LES OBSÈQUES DE LA LIONNE

La femme du Lion mourut : Et soutint qu’il l’avait vu rire.

5 Aussitôt chacun accourut La colère du Roi, comme dit Salomon,
Pour s’acquitter envers le Prince Est terrible, et surtout celle du roi Lion :
De certains compliments de consolation, 35 Mais ce Cerf n’avait pas accoutumé de lire.
Qui sont surcroît d’affliction. Le Monarque lui dit : Chétif hôte des bois
Il fit avertir sa Province Tu ris, tu ne suis pas ces gémissantes voix.
10 Que les obsèques se feraient Nous n’appliquerons point sur tes membres profanes
Un tel jour, en tel lieu ; ses Prévôts y seraient Nos sacrés ongles ; venez Loups,
Pour régler la cérémonie, 40 Vengez la Reine, immolez tous
Et pour placer la compagnie. Ce traître à ses augustes mânes.
Jugez si chacun s’y trouva. Le Cerf reprit alors : Sire, le temps de pleurs
15 Le Prince aux cris s’abandonna, Est passé ; la douleur est ici superflue.
Et tout son antre en résonna. Votre digne moitié couchée entre des fleurs,
Les Lions n’ont point d’autre temple. 45 Tout près d’ici m’est apparue ;
On entendit à son exemple Et je l’ai d’abord reconnue.
Rugir en leurs patois Messieurs les Courtisans. Ami, m’a-t-elle dit, garde que ce convoi,
20 Je définis la cour un pays où les gens Quand je vais chez les Dieux, ne t’oblige à des larmes.
Tristes, gais, prêts à tout, à tout indifférents, Aux Champs Élysiens j’ai goûté mille charmes,
Sont ce qu’il plaît au Prince, ou s’ils ne peuvent l’être, 50 Conversant avec ceux qui sont saints comme moi.
Tâchent au moins de le paraître, Laisse agir quelque temps le désespoir du Roi.
Peuple caméléon, peuple singe du maître, J’y prends plaisir. A peine on eut ouï la chose,
25 On dirait qu’un esprit anime mille corps ; Qu’on se mit à crier : Miracle, apothéose !
C’est bien là que les gens sont de simples ressorts. Le Cerf eut un présent, bien loin d’être puni.
Pour revenir à notre affaire 55 Amusez les Rois par des songes,
Le Cerf ne pleura point, comment eût-il pu faire ? Flattez-les, payez-les d’agréables mensonges,
Cette mort le vengeait ; la Reine avait jadis Quelque indignation dont leur cœur soit rempli,
30 Étranglé sa femme et son fils. Ils goberont l’appât, vous serez leur ami.
Bref il ne pleura point. Un flatteur l’alla dire,
60 Jean de La Fontaine, Fables, Livre VIII, 14, 1678-79.