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Numéro 4 La gazette de Laelith 7 de lestes semailles A.R.D.

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TROISIÈME JOUR DE DEUIL EN HOMMAGE AU DÉFUNT ROI-DIEU TEAPHANERYS XIV

Office mortuaire : incinération du


cœur du saint Roi-Dieu

«Q
ue voulez-vous entendre ? suivirent, à vingt pas derrière, les hauts membres du clergé, puis les grands
— Les troisièmes funérailles  ! La fin bénie de notre dignitaires de l’armée, puis les membres dirigeants des Conseils, puis la
  Monarque Divin par le feu sacré. grande foule des croyants, chacun porteur d’un brasillant.
— En ce jour radieux, le corps de notre très saint Roi-Dieu a enfin accédé au Le Chemin, balisé de lumignons couleur de sang, parcourut la boucle rituelle
divin. C’est à l’instant irradiant où l’astre du jour atteint son zénith qu’ont été à travers la terrasse de la Main qui travaille pour rejoindre, par la porte de
présentés au Brasier consacré du temple de l’Oiseau de feu les organes les l’Immense Solitude septentrionale, la vallée de Cendres.
plus précieux de notre Monarque Divin : son cœur, siège de toutes les vertus, Là, sur un unique brasier fait d’un stère de buis centenaires, brûlèrent les
et son petit intestin, siège de toutes les turpitudes. Gloire soit rendue à Sa restes de notre très saint Roi-Dieu. »
Sainteté ! Le miracle s’est produit : ils ne furent pas consumés !
Alors, le grand prêtre prit, dans ses mains dégantées, les restes sanctifiés — Discussion au coin de l’âtre, « Au blanc-mangé », par Fatum-Ignè,
et, sans subir nulle brûlure, s’engagea sur le  Chemin de lumière, seul en sa membre de la guilde des Ménestrels, chantfèvre de la Demeure de l’arfang,
gloire, uniquement précédé de vingt pas par le grand cracheur de feu. Les sise en la Main qui travaille.

Conseils du fouineur Lamb aux jeunes recrues


affectées aux postes de l’Encre et du Charbon
« Avec la mort du Roi-Dieu, il va y avoir du mouvement y trouvent un endroit tranquille où mener leurs
dans le Châtiment. C’est pour ça que vous restez à affaires. Mais les criminels ne sont pas fous, du
votre poste sans aller renforcer la surveillance de la moins la plupart d’entre eux : pourquoi s’aventurer
procession d’aujourd’hui. Normalement, le quartier là-bas alors que vous risquez de vous faire prendre
se gère tout seul, mais à chaque changement de au piège du Châtiment  ? Sachez bien, mes petits,
règne, là-bas, c’est l’hystérie. À croire qu’ils pensent que si vous êtes pressés d’aller visiter ce quartier
portrait d’une jeune femme – elfe ? – par Tanburci.

que les Monarques Divins les protègent de je ne sais «  exotique  », vous êtes bien les seuls. Je connais
quoi, et que le prochain ne sera pas à la hauteur. d’ailleurs d’excellents prêtres du Crâne, détachés
Mais qu’est-ce qui pourrait être pire que ce qu’ils au Lazaret, qui aimeraient bien vous rencontrer. Et
connaissent déjà ? croyez-moi, si le Châtiment n’était pas dangereux,
je ne perdrais pas mon précieux temps à vous faire
De toute façon, nous ne voudrions surtout pas que la leçon…
ces débordements ne déclenchent une quelconque
catastrophe digne de cette fichue terrasse et ne Donc la première chose à faire, AVANT MÊME
perturbent la cérémonie. Et on me signale que ce DE VOUS RENDRE AU CHÂTIMENT, c’est de VOUS
vieux requin de Korasy s’intéresse au coin. Alors PRÉPARER À Y RESTER  ! Laissez vos affaires en
vous allez patrouiller  ! Contentez-vous de rester ordre, dites au revoir à qui de droit et n’y allez
sur les abords et qui sait, peut-être que vous en pas sans un solide sac bien rempli. Et mettez-vous
reviendrez. Mais gardez l’œil ouvert, et le bon. Et bien ça dans la tête : l’argent n’y a pas cours et les
La rédaction de la Gazette de Laelith tient
les oreilles aussi ! boutiques y sont aussi rares que les femmes dans la
à remercier Xeniophal pour sa profonde
liste des Rois-Dieux ! »
N’allez pas croire que vous y rencontrerez la même connaissance de l’usage et de la confection des
faune que dans les endroits interlopes des autres Propos recueillis par notre envoyé spécial encres et des plumes.
terrasses. On pourrait se dire que les brigands auprès du fouineur Lamb
Wilfrid PROST - wilfrid.prost@orange.fr - 202008/107103/224716
«Au Châtiment, même les plus mal lotis finissent toujours par susciter l’intérêt de quelques-uns. Mais c’est rarement pour leur bien.»

Le mystère de la terrasse du
Châtiment enfin révélé !
Les antopographes sont formels, l’instabilité topographique en Châtiment semblaient perdre la foi. Heureusement, le soutien moral de notre quatre fois
est identifiée ! Mais aucune information n’a fuité des dernières campagnes saint Nin Ier et de ses représentants dont le fameux et redoutable Sancillo
menées pour cartographier enfin la terrasse. Depuis les rumeurs les plus folles Korasy, mais aussi des quatre grands prêtres et la présence de leurs troupes
courent la Cité sainte. spécifiques ont permis d’avancer !
Il faut dire que les débuts furent difficiles. Aux missions de repérage Ce fut la 3e campagne, dite du Sacrifice. Les divines prêtresses mélopistes
catastrophiques suivirent des déclarations plus invraisemblables les unes du Nuage avec leurs chants semblaient avoir comme apaisé le climat du
que les autres qui s’étaient répandues en tous lieux, des taberges miteuses Châtiment. Les danseurs enfiévrés de l’Oiseau de feu illuminèrent les troupes
aux salons du palais royal-divin. Depuis la disparition d’unités complètes de royales-divines. Les prêtres combattants du Crâne, en “arrosant d’essence de
géomètres et de leurs escortes due à la colère des Anciens Dieux ; à la folie vie” le sol, pacifièrent les terrains. Les dévots du Poisson d’argent marquèrent
irrémédiable desdites unités confrontées à de véritables monstres dignes des toutes les fontaines et autres points d’eau du signe du Poisson, traces
pires cauchemars ; en passant par les histoires les plus loufoques comme celles inamovibles et repères pour les troupes. Ces dernières, le moral au beau fixe,
évoquant la présence de pierres vivantes ayant convaincu ces unités d’élite de allèrent de succès en succès. La cartographie fut bientôt complète et surtout
régresser et abandonner leur mission. exacte !
L’idée de reconquête de la terrasse du Châtiment tomba au plus bas. Certains Quand de nouveau la catastrophe  : le Châtiment refit des siennes et la
hauts responsables chutèrent ou en perdirent la tête, pour quelques-uns au cartographie ne colla plus au terrain... Tout sembla vain une fois de plus.
sens premier du terme. Enfin, le Roi-Dieu en personne passa ses divisions en Les antopographes punis furent envoyés dans le Cloaque. Mais des troupes
revue pour relancer son projet. royales-divines héroïques mirent pied sur le secret du Châtiment. Quelle ne fut
pas la joie d’enfin connaître la vérité sur les bizarreries géo-topographiques
Cette 2e vague, dite de la Pénitence, fut plus fructueuse et permit les premiers du Châtiment et porter ses mécanismes à la lumière du Roi-Dieu. Ce qui
pas et plans. Mais aussi les premières inquiétudes se confirmèrent : les plans permit la construction du pont Nin Ier en signe des débuts de la Reconquête
justes le matin étaient faux l’après-midi ! Même les meilleurs géomètres du Châtiment !
Les gens de l’Escondide
« Le Châtiment est une sorte de mer bouillonnante et chaotique, de ces flots Radid, puisque nous parlons de lui, lève ses yeux enchâssés de lentilles optiques
malins qui perdent et corrompent les nautes désavoués par les Dieux, ceux-là de ses plans : « Oui, les émotions. Mais je travaille à récupérer une autre
mêmes qui, dans les contes, ont éborgné le fils géant du roi des Mers. Ces source d’énergie, déployée pendant les tempêtes par les rifts ! Cependant ce
eaux vengeresses leur promettent des années d’errances et de malaventures, n’est pas aussi facile que je l’espérais…  » murmure-t-il en caressant ses
avec parfois, une brève vision d’îles paradisiaques et interdites. Je pense cheveux brûlés par ses multiples expériences infructueuses.
qu’Escondide est une de ces îles. Un squat, une cour cachée dans une échelle
dont je tairai le nom, et qui rassemble quelques-uns des plus beaux allumés « Oh ! Ce serait dommage de ne plus avoir besoin de faire ces spectacles ! »
de la terrasse. Mais bénis soient les fêlés, car ils laissent passer la lumière. »  glousse une opulente rouquine. «  Rilna est notre meilleure fournisseuse
Ainsi discourt Réséda, le «nain qui parle aux plantes», responsable du potager d’énergie, me glisse Tania sur l’air de la confidence. Elle a, elle aussi,
de l’Escondide. « Je sème comme les gens de la terrasse sur leur balcon ou l’émotion facile ! » Et la rousse de partir d’un grand rire aux modulations
sur leurs toits. Et une fois sur trois, il pousse un végétal inconnu. Mais ici, cela musicales : « C’est vrai que je suis très bon public pour toutes ces pièces de
tourne rarement aux lierres assassins ou aux plantes carnivores. Nous devons théâtre, ces opéras, ces numéros de cirque… Oh, et les marionnettes ! Il
être chanceux. » faut absolument que vous voyiez ce que Gifford est capable de faire avec
ses marionnettes  ! Quand elles déclament les vers de Podrif, c’est à vous
Nous rejoignons sous la tonnelle Tania qui peint avec des pigments qu’elle fendre l’âme. Podrif, c’est le petit maigre là-bas, qui est en train de discuter
fabrique elle-même : « Le Châtiment est une toile d’araignée qui finit par philosophie avec Szlossek Wrzffthar. Vous devriez d’ailleurs lui demander
attirer tout ce que Laelith comporte de parias et de gens hors normes. Parmi d’enluminer un de vos articles… »
ces errants, il y a forcément des gens très intéressants. Certains se regroupent
ici, dans ce cocon bariolé. »  Elle dessine en me parlant et me questionne Nous sommes interrompus par Réséda : « Un peu de saucisson ? » Alors que
sur les paysages que j’ai vus, les voyages de ma jeunesse. « Je n’ai jamais je lui avoue que j’aimerais bien goûter ses fraises qui me font de l’œil depuis
quitté la terrasse, dit-elle. Je suis née à deux pas de la rue Morte. » Pourtant, que je suis installé dans cette petite cour sous les lampions, le nain me regarde
son esquisse du port d’Almarande est plus réelle et plus vivante encore d’un air torve : « Elles t’ont fait quoi mes fraises ? Pourquoi tu veux abréger
que dans mon souvenir d’enfance. Une autre question me vient en tête : leur existence ? » Passé le moment de trouble et visiblement satisfait du petit
comment se fait-il que j’ai pu voir une de ses œuvres chez dame Efylia, sur la effet qu’il a eu sur moi, le nain consent à sourire : « Nan, je galèje ! Moi, ici,
Haute Terrasse ? Elle me répond, énigmatique, qu’elle a un « courtier » très je fais peur ! » Et alors qu’il s’en va cueillir quelques fruits, il me lance : « Et
débrouillard...* Elle enchaîne : « Escondide est un abri, nous devons beaucoup pas un mot de tout ce que tu as vu, hein ? Souviens-toi, Escondide ce n’est
à la magie de Radid. C’est lui qui cache le squat dans un écrin illusoire. Si qu’une légende ! »
nous n’ouvrons pas la porte depuis l’intérieur, les intrus ne trouveront ici — Nicholos Chevêche, chroniqueur à la Gazette
que des ruines. C’est une magie étrange, qui s’alimente d’émotions. C’est
* «Au vu des nombreuses œuvres de Tanburci trouvables en ville, on peut légitimement se
pour cela que nous organisons chaque soir un spectacle, et que nous laissons demander si Tania dit la vérité sur le fait qu’elle n’a jamais quitté la terrasse, ou bien si son
parfois entrer une bande de diablotins des rues, contents d’avoir une cabane courtier ne serait pas plutôt… elle-même !»
secrète. Ils passent tellement facilement du rire aux larmes… »

Théorème
« Quittant les pavés maladroits, les routes qui ne vont pas tout droit, il vous mène Pourtant, il faut dire que certains disciples sont réputés détenir des pouvoirs
dans un endroit, où ne règne que l’angle droit... » étranges. Comme ce Zénon qu’aucun projectile ne semble jamais devoir atteindre,
Voilà ce que chantent les enfants du Châtiment pour se moquer de Pythator et de ou Rathostène qui devine la longueur des choses sans même les regarder.
ses adeptes, une horde de clochards qui s’enferment dans des pièces enfumées Le plus effrayant est sans doute Gèmelart, qui a fui la secte mathématicienne. Si
pour adorer... les nombres comme des Dieux ! On les croise parfois, parlant leur on écoute le délire de ce réfugié famélique, on apprend que Pythator chercherait
sabir incompréhensible et prêts à s’agenouiller pour tracer à même le sol des dans la géométrie chaotique de la terrasse une révélation divine, et à défaut, une
chiffres et des symboles à peine dignes des scribes comptables de l’échelle du échappatoire. « Mais à côtoyer sans vergogne des espaces non euclidiens, le fou
Beurre un jour d’insolation. Mais gare à vous si vous faites de l’ombre à ces risque d’ouvrir des portes qu’il vaudrait mieux laisser fermées » prédit-il dans un
illuminés. rire nerveux.

Wilfrid PROST - wilfrid.prost@orange.fr - 202008/107103/224716


Des nouvelles du Châtiment !
Vous l’avez entendu comme moi : des rumeurs persistantes circulent dans
toutes les terrasses concernant celle du Châtiment : 
— On entend dire ici qu’un noble-citadin tenterait d’acheter des terrains
— On imagine les difficultés qu’il rencontrera avec la mobilité des rues
et des maisons ! 
— On voit surgir quelques annonces proposant à de vaillants
explorateurs de s’inscrire pour une future opération d’envergure non
encore divulguée.
— On pense même que certains extrémistes s’opposeraient déjà à un
projet dont on ne sait rien et qui n’existe peut-être pas.
Le seul fait avéré est qu’un étrange demi-orc, aussi haut que les premiers
étages des bâtiments de la cité, arpente de nuit les rues limitrophes du
Châtiment. Nul n’a encore réussi à l’approcher, et il semblerait que le
falot de ténèbres qu’il brandit devant lui y soit pour quelque chose.
Votre serviteur, toujours désireux de traquer la vérité, a pris son courage
à une main et sa plume de l’autre et s’est rendu sur place. 
Eh bien, pour le moment, terrasse du Châtiment, rien ne bouge… même
si tout se déplace.
— Xeniophal, scribe à la Gazette de Laelith

Les demi-orcs
On croise beaucoup de demi-orcs dans le camp de la Longue Patience. Enfin, toutes sortes de chairs n’est pas sans danger. Grâce à leur solide constitution, la
beaucoup plus qu’entre les murs de la ville. Mais à voir leurs peintures de guerre, plupart des demi-orcs supportent l’épreuve physiquement. Mais certains perdent
leurs scarifications, leurs fourrures, parfois leur nudité, leur armement dont ils la raison, comme si leur esprit se faisait dévorer par la bête qu’ils ont pourtant
ont le plus grand mal à se séparer, on mesure aisément la distance entre leur tuée et deviennent des monstres eux-mêmes, que leurs frères devront chasser.
civilisation et celle de la Cité sainte. Et l’incompréhension est à double sens : le
système de taxes, en particulier, est une chose absurde pour eux et qui donne à Pour mener ces rites, les demi-orcs se sont rassemblés auprès du monastère de
Laelith son plein sens mystique, voire tabou. C’est une chose que de faire avaler l’Ultime Flamboyance et c’est tout naturellement que le Temple de l’Oiseau de
son bras droit à un garde-percepteur jusqu’au coude, c’en est une autre que feu a essayé de prendre contact avec ses peuplades guerrières. Une prêtresse
d’assister à l’exécution d’un mauvais payeur de son clan par les prêtres de la humaine, Isrela, y a été dépêchée et les grands gaillards ont tout d’abord regardé
Dame des Mille Tourments. Ils considèrent Laelith comme une entité vivante qu’ils d’un œil amusé ce petit bout de femme à peine plus haute que leurs femelles
craignent et respectent. Aussi évitent-ils d’y pénétrer et préfèrent-ils se cantonner préadolescentes. Elle a dû faire face aux brimades et aux humiliations, mais elle
au camp. l’a fait sans jamais remettre en question le bien-fondé des us et coutumes des
demi-orcs. Ceux-ci ont été impressionnés par son acharnement à vouloir intégrer
L’attrait du commerce étant le plus fort, les demi-orcs sont bien obligés de leur société. Mais elle a définitivement gagné sa place quand leurs vieux conteurs
s’approcher du territoire sacré pour pouvoir échanger le fruit de leurs chasses ou et leurs chamans réputés se sont aperçus qu’elle connaissait peut-être mieux
de leurs rapines contre un arsenal encore plus efficace ou contre diverses curiosités qu’eux leur tradition orale.
qu’ils pourront céder une fois qu’ils s’en seront lassés.
Les autorités de l’Oiseau de feu sont conscientes que ce lien est précieux et ténu :
Parmi ceux qui osent s’approcher de la cité, on trouve une secte de traqueurs renforcer ces relations favorise la paix et les demi-orcs seraient de précieux alliés
de monstres qui se dotent des capacités des créatures qu’ils tuent à travers un si la guerre prenait finalement le dessus. Aussi exercent-elles de discrètes pressions
cannibalisme rituel,  pour être à même d’affronter les suivantes. Mais manger sur Isrela pour qu’elle permette à d’autres de rentrer dans le jeu.

Gazette de Laelith n°4. Auteurs : Jean-Marie Noël et Marc Sautriot, Max


et Sarah, Nurthor le Noir. Relecture : Agnès Pernelle.
Maquette : Jérôme Cordier. Illustrations : Loic Canavaggia, Tanburci.

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