennies devenues
dominantes. Sans même que cela soit assumé complètement, les réflexions
stratégiques françaises cèdent à deux tendances : l’attrait des références anglo-
saxonnes et la pratique des traductions sur le plan conceptuel 974. Ce « tropisme
américain » 975 n’est pas sans conséquence sur une culture stratégique française
différente et sur sa culture militaire qui en découle. Cette acculturation progressive
est édifiante au sein des LBDSN 2008 et 2013.

Le LBDSN 2008 « est un discours cohérent par son vocabulaire, ses


concepts, son idéologie et ses orientations militaires et politiques. Mais
c’est une cohérence imitée de la pensée stratégique américaine, inadapté
à la défense et à la sécurité de l’Europe et contraire par sa dominante
sécuritaire à la culture militaire et politique de la France. » 976

2.3.3.3.1 L’invocation d’une stratégie de sécurité nationale


légitimée par le discours sur les nouveaux risques et les nouvelles
menaces

Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, l’identité étatique des Etats-Unis est
pensée au prisme de la sécurité nationale. Les intellectuels et les praticiens
américains ont donc défini, tour à tour, les imaginaires sécuritaires (ce qu’est une
menace et comment la « sécuriser ») peuplés de menaces contre la sécurité nationale.

972
Thierry Delpeuch, L’analyse des transferts internationaux…, op. cit., p. 5.
973
L’afflux de réfugiés du nazisme créant un vivier de spécialistes, la position dominante des Etats-Unis au sortir des deux
guerres mondiales et la présence de fondations très impliquées dans le financements d’activités de recherche, in Frédéric
Ramel, « Une troisième voie pour la pensée stratégique », Les Cahiers de la Défense Nationale, Hors-série, juillet 2009, p.
107.
974
Ibid., p. 107.
975
Ibid., p. 106.
976
Alain Joxe, « La cohérence du Livre blanc sur la sécurité nationale », Le Débat Stratégique, n°98, 2008, pp. 2-3.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

La France, elle, a longtemps préféré l’expression de défense globale à celle de


sécurité nationale. Pendant la Guerre froide, cela qualifie la menace homogène 977 que
constituent les Etats membres du Pacte de Varsovie. Cette menace à la survie de
l’Etat français peut être contrée par les forces armées nationales. Le concept de
sécurité nationale adopté par la France en 2008 est beaucoup plus englobant. Pour
certains, le passage au concept de la sécurité nationale n’est qu’une évolution
logique :
« Avec l’adoption de l’expression « sécurité nationale », la France semble
avoir enfin modifié ses références pour qu’elles soient mieux en phase
avec le contexte géopolitique actuel et surtout l’état des menaces
auxquelles elle doit faire face. » 978

C’est le contexte international qui légitimerait ce changement de stratégie. En effet,


pour qualifier ce « nouveau » contexte, la période post-Guerre froide est décrite en
termes de « nouveaux » risques et de « nouvelles » menaces. Cette situation
nécessiterait de gommer la frontière conceptuelle entre sécurité intérieure et sécurité
extérieure. La définition d’une stratégie de sécurité nationale s’impose alors. La
France la définit en ces termes :

« De ce travail émerge un nouveau concept ; celui d’une stratégie de


sécurité nationale qui associe, sans les confondre, la politique de défense,
la politique de sécurité intérieure, la politique étrangère et la politique
économique. » 979

La France choisit d’aller vers une conception :

« (…) plus globale et donc forcément extravertie : elle s’apparente à ce


que les Anglo-saxons nomment la "grande stratégie", et les Français "la
stratégie intégrale". Dans cette perspective, une nation élabore et met en

977
En référence à la définition des « systèmes homogènes » par Raymond Aron, in Paix et guerre entre les nations, op.cit., p.
108.
978
Frédéric Coste, « L’adoption du concept de sécurité nationale : une révolution conceptuelle qui peine à s’exprimer », Note
n°03/2011, Fondation pour la Recherche Stratégique.
979
LBDSN 2008, p. 10.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

application tous les moyens qui garantiront son existence, son bien-être et
sa prospérité. L’utilisation des forces armées n’est alors qu’un des
moyens, parmi bien d’autres, d’une telle stratégie » 980

Le document par excellence qui met en lumière ce changement de cap conceptuel est
le LBDSN 2008. Il s’ouvre sur ce constat :

« La distinction traditionnelle entre sécurité intérieure et sécurité


extérieure n’est plus pertinente. » 981

Pour d’autres, le LBDSN 2008 n’est que la matérialisation d’un « éloge de la


cohérence américaine » 982. En référence à cette expression de sécurité nationale,
Alain Joxe ironise :

« Encore que nationale soit sans doute devenu un ornement, puisque la


stratégie sur la maîtrise préemptive des risques dans l’environnement
global ne peut être celle de la France seule. » 983

Ce changement a été entériné par l’ajout d’un article au sein du Code de défense, en
prévoyant la mise en œuvre d’une « politique de sécurité nationale ». La nouvelle
posture anticipatrice (détection des risques et des menaces) est l’inverse de la posture
antérieure, défensive et réactive. Le LBDSN 2008 élabore ainsi une « typologie » des
menaces et des risques :

« La typologie des menaces et des risques oblige à redéfinir les conditions


de la sécurité nationale et internationale. » 984

980
Jean Porcher, « Défense versus sécurité nationale », Défense nationale et sécurité collective, n° 8, août-septembre 2008, p.
72.
981
LBDSN 2008, p. 57.
982
Alain Joxe, « La cohérence du Livre Blanc… », op. cit., p. 2.
983
Ibid., p. 2.
984
LBDSN 2008, p.13

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Pêle-mêle, sont évoqués les « nouveaux risques » 985 : naturels, sanitaires,


économiques, technologiques et industriels. Puis vient l’énumération des « nouvelles
menaces » 986 : déni d’accès à certaines ressources énergétiques, prolifération des
armes de destruction massive et des missiles balistiques, terrorisme et attaques
informatiques. Sans qu’elles aient l’utilité d’être détaillées ici, les évolutions
institutionnelles ont suivi ces changements doctrinaux et conceptuels. La
conséquence de ces modifications est que le continuum défense-sécurité permet
d’élargir le « domaine réservé » du Président de la République (au-delà des politiques
de défense et des relations extérieures.) In fine, cela ne peut aboutir à terme qu’à une
stratégie de sécurité globale. Cette évolution est similaire à celle des Etats-Unis par
le passage d’un national security state à un global security state.

« (…) avec le fait que l’ensemble des politiques publiques participent à la


stratégie de sécurité nationale, certaines des conditions semblent
désormais réunies pour que toutes les dimensions de la vie publique soient
potentiellement déterminées par l’hôte de l’Élysée. » 987
Le LBDSN 2013 confirme cette tendance en associant de nouveau la défense et la
sécurité.
« Le concept de sécurité nationale (…) traduit la nécessité, pour la
France, de gérer les risques et les menaces, directs ou indirects,
susceptibles d’affecter la vie de la nation. » 988

Quant au milieu spatial, il apparaît comme un élément clé du dispositif au service de


la stratégie de sécurité nationale :

« L’espace [est] au service de la stratégie de défense et de sécurité


nationale » 989

985
Ibid., p. 25.
986
Ibid., p. 69, 102, 105.
987
Frédéric Coste, op. cit., p. 25.
988
LBDSN 2013, p.10.
989
LBDSN 2008, p. 143.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

« La sécurité des activités et des infrastructures spatiales est ainsi


devenue un enjeu crucial, d’autant plus que les risques et les menaces qui
pèsent sur elles augmentent du fait du développement technologique et du
renforcement des capacités des Etats. » 990

Les débris spatiaux apparaissent ainsi comme des risques, tandis que les possibilités
d’agressions dans l’espace relèvent des menaces. Le problème des débris est un
thème relativement consensuel, partagé tant par les savants que les profanes.
L’invocation de la notion de bien commun y a beaucoup contribuée. Le risque
« débris spatiaux » (et son effet Kessler) a été construit grâce à son « niveau
d’équipement », - nombre et diversité des outils mobilisés dans le degré de
constitution d’un risque 991. Les problèmes labellisés comme risques sont des
opportunités autant pour les acteurs institutionnels (sanctuarisation de poste,
augmentation du budget…), que les non institutionnels (légitimation de
l’organisation, médiatisation…).

« De même, les focalisations sur les menaces s’accompagnant de fortes


incertitudes peuvent sembler liées aux opportunités que ces problèmes
ouvrent aux diverses ONG pour prendre place dans le concert des acteurs
(…) » 992

La construction du discours sur les menaces est d’origine nord-américaine ; sa


diffusion voire son transfert en Europe est essentiellement le fait des experts
(scientifiques, universitaires, thinks tanks, praticiens) qui le relaient. Ainsi, depuis
une dizaine d’années, les thèmes anxiogènes se référant à ces nouvelles menaces
prolifèrent. Les phénomènes évoqués seraient la conséquence des désordres post-
monde bipolaire. Le corollaire de ces nouvelles menaces est donc l’évocation des
« nouvelles guerres », et des « nouvelles façons » de faire la guerre, en accordant par

990
Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale (SGDSN), La France face aux évolutions du contexte
international et stratégique, Document préparatoire à l’actualisation du Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité Nationale,
2012.
991
Les équipements ont été évoqués tout au long de cette thèse : statistiques, calculs de probabilité, rapports parlementaires,
actes de séminaire, articles de journaux, sites web des think tanks etc., in Claude Gilbert, « La fabrication des risques »,
Cahiers internationaux de sociologie, 2003/1, n°114, p. 67.
992
Ibid., p. 69.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

exemple une place prépondérante aux technologies 993. La question ici est de
déterminer si c’est :

« la formalisation stratégique des nouvelles guerres qui répond à la


stigmatisation des nouvelles menaces, ou au contraire, si ces dernières ne
sont pas mobilisées a posteriori pour justifier des réorientations majeures
dans l’art de la guerre, surtout depuis que l’ennemi soviétique n’est
plus. » 994

Ainsi les « nouvelles menaces » ne sont pas en soi nouvelles mais c’est bien plutôt leur
visibilité qui les fait apparaître comme telles. De même, il est intéressant de noter qu’à
l’inverse certains réalistes tels qu’Henri Kissinger et Zbigniew Brzezinski considèrent la
période de la Guerre froide comme une « aberration temporaire » et que sa fin nous ramène
dans un système international « normal », répondant à un état de nature hobbesien de lutte
entre puissances 995. Transposé au milieu spatial, cette période de la Guerre froide a instauré
un équilibre des forces maintenu par des contraintes stratégiques mutuelles entre Etats-
Unis et URSS. Les évolutions post-Guerre froide, décrites précédemment, ont instauré une
situation qui paraît plus instable, au regard notamment de la diversité des acteurs ayant
investi l’espace. De là découle la description du milieu, devenu selon les discours
américains, « congested, contested and competitive » 996. Ce discours anxiogène appelle,
toujours selon les décideurs et praticiens américains, à la mise en place de la « sécurité des
activités spatiales » au service de la sécurité nationale et internationale. Les discours
effectués par Franck Rose de par le monde mettent l’accent sur les menaces en prenant
systématiquement comme référence le tir ASAT chinois de 2007. Cette socialisation par le
discours de menaces véhiculé par l’imaginaire sécuritaire américain fait que les alliés
adoptent une culture stratégique qui complète celle des Etats-Unis. Ce qui fait dire à
Grégory Daho que :

993
Cela se caractérise par les concepts américains de RMA (Révolution dans les Affaires Militaires) puis Transformation.
994
Grégory Daho, « « Nouvelles menaces », « nouvelles guerres » : la construction des discours sur le désordre
international », Les champs de Mars, Questions de défense, n°20, avril 2009, La Documentation française, pp.109-130.
995
Ibid., p. 123.
996
National Security Space Strategy, Unclassified Summary, Department of Defense, Office of the Director of National
Intelligence, janvier 2011, p. 1.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

« Les états-majors, leurs stratèges et autres conseillers politiques,


s’adaptent moins, en dépit d’efforts certains, à la guerre du futur qu’ils ne
conforment leurs organisations militaires aux représentations de la
culture stratégique dominante. » 997

2.3.3.3.2 L’acculturation à l’imaginaire sécuritaire américain

La France a fait sienne la liste des risques et menaces auxquels ses systèmes spatiaux
peuvent être confrontés. Elle valide ainsi la description de l’espace faite par les
Américains et en conséquence exprime des besoins en fonction de cette vision de
l’espace qui structure la pensée. Cette réalité ne doit pas être ignorée, mais la
description américaine de l’espace comme congestionné, contesté et compétitif fait
peu de cas de l’espace comme bien commun, dans le sens d’Ostrom.
Au contraire, l’adoption de tout ou partie de l’imaginaire sécuritaire américain a pour
conséquence l’adoption de contre-mesures renforçant la conception triplement
anxiogène du milieu spatial. Ces contre-mesures sont des réponses technologiques à
une situation qui est décrite comme celle d’un conflit latent dans l’espace. Elles
provoquent donc un effet d’entraînement technologique dont les Etats-Unis sont le
point d’origine.
Cette précipitation à penser les contre-mesures, notamment en termes technologiques, est
justifiée par la place prise par les utilisations étatique de l’espace civil et militaire. La
grande vulnérabilité de certains Etats liée à leur dépendance spatiale fait que ces derniers
ne peuvent envisager une rupture de services spatiaux lors par exemple de leurs opérations
de guerre. Les utilisations militaires de l’espace permettent aujourd’hui aux armées
d’obtenir davantage de réactivité sur les théâtres d’opérations et de gagner en précision
(positionnement des troupes, largage de munitions) grâce à la navigation. L’utilisation de
l’espace est donc à présent pleinement intégrée aux opérations extérieures menées par la
France. En 2011, l’opération Harmattan en Libye capitalise sur cet apport stratégique,
opératif et tactique. Les satellites d’observation permettent d’élaborer des modèles
numériques de terrain et de faire du « ciblage », les satellites d’écoute alimentent le
renseignement, la constellation GPS augmente la précision de navigation des avions ainsi

997
Grégory Daho, « « Nouvelles menaces »… », op. cit., p. 130.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
998
que l’orientation des missiles guidés GPS , permettant de limiter les dommages
collatéraux et les satellites de communication permettent à l’ensemble de rester en contact
permanent. Enfin, la surveillance de l’espace apporte une plus-value en ce sens qu’elle fait
apparaître le moment le plus opportun pour opérer des frappes aériennes ou effectuer des
manœuvres au sol sans être vu ni entendu. Ces éléments font que la France s’inscrit petit à
peu dans un modèle de guerre réseaucentrée par la numérisation du champ de bataille. La
planification et la conduite des opérations s’organisent en liens virtuels qui sont autant de
lignes de communications fonctionnant en réseau donc dépendantes les unes des autres.
Ces lignes de communications sont éparses et traversent tous les milieux ; air, terre, mer,
espace, cyberespace.
Par analogie stratégique avec les autres milieux, Klein qualifie les routes par lesquelles ces
informations circulent de « lignes de communication célestes » 999. Ces transformations, qui
numérisent le champ de bataille, s’inscrivent dans ce qu’on appelle la Révolution dans les
Affaires Militaires (RAM). Ce phénomène nord américain désigne l’utilisation de la haute
technologie dans la conduite de la guerre. L’utilisation de l’espace entre donc pleinement
dans cette RAM. La numérisation du champ de bataille crée de nouvelles vulnérabilités
parmi lesquelles l’accélération du rythme de la bataille (battle rhythm) à laquelle les
Hommes doivent s’adapter, la difficulté à basculer sur l’ancien système en cas de rupture
de services (perte de compétences), la perte de contact avec le réel (la réalité est vue via un
écran), les cyberattaques, la difficulté à être interopérable (l’interopérabilité requière
l’existence d’un réseau commun ; si ce dernier est en passe de se réaliser entre les Etats
otaniens, il prive ces derniers de coopérations ponctuelles avec des Etats non otaniens), et
enfin l’apparition du phénomène de communication directe entre militaires haut gradés et
simples soldats, ce qui compromet la hiérarchie militaire 1000. Au gré des engagements
extérieurs de la France, et de l’utilisation croissante de technologies nécessitant l’appui
spatial, le relatif retard français tend à se résorber. Cependant cette tendance se réalise au
détriment d’une adoption pleinement réfléchie des concepts américains de guerre
réseaucentrée. Si ces concepts nord-américains sont transférés au sein d’une culture
stratégique nationale sans y être adaptée,

998
Les armes guidées par laser ou GPS ont représenté plus de 90% des munitions utilisées durant l’opération Harmattan, in
Joseph Henrotin, « Imaginaires techno-informationnels et efficience militaire », in Maryse Carmes, Jean-Max Noyer (dir.),
Les débats du numérique, Paris, Presses des Mines, 2013.
999
« Celestial lines of communication (CLOC) », in John Klein, Space warfare: strategy, principles and policy, New York,
Routledge, 2006, p. 51.

- 394 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

« Cette évolution culturelle, dès lors qu’elle se produirait sur le temps


long, ne pourrait même pas être perçue, donc anticipée du point de vue de
ses conséquences, qu’elles soient militaires ou politiques » 1001

La mise en garde est de taille. Petit à petit, la « culture de commandement par


l’intention », qui donne une certaine autonomie de décision au commandant sur le
théâtre, est remplacée par une « culture de commandement par le plan », typiquement
américaine. Or, cette dernière laisse une marge de manœuvre très restreinte au
commandant local en planifiant l’essentiel de sa mission et pouvant être réorientée
rapidement grâce à l’omniprésence des technologies de communication entre la
capitale et le théâtre. La culture de commandement par le plan est adaptée à la culture
stratégique américaine qui compense cette planification outrancière par une grande
puissance de feu. Il n’en est pas de même pour la culture stratégique française.
Enfin, il faut garder à l’esprit qu’en qualifiant l’espace de global common tout en
entretenant la confusion avec les biens communs, les Américains ne font rien de
moins que d’exposer ce milieu à une militarisation croissante. En effet, le global
common qu’est l’espace, ce milieu fluide 1002, est le territoire idéal, le point haut
ultime, qui se met au service de ces technologies fonctionnant en réseau (observation,
navigation, écoute, météorologie etc.). Les débuts de la conquête de l’espace ont été
militaires et cette dernière n’a jamais cessé de l’être. Ainsi les caractéristiques
physiques et mécaniques propre à ce milieu contribuent à en faire un medium idéal
pour la préparation et la conduite de la guerre.

« La promotion du concept de global commons aboutit à une forme de


militarisation des espaces communs, c'est-à-dire à une utilisation de
moyens placés dans ces dits espaces afin de soutenir des opérations
militaires. » 1003

1000
Joseph Henrotin, « Imaginaires techno-informationnels… », op. cit., p.15.
1001
Ibid.
1002
Laurent Henninger, op.cit.
1003
Frédéric Ramel, « Accès… », op. cit.,p. 31.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

La Grande Stratégie de l’administration de Barack Obama érige les global commons


comme moyen stratégique (au profit des opérations militaires), et comme objet
stratégique 1004 (un champ d’affrontement émergent, congestionné, contesté et
compétitif). Sa défense par la dissuasion ou l’attaque devient d’une implacable
logique. Le smart power atténue, au moins dans le discours, cette caractéristique
structurelle portée par l’imaginaire sécuritaire américain. Pour exemple, au sein du
champ lexical de cet imaginaire, l’expression de « rogue states » 1005 est partagée par
le camp démocrate et républicain.

“Nations willfully acting contrary to such norms [EU Code of Conduct]


can expect to be isolated as rogue states.” 1006

Si la France reconnaît à présent l’espace comme un moyen stratégique, elle peine à le


penser comme un objet stratégique au regard de sa culture stratégique.

2.3.3.3.3 Les conséquences sur la vision française de l’utilisation


de l’espace

La culture stratégique française fait d’autant plus facilement sienne la culture de


commandement par le plan que cette dernière donne l’apparence de réduire l’incertitude.
Comme abordé précédemment, les décideurs acceptent de moins en moins de ne pas tout
savoir ou a minima, ils n’acceptent pas de prendre une décision sans avoir l’impression de
tout savoir 1007. Cela est vrai pour les opérations militaires sur terre, mais cela l’est
également pour les opérations spatiales. L’incertitude est liée aux caractéristiques du
milieu physique mais aussi et surtout aux acteurs le peuplant. Certains peuvent manifester
des « comportements spatiaux irresponsables », d’autres se comporter comme des
« adversaires » et y mener des attaques 1008. La hantise de la surprise stratégique pousse les

1004
Frédéric Ramel, « Accès aux espaces communs… », op. cit., p. 34.
1005
Expression employée dans les années 1980 par Ronald Reagan puis la présidence Clinton, George W. Bush et enfin par
William J. Lynn, secrétaire adjoint de la défense au sein de la présidence de Barack Obama.
1006
William J. Lynn, “A Military Strategy for the New Space Environment”, op. cit., p. 11.
1007
Cette remarque peut être versée à la réflexion plus générale sur les prises de décision de l’acteur rationnel. Graham T.
Allison et Philip D. Zelikowv, « L’essence de la décision. Le modèle de l’acteur rationnel », Cultures & Conflits, hiver 1999
– printemps 2000.
1008
“SSA-generated information is likewise necessary to detect irresponsible space behaviour, as well as monitor the actions
of potential adversaries”, Jana Robinson, “Space Security…”,op. cit., p. 18.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

décideurs à un rejet parfois épidermique de ces zones grises. Or, paradoxalement, la


multiplication des informations mises à disposition peut complexifier la prise de décision.
La maîtrise de l’infosphère est un défi pour les Etats. Le flux continu d’informations
multiplie les paramètres à prendre en compte pour la prise de décision. Cela peut la
retarder voire l’inhiber. De plus, même doté d’une kyrielle de capteurs aux performances
sans précédent, « l’Etat omniscient » ne peut exister, sauf à consentir à y consacrer
beaucoup de temps, de moyens et de main d’œuvre. Seuls les Etats-Unis et peut-être la
Chine sont aujourd’hui capables de déployer tant d’investissement. Pour les autres,
l’incertitude ne saurait être réduite totalement. Obnubilés par la croyance en la pensée
experte, les Américains se lancent dans un système qui vise l’omniscience spatiale. Il
s’agit d’un nouveau système de surveillance de l’espace (Spence Fence), annoncé
opérationnel pour 2018. Il est prévu de « voir » dix fois plus d’objets qu’actuellement. De
la même manière, lors de la conférence de Prague les différents intervenants ont souhaité
mettre en avant l’importance de la constitution d’un réseau de capteurs de surveillance de
l’espace au sol et dans l’espace 1009. Cette croissance exponentielle d’informations à traiter
réduit-elle le risque d’erreur ou de surprise stratégique ? Pas si sûr. Ainsi, tout comme le
recours aux experts (Partie 1), le recours aux capteurs ne facilitera pas de manière certaine
la dissipation du brouillard de la guerre. Il peut même l’épaissir par la prolifération des
données à traiter, à analyser et à intégrer.
La réponse technologique à l’incertitude mésestime le rôle de la construction de la
confiance entre les Etats. L’incertitude se nourrit principalement de la « menace
virtuelle »1010 que constitue l’autre. Les positionnements politiques et stratégiques n’aident
pas à la construction de la confiance mais au contraire alimentent un imaginaire chez
l’autre. Le principe du dilemme de sécurité fonctionne également au niveau cognitif. Ainsi,
le concept de global commons adopté par les Américains peut être ressenti par les Chinois
et les Russes comme une menace. En effet, l’ensemble du discours américain sur l’espace
se focalise sur l’enjeu de la liberté d’accès. Pour Ramel, cela fait le lit d’une militarisation
voire d’une course aux armements au sein des global commons. Les stratégies russe et
chinoise ne font pas siennes ce concept mais l’intègrent comme symptôme de la conduite

1009
“A network of ground-based and space-based sensors would provide input data to be a set of SSA Service Centres based
on their main functions”, Jana Robinson, “Space Security…”,op. cit., p. 20.
1010
Raymond Aron, Paix et guerre…, op. cit., p. 19.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
1011
américaine actuelle et concept structurant les relations internationales spatiales au 21ème
siècle.
Le poids de l’histoire ne serait être négligé 1012. La France a très tôt pris position au sein des
forums internationaux contre la course aux armements dans l’espace. Cette position se
situe de plus en plus en contradiction avec celle, américaine, qui refuse de s’empêcher
d’utiliser un jour ce type d’armes contre ses adversaires. Tout en acceptant la définition
américaine de l’espace comme congested, contested and competitive, la France a su y
opposer une réponse en termes de soft law. L’échec (provisoire ?) du projet normatif
pourrait cependant amener les dirigeants français à adopter l’imaginaire américain
anxiogène. L’acculturation stratégique en cours peut amener peu à peu la France à revoir
ses positions, et réfléchir à des utilisations plus offensives de l’espace.

2.3.4. La question de la solubilité du leadership spatial américain dans le


multilatéralisme

Le multilatéralisme promu par la présidence démocrate de Barack Obama fait-elle une


place de choix à l’action collective internationale ? La diplomatie spatiale américaine fait-
elle preuve de multilatéralisme dans sa promotion du code ? Ce multilatéralisme est-il
compatible avec le modèle du leadership spatial ? Existe-t-il alors plusieurs types de
multilatéralismes ?
L’enjeu de la sécurité des activités spatiales se joue également à l’OTAN considérée
comme une institution multilatérale par les Américains. La question de la dilution du
leadership peut alors être pensée au regard de l’évolution des missions de l’OTAN, et de sa
prise en compte de l’espace comme global common.

1011
Frédéric Ramel, op. cit., p. 34.
1012
Pierre Grosser, « De l’usage de l’Histoire dans les politiques étrangères », in Frédéric Charillon (dir.), Politique
étrangère, Nouveaux Regards, Paris, Presses de Science Po, 2002, p. 362.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

2.3.4.1. Le modèle du multilatéralisme obamien et ses conséquences

Les discours américains de politique étrangère laissent entendre que la diplomatie


américaine se fera le chantre du multilatéralisme au profit de la résolution des problèmes
mondiaux. Le multilatéralisme (le mot apparaît en 1948) est une pratique consistant à
négocier à plus de trois pour définir des règles communes. La pratique multilatérale est
depuis 70 ans institutionnalisée. Ce n’est plus « une technique diplomatique » 1013 mais bien
un « projet politique »1014. Mais quel est le sens donné par l’administration Obama quant à
la notion de multilatéralisme ? Car, en parallèle, cette dernière a à cœur d’exercer la
supériorité américaine par le leadership, censé se distinguer de l’hégémonie pratiquée par
l’administration républicaine précédente.
Le choix optionnel du multilatéralisme par les Etats-Unis pourrait avoir pour conséquence
la dilution du facteur puissance des Etats-Unis. Mais le multilatéralisme tel que le
conçoivent les Obamiens est un multilatéralisme souple, à géométrie variable. L’exercice
de ce dernier reste conditionné aux intérêts nationaux supérieurs de ce qui reste
l’hyperpuissance américaine.
Le multilatéralisme est « un choix et/ou une nécessité, une politique » 1015. Il est « une
entreprise indissociable de l’aiguillon des intérêts nationaux (des plus puissants et/ou des
plus nombreux) (…) chaque participant cherche (…) à l’influencer au mieux de ses intérêts
afin d’en retirer tout le profit possible » 1016. Il est un élément constitutif du smart power de
Barack Obama. L’engagement multilatéral doit servir. De plus, les bénéfices attendus du
multilatéralisme (partage des risques, stabilité des règles, prévisibilité des conduites,
légitimité) sont toujours mis en balance avec les contraintes (limitations de souveraineté,
atteintes à certains intérêts sectoriels, lenteur des décisions) 1017. Ainsi, l’exercice du
leadership américain n’empêche pas les Américains d’agir en même temps dans le cadre
bilatéral / trilatéral ou même ponctuellement unilatéral si nécessaire. L’adoption de
positions ad-hoc rappelle la formule de Madeleine Albright « Multilatéraux quand nous le

1013
Guillaume Devin, « Les Etats-Unis et l’avenir du multilatéralisme », Cultures et conflits, n°51, septembre 2003, p. 2.
1014
Guillaume Devin, « Le multilatéralisme est-il fonctionnel ? », in Bertrand Badie, Guillaume Devin (dir.), Le
multilatéralisme, Paris, Ed. La Découverte, 2007, p. 147.
1015
Ibid.
1016
Ibid.
1017
Guillaume Devin, « Les Etats-Unis… », op. cit., p. 4.

- 399 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
1018
pouvons, unilatéraux quand nous le devons » . Ainsi, si les Américains pratiquent un
« multilatéralisme à la carte », les Européens sont contraints de jouer « la carte du
multilatéralisme pour se faire entendre » 1019.
Dans le cadre des discussions relatives à la sécurité des activités spatiales, cette forme de
multilatéralisme souple a été appliquée. Comme en écho à l’adhésion du concept de guerre
réseaucentré, la politique étrangère démocrate développe un « multilatéralisme en
réseau » 1020. Ce dernier passe par :

« (…) des partenariats entre gouvernements américains et alliés, mais


aussi avec des acteurs non-étatiques, les sociétés civiles et les individus,
pour mieux communiquer sur l’action extérieure des Etats-Unis de la
façon la plus large possible et favoriser un soutien bottom-up de leurs
politiques. [Le multilatéralisme est alors abordé] par la diplomatie
publique et la communication. » 1021

La conférence de Prague et les déplacements nombreux de Franck Rose au sein des Etats
alliés des Etats-Unis sont les illustrations de cette démarche de bottom-up et de diplomatie
de la communication.
Ce multilatéralisme permet aux Etats-Unis d’articuler sa position diplomatique avec celles
de ses alliés par des arrangements en amont et des coalitions ad-hoc (à l’instar des réunions
préparatoires entre les « friends of the code » 1022 et particulièrement avec la Grande-
Bretagne et la France). Cette démarche, qui est en apparence (par les discours) ouverte sur
de larges consultations internationales, ne remet jamais en cause la position dominante
voire dominatrice des Etats-Unis. Ces discussions débouchent certes sur des visions
communes (orientées par les Américains) mais pas sur des décisions concrètes 1023. Ainsi la
vision de la sécurité des activités spatiales s’articulent autour de grandes idées faisant

1018
Cité in Pierre Hassner, Justin Vaïsse, Washington et le monde. Dilemmes d’une superpuissance, Paris, Autrement, 2003,
p. 75.
1019
Guillaume Devin, « Les Etats-Unis et l’avenir du multilatéralisme », op.cit.
1020
Lors de son discours devant le Council on Foreign Affairs en 2009, Hilary Clinton précise son idée du multilatéralisme
(multipartenariats) au détriment de la multipolarité : “In short, we will lead by inducing greater cooperation among a
greater number of actors and reducing competition, tilting the balance away from a multi-polar world and toward a multi-
partner world.”, Washington, 15 juillet 2009, URL: http://www.cfr.org/diplomacy-and-statecraft/conversation-us-secretary-
state-hillary-rodham-clinton/p34589
1021
Alexandra de Hoop Scheffer, «Le multilatéralisme américain, entre pragmatisme et réinvention », Questions
internationales, n°39, La documentation française, septembre-octobre 2009, p.4.
1022
Que sont l’Australie, les Etats-Unis, le Japon, l’Inde, la Corée du Sud et le Canada, confer Partie 1 de cette thèse.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

relativement consensus (la réduction de la population des débris dans l’espace, la durabilité
des utilisations de l’espace, les utilisations pacifiques, les coopérations internationales etc.)
mais sans remettre en cause les éléments de l’hégémonie américaine (la légitime défense,
le déni d’accès à l’espace pour certains Etats jugés « voyous »). De cette manière, les
revendications des pays en développement telles que la juste répartition des ressources
liées à l’espace ou leur incompréhension face à l’idée de légitime défense semblent être
restées peu entendues.
La pratique affichée du multilatéralisme cache plutôt celle du « concert des démocraties ».
Ces « coalitions de puissances » informelles s’appuient sur des relations bilatérales
renforcées entre les Etats-Unis et leurs alliés transatlantiques et transpacifiques. Elles
servent à optimiser les possibilités de coopération institutionnelle en agissant dans la phase
de pré-négociation comme des groupes de pression pour créer consensus et confiance de
leurs propositions et actions, et ainsi convaincre d’autres Etats à les rejoindre 1024.
Ainsi, même si l’Europe (avec la France en pointe) promeut le multilatéralisme, elle

« agit pratique en concertation étroite avec les Etats-Unis dans le cadre


du partenariat transatlantique, comme le prévoyait d’ailleurs la stratégie
de 2003 » 1025.

La conséquence de cette forme de multilatéralisme pratiquée par les Etats-Unis et acceptée


par les Européens est à l’inverse de ce que l’on attendrait de l’idéal multilatéral :

« Le multilatéralisme éclaté que les Etats-Unis semblent favoriser ne


permet pas de vision d’ensemble, et au contraire, peut susciter une mise
en concurrence entre groupes d’Etats ou organisations régionales. » 1026

Dans la pratique effectivement, passée la première phase des consultations internationales


prometteuses de Kiev (mai 2013), de Bangkok (novembre 2013) et de Luxembourg (mai

1023
Alexandra de Hoop Scheffer, « Le multilatéralisme… », op .cit., p. 5.
1024
Ibid., p. 6.
1025
Maxime Lefebvre, « La politique étrangère européenne : quel bilan », 2 juin 2016, URL : http://www.diploweb.com/La-politique-
etrangere-europeenne.html
1026
Alexandra de Hoop Scheffer, «Le multilatéralisme… », op.cit., p. 7.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

2014), deux camps se dessinent. La répartition géographique de ces réunions avait été
choisie habilement afin de gommer l’origine occidentale de l’initiative normative. Les
membres des pays européens se sont astreints à ne pas renouveler les erreurs faites lors des
négociations relatives au HCoC. Malgré cette volonté d’intégrer très tôt dans les
discussions les pays non occidentaux, le code souffre toujours de son origine occidentale
mais aussi des négociations parallèles et des rapports de force évoqués plus haut. Les
crispations de part et d’autre atteignent leur paroxysme en 2016, lorsque le contexte
international plus général se dégrade entre les Etats-Unis et la Russie.
Le code n’obtiendra pas son salut par le transfert des discussions au sein des Nations
Unies. Au contraire, les Nations Unies deviennent la caisse de résonnance des griefs émis
par les uns et par les autres. Dès l’été 2015, l’avenir du code semble définitivement
compromis 1027.
Ce qui s’apparente à des règlements de compte ou à l’exacerbation des rapports de force
atteint également le COPUOS et les discussions sur le LTSSA, Long-Term Sustainability
of Space Activities. A l’origine, ces discussions au sein du sous-comité scientifique et
technique du COPUOS devaient faciliter l’acceptation de la norme au niveau politique et
juridique, et donc au sein du sous-comité juridique du COPUOS. En effet, dans la logique
de la démarche du bottom-up, cette stratégie permettait d’obtenir relativement facilement
un accord au niveau technique afin de faire pression sur les niveaux politique et juridique.
Or, le sous-comité scientifique et technique s’est politisé au point d’avoir des discussions
moins techniques que politiques. Ainsi, lors de la 53ème session du comité scientifique et
technique du COPUOS 1028, le document de travail fourni par la Russie n’a pas laissé place
à l’ambigüité. Le constat est sans appel pour la diplomatie européenne:

“(…) the decision by the European Union to sidestep the acknowledged


competence and authorative opinion of the Committee [COPUOS] and to
impose upon the international community the negotiation process on the
draft code of conduct for outer space activities.” 1029

1027
De l’aveu d’un diplomate américain: “This is the end of the process”.
1028
United Nations General Assembly, Committee on the Peaceful Uses of Outer Space, Scientific and Technical
Subcommittee, 53 rd session, Vienna, 15-26 February 2016, Russia assessment of the initiative and actions of the European
Union to advance its draft code of conduct for outer space activities, A/AC.105/C.1/L.346.
1029
Ibid. Mots soulignés par l’auteure de cette thèse. Les citations qui suivent sont extraites du même document.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

“The Russian delegation believes that the authors and co-sponsors are
aspiring to negotiate in their own way and push through the concept of
reaching the arrangements on space security that they would prefer.”

“(…) the draft code (…) still remains essentially a “group manifest.”

Enfin, les justifications invoquées au sein de la proposition de code de conduite relatives


au recours à la légitime défense sont jugées imprudentes et dangereuses par la délégation
russe.
Bien que jamais utilisée au sein de cette thèse car critique à l’égard de l’institutionnalisme
néolibéral, une conception d’inspiration néogramscienne de l’hégémonie transparaît au
travers des discours des représentants russes vis-à-vis des Etats occidentaux (Etats-Unis et
Europe de l’Ouest). En effet, loin de considérer l’hégémonie comme fondée sur un seul
Etat souverain, les néo-gramsciens la considèrent comme émanant d’une incessante
interaction entre les sociétés civiles nationales et transnationales. La communauté
épistémique animée et soutenue par les Etats et les sociétés civiles de la « quadrilatérale »
(Etats-Unis, Canada, Union européenne, Japon) pourrait être vue par les opposants au code
comme cette hégémonie. Même si les arguments utilisés par la Russie ne servent qu’à
discréditer le projet de code, les Etats du mouvement des non alignés peuvent y être
sensibles en considérant que leur influence est toute relative face aux exigences
américaines.
Cette mise en concurrence entre groupes d’Etats se double d’une concurrence entre
institutions régionales. Cette concurrence s’exerce sur les solutions proposées pour servir
la sécurité des activités spatiales. Ainsi, quand l’Union européenne propose le code,
l’organisation de coopération de Shanghai promeut auprès de ses membres le PPWT.
Au sein des Nations Unies, les rapports de force euro/américano-russes se sont exprimés et
aggravés sur la période considérée. Le code semble être réduit à un prétexte pour
s’écharper en public. Ce phénomène est également remarqué dans d’autres enceintes
internationales, à l’Organisation pour la Coopération et la Sécurité en Europe (OSCE) 1030.

1030
Isabelle Lasserre, « A Vienne, L’OSCE est le théâtre d’une nouvelle guerre froide », 02 mai 2016, URL :
http://www.lefigaro.fr/international/2016/05/02/01003-20160502ARTFIG00279-nouvelle-guerre-froide-a-vienne.php

- 403 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

L’approche réaliste reconnaît l’existence du multilatéralisme par la mise en place de


régimes internationaux. La théorie de la stabilité hégémonique qui en découle affirme
cependant que ce multilatéralisme n’est fonctionnel que s’il s’adosse à un leader (Charles
Kindleberger) ou hegemon (Robert Gilpin). Ce dernier serait le seul à disposer des
ressources nécessaires afin de créer et maintenir le régime. Or, l’échec de la création du
code de conduite sur les activités spatiales malgré le soutien américain invalide cette
hypothèse. La position même des Etats-Unis dans le domaine spatial ne lui a pas servi. Les
peers competitors ont bien sûr joué un rôle non négligeable dans le travail de sape de
l’initiative, mais l’hégémonie spatiale américaine n’a pas su transcender ces rapports de
force afin de créer le régime. L’Etat en situation d’hégémonie spatiale n’a donc pas su
contraindre les autres Etats à adhérer au Code. Il est difficile de déterminer si finalement
l’hégémon américain souhaitait véritablement mettre en place ce régime, ou s’il a joué le
jeu du soutien afin de ne pas être accusé d’empêcher la régulation des activités spatiales.
Cela accréditerait la thèse d’un Etat américain favorisant le multilatéralisme dans le sens
de coalitions ad hoc lui assurant un accès à l’espace, et une capacité élargie de surveillance
de l’espace par le soutien des capteurs alliés.

2.3.4.2. La tentation du minilatéralisme au sein de l’OTAN

L’OTAN est une institution fortement influencée par la culture stratégique américaine. Il a
d’ailleurs été vu que le concept de global commons y était promu et distillé au sein des
Etats membres afin de s’imposer comme concept structurant les relations internationales. A
cet égard, l’OTAN peut être est considérée comme un instrument au service du leadership
américain dans le domaine très stratégique de la défense. L’OTAN est utilisée par les
Américains pour servir leur stratégie de sécurisation du milieu spatial par l’intermédiaire
du concept de global common. Elle est complétée par la démarche de soutien au code de
conduite. On peut penser que les Américains ont refusé jusqu’ici toute création d’une
organisation supranationale dédiée à la sécurité des activités spatiales (comme proposée
par la France dès les années 1980) par peur du recul de leur position hégémonique dans ce
milieu. Ce fut le cas par exemple avec la création de l’Organisation Mondiale du
Commerce (OMC) qui a affaibli l’hégémonie commerciale des Etats-Unis 1031 bien qu’ils

1031
Franck Petiteville, « L’hégémonie est-elle soluble dans le multilatéralisme? » Le cas de l’OMC, Critique Internationale,
2004/01, pp .63 – 76.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

s’en soient également servi pour transposer de leur propre législation dans le droit
commercial multilatéral. Sans l’existence d’une organisation spatiale internationale, ils ne
peuvent subir de contraintes, de plaintes ni donc de sanctions.
Les Américains se sont tournés naturellement vers l’OTAN pour y imposer le référentiel
sécuritaire de l’espace. Dans le même temps, cela permet à cette organisation de
renouveler l’étendue de ses missions, et de justifier son existence par l’avènement d’un
nouveau champ de bataille à sécuriser. Bien que restreinte aux alliés historiques des
Américains, l’alliance atlantique est considérée par des officiels américains comme « le
modèle du multilatéralisme efficace en action ». 1032 Voir en l’OTAN une institution
multilatérale est sujet à caution.
En effet, d’une part, l’OTAN peut être considérée comme une organisation multilatérale au
sens où une institutionnalisation a été effectuée, et que des procédures ont été instaurées au
profit d’objectifs partagés. Mais, d’autre part, c’est un multilatéralisme à moindre coût
pour les Etats-Unis. Il ne renvoie qu’à une délibération réalisée par 28 Etats sur 200
environ dans le monde. Cette vingtaine d’Etats ne s’opposent pas farouchement aux
concepts stratégiques définis à chaque grand sommet 1033, eux-mêmes fortement marqués
par l’influence conceptuelle américaine sur les milieux fluides. La « multilatéralité » de
l’OTAN est donc limitée. A l’inverse, l’ONU et surtout l’OMC 1034 , de nature différente,
sont des instances multilatérales. L’OMC permet un effacement relatif du « facteur
puissance » 1035 des Etats-Unis. Il serait plus correct de qualifier l’OTAN d’institution
« minilatérale ». La notion de « minilatéralisme » 1036 fait son chemin parmi les
commentateurs de la vie politique internationale, les diplomates et les universitaires. Cela
désigne le fait de réunir un petit nombre d’Etats autour d’une table afin de résoudre un
problème particulier. Les auteurs d’études académiques tachent d’évaluer les avantages et
les inconvénients de la pratique du minilatéralisme. Ce dernier est surtout envisagé
aujourd’hui dans le cadre des négociations relatives à la mise en place d’un régime sur le

1032
Richard Olson, « US Perspectives on the NATO and of the Broader Middle East », George C. Marshall Center For
European Security, September 8, 2006.
1033
Comme lors de la publication du nouveau concept stratégique de l’OTAN établi lors du sommet de Lisbonne du 19 au 20
novembre 2010.
1034
Franck Petiteville, « L’hégémonie… », op. cit. p. 76.
1035
Ibid., p. 63.
1036
Moises Naïm, “The magic number to get real international action”, Foreign Policy, 21 juin 2009, URL:
http://foreignpolicy.com/2009/06/21/minilateralism/

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

climat. A l’instar de la sécurité des activités spatiales, les discussions sur ce thème
piétinent au sein des forums internationaux classiques 1037.

“(…) inclusive multilateralism is unlikely to produce a timely climate


treaty while exclusive minilateralism is elitist, procedurally unjust, and
likely to be self-serving. Instead, inclusive minilateralism is defended,
based on “common but differentiated representation” or representation by
the most capable, the most responsible and the most vulnerable.” 1038

Le minilatéralisme inclusif consiste à réunir en situation de négociation les Etats capables


véritablement d’agir sur le problème, ceux qui sont les plus concernés par le sujet, et les
Etats les plus vulnérables au phénomène. Ce mode de gestion des problèmes mondiaux est
envisagé comme la solution face aux impasses du multilatéralisme, renvoyant aux
interminables discussions et négociations entre des centaines d’Etats sans qu’aucun réel
accord n’en ressorte. Le minilatéralisme est même pratiqué en dehors de toute instance
supranationale. C’est précisément ce que les Etats-Unis souhaitaient faire avec le code de
conduite. Avant le lancement officiel par l’Union européenne du processus de négociations
(rebaptisées plus tard « consultations ») multilatérales concernant le code en juin 2012 1039,
les Etats-Unis préconisent des discussions au sein d’un petit groupe d’Etats (« core
group »), et mettent en garde le SEAE sur la reproduction d’un forum multilatéral type
ONU :
« Pour nous [SEAE] c’était évident qu’on arrivait à ce stade là, on faisait
un processus qui était ouvert, où tout le monde peut négocier, et les
Américains et d’autres nous disent « si vous faites ça, vous recréez les
Nations Unies en petit, vous allez droit dans le mur. Ce qu’il faut c’est
qu’on fasse quelque chose de beaucoup plus petit, ce qu’on appelle un
core group, donc 5 ou 6 Etats qui peuvent négocier ensemble et qu’ensuite

1037
Lire: Robyn Eckersley, “Moving Forward in The Climate Negotiations: Multilateralism or Minilatéralism?” URL:
http://www.cappe.edu.au/docs/Climate%20governance%20workshop%20docs/Eckersley_paper.pdf
Robert Falkner, “A minilateral solution for global climate change? On Bargaining efficiency, club benefits and international legitimacy,
juillet 2015. Center for Climate Change Economics and Policy, Working paper n°222,
Miles Kahler, “Multilateralism with Small and Large Numbers”, International Organization, Vol. 46, Issue 3, pp. 681 – 708.
1038
Robyn Eckersley, “Moving Forward…”, op. cit.
1039
« L’UE lance les négociations sur un code de conduite international pour les activités menées dans l’espace extra-
atmosphérique », A252/12, Bruxelles, 6 juin 2012, URL :
http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/FR/foraff/130702.pdf

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

on passe le résultat de cette négociation-là à un groupe plus


important ». Le gros problème […] et c’est l’une des critiques qu’on a eu
pour l’instant, c’est de dire qu’on a fait ça de notre côté. On pensait que
les négociations seraient plus faciles. Si on continue à avoir des
partenaires comme les Russes et les Chinois qui ne sont pas
faciles…faudra trouver une autre solution. » 1040

Le minilatéralisme tel que pensé et formulé par les Américains n’a pas été suivi dans les
faits par les Européens, sûrs de parvenir à des négociations fructueuses. Mais la confusion
avec les Nations Unies était d’autant plus possible que l’UE souhaitait débuter les
négociations en réunissant les experts multilatéraux en marge de la première et de la
quatrième commission des Nations Unies (respectivement ‘Questions de désarmement et
de sécurité internationale’, et, ‘Questions politiques spéciales’) à New York. Cela
permettait à l’UE de bénéficier de la présence de ces experts sans devoir y consacrer un
budget déplacement qu’elle n’avait pas. La réunion aurait dû donc avoir lieu à New York,
mais à l’extérieur du bâtiment des Nations Unies. Face aux critiques de certains Etats
devant cette organisation quelque peu ubuesque, l’UE a alors envisagé, dans une démarche
hautement symbolique, de réaliser cette réunion en Inde, ce qui n’a finalement pas eu lieu
non plus.
Le minilatéralisme aurait-il été la solution ? Cela est difficile à dire. Le risque était grand
d’être accusé de laisser une partie des Etats hors du jeu diplomatique. Les Européens ont
de toute façon étaient accusés de monopoliser et orienter le débat. Dans le cas de l’espace,
les Russes et les Chinois n’auraient de toute manière pas pu être écartés des discussions.
L’exercice du minilatéralisme pourrait alors bel et bien se réaliser au sein de l’OTAN, qui
de fait, réunit peu d’Etats. Cela pourrait être une méthode efficace afin d’initier des normes
relatives à la sécurité des activités spatiales. Mais ce minilatéralisme sera assimilé à des
discussions entre Etats de la « quadrilatérale », rejetant de fait des Etats très concernés par
le sujet mais n’appartenant pas à l’OTAN. En ce sens, cela pourrait changer avec la
volonté des Etats-Unis d’ouvrir l’organisation militaire à d’autres Etats. En effet,
l’argument développé est d’affirmer que les « nouvelles » menaces ne connaissent pas de
frontières (terrorisme, ADM, prolifération des vecteurs balistiques et menaces sociétales).

1040
Entretien avec un diplomate du SEAE, 12 septembre 2012.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Ces menaces étant intégrées aujourd’hui pleinement dans le mandat otanien, l’évolution de
la composition de cette alliance leur semble tomber sous le sens. Il en est de même pour la
sécurité des activités spatiales, où ce domaine ne connaît pas de frontières et concerne une
majorité d’Etats dans le monde. L’élargissement de l’organisation n’est pas du goût de
certains Etats tels que la France. Les Etats à l’instar de l’Australie, du Japon et de la
Nouvelle-Zélande apparaissent comme des candidats idéals pour rejoindre l’organisation.
Ces derniers sont déjà intégrés dans des exercices « minilatéraux » tels que le SSA TTX 3.
Le travail de conformité conceptuelle et stratégique au sein de l’OTAN ou au travers de
ces exercices permet aux Etats-Unis de rassembler ses alliés et de les acculturer à sa
stratégie. La conférence de Prague évoque également un partenariat transatlantique qui
intègrerait pleinement le Japon. Les Etats européens sont réticents à l’élargissement
géographique de l’OTAN. Poussée par les Américains, l’invocation des communs au sein
de l’OTAN pourrait renvoyer à une préoccupation de sécurité collective qui, légitimement,
revient davantage aux Nations Unies.

Cette tendance forte peut être contre- balancée par la volonté de la France de participer de
nouveau pleinement à l’OTAN et d’y proposer une alternative. Le néo-réalisme prédit à cet
égard que certains Etats souhaitent faire contrepoids à la puissance dominante afin
d’accroître leur puissance relative, en coopérant avec elle (bandwagoning). Par ce biais, ils
peuvent garantir leur autonomie. Les Etats concernés développent alors une stratégie
d’équilibrage institutionnel (institutionnal balancing ou soft balancing 1041) permettant
d’encadrer l’action internationale américaine. Cette stratégie d’équilibrage indirect semble
celle voulue par la France.
Ces notions de théorie des relations internationales contribuent au raffinement de la
distinction entre coopération et rivalité, chère au débat entre néolibéraux et néoréalistes 1042.

“(…) major powers [France, Allemagne, Russie, Chine, Japon] are likely
to adopt what I call “soft-balancing” measures: that is, actions that do
not directly challenge U.S. military preponderance but that use
nonmilitary tools to delay, frustrate, and undermine aggressive unilateral

1041
Robert Kagan. L’Europe essaie de “multilatériser” les Etats-Unis pour contrer leur puissance sans faire usage de la
sienne.
1042
Alex Mc Leod, Dan O’Meara (dir.), op. cit., p. 171.

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U.S. military policies. Soft balancing using international institutions,


economic statecraft, and diplomatic arrangements has already been a
prominent feature of the international opposition to the U.S. war against
Iraq.” 1043

La réintégration de la France dans le commandement intégré de l’OTAN a fait naître des


espoirs dans le camp français, principalement celui de peser sur la définition des concepts
stratégiques de l’organisation.

Le multilatéralisme prôné par les Etats-Unis dans le cadre de la surveillance de l’espace


s’appuie sur un langage commun disséminé dans des Etats choisis (Europe, Asie,
Pacifique). En ce sens, il s’agit davantage de minilatéralisme qui impose les idées et
croyances américaines au sein de sa sphère d’influence (les Etats de la quadrilatérale).
Parce que les Etats-Unis ne sont plus l’hégémon, le minilatéralisme est mis en avant.

1043
Robert A. Pape, “Soft Balancing against the United States”, International Security, Vol. 30, n°1, été 2005, p. 9-10.

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CONCLUSION de la PARTIE 2 / 2. Opportunités et limites du partenariat


transatlantique au profit de la régulation des activités spatiales
La convergence franco-américaine s’adosse à plusieurs dynamiques. Ces dernières
font qu’au début des années 2000 le rapprochement des deux alliés au profit de la
norme sur la sécurité des activités spatiales est visible. Là encore la présidence de
Barack Obama a favorisé ce phénomène. La stratégie spatiale américaine évolue et
dans l’esprit des stratèges américains, la France a toute sa place au sein du réseau
spatial allié.
Mais la France, en comptant sur la diplomatie européenne pour faire aboutir la norme,
a créé un mouvement qui de fait intègre l’Europe comme partenaire spatial naturel
des Etats-Unis. De nombreuses coopérations préexistaient entre les deux continents
mais à dominante scientifiques et non politico-militaires. L’Europe diplomate,
représentée par le jeune SEAE, n’était pas prête pour un tel défi.
De plus, les conséquences de l’adoption de cette norme pourraient obérer les
tentatives de formalisation de la pensée stratégique française et européenne sur
l’espace. En effet, fortement influencé par la réflexion stratégique américaine, le code
de conduite répond à des préoccupations propres à l’imaginaire sécuritaire américain.
Bien que l’influence américaine soit déjà très prégnante au sein des cultures
stratégiques nationales des Etats européens, elle aurait ici concerné un milieu
(l’espace) à part entière. Cela pourrait priver l’Europe d’une réflexion qui lui serait
propre.
La mise en échec du processus de persuasion normative n’est cependant pas l’unique
fait des Européens et des Américains. Elle est liée d’une part, à un problème
structurel de lutte entre puissances au sein d’un système international de type
anarchique, et d’autre part, à une conjoncture particulièrement défavorable entre les
Américains et les Russes.

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Conclusion générale

La norme sur la sécurité des activités spatiales existe de manière latente depuis la
conquête de l’espace. Elle devient un objet conceptuel particulier, elle suscite un intérêt
nouveau et se dote d’une substance sous l’effet d’un paysage spatial en profonde
mutation. On peut considérer que l’on assiste aujourd’hui à un changement de
paradigme dans l’utilisation de l’espace. A la suite de l’implication croissante des
acteurs étatiques émergents et des acteurs non étatiques, les bouleversements actuels ne
sont que les prémices d’une mutation à venir encore plus grande.
Les Etats spatiaux historiques ont pris conscience de ces bouleversements, aux
premiers rangs desquels la première puissance spatiale que sont les Etats-Unis. Pour les
décideurs américains, la question de la sécurité des activités spatiales est intimement
liée à celle de la prolifération des débris et des satellites en orbite (l’espace est
« congested ») mais aussi à celles de l’évolution de la menace (l’espace est « contested
and competitive »). Les Etats-Unis se préparent au mieux, en multipliant les
partenariats avec ses alliés, en impliquant l’OTAN et en passant des accords avec les
sociétés privées qui, dans la majorité des cas, sont elles-mêmes américaines.
Ce changement de paradigme amène également les Européens à se saisir d’une fenêtre
d’opportunité en 2008. Poussée par la France, le projet de code de conduite pour les
activités spatiales prend peu à peu une envergure internationale avec le soutien
américain à ce texte en 2012. La France y voit un moyen de faire entendre sa voix sur
la scène internationale en pariant sur les capacités de la diplomatie européenne à mener
à bien ce projet de régime.
L’existence latente de cette norme affleure pourtant déjà sous la forme de débats
diplomatiques de haut niveau dans les années 1980. Ils font suite à l’annonce
retentissante de Ronald Reagan de concrétiser son projet d’Initiative de Défense
Stratégique (IDS). La France en tête défend l’idée de mesures de transparence et de
confiance afin d’éviter une course aux armements dans l’espace. En parallèle, les
scientifiques de la NASA s’attaquent également à la course aux armements dans

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

l’espace mais sous le prisme de la création de débris qui en est la conséquence.


Initialement les deux problématiques ne sont pas clairement corrélées.
Un petit groupe de scientifiques de la NASA est convaincu dès les années 1970 que la
pollution spatiale sera l’affaire de tous dans 30 ans. Les débris représentent pour eux
avant tout un danger physique pour les astronautes. Leurs débris sont des météorites
puis très vite, ce sont les débris issus des tests ASATs. Ils mettent alors en garde les
décideurs américains sur la création des débris artificiels potentiellement mortels pour
les biens et les personnes.
Convaincus du bien-fondé de leurs études statistiques, ils essaiment leurs idées et
croyances auprès de leurs homologues étrangers des agences spatiales avec un certain
succès. La sécurité des activités spatiales devient un thème abordé au sein des espaces
confinés. La communauté épistémique naît et ne cesse de croître, confortée par des
événements spatiaux créateurs de débris (collision entre satellites et destruction de
satellites en orbite par des missiles).
Les Etats spatiaux, de plus en plus dépendants aux utilisations de l’espace et donc
vulnérables, voient un intérêt à regrouper les deux problématiques (prolifération des
débris et nouvelles menaces en orbite contre leurs intérêts nationaux) sous l’appellation
générale de la sécurité des activités spatiales.
Au début des années 2000, le thème des débris sort des espaces confinés et est rendu
accessible aux profanes. La communauté épistémique regroupe alors un ensemble
d’acteurs très diversifiés qui font de la sécurité des activités spatiales un référentiel
sectoriel à la portée mondiale. La CE regroupe pêle-mêle, des membres des agences
spatiales, des décideurs des Etats spatiaux occidentaux, des représentants de think
tanks, des membres issus d’organisations non gouvernementales ou d’institutions
internationales, des universitaires, mais fédère également une partie de l’opinion
publique mondiale. Le thème a profité de sa popularisation par le cinéma américain, et
bénéficie de l’effet fédérateur du référentiel global qu’est le développement durable.
Les discussions sur la norme se mondialisent. Le sujet évolue en pomme de discorde
entre les puissances spatiales, et surtout entre les Etats-Unis et l’Union européenne
d’un côté et la Russie et la Chine de l’autre. Car, derrière les discours consensuels et
bien-pensants sur la protection du bien commun ou global common qu’est l’espace, se
joue la question du contrôle de ce point haut ultime entre ces puissances. De plus, on

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

assiste aux conflits entre puissances faisant suite à la recomposition des équilibres
stratégiques post-Guerre froide. Quand la Russie et la Chine joue la carte de la
multipolarité sur ces questions, les Etats-Unis pratiquent le multilatéralisme. Enfin,
dans cette thèse, il a été démontré l’imbrication du sujet spatial avec d’autres
contentieux structurant les relations entre ces puissances.
La montée récente des tensions entre la Russie et le monde occidental a affecté les
discussions sur la mise en place de la norme sur la sécurité des activités spatiales. Les
forums internationaux accueillants d’ordinaire les débats sur les utilisations de l’espace
deviennent des lieux d’affrontements verbaux. Le projet de code de conduite
international sur les activités spatiales est ainsi une victime collatérale des rapports de
force qui s’expriment actuellement. La crainte des Etats-Unis est de voir s’exporter la
stratégie anti-accès actuelle de la Russie 1044 dans l’espace. Les forums des Nations
Unies deviennent les témoins de la déliquescence diplomatiques entre les deux Grands.
L’élection de Barack Obama et l’exercice du smart power par son administration a fait
espérer aux Européens que la norme pourrait advenir. Mais les rapports de force
interétatiques et les faiblesses de la diplomatie européenne ont eu raison, du moins pour
le moment, de ce projet d’envergure.
L’élection du républicain Donald Trump instaure une période d’incertitude. A priori,
les Républicains ne sont pas favorables aux normes même quand elles ne contraignent
qu’a minima la liberté des Etats-Unis dans l’espace.
La thèse a montré que les décideurs français étaient partagés par les attraits de la
multipolarité tout en s’engageant de manière croissante dans le partenariat
transatlantique. Ce dernier l’enserre dans une logique dont les conséquences imprévues
ne sont pas maîtrisées. Le référentiel sécuritaire américain pour l’espace en est un des
aspects.
La France a peut-être fait l’erreur de s’appuyer sur l’Union européenne, peu préparée,
pour mener à bien le projet de régime. Aujourd’hui, la diplomatie européenne en sort
affaiblie, par une perte de crédibilité aux yeux de l’ensemble des acteurs étatiques.

Il n’est cependant pas impossible que, tel le phénix, le projet de code renaisse de ses
cendres. Pour preuve, les conflits entre puissances n’ont pas empêché récemment le

1044
Par la mise en place de batteries antimissiles et de systèmes anti-aériens en mer baltique et en mer noire.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

succès de l’accord sur le climat. Ce dernier comporte certaines contraintes juridiques


(notamment un mécanisme de transparence qui conduira un comité d’experts à vérifier
les informations fournies par les Etats), mais aucune mesure coercitive n’est prévue à
l’encontre des Etats ne respectant pas leurs engagements. Cet accord semble plus
facilement réalisable que celui de Kyoto qui faisait apparaître des objectifs chiffrés.
L’analyse, au sein de cette thèse, du contenu du projet de code de conduite pour les
activités spatiales n’a pas permis de mettre en avant des contraintes inacceptables pour
les Etats. Les raisons de l’échec provisoire de ce régime pourraient être recherchées en
comparant la méthode d’apprentissage et de socialisation effectuée pour l’accord sur le
climat qui, lui, remporte aujourd’hui une large adhésion.
Il est démontré dans cette thèse que le référentiel global du développement durable a
inspiré le référentiel sectoriel pour l’espace 1045. Fort de ce constat, l’accord général sur
le climat pourrait également à terme inciter aux accords sectoriels, dans les domaines
où il est question de l’utilisation durable d’une ressource partagée.

1045
Par la promotion du thème de la durabilité de l’espace extra-atmopshérique.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

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OUVRAGES ET ARTICLES DE REVUES DE SOCIOLOGIE DE L’ACTION


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• Raymond Aron, « Une sociologie des relations internationales », Revue française


de sociologie, 1963, 4-3, pp. 307 – 320.

• Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations, Paris, Ed. Calmann-lévy, janvier
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• Isabelle Berrebi-Hoffman, Michel Lallement, « A quoi servent les experts »,


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2009/1, n°126.

• Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot, Pauline Ravinet, Dictionnaire des politiques


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• James Coleman, Power and the Structure of Society, New York, Norton, 1974.

• Olivier Cretté, Anne Marchais-Roubelat (dir.), Analyse critique des normes et de


l'expertise : théorie et pratique, Paris, L’Harmattan, 2015.

• Michel Crozier, Erhard Friedberg, L'acteur et le système : Les contraintes de


l'action collective, Paris, Editions du Seuil, 1981.

• Thierry Delpeuch, « L’analyse des transferts internationaux de politiques


publiques : un état de l’art », Questions de recherche, n°27, CERI Sciences Po.,
décembre 2008.

• Guillaume Devin, « Norbert Elias et l'analyse des relations internationales »,


Revue française de Science Politique, 1995, Vol 45, n°2, p. 305-327.

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• Alain Faure, Gilles Pollet, Phillipe Warin, La construction du sens dans les
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Paris, 1995.

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• Pierre Muller, Yves Surel, L’analyse des politiques publiques, Paris,


Montchrestien, 1998.

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• Giraud Olivier, « La Steuerungstheorie. Une approche synthétique de l’action


publique contemporaine », Politix, Vol. 14, n°55, Troisième trimestre 2001, pp.
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• Mancur Olson, Logic of Collective Action: Public Goods and the Theory of
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• Bruno Palier, Yves Surel (dir.), Quand les politiques changent. Temporalités et
niveaux de l’action publique, Paris, L’Harmattan, Coll. Logiques politiques, 2010.

• Franck Petiteville, Andy Smith, « Analyser les politiques publiques


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• Béatrice Pouligny, « Le rôle des ONG en politique internationale », Revue Projet,


Paris, n°269, 2002/1, pp. 16-24.

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• Fritz W. Scharpf, Games Real Actors Play. Actors-Centered Institutionnalism in


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• David Strang, John W. Meyer, « Institutional Conditions for Diffusion », Theory and
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• Jean-Claude Thoenig, Yves Mény, Politiques publiques, Paris, PUF, 1989.

• Max Weber, Essai sur la théorie de la science, Paris, Plon, 1965.

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OUVRAGES PORTANT SUR L’HISTOIRE DE LA CONQUÊTE SPATIALE

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http://www.3af.fr/sites/default/files/comaero_05.1_carpentier_equipements_i.pdf

• Paul Chaput, « François Mitterrand et l’initiative de défense stratégique », Point


de vue, 5 décembre 2011.

• Paul Chaput, La France face à l’Initiative de Défense Stratégique de Ronald


Reagan, 1983-1986, Paris, L’Harmattan, 2013.

• Pierre Chiquet, Cap sur les étoiles. L’aventure spatiale française, Editions
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• Helen Gavaghan, Something new under the sun: satellites and the beginning of the
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• Jean-Pierre Morin, La naissance d’Ariane, Paris, Ed. E-Dite, janvier 2009.

• Isabelle Sourbès-Verger, « Conquête spatiale et relations internationales », in


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• Philippe Varnoteaux, «La naissance de la politique spatiale française», Paris, Ed.


Presses de Sciences Po., Vingtième siècle. Revue d’histoire, n°77, 2003/1, pp. 59-
68.

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OUVRAGES ET REVUES DE REFLEXION SUR LE MILIEU SPATIAL

• Jacques Arnould, La seconde chance d’Icare. Pour une éthique de l’Espace, Paris,
Ed. Le Cerf, coll. Rech. Morales, 2001.

• Jacques Arnould, La marche à l’étoile. Pourquoi sommes-nous fascinés par


l’espace ?, Paris, Ed. Albin Michel, Coll Spiritualité, 2006.

• Serge Brunier, Impasse de l’espace. A quoi servent les astronautes ?, Paris, Ed.
Seuil, Coll. Science ouverte, 2006.

• Simone Courteix (dir.), Le cadre institutionnel des activités spatiales des Etats :
étude comparative, Paris, Ed. Pedone, 1997.

• Alain Dupas, La nouvelle conquête spatiale, Paris, Ed. Odile Jacob, avril 2010.

• Theresa Hitchens, Future Security in Space: Charting a Cooperative Course,


Center for Defense Information, 2004.

• Roger Lesgards, Conquête spatiale et démocratie, Paris, Ed. Presses de Sciences


Po, coll. La bibliothèque du citoyen, 1998.

• L’espace, un enjeu terrestre, Collection Questions internationales, n°67, La


Documentation française, avril 2014.

OUVRAGES ET ARTICLES DE REVUES PORTANT SUR LA COURSE AUX


ARMEMENTS DANS L’ESPACE

• Clayton K. S. Chun, Defending Space: US anti-satellite warfare and space


weaponry, Oxford, Ed. Osprey Publishing, 2006.

• Hubert Fabre, L’usage de la force dans l’espace : réglementation et prévention


d’une guerre en orbite, Bruxelles, Bruylant, 2012.

• Bill Gertz, “General : Strategic Military Satellites Vulnerable to Attack in Future


Space War”, The Washington Free Beacon, 8 janvier 2014.

• David Grondin, La généalogie de l’espace comme champ de bataille dans le


discours astropolitique américain. La stratégie de construction identitaire des
Etats-Unis comme puissance stratégique globale, thèse de doctorat de science
politique, Université du Québec à Montréal (UQAM), mars 2008.

• Serge Grouard, La guerre en orbite, Paris, Ed. Economica, Coll. Bibliothèque


stratégique, 1994.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

• Bruno Gruselle, « La défense antimissile dans l’espace : l’ultime frontière ? »,


Publication du Forum du désarmement, février 2007, pp. 57 – 62.

• Bruce W. MacDonald, China, Space Weapons and US Security, Council Special


Report, Council of Foreign Relations, N°38, septembre 2008, URL:
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• Gene V. Milowicki, Joan Johnson-Freese, “Strategic Choices: Examining the


United States Military Response to the Chinese Anti-Satellite Test”, United States
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america/

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• Stefan Bergsmann, “The Concept of Military Alliance”, in Erich Reiter and Heinz
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• Grégory Boutherin, Camille Grand (dir.), Envol vers 2025. Réflexions


prospectives sur la puissance aérospatiale, Paris, Ed. La documentation française,
Centre d’études stratégiques et aérospatiales, 2011.

• Grégory Boutherin, Emmanuel Goffi, Jérôme de Lespinois, Sébastien Mazoyer,


Christophe Pajon (dir.), Les drones aériens : passé, présent et avenir. Approche
globale, Paris, La Documentation française, coll. Stratégie aérospatiale, 2013.

• Mireille Buydens, « Espace lisse/ Espace strié », in Robert Sasso et Arnaud


Villani (dir.), « Le vocabulaire de Gilles Deleuze », Les Cahiers de Noesis, n°3,
Printemps 2003, p. 132-134.

• Michel Callon, Pierre Lascoumes, Yannick Barthe, Agir dans un monde incertain,
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

• Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité Nationale 2013, Edition numérique, 29


avril 2013.

OUVRAGES ET ARTICLES SUR LA STRATEGIE SPATIALE ET LES


UTILISATIONS MILITAIRES DE L’ESPACE

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ANAJ / IHEDN, URL : http://www.anaj-
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• Everett Dolman, Astropolitics: Classical Geopolitics in the Space Age, Londres,


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University Press, 2007.

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2007.

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2003.

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Ed. Vuibert, 2009.

• Christophe Wasinski, « Production des savoirs et représentations stratégiques »,


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• L’Espace au service des opérations, Les cahiers de la Revue de Défense


Nationale, Commandement interarmées de l’espace et Centre d’études
stratégiques aérospatiales, 2011.

• « L’Espace extra-atmosphérique, enjeu du 21ème siècle ? Dualité civile et


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URL : http://www.ihedn-rl-ar14.org

• « Donnons plus d’espace à notre défense. Orientations d’une politique spatiale de


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• Ministère fédéral de l'Économie et de la Technologie BMWi (Bundesministerium


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• Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Stratégie spatiale


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OUVRAGES ET ARTICLES DE REVUES PORTANT SUR L’ANALYSE DE


LA POLITIQUE ETRANGERE AMERICAINE

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• Charles-Philippe David, Louis Balthazar, Justin Vaïsse, La politique étrangère des


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2008.

• Guillaume Devin, « Les Etats-Unis et l’avenir du multilatéralisme », Cultures et


conflits, n°51, septembre 2003.

• Pierre Hassner, Justin Vaïsse, Washington et le monde. Dilemmes d’une


superpuissance, Paris, Autrement, 2003.

• Stanley Hoffmann, Gulliver empêtré, Essai sur la politique étrangère des Etats-
Unis, Paris, Le Seuil, Coll. Esprit, 1971.

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• Alexandra de Hoop Scheffer, «Le multilatéralisme américain, entre pragmatisme


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• Robert Kagan, « The Benevolent Empire », Foreign Policy, 1998, pp. 24 – 35.

• André Kaspi, Barack Obama. La grande désillusion, Paris, Plon, 2012.

• James Mann, The Obamians. The struggle into the white House to redefine
American Power, New York, Ed. Viking, 2012.

• Thomas Lindemann, « Faire la guerre, mais laquelle ? Les institutions militaires


des Etats-Unis entre identités bureaucratiques et préférences stratégiques », Revue
française de Science Politique, 53 (5), octobre 2003, p. 675 – 706.

• Barack Obama, “Renewing American Leadership”, Foreign Affairs, 86, July-


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• Richard Olson, « US Perspectives on the NATO and of the Broader Middle East »,
George C. Marshall Center For European Security, September 8, 2006.

• Xavier Pasco, « La National Missile Defence aux Etats-Unis ou de la difficulté de


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• Franck Petiteville, « L’hégémonie est-elle soluble dans le multilatéralisme? Le cas


de l’OMC », Critique Internationale, 2004/01.

• Daniel Sabbag, « Les déterminants internes de la politique étrangère des Etats-


Unis: une perspective diachronique », Revue internationale de politique
comparée, 2001/1 Vol. 8, p. 135 – 161.

• Maya Kandel, Maud Quessard-Salvaing (dir.), Les stratégies du smart power


américain: redéfinir le leadership dans un monde incertain, Etudes de l’IRSEM,
n°32, 2014.

• Zaki Laïdi, Le monde selon Obama, Les essais Stock, Paris, novembre 2010.

• Suzanne Nossel, “Smart Power”, Foreign Affairs, vol. 83, n°2, 2004.

• Justin Vaïsse, Barack Obama et sa politique étrangère, Paris, Odile Jacob, 2012.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

OUVRAGES ET ARTICLES DE REVUES PORTANT SUR L’ANALYSE DE


LA POLITIQUE SPATIALE AMERICAINE

• Dr. Everett Dolman, Dr. Peter Hays and Dr. Karl P. Mueller, Toward a U.S.
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• Abbey George, Lane Neal, United States Space Policy: Challenges and
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2009.

• Peter L. Hays, "An Agile and Adaptive Enterprise: Enhancing National Security
Space by Improving Management Structures and Leveraging Commercial and
International Partners," Astropolitics, Vol. 8, Nos. 2 – 3, May-December 2010.

• Theresa Hitchens, “The Bush National Space Policy : Contrasts and


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• Steven Lambakis, On the Edge of Earth: The Future of American Space Power,
Lexington, Kentucky, The University Press of Kentucky, 2001.

• Xavier Pasco, La politique spatiale des Etats-Unis, 1958-1995. Technologie,


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• Xavier Pasco, « L’Espace et les approches américaines de la sécurité nationale


(1958-2010) », L’Information géographique, vol. 74, Paris, Ed. Armand Colin,
2010/2.

• Vincent G. Sabathier, G. Ryan Faith, « Smart Power Through Space », Center For
Strategic and International Studies, 20 février 2008.

• Air Force Space Command, "The Perfect Storm: International Reaction to the Bush
National Space Policy", High Frontier, vol. 3, no. 2, 2007.

• U.S. House Armed Services Committee, Report of the Commission to Assess


United States National Security Space Management and Organization, January 11,
2001, Air University's National Space Studies Center, URL:
http://space.au.afmil/space_commissionl.

• The White House, "National Space Policy of the United States of America," June
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http://www. whitehouse.gov/sites/default/files/national_space _policy_ 6-28-
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• National Research Council, Orbital Debris: A Technical Assessment, Washington


DC, National Academy Press, 1995.

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• The White House, "U.S. National Space Policy," August 31, 2006, URL:
http://www.au.af.mil/au/awc/awcgate/whitehouse/ostp_space_policy06.pdf.

• Présidence des Etats-Unis, National Space Policy of the United States of America,
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• Leslie-Anne Duvic-Paoli, La convention des Nations Unies sur le droit de la mer,


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• Jean Klein, « Le traité sur l’espace et la réglementation », Politique étrangère,


n°3, 1971, pp. 282 – 283.

• Joachim Lommelen, International Code of Conduct for sustainable activities in


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• Dr Rajeswari Pillai Rajagopalan, Daniel A. Porras (dir.), Awaiting Launch :


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• Glenn H. Reynolds, Robert P. Merges, Outer Space: Problems of Laws and


Policy, Boulder, Westview Press, 1989.

• Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d'exploration et
d'utilisation de l'espace extra- atmosphérique, y compris la Lune et les autres
corps célestes, 1967.

• Convention sur l’immatriculation des objets lancés dans l’espace extra-


atmosphérique, A/RES/3235, 12 novembre 1974.

• Accord régissant les activités des Etats sur la Lune et les autres corps célestes,
United Nations, A/RES/34/68 du 5 décembre 1979.

• Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, conclue à Montego Bay, le
10 décembre 1982,
http://www.un.org/depts/los/convention_agreements/texts/unclos/unclos_f.pdf

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• “Prevention of an Arms Race in Outer Space: Study on the application of


confidence-building measures in outer space,” Report by the Secretary General,
UN General Assembly (A/48/305), Oct. 15, 1993.

• China : Draft decision on the re-establisment of an ad hoc committee on PAROS,


CD/1576, 18 mars 1999.

• Working paper : China’s position on and suggestions for addressing PAROS at the
CD, CD/1606, 9 février 2000.

• China and Russia : Possible elements of the future international legal instrument
on the prevention of deployment of weapons in outer space, the threat or use of
force against outer space objects, CD/1679, 28 juin 2002.

• République populaire de Chine, Fédération de Russie, Conférence du


Désarmement CD/1778, Mesures propres à promouvoir la transparence et à
renforcer la confiance dans les activités spatiales et prévention du déploiement
d’armes dans l’espace, Document de travail, 22 mai 2006.

• Loi n°2008-518 du 3 juin 2008 relative aux opérations spatiales (France).

• Projet de code de conduite pour les activités menées dans l’espace extra-
atmosphérique, Conseil de l’Union européenne, document 17175/08, PESC 1697,
CODUN 61, Bruxelles, 17 décembre 2008.

• Résolution adoptée par l’Assemblée générale le 2 décembre 2008, 63/68, Mesures


de transparence et de confiance relatives aux activités spatiales.

• Council conclusions concerning the revised draft Code of Conduct for Outer
Space Activities, General Secretariat, Council of the European Union, Bruxelles,
10 octobre 2010.

OUVRAGES ET ARTICLES DE REVUES SUR LA SECURITE DES


ACTIVITES SPATIALES

• Mark Albrecht, Paul Graziani, “A Serious Problem Solved By Hard Work, Not
Hysteria”, Space News, 25 avril 2016.

• Richard DalBello, « Des initiatives commerciales de gestion de l’environnement


spatial », UNIDIR forum du désarmement, 2009, n°4, p. 35, URL :
http://www.unidir.org/files/publications/pdfs/un-environnement-spatial-plus-sur-en-
482.pdf

• Nancy Gallagher, John D. Steinbruner, “Reconsidering the Rules of Space Security”,


Cambridge, American Academy of Arts and Sciences, April 2008, URL:
http://handle.dtic.mil/100.2/ADA482054.

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• Theresa Hitchens, « COPUOS wades into the next great space debate », Bulletin of the
Atomic Scientists, 26 juin 2008.

• Theresa Hitchens, "Multilateralism in Space: Opportunities and Challenges for


Achieving Space Security", Space & Defense, vol. 4, no. 2, 2010.

• Theresa Hitchens, “Saving Space: Threat Proliferation and Mitigation”, research paper
commissioned by the International Commission on Nuclear Non-Proliferation and
Disarmament, 2009, URL: icnnd.org/Documents/Hitchens_Saving_Space.doc.

• Theresa Hitchens, “Debris, Traffic Management, and Weaponization: Opportunities


for and Challenges to Cooperation in Space”, The Brown Journal of World Affairs,
vol. 14, no. 1, 2007.

• Theresa Hitchens, Future Security in Space: Charting a Cooperative Course, Center


for Defense Information, 2004.

• Nicolas Johnson, “Origin of the Inter-Agency Space Debris Coordination Committee”,


Orbital Debris Quarterly News, Vol. 16, Issue 4, October 2002, p.3.

• Nicholas Johnson, “Cleaning Up Space: The Development of International Space


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• Donald J. Kessler, Burton G. Cour-Palais, “Collision Frequency of Artificial Satellites:


The Creation of a Debris Belt”, Journal of Geophysical Research, Vol. 83, n° A6, 1
June 1978.

• Donald J. Kessler, “A partial History of Orbital Debris: A personal View”,


Orbital Debris Monitor, Vol. 6, n°3, pp. 16 – 20, 1er juillet 1993, et Vol. 6, n°4,
p.10 -16, 1er octobre 1993.

• John M. Logsdon, James Clay Molz, Emma S. Hind (dir.), Collective security in
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• Jer Chyi Liou, Nicolas L. Johnson, n-M Hill, “Controlling the growth of future
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Issues 5-6, April 2010, pp 648 – 653.

• Michael Listner, “Separation of powers battle over a space code of conduct heats
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• Lucia Marta, “The Hague Code of Conduct Against Ballistic Missile


Proliferation : “Lessons Learned” for the European Union Draft Code of Conduct
for Outer Space Activities”, ESPI Perspectives, n°34, juin 2010.

• Paul Meyer, “Diplomatic options for reinforcing Outer Space Security”, Space
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• James Clay Moltz, The Politics of Space Security. Strategic Restraint and the Pursuit
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• Xavier Pasco, A European Approach to Space Security, Cambridge, American


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https://www.amacad.org/publications/spaceEurope.pdf.

• Xavier Pasco, “Toward a Future European Space Surveillance System: Developing a


Collaborative Model for the World” in John M. Logsdon, James Clay Molz, Emma S.
Hind (dir.), Collective security in Space, Washington DC, Space Policy Institute,
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• “The United Nations and its Efforts to Develop Treaties, Conventions or Guidelines to
Address Key Space Issues Including the De-weaponization of Space and Orbital
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News, 10 Mai 2010, URL: http://www.spacenews.com/article/nicholas-johnson-nasas-
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• « Pour une approche européenne de la sécurité dans l’espace », Académie de l’Air et


de l’Espace Dossier 31, 2008.

• Space sustainability. A pratical guide, Secure World Foundation, 2010.

• “An International Code of Conduct for Outer Space Activities: Strengthening Long-
Term Sustainability, Stability, Safety, and Security in Space”, U.S Department of
State, Bureau of Public Affairs, 17 janvier 2012.

OUVRAGES SUR LES POLITIQUES SPATIALES DES ETATS, DE L’UNION


EUROPEENNE ET DE L’OTAN

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juillet 2010.

• Peter J. Brown, "China fears India-Japan space alliance," Asia Times, November
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• Charles Q. Choi, “Libya pinpointed as source of months-long satellite jamming in


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pinpointed-source-months-long-satellite-jamming-2006.html

• Philip Esper, Christian de Boissieu, Bernard Bigot, Michel Scheller, Yves-


Thibault de Silguy, Eurodéfense, pour une relance d’une Europe de la défense,
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• Theresa Hitchens, Tomas Valasek, European Military Space Capabilities: A Primer,


Center for Defense Information Press, 2006.

• Michael Krepon, Eric Hagt , Shen Dingli , Bao Shixiu , Michael Pillsbury, Ashley
Tellis “China’s Military Space Strategy: An Exchange”, Survival, 50:1, 157-198, 2008.

• Gregory Kulacki, Jeffrey G. Lewis, A Place for One’s Mat: China’s Space Program,
1956–2003, Cambridge, American Academy of Arts and Sciences, 2009, URL:
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• Inge Kaul, Isabelle Grunberg, Marc A. Stern, Global Public Goods. International
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changement d’échelle », Critique internationale, n°9, octobre 2000, pp. 147 –
160.

- 446 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Table des annexes

Annexe 1: Les principaux textes juridiques en droit de l'espace 448

Annexe 2 : Les principaux acteurs spatiaux étatiques 494

Annexe 3 : Les principaux acteurs spatiaux privés 499

Annexe 4 : Les institutions spatiales 503

Annexe 5 : Synthèse des déplacements de Franck A. Rose (Département d’Etat


américain) 506

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Annexe 1: Les principaux textes juridiques en droit de


l'espace

Le traité de l’Espace de 1967 met en place de grands principes dont deux méritent
d’être soulignés car ils déterminent encore aujourd’hui ce que les Etats sont
autorisés à faire et ne pas faire dans l’espace. Ce traité établit la liberté de l’espace
et son utilisation pacifique. La liberté de l’espace est le corollaire du principe de
non-appropriation énoncé par l’article II du Traité de l’espace.

27 janvier 1967
Traité sur les principes régissant les activités des États en matière
d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique,
y compris la Lune et les autres corps célestes

Les États parties au présent Traité,

S’inspirant des vastes perspectives qui s’offrent à l’humanité du fait de la découverte


de l’espace extra-atmosphérique par l’homme,
Reconnaissant l’intérêt que présente pour l’humanité tout entière le progrès de
l’exploration et de l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique à des fins pacifiques,
Estimant que l’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique devraient
s’effectuer pour le bien de tous les peuples, quel que soit le stade de leur
développement économique ou scientifique,
Désireux de contribuer au développement d’une large coopération internationale en
ce qui concerne les aspects scientifiques aussi bien que juridiques de l’exploration et
de l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique à des fins pacifiques,
Estimant que cette coopération contribuera à développer la compréhension mutuelle
et à consolider les relations amicales entre les États et entre les peuples,

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Rappelant la résolution 1962 (XVIII), intitulée “Déclaration des principes juridiques


régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace
extra-atmosphérique”, que l’Assemblée générale des Nations Unies a adoptée à
l’unanimité le 13 décembre 1963,
Rappelant la résolution 1884 (XVIII), qui engage les États à s’abstenir de mettre sur
orbite autour de la Terre tous objets porteurs d’armes nucléaires ou de tout autre type
d’armes de destruction massive et d’installer de telles armes sur des corps célestes,
résolution que l’Assemblée générale des Nations Unies a adoptée à l’unanimité le 17
octobre 1963,
Tenant compte de la résolution 110 (II) de l’Assemblée générale des Nations Unies en
date du 3 novembre 1947, résolution qui condamne la propagande destinée ou de
nature à provoquer ou à encourager toute menace à la paix, toute rupture de la paix ou
tout acte d’agression, et considérant que ladite résolution est applicable à l’espace
extra-atmosphérique,
Convaincus que le Traité sur les principes régissant les activités des États en matière
d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et
les autres corps célestes, contribuera à la réalisation des buts et principes de la Charte
des Nations Unies,

Sont convenus de ce qui suit:

Article premier
L’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et
les autres corps célestes, doivent se faire pour le bien et dans l’intérêt de tous les
pays, quel que soit le stade de leur développement économique ou scientifique; elles
sont l’apanage de l’humanité tout entière. L’espace extra-atmosphérique, y compris la
Lune et les autres corps célestes, peut être exploré et utilisé librement par tous les
États sans aucune discrimination, dans des conditions d’égalité et conformément au
droit international, toutes les régions des corps célestes devant être librement
accessibles. Les recherches scientifiques sont libres dans l’espace extra-
atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, et les États doivent
faciliter et encourager la coopération internationale dans ces recherches.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Article II
L’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, ne peut
faire l’objet d’appropriation nationale par proclamation de souveraineté, ni par voie
d’utilisation ou d’occupation, ni par aucun autre moyen.

Article III
Les activités des États parties au Traité relatives à l’exploration et à l’utilisation de
l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, doivent
s’effectuer conformément au droit international, y compris la Charte des Nations
Unies, en vue de maintenir la paix et la sécurité internationales et de favoriser la
coopération et la compréhension internationales.

Article IV
Les États parties au Traité s’engagent à ne mettre sur orbite autour de la Terre aucun
objet porteur d’armes nucléaires ou de tout autre type d’armes de destruction massive,
à ne pas installer de telles armes sur des corps célestes et à ne pas placer de telles
armes, de toute autre manière, dans l’espace extra-atmosphérique. Tous les États
parties au Traité utiliseront la Lune et les autres corps célestes exclusivement à des
fins pacifiques. Sont interdits sur les corps célestes l’aménagement de bases et
installations militaires et de fortifications, les essais d’armes de tous types et
l’exécution de manœuvres militaires. N’est pas interdite l’utilisation de personnel
militaire à des fins de recherche scientifique ou à toute autre fin pacifique. N’est pas
interdite non plus l’utilisation de tout équipement ou installation nécessaire à
l’exploration pacifique de la Lune et des autres corps célestes.

Article V
Les États parties au Traité considéreront les astronautes comme des envoyés de
l’humanité dans l’espace extra-atmosphérique et leur prêteront toute l’assistance
possible en cas d’accident, de détresse ou d’atterrissage forcé sur le territoire d’un
autre État partie au Traité ou d’amerrissage en haute mer. En cas d’un tel atterrissage
ou amerrissage, le retour des astronautes à l’État d’immatriculation de leur véhicule

- 450 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

spatial devra être effectué promptement et en toute sécurité. Lorsqu’ils poursuivront


des activités dans l’espace extra-atmosphérique et sur les corps célestes, les
astronautes d’un État partie au Traité prêteront toute l’assistance possible aux
astronautes des autres États parties au Traité. Les États parties au Traité porteront
immédiatement à la connaissance des autres États parties au Traité ou du Secrétaire
général de l’Organisation des Nations Unies tout phénomène découvert par eux dans
l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les corps célestes, qui pourrait
présenter un danger pour la vie ou la santé des astronautes.

Article VI
Les États parties au Traité ont la responsabilité internationale des activités nationales
dans l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes,
qu’elles soient entreprises par des organismes gouvernementaux ou par des entités
non gouvernementales, et de veiller à ce que les activités nationales soient
poursuivies conformément aux dispositions énoncées dans le présent Traité. Les
activités des entités non gouvernementales dans l’espace extra-atmosphérique, y
compris la Lune et les autres corps célestes, doivent faire l’objet d’une autorisation et
d’une surveillance continue de la part de l’État approprié partie au Traité. En cas
d’activités poursuivies par une organisation internationale dans l’espace extra-
atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, la responsabilité du
respect des dispositions du présent Traité incombera à cette organisation
internationale et aux États parties au Traité qui font partie de ladite organisation.
Article VII Tout État partie au Traité qui procède ou fait procéder au lancement d’un
objet dans l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps
célestes, et tout État partie dont le territoire ou les installations servent au lancement
d’un objet, est responsable du point de vue international des dommages causés par
ledit objet ou par ses éléments constitutifs, sur la Terre, dans l’atmosphère ou dans
l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, à un
autre État partie au Traité ou aux personnes physiques ou morales qui relèvent de cet
autre État.

Article VIII

- 451 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

L’État partie au Traité sur le registre duquel est inscrit un objet lancé dans l’espace
extra-atmosphérique conservera sous sa juridiction et son contrôle ledit objet et tout
le personnel dudit objet, alors qu’ils se trouvent dans l’espace extra-atmosphérique ou
sur un corps céleste. Les droits de propriété sur les objets lancés dans l’espace extra-
atmosphérique, y compris les objets amenés ou construits sur un corps céleste, ainsi
que sur leurs éléments constitutifs, demeurent entiers lorsque ces objets ou éléments
se trouvent dans l’espace extra-atmosphérique ou sur un corps céleste, et lorsqu’ils
reviennent sur la Terre. Les objets ou éléments constitutifs d’objets trouvés au-delà
des limites de l’État partie au Traité sur le registre duquel ils sont inscrits doivent être
restitués à cet État partie au Traité, celui-ci étant tenu de fournir, sur demande, des
données d’identification avant la restitution.

Article IX
En ce qui concerne l’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y
compris la Lune et les autres corps célestes, les États parties au Traité devront se
fonder sur les principes de la coopération et de l’assistance mutuelle et poursuivront
toutes leurs activités dans l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les
autres corps célestes, en tenant dûment compte des intérêts correspondants de tous les
autres États parties au Traité. Les États parties au Traité effectueront l’étude de
l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, et
procéderont à leur exploration de manière à éviter les effets préjudiciables de leur
contamination ainsi que les modifications nocives du milieu terrestre résultant de
l’introduction de substances extraterrestres et, en cas de besoin, ils prendront les
mesures appropriées à cette fin. Si un État partie au Traité a lieu de croire qu’une
activité ou expérience envisagée par lui-même ou par ses ressortissants dans l’espace
extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, causerait une
gêne potentiellement nuisible aux activités d’autres États parties au Traité en matière
d’exploration et d’utilisation pacifiques de l’espace extra-atmosphérique, y compris la
Lune et les autres corps célestes, il devra engager les consultations internationales
appropriées avant d’entreprendre ladite activité ou expérience. Tout État partie au
Traité ayant lieu de croire qu’une activité ou expérience envisagée par un autre État
partie au Traité dans l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres

- 452 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

corps célestes, causerait une gêne potentiellement nuisible aux activités poursuivies
en matière d’exploration et d’utilisation pacifiques de l’espace extra-atmosphérique, y
compris la Lune et les autres corps célestes, peut demander que des consultations
soient ouvertes au sujet de ladite activité ou expérience.

Article X
Pour favoriser la coopération en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace
extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, conformément
aux buts du présent Traité, les États parties au Traité examineront dans 6 des
conditions d’égalité les demandes des autres États parties au Traité tendant à obtenir
des facilités pour l’observation du vol des objets spatiaux lancés par ces États. La
nature de telles facilités d’observation et les conditions dans lesquelles elles
pourraient être consenties seront déterminées d’un commun accord par les États
intéressés. Article XI Pour favoriser la coopération internationale en matière
d’exploration et d’utilisation pacifiques de l’espace extra-atmosphérique, les États
parties au Traité qui mènent des activités dans l’espace extra-atmosphérique, y
compris la Lune et les autres corps célestes, conviennent, dans toute la mesure où cela
est possible et réalisable, d’informer le Secrétaire général de l’Organisation des
Nations Unies, ainsi que le public et la communauté scientifique internationale, de la
nature et de la conduite de ces activités, des lieux où elles sont poursuivies et de leurs
résultats. Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies devra être prêt à
assurer, aussitôt après les avoir reçus, la diffusion effective de ces renseignements.

Article XII
Toutes les stations et installations, tout le matériel et tous les véhicules spatiaux se
trouvant sur la Lune ou sur d’autres corps célestes seront accessibles, dans des
conditions de réciprocité, aux représentants des autres États au Traité. Ces
représentants notifieront au préalable toute visite projetée, de façon que les
consultations voulues puissent avoir lieu et que le maximum de précautions puissent
être prises pour assurer la sécurité et éviter de gêner les opérations normales sur les
lieux de l’installation à visiter.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Article XIII
Les dispositions du présent Traité s’appliquent aux activités poursuivies par les États
parties au Traité en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-
atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, que ces activités soient
menées par un État partie au Traité seul ou en commun avec d’autres États,
notamment dans le cadre d’organisations intergouvernementales internationales.
Toutes questions pratiques se posant à l’occasion des activités poursuivies par des
organisations intergouvernementales internationales en matière d’exploration et
d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps
célestes, seront réglées par les États parties au Traité soit avec l’organisation
internationale compétente, soit avec un ou plusieurs des États membres de ladite
organisation qui sont parties au Traité.

Article XIV
1. Le présent Traité est ouvert à la signature de tous les États. Tout État qui n’aura
pas signé le présent Traité avant son entrée en vigueur conformément au paragraphe 3
du présent article pourra y adhérer à tout moment.
2. Le présent Traité sera soumis à la ratification des États signataires. Les instruments
de ratification et les instruments d’adhésion seront déposés auprès des
Gouvernements des États-Unis d’Amérique, du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et
d’Irlande du Nord et de l’Union des Républiques socialistes soviétiques, qui sont,
dans le présent Traité, désignés comme étant les gouvernements dépositaires. 3. Le
présent Traité entrera en vigueur lorsque cinq gouvernements, y compris ceux qui
sont désignés comme étant les gouvernements dépositaires aux termes du présent
Traité, auront déposé leurs instruments de ratification.
4. Pour les États dont les instruments de ratification ou d’adhésion seront déposés
après l’entrée en vigueur du présent Traité, celui-ci entrera en vigueur à la date du
dépôt de leurs instruments de ratification ou d’adhésion.
5. Les gouvernements dépositaires informeront sans délai tous les États qui auront
signé le présent Traité ou y auront adhéré de la date de chaque signature, de la date
du dépôt de chaque instrument de ratification du présent Traité ou d’adhésion au

- 454 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

présent Traité, de la date d’entrée en vigueur du Traité ainsi que de toute autre
communication.
6. Le présent Traité sera enregistré par les gouvernements dépositaires conformément
à l’Article 102 de la Charte des Nations Unies.

Article XV
Tout État partie au présent Traité peut proposer des amendements au Traité. Les
amendements prendront effet à l’égard de chaque État partie au Traité acceptant les
amendements dès qu’ils auront été acceptés par la majorité des États parties au Traité
et, par la suite, pour chacun des autres États parties au Traité, à la date de son
acceptation desdits amendements.

Article XVI
Tout État partie au présent Traité peut, un an après l’entrée en vigueur du Traité,
communiquer son intention de cesser d’y être partie par voie de notification écrite
adressée aux gouvernements dépositaires. Cette notification prendra effet un an après
la date à laquelle elle aura été reçue. 8

Article XVII
Le présent Traité, dont les textes anglais, chinois, espagnol, français et russe font
également foi, sera déposé dans les archives des gouvernements dépositaires. Des
copies dûment certifiées du présent Traité seront adressées par les gouvernements
dépositaires aux gouvernements des États qui auront signé le Traité ou qui y auront
adhéré.
EN FOI DE QUOI les soussignés, dûment habilités à cet effet, ont signé le présent
Traité.
FAIT en trois exemplaires, à Londres, Moscou et Washington, le vingt-sept janvier
mil neuf cent soixante-sept.

- 455 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

̰
L’Accord qui suit considère les astronautes comme des « envoyés de l’humanité ».
Dans ce cadre-là ils ne peuvent donc pas être considérés comme une monnaie
d’échange si, par exemple, ils atterrissent sur un territoire qui a priori peut leur être
hostile. En période de Guerre froide, cet accord avait tout son sens.

22 avril 1968
Accord sur le sauvetage des astronautes, le retour des astronautes
et la restitution des objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique

Les Parties contractantes,

Notant l’importance considérable du Traité sur les principes régissant les activités des
États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y
compris la Lune et les autres corps célestes , qui prévoit que toute l’assistance
possible sera prêtée aux astronautes en cas d’accident, de détresse ou d’atterrissage
forcé, que le retour des astronautes sera effectué promptement et en toute sécurité, et
que les objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique seront restitués,

Désireuses de développer et de matérialiser davantage encore ces obligations,

Soucieuses de favoriser la coopération internationale en matière d’exploration et


d’utilisation pacifiques de l’espace extra-atmosphérique,

Animées par des sentiments d’humanité,

Sont convenues de ce qui suit:

Article premier

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Chaque Partie contractante qui apprend ou constate que l’équipage d’un engin spatial
a été victime d’un accident, ou se trouve en détresse, ou a fait un atterrissage forcé ou
involontaire sur un territoire relevant de sa juridiction ou un amerrissage forcé en
haute mer, ou a atterri en tout autre lieu qui ne relève pas de la juridiction d’un État:
a) En informera immédiatement l’autorité de lancement ou, si elle ne peut
l’identifier et communiquer immédiatement avec elle, diffusera
immédiatement cette information par tous les moyens de communication
appropriés dont elle dispose;
b) En informera immédiatement le Secrétaire général de l’Organisation des
Nations Unies à qui il appartiendra de diffuser cette information sans délai par
tous les moyens de communication appropriés dont il dispose. 1 Annexe de la
résolution 2222 (XXI).

Article 2
Dans le cas où, par suite d’un accident, de détresse ou d’un atterrissage forcé ou
involontaire, l’équipage d’un engin spatial atterrit sur un territoire relevant de la
juridiction d’une Partie contractante, cette dernière prendra immédiatement toutes les
mesures possibles pour assurer son sauvetage et lui apporter toute l’aide nécessaire.
Elle informera l’autorité de lancement ainsi que le Secrétaire général de
l’Organisation des Nations Unies des mesures qu’elle prend et des progrès réalisés. Si
l’aide de l’autorité de lancement peut faciliter un prompt sauvetage ou contribuer
sensiblement à l’efficacité des opérations de recherche et de sauvetage, l’autorité de
lancement coopérera avec la Partie contractante afin que ces opérations de recherche
et de sauvetage soient menées avec efficacité. Ces opérations auront lieu sous la
direction et le contrôle de la Partie contractante, qui agira en consultation étroite et
continue avec l’autorité de lancement.

Article 3
Si l’on apprend ou si l’on constate que l’équipage d’un engin spatial a amerri en
haute mer ou a atterri en tout autre lieu qui ne relève pas de la juridiction d’un État,
les Parties contractantes qui sont en mesure de le faire fourniront leur concours, si
c’est nécessaire, pour les opérations de recherche et de sauvetage de cet équipage afin

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

d’assurer son prompt sauvetage. Elles informeront l’autorité de lancement et le


Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies des mesures qu’elles prennent
et des progrès réalisés.

Article 4
Dans le cas où, par suite d’un accident, de détresse ou d’un atterrissage ou d’un
amerrissage forcé ou involontaire, l’équipage d’un engin spatial atterrit sur un
territoire relevant de la juridiction d’une Partie contractante ou a été trouvé en haute
mer ou en tout autre lieu qui ne relève pas de la juridiction d’un État, il sera remis
rapidement et dans les conditions voulues de sécurité aux représentants de l’autorité
de lancement.

Article 5

1. Chaque Partie contractante qui apprend ou constate qu’un objet spatial ou


des éléments constitutifs dudit objet sont retombés sur la Terre dans un
territoire relevant de sa juridiction, ou en haute mer, ou en tout autre lieu qui
ne relève pas de la juridiction d’un État en informera l’autorité de lancement et
le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.

2. Chaque Partie contractante qui exerce sa juridiction sur le territoire sur


lequel a été découvert un objet spatial ou des éléments constitutifs dudit objet
prendra, sur la demande de l’autorité de lancement et avec l’assistance de cette
autorité, si elle est demandée, les mesures qu’elle jugera possibles pour
récupérer l’objet ou ses éléments constitutifs.

3. Sur la demande de l’autorité de lancement, les objets lancés dans l’espace


extra-atmosphérique ou les éléments constitutifs desdits objets trouvés au-delà
des limites territoriales de l’autorité de lancement seront remis aux
représentants de l’autorité de lancement ou tenus à leur disposition, ladite
autorité devant fournir, sur demande, des données d’identification avant que
ces objets ne lui soient restitués.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

4. Nonobstant les dispositions des paragraphes 2 et 3 du présent article, toute


Partie contractante qui a des raisons de croire qu’un objet spatial ou des
éléments constitutifs dudit objet qui ont été découverts sur un territoire
relevant de sa juridiction ou qu’elle a récupérés en tout autre lieu sont, par leur
nature, dangereux ou délétères, peut en informer l’autorité de lancement, qui
prendra immédiatement des mesures efficaces, sous la direction et le contrôle
de ladite Partie contractante, pour éliminer tout danger possible de préjudice.

5. Les dépenses engagées pour remplir les obligations concernant la


récupération et la restitution d’un objet spatial ou d’éléments constitutifs dudit
objet conformément aux dispositions des paragraphes 2 et 3 du présent article
seront à la charge de l’autorité de lancement.

Article 6
Aux fins du présent Accord, l’expression “autorité de lancement” vise l’État
responsable du lancement, ou, si une organisation intergouvernementale
internationale est responsable du lancement, ladite organisation, pourvu qu’elle
déclare accepter les droits et obligations prévus dans le présent Accord et qu’une
majorité des États membres de cette organisation soient Parties contractantes au
présent Accord et au Traité sur les principes régissant les activités des États en
matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la
Lune et les autres corps célestes.

Article 7

1. Le présent Accord est ouvert à la signature de tous les États. Tout État qui
n’aura pas signé le présent Accord avant son entrée en vigueur conformément
au paragraphe 3 du présent article pourra y adhérer à tout moment.

2. Le présent Accord sera soumis à la ratification des États signataires. Les


instruments de ratification et les instruments d’adhésion seront déposés auprès
des Gouvernements des États-Unis d’Amérique, du Royaume-Uni de Grande-
Bretagne et d’Irlande du Nord et de l’Union des Républiques socialistes
soviétiques, qui sont désignés comme étant les gouvernements dépositaires.

- 459 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

3. Le présent Accord entrera en vigueur lorsque cinq gouvernements, y


compris ceux qui sont désignés comme étant les gouvernements dépositaires
aux termes du présent Accord, auront déposé leurs instruments de ratification.

4. Pour les États dont les instruments de ratification ou d’adhésion seront


déposés après l’entrée en vigueur du présent Accord, celui-ci prendra effet à la
date du dépôt de leurs instruments de ratification ou d’adhésion.

5. Les gouvernements dépositaires informeront sans délai tous les États qui
auront signé le présent Accord ou y auront adhéré de la date de chaque
signature, de la date du dépôt de chaque instrument de ratification du présent
Accord ou d’adhésion au présent Accord, de la date d’entrée en vigueur de
l’Accord ainsi que de toute autre communication.

6. Le présent Accord sera enregistré par les gouvernements dépositaires


conformément à l’Article 102 de la Charte des Nations Unies.

Article 8
Tout État partie au présent Accord peut proposer des amendements à l’Accord. Les
amendements prendront effet à l’égard de chaque État partie à l’Accord acceptant les
amendements dès qu’ils auront été acceptés par la majorité des États parties à
l’Accord, et par la suite, pour chacun des autres États parties à l’Accord, à la date de
son acceptation desdits amendements.

Article 9
Tout État partie à l’Accord pourra notifier par écrit aux gouvernements dépositaires
son retrait de l’Accord un an après son entrée en vigueur. Ce retrait prendra effet un
an après le jour où ladite notification aura été reçue.

Article 10
Le présent Accord, dont les textes anglais, chinois, espagnol, français et russe font
également foi, sera déposé dans les archives des gouvernements dépositaires. Des
copies dûment certifiées du présent Accord seront adressées par les gouvernements

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

dépositaires aux gouvernements des États qui auront signé l’Accord ou qui y auront
adhéré.
EN FOI DE QUOI les soussignés, à ce dûment habilités, ont signé le présent
Accord.
FAIT en trois exemplaires, à Londres, Moscou et Washington, le vingt-deux avril
mil neuf cent soixante-huit.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

̰
La Convention qui suit responsabilise l’Etat qui met en orbite des objets spatiaux.
Que le lancement soit un échec ou une réussite, ce dernier doit réparation à un tiers
en cas de dommage. Cette Convention a été activée en janvier 1978 lorsqu’un
satellite russe (COSMOS 954) porteur d’une pile atomique (énergie nucléaire) est
rentré dans l’atmosphère et dont les débris se sont disséminés sur le territoire
canadien, contaminant une zone de 124 000 km². L’opération américano-
canadienne « Morning Light » a consisté à récupérer les déchets radioactifs. Le
Canada en vertu de la Convention, a réclamé devant l’ONU une forte somme
d’argent à l’URSS. Le Canada et l’URSS ont alors conclu un accord le 02 avril 1981.

9 mars 1972
Convention sur la responsabilité internationale pour les dommages
causés par des objets spatiaux

Les États parties à la présente Convention,


Reconnaissant qu’il est de l’intérêt commun de l’humanité tout entière de favoriser
l’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique à des fins pacifiques,
Rappelant le Traité sur les principes régissant les activités des États en matière
d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et
les autres corps célestes,
Tenant compte de ce que, malgré les mesures de précaution que doivent prendre les
États et les organisations internationales intergouvernementales qui se livrent au
lancement d’objets spatiaux, ces objets peuvent éventuellement causer des
dommages,
Reconnaissant la nécessité d’élaborer des règles et procédures internationales
efficaces relatives à la responsabilité pour les dommages causés par des objets

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

spatiaux et d’assurer, en particulier, le prompt versement, aux termes de la présente


Convention, d’une indemnisation totale et équitable aux victimes de ces dommages,
Convaincus que l’établissement de telles règles et procédures contribuera à renforcer
la coopération internationale dans le domaine de l’exploration et de l’utilisation de
l’espace extra-atmosphérique à des fins pacifiques,
Sont convenus de ce qui suit:

Article premier
Aux fins de la présente Convention:
a) Le terme “dommage” désigne la perte de vies humaines, les lésions
corporelles ou autres atteintes à la santé, ou la perte de biens d’État ou de
personnes, physiques ou morales, ou de biens d’organisations internationales
intergouvernementales, ou les dommages causés auxdits biens;
b) Le terme “lancement” désigne également la tentative de lancement;
c) L’expression “État de lancement” désigne:
i) Un État qui procède ou fait procéder au lancement d’un objet spatial;
ii) Un État dont le territoire ou les installations servent au lancement
d’un objet spatial;
d) L’expression “objet spatial” désigne également les éléments constitutifs
d’un objet spatial, ainsi que son lanceur et les éléments de ce dernier.

Article II
Un État de lancement a la responsabilité absolue de verser réparation pour le
dommage causé par son objet spatial à la surface de la Terre ou aux aéronefs en vol.

Article III
En cas de dommage causé, ailleurs qu’à la surface de la Terre, à un objet spatial d’un
État de lancement ou à des personnes ou à des biens se trouvant à bord d’un tel objet
spatial, par un objet spatial d’un autre État de lancement, ce dernier État n’est
responsable que si le dommage est imputable à sa faute ou à la faute des personnes
dont il doit répondre.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Article IV
1. En cas de dommage causé, ailleurs qu’à la surface de la Terre, à un objet
spatial d’un État de lancement ou à des personnes ou à des biens se trouvant à
bord d’un tel objet spatial, par un objet spatial d’un autre État de lancement, et
en cas de dommage causé de ce fait à un État tiers ou à des personnes
physiques ou morales relevant de lui, les deux premiers États sont
solidairement responsables envers l’État tiers dans les limites indiquées ci-
après:
a) Si le dommage a été causé à l’État tiers à la surface de la Terre ou à
un aéronef en vol, leur responsabilité envers l’État est absolue;
b) Si le dommage a été causé à un objet spatial d’un État tiers ou à des
personnes ou à des biens se trouvant à bord d’un tel objet spatial,
ailleurs qu’à la surface de la Terre, leur responsabilité envers l’État
tiers est fondée sur la faute de l’un d’eux ou sur la faute de personnes
dont chacun d’eux doit répondre.
2. Dans tous les cas de responsabilité solidaire prévue au paragraphe 1 du
présent article, la charge de la réparation pour le dommage est répartie entre
les deux premiers États selon la mesure dans laquelle ils étaient en faute; s’il
est impossible d’établir dans quelle mesure chacun de ces États était en faute,
la charge de la réparation est répartie entre eux de manière égale. Cette
répartition ne peut porter atteinte au droit de l’État tiers de chercher à obtenir
de l’un quelconque des États de lancement ou de tous les États de lancement
qui sont solidairement responsables la pleine et entière réparation due en vertu
de la présente Convention.

Article V
1. Lorsque deux ou plusieurs États procèdent en commun au lancement d’un
objet spatial, ils sont solidairement responsables de tout dommage qui peut en
résulter.
2. Un État de lancement qui a réparé le dommage a un droit de recours contre
les autres participants au lancement en commun. Les participants au lancement
en commun peuvent conclure des accords relatifs à la répartition entre eux de

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

la charge financière pour laquelle ils sont solidairement responsables. Lesdits


accords ne portent pas atteinte au droit d’un État auquel a été causé un
dommage de chercher à obtenir de l’un quelconque des États de lancement ou
de tous les États de lancement qui sont solidairement responsables la pleine et
entière réparation due en vertu de la présente Convention.
3. Un État dont le territoire ou les installations servent au lancement d’un objet
spatial est réputé participant à un lancement commun.

Article VI
1. Sous réserve des dispositions du paragraphe 2 du présent article, un État de
lancement est exonéré de la responsabilité absolue dans la mesure où il établit
que le dommage résulte, en totalité ou en partie, d’une faute lourde ou d’un
acte ou d’une omission commis dans l’intention de provoquer un dommage, de
la part d’un État demandeur ou des personnes physiques ou morales que ce
dernier État représente.
2. Aucune exonération, quelle qu’elle soit, n’est admise dans les cas où le
dommage résulte d’activités d’un État de lancement qui ne sont pas conformes
au droit international, y compris, en particulier, à la Charte des Nations Unies
et au Traité sur les principes régissant les activités des États en matière
d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la
Lune et les autres corps célestes.

Article VII
Les dispositions de la présente Convention ne s’appliquent pas au dommage causé par
un objet spatial d’un État de lancement:
a) Aux ressortissants de cet État de lancement;
b) Aux ressortissants étrangers pendant qu’ils participent aux opérations de
fonctionnement de cet objet spatial à partir du moment de son lancement ou à
une phase ultérieure quelconque jusqu’à sa chute, ou pendant qu’ils se
trouvent à proximité immédiate d’une zone envisagée comme devant servir au
lancement ou à la récupération, à la suite d’une invitation de cet État de
lancement.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Article VIII
1. Un État qui subit un dommage ou dont des personnes physiques ou morales
subissent un dommage peut présenter à un État de lancement une demande en
réparation pour ledit dommage.
2. Si l’État dont les personnes physiques ou morales possèdent la nationalité
n’a pas présenté de demande en réparation, un autre État peut, à raison d’un
dommage subi sur son territoire par une personne physique ou morale,
présenter une demande à un État de lancement.
3. Si ni l’État dont les personnes physiques ou morales possèdent la nationalité
ni l’État sur le territoire duquel le dommage a été subi n’ont présenté de
demande en réparation ou notifié son intention de présenter une demande, un
autre État peut, à raison du dommage subi par ses résidents permanents,
présenter une demande à un État de lancement.

Article IX
La demande en réparation est présentée à l’État de lancement par la voie
diplomatique. Tout État qui n’entretient pas de relations diplomatiques avec cet État
de lancement peut prier un État tiers de présenter sa demande et de représenter de
toute autre manière ses intérêts en vertu de la présente Convention auprès de cet État
de lancement. Il peut également présenter sa demande par l’intermédiaire du
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, à condition que l’État
demandeur et l’État de lancement soient l’un et l’autre Membres de l’Organisation
des Nations Unies.

Article X
1. La demande en réparation peut être présentée à l’État de lancement dans le
délai d’un an à compter de la date à laquelle s’est produit le dommage ou à
compter de l’identification de l’État de lancement qui est responsable.
2. Si toutefois un État n’a pas connaissance du fait que le dommage s’est
produit ou n’a pas pu identifier l’État de lancement qui est responsable, sa
demande est recevable dans l’année qui suit la date à laquelle il prend

- 466 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

connaissance des faits susmentionnés; toutefois, le délai ne saurait en aucun


cas dépasser une année à compter de la date à laquelle l’État, agissant avec
toute diligence, pouvait raisonnablement être censé avoir eu connaissance des
faits.
3. Les délais précisés aux paragraphes 1 et 2 du présent article s’appliquent
même si l’étendue du dommage n’est pas exactement connue. En pareil cas,
toutefois, l’État demandeur a le droit de réviser sa demande et de présenter des
pièces additionnelles au-delà du délai précisé, jusqu’à expiration d’un délai
d’un an à compter du moment où l’étendue du dommage est exactement
connue.

Article XI
1. La présentation d’une demande en réparation à l’État de lancement en vertu
de la présente Convention n’exige pas l’épuisement préalable des recours
internes qui seraient ouverts à l’État demandeur ou aux personnes physiques
ou morales dont il représente les intérêts.
2. Aucune disposition de la présente Convention n’empêche un État ou une
personne physique ou morale qu’il peut représenter de former une demande
auprès des instances juridictionnelles ou auprès des organes administratifs
d’un État de lancement. Toutefois, un État n’a pas le droit de présenter une
demande en vertu de la présente Convention à raison d’un dommage pour
lequel une demande est déjà introduite auprès des instances juridictionnelles
ou auprès des organes administratifs d’un État de lancement, ni en application
d’un autre accord international par lequel les États intéressés seraient liés.

Article XII
Le montant de la réparation que l’État de lancement sera tenu de payer pour le
dommage en application de la présente Convention sera déterminé conformément au
droit international et aux principes de justice et d’équité, de telle manière que la
réparation pour le dommage soit de nature à rétablir la personne, physique ou morale,
l’État ou l’organisation internationale demandeur dans la situation qui aurait existé si
le dommage ne s’était pas produit.

- 467 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Article XIII
À moins que l’État demandeur et l’État qui est tenu de réparer en vertu de la présente
Convention ne conviennent d’un autre mode de réparation, le montant de la
réparation est payé dans la monnaie de l’État demandeur ou, à la demande de celui-ci,
dans la monnaie de l’État qui est tenu de réparer le dommage.

Article XIV
Si, dans un délai d’un an à compter de la date à laquelle l’État demandeur a notifié à
l’État de lancement qu’il a soumis les pièces justificatives de sa demande, une
demande en réparation n’est pas réglée par voie de négociations diplomatiques selon
l’article IX, les parties intéressées constituent, sur la demande de l’une d’elles, une
Commission de règlement des demandes.

Article XV
1. La Commission de règlement des demandes se compose de trois membres:
un membre désigné par l’État demandeur, un membre désigné par l’État de
lancement et le troisième membre, le Président, choisi d’un commun accord
par les deux parties. Chaque partie procède à cette désignation dans un délai de
deux mois à compter de la demande de constitution de la Commission de
règlement des demandes.
2. Si aucun accord n’intervient sur le choix du Président dans un délai de
quatre mois à compter de la demande de constitution de la Commission, l’une
ou l’autre des parties peut prier le Secrétaire général de l’Organisation des
Nations Unies de nommer le Président dans un délai supplémentaire de deux
mois.

Article XVI
1. Si l’une des parties ne procède pas, dans le délai prévu, à la désignation qui
lui incombe, le Président, sur la demande de l’autre partie, constituera à lui
seul la Commission de règlement des demandes.

- 468 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

2. Si, pour une raison quelconque, une vacance survient dans la Commission,
il y est pourvu suivant la procédure adoptée pour la désignation initiale.
3. La Commission détermine sa propre procédure.
4. La Commission décide du ou des lieux où elle siège, ainsi que de toutes
autres questions administratives.
5. Exception faite des décisions et sentences rendues dans les cas où la
Commission n’est composée que d’un seul membre, toutes les décisions et
sentences de la Commission sont rendues à la majorité.

Article XVII
La composition de la Commission de règlement des demandes n’est pas élargie du
fait que deux ou plusieurs États demandeurs ou que deux ou plusieurs États de
lancement sont parties à une procédure engagée devant elle. Les États demandeurs
parties à une telle procédure nomment conjointement un membre de la Commission
de la même manière et sous les mêmes conditions que s’il n’y avait qu’un seul État
demandeur. Si deux ou plusieurs États de lancement sont parties à une telle
procédure, ils nomment conjointement un membre de la Commission, de la même
manière. Si les États demandeurs ou les États de lancement ne procèdent pas, dans les
délais prévus, à la désignation qui leur incombe, le Président constituera à lui seul la
Commission.

Article XVIII
La Commission de règlement des demandes décide du bien-fondé de la demande en
réparation et fixe, s’il y a lieu, le montant de la réparation à verser.

Article XIX
1. La Commission de règlement des demandes agit en conformité des
dispositions de l’article XII.
2. La décision de la Commission a un caractère définitif et obligatoire si
les parties en sont convenues ainsi; dans le cas contraire, la
Commission rend une sentence définitive valant recommandation, que

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

les parties prennent en considération de bonne foi. La Commission


motive sa décision ou sa sentence.
3. La Commission rend sa décision ou sa sentence aussi rapidement que
possible et au plus tard dans un délai d’un an à compter de la date à
laquelle elle a été constituée, à moins que la Commission ne juge
nécessaire de proroger ce délai.
4. La Commission rend publique sa décision ou sa sentence. Elle en fait
tenir une copie certifiée conforme à chacune des parties et au Secrétaire
général de l’Organisation des Nations Unies.

Article XX
Les dépenses relatives à la Commission de règlement des demandes sont réparties
également entre les parties, à moins que la Commission n’en décide autrement.

Article XXI
Si le dommage causé par un objet spatial met en danger, à grande échelle, les vies
humaines ou compromet sérieusement les conditions de vie de la population ou le
fonctionnement des centres vitaux, les États parties, et notamment l’État de
lancement, examineront la possibilité de fournir une assistance appropriée et rapide à
l’État qui aurait subi le dommage, lorsque ce dernier en formule la demande. Cet
article, cependant, est sans préjudice des droits et obligations des États parties en
vertu de la présente Convention.

Article XXII
1. Dans la présente Convention, à l’exception des articles XXIV à XXVII, les
références aux États s’appliquent à toute organisation internationale
intergouvernementale qui se livre à des activités spatiales, si cette organisation
déclare accepter les droits et les obligations prévus dans la présente
Convention et si la majorité des États membres de l’organisation sont des États
parties à la présente Convention et au Traité sur les principes régissant les
activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-
atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

2. Les États membres d’une telle organisation qui sont des États parties à la
présente Convention prennent toutes les dispositions voulues pour que
l’organisation fasse une déclaration en conformité du paragraphe précédent.
3. Si une organisation internationale intergouvernementale est responsable
d’un dommage aux termes des dispositions de la présente Convention, cette
organisation et ceux de ses membres qui sont des États parties à la présente
Convention sont solidairement responsables, étant entendu toutefois que:
a) Toute demande en réparation pour ce dommage doit être présentée
d’abord à l’organisation; et
b) Seulement dans le cas où l’organisation n’aurait pas versé dans le
délai de six mois la somme convenue ou fixée comme réparation pour
le dommage, l’État demandeur peut invoquer la responsabilité des
membres qui sont des États parties à la présente Convention pour le
paiement de ladite somme.
4. Toute demande en réparation formulée conformément aux dispositions de la
présente Convention pour le dommage causé à une organisation qui a fait une
déclaration conformément au paragraphe 1 du présent article doit être
présentée par un État membre de l’organisation qui est un État partie à la
présente Convention.

Article XXIII
1. Les dispositions de la présente Convention ne portent pas atteinte aux autres
accords internationaux en vigueur dans les rapports entre les États parties à ces
accords.
2. Aucune disposition de la présente Convention ne saurait empêcher les États
de conclure des accords internationaux confirmant, complétant ou développant
ses dispositions.

Article XXIV
1. La présente Convention est ouverte à la signature de tous les États. Tout
État qui n’aura pas signé la présente Convention avant son entrée en vigueur

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

conformément au paragraphe 3 du présent article pourra y adhérer à tout


moment.
2. La présente Convention sera soumise à la ratification des États signataires.
Les instruments de ratification et les instruments d’adhésion seront déposés
auprès des Gouvernements des États-Unis d’Amérique, du Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et de l’Union des Républiques
socialistes soviétiques, qui sont ainsi désignés comme gouvernements
dépositaires.
3. La présente Convention entrera en vigueur à la date du dépôt du cinquième
instrument de ratification.
4. Pour les États dont les instruments de ratification ou d’adhésion seront
déposés après l’entrée en vigueur de la présente Convention, celle-ci entrera en
vigueur à la date du dépôt de leurs instruments de ratification ou d’adhésion.
5. Les gouvernements dépositaires informeront sans délai tous les États qui
auront signé la présente Convention ou y auront adhéré de la date de chaque
signature, de la date du dépôt de chaque instrument de ratification de la
présente Convention ou d’adhésion à la présente Convention, de la date
d’entrée en vigueur de la Convention, ainsi que de toute autre communication.
6. La présente Convention sera enregistrée par les gouvernements dépositaires
conformément à l’Article 102 de la Charte des Nations Unies.

Article XXV
Tout État partie à la présente Convention peut proposer des amendements à la
Convention. Les amendements prendront effet à l’égard de chaque État partie à la
Convention acceptant les amendements dès qu’ils auront été acceptés par la majorité
des États parties à la Convention et, par la suite, pour chacun des autres États parties
à la Convention, à la date de son acceptation desdits amendements.

Article XXVI
Dix ans après l’entrée en vigueur de la présente Convention, la question de l’examen
de la Convention sera inscrite à l’ordre du jour provisoire de l’Assemblée générale de
l’Organisation des Nations Unies, à l’effet d’examiner, à la lumière de l’application

- 472 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

de la Convention pendant la période écoulée, si elle appelle une révision. Toutefois,


cinq ans après la date d’entrée en vigueur de la Convention, une conférence des États
parties à la Convention sera convoquée, à la demande d’un tiers des États parties à la
Convention, et avec l’assentiment de la majorité d’entre eux, afin de réexaminer la
présente Convention.

Article XXVII
Tout État partie à la présente Convention peut, un an après l’entrée en vigueur de la
Convention, communiquer son intention de cesser d’y être partie par voie de
notification écrite adressée aux gouvernements dépositaires. Cette notification
prendra effet un an après la date à laquelle elle aura été reçue.

Article XXVIII
La présente Convention, dont les textes anglais, chinois, espagnol, français et russe
font également foi, sera déposée dans les archives des gouvernements dépositaires.
Des copies dûment certifiées de la présente Convention seront adressées par les
gouvernements dépositaires aux gouvernements des États qui auront signé la
Convention ou qui y auront adhéré.

EN FOI DE QUOI les soussignés, dûment habilités à cet effet, ont signé la présente
Convention.

FAIT en trois exemplaires, à Londres, Moscou et Washington, le vingt-neuf mars mil


neuf cent soixante-douze.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

̰
La Convention qui suit est de nos jours à peu près bien respectée par les Etats
parties. Bien évidemment, lorsque l’immatriculation concerne des satellites
militaires, les Etats ne diffusent pas l’ensemble des informations demandées. Cela
reste compréhensible au vu de l’intérêt stratégique de l’espace.

14 janvier 1975
Convention sur l’immatriculation des objets lancés
dans l’espace extra-atmosphérique

Les États parties à la présente Convention,


Reconnaissant qu’il est de l’intérêt commun de l’humanité tout entière de favoriser
l’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique à des fins pacifiques,
Rappelant que le Traité sur les principes régissant les activités des États en matière
d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et
les autres corps célestes , en date du 27 janvier 1967, affirme que les États ont la
responsabilité internationale des activités nationales dans l’espace extra-
atmosphérique et mentionne l’État sur le registre duquel est inscrit un objet lancé
dans l’espace extra-atmosphérique,
Rappelant également que l’Accord sur le sauvetage des astronautes, le retour des
astronautes et la restitution des objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique, en
date du 22 avril 1968, prévoit que l’autorité de lancement doit fournir sur demande,
des données d’identification avant qu’un objet qu’elle a lancé dans l’espace extra-
atmosphérique et qui est trouvé au-delà de ses limites territoriales ne lui soit restitué,
Rappelant en outre que la Convention sur la responsabilité internationale pour les
dommages causés par des objets spatiaux, en date du 29 mars 1972, établit des règles
et des procédures internationales relatives à la responsabilité qu’assument les États de
lancement pour les dommages causés par leurs objets spatiaux,

- 474 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Désireux, compte tenu du Traité sur les principes régissant les activités des États en
matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la
Lune et les autres corps célestes, de prévoir l’immatriculation nationale par les États
de lancement des objets spatiaux lancés dans l’espace extra-atmosphérique,
Désireux en outre d’établir un registre central des objets lancés dans l’espace extra-
atmosphérique, où l’inscription soit obligatoire et qui soit tenu par le Secrétaire
général de l’Organisation des Nations Unies,
Désireux également de fournir aux États parties des moyens et des procédures
supplémentaires pour aider à identifier des objets spatiaux,
Estimant qu’un système obligatoire d’immatriculation des objets lancés dans l’espace
extra-atmosphérique faciliterait, en particulier, l’identification desdits objets et
contribuerait à l’application et au développement du droit international régissant
l’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique,
Sont convenus de ce qui suit:

Article premier
Aux fins de la présente Convention:
a) L’expression “État de lancement” désigne:
i) Un État qui procède ou fait procéder au lancement d’un objet spatial;
ii) Un État dont le territoire ou les installations servent au lancement
d’un objet spatial;
b) L’expression “objet spatial” désigne également les éléments constitutifs
d’un objet spatial, ainsi que son lanceur et les éléments de ce dernier;
c) L’expression “État d’immatriculation” désigne un État de lancement sur le
registre duquel un objet spatial est inscrit conformément à l’article II.

Article II
1. Lorsqu’un objet spatial est lancé sur une orbite terrestre ou au-delà, l’État
de lancement l’immatricule au moyen d’une inscription sur un registre
approprié dont il assure la tenue. L’État de lancement informe le Secrétaire
général de l’Organisation des Nations Unies de la création dudit registre.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

2. Lorsque, pour un objet spatial lancé sur une orbite terrestre ou au-delà, il
existe deux ou plusieurs États de lancement, ceux-ci déterminent
conjointement lequel d’entre eux doit immatriculer ledit objet conformément
au paragraphe 1 du présent article, en tenant compte des dispositions de
l’article VIII du Traité sur les principes régissant les activités des États en
matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y
compris la Lune et les autres corps célestes, et sans préjudice des accords
appropriés qui ont été ou qui seront conclus entre les États de lancement au
sujet de la juridiction et du contrôle sur l’objet spatial et sur tout personnel de
ce dernier.
3. La teneur de chaque registre et les conditions dans lesquelles il est tenu sont
déterminées par l’État d’immatriculation intéressé.

Article III
1. Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies assure la tenue
d’un registre dans lequel sont consignés les renseignements fournis
conformément à l’article IV.
2. L’accès à tous les renseignements figurant sur ce registre est entièrement
libre.

Article IV
1. Chaque État d’immatriculation fournit au Secrétaire général de
l’Organisation des Nations Unies, dès que cela est réalisable, les
renseignements ci-après concernant chaque objet spatial inscrit sur son
registre:
a) Nom de l’État ou des États de lancement;
b) Indicatif approprié ou numéro d’immatriculation de l’objet spatial;
c) Date et territoire ou lieu de lancement;
d) Principaux paramètres de l’orbite, y compris:
i) La période nodale,
ii) L’inclinaison,
iii) L’apogée,

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

iv) Le périgée;
e) Fonction générale de l’objet spatial.
2. Chaque État d’immatriculation peut de temps à autre communiquer au
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies des renseignements
supplémentaires concernant un objet spatial inscrit sur son registre.
3. Chaque État d’immatriculation informe le Secrétaire général de
l’Organisation des Nations Unies, dans toute la mesure possible et dès que cela
est réalisable, des objets spatiaux au sujet desquels il a antérieurement
communiqué des renseignements et qui ont été mais qui ne sont plus sur une
orbite terrestre.

Article V
Chaque fois qu’un objet spatial lancé sur une orbite terrestre ou au-delà est marqué au
moyen de l’indicatif ou du numéro d’immatriculation mentionnés à l’alinéa b du
paragraphe 1 de l’article IV, ou des deux, l’État d’immatriculation notifie ce fait au
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies lorsqu’il lui communique les
renseignements concernant l’objet spatial conformément à l’article IV. Dans ce cas, le
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies inscrit cette notification dans
le registre.

Article VI
Dans le cas où l’application des dispositions de la présente Convention n’aura pas
permis à un État partie d’identifier un objet spatial qui a causé un dommage audit État
partie ou à une personne physique ou morale relevant de sa juridiction, ou qui risque
d’être dangereux ou nocif, les autres États parties, y compris en particulier les États
qui disposent d’installations pour l’observation et la poursuite des objets spatiaux,
devront répondre dans toute la mesure possible à toute demande d’assistance en vue
d’identifier un tel objet, à laquelle il pourra être accédé dans des conditions
équitables et raisonnables et qui leur sera présentée par ledit État partie ou par le
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies en son nom. L’État partie
présentant une telle demande communiquera, dans toute la mesure possible, des
renseignements sur la date, la nature et les circonstances des événements ayant donné

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

lieu à la demande. Les modalités de cette assistance feront l’objet d’un accord entre
les parties intéressées.

Article VII
1. Dans la présente Convention, à l’exception des articles VIII à XII inclus, les
références aux États s’appliquent à toute organisation internationale
intergouvernementale qui se livre à des activités spatiales, si cette organisation
déclare accepter les droits et les obligations prévus dans la présente
Convention et si la majorité des États membres de l’organisation sont des États
parties à la présente Convention et au Traité sur les principes régissant les
activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-
atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes.
2. Les États membres d’une telle organisation qui sont des États parties à la
présente Convention prennent toutes les dispositions voulues pour que
l’organisation fasse une déclaration en conformité du paragraphe 1 du présent
article.

Article VIII
1. La présente Convention sera ouverte à la signature de tous les États au Siège
de l’Organisation des Nations Unies à New York. Tout État qui n’aura pas
signé la présente Convention avant son entrée en vigueur conformément au
paragraphe 3 du présent article pourra y adhérer à tout moment.
2. La présente Convention sera soumise à la ratification des États signataires.
Les instruments de ratification et les instruments d’adhésion seront déposés
auprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.
3. La présente Convention entrera en vigueur entre les États qui auront déposé
leurs instruments de ratification à la date du dépôt du cinquième instrument de
ratification auprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.
4. Pour les États dont les instruments de ratification ou d’adhésion seront
déposés après l’entrée en vigueur de la présente Convention, celle-ci 27
entrera en vigueur à la date du dépôt de leurs instruments de ratification ou
d’adhésion.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

5. Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies informera sans


délai tous les États qui auront signé la présente Convention ou y auront adhéré
de la date de chaque signature, de la date du dépôt de chaque instrument de
ratification de la présente Convention ou d’adhésion à la présente Convention,
de la date d’entrée en vigueur de la Convention, ainsi que de toute autre
communication.

Article IX
Tout État partie à la présente Convention peut proposer des amendements à la
Convention. Les amendements prendront effet à l’égard de chaque État partie à la
Convention acceptant les amendements dès qu’ils auront été acceptés par la majorité
des États parties à la Convention et, par la suite, pour chacun des autres États parties
à la Convention, à la date de son acceptation desdits amendements.

Article X
Dix ans après l’entrée en vigueur de la présente Convention, la question de l’examen
de la Convention sera inscrite à l’ordre du jour provisoire de l’Assemblée générale de
l’Organisation des Nations Unies, à l’effet d’examiner, à la lumière de l’application
de la Convention pendant la période écoulée, si elle appelle une révision. Toutefois,
cinq ans au moins après la date d’entrée en vigueur de la présente Convention, une
conférence des États parties à la présente Convention sera convoquée, à la demande
d’un tiers desdits États et avec l’assentiment de la majorité d’entre eux, afin de
réexaminer la présente Convention. Ce réexamen tiendra compte en particulier de
tous progrès techniques pertinents, y compris ceux ayant trait à l’identification des
objets spatiaux.

Article XI
Tout État partie à la présente Convention peut, un an après l’entrée en vigueur de la
Convention, communiquer son intention de cesser d’y être partie par voie de
notification écrite adressée au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.
Cette notification prendra effet un an après la date à laquelle elle aura été reçue.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Article XII
La présente Convention, dont les textes anglais, arabe, chinois, espagnol, français et
russe font également foi, sera déposée auprès du Secrétaire général de l’Organisation
des Nations Unies, qui en enverra des copies dûment certifiées à tous les États qui
auront signé la Convention ou y auront adhéré.
EN FOI DE QUOI les soussignés, dûment habilités à cet effet par leurs
gouvernements respectifs, ont signé la présente Convention, ouverte à la signature à
New York, le quatorze janvier mil neuf cent soixante-quinze.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

̰
L’accord qui suit est fondamental. Il érige la Lune et les autres corps célestes comme
patrimoine commun de l’humanité. Comme développé dans la thèse, cette formule a
de multiples implications juridiques. Il est donc compréhensible que cet accord n’ait
été ratifié que par quinze Etats, dont aucun acteur spatial majeur. La raison en est
que ce texte consacre le satellite naturel de la Terre comme patrimoine commun de
l’Humanité et, à ce titre, soumet les Etats à un régime très strict d’utilisation et
d’exploitation. Alors que croît une volonté d’exploitation des ressources naturelles
des corps célestes par les Etats et les sociétés privées, cet accord fait l’objet de toutes
les interprétations.

18 décembre 1979
Accord régissant les activités des États
sur la Lune et les autres corps célestes

Les États parties au présent Accord,


Notant les succès obtenus par les États dans l’exploration et l’utilisation de la Lune et
des autres corps célestes,
Reconnaissant que la Lune, satellite naturel de la Terre, joue à ce titre un rôle
important dans l’exploration de l’espace,
Fermement résolus à favoriser dans des conditions d’égalité le développement
continu de la coopération entre États aux fins de l’exploration et de l’utilisation de la
Lune et des autres corps célestes,
Désireux d’éviter que la Lune ne puisse servir d’arène à des conflits internationaux,
Tenant compte des avantages qui peuvent être retirés de l’exploitation des ressources
naturelles de la Lune et des autres corps célestes,
Rappelant le Traité sur les principes régissant les activités des États en matière
d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et
les autres corps célestes , l’Accord sur le sauvetage des astronautes, le retour des

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

astronautes et la restitution des objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique , la


Convention sur la responsabilité internationale pour les dommages causés par des
objets spatiaux et Convention sur l’immatriculation des objets lancés dans l’espace
extra-atmosphérique ,
Prenant en considération la nécessité de définir et de développer, en ce qui concerne
la Lune et les autres corps célestes, les dispositions de ces documents internationaux,
eu égard aux progrès futurs de l’exploration et de l’utilisation de l’espace,
Sont convenus de ce qui suit:

Article premier
1. Les dispositions du présent Accord relatives à la Lune s’appliquent
également aux autres corps célestes à l’intérieur du système solaire, excepté la
Terre, à moins que des normes juridiques spécifiques n’entrent en vigueur en
ce qui concerne l’un ce ces corps célestes.
2. Aux fins du présent Accord, toute référence à la Lune est réputée
s’appliquer aux orbites autour de la Lune et aux autres trajectoires en direction
ou autour de la Lune.
3. Le présent Accord ne s’applique pas aux matières extraterrestres qui
atteignent la surface de la Terre par des moyens naturels.

Article 2
Toutes les activités sur la Lune, y compris les activités d’exploration et d’utilisation,
sont menées en conformité avec le droit international, en particulier la Charte des
Nations Unies, et compte tenu de la Déclaration relative aux principes du droit
international touchant les relations amicales et la coopération entre les États
conformément à la Charte des Nations Unies, adoptée par l’Assemblée générale le 24
octobre 1970, dans l’intérêt du maintien de la paix et de la sécurité internationales et
pour encourager la coopération internationale et la compréhension mutuelle, les
intérêts respectifs de tous les autres États parties étant dûment pris en considération.

Article 3
1. Tous les États parties utilisent la Lune exclusivement à des fins pacifiques.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

2. Est interdit tout recours à la menace ou à l’emploi de la force ou à tout autre


acte d’hostilité ou menace d’hostilité sur la Lune. Il est interdit de même
d’utiliser la Lune pour se livrer à un acte de cette nature ou recourir à une
menace de cette nature à l’encontre de la Terre, de la Lune, d’engins spatiaux,
de l’équipage d’engins spatiaux ou d’objets spatiaux créés par l’homme.
3. Les États parties ne mettent sur orbite autour de la Lune, ni sur une autre
trajectoire en direction ou autour de la Lune, aucun objet porteur d’armes
nucléaires ou de tout autre type d’armes de destruction massive, ni ne placent
ou n’utilisent de telles armes à la surface ou dans le sol de la Lune.
4. Sont interdits sur la Lune l’aménagement de bases, installations et
fortifications militaires, les essais d’armes de tous types et l’exécution de
manœuvres militaires. N’est pas interdite l’utilisation de personnel militaire à
des fins de recherche scientifique ou à toute autre fin pacifique. N’est pas
interdite non plus l’utilisation de tout équipement ou installation nécessaire à
l’exploration et à l’utilisation pacifiques de la Lune.

Article 4
1. L’exploration et l’utilisation de la Lune sont l’apanage de l’humanité tout
entière et se font pour le bien et dans l’intérêt de tous les pays, quel que soit
leur degré de développement économique ou scientifique. Il est dûment tenu
compte des intérêts de la génération actuelle et des générations futures, ainsi
que de la nécessité de favoriser le relèvement des niveaux de vie et des
conditions de progrès et de développement économique et social
conformément à la Charte des Nations Unies.
2. Dans toutes leurs activités concernant l’exploration et l’utilisation de la
Lune, les États parties se fondent sur le principe de la coopération et de
l’assistance mutuelle. La coopération internationale en application du présent
Accord doit être la plus large possible et peut se faire sur une base
multilatérale, sur une base bilatérale ou par l’intermédiaire d’organisations
intergouvernementales internationales.

Article 5

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

1. Les États parties informent le Secrétaire général de l’Organisation des


Nations Unies, ainsi que le public et la communauté scientifique
internationale, autant qu’il est possible et réalisable, de leurs activités
d’exploration et d’utilisation de la Lune. Des renseignements concernant le
calendrier, les objectifs, les lieux de déroulement, les paramètres d’orbites et
la durée de chaque mission vers la Lune sont communiqués le plus tôt possible
après le début de la mission, et des renseignements sur les résultats de chaque
mission, y compris les résultats scientifiques, doivent être communiqués dès la
fin de la mission. Au cas où une mission durerait plus de soixante jours, des
renseignements sur son déroulement, y compris le cas échéant, sur ses résultats
scientifiques, sont donnés périodiquement, tous les trente jours. Si la mission
dure plus de six mois, il n’y a lieu de communiquer par la suite que des
renseignements complémentaires importants.
2. Si un État partie apprend qu’un autre État partie envisage de mener des
activités simultanément dans la même région de la Lune, sur la même orbite
autour de la Lune ou sur une même trajectoire en direction ou autour de la
Lune, il informe promptement l’autre État du calendrier et du plan de ses
propres activités.
3. Dans les activités qu’ils exercent en vertu du présent Accord, les États
parties informent sans délai le Secrétaire général, ainsi que le public et la
communauté scientifique internationale, de tout phénomène qu’ils ont constaté
dans l’espace, y compris la Lune, qui pourrait présenter un danger pour la vie
et la santé de l’homme, ainsi que de tous signes de vie organique.

Article 6
1. Tous les États parties ont, sans discrimination d’aucune sorte, dans des
conditions d’égalité et conformément au droit international, la liberté de
recherche scientifique sur la Lune.
2. Dans les recherches scientifiques et conformément aux dispositions du
présent Accord, les États parties ont le droit de recueillir et de prélever sur la
Lune des échantillons de minéraux et d’autres substances. Ces échantillons
restent à la disposition des États parties qui les ont fait recueillir, lesquels

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

peuvent les utiliser à des fins pacifiques. Les États parties tiennent compte de
ce qu’il est souhaitable de mettre une partie desdits échantillons à la
disposition d’autres États parties intéressés et de la communauté scientifique
internationale aux fins de recherche scientifique. Les États parties peuvent, au
cours de leurs recherches scientifiques, utiliser aussi en quantités raisonnables
pour le soutien de leurs missions des minéraux et d’autres substances de la
Lune.
3. Les États parties conviennent qu’il est souhaitable d’échanger, autant qu’il
est possible et réalisable, du personnel scientifique et autre au cours des
expéditions vers la Lune ou dans les installations qui s’y trouvent.

Article 7
1. Lorsqu’ils explorent et utilisent la Lune, les États parties prennent des
mesures pour éviter de perturber l’équilibre existant du milieu en lui faisant
subir des transformations nocives, en le contaminant dangereusement par
l’apport de matière étrangère ou d’une autre façon. Les États parties prennent
aussi des mesures pour éviter toute dégradation du milieu terrestre par l’apport
de matière extraterrestre ou d’une autre façon.
2. Les États parties informent le Secrétaire général de l’Organisation des
Nations Unies des mesures qu’ils prennent en application du paragraphe 1 du
présent article et, dans toute la mesure possible, lui notifient à l’avance leurs
plans concernant le placement de substances radioactives sur la Lune et l’objet
de cette opération.
3. Les États parties font rapport aux autres États parties et au Secrétaire
général au sujet des régions de la Lune qui présentent un intérêt scientifique
particulier afin qu’on puisse, sans préjudice des droits des autres États parties,
envisager de désigner lesdites régions comme réserves scientifiques
internationales pour lesquelles on conviendra d’accords spéciaux de
protection, en consultation avec les organismes compétents des Nations Unies.

Article 8

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

1. Les États parties peuvent exercer leurs activités d’exploration et


d’utilisation de la Lune en n’importe quel point de sa surface ou sous sa
surface, sous réserve des dispositions du présent Accord.
2. À cette fin, les États parties peuvent notamment:
a) Poser leurs objets spatiaux sur la Lune et les lancer à partir de la
Lune;
b) Placer leur personnel ainsi que leurs véhicules, matériel, stations,
installations et équipements spatiaux en n’importe quel point à la
surface ou sous la surface de la Lune. Le personnel ainsi que les
véhicules, le matériel, les stations, les installations et les équipements
spatiaux peuvent se déplacer ou être déplacés librement à la surface ou
sous la surface de la Lune.
3. Les activités menées par les États parties conformément aux paragraphes 1
et 2 du présent article ne doivent pas gêner les activités menées par d’autres
États parties sur la Lune. Au cas où ces activités risqueraient de causer une
gêne, les États parties intéressés doivent procéder à des consultations
conformément aux paragraphes 2 et 3 de l’article 15 du présent Accord.

Article 9
1. Les États parties peuvent installer des stations habitées ou inhabitées sur la
Lune. Un État partie qui installe une station n’utilise que la surface nécessaire
pour répondre aux besoins de la station et fait connaître immédiatement au
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies l’emplacement et les
buts de ladite station. De même, par la suite, il fait savoir chaque année au
Secrétaire général si cette station continue d’être utilisée et si ses buts ont
changé.
2. Les stations sont disposées de façon à ne pas empêcher le libre accès à
toutes les parties de la Lune du personnel, des véhicules et du matériel d’autres
États parties qui poursuivent des activités sur la Lune conformément aux
dispositions du présent Accord ou de l’article premier du Traité sur les
principes régissant les activités des États en matière d’exploration et

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres


corps célestes.

Article 10
1. Les États parties prennent toutes les mesures possibles pour sauvegarder la
vie et la santé des personnes se trouvant sur la Lune. À cette fin, ils
considèrent toute personne se trouvant sur la Lune comme étant un astronaute
au sens de l’article V du Traité sur les principes régissant les activités des
États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique,
y compris la Lune et les autres corps célestes, et comme étant un membre de
l’équipage d’un engin spatial au sens de l’Accord sur le sauvetage des
astronautes, le retour des astronautes et la restitution des objets lancés dans
l’espace extra-atmosphérique.
2. Les États parties recueillent dans leurs stations, leurs installations, leurs
véhicules et autres équipements les personnes en détresse sur la Lune.

Article 11
1. La Lune et ses ressources naturelles constituent le patrimoine commun de
l’humanité, qui trouve son expression dans les dispositions du présent Accord,
en particulier au paragraphe 5 du présent article.
2. La Lune ne peut faire l’objet d’aucune appropriation nationale par
proclamation de souveraineté, ni par voie d’utilisation ou d’occupation, ni par
aucun autre moyen.
3. Ni la surface ni le sous-sol de la Lune, ni une partie quelconque de celle-ci
ou les ressources naturelles qui s’y trouvent, ne peuvent devenir la propriété
d’États, d’organisations internationales intergouvernementales ou non
gouvernementales, d’organisations nationales ou d’entités gouvernementales,
ou de personnes physiques. L’installation à la surface ou sous la surface de la
Lune de personnel ou de véhicules, matériel, stations, installations ou
équipements spatiaux, y compris d’ouvrages reliés à sa surface ou à son sous-
sol, ne crée pas de droits de propriété sur la surface ou le sous-sol de la Lune

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

ou sur une partie quelconque de celle-ci. Les dispositions qui précèdent sont
sans préjudice du régime international visé au paragraphe 5 du présent article.
4. Les États parties ont le droit d’explorer et d’utiliser la Lune, sans
discrimination d’aucune sorte, dans des conditions d’égalité et conformément
au droit international et aux dispositions du présent Accord.
5. Les États parties au présent Accord s’engagent à établir un régime
international, y compris des procédures appropriées, régissant l’exploitation
des ressources naturelles de la Lune lorsque cette exploitation sera sur le point
de devenir possible. Cette disposition sera appliquée conformément à l’article
18 du présent Accord.
6. Pour faciliter l’établissement du régime international visé au paragraphe 5
du présent article, les États parties informent le Secrétaire général de
l’Organisation des Nations Unies, ainsi que le public et la communauté
scientifique internationale, autant qu’il est possible et réalisable, de toutes
ressources naturelles qu’ils peuvent découvrir sur la Lune.
7. Ledit régime international a notamment pour buts principaux:
a) D’assurer la mise en valeur méthodique et sans danger des ressources
naturelles de la Lune;
b) D’assurer la gestion rationnelle de ces ressources;
c) De développer les possibilités d’utilisation de ces ressources; et
d) De ménager une répartition équitable entre tous les États parties des
avantages qui résulteront de ces ressources, une attention spéciale étant
accordée aux intérêts et aux besoins des pays en développement, ainsi
qu’aux efforts des pays qui ont contribué, soit directement, soit
indirectement, à l’exploration de la Lune.
8. Toutes les activités relatives aux ressources naturelles de la Lune sont
exercées d’une manière compatible avec les buts énoncés au paragraphe 7 du
présent article et avec les dispositions du paragraphe 2 de l’article 6 du présent
Accord.

Article 12

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

1. Les États parties conservent la juridiction ou le contrôle sur leur personnel,


ainsi que sur leurs véhicules, matériel, stations, installations et équipements
spatiaux se trouvant sur la Lune. La présence sur la Lune desdits véhicules,
matériel, stations, installations et équipements ne modifie pas les droits de
propriété les concernant.
2. Les dispositions de l’article 5 de l’Accord sur le sauvetage des astronautes,
le retour des astronautes et la restitution des objets lancés dans l’espace dans
l’espace extra-atmosphérique sont applicables aux véhicules, aux installations
et au matériel, ou à leurs éléments constitutifs, trouvés dans des endroits autres
que ceux où ils devraient être.
3. Dans les cas d’urgence mettant en danger la vie humaine, les États parties
peuvent utiliser le matériel, les véhicules, les installations, l’équipement ou les
réserves d’autres États parties se trouvant sur la Lune. Le Secrétaire général de
l’Organisation des Nations Unies ou l’État partie intéressé en est informé sans
retard.

Article 13
Tout État partie qui constate qu’un objet spatial ou des éléments constitutifs d’un tel
objet qu’il n’a pas lancé ont fait sur la Lune un atterrissage accidentel, forcé ou
imprévu, en avise sans tarder l’État partie qui a procédé au lancement et le Secrétaire
général de l’Organisation des Nations Unies.

Article 14
1. Les États parties au présent Accord ont la responsabilité internationale des
activités nationales sur la Lune, qu’elles soient menées par des organismes
gouvernementaux ou par des entités non gouvernementales, et veillent à ce que
lesdites activités soient menées conformément aux dispositions du présent
Accord. Les États parties s’assurent que les entités non gouvernementales
relevant de leur juridiction n’entreprennent des activités sur la Lune qu’avec
l’autorisation de l’État partie intéressé et sous sa surveillance continue.
2. Les États parties reconnaissent que des arrangements détaillés concernant la
responsabilité en cas de dommages causés sur la Lune, venant s’ajouter aux

- 489 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

dispositions du Traité sur les principes régissant les activités des États en
matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y
compris la Lune et les autres corps célestes, et à celles de la Convention
relative à la responsabilité concernant les dommages causés par des objets
spatiaux, pourraient devenir nécessaires par suite du développement des
activités sur la Lune. Lesdits arrangements seront élaborés conformément à la
procédure prévue à l’article 18 du présent Accord.

Article 15
1. Chaque État partie peut s’assurer que les activités des autres États parties
relatives à l’exploration et à l’utilisation de la Lune sont compatibles avec les
dispositions du présent Accord. À cet effet, tous les véhicules, le matériel, les
stations, les installations et les équipements spatiaux se trouvant sur la Lune
sont accessibles aux autres États parties. Ces derniers notifient au préalable
toute visite projetée, afin que les consultations voulues puissent avoir lieu et
que le maximum de précautions puissent être prises pour assurer la sécurité et
éviter de gêner les opérations normales sur les lieux de l’installation à visiter.
En exécution du présent article, un État partie peut agir en son nom propre ou
avec l’assistance entière ou partielle d’un autre État partie, ou encore par des
procédures internationales appropriées dans le cadre de l’Organisation des
Nations Unies et conformément à la Charte.
2. Un État partie qui a lieu de croire qu’un autre État partie ou bien ne
s’acquitte pas des obligations qui lui incombent en vertu du présent Accord ou
bien porte atteinte aux droits qu’il tient du présent Accord peut demander
l’ouverture de consultations avec cet autre État partie. L’État partie qui reçoit
cette demande de consultations doit engager lesdites consultations sans tarder.
Tout autre État partie qui en fait la demande est en droit de prendre part à ces
consultations. Chacun des États parties qui participent à ces consultations doit
rechercher une solution mutuellement acceptable au litige et tient compte des
droits et intérêts de tous les États parties. Le Secrétaire général de
l’Organisation des Nations Unies est informé des résultats des consultations et
communique les renseignements reçus à tous les États parties intéressés.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

3. Si les consultations n’aboutissent pas à un règlement mutuellement


acceptable et tenant compte des droits et intérêts de tous les États parties, les
parties intéressées prennent toutes les dispositions nécessaires pour régler ce
différend par d’autres moyens pacifiques de leur choix adaptés aux
circonstances et à la nature du différend. Si des difficultés surgissent à
l’occasion de l’ouverture de consultations, ou si les consultations n’aboutissent
pas à un règlement mutuellement acceptable, un État partie peut demander
l’assistance du Secrétaire général, sans le consentement d’aucun autre État
partie intéressé, afin de régler le litige. Un État partie qui n’entretient pas de
relations diplomatiques avec un autre État partie intéressé participe auxdites
consultations, à sa préférence, soit par lui-même, soit par l’intermédiaire d’un
autre État partie ou du Secrétaire général.

Article 16
Dans le présent Accord, à l’exception des articles 17 à 21, les références aux États
s’appliquent à toute organisation internationale intergouvernementale qui se livre à
des activités spatiales si cette organisation déclare accepter les droits et les
obligations prévus dans le présent Accord et si la majorité des États membres de
l’organisation sont des États parties au présent Accord et au Traité sur les principes
régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace
extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes. Les États
membres d’une telle organisation qui sont parties au présent Accord prennent toutes
les mesures voulues pour que l’organisation fasse une déclaration en conformité des
dispositions du présent article.

Article 17
Tout État partie au présent Accord peut proposer des amendements à l’Accord. Les
amendements prennent effet à l’égard de chaque État partie à l’Accord acceptant les
amendements dès qu’ils sont acceptés par la majorité des États parties à l’Accord et
par la suite, pour chacun des autres États parties à l’Accord, à la date de son
acceptation desdits amendements.

- 491 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Article 18
Dix ans après l’entrée en vigueur du présent Accord, la question de la révision de
l’Accord sera inscrite à l’ordre du jour provisoire de l’Assemblée générale de
l’Organisation des Nations Unies afin de déterminer, eu égard à l’expérience acquise
en ce qui concerne l’application de l’Accord, si celui-ci doit être révisé. Il est entendu
toutefois que, dès que le présent Accord aura été en vigueur pendant cinq ans, le
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, en sa qualité de dépositaire
de l’Accord, peut, sur la demande d’un tiers des États parties à l’Accord et avec
l’assentiment de la majorité d’entre eux, convoquer une conférence des États parties
afin de revoir le présent Accord. La conférence de révision étudiera aussi la question
de l’application des dispositions du paragraphe 5 de l’article 11, sur la base du
principe visé au paragraphe 1 dudit article et compte tenu, en particulier, de tout
progrès technique pertinent.

Article 19
1. Le présent Accord est ouvert à la signature de tous les États au Siège de
l’Organisation des Nations Unies, à New York.
2. Le présent Accord est soumis à la ratification des États signataires. Tout
État qui n’a pas signé le présent Accord avant son entrée en vigueur
conformément au paragraphe 3 du présent article peut y adhérer à tout
moment. Les instruments de ratification ou d’adhésion sont déposés auprès du
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.
3. Le présent Accord entrera en vigueur le trentième jour qui suivra le dépôt
du cinquième instrument de ratification.
4. Pour chaque État dont l’instrument de ratification ou d’adhésion sera déposé
après l’entrée en vigueur du présent Accord, celui-ci entre en vigueur le
trentième jour qui suivra la date du dépôt dudit instrument.
5. Le Secrétaire général informera sans délai tous les États qui auront signé le
présent Accord ou y auront adhéré de la date de chaque signature, de la date du
dépôt de chaque instrument de ratification ou d’adhésion, de la date d’entrée
en vigueur du présent Accord ainsi que de toute autre communication.

- 492 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Article 20
Tout État partie au présent Accord peut, un an après l’entrée en vigueur de l’Accord,
communiquer son intention de le dénoncer, moyennant notification écrite à cet effet
au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies. Cette dénonciation prend
effet un an après la date à laquelle elle a été reçue.

Article 21
L’original du présent Accord, dont les textes anglais, arabe, chinois, espagnol,
français et russe font également foi, sera déposé auprès du Secrétaire général de
l’Organisation des Nations Unies, qui en adressera des copies certifiées à tous les
États qui auront signé l’Accord ou qui y auront adhéré.
EN FOI DE QUOI les soussignés, à ce dûment habilités par leurs gouvernements
respectifs, ont signé le présent Accord, ouvert à la signature à New York, le dix-huit
décembre mil neuf cent soixante-dix-neuf.

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Annexe 2 : Les principaux acteurs spatiaux étatiques

DEBUT DE LA ETAT
CONQUETE SPATIALE
URSS / RUSSIE
04 octobre 1957
12 avril 1961

L’URSS a remporté les premiers succès de la course à l’espace face aux Etats-
Unis en étant la première à mettre en orbite un satellite (Spoutnik) et le premier
homme dans l’espace. Après un effondrement de l’industrie spatiale à la suite de
la fin de la Guerre froide, la Russie de Vladimir Poutine souhaite faire de la
ressource spatiale un élément de la restauration de la puissance russe.
ETATS-UNIS
01er février 1958
06 mai 1961

Concurrent féroce et vainqueur de la course à l’espace avec l’URSS, les Etats-


Unis n’ont cessé d’y investir des milliards de dollars depuis les années 1950.
L’hégémonie spatiale américaine est incontestable. Les acteurs américains,
gouvernementaux et privés, entraînent le reste du monde dans les orientations
stratégiques et technologiques qu’ils choisissent.
FRANCE

26 novembre 1965

La France est le leader européen dans le domaine du spatial. Elle a su


développer depuis les années 1950 une industrie de pointe, performante et
capable de résister aux nouveaux concurrents du paysage spatial. La France est
une puissance spatiale capable de construire ses satellites, de les mettre en

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

orbite, de les opérer et de les surveiller en toute autonomie.


JAPON

11 février 1970

Le Japon est historiquement la 4ème puissance spatiale avec la mise en orbite de


son satellite Osumi. Longtemps civil, le programme spatial japonais s’oriente
vers les applications militaires (satellites de reconnaissance) au début des années
2000 en réaction aux essais de missiles et de mises en orbite nord-coréennes.
Aujourd’hui le Japon peut être considéré comme une puissance spatiale
ambitieuse, qui a multiplie les accords de partenariat avec les Etats-Unis afin de
s’intégrer dans son réseau de surveillance de l’espace.
CHINE

24 avril 1970

Le programme spatial chinois est initié dès 1958. En 1970, le 1er satellite chinois
est mis en orbite. La Chine est aujourd’hui le 3 ème occupant de l’espace après les
Etats-Unis et la Russie. A l’instar de la Russie, la Chine fait de l’utilisation de
l’espace une ressource de sa puissance globale. Peu d’informations filtrent sur
les capacités spatiales de la Chine, même s’il semble évident que tout le spectre
des capacités soit aujourd’hui opérationnel. La Chine n’est pas un partenaire
habituel pour les Etats occidentaux. La méfiance réciproque est de mise,
notamment lorsqu’il est question de transfert de technologie.
ROYAUME-UNI

28 octobre 1971

En 1971, les Britanniques mettent en orbite leur premier et unique satellite


purement britannique (Prospero X-3), lancé par une fusée britannique Black
Arrow. Auparavant, en 1962, les Etats-Unis avaient mis en orbite ARIEL 1,

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

satellite américano-britannique. Les Britanniques ont fait le choix de se mettre


sous la dépendance complète des Américains en matière de spatial. Ils
bénéficient ainsi de leurs installations et réseau de surveillance de l’espace. De
plus, le Royaume-Unis (comme le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande)
font partie de la communauté unique de renseignement appelée les « fives eyes ».
Comme analysé dans cette thèse, les Britanniques ont pu se faire le relai des
discussions intra-européennes sur le code de conduite avant même que celui-ci
soit soumis aux Américains.
INDE

18 juillet 1980

Le 18 juillet 1980 marque la date du premier tir réussi du lanceur national SLV-
3 avec un satellite indien à son bord (ROHINI) depuis l’Inde. Depuis l’Inde n’a
cessé de développer les technologies spatiales, notamment en réaction à son rival
régional qu’est la Chine. Ses rapprochements périodiques avec les Etats-Unis
ont favorisé la méfiance entre les deux puissances. D’un point de vue purement
spatial, l’Inde s’est démarquée des autres puissances en mettant en orbite 103
satellites lors d’un seul et même lancement (en février 2017).
ISRAEL

19 septembre 1988

Le premier satellite israélien est l’OFEQ-1 lancé par le lanceur national


SHAVIT. Israël développe l’industrie spatiale au profit uniquement de sa
défense. Les satellites envoyés d’Israël sont israéliens et d’intérêt militaire. La
particularité du pas de tir de Palmachim est d’effectuer ses lancements vers
l’Ouest (au regard des tensions avec ses voisins, et risques associés à un
lancement vers des terres habitées). De cette manière, les satellites ont la
particularité d’être placés sur des orbites rétrogrades, à fortes inclinaisons.

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IRAN

04 février 2009

Les premiers programmes de fusées-sondes ont été développés sous le Shah


d’Iran en coopération avec les Etats-Unis. La révolution de 1979 a quelque peu
fait oublié le secteur spatial jusqu’à une date récente. Les autorités iraniennes
ont pu, depuis 1997, capitaliser sur leur héritage afin d’afficher de grandes
ambitions et connaître les premiers succès de mises en orbite. L’activité spatiale
est au cœur d’une stratégie politique, d’influence régionale et internationale. Là
encore, l’objectif est d’apparaître comme une puissance crédible.
COREE DU NORD

Décembre 2012 ( ?)

Les mises en orbite des satellites KMS (Kwangmyongsong) bien que très
probablement non opérationnels, remplissent des objectifs symboliques de
propagande au niveau national et international. Ces messages sont à destination
de la communauté internationale et plus spécifiquement des Etats occidentaux,
des Etats-Unis et du voisin japonais. De plus, le développement de capacités
spatiales permet de faire évoluer la technologie des missiles longues portées
nucléaires ou non.
COREE DU SUD

30 janvier 2013

Pour cette mise en orbite réussie, les Sud-coréens ont pris en charge l’intégralité
du processus à l’exception du premier étage de fusée qui est russe. Le directeur
de l’agence spatiale coréenne a alors annoncé une fusée de conception
entièrement sud-coréenne d’ici à 2021. Cet Etat souhaite acquérir une position
reconnue entre le Japon et la Chine. Pour cela, elle a développé jusqu’ici un
partenariat avec la Russie.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

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Annexe 3 : Les principaux acteurs spatiaux privés

Le National Aerodynamics and Space Act du 18 décembre 2010 marque un tournant


dans la politique spatiale du gouvernement américain en affirmant que « le bien-être
général des Etats-Unis d’Amérique requiert que l’Administration recherche et
encourage, le plus possible, l’exploitation de l’espace sur des bases commerciales. ».
Cette orientation politique s’accompagne d’un fort soutien financier. C’est cet élan
qui favorise la création exponentielle de sociétés privées en concurrence afin de
vendre leurs services au gouvernement américain. Ces entreprises innovantes sont
créées et animées par des entrepreneurs non moins ambitieux et téméraires. Le plus
souvent, ce sont des profils d’entrepreneurs ayant déjà fait fortune dans le domaine du
numérique, capables de lever des fonds conséquents en convainquant de la justesse de
leur projet (des lanceurs réutilisables, des navettes de tourisme spatial etc.). La liste
des acteurs privés ne peut ici être exhaustive mais reprend les acteurs plus importants.
En effet, le NewSpace global 1046 identifie près de 800 entreprises issues de ce
mouvement de fond (dénommé le « New Space »), avec des investissements totaux,
sur la période 2006-2015, de l’ordre de 12 Md$.

DOMAINE DE SPECIALITE NOM DE LA SOCIETE

LANCEURS

Arianespace est la société française historique et n°1 mondial des transports spatiaux
commerciaux. Elle lance les fusées Ariane, Vega ou encore Soyouz. Face aux
concurrents féroces du New Space, elle a remporté un premier succès en étant
lanceur des satellites privés OneWeb.

LANCEURS

1046
Le New Space Global est une société qui propose à ses clients de suivre de près les industries du New Space, leurs
investissements, leurs succès, leurs échecs afin d’en évaluer les tendances, et servir ainsi d’aide à la décision pour les
entrepreneurs présents ou futurs.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Le célèbre Elon Musk est le PDG de Space X. Précurseur privé dans le domaine des
lanceurs, il a bénéficié d’un soutien financier conséquent de la NASA (1.6 milliard de
dollars) afin de ravitailler la station spatiale internationale à l’aide du cargo Dragon.
Ses lanceurs emportent autant des satellites civils que militaires (américains et
israéliens). Space X bénéficie de son propre pas de tir pour ses fusées Falcon sur la
base de Cap Canaveral en Floride. Space X est le premier à avoir été capable
techniquement de réutiliser un étage de lanceur en le faisant atterrir de manière
autonome.

SATELLITES

Planet Labs a racheté la constellation Google, Terra Bella et RapidEye. En


conséquence elle est à la tête d’une méga-constellation de 153 satellites dont certains
ont une résolution submétrique. En dehors de leurs accords avec les autorités
américaines (dont le Département de la Défense), ce type de constellations peut être
craint par d’autres Etats car les clients finaux des images satellites ne sont pas
maîtrisés.

LANCEURS & SATELLITES

Orbital ATK est le constructeur de satellites pour les orbites basse et


géostationnaire, mais également développe le lanceur de moyenne capacité
ANTARES. Enfin, il a été sélectionné par la NASA pour ravitailler les
astronautes de la station spatiale internationale grâce à leur cargo ravitailleur
dénommé CYGNUS.

TOURISME SPATIAL
LANCEUR REUTILISABLE

Il s’agit de l’entreprise de Jeff Bezos, richissime entrepreneur d’Amazon. Blue


Origin a récemment remporté des contrats (OneWeb et Eutelsat) afin de mettre des
satellites en orbite, faisant de cette société une concurrente sérieuse à Space X. De

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

plus, Blue Origin développe également un lanceur réutilisable.

TOURISME SPATIAL
VOLS SUBORBITAUX

Il s’agit de la société du milliardaire Richard Branson. Ce dernier investit


essentiellement dans le tourisme spatial. Plusieurs célébrités ont d’ailleurs déjà
acheté leur billet pour l’espace.

SATELLITES

La société de Greg Wyler a fusionné en 2017 avec Intelsat dans le but de fournir un
accès internet au monde entier et à bas coût. Dans ce but, cette société a pour projet
de placer en orbite plus de 700 satellites en orbite basse. Pour cela, elle construit une
usine aux Etats-Unis qui fabriquera les petits satellites à la chaîne. Avec l’annonce de
son projet, OneWeb a provoqué une vague de protestations et de désapprobations
principalement de la part des experts en charge des débris spatiaux. Cette
constellation risque de participer activement à la prolifération des débris en orbite.
MICROSATELLITES &
TRANSPORT SPATIAL
Cette société a été sélectionnée par la NASA afin de participer au transport
d’astronautes vers la station spatiale internationale à l’aide de sa navette Dream
Chaser. La société est également fournisseur d’avions pour l’Armée de l’air
américaine.

EXTRACTION
DE MATIERES PREMIERES
DANS L’ESPACE

Cette société a pour ambition l’exploitation des ressources issues des astéroïdes

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

(métaux, minerais, eau). En cela elle est aidée par le Space Act adopté fin 2015 par le
Congrès américain qui permet, malgré l’interdiction qui est établie pour les Etats de
s’approprier l’espace en vertu du Traité de l’Espace de 1967, aux individus de
s’approprier l’espace.

SATELLITES
DE METEOROLOGIE

Cette société américaine est spécialisée dans l’acquisition des données


météorologiques et qui développe une constellation de 24 satellites (programme
CICERO Community Initiative for Continuous Earth Remote Observation).

RADARS
DE SURVEILLANCE DE L’ESPACE

Avec 4 millions de dollars d’investissement de départ, cette société affirme détecter,


grâce à ses deux radars (en Alaska et au Texas), 94% de la population des objets de
plus de 10 cm en orbite basse. Son ambition d’ici à 2018 est plus grand encore, celle
de détecter et de suivre tous les objets en orbite basse à partir de 2 cm. Sous couvert
de services d’anticollision apportés aux sociétés commerciales en vue de la protection
de leurs satellites contre les débris, cette société pourrait avoir d’autres clients moins
scrupuleux se fournissant en données orbitales sur des satellites d’intérêt militaire.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Annexe 4 : Les institutions spatiales

INSTITUTIONS
UNIDIR / United Nations Institute for Disarmament Research
L’UNIDIR est le centre de recherche des Nations Unies sur le désarmement.
C’est un centre précurseur en matière de réflexion sur les conséquences d’une
course aux armements dans l’espace. Ses contributions permettent à un grand
nombre d’experts de toutes nationalités de pouvoir s’exprimer sur le sujet. En
2012 il se voit confier par l’Union européenne la promotion du code de conduite
pour les activités spatiales.
UNOOSA / United Nations Office for Outer Space Affairs
Cette agence des Nations Unies est située à Vienne en Autriche. Elle est chargée
de promouvoir la coopération internationale dans le but d’une utilisation
pacifique de l’espace. Elle assure le secrétariat du COPUOS (CUPEEA). Elle
tient à jour le registre des immatriculations des objets mis en orbite par les
Etats. Ses personnels mettent en place et animent des groupes de travail
internationaux et des formations portant sur les différentes applications
spatiales (navigation, télédétection, météorologie etc.)
PAROS (Prevention of Armed Race in Outer Space) au sein de la Conférence
du Désarmement
Le PAROS est un comité ad-hoc créé en 1982 au sein de la Conférence du
désarmement (CD). Cela signifie qu’il n’est pas permanent. Le PAROS est censé
être le comité où les représentants des Etats discutent des moyens d’éviter une
course aux armements dans l’espace. Cependant, ce comité subit le
dysfonctionnement de la CD et les blocages endémiques qui la rendent
inopérante. Les Etats utilisent ce comité afin de faire pression sur les autres
négociations au sein de la CD. En 1999, la Chine a demandé la réactivation de ce
comité à la suite de la décision de Bill Clinton de mettre en place un bouclier

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

anti-missile. En 2002, c’est encore la Chine, mais cette fois accompagnée de la


Russie, qui dépose le projet PPWT au PAROS.
ITU / International Telecommunication Union
L’ITU est une institution des Nations Unies en charge des technologies de la
communication et de l’information. Elle attribue les fréquences
radioélectriques au profit des Etats positionnant des satellites en orbite
géostationnaire. Son objectif ultime est de faire en sorte que chaque coin
de la planète soit connecté et puisse avoir accès aux technologies de
communications. Elle fonctionne sur le principe de partenariats public-
privés. Fort de ces 193 pays membres, elle capitalise également sur ces
800 partenariats établis avec le secteur privé et des établissements
universitaires.
COPUOS / Committee of Peaceful Uses of Outer Space
Le COPUOS est le Comité de l’Assemblée Générale des Nations Unies
(AGNU) pour les Utilisations Pacifiques de l’Espace. Il est rattaché au
quatrième comité de l’AGNU. En 2016, il regroupe 84 Etats ainsi que des
Etats observateurs. Créé en 1959, il est à l’origine de dix traités et
principes relatifs à l’utilisation de l’espace. Au sein du COPUOS,
l’émergence de la norme relative à la prolifération des débris se concrétise
par son inscription sur l’agenda interne. C’est au sein du sous-comité
scientifique et technique (STSC, Scientific and Technical Subcommittee)
que le thème est le plus débattu. Dans la logique de la démarche de bottom-
up au profit de la norme, le sous-comité juridique est dans un premier
temps marginalisé.
ESA/ European Space Agency
L’agence spatiale européenne est créée en 1975 et compte aujourd’hui 22
membres. Sa mission consiste à façonner les activités de développement
des capacités spatiales européennes et à faire en sorte que les citoyens
européens continuent à bénéficier des investissements réalisés dans le
domaine spatial. L'ESA a pour mission d'élaborer le programme spatial
européen et de le mener à bien. Les projets de l'Agence sont conçus pour

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

en apprendre davantage sur la Terre, sur son environnement spatial


immédiat, sur le système solaire et sur l'Univers ainsi que pour mettre au
point des technologies et services satellitaires et pour promouvoir les
industries européennes. Le siège de l'ESA se trouve à Paris et c'est donc à
Paris que se décident ses politiques et ses programmes. Toutefois, l'ESA
dispose dans différents pays d'Europe de centres qui assument chacun des
responsabilités bien définies. Les activités obligatoires de l'ESA
(programmes de sciences spatiales et budget général) sont financées par
des contributions financières que versent tous les États membres et qui
sont calculées en fonction du produit national brut de chacun. L'ESA mène
en outre un certain nombre de programmes facultatifs. Chaque pays décide
des programmes facultatifs auxquels il souhaite participer et du montant
de ses contributions à chacun de ces programmes. En 2010, son budget
s'élève à 3744 M€. L'ESA fonctionne sur la base d'un "retour
géographique", ce qui signifie qu'elle investit dans chaque État membre,
sous forme de contrats attribués à son industrie pour la réalisation
d'activités spatiales, un montant équivalant à peu près à la contribution de
ce pays.
L’ESA porte un fort intérêt à la problématique de la prolifération des
débris dans l’espace. A cet effet, elle lance la « Clean Space Initiative » et
finance des projets tels celui « e.deorbit » consistant à développer des
technologies capables de désorbiter des satellites hors d’usage à l’aide de
filet ou de bras robotique déployés dans l’espace. Cela fait partie des
techniques d’ « active debris removal » (ADR).

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Annexe 5 : Synthèse des déplacements de Franck A. Rose


(Département d’Etat américain)

Franck A. Rose (Deputy Assistant Secretary, du Bureau of Arms Control, Verification


and Compliance) devient la figure gouvernementale américaine emblématique de la
promotion de la norme sur les activités spatiales. Le but est ici de montrer que par
ses déplacements réguliers, à travers le monde, il contribue par sa présence et son
discours à diffuser les croyances portées par l’administration américaine, en vue de
persuader le plus grand nombre de la nécessité d’un code de conduite pour les
activités spatiales. Son discours est similaire à chaque déplacement et le public
choisi cible les élites des Etats, considérées comme de potentiels entrepreneurs de la
norme dans leur pays.
Chaque paragraphe présente la date du déplacement, le thème officiel de la
conférence et le lieu de l’événement. Cette liste n’est pas exhaustive.

• 14/10/2010 : Remarks at the Secure World Foundation and UNIDIR


Conference, “Space Security: Next Steps in TCBMs, New York City, Etats-Unis;

• 14/06/2011: European Space Policy Institute, “Space security through the


Transatlantic Partnership”, Prague, République Tchèque ;

• 29/01/2012: The 7th Ilan Ramon International Space Conference, “Space security.
An American Perspective”, Herzliya, Israel;

• 13/09/2012: European Space Policy Institute at the Secure World Foundation,


IFRI Annual Conference, Bruxelles, Belgique;

• 06/12/2012: Strengthening Security in Space through Transparency and


Confidence-Building Measures; ASEAN Regional Forum Space Security
Workshop; Hoi An, Vietnam;

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

• 27/02/2013: Remarks at AGI's Japan Space Situational Awareness Seminar,


“Preserving Security of Outer Space”, Tokyo, Japon;

• 28/02/2013 : Pursuing Space TCBMs for Long-Term Sustainability and


Security; International Symposium on Sustainable Space Development and
Utilization for Humankind; Shinagawa, Tokyo, Japon;

• 21/03/2013 : U.S.-India Space Cooperation; Principal Deputy Assistant Secretary


Geoffrey Pyatt, Bureau of South and Central Asian Affairs; U.S.-India Civil Space
Joint Working Group; Washington, DC, Etats-Unis;

• 02/04/2013 : Protecting Space for Future Generations is in the Vital Interests of the
Global Community; Space Security Conference 2013: United Nations Institute for
Disarmament Research; Genève, Suisse;

• 11/04/2013: Rebalancing Towards Asia With Space Cooperation ; National Space


Symposium; Colorado Springs, Etats-Unis ;

• 07/05/2013: Remarks at Global Space and Satellite Forum; Middle East 2013; Abu
Dhabi, Emirats Arabes Unis ;

• 24/07/2013: International Space Reception, Secure World Foundation, Tauri


Group, Washington DC, Etats-Unis;

• Du 05 au 16/07/2015: Visites autour du thème de la sécurité des activités spatiales


en Chine, Corée du Sud, Vietnam et Japon.

• 30/11 au 03/12/2015: Visite en Chine afin d’assister à l’atelier sur la sécurité des
activités spatiales au sein de la conférence de l’ASEAN (Association of South East
Asian Nations), puis discuter avec des officiels du Ministère des Affaires étrangères
sur des problématiques communes ;

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• Du 19/02 au 06/03/2016: Tournée asiatique autour des thèmes relatives à la sécurité


spatial, la stabilité stratégique et le contrôle des armements, Inde, Singapour,
Indonésie, Japon, Corée du Sud.

• Du 18 au 25/08/2016 : Visites sur les thématiques de la sécurité des activités


spatiales en Argentine et au Chili.

• Du 17 au 24/09/2016 : Echanges avec des membres d’organisations non


gouvernementales et avec le ministère de la défense australien à Sydney,
Australie ; table ronde autour de la surveillance de l’espace (space situational
awareness) au sein de la conférence sur la surveillance spatiale et optique de Maui
(Hawaï) ;

• Du 09 au 13/10/2016 : rencontres avec des officiels de l’Union européenne,


Bruxelles, Belgique ; et des membres du ministère français des affaires étrangères
et du ministère de la Défense, Paris, France.

• 25/10/2016 au 07/11/2016 : Visites autour des thématiques de la sécurité


internationale, le contrôle des armements, la stabilité stratégique et la sécurité des
activités spatiales au Japon, Corée du Sud, Emirats Arabes Unis et Israël ;

• 09/12/2016 : Visite en France, Belgique, Royaume-Unis, Roumanie.

• 16/12/2016 : Visite en Chine.

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Index

buzz · 63, 173, 176, 200, 214, 299

A
C
accord exécutif · 71, 123, 223, 226, 231
active debris removal · Voir ADR CD · Voir conférence du désarmement
ADR · 7, 147, 182, 183, 192, 309, 310 CDAOA · 7, 75, 138, 141, 144, 195, 382
AFSPC · 7, 75 CE · Voir communauté épistémique
agenda politique · 84, 86, 87, 106, 313 Centre Opérationnel de Surveillance Militaire des
Air Force Space Command · Voir AFSPC Objets Spatiaux · Voir COSMOS
alliance · 233, 244, 252, 266, 285, 290, 320, 325, champ de bataille · 30, 76, 96, 192, 209, 368, 372,
330, 331, 338, 339, 342, 347, 383, 406, 409, 381, 395, 406, 428
422, 442 Chine · 7, 11, 17, 34, 41, 44, 45, 46, 69, 105, 113,
anarchie · 31, 33, 50, 51, 55, 122 114, 115, 119, 121, 124, 161, 165, 172, 181,
antisatellite · Voir ASAT 196, 199, 203, 204, 208, 210, 212, 219, 234,
apprentissage · 24, 56, 60, 61, 62, 67, 112, 136, 237, 239, 240, 246, 247, 259, 267, 271, 276,
154, 177, 178, 179, 180, 193, 213, 219, 230, 282, 283, 305, 307, 321, 329, 338, 357, 358,
232, 236, 246, 248, 257, 299, 306, 313, 318, 363, 365, 366, 377, 398, 409, 413, 417, 422,
320, 328, 329, 415 434, 440, 444
arms control · 25, 27, 63, 84, 101, 104, 111, 204, CNES · 8, 41, 74, 78, 99, 123, 126, 127, 134, 136,
207, 208, 209, 215, 225, 247, 292, 418, 419 137, 138, 139, 140, 143, 145, 152, 170, 179,
ASAT · 7, 22, 28, 78, 80, 81, 95, 96, 101, 167, 168, 180, 182, 188, 192, 195, 196, 232, 375
172, 176, 196, 210, 216, 246, 271, 277, 279, coalition building · 267
282, 329, 360, 365, 370, 393, 429, 430 code de conduite · 5, 26, 50, 53, 66, 103, 113, 122,
autonomie · 34, 40, 124, 128, 144, 172, 333, 364, 161, 163, 164, 169, 171, 188, 210, 211, 212,
374, 375, 376, 396, 409 214, 226, 234, 240, 243, 255, 256, 280, 283,
285, 310, 313, 323, 328, 333, 338, 352, 353,
354, 355, 360, 366, 377, 404, 405, 407, 412,
B
414, 415, 440, 519
CODUN · 8, 211, 212, 229, 238, 355, 356, 440
Barack Obama · 24, 71, 74, 77, 218, 220, 229, 231,
Commandement de la Défense Aérienne et des
253, 273, 275, 276, 277, 278, 280, 283, 336,
Opérations Aériennes · Voir CDAOA
369, 397, 399, 400, 414, 437
Commission européenne · 50, 147, 171, 176, 234,
Biens Publics Mondiaux (BPM) · 7, 296, 298, 316
255, 344, 350, 351, 358
bottom-up (méthode du) · 183, 214, 242, 249, 302,
401, 403

- 511 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

communauté · 5, 25, 27, 36, 56, 60, 61, 63, 66, 78, croyances · 5, 27, 31, 33, 37, 55, 62, 66, 83, 84, 88,
83, 86, 87, 97, 99, 100, 113, 137, 169, 174, 175, 94, 97, 101, 102, 108, 109, 110, 111, 117, 156,
178, 181, 182, 183, 190, 193, 197, 200, 222, 172, 177, 178, 179, 180, 181, 197, 202, 203,
239, 249, 250, 295, 298, 316, 321, 334, 340, 208, 209, 210, 214, 229, 231, 235, 236, 245,
347, 363, 371, 404, 413, 430, 435, 454, 485, 248, 249, 251, 253, 258, 261, 299, 313, 363,
486, 489, 497, 498, 519 370, 410, 413, 519
communauté épistémique · 5, 36, 56, 60, 61, 66, CSN · 8, 73
78, 83, 86, 87, 97, 100, 113, 169, 178, 193, 198,
200, 249, 316, 404, 413, 519
D
compétition (interétatique) · 20, 33, 104, 111, 194,
210, 245, 267, 271, 310
de Gaulle (Général) · 123, 133, 373, 375
conférence du désarmement · 115, 118, 120, 145,
débris · 5, 18, 24, 47, 61, 62, 63, 67, 76, 78, 80, 83,
202, 255
84, 86, 87, 88, 89, 90, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98,
confiance (mesures de) · 26, 52, 139, 157, 160,
99, 100, 101, 102, 104, 106, 108, 110, 111, 112,
161, 162, 166, 170, 206, 207, 217, 222, 225,
113, 135, 138, 144, 156, 167, 169, 170, 172,
236, 239, 240, 241, 259, 260, 261, 271, 279,
173, 174, 175, 176, 177, 178, 179, 180, 182,
330, 332, 359, 398, 402, 412, 440
183, 184, 186, 190, 192, 196, 197, 202, 213,
Congrès · 20, 53, 69, 70, 80, 81, 82, 108, 117, 151,
214, 221, 229, 230, 239, 241, 250, 254, 258,
191, 220, 223, 224, 225, 227, 229, 301, 310
261, 279, 305, 309, 311, 312, 313, 317, 352,
Conseil à la Sécurité Nationale · Voir CSN
392, 402, 412, 413, 463, 505, 519
convergence · 262, 317, 328, 329, 330, 332, 342,
décodage · 93, 103, 107
364, 371, 373, 386
Délégation Générale pour l’Armement · Voir DGA
coopération · 8, 28, 34, 39, 46, 50, 51, 54, 55, 56,
déni d’accès · 268, 270, 291, 323, 334, 391, 402
60, 76, 78, 90, 104, 108, 114, 119, 125, 130,
développement durable · 5, 61, 62, 135, 173, 174,
142, 144, 148, 189, 194, 195, 203, 217, 220,
186, 192, 204, 292, 299, 303, 304, 306, 314,
239, 271, 280, 283, 284, 289, 290, 296, 298,
365, 413, 415, 519
303, 304, 305, 306, 310, 311, 312, 316, 322,
DGA · 8, 133, 134, 136, 139, 140, 145, 147
325, 332, 333, 338, 341, 343, 345, 347, 360,
diffusion · 61, 62, 67, 68, 84, 88, 93, 98, 99, 113,
363, 369, 375, 380, 385, 402, 404, 409, 443,
172, 179, 180, 181, 200, 202, 256, 258, 279,
444, 449, 450, 451, 453, 454, 457, 464, 482,
290, 310, 314, 317, 318, 320, 329, 363, 392,
483, 484, 498
454
COPUOS · 8, 28, 145, 173, 174, 183, 184, 185, 187,
dilemme de sécurité · 51, 101, 103, 158, 210, 271,
188, 195, 199, 200, 211, 212, 213, 214, 237,
377, 398
242, 244, 286, 403, 441, 504, 505
domination · 43, 60, 112, 267, 272, 283, 289, 324,
COSMOS · 8, 75, 90, 110, 379, 463
329, 351, 369, 383
COSPAR · 8, 93, 178, 255, 362
Dominique de Villepin · 146, 165, 335
course aux armements · 21, 22, 26, 30, 61, 63, 67,
Donald Kessler · 63, 64, 86, 108, 213
81, 95, 102, 105, 108, 118, 119, 156, 157, 158,
durabilité de l’espace · 63, 102, 173, 186, 196,
159, 160, 161, 164, 165, 169, 170, 202, 207,
198, 266, 300, 301, 304, 415
208, 212, 236, 241, 255, 377, 398, 399, 412
critical state · 218, 233, 256, 329

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Fissile Material Cut Off Treaty · Voir FMCT


E
FMCT · 9, 119, 120, 121, 165, 208

entrepreneurs · 83, 86, 88, 94, 97, 106, 107, 112, forum · 114, 119, 122, 178, 181, 184, 189, 193,

148, 273, 274, 276, 279, 284, 316, 317, 320, 195, 200, 201, 240, 242, 251, 281, 290, 302,

367 339, 341, 343, 387, 407, 440, 446

espaces confinés · 87, 93, 107, 306, 413 forums hybrides · 190, 192

Etats-Unis · 17, 19, 20, 21, 22, 24, 26, 28, 30, 33, France · 18, 26, 30, 33, 41, 44, 47, 57, 58, 60, 62,

41, 42, 44, 47, 48, 54, 60, 62, 69, 70, 71, 73, 74, 69, 74, 80, 123, 124, 128, 130, 131, 132, 134,

77, 80, 83, 84, 88, 101, 102, 104, 105, 114, 116, 135, 137, 140, 142, 145, 146, 147, 148, 149,

117, 118, 119, 120, 121, 124, 127, 130, 155, 152, 154, 156, 157, 158, 159, 161, 162, 164,

156, 157, 158, 159, 160, 161, 162, 164, 165, 165, 166, 167, 168, 170, 171, 172, 175, 180,

166, 169, 172, 174, 176, 184, 188, 191, 193, 185, 188, 189, 190, 191, 192, 194, 208, 211,

203, 204, 207, 208, 209, 210, 212, 215, 216, 220, 229, 230, 233, 237, 239, 244, 251, 253,

218, 219, 221, 222, 224, 225, 226, 227, 228, 257, 262, 266, 293, 295, 298, 311, 312, 313,

230, 231, 233, 234, 235, 237, 239, 242, 244, 320, 321, 326, 329, 330, 331, 333, 334, 335,

245, 246, 248, 251, 257, 258, 262, 265, 266, 336, 338, 339, 340, 341, 342, 343, 345, 348,

267, 268, 269, 270, 271, 273, 274, 275, 276, 360, 364, 366, 371, 372, 373, 374, 376, 377,

277, 278, 279, 280, 281, 282, 283, 285, 287, 378, 380, 381, 382, 383, 386, 387, 388, 389,

288, 289, 291, 292, 294, 304, 306, 308, 309, 390, 391, 392, 394, 395, 397, 399, 401, 402,

312, 314, 324, 329, 330, 331, 333, 334, 335, 405, 409, 410, 412, 414, 417, 422, 423, 424,

336, 337, 338, 339, 340, 341, 342, 344, 349, 425, 427, 433, 436, 440, 443, 495, 509

351, 352, 356, 357, 360, 363, 364, 365, 366, François Hollande · 171, 321, 335

367, 368, 369, 372, 375, 376, 377, 378, 380,


383, 384, 388, 391, 393, 394, 398, 400, 401, G
402, 403, 404, 405, 406, 407, 408, 409, 410,
412, 413, 414, 422, 428, 431, 432, 436, 437, George W. Bush · 24, 28, 43, 71, 74, 76, 84, 102,
438, 439, 446, 507, 508 119, 158, 269, 273, 274, 275, 276, 277, 279,
éthique de la responsabilité · 278 287, 335, 336, 338, 340, 368, 370, 384, 397
expertise · 27, 42, 69, 84, 97, 100, 101, 107, 108, Gérard Brachet · 146, 156, 185, 187, 241, 242, 244,
109, 110, 111, 135, 137, 147, 152, 153, 154, 302, 333
155, 156, 179, 198, 242, 250, 252, 344, 423, GGE · 9, 239, 240, 242, 243, 244, 245, 260, 333
424, 425 GOSPS · 135, 167, 169, 170
groupe de travail sur les orientations stratégiques
de politique spatiale de défense · Voir GOSPS
F
Groupe des Experts Gouvernementaux (GGE) · 187,

facteurs · 35, 39, 40, 52, 53, 56, 57, 59, 69, 89, 188

106, 122, 146, 210, 269, 270, 326, 328, 371, guerre des étoiles · 22, 101, 159, 271

388 guerre du Golfe · 43, 127, 163, 242, 268, 382

fenêtre d’opportunité · 57, 71, 85, 231, 232, 273, Guerre froide · 19, 21, 24, 25, 26, 30, 31, 32, 33,

274, 275, 279, 370, 412 41, 42, 43, 50, 68, 89, 103, 105, 107, 124, 127,

- 513 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

133, 157, 162, 207, 241, 267, 271, 292, 308, intérêt national · 32, 33, 34, 48, 54, 101, 131, 215,
336, 495 222, 269, 270, 283, 438
guerre réseau-centrée · 289 Irak (guerre) · 128, 144, 165, 334, 335, 357, 384
ITAR (réglementations) · 9, 41, 115, 246, 247, 272,
277, 361
H

hard power · 117, 246, 247, 270, 272, 291, 325, J


357, 359, 360
HCoC (Hague Code of Conduct) · 9, 163, 236, 237, Joint Space Operations Center · Voir JSpOC
256, 403 Joxe, Pierre · 127, 372, 373, 383, 388, 390, 432
hegemon · 235, 238, 267, 272, 285, 383, 405 JSpOC · 9, 76, 83, 189
hégémonie · 5, 42, 43, 54, 60, 68, 245, 265, 267,
269, 272, 273, 283, 308, 315, 324, 330, 366,
L
367, 375, 400, 402, 404, 405, 406, 437, 446,
519
LBDSN · 128, 130, 131, 133, 135, 140, 144, 145,
Hélios (satellites) · 127, 128, 137, 144, 166, 333,
149, 154, 155, 168, 169, 170, 171, 350, 357,
334, 335, 381, 382, 434
358, 359, 360, 376, 382, 388, 390, 391, 433
Hilary Clinton · 71, 73, 220, 224, 274, 276, 277,
leaders normatifs · 61, 69, 233, 304, 316
401
leadership · 5, 6, 43, 54, 73, 163, 222, 235, 265,
Hubert Védrine · 159, 166, 321, 371, 374, 387, 422
269, 272, 276, 277, 280, 281, 283, 299, 325,
326, 336, 364, 367, 373, 377, 378, 380, 399,
I 400, 405, 437, 519, 520
légitime défense (droit à la) · 208, 209, 216, 222,
IADC · 9, 64, 138, 179, 181, 182, 183, 186, 187, 236, 283, 304, 314, 402, 404
213, 242, 309, 343, 349 Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité Nationale ·
IDS · 9, 22, 81, 101, 110, 120, 158, 159, 160, 412 Voir LBDSN
imaginaire sécuritaire · 368, 371, 372, 393, 394, Livres Blancs · 125, 131, 376
397
incertitude · 52, 104, 106, 130, 146, 153, 168, 183,
M
192, 228, 338, 397, 398, 414
Inde · 44, 46, 114, 122, 124, 196, 210, 219, 234,
menaces · 72, 104, 117, 136, 144, 159, 167, 171,
235, 237, 238, 239, 248, 267, 283, 339, 363,
190, 192, 281, 321, 357, 358, 360, 362, 369,
366, 377, 401, 408, 434, 497, 509
370, 372, 387, 388, 389, 390, 391, 392, 393,
Initiative de Défense Stratégique · Voir IDS
394, 409, 413, 432
institutionnalisme · 25, 35, 36, 37, 38, 39, 50, 51,
Michel Debré · 157
171, 404, 419, 426
Michèle Alliot-Marie · 135, 167
Inter-Agency Space Debris Coordination Committee
milieux fluides · 284, 289, 319, 406
· Voir IADC
militarisation · 20, 21, 24, 30, 44, 49, 101, 126,
interdépendance · 37, 39, 42, 49, 232, 284, 288,
136, 155, 167, 170, 255, 377, 396, 398
305, 319, 364, 370

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

mise sur agenda · 57, 83, 85, 87, 88, 91, 106, 185,
P
230
Mitterrand, François · 158, 159, 160, 161, 164, PAROS · 11, 118, 119, 120, 163, 204, 212, 255, 440
293, 427 partenariat stratégique · 115, 281, 330
Montego Bay (Convention de) · 29, 70, 205, 218, path dependence (dépendance au chemin
235, 439 parcouru) · 25, 170, 331
multilatéralisme · 5, 366, 380, 384, 399, 400, 401, patrimoine commun de l’humanité · 204, 205, 206,
402, 405, 406, 407, 410, 414, 416, 422, 436, 290, 292, 293, 294, 303, 304, 305, 446, 482,
437, 519 488
multipolarité · 277, 336, 366, 380, 401, 414 pensée experte · 21, 103, 105, 117, 289, 370, 398
perceptions · 36, 39, 52, 59, 104, 203, 324

N politique publique · 25, 35, 41, 49, 57, 58, 83, 84,
87, 88, 99, 135, 155, 173, 174, 178, 213, 275,
NASA · 5, 6, 10, 23, 44, 63, 72, 74, 76, 77, 80, 86, 295, 313, 317, 365
87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 99, PPWT · 11, 120, 121, 122, 204, 209, 210, 213, 239,
100, 101, 105, 106, 107, 108, 110, 111, 112, 244, 248, 249, 251, 259, 292, 313, 328, 377,
138, 151, 176, 178, 179, 180, 181, 182, 183, 404
189, 191, 195, 196, 213, 221, 232, 279, 280, profanes · 5, 98, 106, 190, 191, 192, 193, 198, 392,
309, 316, 349, 375, 412,413, 442, 519 413, 519
National Space Policy · 10, 72, 87, 130, 269, 271, prolifération · 5, 26, 47, 61, 63, 67, 76, 78, 80, 86,
280, 309, 369, 438, 439 87, 88, 101, 102, 113, 120, 135, 145, 153, 157,
Nicolas Sarkozy · 130, 170, 171, 320, 332, 335, 162, 167, 169, 175, 181, 184, 190, 192, 199,
336, 359, 360, 375, 376 202, 211, 229, 236, 238, 241, 312, 352, 355,
356, 391, 398, 409, 412, 413, 505, 519
puissance (la) · 17, 19, 21, 22, 24, 25, 30, 31, 32,
O
34, 40, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 49, 50, 54, 56, 58,
76, 82, 114, 115, 116, 117, 124, 126, 127, 176,
Office of Science and Technology Policy · Voir OSTP
203, 209, 210, 218, 219, 220, 239, 245, 246,
Office of Technological Assessment · Voir OTA
259, 267, 268, 269, 270, 271, 272, 276, 278,
opinion publique · 67, 72, 91, 110, 149, 172, 192,
280, 281, 282, 284, 310, 311, 321, 326, 341,
220, 266, 306, 413
344, 348, 349, 355, 357, 358, 359, 360, 361,
Organisation de Coopération de Shanghai · 114,
362, 366, 368, 369, 378, 383, 386, 396, 400,
115
406, 409, 412, 416, 418, 421, 428, 431, 434,
OSTP · 11, 74
443, 495, 496, 498
OTA · 11, 78, 81, 108, 224, 430
puissance normative · 50, 117, 210, 267, 357, 361,
OTAN · 7, 11, 49, 114, 142, 266, 284, 285, 286,
362, 386
291, 318, 319, 320, 321, 322, 323, 324, 325,
326, 331, 336, 337, 339, 340, 341, 342, 362,
374, 386, 387, 399, 405, 406, 408, 409, 410, R
412, 422, 432, 442
rationalité · 26, 54, 133, 269

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

rationalité limitée · 54, 133 Skylab · 89, 90, 104, 110


Reagan, Ronald · 22, 23, 70, 80, 81, 94, 95, 96, smart power · 71, 73, 267, 273, 274, 275, 276, 278,
102, 103, 110, 156, 158, 159, 218, 397, 412, 279, 284, 285, 318, 325, 326, 336, 340, 361,
427, 429 362, 369, 397, 400, 414, 437
réalistes · 31, 32, 50, 53, 55, 68, 270, 277, 393 socialisation · 62, 67, 68, 111, 112, 136, 177, 181,
référentiel global · 61, 62, 63, 173, 174, 292, 299, 184, 209, 230, 232, 233, 234, 236, 237, 243,
304, 306, 312, 313, 314, 365, 413, 415 245, 248, 249, 251, 256, 258, 266, 306, 313,
référentiel sectoriel · 61, 62, 63, 175, 266, 304, 318, 320, 328, 329, 393, 415
312, 313, 314, 315, 365, 367, 368, 413, 415 société civile · 42, 154, 249, 251, 254, 296
régime · 5, 29, 52, 53, 54, 57, 60, 62, 66, 67, 68, soft law · 105, 162, 184, 231, 240, 241, 243, 399
70, 84, 97, 113, 117, 120, 162, 202, 204, 210, soft power · 117, 208, 270, 275, 358, 361, 362,
214, 217, 240, 245, 257, 270, 281, 293, 294, 373, 385
304, 310, 311, 323, 328, 356, 361, 363, 366, space control · 75, 119, 268, 269
368, 369, 378, 405, 406, 412, 414, 415, 482, Space Data Association · 78, 148, 189, 257, 259
489, 519 space security · 6, 112, 115, 215, 266, 302, 303,
réseau · 38, 100, 113, 146, 198, 231, 254, 257, 284, 315, 338, 339, 404, 519
289, 318, 329, 336, 337, 338, 342, 343, 352, space situationel awareness · Voir SSA
364, 395, 396, 398, 401 SSA · 11, 76, 138, 143, 176, 186, 282, 319, 322,
réseaux · 27, 36, 38, 48, 62, 84, 197, 254, 259, 314, 326, 341, 342, 343, 346, 352, 386, 398, 409
342 stabilité · 49, 54, 272, 280, 281, 285, 296, 297,
Révolution dans les Affaires Militaires · 11, 105, 298, 348, 383, 400, 405, 509
164, 289, 393, 395 Stimson Center · 102, 112, 113, 122, 166, 232, 247,
risque · 18, 21, 78, 88, 89, 90, 122, 135, 167, 173, 252, 253, 429, 435
174, 182, 192, 237, 242, 321, 322, 350, 358, Strategic Arms Limitation Talks · Voir SALT
392, 398, 408, 478, 502 stratégie · 5, 16, 17, 19, 21, 43, 44, 52, 54, 57, 58,
rival · 46, 115, 164 59, 72, 116, 121, 124, 130, 131, 132, 133, 134,
Russie · 30, 41, 44, 45, 47, 51, 69, 113, 114, 115, 135, 139, 146, 147, 152, 154, 157, 164, 170,
116, 120, 121, 161, 165, 172, 196, 203, 204, 187, 209, 222, 223, 227, 239, 266, 268, 270,
208, 212, 219, 237, 238, 239, 240, 267, 336, 281, 285, 286, 287, 288, 289, 298, 310, 319,
338, 349, 357, 361, 363, 365, 366, 403, 404, 321, 324, 329, 344, 354, 358, 368, 369, 371,
409, 413, 414, 417, 440 372, 373, 376, 377, 378, 383, 384, 388, 389,
390, 391, 402, 403, 405, 409, 414, 428, 431,
432, 434, 498, 519
S
supériorité · 5, 19, 42, 43, 61, 164, 267, 269, 270,
271, 278, 280, 281, 295, 311, 312, 329, 337,
SALT (accords) · 11, 21, 116
363, 364, 370, 372, 400, 519
SEAE · 11, 50, 210, 211, 229, 234, 235, 236, 237,
surveillance de l’espace · 50, 64, 75, 79, 128, 135,
238, 240, 244, 251, 255, 354, 355, 356, 357,
137, 138, 140, 141, 143, 147, 162, 163, 167,
363, 378, 407, 408
168, 169, 170, 171, 172, 173, 176, 196, 259,
Service Européen d’Action Extérieure · 220, Voir
280, 281, 282, 284, 311, 319, 322, 329, 334,
SEAE
340, 341, 342, 343, 347, 349, 350, 351, 352,

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

358, 359, 360, 364, 368, 379, 380, 382, 386, UNIDIR · 12, 118, 189, 255, 256, 302, 440, 442
395, 398, 405, 410 Union européenne · 8, 12, 49, 62, 64, 142, 145,
syndrome (de Kessler) · 88, 98, 175, 183, 192, 199, 154, 169, 170, 210, 211, 212, 229, 233, 234,
258, 306, 313 238, 254, 255, 265, 283, 323, 329, 330, 336,
343, 344, 347, 348, 349, 350, 353, 354, 356,
357, 358, 359, 360, 364, 374, 378, 383, 384,
T
385, 404, 407, 413, 414, 440
USSTRATCOM · 12, 75, 343, 352, 387
tragédie des communs · 296, 297, 300, 302, 307,
310
Traité de l’Espace · 17, 29, 30, 33, 60, 345, 365, V
503
transfert · 40, 115, 246, 317, 318, 324, 329, 392, variable · 33, 61, 62, 85, 179, 400
403, 496
transgouvernementalisme · 231
W
trilatéralisme · 332, 333

weaponization · Voir course aux armements


U

UE · Voir Union européenne

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Résumé :
Dès les années 1970, à l’appui de travaux scientifiques et statistiques, un petit groupe de
scientifiques de la NASA convainc les plus hautes autorités américaines des conséquences
désastreuses de la prolifération des débris dans l’espace extra-atmosphérique. Déjà, ils
mettent en garde contre les tests antisatellites, accélérateurs du phénomène. Ces chercheurs
essaiment leurs croyances au-delà des frontières américaines, et au-delà de la communauté
des scientifiques. Ils sont aidés en cela par la popularisation du thème plus global de
développement durable. Le résultat est qu’aujourd’hui, presque n’importe quel citoyen est
capable de discourir sur le problème des débris dans l’espace. Une communauté épistémique
s’est formée autour de ce sujet rassemblant scientifiques, ingénieurs, militaires, diplomates,
étudiants et citoyens. Les savants et les profanes. Fort de ce contexte, la nécessité d’une
norme semble s’imposer afin de sécuriser les activités spatiales. Bien qu’existante depuis la
conquête de l’espace de manière latente, cette norme n’a jamais fait l’objet de consensus
entre les Etats permettant d’aboutir à un régime. Or, de 2007 à 2016 il devient l’objet de
toutes les attentions mais aussi de toutes les divisions entre puissances spatiales, amenant
même à créer de manière schématique deux camps opposés. Cette thèse interroge la
supériorité américaine dans l’espace au 21ème siècle, le rôle des institutions supranationales
dans leur capacité à réguler les relations entre Etats, mais aussi la place de ces derniers face
aux acteurs non étatiques. Dans cette même idée, elle analyse le rôle, l’influence voire le
pouvoir des communautés épistémiques sur les Etats et inversement.

Descripteurs : espace, sécurité, communauté épistémique, débris, armements, hégémonie,


leadership, Etats, forums, régime, code de conduite, traité, interactions, norme, global common,
biens communs, référentiel, stratégie, multilatéralisme.

Title and Abstract:

Emergence and promotion of the norm on space security


From the seventies, a small group of scientific in NASA convinced American authorities of the
dangerousness of orbital debris. At that time already, they warned against the antisatellite
weapons tests which exacerbate the phenomenom. These researchers disseminated their
knowledge beyond the American borders and beyond the scientific community. In their
struggle of recognition, they are helped by the global awareness on sustainable development.
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

As a result, today, almost no citizen in the world ignores the problem of debris in outer space.
Thus, an epistemic community made of scientifics, engineers, servicemen, diplomats,
academics, students, and citizen arose. Scholars and laymen all together. Thanks to that
worldwide awareness, the need for a standard seems to be necessary in order to regulate and
secure space activities. Although it has existed since the conquest of space in a latent way,
this norm has never been the object of a consensus between the States allowing reaching a
regime. However, from 2007 to 2016, States renew their interest for this norm. But because
they don’t agree with each other, the debate creates schematically two opposing camps.
This dissertation aims at questioning the American superiority in the 21st century, the role of
the international organizations to mitigate the conflicts between States, but also the influence
of the latter facing the non-States actors. Similarly, the dissertation tries to assess the role
and the influence of the epistemic communities on States and conversely.

Keywords: space, security, epistemic community, debris, weaponization, hegemony, leadership,


State, fora, regime, code of conduct, treaty, interactions, norm, global common, global goods,
strategy, multilateralism.

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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017

Nota : cette page, dernière de couverture, sera retournée avant reliure.

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