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Béatrice HAINAUT
Membres du jury :
Philippe ACHILLEAS, Professeur à l’Université de Caen (Rapporteur),
Lucien RAPP, Professeur à l’Université de Toulouse (Rapporteur),
Jean-Vincent HOLEINDRE, Professeur à l’Université de Poitiers,
M. Xavier PASCO, Directeur de la Fondation pour la Recherche Stratégique,
Mme Isabelle SOURBES-VERGER, Directeur de Recherche, CNRS.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Avertissement
La Faculté n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises
dans cette thèse ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur.
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Remerciements
Je remercie vivement mon directeur de thèse, le Professeur Serge Sur qui a cru en
mon travail et a su me remotiver lorsque le doute surgissait. Je remercie également
M. Xavier Pasco pour ses conseils avisés et sa gentillesse hors pair.
Je tiens à remercier chaleureusement toutes les personnes qui ont bien voulu
m’ouvrir leur porte afin que je puisse les questionner longuement sur leur fonction
occupée, leurs relations professionnelles et leur vision du domaine spatial et ses
évolutions récentes. La plupart du temps, ces personnes se sont livrées avec une
réelle liberté d’expression, ce qui apporte, je pense, une véritable plus-value à cette
thèse.
Je remercie toutes les personnes qui ont cru en moi pour mener à bien ce projet. Ma
détermination n’en a été que plus grande.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Résumé :
Dès les années 1970, à l’appui de travaux scientifiques et statistiques, un petit groupe
de scientifiques de la NASA convainc les plus hautes autorités américaines des
conséquences désastreuses de la prolifération des débris dans l’espace extra-
atmosphérique. Déjà, ils mettent en garde contre les tests antisatellites, accélérateurs
du phénomène. Ces chercheurs essaiment leurs croyances au-delà des frontières
américaines, et au-delà de la communauté des scientifiques. Ils sont aidés en cela par
la popularisation du thème plus global de développement durable. Le résultat est
qu’aujourd’hui, presque n’importe quel citoyen est capable de discourir sur le
problème des débris dans l’espace. Une communauté épistémique s’est formée autour
de ce sujet rassemblant scientifiques, ingénieurs, militaires, diplomates, étudiants et
citoyens. Les savants et les profanes. Fort de ce contexte, la nécessité d’une norme
semble s’imposer afin de sécuriser les activités spatiales. Bien qu’existante depuis la
conquête de l’espace de manière latente, cette norme n’a jamais fait l’objet de
consensus entre les Etats permettant d’aboutir à un régime. Or, de 2007 à 2016 il
devient l’objet de toutes les attentions mais aussi de toutes les divisions entre
puissances spatiales, amenant même à créer de manière schématique deux camps
opposés. Cette thèse interroge la supériorité américaine dans l’espace au 21ème
siècle, le rôle des institutions supranationales dans leur capacité à réguler les
relations entre Etats, mais aussi la place de ces derniers face aux acteurs non
étatiques. Dans cette même idée, elle analyse le rôle, l’influence voire le pouvoir des
communautés épistémiques sur les Etats et inversement.
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Principales abréviations
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Sommaire
Thèse de Doctorat / juin 2017 .................................................................................................1
Introduction .......................................................................................................... 16
PARTIE 1 : Origine et cycle de vie des normes relatives à la sécurité des activités
spatiales ................................................................................................................ 66
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1.1.3. L’impact sur les relations spatiales internationales ou les conséquences du smart power
appliqué à l’espace ......................................................................................................... 277
1.2. La promotion du référentiel sécuritaire pour l’espace par la projection des concepts issus du
smart power au sein de l’alliance atlantique ......................................................................... 284
1.2.1. L’apparition du concept de global commons au sein des documents stratégiques et ses
implications ................................................................................................................... 285
1.2.2. La projection des concepts smart au sein de l’OTAN .............................................. 317
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Introduction
1
Blaise Pascal, Pensées, Paris, Ed. Gallimard, p. 58-60, 1969.
2
Maitrîser l’espace signifie être en mesure d’y déployer des moyens spatiaux à son profit ; contrôler l’espace renvoie à la
doctrine américaine du Space Control qui comprend des mesures défensives mais également potentiellement offensives à
l’égard d’adversaires.
3
Serge Grouart, La guerre en orbite. Essai de politique et de stratégie spatiales, Paris, Economica, Bibliothèque stratégique,
1994, p. 10.
4
On pense aux plus récents avec notamment Gravity d’Alfonso Cuaron ou Interstellar de Christopher Nolan.
5
Les satellites à vocation militaire représentent pourtant environ 70% des satellites lancés depuis l’origine, in Serge Grouart,
La guerre…, op. cit.,p. 7.
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d’Etats et leurs populations. Les dirigeants des Etats-Unis, des pays européens, de la
Chine et d’autres Etats encore ont fait de cette portion du milieu spatial la pierre
angulaire de leur puissance. Leurs intérêts militaires, stratégiques, économiques voire
intellectuels y sont en jeu. C’est donc bien de l’espace sublunaire dont il est question
dans cette thèse, qui ne prend pas en compte les explorations spatiales lointaines au-
delà des orbites dites utiles.
6
La stratégie spatiale consiste pour un Etat à penser l’accès, l’occupation et l’exploitation de ce milieu au service de ses
intérêts (économiques, stratégiques et/ou de défense).
7
En effet, entre 50 et 200 km d’altitude, il existe une zone où les aéronefs ne peuvent se maintenir mais où également un
satellite ne peut orbiter. Il s’agit de la limite haute entre la stratosphère et la thermosphère. On estime que vers 120 km
d’altitude, la friction atmosphérique devient moindre.
8
Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d'exploration et d'utilisation de l'espace extra-
atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, 1967.
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population des satellites actifs et des débris en orbite (satellites hors d’usage 9, corps
de fusées, débris d’origine humaine en tout genre). C’est au sein de cet espace
qu’évolue la majorité des objets spatiaux. Cet environnement est hostile. Il est
traversé de nombreux rayonnements nocifs (rayons X, gamma, Ultraviolets,
infrarouges) et subit de vertigineux écarts de températures (de +120°C à –180°C). Il
n’y a ni bruits, ni odeurs, ni végétaux ni animaux. Qui plus est, ce milieu est peuplé
d’autres objets spatiaux naturels tels que les météorites. Néanmoins, de par ses
propriétés électromagnétiques, il constitue un excellent relais de communications. Le
maintien d’un satellite en orbite est un travail permanent pour les opérateurs de
satellite, étatiques ou privés. En effet, l’attraction gravitationnelle de la Terre mais
aussi l’attraction exercée par la Lune, le frottement atmosphérique et le rayonnement
solaire provoquent une modification de la trajectoire du satellite et sa chute s’il n’est
pas maintenu à poste. Une dérive trop importante par rapport à son orbite ne lui
permet plus de remplir la mission pour laquelle il a été conçu. Les opérateurs doivent
donc composer avec les lois de la mécanique spatiale mais aussi avec les débris
orbitaux et les autres satellites opérationnels. Ainsi, parfois, il est nécessaire de
manœuvrer le satellite actif pour éviter un risque de collision. Cela réduit néanmoins
l’espérance de vie du satellite qui aura moins de carburant pour être maintenu à poste.
Lorsque le satellite a atteint sa durée de vie, la plupart des opérateurs laissent le
satellite dériver et rentrer dans l’atmosphère où il se consumera totalement ou en
partie. Bien sûr, ces objets spatiaux ne sont pas intéressants en tant que tels mais
plutôt pour les missions officielles qu’ils remplissent (capteurs de la charge utile),
pour le statut de leurs propriétaires (opérateur civil, gouvernemental ou militaire) ou
encore pour leurs utilisations effectives (espionnage). L’intérêt de l’utilisation de
l’espace par les Etats a été vite compris. D’un point de vue stratégique, il constitue le
point haut ultime qui permet de voir sans être vu.
9
A noter que le premier satellite en orbite basse envoyé par la France en 1965 se nomme Astérix et orbite toujours
aujourd’hui (sans être opérationnel).
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La Guerre froide a donc été le contexte historique idéal pour le développement rapide
des technologies spatiales.
10
Cité dans une étude de l’IHEDN, « L’Espace extra-atmosphérique, enjeu du 21 ème siècle ? Dualité civile et militaire de
l’utilisation de l’espace », Etude du cycle 2007-2008, URL : http://www.ihedn-rl-ar14.org
11
George-Henri Soutou, La Guerre froide. 1943-1990, Paris, Hachette Pluriel, 2011.
12
Robert Jervis, Perception and Misperception in International Politics, Princeton, Princeton University Press, 1976.
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course, ce sont les Soviétiques qui sont arrivés les premiers. Le 4 octobre 1957, ils lancent
le premier satellite artificiel, Spoutnik. Lyndon Johnson, futur président des Etats-Unis,
déclare alors :
13
A l’été 1961, les Américains peuvent s’en assurer grâce aux images prises par leurs satellites de reconnaissance CORONA.
Aujourd’hui ils servent à la bonne application des traités et accords de limitation des armements stratégiques.
14
Cette citation est extraite du mémorandum de Lyndon Johnson alors Sénateur au Congrès, le 11 avril 1958, avant donc
qu’il ne soit président. Lyndon Johnson est le trente-sixième président des Etats-Unis, du 22 novembre 1963 au 20 janvier
1969.
15
Isabelle Sourbès-Verger, « Conquête spatiale et relations internationales », in Annuaire Français des Relations
Internationales, Volume IX, juillet 2008, p. 892.
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les Soviétiques . Pour l’URSS en revanche, il s’agit de combler la distance qui met
les Etats-Unis à l’abri de toutes représailles en cas d’attaque sur leur sol. Cela passe
par le développement des ICBM. L’activité spatiale de la Guerre froide est fortement
orientée par les développements de l’activité nucléaire. La course à l’espace et la
course aux armements nucléaires sont alors les deux éléments structurants des
relations internationales. Malgré la création des Nations Unies en octobre 1945, force
est de constater que l’autorité supranationale est incapable de maîtriser ce conflit
potentiellement destructeur pour la planète.
16
Le 1 er mai 1960, l’avion U2 du pilote américain Gary Powers est abattu au-dessus de l’Union Soviétique. Cet avion de
reconnaissance effectuait des missions de renseignements depuis le Pakistan. Gary Powers a été emprisonné puis libéré
contre un espion soviétique en 1962. Cet épisode met fin à la période de la détente entre les deux Etats.
17
Béatrice Hainaut, « Les drones prennent de la hauteur: de l'utilisation des unmanned space vehicle », in Grégory Boutherin, Emmanuel
Goffi, Jérôme de Lespinois, Sébastien Mazoyer, Christophe Pajon (dir.), Les drones aériens : passé, présent et avenir. Approche
globale, Paris, La Documentation française, coll. Stratégie aérospatiale, 2013, pp. 447-457.
18
Xavier Pasco, « Haute technologie spatiale et conflits », AFRI 2000, Volume I, pp. 831-841.
19
Entre 1960 et 1992, les Etats-Unis lancent 266 satellites de reconnaissance. De son côté, entre 1962 et 1987, l’URSS a mis
sur orbite 712 satellites de reconnaissance photographique sur les 1601 satellites militaires lancés, Jacques Villain, « La
militarisation de l’espace », in L’espace, un enjeu terrestre, Collection Questions internationales, n°67, La Documentation
française, avril 2014, p. 55.
20
Il s’agit de la résolution 41/65 du 03 décembre 1986. Entre autres, cette résolution adoptée sans vote, pose comme principe
(n° XII) que « l’Etat observé a accès aux informations analysées disponibles concernant le territoire relevant de sa juridiction
qui sont en possession de tout Etat participant à des activités de télédection sans discrimination et aux mêmes conditions,
compte dûment tenu des besoins et intérêt des pays en développement ».
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Ce projet américain de bouclier antimissile visait l’obsolescence des armes nucléaires. Le dispositif prévoyait des moyens
d’interception de missiles depuis le sol (par énergie cinétique ou dirigée) mais également depuis l’espace (satellites de la
constellation Brillant Pebbles équipés d’intercepteurs). Les Soviétiques ont tenté de contrer ce projet en invoquant le traité
ABM (Anti-Balistic Missile) de 1972 interdisant le déploiement de systèmes antimissiles depuis l’espace, en vain.
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antisatellite avec une portée de 1700 km. Un seul test en vol est effectué. On simule une
attaque sur le satellite Explorer 6 à une altitude de 251 km. Afin d’atteindre sa cible, le
Bold Orion transmet de la télémétrie au sol, éjecte des fusées éclairantes afin d’aider au
suivi visuel et est continûment suivi par les radars. Le missile s’approche autour des 6.4
km du satellite, ce qui est plus que convenable pour une arme nucléaire. Cependant,
l’administration américaine d’Eisenhower considère le développement d’ASAT contre-
productif 22, pouvant toucher leurs infrastructures spatiales. De 1963 à 1975, des
programmes antisatellites sont menés officieusement 23. Pendant les années 1960, les
Américains ont également pensé l’utilisation des explosions nucléaires en haute altitude
afin de détruire des satellites en orbite. Un test est réalisé en 1958 (Test Hard Track Teak).
Un autre est mené en 1962, le Starfish Prime. L’impulsion électromagnétique endommage
trois satellites et interrompt les communications par satellites au-dessus de l’océan
Pacifique. D’autres tests ASAT sont menés avec la série des DOMINIC I. Une version
adaptée de l’arme nucléaire Nike Zeus a été utilisée comme ASAT à partir de 1962. Sous
le nom de code Mudflap, ce missile (DM-15S) a été déployé dans l’atoll du Kwajalein
jusqu’en 1966 lors de l’arrêt du programme au profit d’un autre, prenant comme base le
missile Thor, opérationnel jusqu’en 1975. Les armes à énergie dirigée, rendues possibles
par la technologie des lasers, sont un autre domaine de recherche relatif à l’armement dans
l’espace. Côté soviétique, le projet de bombe orbitale est lancé en 1962 (projet R-36). Une
tentative remarquable de relance des projets ASAT a lieu sous la présidence de Ronald
Reagan avec le programme désormais connu sous l’expression de « guerre des étoiles » ou
officiellement IDS en 1983. Ce programme de bouclier antimissile a pour ambition de
développer des moyens d’interception des missiles balistiques soviétiques. Dans ce cadre,
le programme Brillant Pebbles voit le jour en 1985 et est poursuivi jusqu’en 1992 (nuancé
sous la présidence de George H. W. Bush dès 1989). L’objectif est de mettre en orbite une
constellation de petits satellites tueurs (dotés de missiles ou agissant par impacts directs)
pouvant détruire des missiles balistiques quelque soit leur phase de vol. Le premier test
ASAT américain atteignant sa cible devient un objet de débat entre les scientifiques de la
NASA et les membres du département de la défense américain. L’arme en question est un
ASAT monté sur un corps de fusée (ALTAIR). L’objectif est de le propulser en altitude
22
Laurence Nardon, « L’arsenalisation de l’espace : projets américains, réactions européennes », note de l’IFRI, URL :
http://www.ifri.org
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23
Sabine Akbar, « Militarisation de l’espace », Publication du comité AeroSpace – ANAJ / IHEDN, URL : http://www.anaj-
ihedn.org/Telecharger/Comites/Militarisation%20de%20l'espace%20(2)%20-%20enjeux%20politiques.pdf.
24
Jacques Villain, « La militarisation de l’espace « ,op. cit.,p. 57.
25
Bruno Gruselle, « La défense antimissile dans l’espace : l’ultime frontière ? », 2007, URL :
www.unidir.org/pdf/articles/pdf-art2609.pdf
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avant dans les années 1990. Au début des années 2000 la couche sécuritaire place le
renseignement d’origine spatial au service de la sécurité nationale. Il devient alors
indispensable de contrôler l’espace afin de protéger ses moyens spatiaux, devenus des
intérêts nationaux vitaux. Xavier Pasco élabore l’hypothèse d’une quatrième couche
historique, en germe depuis les années 1990, qui viserait à contrôler l’espace. Les acteurs
spatiaux étatiques sont en effet de plus en plus nombreux et leurs intentions sont parfois
mal connues. La dépendance des Etats-Unis aux systèmes spatiaux est telle qu’ils ne
peuvent pas se permettre de ne pas avoir un contrôle sur le milieu et ses multiples objets en
orbite. Les dirigeants américains successifs ne seraient pas maîtres de la succession de ces
couches historiques, qui sont autant de stratégies ayant pour but de s’adapter au contexte
international. Seule la manière de les mettre en pratique peut être influencée par la
présidence.
Ce cheminement en couches historiques ne peut se départir d’une dépendance à l’histoire.
La notion de path dependence 27, de dépendance au chemin parcouru, issue de
l’institutionnalisme historique 28, fournit des clefs de compréhension. Elle désigne la
manière dont les acteurs s’habituent à travailler dans un cadre précis et s’attachent à des
manières de faire ou de penser. Cette notion permet de comprendre que les choix des
décideurs sont également contraints par le poids du passé. Ainsi, l’intérêt de vouloir
comprendre ce qui est en apparence un changement de politique prend ici tout son sens. La
politique spatiale de l’administration Obama est-elle le fait d’une conjoncture critique29 ?
Ou s’agit-il davantage d’une construction par le discours servant des objectifs et des
intérêts qui n’ont en rien été modifiés ?
26
Xavier Pasco, « De l’utilisation au contrôle de l’espace extra-atmosphérique », in Envol vers 2025. Réflexions prospectives
sur la puissance aérospatiale, Grégory Boutherin, Camille Grand (dir.), Centre d’études stratégiques et aérospatiales, Paris,
La documentation française, 2011, p. 80.
27
Paul Pierson, « Increasing Returns, Path Dependence, and the Study of Politics, The American Political Science Review,
Vol. 94, n°2, juin 2000, pp. 251- 267.
28
Les partisans de l’institutionnalisme historique cherchent à expliquer comment les institutions structurent la réponse d’une
nation donnée à des défis nouveaux. Lire Peter A. Hall, Rosemary C. R. Taylor, « La science politique et les trois néo-
institutionnalisme », in Revue française de science politique, 47 ème année, n°3-4, 197, pp. 469-496.
29
Notion utilisée par Marcussen pour qualifier un changement dans une politique publique. Martin Marcussen, “Constructing
Europe ? The Evolution of Nation-State Identities”, in Thomas Christiansen, Knud Erik Jorgensen, Antje Wiener, The Social
Construction of Europe, Londres, Sage Publication, 2001.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Parallèlement à cette montée des tensions pendant la Guerre froide, l’idée de l’arms
control, c’est-à-dire du contrôle des armements nucléaires, amorcée sous Eisenhower,
prend une réelle importance sous l’administration Kennedy. En France, cette doctrine est
portée à la connaissance du public par le penseur Raymond Aron. En 1960, il assiste à
l’élaboration intellectuelle de cette politique à Harvard et au Massachussetts Institute of
Technology (MIT) lors de séminaires peuplés de futurs membres de l’administration
Kennedy. Dans un article du Figaro datant du 15 mars 1961, Aron explique en substance
que les conseillers du Président Kennedy pensent qu’une guerre nucléaire non voulue,
conséquence d’un malentendu, est possible. Il faut alors rétablir la rationalité des relations
entre l’URSS et les Etats-Unis au moyen d’accords de désarmement destinés à créer la
confiance, en commençant par l’arrêt des expériences nucléaires. De tels accords
freineraient la prolifération nucléaire, ralentiraient une course aux armements
dangereusement déstabilisatrice et permettraient d’instaurer une véritable détente entre
Washington et Moscou 30. L’administration Kennedy crée alors l’Arms Control and
Disarmament Agency. Cette agence subit les nombreuses réorganisations des
administrations successives. Elle est aujourd’hui intégrée au Département d’Etat et joue un
rôle moteur dans la promotion du projet international de code de conduite dans l’espace.
Les mesures véhiculées dans la doctrine de l’arms control ne visent plus un hypothétique
désarmement nucléaire absolu mais bien plutôt une maîtrise sur le nucléaire et un moyen
d’éviter la prolifération. Ainsi, Kennedy recommande un accord à Quatre (les quatre
puissances nucléaires d’alors) contre la prolifération. Cela passe par des mesures de
confiance consistant à échanger des informations sur les manœuvres militaires concernant
le nucléaire mais aussi à procéder à des inspections de part et d’autre. La doctrine de
l’arms control vise donc à « reconstruire la relation américano-soviétique et un ordre
international rationnel à partir de la prise en compte commune du danger partagé par les
armes atomiques. » 31 Malgré de réelles perspectives de cogestion ouverte par la
proposition américaine, l’URSS de Nikita Khrouchtchev préfère l’ignorer et la crise de
Cuba éclate en 1962. Les initiatives de désarmement perdurent pendant la Guerre froide
jusqu’à cet accord historique, le traité sur la limitation des systèmes antimissiles balistiques
en 1972.
30
George-Henri Soutou, La Guerre froide…, op. cit. p. 549.
31
Ibid.,p. 563.
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L’arms control a été et est encore un sujet d’étude mobilisant les chercheurs en
relations internationales 32. Emmanuel ADLER a notamment étudié les processus à
l’œuvre concernant ce traité 33. Afin de rendre compte du rôle de la communauté de
l’arms control dans l’élaboration du traité, il utilise le concept emprunté à Peter M.
Haas de communautés épistémiques (CE). Cette expression rend compte de
l’existence de « réseaux » de professionnels ayant une expertise et une compétence
reconnues dans un domaine particulier qui peuvent faire valoir un savoir pertinent
sur les politiques publiques du domaine en question » 34. A première vue, cette
définition pourrait s’apparenter aux autres notions voisines de lobby (en français,
groupe d’intérêt/de pression ou d’influence) ou encore au sein de l’analyse des
politiques publiques de réseaux ou de communautés de politiques publiques.
Cependant, les CE se distinguent des lobbies dans la mesure où les premières
comptent une diversité de profils au sein de ces membres. Ce qui les relie est
davantage une vision du monde particulière ou un référentiel qu’une défense
d’intérêts particuliers. Certes, leur objectif est d’influencer les politiques publiques,
mais cette action est généralement guidée par une réelle conviction de défendre une
cause juste. Le poids des croyances est beaucoup plus prégnant que pour un lobbyiste
rémunéré pour défendre des intérêts qu’il ne partage pas de façon systématique. De
plus, la CE n’a pas vocation à défendre des intérêts privés mais a une certaine
prétention à l’universalisme. Les membres de la CE sont guidés par l’altruisme,
l’empathie et l’engagement idéel 35. Les notions de politiques publiques rendent
compte quant à elles de l’idée de réseaux. L’objectif est alors de cartographier les
acteurs divers et variés d’une politique mais aussi de comprendre comment ces
acteurs, par l’intermédiaire de forums 36, produisent du sens et construisent la réalité
sociale. La notion de communautés de politiques publiques semble être la plus proche
de celle de CE. Cette dernière s’est quant à elle imposée dans les années 1990 au sein
32
Pierre Hassner, « De l’arms control aux S.A.L.T », in Revue française de Science Politique, vol. 19, n°6, 1969, pp. 1266-
1271 ; Paul Dahan et Jean-François Guillaume, « Le paradigme retrouvé de l’arms control », in Annuaire français de
relations internationales, vol. 10, 2009, pp. 1-15.
33
Emmanuel Adler, “The Emergence of Cooperation: National Epistemic Communities and the International Evolution of the
Idea of Nuclear Arms Control”, International Organization, 46, n°1, Winter, 1992.
34
Peter M. Haas, “Introduction: epistemic communities and international policy coordination”, International Organization,
Winter 1992, vol. 46, n° 1, p. 3.
35
Martha Finnemore, Kathryn Sikkink, “International Norm Dynamics and Political Change”, International Organization,
n°52, 4, Autumn 1998, p. 898.
36
Bruno Jobert, « Le retour du politique », in Bruno Jobert (dir.), Le Tournant néo-libéral en Europe, Paris, L’Harmattan,
1994.
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des études de relations internationales. Elle permet donc de penser l’existence d’une
communauté internationale qui interagit dans le but de promouvoir la coopération et
la coordination internationale dans un domaine particulier, qui est ici la sécurité des
activités spatiales. De même, son utilisation s’appuie sur un nombre de travaux
important réalisés par des chercheurs américains permettant ainsi une réelle réflexion
sur le caractère heuristique du concept au profit de cette thèse. Enfin, l’affirmation de
l’existence d’une CE au sein du milieu spatial a été clairement identifiée 37. Une partie
des membres de la communauté de l’arms control est présente lors des discussions
sur la sécurité des activités spatiales. En effet, les partisans de cette doctrine
souhaitent rendre compte d’un danger commun partagé, symbolisé par l’existence des
ASAT. Bien que les effets de ces derniers soient foncièrement différents des armes
atomiques, la dépendance des puissances à l’égard de leur utilisation de l’espace
renverrait ces dernières à un passé révolu si elles décidaient de détruire leur
ressource commune. En 2002, le Président américain George W. Bush rend effective
sa décision de se retirer du traité sur la limitation des systèmes antimissiles
balistiques, traité pour lequel la communauté de l’arms control s’était mobilisée dans
les années 1960 et 1970. Le désengagement des Etats-Unis leur permet alors de
développer et de tester des missiles antimissiles (au profit d’un bouclier antimissile)
pouvant également être utilisés comme ASATs.
37
James Clay Moltz, The Politics of Space Security. Strategic Restraint and the Pursuit of National Interests, Stanford
Security Studies, Stanford California, 2008, p.177.
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grand texte est ensuite voté par les Nations Unies le 13 décembre 1963. Il s’agit de la
Déclaration des principes juridiques régissant les activités des Etats en matière
d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique. Il préfigure l’adoption
en janvier 1967 du Traité sur les principes régissant les activités des Etats en matière
d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et
les autres corps célestes, dit Traité de l’Espace. Ce texte général est ensuite complété
par des conventions. Ce corpus juridique mélange ainsi des textes dont la portée et
l’engagement diffèrent. De plus, ces textes ne sont pas toujours signés et ratifiés par
les mêmes Etats et en particulier les puissances spatiales. Par exemple, l’Accord sur
la Lune n’a été ratifié que par quinze Etats, dont aucun acteur spatial majeur. La
raison en est que ce texte consacre le satellite naturel de la Terre comme patrimoine
commun de l’Humanité et, à ce titre, soumet les Etats à un régime très strict
d’utilisation et d’exploitation. Cependant, le texte juridique le plus complet et aussi le
plus contraignant reste le Traité de l’Espace qui est lui signé et ratifié par les
puissances spatiales. Ce dernier met en place de grands principes dont deux méritent
d’être cités ici car ils déterminent encore aujourd’hui ce que les Etats sont autorisés à
faire et ne pas faire dans l’espace. Ce traité établit la liberté de l’espace et son
utilisation pacifique.
La liberté de l’espace est le corollaire du principe de non-appropriation énoncé par
l’article II du Traité de l’Espace :
« L’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, ne
peuvent faire l’objet d’appropriation nationale par proclamation de souveraineté, ni
par voie d’utilisation ou d’occupation, ni par aucun autre moyen. » 38
A titre de comparaison, la Convention de Montego Bay, du 10 décembre 1982,
portant sur le droit de la mer et le Traité sur l’Antarctique du 1er décembre 1959,
n’interdisent que la proclamation de souveraineté. L’article n’a pas empêché huit des
treize Etats situés sur l’Equateur de revendiquer leur souveraineté « projetée » dans
l’espace sur l’arc géostationnaire 39.
38
Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d'exploration et d'utilisation de l'espace extra-
atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, 1967.
39
Dans une déclaration signée à Bogota le 3 décembre 1976, après avoir rappelé l’absence de délimitation de l’espace, le
Brésil, la Colombie, l’Equateur, l’Indonésie, le Kenya, l’Ouganda et la République du Congo ont souligné que l’orbite
géostationnaire, située sur le plan de l’équateur, est une ressource naturelle physiquement dépendante de la Terre et donc de
leurs territoires respectifs. Les puissances spatiales ont immédiatement dénoncé cette position contraire à l’article II du
- 29 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Traité de l’Espace. Simone Courteix, « Questions d’actualité en matière de droit de l’espace », in Annuaire français de droit
international, volume 24, 1978, pp. 890 – 919.
- 30 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
40
Mode de pensée réaliste et non théorie des relations internationales car autant les adversaires que les partisans du réalisme
nient toute aspiration de ce dernier à être une théorie générale des relations internationales, in Alex Mc Leod et Dan O’Meara
(dir.), Théories des relations internationales. Contestations et résistances, Montréal, Athéna Editions, Centre d’Etudes des
Politiques Etrangères et de Sécurité (CEPES), 2010.
41
Hans Morgenthau, Kenneth W. Thompson, David Clinton, Politics Among Nations. The struggle for Power and Peace,
McGraw-Hill Humanities, 7ème edition, avril 2005.
42
Ibid, p. 4-12.
43
Il existe un consensus minimal entre les réalistes qui considèrent le réalisme comme relevant du paradigme. Le paradigme
désigne « l’ensemble de croyances, de valeurs reconnues et de techniques qui sont communes à un groupe donné », in Alain
Faure, Gilles Pollet, Phillipe Warin, La construction du sens dans les politiques publiques. Débats autour de la notion de
référentiel, L’Harmattan, Paris, 1995, p. 17. La notion de paradigme est reprise des travaux d’épistémologie historique de
Thomas Samuel Kuhn, Structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion, 1983.
- 31 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
est remise en cause. Enfin, le troisième axiome met en avant le besoin des Etats de
satisfaire leur intérêt national défini en termes de puissance. La notion d’intérêt
national suppose que les Etats et leurs dirigeants agissent comme des acteurs
rationnels. La puissance est « (…) sur la scène internationale la capacité d’une unité
politique d’imposer sa volonté aux autres unités. En bref la puissance politique n’est
pas un absolu mais une relation humaine. » 44. Serge Sur définit également la
puissance comme une capacité, « capacité de faire ; capacité de faire faire ; capacité
d’empêcher de faire ; capacité de refuser de faire ». 45
Beaucoup de discussions entre réalistes questionnent ces notions et permettent
souvent d’affiner les principes de base énoncés par Morgenthau. Les présidents
américains de la Guerre froide influencés par la pensée réaliste sont Richard Nixon
(1969-1974) et son secrétaire d’Etat à la Défense Henry Kissinger. Le réalisme
classique connaît une période de vive critique pendant les années 1970 et après. Au
sein même de l’école de pensée réaliste, des voix discordantes s’expriment mais de
fait enrichissent le débat théorique [Robert Gilpin, Stephen Krasner, Joseph Grieco,
Stephen Walt]. Parfois cela débouche sur d’autres approches, parentes du réalisme
classique telles que le néoréalisme et le réalisme néoclassique. En 1979, l’auteur
américain Kenneth Waltz et son ouvrage de référence Theory of International Politics
ouvre la voie au néoréalisme/ réalisme structurel ou structuro-réalisme. Son
ambition est de définir une théorie de la politique internationale. Deux autres
néoréalistes tentent de renouveler le paradigme tels Joseph Grieco et John
Mearsheimer.
Parmi les témoins français de la Guerre froide, Aron est un spectateur engagé qui analyse
les mécanismes à l’œuvre. Ses analyses débutent dès la fin de la seconde guerre mondiale.
Aron s’efforce de rendre explicite les stratégies des deux Grands mais prend aussi position
sur les événements. Aron est souvent assimilé aux tenants de l’école réaliste. Cependant,
ses analyses diffèrent sur certains points avec celles d’autres réalistes, à l’instar de Hans
Morgenthau (réaliste classique) et de Kenneth Waltz (réaliste néoclassique). Aron fait
partie de ces « visionnaires » 46 ayant une certaine idée sur la question de la fin du conflit.
Selon lui, la disparition du conflit idéologique entre les deux Grands est un préalable à tout
44
Raymond Aron, Paix et guerre entre les nations, Paris, Calmann-Lévy, 2004, p. 56.
45
Serge Sur, Relations internationales, Paris, Montchrestien, 6ème édition, 2011.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
accord diplomatique. En effet, l’idéologie façonne les politiques menées et agit sur la
pensée, les croyances et l’action diplomatico-stratégique. Sans le facteur idéologique, les
deux Grands resteraient rivaux quant à leur position dans le système international, mais
cette compétition serait moins dangereuse que celle se focalisant sur l’idéologie. A
l’inverse, pour Morgenthau, un accord diplomatique aurait permis de rendre inopérant le
pouvoir déstabilisateur du conflit idéologique. Ce dernier passe au second plan, derrière la
définition par l’Etat de l’intérêt national. Enfin, selon Waltz, l’idéologie n’a qu’un faible
impact, la structure bipolaire du système international est la véritable variable sur laquelle
la Guerre froide et sa fin reposent. La distribution du pouvoir entre les unités (étatiques) est
la véritable variable.
Aucun de ces commentateurs ne s’est véritablement penché sur la spécificité, si elle existe,
de la course à l’espace pendant la Guerre froide. Ainsi, même si le sujet spatial n’a pas été
traité en tant que tel, l’objectif ici est de déceler ce qui relève de l’évocation implicite du
fait spatial chez ces analystes.
Le premier axiome, l’Etat comme acteur central et rationnel des relations internationales,
semble s’appliquer au domaine spatial. Les utilisations de l’espace se font exclusivement
au profit des Etats. L’utilisation militaire de l’espace sert la défense et la sécurité. La quête
du prestige est aussi un moteur puissant alimentant la course à l’espace qui se joue entre
eux. Le droit spatial a été développé par les Etats-Unis et l’URSS avec le texte référence
qu’est le Traité de l’Espace 47 de 1967. Dans son élaboration, les protagonistes qu’ils l’ont
façonné se sont mutuellement mis d’accord pour se laisser des marges d’action dans leur
utilisation de l’espace. Les autres textes juridiques qui suivent, toujours pendant la Guerre
froide, consacrent les Etats comme seuls responsables de leurs activités spatiales. Les
objets lancés dans l’espace demeurent sous la juridiction des Etats les ayant
immatriculés 48.
Le principe de l’état d’anarchie dans les relations internationales est confirmé dans le
domaine spatial par l’absence d’une instance supranationale régulant les relations entre
Etats. Celle-ci fut cependant déjà proposée par des Etats comme la France en 1989. Mais
46
Marco Cesa, “Realist Visions of the End of the Cold War: Morgenthau, Aron and Waltz”, The British Journal of Politics
and International Relations, Vol. 11, 2009, pp. 177-191.
47
Le titre exact du traité étant : Traité sur les principes régissant les activités des États en matière d'exploration et
d'utilisation de l'espace extra- atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes. Il a été ratifié par 98 Etats et
signé par 27 autres au 1 er janvier 2006.
- 33 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
cette initiative a subi l’opposition d’autres Etats, voyant cela comme une entrave à leur
autonomie de décision. Les deux Grands se sont très bien accommodés d’un club spatial
plus que restreint. Malgré leur rivalité, les conflits ont pu être traités directement en
bilatéral. D’autres Etats ont fait eux-aussi leur premier pas dans la conquête de l’espace
(France, Chine, Canada…) mais la nature et la quantité de leurs activités n’étaient pas une
préoccupation pour les deux superpuissances bien plus soucieuses de leur sécurité l’une
vis-à-vis de l’autre. Le conflit idéologique et la menace nucléaire ont éludé la question des
intentions des autres Etats spatiaux.
Enfin, le troisième axiome met en avant le besoin des Etats de satisfaire leur intérêt
national défini en termes de puissance. La puissance est un processus dynamique dans le
sens où elle n’existe que dans l’interaction entre les Etats. A noter que la notion d’intérêt
national définie en termes de puissance a été fortement critiquée par Aron, considérant que
cette notion ne pouvait jouir d’une définition univoque et expliquer à elle seule le
comportement des Etats. En effet, l’Etat n’est pas un acteur purement rationnel. L’action
extérieure peut être influencée par des changements socio-économiques et la psychologie
individuelle des décideurs 49. Aron affirme que la politique, dans le cas des relations entre
Etats, semble signifier « la simple survie des Etats face à la menace virtuelle que crée
l’existence d’autres Etats » 50 et que le premier objectif que l’unité politique peut viser est
la survie, donc la sécurité. Un autre réaliste, Gilpin, complète cette remarque en
reconnaissant que le concept d’ « intérêt vital » est certes imprécis mais que chaque Etat
considère que la défense de certains intérêts est d’une importance primordiale pour sa
sécurité. Fort de ces éléments, la maîtrise de l’espace obéit à cette volonté étatique
d’assurer sa survie. Le point haut ultime, équipé par la télédétection, permet d’observer
son adversaire, de se prémunir d’une attaque surprise et donc de renforcer sa sécurité 51. En
parallèle, montrer ses capacités spatiales augmente son prestige. C’est une ressource de
puissance purement matérielle mais aussi symbolique dans les relations entre entités
étatiques.
48
Convention sur l’immatriculation des objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique, A/RES/3235, 12 novembre 1974.
49
Préface de Raymond Aron dans la 8 ème édition de Paix et guerre entre les nations, Paris, 1984.
50
Ibid., p. 19.
51
Ces objectifs réels et stratégiques sont éloignés des principes sur la télédection portés au sein de la résolution 41/65 du 03
décembre 1986. En effet, ces derniers faisant de la télédection un élément fort de la coopération entre Etats, notamment au
profit des Etats en développement.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
La sécurité des activités spatiales en tant que politique publique fait intervenir un
grand nombre d’acteurs, individuels, corporatifs et collectifs. Tous orientent l’action.
Afin d’identifier au mieux les acteurs en jeu dans le processus de politique publique,
la science politique allemande par l’intermédiaire de Fritz W. Scharpf, a développé le
concept d’institutionnalisme centré sur les acteurs. Cette approche en termes de
Steuerungstheorie 53 s’est développée en réaction aux idées du politiste allemand
Niklas Luhmann. Ce dernier remet en cause le rôle du politique en tant
qu’ordonnateur de la société. La conséquence en est la formation de sous-systèmes
sociaux, ou de secteurs repliés sur eux-mêmes et quasi-autonomes. A l’inverse, la
Steuerungstheorie portée par Scharpf et Mayntz, tente de mieux comprendre les
orientations de l’action en prenant en compte les capacités de régulation déployées
par les acteurs impliqués, leur jeu et leurs stratégies, les configurations qu’ils forment
et enfin les opportunités et les contraintes institutionnelles à l’intérieur desquelles ils
interviennent. La Steuerungstheorie est une approche qui, malgré son nom, ne
représente pas en soi une théorie. Il s’agit d’une heuristique de recherche, qui attire
l’attention sur certains aspects de la réalité 54. L’institutionnalisme centré sur les
acteurs considère que les institutions n’ont pas un effet déterminant. Elles constituent
des facteurs formant le contexte, qui autorisent ou entravent l’action mais jamais ne la
déterminent. Les institutions, entendues comme des construits sociaux, sont donc des
52
On peut citer à bon escient Scheuerman : « Dans les débats actuels touchant la gouvernance globale, le réalisme fournit
une mine d’or intellectuelle riche pour ceux qui sont sceptiques à l’égard du cosmopolitisme et ses projets de réforme
internationale », cité dans Alex McLeod et Dan O’Meara, op. cit., p. 63.
53
Traduction : les théories de la régulation. Lire Olivier Giraud, « La Steuerungstheorie. Une approche synthétique de
l’action publique contemporaine », Politix, Vol. 14, n°55, Troisième trimestre 2001, pp. 85-93.
- 35 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
54
Renate Mayntz, Fritz W. Scharpf, « L’institutionnalisme centré sur les acteurs », in Politix, Vol. 14, n°55, 2001, pp. 95-
123.
55
James Coleman, Power and the Structure of Society, New York, Norton, 1974.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
56
consciemment , autrement dit s’ils aspirent à une action collective sans organisation
formelle, on peut parler d’ « acteur collectif ». » 57 La communauté épistémique
rassemblée autour de la thématique de la sécurité des activités spatiale est un acteur
collectif, aux contours flous certes, mais bel et bien dirigée vers l’action collective.
Les aspects cognitifs et motivationnels de ces acteurs étatiques et non étatiques
occupent une place importante dans l’orientation de l’action. Les orientations
cognitives concernent la perception de la situation de l’action et de sa causalité, les
options disponibles et les résultats escomptés. Dans le cas de la CE, les membres
partagent les croyances causales sur les origines du problème et les solutions à y
apporter 58. Pour la CE comme acteur collectif, « il s’agit de déterminer sa capacité à
mobiliser les ressources dont il dispose dans une action stratégique. De l’intérieur, il
faut analyser les interactions entre acteurs internes aboutissant aux actions
attribuées à l’acteur collectif. » 59.
Cependant, les différences de perception de la réalité par cette constellation d’acteurs
rendent peu probable l’avènement, de manière spontanée, d’une perception concordante de
la situation face à un problème donné.
56
Souligné dans le texte original.
57
Renate Mayntz, Fritz W. Scharpf, « L’institutionnalisme… », op. cit.,p. 107.
58
Traduction de Peter M. Haas, « Introduction: epistemic communities and international policy coordination », International
Organization 46, 1, Winter 1992, p.3, in Thomas Bossy, Aurélien Evrard, « Communauté épistémique », Dictionnaire des
politiques publiques, Presses de Sciences Po., p. 140-141.
59
Fritz W. Scharpf, Games Real Actors Play. Actors-Centered Institutionnalism in Policy Research, Boulder (Colorado),
Westview Press, 1997.
60
Renate Mayntz, Fritz W. Scharpf, « L’institutionnalisme… », op. cit.,p. 110.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Pour une bonne part, la structuration des interactions est dictée par les institutions.
Cependant cette analyse des réseaux institutionnels ne rend pas compte de l’ensemble
des jeux individuels d’interactions dont les acteurs sont capables.
« Les critères institutionnels ne sont pas les seuls à déterminer si les
acteurs se situent dans un jeu de coordination, de dilemme, voire de
conflit : les interprétations subjectives de la situation réelle ont aussi leur
importance, de même que les orientations gouvernant effectivement
l’action. » 66
61
Ibid., p. 116.
62
Guillaume Devin, « Norbert Elias et l’analyse des relations internationales », Revue française de Science Politique, 1995,
Vol. 45, n°2, p. 323.
63
Renate Mayntz, Fritz W. Scharpf, « L’institutionnalisme… », op. cit., p. 95-123.
64
Norbert Elias, Qu’est-ce que la sociologie ?, Paris, Ed. de l’Aube, 1991, p.157.
65
Norbert Elias, La société de cour, Paris, Flammarion [1 ère éd.1939], 1985, p. LXXI.
66
Renate Mayntz, Fritz W. Scharpf, « L’institutionnalisme… », op. cit.,p. 120.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Le concept d’interdépendance d’Elias fait écho à celui développé par Robert Keohane
et Joseph Nye qui la qualifie de complexe 68. Cette idée de complexité renvoie à la
multiplication des types d’acteurs inclus dans les configurations. Il s’agit alors de
considérer les acteurs gouvernementaux mais aussi sub-étatiques et non-étatiques qui
tissent des relations interétatiques, transgouvernementales et transnationales 69. La
notion d’interdépendance complexe alimente les réflexions sur le thème de la
coopération.
L’institutionnalisme centré sur les acteurs permet d’avoir une analyse plus proche de la
réalité en considérant l’ensemble des acteurs étatiques et non étatiques dans les jeux
d’interactions. Cependant, cela complexifie grandement l’analyse. Il devient alors
quasiment impossible d’appliquer à une étude empirique une méthode de recherche
intégrant un contexte institutionnel à plusieurs niveaux, des acteurs individuels et
corporatifs, les orientations de ceux-ci, leurs perceptions, relations et interactions.
L’analyse des acteurs de la sécurité des activités spatiales et leurs interactions ne peut
reproduire la réalité à l’identique mais se donne pour objectif d’aboutir à une simplification
exacte et à la résolution des énigmes qui gravitent autour du sujet.
Acteurs et facteurs
67
Guillaume Devin, « Norbert Elias et l’analyse des relations internationales », op. cit., p. 323.
68
Robert Keohane, Joseph Nye, Power and Interdependence, Longman Classics in Political Science, Pearson Ed., 4 th Edition,
2011.
69
Dario Battistella, Théories des relations internationales, Paris, Les Presses de Sciences po., 3 ème édition, 2009, p. 221.
70
Sur les liens entre acteurs et facteurs, lire Marcel Merle, Les acteurs dans les relations internationales, Paris, Economica,
avril 1986.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Pour autant, certains facteurs sont critiques pour un Etat souhaitant être une puissance
spatiale. Une puissance spatiale est un Etat maîtrisant quatre composantes le rendant
relativement autonome dans son accès et dans sa maîtrise de l’espace. Est considéré
comme une puissance spatiale, l’État capable de maîtriser la technologie des lanceurs, de
fabriquer ses propres satellites, de disposer de stations au sol et d’une base de lancement
sur son territoire. On se focalisera donc sur les facteurs scientifique et technique
(compétences et capacités), géographique, économique et militaire. Ces facteurs peuvent
également être considérés comme des ressources matérielles de la puissance. Mais les
ressources ne sont rien sans une volonté politique souhaitant les développer et les
entretenir. Le facteur géographique consiste pour un Etat à disposer d’une localisation
favorable pour y construire une base de lancement. Idéalement, cette dernière est située
près de l’équateur. En effet, cela permet de bénéficier de la vitesse optimale de la rotation
de la terre (dit effet de fronde) lors d’un lancement. Le lanceur a alors besoin de moins de
carburant afin de mettre en orbite le ou les satellite(s) qu’il emporte. Le choix de Kourou
en Guyane pour y établir le port spatial de l’Europe est une localisation idéale. A l’inverse,
le site de Baïkonour (Kazakhstan) est désavantageux. Le coût de lancement est donc plus
important et moins compétitif à l’échelle mondiale. Pour des raisons sécuritaires, Israël, en
plus d’être situé à une trentaine de degrés de l’Equateur, lance vers l’est afin de ne pas
survoler les zones habitées des Etats voisins. Cela ne les empêche pas d’être une puissance
spatiale mais ne les rend pas non plus compétitifs sur le marché des Etats lanceurs. Leur
ambition n’est de toute façon pas de concurrencer les autres sites de lancement mais de
pouvoir lancer leurs satellites militaires en toute autonomie. Le facteur scientifique et
technique désigne le savoir et les compétences indispensables au domaine spatial. Ceci
relève de la haute technologie. Certains Etats font le choix de faire appel au transfert de
technologie. Cependant les Etats opérant ce transfert l’encadre de manière stricte. L’Etat
« receveur » reste dépendant des savoir-faire et compétences que le donneur souhaite bien
71
Cité par Joachim Lommelen, International Code of Conduct for sustainable activities in space, Master Thesis for the Study
Program “Master of Law”, Ghent University, 2003, p. 3.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
transférer. La Chine a par exemple opté, dès 1981, pour l’acquisition de capacités spatiales
par achats et ceci afin de limiter les dépenses en termes de recherche et développement.
Cependant, ce mode d’acquisition de la technologie s’ajoutant également aux règles
contraignantes qu’elle subit en la matière par les Etats-Unis (par l’intermédiaire des
réglementations strictes International Traffic in Arms Regulations- ITAR) font qu’elle
accuse un relatif retard dans des domaines tels que la télédétection ou les communications.
La Russie quant à elle fait fasse aux échecs de certains de ces lancements ces dernières
années. Cela donne à penser que les connaissances acquises durant la Guerre froide ont été
peu à peu perdues dans la période qui a suivi. Un Etat ayant des moyens financiers
importants peut avoir accès à l’espace plus facilement. Bien qu’il soit relativement faux
d’affirmer que l’espace coûte cher au regard d’autres dépenses, les investissements doivent
cependant y être constants si l’Etat souhaite inscrire sa politique dans la durée. La gestion
du budget et de la priorité qui lui est accordée sont une fois de plus du ressort de l’acteur
étatique et le résultat d’arbitrages. Le budget spatial américain pour 2012 est de l’ordre de
29 milliards d’euros quand celui de la France est d’environ 220 millions, hors subvention
au Centre National d’Etudes Spatiales (CNES) qui est de l’ordre de 165 millions d’euros. 72
72
En 2015, le ministère de la Défense aurait investi 596 millions d’euros dans le spatial (25% consacré à la recherche
spatiale duale, 56% pour le développement et la réalisation de programmes spatiaux militaires et 19% pour le maintien en
condition opérationnelle), compte rendu de la Commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale,
17 mai 2016,
http://www.asafrance.fr/images/compte_rendu_commission_de_la_defense_nationale_et_des_forces_armees_audition_du_ge
neral_jean_daniel_teste.pdf
73
Edgar Morin, Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur, Paris, Le Seuil, 2000, p. 39.
- 41 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
sectorielles, du troisième, les acteurs extérieurs à l’Etat tels que les organisations
professionnelles, les syndicats et les associations. Pierre Muller imagine un quatrième
cercle rassemblant les organes politiques tels le Parlement ainsi que les organes
juridictionnels. Cette superposition des cercles décrit en même temps une hiérarchisation
entre les acteurs selon leur degré d’influence sur la décision. On constate aujourd’hui un
certain élargissement de ces cercles avec une participation grandissante de la société civile
qui souhaite prendre part aux décisions, mais aussi un recours massif de la part de l’Etat à
l’expertise. Cette méthode permet dans le même temps de distinguer les acteurs étatiques et
non étatiques, éventuellement les acteurs individuels, de penser leurs interactions et d’y
inclure les aspects motivationnels et cognitifs. Cela permet d’analyser les liens
d’interdépendance des acteurs au-delà de l’étude simple des organigrammes.
74
Pierre Muller, Les politiques publiques, Paris, Coll. Que sais-je, 9 ème éd., Presses Universitaires de France, 2011, p.38.
75
Thèse défendue par Charles Krauthammer selon laquelle, à la chute de l’Union soviétique, seuls les États-Unis dominent le
monde de manière hégémonique. Lire Charles Krauthammer, « The Unipolar Moment », Foreign Affairs, vol. 70, n° 1,
Winter 1990/1991.
76
Le thème des « nouvelles » relations internationales a été abordé par des analystes français tels que Marie-Claire Smouts et
Bertrand Badie. Ils estiment que l’émergence de nouveaux phénomènes (changement dans la nature des conflits,
mondialisation économique, enjeux transnationaux écologiques ou sécuritaires) nécessite une gouvernance régionale, voire
mondiale, de ces problèmes. Marie-Claude Smouts (dir.), Les nouvelles relations internationales. Pratiques et théories,
Paris, Presses de Sciences Po, 1998 et Bertrand Badie, L’impuissance de la puissance. Essai sur les nouvelles relations
internationales, Paris, Fayard, 2004.
77
Alain Dupas, La nouvelle conquête spatiale, Paris, Odile Jacob, 2010.
- 42 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
78
opérative et tactique . Les bénéfices apportés par les capteurs spatiaux (optique, radar,
GPS etc.) sont généralisés et leur utilisation systématique. La guerre du Golfe de 1991
démontre l’avantage stratégique gagné par l’Etat qui a conquis le point haut face à ses
adversaires. L’emploi des moyens spatiaux y est important, au point de qualifier cette
guerre de « première guerre spatiale », de par l’utilisation massive de produits issus de
satellites (imagerie, écoute, navigation etc.). Cet effort constant des Américains pour
coloniser l’espace de leurs satellites et y développer une stratégie d’occupation du milieu a
consacré leur supériorité dans l’espace, sous la forme de l’hégémonie. L’hégémonie est une
expression particulière de la supériorité. Cette dernière ne reflète que la position d’un Etat
dans la hiérarchie des puissances. Elle est la première. L’hégémonie, elle, caractérise une
manière d’exercer cette supériorité. Par comparaison au leadership qui se maintient par
une politique de rétribution et d’avantages consentis aux partenaires, l’hégémonie se
caractérise par une politique de sanctions 79. L’hégémonie spatiale est donc la forme que
prend la domination exercée par les Etats-Unis dans ce milieu. C’est l’ère de la space
dominance et du refus explicite des Etats-Unis d’interdire l’accès à l’espace à tout Etat
soupçonné d’y contraindre leur liberté. Cette doctrine politique portée par l’administration
conservatrice de George W. Bush a été nourrie des analyses stratégiques d’Everett
Dolman. Ce dernier pense l’hégémonie spatiale en termes d’astropolitik en référence à la
Realpolitik 80. Cette politique militariste, ayant montré ses limites, les Etats-Unis
s’orientent vers l’exercice de la supériorité par le leadership. C’est cette évolution qui est
analysée dans la partie 2 de cette thèse.
78
« De l’utilisation au contrôle de l’espace extra-atmosphérique », Xavier Pasco, in Envol vers 2025. Réflexions
prospectives…op.cit., p. 80.
79
Serge Sur, Relations internationales, Paris, Montchrestien, 2011, p. 141.
80
Everett C. Dolman, Astropolitik: Classical Geopolitics in the Space Age, London and Portland, Frank Cass Publishers,
2002.
81
Anne-Marie Malavialle, Xavier Pasco, Isabelle Soubès-Verger, Espace et puissance, Paris, Ellipses, Coll. Perspectives
stratégiques, 1999, p. 11.
- 43 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
interétatique compte aujourd’hui neuf Etats possédant au moins trois des quatre
critères de la puissance spatiale 82. Les dépenses spatiales militaires américaines sont
le double de celles de la NASA en charge de l’espace civil 83. L’utilisation américaine
de l’espace n’a pas été stoppée après la Guerre froide, bien au contraire. Son
utilisation sur les théâtres d’opérations extérieures est devenue indispensable via les
nouvelles technologies. La dépendance des Etats-Unis à l’espace est devenue un
thème récurrent et une préoccupation pour les décideurs américains successifs. La
vulnérabilité liée à cette dépendance est accrue par la montée en puissance d’autres
Etats utilisateurs. La Chine investit massivement dans le milieu spatial. Il est difficile
d’obtenir des chiffres quant aux investissements chinois dans l’espace mais le constat
peut être fait que début 2015, la Chine est le troisième occupant de l’espace avec 132
satellites en orbite (528 pour les Etats-Unis et 131 pour la Russie sur une population
totale de satellites opérationnels de 1265) 84. Pour l’URSS devenue Russie, les effets
de la Guerre froide ont été dévastateurs sur la politique spatiale russe. Cette dernière
a été mise en sommeil, subissant les coupes budgétaires nationales. Une des
conséquences a été de provoquer une perte progressive des compétences des
ingénieurs en aérospatial. En arrivant au pouvoir en 2000, Vladimir Poutine souhaite
redynamiser l’industrie spatiale russe. Cela fait partie d’un projet plus global de
restauration de la puissance russe. Poutine développe une stratégie de puissance
économique et militaire plus large 85 avec l’envie de regagner un certain prestige
international.
« Il s’agit aussi d’un élément dans la démarche des autorités russes visant
à rehausser le prestige international de leur pays : la Russie ne saurait se
82
Pour rappel, une puissance spatiale est un Etat qui est autonome dans son utilisation de l’espace : construction de satellites,
possession d’un pas de tir, capacité de les mettre en orbite, de les maintenir à poste voire capacité à surveiller l’espace. Les
puissances spatiales aujourd’hui sont les Etats-Unis, la Russie, la France/l’Europe, le Japon, la Chine, le Royaume-Uni,
l’Inde, Israël et l’Iran.
83
En 2010, les Etats-Unis consacraient près de 64 milliards de dollars à l’ensemble de leurs activités spatiales dont 44
milliards pour le secteur militaire. Jacques Villain, « La militarisation de l’espace », in Questions internationales, L’espace,
un enjeu terrestre, p.55.
84
Union of Concerned Scientists, http://www.ucsusa.org/nuclear-weapons/space-weapons/satellite-
database.html#.VeXpzfntmko
85
Isabelle Facon et Isabelle Sourbès-Verger, « La place du spatial dans le projet de restauration de la puissance russe », Note
de la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS), 19 mai 2007.
- 44 -
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86
Isabelle Facon, Isabelle Sourbès-Verger, « Le spatial russe : implications nationales et internationales d’une apparente
remontée en puissance », Recherches et documents de la Fondation pour la Recherche Stratégique, mai 2007, p. 35.
87
Marcia Smith en fait la liste détaillée :
http://www.spacepolicyonline.com/pages/images/stories/List%20of%20Russian%20Space%20Launch%20Failures%20Since
%20Dec%202010%20as%20of%20May%2016%202015.pdf
88
Tanguy Struye de Swielande, « Les États-Unis face aux puissances émergentes, quelles stratégies à disposition des
protagonistes ? », Diplomatie, n° 45, juillet -août 2010, p. 50.
89
La notion de ressource est ici toujours envisagée selon la définition aronienne citée précédemment.
90
Le premier programme spatial date de 1958.
- 45 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
91
Isabelle Sourbès-Verger, « La Chine et l’espace », AFRI, vol. 5, 2005, p. 417.
92
Raoul Davenac, Florence Nardon, « Le programme spatial iranien », Institut Français des Relations Internationales, E-note,
Actuelles de l’Ifri, mars 2009, p. 2, [en ligne], http://www.ifri.org/?page=detail-contribution&id=5295&id_provenance=97.
- 46 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
opérée dans les années 1990 et 2000. Le leader mondial et historique étant Intelsat.
Aujourd’hui beaucoup de sociétés se sont lancées dans l’aventure aux quatre coins de
la planète. L’investissement privé dans l’espace se diversifie. Les Etats-Unis
s’appuient sur des sociétés privées américaines pour leur accès à l’espace depuis la
fin de l’utilisation des navettes nationales en 2011. SpaceX et Orbital Sciences
apparaissent comme les leaders du marché. Le tourisme spatial fait également son
apparition. Toutes ces évolutions posent de multiples questions d’ordre juridique et
politique. De plus, l’augmentation du nombre de satellites mis en orbite a pour
corollaire la prolifération des débris issus des lancements, des satellites hors d’usage
et des possibles collisions en orbite. Le nombre des débris orbitaux ne cesse
d’augmenter ces dernières années bien que les effets induits sur les satellites actifs
fassent l’objet de débats d’experts entre différents acteurs. De même, plus le nombre
de joueurs augmentent en orbite, plus les risques d’incompréhension, de malentendu
(misperception) est envisageable. Enfin, les conflits interétatiques sur terre peuvent
être transposés dans l’espace par l’intermédiaire de mesures de rétorsion 94.
93
L’Iran (pré-nucléaire et première mise en orbite en février 2009), la Corée du Nord (pré-nucléaire jusqu’en 1994, tentative
discutée de mise en orbite d’un satellite en 1998), in Thierry Garcin, « L’Espace, enjeu de puissance », AFRI 2002, Volume
III, Bruxelles, Bruylant, p. 114.
94
A cet égard, les relations ponctuellement tendues entre les Etats-Unis et la Russie font craindre des répercussions dans le
domaine spatial. Il est à noter que les Américains sont dépendants des lanceurs russes afin d’envoyer leurs astronautes vers
la station spatiale internationale. Ils sont également dépendants des moteurs de fusées russes (RD-180) pour leurs
lancements.
95
Avec les travaux notamment de Karl Kaiser, Robert Keohane et Joseph Nye ou encore Richard Mansbach et Yale
Ferguson.
96
Susan Strange, The Retreat of the State. The Diffusion of Power in the World Economy, Cambridge, Cambridge University
Press, 1996.
97
Bertrand Badie, Un monde sans souveraineté, Paris, Fayard, 1999.
- 47 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
98
Dario Battistella, Théories des relations internationales, Paris, Les Presses de Sciences po., 3 ème édition, 2009, p. 36.
99
Cette expression de Marshall McLuhan qui date des années 1960 est reprise par Alain Dupas dans La nouvelle conquête
spatiale, Paris, Odile Jacob, avril 2010, p. 10.
100
Cette expression fait référence au livre de Bertrand Badie sur ces acteurs qui viennent troubler la diplomatie traditionnelle
des Etats, Bertrand Badie, Le Diplomate et l’Intrus. L’entrée des sociétés dans l’arène internationale, Paris, Fayard, 2008.
101
Mémorandum du secrétaire à la Défense William Cohen, 9 juillet 1999. http://www.au.af.mil/au/awc/awcgate/dod-
spc/dodspcpolicy99.pdf
- 48 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
ayant fait de l’utilisation de l’espace une des composantes de leur puissance et de leur
sécurité, un comportement irresponsable dans l’espace pourrait fortement
compromettre leur stabilité et leur survie. La dépendance grandissante des Etats vis-à-
vis de leur utilisation de l’espace fait qu’ils ne peuvent déléguer la complète gestion
de ce milieu à d’autres acteurs. Dans le même temps, l’interdépendance complexe qui
s’est construite entre les Etats et les acteurs non étatiques fait que tous deux sont
contraints de considérer leurs intérêts respectifs. Enfin, l’utilisation croissante de ces
nouveaux moyens au profit du renforcement de la sécurité des Etats ne signifie
nullement le retrait de l’Etat mais au contraire sa capacité à faire siens ses nouveaux
moyens au profit de la réaffirmation de sa souveraineté.
102
Frédéric Ramel, « Accès aux espaces communs et grandes stratégies : vers un nouveau jeu mondial », Etudes de l’IRSEM,
n°30, p. 31, 2014.
- 49 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Les postulats réalistes ne sont pas inexacts mais ne sauraient suffire à décrire la complexité
des relations internationales post-Guerre froide dans l’espace.
- 50 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Le réalisme classique place l’Etat au centre des relations internationales, et a fortiori des
relations internationales spatiales également. Le constat a été démontré précédemment que
l’utilisation de l’espace demeure majoritairement une prérogative des Etats. Cela est rendu
possible par la nécessité de maitriser un large spectre de compétences et de ressources que
seul l’Etat est en mesure de rassembler autour de lui, et par l’utilisation hautement
stratégique qu’ils en font. On note même, dans certains pays, un retour de l’Etat. En Russie
par exemple, il se manifeste par l’établissement d’une tutelle administrative (placement de
personnalités proches du pouvoir) exerçant un contrôle sur les acteurs du secteur spatial 103.
La théorie néolibérale reconnaît elle aussi que l’Etat reste l’acteur dominant en relations
internationales, mais accorde dans le même temps, une importance aux institutions comme
lieux d’échange. Les néolibéraux adoptent donc une approche stato-centrée modérée.
L’état d’anarchie est, dans la pensée réaliste classique, synonyme d’état de guerre car
aucune autorité centrale supérieure aux Etats ne peut empêcher le recours à la violence
armée. L’anarchie a pour corollaire le dilemme de sécurité 104. Force est de constater que le
recours généralisé aux armes n’a pas eu lieu dans l’espace. Il n’y a pas à proprement parlé
de guerre en orbite. Cela n’est pas le fait d’une institution supranationale vertueuse mais
plutôt d’une contrainte stratégique 105 que les Etats se sont imposés à eux-mêmes. Le
système international est certes anarchique mais la proposition constructiviste de Wendt106
de distinguer les anarchies hobbesienne, lockéenne et kantienne apporte un degré de
précision dans l’analyse. Les Etats évoluent dans un système anarchique à tendance
lockéenne au sens où ils se considèrent comme des rivaux à différents degrés, mais sont
tout de même à la recherche de partenariats. Le dilemme de sécurité n’est pas ignoré par
les tenants de l’institutionnalisme néo-libéral. Leurs conclusions sont néanmoins
différentes. En effet, selon eux, il permet de penser la coopération. Les Etats qui coopèrent
en tirent mutuellement des bénéfices. Ils effectuent un calcul coûts-bénéfices qui leur
permettent de conclure, le cas échéant, aux bénéfices de la coopération plutôt que la
confrontation. Les Etats estiment que leurs intérêts égoïstes sont finalement mieux atteints
en coopérant. Et les coopérations dans le domaine spatial, même militaire, existent. Elles
tiennent certes beaucoup aux coopérations scientifiques mais pas uniquement. L’espace
103
Isabelle Facon, Isabelle Sourbès-Verger, « La place du spatial… », op. cit.
104
Développement dans la première grande partie de cette thèse.
105
James ClayMoltz, The Politics of Space Security..., op.cit.
106
Alexander Wendt, “Anarchy is What State’s Make of It : The social construction of power politics”, International
Organization, n°46, 2, Spring 1992, pp 391 – 425.
- 51 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
militaire est témoin d’efforts de coopération avec plus ou moins de succès 107. Les échanges
de données sont la matière première des coopérations pouvant exister dans le secteur
spatial militaire. Ainsi, en réponse au néoréalisme de Waltz, le néolibéralisme tente de
montrer de manière empirique que les effets structurants de l’anarchie n’empêchent pas la
coopération interétatique. Par ailleurs, la coopération internationale dépend de la
perception qu’ont les Etats de leur intérêt à coopérer ensemble en fonction des bénéfices
qu’ils pourraient en tirer. Les perceptions définissent les intérêts. Le néolibéralisme ouvre
ainsi la porte à une prise en compte des facteurs idéels (perception, idée, valeur, normes) et
interroge la compréhension subjective des êtres humains. Déjà, Aron a évoqué ses notions
mais sans s’y appesantir 108. Ce qui empêche la coopération n’est donc pas nécessairement
la nature anarchique du système international mais plutôt la crainte qu’ont les Etats des
comportements de leurs rivaux. Contrairement aux néoréalistes, les néolibéraux soulignent
le fait qu’il s’agit ici d’un jeu itératif, que les interactions sont multiples et qu’ainsi les
acteurs peuvent apprendre des coups précédents et ajuster leur stratégie en fonction 109.
Avec des interactions répétées, un sentiment de confiance peut, à long terme se développer
entre les acteurs du système international. Ces interactions peuvent avoir lieu au sein des
institutions et sont facilitées lors de l’existence d’un régime qui les impose 110. De même ce
régime garantit a minima que les Etats ne feront pas défection. Le régime est une solution
collective afin de contourner les politiques compétitives des Etats et diminuer les effets du
dilemme de sécurité. La théorie des régimes de Krasner les définit ainsi :
Les régimes influencent le comportement des Etats et réduisent l’incertitude. Ils sont créés
dans le but d’établir la confiance entre les Etats. Le préalable à l’existence du régime est la
promotion de mesures de confiance et de transparence (Transparency and Confidence-
107
François Heisbourg, Xavier Pasco, Espace militaire, Paris, Editions Choiseul, juin 2011.
108
Aron a évoqué « la menace virtuelle » que crée la simple existence d’autres Etats.
109
Robert Axelrod, Comment réussir dans un monde d’égoïstes : Théorie du comportement coopératif, Paris, Odile Jacob,
2006.
110
Pour un historique de ces mesures de transparence et de confiance, lire Béatrice Hainaut, « Vers l’adoption de mesures de
transparence et de confiance dans les activités spatiales », in Questions internationales, n°67, Paris, La Documentation
Française, mai 2014, pp. 92-94.
- 52 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
111
Alex Mc Leod et Dan O’Meara (dir.), Théories des relations internationales…, op.cit., p. 156.
- 53 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
112
Andrew Moravcsik affirme que « La politique gouvernementale est contrainte par les identités, intérêts et pouvoirs sous-
jacents des individus et groupes qui –au sein et en dehors de l’appareil d’Etat- exercent en permanence une pression sur les
décideurs en vue de leur faire adopter des politiques conformes à leur préférence. », in Andrew Moravcsik, “Taking
Preferences Seriously. A liberal Theory of International Politics”, International Organization, 51 (4), automne 1997, p.513-
553.
113
Robert O. Keohane, After Hegemony: Cooperation and Discord in the World Political Economy, Princeton University
Press, 1984.
114
Il s’agit de la thèse de la stabilité hégémonique développée notamment par Charles Kindleberger.
- 54 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Cette thèse utilise donc une approche « néo-néo ». Néoréaliste car elle considère que les
Etats sont les acteurs principaux des relations internationales, qu’ils agissent et se
comportent comme s’ils cherchaient à maximiser leur utilité rationnelle, qu’ils poursuivent
des intérêts égoïstes et qu’aucune force externe n’existe pour leur imposer des accords. De
plus, ils évoluent dans un environnement où l’information est rare, ils sont donc incités à la
fois à obtenir plus d’information sur les actions des autres Etats, et à rehausser leur propre
crédibilité. La synthèse proposée s’éloigne de l’approche néoréaliste en ce qu’elle adopte
une conception néolibérale de l’anarchie, une certaine vision de la coopération
internationale et étudie l’impact des institutions et des régimes internationaux. Même en
n’étant qu’un projet, le Code de conduite international pour la sécurité des activités
spatiales a des effets induits. En effet, sa promotion fait se rencontrer un certain nombre
d’acteurs étatiques et non étatiques, et favorise les échanges par l’intermédiaire de
certaines institutions considérées comme des forums.
115
Expression développée par le politologue danois Ole Waever pour indiquer les convergences épistémologiques et
ontologiques entre le néoréalisme et le néolibéralisme.
- 55 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
117
font » . L’anarchie est donc le fruit des interactions entre Etats. Chez les
néoréalistes (Waltz), la structure, immuable, détermine la distribution des capacités
matérielles (puissance) entre Etats. Pour les constructivistes, la structure du système
international, telle que l’anarchie, est un processus, soumis au changement par l’effet
des interactions répétées entre Etats. Poursuivant l’approche néo-libérale et allant au-
delà, la démarche constructiviste consiste à prendre en compte le rôle des idées et de
l’apprentissage sociologique qu’un Etat peut opérer au contact d’un autre. Ces
interactions répétées ont lieu notamment au sein des forums. L’approche néolibérale
permet d’étudier comment les idées sont liées aux faits matériels pour occasionner
des changements de comportements observables. Tout ne serait alors pas subordonné
à l’emploi de la force. Dans ce cadre, l’étude prend appui sur l’analyse de Martha
Finnemore et Kathryn Sikkink 118 relative au cycle des normes. Cet idéal-type
séquentiel permet d’étudier les différentes phases de l’émergence d’une norme et de
son internalisation. Elle s’inscrit dans une démarche cognitive de type constructiviste.
L’approche constructiviste permet alors de considérer la structure comme étant à la
fois matérielle (ressource) et normative (règles). De plus, elle intègre la notion
d’intersubjectivité permettant d’asseoir l’argument néolibéral selon lequel la
coopération interétatique est possible même au sein de l’anarchie. Enfin, l’approche
constructiviste pense le rôle des experts et de leurs actes de langage 119. Les critiques
faites aux approches néoréaliste et néolibérale ont surtout mis en avant la non-prise
en compte du rôle des facteurs internes dans leurs analyses. A présent, ce niveau est
réhabilité par ces approches 120. Certaines vont jusqu’à contester la place centrale de
l’Etat dans les relations internationales en mettant en avant le rôle des facteurs
internes ainsi que des phénomènes transnationaux. Sans valider cette hypothèse, cette
116
Terme utilisé par Robert Keohane pour qualifier les approches théoriques fondées sur l’interprétation, et qui mettent
l’accent sur l’importance du rôle des idées et des croyances pour comprendre la politique internationale.
117
En référence à son article, « Anarchy is What State’s Make of It : The social construction of power politics »,
International Organization, n°46, 2, p. 391-425.
118
Martha Finnemore, Kathryn Sikkink, “International Norm Dynamics and Political Change”, International Organization,
52, 4, Autumn 1998.
119
L’acte de langage est défini comme « l’acte de parler sous une forme qui pousse quelqu’un d’autre à agir », in Vendulka
Kubalkova, Nicholas Onuf, Paul Kowert (dir.), International Relations in a Constructed World, Armonk, New York, M.E
Sharpe,1998.
120
On peut également citer le constructiviste Emmanuel Adler qui permet dans cette thèse de penser l’existence préalable
d’une communauté épistémique nationale.
- 56 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
thèse prend en compte les facteurs internes par l’intermédiaire de la boîte à outil des
politiques publiques.
121
Franck Petiteville, Andy Smith, « Analyser les politiques publiques internationales », Revue Française de Science
Politique, Presses de Sciences po, 2006/3, Vol.56, pp. 357 – 366.
122
Ibid.
- 57 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
La politique spatiale française donne lieu à une politique publique nationale définie
comme un « programme d’action propre à une ou plusieurs autorités publiques ou
gouvernementales» 124. Elle se caractérise par « un contenu, un programme, une
orientation normative, un facteur de coercition et un ressort social. » 125 mais aussi à
un positionnement international propre à la France.
Cette théorie se veut donc véritablement pratique et empirique. Elle vise à anticiper
les développements futurs et donc à ne pas, pour l’Etat en question, se laisser
123
Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Stratégie spatiale française, p. 6, mars 2012,
http://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/Politique_spatiale_francaise/09/8/Strategie_spatiale_francaise-
mars-BD_211098.pdf
124
Jean-Claude Thoenig, « L’analyse des politiques publiques », in Jean Leca et Madeleine Grawitz (dir.), Traité de science
politique, vol.4, Paris, PUF, 1985, pp. 1-60.
125
Jean-Claude Thoenig, Yves Mény, Politiques publiques, Paris, PUF, 1989.
126
Charles D. Lutes, “Space power in the 21 st century”, Joint Force Quarterly, n°49, quarter 2008, p. 67.
- 58 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
127
surprendre par eux. Everett C. Dolman s’appuie sur les analyses de Sir Halford
128
MacKinder ou encore celles relatives au milieu maritime faites par Alfred T.
Mahan 129 à la fin du 19ème siècle. Il considère dès lors que son ouvrage peut permettre
au « Mahan de l’espace » d’émerger 130. Il qualifie son approche d’astropolitique:
“Astropolitik (…) , it is the application of the prominent and refined realist vision of
state competition into outer space policy, particularly the development and evolution
of a legal and political regime for humanity’s entry into the cosmos.” 131
Elle concorde avec les concepts de la théorie réaliste des relations internationales.
“In the short term, despite our best intentions, we may be relegated to a
harsh, discordant, entirely realist paradigm in space.” 132
De la même manière, John Klein utilise la stratégie maritime de Sir Jullian Stafford
Corbett 134 afin d’élaborer une stratégie spatiale 135.
La conquête de l’espace s’est concrétisée par une conquête humaine, dont la Lune
était un des objectifs. Le projet américain de conquête de la Lune faisait d’ailleurs
partie d’un programme plus large intitulé « Nouvelle frontière » par l’administration
J.F Kennedy. Si l’espace peut donc être vu par les Etats comme un nouveau territoire
à conquérir, il est cependant important de souligner que très tôt, il n’a pas pu faire
l’objet en tant que tel d’une appropriation étatique tout comme les corps célestes tels
127
Everett C. Dolman, Astropolitik…, op. cit.
128
John Halford MacKinder, « The geographical pivot of history » (1904), The Geographical Journal, Vol. 170, N° 4,
December 2004, pp. 298 – 321.
129
Alfred T. Mahan, The Influence of Sea Power upon History, 1660-1783 (1890), New York, Dover Publications, November
1987.
130
« The Mahan of Space »; « What I hope to accomplish is to shift the dialogue to a trajectory where the next Mahan can
emerge », Everett C. Dolman, Astropolitik…, op. cit., p. 11.
131
Everett C. Dolman, Astropolitik, op. cit., p. 1.
132
Ibid.
133
Ibid.
134
Sir Julian Stafford Corbett, Some principles of maritime strategy, London, Longmans, Green and Co, 1911.
135
John Klein, Space warfare: strategy, principles and policy, New York, Routledge, 2006.
- 59 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
136
que la Lune . En revanche, la « conquête » de positions orbitales stratégiques ou de
bandes spectrales peut être considérée comme des positionnements stratégiques à
acquérir par les Etats afin d’en retirer des bénéfices. Cela renvoie, par analogie
stratégique, aux « goulets d’étranglements » 137 maritimes identifiés par Mahan,
emplacements hautement stratégiques par lesquels les autres Etats sont obligés de
transiter pour leur commerce maritime. Leur possession assure une domination du
milieu à celui qui les contrôle.
Questions de recherche
Ce constat est-il le fait d’une volonté du leader spatial (Etats-Unis) d’agir comme
leader normatif (avec l’Europe et la France en particulier). Les Etats-Unis voient-ils
un bénéfice à coopérer plutôt qu’à s’opposer ? Cela démontre-t-il un déclin de
l’hégémonie spatiale américaine dans un paysage spatial en profonde mutation ? La
poursuite par les Etats de leurs intérêts égoïstes permet-elle tout de même de dégager
un intérêt commun à coopérer ? Quel est la place et le rôle des acteurs non étatiques
dans la promotion de ce régime ?
L’existence manifeste d’un projet de régime est-il le constat d’un travail
d’apprentissage exercé par une communauté épistémique transnationale contraignant
les Etats ? Ou les Etats se servent-ils de cette communauté afin de servir leurs intérêts
égoïstes et justifier leur volonté d’action ?
136
Conformément aux dispositions du traité sur les principes régissant les activités des États en matière d'exploration et
d'utilisation de l'espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, dit « Traité de l’Espace » entré
en vigueur dès 1967.
137
“bottlenecks / chokepoints”, in Everett C. Dolman, Astropolitik…, op. cit., p. 34.
- 60 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Cette thèse interroge la supériorité américaine dans l’espace au 21 ème siècle, mais
aussi la place des Etats dans un système westphalien 138 remis en cause par les acteurs
non étatiques et dans cette idée, le rôle, l’influence voire le pouvoir des communautés
épistémiques sur les Etats. Le titre choisi est « Emergence et promotion de la
norme sur la sécurité des activités spatiales. Origine de la norme et rôle des
puissances spatiales comme leaders normatifs de la sécurité des activités spatiales. ».
L’émergence désigne « le moment où les idées, éventuellement existantes de manière
latente, deviennent un objet conceptuel particulier, avec un nom et (ou) une
substance, suscitant un intérêt nouveau » 139.
La promotion d’une norme est entendue comme sa diffusion dans une démarche
d’apprentissage et de co-constitution entre les Etats participants et des acteurs non
étatiques.
La sécurité des activités spatiales renvoie dans cette thèse autant à la lutte contre la
course aux armements dans l’espace qu’à la lutte contre la prolifération des débris
orbitaux. Il est le référentiel sectoriel promu, dans le cadre d’un référentiel global 140
qu’est le développement durable.
138
Expression utilisée en référence aux traités de Westphalie de 1648 faisant de l’Etat la forme privilégiée d’organisation
politique des sociétés et marquant la naissance du système interétatique moderne.
139
Philippe Gros (dir.), Du Network centric à la stabilisation : émergence de nouveaux concepts et innovation militaire,
Etudes de l'IRSEM n°6, 2011, p. 49.
140
Le référentiel global est « une représentation générale autour de laquelle vont s’ordonner et se hiérarchiser les différentes
représentations sectorielles (…) Il constitue la représentation qu’une société se fait de son rapport au monde et de sa capacité
à agir sur elle-même par l’action publique », in Pierre Muller, Les politiques publiques, op. cit., p. 59.
- 61 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
(2) que cette dernière, par ses actions et un contexte favorable à la réception de ses
idées (variable indépendante), a inscrit le problème des débris au sein de la politique
spatiale américaine (variable dépendante);
(3) que, profitant d’un événement particulier (variable indépendante), la CE
américaine a diffusé ses principes, croyances et valeurs en Europe. La CE devient
transnationale en essaimant ses idées dans les « Etats secondaires » 141, dont les Etats
spatiaux. La diffusion est la variable dépendante.
(4) Un paysage spatial en mutation et de nouveaux événements médiatisés (tir
antisatellite chinois en 2007 et collision dans l’espace en 2009) modifient la position
américaine sur l’opportunité de coopérer et de soutenir une norme internationale sur
la sécurité des activités spatiales. En parallèle sont réactivés les réseaux de diffusion
de la CE. Elle rassemble alors des membres issus d’horizons professionnels plus
diversifiés. Leur épistémè 142 ou vision du monde particulière devient un référentiel
sectoriel au sein du secteur spatial. Ce dernier est conforme au référentiel global
qu’est le développement durable et sert les intérêts égoïstes du leader spatial.
(5) Les puissances spatiales avec en tête l’Union européenne (avec un rôle particulier
pour la France) et les Etats-Unis se saisissent des idées de cette CE qui coïncident
avec leurs intérêts respectifs. Ils opèrent alors une socialisation, un apprentissage
international pour faire accepter ce référentiel sectoriel par le consensus et l’inscrire
dans un régime international. Le consensus permet « de surmonter diverses réserves
ou réticences individuelles mineures, l’accord informel conservant la fluidité
nécessaire à son aboutissement. » 143
(6) Le référentiel sécuritaire pour les activités spatiales, fortement inspiré de
l’imaginaire américain, devient le cadre d’analyse occidental des relations spatiales
internationales. Cette lecture particulière n’est pas sans conséquence sur les rapports
de force entre puissances spatiales.
141
Les Etats secondaires sont les Etats qui ne sont pas des puissances spatiales, mais éventuellement utilisant l’espace à leur
profit. Les Etats secondaires, d’un certain poids politique, sont nécessaires afin de faire de la norme une norme
internationale. Il peut s’agir ici de convaincre les grands Etats du G77 du bien-fondé de la norme sur la sécurité des activités
spatiales. Lire, G. John Ikenberry, Charles A. Kupchan, “Socialization and hegemonic power”, International Organization,
n°44, 3, été 1990.
142
Même si le terme d’épistémè a son origine au sein des travaux de Michel Foucault (Les Mots et les Choses, Paris,
Gallimard, 1990), le concept utilisé en science politique a, à présent, peu à voir avec la pensée de Foucault. Pour une analyse
de la généalogie et de l’utilisation de ce concept, lire Yves Viltard, « L’étrange carrière du concept foucaldien d’épistémè en
science politique », Paris, Presses de Sciences Po, Raisons Politiques, 2006/3, n°23, pp. 193 – 202.
143
Serge Sur, Relations internationales, op. cit.,p. 323.
- 62 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Ces hypothèses contiennent chacune d’entre elles des variables indépendantes (causes) et
dépendantes (effets). Les variables indépendantes sont les causes qui commandent les
initiatives des acteurs. La CE rassemble deux grands courants : les opposants à la course
aux armements dans l’espace (communauté de l’arms control) et les opposants à la
prolifération des débris dans l’espace. Ses membres convergent vers un intérêt commun qui
est la durabilité de l’espace (« space sustainability »).
Cette thèse s’inscrit dans le temps long, celui des idées. Le projet de CoC
international ne peut être compris sans l’analyse de la genèse du problème des débris
orbitaux et le passage de la norme de l’état latent à manifeste. Les bornes
chronologiques s’étendent donc de 1978 (article du scientifique américain de la
NASA Donald Kessler faisant des débris orbitaux un problème, mais pas encore
politique) au dernier projet de CoC prise en compte pour cette thèse datant du 31
mars 2014.
C. Note méthodologique
Corpus de sources écrites
Cette thèse repose essentiellement sur deux types de matériaux : les sources écrites et
les entretiens d’acteurs individuels. Les sources écrites touchant au sujet sont
nombreuses. Leur contenu ne fait cependant que très rarement le lien entre l’existence
larvée de la norme dans les années 1970 et les discussions interétatiques
contemporaines autour du Code de conduite. Les sources écrites sont aussi fait de
discours, notamment de décideurs politiques. Ces derniers ont été analysés mais sans
perdre de vue qu’ils sont le résultat d’un exercice de communication de la part d’un
interlocuteur. Cependant, des messages y sont parfois passés et peuvent infléchir ou
conforter une analyse. De plus, l’analyse des discours de manière transverse permet
de faire connaître l’existence d’un langage commun ponctués de « mots qui font le
buzz » 144 mais qui confortent l’hypothèse de la constitution d’un référentiel sectoriel
conforme au référentiel global.
144
Cette expression est revenue à plusieurs reprises dans les propos des interlocuteurs.
- 63 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
La thèse a été étayée par des échanges avec des interlocuteurs tels que des
diplomates, un universitaire américain, des membres de think tanks, des militaires,
des industriels, des fonctionnaires de l’Union européenne et un membre de
l’administration américaine, tous gravitant autour du sujet de la sécurité des activités
spatiales. Au total une trentaine de personnes ont été consultées. Certains entretiens
ont permis de recueillir de l’information sur le sujet. Un autre type d’entretien a
permis d’analyser le sens que les acteurs donnent à leurs pratiques. Les entretiens
étaient de type semi-directif. Ils ont permis de reformuler les hypothèses de travail
au fur et à mesure de l’évolution de la réflexion. Les sources orales consistent
également en des notes prises lors de colloques et séminaires auxquels l’auteure a
assisté.
- 64 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
- 65 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Comment sait-on que l’on a affaire à une norme ? Dans un premier temps, elle peut
être définie comme un « standard of appropriate behavior for actors with a given
identity » 145. Elle renvoie à un comportement défini comme approprié par un groupe
identifié d’acteurs étatiques à un instant T. Dans un second temps, son existence
matérielle et manifeste, sous forme de traité, code de conduite, accord ou convention,
en fait une norme établie. Ainsi, cette thèse prend comme indicateur de
l’émergence 146 de la norme la date du dépôt officiel du projet européen de code de
conduite 147 relatif aux activités spatiales, en décembre 2008. Mais cette existence
manifeste ne dit rien de son existence latente. Elle se caractérise par une circulation
d’idées et de croyances au niveau national et/ou international et qui sont l’objet de
débats. Cette existence latente de la norme peut être prouvée par des indicateurs
explicites et implicites. Les indicateurs explicites sont l’organisation de discussions
au sein de forums internationaux et la publication de recommandations 148, la tenue de
conférences par des think tanks et des journées d’étude au sein d’universités. Les
indicateurs implicites se glissent dans les discours des décideurs qui sont autant de
145
Martha Finnemore, Kathryn Sikkink, “International Norm Dynamics and Political Change”, International Organization,
52, 4, Autumn 1998, p. 891.
146
Par émergence il faut entendre « le moment où les idées, éventuellement existantes de manière latente, deviennent un objet
conceptuel particulier, avec un nom et (ou) une substance, suscitant un intérêt nouveau », in Philippe Gros (dir.), Du
Network centric à la stabilisation…op. cit., p. 49.
147
Un code de conduite est “a set of conventional principles and expectations that are considered binding on any person who
is a member of a particular group”, « Code of Conduct », WordNet 3.0. Princeton University, 24 novembre 2008,
http://dictionary.reference.com/browse/codeofconduct
148
C’est notamment le cas au sein de la Conférence du Désarmement.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
149
Ibid., pp. 887-917.
- 67 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
150
Stephen D. Krasner, International Regimes, Ithaca/ Londres, Cornell University Press, 1982, p. 2.
151
Alex MacLeod, Dan O’Meara (dir.), Théories des relations internationales…op. cit., p. 79.
- 68 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Lorsque l’on parle des motivations des Etats spatiaux, on réifie l’Etat. Ce n’est pas
l’Etat qui est animé par certaines motivations plutôt que d’autres, mais bien les
acteurs nombreux qui le composent formant des configurations et constellations. Les
aspects cognitifs et motivationnels de ces acteurs sont diversifiés et renvoient autant à
des intérêts personnels que nationaux et stratégiques. Il est donc nécessaire, avant
tout chose, de cartographier autant que faire se peut les configurations d’acteurs des
leaders normatifs que sont les Etats-Unis, la France/l’Europe, la Russie et la Chine.
1.1.1. Etats-Unis
Dans une certaine mesure, la dynamique des cercles peut s’appliquer aux acteurs de la
politique spatiale américaine. Cependant, le « parlement américain », c’est-à-dire le
Congrès, ne serait être relégué au rang de quatrième cercle comme évoqué dans le
modèle de Muller. De même, le recours à l’expertise aux Etats-Unis n’est pas de la
même nature ni n’a le même poids qu’en France. Il existe une véritable culture
spatiale aux Etats-Unis nourrie par des décennies de course à l’espace et de mise en
valeur de ce milieu par les décideurs vis-à-vis du grand public. La place et le rôle de
l’espace aux Etats-Unis étant beaucoup plus prégnants qu’en France, le nombre des
acteurs étatiques et non étatiques est également plus nombreux. Il est nécessaire de
tenter de décrire dans les grandes lignes cette complexité. Enfin, le soutien
diplomatique apporté par les Etats-Unis au projet européen de CoC pour les activités
spatiales est du ressort de la politique étrangère des Etats-Unis. Il est donc nécessaire
de comprendre de quelle manière s’élabore la politique étrangère américaine et quels
sont les facteurs internes susceptibles de l’influencer.
- 69 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
152
Charles-Philippe David, « Le pouvoir exécutif au cœur de l’action internationale », in Charles-Philippe David, Louis
Balthazar, Justin Vaïsse, La politique étrangère des Etats-Unis. Fondements, acteurs, formulation, Paris, Les Presses de
SciencesPo, 2008.
153
Robert D. Putnam, “Diplomacy and domestic politics: the logic of two-level games”, International Organization, Vol. 42,
N°3, été 1988.
- 70 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
aboutir doivent donc jouer avec les concessions faites aux Américains pour obtenir
leur soutien mais dans le même temps, s’assurer de sa ratification en interne, ou au
moins de l’approbation tacite du Sénat. Il faut cependant relativiser car les accords
exécutifs constituent l’autre forme juridique possible des engagements internationaux
des Etats-Unis. Ils représentent 90% des engagements. En effet, dans la pratique, le
Président peut ne pas soumettre un traité pour approbation s’il craint de perdre le
vote. De la même façon, il peut interpréter les clauses d’un traité ou encore y mettre
fin sans l’assentiment du Sénat. Ce fut le cas notamment lorsque le Président George
W. Bush a décidé de se retirer du traité sur l’interdiction des défenses antimissiles en
2002. Compte-tenu de la rigidité et de la lourdeur de la procédure de signature et de
ratification des traités, les présidents leur préfèrent largement ces accords exécutifs
qui ne sont pas soumis à l’approbation du Sénat mais à la majorité simple dans
chacune des deux chambres. Un traité international est reconnu comme tel par les
Etats membres (en droit international) mais peut, en droit national, être considéré
comme un traité (et donc soumis au Sénat pour ratification) ou comme un accord
exécutif (et donc non soumis à la ratification du Sénat). Le nombre d’accords
exécutifs a augmenté de façon exponentielle ces dernières années. Sur les 15 000
conventions internationales dont les Etats-Unis font partie, 13 500 ont pris la forme
d’accords exécutifs. C’est alors une option intéressante pour la présidence impériale
si elle souhaite éviter un possible refus du Sénat de signer et ratifier l’ICoC voire une
future version sous forme de traité.
Concomitant au projet de CoC est l’arrivée au pouvoir de Barack Obama aux Etats-
Unis. Ce changement ouvre une fenêtre d’opportunité diplomatique. En effet, en
politique étrangère, l’énoncé de grandes doctrines permet au président d’imprimer sa
marque. L’arrivée au pouvoir de Barack Obama permet à ce dernier et à son équipe
dont la secrétaire d’Etat, Hilary Clinton, de présenter la doctrine du smart power
comme la « nouvelle » ligne directrice de leur politique étrangère. Ce smart power est
également applicable à la diplomatie spatiale américaine. Loin d’être le seul à définir
la politique étrangère des Etats-Unis, le président est assisté de conseillers, nommés
les Obamians 154. Parmi les plus influents, on peut citer Tom Donilon (national
154
James Mann, The Obamians. The struggle inside into the white House to redefine American Power, New York, Viking,
2012.
- 71 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
155
http://www.defense.gov/home/features/2011/0111_nsss/docs/NationalSecuritySpaceStrategyUnclassifiedSummary_Jan201
1.pdf
156
http://www.dtic.mil/whs/directives/corres/pdf/310010p.pdf
- 72 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
demandés par l’exécutif américain aux diplomates français et européens sur les
projets successifs de CoC.
“I believe that American leadership has been wanting, but is still wanted.
We must use what has been called smart power, the full range of tools at
our disposal- diplomatic, economic, military, political, legal, and cultural-
picking the right tool or combination of tools for each situation. With
smart power, diplomacy will be the vanguard of our foreign policy.” 157
Seul le conseiller pour la Sécurité nationale ne fait pas l’objet d’une approbation par
le Sénat. Une forte concurrence s’est développée entre ce conseiller et le secrétaire
d’Etat. En effet, leurs prérogatives peuvent apparaître proches à certains égards. Le
conseiller se doit d’informer et d’éduquer le président sur les questions
internationales. Il peut également intervenir comme négociateur diplomatique. Dans
certaines affaires diplomatiques délicates, le conseiller a tendance à court-circuiter le
processus décisionnel et les secrétaires à la défense ou d’Etat dans leurs fonctions. La
fonction essentielle du Conseil à la Sécurité Nationale (CSN ou National Security
Council- NSC) est à l’origine la représentation des différents points de vue des
bureaucraties sur un sujet particulier. Le CSN est devenu très influent et éclipse
aujourd’hui quelque peu le Département d’Etat, déjà peu valorisé en termes
budgétaires notamment par rapport au Département de la défense 158. Alors que le
CSN devait être formellement limité à son rôle de comité de coordination, il s’est en
fait métamorphosé en organisation présidentielle de planification et de mise en œuvre
157
Hilary Clinton, Confirmation hearing before the Senate Foreign Relations Committee, 13 janvier 2009,
http://www.state.gov/secretary/rm/2009a/01/115196.htm.
- 73 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
158
Le budget du Département d’Etat compte pour à peine le dixième de celui du département de la défense. Charles-Philippe
David, Louis Balthazar, Justin Vaïsse, La politique étrangère des Etats-Unis, op.cit., p. 63.
- 74 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Etats spatiaux (“Engage with allies and other space-faring countries in establishing
norms and augmenting our capabilities ” 159). Sous la tutelle du DoD, les trois armées
ont des responsabilités spatiales (Department of the Air Force, Department of the
Army, Department of the Navy). Les Etats-Unis ont donc fait le choix d’une
responsabilité interarmées en matière d’espace. Cependant, l’Armée de l’air
américaine est chargée d’assurer la cohésion d’ensemble, elle est qualifiée d’« overall
executive agent for space » 160. De plus, c’est l’Air Force Space Command (AFSPC)
qui entretient la plupart des infrastructures spatiales au service des poursuites
orbitales (orbital tracking), des opérations de lancement et de la majorité des
opérations impliquant des satellites militaires. En complément de ces trois armées, le
United States Strategic Command, commandement unifié communément appelé
USSTRATCOM, conduit les opérations spatiales. Enfin, d’autres agences sont
placées sous tutelle du DoD et utilisent l’espace à des fins militaires. Il s’agit de la
National Security Agency (renseignement d’origine électromagnétique), la National
Geospatial – Intelligence Agency, la Defense Intelligence Agency (DIA) qui conduit
l’analyse du renseignement lié à la défense en utilisant les informations satellitaires,
le National Reconnaissance Office (NRO) ayant la responsabilité des satellites de
reconnaissance, la Missile Defense Agency (MDA) qui utilise l’espace pour détecter
les départs de missiles, le National Security Space Office qui pilote l’analyse tactique
et stratégique des politiques spatiales de sécurité nationale et la Defense Advanced
Research Projects Agency (DARPA) qui a une mission de recherche et
développement concernant les utilisations de l’espace. Certaines d’entre elles sont
impliquées dans la définition de la sécurité des activités spatiales. C’est au sein de
l’USSTRATCOM que les missions de surveillance et de contrôle de l’espace sont
assurées. De plus, ce commandement gère les programmes de partage de données
concernant la surveillance de l’espace. Dans une certaine mesure, cet organisme est le
pendant américain de l’organisme français CDAOA (Commandement de la Défense
Aérienne et des Opérations Aériennes) et de son Centre Opérationnel de Surveillance
Militaire des Objets Spatiaux (COSMOS) relevant de l’Armée de l’air française. Les
missions du STRATCOM space surveillance and space control incluent la
159
http://policy.defense.gov/OUSDPOffices/ASDforHomelandDefenseGlobalSecurity/SpacePolicy.aspx
160
“Space sustainability. A pratical guide”, Secure World Foundation, 2010, p. 26.
- 75 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
161
Réseau de 29 capteurs de surveillance spatiale à travers le monde, aussi bien optiques que radars, civils et militaires.
- 76 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
janvier 2005- 20 janvier 2009) sous le mandat de George W. Bush) ; Hillary Clinton
(21 janvier 2009- 1er février 2013) et John Kerry (1 er janvier 2013 – 20 janvier 2017)
sous le mandat de Barack Obama. Les orientations de politique étrangère sont donc
impulsées par le département d’Etat, ce qui a ensuite des répercussions sur la
politique spatiale en ce sens qu’elle sert cette dernière. Au sein du département
d’Etat, c’est l’agence du contrôle des armements, de la vérification et de la
conformité (Bureau of Arms Control, Verification and Compliance) qui est en pointe
sur les questions relatives à la sécurité spatiale. Franck A. Rose, Deputy Assistant
Secretary, est l’acteur individuel représentant son organisation et qui est donc
généralement assimilé à l’acteur corporatif lui-même, à savoir le Département d’Etat.
Ce service est chargé de promouvoir le CoC au niveau international et de faire en
sorte que son contenu ne va pas à l’encontre des intérêts américains. Les multiples
déplacements et interventions de Franck A. Rose de par le monde, recensés dans cette
thèse (Annexe 5), montre qu’il s’adresse autant aux acteurs gouvernementaux qu’aux
acteurs non étatiques (ONG, instituts, universités etc.). Il diffuse la définition
américaine de la sécurité des activités spatiales et met en avant la norme qui permet
de servir cette définition, reflétant une vision du monde particulière. Enfin, pour le
citer, au sein du département d’Etat et plus particulièrement de l’agence des Océans
et des affaires scientifiques environnementales internationales (Bureau of Oceans and
International Environmental and Scientific Affairs), se trouve l’Office of Space and
Advanced Technology s’assurant que les politiques spatiales américaines et les
activités scientifiques multilatérales soutiennent les objectifs de politique étrangère et
améliorent la compétitivité technologique des Etats-Unis.
Traditionnellement, le travail diplomatique du Département d’Etat n’est pas valorisé
par les présidents américains. Leur activité est même dépréciée, chez les
conservateurs en particuliers 162. Néanmoins, la forte visibilité du Département d’Etat
et de son représentant pour le sujet de la sécurité des activités spatiales (Franck A.
Rose) invitent à repenser cette tendance. Même si le Département d’Etat et le
Département de la Défense jouent un rôle primordial dans cette question de la
sécurité des activités spatiales, les scientifiques et ingénieurs de la NASA ont été à
l’origine de l’émergence de la norme.
162
Charles-Philippe David, Louis Balthazar, Justin Vaïsse, La politique étrangère des Etats-Unis, op. cit., p. 64.
- 77 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
L’agence spatiale américaine créée en 1958, est chargée de mettre à exécution les
missions scientifiques de l’espace civil, les missions de vols habités et mène la
recherche aérospatiale. Très tôt engagée dans la conquête de l’espace, certains de ses
chercheurs se sont penchés sur le phénomène des débris orbitaux. Ainsi, à partir d’un
noyau de scientifiques persuadés du bien-fondé de leurs analyses, s’étend la
conviction que ces débris sont une menace pour la sécurité des activités spatiales. La
discrimination n’est pas faite entre les débris générés par une activité « normale »
d’occupation du milieu (lancement, risque de collision et fin de vie des satellites) et
des actions humaines intentionnelles destinées à polluer l’espace (destruction
intentionnelle de satellites en orbite). Ce noyau de scientifiques est à l’origine de la
naissance de la communauté épistémique. Enfin, parmi les administrations
sectorielles moins marquées « défense », se trouve également la National Oceanic
and Atmospheric Administration (NOAA) sous la tutelle du département du
Commerce. La NOAA utilise les données des satellites afin de surveiller les océans et
l’atmosphère. Cette administration est le fer de lance d’une coopération active et
fructueuse entre la NASA et le CNES au travers du programme d’observation des
océans, JASON.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Cet accord semble attester de l’efficacité d’action des acteurs privés au détriment de
l’acteur étatique, dans la gestion d’un problème tel que le trafic spatial. Cependant, il
est à noter que cette surveillance de l’espace ne s’applique encore « que » pour les
orbites géostationnaires (36 000km).
163
Arms Control in Space: Workshop Proceedings, Washington, D. C.: U.S. Congress, Office of Technology Assessment,
OTA-BP-ISC-28, May 1984), p. 18.
164
Inmarsat, Intelsat, SES, Eutelsat, Airbus Defense & Space etc.
165
Discours du président de la SDA, Ron Busch, le 08 août 2014, Ile de Man.
166
Discours du président de la SDA, Ron Busch, le 08 août 2014, Ile de Man.
- 79 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Dans le même temps, la SDA peut être un intermédiaire efficace, utilisé par le
gouvernement américain pour établir des normes/standards internationaux. Cette SDA
pose ainsi de multiples questions aux acteurs français du secteur spatial, notamment
sur l’opportunité ou non d’y adhérer.
« Nous avons été frappé, lors de notre déplacement aux Etats-Unis par la
place qu’occupe le Congrès dans l’élaboration de la politique spatiale. La
NASA est en effet en constante négociation avec les deux chambres pour la
définition des objectifs et des budgets de sa politique. Le secteur spatial
n’est certes qu’une illustration parmi d’autres des différences d’approches
entre parlements français et américains. Il nous paraît néanmoins légitime
qu’en France, le Parlement puisse être saisi, à intervalle régulier, de la
politique spatiale française et de la vision défendue au niveau européen
par notre pays. » 167
Il s’agit bien évidemment d’une vision très personnelle des parlementaires français qui
n’ont une connaissance que partielle du fonctionnement des institutions américaines.
Les membres du Congrès peuvent être considérés comme des déterminants internes de la
politique étrangère des Etats-Unis. Ainsi, l’opportunité ou non de soutenir le CoC fait
l’objet d’un réel débat. A l’inverse, ni en France, ni en Europe, ce débat n’a lieu. Cela est
lié pour partie à la culture spatiale omniprésente dans un cas et non dans l’autre. Chaque
membre du Congrès est capable d’avoir une position sur la politique spatiale. Cela en fait
un enjeu national.
Déjà, en 1983, Reagan combat l’opposition du Congrès aux tests ASAT, ce dernier
concourant alors à la non-prolifération des débris.
167
Catherine Procaccia, Bruno Sido, « Europe spatiale : l’heure des choix », Office Parlementaire d’Evaluation des Choix
Scientifiques et Technologiques, 7 novembre 2012, p. 18.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
168
Ronald Reagan, “Anti-satellite (ASAT) Program”, National Security Decision Directive n°258, National Archives and
Records Administration, 6 février 1987,
http://www.reagan.utexas.edu/archives/reference/Scanned%20NSDDS/NSDD258.pdf
169
Hubert Fabre, L’usage de la force dans l’espace: réglementation et prévention d’une guerre en orbite, Bruxelles, Ed.
Bruylant, 2012, p. 31.
170
Accessibles sur le site OTA Legacy, http://www.princeton.edu/~ota/index.html
Access to Space : The Future of U.S Space Transportation Systems (avril 1990), Affordable Spacecraft: Design and Launch
Alternatives (Janvier 1990), Directed Energy Missile Defense in Space (avril 1984), Arms Control in Space (mai 1984), Big
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Rockwell International etc.), des cabinets d’avocats (Caplin and Drysdale), des think tanks
(Federation of American Scientists, The Brookings Institution etc.) et bien sûr des membres
du Congrès. Fort de leur majorité aux deux chambres du Congrès en 1994, les
Républicains suspendent les financements attribués à l’OTA et obtiennent sa suppression
en 1995. Depuis 2008, le think tank Federation of American Scientists compile les rapports
de l’OTA. L’Union of Concerned Scientists entame des actions afin de restaurer l’OTA.
Les membres du Congrès réagissent aux changements d’orientation qui selon eux engagent
la nation toute entière. Ainsi, en mars 2010, des parlementaires américains déposent deux
projets de loi afin de contraindre l’administration Obama de revenir sur sa décision
d’abandonner les navettes spatiales, prévue pour fin 2011. Leurs angoisses est de dépendre
des Russes et des sociétés privées. L’abandon des vols habités fait réagir les Américains en
général et leurs représentants en particulier. La peur sous-jacente est de perdre leur statut
de grande puissance. L’abandon de « Constellation » (programme de retour sur la Lune) a
inquiété de nombreux parlementaires américains. Les parlementaires réagissent de la
même manière à la décision de l’exécutif d’apporter un soutien au CoC. Il existe une
interaction dense et permanente entre les hauts fonctionnaires de l’exécutif et le Congrès.
Les hauts responsables du Pentagone et du Département d’Etat sont constamment à
l’écoute des parlementaires qui peuvent les convoquer et les interroger, et peuvent surtout
décider de s’opposer à la politique qu’ils mènent, notamment en coupant leurs
financements. Ces auditions (hearings) voire ces commissions d’enquête (congressional
investigations) permettent aux élus du peuple d’exercer leur pouvoir face aux technocrates
de Washington en leur posant toute sorte de questions. Le « sujet espace » est abordé de
manière récurrente lors de ces interventions.
D’un point de vue organisationnel, le Congrès compte 535 parlementaires dont 100
sénateurs (deux par Etat) et 435 représentants (Chambre des représentants), chacun élu
dans une circonscription de taille démographique égale. Les représentants sont soumis à
leur électorat tous les deux ans et donc à des obligations de campagne électorale. Les
sénateurs sont en campagne tous les six ans. Leur élection est largement empreinte de
localisme. C’est la circonscription pour le représentant, ou l’Etat pour le sénateur qui
Dumb Boosters: A Low-Cost Space Transportation Option? (1989), Civilian Space Policy and Applications (1982), Civilian
Space Station and the U.S Future in Space (1984).Site consulté le 15 mai 2013.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
compte le plus. De ce fait, l’intérêt que portent les parlementaires à la politique étrangère
provient souvent des préoccupations particulières de leur électorat ou des lobbies qui les
soutiennent. A cet égard, le rassemblement d’élus des deux partis dans un caucus (groupe
de parlementaires partageant un intérêt précis et généralement une approche particulière
sur un dossier particulier) permet de susciter l’intérêt pour certains problèmes. Dans une
certaine mesure le caucus dédié aux questions spatiales trouve son équivalent français dans
le GPE (Groupe des Parlementaire pour l’Espace). Il s’agit du Congressional Space
Caucus 171. De plus, le Florida Space Caucus 172 rassemble les Etats de Floride, Californie,
Virginie et Colorado et se consacre aux problématiques spatiales. Sur ses terres, la Floride
accueille le Centre Spatial Kennedy et des industries liées à l’espace. La Californie, elle,
bénéficie de l’activité de la base militaire de Vandenberg, site de lancement et implantation
du JSpOC. Ces caucus peuvent disposer d’une influence politique non négligeable. La
défense de leurs intérêts économiques locaux peut les pousser à adopter certaines positions.
Il faut rappeler que la définition de la sécurité spatiale est un réel enjeu, car elle peut
engendrer des investissements dans le domaine des hautes technologies.
Sans nul doute les acteurs décrits ci-dessus contribuent à la définition de la norme sur
la sécurité des activités spatiales. Mais avant la prise en compte par ces acteurs du
thème de la sécurité des activités spatiales sous le prisme des débris spatiaux, il faut
se focaliser sur le rôle de l’action des « entrepreneurs de la norme » qui sont
intervenus en amont. Ces derniers relayent leurs croyances via des « plates-formes
organisationnelles » appelées ici forums. Leur principal mode d’action est la
« persuasion » 173. L’émergence du problème des débris spatiaux est donc à attribuer à
ces acteurs scientifiques.
171
http://repository.cmu.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1145&context=hsshonors
172
http://spacecaucus.com/
173
Martha Finnemore, Kathryn Sikkink, op. cit., p. 898.
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174
Peter M. Haas, « Introduction: epistemic communities and international policy coordination », International Organization,
Winter 1992, vol. 46, n° 1, p. 3 (cite in Bossy, T., Evrard, A., « Communauté épistémique », in Boussaguet, L., Jacquot, S.,
Ravinet, P. (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po, 2010, p. 140-141. Lire aussi du même
auteur “Do Regimes Matter? Epistemic Communities and Mediterranean Pollution Control”, International Organization,
Vol. 43, N° 3 (Summer, 1989), pp. 377- 403.
175
Emmanuel Adler, « The Emergence of Cooperation : National Epistemic Communities and the International Evolution of
the Idea of Nuclear Arms Control », International Organization, 46, n°1, Winter, 1992.
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176
CROSS permettent de faire le point sur la notion de CE et d’en restreindre les
utilisations parfois abusives. En somme, cette sous-partie tend à analyser la
constitution de la CE nationale sur la limitation des débris spatiaux, puis son action
sur le processus de mise sur agenda du problème qu’elle définit. Ces actions ne se
limitent pas aux acteurs du premier et deuxième cercle. L’ensemble de ces acteurs,
nombreux, évoluent dans un environnement complexe où se croisent les idées, les
institutions comme contraintes ou comme facilitateurs et les intérêts des uns et des
autres. Ces variables indépendantes qui orientent la décision forment le cadrage dit
des « 3 I » 177. Les 3 I ne sont pas à dé-corréler des acteurs, ils n’ont pas d’existence
en soi. Les acteurs les construisent, les utilisent ou les subissent. L’analyse de ces
variables participe à la compréhension du processus d’élaboration d’une politique
publique. Conformément à l’approche néolibérale, il est nécessaire d’étudier
comment les idées et les intérêts portés par les acteurs sont liés aux faits matériels. Il
n’est pas question de postuler a priori qu’une variable a plus d’influence qu’une autre
sur le processus d’élaboration de la politique publique relative aux débris orbitaux.
Les 3 I sont imbriqués et leur étude en est rendue complexe. Le désordre apparent de
l’ensemble de ces variables ne doit pas faire renoncer à la volonté d’y mettre de
l’ordre 178. Cela commence par établir que le temps des idées est rythmé par un temps
long, le temps des institutions par une temporalité intermédiaire et le temps des
intérêts par un temps court. Les acteurs animent les trois variables. Les idées portées
par les acteurs défendant la sécurité des activités spatiales datent de la conquête de
l’espace, leur évocation au sein des institutions existent peu de temps après, mais
l’intérêt des acteurs décisionnels (étatiques) à faire véritablement émerger cette
norme est un phénomène récent et semble même s’inscrire dans un créneau de temps
limité, le temps d’une fenêtre d’opportunité, d’un mandat politique. Ainsi, il faut
analyser le positionnement des acteurs ou groupes d’acteurs par rapport au problème
et les finalités.
176
Mai’a K. Davis Cross, « Rethinking epistemic communities twenty years later », Review of International Studies, British
International Studies Association, 2012, p.1-24.
177
Bruno Palier, Yves Surel (dir.), Quand les politiques changent. Temporalités et niveaux de l’action publique, Paris,
L’Harmattan, coll. Logiques politiques, 2010.
178
Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe, Paris, Seuil, avril 2005, p. 21.
- 85 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
179
John Clay Moltz, The Politics of Space Security...op. cit., p. 177.
180
Pierre Muller, Yves Surel, L’analyse des politiques publiques, Paris, Montchrestien, 2000, p. 57.
181
La phase d’ « identification du problème » rappelle la première phase de l’approche séquentielle de Charles O. Jones, An
introduction to the Study of Public Policy, Belmont (Californie), DuxburyPress, 1970.
182
Donald J. Kessler, “A partial History of Orbital Debris: A personal View”, Orbital Debris Monitor, Vol. 6, N°3, p. 16-20,
1er juillet 1993, et Vol. 6, N°4, p.10 -16, 1er octobre 1993.
- 86 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Leurs actions sont motivées, telles que définies dans le cycle des normes, par
l’altruisme, l’empathie et l’engagement idéel. Leur but est atteint le 1 er février 1988
lorsque la Directive Présidentielle 183 inscrit le problème des débris sur l’agenda et
établit une politique publique des débris spatiaux, la Space Debris Policy. Le
processus de mise sur agenda s’apparente à un des deux modèles qualifiés par
Philippe Garraud de « silencieux » 184. En effet, il s’opère au sein d’ « espaces
confinés » où le problème est défini par des acteurs spécialisés (experts, acteurs
administratifs, groupes d’intérêt), qui ne bénéficient pas d’une attention publique,
médiatique et politique (au moins dans un premier temps). La problématisation et
l’accès à l’agenda politique sont attribués aux actions de la communauté épistémique
nationale. Il est nécessaire de se pencher sur la constitution de cette communauté pour
en comprendre les ressorts.
Donald J. Kessler est l’acteur individuel qui incarne la problématisation des débris
orbitaux. Il s’agit d’un astrophysicien américain et scientifique au sein de la NASA. Il
a un rôle majeur dans l’identification du problème. Il acquière une certaine visibilité
auprès d’experts et de scientifiques grâce à son article rédigé en 1978 185. Ce dernier
expose son diagnostic et ses conclusions quant à la prolifération des débris causée par
les collisions entre satellites artificiels et formant ainsi à terme une « ceinture de
débris ». Son article scientifique est agrémenté de diagrammes dont certains prévoient
l’augmentation du nombre des débris, conséquence des collisions en orbite à venir.
Son modèle donne à voir une situation critique en 2020 si rien n’est fait. Son étude
problématise ce qui jusque-là était une condition : la prolifération des débris en
orbite.
“Under certain conditions the belt could begin to form within this century
and would be a significant problem during the next century.” 186
Il établit un modèle mathématique permettant d’estimer à quel moment cette
« ceinture de débris » se formera. Cette étude sensibilise et mobilise d’autres
scientifiques de la NASA ainsi que des spécialistes américains des débris. L’effort
183
Presidential Directive on National Space Policy”, 11 février 1988,
http://www.hq.nasa.gov/office/pao/History/policy88.html
184
Philippe Garraud, “Politiques nationales: l’élaboration de l’agenda”, L’année sociologique, pp. 17 – 41, 1990.
185
Donald J. Kessler et Burton G. Cour-Palais, "Collision Frequency of Artificial Satellites: The Creation of a Debris Belt,"
Journal of Geophysical Research, Vol. 83, n° A6, 1 June 1978.
186
Ibid. p. 2637.
- 87 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
fait par Kessler et son équipe permet la création en 1979 du bureau « Programme des
Débris Orbitaux » de la NASA (NASA’s Orbital Debris Program Office), implanté au
Centre Spatial Lyndon B. Johnson à Houston, Etats-Unis. Le modèle théorisé par
Kessler est alors connu sous l’expression de « syndrome de Kessler », qui rend
compte de manière simplifiée de la prolifération des débris. Elle consiste à expliquer
que la quantité de débris spatiaux pourrait atteindre un seuil, où eux-mêmes vont en
produire d’autres, provoquant ainsi une réaction en chaîne, menant à la fin de
l’exploitation de l’espace par l’Homme. Cette simplification découlant d’une
théorisation scientifique du problème, détermine son potentiel de diffusion 187.
Cependant, la simplification prend le risque d’isoler ce risque au détriment d’un autre
ou encore d’éluder ce qui est lié à ce phénomène (il ne peut y avoir d’utilisation de
l’espace sans production, même a minima, de débris). Suite à leurs travaux, Kessler et
son équipe sollicitent une action politique. Celle-ci passe effectivement vers
l’établissement de normes, internes dans un premier temps. A ce titre, ces
scientifiques et experts apparaissent comme des entrepreneurs de normes.
« Norm entrepreneurs are critical for norm emergence because they call
attention to issues or even « create » issues by using language that names,
interprets, and dramatizes them » 188
Kessler retrace lui-même les étapes qui ont permis au problème des débris
d’apparaître pour la première fois sur la Directive Présidentielle, établissant une
politique publique des débris 189. Il divise la période en quatre temps: the limited
studies period (1966-1972), the transition period (1974-1979), the Program
development period (1979-1988) et the post presidential directive period (1988-
present [1993]). Sans détailler chacune de ces périodes, il est essentiel pour notre
thèse d’en signifier les étapes décisives qui concourent à la mise sur agenda
nationale. Ce sont d’abord les débris naturels (météorites, astéroïdes) qui ont fait
l’objet d’études approfondies au regard de l’intérêt politique qu’ils suscitaient. En
effet, en annonçant publiquement que des hommes seraient envoyés sur la Lune et
qu’ils seraient ramenés sur terre sains et saufs, le Président John F. Kennedy 190
187
Cet aspect est fondamental afin de comprendre le potentiel de diffusion des croyances et des idées tant au niveau national
qu’international.
188
Martha Finnemore… ,op. cit., p. 897.
189
Donald J. Kessler, “A partial History…”,op. cit.
190
Discours du 25 mai 1961.
- 88 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Mais dans les années 1970, le projet Skylab change quelque peu la donne. En effet,
contrairement aux missions précédentes, cette station spatiale est plus grande en taille
et doit rester en orbite plus longtemps. Elle est donc exposée davantage aux dangers
de l’environnement spatial. Ces arguments relancent les recherches dans les années
1970. La population non cataloguée des débris est donc reconnue par la NASA
comme augmentant les facteurs de probabilités et de risque. Le NASA’s Marshall
Space Flight est en charge des calculs de probabilités sur collision mais selon
Kessler, ce travail effectué par des spécialistes de mécanique spatiale (« orbital
dynamics ») néglige certains aspects tels que la désintégration des satellites ou la
détection des petits débris. Les résultats sont alors faussés selon lui et les dangers
minorés, véhiculant ainsi des idées erronées :
191
Ibid., p. 3.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
“Finally, there were many false impressions by both the public and high
level DoD and NASA management about orbital debris that were simply
untrue. Some of these false impressions were NORAD [North American
Aerospace Defense Command] is tracking all man-made objects. Space is
infinite. Space is self cleaning. Objects in space float relative to one
another rather than collide at high velocities. Objects placed in space
remain intact. Debris control means limiting the number of payloads in
orbit.”” 192
192
Ibid., p.4.
193
La House subcommittee meetings on the future of space au sein de ce qui peut être vu comme l’équivalent du Parlement
français.
- 90 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
médias, prétendent que le COSMOS 954 a été victime d’une collision avec un débris
dans l’espace ayant entraîné la perte de contrôle du satellite. Le COSMOS 954 s’est
finalement écrasé au Canada disséminant ses débris radioactifs en grand nombre. Ce
premier incident spatial nucléaire a un fort retentissement médiatique. La rentrée
atmosphérique prématurée de la station spatiale Skylab, faisant suite à une activité
solaire intense, provoque également une attention particulière des médias sur la chute
probable de débris sur terre. Ces deux événements donnent lieu à un nombre
important d’articles sur les débris spatiaux dans les médias. Le ton de scandale 194
adopté par les médias suite à la pollution provoquée par COSMOS 954 permet
d’opérer une prise de conscience dans l’opinion publique, au moins pour un certain
temps. On serait tenté ici d’attribuer un rôle aux médias dans la future mise sur
agenda. L’impact des médias dans ce processus est cependant à nuancer. Même s’ils
contribuent à problématiser la condition et à cadrer 195 le problème, ils ne sont qu’un
relais d’un problème porté par d’autres. De plus, il se passe encore dix ans après ces
événements pour qu’effectivement les débris apparaissent dans la politique spatiale
américaine. Cependant, cela a attiré l’attention du chef de la Division des Affaires
Spatiales des Nations Unies, Lubos Perek, qui s’intéresse alors aux travaux réalisés
précédemment par les scientifiques de la NASA. De même, c’est à cette date que
l’Aerospace Corporation 196 démarre son programme sur les débris orbitaux. Une
équipe 197 traitant des débris orbitaux est alors formellement constituée au Johnson
Space Center, en 1979, le NASA’s Orbital Debris Program Office est né. Ils sont
officiellement chargés de développer un programme, de récolter des données radar,
d’informer et de rechercher des soutiens auprès des autres agences gouvernementales
américaines. Malgré ces avancées, les débris spatiaux ne sont toujours pas reconnus
comme problème autant au sein de la NASA, au niveau national et encore moins au
niveau international. Selon Kessler, la cause en est le manque de données brutes pour
étayer leurs idées :
194
Le Time de l’époque a parlé notamment de “désastre nucléaire”, Time, « Cosmos 954 : augly death », 6 février 1978,
http://content.time.com/time/magazine/article/0,9171,945940,00.html
195
Appelé également processus de « framing », in Clark A. Miller, “The dynamics of Framing Environmental Values and
Policies: Four models of Societal Processes”, in Environmental Values, vol. 9, n°2, 2000, p. 228.
196
Aerospace Corporation est un organisme de recherche scientifique et technique conseillant l’Etat depuis les années 1960
sur les programmes spatiaux impliquant la sécurité nationale. Leur centre de recherche et de développement travaille au
profit de l’Armée de l’air américaine et de la National Reconnaissance Office (NRO). Cette institution est aussi impliquée
dans les projets au profit des agences civiles telles que la NASA, la National Oceanic and Atmospheric Administration
(NOAA), les sociétés privées, les universités et les organisations internationales.
- 91 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
“There were still no firm commitment from NASA Hq. for a program;
there were no national recognition that an orbital debris problem exist
(…) Internationally, the subject had received even less attention. Finally,
and perhaps most importantly, there was little hard data supporting the
idea that a significant orbital debris population did, or could, exist.” 198
La première reconnaissance du problème des débris (mais non par des décideurs
politiques) en tant que problème national se lit dans un article du comité technique
sur les systèmes spatiaux de l’American Institute of Aeronautics and Astronautics
(AIAA) :
“This position paper was the first to address orbital debris as a national
issue; however, this by no means meant that debris was accepted as a
national issue.” 199
Le début des années 1980 est cependant fructueux pour l’équipe de Kessler. En effet,
en 1981, ses membres sont chargés de rédiger un plan sur dix ans intitulé le “Space
Debris Assessment 10-year Program Plan” et d’établir pour le mois d’avril 1988 la
position américaine officielle sur la question des débris. Enfin, au niveau
international, ils prônent la mise en œuvre d’un International Space Management
Agreement pour l’année 1990. Lors de la rédaction du programme, ils bénéficient de
nouvelles données concernant les petits débris.
“With new data becoming available and new people becoming involved
with various levels of interest, we needed to develop a common starting
spot. Therefore, I organized a 3 day “Orbital Debris Workshop” at JSC.
Beginning on July 27, 1982, the workshop was attended by about 100
representatives from industry and government.”
197
Composée de Joe Loftus, Dennis Fielder, Burton Cour-Palais, Drew Potter, John Stanley et Donald J. Kessler.
198
Donald J. Kessler, “A partial History…”,op. cit. , p. 7.
199
Ibid.
- 92 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Cette première conférence nationale sur les débris orbitaux a lieu du 27 au 29 juillet
1982. La publication d’un compte rendu devient alors le travail le plus complet et le
plus abouti sur les débris spatiaux en 1982. Ce qui impressionne dans ce document est
la clairvoyance de ses auteurs dans l’exposition des causes, des conséquences et des
solutions à apporter au problème des débris spatiaux. Les éléments du débat, repris
trente ans après sur la scène internationale, sont déjà tous contenus dans ce travail.
Un autre événement leur permet enfin de persuader au plus haut niveau. En 1983, ils
démontrent concrètement pour la première fois qu’un débris orbital cause des
dommages sur une navette (7ème navette spatiale). La preuve matérielle est montrée
au sous-secrétaire à l’armée de l’air, Edward Aldrige, qui est alors convaincu. Tout
cela est présenté et discuté au premier workshop international du COSPAR
(Committee on Space Research) à Graz en Autriche en 1984. Cette manifestation
favorise la prise de conscience nationale et internationale sur les débris spatiaux. Tout
au long de la seconde moitié des années 1980, l’équipe de Cour-Palais et de Kessler
effectue des briefings auprès des « espaces confinés » que sont les institutions
américaines (administrations sectorielles du 2nd cercle) telles que le Département
d’Etat, le Département des Transports, la Division spatiale de l’USAF (United States
Air Force), le NORAD, le Strategic Defense Command et d’autres centres de la
NASA. Ce processus actif de diffusion de la connaissance doit s’adapter au public
visé. Les scientifiques décodent alors leurs données brutes afin de les transformer en
messages lisibles pour des non-scientifiques. Ce décodage n’est cependant pas
exempt de biais. Comme le rappelle Peter M. Haas, « la science n’est pas la sagesse
(ou la vérité). Les universitaires et les études scientifiques récusent la possibilité
d’une connaissance objective du monde et soulignent, au contraire, les dimensions
politiques de toute science et de toute politique scientifique. » 200. Au profit des
décideurs politiques en particulier, les entrepreneurs de normes sont chargés de
produire une « connaissance scientifique utilisable (…) Ce terme désigne alors toute
information précise utilisée par les politiques et les décideurs. Cette information doit
être précise et politiquement docile pour ses utilisateurs » 201.
200
Peter M. Haas, « Le pouvoir et la vérité », Les Courriers de la planète, n° 71, pp. 46 – 49, URL :
http://www.courrierdelaplanete.org/71/article3.php, site consulté le 15 octobre 2012.
201
Ibid.
- 93 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
202
Peter, M., Haas, « Introduction: epistemic communities…», op. cit., p. 4.
203
T. Bossy, A. Evrard, op. cit., p. 142.
204
President Reagan’s State of Union Adress, 25 janvier 1984, http://history.nasa.gov/reagan84.htm
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
“All options were considered by DoD. However, the only real options,
because of congressional constrains, were to either not do the test, or to
do the test and learn as much as possible about the debris generated. The
Secretary of Defense stated that the test would be conducted.”
Les scientifiques sont davantage préoccupés par la création de débris que par la
course aux armements que ce test pourrait susciter. Cependant, on voit déjà très bien
que les deux phénomènes sont liés. Ce test, finalement réalisé, produit 300 débris
environ. De manière quelque peu paradoxale, il sert à accroître la sensibilisation du
Département de la Défense au problème des débris orbitaux.
"One small bellwether event came from outside the SDI [Strategic Defense
Initiative] program in 1985, when the air force decided to test a kinetic-
kill ASAT weapon. Over the objections of NASA scientists and other
experts who warned about the negative implications of debris, the test
went ahead. But the scientists’ concerns proved justified, and instead of
205
Donald J. Kessler, “A partial History…”,op. cit. , p. 11.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
moving forward with a series of similar tests, the United States began a
second major stage of space learning as the result of this event.” 206
“Within a year, the U.S defense department would adopt its first debris
mitigation guidelines.” 207
206
James Clay Moltz, The Politics of Space Security, Strategic Restraint and the Pursuit of National Interests, Stanford
Security Studies, Stanford California, 2008, p.177.
207
Ibid.
208
Donald J. Kessler, “A partial History…”,op. cit. , p. 12.
209
Ibid., p. 13.
210
Aujourd’hui cette revue existe toujours. Il s’agit de l’Orbital Debris Quaterly News de la NASA.
- 96 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Au-delà de cette chronologie des faits, il faut revenir sur la constitution incrémentale
de la CE nationale et des conditions dans lesquelles elle acquière un poids significatif
sur les prises de décision de politique nationale. Peter M. Haas attribue à la
communauté épistémique quatre caractéristiques : (1) un ensemble de croyances
normatives et de principes qui fournissent des bases à l’action (et qui seront contenus
dans le régime); (2) des croyances causales sur l’origine du problème et les solutions
à y apporter ; (3) des critères de validité des savoirs engagés dans le traitement de
l’enjeu ; et (4) des propositions d’action publique construites sur les pratiques
communes associées au problème qui fait l’objet de leur expertise 211.
(1) Les scientifiques des débris cités plus haut agissent selon des valeurs qui leur sont
propres mais qui renvoient à l’altruisme, l’empathie et l’engagement idéel 212. Dans
leurs actions se dessinent la prise en compte de l’espace comme bien commun de
l’humanité.
« Ideational commitment is the main motivation when entrepreneurs
promote norms or ideas because they believe in the ideals and values
embodies in the norms, even though the pursuit of the norms may have no
effect on their well-being. » 213
La narration de Donald J. Kessler est en soi porteuse de croyances normatives. Il est
indéniable que ces dernières ont servi de base à l’action pour ce noyau de
scientifiques.
(2) Le problème des débris est le résultat selon ces scientifiques d’une logique
causale. Cette croyance causale est parfaitement formalisée dans l’article de Donald
J. Kessler et Burton G. Cour-Palais.
“Since the beginning of the space age, thousands of satellites have been
placed in earth orbit by various nations. (…) Because many of these
satellites are in orbits which cross one another, there is a finite
probability of collisions between them. Satellites collision will produce a
number of fragments, some of which may be capable of fragmenting
another satellite upon collision, creating even more fragments. The result
211
Peter M. Haas, « Introduction: epistemic communities and international policy coordination », International Organization,
Winter 1992, vol. 46, n° 1, p. 3 (cité in Bossy, T., Evrard, A., « Communauté épistémique », in Boussaguet, L., Jacquot, S.,
Ravinet, P. (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po, 2010, p. 143.
212
Martha Finnemore, Kathryn Sikkink, op. cit., p. 898.
213
Ibid.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
214
Donald J. Kessler, Burton G. Cour-Palais, “Collision frequency of Artificial Satellites…”op. cit., p. 1.
215
La théorisation des modèles comme facteur de diffusion est une approche développée par la sociologie des organisations
néo-institutionnalistes qui se focalise sur la théorisation des solutions. Ici, nous nous focalisons sur la théorisation d’un
problème, mais les effets décrits en termes de diffusion restent les mêmes.
216
Donald. J.Kessler et B. G. Cour-Palais, "Collision Frequency… », op. cit.,p.2645.
217
Donald J. Kessler, “A partial History…”,op. cit. , p. 4.
- 98 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
aujourd’hui par les agences spatiales et très peu mis en cause 218. De plus, si
l’information sur la population des débris est aisément accessible, il n’en est pas de
même pour les outils et les méthodes d’évaluation et de mesure utilisés par la NASA.
(4) La majeure contribution de la CE emmenée par Kessler est l’élaboration d’une
politique publique des débris. En termes d’action publique, ils promeuvent la
diffusion des mesures de réduction des débris (space debris mitigation guidelines).
En 1995, la NASA est la première agence spatiale dans le monde à publier un
ensemble de recommandations complètes relatives à la réduction des débris orbitaux.
En 1997, le gouvernement américain développe un ensemble de pratiques standards
pour la réduction des débris orbitaux (Orbital Debris Mitigation Standard Practices)
inspiré du document de la NASA.
Peter M. Haas ne réduit pas la CE à la communauté scientifique. L’accent est mis sur
la croyance partagée au sein d’un groupe de professionnels et la foi en la vérité que
la CE souhaite incarner. Cet élargissement de la CE est repris par des analyses
contemporaines :
“I argue that the actors that comprise epistemic communities can be
governmental or non-governmental, scientific or non-scientific” 219
218
Les agences spatiales utilisent encore aujourd’hui les logiciels de la NASA pour modéliser l’évolution de la population
orbitale. Cela pose un problème de falsifiabilité. Seul le CNES a décidé en 2012 de réaliser une évaluation indépendante qui
a d’ailleurs montré des résultats différents.
219
Mai’a K. Davis Cross, « Rethinking epistemic communities…”,op. cit., p.11.
- 99 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
220
Cela peut faire référence à la définition donnée par Margaret E. Keck et Kathryn Sikkink du “transnational advocacy
network” incluant des “actors working internationally on an issue, who are bound together by shared values, a common
discourse, and dense exchanges of information and services.”, in “Transnational advocacy networks in international and
regional politics”, International Social Science Journal, Oxford, Blackwell Publishers, UNESCO, Vol. LI, n°159, 1999, pp.
- 100 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
89- 101. Même si cette définition semble conforme à cette thèse, ce concept reste trop flou. Celui de CE permet de mieux
analyser les ressorts et mécanismes d’une telle communauté transnationale.
221
Expression employée dans le rapport de la Commission Rumsfeld en 2001, U.S House Armed Services Committee,
« Report of the Commission…”, op. cit., Executive Summary, p. vii-viii. Cette expression a été aussi été employée
auparavant par l’administration américaine lors de la mise en orbite du premier satellite artificiel dans l’espace en 1957,
objet soviétique, qui a alors été vécu par les Américains comme un échec de leur politique spatiale.
222
Ceci peut paraître relativement évident mais les débris sont également issus d’autres phénomènes (étages de fusée après
lancement, satellites hors d’usage etc.)
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
“In the 1980s, our research and public education campaign opposing
President Ronald Reagan's Strategic Defense Initiative ("Star Wars")
helped force the government to scale back the program.” 224
Dans sa présentation, l’UCS se présente comme un groupe exerçant une science
engagée (« engaged science »), mais dans le même temps, affirme chercher la vérité
(« seek the truth »). Les Etats-Unis comptent un nombre important de groupes de
réflexion, appelés think tanks dont la vocation est de conseiller mais aussi
d’influencer les décideurs politiques. Certains ont une tendance politique affichée,
d’autres se déclarent non-partisans. Tous ces think tanks véhiculent des croyances
normatives qui peuvent être en concurrence. Il en est de même pour la norme relative
à la sécurité des activités spatiales. Depuis le début des années 2000, de nombreux
think tanks spécialisés dans les réflexions liées à la sécurité internationale, se sont
intéressés à l’espace et la plupart du temps sous l’angle de la course aux armements et
son corollaire, la prolifération des débris. Beaucoup d’entre eux ont écrit sur la course
aux armements dans l’espace mais l’ont abordé comme un sujet en marge de leurs
domaines de recherche principaux (comme la réflexion sur les armes nucléaires).
C’est le cas de la Federation of American Scientists, de la Nuclear Threat Initiative,
de l’Arms Control Association, de la Carnegie Endowment for international peace et
du Center of American Progress. A l’inverse certains en font un domaine de
recherche à part entière avec des « experts » identifiés, c’est le cas du Stimson Center
(programme Space Security dont l’expert est Michael Krepon), Reaching Critical Will
(abordé via le projet de recherche sur les armes spatiales et la technologie de la
défense antimissile), le Center for Strategic and International Studies (CSIS) via les
« Space Initiatives », le Council on Foreign Relations (Technology and
Science/Space), Heritage Foundation (Space Policy dont les experts sont Peter
Brookes (qui a travaillé au sein de l’administration George W. Bush) , Dean Cheng et
James Jay Carafano). Enfin, un think tank est dédié à l’espace et notamment, comme
son site internet l’indique, « à la promotion de solutions coopératives au profit de la
223
L’UCS a été créée en 1969 par un groupe de scientifiques et des étudiants du MIT afin de protester contre la militarisation
de la recherche scientifique.
224
http://www.ucsusa.org/about/ucs-history-over-40-years.html
- 102 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
225
durabilité de l’espace » . Il s’agit de la Secure World Foundation et de ses experts,
Dr Michael Simpson, Dr Ray Williamson, Victoria Samson, Brian Weeden,
Christopher D. Johnson et Laura Delgado Lopez. Le Stimson Center est aussi très
actif dans la promotion pour l’adoption d’un code de conduite pour les activités
spatiales. Ces deux derniers think tanks bénéficient de fonds issus de donneurs
philanthropes 226. Ces experts revendiqués sur un thème particulier sont invités par les
décideurs politiques à les conseiller sur un sujet qu’ils ne maîtrisent pas et au sein
duquel un décodage est indispensable. La frontière entre le monde des think tanks et
celui de la politique est poreuse, surtout aux Etats-Unis. Certains membres de think
tanks peuvent occuper une fonction au sein d’une administration pendant un certain
temps. C’est le cas d’Ashley Tellis aujourd’hui à la Carnegie Endowment for
International peace mais qui a travaillé précédemment pour le Département d’Etat et
le National Security Council. Avant cela, il était expert à la RAND Corporation. Il
existe alors une certaine filiation entre décideurs politiques américains et écoles de
pensée au sein des thinks tanks. De manière schématique, deux écoles s’opposent.
Chacune d’entre elles portent des croyances qui leur sont propres. La première est
rattachée à la frange conservatrice des partis politiques américains. Ils sont affiliés à
la pensée réaliste, considérant la société internationale comme anarchique où règne le
dilemme de sécurité. Ils sont favorables au déploiement d’armes dans l’espace, sur
terre vers l’espace ou encore dans l’espace aérien en direction de l’espace. C’est le
cas de l’Heritage Foundation, de l’institut Heartland, de l’Hudson Institute et
l’American Enterprise Institute. C’est au sein de cette école de pensée que règne le
skill thinking, la pensée experte 227. Même si cette caractéristique peut être généralisée
à la politique étrangère américaine toute tendance confondue, elle se matérialise
davantage au sein des administrations conservatrices. Il s’agit de la propension à
répondre systématiquement à un problème par une solution technologique. Ainsi,
Ronald Reagan croit pouvoir mettre fin à la Guerre froide avec l’établissement de son
Initiative de Défense Stratégique visant l’obsolescence des armes nucléaires, projet
hautement technologique s’il en est. De même, le 13 décembre 2001, faisant suite aux
225
http://www.swfound.org/
226
Notamment la famille Collins Arsenault pour la Secure World Foundation. http://www.swfound.org/about-us/our-board/
227
Stanley Hoffmann, Gulliver empêtré, Essai sur la politique étrangère des Etats-Unis, Paris, Le Seuil, Coll. Esprit, 1971,
p.201-221.
- 103 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
228
U.S House Armed Services Committee, « Report of the Commission to Assess United States National Security Space
Management and Organization”, January, 11, 2001, http://space.au.af.mil/space_commission/
229
Stanley Hoffman, Gulliver…, op. cit., p.226.
230
Martha Finnemore, Kathryn Sikkink, op. cit., p. 897.
231
Ces différents « critères », définissant les conditions dans lesquelles une CE a une influence significative sur les décideurs
politiques, sont issus des travaux de Peter M. Haas et de Mai’a Davis Cross.
- 104 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
certains objets comme cela a été le cas pour Skylab. Même si des programmes de
météorologie de l’espace sont mis en œuvre, cette discipline reste peu développée et
les prévisions restent difficiles à établir. D’autre part, des incertitudes sont
entretenues par le facteur humain. En effet, les capacités des Etats spatiaux peuvent
éventuellement subir des attaques de la part d’autres acteurs, étatiques ou non, dotés
de capacités spatiales ou pas. Le recours aux experts est ainsi perçu comme étant un
réducteur d’incertitude. Ils émettent à l’attention des décideurs des séries de
recommandations pouvant influencer in fine les décisions politiques. Les experts de la
NASA contribuent ainsi à l’analyse scientifique, apportant des solutions techniques à
la problématique des débris, elle-même liée en partie à la problématique de la course
aux armements dans l’espace. Cela peut se traduire par la conception de satellites
durcis ou par l’utilisation de la redondance des matériels. D’autres experts apportent
une analyse en termes de conduite à tenir, se situant davantage dans l’univers des
constellations diplomatiques 232 et de la soft law. Pendant la Guerre froide, il s’agissait
d’anticiper le comportement de l’Union soviétique. Aujourd’hui, les débats
américains se cristallisent majoritairement sur la conduite à tenir face à la Chine.
L’incertitude est renforcée au 21 ème siècle par la multiplication des acteurs étatiques
et non étatiques dans l’espace. De plus en plus d’acteurs étatiques souhaitent utiliser
l’espace à des fins de développement ou dans un but sécuritaire. On estime qu’une
soixantaine d’Etats bénéficient de nos jours des utilisations de l’espace. D’autres, tels
que les opérateurs privés, l’exploitent dans une ambition lucrative. Même si les Etats-
Unis restent dominants dans l’espace, ils sont loin de l’exploiter seuls, ce qui
augmente l’incertitude. Face à cette multiplication d’objets dans l’espace, les Etats-
Unis ont apporté jusqu’à maintenant majoritairement des réponses technologiques
issues de la pensée experte. L’environnement spatial est alors « un champ
d’affrontement » 233 où y dissiper le « brouillard de la guerre » 234 devient complexe.
Loin de dissiper ce brouillard, les révolutions technologiques le font perdurer 235. La
232
Expression reprise d’un article de Raymond Aron, « De l’analyse des constellations diplomatiques », Revue française de
Science Politique, vol. 4, n°2, 1954, pp. 237 – 251.
233
Concept interarmées, Concept d’emploi des forces, Centre Interarmées de concepts, de doctrines et d’expérimentations
(CICDE), 11 janvier 2010, p. 25.
234
Expression clausewitzienne. Carl von Clausewitz, De la guerre, Paris, Ed. de Minuit, 1959.
235
Référence ici est faite à ce qui a été appelé outre-Atlantique la Révolution dans les Affaires Militaires (RMA). Elle
désigne l’utilisation de la haute technologie dans la conduite de la guerre. L’utilisation de l’espace entre donc pleinement
dans cette RAM – nonobstant les remises en cause du concept au profit de la Transformation.
- 105 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
« (…) lorsque les informations et les idées ne sont pas accessibles à bas
prix, donc lorsque l’incertitude est élevée, tout en laissant la dimension de
la visibilité politique du problème élevée, nous observons une activité
grandissante des entrepreneurs politiques supranationaux ou des
communautés d’experts qui peuvent gagner de l’influence. Ce mode de
policy-making est celui des « communautés épistémiques » ». 237
236
Edgar Morin, Introduction à la pensée complexe, op. cit., p. 22.
237
Sabine Saurugger, « L’expertise : un mode de participation des groupes d’intérêt au processus décisionnel
communautaire », Revue française de Science politique, Presses de Sciences Po, Vol. 52, 2002/4, pp. 375- 401.
- 106 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
des débris. Ce travail a permis une mise sur agenda politique américain. Ces acteurs
portent ce problème car ils estiment être directement concernés par les conséquences
possibles. Dans les années 1980, le problème des débris est peu médiatisé. Les
scientifiques de la NASA sont cependant des acteurs ayant des ressources et un
capital social et relationnel étendu. Ils ont en effet un accès plus aisé aux arcanes du
pouvoir et aux décideurs. On serait donc tenté d’appliquer le modèle élitiste pour
expliquer cette mise sur agenda, d’autant plus que le thème des débris spatiaux s’est
développé au sein d’univers relativement clos, d’espaces confinés (scientifiques,
hauts fonctionnaires, décideurs). Mais cette explication, si elle n’est pas fausse,
semble trop restrictive. Une des caractéristiques de cette « élite » 238 est de maîtriser
un domaine hautement scientifique et technique. La compréhension y serait difficile
si les scientifiques ne faisaient pas cet effort de décodage de la connaissance brute.
Cela pourrait constituer un frein à l’accès au champ politique. Les entrepreneurs de
normes à l’image de Kessler opèrent ce processus de décodage des données
scientifiques. De plus, l’accès au champ politique est facilité par l’intérêt que porte le
DoD au problème des débris, avec une question bien particulière en tête : quelle est la
probabilité qu’un satellite du DoD en orbite basse soit endommagé par une collision
avec un autre objet ? En pleine Guerre froide, au-delà de la problématique des vols
habités, il s’agit d’une question de sécurité nationale. En effet, les satellites
militaires, notamment ceux de reconnaissance, sont placés en orbite basse. Pour cela,
la configuration des acteurs corporatifs NASA / DoD en fait un couple qui se
complète. Les deux institutions en tant qu’administrations sectorielles du 2nd cercle
ajustent leurs intérêts sectoriels aux exigences politiques.
238
La notion d’élite est complexe et riche de réflexions sur son sens. Il n’est pas question ici de s’appesantir sur le sujet
sachant que cela n’apporte rien à la démonstration. Cependant, on lira avec intérêt des analyses telles que celle de William
Genieys, Sociologie politique des élites, Paris, Armand Colin, 2011.
- 107 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
responsibility to predict the future environment for both large and small
pieces.” 239
Le DoD possède les capteurs (radars) via l’US Space Surveillance Network et les
spécialistes de la NASA exploitent les résultats, ils apportent l’expertise technique
(évaluation de la forme et de la densité) sur la question des débris. Cette coopération
débouche en 1990 sur la constitution d’un programme de recherche du DoD sur les
débris spatiaux au sein du U.S Air Force’s Philips Laboratory. NASA et DoD sont
donc interdépendants au sens éliasien. Les scientifiques de la NASA sont en
désaccord avec les projets technologiques envisagés par le DoD mais
paradoxalement, en apportant leur expertise technique et scientifique à ces projets,
l’équipe de Kessler fait progresser leurs propres croyances.
L’OTA permet également à l’équipe de la NASA d’échanger avec les membres du
Congrès. En effet, en 1990, l’OTA publie un rapport concernant le problème des débris
spatiaux 240. Le directeur de l’OTA est à cette époque John H. Gibbons, scientifique
américain 241. Parmi les contributeurs de ce rapport, on observe la présence de membres de
la NASA dont Donald Kessler et Nicholas Johnson, futur scientifique en chef du NASA’s
Orbital Debris Program Office cité précédemment, et le scientifique Ray A.
Williamson 242. Sont présents également plusieurs membres des « ministères » américains
(Department of State, Department of Commerce, Department of Transportation), des
militaires (US Army et US Air Force), des industriels (General Dynamics) et des
universitaires. Contrairement au rapport sur la course aux armements dans l’espace, aucun
think tank n’est présent. Cette instance a permis de donner un accès privilégié aux
scientifiques de la NASA afin de fournir au Congrès une expertise scientifique et
technologique lui permettant in fine d’influencer les décisions de l’exécutif. Ce canal de
communication ne peut plus à présent être utilisé car les Républicains suspendent les
financements attribués à l’OTA et obtiennent sa suppression en 1995.
La question de la proximité du noyau de la CE avec les décideurs politiques en amène une
autre, celle de l’utilisation de la science par le politique et vice-versa. Les chercheurs de la
239
Debra Werner, « Nicholas Johnson, NASA’s Chief Scientist for Orbital Debris », Space News, 10 Mai 2010,
http://www.spacenews.com/article/nicholas-johnson-nasas-chief-scientist-orbital-debris
240
U.S. Congress, Office of Technology Assessment, Orbiting Debris: A Space Environmental Problem-Background Paper,
OTA-BP-ISC-72 (Washington, DC: U.S. Government Printing Office, September 1990).
241
J. H. Gibbons est un scientifique ayant pris partie contre les tests nucléaires. Entre 1993 et 1998, il devient conseiller du
président Clinton pour la Science et la Technologie et dirige le (White House) Office of Science and Technology Policy.
- 108 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
242
De 1979 à 1995, il est expert à l’OTA. On le retrouvera dans cette thèse, quelques années plus tard en tant que directeur
du think tank Secure World Foundation.
243
Pierre Bourdieu, « Le champ scientifique », Actes de la recherche en sciences sociales, Vol. 2, n° 2-3, juin 1976, p. 89.
244
Ce qui fait dire à Krebs que les motivations des membres de la CE reflètent peut-être simplement leur culture nationale et
leur intérêt stratégique plutôt que leur expertise professionnelle, in Mai’a K. Davis Cross, « Rethinking epistemic
communities…”, op. cit., p. 10. Ronald R. Krebs, « The Limits of Alliance : Conflict, Cooperation, and Collective Identity »,
in Anthony Lake and David Ochmanek, eds., The Real and the Ideal: Essays on International Relations in Honor of Richard
H. Ullman, 207-235. Lanham: Rowman and Littlefield/Council on Foreign Relations, 2001.
245
Peter M. Hass, « Le pouvoir et la vérité », op. cit., p. 48.
246
Ibid.p. 1.
- 109 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Dans un premier temps, les recherches de Kessler et de son équipe intéressent peu les
décideurs politiques. Puis cet intérêt croît. En effet, la NASA est une administration
sectorielle dont les décideurs dépendent afin de réaliser leurs ambitions spatiales. De
plus, la prise en compte du problème des débris sert directement ces derniers. En
effet, ils pourraient être accusés de négligence par l’opinion publique si un incident
dans l’espace survenait avec des conséquences sur la vie des astronautes ou sur terre
(prise de conscience avec le COSMOS 954 et Skylab). Enfin, ne pas se préoccuper
des débris remettrait potentiellement en cause leur ambition hégémonique de leader
dans l’espace en le rendant inutilisable. Il est cependant difficile de dire si cette
inscription à l’agenda a servi comme une anticipation politique de gains.
(4) Une autre condition du pouvoir de persuasion de la CE est qu’elle élabore des
solutions (à un problème dont le décideur politique a conscience) non perturbatrices
(non « disruptive » 248) avec les normes existantes. Les scientifiques de la NASA l’ont
bien compris. Ils ne cherchent pas à s’opposer de front avec les croyances normatives
en place. On pense notamment à la croyance en l’obsolescence des armes nucléaires
grâce à l’IDS, système de systèmes 249, dont les ASATs font partie intégrante. A
l’inverse, les scientifiques cherchent des alternatives, comme celle d’utiliser une cible
en orbite plus basse 250 afin que les débris rentrent rapidement dans l’atmosphère.
247
Sabine Sarugger, « L’expertise… », op. cit.,p. 378.
248
Mai’a K. Davis Cross, « Rethinking epistemic communities…”,op. cit., p.9.
249
« J’en appelle aujourd’hui aux scientifiques de notre pays, ceux qui nous ont donné l’arme atomique, de désormais
soutenir de leurs grands talents la cause humaine et la paix dans le monde, en rendant ces mêmes armes impotentes et
obsolètes. » “I call upon the scientific community in our country, those who gave us nuclear weapons, to turn their great
talents now to the cause of mankind and world peace, to give us the means of rendering these nuclear weapons impotent and
obsolete.”, Ronald Reagan, discours télévisé du 23 Mars 1983.
250
Donald J. Kessler, “A partial History…”,op. cit., p. 11.
- 110 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
(5) Il doit y avoir peu de compétition avec d’autres acteurs. Il semblerait que les
alertes émises par le noyau des scientifiques de la NASA aient été dans un premier
temps ignorées mais jamais concurrencées par d’autres données émanant d’autres
acteurs qui seraient leurs compétiteurs normatifs. Face à cette problématique
naissante qu’ils tentent d’imposer dans le débat public, ils ne sont pas en compétition
avec d’autres coalitions. Par la suite, le problème des débris semble unanimement
reconnu. C’est bien plus sur le terrain des solutions que des coalitions différentes se
créent.
(6) Pour être persuasive, la CE élargie doit assurer sa cohésion interne.
“I hypothesize that if an epistemic community is not internally cohesive,
then it is less likely to be as persuasive as one that is. This internal
cohesion ultimately provides the group with an episteme, a shared
worldview that derives from their mutual socialization and shared
knowledge.” 251
Les scientifiques de la NASA, les membres des think tanks de l’arms control, les
penseurs stratégiques et certains membres de l’administration américaine démocrate
sont les membres d’une même CE bien qu’eux-mêmes ne se définiraient peut-être pas
ainsi. Ils viennent d’horizons professionnels différents mais sont liés par des
croyances normatives partagées et une expertise mise au service du décideur. Pour
Davis Cross, le degré de cohésion interne au sein d’une CE est fondamental afin de
comprendre son influence sur les décisions politiques. Dans les années 1970 et 1980,
la cohésion de la CE élargie est faible. Cependant, lorsque les croyances se diffusent
et que de nouvelles données viennent en support à l’argumentaire des scientifiques,
une certaine cohésion se dégage. Afin de la créer puis de la renforcer, les membres se
rencontrent, échangent, apprennent les uns des autres et se socialisent. Pour cela, la
NASA a multiplié les opportunités de rencontres au sein de forums d’échange. Elle a
très vite compris l’intérêt de persuader et de fédérer un nombre important de
personnes, tout horizon professionnel confondu.
« (…) socialization, relationship, and persuasive processes within 252 the
epistemic community are even more important in ultimately determining
251
Mai’a K. Davis Cross, « Rethinking epistemic communities…”,op. cit., p. 11.
252
En italique dans le texte.
- 111 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
the strength or weakness. (…) These dynamics reveal how well epistemic
communities are able to frame social reality collectively. Even if there is
initial disagreement on substance, robust social cohesion can enable an
epistemic community to overcome internal differences and thus be more
externally persuasive.” 253
Dans l’optique de cette création et cet entretien de la cohésion interne, Kessler
organise, en juillet 1982, un groupe de travail de trois jours sur les débris orbitaux.
Environ cents représentants de l’industrie et du gouvernement y participent. A l’instar
de la démarche de socialisation opérée par les scientifiques de la NASA, le Stimson
Center, rejoint par la suite par d’autres think tanks, met en place en 2002 un
processus d’apprentissage structuré au travers du Space Security Project. Il cible des
« élites » ou des intermédiaires, ces entrepreneurs de normes pouvant être définis plus
précisément comme des policy brokers ou en français des marginaux sécants 254
pouvant relayer leur message. Ce sont des acteurs individuels qui se trouvent à
l’interface entre plusieurs intérêts, n’ayant pas de frontières « organisationnelles » et
utilisant les ressources liées à cette situation afin de faire avancer leurs idées ou se
poser en médiateurs. En réaction à la politique spatiale menée par l’administration
Bush, le Stimson Center propose une alternative à la domination spatiale.
“So Stimson set about to devise an alternative concept to space dominance
and a diplomatic initiative that might advance space security. The
alternative concept proposed in Stimson Center programming is that of
“space assurance”. The diplomatic initiative Stimson championed is a
Code of Conduct for responsible space-faring nations.” 255
L’objectif de ce think tank est d’influencer les décideurs politiques américains en
matière de diplomatie spatiale. Selon eux, la diplomatie américaine se doit de mettre
en place des normes internationales.
“(…) this diplomatic initiative could help set norms for responsible space-
faring nations in the near term.” 256
253
Mai’a K. Davis Cross, « Rethinking epistemic communities…”,op. cit., p. 12-13.
254
Haroun Jamous, Sociologie de la décision : la réforme des études médicales et des structures hospitalières, Paris, Éditions
du Centre National de la Recherche Scientifique, 1969 ; et Michel Crozier, Erhard Friedberg, L’acteur et le système, Paris,
Ed. du Seuil, coll. Points, 1977.
255
Michael Krepon, « A case Study in Policy Entrepreneurship », http://www.stimson.org/images/uploads/research-
pdfs/A_Case_Study_in_Policy_Entrepreneurship.pdf
256
Ibid.
- 112 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
257
A l’instar de la Carnegie Endowment for international peace
258
Michael Krepon, « A case Study…”,op. cit.
259
Michael Krepon, Christopher Clary, Space Assurance or Space Dominance ? The Case against weaponizing space,
Washington, The Henry L. Stimson Center, 2003.
260
Ibid.
261
Max Weber, Essai sur la théorie de la science, Paris, Plon, 1965.
- 113 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Les relations diplomatiques spatiales entre les deux Etats se sont tissées très tôt étant
donné leurs ambitions réciproques similaires dans ce domaine. Le gouvernement
chinois a salué la prouesse soviétique en 1957 lorsque Spoutnik est mis en orbite.
C’est pour les Chinois la preuve que le socialisme a vaincu le capitalisme de l’ouest.
La coopération scientifique et technologique entre les deux Etats se renforce. C’était
sans compter leurs positions divergentes en matière de politique étrangère, de
conception doctrinale, de lutte révolutionnaire et de culte de la personnalité 262. Cela
donne lieu à une rupture des relations entre les deux Etats. La Chine parvient à être la
cinquième puissance spatiale dans l’histoire après la mise en orbite de son propre
satellite le 24 avril 1970. La réconciliation avec l’URSS se réalise à la faveur de
l’effondrement de celle-ci. Mikhaïl Gorbatchev visite Beijing en 1989 et tente de
régler une série de litiges notamment frontaliers avec les dirigeants chinois. Plus tard
en 1996, le groupe des cinq de Shanghai les réunit, ce qui devient en juin 2001
l’Organisation de Coopération de Shanghai. Ce forum est considéré comme une
alternative à l’OTAN et un moyen de lutte contre l’influence américaine. Ainsi, les
Etats-Unis ont reçu une fin de non-recevoir à leur demande de statut d’Etat
observateur au sein de cette enceinte. En 2005, la participation de l’Inde comme Etat
observateur à cette organisation permet de nuancer l’exclusivité de la relation
américano-indienne. Le rapprochement stratégique sino-russe permet à la Chine de
combler ses retards technologiques en se portant acquéreur des technologies spatiales
russes. La Chine fait alors de l’espace un élément parmi d’autres de sa reconnaissance
262
Isabelle Sourbès-Verger, Un empire très céleste. La Chine à la conquête de l’espace, Paris, Ed. Dunod, 2008, p. 22.
- 114 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
“The member states stand for ensuring outer space security, peaceful use
of outer space and prevention of outer space weaponization. They promote
the formulation of a "treaty on the prevention of the placement of weapons
in outer space and the threat or use of force against outer space objects",
263
Final Report of the Select Committee on U.S National Security and Military/Commercial Concerns with the People’s
Republic of China, plus connu sous le nom de rapport COX du nom du représentant républicain qui a préside cette
commission. Une version non classifiée de ce rapport a été publiée en 1999.
264
Isabelle Sourbès-Verger, Un empire très céleste…, op. cit.,p. 72.
265
Ce point est davantage abordé plus tard dans la thèse.
266
Isabelle Facon, « Les relations stratégiques Chine-Russie en 2005 : la réactivation d’une amitié pragmatique », Notes de la
Fondation pour la Recherche Stratégique, 20 janvier 2006,
http://www.frstrategie.org/barreFRS/publications/notes/2006/20060120.pdf
267
Ibid.
268
Déclaration relayée sur le site officiel du Kremlin, http://eng.kremlin.ru/news/2394
- 115 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
La puissance spatiale russe reste l’acteur étatique le plus enclin à dialoguer avec les
Européens sur le projet de CoC.
1.1.2.2.1. En bilatéral
De 1972 à 2002, la Russie et les Etats-Unis scellent un pacte de non-agression dans
l’espace, une « pax spatialis ». En 1972, au titre de l’article V du traité SALT
(Strategic Arms Limitations Talks), les deux parties s’engagent à ne pas interférer ou
endommager les objets spatiaux participant aux opérations de vérification des
mesures concrètes de réduction des armements stratégiques prévues par le traité 270. Il
s’agit donc des satellites de télédétection. Dans le même temps, ils s’engagent, au
titre du traité ABM (Anti-Balistic Missile), à ne pas déployer de systèmes à vocation
ABM dans l’espace extra-atmosphérique. Cela permet de maintenir un équilibre entre
les deux superpuissances au cœur duquel trône la dissuasion nucléaire. Or, en mars
1983, l’annonce du projet reaganien baptisé « Initiative de Défense Stratégique » est
en contradiction avec ce traité de limitation. En effet, le projet de défense antimissile
américain prévoit des systèmes d’interception depuis le sol mais également depuis
l’espace. Les Soviétiques invoquent alors devant les Nations Unies une violation de
l’accord, en vain. Ils décrètent finalement un moratoire unilatéral sur les essais
ASATs. Cet acte qui pourrait apparaître comme renforçant la pax spatialis se fait
dans un contexte de montée des tensions. Ce moratoire est un coup diplomatique afin
de tenter de freiner le projet titanesque américain. Cet activisme soviétique n’est pas
le résultat d’une CE nationale en URSS. Ces initiatives sont le reflet de la stratégie
adoptée par les dirigeants soviétiques. Ainsi le moratoire de 1983 est davantage un
moyen de freiner les avancées américaines en matière d’ASATs, en espérant que ce
moratoire soit partagé, ce qui est hors de question pour l’administration américaine.
269
Declaration of the Heads of State of the Member States of the Shanghai Cooperation Organization on Building a Region of
Lasting Peace and Common Prosperity, 7 juin 2012, site official de l’Organisation de Cooperation de Shanghai,
http://www.sectsco.org/EN123/show.asp?id=442
- 116 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
270
Hubert Fabre, L’usage de la force…, op. cit. p. 8.
271
Joseph Nye, Bound to Lead: The Changing Nature of American Power, New York, Basic Books, 1990.
272
Mémorandum du secrétaire à la Défense William Cohen, 9 juillet 1999. http://www.au.af.mil/au/awc/awcgate/dod-
spc/dodspcpolicy99.pdf
273
Xavier Pasco, L’Espace et les approches américaines …, op. cit., p. 88.
- 117 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
274
Pour une analyse fine de ces débats, lire Xavier Pasco, « La National Missile Defence aux Etats-Unis ou de la difficulté de
bâtir un nouvel ordre mondial, Annuaire français des relations internationales, Bruxelles, Ed. Burylant, vol. 2, 2001 , p.755-
769.
275
“The CD and PAROS.A short History”, UNIDIR Ressources, April 2011.
276
Paul Meyer, “Diplomatic options for reinforcing Outer Space Security”, Space Security Conference 2011, Genève, 4 avril
2011.
- 118 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
277
Pour une revue de ces différentes initiatives, lire Hubert Fabre, op. cit.,p. 122-126.
278
China : Draft decision on the re-establisment of an ad hoc committee on PAROS, CD/1576, 18 mars 1999.
279
Working paper : China’s position on and suggestions for addressing PAROS at the CD, CD/1606, 9 février 2000.
280
Xavier Pasco, « L’Espace et les approches américaines de la sécurité nationale (1958-2010) », L’Information
géographique, vol. 74, 2010/2, Paris, Ed. Armand Colin, p. 89.
- 119 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
besoin impérieux des Etats-Unis de disposer d’une défense antimissile. Décision est
alors prise de se retirer du traité sur la limitation des systèmes antimissiles. Cette
annonce est faite le 13 décembre 2001 et effective à partir du 13 juillet 2002. Cela
signifie théoriquement que les Américains peuvent à présent relancer des programmes
de défense antimissile et placer, à l’instar de ce qui était envisagé pour l’IDS, des
systèmes offensifs dans l’espace. Paradoxalement, cette dénonciation a pour effet
d’accélérer l’émergence de la norme sur la sécurité des activités spatiales et de
réactiver le PAROS 281. En effet, c’est en 2002 que la Chine et la Russie déposent
conjointement un document de travail au PAROS afin d’élaborer un futur régime
juridique international sur la prévention du déploiement d’armes dans l’espace, la
menace ou l’utilisation de la force contre les objets spatiaux 282, le futur traité PPWT
(Prevention of the Placement of Weapons in Outer Space and of the Threat or Use of
Force against Outer Space Objects) 283. L’étude du contenu de ces propositions fait
l’objet d’une sous-partie dans cette partie.
281
Après une production limitée de documents, le PAROS via les Etats membres publie quatre documents en 2002, un en
2003, deux en 2005, deux en 2006, quatre en 2007, cinq en 2008, quatre en 2009, deux en 2010, trois en 2011 et un en 2012.
282
China and Russia : Possible elements of the future international legal instrument on the prevention of deployment of
weapons in outer space, the threat or use of force against outer space objects, CD/1679, 28 juin 2002.
283
Projet officiellement déposé à la CD le 28 février 2008, CD/1839.
- 120 -
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284
Entretien au Ministère des affaires étrangères, 9 février 2011.
285
Entretien avec le conseiller Espace au directeur de la Direction aux Affaires Stratégiques (ex-DAS), 1 er octobre 2010.
286
Alain de Nève, La stratégie spatiale militaire chinoise, Institut Supérieur Royal de Défense, Centre d’Etudes de Sécurité
et de Défense, Université catholique de Louvain, Note d’analyse n°4, mai 2009.
287
Entretien au Ministère des Affaires Etrangères (MAE), 9 février 2011.
- 121 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
leurs côtés, les Américains ne semblent pas disposés à négocier le traité PPWT tant
que les négociations sur le FMCT n’ont pas lieu. Quant au gouvernement russe, il
menace régulièrement de se retirer du traité START si les Etats-Unis concrétisent leur
projet de défense antimissile balistique en installant notamment des systèmes
« défensifs » aux frontières de la Russie, dans les anciennes républiques soviétiques
(République Tchèque, Slovaquie et Pologne). La Russie voit ces installations comme
potentiellement offensives et pouvant constituer une menace pour ses forces
nucléaires. Ils ne veulent ainsi plus réduire leur armement stratégique défensif et
offensif, se sentant menacés par les installations « défensives » américaines, et
maintenant otaniennes.
La CD est placée en situation d’échec dans son rôle de forum de discussion et de
régulation des relations interétatiques. Elle fait face à un réel blocage. Les institutions
nationales sont bien facteurs d’ordre en organisant l’action publique, mais les
institutions internationales ne sont pas systématiquement en mesure d’organiser
l’action publique internationale. Elles sont utilisées par les Etats. Le constat
d’anarchie de la société internationale en l’absence d’autorité supranationale
véritablement déterminante est réaffirmé, même dans le secteur spatial. Ce constat
n’est pas l’échec de la mise en place de politiques publiques multilatérales, mais bien
davantage l’échec du mode de fonctionnement des institutions supranationales elles-
mêmes, qui provoque une inertie. Ce dernier pourrait être modifié car ce sont là
encore les Etats qui l’établissent.
Le Stimson Center propose une solution à ce blocage afin de faire progresser leur idée
de code de conduite :
“Since a Code of Conduct would take the form of an executive agreement
between the United States and other space-faring nations, it could bypass
the Conference of Disarmament which has not been able to agree upon a
program of work of more than a decade.” 288
L’institution est devenue une contrainte, voire un piège, elle est donc contournée par
les Etats. Comme évoqué plus haut dans la thèse, l’accord exécutif peut se substituer
aux résolutions de la CD.
288
Michael Krepon, “A case Study…”,op. cit.
- 122 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
- 123 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
est nucléaire en 1967 et met en orbite un satellite en 1988. Enfin, le Brésil mène des
politiques en vue d’enrichir son uranium mais décision est prise à la fin des années
1980 de ne pas développer l’arme nucléaire. Cependant, le Brésil demeure un Etat
menant une politique spatiale active malgré un échec retentissant en 2003.
Après la fin de la présence française en Algérie, la France fait envoyer ses satellites
par les Etats-Unis. Mais ces derniers ne souhaitent pas que la France en fasse un
usage commercial. Ils refusent ainsi d’envoyer tout satellite pouvant faire l’objet d’un
commerce entre la France et des Etats tiers. En mars 1964, le gouvernement français
décide de construire un pas de tir à Kourou, en Guyane française. A présent, l’objectif
est de pouvoir y lancer ses propres vecteurs, gage d’autonomie face aux Américains.
Dans cette optique, les Etats européens créent l’Agence Spatiale Européenne (ESA)
en 1973 et élaborent le programme du lanceur Ariane. Le lanceur Ariane 1 effectue
avec succès son premier vol inaugural depuis Kourou le 24 décembre 1979. Suivent
les différentes versions d’Ariane, jusqu’à la décision prise fin 2014 par le Conseil
ministériel de l’ESA de développer Ariane 6. C’est une véritable réussite européenne.
L’Europe avait auparavant tenté de mener un tel projet en créant le European
Launcher Development Organization (ELDO) et l’European Space Research
Organisation (ESRO). Cependant, les échecs du lanceur Europa poussent les
protagonistes à envisager d’abandonner l’idée d’un lanceur européen. Ce projet est
sauvé en 1973 lors de la Conférence Spatiale Européenne (CSE).
289
http://www.3af.fr/sites/default/files/comaero_05.1_carpentier_equipements_i.pdf
- 124 -
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290
http://www.ecpad.fr/kolwezi-une-operation-aeroportee-exemplaire, site consulté le 26 mai 2013.
291
Opération extérieure « Manta » au Tchad où là aussi les satellites espions américains de la série des Key Hole aident les
autorités françaises.
292
Pour un lancement effectif le 22 février 1986 (SPOT 1).
293
Les participants originels sont le CNES, la Belgique avec les Services fédéraux des affaires scientifiques, techniques et
culturelles belges (SSTC) et la Swedish Space Corporation (agence spatiale suédoise).
- 125 -
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
294
des chefs d’Etat-major des trois armées . Pourtant les années 1990 accélèrent cette
prise de conscience notamment sous l’effet de la fin de la Guerre froide et du
déclenchement de la guerre du Golfe en 1991, qualifiée de « première guerre
spatiale » 295 au sens où les moyens spatiaux ont été utilisés massivement. Avant la
décision de fabriquer le satellite Hélios, qui est lancé en 1995, un bureau Espace est
créé à l’Etat Major des Armées (EMA) en 1985 296 et la Direction du Renseignement
Militaire (DRM) voit le jour en 1992. Ces développements sont liés en partie à la
volonté politique de Pierre Joxe, ministre de la Défense de 1991 à 1993. Cet homme
politique a la conviction que le milieu spatial a un rôle stratégique à jouer dans la
pérennité du statut de puissance de la France. L’élan impulsé par Pierre Joxe se
retrouve dans le premier Livre Blanc de l’après Guerre froide (et donc deuxième de
l’histoire de France) publié en 1994 sous l’autorité du Premier Ministre Edouard
Balladur. Son objectif premier était d’émettre des orientations stratégiques au
lendemain de la fin du monde bipolaire. Ce document apporte quelques éléments
concernant les orientations en matière d’espace militaire, avec le développement de
satellites d’observation optique, radar et d’écoute 297. Mais l’absence d’avancées
notables malgré les propositions françaises au sein de la CD se double d’une remise
en cause de l’utilité de l’espace militaire au niveau national. Ceci est marqué en 2003
par la suppression du Bureau Espace sous prétexte que l’espace ne contribue pas
directement à la conduite des opérations 298. En 2003, ce sont pourtant les images
Hélios qui fournissent aux décideurs français les éléments concourant au choix de la
France de ne pas intervenir en Irak aux côtés des Américains. En 2008 et par
l’affichage politique que représente le Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité
Nationale (LBDSN), la France réaffirme sa volonté d’accorder une priorité
stratégique au domaine spatial. De ce LBDSN émane une volonté politique de donner
un nouvel élan à l’espace militaire.
294
Général Pascal Valentin (dir.), Espace & opérations, enseignements et perspectives, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 22.
295
La guerre du Golfe de 1990-1991 a été qualifiée ainsi car les Etats-Unis y ont utilisé de manière significative les satellites.
On est alors passé d’une utilisation stratégique à une utilisation opérative et tactique de l’espace. Lire Xavier Pasco,
« L’espace et les approches américaines de la sécurité nationale » op. cit..
296
Jacques Isnard, « M. Hernu installe un état-major de l’espace », Le Monde, 5 juin 1985.
297
Livre Blanc de 1994, p. 80.
298
Général Pascal Valentin, Espace & opérations, op. cit., , p. 24.
- 127 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Les trois marqueurs de cet intérêt renouvelé sont la création d’un commandement
interarmées de l’espace (CIE), l’annonce d’un doublement du budget et la
réaffirmation de la mission de surveillance de l’espace confiée à l’Armée de l’air. En
parallèle la France renouvelle ses programmes spatiaux militaires afin d’éviter tout
vide capacitaire. Ainsi la poursuite des programmes d’observation et d’écoute est
assurée. La France s’est équipée progressivement de tout le spectre des utilisations
militaires de l’espace et gagne ainsi en autonomie. Lorsque la France décide
d’intervenir sur un théâtre extérieur, l’espace vient alors en support aux opérations
militaires et notamment aériennes. Qui plus est, les interventions se déroulent sur des
terrains où parfois la distinction entre ami et ennemi est brouillée. Les capteurs
spatiaux sont utilisés en planification et en conduite des opérations afin d’atteindre
des objectifs tactiques en limitant les dommages humains et matériels. L’observation
de la terre permet de collecter des images, de les utiliser au profit de l’élaboration de
modules numériques de terrain et donc de réaliser de la cartographie. Les clients de
l’observation sont aussi les acteurs du ciblage. Ce dernier consiste à identifier et
sélectionner les cibles pour agir sur elles avec des moyens létaux ou non létaux en
vue d’obtenir l’effet recherché. La constitution du dossier d’objectifs sur les cibles
s’appuie sur de l’observation spatiale et permet de fournir au commandement les
éléments de la prise de décision et aux unités opérationnelles les éléments techniques
lui permettant de traiter la cible. En conduite, l’utilisation de l’espace existe mais est
complétée par des images de reconnaissance aérienne permettant une évaluation fine
des dommages causés au sol. L’utilisation éventuelle d’armements guidés GPS
299
Livre blanc sur la Défense et la sécurité Nationale (LBDSN), Paris, La Documentation française, juin 2008, p. 143.
- 128 -
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300
Un show of force est un passage à très basse altitude effectué par un avion de chasse afin d’avertir ou d’intimider des
assaillants sur le théâtre des opérations.
301
Joseph Henrotin, « Imaginaires techno-informationnels et efficience militaire », in Maryse Carmes et Jean-Max Noyer,
(dir.) Les débats du numérique, Paris, Presses des Mines, p. 185-208, mai 2014.
- 129 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
réflexion nationale sur le sujet. Ces développements font l’objet d’une analyse
approfondie dans la deuxième partie de cette thèse.
Malgré les quelques exemples de coopérations spatiales militaires cités ci-dessus, le
bilan reste plutôt mitigé. Ces difficultés amènent la France à repenser les modalités
de ses coopérations 302 notamment sur le prochain programme de satellites militaires
d’observation. Malgré les moyens existants et l’affichage d’une volonté politique,
renouvelée lors du discours de Nicolas Sarkozy à Kourou en 2008, le doublement du
budget annoncé dans le LBDSN 2008 n’a pas eu lieu 303. Les dirigeants français
successifs ne portent à l’espace militaire qu’un intérêt dicté par les conjonctures. A
l’inverse, aux Etats-Unis, l’intérêt et la volonté politique sont constants et donc
structurels. Ce relatif désintérêt politique français pour l’espace explique en partie
l’absence d’une véritable politique spatiale, formalisée par un document
programmatique (à l’image de la National Space Policy publiée par l’exécutif
américain) et d’une stratégie spatiale (à l’instar de la National Security Space
Strategy américaine) voire d’une diplomatie spatiale. Car en effet ces deux derniers
s’articulent pour servir la première. La définition aronienne de ces termes sied au
milieu spatial.
« Convenons d’appeler stratégie [spatiale] la conduite d’ensemble des
opérations militaires [spatiales], convenons d’appeler diplomatie
[spatiale] la conduite du commerce avec les autres unités politiques.
Stratégie [spatiale] et diplomatie [spatiale] seront toutes deux
subordonnées à la politique [spatiale], c’est-à-dire à la conception que la
collectivité ou ceux qui en sont responsables se font de « l’intérêt
304
national ».
Ainsi, même si la politique spatiale française existe, elle peut paraître peu lisible pour
le public. La détermination des objectifs et les choix stratégiques sont à rechercher
dans les Livres Blancs, discours ou autres rapports gouvernementaux. En 2012, le
Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR) diffuse un
302
Pour un bilan très complet de la difficulté à coopérer sur les programmes spatiaux militaires, lire François Heisbourg,
Xavier Pasco, Espace militaire. L’Europe entre souveraineté et coopération, Paris, Choiseul, 2011.
303
LBDSN 2008, op. cit., p. 143.
304
Raymond Aron, op.cit., p .36.
- 130 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
305
document intitulé stratégie spatiale française . Or la stratégie dont il s’agit ici ne
renvoie pas à une dimension militaire mais davantage à un effort de hiérarchisation et
de coordination des activités spatiales tant dans les domaines civil, militaire et
commercial. Il s’agit d’exposer une stratégie politique, commerciale ou encore
industrielle. Le terme de stratégie est ici galvaudé par rapport à sa signification
originelle. Ce document était cependant nécessaire en termes d’affichage extérieur.
En effet, c’est la première fois en France qu’est employé le terme de stratégie pour
faire référence au milieu spatial. Qui plus est, elle semble avoir été confectionnée en
réaction à la publication un an auparavant de la stratégie spatiale allemande 306. La
nature duale de l’espace explique que ce soit le MESR et son « ministre chargé de
l’espace » qui jusqu’ici mènent des réflexions autant sur les questions relevant de
l’espace civil que militaire. Cependant, ses prérogatives l’éloignent des
problématiques militaires. Certains stratèges français se sont néanmoins penchés sur
la question d’une stratégie spatiale. C’est le cas du parlementaire, Serge Grouart, qui
a rédigé ce qui est considéré en France comme le premier essai de stratégie
spatiale 307. Certaines réflexions sur les liens entre la stratégie et l’espace sont aussi
faites par le stratège Hervé Coutau-Bégarie 308. Cependant, il ne peut y avoir de
stratégie (spatiale) que lorsqu’il y a une volonté de contrôle du milieu (spatial). Or,
bien que la France fasse une utilisation militaire de l’espace, elle n’a ni l’ambition ni
les moyens d’en prendre le contrôle.
« Il ne pourra y avoir de stratégie spatiale à proprement parler que dès
lors que l’espace deviendra théâtre d’opérations militaires : jusque-là il
ne peut y avoir qu’une doctrine spatiale (une doctrine de l’utilisation des
moyens spatiaux dans leur relation de complémentarité ou de substitution
avec d’autres moyens militaires). » 309
305
Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Stratégie spatiale française, mars 2012,
http://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/Politique_spatiale_francaise/09/8/Strategie_spatiale_francaise-
mars-BD_211098.pdf
306
“Making Germany's space sector fit for the future. The space strategy of the German Federal Government”, Ministère
fédéral de l'Économie et de la Technologie BMWi (Bundesministerium für Wirtschaft und Technologie), novembre 2010,
http://www.bmwi.de/English/Redaktion/Pdf/space-strategy,property=pdf,bereich=bmwi2012,sprache=en,rwb=true.pdf
307
Serge Grouart, La guerre en orbite…, op. cit.
308
Hervé Coutau-Bégarie, Traité de stratégie, Paris, Ed. Economica, 7 ème édition.
309
Christian Malis, « L’espace extra-atmosphérique, enjeu stratégique et conflictualité de demain », ISC-CFHM-IHCC, 2002,
p. 14, [en ligne], http://www.stratisc.org/act/Malis_Astropol.html.
- 131 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Ce constat fait en 2002 semble avoir évolué. En effet, depuis 2010, l’espace est
qualifié de « champ d’affrontement » 310. La stratégie est alors comprise dans son sens
premier comme « la dialectique des intelligences, dans un milieu conflictuel, fondée
sur l’utilisation ou la menace d’utilisation de la force à des fins politiques. » 311 Cette
définition d’Hervé Couteau-Bégarie ; qui par l’intelligence désigne la finesse, la ruse
et la rapidité d’action, complète celle du Général Beaufre parlant lui de « dialectique
des volontés ». Les deux sont en fait complémentaires.
« Toute intelligence est, par sa nature même, le résultat, à la fois ternaire
et unique, d’une perception qui appréhende, d’une raison qui affirme,
d’une volonté qui agit. » 312
310
Concept interarmées, Concept d’emploi des forces, Centre Interarmées de concepts, de doctrines et d’expérimentations
(CICDE), 11 janvier 2010, p. 12.
311
Hervé Coutau-Bégarie, Traité de stratégie, op. cit., p. 78.
312
Joseph de Maistre, Les Soirées de Saint- Pétersbourg, Paris, Librairie grecque, latine et française, 1821, tome 1, p. 87.
313
Pierre Muller, Les politiques publiques, op. cit., p.33.
314
James March, Herbert Simon, Les Organisations, Paris, Dunod, 1964.
- 132 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
315
traitement des décisions prises à l’international . Les acteurs du premier cercle ont
une position dans l’organigramme fonctionnel qui leur donne a priori le plus de
pouvoir et les exempte de stratégies et de calculs, au moins au niveau interne.
Cependant, l’arbitrage final n’est que le résultat des calculs et stratégies développés
par les acteurs des autres cercles, qui ont su défendre leurs intérêts au plus haut
niveau. A l’inverse, les décisions du premier cercle peuvent être parfois marquées par
le style et la volonté personnelle du président. C’est le cas avec le Général de Gaulle
qui impose une posture particulière et lance véritablement la France dans l’aventure
spatiale. Les présidents successifs n’ont pas forcément impulsé la même dynamique à
la politique spatiale française et encore moins à la politique spatiale de défense. A
défaut de document exécutif présidentiel propre à l’espace, les arbitrages finaux
relatifs à l’espace militaire sont contenus dans les livres blancs sur la défense
nationale, tout en rappelant que ces derniers ne sont que le reflet de multiples
interactions entre des acteurs aux profils parfois très différents. A ce titre, la
commission du LBDSN 2008 est symptomatique 316. Le secteur spatial a cette
particularité, avec d’autres sujets touchant eux aussi à la souveraineté nationale, à
l’instar de la dissuasion ou la défense antimissile, d’être surdéterminé par le
politique. « Le spatial a une empreinte politique forte » 317. Ceci rejoint la remarque
du Professeur Blamont « l’espace est un outil politique » 318. Ce qui était évident
pendant la Guerre froide est toujours pertinent aujourd’hui.
315
« bounded rationality », « satisficing », concepts développés par Robert O. Keohane, After Hegemony: Cooperation and
Discord in the World Political Economy, Princeton University Press, 1984.
316
Voir composition de la commission du LBDSN 2008, op. cit., p. 321-323.
317
Entretien avec l’adjoint Espace à la Direction générale de l’armement (DGA).
318
Groupe de travail sur la stratégie spatiale à l’initiative du colonel Lefebvre, IRSEM, Paris, Ecole Militaire, 3 février
2010.
- 133 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
319
Réorganisation en 2015.
320
Le CAS a eu comme premier directeur Thierry de Montbrial (1973-1978), fondateur et directeur actuel de l’Institut
Français des Relations Internationales (IFRI), mais aussi Jean-Marie Guéhenno (1989 à 1993), secrétaire général adjoint du
département des opérations de maintien de la paix des Nations Unies de 2000 à 2008, président de la Commission chargée de
la rédaction du LBDSN 2013.
321
Le CAS, devenu le Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP) dit France Stratégie en 2013 est un
organisme de réflexion, d’expertise et de concertation placé auprès du Premier Ministre (PM). Ses analyses portent
principalement sur les questions économiques, sociales, d’emploi, de développement durable et de numérique. Outil de
- 134 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
« défense et sécurité » alimenté par les autres acteurs du second cercle (DAS, CIE).
De même, ce travail a été réalisé en auditionnant des acteurs du troisième cercle. Plus
récemment, en 2012, ce même ministère a publié le document intitulé de manière
ambitieuse « stratégie spatiale française ». Ses prérogatives l’éloignent des
problématiques militaires. Le MD apporte son soutien aux activités militaires et
s’assure de la sûreté des opérations spatiales (surveillance de l’espace). En octobre
2003, la Ministre de la Défense de l’époque, Michèle Alliot-Marie confie à
l’ambassadeur de France Bujon de l’Estang la présidence d’un groupe de travail sur
les orientations stratégiques de politique spatiale de défense (GOSPS). Ce groupe de
travail a donné lieu à la rédaction d’un rapport dont une version allégée, non
classifiée, peut être consultée 322. Ce document a été très clairement une source
d’inspiration, via ses recommandations, pour l’élaboration des orientations
stratégiques relatives à l’espace militaire que l’on retrouve dans le LBDSN 2008.
Dans ce document, un paragraphe est consacré aux « conditions d’accès et de sécurité
dans l’espace ». Il est rappelé que la sécurité dans l’espace est menacée par « la
prolifération des débris » mais aussi par la possible « apparition de moyens orbitaux
offensifs ». « La surveillance de l’environnement spatial devient [donc]
indispensable. » 323 La fonction duale de la surveillance de l’espace permet « de
prémunir le satellite d’un risque de collision accidentelle avec un débris au moment
du lancement ou en orbite [et] d’appréhender les éventuelles menaces (agressions
physiques ou électroniques) susceptibles de peser sur nos moyens spatiaux civils ou
de défense. (…) En contribuant à déceler et à caractériser les agressions possibles
contre les satellites, elle pourrait devenir un outil au service d’un instrument
multilatéral de type « code de bonne conduite » qui viserait à freiner la militarisation
de l’espace. » 324
concertation et outil de pilotage stratégique auprès de l’exécutif, il contribue aux choix de politique publique puis à leur
évaluation. Il a force de propositions et recommandations par les rapports qu’il rédige après commande du PM.
322
« Donnons plus d’espace à notre défense. Orientations d’une politique spatiale de défense pour la France et l’Europe »,
Groupe de travail sur les orientations stratégiques de politique spatiale de défense, Ministère de la Défense, 2007.
323
« Donnons plus d’espace à notre défense... », op. cit., p. 17.
324
Ibid. p. 24.
- 135 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
325
Plus précisément, le programme 191, dont l’enveloppe budgétaire inscrite au projet de loi de finance 2015 est de 192M€,
vise à maximiser les retombées civiles de la recherche de défense, et inversement, faire bénéficier la défense des avancées de
la recherche civile. Il finance le CNES et le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) dans leurs
recherches duales. Pour le CNES, il s’agit de la poursuite des développements des projets MUSIS CSO (post-HELIOS) et
TARANIS (satellite étude du couplage magnétosphère-ionosphère-atmosphère.
- 136 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
326
faire de l’innovation et de l’expertise. » En disposant annuellement d’une
enveloppe budgétaire dual entre 150 et 200 millions d’Euros, le CNES et la défense
s’accordent sur les programmes à réaliser. Les ingénieurs du CNES n’allant jamais
sur les théâtres d’opération, ne connaissent pas les besoins militaires. Afin de faciliter
ce dialogue, le président du CNES est aidé par un conseiller militaire qui est
actuellement un Général (deuxième section) issu de l’Armée de l’air. Le CIE, en
dehors de l’équipe Défense, fait aussi le lien avec ses partenaires en accueillant dans
son enceinte, un représentant du CNES. Dans ses fonctions, il est davantage le
conseiller « relations internationales » du commandant du CIE. Reste que quelques
rivalités demeurent notamment sur la surveillance de l’espace, dispositif au cœur du
concept de sécurité des activités spatiales. En effet, le CNES souhaitait se doter d’un
centre de surveillance de l’espace autant civil que militaire. La communauté militaire,
elle, tout en reconnaissant la nécessité de travailler de concert avec le CNES,
préférait détenir son propre centre de surveillance de l’espace notamment pour
pouvoir traiter de l’information confidentielle. Il ne s’agit pas simplement
d’incompréhension entre deux cultures professionnelles. Certes, la culture militaire
entretient une méfiance à l’égard d’un partage étendu d’informations. Mais ce souhait
de la communauté militaire répond aussi à un impératif exogène, qui conditionne les
coopérations avec les autres Etats. En effet, le degré de sécurisation des données dans
le partage d’information est une des conditions d’échanges pour les partenaires
américains.
« Les Américains sont très soucieux de cet échange de données mais ils ne
veulent pas partager avec des organismes qui sont civils, même s’il y a
une tutelle défense, pour eux ce sont des civils et ils ne voudront pas
partager les mêmes informations qu’avec nous. C’est d’ailleurs par nous
que transitent souvent certaines informations confidentielles. Les
Américains nous disent, ok, on vous le donne à vous, on vous autorise à le
donner au CNES mais ils ne veulent pas directement transmettre à eux. Il
y aura du civil dans l’espace de plus en plus certes, mais à partir du
326
Entretien avec le conseiller militaire du Président du CNES.
- 137 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
327
Entretien avec le Général commandant le Commandement de la Défense Aérienne et des Opérations Aériennes (CDAOA),
2013.
328
William Genieys (dir), Le choix des armes. Théories, acteurs et politiques, CNRS Editions, Paris, 2004.
- 138 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Les relations entre la DGA et l’Etat-major sont, elles, « trop formelles » et « les gens
de l’Etat-major nous disait qu’ils étaient très contents de parler avec le CNES pour
passer leur message car leur message ne passait pas à la DGA. » 333
Le CIE devait aussi à l’origine accueillir un représentant de la DGA, ce qui
aujourd’hui n’est toujours pas le cas. Les explications sur cette absence restent
évasives.
Au sein de l’équipe Défense, l’Etat-major est représenté par le point d’entrée de
l’espace militaire en France, le Commandement Interarmées de l’Espace (CIE). Créé
329
Ibid., p. 12.
330
Cette description date du moment où l’analyse des acteurs corporatifs a été menée, c’est-à-dire en 2010-2012.
331
Entretien avec l’Adjoint Espace de la DGA.
332
Entretien avec l’Adjoint Espace à la DGA.
333
Entretien avec l’Adjoint Espace à la DGA.
- 139 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
« Au sein des Armées en tout cas, ce qui a imposé de le faire c’est le Livre
Blanc. Dans le Livre Blanc, c’est écrit « il sera créé un Commandement
Interarmées de l’Espace » et le Livre Blanc n’a pas été écrit par les
militaires mais il l’a été par des civils. » 335
En tant qu’acteur corporatif, les Armées ont accueilli de manière neutre la création de
ce commandement, à l’exception peut-être de l’Armée de l’air.
334
LBDSN 2008, op. cit., p. 143.
335
Entretien au Commandement Interarmées de l’Espace, Bureau Maîtrise de l’Environnement Spatial, Paris, 2 décembre
2010.
- 140 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
336
Entretien avec le commandant du CIE, Paris, 7 février 2011.
337
Ibid.
- 141 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
composante spatiale est utilisée par les trois Armées sans qu’aucune, officiellement,
n’ait l’avantage sur l’autre. D’aucuns affirmaient que le milieu spatial était la
continuation physique du milieu aérien et qu’en ce sens ce milieu relevait des
compétences de l’Armée de l’air. Cette idée semble moins partagée aujourd’hui. De
même, il est encore trop tôt pour savoir si les généraux successifs à la tête du CIE
effectueront une rotation par armée. Cette configuration interarmées permet une
visibilité plus nette chez les partenaires étrangers qu’ils soient étatiques ou
institutionnels (Union européenne, OTAN etc.). Le CIE compte en janvier 2016 une
trentaine de personnes réparties au sein de deux échelons, l’échelon technique et
l’échelon de réflexion stratégique (Bureaux « Politique et coopération »,
« Préparation de l’avenir », « Emploi et coordination », « maîtrise de l’environnement
spatial »). Il est composé d’officiers supérieurs ayant déjà occupé des postes touchant
à l’espace militaire. La place accrue de l’espace au sein des Armées tend à constituer
une filière de spécialistes, aptes à prendre la relève des experts militaires ayant connu
les débuts de l’utilisation militaire de l’espace par la France. L’objectif du CIE est
aussi de concourir à cette finalité. Au niveau de l’échelon technique, on retrouve
davantage des personnels n’ayant pas eu a priori une carrière dans le secteur spatial
mais possédant les compétences pour en comprendre les enjeux. De plus, la plupart
de ces officiers en poste au CIE le sont sur volontariat. Ainsi cet échelon correspond
au fonctionnement normal de l’institution militaire (mutation tous les 3 ou 4 années).
Ils ne restent pas forcément dans le domaine spatial après leur passage au CIE. Cette
rotation de l’échelon technique contraste avec les ingénieurs du CNES qui pour la
plupart ont effectué toute leur carrière au sein de l’agence spatiale. Ayant été érigé
comme « seul point d’entrée du spatial en France », le CIE se dote d’une certaine
ascendance sur ses partenaires institutionnels, notamment militaires. Il entretient des
relations constantes avec la DGRIS. Les positions relatives à l’espace militaire qui
sont officialisées par le MD ont été préparées en amont par la DGRIS et le CIE. Sur
le point précis de la surveillance de l’espace, le CIE dispose d’un officier traitant le
sujet dans chacun des deux échelons précités. Au sein du bureau « maîtrise de
l’environnement spatial » pour l’échelon de synthèse, et au sein de la section « SSA »
pour l’échelon technique, les deux étant assurés par des officiers issus de l’Armée de
- 142 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
l’air. Cette caractéristique a été précisée au sein du LBSDN 2008 qui a confié
officiellement cette mission à l’Armée de l’air:
« (…) l’armée de l’air, sous la direction du commandement interarmées
chargé de l’espace, assurera la surveillance de l’espace extra-
atmosphérique et verra ses compétences accrues dans la mise en œuvre
des capacités spatiales. » 338
L’équipe Défense est composée d’acteurs aux cultures professionnelles différentes
mais dont la structure institutionnelle fait qu’ils doivent coopérer. Les membres de
l’équipe Défense sont relayés au niveau supérieur par un comité de pilotage (COPIL)
qui ensuite porte les orientations de l’action au niveau politique. Même si ce COPIL
ne doit être que le reflet des réflexions élaborées en amont par les membres de
l’équipe Défense, les membres du COPIL suivent parfois leur propre logique et leurs
propres intérêts. De plus, la proximité de ce COPIL avec le niveau politique brouille
parfois les cartes. En effet, ces derniers sont plus proches des intérêts des acteurs du
premier cercle et sont par conséquent soumis à des logiques politiques de court terme.
L’équipe Défense doit donc faire valoir ses orientations à l’EMA afin qu’elles soient
relayées au plus haut niveau politique.
La réflexion stratégique ainsi que la dimension opérationnelle (mise en œuvre et
exploitation des moyens) de la surveillance de l’espace sont assurées par le CIE.
Cependant, il est important de noter qu’en matière de surveillance spatiale, l’acteur
crucial au sein de l’Armée de l’air est le Commandement de la Défense Aérienne et
des Opérations Aériennes (CDAOA) qui possède le contrôle opérationnel des moyens
existants 339. Ce dernier s’appuie notamment sur le système Grand Réseau Adapté à la
Veille Spatiale (GRAVES), en service depuis 2005, et qui permet de répertorier tous
les objets spatiaux survolant le territoire français de 400 à 1000km d’altitude et ayant
une taille minimale pour le système de détection. Ainsi, le suivi des débris spatiaux
est confié à l’Armée de l’air 340. L’objectif premier n’est de les suivre que pour éviter
une collision qui pourrait être fatale à un satellite de défense français ou européen. La
mission militaire est la surveillance des objets spatiaux pouvant représenter des
menaces, renvoyant à des attaques intentionnelles de satellites tiers contre les
338
LBDSN 2008, op. cit., p. 227.
339
Conformément au Code de la Défense.
340
Fonction dévolue à l’Armée de l’air dans le LBDSN 2008.
- 143 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
satellites nationaux. Le niveau politique et militaire n’avaient pas anticipé une telle
efficacité du GRAVES, qui en plus d’être un outil opérationnel performant, est
devenu un outil diplomatique efficace. Ainsi, à l’image d’Hélios qui a permis aux
autorités françaises d’avoir une autonomie de décision sur son engagement ou non en
Irak en 2003, GRAVES a permis d’identifier des satellites américains non répertoriés
survolant entre autres le territoire français. A la suite d’une négociation franco-
américaine, les coordonnées des satellites de défense français ont ainsi été retirées du
catalogue public américain en échange du secret gardé par les Français sur le
positionnement des satellites espions américains. Ceci a permis de favoriser la
coopération avec les Américains, rendant les Français plus crédibles aux yeux de
leurs homologues. L’intérêt militaire pour la surveillance de l’espace est donc réel.
D’un point de vue opérationnel, capacitaire, cela permet aux Armées de remplir le
contrat demandé par le décideur politique (autonomie de décision et souveraineté
nationale), mais aussi de diminuer les risques de rupture de moyens (à la suite d’une
collision ou d’une attaque) qui pourraient nuire à la conduite des opérations militaires
au sol. Enfin, cela ouvre des opportunités de coopérations militaires interétatiques
stimulantes pour les Armées.
Au sein des administrations sectorielles du second cercle, se positionne également le
Ministère des Affaires étrangères (MAE). Il participe à l’élaboration du droit spatial
international et veille à la cohérence entre la politique spatiale et la politique
étrangère de la France. Les diplomates du MAE et plus précisément ceux appartenant
à la sous-direction du désarmement et de la non-prolifération nucléaire sont chargés
de représenter la France dans les instances telles que le Comité pour les utilisations
pacifiques de l’espace extra-atmosphérique (CUPEEA plus communément appelé
sous son acronyme anglo-saxon COPUOS, Committee for Peaceful Uses of Outer
space) à New York ou la conférence du désarmement (CD) à Genève, organes des
Nations Unies. Le CIE a des relations étroites avec les diplomates de cette sous-
direction. Les échanges sont nombreux et la compréhension mutuelle semble de mise.
«(…) là-dessus il n’y a pas de problème, on est plutôt en phase, on les
tient informé de ce que l’on fait, ils recueillent notre avis quand ils vont
- 144 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
341
Entretien au CIE, Paris, septembre 2011.
342
Entretien au Ministère des Affaires Etrangères (MAE), février 2011.
- 145 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
proposition d’un Code de conduite international pour les activités spatiales. Les
diplomates sont fortement contraints par les facteurs institutionnels et les règles
implicites ou explicites de leur métier. Cependant, certains acteurs individuels qui ne
sont pas formellement rattachés à une institution particulière mais ayant des
interactions régulières avec ces dernières, peut tenir le rôle d’intermédiaires, ce sont
les marginaux sécants 343. Leur réseau de connaissances complexifie les constellations
d’interactions, en favorisant parfois le dialogue entre des acteurs corporatifs.
Maîtrisant mieux que d’autres une zone d’incertitude, il transforme leur capital en
pouvoir. Dans le cadre du sujet sur la sécurité des activités spatiales, un acteur
individuel, au réseau élargi, est choisi par le MAE pour favoriser des discussions sur
le CoC. Il s’agit de Gérard Brachet, évoqué longuement plus tard dans cette thèse.
343
Michel Crozier, Erhard Friedberg, L’acteur et le système, op.cit.
- 146 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
344
Entretien avec le Président de l’association EUROSPACE, Paris, septembre 2011.
345
Dénommé Active Debris Removal (ADR) en anglais.
346
Débats en séance, Débat sur la politique spatiale européenne, Bruno Sido, président et co-rapporteur de l'office
parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques,
http://videos.senat.fr/video/videos/2013/video17168.html
- 147 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
347
A bon escient, se reporter à l’annexe 3 de cette these portant sur les principaux acteurs privés.
348
URL : http://www.eisc-europa.eu/
349
Entretien avec le Président de l’association EUROSPACE, Paris, septembre 2011.
350
Ibid.
351
A l’origine, il s’agit d’une initiative du sénateur et membre de la Commission des Finances, du Contrôle budgétaire et des
Comptes économiques de la Nation, M. Paul Loridant, qui saisit l’OPECST le 17 octobre 1989.
- 148 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
D’autres rapports sont rédigés par la suite notamment en 2001 sous le titre « La
politique française : bilan et perspectives » 352.
Concernant l’opinion publique, elle est jugée en 2012, peu intéressée par le sujet. Le
relatif désintérêt des Français vis-à-vis de l’espace « utile » est souvent pointé du
doigt par d’autres acteurs en France.
« L’ambition spatiale est très peu portée aux niveaux politique et
administratif. Elle est, en conséquence, peu partagée par la population.
L’utilité de l’espace dans la vie quotidienne est quelque peu méconnue du
grand public » 353
Les parlementaires essaient donc de porter le sujet tant au niveau politique qu’au
niveau de leurs électeurs. D’un point de vue formel, le parlement français a une
responsabilité dans le domaine militaire en votant les lois quinquennales de
programmation militaire. Elles font suite aux orientations impulsées par le LBDSN
qui déterminent les objectifs en matière d’espace militaire notamment, et exposent
ainsi les moyens financiers mis à disposition afin de mettre en œuvre cette politique.
Le Parlement participe aussi à l’élaboration du LBDSN en faisant part de ses
réflexions via ses groupes de travail. En amont par ses avis, et en aval par la
validation des crédits, il valide la politique spatiale arrêtée par l’exécutif. De manière
permanente, deux commissions traitent des problématiques « défense ». La
commission de la défense nationale et des forces armées au sein de l’Assemblée
nationale et la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées
du Sénat. Une délégation commune à l’Assemblée et au Sénat permet de débattre des
sujets qui acquièrent une importance croissante dans le débat public. Il s’agit de
l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques
(OPECST) dont le président actuel est Jean-Yves le Déaut. Cet office, composé de 18
députés et 18 sénateurs, a pour mission « d’informer le Parlement des conséquences
des choix de caractère scientifique et technologique afin, notamment, d’éclairer ses
décisions. ». A cet effet, l’office « recueille des informations, met en œuvre des
programmes d’études et procède à des évaluations. » 354 Il se présente comme
352
Rapport n°293 (2000-2001) de M. Henri Revol fait au nom de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques
et techniques, déposé le 02 mai 2001, http://www.senat.fr/rap/r00-293/r00-2931.pdf
353
Rapport n°114 (2012-2013) de Mme Catherine Procaccia et M. Bruno Sido au nom de l’Office parlementaire d’évaluation
des choix scientifiques et techniques, déposé le 07 novembre 2012, p. 17, http://www.senat.fr/rap/r12-114/r12-1141.pdf
354
http://www.senat.fr/opecst/presentation.html, site consulté le 14 mai 2013.
- 149 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Cette « revendication » faite en 1991, en faveur d’un rôle accru du parlement, semble
être toujours d’actualité en 2012. En effet, le dernier rapport parlementaire en date du
7 novembre 2012 intitulé « Les enjeux et perspectives de la politique spatiale
européenne » 360 renouvelle cet appel.
Il serait « souhaitable d’associer davantage le parlement à la programmation
spatiale ». 361
Les parlementaires français imaginent un Parlement plus impliqué dans l’élaboration
de la politique spatiale, à l’instar, selon leur perception, des relations entre la NASA
355
Ibid.
356
Il existe d’autres modes de saisine de l’OPECST.
357
Lors de la rédaction de cette thèse, un cinquième rapport est en cours d’édition sur le site de l’OPECST, Rapport n°3253
de M. Jean-Yves Le Déaut, Mme Catherine Procaccia et M. Bruno Sido sur la politique spatiale européenne, novembre 2015.
358
Résumé du rapport n°213, Orientations de la politique spatiale française et européenne, http://www.senat.fr/opecst/o91-
213.html#haut, site consulté le 14 mai 2013.
359
Rapport n°213 (1991-1992) de M. Paul Loridant au nom de l’OPECST déposé le 05 décembre 1991 intitulé « Orientations
de la politique spatiale française et européenne », p. 23,
http://www.senat.fr/opecst/rapport/rapport_t1_polit_spatiale_1991.pdf
360
Rapport n°114 (2012-2013), op. cit.
361
Présentation du rapport sur « les enjeux et perspectives de la politique spatiale européenne », 7 novembre 2012,
http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20121105/opecst.html
- 150 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
362
Le GPE revendique lui-même quatre axes principaux : s’informer, établir des liens, réfléchir et agir.
http://www.gpespace.fr/A-propos-du-GPE.html
363
Discours des vœux de Pierre Lasbordes, député de l’Essonne et président du GPE, 12 janvier 2011,
http://www.spaceparl.eu/uploads/docs/1678f7017f9843eb7cc0c865aab628a1272f5655.pdf
- 151 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
De plus, force est de constater que les acteurs individuels « naviguent » relativement
aisément au sein même du secteur spatial. Ainsi, le précédent secrétaire général du
GPE (2002-2006), M. Emmanuel de Lipkowski, est, depuis 2011 conseiller du CNES
au CIE. Au-delà de ce titre, cet acteur individuel est davantage considéré comme un
facilitateur des relations franco-américaines. Cette position fait sens dans la mesure
où il a été représentant du CNES à l’ambassade de France à Washington D.C de 2007
à 2011. Enfin, un acteur individuel tel que Serge Grouart, ancien député et maire, a
écrit un ouvrage de stratégie spatiale (et autres articles sur l’espace militaire) dans les
années 1990 et qui a été remarqué en son temps. Son ouvrage est considéré comme le
premier essai de stratégie spatiale française 364.
La place des experts est un sujet d’étude à part entière 365. Ce n’est pas l’objet
principal de cette thèse. Il est difficile de définir précisément ce qu’est un expert de
nos jours. La signification contemporaine s’est éloignée du sens originel qu’on lui
attribuait au 19ème siècle.
364
Serge Grouart, La guerre en orbite, op. cit.
365
Lire à profit les récentes publications telles celles d’Olivier Cretté et Anne Marchais-Roubelat (dir.), Analyse critique des
normes et de l'expertise : théorie et pratique, Paris, L’Harmattan, 2015 ; Emmanuel Henry, Claude Gilbert, Jean-Noël
Jouzel, Pascal Marichalar (dir.), Dictionnaire critique de l’expertise. Santé, travail, environnement, Paris, Presses de
Sciences Po, Références, 2015.
366
Isabelle Berrebi-Hoffman, Michel Lallement, « A quoi servent les experts », P.U.F, Cahiers internationaux de sociologie,
2009/1, n°126, p.3
- 152 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
ème
Ainsi l’expert du 19 siècle est le scientifique abordé précédemment. A l’inverse,
les « experts » de cette thèse, sont plutôt des « consultants » se revendiquant la
plupart du temps indépendants, ce qui est sujet à caution.
367
Ibid.
368
Patrick Hassenteufel, Sociologie politique : l’action publique, Paris, Armand Colin, 2011, p. 217.
- 153 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
369
Ces réflexions s’inspirent de l’article de Sabine Saurugger, « L’expertise : un mode de participation…op. cit., p. 380.
370
Selon une étude établie par James McGann en 2009 The Global Go-To Think Tanks, , sur les 407 think tanks considérés
comme les plus influents au niveau international, 9 sont en France : Centre d’études sur l’Afrique noire, Institut d’études de
sécurité de l’Union européenne, FRS, IFRI, Centre d’étude et de recherche en économie mondiale, IRIS, Institute for
Economic Studies Europe, Institut Montaigne et la Fondation pour l’Innovation politique.
371
A l’instar du Commissariat général à la stratégie et à la prospective, l’Institut Français d’Analyse Stratégique (IFAS), la
Fondation pour la Recherche sur les administrations et les politiques publiques (FRAP), le Conseil Supérieur de la Formation
et de la Recherche Stratégiques mais aussi des think tanks rattachés à des centres de recherche tels le Centre d’Etudes et de
Recherches Internationales (Sciences Po) et le Centre Thucydide (Université Paris II, Panthéon-Assas).
372
L’IFRI s’attribue ce titre en référence au classement qui est fait par le « Global Think Tank Report 2011 » qui le hisse au
22 ème rang des 100 think tanks les plus influents dans le monde. C’est aussi le seul institut français présent dans ce
classement. Site de l’IFRI, consulté le 20 février 2013.
373
Laurence Nardon est à présent responsable des programmes Etats-Unis et Canada au sein de l’IFRI.
- 154 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
374
Site de l’IFRI, consulté le 20 février 2013.
375
Frank Fischer, Technocracy and the Politics of Expertise, Londres, Sage, 1990, p. 171.
- 155 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
376
En France, les Livres blancs relatifs à la défense constituent des documents programmatiques instructifs quant aux
orientations souhaitées pour l’espace militaire. Ils sont validés au plus haut niveau de l’Etat, donc par les acteurs du premier
cercle. Ces documents ne sont en soi pas exhaustif sur la politique spatiale militaire menée par la France, mais en l’absence
d’élaboration dans cet Etat de documents dédiés à l’espace militaire (comme le font les Etats-Unis), cette base de travail est
utilisée dans cette thèse.
- 156 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
« (…) dès lors, l’espace militaire devient pour la France un enjeu majeur,
un impératif à l’échelle de ce que représentait hier l’entrée dans le
domaine nucléaire. » 380
377
Livre Blanc sur la Défense, 1972. http://www.vie-publique.fr/documents-vp/livre_blanc_1972.shtml
378
International Space Monitoring Agency, U.N Doc. A/ s-10/AC 1/7, 1 er juin 1978. Le projet de création d’une telle agence
a été soumis à un groupe d’experts des Nations Unies dont le rapport est publié en 1981, U.N Doc. AC.206/14, 6 août 1981.
Bien qu’à l’époque cette initiative n’est soutenue ni par les Etats-Unis, ni par l’Union Soviétique, les conclusions dudit
rapport seront reprises dans une proposition soviétique similaire en 1989, CD/OS/W, p. 39, 2 août 1989.
379
Hubert Fabre, op. cit.,p. 118-119.
380
Général Pascal Valentin, Espace & opérations, op. cit., , p. 24.
- 157 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Ce discours permet ensuite une réelle prise de conscience d’une possible course aux
armements dans l’espace. L’élaboration d’une position française officielle sur le sujet
est donc à l’œuvre.
Le projet pharaonique américain de bouclier antimissile vise l’obsolescence des
armes nucléaires. Le système doit être composé d’armes à énergie cinétique et
d’armes à énergie dirigée. Ces armes visant l’espace peuvent donc servir également
d’armes antisatellites (ASATs) 381. Le projet de Reagan a pour objectif de contrer
définitivement toute menace balistique nucléaire soviétique. Au-delà, Reagan
souhaite le dépassement du nucléaire en rendant obsolète l’arme nucléaire 382. Certains
commentateurs affirment que ce projet, qui n’a finalement jamais été mené à sa fin,
aurait favorisé la chute de l’URSS. En effet, cette dernière se serait lancée dans une
énième course technologique alors qu’elle n’en avait plus les moyens.
De cette manière, cette « course » s’apparente aux effets décrits par le concept du
dilemme de sécurité dans un système international anarchique. Issu de l’école de
pensée réaliste, John Herz 383 considère que les Etats qui renforcent leur sécurité, sont
perçus par les autres comme potentiellement menaçants. Ces derniers s’équipent alors
à leur tour afin de renforcer leur propre sécurité et donc leur survie. Le premier effet
est de créer un cercle vicieux et une course aux armements. Le second effet pour
l’URSS est d’avoir précipité sa chute en voulant suivre les Etats-Unis dans ce projet
colossal.
Dans un premier temps, face à cette « guerre des étoiles » programmée, le
gouvernement français du président François Mitterrand reste dubitatif. Ce dernier
charge alors Hubert Védrine, son conseiller diplomatique, d’évaluer la faisabilité et la
dangerosité du projet reaganien. Les conclusions de cette phase de renseignement
sont mitigés, « « ni approbation, ni critique » (Védrine), tel est le credo au sommet
de l’Etat » 384 .Dans un second temps, et après quelques hésitations, Mitterrand
prononce un réquisitoire contre le déploiement des armes spatiales le 28 septembre
1983 à l’ONU avec propositions concrètes.
381
D’où les mêmes craintes réactivées quand, en 2002, le Président George W. Bush décide de se retirer du Traité ABM
signé en 1972.
382
Paul Chaput, « François Mitterrand et l’initiative de défense stratégique », Point de vue, 5 décembre 2011,
http://www.mitterrand.org/Francois-Mitterrand-et-l.html
383
John H. Herz, « Idealist Internationalism and the Security Dilemma », World Politics, 2, 2, 1950, pp. 157-180.
384
Extrait du discours in Paul Chaput, « François Mitterrand et l’initiative de défense stratégique », op. cit.
- 158 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
« Prémunir les peuples contre les nouvelles menaces qui peuvent venir de
l’espace est un autre impératif. L’espace deviendra-t-il un champ
supplémentaire où se développent sans limites les vieux antagonismes
terrestres ? N’avons-nous pas pour lui d’autres ambitions ? Ce serait
trahir l’exigence de nos peuples que de ne pas définir à temps un code de
règles intangibles. (…) Un amendement à ce traité [Traité de 1967] qui
interdirait la satellisation de tout type d'armement, qui organiserait le
retrait progressif des armes déjà sur orbite et qui prévoirait une
vérification effective, un tel amendement lui donnerait sa vraie portée. » 385
Plus tard, il charge Hubert Védrine de rédiger un texte qui reprend ses
recommandations. La proposition est déposée à la Conférence du désarmement 386 le
13 juin 1984. Cet acte marque le positionnement de la France contre le déploiement
de défenses situées dans l’espace. En 1985, la posture de Mitterrand sur l’IDS est
sans équivoque, « nette, ferme, hostile » 387. Par le prisme de la maîtrise des
armements dans l’espace, la France s’est opposée diplomatiquement à l’IDS. En plus
d’apercevoir une course aux armements probable dans l’espace, le président français
y voit aussi un dépassement technologique des Etats-Unis voulant créer des systèmes
jamais conçus alors. L’argument du retard technologique en cas de non-participation
au projet américain d’envergure a été un sujet de débat entre le Président Mitterrand
et son conseiller Jacques Attali. En opposition à la « doctrine » du projet mais non à
son intérêt technologique, Mitterrand avait imaginé une « Initiative de sécurité
européenne », projet de programme de R&D sur les grandes technologies, rebaptisé
rapidement EUREKA 388. Son ambition est d’initier de grandes coopérations
industrielles entre Etats européens. Ce programme se veut être une alternative à l’IDS
et aux possibles participations européennes au programme américain. Même si la
France s’est officiellement positionnée contre le projet américain de défense
385
Paul Chaput, La France face à l’Initiative de Défense Stratégique de Ronald Reagan, 1983-1986, Paris, L’Harmattan,
2013, p. 134.
386
La Conférence du désarmement devient, au début des années 1980, le lieu de discussions sur la question de la course aux
armements dans l’espace.
387
Paul Chaput, « François Mitterrand… », op. cit.
388
Cette initiative existe encore aujourd’hui, http://www.eurekanetwork.org.
- 159 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Enfin, la pérennité de la dissuasion française pourrait bien être mis à mal par le projet
américain s’il se concrétisait.
Le Livre Blanc de 1994 contient une recommandation quant à la possible course aux
armements dans l’espace :
389
Rapport sur les orientations de la politique spatiale française et européenne…, op. cit., p. 172.
390
Livre Blanc 1997, p. 47.
391
Pascal Boniface, http://leplus.nouvelobs.com/contribution/596280-a-quoi-sert-le-livre-blanc-sur-la-defense-nationale.html
- 160 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
La proposition française se heurte donc à deux obstacles. Dans un premier temps, les
Etats-Unis sont fermement opposés à tout texte même non contraignant s’immisçant
dans leur politique spatiale. Dans un second temps, seuls deux Etats ont une capacité
de surveillance de l’espace et ce sont aussi les deux seuls à développer des capacités
offensives dans l’espace. On peut donc mieux comprendre, dans la suite de cette
thèse, que, dans les années 2000, face au même type de proposition, la réponse
apportée par les Etats soit différente, le contexte spatial ayant été bouleversé après la
fin de la Guerre froide. Face à l’hostilité américaine à tout texte contraignant pouvant
limiter sa liberté dans l’espace, la France et d’autres Etats tels que l’Allemagne, la
Suède et le Canada proposent l’idée des mesures de confiance (MDC) et mesures de
confiance et de sécurité (MDCS) 395. Afin de favoriser la confiance entre les Etats, la
délégation française propose la création d’un centre international de notification
chargé d’assurer la gestion concrète et régulière du régime des notifications sous
l’auspice des Nations Unies. La proposition a été déposée par la délégation française
392
CD/937 du 21 juillet 1989.
393
CD/1781, 22 mai 2006, document de travail de la République populaire de Chine intitulé « Aspects de la prévention d’une
course aux armements dans l’espace qui touche à la vérification », p.2.
394
Hubert Fabre, op. cit., p. 121-122.
395
Pour un exposé exhaustif du contenu de ces mesures de soft law, lire Hubert Fabre, L’usage de la force…, op. cit., p. 117.
- 161 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
396
au Comité spécial de la CD en 1991 . Avec cette proposition, la France est soutenue
par plusieurs Etats européens. Mais ce qui est intéressant est de comprendre comment
la France s’y est pris pour faire en sorte que cette proposition ne reste pas lettre
morte.
« En l’extirpant du cadre de la CD, la proposition française s’est
émancipée de son carcan institutionnel pour aboutir à la conclusion d’un
régime de notifications venant en appui du régime de contrôle de la
technologie des missiles [Missile Technology Control Regime,
MTCR]. » 397
Le MTCR ou RCTM en français (Régime de Contrôle de la Technologie des Missiles)
est un regroupement informel d’Etats cherchant à limiter la prolifération des missiles
et leur technologie. Ce régime a été fondé en 1987 par sept Etats initialement
(Allemagne, Canada, France, Italie, Japon, Royaume-Uni et Etats-Unis). La
proposition française complète la convention sur l’immatriculation des objets lancés
dans l’espace de 1975 (dont la France a là aussi été force de proposition). En liant les
notifications des tirs de missiles à celles des tirs des lanceurs spatiaux, la proposition
française contribue à l’exercice de la transparence dans les activités spatiales. Le
texte définitif du code est adopté à la Haye le 26 novembre 2002 par 93 Etats 398. Il y a
aujourd’hui 130 Etats adhérant. Il est connu sous l’appellation de HCoC pour Hague
Code of Conduct Against Ballistic Missile Proliferation. Il n’existe pas de lien formel
entre le MTCR, le HCoC et les Nations Unies, mais ce code de conduite reste en
complète adéquation avec les objectifs suivis par l’organisation. La France a donc
réussi à imposer un système de notification, fondé sur la bonne volonté des Etats, en
évitant tout blocage au niveau de la CD. Une méthode similaire a été menée par la
délégation européenne (sous leadership français) afin de faire progresser la
proposition du code de conduite sur la sécurité des activités spatiales. La comparaison
entre ce code de conduite et celui qui concerne cette thèse est fructueuse. Par la suite,
les initiatives françaises deviennent rares à la CD. Cela est la conséquence de
396
CD/1079, 3 juin 1991, Annexe « Projet de convention sur la notification préalable des tirs de missiles et de lanceurs
spatiaux », article IV.
397
Hubert Fabre, op. cit., p. 99.
398
A/57/724 du 6 février 2003.
- 162 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
dissensions entre Etats au sein du comité ad hoc sur le PAROS qui s’est réuni de
1985 à 1994.
Au niveau national, quelques parlementaires se saisissent de la question et la décision
est prise en 1989 d’élaborer le premier rapport parlementaire sur les orientations de la
politique spatiale française et européenne 399. Cette publication a lieu fin 1991 et est
instructive quant aux réflexions naissantes qui se développent chez les
parlementaires, malgré la faible prise en compte de leur analyse par l’exécutif. Ils
soulignent le rôle « révélateur » et « catalyseur » de la guerre du Golfe. Si, en 1972,
le Livre Blanc de la Défense considère que le développement d’une capacité de
surveillance de l’espace n’est pas indispensable, les parlementaires, vingt ans après,
encouragent l’inverse :
« Il [le développement de la capacité de surveillance de l’espace] s’inscrit
(…) dans le cadre de la mise en œuvre du code de bonne conduite dans le
domaine spatial proposé par le président de la République. » 400
La France a fait preuve d’audace en proposant dès le début des années 1990 un code
de conduite dans l’espace. La France met au goût du jour cette proposition en 2008 en
tablant sur l’efficacité de la diplomatie européenne pour le promouvoir et lui donner
naissance.
Après la « première guerre spatiale », le maintien de la supériorité dans l’espace est
réaffirmé dans la stratégie spatiale américaine. L’administration américaine considère
que sa supériorité spatiale doit se réaliser par une avance technologique sur ses
399
Rapport sur les orientations de la politique spatiale française et européenne par M. Paul Loridant, sénateur, Office
parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, 1991.
400
Ibid. p. 169.
401
Interview télévisée de M. François Mitterrand, Président de la République, le 14 juillet 1991, http://discours.vie-
publique.fr/notices/917011300.html.
- 163 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
402
potentiels compétiteurs . Se développe alors la Révolution dans les Affaires
Militaires (RMA) et son avatar la Transformation. On assiste à une emprise du
concept de technologisation sur la pensée stratégique américaine 403.
La France reste relativement silencieuse sur ces développements ainsi que sur la
question de la course aux armements, et cela jusqu’en 2006 :
« La France était restée relativement silencieuse ces dernières années
après avoir eu une attitude beaucoup plus… active, dynamique et avoir
proposé un certain nombre d’initiatives dans le passé et puis
progressivement notre voix s’est éteinte… » 404
402
Ce concept de « peer competitor», « rival équivalent », désigne les États capables de concurrencer, sur le plan
technologique et militaire principalement, le leader mondial (États-Unis) en tentant de remettre en cause le statu quo. Voir
Szayna, T., Byman, D., Bankes, S., Eaton, D., Jones, S., Mullins, R., Lesser, I., Rosenau, W., The Emergence of Peer
Competitors: A Framework for Analysis, Santa Monica, California, Rand Corporation, 2001.
403
Le chapitre 2 de cette thèse évoque l’évolution de ces débats stratégiques aux Etats-Unis. GDA Vincent Laportes, « Fin de
la RMA et révolutions des doctrines militaires américaines », Défense et Sécurité Internationale, http://www.dsi-
presse.com/?p=416, site consulté le 1 er mai 2014.
404
Entretien avec le conseiller Espace au directeur de la Direction aux Affaires Stratégiques (ex-DAS), 1 er octobre 2010.
- 164 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
La prudence diplomatique est donc de mise. L’attitude « fermée » des Etats-Unis fait
référence, d’une part, à une politique spatiale déclaratoire plutôt agressive (Chapitre
2) et, d’autre part, à une opposition durable entre les Etats-Unis et la Chine sur le
projet de traité FMCT. Concernant la France, 2006 marque le retour progressif d’une
normalisation des relations diplomatiques franco-américaines. On se souvient de la
prise de parole audacieuse de Dominique de Villepin, alors ministre des Affaires
étrangères, le 14 février 2003 devant l’Assemblée générale des Nations Unis,
s’opposant à une intervention armée aux côtés des Américains en Irak. Cette diatribe
405
Entretien avec le conseiller Espace auprès du directeur de la Délégation aux Affaires Stratégiques (ex-DAS), 1 er octobre
2010.
- 165 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
406
Dès 2004, les deux Etats ont commencé à se rapprocher afin de voter la résolution 1559 (CSNU) du 2 septembre 2004 sur
le retrait de l’armée syrienne au Liban.
407
« France-Etats-Unis : l’histoire d’un retournement », auteur inconnu, URL : http://www.lemonde.fr, site consulté le 6 avril
2006.
408
Entretien avec le conseiller Espace au sein de la Délégation aux Affaires Stratégiques, le 1 er octobre 2010.
- 166 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
409
Michael Krepon, « A case Study…”,op. cit.
410
« Donnons plus d’espace à notre défense. Orientations d’une politique spatiale de défense pour la France et l’Europe »,
Groupe de travail sur les orientations stratégiques de politique spatiale de défense, 2007.
411
Ibid., p.17.
412
Ibid., p. 24.
- 167 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
“Space is a medium like the land, sea, and air within which military
activities shall be conducted to achieve U.S. national security objectives.
The ability to access and utilize space is a vital national interest because
many of the activities conducted in the medium are critical to U.S.
national security and economic well-being.” 415
Il est néanmoins évident que le de tir ASAT chinois en 2007 a eu un très fort impact
sur les dirigeants français. Le LBDSN de 2008 en porte les traces :
« L’incertitude et l’instabilité des évolutions internationales rendent
plausibles des scénarios de rupture par rapport aux risques auxquels nos
systèmes de défense et de sécurité publique et civile sont préparés. (…)
une utilisation de l’espace extra-atmosphérique pour y déployer des
armes, sont au cœur de tels scénarios. » 416
413
LBDSN 2008, op. cit., p. 143.
414
Ibid.
415
Mémorandum du secrétaire à la Défense William Cohen, 9 juillet 1999. http://www.au.af.mil/au/awc/awcgate/dod-
spc/dodspcpolicy99.pdf
416
LBDSN 2008, op. cit., p. 58.
- 168 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
La présidence française de l’Union européenne au second semestre 2008 est alors très
active sur ces questions. C’est en décembre 2008 qu’est avancé le projet européen de
code de conduite pour les activités spatiales. Toujours est-il que les prises de position
françaises des années 1980 contrastent avec la rhétorique politique des années 2000
qui, sans évincer la question des armements dans l’espace, a tendance à se focaliser
sur celle des débris orbitaux, beaucoup plus consensuelle et donc fédératrice. Même
si ces deux thèmes (prolifération des débris et course aux armements dans l’espace)
sont les deux aspects d’une même problématique (la sécurité des activités spatiales
par la surveillance de l’espace), le contexte et la prudence diplomatiques font que
l’on insiste sur un aspect plutôt qu’un autre.
- 169 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
417
Discours de M. le Président de la République Nicolas Sarkozy, CNES, Kourou, 11 février 2008.
418
Livre Blanc…, op. cit.,p. 143.
419
« Les débris spatiaux se multiplient », Livre Blanc…, op. cit.,p. 179.
420
Livre Blanc…, op. cit.,p. 179.
- 170 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
421
La France face aux évolutions du contexte international et stratégique, Document préparatoire à l’actualisation du Livre
Blanc sur la défense et la sécurité nationale, Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale (SGDSN), mars
2012, p. 24.
422
Ibid., p. 23.
- 171 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
423
Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité Nationale 2013, Edition numérique, 29 avril 2013, p. 45.
424
De même, en janvier 2010, les Chinois ont intercepté un de leur missile balistique à haute altitude. De plus, en juin 2010,
un satellite chinois a effectué un « rendez-vous » spatial avec un autre satellite chinois. Cette manœuvre pourrait permettre à
la Chine d’effectuer des actes hostiles (brouillage, aveuglements, écoute etc.) autour de satellites ne lui appartenant pas.
Enfin, en mai 2013, la Chine aurait procédé à un test de missile antisatellite capable de frapper sur les orbites moyennes et
géostationnaires des satellites, « La Chine a-t-elle lancé un super-ASAT ? », http://www.dsi-presse.com/?p=5873
425
Destruction, par la marine américaine et à l’aide d’un missile de type SM-3, d’un satellite (USA 193) déclaré
officiellement comme en perdition et à ce titre dangereux en cas de rentrée dans l’atmosphère.
426
Définition du dictionnaire Larousse.
- 172 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
sujets, expliquer l’émergence facilitée d’un thème dans le champ politique et son
traitement par une politique publique, fusse-t-elle multilatérale.
« Aujourd’hui la surveillance de l’espace au sens des débris, c’est un truc
que les gens comprennent, alors que la météo spatiale c’est un peu
compliqué parce que ce sont des effets induits. Mais peut-être qu’un jour
ça deviendra le nouveau sujet, le nouveau buzz politique. Dès qu’il y a du
buzz politique en tout cas, le spatial est piloté par ça et c’est parfois un
petit peu dangereux. » 427
Le buzz créé par la pollution de l’espace à cause des débris semble s’inscrire dans un
contexte plus large. Celui de la prise en compte de la pollution dans son ensemble et
de la volonté des pouvoirs publics d’agir sur ce phénomène sous la bannière du
développement durable. De plus, la société ne semble plus tolérer la prise de risque et
considère l’Etat comme responsable en cas d’accident.
« C’est un peu dans l’air du temps quoi. C’est au moment du Grenelle tout
ça. « Vous voyez la pollution ça va jusque dans l’espace » donc après ça
fait le buzz ! On a vu dans beaucoup de journaux cette carte où on voit la
terre puis chaque débris représenté par un point, on a l’impression qu’il y
a des débris partout alors qu’en fait c’est l’épaisseur des points qui est
beaucoup plus large que l’épaisseur du débris ramenée à la
proportion. » 428
Le développement durable est un référentiel global qui est à présent appliqué au
milieu spatial et donne naissance à la notion de durabilité de l’espace.
““Space sustainability” has become a buzzword not just at COPUOS but
also among a wide variety of global stakeholders and a coded
acknowledgement of the need for new international processes to underpin
that sustainability.” 429
427
Entretien avec l’adjoint Espace à la Délégation Générale pour l’Armement / Service d’Architecture des Systèmes de
Forces, décembre 2012.
428
Entretien au Ministère de l’Enseignement et de la Recherche (MESR), 19 mars 2013.
429
Theresa Hitchens, « COPUOS wades into the next great space debate », Bulletin of the Atomic Scientists, 26 juin 2008.
- 173 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
430
Portées par des centres de recherches universitaires tels que l’International Research Center on Sustainability de
l’Université de Reims, le Sustainability Science Program de l'Université Harvard, le CIRED (Centre International sur
l'Environnement et le Développement), le CEDRIE (Centre de Développement de la Recherche Internationale en
Environnement) à l'Université de Montréal et l'ICIS (Centre international pour l'évaluation intégrée et le développement
durable) à l'Université de Maastricht.
431
Pierre Muller, Les politiques…, op. cit.,p. 59.
432
« La pollution spatiale risque d’entraver l’activité orbitale », Le Monde, 25 avril 2013.
433
Entretien au MESR, 19 mars 2013.
434
Ibid.
- 174 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
contre la prolifération des débris, l’espace ne pourra plus être utilisé par l’Homme) et
des images (telles celles représentant la prolifération des débris en orbite sur des
décennies, images prises régulièrement comme illustrations du syndrome de Kessler
mais ne renvoyant pas à la réalité faute d’une échelle adéquate).
C’est aussi en 2008 que la Loi sur les Opérations Spatiales (LOS) voit le jour.
Cependant, si cette dernière était en préparation quelques années auparavant, ce
contexte favorable permet plus aisément sa promulgation.
« Ce n’est pas une loi qui a été demandé par le milieu politique. C’est
vraiment une loi qui a émergé du niveau technique et le politique a
enfourché ça. » 435
Même si cette loi a pour objectif principal de donner aux autorités françaises un cadre
juridique dans lequel elle exerce un contrôle sur les opérations spatiales 436
susceptibles d’engager la responsabilité internationale de la France, mention est faite
des débris dans ce cadre.
« Les autorisations délivrées (…) peuvent être assorties de prescriptions
édictées dans l'intérêt de la sécurité des personnes et des biens et de la
protection de la santé publique et de l'environnement, notamment en vue
de limiter les risques liés aux débris spatiaux. » 437
D’après Peter M. Haas, le pouvoir politique n’est en rien intéressé par la science mais
l’utilise à son profit dans l’optique de gains par anticipation. En effet, d’aucuns
affirment que les débris ne sont en soi pas le danger le plus probable auquel est
exposé un satellite.
« Du point de vue du Ministère en charge de l’Espace, ce qui compte c’est
quelles sont les causes de perte d’un satellite rangé par ordre de
fréquence croissant. En tout cas celui qui arrivait en haut du panier, ce
n’était certainement pas une collision avec un débris. On a perdu plein de
satellites mais jamais à cause d’une collision avec un débris (…) on met
quand même son argent sur les principales causes de défaillances, avant.
435
Ibid.
436
Une opération spatiale est définie comme toute activité consistant à lancer ou tenter de lancer un objet dans l'espace extra-
atmosphérique ou à assurer la maîtrise d'un objet spatial pendant son séjour dans l'espace extra-atmosphérique, y compris la
Lune et les autres corps célestes, ainsi que, le cas échéant, lors de son retour sur Terre.
437
Loi n°2008-518 du 3 juin 2008 relative aux opérations spatiales.
- 175 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
438
Entretien au MESR, 19 mars 2013.
439
Ibid.
- 176 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
- 177 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
440
Martha Finnemore, Kathryn Sikkink, op. cit., p. 899.
441
Laurie Boussaget…, op.cit. p. 284.
442
Bruno Jobert est le premier à utiliser ce terme afin d’expliquer le changement de référentiel (vision) qui permet dans les
années 1980 de s’orienter vers le néo-libéralisme. Cette notion est abordée plus particulièrement dans le chapitre 2.
- 178 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
1.2.1.2.1. L’IADC
Le 13 novembre 1986, l’explosion au lancement du troisième étage d’Ariane 1 avec
le satellite SPOT 1 favorise la diffusion du problème des débris hors du cercle
restreint des scientifiques, et hors des frontières américaines. L’intérêt de l’Agence
Spatiale Européenne (European Space Agency – ESA, créée en 1975) pour les débris
augmente fortement, renforcé par l’expertise des scientifiques américains profitant de
cet événement pour renforcer leur crédibilité et accélérer le processus
d’apprentissage. Cet événement fait partie de la troisième hypothèse de départ.
Profitant d’un événement particulier (variable indépendante), la CE américaine a
diffusé ses principes, croyances et valeurs en Europe. La CE devient transnationale en
essaimant ses idées dans les « Etats secondaires » 443, dont les Etats spatiaux.
“NASA would later begin a process of educating and drawing in foreign
space agencies and commercial actors to begin a process of
internationalizing debris management principles, a process that continues
today.” 444
Peu de temps après cet incident d’Ariane 1, Joe Loftus (Directeur du NASA’s Orbital
Debris Program Office) apprend que le Directeur Général de l’ESA rend visite à
l’administrateur de la NASA. Il profite alors de cette venue pour développer son
argumentaire auprès du représentant européen. Ce dernier, de retour en Europe,
charge Walter Neumann d’étudier le sujet pour l’ESA avec Rémi Hergott,
représentant le CNES. Suite à cet événement spatial ayant créé 492 larges débris dont
il en reste aujourd’hui environ 32 445, le NASA’s Orbital Debris Program Office
accueille au JSC une conférence internationale sur la désintégration des étages
443
Les Etats secondaires sont les Etats qui ne sont pas des puissances spatiales, mais éventuellement utilisant l’espace à leur
profit. Les Etats secondaires, d’un certain poids politique, sont nécessaires afin de faire de la norme une norme
internationale. Il peut s’agir ici de convaincre les grands Etats du G77 du bien-fondé de la norme sur la sécurité des activités
spatiales. Lire, G. John Ikenberry, Charles A. Kupchan, “Socialization and hegemonic power”, International Organization,
n°44, 3, été 1990.
444
Op. Cit., John Clay Moltz…, p. 177.
- 179 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
supérieurs des lanceurs en mai 1987. Cet apprentissage produit des résultats concrets
que l’on pourrait qualifier d’ « isomorphisme mimétique ». Cela rend compte des
mécanismes de diffusion horizontale de modèles 446. L’apprentissage social opéré par
la NASA, en favorisant l’échange des informations par la mobilité de ses personnels
se rendant en Europe, permet de diffuser leurs idées et de concourir à la création
d’organisations similaires aux leurs dans les Etats ou entités ciblés (agences spatiales,
organisation intergouvernementale).
Ainsi, sous l’effet du stimuli « événement » (explosion d’un étage de la fusée Ariane
1 et conférence internationale) et du stimuli « apprentissage et diffusion de croyances
normatives » de la part de la NASA, le directeur de l’ESA crée en 1986 un groupe de
travail sur les débris spatiaux (Space Debris Working Group 448), à l’image du NASA’s
Orbital Debris Program Office, qui rend un rapport complet sur le sujet en 1988 449.
Au-delà de cette relation privilégiée entre l’ESA et le CNES, la volonté de la
NASA est de partager ses connaissances avec toutes les agences spatiales dans le
monde mais également avec les acteurs privés exploitant l’espace. Cet
apprentissage croisé se formalise avec l’instauration de forums d’échanges, d’abord
informels dès 1987. Le 22 et le 23 octobre 1987 a lieu la première rencontre de
coordination sur les débris spatiaux entre l’ESA et la NASA à Rolleboise
(Yvelines, France). Les agences spatiales russe et japonaise considérées comme
concernées par le sujet, sont invitées à participer. L’objectif affiché de cette
445
Nicolas Johnson, “Origin of the Inter-Agency Space Debris Coordination Committee”, in Orbital Debris Quarterly News,
Vol. 16, Issue 4, October 2002, p.3.
446
Thierry Delpeuch, « L’analyse des transferts internationaux de politiques publiques : un état de l’art », Questions de
Recherche, n°27, décembre 2008, p. 12.
447
Hugh Heclo, Modern Social Politics in Britain and Sweden. From Relief to Income Maintenance, New Haven (Conn.),
Yale University Press, 1974, p. 306.
448
Aujourd’hui l’ESA dispose d’un Space Debris Office, basé à Darmstadt, Allemagne au sein de l’ESOC (European Space
Operations Center, créé en 1967.
449
ESA’s Report on Space Debris, 1988.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
rencontre est de « discuss the various aspects of space debris, exchange opinions,
present study results and agree on contact points for policy, management, and
technical experts. » 450. Cette première expérience concluante se répète alors chaque
année et permet d’officialiser cette pratique en 1993 en créant l’Inter-Agency Space
Debris Coordination Committee (IADC). L’IADC est une création issue d’une
interaction sociale active entre NASA et ESA 451. Le CNES rejoint officiellement
l’IADC en 1996, après la Chine (CNSA) en 1995 mais en même temps que l’ISRO
(Indian Space Research Organisation) et le BNSC (British National Space Center).
Suivent en 1997 l’adhésion du DLR (German Aerospace Center), en 2000 la NSAU
(Agence Spatiale ukrainienne) et l’Agence Spatiale Canadienne en 2011. Le space
learning fonctionne auprès de l’agence spatiale européenne suivie par plusieurs
agences spatiales nationales des principaux Etats spatiaux. Cet organe devient alors
le forum international relatif à l’aspect technique du problème des débris spatiaux.
Il s’agit uniquement de la réunion de scientifiques et d’experts techniques. L’IADC
devient l’animateur de cette « communauté » 452 et est force de proposition aux
Nations Unies. L’existence de l’IADC permet ainsi, en faisant se rencontrer les
scientifiques et experts des débris des principales puissances spatiales, de mettre en
place un processus de socialisation. En effet, la circulation des solutions sur le
problème de la prolifération des débris au sein de ce forum d’échange peut être
perçue comme un lieu de socialisation et d’apprentissages croisés ayant pour effet
l’homogénéisation des valeurs, des conceptions, des préférences, des identités et
des croyances, préalablement à l’élaboration et à la diffusion de règles et de
politiques multilatérales. Le résultat concret de ce processus est l’adoption en 2002
par l’IADC, après consensus entre ses membres, des recommandations afin de
réduire la production de débris spatiaux 453. De même, la Loi Spatiale Française a
été nourrie des réflexions de l’IADC.
450
Nicolas Johnson, “Origin of the Inter-Agency Space Debris Coordination Committee”, op. cit.,p.3.
451
Les deux agences spatiales (l’ESA était alors l’ESRO) ayant aussi coopéré antérieurement sur d’autres programmes
notamment pour la conception de Spacelab en 1973, le laboratoire scientifique installé dans la navette spatiale. Le premier
module a été remis à la NASA en échange de possibilités de vols pour les astronautes européens.
452
Issu de la théorie sociologique de Ferdinand Tönnies, le concept de communauté (Gemeinschaft) s’oppose à celui de société
(Gesellschaft). La communauté est alimentée par l’affectif et l’intériorisation de valeurs communes partagées entre ses membres, in Guy
Hermet, Bertrand Badie, Pierre Birnbaum, Philippe Braud, Dictionnaire de la science politique, Paris, Armand Colin Cursus, juin 1996,
p. 56.
453
IADC Space Debris Recommandations Guidelines, 15 octobre 2002.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
La communauté des individus travaillant sur les débris spatiaux correspond peu ou
prou aux personnes présentes lors des conférences annuelles de l’IADC. Cette
communauté scientifique est réduite. Ainsi, lorsque des modélisations relatives à
l’évolution de la population des débris en orbite sont présentées, elles sont peu
contestées, peu discutées voire pas du tout. Les controverses scientifiques
n’existent pas et cela représente un risque pour la véracité des propos tenus lors de
ces rassemblements. Ces propos étant émis par des experts, scientifiques ou
ingénieurs, ils sont considérés comme légitimes. Ils ne sont pas remis en cause
lorsqu’ils sont décodés et transmis aux décideurs politiques. Certains membres de
cette communauté tentent tout de même de faire entendre leur voix discordante,
dans le but d’enrichir les débats. Sous l’impulsion de quelques personnes, le CNES
mène en 2012 une évaluation indépendante de l’évolution à long terme de la
population des débris spatiaux 454. Elles présentent ses conclusions à la conférence
de l’IADC en 2014. Cette étude montre que les hypothèses de départ sur lesquelles
le modèle se fonde sont déterminantes sur les résultats finaux. En prenant des
hypothèses de départ différentes de celles de la NASA, mais tout autant
crédibles 455, le CNES obtient un résultat inverse de celui de la NASA. A l’appui de
l’étude du CNES, on ne peut conclure à une augmentation certaine du nombre des
débris en orbite d’ici à 200 ans. Ce qui fait dire à un individu du CNES :
« Tout est fait pour montrer une situation catastrophique. C’est pour se
donner du boulot. » 456
Ces résultats remettent en cause les solutions avancées par cette communauté des
experts en débris orbitaux pour pallier cette situation. La solution technique qui est
promue est le retrait de certains gros débris en orbite, par l’active debris removal
(ADR). Les experts recommandent de retirer cinq à dix gros débris par an en orbite
basse afin de stabiliser la population orbitale. Cette technologie fait déjà l’objet
d’études d’ingénieurs et de prototypes industriels. Elle fait donc travailler des
454
Le modèle développé par le CNES s’appelle MEDEE pour Modelling of the Evolution of Space Debris on the Earth
Environment.
455
La forte instabilité des hypothèses de départ (dû à l’imprévisibilité relative des phénomènes) ne peut pas permettre de
conclure dans un sens ou dans un autre: forte augmentation du nombre de débris, stagnation ou réduction. Les hypothèses de
départ se fondent, entres autres, sur : le nombre de lancements par an, le nombre d’échecs au lancement, le nombre
d’explosions accidentelles en orbite, le nombre de satellites déployés au sein des « méga-constellations », l’activité solaire
etc.
456
Entretien au CNES, 2016.
- 182 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
équipes et justifie des emplois. Les membres de cette communauté sont donc
prompts, pour la majorité, à ne pas remettre en cause les différentes prévisions
alarmistes.
« Il n’y a dans cette communauté que des gens convertis, comme dans une
secte. » 457
Cela ne veut pas dire qu’elles ne se réaliseront pas, mais l’incertitude est trop
grande aujourd’hui pour affirmer que les choses vont se dérouler ainsi dans 200
ans.
L’ESA, avec son programme clean space, devrait être la première agence spatiale à
réaliser une opération d’active debris removal en 2021 sur le satellite Envisat. Le
NASA soutient activement les développements en matière d’ADR, tandis que le
département d’Etat américain et le Pentagone y voient des utilisations militaires
potentielles allant contre leurs intérêts.
Une autre solution technique visant à contrer l’augmentation de la population en
orbite est d’accroître la fiabilité des composants techniques au sein des satellites,
souvent mis en cause dans les explosions inopinées d’objets en orbite. Cette piste,
pourtant déjà évoquée dans les écrits de Kessler en 1978, est peu discutée.
Donald J. Kessler est invité à chaque conférence de l’IADC. Son « syndrome »
structure et conditionne encore tous les débats sur les débris orbitaux. Pourtant,
depuis 1957, sur les millions d’objets spatiaux en orbite, moins de 15 collisions
458
connues ont eu lieues, so, « why do people worry ? » D’aucuns évoquent
d’autres solutions que l’ADR qui permettent d’éviter les collisions en orbite :
“Many collisions in space can be avoided, but in order to do so, we will
need a robust space situational awareness capability.” 459
Les consensus d’ordre technique obtenus au sein de l’IADC permettent ensuite de
les imposer au niveau politique. La démarche inverse est plus laborieuse tant un
consensus politique sur ce sujet est difficile à obtenir. A bon escient, le sous-
comité technique et scientifique du COPUOS s’inspire de cette démarche réussie
(de bottom-up du niveau technique au politique) de l’IADC.
457
Ibid.
458
Mark Albrecht, Paul Graziani, “A Serious Problem Solved By Hard Work, Not Hysteria”, Space News, 25 avril 2016, p.
22-23.
459
Ibid., p.23.
- 183 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
460
Martha Finnemore, Kathryn Sikkink, op. cit., p. 900.
- 184 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
ème
lors de la 50 session plénière du comité en juin 2007 461 par le français Gérard
Brachet (alors président du COPUOS) qui lance le débat. La même année, l’AGNU
adopte les recommandations du COPUOS sur la réduction des débris. L’activisme de
Gérard Brachet au sein du COPUOS a permis à la France, les 7 et 8 février 2008, de
prendre l’initiative de convoquer à Paris une réunion internationale informelle sur la
« viabilité à long terme des activités spatiales ». Deux autres réunions du groupe de
travail informel ont été tenues, l’une à Glasgow (Royaume Uni) en octobre 2008 en
marge du congrès international d’astronautique, et l’autre en février 2009 à Vienne,
en marge de la session du STSC du COPUOS. Cette troisième réunion a été précédée
d’une présentation informelle des objectifs et des travaux de ce groupe de travail à
toutes les délégations présentes à la session du sous comité du COPUOS 462. Le
document de référence rédigé par ce groupe de travail informel, distribué aux
délégations lors de la session du STSC du COPUOS de février 2010, passe en revue
les différentes questions qui peuvent affecter la viabilité à long terme des activités
spatiales dont la prolifération des débris spatiaux. Dès 2008, ces réunions
internationales informelles réunissent les acteurs spatiaux européens mais aussi les
opérateurs de télécommunications spatiales 463. La présence des acteurs privés lors de
ces rassemblements montre que l’idée de la nécessité d’un space traffic management
transcende les frontières entre cercles d’acteurs.
461
Document A/AC.105/L.268.
462
Gérard Brachet, “La sécurité des activités spatiales”, 15 mai 2010,
www.cesa.air.defense.gouv.fr/la_securite_des_activites_spatiales .pdf
- 185 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
présidence du sud africain Peter Martinez. Ce groupe de travail est une initiative du
STSC. En 2011, ce groupe est composé de quatre sous-groupes d’experts se divisant
entre différents thèmes liés à la durabilité de l’espace. Selon les termes de référence,
le working group LTSSA a pour but d’examiner la durabilité à long terme des
activités spatiales dans le contexte plus large du développement durable sur Terre.
L’objectif est d’éditer un rapport final énonçant des « bonnes pratiques »/ guidelines
devant être appliquées sur base volontaire par les Etats, les organisations
internationales, les ONG et le secteur privé. Un plan de travail sur quatre ans est
établi, de 2011-2014. Le groupe consulte également d’autres organismes onusiens tels
que la CD, l’International Telecommunication Union (ITU), des organismes non
gouvernementaux et non onusiens (IADC et International Academy of Astronautics,
IAA). Les contributions provenant d’ONG ainsi que du secteur privé sont les
bienvenues mais toujours par l’intermédiaire d’une délégation étatique. Dans le
domaine spatial, les acteurs non-étatiques (les « intrus » 464) ne supplantent pas les
prérogatives étatiques. La gestion du milieu spatial reste stato-centrée.
Les quatre sous-groupes du LTSSA sont (1) l’utilisation du milieu spatial de manière
durable afin de servir les besoins (durables) sur terre, (2) les débris spatiaux, les
opérations spatiales et les outils permettant le partage des données SSA (Space
Sustainable Awareness), (3) la météorologie de l’espace, (4) les régimes régulateurs
et l’orientation des nouveaux acteurs du secteur spatial. Le groupe a bénéficié d’une
année de plus afin de compléter son travail. Il ressort de cette expérience une
difficulté des membres à se mettre d’accord sur ce qui constitue les « bonnes
pratiques ».
“The four Expert Groups have made substantive progress on draft best
practice guidelines, which the Chair has compiled into one document
(A/AC.105/C.1/2013/CRP.23). While these are very much draft guidelines,
they reflect the fragmentary nature and lack of unity some feared.” 465
463
Theresa Hitchens, “COPUOS wades into the next great space debate”, Bulletin of the Atomic Scientists, 26 juin 2008.
464
Bertrand Badie, Le Diplomate et l’Intrus, op cit.
465
UNCOPUOS, Long-Term Sustainability of Space Activities Working Group Fact Sheet, Tiffany Show, Secure World
Foundation, juin 2013.
- 186 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
L’initiative du LTSSA doit pouvoir s’intégrer logiquement avec les initiatives menées
en parallèle. Ainsi les travaux du Groupe des Experts Gouvernementaux ont été
présentés lors d’un meeting du LTSSA. De plus, l’initiative du CoC y est discutée.
The TOR [Terms of Reference] state that the Working Group “should
avoid duplicating the work being done within these international entities
and should identify areas of concern relating to the long-term
sustainability of outer space activities that are not being covered by
them.” 466
La stratégie initiée par Gérard Brachet et la délégation française est donc d’aller
chercher un consensus interétatique d’ordre technique, considéré comme plus facile à
atteindre qu’un consensus d’ordre juridique. Malgré les déclarations faites afin
d’impliquer davantage le sous-comité juridique, il semble avoir été marginalisé par
les experts techniques.
“Similarly, the Working Group acknowledges the need to clarify how the
UNCOPUOS Legal Subcommittee will be involved in this process.” 467
En décembre 2014, le groupe de travail LTSSA a présenté son projet de rapport sur la
viabilité à long terme des activités spatiales 468. L’année 2015 a été l’occasion de
publier des mises à jour, commentaires et amendements 469 de la part des experts
étatiques de trente pays différents ainsi que ceux provenant d’organisations
interétatiques et d’ONG. Le projet de base étant constitué de 33 recommandations
relatives à la durabilité à long terme des activités spatiales. D’après les propos de
Gérard Brachet, cette démarche COPUOS/STSC a fortement été inspirée de la
démarche de l’IADC. En effet, les experts de l’IADC étant parvenus à un accord, ils
ont partagé leur expérience et leur travail avec le STSC du COPUOS en « court-
circuitant » le sous-comité juridique du COPUOS. Les experts techniques de l’IADC
et du STSC se sont donc en quelque sorte associés afin de produire de la connaissance
et créer une vision commune. Il a fallu ensuite convaincre les diplomates que cette
orientation, cette vision du problème et de ses solutions était la plus pertinente. Ce
processus est une nouvelle fois appliqué lors de la constitution en 2011 par les
466
Report from the 54th session of UNCOPUOS to the 66th session of the UN General Assembly, Supplement No. 20
(A/66/20), 2011, p. 51-57.
467
Ibid.
468
http://www.unoosa.org/pdf/limited/c1/AC105_C1_L343F.pdf
469
http://www.unoosa.org/oosa/en/ourwork/topics/long-term-sustainability-of-outer-space-activities.html
- 187 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Nations Unies d’un Groupe des Experts Gouvernementaux. Gérard Brachet est choisi
par le Quai d’Orsay afin d’être le représentant de la France. Gérard Brachet a alors
joué un rôle moteur. Il peut être considéré comme un entrepreneur de norme et un
animateur de la CE.
A l’été 2015, les consultations multilatérales menées en parallèle sur le code de
conduite dégradent les débats au sein du COPUOS, qui au sens strict ne traitent pas
du ICoC mais des conclusions et lignes directrices issues de l’initiative LTSSA. De
plus, les crispations accumulées à la CD s’exportent dans les autres forums et
contaminent les discussions. Le débat technique voulu au STSC se politise. Ces
tensions sont également le résultat d’une conjoncture internationale particulière faite
de relations difficiles entre les dirigeants américains et russes. On retrouve en outre
ces dissensions dans d’autres forums internationaux 470.
Les membres du 3ème cercle que sont les organisations professionnelles tendent à se
mobiliser eux aussi pour échanger sur la problématique de la sécurité des activités
spatiales. Au sein du secteur spatial, il existe des regroupements nationaux tels que le
GIFAS (Groupement des Industries Françaises Aéronautiques et Spatiales) en France,
le BDLI (en anglais : German Aerospace Industries Association) en Allemagne ou
encore l’AIA (Aerospace Industry Association) aux Etats-Unis, mais aussi européens
à l’instar de l’ASD (Aerospace and Defence Industries Association of Europe) et
d’EUROSPACE (Association des industries spatiales européennes). L’objectif de ces
regroupements est de discuter entre professionnels des intérêts industriels du secteur
spatial.
« Les cibles du GIFAS c’est donc le CNES, le gouvernement français et le
Parlement français. Les cibles d’Eurospace sont la Commission et
l’ESA. » 471
Du côté américain, la NASA a sensibilisé les opérateurs privés dès les années 1980.
En 1994, ils étendent leurs prérogatives par l’application de la Directive 23 472 du
470
Isabelle Lasserre, « A Vienne, l’OSCE est le théâtre d’une nouvelle guerre froide », Le Figaro, 2 mai 2016.
471
Entretien avec le Secrétaire général d’Eurospace, 14 juin 2011.
472
http://www.clintonlibrary.gov/_previous/Documents/2010%20FOIA/Presidential%20Directives/PDD-23.pdf
- 188 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
473
Richard DalBello, « Des initiatives commerciales de gestion de l’environnement spatial », UNIDIR forum du
désarmement 2009, n°4, p. 35, URL : http://www.unidir.org/files/publications/pdfs/un-environnement-spatial-plus-sur-en-
482.pdf.
- 189 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
1.2.1.4. Le dialogue entre les savants et les profanes au sein des forums
hybrides
474
Entretien avec le conseiller Espace au directeur de la Direction aux Affaires Stratégiques (ex-DAS), 1 er octobre 2010.
475
En 2010, un débat public vif a animé la communauté spatiale (Armées et industriels) et le champ politique sur la
possibilité d’externaliser l’usufruit des satellites de télécommunications militaires. Suite à de nombreuses consultations, ce
projet a été abandonné.
476
La société américaine Leolabs propose de vendre les données orbitales de satellites en orbite basse grâce à deux radars
situés en Alaska et au Texas. Leur ambition est grande : suivre tous les objets à partir de 2 cm en orbite basse. Lire avec
intérêt : http://spacenews.com/satellite-tracking-firm-leolabs-opens-for-business-with-4-million-banked/
- 190 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
477
Jean-Paul Gaudillière, « A propos de « démocratie technique » », La Découverte, Mouvements, 2002/3, n°21-22, p. 191-
193.
478
Roger Lesgards, Conquête spatiale et démocratie, Paris, Presses de Sciences Po, mars 1998.
479
Ibid., p. 63.
480
Ibid.
- 191 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
481
Ibid., p. 66.
482
Ibid., p. 79.
483
Pour un exemple de ces prévisions et de la solution que représente l’ADR :
http://www.esa.int/spaceinvideos/Videos/2013/04/Space_debris_story
484
Pour certains auteurs, le choix est plus subtil. Lire Michael E. O’Hanlon, Neither Star wars nor Sanctuary. Constraining
the Military Uses of Space, Brookings Institution Press, 2004.
- 192 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
« ouverts où des groupes peuvent se mobiliser pour débattre des choix techniques qui
engagent le collectif ». Les forums sont dits « hybrides » car ces groupes engagés et
leurs porte-parole sont hétérogènes (experts, profanes, hommes politiques…) 485. Un
modèle de « démocratie dialogique » serait ainsi en construction dans les pratiques.
Ce type de démocratie s’oppose alors à la démocratie définie comme « délégative ».
Cette dernière repose sur une séparation rigide entre représentants politiques et
mandataires, doublée d’une séparation entre savants et profanes. Ceci est à l’origine
de l’incapacité des profanes à peser sur les décisions. Les forums hybrides permettent
de repolitiser les questions de science et de technique. Au cours de l’échange
réciproque, de l’apprentissage commun produit pendant le dialogue, ces groupes
concernés participent à « l’élaboration du monde commun ». Le modèle de la
démocratie dialogique présentée par les trois auteurs comporte cependant des
limites 486. Tout d’abord, il ne prend pas en compte les inégalités économiques,
sociales et culturelles qui sont présentes dans le corps social et qui empêchent
l’expression et la prise en compte de la parole de chacun. Ensuite, le livre évoque très
peu le fait que les enjeux de la technoscience sont également des enjeux
économiques. De ce fait, l’influence des logiques industrielles sur la construction des
savoirs est ignorée. Ces deux limites sont parfaitement intégrables dans le sujet de la
prise en compte des débris dans l’espace et présentes en filigrane dans cette thèse.
485
Michel Callon…op. cit., p. 35-36.
486
Jean-Paul Gaudillière, « A propos de « démocratie technique »…, op.cit, p. 193.
- 193 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
487
Peter Diamandis est médecin et diplômé en ingénierie aérospatiale, Todd Hawley est diplômé de l’Institut de Politique
Spatiale de l’Université George Washington. Enfin, Robert D. Richards est ingénieur et physicien.
488
ISU Credo, Peter Diamandis, Todd B. Hawley, Robert D. Richards, ISU Founders. http://www.isunet.edu/blog/what-is-
isu/isu-credo/87
- 194 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Le credo de l’ISU renvoie dès lors à trois dimensions. Premièrement, tout en étant
ouverte à toutes les opinions, elle prône une vision pacifique de l’espace au sein de
laquelle la coopération internationale est le maître mot. L’attention portée aux
utilisations pacifiques de l’espace ne saurait toutefois signifier que l’ISU ne puisse
pas traiter de problématiques militaires. On retrouve ici l’esprit du Traité sur l’Espace
de 1967 qui, s’il interdit le placement d’armes de destruction massive en orbite, ne
prohibe nullement l’utilisation militaire de l’espace, exception faite d’installations
militaires sur les corps célestes. Deuxièmement, l’ISU insiste, dans l’exposé de ses
missions, sur le fait qu’elle n’entreprendra pas de programmes ou d’activités qui
limiteraient sa vocation internationale ou son dévouement pour la promotion des
activités pacifiques. Ce point est important en ce qu’il dénote une prise de position
contre le placement d’armes dans l’espace. Au regard de ses missions, il n’est alors
pas étonnant de constater que l’ISU a développé une coopération avec les Nations
Unies, que ce soit en qualité d’observateur permanent au COPUOS ou en conduisant
des activités conjointes avec l’UNESCO. Ces exemples sont révélateurs de la volonté
de l’ISU d’influencer les prises de décisions au niveau international. Enfin,
l’institution se dit également dévouée à la création et à l’expansion de la
connaissance, à l’échange et à la dissémination des savoirs et des idées. Les
dirigeants de l’ISU souhaitent en faire un forum international de discussion autour des
questions spatiales. Dans cette optique, ils proposent chaque année aux professionnels
du secteur spatial des stages pluridisciplinaires d’une durée de deux mois (SSP).
Chaque année, un à deux officiers de l’Armée de l’air française y participent, en
provenance du CIE ou du CDAOA notamment. Des membres du CNES y sont
également régulièrement représentés. On y compte aussi des jeunes professionnels de
l’ESA ou des industries spatiales françaises. Ces stages sont l’occasion pour la
centaine de stagiaires retenus chaque année de bénéficier des compétences des
conférenciers sur un thème de leur choix 489. Ils présentent en outre l’intérêt de se
dérouler systématiquement dans un lieu différent. Ainsi le programme 2009 fut
hébergé par le centre de recherche de la NASA de MottetField, près de San Francisco
alors que celui de 2012 s’est tenu à l’institut de technologie de Melbourne (Floride) et
489
Les thématiques abordées sont particulièrement larges en ce qu’elles peuvent porter, par exemple, sur la science de la vie,
l’espace et la société, l’ingénierie spatiale, la physique spatiale, le droit spatial, etc.
- 195 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
au Kennedy Space Center. Outre ces stages, l’ISU propose également, sur son campus
de Strasbourg, des formations universitaires sous forme de master et organise
annuellement un symposium international dont la finalité est « d’aider les utilisateurs
et les fournisseurs de systèmes liés à l’espace et de faire progresser la discussion des
problèmes vers la formulation de solutions innovantes. »
Le 16e symposium de l’ISU, qui s’est tenu du 21 au 23 février 2012, a été l’occasion
de rassembler un large public de spécialistes sur le thème de la durabilité des
activités spatiales : problèmes internationaux et solutions potentielles. Plusieurs
agences spatiales étaient représentées (NASA, CNES, DLR (agence spatiale
allemande), JAXA (agence spatiale japonaise) mais aussi ESA), de même que des
industriels (avec une forte représentation des ingénieurs d’Airbus Defense & Space),
de nombreuses universités (Madrid, Hokkaïdo, Tel Aviv etc.), l’ONG Secure World
Foundation, des instituts et fondations, ainsi que les départements américains de la
Défense et d’Etat. Outre cette participation que l’on pourrait qualifier de
traditionnelle, on observe depuis 2006 une présence grandissante d’auditeurs en
provenance des BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), passés de moins d’une
vingtaine à près d’une soixantaine par an, illustration s’il en est de l’intérêt que ces
États portent à l’espace. Durant cette édition 2012, les trois jours de débats ont été
dominés par la problématique des débris et ont permis aux intervenants de dégager un
certain nombre de pistes visant aussi bien à protéger les satellites qu’à favoriser la
baisse de la production de nouveaux débris, voire à permettre le retrait des débris
dans l’espace. Même si certains intervenants ont rappelé la hausse conséquente du
nombre de ces débris à la suite du tir antisatellite (ASAT) chinois de février 2007, on
notera qu’en revanche aucune session n’a spécifiquement porté sur la problématique
des débris causés par les capacités ASAT. Certaines interventions y ont tout de même
fait indirectement référence, comme lors de la session consacrée aux approches
coopératives visant à favoriser la durabilité de l’espace (interventions sur la définition
du comportement responsable dans l’espace, sur la gouvernance mondiale des biens
communs, sur l’utilisation de la surveillance de l’espace etc.). Ce relatif désintérêt
pour les thématiques militaires peut être facilement compris par les motivations
mêmes qui ont poussé à la création de l’ISU. Comme le relève un observateur averti
- 196 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
des problématiques spatiales, les programmes proposés par l’ISU sont très complets,
quand bien même peut-on relever
« La quasi-absence de conférences sur l’utilisation de l’espace à des fins
de sécurité et de défense. Aucune conférence ne traitait véritablement de
ce domaine de manière dédiée, alors qu’il concentre, historiquement et
encore actuellement, la majeure partie des applications issues de systèmes
spatiaux. Ce constat s’explique facilement lorsqu’on comprend dans quel
cadre a été créé l’ISU à l’époque : la motivation principale était (et reste)
de rassembler une communauté spatiale, de dispenser un enseignement
multidisciplinaire dans le domaine de l’espace, et de favoriser les
échanges autour de sujets de réflexions sur l’exploration et l’utilisation
pacifiques de l’espace au profit de l’humanité toute entière » 490.
La problématique des débris a fait l’objet quelques mois plus tard d’un « team
project » au cours du SSP de l’été 2012. L’objectif de cet atelier était notamment
l’édition d’un rapport, dans lequel les stagiaires de l’ISU expose clairement leur
objectif :
“The goal of this report is to propose a way forward that addresses these
aspects by recommending a preferred technical solution (…) and
suggesting amended or new political, legal and financial frameworks to
implement our preferred solution.” 491
Même s’il faut relativiser l’impact des travaux réalisés par les stagiaires à l’issu des
SSP, les rapports comme celui sur les débris énoncent des recommandations qui
peuvent être poussées au-delà du seul cadre de ces programmes d’été. L’ISU a donc
finalement vocation tant à former qu’à rassembler des experts du milieu spatial. Ces
stagiaires peuvent ensuite être des relais des idées et croyances véhiculés au sein de
l’ISU. Parce qu’elle réunit ces experts l’ISU devient le catalyseur de la production de
connaissance. Elle permet tout d’abord de créer un sentiment d’appartenance à une
« communauté spatiale ». La qualification de communauté sous-entend que ce groupe
« vit », échange, partage au-delà de la participation au stage. C’est ce qu’illustre par
exemple la communauté SSP qui est « très active, qui perdure au-delà du stage lui-
490
Entretien avec un commandant de l’Armée de l’air. Si ce dernier fait ici référence au SSP auquel il a participé, on peut
sans difficulté élargir son propos au symposium.
491
Space Debris, Team Project Report, International Space University, Space Summer Program 2012.
- 197 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
492
Entretien avec un commandant de l’Armée de l’air.
493
Le site internet de l’ISU évoque 3 300 anciens dans près de cents pays différents.
494
Peter M. Haas, “Introduction: epistemic communities…”, op.cit., p. 3.
- 198 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
495
Sondage mené par l’ISU sur 600 “alumni” (anciens), http://www.isunet.edu/about-us/presidents-welcome
- 199 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
496
Il s’agissait, lors de la réalisation de cette thèse, de Jean-Jacques Dordain. Son successeur est Dr « Buzz » Aldrin (nommé
en octobre 2015), http://www.isunet.edu/pages/buzz-aldrin-new-isu-chancellor/273
- 200 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
principale au sein de laquelle elle cherche à promouvoir son propre credo. Elle peut
être qualifiée de forum hybride au sens où elle rassemble des personnes d’une
extrême diversité du profane au savant, tous concourant à réfléchir à des solutions
techniques engageant le collectif.
- 201 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
497
Alex MacLeod, Dan O’Meara (dir.), Théories des relations internationales…op. cit., p. 170.
- 202 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
groupes d’Etats ont quant à eux des objectifs officieux qui consistent pour l’un à
bloquer des négociations menées en parallèle (Chine), à rééquilibrer un rapport de
puissance (Russie), et pour l’autre à maintenir un statu quo stratégique qui lui est
favorable (Etats-Unis). Les perceptions ou misperceptions 498 des dirigeants de ces
Etats à l’égard de la politique spatiale de l’autre les amènent à penser que la survie de
leur Etat est en jeu. Les croyances normatives de la CE sont utilisées dans le
processus de normalisation afin de faire valider les prises de position des décideurs.
Emmanuel Adler et Peter Haas étudient tous deux l’émergence des régimes à l’aide
de la notion de communautés épistémiques. Peter Haas a davantage travaillé sur la
définition de la notion avant de la mettre à profit afin d’analyser la coopération
internationale en matière de pollution environnementale en mer méditerranée. De son
côté Emmanuel Adler se focalise sur le rôle des CE dans la formation du traité ABM
en 1972. L’existence de communautés épistémiques permet donc de penser
l’émergence du régime défini comme des
“sets of implicit or explicit principles, norms, rules, and decision-making
procedures around which actors’ expectations converge in a given area of
international relations. Principles are beliefs of fact, causation, and
rectitude. Norms are standards of behavior defined in terms of rights and
obligations. Rules are specific prescriptions or proscriptions for action.
Decision-making procedures are prevailing practices for making and
implementing collective choice.” 499
Les principes sont des croyances de fait, de cause et de justice. Ils sont d’ordre
général. Les normes sont des standards de comportements définis en termes de droits
et de devoirs. Elles sont socialement construites et intersubjectives. Elles visent le
concret. Les règles sont des recommandations spécifiques ou des interdictions pour
l’action. Enfin, les processus décisionnels sont des pratiques qui s’imposent afin de
mettre en place des choix collectifs. Il faut, dans un premier temps, se pencher sur le
contenu des projets en eux-mêmes afin de distinguer pour chacun d’eux, les
principes, normes et règles qu’ils véhiculent.
498
Robert Jervis, op. cit.
499
Stephen D. Krasner, International Regimes, op. cit.,p. 2.
- 203 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Précédemment dans cette thèse, il a été dit que les dirigeants chinois ont œuvré via la
CD afin de réactiver le comité ad hoc sur le PAROS. Ils ont présenté, conjointement
avec la Russie en juin 2002, le premier document de travail sur la constitution d’un
futur instrument juridique sur la prévention du déploiement d’armes dans l’espace 500.
En février 2008, les dirigeants de ces deux Etats déposent un nouveau projet, une
mise à jour du précédent 501. C’est sur ces deux textes ainsi que les commentaires
additionnels de la Chine et de la Russie que l’analyse de texte s’appuie.
500
CD/ 1679, 22 juin 2002.
501
CD/ 1839, 29 février 2008.
502
Marie-Claude Smouts, « Du patrimoine commun de l’humanité aux biens publics globaux »,
http://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers10-07/010037531.pdf.
503
Le génome humain, la diversité culturelle etc. Smouts, op. cit., p. 66.
- 204 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Le cas du milieu spatial et du milieu maritime sont très proches en ce sens où les
négociations pour leur codification se sont déroulées en même temps au sein des
Nations Unies. Mais ce n’est qu’avec l’entrée en vigueur de l’article 136 de la
Convention de Montego Bay en 1994 que « le fonds des mers et des océans au-delà
des limites de la juridiction internationale ainsi que ses ressources sont des éléments
du patrimoine commun de l’humanité». 505
Le Traité de l’espace de 1967 n’a pas inscrit la notion de patrimoine commun de
l’humanité dans le texte.
L’apanage n’a aucun contenu juridique. Seul l'accord du 18 décembre 1979 régissant
les activités sur la Lune et les autres corps célestes à l'intérieur du système solaire
retient la notion:
«La lune et ses ressources naturelles constituent le patrimoine commun de
l'humanité» (article 11). 506
504
Ibid.
505
Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, conclue à Montego Bay, le 10 décembre 1982,
http://www.un.org/depts/los/convention_agreements/texts/unclos/unclos_f.pdf
506
Marie-Claude Smouts, « Du patrimoine commun … », op. cit., p. 57.
- 205 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Les règles sont des interdictions marquées par la répétition des « Not to ». Enfin, les
processus décisionnels sont précisés en fin de texte. Ils concernent le règlement des
conflits (via les consultations et clarifications) mais se référent aussi au texte lui-
même et ses possibles amendements, sa signature, sa ratification ainsi que son entrée
en vigueur.
Il s’agit ici d’un véritable texte juridique respectant la forme adéquate. L’objectif ici
étant de constater les ajustements faits par rapport au premier document.
Concernant les principes d’ordre général, il est intéressant de remarquer que
l’expression de « patrimoine commun de l’humanité » a disparu au profit d’une
formule moins connotée et moins engageante juridiquement : « Reaffirming that outer
space is playing an ever-increasing role in the future development of mankind ».
Cette nouvelle formulation n’a aucun contenu juridique. Ne plus utiliser l’expression
de « patrimoine commun de l’humanité » permet aux Etats de revendiquer des droits
sur ces biens communs. Quant bien même, l’expression renvoie à une notion floue car
elle n’a jamais été revendiquée, notamment parce que la Lune et les fonds marins
n’ont pas encore fait l’objet d’exploitation. Cela permet, dans la limite de
« l’utilisation pacifique », de faire fructifier les intérêts publics et privés dans ces
- 206 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
espaces. Or, au départ ce concept devait garantir aux pays en développement une
exploitation équitable des ressources de ces espaces communs par les Etats qui en
étaient capables. Aujourd’hui la notion de patrimoine commun de l’humanité semble
s’éclipser au profit de celle des biens publics mondiaux (Partie II).
Le préambule du projet utilise le champ lexical de la guerre avec des expressions et
substantifs tels que la « military confrontation » ou encore la répétition du mot
« weapons » (trois fois) et « arms race in outerspace » (quatre fois). L’utilisation de
l’expression de la course aux armements fait clairement référence à l’historique des
consultations et concertations ayant eu lieu pendant la Guerre froide sur les
armements stratégiques. Ainsi, les dirigeants chinois endossent cet héritage en
reconnaissant le poids historique de cette référence entre les Etats-Unis et l’URSS.
De même, en employant cette expression dans les deux versions de 2002 et 2008, les
Russes et les Chinois réactivent les communautés épistémiques de l’arms control. A
l’instar de l’utilisation massive des armements nucléaires, la course aux armements
dans l’espace et ses conséquences doivent s’appuyer sur des scénarios « imaginés »
car sans précédent 507. Le texte sino-russe aboutit à un constat qui est similaire aux
éléments de langage de certains think tank.
”Recognizing that prevention of the placement of weapons in outer space
and of an arms race in outer space would avert a grave danger for
international peace and security.” 508
“The weaponization of space would destroy strategic balance and
stability, undermine international and national security, and disrupt
existing arms control instruments, in particular those related to nuclear
weapons and missiles. These effects will inevitably lead to a new arms
race.” 509
Après la définition des termes, l’article II se focalise sur les règles avec une série de
« not to ». Les normes reprennent l’idée des mesures de construction de la confiance
mais sans citer leur contenu à l’inverse de la première version. Ces normes ne sont
alors pas précisées. Les processus décisionnels restent inchangés. Un nouvel élément
507
Emmanuel Adler, “The Emergence of Cooperation ...”,op. cit., p. 107.
508
CD/ 1839, page 2.
509
Ray Acheson, Beatrice Fihn, “Outer space : militarization, weaponization and the prevention of an arms race”, Reaching
Critical Will, reachingcriticalwill.org
- 207 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
510
CD/1680, 10 juillet 2002, Letter dated 26 June 2002 from the permanent representative of the USA to the CD addressed to
the secretary-general of the conference transmitting the text of his remarks on Outer space during the informal conference on
“Future security in space: commercial, military, and arms control trade-offs”.
511
Groupe qui structure les Etats du tiers monde au sein des Nations Unies.
512
Margaret E. Keck et Kathryn Sikkink appellant cela la politique à effet de levier, ” leverage politics”, “Transnational
Advocacy Networks in International and Regional Politics”, in Activists Beyond Borders: Advocacy Networks in
International Politics, Ithaca, Cornell University Press, 1998.
- 208 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
L’émergence de la norme est visible lorsque les principaux concernés qui subiront les
effets de la norme, se positionnent. Concernant les Etats-Unis, on peut même parler
de contestation. La norme préconisée apparaît pour cet Etat comme dissonante par
rapport à ses normes existantes et ses valeurs qui rentrent en contradiction avec les
propositions 513. Considérant l’ensemble du corpus juridique existant sur l’espace
comme suffisant, les représentants des Etats-Unis ne voient pas l’intérêt d’un
nouveau mécanisme de régulation. De plus, les dirigeants américains placent la
sécurité nationale comme « essentielle et nécessaire » 514. A ce titre, il ne peut exister
de limitations à opérer librement dans l’espace, qui plus est en cas de légitime
défense. Le libre accès, la liberté d’action et la sécurité nationale sont érigés comme
valeurs fondamentales 515. Ce sont des croyances normatives et ontologiques produites
par la socialisation et qu’il est très difficile de modifier (Partie 2). Melvyn Leffler les
nomme valeurs nationales centrales 516. Ces valeurs conditionnement la définition de
la culture stratégique américaine (Partie 2). Le débat devient alors impossible entre
les protagonistes. Le texte américain affirme de fait :
“There simply is no problem in outer space for arms control to solve.” 517
Le désaccord n’est donc pas sur l’objectif ou les solutions, qui peuvent eux être
matière à discussions, mais sur le constat de départ. Le texte sino-russe ne fait pas
état d’un constat de départ objectif, irréfutable. De plus, les réflexions américaines
qui font suite au projet déposé en 2008 par les Russes et les Chinois, soulignent que
le texte sino-russe n’interdit pas les tests d’un Etat contre ses propres objets
spatiaux 518. Ainsi, en s’appuyant sur cette réflexion américaine, on peut noter que si
513
Grégoire Delhaye, « Résonance et dissonance dans la globalisation des normes. Les leçons de l’échec de la liberté
religieuse », URL : http://www.afsp.msh-paris.fr/archives/congreslyon2005/communications/tr5/delhaye.pdf
514
CD/ 1680, op. cit., p. 3.
515
Ces valeurs fondamentales sont appelées des “deep core beliefs” par Paul Sabatier pour décrire son concept de l’Advocacy
Coalition Framework (ACF). Il existe des « strates » de croyances au sein d’un Etat. Chacune d’entre elles a un degré
d’enracinement différent suivant l’Etat.
516
En anglais, “domestic core values”, cité par David Grondin, in, La généalogie de l’espace comme champ de bataille dans
le discours astropolitique américain. La stratégie de construction identitaire des Etats-Unis comme puissance stratégique
globale, thèse de doctorat de science politique, Université du Québec à Montréal, mars 2008, p. 274.
517
Ibid.
518
CD/1847 du 26 août 2008, Letter dated 19 August 2008 from the permanent representative of the USA addressed to the
Secretary-General of the conference transmitting comments on the draft « Treaty on Prevention of the Placement of Weapons
in Outer Space and of the threat or use of force against outer space objects (PPWT)” as contained in document CD/1839 of
29 February 2008.
- 209 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
les tests ASATs réalisés par les Etats-Unis, l’URSS et la Chine depuis la conquête de
l’espace auraient pu légitimer ce projet de régime, la proposition normative sino-russe
n’en fait pas état. Les motivations sous-jacentes sino-russes à voir ce projet de régime
aboutir pose donc question.
Au cours des années 1990, les tentatives d’élaboration d’un texte se rapprochant de
l’idée d’un code de bonne conduite dans l’espace n’ont pas abouti. Les initiatives
françaises sont restées vaines. Le silence français qui a suivi, motivé notamment par
la prudence diplomatique, a été rompu sous l’effet d’événements inédits dans
l’histoire de la conquête spatiale. En effet, les facteurs et les acteurs combinés ont
changé le paysage spatial. La démocratisation de l’accès à l’espace permet
aujourd’hui à une soixantaine d’Etats d’utiliser l’espace à leur profit. Certains
d’entres eux étudient la faisabilité de tests ASATs par un jeu d’action-réaction
alimenté par le dilemme de sécurité 519. Ainsi, dans un contexte plus général de
relative compétition avec les Etats-Unis, les Chinois ont réalisé un test ASAT le 11
janvier 2007. Cet événement ainsi que la proposition sino-russe de traité du 29 février
2009 réactivent la volonté française de pousser à une meilleure régulation des
activités spatiales. Pour ce faire, la démarche choisie est celle de la promotion d’un
projet via la voie/voix européenne, posant par la même occasion la question de
l’Union européenne comme acteur international et puissance normative (Partie 2).
Que peut-on attendre d’un document né au sein du groupe chargé des questions de
désarmement au Service Européen pour l’Action Extérieure (SEAE) ? Le tout jeune
SEAE est-il un acteur crédible ? Le CoC est-il un texte concurrent du PPWT ? Quelle
est l’influence des croyances de la CE sur ce texte ? Sans se lancer dans une étude
exhaustive de texte, la démarche heuristique adoptée ici consiste à analyser les
changements, ajustements effectués entre les différentes versions du projet de CoC et
leurs significations. Les différents textes sont ceux du premier projet officiel de
519
Référence est faite ici aux couples d’Etats rivaux tels que Chine-Etats-Unis, Inde-Pakistan, Inde-Chine ou encore Chine-
Japon.
- 210 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Les initiatives européennes relatives au code de conduite datent de l’été 2007. Quant
on parle d’initiative européenne, il faut comprendre qu’à l’occasion de la présidence
tournante au Conseil de l’Union européenne (UE), certains Etats se sont
particulièrement impliqués dans ce projet. Il s’agit principalement de l’Italie, de
l’Allemagne, de la France et de la Grande-Bretagne une fois le soutien américain
officialisé 520. Dans un premier temps, l’Allemagne organise à Berlin en juin 2007 un
séminaire sur la sécurité et la maîtrise des armements dans l’espace et le rôle de
l’UE 521. A cette occasion le représentant adjoint de l’Allemagne pour le désarmement
et la maîtrise des armements soutient l’idée d’un code de conduite, tout en
reconnaissant l’importance d’une approche progressive. A cette occasion,
l’ambassadeur italien souligne lui que, malgré l’objectif de parvenir à un accord
juridique contraignant, l’UE peut s’appuyer sur un document proposé par son pays
dès mars 2007 au sein du Global Disarmament and Arms Control Working Group
(CODUN) au sein du Service Européen pour l’Action Extérieure/ the European
External Action Service (SEAE/EEAS). Cette proposition prend alors la forme d’un
code de bonne conduite 522. Les discussions intra-européennes sur le projet de CoC se
déroulent presque exclusivement au sein du CODUN Espace. Le texte est défendu par
Annalisa Gianella, co-responsable des questions de non-prolifération des armements
au sein du SEAE. Le sujet du CoC y est débattu très régulièrement. En septembre
2007, l’UE appelle le COPUOS à considérer plus spécifiquement l’élaboration d’un
Code de conduite. Dans le même temps, la France annonce son ambition de présenter
520
« Les Britanniques étaient moyennement chauds avant le soutien américain », entretien au SEAE, 12 septembre 2012.
521
Cette historique s’inspire fortement de l’article de Wolfgang Rathgeber, Nina-Louisa Remuss et Kai-Uwe Schrogl, « La
sécurité de l’espace et le code de conduite européen pour les activités menées dans l’espace extra-atmosphérique », Forum du
Désarmement, n°4, 2009,http://www.unidir.org/files/publications/pdfs/un-environnement-spatial-plus-sur-en-482.pdf
522
Ambassadeur Carlo Trezza, « A Possible Comprehensive Code of Conduct for SpaceObjects in an EU Perspective »,
présentation faite lors du séminaire de l’UE sur la sécurité et la maîtrise des armements dans l’espace et le rôle de l’UE,
Berlin, 21-22 juin 2007.
- 211 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
une proposition officielle afin de faire inscrire la durabilité à long terme des activités
spatiales à l’agenda du COPUOS, ce qui est fait en 2009. En octobre 2007, le
Portugal (au nom de l’UE) déclare que le soutien unanime apporté par l’UE aux
résolutions de l’AGNU sur les TCBMs et le PAROS atteste la détermination de l’UE
à élaborer un CoC et des règles de comportement dans l’espace 523. Lors du deuxième
semestre 2007, la présidence portugaise rédige alors une deuxième version (après la
version de la présidence italienne de l’UE) du CoC. La présidence suivante, slovène,
publie une nouvelle version début 2008. Le document est accepté par les Etats de
l’UE en juin 2008. Les premiers contacts ont alors lieu entre l’UE et les Etats-Unis.
La Russie et la Chine sont aussi sollicités. La présidence française du second
semestre 2008 fait de ce projet de CoC son cheval de bataille. En parvenant à mettre
d’accord les Etats de l’UE, le projet de CoC est publié officiellement en décembre
2008 524. Bien que ce code soit né en partie en réaction au projet sino-russe présenté à
la CD et qu’il ait été largement débattu au sein du CODUN Espace, la seule référence
au thème de la course aux armements dans l’espace se trouve dans la version révisée
du 11 octobre 2010 (V.2010) :
“4.5 The Subscribing States resolve to promote further security
guarantees within the appropriate fora for the purposes of enhancing the
security of outer space activities by all States and the prevention of an
arms race in outer space (PAROS).” 525
(II.General Measures /4. Measures on space operations)
523
Ambassadeur José Pereira Gomes au nom de l’UE lors du débat thématique sur les autres armes de destruction massive,
62 ème session de l’AGNU, 19 octobre 2007 cité dans Wolfgang Rathgeber…, op. cit.,p. 40.
524
Projet de code de conduite pour les activités menées dans l’espace extra-atmosphérique, Conseil de l’Union européenne,
document 17175/08, PESC 1697, CODUN 61, Bruxelles, 17 décembre 2008, Annexe II.
525
Council conclusions concerning the revised draft Code of Conduct for Outer Space Activities, General Secretariat,
Council of the European Union, Bruxelles, 10 octobre 2010, p. 8.
- 212 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Les recommandations sur la réduction des débris orbitaux adopté en 2007 par les
Nations Unies est une réussite de la CE. En effet, on se souvient qu’en 1995, la
NASA est la première agence spatiale dans le monde à publier ce type de
recommandations grâce notamment à l’apprentissage opéré par Donald Kessler et son
équipe. Le gouvernement américain lui emboîte le pas en 1997 et adopte ces
recommandations. Mais ce sont surtout les recommandations de l’IADC adoptées en
2002 qui sont poussées aux Nations Unies non sans difficultés. Finalement, après
cinq années de négociations, les recommandations s’inscrivent au niveau
international et politique, l’IADC n’engageant que les agences spatiales nationales.
L’inscription de l’ensemble de ces recommandations au sein de l’organisation
internationale est un succès pour la CE. La politique publique des débris spatiaux
526
Préambule du projet révisé de Code de conduite pour les activités spatiales, Bruxelles, 11 octobre 2010.
- 213 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
défendue au niveau national dans les années 1970 et 1980 tend à devenir une
politique multilatérale dans une approche « bottom-up » 527. De ce fait, l’inscription
des recommandations au sein du CoC peut les rendre plus que « recommandées ».
“The purpose of the present code is to enhance the safety, security and
predictability of outer space activities for all. »(V. 2008)
“The purpose of this Code is to enhance the security, safety and
sustainability of all outer space activities.” (V. 2010 et 2012)
“The purpose of this Code is to enhance the safety, security, and
sustainability of outer space activities.” (V. 2013)
“The purpose of this Code is to enhance the safety, security and
sustainability of all outer space activities pertaining to space objects, as
well as the space environment” (V.2014) 528
527
Nicholas Johnson, “Cleaning Up Space: The Development of International Space Debris Policies”, Harvard International
Review, Spring 2012, Vol. XXXIII, n°4, p. 71.
528
http://www.eeas.europa.eu/non-proliferation-and-disarmament/pdf/space_code_conduct_draft_vers_31-march-
2014_en.pdf
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
mises en place afin de protéger les activités spatiales d’actes hostiles notamment.
L’ordre de ces termes a donc son importance. L’hypothèse est qu’en plaçant le terme
de security en premier, les rédacteurs du CoC considèrent ainsi que les dangers futurs
se situent davantage dans les potentiels conflits interétatiques dans l’espace que dans
la bonne gestion de l’évolution des satellites en orbite. Ceci est la marque d’une
compréhension différente entre vision occidentale et asiatique portée notamment par
les CE de l’arms control.
“While drafters in the arms control communities in EU and the U.S. may
see space and space programmes through a “securitised” lens with a
head-nod to exploration, the Asian space powers fundamentally see space
and their space programmes in terms of economic development.” 529
C’est aussi la marque d’une vision américaine mettant en avant un milieu spatial qui
au-delà d’être « congestionné », est aussi « contesté » et « compétitif » 530. Il en va
alors de la sécurité nationale et de l’intérêt national des Etats-Unis que de protéger
cet espace. Lors d’une conférence, l’ex-adjoint du Secrétaire au Bureau du contrôle
des armements, de la vérification et de la conformité, Franck A. Rose, définissait la
space security ainsi :
“(…) we in the United States associate “space security” with the pursuit
of those activities that ensure the sustainability, stability, safety, and free
access to, and use of, outer space in support of the vital interests of all
nations…” 531
Cette définition, très large, associe à la sécurité dans l’espace à beaucoup de sous-
thèmes différents. Cet accent mis sur la sécurité est aussi contenu dans l’affirmation
du droit à la légitime défense individuelle ou collective en cas d’atteinte ou menace
d’atteinte aux intérêts d’un Etat 532. Cette exigence des Etats spatiaux établis ou
529
Lt. Col. Peter Garretson, “What’s in the Code?: Putting Space Development First”, in Dr Rajeswari Pillai Rajagopalan,
Daniel A. Porras (éditeurs), Awaiting Launch : Perspectives on the Draft ICOC For Outer Space Activities, Observer
Research Foundation, 2014, p. 31, http://www.onforline.org
530
National Security Space Strategy, Unclassified Summary, Department of Defense, Office of the Director of National
Intelligence, janvier 2011, p. 1.
531
Intervention de Franck A. Rose, Deputy Assistant Secretary, Bureau of Arms Control, Verification and Compliance,
“Space Security: an American Perspective”, the 7th Ilan Ramon International Space Conference, Herzliya, Israël, 29 janvier
2012.
532
Cette référence est faite dans toutes les versions. Dans version 2013, I. 2.General Principles - 24.
- 215 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
émergents n’est pas vraiment du goût des Etats en développement considérant qu’ils
n’ont pas les capacités pour faire valoir ce droit. De même, son invocation sera, selon
eux, une légitimation au recours aux armements dans l’espace 533. D’autres Etats tels
que l’Allemagne, l’Italie et les pays scandinaves ne sont pas favorables à cette
mention, bien que voulue par les Etats-Unis et le Royaume-Uni 534. Cette mention
permet aux Etats spatiaux de débuter ou de poursuivre leur recherche et
développement dans le domaine des armes ASAT.
La version 2012 permet aux Etats non adhérents au Code de bénéficier tout de même
des notifications émanant des Etats adhérents si les premiers peuvent être « affectés »
par une activité spatiale 536. Etonnement, cet article disparaît dans la version de 2013.
Les Etats adhérents ne coopèrent qu’entre eux pour les notifications. Ce changement
n’a pas été voulu par les membres de la CE qui revendiquent au contraire une large
coopération internationale. A l’inverse, ce renversement est à attribuer davantage à un
marchandage diplomatique entre Etats, à une monnaie d’échange.
533
Dr Rajeswari…, op. cit., p. 2.
534
Wolfgang Rathgeber…, op. cit., p. 42.
535
Arvind K. John, “And Space (Debris) Remains the Same”, in Dr Rajeswari…, op. cit., p. 41.
536
“The Subscribing States commit to provide the notifications described above to all potentially affected States, including
non-Subscribing States where appropriate…”, Version du 5 juin 2012, III. Cooperation Mechanisms/6.Notifications of Outer
Space Activities/6.2.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Les rédacteurs de la version 2013 du code ajoutent deux phrases soulignant le souhait
de voir ce CoC largement adopté à l’instar des dispositifs existants :
(Préambule) “4. Recognising the need for the widest possible adherence
to relevant existing international instruments that promote the peaceful
uses of outer space.ˮ
“8. Convinced that a multilateral code of conduct aimed at enhancing
safety, security, and sustainability of outer space activities…”
La volonté est donc bien présente en 2013 de faire du CoC un véritable régime.
Etonnamment cette mention du régime disparaît dans la version de 2014. On peut
penser que la référence à un régime tend à laisser penser que ce CoC sera
contraignant. Sans cette mention, le CoC reste un ensemble de mesures de
construction de la confiance, qui ont déjà montré au préalable leur caractère non
contraignant.
Enfin, dernière modification importante dans les versions du CoC depuis 2008, la
modification de son nom. De code de conduite pour les activités spatiales, il devient
code de conduite international pour les activités spatiales dans la version 2012. Au-
delà des consultations ayant eu lieu jusqu’alors, il semble bien que le soutien officiel
des Etats-Unis à ce code ait déterminé ce changement d’appellation. C’est ce que
Finnemore et Sikkink appellent l’adhésion du « critical State ». Ici, il s’agit de la
537
Dr Rajeswari Pillai Rajagopalan, Daniel A. Porras (dir.), Awaiting Launch : Perspectives on the Draft ICOC For Outer
Space Activities, Observer Research Foundation, 2014, p. 3.
- 217 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
En termes de politique spatiale, les dirigeants américains successifs ont exprimé leur
volonté de garder une liberté d’action totale dans leurs activités spatiales. Ils se sont
ainsi opposés à tout projet de texte juridique les contraignant à adopter un certain
comportement. Même si non contraignant, le projet de CoC pour les activités
spatiales peut tout de même contraindre « moralement » les Etats-Unis à adopter
certains comportements. De plus, ce CoC étant vu par les Européens comme une
étape préalable avant l’adoption d’un texte juridiquement contraignant, les
observateurs de la politique internationale auraient pu s’attendre à une fin de non-
recevoir ferme et définitive de la part de l’administration américaine. Or,
l’administration de Barack Obama apporte officiellement son soutien au code en
janvier 2012. Ce soutien ne signifie cependant pas qu’un jour, les Etats-Unis
signeront et ratifieront ce code, à l’instar de la Convention de Montego Bay 538. Cette
convention avait pourtant été modifiée selon les desiderata américains :
« (…) la Convention sur le droit de la mer de Montego Bay, que Reagan
refuse de signer en 1982, amendée pour satisfaire les objections
américaines et signée par Clinton en 1994, attend toujours d’être
examinée par la Commission des relations extérieures ; mais de nombreux
républicains ont promis de faire échouer la ratification. » 539
Le CoC subira-t-il le même destin funeste ?
Cette sous-partie a pour objectif de décrire les étapes de ce soutien ainsi que le jeu
national/international ou interne/externe avec lequel Obama a dû composer.
538
Il s’agit de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer qui, bien que soutenue par les Etats-Unis n’est pas
ratifiée par ce dernier. Voir Leslie-Anne Duvic-Paoli, La convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Instrument de
régulation des relations internationales par le droit, Coll. Justice internationale, Ed. L’Harmattan, mai 2012.
539
Charles-Philippe David, Louis Balthazar, Justin Vaïsse, La politique étrangère des Etats-Unis. Fondements, acteurs,
formulation, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2008, p. 363.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Les Etats de l’UE souhaitent voir les Etats-Unis adhérer à ce code. En effet, en tant
que première puissance spatiale, il est le “critical Stateˮ sans qui l’adhésion à ce
Code aurait beaucoup moins de poids et de sens.
« Les normes embrassées par les acteurs forts ont simplement beaucoup
plus de chances de se reproduire à travers le plus grand nombre
d’opportunités offertes aux Etats puissants de persuader les autres du bien
fondé de leur point de vue. » 540
Le code a a priori plus de chance d’aboutir. Mais les autres critères rentrant en ligne
de compte ne rendent pas ce processus automatique.
L’objectif des Européens est donc de convaincre de la même manière l’Inde, la Chine
et la Russie qui, bien que moins avancés que les Etats-Unis, sont des puissances
spatiales ayant une influence sur d’autres acteurs étatiques susceptibles de soutenir le
code. Cet état de fait montre encore combien la distribution de la puissance entre les
Etats n’est pas sans importance. Elle conditionne l’influence d’un Etat sur la scène
internationale.
Suite à l’annonce du soutien américain, les diplomates français affirment :
« En tout cas, il y a une impulsion, les autres pays tièdes savent que les
Américains soutiennent, donc les choses vont se développer. » 541
« Le fait que les Etats-Unis soutiennent ce processus a donné un coup
d’accélérateur, c’est indéniable » 542.
Le projet de CoC a été présenté en priorité par les représentants européens à
l’administration américaine au cours du dernier trimestre 2008, avant sa publication
officielle en décembre. Une série d’observations et de modifications souhaitables a
été récoltée à cette occasion. On peut dire que c’est, dans un premier temps, une
opposition franche de la part des Etats-Unis à ce projet. Cette opposition peut être
attribuée aux résistances nationales qui influencent pour partie l’orientation de la
politique étrangère américaine. Cette tendance isolationniste d’une partie de l’opinion
publique est incarnée par le Congrès. Si cet isolationnisme « historique » ne peut être
nié, il n’est pas généralisable à toute la population américaine. La simplification de
540
Ann Florini, “The evolution of international norms”, International Studies Quaterly, Blackwell Publishing Limited, 1996,
p. 375.
541
Entretien au Ministère des Affaires Etrangères (MAE), 25 juillet 2011.
542
Entretien au Service Européen d’Action Extérieure, Bruxelles, 14 septembre 2012.
- 219 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
l’analyse consiste à considérer que les membres du Parti Républicain sont moins
enclins à s’impliquer dans des politiques multilatérales. Bien que cela ne soit pas
totalement faux mais avéré par les faits dans l’histoire américaine, l’annonce
officielle de soutien au CoC par l’administration démocrate américaine est tardive. Et
cela malgré un soutien officieux apporté dès février 2011. L’officialisation est
finalement faite en janvier 2012. Il semble que cette démarche soit davantage liée à la
personnalité de Barack Obama et de son entourage politique, les Obamians 543, que de
l’idéologie du Parti démocrate en tant que tel.
« Le fait que l’administration américaine actuelle apporte une bouffée
d’air frais sur ces questions spatiales puisqu’ils sont plus ouverts sur la
coopération internationale, ils sont très proches de la France, ils
travaillent beaucoup avec nous, ils savent qu’on est la puissance spatiale
un peu leader en Union Européenne, qu’on a une capacité d’entraînement
sur les autres pays, effectivement une administration démocrate avec une
politique spatiale ouverte c’est un bon point quand même. » 544
543
James Mann, The Obamians, op. cit.
544
Entretien au MAE, 25 juillet 2011.
545
Le Département d’Etat était dans un premier temps favorable à un « ambitieux nouveau traité », in Michael Krepon,
“Space Diplomacy and an International Code of Conductˮ, 21 juin 2012, e-international relations, http://www.e-
ir.info/2012/06/21/space-diplomacy-and-an-international-code-of-conduct/
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
546
méfiants et les opposants . Les auteurs du document souhaitent ainsi idéalement
persuader chaque acteur. Pour les réceptifs (l’administration Obama, le Département
d’Etat, la NASA), il s’agit d’un message de confirmation du projet soulignant son
importance.
ˮ The European Union’s draft Code of Conduct is a good foundation for
the development of a non-legally binding International Code of Conduct
focused on the use of voluntary and pragmatic transparency and
confidence-building measures to help prevent mishaps, misperceptions,
and mistrust in space.” 547
Pour les indifférents (les Démocrates du Sénat), c’est un message de mobilisation
présentant les gains et les risques de cette décision.
“An International Code of Conduct, if adopted, would establish guidelines
for responsible behavior to reduce the hazards of debris-generating events
and increase the transparency of operations in space to avoid the danger
of collisions.”
Les méfiants sont parmi les membres du Département de la Défense dont les
militaires de la US Air Force Space Command. En effet, malgré l’adoption par le
DoD de recommandations pour la réduction des débris orbitaux dès la fin des années
1980, d’aucuns s’inquiètent des contraintes qui pourraient peser sur les futures
opérations menées dans l’espace. Pour ce faire, le Département de la Défense prend le
temps d’étudier les projets de code afin d’en évaluer les possibles impacts néfastes
pour les intérêts américains. En janvier 2011, une analyse menée entre plusieurs
agences américaines conclut que la mise en œuvre de ce code par les Etats-Unis ne
porterait pas atteintes aux intérêts nationaux et n’empêcherait pas de continuer à
mener des programmes classifiés 548. En avril de la même année, le Département de la
Défense adopte alors une position plus favorable et le fait savoir. L’Ambassadeur
Gregory Schulte, secrétaire adjoint à la défense pour la politique spatiale affirme que
ce projet de Code constitue une « approche positive » 549. Le Département d’Etat leur
546
Ce découpage en catégories est considéré comme un idéal-type qui s’appuie sur l’analyse stratégique issue de la
sociologie des organisations.
547
“An International Code of Conduct for Outer Space Activities: Strengthening Long-Term Sustainability, Stability, Safety,
and Security in Space”, U.S Department of State, Bureau of Public Affairs, http://www.state.gov/r/pa/pl/2012/180998.htm,
17 janvier 2012.
548
http://www.washingtontimes.com/news/2011/feb/7/report-calls-for-restraints-in-space-activity/?page=all
549
Michael Listner, op. cit.
- 221 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
550
Fact Sheet, “International Code of Conduct for Outer Space Activities”, Department of Defense,
http://www.defense.gov/home/features/2011/0111_nsss/docs/DoD%20Fact%20Sheet%20-
%20International%20Code%20%208-18-11.pdf
551
William J. Lynn, “A Military Strategy for the New Space Environment”, The Washington Quarterly, Summer 2011,
vol. 34, n° 3.
- 222 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
soutien affiché par les militaires. Début janvier 2014, le Général William Shelton,
commandant du Commandement Spatial de l’Armée de l’air américaine, émet
toujours des doutes, considérant que rejoindre le CoC « contraindrait inutilement »
les opérations spatiales américaines. De plus, il considère que ce projet est
« irréaliste » et qu’il nécessite de s’appuyer sur des « participants honnêtes » 552. Les
membres des administrations sectorielles peuvent, s’ils ne sont pas persuadés par les
membres du premier cercle, changer de catégories. Ainsi, il serait délicat pour le
Président américain de voir les membres du Département de la Défense devenir des
opposants à une possible adhésion des Etats-Unis au code.
Enfin, le message destiné aux opposants a pour but de confirmer le projet, de manière
ferme, avec ouverture sur les modalités. L’objectif du message est simplement de les
informer mais en aucun cas de les consulter ou encore moins de se concerter avec
eux. Ici les opposants sont avant tout les membres républicains du Congrès et plus
spécifiquement de la Chambre des Représentants (House of Representatives), alors à
dominante républicaine depuis 2011.
“The Administration is committed to keeping the U.S Congress informed
as our consultations with the space faring community progress.”
Les membres du Parti républicain se considèrent d’autant plus marginalisés qu’ils
n’ont pas été consultés lors des discussions entre l’administration Obama et les
porteurs européens du projet. Pour l’exécutif, cette consultation n’est pas un passage
obligé sachant qu’ils n’ont pas besoin de leur approbation pour adhérer à ce code. En
effet, étant un texte non contraignant, l’administration Obama peut avoir recours au
dispositif de l’accord exécutif beaucoup moins risqué que la procédure de signature et
ratification des traités internationaux. A l’inverse de cette dernière, il ne nécessite pas
l’accord des deux tiers du Sénat 553 mais la majorité simple dans chacune des deux
Chambres. Ainsi les leviers d’action des Républicains souhaitant rejeter ce code sont
limités.
De 1972 à 1995, le Congrès disposait d’un moyen d’influencer les décisions de
l’exécutif en matière de science et technologie par l’intermédiaire de ses rapports
552
Bill Gertz, “General : Strategic Military Satellites Vulnerable to Attack in Future Space War”, The Washington Free
Beacon, 8 janvier 2014, http://freebeacon.com/national-security/general-strategic-military-satellites-vulnerable-to-attack-in-
future-space-war/
553
Au 3 janvier 2013, sur 100 élus, on comptait 53 Démocrates, 45 Républicains et 2 Indépendants au Sénat (113 ème Congrès
en fonction jusqu’au 3 janvier 2015). 2/3 tiers du Sénat représente alors l’approbation de 67 élus.
- 223 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
554
Si elle était élue Présidente. Déclaration faite en 2007.
http://www.nytimes.com/2007/10/05/us/politics/05clinton.html?_r=2&oref=slogin&, site consulté le 15 mai 2013.
555
Daniel Sabbag, « Les déterminants internes de la politique étrangère des Etats-Unis: une perspective diachronique »,
Revue internationale de politique comparée, 2001/1 Vol. 8, p. 135-161.
556
Hubert Fabre, L’usage de la force…, op. cit., p. 142.
557
Colin Clark, “Senators Warn Clinton on Space Code”, http://www.dodbuzz.com/2011/02/04/senators-warn-clinton-on-
space-code/, 4 février 2011.
- 224 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
558
National Security Space Strategy. Department of Defense Initiatives,
http://www.defense.gov/home/features/2011/0111_nsss/docs/DoD%20Initiatives%20Fact%20Sheet.pdf
559
Turner, Heck, and Sessions hold senior positions on their respective chamber’s armed services or intelligence committees;
Kyl is the Senate minority whip and a leading Republican voice on national security issues.
560
https://www.armscontrol.org/act/2012_03/US_Backs_Efforts_to_Draft_Space_Code
- 225 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
561
Charles - Philippe David…, op. cit., p. 40.
562
Ibid., p.357.
- 226 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
être en effet pressés de faire passer ce texte de loi avant la fin de l’année de peur que
le prochain président ne l’approuve pas en dernier ressort. En effet, après le vote de la
Chambre des Représentants (à majorité républicaine) puis du Sénat, c’est au président
de signer le texte. De plus, ce projet de loi ne se limitant pas à l’affectation de fonds
pour la mise en place du code, son approbation est structurante pour l’ensemble du
département de la Défense :
“(…) with elections fast approaching, the pressure to pass an
authorization bill for the Department of Defense could compel members
who are up for reelection to acquiesce to one [la disposition de la Section
913].” 563
Putnam cite les propos d’une membre du Congrès américain quant à son soutien d’un
projet de loi en 1986, explications qui pourraient s’appliquer au dilemme des élus
démocrates en 2016.
“As worried as I am about what this bill does, I am even more worried
about the current code. The choice today is not between this bill and a
perfect bill; the choice is between this bill and the death of tax reform.” 564
Le Président Obama a cédé sa place en 2017 à un nouveau locataire républicain à la
Maison Blanche. L’incertitude est pour l’instant de mise quant aux décisions de la
nouvelle équipe qui pourrait retirer les Etats-Unis de cet engagement verbal. Au
niveau international, ces évolutions peuvent remettre en cause l’adhésion des alliés au
code.
« (….) allies (…) may not be willing to enter into a Code of Conduct that
will be nullified by Congress. » 565
Cette incertitude des alliés est liée à leur faible connaissance des discussions internes
(Niveau 2) du négociateur (les Etats-Unis). Cela peut alors être autant un outil de
négociation qu’un obstacle. Les accords interétatiques peuvent être fixes seulement
au moment où chacun des négociateurs sait que les arrangements obtenus sont dans le
« win-set » de l’autre et ont donc toutes les chances d’être ratifiés en interne. Les
563
Michael Listner, “Separation of powers battle over a space code of conduct heats up”, The Space Review,
21 mai 2012, http://www.thespacereview.com/article/2084/1
564
Robert D. Putnam, « Diplomacy and domestic politics: the logic of two-level games », International Organization, Vol.
42, N°3, été 1988, p. 437.
565
Michael Listner, “Separation of powers battle…”, op. cit.
- 227 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
566
http://www.opencongress.org/bill/hr4310-112/text
567
Charles - Philippe David…, op. cit., p. 379.
568
http://www.spacecaucus.com/
- 228 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
européen dès le début de l’année 2011. Il aura cependant fallu attendre un an pour
rendre cette position officielle, qui malgré tout ne signifie nullement une adhésion
automatique et intégrale au code dans sa version finale.
Les négociateurs du Niveau 1 ayant œuvré de décembre 2008 à janvier 2012 sont
l’Union européenne et plus particulièrement le SEAE, et encore plus précisément en
son sein, Mme Annalisa Giannela (avant son départ à la retraite fin 2010) et M.
Pierre-Louis Empereur (qui animait le CODUN en tant que Président adjoint),
responsables des questions de prolifération et désarmement , mais aussi en pointe
dans ce dossier la France, le Ministère des Affaires étrangères et plus précisément la
sous-direction du désarmement et de la non-prolifération nucléaire avec enfin les
Américains, du Département d’Etat et en particulier M. Franck ROSE, , ex-Deputy
Assistant Secretary for Space and Defense Policy du Bureau of Arms Control,
Verification and Compliance. D’autres intervenants, tels Audrey M. Schaffer, Space
Policy Analyst de l’Office of the Under Secretary of Defense for Policy au Pentagone
sont présents. En mêlant très vite les Américains à ce projet, l’UE souhaitait s’assurer
du soutien américain pour donner du poids à leur projet. Les Européens savaient au
préalable que l’administration Obama était déjà sensible aux idées et croyances
véhiculées par le code, qui reprennent pour partie les croyances de la CE américaine
analysée précédemment. Selon Putnam, un accord dans une négociation
internationale, qui est ici une négociation en vue d’un soutien officiel, n’est possible
que si une minorité puissante au sein de l’Administration favorise un changement
voulu au niveau international. En orientant le problème sur la prolifération des débris,
on peut penser que le soutien de l’administration américaine a été facilité. Le rôle du
décideur politique est central en tant que médiateur entre les pressions provenant du
niveau national et international. Ainsi, afin d’atteindre une certaine cohérence
apparente entre la politique suivie au niveau national et les positionnements au niveau
international, des ajustements rhétoriques sont parfois nécessaires afin de tendre vers
la construction d’un langage commun. Le processus étant toujours en cours, les
allers-retours entre le niveau national et international ne sont pas terminés.
Cependant, une fois le soutien officiel américain apporté en janvier 2012, il est
difficile pour les Etats-Unis de se retirer, la défection ayant un coût diplomatique et
politique pour des acteurs étatiques appelés à se revoir et par ailleurs engagés dans
- 229 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
569
Jeffrey W. Knopf, « Beyond two-level games : domestic-international interaction in the intermediate-range nuclear forces
negotiations, International Organization, Vol. 47, n°4, Automne 1993, pp. 599-628.
570
Entretien au MAE, 25 juillet 2011.
- 230 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
571
Karim Benyekhief, Une possible histoire de la norme: les normativités émergentes de la mondialisation, Université de
Montréal, Ed. Thémis, 2008.
572
John W. Kingdon, Agendas, Alternatives and Public Policies, Glenview-Londres, Scott Foreman and Co., 1984.
573
Ibid.
574
Jeffrey W. Knopf, “Beyond…”,op. cit., p. 606.
- 231 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Par l’intermédiaire des forums mais aussi des échanges bilatéraux, le dialogue est
intense entre agences spatiales (notamment entre la NASA et l’ESA et le CNES) mais
aussi entre scientifiques. On note aussi des échanges réguliers entre think tanks
transatlantiques et notamment entre la Secure World Foundation et l’Institut Français
des Relations Internationales (IFRI).
De plus, dès 2006, le Stimson Center rencontre des membres officiels du
gouvernement français. Ce type d’échange renvoie alors aux relations inter-niveaux
définies comme
La socialisation est un processus par lequel de nouveaux Etats sont incités à modifier
leur comportement en adoptant des normes “préférées” par une société internationale
575
Ibid.
576
Martha Finnemore…, op. cit., p. 902.
577
Ibid.
- 232 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
578
d’Etats . Dans notre thèse, l’Union européenne avec en tête la France puis les Etats-
Unis deviennent les Etats actifs de cette socialisation, ce sont les leaders normatifs du
code. Ainsi, même si l’approche de Putnam a permis de comprendre en partie le
soutien américain au code en mettant en relief le dialogue transatlantique (dialogue
inter-alliance), la méthode proposée par Knopf incite à se pencher davantage sur le
jeu inter-alliance. Dans notre cas, les deux « blocs » d’Etats sont visibles. Il s’agit du
bloc « occidental » promouvant l’ICoC et le bloc composé des acteurs étatiques du
G77/ du mouvement des non-alignés favorables au projet de traité sino-russe. L’enjeu
de la socialisation se joue véritablement au niveau inter-alliance, opposant des
puissances spatiales. Le bloc occidental cherchant à faire de ces Etats des norms
followers du CoC.
578
Ibid.
- 233 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Le SEAE est l’organe responsable des discussions bilatérales puis des négociations
internationales sur le CoC. Cette institution récente, puisqu’elle a été officiellement
créée en janvier 2011 579, a la charge de mener à bien ce projet d’envergure
internationale. Le SEAE est à présent le bras diplomatique de l’UE et est placé sous
la responsabilité de la Haute Représentante pour les affaires étrangères et la politique
de sécurité, Catherine Ashton, nommée en novembre 2009. Elle est également vice-
présidente de la Commission européenne. Ces évolutions sont instituées par le Traité
de Lisbonne, rentré en vigueur en décembre 2009, celui-là même qui octroie à l’UE
des prérogatives plus étendues en matière de politique spatiale (ce point sera détaillé
dans la deuxième partie de la thèse). Le SEAE a choisi de multiplier les discussions
bilatérales avant d’amorcer le processus des négociations multilatérales en juin 2012.
Ainsi Annalisa Giannela a animé jusqu’en 2011 ces rencontres bilatérales de par le
monde (exemple des discussions UE-Chine qui ont eu lieu en juillet 2011). Bien
qu’amorcé en amont du soutien américain, ce processus de socialisation au code
devenu international, est annoncé officiellement par l’UE le 6 juin 2012 580. Sous la
présidence de Maciej Popowski, alors Secrétaire général adjoint du SEAE, 110
participants provenant de plus de 40 pays se sont rassemblés pour la première réunion
multilatérale à Vienne. Deux autres suivront, une à Kiev en mai 2013, une autre à
Bangkok en novembre 2013 et une dernière au Luxembourg du 27 au 28 mai 2014. A
Vienne, l’UE annonce que les Etats-Unis, le Japon et l’Inde apportent déjà leur
579
Création par décision du Conseil du 26 juillet 2010 établissant l’organisation et le fonctionnement du Service Européen
pour l’Action Extérieure, 2010/427/UE, Journal officiel de l’Union européenne,
http://www.eeas.europa.eu/background/docs/eeas_decision_en.pdf
580
« L’Union européenne lance les négociations sur un code de conduite international pour les activités menées dans l’espace
extra-atmosphérique », A 252/12, Bruxelles, 6 juin 2012,
http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/FR/foraff/130702.pdf
- 234 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
soutien à cette initiative. Cette annonce fait sens car ces deux derniers Etats peuvent
aussi être considérés comme des « critical States » dans la mesure où ils ont un
pouvoir d’influence au sein de leur zone géographique et un fort potentiel spatial.
Ceci est particulièrement important car la phase de socialisation nécessite de
persuader les autres Etats à soutenir le projet de code. La persuasion a pour
conséquence la socialisation qui peut être définie comme :
« The process through which national leaders internalize the norms and
values orientations espoused by the hegemon and, as a consequence,
become socialized into the community formed by the hegemon and other
nations accepting its leadership position. » 581
Par ailleurs, l’Inde est un membre du groupe des 77, son soutien est donc crucial pour
la promotion mondiale du ICoC. Le moment choisi par la diplomatie européenne pour
lancer les négociations multilatérales est opportun. En effet, le soutien américain a
permis à certains Etats « tièdes » d’être définitivement favorables à ce projet. Cela
crée un effet d’entraînement vertueux en vue d’atteindre une masse critique d’Etats
favorables. Les Etats-Unis ont quant à eux mis en place une political review en
septembre 2012 afin d’étudier les effets négatifs potentiels de l’adhésion de leur pays
à ce CoC. Cependant, comme le fait remarquer un diplomate, « si on a une masse
critique d’Etats qui sont déjà en train de négocier, les Américains suivent ou ne
suivent pas mais ce n’est pas eux qui vont décider » 582 de l’issue favorable donnée à
ce texte. Il est donc sous-entendu ici que le soutien américain a véritablement donné
une chance au CoC d’être adopté par un nombre plus important d’Etats
qu’initialement, ce qui lui permettra à terme d’entrer en vigueur même si les Etats-
Unis décidaient in fine de ne pas y adhérer. Cela reviendrait malgré tout à répéter le
scenario de Montego Bay.
L’objectif des diplomates du SEAE est de parvenir à mettre d’accord les acteurs
étatiques sur un langage commun et des croyances communes dont le projet de CoC
est le résultat. Les diplomates européens s’attachent donc à obtenir
« quelque chose d’un peu neutre (…) chacun y voit ce qu’il a envie d’y
trouver. Les Etats-Unis se disent qu’avec ça ils sont satisfaits et ils ne
581
G. John Ikenberry, Charles A. Kupchan, “Socialization and hegemonic power”, International Organization, n°44, 3, été
1990, p. 289.
582
Entretien au SEAE, 12 septembre 2012.
- 235 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
vont pas plus loin et les Russes disent que cela ne les empêchent pas de
négocier et même dans un sens ça les aide pour ensuite une négociation
pour un traité. » 583
A l’instar des conditions de persuasion de la CE, les solutions proposées par le SEAE
ne doivent pas être perturbatrices (« non disruptive ») avec les normes existantes des
Etats avec lesquels les diplomates européens négocient. Les élites des « Etats
secondaires » peuvent cependant ressentir une dissonance cognitive heurtant leurs
croyances. Ces discussions multilatérales ont donc pour objectif de les faire participer
au « système hégémonique » et de les inciter, via un processus d’apprentissage et
d’ajustements, à embrasser les fondations normatives de ce système 584. Ainsi, à titre
d’exemple, les Etats en développement considèrent au mieux le principe de la
légitime défense comme dénué de sens et au pire comme favorisant la course aux
armements dans l’espace. Ils font aussi remarquer que ce « droit » ne les concerne pas
car ils n’ont pas les moyens de le mettre en application 585. Gagner la confiance de
ces Etats n’est donc pas chose aisée d’autant plus que la méthode envisagée par l’UE
afin d’universaliser l’ICoC n’incluait pas initialement les Etats tiers dans la
négociation. En effet, le SEAE souhaitait mettre en place un core group de cinq ou
six Etats pouvant négocier ensemble et présenter ensuite les résultats de cette
négociation à un ensemble d’Etats plus important. Le processus de négociation
pourrait effectivement gagner en efficacité et donc rapidité mais la diplomatie
européenne s’expose là à un grief dont elle fut déjà accusée lors de la négociation sur
le Code de conduite de La Haye (HCoC). L’objectif est donc de ne pas répéter les
erreurs commises lors de ce processus de socialisation qui pour la première fois a fait
de l’UE un acteur normatif. En effet, le « péché originel » de ce code contre la
prolifération des missiles balistiques est d’avoir procédé à une consultation tardive
des pays émergents, qui ont alors purement et simplement refusé de participer aux
consultations. Le HCoC a alors souffert du « paradoxe » 586 de ne pas être ratifier par
les critical States (Corée du Nord, Iran, Chine, Brésil, Mexique, Arabie Saoudite).
583
Entretien au SEAE, 12 septembre 2012.
584
Toutes les citations entre guillemets sont issues du document de G. John Ikenberry…, op.cit., p. 291.
585
Dr Rajeswari Pillai Rajagopalan, Daniel A. Porras (editeurs), Awaiting Launch : Perspectives…, op. cit., p. 2.
586
Mark Smith, EU workshop on how to strengthen the HCoC, Vienne, 25 mars 2010.
- 236 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
« Most of the countries located in the region going from the north of
Africa to eastern Asia do not participate in the HCoC. » 587
La discussion tardive avec les pays émergents n’a pas permis de lever la suspicion sur
un texte issu du « club occidental ». Cela n’a fait que créer du scepticisme et des
erreurs de perception (misperception). Initialement, l’ICoC a souffert de la même
manière d’une méfiance de la part de l’Inde 588 notamment, mais des Etats tiers en
général. La comparaison avec le HCoC permet de « tirer des leçons » et faire du
processus d’universalisation de l’ICoC 589 une réussite. La diplomatie européenne
tente alors d’inclure au mieux tous les Etats tout en veillant à ne pas créer
d’amalgame en donnant l’impression de recréer les Nations Unies. La discussion du
code aux Nations Unies aurait permis de lui donner plus de légitimité mais les Etats-
Unis ont refusé de prendre ce risque, le contenu du code aurait pu leur échapper. Le
SEAE a donc créé un steering group (comité de pilotage) composé de 20 Etats dont
les principaux Etats spatiaux 590. Un autre groupe, informel, baptisé les « amis du
Code » rassemble six Etats : l’Australie, les Etats-Unis, le Japon, l’Inde, la Corée du
Sud et le Canada. Ce groupe fondé et animé par l’Australie promeut le Code et
rencontre régulièrement les diplomates du SEAE. On retrouve ce type de groupe
informel partageant la même vision et les mêmes valeurs au sein du COPUOS 591. Par
ces différents canaux, la diplomatie européenne tente de socialiser une masse critique
d’Etats. Chaque Etat convaincu devenant à son tour un agent de la socialisation. Il est
important de noter que les Etats tiers ne font pas que subir les normes du système
hégémonique. La socialisation est un « two-way process ». La multiplication des
interactions entre élites du système hégémonique (bloc occidental) et élites des Etats
secondaires permettent de modifier la formulation initiale de l’ordre (spatial) désiré.
Le contenu des échanges lors de ces réunions multilatérales restent relativement
méconnu.
587
European Space Policy Institute (ESPI), Lucia Marta, “The Hague…”, op.cit., p. 3.
588
Entretien au MAE, 25 juillet 2011.
589
C’est une analyse faite par le European Space Policy Institute (ESPI), Lucia Marta, “The Hague Code of Conduct Against
Ballistic Missile Proliferation : “Lessons Learned” for the European Union Draft Code of Conduct for Outer Space
Activities”, ESPI Perspectives n°34, juin 2010.
590
Au sein de ce comité de pilotage, on trouve la Chine, la Russie, l’Inde, l’Indonésie, les Etats-Unis, le Mexique, le Brésil,
l’Afrique du Sud, le Nigéria et les Etats européens souhaitant y participer avec en pointe la France, l’Allemagne, l’Italie, la
Grande-Bretagne ou encore le Portugal.
591
Avant les réunions du COPUOS, le mouvement des like-minded se réunit pour uniformiser leurs positions diplomatiques.
Il s’agit du Royaume-Uni, des Etats-Unis, de la Corée du Sud, du Canada, du Japon et des pays européens dont l’Italie et
l’Allemagne.
- 237 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Ces activités sont un défi pour le tout jeune SEAE. Le président adjoint du CODUN
Espace fait remarquer en septembre 2012 que ses autres activités concernant les
armes chimiques et biologiques passent au second plan. Le domaine spatial à lui seul
représente maintenant 80% de son emploi du temps. Cette situation est en partie la
conséquence du non remplacement de Mme Giannela fin 2010, figure emblématique
du désarmement et de la non-prolifération en UE 592. Il faut attendre plus de deux ans
et la nomination de son remplaçant Jacek Bylica pour que cette situation critique
cesse. Cependant, le crédit de l’UE en tant qu’acteur international en a pâtit, que ce
soit auprès des alliés du code que des Etats tiers réticents. C’est une critique facile
dont se saisit la Russie pour porter le coup de grâce au code à l’été 2015.
Malgré ces écueils, le Japon et l’Inde semblent être des soutiens crédibles. Le Japon
fait référence à la réunion des « amis du code » 593 en février 2012 à Bruxelles. Pour
l’Inde,
« Au niveau technique, l’Inde a pas mal de questions mais au niveau
politique, ils ont l’instruction de soutenir le code. » 594
Des hypothèses peuvent être formulées quant au soutien politique de l’Inde malgré
une réticence de la part de ses experts. En effet, en considérant que la
« normative persuasion alone is insufficient to drive the socialization
process (…) Material incentives and opportunities for political
advancements thus play a crucial role in making elites susceptible to the
socializing efforts of the hegemon » 595.
Parmi les avantages que les élites des Etats secondaires peuvent entrevoir à adopter
ces normes se situe, outre la possibilité d’influencer les normes elles-mêmes, le
bénéfice d’une certaine reconnaissance. L’Inde fait partie des Etats spatiaux
émergents souhaitant asseoir leur statut de puissance spatiale sur la scène
internationale. La ressource spatiale étant devenue un attribut de la puissance d’un
Etat, cette visibilité est un avantage politique certain. Cette ressource est au service
592
Annalisa Giannella a été nommée, en octobre 2003, par Javier Solana, Haut représentant de l’Union européenne pour la
politique étrangère et de sécurité commune, en tant que représentante personnelle pour les questions qui ont trait à la non-
prolifération.
593
http://www.mofa.go.jp/policy/outer_space/pdfs/coc1304.pdf
594
Entretien au SEAE, 12 septembre 2012.
595
G. John Ikenberry, Charles A. Kupchan, “Socialization…”, op. cit.,p. 293.
- 238 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
d’une politique de puissance plus large, notamment dans son aire géographique
d’influence et encore plus face à la Chine, porteur du projet de traité PPWT. La
persuasion normative peut être aussi complétée par des incitations matérielles qui ne
sont pas directement liées au Code. On peut penser notamment à des transferts de
technologie dont l’Inde a déjà bénéficié de la part des Etats-Unis. Ces hypothèses
peuvent être nuancées dans la mesure où la coopération internationale dans son
ensemble est un élément stratégique de la politique spatiale indienne 596. La
coopération internationale est selon ses dirigeants le meilleur moyen de faire face aux
enjeux mondiaux dont la problématique des débris spatiaux. L’Inde entretient donc de
multiples échanges autant avec le bloc occidental que dans ses relations avec les pays
du Sud.
596
Florence Gaillard-Sborowsky, Emmanuel Puig, Isabelle Sourbès-Verger, « Analyse comparée de la stratégie spatiale des
- 239 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
597
2006 . Les acteurs européens ont estimé que cette initiative allait dans le bon sens et
se sont prononcés en faveur d’un code de conduite. Les Russes ont considéré que
cette proposition européenne de CoC était déjà contenue en filigrane dans la
résolution précitée. Ces derniers poussent alors à la création d’un GGE qui est effectif
par la résolution 63/68 de l’Assemblée générale des Nations Unies 598 (AGNU). Cette
résolution est issue de la première commission de l’AGNU traitant exclusivement des
questions de désarmement et de sécurité. Les Européens ont appuyé cette initiative au
mandat limité car la résolution se cantonnait à traiter des TCBMs sur les questions de
désarmement. Or, l’interprétation de la résolution par les Russes est différente. Si on
lit attentivement le texte, les deux parties de la résolution peuvent conduire à des
interprétations différentes. La première partie s’inscrit véritablement dans les travaux
de la première commission avec des références claires au désarmement. La seconde
au contraire s’arroge un mandat plus large. Et les Russes s’appuient sur cette
résolution pour créer le GGE. Bien que traitant officiellement des TCBMs, les Russes
pensaient pouvoir profiter du forum du GGE pour y négocier le CoC. Les diplomates
européens tentent alors de faire comprendre aux Russes que ce n’est pas le but du
GGE. Ainsi, malgré la présidence russe de Victor Vasilev (qui aurait pu orienter les
travaux vers la discussion sur le Code), les Etats présents au GGE et favorables au
Code font comprendre qu’ils ne le négocieront pas dans ce forum 599.
Le GGE en est à sa deuxième édition, le précédent datant de 1991-1993. En effet,
face à l’impossibilité apparente de parvenir à un nouveau traité, des solutions
alternatives ont émergé à l’instar des mesures de sécurité et de confiance (MDSC) ou
Transparency and Confidence-building Measures (TCBMs) relevant de la soft law. Ce
sont des normes non contraignantes auxquelles les Etats se soumettent librement.
Elles évoluent davantage dans un univers cognitif, définissant ainsi le comportement
approprié à adopter pour un acteur donné. Le contenu de ces mesures appliquées au
pays émergents : Brésil, Inde, Chine », Etudes de l’IRSEM, n°15, 2012, p. 216.
597
République populaire de Chine, Fédération de Russie, Conférence du Désarmement CD/1778, Mesures propres à
promouvoir la transparence et à renforcer la confiance dans les activités spatiales et prévention du déploiement d’armes dans
l’espace, Document de travail, 22 mai 2006, http://daccess-dds-
ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G06/615/92/PDF/G0661592.pdf?OpenElement
598
Résolution adoptée par l’Assemblée générale le 2 décembre 2008, 63/68, Mesures de transparence et de confiance relatives
aux activités spatiales, http://www.un.org/en/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/RES/63/68&Lang=F
599
Entretien au SEAE, 12 septembre 2012.
- 240 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
milieu spatial renvoie à un objectif de transparence entre les Etats spatiaux, dont les
échanges d’informations sont le fondement. Bien que la traduction française de cette
expression ait fait disparaître l’idée de la construction (building) de la confiance, ces
mesures ont bien comme dessein final de l’établir entre les Etats via un processus
itératif et incrémental. Il peut paraître étrange de mettre en place des outils normatifs
afin de faire naître de manière artificielle la confiance, qui est du domaine du
ressenti. De plus, ces mesures supposent qu’actuellement règne la méfiance entre les
acteurs dans un espace extra-atmosphérique convoité.
Dans l’histoire des relations internationales, ces dernières ont été utilisées notamment
pendant la Guerre froide. Leur but d’alors était d’éviter un conflit lié à la course aux
armements et à la prolifération balistique. Même si ce dernier n’a pas eu lieu, il n’est
pas sûr que ce succès doive être attribué aux TCBMs. La confiance entre les deux
Grands n’a jamais été un sentiment partagé. Malgré tout, face au constat d’échec de
parvenir à l’élaboration d’un nouveau traité pour l’espace, le recours aux TCBMs
semble préférable à l’inertie. Non seulement elles peuvent permettre d’éviter un
conflit, mais elles sont parfois envisagées comme favorisant l’établissement d’un
futur traité. Ainsi, en 1991, un groupe d’experts gouvernementaux est créé sur les
TCBMs dans le cadre de la prévention de la course aux armements dans l’espace. Son
rapport 600 publié en 1993 établit alors clairement le lien entre débris spatiaux et
activités militaires dans l’espace :
“Any use of an anti-satellite weapon against an orbiting space object is
feared to produce debris that in some cases could affect other space
objects or may also fall over populated areas, with unpredictable
consequences.” 601
Mais ce rapport n’a pas permis l’établissement des mesures de soft law. Il est « tombé
aux oubliettes » 602. Les recommandations sont restées lettre morte, les Etats étant
davantage préoccupés par les conséquences de la chute de l’Union soviétique mais
aussi et surtout par la guerre du Golfe. Cette guerre a été déterminante dans la prise
de conscience par les décideurs politiques et belligérants américains de l’importance
600
“Prevention of an Arms Race in Outer Space: Study on the application of confidence-building measures in outer space,” Report by
the Secretary General, UN General Assembly (A/48/305), Oct. 15, 1993, online:
http://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=a%2F48%2F305&Submit=Search&Lang=E.
601
Ibid. p. 24.
602
Entretien avec Gérard Brachet, 13 septembre 2012.
- 241 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
de l’utilisation militaire de l’espace en opérations. Il n’est alors pas question pour les
Etats-Unis de limiter de quelque manière que ce soit leur liberté d’action dans
l’espace.
Qu’en est-il du GGE de 2011-2013 ? Les relations transgouvernementales qu’il
permet sont une opportunité d’aboutir à un résultat différent des relations purement
intergouvernementales.
« Though GGE experts are nominated by Member States, they are
expected to provide politically neutral expertise to the process. » 603
Ce vœu pieux est pourtant vain. L’expert envoyé par son gouvernement reflète le
degré d’intérêt que les Etats portent au sujet et le profil de l’expert en dit long aussi
sur la position de l’Etat. Cependant, en tant qu’experts, ce sont des acteurs
transgouvernementaux pouvant, au contact des autres experts du GGE, et loin de leur
territoire national et administration centrale, évoluer sur leur position. Ce forum
permet d’homogénéiser les positions. De retour dans leur Etat d’origine, ces élites
peuvent ensuite persuader à leur tour leurs décideurs politiques que telle orientation
normative est préférable. Cela est d’autant plus faisable que ces experts
gouvernementaux sont des experts techniques, et non des diplomates. Le résultat de
leurs discussions, bien que ne pouvant pas éluder les dissensions diplomatiques sous-
jacentes, tend à atteindre plus facilement un consensus car celui-ci sera avant tout
technique. Selon Gérard Brachet, le GGE doit s’inspirer de la démarche gagnante de
l’IADC qui a abouti à l’adoption par le COPUOS des recommandations de l’IADC en
2002. Les experts de l’IADC ont présenté leur texte, résultat du consensus entre
techniciens, au comité scientifique et technique du COPUOS (STSC). Ils ont alors
« court-circuité » le comité juridique arguant notamment de leur incompétence
technique et ainsi du risque d’enlisement des discussions. L’objectif des experts de
l’IADC était ensuite de convaincre les diplomates du COPUOS, ce qui a pu être
réalisé. Il s’agit d’une méthode de « bottom-up », au sein de laquelle les experts
techniques du domaine aboutissent à un consensus et réussissent à l’imposer au
niveau politique via les Nations Unies. Les diplomates ont simplement la
responsabilité de négocier le texte.
603
Tiffany Chow, “Group of Governmental Experts on TCBMs in Outer Space Activities”, Fact sheet, Secure World
Foundation, 21 juin 2012.
- 242 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
604
Entretien au SEAE, 12 septembre 2012.
- 243 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Bien que la somme des Etats leaders et Etats followers soit inférieure à la somme des
Etats méfiants ou opposants (5/15), un consensus est atteint dont le rapport est le
résultat. Il faut tout de même relativiser l’efficacité de ces relations
transgouvernementales. Knopf souligne que ces interactions ont la plupart du temps
comme effet d’apporter des « ajustements incrémentaux » 606 par rapport aux
politiques spatiales de ces Etats. La lecture du rapport de ce GGE confirme cette
affirmation. Cependant, et bien que sa portée en soit limitée, ce rapport a permis de
faire accepter l’idée de la nécessité d’un régime sur la sécurité des activités spatiales.
605
Jeffrey W. Knopf, “Beyond…”,op. cit., p. 606.
606
Jeffrey W. Knopf,”Beyond…”,op. cit., p. 606.
- 244 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Les Etats-Unis, qui ont préparé en amont chaque réunion du GGE avec leurs plus
proches alliés, déploient d’autres moyens afin de promouvoir un CoC qu’ils
souhaitent façonner.
La socialisation implique:
“diplomatic praise or censure, either bilateral or multilateral, which is
reinforced by material sanctions and incentives.” 607
Selon Finnemore et Sikkink, la socialisation est exercée par l’intermédiaire de
leviers: la censure ou la louange diplomatique et des incitations ou sanctions
matérielles. Ceci rejoint l’analyse de G. John Ikenberry et Charles A. Kupchan qui
assurent que l’hégémon se doit de manipuler les « material incentives » et d’influer
sur les « substantive beliefs » afin que le résultat de la socialisation concorde avec les
intérêts de l’hégémon. Dans cette thèse, l’objectif est de persuader les élites des Etats
secondaires que sont les dirigeants des Etats du G77 et surtout parmi eux les
puissances spatiales établies ou en devenir. Les incitations matérielles renvoient à
l’utilisation de la menace ou des promesses afin de peser sur les préférences des
décideurs dans les Etats secondaires. Les « croyances essentielles » renvoient aux
croyances de l’hégémon légitimant l’ordre international servant ses intérêts.
Ikenberry et Kupchan applique leur modèle aux Etats-Unis en tant que puissance
hégémonique. Pour cette thèse, le modèle sert uniquement à établir que les Etats-Unis
sont l’hégémon spatial. Les éléments constitutifs de cette hégémonie étant les
capacités militaires dans l’espace, le contrôle du milieu, le contrôle du marché par les
importations et les avantages détenus par les Etats-Unis dans la compétition sur les
biens à haute valeur ajoutée (haute technologie spatiale). L’ICoC permettrait alors
aux Etats-Unis d’asseoir leur puissance spatiale sur le droit, quand bien même non
contraignant, en stabilisant une situation stratégique en leur faveur. L’exercice de la
force ou de la menace afin de convaincre les Etats du G77 d’adhérer au Code ne
semble pas une solution optimale, et n’est pas non plus le mode d’action des acteurs
européens.
607
Martha Finnemore…, op. cit., p. 902.
- 245 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
A l’inverse, les Etats-Unis utilisent les outils du hard power dans leur politique
spatiale envers la Chine. Les deux composantes du hard power (outils militaire et
économique) ont été mises en œuvre pour empêcher ou freiner l’accès à la ressource
spatiale par la Chine. La relation spatiale entre les Etats-Unis et la Chine semble être
celle de deux Etats engagés dans une démarche d’apprentissage où l’hégémon (Etats-
Unis) souhaite assigner à une puissance « inférieure » (Chine) un rôle qu’elle n’a pas
forcément envie de jouer. Washington veut clairement freiner l’ascension de Pékin en
tant que puissance et pour cela lui paraît-il essentiel de l’empêcher d’utiliser l’espace
de manière optimale. Le versant économique du hard power est aussi utilisé contre la
Chine. Les Etats-Unis mettent en place des barrières à l’avancée technologique de la
Chine via des politiques très contraignantes visant à contrôler les transferts de
technologies sensibles. C’est le but des règlementations ITAR (International Traffic
in Arms Regulations) qui concernent tous les Etats voulant se doter de technologies
américaines. Pour la Chine et l’Iran, aux règles ITAR s’ajoutent des restrictions
spécifiques aux importations. La Chine ayant opté dès 1981 pour l’acquisition de
capacités spatiales par achat (afin de limiter les dépenses en R&D), elle accuse dès
lors aujourd’hui un retard dans un certain nombre de domaines tels que la
télédétection ou les communications. Chacun des deux « sticks » du hard power sont
donc employés contre la Chine : la menace militaire (essais ASAT) et les embargos
économiques liés au transfert de technologies sensibles. Les premiers mois de la
présidence de B. Obama ont néanmoins permis d’apaiser les relations sino-
américaines, à tel point qu’il fut même question d’alléger les règles ITAR
s’appliquant à la Chine. Mais si les signes de bonne volonté se sont multipliés de part
et d’autre, les relations connaissent un regain de tension début 2010, en partie du fait
du nouvel essai d’ASAT chinois (11 janvier). Pourtant, en dépit des discours
réprobateurs d’H. Clinton, aucune réplique américaine n’a eu lieu cette fois-ci. Bien
au contraire même puisque de multiples appels à la négociation, qui resteront lettres
mortes, ont été lancés par Washington.
L’allègement des règles ITAR est un débat récurrent. Envisagé sous W. Bush, Obama
en fait un véritable objectif de sa politique spatiale essentiellement pour deux
raisons : d’une part, elles affaiblissent l’économie américaine et, d’autre part, étant
très contraignantes, elles encouragent les autres nations à développer des capacités
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
indigènes. Le recours par les États-Unis au versant économique du hard power induit
donc ici un effet pervers, voire contre-productif. Cependant, aujourd’hui cet
affaiblissement ne concerne toujours pas la Chine. Il est donc indispensable de
replacer ces éléments de diplomatie spatiale entre les deux Etats afin de comprendre
que persuader la Chine d’adhérer à un code d’origine transatlantique n’est pas une
mince affaire.
608
Jeffrey W. Knopf, “Beyond…”,op. cit., p. 609.
609
Ibid., p. 606.
- 247 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
En choisissant de soutenir le code, les Américains ont convaincu « les pays tièdes »
d’en faire de même. Ils donnent ainsi un signe fort aux Etats qui appellent à plus de
régulation dans les activités spatiales et qui faute d’alternatives, ne pouvaient prendre
que comme base de négociation possible le PPWT. Le soutien américain sape, en
partie, l’attractivité du projet PPWT, seul projet proposé à la soixantaine d’Etats
utilisateurs du milieu spatial et porté par deux puissances spatiales.
Mais ce soutien n’est qu’une première étape car l’administration démocrate semble
avoir compris que convaincre les acteurs de la société civile des Etats favorables au
610
Michael Krepon, “A case Study… ˮ, op. cit., p.8.
611
Jeffrey W. Knopf, “Beyond…”,op. cit., p. 611.
612
Entretien au MAE, 25 juillet 2011.
- 248 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
PPWT est peut-être plus efficace que de négocier directement avec les décideurs
politiques en question. Cette hypothèse peut être étayée par les nombres voyages
effectués par l’ex- secrétaire adjoint en charge des questions spatiales, Franck A.
Rose. Au cours de ces déplacements, il ne se rend pas que dans les ministères de ces
homologues mais multiplient les conférences organisées par des think tanks, des
centres culturels etc. La « persuasion normative » 613 en action permet d’agrandir le
nombre d’individus partageant ces croyances et de fait, appartenant à la communauté
épistémique. Ces rencontres permettent de rassembler un public de jeunes adultes,
parlant anglais, appartenant à une certaine élite. Le but est alors d’initier une
démarche de bottom-up, dans laquelle la relation inter-niveaux joue un rôle de
catalyseur. Les rhizomes de la CE permettent la socialisation. Les CE sont des
« canaux par lesquels de nouvelles idées circulent des sociétés vers les
gouvernements, et d’un pays à l’autre » 614. Pour ce faire, Franck A. Rose devient à
son tour un entrepreneur de norme. Il est ainsi intervenu au Vietnam (Hanoï) à
l’American Center le 8 mars 2012 devant 70 jeunes adultes sur le thème « Sustaining
the Space Environment for the Future » 615. En préambule, il précise:
“Of course, I speak from an American perspective, but I am also here to
gain a better understanding of Vietnam’s interests in space.”
Devenu un des animateurs de la CE, Franck A. Rose utilise les quatre critères qui
permettent d’actionner les leviers de persuasion normative de la CE. Dans son
discours, il utilise un ensemble de croyances normatives et de principes qui
fournissent des bases à l’action ; (2) des croyances causales sur l’origine du problème
et les solutions à y apporter ; (3) des critères de validité des savoirs engagés dans le
traitement de l’enjeu ; et (4) des propositions d’action publique construites sur les
pratiques communes associées au problème qui fait l’objet de leur expertise. Franck
A. Rose rappelle ainsi que l’espace est de plus en plus « congestionné », et qu’il est
nécessaire pour les générations futures de développer les activités spatiales avec
responsabilité et sécurité. L’origine du problème est rappelée, notamment l’accès à
613
G. John Ikenberry, Charles A. Kupchan, “Socialization…”, op. cit., p. 290.
614
Peter M. Haas, « Introduction: epistemic communities and international policy coordination », International Organization,
Winter 1992, vol. 46, n° 1, p. 3 (cité in Bossy, T., Evrard, A., « Communauté épistémique », in Boussaguet, L., Jacquot, S.,
Ravinet, P. (dir.), Dictionnaire des politiques publiques, Paris, Presses de Sciences Po, 2010, p. 143.
615
“Sustaining the Space Environment for the Future”, Franck A. Rose, Deputy Assistant Secretary, Bureau of Arms Control,
Verification and Compliance, American Center, Hanoï, Vietnam, 8 mars 2012, http://www.state.gov/t/avc/rls/185413.htm
- 249 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
l’espace par un nombre croissant d’Etats mais aussi une croissance exponentielle du
nombre de débris. Il aborde les conséquences catastrophiques d’une inaction de la
communauté internationale :
“Experts warn that the current quantity and density of man-made debris
significantly increases the odds of future damaging collisions. Unless the
international community addresses these challenges, the environment
around our planet will become increasingly hazardous to human
spaceflight and satellite systems, which would create damaging
consequences for all of us.”
Franck A. Rose ne manque pas de souligner que cette proposition est déjà soutenue
par des grands Etats de la zone Asie-Pacifique.
- 250 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
“In the Asia-Pacific Region, both Japan and Australia have also endorsed
developing such an International Code of Conduct.”
Fait notable, cette conférence a lieu dans un Etat qui a participé à la rédaction du
PPWT dans sa version de juin 2002. Franck A. Rose ne s’adresse pas ici aux
décideurs politiques vietnamiens mais à la société civile. Il revient au Vietnam en
décembre 2012 pour s’exprimer sur le même sujet lors du forum de l’Association of
the Southeast Asian Nations (ASEAN). De la même manière, Franck A. Rose
s’exprime aux Emirats Arabes Unis, de nombreuses fois au Japon (pays amis du
Code), aux Etats-Unis, en France, en Belgique, en Allemagne, en Autriche, en Suisse,
en Israël et en Turquie 616. La permanence de cet interlocuteur dans le rôle
d’entrepreneur de norme sur la sécurité des activités spatiales assure au projet (ICoC)
une crédibilité accrue et un représentant unique à travers le monde. A l’inverse, sur la
période étudiée dans cette thèse, trois diplomates se succèdent au MAE, et le SEAE
connaît les difficultés de ressource humaine. Cette mise à disposition de moyens au
profit de la socialisation internationale produit des effets sur l’élargissement de la CE
et donc sur le nombre de partisans de l’ICoC. A travers Franck A. Rose,
l’administration démocrate souhaite générer des croyances normatives communes et
ainsi produire un consensus sur la solution à apporter, l’ICoC.
Les relations transnationales sont les relations établies entre acteurs internes d’Etats
différents. Ce sont habituellement des acteurs d’organisations non gouvernementales
bien que ce terme renvoie à une multiplicité d’organisations possibles. Les acteurs
616
Voir la liste de ses déplacements et thèmes des conférences en annexe 5.
617
John Ikenberry, Charles A. Kupchan, “Socialization…”, op. cit., p. 289.
- 251 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
non étatiques ayant une influence sur l’orientation des débats sur la sécurité des
activités spatiales appartiennent à la CE. Ces derniers ne représentent pas
obligatoirement la position officielle de leur Etat d’appartenance. Ce sont des
scientifiques, des experts, des professionnels, des membres de think tanks etc.
Souvent même, la relation transnationale qu’il cherche à établir leur sert de levier
pour atteindre la sphère politique nationale.
“(…) domestic groups probably feel a need to form transboundary
connections only when they are having difficulty influencing policy
working solely within their own political system. (…) this implies that the
motive for such an alliance will be a desire by groups to enhance their
resources, credibility, and/or expertise in order to gain additional
leverage against a government that is opposed to their demands.” 618
L’existence de ces relations permet de traduire le relatif échec des négociations
internationales et des organisations intergouvernementales.
Cette démarche est celle du Stimson Center lorsque ses représentants n’avaient pas le
soutien escompté de l’administration Bush. Ils ont cherché à établir des relations avec
un nombre important d’ONG dont certaines dans des Etats a priori non favorables à
l’idée du Code.
“Stimson did succeed in recruiting outstanding NGO partners from
Canada, China, France, Japan and Russia.” 619
De cette entreprise transnationale a émergé leur projet de Code de conduite.
“This approach reflected a consensus view that a multilateral NGO effort
could be most useful in clarifying norms rather than engaging in a
painstaking drafting process akin an international negotiation. Our
618
Jeffrey W. Knopf, “Beyond…”,op. cit., p. 606.
619
Le Stimson Center precise ses connections: Setsuko Aoki de l’université Keio; Alexei Arbatov de la Carnegie Moscow
Center; Vladimir Dvorkin du Center for Policy Studies; Trevor Findlay et Scott Lofquist-Morgan du Canadian Centre for
Treaty Compliance; Katsuhisa Furukawa de la Japan Science and Technology Agency; Laurence Nardon de l’Institut des
Relations Internationales; Sergei Oznobistchev de l’Institut of Strategic Studies and Analysis; Li Genxin de l’Association
China Arms Control and Disarmament et Zhang Tousheng de la China Foundation for International and Strategic Studies.
Michael Krepon, “A case Study… ˮ, op. cit., p.8
- 252 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Leur objectif est clair : proposer aux gouvernements une solution clé en main et avoir
au préalable, pour chaque Etat à convaincre, une entité nationale en soutien, prête à
son tour à diffuser les idées et les croyances dans la sphère politique jusqu’aux
décideurs clés. Cette démarche se révèle d’autant plus efficace lorsque
l’administration américaine devient favorable à leur prosélytisme normatif en
s’engageant dans une démarche similaire. Ainsi, les acteurs internes des autres Etats
sont déjà sensibilisés au sujet. La force d’une CE se trouve notamment dans sa
capacité à être proche du pouvoir politique, d’avoir accès relativement facilement aux
membres du premier cercle. Dans le cas du Stimson Center, on peut dire que ses
relations avec des hauts fonctionnaires ont été essentielles pour diffuser ses idées.
Michael Krepon lui-même, a été conseiller politique du candidat démocrate Barack
Obama en 2008 sur les sujets relatifs à l’espace et à l’Asie du Sud.
Comme démontré plus haut, l’ISU est une animatrice de la CE. Elle est elle-même
une organisation non gouvernementale, transnationale. Les étudiants ou jeunes
professionnels qui décident d’y réaliser un parcours universitaire complet ou d’été
connaissent déjà les croyances normatives qu’elle véhicule. Ainsi, leur volonté
d’inscrire le parcours ISU dans leur formation peut être guidée par un besoin de tisser
des liens transnationaux avec des personnes partageant leurs croyances. La
constitution d’un réseau est au cœur de la préoccupation de ces étudiants. Les teams
project de la session d’été permettent aux étudiants de travailler en petits groupes.
Souvent les stagiaires devenus les « anciens » entretiennent des relations durables une
fois le stage terminé. Le réseau peut alors être activé lors d’organisation de colloque
ou de conférence dans tel ou tel Etat. Ainsi à l’instar du team project sur les débris
spatiaux, chaque participant peut faire appel à un « ancien » par l’intermédiaire des
réseaux sociaux grâce auxquels ils sont restés en contact. Ce team project
620
Michael Krepon, “A case Study… ˮ, op. cit., p.9.
- 253 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
réunissaient des Chinois (4), des Français (4), des Belges (2), des Allemands (2), des
Canadiens (4), des Espagnols (2), des Brésiliens (3), un Russe, des Australiens (2), un
Indien, un Autrichien, un Italien, un Portugais, un Monténégrin, un Américain et un
Japonais. Ils peuvent devenir des soutiens dans la volonté de pousser certaines idées
au sein du premier cercle. En règle générale, c’est toute la promotion du Space
Studies Program qui reste en contact permanent.
Ces deux think tanks ont établi un partenariat entre leur domaine de recherche
« Espace ». Cela a pris tout son sens avec l’établissement en 2010 d’une antenne de la
SWF à Bruxelles, ville où était déjà présent l’IFRI. Ce partenariat a donné lieu à
plusieurs conférences organisées en binôme. A Paris par exemple, du 18 au 19 juin
2009 où l’objectif était de susciter une discussion entre des experts gouvernementaux,
commerciaux ou issus de la société civile sur le thème “Towards Greater Security in
Outer Space : Some Recommendationsˮ. Puis une seconde en février 2010 sur
“Enhancing Space Security : Expert Recommandations ˮ. Les intervenants du panel
étaient Laurence Nardon de l’IFRI, Bruce MacDonald du United States Institute of
Peace, Ray Williamson et Victoria Samson de la SWF. La conférence a eu lieu dans
les locaux d’un autre think tank, le Carnegie Endowment for International Peace dans
la ville de Washington. Une autre conférence est organisée sur « l’Europe et la
sécurité spatiale » en octobre 2010 à Bruxelles. La localisation des deux think tank à
Bruxelles n’est pas un hasard, cela permet d’être proche des lieux de pouvoir et des
acteurs de l’Union européenne. On retrouve ici une démarche davantage perçue
comme du lobbying. Il n’est pas rare de voir lors de ces conférences des membres de
la Commission européenne ou du SEAE. Les deux laboratoires de réflexion
s’emparent du thème de la durabilité des activités spatiales. Périodiquement, et en
parallèle de leurs travaux respectifs sur le sujet, ils co-organisent des conférences qui
plaident en faveur d’une régulation des activités spatiales et de l’instauration d’un
code de conduite. Le 13 septembre 2012 a lieu une conférence commune sur le thème
des « relations internationales et de l’espace : une approche européenne ». Les
conférences organisées en commun entre les deux think tanks permettent de faire
interagir des personnalités de haut rang américaines et européennes. Pour cette
- 254 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
2.2.3.4 L’UNIDIR
- 255 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
621
« Disarmament: Problems related to Outer Space », UNIDIR, New York, 1987. URL :
http://www.unidir.org/files/publications/pdfs/disarmament-problems-related-to-outer-space-en-428.pdf
622
Peter Hass, « Le pouvoir et la vérité », op. cit.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Cet organisme des Nations Unies apporte une certaine légitimité aux analyses qu’il
promeut. Les thèmes ne sont pas corrélés à un ou des Etats qui pourraient avoir un
intérêt dans l’adoption d’un tel régime.
623
Cet accord est conclu en août 2014. La SDA participe ainsi au Space Situational Awareness Data Sharing Program des
Etats-Unis. Il s’agit du premier accord avec une organisation qui n’est pas un opérateur de satellites.
624
Li Juqian, “Mission completed and Mission Ahead”, in Dr Rajeswari Pillai Rajagopalan, Daniel A. Porras, op. cit., p. 47.
- 257 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
l’émergence du « syndrome de Kessler ». Une fois en orbite, ces satellites sont pour
57% d’entre eux des satellites commerciaux (statistiques d’août 2012). Sans une
régulation du trafic de l’ensemble des satellites en orbite, ce ne sont pas seulement
ces acteurs privés qui verraient leur industrie péricliter, mais aussi les Etats dont les
revenus sont fortement alimentés par cette manne financière, à savoir principalement
les Etats-Unis et l’Europe. L’objectif final vise donc à établir des normes de
comportement certes, mais aussi des normes techniques ou standards, appliquées par
tous les opérateurs de satellites, qu’ils soient publics ou privés. Cette initiative de la
SDA rejoint une volonté politique américaine d’établir des standards mondiaux
(Partie 2). La volonté des Etats-Unis de contrôler l’environnement spatial dans son
exhaustivité concourt à ces nouvelles coopérations qu’elle établit avec des acteurs
privés.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
625
Marcel Merle, Les acteurs dans les relations internationales, Paris, Economica, Coll. Politique comparée, 1986, p. 181.
626
Groupe d’experts gouvernementaux sur les mesures de transparence et de confiance relatives aux activités spatiales, 68 ème
session, Assemblée Générale des Nations Unies, 29 juillet 2013, p. 21.
- 259 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Les futurs professionnels ou experts du secteur spatial seront ensuite intégrés dans les
bureaucraties nationales et organisations internationales avec ces croyances
627
Ibid.
628
Béatrice Pouligny, « Le rôle des ONG en politique internationale », Revue Projet, Paris, n°269, 2002/1, pp. 16-24.
629
Marcel Merle, « Un système international sans territoire ? », Cultures & Conflits, n°21-22, printemps-été 1996, pp. 1-11.
- 260 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
normatives. C’est déjà en quelque sorte le cas pour les étudiants possédant le Master
de l’International Space University.
Certains de ces professionnels peuvent alors devenir membre de la CE. Par le partage
de ces normes professionnelles et d’une culture commune, ils peuvent renforcer la
cohésion interne de la CE 632.
Selon Finnemore et Sikkink, la consolidation et l’universalisation des normes est
favorisée par des interactions fréquentes entre individus travaillant en commun sur
des tâches techniques. Cela crée de la prévisibilité de part et d’autre et de la
confiance. Il n’est pas question d’autre chose quand on cherche à instaurer des
TCBMs.
630
Martha Finnemore, Kathryn Sikkink, op. cit., p. 905.
631
Ibid.
632
Sur ce point, lire Mai’a K. Davis Cross, « Rethinking epistemic communities…”,op. cit., p. 14.
633
Ibid.
- 261 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
CONCLUSION de la PARTIE 1 :
Prenant appui sur le cycle des normes, les mécanismes d’émergence et de diffusion de
la norme relative à la sécurité des activités spatiales a été décrite en détails.
A l’origine résultat des travaux d’une petite communauté de scientifiques de la
NASA, le problème des débris est devenu le moteur d’une communauté épistémique
active. Encouragée et soutenue par les Etats favorables au code de conduite, ses
actions de persuasion normative ont opéré à travers le monde. La réactivation de
l’idée d’une norme pourtant évoquée dès les années 1970 ne doit pas faire oublier que
l’angle adopté est différent dans les années 2000. Il ne s’agit plus véritablement de
mettre en garde contre la course aux armements dans l’espace, mais d’empêcher la
prolifération des débris dans l’espace. Si une partie de la communauté épistémique en
est convaincue, ce n’est pas l’avis des Etats, aux premiers desquels les Etats-Unis, la
Chine et la Russie. Ces derniers ont bien compris que l’enjeu ici est plus grand, celui
du leadership dans l’espace.
- 262 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
- 263 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
A Prague, en juin 2011, s’est tenue une conférence sur un thème novateur : le
partenariat transatlantique au profit de la sécurité spatiale 634. Il s’agit de la première
conférence transatlantique non-gouvernementale de ce type. Une centaine de
personnalités expérimentées y ont participé : des représentants des institutions
multilatérales, des ONG, des universités, de l’industrie et certains membres de haut
niveau des gouvernements des trois Etats et groupe d’Etat : l’Union européenne, les
Etats-Unis et le Japon. L’objectif annoncé par les organisateurs 635 est :
« It sought to launch an on-going « Track II » non-governmental process
designed to help craft a future architecture for the management of this key
dimension of space policy on a trilateral, and eventually global, basis. » 636
Malgré la présence de représentants gouvernementaux des trois entités, ce sont
principalement les acteurs non gouvernementaux qui animent le débat. Ils souhaitent
atteindre ainsi le « track II » ou niveau 2 des négociations internationales ayant pour
objectif de concourir à donner une issue favorable du niveau 1 des relations
diplomatiques interétatiques classiques. Le niveau 2 étudié dans la partie précédente
décrit les relations entre acteurs non-étatiques au sein d’un même Etat. Ici, il s’agit de
relations inter-niveaux. Certains évoquent un « track 1.5 » afin de caractériser le
634
Jana Robinson, « Space Security through the Transatlantic Partnership : Conference Report and Analysis », ESPI, Report
38, novembre 2011.
635
Les deux principaux organisateurs sont l’ESPI (European Space Policy Institue) et le PSSI (Prague Security Studies
Institute).
636
Jana Robinson, “Space Security…”,op. cit., p. 4.
- 264 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
637
United States Institute of Peace, Glossary of terms for Conflict Management and Peace Building, “Tracks of diplomacy”,
http://glossary.usip.org/resource/tracks-diplomacy
638
Joseph V. Montville, “Track Two Diplomacy: The Work of Healing History,” Whitehead Journal of Diplomacy and
International Relations, vol. 17, no. 2, Summer/Fall 2006.
639
Jana Robinson, “Space Security…”,op. cit., p. 5.
- 265 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
commune ? Ces efforts conjugués mais orientés par les Etats-Unis afin de faire
aboutir la norme portée par le CoC, font-ils de l’UE une puissance normative ?
Comme abordé dans l’introduction, les Etats-Unis ont joui d’un statut d’hegemon
spatial jusqu’à la fin de la Guerre froide. Très vite cependant ce statut a été ébranlé
par un nombre de nouveaux acteurs spatiaux toujours plus important, privés ou
étatiques. Les Etats-Unis semblent s’adapter aisément à l’implication croissante du
secteur privé au sein du milieu spatial. A l’inverse, la compétition interétatique est
celle qui focalise les réflexions stratégiques. En effet les Etats tels que la Chine,
l’Inde ou encore la Russie contestent l’hégémonie américaine dans son intégralité. La
puissance spatiale n’en n’est qu’une déclinaison. Leur objectif est d’obtenir « un rôle
dans le maintien du système international proportionnel à leur puissance perçue et à
leurs intérêts nationaux » 640. S’il est incontestable de dire que les Etats-Unis ne sont
plus seuls dans l’espace et que donc leur domination dans ce milieu est affaiblie, leur
objectif reste d’assurer cette supériorité dans l’espace 641. La supériorité n’est pas en
elle-même une forme de domination. Il ne suffit pas de la détenir, encore faut-il
l’exercer 642. Cette sous-partie a pour objectif d’analyser comment les penseurs
stratégiques et les décideurs politiques américains ont appréhendé cette évolution de
l’environnement spatial et quels sont les concepts stratégiques qui sous-tendent cette
évolution (seront abordées les notions de global commons, smart power, smart
defense, offshore balancing, coalition building). La mise en œuvre de ces derniers
doit permettre aux Etats-Unis de maintenir le contrôle de l’espace 643 par la maîtrise
de ce commun (en français), ou global common. Cette conception stratégique sert la
promotion de la norme sur la sécurité des activités spatiales.
640
Michèle Flournoy, Shawn Brimley, The Contested Commons, U.S Naval Institute, Proceedings 135, n°7, Juillet 2009,
http://www.usni.org/magazines/proceedings/2009-07/contested-commons
641
Travis C. Stalcup, “U.S in Space : Superiority, Not Dominance”, The Diplomat, 16 janvier 2014,
http://thediplomat.com/2014/01/u-s-in-space-superiority-not-dominance/
642
Serge Sur, Relations internationales, op. cit., p. 140.
- 266 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Dans la pensée stratégique, le concept de déni d’accès n’est pas nouveau. C’est une
constante appliquée dans d’autres milieux et théorisée par Mac Kinder :
“Crucial to Mac Kinder strategy for Britain was the notion that if a state
desired control of global affairs but could not physically occupy the
643
L’espace « contrôlé » pourrait constituer la « quatrième époque de l’espace militaire », in « De l’utilisation au « contrôle
de l’espace extra-atmosphérique », Xavier Pasco, Envol vers 2025. Réflexions prospectives sur la puissance aérospatiale,
Boutherin, G., Grand, C. (dir.), Centre d’études stratégiques et aérospatiales, La documentation française, 2011, p. 80.
644
Xavier Pasco, « De l’utilisation au contrôle… », op.cit., p. 80.
645
Travis C. Stalcup, U.S…, op. cit., p.1.
646
United States Space Command, Vision for 2020, Février 1997.
- 267 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
647
Everett C. Dolma, Astropolitik…, op. cit.,p. 41.
648
Mémorandum du secrétaire à la Défense William Cohen, 9 juillet 1999. http://www.au.af.mil/au/awc/awcgate/dod-
spc/dodspcpolicy99.pdf
649
Robert G. Gilpin, War and Change in International Politics, Cambridge, Cambridge University Press, 1981.
650
Xavier Pasco, “De l’utilisation…”, op. cit.,p. 87.
- 268 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
points clés de cette politique reste le déni d’accès à des adversaires potentiels. En
science politique, cette approche stratégique américaine s’apparente à la mise en
application du hard power. Bien que présente chez les réalistes classiques, le hard
power est clairement identifié, défini et qualifié ainsi par Joseph Nye qui l’a opposé
au soft power. Il définit le premier ainsi:
“(...) the ability to use the carrots and sticks of economic and military
might to make others follow your will.” 651
Le soft power est quant à lui défini comme :
« the ability to obtain preferred outcomes through attraction rather than
coercion or payments. The resources that produce soft power for country
include its culture (…); its values (…); and policies (…).”
Le hard et le soft power sont des utilisations différentes de l’indéniable supériorité
américaine dans l’espace. Ces deux faces d’une même pièce ne sont que des modes de
mise en œuvre distinctes de la puissance spatiale de l’Etat américain. Une fois de
plus, les facteurs de la puissance sont les mêmes (supériorité économique,
technologique et militaire) mais ce sont les acteurs qui décident de l’utilisation qui en
sera faite. Dans ce cadre-là, les acteurs (dirigeants américains) du début des années
2000 mettent l’accent sur une utilisation « hard » des facteurs de la puissance
américaine dans l’espace. La NSP de 2006 valide cette orientation hard de la
politique spatiale américaine. Cette dernière est d’autant plus remarquable qu’elle
constitue une rupture avec le précédent document publié dix ans plus tôt par
l’administration Clinton. Le ton est moins consensuel et le contenu entièrement
tourné vers l’intérêt national, ne faisant que peu de cas des autres acteurs spatiaux.
Les rédacteurs estiment qu’avec ce type de politique hégémonique ils sauvegardent la
sécurité nationale. Ils énoncent clairement leur intention de refuser l’accès à l’espace
à des Etats définis comme adversaires, et assument leur défiance à l’égard de tout
régime juridique qui empêcherait les Etats-Unis d’utiliser l’espace de la manière dont
ils le souhaitent. En présentant une stratégie de combat « dans, de et à travers
l’espace », la NSP 2006 a soulevé des inquiétudes quant à l’éventuelle conception et
utilisation d’armes antisatellite (ASATs). Ce document reflète finalement d’une
651
Joseph S. Nye., Power in the Global Information Age: From Realism to Globalization, London, New York, Routledge,
2004.
- 269 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
652
Theresa Hitchens, “The Bush National Space Policy : Contrasts and Contradictions”, Center For Defense Information,
Space Security, 13 octobre 2006.
653
Expression employée par Lyndon Johnson pour qualifier la réussite soviétique de Spoutnik en 1957.
654
Szayna, T., Byman, D., Bankes, S., Eaton, D., Jones, S., Mullins, R., Lesser, I., Rosenau, W., The Emergence of Peer
Competitors...op. cit.
- 270 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
655
Serge Sur, Relations internationales, op. cit.,p. 142.
656
Par l’expression « benevolent hegemon in space », in Gene V. Milowicki, Joan Johnson-Freese, “Strategic Choices:
Examining the United States Military Response to the Chinese Anti-Satellite Test”, United States Naval War College,
Astropolitics, Issue 1, Vol.6, 2008, pp. 1 – 21.
657
Serge Sur, Relations internationales, op. cit.,p. 142.
658
Charles Kindleberger, La grande crise mondiale, 1929-1939, Paris, Economica, 1988.
- 271 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
659
sociologique de free riders (passager clandestin) pour l’ensemble des Etats utilisant
l’espace sans en assumer le coût. 660
D’un point de vue général, la politique étrangère des administrations américaines a
oscillé entre le libéralisme internationaliste et le libéralisme interventionniste. Des
expressions telles que « l’empire du mal », « l’axe du mal », « notre mission » ne font
pas partie du langage du réalisme. Le lien simpliste fait entre les présidents
conservateurs et l’école réaliste est la conséquence d’une confusion entre le réalisme
classique et la Realpolitik (la seule règle étant l’action au nom de la raison d’Etat) 661.
Il s’agit bien plutôt de néoconservatisme et de néoconservateurs tels que Richard
Perle, Paul Wolfowitz ou Douglas Feith gravitant autour de George W. Bush lors de
sa présidence. Ce sont les néoconservateurs qui développent cette idée d’ « empire »
et d’ « hégémonie bienveillante » 662 à forte valeur morale universelle.
« Bienveillant » ne renvoie pas ici à un intérêt purement matériel mais à des valeurs
américaines supérieures que les Etats-Unis se devraient de rendre universelles.
Le changement politique est un moment opportun pour évoquer une rupture, un avant
et un après, notamment dans le cas de l’administration controversée de G. W. Bush.
Ce moment est qualifié de « policy window » 663 , ce qui peut être traduit par « fenêtre
d’opportunité politique ». Les fenêtres d’opportunité politiques correspondent à des
moments d’ouverture de l’agenda pour des acteurs qui en sont écartés en conjoncture
habituelle 664. Les entrepreneurs politiques, à l’instar des promoteurs du smart power,
nourrissent leurs réflexions et poussent leurs concepts en attendant l’événement qui
leur permettra de proposer leur alternative. L’acteur individuel quel qu’il soit pourra
alors, s’il le souhaite, s’en saisir et les développer au sein de sa politique. C’est le cas
des promoteurs du smart power qui proposent leurs idées dès 2006.
659
Mancur Olson, Logic of Collective Action: Public Goods and the Theory of Groups, Harvard University Press, 1971.
660
A l’instar de certaines fonctionnalités telles que l’utilisation de la constellation GPS.
661
Alex McLeod, Dan O’Meara, Théories des relations internationales…op. cit., p. 64.
662
Robert Kagan, « The Benevolent Empire », Foreign Policy, pp. 24-35, 1998.
663
John Kingdom, Agendas, Alternatives and Public Policies, Boston, Little Brown and Company, 1984.
664
Patrick Hassenteufel, Sociologie politique ,op. cit., p. 61.
- 272 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
665
CSIS Commission on Smart Power: A smarter, more secure America, CSIS, Richard L.Armitage, Joseph S. Nye Junior,
2007, p. 1.
666
Hilary Clinton, Confirmation hearing before the Senate Foreign Relations Committee, 13 janvier 2009,
http://www.state.gov/secretary/rm/2009a/01/115196.htm.
667
Suzanne Nossel, “Smart Power”, Foreign Affairs, vol. 83, n°2, 2004, p. 134.
668
Ibid.,p. 138.
669
Ibid., p. 131.
- 273 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
670
R. L. Armitage, J. S. Nye, « Implementing Smart Power: Setting an Agenda for National Security Reform », Statement
before the Senate Foreign Relations Committee, 24 avril 2008, p. 6.
671
Jospeh S. Nye Jr, The Power to Lead, New York, Oxford University Press, 2008, p xiii.
- 274 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
672
Hilary Clinton, Confirmation hearing before the Senate Foreign Relations Committee, 13 janvier 2009,
http://www.state.gov/secretary/rm/2009a/01/115196.htm.
673
Remarks by the President at the United States Military Academy Commencement Ceremony, U.S Military Academy –
West Point, New York, mai 2014, https://www.whitehouse.gov/the-press-office/2014/05/28/remarks-president-united-states-
military-academy-commencement-ceremony
- 275 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
B. Obama ont permis d’apaiser les relations sino-américaines, à tel point qu’il fut
même question d’alléger les règles ITAR s’appliquant à la Chine. Mais si les signes
de bonne volonté se sont multipliés de part et d’autre, les relations connurent un
regain de tension début 2010, en partie du fait du nouvel essai d’ASAT chinois (11
janvier 2007). Pourtant, en dépit des discours réprobateurs d’Hilary Clinton, aucune
réplique américaine n’a eu lieu cette fois-ci. Bien au contraire même, puisque de
multiples appels à la négociation, qui resteront lettres mortes, furent lancés par
Washington. Toutes ces actions de la nouvelle administration à la Maison Blanche
dessinent les contours d’un nouveau leadership :
« La présidence de George W. Bush a été encadrée par les attentats du 11
septembre 2001 et par la crise financière de l’automne 2008. Sous la
présidence Obama, il semble que les Etats-Unis ne pourraient maintenir
leur position dominante que grâce à un changement d’orientation
politique internationale. Une multipolarité non maîtrisée relativiserait
leur rôle et créerait de nouvelles divisions sur le plan universel. Pour
contribuer à une relance de la gouvernance internationale, il leur faudrait
développer une vision plus large et plus ouverte de l’intérêt de la société
internationale tout entière, vision qui seule pourrait fonder un nouveau
Leadership. » 674
Barack Obama officialise dès 2007 sa volonté de renouveler le leadership
américain 675.
« Cette réaffirmation du leadership américain s'éloigne avec le
messianisme idéologique porté par le néo-conservatisme sous
l'administration Bush fils précédente. Elle n'est pas sans présenter des
caractéristiques réalistes puisque fondée sur la reconnaissance des
puissances étatiques émergentes ou bien encore l'absence d'un
engagement militaire sans référence aux intérêts vitaux des Etats-
Unis. » 676
674
Serge Sur, Relations internationales, op. cit.,p. 148.
675
Barack Obama, “Renewing American Leadership”, Foreign Affairs, 86, juillet-août 2007.
676
Frédéric Ramel, « Accès aux espaces communs et grandes stratégies : vers un nouveau jeu mondial », Etudes de l’IRSEM,
n°30, 2014, p.16.
- 276 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
677
Max Weber, Le savant et le politique, Paris, Plon, 10/18, 1995.
678
Suzanne Nossel, « Smart power », Foreign Affairs, Volume 83, n°2, 2004, p. 131-142.
- 277 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
679
through Space . Une rupture s’opère entre les politiques spatiales de George W. Bush et
de Barack Obama.
Le CSIS déjà promoteur du smart power, démontre que ce concept est aussi
applicable à la politique spatiale des Etats-Unis. Ils profitent de cette ouverture de
l’agenda pour faire véhiculer leurs idées au plus haut niveau.
La fenêtre d’opportunité politique intervient à l’intersection de trois flux 680 : le
problem stream, le policy stream et le political stream. Les situations problématiques
(problem stream) sont révélées par des indicateurs (dans le cas de cette thèse, par les
statistiques montrant l’augmentation exponentielle des débris orbitaux), par des
événements (le tir ASAT chinois en 2007 puis la collision Iridum 2251/Kosmos 33 en
2009) et des feedbacks (les nombreuses recherches de la NASA sur ce problème). Le
policy stream consiste en la diffusion par des entrepreneurs de normes de solutions.
Enfin, le political stream renvoie aux événements se déroulant au niveau national au
regard du calendrier politique interne. L’adoption du smart power par
l’administration Obama procède elle aussi à la conjonction des trois flux dont certains
indicateurs sont exposés dans une étude du CSIS 681. La publication d’études avec
recommandations peut donc servir de pistes de réflexions et d’orientation pour le
décideur politique. C’est dans ce but que le CSIS a publié une fiche d’analyse. Il tente
de démontrer par la persuasion que le président devrait associer le smart power et
l’espace.
Même si l’administration Bush s’est quasiment systématiquement opposée à tout
texte considéré comme pouvant limiter la liberté des États-Unis à agir dans l’espace,
une certaine inflexion est perceptible durant les dernières années du mandat. Ceci est
en partie le fait du tir ASAT chinois de 2007. L’administration américaine a alors pris
conscience de l’échec d’une politique unilatéraliste dans un paysage spatial
multipolaire, à l’image de l’évolution générale des relations internationales. Ainsi
certains contacts ont été initiés afin de partager des informations relatives à la
679
Vincent G. Sabathier, G. Ryan Faith, « Smart Power Through Space », Center For Strategic and International Studies, 20 février
2008, URL : http://csis.org/files/media/csis/pubs/080220_smart_power_through_space.pdf
680
John Kingdon, Agendas, Alternatives, and Public Policies, Boston, Little Brown and Company, 1984.
681
Cette étude fait état notamment de plusieurs sondages d’opinion démontrant la dégradation de l’image des Etats-Unis à
l’étranger (qui se traduit par une perte de confiance vis-à-vis des actions menées par les Etats-Unis à l’étranger et la
« perception » d’un rôle négatif joué sur la scène internationale. CSIS Commission on Smart Power: A smarter, more secure
America, CSIS, Richard L. Armitage, Joseph S. Nye Junior, 2007.
- 278 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
682
Xavier Pasco, « De l’utilisation… », op. cit.,p. 88.
683
Présidence des Etats-Unis, National Space Policy of the United States of America, 28 juin 2010,
http://www.whitehouse.gov/sites/default/files/national_space_policy_6-28-10.pdf
684
“The United States considers the space systems of all nations to have the rights of passage through, and conduct of
operations in, space without interference. Purposeful interference with space systems, including supporting infrastructure,
will be considered an infringement of a nation’s rights” (NSP 2010) ;“The United States considers space systems to have the
rights of passage through and operations in space without interference. Consistent with this principle, the United States will
view purposeful interference with its space systems as an infringement on its rights” (NSP 2006).
685
Présidence des Etats-Unis, National Space Policy…, op.cit., p. 1.
- 279 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
utiliser l’espace comme elle le fait aujourd’hui. Bien que le contexte ne soit pas le
même, Morgenthau met en garde sur la confusion entre statu quo et stabilité :
686
Hans J. Morgenthau, A new Foreign Policy for the United States, New York, Washington, Londres, Council of Foreign
Relations, Frederik A. Praeger, 1969.
687
US Department of Defense, Defense Strategic Guidance : Sustaining U.S. Global Leadership: Priorities for 21st Century
Defense, January 2012.Le document officialise la conception du pivot, terme formulé par Hillary Clinton en 2010 à Honolulu
ainsi que dans un article de Foreign Affairs (« America's Pacific Century ») en 2012.
688
Williamn J. Lynn, “A Military Strategy...”, op. cit.
- 280 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
“The U.S. and Japanese governments have been slowly increasing their
space situational awareness (SSA) relationship in recent months [année
2013] with bilateral exchanges, notably through the Comprehensive
Dialogue on Space and an agreement in March on sharing SSA
information.” 690
Un accord bilatéral Etats-Unis / Japon a été signé en mai 2013 ainsi qu’un accord
d’échange de données d’origine spatiale en mai 2014. Ces accords, que ce soit avec
l’Australie, le Japon ou même la Corée du Sud 691, permettent aux Etats-Unis
d’obtenir des données sur une zone, l’hémisphère sud, peu couverte par les capteurs
nord-américains. De plus, cela permet de diffuser sa définition de la sécurité des
activités spatiales dans la zone Asie-Pacifique. Le Japon est d’autant plus prompt à
coopérer que ses craintes se focalisent sur ses voisins proches ; la Chine qui est une
puissance spatiale ayant démontré ses capacités ASAT ; et la Corée du Nord, qui
outre la menace nucléaire, est capable à présent d’envoyer des satellites en orbite 692.
689
« Accord USA/Australie sur la surveillance pour la défense spatiale », AFP, 8 novembre 2010.
690
Peter B. de Selding, “U.S., Japan Pledge Closer Cooperation On Space Surveillance”, Space News, 4 octobre 2013, URL:
http://spacenews.com/37551us-japan-pledge-closer-cooperation-on-space-surveillance/.
691
Les Etats-Unis y ont également initié un dialogue bilatéral sur la sécurité spatiale et envisagent à l’instar de ces autres
alliés de signer un accord d’échange de données (SSA Sharing Agreement). URL :
http://www.state.gov/t/avc/rls/2014/222792.htm
692
Malgré plusieurs échecs, la Corée du Nord a probablement en 2016 deux satellites Kwangmyŏngsŏng en orbite (KMS 3-2
et KMS-4) lancés respectivement en décembre 2012 et janvier 2016. Leur état de fonctionnement reste incertain.
- 281 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
De la même manière, les Etats-Unis (US Strategic Command) ont conclu un accord
d’échange de données de surveillance de l’espace avec le Canada (Department of
National Defence) le 26 décembre 2013. Enfin, dès 2011 693, les Etats-Unis tentent de
s’assurer le soutien d’un « émergent », l’Inde, influent acteur régional de la zone
Asie-Pacifique, et contrepoids relatif à la Chine. Fin septembre 2014, une déclaration
conjointe met en avant la nécessaire coopération américano-indienne dans le cadre de
la sécurité des activités spatiales :
“The United and India also intend to start a new dialogue on maintaining
long-term security and sustainability of the outer space environment,
including space situational awareness and collision avoidance in outer
space”. 694
Cette boulimie d’accords, de partenariats renouvelés est symptomatique de la mise en
œuvre d’une nouvelle orientation de la politique étrangère. Cette politique générale
est déclinée au milieu spatial et aux intérêts que cela peut engendrer dans le cadre de
la sécurité des activités spatiales telle que définie par Washington.
Au sein de son article, Lynn soutient le code de conduite européen. Dans le même
temps, il réaffirme que l’accès à l’espace par les Etats-Unis relève de l’intérêt
national vital de sorte qu’ils répondront aux attaques potentielles, au nom de la
légitime défense, au moment et au lieu de leur choix. Chose surprenante, Lynn
emploie l’expression d’« acteurs voyous » (« rogue actors ») pour qualifier les
acteurs, étatiques ou non étatiques, qui agiraient à l’encontre des normes de
comportement établies par le code de conduite. Cette expression de « rogue actors »
reste pourtant fortement connotée en ce qu’elle fait écho à celle de « rogue states »
employée par la précédente administration. Cette formulation avait été vertement
critiquée par certains alliés des Etats-Unis considérant qu’au final les rogue states
étaient tout simplement les Etats allant à l’encontre des intérêts américains.
Le leadership envisagé sous la présidence de Barack Obama prend en compte la non-
faisabilité voire l’inefficacité d’une forme de domination pratiquée par l’hégémonie.
Cette dernière impliquerait de mener des actions qui contrecarreraient la liberté des
693
En 2011 se tiennent les premières discussions Etats-Unis/Inde sur la sécurité des activités spatiales. URL :
http://www.state.gov/t/avc/rls/2014/222792.htm
694
US – India Joint Statement, The White House, Office of the Press Secretary, 30 septembre 2014,
https://www.whitehouse.gov/the-press-office/2014/09/30/us-india-joint-statement
- 282 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
autres puissances spatiales alliées des Etats-Unis. Or, il est peu probable que le Japon
ou l’Union européenne acceptent de telles conditions. Le leadership permet au
contraire de prendre « la tête d’un groupe sur une base volontaire et [de mettre] sa
puissance au service d’un grand dessein qu’il [le leader] définit et fait accepter par
les autres. » 695 En prenant la tête du groupe s’étant donné pour mission de définir les
normes de sécurité des activités spatiales, les Etats-Unis s’assurent la définition de la
configuration stratégique dans l’espace pour les années à venir. Cela signifie
concrètement que si cette définition parvient à son terme, selon les desideratas des
Etats-Unis, ces derniers auront déterminé le tissu d’interdépendances entre les joueurs
spatiaux 696, ce qui limitera de fait la liberté de chacun des joueurs. Il s’agit bien sûr
en premier lieu des Etats, mais aussi des acteurs non-étatiques évoqués plus haut dans
un environnement conditionné par une interdépendance complexe. Pour réaliser ce
dessein, les Etats-Unis, en tant que leader, doivent savoir regrouper et unir. Cela est
facilité par l’utilisation et l’instrumentalisation du concept mou de global commons.
La maîtrise de ces global commons est essentielle aux intérêts économiques et
stratégiques des Etats-Unis et ne peut se faire avec un retrait des affaires du monde.
Le smart power permet de repenser la coopération, par l’intermédiaire d’alliances ou
de partenariats vus ci-dessus. Les porteurs du discours sur le smart power promeuvent
le « nouveau » leadership américain. La déclinaison de ce pouvoir intelligent aux
milieux fluides 697 (HENNIGER) tels que l’espace s’est donc réalisée par les
entrepreneurs de normes eux-mêmes (CSIS) puis a été reprise et développée par les
stratèges américains. L’utilisation du concept stratégique de global commons ne peut
se réaliser efficacement que si les partenaires des Américains adhérent à cette vision.
En effet, la protection du global common qu’est l’espace implique la constitution
d’un réseau d’infrastructures de surveillance de l’espace de par le monde. Cela doit
permettre aux Américains de ne jamais devoir subir leur dépendance à l’espace, soit
en anticipant les événements spatiaux, soit en parvenant à basculer sur des systèmes
alliés créant ainsi un « espace réactif » et donc résilient.
695
Serge Sur, Relations internationales, op. cit.,p. 141.
696
Conformément à la définition de la configuration développée plus haut inspirée de Norbert Elias.
697
Les espaces fluides sont lisses, isomorphes et inhabitables. Les solides, habitables par l’Homme, susceptibles de
viscosités. Laurent Henninger, « Espaces fluides et espaces solides : nouvelle réalité stratégique ? », Revue de Défense
Nationale, Paris, n°753, Octobre 2012.
- 283 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Pour se faire, le concept de global commons est intégré au sein des réflexions
stratégiques de l’OTAN afin de socialiser les alliés des Etats-Unis à cette pensée.
« Faire des global commons une des composantes d'une grande stratégie
relayée dans une alliance militaire et ayant comme finalité un autre
rapport au territoire peut aussi et surtout répondre à une logique de
«stabilité hégémonique». Cette idée d'extension s'articule ici à une
qualification : les Etats-Unis incarnent un «hegemon libéral» qui cherche
à préserver son statut. » 698
Les pays membres de l’OTAN tirent également profit de cette redéfinition des
milieux (maritime, air, espace, et cyberespace) 699 en global commons. Ils justifient
ainsi la pérennité et l’utilité de leur alliance militaire au 21ème siècle.
698
Frédéric Ramel, « Accès… », op. cit.,p. 30.
699
Major General Mark Barrett, Dick Bedford, Elizabeth Skinner, Eva Vergles, “Assured access to the Global Commons”, 3
avril 2011, Commandement Allié à la Transformation, OTAN, http://www.act.nato.int/globalcommons
- 284 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
de la norme se déroule dans le même temps dans des enceintes des Nations Unies
(COPUOS et CD) ou de l’OTAN (Allied Command Transformation-ACT).
700
Frédéric Ramel, « Accès aux espaces communs et grandes stratégies : vers un nouveau jeu mondial », Etudes de l’IRSEM,
n°30, 2014.
701
Barry R. Posen, “Command of the Commons. The Military Foundation of U.S Hegemony”, in International Security, Vol.
28, n° 1, Summer 2003, pp. 5-46.
702
Frédéric Ramel, « Accès… », op. cit.,p. 13.
- 285 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Les espaces communs sont évoqués de manière récurrente dans les documents
stratégiques tels que la Quadriennal Defense Review 2010, Defense Strategic
Guidance 2012, Concept Air-Sea Battle de 2011, Joint Operational Access Concept
(JOAC) de 2012, Chairman’s Strategic Direction to the Joint Force (CSDJF),
Capstone Concept for Joint Operations 2012 ou encore Joint Forcible Entry
Operations. La stratégie américaine n’est pas modifiée en soi. En effet, à l’instar de
la politique spatiale de George W. Bush, le concept de global common reste lié à la
volonté américaine d’interdire l’accès à l’espace commun par d’autres acteurs si les
Etats-Unis le jugent nécessaire.
« Le concept de global commons est d'abord et avant tout lié au
phénomène de « déni d'accès » (anti-access), lequel «vise par des moyens
militaires et politiques, à perturber ou empêcher une opération de
projection de forces ». Il s'agit de procéder à une interdiction navale ou
aérienne par les Etats-Unis d'utiliser les « espaces communs » 703.
703
Ibid.
704
Michel Foucault, L’ordre du discours, p. 51.
- 286 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
On retrouve ici une des valeurs américaines (la liberté) évoquées précédemment.
Dans son analyse sur la définition stratégique américaine des global commons,
Olivier KEMPF souligne que de nombreux stratégistes américains actuels font
référence à Alfred MAHAN. Il s’agit d’un stratégiste naval américain du début du
20ème siècle. Or, selon lui, ne penser aujourd’hui les autres milieux qu’en référence au
milieu maritime biaise la réflexion. Le renvoi récurrent à ce milieu n’est pas le fait du
hasard. Il est vrai que des analogies stratégiques peuvent être établies à bon escient.
Cela est dû en partie au fait que les deux milieux, spatial et maritime, ont des
implications économiques fortes. A son époque, l’objectif de Mahan est dès lors
d’élaborer une stratégie qui protège le commerce maritime.
« (…) la dimension économique (et mahanienne) (…) inspire beaucoup les
auteurs américains : ces espaces d’intérêt commun doivent être l’objet
d’une attention stratégique afin de permettre le commerce, selon une
logique libre-échangiste typique des Etats-Unis. » 707
Les global commons sont également pensés comme un tout. Cette particularité
renvoie à leur interdépendance actuelle les uns avec les autres. L’approche par les
global commons est holistique car elle « traite les global commons non pas comme
des géographies distinctes mais plutôt comme un système complexe et interactif» 708.
705
Quadrennial Defense Review Report, Department of Defense, Février 2010, p. 8.
706
Frédéric Ramel, « Accès… », op. cit.,p. 19.
707
Olivier Kempf, Introduction à la cyberstratégie, Paris, Economica, 2012, p. 44.
708
Mark E. Redden and Michael P. Hughes, « Defense Planning Paradigms and the Global Commons », Joint Forces
Quarterly, 60, janvier 2011, p. 65.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Par exemple, à proximité d’un théâtre d’opération, une frégate anti-aérienne (mer)
détecte des aéronefs ennemis grâce à ses radars. Elle transmet l’information via des
communications satellitaires (l’espace) à son Etat-major ou directement aux aéronefs
alliés en vol qui pourraient en être victimes (air). Durant ces opérations, elle reste
vulnérable aux attaques (cyberespace) pouvant dégrader sa mission. Les quatre
milieux sont sans cesse fortement imbriqués et dépendants les uns des autres. Cette
évolution de l’utilisation des milieux et de leur imbrication croissante a été facilitée
par l’apport des technologies. Un apport conséquent de ces dernières a été réalisé
durant la période dite de la « Révolution dans les Affaires Militaires » (RMA) dans
les années 1990 et 2000. Les concepts issus des réflexions autour de la RMA et de
son avatar la Transformation soulignent l’emprise de la technologisation sur la
pensée stratégique américaine. Les milieux sont pensés comme étant en réseau. Ces
évolutions technologiques sont mises au service de la pensée experte des Etats-Unis.
De plus, le « tout technologique » semble favoriser les objectifs américains de
domination et de contrôle 709. En substance, la RMA puis la Transformation
impliquent l’utilisation d’un nombre croissant de capteurs techniques. Leur
diversification et leur combinaison est une évolution, elle participe de la guerre
réseau-centrée. La gestion informatisée de la bataille se développe dans les milieux
fluides 710 que sont les domaines aérien, cyber, maritime et spatial.
Le global common qu’est l’espace fait donc partie de ces réflexions car il est traversé
par un nombre important de capteurs, de flux ayant des fonctions différentes (de
l’observation, de l’utilisation GPS, des communications etc.). La Defense Strategic
Guidance de 2012 insiste sur une nécessaire coopération des Etats-Unis avec ses
alliés en vue d'assurer l'accès aux espaces communs. Cette posture est réitérée dans
les documents préparatoires au budget de la défense de 2014. Autrement dit,
l'élaboration d'une Grande stratégie américaine passe par la projection de la notion de
global commons au-delà des frontières américaines. Les alliés historiques (les « five
eyes » 711) sont les premiers à être sensibilisés à cette notion. Mais la volonté des
décideurs et stratèges américains est de convaincre un public plus large. Pour cela,
709
Joseph Henrotin, La technologie militaire en question, le cas américain, Ed. Economica, Paris, 2008, p10.
710
Laurent Henninger, « Espaces fluides et espaces solides : nouvelle réalité stratégique ? », op. cit.
711
Etats-Unis, Canada, Royaume-Unis, Australie, Nouvelle-Zélande.
- 288 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
712
l’Alliance atlantique est un forum de diffusion à forte résonnance. Ce point est
étudié plus tard dans la thèse.
Le gouvernement américain et ses administrations sectorielles ne sont pas les seuls à
promouvoir ces concepts stratégiques. Ils sont aidés pour cela par certains think
tanks. Certains d’entre eux sont des promoteurs du concept renouvelé de global
commons. Ces écrits sont publiés dès 2010. Ce concept est proche, dans son
appellation mais pas forcément dans son contenu, d’un nombre important d’autres
expressions. Il est essentiel dans un premier temps, de faire cette distinction. Cela est
d’autant plus nécessaire que l’ambigüité est parfois volontairement entretenue par les
acteurs étatiques ou non-étatiques.
Le point commun à ces dénominations est le souhait des acteurs qui les promeuvent
de susciter ou d’entretenir une action collective par la coopération internationale.
Mais qualifier un bien ou un milieu n’est pas anodin. Qualifier est un enjeu pour les
acteurs. L’usage de certains termes peut ainsi impliquer des conséquences en droit
international. En relations internationales, la labellisation d’une situation critique est
un enjeu en ce sens qu’elle détermine l’action diplomatique internationale. Si cette
idée est fondamentale dans la définition des situations critiques qui agitent le monde à
l’instar des crises 713, elle prend également tout son sens dans l’opération de
labellisation de l’environnement spatial au 21ème siècle.
Ce sont en premier lieu les penseurs stratégiques de l’administration américaine qui
sont les promoteurs des global commons ; puis les think tanks à portée stratégique.
Ainsi le Center for a New American Security (CNAS 714) et l'Atlantic Council 715 ont
712
Frédéric Ramel, « Accès… », op. cit.,p. 19.
713
Yves Buchet de Neuilly, « La crise ? Quelle crise ? : Dynamiques européennes de gestion des crises » in Marc Le Pape,
Johanna Siméant et Claudine Vidale (dir.), Crises extrêmes. Face aux massacres, aux guerres civiles et aux génocides, Paris,
La Découverte, 2006, pp. 270-286, URL : https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00271743/document.
714
Le CNAS a été créé en 2007 par Kurt Campbell et Michele Flournoy (sous-Secrétaire à la défense de 2009 à 2012). Des
conférences sur le thème des global commons ont régulièrement été organisées : « Contested Commons : The Future of
American Power in a Multipolar World » (26 janvier 2010) ; « India, the United States and the Global Commons » (working
paper, octobre 2010), « 150 Years of Amity and 50 Years of Alliance: Cooperation in the Global Commons” (conférence sur
l’alliance américano-japonaise, juin 2010), http://www.cnas.org/
- 289 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
L’expression est utilisée par d’autres think tanks à l’instar de la Secure World
Foundation. Les membres de ce think tank ont élaboré une réflexion sur les communs
mêlant les réflexions stratégiques sur les global commons à la théorie des biens
publics mondiaux. Cet amalgame est aisément réalisable car l’expression de global
commons souffre de deux écueils : une définition anglo-saxonne originelle imprécise
voire floue et de fait, de multiples traductions françaises, toutes aussi vagues. On
comprend dès lors la popularité de cette expression, tant elle est utile pour démontrer
tout et son contraire. Ainsi, en anglais, il est possible de lire global commons mais
aussi global public goods, common pool resources ou common heritage of mankind. Il
est possible d’établir des distinctions entre ces termes mais les acteurs étatiques ou
non-étatiques ont tendance à mélanger ces vocables dans leurs discours. En langue
715
En 2010, l’Atlantic Council lance, en partenariat avec le Commandement Allié Transformation de l’OTAN, une série de
conférences sur l’importance des milieux maritime, spatial et cyber pour la sécurité internationale et en tant que global
commons, http://www.atlanticcouncil.org/events/past-events/global-commons-workshop-in-partnership-with-allied-
command-transformation. Ou encore en février 2011, un workshop de trois jours sur le thème : « NATO in the Global
Commons : Global Perspectives », http://www.atlanticcouncil.org/events/past-events/nato-in-the-global-commons-global-
perspectives
716
Il a notamment publié: Securing Freedom in The Global Commons, Stanford Security Studies, Stanford University Press,
2010 et Conflict and Cooperation in the Global Commons. A comprehensive Approach for International Security,
Washington D.C, Georgetown University Press, 2012.
717
Abraham M. Denmark, Dr. James Mulvenon, (dir.), Contested Commons: the future of American power in a multipolar
world, CNAS, janvier 2010.
- 290 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
718
Ibid.
719
L’analyse de François Constantin est éclairante à cet égard, in François Constantin (dir.), Les biens publics mondiaux. Un
mythe légitimateur pour l’action collective ?, Paris, Ed. L’Harmattan, 2002, p. 23.
720
Le génome humain, la diversité culturelle etc. Smouts, op. cit.,p. 66.
721
Marie-Claude Smouts,, “Du patrimoine commun de l’humanité aux biens publics globaux”,
http://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers10-07/010037531.pdf, site consulté le 19 novembre 2013.
- 291 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
722
Ibid.
723
Allocution de M. François Mitterrand, Président de la République, devant la 38 ème session de l’Assemblée générale des
Nations Unies, New York, mercredi 28 septembre 1983.
724
Accord régissant les activités des Etats sur la Lune et les autres corps célestes, United Nations, A/RES/34/68 du 5
décembre 1979, § 1, article 11.
- 292 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
725
Ibid., p. 456.
- 293 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
La publication en 1999 d’un livre intitulé « Global Public Goods » 726 au profit du
Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) a popularisé
l’expression de biens communs mondiaux. Cet ouvrage fait pour la première fois le
lien entre les biens publics nationaux et les biens publics mondiaux :
“I believe that the book breaks new ground by extrapolating the concept
of “public goods” from the national level to the global level.” 727
Les débats sur la théorisation des biens publics mondiaux ne sont alors que la
continuation des débats sur la théorie des biens publics en économie fermée. La
notion de bien commun désigne à l’origine des biens essentiellement nationaux.
Utilisés dans les communautés rurales en Occident du 9ème au 18 ème siècle, les
communaux représentaient ces parties du territoire d’un village qui, n’étant pas
l’objet d’actes (formels ou non) de propriété privée (même limitée), étaient de ce fait
déclarés commun à tous les habitants. Cependant, le seigneur, « premier habitant » de
la communauté, possédait juridiquement un droit éminent sur la totalité de son
territoire 728. Les communaux sont ensuite remis en question arguant qu’ils seraient
exploités plus efficacement s’ils appartenaient à un propriétaire identifié comme
l’Etat. Ces biens communs évoluent ainsi vers des biens publics devant faire l’objet
d’une prise en compte par les pouvoirs publics via une politique publique qui leur est
destinée.
« (…) la forme publique paraissant seule capable de transcender les
particularismes sectoriels associés aux intérêts privés, portés par des
acteurs privés, pour réaliser l’intérêt général. » 729
Ainsi seule une action collective semble pouvoir préserver le bien public commun des
intérêts privés au profit de l’intérêt général. Il n’y a qu’un pas pour généraliser cette
analyse aux biens communs partagés par le monde entier. En France, la Direction
Générale de la Coopération et du Développement (DGCID) s’est emparée de cette
thématique dans le cadre de la réflexion sur l’Aide Publique au Développement
726
Inge Kaul, Isabelle Grunberg, Marc A. Stern, Global Public Goods. International Cooperation in the 21 st century, New
York/Oxford, UNDP/Oxford University Press, 1999.
727
Ibid., Prologue du Professeur Tommy Koh.
728
Françoise Moyens, “Communaux”, Encyclopaedia Universalis en ligne, URL :
http://www.universalis.fr/encyclopedie/communaux/.
729
François Constantin (dir.), Les biens publics mondiaux…, op.cit. p. 23.
- 294 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
(APD). Un rapport du Ministère des Affaires étrangères réalisé par trois universitaires
730
permet de préciser la définition de ces Biens Publics Mondiaux (BPM) :
« Les biens publics internationaux qualifient des biens, des services, des
ressources dont l’existence est bénéfique à un pays, à une région, voire à
la planète entière. Il s’agit des biens « environnementaux » (changement
climatique, couche d’ozone), des biens « humains » (connaissance
scientifique et technique, héritage culturel mondial, infrastructures
transnationales – Internet – normes, etc.), des questions de politiques
mondiales (paix, santé, stabilité financière…). Ils placent la coopération
internationale au premier plan des politiques de développement
économique au sein des grandes institutions internationales dans un
contexte de globalisation. » 731
730
Audrey Aknin, Jean-Jacques Gabas, Vincent Geronimi, « Les biens publics internationaux », in Développement : 12
thèmes en débat », DGCID, Paris, Ministère des Affaires étrangères, rapport 3, 27-32, 2000.
731
Ibid., p. 27.
732
Garrett Hardin, “The Tragedy of the Commons”, Science, Vol. 162, n° 3859, décembre 1968, pp. 1243-1248.
733
François Constantin (dir.), Les biens publics mondiaux…, op.cit. p. 35.
734
Bertrand Badie, Le diplomate et l’intrus, op. cit.
- 295 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
735
L’expression de Garett Hardin est même expressément employée à la page 36.
736
Olivier Kempf, Introduction à la cyberstratégie…op. cit., p. 42.
737
Paul A. Samuelson, “The Pure Theory of Public Expenditure”, Review of Economics and Statistics, vol. 36, 1954.
738
Les huit Objectifs du Millénaire pour le développement ont été adoptés par la communauté internationale le 8 septembre
2000 lors de la 55 ème session de l’AGNU. Les 191 Etats membres de l’OBU se sont engagés à les réaliser d’ici 2015.
- 296 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
739
Mondiaux dont les conclusions sont rendues en 2006. Là encore, l’utilisation de
l’espace n’est pas citée même si les biens publics mondiaux retenus, au nombre de
six, impliquent l’utilisation de l’espace 740. L’utilisation de l’espace peut être vue
comme étant au service de ces BPM. Malgré tout, les défaillances conceptuelles ne
permettent pas la claire distinction et la compréhension de ce qui est et de ce qui n’est
pas un bien commun ou public.
« Renonçant à identifier clairement ce dont on parle car au gré de
l’imagination des auteurs, la liste s’allonge chaque jour (ce qui témoigne
peut-être de l’attractivité du concept), une partie du débat entre experts a
dérivé vers l’établissement de typologies plus ou moins abstraites
identifiants différents modèles de biens publics en fonction notamment de
leur disponibilité et de leur « mondialité », c’est-à-dire (…) de leur
accessibilité. » 741
Pour essayer de gagner en sérénité sur ces notions, on peut revenir à la définition des
Global Public Goods telle que Samuelson la formule. La différence entre les BPM et
les global commons se situe alors au niveau des deux critères « canoniques » associés
aux BPM : la non exclusion et la non rivalité. Si la santé, l’air pur ou la paix ne
peuvent exclure des utilisateurs ni même entraîner une quelconque rivalité, il en est
autrement des milieux tels que l’air, la mer, le cyberespace et l’espace extra-
atmosphérique. La notion de rivalité est bien présente dans les documents de stratégie
spatiale américaine :
“Space, a domain that no nation owns but on which all rely, is becoming
increasingly congested, contested, and competitive.”
Malgré ce constat, la phrase qui suit assène sans ambigüité l’objectif de la politique
américaine :
739
La coopération internationale française, « des OMD au BPM », Ministère des Affaires étrangères, juillet 2005, p. 27,
http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/DGCID-Strategie-2005-2.pdf
740
Le milieu spatial est donc davantage considéré comme un moyen au service de ces BPM: lutte contre les maladies
infectieuses, lutte contre le réchauffement climatique, stabilité financière internationale, système commercial international,
paix et sécurité et connaissance et recherche dans ces domaines. Lire « Rapport sur les Biens Publics Mondiaux : du débat
académique à l’action politique », in Les Notes du Jeudi, DGCID, Direction des Politiques de Développement, n°61, 21
septembre 2006, p. 3, http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/IMG/pdf/Note_61_1_.pdf
741
François Constantin, op. cit.,p. 27.
- 297 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
1.2.1.3. Un concept repris puis porté par les thinks tanks : l’exemple de
l’apprentissage social opéré par la SWF et la confusion entretenue
entre global commons et BPM
A l’image du CNAS et de l’Atlantic Council, les think tanks qui développent des
réflexions stratégiques sont pour certains des promoteurs du concept de global
commons. Cet autre « buzz word », qui nomme sans définir, pullule dès 2010 dans les
discours (lors de conférences de haut niveau) et dans les écrits (working papers,
guidelines etc.). La notion fait corps avec l’autre concept promu à savoir la sécurité
des activités spatiales. Le lien entre les deux thèmes est fait par les décideurs
américains et repris par les think tanks. L’argumentaire est celui-ci : s’il est admis
comme évident que l’espace est un global common (soutenu par une réflexion
stratégique américaine prolixe), et donc que son utilisation par tous sans régulation ne
peut mener qu’à sa perte, (dommageable pour l’ensemble de l’Humanité et conforme
742
Ces deux citations sont issues de la National Security Space Strategy, Unclassified Summary, Department of Defense,
- 298 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
au scénario de la tragédie des communs), alors assurer sa régulation par des normes
(de sécurité des activités spatiales) devient nécessaire et impérieux. Le résultat en
sera la durabilité de l’espace extra-atmosphérique.
Enfin, pourquoi parler de confusion sciemment entretenue entre les BPM et les global
commons ?
Afin de qualifier le milieu spatial, le think tank Secure World Foundation propose
une définition :
“As opposed to many commons issues on Earth 743, which
must deal with extraction of a finite resource (for example,
monitoring fish populations so they are not overly
depleted), space sustainability revolves around efficient use
of limited orbital zones and radio frequencies, and
preventing actions that could have long-term
negative impacts.” 744
Et de titrer leurs réflexions: « Space sustainability for the global commons of outer
space ». Cela pourrait être traduit comme : la durabilité de l’espace au service des
biens communs de l’espace. Et de compléter par:
“Outer space as whole is a public good, but heavily used regions of Earth
Orbit (LEO, GEO) are Common-Pool Resources (CPRs)” 745
Ainsi, pour la SWF, l’espace en tant que milieu est un bien public et ses utilisations
(positions orbitales exploitées et fréquences radio) sont des biens communs mondiaux.
Cela rejoint d’une part la définition de la DGCID, pour qui l’espace est au service des
BPM mais qui d’autre part insère l’expression de global commons, qui bien qu’issue
de la pensée stratégique américaine ne désigne ici pas le milieu fluide lui-même mais
ses utilisations. Les utilisations citées font davantage référence à la définition
mercantile classique des commons goods. Au travers de ces deux citations, la SWF
- 299 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
utilise dans le même temps l’expression des stratégistes américains (global commons)
pour qualifier les utilisations de l’espace, puis une expression découlant de la théorie
des biens publics mondiaux (Common-Pool Resources) afin de définir deux orbites
spécifiques fortement utilisées par les Etats. Comment ne pas perdre le lecteur
profane en mélangeant les expressions de public good, global commons et Common-
Pool Resources pour qualifier des éléments du même milieu ? En amalgamant les
notions qui ne désignent pas les mêmes réalités, la confusion est inéluctable. Est-elle
voulue ? Sans pouvoir affirmer avec certitude que oui, force est de constater que cela
produit ses effets. A la question posée à un diplomate sur la qualification de l’espace
en tant que global common, voici sa réponse :
Cette déclaration est la résultante des travaux menés au sein du comité technique de
l’International Astronautical Federation sur la sécurité spatiale. Ce comité et la SWF
ont organisé un forum sur la durabilité des activités spatiales (Long-Term
Sustainability of Space Activities). Les membres de ce comité déjà évoqués dans cette
745
SWF, “Space Policy and Priorities”, CODER Workshop, College Park, 18-20 novembre 2014.
746
Entretien au Ministère des Affaires étrangères, le 9 février 2011.
747
Ray A. Williamson (SWF), Kazuto Suzuki (JPN), Nicolas Peter (ESPI), Brian Weeden (SWF), Ben Baseley-Walke (SWF),
Agnieszka Lukaszcyzk, Report on the status of progress toward the Long-term sustainability of space activities,
748
Site de la SWF, URL: http://swfound.org/media/5638/reportspacesust-rw-bbw-al-iac.pdf
- 300 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
thèse sont Gérard Brachet (marginal sécant), Agnieszka Lukaszczyk (SWF), Xavier
Pasco (FRS), Peter Martinez (qui prendra la tête du premier groupe de travail
LTSSA) et John M. Logsdon (universitaire). Les autres membres ont travaillé pour
l’UNIDIR ou encore pour l’Agence Spatiale Européenne. Les termes employés par
les membres de la CE pour qualifier leurs forums de discussions et d’échanges sont
peu ou prou les mêmes que ceux employés par les Nations Unis. En effet, le working
group « Long-Term Sustainability of Space Activities, LTSSA » est une initiative du
sous-comité Technique et Scientifique (STSC). Ce groupe est créé en 2010.
L’initiative non-gouvernementale est donc antérieure à celle des Nations Unis. A y
regarder de plus près, certains membres de l’IAC et notamment ceux présents au sein
du comité sur la sécurité spatiale ont tenu des postes sur les mêmes thématiques au
sein des Nations Unies. Les idées de la CE se sont donc diffusées entre 2009 et 2010,
par une démarche de bottom-up ; de l’organisation internationale non
gouvernementale à but non lucratif IAC vers les entités des Nations Unis. Pour
conclure, de manière assez surprenante, la contribution présentée lors de l’IAC en
2009 est téléchargeable sur deux sites internet différents, mais les deux documents
présentent des différences. En effet, l’expression de space security a disparu dans le
document mis en ligne sur le site de la SWF 749.
Dans ses documents, la SWF qualifie donc l’espace de bien public, ses utilisations de
global commons et ses orbites de common-pool resources (CPRs). Le concept de
CPRs est directement issu de la théorie des biens communs et des travaux d’Elinor
OSTROM, prix Nobel d’économie en 2009. Sa théorie des biens communs consiste à
réfuter l’idée d’une tragédie des communs inéluctable. Cela pourrait se réaliser par la
gestion par les acteurs locaux de la ressource en question et par l’intermédiaire de
normes sociales et d’arrangements institutionnels. Elle liste les huit principes qui
selon elle, rendent la gouvernance des CPR possible. Il ne s’agit pas ici d’étudier de
manière exhaustive cette théorie mais de voir comment cette dernière est utilisée par
la SWF. La SWF par l’intermédiaire de Tiffany Chow présente en février 2012 les
huit principes d’Ostrom comme cadre possible au profit d’une gouvernance durable
749
Pour une comparaison des deux contributions voir http://swfound.org/media/5638/reportspacesust-rw-bbw-al-iac.pdf (site
de la SWF) et https://iafastro.directory/iac/archive/browse/IAC-09/E3/4/4979/ (site de l’IAC). Sites consultés le 21 mars
2015.
- 301 -
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750
de l’espace . Il est à noter que jamais Ostrom ne fait référence à l’espace dans ses
réflexions. Ainsi pour la SWF, les global commons de l’espace sont assimilés, à
quelques nuances près, aux BPM sur terre. Comment alors comprendre que la SWF
utilise la même notion que les stratégistes américains mais au pluriel, quand les
stratèges l’utilisent au singulier pour qualifier le milieu spatial dans sa globalité ?
Une hypothèse de cette utilisation est que l’évocation des biens publics mondiaux :
« vise à ranimer la discussion internationale sur les biens qui intéressent
l'ensemble des pays et profitent à tous. Elle fournit des arguments pour
relancer la coopération internationale et l'effort d'aide publique en
direction des pays pauvres en soutenant que les crises internationales
tiennent au fait que les biens publics mondiaux sont produits en quantité
insuffisante. » 751
Finalement ces deux acteurs corporatifs agissent de concert, dans un même but. Car,
rapporté au milieu spatial, la définition de l’espace ou de ses utilisations comme
global common(s) permet de justifier et de légitimer l’intérêt qui leur est porté, et
d’ériger en préoccupation universelle le développement durable de l’espace. Pour les
stratèges américains, cela justifie leur conception de la sécurité spatiale qui est, selon
eux, un préalable indispensable afin de permettre sa durabilité. Leur définition de la
sécurité spatiale est intimement liée à leurs intérêts nationaux :
“Each of us here at this conference has a different interpretation of what
“space security” means based principally upon our respective country’s
national interests. (…) we associate “security” as it relates to space with
the pursuit of those activities that ensure the sustainability, stability, and
free access to, and use of, outer space in support of a nation’s vital
interests.” 752
750
Tiffany Chow, “An introduction to Ostrom’s Eight Principles for Sustainable Governance of Common-Pool Resources as a
Possible Framework for Sustainable Governance of Space”, International Space University, 16ème symposium spatial
international annuel, 21-23 février 2012, Strasbourg.
751
Marie-Claude Smouts, “Du patrimoine commun de l’humanité… », op.cit.
752
Intervention de Franck A. Rose, « Defining Space Security for the 21 st century”, Space Security Through Transatlantic
Partnership Conference, ESPI and Prague Security Studies Institute, Prague, République Tchèque, 13 juin 2011.
- 302 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
753
A cet égard, l’article de Marie-Claude Smouts fait le rapprochement entre l’apparition de la notion de bien public mondial
et la possibilité pour l’espace exo-atmosphérique d’être qualifié ainsi. Cela permettrait l’action collective sur ce milieu
malgré sa non-définition en tant que patrimoine commun de l’humanité, op. cit.
754
François Constantin (dir.), Les biens publics mondiaux. Un mythe légitimateur pour l’action collective ?, Paris, Ed.
L’Harmattan, 2002.
- 303 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
755
crises » . En théorie, ces satellites utilisent donc l’espace au profit du
développement durable sur terre. En fait de mission écologique, il s’agit plus
vraisemblablement de missions de reconnaissance (observation) au service d’objectifs
militaires. Sous couvert du développement durable de la terre grâce à l’espace, la
Chine accroît considérablement le nombre de satellites en orbite et donc de futurs
débris. Le paradoxe est éclairant : davantage de sécurité nationale au détriment de la
sécurité et de la durabilité des activités spatiales.
Marie-Claude SMOUTS estime que la notion de BPM n’a « ni valeur analytique, ni
utilité opérationnelle » 756 et conclut à l’ « inanité des biens publics mondiaux ». Qui
plus est l’utilisation de la notion de BPM pour le milieu spatial peut être comprise
ainsi :
« En dernière analyse, sont dits « biens publics mondiaux » les domaines
d’intérêt de ceux qui ont accès au discours international, les grandes
organisations multilatérales, quelques personnalités, des ONG, des hauts
fonctionnaires. Le fondement des BPM n’est pas une théorie économique
mais un dessein politique, voire bureaucratique. Il s’agit de gérer
l’interdépendance par l’action collective avec le moins de conflit possible
dans les secteurs dont on a la charge. Dans cette optique, on peut
s’accommoder sans difficulté d’une définition assez floue des BPM :
« biens, services et ressources dont l’existence est bénéfique à tous pour le
présent et pour les générations futures. » 757
755
Ces informations sont relayées par l’agence de presse nationale XINHUA.
756
Conclusion faite à l’issue du colloque sur les BPM organisé par la Section des Etudes Internationales de l’Association
française de Science politique, in François Constantin, op. cit., p.370.
757
Marie Claude Smouts, « Du patrimoine commun de l’humanité… », op.cit.
758
Marie-Claude Smouts, « Une notion molle pour des causes incertaines », in François Constantin, op. cit., p. 375.
- 304 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Cette même remarque peut être faite pour le concept de global commons. Cette
expression tout aussi « molle » et malléable dans son contenu sert-elle tout de même
à accroître la coopération interétatique ? La satisfaction des besoins de l’humanité
n’est peut-être pas un résultat qui va de soi. Il s’agit davantage dans ce cas de la
satisfaction des intérêts nationaux, et en premier lieu ceux des Etats-Unis. Les Etats
spatiaux opèrent donc un calcul coût-bénéfices en fonction de leurs intérêts nationaux
et décident ou non de coopérer. Le discours sur le développement durable de l’espace
est monopolisé par les puissances spatiales et les entreprises privées. Il est
majoritairement sujet de débats au sein des espaces confinés. La démarche de
socialisation et d’apprentissage amorcée par les think tanks et soutenue par les
nations spatiales. Elle reçoit un accueil plutôt favorable par l’opinion publique déjà
sensibilisée au développement durable de la terre éventuellement grâce aux satellites.
De plus, ce référentiel global est porteur de valeurs positives difficilement
contestables. Le scénario de la tragédie des biens communs, complétant celui du
syndrome de Kessler, est utilisé par les membres des think tanks pour décrire le destin
funeste qui attend l’espace circumterrestre si aucune action n’est entreprise afin de
gérer la population croissante des satellites en orbite. HARDIN 759 part lui du constat
que la population humaine ne cessera de croître dans un monde qui n’est pas infini. Il
met en avant les problèmes que cela posera dans quelques années en termes de
ressources. Il s’attache à noter que « le problème de la population ne connaît pas de
solution technique mais demande une extension fondamentale de la moralité ». Il note
deux caractéristiques de la ressource en accès libre menacée par une surexploitation :
il n’existe aucun droit de propriété sur ce bien ; c’est un bien qui peut faire l’objet de
rivalité car ce que je possède, un autre individu ne peut le posséder. La ressource est
en libre accès mais limitée. Par analogie avec le domaine spatial, il est indéniable que
la population des objets spatiaux est en croissance exponentielle et qu’aucun Etat ne
peut se revendiquer propriétaire d’une partie ou de l’ensemble de l’espace. L’espace
n’appartient à personne. De plus, un emplacement occupé par un satellite ne peut
l’être par un autre. La tragédie des communs menacerait d’autant plus l’espace que ce
dernier a vu le nombre de satellites décupler et cela sans coordination préalable entre
les Etats. La rivalité entre les Etats peut s’exprimer via l’attribution des allocations de
759
Garrett Hardin, “The Tragedy of the Commons”, op. cit.
- 305 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
fréquence sur l’orbite géostationnaire mais aussi sur d’autres orbites où la proximité
des satellites entre eux peut provoquer des interférences. L’assignation et la
régulation des positions en orbite géostationnaire ainsi que l’attribution des bandes de
fréquence utilisées par les satellites est de la responsabilité de la division des services
spatiaux de la commission ITU (International Telecommunication Union) des Nations
Unies. Les décisions de l’ITU n’ont pas un caractère contraignant. Cependant, les
opérateurs de satellites et leur Etat ont intérêt à les prendre en compte s’ils ne veulent
pas risquer de perdre leur satellite ou qu’il soit inutilisable. Longtemps, l’ITU a
attribué les bandes de fréquence aux « premiers arrivés, premiers servis ».
Aujourd’hui des positions orbitales sont réservées aux futurs utilisateurs de l’espace
(pays en développement). La rivalité entre Etats se matérialise de différentes
manières. En effet de nombreux Etats et sociétés privées ont bloqué des positions et
des fréquences en déposant des demandes pour des projets futurs qui ne verront
jamais le jour. De plus, malgré les prérogatives de l’ITU, la Chine a en 1991 a placé
un satellite sur une position en orbite géostationnaire qui ne lui été pas attribuée, et
sans tenir compte des éventuels problèmes d’interférence. Enfin des interférences
volontaires sous forme de brouillages préjudiciables sont réalisées par des Etats.
C’est le cas d’Eutelsat qui a eu à subir des dizaines de brouillages ayant pour origine
l’Iran. Par ces actions, l’Iran empêche la retransmission d’émissions de télévision qui
ne sont pas favorable à sa politique 760.
Pour échapper à la tragédie des communs, Hardin considère que seule la privatisation
du bien ou l’usage de la coercition mutuelle sous l’autorité d’un gouvernement
central (nationalisation) peut permettre son l’usage à long terme :
“what I recommend is mutual coercion, mutually agreed upon by the
majority of the people affected.” 761
La privatisation du bien commun qu’est l’espace est impossible. Le principe de non-
appropriation s’applique à l’espace (en vertu de l’article II du Traité de l’espace). La
coercition mutuelle est peu ou prou ce qui a prévalu lors de la Guerre froide. En effet,
dans le souci de maintenir un équilibre stratégique, Etats-Unis et URSS se sont
contraints mutuellement :
760
Sur ces questions, lire Guilhemn Penent (dir.), “Governing the Geostationary Orbit. Orbital Slots and Spectrum Use in an
Era of Interference”, Note de l’IFRI, janvier 2014.
761
Garrett Hardin, “The Tragedy…”, op. cit., p. 1247.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
« During the Cold War, the United States and the Soviet Union (…) had
the potential to render space unusable. The launch of even a dozen
nuclear weapons or the dispersal of large amounts of speeding debris into
critical low-Earth orbits could have ruin near-Earth space (…) for an
indefinite period of time.” 762
Cette contrainte mutuelle ne s’est cependant pas réalisée sous l’autorité d’un
gouvernement central. En revanche, après la chute de l’URSS, le placement du milieu
spatial sous l’autorité d’un souverain bien a pu être pensé et envisagé par les Etats-
Unis. Cette période d’hégémonie spatiale est aujourd’hui remise en cause par les
évolutions de l’environnement spatial. MOLTZ évoque la retenue ou la contrainte
stratégique (“strategic restraint”) qui empêchent les joueurs spatiaux de développer
des capacités militaires dans l’espace qui pourraient provoquer à terme sa destruction.
« (…) because of their shared national interest in maintaining safe access
to critical regions of space. » 763
Les deux solutions proposées par Hardin ne semblent donc pas applicables à l’orbite
basse de l’espace extra-atmosphérique. Son modèle a d’ailleurs été dans son ensemble
contesté dans les années 1970 car jugé simpliste. Selon ses détracteurs, il confond les
biens en propriété commune et les ressources en libre accès. Le bien en propriété
commune permet d’exclure des membres qui ne respecteraient pas les limitations. La
ressource en libre accès n’appartient à personne et chacun cherche donc à maximiser
son profit en négligeant celui d’autrui, voire en voulant le réduire à la portion
congrue.
“Ruin is the destination toward which all men rush, each pursuing his own
best interest in a society that believes in the freedom of the commons.
Freedom in a commons brings ruin to all.” 764
Elinor Ostrom 765 souligne qu’Hardin néglige le fait que certains groupes sociaux se
sont organisés pour créer des institutions autonomes afin de préserver le bien
commun, en dehors de sa privatisation ou de sa nationalisation.
762
James Clay Moltz, The Politics of Space Security...,op. cit., p. 5.
763
Ibid.
764
Garett Hardin, “The Tragedy…”, op. cit., p. 1244.
765
Elinor Ostrom, Governing the Commons:The Evolution of Institutions for Collective Action. Cambridge University Press, UK, 1990.
- 307 -
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766
Présidence des Etats-Unis, National Space Policy…, p. 7.
767
Jer Chyi Liou, Nicolas L. Johnson, n-M Hill, “Controlling the growth of future LEO debris populations with active debris
removal”, Acta Astronautica, Vol. 66, Issues 5-6, April 2010, pp 648-653.
768
Glenn E. Peterson, « Target Identification and Delta-V Sizing For Active Debris Removal and Improved Tracking
Campaigns”, http://issfd.org/ISSFD_2012/ISSFD23_CRSD2_5.pdf
- 308 -
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769
Steven A. Hildreth, Allison Arnold, “Threats to U.S National Security Interests in Space: Orbital Debris Mitigation and
Removal”, Congressional Research Service, 8 janvier 2014, http://www.fas.org/sgp/crs/natsec/R43353.pdf
770
Thomas Schelling cité par Dario Battistella, Théories des relations internationales…, op. cit.,p. 442.
771
Ibid.
- 309 -
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772
Robert O. Keohane,, After Hegemony : Cooperation and Discord in the World Political Economy, Princeton, Princeton
University Press, 1984.
773
Christian Malis, « L’espace extra-atmosphérique, enjeu stratégique et conflictualité de demain », ISC-CFHM-IHCC, 2002,
p. 8, [en ligne], http://www.stratisc.org/act/Malis_Astropol.html (consulté le 30 juin 2011).
774
Ibid.,p. 25.
775
« Celestial lines of communication (CLOC) », in John Klein, Space warfare: strategy, principles and policy, New York,
Routledge, 2006, p. 51.
776
Même si ce thème n’est pas l’objet de la thèse, on lira avec intérêt cet ouvrage, éclairant la difficulté de coopérer
militairement entre les Etats spatiaux, Xavier Pasco, François Heisbourg, Espace militaire. L’Europe entre souveraineté et
coopération, Paris, Ed. Choiseul, 2011.
777
Grand Réseau Adapté à la Veille Spatiale.
778
Tracking & Imaging Radar.
- 310 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
779
semblent se fissurer petit à petit . En effet, l’Allemagne est un acteur spatial
ambitieux. Il a créé récemment son propre centre de surveillance de l’espace. Au-delà
du radar TIRA, les Allemands envisagent de développer un système similaire à celui
de GRAVES. On peut dire qu’entre les deux alliés franco-allemands, la compétition
spatiale est de mise. Les coopérations bilatérales avec les Etats-Unis semblent plus
fructueuses. L’espace peut apparaître comme un domaine où la coopération est
essentielle (les satellites évoluent tous dans le même environnement), mais les
applications militaires confèrent aux Etats une supériorité qu’ils ne sont pas prêts à
partager avec tous, voyant ces coopérations comme autant de contraintes à leur
souveraineté.
Le référentiel se caractérise par des valeurs (définition de ce qui est bien/mal : ici
l’espace est un patrimoine que l’on doit protéger pour qu’il soit durable), des normes
(principe d’action : il ne faut plus polluer l’espace), des algorithmes (relation de
causes à effets : si on ne fait rien contre la prolifération des débris, l’espace deviendra
inutilisable) et des images (telles celles représentant la prolifération des débris en
orbite sur des décennies prises comme illustrations du syndrome de Kessler). Ce
référentiel peut être soumis à changement. Le référentiel sectoriel fait lui-même
appelle au référentiel global défini comme :
779
Un accord tacite répartit les compétences ainsi : à la France les technologies des radars de veille et les satellites
d’observation optique, à l’Allemagne les technologies de l’imagerie radar (radar au sol et satellites).
780
Pierre Muller, Les politiques publiques, Paris, Presses Universitaires de France, Que sais-je ?, 2011, p. 61.
- 311 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
En bref le référentiel global est structure de sens et renvoie à une vision du monde
particulière pour un groupe de personnes donné (Etat). Inspiré par le référentiel
global, le référentiel sectoriel permet de se faire une représentation d’un secteur en
particulier. De ce fait, les solutions aux problèmes posés au sein de ce secteur seront
inspirés par le référentiel qui cadre et oriente l’ensemble des réflexions. C’est en
référence à cette image cognitive que les acteurs organisent leur perception du
problème, débattent des solutions et définissent leurs propositions d’action. Cette
vision du monde sera le référentiel de la politique publique ainsi créée.
Au sein de cette thèse, le référentiel sectoriel renvoie à la représentation d’un secteur
spatial qui doit être durable (la place de ce secteur est alors définie comme centrale
pour ces sociétés). Il le sera grâce à une régulation des activités spatiales pensée en
termes de sécurisation du milieu (solution). Des propositions d’actions nationales se
matérialisent par l’inscription à l’agenda politique de ces Etats du problème des
débris spatiaux débouchant sur les politiques publiques afférentes 782. Des
propositions d’actions multilatérales voient le jour également, dont les dernières en
date sont les projets de code de conduite et le PPWT. Le référentiel sectoriel peut
souffrir d’une réception différentielle parmi les acteurs qui le partagent. En effet, le
référentiel véhiculé grâce à l’apprentissage et à la socialisation peut laisser une marge
de manœuvre dans son interprétation malgré l’emploi d’un langage commun. Le
référentiel d’une politique a le plus souvent une composante identitaire forte 783.
Ainsi, le référentiel du secteur spatial exprime les intérêts et la vision du monde du
groupe dominant conduit par les Etats-Unis.
Dans cette thèse, le développement durable est considéré comme un référentiel global
qui renvoie à une vision du monde particulière. De ce référentiel global découle le
781
Ibid., p. 59.
782
Un exemple avec l’adoption de la Loi sur les Opérations Spatiales (LOS) en 2008 en France.
- 312 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
« (…) le discours sur les BPM apparaît comme un instrument nouveau par
lequel les plus puissants (…) s’appliquent à imposer au reste du monde de
nouveaux référentiels d’action collective, de nouvelles formes de
comportement au nom de ce qui, vu du Nord, apparaît comme des intérêts
supérieurs de « l’Humanité » ou des « Générations futures ». Ces
préoccupations peuvent en soi apparaître louables pour tous, mais elles
n’en sont pas moins spécieuses pour ceux qui, actuellement, n’ont rien ou
partagent le pire et qui devraient encore plus se restreindre ou même
subir de nouvelles formes de dépossession (…) au nom de ces
abstractions. » 784
783
Pierre Muller, in Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot, Pauline Ravinet, Dictionnaire des politiques publiques, Presses de
Sciences Po., Paris, 2010, p. 561.
784
François Constantin (dir.), op. cit., p. 33.
- 313 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Le discours est donc l’outil qui permet de susciter l’action collective. Sans s’adonner
à une étude systématique des discours diplomatiques sur la sécurité dans l’espace, les
mots clés pouvant susciter l’action collective sont utilisés :
“(…) space is vital for development and security of all nations, and that
we must work together to preserve the benefits for future generations.” 785
785
Discours de Franck A. Rose, « Rebalancing Towards Asia With Space Cooperation”, National Space Symposium,
Colorado Springs, 11 avril 2013, US Department of State.
786
« Naissance des biens publics globaux ? », Le Courrier de la planète, n°55, 2000.
787
François Constantin (dir.), op. cit., p.32.
788
Ibid., p. 43.
789
Gérard Wormser, « La négociation, norme fonctionnelle d’un bien public mondial », in François Constantin (dir.), op. cit.,
p. 64.
790
Jean Coussy, “Biens Publics Mondiaux: Théorie scientifique, réalité émergente et instrument rhétorique », in François
Constantin (dir.), op. cit.,p. 76.
- 314 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
tanks. A présent, les décideurs politiques devenus les leaders normatifs de l’ICoC
sont à leur tour devenu des entrepreneurs de normes.
« Les textes sur les BPM sont, de ce fait, fréquemment structurés pour
convaincre des interlocuteurs. Il s’agit d’argumentations, donc
d’exercices rhétoriques qui sont visibles tant dans les exposés de la
théorie des BPM que dans les tentatives d’utiliser celle-ci à des fins
concrètes. » 791
De ce fait l’utilisation par certains de la définition canonique des BPM n’est qu’un
instrument de persuasion 792.
Le langage codé dont il est fait mention n’est pas celui des scientifiques de la NASA.
A l’inverse, les scientifiques décodent leur langage afin qu’il soit utilisable par les
entrepreneurs de norme. L’utilisation de la théorisation 794 rend possible la circulation
du modèle auprès des entrepreneurs de transferts / normes, ce qui démultiplie d’autant
le nombre d’adoptants du modèle.
791
Ibid., p. 77.
792
Ibid.
793
Ibid., p. 89.
794
Qui peut être définie comme « l’élaboration d’un discours visant à présenter de manière simplifiée et abstraite les
caractéristiques d’un modèle, ainsi qu’à spécifier les relations de causalité entre la mise en œuvre de tel ou tel aspect de ce
modèle et les effets qui sont supposés en découler », in David Strang, John W. Meyer, « Institutional Conditions for
Diffusion », Theory and Society, vol. 22, n°4, 1993, pp. 487-511.
- 315 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Le transfert est visible par des créations concrètes, qui peuvent être constatées
objectivement d’un partenaire chez un autre : programmes d’action, politiques ou
institutions empruntés de systèmes étrangers. Il s’agit d’une convergence horizontale.
795
Thierry Delpeuch, L’analyse des transferts internationaux de politiques publiques : un état de l’art, Centre d’Etudes et de
Recherches Internationales de Sciences Po, Questions de Recherche, n°27, décembre 2008, p. 5.
796
Patrick Hassenteufel, in Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot, Pauline Ravinet, Dictionnaire des politiques publiques, op.
cit., p. 184.
- 316 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
797
Tiffany Chow, http://swfound.org/media/61531/isusymposium2012paper_tchowbweeden.pdf
798
Clark A. Miller, “The dynamics of Framing Environmental Values and Policies: Four models of Societal Processes”, in
Environmental Values, vol. 9, n°2, 2000, p. 228.
799
Ibid., p. 224.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
semblent facilités par l’institution. La smart defence intervient ici afin de mutualiser
les moyens des alliés et faire porter l’effort de surveillance de l’espace par tous.
800
Joint Air Power Competence Center (JAPCC), “Filling the Vacuum. A Framework for a NATO Space Policy”, p. 17, Juin
2012.
801
ACT, Multiple Futures project. Navigating towards 2030, Final Report, avril 2009,
https://transnet.act.nato.int/WISE/NATOACTRes/Training/MultipleFu/file/_WFS/20090503_MFP_finalrep.pdf
802
Frédéric Ramel, « Accès… », op. cit.,p. 20.
- 318 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
803
Une organisation qui malgré la disparition de l’URSS et du Pacte de Varsovie, n’a pas mis fin à son existence. Serge Sur,
Relations internationales, op. cit., p. 150.
804
Frédéric Ramel, “Accès…, op.cit., p. 20.
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Frédéric Ramel rappelle que cette notion est totalement étrangère à une puissance militaire
telle que la Chine. Cet Etat-continent utilise les global commons mais développe une
interprétation différente de ce que doit être son utilisation stratégique.
Le 14 novembre 2012, un rapport 806 commandé par la présidence de François
Hollande rend compte des conséquences du retour de la France dans le commandant
intégré de l’OTAN. Ce rapport rédigé par Hubert Védrine tente d’évaluer l’influence
de la France au sein de l’OTAN depuis sa réintégration, l’avenir de la relation
transatlantique et les perspectives de l’Europe de la défense. Le constat s’effectue sur
un court laps de temps. En 2012, cela ne fait que cinq ans que la France a fait ce
choix et trois ans que le retour est effectif.
En matière de contribution française à la réflexion stratégique otanienne, le bilan
semble mitigé. Le débat otanien a majoritairement tourné autour de la réflexion sur
l’adoption d’un programme de défense antimissile balistique, acté lors du sommet de
Lisbonne en novembre 2010. Bien que timorée à cette idée, la France a suivi son
partenaire américain. Ainsi, Hubert Védrine de mettre en garde ;
805
Ibid.
806
Hubert Védrine, Rapport pour le Président de la République française sur les conséquences du retour de la France dans le
commandement intégré de l’OTAN sur l’avenir de la relation transatlantique et les perspectives de l’Europe de la Défense,
14 novembre 2012.
807
Ibid.,p. 20.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
L’OTAN a pour objectif d’élaborer des standards applicables à l’ensemble des global
commons. Cette standardisation des pratiques se réalise au nom de l’interopérabilité
entre les Etats membres de l’OTAN. L’interopérabilité renvoie à la conception de
systèmes destinés à fonctionner en commun bien plus qu’à des systèmes développés
collectivement 808. C’est donc un type de coopération qui sauvegarde la souveraineté
des Etats. La standardisation des pratiques affecte la manière d’agir sur le théâtre des
opérations, autant dans les phases de planification que de conduite. Par incidence,
c’est la culture de guerre de l’Etat qui se modifie et donc également sa culture
stratégique. Dans un document otanien de 2011, les standards appliqués aux global
commons sont érigés en objectifs à atteindre pour l’Alliance 809.
808
François Heisbourg, Xavier Pasco, L’Espace militaire…, op. cit., p. 57.
809
Major General Mark Barrett, Dick Bedford, Elizabeth Skinner, Eva Vergles, “Assured Access to the Global Commons”,
avril 2011, URL: http://www.act.nato.int/images/stories/events/2010/gc/aagc_finalreport_text.pdf.
810
Ibid, p. 45.
811
Ibid., p. 29.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
The new ESA Space Code of Conduct, which has been accepted by several
NATO members, may serve as a good template for such an agreement.” 812
812
Ibid, p. 35.
813
Frédéric Ramel, « Accès aux espaces communs »…, op.cit., p..45.
814
Ibid., p. 46.
- 322 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Cela rejoint l’idée de la théorie des sphères stratégiques 815. La planète peut être
représentée par des sphères gigognes. Aux premières sphères physiques (terre, air,
mer, espace électromagnétique et espace exo-atmosphérique) s’ajoutent des sphères
immatérielles : espace nucléaire, cyberespace, espace des perceptions. Le Centre
Interarmées de Concepts, de Doctrines et d’Expérimentations (CICDE), organisation
militaire française, fait cette distinction avec les milieux physiques d’un côté et les
« nouveaux champs d’affrontement immatériels » 816 de l’autre. Une sphère autour
d’une autre ne permet plus sa domination. L’intersection des sphères est aujourd’hui
une exigence et une réalité. Les sphères sont sécantes.
Malgré l’effort apparent de vouloir penser les espaces d’intérêt commun dans leur
intégralité (ce qu’aurait pu laisser penser la notion de global commons), cette
dénomination n’a pas réellement porté ses fruits dans l’analyse stratégique. Le
transfert de cette notion floue au sein de l’OTAN permet d’en faire une question de
sécurité collective. L’organisation transatlantique s’apparente alors plutôt à « un
instrument de l’hégémonie individuelle des Etats-Unis avec parfois le concours de
leurs alliés » 818. L’utilisation de la notion de global commons au sein de l’OTAN, et
sa confusion récurrente d’avec les BPM, ne seraient qu’une « arme discursive utile,
sinon nécessaire pour repenser l’action collective internationale » 819 au profit du
leadership américain. Enfin, la reprise de cette notion au sein de l’OTAN est
également une aubaine pour le renouvellement de ses activités. En effet, cette
organisation internationale est en recherche perpétuelle de nouveaux arguments pour
pérenniser et légitimer son existence.
815
Ibid., p.58 – 59.
816
Concept d’emploi des forces, Concept interarmées CIA-01 (A)_CEF (2013), n°130/DEF/CICDE/NP du 12 septembre
2013, Etat-major des armées, CICDE, p. 11.
817
Frédéric Ramel, « Accès aux espaces communs »…, op.cit., p. 63.
818
Serge Sur, Relations internationales, op. cit., p. 475.
819
François Constantin (dir.), op. cit.,p. 36.
- 323 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
La smart defence est définie par le Secrétaire général de l’OTAN en ces mots :
820
Joint Air Power Competence Center (JAPCC), “Filling the Vacuum…”, op. cit., p. 24.
821
« Reflections on the status and future of the transatlantic alliance », discours de Robert Gates au sommet OTAN-UE à
Bruxelles, 10 juin 2011.
822
Erwan Lagadec, Transatlantic Relations in the 21st Century : Europe, America and the Rise of the Rest, London,
Routledge, 2012.
- 324 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
réflexion est d’autant plus fondamentale que l’OTAN ne possède pas en propre de
capacité spatiale. Les opérations extérieures menées en son nom font appel aux
capacités nationales. La préoccupation de l’OTAN est donc de s’assurer de ce soutien
capacitaire :
“Nations within NATO, particularly the United States, United Kingdom,
France and Germany, have developed or are developing SSA capabilities.
The European Union is also endeavoring to develop an SSA capability.
(…)NATO’s first priority for these space capabilities is thus to assure
their continued delivery in support of NATO operations.” 824
Les événements et défis sécuritaires des années 2000 semblent redonner une
légitimité à l’OTAN. Ces facteurs associés à la volonté des acteurs ont également
permis de relancer le partenariat franco-américain. Leurs interdépendances s’en
trouvent renforcées.
“(…) we are experiencing the best of times for NATO; this is especially
true if we concentrate solely upon the important sea-change that has
occurred in respect of relations between the US and France (…).” 825
823
Allocution de l’Amiral Edouard Guillaud, Chef d’état-major des Armées, lors du colloque du Conseil économique de la
Défense, 9 juin 2011.
824
Ibid, p. 17-18.
825
David G. Haglund, “Hard power and doctrinal «transformation » in american foreign policy : a tales of two cycles”, in
Maya Kandel, Maud Quessard-Salvaing (dir.), Les stratégies du smart power américain: redéfinir le leadership dans un
monde incertain, Etudes de l’IRSEM, n°32, 2014, p.52.
- 325 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
- 326 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
ACTIVITES SPATIALES
826
Katharina Holzinger, Christophe Knill, “Causes and Conditions of Cross-national Policy Convergence”, Journal of
European Public Policy, 12 (5), 2005, p. 775-796.
- 327 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
La dynamique fonctionnelle consiste pour les parties à être confrontées à des problèmes
similaires qui peuvent engendrer des interdépendances. Dans ce cas et au regard des
développements précédents de cette thèse, il est clair que la préoccupation des Européens
et des Américains d’assurer la sécurité de leurs activités spatiales est commune. Pour cela,
le tir ASAT chinois de 2007 a joué le rôle de catalyseur et a rapproché les joueurs. La
défiance à l’égard des stratèges du programme spatial chinois issus de l’Armée Populaire
de Libération (APL) est certes plus prononcée du côté des Américains mais n’est pas non
plus absente chez les décideurs européens 828. Les deux parties, américaine et française,
peuvent avoir des intérêts, des enjeux et des objectifs distincts, reste que la convergence
s’opère sur cette préoccupation sécuritaire, cette menace.
La dynamique cognitive a déjà été longuement traitée jusqu’ici. Les logiques d’influence et
de transfert entre la politique et la stratégie spatiales américaines vers celles de la France et
de l’Union européenne matérialisent la convergence horizontale. Conjuguée à la logique de
diffusion (socialisation et apprentissage) portée par la CE, la convergence est également
rhizomatique et omnidirectionnelle (en réseau).
La dynamique politique peut prendre la forme de l’imposition : un Etat impose à un autre
sa vision d’une politique. Cette situation de dépendance et/ou de domination est créée par
l’asymétrie de pouvoir. La supériorité américaine permet en partie ce type de relation.
Mais la dynamique politique peut avoir lieu lorsqu’il y a émergence de nouveaux acteurs.
Cela modifie les configurations de pouvoir existantes et incite à la convergence. La
convergence transatlantique se nourrit de ces deux formes de dynamique politique.
L’asymétrie de pouvoir est réelle. Mais les Etats-Unis n’imposent pas à proprement parlé
une politique à ses alliés européens. En revanche, ces derniers, en requérant le soutien des
Etats-Unis au CoC en sa qualité de critical state subissent, malgré tout, d’autant plus son
influence. De plus, la convergence franco-américaine est indubitablement liée à
l’émergence des nouveaux acteurs au sein du milieu spatial, notamment les acteurs
étatiques. La France peut également être considérée comme un acteur nouveau, du moins
récent, dans le domaine de la surveillance de l’espace. Ses décideurs ont acquis cette
827
Patrick Hassenteufel, in Laurie Boussaguet, Sophie Jacquot, Pauline Ravinet, Dictionnaire…, op. cit., p. 182.
828
Le souhait de la Chine de participer au programme européen de satellites de navigation GALILEO a suscité des craintes
tant du côté des Américains que des Européens. Finalement, sa participation ne s’est pas concrétisée.
- 328 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
capacité depuis 2005. Cela a été l’occasion de nouveaux accords entre les deux, et donc de
matérialiser une dynamique politique.
La question est à présent de savoir si la convergence de ces deux puissances spatiales
(Etats-Unis et France/Union européenne) peut déboucher sur un projet de CoC
international, signé et ratifié par une majorité d’Etats. Cette convergence transatlantique
conjoncturelle renforce une alliance historique, structurelle. Peut-elle se décliner en un
partenariat réel dans le domaine spatial ? Dans un rapport de l’OPECST datant de 1991, les
parlementaires posaient une question édifiante sur la position des Etats-Unis vis-à-vis de la
France et de l’Europe :
« Vis-à-vis des Etats-Unis, comment passer d’une situation d’hégémonie à
un statut de partenaire ? » 829
829
OPECST, Rapport sur les orientations de la politique spatiale française et européenne, 1991, p. 19.
- 329 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Ce sont typiquement les mécanismes mis en place au sein de l’OTAN. Jeremy GHEZ dans
son rapport sur les implications du partenariat américano-européen 831 tente d’expliquer ce
qui rapproche ou éloigne les alliés. Pour cela ils distinguent trois types d’alliances :
tactiques, historiques et naturelles 832. Pour l’auteur, l’alliance naturelle caractérise le
partenariat américano-européen.
Malgré certains désaccords, la France et les Etats-Unis restent des alliés en toute
circonstance, dont l’histoire est témoin. Ainsi, malgré la crise diplomatique de 2003
entre Français et Américains, l’idée même que ces Etats ne pourraient plus être
considérés comme des alliés n’a pas été évoquée. La relation franco-américaine est
caractérisée par une path dependence 833 diplomatique. Dans ce cadre-là, un
changement des liens diplomatiques entre Français et Américains est peu probable sur
le long terme. L’alliance franco-américaine se matérialise au travers de nombreux
partenariats. La conférence de Prague appelle à un partenariat dans le domaine de la
sécurité des activités spatiales. La France et les Etats-Unis coopèrent déjà sur ce
sujet. Ces coopérations correspondent à des progrès capacitaires réalisés par la
830
Stefan Bergsmann, « The Concept of Military Alliance », in Erich Reiter and Heinz Gärtner (dir.), Small States and Alliances,
Heidelberg, Physica-Verlag, 2001, pp. 25-39.
831
Jeremy Ghez, “Alliances in the 21st Century. Implications for the US-European partnership”, Rand Corporation avec le
soutien du Ministère français de la Défense, 2011.
832
Ibid., p. viii. “The primary purpose of a tactical alliance is to counter an immediate threat or adversary that has the
potential to challenge a state’s most vital interests. Tactical alliances are instrumental and often opportunistic in nature as
they allow states to address a pressing and urgent issue.”
“Historical alliances are enduring partnerships that sustain in spite of significant ruptures or changes in the international
system. The structural features of such an alliance, which outlast time- or threat-specific contingencies, empower allies to
sustain cooperation, relying on past successes as focal points to justify additional partnerships. ”
833
Paul Pierson, “Increasing Returns…”, op. cit.
- 330 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
834
David G. Haglund, “Hard power and doctrinal «transformation »…”, op. cit., p.52.
- 331 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Etats, qui, de proche en proche, resserrent également les liens entre Français et Américains.
Cela participe ainsi à la revitalisation de la relation transatlantique. En matière d’espace,
les coopérations franco-britanniques restent rares même si les initiatives existent. Cette
volonté de coopération s’est manifestée plus spécifiquement sur les programmes de
télécommunications spatiales militaires pendant la deuxième moitié des années 1990 mais
cela s’est traduit par un échec 836. Malgré ce bémol concernant la coopération spatiale
franco-britannique, les deux partenaires ont tout de même initié une coopération renforcée
en ce qui concerne la défense et la sécurité. Les sommets successifs et leurs engagements
pris en témoignent. Cela fait dire à Haglund qu’on assiste à un « nouveau
trilatéralisme » 837 au cœur de la sécurité transatlantique. Ce trilatéralisme ne doit pas être
confondu avec la coopération trilatérale promue par les Etats-Unis dans le cadre de la
Space Situational Awareness qui rassemblerait les Etats-Unis, l’Europe et le Japon.
Ce trilatéralisme a été effectif lors des discussions dans le cadre du GGE de 2011-2013. En
effet, en amont des réunions programmées du GGE, les représentants des Etats-Unis, de la
France et de la Grande-Bretagne se sont réunis afin d’harmoniser leurs positions. Cette
coordination de position est un exercice diplomatique dans lequel les positions françaises
du Quai d’Orsay sont relayées par Gérard Brachet sans empêcher un consensus trilatéral.
La coordination des positions entre les trois acteurs a également été réalisée dès les
premières discussions sur le projet européen de code de conduite, les Britanniques se
faisant les relais des positions américaines.
La position de la France dans cette configuration peut être inconfortable. Le Royaume-Uni
a des positions diplomatiques et doctrinales très proches de celles des Américains. Dès la
fin des années 1960, le Royaume-Uni a fait le choix de l’option atlantiste et du
pragmatisme économique en dépendant des capacités américaines. Là où la France voit son
autonomie stratégique dans la constitution de capacités spatiales militaires autonomes ou
en coopération avec les autres Etats européens 838, le Royaume-Uni considère que son
835
Communiqué à l’issue du sommet de Lancaster House, 2 novembre 2010.
836
Lire avec intérêt « Le Royaume-Uni et l’échec Trimilsatcom », François Heisbourg, Xavier Pasco, L’Espace militaire…,
op. cit., pp. 54-62.
837
David G. Haglund, “Hard power…, op.cit., p. 62.
838
Par exemple avec le programme européen Hélios, les satellites nationaux d’écoute (Essaim, ELISA et futur CERES), la
complémentarité des satellites de télécommunications militaires Syracuse et Athena-Fidus (Italien) etc.
- 332 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
autonomie stratégique passe par sa « relation spéciale » avec les Etats-Unis 839. Le pays fait
alors le choix de ne disposer d’aucun satellite militaire institutionnel, et ne fait pas partie
du programme européen Ariane.
839
Christophe Venet, « Dans l’espace aussi, l’Angleterre est une île », 25 octobre 2012, Ultima Ratio : Blog du Centre des
Etudes de Sécurité (CES) de l’IFRI, http://ultimaratio-blog.org/fr/archives/5183
840
Ibid.
841
British Air and Space Power Doctrine, Ap 3000 Fourth Edition, Air Staff, Ministry of Defense,
http://www.raf.mod.uk/rafcms/mediafiles/9E435312_5056_A318_A88F14CF6F4FC6CE.pdf
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
842
« France-Etats-Unis : l’histoire d’un retournement », auteur inconnu, URL : http://www.lemonde.fr, site consulté le 6 avril
2006.
843
Lire avec grand intérêt l’article du Monde sur les relations franco-américaines sous l’ère Sarkozy, construit à partir des
câbles diplomatiques de WikiLeaks, « WikiLeaks : Nicolas Sarkozy, « l’Américain » », URL :
http://www.lemonde.fr/international/article/2010/11/30/wikileaks-nicolas-sarkozy-l-americain_1447153_3210.html
844
Ibid., p. 55.
845
Relevant de la « nature cyclique de la dynamique des alliances », Ibid., p. 59.
- 334 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
846
Notamment sur les dossiers de politique étrangère suivants : Iran, Syrie-Liban et Soudan.
847
Ibid., p. 55.
848
James Clay Moltz, “Coalition Building in Space. Where Networks are Power”, Defense Threat Reduction Agency, Office
of Strategic Research and Dialogues, Octobre 2011.
- 335 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Ces investissements coûtent chers. Les Américains ne peuvent plus en assurer seuls le
fardeau. Les stratèges considèrent donc que la liberté des Etats-Unis dans l’espace
doit s’appuyer sur un réseau d’infrastructures appartenant à leurs alliés mais dont ils
peuvent disposer librement. C’est le sacre de l’interopérabilité au détriment de la
constitution de capacités collectives. C’est une idée portée par certains stratèges
américains dont James Clay Moltz. En 2011, Moltz propose le concept de « réseau
spatial allié » (« Allied space network ») 851 au profit de la sécurité des activités
spatiales. Il développe son concept dans le cadre d’un projet de la Defense Threat
Reduction Agency (DTRA), agence du DoD en charge plus spécifiquement de la
réduction de la menace liée aux armes de destruction massive (ADM). Dans un
premier temps, il conseille de lier les capacités spatiales des Etats alliés des Etats-
Unis (typiquement les fives eyes mais aussi les Etats membres de l’OTAN), puis dans
un second temps de s’adresser aux « pays amis ». Selon lui, cela pourrait constituer
une dissuasion spatiale (space deterrence) face à de potentiels adversaires voulant
entraver la liberté d’accès des Etats-Unis à l’espace. Ces partenariats spatiaux
pourraient concourir au développement d’un réseau de satellites interopérables et
redondants.
849
Il s’agit des ”commandements unifiés”. Chacun possède une aire d’influence particulière: USNORTHCOM (Amérique du
Nord), USSOUTHCOM (Amérique Centrale du Sud), USEUCOM (Europe géographique), USAFRICOM (Afrique),
USCENTCOM (Golfe Persique, Océan Indien, Moyen-Orient), USPACOM (Pacifique et Asie du Sud-est).
850
Barry R. Posen, “Command of the Commons...”,op. cit, p. 10.
851
James Clay Moltz, “Coalition Building in Space…”, op.cit.
- 336 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
“This could provide considerable benefits in terms of U.S and allied space
security and improve chances for developing norms of peaceful
international behavior.” 852
Il souligne que les Etats-Unis ont tort, en 2011, de ne pas prendre en compte ce
potentiel inexploité, à l’inverse de la Chine ou de la Russie qui ont été établis des
accords de coopération avec leurs alliés. Par ailleurs, selon lui, le projet européen de
code de conduite véhicule trop d’incertitude. L’alternative ("middle ground
alternative") serait alors celle de la création de ce réseau spatial allié. In fine,
l’objectif est de renforcer la sécurité spatiale et permettre de développer des normes
de comportement pacifique à l’échelle internationale ("norms of peaceful
international behavior"). Moltz préconise l’échange de données radars entre les Etats
otaniens, l’interconnexion des systèmes de navigation et de positionnement, la
possibilité de partager des clichés issus de satellites de reconnaissance, la capacité de
remplacer rapidement un satellite défaillant mais enfin et surtout la constitution d’une
alliance militaire pour l’espace 853. Cette alliance ou coalition serait constituée des
principales puissances spatiales alliées des Etats-Unis. Elle aurait « the collective
ability to deter, disable, and, if necessary, to destroy hostile space assets (…) in
extreme circumstances. ». Plus loin, il désigne expressément le « rogue state »
comme danger commun aux puissances spatiales. En 2011, le Secrétaire d’Etat
adjoint William J. Lynn emploie également ce terme d’acteur voyou, ennemi désigné
des Américains dans l’espace 854 et la nécessité pour les Etats-Unis de constituer des
alliances dans l’espace. Les deux pensées se rejoignent donc. La constitution d’une
alliance ou d’une coalition ad-hoc dans l’espace afin de combattre un ennemi, fait
foncièrement penser à la manière de procéder des Etats-Unis pour ses opérations au
sol. La constitution de coalitions ad-hoc, chère à George W. Bush, semble être un
mode opératoire préconisé dans l’espace et transcendant les clivages politiques. Moltz
nomme les alliés crédibles à ses yeux pour construire ce réseau spatial allié. Il cite la
France, l’Italie, l’Allemagne, le Luxembourg, le Royaume-Uni, l’Espagne, la
République tchèque, les Pays-Bas, la Turquie et le Canada. Pour les partenariats
852
Ibid., p.5.
853
“military alliance-building for space”, ibid., p. 17.
854
William J. Lynn, “A Military Strategy for the New Space Environment”, op. cit., p. 11.
- 337 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
possibles avec les Etats de la zone Asie-Pacifique, il préconise tout d’abord le Japon,
mais aussi la Corée du Sud, l’Australie, Taïwan, la Thaïlande et l’Inde. Et tous ces
Etats sont effectivement visités par Franck A. Rose les mois et années qui suivent.
Enfin, Moltz promeut la création d’un centre opérationnel et transnational :
“(…) any allied approach to space security would likely have to create a
functioning transnational, operational body to manage share systems,
provide joint training, and handle finances.” 855
L’OTAN serait une fois de plus le forum approprié pour une telle création. D’ailleurs
il en a été question en 2009 lors de l’établissement d’un bureau spatial au sein du
siège de l’OTAN. Néanmoins, ce type de forum met de côté les Etats non otaniens
(zone Asie-Pacifique) avec lesquels les Etats-Unis souhaitent établir un partenariat
spatial fructueux. Un centre dédié serait alors souhaitable. Il intégrerait dans un
premier temps les principales puissances spatiales : Australie, France, Allemagne,
Italie, Luxembourg, Royaume-Uni et Corée du Sud. Ces Etats doivent également
réaliser des exercices communs afin d’homogénéiser leurs pratiques par des standards
et échanger les savoirs. Ce premier regroupement d’alliés ne doit pas paraître offensif
aux yeux des Etats n’y étant pas conviés. Moltz fait explicitement référence à
l’importance de la communication extérieure sur ce sujet, qui ne doit pas enclencher
un dilemme de la sécurité.
“The United States and its allies need to be careful about their rhetoric
and, when possible, inclusive in terms of confidence-building measures
with other countries, portraying the alliance as defensively [en italique
dans le texte] oriented and non-threatening to other countries.” 856
855
James Clay Moltz, “Coalition Building in Space…”, op. cit., p. 28.
856
Ibid, p. 32.
- 338 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
857
smart power .
Si la France n’appartient pas à la communauté des five eyes, un élément a fait évoluer
les relations franco-américaines dans le domaine du renseignement : l’acquisition par
la France du système GRAVES, Grande Réseau Adapté à la Veille Spatiale. Le
système, livré à l’Armée de l’air en décembre 2005, est capable de détecter tout objet
survolant le territoire français, d’une taille égale à un mètre carré à 1000 km
d’altitude. L’acquisition de cette capacité, conçue à l’origine comme démonstrateur, a
permis à la France de voir des objets non référencés officiellement. Le système a fait
857
Richard L. Armitage, Joseph S. Nye, CSIS Commission On Smart Power: A smarter more secure America, Center for
Strategic & International Studies (CSIS), Library of Congress, 2007.
858
Martial Foucauld, Frédéric Mérand, “The Challenge of Burden-Sharing”, International Journal, n°67, Spring 2012, pp.
423 – 429.
859
Xavier Pasco, « De l’utilisation… », op. cit.,p. 88.
- 339 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
ses preuves au-delà des espérances. L’outil militaire opérationnel s’est alors
transformé en outil diplomatique, quand ce dernier a permis de détecter des satellites
militaires, inconnus auparavant. Une fois ces satellites identifiés, la France a alors été
en mesure de mener des négociations et des transactions avec l’Etat concerné. Par
l’acquisition de cette capacité technologique, c’est toute la crédibilité de la France en
tant que puissance spatiale (par la capacité de surveillance de l’espace) qui a été
réaffirmée. A partir du moment où la France a en sa possession une monnaie
d’échange, elle devient un partenaire crédible avec lequel il est de bon ton de
coopérer, ne serait-ce que pour savoir ce qu’il est capable d’observer. Cet épisode a
constitué l’amorce de la coopération franco-américaine. Après deux ans d’existence
informelle, le forum de coopération spatiale franco-américain est officialisé le 14 mai
2009. Plus tard, le 8 février 2011, une déclaration de principes a été signée entre
Alain Juppé, alors ministre des Affaires étrangères et Robert Gates, secrétaire à la
Défense des Etats-Unis, afin de favoriser la coopération franco-américaine dans le
domaine de la surveillance de l’espace. En 2015, c’est un accord sur l’échange de
données confidentielles qui a été conclu.
En parallèle, et à l’initiative des Etats-Unis, certains Etats alliés participent
conjointement à des exercices communs et développent des procédures standardisées.
C’est l’objectif des Schriever Wargames et des Space Situational Awareness Table
Top Exercises (SSA TTX). Les Schriever Games sont des exercices OTAN, des war
games in space qui existent depuis 2001. Ils sont organisés par le US Air Force Space
Command et ne rassemblent jusqu’en 2012 que les Américains, les Australiens, les
Canadiens et les Britanniques. Les Américains donnent un signal fort en invitant,
pour la première fois en 2012 des Etats otaniens du continent européen tels que la
France, l’Allemagne, la Grèce, le Danemark, l’Italie, les Pays-Bas et la Turquie.
L’objectif de cet exercice est de planifier et de coordonner les capacités spatiales et
cyber des Etats participants au cours d’un scénario particulier. Si l’OTAN n’en est
qu’à ses débuts en matière spatiale, les possibilités de développements sont
importantes. Ainsi, l’ouverture de cette simulation à d’autres Etats ne doit pas être
considérée comme anecdotique. Elle permet de côtoyer les alliés, de confronter les
points de vue, les manières de procéder et ainsi d’améliorer la coordination des
capacités spatiales entre les Etats. L’exercice a aussi pour objectif d’acculturer un
- 340 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
grand nombre d’Etats aux standards otaniens. Cela a tendance a lissé les différences
entre Etats, notamment au regard de leur culture stratégique. Ils adoptent ainsi peu à
peu la culture otanienne qui n’est qu’une excroissance de la culture stratégique
américaine. Les interactions étatiques répétées à l’occasion d’exercices permettent ce
type de transferts.
Pour les Etats qui ne sont pas des alliés historiques des Etats-Unis, l’alignement sur
les standards otaniens et donc l’adoption de normes et de pratiques semblables à ces
derniers, permet de faciliter les échanges. Pour l’OTAN et donc a fortiori les
Américains, cela étend leur réseau de partenaires susceptibles de partager leurs
manières de faire, de voir et de penser. La relation spatiale franco-américaine prend
de cette manière appui sur l’OTAN pour se réaliser pleinement.
Dans le même ordre d’idée, l’exercice Space Situational Awareness Table Top
Exercise (SSA TTX) a pour objectif d’établir des standards internationaux (ou au
moins entre alliés des Etats-Unis) dans le domaine spécifique de la surveillance de
l’espace. Cet exercice ne se réalise pas dans le cadre de l’OTAN mais rassemble les
five eyes ainsi que la France, l’Allemagne et le Japon pour l’édition 2017. Cela
permet de réaliser peu à peu l’objectif d’alliance militaire spatiale cité précédemment.
Car en effet, si l’édition 2017 a accueilli le Japon comme nouveau participant à
l’exercice, les porte-paroles de l’USSTRATCOM se sont dits ouverts à l’accueil
d’observateurs d’autres nationalités encore, élargissant ainsi l’embryon d’alliance
860
Thierry Delpeuch, « L’analyse des transferts internationaux… », op. cit., p. 44.
- 341 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Prenant naissance dans la U.S National Security Space Strategy de 2011, cet exercice
permet de réaffirmer le credo américain d’un espace « congested, contested,
competitive » et de dérouler des procédures standardisées lors d’événements spatiaux
(collisions entre objets spatiaux, support au lancement, explosion en orbite etc.). A
l’appui de ces récents développements, la coopération au profit de la sécurité des
activités spatiales se réalisera par l’intéropérabilité plutôt qu’à des systèmes
développés collectivement 862. Se développent ainsi des standards d’interopérabilité
qui se satisfont d’une coopération réduite. L’interopérabilité passe par la constitution
d’un réseau de capteurs de surveillance de l’espace mis en commun au sein du
partenariat transatlantique.
Lors de l’exercice SSA TTX, l’Europe n’est pas représentée comme un acteur unique
mais séparément par la présence de la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne.
Malgré les documents européens 863 sur la question, l’Union européenne n’apparaît
pas ici comme un acteur militaire international. La non-représentation de l’Union
européenne à cet exercice met en lumière son problème récurrent : son impossibilité à
bâtir l’Europe de la défense et a fortiori, l’Europe spatiale militaire.
861
Brochure de l’exercice, SSA TTX II, 22-30 October 2015, Lockheed Martin Center for Innovation, Suffolk, Virginia, p.5.
862
François Heisbourg, Xavier Pasco, L’Espace militaire…, op. cit., p. 57.
863
Projet European Union Space Surveillance and Tracking System (EU SST).
- 342 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Au sein de la stratégie américaine, les partisans de la fidélisation des alliés des Etats-Unis
au profit de l’interopérabilité dans l’espace considèrent les Etats européens séparément et
non comme un seul acteur que serait l’Union européenne. Les Etats visés sont les Etats
jugés « spatialement » crédibles. Il s’agit des Etats possédant l’expertise du milieu, des
systèmes spatiaux, des capacités de surveillance ou encore un positionnement
géographique stratégique. Cette vision américaine ne doit pas éluder la volonté proprement
européenne de se construire en tant que puissance spatiale. Le constat est que, jusqu’à
présent, cette construction est laborieuse. Le volet civil jouit d’un relatif succès quand, à
l’image d’autres sujets de débats au niveau communautaire, le volet militaire est peu
porteur de consensus. L’utilisation militaire de l’espace renvoie à la souveraineté des Etats
et donc à leurs intérêts stratégiques et de défense. L’agence spatiale européenne (ESA)
ainsi que l’Union européenne essayent cependant de lancer des initiatives afin de faire en
sorte que l’espace soit le précurseur de la mise en place d’une politique européenne de
défense.
- 343 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
864
Autriche, Belgique, République Tchèque, Danemark, Estonie, Finlande, France, Allemagne, Grèce, Hongrie, Irlande,
Italie, Luxembourg, Les Pays-Bas, Norvège, Pologne, Portugal, Roumanie, Espagne, Suède, Suisse, Royaume-Uni et Canada.
- 344 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Le relatif flou de cet article concourt à ce que les dirigeants de l’ESA répondent par
l’affirmative. Cependant, le terme « militaire » étant trop connoté, on parlera
davantage de défense et de sécurité, termes plus consensuels. De même, l’espace
étant fortement dual, les futurs programmes de l’ESA seront élaborés afin de
répondre à la fois à des besoins civils et militaires. La nature civile ou militaire de
l’agence est conditionnée par sa source de financements. Or, jusqu’au début des
années 2000, le financement de l’ESA est réalisé exclusivement par les ministères de
la recherche.
L’ESA n’est pas totalement à l’aise avec cette nouvelle source de financement car ce
propos est vite tempéré par une autre personne travaillant pour l’ESA :
« (…) le problème c’est qu’à coup de petites sommailles on va pas refaire… » 867
Et justifier que cela ne pose de toute façon aucun problème :
865
Convention portant création d’une agence spatiale européenne, 30 mai 1975, Article II,
http://download.esa.int/docs/LEX-L/ESA-Convention/20101200-SP-1317-FR_Extract_ESA-Convention.pdf
866
Entretien au siège de l’ESA, Paris, juin 2012.
867
Deuxième interlocuteur présent lors de l’entretien au siège de l’ESA, Paris, juin 2012.
868
Ibid.
- 345 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
De cette méfiance naît, au début des années 2000, et au sein de la défunte Union de
l’Europe Occidentale (UEO) 870, l’idée de créer une agence spatiale européenne de
défense, et donc exclusivement militaire. Cette proposition n’a pas été suivie des
faits. En particulier, il a été admis que cela avait peu de sens d’établir une rupture
nette entre utilisations civiles et militaires quand un même système peut remplir à
merveille les deux missions.
L’ESA travaille donc sur un programme de surveillance de l’espace baptisé SST pour
Surveillance and Tracking System, en concertation avec l’AED. L’ESA et notamment
son directeur général d’alors, Jean-Jacques Dordain promeut ce projet qui doit
permettre à l’ESA de protéger ses propres satellites et limiter ainsi sa dépendance aux
alertes provenant des Américains.
« Les Américains nous informent mais avec un préavis qui n’est pas
forcément compatible avec tous les calculs que nous devons faire pour
dérouter ou pas le satellite. » 871
C’est donc lui qui a posé les premiers jalons tant politiques que programmatiques de
la coopération avec les secteurs de la défense et de la sécurité. L’ESA a les
compétences techniques pour relever un tel défi. De plus, son fonctionnement interne
assure un succès aux programmes initiés en son sein. Deux caractéristiques peuvent
expliquer son efficacité. Dans un premier temps, il s’agit d’une agence
869
Ibid.
870
L’Union de l’Europe Occidentale est une alliance défensive fondée en 1948 et qui a servi de cadre à la création d’une
politique européenne de la défense. A la suite de l’adoption du Traité de Lisbonne, toutes les fonctions de l’UEO ont été
intégrées dans l’Union européenne et l’UEO a été dissoute en 2011.
871
Entretien au siège de l’ESA, juin 2012.
- 346 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
intergouvernementale. Cela signifie qu’à deux, trois, quatre ou plus, les Etats peuvent
réaliser un programme s’ils réunissent les financements nécessaires. Les autres Etats
ne peuvent s’opposer à ce projet sauf si ce dernier menace l’usage exclusivement
pacifique de l’espace et entre donc en violation avec l’article II de la Convention de
l’ESA.
« Toute décision prise dans cette maison réclame de l’énergie, mais d’un
autre côté, une fois que la décision est prise, ça rend les programmes très
solides. Dans cette maison les programmes sont décidés un par un mais
jusqu’à achèvement. Les pays sont engagés jusqu’à achèvement du
programme. Chaque programme est un traité international et cela donne
une très grande stabilité. » 872
La deuxième caractéristique est le principe du juste retour. Cela signifie que tout
Euro investi par un Etat est retourné vers ce dernier sous forme d’investissements
dans son industrie spatiale nationale. Cela garantit aux Etats de l’ESA et a fortiori à
l’Europe la non-délocalisation de ses industries spatiales. Cela concourt à entretenir
un capital technologique à haute valeur ajoutée et un capital économique pouvant
renforcer la puissance européenne.
Les règles régissant l’ESA, agence intergouvernementale, sont très différentes de
celles régissant l’Union européenne, organisation supranationale. Cela n’a pas
empêché la remise en cause du principe du juste retour. L’objectif de cette réforme
est d’harmoniser les modes de fonctionnement sur ceux de l’Union européenne, pour
faire, à terme, de l’ESA une agence de l’UE. Mais l’Allemagne s’oppose fermement à
ce projet. Cela est compréhensible dans la mesure où, à l’inverse de la France,
l’Allemagne n’a développé que des technologies spatiales de niche et ne maîtrise
donc pas l’ensemble des technologies. Dans le cas d’un appel d’offre pour un
programme complet, elle serait alors défavorisée, ne pouvant fournir que des briques
technologies et non pas le système dans son ensemble. L’Allemagne étant, tout
programme confondu, le premier contributeur de l’ESA, cette réforme a été pour le
moment suspendue. Malgré cet échec d’harmonisation des réglementations, l’ESA
entretient de bonnes relations avec l’Union européenne, et notamment avec la
872
Ibid
- 347 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Commission via la Direction Générale -DG- Entreprises et Industries, avec qui elle
élabore la politique spatiale européenne. Cette proximité ne doit pas faire oublier que
l’ESA reste une organisation indépendante, notamment par le fait que tous les
membres de l’ESA ne sont pas des membres de l’UE, et inversement, tous les
membres de l’UE n’ont pas adhéré à l’ESA. Dans ce cadre-là, l’ESA peut
difficilement contribuer à faire de l’UE une puissance économique voire
diplomatique. Or, si l’ESA se dote d’un système de surveillance de l’espace
concurrençant le système américain, les Etats européens participants pourraient
gagner en crédibilité et donc convertir ce capital technologique en capital
diplomatique au profit de l’Union européenne. L’ESA, quant à elle, a établi dès les
années 1970 des liens avec l’agence spatiale américaine (NASA). C’est ensemble
qu’ils créent l’IADC.
- 348 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Ainsi, derrière le débat sur la remise en cause du principe du juste retour était envisagée la
transformation de l’ESA en agence de l’Union européenne. Cela entraînerait l’application
de la règle de la libre concurrence. Jean-Jacques Dordain met en garde sur cette pratique.
Actuellement les appels d’offre sont limités aux Etats européens et le principe du juste
retour est appliqué. Cela garantit un secteur spatial sans délocalisation. Ouvrir les appels
d’offre au monde entier revient à prendre le risque d’avoir des programmes européens
réalisés à l’étranger, et donc freiner le dynamisme de l’industrie spatiale en Europe.
Au sein de la Commission européenne, l’activité spatiale se réalise essentiellement au sein
de la Direction Générale Entreprises et Industries et de la DG Transport (GALILEO). Cette
dernière dispose d’un budget alloué aux programmes spatiaux qu’elle choisit de mener. En
matière de surveillance de l’espace, c’est en 2008, sous présidence française que la
Commission européenne est invitée à formuler des propositions. L’ESA initie de son côté
le même type de réflexion. Même si l’ESA s’exprime davantage sur la faisabilité
technique, cela la place en situation de concurrence avec la Commission.
Les ambitions militaires françaises, celles de l’Etat-major des Armées, étaient de souhaiter
s’appuyer sur les fonds de la Commission afin de rénover et renouveler les systèmes de
surveillance de l’espace tels que le système GRAVES. Au niveau national, les choix
politiques ne donnaient pas la priorité à la surveillance de l’espace malgré les volontés
affichées au sein du LBDSN 2008. Il semblerait que par la suite, l’EMA, déçu de
l’enveloppe budgétaire proposée par la Commission 874, n’a pas insisté pour poursuivre
dans cette voie 875. C’était sans compter également sur les difficultés liées aux demandes
des Etats européens de bénéficier en parts égales du budget accordé par la Commission et
cela quelque soit leur contribution. C’était sans compter également sur les oppositions
britannique et allemande :
873
House of Commons, Science and Technology Committee, « Work of the European and UK Space Agencies: Government
Response to the Committee’s Fourth Report of Session 2013-14”, 6 mars 2014, p. 6,
http://www.publications.parliament.uk/pa/cm201314/cmselect/cmsctech/1112/1112.pdf.
874
Budget de 70 millions d’Euros.
875
Entretien au MESR, 19 mars 2013.
- 349 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
A l’appui, deux exemples permettent de saisir les réactions américaines aux fragiles
tentatives de construction européenne dans le domaine de la défense et de la sécurité.
D’une part, les Etats européens, par l’intermédiaire de la Commission européenne,
décident de constituer, au début des années 2000, un système autonome de navigation par
satellites GALILEO. Les Américains jugent ce système redondant au leur, inutile voire
même dangereux pour leur propre système. En décembre 2001, Paul Wolfowitz, alors
secrétaire d’Etat adjoint américain, adresse officiellement ses inquiétudes dans une lettre
destinée aux quinze Etats membres de l’Union 879. Il invoque le fait que le signal
GALILEO sera dans le même spectre de fréquences que le GPS militaire américain. Cela
nuirait à l’utilisation qu’en font les forces américaines lors de crise ou de conflit. Il
s’inquiète également de l’utilisation d’un signal GALILEO militaire qui pourrait être
utilisé par ses adversaires, et donc qui pourrait nuire à la sécurité des Etats-Unis. En
filigrane, il demande purement et simplement l’abandon du projet pour cause
876
GMES : Global Monitoring for Environmental Security.
877
Entretien au CIE, 7 février 2011.
878
Serge Sur, Relations internationales, op. cit., p. 142.
879
“I am writing you at this time to convey my concerns about security ramifications for future NATO operations if the
European Union proceeds with Galileo satellite navigation services that would overlay spectrum of the Global Positioning
System (GPS) military M-code signals”, Paul Wolfowitz, Deputy Secretary of Defense, 1 er décembre 2001.
- 350 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
880
Principalement la Grande-Bretagne, l’Allemagne, les Pays-Bas et le Danemark. Jean Quatremer, « Galileo pourrait être
enterré sous la pression américaine », Libération, 20 décembre 2001.
881
Entretien au siège de l’ESA, Paris, juin 2011.
- 351 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
« Il y avait déjà en permanence les Anglais qui étaient en contact avec les
Américains pendant qu’on discutait entre nous du CoC (…) Je l’ai vécu en
direct, j’ai su qu’ils [Britanniques] correspondaient avec les Américains.
Sur certains paragraphes on était là comme experts on disait « il vaut
mieux mettre ça », alors ils contactaient les Américains pour leur
demander « est-ce que ça vous va ? ». On était encore en train de discuter
au niveau européen, pourquoi devaient-ils avoir l’avis des Américains ?
» 882
L’influence américaine reste donc très prégnante, à la faveur d’Etats atlantistes, sur des
actions entreprises par l’Union européenne. A noter que la sortie de la Grande-Bretagne de
l’Union européenne peut avoir une influence toute relative sur les futures discussions
concernant la régulation des activités spatiales.
L’Union européenne se dote de compétences spatiales, sur lesquelles elle a à se prononcer
au nom des 27 Etats membres. En effet, le 1er décembre 2009, par l’entrée en vigueur du
Traité de Lisbonne (rassemblant le Traité sur l’Union Européenne TUE 883 et le Traité de
Fonctionnement de l’Union européenne TFUE) 884, les Etats membres ont fait des activités
spatiales une compétence spécifique de l’UE. L’article 189 du TFUE donne un nouvel élan
à la politique spatiale européenne en conférant à l’Union la responsabilité d’élaborer une
politique spatiale destinée à favoriser le progrès scientifique et technique, la compétitivité
882
Ibid.
883
http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:12012M/TXT&from=FR
884
http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:12012E/TXT&from=FR
- 352 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
industrielle et la mise en œuvre de ses politiques. Sur cette base, la Commission adopte en
avril 2011 la communication « Vers une stratégie spatiale de l’Union européenne au
service du citoyen » 885 qui confirme les priorités identifiées auparavant par la Commission,
c’est-à-dire la nécessité pour l’UE de se doter d’une solide politique spatiale d’une part et
de réévaluer ses relations avec l’ESA d’autre part :
Le Traité de Lisbonne a ajouté deux critères qui sont essentiels pour l’avenir du secteur
spatial en Europe. Il dote l’UE de la personnalité juridique internationale et modifie la
donne sur les sujets liés à la Défense et la Sécurité. Ainsi, en faisant de l’UE une
personnalité juridique indépendante, les Etats membres lui permettent de négocier et de
conclure des accords internationaux, y compris pour ce qui aurait trait à la mise en œuvre
de la politique spatiale européenne. De plus, le TUE, par son article 27, crée le Service
Européen pour l’Action extérieure (SEAE). Le SEAE a alors en charge de mener les
actions diplomatiques nécessaires à la promotion du Code de conduite pour les activités
spatiales. Le nouvel organe institutionnel de l’UE est très vite confronté à un défi de taille
qui est de s’imposer comme acteur crédible en incarnant la diplomatie européenne sur la
scène internationale. Cette construction de la crédibilité aurait pu se réaliser au travers du
processus de discussions, négociations et adoption du code de conduite sur la sécurité des
activités spatiales.
885
Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au
comité des régions, « Vers une stratégie spatiale de l’Union européenne au service du citoyen », Bruxelles, 4 mai 2011,
http://www.eurosfaire.prd.fr/7pc/doc/1302100483_com_2011_152_fr.pdf
886
Ibid., p. 12.
- 353 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
traité de Maastricht. En 2009, la création du SEAE a pour objectif d’ « essayer de faire une
culture commune de diplomatie européenne » 887. Non seulement le SEAE en tant que tel
est une institution récente mais elle doit également rapidement faire face à des difficultés
de fonctionnement interne. En effet, elle doit pallier l’absence d’un directeur lorsque le
service en a le plus besoin. Cela se produit lors de la promotion du code de conduite, et
donc lorsque l’UE doit s’imposer en tant que puissance (normative) crédible aux yeux des
autres acteurs étatiques internationaux. Au sein du SEAE, le CODUN (Groupe de travail
« Désarmement global et maîtrise des armements ») se subdivise en un CODUN Espace
qui est une formation d’experts des questions spatiales. Le CODUN Espace a donc pour
mission de promouvoir le projet de CoC. A sa tête jusqu’en 2011, est positionnée Mme
Annalisa Giannela, chef du service désarmement et non- prolifération. Son départ à la
retraite et son non-remplacement immédiat a eu des conséquences néfastes portant
préjudice à la crédibilité de la diplomatie européenne. Au-delà de ses qualités intrinsèques
sur ces dossiers, Mme Giannela a donné une direction politique à ce groupe. De même, sa
suppléance assurée parfaitement sur le fond par son adjoint le diplomate Pierre Louis
Lempereur, a souffert sur la forme.
887
Entretien au SEAE, 12 septembre 2012.
- 354 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
quelques uns sont venus …mais la diplomatie c’est aussi une question
d’image, de titre etc. » 888
Durant cette suppléance, le CODUN a été monopolisé à 80% par les affaires spatiales. Or,
certains documents soulignent sa relative incompétence en la matière :
“Another difficulty was that this framework [CODUN] comes under the
auspices of the EU’s Defense and Security Policy- an entity not staffed
with space experts.” 889
Le SEAE n’est pas (encore ?) dimensionné correctement pour assurer la défense d’un
projet de régime international. Or c’est sur ce type de projet diplomatique qu’il est jugé par
ces partenaires étatiques et non étatiques internationaux.
A l’heure de la rédaction de cette thèse, les personnes les plus proches du dossier
considèrent qu’il s’agit d’un échec pour l’UE. L’Union n’a pas su être un acteur crédible.
Les intérêts en jeu et les oppositions frontales entre puissances concurrentes (Etats-Unis
contre Russie et Chine) n’ont pu être surmontées par les actions du SEAE et de ses
888
Entretien au SEAE, septembre 2012.
889
IFRI Space Policy Program et SWF, “The Continuing Story of Europe and Space Security”, Bruxelles, 4-5 octobre 2010.
890
Entretien avec un diplomate du Ministère des Affaires étrangères en charge des questions de non-prolifération et
désarmement, juillet 2011.
891
Jana Robinson, “Space Security…”,op. cit., p. 13.
- 355 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
diplomates. Face à ce constat de demi-échec, peut-on dire que l’Union européenne n’a joué
aucun rôle dans la promotion du CoC ? Est-ce l’aveu que l’UE peine à être une puissance,
même dans le domaine normatif ?
892
Ibid., p. 18.
893
Conclusions du Conseil sur la politique de sécurité et de défense commune (PSDC), mai 2015 [Consilium 8971/15].
894
Ce concept est également issu d’une étude stratégique contemporaine menée par deux généraux américains. Pour une
analyse de ces « menaces hybrides », lire Arne Schallock, Franck Pourny, « La pensée stratégique face aux menaces
hybrides », Tribune n°684, 11 septembre 2015, http://www.defnat.com/site_fr/pdf/Schallock_Pourny%20-
%20La%20pens%C3%A9e%20strat%C3%A9gique%20face%20aux%20enjeux%20hybrides%20(T%20684).pdf
- 356 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Les documents de l’Union citent nommément les infrastructures spatiales comme cibles de
menaces 896. L’Union présente alors la surveillance de l’espace comme un moyen
d’accroître la résilience de ces infrastructures face à ces menaces hybrides 897. Mais en ne
définissant pas ses ennemis ou adversaires, l’Union risque de ne pas savoir développer une
stratégie pour servir ses objectifs. A l’inverse, l’administration américaine, républicaine ou
démocrate, emploient continument l’expression de rogue states. En matière d’espace, ses
inquiétudes se cristallisent sur la Chine. L’Union initie des réflexions au profit d’une
stratégie européenne relative aux relations spatiales internationales mais ces dernières
restent générales 898.
Faut-il pour autant en conclure que l’Europe ne peut restreindre sa puissance spatiale qu’au
soft power ?
On rappelle que la puissance est :
« (…) sur la scène internationale la capacité d’une unité politique
d’imposer sa volonté aux autres unités. En bref la puissance politique
n’est pas un absolu mais une relation humaine. » 899.
Serge Sur définie également la puissance comme une capacité, « capacité de faire ;
capacité de faire faire ; capacité d’empêcher de faire ; capacité de refuser de faire ». 900
Aron distingue les forces (militaires, économiques et morales) de la puissance. Cette
dernière est « la mise en œuvre de ces forces dans des circonstances et en vue d’objectifs
déterminés. » 901
895
LBDSN 2013, p. 136.
896
Commission des Communautés européennes, Rapport sur l’état d’avancement de la politique spatiale européenne,
Document de travail de la Commission, COM(2008)561 Final, Bruxelles, 11 octobre 2008, p. 13, http://eur-
lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52008DC0561&from=EN
897
Communication conjointe au Parlement européen et au Conseil, Cadre commun en matière de lutte contre les menaces
hybrides. Une réponse de l’Union européenne, Commission européenne, Bruxelles, 06 mai 2016, http://eur-
lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52016JC0018&from=FR
898
Commission des Communautés européennes, op.cit., p. 14.
899
Raymond Aron, Paix et guerre…, op. cit., p. 56.
900
Serge Sur, Relations internationales, op. cit.
901
Raymond Aron, Paix et guerre…, op. cit., p. 58.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Les ambitions affichées par les décideurs politiques présentent l’Europe comme une
puissance en devenir. Dans les années 1990, des parlementaires français font de l’espace la
pierre angulaire de cette puissance.
Cette volonté politique perdure dans les années 2000 avec un autre rapport de l’OPECST
titré sans équivoque : « Politique spatiale : l’audace ou le déclin. Comment faire de
l’Europe le leader mondial de l’espace. » 903
Quelques mois avant la publication du LBDSN qui fait de l’espace un enjeu stratégique
pour le 21ème siècle, le président Nicolas Sarkozy se rend à Kourou durant la première
année de son mandat. Le discours est là aussi prometteur :
902
OPECST, Rapport sur les orientations de la politique spatiale française et européenne, p.25, 1991.
903
Christian Cabal (député) et Henri Revol (sénateur et président de l’OPECST), « Politique spatiale : l’audace ou le déclin.
Comment faire de l’Europe le leader mondial de l’espace », OPECST, Rapport parlementaire du 7 février 2007 sur les grands
domaines programmatiques de la politique spatiale du futur, http://www.assemblee-nationale.fr/12/pdf/rap-off/i3676.pdf
- 358 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Ce discours a été suivi des faits. La présidence française de l’Union européenne a été très
active dans la promotion du projet de code de conduite. En revanche, il n’est pas sûr que
l’UE ait suffisamment de force militaire, économique et morale pour faire adhérer un
nombre suffisant d’Etats à son projet. Il est vrai qu’en la matière d’espace, les dépenses
européennes ne représentent qu’un milliard d’euros contre 40 milliards de dollars pour les
Etats-Unis. La France, elle, ne consacre que 3 % de ses investissements militaires au
milieu spatial 905. Malgré cela, elle fait figure d’exemple en UE. Mais le doublement du
budget alloué à l’espace, prévu dans le LBDSN 2008, n’a pas eu lieu. Le budget spatial a
même, semble-t-il, diminué. Par conséquent, l’exercice hard de la puissance européenne ne
peut pas s’appuyer sur des budgets européens conséquents. De plus, l’Europe s’est
positionnée contre le développement d’armements dans l’espace. La possession d’ASAT
pourrait alimenter un exercice « dur » de la puissance. Ce positionnement contre le
développement d’ASAT correspond aux valeurs prônées par l’UE mais peut apparaître
dans le même temps comme un choix politique risqué à l’heure où les menaces sur les
systèmes spatiaux sont avérées. En l’état, d’un point de vue militaire, L’Europe spatiale se
limite aux moyens militaires appartenant aux Etats membres, seul ou en coopération
restreinte. Le système français de surveillance de l’espace (GRAVES) est un exemple de
ce que l’Europe pourrait mettre en œuvre pour peser davantage sur la scène internationale.
L’ESA a développé certains projets de ce type (radars bi- et mono- statiques) mais les
utilisations militaires ne sont pas envisagées, du moins jusqu’ici. Cela traduit la vision des
décideurs européens qui ne se voient pas comme les garants ultimes de leur sécurité. Dans
ces conditions, l’Europe spatiale ne peut être pas être considérée comme un hard power 906.
Cependant, le hard power ne se résume pas au développement d’armes dans l’espace. On
retrouve une forme d’exercice du hard power par l’outil économique. Celui-ci n’est pas
904
Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur les défis et priorités de l’industrie spatiale
européenne, 11 février 2008, Kourou, http://discours.vie-publique.fr/notices/087000516.html
905
Xavier Pasco, François Heisbourg, L’espace militaire…op. cit., p.7.
906
Zaki Laïdi, La norme sans la force, Paris, Les Presses de Sciences Po, 2008, p. 20.
- 359 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
utilisé pour contraindre mais bien plutôt pour attirer, au détriment des Etats-Unis. Comme
le souligne Joseph Nye, « Les ressources économiques et militaires peuvent parfois être
utilisées autant pour attirer que pour contraindre » 907.
L’UE a ainsi décidé de mettre en place des alternatives en exploitant les failles des
réglementations américaines, en l’occurrence les réglementations ITAR. Les Européens,
également soumis aux contraintes ITAR, ont développé dès 1999 des solutions
alternatives, nouant ainsi de nouveaux partenariats avec le Japon et la Russie. Les
restrictions ITAR ont conduit les industries spatiales européennes à développer par elles
mêmes les technologies protégées, donnant naissance à des systèmes entièrement « ITAR-
free » dans lesquels aucun composant américain n’est utilisé de sorte que ces produits
peuvent rencontrer un marché demandeur et soumis aux contraintes ITAR. On estime ainsi
que depuis le passage des réglementations ITAR, la part de marché de l’industrie
américaine dans le domaine des satellites commerciaux serait passée de 83% à 50% en
2008 908. Afin de réduire au maximum la dépendance vis-à-vis de composants sensibles
d’origine américaine, l’ESA, en collaboration avec les agences spatiales nationales des
différents États européens, a mis en place la European Component Initiative, permettant à
l’Europe de se libérer d’une dépendance américaine. Cette action économique permet
également de ne plus laisser la décision d’acquisition d’une technologie par un Etat aux
seuls États-Unis.
Ces outils économiques et, dans une moindre mesure, militaires à la disposition des Etats
européens restent modestes. L’UE a davantage l’ambition de s’imposer par l’exercice du
soft power. La volonté de l’UE de promouvoir son régime au niveau international la place
en position de puissance normative. Elle diffuse de cette manière, en transparence, des
valeurs européennes qui agissent comme des pôles d’attraction envers d’autres acteurs. Cet
élan normatif proprement européen a pu par la suite souffrir des concessions accordées à
l’allié américain en échange de son soutien. Tout l’enjeu pour l’Europe est d’exercer son
influence pour internationaliser ces normes, autrement dit les faire accepter et adopter
907
Joseph S. Nye, « Get Smart, Combining Hard and Soft Power », Foreign Affairs, Juillet/Août 2009.
908
Valérie Niquet, « Le débat sur la réforme des règles de contrôle des exportations ITAR dans le contexte des relations sino-
américaines », Fondation pour la Recherche Stratégique, note n°03/11, p. 2.
- 360 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
formellement par un nombre maximal d’Etats, dans une approche multilatérale. A l’instar
de la lutte contre le changement climatique 909, l’Union tente d’imposer la régulation des
activités spatiales en haut de l’agenda mondial.
Si l’UE se tourne vers le soft power voire le smart power, c’est en partie parce que cette
union politique tente de pallier l’absence de peuple européen 910. Ainsi, même si les
Européens partagent des défis communs (à l’instar de la sécurité des activités spatiales car
tous utilisateurs, à différents degrés, de l’espace), cela n’exonère pas les Etats européens
des menaces locales qui les touchent différemment (l’ombre russe sur les anciennes
républiques socialistes soviétiques par exemple). Ainsi, les Etats européens ne se résignent
pas à choisir entre l’Europe, gage de prospérité, et l’OTAN, gage de sécurité. Cette
dichotomie ne peut faire progresser dans les faits la construction d’une Europe de la
défense. Par conséquent, qualifier l’Union de puissance normative dans l’espace
signifierait qu’elle est une puissance qui n’a que la norme comme instrument privilégié,
voire exclusif, d’action internationale dans le cadre spatial. Pour ce faire, elle peut
s’appuyer sur certains think tanks de réflexion spatiale qui lui permettent de développer ce
discours normatif. Trois sont dédiés à la politique spatiale : le European Space Policy
Institute (ESPI), l’Interdisciplinary Center for Space Studies (ICSS) et le United Nations
Office for Outer Space Affairs (UNOOSA). L’ESPI (Peter Hulsroj en a été le directeur de
2011 à 2016 911), implanté à Vienne en Autriche, est créé à la suite à d’une décision du
Conseil de l’Agence Spatiale Européenne et a un statut d’association. Elle a pour mission
de fournir des analyses de fond sur des sujets d’actualité concernant les activités spatiales
européennes, afin d’aider les dirigeants à la prise de décision. Ce think tank est sponsorisé
par la plupart des agences spatiales européennes, les industries spatiales et les opérateurs
commerciaux. Ses partenaires sont entre autres le COSPAR, l’ISU ou encore la SWF.
909
Zaki Laïdi, La norme sans la force, op. cit. p. 13.
910
Ibid.
911
Il est intéressant de noter que Peter Hulsroj a été remplacé par Jean-Jacques Tortora, président d’EUROSPACE,
Association des industries spatiales européennes, évoqué en Partie 1 de cette thèse.
912
Jean-Jacques Patry, Nicole Vilboux, Philippe Gros, « L’élaboration d’une culture stratégique européenne dans le domaine
« aérospatial » », Note de la Fondation pour la Recherche Stratégique, n°11/2010, p. 106.
- 361 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
L’ICCS, créé en 2004, se situe à l’université catholique de Louvain. Le centre organise des
séries de conférences connues sous le nom du « processus de Louvain ». L’UNOOSA est
un organisme des Nations Unies chargé de promouvoir la coopération internationale et
l’utilisation pacifique de l’espace. Il est localisé, tout comme l’ESPI, à Vienne en Autriche.
L’IFRI dispose lui d’une antenne à Bruxelles. Ce dernier, en coopération étroite avec la
SWF, est force de proposition concernant l’approche européenne des relations spatiales
internationales. Ses experts conseillent aux membres de l’UE de continuer à entretenir une
relation spatiale soutenue avec les Etats-Unis, primus inter pares, mais de capitaliser sur la
disgrâce diplomatique que subit actuellement la Chine aux yeux des Américains, pour
développer la relation sino-européenne. Ils évoquent même une « opportunité historique »
en la matière 913. De la même manière, ils promeuvent le développement plus poussé d’une
coopération avec la Russie, servant ainsi de contrepoids à une relation transatlantique
déséquilibrée. La diffusion de ces croyances essaimées via les conférences, les notes et les
livres ne serait combler les lacunes du service diplomatique de l’UE. Comme évoqué
précédemment, le SEAE est une institution jeune, qui pour le moment, n’est pas en mesure
de porter à elle seule la responsabilité de la promotion et de la ratification d’un régime
international. De même, sur ces sujets, les rapports de force interétatiques sont
omniprésents entre les Etats-Unis, la Chine et la Russie. Le renforcement des liens
diplomatiques avec ces trois puissances spatiales pourrait permettre à l’Union de
transcender ces rapports de force et s’imposer comme un acteur médiateur. Enfin, si
l’Union peut considérer que le soutien américain au code a été d’une grande aide pour
l’aider à socialiser la communauté internationale sur le problème, il est aussi un handicap.
Il devient un texte promu par le « camp occidental » et donc sur lequel il est aisé de semer
le doute, à tort ou à raison, dans l’esprit des élites des Etats secondaires, et notamment
celui des puissances spatiales émergentes 914. Il est vrai que les Américains utilisent cette
norme sur la sécurité des activités spatiales pour assurer une situation stable dans l’espace
ne remettant pas en cause leur supériorité. Ils ne peuvent se permettre de l’imposer par la
force donc ils tentent de partager cette préoccupation avec d’autres, afin de la légitimer
913
IFRI et SWF, “International Relations and Space: The European Approach”, 13 septembre 2012, p. 6.
914
Bien que faisant partie du groupe des « amis » du CoC, l’Inde reste sceptique vis-à-vis de cette initiative. Ses
représentants le trouvent trop idéaliste et considèrent qu’il ne sera efficace car respecté que si la contrainte lie les Etats. En
ce sens, ils sont davantage favorables à un traité.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
auprès des Etats. En parallèle du régime, leur ambition est de créer une interdépendance
complexe par la mise en place d’un réseau de surveillance de l’espace international avec
ses alliés, acteurs étatiques et non étatiques. Pas sûr que cette ambition américaine soit
également l’objectif des institutions européennes 915 même si, de manière un peu
paradoxale, les Etats européens pris séparément en prennent le chemin par des accords
bilatéraux passés avec les Etats-Unis. A l’inverse, les documents programmatiques de
l’Union européenne accordent une place majeure à la notion d’autonomie d’accès à
l’information issue de l’utilisation de l’espace, au développement de capacités propres
même si cela doit se réaliser dans un souci d’interopérabilité 916. Même si les capacités ne
sont pas développées en commun avec les Etats-Unis, l’UE aura-t-elle véritablement le
choix de fournir ou non une information à son allié américain ?
La définition de la sécurité des activités spatiales n’est pas la même entre les Etats-Unis et
la France/ l’Europe. De ce fait, elle sert des objectifs différents. Quand les premiers
souhaitent maintenir leur supériorité dans l’espace par le leadership, les seconds veulent
avant tout éviter les accidents et les collisions entre les objets spatiaux, les actes
malveillants et les accidents qui pourraient être à tort interprétés comme des actes
hostiles 917. Ces définitions et objectifs ultimes distincts trouvent leur origine au sein de
cultures stratégiques propres.
La recherche absolue d’une convergence diplomatique incarnée par le projet du code
implique-t-elle une uniformisation des cultures stratégiques occidentales dans le domaine
spatial, et une acceptation, en creux, par les Européens du projet américain de leadership
dans l’espace ?
915
La constitution de ce réseau serait un frein à l’idée d’une Europe autonome en matière spatiale, pourtant promue par des
think tanks comme l’ESPI.
916
Commission des Communautés européennes, op.cit., p. 8.
917
Intervention prononcée par M. Jean-Hugues Simon-Michel en séance plénière de la Conférence du Désarmement, à
Genève le 5 juin 2012.
- 363 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
918
Alain Faure, Gilles Pollet, Philippe Warin (dir.), La construction du sens dans les politiques publiques..., op.cit., p. 160.
919
Sont concernées ici autant la démocratisation de l’accès à l’espace que la remise au goût du jour des projets ASAT.
920
Le mouvement des non-alignés comporte des membres faisant également partie du Groupe des 77 des Nations-Unis.
- 364 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
bipolaire est conflictuelle (ce qu’il est et ce qu’il doit être), la vision du domaine spatial
l’est tout autant. En analysant la première, on renvoie à la seconde.
La fin du monde bipolaire a provoqué de multiples réflexions et définitions parfois
conceptuelles de la « nouvelle » configuration des relations internationales. Or, cette
définition est conflictuelle. Plusieurs visions du monde post-guerre-froide sont portées par
différents acteurs étatiques. Les Etats-Unis souhaitent pérenniser leur statut d’hégémonie
ou de leader au sein du système international. Les puissances « émergentes » ou
« émergées » (Chine, Inde, Brésil) promeuvent la multipolarité tandis que les Etats
européens alliés des Etats-Unis (Allemagne) mettent en avant le multilatéralisme 921. La
multipolarité suppose une vision hiérarchisée des relations internationales, avec des
regroupements autour de pôles régionaux. Le multilatéralisme est le processus par lequel
des modes de solution ou de gestion universels sont pensés pour répondre à des problèmes
qui touchent la société internationale dans son ensemble. La position de la France peut
paraître à certains égards changeante sur ces deux orientations 922. Sur la période étudiée, le
multilatéralisme a été « joué » par les Européens et les Américains d’une certaine manière.
A l’inverse, fort de son influence sur les Etats constituant le mouvement des non-alignés et
du G77, et profitant du soupçon entourant systématiquement tout projet proposé par le
« camp occidental », la Chine et la Russie ont agi en tant que pôles régionaux. Dans le
cadre du référentiel sécuritaire pour les activités spatiales, les Etats-Unis ne souhaitaient
pas vigoureusement réguler l’espace par un régime. Ils ambitionnent avant tout de
conserver leur statut de première puissance mondiale régulatrice (position d’hégémon ou
de leader) ou plus prosaïquement dit, d’être le « gendarme (spatial) du monde ». Les
conflits sur le référentiel renferment en germe ces visions du monde. Ce qui est en jeu est
la forme que prendra le mode de régulation des activités spatiales - aucun régime, un
régime contraignant ou un régime non contraignant. L’élaboration de la norme sur la
sécurité des activités spatiales est alors une illustration de ce conflit entre visions du
monde.
921
Serge Sur, Relations internationales, op. cit., p. 147.
922
En effet, dans les discours, les représentants français appellent de leurs vœux la construction d’un « pôle Europe »
contrepoids de la puissance américaine. Dans les faits, la France pratique le multilatéralisme. C’est notamment le cas pour la
promotion du code de conduite.
- 365 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
« Ce qui est en jeu, ce ne sont pas seulement les idées abstraites, mais
l’existence même des groupes en cause en tant qu’acteurs, à travers
l’image qu’ils se font et qu’ils cherchent à faire accepter de leur place
dans le monde. » 923
Une fois acceptée par certains Etats le fait que l’espace est effectivement encombré,
contesté et compétitif (ce qui est une acceptation du référentiel sectoriel), la conflictualité
n’a pas disparu.
Il y a conflits dans le référentiel. Cela désigne les affrontements qui portent sur l’obtention
des ressources légitimes (instruments d’action) ou des positions de pouvoir (distribution
923
Ibid.
924
Alain Faure, Gilles Pollet, Philippe Warin (dir.), La construction du sens dans les politiques publiques..., op.cit., p. 165.
- 366 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
des ressources) dans le cadre du référentiel sectoriel sur la sécurité des activités spatiales.
La construction d’une vision commune de la sécurité des activités spatiales qui peut être
atteinte par le consensus ne règle pas la question des instruments d’action et de la
distribution du pouvoir. La question est notamment de savoir quel acteur aura la légitimité
et/ou le pouvoir de constater une infraction et de sanctionner les déviants à la norme. Les
Américains et les Chinois semblent les plus à même d’effectuer ces vérifications au regard
de leurs capacités d’action (multiples radars, télescopes et satellites au service de la
surveillance de l’espace). Même si un consensus en amont est atteint, la définition de la
gouvernance globale sous-entend une conflictualité ultérieure. L’évolution du paysage
spatial, présentée comme inéluctable, est dictée par la formule américaine des 3C qui agit
dès lors comme une prophétie auto-réalisatrice. Cette conception de l’espace se nourrit de
l’imaginaire américain ayant comme fondement une culture stratégique sécuritaire.
925
David Grondin, La généalogie de l’espace comme “champ de bataille” dans le discours astropolitique américain. La
stratégie de construction identitaire des Etats-Unis comme puissance stratégique globale, Thèse de doctorat en science
politique, Université du Québec à Montréal, mars 2008, p. 35.
- 367 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
926
« complexe militaro-intellectuel » et met en avant le rôle structurant de la RAND
corporation au sein de l’administration conservatrice. Cette logique gouvernementale de
sécurité nationale a été transposée à la stratégie militaire spatiale. La menace a été
Bien que focalisant son étude sur les évolutions bellicistes marquées par la présidence des
néoconservateurs et inscrite dans la National Space Policy de 2006, les fondements
idéologiques relatifs à la stratégie de domination globale libérale américaine sont enracinés
depuis les années 1980, eux-mêmes s’inscrivant dans la culture politique du régime
gouvernemental de sécurité nationale. La rhétorique de la présidence actuelle d’Obama,
bien que plus encline à la coopération internationale, est l’héritière de ce régime
gouvernemental de sécurité nationale mis en place depuis la fin de la deuxième guerre
mondiale, et érigeant les Etats-Unis au rang de puissance stratégique globale. Les mandats
conservateurs n’ont fait que « profiter » du caractère exceptionnel des événements du 11
septembre 2001 et du sentiment patriotique qu’ils ont généré, afin de faire accepter l’idée
d’une inévitable guerre dans l’espace. L’écriture des imaginaires sécuritaires a permis au
régime de définir ce qu’est une menace et de dire comme la « sécuriser ». La culture de la
sécurité nationale implique la préparation militaire permanente et nécessite la présence
d’un ennemi et d’une imagination constante des menaces possibles. Le discours
astropolitique est peut-être davantage l’apanage d’une administration néoconservatrice,
mais les professionnels de la puissance militaire spatiale, c’est-à-dire les militaires chargés
de mettre en place la politique spatiale, ne subissent pas les changements de pouvoir. Il est
donc compréhensible à cet égard de constater des écarts de discours entre le président
démocrate Barack Obama et le Général William Shelton en janvier 2014. Les membres des
think tanks continuent également à produire même s’ils ne détiennent pas les faveurs du
pouvoir en place. A l’instar du CSIS et de Suzanne Nosel promouvant le smart power, ils
926
Ibid., p. 111.
927
Ibid., p. 44.
- 368 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
tentent constamment d’influencer les idées et les croyances et se saisissent d’une nouvelle
fenêtre d’opportunité politique lorsqu’elle apparaît. Le discours astropolitique actuel peut
être compris comme alliant la même volonté d’exercice de la supériorité dans l’espace,
mais sans que la nécessité de l’armer soit affirmée. De George W. Bush à Barack Obama,
deux contenus et « styles » différents encadrent une même ambition de sécuriser l’espace.
Pour les néoconservateurs, il faut sécuriser l’espace et donc l’armer, en répondant à la
logique préventive de l’après-11 septembre, c’est-à-dire avant que d’autres ou des
éléments menaçants créent la surprise (stratégique). Pour les démocrates, il faut sécuriser
l’espace en multipliant les coopérations avec les alliés, créant de fait une interdépendance
complexe et partageant ainsi le fardeau. Il faut pouvoir disposer de redondances et faire
preuve de résilience. Pour tous, la sécurisation n’est plus envisagée comme relevant du
domaine de l’exception mais dépend des pratiques des professionnels de la
sécurité/insécurité qui agissent comme de véritables gestionnaires de la peur, du danger et
de l’inquiétude. Pour faire des imaginaires sécuritaires les seuls cadres de compréhension
du réel dans l’esprit de la population américaine, les décideurs américains utilisent une
analogie au fort pouvoir évocateur et émotionnel, l’événement de Pearl Harbour. Il
constitue la surprise stratégique par excellence. Lyndon Johnson a employé cette analogie
au lendemain de la mise en orbite de Spoutnik par les Soviétiques en 1957. En janvier
2001, la Commission Rumsfeld souligne dans son rapport que : “ The U.S is an attractive
candidate for a “Space Pearl Harbor”” 928. L’analogie est réactivée de plus belle au
lendemain du 11 septembre, lorsque ces attaques sont utilisées dans le but de montrer que
l’inimaginable peut être réel. Dans le domaine spatial, c’est le tir ASAT chinois de 2007
qui permet de fixer cette idée sur un fait réel. Dans ces conditions, le Pearl Harbor spatial
doit être imaginé. Il fait partie des « nouvelles menaces » 929 qui concourent à développer
une lecture dominante de la conflictualité. Pour Grondin, le scenario de la guerre spatiale
est la guerre imaginée qui remplace celle de la guerre nucléaire. Les Etats-Unis entraînent
dans leur sillage leurs alliés. En termes de solutions, ils font appel à la pensée experte, où
le tout technologique est censé régler le problème. Les Etats-Unis demandent à leurs alliés
d’entrer dans cette logique qui a moins de sens voire pas de sens pour eux au regard de leur
928
Report of the Commission to Assess United States National Security Space Management and Organization, pursuant to
Public Law 106-65, 11 janvier 2001, p. 13.
929
Grégory Daho, « Nouvelles menaces », « nouvelles guerres » : la construction des discours sur le désordre international,
Les Champs de Mars, n°20, avril 2009, pp 109-130.
- 369 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Chaque culture stratégique est unique et provient d’une expérience spécifique. Certains
facteurs 932 peuvent aider à cerner les spécificités nationales car le lien est fort entre la
culture nationale et la culture stratégique. Les décideurs ont un rôle particulier par rapport
à la culture stratégique nationale car ils sont en mesure d’en occulter certains aspects
lorsque les événements l’exigent. La culture stratégique reste donc de l’ordre du processus
construit socialement et historiquement. Elle est donc pour une partie conditionnée aux
choix des décideurs nationaux et subit également l’influence d’autres Etats dans la mesure
où sa construction sociale est sujette aux relations qu’entretient l’Etat avec ses alliés. Elle
est tout de même composée d’un socle de caractéristiques permanentes, mais reste
930
Hubert Védrine, La France et la mondialisation, Rapport pour le Président de la République, septembre 2007, p. 52.
931
Bradley S. Klein cité par Bruno Colson, « La culture stratégique française », http://www.institut-
strategie.fr/strat_053_Colson.html
932
Parmi lesquels la position géopolitique, les relations internationales, l’idéologie, la culture politique, la culture militaire
les relations civils-militaires, l’organisation bureaucratique, l’armement et la technologie militaire, in Carnes Lord,
"American Strategic Culture”, Comparative Strategy, vol. 5, 1985, 3, p. 272.
- 370 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
933
Général Vincent Desportes, http://www.xerfi-precepta-strategiques-tv.com/emission/Vincent-Desportes-La-culture-
strategique-americaine_1904.html
934
Bruno Colson, « Culture stratégique américaine », in Dictionnaire de stratégie militaire, Gérard Chaliand, Arnaud Blin
(dir.), Paris, Librairie académique Perrin, 1998.
935
Alain Joxe, Le cycle de la dissuasion (1945-1990). Essai de stratégie, Ed. La Découverte, 1990, p. 291.
- 371 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Fort de cette définition, la stratégie spatiale française pourrait faire une place à une
forme de dissuasion dans l’espace. En développant sa réflexion sur une stratégie
spatiale française en cohérence avec ses valeurs, la France serait moins perméable
aux concepts importés d’outre-Atlantique. Les caractéristiques mises en avant par
Colson sont donc ici analysées au regard de l’utilisation française de l’espace.
936
Hervé Coutau-Bégarie, Traité de stratégie, Paris, Economica, 7 ème édition, p. 78.
- 372 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Bien que la France ait réintégré le commandement intégré de l’OTAN en 2009 938, elle
garde l’ambition de son autonomie. Ainsi, au sein du rapport traitant des
conséquences de ce retour, Hubert Védrine souligne que :
937
Bruno Colson, http://www.institut-strategie.fr/strat_053_Colson.html#Note30
938
La France reste cependant toujours en dehors du groupe des plans nucléaires, bien que tous les Etats membres de l’OTAN
y participent.
939
Hubert Védrine, Rapport pour le Président de la République sur les conséquences du retour de la France dans le
commandement militaire intégré de l’OTAN, sur l’avenir de la relation transatlantique et les perspectives de l’Europe de la
défense, 14 novembre 2012, file:///D:/Cl%C3%A9%20USB/FRANCE-EUROPE/Rapport_Vedrine-2.pdf
940
Les Britanniques abandonnent leur programme Blue Streak (missile balistique britannique), qui devait remplir le rôle de
premier étage du lanceur Europa. Cette décision marque la baisse des ambitions stratégiques britanniques.
- 373 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
941
Alain Dupas, La nouvelle conquête spatiale, Paris, Odile Jacob, 2010, p. 166.
942
Il a notamment décidé la création du CNES, la construction d’un lanceur français pour des satellites de petite taille et le
développement de la coopération scientifique entre les Etats européens.
943
Déclaration de M. Nicolas Sarkozy, Président de la République, sur les défis et priorités de l’industrie spatiale
européenne, 11 février 2008, Kourou, http://discours.vie-publique.fr/notices/087000516.html
- 374 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Ces idées sont largement reprises dans les Livres Blancs de la défense et de la
sécurité nationale de 2008 et 2012, ce dernier érigeant :
Cette constante de la culture stratégique française est donc très présente dans la
vision qu’ont les autorités françaises de leur utilisation de l’espace et du rôle que ce
dernier doit jouer au profit de la France.
La France a également des prétentions universalistes qui se réalisent dans « la volonté
de défendre, puis d’exporter ses idéaux » 946. En ce sens, France et Etats-Unis sont
tous deux animés par une aspiration universaliste mais aux visions du monde
différentes.
Sans nier le fait que la France, comme tout autre Etat, défend ses intérêts, sa tradition
humaniste contraste avec l’approche sécuritaire qui est celle des Etats-Unis et qui
supplante toutes leurs valeurs. Au sein des discussions relatives à la sécurité des activités
spatiales, cela s’illustre par la volonté américaine de préserver à tout prix leur liberté dans
l’espace. Bien que la France emploie un discours similaire, ses décideurs invoquent
également leur volonté de contribuer à une égale exploitation de l’espace entre les Etats.
944
Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité Nationale, Ministère de la Défense, 29 avril 2013, p. 88 et p. 45.
945
Général Arnaud, commandant le Commandement Interarmées de l’Espace (CIE), « Souveraineté nationale et efficacité
militaire », Armée d’aujourd’hui, avril 2012, n°369, p. 48 – 49.
946
Bruno Colson, op.cit.
- 375 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Ce sont généralement des idées portées par les Etats « émergents » (Chine et Inde). Bien
que les Etats-Unis utilisent de manière pragmatique la notion de gobal common pour le
milieu spatial, ils n’envisagent pas l’espace comme un « territoire commun » à l’humanité,
comme l’ont montré les analyses développées précédemment dans cette thèse. D’aucuns
considèrent même que cette notion floue alimente la course aux armements :
« La promotion du concept de global commons aboutit à une forme de militarisation des
espaces communs » voire mène à la course aux armements dans l’espace 947.
Les Etats-Unis ne se sont jamais positionnés contre la course aux armements dans
l’espace, bien au contraire, ce sont les premiers à avoir alimenté ce qui s’apparente à
un dilemme de sécurité. A l’inverse, depuis la conquête de l’espace, la France a
toujours mis en garde contre cette escalade. Elle a été très active sur ce sujet même si
son discours s’est fait plus rare dans les années 2000. Le président Sarkozy rappelle
en 2008 que la stratégie spatiale française doit être « raisonnée et cohérente, réaliste
au regard de nos moyens, mais respectueuse de notre ambition, de notre histoire, et
de notre avenir. »
- 376 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Cela n’annihile pas la volonté de la France de faire entendre sa voix face aux
exigences américaines.
947
Frédéric Ramel, « Accès… », p. 31.
948
Bruno Colson, http://www.institut-strategie.fr/strat_053_Colson.html#Note30
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Ce projet HiROS n’a jamais vu le jour, mais ce câble révèle que pour certains, dont le
BND, le partage des compétences spatiales (optique/radar) avec la France n’est pas
949
Ce sont les homologues du COSMOS français (Centre Opérationnel de Surveillance Militaire des Objets Spatiaux).
950
Multinational Space-Based Imaging System for Surveillance, Reconnaissance and Observation
951
“BND lobbying Merkel and USG on Satellite Reconnaissance Cooperation”,
https://wikileaks.org/plusd/cables/10BERLIN161_a.html
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Selon Bruno Colson, la valeur « terre » serait prédominante sur les autres milieux au
sein de la culture stratégique française. Bien que n’évoquant pas cette valeur terre au
regard du développement du secteur spatial en France, cette valeur a pu jouer un rôle.
En effet, les différents Etats-majors (Air, Terre et Mer) ne semblent pas avoir saisi
rapidement toute l’étendue des potentialités qu’offraient le milieu spatial et sa
conquête par les satellites. C’est le cas des satellites d’observation dans les années
1980-1990.
952
Mike Gruss, “U.S and Germany Sign Space Surveillance Pact”, Space News, 31 janvier 2015, http://spacenews.com/u-s-
and-germany-sign-space-surveillance-pact/
- 379 -
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953
Général Pascal Valentin (dir.), Espace et Opérations. Enseignements et Perspectives, Paris, L’Harmattan, 2012, p. 23.
954
Car « il permet de voir plus loin, de décider plus vite et en meilleure connaissance de cause », discours du chef d’état-
major des armées à la création du Commandement interarmées de l’espace (CIE), 2 juillet 2010.
955
Ibid., p. 24
- 380 -
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Les capacités spatiales continuent cependant d’être développées mais certaines restent
à la marge, c’est le cas de la surveillance de l’espace. Cela peut s’expliquer par le fait
qu’il faut intégrer une logique inverse qui est l’observation de l’espace à partir de la
Terre au profit de la planification et de la conduite des opérations. Certains regrettent
que l’attribution des crédits au profit de l’espace militaire se fasse essentiellement au
bénéfice de la capacité d’observation.
[A propos du budget spatial militaire français] « Pour l’instant c’est 400 millions
pour le programme successeur d’Hélios, MUSIS et 0 pour la surveillance. » 956
Ces choix politiques sont à lier à la visibilité immédiate qu’offre l’observation de la
Terre. En effet, le décideur est sensible à cette capacité spatiale qui lui permet d’avoir
sous les yeux, en peu de temps, des images qu’il pourra convertir en outil
diplomatique. Il sera alors plus enclin à y consacrer une part importante du budget. La
surveillance de l’espace comme outil diplomatique n’est véritablement comprise que
lors de la mise en œuvre du système GRAVES et de ses résultats peu après 2005 957.
Enfin, bien que l’apport de l’utilisation de l’espace ait été compris par les décideurs
français, on note que cela peut être remis en cause facilement. En effet, avant
l’annonce du doublement du budget spatial d’ici à 2020 par le LBDSN 2008, ce
budget avait accusé une baisse de 33% entre 1993 et 2006. En 2008, le budget spatial
a atteint son plus bas niveau avec 380 millions d’Euros, du fait de l’absence de
programmes nouveaux 958. Bien qu’utilisé aujourd’hui au quotidien par les forces
armées françaises, et devenu indispensable à certains systèmes embarqués (GPS pour
guidage des bombes et télécommunications pour drones par exemple), il semble
nécessaire de rappeler régulièrement que cette contribution est devenue une
dépendance 959. La France et ses décideurs continuent majoritairement à percevoir
l’espace comme hautement stratégique, ce qu’il est certes, mais pas seulement.
Depuis la guerre du Golfe, la France aurait eu intérêt à prendre davantage en compte
956
Entretien avec le Commandant le Commandement de la Défense Aérienne et des Opérations Aériennes, CDAOA, en
charge de la surveillance de l’espace, Paris.
957
Laurent Zecchini, « Le radar « GRAVES » scrute l’espace et détecte les satellites espions américains », Le Monde, 20 juin
2007.
958
La Loi de Programmation Militaire 2014-2019 prévoit une augmentation annuelle des dépenses d’investissement au
bénéfice du domaine spatial.
959
En 2015, 100% des missions militaires réalisées par les forces maritimes, terrestres ou aériennes françaises ont utilisé le
GPS. De la même manière, 67% des armements délivrés par la France l’ont été sur coordonnées (utilisation d’images
satellites puis guide inertiel ou GPS).
- 381 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
« Faire des global commons une des composantes d'une grande stratégie
relayée dans une alliance militaire et ayant comme finalité un autre
rapport au territoire peut aussi et surtout répondre à une logique de
«stabilité hégémonique». Cette idée d'extension s'articule ici à une
qualification : les Etats-Unis incarnent un « hegemon libéral» qui cherche
à préserver son statut. » 964
960
Bruno Colson, op. cit.
961
François Géré (dir.), Les lauriers incertains. Stratégie et politique militaire des Etats-Unis 1980- 2000, FEDN, 1991, pp.
374-375.
962
Alain Joxe, Le cycle de la dissuasion (1945-1990). Essai de stratégie critique, Ed. La Découverte, Paris, 1990, p. 287.
963
Ibid., p. 287.
964
Frédéric Ramel, « Accès… », op. cit.,p. 30.
- 382 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
965
Christoph O. Meyer, “Theorising European Strategic Culture: Between Convergence and the Persistence of
National Diversity”, CEPS Working Document, n° 204, June 2004, p. 4.
966
Alessia Biava, « La culture stratégique de l’Union européenne dans le domaine de la sortie des crises et des conflits : un
cadre de référence », in Vincent Chetail, Cédric Van Der Poel, Sylvie Ramel, René Schwok, Prévention, gestion et sortie des
conflits, Actes de séminaire, Genève, IEUG/Collection Euryopa, 2006, p. 61. Une des priorités stratégiques définies alors
était la promotion d’un multilatéralisme efficace.
- 383 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
“ The threats delineated on the U.S side often involved offensive actions
by other space-faring actors, whereas Europe primarily focuses on the
threats posed by space debris, satellite collisions and other such
phenomena.” 967
967
Jana Robinson, “Space Security…”,op. cit., p. 13.
968
Jean-Jacques Patry, Nicole Vilboux, Philippe Gros, « L’élaboration…, op. cit., p. 87.
969
Craig B. Greathouse, « Challenges of Power and the European Union: Conflicting Strategic Cultures and
Traditional Power Politics », in The EU as a Global Actor: Perspectives on Power, conférence Georgia Tech University,
September 19, 2008, p. 4.
- 384 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
- 385 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
spatial dispose d’une procédure dont chaque étape est codifiée. Cet exercice est sur le
point de devenir annuel. L’avantage de ce forum non-OTAN est que d’autres nations
peuvent y participer. Les Japonais ont réalisé cette démarche pour l’édition 2016,
mais les organisateurs (USSTRATCOM) ont exprimé leur souhait d’y convier
d’autres nations sous le statut d’observateurs. Bien que la conceptualisation du milieu
spatial soit présente dans les documents de l’OTAN via la notion de global common,
il n’existe pas actuellement de doctrine spatiale otanienne 970. D’après un observateur
averti de ces questions, les pays membres de l’OTAN ne souhaitent pas rédiger une
doctrine spatiale évoquant le sujet épineux du développement d’armes dans l’espace
par peur de susciter une surenchère.
La réintégration de la France dans les organismes intégrés de l’OTAN a fait espérer
qu’une influence conceptuelle s’y distillerait. Hubert Védrine en a même fait une
condition de la réussite de cette réintégration. En guise de reconnaissance, la France a
obtenu le commandement allié Transformation de l’OTAN (SACT). C’est au sein de
ce SACT que se situe le Joint Air Power Competence Center (JAPCC), localisé en
Allemagne. Ses missions consistent à appliquer les processus transformationnels
importés des États- Unis pour la mise à niveau des forces aériennes et spatiales de
l’Alliance. Le Centre existe afin de diffuser une culture aérienne et spatiale (aux
niveaux stratégique et opératif) largement inspirée par le modèle américain. On peut
cependant raisonnablement penser que cette influence américaine n’est pas
unidimensionnelle, bien qu’au final les Européens valident les idées et concepts
venus d’Outre-Atlantique.
Qu’en est-il alors de la « manière proprement européenne de percevoir, interpréter et
réagir aux menaces et aux opportunités diplomatiques » 971 ? Cette question est
d’autant plus cruciale que sont observés maintenant depuis une dizaine d’années des
transferts normatifs et conceptuels de la culture stratégique dominante (d’origine
nord-américaine) vers les documents programmatiques et stratégiques français. Outre
le fait que ces transferts permettent de faire l’économie d’un véritable travail de
réflexion stratégique purement nationale, quelles en sont les « conséquences
970
L’OTAN, par l’intermédiaire du Joint Air Power Competence Center, JAPCC, a tout de même publié un document ouvrant
la voie à la future politique spatiale otanienne, « Filling the Vacuum. A Framework for a NATO Space Policy », JAPCC, juin
2012, http://www.japcc.org/wp-content/uploads/SPP_2012_web.pdf
971
Joanna Spear, « The Emergence of a European 'Strategic Personality' », Arms Control Association, 2003.
- 386 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
972
imprévues » sur la culture stratégique réceptrice ainsi que sur la culture de
commandement qui lui est associée ?
Sous l’influence de trois facteurs principaux 973, les recherches américaines dans le
domaine de la réflexion stratégique sont depuis quelques décennies devenues
dominantes. Sans même que cela soit assumé complètement, les réflexions
stratégiques françaises cèdent à deux tendances : l’attrait des références anglo-
saxonnes et la pratique des traductions sur le plan conceptuel 974. Ce « tropisme
américain » 975 n’est pas sans conséquence sur une culture stratégique française
différente et sur sa culture militaire qui en découle. Cette acculturation progressive
est édifiante au sein des LBDSN 2008 et 2013.
Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, l’identité étatique des Etats-Unis est
pensée au prisme de la sécurité nationale. Les intellectuels et les praticiens
américains ont donc défini, tour à tour, les imaginaires sécuritaires (ce qu’est une
menace et comment la « sécuriser ») peuplés de menaces contre la sécurité nationale.
972
Thierry Delpeuch, L’analyse des transferts internationaux…, op. cit., p. 5.
973
L’afflux de réfugiés du nazisme créant un vivier de spécialistes, la position dominante des Etats-Unis au sortir des deux
guerres mondiales et la présence de fondations très impliquées dans le financements d’activités de recherche, in Frédéric
Ramel, « Une troisième voie pour la pensée stratégique », Les Cahiers de la Défense Nationale, Hors-série, juillet 2009, p.
107.
974
Ibid., p. 107.
975
Ibid., p. 106.
976
Alain Joxe, « La cohérence du Livre blanc sur la sécurité nationale », Le Débat Stratégique, n°98, 2008, pp. 2-3.
- 387 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
977
En référence à la définition des « systèmes homogènes » par Raymond Aron, in Paix et guerre entre les nations, op.cit., p.
108.
978
Frédéric Coste, « L’adoption du concept de sécurité nationale : une révolution conceptuelle qui peine à s’exprimer », Note
n°03/2011, Fondation pour la Recherche Stratégique.
979
LBDSN 2008, p. 10.
- 388 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
application tous les moyens qui garantiront son existence, son bien-être et
sa prospérité. L’utilisation des forces armées n’est alors qu’un des
moyens, parmi bien d’autres, d’une telle stratégie » 980
Le document par excellence qui met en lumière ce changement de cap conceptuel est
le LBDSN 2008. Il s’ouvre sur ce constat :
Ce changement a été entériné par l’ajout d’un article au sein du Code de défense, en
prévoyant la mise en œuvre d’une « politique de sécurité nationale ». La nouvelle
posture anticipatrice (détection des risques et des menaces) est l’inverse de la posture
antérieure, défensive et réactive. Le LBDSN 2008 élabore ainsi une « typologie » des
menaces et des risques :
980
Jean Porcher, « Défense versus sécurité nationale », Défense nationale et sécurité collective, n° 8, août-septembre 2008, p.
72.
981
LBDSN 2008, p. 57.
982
Alain Joxe, « La cohérence du Livre Blanc… », op. cit., p. 2.
983
Ibid., p. 2.
984
LBDSN 2008, p.13
- 389 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
985
Ibid., p. 25.
986
Ibid., p. 69, 102, 105.
987
Frédéric Coste, op. cit., p. 25.
988
LBDSN 2013, p.10.
989
LBDSN 2008, p. 143.
- 390 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Les débris spatiaux apparaissent ainsi comme des risques, tandis que les possibilités
d’agressions dans l’espace relèvent des menaces. Le problème des débris est un
thème relativement consensuel, partagé tant par les savants que les profanes.
L’invocation de la notion de bien commun y a beaucoup contribuée. Le risque
« débris spatiaux » (et son effet Kessler) a été construit grâce à son « niveau
d’équipement », - nombre et diversité des outils mobilisés dans le degré de
constitution d’un risque 991. Les problèmes labellisés comme risques sont des
opportunités autant pour les acteurs institutionnels (sanctuarisation de poste,
augmentation du budget…), que les non institutionnels (légitimation de
l’organisation, médiatisation…).
990
Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale (SGDSN), La France face aux évolutions du contexte
international et stratégique, Document préparatoire à l’actualisation du Livre Blanc sur la Défense et la Sécurité Nationale,
2012.
991
Les équipements ont été évoqués tout au long de cette thèse : statistiques, calculs de probabilité, rapports parlementaires,
actes de séminaire, articles de journaux, sites web des think tanks etc., in Claude Gilbert, « La fabrication des risques »,
Cahiers internationaux de sociologie, 2003/1, n°114, p. 67.
992
Ibid., p. 69.
- 391 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
exemple une place prépondérante aux technologies 993. La question ici est de
déterminer si c’est :
Ainsi les « nouvelles menaces » ne sont pas en soi nouvelles mais c’est bien plutôt leur
visibilité qui les fait apparaître comme telles. De même, il est intéressant de noter qu’à
l’inverse certains réalistes tels qu’Henri Kissinger et Zbigniew Brzezinski considèrent la
période de la Guerre froide comme une « aberration temporaire » et que sa fin nous ramène
dans un système international « normal », répondant à un état de nature hobbesien de lutte
entre puissances 995. Transposé au milieu spatial, cette période de la Guerre froide a instauré
un équilibre des forces maintenu par des contraintes stratégiques mutuelles entre Etats-
Unis et URSS. Les évolutions post-Guerre froide, décrites précédemment, ont instauré une
situation qui paraît plus instable, au regard notamment de la diversité des acteurs ayant
investi l’espace. De là découle la description du milieu, devenu selon les discours
américains, « congested, contested and competitive » 996. Ce discours anxiogène appelle,
toujours selon les décideurs et praticiens américains, à la mise en place de la « sécurité des
activités spatiales » au service de la sécurité nationale et internationale. Les discours
effectués par Franck Rose de par le monde mettent l’accent sur les menaces en prenant
systématiquement comme référence le tir ASAT chinois de 2007. Cette socialisation par le
discours de menaces véhiculé par l’imaginaire sécuritaire américain fait que les alliés
adoptent une culture stratégique qui complète celle des Etats-Unis. Ce qui fait dire à
Grégory Daho que :
993
Cela se caractérise par les concepts américains de RMA (Révolution dans les Affaires Militaires) puis Transformation.
994
Grégory Daho, « « Nouvelles menaces », « nouvelles guerres » : la construction des discours sur le désordre
international », Les champs de Mars, Questions de défense, n°20, avril 2009, La Documentation française, pp.109-130.
995
Ibid., p. 123.
996
National Security Space Strategy, Unclassified Summary, Department of Defense, Office of the Director of National
Intelligence, janvier 2011, p. 1.
- 392 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
La France a fait sienne la liste des risques et menaces auxquels ses systèmes spatiaux
peuvent être confrontés. Elle valide ainsi la description de l’espace faite par les
Américains et en conséquence exprime des besoins en fonction de cette vision de
l’espace qui structure la pensée. Cette réalité ne doit pas être ignorée, mais la
description américaine de l’espace comme congestionné, contesté et compétitif fait
peu de cas de l’espace comme bien commun, dans le sens d’Ostrom.
Au contraire, l’adoption de tout ou partie de l’imaginaire sécuritaire américain a pour
conséquence l’adoption de contre-mesures renforçant la conception triplement
anxiogène du milieu spatial. Ces contre-mesures sont des réponses technologiques à
une situation qui est décrite comme celle d’un conflit latent dans l’espace. Elles
provoquent donc un effet d’entraînement technologique dont les Etats-Unis sont le
point d’origine.
Cette précipitation à penser les contre-mesures, notamment en termes technologiques, est
justifiée par la place prise par les utilisations étatique de l’espace civil et militaire. La
grande vulnérabilité de certains Etats liée à leur dépendance spatiale fait que ces derniers
ne peuvent envisager une rupture de services spatiaux lors par exemple de leurs opérations
de guerre. Les utilisations militaires de l’espace permettent aujourd’hui aux armées
d’obtenir davantage de réactivité sur les théâtres d’opérations et de gagner en précision
(positionnement des troupes, largage de munitions) grâce à la navigation. L’utilisation de
l’espace est donc à présent pleinement intégrée aux opérations extérieures menées par la
France. En 2011, l’opération Harmattan en Libye capitalise sur cet apport stratégique,
opératif et tactique. Les satellites d’observation permettent d’élaborer des modèles
numériques de terrain et de faire du « ciblage », les satellites d’écoute alimentent le
renseignement, la constellation GPS augmente la précision de navigation des avions ainsi
997
Grégory Daho, « « Nouvelles menaces »… », op. cit., p. 130.
- 393 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
998
que l’orientation des missiles guidés GPS , permettant de limiter les dommages
collatéraux et les satellites de communication permettent à l’ensemble de rester en contact
permanent. Enfin, la surveillance de l’espace apporte une plus-value en ce sens qu’elle fait
apparaître le moment le plus opportun pour opérer des frappes aériennes ou effectuer des
manœuvres au sol sans être vu ni entendu. Ces éléments font que la France s’inscrit petit à
peu dans un modèle de guerre réseaucentrée par la numérisation du champ de bataille. La
planification et la conduite des opérations s’organisent en liens virtuels qui sont autant de
lignes de communications fonctionnant en réseau donc dépendantes les unes des autres.
Ces lignes de communications sont éparses et traversent tous les milieux ; air, terre, mer,
espace, cyberespace.
Par analogie stratégique avec les autres milieux, Klein qualifie les routes par lesquelles ces
informations circulent de « lignes de communication célestes » 999. Ces transformations, qui
numérisent le champ de bataille, s’inscrivent dans ce qu’on appelle la Révolution dans les
Affaires Militaires (RAM). Ce phénomène nord américain désigne l’utilisation de la haute
technologie dans la conduite de la guerre. L’utilisation de l’espace entre donc pleinement
dans cette RAM. La numérisation du champ de bataille crée de nouvelles vulnérabilités
parmi lesquelles l’accélération du rythme de la bataille (battle rhythm) à laquelle les
Hommes doivent s’adapter, la difficulté à basculer sur l’ancien système en cas de rupture
de services (perte de compétences), la perte de contact avec le réel (la réalité est vue via un
écran), les cyberattaques, la difficulté à être interopérable (l’interopérabilité requière
l’existence d’un réseau commun ; si ce dernier est en passe de se réaliser entre les Etats
otaniens, il prive ces derniers de coopérations ponctuelles avec des Etats non otaniens), et
enfin l’apparition du phénomène de communication directe entre militaires haut gradés et
simples soldats, ce qui compromet la hiérarchie militaire 1000. Au gré des engagements
extérieurs de la France, et de l’utilisation croissante de technologies nécessitant l’appui
spatial, le relatif retard français tend à se résorber. Cependant cette tendance se réalise au
détriment d’une adoption pleinement réfléchie des concepts américains de guerre
réseaucentrée. Si ces concepts nord-américains sont transférés au sein d’une culture
stratégique nationale sans y être adaptée,
998
Les armes guidées par laser ou GPS ont représenté plus de 90% des munitions utilisées durant l’opération Harmattan, in
Joseph Henrotin, « Imaginaires techno-informationnels et efficience militaire », in Maryse Carmes, Jean-Max Noyer (dir.),
Les débats du numérique, Paris, Presses des Mines, 2013.
999
« Celestial lines of communication (CLOC) », in John Klein, Space warfare: strategy, principles and policy, New York,
Routledge, 2006, p. 51.
- 394 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
1000
Joseph Henrotin, « Imaginaires techno-informationnels… », op. cit., p.15.
1001
Ibid.
1002
Laurent Henninger, op.cit.
1003
Frédéric Ramel, « Accès… », op. cit.,p. 31.
- 395 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
1004
Frédéric Ramel, « Accès aux espaces communs… », op. cit., p. 34.
1005
Expression employée dans les années 1980 par Ronald Reagan puis la présidence Clinton, George W. Bush et enfin par
William J. Lynn, secrétaire adjoint de la défense au sein de la présidence de Barack Obama.
1006
William J. Lynn, “A Military Strategy for the New Space Environment”, op. cit., p. 11.
1007
Cette remarque peut être versée à la réflexion plus générale sur les prises de décision de l’acteur rationnel. Graham T.
Allison et Philip D. Zelikowv, « L’essence de la décision. Le modèle de l’acteur rationnel », Cultures & Conflits, hiver 1999
– printemps 2000.
1008
“SSA-generated information is likewise necessary to detect irresponsible space behaviour, as well as monitor the actions
of potential adversaries”, Jana Robinson, “Space Security…”,op. cit., p. 18.
- 396 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
1009
“A network of ground-based and space-based sensors would provide input data to be a set of SSA Service Centres based
on their main functions”, Jana Robinson, “Space Security…”,op. cit., p. 20.
1010
Raymond Aron, Paix et guerre…, op. cit., p. 19.
- 397 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
1011
américaine actuelle et concept structurant les relations internationales spatiales au 21ème
siècle.
Le poids de l’histoire ne serait être négligé 1012. La France a très tôt pris position au sein des
forums internationaux contre la course aux armements dans l’espace. Cette position se
situe de plus en plus en contradiction avec celle, américaine, qui refuse de s’empêcher
d’utiliser un jour ce type d’armes contre ses adversaires. Tout en acceptant la définition
américaine de l’espace comme congested, contested and competitive, la France a su y
opposer une réponse en termes de soft law. L’échec (provisoire ?) du projet normatif
pourrait cependant amener les dirigeants français à adopter l’imaginaire américain
anxiogène. L’acculturation stratégique en cours peut amener peu à peu la France à revoir
ses positions, et réfléchir à des utilisations plus offensives de l’espace.
1011
Frédéric Ramel, op. cit., p. 34.
1012
Pierre Grosser, « De l’usage de l’Histoire dans les politiques étrangères », in Frédéric Charillon (dir.), Politique
étrangère, Nouveaux Regards, Paris, Presses de Science Po, 2002, p. 362.
- 398 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
1013
Guillaume Devin, « Les Etats-Unis et l’avenir du multilatéralisme », Cultures et conflits, n°51, septembre 2003, p. 2.
1014
Guillaume Devin, « Le multilatéralisme est-il fonctionnel ? », in Bertrand Badie, Guillaume Devin (dir.), Le
multilatéralisme, Paris, Ed. La Découverte, 2007, p. 147.
1015
Ibid.
1016
Ibid.
1017
Guillaume Devin, « Les Etats-Unis… », op. cit., p. 4.
- 399 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
1018
pouvons, unilatéraux quand nous le devons » . Ainsi, si les Américains pratiquent un
« multilatéralisme à la carte », les Européens sont contraints de jouer « la carte du
multilatéralisme pour se faire entendre » 1019.
Dans le cadre des discussions relatives à la sécurité des activités spatiales, cette forme de
multilatéralisme souple a été appliquée. Comme en écho à l’adhésion du concept de guerre
réseaucentré, la politique étrangère démocrate développe un « multilatéralisme en
réseau » 1020. Ce dernier passe par :
La conférence de Prague et les déplacements nombreux de Franck Rose au sein des Etats
alliés des Etats-Unis sont les illustrations de cette démarche de bottom-up et de diplomatie
de la communication.
Ce multilatéralisme permet aux Etats-Unis d’articuler sa position diplomatique avec celles
de ses alliés par des arrangements en amont et des coalitions ad-hoc (à l’instar des réunions
préparatoires entre les « friends of the code » 1022 et particulièrement avec la Grande-
Bretagne et la France). Cette démarche, qui est en apparence (par les discours) ouverte sur
de larges consultations internationales, ne remet jamais en cause la position dominante
voire dominatrice des Etats-Unis. Ces discussions débouchent certes sur des visions
communes (orientées par les Américains) mais pas sur des décisions concrètes 1023. Ainsi la
vision de la sécurité des activités spatiales s’articulent autour de grandes idées faisant
1018
Cité in Pierre Hassner, Justin Vaïsse, Washington et le monde. Dilemmes d’une superpuissance, Paris, Autrement, 2003,
p. 75.
1019
Guillaume Devin, « Les Etats-Unis et l’avenir du multilatéralisme », op.cit.
1020
Lors de son discours devant le Council on Foreign Affairs en 2009, Hilary Clinton précise son idée du multilatéralisme
(multipartenariats) au détriment de la multipolarité : “In short, we will lead by inducing greater cooperation among a
greater number of actors and reducing competition, tilting the balance away from a multi-polar world and toward a multi-
partner world.”, Washington, 15 juillet 2009, URL: http://www.cfr.org/diplomacy-and-statecraft/conversation-us-secretary-
state-hillary-rodham-clinton/p34589
1021
Alexandra de Hoop Scheffer, «Le multilatéralisme américain, entre pragmatisme et réinvention », Questions
internationales, n°39, La documentation française, septembre-octobre 2009, p.4.
1022
Que sont l’Australie, les Etats-Unis, le Japon, l’Inde, la Corée du Sud et le Canada, confer Partie 1 de cette thèse.
- 400 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
relativement consensus (la réduction de la population des débris dans l’espace, la durabilité
des utilisations de l’espace, les utilisations pacifiques, les coopérations internationales etc.)
mais sans remettre en cause les éléments de l’hégémonie américaine (la légitime défense,
le déni d’accès à l’espace pour certains Etats jugés « voyous »). De cette manière, les
revendications des pays en développement telles que la juste répartition des ressources
liées à l’espace ou leur incompréhension face à l’idée de légitime défense semblent être
restées peu entendues.
La pratique affichée du multilatéralisme cache plutôt celle du « concert des démocraties ».
Ces « coalitions de puissances » informelles s’appuient sur des relations bilatérales
renforcées entre les Etats-Unis et leurs alliés transatlantiques et transpacifiques. Elles
servent à optimiser les possibilités de coopération institutionnelle en agissant dans la phase
de pré-négociation comme des groupes de pression pour créer consensus et confiance de
leurs propositions et actions, et ainsi convaincre d’autres Etats à les rejoindre 1024.
Ainsi, même si l’Europe (avec la France en pointe) promeut le multilatéralisme, elle
1023
Alexandra de Hoop Scheffer, « Le multilatéralisme… », op .cit., p. 5.
1024
Ibid., p. 6.
1025
Maxime Lefebvre, « La politique étrangère européenne : quel bilan », 2 juin 2016, URL : http://www.diploweb.com/La-politique-
etrangere-europeenne.html
1026
Alexandra de Hoop Scheffer, «Le multilatéralisme… », op.cit., p. 7.
- 401 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
2014), deux camps se dessinent. La répartition géographique de ces réunions avait été
choisie habilement afin de gommer l’origine occidentale de l’initiative normative. Les
membres des pays européens se sont astreints à ne pas renouveler les erreurs faites lors des
négociations relatives au HCoC. Malgré cette volonté d’intégrer très tôt dans les
discussions les pays non occidentaux, le code souffre toujours de son origine occidentale
mais aussi des négociations parallèles et des rapports de force évoqués plus haut. Les
crispations de part et d’autre atteignent leur paroxysme en 2016, lorsque le contexte
international plus général se dégrade entre les Etats-Unis et la Russie.
Le code n’obtiendra pas son salut par le transfert des discussions au sein des Nations
Unies. Au contraire, les Nations Unies deviennent la caisse de résonnance des griefs émis
par les uns et par les autres. Dès l’été 2015, l’avenir du code semble définitivement
compromis 1027.
Ce qui s’apparente à des règlements de compte ou à l’exacerbation des rapports de force
atteint également le COPUOS et les discussions sur le LTSSA, Long-Term Sustainability
of Space Activities. A l’origine, ces discussions au sein du sous-comité scientifique et
technique du COPUOS devaient faciliter l’acceptation de la norme au niveau politique et
juridique, et donc au sein du sous-comité juridique du COPUOS. En effet, dans la logique
de la démarche du bottom-up, cette stratégie permettait d’obtenir relativement facilement
un accord au niveau technique afin de faire pression sur les niveaux politique et juridique.
Or, le sous-comité scientifique et technique s’est politisé au point d’avoir des discussions
moins techniques que politiques. Ainsi, lors de la 53ème session du comité scientifique et
technique du COPUOS 1028, le document de travail fourni par la Russie n’a pas laissé place
à l’ambigüité. Le constat est sans appel pour la diplomatie européenne:
1027
De l’aveu d’un diplomate américain: “This is the end of the process”.
1028
United Nations General Assembly, Committee on the Peaceful Uses of Outer Space, Scientific and Technical
Subcommittee, 53 rd session, Vienna, 15-26 February 2016, Russia assessment of the initiative and actions of the European
Union to advance its draft code of conduct for outer space activities, A/AC.105/C.1/L.346.
1029
Ibid. Mots soulignés par l’auteure de cette thèse. Les citations qui suivent sont extraites du même document.
- 402 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
“The Russian delegation believes that the authors and co-sponsors are
aspiring to negotiate in their own way and push through the concept of
reaching the arrangements on space security that they would prefer.”
“(…) the draft code (…) still remains essentially a “group manifest.”
1030
Isabelle Lasserre, « A Vienne, L’OSCE est le théâtre d’une nouvelle guerre froide », 02 mai 2016, URL :
http://www.lefigaro.fr/international/2016/05/02/01003-20160502ARTFIG00279-nouvelle-guerre-froide-a-vienne.php
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L’OTAN est une institution fortement influencée par la culture stratégique américaine. Il a
d’ailleurs été vu que le concept de global commons y était promu et distillé au sein des
Etats membres afin de s’imposer comme concept structurant les relations internationales. A
cet égard, l’OTAN peut être est considérée comme un instrument au service du leadership
américain dans le domaine très stratégique de la défense. L’OTAN est utilisée par les
Américains pour servir leur stratégie de sécurisation du milieu spatial par l’intermédiaire
du concept de global common. Elle est complétée par la démarche de soutien au code de
conduite. On peut penser que les Américains ont refusé jusqu’ici toute création d’une
organisation supranationale dédiée à la sécurité des activités spatiales (comme proposée
par la France dès les années 1980) par peur du recul de leur position hégémonique dans ce
milieu. Ce fut le cas par exemple avec la création de l’Organisation Mondiale du
Commerce (OMC) qui a affaibli l’hégémonie commerciale des Etats-Unis 1031 bien qu’ils
1031
Franck Petiteville, « L’hégémonie est-elle soluble dans le multilatéralisme? » Le cas de l’OMC, Critique Internationale,
2004/01, pp .63 – 76.
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s’en soient également servi pour transposer de leur propre législation dans le droit
commercial multilatéral. Sans l’existence d’une organisation spatiale internationale, ils ne
peuvent subir de contraintes, de plaintes ni donc de sanctions.
Les Américains se sont tournés naturellement vers l’OTAN pour y imposer le référentiel
sécuritaire de l’espace. Dans le même temps, cela permet à cette organisation de
renouveler l’étendue de ses missions, et de justifier son existence par l’avènement d’un
nouveau champ de bataille à sécuriser. Bien que restreinte aux alliés historiques des
Américains, l’alliance atlantique est considérée par des officiels américains comme « le
modèle du multilatéralisme efficace en action ». 1032 Voir en l’OTAN une institution
multilatérale est sujet à caution.
En effet, d’une part, l’OTAN peut être considérée comme une organisation multilatérale au
sens où une institutionnalisation a été effectuée, et que des procédures ont été instaurées au
profit d’objectifs partagés. Mais, d’autre part, c’est un multilatéralisme à moindre coût
pour les Etats-Unis. Il ne renvoie qu’à une délibération réalisée par 28 Etats sur 200
environ dans le monde. Cette vingtaine d’Etats ne s’opposent pas farouchement aux
concepts stratégiques définis à chaque grand sommet 1033, eux-mêmes fortement marqués
par l’influence conceptuelle américaine sur les milieux fluides. La « multilatéralité » de
l’OTAN est donc limitée. A l’inverse, l’ONU et surtout l’OMC 1034 , de nature différente,
sont des instances multilatérales. L’OMC permet un effacement relatif du « facteur
puissance » 1035 des Etats-Unis. Il serait plus correct de qualifier l’OTAN d’institution
« minilatérale ». La notion de « minilatéralisme » 1036 fait son chemin parmi les
commentateurs de la vie politique internationale, les diplomates et les universitaires. Cela
désigne le fait de réunir un petit nombre d’Etats autour d’une table afin de résoudre un
problème particulier. Les auteurs d’études académiques tachent d’évaluer les avantages et
les inconvénients de la pratique du minilatéralisme. Ce dernier est surtout envisagé
aujourd’hui dans le cadre des négociations relatives à la mise en place d’un régime sur le
1032
Richard Olson, « US Perspectives on the NATO and of the Broader Middle East », George C. Marshall Center For
European Security, September 8, 2006.
1033
Comme lors de la publication du nouveau concept stratégique de l’OTAN établi lors du sommet de Lisbonne du 19 au 20
novembre 2010.
1034
Franck Petiteville, « L’hégémonie… », op. cit. p. 76.
1035
Ibid., p. 63.
1036
Moises Naïm, “The magic number to get real international action”, Foreign Policy, 21 juin 2009, URL:
http://foreignpolicy.com/2009/06/21/minilateralism/
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climat. A l’instar de la sécurité des activités spatiales, les discussions sur ce thème
piétinent au sein des forums internationaux classiques 1037.
1037
Lire: Robyn Eckersley, “Moving Forward in The Climate Negotiations: Multilateralism or Minilatéralism?” URL:
http://www.cappe.edu.au/docs/Climate%20governance%20workshop%20docs/Eckersley_paper.pdf
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1038
Robyn Eckersley, “Moving Forward…”, op. cit.
1039
« L’UE lance les négociations sur un code de conduite international pour les activités menées dans l’espace extra-
atmosphérique », A252/12, Bruxelles, 6 juin 2012, URL :
http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/FR/foraff/130702.pdf
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Le minilatéralisme tel que pensé et formulé par les Américains n’a pas été suivi dans les
faits par les Européens, sûrs de parvenir à des négociations fructueuses. Mais la confusion
avec les Nations Unies était d’autant plus possible que l’UE souhaitait débuter les
négociations en réunissant les experts multilatéraux en marge de la première et de la
quatrième commission des Nations Unies (respectivement ‘Questions de désarmement et
de sécurité internationale’, et, ‘Questions politiques spéciales’) à New York. Cela
permettait à l’UE de bénéficier de la présence de ces experts sans devoir y consacrer un
budget déplacement qu’elle n’avait pas. La réunion aurait dû donc avoir lieu à New York,
mais à l’extérieur du bâtiment des Nations Unies. Face aux critiques de certains Etats
devant cette organisation quelque peu ubuesque, l’UE a alors envisagé, dans une démarche
hautement symbolique, de réaliser cette réunion en Inde, ce qui n’a finalement pas eu lieu
non plus.
Le minilatéralisme aurait-il été la solution ? Cela est difficile à dire. Le risque était grand
d’être accusé de laisser une partie des Etats hors du jeu diplomatique. Les Européens ont
de toute façon étaient accusés de monopoliser et orienter le débat. Dans le cas de l’espace,
les Russes et les Chinois n’auraient de toute manière pas pu être écartés des discussions.
L’exercice du minilatéralisme pourrait alors bel et bien se réaliser au sein de l’OTAN, qui
de fait, réunit peu d’Etats. Cela pourrait être une méthode efficace afin d’initier des normes
relatives à la sécurité des activités spatiales. Mais ce minilatéralisme sera assimilé à des
discussions entre Etats de la « quadrilatérale », rejetant de fait des Etats très concernés par
le sujet mais n’appartenant pas à l’OTAN. En ce sens, cela pourrait changer avec la
volonté des Etats-Unis d’ouvrir l’organisation militaire à d’autres Etats. En effet,
l’argument développé est d’affirmer que les « nouvelles » menaces ne connaissent pas de
frontières (terrorisme, ADM, prolifération des vecteurs balistiques et menaces sociétales).
1040
Entretien avec un diplomate du SEAE, 12 septembre 2012.
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Ces menaces étant intégrées aujourd’hui pleinement dans le mandat otanien, l’évolution de
la composition de cette alliance leur semble tomber sous le sens. Il en est de même pour la
sécurité des activités spatiales, où ce domaine ne connaît pas de frontières et concerne une
majorité d’Etats dans le monde. L’élargissement de l’organisation n’est pas du goût de
certains Etats tels que la France. Les Etats à l’instar de l’Australie, du Japon et de la
Nouvelle-Zélande apparaissent comme des candidats idéals pour rejoindre l’organisation.
Ces derniers sont déjà intégrés dans des exercices « minilatéraux » tels que le SSA TTX 3.
Le travail de conformité conceptuelle et stratégique au sein de l’OTAN ou au travers de
ces exercices permet aux Etats-Unis de rassembler ses alliés et de les acculturer à sa
stratégie. La conférence de Prague évoque également un partenariat transatlantique qui
intègrerait pleinement le Japon. Les Etats européens sont réticents à l’élargissement
géographique de l’OTAN. Poussée par les Américains, l’invocation des communs au sein
de l’OTAN pourrait renvoyer à une préoccupation de sécurité collective qui, légitimement,
revient davantage aux Nations Unies.
Cette tendance forte peut être contre- balancée par la volonté de la France de participer de
nouveau pleinement à l’OTAN et d’y proposer une alternative. Le néo-réalisme prédit à cet
égard que certains Etats souhaitent faire contrepoids à la puissance dominante afin
d’accroître leur puissance relative, en coopérant avec elle (bandwagoning). Par ce biais, ils
peuvent garantir leur autonomie. Les Etats concernés développent alors une stratégie
d’équilibrage institutionnel (institutionnal balancing ou soft balancing 1041) permettant
d’encadrer l’action internationale américaine. Cette stratégie d’équilibrage indirect semble
celle voulue par la France.
Ces notions de théorie des relations internationales contribuent au raffinement de la
distinction entre coopération et rivalité, chère au débat entre néolibéraux et néoréalistes 1042.
“(…) major powers [France, Allemagne, Russie, Chine, Japon] are likely
to adopt what I call “soft-balancing” measures: that is, actions that do
not directly challenge U.S. military preponderance but that use
nonmilitary tools to delay, frustrate, and undermine aggressive unilateral
1041
Robert Kagan. L’Europe essaie de “multilatériser” les Etats-Unis pour contrer leur puissance sans faire usage de la
sienne.
1042
Alex Mc Leod, Dan O’Meara (dir.), op. cit., p. 171.
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1043
Robert A. Pape, “Soft Balancing against the United States”, International Security, Vol. 30, n°1, été 2005, p. 9-10.
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Conclusion générale
La norme sur la sécurité des activités spatiales existe de manière latente depuis la
conquête de l’espace. Elle devient un objet conceptuel particulier, elle suscite un intérêt
nouveau et se dote d’une substance sous l’effet d’un paysage spatial en profonde
mutation. On peut considérer que l’on assiste aujourd’hui à un changement de
paradigme dans l’utilisation de l’espace. A la suite de l’implication croissante des
acteurs étatiques émergents et des acteurs non étatiques, les bouleversements actuels ne
sont que les prémices d’une mutation à venir encore plus grande.
Les Etats spatiaux historiques ont pris conscience de ces bouleversements, aux
premiers rangs desquels la première puissance spatiale que sont les Etats-Unis. Pour les
décideurs américains, la question de la sécurité des activités spatiales est intimement
liée à celle de la prolifération des débris et des satellites en orbite (l’espace est
« congested ») mais aussi à celles de l’évolution de la menace (l’espace est « contested
and competitive »). Les Etats-Unis se préparent au mieux, en multipliant les
partenariats avec ses alliés, en impliquant l’OTAN et en passant des accords avec les
sociétés privées qui, dans la majorité des cas, sont elles-mêmes américaines.
Ce changement de paradigme amène également les Européens à se saisir d’une fenêtre
d’opportunité en 2008. Poussée par la France, le projet de code de conduite pour les
activités spatiales prend peu à peu une envergure internationale avec le soutien
américain à ce texte en 2012. La France y voit un moyen de faire entendre sa voix sur
la scène internationale en pariant sur les capacités de la diplomatie européenne à mener
à bien ce projet de régime.
L’existence latente de cette norme affleure pourtant déjà sous la forme de débats
diplomatiques de haut niveau dans les années 1980. Ils font suite à l’annonce
retentissante de Ronald Reagan de concrétiser son projet d’Initiative de Défense
Stratégique (IDS). La France en tête défend l’idée de mesures de transparence et de
confiance afin d’éviter une course aux armements dans l’espace. En parallèle, les
scientifiques de la NASA s’attaquent également à la course aux armements dans
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assiste aux conflits entre puissances faisant suite à la recomposition des équilibres
stratégiques post-Guerre froide. Quand la Russie et la Chine joue la carte de la
multipolarité sur ces questions, les Etats-Unis pratiquent le multilatéralisme. Enfin,
dans cette thèse, il a été démontré l’imbrication du sujet spatial avec d’autres
contentieux structurant les relations entre ces puissances.
La montée récente des tensions entre la Russie et le monde occidental a affecté les
discussions sur la mise en place de la norme sur la sécurité des activités spatiales. Les
forums internationaux accueillants d’ordinaire les débats sur les utilisations de l’espace
deviennent des lieux d’affrontements verbaux. Le projet de code de conduite
international sur les activités spatiales est ainsi une victime collatérale des rapports de
force qui s’expriment actuellement. La crainte des Etats-Unis est de voir s’exporter la
stratégie anti-accès actuelle de la Russie 1044 dans l’espace. Les forums des Nations
Unies deviennent les témoins de la déliquescence diplomatiques entre les deux Grands.
L’élection de Barack Obama et l’exercice du smart power par son administration a fait
espérer aux Européens que la norme pourrait advenir. Mais les rapports de force
interétatiques et les faiblesses de la diplomatie européenne ont eu raison, du moins pour
le moment, de ce projet d’envergure.
L’élection du républicain Donald Trump instaure une période d’incertitude. A priori,
les Républicains ne sont pas favorables aux normes même quand elles ne contraignent
qu’a minima la liberté des Etats-Unis dans l’espace.
La thèse a montré que les décideurs français étaient partagés par les attraits de la
multipolarité tout en s’engageant de manière croissante dans le partenariat
transatlantique. Ce dernier l’enserre dans une logique dont les conséquences imprévues
ne sont pas maîtrisées. Le référentiel sécuritaire américain pour l’espace en est un des
aspects.
La France a peut-être fait l’erreur de s’appuyer sur l’Union européenne, peu préparée,
pour mener à bien le projet de régime. Aujourd’hui, la diplomatie européenne en sort
affaiblie, par une perte de crédibilité aux yeux de l’ensemble des acteurs étatiques.
Il n’est cependant pas impossible que, tel le phénix, le projet de code renaisse de ses
cendres. Pour preuve, les conflits entre puissances n’ont pas empêché récemment le
1044
Par la mise en place de batteries antimissiles et de systèmes anti-aériens en mer baltique et en mer noire.
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1045
Par la promotion du thème de la durabilité de l’espace extra-atmopshérique.
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Le traité de l’Espace de 1967 met en place de grands principes dont deux méritent
d’être soulignés car ils déterminent encore aujourd’hui ce que les Etats sont
autorisés à faire et ne pas faire dans l’espace. Ce traité établit la liberté de l’espace
et son utilisation pacifique. La liberté de l’espace est le corollaire du principe de
non-appropriation énoncé par l’article II du Traité de l’espace.
27 janvier 1967
Traité sur les principes régissant les activités des États en matière
d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique,
y compris la Lune et les autres corps célestes
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Article premier
L’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et
les autres corps célestes, doivent se faire pour le bien et dans l’intérêt de tous les
pays, quel que soit le stade de leur développement économique ou scientifique; elles
sont l’apanage de l’humanité tout entière. L’espace extra-atmosphérique, y compris la
Lune et les autres corps célestes, peut être exploré et utilisé librement par tous les
États sans aucune discrimination, dans des conditions d’égalité et conformément au
droit international, toutes les régions des corps célestes devant être librement
accessibles. Les recherches scientifiques sont libres dans l’espace extra-
atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, et les États doivent
faciliter et encourager la coopération internationale dans ces recherches.
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Article II
L’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, ne peut
faire l’objet d’appropriation nationale par proclamation de souveraineté, ni par voie
d’utilisation ou d’occupation, ni par aucun autre moyen.
Article III
Les activités des États parties au Traité relatives à l’exploration et à l’utilisation de
l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, doivent
s’effectuer conformément au droit international, y compris la Charte des Nations
Unies, en vue de maintenir la paix et la sécurité internationales et de favoriser la
coopération et la compréhension internationales.
Article IV
Les États parties au Traité s’engagent à ne mettre sur orbite autour de la Terre aucun
objet porteur d’armes nucléaires ou de tout autre type d’armes de destruction massive,
à ne pas installer de telles armes sur des corps célestes et à ne pas placer de telles
armes, de toute autre manière, dans l’espace extra-atmosphérique. Tous les États
parties au Traité utiliseront la Lune et les autres corps célestes exclusivement à des
fins pacifiques. Sont interdits sur les corps célestes l’aménagement de bases et
installations militaires et de fortifications, les essais d’armes de tous types et
l’exécution de manœuvres militaires. N’est pas interdite l’utilisation de personnel
militaire à des fins de recherche scientifique ou à toute autre fin pacifique. N’est pas
interdite non plus l’utilisation de tout équipement ou installation nécessaire à
l’exploration pacifique de la Lune et des autres corps célestes.
Article V
Les États parties au Traité considéreront les astronautes comme des envoyés de
l’humanité dans l’espace extra-atmosphérique et leur prêteront toute l’assistance
possible en cas d’accident, de détresse ou d’atterrissage forcé sur le territoire d’un
autre État partie au Traité ou d’amerrissage en haute mer. En cas d’un tel atterrissage
ou amerrissage, le retour des astronautes à l’État d’immatriculation de leur véhicule
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Article VI
Les États parties au Traité ont la responsabilité internationale des activités nationales
dans l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes,
qu’elles soient entreprises par des organismes gouvernementaux ou par des entités
non gouvernementales, et de veiller à ce que les activités nationales soient
poursuivies conformément aux dispositions énoncées dans le présent Traité. Les
activités des entités non gouvernementales dans l’espace extra-atmosphérique, y
compris la Lune et les autres corps célestes, doivent faire l’objet d’une autorisation et
d’une surveillance continue de la part de l’État approprié partie au Traité. En cas
d’activités poursuivies par une organisation internationale dans l’espace extra-
atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, la responsabilité du
respect des dispositions du présent Traité incombera à cette organisation
internationale et aux États parties au Traité qui font partie de ladite organisation.
Article VII Tout État partie au Traité qui procède ou fait procéder au lancement d’un
objet dans l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps
célestes, et tout État partie dont le territoire ou les installations servent au lancement
d’un objet, est responsable du point de vue international des dommages causés par
ledit objet ou par ses éléments constitutifs, sur la Terre, dans l’atmosphère ou dans
l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, à un
autre État partie au Traité ou aux personnes physiques ou morales qui relèvent de cet
autre État.
Article VIII
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
L’État partie au Traité sur le registre duquel est inscrit un objet lancé dans l’espace
extra-atmosphérique conservera sous sa juridiction et son contrôle ledit objet et tout
le personnel dudit objet, alors qu’ils se trouvent dans l’espace extra-atmosphérique ou
sur un corps céleste. Les droits de propriété sur les objets lancés dans l’espace extra-
atmosphérique, y compris les objets amenés ou construits sur un corps céleste, ainsi
que sur leurs éléments constitutifs, demeurent entiers lorsque ces objets ou éléments
se trouvent dans l’espace extra-atmosphérique ou sur un corps céleste, et lorsqu’ils
reviennent sur la Terre. Les objets ou éléments constitutifs d’objets trouvés au-delà
des limites de l’État partie au Traité sur le registre duquel ils sont inscrits doivent être
restitués à cet État partie au Traité, celui-ci étant tenu de fournir, sur demande, des
données d’identification avant la restitution.
Article IX
En ce qui concerne l’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y
compris la Lune et les autres corps célestes, les États parties au Traité devront se
fonder sur les principes de la coopération et de l’assistance mutuelle et poursuivront
toutes leurs activités dans l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les
autres corps célestes, en tenant dûment compte des intérêts correspondants de tous les
autres États parties au Traité. Les États parties au Traité effectueront l’étude de
l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, et
procéderont à leur exploration de manière à éviter les effets préjudiciables de leur
contamination ainsi que les modifications nocives du milieu terrestre résultant de
l’introduction de substances extraterrestres et, en cas de besoin, ils prendront les
mesures appropriées à cette fin. Si un État partie au Traité a lieu de croire qu’une
activité ou expérience envisagée par lui-même ou par ses ressortissants dans l’espace
extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, causerait une
gêne potentiellement nuisible aux activités d’autres États parties au Traité en matière
d’exploration et d’utilisation pacifiques de l’espace extra-atmosphérique, y compris la
Lune et les autres corps célestes, il devra engager les consultations internationales
appropriées avant d’entreprendre ladite activité ou expérience. Tout État partie au
Traité ayant lieu de croire qu’une activité ou expérience envisagée par un autre État
partie au Traité dans l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
corps célestes, causerait une gêne potentiellement nuisible aux activités poursuivies
en matière d’exploration et d’utilisation pacifiques de l’espace extra-atmosphérique, y
compris la Lune et les autres corps célestes, peut demander que des consultations
soient ouvertes au sujet de ladite activité ou expérience.
Article X
Pour favoriser la coopération en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace
extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, conformément
aux buts du présent Traité, les États parties au Traité examineront dans 6 des
conditions d’égalité les demandes des autres États parties au Traité tendant à obtenir
des facilités pour l’observation du vol des objets spatiaux lancés par ces États. La
nature de telles facilités d’observation et les conditions dans lesquelles elles
pourraient être consenties seront déterminées d’un commun accord par les États
intéressés. Article XI Pour favoriser la coopération internationale en matière
d’exploration et d’utilisation pacifiques de l’espace extra-atmosphérique, les États
parties au Traité qui mènent des activités dans l’espace extra-atmosphérique, y
compris la Lune et les autres corps célestes, conviennent, dans toute la mesure où cela
est possible et réalisable, d’informer le Secrétaire général de l’Organisation des
Nations Unies, ainsi que le public et la communauté scientifique internationale, de la
nature et de la conduite de ces activités, des lieux où elles sont poursuivies et de leurs
résultats. Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies devra être prêt à
assurer, aussitôt après les avoir reçus, la diffusion effective de ces renseignements.
Article XII
Toutes les stations et installations, tout le matériel et tous les véhicules spatiaux se
trouvant sur la Lune ou sur d’autres corps célestes seront accessibles, dans des
conditions de réciprocité, aux représentants des autres États au Traité. Ces
représentants notifieront au préalable toute visite projetée, de façon que les
consultations voulues puissent avoir lieu et que le maximum de précautions puissent
être prises pour assurer la sécurité et éviter de gêner les opérations normales sur les
lieux de l’installation à visiter.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Article XIII
Les dispositions du présent Traité s’appliquent aux activités poursuivies par les États
parties au Traité en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-
atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, que ces activités soient
menées par un État partie au Traité seul ou en commun avec d’autres États,
notamment dans le cadre d’organisations intergouvernementales internationales.
Toutes questions pratiques se posant à l’occasion des activités poursuivies par des
organisations intergouvernementales internationales en matière d’exploration et
d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps
célestes, seront réglées par les États parties au Traité soit avec l’organisation
internationale compétente, soit avec un ou plusieurs des États membres de ladite
organisation qui sont parties au Traité.
Article XIV
1. Le présent Traité est ouvert à la signature de tous les États. Tout État qui n’aura
pas signé le présent Traité avant son entrée en vigueur conformément au paragraphe 3
du présent article pourra y adhérer à tout moment.
2. Le présent Traité sera soumis à la ratification des États signataires. Les instruments
de ratification et les instruments d’adhésion seront déposés auprès des
Gouvernements des États-Unis d’Amérique, du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et
d’Irlande du Nord et de l’Union des Républiques socialistes soviétiques, qui sont,
dans le présent Traité, désignés comme étant les gouvernements dépositaires. 3. Le
présent Traité entrera en vigueur lorsque cinq gouvernements, y compris ceux qui
sont désignés comme étant les gouvernements dépositaires aux termes du présent
Traité, auront déposé leurs instruments de ratification.
4. Pour les États dont les instruments de ratification ou d’adhésion seront déposés
après l’entrée en vigueur du présent Traité, celui-ci entrera en vigueur à la date du
dépôt de leurs instruments de ratification ou d’adhésion.
5. Les gouvernements dépositaires informeront sans délai tous les États qui auront
signé le présent Traité ou y auront adhéré de la date de chaque signature, de la date
du dépôt de chaque instrument de ratification du présent Traité ou d’adhésion au
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
présent Traité, de la date d’entrée en vigueur du Traité ainsi que de toute autre
communication.
6. Le présent Traité sera enregistré par les gouvernements dépositaires conformément
à l’Article 102 de la Charte des Nations Unies.
Article XV
Tout État partie au présent Traité peut proposer des amendements au Traité. Les
amendements prendront effet à l’égard de chaque État partie au Traité acceptant les
amendements dès qu’ils auront été acceptés par la majorité des États parties au Traité
et, par la suite, pour chacun des autres États parties au Traité, à la date de son
acceptation desdits amendements.
Article XVI
Tout État partie au présent Traité peut, un an après l’entrée en vigueur du Traité,
communiquer son intention de cesser d’y être partie par voie de notification écrite
adressée aux gouvernements dépositaires. Cette notification prendra effet un an après
la date à laquelle elle aura été reçue. 8
Article XVII
Le présent Traité, dont les textes anglais, chinois, espagnol, français et russe font
également foi, sera déposé dans les archives des gouvernements dépositaires. Des
copies dûment certifiées du présent Traité seront adressées par les gouvernements
dépositaires aux gouvernements des États qui auront signé le Traité ou qui y auront
adhéré.
EN FOI DE QUOI les soussignés, dûment habilités à cet effet, ont signé le présent
Traité.
FAIT en trois exemplaires, à Londres, Moscou et Washington, le vingt-sept janvier
mil neuf cent soixante-sept.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
̰
L’Accord qui suit considère les astronautes comme des « envoyés de l’humanité ».
Dans ce cadre-là ils ne peuvent donc pas être considérés comme une monnaie
d’échange si, par exemple, ils atterrissent sur un territoire qui a priori peut leur être
hostile. En période de Guerre froide, cet accord avait tout son sens.
22 avril 1968
Accord sur le sauvetage des astronautes, le retour des astronautes
et la restitution des objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique
Notant l’importance considérable du Traité sur les principes régissant les activités des
États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y
compris la Lune et les autres corps célestes , qui prévoit que toute l’assistance
possible sera prêtée aux astronautes en cas d’accident, de détresse ou d’atterrissage
forcé, que le retour des astronautes sera effectué promptement et en toute sécurité, et
que les objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique seront restitués,
Article premier
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Chaque Partie contractante qui apprend ou constate que l’équipage d’un engin spatial
a été victime d’un accident, ou se trouve en détresse, ou a fait un atterrissage forcé ou
involontaire sur un territoire relevant de sa juridiction ou un amerrissage forcé en
haute mer, ou a atterri en tout autre lieu qui ne relève pas de la juridiction d’un État:
a) En informera immédiatement l’autorité de lancement ou, si elle ne peut
l’identifier et communiquer immédiatement avec elle, diffusera
immédiatement cette information par tous les moyens de communication
appropriés dont elle dispose;
b) En informera immédiatement le Secrétaire général de l’Organisation des
Nations Unies à qui il appartiendra de diffuser cette information sans délai par
tous les moyens de communication appropriés dont il dispose. 1 Annexe de la
résolution 2222 (XXI).
Article 2
Dans le cas où, par suite d’un accident, de détresse ou d’un atterrissage forcé ou
involontaire, l’équipage d’un engin spatial atterrit sur un territoire relevant de la
juridiction d’une Partie contractante, cette dernière prendra immédiatement toutes les
mesures possibles pour assurer son sauvetage et lui apporter toute l’aide nécessaire.
Elle informera l’autorité de lancement ainsi que le Secrétaire général de
l’Organisation des Nations Unies des mesures qu’elle prend et des progrès réalisés. Si
l’aide de l’autorité de lancement peut faciliter un prompt sauvetage ou contribuer
sensiblement à l’efficacité des opérations de recherche et de sauvetage, l’autorité de
lancement coopérera avec la Partie contractante afin que ces opérations de recherche
et de sauvetage soient menées avec efficacité. Ces opérations auront lieu sous la
direction et le contrôle de la Partie contractante, qui agira en consultation étroite et
continue avec l’autorité de lancement.
Article 3
Si l’on apprend ou si l’on constate que l’équipage d’un engin spatial a amerri en
haute mer ou a atterri en tout autre lieu qui ne relève pas de la juridiction d’un État,
les Parties contractantes qui sont en mesure de le faire fourniront leur concours, si
c’est nécessaire, pour les opérations de recherche et de sauvetage de cet équipage afin
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Article 4
Dans le cas où, par suite d’un accident, de détresse ou d’un atterrissage ou d’un
amerrissage forcé ou involontaire, l’équipage d’un engin spatial atterrit sur un
territoire relevant de la juridiction d’une Partie contractante ou a été trouvé en haute
mer ou en tout autre lieu qui ne relève pas de la juridiction d’un État, il sera remis
rapidement et dans les conditions voulues de sécurité aux représentants de l’autorité
de lancement.
Article 5
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Article 6
Aux fins du présent Accord, l’expression “autorité de lancement” vise l’État
responsable du lancement, ou, si une organisation intergouvernementale
internationale est responsable du lancement, ladite organisation, pourvu qu’elle
déclare accepter les droits et obligations prévus dans le présent Accord et qu’une
majorité des États membres de cette organisation soient Parties contractantes au
présent Accord et au Traité sur les principes régissant les activités des États en
matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la
Lune et les autres corps célestes.
Article 7
1. Le présent Accord est ouvert à la signature de tous les États. Tout État qui
n’aura pas signé le présent Accord avant son entrée en vigueur conformément
au paragraphe 3 du présent article pourra y adhérer à tout moment.
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5. Les gouvernements dépositaires informeront sans délai tous les États qui
auront signé le présent Accord ou y auront adhéré de la date de chaque
signature, de la date du dépôt de chaque instrument de ratification du présent
Accord ou d’adhésion au présent Accord, de la date d’entrée en vigueur de
l’Accord ainsi que de toute autre communication.
Article 8
Tout État partie au présent Accord peut proposer des amendements à l’Accord. Les
amendements prendront effet à l’égard de chaque État partie à l’Accord acceptant les
amendements dès qu’ils auront été acceptés par la majorité des États parties à
l’Accord, et par la suite, pour chacun des autres États parties à l’Accord, à la date de
son acceptation desdits amendements.
Article 9
Tout État partie à l’Accord pourra notifier par écrit aux gouvernements dépositaires
son retrait de l’Accord un an après son entrée en vigueur. Ce retrait prendra effet un
an après le jour où ladite notification aura été reçue.
Article 10
Le présent Accord, dont les textes anglais, chinois, espagnol, français et russe font
également foi, sera déposé dans les archives des gouvernements dépositaires. Des
copies dûment certifiées du présent Accord seront adressées par les gouvernements
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
dépositaires aux gouvernements des États qui auront signé l’Accord ou qui y auront
adhéré.
EN FOI DE QUOI les soussignés, à ce dûment habilités, ont signé le présent
Accord.
FAIT en trois exemplaires, à Londres, Moscou et Washington, le vingt-deux avril
mil neuf cent soixante-huit.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
̰
La Convention qui suit responsabilise l’Etat qui met en orbite des objets spatiaux.
Que le lancement soit un échec ou une réussite, ce dernier doit réparation à un tiers
en cas de dommage. Cette Convention a été activée en janvier 1978 lorsqu’un
satellite russe (COSMOS 954) porteur d’une pile atomique (énergie nucléaire) est
rentré dans l’atmosphère et dont les débris se sont disséminés sur le territoire
canadien, contaminant une zone de 124 000 km². L’opération américano-
canadienne « Morning Light » a consisté à récupérer les déchets radioactifs. Le
Canada en vertu de la Convention, a réclamé devant l’ONU une forte somme
d’argent à l’URSS. Le Canada et l’URSS ont alors conclu un accord le 02 avril 1981.
9 mars 1972
Convention sur la responsabilité internationale pour les dommages
causés par des objets spatiaux
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Article premier
Aux fins de la présente Convention:
a) Le terme “dommage” désigne la perte de vies humaines, les lésions
corporelles ou autres atteintes à la santé, ou la perte de biens d’État ou de
personnes, physiques ou morales, ou de biens d’organisations internationales
intergouvernementales, ou les dommages causés auxdits biens;
b) Le terme “lancement” désigne également la tentative de lancement;
c) L’expression “État de lancement” désigne:
i) Un État qui procède ou fait procéder au lancement d’un objet spatial;
ii) Un État dont le territoire ou les installations servent au lancement
d’un objet spatial;
d) L’expression “objet spatial” désigne également les éléments constitutifs
d’un objet spatial, ainsi que son lanceur et les éléments de ce dernier.
Article II
Un État de lancement a la responsabilité absolue de verser réparation pour le
dommage causé par son objet spatial à la surface de la Terre ou aux aéronefs en vol.
Article III
En cas de dommage causé, ailleurs qu’à la surface de la Terre, à un objet spatial d’un
État de lancement ou à des personnes ou à des biens se trouvant à bord d’un tel objet
spatial, par un objet spatial d’un autre État de lancement, ce dernier État n’est
responsable que si le dommage est imputable à sa faute ou à la faute des personnes
dont il doit répondre.
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Article IV
1. En cas de dommage causé, ailleurs qu’à la surface de la Terre, à un objet
spatial d’un État de lancement ou à des personnes ou à des biens se trouvant à
bord d’un tel objet spatial, par un objet spatial d’un autre État de lancement, et
en cas de dommage causé de ce fait à un État tiers ou à des personnes
physiques ou morales relevant de lui, les deux premiers États sont
solidairement responsables envers l’État tiers dans les limites indiquées ci-
après:
a) Si le dommage a été causé à l’État tiers à la surface de la Terre ou à
un aéronef en vol, leur responsabilité envers l’État est absolue;
b) Si le dommage a été causé à un objet spatial d’un État tiers ou à des
personnes ou à des biens se trouvant à bord d’un tel objet spatial,
ailleurs qu’à la surface de la Terre, leur responsabilité envers l’État
tiers est fondée sur la faute de l’un d’eux ou sur la faute de personnes
dont chacun d’eux doit répondre.
2. Dans tous les cas de responsabilité solidaire prévue au paragraphe 1 du
présent article, la charge de la réparation pour le dommage est répartie entre
les deux premiers États selon la mesure dans laquelle ils étaient en faute; s’il
est impossible d’établir dans quelle mesure chacun de ces États était en faute,
la charge de la réparation est répartie entre eux de manière égale. Cette
répartition ne peut porter atteinte au droit de l’État tiers de chercher à obtenir
de l’un quelconque des États de lancement ou de tous les États de lancement
qui sont solidairement responsables la pleine et entière réparation due en vertu
de la présente Convention.
Article V
1. Lorsque deux ou plusieurs États procèdent en commun au lancement d’un
objet spatial, ils sont solidairement responsables de tout dommage qui peut en
résulter.
2. Un État de lancement qui a réparé le dommage a un droit de recours contre
les autres participants au lancement en commun. Les participants au lancement
en commun peuvent conclure des accords relatifs à la répartition entre eux de
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Article VI
1. Sous réserve des dispositions du paragraphe 2 du présent article, un État de
lancement est exonéré de la responsabilité absolue dans la mesure où il établit
que le dommage résulte, en totalité ou en partie, d’une faute lourde ou d’un
acte ou d’une omission commis dans l’intention de provoquer un dommage, de
la part d’un État demandeur ou des personnes physiques ou morales que ce
dernier État représente.
2. Aucune exonération, quelle qu’elle soit, n’est admise dans les cas où le
dommage résulte d’activités d’un État de lancement qui ne sont pas conformes
au droit international, y compris, en particulier, à la Charte des Nations Unies
et au Traité sur les principes régissant les activités des États en matière
d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la
Lune et les autres corps célestes.
Article VII
Les dispositions de la présente Convention ne s’appliquent pas au dommage causé par
un objet spatial d’un État de lancement:
a) Aux ressortissants de cet État de lancement;
b) Aux ressortissants étrangers pendant qu’ils participent aux opérations de
fonctionnement de cet objet spatial à partir du moment de son lancement ou à
une phase ultérieure quelconque jusqu’à sa chute, ou pendant qu’ils se
trouvent à proximité immédiate d’une zone envisagée comme devant servir au
lancement ou à la récupération, à la suite d’une invitation de cet État de
lancement.
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Article VIII
1. Un État qui subit un dommage ou dont des personnes physiques ou morales
subissent un dommage peut présenter à un État de lancement une demande en
réparation pour ledit dommage.
2. Si l’État dont les personnes physiques ou morales possèdent la nationalité
n’a pas présenté de demande en réparation, un autre État peut, à raison d’un
dommage subi sur son territoire par une personne physique ou morale,
présenter une demande à un État de lancement.
3. Si ni l’État dont les personnes physiques ou morales possèdent la nationalité
ni l’État sur le territoire duquel le dommage a été subi n’ont présenté de
demande en réparation ou notifié son intention de présenter une demande, un
autre État peut, à raison du dommage subi par ses résidents permanents,
présenter une demande à un État de lancement.
Article IX
La demande en réparation est présentée à l’État de lancement par la voie
diplomatique. Tout État qui n’entretient pas de relations diplomatiques avec cet État
de lancement peut prier un État tiers de présenter sa demande et de représenter de
toute autre manière ses intérêts en vertu de la présente Convention auprès de cet État
de lancement. Il peut également présenter sa demande par l’intermédiaire du
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, à condition que l’État
demandeur et l’État de lancement soient l’un et l’autre Membres de l’Organisation
des Nations Unies.
Article X
1. La demande en réparation peut être présentée à l’État de lancement dans le
délai d’un an à compter de la date à laquelle s’est produit le dommage ou à
compter de l’identification de l’État de lancement qui est responsable.
2. Si toutefois un État n’a pas connaissance du fait que le dommage s’est
produit ou n’a pas pu identifier l’État de lancement qui est responsable, sa
demande est recevable dans l’année qui suit la date à laquelle il prend
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Article XI
1. La présentation d’une demande en réparation à l’État de lancement en vertu
de la présente Convention n’exige pas l’épuisement préalable des recours
internes qui seraient ouverts à l’État demandeur ou aux personnes physiques
ou morales dont il représente les intérêts.
2. Aucune disposition de la présente Convention n’empêche un État ou une
personne physique ou morale qu’il peut représenter de former une demande
auprès des instances juridictionnelles ou auprès des organes administratifs
d’un État de lancement. Toutefois, un État n’a pas le droit de présenter une
demande en vertu de la présente Convention à raison d’un dommage pour
lequel une demande est déjà introduite auprès des instances juridictionnelles
ou auprès des organes administratifs d’un État de lancement, ni en application
d’un autre accord international par lequel les États intéressés seraient liés.
Article XII
Le montant de la réparation que l’État de lancement sera tenu de payer pour le
dommage en application de la présente Convention sera déterminé conformément au
droit international et aux principes de justice et d’équité, de telle manière que la
réparation pour le dommage soit de nature à rétablir la personne, physique ou morale,
l’État ou l’organisation internationale demandeur dans la situation qui aurait existé si
le dommage ne s’était pas produit.
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Article XIII
À moins que l’État demandeur et l’État qui est tenu de réparer en vertu de la présente
Convention ne conviennent d’un autre mode de réparation, le montant de la
réparation est payé dans la monnaie de l’État demandeur ou, à la demande de celui-ci,
dans la monnaie de l’État qui est tenu de réparer le dommage.
Article XIV
Si, dans un délai d’un an à compter de la date à laquelle l’État demandeur a notifié à
l’État de lancement qu’il a soumis les pièces justificatives de sa demande, une
demande en réparation n’est pas réglée par voie de négociations diplomatiques selon
l’article IX, les parties intéressées constituent, sur la demande de l’une d’elles, une
Commission de règlement des demandes.
Article XV
1. La Commission de règlement des demandes se compose de trois membres:
un membre désigné par l’État demandeur, un membre désigné par l’État de
lancement et le troisième membre, le Président, choisi d’un commun accord
par les deux parties. Chaque partie procède à cette désignation dans un délai de
deux mois à compter de la demande de constitution de la Commission de
règlement des demandes.
2. Si aucun accord n’intervient sur le choix du Président dans un délai de
quatre mois à compter de la demande de constitution de la Commission, l’une
ou l’autre des parties peut prier le Secrétaire général de l’Organisation des
Nations Unies de nommer le Président dans un délai supplémentaire de deux
mois.
Article XVI
1. Si l’une des parties ne procède pas, dans le délai prévu, à la désignation qui
lui incombe, le Président, sur la demande de l’autre partie, constituera à lui
seul la Commission de règlement des demandes.
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2. Si, pour une raison quelconque, une vacance survient dans la Commission,
il y est pourvu suivant la procédure adoptée pour la désignation initiale.
3. La Commission détermine sa propre procédure.
4. La Commission décide du ou des lieux où elle siège, ainsi que de toutes
autres questions administratives.
5. Exception faite des décisions et sentences rendues dans les cas où la
Commission n’est composée que d’un seul membre, toutes les décisions et
sentences de la Commission sont rendues à la majorité.
Article XVII
La composition de la Commission de règlement des demandes n’est pas élargie du
fait que deux ou plusieurs États demandeurs ou que deux ou plusieurs États de
lancement sont parties à une procédure engagée devant elle. Les États demandeurs
parties à une telle procédure nomment conjointement un membre de la Commission
de la même manière et sous les mêmes conditions que s’il n’y avait qu’un seul État
demandeur. Si deux ou plusieurs États de lancement sont parties à une telle
procédure, ils nomment conjointement un membre de la Commission, de la même
manière. Si les États demandeurs ou les États de lancement ne procèdent pas, dans les
délais prévus, à la désignation qui leur incombe, le Président constituera à lui seul la
Commission.
Article XVIII
La Commission de règlement des demandes décide du bien-fondé de la demande en
réparation et fixe, s’il y a lieu, le montant de la réparation à verser.
Article XIX
1. La Commission de règlement des demandes agit en conformité des
dispositions de l’article XII.
2. La décision de la Commission a un caractère définitif et obligatoire si
les parties en sont convenues ainsi; dans le cas contraire, la
Commission rend une sentence définitive valant recommandation, que
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Article XX
Les dépenses relatives à la Commission de règlement des demandes sont réparties
également entre les parties, à moins que la Commission n’en décide autrement.
Article XXI
Si le dommage causé par un objet spatial met en danger, à grande échelle, les vies
humaines ou compromet sérieusement les conditions de vie de la population ou le
fonctionnement des centres vitaux, les États parties, et notamment l’État de
lancement, examineront la possibilité de fournir une assistance appropriée et rapide à
l’État qui aurait subi le dommage, lorsque ce dernier en formule la demande. Cet
article, cependant, est sans préjudice des droits et obligations des États parties en
vertu de la présente Convention.
Article XXII
1. Dans la présente Convention, à l’exception des articles XXIV à XXVII, les
références aux États s’appliquent à toute organisation internationale
intergouvernementale qui se livre à des activités spatiales, si cette organisation
déclare accepter les droits et les obligations prévus dans la présente
Convention et si la majorité des États membres de l’organisation sont des États
parties à la présente Convention et au Traité sur les principes régissant les
activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-
atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
2. Les États membres d’une telle organisation qui sont des États parties à la
présente Convention prennent toutes les dispositions voulues pour que
l’organisation fasse une déclaration en conformité du paragraphe précédent.
3. Si une organisation internationale intergouvernementale est responsable
d’un dommage aux termes des dispositions de la présente Convention, cette
organisation et ceux de ses membres qui sont des États parties à la présente
Convention sont solidairement responsables, étant entendu toutefois que:
a) Toute demande en réparation pour ce dommage doit être présentée
d’abord à l’organisation; et
b) Seulement dans le cas où l’organisation n’aurait pas versé dans le
délai de six mois la somme convenue ou fixée comme réparation pour
le dommage, l’État demandeur peut invoquer la responsabilité des
membres qui sont des États parties à la présente Convention pour le
paiement de ladite somme.
4. Toute demande en réparation formulée conformément aux dispositions de la
présente Convention pour le dommage causé à une organisation qui a fait une
déclaration conformément au paragraphe 1 du présent article doit être
présentée par un État membre de l’organisation qui est un État partie à la
présente Convention.
Article XXIII
1. Les dispositions de la présente Convention ne portent pas atteinte aux autres
accords internationaux en vigueur dans les rapports entre les États parties à ces
accords.
2. Aucune disposition de la présente Convention ne saurait empêcher les États
de conclure des accords internationaux confirmant, complétant ou développant
ses dispositions.
Article XXIV
1. La présente Convention est ouverte à la signature de tous les États. Tout
État qui n’aura pas signé la présente Convention avant son entrée en vigueur
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Article XXV
Tout État partie à la présente Convention peut proposer des amendements à la
Convention. Les amendements prendront effet à l’égard de chaque État partie à la
Convention acceptant les amendements dès qu’ils auront été acceptés par la majorité
des États parties à la Convention et, par la suite, pour chacun des autres États parties
à la Convention, à la date de son acceptation desdits amendements.
Article XXVI
Dix ans après l’entrée en vigueur de la présente Convention, la question de l’examen
de la Convention sera inscrite à l’ordre du jour provisoire de l’Assemblée générale de
l’Organisation des Nations Unies, à l’effet d’examiner, à la lumière de l’application
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Article XXVII
Tout État partie à la présente Convention peut, un an après l’entrée en vigueur de la
Convention, communiquer son intention de cesser d’y être partie par voie de
notification écrite adressée aux gouvernements dépositaires. Cette notification
prendra effet un an après la date à laquelle elle aura été reçue.
Article XXVIII
La présente Convention, dont les textes anglais, chinois, espagnol, français et russe
font également foi, sera déposée dans les archives des gouvernements dépositaires.
Des copies dûment certifiées de la présente Convention seront adressées par les
gouvernements dépositaires aux gouvernements des États qui auront signé la
Convention ou qui y auront adhéré.
EN FOI DE QUOI les soussignés, dûment habilités à cet effet, ont signé la présente
Convention.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
̰
La Convention qui suit est de nos jours à peu près bien respectée par les Etats
parties. Bien évidemment, lorsque l’immatriculation concerne des satellites
militaires, les Etats ne diffusent pas l’ensemble des informations demandées. Cela
reste compréhensible au vu de l’intérêt stratégique de l’espace.
14 janvier 1975
Convention sur l’immatriculation des objets lancés
dans l’espace extra-atmosphérique
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Désireux, compte tenu du Traité sur les principes régissant les activités des États en
matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y compris la
Lune et les autres corps célestes, de prévoir l’immatriculation nationale par les États
de lancement des objets spatiaux lancés dans l’espace extra-atmosphérique,
Désireux en outre d’établir un registre central des objets lancés dans l’espace extra-
atmosphérique, où l’inscription soit obligatoire et qui soit tenu par le Secrétaire
général de l’Organisation des Nations Unies,
Désireux également de fournir aux États parties des moyens et des procédures
supplémentaires pour aider à identifier des objets spatiaux,
Estimant qu’un système obligatoire d’immatriculation des objets lancés dans l’espace
extra-atmosphérique faciliterait, en particulier, l’identification desdits objets et
contribuerait à l’application et au développement du droit international régissant
l’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique,
Sont convenus de ce qui suit:
Article premier
Aux fins de la présente Convention:
a) L’expression “État de lancement” désigne:
i) Un État qui procède ou fait procéder au lancement d’un objet spatial;
ii) Un État dont le territoire ou les installations servent au lancement
d’un objet spatial;
b) L’expression “objet spatial” désigne également les éléments constitutifs
d’un objet spatial, ainsi que son lanceur et les éléments de ce dernier;
c) L’expression “État d’immatriculation” désigne un État de lancement sur le
registre duquel un objet spatial est inscrit conformément à l’article II.
Article II
1. Lorsqu’un objet spatial est lancé sur une orbite terrestre ou au-delà, l’État
de lancement l’immatricule au moyen d’une inscription sur un registre
approprié dont il assure la tenue. L’État de lancement informe le Secrétaire
général de l’Organisation des Nations Unies de la création dudit registre.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
2. Lorsque, pour un objet spatial lancé sur une orbite terrestre ou au-delà, il
existe deux ou plusieurs États de lancement, ceux-ci déterminent
conjointement lequel d’entre eux doit immatriculer ledit objet conformément
au paragraphe 1 du présent article, en tenant compte des dispositions de
l’article VIII du Traité sur les principes régissant les activités des États en
matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y
compris la Lune et les autres corps célestes, et sans préjudice des accords
appropriés qui ont été ou qui seront conclus entre les États de lancement au
sujet de la juridiction et du contrôle sur l’objet spatial et sur tout personnel de
ce dernier.
3. La teneur de chaque registre et les conditions dans lesquelles il est tenu sont
déterminées par l’État d’immatriculation intéressé.
Article III
1. Le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies assure la tenue
d’un registre dans lequel sont consignés les renseignements fournis
conformément à l’article IV.
2. L’accès à tous les renseignements figurant sur ce registre est entièrement
libre.
Article IV
1. Chaque État d’immatriculation fournit au Secrétaire général de
l’Organisation des Nations Unies, dès que cela est réalisable, les
renseignements ci-après concernant chaque objet spatial inscrit sur son
registre:
a) Nom de l’État ou des États de lancement;
b) Indicatif approprié ou numéro d’immatriculation de l’objet spatial;
c) Date et territoire ou lieu de lancement;
d) Principaux paramètres de l’orbite, y compris:
i) La période nodale,
ii) L’inclinaison,
iii) L’apogée,
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
iv) Le périgée;
e) Fonction générale de l’objet spatial.
2. Chaque État d’immatriculation peut de temps à autre communiquer au
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies des renseignements
supplémentaires concernant un objet spatial inscrit sur son registre.
3. Chaque État d’immatriculation informe le Secrétaire général de
l’Organisation des Nations Unies, dans toute la mesure possible et dès que cela
est réalisable, des objets spatiaux au sujet desquels il a antérieurement
communiqué des renseignements et qui ont été mais qui ne sont plus sur une
orbite terrestre.
Article V
Chaque fois qu’un objet spatial lancé sur une orbite terrestre ou au-delà est marqué au
moyen de l’indicatif ou du numéro d’immatriculation mentionnés à l’alinéa b du
paragraphe 1 de l’article IV, ou des deux, l’État d’immatriculation notifie ce fait au
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies lorsqu’il lui communique les
renseignements concernant l’objet spatial conformément à l’article IV. Dans ce cas, le
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies inscrit cette notification dans
le registre.
Article VI
Dans le cas où l’application des dispositions de la présente Convention n’aura pas
permis à un État partie d’identifier un objet spatial qui a causé un dommage audit État
partie ou à une personne physique ou morale relevant de sa juridiction, ou qui risque
d’être dangereux ou nocif, les autres États parties, y compris en particulier les États
qui disposent d’installations pour l’observation et la poursuite des objets spatiaux,
devront répondre dans toute la mesure possible à toute demande d’assistance en vue
d’identifier un tel objet, à laquelle il pourra être accédé dans des conditions
équitables et raisonnables et qui leur sera présentée par ledit État partie ou par le
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies en son nom. L’État partie
présentant une telle demande communiquera, dans toute la mesure possible, des
renseignements sur la date, la nature et les circonstances des événements ayant donné
- 477 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
lieu à la demande. Les modalités de cette assistance feront l’objet d’un accord entre
les parties intéressées.
Article VII
1. Dans la présente Convention, à l’exception des articles VIII à XII inclus, les
références aux États s’appliquent à toute organisation internationale
intergouvernementale qui se livre à des activités spatiales, si cette organisation
déclare accepter les droits et les obligations prévus dans la présente
Convention et si la majorité des États membres de l’organisation sont des États
parties à la présente Convention et au Traité sur les principes régissant les
activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-
atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes.
2. Les États membres d’une telle organisation qui sont des États parties à la
présente Convention prennent toutes les dispositions voulues pour que
l’organisation fasse une déclaration en conformité du paragraphe 1 du présent
article.
Article VIII
1. La présente Convention sera ouverte à la signature de tous les États au Siège
de l’Organisation des Nations Unies à New York. Tout État qui n’aura pas
signé la présente Convention avant son entrée en vigueur conformément au
paragraphe 3 du présent article pourra y adhérer à tout moment.
2. La présente Convention sera soumise à la ratification des États signataires.
Les instruments de ratification et les instruments d’adhésion seront déposés
auprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.
3. La présente Convention entrera en vigueur entre les États qui auront déposé
leurs instruments de ratification à la date du dépôt du cinquième instrument de
ratification auprès du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.
4. Pour les États dont les instruments de ratification ou d’adhésion seront
déposés après l’entrée en vigueur de la présente Convention, celle-ci 27
entrera en vigueur à la date du dépôt de leurs instruments de ratification ou
d’adhésion.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Article IX
Tout État partie à la présente Convention peut proposer des amendements à la
Convention. Les amendements prendront effet à l’égard de chaque État partie à la
Convention acceptant les amendements dès qu’ils auront été acceptés par la majorité
des États parties à la Convention et, par la suite, pour chacun des autres États parties
à la Convention, à la date de son acceptation desdits amendements.
Article X
Dix ans après l’entrée en vigueur de la présente Convention, la question de l’examen
de la Convention sera inscrite à l’ordre du jour provisoire de l’Assemblée générale de
l’Organisation des Nations Unies, à l’effet d’examiner, à la lumière de l’application
de la Convention pendant la période écoulée, si elle appelle une révision. Toutefois,
cinq ans au moins après la date d’entrée en vigueur de la présente Convention, une
conférence des États parties à la présente Convention sera convoquée, à la demande
d’un tiers desdits États et avec l’assentiment de la majorité d’entre eux, afin de
réexaminer la présente Convention. Ce réexamen tiendra compte en particulier de
tous progrès techniques pertinents, y compris ceux ayant trait à l’identification des
objets spatiaux.
Article XI
Tout État partie à la présente Convention peut, un an après l’entrée en vigueur de la
Convention, communiquer son intention de cesser d’y être partie par voie de
notification écrite adressée au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.
Cette notification prendra effet un an après la date à laquelle elle aura été reçue.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Article XII
La présente Convention, dont les textes anglais, arabe, chinois, espagnol, français et
russe font également foi, sera déposée auprès du Secrétaire général de l’Organisation
des Nations Unies, qui en enverra des copies dûment certifiées à tous les États qui
auront signé la Convention ou y auront adhéré.
EN FOI DE QUOI les soussignés, dûment habilités à cet effet par leurs
gouvernements respectifs, ont signé la présente Convention, ouverte à la signature à
New York, le quatorze janvier mil neuf cent soixante-quinze.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
̰
L’accord qui suit est fondamental. Il érige la Lune et les autres corps célestes comme
patrimoine commun de l’humanité. Comme développé dans la thèse, cette formule a
de multiples implications juridiques. Il est donc compréhensible que cet accord n’ait
été ratifié que par quinze Etats, dont aucun acteur spatial majeur. La raison en est
que ce texte consacre le satellite naturel de la Terre comme patrimoine commun de
l’Humanité et, à ce titre, soumet les Etats à un régime très strict d’utilisation et
d’exploitation. Alors que croît une volonté d’exploitation des ressources naturelles
des corps célestes par les Etats et les sociétés privées, cet accord fait l’objet de toutes
les interprétations.
18 décembre 1979
Accord régissant les activités des États
sur la Lune et les autres corps célestes
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Article premier
1. Les dispositions du présent Accord relatives à la Lune s’appliquent
également aux autres corps célestes à l’intérieur du système solaire, excepté la
Terre, à moins que des normes juridiques spécifiques n’entrent en vigueur en
ce qui concerne l’un ce ces corps célestes.
2. Aux fins du présent Accord, toute référence à la Lune est réputée
s’appliquer aux orbites autour de la Lune et aux autres trajectoires en direction
ou autour de la Lune.
3. Le présent Accord ne s’applique pas aux matières extraterrestres qui
atteignent la surface de la Terre par des moyens naturels.
Article 2
Toutes les activités sur la Lune, y compris les activités d’exploration et d’utilisation,
sont menées en conformité avec le droit international, en particulier la Charte des
Nations Unies, et compte tenu de la Déclaration relative aux principes du droit
international touchant les relations amicales et la coopération entre les États
conformément à la Charte des Nations Unies, adoptée par l’Assemblée générale le 24
octobre 1970, dans l’intérêt du maintien de la paix et de la sécurité internationales et
pour encourager la coopération internationale et la compréhension mutuelle, les
intérêts respectifs de tous les autres États parties étant dûment pris en considération.
Article 3
1. Tous les États parties utilisent la Lune exclusivement à des fins pacifiques.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Article 4
1. L’exploration et l’utilisation de la Lune sont l’apanage de l’humanité tout
entière et se font pour le bien et dans l’intérêt de tous les pays, quel que soit
leur degré de développement économique ou scientifique. Il est dûment tenu
compte des intérêts de la génération actuelle et des générations futures, ainsi
que de la nécessité de favoriser le relèvement des niveaux de vie et des
conditions de progrès et de développement économique et social
conformément à la Charte des Nations Unies.
2. Dans toutes leurs activités concernant l’exploration et l’utilisation de la
Lune, les États parties se fondent sur le principe de la coopération et de
l’assistance mutuelle. La coopération internationale en application du présent
Accord doit être la plus large possible et peut se faire sur une base
multilatérale, sur une base bilatérale ou par l’intermédiaire d’organisations
intergouvernementales internationales.
Article 5
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Article 6
1. Tous les États parties ont, sans discrimination d’aucune sorte, dans des
conditions d’égalité et conformément au droit international, la liberté de
recherche scientifique sur la Lune.
2. Dans les recherches scientifiques et conformément aux dispositions du
présent Accord, les États parties ont le droit de recueillir et de prélever sur la
Lune des échantillons de minéraux et d’autres substances. Ces échantillons
restent à la disposition des États parties qui les ont fait recueillir, lesquels
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
peuvent les utiliser à des fins pacifiques. Les États parties tiennent compte de
ce qu’il est souhaitable de mettre une partie desdits échantillons à la
disposition d’autres États parties intéressés et de la communauté scientifique
internationale aux fins de recherche scientifique. Les États parties peuvent, au
cours de leurs recherches scientifiques, utiliser aussi en quantités raisonnables
pour le soutien de leurs missions des minéraux et d’autres substances de la
Lune.
3. Les États parties conviennent qu’il est souhaitable d’échanger, autant qu’il
est possible et réalisable, du personnel scientifique et autre au cours des
expéditions vers la Lune ou dans les installations qui s’y trouvent.
Article 7
1. Lorsqu’ils explorent et utilisent la Lune, les États parties prennent des
mesures pour éviter de perturber l’équilibre existant du milieu en lui faisant
subir des transformations nocives, en le contaminant dangereusement par
l’apport de matière étrangère ou d’une autre façon. Les États parties prennent
aussi des mesures pour éviter toute dégradation du milieu terrestre par l’apport
de matière extraterrestre ou d’une autre façon.
2. Les États parties informent le Secrétaire général de l’Organisation des
Nations Unies des mesures qu’ils prennent en application du paragraphe 1 du
présent article et, dans toute la mesure possible, lui notifient à l’avance leurs
plans concernant le placement de substances radioactives sur la Lune et l’objet
de cette opération.
3. Les États parties font rapport aux autres États parties et au Secrétaire
général au sujet des régions de la Lune qui présentent un intérêt scientifique
particulier afin qu’on puisse, sans préjudice des droits des autres États parties,
envisager de désigner lesdites régions comme réserves scientifiques
internationales pour lesquelles on conviendra d’accords spéciaux de
protection, en consultation avec les organismes compétents des Nations Unies.
Article 8
- 485 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Article 9
1. Les États parties peuvent installer des stations habitées ou inhabitées sur la
Lune. Un État partie qui installe une station n’utilise que la surface nécessaire
pour répondre aux besoins de la station et fait connaître immédiatement au
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies l’emplacement et les
buts de ladite station. De même, par la suite, il fait savoir chaque année au
Secrétaire général si cette station continue d’être utilisée et si ses buts ont
changé.
2. Les stations sont disposées de façon à ne pas empêcher le libre accès à
toutes les parties de la Lune du personnel, des véhicules et du matériel d’autres
États parties qui poursuivent des activités sur la Lune conformément aux
dispositions du présent Accord ou de l’article premier du Traité sur les
principes régissant les activités des États en matière d’exploration et
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Article 10
1. Les États parties prennent toutes les mesures possibles pour sauvegarder la
vie et la santé des personnes se trouvant sur la Lune. À cette fin, ils
considèrent toute personne se trouvant sur la Lune comme étant un astronaute
au sens de l’article V du Traité sur les principes régissant les activités des
États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique,
y compris la Lune et les autres corps célestes, et comme étant un membre de
l’équipage d’un engin spatial au sens de l’Accord sur le sauvetage des
astronautes, le retour des astronautes et la restitution des objets lancés dans
l’espace extra-atmosphérique.
2. Les États parties recueillent dans leurs stations, leurs installations, leurs
véhicules et autres équipements les personnes en détresse sur la Lune.
Article 11
1. La Lune et ses ressources naturelles constituent le patrimoine commun de
l’humanité, qui trouve son expression dans les dispositions du présent Accord,
en particulier au paragraphe 5 du présent article.
2. La Lune ne peut faire l’objet d’aucune appropriation nationale par
proclamation de souveraineté, ni par voie d’utilisation ou d’occupation, ni par
aucun autre moyen.
3. Ni la surface ni le sous-sol de la Lune, ni une partie quelconque de celle-ci
ou les ressources naturelles qui s’y trouvent, ne peuvent devenir la propriété
d’États, d’organisations internationales intergouvernementales ou non
gouvernementales, d’organisations nationales ou d’entités gouvernementales,
ou de personnes physiques. L’installation à la surface ou sous la surface de la
Lune de personnel ou de véhicules, matériel, stations, installations ou
équipements spatiaux, y compris d’ouvrages reliés à sa surface ou à son sous-
sol, ne crée pas de droits de propriété sur la surface ou le sous-sol de la Lune
- 487 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
ou sur une partie quelconque de celle-ci. Les dispositions qui précèdent sont
sans préjudice du régime international visé au paragraphe 5 du présent article.
4. Les États parties ont le droit d’explorer et d’utiliser la Lune, sans
discrimination d’aucune sorte, dans des conditions d’égalité et conformément
au droit international et aux dispositions du présent Accord.
5. Les États parties au présent Accord s’engagent à établir un régime
international, y compris des procédures appropriées, régissant l’exploitation
des ressources naturelles de la Lune lorsque cette exploitation sera sur le point
de devenir possible. Cette disposition sera appliquée conformément à l’article
18 du présent Accord.
6. Pour faciliter l’établissement du régime international visé au paragraphe 5
du présent article, les États parties informent le Secrétaire général de
l’Organisation des Nations Unies, ainsi que le public et la communauté
scientifique internationale, autant qu’il est possible et réalisable, de toutes
ressources naturelles qu’ils peuvent découvrir sur la Lune.
7. Ledit régime international a notamment pour buts principaux:
a) D’assurer la mise en valeur méthodique et sans danger des ressources
naturelles de la Lune;
b) D’assurer la gestion rationnelle de ces ressources;
c) De développer les possibilités d’utilisation de ces ressources; et
d) De ménager une répartition équitable entre tous les États parties des
avantages qui résulteront de ces ressources, une attention spéciale étant
accordée aux intérêts et aux besoins des pays en développement, ainsi
qu’aux efforts des pays qui ont contribué, soit directement, soit
indirectement, à l’exploration de la Lune.
8. Toutes les activités relatives aux ressources naturelles de la Lune sont
exercées d’une manière compatible avec les buts énoncés au paragraphe 7 du
présent article et avec les dispositions du paragraphe 2 de l’article 6 du présent
Accord.
Article 12
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Article 13
Tout État partie qui constate qu’un objet spatial ou des éléments constitutifs d’un tel
objet qu’il n’a pas lancé ont fait sur la Lune un atterrissage accidentel, forcé ou
imprévu, en avise sans tarder l’État partie qui a procédé au lancement et le Secrétaire
général de l’Organisation des Nations Unies.
Article 14
1. Les États parties au présent Accord ont la responsabilité internationale des
activités nationales sur la Lune, qu’elles soient menées par des organismes
gouvernementaux ou par des entités non gouvernementales, et veillent à ce que
lesdites activités soient menées conformément aux dispositions du présent
Accord. Les États parties s’assurent que les entités non gouvernementales
relevant de leur juridiction n’entreprennent des activités sur la Lune qu’avec
l’autorisation de l’État partie intéressé et sous sa surveillance continue.
2. Les États parties reconnaissent que des arrangements détaillés concernant la
responsabilité en cas de dommages causés sur la Lune, venant s’ajouter aux
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
dispositions du Traité sur les principes régissant les activités des États en
matière d’exploration et d’utilisation de l’espace extra-atmosphérique, y
compris la Lune et les autres corps célestes, et à celles de la Convention
relative à la responsabilité concernant les dommages causés par des objets
spatiaux, pourraient devenir nécessaires par suite du développement des
activités sur la Lune. Lesdits arrangements seront élaborés conformément à la
procédure prévue à l’article 18 du présent Accord.
Article 15
1. Chaque État partie peut s’assurer que les activités des autres États parties
relatives à l’exploration et à l’utilisation de la Lune sont compatibles avec les
dispositions du présent Accord. À cet effet, tous les véhicules, le matériel, les
stations, les installations et les équipements spatiaux se trouvant sur la Lune
sont accessibles aux autres États parties. Ces derniers notifient au préalable
toute visite projetée, afin que les consultations voulues puissent avoir lieu et
que le maximum de précautions puissent être prises pour assurer la sécurité et
éviter de gêner les opérations normales sur les lieux de l’installation à visiter.
En exécution du présent article, un État partie peut agir en son nom propre ou
avec l’assistance entière ou partielle d’un autre État partie, ou encore par des
procédures internationales appropriées dans le cadre de l’Organisation des
Nations Unies et conformément à la Charte.
2. Un État partie qui a lieu de croire qu’un autre État partie ou bien ne
s’acquitte pas des obligations qui lui incombent en vertu du présent Accord ou
bien porte atteinte aux droits qu’il tient du présent Accord peut demander
l’ouverture de consultations avec cet autre État partie. L’État partie qui reçoit
cette demande de consultations doit engager lesdites consultations sans tarder.
Tout autre État partie qui en fait la demande est en droit de prendre part à ces
consultations. Chacun des États parties qui participent à ces consultations doit
rechercher une solution mutuellement acceptable au litige et tient compte des
droits et intérêts de tous les États parties. Le Secrétaire général de
l’Organisation des Nations Unies est informé des résultats des consultations et
communique les renseignements reçus à tous les États parties intéressés.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Article 16
Dans le présent Accord, à l’exception des articles 17 à 21, les références aux États
s’appliquent à toute organisation internationale intergouvernementale qui se livre à
des activités spatiales si cette organisation déclare accepter les droits et les
obligations prévus dans le présent Accord et si la majorité des États membres de
l’organisation sont des États parties au présent Accord et au Traité sur les principes
régissant les activités des États en matière d’exploration et d’utilisation de l’espace
extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes. Les États
membres d’une telle organisation qui sont parties au présent Accord prennent toutes
les mesures voulues pour que l’organisation fasse une déclaration en conformité des
dispositions du présent article.
Article 17
Tout État partie au présent Accord peut proposer des amendements à l’Accord. Les
amendements prennent effet à l’égard de chaque État partie à l’Accord acceptant les
amendements dès qu’ils sont acceptés par la majorité des États parties à l’Accord et
par la suite, pour chacun des autres États parties à l’Accord, à la date de son
acceptation desdits amendements.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Article 18
Dix ans après l’entrée en vigueur du présent Accord, la question de la révision de
l’Accord sera inscrite à l’ordre du jour provisoire de l’Assemblée générale de
l’Organisation des Nations Unies afin de déterminer, eu égard à l’expérience acquise
en ce qui concerne l’application de l’Accord, si celui-ci doit être révisé. Il est entendu
toutefois que, dès que le présent Accord aura été en vigueur pendant cinq ans, le
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, en sa qualité de dépositaire
de l’Accord, peut, sur la demande d’un tiers des États parties à l’Accord et avec
l’assentiment de la majorité d’entre eux, convoquer une conférence des États parties
afin de revoir le présent Accord. La conférence de révision étudiera aussi la question
de l’application des dispositions du paragraphe 5 de l’article 11, sur la base du
principe visé au paragraphe 1 dudit article et compte tenu, en particulier, de tout
progrès technique pertinent.
Article 19
1. Le présent Accord est ouvert à la signature de tous les États au Siège de
l’Organisation des Nations Unies, à New York.
2. Le présent Accord est soumis à la ratification des États signataires. Tout
État qui n’a pas signé le présent Accord avant son entrée en vigueur
conformément au paragraphe 3 du présent article peut y adhérer à tout
moment. Les instruments de ratification ou d’adhésion sont déposés auprès du
Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies.
3. Le présent Accord entrera en vigueur le trentième jour qui suivra le dépôt
du cinquième instrument de ratification.
4. Pour chaque État dont l’instrument de ratification ou d’adhésion sera déposé
après l’entrée en vigueur du présent Accord, celui-ci entre en vigueur le
trentième jour qui suivra la date du dépôt dudit instrument.
5. Le Secrétaire général informera sans délai tous les États qui auront signé le
présent Accord ou y auront adhéré de la date de chaque signature, de la date du
dépôt de chaque instrument de ratification ou d’adhésion, de la date d’entrée
en vigueur du présent Accord ainsi que de toute autre communication.
- 492 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Article 20
Tout État partie au présent Accord peut, un an après l’entrée en vigueur de l’Accord,
communiquer son intention de le dénoncer, moyennant notification écrite à cet effet
au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies. Cette dénonciation prend
effet un an après la date à laquelle elle a été reçue.
Article 21
L’original du présent Accord, dont les textes anglais, arabe, chinois, espagnol,
français et russe font également foi, sera déposé auprès du Secrétaire général de
l’Organisation des Nations Unies, qui en adressera des copies certifiées à tous les
États qui auront signé l’Accord ou qui y auront adhéré.
EN FOI DE QUOI les soussignés, à ce dûment habilités par leurs gouvernements
respectifs, ont signé le présent Accord, ouvert à la signature à New York, le dix-huit
décembre mil neuf cent soixante-dix-neuf.
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DEBUT DE LA ETAT
CONQUETE SPATIALE
URSS / RUSSIE
04 octobre 1957
12 avril 1961
L’URSS a remporté les premiers succès de la course à l’espace face aux Etats-
Unis en étant la première à mettre en orbite un satellite (Spoutnik) et le premier
homme dans l’espace. Après un effondrement de l’industrie spatiale à la suite de
la fin de la Guerre froide, la Russie de Vladimir Poutine souhaite faire de la
ressource spatiale un élément de la restauration de la puissance russe.
ETATS-UNIS
01er février 1958
06 mai 1961
26 novembre 1965
- 494 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
11 février 1970
24 avril 1970
Le programme spatial chinois est initié dès 1958. En 1970, le 1er satellite chinois
est mis en orbite. La Chine est aujourd’hui le 3 ème occupant de l’espace après les
Etats-Unis et la Russie. A l’instar de la Russie, la Chine fait de l’utilisation de
l’espace une ressource de sa puissance globale. Peu d’informations filtrent sur
les capacités spatiales de la Chine, même s’il semble évident que tout le spectre
des capacités soit aujourd’hui opérationnel. La Chine n’est pas un partenaire
habituel pour les Etats occidentaux. La méfiance réciproque est de mise,
notamment lorsqu’il est question de transfert de technologie.
ROYAUME-UNI
28 octobre 1971
- 495 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
18 juillet 1980
Le 18 juillet 1980 marque la date du premier tir réussi du lanceur national SLV-
3 avec un satellite indien à son bord (ROHINI) depuis l’Inde. Depuis l’Inde n’a
cessé de développer les technologies spatiales, notamment en réaction à son rival
régional qu’est la Chine. Ses rapprochements périodiques avec les Etats-Unis
ont favorisé la méfiance entre les deux puissances. D’un point de vue purement
spatial, l’Inde s’est démarquée des autres puissances en mettant en orbite 103
satellites lors d’un seul et même lancement (en février 2017).
ISRAEL
19 septembre 1988
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IRAN
04 février 2009
Décembre 2012 ( ?)
Les mises en orbite des satellites KMS (Kwangmyongsong) bien que très
probablement non opérationnels, remplissent des objectifs symboliques de
propagande au niveau national et international. Ces messages sont à destination
de la communauté internationale et plus spécifiquement des Etats occidentaux,
des Etats-Unis et du voisin japonais. De plus, le développement de capacités
spatiales permet de faire évoluer la technologie des missiles longues portées
nucléaires ou non.
COREE DU SUD
30 janvier 2013
Pour cette mise en orbite réussie, les Sud-coréens ont pris en charge l’intégralité
du processus à l’exception du premier étage de fusée qui est russe. Le directeur
de l’agence spatiale coréenne a alors annoncé une fusée de conception
entièrement sud-coréenne d’ici à 2021. Cet Etat souhaite acquérir une position
reconnue entre le Japon et la Chine. Pour cela, elle a développé jusqu’ici un
partenariat avec la Russie.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
LANCEURS
Arianespace est la société française historique et n°1 mondial des transports spatiaux
commerciaux. Elle lance les fusées Ariane, Vega ou encore Soyouz. Face aux
concurrents féroces du New Space, elle a remporté un premier succès en étant
lanceur des satellites privés OneWeb.
LANCEURS
1046
Le New Space Global est une société qui propose à ses clients de suivre de près les industries du New Space, leurs
investissements, leurs succès, leurs échecs afin d’en évaluer les tendances, et servir ainsi d’aide à la décision pour les
entrepreneurs présents ou futurs.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Le célèbre Elon Musk est le PDG de Space X. Précurseur privé dans le domaine des
lanceurs, il a bénéficié d’un soutien financier conséquent de la NASA (1.6 milliard de
dollars) afin de ravitailler la station spatiale internationale à l’aide du cargo Dragon.
Ses lanceurs emportent autant des satellites civils que militaires (américains et
israéliens). Space X bénéficie de son propre pas de tir pour ses fusées Falcon sur la
base de Cap Canaveral en Floride. Space X est le premier à avoir été capable
techniquement de réutiliser un étage de lanceur en le faisant atterrir de manière
autonome.
SATELLITES
TOURISME SPATIAL
LANCEUR REUTILISABLE
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
TOURISME SPATIAL
VOLS SUBORBITAUX
SATELLITES
La société de Greg Wyler a fusionné en 2017 avec Intelsat dans le but de fournir un
accès internet au monde entier et à bas coût. Dans ce but, cette société a pour projet
de placer en orbite plus de 700 satellites en orbite basse. Pour cela, elle construit une
usine aux Etats-Unis qui fabriquera les petits satellites à la chaîne. Avec l’annonce de
son projet, OneWeb a provoqué une vague de protestations et de désapprobations
principalement de la part des experts en charge des débris spatiaux. Cette
constellation risque de participer activement à la prolifération des débris en orbite.
MICROSATELLITES &
TRANSPORT SPATIAL
Cette société a été sélectionnée par la NASA afin de participer au transport
d’astronautes vers la station spatiale internationale à l’aide de sa navette Dream
Chaser. La société est également fournisseur d’avions pour l’Armée de l’air
américaine.
EXTRACTION
DE MATIERES PREMIERES
DANS L’ESPACE
Cette société a pour ambition l’exploitation des ressources issues des astéroïdes
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
(métaux, minerais, eau). En cela elle est aidée par le Space Act adopté fin 2015 par le
Congrès américain qui permet, malgré l’interdiction qui est établie pour les Etats de
s’approprier l’espace en vertu du Traité de l’Espace de 1967, aux individus de
s’approprier l’espace.
SATELLITES
DE METEOROLOGIE
RADARS
DE SURVEILLANCE DE L’ESPACE
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INSTITUTIONS
UNIDIR / United Nations Institute for Disarmament Research
L’UNIDIR est le centre de recherche des Nations Unies sur le désarmement.
C’est un centre précurseur en matière de réflexion sur les conséquences d’une
course aux armements dans l’espace. Ses contributions permettent à un grand
nombre d’experts de toutes nationalités de pouvoir s’exprimer sur le sujet. En
2012 il se voit confier par l’Union européenne la promotion du code de conduite
pour les activités spatiales.
UNOOSA / United Nations Office for Outer Space Affairs
Cette agence des Nations Unies est située à Vienne en Autriche. Elle est chargée
de promouvoir la coopération internationale dans le but d’une utilisation
pacifique de l’espace. Elle assure le secrétariat du COPUOS (CUPEEA). Elle
tient à jour le registre des immatriculations des objets mis en orbite par les
Etats. Ses personnels mettent en place et animent des groupes de travail
internationaux et des formations portant sur les différentes applications
spatiales (navigation, télédétection, météorologie etc.)
PAROS (Prevention of Armed Race in Outer Space) au sein de la Conférence
du Désarmement
Le PAROS est un comité ad-hoc créé en 1982 au sein de la Conférence du
désarmement (CD). Cela signifie qu’il n’est pas permanent. Le PAROS est censé
être le comité où les représentants des Etats discutent des moyens d’éviter une
course aux armements dans l’espace. Cependant, ce comité subit le
dysfonctionnement de la CD et les blocages endémiques qui la rendent
inopérante. Les Etats utilisent ce comité afin de faire pression sur les autres
négociations au sein de la CD. En 1999, la Chine a demandé la réactivation de ce
comité à la suite de la décision de Bill Clinton de mettre en place un bouclier
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• 29/01/2012: The 7th Ilan Ramon International Space Conference, “Space security.
An American Perspective”, Herzliya, Israel;
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• 02/04/2013 : Protecting Space for Future Generations is in the Vital Interests of the
Global Community; Space Security Conference 2013: United Nations Institute for
Disarmament Research; Genève, Suisse;
• 07/05/2013: Remarks at Global Space and Satellite Forum; Middle East 2013; Abu
Dhabi, Emirats Arabes Unis ;
• 30/11 au 03/12/2015: Visite en Chine afin d’assister à l’atelier sur la sécurité des
activités spatiales au sein de la conférence de l’ASEAN (Association of South East
Asian Nations), puis discuter avec des officiels du Ministère des Affaires étrangères
sur des problématiques communes ;
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Index
A
C
accord exécutif · 71, 123, 223, 226, 231
active debris removal · Voir ADR CD · Voir conférence du désarmement
ADR · 7, 147, 182, 183, 192, 309, 310 CDAOA · 7, 75, 138, 141, 144, 195, 382
AFSPC · 7, 75 CE · Voir communauté épistémique
agenda politique · 84, 86, 87, 106, 313 Centre Opérationnel de Surveillance Militaire des
Air Force Space Command · Voir AFSPC Objets Spatiaux · Voir COSMOS
alliance · 233, 244, 252, 266, 285, 290, 320, 325, champ de bataille · 30, 76, 96, 192, 209, 368, 372,
330, 331, 338, 339, 342, 347, 383, 406, 409, 381, 395, 406, 428
422, 442 Chine · 7, 11, 17, 34, 41, 44, 45, 46, 69, 105, 113,
anarchie · 31, 33, 50, 51, 55, 122 114, 115, 119, 121, 124, 161, 165, 172, 181,
antisatellite · Voir ASAT 196, 199, 203, 204, 208, 210, 212, 219, 234,
apprentissage · 24, 56, 60, 61, 62, 67, 112, 136, 237, 239, 240, 246, 247, 259, 267, 271, 276,
154, 177, 178, 179, 180, 193, 213, 219, 230, 282, 283, 305, 307, 321, 329, 338, 357, 358,
232, 236, 246, 248, 257, 299, 306, 313, 318, 363, 365, 366, 377, 398, 409, 413, 417, 422,
320, 328, 329, 415 434, 440, 444
arms control · 25, 27, 63, 84, 101, 104, 111, 204, CNES · 8, 41, 74, 78, 99, 123, 126, 127, 134, 136,
207, 208, 209, 215, 225, 247, 292, 418, 419 137, 138, 139, 140, 143, 145, 152, 170, 179,
ASAT · 7, 22, 28, 78, 80, 81, 95, 96, 101, 167, 168, 180, 182, 188, 192, 195, 196, 232, 375
172, 176, 196, 210, 216, 246, 271, 277, 279, coalition building · 267
282, 329, 360, 365, 370, 393, 429, 430 code de conduite · 5, 26, 50, 53, 66, 103, 113, 122,
autonomie · 34, 40, 124, 128, 144, 172, 333, 364, 161, 163, 164, 169, 171, 188, 210, 211, 212,
374, 375, 376, 396, 409 214, 226, 234, 240, 243, 255, 256, 280, 283,
285, 310, 313, 323, 328, 333, 338, 352, 353,
354, 355, 360, 366, 377, 404, 405, 407, 412,
B
414, 415, 440, 519
CODUN · 8, 211, 212, 229, 238, 355, 356, 440
Barack Obama · 24, 71, 74, 77, 218, 220, 229, 231,
Commandement de la Défense Aérienne et des
253, 273, 275, 276, 277, 278, 280, 283, 336,
Opérations Aériennes · Voir CDAOA
369, 397, 399, 400, 414, 437
Commission européenne · 50, 147, 171, 176, 234,
Biens Publics Mondiaux (BPM) · 7, 296, 298, 316
255, 344, 350, 351, 358
bottom-up (méthode du) · 183, 214, 242, 249, 302,
401, 403
- 511 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
communauté · 5, 25, 27, 36, 56, 60, 61, 63, 66, 78, croyances · 5, 27, 31, 33, 37, 55, 62, 66, 83, 84, 88,
83, 86, 87, 97, 99, 100, 113, 137, 169, 174, 175, 94, 97, 101, 102, 108, 109, 110, 111, 117, 156,
178, 181, 182, 183, 190, 193, 197, 200, 222, 172, 177, 178, 179, 180, 181, 197, 202, 203,
239, 249, 250, 295, 298, 316, 321, 334, 340, 208, 209, 210, 214, 229, 231, 235, 236, 245,
347, 363, 371, 404, 413, 430, 435, 454, 485, 248, 249, 251, 253, 258, 261, 299, 313, 363,
486, 489, 497, 498, 519 370, 410, 413, 519
communauté épistémique · 5, 36, 56, 60, 61, 66, CSN · 8, 73
78, 83, 86, 87, 97, 100, 113, 169, 178, 193, 198,
200, 249, 316, 404, 413, 519
D
compétition (interétatique) · 20, 33, 104, 111, 194,
210, 245, 267, 271, 310
de Gaulle (Général) · 123, 133, 373, 375
conférence du désarmement · 115, 118, 120, 145,
débris · 5, 18, 24, 47, 61, 62, 63, 67, 76, 78, 80, 83,
202, 255
84, 86, 87, 88, 89, 90, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 98,
confiance (mesures de) · 26, 52, 139, 157, 160,
99, 100, 101, 102, 104, 106, 108, 110, 111, 112,
161, 162, 166, 170, 206, 207, 217, 222, 225,
113, 135, 138, 144, 156, 167, 169, 170, 172,
236, 239, 240, 241, 259, 260, 261, 271, 279,
173, 174, 175, 176, 177, 178, 179, 180, 182,
330, 332, 359, 398, 402, 412, 440
183, 184, 186, 190, 192, 196, 197, 202, 213,
Congrès · 20, 53, 69, 70, 80, 81, 82, 108, 117, 151,
214, 221, 229, 230, 239, 241, 250, 254, 258,
191, 220, 223, 224, 225, 227, 229, 301, 310
261, 279, 305, 309, 311, 312, 313, 317, 352,
Conseil à la Sécurité Nationale · Voir CSN
392, 402, 412, 413, 463, 505, 519
convergence · 262, 317, 328, 329, 330, 332, 342,
décodage · 93, 103, 107
364, 371, 373, 386
Délégation Générale pour l’Armement · Voir DGA
coopération · 8, 28, 34, 39, 46, 50, 51, 54, 55, 56,
déni d’accès · 268, 270, 291, 323, 334, 391, 402
60, 76, 78, 90, 104, 108, 114, 119, 125, 130,
développement durable · 5, 61, 62, 135, 173, 174,
142, 144, 148, 189, 194, 195, 203, 217, 220,
186, 192, 204, 292, 299, 303, 304, 306, 314,
239, 271, 280, 283, 284, 289, 290, 296, 298,
365, 413, 415, 519
303, 304, 305, 306, 310, 311, 312, 316, 322,
DGA · 8, 133, 134, 136, 139, 140, 145, 147
325, 332, 333, 338, 341, 343, 345, 347, 360,
diffusion · 61, 62, 67, 68, 84, 88, 93, 98, 99, 113,
363, 369, 375, 380, 385, 402, 404, 409, 443,
172, 179, 180, 181, 200, 202, 256, 258, 279,
444, 449, 450, 451, 453, 454, 457, 464, 482,
290, 310, 314, 317, 318, 320, 329, 363, 392,
483, 484, 498
454
COPUOS · 8, 28, 145, 173, 174, 183, 184, 185, 187,
dilemme de sécurité · 51, 101, 103, 158, 210, 271,
188, 195, 199, 200, 211, 212, 213, 214, 237,
377, 398
242, 244, 286, 403, 441, 504, 505
domination · 43, 60, 112, 267, 272, 283, 289, 324,
COSMOS · 8, 75, 90, 110, 379, 463
329, 351, 369, 383
COSPAR · 8, 93, 178, 255, 362
Dominique de Villepin · 146, 165, 335
course aux armements · 21, 22, 26, 30, 61, 63, 67,
Donald Kessler · 63, 64, 86, 108, 213
81, 95, 102, 105, 108, 118, 119, 156, 157, 158,
durabilité de l’espace · 63, 102, 173, 186, 196,
159, 160, 161, 164, 165, 169, 170, 202, 207,
198, 266, 300, 301, 304, 415
208, 212, 236, 241, 255, 377, 398, 399, 412
critical state · 218, 233, 256, 329
- 512 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
entrepreneurs · 83, 86, 88, 94, 97, 106, 107, 112, forum · 114, 119, 122, 178, 181, 184, 189, 193,
148, 273, 274, 276, 279, 284, 316, 317, 320, 195, 200, 201, 240, 242, 251, 281, 290, 302,
espaces confinés · 87, 93, 107, 306, 413 forums hybrides · 190, 192
Etats-Unis · 17, 19, 20, 21, 22, 24, 26, 28, 30, 33, France · 18, 26, 30, 33, 41, 44, 47, 57, 58, 60, 62,
41, 42, 44, 47, 48, 54, 60, 62, 69, 70, 71, 73, 74, 69, 74, 80, 123, 124, 128, 130, 131, 132, 134,
77, 80, 83, 84, 88, 101, 102, 104, 105, 114, 116, 135, 137, 140, 142, 145, 146, 147, 148, 149,
117, 118, 119, 120, 121, 124, 127, 130, 155, 152, 154, 156, 157, 158, 159, 161, 162, 164,
156, 157, 158, 159, 160, 161, 162, 164, 165, 165, 166, 167, 168, 170, 171, 172, 175, 180,
166, 169, 172, 174, 176, 184, 188, 191, 193, 185, 188, 189, 190, 191, 192, 194, 208, 211,
203, 204, 207, 208, 209, 210, 212, 215, 216, 220, 229, 230, 233, 237, 239, 244, 251, 253,
218, 219, 221, 222, 224, 225, 226, 227, 228, 257, 262, 266, 293, 295, 298, 311, 312, 313,
230, 231, 233, 234, 235, 237, 239, 242, 244, 320, 321, 326, 329, 330, 331, 333, 334, 335,
245, 246, 248, 251, 257, 258, 262, 265, 266, 336, 338, 339, 340, 341, 342, 343, 345, 348,
267, 268, 269, 270, 271, 273, 274, 275, 276, 360, 364, 366, 371, 372, 373, 374, 376, 377,
277, 278, 279, 280, 281, 282, 283, 285, 287, 378, 380, 381, 382, 383, 386, 387, 388, 389,
288, 289, 291, 292, 294, 304, 306, 308, 309, 390, 391, 392, 394, 395, 397, 399, 401, 402,
312, 314, 324, 329, 330, 331, 333, 334, 335, 405, 409, 410, 412, 414, 417, 422, 423, 424,
336, 337, 338, 339, 340, 341, 342, 344, 349, 425, 427, 433, 436, 440, 443, 495, 509
351, 352, 356, 357, 360, 363, 364, 365, 366, François Hollande · 171, 321, 335
facteurs · 35, 39, 40, 52, 53, 56, 57, 59, 69, 89, 188
106, 122, 146, 210, 269, 270, 326, 328, 371, guerre des étoiles · 22, 101, 159, 271
fenêtre d’opportunité · 57, 71, 85, 231, 232, 273, Guerre froide · 19, 21, 24, 25, 26, 30, 31, 32, 33,
274, 275, 279, 370, 412 41, 42, 43, 50, 68, 89, 103, 105, 107, 124, 127,
- 513 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
133, 157, 162, 207, 241, 267, 271, 292, 308, intérêt national · 32, 33, 34, 48, 54, 101, 131, 215,
336, 495 222, 269, 270, 283, 438
guerre réseau-centrée · 289 Irak (guerre) · 128, 144, 165, 334, 335, 357, 384
ITAR (réglementations) · 9, 41, 115, 246, 247, 272,
277, 361
H
- 514 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
mise sur agenda · 57, 83, 85, 87, 88, 91, 106, 185,
P
230
Mitterrand, François · 158, 159, 160, 161, 164, PAROS · 11, 118, 119, 120, 163, 204, 212, 255, 440
293, 427 partenariat stratégique · 115, 281, 330
Montego Bay (Convention de) · 29, 70, 205, 218, path dependence (dépendance au chemin
235, 439 parcouru) · 25, 170, 331
multilatéralisme · 5, 366, 380, 384, 399, 400, 401, patrimoine commun de l’humanité · 204, 205, 206,
402, 405, 406, 407, 410, 414, 416, 422, 436, 290, 292, 293, 294, 303, 304, 305, 446, 482,
437, 519 488
multipolarité · 277, 336, 366, 380, 401, 414 pensée experte · 21, 103, 105, 117, 289, 370, 398
perceptions · 36, 39, 52, 59, 104, 203, 324
N politique publique · 25, 35, 41, 49, 57, 58, 83, 84,
87, 88, 99, 135, 155, 173, 174, 178, 213, 275,
NASA · 5, 6, 10, 23, 44, 63, 72, 74, 76, 77, 80, 86, 295, 313, 317, 365
87, 88, 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95, 96, 97, 99, PPWT · 11, 120, 121, 122, 204, 209, 210, 213, 239,
100, 101, 105, 106, 107, 108, 110, 111, 112, 244, 248, 249, 251, 259, 292, 313, 328, 377,
138, 151, 176, 178, 179, 180, 181, 182, 183, 404
189, 191, 195, 196, 213, 221, 232, 279, 280, profanes · 5, 98, 106, 190, 191, 192, 193, 198, 392,
309, 316, 349, 375, 412,413, 442, 519 413, 519
National Space Policy · 10, 72, 87, 130, 269, 271, prolifération · 5, 26, 47, 61, 63, 67, 76, 78, 80, 86,
280, 309, 369, 438, 439 87, 88, 101, 102, 113, 120, 135, 145, 153, 157,
Nicolas Sarkozy · 130, 170, 171, 320, 332, 335, 162, 167, 169, 175, 181, 184, 190, 192, 199,
336, 359, 360, 375, 376 202, 211, 229, 236, 238, 241, 312, 352, 355,
356, 391, 398, 409, 412, 413, 505, 519
puissance (la) · 17, 19, 21, 22, 24, 25, 30, 31, 32,
O
34, 40, 42, 43, 44, 45, 46, 47, 49, 50, 54, 56, 58,
76, 82, 114, 115, 116, 117, 124, 126, 127, 176,
Office of Science and Technology Policy · Voir OSTP
203, 209, 210, 218, 219, 220, 239, 245, 246,
Office of Technological Assessment · Voir OTA
259, 267, 268, 269, 270, 271, 272, 276, 278,
opinion publique · 67, 72, 91, 110, 149, 172, 192,
280, 281, 282, 284, 310, 311, 321, 326, 341,
220, 266, 306, 413
344, 348, 349, 355, 357, 358, 359, 360, 361,
Organisation de Coopération de Shanghai · 114,
362, 366, 368, 369, 378, 383, 386, 396, 400,
115
406, 409, 412, 416, 418, 421, 428, 431, 434,
OSTP · 11, 74
443, 495, 496, 498
OTA · 11, 78, 81, 108, 224, 430
puissance normative · 50, 117, 210, 267, 357, 361,
OTAN · 7, 11, 49, 114, 142, 266, 284, 285, 286,
362, 386
291, 318, 319, 320, 321, 322, 323, 324, 325,
326, 331, 336, 337, 339, 340, 341, 342, 362,
374, 386, 387, 399, 405, 406, 408, 409, 410, R
412, 422, 432, 442
rationalité · 26, 54, 133, 269
- 515 -
HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
358, 359, 360, 364, 368, 379, 380, 382, 386, UNIDIR · 12, 118, 189, 255, 256, 302, 440, 442
395, 398, 405, 410 Union européenne · 8, 12, 49, 62, 64, 142, 145,
syndrome (de Kessler) · 88, 98, 175, 183, 192, 199, 154, 169, 170, 210, 211, 212, 229, 233, 234,
258, 306, 313 238, 254, 255, 265, 283, 323, 329, 330, 336,
343, 344, 347, 348, 349, 350, 353, 354, 356,
357, 358, 359, 360, 364, 374, 378, 383, 384,
T
385, 404, 407, 413, 414, 440
USSTRATCOM · 12, 75, 343, 352, 387
tragédie des communs · 296, 297, 300, 302, 307,
310
Traité de l’Espace · 17, 29, 30, 33, 60, 345, 365, V
503
transfert · 40, 115, 246, 317, 318, 324, 329, 392, variable · 33, 61, 62, 85, 179, 400
403, 496
transgouvernementalisme · 231
W
trilatéralisme · 332, 333
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
Résumé :
Dès les années 1970, à l’appui de travaux scientifiques et statistiques, un petit groupe de
scientifiques de la NASA convainc les plus hautes autorités américaines des conséquences
désastreuses de la prolifération des débris dans l’espace extra-atmosphérique. Déjà, ils
mettent en garde contre les tests antisatellites, accélérateurs du phénomène. Ces chercheurs
essaiment leurs croyances au-delà des frontières américaines, et au-delà de la communauté
des scientifiques. Ils sont aidés en cela par la popularisation du thème plus global de
développement durable. Le résultat est qu’aujourd’hui, presque n’importe quel citoyen est
capable de discourir sur le problème des débris dans l’espace. Une communauté épistémique
s’est formée autour de ce sujet rassemblant scientifiques, ingénieurs, militaires, diplomates,
étudiants et citoyens. Les savants et les profanes. Fort de ce contexte, la nécessité d’une
norme semble s’imposer afin de sécuriser les activités spatiales. Bien qu’existante depuis la
conquête de l’espace de manière latente, cette norme n’a jamais fait l’objet de consensus
entre les Etats permettant d’aboutir à un régime. Or, de 2007 à 2016 il devient l’objet de
toutes les attentions mais aussi de toutes les divisions entre puissances spatiales, amenant
même à créer de manière schématique deux camps opposés. Cette thèse interroge la
supériorité américaine dans l’espace au 21ème siècle, le rôle des institutions supranationales
dans leur capacité à réguler les relations entre Etats, mais aussi la place de ces derniers face
aux acteurs non étatiques. Dans cette même idée, elle analyse le rôle, l’influence voire le
pouvoir des communautés épistémiques sur les Etats et inversement.
As a result, today, almost no citizen in the world ignores the problem of debris in outer space.
Thus, an epistemic community made of scientifics, engineers, servicemen, diplomats,
academics, students, and citizen arose. Scholars and laymen all together. Thanks to that
worldwide awareness, the need for a standard seems to be necessary in order to regulate and
secure space activities. Although it has existed since the conquest of space in a latent way,
this norm has never been the object of a consensus between the States allowing reaching a
regime. However, from 2007 to 2016, States renew their interest for this norm. But because
they don’t agree with each other, the debate creates schematically two opposing camps.
This dissertation aims at questioning the American superiority in the 21st century, the role of
the international organizations to mitigate the conflicts between States, but also the influence
of the latter facing the non-States actors. Similarly, the dissertation tries to assess the role
and the influence of the epistemic communities on States and conversely.
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HAINAUT Béatrice| Thèse de doctorat | juin 2017
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