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UNIVERSITÉ DE REIMS CHAMPAGNE-ARDENNE

ÉCOLE DOCTORALE SCIENCES HUMAINES ET SOCIALES

THÈSE
Pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ DE REIMS CHAMPAGNE-ARDENNE
En Sciences de Gestion
Spécialité : Entrepreneuriat

Présentée et soutenue publiquement par

Jérémie RENOUF

Le mardi 2 juillet 2019

ACCOMPAGNER LA TRANSITION PROFESSIONNELLE


DU SALARIAT À L’ENTREPRENEURIAT

Thèse co-dirigée par Mme VERZAT Caroline et M. HERNANDEZ Emile-Michel

JURY

Mme FAVRE-BONTE Véronique (Présidente du jury),


Professeur des Universités, IAE Université Savoie Mont Blanc
M. HERNANDEZ Emile-Michel (Co-Directeur de thèse),
Professeur des Universités, Université de Reims Champagne-Ardenne
M. LAVIOLETTE Eric-Michaël (Rapporteur),
Professeur titulaire, Toulouse Business School
Mme RADU LEFEBVRE Miruna (Rapporteur),
Professeur titulaire, Audencia
Mme VERZAT Caroline (Directrice de thèse),
Professeur associée, HDR, ESCP Europe
« L’Université n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans les
thèses. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leurs auteurs ».

!1
A mes parents et à ma famille.

Cette thèse leur est dédiée

!2
REMERCIEMENTS

Je remercie tout d’abord mes directeurs de thèse, Madame Caroline Verzat accompagnée de

Monsieur Emile-Michel Hernandez. J’ai bénéficié d’un encadrement rigoureux, régulier et

bienveillant qui m’a permis assurément d’enrichir ma réflexion, de maintenir une régularité de
travail et d’adopter une démarche de recherche stimulante. L’encadrement dont j’ai disposé m’a

permis de puiser des inspirations et des idées nouvelles. Que ces lignes puissent leur assurer ma très

sincère reconnaissance.

Je remercie l’ISC Paris, les chercheurs, doctorants et professeurs que j’ai la chance de côtoyer au
sein de l’établissement. Leurs conseils ont contribué à l’aboutissement de ce travail autant sur le

fond que sur la forme. Je remercie en particulier les membres du laboratoire de recherche pour leurs

commentaires avisés sur certains papiers.

Je souhaite remercier l’Université de Reims-Champagne Ardennes, le laboratoire R.E.G.A.R.D.S.,

qui m’ont offert de bonnes conditions matérielles pour mener à bien cette recherche doctorale.

Martino Nieddu a été de bon conseil et un important facilitateur dans mes démarches. Sa disparition
m’a vraiment attristé.

J’adresse mes remerciements aux chercheurs pour les champs des possibles qu’ils m’ont offerts. Je

remercie en particulier Alain Fayolle pour ses premiers conseils, Miruna Radu-Lefebvre pour ses
orientations, Eric Michael Laviolette pour son guidage, Amélie Jacquemin et Frank Janssen pour

leurs suggestions, Karim Ben Slimane pour ses remarques pertinentes, Jean-François Draperi et

plus largement les membres du CESTES pour leurs encouragements, Véronique Favre-Bonté pour

son appui ainsi que Catherine Léger-Jarniou et Vincent Lefebvre pour leur confiance.

Je remercie les praticiens qui ont eu un rôle important dans mon parcours. En particulier, j’adresse

mes remerciements à Dominique Mentha, ancienne directrice adjointe de l’APCE et Anne Chaillot,

ancienne responsable du service essaimage d’EDF et ex-directrice de DIESE. Leurs expertises et


leur bienveillance ont contribué à améliorer l’accompagnement que je prodigue aux entrepreneurs.

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Mes remerciements vont aux équipes des incubateurs qui ont participé à cette recherche, celui du
CNAM et de l’ISC Paris ainsi que les experts dont ceux des Boutiques de Gestion, du réseau des

Couveuses, du réseau PEPITE et de H’UP. Ma reconnaissance va à tous les salariés, porteurs de

projets et entrepreneurs qui ont accepté de me faire part de leur vécu et de leur expérience.

Je remercie vivement les membres du jury qui me font l’honneur de s’intéresser à mes recherches et

qui par leur questionnement pourront faire croître de nouvelles réflexion. Je remercie les
rapporteurs pour leur relecture approfondie et leur travail d’analyse. Leurs critiques vont

assurément contribuer à améliorer mes travaux.

Enfin mes pensées vont à ma famille, ma conjointe et mon fils dont l’affection, la patience sans
faille et le soutien indéfectibles m’ont permis de mener à bien ce défi passionnant.

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L’individu est le produit d’une histoire dont il cherche à devenir le sujet.

Vincent de Gaulejac

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Accompagner la transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat

L’objectif de cette recherche est de comprendre les enjeux et les modalités de la transition

professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat et l’accompagnement qui en découle. La thèse


défendue est que le passage du salariat à l’entrepreneuriat se présente selon un double processus :

de transition professionnelle et entrepreneurial. Ce double processus se présente en trois phases : le

désengagement salarial, l’entre-deux et l’engagement entrepreneurial.

Cette recherche repose sur l’étude approfondie de dix salariés, accompagnés sur une longue période
(entre 3 ans et 7 ans) et porteurs d’un projet de création ou de reprise d’entreprise.

Du côté de la personne accompagnée, trois enjeux sont identifiés. D’une part, il est démontré que le

désengagement salarial est une source d’exclusion sociale et d’isolement. D’autre part, la phase
d’entre-deux conduit à une perte de repères et une instabilité professionnelle qui peut devenir

durable. Enfin, l’engagement entrepreneurial inclut un besoin de se sentir légitime et d’être perçu

comme légitime en tant qu’entrepreneur par les autres.

Du côté de l’accompagnateur, trois enjeux sont identifiés. D’une part, il est démontré que le projet

est le produit d’une histoire passée et le producteur d’une histoire à venir pour son porteur. D’autre

part, les besoins d’accompagnement sont différents selon la phase du processus de transition. Enfin,

quatre modèles de transition sont mis en évidence selon les modalités du départ salarial et le projet
entrepreneurial.

Mots-clés : Entrepreneuriat, transition professionnelle, accompagnement entrepreneurial

Discipline : Science de Gestion


Spécialité : Entrepreneuriat
Université de Reims Champagne-Ardenne

Laboratoire R.E.G.A.R.D.S. EA 6292

57 bis, rue Pierre Taittinger


51096 - Reims Cedex France

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Support the professional transition from employee to entrepreneur

The purpose of this research is to understand stakes and conditions of the transition from employee

to entrepreneur and its accompanying measures. This research argues that the transition from
employee to entrepreneur is a two-pronged process: professional transition and entrepreneurship.

This double process can be conceptualized into three phases: a disengagement from employee

position, a phase between two positions, and an entrepreneurial commitment.

This research is based on an in-depth study of ten employees, supported over a long period
(between 3 and 7 years) and who want to start their own business or acquire an existing company.

For the project leader, three issues have been identified. First, it has been shown that disengagement

from employee position is a source of social exclusion and isolation. Second, the phase between
two positions results in a general disorientation and a professional instability which might last.

Then, entrepreneurial commitment includes a need for legitimacy and for being seen as legitimate

by others.

For the entrepreneurship support, three issues have been identified: First, it has been shown that

project is the result of a past personal story and the root of a story for the project leader. Second, the

needs for support differ according to the transition stage. Then, four transition models have been

highlighted according to the circumstances of the employee’s departure from the company and the
entrepreneurial project.

Keys words: Entrepreneurship, professional transition, entrepreneurship support.

Discipline: Management science


Specialty: Entrepreneurship
Université de Reims Champagne-Ardenne

Laboratoire R.E.G.A.R.D.S. EA 6292

57 bis, rue Pierre Taittinger


51096 - Reims Cedex France

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SOMMAIRE

SOMMAIRE ---------------------------------------------------------------------------------------------------- 8

INTRODUCTION -------------------------------------------------------------------------------------------- 10

PARTIE 1 - PROBLEMATIQUE ET PROJET DE RECHERCHE ------------------------------- 17

CHAPITRE 1 : La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat ------------------- 18

SECTION 1 : Les différentes approches de la carrière ------------------------------------------ 18

SECTION 2 : La transition professionnelle : un double processus ---------------------------- 34

CHAPITRE 2 : Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle - 51

SECTION 1 : Donner du sens au projet ----------------------------------------------------------- 51

SECTION 2 : Réduire les doutes et les incertitudes --------------------------------------------- 71

SECTION 3 : Faciliter l’insertion dans une nouvelle communauté --------------------------- 89

CHAPITRE 3 : Cadre méthodologique ----------------------------------------------------------------- 100

SECTION 1 : Questions de recherches et contributions visées ------------------------------- 101

SECTION 2 : Méthodologie de mise en oeuvre ------------------------------------------------ 105

SECTION 3 : Sélection des cas -------------------------------------------------------------------- 110

PARTIE 2 - PRESENTATION ET ANALYSE DES RESULTATS-------------------------------- 135

CHAPITRE 4 : La place du projet dans la trajectoire professionnelle -------------------------- 136

SECTION 1 : Le désengagement professionnel ------------------------------------------------- 137

SECTION 2 : Revisiter la dialogique personne - projet ---------------------------------------- 155

CHAPITRE 5 : Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle----------- 172

SECTION 1 : Le déplacement socioprofessionnel ---------------------------------------------- 173

SECTION 2 : Adapter l’accompagnement selon les besoins --------------------------------- 194

!8
CHAPITRE 6 : S’engager en tant qu’entrepreneur-------------------------------------------------- 219

SECTION 1 : Etre légitime en tant qu’entrepreneur ------------------------------------------- 220

SECTION 2 : Accompagner l’engagement entrepreneurial ----------------------------------- 243

CONCLUSION GENERALE----------------------------------------------------------------------------- 262

DISCUSSION ------------------------------------------------------------------------------------------------ 265

BIBLIOGRAPHIE ------------------------------------------------------------------------------------------ 271

LISTE DES FIGURES ------------------------------------------------------------------------------------- 288

LISTE DES TABLEAUX ---------------------------------------------------------------------------------- 289

ANNEXES ---------------------------------------------------------------------------------------------------- 291

TABLE DES MATIERES --------------------------------------------------------------------------------- 313

!9
INTRODUCTION

Contexte général de la recherche

Depuis plusieurs décennies, l’entrepreneuriat connaît un engouement certain de la part d’une

multitudes d’acteurs parmi lesquels les médias, les politiques, les praticiens et les chercheurs. Cette
attention durable se justifie pleinement par l’importance quantitative du phénomène. Chaque année,

500 000 à 550 000 entreprises sont créées en France dont 30% à 40% par des salariés1. Bien que ces

chiffres doivent être considérés avec prudence, le poids de la création d’entreprise par les salariés
est réel.

Au-delà des chiffres, les chercheurs en entrepreneuriat ont démontré que la création d’entreprise

associe deux logiques : celle de la personne et celle de l’entreprise. Alain Fayolle (2004) indique
que la création d’entreprise est le fuit d’un processus et de la rencontre d’un homme ou d’une

femme et d’une organisation. Ces logiques peuvent être conjointes ou antagonistes. Christian

Bruyat (1993) présente l’existence d’une dialogique entre le porteur et son projet. C’est la personne
qui définit l’orientation, les modalités, les ressources et l’exécution du projet. A l’inverse le projet

est susceptible de faire évoluer les choix de vie de la personne, son statut social, ses moyens

financiers ou ses compétences. S’engager dans un projet entrepreneurial n’est donc pas anodin. En

tant que salarié, il faut renoncer à une situation existante (parfois confortable) pour se lancer dans
une aventure souvent incertaine. Pour Bruyat, le projet d’entreprendre constitue un projet de vie en

rupture avec le salariat.

L’engagement (ou non) dans le projet entrepreneurial nécessite deux conditions, être capable de
renoncer à une situation existante et accepter une situation nouvelle. Le coût de passage du salariat

à l’entrepreneuriat peut être important et impliquer la perte d’avantages liés à la retraite, la perte

d’ancienneté, la perte d’expérience spécifique à un secteur, les coûts liés au capital de départ à

1 Cette fourchette comprend les créations « ex nihilo », les réactivations et les reprises d’entreprises
(INSEE).

!10
mobiliser, la rupture d’un mode de vie existant ou encore la perte des soins de santé fournis par
l’employeur (Parker, 1996, 1997). Bruyat précise que « l’engagement est une période de transition,

de changement de phase. C’est durant cette période de transition que l’ambiguïté, les paradoxes, les

tensions sont les plus marquées » (Bruyat, 2001:34). Toutefois l’auteur ne s’attarde pas sur le
concept de transition. Son apport n’en est pas moins essentiel. En soulignant cette période source de

tensions, il ouvre la voie à des recherches plus focalisées sur l’accompagnement de la période de

transition du salariat à l’entrepreneuriat.

C’est dans cette lignée que s’inscrit notre travail. Cette recherche s’intéresse à la transition

professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat et à la manière dont les acteurs peuvent y donner du

sens pour mieux la traverser. Pour cela nous allons emprunter aux cadres conceptuels de la gestion

des ressources humaines, en particulier ceux relatifs au développement personnel et à la gestion de


carrière. Nos efforts de modélisation de la transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat

doivent permettre de suggérer aux acteurs des hypothèses réfléchies pour interpréter la signification

de leurs propres actions.

D’emblée, il importe d’apporter une clarification à la notion de transition professionnelle du salariat

à l’entrepreneuriat. Partant du postulat que l’entrepreneuriat est un choix de carrière différent du

salariat (Sinclair, 2008), le passage du salariat à l’entrepreneuriat présente une particularité majeure.
Un salarié qui change de travail pour devenir entrepreneur est à la fois dans un processus

entrepreneurial et dans un processus de transition professionnelle. C’est un double processus qu’il

convient de présenter.

Objet et motivations de la recherche

Dans un processus de transition professionnelle il est possible de repérer des temps forts, des

changements dans le rythme d’activité ou de l’effort fourni. Tout découpage est fondamentalement
artificiel. C’est cependant un moyen commode pour simplifier la lecture et la compréhension d’un

processus complexe.

11
!
Le processus d’engagement dans l’entrepreneurial peut se présenter en trois phases (Bruyat, 1993) :

• La première phase est la réflexion. L’entrepreneuriat est considéré comme une alternative
possible au salariat. Le projet est encore flou, il s’apparente plus à un dessein qu’à un

projet. Le salarié commence à se renseigner et à être attentif aux opportunités au travers de


son tissu de relations ou des médias par exemple. Cette situation peut durer longtemps et

prend fin lorsque l’individu passe à la phase suivante ou renonce.

• La seconde phase est la construction du projet. A ce stade, le créateur réalise une étude
de marché, met au point des prototypes et développe son offre. Le créateur a souvent une

posture professionnelle hybride et un double statut. S’il est salarié, il garde son activité tout

en développant son projet en parallèle. S’il est au chômage, il continue généralement à

rechercher un emploi.

• La troisième phase est le lancement du projet. L’entreprise commence à produire et à


vendre. Les achats importants sont faits (immobilier, mobilier, travaux, etc.). Même si le

seuil de rentabilité n’est pas encore atteint et que l’entrepreneur tire de maigres revenus de
son travail, l’engagement dans l’entreprise est total. Si la personne abandonne son projet,

elle peut considérer son arrêt comme un échec.

Le processus de transition peut se présenter en trois phases (Van Gennep, 1909 ; Bridges, 1980,

2014 ; Schlossberg, 1984, 2004, 2005) :

• La première phase de la transition serait celle de la séparation. Pour qu’une personne


puisse prendre de nouvelles habitudes, il faut d’abord qu’elle abandonne ses habitudes

précédentes. Pour qu’un salarié puisse se lancer pleinement dans la création d’une nouvelle

entreprise, il faut d’abord quitter l’entreprise dans laquelle il est. Donner du sens au

changement permet de faciliter le passage de cette phase de renoncement.

• La seconde phase de la transition serait celle de l’entre-deux. La transition est un pont,


une zone frontalière entre deux états de plus grande stabilité. Cette phase est

particulièrement perturbante car la personne n’a pas totalement abandonné son précédent

!12
cadre de référence, et n’a pas encore de nouveau cadre de référence. Cette période est
marquée par une incertitude, potentiellement source de stress et de remise en question.

• La troisième phase de la transition serait celle de l'insertion. Elle est propice à la

création d’un nouveau cadre de référence permettant à la personne de se situer dans un


nouvel espace professionnel. Les changements liés à la transition sont intégrés et

apparaissent aux yeux de son environnement (changement d’apparence, de comportement,

de rythme de travail). La personne a rompu avec son ancien cadre de référence.

Notre réflexion porte sur l’accompagnement entrepreneurial durant ce double processus. En effet,

nous nous interrogeons sur les enjeux de la transition pour les personnes qui passent du salariat à

l’entrepreneuriat et les besoins d’accompagnement durant ce processus.

Pour passer du salariat à l'entrepreneuriat, nous suggérons que toute personne doit passer par un

processus de transition professionnelle impliquant un déplacement dans l’espace social et


potentiellement s’installer durablement dans une posture d’entre-deux. Pour appuyer nos propos

nous allons ancrer notre recherche à l’aide d’auteurs de différentes disciplines dont principalement

ceux issus des sciences de gestion et des sciences sociales.

Problématique de recherche et contributions visées

La transition professionnelle est entendue dans une optique de changement de carrière, c’est-à-dire
comme un processus continu en trois phases. Notre réflexion sur la transition professionnelle nous

amène à formuler l’hypothèse selon laquelle l’accompagnement serait différent selon la phase de

transition professionnelle dans laquelle se situe la personne. En partant de cette hypothèse, nous

proposons d’instruire la problématique suivante formulée en deux questions :

!13
• Quels sont les enjeux de la transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat pour le
porteur de projet ?

En postulant que le salariat est un choix de carrière différent de l’entrepreneuriat, nous allons

analyser, en développant des hypothèses, la nature et l’intensité des enjeux de la transition


professionnelle dans une triple phase : celle de la séparation avec le salariat, celle de l’entre-deux où

ni le salariat ni l’entrepreneuriat dominent, et celle de l’insertion dans l’entrepreneuriat. C’est la

question du pourquoi qui est posée. Notre visée est descriptive et explicative.

• Quelles sont les modalités de l’accompagnement du salarié en transition professionnelle du


salariat à l’entrepreneuriat ?

Cette question apparaît en complément de celle des enjeux. En admettant que le salariat est un choix
de carrière différent de l’entrepreneuriat, nous supposons que la transition professionnelle de l’un à

l’autre nécessite un accompagnement adapté. L’objectif est de mieux comprendre les modalités

particulières de l’accompagnement dans ce processus. C’est la question du comment qui est posée.
Notre visée est compréhensive et explicative.

Cette étude contribue à la littérature de plusieurs façons. Tout d’abord en mobilisant les théories de
transition de carrière dans le champ de l’entrepreneuriat qui par nature est multidisciplinaire (Filion,
1997, Fayolle, 2004). Elle contribue à créer des ponts entre le champ des carrières et celui de
l’entrepreneuriat à l’appel de plusieurs chercheurs (Sullivan, 1999 ; Greene et al, 2003 ; Valeau,
2006). L’application du concept de transition de carrière à l’entrepreneuriat permet d’aborder sous
un angle nouveau les pratiques d’accompagnement pour les adapter à leur public (Chabaud,
Messenghem et Sammut, 2010 ; Verzat, Gaujard et Francois, 2010). Il permet d’éclairer les périodes
de doutes, de tensions au coeur du processus de changement dans lequel se trouve l’entrepreneur
(Valeau, 2006, 2012 ; St-Jean, Jacquemin, 2012). Enfin il permet de considérer l’entrepreneuriat
hybride commun étape préalable à l’entrée dans l’entrepreneuriat (Folta, Delmar, Wennberg, 2010).

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Cheminement de la recherche

La première partie de cette thèse est consacrée au développement de la problématique et du projet

de recherche. Le premier chapitre a pour objet de délimiter l’objet de recherche : la transition

professionnelle dans la carrière à partir d’une démarche spécifique qu’est le passage du salariat à
l’entrepreneuriat. Le deuxième chapitre vise à développer des hypothèses à partir de la littérature

sur l’accompagnement entrepreneurial et de constats empiriques. Enfin, le troisième chapitre permet

de poser le projet de recherche dans une posture épistémologique constructiviste et une démarche
de recherche-action.

!15
PARTIE I
PROBLEMATIQUE ET
PROJET DE RECHERCHE

!17
Chapitre I
LA TRANSITION PROFESSIONNELLE
DU SALARIAT A L’ENTREPRENEURIAT

Dans ce chapitre, nous allons nous intéresser à l’objet de notre recherche : la transition
professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat. Dans la première section, nous développerons les

deux grandes approches de la carrière (ancien et nouveau modèle de carrière) et la porosité des

frontières entre le salariat et l’entrepreneuriat. Dans la deuxième section, nous allons développer les
spécificités de la transition professionnelle avant d’avancer des hypothèses concernant son

application du salariat à l’entrepreneuriat au travers des trois phases évoquées précédemment

(séparation, entre-deux, insertion).

Section 1 • Les différentes approches de la carrière

L’analyse des contributions scientifiques consacrées à la carrière est abondante. Elle fait apparaitre

deux grandes approches qui sont conformes à l’évolution de la carrière dans le temps :

• L’ancien modèle de carrière. La carrière est principalement construite par rapport à une
unité organisationnelle, temporelle et statutaire. Elle se construit d’une manière linéaire

selon une série d’étapes successives comme la « carrière organisationnelle » (Arthur et


Rousseau, 1996) ou la « carrière bureaucratique » (Kanter, 1989). La réussite de carrière est

évaluée selon des critères objectifs comme la rémunération, le type de poste ou le degré de

responsabilité (Judge, et al., 1997).

!18
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat

• Les nouveaux modèles de carrières. A partir des années 90, de nouvelles formes de
carrières apparaissent sous le terme de « carrière entrepreneuriale » (Kanter, 1989) ou de

« boundaryless career » (Arthur et Rousseau, 1996). La carrière se construit selon une

séquence d’opportunités accompagnée d’une mobilité du travailleur (Arthur et Rousseau,


1996). La réussite de carrière prend en compte des critères subjectifs comme la satisfaction

au travail, l’équilibre avec la vie personnelle ou l’épanouissement (Hall, 1996b).

Nous reprenons ces deux grandes approches de la carrière avant de nous attarder sur le poids de

l’entrepreneuriat dans les nouveaux modèles de carrière.

1. L’ancien modèle de carrière

La littérature soulève une première question sur la notion de carrière qui est celle de l’existence
d’une organisation sous-jacente pour pouvoir qualifier une progression professionnelle de carrière.

Une carrière peut se rapporter à « une organisation au sein de laquelle sont ouvertes des

opportunités d’ascension progressives de nombreux échelons hiérarchiques, ascension répondant à

des règles strictes et préétablies » (Lellatchitch, Mayrhoffer, 2000:4). Cette approche suppose la
présence d’une structure organisationnelle façonnant les choix professionnels et les évolutions de la

rémunération. Cette approche théorique de la carrière est caractéristique du modèle bureaucratique

de la carrière qui se développe à partir de la seconde moitié du XIXe siècle.

Les fondements intellectuels du modèle bureaucratique de la carrière peuvent être attribués à Max

Weber (Mitch et al., 2004). L’auteur développe une théorie de l’organisation bureaucratique dans

laquelle l’un des fondements concerne l’orientation de la carrière des employés (Weber, 1978). Ces
derniers sont sélectionnés sur la base de leur expertise, une tâche précise leur est attribuée par leur

hiérarchie. Selon sa théorie il est possible de construire une carrière en développant son expertise.

La division du travail permet à l’employé de changer de tâche et d’évoluer dans le système


hiérarchique. Son comportement est néanmoins encadré par des règles strictes et sa promotion obéit

à des règles d’ancienneté. La direction centralise tous les pouvoirs.

!19
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat

La fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle voient la bureaucratisation se développer avec la
concentration des entreprises. L’intégration de la chaîne de fabrication et la commercialisation dans

une même entreprise permet de maîtriser les coûts en vue de s’imposer sur un marché qui se

mondialise. Pour Chandler (1977), la production et la distribution de masse dans une même
structure posent les bases de l’entreprise moderne. Le cadre intermédiaire devient un personnage clé

dans cette organisation. Son rôle est de coordonner les ressources et de les intégrer dans

l’organisation. La propriété et la gestion de l’entreprise se séparent avec d’un côté les cadres
gestionnaires et de l’autre les cadres intermédiaires. Ces derniers peuvent évoluer plus ou moins

rapidement dans l’organisation selon leurs résultats qu’ils remontent aux cadres gestionnaires.

Au fur et à mesure que les entreprises grandissent, le contrôle et la coordination deviennent des

problèmes de plus en plus importants à gérer (Blau, 1970). Afin de résoudre ces difficultés une
solution est d’introduire dans la gestion de la carrière du personnel la mobilité géographique. Une

étude de Stovel et Savage (2006) auprès d’une grande banque britannique (Lloyd’s Bank) analyse

l’abandon au début du XXe siècle de la carrière statique au profit d’une carrière mobile. Le nouveau
modèle de carrière intègre des possibilités d’avancement (salaire et poste) plus importants que

l’ancien modèle de carrière. Mais il exige également une plus grande mobilité géographique. Ce

nouveau modèle de carrière géré par une administration centrale affecte fortement la vie des
individus. La mobilité imposée au personnel est un moyen pour l’organisation d’intégrer les

changements tout en lui permettant d’étendre son influence en rationalisant les coûts.

La mobilité est une des caractéristiques de la carrière moderne. Les déplacements de personnes dans
un objectif professionnel n’ont pourtant rien de nouveau. Mais ils étaient jusque là essentiellement à

l’initiative des personnes elles-mêmes (Moch, 1992, Whyte, 2000). Le XIXe siècle voit s’accélérer

la désindustrialisation des campagnes et la croissance des emplois non agricoles. La révolution de la

vapeur (train et navires) facilitent les déplacements en temps et en distance. L’industrialisation


rapide et la mondialisation économique conduit à la croissance rapide des entreprises qui doivent

faire évoluer leur gestion du personnel pour pouvoir être efficace. Les travailleurs - et leur famille -

se voient être déplacés d’un endroit à un autre pour servir les objectifs de l’organisation.

Toutefois la mobilité du personnel ne suffit pas à elle seule pour expliquer l’émergence des carrières

modernes (Stovel, Savage, 2006). Si ce facteur a pris de l’importance à partir de la fin du XIXe

!20
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat

siècle, il existait auparavant sous des formes variées comme les guildes de marchands,
l’administration coloniale, les compagnies maritimes, les élites ecclésiastiques (Ago, 1992) ou les

armées (Benadusi, 1994). Ce sont les travaux autour du contrat psychologique qui vont permettre

d’expliquer les comportements du personnel dans les organisations. Ils vont poser de nouveaux
ancrages théoriques pour comprendre le développement des nouvelles formes de carrières.

L’un des premiers chercheurs à évoquer cette notion fut Chris Argyris (1960). Il considère que les

salariés sont prêts à avoir une productivité accrue et des revendications moindres en échange d’une
sécurité de l’emploi et d’un salaire acceptable. Dans la même période d’autres auteurs développent

le sujet dont notamment Levinson et al. (1962) et Schein (1978). Pour eux, le contrat psychologique

suppose que la personne a une série d’attentes envers l’entreprise et inversement. Ces attentes ne

sont pas seulement relatives à la quantité de travail qui doit être fournie, mais incluent un ensemble
de droits, de privilèges et d’obligations entre le salarié et l’entreprise. Ces attentes ne sont écrites

dans aucun contrat formel, mais elles agissent comme de puissants déterminants du comportement.

C’est précisément l’anticipation de voir ces attentes satisfaites qui motivent les deux parties à
poursuivre la relation de travail

Le contrat psychologique permet d’examiner la perception subjective et dynamique des personnes

touchées directement par les changements imposés par les organisations. Rousseau (1990) suggère
que le contrat psychologique implique non seulement des ententes, mais aussi des obligations

réciproques que l’on ne retrouve pas dans un contrat formel. En effet, ces obligations que

l’organisation doit tenir ne sont pas définies par l’organisation mais par les salariés. Ces derniers
observent les actions de l’organisation et les interprètent d’une façon subjective. Ainsi, les

personnes qui s’impliquent dans l’organisation sont celles qui estiment que les obligations sont

respectées de part et d’autre.

Les bouleversements économiques du XXe siècle comme la montée du chômage, les inégalités de
revenus, les délocalisations, la primauté de la rentabilité sur l’emploi dans certaines entreprises

(Pikety, 2013) conduisent à faire évoluer le contrat psychologique (Sparrow, 1996 ; Sharpe, 2003).

Celui-ci a significativement évolué au fil des années comme indique le tableau 1.

!21
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat

Elément du contrat
Ancien contrat psychologique Nouveau contrat psychologique
psychologique

Stable, concentration sur le court


Environnement Turbulent, changements continus
terme

Respect des obligations


Paternalisme, ancienneté, sécurité
organisationnelles seulement si la
Culture d’emploi en échange de l’engagement
performance individuelle / collective
organisationnel
répond aux attentes de l’organisation

Rémunération basée sur les


Rémunération basée sur le niveau, la
Récompenses contributions individuelles /
position et le statut
collectives

Enrichissement de l’emploi,
Elément de motivation Promotion(s)
développement des compétences

Promotion(s) selon un cheminement Moins de possibilités de promotion(s),


Critères de promotion anticipé basé sur l’ancienneté et la nouveaux critères, selon le principe du
compétence technique mérite
Horizontale, comme outil de
Rare et selon les conditions de
Mobilité renouvellement de l’organisation,
l’organisation
processus de gestion

Licenciement / Emploi à vie si les attentes Salariés considérés chanceux d’avoir


organisationnelles en matière de un emploi, pas de garantie d’emploi à
ancienneté performance sont comblées vie

Conception instrumentale des salariés, Responsabilisation encouragée,


Habilitation échange de la promotion contre plus équilibre avec les responsabilités, en
de responsabilités lien avec l’innovation
Doit être mérité par la compétence et
Statut Très important, rattaché au poste
la crédibilité
Développement
personnel Respect de l’organisation Responsabilité première de l’individu
(employabilité)

Souhaitable, mais salariés davantage


Possibilité d’un niveau élevé de
Confiance attachés à leur projet ou à leur
confiance entre les parties
profession qu’à leur organisation

Tableau 1 : Eléments constitutifs du contrat psychologique (ancien/nouveau contrat psychologique)


Adapté de Sharpe, A. (2003) in Rouillard, C. Lemire, L. (2003)
!

!22
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat

Dans l’ancien contrat psychologique, l’organisation garantit la sécurité de l’emploi aux salariés en
contre-partie de leur loyauté et de leur implication au travail. Ces deniers peuvent bénéficier

d’avantages sociaux, d’un plan de formation et de promotions régulières s’ils s’investissent

pleinement dans l’entreprise. Dans le nouveau contrat psychologique les exigences de


l’organisation augmentent (plus de mobilité, compétences élargies, plus grande disponibilité) sans

que cela ne se traduise par une valorisation salariale. Le chômage de masse exerce une pression sur

les salariés qui sont considérés comme chanceux d’avoir un emploi. L’emploi n’est plus garanti à
vie. Pour maintenir leur employabilité les salariés vont développer leurs compétences dans une

perspective de développement de leur carrière. La carrière n’est plus gérée uniquement par

l’organisation mais par le salarié lui-même.

Cette évolution du contrat psychologique va conduire à faire évoluer l’ancien modèle de carrière
vers de nouveaux modèles de carrières (Dany, 2004). Il permet de comprendre les relations

d’emploi (Guerrero, 2004a, 2004b, 2005). Nous allons présenter les nouveaux modèles de carrières

en nous attardant sur la place de l’entrepreneuriat.

2. Les nouveaux modèles de carrières

Le modèle linéaire de la carrière présume que la carrière est déterminée par une relation employeur-

employé. Cependant, comme le note Kanter (1989) puis Vincent (1993), la relation d’un employé

avec une organisation n’est que l’un des nombreux cheminements de la carrière. Ces deux auteurs
sont les premiers à évoquer le terme de carrière entrepreneuriale. Pourtant ce modèle sera très peu

repris dans la littérature. Arthur et Rousseau (1996) vont populariser le terme de « boundaryless

career » qui signifie littéralement « carrière sans frontière ». En France Cadin (1999, 2000, 2003) le
traduira par « carrière nomade ». Les travaux de Cadin permettent de nuancer l’opposition entre la

carrière traditionnelle et la carrière sans frontières (Arthur, Rousseau, 1996) en éclairant des

pratiques multiples.

!23
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat

La carrière entrepreneuriale

Kanter (1989) distingue trois modèles fondamentaux de la carrière : le modèle bureaucratique, le

modèle professionnel et le modèle entrepreneurial. Sa typologie dépasse les limites d’une

organisation sans toutefois l’écarter complètement. Elle précise que « si la ressource clé dans une
carrière bureautique est la position hiérarchique, et les ressources clés dans une carrière

professionnelle sont la connaissance et la réputation, alors la ressource clé dans une carrière

entrepreneuriale est la capacité à créer de la valeur » (Kanter, 1989, p.313). Pour cet auteur, on peut
trouver des entrepreneurs dans les entreprises, notamment dans des postes commerciaux.

L’entrepreneur est vu comme un individu capable de saisir des opportunités, peu importe qu’il soit

situé dans une organisation ou en dehors. En cas de succès, le système de valorisation est davantage

caractérisé par le management de nouveaux projets que par des promotions hiérarchiques
supplémentaires. L’auteur estime que la carrière bureaucratique va décliner au profit de la carrière

professionnelle et de la carrière entrepreneuriale.

Quelques années plus tard Vincent (1993) va poursuivre les travaux de Kanter (1989). L’auteur
distingue quatre typologies de carrières. En plus des parcours professionnels basés sur l’avancement

dans une bureaucratie hiérarchique formellement définie (bureaucracy career), Vincent distingue

un modèle de carrière professionnelle basée sur une évolution non hiérarchique au sein d’un métier
(professional career). La ressource clé est la possession d’une expertise ou d’une compétence

spécifique qui va déterminer le statut au sein d’une communauté. C’est le cas par exemple des

artisans ou des professeurs. Le troisième modèle est la carrière entrepreneuriale (entrepreneurial


career) basée sur le développement d’une entreprise prospère et le développement de son système

de production. Proche de la carrière professionnelle, elle s’en distingue par l’existence d’un cycle

de production. Le quatrième modèle est la carrière dynastique (dynastic career) basée sur la

transmission d’une propriété et d’autres ressources à ses descendants.

Le modèle de la carrière entrepreneuriale sera peu développé par d’autres auteurs. Parler de carrière

entrepreneuriale ne va pas de soi en France. Comme précise le français Loïc Cadin (1999) « certes

la figure du fonctionnaire n’efface par d’autres modèles d’activités et d’autres figures telles que
celles du professionnel ou de l’entrepreneur pour reprendre les travaux de Kanter (1989). Mais elle

constitue une référence centrale et incontournable dans le normes de carrière, de statut et de

!24
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat

trajectoires professionnelles ». Par manque d’ancrage théorique sur le thème de la carrière


entrepreneuriale, nous allons à présent développer le courant qui s’est imposé dans le

développement des carrières contemporaines, à savoir la boudaryless career (Arthur et Rousseau,

1996) qui signifie littéralement « carrière sans frontière ». Cadin (1999) développera ce modèle
sous le terme de « carrière nomade ».

La carrière sans frontières (boudaryless career)

Hall (1976, 1996b) ouvre la voie des carrières sans frontières avec l’idée d’une carrière qui déborde

de l’entreprise et qui englobe les expériences de formation et de travail de la personne. Elle se

construit en fonction des besoins du travailleur et change au cours du temps et de l’environnement

économique. L’auteur parle de carrière « protéenne » en référence au dieu mythologique grec Protée
doté du pouvoir de se métamorphoser sous différentes formes (lion, serpent, léopard, cochon…). Ce

thème a été repris par Arthur (1994) qui parle de carrière « sans frontières » (boundaryless career),

notion traduite par carrière « nomade » par Cadin (1999).

Contrairement aux carrières organisationnelles qui se définissent comme la succession des

expériences au travail d’une personne à travers différents employeurs, postes et responsabilités, la

carrière sans frontière développe une conception plus discontinue où prédominent les mouvements,
les arrêts, les reprises ou les changements de trajectoires de la vie professionnelle (Arthur et

Rousseau, 1996). Elle ne se construit pas selon une série d’étapes successives et linéaires comme la

carrière organisationnelle mais davantage selon une séquence d’opportunités.

La carrière sans frontières présente des caractéristiques particulières (Sulivan, 1999 ; Sullivan,

Arthur, 2006). Elle s’effectue auprès d’employeurs différents. Elle est reconnue et valorisée à

l’extérieur de l’entreprise. Elle est encouragée et soutenue par l’appartenance à des réseaux. Et elle

rompt avec les principes d’avancement et de promotion verticale. Il n’y a donc pas une seule forme
de carrière mais différents modèles qui défient le système d’emploi traditionnel (Littleton, Arthur et

Rousseau, 2000). Sullivan (1999) relève les différences entre la carrière traditionnelle et la carrière

sans frontières dans le tableau 2.

!25
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat

La carrière sans frontières est davantage gérée par le travailleur lui-même que par son employeur.
Dans l’ancien modèle de carrière, c’est l’employeur qui propose une évolution de carrière, des

missions et des postes que l’employé peut accepter ou refuser au fur et à mesure des années qu’il va

passer dans l’entreprise. Dans une carrière sans frontières, le travailleur gère davantage son plan de
carrière selon les opportunités qu’il peut saisir dans l’entreprise et en dehors de celle-ci. Il doit alors

se former et faire évoluer ses compétences en fonction des opportunités.

Carrière traditionnelle Boundaryless career

Employabilité contre performance


Relations d’emplois Sécurité contre fidélité
et flexibilité

Frontières De l'entreprise De plusieurs entreprises

Compétences Compétences spécifiques Compétences transférables

Mesure du succès Salaire, promotion et statut Intérêt du travail

Responsabilité dans la gestion


L'organisation L'individu
de la carrière

Formation Programme formel Formation permanente

Etape Liée à l’âge Liée à l’apprentissage

Tableau 2 : Comparaison de la carrière traditionnelle et de la boundaryless career (Sullivan, 1999:479)

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Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat

La carrière nomade

Le courant de la boundaryless career est très prolifique. Mais la majorité des études ont été réalisées

sur le sol américain dans des contextes « atypiques » comme des activités culturelles (cinéma,

théâtre) (Jones, 1996 ; Defillipi et Arthur, 1996, 1998), dans le cas des professions intellectuelles
(architectes) (Jones et Lichtenstein, 2000), des biotechnologies (Eaton et Bailyn, 2000) ou à travers

l’analyse des parcours des managers travaillant dans la Silicon Valley ou à Boston (Arthur et

Rousseau, 1996 ; Saxenian, 1994). Cadin (1999) a alors voulu vérifier si la France était un terrain
propice à l’émergence des carrières nomades. Basé sur des histoires de carrières entre la France et la

Nouvelle-Zélande, il propose une typologie de parcours professionnels. Son objectif est d’apprécier

l’existence et l’importance des carrières nomades en France et de mettre de l’ordre dans les

différents types de parcours existants afin de donner une consistance concrète à la notion
de boudaryless career (Cadin et al., 2003:80-81).

Il propose cinq types de parcours professionnels. Hormis les sédentaires, c’est-à-dire les salariés au

poste stable évoluant dans une seule entreprise, et les nomades, c’est-à-dire les personnes à statut
d’indépendant (auto-emploi) ou précaire (intérimaire, saisonniers), on constate la présence des

migrants, des itinérants et des frontaliers (Cadin, 1999:80). Même si la typologie ne porte pas

spécifiquement sur un public d’entrepreneurs, l’auteur indique que les migrants s’apparentent à des
intrapreneurs et les frontaliers s’apparentent davantage à des auto-entrepreneurs. Comme le précise

le tableau 3, ces différents parcours sont gradués selon l’augmentation de la prise de risque dans la

carrière et par un éloignement croissant vis-à-vis des organisations

!27
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat

Modèle Caractéristiques

• Un seul employeur au cours de la vie professionnelle


• Succession de mobilités verticales ou horizontales dans des métiers
proches les uns des autres
Les sédentaires
• Les individus ne souhaitent pas changer d’employeur
• Les salariés désirant évoluer recherchent le succès objectif (des
responsabilités et un salaire accru)

• Un seul employeur avec un marché interne diversifié (grande entreprise,


groupe, fonction publique)
Les migrants • Existence d’un projet personnel ou sentiment d’avoir opéré une transition
professionnelle importante
• Plusieurs métiers au cours de la vie professionnelle

• Plusieurs employeurs
Les itinérants • Logique identitaire, des trajectoires professionnelles
• Logique articulée autour d’un métier, d’un secteur d’activité

• Plusieurs employeurs
• Passage par l’auto-emploi
Les frontaliers
• Logique de métier ou d’industrie
• Redéfinition de l’identité professionnelle en fonction des projets

• Des transitions importantes : plusieurs métiers, des changements


statutaires, des interruptions professionnelles importantes
• Et/ou auto-emploi
Les nomades • Sentiment d’avoir opéré une transition professionnelle importante
• Identités multiples ou redéfinitions identitaires en fonction des projets
• Recherche de succès subjectif, lequel ne correspond pas toujours au
succès objectif

Tableau 3 : Typologie des carrières nomades (Cadin et al, 2003) adapté de Cadin et al. (2000)

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Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat

L’une des conséquences de ces évolutions de la carrière est la multiplication des transitions
professionnelles au cours de la carrière du travailleur : changements de métiers, carrières disparates,

multiples formations (Riverin-Simard, 2000). Dans le cadre de cette recherche, nous nous

concentrons sur les transitions professionnelles du salariat à l’entrepreneuriat. Nous allons


notamment défendre une posture professionnelle de l’entre-deux, c’est-dire une posture où le

travailleur n’est ni totalement salarié, ni totalement entrepreneur.

3. La frontière entre le salariat et l’entrepreneuriat est de plus en plus floue

Bien que certains auteurs évoquent la fin de l’ancien modèle de carrière au profits des nouveaux
modèles de carrière (Chanlat, 1992 ; Collin et Watts, 1996 ; Hall, 1996a, 1996b ; Peiperl et Arthur,

2000 ; Gaudard, 2013), il semble plutôt que nous nous dirigions vers une coexistence des deux

grandes approches de la carrière (traditionnelle et nomade) (Sturges et al., 2002 ; Dany, 2004 ;
Alboher, 2007 ; De Larquier et Remillon, 2008 ; Hernandez et Marco, 2008 ; Falcoz, 2001, 2011 ;

Landier, Thesmar, 2015 ; Pennel, 2013, 2015) et que les transitions professionnelles se multiplient

et s’accélèrent (Littleton, Arthur, Rousseau, 2000 ; Riverin-Simard, 2000).

Les personnes n’ont pas toujours les compétences requises pour gérer eux-mêmes leur carrière et la
notion de travailleur indépendant ne peut pas convenir à n’importe qui (De Larquier et Remillon,

2008). Tout le monde n’apprécie pas de changer d’entreprise ou de se préoccuper de sa carrière et

de son employabilité (Dany, 2004). Les nouveaux modèles de carrière supposent de faire face à
l’incertitude et risquent d’entrainer du stress et de la discrimination pour celles et ceux qui ne sont

pas suffisamment flexibles ou compétents (Hirsh et Shaley, 1996 ; Nicholson, 1984 ; Nicholson et

al., 1989). Les gestionnaires des ressources humaines ne sont pas forcément prêts à faire évoluer
leurs pratiques vers plus de mobilités en dehors des frontières de leurs organisations (Falcoz, 2001).

Pourtant la carrière est moins organisationnelle qu’avant, c’est-à-dire menée dans une seule

entreprise qui la gère. Elle se développe au-delà des frontières de l’organisation. Les carrières
deviennent multiples (Littleton, Arthur, Rousseau, 2000). Le CDI à temps complet perd de son sens

car les attentes sur le marché du travail sont très variées, aussi bien du côté des entreprises que des

personnes (Pennel, 2013, 2015). Les frontières du travail se troublent, les fonctions se combinent et

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Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat

s’enchaînent. Le cumul favorisé de différents types de revenus (salariat / indépendant) en même


temps ou par intermittence renforce l’hybridation de la vie professionnelle (Riverin-Simard, 2000).

Certains secteurs d’activité sont particulièrement touchés par ce phénomène. C’est le cas des

professions intellectuelles supérieures comme les cadres des métiers du numérique, de l’édition, du
journalisme, de l’enseignement ou du marketing par exemple. Pour étudier cette mutation du travail

Diane-Gabrielle Tremblay (2003) s’est penchée sur le secteur du multimédia. Elle y découvre qu’il

est souvent difficile pour ces entreprises de s’approprier certaines compétences, malgré le fort taux
de chômage dans ce secteur. Ces entreprises sont basées sur la réalisation de projets qui s’effectuent

dans une durée limitée. Lorsque le projet est achevé, l’entreprise n’a plus besoin des compétences,

sauf si un autre projet nécessitant les mêmes compétences débute. Les compétences des travailleurs

ne sont utiles que pendant quelque temps. Il est alors plus souple pour l’entreprise d’user de contrats
de courte durée. Les travailleurs doivent tenir compte de ces nouvelles réalités du marché du travail.

Ils apprennent à maintenir leur employabilité, leur visibilité sur le marché et leur réseau.

Résultat, si ces nouvelles évolutions de la carrière sont potentiellement un formidable levier


permettant de faire appel à une main d’oeuvre temporaire pour réaliser des missions de courte

durée, elles portent aussi le risque d’une polarisation accrue du marché du travail dans certains

secteurs. Avec d’un côté les travailleurs capables de « se vendre » sur le marché du travail, de
maintenir leur qualification, mono-actif, aux revenus réguliers et ceux multi-actifs, aux revenus

aléatoires, exerçant leur activité selon plusieurs statuts. Dans ces conditions l’emploi s’affranchit

des frontières d’une seule entreprise. Cette évolution fait porter la charge de la mobilité et de
l’apprentissage sur le travailleur et non plus sur l’employeur. Le travailleur doit apprendre la gestion

de la carrière par lui-même. Dans ce contexte créer son entreprise devient une alternative de plus en

plus crédible dans l’esprit des travailleurs.

La création d’entreprise chez les salariés (et les cadres en particulier)

Si l’on s’attarde aux tendances historiques, le nombre de salariés domine largement le nombre de

non-salariés en France (Hernandez et Marco, 2008). Ces dernières années, la croissance des non-
salariés est toutefois plus rapide. Ainsi entre 2006 et 2011, hors agriculture, les effectifs des

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Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat

travailleurs non-salariés ont progressé de 26%2. Pourtant l’arbre ne doit pas cacher la forêt. Les
non-salariés ne représentent - que - 2,8 millions de personnes face aux 24 millions de salariés que

compte la France en 2015. Ce serait donc faire un raccourci un peu rapide que de dire que le salariat

est condamné à disparaître au profit du modèle du non-salariat (Gaudard, 2013).

Le nombre de salariés créateurs d’entreprise calculé par l’INSEE est connu. En 2014, il y a eu 550

774 créations d’entreprises. Les créateurs d’entreprise sont en premier lieu des salariés du privé soit

196 075 personnes (35,6%)3 . Plus précisément la population étudiée dans cette recherche est celle
des cadres. Il n’existe pas de chiffres fiables du nombre de cadres qui décident de créer leur

entreprise. La raison est assez simple, le cadre est une catégorie sociale très hétérogène. Pôle

Emploi avance le chiffre de 3% de cadres qui décident de créer leur entreprise4 . Mais il est difficile

de percevoir les frontières entre les cadres et les non-cadres. Les agents de maîtrise peuvent
également exercer des fonctions hiérarchiques de cadres, et les cadres n’encadrent pas toujours.

Le cadre est un statut spécifiquement français qui renvoie à des fonctions d’encadrement et

d’expertise. Il n’a pas d’équivalent dans d’autres pays. Nos voisins européens disposent de
terminologies différentes qui définissent cette catégorie de salariés, dirigeants, responsable d’unités

ou salariés qui assurent des fonctions d’encadrement dans les entreprises. Mais ces catégories

n’entrainent pas de reconnaissance statutaire. En Grande-Bretagne on parle de directors, managers


ou de professionnels, en Espagne de cuadros, en Italie de quadri, en Allemagne de Führungskräfte

ou de lentende Angestellte.

Ce groupe représente une réalité pour les entreprises, mais une réalité devenue hétérogène.
Différentes conventions collectives de branches concurrent à circonscrire ce qu’est un cadre

comparativement aux autres catégories de salariés mais sur des critères qui ne sont pas toujours les

mêmes. Par ailleurs, les principes distinctifs du contenu du travail du cadre par rapport au non-

2 INSEE - Emploi et revenus des indépendants - Edition 2015


3 Ces chiffres concernent la création d’entreprise ex-nihilo. Mais ils doivent être maniés avec précaution car
ils prennent en compte les réactivations d’entreprises ainsi que certains changements de statuts juridiques.
Par exemple le passage du statut de l’entreprise individuelle à une forme de société nécessite d’arrêter
l’entreprise individuelle et de créer une société, de telle sorte que selon l’INSEE il s’agit d’une création
d’entreprise alors qu’il n’en est rien.
4 Pôle Emploi - Trajectoire de cadres au chômage - Mai 2017

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Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat

cadre, à savoir le commandement et l’expertise, sont de plus en plus floues. Il n’est pas rare de voir
un salarié faire de l’encadrement sous l’un des titres de postes fourre-tout tels que chef de projet,

community manager ou chargé de mission et ne pas disposer du statut de cadre. Et inversement, un

cadre peut être cantonné à de simples missions d’exécutant.

Il y a une autre raison pour laquelle il est difficile de se baser sur les chiffres de Pôle Emploi pour

connaître le nombre de cadres qui décident de créer leur entreprise. Ils sont nombreux à ne pas

informer Pôle Emploi de leur nouvelle activité. S’ils le font, ils perdent une partie de leurs
indemnités de chômage. Pôle Emploi propose le choix entre deux solutions aux chômeurs qui

décident de créer leur entreprise. Soit ils gardent le versement mensuels de leurs indemnités, soit ils

récupèrent leurs indemnités en capital. La première solution est conseillée pour maintenir un revenu

régulier. La seconde solution est utile si la création d’entreprise nécessite un capital au démarrage.
Mais là où le bât blesse, c’est que dans l’une ou l’autre des solutions, le chômeur est perdant.

Le calcul des indemnités de chômage se base sur les revenus. Si le chômeur opte pour la première

solution, qu’il créé son entreprise et qu’il perçoit des revenus de celle-ci, il doit les déclarer à Pôle
Emploi. Un calcul se met alors en place qui conduit à réduire les indemnités de chômage. Pôle

Emploi estime que si un chômeur perçoit davantage que le montant des indemnités journalières de

chômage, cela signifie qu’il a trouvé une activité, et que par conséquent il sort des listes du
chômage. Cet argument est difficile à entendre pour un entrepreneur. La prise de risque est

importante pour lui et ses proches. Seulement 62% des créations d’entreprises perdurent au-delà de

3 ans5. Ce taux monte à 69% pour les auto-entrepreneurs.

Si le chômeur opte pour la seconde solution le montant des indemnités perçu sous forme de capital

ne correspond pas à 100% du total des allocations. Seulement 45% des allocations sont versées. Et

pas en une seule fois. Une première moitié est accordée au démarrage, une seconde moitié est

allouée 6 mois plus tard. Les 65% d’indemnités qui restent sont perdus s’il poursuit son activité,
même s’il gagne peu.

Les chômeurs sont donc nombreux à ne pas déclarer leur nouvelle d’activité et préfèrent continuer à

percevoir leurs indemnités jusqu’au bout, comme si de rien n’était. Comme le précise Christophe

5 INSEE Première - N°1595 - Mai 2016

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Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat

Bys dans l’Usine Digital6 , c’est un secret de polichinelle. Le demandeur d’emploi qui veut créer son
entreprise, pointe au Pôle Emploi comme tout le monde. Mais ils sont nombreux à cocher la case

« je suis à la recherche d’un emploi ». Il n’est pas rare que les conseillers eux-mêmes

recommandent de fonctionner de cette manière.

Le chiffre de 3% de cadres créateurs d’entreprises qu’avance le Pôle Emploi est donc à remettre à la

hausse. D’autre part, le Pôle Emploi précise que ce ne sont que des hommes. Les femmes sont-elles

absentes des résultats ? N’ont-elles pas été intégrées dans l’échantillon ? Est-ce une erreur de
statistique ? Rien n’est précisé dans leur étude. Enfin il faut aussi compter que de nombreux cadres

ne passent pas par la case Pôle Emploi pour créer leur entreprise. Il est donc difficile d’apporter un

chiffre précis du nombre de cadres créateurs d’entreprise chaque année.

4. Synthèse de la section

Nous avons vu que la gestion de la carrière est une pratique évolutive qui a donné lieu à des

conceptions multiples. Ainsi, nous sommes passés d’une conception linéaire de la carrière à une

conception plus discontinue marquée par des transitions professionnelles. Les chercheurs ont

démontré que la multiplication des transitions professionnelles dans la carrière augmente la prise de
risque du travailleur (Cadin et al., 2003), le contraint à être davantage disponible pour l’entreprise

(Hirsh et Shaley, 1996 ; Nicholson, 1984 ; Nicholson et al., 1989), rend ses revenus aléatoires

(Tremblay, 2003), renforce la réussite selon le mérite et donc augmente la pression sur ses résultats
(Rouillard, Lemire, 2003) et multiple les exigences de l’organisation à son égard (Dany, 2004 ;

Guerrero, 2005).

C’est en particulier les transitions professionnelles du salariat à l’entrepreneuriat qui nous


intéressent dans cette étude. Nous nous interrogeons sur les enjeux pour le porteur de projet et

l’accompagnement qui en découle. La section suivante va explorer le processus à l’oeuvre dans la

transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat.

6 Bys C., Connaissez-vous « Ursaaf Ventures », le fonds de ceux qui n’ont pas de fonds ?, L’Usine Digitale,
Février 2016

!33
Section 2 • La transition professionnelle : Un double processus

Nous avons vu précédemment que plusieurs travaux évoquent l’importance des phénomènes de

transitions professionnelles dans la gestion des carrières. Le cas spécifique du passage du salariat à
l’entrepreneuriat nous intéresse particulièrement car ce sont deux conceptions de la carrière assez

différentes l’une de l’autre.

Le passage du salariat à l’entrepreneuriat présente une particularité majeure. Un salarié qui change
de travail pour devenir entrepreneur est à la fois dans un processus entrepreneurial et dans un

processus de transition professionnelle. C’est un double processus qu’il convient de présenter. Nous

commençons par discuter des spécificités du processus entrepreneurial avant de nous attarder sur les

spécificités du processus de transition professionnelle. Nous clôturerons ce chapitre en présentant


nos hypothèses de travail qui seront développées dans le chapitre suivant.

1. Le processus entrepreneurial

Dans sa thèse Christian Bruyat (1993:265) définit le processus entrepreneurial selon une dynamique

en trois temps, à savoir le déclenchement du processus, la construction du projet ou le passage à


l’acte, et la phase de survie/échec/développement. Nous cherchons à savoir si ce découpage peut

être compatible ou incompatible à la transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat.

•La première phase est la réflexion. L’entrepreneuriat est considéré comme une alternative
possible au salariat. Le projet est encore flou, il s’apparente plus à un dessein qu’à un

projet. Le salarié commence à se renseigner et à être attentif aux opportunités au travers de


son tissu de relations ou des médias par exemple. Cette situation peut durer longtemps et

prend fin lorsque l’individu passe à la phase suivante ou renonce.

•La seconde phase est la construction du projet. A ce stade, le créateur réalise une étude de
marché, met au point des prototypes et développe son offre. Le créateur a souvent une

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Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
posture professionnelle hybride et un double statut. S’il est salarié, il garde son activité tout
en développant son projet en parallèle. S’il est au chômage, il continue généralement à

rechercher un emploi.

•La troisième phase est le lancement du projet. L’entreprise commence à produire et à


vendre. Les achats importants sont faits (immobilier, mobilier, travaux, etc.). Même si le

seuil de rentabilité n’est pas encore atteint et que l’entrepreneur tire de maigres revenus de
son travail, l’engagement dans l’entreprise est total. Si la personne abandonne son projet,

elle peut considérer son arrêt comme un échec.

Au début du processus entrepreneurial, la personne a des perceptions, plus ou moins floues, de ses
aspirations, de ses capacités et de ses ressources, ainsi que de son environnement. Son projet est

formulé à un instant donné, et correspond ou non à une zone de cohérence dans laquelle ses actions

sont perçues comme à la fois souhaitables et possibles. C’est dans cette zone de cohérence que le
créateur va s’engager dans un projet, car il considère qu’il a les compétences et les ressources pour

que le projet puisse aboutir sur un marché donné. C’est ce que l’auteur nomme la Configuration

Stratégique Instantanée Perçue (CSIP) comme le montre la figure 2.

!35
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat

Aspirations

Buts et
Compétences et Objectifs
ressources perçues Projets

Possibilités de
l’environnement
perçues

Figure 2 : Représentation schématique de la CSIP de l’entrepreneur (Bruyat, 2001)

L’engagement dans le processus entrepreneurial

Les projets naissent lorsque les aspirations d’une personne sont en cohérence avec ses ressources,

ses compétences et son environnement. Si une personne considère qu’elle a les compétences et les
ressources pour développer un projet ayant de bonnes chances de réussir dans un environnement

donné, alors l’idée peut passer au stade du projet. Pour que le projet d’un individu puisse prendre

forme, il est nécessaire qu’il y ait une cohérence entre ses aspirations et son projet. L’un et l’autre

doivent aller de pair. L’individu est l’acteur stratégique de son projet. Il doit savoir bien analyser le
présent mais aussi le futur. C’est à l’intersection de ces trois zones que le projet peut prendre forme.

Il y a une adéquation entre la personne et son projet.

Le modèle de CSIP est basé sur la perception par la personne de ses compétences et de ses
ressources ainsi que des possibilités de l’environnement. Comme l’indique l’auteur, la perception

!36
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
est toute relative. D’une part, elle peut varier dans le temps, et d’autre part elle peut varier d’une
personne à une autre et notamment être différente entre le créateur et son accompagnateur.

Dans le cadre de nos activités d’accompagnement à la création d’entreprise, nous pouvons

rencontrer des situations très diverses. Par exemple certains salariés bénéficient d’un congé pour
création d’entreprise7. Ce filet de sécurité est très utile en cas de retour au salariat. Nous pouvons

rencontrer des situations où le salarié a négocié une rupture conventionnelle qui lui permet de

toucher ses indemnités chômage pendant la durée du lancement de son projet. Les indemnités
peuvent être très élevées si le salarié était un cadre très bien payé. En France le plafond des

indemnités de chômage est supérieur à 6000 € (l’un des plus élevé en Europe). D’autres fois le

salarié que nous rencontrons précise qu’il quitte son poste dans le cadre d’un plan de sauvegarde

pour l’emploi. En tenant compte de son ancienneté, de son salaire ou encore de la convention
collective le montant de l’indemnité de licenciement dépasse parfois les 100 000€.

A l’inverse nous rencontrons des salariés licenciés pour faute grave. Des absences injustifiées, une

insubordination ou encore le refus d’effectuer une tâche prévue dans le contrat peuvent suffire pour
déclencher un licenciement pour faute grave. Lorsqu’elle est appliquée, la personne doit partir

immédiatement (sans préavis) et ne peut bénéficier que de ses indemnités de congés payés

(quelques milliers d’euros). D’autres fois la personne nous précise qu’elle veut partir, mais que son
employeur ne veut pas négocier de rupture conventionnelle. Ne souhaitant pas entrer dans un bras

de fer, elle décide alors de donner sa démission. La démission ne donne pas droit aux allocations

chômage et les indemnités de départ sont très faibles.

Autrement dit, certains salariés qui lancent leur entreprise peuvent être dans des situations très

inconfortables, d’autres peuvent l’être beaucoup moins. En connaissant un peu les rouages du

système, en étant bien conseillé, en disposant d’un poste rémunérateur ou en bénéficiant

d’avantages sociaux par son employeur, la transition professionnelle peut-être propice à la

7 Il permet à tout salarié justifiant d’une ancienneté d’au moins 24 mois de prendre un congé d’au moins 12
mois, destiné au lancement de son projet. Chez certains employeurs (les grands groupes principalement), les
accords collectifs poussent la durée du congé à 36 mois. Durant cette période la rémunération du salarié est
suspendue. Mais à la fin du congé, le salarié peut demander de retourner dans l’entreprise (à rémunération et
à poste de travail équivalents) ou de rompre son contrat de travail.

!37
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
construction d’un projet entrepreneurial de manière sereine. A l’inverse la situation peut entrainer
du stress, de l’inconfort, de l’urgence ou un grand désespoir.

Lorsqu’un salarié s’engage dans une démarche entrepreneuriale, sa période de réflexion peut-être

longue. Bien qu’il estime disposer des compétences et des ressources pour se lancer, que son
aspiration est forte, et que le marché peut l’accueillir, son engagement peut prendre encore du

temps. Un salarié bien payé d’une grande entreprise bénéficiant d’avantages importants, n’aura

vraisemblablement pas la même phase de réflexion, qu’un salarié au SMIC d’une petite entreprise
au bord du dépôt de bilan. Cette période de réflexion est souvent source de tensions.

« La CSIP d’un individu sera considérée comme chaude lorsqu’elle comporte des contradictions

importantes se traduisant par une insatisfaction quant à la situation actuelle occupée, et/ou du

fait de la présence dans sa zone de cohérence de projets concurrents et incompatibles. Ces

contradictions sont sources de tensions qui provoqueront des tentatives pour les réduire

(réduction des dissonances) et engendreront un changement éventuel. Comme nous l’avons vu,

elles ont pour origines des dynamiques internes et/ou externes. Chaleur de CSIP, tensions et

changements sont étroitement associés. Durant tout le processus de création, qui est pour nous

un processus de changement, la CSIP de l’entrepreneur sera chaude. La chaleur de la CSIP

provoque les tensions et le changement, mais le changement provoque (le plus souvent) en

retour des incohérences, sources de tensions, et, donc, de modifications de la CSIP ».

(1993:303-304)

C’est pourquoi prendre une photo à un instant donné de l’engagement entrepreneurial d’une
personne a ses limites. Cela ne permet pas de prendre en compte le processus de transition

professionnel que doit faire la personne pour lancer son projet. La littérature sur le processus de

transition professionnel va nous éclairer pour compléter ce gap.

!38
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
2. Le processus de transition professionnelle

L’engagement (ou non) dans un projet entrepreneurial nécessite deux conditions, être capable de

renoncer à une situation existante et accepter une situation nouvelle. Entre les deux situations, les
interrogations sont nombreuses. Pour appréhender le processus de transition nous nous appuyons

sur les travaux de William Bridges. Titulaire d’un doctorat en sociologie, il a consacré l’essentiel de

ces travaux au processus de transition que les personnes affrontent au cours de leur vie. Il est
l’auteur d’une dizaine d’ouvrage consacrés à la transition dont son principal ouvrage, Transitions :

Making Sense of Life’s Change (1980) traduit en de nombreuses langues. Nous nous appuyons sur

sa traduction française Transitions de vie : Comment s’adapter aux tournants de notre existence ?
(2014). Pour rappel, l’auteur suggère un découpage en trois phases : la séparation, la zone neutre

(appelée aussi entre-deux) et l’insertion.

• La première phase de la transition serait celle de la séparation. Pour qu’une personne


puisse prendre de nouvelles habitudes, il faut d’abord qu’elle abandonne ses habitudes

précédentes. Pour qu’un salarié puisse se lancer pleinement dans la création d’une nouvelle

entreprise, il faut d’abord quitter l’entreprise dans laquelle il est. Donner du sens au
changement permet de faciliter le passage de cette phase de renoncement.

• La seconde phase de la transition serait celle de l’entre-deux. La transition est un pont,


une zone frontalière entre deux états de plus grande stabilité. Cette phase est

particulièrement perturbante car la personne n’aurait pas totalement abandonné son

précédent cadre de référence, et n’a pas encore de nouveau cadre de référence. Cette
période est marquée par une grande incertitude, source de stress et de remise en question.

• La troisième phase de la transition serait celle de l'insertion. Elle est propice à la


création d’un nouveau cadre de référence permettant à la personne de se situer dans un

nouvel espace professionnel. Les changements liés à la transition sont intégrés et

!39
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
apparaissent aux yeux de son environnement (changement d’apparence, de comportement,
de rythme de travail). La personne a rompu avec son ancien cadre de référence.

Dans cette section nous cherchons à comprendre dans quelle mesure ce découpage peut être en
adéquation avec le processus entrepreneurial défini précédemment. Pour cela nous allons croiser le

découpage de Bridges (1980, 2014) avec plusieurs auteurs.

La première phase de la transition, la séparation

Bridges (1980, 2014) a développé une approche de la transition marquée par trois phases distinctes,

et qui commence toujours par une fin. Pour qu’un salarié puisse se lancer dans la création d’une

nouvelle entreprise, il faut d’abord quitter l’entreprise dans laquelle il est. Pour qu’il découvre de
nouvelles méthodes de travail, il faut d’abord qu’il se sépare des anciennes. Pour qu’il adopte une

nouvelle attitude professionnelle, il faut d’abord qu’il se détache de la précédente. Ce processus de

séparation est plus ou moins difficile à passer selon le facteur déclenchant la transition et les
conséquences qu’elle engendre. Ainsi, la création d’entreprise s’accompagne toujours de

changements importants, notamment si elle se situe dans un contexte de licenciement. Mais si elle

intervient dans une période de calme dans la trajectoire professionnelle, elle peut se réduire à une
simple étape sans trop d’obstacles.

Toute transition professionnelle commence par une fin. Selon Bridges (2014) pour pouvoir ouvrir

un nouveau chapitre de sa trajectoire professionnelle, il faut en avoir fermé le précédent. Il faut


notamment se détacher des personnes et des lieux que l’on affectionne ainsi que de ses anciennes

habitudes. Les multiples tensions que vit la personne dans une période de transition professionnelle

génèrent des transformations plus ou moins profondes engageant un processus de déconstruction /

reconstruction qui modifie le rapport avec son environnement (familial ou amical notamment). Les
déséquilibres sont dépassés si la personne prend conscience de la nécessité d’abandonner ses

habitudes précédentes. Le processus de transition professionnelle débute alors par un

désengagement qui permet de s’extraire d’un univers affectif et social. Objectivement cette phase de
désengagement peut intervenir à l’occasion de la signature d’une rupture conventionnelle, du

!40
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
rangement de son bureau ou encore du dernier mail de remerciement à ses collègues ou partenaires.
D’un point de vue subjectif, le désengagement prend beaucoup de temps (Bridges, 2014). Il peut

prendre des semaines, des mois ou des années. Il ne se cantonne pas seulement à la sphère

professionnelle mais modifie également les relations qu’entretient la personne avec son
environnement (famille, amis, enfants, relations professionnelles).

La distinction entre le point de vue objectif et le point de vue subjectif est également repris par

Boutinet (2013) qui précise que pour comprendre la dynamique de la vie d’adulte, il s’agit de
comprendre « comment l’adulte se soucie d’aménager pour lui ses transitions de vie, comment il

pense ses choix en termes d’itinéraires à construire, comment enfin se conjugue pour lui

l’interaction entre les évènements survenus avec leurs effets de contexte et sa propre histoire

personnelle » (2013:50). S’appuyant sur les travaux du psychiatre allemand Binswanger (1947),
l’auteur recommande d’appréhender la vie d’adulte sous une double approche. En étudiant d’une

part les événements qui constituent l’existence et organisent un curriculum et d’autre part

« l’histoire intérieure de la vie, l’histoire inobservable faite des différents retentissement que les
évènements donnés à vivre vont produire sur la propre subjectivité de l’individu » (2013:50). En

faisant référence aux phases de transition de Bridges (1980), Boutinet (2013) rappelle que

l’environnement de travail dans lequel les personnes évoluent les poussent à se renouveler
continuellement et cela se traduit par une augmentation des transitions. La mobilité objective

(changement de travail, de poste, déplacement géographique…) s’accompagne alors d’une mobilité

subjective (changement du mode de pensée, renforcement de l’autonomie, injonction à être


entrepreneur de soi-même8…). Et selon que la transition soit anticipée ou non, la personne ne

portera pas le même regard d’un point de vue subjectif. En cas de transition imposée, cela

8 Jean-Pierre Boutinet accompagné de Benoit Raveleau (2011) évoquent cette notion « d’entreteneur de soi-
même » en faisant explicitement référence au régime de l’auto-entrepreneur créé en France en 2009. Ils font
le constat que la rareté de l’offre d’emploi conduit les adultes en recherche d’insertion à vivre des parcours
de plus en plus chaotiques. La quête de l’autonomie devient une norme et met les travailleurs dans
l’obligation de se donner les moyens de gérer eux-même leur carrière. « Cet Etat anciennement providence
pousse maintenant chacune, chacun à devenir entrepreneur de soi-même, de son parcours, de sa vie en se
lançant en conséquence dans l’une ou l’autre forme d’activité de création pour affirmer ou conforter son
autonomie et pouvoir ainsi exister » (2011:20). Cette analyse est également partagée par Abdelnour (2017) à
partir d’une étude approfondie de l’auto-entrepreneur.

!41
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
s’apparente à une crise. En cas transition anticipée, la personne peut prendre ou non le temps de
construire un projet. Cette variable est visualisée dans la figure 3.

Imposée Crise

Transition
Non souhaitée Prévention
Anticipée
Souhaitée Projet / Prévision

Figure 3 : Les formes de transition dans la vie d’adulte (Schlossberg, 1994)

Que la transition soit anticipée ou non, les conséquences sur la personne ne sont pas anodines. La
transition peut modifier des habitudes, des pensées sur soi ou sur les autres ou un rôle. « Ce n’est

pas la transition en soi qui est cruciale, mais l’importance du changement qu’elle induit dans les

rôles, les relations, les habitudes et les façons de voir. Plus le changement est grand, plus son impact
est important et plus l’intégration et le dépassement de la transition prennent du temps »

Schlossberg (2005:86). C’est là une caractéristique importante de toute transition, le temps. « Le

processus d’abandon d’un ensemble de rôles, de relations, d’habitudes et de façons de penser, et

d’investissement d’un nouvel ensemble prend du temps. Pour certains, ce processus est facile et
rapide, pour d’autres, il peut prendre des années. Et beaucoup d’individus se débattent dans la

recherche de leur voie » Schlossberg (2005:87). Progressivement la personne en transition va

prendre ses distances par rapport au passé et envisager un nouveau rôle dans un mouvement de
balancement appelé « entre-deux ».

La seconde phase de la transition, l’entre-deux

Après la phase de séparation se situe un phase intermédiaire marquée par la perte d’un cadre de

référence sans disposer d’un nouveau cadre de référence. La personne se situe entre deux univers.

C’est une période d’adaptation qui peut prendre plus ou moins de temps selon les personnes. Le

!42
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
processus de transition est plus ou moins houleux selon l’importance des renoncements à faire. Le
projet qui se développe dans cette phase intermédiaire n’est pas encore abouti. L’essentiel fait

encore parti du royaume de l’imaginaire. Le projet commence à s’écrire, la personne commence à

s’aventurer au-delà de sa « zone de confort ». Mais le projet est encore essentiellement fantasmé. Le
projet appartient autant au monde du rêve que de la réalité. La personne projette son avenir au

travers de son projet. Elle imagine son futur, sa nouvelle façon de travailler. Cette phase est

marquée par un besoin réflexif, c’est-à-dire par une prise de recul sur les actions à mener.

Comme le précise Harry Levinson, professeur en psychologie de Harvard, la transition est « un

pont, une zone frontalière entre deux états de plus grande stabilité » (1978:49). La seconde étape de

la transition est particulièrement perturbante car la personne n’a pas totalement abandonné son

précédent cadre de référence, et n’a pas encore totalement de nouveau cadre de référence. Elle se
situe au beau milieu du « pont » proposé par Levinson. A ce stade le projet n’est pas encore abouti.

Cette période est marquée par une grande incertitude, potentiellement source de stress et de remise

en question. Le recours à une pratique réflexive, c’est-à-dire à une prise de recul sur ses actions,
peut alors faciliter cette étape de transition. Popularisé à partir de 1983 par Donald Schön, le

principe de la réflexivité est une aptitude permettant de reconstruire mentalement ses expériences en

vue de développer une réflexion sur ses actions. Elle peut être comparée au reflet d’un miroir. En se
regardant dans le miroir, on peut être amené à avoir une réflexion sur soi-même. Avec la

fragilisation du travail détaillée dans le chapitre précédent, la réflexivité est une pratique en fort

développement comme l’explique le psychosociologue Jean-Pierre Boutinet.

« Ces temps postmodernes de l’information et de la communication, du brouillage des

frontières, du chaos, de la complexité, de l’incertitude et des ensembles flous, tout en bousculant

certains traits des périodes précédentes, vont en accentuer d’autres. A ce titre jamais la

réflexivité issue de la modernité, qui la tient elle-même de temps plus lointains n’a occupé

autant de place qu’aujourd’hui. Aussi parler de tournant réflexif, c’est bien indiquer que cette

réflexivité est devenue en peu de temps, à partir de la mouvance des années 1970-1980, une

préoccupation dominante incontournable, donc de plus en plus partagée des pratiques sociales et

professionnelles. Une telle réflexivité est à situer à un double niveau, réflexivité vis-à-vis du

monde dans lequel nous vivons par un travail d’élucidation et de théorisation des situations

!43
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
vécues pour mieux les comprendre, réflexivité vis-à-vis de soi-même, de son expérience, de sa

pratique, de sa construction identitaire, l’identité ayant cessé d’être octroyée pour devenir une

élaboration ». (2009:09-10)

Cette démarche réflexive caractérisant cette étape d’entre-deux permet d’assimiler les changements
en amont et de préparer les changements en aval. La réflexivité conduit à la stratégie. Par le recul

engendré par la réflexivité, l’acteur peut être amené à développer une stratégie d’actions lui

permettant d’atteindre ses intentions. Le savoir nouveau engendré par le prise de recul sur ses
intentions, lui permet de prendre conscience du sens de ses actions et de les modifier. « La notion de

stratégie revêt ici sa pleine mesure puisqu’elle concilie et redéfinit objectifs et voies et moyens

compte tenu d’un environnement en mouvement, celui de l’emploi et du travail » (Mercure, 2007).

A travers une étude sur des jeunes en voie d’insertion professionnelle, Mercure permet d’éclairer
sur l’importance de la réflexivité dans les stratégies en place. Parfois, les périodes riches en

transitions, dont les résultats sont imprévisibles, sont aussi des périodes de grande incertitude (Le

Blanc & Laguerre, 1998 ; Mallet & Gaudron, 2005). Les personnes sont plus ou moins tolérantes à
l'incertitude et à l'ambivalence, si bien que ces moments sont parfois perçus comme des périodes de

stress ou de remise en question (Masdonati & Massoudi, 2012). Elles sont susceptibles la plupart du

temps de trouver dans leur entourage des ressources pour faciliter les processus de transitions, et
particulièrement pour les aider à traverser la zone d’entre-deux.

La troisième phase de la transition, l’insertion

La troisième étape d’un processus de transition est celle d’un nouveau départ. Elle est propice à la

création d’un nouveau cadre de référence permettant à la personne de se situer dans un nouvel

espace professionnel. Pour Bridges (2014) cette étape se caractérise par des changements objectifs

et subjectifs. Les changements objectifs sont assez faciles à identifier. Ils peuvent prendre la forme
d’une modification de la tenue vestimentaire (on abandonne le costume ou le tailleur), d’un

changement d’horaires (on se lève plus tôt ou plus tard), d’une modification de ses habitudes

alimentaires (on prend le temps de déjeuner ou l’inverse) ou encore d’un changement du lieu de
travail (on aménage un bureau chez soi par exemple). Les signaux subjectifs sont plus difficiles à

!44
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
percevoir, car ils sont souvent noyés dans une masse d’autres changements. Pourtant ils sont
souvent les plus importants. L’adhésion à de nouveaux réseaux, le changement de langage, les

croyances, une manière d’agir, une manière de se comporter ou une manière de se présenter sont

souvent caractéristiques de l’intégration d’un changement.

Dans cette quête de reconstruction dans le cadre d’un projet entrepreneurial, Bernard et Barbosa

(2016) font référence aux « petites victoires » essentielles pour permettre donner confiance en soi et

permettre le passage vers d’autres réalisations, plus grandes. Chaque victoire donne à la personne
en transition professionnelle l’envie d’aller au-delà, de se dépasser et de se fixer de nouveaux

objectifs. Les victoires intermédiaires sont de toutes natures, fixent des points de références dans le

temps et aident à se sentir à l’aise dans son nouvel environnement professionnel. C’est par exemple

l’obtention d’un prêt bancaire, d’une bourse, devenir lauréat d’un concours entrepreneurial, obtenir
un local commercial, être accepté dans un incubateur, etc. Toutes ces différentes réussites

s’inscrivent dans le processus de reconstruction professionnel et donnent des clés pour faire avancer

le projet. Au-delà de la réussite professionnelle c’est aussi souvent une réussites personnelle. Dans
la dynamique du processus de résilience, le travail sur l’estime de soi est fondamental (Cyrulnik et

Duval, 2006). La reconquête d’un cadre de référence porteur de réussite n’est pas seulement de

l’ordre du symbolique. Les victoires intermédiaires sont des victoires réelles, avec un résultat
tangible.

Une autre façon de faciliter les transitions est d’utiliser les rituels. Les cérémonies et les rites sont

des moyens pour aider à rompre avec le passé et vivre une nouvelle situation (Myerhoff, 1984). Les
rites marquent le passage entre un ancien rôle et un nouveau rôle et permettent à la personne de

s’élever dans un parcours de vie, un groupe ou une société (Turner, 1969). En séparant les

personnes et en insistant sur leurs différences, les rites transmettent des messages à un groupe. Ils

contribuent à maintenir un équilibre dans un groupe et à l’organiser (Douglas, 1973 ; Bourdieu,


1982). Les rites permettent également de relier des éléments contradictoires comme des groupes

opposés, des conflits sociaux ou des différences de valeurs (Bell, 1992). Le rituel est souvent

présenté comme un processus en trois étapes. Au cours de la première étape, la personne est isolée
du reste du groupe à l’occasion d’un cérémonie. La seconde étape place la personne dans un

« entre-deux » où l’utilisation des symboles est courant (anneaux, écharpes, chants, etc.). A la

!45
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
troisième étape, la personne est acceptée dans un nouveau groupe, elle est reconnue par les autres,
elle a acquis un nouveau rôle (Van Gennep, 1969 ; Myerhoff, 1984). Ainsi l’aspect formel du rite à

moins d’importance que sa signification sociologique. La transition est avant tout un processus qui

donne du sens et qui permet d’intégrer la personne à de nouveaux réseaux (Galland, 2011).

En terminant sa transition du salariat vers l’entrepreneuriat la personne va s’insérer dans une

nouvelle communauté. Dubar parle alors d’identité professionnelle pour désigner « des manières

socialement reconnues, pour les individus, de s’identifier les uns les autres, dans le champ du travail
et de l’emploi » (Dubar, 2010:95). Il rapproche sa définition de celle de Sainsaulieu (1977) qui

désigne l’identité au travail comme des « modèles culturels » ou des « logiques d’acteurs en

organisation » mais s’en distingue par son approche biographique. L’identité professionnelle de

Dubar prend en compte les trajectoires des personnes au cours de la vie au travail, ce qui en fait une
notion intéressante pour notre étude. En effet son analyse cherche à comprendre le passage d’une

vision du travail dominée par le « Nous » (sociétaire) à l’omniprésence du « Je » (biographique).

Autrement dit, il analyse les évolutions des rapports au travail qui mêlent la rationalisation d’une
organisation et les exigences des travailleurs9. Il constate que les identités « d’entreprise » ou

« catégorielle » sont dévalorisées au profit des identités « de réseau » ou « de hors travail » qui se

tournent vers la réalisation de soi et l’épanouissement personnel. Cela « suppose une individu
rationnel, mobile et autonome qui gère ses formations et ses périodes de travail selon une logique

entrepreneurial de maximisation de soi » (2010:127). Toutefois ce modèle place les individus dans

9 Les recherches de Dubar (2010) l’amènent à faire trois constats qui font écho à notre analyse dans le
chapitre précédent. A partir des années 70, le travail tend à s’intellectualiser et conduit le travailleur à gagner
en autonomie. Le travail devient porteur de sens et « un enjeu pour la reconnaissance de soi, un espace de
parole à investir (ou non) » (2010:109). Les salariés sont appelés à être créatifs pour résoudre des problèmes
et rentabiliser les investissements. C’est ce qui permet de comprendre le déferlement du modèle de la
compétence au cours de la période suivante. Les années 80 et 90 marquent le passage de l’identité
d’entreprise à la notion d’employabilité. Ce n’est plus « d’abord l’entreprise qui est responsable des
compétences de ses salariés, mais chaque salarié qui devient responsable de l’acquisition et de l’entretien de
ses propres compétences » (2010:112). A travers cette évolution majeure, le salarié doit apprendre à satisfaire
le client grâce à une relation de service. Les années 2000 s’accompagnent d’une valorisation du modèle de
l’entrepreneuriat qui sert de modèle pour personnaliser la relation client et parce qu’il s’accompagne d’une
plus forte flexibilité.

!46
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
les conditions de travail, des relations qui se délient avec certains collègues ou qui se lient
avec d’autres. La personne est à l’écoute des opportunités pour faire avancer son projet,

encore au stade de l’idée. Les contours du projet entrepreneurial ne sont pas bien délimités.

Beaucoup de questions restent encore en suspens.

• La phase B correspond à une période d’entre-deux. La personne a rompu avec certaines


habitudes professionnelles ou avec certains collègues. Le contrat de travail peut avoir
évolué (dans le cas d’un passage de temps plein à temps partiel par exemple), voire être

suspendu (dans le cas d’un congé pour création d’entreprise par exemple). Des heures

auparavant dévolues à une activité salarié sont consacrées au projet entrepreneurial. La

personne alterne entre différentes postures professionnelles (salariat, entrepreneuriat,


formation). Les doutes sont nombreux car les changements peuvent être importants. C’est

une phase marquée par du stress, de l’inconfort et une perte de repères.

• La phase C correspond à l’engagement. La personne a pris de nouvelles habitudes


professionnelles. Cela peut se traduire par un nouvel espace de travail, de nouveaux

horaires ou de nouveaux outils de travail par exemple. La personne a rompu la majorité de


ses liens avec sa précédente activité. Elle se sent désormais plus proche d’une nouvelle

communauté de travail au sein de laquelle elle peut prendre une part plus ou moins active.

La nouvelle activité est lancée et dégage éventuellement des revenus. L’engagement dans
l’activité est fort et occupe tout le temps de travail de la personne. Retourner au salariat

serait considéré comme un retour en arrière marqué par un sentiment d’échec.

Il se dégage alors trois enjeux :

• La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat place le projet au coeur d’une


trajectoire professionnelle. Le projet participe à la construction d’un futur souhaité sur la

base d’une histoire passée. La cohérence du projet dans cette trajectoire est alors

!48
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat
fondamentale. Un des rôles de l’accompagnateur serait alors de ne pas se concentrer
uniquement sur le projet, mais plutôt sur sa place dans la trajectoire professionnelle.

• Ce découpage met en évidence des moments types dans le processus de transition


professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat. Chaque phase correspond à une

problématique particulière pour la personne. Un des rôles de l’accompagnateur serait alors

d’inciter le futur créateur à passer à la phase suivante ou bien à attirer son attention sur le
fait qu’il a négligé une phase indispensable.

• Les rites ont également un rôle à jouer dans le processus de transition. Ils permettent de

marquer le passage d’un état à un autre. Ils permettent d’organiser les pratiques sociales et
de renforcer le sentiment d’appartenance ou d’exclusion à une communauté. L’inscription

dans une communauté termine le processus de transition professionnelle (avant qu’un

nouveau se mette éventuellement en place). Un des rôles de l’accompagnateur serait alors


d’aider la personne à adhérer à une communauté.

Nous pouvons désormais avancer nos trois propositions de travail :

• La première porte sur la place du projet dans la trajectoire professionnelle de la personne.


La proposition énoncée est la suivante : Le projet entrepreneurial est un moyen pour

une personne de donner du sens à sa trajectoire professionnelle. Elle peut faire appel à
un accompagnateur qui va l’aider à le mettre en récit.

• La seconde porte sur les besoins d’accompagnement de la personne. La proposition énoncée


est la suivante : Les besoins d’accompagnement sont différents selon la phase de

transition professionnelle dans laquelle s’inscrit la personne. Par conséquent

l’accompagnateur peut adapter sa démarche selon la phase du processus de transition.

!49
Chapitre I - La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat

• La troisième porte sur l’insertion de la personne dans une communauté. La proposition


énoncée est la suivante : La personne termine sa transition professionnelle en s’insérant

dans un milieu professionnel. Par conséquent l’accompagnateur peut l’aider à clôturer


sa transition en l’aidant à devenir légitime dans ce milieu professionnel.

Nous allons développer ces hypothèses dans le chapitre suivant, destiné à discuter des enjeux et des
modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat.

!50
Chapitre II
ENJEUX ET MODALITES DE
L’ACCOMPAGNEMENT DE LA
TRANSITION PROFESSIONNELLE

Après avoir délimité l’objet de notre étude dans le premier chapitre, ce deuxième chapitre sera

consacré au développement de la problématique qui est celle des enjeux et des modalités de

l’accompagnement de transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat. Nous allons étudier


successivement les trois enjeux présentés précédemment. Ils feront l’objet de développements

séparés dans trois sections successives au cours desquelles nous développerons les trois

propositions de travail.

Section 1 • Donner du sens au projet

Comme nous l’avons défini préalablement, la transition professionnelle du salariat à

l’entrepreneuriat est entendu comme un double processus entrepreneurial d’une part et de transition

professionnelle d’autre part. Notre objectif est de comprendre dans quelle mesure l’accompagnateur
peut aider à donner du sens au projet dans la trajectoire professionnelle de la personne. Nous

développons nos propos en deux sous-sections.

Pour saisir de la portée des changements vécus par la personne dans sa transition professionnelle,
nous nous appuyons notamment sur les travaux de Dubar (1991, 1998) qui suggèrent qu’une

trajectoire peut-être présentée de deux manières, objective d’une part et subjective d’autre part.

Cette combinaison semble être particulièrement importante pour saisir le sens que

l’accompagnateur donne à une trajectoire. De ce fait nous allons nous inspirer de cette approche

!51
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

pour aider la personne à donner du sens à son projet entrepreneurial dans sa trajectoire

professionnelle.

Nous allons ensuite nous appuyer sur les préconisations de plusieurs auteurs (Cuzin, Fayolle, 2004 ;

Verzat, Gaujard, François, 2010 ; Chabaud, Messeghem, Sammut, 2010) pour qui

l’accompagnement doit être adapté selon les besoins des personnes et notamment prendre en
compte une dimension psychologique. Ils s’appuient sur la dialogique personne - projet de Bruyat

(1993) qui suggère que le besoin d’accompagnement est d’autant plus élevé que les changements

vécus par la personne sont forts.

1. Le projet entrepreneurial et la définition de soi

Parce qu’elle lui semble approprié à l’étude de l’évolution du marché du travail, Dubar (1992,

1998) propose une théorie qui prend en compte les transformations des systèmes d’emploi dans la
construction de l’identité. Ce qu’il propose c’est de croiser la construction biographique et la

construction relationnelle dans une une théorie dite de « double transaction » (1992:520). Pour

l’auteur l’analyse d’une trajectoire professionnelle est confrontée à l’articulation entre deux aspects
du processus biographique.

« La trajectoire « objective » définie comme une suite de position sociales occupées durant la

vie, mesurée au moyen de catégories statistiques et condensée dans une allure

générale (montante, descendante, stable, etc.) est différente de la trajectoire « subjective »

exprimée dans des récits biographiques divers au moyen de catégories indigènes renvoyant à

des « mondes sociaux » et condensable dans des formes identitaires hétérogènes. La

confrontation de ces deux analyses est particulièrement importante pour saisir les identités

sociales comme des processus à la fois biographiques et institutionnels » (1998:73).

La reconstruction de l’histoire d’un individu se base sur des éléments objectifs (statut social,

activité professionnelle, niveau de revenu, etc.) et des éléments subjectifs (contexte, environnement,

ressenti, etc.). L’auteur suggère ainsi de combiner l’analyse objective avec la nature des situations

!52
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

rencontrées. Cette approche est intéressante à double titre pour notre étude. Elle permet d’articuler

la dimension temporelle avec la dimension spatiale.

« Une transaction « biographique « consistant à projeter des avenirs possibles en continuité ou

en rupture avec un passé reconstitué (« trajectoire »), une transaction « relationnelle » visant à

faire reconnaître ou non par les partenaires institutionnels la légitimité de ses prétentions,

compte tenu des objectifs et des moyens « politiques » de l’institution » (1992:520-521).

Ces deux transactions se combinent. Alors que la dimension biographique (subjective) renvoie à des

appartenances sociales et le sens de la trajectoire par l’individu, la dimension spatiale (objective)


renvoie à des positions revendiquées dans une institution. Ces deux transactions sont dans une

relation d’interaction : l’issue de chacune dépend de l’autre. La construction de l’avenir dépend en

partie de la place occupée par l’individu dans une institution ; et inversement la reconnaissance de
la place occupée dépend en partie de la trajectoire antérieure de l’individu.

« Mais le passé ne détermine par mécaniquement l’avenir, pas plus qu’un acteur « dominant »

ne contraint un « dominé » à des pratiques déterminées. Il existe des zones d’incertitude et des

marges de manoeuvre plus ou moins importantes qui rendent plus ou moins probables la

réussite des « politiques » institutionnelles comme la réalisation des « projets »

individuels » (1992:521).

Afin de prendre en compte la complexité d’une trajectoire, Dubar recommande de combiner une

approche objective et subjective. A une trajectoire plutôt factuelle des positions occupées dans le

temps et l’espace, peut se joindre une trajectoire plus subjective, soit celle exprimée dans les
expériences racontées. Le récit de vie permet ainsi de rendre compte de l’histoire exprimée par la

personne et de reconstruire subjectivement la définition du soi, ce que Dubar appelle l’identité

professionnelle. A partir de trois recherches collectives, l’auteur propose quatre formes identitaires
(Dubar, 1992) : l’identité d’entreprise, l’identité catégorielle, l’identité de réseau et l’identité hors

travail. La troisième (l’identité de réseau) et la quatrième forme d’identité (l’identité hors travail) se

distinguent des deux autres car le sentiment d’appartenance de la personne à son groupe d’origine

!53
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

fait défaut. Les salariés interrogés que l’auteur inscrit dans ces catégories aspirent à une promotion

sociale. Ils cherchent à développer un projet sans l’aide directe de leur groupe d’origine. Ils
s’appuient sur leur formation initiale, leur formation continue antérieure ou leur réseau pour les

aider à le mettre en oeuvre (l’identité de réseau). Lorsque les titres font défaut, que le réseau

n’existe pas ou ne peut pas être mobilisé pour l’évolution professionnelle, le risque d’exclusion ou
d’isolement dans le groupe est alors important (l’identité hors travail).

L’identité hors travail se rapproche de l’identité de l’entre-deux proposée par Alter (2012:41). Il
s’appuie sur une soixantaine d’entretiens d’entrepreneurs et de dirigeants issus de la diversité
(handicapés, minorités ethniques ou religieuses, homosexuelles) auxquels il ajoute les autodidactes
et les femmes. S’appuyant sur la figure de l’étranger de Simmel (1911) les personnes interrogées se
sont éloignées de leur milieu d’origine sans pour autant l’oublier. N’ayant pas vécu de processus
d’acculturation dans un nouveau groupe, ils ne s’y trouvent que partiellement intégrés. Leur
différence dans le groupe est une forme de socialisation autant que d’exclusion. Cette posture si elle
est acceptée et valorisée, est une force qui leur permet d’innover. La distance leur confère une
liberté de parole et une capacité d’analyse originale. Le sens qu’ils donnent à leur posture repose sur
leur capacité à intégrer des éléments nouveaux dans leur histoire, de ne pas renier leur valeurs
d’origine tout en gardant de la distance avec celles-ci. Comme l’indique Verzat (2014), le cadre
théorique d’Alter est intéressant pour expliquer la dialogique personne/projet énoncée par Bruyat
(1993). Pour Alter (dans Verzat, 2014) « un entrepreneur est nécessairement dans cette position
d’étranger. Il est obligé de faire le va-et-vient entre ce qu’il est et le regard que les autres portent sur
lui, de gérer son investissement en fonction de ce qu’il est subjectivement et non pas seulement en
fonction de ce qu’il est objectivement ». L’analyse de l’auteur donne ainsi des clés de
compréhension de la dynamique identitaire à l’oeuvre dans le processus entrepreneurial.

La reconstruction de la trajectoire selon une approche de double-transaction permet de révéler une

série de « positions successives » qui dialogue avec l’histoire de vie du sujet (Dubar, 1998). Cela

offre une clé de lecture pour appréhender notre objet de recherche, où les éléments objectifs se
conjuguent avec les éléments subjectifs. Combiner ces deux angles d’analyse se complètent pour

appréhender la complexité du phénomène entrepreneurial. Si l’analyse objective apporte des clés de

compréhension du parcours d’une personne, l’analyse subjective permet d’intégrer la diversité des

!54
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

représentations. Elle permet de cerner l’influence de certains éléments (poids de l’environnement,

perception de la situation, posture professionnelle, historique familial, relations inter-personnelles,


etc.) dans la construction du projet. A l’inverse le projet peut exercer une influence dans la

construction et l’orientation de la trajectoire professionnelle. Le recueil des récits de vie permet non

seulement de donner des informations factuelles sur les événements qui jalonnent le parcours des
porteurs de projet mais aussi de les mettre en relief, en précisant les éléments majeurs ayant eu sur

eux de fortes répercussions. Il ouvre ainsi un espace qui permet une description précise et fiable des

enchaînement de situations, d’interactions et d’actions au travers une construction dialogique


complexe (Demazière, Dubar, 1997).

Analyser une transition professionnelle suppose que l’on se tourne vers le parcours antérieur de la

personne, que l’on puisse appréhender ses expériences passées, ses mobilités antérieures, ses
influences sociales, son rapport au risque, sa manière de travailler. Chacun de ses éléments

influence l’orientation de ses choix professionnels. Ces actions vont être entremêlées et se déployer

selon certaines logiques d’action. Les équilibres (ou déséquilibres) qui peuvent se mettre en place

dans les combinaisons de trajectoires sont extrêmement nombreux et variés. C’est cette
combinaison et ce dosage qui assurent la diversité et la singularité des transitions professionnelles.

La trajectoire est un terme utilisé dans plusieurs disciplines. Voici ce que nous retenons de la

littérature.

La notion de trajectoire

Tout parcours de vie peut être considéré comme un entrecroisement de plusieurs trajectoires comme
en témoigne la figure 5. Le parcours scolaire, les emplois occupés, l’itinéraire politique, les

pratiques religieuses, les sentiments amoureux, la santé sont autant d’histoires qui composent un

parcours de vie. La liste peut être prolongée presque à l’infini selon la nature des domaines
pertinents à analyser. « Chacun de ces domaines de l’existence est caractérisé par un ensemble

d’activités et de pratiques, de rôles et d’identités sociales, et se déploie au sein de lieux, de temps et

de temporalités, de réseaux relationnels et de cadres structures spécifiques » (Herladot, 2006). En

sociologie de nombreuses définitions de la trajectoire existent. Nous retenons celle de Pierre

!55
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

Bourdieu qui la définit comme « une série de positions successivement occupées par un même

agent (ou un même groupe) dans un espace lui-même en devenir et soumis à d’incessantes
transformations » (1986:71). Pierre Mauger va aussi dans ce sens. Pour lui la trajectoire est « un

ensemble de parcours simultanés et/ou successifs dans divers cadres institutionnels, dans différents

champs de l’espace social qui sont eux-mêmes en perpétuel changement » (1995:23-24). Larousse
en donne la définition suivante « courbe décrite par un point en mouvement, par rapport à un

repère donné ». La notion de mouvement est omniprésente dans ces définitions. Elle sous-entend

une notion de trajet, donc de changement, soumis à des facteurs qui peuvent l’influencer, l’orienter
voire la courber.

Trajectoire de santé

Trajectoire familiale

Trajectoire professionnelle

Trajectoire de loisirs

Trajectoire scolaire

Figure 5 : Exemple de trajectoires biographiques qui composent un parcours de vie


!

Les trajectoires qui composent un parcours de vie s’influencent mutuellement à travers des
évènements. Le parcours de vie est fait de la rencontre et de l’interaction des différentes trajectoires

entre-elles. Le parcours de vie est donc fait, non pas de la somme de trajectoires qui se

juxtaposeraient et cumuleraient, mais de leur intégration dans une configuration d’ensemble qui est
à la fois psychique (elle relève d’une construction individuelle) et sociale (elle porte la marque des

environnements culturels et sociaux dans lesquels elle s’inscrit) (Delory-Monberger, 2009). Etudier

!56
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

la transition professionnelle du salariat vers l’entrepreneuriat suppose donc que la création

d’entreprise soit un évènement dans la trajectoire professionnelle et que par conséquent il influence
de nombreux autres domaines de l’existence. Cet aspect est fondamental car il renvoie plus

généralement aux mécanismes par lesquels un évènement initialement circonscrit dans un domaine

spécifique peut engendrer des modifications dans d’autres domaines, et finalement orienter
l’ensemble du parcours.

Pour illustrer la place du projet entrepreneurial dans une trajectoire nous allons nous appuyer sur le

récit de Jean-Baptiste Rudelle, fondateur de Critéo. L’auteur revient sur son parcours d’entrepreneur
dans un livre retraçant son histoire (2015). Il raconte longuement les évènements qui l’ont amené à

créer son entreprise. L’écriture est un moyen pour lui de se replonger dans son histoire personnelle

et de faire son auto-analyse.

La définition de soi à travers le projet entrepreneurial

Lorsqu’une personne explique son projet entrepreneurial, elle le présente généralement au travers

de sa trajectoire professionnelle. De la même manière que lorsque l’on développe son curriculum-
vitae à un entretien d’embauche, elle annonce son parcours scolaire, ses expériences

professionnelles et éventuellement ses passions. Cette manière de présenter les choses a vocation à

prouver ses compétences et à susciter l’adhésion pour son projet chez la personne qui l’écoute.
Pourtant le projet peut être introduit de multiples façons. L’une d’elles est de le mettre en

perspective avec une autre trajectoire, par exemple familiale. C’est ce que fait Jean-Baptiste

Rudelle, fondateur de Criteo, dans son livre On m’avait dit que c’était impossible paru en 2015.

« Le monde de mon père, la peinture et l’art, étaient au moins aussi étrangers au Nasdaq que

celui de ma mère. Avec un père artiste et une mère intellectuelle, je n’avais rien dans mes gènes

pour me pousser vers l’entreprenariat. Les deux objets sacrés dont la maison était bourrée

jusqu’au plafond ? Les livres et les tableaux. Tout le reste était secondaire. Même si nous ne

roulions pas sur l’or, les revenus de mon père étaient des plus fluctuants et ceux de ma mère très

modestes, j’ai eu cependant la chance d’avoir une enfance confortable qui ne manquait pas de

!57
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

capital social comme dirait Bourdieu (…). Je n’étais pas programmé pour être créateur

d’entreprise. Personne ne m’a poussé, ni même initié, loin s’en faut. Cadre d’un grand groupe

prestigieux, on pouvait trouver quelques exemples rassurants dans la famille. A commencer par

mon frère, qui a fait carrière chez IBM. Mais entrepreneur ? Pour mes parents, c’était quelque

chose de difficile à appréhender, perçu comme peu glorieux et au fond un peu vulgaire (…).

Encore sous l’influence familiale, j’ai sagement tenté l’expérience de la grande entreprise. Je

m’y suis morfondu tout de suite, suffoquant sous des ordres qui me paraissaient le plus souvent

médiocres et arbitraires (…). Le soir, en rentrant de mon boulot de salarié, je rêvassais donc à la

vie d’entrepreneur. Et, dès que j’ai pu, je me suis lancé ». (2015:18-22).

S’intéresser à la trajectoire des entrepreneurs, c’est s’interroger sur la manière dont les personnes

donnent du sens à leur vécu, dont ils se saisissent des situations, des évènements, des rencontres,

des émotions que leur projet d’entreprise leur apporte. Les trajectoires qui composent un parcours
de vie ne sont pas cloisonnées. Elles s’influencent mutuellement au travers d’évènements. Ce sont

les évènements qui créent le mouvement, et donnent de la cohérence dans l’histoire de chacun. Une

histoire personnelle ne se compose pas d’une simple juxtaposition de trajectoires mais de leurs
interactions dans une configuration d’ensemble (Bourdieu, 1986). Selon la manière dont la

personne va percevoir son histoire, elle va donner un sens à son récit.

Le philosophe Paul Ricoeur s’intéresse au récit et publie trois tomes de Temps et récit entre 1983 et
1985. A travers le récit, les événements, les rencontres ou encore les personnes sont mises en

intrigue dans le temps. Par son discours, la personne va donner un sens à son projet en le mettant en

perspective avec son vécu. Les événements sont alors transformés et réinterprétés dans un ensemble
se composant d’un début et d’une fin. Par le récit, la personne met en scène son propre personnage.

Présenter son projet au regard de sa trajectoire familiale n’est donc pas anodin. Il permet

d’expliquer les influences, les choix et la stratégie menée par l’entrepreneur. Dans le cas de Jean-

Baptiste Rudelle, l’influence familiale est forte dans son projet entrepreneurial. Sa famille est
éloignée du monde des affaires. La création d’entreprise est même perçue comme vulgaire. Le

modèle à suivre est plutôt celui du salariat de préférence dans une grande entreprise comme le choix

!58
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

qu’a fait son frère, plus rassurant. Pourtant Jean-Baptiste Rudelle a pris une voie différente. L’une

des explications qu’il donne dans son livre a malheureusement une dimension tragique.

« Je suis le petit dernier d’une famille de quatre enfants. Trois maintenant. Nicolette, ma soeur

ainée s’est noyée en mer quand elle avait quinze ans. Avec deux ans d’avance, une incroyable

facilité scolaire et surtout une personnalité hors du commun, ma soeur était de loin la plus

prometteuse de notre fratrie (..). Il reste beaucoup de zones d’ombres sur ce qui s’est vraiment

passé ce soir-là. Le seul fait à peu près établi est qu’elle a lutté toute la nuit accrochée à la coque

d’un dériveur en perdition. Au petit matin, épuisée, elle a fini par glissée dans l’eau, a priori

moins d’une heure avant qu’on ne repêche son corps (…). Ce genre de drame a bien sûr de quoi

secouer en profondeur une dynamique familiale. Ma mère, brisée, pleurait sa fille, et mon père

pleurait sa femme. Ma grande soeur et mon frère, qui avait dix-huit et vingt-ans, se sont aussi

retrouvés fragilisés en pleine ascension dans leur vie d’adulte (…). Depuis cette expérience,

plus rien ne me parait vraiment grave (…). Cela m’a peut-être permis de me lancer dans des

projets un peu fous, sans peur de l’échec et surtout sans peur du jugement d’autrui, paralysie

que j’ai souvent observée chez d’autres, pourtant plus doués et ambitieux que moi ».

(2015:18-19).

Dans le cas de Jean-Baptiste Rudelle, cet évènement familial lui a permis de changer de regard sur

la prise de risque. Petit dernier de la famille, il a appris à vivre dans l’ombre de ses frères et soeurs

qu’il juge plus doués que lui. Après une scolarité assez mouvementée, il suit les conseils de ses
parents et débute une carrière de salarié dans une grande entreprise. Mais après seulement quelques

années, il éprouve des difficultés avec la hiérarchie. Il quitte rapidement ce milieu pour se tourner

vers l’entrepreneuriat. Ses parents ne comprennent pas, mais décident quand même de le soutenir,
notamment financièrement. Après l’échec de sa première entreprise, il aurait pu s’arrêter là et

retourner définitivement dans le salariat. Ses parents avaient peut-être raison. Mais c’était sans

compter sur sa persévérance et sa force de caractère. Comme il le précise quelques pages plus loin,
« j’avais juste l’envie de partager cette expérience forte avec des proches » (2015:168). Il décide

alors de les impliquer fortement dans son entreprise.

!59
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

« Pour Critéo enfin, je suis allé encore plus loin dans cette logique. A tel point que mon père et

mon frère, qui ont mis au pot dans mon premier fiasco, ont beaucoup plaisanté sur le fait de

n’avoir été conviés que pour la faillite, et pas pour le jackpot. C’est un peu vrai. Néanmoins j’ai

appris à gérer que faire un premier tour de financement dit friends and family (amis et famille)

induit un mélange des genres pas simple à gérer. Sur Kallback ou Kiwee10, j’aurais dû traiter

mon père ou mes amis comme n’importe quel business angel. Mais ce n’était pas facile. De fait,

je leur ai donné plus de capital que pour un investisseur extérieur. Je ne voyais pas trop le

problème. Après tout, c’est plutôt sympathique de partager son aventure avec des proches. Mais,

quant il faut monter à bord d’autres talents ainsi que des financiers, cela complique les choses,

car mécaniquement il y a d’autant moins de capital disponible pour les nouveaux entrants ».

(2015:171-172).

Mettre en perspective le projet entrepreneurial dans une trajectoire professionnelle peut permettre

de rendre compte de la place du projet dans la trajectoire étudiée. Pour De Gaulejac « l’analyse

d’une trajectoire doit permettre de comprendre le passage entre la position originaire et la position
acquise » (De Gaulejac, 2016 : 307). Pour analyser une trajectoire l’auteur suggère une analyse

permettant de mettre en perspective plusieurs éléments :

• Les caractéristiques des différentes positions occupées à partir des indicateurs


socioprofessionnels (poste, niveau hiérarchique, salaire, etc.) ;

• Les principaux évènements personnels et familiaux qui ont eu une influence sur la
trajectoire (mariage, naissance, décès, etc.) ;

• Les évènements historiques et les mutations sociales qui en ont modifié le cours (évolution
de la carrière, changement de modèle social, etc.).

La reconstruction d’une trajectoire par la « mise en mot » est susceptible de renforcer la cohérence

de celle-ci dans un parcours plus global. C’est ce que décrit Delory-Monberger (2009) à travers la
« performativité biographique ». Elle précise que « c’est dans l’énonciation de soi, dans la parole

10
Kiwee est la seconde entreprise créée par Jean-Baptiste Rudelle. L’entreprise est spécialisée dans le téléchargement
de sonneries personnalisées pour téléphones portables. L’entreprise est vendue cinq and plus tard à un géant américain
de la carte de voeux pour une somme qui est restée confidentielle. Mais les investisseurs qui ont investi plus de 10 mil-
lions d’euros dans la start-up sont très satisfaits.

!60
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

tenue sur soi-même et son existence que le narrateur peut trouver le moyen de réunir son

expérience d’un espace social fractionné et en perpétuel changement et donner à cette expérience
la continuité que celui-ci n’offre plus ». La personne identifie les séquences de sa trajectoire qui lui

paraissent les plus significatives et s’interroge sur les « ruptures » ou les choix qui l’ont amené à

faire évoluer sa trajectoire. Pour l’auteure « tout le travail de la transition va consister dès lors en
confrontation-négociation-reconfiguration des images de soi, de ses capacités d’action et d’un

nouvel environnement d’inscription et d’activité sociale ». Autrement dit la personne en transition

va participer à sa propre transformation en même temps que la transformation de son


environnement. Il est important de comprendre le récit qu’elle donne de son histoire, et de la place

de son projet dans son histoire. Les travaux de l’auteure s’inscrivent dans la continuité de Ricoeur

(1983) qui montre que le récit a un sens dans la mesure où il s’inscrit dans une temporalité. Le récit
à un début, un milieu et une fin dans lequel les évènements, les actions et les personnes ont des

relations de cause à effet et contribuent à rendre cohérent l’ensemble. Or, selon que la transition est

anticipée ou non, le sens de la transition n’aura pas la même signification dans un parcours

(Schlossberg, 1984, 2004). Anticipée une transition est voulue, non-anticipée une transition est
subie. Elle peut être source d’injustice sociale, de souffrance, de perte de repères et de traumatismes

(Dejours, 1998). Aussi le rôle de l’accompagnateur est d’autant plus important dans le second cas

(Boutinet, 2007). Pour anticiper au mieux les changements à venir, l’accompagnement par une
tierce personne est requis pour éviter, ou tout du moins limiter, que la personne ne subisse l’étape

intermédiaire et que la transition ne se transforme en isolement.

2. Adapter l’accompagnement selon les besoins des personnes

Maela Paul est professeure en sciences de l’Education. Dans une conception profondément
humaniste et pluridisciplinaire, elle fait figure de référence dans le champ de l’accompagnement.

Ces écrits majeurs, L’accompagnement publié en 2004 et La démarche d’accompagnement en 2016,

permettent d’analyser les dynamiques de reconstruction (qu’elle nomme des recommencements) au

travers des trajectoires professionnelles. Elle distingue notamment l’accompagnement des autres
formes de relations existantes qui peuvent s’en rapprocher. Le terme d’accompagnement est très

utilisé dans le langage courant. Il renvoie à des réalités très diverses. Le coaching, le counselling, le

!61
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

conseil, la consultance, le tutorat, le mentoring, le compagnonnage et le sponsoring appartiennent

au champ sémantique du verbe accompagner. Pourtant certaines pratiques ne sont pas de


l’accompagnement, elles relèvent davantage du guidage.

Le guidage pose un diagnostic qui va conditionner, déterminer, figer la place de l’accompagné et de

l’accompagnateur dans la relation. Il s’agit d’une relation verticale avec un dominant et un dominé,
une position haute et une position basse. L’accompagnement envisage la relation avec le salarié

d’une manière horizontale. Cette relation asymétrique permet à l’accompagné de construire son

expérience. Le guide est celui qui facilite, qui aplanit les difficultés ou les indique parce qu’il sait,
qu’il les reconnaît et qu’il a appris comment les éviter. La mission du guide est de gérer de maitriser

les aléas en indiquant la bonne route à suivre. Il gère les imprévus, pour organiser la route de

manière à éviter les désagréments liés à l’incertitude.

Etymologiquement le mot est composé d’un préfixe et d’un suffixe ajoutés à un radical : ac/

compagn/er. Le radical (compagn) est un dérivé du mot « copain », la personne avec qui on partage

les préoccupations, avec qui on passe du temps (compagnon de voyage), avec qui on partage les

armes (compagnon d’armes) avec qui on partage sa vie (dame de compagnie). Le préfixe (ac)
désigne une direction, une finalité vers laquelle on se dirige. Le suffixe (er) désigne le processus, le

cheminement, l’action de faire quelque chose. Ces éclairages mettent en relief trois dimensions de

l’accompagnement. La dimension relationnelle où l’accompagnement est une relation à autrui. La


dimension directive où l’accompagnement tend vers une finalité. La dimension temporelle où

l’accompagnement s’entend comme un processus.

L’accompagnement à l’entrepreneuriat en période de transition professionnelle est une relation avec


une personne que l’on apprend à connaître au fur et à mesure de son parcours. L’accompagnateur

travaille à partir de la confiance en l’autre, il parie que l’autre pourra se dépasser. Accompagner un

salarié qui porte un projet entrepreneurial revient à accueillir une personne, être à ses côtés, un peu
en retrait sans jamais être au premier plan. Dans l’exercice du métier d’accompagnateur, le défi

consiste à mettre au service de l’autre ses savoirs, son expertise, son expérience et son unicité, en

s’assurant toutefois de ne jamais se substituer à cet autre, afin de lui permettre d’être le centre de la

!62
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

relation et du processus. L’accompagnateur pose les conditions dans lesquelles le salarié en

transition professionnelle va évoluer. L’accompagné va construire sa propre évolution.

Si l’accompagnateur et l’accompagné oeuvrent étroitement ensemble, ils ne se construisent pas le

même destin. Si la personne accompagnée souhaite changer de direction et abandonner son projet

ou le réorienter, ce n’est pas à l’accompagnateur de lui faire changer d’avis. Comme le précise
Michel Vial accompagné de Nicole Caparros-Mencacci « il ne s’agit ni de le précéder, ni de le

suivre, ni de lui montrer le chemin, ni de le tirer vers l’avant car on risquerait de lui indiquer notre

chemin à la place du sien » (2007:35). L’accompagnateur risquerait alors d’orienter le destin de


l’accompagné et de se rendre légitime par sa maîtrise des connaissances. Il doit plutôt s’adapter aux

évolutions de la personne accompagnée tout en maintenant un cadre dans lequel l’accompagnement

va évoluer.

La relation accompagnateur - accompagné se base sur la confiance et le respect. D’une part, la

confiance consiste à se remettre à l’autre, à s’abandonner et à s’ouvrir. Cette attitude est rendue

possible par le sentiment de connivence et de partage. Le respect commence avec la prise en

considération de l’autre et définit une conduite caractérisée par la réserve et la retenue (Paul,
2004:131). Un jeu d’influence réciproque se met alors en marche. Cette interaction, plus ou moins

durable, créée des liens affectifs ou fonctionnels. La relation oscille entre la proximité et la

distanciation. Elle constitue une relation qui s’inscrit dans le temps.

Accompagner revient à être aux côtés de quelqu’un, se joindre à lui et à ses difficultés.

L’accompagnateur ne donne pas la solution, il apporte les clés et les conseils pour que

l’accompagné chemine seul vers son autonomie. L’accompagnateur ne précède pas la personne
qu’il accompagne, il est à ses côtés, il n’est ni devant, ni derrière. C’est dans la durée que

l’accompagnement s’inscrit, l’accompagnateur va faire en sorte de devenir un compagnon. Une

distinction est alors à faire entre le chemin à parcourir et l’objectif à atteindre.

Le cheminement fait écho au parcours alors que l’objectif se focalise sur le résultat. Un

cheminement est « une lente progression, une évolution » (Larousse). Son verbe cheminer fait

référence à « évoluer, progresser, faire son chemin » (ibid.). L’objectif correspond au « but vers

lequel tend l’action de quelqu’un » (ibid.). Dans cette optique si la création d’entreprise par la

!63
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

personne accompagnée est un objectif à atteindre pour l’accompagnateur, alors sa pratique relève

davantage du guidage. Si la création d’entreprise est une finalité parmi d’autres, alors sa pratique
relève davantage de l’accompagnement. La posture de l’accompagnateur n’est pas la même.

L’accompagnement entrepreneurial : entre accompagnement et guidage

La distinction entre accompagnement et guidage se rapproche des travaux de Schmitt et Husson

(2014). Pour ces auteurs, l’accompagnement entrepreneurial doit se focaliser sur deux aspects. Le

premier porte sur la personne, le second sur le projet. L’accompagnateur doit jongler entre apporter
un soutien moral à une personne souvent empreinte aux doutes et aux incertitudes. Il doit également

savoir lui apporter une expertise technique et répondre à des questions aussi diverses que le choix

du statut juridique ou la rédaction d’un prévisionnel financier. L’accompagnateur est alors tour à
tour dans une posture de facilitateur ou de réparateur comme le présente le tableau 4.

Réparateur Facilitateur

« Je souhaite créer une Passage possible parmi d’autres


Objectif à atteindre
entreprise » possibilités à envisager

Objectif La création d’entreprise La construction de sens

Faciliter la construction de sens à


Rôle de
Faciliter la création d’entreprise partir d’une situation finale par
l’accompagnateur
rapport à une situation initiale

Modalité d’approche Résolution de problème Problématisation

Méthode Déductive Maïeutique

4 étapes : 2 étapes :
- identification - amener l’entrepreneur à se poser
Les étapes préconisées - analyse des problèmes
- solution - identifier ce que l’entrepreneur
- mise en oeuvre est en train de faire

!64
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

Lien entre observation Prépondérance de l’observation Relation forte entre l’observation


et action par rapport à l’action et l’action

Le temps est linéaire allant du Le futur et le présent interagissent


Temporalité
présent au futur de façon récursive

Place du plan d’affaires Outil de référence Un outil parmi d’autres

Par rapport au plan d’affaires à Par rapport à la nécessité de


Besoin d’information
remplir construire du sens

La réussite La faisabilité La cohérence

Elément symbolique Plan d’affaires Opportunité

Rapport aux autres Logique concurrentielle Logique partenariale

Tableau 4 : Les deux postures de l’accompagnement entrepreneurial


Schmitt, Husson (2014)
!

Cette double posture fait écho aux travaux de Michel Vial et de Nicole Caparros-Mencacci (2007)

qui distinguent l’accompagnement du guidage. L’accompagnement est de l’ordre de la rencontre

d’un autre. Il vise à l’émancipation et à l’autonomie. C’est une forme d’étayage, c’est-à-dire une
posture qui permet à la personne de résoudre seule ses problèmes. L’accompagnateur doit s’éloigner

de toute attitude de maîtrise contrairement au guidage qui est de l’orde de l’expertise. A travers le

guidage la posture est celle du sachant. la relation est verticale entre le professionnel et le porteur de
projet. L’action du professionnel vise à apporter des réponses à des questions.

La posture de l’intervenant est tour à tour dans celle du guidage et dans celle de l’accompagnement.

Cette position n’est pas facile à tenir. Pour Vial et Caparros-Mencacci (2007) les deux postures ne
sont pas compatibles, elles s’opposent. Bien qu’elles s’en défendent, on comprend rapidement que

leurs faveurs se portent sur l’accompagnement au détriment du guidage. Les auteurs estiment que le

!65
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

guidage dénature les problèmes posés, manipule les formés et écrase les problématiques. Par

opposition à l’accompagnement qui permet d’accompagner l’autre dans son projet et produit des
avancées dans la compréhension de ce qu’il fait le problème (2007:224).

« Notre travail n’est donc pas un plaidoyer pour l’accompagnement et qui dénigrerait le

guidage. On ne peut simplement pas faire les deux, en même temps, ni avec la même personne.

En revanche, un même professionnel aura la plupart du temps à jouer avec les deux dans son

emploi du temps ». (2007:230-231).

Pourtant il est inévitable qu’un porteur de projet interroge son accompagnateur sur des questions
qui demandent une réponse claire. Elles sont nombreuses et interviennent tout au long du processus

de création d’entreprise telles que comment faire mon étude de marché ?, comment construire mon

compte de résultat ? ou encore quel statut juridique dois-je choisir ? L’intervenant ne peut pas
systématiquement dire au porteur de projet de chercher par lui-même ou l’inviter à demander à

quelqu’un d’autre. En pratique il faut bien répondre à toutes ces questions, ou du moins essayer d’y

répondre du mieux que l’on peut.

L’accompagnateur d’entrepreneurs : Un seul métier, trois dimensions11

Romaric Cuzin et Alain Fayolle (2004) proposent que l’accompagnement soit adapté selon les
besoins de l’entrepreneur. Ils distinguent trois postures. L’accompagnement doit être davantage

technique lorsque le besoin d’accompagnement concerne le projet lui-même, plutôt psychologique

lorsque le porteur a besoin de coaching, plutôt globale ou méthodologique lorsqu’elle est centrée

sur la relation entre le porteur et son projet. Une étude de Caroline Verzat et de Christelle Gaujard
en 2009 auprès de porteurs de projet inscrits dans des incubateurs abonde dans ce sens.

L’accompagnateur navigue entre ces trois postures. La première posture (technique) vise à apporter

une expertise permettant de valider le profil entrepreneurial et le modèle économique. Cette


démarche d’expertise correspondant à la posture fonctionnaliste détaillée par Maela Paul s’appuie

sur une demande d’assistance et de conseil exprimée par les porteurs de projet. La seconde posture

11
Titre repris de Verzat (2009).

!66
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

(réflexive) aide à structurer la réflexion de l’accompagné, à hiérarchiser ses problèmes, à cadrer les

objectifs ou encore à préparer des rendez-vous importants. Cette posture est proche de la démarche
réflexive et critique définie par Maela Paul (2004). Elle aide à la réflexion et questionne sur

l’engagement personnel du porteur de projet et l’éventualité de rebondir sur une autre issue

professionnelle si le projet n’aboutit pas. La troisième posture (herméneutique) vise à escorter le


futur entrepreneur en lui apportant une écoute et une protection face aux incertitudes et aux aléas

que comporte la création d’entreprise. Cette posture est qualifiée d’herméneutique par Maela Paul.

Elle s’appuie sur les motivations personnelles du porteur et de l’empathie que l’accompagnateur
peut avoir pour lui.

L’année suivante, Caroline Verzat, Chrystelle Gaujard et Valérie François vont plus loin. Elles

préconisent un accompagnement des entrepreneurs adapté aux enjeux des transitions identitaires
existant entre chaque phase de vie (2010). Elles étudient quatre profils d’entrepreneurs selon leur

catégorie d’âge en s’appuyant sur les travaux de Ducheneaut, George et Orhan (1999) ainsi que sur

les travaux de Daniel Levinson (1978). Ce dernier a démontré dans un ouvrage devenu une

référence mondiale, The seasons of a man’s, qu’il existe des périodes de transition d’environ 5 ans
entrecoupées par des phases identitaires plus stables (adulte jeune, adulte d’âge moyen, adulte âgé).

Les auteurs montrent que les projets entrepreneuriaux menés lors de ces différentes transitions

identitaires mettent en avant des enjeux de redéfinition de soi spécifiques et nécessitent un dosage
adapté des postures professionnelles (fonctionnaliste, herméneutique, réflexive et critique) de la part

des accompagnateurs. Elles montrent ainsi que la finalité des structures d’accompagnement influe

sur la capacité des accompagnateurs à mobiliser correctement ces postures donc à répondre à ces
différents types de besoins.

Le choix de classer les besoins des entrepreneurs selon les classes d’âges peut être discuté. Cette

méthode de classement présente l’avantage d’être objectivement peu contestable. Par exemple si
Pierre a peu d’expérience professionnelle il sera nécessairement classé parmi les novices. Si Marie a

30 ans d’expérience professionnelle elle sera forcément classée parmi les expérimentées. En se

tenant aux recommandations des auteurs de l’étude l’accompagnement de Pierre devra s’appuyer en

grande partie sur un soutien moral (posture herméneutique). Et l’accompagnement de Marie devra
être basé principalement sur l’apport d’expertises précises (posture technique).

!67
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

Toutefois en s’appuyant sur des éléments subjectifs on peut arriver à des résultats différents. La

situation de Pierre n’est pas la même que celle de Marie. Peut-être que Pierre ne connait rien aux
études de marché, aux statut juridiques ou encore aux démarches administratives. Dans ce cas son

accompagnement vers l’entrepreneuriat devra se porter sur des éléments techniques pour lui

permettre d’avancer. Marie est peut-être une mère de famille célibataire qui doit subvenir aux
besoins de ses deux enfants. Dans ce cas il est probable que son accompagnement entrepreneurial

devra se porter sur un soutien moral pour lui permettre d’affronter la gestion d’un quotidien qui va

être bouleversé. Prendre en compte des critères subjectifs en complément des critères objectifs nous
parait indispensable pour déterminer la posture d’accompagnement la plus adaptée à chaque

situation.

Comme l’indique Brasseur (2012), étudier l’entrepreneuriat dans le parcours personnel nécessite de
prendre en compte les différentes temporalités auxquelles la personne est confrontée, et notamment

le parcours de vie et les transitions professionnelles. Connaître le passé de l’entrepreneur permet de

révéler un « homme enfermé dans le poids de son histoire et des normes sociales, peu maître, pour

ne pas dire moins, de son destin » (Brechet et al., 2009). Les recherches en entrepreneuriat montrent
un nombre toujours grandissant de modèles dominés par la compréhension du réel à partir d’une

perspective objectiviste. Le poids des modèles mentaux où la subjectivité, la relativité, la

personnalisation ainsi que la différenciation des comportements permettent d’apporter un regard


différent sur le processus entrepreneurial (Filion, 1998). Alors que la plupart des méthodes

d’accompagnement portent leur attention sur une dimension technique (Schmitt, Husson, 2014),

nous considérons que l’accompagnement de la transition du salariat à l’entrepreneuriat nécessite de


prendre en compte une dimension psychologique où le projet d’entreprise s’inscrit dans un parcours

plus global. Cette recherche interroge les perceptions des personnes sur leur transition du salariat à

l’entrepreneuriat et les besoins d’accompagnement qui en découlent.

3. Synthèse de la section

Cette section avait vocation à développer notre première hypothèse de travail consacrée à la place

du projet dans la trajectoire professionnelle de la personne. Pour rappel la proposition énoncée est la

!68
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

suivante : Le projet entrepreneurial est un moyen pour une personne de donner du sens à sa

trajectoire professionnelle. Elle peut faire appel à un accompagnateur qui va l’aider à le


mettre en récit.

Cette littérature a permis de placer le projet entrepreneurial dans la trajectoire professionnelle. Tout

parcours de vie est un entrecroisement de plusieurs trajectoires. Ces différentes trajectoires


s’influencent entre-elles à travers des évènements. Nous suggérons que la création d’entreprise est

un évènement parmi d’autres. Dans cette perspective, donner du sens à un projet entrepreneurial

suppose de le placer dans une trajectoire professionnelle qui constitue un des maillons d’un
parcours de vie. En reconstituant une trajectoire professionnelle, l’accompagnateur permettrait alors

à la personne de donner de la cohérence à son projet entrepreneurial dans une trajectoire plus

globale. Ce travail biographique semble particulièrement utile dans le cadre d’une transition
professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat. Mettre en perspective le projet dans l’histoire de la

personne permettrait de faciliter le processus de transition en identifiant plus facilement l’influence

du projet dans la trajectoire professionnelle.

Pour appuyer cette proposition, nous avons tout d’abord constaté que l’accompagnement
entrepreneurial fait appel à deux types de postures. La première est fonctionnaliste et se concentre

sur le projet, à travers des réponses à des questionnements techniques (construction du business

plan, élaboration du prévisionnel financier, choix du statut juridique, etc.). La seconde est davantage
herméneutique et se concentre sur la personne, à travers le sens que le projet apporte à la personne.

Sans négliger la posture fonctionnaliste, nous nous sommes concentrés sur le développement de la

seconde posture professionnelle. Nous avons fait le constat qu’une posture d’accompagnement
herméneutique est susceptible de faire appel à une combinaison d’éléments objectifs et subjectifs.

Pour étayer nos propos nous nous sommes appuyés sur des ancrages théoriques en sociologie.

La transition professionnelle du salariat vers l’entrepreneuriat est un double processus,


entrepreneurial d’une part et de transition professionnelle d’autre part. Ce processus se découpe en

trois phases composées d’un désengagement salarial, d’une phase d’entre-deux et d’une phase

d’engagement entrepreneurial. Nous suggérons que l’accompagnateur doit adapter sa posture

professionnelle selon la phase de transition professionnelle dans laquelle se situe la personne

!69
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

accompagnée. La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat se caractérise par le doute

et l’incertitude. Une posture d’accompagnement de type psychologique semble davantage


correspondre aux attentes de la personne accompagnée. Nous allons développer cette seconde

proposition dans la section suivante.

!70
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

Section 2 • Réduire les doutes et les incertitudes

Dans la section précédente nous avons identifié deux postures d’accompagnement.

L’accompagnement peut être envisagé selon une posture technique, c’est-à-dire celle de l’expert qui

amène à l’entrepreneur des connaissances pointues. Aujourd’hui émergent d’autres modalités

d’accompagnement, pouvant être envisagées comme complémentaires.

Dans cette section, nous nous intéresserons à la posture herméneutique permettant d’accompagner

les périodes de doutes (Paul, 2004 ; Vial, Caparros-Mencacci, 2007). Ces moments peuvent

conduire à une grosse perte de confiance, du stress et la prise de mauvaises décisions. La bonne
perception des problèmes et de leurs enjeux est altérée. Pour aider la personne à traverser ces

moments, l’environnement de la personne joue un rôle clé.

Nous avons annoncé dans le chapitre précédemment que la phase de doute est caractéristique de la
transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat. Durant ce double processus

(entrepreneurial et de transition professionnelle) la personne est en train de se séparer de son ancien

cadre de référence et n’a pas encore de nouveau cadre de référence. Afin de réduire les doutes, nous
allons nous appuyer sur une méthode issue des sciences sociales, l’autobiographie raisonnée

(Draperi, 1992, 2016).

1. Apporter un soutien moral et psychologique

Pour accompagner les entrepreneurs durant ces périodes de doutes, Patrick Valeau, préconise un

accompagnement prenant en compte une dimension psychologique (2006). Il consiste à renforcer

l’estime de soi en renvoyant aux personnes une image positive d’elles-mêmes. Cette approche
permet de relativiser les difficultés et les erreurs de parcours. L’auteur rappelle que le projet et

l’entreprise sont étroitement liés et s’inscrivent dans le projet individuel.

« Cette approche élargie de l’accompagnement peut-être rapprochée du conseil en orientation et

de certaines conceptions des bilans de compétences : il s’agit d’accompagner l’individu dans la

!71
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

maturation et le développement de son projet. Comme le soulignent Bruyat (1994), Verstraete

(1999) et Valeau (2001), le projet d’entreprise est très lié au projet individuel. Dans ce sens,

nous pensons que l’accompagnement passe par une approche plus globale de la personne

incluant son développement personnel ». (2006:39).

L’échantillon étudié par l’auteur est celui des personnes accompagnées par l’ADIE (Association

pour le Droit à l’Initiative Economique), qui prend en charge les personnes éloignées de l’emploi.

L’auteur démontre que l’efficacité de la relation avec l’accompagnateur est très liée aux difficultés

personnelles de la personne accompagnée (vie de couple ou de famille). Lorsque la stabilité de la


vie personnelle est affectée, cela semble dégrader la relation avec l’accompagnateur autant dans ses

dimensions techniques que dans ses dimensions affectives. Si ces difficultés personnelles se

combinent à une réduction des perspectives économiques du projet, l’engagement dans le projet est
remis en question.

« Le problème est que c’est précisément dans ces moments de doute, lorsque l’accompagnement

psychologique est utile, voire nécessaire, qu’il devient plus compliqué à prodiguer. La relation

entrepreneur-accompagnateur peut, en effet, suivre un cercle vicieux : plus les performances

sont mauvaises, plus les entrepreneurs doutent, plus la relation leur semble inefficace, plus elle

devient effectivement inefficace, plus les performances se détériorent. Dans ce contexte, les

accompagnateurs risquent, s’ils n’y prennent garde, d’alimenter ce processus de dégradation soit

en se remettant eux-mêmes en cause, soit en remettant en cause les entrepreneurs. ». (2006:46).

Les périodes de doutes débouchant généralement sur des décisions importantes (poursuite du projet

ou arrêt de l’activité), l’auteur suggère de proposer un accompagnement permettant de relativiser

cette période. Mettre en perspective les difficultés auxquelles est confrontée la personne avec celles
d’autres porteurs de projet est une piste intéressante. Cela renforce le caractère « normal » des

difficultés. L’auteur montre que les personnes qui ont d’autres entrepreneurs dans leur entourage

affrontent mieux les difficultés. Dans cette perspective, le mentorat semble être une pratique
d’accompagnement efficace pour faciliter les transitions professionnelles en répondant à des

besoins spécifiques de la personne accompagnée.

!72
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

Le mentorat

Il semblerait qu’une pratique d’accompagnement soit particulièrement efficace pour aider

l’entrepreneur durant les périodes de doutes et d'incertitudes. Le mentorat est une relation de

soutien, de confiance et d’accompagnement. Il défini comme une pratique qui aide une personne
accompagnée à faire des choix informels et à persévérer face aux difficultés (St-Jean, 2011 ; St-

Jean, Audet, 2012, 2013 ; St-Jean, Mathieu, 2015). Plus communément, un mentor est un terme

usuel pour désigner un conseiller, un guide, un professeur ou encore un sage. Il aide son protégé à
passer des étapes importantes.

L’origine du mot vient de la mythologie grecque. Mentor est le précepteur de Télémaque, fils

d’Ulysse. Mentor va être chargé de l’éducation de Télématique pendant l’absence d’Ulysse.


Aujourd’hui le mot est entré dans le langage courant. C’est un personnage souvent utilisé dans le

cinéma. Il accompagne le personnage principal dans sa quête et l’aide à surmonter les épreuves. Les

obstacles à franchir sont souvent ritualisés et les symboles sont très répandus. Dans la saga Star

Wars, Yoda est le mentor de Luke Skywalker. Il va l’aider à maîtriser la Force (Episode V)
symbolisé notamment par le sabre laser. Dans la trilogie Matrix, Morpheus est le mentor de Neo. Il

va l’aider à lui faire découvrir la Matrice (Episode 1). Une scène symbolise le choix à faire entre

connaître la vérité ou vivre dans le mensonge à travers une pilule bleue ou une pilule rouge. Dans
Le Seigneur des anneaux, Gandalf est le mentor de Frodon et de ses amis. Il va les aider à traverser

la Terre du Milieu pour vaincre Sauron en brûlant un anneau, représentation hautement symbolique.

Dans Harry Potter, Dumbledore est le mentor de Harry. Il va l’aider à prendre confiance en lui afin
de vaincre Voldemort. La baguette est l’un des nombreux symboles présents dans la saga.

Le mentorat est une pratique très répandue en entrepreneuriat. Il consiste à jumeler un entrepreneur

novice avec un entrepreneur expérimenté. Ce dernier lui offre des conseils et des pistes de réflexion
visant à lui éviter des erreurs coûteuses voire fatales. Plusieurs initiatives ont montré que le

mentorat est particulièrement efficace pour réduire les doutes de la personne accompagnée durant

les périodes difficiles (Saint-Jean, Jacquemin, 2012), augmente ses compétences (Radu Lefebvre,

Redien-Collot, 2013) ou renforce son auto-efficacité (Saint-Jean et Audet, 2013). L’auto-efficacité

!73
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

ne dépend pas du volume des compétences mais réside dans la conviction que telle compétence est

plus efficace qu’une autre dans telle situation (Saint-Jean, 2015). Selon l’objectif à atteindre que se
fixe la personne accompagnée, le rôle du mentor ne sera pas le même. Si la personne accompagnée

se fixe un objectif assez bas (dans le cas d’un manque de confiance en elle-même par exemple), elle

va davantage chercher à être rassurée dans ses actes. A l’inverse si ses objectifs sont élevés, elle va
davantage chercher à être stimulée (St-Jean, Radu Lefebvre, Mathieu, 2017). Les personnes qui

croient en leurs capacités perçoivent les tâches à accomplir comme des défis plutôt que comme des

menaces à accomplir. Ainsi le mentor alterne entre la ré-assurance lorsque la personne


accompagnée passe par des moments difficiles, et le challenge lorsque la personne accompagnée

doit agir en tant que compétitrice. Le mentor permet aussi de retenir une motivation excessive qui

peut conduire la personne accompagnée dans le mur. Des études ont démontré qu’un optimiste trop
intense de la part des entrepreneurs a des effets négatifs sur leur activité (Lowe, Ziedonis, 2006).

Il existe au Québec un programme de mentorat très réputé porté par la Fondation de

l’entrepreneurship. Connu sous le nom de Réseau M, il compte plus de 1500 mentors actifs et

affiche plus de 10 000 entrepreneurs accompagnés à ce jour. En France de grands réseaux nationaux
utilisent également cette forme d’accompagnement. Dominique Restino est l’un de ses pionniers.

Ancien chef d’entreprise, il est élu à la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris en 2004. Il

découvre le Réseau M lors d’une mission au Québec. Conquis par cette nouvelle forme
d’accompagnement, il créé en France l’Institut du Mentorat Entrepreneurial puis le Moovjee avec

Bénédicte Sanson en 2009. Alors que le premier réseau se focalise sur l’accompagnement

d’entreprises en croissance portées le plus souvent par des entrepreneurs expérimentés, le second se
porte sur des jeunes entrepreneurs pour la plupart encore étudiants.

Pour Bénédicte Sanson, secrétaire générale du Moovjee, la notion d’égalité est au coeur des

échanges. « On a créé une communauté où ils arrivent tous sur un pied d’égalité, autant le
plombier que la super boîte techno » (Verzat, 2017:74). Le mentor ne donne pas de leçons au jeune

entrepreneur. « Il ne peut être ni client, ni fournisseur et n’a pas le droit d’investir dans la société

qu’il accompagne » (Verzat, 2017:76). Son rôle est plutôt d’aider le jeune entrepreneur à prendre du

recul par rapport aux conseils prodigués par des experts.

!74
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

« Ensuite il pourra aider le jeune à mettre ces conseils en perspective compte tenu de son

parcours que l’expert n’a pas le temps d’écouter. Il va réfléchir avec lui aux implications dans

son cas personnel. Le but est que le jeune garde son cap, qu’il se sente bien dans la voie qu’il

aura lui-même choisi. Parce que c’est très difficile de ne pas se laisser influencer par les conseils

d’un expert quand on est jeune ». (Verzat, 2017:76).

Le processus mentoral se déploie sur trois phases (Houde, 1991:129) avec un commencement, un
déroulement et un dénouement. C’est dans la première que s’instaure la relation de confiance. La

relation est souvent déséquilibrée avec un mentor qui prodigue son expérience à une personne qui

l’écoute. La seconde phase est synonyme de changements (de regards, d’attitudes, de compétences).
La relation se trouve modifiée tendant vers une relation davantage équilibrée entre le mentor et

l’accompagné. La troisième phase signe la fin de la relation. L’objectif est que le protégé puisse

voler de ses propres ailes. Pour l’auteure le mentorat joue un rôle central dans les phénomènes de

transitions professionnelles, notamment en raison de cette dynamique. Contrairement à la posture


de l’expert qui va se focaliser sur un résultat, le mentor a pour rôle d’aider la personne

accompagnée à trouver elle-mêmes des solutions à ses propres problèmes, et éventuellement

changer de voie professionnelle.

Le mentorat peut conduire la personne accompagnée à s’orienter vers une carrière salariée plutôt

qu’entrepreneuriale (Saint-Jean, Mathieu, 2015). Pour arriver à cette conclusion, l’auteur s’appuie

sur la théorie de la carrière cognitive sociale (SCCT) (Lent, Brown, Hackett, 2002) et notamment
du rôle central que joue l’auto-efficacité dans cette théorie (Lent et al., 2002). Puisqu’il a été

démontré que le développement de l’auto-efficacité chez les salariés contribue à augmenter leur

intention de rester dans leur profession (McNatt, Judge, 2008), l’auteur s’interroge s’il n’en est pas
de même pour les entrepreneurs. Son étude porte sur 360 participants (mentors et mentorés)

membres de la Fondation de l’entrepreneurship (Québec). Les résultats indiquent que le mentorat

augmente effectivement la satisfaction au travail de la personne accompagnée, mais réduit son

intention de poursuivre sa carrière d’entrepreneur. En effet le mentorat permet d’augmenter le


sentiment d’auto-efficacité, renforce la confiance en soi et développe les compétences de la

!75
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

personne accompagnée. Ces bénéfices peuvent la conduire à se dire qu’elle aurait davantage de

succès dans une carrière salariée. Rappelons que le mentorat permet de travailler avant tout sur
l’épanouissement et la réussite professionnelle de la personne accompagnée plutôt que sur la

réussite commerciale et financière de son projet. Dans le modèle d’accompagnement tel qu’il est

promu par la Fondation de l’entrepreneuriat, le mentor ne doit pas avoir d’intérêt dans le projet du
mentoré (financier, commercial, juridique…), il ne doit pas trouver des solutions à la place du

mentoré mais plutôt être à ses côtés afin de l’aider à trouver suffisamment de ressources pour

surmonter les difficultés. Si à l’issu de l’accompagnement, le mentoré estime avoir une chance
limitée de succès dans son projet mais qu’il a renforcé ses compétences, son estime et sa confiance

en soi, il n’est pas surprenant qu’il opte pour une carrière salariée s’il l’a perçoit comme étant plus

bénéfique à sa réussite.

En résumé, le mentorat exerce trois fonctions principales envers son protégé (Saint-Jean, 2011). La

première est reliée à la carrière. Le mentor est un facilitateur pour permettre l’intégration de son

protégé dans certains réseaux, pour lui apporter des informations utiles, le confronter à ses idées ou

l’aider à résoudre des problèmes. La seconde fonction est psychologique. Le mentor aide son
protégé à prendre du recul, le sécurise dans des moments difficiles, l’encourage et devient parfois

un confident. La troisième fonction porte sur le modèle de rôle. Le mentor devient une source

d’inspiration et de comparaison pour la personne accompagnée.

Les modèles de rôles

La théorie de la comparaison sociale (Festinger, 1954) suggère que les personnes ont tendance à se
comparer les unes aux autres pour évaluer leurs propres compétences et opinions. Plus les

personnes auxquelles elles se comparent se rapprochent d’un modèle de rôle, plus l’impact de la

comparaison est forte (Bandura, 1977). La comparaison peut s’effectuer à travers l’âge, le genre ou
encore l’expérience professionnelle (Wheeler, Petty et Bizer, 2005) ou encore les valeurs et les

objectifs (Filstad, 2004).

Plusieurs auteurs ont démontré que les modèles de rôles ont un rôle central dans le choix d’une

carrière entrepreneuriale (Bosma et al., 2011 ; Douglas et Sheperd, 2001 ; Gibson, 2004 ;

!76
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

Kirkwood, 2007). L’exposition répétée à des modèles de rôles contribue à développer un

comportement positif (Scott, Twomey, 1988). La comparaison à des modèles de rôles permet de
développer des attentes similaires dans des contextes similaires (Wood et Bandura, 1989). Cela

renforce le sentiment d’auto-efficacité, c’est-à-dire la croyance en ses propres capacités pour

accomplir avec succès une certaine action en vue d’atteindre un certain objectif (Radu, Loué, 2007,
2012). Plusieurs expérimentations ont été menées auprès de 276 étudiants en école de commerce.

Les résultats révèlent que l’exposition à des modèles d’entrepreneurs qu’ils soient de réussite ou

d’échec, impactent significativement l’intention d’entreprendre des étudiants (Laviolette, Radu-


Lefebvre, Brunel, 2012). Les résultats démontrent aussi que plus l’estime de soi et l’expérience

antérieure sont élevées et moins le récepteur est touché par le message véhiculé par le modèle de

rôle. Ainsi les personnes ayant une forte estime d’elle-même et une croyance en leur capacité à
maîtriser leur avenir sont moins influencées par les modèles externe. A l’inverse les personnes ayant

une faible estime d’elle-même et une plus faible expérience sont plus influencées par les modèles

externes (Brunel, Laviolette, Radu-Lefebvre, 2017).

Avoir déjà l’expérience entrepreneuriale aide à développer des routines qui facilitent le
(re)engagement entrepreneurial (Ouellette et Wood, 1998). L’exposition à des modèles de rôles

génère des émotions qui peuvent aider les personnes à faire face au stress et à l’anxiété (Boyd et

Vozikis, 1994). Les doutes s’en trouve par conséquent réduits. Connaître un entrepreneur qui a
connu des moments de doutes permet de relativiser les difficultés et les erreurs de parcours (Valeau,

2006, 2012). Il existe ainsi un lien direct entre l’expérience passée, les modèles de rôles et

l’engagement entrepreneurial (Bandura et al., 2001).

L’entourage du porteur de projet (famille, amis, proches)

Dans les moments de doute, il peut être utile d’éclairer le chemin à parcourir. Comme un voyageur
perdu au milieu de la nuit, des lumières parsemées ici et là sur son chemin peuvent l’aider à ne pas

faire demi-tour. Pour le sociologue Norbert Alter il faut croire à la bienveillance des autres12 qui

apportent un soutien désintéressé aux porteurs de projets (2012:175-186). Ils peuvent être issus de

12
Le terme de « fées » sera utilisé par la suite (Verzat, 2014)

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Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

leur entourage qui vont agir par amour ou par amitié (conjoint, parents, enfants, professeur, etc.). Ils

peuvent être également des inconnus qui vont se satisfaire d’aider autrui (policier, passant,
voyageur, voisin, etc.). Leur geste n’est pas contraint par les coutumes ou par les normes

dominantes.

L’auteur mobilise ce concept dans le cadre d’une étude sur les patrons atypiques (handicapés,
homosexuels, immigrés, etc.). S’ils ont réussi à devenir entrepreneurs c’est parce qu’ils ont su créer

des liens, devenir des passeurs entre leurs univers professionnels et personnels. Les « fées » sont

souvent des proches (parents, conjoint, professeur) qui ont envers la personne en transition une
posture bienveillante et de main-tendue. L’échange de ces personnes est basé sur du donnant-

donnant. A donne à B qui, en retour donne à C, etc. « Pour eux, de telles choses ont tant de valeur

qu’ils donnent à leur tour ce qu’ils ont reçu, de préférence à des gens qui en ont plus besoin que
d’autres. De ce point de vue, on dit souvent qu’ils ont une fibre sociale ». Ils permettent à la

personne en transition de mobiliser plus facilement ses ressources, techniques, économiques ou

humaines pour réussir à entrer dans une nouvelle phase de sa vie. Les « fées » permettent de

qualifier les actions de soutien et de protection d’individus croisant la trajectoire des porteurs de
projets. Ces relations sont souvent entretenues par des personnes qui acceptent de se libérer de leur

rôle pour accompagner une personne afin de lui éclairer le chemin. C’est par exemple l’épouse d’un

entrepreneur qui, pour faire vivre le foyer pendant des années difficiles, va accepter un travail
contraignant. C’est le professeur de karaté qui va lui faire rencontrer des gens qui comptent. C’est

un ami qui va l’héberger pendant que son logement est loué pour qu’il puisse se faire un peu

d’argent.

Proche du concept d’Alter (2014), Bernard et Barbosa (2016) mentionnent l’importance des tuteurs

de résilience qui aident la personne dans sa transition professionnelle. « La notion de tuteur de

résilience renvoie à celle de soutien social, de main tendue, de bienveillance, de lien social ». La
personne a besoin de « nourritures affectives » (Cyrulnik, 2000) pour l’aider à s’engager dans une

nouvelle phase de sa vie. Les tuteurs de résilience sont donc tout naturellement constitués d’abord

des membres de la famille, ceux avec qui la personne développe un lien affectif fort. Il s’agit des

personnes qui connaissent les points forts mais aussi les faiblesses du futur entrepreneur. Ce rôle de
bienveillance est également identifié par Cusin (2012) dans ses travaux portant sur les conseillers en

!78
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

bilan de compétences. Le conseiller aide incontestablement le bénéficiaire à reprendre confiance en

lui et à élaborer une feuille de route dans son processus de transition professionnelle. En revanche il
a plus de difficultés à favoriser un apprentissage par l’échec en raison de sa posture de neutralité

bienveillante et de non jugement.

Synthèse

Les mentors, les modèles ou les fées aident l’entrepreneur à passer les moments de doute. Ces relais

contribuent à donner des points de repères aux porteurs de projet. Ils critiquent et remettent en
question. Ils sont des soutiens utiles en cas d’erreurs et d’incertitudes. Ils aident le porteur de projet

à sortir d’une situation passive et l’amener à se débrouiller par lui-même. Ces soutiens consistent à

occuper la fonction de « passeur ». Ils permettent au porteur de projet de passer d’une rive à une
autre. Ils contribuent à la transmission d’une histoire, d’une vision ou de pratiques. Leurs rôles

permettent de faciliter l’adaptation d’une personne à un nouveau cadre de référence et à favoriser

son épanouissement. Ces soutiens font d’eux des partenaires transitionnels. La personne

accompagnée peut parler de ce qui la préoccupe réellement sans appréhender sanctions, promotions
ou récompenses. Par empathie et soutien, ils favorisent le développement des apprentissages

nécessaires pour surmonter les obstacles de la période de transition. Ils constituent des moyens

efficaces pour transmettre des valeurs, des attitudes et des repères.

Mais ils ne sont pas toujours efficaces pour provoquer un changement profond. Leur pouvoir

persuasif peut être limité et ils peuvent être démunis face aux questionnements existentiels de

l’entrepreneur. Leur intervention peut être contre productive s’ils adoptent une posture d’expert
alors que la demande de l’entrepreneur relève de l’émotionnel. L’accompagnateur est rarement

formé à gérer la charge émotionnelle que provoque le développement d’un projet. Il peut se sentir

dépourvu lorsqu’il s’agit d’aider le porteur de projet en période de doute. La plupart des méthodes
d’accompagnement répondent à des questionnements techniques, elles participent avant tout à la

rationalisation de l’action plutôt qu’à sa conception (Schmitt, 2017). L’accompagnateur apparaît

souvent comme un réparateur, il se concentre sur une posture d’expert. Il semble que ce soit

davantage une posture de facilitateur qui aide à réduire le doute lorsqu’il touche à la dimension

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Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

émotionnelle ou psychologique. L’autobiographie raisonnée est une méthode qui va dans ce sens.

Elle n’a encore jamais été présentée dans le cadre d’un accompagnement d’entrepreneur.

2. L’autobiographie raisonnée

L’autobiographie raisonnée a été conçue par le sociologue Henri Desroche au cours des années 70

dont les trois tomes d’Apprentissage expriment l’essentiel13. Bien que Desroche soit considéré à

juste titre comme le père fondateur de la démarche, il n’a jamais pris la peine de la transmettre au

cours de sa carrière. Cette technique d’entretien est utilisée dans les formations du Centre
d’Economie Sociale (CESTES) sous la direction de Jean-Francois Draperi au CNAM. Depuis elle

est reprise et adaptée par de nombreux professionnels de l’éducation des adultes.

L’autobiographie raisonnée permet de tisser des liens dans l’histoire de la personne en vue de
l’aider à construire son avenir. Comme le formule Jean-François Draperi (2016:43) « L’objectif de

l’entretien autobiographique est de permettre à une personne de faire un bilan de son parcours

professionnel, social et de formation, en vue de vérifier la pertinence d’un projet d’activité, de


formation ou de recherche, en analysant de quelle façon ce projet s’enracine dans son expérience

antérieure ». L’entretien se réalise entre deux et quatre heures.

Le lieu de l’entretien est important. Il doit permettre une expression libre pour la personne - projet
et favoriser une posture de recherche orientée uniquement vers les faits pour la personne -

ressource. « Idéalement il s’agit d’un lieu neutre pour les deux personnes. Sont particulièrement à

éviter le lieu de travail et le lieu de vie » (Draperi, 2016). Ces deux lieux peuvent comporter des

éléments affectifs qui peuvent orienter le discours de la personne - ressource. Par exemple un salarié
en conflit avec son employeur sera davantage enclin à évoquer les origines de ce conflit et donc sa

motivation à entreprendre dans un autre endroit que son lieu de travail. Tout comme une femme

ayant subi la perte de son mari ne souhaitera pas aborder son parcours de vie dans un lieu de vie
rempli d’émotions.

13 Desroche, H. (1971), « Apprentissage 1, sciences sociales et éducation permanente », Les Editions Ouvrières ; Des-
roche, H. (1978), « Apprentissage 2, éducation permanente et créativités solidaires : Lettres ouvertes sur une utopie hors
les murs », Les Editions Ouvrières ; Desroche, H. (1990), « Apprentissage 3, entreprendre d’apprendre : D’une autobio-
graphie raisonnée aux projets d’une recherche-action, Les Editions Ouvrières

!80
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

L’entretien met en scène deux personnes, l’accompagnateur (personne-ressource) et l’accompagné

(personne-projet). Il se déroule en trois étapes. D’abord l’entretien est exercé en binôme. Ensuite le
parcours est rédigé en solitaire par la personne-projet. Enfin la présentation de son parcours et la

discussion autour des fils conducteurs est pratiquée en petit groupe.

Le premier entretien permet à l’accompagné de présenter son parcours. C’est un exercice de


remémoration des principales étapes et des moments décisifs d’un parcours de vie (formation,

embauche, voyage, bénévolat, etc.). L’accompagnateur écoute et prend des notes. Il peut s’aider

d’un support papier appelé bioscopie (tableau 5). Ce support se compose de cinq colonnes. La
première permet de noter les dates. Les quatre autres permettent de réunir les informations relatives

aux études formelles, aux études non formelles, aux activités sociales et aux activités

professionnelles. Il s’agit pour l’accompagné d’exprimer des faits éducatifs et sociaux et non des
sentiments.

!81
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

Nom Prénom Situation matrimoniale Adresse


Date et lieu de naissance Profession
Profession des parents Enfants
Place dans la fratrie

Formations Formations non Activités Activités profes-


Années
formelles formelles sociales sionnelles
Etudes primaires Formations dans Activités Périodes
le domaine associatives : d’apprentissage
Etudes secondaires artistique, sport, art,
terminées ou non sportif, du culture, activités Jobs d’été, petits
développement caritatives… boulots
Etudes supérieures personnel, en
interrompues ou lien avec un Engagement Emplois et postes
non loisir politique, occupés
syndicaliste,
Reprises d’études Formations mutualiste Responsabilités
secondaires ou suivies dans un exercées
supérieures cadre associatif Militantisme
ou culturel Toutes activités
Formations Responsabilité professionnelles
techniques Divers associative (déclarées ou
séminaires de non)
Formations formation Voyages et
professionnelles expériences Périodes sans
diplômantes Savoirs acquis interculturelles emploi, années
dans le cadre sabbatiques
Formation continue d’un engagement Séjours
syndical, linguistiques
Formation en ligne politique, de
mouvements de Hobby, passion :
Diplômes obtenus jeunes jardinage,
ou niveau d’études décoration,
Apprentissages couture,
autodidactes modélisme,
cuisine, etc.

!82
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

Formations Formations non Activités Activités profes-


Années
formelles formelles sociales sionnelles

Expertise acquise Participation à


dans un domaine un projet
particulier : collectif
animaux,
histoire, timbres Implication dans
la vie de quartier
Connaissances
reléguées hors Création dans
des « circuits un domaine ou
officiels » : un autre
astrologie, tarot,
magnétisme,
médecine
naturelle…

Formations « sur
le tas »

Voyages d’études

Colloques,
congrès

Cours par
correspondance

Lectures
spécialisées

Tableau 5 : Bioscopie
Adapté de Desroche (1990:54)
!

!83
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

Le cadrage chronologique ligne par ligne et le système de colonnes ne laissent pas de place à la

transcription des commentaires que ne manque pas de faire la personne accompagnée. C’est
l’information brute qui est privilégiée, c’est-à-dire l’inscription dans le temps, et non

l’interprétation. Il ne s’agit pas d’expliquer les raisons qui poussent la personne à faire tel ou tel

choix mais plutôt de procéder à un inventaire exhaustif de son activité dans le champ éducatif,
social et professionnel pour y repérer, discerner, corréler propensions, virtualités, potentiels,

compétences, voire cumuls et accumulations, propices à la passion pour entreprendre. Le début de

l’entretien se concentre généralement sur la première colonne (formations formelles) et sur la


dernière colonne (activités professionnelles). L’autobiographie raisonnée permet néanmoins de se

pencher sur les autres aspects de la vie sociale comme le précise Jean-François Draperi « Il arrive

qu’au bout de quinze ou vingt minutes, l’entretien semble presque terminé. En fait, il ne
commencera véritablement que lorsque la personne-projet évoquera ce qu’elle a fait à l’extérieur de

l’école à l’époque des classes élémentaires ou secondaires : quelles activités associatives, sportives,

artistiques, collectives, quels stages, expériences de travail, voyages… » (2016:59). Ce sont souvent

ces activités sociales qui vont permettre de tisser des liens dans le parcours de vie de la personne.

A la fin de l’entretien, l’accompagnateur aide à tisser des fils conducteurs. En lecture verticale les

grands thèmes sont repris en suivant l’historicité. En lecture horizontale cela permet d’identifier des

évènements marquants ayant eu des répercussions sur plusieurs sphères sociales ou sur plusieurs
années. Une situation, une personne ou un lieu peuvent avoir une influence dans le parcours. Cela

peut être une activité exercée plus ou moins régulièrement.

Une fois l’entretien terminé, le support papier est remis à l’accompagné afin qu’il rédige une notice
de parcours. C’est un document écrit permettant de comprendre la cohérence du parcours. Elle peut

suivre un ordre chronologique ou thématique.

Deux ou trois mois plus tard, l’accompagné restitue oralement sa notice de parcours à un petit
groupe. Les membres du groupe ont tous rédigé leur propre notice. Soumettre son parcours et le

sens qu’on lui donne à autrui doit être anticipé. La personne peut ne pas délivrer tout ce qu’il a

découvert lors de l’entretien. Les croisements de regards dans un esprit de bienveillance permettent

d’apporter de nouvelles clés de compréhension.

!84
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

Tisser des fils conducteurs

L’autobiographie raisonnée permet de tisser des liens entre les activités sociales, sportives,
culturelles, économiques que la personne - projet a effectuées auparavant. L’exercice permet de se

rappeler le plus précisément possible de ces activités. Cette remémoration permet de ressaisir

l’essentiel de sa vie sociale. Elle met au jour une cohérence sociale dans le parcours de la personne.
Elle donne ainsi accès à la compréhension des ressorts de sa propre vie sur les plans de l’orientation

scolaire, de la vie professionnelle et des activités sociales. Enfin, elle fait ressortir des compétences

autres que scolaires et professionnelles. Alors qu’un entretien professionnel favorise l’expression
des formations formelles (diplômes, certificats, etc.) et des activités professionnelles (emplois,

activités indépendantes, etc.), cette technique permet de valoriser les formations non formelles

(effectuées en dehors de tout cadre académique et/ou non sanctionnées par une reconnaissance
officielle) et les activités sociales (associations, clubs, etc.).

Le rôle de la personne - ressource est de donner du sens aux faits exprimés en tentant d’établir des

séries ayant une cohérence et en tâchant de ne pas avoir d’a priori dans leur logique. On peut

s’attacher à créer du sens au travers une lecture thématique (formations formelles, activités sociales,
etc.) ou une lecture transversale (temporelle, années par années). La personne - projet peut s’aider

du support papier (la bioscopie) et de stylos de différentes couleurs si elle le souhaite. Il s’agit de

relier les faits entre eux, dessinant un « canevas » (Desroche, 1990). Ce travail permet de dessiner
visuellement un fil rouge dans le parcours de la personne - projet.

« Ces fils conducteurs s’expriment à travers des mots. Ces mots désignent des activités sociales -

culturelles, sportives, amicales, économiques - qui se répètent, une sensibilité à des publics ou à des

thèmes, une posture professionnelle, un engagement militant, etc. Chacun des termes est potentiellement

un fil conducteur ou peut servir à dégager un fil rouge structurant un parcours ». (Draperi, 2016:61-62)

Les liens proposés par la personne - ressource ont pour rôle d’aider la personne - projet à donner du

sens à son parcours. Certains fils conducteurs peuvent correspondre à une activité professionnelle
pratiquée depuis de nombreuses années que la personne - projet souhaite désormais effectuer de

manière indépendante. D’autres liens peuvent correspondre à des pratiques sociales qui apportent de

!85
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

la cohérence au projet. Un fil rouge peut aussi être établi de façon plus abstraite à l’aide de la

sensibilité de la personne - projet qui peut s’exprimer par un comportement, un certaine vision de
la société ou un mode de vie.

Cela donne du sens au projet. Les personnes interrogées ont accumulé une succession d’activités

professionnelles, sociales et scolaires. La simple énonciation des faits ne permet pas toujours de
valoriser les expérience, ni de les relier. Avec la méthode de l’autobiographie raisonnée, de l’aide de

la personne - ressource, du support de la bioscopie, le projet prend un sens et acquiert une

signification globale. Le parcours personnel et professionnel est porteur d’un nouveau sens qui va
alimenter le projet et lui donner une direction. Il permet de placer le projet dans un parcours, d’en

comprendre les continuités et de mieux identifier les raisons de sa cohérence.

3. Synthèse de la section

Cette section avait vocation à développer notre seconde hypothèse de travail consacrée à la
réduction des doutes et des incertitudes dans le cas d’une transition professionnelle du salariat à

l’entrepreneuriat. Pour rappel la proposition énoncée est la suivante : Les besoins

d’accompagnement sont différents selon la phase de transition professionnelle dans laquelle


s’inscrit la personne. Par conséquent l’accompagnateur peut adapter sa démarche selon la

phase du processus de transition.

Pour appuyer cette proposition, nous nous sommes concentrés sur la posture herméneutique. Nous

l’avons illustrée par une méthode d’accompagnement qui a fait ses preuves en entrepreneuriat,
notamment au Québec et en France : le mentorat. Le mentor contribue à donner des points de

repères à la personne accompagnée. Il critique et remet en question. Il est un soutien utile en cas

d’erreurs et de doutes. Il aide à sortir d’une situation passive et engage la personne accompagnée à
se débrouiller par elle-même. Il occupe une fonction de passeur dans le sens où il permet de passer

d’une rive à une autre, c’est-à-dire d’un statut professionnel à un autre. Il participe à réduire le

doute de l’entrepreneur.

!86
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

Le mentorat est une des rares pratiques d’accompagnement où la posture de l’accompagnateur peut-

être qualifiée d’herméneutique. En effet la plupart des méthodes d’accompagnement à


l’entrepreneuriat se concentrent sur la posture technique. Nous nous sommes penchés sur une

méthode issue des sciences sociales, l’autobiographie raisonnée, qui peut être un outil au service de

l’accompagnateur qui souhaite développer sa posture herméneutique. Cette méthode a fait ses
preuves depuis de nombreuses années dans le champ de l’insertion professionnelle mais n’a encore

jamais été étudiée au travers une application dans le champ de l’entrepreneuriat en particulier.

L’autobiographie raisonnée permet de mieux comprendre la trajectoire professionnelle de la


personne accompagnée et en extrait des fils conducteurs. L’intention est d’ouvrir le spectre

d’investigation des personnes et de positionner l’entrepreneuriat comme une piste d’évolution

professionnelle comme une autre. Les fils conducteurs extraits contribuent à donner de la cohérence
au projet entrepreneurial en l’intégrant dans un parcours de vie. A travers la dynamique de la

méthode, la personne va être amenée à énoncer son parcours, réfléchir à ses fils conducteurs puis

transmettre son projet à la lumière de ses expériences passées et des actions à venir. Cette méthode

semble être une piste intéressante pour donner du sens au projet entrepreneurial.

Pour rappel, la transition professionnelle du salariat vers l’entrepreneuriat est un double processus,

entrepreneurial d’une part et de transition professionnelle d’autre part. Ce processus se découpe en

trois phases composées d’un désengagement salarial, d’une phase d’entre-deux et d’une phase
d’engagement entrepreneurial. A la fin du processus de transition professionnelle du salariat à

l’entrepreneuriat, la personne accompagnée s’insère dans un nouvel environnement de travail et

prend de nouvelles habitudes. La personne a rompu la majorité de ses liens avec sa précédente
activité. Elle se sent désormais plus proche d’une nouvelle communauté de travail au sein de

laquelle elle peut prendre une part plus ou moins active.

Il semble que les processus rituels aient un rôle à jouer dans ce passage d’un statut professionnel à
un autre. Le rite est une pratique qui sépare un état social d’un autre état social. Il comporte une

forte portée symbolique. Le rite permet de renforcer les liens des membres d’un groupe social. Il

permet également de séparer les initiés du reste de la société, tout autant de distinguer le groupe de

la Société. Nous suggérons que l’accompagnateur peut s’aider des pratiques rituelles pour permettre

!87
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

à la personne de terminer sa transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat en adhérant à

une nouvelle communauté. Pour développer cette troisième hypothèse nous allons nous aider de la
sociologie pour comprendre la fonction et le rôle des pratiques rituelles en entrepreneuriat.

Nous allons développer cette troisième hypothèse dans la section suivante.

!88
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

Section 3 • Faciliter l’insertion dans une communauté

Dans la section précédente nous avons développé la notion de doute. En transition professionnelle
du salariat à l’entrepreneuriat, la personne est en train de se séparer de son ancien cadre de

référence et n’a pas encore de nouveau cadre de référence. Le doute est particulièrement important

dans la phase d’entre-deux. Le professionnel de l’accompagnement peut se sentir dépourvu lorsque


la personne a des questionnements existentiels. L’accompagnateur doit-être en mesure de faire face

à ce type de questionnement. Or l’accompagnement à l’entrepreneuriat est souvent réalisé selon une

posture technique alors que la période de doute demande souvent une posture psychologique. Pour
répondre à cette problématique nous nous sommes penchés sur une méthode d’accompagnement

issue des sciences sociales, l’autobiographie raisonnée. Elle semble être une méthode efficace pour

tisser des fils conducteurs dans le projet entrepreneurial et permettre au porteur de donner du sens à

son projet et ainsi réduire ses périodes de doutes.

Il s’agit désormais pour l’accompagnateur d’aider la personne accompagnée à s’insérer dans une

nouvelle communauté et clôturer ainsi sa transition du salariat à l’entrepreneuriat. La personne va

peu à peu changer de culture professionnelle ce qui implique une évolution de ses représentations,
de ses normes et de ses valeurs (Sainsaulieu, 1977). Norbert Alter s’appuie sur les travaux d’Alfred

Schutz (1944) pour comprendre le déplacement d’un milieu social à un autre. Sociologue autrichien

contraint de fuir son pays, les travaux de Schutz s’inscrivent dans la continuité de ceux de Simmel
(1911) portant sur la figure de l’étranger. A la différence que l’étranger de Schutz abandonne ses

modèles culturels et assimile ceux de son groupe d’accueil. L’auteur cherche à étudier la situation

dans laquelle se trouve l’étranger lorsqu’il s’efforce d’interpréter le monde culturel du nouveau

groupe social qu’il aborde et de s’orienter en son sein. Ainsi « parler une langue ne signifie pas
qu’on l’a comprend, car les expressions verbales sont connotées par une manière de dire les choses

ainsi que par des idiomes qui créent un code réservé aux natifs. On acquiert ainsi progressivement,

sans même en avoir conscience, les représentations adaptées à la vie collective ; par exemple la
distinction entre l’autorité réelle et l’autorité formelle d’un hiérarchique » (Alter, 2012:50).

!89
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

Pour acquérir le « langage » de son nouveau groupe social, nous avons vu dans la section

précédente que le mentorat facilite l’intégration de la personne accompagnée dans une nouvelle
communauté (St-Jean, 2011 ; St-Jean, Mathieu, 2015 ; St-Jean, Radu Lefebvre, Mathieu, 2017).

Dans cette section nous allons approfondir la notion de rite. En effet le processus de transition est

un processus ritualisé (Van Gennep, 1909), les rites sont utiles pour marquer la différence entre des
communautés (Douglas, 1973 ; Bourdieu, 1982), permettent d’acquérir un nouveau rôle dans un

groupe social (Myerhoff, 1984) et sont utiles pour être perçu comme légitime dans un groupe

(Turner, 1969 ; Turner et Haslam, 2001 ; Bourdieu, 1982). Pour présenter le rôles des pratiques
rituelles dans le processus de transition, nous allons mobiliser un champ connexe à la sociologie,

celui de l’ethnologie.

Après avoir présenté les courants de pensées autour du rite, nous allons appliquer cette notion au
champ de l’entrepreneuriat.

1. Les différentes formes de rites

En 1909, l’ethnologue Arnold Van Gennep publie Les Rites de passage et provoque à cette occasion

un petit séisme académique. Il rompt avec une approche traditionnelle du phénomène rituel qui

l’associe aux pratiques religieuses. Il analyse un très grand nombre de rites liées aux étapes de la vie
(naissance, enfance, etc.), aux voyages, aux pratiques sexuelles, aux salutations, aux saisons ou

encore aux sociétés secrètes. Il propose une séquence en trois étapes avec une phase de séparation

avec un état antérieur ou avec un groupe (préliminaire), une phase intermédiaire où la personne doit
subir des épreuves (liminaire), et une phase d’agrégation dans un état nouveau ou un nouveau

groupe (postliminaire).

« C’est le fait même de vivre qui nécessite les passages successifs d’une société spéciale à une

autre et d’une situation sociale à une autre : en sorte que la vie individuelle consiste en une

succession d’étapes dont les fins et les commencements forment des ensembles du même ordre :

naissance, puberté sociale, mariage, paternité, progression des classes, spécialisation

d’occupation, mort. Et à chacun de ces ensembles se rapportent des cérémonies dont l’objet est

!90
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

identique : faire passer l’individu d’une situation déterminée à une autre situation tout aussi

déterminée » (1909:4)

L’ensemble de son ouvrage est une étude de cette séquence en trois phases appliqué un très grand

nombre de rites, remanié à la métaphore du franchissement d’un seuil. Liminaire vient en effet du

latin limen qui signifie seuil, porte, barrière, ligne de démarcation. Van Gennep consacre tout un
chapitre au franchissement au sens propre comme au sens figuré. Il y décrit le sens du passage qui

s’inscrit dans une dimension du profane au sacré. Précisément la porte est une représentation

matérielle et symbolique du passage d’un état à un autre. Aussi est-ce un acte important dans

certaines cérémonies, notamment religieuses (mariages, funérailles…) mais pas seulement. Le rite a
un versant concret, matériel et un versant métaphorique. Le seuil est le lieu où se fait le basculement

entre un avant et un après, entre le profane et l’initié. Le sociologue Bourdieu va plus loin dans Le

sens pratique, « les périodes de transition ont toutes les propriétés du seuil, sorte de limite sacrée
entre deux espaces » (1982:64). L’auteur précise que le seuil est le lieu où les contraires se

rencontrent et s’affrontent. Le rite devient alors une opération socialement approuvée et assumée de

réunir des éléments antagonistes.

La description des différentes phases de Van Gennep s’accompagne de la description des rites et

notamment de leur représentation symbolique. Ainsi la phase intermédiaire, celle de la marge, peut

être symbolisée de diverses manières comme un échange de cadeaux, un isolement ou des anneaux

de mariage par exemple. Cette séquence est plus ou moins marquée selon le pays ou le groupe.
L’auteur avait perçu la puissance symbolique du passage. C’est pourquoi il en fit le pivot de son

analyse. Les rites de passage vont ainsi mettre en lumière le jeu symbolique qui, dans les sociétés

traditionnelles, permettent de passer d’un lieu à un autre, d’une saison à une autre, d’un âge à un
autre, d’un statut social à un autre. Ils mettent en scène des conceptions cycliques et circulaires de

l’espace et du temps, de la vie et de la mort, de la continuité et de la discontinuité.

La seconde phase décrite par Van Gennep sera approfondie par William Turner (1969).
L’anthropologue va faire une analyse approfondie du groupe lors d’une phase qu’il nomme

communitas qu’il décrit dans son livre The Ritual Process publié en 1969 et traduit en français sous

le titre Le Phénomène rituel en 1990. Durant cette phase les relations sociales deviennent

!91
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

homogènes. Le rituel est un élément fédérateur dans la constitution d’une communauté. Les rites

annulent les distances entre les participants. La personne oublie ses attributs sociaux et chacun est
dans une condition de stricte égalité. La communitas devient une façon de se lier les uns aux autres

d’une façon informelle ou non-structurée ou encore avec une structure souple qui se forme au fur et

à mesure des interactions. Turner va étendre le concept de communitas à d’autres formes de


regroupements comme les communautés religieuses ou encore le mouvement des hippies.

Bourdieu (1982) porte sont attention sur la notion de rite d’institution. Il permet « d’instituer une

différence durable entre ceux que ce rite concerne et ceux qu’il ne concerne pas » (p. 58). Le rite
n’a pas seulement vocation à séparer ceux qui l’ont subi (les initiés) de ceux qui ne l’ont pas subi

(les profanes). Il permet également de séparer ceux qui peuvent le subir de ceux qui ne le peuvent

pas. Le rite permet de transformer les représentations de la personne qui le subit, tout autant de ceux
qui peuvent le subir. Les rituels établissent une frontière entre deux groupes. Le premier groupe est

constitué de ceux qui sont susceptibles de subir les rites. Le second groupe correspond au reste du

monde social. Ainsi le rite est aussi un acte de communication. Il permet de notifier à quelqu’un son

appartenance à un groupe social. Il permet aussi de communiquer à l’intérieur et à l’extérieur d’un


groupe social sur le fonctionnement du groupe, son caractère exclusif et ses modalités d’entrées. Le

rite renforce les limites du groupe social. Il permet de faire une séparation entre les élus et les

exclus, tout autant de distinguer l’intérieur de l’extérieur.

Pour Durkheim (1912), les rites sont des règles de conduite qui prescrivent comment la personne

doit se comporter. Les rites sont des manières d’agir qui ne prennent naissance qu’au sein des

groupes assemblés et qui sont destinés à susciter, à entretenir ou à faire renaître une cohésion dans
le groupe. Certains rituels ont pour effet de renforcer les sentiments d’appartenance collective et de

dépendance à une institution. Les rites ont pout but de rattacher l’individu à une communauté. Le

rite est indissociable du sacré. Il permet de séparer l’initié du profane. Pour l’auteur le rite est un
moyen pour établir une forme d’autorité et d’ordre dans une communauté. A travers le rituel les

personnes se trouvent confrontées à quelque chose qui les dépasse. Le rituel met en mouvement les

personnes et les rapproche. Avec Durkheim, le rituel représente un monde en rupture avec la vie

quotidienne. Le rituel a une fonction de canalisation des émotions, une fonction de communication

!92
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

et de médiation avec une puissance supérieure et une fonction de communication avec les individus

d’un groupe. Dans cette perspective, le rituel est associé à une forte charge symbolique.

Pour le sociologue Erwin Goffman (1974) le rite est une forme d’activité sociale caractérisée par

son efficacité symbolique. Mais contrairement à Durkheim, l’auteur place le rite dans des situations

de la vie quotidienne qui exercent sur les individus des contraintes aussi fortes que dans les
cérémonies religieuses. Pour l’auteur aucune société ne saurait se passer de ce qu’il appelle des rites

d’interactions, c’est-à-dire des activités codifiées répétitives et structurées ayant des fonctions de

reconnaissance, d’identification et de communication indispensables à toute vie en communauté.


Les pots de départs, les réunions, les concours, les formules de politesse ou les cérémonies font

partie de ces rites. L’existence de pratiques ritualisées confère à la vie sociale et aux individus un

cadre et des points de repères collectifs, un système relationnel identifiable, c’est-à-dire des
structures plus consistantes. Pour l’auteur le rite est défini en ces termes.

« Le rituel est un acte formel et conventionnalisé par lequel un individu manifeste son respect et

sa considération envers un objet de valeur absolue, à cet objet ou à son représentant ».

(Goffman, 1974:73)

Pour la sociologue Patricia Keimeul (2007) un rite de passage est une cérémonie marquant le fait

qu’une personne passe d’un rôle, d’une phase de sa vie ou d’un statut social à un autre. Le rite

marque une volonté d’inscription, par-delà la subjectivité singulière et la sphère privée, dans un
tissu social plus large. Selon cette sociologue, on retrouve des lieux communs aux rites comme un

caractère répétitif et un cérémonial codifié souvent imposé par le groupe social. Ainsi, par rapport

aux sociétés traditionnelles, les rites perdent de plus en plus leur portée sacrée. Ils peuvent être
présents dans les manifestations sportives (le chant de l’hymne national avant de commencer un

match), les commémorations nationales (les accolades lors du passage à la nouvelle année) ou la

politique (l’accueil du nouveau Président par son prédécesseur à l’Elysée).

Les rites n’apparaissent plus comme des dispositifs symboliques, mais plutôt comme des formes
d’expressions des sociétés modernes, des activités sociales et des différents groupes. Pour

l’ethnologue Pierre Centilvres (2000) les rites et leur portée symbolique d’aujourd’hui sont plutôt

!93
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

révélateurs des évolutions sociales et des rapports entre les individus. Il contribuent à distinguer les

différences sociales, l’accès à un rang ou à un statut. Les rites communiquent un message largement
accepté par le groupe social dominant. Ils touchent à une autorité, à une relation de pouvoir et

permettent de distinguer les différences qui divisent et rassemblent les membres d’une

communauté. Le terme est passé dans le langage courant. On ne s’étonne pas qu’aujourd’hui le rite
de passage soit utilisé pour désigner des pratiques sociales aussi diverses que le bizutage, le code de

la route ou encore le baccalauréat.

2. Le rite d’institution apporte de la légitimité

A travers les rites d’institution, Bourdieu interpelle sur la manière dont les communautés classent,
distinguent et différencient entre-elles les catégories d’individus. Contrairement à Van Gennep

(1909) qui a porté son analyse sur les trois phases du rites, c’est-à-dire sur la notion de passage,

Bourdieu porte son attention sur la consécration du rite, c’est-à-dire sur les frontières sociales que le
rite institue.

« Parler de rite d’institution, c’est indiquer que tout rite tend à consacrer ou à légitimer, c’est-à-

dire faire méconnaitre en tant qu’arbitraire et reconnaître en tant que légitime, naturelle, une

limite arbitraire ; ou, ce qui revient au même, à opérer solennellement, c’est-à-dire de manière

licite et extra-ordinaire, une transgression des limites constitutives de l’ordre social et de l’ordre

mental qu’il s’agit de sauvegarder à tout prix - comme la division entre les sexes s’agissant des

rituels de mariage. En marquant solennellement le passage d’une ligne qui instaure une division

fondamentale de l’ordre social, le rite attire l’attention de l’observateur vers le passage (d’où

l’expression rite de passage), alors que l’important c’est la ligne ». (Bourdieu, 1982:176)

Pour Bourdieu ce n’est pas tant le passage qui est important c’est la séparation qu’il provoque entre

les personnes qui ont subi un rituel et ceux qui ne le subissent pas, marquant ainsi la différence.
C’est pourquoi Bourdieu parle de rite de légitimation. En traitant de façon différente les initiés des

non-initiés, le rite institutionnalise la différence.

!94
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

Pour illustrer la notion de rite d’institution, prenons un exemple :

Florence Charue-Duboc et Julie Fabbri sont respectivement professeurs de stratégie à l’Ecole


Polytechnique et à l’EM Lyon. Elles ont réalisé une série d’entretiens dans un incubateur parisien

nommé La Ruche. C’est un espace de coworking créé en 2008 dédié à l’accompagnement des

entrepreneurs sociaux, c’est-à-dire des personnes qui développent des activités à fort impact social,
sociétal ou environnemental. La Ruche est reconnu pour la qualité de son accompagnement dans les

milieux entrepreneuriaux, les fondateurs ont d’ailleurs essaimé d’autres incubateurs de ce type en

France (La Ruche Bordeaux et La Ruche Marseille). Comme dans beaucoup d’incubateurs, une
grande variété d’évènements sont organisés. Celui qui retient notre attention ici est un évènement

hebdomadaire organisé d’une manière ritualisée, c’est-à-dire répétitive, codifiée et structurée.

« L’évènement interne le plus important pour les membres de La Ruche (une quarantaine de

participants en moyenne) est le Buzz : tous les vendredis, les membres partagent un déjeuner et

diverses informations (troc de compétences, offres d’emploi…) dans la cuisine. Chaque

volontaire prend la parole à son tour et retranscrit en quelques mots clés son message sur un

papier qui restera affiché pendant une semaine dans la cuisine, avant d’être repris dans la

newsletter internet. Le Buzz permet de rendre visible le foisonnement des actions menées par

les membres et au collectif de partager sa vision du projet de La Ruche ». (Charue-Duboc,

Fabbri 2013:92)

Dans cet exemple, la vie quotidienne des entrepreneurs est mise en scène. Ils cherchent à partager
des pratiques et obtenir la reconnaissance d’une communauté. Ne pas participer à cet évènement

majeur de la communauté reviendrait à se mettre en marge. Les échanges sont codifiés et permettent

de limiter les fausses notes des uns qui conduiraient à mettre les autres dans l’embarras.

Bourdieu (1982) explique l’efficacité des rites de passages en les incluant dans une catégorie plus

large : les rites d’institution. Les rites d’institution permettent de faire exister et reconnaître comme

légitime une ligne de démarcation entre les initiés et les autres. Ainsi tout nouvel arrivant dans La
Ruche doit participer à un Buzz et faire l’expérience de travailler une journée dans l’espace partagé

(Charue-Duboc, Fabbri 2013:91). Cette condition d’entrée prend le modèle du rite d’institution

!95
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

selon Bourdieu. L’important est la ligne de démarcation qui permet de constituer un groupe. Le

rituel veut construire un groupe en le séparant du reste de la société. L’efficacité du rite d’institution
et d’imposer une ligne de démarcation entre l’avant et l’après, entre le dedans et le dehors et ainsi

de signifier à quelqu’un son identité nouvelle. Le rite agit à la fois sur la personne et sur

l’organisation.

Le rite d’institution légitime la personne dans une organisation. Il agit à la fois sur la personne et sur

l’organisation. Il permet de « valider » le statut d’entrepreneur d’une personne, son rôle, sa fonction

ou son utilité dans l’organisation. Suivant les théories de l’identité sociale (Tajfel et Turner, 1979,
1986), le simple fait d’accepter une personne dans un groupe peut créer un sentiment

d’appartenance à ce groupe. La personne se sent légitime d’appartenir au groupe. Cette légitimité

dans le groupe se construit par le mécanisme de l’auto-catégorisation (Turner, 1969 ; Turner et


Haslam, 2001). Ce mécanisme permet à une personne de se définir elle-même comme membre d’un

groupe selon les jugements qu’elle porte sur les attributs de ce groupe. Le groupe auquel elle

s’identifie s’appelle « ingroup » ou groupe d’appartenance. Les groupes auxquelles elle ne

s’identifie pas s’appellent « outgroup ». La personne va faire une distinction entre l’ingroup et
l’outgroup dans un sens favorable à son groupe d’appartenance.

Le rite d’institution permet d’organiser une représentation des choses et des relations sociales. Il

permet d’instaurer un pouvoir symbolique d’une communauté sur une personne. Il agit par des
moyens légers, des mots, des signes ou des emblèmes. Le rite d’institution est un moyen pour le

groupe social de se réaffirmer périodiquement. En sélectionnant arbitrairement une ligne de partage

au détriment d’autres solutions, en la rendant obligatoire pour tout nouvel arrivant, le rite
d’institution permet de renforcer la différence, comme un seuil, une frontière entre des groupes. Le

groupe fixe des hiérarchies et des divisions à travers le rituel d’institution. Le rite d’institution

permet aussi de renforcer la stabilité de l’organisation, sa philosophie ou ses règles. Il rappelle aux
non-membres qu’ils sont exclus. Il démontre que l’organisation existe et que pour y entrer il faut

être accepté par ses membres. Il contribue à donner du crédit à l’organisation.

!96
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

3. Aider la personne à devenir légitime en tant qu’entrepreneur

En entrepreneuriat la légitimité joue un rôle important pour la survie de l’entreprise. La légitimité


renforce la stabilité de l’organisation (Meyer, Rowan, 1977). Elle permet d’accéder à de nouvelles

ressources (financières, humaines, matérielles) (Zimmerman, Zeiltz, 2002 ; Nagy, Pollack,

Rutherford, Lorhke, 2012). Elle facilite l’accès aux marchés (Aldrich, Fiol, 1994). Elle permet de

sortir de son isolement (Messeghem, Sammut, 2010). Or la légitimité peut être difficile à acquérir.
La personne peut ne pas avoir l’expertise requise pour être légitime dans un groupe (De Clercq,

Voronov, 2009). Elle peut aussi être dévalorisée par son sexe (Pailot P., Poroli C., Lee-Gosselin H.,

Chasserio S., 2015). Elle n’a pas forcément les réseaux requis (Hannan, Carroll, 1992).

De nombreuses définitions de la légitimité existent. Selon Max Weber (1995), la légitimité se base

sur l’acceptation d’un ordre ou d’une domination, que le participant perçoit comme légitime. Pour

Suchman la légitimité est « a generalized perception or assumption that the actions of an entity are
desirable, proper, or appropriate within some socially constructed system of norms, values, beliefs,

and definitions » (1995:174). La légitimité entrepreneuriale peut se définir comme la résultante « de

la reconnaissance et du jugement social que les parties prenantes internes et externes accordent à un

sujet (…) selon que ce dernier respecte les normes socialement attendues du rôle

d’entrepreneur » (Pailot, Poroli, Lee-Gosselin et Chasserio, 2015:34).

Ces différentes définitions soulignent deux dimensions fondamentales dans la légitimité. D’une part

la légitimité correspond à des dispositions attendues selon des normes établies. D’autre part la

légitimité permet de juger des comportements de la personne concernée. En d’autres termes, la

légitimité ne se décrète pas. Elle s’obtient en respectant les règles, les normes, les conventions
établies par d’autres. Elle se maintient par un comportement, une attitude, une conduite attendue par

le groupe (De Clercq, Voronov, 2009).

Des stratégies peuvent être déployée pour acquérir une légitimité. La personne peut renforcer sa
légitimité cognitive ou sa légitimité sociopolitique (Ranger-Moore, Banaszak-Holl, Hannan, 1991).

La légitimité cognitive fait référence à la reconnaissance de l’activité par le marché (clients,

!97
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

concurrents, etc.) Lorsque l’activité devient familière sur un marché, qu’elle est médiatisée ou

qu’elle est copiée, elle devient légitime. La légitimité sociopolitique désigne la reconnaissance de
l’activité par les parties prenantes (fournisseurs, institutionnels, etc.). Lorsque l’activité est

reconnue par les leaders d’opinions, qu’elle obtient des subventions ou qu’elle recrute des

personnalités reconnues dans leur secteur, elle devient légitime.

L’accompagnateur peut jouer un rôle important pour aider la personne à se sentir légitime en tant

qu’entrepreneur. Il peut favoriser l’intégration de la personne dans une communauté et lui faciliter

l’accès à des ressources. En l’aidant à se conformer à un cadre, l’accompagnateur aide la personne à


sortir de son isolement, à confronter ses idées à d’autres et à acquérir une légitimité. La légitimité

est indissociable d’un groupe, d’un contexte social ou plus largement d’un environnement.

L’accompagnateur peut entrainer la personne à se confronter aux autres, à défendre ses idées ou à
valoriser son parcours. L’accompagnateur peut préparer la personne à la contradiction, il peut

l’aider à développer son réseau ou lui faciliter l’accès à la reconnaissance.

Le rite peut-être un moyen supplémentaire pour l’accompagnateur pour aider la personne à devenir

légitime. Le rite d’institution procure un double avantage. Il permet d’agir à la fois sur la personne
accompagnée et sur un groupe. L’accompagnateur peut utiliser le rite d’institution pour renforcer la

légitimité de la personne tout en renforçant la cohésion d’un groupe. Le rite d’institution comporte

un cadre structuré, des règles à respecter et un protocole à suivre. En ritualisant la « sortie » de


l’accompagnement, l’accompagnateur permet de renforcer la légitimité de la personne

accompagnée tout en consolidant l’existence d’un groupe.

4. Synthèse de la section

Cette section avait vocation à développer notre troisième hypothèse de travail consacrée au rôle du
rite dans la transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat. Pour rappel, la proposition

énoncée est la suivante : La personne termine sa transition professionnelle en s’insérant dans

un milieu professionnel. Par conséquent l’accompagnateur peut l’aider à clôturer sa transition

en l’aidant à devenir légitime pour dans ce milieu professionnel.

!98
Chapitre II - Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle

Pour appuyer cette proposition, nous avons présenté le rôle des pratiques rituelles dans le processus

de transition. la façon d’interpréter les rituels a longtemps été imprégnée de son rapport étroit avec
le sacré et la religion. Les rites contemporains ne possèdent plus les caractéristiques des rites de

passage décrits par Van Gennep (1909) (caractère symbolique, irréversible et structuré). Les rites

que nous observons aujourd’hui sont rationnels, réversibles et souples. La place du rite dans la
transition professionnelle n’est pas porteuse de sens pour tous. Le sens que l’on va lui donner se

situe davantage dans une dimension collective.

Nous suggérons que pour terminer sa transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat, la


personne doit se sentir légitime en tant qu’entrepreneur au sein d’un milieu professionnel.

L’accompagnateur peut l’aider à cela. Il peut s’appuyer sur des rites d’institution pour développer se

sentiment de légitimité. Les rites d’institution agissent à la fois sur la personne ainsi que sur la
communauté. Le caractère collectif du rite nous semble une piste féconde pour apprécier le sens du

rite et sa place dans le processus de transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat. L’étude

du processus de sélection dans un incubateur nous a permis de porter la réflexion sur le caractère

collectif du rite qui marque le passage d’une communauté à une autre. Pour comprendre la
signification des rites de passages pour les porteurs de projet, il est nécessaire d’étudier les formes

rituelles que prennent ces rites de passage. L’entrée dans un incubateur est un exemple. D’autres

formes rituelles « d’entrée » vers l’entrepreneuriat existent probablement comme la première


présentation publique de son projet (le pitch), la première remise de prix ou encore l’adhésion à un

club d’entrepreneur. A l’inverse nous allons également nous pencher sur des formes rituelles « de

sortie » du salariat comme le pot de départ, les remerciements ou encore l’entretien de départ.

!99
Chapitre III
CADRE
METHODOLOGIQUE

Au terme des deux premiers chapitres, nous avons délimité l’objet d’étude qui nous intéresse. Notre
recherche se focalise sur les enjeux et les modalités de la transition professionnelle du salariat à

l’entrepreneuriat. Il s’agit d’un double processus, de transition professionnelle d’une part et

d’entrepreneuriat d’autre part. Ce double processus se compose d’une phase de désengagement,


d’une période d’entre-deux et d’une phase d’engagement. Nous suggérons que la posture de

l’accompagnateur doit s’adapter tout au long de ce processus, en particulier durant la phase d’entre-

deux où le doute est le plus fort. Alors que les méthodes d’accompagnement se concentrent
principalement sur la posture technique nous suggérons que l’accompagnateur développe une

posture plus « psychologique ». Pour cela nous proposons d’utiliser une méthode issue des sciences

sociales, celle de l’autobiographie raisonnée. Il semble que cette méthode puisse aider pour donner
du sens au projet dans une trajectoire professionnelle. Enfin la transition professionnelle du salariat

à l’entrepreneuriat est également synonyme de rites de passages. Nous suggérons d’étudier les

formes que ces rites prennent tout au long du processus et le rôle de l’accompagnateur.

Ce travail préliminaire nous autorise désormais à préciser, d’une part les questions de recherches
relatives à cet objet d’étude et d’autre part, la méthodologie que nous avons utilisée pour tenter d’y

apporter des réponses. Ce chapitre marque le passage au terrain avec la volonté de confronter les

propositions d’interprétation que nous avons précédemment mises au point avec la diversité des
situations que nous avons rencontrées. La méthodologie d’approche va nous conduire à proposer un

outil encore jamais utilisé en accompagnement à l’entrepreneuriat, celui de l’autobiographie

raisonnée. Son inscription dans la durée et la diversité des contextes vont nous permettre d’éclairer
le sens que les acteurs donnent à leur projet d’entreprise.

!100
Chapitre III - Cadre méthodologique

Section 1 • Questions de recherche et contributions visées

Nous exposons ci-après les fondements de notre recherche ainsi que les questions qui en découlent.

Puis, nous nous attarderons sur notre posture épistémologique.

1. Fondements et questions de recherche

Les fondements et les questions de recherche se présentent en deux sections distinctes.

Les fondements du projet de recherche

Cette recherche se fonde sur un double constat :

• Les mutations du travail, l’évolution du contrat psychologique, la mobilité professionnelle


et la montée du chômage provoquent une multiplication des transitions professionnelles. Le

choix d'entreprendre constitue un choix de carrière très différent du salariat. Il est entendu

comme un double processus de transition professionnelle d’une part et de création


d’entreprise d’autre part. Cette conception de la transition professionnelle du salariat à

l’entrepreneuriat demande à être mieux comprise. En l’occurence, il faudrait s’interroger

sur les enjeux de la transition professionnelle pour le porteur de projet.

• Pour l’accompagnateur, la posture professionnelle adoptée est souvent technique


(construction de l’étude de marché, analyse des prévisionnels financiers, choix du statut

juridique, etc.). La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat demande une


posture professionnelle de nature « psychologique » ou « herméneutique ». Cette posture

professionnelle reste encore peu développée. Cela nous amène à nous interroger sur les

modalités de mise en oeuvre de l’accompagnement dans le contexte de la transition

professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat.

!101
Chapitre III - Cadre méthodologique
Les questions de recherche

Voici les deux questions de recherche que nous posons ainsi que les contributions visées :

• Quels sont les enjeux de la transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat pour le


porteur de projet ?

En postulant que le salariat est un choix de carrière différent de l’entrepreneuriat, nous allons

analyser, en développant des hypothèses, la nature et l’intensité des enjeux de la transition


professionnelle dans une triple phase : celle de la séparation avec le salariat, celle de l’entre-deux où

ni le salariat ni l’entrepreneuriat ne dominent, et celle de l’insertion dans l’entrepreneuriat. C’est la

question du pourquoi qui est posée. Notre visée est descriptive et explicative.

• Quelles sont les modalités de l’accompagnement du salarié en transition professionnelle du


salariat à l’entrepreneuriat ?

Cette question apparaît en complément de celle des enjeux. En admettant que le salariat est un choix
de carrière différent de l’entrepreneuriat, nous supposons que la transition professionnelle de l’un à

l’autre nécessite un accompagnement adapté. L’objectif est de mieux comprendre les modalités

particulières de l’accompagnement dans ce processus. C’est la question du comment qui est posée.
Le projet de connaissance est de nature compréhensive et explicative.

2. Posture épistémologique

Le terme épistémologie a été forgé par James Frederick Ferrier pour désigner une théorie de la

connaissance. Ce mot est construit à partir des termes grecs épistémé (connaissance théorique,
savoir) et logos (discours relationnel, langage, jugement). Il apparaît pour la première fois en

français en 1901, dans la traduction d’un ouvrage de Bertrand Russel. Il est ensuite popularisé et est

aujourd’hui très répandu dans les milieux de la recherche.

!102
Chapitre III - Cadre méthodologique
L’épistémologie est une discipline scientifique qui étudie les siennes et questionne le statut de la
connaissance produite. Elle aide à estimer la valeur des connaissances que le chercheur produit. Le

chercheur a le choix entre trois paradigmes épistémologiques principaux : le paradigme positiviste,

le paradigme interprétativiste et le paradigme constructiviste (Thietart, 2014) (tableau 6).

Le positivisme L'interprétativisme Le constructivisme

Hypothèse relativiste
Hypothèse réaliste L’essence de l’objet ne
Quel est le statut de la Hypothèse relativiste
Il existe une essence peut être atteinte
L’essence de l’objet ne
connaissance ? propre à l’objet de (constructivisme
peut être atteinte
connaissance modéré) ou n’existe pas
(constructivisme radical)
Dépendance du sujet et Dépendance du sujet et
Indépendance du sujet et
de l’objet de l’objet
de l’objet
La nature de la Hypothèse Hypothèse
« réalité » ? Hypothèse déterministe
intentionnaliste intentionnaliste
Le monde est fait de
Le monde est fait de Le monde est fait de
nécessités
possibilités possibilités

L'interprétation
Comment la La découverte La construction
connaissance est-elle Rechercher formulée en
Recherche formulée en Rechercher formulée en
engendrée ? termes de « pour quelles
termes de « pour quelles termes de « pour quelles
Le chemin de la motivations des
causes… » finalités… »
connaissance acteurs… »
Statut privilégié de Statut privilégié de la
scientifique Statut privilégié de la
l’explication construction
compréhension

Quelle est la valeur de Verifiabilité Idiographie


Empathie (révélatrice de Adéquation
la connaissance ? Confirmabilité l’expérience vécue par Enseignabilité
Les critères de validité Réfutabilité les acteurs)

Tableau 6 : Positions épistémologiques des paradigmes positiviste, interprétativiste et constructiviste


(Thietart, 2014)

Le paradigme positivisme se démarque par la visée de découverte de la vérité et par la nature

explicite des connaissances scientifiques. Le positivisme se caractérise par une hypothèse

déterministe qui considère le monde social comme étant déterminé par des lois qu’il est nécessaire
de découvrir. Le chercheur a une posture de neutralité et d’objectivité dans sa démarche. Le

!103
Chapitre III - Cadre méthodologique
paradigme interprétativiste permettent de prendre en compte les spécificités des objets étudiés,
particulièrement ceux qui ne sont pas des « choses »14 . Cette approche permet de souligner la nature

de l’activité humaine et des pratiques sociales. Il repose sur l’hypothèse relativiste selon laquelle

l’essence de l’objet ne peut pas être directement atteinte par l’observation. Il retient une
construction de la réalité par les interactions entre les acteurs et qui implique une dépendance du

sujet à l’objet.

Le paradigme constructiviste vise à concevoir et construire une réalité. Il considère la recherche


comme le développement de connaissances pertinentes pour étudier des artefacts ayant les

propriétés souhaitées. La démarche du chercheur et le projet de connaissance est central dans la

réflexion. Ce sont les acteurs qui construisent socialement la réalité à partir de leur interprétations.

Plus précisément, ce sont les interactions entre ces derniers qui les amènent à donner un sens à leur
réalité. Très proche du paradigme interprétativiste, le paradigme constructiviste se démarque ainsi

par le chemin qui va être emprunté pour engendrer la connaissance. Alors que dans le

constructivisme le chercheur contribue à construire la réalité à partir de ses interactions avec les
acteurs (Le Moigne, 1994, 1995a, 1995b), dans l’interprétativisme il cherche à comprendre le sens

donné par ces derniers à la réalité.

Cette recherche s’intéresse à la transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat et à la


manière dont les acteurs peuvent y donner du sens pour mieux la traverser. Une telle démarche

implique nécessairement de saisir les perceptions que se font les acteurs de la création de sens,

autrement dit de s’intéresser à leur construction de la réalité. Nos travaux s’inscrivent donc dans le
paradigme constructiviste (Le Moigne, 1994, 1995a, 1995b) et visent in fine à la conception

d’artefacts permettant de construire du sens avec les acteurs. En l’occurence, nos efforts de

modélisation de la transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat doivent permettre de

« suggérer aux acteurs des hypothèses réfléchies pour interpréter la signification de leurs propres
actions » (De la Ville, 200015 ). La procédure de validation repose alors sur la pertinence des

résultats pour ces acteurs (Koenig, 1993).

14Cette expression reprend le titre de l’ouvrage de Jules Monnerot (1946), « Les faits sociaux ne sont pas des choses »,
Paris, Gallimard, qui dénonçait la conception déterministe et physicaliste de la sociologie durkhemienne.

15 Evoquant explicitement Martinet (1983)

!104
Chapitre III - Cadre méthodologique

Section 2 • Méthodologie de mise en oeuvre

Nous exposons ci-après la méthodologie mise-en-oeuvre pour répondre à nos questions de


recherche et nos hypothèses de travail. Nous adoptons une démarche abductive.

1. Positionnement méthodologique

Notre positionnement méthodologie nous oriente vers les démarches de recherches dans lesquelles

le chercheur contribue à la construction de la réalité. Notre approche multidisciplinaire nous


demande de comprendre à la fois le fonctionnement du système étudié et l’évolution de ce sytème si

certaines mesures étaient prises. Notre objectif est de produire des connaissances valides à la fois

scientifiquement et pratiquement. L’action semble correspondre davantage à nos besoins pour


comprendre les événements sociaux que nous souhaitons étudier (Lewin, 1952). David (1999)

identifie quatre démarches de ce type (tableau 7).

Objectif / Démarche Construction mentale de la réalité Construction concrète de la réalité

Partir de l’observation
des faits ou d’un Observation, participante ou non (I) Recherche-Action (II b)
travail du groupe sur Elaborer un modèle descriptif du Aider à transformer le système à partir
fonctionnement du système étudié. de sa propre réflexion sur lui-même,
son propre
dans une optique participative.
comportement

Conception « en chambre » de Recherche-intervention (III)


Partir d’une situation modèles et outils de gestion (II a) Aider, sur le terrain, à concevoir et à
idéalisée ou d’un Elaborer des outils de gestion mettre en place des modèles et outils
projet concret de potentiels, des modèles possibles de de gestion adéquats, à partir d’un
transformation fonctionnement, sans lien direct avec le projet de transformation plus ou
terrain. moins complètement défini.

Tableau 7 : Quatre démarches de recherches en sciences de gestion (David, 1999)

!105
Chapitre III - Cadre méthodologique
La première colonne fait référence à la construction mentale de la réalité, c’est-à-dire une
représentation de la réalité sans impact direct sur l’action. La seconde colonne fait référence à la

construction concrète de la réalité, c’est-à-dire une représentation de la réalité intervenant

directement sur l’action. La première ligne désigne que le point de départ de la recherche part de
l’existant sans qu’une méthode ne soit définie au préalable. La seconde ligne désigne qu’une

méthode soit déjà prédéfinie et ensuite appliquée à un existant.

En croisant ces lignes et ces colonnes, quatre positionnement méthodologiques sont définis :

• L’observation participante consiste à proposer un modèle de représentation de la réalité


mais sans que celui-ci ne soit porteur de changements concrets.

• La conception « en chambre » consiste à proposer un modèle de représentation idéal sans se


préoccuper si celui-ci pourra être mis en contexte.

• La recherche-action consiste à proposer un modèle élaboré à partir des faits qui est de

nature à engendrer des transformations concrètes dans le processus de décision.

• La recherche-intervention consiste à proposer un modèle où sa formalisation et sa


contextualisation sont réalisées simultanément.

Notre projet de recherche est de générer des modèles de représentation scientifiques directement

utilisables sur le terrain. Nous ne partons pas d’un modèle défini au préalable mais de l’observation

de la réalité qui engendre la conception d’un modèle scientifique. Notre rôle n’est pas anodin dans
la prise de décision des acteurs interrogés. Mais plutôt que d’essayer de le considérer comme un

« biais » et de le limiter, celui-ci génère directement des connaissances scientifiques utilisables par

les acteurs (Lewin, 1952). Notre positionnement méthodologique se situe dans une démarche de

recherche-action.

!106
Chapitre III - Cadre méthodologique
2. Méthode de recherche

Afin de générer des connaissances scientifiques nous choisissons d’utiliser une démarche abductive.

La démarche abductive se distingue de la démarche inductive qui consiste à collecter des données
puis à formuler des hypothèses en observant les régularités. Par opposition, la démarche déductive

consiste à énoncer des propositions sur la base d’un corpus théorique pour ensuite les valider par

des observations sur le terrain. L’abduction est un mode de raisonnement défini comme
« l’opération qui, n’appartenant pas à la logique, permet d’échapper à la perception chaotique que

l’on a du monde réel par un essai de conjecture sur les relations qu’entretiennent effectivement les

choses (…). L’abduction consiste à tirer de l’observation des conjectures qu’il convient ensuite de
tester et de discuter » (Koenig, 1993:7). Pour Peirce (1955), l’abduction est le seul mode de

raisonnement qui peut faire émerger des idées nouvelles. Dans ce mode de raisonnement, le

chercheur fait de multiples allers et retours entre terrain et théorie. Dans ce cadre le chercheur
contribue directement ou indirectement à la construction de la réalité.

La démarche abductive consiste à générer des connaissances dans une boucle récursive abduction/

déduction/induction (figure 6) Elle vise à déposer l’opposition entre la démarche déductive et la

démarche inductive. Alors que la déduction permet de générer des conséquences, l’induction permet
d’établir des règles générales et l’abduction vise à construire des hypothèses (David, 1999).

Abduction Déduction Induction

Figure 6 : Double boucle récursive abduction/déduction/induction (David, 1999)

!107
Chapitre III - Cadre méthodologique
La validité du raisonnement scientifique entre dans une cette boucle récursive. « Il faut
globalement, dans la génération des connaissances scientifiques, dépasser l’opposition classique

entre démarche inductive et démarche hypothético-déductive et considérer une boucle récursive

abduction/déduction/induction. Cette boucle n’a pas besoin d’être parcourue intégralement par
chaque chercheur ou au sein de chaque dispositif de recherche : il suffit qu’elle le soit

collectivement dans la communauté scientifique » (David, 2012:112).

L’auteur précise que ce mode de raisonnement peut se formaliser comme suit (David, 1999). Il

l’illustre par l’exemple d’une rue mouillée :

• Une hypothèse est construite sur la base d’une observation réalisée sur le terrain (j’observe

que la rue est mouillée et je cherche une explication : il pleut, la balayeuse est passée, etc.) ;

• Les conséquences possibles de cette hypothèse sont explorées par déduction (s’il pleut, non
seulement la rue est mouillée mais aussi les trottoirs et les vitres chez moi ; si la balayeuse

est passée, seule la rue est mouillée mais alors nous sommes l’après-midi, etc.) ;

• Des règles et des théories sont mobilisées par induction (lorsqu’il pleut, la rue est mouillée,
la balayeuse ne passe jamais le matin, etc.) ;

• Si ces règles sont infirmées, alors les hypothèses sont reformulées et le cycle recommence.

Compte tenu du délai imparti pour réaliser la thèse qui est généralement de trois ou quatre années, il

est difficile de parcourir cette boucle en intégralité. C’est pourquoi David (2012) précise que cette

boucle peut être parcourue collectivement dans la communauté scientifique. Cela signifie que
chaque chercheur n’a pas besoin de la parcourir intégralement. Notre méthode de recherche retient

alors les trois premières étapes du raisonnement de David (2012) et se présente de la manière

suivante :

• Premièrement, nous avons émis des hypothèses à partir d’une observation des personnes en
transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat ;

!108
Chapitre III - Cadre méthodologique
• Secondement, nous avons mobilisé les connaissances établies sur l’accompagnement de la
transition professionnelle pour déboucher sur des propositions ;

• Troisièmement, ces propositions ont été confrontées à des cas afin d’émettre de nouvelles

conjectures.

Compte tenu de l’approche interdisciplinaire de notre recherche, cette méthode présente l’intérêt

d’émettre des propositions que nous espérons originales dans le champ de l’entrepreneuriat. Elle
permet également de faire appel à notre expertise de praticien acquise après une dizaine d’années à

accompagner des porteurs de projet. Cette méthode nous semble pertinente pour notre démarche de

recherche basée sur une méthode abductive fondée sur des études de cas.

!109
Chapitre III - Cadre méthodologique

Section 3 • Sélection des cas

Nous exposons ci-après la population étudiée qui nous a permis de mener nos études de terrain. Les
échantillon ont été sélectionnés sur le principe du choix raisonné.

1. Le choix des cas

Les méthodes de sélection d’un échantillon peuvent être regroupés en deux grands ensembles liés

aux modes d’inférence auxquels ils renvoient : les méthodes probabilistes d’une part, et les

méthodes de choix raisonné d’autre part (Thietart, 2014).

Ces méthodes reposent sur sur un mode de sélection statistique ou sur un mode de sélection

théorique. Les méthodes probabilistes opèrent par un processus de sélection statistique où la

subjectivité du chercheur est réduite au maximum afin d’éviter tout biais pouvant modifier la
probabilité de l’échantillon. Cette méthode est privilégiée lorsqu’il s’agit d’effectuer une recherche

quantitative. Les méthodes de sélection par choix raisonné relèvent davantage du jugement du

chercheur. L’échantillon est constitué sur des critères théoriques. Le chercheur doit disposer d’une
bonne connaissance théorique de la population étudiée. Les critères retenus pour déterminer

l’échantillon doivent être de natures typiques ou atypiques (2014:233-234). Les critères de natures

typiques illustrent le caractère « normal » ou « fréquent » de l’échantillon. Ils sont choisis pour leur
facilité de généralisation des résultats. Les critères atypiques illustrent le caractère non

conventionnel de l’échantillon et permettent de découvrir des phénomènes plus difficilement

identifiables.

Etant donné que notre objectif est de déterminer la nature du processus de transition professionnelle
du salariat à l’entrepreneuriat et la posture d’accompagnement qui en découle, c’est une méthode de

choix raisonné qui a été privilégié sur la base d’un échantillon de nature hétérogène (Yin, 1989,

2003). Pour sélectionner les cas un ensemble de critères issus de la définition de l’objet d’étude et
des questions des recherches associées doit être déterminé (Eisenhardt, 1989).

!110
Chapitre III - Cadre méthodologique
Ces critères sont les suivants :

• Les personnes doivent être salariés d’une entreprise. Le cadre juridique est celui du CDI
(contrat à durée indéterminé), CDD (contrat à durée déterminé) ou une forme de contrat

précaire (contrat de mission, intérimaire, etc.). Ce choix exclu notamment les contrats
d’indépendances (auto-entrepreneur par exemple) même s’ils sont exécutés au sein d’une

seule et même entreprise. La taille de l’entreprise est variable (TPE, PME ou Grande

Entreprise). Le contrat de travail peut-être en cours d’exécution ou suspendu (dans le cas


d’un congé pour création d’entreprise par exemple). La personne a informé ou non son

employeur de son souhait de développer un projet entrepreneurial. Une procédure de départ

de l’entreprise (licenciement, départ volontaire, convention de reclassement, etc.) peut-être

déjà engagée ou non. Cette diversité nous assure une grande variété de situations,
notamment pour nous ouvrir à des personnes contraintes ou non de développer un projet

entrepreneurial.

• Les personnes doivent être engagées dans une démarche entrepreneuriale. La démarche doit
être de nature engageante afin de nous assurer que la personne est dans un choix de

transition professionnelle réfléchie. Pour cette raison nous avons privilégié des personnes

engagées dans des formations entrepreneuriales de moyenne ou de longue durée (plus de 3


mois). La formation est payée soit par l’employeur, soit par un organisme professionnel

(OPCA) soit par la personne elle-même. Afin d’ouvrir notre spectre à des personnes

disposant déjà de compétences entrepreneuriales et donc moins susceptibles de suivre une


formation entrepreneuriale de moyenne ou de longue durée, nous avons également

sélectionné des personnes en dehors de tout cursus de formation par le bais de notre réseau

personnel et professionnel.

• Les projets développés par les porteurs de projet sont de nature hétérogène. Cette variété est
intéressante afin d’ouvrir le spectre des investigations à des environnements diversifiés

(artisanat, industriel, commerce, etc.). Cela nous donne la possibilité d’étudier des

caractéristiques et des modes de fonctionnement différents d’un projet à un autre.


L’avancement du projet est au stade de la réflexion. Le développement du projet peut être

!111
Chapitre III - Cadre méthodologique
engagé mais non abouti. Ce critère nous donne la possibilité d’étudier le processus
entrepreneurial dès ses premières phases.

Précisions sur le statut de salarié

La qualification du statut de salarié est constatée au démarrage du dispositif d’accompagnement.

Mais cela ne signifie pas que la personne reste salariée tout au long de l’étude. Pour l’INSEE, 30%

des créateurs d’entreprises sont considérés comme salariés et 31% sont considérés comme étant au
chômage. Le reste se répartit entre les indépendants (16%), les personnes sans activité

professionnelle (11%), les chefs d’entreprise salariés (9%) et les étudiants (3%). L’INSEE considère

qu’un salarié correspond à toute personne qui travaille, au terme d’un contrat, pour une autre unité

institutionnelle résidente en échange d’un salaire ou d’une rétribution équivalente. Le chômeur est
une personne qui n’a pas d’emploi et qui en recherche un.

La définition la plus couramment utilisée par l’INSEE est celle du BIT (Bureau International du

Travail) car elle permet d’effectuer des comparaisons internationales. Le BIT considère qu’un
chômeur répond à trois conditions. (1) Etre sans emploi, ne pas avoir travaillé au moins une heure

durant une semaine de référence ; (2) Etre disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours : (3)

Avoir cherché activement un emploi dans le mois précédent ou avoir trouvé un qui commence dans
moins de trois mois. Un chômeur n’est donc pas forcément inscrit à Pôle Emploi et inversement.

Dans notre étude, nous constatons le statut de salarié avant la création de l’entreprise, plus

précisément lors de notre premier contact avec la personne (et généralement peu de temps avant son
entrée en formation le cas échéant). Cela permet de nous assurer que nous sommes bien en présence

d’un salarié en transition professionnelle et qu’il s’engage dans un processus entrepreneurial.

Toutefois, la création effective de l’entreprise intervient souvent dans un délai de 6 à 12 mois. Au

cours de notre étude et avant que l’entreprise ne soit créée, le salarié interrogé peut se retrouver au
chômage. Les raisons sont multiples : fin de contrat, rupture conventionnelle, licenciement, départ

volontaire, etc. Durant cette période la personne peut être en situation de recherche d’emploi. Le

projet est en cours de constitution, il ne rapporte pas encore d’argent, et raisonnablement certaines
personnes préfèrent explorer toutes les possibilités qui s’offrent à elles avant de s’engager

!112
Chapitre III - Cadre méthodologique
définitivement dans une création d’entreprise incertaine. Dans ce cas de figure si le projet
d’entreprise aboutit et que l’entreprise est créée, la personne interrogée sera alors considérée

statistiquement par l’INSEE comme chômeur et non comme salarié.

Les personnes interrogées ont donc été sélectionnées par rapport à leur situation initiale lors de
notre premier contact. Ce choix nous permet d’avoir une situation a priori propice à l’étude du

phénomène de transition professionnelle et de son accompagnement. Leur situation professionnelle

peut évoluer au fil des mois, mais nous ne les retirerons pas pour autant de l’étude.

2. Les cas sélectionnés

La sélection des cas a suivi une démarche en entonnoir partiel (figure 7). En première étape, une

sélection de cas a été réalisée afin d’émettre des hypothèses de travail (premier échantillon). En

seconde étape, des connaissances théoriques ont été mobilisées. En troisième étape, ces propositions
ont été confrontées à des cas restreints afin d’émettre de nouvelles conjectures (second échantillon).

Cette démarche est cohérente avec notre démarche abductive présentée dans la section précédente.

Le terrain est celui du Conservatoire National des Arts et Métiers (Cnam) de Paris et de celui de

l’Institut Supérieur de Commerce (ISC Paris). Nous avons travaillé successivement dans ces deux
structures en tant que responsable de programmes et responsable d’incubateur. A cette occasion

nous avons pu collecter des matériaux utiles à cette recherche sur des période de 3 à 5 ans selon les

cas. Cette nous permet de disposer de données longitudinales approfondies.

Les programmes de formation, dans lesquels les personnes sont inscrites, sont destinés à les

accompagner dans une démarche de création d’entreprise. Toutefois, la création d’entreprise ne

constitue pas une nécessité. L’évaluation de ces programmes par les organismes de financement16
ne se fait pas uniquement sur le nombre de créations d’entreprises. Elle se fait sur le nombre de

16
Les organismes de financement du programme Titre Entrepreneur de la Petite Entreprise (niveau III) du
Cnam sont les OPCA, le Fond Social Européen et la Région Ile-de-France. Les organismes de financement
du programme MBA Entrepreneur (niveau I) de l’ISC Paris sont principalement les OPCA, auxquels
s’aoutent les organismes d’accréditations de l’Ecole de commerce (AACSB, EFMD et AMBA) qui jouent un
rôle important dans la reconnaissance de l’Ecole, sa gestion et son équilibre financier.

!113
Chapitre III - Cadre méthodologique
sorties positives (salariat, entrée en formation ou création d’entreprise) ainsi que sur la qualité du
corps professoral.

!114
Chapitre III - Cadre méthodologique

Prise de contact avec de nouveaux porteurs de projets

x20

Exploration (problématiques,
Constitution du premier échantillon enjeux, démarches…)

Entretiens « classiques »

Echanges formels Mobilisation des connaissances


théoriques (revue de littérature,
(téléphone, mail…)
hypothèses de travail)

Echanges informels
(café, déjeuner…)

x10

Application des hypothèses de


Constitution du second échantillon
travail

Entretiens « autobiographiques
raisonnés »

Echanges formels
(téléphone, mail…) Retour d’expérience et émission
de nouvelles conjectures

Echanges informels
(café, déjeuner…)

Rédaction finale de la recherche

Figure 7 : Démarche de recherche et sélection des cas

!115
Chapitre III - Cadre méthodologique
Le premier échantillon

Le premier échantillon concerne un échantillon de 20 personnes, toutes salariées et en transition

professionnelle. Ces personnes sont inscrites dans des programmes de formation à l’entrepreneuriat.

Les programmes sont variés. Ils peuvent prendre la forme d’une formation de quelques semaines (3
à 6 mois - équivalence de niveau III) ou d’une formation longue (6 à 18 mois - équivalence de

niveau I). Un nombre restreint est issu de notre réseau personnel et professionnel, non inscrit dans

un dispositif de formation. Dans tous les cas un accompagnement individuel est inclus. Il est réalisé
par nos soins.

Les statistiques du premier échantillon sont les suivantes :

• Sexe : Au total 14 hommes (70%) et 6 femmes (30%) ont été interrogés. Cette proportion
est équivalente aux statistiques nationales puisque selon l’INSEE (201617), 28% des

créateurs d’entreprises sont des femmes.

• Age : La moyenne d’âge du panel est de 36,7 ans, proche de la moyenne nationale établie à
38 ans et demi.

• Situation matrimoniale : Les célibataires représentent 25% de l’étude, 25% sont en union
libre, 35% sont mariés, 10% sont divorcés et 5% sont veufs. Nous ne ne disposons pas de
statistiques nationales fiables sur cette thématique. En revanche une étude de Widoobiz

(201418) portant sur 468 entrepreneurs précise que les 3/4 des personnes interrogées sont en

couple et une étude du Numa (201619) portant sur 375 entrepreneurs précise que 62% sont
en couple.

• Enfants : Les parents représentent 50% des personnes du panel. Aucune statistique nationale
n’existe sur ce thème.

17 INSEE Première - N°1600 - Juin 2016 (réf. identique pour la suite des comparaisons statistiques)
18 http://www.widoobiz.com/actualites/lamour-les-entrepreneurs-infographie/45661
19 https://375.numa.co/

!116
Chapitre III - Cadre méthodologique
• Diplôme : L’étude se penche sur des profils très diplômés puisque la grande majorité (70%)
sont titulaires d’un diplôme de 2e ou 3e cycle du supérieur (4 sont titulaires d’un doctorat).

L’INSEE indique que les diplômés du 2e et 3e cycle représentent 30,8% des créateurs

d’entreprise en France.

• Moyens au démarrage : Parmi les personnes interrogées, 20% ont démarré leur activité avec
moins de 2000€ (29,1% en France), 5% avec 2000 à 4000€ (9,5% en France), 20% avec

4000 à 8000€ (14% en France), 15% avec 8000 à 16000€ (14,2% en France), 15% avec
16000 à 40000€ (13,9% en France), 5% avec 40000 à 80000€ (7,5%) et 5% avec 80000 à

160000€ (5% en France) et 0€ de plus 160 000 € (6,8% en France). Trois projets n’ont pas

abouti (15%).

• Statut juridique : Les entrepreneurs démarrent leur entreprise sous le régime de l’auto-
entrepreneur à 25% (51% en France), 10% en entreprise individuelle (19% en France).

Parmi les entreprises créées en société, 50% le sont sous le statut de la SAS (33% en

France), 30% en SARL (24% en France), 10% en EURL (16% en France) et 10% en SA
(4% en France). Deux entreprises ont été créés à l’étranger.

• Modalités de départ : 20% des salariés interrogés ont quitté leur entreprise car leur contrat
est arrivé à son terme, 30% sur la base d’une rupture amiable (ou rupture conventionnelle),
15% sur un départ volontaire (démission), 10% au travers d’un PSE (ou Plan de Sauvegarde

de l’Emploi), 10% à l’aide d’un Congé pour Création d’Entreprise (CCE), 10% sur un

licenciement pour faute et 5% sont toujours salariés. Nous ne disposons pas de


comparaisons nationales sur ce thème.

• Chômage : Les salariés interrogés qui bénéficient du chômage dans le cadre de la création
de leur entreprise représentent la grande majorité des personnes interrogées (90%). Pour le

reste, 5% n’en bénéficient pas et 5% sont restés salariés. Comparativement les salariés
représentent 30% des créateurs d’entreprise en France.

!117
Chapitre III - Cadre méthodologique
Les profils des salariés que nous avons interrogés dans cette étude sont très variés. Les
comparaisons nationales indiquent que le panel se porte davantage sur une population plus

diplômée et aux moyens financiers plus importants que la moyenne des entrepreneurs. Le profil

type correspond à un homme, âgé de 36,7 ans, marié avec des enfants, diplômé d’un niveau
équivalent à un Master, investissant environ 16000€ dans son projet d’entreprise, sous le statut de la

SAS et quittant son entreprise d’origine car son contrat arrive à son terme, il bénéficie des

allocations chômage (ARE) et a obtenu le poste de cadre principalement par son diplôme.

Ce premier échantillon a permis d’explorer les problématiques de l’accompagnement de la

transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat. Un état des connaissances théoriques a été

réalisé en parallèle afin d’établir des premières hypothèses de travail. A l’issu de cette première

phase de recherche, un second échantillon a été constitué afin de tester les hypothèses de travail.

Le second échantillon

Le second échantillon se compose de 10 personnes. Il est constitué de personnes issues du premier


échantillon (à hauteur de 25%) et alimenté par de nouveaux porteurs de projet (à hauteur de 75%).

Les personnes issues du premier échantillon qui composent le second échantillon sont celles pour

lesquelles les données collectées sont suffisamment approfondies de manière à ce qu’il ne soit pas
nécessaire de reprendre un accompagnement depuis le départ. Soit parce que l’accompagnement

s’est prolongé dans le temps (en dehors de tout dispositif de formation), soit parce qu’une relation

de « sympathie » s’est nouée entre le chercheur et le porteur de projet. Cette relation de proximité a
permis de collecter des données longitudinales sur plusieurs années (au moins 3 ans). Les nouveaux

porteurs de projet qui composent le second échantillon sont sélectionnés en cohérence avec l’objet

d’étude et les questions des recherches associées (Eisenhardt, 1989) comme défini précédemment.

Selon les cas le temps libéré pour travailler sur le projet est à temps plein ou à temps partiel :

• Le temps plein correspond aux salariés licenciés (ou en cours de licenciement), ceux en
congé de formation (congé individuel de formation ou congé de reclassement) en congé de

longue durée (congé création d’entreprise ou congé sabbatique notamment) ou bénéficiant


d’une rupture conventionnelle.

!118
Chapitre III - Cadre méthodologique
• Le temps partiel correspond aux salariés qui travaillent sur leur projet entrepreneurial en
dehors de leur temps de travail (en fin de journée, les week-ends ou pendant leurs

vacances). Cela correspond également aux personnes utilisant des congés de courte durée

pour développer leur projet (congés payés notamment).

Les tableaux 8 présente les 20 porteurs de projet de notre étude. Nous avons mis en avant les 10

porteurs de projets (en haut de tableau) qui constituent le second échantillon et pour lesquels
l’accompagnement a intégré la démarche d’autobiographie raisonnée. Ils sont classés de 1 à 10.

La figure 8 présente leurs parcours.

Durée du suivi
Porteur de projet Modalité de
Métier d’origine Projet
(*) départ
Nb d’entretiens

1. Timothé Rupture amiable 5 ans


Architecte Fleuriste
Homme - 29 ans (CDI) 9 entretiens

2. Sylvie Responsable 7 ans


Hypnothérapeute Licenciement
Femme - 37 ans marketing 13 entretiens

Plan de Sauvegarde
3. François Accessoires de 5 ans
Imprimeur pour l’Emploi
Homme - 42 ans mode canins 15 entretiens
(CDI)

4. Philippe Opticien Opticien Rupture amiable 3 ans


Homme - 44 ans salarié indépendant (CDI) 8 entretiens

5. Samia Responsable 3 ans


Restauratrice Toujours salariée
Femme - 43 ans marketing 4 entretiens

!119
Chapitre III - Cadre méthodologique

Durée du suivi
Porteur de projet Modalité de
Métier d’origine Projet
(*) départ
Nb d’entretiens

6. Benjamin Médecin Congé Création 3 ans


Consultant
Homme - 30 ans hospitalier d’Entreprise 5 entretiens

7. Andry Audioguides Fin de contrat 3 ans


Guide touristique
Homme - 32 ans touristiques (CDD) 10 entretiens

8. Marie-Ange Responsable 3 ans


Gîte touristique Démission
Femme - 39 ans informatique 8 entretiens

9. Louis Gestionnaire de Rupture amiable 3 ans


Sac à main en bois
Homme - 28 ans vente (CDI) 3 entretiens

10. Jean-Pierre Conception de 3 ans


Ingénieur Démission
Homme - 37 ans puces biomédicales 9 entretiens

Porteur de projet de l’étude mais pour lesquels l’accompagnement ne comprend pas la démarche
d’autobiographie raisonnée

Raphaël Analyste Fin de contrat 3 ans


Coach sportif
Homme - 40 ans développeur (CDD) 5 entretiens

Aristide Chargé de Magasin de Rupture amiable 3 ans


Homme - 35 ans communication produits régionaux (CDI) 4 entretiens

Plan de Sauvegarde
Nicolas Directeur Vente de linge de 2 ans
pour l’Emploi
Homme - 34 ans marketing digital maison 5 entretiens
(CDI)

!120
Chapitre III - Cadre méthodologique

Porteur de projet de l’étude mais pour lesquels l’accompagnement ne comprend pas la démarche
d’autobiographie raisonnée

Projet Durée du suivi


Porteur de projet Modalité de
Métier d’origine
(*) départ
Résultat Nb d’entretiens

Caroline Directrice Produits éducatifs Rupture amiable 2 ans


Femme - 39 ans marketing pour enfants (CDI) 4 entretiens

Francis Responsable Conception d'une 2 ans


Licenciement
Homme - 48 ans informatique montre de plongée 3 entretiens

Isabelle Responsable des Paniers-repas à Rupture amiable 2 ans


Femme - 38 ans ventes domicile (CDI) 2 entretiens

Sylvain Chef de projets Bornes de Fin de contrat 4 ans


Homme - 33 ans logistique recyclage (CDD) 3 entretiens

Augustin Responsable des Service de Fin de contrat 3 ans


Homme - 32 ans achats en logistique livraison écolo (CDD) 3 entretiens

Sophie Conception de Congé Création 2 ans


Office manager
Femme - 39 ans jouets pour enfants d’Entreprise 3 entretiens

Ange Lucien Géomètre Géomètre 3 ans


Démission
Homme - 35 ans (salarié) (indépendant) 4 entretiens

Tableau 8 : Liste des porteurs de projets

(*) les prénoms sont fictifs, conformément aux souhaits de la plupart des porteurs de projet
$

!121
Chapitre III - Cadre méthodologique

Prise de contact avec de nouveaux porteurs de projets

x7

Période de formation

x3 x4
Temps plein sur le projet
Temps partiel sur le projet
(licenciement, départ volontaire, (hors temps de travail ou congés
rupture conventionnelle, congé de de courte durée)
longue durée ou congé formation)

Formation longue Formation courte

Activité salarié réduite ou Activité salarié à temps plein ou


inexistante temps partiel

x1
x9

x3 Période d’incubation

x5 x4
Temps plein sur le projet Temps partiel sur le projet
(licenciement, départ volontaire, (hors temps de travail ou congés
rupture conventionnelle, congé de de courte durée)
longue durée ou congé formation)

Statut de résident Statut de résident


« permanent » « temporaire »

Accès à l’ensemble des Accès partiel aux services de


services de l’incubateur l’incubateur

Activité salarié réduite ou Activité salarié à temps plein ou


inexistante temps partiel

Retour au salariat ou Poursuite de l’activité entrepreneuriale

Figure 8 : Parcours types des personnes du second échantillon

!122
Chapitre III - Cadre méthodologique
3. Techniques de recueil d’informations

Les données collectées proviennent de différentes sources : les entretiens semi-directifs, les données

secondaires et les observations directes.

Les entretiens semi-directifs

Deux guides d’entretiens furent utilisés :

•Le premier guide d’entretien a été appliqué au premier et au second échantillon. Il


correspond à un guide d’accompagnement entrepreneurial. Les entretiens ont pour mission
d’aider à développer un projet de création ou de reprise d’entreprise. Les entretiens sont

semi-directifs et durent de 30 minutes à 2 heures. Un premier guide d’entretien a été réalisé

structuré en 4 parties : l’adéquation personne / projet, l’étude de marché, les modalités de


financement et la stratégie de développement. Ces entretiens correspondent à un

accompagnement « classique » accessible auprès de nombreuses structures d’appui à la

création d’entreprise en France (chambres de commerce et d’industrie, chambres de métiers

et de l’artisanat, boutiques de gestion, incubateurs, etc.). Ces entretiens permettent de


collecter des données essentiellement sur le projet.

•Un second guide d’entretien a été réalisé auprès du second échantillon. Il reprend la

méthodologie de l’autobiographie raisonnée (Draperi, 2016). Cette technique fut découverte


au cours de cette recherche. C’est la raison pour laquelle le second guide d’entretien ne

s’applique que sur le second échantillon. L’autobiographie raisonnée est assez simple à

comprendre et à réaliser. Elle se veut complémentaire au premier guide d’entretien qui se


focalise essentiellement sur le projet. La technique de l’autobiographie raisonnée se

concentre davantage sur le parcours du porteur de projet. « L’entretien autobiographique

inscrit le présent dans l’histoire d’une vie, passée et à venir, et donne ainsi le moyen de se
connaître et d’agir de façon plus conséquente » (Draperi, 2016:18).

!123
Chapitre III - Cadre méthodologique
Au total, nous avons réalisé trente deux entretiens auprès du premier échantillon et vingt entretiens
auprès du second échantillon. Les entretiens ont fait l’objet d’un enregistrement audio, d’une

retranscription partielle (premier échantillon) ou totale (second échantillon) et d’un codage. Pour

affiner l’analyse nous complétons nos informations avec plusieurs données secondaires.

Le lieu des entretiens qui a été choisi a été en toute logique le lieu de formation. Un bureau fermé

au calme et sans dérangements. Lorsque les personnes n’étaient pas engagées dans un dispositif de

formation, une table au calme dans un café ou un restaurant, furent également utilisés. Nous avons
pris soin d’éviter les lieux de vie conformément aux préconisations de Draperi (2016) :

« Idéalement il s’agit d’un lieu neutre pour les deux personnes. Sont particulièrement à éviter le lieu

de travail et le lieu de vie » (Draperi, 2016). En effet ces deux lieux (lieu de travail et lieu de vie)

peuvent conduire à limiter l’expression (présence d’un collègue, des enfants, etc.) ou perturber les
échanges.

Les données secondaires

Les données secondaires sont issues des échanges avec les porteurs de projet. Elles sont de natures

variées qui peuvent être classées en trois catégories :

•Les documents projet. Ils correspondent aux documents transmis par le porteur de projet
dans le cadre de la construction de son projet (business plan, tableaux financiers, statuts

juridiques, pactes d’actionnaires, etc.). Ces documents sont essentiellement destinés à


construire le projet sous un angle économique. Ils sont utiles pour comprendre l’orientation

du projet, le comportement et les choix du porteur de projet.

•Les bioscopies. La technique de l’autobiographie raisonnée ayant été découverte au cours

du travail de recherche, les bioscopies concernent uniquement le second échantillon des


porteurs de projet. Ces documents sont réalisés au cours du premier entretien

d’autobiographie raisonnée. Ce support papier réalisé sur des grandes feuilles (de type A3)

est destiné à aider l’accompagnateur et le porteur de projet pour tisser des fils conducteurs

!124
Chapitre III - Cadre méthodologique
dans son parcours de vie. Ce support se compose de cinq colonnes. La première permet de
noter les dates. Les quatre autres permettent de réunir les informations relatives aux études

formelles, aux études non formelles, aux activités sociales et aux activités professionnelles.

•Les échanges téléphoniques. Ils complètent les données précédentes et sont utiles lorsque
le porteur de projet ne peut pas se déplacer ou lorsqu’il se situe à l’étranger.

Les observations directes

A l’issue de leur formation certains porteurs de projet furent hébergés dans les incubateurs des

institutions concernées par l’étude de terrain de cette recherche (Conservatoire National des Arts et

Métiers de 2011 à 2014 et ISC Paris à partir de 2014). Sur les 20 porteurs de projets du premier

échantillon, 10 bénéficient des services de l’incubateur du Conservatoire National des Arts et


Métiers à l’issue de leur formation. Sur les 10 porteurs de projet du second échantillon, cinq furent

hébergés dans l’incubateur de l’ISC Paris à l’issue de leur formation.

Nous retenons la définition d’un incubateur comme une structure d’aide à la création d’entreprise
notamment pendant les premières années de sa vie (Grimaldi, Grandi, 2005). Il accompagne des

projets très jeunes, voire en phase de création et leur propose des services pour les aider dans leurs

démarches. Ces deux incubateurs proposent une offre de services tels qu’identifiés par Caryannis et
Von Zedwitz (2005) et se décomposent de la manière suivante :

•Ressources physiques. L’espace de coworking est de 500 m2 pour l’incubateur du


Conservatoire National des Arts et Métiers) et de 1000 m2 pour l’incubateur de l’ISC Paris.

Les bureaux sont en open space. Les deux structures proposent des salles de réunions et un

espace de convivialité. Les locaux sont situés en plein coeur de Paris (3e arrondissement)

pour le premier et dans la proche banlieue parisienne (Levallois-Perret) pour le second. Les
locaux sont ouverts de 7h30 à 21h30 du lundi au samedi pour le premier et 24h/24h - 7j/7j

pour le second.

!125
Chapitre III - Cadre méthodologique
•Services supports. Les incubateurs proposent des services supports basiques tels que
l’accès à internet haut-débit, une imprimante, un service courrier (arrivé - départ) et un

service de boissons.

•Financements. Il n’y a pas d’investissement direct dans le projet développé. Une mise en
relation avec des réseaux de financement est possible pour les porteurs de projet qui le

souhaitent.

•Processus. Les deux structures proposent un accompagnement (réalisé par nos soins) ainsi
que des ateliers, table-rondes ou conférences permettant d’approfondir un sujet précis.

L’accompagnement est généralement immédiat et proactif.

•Mise en réseau. Une mise en relation avec des experts (marketing, finance, juridique, etc.)

est disponible sur demande. L’accompagnement est renforcé dans le cadre d’une campagne
de crowdfunding, d’une demande de financement ou d’une levée de fonds.

Ces deux structures proposent un contrat d’hébergement de 12 mois renouvelables une fois pour 6
mois supplémentaires. La durée moyenne de l’occupation des incubateurs est de 9 mois. Les

porteurs de projet peuvent disposer de 3 places supplémentaires sans surcoût pour accueillir des

stagiaires. La moyenne des personnes qui utilisent quotidiennement les locaux sont au nombre de 7
pour l’incubateur du Conservatoire National des Arts et Métiers et de 15 pour l’incubateur de l’ISC

Paris. Les entrées s’effectuent généralement en septembre et en janvier. Les mois de décembre,

juillet et août sont calmes (l’incubateur du Conservatoire National des Arts et Métiers est fermé en
août). La moyenne d’âge des porteurs de projets accompagnés est de 37 ans pour le premier

incubateur et de 32 ans pour le second incubateur.

En tant que responsable de ces incubateurs, nous avons pu observer et prendre des notes des

comportements des porteurs de projet qui composent le premier et le second échantillon de cette
recherche. Nous avons analysé leurs comportement en cohérence avec les trois périodes du

processus de transition professionnelle :

!126
Chapitre III - Cadre méthodologique
•Leur arrivée. A leur arrivée dans l’incubateur, les porteurs de projet sont en train de quitter
leur environnement salarial. Ils sont en train de se désengager de leur précédente activité et

s’engagent dans un nouvel environnement de travail. Au cours du premier mois, nous leur

demandons de participer à un rituel. La plupart le font.

- La présentation individuelle. Ce rituel prend la forme d’une invitation collective à


déjeuner dans l’incubateur. Chacun achète ce qu’il veut pour manger et revient dans

l’espace de convivialité. Des pizzas et des boissons sont prévues (payées par
l’incubateur) pour les personnes qui le souhaitent. Chacun prend la parole et se

présente pendant 2 minutes. Le nouvel arrivant commence. Le déjeuner offre

l’occasion d’approfondir les échanges. Nous participons aux conversations, animons

les échanges et relançons les débats si besoin. Nous sommes aidés par la Junior
Entreprise de l’institution de temps en temps (incubateur de l’ISC Paris uniquement).

•Leur quotidien. Pendant cette période, les habitudes s’installent progressivement. Nous
observons le rythme de travail des porteurs de projet qui composent nos échantillons

(horaires, gestion des pauses, périodes de congés, etc.), l’installation de leur bureau (photos,

plantes vertes, logo, etc.) et l’usage des services de l’incubateur. Deux rituels composent
cette période pour les personnes qui le souhaitent. Certains y participent régulièrement,

d’autres d’une manière plus sporadique.

- Les tables-rondes. Elles sont organisées une fois par mois et permettent de présenter
un porteur de projet (souvent ancien de l’incubateur ou de l’institution). La table-

ronde est un outil destiné à fédérer le réseau de l’incubateur interne. C’est aussi un

outil de communication vers l’externe. Les participants se présentent les uns après les

autres pendant 30 secondes. Pour ceux qui arrivent en retard, une petite peluche (le
personnage « Scrat » de l’Age de Glace) leur est attribuée pendant toute la table-

ronde (ce détail amusant vise à atténuer l’impact du retard). Vient la présentation de

l’entrepreneur invité. Nous animons la table-ronde en suivant quatre thématiques


(parcours de l’entrepreneur, étude de marché, stratégie de financement et

!127
Chapitre III - Cadre méthodologique
perspectives de développement). Un large temps est laissé aux échanges entre les
porteurs de projets et l’entrepreneur invité. La table-ronde se termine par une

interview filmée de l’entrepreneur invité destiné à alimenter le site internet dédié

(www.vendredis-entrepreneur.com).

- Les happy-hours. Une fois par mois, les porteurs de projet sont invités à un échanger
autour d’un verre de 17h00 à 19h00 dans l’espace de convivialité de l’incubateur.

Des boissons sont fournies par l’incubateur. Les happy-hours sont ouverts au réseau
des anciens de l’institution (entrepreneurs uniquement). Si un entrepreneur participe

pour la première fois, il doit se présenter pendant 2 minutes. L’évènement est destiné

à aborder une problématique commune à tous (la recherche de financement, le

stratégie de prospection, la gestion de la vie privée, etc.). Tous les participants


doivent apporter leur témoignage. Nous animons les échanges en collaboration avec

le réseau des anciens de l’institution ou la Junior Entreprise de l’institution

(incubateur de l’ISC Paris uniquement).

•Leur départ. Les porteurs de projet peuvent quitter l’incubateur à tout moment. Ils doivent
toutefois nous en informer au minimum 1 mois en avance. Si le contrat arrive à son terme,
nous leur rappelons l’échéance 2 mois avant. Trois situations sont possibles. (1) Le projet

est en phase d’abandon. (2) Le projet est lancé mais demande encore du temps avant de

générer du chiffre d’affaires. (3) Le projet est lancé et génère un premier chiffre d’affaire.
Quelle que soit la situation, nous demandons au porteur de projet de participer à un rituel

durant son mois de départ. Certains le font, d’autres non.

- Le pot de départ. Une invitation collective est lancée pour informer du départ du

porteur de projet. Un verre de l’amitié est organisé. Chacun amène la boisson de son
choix (des boissons et un gâteau sont fournis par l’incubateur). Cela prend

généralement la forme d’une petite cérémonie à l’occasion d’un déjeuner ou d’un

happy-hour. Le porteur de projet apporte des détails sur son départ (s’il le souhaite)
et remercie les autres porteurs de projet.

!128
Chapitre III - Cadre méthodologique
Le tableau 9 synthétise les données collectées par porteur de projet.

Entretien Entretien
Porteur de projet Données Observations
« classique » « autobio »
(*) secondaires directes
(voir annexe 1) (voir annexe 2)

Documents projet
1. Timothé Incubateur
Oui Oui Bioscopie
Homme - 29 ans Inauguration
Echanges mail/tél.

Documents projet
2. Sylvie Incubateur
Oui Oui Bioscopie
Femme - 37 ans Couveuse
Echanges mail/tél.

Documents projet
3. François
Oui Oui Bioscopie Incubateur
Homme - 42 ans
Echanges mail/tél.

Documents projet Incubateur


4. Philippe Oui Oui Bioscopie Inauguration
Homme - 44 ans Echanges mail/tél. Visite boutique

Documents projet
5. Samia Oui Oui Bioscopie Non
Femme - 43 ans Echanges mail

Documents projet
6. Benjamin Oui Oui Bioscopie Incubateur
Homme - 30 ans Echanges mail/tél.

Documents projet
7. Andry Oui Oui Bioscopie Incubateur
Homme - 32 ans Echanges mail

Documents projet
8. Marie-Ange Incubateur
Oui Oui Bioscopie
Femme - 39 ans Inauguration
Echanges mail/tél.

Documents projet
9. Louis Incubateur
Oui Oui Bioscopie
Homme - 28 ans Startups campus
Echanges mail

Documents projet
10. Jean-Pierre Oui Oui Bioscopie Incubateur
Homme - 37 ans Echanges mail/tél.

!129
Chapitre III - Cadre méthodologique

Raphaël Documents projet


Oui Non Incubateur
Homme - 40 ans Echanges mail/tél.

Aristide Documents projet


Oui Non Inauguration
Homme - 35 ans Echanges mail/tél.

Nicolas Documents projet


Oui Non Incubateur
Homme - 34 ans Echanges mail

Caroline Documents projet


Oui Non Non
Femme - 39 ans Echanges mail/tél.

Francis Documents projet


Oui Non Non
Homme - 48 ans Echanges mail

Isabelle Documents projet


Oui Non Non
Femme - 38 ans Echanges mail

Sylvain Documents projet Club


Oui Non
Homme - 33 ans Echanges mail/tél. d’entrepreneurs

Augustin Documents projet


Oui Non Incubateur
Homme - 32 ans Echanges mail/tél.

Sophie Documents projet


Oui Non Non
Femme - 39 ans Echanges mail

Ange Lucien Documents projet Club


Oui Non
Homme - 35 ans Echanges mail/tél. d’entrepreneurs

Tableau 9 : Types de données collectées par porteur de projet

!130
Chapitre III - Cadre méthodologique
4. Traitement des données

Le traitement des données est qualitatif. Il s’applique à interpréter des discours et des

comportements et à leur donner un sens. Il s’agit d’une effort d’interprétation qui se balance entre
deux pôles, d’une part la rigueur de l’objectivité, et d’autre part, le fécondité de la subjectivité

(Bardin, 1977). Traditionnellement l’analyse de contenu comprend trois grandes phases, la collecte

de données pour la pré-analyse, le codage des données et le traitement des données.

La collecte des données pour la pré-analyse

Cette première étape consiste à organiser le travail. Il s’agit de faire le tri entre les données qui sont
exploitées et les autres. Cette première phase vise trois objectifs (Bardin, 1977) : choisir les

données, construire l’objet de recherche en vue de formuler des hypothèses de travail et élaborer

des indicateurs qui seront utiles pour faire l’interprétation finale. Cette première phase se déroule
selon une « lecture flottante » puisqu’elle permet de faire connaissance avec les documents à

analyser, à se faire une idée des orientation de la recherche pour délimiter le champ d’investigation

et à construire l’objet de recherche (Robert, Bouillaguet, 1997, 2007).

Le premier échantillon permet d’effectuer un premier tri entre les données à analyser et les autres.
Les entretiens font l’objet d’un enregistrement audio et d’une retranscription partielle. Ces données

alimentent l’orientation de notre recherche sur la place du projet dans le parcours professionnel et

sur les besoins d’accompagnement des porteurs de projet. Les données secondaires (documents
projet et échanges téléphoniques) sont collectées au fur et à mesure des échanges avec les porteurs

de projet. Leur classement est numérique. Ces données portent sur la mise en oeuvre du projet et

servent à alimenter la nature des besoins d’accompagnement. Pour les observations directes il s’agit
principalement d’un recueil d’impressions sur l’intégration d’un porteur de projet dans un groupe

que nous avons notifié sur un fichier word et intégré à son dossier. Cela nous permet de reprendre

plus facilement l’historique de nos impressions, notamment lorsque l’accompagnement avec le


porteur de projet dure sur une longue période.

La collecte des données est plus précise pour le second échantillon. D’une part nous disposons

d’une première expérience de collecte des données à partir du premier échantillon et d’autre part

!131
Chapitre III - Cadre méthodologique
nous avons découvert la technique de l’autobiographie raisonnée. Les données secondaires
(documents projet et échanges téléphoniques) font l’objet d’un classement numérique. Les

bioscopies sont exploitées d’une manière plus approfondie que les autres données secondaires. Elles

servent à préciser les données collectées lors des entretiens. Les observations directes font l’objet de
notes de synthèse. Les observations se concentrent sur le comportement des porteurs de projets dans

un groupe au regard des pratiques ritualisées définies précédemment.

Le codage des données

A partir du premier échantillon, nous réalisons un premier tri des données extraites des interviews

en utilisant le logiciel Nvivo. Cette opération fastidieuse consiste surtout à procéder à des

opérations de codage et de décompte. Les catégories sont créées au fur et à mesure selon des
caractères communs. Les données sont catégorisées de manière à être significatives. Les catégories

s’inspirent directement du guide d’entretien du premier échantillon qui se découpe en 4 parties : (1)

l’adéquation personne / projet, (2) l’étude de marché, (3) les modalités de financement et (4) la
stratégie de développement. La difficulté de ce codage est l’extraction des données d’un contexte et

d’un discours porteur de sens. Les données extraites ne doivent pas donner une signification

différente, ni dénaturer le contenu initial (Robert, Bouillaguet, 1997). Les données extraites sont
donc de larges passages d’interviews.

Le second échantillon permet d’être plus précis dans les données collectées et donc dans la

catégorisation qui en découle. Les catégories créées à partir du premier échantillon sont remaniées
de manière à être compatibles avec les catégories du second échantillon. Celles-ci reprennent le

second guide d’entretien et notamment les catégories déjà prédéfinies dans la bioscopie à savoir les

informations relatives (1) aux études formelles, (2) aux études non formelles, (3) aux activités

sociales et (4) aux activités professionnelles. La difficulté de ce codage reste encore l’extraction de
données d’un discours global cohérent. Mais à la différence du premier codage, ici les catégories

sont moins nombreuses et globalement mieux réparties les unes par rapport aux autres. Il existe

notamment peu d’extraits classés dans différentes catégories à la fois. Cela simplifie le traitement
des données.

!132
Chapitre III - Cadre méthodologique
Le traitement des données

L’interprétation des résultats consiste à « prendre appui sur les éléments mis au jour par la

catégorisation pour fonder une lecture à la fois original et objective du corpus étudié » (Robert,

Bouillaguet, 1997:31). Cette phase est la plus intéressante car elle permet de croiser les données
collectées selon les catégories définies précédemment. Les données collectées sont croisées selon la

nature du projet, l’existence ou non d’une reconversion professionnelle, les modalités de départ et

les motivations du porteur de projet. Ce traitement croisé nous permet de dégager des grandes
tendances que nous détaillerons dans la partie résultats de cette étude.

Les données sont également croisées individuellement avec les données secondaires et les fiches de

synthèse issues des observations terrain afin de mettre en contexte le discours de chacun. La

temporalité des données est importante dans notre étude. Elle permet par exemple de distinguer
dans le discours le changement de champ sémantique d’une personne dans le temps. (Une personne

indécise par son projet au début de sa transition professionnelle peut devenir extrêmement motivée

et persuasive à la fin de parcours). Notre effort de tri croisé permet de clarifier les liens entre les
données des interviews et l’observation des comportements des porteurs de projet en situation. Ce

croisement va permettre de constater si le discours se traduit par des actes ou non.

5. Synthèse sur le cadre méthodologique

Cette recherche s’intéresse à la transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat et à la


manière dont les acteurs peuvent y donner du sens pour mieux la traverser. Par conséquent, notre

posture de recherche est de nature constructiviste. Elle vise à élaborer des artefacts intelligibles à

destination des acteurs afin de les aider à construire la réalité. Une telle visée s’inscrit dans un
positionnement de type recherche-action à travers une méthode abductive. Plutôt que de réduire

notre influence sur la construction de la réalité, nous sommes conscients que notre

accompagnement conduit à orienter les prises de décision des acteurs. Nous avons émis des
hypothèses sur la base de notre expertise et d’une observation du terrain. Nous avons ensuite

mobilisé des connaissances théoriques interdisciplinaires en vue d’émettre des propositions de

!133
Chapitre III - Cadre méthodologique
travail. Ces propositions ont été confrontées à des cas afin d’émettre de nouvelles conjectures que
nous espérons originales pour notre objet d’étude.

Pour sélectionner les cas un ensemble de critères issus de la définition de l’objet d’étude et des

questions des recherches associées a été déterminé. Deux échantillons ont été mobilisés. Le second
échantillon a permis d’appliquer une technique que nous avons découverte au cours de cette

recherche : l’autobiographie raisonnée. Cette technique n’a encore jamais été appliquée dans le

cadre d’un accompagnement à l’entrepreneuriat. Les données collectées sur une longue période (5
ans) nous donnent le privilège de disposer de données approfondies. Nous disposons également

d’un croisement de données intéressantes. Notre posture de chercheur et de responsable

d’incubateur nous procure l’avantage de disposer d’informations récoltées quotidiennement. Nous

avons pu observer les comportement des porteurs de projet in situ en vue de s’insérer - ou non -
dans une nouvelle communauté de travail. L’observation de leur comportement dans un groupe et

au travers de pratiques rituelles permet de compléter notre étude.

Le cadre méthodologique clôt la première partie de cette recherche. La seconde partie se consacre à
la présentation des résultats.

!134
PARTIE II
PRESENTATION ET ANALYSE
DES RESULTATS

!135
Chapitre IV
LA PLACE DU PROJET DANS LA
LA TRAJECTOIRE PROFESSIONNELLE

Le premier enjeux de cette recherche s’interroge sur la place du projet dans la trajectoire
professionnelle. Nous suggérons que le projet participe à la construction d’un futur souhaité sur la

base d’une histoire passée. La cohérence du projet dans cette trajectoire est alors fondamentale. Un

des rôles de l’accompagnateur serait alors de ne pas se concentrer uniquement sur le projet, mais

plutôt sur sa place dans la trajectoire professionnelle.

Dans ce chapitre, nous allons nous intéresser aux résultats de la première proposition de notre

recherche à savoir : Le projet entrepreneurial est un moyen pour une personne de donner du sens à

sa trajectoire professionnelle. Elle peut faire appel à un accompagnateur qui va l’aider à le mettre en
récit.

Pour cela nous allons présenter nos résultats en deux sections. La première section va se porter sur

les enjeux de la transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat pour le porteur de projet.


C’est la question du pourquoi qui est posée. La seconde section va se porter sur les modalités de

l’accompagnement du salarié en transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat. C’est la

question du comment qui est posée.

Pour illustrer nos propos nous allons nous appuyer sur des extraits d’entretiens.

!136
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

Section 1 • Le désengagement professionnel

Marie-Ange est l’une des personnes interrogées dans le cadre de cette recherche. Salariée

impliquée, curieuse et créative, elle travaille au siège d’une grande banque à La Défense. Elle est en

charge de développer le système informatique de la banque auprès de ses clients professionnels. A


39 ans son domaine d’expertise est devenu pointu. Elle déclare être bien payée et dispose des

avantages d’une grande entreprise (tickets restaurants, couverture sociale, horaires aménageables,

etc.). Pourtant, elle porte un regard rétrospectif assez morose sur cette période.

« Avoir ce type de poste est confortable aux yeux des gens. Alors lorsque tu annonces à tes amis

que tu va tout plaquer pour ouvrir un gîte touristique, ils en restent bouche-bée. Ce qu’ils ne

voient pas c’est le train-train quotidien qui devient vraiment pesant. J’ai 2 heures de transports

par jour pour aller travailler c’est fatiguant. Passer ses journées derrière un écran d’ordinateur

pour vendre des produits financier, ce n’est pas très épanouissant. Lorsque j’ai besoin d’un

stylo, il faut remplir une fiche pour en informer les services généraux. Lorsque j’ai un

déplacement à l’extérieur, il faut une autorisation. Et si jamais je passe un peu trop de temps à la

pause déjeuner du midi, j’ai le droit à des remarques de mes collègues de bureau. Je gagne bien

ma vie, mais je m’ennuie, j’ai besoin de m’épanouir ! » (Marie-Ange)

Sylvie travaille dans le service marketing d’une chaîne d’hôtels. Historienne de l’art de par sa
formation initiale, elle a peu à peu évolué vers le marketing par manque d’opportunités

professionnelles dans son métier d’origine. Toujours en quête de challenges, elle propose

régulièrement de nouveaux projets à sa hiérarchie. Mais elle trouve porte close. Dans son entreprise
les carrières sont établies à l’avance et elles offrent peu de libertés aux personnes désireuses de

monter des projets en interne. La tension monte peu à peu avec sa hiérarchie. Elle a le sentiment

d’être mise au placard. Les projets lui échappent. Elles n’est plus conviée aux rendez-vous

importants. A l’âge de 37 ans, l’envie de passer à autre chose la gagne. Elle décide de donner sa
démission et de se lancer en tant qu’indépendante.

!137
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

« J’ai commencé par suivre une formation en musicothérapie. Je me suis rendue compte que les

postes sont rares dans ce domaine. Ils sont surtout dans les centres de soin (cliniques, hôpitaux,

centres médicaux-sociaux). De fil en aiguille, je me suis inscrite dans une formation en

hypnothérapie. Proche de la musicothérapie, c’est une pratique qui utilise l’hypnose à des fins

thérapeutiques. Je suis passionnée par les métiers du soin. Malgré mon parcours chaotique, je

suis plutôt bien acceptée dans ce milieu. J’apporte une vraie richesse aux autres. Une infirmière

n’est pas une intellectuelle à la base. Moi lorsque j’arrive avec mes méthodes, j’apporte un vrai

complément aux patients » (Sylvie)

Philippe est opticien dans une boutique d’optique indépendante depuis 12 ans. Depuis toujours, il
est sous la responsabilité d’un Directeur et de sa femme. Au départ en retraite de ces derniers,

Philippe pense être le meilleur candidat à la reprise de la boutique. Il économise pour cela depuis

plusieurs années. Mais les choses ne se déroulent pas comme il le prévoyait. Le Directeur décide de
lui vendre la boutique à un prix tellement exorbitant que Philippe ne peut pas suivre. Il décide alors

de quitter l’entreprise et de reprendre une autre boutique d’optique dans une ville toute proche. Peu

de temps après son départ, il apprend que la boutique de son ancien responsable a été revendue à un
repreneur extérieur pour une somme bien plus raisonnable.

« Inutile de vous dire que j’étais profondément écoeuré par l’attitude de mon ancien

responsable. Dès qu’on parle d’argent c’est la loi de la jungle. J’ai joué et j’ai perdu. Mais cette

expérience m’a servi de leçon. Elle m’a permis de prendre un peu de recul et de passer du temps

avec ma famille. J’ai fait quelques remplacements dans différents magasins ici et là. Un jour une

amie m’a informée qu’une boutique d’optique était à reprendre dans la commune d’à côté. Je

me suis dit pourquoi pas. C’est l’occasion de devenir mon propre patron. Après 12 années

passées dans ce métier, je pense en être capable désormais » (Philippe)

Jean-Pierre est un ingénieur spécialisé dans les piles à hydrogène. Cet homme a brillamment réalisé

sa carrière dans un grand groupe industriel français en tant que chef de projet en transition

énergétique. Son responsable lui propose de développer un projet en solo sur ce thème. Mais plutôt

!138
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

que de lui accorder un temps partiel, il l’invite à suivre un MBA. Il lui garantit le maintien de son

poste pendant son absence. Jean-Pierre développe le projet durant la formation. Peu à peu il se rend
compte que son responsable ne tient pas ses engagements. Il n’a pas accès à des informations

importantes, manque de soutien dans la hiérarchie et de financements pour développer le prototype.

Jean-Pierre se rend compte que le projet qu’il porte ne peut pas aboutir. Il souhaite retrouver son
ancien poste mais il a été remplacé. Un bras de fer s’engage avec sa Direction.

« L’intrapreneuriat est une pratique très répandue dans certaines entreprises. Google accorde

20% de temps de travail à ses salariés développant un projet innovant. EDF est l’un des

pionniers en France à avoir développé l’essaimage. SFR dispose de son propre incubateur. La

Poste travaille étroitement avec des startups. Microsoft finance des projets innovants. Mais entre

les effets d’annonce et la réalité, il y a parfois un gouffre. Mon erreur a été de ne pas

suffisamment anticiper mon départ. Mon responsable a tout simplement voulu m’écarter car je

devenais meilleur que lui. J’ai été aveuglé par l’opportunité à prendre et les perspectives

financières » (Jean-Pierre)

Nous allons à présenter tour à tour les sources de l’insatisfaction professionnelle, les motivations
engendrées par le projet ainsi que la prise de risque perçue au désengagement professionnel illustrés

par ces extraits.

1. Les sources de l’insatisfaction professionnelle

Ces quatre extraits illustrent l’insatisfaction professionnelle que nous avons constatée parmi les
salariés interrogés. Certains sont fatigués par la lourdeur administrative. « Lorsque j’ai besoin d’un

stylo, il faut remplir une fiche pour en informer les services généraux. Lorsque j’ai un déplacement

à l’extérieur, il faut une autorisation » (Marie-Ange). Les procédures sont parfois très fortes. Et

quand ils ne sont pas en train de les appliquer « bêtement » (même s’ils jugent qu’ils sont
inadaptés), ils font du reporting pour indiquer qu’ils ont bien exécuté ce qu’on leur demande de

faire. Ils reprochent à leur supérieurs un management « par Excel » centré sur la mesure des

!139
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

performances, qui ne les aide pas à progresser. Leur volonté de bien faire est parfois bafouée par la

nécessité de travailler vite. Certains ont le sentiment que leur niveau d’études ne correspond pas à
leur poste. « Je fais de plus en plus de tâches administratives qu’un BTS pourrait faire » (Jean-

Pierre). D’autres déplorent que le travail de réflexion soit souvent confié à des personnes

extérieures. « On m’a demandé de recruter une stagiaire pour qu’elle lance un de mes
projets » (Sylvie).

Ils souhaitent retrouver la maîtrise de leur vie professionnelle en travaillant dans un métier qu’ils

jugent épanouissant. Certains s’alarment de ne rien accomplir d’intéressant. « Passer ses journées
derrière un écran d’ordinateur pour vendre des produits financier, ce n’est pas très

épanouissant » (Marie-Ange). Ils critiquent souvent la façon dont ils sont managés. « Quand mon

responsable termine ses journées à 17h00, moi je termine souvent vers 21h00. Et ça ne lui pose
aucun problème de me demander d’étudier des dossiers de patients pour le

lendemain » (Benjamin). Leur vie personnelle est parfois mise entre parenthèses. Certains ont le

sentiment de négliger leur vie de famille. « J’ai gagné beaucoup d’argent. Mais je devais être

connecté tous les jours. Je travaillais même pendant mes vacances » (Nicolas). On leur demande
d’être proche du terrain, à l’écoute des autres, mais certains ont l’impression que les discours sur les

chartes sur la qualité de vie au travail ne s’appliquent pas pour eux. Ils ne veulent pas se sacrifier

pour un employeur qui risque de les « jeter » du jour au lendemain. « Mon ancien directeur a été
licencié après vingt ans de boîte. Pourtant c’était quelqu’un de compétent qui faisait son travail

correctement. Difficile de se projeter dans l’entreprise après ça » (François).

Plus globalement nous avançons trois variables à leurs insatisfactions professionnelles que nous

synthétisons dans le tableau 10 :

•L’insatisfaction économique. Ce sentiment est peu représenté dans la population interrogée


(20%). Le prestige peut se définir comme « la manière selon laquelle un membre d’une

organisation interprète et évalue la réputation de son organisation » (Mael, Ashforth,

!140
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

1992). Lorsque cette image est défavorable, elle empêche au salarié de se définir en tant que

membre de son organisation et contribue à la perte de l’estime de soi par l’intermédiaire de


cette appartenance sociale dévalorisée. Le prestige est souvent lié au système de

rémunération et d’évolution professionnelle mis-en-place par l’organisation. Lorsque celui-

ci ne correspond pas aux attentes de la personne, un mécontentement apparaît. La perte de


prestige se manifeste par des verbatims tels que : « Mon entourage n’a pas une bonne

opinion de mon entreprise » (Raphaël), ou « Avec les salaires qu’on a beaucoup de gens ne

voudraient pas travailler dans mon entreprise » (Aristide).

•L’insatisfaction sociale. Ce sentiment est très représenté dans la population interrogée


(60%). La perte de soutien organisationnel fait référence aux ressentis qu’ont les personnes
sur leur hiérarchie et plus largement sur le système organisationnel mis en place dans leur

entreprise. Ils estiment que leur entreprise ne les fait pas suffisamment participer, ne prend

pas en compte leur objectifs et leurs valeurs ou n’est pas disposée à les aider lorsqu’ils ont

un problème. Ce sentiment est étroitement lié à l’environnement social de la personne. La


notion de soutien organisationnel repose sur des travaux qui tendent à montrer que les

salariés voient dans les actes de leurs supérieurs hiérarchiques les actions de l’entreprise

elle-même. Cela correspond globalement « à la croyance globale d’un salarié à propos du


degré d’attention que l’entreprise lui porte et de la façon dont elle valorise ses

contributions » (Eisenberger et al., 1986). Cette perte de soutien organisationnel se

manifeste avec des verbatims tels que « Mon entreprise ne fait pas le nécessaire pour
exploiter au mieux mes capacités » (Jean-Pierre), « Mon entreprise se désintéresse de mes

projets » (Sylvie).

!141
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

Rémunération trop faible 1, 2, 5, 6

Qualité du matériel de travail insatisfaisante ou absente 2, 6, 7

Couverture sociale insuffisante ou absente 2, 7

Insatisfaction Manque d’accès à des services de restauration de qualité 3


économique Prise en charge des frais de transport insuffisants / absente 2, 6, 7

Insatisfaction ou absence d’un comité d’entreprise 1, 4, 6

Remb. des frais professionnels insatisfaisante ou absente 1, 2, 3, 4, 10

Sécurité de l’emploi non garantie 2, 3, 4, 7, 10


Manque de soutien hiérarchique 1, 2, 4, 6, 10

Manque de moyens humains 2, 6

Evolution professionnelle insatisfaisante ou absente 1, 2, 7, 10

Ambiance de travail insatisfaisante ou absente 1, 2, 5, 8, 9


Insatisfaction sociale
Sentiment d’inutilité 1, 2

Manque de prestige social 3

Sentiment d’isolement dans l’organisation 2, 10

Désaccord hiérarchique 1, 2
Stress, fatigue, épuisement 2, 5, 6

Maladie, accident, handicap 5

Développement des compétences insuffisante ou absente 1, 2, 9

Sentiment d’avoir fait le tour 2, 5, 8


Insatisfaction
existentielle
Routine 1, 3, 8, 10

Mobilité insatisfaisante (trop forte ou trop faible) 2, 5, 6, 7, 10

Désaccord avec les valeurs de l’organisation 2

Activité inadaptée avec ses contraintes personnelles 5, 8

Tableau 10 : Les insatisfactions des salariés en poste

!142
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

•L’insatisfaction existentielle. Ce sentiment est largement représenté dans la population

interrogée (90%). Il traduit le « besoin plus ou moins fort qu’un individu ressent de
s’identifier à une organisation en général » (Glynn, 1998). La perte d’épanouissement se

traduit par un désaccord à des valeurs personnelles ou professionnelles. Cette perte

d’épanouissement est propre au sentiment de travailler pour une entreprise qui se


désintéresse du bien-être de ses salariés, qui empiète sur leur vie de famille, qui ne prend

pas en compte leurs contraintes personnelles ou familiales et qui défend des valeurs

déplaisantes voire choquantes. Cette perte d’épanouissement se traduit par des verbatims
tels que « Mon entreprise n’est pas vraiment attentive à mon bien-être » (Marie-Ange),

« Mon entreprise se désintéresse de ma vie de famille » (Caroline).

Après avoir présenté les sources d’insatisfaction professionnelle, penchons nous désormais sur les

sources de motivation engendrées par l’optique d’une création d’entreprise. Nous analyserons

ensuite la prise de risque perçue en cas de désengagement salarial.

2. Les motivations engendrées par le projet

Le projet est un parfois un moyen de se désengager d’une emprise professionnelle. « Enfin je vais

pouvoir exprimer ma passion » (Caroline). Le projet est développé la plupart du temps sur le temps

personnel. Il prend peu à peu de l’ampleur et commence à empiéter sur le temps professionnel. « Je
ne vous cache pas qu’il m’arrive de travailler sur mon projet au bureau » (Aristide). Dans certains

cas les moyens mis-à-disposition de l’employeur peuvent être détournés par le salarié d’une

manière illégale. « Mes bases de données client sont celles que j’ai créées pour mon ancien
patron » (Andry). Il arrive plus rarement que l’employeur se propose d’aider le salarié dans son

projet. « A ma grande surprise, j’ai réussie à décrocher un rendez-vous avec une importante

Directrice de la banque pour mon projet. J’ai découvert qu’elle était également membre d’un

important réseau de micro-crédit en France. Ses conseils me furent très utiles » (Marie-Ange).

!143
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

Les propos des salariés que nous avons rencontrés convergent dans un discours enthousiaste par

rapport à leur projet. Certains expriment « une passion pour les métiers du soin » (Sylvie), d’autres
précisent « il est temps que je devienne mon propre patron » (Philippe), ou encore « je me suis

laissé convaincre par ma famille de me lancer dans ce projet » (Andry). Le projet est perçu comme

une activité intellectuelle créative, un moyen de s’épanouir. Toutes les personnes interrogées parlent
de leur projet avec enthousiasme. Il véhicule des images positives sur leur avenir professionnel. Le

tableau 11 synthétise les motivations des porteurs de projet.

Les motivations peuvent être synthétisées en trois catégories :

• Les motivations économiques. En s’efforçant de répondre à des opportunités et en les

concrétisant par une offre acceptable par le marché, les porteurs de projet font preuve
d’innovation. Joseph Schumpeter est l’un des premiers à définir l’entrepreneur comme une

personne capable de combiner différentes ressources afin de créer un offre innovante

(1934). Cette combinaison peut se traduire soit en introduisant un nouveau produit sur le
marché, une nouvelle méthode de production, en ouvrant un nouveau marché, en exploitant

une nouvelle source de matières premières ou à travers la création de nouvelles méthodes

de travail. Cette dimension économique est reprise par Alain Fayolle, « les entrepreneurs

sont des organisateurs de processus de création de richesses économiques. Ils poursuivent


des opportunités et s’efforcent de les concrétiser en utilisant des techniques appropriées de

gestion et de management » (2000:11). Ce critère économique se traduit par des verbatims

tels que « Je veux générer des revenus avec mon entreprise » (Jean-Baptiste), « Développer
un projet de A à Z est vraiment stimulant » (Jean-Pierre).

!144
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

Assurer la pérennité d’une activité 1, 2, 3, 4, 7, 8

Faire des marges importantes 7, 9, 10

Parvenir à l’équilibre financier 3, 5, 8

Motivations Développer une activité à croissance rapide 2, 6, 7, 10


économiques Saisir des opportunités 4, 6, 7, 9, 10

Multiplier les contrats 2, 6, 7

Revendre l’activité 7, 10

Faire une (plusieurs) levée(s) de fonds 2, 7, 10

Prestige social (« je suis entepreneur-e ») 2, 6, 7, 9, 10

Etre utile aux autres 2, 6

Protéger l’emploi 2

Participer à la vie d’une communauté 2, 4, 6, 7, 8, 9


Motivations
sociales
Tisser des liens 1, 2, 4, 6, 7, 8, 9

Transmettre des valeurs 3, 4, 8

Monter une équipe 2, 7, 8, 9, 10

Prouver sa compétence 1, 2, 3, 4, 10

Etre en accord avec des valeurs 1, 2, 5, 8, 9

1, 2, 6, 9
Se sentir libre
6
Etre connu(e)
1, 3, 5, 6, 8
Motivations Changer de vie
existentielles 1, 6, 8, 9
Assurer un déplacement géographique
1, 3, 4
Devenir chef d’entreprise
1, 2, 3, 6, 7, 8, 9,
Etre fier(e) de développer un projet 10
Adapter son activité à ses contraintes personnelles 5, 6, 8

Tableau 11 : Les motivation à entreprendre

!145
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

•Les motivations sociales. Les personnes interrogées peuvent être plus ou moins sensibles à

la satisfaction que leur activité va apporter aux autres. Certaines personnes choisissent de
développer un projet pour tisser des liens avec les autres, participer à une communauté ou

renouer des liens perdus avec sa famille. La création de liens sociaux peut aller au-delà du

réseau direct. L’ancrage territorial est souvent un facteur important dans la mesure où le
porteur de projet souhaite vivre et s’inscrire dans une communauté locale. L’activité peut

également développer une dimension sociétale en intégrant des personnes éloignées de

l’emploi (personnes en situation de handicap, écoles de la seconde chance, etc.) ou être


conçue dans un esprit coopératif. Ce critère social se traduit par des verbatims tels que « Je

veux générer des emplois avec mon entreprise » (Louis), « Je veux être utile aux autres avec

mon projet » (Marie-Ange).

•Les motivations existentielles. Développer une activité qui a du sens pour soi est une
caractéristique souvent évoquée par les personnes interrogées. A travers le projet, les

personnes recherchent être en adéquation avec leurs valeurs, souvent étroitement liées avec
leurs valeurs familiales. Le plaisir de travailler pour soi et le sentiment d’être libre sont

souvent des éléments clés pour les porteurs de projets. « Le patron implique un rapport

hiérarchique rigide alors que l’entrepreneur est au contraire synonyme de liberté et


d’initiative » (Boutillier, Uzundis, 1999:145). Vivre d’une activité construite sur les bases

d’une passion, d’une culture (familiale, culturelle ou religieuse) ou d’un attachement

(territorial, amoureux) donne de la satisfaction et donc du sens au travail. Ce critère


existentiel se traduit par des verbatims tels que « Je veux tourner une page de ma vie et

créer mon entreprise » (Samia), « C’est l’occasion de vivre d’une passion que j’entretiens

depuis plusieurs années » (François).

Après avoir présenté les sources d’insatisfaction professionnelle ainsi que les sources de motivation

engendrées par le projet, voici à présent la prise de risque perçue au désengagement salarial.

!146
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

3. La prise de risque perçue

Le désengagement salarial est systématiquement associé à une prise de risque. C’est une situation

paradoxale à laquelle les personnes sont confrontées. D’une part le désengagement professionnel
conduit à faire face à un grand nombre d’incertitudes. Mais paradoxalement le désengagement

salarial leur permet également de développer une autre vision sur leur situation professionnelle.

Tout d’abord la relation au risque perçue est étroitement associée à l’histoire de chacun. L’une des

personnes interrogée nous confie « je ne veux pas me planter encore une fois » (Timothé). Cette
personne ayant déjà été confrontée à l’échec professionnel au cours de sa carrière, le projet

constitue une prise de risque importante pour elle. Un nouvel échec provoquerait une importante

perte de confiance pour elle. Le risque financier est évidemment à prendre en considération. « Mon
projet demande un investissement financier important. Je ne sais pas si je suis en mesure de

l’assumer » (François). L’entourage joue également un rôle important dans l’évaluation de la prise

de risque. Des personnes ayant des entrepreneurs dans leur entourage vont exprimer moins de
craintes sur leur prise de risque que d’autres. « Ma femme est issue d’une famille de fonctionnaires

où ils ne prennent pas de risques. Le rythme de vie, les problématiques ne sont pas les mêmes qu’un

entrepreneur. Devenir entrepreneur est pour eux une prise de risque inconsidérée, surtout avec un
enfant à charge » (Philippe). Le choix d’entreprendre ne concerne pas seulement le porteur de

projet. Cela va avoir des conséquences sur son entourage proche, à commencer par sa famille. Une

personne célibataire ne va pas porter le même regard sur la prise de risque qu’une personne en

couple en particulier si elle est mère ou père de famille. « En tant que maman célibataire, je dois
jongler entre la vie de famille, ma vie de femme et mon projet d’entreprise. Ce n’est pas simple tout

les jours » (Sophie).

D’autre part en agissant autrement que les autres salariés de leur entreprise, les personnes
interrogées parviennent à élargir leur espace de liberté. Ce nouveau regard qu’elles portent sur leur

environnement est à l’image de l’entrepreneur Schumpétérien qui consiste à utiliser autrement les

ressources de l’entreprise en les combinant d’une manière plus libre que les autres. « Depuis que je
développe mon projet, je porte un regard différent sur mon poste. Comme si je regardais les choses

d’en-haut » (Marie-Ange). Pour se sentir plus libre dans son travail, le projet peut être développé en

!147
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

parallèle de leur emploi comme une passion. « Je développe mon projet depuis trois ans maintenant

le soir et le week-end. Je ne me suis jamais dit que j’allais faire ça à temps plein. C’était juste une
activité secondaire qui me rapportait un peu d’argent et me permettait de relativiser les problèmes

au travail. Si jamais je me retrouve au chômage, j’aurai toujours ça ! » (François). Le projet peut

être perçu comme une bouée de sauvetage en cas de difficultés professionnelles. Développé plus ou
moins régulièrement sur le temps libre, il donne un sentiment de sécurité à certaines personnes

interrogées. « Au cas-où » est une expression que nous avons souvent entendu. « Le produit est de

bonne qualité. C’est une activité qui génère des revenus réguliers sans consommer trop de
ressources. C’est une sécurité si jamais je me retrouve au chômage un jour » (Louis). Pour quelques

personnes le projet est un filet de sécurité en cas de chômage.

A présent nous pouvons mettre en évidence les prises de risques perçues par les personnes

interrogées en trois catégories (synthétisés dans le tableau 12) :

!148
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

Perte de rémunération 1, 2, 3, 5, 8, 10

Perte de couverture sociale 3, 5, 8

Perte d’un système de formation 8, 10

Perte de facilités de restauration 2, 3, 6, 8, 10


Risques économiques
Perte d’accès à des act. sportives/culturelles 6, 8, 10

Perte de matériel de travail 2, 10

Perte de facilités de transport 1, 2

Perte d’un bureau et de ses services associés 3


Perte d’un statut social 1, 6, 8, 10

Risque de déclassement social 2, 3

Instabilité familiale 2, 4, 5, 6, 8

Perte de légitimité, crédibilité 1, 3


Risques sociaux
Risque d’un éloignement social, isolement 2, 3, 4, 5, 6, 8, 10

Absence de collègues, d’une ambiance 2, 3, 6, 7, 8, 9

Jugement des autres 3

Sentiment d’imposture, de honte, de trahison 4, 6, 7, 10

Sentiment de solitude 2, 3, 4, 5, 6, 10

Incertitude, stress, inquiétude Tous

Risque de déprime, d’angoisse, de peur 3, 5, 6

Perte de la sécurité de l’emploi 6, 8, 10


Risques existentiels
Perte de confiance 3, 5, 6

Perte de sommeil 3, 4, 5, 6, 7, 10

Changement d’alimentation, perte d’appétit 5, 6, 7, 9

Culpabilité 5, 6

Tableau 12 : Les prises de risque à entreprendre

!149
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

•Les risques économiques. Les témoignages que nous avons récoltés mettent en avant le

risque financier du choix d’entreprendre. Certaines personnes bénéficient d’une


rémunération confortable. « Je gagne bien ma vie dans mon poste actuel, ça va être brutal

de me retrouver sans rien » (Benjamin). Le choix est aussi difficile pour celles dont la

rémunération est plus faible et qui n’ont pas beaucoup d’argent de côté. « J’ai multiplié les
petits-boulots depuis plusieurs années. Ma famille peut m’aider mais cela ne va pas durer

longtemps » (Andry). Le(la) conjoint(e) est important pour les personnes vivant en couple.

C’est souvent lui(elle) qui va assurer le maintien de niveau de vie pendant la durée du
lancement du projet pendant lequel la rémunération va être plus faible voire inexistante. La

perte des avantages sociaux sont aussi un facteur de risque, notamment pour les salariés des

grandes entreprises. « Mon poste actuel me permet de bénéficier de tickets restaurants, de


chèques voyages, de remboursement des frais de transports. Mis bout à bout ça

compte ! » (Marie-Ange). Cette perte des avantages sociaux sont également un frein pour

les personnes qui ont des enfants à charge « L’absence de mutuelle est une perte importante

pour moi. Mes deux enfants portent des lunettes. Et ils sont souvent malades. C’est un coût
non négligeable à l’année » (Samia).

•Les risques sociaux. Les personnes interrogées nous indiquent que la perte de leur statut de
salarié est une source d’inquiétude. « Le salariat est synonyme de sécurité de l’emploi, en

particulier en CDI » (Marie-Ange). Les doutes sont également nombreux en raison du

jugement éventuel de son entourage sur la réussite ou non du projet. « Et si je ne réussissais


pas » (Timothé). L’environnement proche joue un rôle important dans l’inquiétude générée

par le désengagement salarial. « Mes amis m’ont dit que j’étais fou » (François). Le

sentiment de solitude est également fréquemment cité. « C’est difficile de travailler depuis
chez moi. J’ai besoin de voir des gens » (Sylvie). Pour certaines personnes dont la carrière

salariale a été marquée par des succès, il est parfois difficile de se lancer dans une activité

indépendante. « J’avais une équipe de 20 personnes en Europe à gérer. Je passais mon

temps entre Paris et Londres. Maintenant je compte vendre du linge de maison tout seul

!150
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

depuis un incubateur » (Nicolas). Le risque d’instabilité familiale est alors un frein pour de

nombreuses personnes. « Ma femme a parfois du mal à comprendre quand je travaille


depuis chez moi. Elle s’attend à ce que je fasse la vaisselle, la lessive et le

repassage » (Philippe).

•Les risques existentiels. L’incertitude liée au projet est la principale source d’inquiétude
pour les personnes interrogées. « Je ne sais pas si mon projet va réussir » (Samia). Ensuite
vient le sentiment de solitude. « Etre seul à développer mon projet est pesant. J’en parle
avec ma femme, mais elle ne comprend pas les problèmes de l’entrepreneur » (Philippe).
L’inquiétude peut engendrer un changement dans les habitudes de consommation. « Je
passe beaucoup plus de temps dans des soirées de réseautage. Le problème est que je fume
et je bois aussi beaucoup plus qu’avant » (Benjamin). Le changement de rythme de travail
engendre également un sentiment de culpabilité chez les personnes interrogées. « Après
déjeuner, j’ai pris l’habitude de me reposer 20 minutes dans le canapé. Je me sens un peu
coupable de le faire. Surtout lorsque je m’endors 2 heures ! » (Philippe) Cela peut
engendrer des sentiments plus graves comme du mal-être ou de l’angoisse. « Je n’arrive
plus à dormir correctement. Je suis tout le temps en train de réfléchir à ce que je dois faire,
comment m’y prendre et avec qui » (Samia).

La combinaison des trois facteurs à savoir (1) les sources d’insatisfaction professionnelle, (2) les
motivations engendrées par le projet et (3) la prise de risque du projet, contribuent au
désengagement salarial, que nous allons présenter.

!151
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

4. Théorie du désengagement salarial

Désormais nous pouvons proposer une représentation schématique du désengagement salarial


(figure 9). Ce schéma permet de représenter trois surfaces :

•L’insatisfaction professionnelle

•Les motivations générées par le projet

•La prise de risque perçue par le désengagement professionnel (salarial)

Prise de
risque
perçue
B

A C
Motivations
générées par le Désengagement
projet salarial

D Insatisfaction
professionnelle

Figure 9 : Le désengagement salarial

Le regroupement de ces trois surfaces permet de générer quatre zones distinctes (A, B, C, D)

•La zone A représente la zone de cohérence entre l’insatisfaction professionnelle, les


motivations générées par le projet et la prise de risque perçue. C’est au croisement de ces

trois zones que les conditions sont réunies pour que le désengagement professionnel du

salariat vers l’entrepreneuriat puisse s’initier. La personne est à la fois suffisamment


insatisfaite professionnellement pour lancer une activité entrepreneuriale, elle est motivée

!152
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

par son projet et estime acceptable la prise de risque au désengagement salarial que le projet

induit.

•La zone B représente une zone où la personne est motivée par un projet entrepreneurial et
estime acceptable la prise de risque du désengagement salarial. Toutefois elle est encore

suffisamment satisfaite professionnellement pour ne pas initier un désengagement


professionnel du salariat vers l’entrepreneuriat.

•La zone C représente une zone où la personne est insatisfaite professionnellement et évalue

que la prise de risque au désengagement salarial est acceptable. Toutefois la motivation à


entreprendre est encore trop faible pour que le désengagement professionnel puisse s’initier.

•La zone D représente une zone où la personne est à la fois insatisfaite professionnellement
et motivée par son projet entrepreneurial. Toutefois la prise de risque perçue du
désengagement salarial est trop forte pour que le désengagement professionnel du salariat

vers l’entrepreneuriat puisse s’initier.

Plusieurs variables sont toutefois à prendre en considération :

•La perception de la prise de risque du désengagement salarial est celle du porteur de projet.
Elle ne reflète pas forcément la réalité. Cette perception peut-être variable d’une personne à

une autre. Un accompagnateur peut ne pas percevoir la même prise de risque que le porteur
de projet et inversement20.

•La variabilité de chaque registre (insatisfaction professionnelle, motivations générées par le


projet et prise de risque perçue) est à prendre en compte. Une personne peut être insatisfaite
professionnellement un jour J et ne plus l’être à J+1 pour différentes raisons (promotion,

20 A titre d’illustration, nous avons eu l’occasion de rencontrer des porteurs de projet bénéficiant d’une
confortable rémunération, d’avantages de toutes sortes (comité d’entreprise généreux, véhicule de fonction,
complémentaire santé, etc.), d’une ambiance de travail jugée satisfaisante et d’un plan de carrière intéressant.
Le risque à se désengager professionnellement de leur poste de salarié était pour nous assez fort. Mais pour
eux la prise de risque était jugée faible.

!153
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

changement de site de production, avantages en nature…). De la même façon le projet peut

évoluer dans le temps et faire varier les motivations et la prise de risque.

•Le poids de chaque registre n’est pas à négliger. Ce n’est pas parce qu’une personne est
insatisfaite professionnellement qu’elle va forcément entreprendre. Inversement ce n’est pas

parce qu’elle est relativement satisfaite de son poste actuel qu’elle ne va pas décider de
développer un projet. Le projet entrepreneurial peut faire émerger en elle une telle

motivation à entreprendre qu’elle va se désengager professionnellement, même si elle

semble être partiellement satisfaite.

5. Synthèse de la section

Dans ce chapitre, nous nous intéressons aux résultats de la première proposition de notre recherche

à savoir : Le projet entrepreneurial est un moyen pour une personne de donner du sens à sa

trajectoire professionnelle. Elle peut faire appel à un accompagnateur qui va l’aider à le mettre en
récit.

Cette première section a permis de présenter les enjeux de la transition professionnelle du salariat à

l’entrepreneuriat pour le porteur de projet. C’est la question du pourquoi qui est posée. Pour cela
nous avons développé une théorie du désengagement professionnel basé sur trois éléments :

l’insatisfaction professionnelle, les motivations générées par le projet et la prise de risque perçue

par le désengagement salarial. Chaque élément fait l’objet d’un référentiel issu de l’échantillon

étudié. Nous proposons que le désengagement salarial intervient à la rencontre de ces trois
éléments.

A présent la seconde section va se porter sur les modalités d’accompagnement du salarié en

transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat. C’est la question du comment qui est

posée.

!154
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

Section 2 • Revisiter la dialogique personne - projet

Le désengagement salarial ne conduit pas nécessairement à l’engagement entrepreneurial. Le

désengagement salarial spécifie qu’il y a un équilibre qui émerge au croisement de l’insatisfaction

professionnelle, des motivations générées par le projet et de la prise de risque perçue. Ce sont les
correspondances entre ces trois registres qui permettent de comprendre la genèse et le

développement du désengagement salarial vers un engagement entrepreneurial. La personne peut

renoncer à son projet, les conditions de travail peuvent changer, les motivations associées au projet
peuvent évoluer ou encore la prise de risque peut augmenter ou diminuer. L’engagement ou non de

la personne dans son projet tient compte de ces trois aspects. Durant cette période le projet peut

« prendre » ou non dans le parcours de vie.

Le projet entrepreneurial est au croisement de plusieurs trajectoires de l’individu comme la

trajectoire professionnelle, la trajectoire sociale ou la trajectoire financière par exemple. Ce sont les

correspondances entre ces trajectoires qui permettent de comprendre la genèse et le développement

du projet entrepreneurial. Les enjeux du projet entrepreneurial influencent les rapports avec la
famille, les rapports avec les amis, les rapports avec les relations professionnelles et contribuent à

façonner l’univers de ces derniers. Pour analyser les processus à l’oeuvre, il nous faut comprendre

dans quelle mesure l’histoire est agissante dans le projet entrepreneurial, par quelles décisions et
influences on passe d’une trajectoire salariale à une trajectoire entrepreneuriale et comment les

contradictions de trajectoires peuvent conduire à des conflits dans la trajectoire professionnelle.

Considérer le projet entrepreneurial comme le produit d’une histoire remet en cause l’emprise que
l’individu peut avoir sur son projet. Les entrepreneurs tendent souvent à considérer leur projet

comme la résultante de leur travail, de leur énergie et de leurs talents. « Mon projet c’est mon

bébé » est une phrase souvent entendue lorsque l’on écoute les entrepreneurs. Accepter de
considérer son projet comme un élément d’un processus qui s’enracine profondément dans le passé

et qui se poursuivre au-delà, heurte la perception de domination et plus encore les désirs

d’influencer sa trajectoire professionnelle vers un futur meilleur. Cela demande parfois un travail

d’accompagnement pour renoncer à sa toute-puissance et accepter le caractère résultant de son


projet entrepreneurial.

!155
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

La famille, les amis ou les relations professionnelles inscrivent leurs effets dans le projet

entrepreneurial. Chacun d’eux est relié au projet entrepreneurial par une série d’influences
économiques, sociales, affectives dont une bonne part sont inconscientes. C’est là qu’il faut

comprendre le projet entrepreneurial comme un phénomène influençant et influençable. L’individu

est contraint par ses liens qui entravent sa liberté de mouvement, mais ces liens sont également des
liaisons : elles insèrent l’individu au travers son projet entrepreneurial dans un réseau relationnel

qui fabrique le tissu professionnel, familial et amical. La réalisation d’une trajectoire

professionnelle montre comment un projet est le produit d’alliances successives, de point de


ruptures et de jeux d’influences. Telle une poupée gigogne, le projet entrepreneurial est emboîté

dans une trajectoire professionnelle, elle-même insérée dans un parcours de vie.

En ce sens, le projet entrepreneurial est un porteur d’histoire. Cette formule doit être comprise sur

plusieurs plans :

•Le projet entrepreneurial est le produit d’une histoire. Le projet se construit à partir des

évènements professionnels, personnels, familiaux ou amicaux que l’entrepreneur a vécu et


qui constituent la trame de sa biographie.

•Le projet entrepreneurial est le producteur d’une histoire. Si le projet entrepreneurial

peut être considéré comme le produit d’une histoire, il en est également le producteur. Au
travers de son projet, l’entrepreneur est en capacité d’intervenir sur sa propre histoire et

peut l’influencer.

Ces différentes dimensions sont particulièrement visibles chez les personnes dont la trajectoire est

marquée par des changements importants, qu’elles soient familiales ou sociales. C’est le cas de

Nina dont l’identité est traversée par des passions entrepreneuriales familiales. C’est également le
cas de François, issu du monde ouvrier, qui épouse une femme issue d’une famille d’entrepreneurs.

!156
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

Nina, héritière des passions entrepreneuriales familiales 21

Nina est une jeune étudiante de 20 ans qui poursuit ses études dans le prestigieux Institut d’Etudes
Politiques de Paris, communément désigné par Sciences Po. A priori rien ne la destine à créer une

entreprise. Passionnée par la musique, les voyages et les rencontres - passions qu’elle tient de ses

parents Pierre et Colette - son ambition à son jeune âge est plutôt de parcourir le monde.

C’est à l’anniversaire de Nina que son frère, Thomas, lui offre un sac à main confectionné par ses

soins à l’aide de machines-outils très spécifiques. Thomas a terminé ses études d’ingénieur et vient

de rentrer d’une année passée en Afrique du Sud en compagnie de sa mère Colette. Il rentre en
France car il vient de décrocher un emploi en tant que responsable d’un FabLab à Compiègne dans

le Nord de Paris. Un FabLab est un lieu permettant d’avoir accès à des machines-outils

habituellement réservées aux professionnels telles que des imprimantes 3D, des découpeuses laser
ou encore des brodeuses numériques. Lors de la rentrée de Nina, le sac attire la curiosité de ses

amies et fait des envieuses. Forts de ce constat et de ce sac qui deviendra leur premier prototype,

Thomas et Nina décident de se lancer dans l’aventure entrepreneuriale. Louis, leur frère, alors

gestionnaire de marque dans une grande entreprise, quitte son emploi et se joint à eux. Salarié
depuis 2 ans auprès de cette entreprise, son départ s’effectue sous la forme d’une rupture

conventionnelle. Ce type de départ lui permet de bénéficier de ses allocations chômage pendant 18

mois. Cela lui laisse alors le temps de développer le projet familial même si celui-ci ne lui permet
pas dans les premiers temps de se rémunérer.

Si au départ, la belle équipe doit faire face à des incompréhensions et se heurte à des complications

de conceptions, ils parviennent au fur et à mesure de leurs recherches et avancées à s’entourer de


personnes bienveillantes, de mentors spécialisés dans divers pôles d’expertises. Ils travaillent

ensemble au positionnement de leur marque, au business plan, au test de leur produit en sondant

leurs amis (choix des couleurs, des formes, etc.). Lorsqu’il a fallu trouver un nom, cela fait
l’unanimité : Noüne, le surnom que Thomas et Louis donnent depuis toujours à leur pétillante soeur

Nina ! Peu à peu ils trouvent leur équilibre entre Louis à 100% sur le projet et Thomas et Nina qui

21 Nous avons réalisé notre accompagnement auprès du frère de Nina, Louis. Pour faciliter la compréhension
de ce cas, nous avons choisi de mettre Nina au coeur du récit compte tenu qu’elle est centrale dans le projet.

!157
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

jonglent entre leurs obligations professionnelles et étudiantes. Thomas travaille en parallèle pour

une autre start-up dans le domaine maritime. Nina mène une double vie : la journée en stage pour
un label de musique et la nuit sur Noüne.

La réussite de la marque est incontestable. Après une levée de fonds en crowdfunding réussie, la

collection s’étoffe de deux nouveaux modèles : Yvonne et Irène, les prénoms de leurs grands-mères.
Les ventes explosent au point d’être en rupture de stock. Trois ans après, l’entreprise existe

toujours. Elle est hébergée dans un prestigieux incubateur parisien. Louis, Thomas et Nina

continuent de développer l’entreprise. Mais tous sont également impliqués dans une autre start-up
en parallèle. Ils ne considèrent pas Noüne comme leur activité principale, seulement comme la

concrétisation d’une opportunité développée en famille emprunte de leurs valeurs et porteuse de

sens. Lorsqu’on les interroge sur les valeurs de leur marque, ils la décrivent comme étant « libre et
spontanée, avec une âme d’aventurière toujours prête à explorer de nouveaux horizons ». Ces

qualificatifs empruntés aux pratiques familiales dépassent les frontières de l’objet et le rendent

« vivant » à leurs yeux.

François, le projet comme un moyen d’atteindre une position sociale

François est issu d’une famille populaire. Il est le fils d’un ouvrier militant à la CGT et d’une mère

au foyer. Après son baccalauréat il enchaine les petits boulots. Il est embauché à l’âge de 20 ans
dans une imprimerie parisienne. Il y restera vingt-deux ans. Tout au long de sa carrière, il gravit les

échelons les uns après les autres. « Je suis passé de la blouse bleue au costume » dit-il. Il sera tour à

tour apprenti, cariste, responsable de ligne, chef de secteur puis directeur de production. Il est fier
de son parcours et n’envisage pas à ce moment de créer son entreprise.

Ses évolutions professionnelles ont eu un effet majeur sur sa vie de famille. Ses économies lui

permettent d’acheter une petite maison en Angleterre. Les séjours de l’autre côté de la Manche sont
fréquents. Le choix du pays ne doit rien au hasard. Cet homme est marié à une anglaise issue d’une

famille d’entrepreneurs. Son grand-père, son père et sa soeur sont à la tête de leurs entreprises

!158
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

respectives. Les repas de famille sont à chaque fois l’occasion de lui rappeler qu’il n’est pas

entrepreneur. « Moi j’ai passé toute ma vie à exécuter des ordres » précise-t-il.

François est pourtant fier de son évolution professionnelle. Mais il déchante lorsqu’il apprend que

son employeur souhaite se séparer de lui. L’imprimerie est victime de la concurrence et doit réduire

ses effectifs. Se retrouver au chômage à 44 ans est un traumatisme. Un Plan de Sauvegarde de


l’Emploi (PSE) est mis en place. Plutôt que de chercher un autre emploi, il décide de s’investir dans

sa petite entreprise. En effet depuis quelques années il développe une petite activité en parallèle à

son emploi. Jusqu’alors il ne s’investissait pas énormément dedans. « Cela permettait surtout de
compléter le salaire » comme le précise François. Avec le PSE, cela lui donne la possibilité de

s’investir dans son activité en bénéficiant d’une formation à l’entrepreneuriat. A cela s’ajoute des

indemnités de départ ainsi que la sauvegarde de ses Allocations de Retour à l’Emploi (ARE).

Il décide de suivre des cours du soir au Conservatoire National des Arts et Métiers pour obtenir une

Licence en gestion de petite entreprise. Sa formation prendra neuf mois pendant laquelle il

développe son projet d’entreprise. La fin de sa formation est une double réussite. C’est une réussite

d’obtenir un diplôme de l’enseignement supérieur, lui qui n’avait que le bac. C’est aussi une
réussite d’être reconnu comme entrepreneur par des professionnels du métier. Après avoir été

ouvrier puis cadre intermédiaire c’est une consécration de devenir chef d’entreprise comme la

famille de sa femme.

Son activité est celle de la vente d’accessoires de mode pour petits chiens. La femme de François

aime beaucoup son animal de compagnie qu’elle considère comme un membre de la famille.

François a remarqué que sa femme choisit souvent les accessoires de son petit chien en fonction de
ses vêtements à elle. Par exemple le collier du chien est de la même couleur que la robe de

Madame. Il lui arrive aussi de vernir les ongles de son chien de la même couleur que ses propres

ongles. Cette observation a permis à François de découvrir un marché inexploité en France dans le
secteur de la mode canine, alors que de nombreuses entreprises existent notamment en Angleterre.

Mais le développement de son entreprise ne se déroule pas comme prévu. Deux ans plus tard,

l’activité ne décolle pas. Le chiffre d’affaire est de quelques milliers d’euros bien loin des centaines

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Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

de milliers d’euros que réalisent les membres de sa belle-famille. Le statut juridique de l’entreprise

est celui de l’auto-entreprise. « Ce n’est pas une vraie entreprise » nous confie-t-il. François
éprouve un sentiment d’échec. Ses indemnités chômage arrivent à leur terme. Il décide alors de

placer ses indemnités de départ qu’il avait mis de côté dans un MBA entrepreneur dans une école de

commerce parisienne. « A défaut de devenir un vrai chef d’entreprise, je réussirai mon parcours
scolaire » nous précise-t-il.

Pour développer son activité François a besoin de financements. Cet argent lui permettrait d’acheter

du matériel, d’embaucher et de payer des locaux professionnels. Mais son banquier lui refuse. Sa
femme lui propose que sa famille lui prête de l’argent. D’abord François refuse ne voulant pas être

dépendant de sa belle-famille. Il finira par accepter. Deux ans plus tard, l’entreprise de François est

une petite activité qui lui permet de dégager un Smic. « Je m’en contente pour le moment » dit-il.
L’entreprise pourrait fonctionner sous le statut de l’auto-entreprise, mais François a préféré opter

pour la Société par Action Simplifiée Unipersonnelle (SASU) qui « donne une image plus

sérieuse ». Son MBA est sa plus belle réussite. Le jour de sa remise de diplôme, il est fier de venir

avec sa femme et son fils.

1. Le projet entrepreneurial est le produit d’une histoire

Les exemples de Nina et de François illustrent l’hypothèse selon laquelle le projet entrepreneurial

est un moyen pour une personne de donner du sens à sa trajectoire professionnelle et qu’un

accompagnateur peut aider la personne à le mettre en récit. Le projet est traversé par une histoire
personnelle et professionnelle. Le projet est la résultante d’un processus historique. Leurs histoires

vont influencer leurs comportements, leurs façons d’être, leurs attitudes et leurs choix dans la

construction de leurs projets. Comprendre en quoi leurs histoires influencent la construction de


leurs projets rend nécessaire l’analyse des mécanismes sociaux qui structurent l’existence de chaque

porteur de projet. Non seulement de l’intérieur mais également de l’extérieur, parce que les projets

de Nina et de François ne peuvent être totalement compris qu’en référence à leurs histoires.

!160
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

Le projet se forme à partir de l’histoire de son porteur. Le porteur garde en lui ses relations

antérieures et en premier lieu avec sa famille. L’histoire des personnes participe à la construction de
la valeur ajoutée de leur projet. L’analyse de leurs rapports sociaux et de leurs positions sociales

donne de la valeur au projet. Si l’accompagnateur traite le projet indépendamment de son porteur, il

va limiter l’influence de l’histoire dans la construction du projet. Il va s’interdire par là même de


comprendre dans quelle mesure les enjeux de l’histoire du porteur agissent sur ses choix

entrepreneuriaux. La posture de l’accompagnateur ne doit donc pas être seulement technique. Seule

une approche herméneutique peut prendre en compte le poids de l’histoire dans le projet. Le projet
est à la croisée d’une série de trajectoires économiques, sociales et existentielles. Chacune de ces

trajectoires ne peut être dissociée des autres, dans la mesure où c’est leur imbrication qui produit la

structure du projet, son cadre référentiel sur lequel le porteur va s’appuyer.

La posture technique et la posture herméneutique de l’accompagnateur se complètent. Il serait

inexact de considérer le projet comme uniquement la suite d’une série de positions objectives de

son porteur (emplois, études, diplômes, passions, etc.). Le projet est également influencé par les

représentations subjectives où se jouent les affects, les fantasmes, les représentations et les
sentiments du porteur. Le projet est le support de la réalisation des rapports économiques, sociaux et

existentiels de la personne. Comprendre le poids de l’histoire c’est comprendre l’articulation entre

les positions objectives et les représentations subjectives du porteur de projet. La figure 10 illustre
cette articulation entre les positions objectives et les représentations subjectives comme le permet la

démarche d’autobiographie raisonnée au travers des thématiques étudiées : formations formelles,

formations non formelles, activités sociales et activités professionnelles.

Le projet est un héritage de l’histoire de son porteur. Le secteur d’activité, les compétences

exploitées, les réseaux utilisés, le lieu d’installation, le financement, les valeurs défendues sont le

produit des trajectoires de la personne. C’est en ce sens que l’histoire de la personne permet de
comprendre comment son projet est construit. L’histoire permet de saisir la manière dont la

personne va façonner son projet. Dès lors en présentant son projet comme le produit de son histoire,

la personne se donne la possibilité de donner du sens à son projet en exploitant ses évènements

passés et en les réinterprétant. L’accompagnateur peut l’aider à trouver ce sens. L’outil

!161
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

d’autobiographie raisonnée que nous avons utilisé nous semble prometteur. Les évènements passés

vont trouver une nouvelle signification dans le projet. La personne ne peut changer son histoire. En
revanche, elle peut lui donner une nouvelle signification à travers son projet. Elle peut ainsi

construire son futur sur la base de ses évènements passés et de l’interprétation qu’elle leur donne a

travers son projet.

Représentations subjectives Projet Positions objectives

Rapport aux formations Etudes, diplômes, certificats,


formelles formation continue…

Rapport aux formations non Séminaires, colloques, lectures


formelles spécialisées…

Associations, syndicats, séjours


Rapport aux activités sociales
linguistiques, passions…

Rapport aux activités Postes, fonctions, petits


professionnelles boulots…

Figure 10 : L’influence des positions objectives et des représentations subjectives sur le projet
(démarche d’autobiographie raisonnée)

!162
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

2. Le projet entrepreneurial est le producteur d’une histoire

Si l’histoire incline le projet entrepreneurial, elle ne le décide pas. Identifier les déterministes en

termes de réseaux, de mobilité, de pouvoir financier ou d’héritage par exemple permettent de


comprendre la façon dont les choix du porteur de projet sont conditionnés par son histoire. Mais il

ne s’agit pas de s’enfermer dans une conception déterministe de la trajectoire professionnelle, au

sens où le devenir du projet n’est que la résultante de son histoire. Si l’histoire influence le devenir

du projet, le porteur de projet garde la capacité de modifier ce futur, d’opérer une réécriture ou de le
faire percevoir comme tel. Faire prendre conscience de la façon dont les choix du porteur de projet

sont conditionnés par son histoire peut l’amener à les modifier.

Le projet entrepreneurial devient alors le « lieu » d’un travail d’incorporation de l’histoire du


porteur de projet et de la fabrication de son futur. Le projet véhicule des représentations et des

projections que la personne se fait de son avenir. Verzat (2010) indique que « le projet

entrepreneurial apparaît alors comme un moyen de redéfinir sa vie ». Le projet agit comme une
courroie de transmission de l’histoire de chacun. Cette conception dynamique de la construction

d’un projet entrepreneurial met l’accent sur le rapport entre ce qui s’est passé et qui peut advenir. A

travers son projet la personne permet de produire sa propre histoire. La personne doit alors, d’une
part, comprendre et intégrer le sens de son histoire et, d’autre part, mettre en place des stratégies qui

lui semble pertinentes pour faire évoluer sa trajectoire.

Jean-Paul Sartre considère que les actions d’une personne n’ont de sens que lorsqu’elle les réalise.

Le sens que la personne va donner à ses actions lui est propre. Elle se base sur son passé afin de
construire son devenir. « L’homme est non seulement tel qu’il se conçoit, mais tel qu’il se

veut » (1996:29-31). C’est en se projetant que la personne peut se construire, c’est en construisant

des projets qu’elle peut se réaliser. Le sens que la personne va donner à ses actions est alors
emprunte de subjectivité puisqu’elle est basée sur son histoire personnelle, sur l’interprétation

qu’elle en fait et sur sa propre vision du futur.

La subjectivité n’est pas seulement individuelle, on la découvre aussi par les autres. Dans la
philosophie de Sartre, le sens que donne une personne à ses actes ne peut exister qu’à partir du

!163
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

moment où les autres le reconnaissent également comme tel. « L’autre est indispensable à mon

existence, aussi bien d’ailleurs qu’à la connaissance que j’ai de moi » (Sartre, 1996:59). Pour créer
du sens à ses actions, il faut passer par le regard de l’autre. Il s’agit alors d’intersubjectivité. C’est à

travers des perceptions croisées que le sens des actions prend forme et que la personne peut

construire son devenir. Le projet entrepreneurial de tout porteur s’inscrit dans un environnement. La
personne n’est pas enfermée en elle-même mais présente dans un univers social. Ce n’est pas en se

retournant vers elle-même mais toujours en confrontant son projet au regard des autres qu’elle va

donner du sens à celui-ci. La personne ne peut réaliser son projet entrepreneurial qu’au travers des
autres. C’est à travers eux qu’elle va donner du sens à ses actions et construire son projet.

L’autobiographie raisonnée comme un outil pour « donner vie » à un projet

Pour rappel, l’autobiographie raisonnée propose une démarche en trois étapes. La première étape se

réalise en face à face (accompagnateur - personne accompagnée). Elle permet de tisser des liens

dans l’histoire de la personne accompagnée. La seconde étape se réalise seule (la personne

accompagnée). Elle invite un travail d’introspection destinée à donner du sens à son projet à l’aide
des fils conducteurs identifiés dans l’étape précédente. La troisième étape se réalise en petit groupe

(groupe de personnes accompagnées avec l’accompagnateur en guise d’animateur). Elle permet de

transmettre aux autres participants le sens du projet que chaque personne accompagnée à identifiée
à l’étape précédente.

En étudiant la manière dont les personnes donnent vie à leur histoire à travers leurs projets, nous

avons extrait un tableau synthétisant leurs pratiques (tableau 13). Les colonnes du tableau
représentent les principales catégories de fils conducteurs que nous avons découverts avec les

personnes accompagnées lors de leurs entretiens d’autobiographies raisonnées (étape 1). Les

pratiques que nous avons référencées sont issues de nos observations sur la façon dont les personnes
« donnent vie » à leurs fils conducteurs dans leur projet (étape 2) et le transmettent aux autres (étape

3). Durant les mois suivants, un travail d’accompagnement personnalisé se met ensuite en place

avec chaque personne accompagnée afin de l’aider à mettre en place techniquement ce fil

!164
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

conducteur (création de logo, construction d’un pitch, mise en relation avec un ESAT22 , etc.). C’est

ainsi que notre posture associe accompagnement herméneutique et accompagnement technique.

Proches Territoires Passions Philosophies Activités


Détournement du Ouverture d’un La passion Fabrication de la Exploitation d’un
prénom d’un centre de devient une production par savoir-faire
proche : comme production ou activité lucrative des personnes acquis au fil des
nom de marque, d’exploitation dans dans la nouvelle en situation de années
nom d’un produit, un territoire cher au entreprise handicap
etc. fondateur Activité
Décoration des Fabrication de la permettant de
Nom de marque Valorisation d’un locaux sur le production par transformer une
correspondant aux territoire cher au thème d’une des écoles de la histoire difficile
premières lettres fondateur : par passion du seconde chance en atout
du prénom - nom l’exploitation des fondateur : sport, commercial :
d’un proche ressources, musique, vin, Fabrication de la handicap,
l’utilisation de etc. production par maladie, etc.
Logo symbolisant l’image, etc. une entreprise
un proche : Histoire ou en difficulté Reconversion
animal, Personnalité anecdote économique professionnelle
instrument, etc. territoriale intégrée personnelle tellement forte
dans l’activité de rattachée à un Cartes de visite qu’elle en devient
Proche travaillant l’entrepreneur: produit ou un en braille, un atout
dans l’activité : investisseur, service : sur un maîtrise de la commercial
associé, salarié, partenaire, membre étiquetage, un langue des
partenaire, etc. du comité de site internet, etc. signes, etc. Exploitation
direction, etc. d’une notoriété
Vente de produits Identité de Entreprise acquise par le
issus d’une Valorisation d’un marque faisant libérée passé
exploitation patrimoine dans les référence à la
familiale locaux de passion du Activité à Ancien
l’entreprise : fondateur : logo, impact employeur
Reprise d’une photos, dessins, slogan, etc. environnemental devenu
activité familiale nom des plats dans positif partenaire, client
un restaurant, etc. ou financeur de
l’entreprise

22 Etablissement et Service d’Aide par le Travail (ESAT). Un ESAT est un établissement médico-social qui a
pour objectif l'insertion sociale et professionnelle des adultes en situation de handicap.

!165
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

Proches Territoires Passions Philosophies Activités


Proche dans la Valorisation des Valorisation de Partenariat avec Exploitation des
direction de commerçants de sa nouvelle une association ressources de son
l’entreprise proximité dans les activité à travers caritative ou ancien employeur
locaux de sa passion : religieuse pour la nouvelle
Dessin de son l’entreprise photo, dessin, entreprise
enfant comme etc.
logo

Tableau 13 : Exemples de valorisations d’histoires individuelles dans un projet entrepreneurial


(démarche d’autobiographie raisonnée)
$

Avec l’autobiographie raisonnée, le porteur peut raconter son projet en s’appuyant sur son histoire.

Cela l’aide à construire un storytelling plus ou moins captivant, passionnant ou bouleversant. Les
anecdotes, les évènements personnels ou les histoires de vie sont autant de moyens de valoriser le

projet. Réalités et fantasmes viennent alors s’y condenser comme au théâtre. Ces valorisations

d’histoires individuelles illustrent chacune à leur manière les fils conducteurs des parcours de vie.
Le porteur exploite alors ses fils conducteurs et les transforme en source de valeur ajoutée pour son

projet. Le projet « (re)donne vie » à une expérience vécue et la valorise dans un discours

commercial, un étiquetage, un logo ou encore une décoration de locaux. Les exemples cités dans le
tableau illustrent les créations originales que les porteurs de projet ont réalisé aidé par la démarche

d’autobiographie raisonnée suivi d’un accompagnement technique. Ce tableau n’a pas vocation à

l’exhaustivité, il sert uniquement à mieux comprendre nos résultats.

L’autobiographie raisonnée est un outil qui aide le porteur de projet pour gagner le coeur d’un
interlocuteur en valorisant un évènement personnel, une passion ou une philosophie de vie. En

s’appuyant sur une « vraie » histoire, le porteur donne des origines à son projet. L’interlocuteur peut

alors se reconnaître dans le projet et être séduit par le produit ou l’offre proposée. Cette conception

!166
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

dynamique de l’histoire du porteur et de son projet permet de mieux comprendre qu’il existe un lien

étroit entre le porteur et son projet, ce que Bruyat nomme dialogique personne - projet (1993, 2001).
Une identification se met en place entre le porteur et son projet. L’histoire de l’entrepreneur et

parfois tellement source de valeur ajoutée pour le projet qu’il est difficile de dissocier les deux (en

cas de départ de l’entrepreneur, de l’arrivé d’associés, etc.).

Comme pour Nina ou François, c’est un travail de réécriture de son histoire que le porteur opère

afin d’ouvrir un champ des possibles. Le désir de corriger la réalité ne sera alors pas le même si le

porteur de projet occupe une positon sociale privilégiée ou s’il risque le déclassement social, par
exemple à cause du chômage. Lorsque le porteur est dans une position privilégiée (cas de Nina et de

son frère Thomas), la démarche d’autobiographie raisonnée a permis de valoriser un savoir-faire,

des acquis sociaux ou encore une histoire familiale. Lorsque le porteur a le sentiment de risquer le
déclassement social (cas de François), la démarche d’autobiographie raisonnée a poussé le porteur à

corriger une réalité voire à la réécrire.

Tous les porteurs font des rêves sur le devenir de leur projet. Certains sont moteurs, ils donnent

envie au porteur de réussir, de l’énergie et les moyens réalistes d’y parvenir. D’autres sont des
leurres, ils entretiennent l’illusion d’un devenir inaccessible, ils proposent de courir après un idéal

de projet mais incohérent avec l’histoire du porteur. Le projet est parfois tellement fantasmé qu’il ne

correspond pas à une réalité passée. Un changement radical de vie, un besoin de notoriété ou une
revanche professionnelle peuvent par exemple être source de grandes déceptions. Entre narcissisme

et recherche d’un idéal professionnel, le projet peut-être parfois au coeur de nombreuses

insatisfactions. Le processus de transition professionnel risque alors de prendre beaucoup de temps


lorsque les désirs projetés dans le projet sont tellement forts qu’ils ne permettent pas de s’appuyer

sur une histoire passée.

!167
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

3. Synthèse de la section

Dans ce chapitre, nous nous intéressons aux résultats de la première proposition de notre recherche

à savoir : Le projet entrepreneurial est un moyen pour une personne de donner du sens à sa
trajectoire professionnelle. Elle peut faire appel à un accompagnateur qui va l’aider à le mettre en

récit.

Cette seconde section a permis de présenter les modalités de l’accompagnement du salarié en

transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat. C’est la question du comment qui est


posée. Pour cela nous avons approfondi le concept de dialogique personne - projet développé par

Bruyat (1993, 2001). Nous avons considéré le projet comme un porteur d’histoire, c’est-à-dire

comme le produit d’une histoire passée et le producteur d’une histoire future. En plaçant le projet
dans une démarche biographique, cela permet de mieux comprendre les déterministes en termes de

réseaux, de mobilité, de pouvoir financier ou d’héritage par exemple qui permettent de comprendre

comment les choix du porteur de projet sont conditionnés par son histoire.

Toutefois il ne s’agit pas de s’enfermer dans une conception déterministe de la trajectoire

professionnelle, au sens où le devenir du projet n’est que la résultante de son histoire. Le projet

influence directement l’avenir du porteur de projet. Mais si l’histoire influence le devenir du projet,
le porteur de projet garde la capacité de modifier ce futur, d’opérer une réécriture de son histoire ou

de le faire percevoir comme tel. En nous appuyant sur la démarche d’autobiographie raisonnée,

nous nous sommes aperçu que les porteurs de projet peuvent « donner vie » à des fils conducteurs

dans leur projet. Cette approche dynamique des fils conducteurs comme source de valeur ajoutée
pour le projet permet d’illustrer une double posture pour l’accompagnateur à la fois technique et

herméneutique.

A présent, terminons ce chapitre par une synthèse générale.

!168
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

Synthèse du chapitre

A l’issu de ce chapitre, nous pouvons affirmer que le projet est un moyen pour donner du sens à sa

trajectoire professionnelle ; et par conséquent l’accompagnateur peut aider la personne à donner du

sens à son projet dans sa trajectoire professionnelle.

D’une part, nos travaux ont permis d’étudier les raisons qui poussent un salarié à devenir

entrepreneur. Nous avons développé une théorie du désengagement salarial basé sur trois éléments :

l’insatisfaction professionnelle, les motivations générées par le projet entrepreneurial et la prise de


risque perçue par le désengagement salarial. L’exploitation des entretiens réalisés dans le cadre de

cette étude, complétés par les données secondaires (documents projets, bioscopies et échanges

téléphoniques) ont permis de répartir les données en trois référentiels, chacun divisé en trois
catégories (économique, sociale et existentiel). Le désengagement salarial intervient lorsque la

personne est insatisfaite dans son travail, qu’elle est motivée par un projet entrepreneurial et qu’elle

considère acceptable la prise de risque engendrée par le désengagement salarial.

Le désengagement salarial ne conduit pas nécessairement à l’engagement entrepreneurial. Le


désengagement salarial spécifie qu’il y a un équilibre qui émerge au croisement de l’insatisfaction

professionnelle, des motivations générées par le projet et de la prise de risque perçue. Ce sont les

correspondances entre ces trois registres qui permettent de comprendre la genèse et le


développement du désengagement salarial vers un engagement entrepreneurial. La personne peut

renoncer à son projet, les conditions de travail peuvent changer, les motivations associées au projet

peuvent évoluer ou encore la prise de risque peut augmenter ou diminuer. L’engagement ou non de
la personne dans son projet tient compte de ces trois aspects.

Le projet s’inscrit dans de multiples trajectoires (trajectoire professionnelle, trajectoire scolaire,

trajectoire familiale, etc.). Cela signifie que le projet va influencer les différentes trajectoires de la
personne (ses perspectives professionnelles, ses compétences, son temps passé avec sa famille, ses

cercles d’amis, etc.). A l’inverse l’histoire du porteur va influencer ses choix (ses passions, ses

expertises, ses convictions, etc.). Le projet entrepreneurial est donc un porteur d’histoire. Derrière

cette formule, nous voulons signifier deux choses. D’une part le projet entrepreneurial est le produit

!169
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

d’une histoire passée. D’autre part il est le producteur d’une histoire à venir. En comprenant

comment le projet s’ancre dans l’histoire du porteur, cela permet d’orienter l’accompagnement.

Nous avons étudié les parcours des porteurs de projet. Pour cela la méthode de l’autobiographie

raisonnée a été utilisée. Cette méthode a été conçue par le sociologue Henri Desroche au cours des

années 70. Elle est aujourd’hui reprise et adaptée par de nombreux professionnels de l’éducation
des adultes dont le Centre d’Economie Sociale (CESTES) sous la direction de Jean-Francois

Draperi au CNAM. L’autobiographie raisonnée permet de parcourir le passé du porteur de projet à

travers notamment ses formations formelles (scolarité, formations continue, etc.), ses formations
non formelles (auto-apprentissage, séminaires, etc.) ses activités sociales (associatives, voyages,

etc.) et ses activités professionnelles (emplois, stages, etc.). Ces quatre trajectoires vont être utiles

pour extraire des fils conducteurs, c’est-à-dire des domaines de cohérence dans le parcours de vie.
L’autobiographie raisonnée se déroule en trois étapes. D’abord un entretien est exercé en binôme.

Ensuite le parcours est rédigé individuellement. Enfin la présentation du parcours et la discussion

autour des fils conducteurs sont pratiquées en petit groupe. Cette méthode n’a jamais été présentée

dans le cadre d’un accompagnement d’entrepreneur.

La méthode de l’autobiographie raisonnée présente de nombreux intérêts :

- Le premier intérêt est de donner une « trame » à l’accompagnateur pour comprendre le parcours

du porteur de projet. En reconstruisant le parcours de la personne accompagnée, cela permet de ne


pas se concentrer uniquement sur le projet. L’accompagnateur prend de la hauteur sur les raisons

qui poussent la personne à entreprendre.

- Le second intérêt de la méthode est qu’elle est à la fois orale et écrite, individuelle et collective.
Le porteur de projet va successivement travailler en duo sur l’élaboration de son projet, puis seul

et enfin le présenter face à un collectif. Cet enchaînement aide la personne à construire son projet

et à confronter sa vision à d’autres.

- Le troisième intérêt est d’extraire de l’histoire de la personne des fils conducteurs. Ces fils
conducteurs vont aider la personne à « donner vie » à son projet (choix de l’implantation

!170
Chapitre IV - La place du projet dans la trajectoire professionnelle

géographique, noms des produits, décoration de la boutique, etc.). Cela alimente directement le

storytelling autour du projet.

L’une des dimensions les plus essentielles dans cette méthode est qu’elle permet de collecter des

informations qui vont aider l’accompagnateur dans son diagnostic et ses recommandations. Le

résultat est co-construit entre l’accompagné et l’accompagnateur. Ce dernier ne va pas se limiter à


apporter des réponses techniques, déjà prêtes, à la personne accompagnée. Il va plutôt l’aider à

construire ses réponses, à cheminer à travers la méthode d’accompagnement proposée pour

l’adapter à sa propre situation. Ainsi l’accompagné comme l’accompagnateur apprennent quelque


chose au cours de la démarche. Quand l’accompagnateur pose une question que l’accompagné ne

s’est jamais posée, ce dernier va faire un travail de compréhension, d’analyse et de synthèse. Il va

exprimer des évènements, des dates ou des personnes qui vont l’aider à apporter une réponse
adaptée. A l’inverse lorsque l’accompagnateur mène un accompagnement de ce type, il va recueillir

des données, des retours d’expériences qui vont l’aider professionnellement. Cette méthode pousse

l’accompagné et l’accompagnateur à s’interroger sur leur démarche (entrepreneuriale pour l’un et

d’accompagnement pour l’autre) et leur donne progressivement des moyens de distanciation.

Dans le chapitre suivant, nous allons nous intéresser aux résultats de la seconde proposition de notre

recherche à savoir : Les besoins d’accompagnement sont différents selon la phase de transition

professionnelle dans laquelle s’inscrit la personne. Par conséquent l’accompagnateur peut adapter
sa démarche selon la phase du processus de transition.

!171
Chapitre V
LES BESOINS D’ACCOMPAGNEMENT
DANS LA TRANSITION PROFESSIONNELLE

Le second enjeu de cette recherche s’interroge sur les besoins d’accompagnement dans la transition
professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat. Le processus de transition professionnelle se

compose de trois phases. La phase de désengagement avec son activité passée, la phase d’entre-

deux où la personne n’est plus totalement dans la salariat ni totalement dans l’entrepreneuriat et la

phase d’engagement dans une activité entrepreneuriale.

Dans ce chapitre, nous allons nous intéresser aux résultats de la seconde proposition de notre

recherche à savoir : Les besoins d’accompagnement sont différents selon la phase de transition

professionnelle dans laquelle s’inscrit la personne. Par conséquent l’accompagnateur peut adapter
sa démarche selon la phase du processus de transition.

Pour cela nous allons présenter nos résultats en deux sections. La première section va porter sur les

besoins d’accompagnements des porteurs de projet au cours de leur transition professionnelle. C’est
la question du pourquoi qui est posée. La seconde section va se porter sur la posture

d’accompagnement dans ce processus de transition professionnelle. C’est la question du comment

qui est posée.

Pour illustrer nos propos nous allons nous appuyer sur des extraits d’entretiens.

!172
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

Section 1 • Le déplacement socio-professionnel

Dans les différents récits des personnes interrogées, le sentiment « d’avoir le cul entre deux

chaises » est souvent évoqué. La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat se

caractérise par une posture d’entre-deux plus ou moins longue selon les personnes interrogées.

• D’une part les personnes se désengagent d’un monde professionnel dans lequel elles ont
agi, parfois depuis plusieurs années. Le désengagement du salariat peut être source

d’inconfort, d’isolement voire d’exclusion par leur communauté d’origine. En retrait de leur
milieu professionnel, elles se sentent peut à peu exclues de leur communauté d’origine. Des

« troubles » d’exclusion peuvent alors apparaître comme la culpabilité, le regret ou le

sentiment de trahison.

• D’autre part ces personnes s’engagent dans un nouvel environnement professionnel,


souvent inconnu. L’engagement entrepreneurial peut conduire à de la résistance de la part

de la communauté de destination. Pas encore intégrées dans un nouveau milieu

professionnel, ces personnes doivent faire leurs preuves pour être acceptées par la
communauté de destination. Des « troubles » d’excellence peuvent alors apparaître comme

l’idéalisation, le perfectionnisme ou le sentiment d’infériorité.

Les personnes se trouvent alors dans une posture de l’entre-deux. Tiraillées entre la communauté
d’origine et la communauté de destination, les personnes commencent à douter d’elles-mêmes et de

leur projet. Mais elles éprouvent également des sentiments de liberté, d’autonomie et de fierté de

pouvoir prendre son destin en main. Elles peuvent être également amenées à passer d’une
communauté d’entrepreneurs à une autre. Les hésitations sont alors nombreuses entre faire marche

arrière et revenir au salariat ou poursuivre dans la construction du projet et s’engager vers

l’entrepreneuriat. Selon les personnes cette phase d’entre-deux peut être plus ou moins durable.

!173
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

1. Les pratiques d’exclusion dans une communauté de salariés

Les récits autobiographiques des personnes interrogées nous ont permis de distinguer trois

catégories de pratiques d’exclusion dans une communauté de salariés (que nous avons référencées
dans le tableau 14). La première catégorie concerne les aspects les plus visibles de l’exclusion, les

exclusions physiques. La seconde catégorie concerne les exclusions sociales. La troisième catégorie

est relative aux conséquences économiques liées à la transition professionnelle.

• Les exclusions physiques. Ces exclusions peuvent être liées à un isolement sur le lieu de
travail. « Peu de temps après avoir informé mon souhait de quitter mon poste actuel, on

m’a demandé de travailler désormais dans l’espace collectif au lieu d’être dans un bureau
avec un autre collègue. Officiellement c’est pour me permettre de travailler plus facilement

avec les autres collègues. Mais ce n’est pas la vraie raison » (Timothé). Pour d’autres

personnes interrogées, les accès à certains espaces de travail ou à certaines ressources sont
plus difficiles voire devenues impossibles. « Un jour j’ai demandé à avoir accès au parking

du bâtiment. Je venais d’acheter une voiture et je savais que des places étaient disponibles.

Mais les services généraux m’ont indiqué que toutes les places étaient attribuées. Ce n’était
pas vrai. Un des rares collègues avec qui je m’entendais encore bien me l’a

confirmé » (Jean-Pierre). Le sentiment d’exclusion peut aussi venir lorsque la personne

n’est plus invitée aux réunions. « J’ai compris que ça commençait à sentir mauvais lorsque

je me suis aperçue que je n’étais plus conviée à certaines réunions d’équipe. On me disait
qu’on avait oublié de me mettre dans la liste des destinataires du mail » (Sylvie). Tous ces

exemples participent à isoler la personne du reste de la communauté des salariés.

• Les exclusions sociales. En raison de la nature de son projet, de son statut dans l’entreprise
ou de son attitude professionnelle, la personne peut être peu à peu exclue de la communauté

de salariés. Cela peut se traduire par le sentiment d’un malaise entre collègues. « Depuis
que j’ai annoncé que j’allais quitter la boîte, beaucoup de collègues se sont détournés de

moi, de peur que s’afficher avec moi puisse les mettre en difficulté dans

!174
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

l’entreprise » (Jean-Pierre). La personne peut également se sentir dénigrée dans son

parcours ou le travail qu’elle réalise au sein de l’entreprise. « On ne risque plus de me


donner de gros dossiers depuis que j’ai annoncé que je partais » (Timothé). Le sentiment

de solitude peut aussi venir du fait que la personne ne travaille plus dans l’entreprise en

raison d’un congé de formation. « Je suis en formation depuis 6 mois maintenant. Je n’ai
pas remis les pieds dans l’entreprise depuis cette date. Même si je voulais revenir, je ne sais

pas si je serai à l’aise vis-à-vis des autres » (François). Plus surprenant une simple machine

à café peut raviver un sentiment de solitude de la personne accompagnée. « Oh ! Vous avez


une machine à café ! [ndlr : en regardant la machine à café dans la salle de réunion]. Ce

simple appareil me manque vous savez. Je n’ai plus personne à qui parler

maintenant » (Sylvie).

Isolement du poste de travail 1

Limitation des accès à des espaces physiques 10

Exclusions Mise à pied 2


physiques Travail à distance recommandé voire imposé 2, 5, 10

Multiplication des déplacements professionnels 2, 5, 7

Non invitation à des réunions ou déjeuners de travail 1, 2, 4, 6, 10

Dénigrement du travail de la personne 3, 5

Dénigrement du parcours de la personne 3, 6

Absence / Faible soutien moral entre collègues Tous


Exclusions
sociales
Chaperonnage par un autre collègue 1

Peu de partage de contacts utiles entre collègues Tous

Peu d’échanges informels 1, 4, 9, 10

!175
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

Différence de statut social 2, 5, 10

Différence / Perte de salaire 2, 5, 8, 10

Pas / Peu d’accès au(x) dispositif(s) de formation 2, 8, 10


Exclusions
économiques
Horaires de travail différents des autres salariés 1, 2, 4

Non remboursement de certains frais 2, 5, 8, 10

Peu d'évolutions professionnelles possibles 1, 2, 3, 4, 7, 9, 10

Tableau 14 : Exemples de pratiques d’exclusion dans une communauté de salariés

• Les exclusions économiques. Le sentiment d’isolement peut aussi venir de la nature du


contrat de travail. « A la place de me virer, on m’a proposé de travailler en freelance, en

auto-entrepreneur » (Raphaël). « Aujourd’hui je suis en auto-entrepreneur depuis 6 mois.

Maintenant je travaille depuis chez moi la plupart du temps » (Caroline). « Je suis passée à
temps partiel pour développer mon projet » (Sylvie). La modification du contrat de travail

peut également entraîner une modification des droits. « Depuis que je suis auto-

entrepreneur pour eux, je n’ai plus le droit à rien, ni formation, ni remboursement de frais »
(Caroline). Les évolutions professionnelles peuvent être également plus difficile à obtenir.

« Je peux pas revenir. Je suis bloqué dans l’entreprise. Autant chercher un autre boulot

maintenant » (Jean-Pierre). « Le responsable ne m’a pas permis de racheter le fonds de


commerce à son départ à la retraite. Même si je voulais rester, ça va être difficile de

travailler avec le nouveau repreneur en sachant ça » (Philippe). Les horaires de travail

peuvent également être amené à être modifié entraînant un décalage avec les horaires

traditionnels des autres salariés. « Pour mon temps partiel, au lieu de me faire travailler
lundi, mardi et mercredi, ils m’ont proposé de travailler 2 heures de moins tous les jours.

Sauf que quand un client t’appelle à 15h55 tu lui dis quoi ? Rappelez-moi

demain ? » (Francis).

!176
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

Les troubles du désengagement

Ces différentes formes d’exclusions peuvent entraîner des sentiments variés que nous qualifions de
troubles du désengagement. Ce sont des sentiments d’inquiétudes, d’agitation ou de confusion qui

résultent du désengagement professionnel. Chez certaines personnes cela peut prendre la forme de

regrets. « C’est surtout mon collègue de bureau qui va me manquer, il était sympa lui » (Marie-
Ange). « Je vais regretter nos soirées d’équipe du jeudi soir » (Benjamin). « Ce que je regrette ?

Certains de mes clients qui étaient devenus des amis au fils des années. Peut-être que quelqu’uns

vont me suivre, mais pas tous » (Philippe). Pour d’autres personnes accompagnées, le sentiment qui
règne est plutôt de l'ordre de la culpabilité ou d’un sentiment de trahison. « Je vous avoue que j’ai

pris quelques fichiers clients avant de partir. Pourtant nous nous sommes quittés plutôt en bons

termes avec mon ancien patron. Mais bon les affaires sont les affaires comme on dit » (Andry).
« J’aurais peut-être pu mieux faire. Etre davantage force de proposition, éviter les retards. Mais

bon c’est comme ça » (Timothé). « J’ai un peut-être un peu déconné sur la fin » (Francis). Nous

avons aussi remarqué que certaines personnes éprouvent une fidélité envers leur anciens collègues

ou leur employeur. « Le départ s’est plutôt bien passé. J’ai fait même quelques heures
supplémentaires que je n’ai pas réclamées » (Benjamin). « Je revois encore quelques collègues. Je

leur donne un coup de main de temps en temps » (Marie-Ange). « Mon départ fut assez brutal. Mais

lorsqu’un client m’appelle, je le renvoie vers un ancien collègue. Je ne vois pas pourquoi je ne le
ferais pas. Il n’y est pour rien lui » (Samia). A l’inverse lorsqu’une personne s’engage dans une

nouvelle communauté, des difficultés d’intégration peuvent se faire ressentir.

2. Les difficultés d’intégration dans une communauté d’entrepreneurs

Les récits autobiographiques des personnes interrogées ainsi que nos observations directes dans les
incubateurs du CNAM et de l’ISC Paris, nous ont permis de distinguer trois catégories de difficultés

d’intégration dans une communauté d’entrepreneurs (que nous avons référencées dans le tableau

15). La première catégorie concerne les aspects les plus visibles des difficultés d’intégration, les
difficultés matérielles. La seconde catégorie concerne les difficultés sociales. La troisième catégorie

est relative aux difficultés économiques liées au manque de rentabilité du projet.

!177
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

• Les difficultés d’intégration matérielles. Les personnes qui éprouvent des difficultés
d’intégration dans une nouvelle communauté sociale ont tendance à travailler éloignées des

autres entrepreneurs. « Je me suis mis là pour être tranquille, je ne dérange

pas » (François). Un espace de coworking peut également déstabiliser le nouvel arrivant qui
n’est pas habitué à travailler dans un espace ouvert. « j’ai toujours travaillé dans un bureau

fermé. Les espaces ouverts comme ça ce n’est pas ma tasse de thé » (Samia). Certains

peuvent se sentir isolés car ils éprouvent des problèmes dans leur installation et n’osent pas
le demander aux autres entrepreneurs ou aux services généraux en charge de les aider à

s’installer « Cela fait trois mois que je n’ai pas accès à l’imprimante. Ce n’est pas très

grave, mais aujourd’hui j’en ai vraiment besoin » (François). « Je n'ai jamais demandé les
clés pour entrer dans le bâtiment. J’attends que quelqu’un m’ouvre » (Jean-Pierre). Les

problèmes matériels peuvent également venir d’un comportement qui ne correspond pas

avec l’état d’esprit des autres entrepreneurs et du lieu. L’espace de coworking se veut

ouvert au partage et à l’entraide. Pour certaines personnes, cela ne correspond pas à leur
façon de travailler. Par exemple un emprunt d’un matériel peut être qualifié de vol. « On

m’a volé mon tableau blanc. Je l’ai retrouvé un matin de l’autre côté de

l’incubateur » (Francis). L’incubateur de l’ISC Paris dispose de deux téléphones fixes pour
l’ensemble des entrepreneurs. Mais certains peuvent se les approprier. « L’autre jour c’est

le téléphone qu’on a pris sur mon bureau. Ils auraient pu me demander avant ! » (Francis).

Les armoires peuvent également être l’objet de querelles entre entrepreneurs. « Ils prennent
toute une armoire pour leurs cartons, ils abusent ! » (Raphaël). Un sentiment de frustration

peut également apparaître lorsque la personne ne bénéficie pas d’un partage de contacts.

« Ils ne veulent pas faire tourner leurs contacts alors qu’ils ne les utilisent même
pas ! » (Benjamin). Ces petits problèmes du quotidien peuvent contribuer à exclure une

personne qui ne se sent pas à l’aise dans le nouvel environnement.

!178
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

• Les difficultés d’intégrations sociales. La personne en transition professionnelle du

salariat à l’entrepreneuriat peut éprouver des difficultés pour s’insérer dans un nouvel
environnement professionnel. La différence d’âge est une variable souvent citée par les

personnes accompagnées. « Vous me voyez à 43 ans faire un happy hours avec des

entrepreneurs de 25 ans ? » (Samia). La différence d’état d’esprit peut également conduire


à des difficultés pour s’intégrer dans une communauté d’entrepreneurs. « L’esprit start-up

en mode jean et basket, ce n’est pas mon truc. Je laisse ça aux petits jeunes. Moi je

construis des choses durables » (Philippe). L’activité professionnelle peut également être un
facteur limitant les interactions sociales. « Je suis opticien, je vends des lunettes. Ils sont

informaticiens, ils vendent des bases de données. On se côtoie mais on n’a pas grand chose

à se dire » (Philippe). Les difficultés d’intégration peuvent également venir en raison de la


concurrence entre les personnes. Par exemple la recherche de clients ou de financement

peuvent être sources de tensions. « Nos clients sont les mêmes avec Benjamin. On s’entend

bien mais on ne parle pas trop de nos clients entre nous ». (Jean-Baptiste). « Le fonds

d’investissement que gère Gilles est assez réputé. Je ne vais pas le crier sur les
toits » (Raphaël). La personne accompagnée peut également être victime de préjugés sur la

nature de son activité. « Avec mon projet, je vais pas faire des millions d’euros comme

Pauline. Elle me le fait bien comprendre » (Nicolas). Ces différences d’âge, de statut, de
projet ou encore d’état d’esprit conduisent à limiter l’intégration de la personne

accompagnée dans une communauté. Nous constatons qu’elle participe moins aux

évènements fédérateurs de la communauté. Elle n’est parfois tout simplement pas invitée
par les autres participants. « Si je ne m’impose pas, les autres ne m’invitent jamais à

déjeuner avec eux » (François). La réussite professionnelle peut être source de difficultés à

l’intégration sociale. « Moi je ne cherche pas à passer à la télévision, ni à faire des levées
des fonds. Je cherche juste à gagner ma vie correctement » (Philippe).

!179
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

Poste de travail du porteur de projet éloigné des autres 3


entrepreneurs

Faible présence des autres entrepreneurs aux invitations 4, 8, 10


du porteur de projet

Vol de matériel de travail (chevalet, cartes de visite, 7


Difficultés etc.) du porteur de projet
d’intégrations
matérielles Peu de partage de documents de travail (bases de 2, 3, 5, 8, 10
données, business plan, etc.)

Peu de partage de ressources matérielles (logiciel, 3, 6


imprimante, etc.)

Peu d’échanges de contacts utiles (avocat, financier, 5


etc.)

Différence d’état d’esprit ou de philosophie 2, 3, 4, 5, 8, 10

Différence d’âge, de statut, d’expériences pro. 2, 3, 4, 5, 8, 10

Difficultés Différence dans les activités entrepreneuriales 1, 3, 4, 5


d’intégrations
sociales Dénigrement des activités entrepreneuriales 3

Concurrence 2

Préjugés 1, 3
Activité peu / non rentable 2, 3, 5, 6, 8, 10

Activité atypique / peu commune source d’isolement 3, 6

Difficultés Contrat d’incubateur différent source d’isolement 4, 5


d’intégrations
économiques Poste de travail flottant (au lieu de fixe) 1, 4, 5

Accès limité à certaines formations (places limitées) 4, 5

Statut juridique source d’isolement 2, 3, 5, 6, 10

Tableau 15 : Exemples de difficultés d’intégration dans une communauté d’entrepreneurs


!

• Les difficultés d’intégration économiques. Parmi les personnes interrogées certaines


continuent de maintenir une activité de salarié pendant toute la durée de la formation et à

l’issue de celle-ci. Elles travaillent alors sur leur projet d’entreprise sur leur temps

!180
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

personnel (soir et week-end) ou à l’aide de congés de courte durée (congés payés

notamment). Cette double activité est jugée nécessaire pour les entrepreneurs car leur projet
entrepreneurial n’est pas assez rentable pour en vivre. A leur arrivée dans l’incubateur elles

souhaitent bénéficier d’un statut différent des autres résidents, celui de résident

« temporaire » 23. Nous avons observé que cette différence contractuelle renforce les
difficultés d’intégration de la personne accompagnée dans une communauté

d’entrepreneurs. Par exemple les ateliers de formation se déroulent la plupart de temps en

journée. Ne pas y assister renforce l’isolement de la personne accompagnée qui doit trouver
d’autres moyens pour obtenir les informations transmises (podcast, formation en ligne,

paiement de prestataires, etc.). « L’autre jour j’ai demandé à Philippe le contact d’un

comptable alors que la veille il y avait un atelier justement avec un


comptable » (Benjamin). Le résident « temporaire » ne bénéficie pas d’un poste de travail

fixe, c’est-à-dire qui lui est attribué. Lorsqu’il vient travailler dans l’incubateur il doit alors

s’installer où il y a de la place. En cas d’affluence, cela peut conduire à des difficultés de

placement. « Je ne sais pas où m’installer aujourd’hui, il n’y a plus de place pour


moi » (Jean-Pierre). Les résidents « permanents » peuvent également installer des effets

personnels à leur emplacement (ordinateur, papeterie, sacoche, décoration, nom

commercial, logo, etc.), ce que ne peuvent pas les résidents « temporaires » du fait du
changement de place régulier. Cette différence contribue à oublier les résidents

« temporaires » de l’espace de travail lorsqu’ils ne sont pas là. Le statut juridique contribue

également à faire une différence entre les porteurs de projet. « Je suis passé en SASU pour
paraître plus sérieux » (Philippe). L’auto-entrepreneur est considéré comme un statut « un

peu trop léger » (François), « simpliste » (Benjamin) ou « pas très sérieux » (Philippe).

23 Deux statuts de résidents existent dans les incubateurs étudiés. Les résidents « permanents » travaillent
dans l’incubateur à temps plein. Leur poste de travail est fixe, c’est-à-dire réservé pour eux. Ils peuvent
accéder à l’ensemble des prestations de l’incubateur (ateliers, tables-rondes, conférences, etc.). Les résidents
« temporaires » travaillent dans l’incubateur à temps partiel (le soir, le week-end et en journée sur la base de
« tickets » en nombre limité). Le tarif de l’incubateur est plus faible. Cela correspond à des prestations moins
importantes et à un poste de travail flottant au lieu de fixe (ils travaillent où il y a de la place).

!181
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

Les troubles de l’engagement

Ces différentes difficultés d’intégration peuvent entraîner des sentiments variés. Ce sont des
sentiments d’inquiétudes, d’agitation ou de confusion. Chez certaines personnes cela se traduit par

un sentiment d’infériorité. « Eux ils travaillent en équipe, ils ont des armées de stagiaires, ils lèvent

des fonds. Moi je suis un indépendant, je me débrouille avec des moyens plus modestes » (Nicolas).
Leur projet ne correspond pas aux représentations que ces personnes se font de la création

d’entreprise. « Vous savez, je colle pas vraiment à l’image de la startup » (Jacqueline). Cela

entraîne chez elles une dévalorisation de leur travail. Elles ne le considèrent pas comme étant
suffisamment remarquable au regard des autres entrepreneurs. Cela peut se venir d’un financement

qui a échoué. « Tu as revu Léopold depuis que son crowdfunding s’est planté ? » (Benjamin) « Non,

il a déménagé ses affaires dans la foulée. Il ne nous a même pas dit au revoir » (Jean-Pierre). Cela
peut être issu d’une activité que la personne ne juge pas assez noble comparativement aux autres.

« Ok c’est pas très sexy de vendre du linge de maison. Mais si je gagne de l’argent avec ça me

va » (Nicolas). Dans certains cas cela peut conduire à des gausseries. « Mon projet d’accessoires de

mode pour petits chiens fait souvent l’objet de moqueries. Au début j’avais un peu de mal à
l’assumer. Aujourd’hui ça va beaucoup mieux ». (François). Lorsque la personne a tendance à

idéaliser son projet, les désillusions sont parfois fortes. « Je me suis toujours rêvée en startupeuse.

Mais je me suis rendue compte que ça ne collait pas avec ma manière de penser. Aujourd’hui je me
qualifie volontiers d’artisan. Je suis beaucoup plus à l’aise dans ce rôle » (Sylvie).

Les difficultés à se désengager du salariat et les difficultés à s’intégrer dans un nouvel

environnement professionnel conduisent à une posture d’entre-deux plus ou moins longue selon les
personnes interrogées. C’est cette posture de l’entre-deux que nous allons présenter.

!182
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

3. La posture de l’entre-deux

Les personnes interrogées qui vivent un déplacement social se trouvent à un moment ou à un autre

dans une position d’entre-deux. Elles ne se sentent plus totalement appartenir à l’univers du salariat,
en particulier de groupe social depuis lequel elles se désengagent. Et bien qu’elles puissent

connaître les règles explicites et formelles de l’univers de l’entrepreneuriat, elles ne connaissent pas

encore ses règles implicites et informelles du groupe social dans lequel elles s’engagent. Cette

situation est celle de l’entre-deux. La figure 11 suivante illustre cette théorie.

Cette figure met en avant trois zones de déplacement social (A, B, C) :

• Zone A : Vis-à-vis de son groupe social d’origine la personne se désengage peu à peu de ses
habitudes passées. Les pratiques routinières changent. La présence au travail diminue. La

tenue vestimentaire peut évoluer. La personne prend de plus en plus de recul sur son travail
et sur son groupe social. Ce détachement entraîne une désidentification avec les modèles et

les valeurs du groupe. Cela entraîne un isolement de la personne vis-à-vis de son groupe

social. Son poste de travail peut changer, ses accès aux ressources de l’entreprise peuvent se
réduire, certains collègues peuvent se détourner d’elle, voire la critiquer. Le contrat de

travail peut évoluer vers du temps partiel, une différence de statut social, une diminution du

salaire voire un licenciement. Cela peut entraîner chez elles des troubles du désengagement
qui peuvent se traduire par le regret de quitter leur entreprise ou certains collègues. La

personne peut avoir des difficultés à se désengager totalement. Elle peut continuer

d’envoyer des messages à ses anciens collègues, déjeuner avec eux de temps à autre, voire

continuer à travailler pour son ancien employeur même si le contrat de travail est rompu.
Un sentiment de culpabilité peut s’installer lorsque la personne a commis des fautes qu’elle

reconnaît. Pour d’autres, cela se traduit par un sentiment de trahison lorsqu’elles n’ont pas

tenu leurs promesses à l’égard d’une personne de leur groupe social qui leur faisait
confiance.

!183
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

Désengagement Engagement

A B

Isolement, exclusion, Indifférence,


PERSONNE
licenciement désintérêt, rejet

Troubles du Troubles de
désengagement : l’engagement :
Culpabilité, Désillusions,
regret, fidélité, perfectionnisme,
sentiment de sentiment
trahison d’infériorité

Posture de l’entre-deux

(-) (+)
Insécurité Liberté,
solitude indépendance
doutes autonomie
instabilité employabilité

Groupe social d’origine : Groupe social de destination :


Salariat Entrepreneuriat

Figure 11 : Déplacement social et posture de l’entre-deux

!184
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

• Zone B : La personne s’engage peu à peu dans un nouveau groupe social. Elle prend de

nouvelles habitudes professionnelles. Elle s’installe dans un nouvel environnement de


travail. Cela s’accompagne souvent par un investissement dans le matériel de travail. De

nouvelles relations professionnelles se nouent. Le rythme de travail change. Elle va peu à

peu prendre les codes de son nouveau groupe social. Mais le nouveau groupe social peut
émettre de l’indifférence à l’égard d’un nouvel arrivant. Le désintérêt peut se manifester par

une faiblesse dans les échanges et un isolement du nouvel arrivant. Des critiques peuvent

également être émises. C’est le cas lorsque la nouvelle activité entre en concurrence ou
lorsque la philosophie du nouvel arrivant n’est pas en accord avec certains membres du

nouveau groupe social. Nous avons également observé du rejet lorsqu’il existe de réelles

oppositions. Ces différents problèmes d’intégration peuvent générer des troubles de


l’engagement pour le nouvel arrivant. Certaines personnes qui ont idéalisé leur nouvel

environnement social vont être confrontées à de fortes désillusions. D’autres vont tout faire

pour pouvoir être acceptées par le nouveau groupe social. Certaines peuvent faire des choix

stratégiques incohérents (changement de statut juridique, prise de risque importante, etc.).


Un sentiment d’infériorité peut survenir lorsque leur activité n’est pas à la hauteur du

jugement du groupe social de destination.

• Zone C : La personne se trouve dans une situation d’entre-deux. Il lui est difficile de
revenir dans son groupe social d’origine. La transition professionnelle est déjà bien

engagée. Cela engendrerait un sentiment d’échec. Mais son nouveau groupe social ne lui
donne pas entièrement satisfaction. Faute de pouvoir choisir entre l’un ou l’autre des

groupes sociaux, la personne va être divisée entre les deux. Ce conflit interne est le produit

de sa situation sociale paradoxale. C’est parce que la personne est confrontée à la


coexistence de deux groupes sociaux différents qu’elle ne peut totalement s’identifier ni à

l’un ni à l’autre. Face à ce conflit d’appartenance, la personne réagit par l’isolement et la

recherche de nouveaux groupes sociaux. Elle aura tendance à se replier sur elle-même. Elle

va douter de ses choix, s’interroger sur leur pertinence et remettre en question les
orientations stratégiques de son projet. Pour échapper à l’isolement elle va se mettre en

!185
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

quête de nouveaux groupes sociaux. Elle peut changer d’incubateur, trouver de nouveaux

locaux, adhérer à un nouveau réseau professionnel. Elle peut aussi reprendre une activité
salariée à temps partiel ou réaliser des missions de courte durée pour un employeur en tant

que salarié temporaire ou indépendant. Elle peut multiplier ces changements jusqu'à ce

qu’elle trouve satisfaction. Cette période d’entre-deux peut durer plus ou moins longtemps
selon les personnes. Certaines peuvent également y trouver de la satisfaction.

Les paradoxes de la posture de l’entre-deux

Chaque personne interrogée passe par une position de l’entre-deux. En décalage avec le reste de son

environnement social, la personne est emprunte aux doutes, aux incertitudes et à l’insécurité liés à

son instabilité professionnelle. Mais la posture de l’entre-deux peut aussi être source de satisfaction,
d’épanouissement et de liberté. Certaines personnes interrogées peuvent s’installer durablement

dans une posture de l’entre-deux alternant volontairement entre le salariat et l’entrepreneuriat.

Les préjudices. Venant de différents milieux sociaux, inscrits dans des trajectoires professionnelles
diverses, les porteurs de projets se trouvent parfois en décalage par rapport aux représentations

qu’ils se font de leur métier. Ceux qui ne connaissent pas ou peu leur futur univers professionnel ne

connaissent pas toujours les codes de leur groupe social de destination. Bien qu’ils soient formés
aux techniques de la création d’entreprise, à l’élaboration de business plan ou à la recherche de

financement, beaucoup d’entre-eux maîtrisent le « vocabulaire » de leur futur groupe social mais

pas sa « langue ». Ils peuvent partager un espace de coworking mais ne pas comprendre la manière
d’y travailler, les outils utilisés ou la façon d’aborder les autres résidents. Ils peuvent faire des

rendez-vous avec des clients et dérouler leur argumentaire commercial mais ne pas percevoir le

ressenti de leurs clients. Ils peuvent avoir identifié un fournisseur de matière première mais ne pas
connaître les codes et les habitudes de celui-ci. Ils n’ont pas toujours connaissance des règles

implicites qui se déroulent sous leurs yeux. Ne pas maitriser ces codes ne permet pas de comprendre

les signaux faibles de leur environnement social et ne permet pas d’adapter son comportement. Les

porteurs de projet ne connaissent pas toujours la culture du groupe social dans lequel il s’inscrivent

!186
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

(règles implicites, jugements, rituels, modèles à suivre, etc.). Cette manière de penser est acquise

par les interactions entre les membres de son groupe social et avec les acteurs qui gravitent autour.
Ils découvrent alors progressivement, au gré des rencontres et des rendez-vous qu’il n’existe pas de

procédure formelle pour s’identifier à un groupe. La manière de se comporter avec des clients, des

investisseurs ou des salariés s’apprend en maitrisant les techniques mais aussi par la pratique.

C’est ce que nous indique Louis dont l’activité est la conception de sacs à main en bois qui ont la

particularité d’être fabriqués par des personnes en situation de handicap (par l’intermédiaire d’un

ESAT). Il est parvenu, après plus d’un an de rendez-vous et de déplacements professionnels, à


comprendre le fonctionnement de la fabrication. Il témoigne en ces termes.

« C’était un nouveau métier pour moi. Je sais gérer une entreprise, du personnel et je maîtrise la

plupart des tâches d’un chef d’entreprise. Mais ce type d’artisanat d’art m’était un peu inconnu,

du moins dans son savoir-faire. Heureusement que j’étais accompagné par les encadrants de

l’ESAT. Ils m’ont expliqué les astuces, les bonnes adresses et les personnes à connaître. Pendant

plus d’un an j’ai multiplié les rendez-vous professionnels, je suis allé dans les ateliers de

confection et j’ai posé beaucoup de questions. Il fallait faire preuve de beaucoup de patience et

d’empathie pour arriver à comprendre le processus de fabrication » (Louis)

La posture de l’entre-deux peut être durable car l’accès aux règles implicites ne résulte pas d’une

réponse simple mais d’un apprentissage long, complexe. Le porteur de projet va donc moins

aisément accéder aux codes de son nouveau groupe social lorsque ceux-ci comportent des
dimensions affectives ou historiques importantes. Cette difficulté peut être renforcée par des

différences liés au genre, à l’éducation, à la culture ou à l’âge par exemple. C’est le cas de cette

créatrice d’entreprise qui se lance dans un environnement principalement masculin.

« Je maîtrise très bien mon sujet. J’ai fait mon doctorat dessus après tout ! Mais pourtant j’ai

parfois du mal à trouver une clientèle. C’est un milieu composé de beaucoup d’hommes. Ils

m’acceptent bien, mais nous n’avons pas les même manières de travailler, ni les mêmes sujets

de conversation. Beaucoup de relations se nouent à l’occasion de déjeuners informel où on parle

de tout sauf du travail. Or je ne parle pas de la même manière des enfants, des femmes ou du

!187
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

football que mes collègues masculins ! Ce sont des détails qui peuvent paraître futiles mais ils

ont de l’importance dans une négociation ». (Sarah)

La période d’entre-deux peut-être perturbante car la personne peut avoir des difficultés à se

positionner dans l’échelle sociale. C’est ce qu’indique cet opticien. Il souhaite reprendre le magasin

dans lequel il travaille en tant que salarié pendant 20 ans. Ne parvenant pas à s’entendre sur le prix
de revente avec le cédants il décide de se mettre à son compte. Il s’installe en tant qu’opticien à

domicile pendant quelques mois avant de racheter une boutique physique. Au cours de nos échanges

nous identifions qu’il ne parvient pas à se qualifier en tant que chef d’entreprise alors que

juridiquement il a créé son entreprise. Nous l’interrogeons sur la manière dont il se présente à son
entourage.

« Depuis le 12 avril je suis officiellement chômeur ! Pourtant je ne cherche pas de travail

puisque je suis à mon compte. J’ai quelques clients et je gagne un peu d’argent grâce à ça. Mais

je continue à toucher mes allocations chômage. C’est une situation assez étrange. J’ai le statut

mais pas les ressources. Lorsque mes amis me demandent ce que je fais, je leur dit que je monte

ma boîte, surtout pas que je suis au chômage et que je vis encore en grande partie des

allocations ». (Philippe)

La période d’entre-d’eux est synonyme d’isolement. La personne ne parvient pas à se rattacher à un


environnement social, soit parce qu’elle ne parvient pas à s’y intégrer, soit parce qu’elle est victime

d’exclusion. Pour certaines personnes, cet isolement peut être vécu difficilement. C’est le cas

d’Isabelle qui se lance dans la conception de panier-repas à domicile à la suite d’un licenciement
économique. Nous l’interrogeons sur la viabilité économique de son activité sur le long terme.

« Ce projet ne va pas me faire gagner beaucoup d’argent. Mais il me permet de passer le cap. Se

faire licencier à 42 ans, c’est pas facile à accepter. Mon mari travaille. Mes enfants sont à

l’école. Je reste seule à la maison. Ce projet me permet de m’occuper l’esprit avant de trouver

un emploi ». (Isabelle)

!188
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

Durant la période d’entre-deux la personne peut être amenée à avoir une activité salariée à temps

partiel. La nouvelle activité entrepreneuriale ne parvenant pas encore à générer suffisamment de


revenus pour vivre, la personne peut maintenir une activité salariée à temps partiel. Elle doit alors

jongler entre deux activités, l’une qu’elle considère souvent comme utilitaire et l’autre qu’elle

développe par envie ou par passion. C’est le cas d’Aristide qui ouvre un magasin de produits
régionaux après avoir été chargé de communication dans un groupe Telecom. Il développe en

parallèle une activité de consultant en stratégie digitale.

« L’activité de consulting, c’est pour gagner un peu d’argent. J’ai fait de la communication

pendant dix ans, alors je sais de quoi je parle. Mais j’ai vraiment envie que ma boutique

fonctionne. C’est mon vrai projet, celui qui me tient à coeur. Pour le moment j’arrive à peu près

à gérer les deux en parallèle. Mais si l’un se développe plus vite que l’autre, il faudra que je

prenne une décision ». (Aristide)

La période d’entre-deux peut donc être plus ou moins longue selon les personnes. C’est une période

de conflits identitaires qui peut provoquer des doutes, de l’inconfort ou encore un sentiment
d’isolement. Mais pour certaines personne cette période est également source de satisfaction.

Les bénéfices. La posture de l’entre-deux ne doit pas être réduite aux doutes, aux incertitudes ou à
l’exclusion. Elle peut aussi conduire à une grande liberté. Libérées des normes et des codes à

respecter d’un groupe social (réunion hebdomadaires, respect d’une ligne hiérarchique, demande de

matériel, pot de départ, invitations à déjeuner, etc.) les personnes se trouvent allégées de toutes
sortes de conventions n’ayant pas ou peu d’utilité opératoire. Faute de pouvoir ou de vouloir

respecter les normes d’un environnement social, les personnes peuvent se concentrer sur le coeur de

leur activité et leur valeur ajoutée. Ces personnes considèrent que l’indépendance que leur travail
leur procure est plus important que le risque de précarité, d’isolement ou d’incertitudes.

Le témoignage de Sylvie, ancienne responsable le marketing devenue hypnothérapeute apporte un

éclairage sur le regard que procure la posture de l’entre-deux. Nous l’interrogeons à une période où

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Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

elle développe son activité entrepreneuriale en ayant quitté son emploi salarié. Cette dernière

activité commence à lui rapporter un faible revenu.

« Je ne me sens pas appartenir à tel ou tel groupe de travail. Je vis ma vie c’est tout. Et si ça ne

plaît pas, tant pis pour les autres. C’est fini de courber l’échine et de me plier aux règles des

autres. Ras-le-bol. Et bizarrement ça plaît ! Pas à tout le monde bien sûr. Mais mes relations

sont sincères. Et dans le secteur du médical, je reçois beaucoup de sympathie grâce à ça. On est

en confiance les unes avec les autres ». (Sylvie)

La posture d’entre-deux peut apporter beaucoup de satisfaction à des personnes qui souhaitent se

concentrer sur leur employabilité. Elles choisissent de saisir les opportunités peu importe si elles

entrent dans la case du salariat ou de l’entrepreneuriat. Les efforts se focalisent sur l’efficacité au
travail et la maitrise de la technique plutôt que sur leur engagement dans une organisation et les

relations professionnelles qui en découlent. Etre dans l’entre-deux ne conduit pas seulement à être à

côté d’une communauté mais aussi à bénéficier d’une prise de recul suffisante pour pouvoir être

libéré des contraintes d’un groupe social. Les personnes dans l’entre-deux sont amenées à penser
différemment puisqu’elles ne sont pas soumises au fonctionnement d’une communauté. Elles

peuvent alors valoriser cette différence. C’est cette différence qui fait leur force pour trouver des

opportunités professionnelles.

C’est le cas de Caroline pour qui son activité entrepreneuriale lui permet de saisir régulièrement des

opportunités d’embauche. Cette ancienne responsable marketing d’une maison d’édition a choisi de

se mettre à son compte pour développer des produits éducatifs. Elle travaille dans un secteur (le
culturel) qui fonctionne beaucoup par projets. Les compétences nécessaires ne sont pas forcément

les mêmes d’un projet à un autre. De telle sorte que les employeurs de ce secteur utilisent beaucoup

de contrat à durée déterminée car ils ne sont pas certains de pouvoir continuer à occuper tout leur
personnel à la fin d’un projet.

« Je m’adapte en fonction des demandes de mes clients. S’ils veulent que je travaille en auto-

entrepreneur, ça me va. S’ils préfèrent me faire un contrat de quelques mois, ça me va aussi. Je

ne vais pas faire la fine bouche. C’est déjà assez difficile de trouver des clients ». (Caroline)

!190
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

De nombreux métiers fonctionnent beaucoup sur ce principe. C’est le cas des métiers de la

communication, de l’audiovisuel, de la traduction, du juridique, de l’enseignement, du spectacle, du


design, du graphisme, du sport ou de l’informatique par exemple. Avoir sa propre activité (souvent

en auto-entrepreneur) permet de saisir un plus grand nombre d’opportunités professionnelles

comme en témoigne Raphaël, qui a peu à peu évolué vers l’improvisation théâtrale.

« En ce moment je suis professeur dans plusieurs Ecoles de Commerce. L’improvisation devient

à la mode du coup j’en profite. J’ai une cinquantaine d’heures avec l’ISC Paris et une

trentaine avec PSB. Avec la première je suis en vacation, avec la seconde je suis en

honoraires. J’interviens aussi pour la Maison de la culture de la ville de Bobigny pour

organiser des évènements culturels comme la fête de la musique. Là c’est un CDD. Et je suis

aussi acteur. Le mois prochain je joue au Théâtre de La Villette où je suis payé au cachet.

C’est un peu le bordel mais je m’y retrouve ». (Raphaël)

Certaines personnes peuvent développer une culture de l’entre-deux. C’est une forme de liberté de
travailler et de vivre. Il leur est impossible de soumettre leur comportement à un système de valeur

professionnel. Elles revendiquent le droit à la différence et affirment avec justesse la pertinence du

pas de côté. Elles construisent un rapport au travail qui n’est pas celui du salariat, ni celui de
l’entrepreneuriat. Ces personnes naviguent d’un groupe social à un autre en quête d’opportunités

professionnelles. Nous retrouvons cette caractéristique chez de nombreux indépendants. Nous les

retrouvons souvent dans les tiers-lieux24 tels que les fab-labs, les work-cafés, les hacker-spaces ou
encore les coliving-spaces. Regroupés ils contribuent à créer une « communauté de l’entre-deux ».

Ils parviennent à élaborer des positions originales et novatrices à mi-chemin entre salariat et

entrepreneuriat. Plutôt que de choisir entre l’un et l’autre, les deux s’entremêlent. Les deux mondes
s’entretiennent et se nourrissent comme représente le parcours de Louis. Il lance un projet

entrepreneurial dans un fablab. Il devient ensuite gestionnaire de marque dans une grande

entreprises. Alors à temps partiel sur son projet, celui-ci est repris et développé par sa soeur Nina.

Au bout de quelques années, Louis et Nina (rejoins par un troisième associé) intègrent un

24 La notion de tiers-lieu a été introduite par la sociologue américain Ray Oldenburg (1989). Elle fait réfé-
rence à ces espaces intermédiaires, à mi-chemin entre espace de travail et domicile.

!191
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

incubateur et passent à temps plein dessus. Quelques mois plus tard, Louis est embauché à temps

partiel dans une autre start-up et travaille alors dans un coliving space.

« C’est une forme de liberté professionnelle. On peut voir ça comme une manière de voyager. Je

n’aime pas rester longtemps au même endroit. Je préfère vivre de mes envies, de mes passions

et aller travailler au grès des opportunités et des rencontres. Intellectuellement, c’est

extrêmement riche de travailler de cette manière ». (Louis)

Plutôt que de choisir entre faire carrière ou entreprendre, certaines personnes préfèrent alterner

entre les deux. Ni totalement salarié, ni totalement entrepreneur, à la fois un peu salarié et à la fois
un peu entrepreneur, l’entre-deux peut déboucher sur une profonde satisfaction et une autre manière

de travailler.

4. Synthèse de la section

Dans ce chapitre, nous nous intéressons aux résultats de la seconde proposition de notre recherche à
savoir : Les besoins d’accompagnement sont différents selon la phase de transition professionnelle

dans laquelle s’inscrit la personne. Par conséquent l’accompagnateur peut adapter sa démarche

selon la phase du processus de transition.

Cette première section a permis de préciser les besoins d’accompagnements des porteurs de projet

au cours de leur transition professionnelle. C’est la question du pourquoi qui est posée. Pour cela

nous avons développé un concept de la posture de l’entre-deux basée sur le déplacement socio-
professionnel. D’une part le désengagement avec le salariat, les pratiques d’exclusions et les

troubles que cela provoque chez le porteur de projet. D’autre part l’engagement dans

l’entrepreneuriat, les difficultés d’intégration et les troubles que cela provoque chez le porteur de

projet. Et enfin l’entre-deux résultant d’une position qui permet de nuancer une vision
dichotomique avec d’un côté le salariat et de l’autre côté l’entrepreneuriat. Cette posture de l’entre-

deux peut être source d’un grand malaise mais aussi d’une profonde satisfaction selon les

personnes.

!192
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

A présent la seconde section va se porter sur les modalités de l’accompagnement du salarié en

transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat. C’est la question du comment qui est


posée. Pour cela nous allons analyser les trajectoires professionnelles à partir des entretiens

autobiographiques. Cela permettra d’identifier les besoins d’accompagnement spécifiques à chaque

phase de la transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat.

!193
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

Section 2 • Adapter l’accompagnement selon les besoins

L’analyse des besoins d’accompagnement des personnes en transition professionnelle suppose

préalablement de comprendre leurs trajectoires. L’analyse des trajectoires permet d’éclairer le

passage entre la position originelle et la position acquise. Pour effectuer cette analyse nous avons
reconstitué les transitions professionnelles des personnes qui composent le second échantillon de

notre étude. Ce travail a été réalisé à l’aide des données que nous avons recueillies (entretiens semi-

directifs, données secondaires et observations directes).

Chaque trajectoire met en perspective :

• Les évènements biographiques qui ont eu une influence sur leur trajectoire ou qui en ont
modifié le cours.

• Les trois phases de la transition professionnelle (désengagement, entre-deux, engagement).


Pour cela chaque évènement biographique est rattaché à l’une des trois phases.

Nous avons ensuite soumis notre analyse à chaque personne du second échantillon. L’échange s’est

effectué par téléphone, mail ou en face à face. La durée des échanges varie de trente minutes à deux

heures. Les échanges débutent généralement par une première discussion sur la reconstitution de la
trajectoire, un rappel du contexte de la recherche, ses tenants et ses aboutissants. Ensuite chaque

personne est invitée à compléter sa trajectoire ou la modifier. L’ordre des évènements biographiques

nous intéresse particulièrement. On demande à chaque personne de dégager les phases de sa


transition professionnelle et de s’interroger sur ses besoins d’accompagnement à chaque phase.

C’est également l’occasion pour la personne de revenir sur ses choix, ses ruptures et les

conséquences a posteriori sur sa trajectoire professionnelle.

A la suite de ce travail, nous avons effectué des analyses croisées afin de reconstituer les besoins

d’accompagnement des personnes interrogées à chaque phase de leur transition professionnelle.

!194
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

Cela nous a permis d’identifier des besoins d’accompagnement communs à la phase de

désengagement salarial, d’entre-deux et d’engagement entrepreneurial.

1. Reconstitution des transitions professionnelles

Une transition professionnelle s’analyse simultanément dans la diachronie et dans la synchronie.

Chaque évènement est analysé et s’intègre dans un ensemble qui lui donne du sens. Les transitions

professionnelles s’inscrivent dans une trajectoire professionnelle. Elles lui apportent un sens grâce
aux opportunités qu’elles offrent et les changements qu’elles provoquent. La trajectoire

professionnelle décrit l’histoire des différentes positions occupées, c’est-à-dire des choix et des

orientations de la personne. La reconstitution des transitions professionnelles consiste à repérer les


évènements clés pour expliciter le rapport de la personne aux situations rencontrées.

Les événements font l’objet d’un référencement synthétisé dans le tableau 16. Chaque évènement

est attaché à une lettre afin de le repérer dans la reconstitution de la transition professionnelle. Ce

référencement est issu d’un travail d’analyse des transitions professionnelles des personnes
interrogées et des événements qui s’y déroulent. Nous les regroupons en trois catégories.

• Les évènements du désengagement salarial. Cette phase peut être comparée à l’étape 2 du
modèle de Bruyat (1993:260-273). Ce sont des évènements qui marquent le départ de la

personne depuis son précédent poste de salarié. Ils peuvent prendre la forme d’une

procédure officielle comme un licenciement (A), un contrat de travail qui se termine (D),
une rupture conventionnelle (G) ou une procédure de reclassement personnalisée (H). La

personne peut être amenée à prendre des congés d’une manière répétée ou un congé de

longue durée (B) ou à avoir des absences répétées (E) pour travailler sur son projet
entrepreneurial. Dans ce cas, nous ne considérons pas qu’un congé occasionnel ou qu’une

absence occasionnelle soit synonyme d’un désengagement salarial. En revanche s’ils se

répètent (par exemple tous les vendredis), ou s’ils prennent la forme d’un congé de longue

durée (congé sabbatique ou congé création d’entreprise par exemple) nous considérons que

!195
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

c’est un signe de désengagement. La personne peut aussi demander à passer à temps partiel

(C) pour travailler sur son projet entrepreneurial. Certaines situations font également l’objet
d’un désaccord profond (F) qui marque des tensions qui existent entre la personne et son

travail. Cela peut se traduire par une forte dispute avec un responsable hiérarchique, le refus

de traiter un dossier important ou une grande tension exprimée au cours d’une réunion
d’équipe par exemple.

• Les évènements de l’entre-deux. Cette phase peut être comparée à l’étape 3 du modèle de
Bruyat (1993:260-273). Ce sont des évènements qui marquent le passage du salariat à

l’entrepreneuriat sans que la posture d’entrepreneur ne soit totalement acquise. C’est le cas

lorsque la personne s’inscrit dans un programme de formation en entrepreneuriat de longue


durée (plus de 3 mois) (J) ou qu’elle est hébergée dans une structure d’accompagnement

temporaire (incubateur, couveuse…) (I). Cela démontre un réel engagement dans le

processus entrepreneurial, mais un engagement provisoire. La formation va se terminer et la

structure d’hébergement n’est pas un choix définitif. A un moment ou à un autre, la


personne devra changer de situation ou de lieu de travail. Dans le même esprit, lancer une

activité en auto-entrepreneur (K) est un engagement dans le processus entrepreneurial. Cela

démontre une volonté de développer un projet. Mais l’auto-entrepreneur donne des


perspectives limitées dans le développement de l’entreprise (par le plafonnement du chiffre

d’affaires notamment) ce qui en fait une solution temporaire ou pour des activés

secondaires. La personne peut être également amenée à changer de modèle économique (L),
à déménager son activité (M), à échouer à un concours (O) ou avoir un refus à une demande

de prêt (P). Ces évènements reflètent un réel engagement dans la construction du projet.

Mais ils sont aussi synonymes d’incertitudes, de doutes et parfois d’une remise en question
profonde dans le processus entrepreneurial. A l’issue de l’un ou de l’autre de ces

évènements, le processus entrepreneurial peut être stoppé ou totalement transformé. La

personne peut aussi exercer une double activité salariée et entrepreneuriale (N). Dans ce

cas elle s’inscrit résolument dans une phase d’entre-deux.

!196
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

• Les évènements de l’engagement entrepreneurial. Cette phase peut être comparée à


l’étape 4 du modèle de Bruyat (1993:260-273). Ce sont des évènements qui reflètent un

engagement entrepreneurial et qui s’inscrivent a priori dans la durée. Cela passe

nécessairement par la création d’une structure juridique (en dehors de l’auto-entrepreneur)


(Q). L’obtention d’un financement (prêt bancaire, prêt d’honneur…) (R) est un réel

engagement dans le lancement d’une activité. La personne peut aussi faire des

investissements importants (S). Sur ces deux évènements (R et S) nous ne jugeons pas du
montant du financement ou de l’investissement. Un prêt de 5000 € pour une personne peut

être dérisoire, alors que pour une autre personne cela représente un engagement important.

Nous choisissons de ne retenir que les prêts bancaires ou les investissements que la
personne estime importante pour elle. L’arrivée d’un associé (T) est le signe d’un

investissement important dans l’activité, tout comme l’embauche de personne (U) ou

l’installation dans des locaux indépendants (V). Le dépôt d’une propriété intellectuelle

(marque, brevet, etc.) (W) ou la réussite à un concours (X) reflètent également un


engagement important dans le projet.

A la suite de ce référencement et de cette répartition, le travail suivant consiste à reconstituer les


transitions professionnelles des personnes du second échantillon. Nous recontactons les personnes

concernées afin de leur soumettre nos résultats. Des modifications sont effectuées dans la plupart

des cas. Voici la restitution de ce travail après ces regards croisés.

!197
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

(A) Licenciement

(B) Congés répétés ou congé de longue durée

(C) Passage à temps partiel


Évènements
biographiques liés à la (D) Fin du contrat de travail
phase de (E) Absences répétées
désengagement salarial
(F) Désaccord profond

(G) Rupture conventionnelle

(H) Procédure de reclassement personnalisée

(I) Structure d’hébergement temporaire (incubateur, couveuse…)

(J) Formation en entrepreneuriat de longue durée (plus de 3 mois)

(K) Lancement d’une activité en auto-entrepreneur

Évènements (L) Changement de modèle économique / Départ d’un associé


biographiques liés à la
phase d’entre-deux (M) Déménagement de l’activité

(N) Double activité (salariée / entrepreneuriale)

(O) Echec à un concours

(P) Refus de demande de prêt / Echec d’une levée de fonds


(Q) Création d’une structure juridique (hors auto-entrepreneur)

(R) Obtention d’un financement (prêt bancaire, prêt d’honneur…)

(S) Investissements importants


Évènements
(T) Arrivée d’un(e) associé(e)
biographiques liés à la
phase d’engagement
(U) Embauche de personnel (stagiaires ou salariés)
entrepreneurial
(V) Installation dans des locaux indépendants

(W) Dépôt de propriété intellectuelle (marque, brevet, etc.)

(X) Réussite à un concours

Tableau 16 : Évènements biographiques lors des transitions professionnelles


!

!198
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

Transition professionnelle de Timothé

Timothé (29 ans) est un architecte qui se reconvertit dans le métier de fleuriste. Après trois années
passées dans des cabinets d’architecture la lassitude le gagne. Les horaires à rallonge, le découpage

des tâches et le management par projet le fatiguent. Il ne souhaite pas poursuivre dans ce métier.

Les absences se répètent (E), il utilise peu à peu tous ses congés (B) dans le but de construire son
projet professionnel. Il passe à temps partiel pour suivre une formation de fleuriste trois jours par

semaine pendant deux ans (C). Quelques mois avant la fin de son apprentissage, il se fait

accompagner en vue d’ouvrir sa boutique. Parallèlement à sa demande de rupture conventionnelle


(G) qui sera acceptée, il s’inscrit dans une formation en entrepreneuriat au Conservatoire National

des Arts et Métiers (J). A la suite de cette formation il entre dans l’incubateur de l’institution (I).

C’est alors qu’il modifie profondément le modèle économique qu’il avait élaboré dans la formation
précédente (L). Le lieu d’installation de sa boutique ne sera pas à Paris comme prévu initialement

mais à Bordeaux. Pour lancer son activité, il commence par créer la structure juridique (Q), une

SARL. Le projet prend forme peu à peu. Sa demande de prêt bancaire est acceptée quelques

semaines plus tard (R). A cela s’ajoute l’arrivée d’une associée, Mathilde, une amie d’enfance que
Timothé a réussi à convaincre pour se lancer dans l’aventure (T). Le prêt bancaire et l’apport

financier de Mathilde permettent de couvrir le droit au bail de la boutique, d’effectuer quelques

travaux, de financer le matériel et un premier stock (S). L’inauguration de la boutique est réalisée
quelques mois plus tard (V). Le nom de la marque est déposé à l’INPI (W). Ils remportent un

concours régional (X) quelques mois plus tard.

1. Timothé Période étudiée : 5 ans

Phase 1 : Désengagement E B C G
Phase 2 : Entre-deux J I L

Phase 3 : Engagement Q R T S V W X

!199
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

Transition professionnelle de Sylvie

Sylvie (37 ans) est chef de projet dans le département marketing d’une grande entreprise. Elle se
reconvertit en tant qu’hypnothérapeute. En conflit latent avec son employeur depuis plusieurs mois

(F), elle ne trouve plus de plaisir dans son métier. Elle souhaite obtenir une rupture conventionnelle

pour créer son entreprise (G). Mais son employeur ne veut pas lui accorder. Les absences se
multiplient pour suivre des formations en tant qu’hypnothérapeute (E). Cela n’est pas du goût de

son employeur qui finit par la licencier (A). Elle s’inscrit dans une formation en entrepreneuriat au

Conservatoire National des Arts et Métiers (J). C’est l’occasion de prendre du recul sur son
parcours professionnel et de confirmer ou non son projet. A la suite de la formation elle décide de

lancer une activité d’auto-entrepreneur (K). Cela lui permet de facturer des premiers clients. Elle

intègre l’incubateur du Cnam pour se faire aider dans le développement de son activité (I). Son
projet évolue rapidement et son modèle économique aussi (L). Mais l’incubateur est trop éloigné de

son domicile. Elle ne vient pas très souvent. Peu à peu elle développe son activité depuis chez elle

(M). Elle dépose un nom de marque à l’INPI (W) et candidate à un concours d’entrepreneur. Elle

échoue (O). Cela ne réduit pas pour autant sa motivation. Elle intègre alors un incubateur plus
proche de chez elle (I). Souhaitant donner plus d’envergure à son projet, elle change de statut

juridique pour passer en EURL (Q). Mais une fois encore elle ne s’implique pas totalement dans

l’incubateur et vient de moins en moins. Elle finit par prendre une activité salariée à temps partiel
pour subvenir à ses besoins (N).

2. Sylvie Période étudiée : 7 ans

Phase 1 : Désengagement F G E A
Phase 2 : Entre-deux J K I L M O I N

Phase 3 : Engagement W Q

!200
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

Transition professionnelle de François

François (42 ans) travaille dans une imprimerie depuis l’âge de 20 ans.En difficultés financières, un
Plan de Sauvegarde de l’Emploi (PSE) est mis en place dans l’imprimerie (H). N’ayant presque pas

connu autre chose dans sa carrière, c’est un choc pour François. Plutôt que de chercher un autre

emploi, démarche qui apparaît visiblement comme difficile pour lui, il décide de se lancer dans son
activité secondaire afin d’en faire son activité principale. En parallèle à son emploi, il développe

une petite activité d’accessoires de mode pour petits chiens (K). L’entreprise fonctionne et lui

permet de compléter ses revenus (N). Il utilise tous ses congés (B), il s’inscrit dans une première
formation en entrepreneuriat au Conservatoire National des Arts et Métiers (J) et intègre ensuite un

incubateur d’une école de commerce (I). Son contrat de travail est alors officiellement rompu

pendant cette période (D). Pourtant l’activité ne dégage toujours pas assez de revenus pour en faire
son activité principale. François décide alors de mettre ses indemnités de départ qu’il avait mis de

côté dans le MBA Entrepreneur de l’Ecole de Commerce (J). A la fin de sa formation il change le

statut juridique de son entreprise. Il passe de l’auto-entrepreneur à la Société par Action Simplifiée

Unipersonnelle (SASU) (Q). Cela donne une image plus sérieuse estime-t-il. Il dépose sa marque
auprès de l’Institut National de la Propriété Intellectuelle (INPI) (W) et fait une demande de

financement auprès de Réseau Entreprendre (R). Mais sa demande est refusée (P). Cela fait

maintenant presque 5 ans que François persévère sur cette activité qui ne lui rapporte pas assez
d’argent pour vivre. Il est temps pour lui de passer à autre chose. Il quitte l’incubateur, installe son

entreprise chez lui (M) et retrouve quelques mois plus tard un emploi salarié (N).

3. François Période étudiée : 5 ans

Phase 1 : Désengagement H B D
Phase 2 : Entre-deux K N J I J P M N
Phase 3 : Engagement Q W R

!201
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

Transition professionnelle de Philippe

Philippe (44 ans) est opticien dans une boutique d’optique indépendante depuis 12 ans. Depuis
toujours, il est sous la responsabilité d’un Directeur et de sa femme. Au départ en retraite de ces

dernier, Philippe pense être le meilleur candidat à la reprise de la boutique. Il économise pour cela

depuis plusieurs années. Mais le Directeur refuse de lui céder la boutique (F). Philippe décide alors
d’entretenir une relation tendue, de manière à contraindre son employeur d’accepter une rupture

conventionnelle (G). Cela permet à Philipe de toucher le chômage. Il s’inscrit dans un MBA

entrepreneur d’une Ecole de Commerce pour compléter notamment ses compétences en gestion,
stratégie et financement (J). Parallèlement à sa formation, Philippe ouvre une petite activité

d’opticien à domicile en auto-entrepreneur (K). Cela l’aide à garder certains clients et à en acquérir

de nouveaux. A la fin de sa formation, il intègre l’incubateur de l’Ecole de commerce (I). Mais


rapidement il déménage son activité à son domicile (M). Son activité se développe bien, les

plafonds de chiffres d’affaires imposés par le régime de l’auto-entrepreneur sont insuffisants. Il

change de statut juridique pour passer en Société (Q). Il dépose le nom de sa marque (W) puis

réussi un concours organisé par la collectivité locale (X). Cela lui permet d’augmenter ses apports
personnels et d’obtenir plus facilement un prêt bancaire complété par un prêt d’honneur (R). Il est

prêt à reprendre une boutique d’optique dans la commune à proximité de chez lui. Ses

investissements sont alors importants, notamment en travaux afin de mettre la boutique selon ses
goûts (S). Une fois les travaux terminés, il s’installe dans sa nouvelle boutique située en plein

centre-ville (V), embauche un vendeur à temps partiel (U) et gagne un second concours organisé par

le réseau des Boutiques de Gestion (X).

4. Philippe Période étudiée : 3 ans


Phase 1 : Désengagement F G

Phase 2 : Entre-deux J K I M
Phase 3 : Engagement Q W X R S V U X

!202
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

Transition professionnelle de Samia

Samia (43 ans) est responsable marketing auprès d’un important groupe d’assurance français. Elle
est mariée et a deux enfants de 8 et 12 ans. Son mari décède dans un accident de moto. Ce drame va

entraîner de profonds changements dans sa vie. Du vivant de son mari, elle lui avait promis de créer

un jour son entreprise. Depuis longtemps, elle ne s’épanouissait plus dans son travail, les absences
se répétaient (E). Elle souhaite tenir sa promesse. Souhaitant changer de vie, elle s’oriente dans un

projet de création de restaurant avec un ami. Elle profite de ses congés pour faire avancer son projet

(B). Afin de sécuriser son parcours, elle s’inscrit dans un MBA entrepreneur dans une école de
commerce (J). Pour assister à la formation elle prend sur ses congés et s’absente régulièrement de

son poste de travail (E). Son employeur connaissant sa situation l’a laisse faire mais l’alerte qu’il est

préférable qu’elle fonctionne autrement pour le bien de l’équipe. Elle passe alors à temps partiel
(C). Elle change plusieurs fois de projet pour s’orienter plutôt vers un projet d’intermédiation

d’assurance, puis de bar (L). Mais son associé qui disposait des compétences dans ce secteur décide

de quitter l’aventure (L).Mais elle se rend compte peu à peu que l’entrepreneuriat n’est pas fait pour

elle. Bien qu’elle dispose d’une confortable assise financière - en raison notamment de l’assurance
vie contractée par son mari - elle ne dispose pas de compétences dans la restauration et ne souhaite

pas vraiment en acquérir. Sa priorité est de protéger ses enfants. Elle n’ira pas jusqu’au bout de sa

formation. Elle demande alors une rupture conventionnelle (G) qu’elle obtient et prend quelques
mois de repos. Elle reprendra une activité salariée dans le secteur bancaire.

5. Samia Période étudiée : 3 ans

Phase 1 : Désengagement E B E C G
Phase 2 : Entre-deux J L L
Phase 3 : Engagement

!203
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

Transition professionnelle de Benjamin

Benjamin (30 ans) est médecin dans un CHU à Bordeaux. Il a brillamment réussi ses études. Il
gagne très bien sa vie. Il est en couple avec une jeune avocate dans un quartier chic de la ville. Mais

il ne parvient plus à suivre le rythme que lui impose son métier. Il oublie des rendez-vous avec des

patients (E). Son couple vacille. Il sort de plus en plus avec ses amis et commence à boire. L’alcool
devient une addiction. Sa fiancée finit par rompre. Il décide de changer radicalement de vie. Il prend

un congé création d’entreprise (B) pour suivre un un MBA spécialisé dans la santé dans une Ecole

de Commerce parisienne. Parallèlement il souhaite reprendre le bar - restaurant familial dans le


Vaucluse. A la sortie de son MBA, il intègre l’incubateur de l’école (I) et s’inscrit dans une

formation courte en entrepreneuriat auprès de la CCI de Paris (J). Il reprend contact avec son ancien

réseau bordelais. Au gré des rencontres, il propose son expertise dans le secteur de la santé à des
groupes pharmaceutiques. Les prestations sont bien payées. Il créé une auto-entreprise pour saisir

les opportunités (K). Le congé création d’entreprise arrive à sa fin. Il décide de ne pas retourner

dans son précédent métier et signe une rupture conventionnelle (G). La reprise du bar - restaurant

dans le Vaucluse prend trop de temps. Il décide d’y mettre un terme à la suite d’une demande de
prêt refusée (P). Il se consacre alors pleinement à son activité de consultant et à un nouveau projet.

Il développe un projet d’application mobile dédiée à la santé connectée (L). Il passe de l’auto-

entrepreneur à la Société avec la perspective de se faire racheter l’application mobile et espère se


faire embaucher en même temps (Q). Mais il ne maîtrise pas le codage. L’application ne fonctionne

pas. En revanche son activité de consultant fonctionne bien. A la suite d’une mission auprès d’un

groupe d’assurance, ce dernier lui proposera un CDI que Benjamin acceptera.

6. Benjamin Période étudiée : 3 ans


Phase 1 : Désengagement E B G

Phase 2 : Entre-deux I J K P L L M
Phase 3 : Engagement Q

!204
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

Transition professionnelle d’Andry

Andry (32 ans) est guide touristique à Paris. Son CDD prend fin (D). Plutôt que devenir guide
touristique en tant qu’indépendant, activité qu’il estime trop précaire, il décide de développer des

audioguides connectés aux téléphones portables des participants. Il suit une formation courte en

entrepreneuriat auprès du réseau Boutique de Gestion (J) puis s’installe dans une pépinière
d’entreprise à Paris - Bastille (I). Son frère le rejoint dans ce projet. Ils créent leur Société peu de

temps après (Q). Andry protège le nom de marque de l’entreprise auprès de l’INPI (W). Il

embauche des stagiaires (U) afin de l’aider dans le développement de l’entreprise, en particulier sur
la partie codage de l’application. Un prêt bancaire personnel est contracté (R) afin de soutenir le

développement de l’activité et les premiers tests auprès des clients. Nous sommes en novembre

2015. Les attentats de Paris ont un retentissement mondial et font chuter la demande touristique. Le
projet d’Andry n’est plus la priorité de ses clients. Son frère quitte l’aventure (L). Andry décide de

changer de modèle économique. Il entre dans l’incubateur d’une école de commerce parisienne (I).

Son nouveau projet se consacre à la diffusion de contenus médias par l’intermédiaire de boitiers

connectés. Ses clients sont les écoles de commerce, les universités, les grandes entreprises, etc. Ce
nouveau projet est un succès. Fort de son expérience passée, Andry va plus vite. Il embauche

rapidement des stagiaires, convainc un premier associé puis un second. Arrivée troisième à un

concours national de start-up le renforce dans la réussite de son activité.

7. Andry Période étudiée : 3 ans


Phase 1 : Désengagement D

Phase 2 : Entre-deux J I L I
Phase 3 : Engagement T Q W U R U T T X

!205
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

Transition professionnelle de Marie-Ange

Marie-Ange (39 ans) est responsable informatique au siège d’une grande banque à Paris - La
Défense. Elle ne s’épanouit plus dans son travail (F). Son quotidien est stressant. Elle a le sentiment

de devoir appliquer des règlements qui lui sont imposés et dont elle ne comprend pas toujours

l’intérêt. Originaire de Guadeloupe, elle a le rêve de s’y installer avec son mari et ses deux filles de
9 et 13 ans. Elle prend sur ses congés (B) pour suivre un MBA spécialisé en entrepreneuriat auprès

de l’ISC Paris (J). Le programme se déroule les vendredis et les samedis sur 9 mois. Elle développe

un projet de maison d’hôtes. Pendant plusieurs mois elle cherche à obtenir une rupture
conventionnelle (G) mais son employeur refuse de lui accorder. Convaincue par son projet elle

passe alors à temps partiel (C) et intègre l’incubateur de l’école (I). Elle identifie un hôtel à

reprendre. Elle obtient un financement bancaire (R). Mais la négociation est au point mort. Le tarif
demandé par le couple de cédant est trop élevé au regard du prêt bancaire de Marie-Ange. Elle

décide de tout stopper. En même temps, son mari ne souhaite plus partir en Guadeloupe. Son poste

d’ingénieur à Paris est confortable. Marie-Ange et son mari conviennent de ne pas partir et de ne

pas déraciner les enfants qui viennent d’entamer une nouvelle année scolaire. Le projet de Marie-
Ange s’oriente vers l’organisation de voyage en Guadeloupe (L). Elle créée une Société (Q) et

travaille à distance avec des auto-entrepreneurs qu’elle commissionne sur les ventes de voyages. Au

bout de 18 mois, l’activité lui permet de tirer un premier revenu. Elle démissionne auprès de son
employeur (G). Quelques mois plus tard elle embauche un salarié (U) et ouvre une petite boutique à

Paris (V). Elle se fait aider par un réseau d’accompagnement féminin. Elle y gagnera un concours

(X).

8. Marie-Ange Période étudiée : 3 ans


Phase 1 : Désengagement F B G C D

Phase 2 : Entre-deux J I L
Phase 3 : Engagement R Q W U V X

!206
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

Transition professionnelle de Louis

Louis (28 ans) est gestionnaire de vente dans une entreprise d’entretien ménager. Son poste lui plaît
mais les perspectives professionnelles ne lui conviennent pas. Louis a un frère, Arthur qui revient

d’un tour du monde, et une soeur, Nina étudiante à Science Po Paris. Ces derniers développent un

projet de conception et de vente de sac à main en bois. Jusqu’alors Louis était seulement intrigué
par ce projet qui lui semblait farfelu. Mais en voyant le résultat des prototypes et les premières

ventes de l’entreprise (Q) il décide de les aider et d’investir un peu d’argent. Il devient associé (N).

De plus en plus convaincu par ce projet et cette aventure familiale, il obtient une rupture
conventionnelle auprès de son employeur (G). L’équipe va suivre des formations en entrepreneuriat

auprès de divers organismes (école, CCI et Boutiques de Gestion) (J). Ils obtiennent un prêt

bancaire (R) et sont aidés par leurs parents. Ils intègrent un prestigieux incubateur parisien (I) à
l’aide d’un concours (X). Ils embauchent des stagiaires (U). Ils obtiennent un nouveau financement

à l’aide d’une campagne de crowdfunding (R). Ils protègent le nom de leur marque (W). L’activité

se développe bien mais pas suffisamment pour faire vivre trois personnes. Peu à peu l’intérêt

retombe. Son frère Arthur obtient un poste dans une startup qui construit des bateaux-taxi sur la
Seine (L). Sa soeur Nina devient assistante dans une agence artistique (L). Louis prend la

responsabilité de la branche digitale d’une jeune startup rencontrée dans l’incubateur. L’entreprise

quitte l’incubateur parisien (M). Tous gardent un bon souvenir de cette aventure familiale de deux
ans, qui perdure encore aujourd’hui mais comme activité secondaire.

9. Louis Période étudiée : 3 ans

Phase 1 : Désengagement G
Phase 2 : Entre-deux N J I L L M N

Phase 3 : Engagement Q R X U R W

!207
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

Transition professionnelle de Jean-Pierre

Jean-Pierre (37 ans) est ingénieur spécialisé dans les piles à hydrogènes auprès d’un grand groupe
industriel français. Il réussit brillamment et brigue un poste de direction. Son responsable lui

propose de prendre la direction d’un projet qui peut déboucher sur la création d’une spin-off. Il

l’invite à suivre un MBA spécialisé en entrepreneuriat auprès de l’ISC Paris (J). Pour cela Jean-
Pierre bénéficie d’un congé de longue durée (B). Durant sa formation, Jean-Pierre développe le

projet. Mais peu à peu il se rend compte que son responsable ne tient pas ses engagements. Il ne lui

donne pas accès à des informations importantes et ne le soutient pas auprès de ses collègues. A la
fin de sa formation, Jean-Pierre souhaite se retirer du projet et retrouver son poste. Mais il a été

remplacé. Il se rend compte que ce projet était un moyen de le pousser dehors (F). Un bras de fer

juridique s’engage avec son employeur. Jean-Pierre intègre l’ISC Paris (I) pour développer le projet.
Il change plusieurs fois le modèle économique de ce projet innovant (L). Il dépose un brevet à

l’aide d’un laboratoire (W). Mais il échoue dans sa recherche de fonds (P) ainsi qu’à un concours

BPI (O). Jean-Pierre décide de démissionner (D). Profondément affecté par cette succession

d’échecs, il prend un peu de recul. Il développe une petite activité de consultant pendant quelques
mois (K). Il quitte l’incubateur de l’école et s’installe à domicile (M). Au gré des rencontres, l’un de

ses clients lui propose un poste en CDI sur son domaine de compétences. Il garde son activité de

consultant mais l’exerce très occasionnellement.

10. Jean-Pierre Période étudiée : 3 ans


Phase 1 : Désengagement B F D

Phase 2 : Entre-deux J I L W P O K M N
Phase 3 : Engagement

!208
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

2. Les besoins d’accompagnement à chaque phase

La reconstitution des transitions professionnelles du salariat à l’entrepreneuriat des personnes

interrogées permet d’éclairer les besoins d’accompagnement au cours de chaque phase du processus
de transition.

Au cours de la phase de désengagement salarial, la personne souhaite quitter son poste actuel ou
est déjà en train de le faire pour diverses raisons. Elle peut être insatisfaite de ses conditions de
travail (Timothé), être en conflit avec son employeur (Sylvie, Jean-Pierre), éprouver des envies de
changement (Philippe, Marie-Ange, Louis), accompagner une évolution de sa vie personnelle
(naissance, mariage, séparation, maladie, etc.) (Samia, Benjamin). Elle peut également anticiper la
fin de son contrat de travail et le risque de chômage (François, Andry). Elle est à ce stade dans une
démarche d’orientation professionnelle et se désengage de son employeur actuel. Dans la plupart
des cas rencontrés, la personne travaille sur son projet sur son temps personnel (le soir, le week-end,
pendant les vacances). Cela peut aussi prendre la forme de congés pour travailler sur son projet
entrepreneurial, assister à des réunions d’informations, se former, ou prendre des rendez-vous
professionnels (par exemple avec son accompagnateur). « J’ai pris une journée de congés pour
venir vous voir. J’en ai profité pour assister au Salon des Entrepreneurs » (Sylvie).
L’entrepreneuriat est considéré comme une piste possible d’évolution professionnelle.

A ce stade la personne attend de l’accompagnateur une posture d’écoute, de compréhension, de


reformulation afin de l’aider à faire ses choix. « Pour le moment je cherche des conseils pour
m’orienter dans les multiples dispositifs d’accompagnement » (Timothé). « Je ne sais pas encore si
je vais monter ma boîte, je prend des informations » (Benjamin). Il est utile d’identifier les
motivations de la personne et de l’informer sur les conséquences éventuelles de ses choix. « Puis-je
bénéficier des allocations chômage si je démissionne ? » (Marie-Ange). « Mon mari est décédé il y
a quelques mois et j’ai besoin de changer de vie » (Samia). « Je vais probablement être licencié
dans quelques mois et je cherche à anticiper l’avenir » (François). La personne cherche à savoir si
son idée est bonne, si elle va dans la bonne direction. « Que pensez-vous de mon idée ? » est une
question très souvent entendue à ce stade. La personne essaie d’identifier les étapes à suivre, les

!209
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

problèmes à éviter et à prendre du recul. « Quel est le processus d’accompagnement, par quoi on
commence ? » (Sylvie).

Si la motivation à entreprendre se poursuit, que la prise de risque est acceptable et que


l’insatisfaction dans le poste actuel se confirme, la personne va continuer à se désengager de son
poste actuel, construire son projet entrepreneurial et passer peu à peu dans une phase d’entre-deux.

Au cours de la phase d’entre-deux la personne est fortement désengagée du salariat, au point que
le retour au salariat est perçu comme un retour en arrière. Elle est engagée dans un projet
entrepreneurial. Le projet est en cours de construction, il ne constitue pas encore une source de
revenu suffisant pour être une activité principale. Il est fréquent que les personnes gardent une petite
activité professionnelle, soit en réduisant leur temps de travail auprès de leur employeur (Timothé,
Marie-Ange), soit en exerçant une activité alimentaire (François, Louis, Jean-Pierre). Le modèle
économique de leur projet n’est pas stabilisé. D’autres personnes peuvent passer d’un
environnement de travail à un autre, d’un incubateur à un autre, d’un espace de coworking à un
autre (Sylvie, François, Andry). Ils sont à la recherche de services d’hébergement et
d’accompagnement qui correspondent à leur situation actuelle. C’est ainsi qu’une personne de notre
échantillon est passée d’un espace de coworking, à un incubateur puis à une couveuse en l’espace
de trois ans (Sylvie). Pour une autre personne interrogée elle était initialement accompagnée par
l’incubateur de l’ISC Paris, puis par un incubateur public, puis par l’incubateur de l’ISC Paris. « On
est passé par un incubateur public pour quelques mois pour toucher le fonds Paris Innovation
Amorçage (PIA). Mais les locaux étaient de mauvaise qualité, c’est pour ça qu’on souhaite revenir.
Cerise sur la gâteau, on a réussi à garder le financement du PIA » (Andry). Pour une autre
personne, l’objectif est d’entrer dans une structure d’accompagnement réputée. « Les incubateurs se
font tellement la guerre à Paris que certains n’hésitent pas à faire du gratuit pour attirer les
meilleurs. Je tente ma chance » (Louis). Ces changements réguliers contribuent à la perte de
repères. D’autres personnes interrogées vont trop vite dans leurs démarches et échouent dans
l’obtention d’un crédit bancaire, d’un bail commercial ou d’un concours. « Mon banquier n’a rien
compris à ce que je faisais. Je crois qu’il faut que je revoie ma copie » (Sylvie).

A ce stade, la personne cherche une posture d’accompagnement qui ne se porte plus sur le choix
d’orientation professionnel mais sur la construction du projet. Elle souhaite que l’on l’aide à

!210
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

structurer sa réflexion et adopter une méthode de travail efficace. « N’hésitez pas à me dire si ça ne
va pas, soyez franc » (Louis). Elle mobilise les outils recommandés pour construire un projet
d’entreprise (business plan, étude de marché…) et demande son avis à son accompagnateur. « Je
voudrais bien que tu jettes un oeil sur mon questionnaire pour avoir ton avis » (François). Le projet
est testé, souvent auprès de l’entourage proche (famille, amis, collègues…). Dans ce cas, la
personne peut souhaiter que l’accompagnateur lui apporte aussi son retour ou qu’il l’aide à tester
son offre par exemple avec l’appui d’autres entrepreneurs ou d’étudiants. « Je cherche un groupe
d’étudiant pour m’aider à développer mon offre, tu penses que c’est possible ? » (Andry). Au cours
de la phase d’entre-deux, la personne accompagnée est souvent en perte de repères. Elle perd ses
habitudes professionnelles passées et prend de nouvelles habitudes professionnelles. Elle change
peu à peu d’environnement de travail, de statut social, de rémunération, de lieu de travail, de réseau
social, de groupe social. Ce double processus d’abandon et de découverte peut être déstabilisant. Il
peut être source d’une perte de confiance, d’incertitudes et de doutes. Le projet peut ne pas aller
dans la direction souhaitée, l’entourage peut ne plus soutenir la démarche, et renforcer l’incertitude
de la personne à poursuivre dans cette voie. Elle cherche alors un soutien moral auprès de son
accompagnateur. « Le bail commercial que j’avais identifié m’est passé sous le nez, je suis
découragé » (Timothé). « Mon mari n’est plus très chaud pour partir en Martinique pour monter
notre gîte touristique. il vient de trouver un travail intéressant à La Défense » (Jean-Pierre). Durant
cette période l’accompagnateur aide à maintenir la confiance. Il permet de structurer la réflexion,
d’adopter une méthode de travail efficace pour que la personne accompagnée puisse élaborer un
projet entrepreneurial qui corresponde à ses aspirations et à l’évolution de son rythme de travail.
Son accompagnement ne se porte plus sur le choix d’orientation professionnel mais sur la
construction du projet. La phase d’entre-deux peut durer longtemps, notamment si la personne
accompagnée n’a pas anticipé son départ salarial, que le projet nécessite des compétences nouvelles
que la personne doit acquérir, que les opportunités ou les finances manquent ou que les aléas sont
nombreux. Les incertitudes peuvent être nombreuses et remettre en question l’engagement de la
personne dans son projet. Il peut arriver qu’elle s’absente pendant plusieurs jours. « J’avais besoin
de faire un break avec ma famille » (Marie-Ange).

Si l’opportunité d’affaire se confirme, la personne accompagnée va peu à peu prendre ses marques
dans son nouveau projet et passer dans une phase d’engagement entrepreneurial.

!211
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

Au cours de la phase d’engagement entrepreneurial, la personne accompagnée prend de


nouveaux repères dans sa propre entreprise. Elle est désengagée du salariat. Le retour au salariat est
perçu comme un échec. « Si je retournai dans mon précédent poste après mon congé création
d’entreprise ça signifiera que je me suis planté » (Benjamin). Son attention se porte désormais sur
la viabilité de son entreprise, la recherche de nouveaux clients ou la visibilité de son offre.
« Maintenant que le crowdfunding est fini, on va attaquer une période marathon pour livrer la
marchandise dans les temps » (Louis). Un double processus se met en place : la légitimité pour soi
et la légitimité pour les autres. La légitimité pour soi consiste à se sentir légitime en tant
qu’entrepreneur au regard de ses propres représentations. C’est une démarche personnelle. Elle est
influencée par le regard que l’on porte sur le milieu entrepreneurial, par ses convictions et par ses
ambitions, autrement-dit par son parcours biographique, ses réalisations dans le projet et ses
projections. La légitimité pour les autres consiste à être reconnu comme entrepreneur par d’autres
groupes sociaux. C’est une démarche inter-personnelle. Elle est influencée par les interactions que
la personne entretient avec les autres à travers son projet. La personne cherche à acquérir une
légitimité en tant qu’entrepreneur et à être reconnue comme tel. Cela passe généralement par la
lucrativité de son activité. « On est à l’équilibre depuis l’année dernière. Un cap est franchi.
» (Timothé). La personne peut être amenée à s’installer dans des locaux « classiques » (boutique,
atelier, bureaux indépendants…). L’installation est alors vécue comme une étape importante.
« Mission accomplie. Ce fut difficile mais ont y est arrivé ! » (Philippe). La réussite à un concours
ainsi que la reconnaissance médiatique agissent également comme signaux d’une transition qui se
termine. Ces évènements permettent d’être reconnu par autrui dans une posture d’entrepreneur.

A ce stade, la personne cherche que son accompagnement l’aide à acquérir cette légitimité. La
justesse des équilibres financiers, des tableaux de bord et plus largement du plan d’affaire permet à
la personne accompagnée d’obtenir des prêts, des aides ou des systèmes de garanties et de soutiens
qui vont contribuer à consolider le développement de son activité et lui donner des perspectives.
« Peux-tu me transmettre le contact de la Banque Populaire qui est venu au précédent atelier ? Je
l’ai loupé et j’ai des questions à lui poser » (François). Ses demandes portent davantage sur des
expertises très précises. « Est-ce que tu peux regarder mon pacte d’actionnaires. Je l’ai rédigé avec
un spécialiste mais ton avis ne sera pas de trop » (Benjamin). Elle peut aussi être amenée à
embaucher son premier salarié. « As-tu le contact du professeur de ressources humaines qu’on a eu
l’année dernière ? C’est pour le contrat d’embauche de Stéphane » (Timothé). La personne

!212
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

accompagnée peut souhaiter adhérer à des réseaux de jeunes entrepreneurs comme le réseau
PEPITE (Louis), des organisations patronales comme la Fédération Française de Artisans Fleuristes
(Timothé) ou une organisation patronale comme la CGPME (Philippe). En fin de parcours certaines
personnes de notre échantillon peut souhaiter transmettre son expérience à d’autres porteurs de
projet. « Si je peux donner un coup de main pour aider les petits jeunes à se lancer, n’hésites
pas » (Louis). A son installation dans de nouveaux locaux, elle peut inviter son accompagnateur et
d’autres entrepreneurs à l’inauguration.

Le tableau 17 résume notre analyse.

!213
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

Phase de désengagement Phase d’entre-deux Phase d’engagement

Demande d’aide pour Structurer la réflexion, Résoudre des problèmes,


Contexte réaliser un challenge, apporter de la cohérence, challenger le projet,
résoudre un problème donner du sens l’insérer sur un marché

Ouvrir le spectre des Favoriser le


Rôle de Faciliter l’insertion dans
opportunités questionnement
l’accompagnateur une communauté
professionnelles entrepreneurial

Relation, explication, Expérimentation


Modalités Observation, évaluation,
interprétation, négociation, confrontation,
d’approches compréhension, étayage
développement révision, modification

Logique Orientation Emancipation Intégration

Centrage Personne Projet Entreprise

Perçu comme une Perçu comme un retour


Retour au salariat Perçu comme un échec
opportunité en arrière

Bilan de compétences, Autobiographie Equilibres financiers,


outils d’orientation, tests raisonnée, méthode tableaux de bord, clubs
Outils utilisables d’aptitudes, tests de IdEO, étude de marché, d’entrepreneurs,
personnalité, serious games, prototypage, tests évènements de réseautage,
curriculum vitae consommateurs concours, salons, syndicats

Par des normes, des fiches Par les représentations, Par le marché, la clientèle,
Régulation de postes, la réglementation la reproduction sociale, la concurrence, les parties
possible du travail, des référentiels, les schémas de pensées, prenantes, les associés, les
des lois, des règlements l’histoire familiale investisseurs

Tableau 17 : Les besoins d’accompagnement au cours de la transition professionnelle


!

!214
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

3. Synthèse de la section

Dans ce chapitre, nous nous intéressons aux résultats de la seconde proposition de notre recherche à

savoir : Les besoins d’accompagnement sont différents selon la phase de transition professionnelle
dans laquelle s’inscrit la personne. Par conséquent l’accompagnateur peut adapter sa démarche

selon la phase du processus de transition.

Cette section a permis de reconstituer les transitions professionnelles du salariat à l’entrepreneuriat

des personnes composant le second échantillon de notre étude. Pour cela nous avons identifié les
évènements biographiques qui composent leur transition et nous les avons répartis dans un schéma

d’ensemble en distinguant les trois phases de la transition professionnelle : la phase de

désengagement, la phase d’entre-deux et la phase de réengagement. Ce travail permet de


comprendre les besoins d’accompagnement des personnes interrogées tout au long de leur transition

professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat. Nous concluons que leurs besoins sont différents tout

au long du processus.

A présent, terminons ce chapitre par une synthèse générale.

!215
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

Synthèse du chapitre

En conclusion de ce chapitre, nous affirmons que les besoins d’accompagnement sont différents

selon la phase de transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat dans laquelle s’inscrit la

personne. Il est par conséquent nécessaire que l’accompagnateur adapte sa démarche selon la phase
du processus de transition dans laquelle s’inscrit la personne accompagnée.

La personne en transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat passe par trois phases

successives : (1) La phase de désengagement au cours de laquelle elle se sépare peu à peu de ses
habitudes professionnelles actuelles et de son groupe social de départ. La personne est en réflexion

sur son évolution professionnelle, elle est à l’écoute des opportunités et commence à réfléchir à un

projet entrepreneurial ; (2) La phase d’entre-deux au cours de laquelle la personne éprouve des
difficultés d’appartenance à l’un ou l’autre des statuts professionnels. Elle s’est fortement

désengagée de son statut de salarié, et débute son engagement entrepreneurial. Le projet se construit

peu à peu sans toutefois être abouti. (3) La phase d’engagement au cours de laquelle la personne

prend de nouvelles habitudes professionnelles et s’identifie à un nouveau groupe social. Le projet


entrepreneurial est devenu une entreprise. La personne se concentre alors sur sa rentabilité afin que

son entreprise puisse correspondre à ses attentes.

Les résultats se répartissent en deux sous-sections : (1) d’une part, la reconstitution des transitions
professionnelles et notamment les conséquences du déplacement social d’un statut professionnel à

un autre (du salariat à l’entrepreneuriat) ; (2) d’autre part, l’analyse de l’évolution des besoins

d’accompagnement au cours de ce déplacement social.

Le déplacement socio-professionnel et la posture de l’entre-deux : Tout d’abord, nos travaux ont

permis d’identifier des pratiques d’exclusion de la part du groupe social de départ (les salariés) vis-
à-vis de la personne en transition professionnelle. Ces pratiques peuvent se traduire sous la forme

d’exclusions physiques (mise à pied, travail à distance, etc.), d’exclusions sociales (dénigrement,

diminution des échanges informels, etc.) ou encore d’exclusions économiques (perte de salaire,

changement de statut etc.). Ces pratiques d’exclusions peuvent conduire à des troubles du

!216
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

désengagement pour la personne en transition professionnelle (sentiment de culpabilité, regret,

fidélité, etc.).

Ensuite, nos travaux ont permis d’identifier des difficultés d’intégration de la part du groupe social

de destination (les entrepreneurs) vis-à-vis de la personne en transition professionnelle. Ces

pratiques peuvent se traduire sous la forme de difficultés d’intégration matérielles (éloignement du


poste de travail, vol de matériel, etc.), de difficultés d’intégration sociales (dénigrements, préjugés,

etc.) ou encore de difficultés d’intégration économiques (différence de tarif, différence de services,

etc.). Ces difficultés d’intégration peuvent conduire à des troubles de l’engagement pour la
personne en transition professionnelles (désillusions, perfectionnisme, sentiment d’infériorité, etc.).

Enfin, nos travaux ont permis de développer un concept du déplacement socio-professionnel qui

met particulièrement en exergue la phase de l’entre-deux au cours de laquelle la personne a des


difficultés d’appartenance sociale. Elle est confrontée à des phénomènes d’exclusion vis-à-vis de

son groupe social de départ et éprouve des difficultés d’intégration vis-à-vis de son groupe social de

destination. Elle va alors multiplier les allers et retours entre le salariat et l’entrepreneuriat. Cette

posture d’entre-deux entraîne de nombreuses incertitudes liées à l’instabilité professionnelle. Les


personnes sont empruntes aux doutes et peuvent se sentir isolées. Mais la posture d’entre-deux

entraine également de la satisfaction. La personne tourne une page de sa vie professionnelle. Elle

est libérée du poids hiérarchique du salariat et développe un projet entrepreneurial porteur


d’espoirs.

L’évolution des besoins d’accompagnement : En reconstituant les transitions professionnelles des


personnes interrogées, en analysant leurs discours, les données secondaires collectées dans le cadre

de cette étude (document projet, bioscopie, échanges téléphoniques) ainsi que les observations

terrains, nous pouvons affirmer que les besoins d’accompagnement sont différents selon le stade de
la transition professionnelle.

Tout d’abord, au cours de la phase de désengagement, l’accompagnement est davantage porté sur

les choix d’orientations professionnelles de la personne accompagnée. L’entrepreneuriat est une

!217
Chapitre V - Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle

piste possible d’évolution professionnelle. Les personnes se renseignent, développent une stratégie

d’évolution professionnelle, anticipent les évolutions à venir.

Ensuite, au cours de la phase d’entre-deux, l’accompagnement est davantage porté sur la

construction du projet. La personne accompagnée est partiellement désengagée du salariat et

partiellement engagée dans l’entrepreneuriat. C’est une période marquée par le doute.
L’accompagnement vise à faciliter l’intégration de la personne dans un nouvel environnement

professionnel à l’aide de son projet.

Enfin, au cours de la phase d’engagement, l’accompagnement est davantage porté sur le


développement de l’entreprise et donc l’autonomie de l’entrepreneur et son intégration dans une

communauté. La personne accompagnée a de nouvelles habitudes professionnelles, de nouvelles

références et travaille dans un nouvel environnement. Le projet est devenu une entreprise,
l’accompagnement aide l’entrepreneur à devenir légitime.

Le chapitre suivant va s’intéresser à la troisième proposition de recherche, à savoir : La personne

termine sa transition professionnelle en s’insérant dans un milieu professionnel. Par conséquent


l’accompagnateur peut l’aider à clôturer sa transition en l’aidant à devenir légitime dans ce milieu

professionnel.

!218
Chapitre VI
S’ENGAGER
EN TANT QU’ENTREPRENEUR

Le troisième enjeux de cette recherche porte sur la fin de la transition professionnelle du salariat à
l’entrepreneuriat. La dernière phase du processus de transition professionnelle du salariat à

l’entrepreneuriat est une phase d’engagement en tant qu’entrepreneur.

Dans ce chapitre, nous allons nous intéresser aux résultats de la troisième proposition de notre
recherche à savoir : La personne termine sa transition professionnelle en s’insérant dans un milieu

professionnel. Par conséquent l’accompagnateur peut l’aider à clôturer sa transition en l’aidant à

devenir légitime dans ce milieu professionnel.

Pour cela nous allons présenter nos résultats en deux sections. La première section va se porter sur

l’engagement entrepreneurial et le besoin d’être légitime en tant qu’entrepreneur. C’est la question

du pourquoi qui est posée. La seconde section va se porter sur les démarches que les personnes

mettent en place pour être légitime dans un groupe et le rôle de l’accompagnateur dans cette
démarche. C’est la question du comment qui est posée.

Pour illustrer nos propos nous allons nous appuyer sur des extraits d’entretiens.

!219
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

Section 1. Etre légitime en tant qu’entrepreneur

Selon notre théorie de la transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat, la transition se

termine par une phase d’engagement. La personne se considère comme entrepreneur. Cette

représentation mentale se construit grâce à une double approche.

• La légitimité pour soi : La personne s’estime légitime comme entrepreneur

• La légitimité pour les autres : La personne est reconnue par d’autres comme entrepreneur

Les récits autobiographiques des personnes interrogées complétés par les données secondaires nous
ont permis de collecter de nombreuses informations qui permettent d’illustrer l’une et l’autre de ces

approches. Après les avoir détaillées, nous en tirerons une théorie générale permettant de

représenter la légitimité entrepreneuriale.

1. La légitimité pour soi

La première forme de légitimité est la légitimité pour soi. La personne se perçoit comme légitime

car elle estime correspondre aux représentations qu’elle se fait d’un entrepreneur. A la suite des
entretiens menés, voici les formes de légitimité qui répondent à cette catégorie.

Avoir du mérite. Certaines personnes interrogées estiment être des entrepreneurs car elles font
preuve d’une grande force de travail. Les épreuves représentent un coût physique et psychique qui

provient de l’effort consenti pour développer l’activité. Certaines personnes n’hésitent pas à

travailler tard le soir, pendant les week-ends et parfois la nuit pour parvenir à décrocher un contrat,

un concours ou une demande de financement. Certaines personnes qui constituent le second


échantillon peuvent utiliser l’espace de coworking à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit,

nous interrogeons l’une d’entre-elle sur sa présence presque quotidienne.

« Je viens travailler chaque jour, du lundi au dimanche. Evidement c’est assez calme le week-

end. Mais je ne suis pas toujours seul dans l’espace de travail. Marc est souvent là lui aussi.

!220
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

Par exemple le 1er janvier, il travaillait. Et puis c’est un peu ça aussi le métier d’entrepreneur.

Work hard, play hard comme on dit ». (Benjamin)

L’entrepreneur est perçu par Martin comme un travailleur qui ne compte pas ses heures. C’est grâce

à sa force de travail qu’il développe une entreprise viable. Toutes les personnes interrogées

déclarent qu’elles travaillent plus qu’avant depuis qu’elles ont lancé leur projet. Elles ne travaillent
pas forcément plus tôt que lorsqu’elles étaient salariées, mais elles rentrent chez elles souvent plus

tard. Elles travaillent sur leur projet également le soir et les week-ends. Leurs vacances ont

fortement diminuées. Globalement elles déclarent travailler 50 à 70 heures par semaine sur leur

projet alors que lorsqu’elles étaient salariés l’écart type était de l’ordre de 40 à 60 heures de travail
par semaine.

Faire preuve d’audace. Parmi les personnes interrogées, certaines estiment être des entrepreneurs
car elles font preuve d’une inventivité pour accéder à des ressources a priori inaccessibles.

L’activité des personnes qui portent un projet entrepreneurial est parfois floue, à la limite de la

légalité ou peu reconnues socialement. C’est le cas d’un entrepreneur qui vend des distributeurs
automatiques auprès des gares, des hôpitaux ou des centres commerciaux. Il ne dispose pas assez

d’argent pour financer la fabrication des premiers distributeurs automatiques. Il va alors emprunter

de l’argent auprès de différents organismes privés et publics.

« J’ai commencé par emprunter 10 000 € auprès de la Société Générale. Ça m’a permis

d’obtenir un premier prêt d’honneur de 10 000 € auprès de Réseau Entreprendre Paris. En

principe, une fois qu’on décroche un prêt d’honneur, il est impossible d’en obtenir un autre.

Sauf que les associations locales ne communiquent pas entre-elles. Du coup j’ai obtenu un

second prêt d’honneur de 10 000 € auprès de Réseau Entreprendre Normandie puis un

troisième de 10 000 € auprès de Réseau Entreprendre Atlantique. A chaque fois la demande

est conditionnée par l’installation de l’entreprise sur place. Mais une déclaration d’honneur

suffit. Quelques mois plus tard, il suffit de dire que pour les besoins de l’activité, il faut que je

!221
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

déménage l’entreprise à Paris. Je joue un peu avec le système, mais si ça permet de me lancer

je ne vais pas me priver ». (Sylvain)

L’entrepreneur est perçu comme une personne sachant trouver les ressources, les combiner et les

exploiter pour les mettre au service du développement de son projet. L’entrepreneur est une

personne atypique qui n’hésite pas à dépasser les limites imposées par d’autres pour développer ses
idées. La force de l’entrepreneur dépend aussi de sa position dans les institutions et de sa

connaissance de leur fonctionnement. Il accède à des répertoires de connaissances qui lui

permettent de combiner plus facilement les ressources. C’est par la suite que les nouvelles pratiques

se diffusent vers d’autres acteurs. Et avec la diffusion, il y a homogénéisation. Les entrepreneurs


agissent en amont des normes et produisent les changements qui seront appliqués aux autres.

Sortir de sa zone de confort. Rester dans une posture de salarié protège de l’effort et du risque.

S’en tenir à un rôle de salarié permet de bénéficier du relatif confort de celui qui bénéficie toujours

d’un salaire. En sortir suppose de renoncer à cette sécurité pour un bénéfice hypothétique (celui
d’un projet entrepreneurial à succès) et pour un coût élevé. Avancer dans le processus de transition

professionnel suppose d’abandonner ce qui protège, la place attribuée, et amène à augmenter

sensiblement la somme d’efforts, d’anxiété et de souffrances liée à l’absence de place stable et

claire dans une communauté. Philippe témoigne de ce changement.

« Quand on est salarié le salaire tombe à la fin du mois. Je ne me tracassai pas s’il y avait un

creux dans le volume de clientèle. Ça ne m’empêchait pas de dormir. Aujourd’hui les choses

sont bien différentes. Mon seuil de rentabilité est de 7 clients par jour, pour un panier moyen à

250 €. Il ne se passe pas un jour sans que je me demande si je vais parvenir à avoir mes 7

clients. Si j’y arrive pas, je suis stressé. Si j’en ai que 5, je sais que le lendemain il va falloir

que j’en fasse 9 et ainsi de suite ». (Philippe)

L’entrepreneuriat nécessite de sortir d’une zone de confort. Chez certaines personnes, la rupture

avec le salariat est assez forte sur ce point-là. Elles étaient habituées à des horaires traditionnels, à

!222
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

un rythme de travail confortable et à une rémunération déconnectée des résultats. Pour ces

personnes, la posture d’entrepreneur apporte un sentiment d’inconfort dans le quotidien voire une
prise de risque (matérielle, financière, statutaire) qu’ils doivent apprendre à maîtriser. Certaines

personnes entrent dans une zone d’apprentissage et de découverte. Compte tenu de leur manque de

compétences et d’expériences dans certains domaines (gestion, finance, comptabilité, etc.), ils
risquent de faire des erreurs. Sortir de sa zone de confort génère de l’anxiété, la concentration est

accrue. Mais le niveau de stress reste encore acceptable. Ils entrent dans un territoire inconnu mais

disposent encore de repères suffisants pour progresser. Les difficultés augmentent au fur et à mesure
que les personnes entrent dans une zone de panique. Le stress est alors trop important et ils perdent

la faculté d’adaptation. La performance est réduite par l’excès d’anxiété.

Construire son réseau. Disposer d’un réseau est l’une des caractéristiques d’un entrepreneur les

plus citées par les personnes interrogées. Savoir développer, entretenir et mobiliser un réseau utile

permet de construire un environnement favorable au développement d’un projet. Le réseau


d’affaires améliore le niveau d’information de ce qui se passe dans son environnement. Cela

augmente les opportunités et permet éventuellement de saisir des leviers de croissance. Pour faire

croître le projet, il est important de former autour de soi une équipe de personnes compétentes,
responsables et impliquées dans ce qu’elles font. Sylvie illustre l’importance du réseau dans le

développement de son projet. Après sept années à développer son activité d’hypnothérapeute avec

plus ou moins de succès, elle finira par accepter un poste de salarié et clôturera définitivement son
activité.

« J’ai énormément développé mon réseau durant mon projet. Je travaillais souvent dans des

espaces de coworking, celui du Cnam, celui de la Boutique de Gestion ou celui de ma ville.

C’est une ambiance stimulante. Ça m’a permis de rencontrer Farida qui fut d’un grand

soutien. C’est elle qui m’a mise en relation avec l’association de recherche en soins infirmiers.

C’est aussi elle qui m’a permis de rencontrer l’EHPAD de Noisy-Le-Grand. C’est comme ça

que j’ai pu tester le projet. Bon, au final le réseau n’a pas suffi pour faire décoller le projet.

Mais je ne regrette rien. J’ai rencontré de belles personnes. On a passé de bons moments

!223
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

ensemble. Et d’ailleurs c’est encore le réseau qui m’a permis de trouver le poste que j’occupe

actuellement ». (Sylvie)

L’entrepreneur est perçu comme celui qui fait partager sa vision et s’entoure des personnes qui vont

l’aider à atteindre ses objectifs. L’entrepreneur se situe au confluent d’un ensemble de réseaux et sa

capacité à communiquer constitue un élément important de sa réussite. Il recherche les avis autour
de lui. Certaines personnes que nous avons interrogées ont mis en place un comité-conseil composé

de personnes de leur entourage. Elles les sollicitent lorsqu’il s’agit de tester le produit, de donner un

avis sur la charte graphique ou encore lorsque le moral est en berne. Par la suite le réseau sera

éventuellement utile lorsqu’il s’agira de rebondir sur une autre activité professionnelle.

Développer une vision. La capacité à développer une vision à long terme de son projet est une

capacité que certaines personnes interrogées parviennent à développer. Alors que beaucoup de
personnes évoluent dans un cadre conçu par d’autres, certaines personnes se revendiquent

entrepreneurs car ils parviennent à concevoir leur propre cadre de référence. Les projets originaux

sont avantagés puisqu’ils cultivent une différence qui les rendent uniques. Cette créativité va
soutenir la dynamique de l’entrepreneur, son enthousiasme et sa vivacité. Nous interrogeons

Augustin à l’occasion d’une rencontre entre entrepreneurs. Nous revenons sur son parcours alors

qu’il vient de nous annoncer qu’il arrêtait son activité, faute d’une croissance suffisante.

« A l’époque notre modèle économique allait à contre courant des tendances. Alors que tout le

monde pariait sur les services de livraison décentralisés, c’est-à-dire avec un personnel

principalement sous le statut de l’auto-entrepreneur, nous avons parié sur l’embauche de

personnel. C’est cette vision qui nous a guidés pendant plusieurs années. Au début personne

ne croyait en nous. Mais lorsque nous avons commencé à générer du chiffre d’affaires et que

Uber et plus largement le système de sous-traitance en auto-entrepreneur a commencé à être

critiqué, on nous a regardés d’une autre façon. Bon, au final on a fini par mettre la clé sous la

porte. Mais on ne regrette pas nos choix. On a fait vivre une cinquantaine de personnes

pendant cinq ans. Et ça j’en suis fier ». (Augustin)

!224
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

Augustin est fier d’avoir développé une vision, caractéristique qu’il considère comme essentielle.

La vision place l’entrepreneur dans une dynamique de changement créatrice de sens. La perception
de bien faire est fondamentale dans la construction d’une vision sur le long terme. L’entrepreneur

identifie des opportunités et les exploite d’une façon qui lui semble cohérente avec son intuition. Il

bâtit ensuite une stratégie qui va lui permettre d’atteindre ces objectifs. Avec de l’originalité, de
l’indépendance et un minimum de passion pour entreprendre, il dispose alors d’un espace de liberté

pour satisfaire ses envies.

Savoir innover. Les interviews réalisées permettent également d’identifier que l’entrepreneur est

perçu comme un innovateur. L’entrepreneur ne peut faire fi de son environnement au risque de

produire une offre inadaptée au marché. Afin que son projet ait des chances de réussite, il doit faire
preuve d’inventivité. Si l’expérience dans le secteur, le niveau d’expertise et le diplôme peuvent

aider à innover, la personne doit se nourrir continuellement de l’évolution de son environnement.

En parvenant à construire une offre perçue comme innovante, cela contribue à renforcer le

sentiment de légitimité d’être un entrepreneur.

« Même si je n’ai pas réussi à créer une entreprise, oui je pense avoir un profil d’entrepreneur.

Je ne sais pas si je le suis vraiment, mais un peu quand même ! Ce qui compte c’est la

capacité à innover, à produire quelque chose de nouveau. J’ai développé un projet vraiment

innovant. J’ai déposé un brevet. J’avais pas les ressources pour le mener jusqu’au bout, mais

ça c’est autre chose. Ça dépend pas que de moi ». (Jean-Pierre)

L’entrepreneur est perçu comme une personne disposant de ressources cognitives permettant de

déceler de nouvelles voies. Proche de l’entrepreneur Schumpeterien, la combinaison de ressources

entraîne des transformations de la structure économique. C’est avant tout la recherche de


performance du système qui devient l’argument clé dans cette conception de l’innovation. Celle-ci

répond à un besoin du marché, produit des résultats et des solutions adaptées aux problèmes.

L’entrepreneur est efficace précisément parce qu’il répond aux besoins. Dans cet exemple peut

importe si l’innovation conduit à la création d’une structure juridique.

!225
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

Le tableau 18 résume des extraits d’entretiens.

Thème Illustration

« C’est un peu ça le métier d’entrepreneur. Work hard, play hard comme on


dit » — « Je travaille dur pour y arriver, je ne vois pas pourquoi on me refuse
Avoir du mérite
ma place ». — « Décrocher un contrat comme celui-ci, tout le monde n’est
pas capable de le faire ».

« Je joue un peu avec le système, mais si ça permet de me lancer je ne vais pas


me priver ». — « La législation est floue sur notre marché. Mais si nous
Faire preuve d'audace
réussissons nous pourrons imposer nos normes aux concurrents ». —
« Personne d’autre que nous ne développe ce type de service ».

« Quand on est salarié, le salaire tombe à la fin du mois. (…) Aujourd’hui les
Sortir de sa zone de choses sont bien différentes ». — « Tout le monde pense que c’est cool d’être
confort entrepreneur, mais c’est pas cool du tout. C’est plein de galères à gérer au
quotidien ». — « J’arrête le salariat, je veux agir ».

« J’ai énormément développé mon réseau durant mon projet ». — « Le réseau


c’est la clé de tout ». — « J’ai rencontré nos business angels grâce à
Construire son réseau
Linkedin » — « Même si le projet ne fonctionne pas, je pourrai peut-être
rebondir grâce aux personnes que j’ai rencontrées ».

« Au début personne ne croyait en nous ». — « Notre objectif est de devenir le


leader sur ce secteur » — « Je cherche des personnes qui croient en moi, en ce
Développer une vision
projet ». — « Il faut toujours anticiper le coup suivant, ne jamais tomber dans
la facilité du quotidien ».

« Ce qui compte c’est la capacité à innover, à produire quelque chose de


Savoir innover nouveau ». — « Le plus difficile n’est pas de trouver des idées, c’est de les
produire ». — « Le produit est innovant, c’est ce qui intéresse les
investisseurs ».

Tableau 18 : La légitimité pour soi (extraits d’entretiens résumés par thème)


!

!226
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

2. La légitimité pour les autres

La performance d’une entreprise peut être mesurée de différentes manières. Ces paramètres

démontrent la performance de l’entreprise et par conséquent des compétences professionnelles de


l’entrepreneur lorsqu’il démontre à son environnement sa capacité à remplir pleinement ses

fonctions telles que décrites par Fayol : prévoir, organiser, coordonner, commander et contrôler

(1918).

Avoir une entreprise. Pour certaines personnes interrogées, le sentiment d’être légitime en tant

qu’entrepreneur débute avec la création de l’entreprise. L’entreprise existe officiellement. Cela

marque le passage du statut de salarié à celui d’entrepreneur. La création juridique de l’entreprise


est un engagement important. C’est l’aboutissement d’un processus entrepreneurial de plusieurs

semaines mois ou années. Cela engendre des frais d’immatriculation et des frais de gestion. Nous

échangeons avec un entrepreneur qui vient d’immatriculer son entreprise en EURL.

« J’ai reçu mon Kbis25. Je suis officiellement entrepreneur depuis lundi ! C’est fini le salariat,

c’est fini le confort. Maintenant c’est boulot, boulot, boulot. Je suis de l’autre côté de la

barrière désormais. Il faut que je fasse mes preuves ». (Francis)

Lorsque la personne immatricule son entreprise sous le régime de l’auto-entrepreneur, ce sentiment


de légitimité est beaucoup moins présent. L’engagement est moins fort lorsque la personne s’inscrit

sous le régime de l’auto-entrepreneur. C’est un régime fiscal et social simplifié. Financièrement

l’auto-entrepreneur engendre peu de coûts. Sa souplesse permet de tester une activité. Le chiffre
d’affaires est plafonné ce qui limite les perspectives. Les transitions professionnelles reconstituées

dans le chapitre précédent montrent que les entreprises immatriculées en auto-entrepreneur le sont

au cours de la première moitié de la transition professionnelle. L’auto-entrepreneuriat est


principalement utilisé au cours de la période d’entre-deux pour pouvoir tester une activité. Pour les

25
Le Kbis est un document officiel qui atteste de l’existence juridique d’une entreprise.

!227
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

personnes interrogées c’est souvent un statut juridique temporaire. L’auto-entrepreneur véhicule

également une image dégradée de l’entreprise. Voici le témoignage de Philippe sur ce thème.

« L’auto-entrepreneur c’était temporaire. Le chiffres d’affaires est limité. Pour ouvrir une

boutique c’était clairement pas adapté. Mais ça m’a permis de me faire la main, de m’habituer

à la paperasse et à l’administration. En tant que salarié je n’étais jamais confronté à tout ça.

Et puis vis-à-vis des autres (ndlr : les autres entrepreneurs de l’incubateur), l’auto-

entrepreneur c’est un truc de débutant. C’est pour s’entraîner. Je suis passé en SASU aussi

pour paraître plus sérieux. » (Philippe)

Le dépôt du dossier d’immatriculation auprès du Centre de Formalité des Entreprises (CFE) est la

démarche obligatoire imposée par l’administration publique. Elle est très codifiée. Dans la plupart
des cas l’immatriculation fait l’objet d’un avis publié au Bulletin officiel des annonces civiles et

commerciales (Bodacc). Tous les entrepreneurs interrogés se souviennent de ce moment important

dans la vie d’une entreprise. La plupart ont « marqué le coup » collectivement par des pratiques
diverses. Certains ont pris un verre avec leur famille ou leurs amis. « Avec ma femme on a trinqué à

la santé de l’entreprise » (Philippe). Certaines personnes postent un commentaire sur les réseaux

sociaux comme Timothé qui publie un selfie à la sortie du Tribunal de Commerce accompagné du
commentaire suivant « c’est fait, l’entreprise existe maintenant juridiquement ! ». La symbolique

est encore plus importante lorsque le processus entrepreneurial est collectif. C’est le cas de Sylvain

qui a trois autres associés dans le projet, dont son père. « C'est une démarche qui scelle le

fonctionnement des relations entre associés, en fonction des apports de chacun. Il ne faut pas se
tromper. Pour moi un des associés est mon père. Donc en plus d’une relation familiale, paternelle,

ça ajoute une relation business. Ça complique un peu les choses » (Sylvain). Dans le cas de Sylvain

deux évènements ont marqué la création juridique de l’entreprise. Le premier se déroule entre les
associés (un déjeuner d’affaires) et le second entre les membres de sa famille (une coupe de

champagne). Mais certaines personnes ne font rien de particulier à l’occasion de la création

juridique de l’entreprise. C’est notamment le cas lorsque la création juridique est sous le régime de
l’auto-entrepreneur.

!228
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

Nous avons constaté assez peu de rituels à l’occasion de la création officielle des entreprises des

entrepreneurs qui composent l’échantillon de l’étude. A l’inverse plusieurs rituels existent à


l’occasion de l’entrée dans l’un et/ou l’autre des incubateurs étudiés. Par exemple tous les deux

conditionnent l’entrée dans leur espace de co-working par un jury composé des professeurs du

Cnam pour l’incubateur du Cnam et du responsable de l’incubateur et d’un entrepreneur résident


pour l’incubateur de l’ISC Paris. Ce jury est un moyen pour sélectionner les candidats et renforcer

la cohérence de la sélection. Tous les entrepreneurs accueillis sont ainsi sélectionnés à partir de

critères de sélection communs. A la différence de l’incubateur du Cnam, celui de l’ISC Paris intègre
dans le jury un entrepreneur déjà résident dans l’incubateur. Nous avons constaté que cela renforce

d’avantage le sentiment de cohésion entre les membres du groupe et facilite l’intégration, comme le

montre ce témoignage.

« Je trouve que le fait d’associer à la prise de décision des entrepreneurs de l’incubateur permet

de renforcer le groupe. Le nouvel arrivant se souvient que c’était son voisin qui était dans le

jury. Il va forcément le remercier. C’est souvent le premier avec qui des liens vont être tissés.

Pour ma part mes premières questions sur le fonctionnement de l’espace, le code wifi, à qui

appartient telle ou telle étagère de la bibliothèque par exemple, je les posaient à celui qui m’a

sélectionné » (François)

L’entrée dans l’incubateur peut aussi être conditionné par d’autres rituels comme l’affichage du

logo sur un des murs de l’incubateur, un message annonçant l’arrivée des nouveaux entrepreneurs

ou encore une séance de « pitch » à destination des autres entrepreneurs comme par exemple à
l’occasion d’un déjeuner. A l’inverse lorsqu’un entrepreneur ne participe pas aux rituels organisés

par l’équipe encadrante de l’incubateur ou par ses membres eux-même, cela peu le placer dans une

posture d’exclu. Les autres membres du groupe le remarque, ils s’interrogent sur les raisons de ses
absences et peuvent le placer « à part » du groupe.

Obtenir du financement. Décrocher un financement extérieur est un engagement important. Il est

le résultat d’une longue réflexion et d’un travail approfondi. C’est une démarche qui ne s’improvise

!229
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

pas. Le poids des responsabilités augmente pour l’entrepreneur. Dans la plupart des cas, le

financement doit être remboursé (emprunt bancaire, actionnariat, avance remboursable, etc.). La
prise de risque est plus ou moins importante selon les personnes. L’entrepreneur doit rendre des

comptes. A défaut d’un remboursement l’entrepreneur se met alors en difficulté. Le financement

extérieur montre également que la personne a su convaincre son entourage ou des partenaires de
s’engager dans le projet. Cela donne du crédit au projet et à l’équipe en place. Un financement n’est

jamais facile à obtenir. Le projet est étudié dans le détail par d’autres personnes. Le temps passé

peut être très long et éprouvant notamment lorsque les montants sont importants. Voici la réponse à
l’échange de mails avec Louis que nous venons de féliciter pour son financement.

« On a réussi à boucler le crowdfunding sur Ulule. C’est une belle victoire. C’est aussi un

excellent moyen pour communiquer. On a obtenu 148 pré-ventes pour une moyenne d’achat

de 120 €. On a du pain sur la planche maintenant. Il faut livrer la marchandise dans les trois

mois. » (Louis)

Pour obtenir un financement, chaque entrepreneur doit constituer un dossier de financement. Sa


forme est très variable selon le financement demandé. Il s’agit généralement d’un business plan. Le

projet est présenté avec plus ou moins de détails sur l’équipe, l’offre et le marché visé. Le dossier

comporte au minimum un plan de financement et des prévisionnels financiers. Les exigences


peuvent être parfois beaucoup plus poussées selon le partenaire. L’obtention d’une demande de

financement est toujours célébrée par les entrepreneurs. Andry était dans un incubateur parisien

lorsqu’il a réussi à décrocher un important financement auprès de business angels. « La tradition

dans cet incubateur était de sonner la cloche. Une grosse cloche est installée dans l’espace de
coworking. Lorsqu’une levée de fonds est bouclée, on sonne la cloche. Pour 100 000 € c’est un

gong. On a sonné trois fois ! ». C’est une manière originale de ritualiser la levée de fonds. Elle a

pour objectif d’animer un incubateur mais pas seulement. Une levée de fonds est une occasion
exceptionnelle de communiquer sur l’entreprise et sur les organismes qui la soutienne. Le rite

permet de communiquer autant sur la communauté de l’incubateur qu’auprès des personnes qui n’y

sont pas. Les porteurs de projets, les investisseurs et autres partenaires potentiels de l’incubateur
sont particulièrement visés par ce type de communication.

!230
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

Faire du chiffre d’affaires. Le premier client est toujours un moment important pour un
entrepreneur. Cela prouve que l’objet ou le service proposé à trouvé une clientèle. L’offre

correspond à une demande. Pour certains entrepreneurs, ce premier client sera le seul. Pour

d’autres, les clients se multiplieront et feront grossir le chiffre d’affaires. Pour de nombreuses
personnes le premier client marque le passage à l’entrepreneuriat. C’est le cas de François qui se

remémore son premier client.

« Je me rappelle très bien mon premier vrai client. C’était une dame de la région de Strasbourg.

Elle a acheté un collier pour un petit chien. J’ai envoyé la marchandise dans la journée. Et

trois jours plus tard je l’ai appelée pour savoir si elle avait bien réceptionné le collier et pour

recueillir ses impressions. Aujourd’hui je ne peux plus me permettre d’appeler les clients à

chaque fois. C’est très intéressant mais c’est trop long. J’envoi un questionnaire de

satisfaction ». (François)

Lorsque la clientèle se multiplie il n’est pas toujours évident de maintenir le rituel que l’on s’est

imposé. Dans le cas de Jean-Baptiste le rituel prend une autre forme.

« Pour chaque installation de nos machines nous faisons monter le compteur de like. C’est un

compteur que l’on a détourné de son utilisation première. A la base il sert à compter les likes

sur Facebook. Mais on l’a trafiqué pour qu’il nous serve à compter l’installation des

machines. On le place bien bien en évidence dans les locaux pour que tout le monde le voie.

Ça nous sert à motiver les équipes ! ». (Sylvain)

Pour toutes les personnes interrogées la légitimité s’acquiert notamment par la clientèle. Cela

démontre la capacité à vendre, à mettre en place des actions de développement efficaces pour
adapter une offre à un marché. Cela démontre que l’entrepreneur a su développer des compétences

utiles pour son projet, qu’il a fait un pari qui s’est révélé payant et qu’il a su s’entourer des bonnes

personnes pour développer son réseau.

!231
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

Disposer de ses propres locaux. Certaines personnes interrogées estiment qu’elles seront
entrepreneurs lorsqu’elles s’installeront dans leurs propres locaux. Pour certains métiers, il est

problématique de ne pas disposer de locaux (restaurateur, coiffeur, fleuriste, opticien, etc.). Les

personnes ne se considèrent réellement entrepreneurs qu’à partir du moment où elles peuvent


disposer de locaux qui leur permettent d’exercer leur activité conformément aux codes traditionnels

du secteur. Voici l’exemple de Philippe. Il a exercé son activité d’opticien à domicile pendant six

mois avant d’ouvrir sa propre boutique. Il fait parvenir un mail collectif à l’occasion de
l’inauguration de sa boutique.

« Mon apprentissage est terminé. Je commence une nouvelle aventure. Je tiens à remercier toute

les personnes qui m’ont permis d’arriver à ce stade. (…) Ce fut un parcours long, difficile et

parfois décourageant. Mais j’y suis arrivé ! Je vous propose de venir partager ma joie à

l’occasion de l’inauguration de ma boutique jeudi 5 avril 2018 à l’adresse ci-dessous. Ce sera

avant tout un moment de partage et convivialité. Si vous souhaitez en profiter pour acquérir

une nouvelle paire de lunettes, 20% de réduction sera appliqué ». (Philippe)

Il qualifie d’apprentissage la période précédente. Pourtant c’est une période durant laquelle il a
exercé son métier d’opticien à domicile. Cette période dura 6 mois. Il a réussi a générer un petit

chiffre d’affaires sans toutefois réussir à parvenir à en vivre. L’acquisition de locaux est un cap

important pour un porteur de projet. C’est souvent le fruit de longs efforts. Les locaux coûtent

généralement chers, surtout dans les grandes villes. Les locaux symbolisent l’indépendance,
l’autonomie et la réussite. Après deux ans dans un incubateur, Ange-Lucien témoigne du moment

où il a réussi à ouvrir sa propre boutique. A l’époque la boutique était partagée avec deux autres

créateurs d’entreprise afin de réduire les coûts.

« J’étais fier d’annoncer l’ouverture de la boutique. C’était un moment important pour nous. On

a pris conscience de beaucoup de choses à ce moment-là. Dans une boutique tu es confronté

aux clients tous les jours. Quand tu vends sur internet c’est différent, parfois le client tu ne le

vois même pas ! Mais pour répondre à ta question, on se se considérait entrepreneurs aussi à

!232
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

cette époque. Après tout on vendait aussi à cette époque ! Une boutique c’est juste une étape

en plus. On déploie nos ailes. On est de vrais entrepreneurs. Avant on était des entrepreneurs,

mais dans le confort douillet d’un incubateur. On était protégés ». (Ange-Lucien)

Certaines personnes n’indiquent pas dans leurs correspondances qu’elles travaillent dans un

incubateur ou dans autre espace de travail partagé (pépinière, couveuse d’entreprise, espace de
coworking, etc.). Par exemple à l’incubateur de l’ISC Paris, de nombreux courriers sont égarés car

les entrepreneurs car ils n’indiquent pas « incubateur » à leurs correspondants. Le courrier n’arrive

donc pas au bon endroit. Pourtant c’est clairement indiqué à leur arrivée dans l’incubateur. Nous
interrogeons Nicolas sur ce point après avoir constaté à plusieurs reprises que son courrier s’égarait.

« C’est pas super professionnel de préciser qu’on est hébergé dans un incubateur. Enfin ça

dépend. Selon l’interlocuteur c’est bien de le dire. Si c’est un institutionnel du genre French

Tech, BPI ou Réseau Entreprendre, clairement il faut le dire. Ça montre qu’on est

accompagné. Qu’on est pas tout seul. Mais je le précise pas pour mes clients, mes fournisseurs

et même mon banquier. Au contraire, ça montre que je suis petit, j’ai pas mes locaux,

l’entreprise est encore fragile ». (Nicolas)

Socialement disposer de ses propres locaux permet de bénéficier d’une forte reconnaissance sociale.
Les personnes acquiert une place sur un marché économique. Elles ont également une place dans

une ville, un village ou un quartier. Elles développent un réseau de proximité. Une confiance peut

s’installer. Des habitudes se mettent en place. Cela peut leur octroyer des facilités (avoir toujours

une table assise dans le café au coin de la rue, être servi rapidement par le restaurateur voisin, avoir
des prix avantageux chez le coiffeur d’à côté, etc.). Cela procure de la satisfaction et contribue à

renforcer le sentiment d’appartenance.

Embaucher du personnel. La première embauche est toujours un moment important pour un

entrepreneur. Parmi les personnes interrogées, cela débute souvent par l’embauche de stagiaires.

Bien qu’un stagiaire ne soit pas un salarié, cela permet de développer de nombreuses compétences

!233
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

telles que le leadership, la capacité à déléguer, l’organisation, le contrôle et éventuellement la

sanction. L’entrepreneur se confronte au regard et au travail d’une autre personne que lui. Pour
certaines personnes interrogées, c’est un exercice nouveau qu’elles n’ont encore jamais eu

l’occasion de faire. Certaines n’ont jamais eu du personnel sous leurs ordres en tant que salarié. Au

contraire, d’autres personnes interrogées ont déjà eu l’occasion de déléguer par le passé. Dans tous
les cas, l’embauche de personnel permet de développer de nouvelles compétences et de témoigner

d’une capacité à faire travailler d’autres personnes qui a priori adhèrent au projet. Aristide raconte

son expérience avec son premier stagiaire.

« Le premier stagiaire fut une catastrophe. Je n’ai jamais eu de personnel sous mes ordres

auparavant. J’ai déjà travaillé en équipe mais pas sous cette forme. Ce fut une découverte. J’ai

donc choisi quelqu’un qui me ressemblait. Une personne sortie d’une Ecole de Commerce,

avec une expériences et un profil similaire au mien. Ce fut une grosse erreur. J’étais aussi

exigeant avec lui qu’avec moi. Or ce n’était pas son entreprise. Il ne s’impliquait donc pas

autant que moi dans l’activité. Pour le faire changer j’ai choisi une méthode de management

assez cool. Je prenais des verres avec lui, on se tutoyait, on était amis sur facebook. Des trucs

comme ça. Au début ça a marché. Mais peu à peu il en a profité. Il n’était pas toujours à

l’heure. Il oubliait des rendez-vous. Il faisait des erreurs dans les commandes. Mais vu qu’on

était potes je ne pouvais rien lui dire. Il ne prenait pas au sérieux mes remarques. J’ai fini par

rompre le contrat avant son terme ». (Aristide)

Pour embaucher du personnel, l’entretien d’embauche est une étape nécessaire. Ce rituel prend des
formes diverses selon les personnes interrogées qui embauchent du personnel. Pour Andry cela

prend la forme d’un concours entre les candidats.

« Chez nous les candidats doivent décoder un programme dans un temps limité. C’est une

technique de recrutement qui s’inspire de celle du film The Social Network, le film qui raconte

l’histoire de Facebook avec Marc Zuckerberg. Sauf qu’on est pas aussi barbare que dans le

film ! On réunit les candidats potentiels dans une salle de l’incubateur. Ils viennent avec leur

ordinateur. On leur transmet une clé USB avec un programme qui ne fonctionne pas. Ils ont

!234
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

tous le même. Bien sûr nous on sait pourquoi le programme ne fonctionne pas. On a modifié

les lignes de codes avant, on a ajouté des trucs, supprimé des choses. Le premier qui arrive à

faire fonctionner le programme est embauché. Ça dure généralement 1 heure. C’est simple et

efficace ». (Andry)

Pour d’autres personnes l’entretien est assez traditionnel.

« Les entretiens se déroulent assez classiquement. On reçoit des CVs. On fait passer des

entretiens. Rien d’exceptionnel. On n’a pas trop envie d’innover de ce côté là. On est passé

par là nous aussi. C’est hyper stressant de se retrouver dans des situations bizarres avec des

questions à la mode du genre « vendez-moi cette bouteille d’eau ». Ce qui compte c’est

l’implication de la personne dans la boîte. Il y a toujours une période d’essai de toute façon.

Jusque là on ne s’est pas trompé ». (Louis)

Outre l’intérêt pour le développement de l’entreprise d’embaucher du personnel, cela créée

également une distinction entre les entrepreneurs d’un même espace de travail. Les entrepreneurs
qui disposent de personnel sont visuellement plus nombreux. Un dynamisme se met en place. Des

échanges se créent avec les autres entrepreneurs présents dans l’espace de travail. Une hiérarchie se

met en place. Des affinités et des confits se développent. Les entrepreneurs qui disposent de
personnel attirent davantage l’attention sur eux et sur leur activité qui semble se développer.

Gagner un concours La légitimité entrepreneuriale se développe aussi par la reconnaissance que

procure la réussite à des concours. Les personnes sont encouragées dans le développement de leur

projet. Un concours assoit son autorité grâce aux membres qui le composent (fondateurs,

personnalités, membres du jury, etc.). Plus l’autorité est reconnue par le porteur de projet, plus le
résultat du concours a de l’importance à ses yeux. Nous félicitons un porteur de projet quelques

jours après sa réussite à un concours entrepreneurial dont les membres du jury se composent de

personnalités reconnues du monde des startup.

!235
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

« On ne s’attendait pas vraiment à gagner ce concours. Ce fut une surprise. Ça nous a donné une

forte visibilité. Plusieurs années plus tard on nous en reparle encore. C’est grâce à ce concours

que nous avons réussi à installer nos premières machines dans les locaux de grandes

entreprises ». (Jean-Pierre)

Un concours est un dispositif fortement ritualisé. Tous les candidats suivent le même processus de

sélection. La ritualisation du processus de sélection participe à garantir les mêmes chances à

chacun. Les candidats déposent un dossier et peuvent éventuellement défendre leur candidature lors

d’un ou de plusieurs oraux. Ils sont mis dans les mêmes conditions d’examen de leur dossier (même
dossier, même temps de parole, même matériel mis-à-disposition, etc.). Les membres du jury sont

les garants de l’autorité. Ils doivent maintenir une certaine distance avec les candidats faute de quoi

ils peuvent être accusés de favoriser un candidat plutôt qu’un autre. Affaiblir la ritualisation du
concours contribue à affaiblir la légitimité du concours. Un concours se clôture généralement par

une cérémonie de remise des prix. La cérémonie a vocation à honorer les gagnants du concours

mais pas seulement. La cérémonie permet aussi de mettre en valeur les organisateurs du concours et
ses partenaires. Un cérémonial est mis en place (placement des participants, ordre de passage,

discours d’introduction, remerciements de partenaires, etc.). Pour les participants la cérémonie de

remise de prix symbolise le passage d’un état à un autre, celui du statut de candidat au statut de
gagnant ou de perdant. Un concours est l’occasion pour le porteur de projet de communiquer sur sa

victoire ou à défaut sur sa participation.

Le tableau 19 résume des extraits d’entretiens illustrant la légitimité pour les autres.

Le tableau 20 résume les rituels organisés dans l’un et/ou l’autre des incubateurs étudiés.

!236
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

Catégorie Illustration

« J’ai reçu mon Kbis. Je suis officiellement entrepreneur depuis lundi ! » —


« Etre dirigeant d’entreprise change le regard des autres ». — « Auto-
Avoir une entreprise
entrepreneur c’est pas vraiment une entreprise. Mais c’est vrai que
techniquement je suis chef d’entreprise ».

« On a réussi à boucler le financement sur Ulule. C’est une belle victoire.


C’est aussi un beau moyen pour communiquer ». — « On fait partie des
Obtenir du financement
lauréats de Réseau Entreprendre ». — « Avoir le fonds d’investissement de
Xavier Niel comme investisseur ça donne de l’assurance ».

« Je me rappelle très bien mon premier vrai client ». — « Gagner de l’argent


Faire du chiffre avec sa boîte, c’est la meilleure preuve que je suis un entrepreneur » — « J’ai
d’affaires passée six mois à essayer de vendre, repenser l’offre, re-essayer de vendre, etc.
A la fin j’ai réussie ! C’est à partir de ce là que j’ai commencé à en parler ».

« Mon apprentissage est terminé. Je commence une nouvelle aventure ». — «


Disposer de ses propres J’étais fier d’annoncer l’ouverture de la boutique. C’était un moment
locaux important pour nous. On a pris conscience de beaucoup de choses à ce
moment-là » — « Je serai vraiment entrepreneur quand j’aurai mes locaux ».

« Le premier stagiaire fut une catastrophe » — « Chez nous les candidats


Embaucher du doivent décoder un programme dans un temps limité. C’est une technique de
personnel recrutement qui s’inspire de celle du film The Social Network, le film qui
raconte l’histoire de Facebook ».

« On ne s’attendait pas vraiment à gagner ce concours. Ce fut une surprise. Ça


nous a donné une forte visibilité ». — « Avec ce prix on entre dans la catégorie
Gagner un concours
des entrepreneurs experts ». — « Un concours comme ça nous permet de
rencontrer notre coeur de clientèle ».

Tableau 19 : La légitimité pour les autres (extraits d’entretiens résumés par thème)
!

!237
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

Catégorie Exemples de rituels


L’entrée dans l’incubateur est conditionné par un jury (responsable de
l’incubateur, entrepreneur résident, partenaire…). Le nouvel entrepreneur doit
se présenter aux autres résidents. Une fois l’entreprise intégrée, son logo est
Avoir une entreprise
imprimé, encadré et affiché sur le mur de logos de l’incubateur. Un Polaroïd
est à disposition, tous les nouveaux entrepreneurs doivent se prendre en photo
en s’aidant d’accessoires de Photo Booth.

Tous les entrepreneurs qui obtiennent un financement le célèbre par un repas


ou un verre avec leur équipe et/ou d’autres entrepreneurs. A l’occasion d’un
Obtenir du financement financement exceptionnel (levée de fonds, crowdfunding…), une « cérémonie
du Gong » est organisée consistant à faire sonner une cloche, recevoir des
applaudissement et célébrer la réussite autour d’un repas (Andry).

Au sein de leur équipe, certains entrepreneurs vont célébrer l’atteinte d’un


Faire du chiffre objectif (100 clients, 10 000 followers…) par des applaudissements (Sylvain,
Augustin). D’autres vont inviter des entrepreneurs à un apéritif (Nicolas,
d’affaires Augustin). Un autre entrepreneur valorise le « meilleur commercial du
mois » avec un cadeau (billets de cinéma offerts, repas offert…) (Andry).

Lorsque les entrepreneurs obtiennent leurs propres locaux, la plupart vont


Disposer de ses propres célébrer l’évènement par une inauguration en invitant leur entourage (clients,
partenaires, élus, commerçants locaux…) (Timothé, Philippe, Marie-Ange,
locaux Aristide, Ange Lucien). L’entrée dans de nouveaux locaux signifie aussi le
départ de l’incubateur qui se termine généralement par un pot de départ.

Les entrepreneurs qui recrutent du personnel régulièrement transmettent un


« kit d’accueil » comprenant un document sur l’historique et les valeurs de
Embaucher du l’entreprise, le fonctionnement, le règlement intérieur ou les codes d’accès à
personnel certains outils (Augustin, Sylvain). Lorsqu’il souhaite recruter un stagiaire en
informatique un entrepreneur organise un concours (consistant à décoder un
logiciel le plus rapidement possible) pour départager les candidats (Andry).

Les entrepreneurs qui gagnent un concours le fête presque systématiquement


par un un repas ou un verre avec leur équipe et/ou d’autres entrepreneurs
Gagner un concours (Timothé, Andry, Louis, Nicolas, Sylvain, Ange Lucien). La réussite d’un
concours est aussi l’occasion pour le responsable de l’incubateur d’apporter
ses félicitations aux gagnants dans un message collectif.

D’autres rituels vont rythmer la vie des incubateurs étudiés, être des moyens
pour favoriser la cohésion entre ses membres et des outils de communication
vers l’extérieur comme : le début année (voeux, galettes), mardi gras (repas
Autres rituels
crêpe) et la fin d’année (repas, bilan de l’année). Enfin l’incubateur de l’ISC
Paris dispose d’un babyfoot, un tournoi est régulièrement organisé entre les
entrepreneurs (généralement les jeudis). L’équipe perdante paie une pizza.

Tableau 20 : Les rituels dans les incubateurs étudiés


!

!238
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

3. La légitimité en tant qu’entrepreneur

Le sentiment de légitimité entrepreneuriale est le résultat de deux dynamiques qui se nourrissent

l’une et l’autre. La légitimité pour soi correspond aux perceptions que la personne a de
l’entrepreneur. Ses représentations sont construites sur la base de son expérience passée, de ses

envies et des images transmises par son entourage et plus largement par la société. La légitimité

pour les autres correspond à la reconnaissance par une communauté. Cette dernière va attribuer à la

personne des attributs qui correspondent à l’entrepreneur. Agissant comme une autorité supérieure,
la communauté peut également lui retirer ces attributs si la communauté estime que la personne ne

répond pas à ses engagements. La figure 12 illustre cette théorie.

Cette figure met en avant trois zones d’influence (A, B, C) :

• Zone A : La personne va agir pour correspondre à l’image qu’elle s’est construite de


l’entrepreneur. S’il y a incohérence entre ses actions et ses représentations, elle peut se

considérer comme illégitime dans la catégorie des entrepreneurs. La personne ne se


reconnait pas comme faisant partie des entrepreneurs. Une période de confusion peut naître

pendant laquelle la personne est en perte de repères. Ne pouvant se rattacher aux

représentations qu’elle se fait de l’entrepreneur, la personne peut continuer à agir pour

correspondre à ses représentations ou au contraire changer de représentations pour


correspondre à une autre catégorie sociale (par exemple celui des salariés). Au contraire, si

la personne estime qu’elle agît selon les représentations qu’elle se fait de l’entrepreneur,

elle va s’auto-catégoriser comme tel. Si elle se perçoit comme légitime comme


entrepreneur, elle peut être amenée à revendiquer cette légitimité auprès d’une

communauté.

• Zone B : La personne souhaite être reconnue comme entrepreneur par une communauté.
Cette communauté agit comme une autorité qui confère un statut à la personne. Du point de

!239
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

vue de la communauté, la personne est légitime dans son rôle car ses valeurs et ses actions

sont cohérentes avec les attentes de la communauté. Du point de vue de la personne, la


légitimité accordée par la communauté permet à la personne d’accéder à un prestige

(exemple : un concours), à un soutien social (exemple : un club d’entrepreneur) ou à des

ressources (exemple : un incubateur). La légitimité est rarement accordée sans conditions.


Le plus souvent une sélection et un système de contrôle sont mis en place par la

communauté. La sélection permet de choisir ses membres (exemple : un dossier de

candidature) et le système de contrôle permet de les maintenir dans la communauté


(exemple : contre-parties financières). Si la personne ne répond pas aux critères de sélection

ou qu’elle ne se soumet pas au système de contrôle, elle peut alors être exclue de la

communauté. La personne éprouve alors des sentiments de rejets, comme l’isolement, le


malaise ou la honte. A l’inverse lorsque la personne est acceptée par la communauté, et

maintenue dans ce rôle, elle éprouve des sentiments comme la joie, la satisfaction ou encore

l’excitation.

• Zone C : La légitimité pour soi et la légitimité pour les autres s’influencent mutuellement.
Lorsque la personne estime qu’elle est légitime dans son rôle, elle peut souhaiter être

reconnue par les autres. A l’inverse, lorsqu’une communauté la perçoit légitime comme
entrepreneur, cela renforce la confiance de la personne dans son système de représentation.

!240
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

Confiance
Légitimité pour soi : Légitimité pour les autres :
Perceptions / Représentations Désir de reconnaissance Communauté / Autorité

A B

(-) Incohérence : (-) Rejet :


Illégitimité, confusion, Isolement, malaise,
perte de repères honte
LEGITIMITE
(+) Cohérence : ENTREPRENEURIALE (+) Acceptation :
Auto-catégorisation, Joie, satisfaction, exci-
revendication tation,

Actions Reconnaissance
!

Figure 12 : Modélisation de la démarche de construction de la légitimité entrepreneuriale

!241
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

4. Synthèse de la section

Dans ce chapitre, nous nous intéressons aux résultats de la troisième proposition de notre recherche

à savoir : La personne termine sa transition professionnelle en s’insérant dans un milieu


professionnel. Par conséquent l’accompagnateur peut l’aider à clôturer sa transition en l’aidant à

devenir légitime dans ce milieu professionnel.

Cette première section a permis de préciser l’engagement entrepreneurial et le besoin d’être

légitime en tant qu’entrepreneur. C’est la question du pourquoi qui est posée. Pour cela nous avons

développé une théorie basée sur trois zones d’influences. D’une part la personne se considère
comme entrepreneur lorsqu’elle estime se sentir légitime au regard de ses perceptions (la légitimité

pour soi). Les entretiens réalisés nous ont permis de définir six qualités qui permettent de gagner en

légitimité à savoir : (1) Avoir du mérite ; (2) Faire preuve d’initiative ; (3) Sortir de sa zone de
confort ; (4) Avoir du réseau ; (5) Développer une vision ; (6) Savoir innover. D’autre part la

personne se considère comme entrepreneur lorsqu’elle est reconnue par d’autres comme

entrepreneur (la légitimité pour les autres). Les entretiens réalisés nous ont permis de définir six
manifestations de l’acquisition d’une légitimité à savoir : (1) Avoir une entreprise ; (2) Obtenir du

financement ; (3) Faire du chiffre d’affaires ; (4) Disposer de ses propres locaux ; (5) Embaucher du

personnel ; (6) Gagner un concours. Enfin, la légitimité pour soi et la légitimité pour autrui
s’influencent l’une et l’autre.

A présent la seconde section va se porter sur les stratégies que les personnes mettent en place pour

être légitimes dans un environnement professionnel et le rôle de l’accompagnateur dans cette

démarche. C’est la question du comment qui est posée. Pour cela nous allons définir quatre formes
de transition professionnelles du salariat à l’entrepreneuriat. Cela nous permettra ensuite de

présenter quatre stratégies de légitimation.

!242
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

Section 2. Accompagner l’engagement entrepreneurial

Le passage du salariat à l’entrepreneuriat présente une particularité majeure. Un salarié qui change

de travail pour devenir entrepreneur est à la fois dans un processus entrepreneurial et dans un

processus de transition professionnelle. Nous proposons désormais de définir une typologie des
transitions professionnelles du salariat à l’entrepreneuriat à partir de ce double processus de

transition. Dans une seconde sous-section nous présentons les démarches que les personnes mettent

en place pour acquérir leur légitimité entrepreneuriale et le rôle de l’accompagnateur.

1. Typologie des formes de transitions professionnelles

Les résultats de cette étude portent sur les salariés du second échantillon. Ils correspondent aux

personnes en transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat qui ont bénéficié d’un

accompagnement à l’aide de la démarche d’autobiographie raisonnée. Il s’agit de comprendre, et si


possible d’expliquer, le processus de transition professionnelle à l’aide des quatre catégories clés de

l’autobiographie raisonnée : le rapport aux études formelles, le rapport aux études non formelles, le

rapport aux activités sociales et le rapport aux activités professionnelles.

Une fois obtenu, les résultats de cette étude sont comparés aux données collectées auprès du

premier échantillon. Cet élargissement des résultats du second échantillon au premier échantillon a

pour objet de vérifier la pertinence des résultats au regard d’un échantillon plus grand, qui n’a pas

fait l’objet d’un accompagnement par la démarche de l’autobiographie raisonnée, mais auprès
duquel nous avons récolté suffisamment de données.

L’analyse permet d’aboutir à quatre configurations d’attitudes à l’égard de leur transition

professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat (tableau 21). Ces attitudes résultent de la combinaison


de deux facteurs clairement hétérogènes. Le premier oppose ceux qui ont anticipé leur transition

professionnelle (transition professionnelle anticipée) à ceux qui ont vécu une transition

professionnelle imprévue (transition professionnelle inattendue). Le second oppose ceux qui


développent un projet entrepreneurial en continuité avec leur expertise métier (processus

entrepreneurial en continuité) de ceux qui développent un projet entrepreneurial en rupture avec

!243
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

leur expertise métier, il s’agit alors d’une reconversion professionnelle (processus entrepreneurial

en rupture).

Degré d’anticipation
Transition professionnelle
Forte anticipation Faible anticipation

Type I - Statutaire Type II - Opportune


Faible changement
(4, 7) (6, 9, 10)
Degré de changement
Type III - Programmée Type IV - Continuelle
Fort changement
(1, 3, 8) (2, 5)

Tableau 21 : Les quatre types de transitions professionnelles


!

Le premier facteur est le degré d’anticipation. La transition professionnelle est considérée comme

anticipée lorsque la personne a préparé de longue date sa transition professionnelle. C’est le cas

lorsqu’elle est informée plusieurs mois en avance de son départ (dans le cas d’un plan de départ
volontaire ou d’une négociation de rupture conventionnelle par exemple) ou qu’elle a programmé

son départ volontaire (dans le cas d’un congé création d’entreprise ou d’un passage à temps partiel

par exemple). La transition professionnelle est considérée comme inattendue lorsque la personne
estime n’avoir pas suffisamment anticipé sa transition professionnelle. C’est le cas lorsqu’elle est

informée tardivement de son départ (dans le cas d’un licenciement notamment) ou qu’elle n’a pas

programmé son départ (dans le cas d’un accident du travail, d’une maladie ou d’un décès d’un
proche entraînant le départ précipité de son poste par exemple).

Le second facteur est le degré de continuité. Le projet entrepreneurial est considéré comme en

continuité avec l’expertise métier précédente lorsque le projet fait majoritairement appel à des

compétences dont disposent déjà la personne. La personne n’est pas en nécessité de se former pour
développer son projet. Elle peut toutefois se former pour développer des compétences annexes

!244
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

(gestion, comptabilité, finance, etc.). Par exemple lorsque la personne était salariée en tant chef de

projet en marketing digital et qu’elle développe en tant qu’entrepreneur une application mobile. Le
projet entrepreneurial est considéré comme en rupture avec l’expertise métier précédente lorsque le

projet fait majoritairement appel à de nouvelles compétences dont ne dispose pas la personne. Dans

ce cas la personne doit se former pour les acquérir, faute de quoi elle ne peut développer son projet.
La personne est alors en reconversion professionnelle. Par exemple lorsque la personne était

salariée en tant que commerciale et qu’elle devient boulangère.

En effectuant des comparaisons des transitions professionnelles à la lumière de ces deux facteurs

cela permet d’apporter des éclairages intéressants. Le tableau 22 regroupe les personnes qui ont

anticipé leur transition professionnelle (1, 3, 4, 7, 8). Le tableau 23 regroupe les personnes qui n’ont

pas anticipé leur transition professionnelle (2, 5, 6, 9, 10). Le tableau 24 regroupe les personnes
dont la transition professionnelle s’accompagne d’un faible changement professionnel (métiers

proches, compétences similaires) entre l’activité précédemment exercée et l’activité nouvelle (4, 6,

7, 9, 10). Le tableau 25 regroupe les personnes dont la transition professionnelle s’accompagne d’un

fort changement professionnel (métiers éloignés, compétences nouvelles) entre l’activité


précédemment exercée et l’activité nouvelle (1, 2, 3, 5, 8). Pour rappel, les lettres correspondent aux

événements identifiés au cours de la transition professionnelle (voir tableau 16 précédemment)

comme par exemple (A. Licenciement, B. Congés répétés ou de longue durée, etc.). Les couleurs
correspondent aux trois phases de la transition professionnelle (orange pour la phase de

désengagement salariale, verte pour la phase d’entre-deux, bleue pour la phase d’engagement

entrepreneuriale).

!245
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

1. Timothé E B C G J I L Q R T S V W X

3. François H K N B J I D J Q W R P M N
4. Philippe F G J K I M Q W X R S V U X

7. Andry D J I T Q W U R L I U T T X
8. Marie-Ange F B J G C I R L Q W D U V X

Tableau 22 : Les transitions professionnelles anticipées

2. Sylvie F G E A J K I L M W O I Q N
5. Samia E B J E C L L G

6. Benjamin E B I J K G P L Q L M

9. Louis Q N G J R X I U R W L L M N

10. Jean-Pierre B J F I L W P O D K M N

Tableau 23 : Les transitions professionnelles non-anticipées

4. Philippe F G J K I M Q W X R S V U X

6. Benjamin E B I J K G P L Q L M

7. Andry D J I T Q W U R L I U T T X
9. Louis Q N G J R X I U R W L L M N

10. Jean-Pierre B J F I L W P O D K M N

Tableau 24 : Les transition professionnelle avec des faibles changements professionnels

1. Timothé E B C G J I L Q R T S V W X

2. Sylvie F G E A J K I L M W O I Q N
3. François H K N B J I D J Q W R P M N

5. Samia E B J E C L L G
8. Marie-Ange F B J G C I R L Q W D U V X

Tableau 25 : Les transition professionnelle avec des forts changements professionnels

!246
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

En comparant ces regroupements cela permet de mettre en avant plusieurs constats :

- Les personnes qui anticipent leur transition professionnelle, cela semble s’accompagner d’un
engagement entrepreneurial assez stable (tableau 22).

- A l’inverse les personnes qui n’anticipent pas leur transition professionnelle, cela semble

s’accompagner d’un engagement entrepreneurial instable voire absent (tableau 23).

- Les personnes dont la transition professionnelle s’accompagne d’un faible changement


professionnel, la phase de désengagement salarial est assez aisée (tableau 24).

- Les personnes dont la transition professionnelle s’accompagne d’un fort changement


professionnel, la phase de désengagement salarial semble être chaotique (tableau 25).

Les personnes qui anticipent leur transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat prévoient
le changement. Elles réfléchissent depuis longtemps à leur projet (Timothé, François, Philippe),

sont soutenues par leur entourage (Timothé, Andry), sont dans une entreprise qui intègre

l’entrepreneuriat dans la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC26) (Marie-

Ange). A l’inverse le personnes qui n’anticipent pas leur transition professionnelle du salariat à
l’entrepreneuriat ne prévoient pas le changement. Elles sont en conflit « ouvert » avec leur

employeur (Sylvie, Jean-Pierre), sont victimes d’accidents de la vie (Samia), d’addictions

(Benjamin) ou saisissent une opportunité qui se présentent à eux sans nécessairement avoir
réfléchies aux conséquences et enjeux d’une telle décision (Benjamin, Louis). Il est difficile

d’affirmer que l’anticipation ou non du changement influence la réussite ou non du projet à long

terme27, mais il est clair que ce facteur influence l’engagement dans le projet. Dans le premier cas,
la transition s’accompagne d’une prise de recul, d’une analyse du marché, de scénarios alternatifs

en cas de difficultés, les risques sont mesurés et le projet est géré afin d’en limiter le plus possible

les impacts négatifs (financiers, familiaux, etc.). Dans le second cas, les obstacles rencontrés ne sont
pas forcément anticipés, les déconvenues sont plus nombreuses, les changements de modèle

26 Voir Renouf (2015) sur le thème de l’essaimage à EDF.


27
Pour cela il faudrait poursuivre l’étude sur une plus longue période.

!247
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

économique et/ou de projet sont plus réguliers, le parcours en devient plus chaotique et la personne

prend plus de temps à traverser la phase d’entre-deux.

Les personnes dont la transition professionnelle s’accompagne d’un faible changement

professionnel ont plus de facilités pour se désengager de leur activité de salarié. La nouvelle activité
est identique à la précédente (Philippe), s’appuie sur une expertise acquise de longue date (Philippe,

Benjamin, Jean-Pierre, Louis) ou est proche de leur précédente activité (Andry). A l’inverse les

personnes dont la transition professionnelle s’accompagne d’un fort changement professionnel


doivent se reconvertir dans un nouveau métier (Timothé, François, Marie-Ange, Sylvie, Samia),

suivre une formation obligatoire pour exercer leur nouveau métier (Timothé), acquérir des

compétences nouvelles éloignées de celles utilisées dans leur métier précédent (François, Marie-
Ange, Sylvie, Samia), préférer les acquérir « sur le tas » (Marie-Ange), en cours du soir (Sylvie) ou

s’appuyer sur un associé qui dispose de ces compétences (Samia). Là encore il est difficile

d’affirmer que l’importance du changement professionnel entre la précédente activité et la nouvelle

activité influence la réussite ou non du projet à long terme28 , mais il est clair que ce facteur
influence le désengagement professionnel. Dans le premier cas, le départ est assez aisé, la personne

n’a pas besoin d’acquérir de nouvelles compétences essentielles à l’exercice de la nouvelle activité,

elle connaît déjà les réseaux utiles, les personnes d’influences et les facteurs clés de succès. Dans le
second cas, le départ est souvent plus long, parfois plus conflictuel, la personne doit prendre le

temps pour acquérir de nouvelles compétences indispensables pour se lancer, entrer dans de

nouveaux réseaux, les erreurs sont plus nombreuses et les retours en arrière plus fréquents.

28
Pour cela il faudrait poursuivre l’étude sur une plus longue période.

!248
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

A présent analysons les quatre types de transition professionnelles du salariat à l’entrepreneuriat

précédemment identifiée au regard des quatre thèmes majeurs des entretiens. Elles sont formalisées
et synthétisées dans un tableau d’ensemble (tableaux 26).

Rapport aux études Rapport aux études Rapport aux Rapport aux activités
formelles non formelles activités sociales professionnelles

Réseau extra Mobilité verticale


Formation continue, Apprentissage sur le
Type I professionnel, dans l’emploi,
spécialisation tas, par le travail,
Statutaire séparation travail, salaire, dépendance
régulière formations internes
famille, loisirs hiérarchique
Réseau élargi, Mobilité horizontale,
Formation de bon Savoirs nouveaux
Type II proximité des collaborations,
niveau, compétences souvent utiles au
Opportune cercles travail, opportunités,
transversales travail
famille, loisirs challenge
Réseau de Satisfaction, confort
Formation générale, Savoirs nouveaux,
Type III proximité, ancrage matériel,
reconversion avec éloignés d’une
Programmée territorial, équilibre rémunération,
parcours sécurisé expertise métier
vie personnelle valorisation sociale
Appartenance à une Forte mobilité,
Formation continue, Connaissances
Type IV communauté, faible nomadisme,
sentiment de variées liées aux
Continuelle séparation pro - autonomie,
déclassement activités sociales
perso indépendance,

Tableau 26 : Les facteurs communs des quatre types de transitions professionnelles


!

!249
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

Les entretiens permettent de dégager quatre types de transitions professionnelles :

• Type I - La transition professionnelle statutaire. Ces personnes valorisent la stabilité de


l’emploi, souvent atteinte à l’aide d’une spécialisation dans leur domaine (rapport aux

études formelles). Elles ne valorisent la formation que si elle est directement utile au travail.
Les formations non formelles sont souvent liées aux opportunités offertes par la plan de

formation de l’entreprise. Si la formation n’est pas utile au travail, elle est divertissante,

souvent associée à une activité sportive ou une passion extra-professionnelle (rapport aux
études non formelles). Une forte séparation existe entre la vie professionnelle et la vie

personnelle. Les temps de travail et les temps familiaux ou de loisirs sont bien distingués

(rapport aux activités sociales). Ces personnes considèrent le travail comme instrumental,
marqué par une forte dépendance hiérarchique. La relation au travail est étroitement

associée à un « chef » ou plus largement à une ligne hiérarchique qui exerce une autorité

assez forte sur eux (rapport aux activités professionnelles). Elles éprouvent toutefois un

sentiment de blocage dans leur évolution professionnelle. Les opportunités semblent


difficilement atteignables ou inaccessibles par un système de promotion interne. Devenir

chef d’entreprise est motivé par le changement de statut. Leur transition professionnelle est

un choix anticipé.

• Type II - La transition professionnelle opportune. Ces personnes valorisent les


responsabilités dans le travail et se définissent comme des salariés mobiles dans leur
emploi. Elles sont très engagées dans leur entreprise, valorisent la progression régulière,

continuelle et la capacité à saisir des opportunités nouvelles, innovantes. Elles recherchent

les challenges et développent un goût prononcé pour la prise d’initiative et les


collaborations (rapport aux activités professionnelles). Ces personnes disposent d’une

formation générale de haut niveau utile à la compréhension d’un environnement

économique et à ses enjeux. Des expériences pratiques diversifiées complètent leur

formation de base (rapport aux études formelles). Elles complètent leur formation par des

!250
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

savoirs nouveaux souvent utiles à leur métier. Ces formations peuvent être issues d’un plan

de formation interne mais pas seulement (rapport aux études non formelles). Elles
développent un réseau utile pour leur évolution professionnelle. Une proximité existe entre

le cercle professionnel et le cercle amical, familial. Toutefois cette proximité comporte des

limites (rapport aux activités sociales). Le choix de devenir chef d’entreprise est issu d’une
opportunité professionnelle, par définition imprévue, qui satisfait leur goût pour le

challenge et donne l’espoir de retombées financières importantes. La transition

professionnelle s’effectue dans le même secteur, le même métier ou un métier proche de


celui d’origine. La rapidité d’exécution de la transition professionnelle est un facteur

important de la réussite du projet.

• Type III - La transition professionnelle programmée. Ces personnes valorisent la


satisfaction professionnelle, l’épanouissement au travail autant que la rémunération et le

confort matériel. Mais elles souffrent d’un manque de reconnaissance dans leur activé de

salarié (rapport aux activités professionnelles). Elles sont en quête de savoirs nouveaux,
éloignés de leur métier d’origine. En reconversion professionnelle, elles vont multiplier les

formations en dehors de leur temps de travail débouchant sur l’acquisition de nouvelles

compétences (rapport aux études non formelles). Certaines de ces formations peuvent
prendre la forme de formation formelles, sanctionnées par un diplôme ou une certification.

C’est notamment le cas lorsque le projet entrepreneurial le demande. Ces personnes ont une

aspiration à la progression professionnelle au sein d’un métier spécialisé. Elles se


définissent à partir d’un diplôme généraliste qui leur offre une sécurité professionnelle,

complété par une spécialisation ou une expertise métier qui satisfait leurs envies, leur donne

une place sociale et une légitimité (rapport aux études formelles). Elles recherchent un
équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle, la reconnaissance sociale et le

sentiment d’être utile aux autres. Pour cela elles développent leur projet entrepreneurial sur

un territoire donné, un réseau social de proximité et un projet valorisable socialement

(rapport aux activités sociales). Le choix de devenir chef d’entreprise est programmé de
longue date et s’ancre dans une stratégie de reconversion professionnelle souhaitée.

!251
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

• Type IV - La transition professionnelle continue. Ces personnes ne parviennent pas à


rester durablement à un même poste. Elles multiplient les périodes d’emploi entrecoupés

par des périodes d’inactivité ou de chômage. Elles vont multiplier les formations, souvent

de courte durée, pour compenser un sentiment de déclassement professionnel (rapport aux


études formelles). Elles aspirent à une promotion plus sociale que professionnelle. Elles

valorisent l’épanouissement professionnel, l’autonomie et l’indépendance. Leurs

expériences professionnelles sont souvent variées, peu disposent d’une longue expérience
dans une même entreprise. Elles exercent souvent dans des secteurs qui fonctionnent par

projets et/ou fortement ubérisés (graphisme, journalisme, informatique, transport, digital,

services aux personnes, web, etc.) (rapport aux activités professionnelles). Leur vision de
leur avenir professionnel est souvent flou. Elles comptent sur leurs réseaux, internes et/ou

externes à l’entreprise, pour saisir des opportunités. Une faible séparation existe entre la

sphère professionnelle et la sphère personnelle. Les temps de travail sont souvent mélangés

avec les activités personnelles (rapport aux activité sociales). En dehors de leurs formations
formelles, ces personnes vont développer des connaissances variées utiles ou non à leur

travail. Ces connaissances sont liées à une passion ou à un loisir et sont souvent liées à leurs

activités sociales (rapport aux études non formelles). Le choix de devenir entrepreneur est
souvent contraint pour éviter le chômage. Leur transition professionnelle est ponctuée

d’allers et retours entre le salariat et l’entrepreneuriat. Certaines personnes peuvent

s’installer durablement dans un statut hybride où elles cumulent une activité salariée et une
activité entrepreneuriale (souvent en auto-entrepreneur). Elles multiplient ainsi les

transitions professionnelles d’un secteur à un autre, d’un métier à un autre, d’une entreprise

à une autre, d’un projet à un autre.

Cette typologie permet de présenter les transitions professionnelles du salariat à l’entrepreneuriat

autour d’une temporalité (forte anticipation / faible anticipation) et d’un espace social (faible

changement / fort changement). Cette approche met en évidence des logiques de transitions

!252
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

professionnelles reliant la reconstitution d’une trajectoire antérieure à la vision d’un avenir

professionnel. Les quatre types constituent, selon nous, des formes de rationalité ayant une
cohérence entre des pratiques antérieures (études formelles, études non formelles, activités sociales,

activités professionnelles) et des possibilités d’avenir. En étudiant davantage la teneur des

entretiens, notamment d’un point de vue longitudinal, nous pouvons associer chaque type à une
démarche d’engagement entrepreneurial. Pour appuyer notre analyse, nous allons nous appuyer sur

le concept de légitimité entrepreneuriale défini précédemment.

2. Adapter l’accompagnement selon le type de transition

La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat s’achève par l’engagement

entrepreneurial. La personne prend peu à peu ses marques dans le statut d’entrepreneur. Afin
d’appuyer notre analyse de l’engagement entrepreneurial des personnes interrogées, nous nous

appuyons sur la légitimité entrepreneuriale. En s’appuyant sur notre précédent concept de légitimité

entrepreneuriale, l’analyse articule deux processus : celui par lequel les personnes anticipent leur
avenir professionnel à partir de leurs représentations (la légitimité pour soi) et celui par lequel elles

entrent en interaction avec autrui (la légitimité pour autrui).

Cette articulation consiste d’une part à analyser la projection d’un avenir professionnel en
continuité ou en rupture avec un passé reconstitué (trajectoire biographique), et d’autre part à

analyser le désir de faire reconnaitre ou non par autrui la légitimité de ses prétentions. Ces deux

analyses sont à la fois hétérogènes et nécessairement articulées entre elles. Hétérogènes car
l’analyse biographique est temporelle et subjective. Elle met en jeu la continuité ou non des

rapports (études formelles, études non formelles, activités sociales, activités professionnelles) sur la

base d’une reconstitution et d’une interprétation a posteriori. La dimension relationnelle est spatiale

et objective. Elle met en jeu les interactions de la personne avec autrui. Nécessairement articulées
entre elles, ces deux analyses se trouvent en interaction : l’issue de chacune dépend de l’autre. La

construction de la légitimité pour soi dépend partiellement des jugements des autres. Inversement la

légitimité pour autrui dépend partiellement de la manière dont la personne fait valoir sa trajectoire
biographique.

!253
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

Les conditions du désengagement salarial jouent un rôle important dans la quête d’une légitimité

entrepreneuriale. Cela suppose que la personne dispose d’une représentation claire du risque
qu’engendre son engagement entrepreneurial, de ses motivations et de ses insatisfactions

professionnelles actuelles. Or plus son degré d’anticipation de la transition professionnelle du

salariat à l’entrepreneuriat est faible, plus ses représentations risquent d’être faussées par l’urgence
et la nécessité de retrouver des revenus et une place sociale rapidement (types II et IV). A l’inverse

plus la personne a anticipé son évolution professionnelle, plus elle a de chances de parvenir à être

légitime comme entrepreneur (type I et III). Elle aura par exemple pris le temps d’analyser son
marché, de tester son offre ou de développer son réseau. De la même manière plus le changement

de métier est fort, plus la personne va avoir des difficultés à se sentir légitime comme entrepreneur,

et que les autres la reconnaissent comme tel (type III et IV). A contrario lorsque la personne choisit
d’entreprendre dans un secteur, un métier ou une expertise proche de ce qu’elle connaît déjà, elle a

plus de facilités à se montrer légitime en tant qu’entrepreneur (type I et II). Elle dispose déjà d’une

expérience et d’une reconnaissance sociale sur lesquelles elle peut baser sa légitimité

entrepreneuriale.

L’engagement entrepreneurial nécessite de faire des choix, des ajustements et des compromis.

Chaque personne peut sélectionner ce qui est présentable aux autres et refouler et nier ce qui risque

de la décrédibiliser. Quelles que soient les démarches très diverses qu’elle induit, la légitimité
entrepreneuriale n’est jamais totalement acquise. Elle se construit et se déconstruit à travers les

changements imposés par le projet et les communautés d’appartenances. L’acquisition d’une

légitimité entrepreneuriale est instable mais structurante dans le processus de transition


professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat. Elle aide à construire des repères cohérents dans le

champ professionnel. Elle est le résultat d’un double approche, biographique et relationnelle. Elle

fournit aux personnes des ressources pour construire leur avenir professionnel.

Il est maintenant possible de préciser les particularités de l’engagement entrepreneurial dans les

quatre types de transitions professionnelles identifiées (tableau 27). Ces particularités aident à

orienter l’accompagnement entrepreneurial.

!254
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

Degré d’anticipation
Transition professionnelle
Forte anticipation Faible anticipation

Type I - Statutaire Type II - Opportune


- Consolidation des acquis - Expertise métier
Faible changement
- Recherche d’un statut - Réseau d’appartenance
- Stabilisation rapide - Risque d’échec
Degré de changement
Type III - Programmée Type IV - Continuelle
- Perte de repères - Transition chaotique
Fort changement
- Reconnaissance d’abord - Eviter l’isolement
- Besoin d’équilibre - Entre-deux durable

Tableau 27 : Les particularités de l’engagement entrepreneurial


!

Lorsque l’engagement entrepreneurial est fondé sur la continuité d’une expertise métier, les

personnes utilisent des ressources, des compétences et un réseau déjà acquis. La trajectoire
professionnelle s’inscrit sur le mode de la progression continue. Le choix d’entreprendre est

davantage lié à la recherche d’un statut. Lorsque cette progression est reconnue par la personne

(légitimité pour soi) et que son environnement la perçoit positivement (légitimité pour les autres),

on peut parler de transition professionnelle statutaire. Les personnes cherchent à acquérir une
nouvelle posture professionnelle, celui de chef d’entreprise. Elles vont rechercher un

accompagnement qui va les aider à tenir ce nouveau rôle. Leurs besoins d’accompagnement se

portent sur la consolidation de leurs acquis (compétences, réseaux, financiers) et sur l’acquisition de
compétences nouvelles (managériales, financières, juridiques, etc.). Elles connaissent déjà leur

métier, leur secteur, son fonctionnement, ses cercles d’influences ou ses enjeux. Le processus de

transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat est longuement réfléchi. Elles ont anticipé
leur mobilité et mis en place tous les moyens disponibles pour les aider (formation, congés,

épargne, étude du marché, test du projet, etc.). Le choix d’entreprendre est lié à une motivation

personnelle et non à une obligation professionnelle. Le désengagement salarial est donc souvent

!255
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

assez long. Plus les personnes ont de l’ancienneté dans l’entreprise, plus elles éprouvent des

difficultés à faire la coupure avec leur ancien poste. Toutefois la période d’entre-deux et la période
d’engagement entrepreneurial sont assez rapides. Le nouvel environnement de travail est assez

proche du précédent. Elles ont des facilités à prendre leurs nouvelles marques, leurs nouvelles

habitudes dans le statut d’entrepreneur.

Si les personnes ne parviennent pas à anticiper leur transition professionnelle (par exemple si elles

sont victimes d’un licenciement ou qu’elles veulent saisir une opportunité d’affaires) on peut parler

de transition professionnelle opportune. La personne va faire face à l’imprévu à l’aide de son


réseau d’origine, de son expertise, de ses connaissances déjà acquises. La transition professionnelle

est assez courte mais elle est ponctuée d’allers et retours avec le milieu du salariat. Le détachement

avec son ancien statut de salarié est parfois difficile mais la personne peut compter sur son expertise
pour être légitime en tant que nouvel entrepreneur. Les besoins d’accompagnement portent sur une

dimension technique et psychologique. L’ascension sociale dans son secteur d’activité est encore

possible. Mais la personne doit affronter un changement de statut qu’elle n’a pas anticipé.

L’accompagnateur va l’aider à faire évoluer son rythme de travail, ses habitudes et son
environnement social d’appartenance.

Lorsque l’acquisition de nouvelles compétences est indispensable au développement du projet

entrepreneurial, que la personne change de métier, une transition professionnelle programmée se


met en place. La personne n’a plus d’aspiration à la progression professionnelle dans son métier

d’origine. Elle se définit principalement à partir d’une nouvelle communauté de valeurs (un métier)

et d’un nouveau réseau de pairs (une catégorie professionnelle). Sa légitimité entrepreneuriale ne va


pas s’acquérir à l’aide de sa famille professionnelle d’origine. Elle va s’acquérir à l’aide de

nouvelles compétences, sanctionnées éventuellement par une certification ou un diplôme, et la

capacité à valoriser ses acquis dans un autre champ professionnel (la légitimité pour les autres).
Mais la transition professionnelle est anticipée. La personne peut se sentir légitime en tant que

nouvel entrepreneur car elle a préparé son projet depuis plus ou moins longtemps. Les besoins

d’accompagnement portent tout autant sur une dimension psychologique que technique. La

dimension psychologique va aider la personne à changer d’appartenance sociale. La dimension


technique va l’aider à acquérir de nouveaux outils.

!256
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

Lorsque la personne doit acquérir de nouvelles compétences indispensables au développement du

projet et qu’elle n’a pas anticipé le changement, on peut la qualifier comme transition
professionnelle continuelle. La stabilité ou l’ascension dans l’emploi d’origine est compromise

soudainement. Un processus d’exclusion se met en place sous des formes très diverses, depuis

l’impossibilité d’accéder à un emploi stable (maladie, forte mobilité du conjoint, etc.), au


licenciement en passant par les différentes formes d’emploi précaires. La personne change de réseau

d’appartenance (fort changement de métier) d’une manière assez rapide (faible anticipation de la

transition). Elle a donc des difficultés à acquérir une légitimité et surtout à être reconnue comme tel
(la légitimité pour les autres). La personne est alors très active dans son réseau. C’est lui qui va lui

permettre d’accéder à de nouvelles opportunités. Mais les difficultés sont nombreuses car le projet

n’a pas été anticipé. Les allers et retours avec le milieu du salariat sont alors nombreux. La personne
éprouve des difficultés à s’engager définitivement en tant qu’entrepreneur, à se sentir légitime en

tant qu’entrepreneur et à être reconnue comme tel. Elle peut se sentir exclue des deux groupes de

travailleurs dominants du monde du travail (les salariés et les entrepreneurs) pendant une période

plus ou moins longue. L’accompagnement porte sur une forte dimension psychologique,
indispensable pour aider la personne à retrouver confiance en elle et à définir un projet

professionnel stable.

3. Synthèse de la section

Dans ce chapitre, nous nous intéressons aux résultats de la troisième proposition de notre recherche

à savoir : La personne termine sa transition professionnelle en s’insérant dans un milieu

professionnel. Par conséquent l’accompagnateur peut l’aider à clôturer sa transition en l’aidant à


devenir légitime dans ce milieu professionnel.

Cette seconde section a permis de se porter sur les stratégies que les personnes mettent en place

pour être légitimes dans un groupe et le rôle de l’accompagnateur dans cette démarche. C’est la
question du comment qui est posée. Pour cela nous avons classifié les comportements des personnes

en transition professionnelle du salariat à l’entrepreneurial en quatre catégories : (1) la transition

professionnelle statutaire, (2) la transition professionnelle opportune, (3) la transition

!257
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

professionnelle programmée et (4) la transition professionnelle continuelle. Les critères de

répartition opposent le degré d’anticipation de la transition (fort / faible) et le degré de continuité du


projet par rapport au métier précédent (fort / faible). L’analyse des entretiens sur la durée complétée

par les données secondaires (documents projets, bioscopies, observations directes, etc.) nous a

permis d’approfondir cette catégorisation sur les particularités de chaque type. Ces particularités
emmènent à orienter l’accompagnement entrepreneurial selon chaque type de situation.

Nous pouvons désormais établir une conclusion à ce chapitre.

!258
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

Synthèse du chapitre

En conclusion de ce chapitre, nous affirmons que la personne termine sa transition professionnelle

en s’insérant dans une communauté ; et que par conséquent l’accompagnateur peur l’aider à clôturer

sa transition en devenant légitime pour une communauté.

La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat se clôture par une phase d’engagement.

Au cours de cette phase la personne s’insère dans une nouvelle communauté. Elle cherche à être

légitime en tant qu’entrepreneur (la légitimité pour soi) et à être perçue comme légitime vis-à-vis
des autres (la légitimité pour les autres). Si elle ne parvient pas à se sentir légitime, ou être perçue

comme légitime par d’autres, cela peut la conduire à changer de communauté (un autre incubateur

par exemple) ou à revenir au salariat.

D’une part, nos travaux ont permis de dresser un référentiel des critères de légitimité pour soi (avoir

du mérite, faire preuve d’initiative, sortir de sa zone de confort, etc.). Ce premier référentiel éclaire

sur les justifications qu’apportent les personnes lorsqu’on les interroge si elles se sentent légitimes

en tant qu’entrepreneur. D’autre part, nos travaux ont permis de dresser un référentiel des critères de
légitimité pour les autres (avoir une entreprise, obtenir du financement, faire du chiffre d’affaires,

etc.). Ce second référentiel éclaire sur les justifications qu’apportent les personnes lorsqu’on leur

demande si elles estiment être reconnues comme légitimes par les autres.

Ce travail a permis de construire le concept la légitimité entrepreneuriale dans la transition

professionnelle. D’une part pour se sentir légitime comme entrepreneur, la personne va agir selon

ses représentations de l’entrepreneur. Ses représentations sont issues de son parcours biographique
et des images que la société lui renvoie de l’entrepreneur. Si elle estime agir en cohérence avec ses

représentations, la personne va s’auto-catégoriser comme entrepreneur. Sinon cela peut la conduire

à des conflits intérieurs, à une perte de repères. D’autre part pour être perçue comme légitime en
tant qu’entrepreneur, la personne va rechercher la reconnaissance par des personnes ou des

communautés qui ont de l’importance à ses yeux (famille, entrepreneurs, institutionnels, etc.). Si

ces deniers la reconnaisse en tant que tel, cela va renforcer sa légitimité entrepreneuriale. Sinon cela

peut la conduire à vivre des sentiments négatifs comme le rejet ou la honte. Enfin, la légitimité
pour soi et la légitimité pour autrui s’influencent l’un et l’autre. Lorsque la personne se perçoit

!259
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

comme légitime, elle peut revendiquer cette légitimité auprès des autres. A l’inverse, lorsque

d’autres la perçoivent comme légitime, cela renforce la légitimité pour soi.

En nous appuyant sur cette modélisation de la légitimité entrepreneuriale, nous avons établi une

typologie des formes de transitions professionnelles. Rappelons que le passage du salariat à

l’entrepreneuriat présente une particularité majeure. Un salarié qui change de travail pour devenir
entrepreneur est à la fois dans un processus entrepreneurial et dans un processus de transition

professionnelle. Nous avons croisé ces deux processus en distinguant deux facteurs clairement

hétérogènes. Le premier oppose ceux qui ont anticipé leur transition professionnelle (transition
professionnelle anticipée) de ceux qui ont vécu une transition professionnelle imprévue (transition

professionnelle inattendue). Le second oppose ceux qui développent un projet entrepreneurial en

continuité avec leur expertise métier (processus entrepreneurial en continuité) de ceux qui
développent un projet entrepreneurial en rupture avec leur expertise métier, il s’agit alors d’une

reconversion professionnelle (processus entrepreneurial en rupture).

Ce croisement permet d’identifier quatre formes de transitions professionnelles. L’analyse des

entretiens sur la durée, complétée par les données secondaires (documents projets, bioscopies,
observations directes, etc.) ainsi que l’observation terrain nous ont permis de détailler les

particularités de ces quatre formes de transitions professionnelles et les besoins d’accompagnement

qui en découlent. (1) La transition professionnelle statutaire est le résultat d’un besoin d’évolution
professionnelle non assouvi dans l’entreprise. La personne va anticiper son évolution

professionnelle en développant un projet entrepreneurial dans son domaine d’expertise. La personne

recherche un accompagnement qui va l’aider à changer de posture professionnelle et à être légitime


en tant que chef d’entreprise vis-à-vis des autres. (2) La transition professionnelle opportune répond

à la volonté de saisir l’occasion d’exploiter une idée, de développer un projet dans son domaine

d’expertise ou un métier proche. La personne n’a pas anticipé son évolution professionnelle. Elle va
chercher un accompagnement lui permettant de répondre à des problématiques techniques

rapidement. (3) La transition professionnelle programmée correspond à un changement de métier

anticipé. La personne ne s’épanouit pas / plus dans son poste. Elle va alors se reconvertir dans un

nouveau métier. Elle va rechercher un accompagnement qui l’aide à acquérir de nouvelles


compétences liées à son nouveau métier tout en lui permettant de prendre une nouvelle posture

!260
Chapitre VI - S’engager en tant qu’entrepreneur

professionnelle. L’accompagnement se déroule souvent sur la longue durée pour ce type de profil.

(4) La transition professionnelle continuelle répond à un besoin récurrent de changement


professionnel. La personne alterne les périodes d’emplois et d’inactivité ou de chômage. Elle peut

s’inscrire durablement dans uns statut hybride, celui de l’entre-deux, c’est-à-dire exerçant à la fois

une activité salariée et une activité entrepreneuriale. Elle recherche un accompagnement dans la
durée lui permettant de donner de la cohérence à un parcours professionnel souvent chaotique.

Nous pouvons désormais établir une conclusion générale à l’ensemble de nos travaux.

!261
CONCLUSION GENERALE

Quels sont les enjeux de la transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat pour le porteur

de projet ? Quelles sont les modalités de l’accompagnement du salarié en transition professionnelle

du salariat à l’entrepreneuriat ?

Ce travail apporte des réponses riches et instructives à ces deux questions. Il permet de décrire et

d’expliquer le processus de transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat selon un double

point de vue, celui de la personne accompagnée et celui de l’accompagnateur.

Pour cela, ce travail présente le passage du salariat à l’entrepreneuriat selon un double processus.

Un salarié qui change de travail pour devenir entrepreneur est à la fois dans un processus

entrepreneurial et dans un processus de transition professionnelle. Ce double processus se compose


de trois phases : le désengagement salarial, l’entre-deux et l’engagement entrepreneurial.

La première phase est celle du désengagement salarial au cours de laquelle la personne se sépare

peu à peu de ses habitudes professionnelles de salarié et de son groupe social de départ. Elle est en
réflexion sur son évolution professionnelle et prend peu à peu ses distances avec le salariat. Elle est

à l’écoute des opportunités et commence à réfléchir à un projet entrepreneurial. Le désengagement

salarial intervient lorsque la personne est insatisfaite dans son travail, qu’elle est motivée par un
projet entrepreneurial et qu’elle considère acceptable la prise de risque engendrée par le

désengagement salarial. Mais ce n’est pas parce qu’il y a un désengagement salarial qu’il y a

forcement un engagement entrepreneurial. Pour cela il faut que le projet puisse prendre ses racines
dans l’histoire du porteur.

En se lançant dans la construction d’un nouveau projet, la personne va s’appuyer sur son histoire.

Le projet va prendre racine dans un parcours de vie qui se compose de rencontres, d’évènements,

d’envies ou encore de déceptions. Et, à l’inverse le développement d’un nouveau projet va


influencer l’avenir de la personne, ses opportunités, son équilibre familial, son épargne ou encore sa

santé. Autrement dit le projet entrepreneurial est un porteur d’histoire. Derrière cette formule, nous

!262
voulons signifier deux choses. D’une part le projet entrepreneurial est le produit d’une histoire

passée. D’autre part il est le producteur d’une histoire à venir. Avec l’appui de la méthode de
l’autobiographie raisonnée, nous avons mis en évidence l’influence de l’histoire du porteur dans la

construction de son projet et la posture d’accompagnement à adopter pour cette méthode.

A l’issue de cette première analyse, nous proposons un modèle de désengagement entrepreneurial.

La seconde phase est celle de l’entre-deux au cours de laquelle la personne éprouve des difficultés

d’appartenance à un groupe social. La personne s’est fortement désengagée de son statut de salarié
(changement d’horaires, passage en temps partiel, travail à distance, etc.). Elle peut avoir le

sentiment d’être peu à peu exclue de son groupe social d’origine. En même temps, elle débute son

engagement entrepreneurial. Le projet se construit peu à peu sans toutefois être abouti. Elle peut
avoir des difficultés à s’intégrer dans un nouveau groupe social. En perte de repères, la personne

éprouve de nombreux doutes, d’incertitudes. Elle peut se sentir isolée.

En reconstituant les transitions professionnelles des personnes interrogées, ce travail a permis de

mettre en évidence des besoins d’accompagnement différents au cours des trois phases du processus
de transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat. Au cours de la phase de désengagement

salarial, l’accompagnement est davantage porté sur les choix d’orientations professionnels de la

personne accompagnée. Lors de la phase d’entre-deux, l’accompagnement se porte davantage sur la


construction du projet. C’est l’étape où les allers et retours entre le salariat et l’entrepreneuriat sont

les plus nombreux et où certaines personnes peuvent rester durablement dans une posture

professionnelle à cheval entre le salariat et l’entrepreneuriat, synonyme de liberté mais aussi de


précarité. Au cours de la phase d’engagement entrepreneurial, l’accompagnement se porte

davantage sur le développement de l’entreprise, et donc l’autonomie de l’entrepreneur et son

intégration dans une communauté.

A l’issue de cette seconde analyse, nous proposons un modèle de posture de l’entre-deux.

!263
La troisième phase est celle de l’engagement entrepreneurial au cours de laquelle la personne prend

de nouvelles habitudes professionnelles et s’insère dans un nouveau groupe social. Le projet est
devenu une entreprise. La personne se concentre alors sur la rentabilité de sa nouvelle activité et sur

son appartenance sociale. Elle cherche à être légitime en tant qu’entrepreneur (la légitimité pour

soi) et être perçue comme légitime vis-à-vis des autres (la légitimité pour les autres). Si elle ne
parvient pas à se sentir légitime, ou être perçue comme légitime par d’autres, cela peut la conduire à

changer de communauté (passer dans un autre incubateur par exemple) ou à revenir au salariat.

Rappelons que le passage du salariat à l’entrepreneuriat est un double processus, entrepreneurial


d’une part et de transition professionnelle d’autre part. En croisant ces deux processus, nous avons

identifié deux facteurs hétérogènes : la transition professionnelle anticipée ou inattendue et le projet

entrepreneurial en continuité ou en rupture. Ce croisement permet d’analyser quatre formes de


transitions professionnelles : statutaire, opportune, programmée et continuelle. Chacune de ces

formes correspond à des besoins d’accompagnement différents.

A l’issue de cette troisième analyse, nous proposons un concept de légitimité entrepreneuriale.

!264
DISCUSSION

Notre allons à présent discuter des implications théoriques de cette recherche et de ses apports
dans la littérature.

Cette recherche ambitionne de répondre à l’appel lancé par la communauté scientifique de


développer des travaux explorant l’entrepreneuriat à la lumière de cadres conceptuels de la gestion
des carrières et du développement personnel (Sullivan, 1999 ; Greene et al, 2003 ; Valeau, 2006).
En mobilisant le concept de transition, nous nous inscrivons dans le prolongement de plusieurs
auteurs suggérant qu’il est nécessaire d’adapter l’accompagnement à l’entrepreneuriat selon les
besoins des personnes (Chabaud, Messenghem et Samut, 2010 ; Verzat, Gaujard et Francois, 2010).
Cette recherche permet également d’approfondir la notion de doute au coeur du processus
entrepreneurial encore faiblement étudié dans la littérature (Valeau, 2006 ; St-Jean, Jacquemin,
2012). Enfin nous confirmons l’importance de la recherche de légitimé pour réduire l’isolement de
l’entrepreneur et mettons en avant le rôle de l’accompagnateur dans cette démarche (Messeghem,
Sammut, 2010).

La plupart des pratiques d’accompagnement portent leur attention sur une approche technique,
c’est-à-dire portée sur la réussite du projet (Schmitt, Husson, 2014). Nous représentons le processus
entrepreneurial sous forme de dialogique (Bruyat, 1993, 1994, 2001) afin de mieux cerner sa
complexité. Notre apport est de montrer que le passage du salariat à l’entrepreneuriat se présente
selon un double processus, de transition d’une part et entrepreneurial d’autre part. L’un et l’autre se
combinent et s’alimentent. Aller du salariat à l’entrepreneuriat implique une transition identitaire
parallèle à la construction du projet. Cela demande de changer de rapport à la carrière. Alors que la
carrière organisationnelle est construite selon une relation employeur - employé, une carrière
nomade se démarque par un éloignement et une prise de risque plus ou moins important des
organisations (Cadin, 1999). Les mutations qu’entraînent pour les personnes la période de transition
d’une carrière à une autre se traduit pour elles par la mise à l’épreuve de leurs représentations de soi
et de leurs activités. Tout le travail d’accompagnement est de les aider dans la reconfiguration de
leurs images afin de faciliter le passage d’un environnement à un autre.

!265
Cette transition implique un déplacement dans l’espace social accompagné de doutes à surmonter
spécifiques à chaque phase de la transition. Au cours de la phase de désengagement salarial la
personne doit accepter de rompre avec son milieu professionnel d’origine. Au cours de la phase
d’entre-deux, elle doit adopter un regard opportuniste permettant de tirer parti des ambiguïtés de
l’entre-deux afin de tester son projet et construire de nouveaux liens. Au cours de la phase
d’engagement, elle doit prendre de nouvelles habitudes, un nouveau rythme et acquérir une légitimé
dans un nouvel environnement. La reconstitution des transitions permettent de révéler que les
personnes sont actives dans la réduction des doutes. Ils cherchent des réponses, développent des
stratégies. Ils participent ainsi à la construction de leur projet en même temps que celui-ci participe
à leur propre transformation. Quels que soient les difficultés, il est important de prendre en compte
la part active de l’entrepreneur dans le processus de transition.

Pour surmonter ces doutes, un certain nombre de moyens peuvent aider l’entrepreneur à construire
cette nouvelle identité afin de se sentir légitime en tant qu’entrepreneur et à être reconnu comme tel
par les acteurs de son milieu. Il s’agit d’une part de renforcer la cohérence de son projet dans son
parcours (Renouf, Laviolette, 2010 ; Renouf, 2018). Le projet peut permettre à la personne de
donner de la signification à ses actions, de donner du sens à son histoire et d’agir sur son
environnement pour construire son futur (Hernandez, 2001, 2006). Une attention particulière peut
être accordée à un travail biographique dans un processus de déconstruction - construction
particulièrement utile dans une période de transition (Delory-Momberger, 2009). Il s’agit d’autre
part d’acquérir les attributs de l’entrepreneur, c’est-à-dire de réaliser les actions correspondant à
l’image qu’il s’en fait. Cela suppose au préalable de l’aider à préciser sa vision (Filion, 1997).
L’accompagnateur peut également aider la personne à acquérir sa place dans son nouvel
environnement professionnel afin de renforcer son réseau et d’avoir accès au « langage » de son
milieu.

Si nous abordons maintenant les considérations pratiques de notre travail, nous pouvons suggérer
trois implications principales.

D’une part, avec l’autobiographie raisonnée nous mobilisons une nouvelle méthode pour
accompagner les salariés qui souhaitent entreprendre. Cette technique aide à comprendre comment

!266
les fils conducteurs du parcours de vie du porteur de projet influencent ses choix pour orienter et
nourrir son changement de carrière. Cette méthode correspond à des accompagnateurs qui cherchent
une alternative au bilan de compétence. Le rigueur du bilan de compétences et la nécessité de faire
appel à un organisme agréé peuvent ralentir la construction du projet. La souplesse de
l’autobiographie raisonnée et son faible coût correspond à des professionnels qui souhaitent
accompagner une personne dans son projet tout en laissant encore ouvert le retour au salariat.

D’autre part, en décrivant et en expliquant le processus de transition professionnelle du salariat à


l’entrepreneuriat, nous voulons alimenter le débat public concernant l’émergence des nouvelles
formes d’emploi en particulier celles portant sur les travailleurs indépendants exerçant notamment
sous le régime de l’auto-entrepreneur. Au regard du droit du travail, il est parfois difficile de
distinguer le salariat de l’entrepreneuriat. Ce travail permet d’éclairer sur l’accompagnement à
mettre en place dans de telles situations et les paradoxes de la posture de l’entre-deux. Elle est
synonyme de précarisation du travailleur, de perte de repères et d’isolement. Mais elle est aussi
synonyme de liberté, de plaisir et d’épanouissement.

Enfin, en décrivant et en expliquant les enjeux de la transition professionnelle du salariat à


l’entrepreneuriat, nous voulons contribuer à une représentation enrichie de l’accompagnement

professionnel qui est souvent réduit à une approche technique centrée sur le projet. Dans cette

optique, nous avons déjà procédé à une diffusion de notre approche auprès de plusieurs structures

éducatives parisiennes dans le cadre du dispositif PEPITE - statut étudiant-entrepreneur. Entre 2014
et 2019 ce sont près de 400 étudiants qui ont été formés à une nouvelle manière de présenter leur

projet entrepreneurial en se basant sur leur histoire personnelle. Une communication dans un

colloque international suivi d’une publication ont déjà été réalisées.

Toutefois, la recherche que nous avons présentée n’est pas exempte de limites. En effet, trois

critiques majeures peuvent être faites.

!267
Le processus de transition professionnelle que nous avons décrit se compose de trois phases : le

désengagement salarial, l’entre-deux et l’engagement entrepreneurial. Cette analyse représente de


manière simplifiée le déroulement d’un processus de transition professionnelle du salariat à

l’entrepreneuriat. Elle fournit l’occasion de mieux comprendre la diversité des parcours et de mieux

comprendre les phénomènes qui s’y déroulent. Il est toutefois difficile de situer avec certitude à
quelle phase du processus se situe la personne. Bien que nous ayons établi des référentiels

permettant d’aider à la prise de décision, une personne peut se situer à la fois dans une phase de

désengagement et dans une phase d’entre-deux. Les cas étudiés portent également exclusivement
sur des projets de création d’entreprise. L’étude de cas de reprises d’entreprises pourrait être un bon

complément.

Concernant notre posture professionnelle, nous avons été simultanément accompagnateur de projets
et observateur de nos propres pratiques. Dans ces conditions il est parfois difficile d’avoir la

distance nécessaire pour respecter notre positionnement méthodologique. Notre choix de départ

était d’inclure dans notre cadre méthodologique le point de vue d’au moins un chercheur

observateur de nos pratiques. Mais la présence d’une personne supplémentaire lors des rendez-vous
et/ou le fait d’indiquer que les enregistrements des entretiens allaient être écoutés par une personne

tierce était difficilement envisageable car la confiance est un élément important pour la libération de

la parole. Enfin la nécessité de respecter un délai raisonnable dans la finalisation de la thèse ne nous
permettait pas d’ajouter une étape supplémentaire au cadre méthodologique.

Pour constituer notre échantillon nous avons fait majoritairement appel à des salariés en transition

professionnelle vers l’entrepreneuriat inscrits dans une formation du Cnam de Paris ou de celui de
l’Institut Supérieur de Commerce (ISC Paris). La variété des structures a permis d’obtenir des

statistiques assez proches des statistiques nationales sur de nombreux critères (sexe, âge, situation

matrimoniale, etc.). Mais plusieurs biais existent : (1) L’échantillon est réduit ; (2) Les personnes se
sont engagées volontairement dans une formation en entrepreneuriat ; (3) Selon l’établissement le

coût de la formation varie de 3000 à 11000 € ; (4) Les personnes sont préalablement sélectionnées

par une équipe commerciale ; (5) Une certification ou un diplôme est à la clé si la personne termine

avec succès sa formation. Bien que nous ayons complété l’échantillon par des personnes en dehors
de tout système de formation, la représentativité de notre échantillon est largement insuffisante. Il

!268
serait intéressant que les quatre types de transitions professionnelles soient analysées à la lumière de

nouveaux cas.

Enfin, dans le prolongement des contributions et des limites de ce travail, nous proposons trois

pistes de recherche.

Une première problématique de recherche est d’approfondir le rôle du projet dans la construction
identitaire de l’entrepreneur. Nous suggérons de placer l’entrepreneur au coeur de l’analyse. Mettre
l’attention sur la personne propose une vision plus anthropologique du sens du projet pour la
personne (Boutinet, 1990) et suggère que l’accompagnement ne se focalise pas sur la création
d’entreprise mais plutôt sur la « sortie positive » (salariat, entrée en formation ou création
d’entreprise). Dans cette perspective, il serait intéressant d’étudier la phase d’entre-deux dans une
perspective d’évolution du marché de l’emploi. Notre étude révèle que la phase d’entre-deux n’est
pas seulement source d’incertitudes et de doutes, elle apporte aussi de la satisfaction pour certaines
personnes qui y trouvent une forme de liberté compatible avec la vision qu’ils se font du travail.
Cette posture hybride entre salariat et entrepreneuriat est révélée par Abdelnour (2017) sur une
étude portant sur les auto-entrepreneurs. Avec le rapprochement du modèle salarial du modèle de
l’entrepreneur (Dardus, 2008) il est probable que de plus en plus de personnes trouvent un équilibre
dans cette phase d’entre-deux, qu’elles constituent peu à peu des communautés distinctes des
salariés et des entrepreneurs et qu’elles cherchent à constituer des groupements de défense de leurs
intérêts.
Une seconde problématique de recherche consiste à se focaliser sur la dyade porteur de projet et
accompagnateur. Verzat, Gaujard et François (2010) préconisent que l’accompagnement est

différent en fonction des âges de la vie. Il serait intéressant d’observer la manière dont

l’accompagnateur va mobiliser telle ou telle posture professionnelle selon son nombre d’années
d’expérience, le temps dont il dispose pour effectuer l’accompagnement, ses critères de succès ou

encore son environnement de travail. Les travaux pourraient s’intéresser à la manière dont il perçoit

les besoins du porteur de projet et la relation qu’il entretien avec lui au fur et à mesure du processus.

Cette piste de recherche suppose que le chercheur ne soit pas l’accompagnateur, mais qu’il soit dans

!269
une posture d’observateur. Parmi des exemples de terrain, nous pensons au champ du mentorat ou

encore aux projets liés à l’économie sociale et solidaire où le principe de réciprocité est plus
fortement à l’oeuvre. D’autres publics pourraient être mobilisés comme des personnes en situation

de handicap. L’étude pourrait être effectuée sur une longue durée et permettre de comprendre

l’impact de l’accompagnement dans le temps, sur 10 ou 20 ans. Cela constituerait de beaux objets
de recherche.

Une troisième problématique de recherche consiste en une comparaison de méthodes comparables à

l’autobiographie raisonnée. Outre le bilan de compétence déjà évoqué, la méthode IDéO (Schmitt,
2017) est celle qui se rapproche le plus de la méthode de l’autobiographie raisonnée. Les mises en

oeuvre de ces approches sont toutefois différentes sur plusieurs points. La méthode IDéO se

concentre sur le projet alors que la démarche d’autobiographie raisonnée se concentre sur
l’entrepreneur. L’autobiographie raisonnée s’inscrit dans une démarche plus large d’orientation

professionnelle où le projet d’entreprise est une solution parmi d’autres (stabilisation dans l’emploi,

reconversion, promotion). La méthode IDéO porte sur la conception et sur la traduction d’une

opportunité entrepreneuriale. Plutôt que de s’opposer, ces différentes méthodes semblent plutôt se
compléter. Elles ne s’adressent pas aux mêmes accompagnateurs, n’agissent pas sur les mêmes

leviers et n’interviennent pas au même moment dans le processus entrepreneurial. Une comparaison

de l’autobiographie raisonnée, de la méthode IDéO et du bilan de compétences serait une voie


intéressante pour des recherches futures.

!270
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!287
LISTE DES FIGURES

Figure 1 : Plan de thèse ................................................................................................................... 16

Figure 2 : Représentation schématique de la CSIP de l’entrepreneur ............................................. 36

Figure 3 : Les formes de transitions dans la vie d’adulte ................................................................ 42

Figure 4 : Représentation du passage du salariat à l’entrepreneuriat .............................................. 47

Figure 5 : Exemple de trajectoires biographiques dans un parcours de vie .................................... 56

Figure 6 : Double boucle récursive ............................................................................................... 107

Figure 7 : Démarche de recherche et sélection des cas ................................................................. 115

Figure 8 : Parcours types des personnes du second échantillon ................................................... 122

Figure 9 : Le désengagement salarial ............................................................................................ 152

Figure 10 : L’influence des positons objectives et des représentations subjectives sur le projet .. 162

Figure 11 : Déplacement social et posture de l’entre-deux ........................................................... 184

Figure 12 : Modélisation de la démarche de construction de la légitimité entrepreneuriale ........ 241

!288
LISTE DES TABLEAUX

Tableau 1 : Eléments constitutifs du contrat psychologique ........................................................... 22

Tableau 2 : Comparaison de la carrière traditionnelle et de la boundaryless career ...................... 26

Tableau 3 : Typologie des carrières nomades ................................................................................. 28

Tableau 4 : Les deux postures de l’accompagnement entrepreneurial ........................................... 64

Tableau 5 : Bioscopie ...................................................................................................................... 82

Tableau 6 : Positions épistémologiques ........................................................................................ 103

Tableau 7 : Quatre démarches de recherches en sciences de gestion ........................................... 105

Tableau 8 : Liste des porteurs de projets ....................................................................................... 119

Tableau 9 : Types de données collectée par porteur de projet ...................................................... 129

Tableau 10 : Les insatisfactions des salariés en poste .................................................................. 142

Tableau 11 : Les motivations à entreprendre ................................................................................ 145

Tableau 12 : Les prises de risque à entreprendre .......................................................................... 149

Tableau 13 : Ex. de valorisations d’histoires individuelles dans un projet entrepreneurial .......... 165

Tableau 14 : Exemples de pratiques exclusion dans une communauté de salariés ....................... 175

Tableau 15 : Exemples de difficultés d’intégration dans une communauté d’entrepreneurs ....... 180

Tableau 16 : Évènements biographiques lors des transitions professionnelles ............................ 198

Tableau 17 : Les besoins d’accompagnement au cours de la transition professionnelle .............. 214

Tableau 18 : La légitimité pour soi (extraits d’entretiens résumés par thème) ............................. 226

Tableau 19 : La légitimité pour les autres (extraits d’entretiens résumés par thème) ................... 237

Tableau 20 : Les rituels dans les incubateurs étudiés ................................................................... 238

Tableau 21 : Les quatre types de transitions professionnelles ...................................................... 244

Tableau 22 : Les transitions professionnelles anticipées .............................................................. 246

Tableau 23 : Les transitions professionnelles non-anticipées ....................................................... 246

!289
Tableau 24 : Les transitions professionnelles avec des faibles changements professionnels ....... 246

Tableau 25 : Les transitons professionnelles avec de forts changements professionnels ............. 246

Tableau 26 : Les facteurs communs des quatre types de transitions professionnelles ................. 249

Tableau 27 : Les particularités de l’engagement entrepreneurial ................................................. 255

Tableau 28 : Bioscopie de Sylvie .................................................................................................. 299

!290
ANNEXES

Annexe 1 : Guide d’entretien « classique » ................................................................................... 292

Annexe 2 : Guide d’entretien « d’autobiographie raisonnée » ...................................................... 295

Annexe 3 : Bioscopie d’une porteuse de projet ............................................................................. 297

Annexe 4 : Extraits d’un entretien et son classement Nvivo ......................................................... 302

!291
Annexe 1 : Guide d’entretien « classique »

Ce guide d’entretien est utilisé pour les personnes du premier et du second échantillon. Ces

entretiens permettent de collecter des données essentiellement sur le projet (idée, étude de marché,

financement, etc.). L’entretien est découpé en 4 parties et correspond au classement des données
effectué dans le logiciel Nvivo. Les questions indiquées ci-dessous ne sont pas exhaustives, elles

ont vocation à donner un aperçu du contenu des entretiens réalisés. Généralement quatre entretiens

sont réalisés sur une période qui s’étale en moyenne sur 3 à 6 mois. Chaque entretien fait l’objet
d’une thématique (bien que cela n’exclue pas d’aborder d’autres thématiques au cours de

l’entretien). Les entretiens sont semi-directifs et durent de 30 minutes à 2 heures. Les entretiens

sont enregistrés avec l’accord de la personne accompagnée et une retranscription partielle est

effectuée. Nous demandons à la personne accompagnée de nous transmettre un compte-rendu de


l’entretien par mail dans les jours suivants en indiquant notamment les éléments sur lesquels elle

doit travailler pour le prochain rendez-vous.

Partie 1 : L’adéquation personne / projet

Pourquoi envisagez-vous l’entrepreneuriat ? Depuis combien de temps y songer-vous ? Qu’est-ce

qui vous a donné envie ? Quelles démarches ou actions avez-vous déjà entreprises ? Avez-vous déjà

une expérience de la création, de la reprise d’entreprise ou du management de projet ? Quelles sont


les principales questions que vous vous posez à ce jour en termes de méthodologie ? Quelles sont

les caractéristiques de votre projet ? Quelle est l’utilité de votre projet, son usage ? Quelle est votre

cible de clientèle ? Quelles pistes avez-vous explorées jusqu’alors pour trouver une idée ? Est-ce un
projet que vous envisagez seul-e ou à plusieurs ? Est-ce que ce projet sera votre seule activité et

source de revenus ou complémentaire à une autre activité, source de revenus ? Quel est a priori

votre échéancier ? Quelle est votre situation professionnelle actuelle ? Avez-vous une clause de non-
concurrence dans votre contrat de travail actuel ? Votre hiérarchie vous soutient-elle dans votre

projet ? Vous êtes-vous assuré-e de l’adhésion de vos proches ? A qui en avez-vous déjà parlé ?

Avez-vous bien évalué les impacts de ce projet sur votre vie familiale ? Etes-vous en mesure de

décrire les bouleversements familiaux acceptables par le projet ? Pouvez-vous m’indiquez votre

!292
capacité d’investissement financière personnelle dans le projet ? Etes-vous disposé-e à emprunter

personnellement pour votre projet ? Quel est le bénéfice moyen réalisé par les entreprises exerçant
le même métier que celui de votre projet ? Votre santé est-elle compatible avec les exigences du

projet ? Quelles sont les compétences qui vous manqueraient ? Comment envisagez-vous votre

fonction dans votre projet ?

Partie 2 : L’étude de marché

Qu-est ce que votre entreprise va faire ? Quels biens ? Quels services ? Quels produits ? Maitrisez-
vous l’ensemble de la chaine de construction de la valeur ? Avez-vous identifié les partenaires clés

indispensables à la construction de la valeur ? Qu’avez-vous déjà fait pour connaître vos clients

potentiels et leurs besoins ? Quelle est votre clientèle cible ? Où se situent vos clients ? Quelle est
votre zone de chalandise ? Quels sont vos moyens de commercialisation ? Comment votre offre

sera-t-elle vendue ? Quel est votre rapport avec la fonction commerciale ? Disposez-vous de

compétences en communication ? Qu’est-ce qui différencie votre offre de la concurrence ? Quel est

votre marché ? Quelles actions avez-vous déjà entreprises pour connaître votre marché ? Qu’est-ce
qui vous permet de dire que vous connaissez ce secteur d’activité ? Qui sont les concurrents que

vous avez déjà repérés à ce jour ? Connaissez-vous la législation particulière, les contrats légales

liées à votre activité ? Qui sont les concurrents que vous avez repérés à ce jour ? Qui sont les
prescripteurs que vous avez repérés à ce jour ? Votre projet vous semble-t-il en adéquation avec

votre projet personnel ? Votre expérience professionnelles ? Vos compétences métiers ? Votre

savoir-faire managérial ? Vos moyens financiers ? Quels contacts avez-vous déjà pris ? Pouvez-vous
protéger votre projet ? Quel est l’impact social / environnemental de votre projet ?

Partie 3 : Les modalités de financement

Etes-vous seul-e associé-e dans ce projet ? Disposez-vous d’un patrimoine immobilier ? Savez-vous

le choix du statut juridique de votre entreprise et ses conséquences sur votre régime matrimonial ?

Souhaitez-vous être salarié-e de votre entreprise ? Quel source de financement privilégiez-vous ?

!293
Quelle est votre relation avec la fonction financière ? Quel est votre degré de risque acceptable par

rapport à votre engagement financier ? Les perspectives de développement de votre entreprises


nécessitent-elles l’entrée d’investisseurs à court ou moyen terme ? Comment voyez-vous l’avenir de

votre entreprise ? Quelle est la somme que vous pouvez apporter personnellement au projet ? Avez-

vous déjà proposé votre projet à une banque pour obtenir un financement ? Quelles sont les autres
sources de financement que vous connaissez ? Quelles sont les aides que vous connaissez ?

Comment comptez-vous réunir les capitaux nécessaires à la création de votre entreprise ? Le

lancement de votre projet va-t-il vous conduire à faire des investissements importants ou des
avances de fonds ?

Partie 4 : La stratégie de développement

Pensez-vous devoir embaucher ou recruter des collaborateurs ? Combien de personnes ? A quels

postes ? Pour quels coûts ? Que savez-vous du marché de l’emploi concernant les compétences dont

vous avez besoin ? Les compétences particulières que vous cherchez sont-elles faciles à trouver ?

Devrez-vous recruter une force de vente ? Quel peut-être le délai de recrutement et le coût ? Si
vous développer votre projet à plusieurs, êtes-vous certain-e que les rôles de chacun sont bien

définis ? Avez-vous une idée des moyens à engager, des coûts et de délais de prospection avant une

commande ferme ? Où pensez-vous vous installer ? Devrez-vous changer de local à moyen terme ?
Aurez-vous besoin de terrain et de locaux ? Avez-vous une idée des coûts ? Aurez-vous besoin de

matériel et de machines ? Pensez-vous les acheter ou les louer ? Quelle est la fourchette des

investissements à réaliser ? Est-ce que ces investissements sont en cohérence avec vos apports ?
Quels sont les délais de paiement de vos clients ? Avez-vous songé-e à la manière de financer le

décalage de trésorerie entre le début de votre activité et les premières rentrées d’argent ? Vous êtes-

vous renseigné-e sur ce que vous offre votre territoire d’implantation ? Avez-vous pris contact avec
le service entreprise de votre mairie ou de votre commune ?

!294
Annexe 2 : Guide d’entretien « d’autobiographie raisonnée »

Ce guide d’entretien est utilisé pour les personnes du second échantillon pour lesquelles

l’accompagnement à la création d’entreprise « classique » s’accompagne de la méthode de

l’autobiographie raisonnée. Ces entretiens permettent de collecter des données essentiellement sur
le porteur de projet (histoire, événements clés, inspirations, entourage, etc.).

Rappelons que l’entretien d’autobiographie raisonné est libre et non-directif de manière à laisser le

plus d’espace possible à la parole de la personne accompagnée. Les questions indiquées ci-dessous
(non exhaustives) ont vocation à donner un aperçu du contenu de l’entretien. La démarche

d’autobiographie raisonnée préconise d’effectuer l’entretien en une fois (deux fois si nécessaire).

Les entretiens durent entre 2 heures et 4 heures. Nous utilisons systématiquement un support écrit
(appelé « bioscopie », voir annexe suivante) que nous remettons à la personne accompagnée à la fin

de l’entretien. Les entretiens sont enregistrés avec l’accord de la personne accompagnée et une

retranscription est effectuée. Nous demandons à la personne accompagnée de travailler ensuite sur

sa notice de parcours et de préparer une présentation de son projet auprès d’autres entrepreneurs.

Questions de découverte

Quelle est votre date de naissance ? Où êtes-vous né(e) ? Vos parents exerçaient quel(s) métier(s) ?
Où avez-vous grandi(e) ? Quel a été votre parcours scolaire ? Quels matières préfériez-vous à

l’école ? Avez-vous arrêté(e) vos études à un moment ou à un autre ? Avez-vous eue(e) des petits

boulots étant jeune ? Dans quel secteur avez-vous travaillé(e) ? Avez-vous des passions ? Etes-vous
abonné(e) à des revues spécialisées ? Faites-vous du sport ? Quel métier fait votre conjoint(e) ?

Combien avez-vous d’enfants ? Dans quel type d’environnement vos enfants ont-ils grandis ? Que

font vos enfant(s) maintenant ? Où habitent vos enfants ? Avez-vous voyagé(e) ? Avez-vous eu(e)
des périodes sans emploi ? Avez-vous suivi(e) des cours à distance ou des cours du soir ? Etes-vous

engagé(e) dans une activité associative ? Etes-vous impliqué(e) dans une vie de quartier ou la vie de

votre commune ? Que signifie le passage à la retraite pour vous ? (…)

!295
Questions de relance

Vous avez évoqué(e) avoir fait du solfège étant jeune, était-ce par envie ou par obligation
familiale ? Pour quelles raisons affectionnez-vous cette ville ? Pourquoi accordez-vous autant

d’importance à cet objet ? Vous avez évoqué(e) devoir vous conformer à un modèle familial durant

votre jeunesse, ressentez-vous toujours cette pression sociale aujourd’hui ? Pourquoi pensez-vous
que vous vivez moi bien que vos parents ? Estimez-vous que naturellement vous travaillez seul(e)

ou à plusieurs ? Quels sont les autres pays visités ? Pour quelle raison avoir repris vos études à cet

âge ? Quelles sont les autres personnes que vous avez convaincue ? Gardez-vous contact avec vos
anciens collègues ? Pourquoi êtes-vous parti(e) là-bas ? Quelles étaient vos occupations pendant

votre période de chômage ? Le handicap a-t-il changé le regard que vous portez aux autres ? Quel

souvenir gardez-vous de cette réussite ? (…)

!296
Annexe 3 : Bioscopie d’une porteuse de projet

La bioscopie correspond au support dont peut se servir l’accompagnateur lors de l’entretien

d’autobiographie raisonnée. Ce support est remis à la personne accompagnée à la fin de l’entretien

afin qu’il l’aide à rédiger sa notice de parcours en vue de la présentation de son projet face à un
groupe. Dans le cadre de cette recherche les personnes nous ont autorisé à prendre une photo de ce

document afin de l’exploiter. Voici la retranscription de la bioscopie de Sylvie. Sur la demande de

cette dernière, certains éléments sont modifiés afin de respecter sa confidentialité. L’entretien a duré
2 heures 20 minutes. Il s’est déroulé dans un café au calme. La démarche d’autobiographie

raisonnée a permis de révéler plusieurs fils conducteurs dont certains se sont traduits dans le projet.

- La santé / Le handicap : Le parcours de vie de Sylvie est ponctué d’événements liés au secteur
de la santé comme des activités sociales (bénévole à la Croix Rouge de 2002 à 2006, bénévole

dans des associations liées à l’autisme depuis 2011), par des formations formelles (diplôme

d’université en art thérapie à l’Université Paris Descartes en 2014) ou informelles (National Guild
of Hypnotists en 2011, colloque TIC santé en 2017). C’est surtout à partir de 2011, date de la

naissance de son fils Adam, qu’elle va fortement s’engagée dans la domaine de la santé. En effet

elle va apprendre que son fils est autiste.

• Traduction dans son projet : Le projet de Sylvie intitulé « Ludothérapie » a pour objet la
pratique d’activités récréatives et culturelles dans la médiation thérapeutique pour le bien-

être et la santé des enfants et des adolescents. Elle intervient auprès des centres éducatifs
spécialisés, des hôpitaux et plus largement des professionnels de la santé pour réduire le

niveau d’anxiété des patients afin de faciliter les actes thérapeutiques. L’objet de

l’entreprise s’inspire beaucoup de son expérience de maman d’un enfant handicapé qui
nécessite une éducation particulière et des soins spécialisés. Les premiers clients de Sylvie

vont notamment être des centres éducatifs spécialisés dans les troubles autistiques.

!297
- L’art : Dans sa jeunesse et son adolescence Sylvie va être sensible à l’art sous des formes variées

mais principalement musicaux et picturaux. Cette sensibilité va la motiver à faire ses études dans
ce domaine (Licence d’histoire de l’art à la la Sorbonne en 1998 et en 1999) et à s’impliquer en

tant que bénévole dans l’association Sorbonne Art (1998) où elle va organiser des vernissages

(1999) puis découvrir la scénographie (2000). Ce parcours va la conduire à des emplois variés soit
en tant que chargée de programmation dans l’association La Clef (2000 - 2001), en tant que chef

de projet culture à la ville d’Etampes (2005 - 2006) ou en tant que responsable artistique dans une

startup spécialisée dans la visite de musées (2008 - 2010). Elle va obtenir un diplôme d’université
en art thérapie à l’Université Paris Descartes (2013 - 2014).

• Traduction dans son projet : L’art fait partie intégrante du projet de Sylvie. D’une part le
nom commercial de son entreprise, « Ludothérapie » a pour consonance le mot « art ».
D’autre part son activité destinée à réduire le niveau d’anxiété des patients utilise un avatar,

un personnage virtuel représenté sous la forme d’un ours nommé Nabi (le nabi est aussi le

nom d’un mouvement artistique postimpressionniste du début du XXe siècle). Le

personnage va vivre des aventures dans lesquelles il va interagir avec des oeuvres d’arts.

- Le numérique : C’est surtout à partir de 2006 - 2007 que Sylvie va aller au-delà d’une simple

utilisation personnelle du numérique. Au chômage à cette période, elle va s’initier à la création de


sites internet pour un projet qu’elle souhaite mettre en oeuvre (le lancement d’un site internet

dédié à la maternité, mais qui n’aboutira pas). En parallèle, elle va suivre une formation au

CELSA intitulé Médias & Numérique (2007 - 2008). Elle va ensuite travailler dans une startup
entre 2008 et 2011 où elle va découvrir l’entrepreneuriat.

• Traduction dans son projet : Le projet entrepreneurial de Sylvie utilise fortement le


numérique puisqu’il se traduit sous la forme d’une application à télécharger. Faute d’une
clientèle suffisante, l’entreprise sera placée en liquidation judiciaire en 2018. Pour autant

cette expérience permettra à Sylvie de continuer à travailler dans le domaine de

l’entrepreneuriat avec notamment une spécialisation pour les entreprises numériques.

!298
Sylvie - Divorcée - Rue George Pompidou 92300 Issy-les-Moulineaux
Née le 12/04/1980 à Paris - Responsable marketing à Accor Hôtels - 2 enfants (1 garçon, 1 fille)
Père : Gérard (71 ans), responsable export zone Amérique du nord (retraité)
Mère : Anne (67 ans), adjointe à la communauté d’agglomération (fonctionnaire retraitée)
Soeur : Solange (44 ans), chargée de projet développement local (fonctionnaire), mariée 3 enfants
Soeur : Mathilde (35 ans), architecte (installée à Boston, Etats-Unis), mariée 2 enfant
Formations Formations non Activités Activités
Années
formelles formelles sociales professionnelles

1980
(naissance)

Ecole Jules Ferry


1986
(92)

Voyage aux
College H. Matisse
1991 Etats-Unis
(92) Piano, peinture, Touristique
lectures
spécialisées
Voyage au
Lycée Buffon jeunesses
1995 Canada
(75)
Touristique

Association
1998 Sorbonne Art
Paris Sorbonne Bénévole
(75)
Licence Histoire de Mercuri Urval
Voyage à
l’art Organisation de (75) Chargée de
1999 Londres
vernissages communication
Touristique
(stage)

Découverte de la
2000
scénographie La Clef (78)
Chargée de
programmation
(CDD)
2001

!299
Formations Formations non Activités Activités
Années
formelles formelles sociales professionnelles
Croix rouge
2002 française Chômage
Bénévole

Voyage aux Caraïbes


2003 Relais et
Professionnel
Châteaux (75)
Community
Voyage en Autriche Manager (CDD)
2004
Professionnel

2005 Ville d’Etampes


Croix rouge
(91) Chef de
française
projet culture
Bénévole
2006 (CDD)
Création de sites
internet
Autodidacte
2007 Chômage
CELSA (75) Projet de site
Master Médias et internet sur la
numérique maternité
2008

SmArtapps
Voyage en
2009 (startup)
Martinique
(mariage) Responsable
Touristique
artistique (CDD)

2010

2011
(naissance National Guild of
d’Adam) Hypnotists Vaincre
(USA) l’autisme (75) Chômage
Formation à Bénévole
2012 distance

!300
Formations Formations non Activités Activités
Années
formelles formelles sociales professionnelles

2013
Université Paris
Descartes (75)
DU Art-thérapie MOOC ESG Accor Hôtels
2014 Entrepreneuriat (75) Responsable
Non certifiée marketing (CDI)

2015
(naissance de
Roxanne) Cnam (75) Titre
Entrepreneur de Association
2016 Petite Entreprise FormaTIC Santé
(séparation) Bénévole,
Gestionnaire
Ludothérapie
Colloque TIC
2017 Création
Santé
d’entreprise

2018
(divorce officiel) Jury dans des
concours de
startup CCI (92)
2019 Chargée de
mission (CDD)

Fils conducteurs : Santé / Handicap ; Art ; Numérique

Tableau 28 : Bioscopie de Sylvie


!

!301
Annexe 4 : Extrait d’un entretien et son classement Nvivo

L’extrait d’entretien suivant a été réalisé avec Philippe. Il s’agit d’un point de parcours réalisé

plusieurs mois après sa création d’entreprise. L’objet de l’entretien a pour vocation de revenir sur sa

transition professionnelle a posteriori et affiner les résultats de notre recherche. Une fois l’entretien
retranscrit, les données sont intégrées dans le logiciel Nvivo pour faire l’objet d’un classement et

d’une analyse. Les catégories se découpent en 4 parties : l’adéquation personne / projet (code APP),

l’étude de marché (code EDM), les modalités de financement (code MF) et la stratégie de
développement (code SD). Le chiffre situé après le code correspond au numéro d’extrait (par

exemple : APP-1 signifie extrait numéro 1 de la catégorie adéquation personne / projet). Nous

avions déjà commencé à classer les entretiens de Philippe dans le classement Nvivo. C’est la raison
pour laquelle les chiffres commencent autour de 70 - 100.

Jérémie : vous faites quoi actuellement ?

Philippe : je compte être opticien à domicile et en parallèle faire des remplacements d'opticien dans
des magasins physiques (APP-82). Pour être opticien à domicile, je regarde mon réseau mais c'est

compliqué. En effet, il me faut une certification que je n'ai pas. Je souhaite me former pour les

personnes qui ont une basse vision. J'ai suivi une formation à la chambre de commerce et d'industrie
de Paris, la formatrice m'a dit que c'était un bon projet. Mais clients seraient les maisons de retraite.

Mais il faut que je m'entends bien avec le directeur et le personnel encadrant. Il faudrait également

que le médecin de la personne concernée ne soutienne, ou me mettre en relation avec la maison de


retraite. Ça ne se fait pas si facilement que cela. Il y a également la famille de la patiente qui peut

être un frein. Le directeur, les médecins, la famille sont des acteurs (SD-101). Par ailleurs, si je veux

faire des remplacements à domicile, je constate que les personnes apprécient davantage se rendre
dans un magasin physique. Lorsque je me déplace à domicile, je peux être mal perçu si je n'ai pas

l'aisance suffisante. Le vendre à domicile peut être assimilé à un vendeur de tapis (SD-102). Il y a

aussi le problème de la réglementation. Pour être opticien à domicile j'ai besoin d'un espace de

stockage. J'ai téléphoné à la CRAMIF, la personne que j'ai eue au téléphone m'a confirmé que je
pouvais domicilier mon entreprise chez moi. Mais pour être habilité par l'organisme il faut qu'elle se

!302
déplace chez moi. Il faut qu'elle donne son accord. Il faut que je leur explique ma manière de

travailler également (APP-83).

Jérémie : d’accord.

Philippe : tous ces différents éléments me compliquent mes démarches pour être opticiens à

domicile. Mais j'ai également un second projet. J'ai une amie qui fait des remplacements. Elle m'a
expliqué qu'elle travaille actuellement dans un magasin d'optique, où le directeur par prochainement

en retraite. C'est un magasin qui est à Shelles. L’affaire à l’air intéressante. Le directeur à son

magasin depuis 15 ans. Il a racheté ce magasin à son patron. Il est actuellement propriétaire des
murs et du fonds de commerce. Son départ en retraite, pour l'instant personne ne le sait il n'y a que

moi. Il veut partir dans le sud de la France. Il cherche un acheteur (SD-103). C’est intéressant, car

c'est quelqu'un qui travaille comme moi je travaillais avant la formation. En fait le vrai travail
d'opticien avec une clientèle traditionnelle. Alors que les remplacements que j'ai fait jusqu'à présent,

j'étais comme un simple vendeur. Il fallait vendre à tout prix. C'est catastrophique. Trouver un

magasin où l'on fait vraiment son métier d'opticien il n'y en a plus beaucoup. Il y a beaucoup de

magasins qui sont là pour l'appât du gain (APP-83). J'ai rendez-vous cet après-midi avec le
directeur. Il a un chiffre d'affaires de 300 000 €, ce n'est pas énorme mais cela ne fait que de

progresser. Le montant de la reprise de l'entreprise et entre 200 000 et 250 000 € (MF-72).

Jérémie : en effet, c'est intéressant.

Philippe : pour le moment j'ai créé l'entreprise d'opticien remplaçant. En SASU depuis le mois de

juillet 2015. Pour le moment ce que j'ai payé c’est mon comptable, plus de 200 € par mois. Comme

je touche pôle l'emploi, pendant deux ans je ne me verse pas de salaire. Je peux payer mes charges
fixes, tester l'activité, et capitaliser. Tout le chiffre d'affaires je le laisse dans l'entreprise pour le

moment. Mon idée est de capitaliser et de voir après ce que je fais avec cet argent là. Soit cela me

fait un apport pour reprendre un magasin, soit cela me fait un apport pour mon premier stock. Le
problème c'est que concernant mon projet numéro 2 si le directeur met son magasin en vente avant

le mois de février comme il a annoncé je n'aurais pas assez d'argent pour pouvoir le racheter. Mais

j'ai deux possibilités de financement, notamment grâce à des investisseurs. Mais là, un autre

problème se pose. Pour rester majoritaire il faut que j'injecte de l'argent plus que mes investisseurs.

!303
Je veux rester majoritaire. Cependant ce sont des investisseurs qui ne sont pas dans mon corps de

métiers, cela peut m'aider pour rester le capitaine du bateau. Ce ne sont pas des opticiens. Sans moi,
l'affaire ne fonctionnerait pas (MF-73).

Jérémie : la formation que vous avez suivi ces derniers mois vous a-t-elle été utile ?

Philippe : oui très utile. J'ai bien classé mes cours, même si je n'ai pas encore le temps de m'y
replonger. La thèse professionnelle que je dois rédiger actuellement me prends beaucoup de temps.

Mais l'avantage c'est que je dois me replonger dans mon corps de métier. Cela me permet de

replonger dans les chiffres. C'est une chose que je ne faisais pas lorsque j'étais salarié. Lorsque
j'étais salarié je touchai mon salaire à la fin du mois. Il y a cette logique salariale qu'il faut perdre, et

rentrer dans une nouvelle logique entrepreneuriale. Il faut organiser sa veille. La formation me

permet de plonger dans l'esprit entrepreneurial, que je n'avais pas du tout avant. Dans le magasin où
j'étais avant mon directeur me cachait tout, je n'avais accès à aucune information (APP-84).

Jérémie : c'est la thèse professionnelle qui vous a aidé à changer d'état d’esprit, de salarié à

entrepreneur ?

Philippe : non c'est la formation dans son intégralité. La thèse professionnelle ne fait que renforcer
cette relation que j'ai avec le business. Mais pas depuis longtemps (APP-85). En effet mes relations

avec Pôle emploi ont été compliquées. Je touche mes indemnités mais pas en totalité encore. En

effet j’étai auto entrepreneur jusqu'au mois de juillet et après j'ai créé mon entreprise en SASU.
Pour cela j'ai dû quitter le RSI. Par rapport à la sécurité sociale c'était très long. Il leur a fallu trois

ou quatre mois pour traiter mon dossier. En effet ils ont perdu mon dossier trois fois. Il fallait tout le

temps surveiller. J'ai passé beaucoup de temps à surveiller les dossiers, surveiller leurs conneries.
On tombe à chaque fois sur quelqu'un de différent qui me dit quelque chose de différent. Trois

semaines plus tard le dossier n'a pas avancé et ainsi de suite. Mon nouvel interlocuteur m'a expliqué

que lorsque j'ai créé mon auto entreprise je leur ai transmis mon Kbis. Mais lorsque j'ai créé ma
SASU j'ai eu un nouveau Kbis. Je leur ai transmis également. Mais ils n'ont pas pris en compte le

second Kbis. Donc ils m'ont radié, c'était catastrophique (MF-74).

Jérémie : c'est l'auto entrepreneur qui vous a permis de vous mettre dans la peau de l’entrepreneur ?

!304
Philippe : disons que c’est un ensemble. Car lorsque j'étais auto entrepreneur, j'étais également en

formation. C'est le fait d'être sur le terrain ainsi que d'être en formation qui m'a permis de rentrer
dans la peau du chef d'entreprise. Il fallait que j'étudie la concurrence, les prix, mon offre

commerciale. Et ceci tout en l'appliquant sur le terrain. C'est aussi la thèse professionnelle qui me

permet de faire cela. J'ai opté pour l’auto-entrepreneur pour pouvoir facturer. Pour ne pas perdre de
temps. Il y avait une opportunité et ça ne coûtait rien de me mettre en auto-entrepreneur. Mais cela

ne m'a pas apporté beaucoup plus. En revanche cela m'a montré qu'il fallait que je me bouge le cul.

Cela m'a permis de comprendre que les méthodes de travail que j'avais eu précédemment, il fallait
que je les mette de côté et que je me mette au goût du jour. Si je n'étais pas passé par l’auto-

entrepreneur, je n'aurais pas pu voir toutes les lacunes que j'avais. Comme par exemple les

nouveaux produits informatiques, les nouveaux logiciels. Là où je travaillais avant c’était vraiment
à l'ancienne. Mais ça marchait bien. Mais il fallait que je m’améliore C'est pour cela que j'ai fais un

stage chez un prestataire informatique pour me former aux nouvelles techniques de travail. J'ai

beaucoup appris. Fin janvier je fais également une formation en force de vente. Je me rends compte

que je ne sais pas vendre (APP-86).

Jérémie : vous ne savez pas vendre ?

Philippe : si je sais vendre mais il y a des codes et des usages que je ne connais pas. J'ai travaillé

pendant 23 ans dans un magasin, on travaillait beaucoup avec notre coeur, en sensation. Ma façon
d'être collait très bien avec le profil du magasin. Maintenant des magasins comme cela il y en a plus

beaucoup. Pour vous donner une idée, dans ce genre de magasin ont fait deux ou trois ventes par

jour. Cela permet à un opticien tout seul de fonctionner (APP-87). Autre exemple, la carte de
fidélité n'est pas du tout utilisé par les opticiens traditionnels alors qu'elle est largement utilisée par

les opticiens de nouvelle génération. Quand l'infrastructure est petite le chef d'entreprise n’à pas le

temps pour ce genre de choses. J'ai remarqué que le petit chef d'entreprise doit tout gérer en même
temps. Souvent lorsque j'arrive dans un magasin pour faire des remplacements les logiciels sont

différents. Cela fait parti de la complexité de mon travail. Il faut que je m'adapte à chaque situation.

Par exemple, lorsqu'il s'agit de rentrer un client dans la base de données, il y a plein de champs dans

le logiciel qui ne sont pas remplis (date de naissance, lieu de naissance, situation professionnelle...).
Le petit chef d'entreprise a trop de choses à faire pour s'occuper de ces détails. J'en ai parlé avec le

!305
vendeur de logiciels dans lequel je fais mon stage actuellement, il me le confirme. Le constat est le

même chez les petits franchisés. J'en ai parlé avec mon prochain d'employeur chez qui je vais faire
un remplacement durant la semaine de Noël. Elle n'a pas le temps non plus de faire ce genre de

choses, compte tenu qu'elle est toute seule. C'est pour cela que de nombreux opticiens préfèrent

travailler dans des chaînes, ou des regroupements d’employeurs, afin de profiter des économies de
coûts et de gestion. La comptabilité est ainsi allégée, le marketing également. Mais le prix des

franchiseurs est très variable. Il y a de nombreux services que permet la franchise, comme un

accompagnement personnalisé des solutions d'achat à moins cher des solutions de gestion...
Cependant le prix de la franchise et chère. Mais de plus en plus d'opticien doivent opter pour la

franchise pour réussir à survivre (EDM-95).

Jérémie : est-ce que la franchise est compatible avec les méthodes de travail traditionnelles ?

Philippe : ça dépend de la franchise. Par exemple Afflelou est très restrictif. Il y a également l'image

que l'on doit prendre en compte. Par exemple de nombreux clients ne vont jamais rentrer dans un

magasin Afflelou (EDM-96).

Jérémie : j'ai l'impression que votre regard a évolué vis-à-vis des grandes chaînes de magasins. Je
crois avoir le souvenir que vous ne vouliez jamais entendre parler de grandes chaînes de magasins.

Philippe : en effet, j’étais borné sur pas mal de choses. J'ai travaillé 23 ans avec mon ancien patron

qui était un opticien traditionnel. Cela laisse des marques. Par ailleurs mon patron défendait son
business ce qui pouvait se comprendre. Enfin, je travaille avec mon coeur. Lorsque je rentre dans un

magasin d'optique je colle avec la personnalité du patron afin de rentrer dans l’état d'esprit du

magasin. Lorsque j'ai présenté mon projet en tout début de ma transition professionnelle j'ai
remarqué que je parlais comme mon patron. Ma transition professionnelle m'a fait beaucoup évolué

sur ce point. Au point même d'être un peu perdu. Lorsque je vous ai présenté mon projet la première

fois je parlais beaucoup de faire un travail de qualité. Mais en tant que tel cela ne veut rien dire ! Je
ne faisais que raconter ce que je raconte au client. Mon patron disait cela, parce qu'il a des éléments

pour le faire. Moi en tant que salarié je n'en avais pas. On ne peut pas dire que l'on fait de la qualité

comme cela, il faut aménager une infrastructure autour de son discours. Il faut apporter la preuve du

concept. Maintenant pour en revenir au grandes chaînes de magasins, du coup j'ai dû revoir ma

!306
position. J'ai vu mon comptable hier qui va également dans cette décision. Je souhaite que le

directeur que je vais voir tout à l'heure puisse me prendre au sérieux. Même si le rachat ne se fait
pas, ce sera toujours une expérience intéressante. Faire de l'optique à domicile comporte de

nombreuses contraintes. J'ai toujours vécu sans contrainte réelle en tant que salarié. Tout a toujours

bien marché pour moi, j'ai une grande maison une femme des enfants. Aujourd'hui en tant
qu'entrepreneur je prends plus de risques, j'ai des noeuds dans l'estomac. J'ai acheté des livres pour

apprendre à relativiser. Il faut souvent que je me remette dans le positif. J'ai choisi cette vie-là

(APP-88).

Jérémie : qu'en pensent votre femme et vos enfants de ces changements la ?

Philippe : les enfants sont très bien élevés. Les enfants sont les enfants, eux, ils mettent les pieds

sous la table… (rires) (APP-89).

Jérémie : ils n'ont pas trop perçus ces changements ?

Philippe : non, j’espère en revanche que je leur ai transmis cette fibre entrepreneuriale. J'espère

qu'ils vont avoir cette fibre à aller chercher le boulot. Ils ne l'ont pas assez. Je ne peux pas leur

demander de vivre comme moi j'ai vécu, c’est-à-dire de commencer à travailler très jeune. Pour ma
femme c'est autre chose. Elle est issue d'une famille où ils ne prennent pas de risques. Que je sois

salarié toute ma vie cela lui convient. En même temps c'est une femme, si elle peut avoir davantage

elle va prendre davantage (rires). Mon environnement familial est comme tous les couples. Mais me
sens seul, sans être seul. Voyez, par exemple j'ai créé une SASU (APP-90).

Jérémie : je ne comprend pas.

Philippe : la SASU est une société unipersonnelle, il n'y a pas d'associé je suis tout seul.

Jérémie : et vous le vivez mal d’être seul ?

Philippe : oui et non. De toute façon si je partais sur une reprise de commerce je ne sais pas si

j’aurai le choix. À moins de vendre ma maison je n'ai pas assez d'argent. Mais je joue au loto tous
les jours (rires). Malgré ma rupture conventionnelle, il ne reste plus grand-chose. J'ai perdu

beaucoup. Heureusement il me reste le Pôle emploi qui me permet de payer la part de ma maison.

!307
Ce qui est intéressant avec la rupture conventionnelle c'est que je touche le Pôle emploi pendant

deux ans. Ça va s'arrêter en juillet. C'est très intéressant. Voyez, pour ma maison je donne 2000 €
par mois. Je peux donc me lancer dans un business sans me prendre de salaire. Ça peut permettre de

mettre en place certaines choses, même s'il faut que je prévois en N + 1 de me verser un salaire

(MF-75).

Jérémie : sachez également que lorsque vous dites au Pôle emploi que vous créez votre entreprise

vous pouvez bénéficier de vos indemnités en capital.

Philippe : oui ils me l'ont dit mais j'ai opté pour le versement de mes indemnités. Car il faut être sûr
du business derrière. Ça peut être un montage intéressant si j'étais sur un chiffre d'affaires plus

élevées. Lui il fait 300 000 € de chiffre d'affaires annuel. Ma copine me dit qu'il n'y a pas beaucoup

de monde et que ça marche tranquillement. Si on était sur un chiffre d'affaires plus élevé ce serait
intéressant d'opter pour le capital, plutôt que les indemnités. En effet, je serai sûr à 60 % de pouvoir

me verser un salaire. Pour ce magasin là, il va y avoir de l'argent qui va rentrer, mais je pense que ce

sera juste suffisant pour pouvoir payer les charges de l'entreprise. Ça va dépendre également des

choix que je vais faire comme par exemple des travaux dont le magasin, des choix marketing…
(MF-76).

Jérémie : en apport personnel, 20 à 30 % du montant total de la reprise peut suffire si vous

bénéficiez en parallèle d’un prêt bancaire et d'un prêt d’honneur.

Philippe : en effet c'est intéressant, j'avais fait ce montage avec la chambre de commerce pour

pouvoir reprendre la boite de mon ancien patron. Mais on était sur un prix de cession beaucoup plus

élevée, de l'ordre de 500 000 €. Il faut également savoir présenter rapidement son entreprise aux
acteurs concernés. Mais on a fait le MBA pour cela (MF-76). L'avantage avec la formation c'est que

je n'ai plus aussi peur qu'avant. Maintenant je sais que l'on ne peut pas concevoir de développer un

projet sans réaliser une étude de marché. Vous nous avez vraiment bien appris à faire cela. J'ai
beaucoup appris ici. C'était une révélation (EDM- 97). Parce qu'il y avait beaucoup de mes amis qui

me mettaient en doute, notamment par rapport au prix de la formation, 10 000 € c’est cher. Mais il y

a beaucoup de gens qui bidouillent. En discutant avec eux il y a beaucoup de points noirs, de zones

d'ombre. Je leur apprends des choses maintenant. J'ai beaucoup d'amis qui ont créé une entreprise,

!308
qui l’ont fermé pour en ouvrir une autre après. Évidemment, lorsqu'une entreprise ne fonctionne pas

il y a toujours de bonnes raisons, c'est toujours la faute des autres. Mais moi maintenant je me pose
vraiment la question sur les raisons de leur fermeture. Je ne juge personne. Mais il y a des lacunes

entrepreneuriales ou des usages qu'ils n'ont pas respectés. Ils ont les bases qu'ils ont acquis au fil du

temps sur le terrain mais aujourd'hui ce n'est pas suffisant. Certains par contre se débrouillent bien,
mais bizarrement ce sont également ceux qui lisent beaucoup ou qui ont des partenaires

suffisamment pointus dans le business (EDM-98). Par exemple, j'ai cet ami qui voulais me prêter de

l'argent parce qu'il croit beaucoup en moi. C'est le responsable d'une salle de karaté. En effet j'étais
professeur de karaté. Lui, il me connaît depuis tout petit, il a lancé des business, il a fait beaucoup

de choses. Aujourd'hui il a un très bon carnet de relations dont l'ancien PDG du groupe Bonduelle

M. André Leroi, que je connais également. Lorsque l'on discute tous ensemble c'est un vrai régal.
C'est grâce à ce genre de contacts que mon ami a réussi à s'en sortir. Je retrouve dans son discours

cette posture entrepreneuriale alors qu'il est autodidacte. Il faut donc avoir une base théorique. Le

constat que je fais lorsqu’on n'a pas de base théorique, c'est que on se casse les dents à plusieurs

reprises. Le risque est que l'on se retrouve sur la paille à un moment donné. On se retrouve salarié et
on déprime. Lorsque que vous avez été entrepreneur et que vous vous retrouvez salarié, c'est une

forme de déprime. On peut voir cela comme une déception, un échec (APP-91).

Jérémie : c'est-à-dire qu’il n'y a pas de retour en arrière possible ?

Philippe : on peut revenir en arrière. Par exemple c'est la première fois que je monte une SASU. Si

ça marche pas je peux revenir salarié et éviter ainsi tous les problèmes du quotidien. Mais je ne

pense pas que je sois maintenant comme cela. Je préfère mon indépendance maintenant. Je ne
souhaite pas revenir en arrière. Mais je comprends ceux qui souhaitent revenir salariés. Si on monte

une entreprise, et que ça ne fonctionne pas, pour en remonter une autre il faut en vouloir quand

même ! Pour moi il y a trois types d'inégalités : les riches et les pauvres, les patrons et les salariés et
les producteurs et les consommateurs. Patrons et salariés je trouve que ce sont deux univers

totalement différents. Il y a cette histoire de profit, et de pouvoir qu'à l'employeur sur le salarié

(APP-92).

Jérémie : mais faire des remplacements ce n'est pas d'une forme de salariat ?

!309
Philippe : oui (rires).

Jérémie : pourtant j'ai pas l'impression que vous viviez cela comme un échec.

Philippe : oui… euh… oui. Disons que je suis prestataire (rires)

.Jérémie : les mots sont importants.

Philippe : je pense que l'on est toujours salarié de quelqu’un. Ce que je veux c'est de pouvoir me
lever le matin et de me dire que je travaille pour moi. La nuance est la. Lorsque l'on est salarié on

ne travaille pas pour soi, on travaille pour quelqu'un. Ça ne me pose pas de problème je l'ai fait

pendant 23 ans. Mais je donne beaucoup de ma personne. J'ai eu la chance de travailler dans une
entreprise où j'étai assez libre. Mais on peut être assez rapidement exploité et se donner à fond pour

une entreprise qui n’en a rien à foutre de vous. Si je peux avoir le choix d'éviter cela ce serait bien.

Mais peut-être que je n'aurai pas le choix. J'essaie de prendre mon avenir en main. De tout faire
pour y arriver. Et puis si je n'y arrive pas, je retrouverai mon salariat. Je serai déprimé. J'irai voir un

psychologue (rires). En fait, lorsque l'on est salarié il y a une espèce de crampe dans la main que

l'on développe. On a l'habitude d'être assisté et de se dire que ce n'est pas son problème mais le

problème du patron. Sachant que je n'ai jamais pensé comme cela dans ma précédente entreprise.
C'est pour cela que mon patron m'appréciait, par ce que j'allai au charbon (APP-93). Nous étions

trois, mon patron, sa femme, et moi. Mais avec du recul, je me dis qu'il n'en a bien profité quand

même. Il y a toujours eu cette barrière entre nous. Par exemple lorsque nous étions en négociation
pour la reprise du magasin, il a montré ses crocs. Il y a vraiment de monde. Mais peut-être que c'est

légitime. Le sens inverse fonctionne aussi. Il y a aussi des salariés qui essayent de rouler leur

employeur. C'est le jeu du chat et de la souris. Tant que je peux avoir le choix c'est le principal. Je
choisis mes propres chaînes. Je ne fais pas ça pour devenir milliardaire, je fais ça pour avoir mon

indépendance. Mais ça à un prix (MF-77).

Jérémie : une reprise d'entreprise coûte cher.

Philippe : et encore, je ne suis pas à plaindre. J'ai des ressources financières. Mais il ne faut pas se

laisser bercer car cela part vite. C'est pour cela que je me fixe des objectifs. Tout de suite après la

formation il faut que je me remette à travailler. Par exemple j'ai travaillé ces dernières semaines

!310
pour une opticienne et je n'ai toujours pas été payé. J'avais pas prévu cela. C'est une créance client.

De toute façon il va falloir qu'elle me paye sinon je vais l’étrangler (rires). Mais c'est bien que ça
m'arrive maintenant car je fais facilement confiance. Cela permet d'apprendre. En plus elle a

négociée, elle a fait baisser les prix, chose que j'ai fait comme un idiot. C'était mon premier client.

Je l'ai vu faire en plus. Elle négocie avec tout le monde, le fournisseur de logiciels, le gars qui
change la lampe … J'en parlais avec ma femme la semaine dernière, sur le coup je n'ai pas réagi.

C'est mal parti cette histoire (MF-78).

Jérémie : il y a des procédures juridiques qui existent.

Philippe : oui, je suis sûr qu'elle le sait aussi. Je ne sais pas quoi faire. Je pensais également lui

crever ses pneus (rires).

Jérémie : pourquoi avoir fait un MBA ?

Philippe : Au fond avoir un diplôme ne va pas changer grand-chose dans mon business. J'ai fait ce

constat là avant de rentrer en formation. Mais si mon business tombe à l’eau et que je dois me

vendre auprès d'un employeur, le MBA me sera utile. Les petites entreprises ne sont pas trop

sensibles à ce genre de diplôme. En revanche, les grands groupes le sont. J'ai 43 ans, et les grands
groupes demandent de l'expérience et un diplôme. Je me suis lancé dans cette formation aussi pour

cela. C'est mon banquier qui m'a dit un jour que j'ai de l'expérience professionnelle mais que je

manque de bases en gestion et en management. J'ai bien fait de prendre le taureau par les cornes
(APP-94).

Jérémie : Où travaillez-vous maintenant ?

Philippe : j'ai pris l'habitude de ne pas travailler depuis mon domicile. Il y a un petit café à côté de
chez moi où j'ai pris l'habitude d’y travailler. Dans une maison il y a toujours quelque chose à faire,

qui perturbe ma réflexion. Je prends mon déjeuner le midi là-bas, jusqu’à 18:00. Depuis que je fais

ça, cela fonctionne très bien. Lorsque je suis à mon domicile, on n'a pas forcément toujours envie de
travailler. Il y a des fois où je m'endort alors que je ne suis même pas fatigué. Je pense avoir trouvé

mon équilibre. Parce que l'incubateur est fait pour quel type de profil ? Pour les gens qui n'ont pas

de maison ? (rires) (APP-95)

!311
Jérémie : (rires) non, c'est fait pour répondre à la problématique de la solitude, du bureau et de

l’accompagnement.

Philippe : Moi je distingue les entrepreneurs et les chefs d'entreprises. Mon ancien patron par

exemple, était un chef d'entreprise. Il avait ses habitudes, il gagnait beaucoup d'argent, mais il ne le

dépensait pas. Le chef d'entreprise à des horaires, alors que l'entrepreneur n'en a pas. Lorsque je
faisais mon remplacement dernièrement, la responsable avait des horaires, ont commençait à

travailler à partir de 12:00. C'était très agréable de pouvoir se lever le matin tranquillement. En

revanche c'était tous les jours même le dimanche (APP-96).

Jérémie : Je crois qu’on a fait le tour de l’entretien ?

Philippe : Oui, je ne regrette pas d'être venu. A bientôt.

Jérémie : Au revoir, à bientôt.

!312
TABLE DES MATIERES

SOMMAIRE ---------------------------------------------------------------------------------------------------- 8

INTRODUCTION -------------------------------------------------------------------------------------------- 10

PARTIE 1 - PROBLEMATIQUE ET PROJET DE RECHERCHE ------------------------------- 17

CHAPITRE 1 : La transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat ------------------- 18

SECTION 1 : Les différentes approches de la carrière ------------------------------------------ 18

1 : L’ancien modèle de carrière ------------------------------------------------------------ 19

2 : Les nouveaux modèles de carrières ---------------------------------------------------- 23

3 : La frontière entre le salariat et l’entrepreneuriat est de plus en plus floue ------- 29

4 : Synthèse de la section ------------------------------------------------------------------- 33

SECTION 2 : La transition professionnelle : un double processus ---------------------------- 34

1 : Le processus entrepreneurial ----------------------------------------------------------- 34

2 : Le processus de transition professionnelle ------------------------------------------- 39

3 : Synthèse de la section et propositions ------------------------------------------------- 47

CHAPITRE 2 : Enjeux et modalités de l’accompagnement de la transition professionnelle - 51

SECTION 1 : Donner du sens au projet ----------------------------------------------------------- 51

1 : Le projet entrepreneurial et la définition de soi -------------------------------------- 52

2 : Adapter l’accompagnement selon les besoins des personnes ---------------------- 61

3 : Synthèse de la section ------------------------------------------------------------------- 68

SECTION 2 : Réduire les doutes et les incertitudes --------------------------------------------- 71

1 : Apporter un soutien moral et psychologique------------------------------------------ 71

2 : L’autobiographie raisonnée ------------------------------------------------------------- 80

3 : Synthèse de la section ------------------------------------------------------------------- 86

!313
SECTION 3 : Faciliter l’insertion dans une nouvelle communauté --------------------------- 89

1 : Les différentes formes de rites ---------------------------------------------------------- 90

2 : Le rite d’institution apporte de la légitimité ------------------------------------------ 94

3 : Aider la personne à devenir légitime en tant qu’entrepreneur --------------------- 97

4 : Synthèse de la section ------------------------------------------------------------------- 98

CHAPITRE 3 : Cadre méthodologique ----------------------------------------------------------------- 100

SECTION 1 : Questions de recherches et contributions visées-------------------------------- 101

1 : Fondements et questions de recherche ----------------------------------------------- 101

2 : Posture épistémologique --------------------------------------------------------------- 102

SECTION 2 : Méthodologie de mise en oeuvre ------------------------------------------------ 105

1 : Positionnement méthodologique ------------------------------------------------------ 105

2 : Méthode de recherche ------------------------------------------------------------------ 107

SECTION 3 : Sélection des cas -------------------------------------------------------------------- 110

1 : Le choix des cas ------------------------------------------------------------------------- 110

2 : Les cas sélectionnés -------------------------------------------------------------------- 113

3 : Techniques de recueil d’informations ------------------------------------------------ 123

4 : Traitement des données ---------------------------------------------------------------- 131

5 : Synthèse sur le cadre méthodologique ---------------------------------------------- 133

PARTIE 2 - PRESENTATION ET ANALYSE DES RESULTATS ------------------------------- 135

CHAPITRE 4 : La place du projet dans la trajectoire professionnelle -------------------------- 136

SECTION 1 : Le désengagement professionnel ------------------------------------------------ 137

1 : Les sources de l’insatisfaction professionnelle ------------------------------------- 139

2 : Les motivations engendrées par le projet ------------------------------------------- 143

3 : La prise de risque perçue -------------------------------------------------------------- 147

!314
4 : Théorie du désengagement salarial -------------------------------------------------- 152

5 : Synthèse de la section ------------------------------------------------------------------ 154

SECTION 2 : Revisiter la dialogique personne - projet ---------------------------------------- 155

1 : Le projet entrepreneurial est le produit d’une histoire ----------------------------- 160

2 : Le projet entrepreneurial est le producteur d’une histoire ------------------------- 163

3 : Synthèse de la section ------------------------------------------------------------------ 168

Synthèse du chapitre -------------------------------------------------------------------------------- 169

CHAPITRE 5 : Les besoins d’accompagnement dans la transition professionnelle----------- 172

SECTION 1 : Le déplacement socio-professionnel -------------------------------------------- 173

1 : Les pratiques d’exclusion dans une communauté de salariés --------------------- 174

2 : Les difficultés d’intégration dans une communauté d’entrepreneurs ------------ 177

3 : La posture de l’entre-deux ------------------------------------------------------------ 183

4 : Synthèse de la section ------------------------------------------------------------------ 192

SECTION 2 : Adapter l’accompagnement selon les besoins ---------------------------------- 194

1 : Reconstitution des transitions professionnelles ------------------------------------- 195

2 : Les besoins d’accompagnement à chaque phase ----------------------------------- 209

3 : Synthèse de la section ------------------------------------------------------------------ 215

Synthèse du chapitre -------------------------------------------------------------------------------- 216

CHAPITRE 6 : S’engager en tant qu’entrepreneur-------------------------------------------------- 219

SECTION 1 : Etre légitime en tant qu’entrepreneur ------------------------------------------- 220

1 : La légitimité pour soi ------------------------------------------------------------------ 220

2 : La légitimité pour les autres ----------------------------------------------------------- 227

3 : La légitimité en tant qu’entrepreneur------------------------------------------------- 239

4 : Synthèse de la section ------------------------------------------------------------------ 242

SECTION 2 : Accompagner l’engagement entrepreneurial ----------------------------------- 243

!315
1 : Typologie des formes de transitions professionnelles ----------------------------- 243

2 : Adapter l’accompagnement selon le type de transition --------------------------- 253

3 : Synthèse de la section ------------------------------------------------------------------ 257

Synthèse du chapitre -------------------------------------------------------------------------------- 259

CONCLUSION GENERALE----------------------------------------------------------------------------- 262

DISCUSSION ------------------------------------------------------------------------------------------------ 265

BIBLIOGRAPHIE ------------------------------------------------------------------------------------------ 271

LISTE DES FIGURES ------------------------------------------------------------------------------------- 288

LISTE DES TABLEAUX ---------------------------------------------------------------------------------- 289

ANNEXES ---------------------------------------------------------------------------------------------------- 291

TABLE DES MATIERES --------------------------------------------------------------------------------- 313

!316
Accompagner la transition professionnelle du salariat à l’entrepreneuriat

L’objectif de cette recherche est de comprendre les enjeux et les modalités de la transition professionnelle du
salariat à l’entrepreneuriat et l’accompagnement qui en découle. La thèse défendue est que le passage du sa-
lariat à l’entrepreneuriat se présente selon un double processus : de transition professionnelle et entrepreneu-
rial. Ce double processus se présente en trois phases : le désengagement salarial, l’entre-deux et l’engage-
ment entrepreneurial.
Cette recherche repose sur l’étude approfondie de dix salariés, accompagnés sur une longue période (entre 3
ans et 7 ans) et porteurs d’un projet de création ou de reprise d’entreprise.
Du côté de la personne accompagnée, trois enjeux sont identifiés. D’une part, il est démontré que le désen-
gagement salarial est une source d’exclusion sociale et d’isolement. D’autre part, la phase d’entre-deux
conduit à une perte de repères et une instabilité professionnelle qui peut devenir durable. Enfin, l’engage-
ment entrepreneurial inclut un besoin de se sentir légitime et d’être perçu comme légitime en tant qu’entre-
preneur par les autres.
Du côté de l’accompagnateur, trois enjeux sont identifiés. D’une part, il est démontré que le projet est le pro-
duit d’une histoire passée et le producteur d’une histoire à venir pour son porteur. D’autre part, les besoins
d’accompagnement sont différents selon la phase du processus de transition. Enfin, quatre modèles de transi-
tion sont mis en évidence selon les modalités du départ salarial et le projet entrepreneurial.
Mots-clés : Entrepreneuriat, transition professionnelle, accompagnement entrepreneurial

Support the professional transition from employee to entrepreneur


The purpose of this research is to understand stakes and conditions of the transition from employee to entre-
preneur and its accompanying measures. This research argues that the transition from employee to entrepre-
neur is a two-pronged process: professional transition and entrepreneurship. This double process can be
conceptualized into three phases: a disengagement from employee position, a phase between two positions,
and an entrepreneurial commitment.
This research is based on an in-depth study of ten employees, supported over a long period (between 3 and 7
years) and who want to start their own business or acquire an existing company.
For the project leader, three issues have been identified. First, it has been shown that disengagement from
employee position is a source of social exclusion and isolation. Second, the phase between two positions re-
sults in a general disorientation and a professional instability which might last. Then, entrepreneurial com-
mitment includes a need for legitimacy and for being seen as legitimate by others.
For the entrepreneurship support, three issues have been identified: First, it has been shown that project is the
result of a past personal story and the root of a story for the project leader. Second, the needs for support dif-
fer according to the transition stage. Then, four transition models have been highlighted according to the cir-
cumstances of the employee’s departure from the company and the entrepreneurial project.

Keys words: Entrepreneurship, professional transition, entrepreneurship support.

Discipline : Science de Gestion / Management science

Spécialité : Entrepreneuriat / Entrepreneurship

Université de Reims Champagne-Ardenne


Laboratoire R.E.G.A.R.D.S. EA 6292
57 bis, rue Pierre Taittinger
51096 - Reims Cedex France

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