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THÈSE
Pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ DE REIMS CHAMPAGNE-ARDENNE
En Sciences de Gestion
Spécialité : Entrepreneuriat
Jérémie RENOUF
JURY
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A mes parents et à ma famille.
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REMERCIEMENTS
Je remercie tout d’abord mes directeurs de thèse, Madame Caroline Verzat accompagnée de
bienveillant qui m’a permis assurément d’enrichir ma réflexion, de maintenir une régularité de
travail et d’adopter une démarche de recherche stimulante. L’encadrement dont j’ai disposé m’a
permis de puiser des inspirations et des idées nouvelles. Que ces lignes puissent leur assurer ma très
sincère reconnaissance.
Je remercie l’ISC Paris, les chercheurs, doctorants et professeurs que j’ai la chance de côtoyer au
sein de l’établissement. Leurs conseils ont contribué à l’aboutissement de ce travail autant sur le
fond que sur la forme. Je remercie en particulier les membres du laboratoire de recherche pour leurs
qui m’ont offert de bonnes conditions matérielles pour mener à bien cette recherche doctorale.
Martino Nieddu a été de bon conseil et un important facilitateur dans mes démarches. Sa disparition
m’a vraiment attristé.
J’adresse mes remerciements aux chercheurs pour les champs des possibles qu’ils m’ont offerts. Je
remercie en particulier Alain Fayolle pour ses premiers conseils, Miruna Radu-Lefebvre pour ses
orientations, Eric Michael Laviolette pour son guidage, Amélie Jacquemin et Frank Janssen pour
leurs suggestions, Karim Ben Slimane pour ses remarques pertinentes, Jean-François Draperi et
plus largement les membres du CESTES pour leurs encouragements, Véronique Favre-Bonté pour
son appui ainsi que Catherine Léger-Jarniou et Vincent Lefebvre pour leur confiance.
Je remercie les praticiens qui ont eu un rôle important dans mon parcours. En particulier, j’adresse
mes remerciements à Dominique Mentha, ancienne directrice adjointe de l’APCE et Anne Chaillot,
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Mes remerciements vont aux équipes des incubateurs qui ont participé à cette recherche, celui du
CNAM et de l’ISC Paris ainsi que les experts dont ceux des Boutiques de Gestion, du réseau des
projets et entrepreneurs qui ont accepté de me faire part de leur vécu et de leur expérience.
Je remercie vivement les membres du jury qui me font l’honneur de s’intéresser à mes recherches et
qui par leur questionnement pourront faire croître de nouvelles réflexion. Je remercie les
rapporteurs pour leur relecture approfondie et leur travail d’analyse. Leurs critiques vont
Enfin mes pensées vont à ma famille, ma conjointe et mon fils dont l’affection, la patience sans
faille et le soutien indéfectibles m’ont permis de mener à bien ce défi passionnant.
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L’individu est le produit d’une histoire dont il cherche à devenir le sujet.
Vincent de Gaulejac
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Accompagner la transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
L’objectif de cette recherche est de comprendre les enjeux et les modalités de la transition
Cette recherche repose sur l’étude approfondie de dix salariés, accompagnés sur une longue période
(entre 3 ans et 7 ans) et porteurs d’un projet de création ou de reprise d’entreprise.
Du côté de la personne accompagnée, trois enjeux sont identifiés. D’une part, il est démontré que le
désengagement salarial est une source d’exclusion sociale et d’isolement. D’autre part, la phase
d’entre-deux conduit à une perte de repères et une instabilité professionnelle qui peut devenir
durable. Enfin, l’engagement entrepreneurial inclut un besoin de se sentir légitime et d’être perçu
Du côté de l’accompagnateur, trois enjeux sont identifiés. D’une part, il est démontré que le projet
est le produit d’une histoire passée et le producteur d’une histoire à venir pour son porteur. D’autre
part, les besoins d’accompagnement sont différents selon la phase du processus de transition. Enfin,
quatre modèles de transition sont mis en évidence selon les modalités du départ salarial et le projet
entrepreneurial.
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Support the professional transition from employee to entrepreneur
The purpose of this research is to understand stakes and conditions of the transition from employee
to entrepreneur and its accompanying measures. This research argues that the transition from
employee to entrepreneur is a two-pronged process: professional transition and entrepreneurship.
This double process can be conceptualized into three phases: a disengagement from employee
This research is based on an in-depth study of ten employees, supported over a long period
(between 3 and 7 years) and who want to start their own business or acquire an existing company.
For the project leader, three issues have been identified. First, it has been shown that disengagement
from employee position is a source of social exclusion and isolation. Second, the phase between
two positions results in a general disorientation and a professional instability which might last.
Then, entrepreneurial commitment includes a need for legitimacy and for being seen as legitimate
by others.
For the entrepreneurship support, three issues have been identified: First, it has been shown that
project is the result of a past personal story and the root of a story for the project leader. Second, the
needs for support differ according to the transition stage. Then, four transition models have been
highlighted according to the circumstances of the employee’s departure from the company and the
entrepreneurial project.
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SOMMAIRE
SOMMAIRE ---------------------------------------------------------------------------------------------------- 8
INTRODUCTION -------------------------------------------------------------------------------------------- 10
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CHAPITRE 6 : S’engager en tant qu’entrepreneur-------------------------------------------------- 219
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INTRODUCTION
multitudes d’acteurs parmi lesquels les médias, les politiques, les praticiens et les chercheurs. Cette
attention durable se justifie pleinement par l’importance quantitative du phénomène. Chaque année,
500 000 à 550 000 entreprises sont créées en France dont 30% à 40% par des salariés1. Bien que ces
chiffres doivent être considérés avec prudence, le poids de la création d’entreprise par les salariés
est réel.
Au-delà des chiffres, les chercheurs en entrepreneuriat ont démontré que la création d’entreprise
associe deux logiques : celle de la personne et celle de l’entreprise. Alain Fayolle (2004) indique
que la création d’entreprise est le fuit d’un processus et de la rencontre d’un homme ou d’une
femme et d’une organisation. Ces logiques peuvent être conjointes ou antagonistes. Christian
Bruyat (1993) présente l’existence d’une dialogique entre le porteur et son projet. C’est la personne
qui définit l’orientation, les modalités, les ressources et l’exécution du projet. A l’inverse le projet
est susceptible de faire évoluer les choix de vie de la personne, son statut social, ses moyens
financiers ou ses compétences. S’engager dans un projet entrepreneurial n’est donc pas anodin. En
tant que salarié, il faut renoncer à une situation existante (parfois confortable) pour se lancer dans
une aventure souvent incertaine. Pour Bruyat, le projet d’entreprendre constitue un projet de vie en
L’engagement (ou non) dans le projet entrepreneurial nécessite deux conditions, être capable de
renoncer à une situation existante et accepter une situation nouvelle. Le coût de passage du salariat
à l’entrepreneuriat peut être important et impliquer la perte d’avantages liés à la retraite, la perte
d’ancienneté, la perte d’expérience spécifique à un secteur, les coûts liés au capital de départ à
1 Cette fourchette comprend les créations « ex nihilo », les réactivations et les reprises d’entreprises
(INSEE).
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mobiliser, la rupture d’un mode de vie existant ou encore la perte des soins de santé fournis par
l’employeur (Parker, 1996, 1997). Bruyat précise que « l’engagement est une période de transition,
de changement de phase. C’est durant cette période de transition que l’ambiguïté, les paradoxes, les
tensions sont les plus marquées » (Bruyat, 2001:34). Toutefois l’auteur ne s’attarde pas sur le
concept de transition. Son apport n’en est pas moins essentiel. En soulignant cette période source de
tensions, il ouvre la voie à des recherches plus focalisées sur l’accompagnement de la période de
C’est dans cette lignée que s’inscrit notre travail. Cette recherche s’intéresse à la transition
sens pour mieux la traverser. Pour cela nous allons emprunter aux cadres conceptuels de la gestion
doivent permettre de suggérer aux acteurs des hypothèses réfléchies pour interpréter la signification
salariat (Sinclair, 2008), le passage du salariat à l’entrepreneuriat présente une particularité majeure.
Un salarié qui change de travail pour devenir entrepreneur est à la fois dans un processus
convient de présenter.
Dans un processus de transition professionnelle il est possible de repérer des temps forts, des
changements dans le rythme d’activité ou de l’effort fourni. Tout découpage est fondamentalement
artificiel. C’est cependant un moyen commode pour simplifier la lecture et la compréhension d’un
processus complexe.
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!
Le processus d’engagement dans l’entrepreneurial peut se présenter en trois phases (Bruyat, 1993) :
• La première phase est la réflexion. L’entrepreneuriat est considéré comme une alternative
possible au salariat. Le projet est encore flou, il s’apparente plus à un dessein qu’à un
• La seconde phase est la construction du projet. A ce stade, le créateur réalise une étude
de marché, met au point des prototypes et développe son offre. Le créateur a souvent une
posture professionnelle hybride et un double statut. S’il est salarié, il garde son activité tout
rechercher un emploi.
seuil de rentabilité n’est pas encore atteint et que l’entrepreneur tire de maigres revenus de
son travail, l’engagement dans l’entreprise est total. Si la personne abandonne son projet,
Le processus de transition peut se présenter en trois phases (Van Gennep, 1909 ; Bridges, 1980,
précédentes. Pour qu’un salarié puisse se lancer pleinement dans la création d’une nouvelle
entreprise, il faut d’abord quitter l’entreprise dans laquelle il est. Donner du sens au
particulièrement perturbante car la personne n’a pas totalement abandonné son précédent
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cadre de référence, et n’a pas encore de nouveau cadre de référence. Cette période est
marquée par une incertitude, potentiellement source de stress et de remise en question.
Notre réflexion porte sur l’accompagnement entrepreneurial durant ce double processus. En effet,
nous nous interrogeons sur les enjeux de la transition pour les personnes qui passent du salariat à
Pour passer du salariat à l'entrepreneuriat, nous suggérons que toute personne doit passer par un
nous allons ancrer notre recherche à l’aide d’auteurs de différentes disciplines dont principalement
La transition professionnelle est entendue dans une optique de changement de carrière, c’est-à-dire
comme un processus continu en trois phases. Notre réflexion sur la transition professionnelle nous
amène à formuler l’hypothèse selon laquelle l’accompagnement serait différent selon la phase de
transition professionnelle dans laquelle se situe la personne. En partant de cette hypothèse, nous
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• Quels sont les enjeux de la transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat pour le
porteur de projet ?
En postulant que le salariat est un choix de carrière différent de l’entrepreneuriat, nous allons
question du pourquoi qui est posée. Notre visée est descriptive et explicative.
Cette question apparaît en complément de celle des enjeux. En admettant que le salariat est un choix
de carrière différent de l’entrepreneuriat, nous supposons que la transition professionnelle de l’un à
l’autre nécessite un accompagnement adapté. L’objectif est de mieux comprendre les modalités
particulières de l’accompagnement dans ce processus. C’est la question du comment qui est posée.
Notre visée est compréhensive et explicative.
Cette étude contribue à la littérature de plusieurs façons. Tout d’abord en mobilisant les théories de
transition de carrière dans le champ de l’entrepreneuriat qui par nature est multidisciplinaire (Filion,
1997, Fayolle, 2004). Elle contribue à créer des ponts entre le champ des carrières et celui de
l’entrepreneuriat à l’appel de plusieurs chercheurs (Sullivan, 1999 ; Greene et al, 2003 ; Valeau,
2006). L’application du concept de transition de carrière à l’entrepreneuriat permet d’aborder sous
un angle nouveau les pratiques d’accompagnement pour les adapter à leur public (Chabaud,
Messenghem et Sammut, 2010 ; Verzat, Gaujard et Francois, 2010). Il permet d’éclairer les périodes
de doutes, de tensions au coeur du processus de changement dans lequel se trouve l’entrepreneur
(Valeau, 2006, 2012 ; St-Jean, Jacquemin, 2012). Enfin il permet de considérer l’entrepreneuriat
hybride commun étape préalable à l’entrée dans l’entrepreneuriat (Folta, Delmar, Wennberg, 2010).
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Cheminement de la recherche
professionnelle dans la carrière à partir d’une démarche spécifique qu’est le passage du salariat à
l’entrepreneuriat. Le deuxième chapitre vise à développer des hypothèses à partir de la littérature
de poser le projet de recherche dans une posture épistémologique constructiviste et une démarche
de recherche-action.
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PARTIE I
PROBLEMATIQUE ET
PROJET DE RECHERCHE
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Chapitre I
LA TRANSITION PROFESSIONNELLE
DU SALARIAT A L’ENTREPRENEURIAT
Dans ce chapitre, nous allons nous intéresser à l’objet de notre recherche : la transition
professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat. Dans la première section, nous développerons les
deux grandes approches de la carrière (ancien et nouveau modèle de carrière) et la porosité des
frontières entre le salariat et l’entrepreneuriat. Dans la deuxième section, nous allons développer les
spécificités de la transition professionnelle avant d’avancer des hypothèses concernant son
L’analyse des contributions scientifiques consacrées à la carrière est abondante. Elle fait apparaitre
deux grandes approches qui sont conformes à l’évolution de la carrière dans le temps :
• L’ancien modèle de carrière. La carrière est principalement construite par rapport à une
unité organisationnelle, temporelle et statutaire. Elle se construit d’une manière linéaire
évaluée selon des critères objectifs comme la rémunération, le type de poste ou le degré de
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Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
• Les nouveaux modèles de carrières. A partir des années 90, de nouvelles formes de
carrières apparaissent sous le terme de « carrière entrepreneuriale » (Kanter, 1989) ou de
Nous reprenons ces deux grandes approches de la carrière avant de nous attarder sur le poids de
La littérature soulève une première question sur la notion de carrière qui est celle de l’existence
d’une organisation sous-jacente pour pouvoir qualifier une progression professionnelle de carrière.
Une carrière peut se rapporter à « une organisation au sein de laquelle sont ouvertes des
des règles strictes et préétablies » (Lellatchitch, Mayrhoffer, 2000:4). Cette approche suppose la
présence d’une structure organisationnelle façonnant les choix professionnels et les évolutions de la
Les fondements intellectuels du modèle bureaucratique de la carrière peuvent être attribués à Max
Weber (Mitch et al., 2004). L’auteur développe une théorie de l’organisation bureaucratique dans
laquelle l’un des fondements concerne l’orientation de la carrière des employés (Weber, 1978). Ces
derniers sont sélectionnés sur la base de leur expertise, une tâche précise leur est attribuée par leur
hiérarchie. Selon sa théorie il est possible de construire une carrière en développant son expertise.
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Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
La fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle voient la bureaucratisation se développer avec la
concentration des entreprises. L’intégration de la chaîne de fabrication et la commercialisation dans
une même entreprise permet de maîtriser les coûts en vue de s’imposer sur un marché qui se
mondialise. Pour Chandler (1977), la production et la distribution de masse dans une même
structure posent les bases de l’entreprise moderne. Le cadre intermédiaire devient un personnage clé
dans cette organisation. Son rôle est de coordonner les ressources et de les intégrer dans
l’organisation. La propriété et la gestion de l’entreprise se séparent avec d’un côté les cadres
gestionnaires et de l’autre les cadres intermédiaires. Ces derniers peuvent évoluer plus ou moins
rapidement dans l’organisation selon leurs résultats qu’ils remontent aux cadres gestionnaires.
Au fur et à mesure que les entreprises grandissent, le contrôle et la coordination deviennent des
problèmes de plus en plus importants à gérer (Blau, 1970). Afin de résoudre ces difficultés une
solution est d’introduire dans la gestion de la carrière du personnel la mobilité géographique. Une
étude de Stovel et Savage (2006) auprès d’une grande banque britannique (Lloyd’s Bank) analyse
l’abandon au début du XXe siècle de la carrière statique au profit d’une carrière mobile. Le nouveau
modèle de carrière intègre des possibilités d’avancement (salaire et poste) plus importants que
l’ancien modèle de carrière. Mais il exige également une plus grande mobilité géographique. Ce
nouveau modèle de carrière géré par une administration centrale affecte fortement la vie des
individus. La mobilité imposée au personnel est un moyen pour l’organisation d’intégrer les
changements tout en lui permettant d’étendre son influence en rationalisant les coûts.
La mobilité est une des caractéristiques de la carrière moderne. Les déplacements de personnes dans
un objectif professionnel n’ont pourtant rien de nouveau. Mais ils étaient jusque là essentiellement à
l’initiative des personnes elles-mêmes (Moch, 1992, Whyte, 2000). Le XIXe siècle voit s’accélérer
faire évoluer leur gestion du personnel pour pouvoir être efficace. Les travailleurs - et leur famille -
se voient être déplacés d’un endroit à un autre pour servir les objectifs de l’organisation.
Toutefois la mobilité du personnel ne suffit pas à elle seule pour expliquer l’émergence des carrières
modernes (Stovel, Savage, 2006). Si ce facteur a pris de l’importance à partir de la fin du XIXe
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Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
siècle, il existait auparavant sous des formes variées comme les guildes de marchands,
l’administration coloniale, les compagnies maritimes, les élites ecclésiastiques (Ago, 1992) ou les
armées (Benadusi, 1994). Ce sont les travaux autour du contrat psychologique qui vont permettre
d’expliquer les comportements du personnel dans les organisations. Ils vont poser de nouveaux
ancrages théoriques pour comprendre le développement des nouvelles formes de carrières.
L’un des premiers chercheurs à évoquer cette notion fut Chris Argyris (1960). Il considère que les
salariés sont prêts à avoir une productivité accrue et des revendications moindres en échange d’une
sécurité de l’emploi et d’un salaire acceptable. Dans la même période d’autres auteurs développent
le sujet dont notamment Levinson et al. (1962) et Schein (1978). Pour eux, le contrat psychologique
suppose que la personne a une série d’attentes envers l’entreprise et inversement. Ces attentes ne
sont pas seulement relatives à la quantité de travail qui doit être fournie, mais incluent un ensemble
de droits, de privilèges et d’obligations entre le salarié et l’entreprise. Ces attentes ne sont écrites
dans aucun contrat formel, mais elles agissent comme de puissants déterminants du comportement.
C’est précisément l’anticipation de voir ces attentes satisfaites qui motivent les deux parties à
poursuivre la relation de travail
touchées directement par les changements imposés par les organisations. Rousseau (1990) suggère
que le contrat psychologique implique non seulement des ententes, mais aussi des obligations
réciproques que l’on ne retrouve pas dans un contrat formel. En effet, ces obligations que
l’organisation doit tenir ne sont pas définies par l’organisation mais par les salariés. Ces derniers
observent les actions de l’organisation et les interprètent d’une façon subjective. Ainsi, les
personnes qui s’impliquent dans l’organisation sont celles qui estiment que les obligations sont
Les bouleversements économiques du XXe siècle comme la montée du chômage, les inégalités de
revenus, les délocalisations, la primauté de la rentabilité sur l’emploi dans certaines entreprises
(Pikety, 2013) conduisent à faire évoluer le contrat psychologique (Sparrow, 1996 ; Sharpe, 2003).
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Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
Elément du contrat
Ancien contrat psychologique Nouveau contrat psychologique
psychologique
Enrichissement de l’emploi,
Elément de motivation Promotion(s)
développement des compétences
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Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
Dans l’ancien contrat psychologique, l’organisation garantit la sécurité de l’emploi aux salariés en
contre-partie de leur loyauté et de leur implication au travail. Ces deniers peuvent bénéficier
que cela ne se traduise par une valorisation salariale. Le chômage de masse exerce une pression sur
les salariés qui sont considérés comme chanceux d’avoir un emploi. L’emploi n’est plus garanti à
vie. Pour maintenir leur employabilité les salariés vont développer leurs compétences dans une
perspective de développement de leur carrière. La carrière n’est plus gérée uniquement par
Cette évolution du contrat psychologique va conduire à faire évoluer l’ancien modèle de carrière
vers de nouveaux modèles de carrières (Dany, 2004). Il permet de comprendre les relations
d’emploi (Guerrero, 2004a, 2004b, 2005). Nous allons présenter les nouveaux modèles de carrières
Le modèle linéaire de la carrière présume que la carrière est déterminée par une relation employeur-
employé. Cependant, comme le note Kanter (1989) puis Vincent (1993), la relation d’un employé
avec une organisation n’est que l’un des nombreux cheminements de la carrière. Ces deux auteurs
sont les premiers à évoquer le terme de carrière entrepreneuriale. Pourtant ce modèle sera très peu
repris dans la littérature. Arthur et Rousseau (1996) vont populariser le terme de « boundaryless
career » qui signifie littéralement « carrière sans frontière ». En France Cadin (1999, 2000, 2003) le
traduira par « carrière nomade ». Les travaux de Cadin permettent de nuancer l’opposition entre la
carrière traditionnelle et la carrière sans frontières (Arthur, Rousseau, 1996) en éclairant des
pratiques multiples.
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Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
La carrière entrepreneuriale
organisation sans toutefois l’écarter complètement. Elle précise que « si la ressource clé dans une
carrière bureautique est la position hiérarchique, et les ressources clés dans une carrière
professionnelle sont la connaissance et la réputation, alors la ressource clé dans une carrière
entrepreneuriale est la capacité à créer de la valeur » (Kanter, 1989, p.313). Pour cet auteur, on peut
trouver des entrepreneurs dans les entreprises, notamment dans des postes commerciaux.
L’entrepreneur est vu comme un individu capable de saisir des opportunités, peu importe qu’il soit
situé dans une organisation ou en dehors. En cas de succès, le système de valorisation est davantage
caractérisé par le management de nouveaux projets que par des promotions hiérarchiques
supplémentaires. L’auteur estime que la carrière bureaucratique va décliner au profit de la carrière
Quelques années plus tard Vincent (1993) va poursuivre les travaux de Kanter (1989). L’auteur
distingue quatre typologies de carrières. En plus des parcours professionnels basés sur l’avancement
dans une bureaucratie hiérarchique formellement définie (bureaucracy career), Vincent distingue
un modèle de carrière professionnelle basée sur une évolution non hiérarchique au sein d’un métier
(professional career). La ressource clé est la possession d’une expertise ou d’une compétence
spécifique qui va déterminer le statut au sein d’une communauté. C’est le cas par exemple des
de production. Proche de la carrière professionnelle, elle s’en distingue par l’existence d’un cycle
de production. Le quatrième modèle est la carrière dynastique (dynastic career) basée sur la
Le modèle de la carrière entrepreneuriale sera peu développé par d’autres auteurs. Parler de carrière
entrepreneuriale ne va pas de soi en France. Comme précise le français Loïc Cadin (1999) « certes
la figure du fonctionnaire n’efface par d’autres modèles d’activités et d’autres figures telles que
celles du professionnel ou de l’entrepreneur pour reprendre les travaux de Kanter (1989). Mais elle
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Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
1996) qui signifie littéralement « carrière sans frontière ». Cadin (1999) développera ce modèle
sous le terme de « carrière nomade ».
Hall (1976, 1996b) ouvre la voie des carrières sans frontières avec l’idée d’une carrière qui déborde
économique. L’auteur parle de carrière « protéenne » en référence au dieu mythologique grec Protée
doté du pouvoir de se métamorphoser sous différentes formes (lion, serpent, léopard, cochon…). Ce
thème a été repris par Arthur (1994) qui parle de carrière « sans frontières » (boundaryless career),
carrière sans frontière développe une conception plus discontinue où prédominent les mouvements,
les arrêts, les reprises ou les changements de trajectoires de la vie professionnelle (Arthur et
Rousseau, 1996). Elle ne se construit pas selon une série d’étapes successives et linéaires comme la
La carrière sans frontières présente des caractéristiques particulières (Sulivan, 1999 ; Sullivan,
Arthur, 2006). Elle s’effectue auprès d’employeurs différents. Elle est reconnue et valorisée à
l’extérieur de l’entreprise. Elle est encouragée et soutenue par l’appartenance à des réseaux. Et elle
rompt avec les principes d’avancement et de promotion verticale. Il n’y a donc pas une seule forme
de carrière mais différents modèles qui défient le système d’emploi traditionnel (Littleton, Arthur et
Rousseau, 2000). Sullivan (1999) relève les différences entre la carrière traditionnelle et la carrière
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Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
La carrière sans frontières est davantage gérée par le travailleur lui-même que par son employeur.
Dans l’ancien modèle de carrière, c’est l’employeur qui propose une évolution de carrière, des
missions et des postes que l’employé peut accepter ou refuser au fur et à mesure des années qu’il va
passer dans l’entreprise. Dans une carrière sans frontières, le travailleur gère davantage son plan de
carrière selon les opportunités qu’il peut saisir dans l’entreprise et en dehors de celle-ci. Il doit alors
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Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
La carrière nomade
Le courant de la boundaryless career est très prolifique. Mais la majorité des études ont été réalisées
sur le sol américain dans des contextes « atypiques » comme des activités culturelles (cinéma,
théâtre) (Jones, 1996 ; Defillipi et Arthur, 1996, 1998), dans le cas des professions intellectuelles
(architectes) (Jones et Lichtenstein, 2000), des biotechnologies (Eaton et Bailyn, 2000) ou à travers
l’analyse des parcours des managers travaillant dans la Silicon Valley ou à Boston (Arthur et
Rousseau, 1996 ; Saxenian, 1994). Cadin (1999) a alors voulu vérifier si la France était un terrain
propice à l’émergence des carrières nomades. Basé sur des histoires de carrières entre la France et la
Nouvelle-Zélande, il propose une typologie de parcours professionnels. Son objectif est d’apprécier
l’existence et l’importance des carrières nomades en France et de mettre de l’ordre dans les
différents types de parcours existants afin de donner une consistance concrète à la notion
de boudaryless career (Cadin et al., 2003:80-81).
Il propose cinq types de parcours professionnels. Hormis les sédentaires, c’est-à-dire les salariés au
poste stable évoluant dans une seule entreprise, et les nomades, c’est-à-dire les personnes à statut
d’indépendant (auto-emploi) ou précaire (intérimaire, saisonniers), on constate la présence des
migrants, des itinérants et des frontaliers (Cadin, 1999:80). Même si la typologie ne porte pas
spécifiquement sur un public d’entrepreneurs, l’auteur indique que les migrants s’apparentent à des
intrapreneurs et les frontaliers s’apparentent davantage à des auto-entrepreneurs. Comme le précise
le tableau 3, ces différents parcours sont gradués selon l’augmentation de la prise de risque dans la
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Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
Modèle Caractéristiques
• Plusieurs employeurs
Les itinérants • Logique identitaire, des trajectoires professionnelles
• Logique articulée autour d’un métier, d’un secteur d’activité
• Plusieurs employeurs
• Passage par l’auto-emploi
Les frontaliers
• Logique de métier ou d’industrie
• Redéfinition de l’identité professionnelle en fonction des projets
Tableau 3 : Typologie des carrières nomades (Cadin et al, 2003) adapté de Cadin et al. (2000)
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Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
L’une des conséquences de ces évolutions de la carrière est la multiplication des transitions
professionnelles au cours de la carrière du travailleur : changements de métiers, carrières disparates,
multiples formations (Riverin-Simard, 2000). Dans le cadre de cette recherche, nous nous
Bien que certains auteurs évoquent la fin de l’ancien modèle de carrière au profits des nouveaux
modèles de carrière (Chanlat, 1992 ; Collin et Watts, 1996 ; Hall, 1996a, 1996b ; Peiperl et Arthur,
2000 ; Gaudard, 2013), il semble plutôt que nous nous dirigions vers une coexistence des deux
grandes approches de la carrière (traditionnelle et nomade) (Sturges et al., 2002 ; Dany, 2004 ;
Alboher, 2007 ; De Larquier et Remillon, 2008 ; Hernandez et Marco, 2008 ; Falcoz, 2001, 2011 ;
Landier, Thesmar, 2015 ; Pennel, 2013, 2015) et que les transitions professionnelles se multiplient
Les personnes n’ont pas toujours les compétences requises pour gérer eux-mêmes leur carrière et la
notion de travailleur indépendant ne peut pas convenir à n’importe qui (De Larquier et Remillon,
de son employabilité (Dany, 2004). Les nouveaux modèles de carrière supposent de faire face à
l’incertitude et risquent d’entrainer du stress et de la discrimination pour celles et ceux qui ne sont
pas suffisamment flexibles ou compétents (Hirsh et Shaley, 1996 ; Nicholson, 1984 ; Nicholson et
al., 1989). Les gestionnaires des ressources humaines ne sont pas forcément prêts à faire évoluer
leurs pratiques vers plus de mobilités en dehors des frontières de leurs organisations (Falcoz, 2001).
Pourtant la carrière est moins organisationnelle qu’avant, c’est-à-dire menée dans une seule
entreprise qui la gère. Elle se développe au-delà des frontières de l’organisation. Les carrières
deviennent multiples (Littleton, Arthur, Rousseau, 2000). Le CDI à temps complet perd de son sens
car les attentes sur le marché du travail sont très variées, aussi bien du côté des entreprises que des
personnes (Pennel, 2013, 2015). Les frontières du travail se troublent, les fonctions se combinent et
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Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
Certains secteurs d’activité sont particulièrement touchés par ce phénomène. C’est le cas des
professions intellectuelles supérieures comme les cadres des métiers du numérique, de l’édition, du
journalisme, de l’enseignement ou du marketing par exemple. Pour étudier cette mutation du travail
Diane-Gabrielle Tremblay (2003) s’est penchée sur le secteur du multimédia. Elle y découvre qu’il
est souvent difficile pour ces entreprises de s’approprier certaines compétences, malgré le fort taux
de chômage dans ce secteur. Ces entreprises sont basées sur la réalisation de projets qui s’effectuent
dans une durée limitée. Lorsque le projet est achevé, l’entreprise n’a plus besoin des compétences,
sauf si un autre projet nécessitant les mêmes compétences débute. Les compétences des travailleurs
ne sont utiles que pendant quelque temps. Il est alors plus souple pour l’entreprise d’user de contrats
de courte durée. Les travailleurs doivent tenir compte de ces nouvelles réalités du marché du travail.
Ils apprennent à maintenir leur employabilité, leur visibilité sur le marché et leur réseau.
durée, elles portent aussi le risque d’une polarisation accrue du marché du travail dans certains
secteurs. Avec d’un côté les travailleurs capables de « se vendre » sur le marché du travail, de
maintenir leur qualification, mono-actif, aux revenus réguliers et ceux multi-actifs, aux revenus
aléatoires, exerçant leur activité selon plusieurs statuts. Dans ces conditions l’emploi s’affranchit
des frontières d’une seule entreprise. Cette évolution fait porter la charge de la mobilité et de
l’apprentissage sur le travailleur et non plus sur l’employeur. Le travailleur doit apprendre la gestion
de la carrière par lui-même. Dans ce contexte créer son entreprise devient une alternative de plus en
Si l’on s’attarde aux tendances historiques, le nombre de salariés domine largement le nombre de
non-salariés en France (Hernandez et Marco, 2008). Ces dernières années, la croissance des non-
salariés est toutefois plus rapide. Ainsi entre 2006 et 2011, hors agriculture, les effectifs des
!30
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
travailleurs non-salariés ont progressé de 26%2. Pourtant l’arbre ne doit pas cacher la forêt. Les
non-salariés ne représentent - que - 2,8 millions de personnes face aux 24 millions de salariés que
compte la France en 2015. Ce serait donc faire un raccourci un peu rapide que de dire que le salariat
Le nombre de salariés créateurs d’entreprise calculé par l’INSEE est connu. En 2014, il y a eu 550
774 créations d’entreprises. Les créateurs d’entreprise sont en premier lieu des salariés du privé soit
196 075 personnes (35,6%)3 . Plus précisément la population étudiée dans cette recherche est celle
des cadres. Il n’existe pas de chiffres fiables du nombre de cadres qui décident de créer leur
entreprise. La raison est assez simple, le cadre est une catégorie sociale très hétérogène. Pôle
Emploi avance le chiffre de 3% de cadres qui décident de créer leur entreprise4 . Mais il est difficile
de percevoir les frontières entre les cadres et les non-cadres. Les agents de maîtrise peuvent
également exercer des fonctions hiérarchiques de cadres, et les cadres n’encadrent pas toujours.
Le cadre est un statut spécifiquement français qui renvoie à des fonctions d’encadrement et
d’expertise. Il n’a pas d’équivalent dans d’autres pays. Nos voisins européens disposent de
terminologies différentes qui définissent cette catégorie de salariés, dirigeants, responsable d’unités
ou salariés qui assurent des fonctions d’encadrement dans les entreprises. Mais ces catégories
ou de lentende Angestellte.
Ce groupe représente une réalité pour les entreprises, mais une réalité devenue hétérogène.
Différentes conventions collectives de branches concurrent à circonscrire ce qu’est un cadre
comparativement aux autres catégories de salariés mais sur des critères qui ne sont pas toujours les
mêmes. Par ailleurs, les principes distinctifs du contenu du travail du cadre par rapport au non-
!31
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
cadre, à savoir le commandement et l’expertise, sont de plus en plus floues. Il n’est pas rare de voir
un salarié faire de l’encadrement sous l’un des titres de postes fourre-tout tels que chef de projet,
Il y a une autre raison pour laquelle il est difficile de se baser sur les chiffres de Pôle Emploi pour
connaître le nombre de cadres qui décident de créer leur entreprise. Ils sont nombreux à ne pas
informer Pôle Emploi de leur nouvelle activité. S’ils le font, ils perdent une partie de leurs
indemnités de chômage. Pôle Emploi propose le choix entre deux solutions aux chômeurs qui
décident de créer leur entreprise. Soit ils gardent le versement mensuels de leurs indemnités, soit ils
récupèrent leurs indemnités en capital. La première solution est conseillée pour maintenir un revenu
régulier. La seconde solution est utile si la création d’entreprise nécessite un capital au démarrage.
Mais là où le bât blesse, c’est que dans l’une ou l’autre des solutions, le chômeur est perdant.
Le calcul des indemnités de chômage se base sur les revenus. Si le chômeur opte pour la première
solution, qu’il créé son entreprise et qu’il perçoit des revenus de celle-ci, il doit les déclarer à Pôle
Emploi. Un calcul se met alors en place qui conduit à réduire les indemnités de chômage. Pôle
Emploi estime que si un chômeur perçoit davantage que le montant des indemnités journalières de
chômage, cela signifie qu’il a trouvé une activité, et que par conséquent il sort des listes du
chômage. Cet argument est difficile à entendre pour un entrepreneur. La prise de risque est
importante pour lui et ses proches. Seulement 62% des créations d’entreprises perdurent au-delà de
Si le chômeur opte pour la seconde solution le montant des indemnités perçu sous forme de capital
ne correspond pas à 100% du total des allocations. Seulement 45% des allocations sont versées. Et
pas en une seule fois. Une première moitié est accordée au démarrage, une seconde moitié est
allouée 6 mois plus tard. Les 65% d’indemnités qui restent sont perdus s’il poursuit son activité,
même s’il gagne peu.
Les chômeurs sont donc nombreux à ne pas déclarer leur nouvelle d’activité et préfèrent continuer à
percevoir leurs indemnités jusqu’au bout, comme si de rien n’était. Comme le précise Christophe
!32
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
Bys dans l’Usine Digital6 , c’est un secret de polichinelle. Le demandeur d’emploi qui veut créer son
entreprise, pointe au Pôle Emploi comme tout le monde. Mais ils sont nombreux à cocher la case
« je suis à la recherche d’un emploi ». Il n’est pas rare que les conseillers eux-mêmes
Le chiffre de 3% de cadres créateurs d’entreprises qu’avance le Pôle Emploi est donc à remettre à la
hausse. D’autre part, le Pôle Emploi précise que ce ne sont que des hommes. Les femmes sont-elles
absentes des résultats ? N’ont-elles pas été intégrées dans l’échantillon ? Est-ce une erreur de
statistique ? Rien n’est précisé dans leur étude. Enfin il faut aussi compter que de nombreux cadres
ne passent pas par la case Pôle Emploi pour créer leur entreprise. Il est donc difficile d’apporter un
4. Synthèse de la section
Nous avons vu que la gestion de la carrière est une pratique évolutive qui a donné lieu à des
conceptions multiples. Ainsi, nous sommes passés d’une conception linéaire de la carrière à une
conception plus discontinue marquée par des transitions professionnelles. Les chercheurs ont
démontré que la multiplication des transitions professionnelles dans la carrière augmente la prise de
risque du travailleur (Cadin et al., 2003), le contraint à être davantage disponible pour l’entreprise
(Hirsh et Shaley, 1996 ; Nicholson, 1984 ; Nicholson et al., 1989), rend ses revenus aléatoires
(Tremblay, 2003), renforce la réussite selon le mérite et donc augmente la pression sur ses résultats
(Rouillard, Lemire, 2003) et multiple les exigences de l’organisation à son égard (Dany, 2004 ;
Guerrero, 2005).
6 Bys C., Connaissez-vous « Ursaaf Ventures », le fonds de ceux qui n’ont pas de fonds ?, L’Usine Digitale,
Février 2016
!33
Section 2 • La transition professionnelle : Un double processus
Nous avons vu précédemment que plusieurs travaux évoquent l’importance des phénomènes de
transitions professionnelles dans la gestion des carrières. Le cas spécifique du passage du salariat à
l’entrepreneuriat nous intéresse particulièrement car ce sont deux conceptions de la carrière assez
Le passage du salariat à l’entrepreneuriat présente une particularité majeure. Un salarié qui change
de travail pour devenir entrepreneur est à la fois dans un processus entrepreneurial et dans un
processus de transition professionnelle. C’est un double processus qu’il convient de présenter. Nous
commençons par discuter des spécificités du processus entrepreneurial avant de nous attarder sur les
1. Le processus entrepreneurial
Dans sa thèse Christian Bruyat (1993:265) définit le processus entrepreneurial selon une dynamique
•La première phase est la réflexion. L’entrepreneuriat est considéré comme une alternative
possible au salariat. Le projet est encore flou, il s’apparente plus à un dessein qu’à un
•La seconde phase est la construction du projet. A ce stade, le créateur réalise une étude de
marché, met au point des prototypes et développe son offre. Le créateur a souvent une
!34
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
posture professionnelle hybride et un double statut. S’il est salarié, il garde son activité tout
en développant son projet en parallèle. S’il est au chômage, il continue généralement à
rechercher un emploi.
seuil de rentabilité n’est pas encore atteint et que l’entrepreneur tire de maigres revenus de
son travail, l’engagement dans l’entreprise est total. Si la personne abandonne son projet,
Au début du processus entrepreneurial, la personne a des perceptions, plus ou moins floues, de ses
aspirations, de ses capacités et de ses ressources, ainsi que de son environnement. Son projet est
formulé à un instant donné, et correspond ou non à une zone de cohérence dans laquelle ses actions
sont perçues comme à la fois souhaitables et possibles. C’est dans cette zone de cohérence que le
créateur va s’engager dans un projet, car il considère qu’il a les compétences et les ressources pour
que le projet puisse aboutir sur un marché donné. C’est ce que l’auteur nomme la Configuration
!35
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
Aspirations
Buts et
Compétences et Objectifs
ressources perçues Projets
Possibilités de
l’environnement
perçues
Les projets naissent lorsque les aspirations d’une personne sont en cohérence avec ses ressources,
ses compétences et son environnement. Si une personne considère qu’elle a les compétences et les
ressources pour développer un projet ayant de bonnes chances de réussir dans un environnement
donné, alors l’idée peut passer au stade du projet. Pour que le projet d’un individu puisse prendre
forme, il est nécessaire qu’il y ait une cohérence entre ses aspirations et son projet. L’un et l’autre
doivent aller de pair. L’individu est l’acteur stratégique de son projet. Il doit savoir bien analyser le
présent mais aussi le futur. C’est à l’intersection de ces trois zones que le projet peut prendre forme.
Le modèle de CSIP est basé sur la perception par la personne de ses compétences et de ses
ressources ainsi que des possibilités de l’environnement. Comme l’indique l’auteur, la perception
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Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
est toute relative. D’une part, elle peut varier dans le temps, et d’autre part elle peut varier d’une
personne à une autre et notamment être différente entre le créateur et son accompagnateur.
rencontrer des situations très diverses. Par exemple certains salariés bénéficient d’un congé pour
création d’entreprise7. Ce filet de sécurité est très utile en cas de retour au salariat. Nous pouvons
rencontrer des situations où le salarié a négocié une rupture conventionnelle qui lui permet de
toucher ses indemnités chômage pendant la durée du lancement de son projet. Les indemnités
peuvent être très élevées si le salarié était un cadre très bien payé. En France le plafond des
indemnités de chômage est supérieur à 6000 € (l’un des plus élevé en Europe). D’autres fois le
salarié que nous rencontrons précise qu’il quitte son poste dans le cadre d’un plan de sauvegarde
pour l’emploi. En tenant compte de son ancienneté, de son salaire ou encore de la convention
collective le montant de l’indemnité de licenciement dépasse parfois les 100 000€.
A l’inverse nous rencontrons des salariés licenciés pour faute grave. Des absences injustifiées, une
insubordination ou encore le refus d’effectuer une tâche prévue dans le contrat peuvent suffire pour
déclencher un licenciement pour faute grave. Lorsqu’elle est appliquée, la personne doit partir
immédiatement (sans préavis) et ne peut bénéficier que de ses indemnités de congés payés
(quelques milliers d’euros). D’autres fois la personne nous précise qu’elle veut partir, mais que son
employeur ne veut pas négocier de rupture conventionnelle. Ne souhaitant pas entrer dans un bras
de fer, elle décide alors de donner sa démission. La démission ne donne pas droit aux allocations
Autrement dit, certains salariés qui lancent leur entreprise peuvent être dans des situations très
inconfortables, d’autres peuvent l’être beaucoup moins. En connaissant un peu les rouages du
7 Il permet à tout salarié justifiant d’une ancienneté d’au moins 24 mois de prendre un congé d’au moins 12
mois, destiné au lancement de son projet. Chez certains employeurs (les grands groupes principalement), les
accords collectifs poussent la durée du congé à 36 mois. Durant cette période la rémunération du salarié est
suspendue. Mais à la fin du congé, le salarié peut demander de retourner dans l’entreprise (à rémunération et
à poste de travail équivalents) ou de rompre son contrat de travail.
!37
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
construction d’un projet entrepreneurial de manière sereine. A l’inverse la situation peut entrainer
du stress, de l’inconfort, de l’urgence ou un grand désespoir.
Lorsqu’un salarié s’engage dans une démarche entrepreneuriale, sa période de réflexion peut-être
longue. Bien qu’il estime disposer des compétences et des ressources pour se lancer, que son
aspiration est forte, et que le marché peut l’accueillir, son engagement peut prendre encore du
temps. Un salarié bien payé d’une grande entreprise bénéficiant d’avantages importants, n’aura
vraisemblablement pas la même phase de réflexion, qu’un salarié au SMIC d’une petite entreprise
au bord du dépôt de bilan. Cette période de réflexion est souvent source de tensions.
« La CSIP d’un individu sera considérée comme chaude lorsqu’elle comporte des contradictions
importantes se traduisant par une insatisfaction quant à la situation actuelle occupée, et/ou du
contradictions sont sources de tensions qui provoqueront des tentatives pour les réduire
(réduction des dissonances) et engendreront un changement éventuel. Comme nous l’avons vu,
elles ont pour origines des dynamiques internes et/ou externes. Chaleur de CSIP, tensions et
changements sont étroitement associés. Durant tout le processus de création, qui est pour nous
provoque les tensions et le changement, mais le changement provoque (le plus souvent) en
(1993:303-304)
C’est pourquoi prendre une photo à un instant donné de l’engagement entrepreneurial d’une
personne a ses limites. Cela ne permet pas de prendre en compte le processus de transition
professionnel que doit faire la personne pour lancer son projet. La littérature sur le processus de
!38
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
2. Le processus de transition professionnelle
L’engagement (ou non) dans un projet entrepreneurial nécessite deux conditions, être capable de
renoncer à une situation existante et accepter une situation nouvelle. Entre les deux situations, les
interrogations sont nombreuses. Pour appréhender le processus de transition nous nous appuyons
sur les travaux de William Bridges. Titulaire d’un doctorat en sociologie, il a consacré l’essentiel de
ces travaux au processus de transition que les personnes affrontent au cours de leur vie. Il est
l’auteur d’une dizaine d’ouvrage consacrés à la transition dont son principal ouvrage, Transitions :
Making Sense of Life’s Change (1980) traduit en de nombreuses langues. Nous nous appuyons sur
sa traduction française Transitions de vie : Comment s’adapter aux tournants de notre existence ?
(2014). Pour rappel, l’auteur suggère un découpage en trois phases : la séparation, la zone neutre
précédentes. Pour qu’un salarié puisse se lancer pleinement dans la création d’une nouvelle
entreprise, il faut d’abord quitter l’entreprise dans laquelle il est. Donner du sens au
changement permet de faciliter le passage de cette phase de renoncement.
précédent cadre de référence, et n’a pas encore de nouveau cadre de référence. Cette
période est marquée par une grande incertitude, source de stress et de remise en question.
!39
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
apparaissent aux yeux de son environnement (changement d’apparence, de comportement,
de rythme de travail). La personne a rompu avec son ancien cadre de référence.
Dans cette section nous cherchons à comprendre dans quelle mesure ce découpage peut être en
adéquation avec le processus entrepreneurial défini précédemment. Pour cela nous allons croiser le
Bridges (1980, 2014) a développé une approche de la transition marquée par trois phases distinctes,
et qui commence toujours par une fin. Pour qu’un salarié puisse se lancer dans la création d’une
nouvelle entreprise, il faut d’abord quitter l’entreprise dans laquelle il est. Pour qu’il découvre de
nouvelles méthodes de travail, il faut d’abord qu’il se sépare des anciennes. Pour qu’il adopte une
séparation est plus ou moins difficile à passer selon le facteur déclenchant la transition et les
conséquences qu’elle engendre. Ainsi, la création d’entreprise s’accompagne toujours de
changements importants, notamment si elle se situe dans un contexte de licenciement. Mais si elle
intervient dans une période de calme dans la trajectoire professionnelle, elle peut se réduire à une
simple étape sans trop d’obstacles.
Toute transition professionnelle commence par une fin. Selon Bridges (2014) pour pouvoir ouvrir
habitudes. Les multiples tensions que vit la personne dans une période de transition professionnelle
reconstruction qui modifie le rapport avec son environnement (familial ou amical notamment). Les
déséquilibres sont dépassés si la personne prend conscience de la nécessité d’abandonner ses
désengagement qui permet de s’extraire d’un univers affectif et social. Objectivement cette phase de
désengagement peut intervenir à l’occasion de la signature d’une rupture conventionnelle, du
!40
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
rangement de son bureau ou encore du dernier mail de remerciement à ses collègues ou partenaires.
D’un point de vue subjectif, le désengagement prend beaucoup de temps (Bridges, 2014). Il peut
prendre des semaines, des mois ou des années. Il ne se cantonne pas seulement à la sphère
professionnelle mais modifie également les relations qu’entretient la personne avec son
environnement (famille, amis, enfants, relations professionnelles).
La distinction entre le point de vue objectif et le point de vue subjectif est également repris par
Boutinet (2013) qui précise que pour comprendre la dynamique de la vie d’adulte, il s’agit de
comprendre « comment l’adulte se soucie d’aménager pour lui ses transitions de vie, comment il
pense ses choix en termes d’itinéraires à construire, comment enfin se conjugue pour lui
l’interaction entre les évènements survenus avec leurs effets de contexte et sa propre histoire
personnelle » (2013:50). S’appuyant sur les travaux du psychiatre allemand Binswanger (1947),
l’auteur recommande d’appréhender la vie d’adulte sous une double approche. En étudiant d’une
part les événements qui constituent l’existence et organisent un curriculum et d’autre part
« l’histoire intérieure de la vie, l’histoire inobservable faite des différents retentissement que les
évènements donnés à vivre vont produire sur la propre subjectivité de l’individu » (2013:50). En
faisant référence aux phases de transition de Bridges (1980), Boutinet (2013) rappelle que
l’environnement de travail dans lequel les personnes évoluent les poussent à se renouveler
continuellement et cela se traduit par une augmentation des transitions. La mobilité objective
portera pas le même regard d’un point de vue subjectif. En cas de transition imposée, cela
8 Jean-Pierre Boutinet accompagné de Benoit Raveleau (2011) évoquent cette notion « d’entreteneur de soi-
même » en faisant explicitement référence au régime de l’auto-entrepreneur créé en France en 2009. Ils font
le constat que la rareté de l’offre d’emploi conduit les adultes en recherche d’insertion à vivre des parcours
de plus en plus chaotiques. La quête de l’autonomie devient une norme et met les travailleurs dans
l’obligation de se donner les moyens de gérer eux-même leur carrière. « Cet Etat anciennement providence
pousse maintenant chacune, chacun à devenir entrepreneur de soi-même, de son parcours, de sa vie en se
lançant en conséquence dans l’une ou l’autre forme d’activité de création pour affirmer ou conforter son
autonomie et pouvoir ainsi exister » (2011:20). Cette analyse est également partagée par Abdelnour (2017) à
partir d’une étude approfondie de l’auto-entrepreneur.
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Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
s’apparente à une crise. En cas transition anticipée, la personne peut prendre ou non le temps de
construire un projet. Cette variable est visualisée dans la figure 3.
Imposée Crise
Transition
Non souhaitée Prévention
Anticipée
Souhaitée Projet / Prévision
Que la transition soit anticipée ou non, les conséquences sur la personne ne sont pas anodines. La
transition peut modifier des habitudes, des pensées sur soi ou sur les autres ou un rôle. « Ce n’est
pas la transition en soi qui est cruciale, mais l’importance du changement qu’elle induit dans les
rôles, les relations, les habitudes et les façons de voir. Plus le changement est grand, plus son impact
est important et plus l’intégration et le dépassement de la transition prennent du temps »
d’investissement d’un nouvel ensemble prend du temps. Pour certains, ce processus est facile et
rapide, pour d’autres, il peut prendre des années. Et beaucoup d’individus se débattent dans la
prendre ses distances par rapport au passé et envisager un nouveau rôle dans un mouvement de
balancement appelé « entre-deux ».
Après la phase de séparation se situe un phase intermédiaire marquée par la perte d’un cadre de
référence sans disposer d’un nouveau cadre de référence. La personne se situe entre deux univers.
C’est une période d’adaptation qui peut prendre plus ou moins de temps selon les personnes. Le
!42
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
processus de transition est plus ou moins houleux selon l’importance des renoncements à faire. Le
projet qui se développe dans cette phase intermédiaire n’est pas encore abouti. L’essentiel fait
s’aventurer au-delà de sa « zone de confort ». Mais le projet est encore essentiellement fantasmé. Le
projet appartient autant au monde du rêve que de la réalité. La personne projette son avenir au
travers de son projet. Elle imagine son futur, sa nouvelle façon de travailler. Cette phase est
marquée par un besoin réflexif, c’est-à-dire par une prise de recul sur les actions à mener.
pont, une zone frontalière entre deux états de plus grande stabilité » (1978:49). La seconde étape de
la transition est particulièrement perturbante car la personne n’a pas totalement abandonné son
précédent cadre de référence, et n’a pas encore totalement de nouveau cadre de référence. Elle se
situe au beau milieu du « pont » proposé par Levinson. A ce stade le projet n’est pas encore abouti.
Cette période est marquée par une grande incertitude, potentiellement source de stress et de remise
en question. Le recours à une pratique réflexive, c’est-à-dire à une prise de recul sur ses actions,
peut alors faciliter cette étape de transition. Popularisé à partir de 1983 par Donald Schön, le
principe de la réflexivité est une aptitude permettant de reconstruire mentalement ses expériences en
vue de développer une réflexion sur ses actions. Elle peut être comparée au reflet d’un miroir. En se
regardant dans le miroir, on peut être amené à avoir une réflexion sur soi-même. Avec la
fragilisation du travail détaillée dans le chapitre précédent, la réflexivité est une pratique en fort
certains traits des périodes précédentes, vont en accentuer d’autres. A ce titre jamais la
réflexivité issue de la modernité, qui la tient elle-même de temps plus lointains n’a occupé
autant de place qu’aujourd’hui. Aussi parler de tournant réflexif, c’est bien indiquer que cette
réflexivité est devenue en peu de temps, à partir de la mouvance des années 1970-1980, une
préoccupation dominante incontournable, donc de plus en plus partagée des pratiques sociales et
professionnelles. Une telle réflexivité est à situer à un double niveau, réflexivité vis-à-vis du
monde dans lequel nous vivons par un travail d’élucidation et de théorisation des situations
!43
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
vécues pour mieux les comprendre, réflexivité vis-à-vis de soi-même, de son expérience, de sa
pratique, de sa construction identitaire, l’identité ayant cessé d’être octroyée pour devenir une
élaboration ». (2009:09-10)
Cette démarche réflexive caractérisant cette étape d’entre-deux permet d’assimiler les changements
en amont et de préparer les changements en aval. La réflexivité conduit à la stratégie. Par le recul
engendré par la réflexivité, l’acteur peut être amené à développer une stratégie d’actions lui
permettant d’atteindre ses intentions. Le savoir nouveau engendré par le prise de recul sur ses
intentions, lui permet de prendre conscience du sens de ses actions et de les modifier. « La notion de
stratégie revêt ici sa pleine mesure puisqu’elle concilie et redéfinit objectifs et voies et moyens
compte tenu d’un environnement en mouvement, celui de l’emploi et du travail » (Mercure, 2007).
A travers une étude sur des jeunes en voie d’insertion professionnelle, Mercure permet d’éclairer
sur l’importance de la réflexivité dans les stratégies en place. Parfois, les périodes riches en
transitions, dont les résultats sont imprévisibles, sont aussi des périodes de grande incertitude (Le
Blanc & Laguerre, 1998 ; Mallet & Gaudron, 2005). Les personnes sont plus ou moins tolérantes à
l'incertitude et à l'ambivalence, si bien que ces moments sont parfois perçus comme des périodes de
stress ou de remise en question (Masdonati & Massoudi, 2012). Elles sont susceptibles la plupart du
temps de trouver dans leur entourage des ressources pour faciliter les processus de transitions, et
particulièrement pour les aider à traverser la zone d’entre-deux.
La troisième étape d’un processus de transition est celle d’un nouveau départ. Elle est propice à la
création d’un nouveau cadre de référence permettant à la personne de se situer dans un nouvel
espace professionnel. Pour Bridges (2014) cette étape se caractérise par des changements objectifs
et subjectifs. Les changements objectifs sont assez faciles à identifier. Ils peuvent prendre la forme
d’une modification de la tenue vestimentaire (on abandonne le costume ou le tailleur), d’un
changement d’horaires (on se lève plus tôt ou plus tard), d’une modification de ses habitudes
alimentaires (on prend le temps de déjeuner ou l’inverse) ou encore d’un changement du lieu de
travail (on aménage un bureau chez soi par exemple). Les signaux subjectifs sont plus difficiles à
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Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
percevoir, car ils sont souvent noyés dans une masse d’autres changements. Pourtant ils sont
souvent les plus importants. L’adhésion à de nouveaux réseaux, le changement de langage, les
croyances, une manière d’agir, une manière de se comporter ou une manière de se présenter sont
Dans cette quête de reconstruction dans le cadre d’un projet entrepreneurial, Bernard et Barbosa
(2016) font référence aux « petites victoires » essentielles pour permettre donner confiance en soi et
permettre le passage vers d’autres réalisations, plus grandes. Chaque victoire donne à la personne
en transition professionnelle l’envie d’aller au-delà, de se dépasser et de se fixer de nouveaux
objectifs. Les victoires intermédiaires sont de toutes natures, fixent des points de références dans le
temps et aident à se sentir à l’aise dans son nouvel environnement professionnel. C’est par exemple
l’obtention d’un prêt bancaire, d’une bourse, devenir lauréat d’un concours entrepreneurial, obtenir
un local commercial, être accepté dans un incubateur, etc. Toutes ces différentes réussites
s’inscrivent dans le processus de reconstruction professionnel et donnent des clés pour faire avancer
le projet. Au-delà de la réussite professionnelle c’est aussi souvent une réussites personnelle. Dans
la dynamique du processus de résilience, le travail sur l’estime de soi est fondamental (Cyrulnik et
Duval, 2006). La reconquête d’un cadre de référence porteur de réussite n’est pas seulement de
l’ordre du symbolique. Les victoires intermédiaires sont des victoires réelles, avec un résultat
tangible.
Une autre façon de faciliter les transitions est d’utiliser les rituels. Les cérémonies et les rites sont
des moyens pour aider à rompre avec le passé et vivre une nouvelle situation (Myerhoff, 1984). Les
rites marquent le passage entre un ancien rôle et un nouveau rôle et permettent à la personne de
s’élever dans un parcours de vie, un groupe ou une société (Turner, 1969). En séparant les
personnes et en insistant sur leurs différences, les rites transmettent des messages à un groupe. Ils
opposés, des conflits sociaux ou des différences de valeurs (Bell, 1992). Le rituel est souvent
présenté comme un processus en trois étapes. Au cours de la première étape, la personne est isolée
du reste du groupe à l’occasion d’un cérémonie. La seconde étape place la personne dans un
« entre-deux » où l’utilisation des symboles est courant (anneaux, écharpes, chants, etc.). A la
!45
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
troisième étape, la personne est acceptée dans un nouveau groupe, elle est reconnue par les autres,
elle a acquis un nouveau rôle (Van Gennep, 1969 ; Myerhoff, 1984). Ainsi l’aspect formel du rite à
moins d’importance que sa signification sociologique. La transition est avant tout un processus qui
donne du sens et qui permet d’intégrer la personne à de nouveaux réseaux (Galland, 2011).
nouvelle communauté. Dubar parle alors d’identité professionnelle pour désigner « des manières
socialement reconnues, pour les individus, de s’identifier les uns les autres, dans le champ du travail
et de l’emploi » (Dubar, 2010:95). Il rapproche sa définition de celle de Sainsaulieu (1977) qui
désigne l’identité au travail comme des « modèles culturels » ou des « logiques d’acteurs en
organisation » mais s’en distingue par son approche biographique. L’identité professionnelle de
Dubar prend en compte les trajectoires des personnes au cours de la vie au travail, ce qui en fait une
notion intéressante pour notre étude. En effet son analyse cherche à comprendre le passage d’une
Autrement dit, il analyse les évolutions des rapports au travail qui mêlent la rationalisation d’une
organisation et les exigences des travailleurs9. Il constate que les identités « d’entreprise » ou
« catégorielle » sont dévalorisées au profit des identités « de réseau » ou « de hors travail » qui se
tournent vers la réalisation de soi et l’épanouissement personnel. Cela « suppose une individu
rationnel, mobile et autonome qui gère ses formations et ses périodes de travail selon une logique
entrepreneurial de maximisation de soi » (2010:127). Toutefois ce modèle place les individus dans
9 Les recherches de Dubar (2010) l’amènent à faire trois constats qui font écho à notre analyse dans le
chapitre précédent. A partir des années 70, le travail tend à s’intellectualiser et conduit le travailleur à gagner
en autonomie. Le travail devient porteur de sens et « un enjeu pour la reconnaissance de soi, un espace de
parole à investir (ou non) » (2010:109). Les salariés sont appelés à être créatifs pour résoudre des problèmes
et rentabiliser les investissements. C’est ce qui permet de comprendre le déferlement du modèle de la
compétence au cours de la période suivante. Les années 80 et 90 marquent le passage de l’identité
d’entreprise à la notion d’employabilité. Ce n’est plus « d’abord l’entreprise qui est responsable des
compétences de ses salariés, mais chaque salarié qui devient responsable de l’acquisition et de l’entretien de
ses propres compétences » (2010:112). A travers cette évolution majeure, le salarié doit apprendre à satisfaire
le client grâce à une relation de service. Les années 2000 s’accompagnent d’une valorisation du modèle de
l’entrepreneuriat qui sert de modèle pour personnaliser la relation client et parce qu’il s’accompagne d’une
plus forte flexibilité.
!46
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
les conditions de travail, des relations qui se délient avec certains collègues ou qui se lient
avec d’autres. La personne est à l’écoute des opportunités pour faire avancer son projet,
encore au stade de l’idée. Les contours du projet entrepreneurial ne sont pas bien délimités.
suspendu (dans le cas d’un congé pour création d’entreprise par exemple). Des heures
communauté de travail au sein de laquelle elle peut prendre une part plus ou moins active.
La nouvelle activité est lancée et dégage éventuellement des revenus. L’engagement dans
l’activité est fort et occupe tout le temps de travail de la personne. Retourner au salariat
base d’une histoire passée. La cohérence du projet dans cette trajectoire est alors
!48
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
fondamentale. Un des rôles de l’accompagnateur serait alors de ne pas se concentrer
uniquement sur le projet, mais plutôt sur sa place dans la trajectoire professionnelle.
d’inciter le futur créateur à passer à la phase suivante ou bien à attirer son attention sur le
fait qu’il a négligé une phase indispensable.
• Les rites ont également un rôle à jouer dans le processus de transition. Ils permettent de
marquer le passage d’un état à un autre. Ils permettent d’organiser les pratiques sociales et
de renforcer le sentiment d’appartenance ou d’exclusion à une communauté. L’inscription
une personne de donner du sens à sa trajectoire professionnelle. Elle peut faire appel à
un accompagnateur qui va l’aider à le mettre en récit.
!49
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
Nous allons développer ces hypothèses dans le chapitre suivant, destiné à discuter des enjeux et des
modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat.
!50
Chapitre II
ENJEUX ET MODALITES DE
L’ACCOMPAGNEMENT DE LA
TRANSITION PROFESSIONNELLE
Après avoir délimité l’objet de notre étude dans le premier chapitre, ce deuxième chapitre sera
consacré au développement de la problématique qui est celle des enjeux et des modalités de
séparés dans trois sections successives au cours desquelles nous développerons les trois
propositions de travail.
l’entrepreneuriat est entendu comme un double processus entrepreneurial d’une part et de transition
professionnelle d’autre part. Notre objectif est de comprendre dans quelle mesure l’accompagnateur
peut aider à donner du sens au projet dans la trajectoire professionnelle de la personne. Nous
Pour saisir de la portée des changements vécus par la personne dans sa transition professionnelle,
nous nous appuyons notamment sur les travaux de Dubar (1991, 1998) qui suggèrent qu’une
trajectoire peut-être présentée de deux manières, objective d’une part et subjective d’autre part.
Cette combinaison semble être particulièrement importante pour saisir le sens que
l’accompagnateur donne à une trajectoire. De ce fait nous allons nous inspirer de cette approche
!51
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
pour aider la personne à donner du sens à son projet entrepreneurial dans sa trajectoire
professionnelle.
Nous allons ensuite nous appuyer sur les préconisations de plusieurs auteurs (Cuzin, Fayolle, 2004 ;
Verzat, Gaujard, François, 2010 ; Chabaud, Messeghem, Sammut, 2010) pour qui
l’accompagnement doit être adapté selon les besoins des personnes et notamment prendre en
compte une dimension psychologique. Ils s’appuient sur la dialogique personne - projet de Bruyat
(1993) qui suggère que le besoin d’accompagnement est d’autant plus élevé que les changements
Parce qu’elle lui semble approprié à l’étude de l’évolution du marché du travail, Dubar (1992,
1998) propose une théorie qui prend en compte les transformations des systèmes d’emploi dans la
construction de l’identité. Ce qu’il propose c’est de croiser la construction biographique et la
construction relationnelle dans une une théorie dite de « double transaction » (1992:520). Pour
l’auteur l’analyse d’une trajectoire professionnelle est confrontée à l’articulation entre deux aspects
du processus biographique.
« La trajectoire « objective » définie comme une suite de position sociales occupées durant la
exprimée dans des récits biographiques divers au moyen de catégories indigènes renvoyant à
confrontation de ces deux analyses est particulièrement importante pour saisir les identités
La reconstruction de l’histoire d’un individu se base sur des éléments objectifs (statut social,
activité professionnelle, niveau de revenu, etc.) et des éléments subjectifs (contexte, environnement,
ressenti, etc.). L’auteur suggère ainsi de combiner l’analyse objective avec la nature des situations
!52
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
rencontrées. Cette approche est intéressante à double titre pour notre étude. Elle permet d’articuler
en rupture avec un passé reconstitué (« trajectoire »), une transaction « relationnelle » visant à
faire reconnaître ou non par les partenaires institutionnels la légitimité de ses prétentions,
Ces deux transactions se combinent. Alors que la dimension biographique (subjective) renvoie à des
partie de la place occupée par l’individu dans une institution ; et inversement la reconnaissance de
la place occupée dépend en partie de la trajectoire antérieure de l’individu.
« Mais le passé ne détermine par mécaniquement l’avenir, pas plus qu’un acteur « dominant »
ne contraint un « dominé » à des pratiques déterminées. Il existe des zones d’incertitude et des
marges de manoeuvre plus ou moins importantes qui rendent plus ou moins probables la
individuels » (1992:521).
Afin de prendre en compte la complexité d’une trajectoire, Dubar recommande de combiner une
approche objective et subjective. A une trajectoire plutôt factuelle des positions occupées dans le
temps et l’espace, peut se joindre une trajectoire plus subjective, soit celle exprimée dans les
expériences racontées. Le récit de vie permet ainsi de rendre compte de l’histoire exprimée par la
professionnelle. A partir de trois recherches collectives, l’auteur propose quatre formes identitaires
(Dubar, 1992) : l’identité d’entreprise, l’identité catégorielle, l’identité de réseau et l’identité hors
travail. La troisième (l’identité de réseau) et la quatrième forme d’identité (l’identité hors travail) se
distinguent des deux autres car le sentiment d’appartenance de la personne à son groupe d’origine
!53
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
fait défaut. Les salariés interrogés que l’auteur inscrit dans ces catégories aspirent à une promotion
sociale. Ils cherchent à développer un projet sans l’aide directe de leur groupe d’origine. Ils
s’appuient sur leur formation initiale, leur formation continue antérieure ou leur réseau pour les
aider à le mettre en oeuvre (l’identité de réseau). Lorsque les titres font défaut, que le réseau
n’existe pas ou ne peut pas être mobilisé pour l’évolution professionnelle, le risque d’exclusion ou
d’isolement dans le groupe est alors important (l’identité hors travail).
L’identité hors travail se rapproche de l’identité de l’entre-deux proposée par Alter (2012:41). Il
s’appuie sur une soixantaine d’entretiens d’entrepreneurs et de dirigeants issus de la diversité
(handicapés, minorités ethniques ou religieuses, homosexuelles) auxquels il ajoute les autodidactes
et les femmes. S’appuyant sur la figure de l’étranger de Simmel (1911) les personnes interrogées se
sont éloignées de leur milieu d’origine sans pour autant l’oublier. N’ayant pas vécu de processus
d’acculturation dans un nouveau groupe, ils ne s’y trouvent que partiellement intégrés. Leur
différence dans le groupe est une forme de socialisation autant que d’exclusion. Cette posture si elle
est acceptée et valorisée, est une force qui leur permet d’innover. La distance leur confère une
liberté de parole et une capacité d’analyse originale. Le sens qu’ils donnent à leur posture repose sur
leur capacité à intégrer des éléments nouveaux dans leur histoire, de ne pas renier leur valeurs
d’origine tout en gardant de la distance avec celles-ci. Comme l’indique Verzat (2014), le cadre
théorique d’Alter est intéressant pour expliquer la dialogique personne/projet énoncée par Bruyat
(1993). Pour Alter (dans Verzat, 2014) « un entrepreneur est nécessairement dans cette position
d’étranger. Il est obligé de faire le va-et-vient entre ce qu’il est et le regard que les autres portent sur
lui, de gérer son investissement en fonction de ce qu’il est subjectivement et non pas seulement en
fonction de ce qu’il est objectivement ». L’analyse de l’auteur donne ainsi des clés de
compréhension de la dynamique identitaire à l’oeuvre dans le processus entrepreneurial.
série de « positions successives » qui dialogue avec l’histoire de vie du sujet (Dubar, 1998). Cela
offre une clé de lecture pour appréhender notre objet de recherche, où les éléments objectifs se
conjuguent avec les éléments subjectifs. Combiner ces deux angles d’analyse se complètent pour
compréhension du parcours d’une personne, l’analyse subjective permet d’intégrer la diversité des
!54
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
construction et l’orientation de la trajectoire professionnelle. Le recueil des récits de vie permet non
seulement de donner des informations factuelles sur les événements qui jalonnent le parcours des
porteurs de projet mais aussi de les mettre en relief, en précisant les éléments majeurs ayant eu sur
eux de fortes répercussions. Il ouvre ainsi un espace qui permet une description précise et fiable des
Analyser une transition professionnelle suppose que l’on se tourne vers le parcours antérieur de la
personne, que l’on puisse appréhender ses expériences passées, ses mobilités antérieures, ses
influences sociales, son rapport au risque, sa manière de travailler. Chacun de ses éléments
influence l’orientation de ses choix professionnels. Ces actions vont être entremêlées et se déployer
selon certaines logiques d’action. Les équilibres (ou déséquilibres) qui peuvent se mettre en place
dans les combinaisons de trajectoires sont extrêmement nombreux et variés. C’est cette
combinaison et ce dosage qui assurent la diversité et la singularité des transitions professionnelles.
La trajectoire est un terme utilisé dans plusieurs disciplines. Voici ce que nous retenons de la
littérature.
La notion de trajectoire
Tout parcours de vie peut être considéré comme un entrecroisement de plusieurs trajectoires comme
en témoigne la figure 5. Le parcours scolaire, les emplois occupés, l’itinéraire politique, les
pratiques religieuses, les sentiments amoureux, la santé sont autant d’histoires qui composent un
parcours de vie. La liste peut être prolongée presque à l’infini selon la nature des domaines
pertinents à analyser. « Chacun de ces domaines de l’existence est caractérisé par un ensemble
!55
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
Bourdieu qui la définit comme « une série de positions successivement occupées par un même
agent (ou un même groupe) dans un espace lui-même en devenir et soumis à d’incessantes
transformations » (1986:71). Pierre Mauger va aussi dans ce sens. Pour lui la trajectoire est « un
ensemble de parcours simultanés et/ou successifs dans divers cadres institutionnels, dans différents
champs de l’espace social qui sont eux-mêmes en perpétuel changement » (1995:23-24). Larousse
en donne la définition suivante « courbe décrite par un point en mouvement, par rapport à un
repère donné ». La notion de mouvement est omniprésente dans ces définitions. Elle sous-entend
une notion de trajet, donc de changement, soumis à des facteurs qui peuvent l’influencer, l’orienter
voire la courber.
Trajectoire de santé
Trajectoire familiale
Trajectoire professionnelle
Trajectoire de loisirs
Trajectoire scolaire
Les trajectoires qui composent un parcours de vie s’influencent mutuellement à travers des
évènements. Le parcours de vie est fait de la rencontre et de l’interaction des différentes trajectoires
entre-elles. Le parcours de vie est donc fait, non pas de la somme de trajectoires qui se
juxtaposeraient et cumuleraient, mais de leur intégration dans une configuration d’ensemble qui est
à la fois psychique (elle relève d’une construction individuelle) et sociale (elle porte la marque des
environnements culturels et sociaux dans lesquels elle s’inscrit) (Delory-Monberger, 2009). Etudier
!56
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
d’entreprise soit un évènement dans la trajectoire professionnelle et que par conséquent il influence
de nombreux autres domaines de l’existence. Cet aspect est fondamental car il renvoie plus
généralement aux mécanismes par lesquels un évènement initialement circonscrit dans un domaine
spécifique peut engendrer des modifications dans d’autres domaines, et finalement orienter
l’ensemble du parcours.
Pour illustrer la place du projet entrepreneurial dans une trajectoire nous allons nous appuyer sur le
récit de Jean-Baptiste Rudelle, fondateur de Critéo. L’auteur revient sur son parcours d’entrepreneur
dans un livre retraçant son histoire (2015). Il raconte longuement les évènements qui l’ont amené à
créer son entreprise. L’écriture est un moyen pour lui de se replonger dans son histoire personnelle
Lorsqu’une personne explique son projet entrepreneurial, elle le présente généralement au travers
de sa trajectoire professionnelle. De la même manière que lorsque l’on développe son curriculum-
vitae à un entretien d’embauche, elle annonce son parcours scolaire, ses expériences
professionnelles et éventuellement ses passions. Cette manière de présenter les choses a vocation à
prouver ses compétences et à susciter l’adhésion pour son projet chez la personne qui l’écoute.
Pourtant le projet peut être introduit de multiples façons. L’une d’elles est de le mettre en
perspective avec une autre trajectoire, par exemple familiale. C’est ce que fait Jean-Baptiste
Rudelle, fondateur de Criteo, dans son livre On m’avait dit que c’était impossible paru en 2015.
« Le monde de mon père, la peinture et l’art, étaient au moins aussi étrangers au Nasdaq que
celui de ma mère. Avec un père artiste et une mère intellectuelle, je n’avais rien dans mes gènes
pour me pousser vers l’entreprenariat. Les deux objets sacrés dont la maison était bourrée
jusqu’au plafond ? Les livres et les tableaux. Tout le reste était secondaire. Même si nous ne
roulions pas sur l’or, les revenus de mon père étaient des plus fluctuants et ceux de ma mère très
modestes, j’ai eu cependant la chance d’avoir une enfance confortable qui ne manquait pas de
!57
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
capital social comme dirait Bourdieu (…). Je n’étais pas programmé pour être créateur
d’entreprise. Personne ne m’a poussé, ni même initié, loin s’en faut. Cadre d’un grand groupe
prestigieux, on pouvait trouver quelques exemples rassurants dans la famille. A commencer par
mon frère, qui a fait carrière chez IBM. Mais entrepreneur ? Pour mes parents, c’était quelque
chose de difficile à appréhender, perçu comme peu glorieux et au fond un peu vulgaire (…).
Encore sous l’influence familiale, j’ai sagement tenté l’expérience de la grande entreprise. Je
m’y suis morfondu tout de suite, suffoquant sous des ordres qui me paraissaient le plus souvent
médiocres et arbitraires (…). Le soir, en rentrant de mon boulot de salarié, je rêvassais donc à la
vie d’entrepreneur. Et, dès que j’ai pu, je me suis lancé ». (2015:18-22).
S’intéresser à la trajectoire des entrepreneurs, c’est s’interroger sur la manière dont les personnes
donnent du sens à leur vécu, dont ils se saisissent des situations, des évènements, des rencontres,
des émotions que leur projet d’entreprise leur apporte. Les trajectoires qui composent un parcours
de vie ne sont pas cloisonnées. Elles s’influencent mutuellement au travers d’évènements. Ce sont
les évènements qui créent le mouvement, et donnent de la cohérence dans l’histoire de chacun. Une
histoire personnelle ne se compose pas d’une simple juxtaposition de trajectoires mais de leurs
interactions dans une configuration d’ensemble (Bourdieu, 1986). Selon la manière dont la
Le philosophe Paul Ricoeur s’intéresse au récit et publie trois tomes de Temps et récit entre 1983 et
1985. A travers le récit, les événements, les rencontres ou encore les personnes sont mises en
intrigue dans le temps. Par son discours, la personne va donner un sens à son projet en le mettant en
perspective avec son vécu. Les événements sont alors transformés et réinterprétés dans un ensemble
se composant d’un début et d’une fin. Par le récit, la personne met en scène son propre personnage.
Présenter son projet au regard de sa trajectoire familiale n’est donc pas anodin. Il permet
d’expliquer les influences, les choix et la stratégie menée par l’entrepreneur. Dans le cas de Jean-
Baptiste Rudelle, l’influence familiale est forte dans son projet entrepreneurial. Sa famille est
éloignée du monde des affaires. La création d’entreprise est même perçue comme vulgaire. Le
modèle à suivre est plutôt celui du salariat de préférence dans une grande entreprise comme le choix
!58
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
qu’a fait son frère, plus rassurant. Pourtant Jean-Baptiste Rudelle a pris une voie différente. L’une
des explications qu’il donne dans son livre a malheureusement une dimension tragique.
« Je suis le petit dernier d’une famille de quatre enfants. Trois maintenant. Nicolette, ma soeur
ainée s’est noyée en mer quand elle avait quinze ans. Avec deux ans d’avance, une incroyable
facilité scolaire et surtout une personnalité hors du commun, ma soeur était de loin la plus
prometteuse de notre fratrie (..). Il reste beaucoup de zones d’ombres sur ce qui s’est vraiment
passé ce soir-là. Le seul fait à peu près établi est qu’elle a lutté toute la nuit accrochée à la coque
d’un dériveur en perdition. Au petit matin, épuisée, elle a fini par glissée dans l’eau, a priori
moins d’une heure avant qu’on ne repêche son corps (…). Ce genre de drame a bien sûr de quoi
secouer en profondeur une dynamique familiale. Ma mère, brisée, pleurait sa fille, et mon père
pleurait sa femme. Ma grande soeur et mon frère, qui avait dix-huit et vingt-ans, se sont aussi
retrouvés fragilisés en pleine ascension dans leur vie d’adulte (…). Depuis cette expérience,
plus rien ne me parait vraiment grave (…). Cela m’a peut-être permis de me lancer dans des
projets un peu fous, sans peur de l’échec et surtout sans peur du jugement d’autrui, paralysie
que j’ai souvent observée chez d’autres, pourtant plus doués et ambitieux que moi ».
(2015:18-19).
Dans le cas de Jean-Baptiste Rudelle, cet évènement familial lui a permis de changer de regard sur
la prise de risque. Petit dernier de la famille, il a appris à vivre dans l’ombre de ses frères et soeurs
qu’il juge plus doués que lui. Après une scolarité assez mouvementée, il suit les conseils de ses
parents et débute une carrière de salarié dans une grande entreprise. Mais après seulement quelques
années, il éprouve des difficultés avec la hiérarchie. Il quitte rapidement ce milieu pour se tourner
vers l’entrepreneuriat. Ses parents ne comprennent pas, mais décident quand même de le soutenir,
notamment financièrement. Après l’échec de sa première entreprise, il aurait pu s’arrêter là et
retourner définitivement dans le salariat. Ses parents avaient peut-être raison. Mais c’était sans
compter sur sa persévérance et sa force de caractère. Comme il le précise quelques pages plus loin,
« j’avais juste l’envie de partager cette expérience forte avec des proches » (2015:168). Il décide
!59
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
« Pour Critéo enfin, je suis allé encore plus loin dans cette logique. A tel point que mon père et
mon frère, qui ont mis au pot dans mon premier fiasco, ont beaucoup plaisanté sur le fait de
n’avoir été conviés que pour la faillite, et pas pour le jackpot. C’est un peu vrai. Néanmoins j’ai
appris à gérer que faire un premier tour de financement dit friends and family (amis et famille)
induit un mélange des genres pas simple à gérer. Sur Kallback ou Kiwee10, j’aurais dû traiter
mon père ou mes amis comme n’importe quel business angel. Mais ce n’était pas facile. De fait,
je leur ai donné plus de capital que pour un investisseur extérieur. Je ne voyais pas trop le
problème. Après tout, c’est plutôt sympathique de partager son aventure avec des proches. Mais,
quant il faut monter à bord d’autres talents ainsi que des financiers, cela complique les choses,
car mécaniquement il y a d’autant moins de capital disponible pour les nouveaux entrants ».
(2015:171-172).
Mettre en perspective le projet entrepreneurial dans une trajectoire professionnelle peut permettre
de rendre compte de la place du projet dans la trajectoire étudiée. Pour De Gaulejac « l’analyse
d’une trajectoire doit permettre de comprendre le passage entre la position originaire et la position
acquise » (De Gaulejac, 2016 : 307). Pour analyser une trajectoire l’auteur suggère une analyse
• Les principaux évènements personnels et familiaux qui ont eu une influence sur la
trajectoire (mariage, naissance, décès, etc.) ;
• Les évènements historiques et les mutations sociales qui en ont modifié le cours (évolution
de la carrière, changement de modèle social, etc.).
La reconstruction d’une trajectoire par la « mise en mot » est susceptible de renforcer la cohérence
de celle-ci dans un parcours plus global. C’est ce que décrit Delory-Monberger (2009) à travers la
« performativité biographique ». Elle précise que « c’est dans l’énonciation de soi, dans la parole
10
Kiwee est la seconde entreprise créée par Jean-Baptiste Rudelle. L’entreprise est spécialisée dans le téléchargement
de sonneries personnalisées pour téléphones portables. L’entreprise est vendue cinq and plus tard à un géant américain
de la carte de voeux pour une somme qui est restée confidentielle. Mais les investisseurs qui ont investi plus de 10 mil-
lions d’euros dans la start-up sont très satisfaits.
!60
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
tenue sur soi-même et son existence que le narrateur peut trouver le moyen de réunir son
expérience d’un espace social fractionné et en perpétuel changement et donner à cette expérience
la continuité que celui-ci n’offre plus ». La personne identifie les séquences de sa trajectoire qui lui
paraissent les plus significatives et s’interroge sur les « ruptures » ou les choix qui l’ont amené à
faire évoluer sa trajectoire. Pour l’auteure « tout le travail de la transition va consister dès lors en
confrontation-négociation-reconfiguration des images de soi, de ses capacités d’action et d’un
de son projet dans son histoire. Les travaux de l’auteure s’inscrivent dans la continuité de Ricoeur
(1983) qui montre que le récit a un sens dans la mesure où il s’inscrit dans une temporalité. Le récit
à un début, un milieu et une fin dans lequel les évènements, les actions et les personnes ont des
relations de cause à effet et contribuent à rendre cohérent l’ensemble. Or, selon que la transition est
anticipée ou non, le sens de la transition n’aura pas la même signification dans un parcours
(Schlossberg, 1984, 2004). Anticipée une transition est voulue, non-anticipée une transition est
subie. Elle peut être source d’injustice sociale, de souffrance, de perte de repères et de traumatismes
(Dejours, 1998). Aussi le rôle de l’accompagnateur est d’autant plus important dans le second cas
(Boutinet, 2007). Pour anticiper au mieux les changements à venir, l’accompagnement par une
tierce personne est requis pour éviter, ou tout du moins limiter, que la personne ne subisse l’étape
Maela Paul est professeure en sciences de l’Education. Dans une conception profondément
humaniste et pluridisciplinaire, elle fait figure de référence dans le champ de l’accompagnement.
travers des trajectoires professionnelles. Elle distingue notamment l’accompagnement des autres
formes de relations existantes qui peuvent s’en rapprocher. Le terme d’accompagnement est très
utilisé dans le langage courant. Il renvoie à des réalités très diverses. Le coaching, le counselling, le
!61
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
l’accompagnateur dans la relation. Il s’agit d’une relation verticale avec un dominant et un dominé,
une position haute et une position basse. L’accompagnement envisage la relation avec le salarié
d’une manière horizontale. Cette relation asymétrique permet à l’accompagné de construire son
expérience. Le guide est celui qui facilite, qui aplanit les difficultés ou les indique parce qu’il sait,
qu’il les reconnaît et qu’il a appris comment les éviter. La mission du guide est de gérer de maitriser
les aléas en indiquant la bonne route à suivre. Il gère les imprévus, pour organiser la route de
Etymologiquement le mot est composé d’un préfixe et d’un suffixe ajoutés à un radical : ac/
compagn/er. Le radical (compagn) est un dérivé du mot « copain », la personne avec qui on partage
les préoccupations, avec qui on passe du temps (compagnon de voyage), avec qui on partage les
armes (compagnon d’armes) avec qui on partage sa vie (dame de compagnie). Le préfixe (ac)
désigne une direction, une finalité vers laquelle on se dirige. Le suffixe (er) désigne le processus, le
cheminement, l’action de faire quelque chose. Ces éclairages mettent en relief trois dimensions de
travaille à partir de la confiance en l’autre, il parie que l’autre pourra se dépasser. Accompagner un
salarié qui porte un projet entrepreneurial revient à accueillir une personne, être à ses côtés, un peu
en retrait sans jamais être au premier plan. Dans l’exercice du métier d’accompagnateur, le défi
consiste à mettre au service de l’autre ses savoirs, son expertise, son expérience et son unicité, en
s’assurant toutefois de ne jamais se substituer à cet autre, afin de lui permettre d’être le centre de la
!62
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
même destin. Si la personne accompagnée souhaite changer de direction et abandonner son projet
ou le réorienter, ce n’est pas à l’accompagnateur de lui faire changer d’avis. Comme le précise
Michel Vial accompagné de Nicole Caparros-Mencacci « il ne s’agit ni de le précéder, ni de le
suivre, ni de lui montrer le chemin, ni de le tirer vers l’avant car on risquerait de lui indiquer notre
va évoluer.
confiance consiste à se remettre à l’autre, à s’abandonner et à s’ouvrir. Cette attitude est rendue
considération de l’autre et définit une conduite caractérisée par la réserve et la retenue (Paul,
2004:131). Un jeu d’influence réciproque se met alors en marche. Cette interaction, plus ou moins
durable, créée des liens affectifs ou fonctionnels. La relation oscille entre la proximité et la
Accompagner revient à être aux côtés de quelqu’un, se joindre à lui et à ses difficultés.
L’accompagnateur ne donne pas la solution, il apporte les clés et les conseils pour que
l’accompagné chemine seul vers son autonomie. L’accompagnateur ne précède pas la personne
qu’il accompagne, il est à ses côtés, il n’est ni devant, ni derrière. C’est dans la durée que
Le cheminement fait écho au parcours alors que l’objectif se focalise sur le résultat. Un
cheminement est « une lente progression, une évolution » (Larousse). Son verbe cheminer fait
référence à « évoluer, progresser, faire son chemin » (ibid.). L’objectif correspond au « but vers
lequel tend l’action de quelqu’un » (ibid.). Dans cette optique si la création d’entreprise par la
!63
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
personne accompagnée est un objectif à atteindre pour l’accompagnateur, alors sa pratique relève
davantage du guidage. Si la création d’entreprise est une finalité parmi d’autres, alors sa pratique
relève davantage de l’accompagnement. La posture de l’accompagnateur n’est pas la même.
(2014). Pour ces auteurs, l’accompagnement entrepreneurial doit se focaliser sur deux aspects. Le
premier porte sur la personne, le second sur le projet. L’accompagnateur doit jongler entre apporter
un soutien moral à une personne souvent empreinte aux doutes et aux incertitudes. Il doit également
savoir lui apporter une expertise technique et répondre à des questions aussi diverses que le choix
du statut juridique ou la rédaction d’un prévisionnel financier. L’accompagnateur est alors tour à
tour dans une posture de facilitateur ou de réparateur comme le présente le tableau 4.
Réparateur Facilitateur
4 étapes : 2 étapes :
- identification - amener l’entrepreneur à se poser
Les étapes préconisées - analyse des problèmes
- solution - identifier ce que l’entrepreneur
- mise en oeuvre est en train de faire
!64
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
Cette double posture fait écho aux travaux de Michel Vial et de Nicole Caparros-Mencacci (2007)
d’un autre. Il vise à l’émancipation et à l’autonomie. C’est une forme d’étayage, c’est-à-dire une
posture qui permet à la personne de résoudre seule ses problèmes. L’accompagnateur doit s’éloigner
de toute attitude de maîtrise contrairement au guidage qui est de l’orde de l’expertise. A travers le
guidage la posture est celle du sachant. la relation est verticale entre le professionnel et le porteur de
projet. L’action du professionnel vise à apporter des réponses à des questions.
La posture de l’intervenant est tour à tour dans celle du guidage et dans celle de l’accompagnement.
Cette position n’est pas facile à tenir. Pour Vial et Caparros-Mencacci (2007) les deux postures ne
sont pas compatibles, elles s’opposent. Bien qu’elles s’en défendent, on comprend rapidement que
leurs faveurs se portent sur l’accompagnement au détriment du guidage. Les auteurs estiment que le
!65
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
guidage dénature les problèmes posés, manipule les formés et écrase les problématiques. Par
opposition à l’accompagnement qui permet d’accompagner l’autre dans son projet et produit des
avancées dans la compréhension de ce qu’il fait le problème (2007:224).
« Notre travail n’est donc pas un plaidoyer pour l’accompagnement et qui dénigrerait le
guidage. On ne peut simplement pas faire les deux, en même temps, ni avec la même personne.
En revanche, un même professionnel aura la plupart du temps à jouer avec les deux dans son
Pourtant il est inévitable qu’un porteur de projet interroge son accompagnateur sur des questions
qui demandent une réponse claire. Elles sont nombreuses et interviennent tout au long du processus
de création d’entreprise telles que comment faire mon étude de marché ?, comment construire mon
compte de résultat ? ou encore quel statut juridique dois-je choisir ? L’intervenant ne peut pas
systématiquement dire au porteur de projet de chercher par lui-même ou l’inviter à demander à
quelqu’un d’autre. En pratique il faut bien répondre à toutes ces questions, ou du moins essayer d’y
Romaric Cuzin et Alain Fayolle (2004) proposent que l’accompagnement soit adapté selon les
besoins de l’entrepreneur. Ils distinguent trois postures. L’accompagnement doit être davantage
lorsque le porteur a besoin de coaching, plutôt globale ou méthodologique lorsqu’elle est centrée
sur la relation entre le porteur et son projet. Une étude de Caroline Verzat et de Christelle Gaujard
en 2009 auprès de porteurs de projet inscrits dans des incubateurs abonde dans ce sens.
L’accompagnateur navigue entre ces trois postures. La première posture (technique) vise à apporter
sur une demande d’assistance et de conseil exprimée par les porteurs de projet. La seconde posture
11
Titre repris de Verzat (2009).
!66
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
(réflexive) aide à structurer la réflexion de l’accompagné, à hiérarchiser ses problèmes, à cadrer les
objectifs ou encore à préparer des rendez-vous importants. Cette posture est proche de la démarche
réflexive et critique définie par Maela Paul (2004). Elle aide à la réflexion et questionne sur
l’engagement personnel du porteur de projet et l’éventualité de rebondir sur une autre issue
que comporte la création d’entreprise. Cette posture est qualifiée d’herméneutique par Maela Paul.
Elle s’appuie sur les motivations personnelles du porteur et de l’empathie que l’accompagnateur
peut avoir pour lui.
L’année suivante, Caroline Verzat, Chrystelle Gaujard et Valérie François vont plus loin. Elles
préconisent un accompagnement des entrepreneurs adapté aux enjeux des transitions identitaires
existant entre chaque phase de vie (2010). Elles étudient quatre profils d’entrepreneurs selon leur
catégorie d’âge en s’appuyant sur les travaux de Ducheneaut, George et Orhan (1999) ainsi que sur
les travaux de Daniel Levinson (1978). Ce dernier a démontré dans un ouvrage devenu une
référence mondiale, The seasons of a man’s, qu’il existe des périodes de transition d’environ 5 ans
entrecoupées par des phases identitaires plus stables (adulte jeune, adulte d’âge moyen, adulte âgé).
Les auteurs montrent que les projets entrepreneuriaux menés lors de ces différentes transitions
identitaires mettent en avant des enjeux de redéfinition de soi spécifiques et nécessitent un dosage
adapté des postures professionnelles (fonctionnaliste, herméneutique, réflexive et critique) de la part
des accompagnateurs. Elles montrent ainsi que la finalité des structures d’accompagnement influe
sur la capacité des accompagnateurs à mobiliser correctement ces postures donc à répondre à ces
différents types de besoins.
Le choix de classer les besoins des entrepreneurs selon les classes d’âges peut être discuté. Cette
méthode de classement présente l’avantage d’être objectivement peu contestable. Par exemple si
Pierre a peu d’expérience professionnelle il sera nécessairement classé parmi les novices. Si Marie a
30 ans d’expérience professionnelle elle sera forcément classée parmi les expérimentées. En se
tenant aux recommandations des auteurs de l’étude l’accompagnement de Pierre devra s’appuyer en
grande partie sur un soutien moral (posture herméneutique). Et l’accompagnement de Marie devra
être basé principalement sur l’apport d’expertises précises (posture technique).
!67
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
Toutefois en s’appuyant sur des éléments subjectifs on peut arriver à des résultats différents. La
situation de Pierre n’est pas la même que celle de Marie. Peut-être que Pierre ne connait rien aux
études de marché, aux statut juridiques ou encore aux démarches administratives. Dans ce cas son
accompagnement vers l’entrepreneuriat devra se porter sur des éléments techniques pour lui
permettre d’avancer. Marie est peut-être une mère de famille célibataire qui doit subvenir aux
besoins de ses deux enfants. Dans ce cas il est probable que son accompagnement entrepreneurial
devra se porter sur un soutien moral pour lui permettre d’affronter la gestion d’un quotidien qui va
être bouleversé. Prendre en compte des critères subjectifs en complément des critères objectifs nous
parait indispensable pour déterminer la posture d’accompagnement la plus adaptée à chaque
situation.
Comme l’indique Brasseur (2012), étudier l’entrepreneuriat dans le parcours personnel nécessite de
prendre en compte les différentes temporalités auxquelles la personne est confrontée, et notamment
révéler un « homme enfermé dans le poids de son histoire et des normes sociales, peu maître, pour
ne pas dire moins, de son destin » (Brechet et al., 2009). Les recherches en entrepreneuriat montrent
un nombre toujours grandissant de modèles dominés par la compréhension du réel à partir d’une
d’accompagnement portent leur attention sur une dimension technique (Schmitt, Husson, 2014),
plus global. Cette recherche interroge les perceptions des personnes sur leur transition du salariat à
3. Synthèse de la section
Cette section avait vocation à développer notre première hypothèse de travail consacrée à la place
du projet dans la trajectoire professionnelle de la personne. Pour rappel la proposition énoncée est la
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Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
suivante : Le projet entrepreneurial est un moyen pour une personne de donner du sens à sa
Cette littérature a permis de placer le projet entrepreneurial dans la trajectoire professionnelle. Tout
un évènement parmi d’autres. Dans cette perspective, donner du sens à un projet entrepreneurial
suppose de le placer dans une trajectoire professionnelle qui constitue un des maillons d’un
parcours de vie. En reconstituant une trajectoire professionnelle, l’accompagnateur permettrait alors
à la personne de donner de la cohérence à son projet entrepreneurial dans une trajectoire plus
globale. Ce travail biographique semble particulièrement utile dans le cadre d’une transition
professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat. Mettre en perspective le projet dans l’histoire de la
Pour appuyer cette proposition, nous avons tout d’abord constaté que l’accompagnement
entrepreneurial fait appel à deux types de postures. La première est fonctionnaliste et se concentre
sur le projet, à travers des réponses à des questionnements techniques (construction du business
plan, élaboration du prévisionnel financier, choix du statut juridique, etc.). La seconde est davantage
herméneutique et se concentre sur la personne, à travers le sens que le projet apporte à la personne.
Sans négliger la posture fonctionnaliste, nous nous sommes concentrés sur le développement de la
seconde posture professionnelle. Nous avons fait le constat qu’une posture d’accompagnement
herméneutique est susceptible de faire appel à une combinaison d’éléments objectifs et subjectifs.
Pour étayer nos propos nous nous sommes appuyés sur des ancrages théoriques en sociologie.
trois phases composées d’un désengagement salarial, d’une phase d’entre-deux et d’une phase
!69
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
!70
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
L’accompagnement peut être envisagé selon une posture technique, c’est-à-dire celle de l’expert qui
Dans cette section, nous nous intéresserons à la posture herméneutique permettant d’accompagner
les périodes de doutes (Paul, 2004 ; Vial, Caparros-Mencacci, 2007). Ces moments peuvent
conduire à une grosse perte de confiance, du stress et la prise de mauvaises décisions. La bonne
perception des problèmes et de leurs enjeux est altérée. Pour aider la personne à traverser ces
Nous avons annoncé dans le chapitre précédemment que la phase de doute est caractéristique de la
transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat. Durant ce double processus
cadre de référence et n’a pas encore de nouveau cadre de référence. Afin de réduire les doutes, nous
allons nous appuyer sur une méthode issue des sciences sociales, l’autobiographie raisonnée
Pour accompagner les entrepreneurs durant ces périodes de doutes, Patrick Valeau, préconise un
l’estime de soi en renvoyant aux personnes une image positive d’elles-mêmes. Cette approche
permet de relativiser les difficultés et les erreurs de parcours. L’auteur rappelle que le projet et
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Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
(1999) et Valeau (2001), le projet d’entreprise est très lié au projet individuel. Dans ce sens,
nous pensons que l’accompagnement passe par une approche plus globale de la personne
L’échantillon étudié par l’auteur est celui des personnes accompagnées par l’ADIE (Association
pour le Droit à l’Initiative Economique), qui prend en charge les personnes éloignées de l’emploi.
L’auteur démontre que l’efficacité de la relation avec l’accompagnateur est très liée aux difficultés
dimensions techniques que dans ses dimensions affectives. Si ces difficultés personnelles se
combinent à une réduction des perspectives économiques du projet, l’engagement dans le projet est
remis en question.
« Le problème est que c’est précisément dans ces moments de doute, lorsque l’accompagnement
psychologique est utile, voire nécessaire, qu’il devient plus compliqué à prodiguer. La relation
sont mauvaises, plus les entrepreneurs doutent, plus la relation leur semble inefficace, plus elle
devient effectivement inefficace, plus les performances se détériorent. Dans ce contexte, les
accompagnateurs risquent, s’ils n’y prennent garde, d’alimenter ce processus de dégradation soit
Les périodes de doutes débouchant généralement sur des décisions importantes (poursuite du projet
cette période. Mettre en perspective les difficultés auxquelles est confrontée la personne avec celles
d’autres porteurs de projet est une piste intéressante. Cela renforce le caractère « normal » des
difficultés. L’auteur montre que les personnes qui ont d’autres entrepreneurs dans leur entourage
affrontent mieux les difficultés. Dans cette perspective, le mentorat semble être une pratique
d’accompagnement efficace pour faciliter les transitions professionnelles en répondant à des
!72
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
Le mentorat
l’entrepreneur durant les périodes de doutes et d'incertitudes. Le mentorat est une relation de
soutien, de confiance et d’accompagnement. Il défini comme une pratique qui aide une personne
accompagnée à faire des choix informels et à persévérer face aux difficultés (St-Jean, 2011 ; St-
Jean, Audet, 2012, 2013 ; St-Jean, Mathieu, 2015). Plus communément, un mentor est un terme
usuel pour désigner un conseiller, un guide, un professeur ou encore un sage. Il aide son protégé à
passer des étapes importantes.
L’origine du mot vient de la mythologie grecque. Mentor est le précepteur de Télémaque, fils
cinéma. Il accompagne le personnage principal dans sa quête et l’aide à surmonter les épreuves. Les
obstacles à franchir sont souvent ritualisés et les symboles sont très répandus. Dans la saga Star
Wars, Yoda est le mentor de Luke Skywalker. Il va l’aider à maîtriser la Force (Episode V)
symbolisé notamment par le sabre laser. Dans la trilogie Matrix, Morpheus est le mentor de Neo. Il
va l’aider à lui faire découvrir la Matrice (Episode 1). Une scène symbolise le choix à faire entre
connaître la vérité ou vivre dans le mensonge à travers une pilule bleue ou une pilule rouge. Dans
Le Seigneur des anneaux, Gandalf est le mentor de Frodon et de ses amis. Il va les aider à traverser
la Terre du Milieu pour vaincre Sauron en brûlant un anneau, représentation hautement symbolique.
Dans Harry Potter, Dumbledore est le mentor de Harry. Il va l’aider à prendre confiance en lui afin
de vaincre Voldemort. La baguette est l’un des nombreux symboles présents dans la saga.
Le mentorat est une pratique très répandue en entrepreneuriat. Il consiste à jumeler un entrepreneur
novice avec un entrepreneur expérimenté. Ce dernier lui offre des conseils et des pistes de réflexion
visant à lui éviter des erreurs coûteuses voire fatales. Plusieurs initiatives ont montré que le
mentorat est particulièrement efficace pour réduire les doutes de la personne accompagnée durant
les périodes difficiles (Saint-Jean, Jacquemin, 2012), augmente ses compétences (Radu Lefebvre,
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Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
ne dépend pas du volume des compétences mais réside dans la conviction que telle compétence est
plus efficace qu’une autre dans telle situation (Saint-Jean, 2015). Selon l’objectif à atteindre que se
fixe la personne accompagnée, le rôle du mentor ne sera pas le même. Si la personne accompagnée
se fixe un objectif assez bas (dans le cas d’un manque de confiance en elle-même par exemple), elle
va davantage chercher à être rassurée dans ses actes. A l’inverse si ses objectifs sont élevés, elle va
davantage chercher à être stimulée (St-Jean, Radu Lefebvre, Mathieu, 2017). Les personnes qui
croient en leurs capacités perçoivent les tâches à accomplir comme des défis plutôt que comme des
doit agir en tant que compétitrice. Le mentor permet aussi de retenir une motivation excessive qui
peut conduire la personne accompagnée dans le mur. Des études ont démontré qu’un optimiste trop
intense de la part des entrepreneurs a des effets négatifs sur leur activité (Lowe, Ziedonis, 2006).
l’entrepreneurship. Connu sous le nom de Réseau M, il compte plus de 1500 mentors actifs et
affiche plus de 10 000 entrepreneurs accompagnés à ce jour. En France de grands réseaux nationaux
utilisent également cette forme d’accompagnement. Dominique Restino est l’un de ses pionniers.
Ancien chef d’entreprise, il est élu à la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris en 2004. Il
découvre le Réseau M lors d’une mission au Québec. Conquis par cette nouvelle forme
d’accompagnement, il créé en France l’Institut du Mentorat Entrepreneurial puis le Moovjee avec
Bénédicte Sanson en 2009. Alors que le premier réseau se focalise sur l’accompagnement
d’entreprises en croissance portées le plus souvent par des entrepreneurs expérimentés, le second se
porte sur des jeunes entrepreneurs pour la plupart encore étudiants.
Pour Bénédicte Sanson, secrétaire générale du Moovjee, la notion d’égalité est au coeur des
échanges. « On a créé une communauté où ils arrivent tous sur un pied d’égalité, autant le
plombier que la super boîte techno » (Verzat, 2017:74). Le mentor ne donne pas de leçons au jeune
entrepreneur. « Il ne peut être ni client, ni fournisseur et n’a pas le droit d’investir dans la société
qu’il accompagne » (Verzat, 2017:76). Son rôle est plutôt d’aider le jeune entrepreneur à prendre du
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Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
« Ensuite il pourra aider le jeune à mettre ces conseils en perspective compte tenu de son
parcours que l’expert n’a pas le temps d’écouter. Il va réfléchir avec lui aux implications dans
son cas personnel. Le but est que le jeune garde son cap, qu’il se sente bien dans la voie qu’il
aura lui-même choisi. Parce que c’est très difficile de ne pas se laisser influencer par les conseils
Le processus mentoral se déploie sur trois phases (Houde, 1991:129) avec un commencement, un
déroulement et un dénouement. C’est dans la première que s’instaure la relation de confiance. La
relation est souvent déséquilibrée avec un mentor qui prodigue son expérience à une personne qui
l’écoute. La seconde phase est synonyme de changements (de regards, d’attitudes, de compétences).
La relation se trouve modifiée tendant vers une relation davantage équilibrée entre le mentor et
l’accompagné. La troisième phase signe la fin de la relation. L’objectif est que le protégé puisse
voler de ses propres ailes. Pour l’auteure le mentorat joue un rôle central dans les phénomènes de
Le mentorat peut conduire la personne accompagnée à s’orienter vers une carrière salariée plutôt
qu’entrepreneuriale (Saint-Jean, Mathieu, 2015). Pour arriver à cette conclusion, l’auteur s’appuie
sur la théorie de la carrière cognitive sociale (SCCT) (Lent, Brown, Hackett, 2002) et notamment
du rôle central que joue l’auto-efficacité dans cette théorie (Lent et al., 2002). Puisqu’il a été
démontré que le développement de l’auto-efficacité chez les salariés contribue à augmenter leur
intention de rester dans leur profession (McNatt, Judge, 2008), l’auteur s’interroge s’il n’en est pas
de même pour les entrepreneurs. Son étude porte sur 360 participants (mentors et mentorés)
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Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
personne accompagnée. Ces bénéfices peuvent la conduire à se dire qu’elle aurait davantage de
succès dans une carrière salariée. Rappelons que le mentorat permet de travailler avant tout sur
l’épanouissement et la réussite professionnelle de la personne accompagnée plutôt que sur la
réussite commerciale et financière de son projet. Dans le modèle d’accompagnement tel qu’il est
promu par la Fondation de l’entrepreneuriat, le mentor ne doit pas avoir d’intérêt dans le projet du
mentoré (financier, commercial, juridique…), il ne doit pas trouver des solutions à la place du
mentoré mais plutôt être à ses côtés afin de l’aider à trouver suffisamment de ressources pour
surmonter les difficultés. Si à l’issu de l’accompagnement, le mentoré estime avoir une chance
limitée de succès dans son projet mais qu’il a renforcé ses compétences, son estime et sa confiance
en soi, il n’est pas surprenant qu’il opte pour une carrière salariée s’il l’a perçoit comme étant plus
bénéfique à sa réussite.
En résumé, le mentorat exerce trois fonctions principales envers son protégé (Saint-Jean, 2011). La
première est reliée à la carrière. Le mentor est un facilitateur pour permettre l’intégration de son
protégé dans certains réseaux, pour lui apporter des informations utiles, le confronter à ses idées ou
l’aider à résoudre des problèmes. La seconde fonction est psychologique. Le mentor aide son
protégé à prendre du recul, le sécurise dans des moments difficiles, l’encourage et devient parfois
un confident. La troisième fonction porte sur le modèle de rôle. Le mentor devient une source
La théorie de la comparaison sociale (Festinger, 1954) suggère que les personnes ont tendance à se
comparer les unes aux autres pour évaluer leurs propres compétences et opinions. Plus les
personnes auxquelles elles se comparent se rapprochent d’un modèle de rôle, plus l’impact de la
comparaison est forte (Bandura, 1977). La comparaison peut s’effectuer à travers l’âge, le genre ou
encore l’expérience professionnelle (Wheeler, Petty et Bizer, 2005) ou encore les valeurs et les
Plusieurs auteurs ont démontré que les modèles de rôles ont un rôle central dans le choix d’une
carrière entrepreneuriale (Bosma et al., 2011 ; Douglas et Sheperd, 2001 ; Gibson, 2004 ;
!76
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
comportement positif (Scott, Twomey, 1988). La comparaison à des modèles de rôles permet de
développer des attentes similaires dans des contextes similaires (Wood et Bandura, 1989). Cela
accomplir avec succès une certaine action en vue d’atteindre un certain objectif (Radu, Loué, 2007,
2012). Plusieurs expérimentations ont été menées auprès de 276 étudiants en école de commerce.
Les résultats révèlent que l’exposition à des modèles d’entrepreneurs qu’ils soient de réussite ou
antérieure sont élevées et moins le récepteur est touché par le message véhiculé par le modèle de
rôle. Ainsi les personnes ayant une forte estime d’elle-même et une croyance en leur capacité à
maîtriser leur avenir sont moins influencées par les modèles externe. A l’inverse les personnes ayant
une faible estime d’elle-même et une plus faible expérience sont plus influencées par les modèles
Avoir déjà l’expérience entrepreneuriale aide à développer des routines qui facilitent le
(re)engagement entrepreneurial (Ouellette et Wood, 1998). L’exposition à des modèles de rôles
génère des émotions qui peuvent aider les personnes à faire face au stress et à l’anxiété (Boyd et
Vozikis, 1994). Les doutes s’en trouve par conséquent réduits. Connaître un entrepreneur qui a
connu des moments de doutes permet de relativiser les difficultés et les erreurs de parcours (Valeau,
2006, 2012). Il existe ainsi un lien direct entre l’expérience passée, les modèles de rôles et
Dans les moments de doute, il peut être utile d’éclairer le chemin à parcourir. Comme un voyageur
perdu au milieu de la nuit, des lumières parsemées ici et là sur son chemin peuvent l’aider à ne pas
faire demi-tour. Pour le sociologue Norbert Alter il faut croire à la bienveillance des autres12 qui
apportent un soutien désintéressé aux porteurs de projets (2012:175-186). Ils peuvent être issus de
12
Le terme de « fées » sera utilisé par la suite (Verzat, 2014)
!77
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
leur entourage qui vont agir par amour ou par amitié (conjoint, parents, enfants, professeur, etc.). Ils
peuvent être également des inconnus qui vont se satisfaire d’aider autrui (policier, passant,
voyageur, voisin, etc.). Leur geste n’est pas contraint par les coutumes ou par les normes
dominantes.
L’auteur mobilise ce concept dans le cadre d’une étude sur les patrons atypiques (handicapés,
homosexuels, immigrés, etc.). S’ils ont réussi à devenir entrepreneurs c’est parce qu’ils ont su créer
des liens, devenir des passeurs entre leurs univers professionnels et personnels. Les « fées » sont
souvent des proches (parents, conjoint, professeur) qui ont envers la personne en transition une
posture bienveillante et de main-tendue. L’échange de ces personnes est basé sur du donnant-
donnant. A donne à B qui, en retour donne à C, etc. « Pour eux, de telles choses ont tant de valeur
qu’ils donnent à leur tour ce qu’ils ont reçu, de préférence à des gens qui en ont plus besoin que
d’autres. De ce point de vue, on dit souvent qu’ils ont une fibre sociale ». Ils permettent à la
humaines pour réussir à entrer dans une nouvelle phase de sa vie. Les « fées » permettent de
qualifier les actions de soutien et de protection d’individus croisant la trajectoire des porteurs de
projets. Ces relations sont souvent entretenues par des personnes qui acceptent de se libérer de leur
rôle pour accompagner une personne afin de lui éclairer le chemin. C’est par exemple l’épouse d’un
entrepreneur qui, pour faire vivre le foyer pendant des années difficiles, va accepter un travail
contraignant. C’est le professeur de karaté qui va lui faire rencontrer des gens qui comptent. C’est
un ami qui va l’héberger pendant que son logement est loué pour qu’il puisse se faire un peu
d’argent.
Proche du concept d’Alter (2014), Bernard et Barbosa (2016) mentionnent l’importance des tuteurs
résilience renvoie à celle de soutien social, de main tendue, de bienveillance, de lien social ». La
personne a besoin de « nourritures affectives » (Cyrulnik, 2000) pour l’aider à s’engager dans une
nouvelle phase de sa vie. Les tuteurs de résilience sont donc tout naturellement constitués d’abord
des membres de la famille, ceux avec qui la personne développe un lien affectif fort. Il s’agit des
personnes qui connaissent les points forts mais aussi les faiblesses du futur entrepreneur. Ce rôle de
bienveillance est également identifié par Cusin (2012) dans ses travaux portant sur les conseillers en
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Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
lui et à élaborer une feuille de route dans son processus de transition professionnelle. En revanche il
a plus de difficultés à favoriser un apprentissage par l’échec en raison de sa posture de neutralité
Synthèse
Les mentors, les modèles ou les fées aident l’entrepreneur à passer les moments de doute. Ces relais
contribuent à donner des points de repères aux porteurs de projet. Ils critiquent et remettent en
question. Ils sont des soutiens utiles en cas d’erreurs et d’incertitudes. Ils aident le porteur de projet
à sortir d’une situation passive et l’amener à se débrouiller par lui-même. Ces soutiens consistent à
occuper la fonction de « passeur ». Ils permettent au porteur de projet de passer d’une rive à une
autre. Ils contribuent à la transmission d’une histoire, d’une vision ou de pratiques. Leurs rôles
son épanouissement. Ces soutiens font d’eux des partenaires transitionnels. La personne
accompagnée peut parler de ce qui la préoccupe réellement sans appréhender sanctions, promotions
ou récompenses. Par empathie et soutien, ils favorisent le développement des apprentissages
nécessaires pour surmonter les obstacles de la période de transition. Ils constituent des moyens
Mais ils ne sont pas toujours efficaces pour provoquer un changement profond. Leur pouvoir
persuasif peut être limité et ils peuvent être démunis face aux questionnements existentiels de
l’entrepreneur. Leur intervention peut être contre productive s’ils adoptent une posture d’expert
alors que la demande de l’entrepreneur relève de l’émotionnel. L’accompagnateur est rarement
formé à gérer la charge émotionnelle que provoque le développement d’un projet. Il peut se sentir
dépourvu lorsqu’il s’agit d’aider le porteur de projet en période de doute. La plupart des méthodes
d’accompagnement répondent à des questionnements techniques, elles participent avant tout à la
souvent comme un réparateur, il se concentre sur une posture d’expert. Il semble que ce soit
davantage une posture de facilitateur qui aide à réduire le doute lorsqu’il touche à la dimension
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Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
émotionnelle ou psychologique. L’autobiographie raisonnée est une méthode qui va dans ce sens.
Elle n’a encore jamais été présentée dans le cadre d’un accompagnement d’entrepreneur.
2. L’autobiographie raisonnée
L’autobiographie raisonnée a été conçue par le sociologue Henri Desroche au cours des années 70
dont les trois tomes d’Apprentissage expriment l’essentiel13. Bien que Desroche soit considéré à
juste titre comme le père fondateur de la démarche, il n’a jamais pris la peine de la transmettre au
cours de sa carrière. Cette technique d’entretien est utilisée dans les formations du Centre
d’Economie Sociale (CESTES) sous la direction de Jean-Francois Draperi au CNAM. Depuis elle
L’autobiographie raisonnée permet de tisser des liens dans l’histoire de la personne en vue de
l’aider à construire son avenir. Comme le formule Jean-François Draperi (2016:43) « L’objectif de
l’entretien autobiographique est de permettre à une personne de faire un bilan de son parcours
Le lieu de l’entretien est important. Il doit permettre une expression libre pour la personne - projet
et favoriser une posture de recherche orientée uniquement vers les faits pour la personne -
ressource. « Idéalement il s’agit d’un lieu neutre pour les deux personnes. Sont particulièrement à
éviter le lieu de travail et le lieu de vie » (Draperi, 2016). Ces deux lieux peuvent comporter des
éléments affectifs qui peuvent orienter le discours de la personne - ressource. Par exemple un salarié
en conflit avec son employeur sera davantage enclin à évoquer les origines de ce conflit et donc sa
motivation à entreprendre dans un autre endroit que son lieu de travail. Tout comme une femme
ayant subi la perte de son mari ne souhaitera pas aborder son parcours de vie dans un lieu de vie
rempli d’émotions.
13 Desroche, H. (1971), « Apprentissage 1, sciences sociales et éducation permanente », Les Editions Ouvrières ; Des-
roche, H. (1978), « Apprentissage 2, éducation permanente et créativités solidaires : Lettres ouvertes sur une utopie hors
les murs », Les Editions Ouvrières ; Desroche, H. (1990), « Apprentissage 3, entreprendre d’apprendre : D’une autobio-
graphie raisonnée aux projets d’une recherche-action, Les Editions Ouvrières
!80
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
(personne-projet). Il se déroule en trois étapes. D’abord l’entretien est exercé en binôme. Ensuite le
parcours est rédigé en solitaire par la personne-projet. Enfin la présentation de son parcours et la
embauche, voyage, bénévolat, etc.). L’accompagnateur écoute et prend des notes. Il peut s’aider
d’un support papier appelé bioscopie (tableau 5). Ce support se compose de cinq colonnes. La
première permet de noter les dates. Les quatre autres permettent de réunir les informations relatives
aux études formelles, aux études non formelles, aux activités sociales et aux activités
professionnelles. Il s’agit pour l’accompagné d’exprimer des faits éducatifs et sociaux et non des
sentiments.
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Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
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Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
Formations « sur
le tas »
Voyages d’études
Colloques,
congrès
Cours par
correspondance
Lectures
spécialisées
Tableau 5 : Bioscopie
Adapté de Desroche (1990:54)
!
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Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
Le cadrage chronologique ligne par ligne et le système de colonnes ne laissent pas de place à la
transcription des commentaires que ne manque pas de faire la personne accompagnée. C’est
l’information brute qui est privilégiée, c’est-à-dire l’inscription dans le temps, et non
l’interprétation. Il ne s’agit pas d’expliquer les raisons qui poussent la personne à faire tel ou tel
choix mais plutôt de procéder à un inventaire exhaustif de son activité dans le champ éducatif,
social et professionnel pour y repérer, discerner, corréler propensions, virtualités, potentiels,
pencher sur les autres aspects de la vie sociale comme le précise Jean-François Draperi « Il arrive
qu’au bout de quinze ou vingt minutes, l’entretien semble presque terminé. En fait, il ne
commencera véritablement que lorsque la personne-projet évoquera ce qu’elle a fait à l’extérieur de
l’école à l’époque des classes élémentaires ou secondaires : quelles activités associatives, sportives,
artistiques, collectives, quels stages, expériences de travail, voyages… » (2016:59). Ce sont souvent
ces activités sociales qui vont permettre de tisser des liens dans le parcours de vie de la personne.
A la fin de l’entretien, l’accompagnateur aide à tisser des fils conducteurs. En lecture verticale les
grands thèmes sont repris en suivant l’historicité. En lecture horizontale cela permet d’identifier des
évènements marquants ayant eu des répercussions sur plusieurs sphères sociales ou sur plusieurs
années. Une situation, une personne ou un lieu peuvent avoir une influence dans le parcours. Cela
Une fois l’entretien terminé, le support papier est remis à l’accompagné afin qu’il rédige une notice
de parcours. C’est un document écrit permettant de comprendre la cohérence du parcours. Elle peut
Deux ou trois mois plus tard, l’accompagné restitue oralement sa notice de parcours à un petit
groupe. Les membres du groupe ont tous rédigé leur propre notice. Soumettre son parcours et le
sens qu’on lui donne à autrui doit être anticipé. La personne peut ne pas délivrer tout ce qu’il a
découvert lors de l’entretien. Les croisements de regards dans un esprit de bienveillance permettent
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Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
L’autobiographie raisonnée permet de tisser des liens entre les activités sociales, sportives,
culturelles, économiques que la personne - projet a effectuées auparavant. L’exercice permet de se
rappeler le plus précisément possible de ces activités. Cette remémoration permet de ressaisir
l’essentiel de sa vie sociale. Elle met au jour une cohérence sociale dans le parcours de la personne.
Elle donne ainsi accès à la compréhension des ressorts de sa propre vie sur les plans de l’orientation
scolaire, de la vie professionnelle et des activités sociales. Enfin, elle fait ressortir des compétences
autres que scolaires et professionnelles. Alors qu’un entretien professionnel favorise l’expression
des formations formelles (diplômes, certificats, etc.) et des activités professionnelles (emplois,
activités indépendantes, etc.), cette technique permet de valoriser les formations non formelles
(effectuées en dehors de tout cadre académique et/ou non sanctionnées par une reconnaissance
officielle) et les activités sociales (associations, clubs, etc.).
Le rôle de la personne - ressource est de donner du sens aux faits exprimés en tentant d’établir des
séries ayant une cohérence et en tâchant de ne pas avoir d’a priori dans leur logique. On peut
s’attacher à créer du sens au travers une lecture thématique (formations formelles, activités sociales,
etc.) ou une lecture transversale (temporelle, années par années). La personne - projet peut s’aider
du support papier (la bioscopie) et de stylos de différentes couleurs si elle le souhaite. Il s’agit de
relier les faits entre eux, dessinant un « canevas » (Desroche, 1990). Ce travail permet de dessiner
visuellement un fil rouge dans le parcours de la personne - projet.
« Ces fils conducteurs s’expriment à travers des mots. Ces mots désignent des activités sociales -
culturelles, sportives, amicales, économiques - qui se répètent, une sensibilité à des publics ou à des
thèmes, une posture professionnelle, un engagement militant, etc. Chacun des termes est potentiellement
un fil conducteur ou peut servir à dégager un fil rouge structurant un parcours ». (Draperi, 2016:61-62)
Les liens proposés par la personne - ressource ont pour rôle d’aider la personne - projet à donner du
sens à son parcours. Certains fils conducteurs peuvent correspondre à une activité professionnelle
pratiquée depuis de nombreuses années que la personne - projet souhaite désormais effectuer de
manière indépendante. D’autres liens peuvent correspondre à des pratiques sociales qui apportent de
!85
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
la cohérence au projet. Un fil rouge peut aussi être établi de façon plus abstraite à l’aide de la
sensibilité de la personne - projet qui peut s’exprimer par un comportement, un certaine vision de
la société ou un mode de vie.
Cela donne du sens au projet. Les personnes interrogées ont accumulé une succession d’activités
professionnelles, sociales et scolaires. La simple énonciation des faits ne permet pas toujours de
valoriser les expérience, ni de les relier. Avec la méthode de l’autobiographie raisonnée, de l’aide de
signification globale. Le parcours personnel et professionnel est porteur d’un nouveau sens qui va
alimenter le projet et lui donner une direction. Il permet de placer le projet dans un parcours, d’en
3. Synthèse de la section
Cette section avait vocation à développer notre seconde hypothèse de travail consacrée à la
réduction des doutes et des incertitudes dans le cas d’une transition professionnelle du salariat à
Pour appuyer cette proposition, nous nous sommes concentrés sur la posture herméneutique. Nous
l’avons illustrée par une méthode d’accompagnement qui a fait ses preuves en entrepreneuriat,
notamment au Québec et en France : le mentorat. Le mentor contribue à donner des points de
repères à la personne accompagnée. Il critique et remet en question. Il est un soutien utile en cas
d’erreurs et de doutes. Il aide à sortir d’une situation passive et engage la personne accompagnée à
se débrouiller par elle-même. Il occupe une fonction de passeur dans le sens où il permet de passer
d’une rive à une autre, c’est-à-dire d’un statut professionnel à un autre. Il participe à réduire le
doute de l’entrepreneur.
!86
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
Le mentorat est une des rares pratiques d’accompagnement où la posture de l’accompagnateur peut-
méthode issue des sciences sociales, l’autobiographie raisonnée, qui peut être un outil au service de
l’accompagnateur qui souhaite développer sa posture herméneutique. Cette méthode a fait ses
preuves depuis de nombreuses années dans le champ de l’insertion professionnelle mais n’a encore
jamais été étudiée au travers une application dans le champ de l’entrepreneuriat en particulier.
professionnelle comme une autre. Les fils conducteurs extraits contribuent à donner de la cohérence
au projet entrepreneurial en l’intégrant dans un parcours de vie. A travers la dynamique de la
méthode, la personne va être amenée à énoncer son parcours, réfléchir à ses fils conducteurs puis
transmettre son projet à la lumière de ses expériences passées et des actions à venir. Cette méthode
semble être une piste intéressante pour donner du sens au projet entrepreneurial.
Pour rappel, la transition professionnelle du salariat vers l’entrepreneuriat est un double processus,
trois phases composées d’un désengagement salarial, d’une phase d’entre-deux et d’une phase
d’engagement entrepreneurial. A la fin du processus de transition professionnelle du salariat à
prend de nouvelles habitudes. La personne a rompu la majorité de ses liens avec sa précédente
activité. Elle se sent désormais plus proche d’une nouvelle communauté de travail au sein de
Il semble que les processus rituels aient un rôle à jouer dans ce passage d’un statut professionnel à
un autre. Le rite est une pratique qui sépare un état social d’un autre état social. Il comporte une
forte portée symbolique. Le rite permet de renforcer les liens des membres d’un groupe social. Il
permet également de séparer les initiés du reste de la société, tout autant de distinguer le groupe de
la Société. Nous suggérons que l’accompagnateur peut s’aider des pratiques rituelles pour permettre
!87
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
une nouvelle communauté. Pour développer cette troisième hypothèse nous allons nous aider de la
sociologie pour comprendre la fonction et le rôle des pratiques rituelles en entrepreneuriat.
!88
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
Dans la section précédente nous avons développé la notion de doute. En transition professionnelle
du salariat à l’entrepreneuriat, la personne est en train de se séparer de son ancien cadre de
référence et n’a pas encore de nouveau cadre de référence. Le doute est particulièrement important
posture technique alors que la période de doute demande souvent une posture psychologique. Pour
répondre à cette problématique nous nous sommes penchés sur une méthode d’accompagnement
issue des sciences sociales, l’autobiographie raisonnée. Elle semble être une méthode efficace pour
tisser des fils conducteurs dans le projet entrepreneurial et permettre au porteur de donner du sens à
Il s’agit désormais pour l’accompagnateur d’aider la personne accompagnée à s’insérer dans une
peu à peu changer de culture professionnelle ce qui implique une évolution de ses représentations,
de ses normes et de ses valeurs (Sainsaulieu, 1977). Norbert Alter s’appuie sur les travaux d’Alfred
Schutz (1944) pour comprendre le déplacement d’un milieu social à un autre. Sociologue autrichien
contraint de fuir son pays, les travaux de Schutz s’inscrivent dans la continuité de ceux de Simmel
(1911) portant sur la figure de l’étranger. A la différence que l’étranger de Schutz abandonne ses
modèles culturels et assimile ceux de son groupe d’accueil. L’auteur cherche à étudier la situation
dans laquelle se trouve l’étranger lorsqu’il s’efforce d’interpréter le monde culturel du nouveau
groupe social qu’il aborde et de s’orienter en son sein. Ainsi « parler une langue ne signifie pas
qu’on l’a comprend, car les expressions verbales sont connotées par une manière de dire les choses
ainsi que par des idiomes qui créent un code réservé aux natifs. On acquiert ainsi progressivement,
sans même en avoir conscience, les représentations adaptées à la vie collective ; par exemple la
distinction entre l’autorité réelle et l’autorité formelle d’un hiérarchique » (Alter, 2012:50).
!89
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
Pour acquérir le « langage » de son nouveau groupe social, nous avons vu dans la section
précédente que le mentorat facilite l’intégration de la personne accompagnée dans une nouvelle
communauté (St-Jean, 2011 ; St-Jean, Mathieu, 2015 ; St-Jean, Radu Lefebvre, Mathieu, 2017).
Dans cette section nous allons approfondir la notion de rite. En effet le processus de transition est
un processus ritualisé (Van Gennep, 1909), les rites sont utiles pour marquer la différence entre des
communautés (Douglas, 1973 ; Bourdieu, 1982), permettent d’acquérir un nouveau rôle dans un
groupe social (Myerhoff, 1984) et sont utiles pour être perçu comme légitime dans un groupe
(Turner, 1969 ; Turner et Haslam, 2001 ; Bourdieu, 1982). Pour présenter le rôles des pratiques
rituelles dans le processus de transition, nous allons mobiliser un champ connexe à la sociologie,
celui de l’ethnologie.
Après avoir présenté les courants de pensées autour du rite, nous allons appliquer cette notion au
champ de l’entrepreneuriat.
En 1909, l’ethnologue Arnold Van Gennep publie Les Rites de passage et provoque à cette occasion
un petit séisme académique. Il rompt avec une approche traditionnelle du phénomène rituel qui
l’associe aux pratiques religieuses. Il analyse un très grand nombre de rites liées aux étapes de la vie
(naissance, enfance, etc.), aux voyages, aux pratiques sexuelles, aux salutations, aux saisons ou
encore aux sociétés secrètes. Il propose une séquence en trois étapes avec une phase de séparation
avec un état antérieur ou avec un groupe (préliminaire), une phase intermédiaire où la personne doit
subir des épreuves (liminaire), et une phase d’agrégation dans un état nouveau ou un nouveau
groupe (postliminaire).
« C’est le fait même de vivre qui nécessite les passages successifs d’une société spéciale à une
autre et d’une situation sociale à une autre : en sorte que la vie individuelle consiste en une
succession d’étapes dont les fins et les commencements forment des ensembles du même ordre :
d’occupation, mort. Et à chacun de ces ensembles se rapportent des cérémonies dont l’objet est
!90
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
identique : faire passer l’individu d’une situation déterminée à une autre situation tout aussi
déterminée » (1909:4)
L’ensemble de son ouvrage est une étude de cette séquence en trois phases appliqué un très grand
nombre de rites, remanié à la métaphore du franchissement d’un seuil. Liminaire vient en effet du
latin limen qui signifie seuil, porte, barrière, ligne de démarcation. Van Gennep consacre tout un
chapitre au franchissement au sens propre comme au sens figuré. Il y décrit le sens du passage qui
s’inscrit dans une dimension du profane au sacré. Précisément la porte est une représentation
matérielle et symbolique du passage d’un état à un autre. Aussi est-ce un acte important dans
certaines cérémonies, notamment religieuses (mariages, funérailles…) mais pas seulement. Le rite a
un versant concret, matériel et un versant métaphorique. Le seuil est le lieu où se fait le basculement
entre un avant et un après, entre le profane et l’initié. Le sociologue Bourdieu va plus loin dans Le
sens pratique, « les périodes de transition ont toutes les propriétés du seuil, sorte de limite sacrée
entre deux espaces » (1982:64). L’auteur précise que le seuil est le lieu où les contraires se
rencontrent et s’affrontent. Le rite devient alors une opération socialement approuvée et assumée de
La description des différentes phases de Van Gennep s’accompagne de la description des rites et
notamment de leur représentation symbolique. Ainsi la phase intermédiaire, celle de la marge, peut
être symbolisée de diverses manières comme un échange de cadeaux, un isolement ou des anneaux
de mariage par exemple. Cette séquence est plus ou moins marquée selon le pays ou le groupe.
L’auteur avait perçu la puissance symbolique du passage. C’est pourquoi il en fit le pivot de son
analyse. Les rites de passage vont ainsi mettre en lumière le jeu symbolique qui, dans les sociétés
traditionnelles, permettent de passer d’un lieu à un autre, d’une saison à une autre, d’un âge à un
autre, d’un statut social à un autre. Ils mettent en scène des conceptions cycliques et circulaires de
La seconde phase décrite par Van Gennep sera approfondie par William Turner (1969).
L’anthropologue va faire une analyse approfondie du groupe lors d’une phase qu’il nomme
communitas qu’il décrit dans son livre The Ritual Process publié en 1969 et traduit en français sous
le titre Le Phénomène rituel en 1990. Durant cette phase les relations sociales deviennent
!91
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
homogènes. Le rituel est un élément fédérateur dans la constitution d’une communauté. Les rites
annulent les distances entre les participants. La personne oublie ses attributs sociaux et chacun est
dans une condition de stricte égalité. La communitas devient une façon de se lier les uns aux autres
d’une façon informelle ou non-structurée ou encore avec une structure souple qui se forme au fur et
Bourdieu (1982) porte sont attention sur la notion de rite d’institution. Il permet « d’instituer une
différence durable entre ceux que ce rite concerne et ceux qu’il ne concerne pas » (p. 58). Le rite
n’a pas seulement vocation à séparer ceux qui l’ont subi (les initiés) de ceux qui ne l’ont pas subi
(les profanes). Il permet également de séparer ceux qui peuvent le subir de ceux qui ne le peuvent
pas. Le rite permet de transformer les représentations de la personne qui le subit, tout autant de ceux
qui peuvent le subir. Les rituels établissent une frontière entre deux groupes. Le premier groupe est
constitué de ceux qui sont susceptibles de subir les rites. Le second groupe correspond au reste du
monde social. Ainsi le rite est aussi un acte de communication. Il permet de notifier à quelqu’un son
rite renforce les limites du groupe social. Il permet de faire une séparation entre les élus et les
Pour Durkheim (1912), les rites sont des règles de conduite qui prescrivent comment la personne
doit se comporter. Les rites sont des manières d’agir qui ne prennent naissance qu’au sein des
groupes assemblés et qui sont destinés à susciter, à entretenir ou à faire renaître une cohésion dans
le groupe. Certains rituels ont pour effet de renforcer les sentiments d’appartenance collective et de
dépendance à une institution. Les rites ont pout but de rattacher l’individu à une communauté. Le
rite est indissociable du sacré. Il permet de séparer l’initié du profane. Pour l’auteur le rite est un
moyen pour établir une forme d’autorité et d’ordre dans une communauté. A travers le rituel les
personnes se trouvent confrontées à quelque chose qui les dépasse. Le rituel met en mouvement les
personnes et les rapproche. Avec Durkheim, le rituel représente un monde en rupture avec la vie
quotidienne. Le rituel a une fonction de canalisation des émotions, une fonction de communication
!92
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
et de médiation avec une puissance supérieure et une fonction de communication avec les individus
d’un groupe. Dans cette perspective, le rituel est associé à une forte charge symbolique.
Pour le sociologue Erwin Goffman (1974) le rite est une forme d’activité sociale caractérisée par
son efficacité symbolique. Mais contrairement à Durkheim, l’auteur place le rite dans des situations
de la vie quotidienne qui exercent sur les individus des contraintes aussi fortes que dans les
cérémonies religieuses. Pour l’auteur aucune société ne saurait se passer de ce qu’il appelle des rites
d’interactions, c’est-à-dire des activités codifiées répétitives et structurées ayant des fonctions de
partie de ces rites. L’existence de pratiques ritualisées confère à la vie sociale et aux individus un
cadre et des points de repères collectifs, un système relationnel identifiable, c’est-à-dire des
structures plus consistantes. Pour l’auteur le rite est défini en ces termes.
« Le rituel est un acte formel et conventionnalisé par lequel un individu manifeste son respect et
(Goffman, 1974:73)
Pour la sociologue Patricia Keimeul (2007) un rite de passage est une cérémonie marquant le fait
qu’une personne passe d’un rôle, d’une phase de sa vie ou d’un statut social à un autre. Le rite
marque une volonté d’inscription, par-delà la subjectivité singulière et la sphère privée, dans un
tissu social plus large. Selon cette sociologue, on retrouve des lieux communs aux rites comme un
caractère répétitif et un cérémonial codifié souvent imposé par le groupe social. Ainsi, par rapport
aux sociétés traditionnelles, les rites perdent de plus en plus leur portée sacrée. Ils peuvent être
présents dans les manifestations sportives (le chant de l’hymne national avant de commencer un
match), les commémorations nationales (les accolades lors du passage à la nouvelle année) ou la
Les rites n’apparaissent plus comme des dispositifs symboliques, mais plutôt comme des formes
d’expressions des sociétés modernes, des activités sociales et des différents groupes. Pour
l’ethnologue Pierre Centilvres (2000) les rites et leur portée symbolique d’aujourd’hui sont plutôt
!93
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
révélateurs des évolutions sociales et des rapports entre les individus. Il contribuent à distinguer les
différences sociales, l’accès à un rang ou à un statut. Les rites communiquent un message largement
accepté par le groupe social dominant. Ils touchent à une autorité, à une relation de pouvoir et
permettent de distinguer les différences qui divisent et rassemblent les membres d’une
communauté. Le terme est passé dans le langage courant. On ne s’étonne pas qu’aujourd’hui le rite
de passage soit utilisé pour désigner des pratiques sociales aussi diverses que le bizutage, le code de
A travers les rites d’institution, Bourdieu interpelle sur la manière dont les communautés classent,
distinguent et différencient entre-elles les catégories d’individus. Contrairement à Van Gennep
(1909) qui a porté son analyse sur les trois phases du rites, c’est-à-dire sur la notion de passage,
Bourdieu porte son attention sur la consécration du rite, c’est-à-dire sur les frontières sociales que le
rite institue.
« Parler de rite d’institution, c’est indiquer que tout rite tend à consacrer ou à légitimer, c’est-à-
dire faire méconnaitre en tant qu’arbitraire et reconnaître en tant que légitime, naturelle, une
limite arbitraire ; ou, ce qui revient au même, à opérer solennellement, c’est-à-dire de manière
licite et extra-ordinaire, une transgression des limites constitutives de l’ordre social et de l’ordre
mental qu’il s’agit de sauvegarder à tout prix - comme la division entre les sexes s’agissant des
rituels de mariage. En marquant solennellement le passage d’une ligne qui instaure une division
fondamentale de l’ordre social, le rite attire l’attention de l’observateur vers le passage (d’où
l’expression rite de passage), alors que l’important c’est la ligne ». (Bourdieu, 1982:176)
Pour Bourdieu ce n’est pas tant le passage qui est important c’est la séparation qu’il provoque entre
les personnes qui ont subi un rituel et ceux qui ne le subissent pas, marquant ainsi la différence.
C’est pourquoi Bourdieu parle de rite de légitimation. En traitant de façon différente les initiés des
!94
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
nommé La Ruche. C’est un espace de coworking créé en 2008 dédié à l’accompagnement des
entrepreneurs sociaux, c’est-à-dire des personnes qui développent des activités à fort impact social,
sociétal ou environnemental. La Ruche est reconnu pour la qualité de son accompagnement dans les
milieux entrepreneuriaux, les fondateurs ont d’ailleurs essaimé d’autres incubateurs de ce type en
France (La Ruche Bordeaux et La Ruche Marseille). Comme dans beaucoup d’incubateurs, une
grande variété d’évènements sont organisés. Celui qui retient notre attention ici est un évènement
« L’évènement interne le plus important pour les membres de La Ruche (une quarantaine de
participants en moyenne) est le Buzz : tous les vendredis, les membres partagent un déjeuner et
volontaire prend la parole à son tour et retranscrit en quelques mots clés son message sur un
papier qui restera affiché pendant une semaine dans la cuisine, avant d’être repris dans la
newsletter internet. Le Buzz permet de rendre visible le foisonnement des actions menées par
Fabbri 2013:92)
Dans cet exemple, la vie quotidienne des entrepreneurs est mise en scène. Ils cherchent à partager
des pratiques et obtenir la reconnaissance d’une communauté. Ne pas participer à cet évènement
majeur de la communauté reviendrait à se mettre en marge. Les échanges sont codifiés et permettent
de limiter les fausses notes des uns qui conduiraient à mettre les autres dans l’embarras.
Bourdieu (1982) explique l’efficacité des rites de passages en les incluant dans une catégorie plus
large : les rites d’institution. Les rites d’institution permettent de faire exister et reconnaître comme
légitime une ligne de démarcation entre les initiés et les autres. Ainsi tout nouvel arrivant dans La
Ruche doit participer à un Buzz et faire l’expérience de travailler une journée dans l’espace partagé
(Charue-Duboc, Fabbri 2013:91). Cette condition d’entrée prend le modèle du rite d’institution
!95
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
selon Bourdieu. L’important est la ligne de démarcation qui permet de constituer un groupe. Le
rituel veut construire un groupe en le séparant du reste de la société. L’efficacité du rite d’institution
et d’imposer une ligne de démarcation entre l’avant et l’après, entre le dedans et le dehors et ainsi
de signifier à quelqu’un son identité nouvelle. Le rite agit à la fois sur la personne et sur
l’organisation.
Le rite d’institution légitime la personne dans une organisation. Il agit à la fois sur la personne et sur
l’organisation. Il permet de « valider » le statut d’entrepreneur d’une personne, son rôle, sa fonction
ou son utilité dans l’organisation. Suivant les théories de l’identité sociale (Tajfel et Turner, 1979,
1986), le simple fait d’accepter une personne dans un groupe peut créer un sentiment
groupe selon les jugements qu’elle porte sur les attributs de ce groupe. Le groupe auquel elle
s’identifie pas s’appellent « outgroup ». La personne va faire une distinction entre l’ingroup et
l’outgroup dans un sens favorable à son groupe d’appartenance.
Le rite d’institution permet d’organiser une représentation des choses et des relations sociales. Il
permet d’instaurer un pouvoir symbolique d’une communauté sur une personne. Il agit par des
moyens légers, des mots, des signes ou des emblèmes. Le rite d’institution est un moyen pour le
au détriment d’autres solutions, en la rendant obligatoire pour tout nouvel arrivant, le rite
d’institution permet de renforcer la différence, comme un seuil, une frontière entre des groupes. Le
groupe fixe des hiérarchies et des divisions à travers le rituel d’institution. Le rite d’institution
permet aussi de renforcer la stabilité de l’organisation, sa philosophie ou ses règles. Il rappelle aux
non-membres qu’ils sont exclus. Il démontre que l’organisation existe et que pour y entrer il faut
!96
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
Rutherford, Lorhke, 2012). Elle facilite l’accès aux marchés (Aldrich, Fiol, 1994). Elle permet de
sortir de son isolement (Messeghem, Sammut, 2010). Or la légitimité peut être difficile à acquérir.
La personne peut ne pas avoir l’expertise requise pour être légitime dans un groupe (De Clercq,
Voronov, 2009). Elle peut aussi être dévalorisée par son sexe (Pailot P., Poroli C., Lee-Gosselin H.,
Chasserio S., 2015). Elle n’a pas forcément les réseaux requis (Hannan, Carroll, 1992).
De nombreuses définitions de la légitimité existent. Selon Max Weber (1995), la légitimité se base
sur l’acceptation d’un ordre ou d’une domination, que le participant perçoit comme légitime. Pour
Suchman la légitimité est « a generalized perception or assumption that the actions of an entity are
desirable, proper, or appropriate within some socially constructed system of norms, values, beliefs,
la reconnaissance et du jugement social que les parties prenantes internes et externes accordent à un
sujet (…) selon que ce dernier respecte les normes socialement attendues du rôle
Ces différentes définitions soulignent deux dimensions fondamentales dans la légitimité. D’une part
la légitimité correspond à des dispositions attendues selon des normes établies. D’autre part la
légitimité ne se décrète pas. Elle s’obtient en respectant les règles, les normes, les conventions
établies par d’autres. Elle se maintient par un comportement, une attitude, une conduite attendue par
Des stratégies peuvent être déployée pour acquérir une légitimité. La personne peut renforcer sa
légitimité cognitive ou sa légitimité sociopolitique (Ranger-Moore, Banaszak-Holl, Hannan, 1991).
!97
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
concurrents, etc.) Lorsque l’activité devient familière sur un marché, qu’elle est médiatisée ou
qu’elle est copiée, elle devient légitime. La légitimité sociopolitique désigne la reconnaissance de
l’activité par les parties prenantes (fournisseurs, institutionnels, etc.). Lorsque l’activité est
reconnue par les leaders d’opinions, qu’elle obtient des subventions ou qu’elle recrute des
L’accompagnateur peut jouer un rôle important pour aider la personne à se sentir légitime en tant
qu’entrepreneur. Il peut favoriser l’intégration de la personne dans une communauté et lui faciliter
est indissociable d’un groupe, d’un contexte social ou plus largement d’un environnement.
L’accompagnateur peut entrainer la personne à se confronter aux autres, à défendre ses idées ou à
valoriser son parcours. L’accompagnateur peut préparer la personne à la contradiction, il peut
Le rite peut-être un moyen supplémentaire pour l’accompagnateur pour aider la personne à devenir
légitime. Le rite d’institution procure un double avantage. Il permet d’agir à la fois sur la personne
accompagnée et sur un groupe. L’accompagnateur peut utiliser le rite d’institution pour renforcer la
légitimité de la personne tout en renforçant la cohésion d’un groupe. Le rite d’institution comporte
4. Synthèse de la section
Cette section avait vocation à développer notre troisième hypothèse de travail consacrée au rôle du
rite dans la transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat. Pour rappel, la proposition
!98
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle
Pour appuyer cette proposition, nous avons présenté le rôle des pratiques rituelles dans le processus
de transition. la façon d’interpréter les rituels a longtemps été imprégnée de son rapport étroit avec
le sacré et la religion. Les rites contemporains ne possèdent plus les caractéristiques des rites de
passage décrits par Van Gennep (1909) (caractère symbolique, irréversible et structuré). Les rites
que nous observons aujourd’hui sont rationnels, réversibles et souples. La place du rite dans la
transition professionnelle n’est pas porteuse de sens pour tous. Le sens que l’on va lui donner se
L’accompagnateur peut l’aider à cela. Il peut s’appuyer sur des rites d’institution pour développer se
sentiment de légitimité. Les rites d’institution agissent à la fois sur la personne ainsi que sur la
communauté. Le caractère collectif du rite nous semble une piste féconde pour apprécier le sens du
du processus de sélection dans un incubateur nous a permis de porter la réflexion sur le caractère
collectif du rite qui marque le passage d’une communauté à une autre. Pour comprendre la
signification des rites de passages pour les porteurs de projet, il est nécessaire d’étudier les formes
rituelles que prennent ces rites de passage. L’entrée dans un incubateur est un exemple. D’autres
club d’entrepreneur. A l’inverse nous allons également nous pencher sur des formes rituelles « de
sortie » du salariat comme le pot de départ, les remerciements ou encore l’entretien de départ.
!99
Chapitre III
CADRE
METHODOLOGIQUE
Au terme des deux premiers chapitres, nous avons délimité l’objet d’étude qui nous intéresse. Notre
recherche se focalise sur les enjeux et les modalités de la transition professionnelle du salariat à
l’accompagnateur doit s’adapter tout au long de ce processus, en particulier durant la phase d’entre-
deux où le doute est le plus fort. Alors que les méthodes d’accompagnement se concentrent
principalement sur la posture technique nous suggérons que l’accompagnateur développe une
posture plus « psychologique ». Pour cela nous proposons d’utiliser une méthode issue des sciences
sociales, celle de l’autobiographie raisonnée. Il semble que cette méthode puisse aider pour donner
du sens au projet dans une trajectoire professionnelle. Enfin la transition professionnelle du salariat
à l’entrepreneuriat est également synonyme de rites de passages. Nous suggérons d’étudier les
formes que ces rites prennent tout au long du processus et le rôle de l’accompagnateur.
Ce travail préliminaire nous autorise désormais à préciser, d’une part les questions de recherches
relatives à cet objet d’étude et d’autre part, la méthodologie que nous avons utilisée pour tenter d’y
apporter des réponses. Ce chapitre marque le passage au terrain avec la volonté de confronter les
propositions d’interprétation que nous avons précédemment mises au point avec la diversité des
situations que nous avons rencontrées. La méthodologie d’approche va nous conduire à proposer un
raisonnée. Son inscription dans la durée et la diversité des contextes vont nous permettre d’éclairer
le sens que les acteurs donnent à leur projet d’entreprise.
!100
Chapitre III - Cadre méthodologique
Nous exposons ci-après les fondements de notre recherche ainsi que les questions qui en découlent.
choix d'entreprendre constitue un choix de carrière très différent du salariat. Il est entendu
professionnelle reste encore peu développée. Cela nous amène à nous interroger sur les
!101
Chapitre III - Cadre méthodologique
Les questions de recherche
Voici les deux questions de recherche que nous posons ainsi que les contributions visées :
En postulant que le salariat est un choix de carrière différent de l’entrepreneuriat, nous allons
question du pourquoi qui est posée. Notre visée est descriptive et explicative.
Cette question apparaît en complément de celle des enjeux. En admettant que le salariat est un choix
de carrière différent de l’entrepreneuriat, nous supposons que la transition professionnelle de l’un à
l’autre nécessite un accompagnement adapté. L’objectif est de mieux comprendre les modalités
particulières de l’accompagnement dans ce processus. C’est la question du comment qui est posée.
Le projet de connaissance est de nature compréhensive et explicative.
2. Posture épistémologique
Le terme épistémologie a été forgé par James Frederick Ferrier pour désigner une théorie de la
connaissance. Ce mot est construit à partir des termes grecs épistémé (connaissance théorique,
savoir) et logos (discours relationnel, langage, jugement). Il apparaît pour la première fois en
français en 1901, dans la traduction d’un ouvrage de Bertrand Russel. Il est ensuite popularisé et est
!102
Chapitre III - Cadre méthodologique
L’épistémologie est une discipline scientifique qui étudie les siennes et questionne le statut de la
connaissance produite. Elle aide à estimer la valeur des connaissances que le chercheur produit. Le
Hypothèse relativiste
Hypothèse réaliste L’essence de l’objet ne
Quel est le statut de la Hypothèse relativiste
Il existe une essence peut être atteinte
L’essence de l’objet ne
connaissance ? propre à l’objet de (constructivisme
peut être atteinte
connaissance modéré) ou n’existe pas
(constructivisme radical)
Dépendance du sujet et Dépendance du sujet et
Indépendance du sujet et
de l’objet de l’objet
de l’objet
La nature de la Hypothèse Hypothèse
« réalité » ? Hypothèse déterministe
intentionnaliste intentionnaliste
Le monde est fait de
Le monde est fait de Le monde est fait de
nécessités
possibilités possibilités
L'interprétation
Comment la La découverte La construction
connaissance est-elle Rechercher formulée en
Recherche formulée en Rechercher formulée en
engendrée ? termes de « pour quelles
termes de « pour quelles termes de « pour quelles
Le chemin de la motivations des
causes… » finalités… »
connaissance acteurs… »
Statut privilégié de Statut privilégié de la
scientifique Statut privilégié de la
l’explication construction
compréhension
déterministe qui considère le monde social comme étant déterminé par des lois qu’il est nécessaire
de découvrir. Le chercheur a une posture de neutralité et d’objectivité dans sa démarche. Le
!103
Chapitre III - Cadre méthodologique
paradigme interprétativiste permettent de prendre en compte les spécificités des objets étudiés,
particulièrement ceux qui ne sont pas des « choses »14 . Cette approche permet de souligner la nature
de l’activité humaine et des pratiques sociales. Il repose sur l’hypothèse relativiste selon laquelle
l’essence de l’objet ne peut pas être directement atteinte par l’observation. Il retient une
construction de la réalité par les interactions entre les acteurs et qui implique une dépendance du
sujet à l’objet.
réflexion. Ce sont les acteurs qui construisent socialement la réalité à partir de leur interprétations.
Plus précisément, ce sont les interactions entre ces derniers qui les amènent à donner un sens à leur
réalité. Très proche du paradigme interprétativiste, le paradigme constructiviste se démarque ainsi
par le chemin qui va être emprunté pour engendrer la connaissance. Alors que dans le
constructivisme le chercheur contribue à construire la réalité à partir de ses interactions avec les
acteurs (Le Moigne, 1994, 1995a, 1995b), dans l’interprétativisme il cherche à comprendre le sens
implique nécessairement de saisir les perceptions que se font les acteurs de la création de sens,
autrement dit de s’intéresser à leur construction de la réalité. Nos travaux s’inscrivent donc dans le
paradigme constructiviste (Le Moigne, 1994, 1995a, 1995b) et visent in fine à la conception
d’artefacts permettant de construire du sens avec les acteurs. En l’occurence, nos efforts de
« suggérer aux acteurs des hypothèses réfléchies pour interpréter la signification de leurs propres
actions » (De la Ville, 200015 ). La procédure de validation repose alors sur la pertinence des
14Cette expression reprend le titre de l’ouvrage de Jules Monnerot (1946), « Les faits sociaux ne sont pas des choses »,
Paris, Gallimard, qui dénonçait la conception déterministe et physicaliste de la sociologie durkhemienne.
!104
Chapitre III - Cadre méthodologique
1. Positionnement méthodologique
Notre positionnement méthodologie nous oriente vers les démarches de recherches dans lesquelles
certaines mesures étaient prises. Notre objectif est de produire des connaissances valides à la fois
Partir de l’observation
des faits ou d’un Observation, participante ou non (I) Recherche-Action (II b)
travail du groupe sur Elaborer un modèle descriptif du Aider à transformer le système à partir
fonctionnement du système étudié. de sa propre réflexion sur lui-même,
son propre
dans une optique participative.
comportement
!105
Chapitre III - Cadre méthodologique
La première colonne fait référence à la construction mentale de la réalité, c’est-à-dire une
représentation de la réalité sans impact direct sur l’action. La seconde colonne fait référence à la
directement sur l’action. La première ligne désigne que le point de départ de la recherche part de
l’existant sans qu’une méthode ne soit définie au préalable. La seconde ligne désigne qu’une
En croisant ces lignes et ces colonnes, quatre positionnement méthodologiques sont définis :
• La recherche-action consiste à proposer un modèle élaboré à partir des faits qui est de
Notre projet de recherche est de générer des modèles de représentation scientifiques directement
utilisables sur le terrain. Nous ne partons pas d’un modèle défini au préalable mais de l’observation
de la réalité qui engendre la conception d’un modèle scientifique. Notre rôle n’est pas anodin dans
la prise de décision des acteurs interrogés. Mais plutôt que d’essayer de le considérer comme un
« biais » et de le limiter, celui-ci génère directement des connaissances scientifiques utilisables par
les acteurs (Lewin, 1952). Notre positionnement méthodologique se situe dans une démarche de
recherche-action.
!106
Chapitre III - Cadre méthodologique
2. Méthode de recherche
Afin de générer des connaissances scientifiques nous choisissons d’utiliser une démarche abductive.
La démarche abductive se distingue de la démarche inductive qui consiste à collecter des données
puis à formuler des hypothèses en observant les régularités. Par opposition, la démarche déductive
consiste à énoncer des propositions sur la base d’un corpus théorique pour ensuite les valider par
des observations sur le terrain. L’abduction est un mode de raisonnement défini comme
« l’opération qui, n’appartenant pas à la logique, permet d’échapper à la perception chaotique que
l’on a du monde réel par un essai de conjecture sur les relations qu’entretiennent effectivement les
choses (…). L’abduction consiste à tirer de l’observation des conjectures qu’il convient ensuite de
tester et de discuter » (Koenig, 1993:7). Pour Peirce (1955), l’abduction est le seul mode de
raisonnement qui peut faire émerger des idées nouvelles. Dans ce mode de raisonnement, le
chercheur fait de multiples allers et retours entre terrain et théorie. Dans ce cadre le chercheur
contribue directement ou indirectement à la construction de la réalité.
La démarche abductive consiste à générer des connaissances dans une boucle récursive abduction/
démarche inductive. Alors que la déduction permet de générer des conséquences, l’induction permet
d’établir des règles générales et l’abduction vise à construire des hypothèses (David, 1999).
!107
Chapitre III - Cadre méthodologique
La validité du raisonnement scientifique entre dans une cette boucle récursive. « Il faut
globalement, dans la génération des connaissances scientifiques, dépasser l’opposition classique
abduction/déduction/induction. Cette boucle n’a pas besoin d’être parcourue intégralement par
chaque chercheur ou au sein de chaque dispositif de recherche : il suffit qu’elle le soit
L’auteur précise que ce mode de raisonnement peut se formaliser comme suit (David, 1999). Il
• Une hypothèse est construite sur la base d’une observation réalisée sur le terrain (j’observe
que la rue est mouillée et je cherche une explication : il pleut, la balayeuse est passée, etc.) ;
• Les conséquences possibles de cette hypothèse sont explorées par déduction (s’il pleut, non
seulement la rue est mouillée mais aussi les trottoirs et les vitres chez moi ; si la balayeuse
est passée, seule la rue est mouillée mais alors nous sommes l’après-midi, etc.) ;
• Des règles et des théories sont mobilisées par induction (lorsqu’il pleut, la rue est mouillée,
la balayeuse ne passe jamais le matin, etc.) ;
• Si ces règles sont infirmées, alors les hypothèses sont reformulées et le cycle recommence.
Compte tenu du délai imparti pour réaliser la thèse qui est généralement de trois ou quatre années, il
est difficile de parcourir cette boucle en intégralité. C’est pourquoi David (2012) précise que cette
boucle peut être parcourue collectivement dans la communauté scientifique. Cela signifie que
chaque chercheur n’a pas besoin de la parcourir intégralement. Notre méthode de recherche retient
alors les trois premières étapes du raisonnement de David (2012) et se présente de la manière
suivante :
• Premièrement, nous avons émis des hypothèses à partir d’une observation des personnes en
transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat ;
!108
Chapitre III - Cadre méthodologique
• Secondement, nous avons mobilisé les connaissances établies sur l’accompagnement de la
transition professionnelle pour déboucher sur des propositions ;
• Troisièmement, ces propositions ont été confrontées à des cas afin d’émettre de nouvelles
conjectures.
Compte tenu de l’approche interdisciplinaire de notre recherche, cette méthode présente l’intérêt
d’émettre des propositions que nous espérons originales dans le champ de l’entrepreneuriat. Elle
permet également de faire appel à notre expertise de praticien acquise après une dizaine d’années à
accompagner des porteurs de projet. Cette méthode nous semble pertinente pour notre démarche de
recherche basée sur une méthode abductive fondée sur des études de cas.
!109
Chapitre III - Cadre méthodologique
Nous exposons ci-après la population étudiée qui nous a permis de mener nos études de terrain. Les
échantillon ont été sélectionnés sur le principe du choix raisonné.
Les méthodes de sélection d’un échantillon peuvent être regroupés en deux grands ensembles liés
aux modes d’inférence auxquels ils renvoient : les méthodes probabilistes d’une part, et les
Ces méthodes reposent sur sur un mode de sélection statistique ou sur un mode de sélection
subjectivité du chercheur est réduite au maximum afin d’éviter tout biais pouvant modifier la
probabilité de l’échantillon. Cette méthode est privilégiée lorsqu’il s’agit d’effectuer une recherche
quantitative. Les méthodes de sélection par choix raisonné relèvent davantage du jugement du
chercheur. L’échantillon est constitué sur des critères théoriques. Le chercheur doit disposer d’une
bonne connaissance théorique de la population étudiée. Les critères retenus pour déterminer
l’échantillon doivent être de natures typiques ou atypiques (2014:233-234). Les critères de natures
typiques illustrent le caractère « normal » ou « fréquent » de l’échantillon. Ils sont choisis pour leur
facilité de généralisation des résultats. Les critères atypiques illustrent le caractère non
identifiables.
Etant donné que notre objectif est de déterminer la nature du processus de transition professionnelle
du salariat à l’entrepreneuriat et la posture d’accompagnement qui en découle, c’est une méthode de
choix raisonné qui a été privilégié sur la base d’un échantillon de nature hétérogène (Yin, 1989,
2003). Pour sélectionner les cas un ensemble de critères issus de la définition de l’objet d’étude et
des questions des recherches associées doit être déterminé (Eisenhardt, 1989).
!110
Chapitre III - Cadre méthodologique
Ces critères sont les suivants :
• Les personnes doivent être salariés d’une entreprise. Le cadre juridique est celui du CDI
(contrat à durée indéterminé), CDD (contrat à durée déterminé) ou une forme de contrat
précaire (contrat de mission, intérimaire, etc.). Ce choix exclu notamment les contrats
d’indépendances (auto-entrepreneur par exemple) même s’ils sont exécutés au sein d’une
seule et même entreprise. La taille de l’entreprise est variable (TPE, PME ou Grande
déjà engagée ou non. Cette diversité nous assure une grande variété de situations,
notamment pour nous ouvrir à des personnes contraintes ou non de développer un projet
entrepreneurial.
• Les personnes doivent être engagées dans une démarche entrepreneuriale. La démarche doit
être de nature engageante afin de nous assurer que la personne est dans un choix de
transition professionnelle réfléchie. Pour cette raison nous avons privilégié des personnes
(OPCA) soit par la personne elle-même. Afin d’ouvrir notre spectre à des personnes
sélectionné des personnes en dehors de tout cursus de formation par le bais de notre réseau
personnel et professionnel.
• Les projets développés par les porteurs de projet sont de nature hétérogène. Cette variété est
intéressante afin d’ouvrir le spectre des investigations à des environnements diversifiés
(artisanat, industriel, commerce, etc.). Cela nous donne la possibilité d’étudier des
!111
Chapitre III - Cadre méthodologique
engagé mais non abouti. Ce critère nous donne la possibilité d’étudier le processus
entrepreneurial dès ses premières phases.
Mais cela ne signifie pas que la personne reste salariée tout au long de l’étude. Pour l’INSEE, 30%
des créateurs d’entreprises sont considérés comme salariés et 31% sont considérés comme étant au
chômage. Le reste se répartit entre les indépendants (16%), les personnes sans activité
professionnelle (11%), les chefs d’entreprise salariés (9%) et les étudiants (3%). L’INSEE considère
qu’un salarié correspond à toute personne qui travaille, au terme d’un contrat, pour une autre unité
institutionnelle résidente en échange d’un salaire ou d’une rétribution équivalente. Le chômeur est
une personne qui n’a pas d’emploi et qui en recherche un.
La définition la plus couramment utilisée par l’INSEE est celle du BIT (Bureau International du
Travail) car elle permet d’effectuer des comparaisons internationales. Le BIT considère qu’un
chômeur répond à trois conditions. (1) Etre sans emploi, ne pas avoir travaillé au moins une heure
durant une semaine de référence ; (2) Etre disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours : (3)
Avoir cherché activement un emploi dans le mois précédent ou avoir trouvé un qui commence dans
moins de trois mois. Un chômeur n’est donc pas forcément inscrit à Pôle Emploi et inversement.
Dans notre étude, nous constatons le statut de salarié avant la création de l’entreprise, plus
précisément lors de notre premier contact avec la personne (et généralement peu de temps avant son
entrée en formation le cas échéant). Cela permet de nous assurer que nous sommes bien en présence
cours de notre étude et avant que l’entreprise ne soit créée, le salarié interrogé peut se retrouver au
chômage. Les raisons sont multiples : fin de contrat, rupture conventionnelle, licenciement, départ
volontaire, etc. Durant cette période la personne peut être en situation de recherche d’emploi. Le
projet est en cours de constitution, il ne rapporte pas encore d’argent, et raisonnablement certaines
personnes préfèrent explorer toutes les possibilités qui s’offrent à elles avant de s’engager
!112
Chapitre III - Cadre méthodologique
définitivement dans une création d’entreprise incertaine. Dans ce cas de figure si le projet
d’entreprise aboutit et que l’entreprise est créée, la personne interrogée sera alors considérée
Les personnes interrogées ont donc été sélectionnées par rapport à leur situation initiale lors de
notre premier contact. Ce choix nous permet d’avoir une situation a priori propice à l’étude du
peut évoluer au fil des mois, mais nous ne les retirerons pas pour autant de l’étude.
La sélection des cas a suivi une démarche en entonnoir partiel (figure 7). En première étape, une
sélection de cas a été réalisée afin d’émettre des hypothèses de travail (premier échantillon). En
seconde étape, des connaissances théoriques ont été mobilisées. En troisième étape, ces propositions
ont été confrontées à des cas restreints afin d’émettre de nouvelles conjectures (second échantillon).
Cette démarche est cohérente avec notre démarche abductive présentée dans la section précédente.
Le terrain est celui du Conservatoire National des Arts et Métiers (Cnam) de Paris et de celui de
l’Institut Supérieur de Commerce (ISC Paris). Nous avons travaillé successivement dans ces deux
structures en tant que responsable de programmes et responsable d’incubateur. A cette occasion
nous avons pu collecter des matériaux utiles à cette recherche sur des période de 3 à 5 ans selon les
Les programmes de formation, dans lesquels les personnes sont inscrites, sont destinés à les
constitue pas une nécessité. L’évaluation de ces programmes par les organismes de financement16
ne se fait pas uniquement sur le nombre de créations d’entreprises. Elle se fait sur le nombre de
16
Les organismes de financement du programme Titre Entrepreneur de la Petite Entreprise (niveau III) du
Cnam sont les OPCA, le Fond Social Européen et la Région Ile-de-France. Les organismes de financement
du programme MBA Entrepreneur (niveau I) de l’ISC Paris sont principalement les OPCA, auxquels
s’aoutent les organismes d’accréditations de l’Ecole de commerce (AACSB, EFMD et AMBA) qui jouent un
rôle important dans la reconnaissance de l’Ecole, sa gestion et son équilibre financier.
!113
Chapitre III - Cadre méthodologique
sorties positives (salariat, entrée en formation ou création d’entreprise) ainsi que sur la qualité du
corps professoral.
!114
Chapitre III - Cadre méthodologique
x20
Exploration (problématiques,
Constitution du premier échantillon enjeux, démarches…)
Entretiens « classiques »
Echanges informels
(café, déjeuner…)
x10
Entretiens « autobiographiques
raisonnés »
Echanges formels
(téléphone, mail…) Retour d’expérience et émission
de nouvelles conjectures
Echanges informels
(café, déjeuner…)
!115
Chapitre III - Cadre méthodologique
Le premier échantillon
professionnelle. Ces personnes sont inscrites dans des programmes de formation à l’entrepreneuriat.
Les programmes sont variés. Ils peuvent prendre la forme d’une formation de quelques semaines (3
à 6 mois - équivalence de niveau III) ou d’une formation longue (6 à 18 mois - équivalence de
niveau I). Un nombre restreint est issu de notre réseau personnel et professionnel, non inscrit dans
un dispositif de formation. Dans tous les cas un accompagnement individuel est inclus. Il est réalisé
par nos soins.
• Sexe : Au total 14 hommes (70%) et 6 femmes (30%) ont été interrogés. Cette proportion
est équivalente aux statistiques nationales puisque selon l’INSEE (201617), 28% des
• Age : La moyenne d’âge du panel est de 36,7 ans, proche de la moyenne nationale établie à
38 ans et demi.
• Situation matrimoniale : Les célibataires représentent 25% de l’étude, 25% sont en union
libre, 35% sont mariés, 10% sont divorcés et 5% sont veufs. Nous ne ne disposons pas de
statistiques nationales fiables sur cette thématique. En revanche une étude de Widoobiz
(201418) portant sur 468 entrepreneurs précise que les 3/4 des personnes interrogées sont en
couple et une étude du Numa (201619) portant sur 375 entrepreneurs précise que 62% sont
en couple.
• Enfants : Les parents représentent 50% des personnes du panel. Aucune statistique nationale
n’existe sur ce thème.
17 INSEE Première - N°1600 - Juin 2016 (réf. identique pour la suite des comparaisons statistiques)
18 http://www.widoobiz.com/actualites/lamour-les-entrepreneurs-infographie/45661
19 https://375.numa.co/
!116
Chapitre III - Cadre méthodologique
• Diplôme : L’étude se penche sur des profils très diplômés puisque la grande majorité (70%)
sont titulaires d’un diplôme de 2e ou 3e cycle du supérieur (4 sont titulaires d’un doctorat).
L’INSEE indique que les diplômés du 2e et 3e cycle représentent 30,8% des créateurs
d’entreprise en France.
• Moyens au démarrage : Parmi les personnes interrogées, 20% ont démarré leur activité avec
moins de 2000€ (29,1% en France), 5% avec 2000 à 4000€ (9,5% en France), 20% avec
4000 à 8000€ (14% en France), 15% avec 8000 à 16000€ (14,2% en France), 15% avec
16000 à 40000€ (13,9% en France), 5% avec 40000 à 80000€ (7,5%) et 5% avec 80000 à
160000€ (5% en France) et 0€ de plus 160 000 € (6,8% en France). Trois projets n’ont pas
abouti (15%).
• Statut juridique : Les entrepreneurs démarrent leur entreprise sous le régime de l’auto-
entrepreneur à 25% (51% en France), 10% en entreprise individuelle (19% en France).
Parmi les entreprises créées en société, 50% le sont sous le statut de la SAS (33% en
France), 30% en SARL (24% en France), 10% en EURL (16% en France) et 10% en SA
(4% en France). Deux entreprises ont été créés à l’étranger.
• Modalités de départ : 20% des salariés interrogés ont quitté leur entreprise car leur contrat
est arrivé à son terme, 30% sur la base d’une rupture amiable (ou rupture conventionnelle),
15% sur un départ volontaire (démission), 10% au travers d’un PSE (ou Plan de Sauvegarde
de l’Emploi), 10% à l’aide d’un Congé pour Création d’Entreprise (CCE), 10% sur un
• Chômage : Les salariés interrogés qui bénéficient du chômage dans le cadre de la création
de leur entreprise représentent la grande majorité des personnes interrogées (90%). Pour le
reste, 5% n’en bénéficient pas et 5% sont restés salariés. Comparativement les salariés
représentent 30% des créateurs d’entreprise en France.
!117
Chapitre III - Cadre méthodologique
Les profils des salariés que nous avons interrogés dans cette étude sont très variés. Les
comparaisons nationales indiquent que le panel se porte davantage sur une population plus
diplômée et aux moyens financiers plus importants que la moyenne des entrepreneurs. Le profil
type correspond à un homme, âgé de 36,7 ans, marié avec des enfants, diplômé d’un niveau
équivalent à un Master, investissant environ 16000€ dans son projet d’entreprise, sous le statut de la
SAS et quittant son entreprise d’origine car son contrat arrive à son terme, il bénéficie des
allocations chômage (ARE) et a obtenu le poste de cadre principalement par son diplôme.
réalisé en parallèle afin d’établir des premières hypothèses de travail. A l’issu de cette première
phase de recherche, un second échantillon a été constitué afin de tester les hypothèses de travail.
Le second échantillon
Les personnes issues du premier échantillon qui composent le second échantillon sont celles pour
lesquelles les données collectées sont suffisamment approfondies de manière à ce qu’il ne soit pas
nécessaire de reprendre un accompagnement depuis le départ. Soit parce que l’accompagnement
s’est prolongé dans le temps (en dehors de tout dispositif de formation), soit parce qu’une relation
de « sympathie » s’est nouée entre le chercheur et le porteur de projet. Cette relation de proximité a
permis de collecter des données longitudinales sur plusieurs années (au moins 3 ans). Les nouveaux
porteurs de projet qui composent le second échantillon sont sélectionnés en cohérence avec l’objet
d’étude et les questions des recherches associées (Eisenhardt, 1989) comme défini précédemment.
Selon les cas le temps libéré pour travailler sur le projet est à temps plein ou à temps partiel :
• Le temps plein correspond aux salariés licenciés (ou en cours de licenciement), ceux en
congé de formation (congé individuel de formation ou congé de reclassement) en congé de
!118
Chapitre III - Cadre méthodologique
• Le temps partiel correspond aux salariés qui travaillent sur leur projet entrepreneurial en
dehors de leur temps de travail (en fin de journée, les week-ends ou pendant leurs
vacances). Cela correspond également aux personnes utilisant des congés de courte durée
Les tableaux 8 présente les 20 porteurs de projet de notre étude. Nous avons mis en avant les 10
porteurs de projets (en haut de tableau) qui constituent le second échantillon et pour lesquels
l’accompagnement a intégré la démarche d’autobiographie raisonnée. Ils sont classés de 1 à 10.
Durée du suivi
Porteur de projet Modalité de
Métier d’origine Projet
(*) départ
Nb d’entretiens
Plan de Sauvegarde
3. François Accessoires de 5 ans
Imprimeur pour l’Emploi
Homme - 42 ans mode canins 15 entretiens
(CDI)
!119
Chapitre III - Cadre méthodologique
Durée du suivi
Porteur de projet Modalité de
Métier d’origine Projet
(*) départ
Nb d’entretiens
Porteur de projet de l’étude mais pour lesquels l’accompagnement ne comprend pas la démarche
d’autobiographie raisonnée
Plan de Sauvegarde
Nicolas Directeur Vente de linge de 2 ans
pour l’Emploi
Homme - 34 ans marketing digital maison 5 entretiens
(CDI)
!120
Chapitre III - Cadre méthodologique
Porteur de projet de l’étude mais pour lesquels l’accompagnement ne comprend pas la démarche
d’autobiographie raisonnée
(*) les prénoms sont fictifs, conformément aux souhaits de la plupart des porteurs de projet
$
!121
Chapitre III - Cadre méthodologique
x7
Période de formation
x3 x4
Temps plein sur le projet
Temps partiel sur le projet
(licenciement, départ volontaire, (hors temps de travail ou congés
rupture conventionnelle, congé de de courte durée)
longue durée ou congé formation)
x1
x9
x3 Période d’incubation
x5 x4
Temps plein sur le projet Temps partiel sur le projet
(licenciement, départ volontaire, (hors temps de travail ou congés
rupture conventionnelle, congé de de courte durée)
longue durée ou congé formation)
!122
Chapitre III - Cadre méthodologique
3. Techniques de recueil d’informations
Les données collectées proviennent de différentes sources : les entretiens semi-directifs, les données
•Un second guide d’entretien a été réalisé auprès du second échantillon. Il reprend la
s’applique que sur le second échantillon. L’autobiographie raisonnée est assez simple à
inscrit le présent dans l’histoire d’une vie, passée et à venir, et donne ainsi le moyen de se
connaître et d’agir de façon plus conséquente » (Draperi, 2016:18).
!123
Chapitre III - Cadre méthodologique
Au total, nous avons réalisé trente deux entretiens auprès du premier échantillon et vingt entretiens
auprès du second échantillon. Les entretiens ont fait l’objet d’un enregistrement audio, d’une
retranscription partielle (premier échantillon) ou totale (second échantillon) et d’un codage. Pour
affiner l’analyse nous complétons nos informations avec plusieurs données secondaires.
Le lieu des entretiens qui a été choisi a été en toute logique le lieu de formation. Un bureau fermé
au calme et sans dérangements. Lorsque les personnes n’étaient pas engagées dans un dispositif de
formation, une table au calme dans un café ou un restaurant, furent également utilisés. Nous avons
pris soin d’éviter les lieux de vie conformément aux préconisations de Draperi (2016) :
« Idéalement il s’agit d’un lieu neutre pour les deux personnes. Sont particulièrement à éviter le lieu
de travail et le lieu de vie » (Draperi, 2016). En effet ces deux lieux (lieu de travail et lieu de vie)
peuvent conduire à limiter l’expression (présence d’un collègue, des enfants, etc.) ou perturber les
échanges.
Les données secondaires sont issues des échanges avec les porteurs de projet. Elles sont de natures
•Les documents projet. Ils correspondent aux documents transmis par le porteur de projet
dans le cadre de la construction de son projet (business plan, tableaux financiers, statuts
d’autobiographie raisonnée. Ce support papier réalisé sur des grandes feuilles (de type A3)
est destiné à aider l’accompagnateur et le porteur de projet pour tisser des fils conducteurs
!124
Chapitre III - Cadre méthodologique
dans son parcours de vie. Ce support se compose de cinq colonnes. La première permet de
noter les dates. Les quatre autres permettent de réunir les informations relatives aux études
formelles, aux études non formelles, aux activités sociales et aux activités professionnelles.
•Les échanges téléphoniques. Ils complètent les données précédentes et sont utiles lorsque
le porteur de projet ne peut pas se déplacer ou lorsqu’il se situe à l’étranger.
A l’issue de leur formation certains porteurs de projet furent hébergés dans les incubateurs des
institutions concernées par l’étude de terrain de cette recherche (Conservatoire National des Arts et
Métiers de 2011 à 2014 et ISC Paris à partir de 2014). Sur les 20 porteurs de projets du premier
Nous retenons la définition d’un incubateur comme une structure d’aide à la création d’entreprise
notamment pendant les premières années de sa vie (Grimaldi, Grandi, 2005). Il accompagne des
projets très jeunes, voire en phase de création et leur propose des services pour les aider dans leurs
démarches. Ces deux incubateurs proposent une offre de services tels qu’identifiés par Caryannis et
Von Zedwitz (2005) et se décomposent de la manière suivante :
Les bureaux sont en open space. Les deux structures proposent des salles de réunions et un
espace de convivialité. Les locaux sont situés en plein coeur de Paris (3e arrondissement)
pour le premier et dans la proche banlieue parisienne (Levallois-Perret) pour le second. Les
locaux sont ouverts de 7h30 à 21h30 du lundi au samedi pour le premier et 24h/24h - 7j/7j
pour le second.
!125
Chapitre III - Cadre méthodologique
•Services supports. Les incubateurs proposent des services supports basiques tels que
l’accès à internet haut-débit, une imprimante, un service courrier (arrivé - départ) et un
service de boissons.
•Financements. Il n’y a pas d’investissement direct dans le projet développé. Une mise en
relation avec des réseaux de financement est possible pour les porteurs de projet qui le
souhaitent.
•Processus. Les deux structures proposent un accompagnement (réalisé par nos soins) ainsi
que des ateliers, table-rondes ou conférences permettant d’approfondir un sujet précis.
•Mise en réseau. Une mise en relation avec des experts (marketing, finance, juridique, etc.)
est disponible sur demande. L’accompagnement est renforcé dans le cadre d’une campagne
de crowdfunding, d’une demande de financement ou d’une levée de fonds.
Ces deux structures proposent un contrat d’hébergement de 12 mois renouvelables une fois pour 6
mois supplémentaires. La durée moyenne de l’occupation des incubateurs est de 9 mois. Les
porteurs de projet peuvent disposer de 3 places supplémentaires sans surcoût pour accueillir des
stagiaires. La moyenne des personnes qui utilisent quotidiennement les locaux sont au nombre de 7
pour l’incubateur du Conservatoire National des Arts et Métiers et de 15 pour l’incubateur de l’ISC
Paris. Les entrées s’effectuent généralement en septembre et en janvier. Les mois de décembre,
juillet et août sont calmes (l’incubateur du Conservatoire National des Arts et Métiers est fermé en
août). La moyenne d’âge des porteurs de projets accompagnés est de 37 ans pour le premier
En tant que responsable de ces incubateurs, nous avons pu observer et prendre des notes des
comportements des porteurs de projet qui composent le premier et le second échantillon de cette
recherche. Nous avons analysé leurs comportement en cohérence avec les trois périodes du
!126
Chapitre III - Cadre méthodologique
•Leur arrivée. A leur arrivée dans l’incubateur, les porteurs de projet sont en train de quitter
leur environnement salarial. Ils sont en train de se désengager de leur précédente activité et
s’engagent dans un nouvel environnement de travail. Au cours du premier mois, nous leur
l’espace de convivialité. Des pizzas et des boissons sont prévues (payées par
l’incubateur) pour les personnes qui le souhaitent. Chacun prend la parole et se
les échanges et relançons les débats si besoin. Nous sommes aidés par la Junior
Entreprise de l’institution de temps en temps (incubateur de l’ISC Paris uniquement).
•Leur quotidien. Pendant cette période, les habitudes s’installent progressivement. Nous
observons le rythme de travail des porteurs de projet qui composent nos échantillons
(horaires, gestion des pauses, périodes de congés, etc.), l’installation de leur bureau (photos,
plantes vertes, logo, etc.) et l’usage des services de l’incubateur. Deux rituels composent
cette période pour les personnes qui le souhaitent. Certains y participent régulièrement,
- Les tables-rondes. Elles sont organisées une fois par mois et permettent de présenter
un porteur de projet (souvent ancien de l’incubateur ou de l’institution). La table-
ronde est un outil destiné à fédérer le réseau de l’incubateur interne. C’est aussi un
outil de communication vers l’externe. Les participants se présentent les uns après les
autres pendant 30 secondes. Pour ceux qui arrivent en retard, une petite peluche (le
personnage « Scrat » de l’Age de Glace) leur est attribuée pendant toute la table-
ronde (ce détail amusant vise à atténuer l’impact du retard). Vient la présentation de
!127
Chapitre III - Cadre méthodologique
perspectives de développement). Un large temps est laissé aux échanges entre les
porteurs de projets et l’entrepreneur invité. La table-ronde se termine par une
(www.vendredis-entrepreneur.com).
- Les happy-hours. Une fois par mois, les porteurs de projet sont invités à un échanger
autour d’un verre de 17h00 à 19h00 dans l’espace de convivialité de l’incubateur.
Des boissons sont fournies par l’incubateur. Les happy-hours sont ouverts au réseau
des anciens de l’institution (entrepreneurs uniquement). Si un entrepreneur participe
pour la première fois, il doit se présenter pendant 2 minutes. L’évènement est destiné
•Leur départ. Les porteurs de projet peuvent quitter l’incubateur à tout moment. Ils doivent
toutefois nous en informer au minimum 1 mois en avance. Si le contrat arrive à son terme,
nous leur rappelons l’échéance 2 mois avant. Trois situations sont possibles. (1) Le projet
est en phase d’abandon. (2) Le projet est lancé mais demande encore du temps avant de
générer du chiffre d’affaires. (3) Le projet est lancé et génère un premier chiffre d’affaire.
Quelle que soit la situation, nous demandons au porteur de projet de participer à un rituel
- Le pot de départ. Une invitation collective est lancée pour informer du départ du
porteur de projet. Un verre de l’amitié est organisé. Chacun amène la boisson de son
choix (des boissons et un gâteau sont fournis par l’incubateur). Cela prend
happy-hour. Le porteur de projet apporte des détails sur son départ (s’il le souhaite)
et remercie les autres porteurs de projet.
!128
Chapitre III - Cadre méthodologique
Le tableau 9 synthétise les données collectées par porteur de projet.
Entretien Entretien
Porteur de projet Données Observations
« classique » « autobio »
(*) secondaires directes
(voir annexe 1) (voir annexe 2)
Documents projet
1. Timothé Incubateur
Oui Oui Bioscopie
Homme - 29 ans Inauguration
Echanges mail/tél.
Documents projet
2. Sylvie Incubateur
Oui Oui Bioscopie
Femme - 37 ans Couveuse
Echanges mail/tél.
Documents projet
3. François
Oui Oui Bioscopie Incubateur
Homme - 42 ans
Echanges mail/tél.
Documents projet
5. Samia Oui Oui Bioscopie Non
Femme - 43 ans Echanges mail
Documents projet
6. Benjamin Oui Oui Bioscopie Incubateur
Homme - 30 ans Echanges mail/tél.
Documents projet
7. Andry Oui Oui Bioscopie Incubateur
Homme - 32 ans Echanges mail
Documents projet
8. Marie-Ange Incubateur
Oui Oui Bioscopie
Femme - 39 ans Inauguration
Echanges mail/tél.
Documents projet
9. Louis Incubateur
Oui Oui Bioscopie
Homme - 28 ans Startups campus
Echanges mail
Documents projet
10. Jean-Pierre Oui Oui Bioscopie Incubateur
Homme - 37 ans Echanges mail/tél.
!129
Chapitre III - Cadre méthodologique
!130
Chapitre III - Cadre méthodologique
4. Traitement des données
Le traitement des données est qualitatif. Il s’applique à interpréter des discours et des
comportements et à leur donner un sens. Il s’agit d’une effort d’interprétation qui se balance entre
deux pôles, d’une part la rigueur de l’objectivité, et d’autre part, le fécondité de la subjectivité
(Bardin, 1977). Traditionnellement l’analyse de contenu comprend trois grandes phases, la collecte
Cette première étape consiste à organiser le travail. Il s’agit de faire le tri entre les données qui sont
exploitées et les autres. Cette première phase vise trois objectifs (Bardin, 1977) : choisir les
données, construire l’objet de recherche en vue de formuler des hypothèses de travail et élaborer
des indicateurs qui seront utiles pour faire l’interprétation finale. Cette première phase se déroule
selon une « lecture flottante » puisqu’elle permet de faire connaissance avec les documents à
analyser, à se faire une idée des orientation de la recherche pour délimiter le champ d’investigation
Le premier échantillon permet d’effectuer un premier tri entre les données à analyser et les autres.
Les entretiens font l’objet d’un enregistrement audio et d’une retranscription partielle. Ces données
alimentent l’orientation de notre recherche sur la place du projet dans le parcours professionnel et
sur les besoins d’accompagnement des porteurs de projet. Les données secondaires (documents
projet et échanges téléphoniques) sont collectées au fur et à mesure des échanges avec les porteurs
de projet. Leur classement est numérique. Ces données portent sur la mise en oeuvre du projet et
servent à alimenter la nature des besoins d’accompagnement. Pour les observations directes il s’agit
principalement d’un recueil d’impressions sur l’intégration d’un porteur de projet dans un groupe
que nous avons notifié sur un fichier word et intégré à son dossier. Cela nous permet de reprendre
La collecte des données est plus précise pour le second échantillon. D’une part nous disposons
d’une première expérience de collecte des données à partir du premier échantillon et d’autre part
!131
Chapitre III - Cadre méthodologique
nous avons découvert la technique de l’autobiographie raisonnée. Les données secondaires
(documents projet et échanges téléphoniques) font l’objet d’un classement numérique. Les
bioscopies sont exploitées d’une manière plus approfondie que les autres données secondaires. Elles
servent à préciser les données collectées lors des entretiens. Les observations directes font l’objet de
notes de synthèse. Les observations se concentrent sur le comportement des porteurs de projets dans
A partir du premier échantillon, nous réalisons un premier tri des données extraites des interviews
en utilisant le logiciel Nvivo. Cette opération fastidieuse consiste surtout à procéder à des
opérations de codage et de décompte. Les catégories sont créées au fur et à mesure selon des
caractères communs. Les données sont catégorisées de manière à être significatives. Les catégories
s’inspirent directement du guide d’entretien du premier échantillon qui se découpe en 4 parties : (1)
l’adéquation personne / projet, (2) l’étude de marché, (3) les modalités de financement et (4) la
stratégie de développement. La difficulté de ce codage est l’extraction des données d’un contexte et
d’un discours porteur de sens. Les données extraites ne doivent pas donner une signification
différente, ni dénaturer le contenu initial (Robert, Bouillaguet, 1997). Les données extraites sont
donc de larges passages d’interviews.
Le second échantillon permet d’être plus précis dans les données collectées et donc dans la
catégorisation qui en découle. Les catégories créées à partir du premier échantillon sont remaniées
de manière à être compatibles avec les catégories du second échantillon. Celles-ci reprennent le
second guide d’entretien et notamment les catégories déjà prédéfinies dans la bioscopie à savoir les
informations relatives (1) aux études formelles, (2) aux études non formelles, (3) aux activités
sociales et (4) aux activités professionnelles. La difficulté de ce codage reste encore l’extraction de
données d’un discours global cohérent. Mais à la différence du premier codage, ici les catégories
sont moins nombreuses et globalement mieux réparties les unes par rapport aux autres. Il existe
notamment peu d’extraits classés dans différentes catégories à la fois. Cela simplifie le traitement
des données.
!132
Chapitre III - Cadre méthodologique
Le traitement des données
L’interprétation des résultats consiste à « prendre appui sur les éléments mis au jour par la
catégorisation pour fonder une lecture à la fois original et objective du corpus étudié » (Robert,
Bouillaguet, 1997:31). Cette phase est la plus intéressante car elle permet de croiser les données
collectées selon les catégories définies précédemment. Les données collectées sont croisées selon la
nature du projet, l’existence ou non d’une reconversion professionnelle, les modalités de départ et
les motivations du porteur de projet. Ce traitement croisé nous permet de dégager des grandes
tendances que nous détaillerons dans la partie résultats de cette étude.
Les données sont également croisées individuellement avec les données secondaires et les fiches de
synthèse issues des observations terrain afin de mettre en contexte le discours de chacun. La
temporalité des données est importante dans notre étude. Elle permet par exemple de distinguer
dans le discours le changement de champ sémantique d’une personne dans le temps. (Une personne
indécise par son projet au début de sa transition professionnelle peut devenir extrêmement motivée
et persuasive à la fin de parcours). Notre effort de tri croisé permet de clarifier les liens entre les
données des interviews et l’observation des comportements des porteurs de projet en situation. Ce
posture de recherche est de nature constructiviste. Elle vise à élaborer des artefacts intelligibles à
destination des acteurs afin de les aider à construire la réalité. Une telle visée s’inscrit dans un
positionnement de type recherche-action à travers une méthode abductive. Plutôt que de réduire
notre influence sur la construction de la réalité, nous sommes conscients que notre
accompagnement conduit à orienter les prises de décision des acteurs. Nous avons émis des
hypothèses sur la base de notre expertise et d’une observation du terrain. Nous avons ensuite
!133
Chapitre III - Cadre méthodologique
travail. Ces propositions ont été confrontées à des cas afin d’émettre de nouvelles conjectures que
nous espérons originales pour notre objet d’étude.
Pour sélectionner les cas un ensemble de critères issus de la définition de l’objet d’étude et des
questions des recherches associées a été déterminé. Deux échantillons ont été mobilisés. Le second
échantillon a permis d’appliquer une technique que nous avons découverte au cours de cette
recherche : l’autobiographie raisonnée. Cette technique n’a encore jamais été appliquée dans le
cadre d’un accompagnement à l’entrepreneuriat. Les données collectées sur une longue période (5
ans) nous donnent le privilège de disposer de données approfondies. Nous disposons également
avons pu observer les comportement des porteurs de projet in situ en vue de s’insérer - ou non -
dans une nouvelle communauté de travail. L’observation de leur comportement dans un groupe et
Le cadre méthodologique clôt la première partie de cette recherche. La seconde partie se consacre à
la présentation des résultats.
!134
PARTIE II
PRESENTATION ET ANALYSE
DES RESULTATS
!135
Chapitre IV
LA PLACE DU PROJET DANS LA
LA TRAJECTOIRE PROFESSIONNELLE
Le premier enjeux de cette recherche s’interroge sur la place du projet dans la trajectoire
professionnelle. Nous suggérons que le projet participe à la construction d’un futur souhaité sur la
base d’une histoire passée. La cohérence du projet dans cette trajectoire est alors fondamentale. Un
des rôles de l’accompagnateur serait alors de ne pas se concentrer uniquement sur le projet, mais
Dans ce chapitre, nous allons nous intéresser aux résultats de la première proposition de notre
recherche à savoir : Le projet entrepreneurial est un moyen pour une personne de donner du sens à
sa trajectoire professionnelle. Elle peut faire appel à un accompagnateur qui va l’aider à le mettre en
récit.
Pour cela nous allons présenter nos résultats en deux sections. La première section va se porter sur
Pour illustrer nos propos nous allons nous appuyer sur des extraits d’entretiens.
!136
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
Marie-Ange est l’une des personnes interrogées dans le cadre de cette recherche. Salariée
impliquée, curieuse et créative, elle travaille au siège d’une grande banque à La Défense. Elle est en
avantages d’une grande entreprise (tickets restaurants, couverture sociale, horaires aménageables,
etc.). Pourtant, elle porte un regard rétrospectif assez morose sur cette période.
« Avoir ce type de poste est confortable aux yeux des gens. Alors lorsque tu annonces à tes amis
que tu va tout plaquer pour ouvrir un gîte touristique, ils en restent bouche-bée. Ce qu’ils ne
voient pas c’est le train-train quotidien qui devient vraiment pesant. J’ai 2 heures de transports
par jour pour aller travailler c’est fatiguant. Passer ses journées derrière un écran d’ordinateur
pour vendre des produits financier, ce n’est pas très épanouissant. Lorsque j’ai besoin d’un
stylo, il faut remplir une fiche pour en informer les services généraux. Lorsque j’ai un
déplacement à l’extérieur, il faut une autorisation. Et si jamais je passe un peu trop de temps à la
pause déjeuner du midi, j’ai le droit à des remarques de mes collègues de bureau. Je gagne bien
Sylvie travaille dans le service marketing d’une chaîne d’hôtels. Historienne de l’art de par sa
formation initiale, elle a peu à peu évolué vers le marketing par manque d’opportunités
professionnelles dans son métier d’origine. Toujours en quête de challenges, elle propose
régulièrement de nouveaux projets à sa hiérarchie. Mais elle trouve porte close. Dans son entreprise
les carrières sont établies à l’avance et elles offrent peu de libertés aux personnes désireuses de
monter des projets en interne. La tension monte peu à peu avec sa hiérarchie. Elle a le sentiment
d’être mise au placard. Les projets lui échappent. Elles n’est plus conviée aux rendez-vous
importants. A l’âge de 37 ans, l’envie de passer à autre chose la gagne. Elle décide de donner sa
démission et de se lancer en tant qu’indépendante.
!137
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
« J’ai commencé par suivre une formation en musicothérapie. Je me suis rendue compte que les
postes sont rares dans ce domaine. Ils sont surtout dans les centres de soin (cliniques, hôpitaux,
hypnothérapie. Proche de la musicothérapie, c’est une pratique qui utilise l’hypnose à des fins
thérapeutiques. Je suis passionnée par les métiers du soin. Malgré mon parcours chaotique, je
suis plutôt bien acceptée dans ce milieu. J’apporte une vraie richesse aux autres. Une infirmière
n’est pas une intellectuelle à la base. Moi lorsque j’arrive avec mes méthodes, j’apporte un vrai
Philippe est opticien dans une boutique d’optique indépendante depuis 12 ans. Depuis toujours, il
est sous la responsabilité d’un Directeur et de sa femme. Au départ en retraite de ces derniers,
Philippe pense être le meilleur candidat à la reprise de la boutique. Il économise pour cela depuis
plusieurs années. Mais les choses ne se déroulent pas comme il le prévoyait. Le Directeur décide de
lui vendre la boutique à un prix tellement exorbitant que Philippe ne peut pas suivre. Il décide alors
de quitter l’entreprise et de reprendre une autre boutique d’optique dans une ville toute proche. Peu
de temps après son départ, il apprend que la boutique de son ancien responsable a été revendue à un
repreneur extérieur pour une somme bien plus raisonnable.
« Inutile de vous dire que j’étais profondément écoeuré par l’attitude de mon ancien
responsable. Dès qu’on parle d’argent c’est la loi de la jungle. J’ai joué et j’ai perdu. Mais cette
expérience m’a servi de leçon. Elle m’a permis de prendre un peu de recul et de passer du temps
avec ma famille. J’ai fait quelques remplacements dans différents magasins ici et là. Un jour une
amie m’a informée qu’une boutique d’optique était à reprendre dans la commune d’à côté. Je
me suis dit pourquoi pas. C’est l’occasion de devenir mon propre patron. Après 12 années
Jean-Pierre est un ingénieur spécialisé dans les piles à hydrogène. Cet homme a brillamment réalisé
sa carrière dans un grand groupe industriel français en tant que chef de projet en transition
énergétique. Son responsable lui propose de développer un projet en solo sur ce thème. Mais plutôt
!138
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
que de lui accorder un temps partiel, il l’invite à suivre un MBA. Il lui garantit le maintien de son
poste pendant son absence. Jean-Pierre développe le projet durant la formation. Peu à peu il se rend
compte que son responsable ne tient pas ses engagements. Il n’a pas accès à des informations
Jean-Pierre se rend compte que le projet qu’il porte ne peut pas aboutir. Il souhaite retrouver son
ancien poste mais il a été remplacé. Un bras de fer s’engage avec sa Direction.
« L’intrapreneuriat est une pratique très répandue dans certaines entreprises. Google accorde
20% de temps de travail à ses salariés développant un projet innovant. EDF est l’un des
pionniers en France à avoir développé l’essaimage. SFR dispose de son propre incubateur. La
Poste travaille étroitement avec des startups. Microsoft finance des projets innovants. Mais entre
les effets d’annonce et la réalité, il y a parfois un gouffre. Mon erreur a été de ne pas
suffisamment anticiper mon départ. Mon responsable a tout simplement voulu m’écarter car je
devenais meilleur que lui. J’ai été aveuglé par l’opportunité à prendre et les perspectives
financières » (Jean-Pierre)
Nous allons à présenter tour à tour les sources de l’insatisfaction professionnelle, les motivations
engendrées par le projet ainsi que la prise de risque perçue au désengagement professionnel illustrés
Ces quatre extraits illustrent l’insatisfaction professionnelle que nous avons constatée parmi les
salariés interrogés. Certains sont fatigués par la lourdeur administrative. « Lorsque j’ai besoin d’un
stylo, il faut remplir une fiche pour en informer les services généraux. Lorsque j’ai un déplacement
à l’extérieur, il faut une autorisation » (Marie-Ange). Les procédures sont parfois très fortes. Et
quand ils ne sont pas en train de les appliquer « bêtement » (même s’ils jugent qu’ils sont
inadaptés), ils font du reporting pour indiquer qu’ils ont bien exécuté ce qu’on leur demande de
faire. Ils reprochent à leur supérieurs un management « par Excel » centré sur la mesure des
!139
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
performances, qui ne les aide pas à progresser. Leur volonté de bien faire est parfois bafouée par la
nécessité de travailler vite. Certains ont le sentiment que leur niveau d’études ne correspond pas à
leur poste. « Je fais de plus en plus de tâches administratives qu’un BTS pourrait faire » (Jean-
Pierre). D’autres déplorent que le travail de réflexion soit souvent confié à des personnes
extérieures. « On m’a demandé de recruter une stagiaire pour qu’elle lance un de mes
projets » (Sylvie).
Ils souhaitent retrouver la maîtrise de leur vie professionnelle en travaillant dans un métier qu’ils
jugent épanouissant. Certains s’alarment de ne rien accomplir d’intéressant. « Passer ses journées
derrière un écran d’ordinateur pour vendre des produits financier, ce n’est pas très
épanouissant » (Marie-Ange). Ils critiquent souvent la façon dont ils sont managés. « Quand mon
responsable termine ses journées à 17h00, moi je termine souvent vers 21h00. Et ça ne lui pose
aucun problème de me demander d’étudier des dossiers de patients pour le
lendemain » (Benjamin). Leur vie personnelle est parfois mise entre parenthèses. Certains ont le
sentiment de négliger leur vie de famille. « J’ai gagné beaucoup d’argent. Mais je devais être
connecté tous les jours. Je travaillais même pendant mes vacances » (Nicolas). On leur demande
d’être proche du terrain, à l’écoute des autres, mais certains ont l’impression que les discours sur les
chartes sur la qualité de vie au travail ne s’appliquent pas pour eux. Ils ne veulent pas se sacrifier
pour un employeur qui risque de les « jeter » du jour au lendemain. « Mon ancien directeur a été
licencié après vingt ans de boîte. Pourtant c’était quelqu’un de compétent qui faisait son travail
Plus globalement nous avançons trois variables à leurs insatisfactions professionnelles que nous
!140
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
1992). Lorsque cette image est défavorable, elle empêche au salarié de se définir en tant que
opinion de mon entreprise » (Raphaël), ou « Avec les salaires qu’on a beaucoup de gens ne
entreprise. Ils estiment que leur entreprise ne les fait pas suffisamment participer, ne prend
pas en compte leur objectifs et leurs valeurs ou n’est pas disposée à les aider lorsqu’ils ont
salariés voient dans les actes de leurs supérieurs hiérarchiques les actions de l’entreprise
manifeste avec des verbatims tels que « Mon entreprise ne fait pas le nécessaire pour
exploiter au mieux mes capacités » (Jean-Pierre), « Mon entreprise se désintéresse de mes
projets » (Sylvie).
!141
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
Désaccord hiérarchique 1, 2
Stress, fatigue, épuisement 2, 5, 6
!142
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
interrogée (90%). Il traduit le « besoin plus ou moins fort qu’un individu ressent de
s’identifier à une organisation en général » (Glynn, 1998). La perte d’épanouissement se
pas en compte leurs contraintes personnelles ou familiales et qui défend des valeurs
déplaisantes voire choquantes. Cette perte d’épanouissement se traduit par des verbatims
tels que « Mon entreprise n’est pas vraiment attentive à mon bien-être » (Marie-Ange),
Après avoir présenté les sources d’insatisfaction professionnelle, penchons nous désormais sur les
sources de motivation engendrées par l’optique d’une création d’entreprise. Nous analyserons
Le projet est un parfois un moyen de se désengager d’une emprise professionnelle. « Enfin je vais
pouvoir exprimer ma passion » (Caroline). Le projet est développé la plupart du temps sur le temps
personnel. Il prend peu à peu de l’ampleur et commence à empiéter sur le temps professionnel. « Je
ne vous cache pas qu’il m’arrive de travailler sur mon projet au bureau » (Aristide). Dans certains
cas les moyens mis-à-disposition de l’employeur peuvent être détournés par le salarié d’une
manière illégale. « Mes bases de données client sont celles que j’ai créées pour mon ancien
patron » (Andry). Il arrive plus rarement que l’employeur se propose d’aider le salarié dans son
projet. « A ma grande surprise, j’ai réussie à décrocher un rendez-vous avec une importante
Directrice de la banque pour mon projet. J’ai découvert qu’elle était également membre d’un
important réseau de micro-crédit en France. Ses conseils me furent très utiles » (Marie-Ange).
!143
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
Les propos des salariés que nous avons rencontrés convergent dans un discours enthousiaste par
rapport à leur projet. Certains expriment « une passion pour les métiers du soin » (Sylvie), d’autres
précisent « il est temps que je devienne mon propre patron » (Philippe), ou encore « je me suis
laissé convaincre par ma famille de me lancer dans ce projet » (Andry). Le projet est perçu comme
une activité intellectuelle créative, un moyen de s’épanouir. Toutes les personnes interrogées parlent
de leur projet avec enthousiasme. Il véhicule des images positives sur leur avenir professionnel. Le
concrétisant par une offre acceptable par le marché, les porteurs de projet font preuve
d’innovation. Joseph Schumpeter est l’un des premiers à définir l’entrepreneur comme une
(1934). Cette combinaison peut se traduire soit en introduisant un nouveau produit sur le
marché, une nouvelle méthode de production, en ouvrant un nouveau marché, en exploitant
de travail. Cette dimension économique est reprise par Alain Fayolle, « les entrepreneurs
tels que « Je veux générer des revenus avec mon entreprise » (Jean-Baptiste), « Développer
un projet de A à Z est vraiment stimulant » (Jean-Pierre).
!144
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
Revendre l’activité 7, 10
Protéger l’emploi 2
Prouver sa compétence 1, 2, 3, 4, 10
1, 2, 6, 9
Se sentir libre
6
Etre connu(e)
1, 3, 5, 6, 8
Motivations Changer de vie
existentielles 1, 6, 8, 9
Assurer un déplacement géographique
1, 3, 4
Devenir chef d’entreprise
1, 2, 3, 6, 7, 8, 9,
Etre fier(e) de développer un projet 10
Adapter son activité à ses contraintes personnelles 5, 6, 8
!145
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
•Les motivations sociales. Les personnes interrogées peuvent être plus ou moins sensibles à
la satisfaction que leur activité va apporter aux autres. Certaines personnes choisissent de
développer un projet pour tisser des liens avec les autres, participer à une communauté ou
renouer des liens perdus avec sa famille. La création de liens sociaux peut aller au-delà du
réseau direct. L’ancrage territorial est souvent un facteur important dans la mesure où le
porteur de projet souhaite vivre et s’inscrire dans une communauté locale. L’activité peut
veux générer des emplois avec mon entreprise » (Louis), « Je veux être utile aux autres avec
•Les motivations existentielles. Développer une activité qui a du sens pour soi est une
caractéristique souvent évoquée par les personnes interrogées. A travers le projet, les
personnes recherchent être en adéquation avec leurs valeurs, souvent étroitement liées avec
leurs valeurs familiales. Le plaisir de travailler pour soi et le sentiment d’être libre sont
souvent des éléments clés pour les porteurs de projets. « Le patron implique un rapport
créer mon entreprise » (Samia), « C’est l’occasion de vivre d’une passion que j’entretiens
Après avoir présenté les sources d’insatisfaction professionnelle ainsi que les sources de motivation
engendrées par le projet, voici à présent la prise de risque perçue au désengagement salarial.
!146
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
Le désengagement salarial est systématiquement associé à une prise de risque. C’est une situation
paradoxale à laquelle les personnes sont confrontées. D’une part le désengagement professionnel
conduit à faire face à un grand nombre d’incertitudes. Mais paradoxalement le désengagement
salarial leur permet également de développer une autre vision sur leur situation professionnelle.
Tout d’abord la relation au risque perçue est étroitement associée à l’histoire de chacun. L’une des
personnes interrogée nous confie « je ne veux pas me planter encore une fois » (Timothé). Cette
personne ayant déjà été confrontée à l’échec professionnel au cours de sa carrière, le projet
constitue une prise de risque importante pour elle. Un nouvel échec provoquerait une importante
perte de confiance pour elle. Le risque financier est évidemment à prendre en considération. « Mon
projet demande un investissement financier important. Je ne sais pas si je suis en mesure de
l’assumer » (François). L’entourage joue également un rôle important dans l’évaluation de la prise
de risque. Des personnes ayant des entrepreneurs dans leur entourage vont exprimer moins de
craintes sur leur prise de risque que d’autres. « Ma femme est issue d’une famille de fonctionnaires
où ils ne prennent pas de risques. Le rythme de vie, les problématiques ne sont pas les mêmes qu’un
entrepreneur. Devenir entrepreneur est pour eux une prise de risque inconsidérée, surtout avec un
enfant à charge » (Philippe). Le choix d’entreprendre ne concerne pas seulement le porteur de
projet. Cela va avoir des conséquences sur son entourage proche, à commencer par sa famille. Une
personne célibataire ne va pas porter le même regard sur la prise de risque qu’une personne en
couple en particulier si elle est mère ou père de famille. « En tant que maman célibataire, je dois
jongler entre la vie de famille, ma vie de femme et mon projet d’entreprise. Ce n’est pas simple tout
D’autre part en agissant autrement que les autres salariés de leur entreprise, les personnes
interrogées parviennent à élargir leur espace de liberté. Ce nouveau regard qu’elles portent sur leur
environnement est à l’image de l’entrepreneur Schumpétérien qui consiste à utiliser autrement les
ressources de l’entreprise en les combinant d’une manière plus libre que les autres. « Depuis que je
développe mon projet, je porte un regard différent sur mon poste. Comme si je regardais les choses
d’en-haut » (Marie-Ange). Pour se sentir plus libre dans son travail, le projet peut être développé en
!147
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
parallèle de leur emploi comme une passion. « Je développe mon projet depuis trois ans maintenant
le soir et le week-end. Je ne me suis jamais dit que j’allais faire ça à temps plein. C’était juste une
activité secondaire qui me rapportait un peu d’argent et me permettait de relativiser les problèmes
être perçu comme une bouée de sauvetage en cas de difficultés professionnelles. Développé plus ou
moins régulièrement sur le temps libre, il donne un sentiment de sécurité à certaines personnes
interrogées. « Au cas-où » est une expression que nous avons souvent entendu. « Le produit est de
bonne qualité. C’est une activité qui génère des revenus réguliers sans consommer trop de
ressources. C’est une sécurité si jamais je me retrouve au chômage un jour » (Louis). Pour quelques
A présent nous pouvons mettre en évidence les prises de risques perçues par les personnes
!148
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
Perte de rémunération 1, 2, 3, 5, 8, 10
Instabilité familiale 2, 4, 5, 6, 8
Sentiment de solitude 2, 3, 4, 5, 6, 10
Perte de sommeil 3, 4, 5, 6, 7, 10
Culpabilité 5, 6
!149
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
•Les risques économiques. Les témoignages que nous avons récoltés mettent en avant le
de me retrouver sans rien » (Benjamin). Le choix est aussi difficile pour celles dont la
rémunération est plus faible et qui n’ont pas beaucoup d’argent de côté. « J’ai multiplié les
petits-boulots depuis plusieurs années. Ma famille peut m’aider mais cela ne va pas durer
longtemps » (Andry). Le(la) conjoint(e) est important pour les personnes vivant en couple.
C’est souvent lui(elle) qui va assurer le maintien de niveau de vie pendant la durée du
lancement du projet pendant lequel la rémunération va être plus faible voire inexistante. La
perte des avantages sociaux sont aussi un facteur de risque, notamment pour les salariés des
compte ! » (Marie-Ange). Cette perte des avantages sociaux sont également un frein pour
les personnes qui ont des enfants à charge « L’absence de mutuelle est une perte importante
pour moi. Mes deux enfants portent des lunettes. Et ils sont souvent malades. C’est un coût
non négligeable à l’année » (Samia).
•Les risques sociaux. Les personnes interrogées nous indiquent que la perte de leur statut de
salarié est une source d’inquiétude. « Le salariat est synonyme de sécurité de l’emploi, en
par le désengagement salarial. « Mes amis m’ont dit que j’étais fou » (François). Le
sentiment de solitude est également fréquemment cité. « C’est difficile de travailler depuis
chez moi. J’ai besoin de voir des gens » (Sylvie). Pour certaines personnes dont la carrière
salariale a été marquée par des succès, il est parfois difficile de se lancer dans une activité
temps entre Paris et Londres. Maintenant je compte vendre du linge de maison tout seul
!150
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
depuis un incubateur » (Nicolas). Le risque d’instabilité familiale est alors un frein pour de
repassage » (Philippe).
•Les risques existentiels. L’incertitude liée au projet est la principale source d’inquiétude
pour les personnes interrogées. « Je ne sais pas si mon projet va réussir » (Samia). Ensuite
vient le sentiment de solitude. « Etre seul à développer mon projet est pesant. J’en parle
avec ma femme, mais elle ne comprend pas les problèmes de l’entrepreneur » (Philippe).
L’inquiétude peut engendrer un changement dans les habitudes de consommation. « Je
passe beaucoup plus de temps dans des soirées de réseautage. Le problème est que je fume
et je bois aussi beaucoup plus qu’avant » (Benjamin). Le changement de rythme de travail
engendre également un sentiment de culpabilité chez les personnes interrogées. « Après
déjeuner, j’ai pris l’habitude de me reposer 20 minutes dans le canapé. Je me sens un peu
coupable de le faire. Surtout lorsque je m’endors 2 heures ! » (Philippe) Cela peut
engendrer des sentiments plus graves comme du mal-être ou de l’angoisse. « Je n’arrive
plus à dormir correctement. Je suis tout le temps en train de réfléchir à ce que je dois faire,
comment m’y prendre et avec qui » (Samia).
La combinaison des trois facteurs à savoir (1) les sources d’insatisfaction professionnelle, (2) les
motivations engendrées par le projet et (3) la prise de risque du projet, contribuent au
désengagement salarial, que nous allons présenter.
!151
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
•L’insatisfaction professionnelle
Prise de
risque
perçue
B
A C
Motivations
générées par le Désengagement
projet salarial
D Insatisfaction
professionnelle
Le regroupement de ces trois surfaces permet de générer quatre zones distinctes (A, B, C, D)
trois zones que les conditions sont réunies pour que le désengagement professionnel du
!152
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
par son projet et estime acceptable la prise de risque au désengagement salarial que le projet
induit.
•La zone B représente une zone où la personne est motivée par un projet entrepreneurial et
estime acceptable la prise de risque du désengagement salarial. Toutefois elle est encore
•La zone C représente une zone où la personne est insatisfaite professionnellement et évalue
•La zone D représente une zone où la personne est à la fois insatisfaite professionnellement
et motivée par son projet entrepreneurial. Toutefois la prise de risque perçue du
désengagement salarial est trop forte pour que le désengagement professionnel du salariat
•La perception de la prise de risque du désengagement salarial est celle du porteur de projet.
Elle ne reflète pas forcément la réalité. Cette perception peut-être variable d’une personne à
une autre. Un accompagnateur peut ne pas percevoir la même prise de risque que le porteur
de projet et inversement20.
20 A titre d’illustration, nous avons eu l’occasion de rencontrer des porteurs de projet bénéficiant d’une
confortable rémunération, d’avantages de toutes sortes (comité d’entreprise généreux, véhicule de fonction,
complémentaire santé, etc.), d’une ambiance de travail jugée satisfaisante et d’un plan de carrière intéressant.
Le risque à se désengager professionnellement de leur poste de salarié était pour nous assez fort. Mais pour
eux la prise de risque était jugée faible.
!153
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
•Le poids de chaque registre n’est pas à négliger. Ce n’est pas parce qu’une personne est
insatisfaite professionnellement qu’elle va forcément entreprendre. Inversement ce n’est pas
parce qu’elle est relativement satisfaite de son poste actuel qu’elle ne va pas décider de
développer un projet. Le projet entrepreneurial peut faire émerger en elle une telle
5. Synthèse de la section
Dans ce chapitre, nous nous intéressons aux résultats de la première proposition de notre recherche
à savoir : Le projet entrepreneurial est un moyen pour une personne de donner du sens à sa
trajectoire professionnelle. Elle peut faire appel à un accompagnateur qui va l’aider à le mettre en
récit.
Cette première section a permis de présenter les enjeux de la transition professionnelle du salariat à
l’entrepreneuriat pour le porteur de projet. C’est la question du pourquoi qui est posée. Pour cela
nous avons développé une théorie du désengagement professionnel basé sur trois éléments :
l’insatisfaction professionnelle, les motivations générées par le projet et la prise de risque perçue
par le désengagement salarial. Chaque élément fait l’objet d’un référentiel issu de l’échantillon
étudié. Nous proposons que le désengagement salarial intervient à la rencontre de ces trois
éléments.
posée.
!154
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
professionnelle, des motivations générées par le projet et de la prise de risque perçue. Ce sont les
correspondances entre ces trois registres qui permettent de comprendre la genèse et le
renoncer à son projet, les conditions de travail peuvent changer, les motivations associées au projet
peuvent évoluer ou encore la prise de risque peut augmenter ou diminuer. L’engagement ou non de
la personne dans son projet tient compte de ces trois aspects. Durant cette période le projet peut
trajectoire professionnelle, la trajectoire sociale ou la trajectoire financière par exemple. Ce sont les
du projet entrepreneurial. Les enjeux du projet entrepreneurial influencent les rapports avec la
famille, les rapports avec les amis, les rapports avec les relations professionnelles et contribuent à
façonner l’univers de ces derniers. Pour analyser les processus à l’oeuvre, il nous faut comprendre
dans quelle mesure l’histoire est agissante dans le projet entrepreneurial, par quelles décisions et
influences on passe d’une trajectoire salariale à une trajectoire entrepreneuriale et comment les
Considérer le projet entrepreneurial comme le produit d’une histoire remet en cause l’emprise que
l’individu peut avoir sur son projet. Les entrepreneurs tendent souvent à considérer leur projet
comme la résultante de leur travail, de leur énergie et de leurs talents. « Mon projet c’est mon
bébé » est une phrase souvent entendue lorsque l’on écoute les entrepreneurs. Accepter de
considérer son projet comme un élément d’un processus qui s’enracine profondément dans le passé
et qui se poursuivre au-delà, heurte la perception de domination et plus encore les désirs
d’influencer sa trajectoire professionnelle vers un futur meilleur. Cela demande parfois un travail
!155
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
La famille, les amis ou les relations professionnelles inscrivent leurs effets dans le projet
entrepreneurial. Chacun d’eux est relié au projet entrepreneurial par une série d’influences
économiques, sociales, affectives dont une bonne part sont inconscientes. C’est là qu’il faut
est contraint par ses liens qui entravent sa liberté de mouvement, mais ces liens sont également des
liaisons : elles insèrent l’individu au travers son projet entrepreneurial dans un réseau relationnel
En ce sens, le projet entrepreneurial est un porteur d’histoire. Cette formule doit être comprise sur
plusieurs plans :
•Le projet entrepreneurial est le produit d’une histoire. Le projet se construit à partir des
peut être considéré comme le produit d’une histoire, il en est également le producteur. Au
travers de son projet, l’entrepreneur est en capacité d’intervenir sur sa propre histoire et
peut l’influencer.
Ces différentes dimensions sont particulièrement visibles chez les personnes dont la trajectoire est
marquée par des changements importants, qu’elles soient familiales ou sociales. C’est le cas de
Nina dont l’identité est traversée par des passions entrepreneuriales familiales. C’est également le
cas de François, issu du monde ouvrier, qui épouse une femme issue d’une famille d’entrepreneurs.
!156
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
Nina est une jeune étudiante de 20 ans qui poursuit ses études dans le prestigieux Institut d’Etudes
Politiques de Paris, communément désigné par Sciences Po. A priori rien ne la destine à créer une
entreprise. Passionnée par la musique, les voyages et les rencontres - passions qu’elle tient de ses
parents Pierre et Colette - son ambition à son jeune âge est plutôt de parcourir le monde.
C’est à l’anniversaire de Nina que son frère, Thomas, lui offre un sac à main confectionné par ses
soins à l’aide de machines-outils très spécifiques. Thomas a terminé ses études d’ingénieur et vient
de rentrer d’une année passée en Afrique du Sud en compagnie de sa mère Colette. Il rentre en
France car il vient de décrocher un emploi en tant que responsable d’un FabLab à Compiègne dans
le Nord de Paris. Un FabLab est un lieu permettant d’avoir accès à des machines-outils
habituellement réservées aux professionnels telles que des imprimantes 3D, des découpeuses laser
ou encore des brodeuses numériques. Lors de la rentrée de Nina, le sac attire la curiosité de ses
amies et fait des envieuses. Forts de ce constat et de ce sac qui deviendra leur premier prototype,
Thomas et Nina décident de se lancer dans l’aventure entrepreneuriale. Louis, leur frère, alors
gestionnaire de marque dans une grande entreprise, quitte son emploi et se joint à eux. Salarié
depuis 2 ans auprès de cette entreprise, son départ s’effectue sous la forme d’une rupture
conventionnelle. Ce type de départ lui permet de bénéficier de ses allocations chômage pendant 18
mois. Cela lui laisse alors le temps de développer le projet familial même si celui-ci ne lui permet
pas dans les premiers temps de se rémunérer.
Si au départ, la belle équipe doit faire face à des incompréhensions et se heurte à des complications
ensemble au positionnement de leur marque, au business plan, au test de leur produit en sondant
leurs amis (choix des couleurs, des formes, etc.). Lorsqu’il a fallu trouver un nom, cela fait
l’unanimité : Noüne, le surnom que Thomas et Louis donnent depuis toujours à leur pétillante soeur
Nina ! Peu à peu ils trouvent leur équilibre entre Louis à 100% sur le projet et Thomas et Nina qui
21 Nous avons réalisé notre accompagnement auprès du frère de Nina, Louis. Pour faciliter la compréhension
de ce cas, nous avons choisi de mettre Nina au coeur du récit compte tenu qu’elle est centrale dans le projet.
!157
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
jonglent entre leurs obligations professionnelles et étudiantes. Thomas travaille en parallèle pour
une autre start-up dans le domaine maritime. Nina mène une double vie : la journée en stage pour
un label de musique et la nuit sur Noüne.
La réussite de la marque est incontestable. Après une levée de fonds en crowdfunding réussie, la
collection s’étoffe de deux nouveaux modèles : Yvonne et Irène, les prénoms de leurs grands-mères.
Les ventes explosent au point d’être en rupture de stock. Trois ans après, l’entreprise existe
toujours. Elle est hébergée dans un prestigieux incubateur parisien. Louis, Thomas et Nina
continuent de développer l’entreprise. Mais tous sont également impliqués dans une autre start-up
en parallèle. Ils ne considèrent pas Noüne comme leur activité principale, seulement comme la
sens. Lorsqu’on les interroge sur les valeurs de leur marque, ils la décrivent comme étant « libre et
spontanée, avec une âme d’aventurière toujours prête à explorer de nouveaux horizons ». Ces
qualificatifs empruntés aux pratiques familiales dépassent les frontières de l’objet et le rendent
François est issu d’une famille populaire. Il est le fils d’un ouvrier militant à la CGT et d’une mère
au foyer. Après son baccalauréat il enchaine les petits boulots. Il est embauché à l’âge de 20 ans
dans une imprimerie parisienne. Il y restera vingt-deux ans. Tout au long de sa carrière, il gravit les
échelons les uns après les autres. « Je suis passé de la blouse bleue au costume » dit-il. Il sera tour à
tour apprenti, cariste, responsable de ligne, chef de secteur puis directeur de production. Il est fier
de son parcours et n’envisage pas à ce moment de créer son entreprise.
Ses évolutions professionnelles ont eu un effet majeur sur sa vie de famille. Ses économies lui
permettent d’acheter une petite maison en Angleterre. Les séjours de l’autre côté de la Manche sont
fréquents. Le choix du pays ne doit rien au hasard. Cet homme est marié à une anglaise issue d’une
famille d’entrepreneurs. Son grand-père, son père et sa soeur sont à la tête de leurs entreprises
!158
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
respectives. Les repas de famille sont à chaque fois l’occasion de lui rappeler qu’il n’est pas
entrepreneur. « Moi j’ai passé toute ma vie à exécuter des ordres » précise-t-il.
François est pourtant fier de son évolution professionnelle. Mais il déchante lorsqu’il apprend que
son employeur souhaite se séparer de lui. L’imprimerie est victime de la concurrence et doit réduire
sa petite entreprise. En effet depuis quelques années il développe une petite activité en parallèle à
son emploi. Jusqu’alors il ne s’investissait pas énormément dedans. « Cela permettait surtout de
compléter le salaire » comme le précise François. Avec le PSE, cela lui donne la possibilité de
s’investir dans son activité en bénéficiant d’une formation à l’entrepreneuriat. A cela s’ajoute des
indemnités de départ ainsi que la sauvegarde de ses Allocations de Retour à l’Emploi (ARE).
Il décide de suivre des cours du soir au Conservatoire National des Arts et Métiers pour obtenir une
Licence en gestion de petite entreprise. Sa formation prendra neuf mois pendant laquelle il
développe son projet d’entreprise. La fin de sa formation est une double réussite. C’est une réussite
d’obtenir un diplôme de l’enseignement supérieur, lui qui n’avait que le bac. C’est aussi une
réussite d’être reconnu comme entrepreneur par des professionnels du métier. Après avoir été
ouvrier puis cadre intermédiaire c’est une consécration de devenir chef d’entreprise comme la
famille de sa femme.
Son activité est celle de la vente d’accessoires de mode pour petits chiens. La femme de François
aime beaucoup son animal de compagnie qu’elle considère comme un membre de la famille.
François a remarqué que sa femme choisit souvent les accessoires de son petit chien en fonction de
ses vêtements à elle. Par exemple le collier du chien est de la même couleur que la robe de
Madame. Il lui arrive aussi de vernir les ongles de son chien de la même couleur que ses propres
ongles. Cette observation a permis à François de découvrir un marché inexploité en France dans le
secteur de la mode canine, alors que de nombreuses entreprises existent notamment en Angleterre.
Mais le développement de son entreprise ne se déroule pas comme prévu. Deux ans plus tard,
l’activité ne décolle pas. Le chiffre d’affaire est de quelques milliers d’euros bien loin des centaines
!159
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
de milliers d’euros que réalisent les membres de sa belle-famille. Le statut juridique de l’entreprise
est celui de l’auto-entreprise. « Ce n’est pas une vraie entreprise » nous confie-t-il. François
éprouve un sentiment d’échec. Ses indemnités chômage arrivent à leur terme. Il décide alors de
placer ses indemnités de départ qu’il avait mis de côté dans un MBA entrepreneur dans une école de
commerce parisienne. « A défaut de devenir un vrai chef d’entreprise, je réussirai mon parcours
scolaire » nous précise-t-il.
Pour développer son activité François a besoin de financements. Cet argent lui permettrait d’acheter
du matériel, d’embaucher et de payer des locaux professionnels. Mais son banquier lui refuse. Sa
femme lui propose que sa famille lui prête de l’argent. D’abord François refuse ne voulant pas être
dépendant de sa belle-famille. Il finira par accepter. Deux ans plus tard, l’entreprise de François est
une petite activité qui lui permet de dégager un Smic. « Je m’en contente pour le moment » dit-il.
L’entreprise pourrait fonctionner sous le statut de l’auto-entreprise, mais François a préféré opter
pour la Société par Action Simplifiée Unipersonnelle (SASU) qui « donne une image plus
sérieuse ». Son MBA est sa plus belle réussite. Le jour de sa remise de diplôme, il est fier de venir
Les exemples de Nina et de François illustrent l’hypothèse selon laquelle le projet entrepreneurial
est un moyen pour une personne de donner du sens à sa trajectoire professionnelle et qu’un
accompagnateur peut aider la personne à le mettre en récit. Le projet est traversé par une histoire
personnelle et professionnelle. Le projet est la résultante d’un processus historique. Leurs histoires
vont influencer leurs comportements, leurs façons d’être, leurs attitudes et leurs choix dans la
porteur de projet. Non seulement de l’intérieur mais également de l’extérieur, parce que les projets
de Nina et de François ne peuvent être totalement compris qu’en référence à leurs histoires.
!160
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
Le projet se forme à partir de l’histoire de son porteur. Le porteur garde en lui ses relations
antérieures et en premier lieu avec sa famille. L’histoire des personnes participe à la construction de
la valeur ajoutée de leur projet. L’analyse de leurs rapports sociaux et de leurs positions sociales
entrepreneuriaux. La posture de l’accompagnateur ne doit donc pas être seulement technique. Seule
une approche herméneutique peut prendre en compte le poids de l’histoire dans le projet. Le projet
est à la croisée d’une série de trajectoires économiques, sociales et existentielles. Chacune de ces
trajectoires ne peut être dissociée des autres, dans la mesure où c’est leur imbrication qui produit la
inexact de considérer le projet comme uniquement la suite d’une série de positions objectives de
son porteur (emplois, études, diplômes, passions, etc.). Le projet est également influencé par les
représentations subjectives où se jouent les affects, les fantasmes, les représentations et les
sentiments du porteur. Le projet est le support de la réalisation des rapports économiques, sociaux et
les positions objectives et les représentations subjectives du porteur de projet. La figure 10 illustre
cette articulation entre les positions objectives et les représentations subjectives comme le permet la
Le projet est un héritage de l’histoire de son porteur. Le secteur d’activité, les compétences
exploitées, les réseaux utilisés, le lieu d’installation, le financement, les valeurs défendues sont le
produit des trajectoires de la personne. C’est en ce sens que l’histoire de la personne permet de
comprendre comment son projet est construit. L’histoire permet de saisir la manière dont la
personne va façonner son projet. Dès lors en présentant son projet comme le produit de son histoire,
la personne se donne la possibilité de donner du sens à son projet en exploitant ses évènements
!161
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
d’autobiographie raisonnée que nous avons utilisé nous semble prometteur. Les évènements passés
vont trouver une nouvelle signification dans le projet. La personne ne peut changer son histoire. En
revanche, elle peut lui donner une nouvelle signification à travers son projet. Elle peut ainsi
construire son futur sur la base de ses évènements passés et de l’interprétation qu’elle leur donne a
Figure 10 : L’influence des positions objectives et des représentations subjectives sur le projet
(démarche d’autobiographie raisonnée)
!162
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
Si l’histoire incline le projet entrepreneurial, elle ne le décide pas. Identifier les déterministes en
sens où le devenir du projet n’est que la résultante de son histoire. Si l’histoire influence le devenir
du projet, le porteur de projet garde la capacité de modifier ce futur, d’opérer une réécriture ou de le
faire percevoir comme tel. Faire prendre conscience de la façon dont les choix du porteur de projet
projections que la personne se fait de son avenir. Verzat (2010) indique que « le projet
entrepreneurial apparaît alors comme un moyen de redéfinir sa vie ». Le projet agit comme une
courroie de transmission de l’histoire de chacun. Cette conception dynamique de la construction
d’un projet entrepreneurial met l’accent sur le rapport entre ce qui s’est passé et qui peut advenir. A
travers son projet la personne permet de produire sa propre histoire. La personne doit alors, d’une
part, comprendre et intégrer le sens de son histoire et, d’autre part, mettre en place des stratégies qui
Jean-Paul Sartre considère que les actions d’une personne n’ont de sens que lorsqu’elle les réalise.
Le sens que la personne va donner à ses actions lui est propre. Elle se base sur son passé afin de
construire son devenir. « L’homme est non seulement tel qu’il se conçoit, mais tel qu’il se
veut » (1996:29-31). C’est en se projetant que la personne peut se construire, c’est en construisant
des projets qu’elle peut se réaliser. Le sens que la personne va donner à ses actions est alors
emprunte de subjectivité puisqu’elle est basée sur son histoire personnelle, sur l’interprétation
La subjectivité n’est pas seulement individuelle, on la découvre aussi par les autres. Dans la
philosophie de Sartre, le sens que donne une personne à ses actes ne peut exister qu’à partir du
!163
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
moment où les autres le reconnaissent également comme tel. « L’autre est indispensable à mon
existence, aussi bien d’ailleurs qu’à la connaissance que j’ai de moi » (Sartre, 1996:59). Pour créer
du sens à ses actions, il faut passer par le regard de l’autre. Il s’agit alors d’intersubjectivité. C’est à
travers des perceptions croisées que le sens des actions prend forme et que la personne peut
construire son devenir. Le projet entrepreneurial de tout porteur s’inscrit dans un environnement. La
personne n’est pas enfermée en elle-même mais présente dans un univers social. Ce n’est pas en se
retournant vers elle-même mais toujours en confrontant son projet au regard des autres qu’elle va
donner du sens à celui-ci. La personne ne peut réaliser son projet entrepreneurial qu’au travers des
autres. C’est à travers eux qu’elle va donner du sens à ses actions et construire son projet.
Pour rappel, l’autobiographie raisonnée propose une démarche en trois étapes. La première étape se
réalise en face à face (accompagnateur - personne accompagnée). Elle permet de tisser des liens
dans l’histoire de la personne accompagnée. La seconde étape se réalise seule (la personne
accompagnée). Elle invite un travail d’introspection destinée à donner du sens à son projet à l’aide
des fils conducteurs identifiés dans l’étape précédente. La troisième étape se réalise en petit groupe
transmettre aux autres participants le sens du projet que chaque personne accompagnée à identifiée
à l’étape précédente.
En étudiant la manière dont les personnes donnent vie à leur histoire à travers leurs projets, nous
avons extrait un tableau synthétisant leurs pratiques (tableau 13). Les colonnes du tableau
représentent les principales catégories de fils conducteurs que nous avons découverts avec les
personnes accompagnées lors de leurs entretiens d’autobiographies raisonnées (étape 1). Les
pratiques que nous avons référencées sont issues de nos observations sur la façon dont les personnes
« donnent vie » à leurs fils conducteurs dans leur projet (étape 2) et le transmettent aux autres (étape
3). Durant les mois suivants, un travail d’accompagnement personnalisé se met ensuite en place
avec chaque personne accompagnée afin de l’aider à mettre en place techniquement ce fil
!164
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
conducteur (création de logo, construction d’un pitch, mise en relation avec un ESAT22 , etc.). C’est
22 Etablissement et Service d’Aide par le Travail (ESAT). Un ESAT est un établissement médico-social qui a
pour objectif l'insertion sociale et professionnelle des adultes en situation de handicap.
!165
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
Avec l’autobiographie raisonnée, le porteur peut raconter son projet en s’appuyant sur son histoire.
Cela l’aide à construire un storytelling plus ou moins captivant, passionnant ou bouleversant. Les
anecdotes, les évènements personnels ou les histoires de vie sont autant de moyens de valoriser le
projet. Réalités et fantasmes viennent alors s’y condenser comme au théâtre. Ces valorisations
d’histoires individuelles illustrent chacune à leur manière les fils conducteurs des parcours de vie.
Le porteur exploite alors ses fils conducteurs et les transforme en source de valeur ajoutée pour son
projet. Le projet « (re)donne vie » à une expérience vécue et la valorise dans un discours
commercial, un étiquetage, un logo ou encore une décoration de locaux. Les exemples cités dans le
tableau illustrent les créations originales que les porteurs de projet ont réalisé aidé par la démarche
d’autobiographie raisonnée suivi d’un accompagnement technique. Ce tableau n’a pas vocation à
L’autobiographie raisonnée est un outil qui aide le porteur de projet pour gagner le coeur d’un
interlocuteur en valorisant un évènement personnel, une passion ou une philosophie de vie. En
s’appuyant sur une « vraie » histoire, le porteur donne des origines à son projet. L’interlocuteur peut
alors se reconnaître dans le projet et être séduit par le produit ou l’offre proposée. Cette conception
!166
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
dynamique de l’histoire du porteur et de son projet permet de mieux comprendre qu’il existe un lien
étroit entre le porteur et son projet, ce que Bruyat nomme dialogique personne - projet (1993, 2001).
Une identification se met en place entre le porteur et son projet. L’histoire de l’entrepreneur et
parfois tellement source de valeur ajoutée pour le projet qu’il est difficile de dissocier les deux (en
Comme pour Nina ou François, c’est un travail de réécriture de son histoire que le porteur opère
afin d’ouvrir un champ des possibles. Le désir de corriger la réalité ne sera alors pas le même si le
porteur de projet occupe une positon sociale privilégiée ou s’il risque le déclassement social, par
exemple à cause du chômage. Lorsque le porteur est dans une position privilégiée (cas de Nina et de
des acquis sociaux ou encore une histoire familiale. Lorsque le porteur a le sentiment de risquer le
déclassement social (cas de François), la démarche d’autobiographie raisonnée a poussé le porteur à
Tous les porteurs font des rêves sur le devenir de leur projet. Certains sont moteurs, ils donnent
envie au porteur de réussir, de l’énergie et les moyens réalistes d’y parvenir. D’autres sont des
leurres, ils entretiennent l’illusion d’un devenir inaccessible, ils proposent de courir après un idéal
de projet mais incohérent avec l’histoire du porteur. Le projet est parfois tellement fantasmé qu’il ne
correspond pas à une réalité passée. Un changement radical de vie, un besoin de notoriété ou une
revanche professionnelle peuvent par exemple être source de grandes déceptions. Entre narcissisme
!167
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
3. Synthèse de la section
Dans ce chapitre, nous nous intéressons aux résultats de la première proposition de notre recherche
à savoir : Le projet entrepreneurial est un moyen pour une personne de donner du sens à sa
trajectoire professionnelle. Elle peut faire appel à un accompagnateur qui va l’aider à le mettre en
récit.
Bruyat (1993, 2001). Nous avons considéré le projet comme un porteur d’histoire, c’est-à-dire
comme le produit d’une histoire passée et le producteur d’une histoire future. En plaçant le projet
dans une démarche biographique, cela permet de mieux comprendre les déterministes en termes de
réseaux, de mobilité, de pouvoir financier ou d’héritage par exemple qui permettent de comprendre
comment les choix du porteur de projet sont conditionnés par son histoire.
professionnelle, au sens où le devenir du projet n’est que la résultante de son histoire. Le projet
influence directement l’avenir du porteur de projet. Mais si l’histoire influence le devenir du projet,
le porteur de projet garde la capacité de modifier ce futur, d’opérer une réécriture de son histoire ou
de le faire percevoir comme tel. En nous appuyant sur la démarche d’autobiographie raisonnée,
nous nous sommes aperçu que les porteurs de projet peuvent « donner vie » à des fils conducteurs
dans leur projet. Cette approche dynamique des fils conducteurs comme source de valeur ajoutée
pour le projet permet d’illustrer une double posture pour l’accompagnateur à la fois technique et
herméneutique.
!168
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
Synthèse du chapitre
A l’issu de ce chapitre, nous pouvons affirmer que le projet est un moyen pour donner du sens à sa
D’une part, nos travaux ont permis d’étudier les raisons qui poussent un salarié à devenir
entrepreneur. Nous avons développé une théorie du désengagement salarial basé sur trois éléments :
cette étude, complétés par les données secondaires (documents projets, bioscopies et échanges
téléphoniques) ont permis de répartir les données en trois référentiels, chacun divisé en trois
catégories (économique, sociale et existentiel). Le désengagement salarial intervient lorsque la
personne est insatisfaite dans son travail, qu’elle est motivée par un projet entrepreneurial et qu’elle
professionnelle, des motivations générées par le projet et de la prise de risque perçue. Ce sont les
renoncer à son projet, les conditions de travail peuvent changer, les motivations associées au projet
peuvent évoluer ou encore la prise de risque peut augmenter ou diminuer. L’engagement ou non de
la personne dans son projet tient compte de ces trois aspects.
trajectoire familiale, etc.). Cela signifie que le projet va influencer les différentes trajectoires de la
personne (ses perspectives professionnelles, ses compétences, son temps passé avec sa famille, ses
cercles d’amis, etc.). A l’inverse l’histoire du porteur va influencer ses choix (ses passions, ses
expertises, ses convictions, etc.). Le projet entrepreneurial est donc un porteur d’histoire. Derrière
cette formule, nous voulons signifier deux choses. D’une part le projet entrepreneurial est le produit
!169
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
d’une histoire passée. D’autre part il est le producteur d’une histoire à venir. En comprenant
comment le projet s’ancre dans l’histoire du porteur, cela permet d’orienter l’accompagnement.
Nous avons étudié les parcours des porteurs de projet. Pour cela la méthode de l’autobiographie
raisonnée a été utilisée. Cette méthode a été conçue par le sociologue Henri Desroche au cours des
années 70. Elle est aujourd’hui reprise et adaptée par de nombreux professionnels de l’éducation
des adultes dont le Centre d’Economie Sociale (CESTES) sous la direction de Jean-Francois
travers notamment ses formations formelles (scolarité, formations continue, etc.), ses formations
non formelles (auto-apprentissage, séminaires, etc.) ses activités sociales (associatives, voyages,
etc.) et ses activités professionnelles (emplois, stages, etc.). Ces quatre trajectoires vont être utiles
pour extraire des fils conducteurs, c’est-à-dire des domaines de cohérence dans le parcours de vie.
L’autobiographie raisonnée se déroule en trois étapes. D’abord un entretien est exercé en binôme.
autour des fils conducteurs sont pratiquées en petit groupe. Cette méthode n’a jamais été présentée
- Le premier intérêt est de donner une « trame » à l’accompagnateur pour comprendre le parcours
- Le second intérêt de la méthode est qu’elle est à la fois orale et écrite, individuelle et collective.
Le porteur de projet va successivement travailler en duo sur l’élaboration de son projet, puis seul
et enfin le présenter face à un collectif. Cet enchaînement aide la personne à construire son projet
- Le troisième intérêt est d’extraire de l’histoire de la personne des fils conducteurs. Ces fils
conducteurs vont aider la personne à « donner vie » à son projet (choix de l’implantation
!170
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle
géographique, noms des produits, décoration de la boutique, etc.). Cela alimente directement le
L’une des dimensions les plus essentielles dans cette méthode est qu’elle permet de collecter des
informations qui vont aider l’accompagnateur dans son diagnostic et ses recommandations. Le
exprimer des évènements, des dates ou des personnes qui vont l’aider à apporter une réponse
adaptée. A l’inverse lorsque l’accompagnateur mène un accompagnement de ce type, il va recueillir
des données, des retours d’expériences qui vont l’aider professionnellement. Cette méthode pousse
Dans le chapitre suivant, nous allons nous intéresser aux résultats de la seconde proposition de notre
recherche à savoir : Les besoins d’accompagnement sont différents selon la phase de transition
professionnelle dans laquelle s’inscrit la personne. Par conséquent l’accompagnateur peut adapter
sa démarche selon la phase du processus de transition.
!171
Chapitre V
LES BESOINS D’ACCOMPAGNEMENT
DANS LA TRANSITION PROFESSIONNELLE
Le second enjeu de cette recherche s’interroge sur les besoins d’accompagnement dans la transition
professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat. Le processus de transition professionnelle se
compose de trois phases. La phase de désengagement avec son activité passée, la phase d’entre-
deux où la personne n’est plus totalement dans la salariat ni totalement dans l’entrepreneuriat et la
Dans ce chapitre, nous allons nous intéresser aux résultats de la seconde proposition de notre
recherche à savoir : Les besoins d’accompagnement sont différents selon la phase de transition
professionnelle dans laquelle s’inscrit la personne. Par conséquent l’accompagnateur peut adapter
sa démarche selon la phase du processus de transition.
Pour cela nous allons présenter nos résultats en deux sections. La première section va porter sur les
besoins d’accompagnements des porteurs de projet au cours de leur transition professionnelle. C’est
la question du pourquoi qui est posée. La seconde section va se porter sur la posture
Pour illustrer nos propos nous allons nous appuyer sur des extraits d’entretiens.
!172
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
Dans les différents récits des personnes interrogées, le sentiment « d’avoir le cul entre deux
caractérise par une posture d’entre-deux plus ou moins longue selon les personnes interrogées.
• D’une part les personnes se désengagent d’un monde professionnel dans lequel elles ont
agi, parfois depuis plusieurs années. Le désengagement du salariat peut être source
d’inconfort, d’isolement voire d’exclusion par leur communauté d’origine. En retrait de leur
milieu professionnel, elles se sentent peut à peu exclues de leur communauté d’origine. Des
sentiment de trahison.
professionnel, ces personnes doivent faire leurs preuves pour être acceptées par la
communauté de destination. Des « troubles » d’excellence peuvent alors apparaître comme
Les personnes se trouvent alors dans une posture de l’entre-deux. Tiraillées entre la communauté
d’origine et la communauté de destination, les personnes commencent à douter d’elles-mêmes et de
leur projet. Mais elles éprouvent également des sentiments de liberté, d’autonomie et de fierté de
pouvoir prendre son destin en main. Elles peuvent être également amenées à passer d’une
communauté d’entrepreneurs à une autre. Les hésitations sont alors nombreuses entre faire marche
l’entrepreneuriat. Selon les personnes cette phase d’entre-deux peut être plus ou moins durable.
!173
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
Les récits autobiographiques des personnes interrogées nous ont permis de distinguer trois
catégories de pratiques d’exclusion dans une communauté de salariés (que nous avons référencées
dans le tableau 14). La première catégorie concerne les aspects les plus visibles de l’exclusion, les
exclusions physiques. La seconde catégorie concerne les exclusions sociales. La troisième catégorie
• Les exclusions physiques. Ces exclusions peuvent être liées à un isolement sur le lieu de
travail. « Peu de temps après avoir informé mon souhait de quitter mon poste actuel, on
m’a demandé de travailler désormais dans l’espace collectif au lieu d’être dans un bureau
avec un autre collègue. Officiellement c’est pour me permettre de travailler plus facilement
avec les autres collègues. Mais ce n’est pas la vraie raison » (Timothé). Pour d’autres
personnes interrogées, les accès à certains espaces de travail ou à certaines ressources sont
plus difficiles voire devenues impossibles. « Un jour j’ai demandé à avoir accès au parking
du bâtiment. Je venais d’acheter une voiture et je savais que des places étaient disponibles.
Mais les services généraux m’ont indiqué que toutes les places étaient attribuées. Ce n’était
pas vrai. Un des rares collègues avec qui je m’entendais encore bien me l’a
n’est plus invitée aux réunions. « J’ai compris que ça commençait à sentir mauvais lorsque
je me suis aperçue que je n’étais plus conviée à certaines réunions d’équipe. On me disait
qu’on avait oublié de me mettre dans la liste des destinataires du mail » (Sylvie). Tous ces
• Les exclusions sociales. En raison de la nature de son projet, de son statut dans l’entreprise
ou de son attitude professionnelle, la personne peut être peu à peu exclue de la communauté
de salariés. Cela peut se traduire par le sentiment d’un malaise entre collègues. « Depuis
que j’ai annoncé que j’allais quitter la boîte, beaucoup de collègues se sont détournés de
moi, de peur que s’afficher avec moi puisse les mettre en difficulté dans
!174
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
de solitude peut aussi venir du fait que la personne ne travaille plus dans l’entreprise en
raison d’un congé de formation. « Je suis en formation depuis 6 mois maintenant. Je n’ai
pas remis les pieds dans l’entreprise depuis cette date. Même si je voulais revenir, je ne sais
pas si je serai à l’aise vis-à-vis des autres » (François). Plus surprenant une simple machine
simple appareil me manque vous savez. Je n’ai plus personne à qui parler
maintenant » (Sylvie).
!175
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
Maintenant je travaille depuis chez moi la plupart du temps » (Caroline). « Je suis passée à
temps partiel pour développer mon projet » (Sylvie). La modification du contrat de travail
peut également entraîner une modification des droits. « Depuis que je suis auto-
entrepreneur pour eux, je n’ai plus le droit à rien, ni formation, ni remboursement de frais »
(Caroline). Les évolutions professionnelles peuvent être également plus difficile à obtenir.
« Je peux pas revenir. Je suis bloqué dans l’entreprise. Autant chercher un autre boulot
peuvent également être amené à être modifié entraînant un décalage avec les horaires
traditionnels des autres salariés. « Pour mon temps partiel, au lieu de me faire travailler
lundi, mardi et mercredi, ils m’ont proposé de travailler 2 heures de moins tous les jours.
Sauf que quand un client t’appelle à 15h55 tu lui dis quoi ? Rappelez-moi
demain ? » (Francis).
!176
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
Ces différentes formes d’exclusions peuvent entraîner des sentiments variés que nous qualifions de
troubles du désengagement. Ce sont des sentiments d’inquiétudes, d’agitation ou de confusion qui
résultent du désengagement professionnel. Chez certaines personnes cela peut prendre la forme de
regrets. « C’est surtout mon collègue de bureau qui va me manquer, il était sympa lui » (Marie-
Ange). « Je vais regretter nos soirées d’équipe du jeudi soir » (Benjamin). « Ce que je regrette ?
Certains de mes clients qui étaient devenus des amis au fils des années. Peut-être que quelqu’uns
vont me suivre, mais pas tous » (Philippe). Pour d’autres personnes accompagnées, le sentiment qui
règne est plutôt de l'ordre de la culpabilité ou d’un sentiment de trahison. « Je vous avoue que j’ai
pris quelques fichiers clients avant de partir. Pourtant nous nous sommes quittés plutôt en bons
termes avec mon ancien patron. Mais bon les affaires sont les affaires comme on dit » (Andry).
« J’aurais peut-être pu mieux faire. Etre davantage force de proposition, éviter les retards. Mais
bon c’est comme ça » (Timothé). « J’ai un peut-être un peu déconné sur la fin » (Francis). Nous
avons aussi remarqué que certaines personnes éprouvent une fidélité envers leur anciens collègues
ou leur employeur. « Le départ s’est plutôt bien passé. J’ai fait même quelques heures
supplémentaires que je n’ai pas réclamées » (Benjamin). « Je revois encore quelques collègues. Je
leur donne un coup de main de temps en temps » (Marie-Ange). « Mon départ fut assez brutal. Mais
lorsqu’un client m’appelle, je le renvoie vers un ancien collègue. Je ne vois pas pourquoi je ne le
ferais pas. Il n’y est pour rien lui » (Samia). A l’inverse lorsqu’une personne s’engage dans une
Les récits autobiographiques des personnes interrogées ainsi que nos observations directes dans les
incubateurs du CNAM et de l’ISC Paris, nous ont permis de distinguer trois catégories de difficultés
d’intégration dans une communauté d’entrepreneurs (que nous avons référencées dans le tableau
15). La première catégorie concerne les aspects les plus visibles des difficultés d’intégration, les
difficultés matérielles. La seconde catégorie concerne les difficultés sociales. La troisième catégorie
!177
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
• Les difficultés d’intégration matérielles. Les personnes qui éprouvent des difficultés
d’intégration dans une nouvelle communauté sociale ont tendance à travailler éloignées des
pas » (François). Un espace de coworking peut également déstabiliser le nouvel arrivant qui
n’est pas habitué à travailler dans un espace ouvert. « j’ai toujours travaillé dans un bureau
fermé. Les espaces ouverts comme ça ce n’est pas ma tasse de thé » (Samia). Certains
peuvent se sentir isolés car ils éprouvent des problèmes dans leur installation et n’osent pas
le demander aux autres entrepreneurs ou aux services généraux en charge de les aider à
s’installer « Cela fait trois mois que je n’ai pas accès à l’imprimante. Ce n’est pas très
grave, mais aujourd’hui j’en ai vraiment besoin » (François). « Je n'ai jamais demandé les
clés pour entrer dans le bâtiment. J’attends que quelqu’un m’ouvre » (Jean-Pierre). Les
problèmes matériels peuvent également venir d’un comportement qui ne correspond pas
avec l’état d’esprit des autres entrepreneurs et du lieu. L’espace de coworking se veut
ouvert au partage et à l’entraide. Pour certaines personnes, cela ne correspond pas à leur
façon de travailler. Par exemple un emprunt d’un matériel peut être qualifié de vol. « On
m’a volé mon tableau blanc. Je l’ai retrouvé un matin de l’autre côté de
l’incubateur » (Francis). L’incubateur de l’ISC Paris dispose de deux téléphones fixes pour
l’ensemble des entrepreneurs. Mais certains peuvent se les approprier. « L’autre jour c’est
le téléphone qu’on a pris sur mon bureau. Ils auraient pu me demander avant ! » (Francis).
Les armoires peuvent également être l’objet de querelles entre entrepreneurs. « Ils prennent
toute une armoire pour leurs cartons, ils abusent ! » (Raphaël). Un sentiment de frustration
peut également apparaître lorsque la personne ne bénéficie pas d’un partage de contacts.
« Ils ne veulent pas faire tourner leurs contacts alors qu’ils ne les utilisent même
pas ! » (Benjamin). Ces petits problèmes du quotidien peuvent contribuer à exclure une
!178
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
salariat à l’entrepreneuriat peut éprouver des difficultés pour s’insérer dans un nouvel
environnement professionnel. La différence d’âge est une variable souvent citée par les
personnes accompagnées. « Vous me voyez à 43 ans faire un happy hours avec des
en mode jean et basket, ce n’est pas mon truc. Je laisse ça aux petits jeunes. Moi je
construis des choses durables » (Philippe). L’activité professionnelle peut également être un
facteur limitant les interactions sociales. « Je suis opticien, je vends des lunettes. Ils sont
informaticiens, ils vendent des bases de données. On se côtoie mais on n’a pas grand chose
peuvent être sources de tensions. « Nos clients sont les mêmes avec Benjamin. On s’entend
bien mais on ne parle pas trop de nos clients entre nous ». (Jean-Baptiste). « Le fonds
d’investissement que gère Gilles est assez réputé. Je ne vais pas le crier sur les
toits » (Raphaël). La personne accompagnée peut également être victime de préjugés sur la
nature de son activité. « Avec mon projet, je vais pas faire des millions d’euros comme
Pauline. Elle me le fait bien comprendre » (Nicolas). Ces différences d’âge, de statut, de
projet ou encore d’état d’esprit conduisent à limiter l’intégration de la personne
accompagnée dans une communauté. Nous constatons qu’elle participe moins aux
évènements fédérateurs de la communauté. Elle n’est parfois tout simplement pas invitée
par les autres participants. « Si je ne m’impose pas, les autres ne m’invitent jamais à
déjeuner avec eux » (François). La réussite professionnelle peut être source de difficultés à
l’intégration sociale. « Moi je ne cherche pas à passer à la télévision, ni à faire des levées
des fonds. Je cherche juste à gagner ma vie correctement » (Philippe).
!179
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
Concurrence 2
Préjugés 1, 3
Activité peu / non rentable 2, 3, 5, 6, 8, 10
l’issue de celle-ci. Elles travaillent alors sur leur projet d’entreprise sur leur temps
!180
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
notamment). Cette double activité est jugée nécessaire pour les entrepreneurs car leur projet
entrepreneurial n’est pas assez rentable pour en vivre. A leur arrivée dans l’incubateur elles
souhaitent bénéficier d’un statut différent des autres résidents, celui de résident
« temporaire » 23. Nous avons observé que cette différence contractuelle renforce les
difficultés d’intégration de la personne accompagnée dans une communauté
journée. Ne pas y assister renforce l’isolement de la personne accompagnée qui doit trouver
d’autres moyens pour obtenir les informations transmises (podcast, formation en ligne,
paiement de prestataires, etc.). « L’autre jour j’ai demandé à Philippe le contact d’un
fixe, c’est-à-dire qui lui est attribué. Lorsqu’il vient travailler dans l’incubateur il doit alors
commercial, logo, etc.), ce que ne peuvent pas les résidents « temporaires » du fait du
changement de place régulier. Cette différence contribue à oublier les résidents
« temporaires » de l’espace de travail lorsqu’ils ne sont pas là. Le statut juridique contribue
également à faire une différence entre les porteurs de projet. « Je suis passé en SASU pour
paraître plus sérieux » (Philippe). L’auto-entrepreneur est considéré comme un statut « un
peu trop léger » (François), « simpliste » (Benjamin) ou « pas très sérieux » (Philippe).
23 Deux statuts de résidents existent dans les incubateurs étudiés. Les résidents « permanents » travaillent
dans l’incubateur à temps plein. Leur poste de travail est fixe, c’est-à-dire réservé pour eux. Ils peuvent
accéder à l’ensemble des prestations de l’incubateur (ateliers, tables-rondes, conférences, etc.). Les résidents
« temporaires » travaillent dans l’incubateur à temps partiel (le soir, le week-end et en journée sur la base de
« tickets » en nombre limité). Le tarif de l’incubateur est plus faible. Cela correspond à des prestations moins
importantes et à un poste de travail flottant au lieu de fixe (ils travaillent où il y a de la place).
!181
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
Ces différentes difficultés d’intégration peuvent entraîner des sentiments variés. Ce sont des
sentiments d’inquiétudes, d’agitation ou de confusion. Chez certaines personnes cela se traduit par
un sentiment d’infériorité. « Eux ils travaillent en équipe, ils ont des armées de stagiaires, ils lèvent
des fonds. Moi je suis un indépendant, je me débrouille avec des moyens plus modestes » (Nicolas).
Leur projet ne correspond pas aux représentations que ces personnes se font de la création
d’entreprise. « Vous savez, je colle pas vraiment à l’image de la startup » (Jacqueline). Cela
entraîne chez elles une dévalorisation de leur travail. Elles ne le considèrent pas comme étant
suffisamment remarquable au regard des autres entrepreneurs. Cela peut se venir d’un financement
qui a échoué. « Tu as revu Léopold depuis que son crowdfunding s’est planté ? » (Benjamin) « Non,
il a déménagé ses affaires dans la foulée. Il ne nous a même pas dit au revoir » (Jean-Pierre). Cela
peut être issu d’une activité que la personne ne juge pas assez noble comparativement aux autres.
« Ok c’est pas très sexy de vendre du linge de maison. Mais si je gagne de l’argent avec ça me
va » (Nicolas). Dans certains cas cela peut conduire à des gausseries. « Mon projet d’accessoires de
mode pour petits chiens fait souvent l’objet de moqueries. Au début j’avais un peu de mal à
l’assumer. Aujourd’hui ça va beaucoup mieux ». (François). Lorsque la personne a tendance à
idéaliser son projet, les désillusions sont parfois fortes. « Je me suis toujours rêvée en startupeuse.
Mais je me suis rendue compte que ça ne collait pas avec ma manière de penser. Aujourd’hui je me
qualifie volontiers d’artisan. Je suis beaucoup plus à l’aise dans ce rôle » (Sylvie).
environnement professionnel conduisent à une posture d’entre-deux plus ou moins longue selon les
personnes interrogées. C’est cette posture de l’entre-deux que nous allons présenter.
!182
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
3. La posture de l’entre-deux
Les personnes interrogées qui vivent un déplacement social se trouvent à un moment ou à un autre
dans une position d’entre-deux. Elles ne se sentent plus totalement appartenir à l’univers du salariat,
en particulier de groupe social depuis lequel elles se désengagent. Et bien qu’elles puissent
connaître les règles explicites et formelles de l’univers de l’entrepreneuriat, elles ne connaissent pas
encore ses règles implicites et informelles du groupe social dans lequel elles s’engagent. Cette
• Zone A : Vis-à-vis de son groupe social d’origine la personne se désengage peu à peu de ses
habitudes passées. Les pratiques routinières changent. La présence au travail diminue. La
tenue vestimentaire peut évoluer. La personne prend de plus en plus de recul sur son travail
et sur son groupe social. Ce détachement entraîne une désidentification avec les modèles et
les valeurs du groupe. Cela entraîne un isolement de la personne vis-à-vis de son groupe
social. Son poste de travail peut changer, ses accès aux ressources de l’entreprise peuvent se
réduire, certains collègues peuvent se détourner d’elle, voire la critiquer. Le contrat de
travail peut évoluer vers du temps partiel, une différence de statut social, une diminution du
salaire voire un licenciement. Cela peut entraîner chez elles des troubles du désengagement
qui peuvent se traduire par le regret de quitter leur entreprise ou certains collègues. La
personne peut avoir des difficultés à se désengager totalement. Elle peut continuer
d’envoyer des messages à ses anciens collègues, déjeuner avec eux de temps à autre, voire
continuer à travailler pour son ancien employeur même si le contrat de travail est rompu.
Un sentiment de culpabilité peut s’installer lorsque la personne a commis des fautes qu’elle
reconnaît. Pour d’autres, cela se traduit par un sentiment de trahison lorsqu’elles n’ont pas
tenu leurs promesses à l’égard d’une personne de leur groupe social qui leur faisait
confiance.
!183
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
Désengagement Engagement
A B
Troubles du Troubles de
désengagement : l’engagement :
Culpabilité, Désillusions,
regret, fidélité, perfectionnisme,
sentiment de sentiment
trahison d’infériorité
Posture de l’entre-deux
(-) (+)
Insécurité Liberté,
solitude indépendance
doutes autonomie
instabilité employabilité
!184
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
• Zone B : La personne s’engage peu à peu dans un nouveau groupe social. Elle prend de
peu prendre les codes de son nouveau groupe social. Mais le nouveau groupe social peut
émettre de l’indifférence à l’égard d’un nouvel arrivant. Le désintérêt peut se manifester par
une faiblesse dans les échanges et un isolement du nouvel arrivant. Des critiques peuvent
également être émises. C’est le cas lorsque la nouvelle activité entre en concurrence ou
lorsque la philosophie du nouvel arrivant n’est pas en accord avec certains membres du
nouveau groupe social. Nous avons également observé du rejet lorsqu’il existe de réelles
environnement social vont être confrontées à de fortes désillusions. D’autres vont tout faire
pour pouvoir être acceptées par le nouveau groupe social. Certaines peuvent faire des choix
• Zone C : La personne se trouve dans une situation d’entre-deux. Il lui est difficile de
revenir dans son groupe social d’origine. La transition professionnelle est déjà bien
engagée. Cela engendrerait un sentiment d’échec. Mais son nouveau groupe social ne lui
donne pas entièrement satisfaction. Faute de pouvoir choisir entre l’un ou l’autre des
groupes sociaux, la personne va être divisée entre les deux. Ce conflit interne est le produit
recherche de nouveaux groupes sociaux. Elle aura tendance à se replier sur elle-même. Elle
va douter de ses choix, s’interroger sur leur pertinence et remettre en question les
orientations stratégiques de son projet. Pour échapper à l’isolement elle va se mettre en
!185
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
quête de nouveaux groupes sociaux. Elle peut changer d’incubateur, trouver de nouveaux
locaux, adhérer à un nouveau réseau professionnel. Elle peut aussi reprendre une activité
salariée à temps partiel ou réaliser des missions de courte durée pour un employeur en tant
que salarié temporaire ou indépendant. Elle peut multiplier ces changements jusqu'à ce
qu’elle trouve satisfaction. Cette période d’entre-deux peut durer plus ou moins longtemps
selon les personnes. Certaines peuvent également y trouver de la satisfaction.
Chaque personne interrogée passe par une position de l’entre-deux. En décalage avec le reste de son
environnement social, la personne est emprunte aux doutes, aux incertitudes et à l’insécurité liés à
son instabilité professionnelle. Mais la posture de l’entre-deux peut aussi être source de satisfaction,
d’épanouissement et de liberté. Certaines personnes interrogées peuvent s’installer durablement
Les préjudices. Venant de différents milieux sociaux, inscrits dans des trajectoires professionnelles
diverses, les porteurs de projets se trouvent parfois en décalage par rapport aux représentations
qu’ils se font de leur métier. Ceux qui ne connaissent pas ou peu leur futur univers professionnel ne
connaissent pas toujours les codes de leur groupe social de destination. Bien qu’ils soient formés
aux techniques de la création d’entreprise, à l’élaboration de business plan ou à la recherche de
financement, beaucoup d’entre-eux maîtrisent le « vocabulaire » de leur futur groupe social mais
pas sa « langue ». Ils peuvent partager un espace de coworking mais ne pas comprendre la manière
d’y travailler, les outils utilisés ou la façon d’aborder les autres résidents. Ils peuvent faire des
rendez-vous avec des clients et dérouler leur argumentaire commercial mais ne pas percevoir le
ressenti de leurs clients. Ils peuvent avoir identifié un fournisseur de matière première mais ne pas
connaître les codes et les habitudes de celui-ci. Ils n’ont pas toujours connaissance des règles
implicites qui se déroulent sous leurs yeux. Ne pas maitriser ces codes ne permet pas de comprendre
les signaux faibles de leur environnement social et ne permet pas d’adapter son comportement. Les
porteurs de projet ne connaissent pas toujours la culture du groupe social dans lequel il s’inscrivent
!186
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
(règles implicites, jugements, rituels, modèles à suivre, etc.). Cette manière de penser est acquise
par les interactions entre les membres de son groupe social et avec les acteurs qui gravitent autour.
Ils découvrent alors progressivement, au gré des rencontres et des rendez-vous qu’il n’existe pas de
procédure formelle pour s’identifier à un groupe. La manière de se comporter avec des clients, des
investisseurs ou des salariés s’apprend en maitrisant les techniques mais aussi par la pratique.
C’est ce que nous indique Louis dont l’activité est la conception de sacs à main en bois qui ont la
particularité d’être fabriqués par des personnes en situation de handicap (par l’intermédiaire d’un
« C’était un nouveau métier pour moi. Je sais gérer une entreprise, du personnel et je maîtrise la
plupart des tâches d’un chef d’entreprise. Mais ce type d’artisanat d’art m’était un peu inconnu,
du moins dans son savoir-faire. Heureusement que j’étais accompagné par les encadrants de
l’ESAT. Ils m’ont expliqué les astuces, les bonnes adresses et les personnes à connaître. Pendant
plus d’un an j’ai multiplié les rendez-vous professionnels, je suis allé dans les ateliers de
confection et j’ai posé beaucoup de questions. Il fallait faire preuve de beaucoup de patience et
La posture de l’entre-deux peut être durable car l’accès aux règles implicites ne résulte pas d’une
réponse simple mais d’un apprentissage long, complexe. Le porteur de projet va donc moins
aisément accéder aux codes de son nouveau groupe social lorsque ceux-ci comportent des
dimensions affectives ou historiques importantes. Cette difficulté peut être renforcée par des
différences liés au genre, à l’éducation, à la culture ou à l’âge par exemple. C’est le cas de cette
« Je maîtrise très bien mon sujet. J’ai fait mon doctorat dessus après tout ! Mais pourtant j’ai
parfois du mal à trouver une clientèle. C’est un milieu composé de beaucoup d’hommes. Ils
m’acceptent bien, mais nous n’avons pas les même manières de travailler, ni les mêmes sujets
de tout sauf du travail. Or je ne parle pas de la même manière des enfants, des femmes ou du
!187
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
football que mes collègues masculins ! Ce sont des détails qui peuvent paraître futiles mais ils
La période d’entre-deux peut-être perturbante car la personne peut avoir des difficultés à se
positionner dans l’échelle sociale. C’est ce qu’indique cet opticien. Il souhaite reprendre le magasin
dans lequel il travaille en tant que salarié pendant 20 ans. Ne parvenant pas à s’entendre sur le prix
de revente avec le cédants il décide de se mettre à son compte. Il s’installe en tant qu’opticien à
domicile pendant quelques mois avant de racheter une boutique physique. Au cours de nos échanges
nous identifions qu’il ne parvient pas à se qualifier en tant que chef d’entreprise alors que
juridiquement il a créé son entreprise. Nous l’interrogeons sur la manière dont il se présente à son
entourage.
puisque je suis à mon compte. J’ai quelques clients et je gagne un peu d’argent grâce à ça. Mais
je continue à toucher mes allocations chômage. C’est une situation assez étrange. J’ai le statut
mais pas les ressources. Lorsque mes amis me demandent ce que je fais, je leur dit que je monte
ma boîte, surtout pas que je suis au chômage et que je vis encore en grande partie des
allocations ». (Philippe)
d’exclusion. Pour certaines personnes, cet isolement peut être vécu difficilement. C’est le cas
d’Isabelle qui se lance dans la conception de panier-repas à domicile à la suite d’un licenciement
économique. Nous l’interrogeons sur la viabilité économique de son activité sur le long terme.
« Ce projet ne va pas me faire gagner beaucoup d’argent. Mais il me permet de passer le cap. Se
faire licencier à 42 ans, c’est pas facile à accepter. Mon mari travaille. Mes enfants sont à
l’école. Je reste seule à la maison. Ce projet me permet de m’occuper l’esprit avant de trouver
un emploi ». (Isabelle)
!188
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
Durant la période d’entre-deux la personne peut être amenée à avoir une activité salariée à temps
jongler entre deux activités, l’une qu’elle considère souvent comme utilitaire et l’autre qu’elle
développe par envie ou par passion. C’est le cas d’Aristide qui ouvre un magasin de produits
régionaux après avoir été chargé de communication dans un groupe Telecom. Il développe en
« L’activité de consulting, c’est pour gagner un peu d’argent. J’ai fait de la communication
pendant dix ans, alors je sais de quoi je parle. Mais j’ai vraiment envie que ma boutique
fonctionne. C’est mon vrai projet, celui qui me tient à coeur. Pour le moment j’arrive à peu près
à gérer les deux en parallèle. Mais si l’un se développe plus vite que l’autre, il faudra que je
La période d’entre-deux peut donc être plus ou moins longue selon les personnes. C’est une période
de conflits identitaires qui peut provoquer des doutes, de l’inconfort ou encore un sentiment
d’isolement. Mais pour certaines personne cette période est également source de satisfaction.
Les bénéfices. La posture de l’entre-deux ne doit pas être réduite aux doutes, aux incertitudes ou à
l’exclusion. Elle peut aussi conduire à une grande liberté. Libérées des normes et des codes à
respecter d’un groupe social (réunion hebdomadaires, respect d’une ligne hiérarchique, demande de
matériel, pot de départ, invitations à déjeuner, etc.) les personnes se trouvent allégées de toutes
sortes de conventions n’ayant pas ou peu d’utilité opératoire. Faute de pouvoir ou de vouloir
respecter les normes d’un environnement social, les personnes peuvent se concentrer sur le coeur de
leur activité et leur valeur ajoutée. Ces personnes considèrent que l’indépendance que leur travail
leur procure est plus important que le risque de précarité, d’isolement ou d’incertitudes.
éclairage sur le regard que procure la posture de l’entre-deux. Nous l’interrogeons à une période où
!189
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
elle développe son activité entrepreneuriale en ayant quitté son emploi salarié. Cette dernière
« Je ne me sens pas appartenir à tel ou tel groupe de travail. Je vis ma vie c’est tout. Et si ça ne
plaît pas, tant pis pour les autres. C’est fini de courber l’échine et de me plier aux règles des
autres. Ras-le-bol. Et bizarrement ça plaît ! Pas à tout le monde bien sûr. Mais mes relations
sont sincères. Et dans le secteur du médical, je reçois beaucoup de sympathie grâce à ça. On est
La posture d’entre-deux peut apporter beaucoup de satisfaction à des personnes qui souhaitent se
concentrer sur leur employabilité. Elles choisissent de saisir les opportunités peu importe si elles
entrent dans la case du salariat ou de l’entrepreneuriat. Les efforts se focalisent sur l’efficacité au
travail et la maitrise de la technique plutôt que sur leur engagement dans une organisation et les
relations professionnelles qui en découlent. Etre dans l’entre-deux ne conduit pas seulement à être à
côté d’une communauté mais aussi à bénéficier d’une prise de recul suffisante pour pouvoir être
libéré des contraintes d’un groupe social. Les personnes dans l’entre-deux sont amenées à penser
différemment puisqu’elles ne sont pas soumises au fonctionnement d’une communauté. Elles
peuvent alors valoriser cette différence. C’est cette différence qui fait leur force pour trouver des
opportunités professionnelles.
C’est le cas de Caroline pour qui son activité entrepreneuriale lui permet de saisir régulièrement des
opportunités d’embauche. Cette ancienne responsable marketing d’une maison d’édition a choisi de
se mettre à son compte pour développer des produits éducatifs. Elle travaille dans un secteur (le
culturel) qui fonctionne beaucoup par projets. Les compétences nécessaires ne sont pas forcément
les mêmes d’un projet à un autre. De telle sorte que les employeurs de ce secteur utilisent beaucoup
de contrat à durée déterminée car ils ne sont pas certains de pouvoir continuer à occuper tout leur
personnel à la fin d’un projet.
« Je m’adapte en fonction des demandes de mes clients. S’ils veulent que je travaille en auto-
ne vais pas faire la fine bouche. C’est déjà assez difficile de trouver des clients ». (Caroline)
!190
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
De nombreux métiers fonctionnent beaucoup sur ce principe. C’est le cas des métiers de la
comme en témoigne Raphaël, qui a peu à peu évolué vers l’improvisation théâtrale.
à la mode du coup j’en profite. J’ai une cinquantaine d’heures avec l’ISC Paris et une
trentaine avec PSB. Avec la première je suis en vacation, avec la seconde je suis en
organiser des évènements culturels comme la fête de la musique. Là c’est un CDD. Et je suis
aussi acteur. Le mois prochain je joue au Théâtre de La Villette où je suis payé au cachet.
Certaines personnes peuvent développer une culture de l’entre-deux. C’est une forme de liberté de
travailler et de vivre. Il leur est impossible de soumettre leur comportement à un système de valeur
pas de côté. Elles construisent un rapport au travail qui n’est pas celui du salariat, ni celui de
l’entrepreneuriat. Ces personnes naviguent d’un groupe social à un autre en quête d’opportunités
professionnelles. Nous retrouvons cette caractéristique chez de nombreux indépendants. Nous les
retrouvons souvent dans les tiers-lieux24 tels que les fab-labs, les work-cafés, les hacker-spaces ou
encore les coliving-spaces. Regroupés ils contribuent à créer une « communauté de l’entre-deux ».
Ils parviennent à élaborer des positions originales et novatrices à mi-chemin entre salariat et
entrepreneuriat. Plutôt que de choisir entre l’un et l’autre, les deux s’entremêlent. Les deux mondes
s’entretiennent et se nourrissent comme représente le parcours de Louis. Il lance un projet
entrepreneurial dans un fablab. Il devient ensuite gestionnaire de marque dans une grande
entreprises. Alors à temps partiel sur son projet, celui-ci est repris et développé par sa soeur Nina.
Au bout de quelques années, Louis et Nina (rejoins par un troisième associé) intègrent un
24 La notion de tiers-lieu a été introduite par la sociologue américain Ray Oldenburg (1989). Elle fait réfé-
rence à ces espaces intermédiaires, à mi-chemin entre espace de travail et domicile.
!191
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
incubateur et passent à temps plein dessus. Quelques mois plus tard, Louis est embauché à temps
partiel dans une autre start-up et travaille alors dans un coliving space.
« C’est une forme de liberté professionnelle. On peut voir ça comme une manière de voyager. Je
n’aime pas rester longtemps au même endroit. Je préfère vivre de mes envies, de mes passions
Plutôt que de choisir entre faire carrière ou entreprendre, certaines personnes préfèrent alterner
entre les deux. Ni totalement salarié, ni totalement entrepreneur, à la fois un peu salarié et à la fois
un peu entrepreneur, l’entre-deux peut déboucher sur une profonde satisfaction et une autre manière
de travailler.
4. Synthèse de la section
Dans ce chapitre, nous nous intéressons aux résultats de la seconde proposition de notre recherche à
savoir : Les besoins d’accompagnement sont différents selon la phase de transition professionnelle
dans laquelle s’inscrit la personne. Par conséquent l’accompagnateur peut adapter sa démarche
Cette première section a permis de préciser les besoins d’accompagnements des porteurs de projet
au cours de leur transition professionnelle. C’est la question du pourquoi qui est posée. Pour cela
nous avons développé un concept de la posture de l’entre-deux basée sur le déplacement socio-
professionnel. D’une part le désengagement avec le salariat, les pratiques d’exclusions et les
troubles que cela provoque chez le porteur de projet. D’autre part l’engagement dans
l’entrepreneuriat, les difficultés d’intégration et les troubles que cela provoque chez le porteur de
projet. Et enfin l’entre-deux résultant d’une position qui permet de nuancer une vision
dichotomique avec d’un côté le salariat et de l’autre côté l’entrepreneuriat. Cette posture de l’entre-
deux peut être source d’un grand malaise mais aussi d’une profonde satisfaction selon les
personnes.
!192
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
!193
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
passage entre la position originelle et la position acquise. Pour effectuer cette analyse nous avons
reconstitué les transitions professionnelles des personnes qui composent le second échantillon de
notre étude. Ce travail a été réalisé à l’aide des données que nous avons recueillies (entretiens semi-
• Les évènements biographiques qui ont eu une influence sur leur trajectoire ou qui en ont
modifié le cours.
Nous avons ensuite soumis notre analyse à chaque personne du second échantillon. L’échange s’est
effectué par téléphone, mail ou en face à face. La durée des échanges varie de trente minutes à deux
heures. Les échanges débutent généralement par une première discussion sur la reconstitution de la
trajectoire, un rappel du contexte de la recherche, ses tenants et ses aboutissants. Ensuite chaque
personne est invitée à compléter sa trajectoire ou la modifier. L’ordre des évènements biographiques
C’est également l’occasion pour la personne de revenir sur ses choix, ses ruptures et les
A la suite de ce travail, nous avons effectué des analyses croisées afin de reconstituer les besoins
!194
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
Chaque évènement est analysé et s’intègre dans un ensemble qui lui donne du sens. Les transitions
professionnelles s’inscrivent dans une trajectoire professionnelle. Elles lui apportent un sens grâce
aux opportunités qu’elles offrent et les changements qu’elles provoquent. La trajectoire
professionnelle décrit l’histoire des différentes positions occupées, c’est-à-dire des choix et des
Les événements font l’objet d’un référencement synthétisé dans le tableau 16. Chaque évènement
est attaché à une lettre afin de le repérer dans la reconstitution de la transition professionnelle. Ce
référencement est issu d’un travail d’analyse des transitions professionnelles des personnes
interrogées et des événements qui s’y déroulent. Nous les regroupons en trois catégories.
• Les évènements du désengagement salarial. Cette phase peut être comparée à l’étape 2 du
modèle de Bruyat (1993:260-273). Ce sont des évènements qui marquent le départ de la
personne depuis son précédent poste de salarié. Ils peuvent prendre la forme d’une
procédure officielle comme un licenciement (A), un contrat de travail qui se termine (D),
une rupture conventionnelle (G) ou une procédure de reclassement personnalisée (H). La
personne peut être amenée à prendre des congés d’une manière répétée ou un congé de
longue durée (B) ou à avoir des absences répétées (E) pour travailler sur son projet
entrepreneurial. Dans ce cas, nous ne considérons pas qu’un congé occasionnel ou qu’une
répètent (par exemple tous les vendredis), ou s’ils prennent la forme d’un congé de longue
durée (congé sabbatique ou congé création d’entreprise par exemple) nous considérons que
!195
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
c’est un signe de désengagement. La personne peut aussi demander à passer à temps partiel
(C) pour travailler sur son projet entrepreneurial. Certaines situations font également l’objet
d’un désaccord profond (F) qui marque des tensions qui existent entre la personne et son
travail. Cela peut se traduire par une forte dispute avec un responsable hiérarchique, le refus
de traiter un dossier important ou une grande tension exprimée au cours d’une réunion
d’équipe par exemple.
• Les évènements de l’entre-deux. Cette phase peut être comparée à l’étape 3 du modèle de
Bruyat (1993:260-273). Ce sont des évènements qui marquent le passage du salariat à
l’entrepreneuriat sans que la posture d’entrepreneur ne soit totalement acquise. C’est le cas
d’affaires notamment) ce qui en fait une solution temporaire ou pour des activés
secondaires. La personne peut être également amenée à changer de modèle économique (L),
à déménager son activité (M), à échouer à un concours (O) ou avoir un refus à une demande
de prêt (P). Ces évènements reflètent un réel engagement dans la construction du projet.
Mais ils sont aussi synonymes d’incertitudes, de doutes et parfois d’une remise en question
profonde dans le processus entrepreneurial. A l’issue de l’un ou de l’autre de ces
personne peut aussi exercer une double activité salariée et entrepreneuriale (N). Dans ce
!196
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
engagement dans le lancement d’une activité. La personne peut aussi faire des
investissements importants (S). Sur ces deux évènements (R et S) nous ne jugeons pas du
montant du financement ou de l’investissement. Un prêt de 5000 € pour une personne peut
être dérisoire, alors que pour une autre personne cela représente un engagement important.
Nous choisissons de ne retenir que les prêts bancaires ou les investissements que la
personne estime importante pour elle. L’arrivée d’un associé (T) est le signe d’un
l’installation dans des locaux indépendants (V). Le dépôt d’une propriété intellectuelle
concernées afin de leur soumettre nos résultats. Des modifications sont effectuées dans la plupart
!197
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
(A) Licenciement
!198
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
Timothé (29 ans) est un architecte qui se reconvertit dans le métier de fleuriste. Après trois années
passées dans des cabinets d’architecture la lassitude le gagne. Les horaires à rallonge, le découpage
des tâches et le management par projet le fatiguent. Il ne souhaite pas poursuivre dans ce métier.
Les absences se répètent (E), il utilise peu à peu tous ses congés (B) dans le but de construire son
projet professionnel. Il passe à temps partiel pour suivre une formation de fleuriste trois jours par
semaine pendant deux ans (C). Quelques mois avant la fin de son apprentissage, il se fait
des Arts et Métiers (J). A la suite de cette formation il entre dans l’incubateur de l’institution (I).
C’est alors qu’il modifie profondément le modèle économique qu’il avait élaboré dans la formation
précédente (L). Le lieu d’installation de sa boutique ne sera pas à Paris comme prévu initialement
mais à Bordeaux. Pour lancer son activité, il commence par créer la structure juridique (Q), une
SARL. Le projet prend forme peu à peu. Sa demande de prêt bancaire est acceptée quelques
semaines plus tard (R). A cela s’ajoute l’arrivée d’une associée, Mathilde, une amie d’enfance que
Timothé a réussi à convaincre pour se lancer dans l’aventure (T). Le prêt bancaire et l’apport
travaux, de financer le matériel et un premier stock (S). L’inauguration de la boutique est réalisée
quelques mois plus tard (V). Le nom de la marque est déposé à l’INPI (W). Ils remportent un
Phase 1 : Désengagement E B C G
Phase 2 : Entre-deux J I L
Phase 3 : Engagement Q R T S V W X
!199
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
Sylvie (37 ans) est chef de projet dans le département marketing d’une grande entreprise. Elle se
reconvertit en tant qu’hypnothérapeute. En conflit latent avec son employeur depuis plusieurs mois
(F), elle ne trouve plus de plaisir dans son métier. Elle souhaite obtenir une rupture conventionnelle
pour créer son entreprise (G). Mais son employeur ne veut pas lui accorder. Les absences se
multiplient pour suivre des formations en tant qu’hypnothérapeute (E). Cela n’est pas du goût de
son employeur qui finit par la licencier (A). Elle s’inscrit dans une formation en entrepreneuriat au
Conservatoire National des Arts et Métiers (J). C’est l’occasion de prendre du recul sur son
parcours professionnel et de confirmer ou non son projet. A la suite de la formation elle décide de
lancer une activité d’auto-entrepreneur (K). Cela lui permet de facturer des premiers clients. Elle
intègre l’incubateur du Cnam pour se faire aider dans le développement de son activité (I). Son
projet évolue rapidement et son modèle économique aussi (L). Mais l’incubateur est trop éloigné de
son domicile. Elle ne vient pas très souvent. Peu à peu elle développe son activité depuis chez elle
(M). Elle dépose un nom de marque à l’INPI (W) et candidate à un concours d’entrepreneur. Elle
échoue (O). Cela ne réduit pas pour autant sa motivation. Elle intègre alors un incubateur plus
proche de chez elle (I). Souhaitant donner plus d’envergure à son projet, elle change de statut
juridique pour passer en EURL (Q). Mais une fois encore elle ne s’implique pas totalement dans
l’incubateur et vient de moins en moins. Elle finit par prendre une activité salariée à temps partiel
pour subvenir à ses besoins (N).
Phase 1 : Désengagement F G E A
Phase 2 : Entre-deux J K I L M O I N
Phase 3 : Engagement W Q
!200
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
François (42 ans) travaille dans une imprimerie depuis l’âge de 20 ans.En difficultés financières, un
Plan de Sauvegarde de l’Emploi (PSE) est mis en place dans l’imprimerie (H). N’ayant presque pas
connu autre chose dans sa carrière, c’est un choc pour François. Plutôt que de chercher un autre
emploi, démarche qui apparaît visiblement comme difficile pour lui, il décide de se lancer dans son
activité secondaire afin d’en faire son activité principale. En parallèle à son emploi, il développe
une petite activité d’accessoires de mode pour petits chiens (K). L’entreprise fonctionne et lui
permet de compléter ses revenus (N). Il utilise tous ses congés (B), il s’inscrit dans une première
formation en entrepreneuriat au Conservatoire National des Arts et Métiers (J) et intègre ensuite un
incubateur d’une école de commerce (I). Son contrat de travail est alors officiellement rompu
pendant cette période (D). Pourtant l’activité ne dégage toujours pas assez de revenus pour en faire
son activité principale. François décide alors de mettre ses indemnités de départ qu’il avait mis de
côté dans le MBA Entrepreneur de l’Ecole de Commerce (J). A la fin de sa formation il change le
statut juridique de son entreprise. Il passe de l’auto-entrepreneur à la Société par Action Simplifiée
Unipersonnelle (SASU) (Q). Cela donne une image plus sérieuse estime-t-il. Il dépose sa marque
auprès de l’Institut National de la Propriété Intellectuelle (INPI) (W) et fait une demande de
financement auprès de Réseau Entreprendre (R). Mais sa demande est refusée (P). Cela fait
maintenant presque 5 ans que François persévère sur cette activité qui ne lui rapporte pas assez
d’argent pour vivre. Il est temps pour lui de passer à autre chose. Il quitte l’incubateur, installe son
entreprise chez lui (M) et retrouve quelques mois plus tard un emploi salarié (N).
Phase 1 : Désengagement H B D
Phase 2 : Entre-deux K N J I J P M N
Phase 3 : Engagement Q W R
!201
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
Philippe (44 ans) est opticien dans une boutique d’optique indépendante depuis 12 ans. Depuis
toujours, il est sous la responsabilité d’un Directeur et de sa femme. Au départ en retraite de ces
dernier, Philippe pense être le meilleur candidat à la reprise de la boutique. Il économise pour cela
depuis plusieurs années. Mais le Directeur refuse de lui céder la boutique (F). Philippe décide alors
d’entretenir une relation tendue, de manière à contraindre son employeur d’accepter une rupture
conventionnelle (G). Cela permet à Philipe de toucher le chômage. Il s’inscrit dans un MBA
entrepreneur d’une Ecole de Commerce pour compléter notamment ses compétences en gestion,
stratégie et financement (J). Parallèlement à sa formation, Philippe ouvre une petite activité
d’opticien à domicile en auto-entrepreneur (K). Cela l’aide à garder certains clients et à en acquérir
change de statut juridique pour passer en Société (Q). Il dépose le nom de sa marque (W) puis
réussi un concours organisé par la collectivité locale (X). Cela lui permet d’augmenter ses apports
personnels et d’obtenir plus facilement un prêt bancaire complété par un prêt d’honneur (R). Il est
prêt à reprendre une boutique d’optique dans la commune à proximité de chez lui. Ses
investissements sont alors importants, notamment en travaux afin de mettre la boutique selon ses
goûts (S). Une fois les travaux terminés, il s’installe dans sa nouvelle boutique située en plein
centre-ville (V), embauche un vendeur à temps partiel (U) et gagne un second concours organisé par
Phase 2 : Entre-deux J K I M
Phase 3 : Engagement Q W X R S V U X
!202
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
Samia (43 ans) est responsable marketing auprès d’un important groupe d’assurance français. Elle
est mariée et a deux enfants de 8 et 12 ans. Son mari décède dans un accident de moto. Ce drame va
entraîner de profonds changements dans sa vie. Du vivant de son mari, elle lui avait promis de créer
un jour son entreprise. Depuis longtemps, elle ne s’épanouissait plus dans son travail, les absences
se répétaient (E). Elle souhaite tenir sa promesse. Souhaitant changer de vie, elle s’oriente dans un
projet de création de restaurant avec un ami. Elle profite de ses congés pour faire avancer son projet
(B). Afin de sécuriser son parcours, elle s’inscrit dans un MBA entrepreneur dans une école de
commerce (J). Pour assister à la formation elle prend sur ses congés et s’absente régulièrement de
son poste de travail (E). Son employeur connaissant sa situation l’a laisse faire mais l’alerte qu’il est
préférable qu’elle fonctionne autrement pour le bien de l’équipe. Elle passe alors à temps partiel
(C). Elle change plusieurs fois de projet pour s’orienter plutôt vers un projet d’intermédiation
d’assurance, puis de bar (L). Mais son associé qui disposait des compétences dans ce secteur décide
de quitter l’aventure (L).Mais elle se rend compte peu à peu que l’entrepreneuriat n’est pas fait pour
elle. Bien qu’elle dispose d’une confortable assise financière - en raison notamment de l’assurance
vie contractée par son mari - elle ne dispose pas de compétences dans la restauration et ne souhaite
pas vraiment en acquérir. Sa priorité est de protéger ses enfants. Elle n’ira pas jusqu’au bout de sa
formation. Elle demande alors une rupture conventionnelle (G) qu’elle obtient et prend quelques
mois de repos. Elle reprendra une activité salariée dans le secteur bancaire.
Phase 1 : Désengagement E B E C G
Phase 2 : Entre-deux J L L
Phase 3 : Engagement
!203
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
Benjamin (30 ans) est médecin dans un CHU à Bordeaux. Il a brillamment réussi ses études. Il
gagne très bien sa vie. Il est en couple avec une jeune avocate dans un quartier chic de la ville. Mais
il ne parvient plus à suivre le rythme que lui impose son métier. Il oublie des rendez-vous avec des
patients (E). Son couple vacille. Il sort de plus en plus avec ses amis et commence à boire. L’alcool
devient une addiction. Sa fiancée finit par rompre. Il décide de changer radicalement de vie. Il prend
un congé création d’entreprise (B) pour suivre un un MBA spécialisé dans la santé dans une Ecole
formation courte en entrepreneuriat auprès de la CCI de Paris (J). Il reprend contact avec son ancien
réseau bordelais. Au gré des rencontres, il propose son expertise dans le secteur de la santé à des
groupes pharmaceutiques. Les prestations sont bien payées. Il créé une auto-entreprise pour saisir
les opportunités (K). Le congé création d’entreprise arrive à sa fin. Il décide de ne pas retourner
dans son précédent métier et signe une rupture conventionnelle (G). La reprise du bar - restaurant
dans le Vaucluse prend trop de temps. Il décide d’y mettre un terme à la suite d’une demande de
prêt refusée (P). Il se consacre alors pleinement à son activité de consultant et à un nouveau projet.
Il développe un projet d’application mobile dédiée à la santé connectée (L). Il passe de l’auto-
pas. En revanche son activité de consultant fonctionne bien. A la suite d’une mission auprès d’un
Phase 2 : Entre-deux I J K P L L M
Phase 3 : Engagement Q
!204
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
Andry (32 ans) est guide touristique à Paris. Son CDD prend fin (D). Plutôt que devenir guide
touristique en tant qu’indépendant, activité qu’il estime trop précaire, il décide de développer des
audioguides connectés aux téléphones portables des participants. Il suit une formation courte en
entrepreneuriat auprès du réseau Boutique de Gestion (J) puis s’installe dans une pépinière
d’entreprise à Paris - Bastille (I). Son frère le rejoint dans ce projet. Ils créent leur Société peu de
temps après (Q). Andry protège le nom de marque de l’entreprise auprès de l’INPI (W). Il
embauche des stagiaires (U) afin de l’aider dans le développement de l’entreprise, en particulier sur
la partie codage de l’application. Un prêt bancaire personnel est contracté (R) afin de soutenir le
développement de l’activité et les premiers tests auprès des clients. Nous sommes en novembre
2015. Les attentats de Paris ont un retentissement mondial et font chuter la demande touristique. Le
projet d’Andry n’est plus la priorité de ses clients. Son frère quitte l’aventure (L). Andry décide de
changer de modèle économique. Il entre dans l’incubateur d’une école de commerce parisienne (I).
Son nouveau projet se consacre à la diffusion de contenus médias par l’intermédiaire de boitiers
connectés. Ses clients sont les écoles de commerce, les universités, les grandes entreprises, etc. Ce
nouveau projet est un succès. Fort de son expérience passée, Andry va plus vite. Il embauche
rapidement des stagiaires, convainc un premier associé puis un second. Arrivée troisième à un
Phase 2 : Entre-deux J I L I
Phase 3 : Engagement T Q W U R U T T X
!205
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
Marie-Ange (39 ans) est responsable informatique au siège d’une grande banque à Paris - La
Défense. Elle ne s’épanouit plus dans son travail (F). Son quotidien est stressant. Elle a le sentiment
de devoir appliquer des règlements qui lui sont imposés et dont elle ne comprend pas toujours
l’intérêt. Originaire de Guadeloupe, elle a le rêve de s’y installer avec son mari et ses deux filles de
9 et 13 ans. Elle prend sur ses congés (B) pour suivre un MBA spécialisé en entrepreneuriat auprès
de l’ISC Paris (J). Le programme se déroule les vendredis et les samedis sur 9 mois. Elle développe
un projet de maison d’hôtes. Pendant plusieurs mois elle cherche à obtenir une rupture
conventionnelle (G) mais son employeur refuse de lui accorder. Convaincue par son projet elle
passe alors à temps partiel (C) et intègre l’incubateur de l’école (I). Elle identifie un hôtel à
reprendre. Elle obtient un financement bancaire (R). Mais la négociation est au point mort. Le tarif
demandé par le couple de cédant est trop élevé au regard du prêt bancaire de Marie-Ange. Elle
décide de tout stopper. En même temps, son mari ne souhaite plus partir en Guadeloupe. Son poste
d’ingénieur à Paris est confortable. Marie-Ange et son mari conviennent de ne pas partir et de ne
pas déraciner les enfants qui viennent d’entamer une nouvelle année scolaire. Le projet de Marie-
Ange s’oriente vers l’organisation de voyage en Guadeloupe (L). Elle créée une Société (Q) et
travaille à distance avec des auto-entrepreneurs qu’elle commissionne sur les ventes de voyages. Au
bout de 18 mois, l’activité lui permet de tirer un premier revenu. Elle démissionne auprès de son
employeur (G). Quelques mois plus tard elle embauche un salarié (U) et ouvre une petite boutique à
Paris (V). Elle se fait aider par un réseau d’accompagnement féminin. Elle y gagnera un concours
(X).
Phase 2 : Entre-deux J I L
Phase 3 : Engagement R Q W U V X
!206
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
Louis (28 ans) est gestionnaire de vente dans une entreprise d’entretien ménager. Son poste lui plaît
mais les perspectives professionnelles ne lui conviennent pas. Louis a un frère, Arthur qui revient
d’un tour du monde, et une soeur, Nina étudiante à Science Po Paris. Ces derniers développent un
projet de conception et de vente de sac à main en bois. Jusqu’alors Louis était seulement intrigué
par ce projet qui lui semblait farfelu. Mais en voyant le résultat des prototypes et les premières
ventes de l’entreprise (Q) il décide de les aider et d’investir un peu d’argent. Il devient associé (N).
De plus en plus convaincu par ce projet et cette aventure familiale, il obtient une rupture
conventionnelle auprès de son employeur (G). L’équipe va suivre des formations en entrepreneuriat
auprès de divers organismes (école, CCI et Boutiques de Gestion) (J). Ils obtiennent un prêt
bancaire (R) et sont aidés par leurs parents. Ils intègrent un prestigieux incubateur parisien (I) à
l’aide d’un concours (X). Ils embauchent des stagiaires (U). Ils obtiennent un nouveau financement
à l’aide d’une campagne de crowdfunding (R). Ils protègent le nom de leur marque (W). L’activité
se développe bien mais pas suffisamment pour faire vivre trois personnes. Peu à peu l’intérêt
retombe. Son frère Arthur obtient un poste dans une startup qui construit des bateaux-taxi sur la
Seine (L). Sa soeur Nina devient assistante dans une agence artistique (L). Louis prend la
responsabilité de la branche digitale d’une jeune startup rencontrée dans l’incubateur. L’entreprise
quitte l’incubateur parisien (M). Tous gardent un bon souvenir de cette aventure familiale de deux
ans, qui perdure encore aujourd’hui mais comme activité secondaire.
Phase 1 : Désengagement G
Phase 2 : Entre-deux N J I L L M N
Phase 3 : Engagement Q R X U R W
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Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
Jean-Pierre (37 ans) est ingénieur spécialisé dans les piles à hydrogènes auprès d’un grand groupe
industriel français. Il réussit brillamment et brigue un poste de direction. Son responsable lui
propose de prendre la direction d’un projet qui peut déboucher sur la création d’une spin-off. Il
l’invite à suivre un MBA spécialisé en entrepreneuriat auprès de l’ISC Paris (J). Pour cela Jean-
Pierre bénéficie d’un congé de longue durée (B). Durant sa formation, Jean-Pierre développe le
projet. Mais peu à peu il se rend compte que son responsable ne tient pas ses engagements. Il ne lui
donne pas accès à des informations importantes et ne le soutient pas auprès de ses collègues. A la
fin de sa formation, Jean-Pierre souhaite se retirer du projet et retrouver son poste. Mais il a été
remplacé. Il se rend compte que ce projet était un moyen de le pousser dehors (F). Un bras de fer
juridique s’engage avec son employeur. Jean-Pierre intègre l’ISC Paris (I) pour développer le projet.
Il change plusieurs fois le modèle économique de ce projet innovant (L). Il dépose un brevet à
l’aide d’un laboratoire (W). Mais il échoue dans sa recherche de fonds (P) ainsi qu’à un concours
BPI (O). Jean-Pierre décide de démissionner (D). Profondément affecté par cette succession
d’échecs, il prend un peu de recul. Il développe une petite activité de consultant pendant quelques
mois (K). Il quitte l’incubateur de l’école et s’installe à domicile (M). Au gré des rencontres, l’un de
ses clients lui propose un poste en CDI sur son domaine de compétences. Il garde son activité de
Phase 2 : Entre-deux J I L W P O K M N
Phase 3 : Engagement
!208
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
interrogées permet d’éclairer les besoins d’accompagnement au cours de chaque phase du processus
de transition.
Au cours de la phase de désengagement salarial, la personne souhaite quitter son poste actuel ou
est déjà en train de le faire pour diverses raisons. Elle peut être insatisfaite de ses conditions de
travail (Timothé), être en conflit avec son employeur (Sylvie, Jean-Pierre), éprouver des envies de
changement (Philippe, Marie-Ange, Louis), accompagner une évolution de sa vie personnelle
(naissance, mariage, séparation, maladie, etc.) (Samia, Benjamin). Elle peut également anticiper la
fin de son contrat de travail et le risque de chômage (François, Andry). Elle est à ce stade dans une
démarche d’orientation professionnelle et se désengage de son employeur actuel. Dans la plupart
des cas rencontrés, la personne travaille sur son projet sur son temps personnel (le soir, le week-end,
pendant les vacances). Cela peut aussi prendre la forme de congés pour travailler sur son projet
entrepreneurial, assister à des réunions d’informations, se former, ou prendre des rendez-vous
professionnels (par exemple avec son accompagnateur). « J’ai pris une journée de congés pour
venir vous voir. J’en ai profité pour assister au Salon des Entrepreneurs » (Sylvie).
L’entrepreneuriat est considéré comme une piste possible d’évolution professionnelle.
!209
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
problèmes à éviter et à prendre du recul. « Quel est le processus d’accompagnement, par quoi on
commence ? » (Sylvie).
Au cours de la phase d’entre-deux la personne est fortement désengagée du salariat, au point que
le retour au salariat est perçu comme un retour en arrière. Elle est engagée dans un projet
entrepreneurial. Le projet est en cours de construction, il ne constitue pas encore une source de
revenu suffisant pour être une activité principale. Il est fréquent que les personnes gardent une petite
activité professionnelle, soit en réduisant leur temps de travail auprès de leur employeur (Timothé,
Marie-Ange), soit en exerçant une activité alimentaire (François, Louis, Jean-Pierre). Le modèle
économique de leur projet n’est pas stabilisé. D’autres personnes peuvent passer d’un
environnement de travail à un autre, d’un incubateur à un autre, d’un espace de coworking à un
autre (Sylvie, François, Andry). Ils sont à la recherche de services d’hébergement et
d’accompagnement qui correspondent à leur situation actuelle. C’est ainsi qu’une personne de notre
échantillon est passée d’un espace de coworking, à un incubateur puis à une couveuse en l’espace
de trois ans (Sylvie). Pour une autre personne interrogée elle était initialement accompagnée par
l’incubateur de l’ISC Paris, puis par un incubateur public, puis par l’incubateur de l’ISC Paris. « On
est passé par un incubateur public pour quelques mois pour toucher le fonds Paris Innovation
Amorçage (PIA). Mais les locaux étaient de mauvaise qualité, c’est pour ça qu’on souhaite revenir.
Cerise sur la gâteau, on a réussi à garder le financement du PIA » (Andry). Pour une autre
personne, l’objectif est d’entrer dans une structure d’accompagnement réputée. « Les incubateurs se
font tellement la guerre à Paris que certains n’hésitent pas à faire du gratuit pour attirer les
meilleurs. Je tente ma chance » (Louis). Ces changements réguliers contribuent à la perte de
repères. D’autres personnes interrogées vont trop vite dans leurs démarches et échouent dans
l’obtention d’un crédit bancaire, d’un bail commercial ou d’un concours. « Mon banquier n’a rien
compris à ce que je faisais. Je crois qu’il faut que je revoie ma copie » (Sylvie).
A ce stade, la personne cherche une posture d’accompagnement qui ne se porte plus sur le choix
d’orientation professionnel mais sur la construction du projet. Elle souhaite que l’on l’aide à
!210
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
structurer sa réflexion et adopter une méthode de travail efficace. « N’hésitez pas à me dire si ça ne
va pas, soyez franc » (Louis). Elle mobilise les outils recommandés pour construire un projet
d’entreprise (business plan, étude de marché…) et demande son avis à son accompagnateur. « Je
voudrais bien que tu jettes un oeil sur mon questionnaire pour avoir ton avis » (François). Le projet
est testé, souvent auprès de l’entourage proche (famille, amis, collègues…). Dans ce cas, la
personne peut souhaiter que l’accompagnateur lui apporte aussi son retour ou qu’il l’aide à tester
son offre par exemple avec l’appui d’autres entrepreneurs ou d’étudiants. « Je cherche un groupe
d’étudiant pour m’aider à développer mon offre, tu penses que c’est possible ? » (Andry). Au cours
de la phase d’entre-deux, la personne accompagnée est souvent en perte de repères. Elle perd ses
habitudes professionnelles passées et prend de nouvelles habitudes professionnelles. Elle change
peu à peu d’environnement de travail, de statut social, de rémunération, de lieu de travail, de réseau
social, de groupe social. Ce double processus d’abandon et de découverte peut être déstabilisant. Il
peut être source d’une perte de confiance, d’incertitudes et de doutes. Le projet peut ne pas aller
dans la direction souhaitée, l’entourage peut ne plus soutenir la démarche, et renforcer l’incertitude
de la personne à poursuivre dans cette voie. Elle cherche alors un soutien moral auprès de son
accompagnateur. « Le bail commercial que j’avais identifié m’est passé sous le nez, je suis
découragé » (Timothé). « Mon mari n’est plus très chaud pour partir en Martinique pour monter
notre gîte touristique. il vient de trouver un travail intéressant à La Défense » (Jean-Pierre). Durant
cette période l’accompagnateur aide à maintenir la confiance. Il permet de structurer la réflexion,
d’adopter une méthode de travail efficace pour que la personne accompagnée puisse élaborer un
projet entrepreneurial qui corresponde à ses aspirations et à l’évolution de son rythme de travail.
Son accompagnement ne se porte plus sur le choix d’orientation professionnel mais sur la
construction du projet. La phase d’entre-deux peut durer longtemps, notamment si la personne
accompagnée n’a pas anticipé son départ salarial, que le projet nécessite des compétences nouvelles
que la personne doit acquérir, que les opportunités ou les finances manquent ou que les aléas sont
nombreux. Les incertitudes peuvent être nombreuses et remettre en question l’engagement de la
personne dans son projet. Il peut arriver qu’elle s’absente pendant plusieurs jours. « J’avais besoin
de faire un break avec ma famille » (Marie-Ange).
Si l’opportunité d’affaire se confirme, la personne accompagnée va peu à peu prendre ses marques
dans son nouveau projet et passer dans une phase d’engagement entrepreneurial.
!211
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
A ce stade, la personne cherche que son accompagnement l’aide à acquérir cette légitimité. La
justesse des équilibres financiers, des tableaux de bord et plus largement du plan d’affaire permet à
la personne accompagnée d’obtenir des prêts, des aides ou des systèmes de garanties et de soutiens
qui vont contribuer à consolider le développement de son activité et lui donner des perspectives.
« Peux-tu me transmettre le contact de la Banque Populaire qui est venu au précédent atelier ? Je
l’ai loupé et j’ai des questions à lui poser » (François). Ses demandes portent davantage sur des
expertises très précises. « Est-ce que tu peux regarder mon pacte d’actionnaires. Je l’ai rédigé avec
un spécialiste mais ton avis ne sera pas de trop » (Benjamin). Elle peut aussi être amenée à
embaucher son premier salarié. « As-tu le contact du professeur de ressources humaines qu’on a eu
l’année dernière ? C’est pour le contrat d’embauche de Stéphane » (Timothé). La personne
!212
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
accompagnée peut souhaiter adhérer à des réseaux de jeunes entrepreneurs comme le réseau
PEPITE (Louis), des organisations patronales comme la Fédération Française de Artisans Fleuristes
(Timothé) ou une organisation patronale comme la CGPME (Philippe). En fin de parcours certaines
personnes de notre échantillon peut souhaiter transmettre son expérience à d’autres porteurs de
projet. « Si je peux donner un coup de main pour aider les petits jeunes à se lancer, n’hésites
pas » (Louis). A son installation dans de nouveaux locaux, elle peut inviter son accompagnateur et
d’autres entrepreneurs à l’inauguration.
!213
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
Par des normes, des fiches Par les représentations, Par le marché, la clientèle,
Régulation de postes, la réglementation la reproduction sociale, la concurrence, les parties
possible du travail, des référentiels, les schémas de pensées, prenantes, les associés, les
des lois, des règlements l’histoire familiale investisseurs
!214
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
3. Synthèse de la section
Dans ce chapitre, nous nous intéressons aux résultats de la seconde proposition de notre recherche à
savoir : Les besoins d’accompagnement sont différents selon la phase de transition professionnelle
dans laquelle s’inscrit la personne. Par conséquent l’accompagnateur peut adapter sa démarche
des personnes composant le second échantillon de notre étude. Pour cela nous avons identifié les
évènements biographiques qui composent leur transition et nous les avons répartis dans un schéma
professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat. Nous concluons que leurs besoins sont différents tout
au long du processus.
!215
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
Synthèse du chapitre
En conclusion de ce chapitre, nous affirmons que les besoins d’accompagnement sont différents
personne. Il est par conséquent nécessaire que l’accompagnateur adapte sa démarche selon la phase
du processus de transition dans laquelle s’inscrit la personne accompagnée.
successives : (1) La phase de désengagement au cours de laquelle elle se sépare peu à peu de ses
habitudes professionnelles actuelles et de son groupe social de départ. La personne est en réflexion
sur son évolution professionnelle, elle est à l’écoute des opportunités et commence à réfléchir à un
projet entrepreneurial ; (2) La phase d’entre-deux au cours de laquelle la personne éprouve des
difficultés d’appartenance à l’un ou l’autre des statuts professionnels. Elle s’est fortement
désengagée de son statut de salarié, et débute son engagement entrepreneurial. Le projet se construit
peu à peu sans toutefois être abouti. (3) La phase d’engagement au cours de laquelle la personne
Les résultats se répartissent en deux sous-sections : (1) d’une part, la reconstitution des transitions
professionnelles et notamment les conséquences du déplacement social d’un statut professionnel à
un autre (du salariat à l’entrepreneuriat) ; (2) d’autre part, l’analyse de l’évolution des besoins
permis d’identifier des pratiques d’exclusion de la part du groupe social de départ (les salariés) vis-
à-vis de la personne en transition professionnelle. Ces pratiques peuvent se traduire sous la forme
d’exclusions physiques (mise à pied, travail à distance, etc.), d’exclusions sociales (dénigrement,
diminution des échanges informels, etc.) ou encore d’exclusions économiques (perte de salaire,
changement de statut etc.). Ces pratiques d’exclusions peuvent conduire à des troubles du
!216
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
fidélité, etc.).
Ensuite, nos travaux ont permis d’identifier des difficultés d’intégration de la part du groupe social
etc.). Ces difficultés d’intégration peuvent conduire à des troubles de l’engagement pour la
personne en transition professionnelles (désillusions, perfectionnisme, sentiment d’infériorité, etc.).
Enfin, nos travaux ont permis de développer un concept du déplacement socio-professionnel qui
son groupe social de départ et éprouve des difficultés d’intégration vis-à-vis de son groupe social de
destination. Elle va alors multiplier les allers et retours entre le salariat et l’entrepreneuriat. Cette
entraine également de la satisfaction. La personne tourne une page de sa vie professionnelle. Elle
de cette étude (document projet, bioscopie, échanges téléphoniques) ainsi que les observations
terrains, nous pouvons affirmer que les besoins d’accompagnement sont différents selon le stade de
la transition professionnelle.
Tout d’abord, au cours de la phase de désengagement, l’accompagnement est davantage porté sur
!217
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle
piste possible d’évolution professionnelle. Les personnes se renseignent, développent une stratégie
partiellement engagée dans l’entrepreneuriat. C’est une période marquée par le doute.
L’accompagnement vise à faciliter l’intégration de la personne dans un nouvel environnement
références et travaille dans un nouvel environnement. Le projet est devenu une entreprise,
l’accompagnement aide l’entrepreneur à devenir légitime.
professionnel.
!218
Chapitre VI
S’ENGAGER
EN TANT QU’ENTREPRENEUR
Le troisième enjeux de cette recherche porte sur la fin de la transition professionnelle du salariat à
l’entrepreneuriat. La dernière phase du processus de transition professionnelle du salariat à
Dans ce chapitre, nous allons nous intéresser aux résultats de la troisième proposition de notre
recherche à savoir : La personne termine sa transition professionnelle en s’insérant dans un milieu
Pour cela nous allons présenter nos résultats en deux sections. La première section va se porter sur
du pourquoi qui est posée. La seconde section va se porter sur les démarches que les personnes
mettent en place pour être légitime dans un groupe et le rôle de l’accompagnateur dans cette
démarche. C’est la question du comment qui est posée.
Pour illustrer nos propos nous allons nous appuyer sur des extraits d’entretiens.
!219
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
termine par une phase d’engagement. La personne se considère comme entrepreneur. Cette
• La légitimité pour les autres : La personne est reconnue par d’autres comme entrepreneur
Les récits autobiographiques des personnes interrogées complétés par les données secondaires nous
ont permis de collecter de nombreuses informations qui permettent d’illustrer l’une et l’autre de ces
approches. Après les avoir détaillées, nous en tirerons une théorie générale permettant de
La première forme de légitimité est la légitimité pour soi. La personne se perçoit comme légitime
car elle estime correspondre aux représentations qu’elle se fait d’un entrepreneur. A la suite des
entretiens menés, voici les formes de légitimité qui répondent à cette catégorie.
Avoir du mérite. Certaines personnes interrogées estiment être des entrepreneurs car elles font
preuve d’une grande force de travail. Les épreuves représentent un coût physique et psychique qui
provient de l’effort consenti pour développer l’activité. Certaines personnes n’hésitent pas à
travailler tard le soir, pendant les week-ends et parfois la nuit pour parvenir à décrocher un contrat,
« Je viens travailler chaque jour, du lundi au dimanche. Evidement c’est assez calme le week-
end. Mais je ne suis pas toujours seul dans l’espace de travail. Marc est souvent là lui aussi.
!220
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
Par exemple le 1er janvier, il travaillait. Et puis c’est un peu ça aussi le métier d’entrepreneur.
L’entrepreneur est perçu par Martin comme un travailleur qui ne compte pas ses heures. C’est grâce
à sa force de travail qu’il développe une entreprise viable. Toutes les personnes interrogées
déclarent qu’elles travaillent plus qu’avant depuis qu’elles ont lancé leur projet. Elles ne travaillent
pas forcément plus tôt que lorsqu’elles étaient salariées, mais elles rentrent chez elles souvent plus
tard. Elles travaillent sur leur projet également le soir et les week-ends. Leurs vacances ont
fortement diminuées. Globalement elles déclarent travailler 50 à 70 heures par semaine sur leur
projet alors que lorsqu’elles étaient salariés l’écart type était de l’ordre de 40 à 60 heures de travail
par semaine.
Faire preuve d’audace. Parmi les personnes interrogées, certaines estiment être des entrepreneurs
car elles font preuve d’une inventivité pour accéder à des ressources a priori inaccessibles.
L’activité des personnes qui portent un projet entrepreneurial est parfois floue, à la limite de la
légalité ou peu reconnues socialement. C’est le cas d’un entrepreneur qui vend des distributeurs
automatiques auprès des gares, des hôpitaux ou des centres commerciaux. Il ne dispose pas assez
d’argent pour financer la fabrication des premiers distributeurs automatiques. Il va alors emprunter
« J’ai commencé par emprunter 10 000 € auprès de la Société Générale. Ça m’a permis
principe, une fois qu’on décroche un prêt d’honneur, il est impossible d’en obtenir un autre.
Sauf que les associations locales ne communiquent pas entre-elles. Du coup j’ai obtenu un
est conditionnée par l’installation de l’entreprise sur place. Mais une déclaration d’honneur
suffit. Quelques mois plus tard, il suffit de dire que pour les besoins de l’activité, il faut que je
!221
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
déménage l’entreprise à Paris. Je joue un peu avec le système, mais si ça permet de me lancer
L’entrepreneur est perçu comme une personne sachant trouver les ressources, les combiner et les
exploiter pour les mettre au service du développement de son projet. L’entrepreneur est une
personne atypique qui n’hésite pas à dépasser les limites imposées par d’autres pour développer ses
idées. La force de l’entrepreneur dépend aussi de sa position dans les institutions et de sa
permettent de combiner plus facilement les ressources. C’est par la suite que les nouvelles pratiques
Sortir de sa zone de confort. Rester dans une posture de salarié protège de l’effort et du risque.
S’en tenir à un rôle de salarié permet de bénéficier du relatif confort de celui qui bénéficie toujours
d’un salaire. En sortir suppose de renoncer à cette sécurité pour un bénéfice hypothétique (celui
d’un projet entrepreneurial à succès) et pour un coût élevé. Avancer dans le processus de transition
« Quand on est salarié le salaire tombe à la fin du mois. Je ne me tracassai pas s’il y avait un
creux dans le volume de clientèle. Ça ne m’empêchait pas de dormir. Aujourd’hui les choses
sont bien différentes. Mon seuil de rentabilité est de 7 clients par jour, pour un panier moyen à
250 €. Il ne se passe pas un jour sans que je me demande si je vais parvenir à avoir mes 7
clients. Si j’y arrive pas, je suis stressé. Si j’en ai que 5, je sais que le lendemain il va falloir
L’entrepreneuriat nécessite de sortir d’une zone de confort. Chez certaines personnes, la rupture
avec le salariat est assez forte sur ce point-là. Elles étaient habituées à des horaires traditionnels, à
!222
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
un rythme de travail confortable et à une rémunération déconnectée des résultats. Pour ces
personnes, la posture d’entrepreneur apporte un sentiment d’inconfort dans le quotidien voire une
prise de risque (matérielle, financière, statutaire) qu’ils doivent apprendre à maîtriser. Certaines
personnes entrent dans une zone d’apprentissage et de découverte. Compte tenu de leur manque de
compétences et d’expériences dans certains domaines (gestion, finance, comptabilité, etc.), ils
risquent de faire des erreurs. Sortir de sa zone de confort génère de l’anxiété, la concentration est
accrue. Mais le niveau de stress reste encore acceptable. Ils entrent dans un territoire inconnu mais
disposent encore de repères suffisants pour progresser. Les difficultés augmentent au fur et à mesure
que les personnes entrent dans une zone de panique. Le stress est alors trop important et ils perdent
Construire son réseau. Disposer d’un réseau est l’une des caractéristiques d’un entrepreneur les
plus citées par les personnes interrogées. Savoir développer, entretenir et mobiliser un réseau utile
augmente les opportunités et permet éventuellement de saisir des leviers de croissance. Pour faire
croître le projet, il est important de former autour de soi une équipe de personnes compétentes,
responsables et impliquées dans ce qu’elles font. Sylvie illustre l’importance du réseau dans le
développement de son projet. Après sept années à développer son activité d’hypnothérapeute avec
plus ou moins de succès, elle finira par accepter un poste de salarié et clôturera définitivement son
activité.
« J’ai énormément développé mon réseau durant mon projet. Je travaillais souvent dans des
C’est une ambiance stimulante. Ça m’a permis de rencontrer Farida qui fut d’un grand
soutien. C’est elle qui m’a mise en relation avec l’association de recherche en soins infirmiers.
C’est aussi elle qui m’a permis de rencontrer l’EHPAD de Noisy-Le-Grand. C’est comme ça
que j’ai pu tester le projet. Bon, au final le réseau n’a pas suffi pour faire décoller le projet.
Mais je ne regrette rien. J’ai rencontré de belles personnes. On a passé de bons moments
!223
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
ensemble. Et d’ailleurs c’est encore le réseau qui m’a permis de trouver le poste que j’occupe
actuellement ». (Sylvie)
L’entrepreneur est perçu comme celui qui fait partager sa vision et s’entoure des personnes qui vont
l’aider à atteindre ses objectifs. L’entrepreneur se situe au confluent d’un ensemble de réseaux et sa
capacité à communiquer constitue un élément important de sa réussite. Il recherche les avis autour
de lui. Certaines personnes que nous avons interrogées ont mis en place un comité-conseil composé
de personnes de leur entourage. Elles les sollicitent lorsqu’il s’agit de tester le produit, de donner un
avis sur la charte graphique ou encore lorsque le moral est en berne. Par la suite le réseau sera
éventuellement utile lorsqu’il s’agira de rebondir sur une autre activité professionnelle.
Développer une vision. La capacité à développer une vision à long terme de son projet est une
capacité que certaines personnes interrogées parviennent à développer. Alors que beaucoup de
personnes évoluent dans un cadre conçu par d’autres, certaines personnes se revendiquent
entrepreneurs car ils parviennent à concevoir leur propre cadre de référence. Les projets originaux
sont avantagés puisqu’ils cultivent une différence qui les rendent uniques. Cette créativité va
soutenir la dynamique de l’entrepreneur, son enthousiasme et sa vivacité. Nous interrogeons
Augustin à l’occasion d’une rencontre entre entrepreneurs. Nous revenons sur son parcours alors
qu’il vient de nous annoncer qu’il arrêtait son activité, faute d’une croissance suffisante.
« A l’époque notre modèle économique allait à contre courant des tendances. Alors que tout le
monde pariait sur les services de livraison décentralisés, c’est-à-dire avec un personnel
personnel. C’est cette vision qui nous a guidés pendant plusieurs années. Au début personne
ne croyait en nous. Mais lorsque nous avons commencé à générer du chiffre d’affaires et que
critiqué, on nous a regardés d’une autre façon. Bon, au final on a fini par mettre la clé sous la
porte. Mais on ne regrette pas nos choix. On a fait vivre une cinquantaine de personnes
!224
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
Augustin est fier d’avoir développé une vision, caractéristique qu’il considère comme essentielle.
La vision place l’entrepreneur dans une dynamique de changement créatrice de sens. La perception
de bien faire est fondamentale dans la construction d’une vision sur le long terme. L’entrepreneur
identifie des opportunités et les exploite d’une façon qui lui semble cohérente avec son intuition. Il
bâtit ensuite une stratégie qui va lui permettre d’atteindre ces objectifs. Avec de l’originalité, de
l’indépendance et un minimum de passion pour entreprendre, il dispose alors d’un espace de liberté
Savoir innover. Les interviews réalisées permettent également d’identifier que l’entrepreneur est
produire une offre inadaptée au marché. Afin que son projet ait des chances de réussite, il doit faire
preuve d’inventivité. Si l’expérience dans le secteur, le niveau d’expertise et le diplôme peuvent
En parvenant à construire une offre perçue comme innovante, cela contribue à renforcer le
« Même si je n’ai pas réussi à créer une entreprise, oui je pense avoir un profil d’entrepreneur.
Je ne sais pas si je le suis vraiment, mais un peu quand même ! Ce qui compte c’est la
capacité à innover, à produire quelque chose de nouveau. J’ai développé un projet vraiment
innovant. J’ai déposé un brevet. J’avais pas les ressources pour le mener jusqu’au bout, mais
L’entrepreneur est perçu comme une personne disposant de ressources cognitives permettant de
répond à un besoin du marché, produit des résultats et des solutions adaptées aux problèmes.
L’entrepreneur est efficace précisément parce qu’il répond aux besoins. Dans cet exemple peut
!225
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
Thème Illustration
« Quand on est salarié, le salaire tombe à la fin du mois. (…) Aujourd’hui les
Sortir de sa zone de choses sont bien différentes ». — « Tout le monde pense que c’est cool d’être
confort entrepreneur, mais c’est pas cool du tout. C’est plein de galères à gérer au
quotidien ». — « J’arrête le salariat, je veux agir ».
!226
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
La performance d’une entreprise peut être mesurée de différentes manières. Ces paramètres
fonctions telles que décrites par Fayol : prévoir, organiser, coordonner, commander et contrôler
(1918).
Avoir une entreprise. Pour certaines personnes interrogées, le sentiment d’être légitime en tant
semaines mois ou années. Cela engendre des frais d’immatriculation et des frais de gestion. Nous
« J’ai reçu mon Kbis25. Je suis officiellement entrepreneur depuis lundi ! C’est fini le salariat,
c’est fini le confort. Maintenant c’est boulot, boulot, boulot. Je suis de l’autre côté de la
l’auto-entrepreneur engendre peu de coûts. Sa souplesse permet de tester une activité. Le chiffre
d’affaires est plafonné ce qui limite les perspectives. Les transitions professionnelles reconstituées
dans le chapitre précédent montrent que les entreprises immatriculées en auto-entrepreneur le sont
25
Le Kbis est un document officiel qui atteste de l’existence juridique d’une entreprise.
!227
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
également une image dégradée de l’entreprise. Voici le témoignage de Philippe sur ce thème.
« L’auto-entrepreneur c’était temporaire. Le chiffres d’affaires est limité. Pour ouvrir une
boutique c’était clairement pas adapté. Mais ça m’a permis de me faire la main, de m’habituer
à la paperasse et à l’administration. En tant que salarié je n’étais jamais confronté à tout ça.
Et puis vis-à-vis des autres (ndlr : les autres entrepreneurs de l’incubateur), l’auto-
entrepreneur c’est un truc de débutant. C’est pour s’entraîner. Je suis passé en SASU aussi
Le dépôt du dossier d’immatriculation auprès du Centre de Formalité des Entreprises (CFE) est la
démarche obligatoire imposée par l’administration publique. Elle est très codifiée. Dans la plupart
des cas l’immatriculation fait l’objet d’un avis publié au Bulletin officiel des annonces civiles et
dans la vie d’une entreprise. La plupart ont « marqué le coup » collectivement par des pratiques
diverses. Certains ont pris un verre avec leur famille ou leurs amis. « Avec ma femme on a trinqué à
la santé de l’entreprise » (Philippe). Certaines personnes postent un commentaire sur les réseaux
sociaux comme Timothé qui publie un selfie à la sortie du Tribunal de Commerce accompagné du
commentaire suivant « c’est fait, l’entreprise existe maintenant juridiquement ! ». La symbolique
est encore plus importante lorsque le processus entrepreneurial est collectif. C’est le cas de Sylvain
qui a trois autres associés dans le projet, dont son père. « C'est une démarche qui scelle le
fonctionnement des relations entre associés, en fonction des apports de chacun. Il ne faut pas se
tromper. Pour moi un des associés est mon père. Donc en plus d’une relation familiale, paternelle,
ça ajoute une relation business. Ça complique un peu les choses » (Sylvain). Dans le cas de Sylvain
deux évènements ont marqué la création juridique de l’entreprise. Le premier se déroule entre les
associés (un déjeuner d’affaires) et le second entre les membres de sa famille (une coupe de
juridique de l’entreprise. C’est notamment le cas lorsque la création juridique est sous le régime de
l’auto-entrepreneur.
!228
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
Nous avons constaté assez peu de rituels à l’occasion de la création officielle des entreprises des
conditionnent l’entrée dans leur espace de co-working par un jury composé des professeurs du
la cohérence de la sélection. Tous les entrepreneurs accueillis sont ainsi sélectionnés à partir de
critères de sélection communs. A la différence de l’incubateur du Cnam, celui de l’ISC Paris intègre
dans le jury un entrepreneur déjà résident dans l’incubateur. Nous avons constaté que cela renforce
d’avantage le sentiment de cohésion entre les membres du groupe et facilite l’intégration, comme le
montre ce témoignage.
« Je trouve que le fait d’associer à la prise de décision des entrepreneurs de l’incubateur permet
de renforcer le groupe. Le nouvel arrivant se souvient que c’était son voisin qui était dans le
jury. Il va forcément le remercier. C’est souvent le premier avec qui des liens vont être tissés.
Pour ma part mes premières questions sur le fonctionnement de l’espace, le code wifi, à qui
appartient telle ou telle étagère de la bibliothèque par exemple, je les posaient à celui qui m’a
sélectionné » (François)
L’entrée dans l’incubateur peut aussi être conditionné par d’autres rituels comme l’affichage du
logo sur un des murs de l’incubateur, un message annonçant l’arrivée des nouveaux entrepreneurs
ou encore une séance de « pitch » à destination des autres entrepreneurs comme par exemple à
l’occasion d’un déjeuner. A l’inverse lorsqu’un entrepreneur ne participe pas aux rituels organisés
par l’équipe encadrante de l’incubateur ou par ses membres eux-même, cela peu le placer dans une
posture d’exclu. Les autres membres du groupe le remarque, ils s’interrogent sur les raisons de ses
absences et peuvent le placer « à part » du groupe.
le résultat d’une longue réflexion et d’un travail approfondi. C’est une démarche qui ne s’improvise
!229
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
pas. Le poids des responsabilités augmente pour l’entrepreneur. Dans la plupart des cas, le
financement doit être remboursé (emprunt bancaire, actionnariat, avance remboursable, etc.). La
prise de risque est plus ou moins importante selon les personnes. L’entrepreneur doit rendre des
extérieur montre également que la personne a su convaincre son entourage ou des partenaires de
s’engager dans le projet. Cela donne du crédit au projet et à l’équipe en place. Un financement n’est
jamais facile à obtenir. Le projet est étudié dans le détail par d’autres personnes. Le temps passé
peut être très long et éprouvant notamment lorsque les montants sont importants. Voici la réponse à
l’échange de mails avec Louis que nous venons de féliciter pour son financement.
« On a réussi à boucler le crowdfunding sur Ulule. C’est une belle victoire. C’est aussi un
excellent moyen pour communiquer. On a obtenu 148 pré-ventes pour une moyenne d’achat
de 120 €. On a du pain sur la planche maintenant. Il faut livrer la marchandise dans les trois
mois. » (Louis)
projet est présenté avec plus ou moins de détails sur l’équipe, l’offre et le marché visé. Le dossier
financement est toujours célébrée par les entrepreneurs. Andry était dans un incubateur parisien
dans cet incubateur était de sonner la cloche. Une grosse cloche est installée dans l’espace de
coworking. Lorsqu’une levée de fonds est bouclée, on sonne la cloche. Pour 100 000 € c’est un
gong. On a sonné trois fois ! ». C’est une manière originale de ritualiser la levée de fonds. Elle a
pour objectif d’animer un incubateur mais pas seulement. Une levée de fonds est une occasion
exceptionnelle de communiquer sur l’entreprise et sur les organismes qui la soutienne. Le rite
permet de communiquer autant sur la communauté de l’incubateur qu’auprès des personnes qui n’y
sont pas. Les porteurs de projets, les investisseurs et autres partenaires potentiels de l’incubateur
sont particulièrement visés par ce type de communication.
!230
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
Faire du chiffre d’affaires. Le premier client est toujours un moment important pour un
entrepreneur. Cela prouve que l’objet ou le service proposé à trouvé une clientèle. L’offre
correspond à une demande. Pour certains entrepreneurs, ce premier client sera le seul. Pour
d’autres, les clients se multiplieront et feront grossir le chiffre d’affaires. Pour de nombreuses
personnes le premier client marque le passage à l’entrepreneuriat. C’est le cas de François qui se
« Je me rappelle très bien mon premier vrai client. C’était une dame de la région de Strasbourg.
Elle a acheté un collier pour un petit chien. J’ai envoyé la marchandise dans la journée. Et
trois jours plus tard je l’ai appelée pour savoir si elle avait bien réceptionné le collier et pour
recueillir ses impressions. Aujourd’hui je ne peux plus me permettre d’appeler les clients à
chaque fois. C’est très intéressant mais c’est trop long. J’envoi un questionnaire de
satisfaction ». (François)
Lorsque la clientèle se multiplie il n’est pas toujours évident de maintenir le rituel que l’on s’est
« Pour chaque installation de nos machines nous faisons monter le compteur de like. C’est un
compteur que l’on a détourné de son utilisation première. A la base il sert à compter les likes
sur Facebook. Mais on l’a trafiqué pour qu’il nous serve à compter l’installation des
machines. On le place bien bien en évidence dans les locaux pour que tout le monde le voie.
Pour toutes les personnes interrogées la légitimité s’acquiert notamment par la clientèle. Cela
démontre la capacité à vendre, à mettre en place des actions de développement efficaces pour
adapter une offre à un marché. Cela démontre que l’entrepreneur a su développer des compétences
utiles pour son projet, qu’il a fait un pari qui s’est révélé payant et qu’il a su s’entourer des bonnes
!231
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
Disposer de ses propres locaux. Certaines personnes interrogées estiment qu’elles seront
entrepreneurs lorsqu’elles s’installeront dans leurs propres locaux. Pour certains métiers, il est
problématique de ne pas disposer de locaux (restaurateur, coiffeur, fleuriste, opticien, etc.). Les
du secteur. Voici l’exemple de Philippe. Il a exercé son activité d’opticien à domicile pendant six
mois avant d’ouvrir sa propre boutique. Il fait parvenir un mail collectif à l’occasion de
l’inauguration de sa boutique.
« Mon apprentissage est terminé. Je commence une nouvelle aventure. Je tiens à remercier toute
les personnes qui m’ont permis d’arriver à ce stade. (…) Ce fut un parcours long, difficile et
parfois décourageant. Mais j’y suis arrivé ! Je vous propose de venir partager ma joie à
avant tout un moment de partage et convivialité. Si vous souhaitez en profiter pour acquérir
Il qualifie d’apprentissage la période précédente. Pourtant c’est une période durant laquelle il a
exercé son métier d’opticien à domicile. Cette période dura 6 mois. Il a réussi a générer un petit
chiffre d’affaires sans toutefois réussir à parvenir à en vivre. L’acquisition de locaux est un cap
important pour un porteur de projet. C’est souvent le fruit de longs efforts. Les locaux coûtent
généralement chers, surtout dans les grandes villes. Les locaux symbolisent l’indépendance,
l’autonomie et la réussite. Après deux ans dans un incubateur, Ange-Lucien témoigne du moment
où il a réussi à ouvrir sa propre boutique. A l’époque la boutique était partagée avec deux autres
« J’étais fier d’annoncer l’ouverture de la boutique. C’était un moment important pour nous. On
aux clients tous les jours. Quand tu vends sur internet c’est différent, parfois le client tu ne le
vois même pas ! Mais pour répondre à ta question, on se se considérait entrepreneurs aussi à
!232
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
cette époque. Après tout on vendait aussi à cette époque ! Une boutique c’est juste une étape
en plus. On déploie nos ailes. On est de vrais entrepreneurs. Avant on était des entrepreneurs,
Certaines personnes n’indiquent pas dans leurs correspondances qu’elles travaillent dans un
incubateur ou dans autre espace de travail partagé (pépinière, couveuse d’entreprise, espace de
coworking, etc.). Par exemple à l’incubateur de l’ISC Paris, de nombreux courriers sont égarés car
les entrepreneurs car ils n’indiquent pas « incubateur » à leurs correspondants. Le courrier n’arrive
donc pas au bon endroit. Pourtant c’est clairement indiqué à leur arrivée dans l’incubateur. Nous
interrogeons Nicolas sur ce point après avoir constaté à plusieurs reprises que son courrier s’égarait.
« C’est pas super professionnel de préciser qu’on est hébergé dans un incubateur. Enfin ça
dépend. Selon l’interlocuteur c’est bien de le dire. Si c’est un institutionnel du genre French
Tech, BPI ou Réseau Entreprendre, clairement il faut le dire. Ça montre qu’on est
accompagné. Qu’on est pas tout seul. Mais je le précise pas pour mes clients, mes fournisseurs
et même mon banquier. Au contraire, ça montre que je suis petit, j’ai pas mes locaux,
Socialement disposer de ses propres locaux permet de bénéficier d’une forte reconnaissance sociale.
Les personnes acquiert une place sur un marché économique. Elles ont également une place dans
une ville, un village ou un quartier. Elles développent un réseau de proximité. Une confiance peut
s’installer. Des habitudes se mettent en place. Cela peut leur octroyer des facilités (avoir toujours
une table assise dans le café au coin de la rue, être servi rapidement par le restaurateur voisin, avoir
des prix avantageux chez le coiffeur d’à côté, etc.). Cela procure de la satisfaction et contribue à
entrepreneur. Parmi les personnes interrogées, cela débute souvent par l’embauche de stagiaires.
Bien qu’un stagiaire ne soit pas un salarié, cela permet de développer de nombreuses compétences
!233
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
sanction. L’entrepreneur se confronte au regard et au travail d’une autre personne que lui. Pour
certaines personnes interrogées, c’est un exercice nouveau qu’elles n’ont encore jamais eu
l’occasion de faire. Certaines n’ont jamais eu du personnel sous leurs ordres en tant que salarié. Au
contraire, d’autres personnes interrogées ont déjà eu l’occasion de déléguer par le passé. Dans tous
les cas, l’embauche de personnel permet de développer de nouvelles compétences et de témoigner
d’une capacité à faire travailler d’autres personnes qui a priori adhèrent au projet. Aristide raconte
« Le premier stagiaire fut une catastrophe. Je n’ai jamais eu de personnel sous mes ordres
auparavant. J’ai déjà travaillé en équipe mais pas sous cette forme. Ce fut une découverte. J’ai
donc choisi quelqu’un qui me ressemblait. Une personne sortie d’une Ecole de Commerce,
avec une expériences et un profil similaire au mien. Ce fut une grosse erreur. J’étais aussi
exigeant avec lui qu’avec moi. Or ce n’était pas son entreprise. Il ne s’impliquait donc pas
autant que moi dans l’activité. Pour le faire changer j’ai choisi une méthode de management
assez cool. Je prenais des verres avec lui, on se tutoyait, on était amis sur facebook. Des trucs
comme ça. Au début ça a marché. Mais peu à peu il en a profité. Il n’était pas toujours à
l’heure. Il oubliait des rendez-vous. Il faisait des erreurs dans les commandes. Mais vu qu’on
était potes je ne pouvais rien lui dire. Il ne prenait pas au sérieux mes remarques. J’ai fini par
Pour embaucher du personnel, l’entretien d’embauche est une étape nécessaire. Ce rituel prend des
formes diverses selon les personnes interrogées qui embauchent du personnel. Pour Andry cela
« Chez nous les candidats doivent décoder un programme dans un temps limité. C’est une
technique de recrutement qui s’inspire de celle du film The Social Network, le film qui raconte
l’histoire de Facebook avec Marc Zuckerberg. Sauf qu’on est pas aussi barbare que dans le
film ! On réunit les candidats potentiels dans une salle de l’incubateur. Ils viennent avec leur
ordinateur. On leur transmet une clé USB avec un programme qui ne fonctionne pas. Ils ont
!234
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
tous le même. Bien sûr nous on sait pourquoi le programme ne fonctionne pas. On a modifié
les lignes de codes avant, on a ajouté des trucs, supprimé des choses. Le premier qui arrive à
faire fonctionner le programme est embauché. Ça dure généralement 1 heure. C’est simple et
efficace ». (Andry)
« Les entretiens se déroulent assez classiquement. On reçoit des CVs. On fait passer des
entretiens. Rien d’exceptionnel. On n’a pas trop envie d’innover de ce côté là. On est passé
par là nous aussi. C’est hyper stressant de se retrouver dans des situations bizarres avec des
questions à la mode du genre « vendez-moi cette bouteille d’eau ». Ce qui compte c’est
l’implication de la personne dans la boîte. Il y a toujours une période d’essai de toute façon.
également une distinction entre les entrepreneurs d’un même espace de travail. Les entrepreneurs
qui disposent de personnel sont visuellement plus nombreux. Un dynamisme se met en place. Des
échanges se créent avec les autres entrepreneurs présents dans l’espace de travail. Une hiérarchie se
met en place. Des affinités et des confits se développent. Les entrepreneurs qui disposent de
personnel attirent davantage l’attention sur eux et sur leur activité qui semble se développer.
procure la réussite à des concours. Les personnes sont encouragées dans le développement de leur
projet. Un concours assoit son autorité grâce aux membres qui le composent (fondateurs,
personnalités, membres du jury, etc.). Plus l’autorité est reconnue par le porteur de projet, plus le
résultat du concours a de l’importance à ses yeux. Nous félicitons un porteur de projet quelques
jours après sa réussite à un concours entrepreneurial dont les membres du jury se composent de
!235
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
« On ne s’attendait pas vraiment à gagner ce concours. Ce fut une surprise. Ça nous a donné une
forte visibilité. Plusieurs années plus tard on nous en reparle encore. C’est grâce à ce concours
que nous avons réussi à installer nos premières machines dans les locaux de grandes
entreprises ». (Jean-Pierre)
Un concours est un dispositif fortement ritualisé. Tous les candidats suivent le même processus de
chacun. Les candidats déposent un dossier et peuvent éventuellement défendre leur candidature lors
d’un ou de plusieurs oraux. Ils sont mis dans les mêmes conditions d’examen de leur dossier (même
dossier, même temps de parole, même matériel mis-à-disposition, etc.). Les membres du jury sont
les garants de l’autorité. Ils doivent maintenir une certaine distance avec les candidats faute de quoi
ils peuvent être accusés de favoriser un candidat plutôt qu’un autre. Affaiblir la ritualisation du
concours contribue à affaiblir la légitimité du concours. Un concours se clôture généralement par
une cérémonie de remise des prix. La cérémonie a vocation à honorer les gagnants du concours
mais pas seulement. La cérémonie permet aussi de mettre en valeur les organisateurs du concours et
ses partenaires. Un cérémonial est mis en place (placement des participants, ordre de passage,
remise de prix symbolise le passage d’un état à un autre, celui du statut de candidat au statut de
gagnant ou de perdant. Un concours est l’occasion pour le porteur de projet de communiquer sur sa
Le tableau 19 résume des extraits d’entretiens illustrant la légitimité pour les autres.
Le tableau 20 résume les rituels organisés dans l’un et/ou l’autre des incubateurs étudiés.
!236
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
Catégorie Illustration
Tableau 19 : La légitimité pour les autres (extraits d’entretiens résumés par thème)
!
!237
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
D’autres rituels vont rythmer la vie des incubateurs étudiés, être des moyens
pour favoriser la cohésion entre ses membres et des outils de communication
vers l’extérieur comme : le début année (voeux, galettes), mardi gras (repas
Autres rituels
crêpe) et la fin d’année (repas, bilan de l’année). Enfin l’incubateur de l’ISC
Paris dispose d’un babyfoot, un tournoi est régulièrement organisé entre les
entrepreneurs (généralement les jeudis). L’équipe perdante paie une pizza.
!238
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
l’une et l’autre. La légitimité pour soi correspond aux perceptions que la personne a de
l’entrepreneur. Ses représentations sont construites sur la base de son expérience passée, de ses
envies et des images transmises par son entourage et plus largement par la société. La légitimité
pour les autres correspond à la reconnaissance par une communauté. Cette dernière va attribuer à la
personne des attributs qui correspondent à l’entrepreneur. Agissant comme une autorité supérieure,
la communauté peut également lui retirer ces attributs si la communauté estime que la personne ne
la personne estime qu’elle agît selon les représentations qu’elle se fait de l’entrepreneur,
communauté.
• Zone B : La personne souhaite être reconnue comme entrepreneur par une communauté.
Cette communauté agit comme une autorité qui confère un statut à la personne. Du point de
!239
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
vue de la communauté, la personne est légitime dans son rôle car ses valeurs et ses actions
ou qu’elle ne se soumet pas au système de contrôle, elle peut alors être exclue de la
maintenue dans ce rôle, elle éprouve des sentiments comme la joie, la satisfaction ou encore
l’excitation.
• Zone C : La légitimité pour soi et la légitimité pour les autres s’influencent mutuellement.
Lorsque la personne estime qu’elle est légitime dans son rôle, elle peut souhaiter être
reconnue par les autres. A l’inverse, lorsqu’une communauté la perçoit légitime comme
entrepreneur, cela renforce la confiance de la personne dans son système de représentation.
!240
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
Confiance
Légitimité pour soi : Légitimité pour les autres :
Perceptions / Représentations Désir de reconnaissance Communauté / Autorité
A B
Actions Reconnaissance
!
!241
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
4. Synthèse de la section
Dans ce chapitre, nous nous intéressons aux résultats de la troisième proposition de notre recherche
légitime en tant qu’entrepreneur. C’est la question du pourquoi qui est posée. Pour cela nous avons
développé une théorie basée sur trois zones d’influences. D’une part la personne se considère
comme entrepreneur lorsqu’elle estime se sentir légitime au regard de ses perceptions (la légitimité
pour soi). Les entretiens réalisés nous ont permis de définir six qualités qui permettent de gagner en
légitimité à savoir : (1) Avoir du mérite ; (2) Faire preuve d’initiative ; (3) Sortir de sa zone de
confort ; (4) Avoir du réseau ; (5) Développer une vision ; (6) Savoir innover. D’autre part la
personne se considère comme entrepreneur lorsqu’elle est reconnue par d’autres comme
entrepreneur (la légitimité pour les autres). Les entretiens réalisés nous ont permis de définir six
manifestations de l’acquisition d’une légitimité à savoir : (1) Avoir une entreprise ; (2) Obtenir du
financement ; (3) Faire du chiffre d’affaires ; (4) Disposer de ses propres locaux ; (5) Embaucher du
personnel ; (6) Gagner un concours. Enfin, la légitimité pour soi et la légitimité pour autrui
s’influencent l’une et l’autre.
A présent la seconde section va se porter sur les stratégies que les personnes mettent en place pour
démarche. C’est la question du comment qui est posée. Pour cela nous allons définir quatre formes
de transition professionnelles du salariat à l’entrepreneuriat. Cela nous permettra ensuite de
!242
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
Le passage du salariat à l’entrepreneuriat présente une particularité majeure. Un salarié qui change
de travail pour devenir entrepreneur est à la fois dans un processus entrepreneurial et dans un
processus de transition professionnelle. Nous proposons désormais de définir une typologie des
transitions professionnelles du salariat à l’entrepreneuriat à partir de ce double processus de
transition. Dans une seconde sous-section nous présentons les démarches que les personnes mettent
Les résultats de cette étude portent sur les salariés du second échantillon. Ils correspondent aux
l’autobiographie raisonnée : le rapport aux études formelles, le rapport aux études non formelles, le
Une fois obtenu, les résultats de cette étude sont comparés aux données collectées auprès du
premier échantillon. Cet élargissement des résultats du second échantillon au premier échantillon a
pour objet de vérifier la pertinence des résultats au regard d’un échantillon plus grand, qui n’a pas
fait l’objet d’un accompagnement par la démarche de l’autobiographie raisonnée, mais auprès
duquel nous avons récolté suffisamment de données.
professionnelle (transition professionnelle anticipée) à ceux qui ont vécu une transition
!243
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
leur expertise métier, il s’agit alors d’une reconversion professionnelle (processus entrepreneurial
en rupture).
Degré d’anticipation
Transition professionnelle
Forte anticipation Faible anticipation
Le premier facteur est le degré d’anticipation. La transition professionnelle est considérée comme
anticipée lorsque la personne a préparé de longue date sa transition professionnelle. C’est le cas
lorsqu’elle est informée plusieurs mois en avance de son départ (dans le cas d’un plan de départ
volontaire ou d’une négociation de rupture conventionnelle par exemple) ou qu’elle a programmé
son départ volontaire (dans le cas d’un congé création d’entreprise ou d’un passage à temps partiel
par exemple). La transition professionnelle est considérée comme inattendue lorsque la personne
estime n’avoir pas suffisamment anticipé sa transition professionnelle. C’est le cas lorsqu’elle est
informée tardivement de son départ (dans le cas d’un licenciement notamment) ou qu’elle n’a pas
programmé son départ (dans le cas d’un accident du travail, d’une maladie ou d’un décès d’un
proche entraînant le départ précipité de son poste par exemple).
Le second facteur est le degré de continuité. Le projet entrepreneurial est considéré comme en
continuité avec l’expertise métier précédente lorsque le projet fait majoritairement appel à des
compétences dont disposent déjà la personne. La personne n’est pas en nécessité de se former pour
développer son projet. Elle peut toutefois se former pour développer des compétences annexes
!244
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
(gestion, comptabilité, finance, etc.). Par exemple lorsque la personne était salariée en tant chef de
projet en marketing digital et qu’elle développe en tant qu’entrepreneur une application mobile. Le
projet entrepreneurial est considéré comme en rupture avec l’expertise métier précédente lorsque le
projet fait majoritairement appel à de nouvelles compétences dont ne dispose pas la personne. Dans
ce cas la personne doit se former pour les acquérir, faute de quoi elle ne peut développer son projet.
La personne est alors en reconversion professionnelle. Par exemple lorsque la personne était
En effectuant des comparaisons des transitions professionnelles à la lumière de ces deux facteurs
cela permet d’apporter des éclairages intéressants. Le tableau 22 regroupe les personnes qui ont
anticipé leur transition professionnelle (1, 3, 4, 7, 8). Le tableau 23 regroupe les personnes qui n’ont
pas anticipé leur transition professionnelle (2, 5, 6, 9, 10). Le tableau 24 regroupe les personnes
dont la transition professionnelle s’accompagne d’un faible changement professionnel (métiers
proches, compétences similaires) entre l’activité précédemment exercée et l’activité nouvelle (4, 6,
7, 9, 10). Le tableau 25 regroupe les personnes dont la transition professionnelle s’accompagne d’un
comme par exemple (A. Licenciement, B. Congés répétés ou de longue durée, etc.). Les couleurs
correspondent aux trois phases de la transition professionnelle (orange pour la phase de
désengagement salariale, verte pour la phase d’entre-deux, bleue pour la phase d’engagement
entrepreneuriale).
!245
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
1. Timothé E B C G J I L Q R T S V W X
3. François H K N B J I D J Q W R P M N
4. Philippe F G J K I M Q W X R S V U X
7. Andry D J I T Q W U R L I U T T X
8. Marie-Ange F B J G C I R L Q W D U V X
2. Sylvie F G E A J K I L M W O I Q N
5. Samia E B J E C L L G
6. Benjamin E B I J K G P L Q L M
9. Louis Q N G J R X I U R W L L M N
10. Jean-Pierre B J F I L W P O D K M N
4. Philippe F G J K I M Q W X R S V U X
6. Benjamin E B I J K G P L Q L M
7. Andry D J I T Q W U R L I U T T X
9. Louis Q N G J R X I U R W L L M N
10. Jean-Pierre B J F I L W P O D K M N
1. Timothé E B C G J I L Q R T S V W X
2. Sylvie F G E A J K I L M W O I Q N
3. François H K N B J I D J Q W R P M N
5. Samia E B J E C L L G
8. Marie-Ange F B J G C I R L Q W D U V X
!246
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
- Les personnes qui anticipent leur transition professionnelle, cela semble s’accompagner d’un
engagement entrepreneurial assez stable (tableau 22).
- A l’inverse les personnes qui n’anticipent pas leur transition professionnelle, cela semble
Les personnes qui anticipent leur transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat prévoient
le changement. Elles réfléchissent depuis longtemps à leur projet (Timothé, François, Philippe),
sont soutenues par leur entourage (Timothé, Andry), sont dans une entreprise qui intègre
l’entrepreneuriat dans la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC26) (Marie-
Ange). A l’inverse le personnes qui n’anticipent pas leur transition professionnelle du salariat à
l’entrepreneuriat ne prévoient pas le changement. Elles sont en conflit « ouvert » avec leur
(Benjamin) ou saisissent une opportunité qui se présentent à eux sans nécessairement avoir
réfléchies aux conséquences et enjeux d’une telle décision (Benjamin, Louis). Il est difficile
d’affirmer que l’anticipation ou non du changement influence la réussite ou non du projet à long
terme27, mais il est clair que ce facteur influence l’engagement dans le projet. Dans le premier cas,
la transition s’accompagne d’une prise de recul, d’une analyse du marché, de scénarios alternatifs
en cas de difficultés, les risques sont mesurés et le projet est géré afin d’en limiter le plus possible
les impacts négatifs (financiers, familiaux, etc.). Dans le second cas, les obstacles rencontrés ne sont
pas forcément anticipés, les déconvenues sont plus nombreuses, les changements de modèle
!247
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
économique et/ou de projet sont plus réguliers, le parcours en devient plus chaotique et la personne
professionnel ont plus de facilités pour se désengager de leur activité de salarié. La nouvelle activité
est identique à la précédente (Philippe), s’appuie sur une expertise acquise de longue date (Philippe,
Benjamin, Jean-Pierre, Louis) ou est proche de leur précédente activité (Andry). A l’inverse les
suivre une formation obligatoire pour exercer leur nouveau métier (Timothé), acquérir des
compétences nouvelles éloignées de celles utilisées dans leur métier précédent (François, Marie-
Ange, Sylvie, Samia), préférer les acquérir « sur le tas » (Marie-Ange), en cours du soir (Sylvie) ou
s’appuyer sur un associé qui dispose de ces compétences (Samia). Là encore il est difficile
activité influence la réussite ou non du projet à long terme28 , mais il est clair que ce facteur
influence le désengagement professionnel. Dans le premier cas, le départ est assez aisé, la personne
n’a pas besoin d’acquérir de nouvelles compétences essentielles à l’exercice de la nouvelle activité,
elle connaît déjà les réseaux utiles, les personnes d’influences et les facteurs clés de succès. Dans le
second cas, le départ est souvent plus long, parfois plus conflictuel, la personne doit prendre le
temps pour acquérir de nouvelles compétences indispensables pour se lancer, entrer dans de
nouveaux réseaux, les erreurs sont plus nombreuses et les retours en arrière plus fréquents.
28
Pour cela il faudrait poursuivre l’étude sur une plus longue période.
!248
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
précédemment identifiée au regard des quatre thèmes majeurs des entretiens. Elles sont formalisées
et synthétisées dans un tableau d’ensemble (tableaux 26).
Rapport aux études Rapport aux études Rapport aux Rapport aux activités
formelles non formelles activités sociales professionnelles
!249
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
études formelles). Elles ne valorisent la formation que si elle est directement utile au travail.
Les formations non formelles sont souvent liées aux opportunités offertes par la plan de
formation de l’entreprise. Si la formation n’est pas utile au travail, elle est divertissante,
souvent associée à une activité sportive ou une passion extra-professionnelle (rapport aux
études non formelles). Une forte séparation existe entre la vie professionnelle et la vie
personnelle. Les temps de travail et les temps familiaux ou de loisirs sont bien distingués
(rapport aux activités sociales). Ces personnes considèrent le travail comme instrumental,
marqué par une forte dépendance hiérarchique. La relation au travail est étroitement
associée à un « chef » ou plus largement à une ligne hiérarchique qui exerce une autorité
assez forte sur eux (rapport aux activités professionnelles). Elles éprouvent toutefois un
chef d’entreprise est motivé par le changement de statut. Leur transition professionnelle est
un choix anticipé.
formation de base (rapport aux études formelles). Elles complètent leur formation par des
!250
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
savoirs nouveaux souvent utiles à leur métier. Ces formations peuvent être issues d’un plan
de formation interne mais pas seulement (rapport aux études non formelles). Elles
développent un réseau utile pour leur évolution professionnelle. Une proximité existe entre
le cercle professionnel et le cercle amical, familial. Toutefois cette proximité comporte des
limites (rapport aux activités sociales). Le choix de devenir chef d’entreprise est issu d’une
opportunité professionnelle, par définition imprévue, qui satisfait leur goût pour le
confort matériel. Mais elles souffrent d’un manque de reconnaissance dans leur activé de
salarié (rapport aux activités professionnelles). Elles sont en quête de savoirs nouveaux,
éloignés de leur métier d’origine. En reconversion professionnelle, elles vont multiplier les
compétences (rapport aux études non formelles). Certaines de ces formations peuvent
prendre la forme de formation formelles, sanctionnées par un diplôme ou une certification.
C’est notamment le cas lorsque le projet entrepreneurial le demande. Ces personnes ont une
complété par une spécialisation ou une expertise métier qui satisfait leurs envies, leur donne
une place sociale et une légitimité (rapport aux études formelles). Elles recherchent un
équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle, la reconnaissance sociale et le
sentiment d’être utile aux autres. Pour cela elles développent leur projet entrepreneurial sur
(rapport aux activités sociales). Le choix de devenir chef d’entreprise est programmé de
longue date et s’ancre dans une stratégie de reconversion professionnelle souhaitée.
!251
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
par des périodes d’inactivité ou de chômage. Elles vont multiplier les formations, souvent
expériences professionnelles sont souvent variées, peu disposent d’une longue expérience
dans une même entreprise. Elles exercent souvent dans des secteurs qui fonctionnent par
services aux personnes, web, etc.) (rapport aux activités professionnelles). Leur vision de
leur avenir professionnel est souvent flou. Elles comptent sur leurs réseaux, internes et/ou
externes à l’entreprise, pour saisir des opportunités. Une faible séparation existe entre la
sphère professionnelle et la sphère personnelle. Les temps de travail sont souvent mélangés
avec les activités personnelles (rapport aux activité sociales). En dehors de leurs formations
formelles, ces personnes vont développer des connaissances variées utiles ou non à leur
travail. Ces connaissances sont liées à une passion ou à un loisir et sont souvent liées à leurs
activités sociales (rapport aux études non formelles). Le choix de devenir entrepreneur est
souvent contraint pour éviter le chômage. Leur transition professionnelle est ponctuée
s’installer durablement dans un statut hybride où elles cumulent une activité salariée et une
activité entrepreneuriale (souvent en auto-entrepreneur). Elles multiplient ainsi les
transitions professionnelles d’un secteur à un autre, d’un métier à un autre, d’une entreprise
autour d’une temporalité (forte anticipation / faible anticipation) et d’un espace social (faible
changement / fort changement). Cette approche met en évidence des logiques de transitions
!252
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
professionnel. Les quatre types constituent, selon nous, des formes de rationalité ayant une
cohérence entre des pratiques antérieures (études formelles, études non formelles, activités sociales,
entretiens, notamment d’un point de vue longitudinal, nous pouvons associer chaque type à une
démarche d’engagement entrepreneurial. Pour appuyer notre analyse, nous allons nous appuyer sur
entrepreneurial. La personne prend peu à peu ses marques dans le statut d’entrepreneur. Afin
d’appuyer notre analyse de l’engagement entrepreneurial des personnes interrogées, nous nous
appuyons sur la légitimité entrepreneuriale. En s’appuyant sur notre précédent concept de légitimité
entrepreneuriale, l’analyse articule deux processus : celui par lequel les personnes anticipent leur
avenir professionnel à partir de leurs représentations (la légitimité pour soi) et celui par lequel elles
Cette articulation consiste d’une part à analyser la projection d’un avenir professionnel en
continuité ou en rupture avec un passé reconstitué (trajectoire biographique), et d’autre part à
analyser le désir de faire reconnaitre ou non par autrui la légitimité de ses prétentions. Ces deux
analyses sont à la fois hétérogènes et nécessairement articulées entre elles. Hétérogènes car
l’analyse biographique est temporelle et subjective. Elle met en jeu la continuité ou non des
rapports (études formelles, études non formelles, activités sociales, activités professionnelles) sur la
base d’une reconstitution et d’une interprétation a posteriori. La dimension relationnelle est spatiale
et objective. Elle met en jeu les interactions de la personne avec autrui. Nécessairement articulées
entre elles, ces deux analyses se trouvent en interaction : l’issue de chacune dépend de l’autre. La
construction de la légitimité pour soi dépend partiellement des jugements des autres. Inversement la
légitimité pour autrui dépend partiellement de la manière dont la personne fait valoir sa trajectoire
biographique.
!253
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
Les conditions du désengagement salarial jouent un rôle important dans la quête d’une légitimité
entrepreneuriale. Cela suppose que la personne dispose d’une représentation claire du risque
qu’engendre son engagement entrepreneurial, de ses motivations et de ses insatisfactions
salariat à l’entrepreneuriat est faible, plus ses représentations risquent d’être faussées par l’urgence
et la nécessité de retrouver des revenus et une place sociale rapidement (types II et IV). A l’inverse
plus la personne a anticipé son évolution professionnelle, plus elle a de chances de parvenir à être
légitime comme entrepreneur (type I et III). Elle aura par exemple pris le temps d’analyser son
marché, de tester son offre ou de développer son réseau. De la même manière plus le changement
de métier est fort, plus la personne va avoir des difficultés à se sentir légitime comme entrepreneur,
et que les autres la reconnaissent comme tel (type III et IV). A contrario lorsque la personne choisit
d’entreprendre dans un secteur, un métier ou une expertise proche de ce qu’elle connaît déjà, elle a
plus de facilités à se montrer légitime en tant qu’entrepreneur (type I et II). Elle dispose déjà d’une
expérience et d’une reconnaissance sociale sur lesquelles elle peut baser sa légitimité
entrepreneuriale.
L’engagement entrepreneurial nécessite de faire des choix, des ajustements et des compromis.
Chaque personne peut sélectionner ce qui est présentable aux autres et refouler et nier ce qui risque
de la décrédibiliser. Quelles que soient les démarches très diverses qu’elle induit, la légitimité
entrepreneuriale n’est jamais totalement acquise. Elle se construit et se déconstruit à travers les
champ professionnel. Elle est le résultat d’un double approche, biographique et relationnelle. Elle
fournit aux personnes des ressources pour construire leur avenir professionnel.
Il est maintenant possible de préciser les particularités de l’engagement entrepreneurial dans les
quatre types de transitions professionnelles identifiées (tableau 27). Ces particularités aident à
!254
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
Degré d’anticipation
Transition professionnelle
Forte anticipation Faible anticipation
Lorsque l’engagement entrepreneurial est fondé sur la continuité d’une expertise métier, les
personnes utilisent des ressources, des compétences et un réseau déjà acquis. La trajectoire
professionnelle s’inscrit sur le mode de la progression continue. Le choix d’entreprendre est
davantage lié à la recherche d’un statut. Lorsque cette progression est reconnue par la personne
(légitimité pour soi) et que son environnement la perçoit positivement (légitimité pour les autres),
on peut parler de transition professionnelle statutaire. Les personnes cherchent à acquérir une
nouvelle posture professionnelle, celui de chef d’entreprise. Elles vont rechercher un
accompagnement qui va les aider à tenir ce nouveau rôle. Leurs besoins d’accompagnement se
portent sur la consolidation de leurs acquis (compétences, réseaux, financiers) et sur l’acquisition de
compétences nouvelles (managériales, financières, juridiques, etc.). Elles connaissent déjà leur
métier, leur secteur, son fonctionnement, ses cercles d’influences ou ses enjeux. Le processus de
transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat est longuement réfléchi. Elles ont anticipé
leur mobilité et mis en place tous les moyens disponibles pour les aider (formation, congés,
épargne, étude du marché, test du projet, etc.). Le choix d’entreprendre est lié à une motivation
personnelle et non à une obligation professionnelle. Le désengagement salarial est donc souvent
!255
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
assez long. Plus les personnes ont de l’ancienneté dans l’entreprise, plus elles éprouvent des
difficultés à faire la coupure avec leur ancien poste. Toutefois la période d’entre-deux et la période
d’engagement entrepreneurial sont assez rapides. Le nouvel environnement de travail est assez
proche du précédent. Elles ont des facilités à prendre leurs nouvelles marques, leurs nouvelles
Si les personnes ne parviennent pas à anticiper leur transition professionnelle (par exemple si elles
sont victimes d’un licenciement ou qu’elles veulent saisir une opportunité d’affaires) on peut parler
est assez courte mais elle est ponctuée d’allers et retours avec le milieu du salariat. Le détachement
avec son ancien statut de salarié est parfois difficile mais la personne peut compter sur son expertise
pour être légitime en tant que nouvel entrepreneur. Les besoins d’accompagnement portent sur une
dimension technique et psychologique. L’ascension sociale dans son secteur d’activité est encore
possible. Mais la personne doit affronter un changement de statut qu’elle n’a pas anticipé.
L’accompagnateur va l’aider à faire évoluer son rythme de travail, ses habitudes et son
environnement social d’appartenance.
d’origine. Elle se définit principalement à partir d’une nouvelle communauté de valeurs (un métier)
capacité à valoriser ses acquis dans un autre champ professionnel (la légitimité pour les autres).
Mais la transition professionnelle est anticipée. La personne peut se sentir légitime en tant que
nouvel entrepreneur car elle a préparé son projet depuis plus ou moins longtemps. Les besoins
d’accompagnement portent tout autant sur une dimension psychologique que technique. La
!256
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
projet et qu’elle n’a pas anticipé le changement, on peut la qualifier comme transition
professionnelle continuelle. La stabilité ou l’ascension dans l’emploi d’origine est compromise
soudainement. Un processus d’exclusion se met en place sous des formes très diverses, depuis
d’appartenance (fort changement de métier) d’une manière assez rapide (faible anticipation de la
transition). Elle a donc des difficultés à acquérir une légitimité et surtout à être reconnue comme tel
(la légitimité pour les autres). La personne est alors très active dans son réseau. C’est lui qui va lui
permettre d’accéder à de nouvelles opportunités. Mais les difficultés sont nombreuses car le projet
n’a pas été anticipé. Les allers et retours avec le milieu du salariat sont alors nombreux. La personne
éprouve des difficultés à s’engager définitivement en tant qu’entrepreneur, à se sentir légitime en
tant qu’entrepreneur et à être reconnue comme tel. Elle peut se sentir exclue des deux groupes de
travailleurs dominants du monde du travail (les salariés et les entrepreneurs) pendant une période
plus ou moins longue. L’accompagnement porte sur une forte dimension psychologique,
indispensable pour aider la personne à retrouver confiance en elle et à définir un projet
professionnel stable.
3. Synthèse de la section
Dans ce chapitre, nous nous intéressons aux résultats de la troisième proposition de notre recherche
Cette seconde section a permis de se porter sur les stratégies que les personnes mettent en place
pour être légitimes dans un groupe et le rôle de l’accompagnateur dans cette démarche. C’est la
question du comment qui est posée. Pour cela nous avons classifié les comportements des personnes
!257
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
par les données secondaires (documents projets, bioscopies, observations directes, etc.) nous a
permis d’approfondir cette catégorisation sur les particularités de chaque type. Ces particularités
emmènent à orienter l’accompagnement entrepreneurial selon chaque type de situation.
!258
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
Synthèse du chapitre
en s’insérant dans une communauté ; et que par conséquent l’accompagnateur peur l’aider à clôturer
Au cours de cette phase la personne s’insère dans une nouvelle communauté. Elle cherche à être
légitime en tant qu’entrepreneur (la légitimité pour soi) et à être perçue comme légitime vis-à-vis
des autres (la légitimité pour les autres). Si elle ne parvient pas à se sentir légitime, ou être perçue
comme légitime par d’autres, cela peut la conduire à changer de communauté (un autre incubateur
D’une part, nos travaux ont permis de dresser un référentiel des critères de légitimité pour soi (avoir
du mérite, faire preuve d’initiative, sortir de sa zone de confort, etc.). Ce premier référentiel éclaire
sur les justifications qu’apportent les personnes lorsqu’on les interroge si elles se sentent légitimes
en tant qu’entrepreneur. D’autre part, nos travaux ont permis de dresser un référentiel des critères de
légitimité pour les autres (avoir une entreprise, obtenir du financement, faire du chiffre d’affaires,
etc.). Ce second référentiel éclaire sur les justifications qu’apportent les personnes lorsqu’on leur
demande si elles estiment être reconnues comme légitimes par les autres.
professionnelle. D’une part pour se sentir légitime comme entrepreneur, la personne va agir selon
ses représentations de l’entrepreneur. Ses représentations sont issues de son parcours biographique
et des images que la société lui renvoie de l’entrepreneur. Si elle estime agir en cohérence avec ses
à des conflits intérieurs, à une perte de repères. D’autre part pour être perçue comme légitime en
tant qu’entrepreneur, la personne va rechercher la reconnaissance par des personnes ou des
communautés qui ont de l’importance à ses yeux (famille, entrepreneurs, institutionnels, etc.). Si
ces deniers la reconnaisse en tant que tel, cela va renforcer sa légitimité entrepreneuriale. Sinon cela
peut la conduire à vivre des sentiments négatifs comme le rejet ou la honte. Enfin, la légitimité
pour soi et la légitimité pour autrui s’influencent l’un et l’autre. Lorsque la personne se perçoit
!259
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
comme légitime, elle peut revendiquer cette légitimité auprès des autres. A l’inverse, lorsque
En nous appuyant sur cette modélisation de la légitimité entrepreneuriale, nous avons établi une
l’entrepreneuriat présente une particularité majeure. Un salarié qui change de travail pour devenir
entrepreneur est à la fois dans un processus entrepreneurial et dans un processus de transition
professionnelle. Nous avons croisé ces deux processus en distinguant deux facteurs clairement
hétérogènes. Le premier oppose ceux qui ont anticipé leur transition professionnelle (transition
professionnelle anticipée) de ceux qui ont vécu une transition professionnelle imprévue (transition
continuité avec leur expertise métier (processus entrepreneurial en continuité) de ceux qui
développent un projet entrepreneurial en rupture avec leur expertise métier, il s’agit alors d’une
entretiens sur la durée, complétée par les données secondaires (documents projets, bioscopies,
observations directes, etc.) ainsi que l’observation terrain nous ont permis de détailler les
qui en découlent. (1) La transition professionnelle statutaire est le résultat d’un besoin d’évolution
professionnelle non assouvi dans l’entreprise. La personne va anticiper son évolution
à la volonté de saisir l’occasion d’exploiter une idée, de développer un projet dans son domaine
d’expertise ou un métier proche. La personne n’a pas anticipé son évolution professionnelle. Elle va
chercher un accompagnement lui permettant de répondre à des problématiques techniques
anticipé. La personne ne s’épanouit pas / plus dans son poste. Elle va alors se reconvertir dans un
!260
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur
professionnelle. L’accompagnement se déroule souvent sur la longue durée pour ce type de profil.
s’inscrire durablement dans uns statut hybride, celui de l’entre-deux, c’est-à-dire exerçant à la fois
une activité salariée et une activité entrepreneuriale. Elle recherche un accompagnement dans la
durée lui permettant de donner de la cohérence à un parcours professionnel souvent chaotique.
Nous pouvons désormais établir une conclusion générale à l’ensemble de nos travaux.
!261
CONCLUSION GENERALE
Quels sont les enjeux de la transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat pour le porteur
du salariat à l’entrepreneuriat ?
Ce travail apporte des réponses riches et instructives à ces deux questions. Il permet de décrire et
Pour cela, ce travail présente le passage du salariat à l’entrepreneuriat selon un double processus.
Un salarié qui change de travail pour devenir entrepreneur est à la fois dans un processus
La première phase est celle du désengagement salarial au cours de laquelle la personne se sépare
peu à peu de ses habitudes professionnelles de salarié et de son groupe social de départ. Elle est en
réflexion sur son évolution professionnelle et prend peu à peu ses distances avec le salariat. Elle est
salarial intervient lorsque la personne est insatisfaite dans son travail, qu’elle est motivée par un
projet entrepreneurial et qu’elle considère acceptable la prise de risque engendrée par le
désengagement salarial. Mais ce n’est pas parce qu’il y a un désengagement salarial qu’il y a
forcement un engagement entrepreneurial. Pour cela il faut que le projet puisse prendre ses racines
dans l’histoire du porteur.
En se lançant dans la construction d’un nouveau projet, la personne va s’appuyer sur son histoire.
Le projet va prendre racine dans un parcours de vie qui se compose de rencontres, d’évènements,
santé. Autrement dit le projet entrepreneurial est un porteur d’histoire. Derrière cette formule, nous
!262
voulons signifier deux choses. D’une part le projet entrepreneurial est le produit d’une histoire
passée. D’autre part il est le producteur d’une histoire à venir. Avec l’appui de la méthode de
l’autobiographie raisonnée, nous avons mis en évidence l’influence de l’histoire du porteur dans la
La seconde phase est celle de l’entre-deux au cours de laquelle la personne éprouve des difficultés
d’appartenance à un groupe social. La personne s’est fortement désengagée de son statut de salarié
(changement d’horaires, passage en temps partiel, travail à distance, etc.). Elle peut avoir le
sentiment d’être peu à peu exclue de son groupe social d’origine. En même temps, elle débute son
engagement entrepreneurial. Le projet se construit peu à peu sans toutefois être abouti. Elle peut
avoir des difficultés à s’intégrer dans un nouveau groupe social. En perte de repères, la personne
mettre en évidence des besoins d’accompagnement différents au cours des trois phases du processus
de transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat. Au cours de la phase de désengagement
salarial, l’accompagnement est davantage porté sur les choix d’orientations professionnels de la
les plus nombreux et où certaines personnes peuvent rester durablement dans une posture
!263
La troisième phase est celle de l’engagement entrepreneurial au cours de laquelle la personne prend
de nouvelles habitudes professionnelles et s’insère dans un nouveau groupe social. Le projet est
devenu une entreprise. La personne se concentre alors sur la rentabilité de sa nouvelle activité et sur
son appartenance sociale. Elle cherche à être légitime en tant qu’entrepreneur (la légitimité pour
soi) et être perçue comme légitime vis-à-vis des autres (la légitimité pour les autres). Si elle ne
parvient pas à se sentir légitime, ou être perçue comme légitime par d’autres, cela peut la conduire à
changer de communauté (passer dans un autre incubateur par exemple) ou à revenir au salariat.
!264
DISCUSSION
Notre allons à présent discuter des implications théoriques de cette recherche et de ses apports
dans la littérature.
La plupart des pratiques d’accompagnement portent leur attention sur une approche technique,
c’est-à-dire portée sur la réussite du projet (Schmitt, Husson, 2014). Nous représentons le processus
entrepreneurial sous forme de dialogique (Bruyat, 1993, 1994, 2001) afin de mieux cerner sa
complexité. Notre apport est de montrer que le passage du salariat à l’entrepreneuriat se présente
selon un double processus, de transition d’une part et entrepreneurial d’autre part. L’un et l’autre se
combinent et s’alimentent. Aller du salariat à l’entrepreneuriat implique une transition identitaire
parallèle à la construction du projet. Cela demande de changer de rapport à la carrière. Alors que la
carrière organisationnelle est construite selon une relation employeur - employé, une carrière
nomade se démarque par un éloignement et une prise de risque plus ou moins important des
organisations (Cadin, 1999). Les mutations qu’entraînent pour les personnes la période de transition
d’une carrière à une autre se traduit pour elles par la mise à l’épreuve de leurs représentations de soi
et de leurs activités. Tout le travail d’accompagnement est de les aider dans la reconfiguration de
leurs images afin de faciliter le passage d’un environnement à un autre.
!265
Cette transition implique un déplacement dans l’espace social accompagné de doutes à surmonter
spécifiques à chaque phase de la transition. Au cours de la phase de désengagement salarial la
personne doit accepter de rompre avec son milieu professionnel d’origine. Au cours de la phase
d’entre-deux, elle doit adopter un regard opportuniste permettant de tirer parti des ambiguïtés de
l’entre-deux afin de tester son projet et construire de nouveaux liens. Au cours de la phase
d’engagement, elle doit prendre de nouvelles habitudes, un nouveau rythme et acquérir une légitimé
dans un nouvel environnement. La reconstitution des transitions permettent de révéler que les
personnes sont actives dans la réduction des doutes. Ils cherchent des réponses, développent des
stratégies. Ils participent ainsi à la construction de leur projet en même temps que celui-ci participe
à leur propre transformation. Quels que soient les difficultés, il est important de prendre en compte
la part active de l’entrepreneur dans le processus de transition.
Pour surmonter ces doutes, un certain nombre de moyens peuvent aider l’entrepreneur à construire
cette nouvelle identité afin de se sentir légitime en tant qu’entrepreneur et à être reconnu comme tel
par les acteurs de son milieu. Il s’agit d’une part de renforcer la cohérence de son projet dans son
parcours (Renouf, Laviolette, 2010 ; Renouf, 2018). Le projet peut permettre à la personne de
donner de la signification à ses actions, de donner du sens à son histoire et d’agir sur son
environnement pour construire son futur (Hernandez, 2001, 2006). Une attention particulière peut
être accordée à un travail biographique dans un processus de déconstruction - construction
particulièrement utile dans une période de transition (Delory-Momberger, 2009). Il s’agit d’autre
part d’acquérir les attributs de l’entrepreneur, c’est-à-dire de réaliser les actions correspondant à
l’image qu’il s’en fait. Cela suppose au préalable de l’aider à préciser sa vision (Filion, 1997).
L’accompagnateur peut également aider la personne à acquérir sa place dans son nouvel
environnement professionnel afin de renforcer son réseau et d’avoir accès au « langage » de son
milieu.
Si nous abordons maintenant les considérations pratiques de notre travail, nous pouvons suggérer
trois implications principales.
D’une part, avec l’autobiographie raisonnée nous mobilisons une nouvelle méthode pour
accompagner les salariés qui souhaitent entreprendre. Cette technique aide à comprendre comment
!266
les fils conducteurs du parcours de vie du porteur de projet influencent ses choix pour orienter et
nourrir son changement de carrière. Cette méthode correspond à des accompagnateurs qui cherchent
une alternative au bilan de compétence. Le rigueur du bilan de compétences et la nécessité de faire
appel à un organisme agréé peuvent ralentir la construction du projet. La souplesse de
l’autobiographie raisonnée et son faible coût correspond à des professionnels qui souhaitent
accompagner une personne dans son projet tout en laissant encore ouvert le retour au salariat.
professionnel qui est souvent réduit à une approche technique centrée sur le projet. Dans cette
optique, nous avons déjà procédé à une diffusion de notre approche auprès de plusieurs structures
éducatives parisiennes dans le cadre du dispositif PEPITE - statut étudiant-entrepreneur. Entre 2014
et 2019 ce sont près de 400 étudiants qui ont été formés à une nouvelle manière de présenter leur
projet entrepreneurial en se basant sur leur histoire personnelle. Une communication dans un
Toutefois, la recherche que nous avons présentée n’est pas exempte de limites. En effet, trois
!267
Le processus de transition professionnelle que nous avons décrit se compose de trois phases : le
l’entrepreneuriat. Elle fournit l’occasion de mieux comprendre la diversité des parcours et de mieux
comprendre les phénomènes qui s’y déroulent. Il est toutefois difficile de situer avec certitude à
quelle phase du processus se situe la personne. Bien que nous ayons établi des référentiels
permettant d’aider à la prise de décision, une personne peut se situer à la fois dans une phase de
désengagement et dans une phase d’entre-deux. Les cas étudiés portent également exclusivement
sur des projets de création d’entreprise. L’étude de cas de reprises d’entreprises pourrait être un bon
complément.
Concernant notre posture professionnelle, nous avons été simultanément accompagnateur de projets
et observateur de nos propres pratiques. Dans ces conditions il est parfois difficile d’avoir la
distance nécessaire pour respecter notre positionnement méthodologique. Notre choix de départ
était d’inclure dans notre cadre méthodologique le point de vue d’au moins un chercheur
observateur de nos pratiques. Mais la présence d’une personne supplémentaire lors des rendez-vous
et/ou le fait d’indiquer que les enregistrements des entretiens allaient être écoutés par une personne
tierce était difficilement envisageable car la confiance est un élément important pour la libération de
la parole. Enfin la nécessité de respecter un délai raisonnable dans la finalisation de la thèse ne nous
permettait pas d’ajouter une étape supplémentaire au cadre méthodologique.
Pour constituer notre échantillon nous avons fait majoritairement appel à des salariés en transition
professionnelle vers l’entrepreneuriat inscrits dans une formation du Cnam de Paris ou de celui de
l’Institut Supérieur de Commerce (ISC Paris). La variété des structures a permis d’obtenir des
statistiques assez proches des statistiques nationales sur de nombreux critères (sexe, âge, situation
matrimoniale, etc.). Mais plusieurs biais existent : (1) L’échantillon est réduit ; (2) Les personnes se
sont engagées volontairement dans une formation en entrepreneuriat ; (3) Selon l’établissement le
coût de la formation varie de 3000 à 11000 € ; (4) Les personnes sont préalablement sélectionnées
par une équipe commerciale ; (5) Une certification ou un diplôme est à la clé si la personne termine
avec succès sa formation. Bien que nous ayons complété l’échantillon par des personnes en dehors
de tout système de formation, la représentativité de notre échantillon est largement insuffisante. Il
!268
serait intéressant que les quatre types de transitions professionnelles soient analysées à la lumière de
nouveaux cas.
Enfin, dans le prolongement des contributions et des limites de ce travail, nous proposons trois
pistes de recherche.
Une première problématique de recherche est d’approfondir le rôle du projet dans la construction
identitaire de l’entrepreneur. Nous suggérons de placer l’entrepreneur au coeur de l’analyse. Mettre
l’attention sur la personne propose une vision plus anthropologique du sens du projet pour la
personne (Boutinet, 1990) et suggère que l’accompagnement ne se focalise pas sur la création
d’entreprise mais plutôt sur la « sortie positive » (salariat, entrée en formation ou création
d’entreprise). Dans cette perspective, il serait intéressant d’étudier la phase d’entre-deux dans une
perspective d’évolution du marché de l’emploi. Notre étude révèle que la phase d’entre-deux n’est
pas seulement source d’incertitudes et de doutes, elle apporte aussi de la satisfaction pour certaines
personnes qui y trouvent une forme de liberté compatible avec la vision qu’ils se font du travail.
Cette posture hybride entre salariat et entrepreneuriat est révélée par Abdelnour (2017) sur une
étude portant sur les auto-entrepreneurs. Avec le rapprochement du modèle salarial du modèle de
l’entrepreneur (Dardus, 2008) il est probable que de plus en plus de personnes trouvent un équilibre
dans cette phase d’entre-deux, qu’elles constituent peu à peu des communautés distinctes des
salariés et des entrepreneurs et qu’elles cherchent à constituer des groupements de défense de leurs
intérêts.
Une seconde problématique de recherche consiste à se focaliser sur la dyade porteur de projet et
accompagnateur. Verzat, Gaujard et François (2010) préconisent que l’accompagnement est
différent en fonction des âges de la vie. Il serait intéressant d’observer la manière dont
l’accompagnateur va mobiliser telle ou telle posture professionnelle selon son nombre d’années
d’expérience, le temps dont il dispose pour effectuer l’accompagnement, ses critères de succès ou
encore son environnement de travail. Les travaux pourraient s’intéresser à la manière dont il perçoit
les besoins du porteur de projet et la relation qu’il entretien avec lui au fur et à mesure du processus.
Cette piste de recherche suppose que le chercheur ne soit pas l’accompagnateur, mais qu’il soit dans
!269
une posture d’observateur. Parmi des exemples de terrain, nous pensons au champ du mentorat ou
encore aux projets liés à l’économie sociale et solidaire où le principe de réciprocité est plus
fortement à l’oeuvre. D’autres publics pourraient être mobilisés comme des personnes en situation
de handicap. L’étude pourrait être effectuée sur une longue durée et permettre de comprendre
l’impact de l’accompagnement dans le temps, sur 10 ou 20 ans. Cela constituerait de beaux objets
de recherche.
l’autobiographie raisonnée. Outre le bilan de compétence déjà évoqué, la méthode IDéO (Schmitt,
2017) est celle qui se rapproche le plus de la méthode de l’autobiographie raisonnée. Les mises en
oeuvre de ces approches sont toutefois différentes sur plusieurs points. La méthode IDéO se
concentre sur le projet alors que la démarche d’autobiographie raisonnée se concentre sur
l’entrepreneur. L’autobiographie raisonnée s’inscrit dans une démarche plus large d’orientation
professionnelle où le projet d’entreprise est une solution parmi d’autres (stabilisation dans l’emploi,
reconversion, promotion). La méthode IDéO porte sur la conception et sur la traduction d’une
opportunité entrepreneuriale. Plutôt que de s’opposer, ces différentes méthodes semblent plutôt se
compléter. Elles ne s’adressent pas aux mêmes accompagnateurs, n’agissent pas sur les mêmes
leviers et n’interviennent pas au même moment dans le processus entrepreneurial. Une comparaison
!270
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LISTE DES FIGURES
Figure 10 : L’influence des positons objectives et des représentations subjectives sur le projet .. 162
!288
LISTE DES TABLEAUX
Tableau 13 : Ex. de valorisations d’histoires individuelles dans un projet entrepreneurial .......... 165
Tableau 14 : Exemples de pratiques exclusion dans une communauté de salariés ....................... 175
Tableau 15 : Exemples de difficultés d’intégration dans une communauté d’entrepreneurs ....... 180
Tableau 18 : La légitimité pour soi (extraits d’entretiens résumés par thème) ............................. 226
Tableau 19 : La légitimité pour les autres (extraits d’entretiens résumés par thème) ................... 237
!289
Tableau 24 : Les transitions professionnelles avec des faibles changements professionnels ....... 246
Tableau 25 : Les transitons professionnelles avec de forts changements professionnels ............. 246
Tableau 26 : Les facteurs communs des quatre types de transitions professionnelles ................. 249
!290
ANNEXES
!291
Annexe 1 : Guide d’entretien « classique »
Ce guide d’entretien est utilisé pour les personnes du premier et du second échantillon. Ces
entretiens permettent de collecter des données essentiellement sur le projet (idée, étude de marché,
financement, etc.). L’entretien est découpé en 4 parties et correspond au classement des données
effectué dans le logiciel Nvivo. Les questions indiquées ci-dessous ne sont pas exhaustives, elles
ont vocation à donner un aperçu du contenu des entretiens réalisés. Généralement quatre entretiens
sont réalisés sur une période qui s’étale en moyenne sur 3 à 6 mois. Chaque entretien fait l’objet
d’une thématique (bien que cela n’exclue pas d’aborder d’autres thématiques au cours de
l’entretien). Les entretiens sont semi-directifs et durent de 30 minutes à 2 heures. Les entretiens
sont enregistrés avec l’accord de la personne accompagnée et une retranscription partielle est
qui vous a donné envie ? Quelles démarches ou actions avez-vous déjà entreprises ? Avez-vous déjà
les caractéristiques de votre projet ? Quelle est l’utilité de votre projet, son usage ? Quelle est votre
cible de clientèle ? Quelles pistes avez-vous explorées jusqu’alors pour trouver une idée ? Est-ce un
projet que vous envisagez seul-e ou à plusieurs ? Est-ce que ce projet sera votre seule activité et
source de revenus ou complémentaire à une autre activité, source de revenus ? Quel est a priori
votre échéancier ? Quelle est votre situation professionnelle actuelle ? Avez-vous une clause de non-
concurrence dans votre contrat de travail actuel ? Votre hiérarchie vous soutient-elle dans votre
projet ? Vous êtes-vous assuré-e de l’adhésion de vos proches ? A qui en avez-vous déjà parlé ?
Avez-vous bien évalué les impacts de ce projet sur votre vie familiale ? Etes-vous en mesure de
décrire les bouleversements familiaux acceptables par le projet ? Pouvez-vous m’indiquez votre
!292
capacité d’investissement financière personnelle dans le projet ? Etes-vous disposé-e à emprunter
personnellement pour votre projet ? Quel est le bénéfice moyen réalisé par les entreprises exerçant
le même métier que celui de votre projet ? Votre santé est-elle compatible avec les exigences du
projet ? Quelles sont les compétences qui vous manqueraient ? Comment envisagez-vous votre
Qu-est ce que votre entreprise va faire ? Quels biens ? Quels services ? Quels produits ? Maitrisez-
vous l’ensemble de la chaine de construction de la valeur ? Avez-vous identifié les partenaires clés
indispensables à la construction de la valeur ? Qu’avez-vous déjà fait pour connaître vos clients
potentiels et leurs besoins ? Quelle est votre clientèle cible ? Où se situent vos clients ? Quelle est
votre zone de chalandise ? Quels sont vos moyens de commercialisation ? Comment votre offre
sera-t-elle vendue ? Quel est votre rapport avec la fonction commerciale ? Disposez-vous de
compétences en communication ? Qu’est-ce qui différencie votre offre de la concurrence ? Quel est
votre marché ? Quelles actions avez-vous déjà entreprises pour connaître votre marché ? Qu’est-ce
qui vous permet de dire que vous connaissez ce secteur d’activité ? Qui sont les concurrents que
vous avez déjà repérés à ce jour ? Connaissez-vous la législation particulière, les contrats légales
liées à votre activité ? Qui sont les concurrents que vous avez repérés à ce jour ? Qui sont les
prescripteurs que vous avez repérés à ce jour ? Votre projet vous semble-t-il en adéquation avec
votre projet personnel ? Votre expérience professionnelles ? Vos compétences métiers ? Votre
savoir-faire managérial ? Vos moyens financiers ? Quels contacts avez-vous déjà pris ? Pouvez-vous
protéger votre projet ? Quel est l’impact social / environnemental de votre projet ?
Etes-vous seul-e associé-e dans ce projet ? Disposez-vous d’un patrimoine immobilier ? Savez-vous
le choix du statut juridique de votre entreprise et ses conséquences sur votre régime matrimonial ?
!293
Quelle est votre relation avec la fonction financière ? Quel est votre degré de risque acceptable par
votre entreprise ? Quelle est la somme que vous pouvez apporter personnellement au projet ? Avez-
vous déjà proposé votre projet à une banque pour obtenir un financement ? Quelles sont les autres
sources de financement que vous connaissez ? Quelles sont les aides que vous connaissez ?
lancement de votre projet va-t-il vous conduire à faire des investissements importants ou des
avances de fonds ?
postes ? Pour quels coûts ? Que savez-vous du marché de l’emploi concernant les compétences dont
vous avez besoin ? Les compétences particulières que vous cherchez sont-elles faciles à trouver ?
Devrez-vous recruter une force de vente ? Quel peut-être le délai de recrutement et le coût ? Si
vous développer votre projet à plusieurs, êtes-vous certain-e que les rôles de chacun sont bien
définis ? Avez-vous une idée des moyens à engager, des coûts et de délais de prospection avant une
commande ferme ? Où pensez-vous vous installer ? Devrez-vous changer de local à moyen terme ?
Aurez-vous besoin de terrain et de locaux ? Avez-vous une idée des coûts ? Aurez-vous besoin de
matériel et de machines ? Pensez-vous les acheter ou les louer ? Quelle est la fourchette des
investissements à réaliser ? Est-ce que ces investissements sont en cohérence avec vos apports ?
Quels sont les délais de paiement de vos clients ? Avez-vous songé-e à la manière de financer le
décalage de trésorerie entre le début de votre activité et les premières rentrées d’argent ? Vous êtes-
vous renseigné-e sur ce que vous offre votre territoire d’implantation ? Avez-vous pris contact avec
le service entreprise de votre mairie ou de votre commune ?
!294
Annexe 2 : Guide d’entretien « d’autobiographie raisonnée »
Ce guide d’entretien est utilisé pour les personnes du second échantillon pour lesquelles
l’autobiographie raisonnée. Ces entretiens permettent de collecter des données essentiellement sur
le porteur de projet (histoire, événements clés, inspirations, entourage, etc.).
Rappelons que l’entretien d’autobiographie raisonné est libre et non-directif de manière à laisser le
plus d’espace possible à la parole de la personne accompagnée. Les questions indiquées ci-dessous
(non exhaustives) ont vocation à donner un aperçu du contenu de l’entretien. La démarche
d’autobiographie raisonnée préconise d’effectuer l’entretien en une fois (deux fois si nécessaire).
Les entretiens durent entre 2 heures et 4 heures. Nous utilisons systématiquement un support écrit
(appelé « bioscopie », voir annexe suivante) que nous remettons à la personne accompagnée à la fin
de l’entretien. Les entretiens sont enregistrés avec l’accord de la personne accompagnée et une
retranscription est effectuée. Nous demandons à la personne accompagnée de travailler ensuite sur
sa notice de parcours et de préparer une présentation de son projet auprès d’autres entrepreneurs.
Questions de découverte
Quelle est votre date de naissance ? Où êtes-vous né(e) ? Vos parents exerçaient quel(s) métier(s) ?
Où avez-vous grandi(e) ? Quel a été votre parcours scolaire ? Quels matières préfériez-vous à
l’école ? Avez-vous arrêté(e) vos études à un moment ou à un autre ? Avez-vous eue(e) des petits
boulots étant jeune ? Dans quel secteur avez-vous travaillé(e) ? Avez-vous des passions ? Etes-vous
abonné(e) à des revues spécialisées ? Faites-vous du sport ? Quel métier fait votre conjoint(e) ?
Combien avez-vous d’enfants ? Dans quel type d’environnement vos enfants ont-ils grandis ? Que
font vos enfant(s) maintenant ? Où habitent vos enfants ? Avez-vous voyagé(e) ? Avez-vous eu(e)
des périodes sans emploi ? Avez-vous suivi(e) des cours à distance ou des cours du soir ? Etes-vous
engagé(e) dans une activité associative ? Etes-vous impliqué(e) dans une vie de quartier ou la vie de
!295
Questions de relance
Vous avez évoqué(e) avoir fait du solfège étant jeune, était-ce par envie ou par obligation
familiale ? Pour quelles raisons affectionnez-vous cette ville ? Pourquoi accordez-vous autant
d’importance à cet objet ? Vous avez évoqué(e) devoir vous conformer à un modèle familial durant
votre jeunesse, ressentez-vous toujours cette pression sociale aujourd’hui ? Pourquoi pensez-vous
que vous vivez moi bien que vos parents ? Estimez-vous que naturellement vous travaillez seul(e)
ou à plusieurs ? Quels sont les autres pays visités ? Pour quelle raison avoir repris vos études à cet
âge ? Quelles sont les autres personnes que vous avez convaincue ? Gardez-vous contact avec vos
anciens collègues ? Pourquoi êtes-vous parti(e) là-bas ? Quelles étaient vos occupations pendant
votre période de chômage ? Le handicap a-t-il changé le regard que vous portez aux autres ? Quel
!296
Annexe 3 : Bioscopie d’une porteuse de projet
afin qu’il l’aide à rédiger sa notice de parcours en vue de la présentation de son projet face à un
groupe. Dans le cadre de cette recherche les personnes nous ont autorisé à prendre une photo de ce
cette dernière, certains éléments sont modifiés afin de respecter sa confidentialité. L’entretien a duré
2 heures 20 minutes. Il s’est déroulé dans un café au calme. La démarche d’autobiographie
raisonnée a permis de révéler plusieurs fils conducteurs dont certains se sont traduits dans le projet.
- La santé / Le handicap : Le parcours de vie de Sylvie est ponctué d’événements liés au secteur
de la santé comme des activités sociales (bénévole à la Croix Rouge de 2002 à 2006, bénévole
dans des associations liées à l’autisme depuis 2011), par des formations formelles (diplôme
d’université en art thérapie à l’Université Paris Descartes en 2014) ou informelles (National Guild
of Hypnotists en 2011, colloque TIC santé en 2017). C’est surtout à partir de 2011, date de la
naissance de son fils Adam, qu’elle va fortement s’engagée dans la domaine de la santé. En effet
• Traduction dans son projet : Le projet de Sylvie intitulé « Ludothérapie » a pour objet la
pratique d’activités récréatives et culturelles dans la médiation thérapeutique pour le bien-
être et la santé des enfants et des adolescents. Elle intervient auprès des centres éducatifs
spécialisés, des hôpitaux et plus largement des professionnels de la santé pour réduire le
niveau d’anxiété des patients afin de faciliter les actes thérapeutiques. L’objet de
l’entreprise s’inspire beaucoup de son expérience de maman d’un enfant handicapé qui
nécessite une éducation particulière et des soins spécialisés. Les premiers clients de Sylvie
vont notamment être des centres éducatifs spécialisés dans les troubles autistiques.
!297
- L’art : Dans sa jeunesse et son adolescence Sylvie va être sensible à l’art sous des formes variées
mais principalement musicaux et picturaux. Cette sensibilité va la motiver à faire ses études dans
ce domaine (Licence d’histoire de l’art à la la Sorbonne en 1998 et en 1999) et à s’impliquer en
tant que bénévole dans l’association Sorbonne Art (1998) où elle va organiser des vernissages
(1999) puis découvrir la scénographie (2000). Ce parcours va la conduire à des emplois variés soit
en tant que chargée de programmation dans l’association La Clef (2000 - 2001), en tant que chef
de projet culture à la ville d’Etampes (2005 - 2006) ou en tant que responsable artistique dans une
startup spécialisée dans la visite de musées (2008 - 2010). Elle va obtenir un diplôme d’université
en art thérapie à l’Université Paris Descartes (2013 - 2014).
• Traduction dans son projet : L’art fait partie intégrante du projet de Sylvie. D’une part le
nom commercial de son entreprise, « Ludothérapie » a pour consonance le mot « art ».
D’autre part son activité destinée à réduire le niveau d’anxiété des patients utilise un avatar,
un personnage virtuel représenté sous la forme d’un ours nommé Nabi (le nabi est aussi le
personnage va vivre des aventures dans lesquelles il va interagir avec des oeuvres d’arts.
- Le numérique : C’est surtout à partir de 2006 - 2007 que Sylvie va aller au-delà d’une simple
dédié à la maternité, mais qui n’aboutira pas). En parallèle, elle va suivre une formation au
CELSA intitulé Médias & Numérique (2007 - 2008). Elle va ensuite travailler dans une startup
entre 2008 et 2011 où elle va découvrir l’entrepreneuriat.
!298
Sylvie - Divorcée - Rue George Pompidou 92300 Issy-les-Moulineaux
Née le 12/04/1980 à Paris - Responsable marketing à Accor Hôtels - 2 enfants (1 garçon, 1 fille)
Père : Gérard (71 ans), responsable export zone Amérique du nord (retraité)
Mère : Anne (67 ans), adjointe à la communauté d’agglomération (fonctionnaire retraitée)
Soeur : Solange (44 ans), chargée de projet développement local (fonctionnaire), mariée 3 enfants
Soeur : Mathilde (35 ans), architecte (installée à Boston, Etats-Unis), mariée 2 enfant
Formations Formations non Activités Activités
Années
formelles formelles sociales professionnelles
1980
(naissance)
Voyage aux
College H. Matisse
1991 Etats-Unis
(92) Piano, peinture, Touristique
lectures
spécialisées
Voyage au
Lycée Buffon jeunesses
1995 Canada
(75)
Touristique
Association
1998 Sorbonne Art
Paris Sorbonne Bénévole
(75)
Licence Histoire de Mercuri Urval
Voyage à
l’art Organisation de (75) Chargée de
1999 Londres
vernissages communication
Touristique
(stage)
Découverte de la
2000
scénographie La Clef (78)
Chargée de
programmation
(CDD)
2001
!299
Formations Formations non Activités Activités
Années
formelles formelles sociales professionnelles
Croix rouge
2002 française Chômage
Bénévole
SmArtapps
Voyage en
2009 (startup)
Martinique
(mariage) Responsable
Touristique
artistique (CDD)
2010
2011
(naissance National Guild of
d’Adam) Hypnotists Vaincre
(USA) l’autisme (75) Chômage
Formation à Bénévole
2012 distance
!300
Formations Formations non Activités Activités
Années
formelles formelles sociales professionnelles
2013
Université Paris
Descartes (75)
DU Art-thérapie MOOC ESG Accor Hôtels
2014 Entrepreneuriat (75) Responsable
Non certifiée marketing (CDI)
2015
(naissance de
Roxanne) Cnam (75) Titre
Entrepreneur de Association
2016 Petite Entreprise FormaTIC Santé
(séparation) Bénévole,
Gestionnaire
Ludothérapie
Colloque TIC
2017 Création
Santé
d’entreprise
2018
(divorce officiel) Jury dans des
concours de
startup CCI (92)
2019 Chargée de
mission (CDD)
!301
Annexe 4 : Extrait d’un entretien et son classement Nvivo
L’extrait d’entretien suivant a été réalisé avec Philippe. Il s’agit d’un point de parcours réalisé
plusieurs mois après sa création d’entreprise. L’objet de l’entretien a pour vocation de revenir sur sa
transition professionnelle a posteriori et affiner les résultats de notre recherche. Une fois l’entretien
retranscrit, les données sont intégrées dans le logiciel Nvivo pour faire l’objet d’un classement et
d’une analyse. Les catégories se découpent en 4 parties : l’adéquation personne / projet (code APP),
l’étude de marché (code EDM), les modalités de financement (code MF) et la stratégie de
développement (code SD). Le chiffre situé après le code correspond au numéro d’extrait (par
exemple : APP-1 signifie extrait numéro 1 de la catégorie adéquation personne / projet). Nous
avions déjà commencé à classer les entretiens de Philippe dans le classement Nvivo. C’est la raison
pour laquelle les chiffres commencent autour de 70 - 100.
Philippe : je compte être opticien à domicile et en parallèle faire des remplacements d'opticien dans
des magasins physiques (APP-82). Pour être opticien à domicile, je regarde mon réseau mais c'est
compliqué. En effet, il me faut une certification que je n'ai pas. Je souhaite me former pour les
personnes qui ont une basse vision. J'ai suivi une formation à la chambre de commerce et d'industrie
de Paris, la formatrice m'a dit que c'était un bon projet. Mais clients seraient les maisons de retraite.
Mais il faut que je m'entends bien avec le directeur et le personnel encadrant. Il faudrait également
être un frein. Le directeur, les médecins, la famille sont des acteurs (SD-101). Par ailleurs, si je veux
faire des remplacements à domicile, je constate que les personnes apprécient davantage se rendre
dans un magasin physique. Lorsque je me déplace à domicile, je peux être mal perçu si je n'ai pas
l'aisance suffisante. Le vendre à domicile peut être assimilé à un vendeur de tapis (SD-102). Il y a
aussi le problème de la réglementation. Pour être opticien à domicile j'ai besoin d'un espace de
stockage. J'ai téléphoné à la CRAMIF, la personne que j'ai eue au téléphone m'a confirmé que je
pouvais domicilier mon entreprise chez moi. Mais pour être habilité par l'organisme il faut qu'elle se
!302
déplace chez moi. Il faut qu'elle donne son accord. Il faut que je leur explique ma manière de
Jérémie : d’accord.
Philippe : tous ces différents éléments me compliquent mes démarches pour être opticiens à
domicile. Mais j'ai également un second projet. J'ai une amie qui fait des remplacements. Elle m'a
expliqué qu'elle travaille actuellement dans un magasin d'optique, où le directeur par prochainement
en retraite. C'est un magasin qui est à Shelles. L’affaire à l’air intéressante. Le directeur à son
magasin depuis 15 ans. Il a racheté ce magasin à son patron. Il est actuellement propriétaire des
murs et du fonds de commerce. Son départ en retraite, pour l'instant personne ne le sait il n'y a que
moi. Il veut partir dans le sud de la France. Il cherche un acheteur (SD-103). C’est intéressant, car
c'est quelqu'un qui travaille comme moi je travaillais avant la formation. En fait le vrai travail
d'opticien avec une clientèle traditionnelle. Alors que les remplacements que j'ai fait jusqu'à présent,
j'étais comme un simple vendeur. Il fallait vendre à tout prix. C'est catastrophique. Trouver un
magasin où l'on fait vraiment son métier d'opticien il n'y en a plus beaucoup. Il y a beaucoup de
magasins qui sont là pour l'appât du gain (APP-83). J'ai rendez-vous cet après-midi avec le
directeur. Il a un chiffre d'affaires de 300 000 €, ce n'est pas énorme mais cela ne fait que de
progresser. Le montant de la reprise de l'entreprise et entre 200 000 et 250 000 € (MF-72).
Philippe : pour le moment j'ai créé l'entreprise d'opticien remplaçant. En SASU depuis le mois de
juillet 2015. Pour le moment ce que j'ai payé c’est mon comptable, plus de 200 € par mois. Comme
je touche pôle l'emploi, pendant deux ans je ne me verse pas de salaire. Je peux payer mes charges
fixes, tester l'activité, et capitaliser. Tout le chiffre d'affaires je le laisse dans l'entreprise pour le
moment. Mon idée est de capitaliser et de voir après ce que je fais avec cet argent là. Soit cela me
fait un apport pour reprendre un magasin, soit cela me fait un apport pour mon premier stock. Le
problème c'est que concernant mon projet numéro 2 si le directeur met son magasin en vente avant
le mois de février comme il a annoncé je n'aurais pas assez d'argent pour pouvoir le racheter. Mais
j'ai deux possibilités de financement, notamment grâce à des investisseurs. Mais là, un autre
problème se pose. Pour rester majoritaire il faut que j'injecte de l'argent plus que mes investisseurs.
!303
Je veux rester majoritaire. Cependant ce sont des investisseurs qui ne sont pas dans mon corps de
métiers, cela peut m'aider pour rester le capitaine du bateau. Ce ne sont pas des opticiens. Sans moi,
l'affaire ne fonctionnerait pas (MF-73).
Jérémie : la formation que vous avez suivi ces derniers mois vous a-t-elle été utile ?
Philippe : oui très utile. J'ai bien classé mes cours, même si je n'ai pas encore le temps de m'y
replonger. La thèse professionnelle que je dois rédiger actuellement me prends beaucoup de temps.
Mais l'avantage c'est que je dois me replonger dans mon corps de métier. Cela me permet de
replonger dans les chiffres. C'est une chose que je ne faisais pas lorsque j'étais salarié. Lorsque
j'étais salarié je touchai mon salaire à la fin du mois. Il y a cette logique salariale qu'il faut perdre, et
rentrer dans une nouvelle logique entrepreneuriale. Il faut organiser sa veille. La formation me
permet de plonger dans l'esprit entrepreneurial, que je n'avais pas du tout avant. Dans le magasin où
j'étais avant mon directeur me cachait tout, je n'avais accès à aucune information (APP-84).
Jérémie : c'est la thèse professionnelle qui vous a aidé à changer d'état d’esprit, de salarié à
entrepreneur ?
Philippe : non c'est la formation dans son intégralité. La thèse professionnelle ne fait que renforcer
cette relation que j'ai avec le business. Mais pas depuis longtemps (APP-85). En effet mes relations
avec Pôle emploi ont été compliquées. Je touche mes indemnités mais pas en totalité encore. En
effet j’étai auto entrepreneur jusqu'au mois de juillet et après j'ai créé mon entreprise en SASU.
Pour cela j'ai dû quitter le RSI. Par rapport à la sécurité sociale c'était très long. Il leur a fallu trois
ou quatre mois pour traiter mon dossier. En effet ils ont perdu mon dossier trois fois. Il fallait tout le
temps surveiller. J'ai passé beaucoup de temps à surveiller les dossiers, surveiller leurs conneries.
On tombe à chaque fois sur quelqu'un de différent qui me dit quelque chose de différent. Trois
semaines plus tard le dossier n'a pas avancé et ainsi de suite. Mon nouvel interlocuteur m'a expliqué
que lorsque j'ai créé mon auto entreprise je leur ai transmis mon Kbis. Mais lorsque j'ai créé ma
SASU j'ai eu un nouveau Kbis. Je leur ai transmis également. Mais ils n'ont pas pris en compte le
Jérémie : c'est l'auto entrepreneur qui vous a permis de vous mettre dans la peau de l’entrepreneur ?
!304
Philippe : disons que c’est un ensemble. Car lorsque j'étais auto entrepreneur, j'étais également en
formation. C'est le fait d'être sur le terrain ainsi que d'être en formation qui m'a permis de rentrer
dans la peau du chef d'entreprise. Il fallait que j'étudie la concurrence, les prix, mon offre
commerciale. Et ceci tout en l'appliquant sur le terrain. C'est aussi la thèse professionnelle qui me
permet de faire cela. J'ai opté pour l’auto-entrepreneur pour pouvoir facturer. Pour ne pas perdre de
temps. Il y avait une opportunité et ça ne coûtait rien de me mettre en auto-entrepreneur. Mais cela
ne m'a pas apporté beaucoup plus. En revanche cela m'a montré qu'il fallait que je me bouge le cul.
Cela m'a permis de comprendre que les méthodes de travail que j'avais eu précédemment, il fallait
que je les mette de côté et que je me mette au goût du jour. Si je n'étais pas passé par l’auto-
entrepreneur, je n'aurais pas pu voir toutes les lacunes que j'avais. Comme par exemple les
nouveaux produits informatiques, les nouveaux logiciels. Là où je travaillais avant c’était vraiment
à l'ancienne. Mais ça marchait bien. Mais il fallait que je m’améliore C'est pour cela que j'ai fais un
stage chez un prestataire informatique pour me former aux nouvelles techniques de travail. J'ai
beaucoup appris. Fin janvier je fais également une formation en force de vente. Je me rends compte
Philippe : si je sais vendre mais il y a des codes et des usages que je ne connais pas. J'ai travaillé
pendant 23 ans dans un magasin, on travaillait beaucoup avec notre coeur, en sensation. Ma façon
d'être collait très bien avec le profil du magasin. Maintenant des magasins comme cela il y en a plus
beaucoup. Pour vous donner une idée, dans ce genre de magasin ont fait deux ou trois ventes par
jour. Cela permet à un opticien tout seul de fonctionner (APP-87). Autre exemple, la carte de
fidélité n'est pas du tout utilisé par les opticiens traditionnels alors qu'elle est largement utilisée par
les opticiens de nouvelle génération. Quand l'infrastructure est petite le chef d'entreprise n’à pas le
temps pour ce genre de choses. J'ai remarqué que le petit chef d'entreprise doit tout gérer en même
temps. Souvent lorsque j'arrive dans un magasin pour faire des remplacements les logiciels sont
différents. Cela fait parti de la complexité de mon travail. Il faut que je m'adapte à chaque situation.
Par exemple, lorsqu'il s'agit de rentrer un client dans la base de données, il y a plein de champs dans
le logiciel qui ne sont pas remplis (date de naissance, lieu de naissance, situation professionnelle...).
Le petit chef d'entreprise a trop de choses à faire pour s'occuper de ces détails. J'en ai parlé avec le
!305
vendeur de logiciels dans lequel je fais mon stage actuellement, il me le confirme. Le constat est le
même chez les petits franchisés. J'en ai parlé avec mon prochain d'employeur chez qui je vais faire
un remplacement durant la semaine de Noël. Elle n'a pas le temps non plus de faire ce genre de
choses, compte tenu qu'elle est toute seule. C'est pour cela que de nombreux opticiens préfèrent
travailler dans des chaînes, ou des regroupements d’employeurs, afin de profiter des économies de
coûts et de gestion. La comptabilité est ainsi allégée, le marketing également. Mais le prix des
franchiseurs est très variable. Il y a de nombreux services que permet la franchise, comme un
accompagnement personnalisé des solutions d'achat à moins cher des solutions de gestion...
Cependant le prix de la franchise et chère. Mais de plus en plus d'opticien doivent opter pour la
Jérémie : est-ce que la franchise est compatible avec les méthodes de travail traditionnelles ?
Philippe : ça dépend de la franchise. Par exemple Afflelou est très restrictif. Il y a également l'image
que l'on doit prendre en compte. Par exemple de nombreux clients ne vont jamais rentrer dans un
Jérémie : j'ai l'impression que votre regard a évolué vis-à-vis des grandes chaînes de magasins. Je
crois avoir le souvenir que vous ne vouliez jamais entendre parler de grandes chaînes de magasins.
Philippe : en effet, j’étais borné sur pas mal de choses. J'ai travaillé 23 ans avec mon ancien patron
qui était un opticien traditionnel. Cela laisse des marques. Par ailleurs mon patron défendait son
business ce qui pouvait se comprendre. Enfin, je travaille avec mon coeur. Lorsque je rentre dans un
magasin d'optique je colle avec la personnalité du patron afin de rentrer dans l’état d'esprit du
magasin. Lorsque j'ai présenté mon projet en tout début de ma transition professionnelle j'ai
remarqué que je parlais comme mon patron. Ma transition professionnelle m'a fait beaucoup évolué
sur ce point. Au point même d'être un peu perdu. Lorsque je vous ai présenté mon projet la première
fois je parlais beaucoup de faire un travail de qualité. Mais en tant que tel cela ne veut rien dire ! Je
ne faisais que raconter ce que je raconte au client. Mon patron disait cela, parce qu'il a des éléments
pour le faire. Moi en tant que salarié je n'en avais pas. On ne peut pas dire que l'on fait de la qualité
comme cela, il faut aménager une infrastructure autour de son discours. Il faut apporter la preuve du
concept. Maintenant pour en revenir au grandes chaînes de magasins, du coup j'ai dû revoir ma
!306
position. J'ai vu mon comptable hier qui va également dans cette décision. Je souhaite que le
directeur que je vais voir tout à l'heure puisse me prendre au sérieux. Même si le rachat ne se fait
pas, ce sera toujours une expérience intéressante. Faire de l'optique à domicile comporte de
nombreuses contraintes. J'ai toujours vécu sans contrainte réelle en tant que salarié. Tout a toujours
bien marché pour moi, j'ai une grande maison une femme des enfants. Aujourd'hui en tant
qu'entrepreneur je prends plus de risques, j'ai des noeuds dans l'estomac. J'ai acheté des livres pour
apprendre à relativiser. Il faut souvent que je me remette dans le positif. J'ai choisi cette vie-là
(APP-88).
Philippe : les enfants sont très bien élevés. Les enfants sont les enfants, eux, ils mettent les pieds
Philippe : non, j’espère en revanche que je leur ai transmis cette fibre entrepreneuriale. J'espère
qu'ils vont avoir cette fibre à aller chercher le boulot. Ils ne l'ont pas assez. Je ne peux pas leur
demander de vivre comme moi j'ai vécu, c’est-à-dire de commencer à travailler très jeune. Pour ma
femme c'est autre chose. Elle est issue d'une famille où ils ne prennent pas de risques. Que je sois
salarié toute ma vie cela lui convient. En même temps c'est une femme, si elle peut avoir davantage
elle va prendre davantage (rires). Mon environnement familial est comme tous les couples. Mais me
sens seul, sans être seul. Voyez, par exemple j'ai créé une SASU (APP-90).
Philippe : la SASU est une société unipersonnelle, il n'y a pas d'associé je suis tout seul.
Philippe : oui et non. De toute façon si je partais sur une reprise de commerce je ne sais pas si
j’aurai le choix. À moins de vendre ma maison je n'ai pas assez d'argent. Mais je joue au loto tous
les jours (rires). Malgré ma rupture conventionnelle, il ne reste plus grand-chose. J'ai perdu
beaucoup. Heureusement il me reste le Pôle emploi qui me permet de payer la part de ma maison.
!307
Ce qui est intéressant avec la rupture conventionnelle c'est que je touche le Pôle emploi pendant
deux ans. Ça va s'arrêter en juillet. C'est très intéressant. Voyez, pour ma maison je donne 2000 €
par mois. Je peux donc me lancer dans un business sans me prendre de salaire. Ça peut permettre de
mettre en place certaines choses, même s'il faut que je prévois en N + 1 de me verser un salaire
(MF-75).
Jérémie : sachez également que lorsque vous dites au Pôle emploi que vous créez votre entreprise
Philippe : oui ils me l'ont dit mais j'ai opté pour le versement de mes indemnités. Car il faut être sûr
du business derrière. Ça peut être un montage intéressant si j'étais sur un chiffre d'affaires plus
élevées. Lui il fait 300 000 € de chiffre d'affaires annuel. Ma copine me dit qu'il n'y a pas beaucoup
de monde et que ça marche tranquillement. Si on était sur un chiffre d'affaires plus élevé ce serait
intéressant d'opter pour le capital, plutôt que les indemnités. En effet, je serai sûr à 60 % de pouvoir
me verser un salaire. Pour ce magasin là, il va y avoir de l'argent qui va rentrer, mais je pense que ce
sera juste suffisant pour pouvoir payer les charges de l'entreprise. Ça va dépendre également des
choix que je vais faire comme par exemple des travaux dont le magasin, des choix marketing…
(MF-76).
Philippe : en effet c'est intéressant, j'avais fait ce montage avec la chambre de commerce pour
pouvoir reprendre la boite de mon ancien patron. Mais on était sur un prix de cession beaucoup plus
élevée, de l'ordre de 500 000 €. Il faut également savoir présenter rapidement son entreprise aux
acteurs concernés. Mais on a fait le MBA pour cela (MF-76). L'avantage avec la formation c'est que
je n'ai plus aussi peur qu'avant. Maintenant je sais que l'on ne peut pas concevoir de développer un
projet sans réaliser une étude de marché. Vous nous avez vraiment bien appris à faire cela. J'ai
beaucoup appris ici. C'était une révélation (EDM- 97). Parce qu'il y avait beaucoup de mes amis qui
me mettaient en doute, notamment par rapport au prix de la formation, 10 000 € c’est cher. Mais il y
a beaucoup de gens qui bidouillent. En discutant avec eux il y a beaucoup de points noirs, de zones
d'ombre. Je leur apprends des choses maintenant. J'ai beaucoup d'amis qui ont créé une entreprise,
!308
qui l’ont fermé pour en ouvrir une autre après. Évidemment, lorsqu'une entreprise ne fonctionne pas
il y a toujours de bonnes raisons, c'est toujours la faute des autres. Mais moi maintenant je me pose
vraiment la question sur les raisons de leur fermeture. Je ne juge personne. Mais il y a des lacunes
entrepreneuriales ou des usages qu'ils n'ont pas respectés. Ils ont les bases qu'ils ont acquis au fil du
temps sur le terrain mais aujourd'hui ce n'est pas suffisant. Certains par contre se débrouillent bien,
mais bizarrement ce sont également ceux qui lisent beaucoup ou qui ont des partenaires
suffisamment pointus dans le business (EDM-98). Par exemple, j'ai cet ami qui voulais me prêter de
l'argent parce qu'il croit beaucoup en moi. C'est le responsable d'une salle de karaté. En effet j'étais
professeur de karaté. Lui, il me connaît depuis tout petit, il a lancé des business, il a fait beaucoup
de choses. Aujourd'hui il a un très bon carnet de relations dont l'ancien PDG du groupe Bonduelle
M. André Leroi, que je connais également. Lorsque l'on discute tous ensemble c'est un vrai régal.
C'est grâce à ce genre de contacts que mon ami a réussi à s'en sortir. Je retrouve dans son discours
cette posture entrepreneuriale alors qu'il est autodidacte. Il faut donc avoir une base théorique. Le
constat que je fais lorsqu’on n'a pas de base théorique, c'est que on se casse les dents à plusieurs
reprises. Le risque est que l'on se retrouve sur la paille à un moment donné. On se retrouve salarié et
on déprime. Lorsque que vous avez été entrepreneur et que vous vous retrouvez salarié, c'est une
forme de déprime. On peut voir cela comme une déception, un échec (APP-91).
Philippe : on peut revenir en arrière. Par exemple c'est la première fois que je monte une SASU. Si
ça marche pas je peux revenir salarié et éviter ainsi tous les problèmes du quotidien. Mais je ne
pense pas que je sois maintenant comme cela. Je préfère mon indépendance maintenant. Je ne
souhaite pas revenir en arrière. Mais je comprends ceux qui souhaitent revenir salariés. Si on monte
une entreprise, et que ça ne fonctionne pas, pour en remonter une autre il faut en vouloir quand
même ! Pour moi il y a trois types d'inégalités : les riches et les pauvres, les patrons et les salariés et
les producteurs et les consommateurs. Patrons et salariés je trouve que ce sont deux univers
totalement différents. Il y a cette histoire de profit, et de pouvoir qu'à l'employeur sur le salarié
(APP-92).
Jérémie : mais faire des remplacements ce n'est pas d'une forme de salariat ?
!309
Philippe : oui (rires).
Jérémie : pourtant j'ai pas l'impression que vous viviez cela comme un échec.
Philippe : je pense que l'on est toujours salarié de quelqu’un. Ce que je veux c'est de pouvoir me
lever le matin et de me dire que je travaille pour moi. La nuance est la. Lorsque l'on est salarié on
ne travaille pas pour soi, on travaille pour quelqu'un. Ça ne me pose pas de problème je l'ai fait
pendant 23 ans. Mais je donne beaucoup de ma personne. J'ai eu la chance de travailler dans une
entreprise où j'étai assez libre. Mais on peut être assez rapidement exploité et se donner à fond pour
une entreprise qui n’en a rien à foutre de vous. Si je peux avoir le choix d'éviter cela ce serait bien.
Mais peut-être que je n'aurai pas le choix. J'essaie de prendre mon avenir en main. De tout faire
pour y arriver. Et puis si je n'y arrive pas, je retrouverai mon salariat. Je serai déprimé. J'irai voir un
psychologue (rires). En fait, lorsque l'on est salarié il y a une espèce de crampe dans la main que
l'on développe. On a l'habitude d'être assisté et de se dire que ce n'est pas son problème mais le
problème du patron. Sachant que je n'ai jamais pensé comme cela dans ma précédente entreprise.
C'est pour cela que mon patron m'appréciait, par ce que j'allai au charbon (APP-93). Nous étions
trois, mon patron, sa femme, et moi. Mais avec du recul, je me dis qu'il n'en a bien profité quand
même. Il y a toujours eu cette barrière entre nous. Par exemple lorsque nous étions en négociation
pour la reprise du magasin, il a montré ses crocs. Il y a vraiment de monde. Mais peut-être que c'est
légitime. Le sens inverse fonctionne aussi. Il y a aussi des salariés qui essayent de rouler leur
employeur. C'est le jeu du chat et de la souris. Tant que je peux avoir le choix c'est le principal. Je
choisis mes propres chaînes. Je ne fais pas ça pour devenir milliardaire, je fais ça pour avoir mon
Philippe : et encore, je ne suis pas à plaindre. J'ai des ressources financières. Mais il ne faut pas se
laisser bercer car cela part vite. C'est pour cela que je me fixe des objectifs. Tout de suite après la
formation il faut que je me remette à travailler. Par exemple j'ai travaillé ces dernières semaines
!310
pour une opticienne et je n'ai toujours pas été payé. J'avais pas prévu cela. C'est une créance client.
De toute façon il va falloir qu'elle me paye sinon je vais l’étrangler (rires). Mais c'est bien que ça
m'arrive maintenant car je fais facilement confiance. Cela permet d'apprendre. En plus elle a
négociée, elle a fait baisser les prix, chose que j'ai fait comme un idiot. C'était mon premier client.
Je l'ai vu faire en plus. Elle négocie avec tout le monde, le fournisseur de logiciels, le gars qui
change la lampe … J'en parlais avec ma femme la semaine dernière, sur le coup je n'ai pas réagi.
Philippe : oui, je suis sûr qu'elle le sait aussi. Je ne sais pas quoi faire. Je pensais également lui
Philippe : Au fond avoir un diplôme ne va pas changer grand-chose dans mon business. J'ai fait ce
constat là avant de rentrer en formation. Mais si mon business tombe à l’eau et que je dois me
vendre auprès d'un employeur, le MBA me sera utile. Les petites entreprises ne sont pas trop
sensibles à ce genre de diplôme. En revanche, les grands groupes le sont. J'ai 43 ans, et les grands
groupes demandent de l'expérience et un diplôme. Je me suis lancé dans cette formation aussi pour
cela. C'est mon banquier qui m'a dit un jour que j'ai de l'expérience professionnelle mais que je
manque de bases en gestion et en management. J'ai bien fait de prendre le taureau par les cornes
(APP-94).
Philippe : j'ai pris l'habitude de ne pas travailler depuis mon domicile. Il y a un petit café à côté de
chez moi où j'ai pris l'habitude d’y travailler. Dans une maison il y a toujours quelque chose à faire,
qui perturbe ma réflexion. Je prends mon déjeuner le midi là-bas, jusqu’à 18:00. Depuis que je fais
ça, cela fonctionne très bien. Lorsque je suis à mon domicile, on n'a pas forcément toujours envie de
travailler. Il y a des fois où je m'endort alors que je ne suis même pas fatigué. Je pense avoir trouvé
mon équilibre. Parce que l'incubateur est fait pour quel type de profil ? Pour les gens qui n'ont pas
!311
Jérémie : (rires) non, c'est fait pour répondre à la problématique de la solitude, du bureau et de
l’accompagnement.
Philippe : Moi je distingue les entrepreneurs et les chefs d'entreprises. Mon ancien patron par
exemple, était un chef d'entreprise. Il avait ses habitudes, il gagnait beaucoup d'argent, mais il ne le
dépensait pas. Le chef d'entreprise à des horaires, alors que l'entrepreneur n'en a pas. Lorsque je
faisais mon remplacement dernièrement, la responsable avait des horaires, ont commençait à
travailler à partir de 12:00. C'était très agréable de pouvoir se lever le matin tranquillement. En
!312
TABLE DES MATIERES
SOMMAIRE ---------------------------------------------------------------------------------------------------- 8
INTRODUCTION -------------------------------------------------------------------------------------------- 10
!313
SECTION 3 : Faciliter l’insertion dans une nouvelle communauté --------------------------- 89
!314
4 : Théorie du désengagement salarial -------------------------------------------------- 152
!315
1 : Typologie des formes de transitions professionnelles ----------------------------- 243
!316
Accompagner la transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
L’objectif de cette recherche est de comprendre les enjeux et les modalités de la transition professionnelle du
salariat à l’entrepreneuriat et l’accompagnement qui en découle. La thèse défendue est que le passage du sa-
lariat à l’entrepreneuriat se présente selon un double processus : de transition professionnelle et entrepreneu-
rial. Ce double processus se présente en trois phases : le désengagement salarial, l’entre-deux et l’engage-
ment entrepreneurial.
Cette recherche repose sur l’étude approfondie de dix salariés, accompagnés sur une longue période (entre 3
ans et 7 ans) et porteurs d’un projet de création ou de reprise d’entreprise.
Du côté de la personne accompagnée, trois enjeux sont identifiés. D’une part, il est démontré que le désen-
gagement salarial est une source d’exclusion sociale et d’isolement. D’autre part, la phase d’entre-deux
conduit à une perte de repères et une instabilité professionnelle qui peut devenir durable. Enfin, l’engage-
ment entrepreneurial inclut un besoin de se sentir légitime et d’être perçu comme légitime en tant qu’entre-
preneur par les autres.
Du côté de l’accompagnateur, trois enjeux sont identifiés. D’une part, il est démontré que le projet est le pro-
duit d’une histoire passée et le producteur d’une histoire à venir pour son porteur. D’autre part, les besoins
d’accompagnement sont différents selon la phase du processus de transition. Enfin, quatre modèles de transi-
tion sont mis en évidence selon les modalités du départ salarial et le projet entrepreneurial.
Mots-clés : Entrepreneuriat, transition professionnelle, accompagnement entrepreneurial