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Politiques territoriales

de sobriété

Entretiens avec des acteurs


de la sobriété

REDACTEUR : BIRMELE MARIE-ODILE


REMERCIEMENTS
Les membres du Comité de Pilotage de l’étude
Guillaume BASTIDE (Service Politique Territoriale, Cit’ergie ADEME)
Marianne BLOQUEL (Service Consommation et Prévention, ADEME)
Karine BOSSER (DR Normandie ADEME)
David CANAL (Direction Adaptation Aménagement et Territoires ADEME)
Cécile CHERY (DR PACA ADEME)
Marc COTTIGNIES (Service Transports et Mobilité ADEME)
Hélène DIJOS (Service Transports et Mobilité ADEME)
Erwann FANGEAT (SPEM, Numérique, ADEME)
Thibaut FAUCON Thibaut (DR Ile de France ADEME)
Pierre GALIO (Chef du Service Consommation et Prévention, ADEME)
Isabelle HEBE (Service Agriculture ADEME)
Gérald LALEVEE (Direction Adaptation Aménagement et Territoire, Cit’ergie, ADEME)
Solène MARRY (Service Bâtiment ADEME)
Anna PINEAU (SMVD, Référentiel Economie Circulaire, ADEME)
Anaïs ROCCI (Direction Etudes Prospectives et Recherche ADEME)
Agnès RONDARD (DR AURA, ADEME)
Emily SPIESSER (Service Consommation et Prévention, ADEME)
Dominique TRAINEAU (Service Consommation et Prévention, ADEME)

Les membres du groupement de l’étude


David CORRE (TEHOP)
Charlotte HALPERN (Sciences Po Paris : Centre d’études Européennes et de Politique Comparée)
Elodie HOUGUET (ALBEA)
Sylvie LACASSAGNE (Energy Cities)
Marie-Luce SAILLARD (ALBEA)
Nicolas THIBAULT (Projets et Territoires)
Cléa VAULOT (TEHOP)
Gael VIRLOUVET (TEHOP)

CITATION DE CE RAPPORT
David CORRE, TEHOP, Cléa VAULOT, TEHOP, Gaël VIRLOUVET, TEHOP. 2021
Politiques territoriales de sobriété - Entretiens avec des acteurs de la sobriété –
Phase 2 de l’étude de la sobriété dans les démarches territoriales de l’ADEME. 28 pages

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ADEME
20, avenue du Grésillé
BP 90 406 | 49004 Angers Cedex 01

Numéro de contrat : 2020MA000193

Étude réalisée pour le compte de l'ADEME par : David CORRE, TEHOP, Cléa VAULOT, TEHOP, Gaël VIRLOUVET, TEHOP. 2021
Coordination technique - ADEME : Dominique Traineau et Marianne Bloquel
Direction/Service : Direction Economie circulaire et Déchets / Service Consommation et Prévention

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SOMMAIRE

INTRODUCTION ................................................................................................ 5
1. QUELLE EXPERIENCE DE LA SOBRIETE PAR LES ACTEURS ? ................ 6

1.1. La sobriété, un concept qui peut être nouveau pour certains acteurs interrogés ..... 6
1.2. La sobriété, choix ou contrainte ? .................................................................................. 6
1.3. La sobriété comme moyen de réduire l’impact négatif des activités humaines sur
l’environnement ........................................................................................................................ 7
1.4. La sobriété au cœur d’un récit de société à construire ................................................ 7
1.5. La sobriété, thématique de société transversale ........................................................... 8
1.6. Le besoin : une notion relative, qui couvre de nombreuses dimensions, et dont le
caractère fondamental est à définir ........................................................................................ 8

2. QUELS FREINS, QUELS LEVIERS A LA SOBRIETE DANS LES


TERRITOIRES ? .................................................................................................. 10

2.1. Les freins ......................................................................................................................... 10


2.1.1. Des représentations sociales et culturelles encore prégnantes, qui freinent la
maturation de la thématique sobriété dans la société et son acceptation sociale .................10
2.1.2. Une priorité politique donnée à la croissance économique et à l’attractivité ............ 11
2.1.3. Une acculturation progressive des acteurs, à construire sur le long terme.................. 11
2.1.4. Sobriété et précarité sociale : une opposition dépassable .............................................12
2.1.5. Des freins administratifs et fiscaux à l’échelle nationale, qui entravent le
déploiement de la sobriété à l’échelle locale .................................................................................12
2.1.6. Des collectivités freinées dans leur capacité de pilotage et de soutien aux initiatives
13
2.1.7. Une intervention de la collectivité parfois perçue comme opportuniste et
techniciste ............................................................................................................................................13

2.2. Les leviers ........................................................................................................................ 13


2.2.1. Une mise en récit positive par la sensibilisation, la communication et le débat.........13
2.2.2. Rendre la sobriété désirable .................................................................................................14
2.2.3. L’éco-exemplarité de la collectivité, un levier de mobilisation du territoire................14
2.2.4. La programmation territoriale, outil de transversalité à plusieurs échelles de
territoire ................................................................................................................................................15
2.2.5. Les partenariats de recherche-action, leviers de consolidation des connaissances et
de mobilisation du territoire .............................................................................................................15
2.2.6. Faciliter le changement de comportement et en reconnaitre la difficulté .................16
2.2.7. La participation des acteurs de terrain et des citoyens, un levier vers l’acceptation
sociale de la sobriété ..........................................................................................................................16
2.2.8. Le tissu économique, un relais et un public à cibler à l’échelle du territoire ...............16
2.2.9. La densité dans la construction, levier pour une plus grande sobriété foncière : un
levier qui fait débat .............................................................................................................................17
2.2.10. Contraindre ?.......................................................................................................................17

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3. QUELLES POLITIQUES TERRITORIALES DE SOBRIETE ? ....................... 18

3.1. L’approche méthodologique ........................................................................................ 18


3.1.1. Des politiques éco-conçues, interrogeant le besoin en infrastructures .......................18
3.1.2. La transversalité et la coopération entre territoires.........................................................18
3.1.3. Une action appuyée par la participation des citoyens et des porteurs d’initiatives ..18

3.2. Le contenu des actions, les dispositifs à privilégier .................................................... 19


3.2.1. La sobriété au cœur des projets urbains ............................................................................19
3.2.2. Des mécanismes de compensation pour inclure..............................................................19
3.2.3. L’éco-exemplarité de la collectivité, un volet indispensable ......................................... 20
3.2.4. Des actions destinées aux entreprises ............................................................................... 20

3.3. Sensibilisation et communication ................................................................................ 20

4. QUELLES ATTENTES ? ............................................................................. 22

4.1. Approfondir la réflexion sur la sobriété à l’échelle territoriale .................................. 22


4.2. Sensibliser, former et diffuser de l’information .......................................................... 22
4.3. Animer une dynamique collective autour de la sobriété à l’échelle nationale ........ 22
4.4. Soutenir les initiatives .................................................................................................... 23

ANNEXE 1 : GRILLE D’ENTRETIEN UTILISEE ................................................. 24

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Introduction

Le présent document est une synthèse des entretiens bilatéraux menés lors de la phase 2 de
l’étude « La sobriété dans les démarches territoriales : État des lieux, besoins, soutiens de
l’ADEME » réalisée pour l’ADEME entre septembre 2020 et juin 2021. Ces entretiens se sont
tenus entre février et mars 2021, auprès d’acteurs engagés dans des actions de sobriété et
d’experts ayant mené une réflexion sur le sujet.
Les entretiens avaient plusieurs objectifs :
‐ mettre en perspective les premiers éléments de définition d’une « Politique
territoriale de sobriété » au regard de l’expérience de terrain des acteurs,
‐ identifier les freins et les leviers au déploiement d’actions de sobriété à l’échelle
territoriale,
dessiner les contours d’une politique territoriale de sobriété,
‐ recueillir et synthétiser les besoins des acteurs pour déployer plus largement des
actions de sobriété et identifier comment l’ADEME pourrait y répondre

La liste des personnes interrogées a été composée de manière à pouvoir éclairer ces aspects,
avec une recherche de diversité dans les positionnements.
Les acteurs rencontrés interviennent, avec une approche « sobriété » dans un ou plusieurs
champs explorés par cette étude : l’alimentation, la consommation, l’habitat et
l’aménagement, la mobilité, le numérique.
La plupart des personnes interrogées ont une expertise transversale de la sobriété. Les profils
des experts interrogés sont variés : plusieurs d’entre eux sont issus du monde de la recherche
universitaire, d’autres organisations spécialisées dans la conduite d’études sociologiques, de
services déconcentrés de l’Etat (dont l’ADEME). De nombreux acteurs ont également une
expérience opérationnelle de la sobriété, en tant que professionnels de la conception de
bâtiments, coordinateurs de réseaux, ou représentants d’associations engagées. Un acteur
interrogé est issu d’une collectivité.
Tableau 1 : Entretiens menés dans le cadre de la phase 2

Prénom et nom Organisation


Thématique
Alimentation Sarah Martin ADEME
Serge Bonnefoy Terres en Villes – Projet FRUGAL
Hélène Bellengier / Julian Ville de Grande Synthe
Mierzejewski
Consommation Valérie Guillard Université Paris-Dauphine
Thierry Mathé CREDOC
Maud Herbert / Isabelle Robert Université de Lille
Habitat Sébastien Froment Cerema
Aménagement Mathieu Labonne Coopérative Oasis
Laurent Heitz Habitat de l’Ill
Dominique Gauzin-Müller / Alain Mouvement pour une frugalité
Bornarel / Yasmin Vautor heureuse et créative
Patrick Rubin Canal Architecture
Mobilité Florian Le Villain / Sébastien Marrec Rayons d’action / Agence de la
mobilité
Multithématique Camille Sanchis ALEC de l’Ardèche
Dominique Veuillet ADEME
Patrick Behm Labo de l’ESS - Enercoop
Sébastien Maire France Ville Durable
Zoé Lavocat Réseau Action Climat

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Arnaud Brulaire / François-J. Grimaud Résistance Climatique
Pierre Baudran Réseau Cittaslow
Bruno Villalba AgroParisTech
Numérique Marc Viot ADEME
Gauthier Roussilhe Indépendant
Vincent Courboulay Institut du Numérique
Responsable
Offre des Aurélien Pasquier CJD / Agence Everest
acteurs Claire Pinet ADEME
économiques

1. Quelle expérience de la sobriété par les acteurs ?

1.1. La sobriété, un concept qui peut être nouveau pour certains acteurs interrogés
L’apparition du terme « sobriété » (décrite dans le panorama sur la notion de Sobriété, ADEME
2019) apparaît aux yeux des personnes interrogées comme plutôt récente en France. Elles
considèrent que la sobriété s’est immiscée de plus en plus largement dans le débat public
depuis une dizaine d’années. Certaines évoquent l’appropriation du concept par des élus
locaux (Eric Piolle, Léonore Moncond’Huy…) ou par des membres du gouvernement (« sobriété
foncière » évoquée par Emmanuelle Wargon, le 10 septembre 2020).
Certains acteurs interrogés ont contribué à faire émerger la notion dans le débat public en
publiant des travaux scientifiques (Programme Sobriétés 2010-2013 en région Nord-Pas-de-
Calais, Villalba) ou en accueillant dans leurs réseaux des associations qui portent la notion de
sobriété. Certains acteurs interrogés sont en train de structurer leur message sur la sobriété
(Maire, Lavocat), d’autres ont déjà le titre de « référent sobriété » au sein de leur structure
(Sanchis). Beaucoup sont familiers de la notion de sobriété sous l’angle de l’interrogation du
besoin. Certains ont développé en parallèle une approche sociale de la sobriété : « sobriété
contrainte ». Certaines structures peuvent être amenées à dispenser des formations à des élus
ou à des porteurs de projet (Lavocat, Sanchis). Les acteurs interrogés peuvent aussi être
familiers de la notion de sobriété sans l’avoir, à ce stade, pensé dans le cadre d’une politique
territoriale. D’autres enfin, rencontrent la notion de sobriété pour la première fois à l’occasion
de l’entretien (Baudran, Bonnefoy, Froment). Les membres du Mouvement pour une frugalité
heureuse et créative ont préféré utiliser le terme de « Frugalité » qui, selon eux, revêt un
caractère plus positif (Bornarel, Gauzin-Müller, Vautor). Il a été observé que certains acteurs
associent sobriété et efficience, voire à la production d’énergies renouvelables dans le cadre
d’une démarche d’autosuffisance énergétique ou alimentaire (Baudran).

1.2. La sobriété, choix ou contrainte ?


Plusieurs acteurs ont relevé une contradiction entre la sobriété promue par de nombreuses
organisations engagées et la situation de frugalité ou de sobriété « subie » par une partie de la
population (contraintes économiques, financières). Ces acteurs se disent conscients des enjeux
de la sobriété, en termes de réduction de la consommation des ressources naturelles et de
l’impact de l’homme sur l’environnement. Pour autant, ils soulignent que le terme « sobriété »
est difficilement acceptable pour la partie de la population qui connaît des contraintes
matérielles et financières importantes, et qui est « sobre de fait ». La sobriété implique une
modération, voire un renoncement à la consommation. La promotion de la sobriété serait donc
vécue comme un discours descendant, émanant de groupes sociaux privilégiés, et culpabilisant
pour les groupes en situation de sobriété contrainte. Ces acteurs ont recommandé d’adopter
une posture vigilante quant à l’utilisation du terme « sobriété » dans la communication

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institutionnelle. Cette position a été souvent adoptée par les acteurs engagés dans des actions
relevant de la thématique « alimentation » (Bellengier et Mierzejewski, Herbert et Robert,
Bonnefoy), qui abordent particulièrement le sujet de la précarité alimentaire. L’enjeu est ici de
permettre à des habitants de s’approprier les enjeux de santé, d’environnement, voire
d’émancipation. A titre d’exemple, l’émancipation par l’autoproduction alimentaire
réinterroge les habitants sur le contenu de leur assiette et les différentes façons de la remplir
plutôt qu’avec une entrée modération.

1.3. La sobriété comme moyen de réduire l’impact négatif des activités humaines sur
l’environnement
Pour certains, la sobriété a été interprétée comme la réduction de la consommation à l’échelle
de l’individu, du collectif, du territoire (avec le risque de confusion avec ce qui relèverait plus
de « l’efficacité » ou de la « performance environnementale » plutôt que de la ré-interrogation
des besoins et l’adoption de nouveaux comportements, comme vu ci-dessus).

Pour d’autres, centrer le message de la sobriété sur « la réduction » présente des risques,
notamment vis-à-vis des plus précaires. La sobriété c’est aussi « consommer mieux », et se poser
la question de ses besoins fondamentaux, réels. Il est rappelé que la sobriété pose la question
de « l’utilité ». Par exemple : “quels serait les arguments en faveur des vitrines lumineuses la
nuit ?” (Villalba). La sobriété peut également ré-interroger les normes sociales, à l’image de
l’actuelle valorisation des séjours lointains (Villalba).

Au-delà de cette dimension, il a été estimé par plusieurs acteurs, que la sobriété est un moyen
de réduire l’impact carbone des activités humaines et leurs externalités négatives (sur
l’environnement, la santé humaine…), en aval de l’extraction et de la consommation des
ressources naturelles (Brulaire et Grimaud). La sobriété est également perçue comme un moyen
au service d’un meilleur partage des ressources disponibles dans une logique solidaire (Bornarel,
Gauzin-Müller, Vautor).

1.4. La sobriété au cœur d’un récit de société à construire


La sobriété est abordée par de nombreux acteurs sous l’angle comportemental, avec une
attention aux dimensions psycho-sociales.
Ces acteurs participent à des actions visant à sensibiliser les particuliers et à les accompagner
dans le changement de leurs pratiques (Bellengier et Mierzejewski, Herbert et Robert). Cette
adaptation du comportement individuel est souvent mise en parallèle avec le lancement d’une
dynamique collective.
Une majorité d’acteurs interrogés font de l’expérience de la sobriété un récit de société à
construire et à diffuser. Il est rappelé que les comportements étaient historiquement
« sobres ». Les personnes « économes » étaient perçues comme vertueuses (Maire). La
modération, voire la réduction des consommations, vont de pair avec la transformation des
modes de vie. C’est cette transformation des modes de vie qui est promue par Résistance
Climatique et par la Coopérative Oasis ou par l’ALEC de l’Ardèche avec l’outil Virages Sobriété,
de façon transversale aux thématiques abordées. Les changements de mode de vie sont
souvent observés lors de situations de rupture personnelle : arrivée d’un enfant, décès, burn-
out, perte d’emploi, maladie (Guillard, Mathé). Ils peuvent aussi se construire sur le long terme
dans le cadre d’une réflexion personnelle ou familiale sur le sens de sa consommation, dans le
cadre d’une prise de conscience environnementale.
Certaines personnes interrogées considèrent que l’autonomie, l’indépendance et la capacité
de faire ses propres choix sont certains des meilleurs arguments de la sobriété (Guillard, Mathé,
Villalba).
La sobriété peut être perçue comme synonyme de bien-être, d’une meilleure qualité de vie,
d’un meilleur cadre de vie (Baudran, Bonnefoy, Robert et Herbert, Labonne, Le Villain et Marrec,

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Gauzin-Mueller, Bornarel, Vautor - Mouvement pour une frugalité heureuse et créative). En
contrepartie de la réduction des consommations matérielles, la sobriété est associée à une
abondance non-matérielle liée à l’épanouissement personnel et à la vivacité des liens sociaux
(Brulaire et Grimaud, Guillard, Labonne). La notion de « bonheur » associée à la sobriété divise,
certains estimant que cette rhétorique est construite autour de l’abondance (Villalba, citant
les travaux de Serge Audier).
Il apparaît, de manière générale, un fort enjeu à faire évoluer des représentations (Maire,
Villalba). Par exemple, en rendant plus attractif la rénovation de l’existant que la construction
de maisons ou d’immeubles neufs (Maire).

1.5. La sobriété, thématique de société transversale


Les acteurs mettent en avant le potentiel de la sobriété pour renforcer la cohésion sociale et
les solidarités, en s’incarnant dans des actions qui favorisent la convivialité (Baudran, Rubin,
Labonne, Le Villain et Marrec). Ces actions s’articulent principalement dans des projets
d’habitat collectif faisant la part belle à la mixité des usages et des publics (mutualisations, lieux
de vie intergénérationnels…) ou encore de réaménagement de l’espace public en l’apaisant en
faveur des riverains, des enfants.
A l’image de la cohésion sociale évoquée ci-dessus, les entretiens ont souligné le caractère
transversal de la notion de sobriété. Cette transversalité a souvent été identifiée par l’acteur-
même, avec une conscience marquée pour certains thématiques.
‐ L’alimentation est en lien avec les thématiques de la cohésion sociale, l’aménagement,
la mobilité, la santé, la culture, l’éducation, le développement économique (Bonnefoy,
Herbert et Robert, Martin). Par exemple, Serge Bonnefoy, Maud Herbert et Isabelle
Robert analysent la thématique en lien avec : i- l’accessibilité sociale des équipements
et des produits alimentaires, ii- le développement de circuits courts de proximité, de la
production à la consommation, en y associant l’offre économique (notamment en
centre-ville).
‐ La consommation et le numérique renvoient tous deux à la question de l’accès (pour
tous) à un service ou à un produit, et aux enjeux de précarité. Si les services publics sont
uniquement numériques, ne sont-ils pas excluants ? Comment faciliter l’accès à tous les
foyers à des équipements informatiques ?
‐ L’habitat et l’aménagement et la mobilité (Rubin, Labonne, Le Villain et Marrec) sont
mis en lien avec la cohésion sociale, l’accessibilité physique, la politique commerciale
et foncière (redynamisation des centres-villes, transformation des zones d’activités), la
mobilité.

1.6. Le besoin : une notion relative, qui couvre de nombreuses dimensions, et dont le
caractère fondamental est à définir
De nombreux acteurs interrogés ont estimé que la question du besoin, ou de l’usage, est
centrale à leur approche. Certains d’entre eux ont cependant estimé que cette notion
gagnerait à être mieux précisée dans le cadre de politique territoriale de sobriété. La
perception du besoin est une notion relative, qui peut varier d’un individu à l’autre, d’un groupe
social à l’autre, d’un territoire à l’autre. De cette façon, un comportement qui vise à subvenir à
un besoin perçu comme fondamental n’est pas nécessairement en adéquation avec les
objectifs de la sobriété. Il semble donc primordial de définir plus clairement ce qu’est le
« besoin réel » (Courboulay, Froment). En termes d’alimentation, subvenir à ses besoins
nutritionnels pourrait être considéré comme fondamental (Martin). Définir le besoin
fondamental peut être complexe selon la thématique (numérique). Dans le secteur de l’habitat,
la perception du besoin en termes de typologie et de surface du logement varie dans le temps
(Rubin, Froment). Le bien-être, l’épanouissement personnel peuvent enfin vus comme des
besoins en tant que tels (Labonne).

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Des besoins multi-dimensionnels, souvent axés sur l’accessibilité
Comme évoqué ci-dessus, la notion de besoin fondamental est variable selon le contexte et la
période temporelle. Elle est interprétée différemment selon la thématique d’intervention de
l’acteur interrogée. Pour autant, ces interprétations s’articulent souvent autour de l’enjeu de
l’accessibilité des infrastructures permettant la consommation, par exemple l’accès à des
points de distribution de produits alimentaires sains et durables (Bonnefoy).

Evaluer l’action de sobriété selon le besoin


Il a été souligné que la notion de besoin fondamental doit être précisée en vue de concevoir
et d’évaluer les actions de sobriété. Les actions seraient évaluées selon leur aptitude à donner
aux publics ciblés la capacité de subvenir à leurs besoins fondamentaux, tout en modérant ou
réduisant la consommation de ressources naturelles et leur impact sur l’environnement. Pour
la thématique numérique, plusieurs critères ont été avancés : l’utilité du service/de
l’équipement, son « utilisabilité » et son utilisation (Courboulay). Cette approche pourrait être
déclinée aux autres thématiques.

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2. Quels freins, quels leviers à la sobriété dans les
territoires ?

Les entretiens ont permis d’identifier plusieurs freins au déploiement d’actions de sobriété à
l’échelle locale, ainsi que les leviers correspondants à activer par les acteurs compétents.

2.1. Les freins


2.1.1. Des représentations sociales et culturelles encore prégnantes, qui freinent
la maturation de la thématique sobriété dans la société et son acceptation
sociale
Les personnes interrogées ont relevé que la sobriété est un sujet à maturité variable dans la
société selon les thématiques abordées :
‐ Pour l’alimentation, une croissance de l’intérêt pour les circuits courts et pour une
alimentation biologique mais certaines défiances sur une réduction de la
consommation de viande.
‐ Pour la consommation, une sobriété contrainte très mal vécue, un enjeu fort à
expliquer et rendre accessible les solutions (de mutualisation par exemple), mais des
groupes informels qui s’auto-organisent pour partager ou récupérer des biens, des
nouveaux modes de distribution à inventer.
‐ Pour la mobilité, un intérêt pour les modes de déplacement actifs en centres urbains
et l’essor du télétravail, mais des difficultés à limiter l’usage et la place de de la voiture,
limiter les vitesses de conduite, et à promouvoir la dé-mobilité.
‐ Pour le numérique, une tendance au suréquipement, qui est associée à une idée de
progrès, et à une dépendance croissante aux services proposés par ce biais. Aujourd’hui
la « smart city » apparaît être nécessairement « high tech » alors que certains acteurs
interrogés promeuvent une « smart city » ayant une position de « why’s tech » : pour
quel usage déployer de nouvelles technologies ? Doit-on déployer la 5G largement
ou la restreindre aux zones industrielles, universitaires ou de santé ? Si la collectivité n’a
pas directement le pouvoir de restreindre le déploiement de la 5G elle peut ré
interroger l’installation de nouveaux datacenters.
‐ Pour l’habitat, un développement progressif de l’habitat participatif et des éco-lieux,
mais un attachement à la propriété et à la maison individuelle, renforcé par la crise
COVID.

Ce constat d’une maturation progressive mais hétérogène de la sobriété dans la société a été
mis en lien par de nombreux acteurs avec la prégnance de normes sociales et de
représentations culturelles. Ces représentations valorisent la sur-consommation,
l’abondance matérielle et la propriété individuelle (Pasquier, Villalba), à l’image du
suréquipement numérique (Courboulay, Roussilhe, Viot). Plusieurs personnes interrogées
déplorent un manque de culture du partage et du collectif (mutualisations d’équipements,
prise de décision collective, communs…).
Les personnes interrogées ont relevé des préjugés liés à un manque de connaissances
générales (voire techniques) sur les solutions existantes (Labonne : éco-lieux, Rubin et
Froment : habitat évolutif, Roussilhe et Courboulay : services numériques éco-responsables).
Ces préjugés portent sur :
‐ la dimension idéologique des solutions défendues, notamment lorsque celles-ci
mettent en question la propriété individuelle et la notion de confort matériel. Ces
solutions sont attribuées à une population militante (Labonne).
‐ la faisabilité des projets (Rubin),
‐ le coût des solutions techniques (Rubin, Froment),
‐ la qualité du produit ou du service final rendu (Courboulay, Roussilhe).

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Ces représentations négatives sont associées à un manque de visibilité des solutions existantes,
de leurs contraintes et de leurs bénéfices auprès de la majorité de la population.
Les freins liés aux normes sociales et aux représentations culturelles de la consommation sont
amplifiés par la médiatisation de récits concurrents, qui stigmatisent politiquement la
sobriété. Ces récits proposent une vision de l’évolution de la société reposant sur le progrès
technologique, la recherche de sources d’énergie alternatives et l’investissement massif dans
les infrastructures correspondantes. La sobriété apparaît ainsi comme un discours inutile
(puisqu’il est possible de simplement augmenter les capacités de production tout en réduisant
leur impact sur l’environnement) et culpabilisant pour les populations dans leurs pratiques de
consommation.

2.1.2. Une priorité politique donnée à la croissance économique et à l’attractivité


De même, plusieurs personnes interrogées ont rapporté avoir été confrontées à des réticences
politiques des acteurs publics à promouvoir la sobriété (Bonnefoy, Behm, Lavocat, Maire,
Villalba), notamment de la part des collectivités territoriales. La majorité d’entre elles ont
expliqué ces réticences par les multiples injonctions reçues par les collectivités à prioriser le
développement économique et l’attractivité territoriale par rapport à des actions de
sobriété. L’installation d’entreprises et l’essor de l’emploi sur le territoire sont des enjeux
politiques, financiers, économiques, sociaux majeurs pour les décideurs locaux puisqu’ils
contribuent à financer les services publics. La sobriété peut être directement assimilée à une
vision péjorative de la notion de « décroissance », voire aux « Amish ». Des dissensus sont
apparus sur les 17 ODD (Objectifs du Développement Durables) de l’ONU, qui, pour certains
acteurs interrogés sont des outils incontournables au service de politique de sobriété et pour
d’autres constituent un « hymne à la croissance verte ». En outre, certains acteurs interrogés
estiment que le plan de relance “ne va actuellement pas dans le sens de la sobriété”. “Il ne s’agit
pas d’un plan de transformation” ajoute Bruno Villalba.
Les enjeux de développement peuvent donc entrer en contradiction avec la promotion de la
sobriété à l’échelle territoriale. La sobriété implique une transformation du modèle
économique (en chemin vers la coopération, Pinet) et des modes de vie en vue de limiter la
consommation de ressources (réduction de la consommation, donc de la production, et
potentielles pertes d’emplois). De cette manière les personnes interrogées ont observé des
réticences similaires de la part des dirigeants d’entreprises, qui estiment que la sobriété est
une contrainte pour leur activité, voire une menace (Behm, Bonnefoy, Brulaire et Grimaud,
Maire, Pinet…).

2.1.3. Une acculturation progressive des acteurs, à construire sur le long terme
Les acteurs interrogés estiment qu’une acculturation à la sobriété est possible. Néanmoins, ils
ont souligné, que ce changement de représentation et de comportement nécessite un travail
de sensibilisation et de communication qui s’inscrit dans le temps long. Ce travail peut viser
les élus, les services des collectivités, les habitants et les acteurs économiques.
Camille Sanchis identifie un enjeu d’acculturation à la sobriété des élus locaux qui ne savent
pas toujours encore identifier l’ensemble des actions de développement local relevant de ce
champ. Perçu comme une « diminution », le parallèle avec le développement local durable
n’est pas encore acquis.
Un besoin de prise de conscience par les habitants des impacts qu’ont leurs comportements
est relevé, notamment sur le numérique (Mathé).
Mathieu Labonne, de la Coopérative Oasis, a observé que la construction de liens entre éco-
lieux et communes d’accueil permet de faire évoluer les mentalités et de diffuser un ensemble
de pratiques vertueuses parmi la population.
« Le besoin de propriété » est observé comme un frein, que ce soit du point de vue du
particulier ou du point de vue de l’entreprise (Maire, Pasquier, Villalba). Comment accroître la
sensibilisation autour de l’intérêt des « communs » ?

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Laurent Heitz (Habitat de l’Ill) relève que les projets d’habitat participatif sont particulièrement
chronophages et que la constitution d’un groupe de primo-accédants souhaitant co-concevoir
leur lieu de vie et les équipements à mutualiser reste difficile en dehors de l’autopromotion.
Il a également été souligné un manque de confiance général entre les acteurs du territoire (dans
le cas de l’habitat, entre élus, architectes et promoteurs) qui nuit à la conduite des projets
(Bornarel, Gauzin-Müller, Vautor).

2.1.4. Sobriété et précarité sociale : une opposition dépassable


Une forme d’opposition entre sobriété « choisie » et sobriété « subie » que vivraient les plus
précaires est parfois mise en avant. Ainsi, la promotion de la sobriété pourrait être perçue
négativement par des populations en situation de précarité matérielle et sociale,
notamment sur les thématiques de l’alimentation, de l’accès à l’énergie, à la mobilité, aux
équipements numériques…
Confrontés aux contraintes quotidiennes et aspirant en priorité à accéder aux produits et aux
services dont ils sont éloignés., les personnes plus précaires ne se sentiraient pas concernées
par le changement de comportement vers la sobriété, au contraire des populations plus
aisées. En outre, les plus précaires auraient peu accès aux solutions de sobriété, pour des raisons
à la fois économiques et sociales.
Ainsi, certains dispositifs et infrastructures mis en place par la collectivité ou par des acteurs
moteurs peuvent être vécus comme peu accessibles physiquement, comme par exemple les
tiers-lieux éloignés géographiquement et culturellement des populations précaires (Herbert et
Robert) ou la distance entre lieux de vie et de travail et l’absence d’alternatives à la voiture (Le
Villain et Marrec).
Le coût des solutions promues peut également être un obstacle à leur accessibilité (accès au
logement évolutif/réversible limité par les coûts de construction, coût des produits
alimentaires sains et locaux). Les porteurs de projet font également face à des difficultés
d’accès au financement (Labonne).
Pour autant, il a été montré que, du point de vue même des plus précaires, le discours de
sobriété est tout à fait acceptable à condition qu’il y ait instauration d’un réel débat sur la
notion de manque, qu’il y ait un accompagnement pour reconstruire les projets de vie (sans
la référence constante à l’abondance) et qu’un discours sur la justice (équité dans l’accès) soit
développé (Villalba). Cet accompagnement permet en outre à la notion de suffisance de
s’installer. Il a été observé que les plus précaires s’emparent de la notion de sobriété en
l’associant à une forme de reconnaissance de leur ingéniosité (de nouvelles compétences et
savoir-faire acquis). (Herbert et Robert).

2.1.5. Des freins administratifs et fiscaux à l’échelle nationale, qui entravent le


déploiement de la sobriété à l’échelle locale
Plusieurs acteurs ont relevé des freins administratifs et fiscaux à la mise en place de solutions
opérationnelles de sobriété (habitat évolutif/réversible…). Ces freins ne relèvent pas de la
compétence des collectivités territoriales (par exemple le déploiement de la 5G, Roussilhe),
mais ont un impact important sur le choix des actions et sur leur mise en œuvre à l’échelle
locale. Patrick Rubin et Sébastien Froment ont identifié une dichotomie logement/local
d’activités économiques dans la réglementation de l’urbanisme, qui freine l’essor de l’habitat
évolutif et du bâti hybride. En effet, la réglementation des permis de construire ne permet pas
de prévoir une évolution de l’usage des bâtiments dans le temps. De même, les collectivités
perçoivent une redevance sur le bâti dont le montant est évalué selon l’usage déclaré.
Par ailleurs, il est relevé que la dotation globale de fonctionnement des communes (DGF)
repose principalement sur le nombre d’habitants, ce qui encourage les territoires à croître en
permanence.

Politiques territoriales de sobriété | 12 |


2.1.6. Des collectivités freinées dans leur capacité de pilotage et de soutien aux
initiatives
La majorité des acteurs interrogés ont identifié les collectivités comme des pilotes possibles
d’actions de sobriété. Pour autant, ces dernières voient leurs capacités de suivi et
d’accompagnement des initiatives limitées par plusieurs éléments :
‐ un portage politique absent,
‐ un manque de moyens techniques et humains, les actions de sobriété étant pour
beaucoup d’entre-elles consommatrices d’investissements immatériels,
‐ des habitudes de travail en silo qui ne permettent pas de prendre en compte la
dimension transversale de la sobriété,
‐ une absence d’indicateurs clairement définis pour suivre la mise en œuvre des actions
(numérique, habitat),
‐ un manque de recul sur le sujet de la sobriété et de connaissance des actions à l’œuvre
dans les autres territoires, et par conséquence un isolement des territoires pionniers.

2.1.7. Une intervention de la collectivité parfois perçue comme opportuniste et


techniciste
Plusieurs acteurs ont observé ou émis des doutes quant à l’adéquation de l’intervention de la
collectivité avec les enjeux de la sobriété. Cette intervention peut être perçue comme
opportuniste par certains acteurs moteurs militants, qui sont réticents à collaborer avec la
collectivité (Labonne, Herbert et Robert). Trois points principaux ont été avancés pour
expliquer cette réticence.
1. Les collectivités concentrent leur intervention sur l’investissement dans des
infrastructures et équipements, plutôt que d’interroger leur pertinence, leur besoin
(Behm, Brulaire et Grimaud, Le Villain et Marrec, Bonnefoy). Par exemple, les actions
visant à développer l’usage du vélo en ville sont souvent axées sur la construction de
voies cyclables, plutôt que sur la limitation du trafic automobile (Le Villain et Marrec).
2. Certains acteurs engagés ont peur d’être instrumentalisés par la collectivité et
préfèrent agir au sein de groupes informels (Herbet et Robert).
3. Elles échouent à prendre en compte les effets rebond possibles de leurs interventions
(Brulaire et Grimaud).

2.2. Les leviers


2.2.1. Une mise en récit positive par la sensibilisation, la communication et le débat
Face à la prégnance d’une représentation négative ou d’une méconnaissance de la sobriété,
ainsi qu’à une culture de la (sur-)consommation, la mise en récit de la sobriété apparaît
nécessaire, dans l’objectif de construire un imaginaire de société (Sanchis, Le Villain et Marrec,
Villalba). Le discours employé par les acteurs moteurs (ADEME, collectivités, porteurs de
projet…) pourrait valoriser la convivialité et le gain en lien social, ainsi qu’en autonomie par
acquisition de savoir-faire (Baudran, Behm, Bonnefoy, Brulaire et Grimaud, Labonne).
A l’échelle territoriale, les pratiques de sobriété pourraient être associées à une notion
d’identité collective. Cette approche a été adoptée principalement par les acteurs
intervenant sur la thématique de l’alimentation (Bonnefoy, Herbert et Robert, Bellengier et
Mierzejewski). L’identité alimentaire est associée à la gastronomie, au terroir, en mettant
l’accent sur la proximité entre production et consommation (Baudran). Cette notion d’identité
est également présente dans les éco-lieux, où la pratique de la sobriété est au cœur d’une
nouvelle culture de « l’habiter », construite collectivement. Elle est donc fortement liée à
l’association des populations dans la construction des actions de sobriété. Cette participation
leur permet de s’approprier la notion de sobriété.

Politiques territoriales de sobriété | 13 |


Les acteurs considèrent que la sensibilisation et la communication sont des leviers majeurs à
déployer en priorité auprès des populations, dans le cadre d’une « éducation populaire »
(Behm, Brulaire et Grimaud, Guillard, Herbert et Robert, Maire…). Cette sensibilisation nécessite
des outils à déployer au service de la conscientisation des citoyens, par exemple sur la
quantité de viande consommée chaque semaine, sur les déplacements motorisés réalisés
(Sanchis). Ces actions devraient s’appuyer sur une approche pédagogique, à l’aide
d’argumentaires construits en tenant compte des contextes territoriaux, socio-
économiques… Les élus ont été identifiés comme des publics prioritaires à sensibiliser,
puisqu’ils détiennent les pouvoir délibératif (dont budgétaire) et exécutif dans les collectivités.
Plusieurs acteurs ont estimé que la sensibilisation à la sobriété doit viser à diffuser une meilleure
compréhension des enjeux liés à la sur-consommation des ressources et au dérèglement
climatique. Le discours employé doit souligner l’urgence du changement de comportement
et mettre en avant les conséquences d’un « laissez-faire » aux échelles globale, nationale,
et locale (Brulaire et Grimaud).
En vue de promouvoir les bénéfices de la sobriété, il est nécessaire pour plusieurs acteurs
d’adopter un discours qui reconnaisse les contraintes matérielles associées au changement
de comportement (Herbert et Robert, Labonne). Intégrer ces contraintes dans l’argumentaire
permettrait ainsi de défendre une approche plus pragmatique, ancrée dans les réalités socio-
économiques des populations (en réponse aux préjugés cités ci-dessus).
Au-delà de la communication, la démarche territoriale de sobriété portant en elle le potentiel
d’une contre-proposition politique, elle doit être mise en débat, à l’image du travail réalisé par
certaines associations accompagnant les précaires énergétiques (Villalba).

2.2.2. Rendre la sobriété désirable


En parallèle de la mise en récit, plusieurs acteurs identifient le besoin, par le déploiement
d’outils opérationnels, de rendre attractif la sobriété. Par exemple, des sites internet éco-
conçus, consommant très peu de bande passante et étant utilisables sur des terminaux anciens
ne doivent pas renvoyer à une interface mimant « le minitel ». La logique de
« dépossession » de biens matériels au sens de « mode de vie minimaliste » ne parlera pas
nécessairement à tous. Il sera plus pertinent de mettre en avant l’usage des biens et la capacité
à accéder à de nouveaux biens par des lieux de mutualisation (bricothèques, accorderies) qui
facilitent une réduction de la propriété individuelle tout en apportant un « plus » en matière
d’accès aux services et de pouvoir d’achat. Cela peut être confirmé par la facilitation de
l’accès à des espaces permettant de réparer ses biens manufacturés (maison de la réparation,
évènementiel sur l’espace public (marchés, …).
Il peut être possible d’encourager le développement de « concepts-stores » populaires qui
rassemble des activités de location, de réparation, de vente de biens issus du réemploi ou neufs
mais produits localement et durables. Cet essor pourrait contribuer à renforcer l’émergence
d’un imaginaire positif de la sobriété, à l’instar de la communication sur le zéro déchet ou le
« do it yourself » (bricolage).

2.2.3. L’éco-exemplarité de la collectivité, un levier de mobilisation du


territoire
L’éco-exemplarité de la collectivité apparaît pour les personnes interrogées comme un levier
de mobilisation important sur le territoire.
L’éco exemplarité par la commande publique, qui représente 10% du PIB, peut impulser une
dynamique territoriale. Chaque acteur public est amené à lancer des marchés publics pour
mettre en œuvre ses actions, développer et maintenir ses infrastructures et ses services, et
réaliser des achats pour permettre son fonctionnement interne. Les collectivités sont
progressivement incitées à formaliser des démarches d’achats responsables. Ces démarches
débutent par l’analyse du besoin rencontré par chaque service et le sourcing. A ce stade,
l’achat peut être orienté vers du non achat s’il est jugé non pertinent, une diminution de la

Politiques territoriales de sobriété | 14 |


quantité achetée (exemple : réduction d’une flotte de véhicules), vers des produits éco-conçus,
de la location, de la mutualisation d’équipements, vers l’offre locale (PME). La fonction achat
peut ainsi constituer un levier puissant d’intégration de la sobriété dans les politiques
publiques, dans le fonctionnement des collectivités et des entreprises (achat privé
responsable) (Veuillet).
Les collectivités disposent d’outils de maîtrise du foncier (PLU, PLUi instruction des permis de
construire) qui leur permettent de lancer des projets démontrant l’intérêt et la faisabilité d’une
approche sobre à l’habitat et à l’aménagement (Rubin, Froment). L’Eurométropole de
Strasbourg propose des terrains dédiés à des projets d’habitat participatif (Heitz).
Enfin, l’éco-exemplarité peut être un atout dans une campagne de communication à l’échelle
du territoire, vers le grand public et l’écosystème économique local (« montrer l’exemple »,
« démontrer la faisabilité des actions promues »). Au contraire, une image négative peut
freiner la mobilisation des acteurs, qui mettent en question la sincérité et la légitimité de la
démarche de la collectivité.

2.2.4. La programmation territoriale, outil de transversalité à plusieurs échelles


de territoire
Les collectivités territoriales disposent d’un outil conséquent pour impulser la sobriété à
l’échelle locale : la programmation/planification territoriale, qui formalise les politiques portées
par les collectivités. Ces politiques couvrent tous les champs de compétence des collectivités
(urbanisme, mobilité, habitat, alimentation, énergie, déchets…), qui peuvent intégrer une
approche de sobriété. La mise en cohérence de ces documents de programmation est donc
un levier pour infuser la sobriété dans les actions sectorielles des collectivités. Par exemple,
Serge Bonnefoy a souligné l’importance de mettre en lien les stratégies de sobriété avec les
Projets d’Alimentation Territoriaux existants.
Les acteurs ont mis en avant le caractère transversal de la sobriété, la programmation
territoriale peut ainsi faire le lien entre les thématiques ciblées par les actions de sobriété, avec
les autres champs d’intervention concernés : commerce (centre-ville), santé, culture,
loisirs, tourisme, jeunesse, sports.
La programmation territoriale peut également être un outil de coopération entre territoires
(entre EPCI, entre EPCI et communes, entre collectivités urbaines-rurales).

2.2.5. Les partenariats de recherche-action, leviers de consolidation des


connaissances et de mobilisation du territoire
Plusieurs acteurs interrogés ont souligné l’importance pour les collectivités de nouer des
partenariats de recherche-action avec des organisations (ADEME, recherche universitaire,
bureaux d’étude…) (alimentation : Bonnefoy, habitat évolutif, densification des zones
pavillonnaires : Rubin). En consolidant les connaissances de la collectivité sur la sobriété, les
dispositifs envisagés et les caractéristiques socio-économiques du territoire, ces
partenariats peuvent contribuer à renforcer l’acceptabilité des actions déployées. Ils
peuvent ainsi permettre :
‐ d’améliorer la connaissance du territoire et de ses populations, dans le but de
concevoir des politiques de sobriété adéquates (Projet FRUGAL : Bonnefoy),
‐ d’expérimenter des dispositifs nouveaux à petite échelle,
‐ d’évaluer le déploiement et l’adéquation des actions prises (Courboulay, Bellengier
et Mierzejewski).

Politiques territoriales de sobriété | 15 |


2.2.6. Faciliter le changement de comportement et en reconnaitre la difficulté
Des acteurs ont insisté sur l’enjeu à rendre le geste de sobriété facile, voire « sans effort,
agréable » pour permettre le changement de comportement (Guillard). Beaucoup d’outils mis
à disposition peuvent ne pas être accessibles : géographiquement, temporellement,
socialement.
Par exemple un repair’café qui a une fréquence mensuelle, sans rendez-vous, n’est pas adapté
pour une utilisation par la plupart des habitants.
L’utilisation de « tiers-lieux » pour inciter à l’adoption de comportement sobre » peut aussi
être excluante pour des publics qui n’oseraient pas se rendre dans des lieux où la plupart des
usagers sont à capital culturel élevé (« sobres volontaires »). C’est un écueil souvent observé
mais qui peut être évité à certaines conditions : éviter l’association systématique d’un tiers-lieu
avec un espace de coworking, réfléchir à l’emplacement du lieu pour qu’il soit accessible au
plus grand nombre…
En parallèle, il est noté que les discours institutionnels peuvent trop insister sur les bénéfices
que peuvent apporter les dynamiques qu’ils portent (familles zéro déchet…) sans reconnaitre
qu’entrer dans une démarche de sobriété n’est pas un chemin linéaire et n’est pas
immédiatement associé à un épanouissement.

2.2.7. La participation des acteurs de terrain et des citoyens, un levier vers


l’acceptation sociale de la sobriété
L’un des leviers les plus fréquemment cités par les acteurs interrogés est la participation des
acteurs de terrain et des citoyens dans l’élaboration et la mise en œuvre des actions de
sobriété. Il est largement considéré qu’opter pour une approche participative favorise
l’acceptation sociale des actions déployées (observé par la ville de Grande Synthe dans sa
politique alimentaire), en particulier lorsque le public ciblé est en situation de défiance envers
la collectivité. En effet, la prise en compte des opinions des citoyens et des acteurs locaux peut
renforcer l’adéquation de l’action avec les besoins, contraintes, attentes de la population.
Cette dimension participative a été mise en avant comme une condition de succès des projets
frugaux, notamment d’équipements urbains (Bornarel, Gauzin-Müller, Vautor).
Les acteurs de terrain, associations, porteurs d’initiatives, peuvent être des relais précieux
à mobiliser lors des différentes étapes d’élaboration et de mise en œuvre des dispositifs
(Bellengier et Mierzejewski, Bonnefoy, Guillard, Herbert et Robert, Maire, Martin).
La participation citoyenne peut avoir lieu lors de la construction de la stratégie d’action et lors
de son suivi (gouvernance). Plusieurs acteurs interrogés impliqués dans des actions sur la
thématique alimentaire ont relevé un besoin de penser les modalités de la participation de
façon inclusive, afin de la rendre accessible à des populations plus éloignées, par exemple
des familles mono-parentales (Bellengier et Mierzejewski, Herbert et Robert).
Cette participation peut enfin être pensée en lien avec des projets de la collectivité.
L’extension de l’école pré-élémentaire « Les Boutours » à Rosny-sous-Bois a été pensée avec une
chaudière justement dimensionnée. En cas de « très grand froid », les enfants seront invités à
mettre des pulls. La confection des pulls a été confiée à une association locale de retraitée pour
créer du lien social et intergénérationnel au sein du quartier (Maire).
Bruno Villalba insiste sur la nécessité de connecter la sobriété avec les inégalités sociales : si la
politique de sobriété n’est pas associée à la lutte contre les inégalités, alors elle ne peut pas
être acceptée par tous.

2.2.8. Le tissu économique, un relais et un public à cibler à l’échelle du


territoire
De nombreux entretiens ont souligné l’importance d’adopter une approche globale au
territoire et à l’ensemble de ses acteurs. Le tissu économique étant au cœur du système de
production et de consommation, il est concerné par le changement des pratiques visé parmi
la population. Plusieurs personnes interrogées ont estimé que les entreprises sont des publics

Politiques territoriales de sobriété | 16 |


à cibler en priorité (Bonnefoy, Brulaire et Grimaud, Froment, Mouvement pour une frugalité
heureuse et créative, Pasquier, Pinet) pour trois raisons.
1. Elles sont en mesure de proposer une offre qui accompagne, voire permet les
changements de comportement du grand public (habitat, alimentation,
consommation : Guillard, habitat : Mouvement pour une frugalité heureuse et créative).
2. Le changement des modes de vie suppose une transformation de l’offre économique.
Les entreprises sont donc des acteurs à accompagner dans l’évolution de leur
modèle d’affaires (Pasquier, Pinet).
3. Les entreprises sont de vecteurs de sensibilisation : auprès de leurs employés, de leurs
partenaires, de leurs clients et de leurs fournisseurs.

Certains acteurs, comme l’ALEC de l’Ardèche interviennent auprès de porteurs de projet de


l’économie sociale et solidaire au sein d’une formation professionnalisante comprenant un
module sur les enjeux de transition et de sobriété. En outre l’ALEC a pu expérimenter
l’intégration d’actions de sobriété dans le modèle de développement des entreprises.
Plusieurs personnes interrogées ont ainsi appelé les collectivités à cibler toute la chaîne de
production dans leur approche à la sobriété.

2.2.9. La densité dans la construction, levier pour une plus grande sobriété
foncière : un levier qui fait débat
La densification du bâti est une thématique qui a été mise en avant comme un moyen de lutter
contre l’étalement urbain et l’artificialisation des sols (Maire, Rubin). Pour autant, il a été noté
que la promotion d’une « nécessaire densification » permettant d’atteindre la sobriété
foncière entrave l’essaimage de projets alternatifs innovants en dehors du milieu urbain,
comme les éco-lieux (Labonne). Les élus peuvent être réticents à accueillir des projets
d’habitation légère, malgré leur faible impact sur l’environnement et les sols.
Il est aussi relevé un enjeu à être en capacité d’associer densification de la ville et adaptation
de l’habitat collectif permettant un accès systématique à des espaces extérieurs qualitatifs.
L’étalement urbain répondant notamment à un besoin d’espace extérieur de l’habitant (Heitz,
Maire).

2.2.10. Contraindre ?
Dans l’ensemble la « contrainte », comme mode de déploiement des démarches territoriales
de sobriété, a été peu citée par les acteurs interrogés. A quelles conditions la contrainte
pourrait-elle être soutenante pour les démarches territoriales de sobriété ? Dans quelle mesure
pourrait-on interdire ou décourager la commercialisation de produits à très fort impact
environnemental ou provenant de très loin (Martin) ? Doit-on imposer ou proposer des menus
végétariens ?
Sur certains aspects, elle peut être perçue comme un levier : interdiction des écrans de
publicité dans l’espace public (Lavocat) et réduction globale de la place de la publicité au profit
de communications culturelles ou encore mise en place de plan de circulation décourageant
le trafic automobile de transit (Le Villain et Marrec).
La loi pourrait poser le cadre d’une réduction des pratiques qui ne vont pas dans le sens de la
sobriété. Mais son élaboration doit résulter d’un débat qui permette à tous de s’approprier les
raisons des restrictions d’usage. La contrainte législative apparaît alors comme une réponse
choisie à la double contrainte externe (climatique et de ressources) qui fait que tous les
citoyens ne pourront pas accéder à l’abondance (Villalba).

Politiques territoriales de sobriété | 17 |


3. Quelles politiques territoriales de sobriété ?

Les acteurs et experts ont été interrogés sur leur vision d’une politique territoriale de sobriété.
Leurs réponses ont permis de distinguer plusieurs éléments portant sur :
‐ l’approche méthodologique au cours de la conception des politiques publiques,
‐ le contenu des actions, les dispositifs à privilégier,
‐ la sensibilisation et la communication.

3.1. L’approche méthodologique


3.1.1. Des politiques éco-conçues, interrogeant le besoin en infrastructures
Les acteurs ont appelé les collectivités à opter pour une « éco-conception » des politiques
publiques (Roussilhe), reposant sur une compréhension fine des enjeux de la sobriété sur le
territoire, des contraintes existantes et des solutions possibles au déploiement d’actions
promouvant la sobriété.
Plusieurs acteurs ont mis en avant la nécessité d’interroger le besoin avant toute décision
d’investissement dans des équipements et infrastructures (Behm, Bonnefoy, Le Villain et
Marrec). Il apparaît ainsi crucial de disposer d’indicateurs solides à chaque étape de la
conception et de la mise en œuvre de la politique publique. Ces indicateurs peuvent permettre
d’évaluer l’impact négatif évité par l’action déployée et de fonder la décision sur des données
fiables. Le suivi de ces indicateurs doit donc être accompagné de moyens (Rubin, Froment).
Ces politiques donneraient également plus de place à l’évaluation de leur efficacité au regard
de la sobriété. Par exemple, serait-il plus efficace pour lutter contre l’insécurité d’investir dans
un réseau de vidéosurveillance qui va consommer beaucoup de données, donc d’énergie, ou
d’investir dans des moyens humains mis à disposition de la police municipale ?
L’évaluation permettrait également de prendre du recul sur l’utilisation des services publics
numériques : sont-ils tous nécessaires sous cette forme ? Sont-ils vraiment utilisés par la
population ? Sont-ils optimisés pour être consultés avec de vieux ordinateurs ou de vieux
smartphones ? Doit-on dé-numériser des services ? (Roussilhe)

Vincent Courboulay décrit un processus qui pourrait être suivi dans le cadre de politiques
territoriales de sobriété :
1. compréhension (information – sensibilisation – formation : montée en compétence),
2. mesure : avoir des indicateurs factuels et concrets (au niveau de la collectivité, mais
aussi une déclinaison citoyenne),
3. évitement,
4. réduction,
5. compensation.

3.1.2. La transversalité et la coopération entre territoires


La sobriété étant une notion transversale, il est crucial d’assurer la mise en cohérence des
actions et des services concernés au sein de la collectivité, notamment à l’aide des outils
de programmation territoriale (PAT : Bonnefoy). De cette façon, chaque service serait
ambassadeur de la sobriété auprès de ses interlocuteurs, notamment les développeurs
économiques auprès des entreprises (Brulaire et Grimaud).
La même approche peut être adoptée entre collectivités agissant sur des périmètres
proches ou imbriqués (EPCI et communes).

3.1.3. Une action appuyée par la participation des citoyens et des porteurs
d’initiatives
Comme évoqué ci-dessus, la collectivité peut s’appuyer sur des relais citoyens et associatifs
existants. La politique pourrait associer systématiquement les habitants d’un territoire à

Politiques territoriales de sobriété | 18 |


l’identification des actions qui pourraient répondre à leur besoin pour ne pas créer de « sur
service » (Roussilhe). De nombreux acteurs interrogés insistent sur le besoin de concertation
des habitants en amont de la mise en place de ces politiques. A ce propos Bruno Villalba
renvoie vers les travaux de Cécile Blatrix.
Valoriser et soutenir les initiatives citoyennes : en mettant à leur disposition des moyens
pour qu’elles puissent essaimer : des salles, des espaces extérieurs (pour développer des projets
alimentaires), des enveloppes budgétaires (pour couvrir certains investissements que les
citoyens pourraient avoir à faire), possibilités d’occupation temporaire de de l’espace public
pour de l’événementiel facilitant l’adoption de comportements plus sobres (ex : stands de
réparation de vélo près des gares, avant la rentrée scolaire…).

3.2. Le contenu des actions, les dispositifs à privilégier


3.2.1. La sobriété au cœur des projets urbains
De nombreux acteurs intervenant sur les différentes thématiques de la sobriété ont mis en
avant sa transversalité avec les sujets de l’aménagement, de la santé, du commerce, des
loisirs et du tourisme. La sobriété pourrait être placée au cœur des projets urbains.
‐ La promotion d’une consommation sobre pourrait être mise en lien avec le
renouvellement des centres-villes et du commerce de proximité, avec le
développement de nouvelles formes de distribution : boutiques temporaires,
consigne, vrac... (Herbert et Robert).
‐ La construction hybride, évolutive, réversible, pourrait être encouragée, voire
intégrée dans les cahiers des charges des aménageurs. La collectivité peut inciter à
l’innovation en collaborant avec les entreprises de la chaîne de production en amont,
et/ou en lançant des appels à projets.
‐ La réimplantation de lieux de vie multi-activités, multi-fonctions, dans des zones
mono-orientées (zones de logement collectif, pavillonnaire, zone d’activité…)
participerait à une démarche générale de sobriété (Guillard).
‐ Encourager les mutualisations d’équipements et la mixité intergénérationnelle fait
également le lien entre sobriété, habitat-aménagement et cohésion sociale (« synergies
de vie » : Rubin).
‐ La facilitation des initiatives d’habitat alternatif (participatif, éco-lieux) contribuerait
à la diffusion d’exemples de modes de vie plus sobres (Labonne).

Pour les acteurs interrogés, le succès de ces projets repose sur plusieurs conditions :
‐ l’accessibilité des équipements/dispositifs créés, y compris aux populations en
situation de précarité,
‐ l’adoption d’une approche multi-partenariale et participative.

3.2.2. Des mécanismes de compensation pour inclure


Pour les personnes interrogées, la recherche de l’équité sociale est à placer au cœur de la
démarche territoriale de sobriété. Il semble pertinent pour les collectivités de mener une
réflexion sur les mécanismes de compensation sociale, et de les expérimenter sur leur
territoire (Herbert et Robert, Bonnefoy). Ces mécanismes pourraient s’inspirer des politiques
de rationnement (Behm), ou des réflexions existantes sur la tarification progressive de l’accès à
l’énergie et à l’eau potable (Baudran). Ces mécanismes pourraient aussi être déployés pour
faciliter la participation de toutes les classes sociales (personnes en situation de précarité,
familles monoparentales) aux temps de concertation par un dédommagement financier
(Bellengier et Mierzejewski).

Politiques territoriales de sobriété | 19 |


3.2.3. L’éco-exemplarité de la collectivité, un volet indispensable
Comme vu précédemment, la collectivité dispose d’un instrument important pour promouvoir
et développer la sobriété sur le territoire : sa démarche d’éco-exemplarité. Au travers du levier
de la commande publique et de la contractualisation, la collectivité peut concevoir des
cahiers des charges incluant des clauses favorisant la sobriété (éco-conception des services et
des bâtiments, critères d’évaluation des projets, prise en compte de l’évolution de l’usage des
bâtiments…).
La démarche d’achat responsable « commence par l’analyse du besoin et doit juger de sa
pertinence et de la réponse à donner ayant le moindre impact environnemental » (Veuillet).
Elle ne peut être dissociée d’un changement de représentation. Par exemple sur l’espace
public, il existe une culture forte de la « propreté » alors que la refonte de voirie est très
couteuse économiquement et environnementalement. Il peut être opportun dans le cadre
d’opération d’aménagement de laisser des portions de voirie, de cours d’école (dans le cas
d’une transformation de la cour en « oasis ») avec l’enrobé actuel dans une logique
d’optimisation de l’existant (Maire). En outre, l’exemple de la mise en place des « coronapistes
cyclables en mai 2020 » montre qu’il est possible de modifier l’affectation de l’espace public
en quelques jours.

3.2.4. Des actions destinées aux entreprises


Les personnes interrogées ont également cité des actions visant à accompagner le tissu
économique vers la sobriété (hors sensibilisation) :
‐ inciter les entreprises à développer l’éco-conception de leurs produits et services et les
achats responsables (qui ré interrogent le besoin),
‐ accompagner les entreprises dans la transformation de leur modèle économique vers
l’économie de la fonctionnalité et de la coopération,
‐ mettre en lien les producteurs et les habitants, développer les circuits courts
(principalement cité pour la thématique alimentation),
‐ encourager à l’innovation « low tech »,
‐ former les professionnels aux pratiques de sobriété (toutes thématiques), au
changement de comportement,
‐ encourager les synergies et coopérations entre professionnels d’un même territoire,
‐ favoriser le développement de nouvelles formes de distribution/commerce.

3.3. Sensibilisation et communication


La sensibilisation des publics et la communication ont été identifiées comme les enjeux
principaux des politiques de sobriété. Pour les acteurs interrogés, il s’agit de :
‐ diffuser une représentation culturelle positive de la sobriété, la mettre en récit,
‐ partager des retours d’expérience,
‐ montrer par l’exemple ses bénéfices et la faisabilité des solutions existantes,
‐ valoriser les initiatives et les engagements, notamment la participation citoyenne
aux actions de la collectivité,
‐ diffuser les solutions individuelles et collectives, renforcer la connaissance générale
et technique parmi la population : par exemple mettre les habitants en capacité de
réparer.

Compte-tenu de la diversité des publics ciblés sur le territoire, il semble nécessaire de


développer un argumentaire adapté à chacun d’entre-eux :
‐ les élus (pour lesquels l’appropriation de l’approche « sobriété » est déterminante pour
l’engagement de la collectivité -qu’il s’agisse d’une commune ou d’un EPCI),
‐ le grand public, dont les populations en situation de précarité,
‐ les acteurs économiques (commerçants, industriels, acteurs de l’économie sociale et
solidaire, professionnels de la construction…),
‐ les associations motrices sur le sujet,

Politiques territoriales de sobriété | 20 |


‐ le milieu scolaire.

Plusieurs thèmes ont été cités comme possibles sujets de communication :


‐ les enjeux de la sobriété à l’échelle mondiale, nationale, locale (notamment l’urgence
du changement de pratiques),
‐ l’exemplarité (dont celle de la collectivité),
‐ le potentiel de créations d’emplois, les nouveaux emplois, suscitée par le changement
de modèle économique,
‐ les modalités de participation,
‐ les solutions de sobriété à disposition de chaque type de public, ses conditions,
‐ les retours d’expérience, la valorisation des initiatives existantes sur le territoire.

Politiques territoriales de sobriété | 21 |


4. Quelles attentes ?

A l’issue des entretiens menés, les personnes interrogées ont partagé leurs besoins et leurs
attentes pour voir se développer les démarches territoriales de sobriété.

4.1. Approfondir la réflexion sur la sobriété à l’échelle territoriale


De façon générale, les personnes interrogées considèrent qu’il est légitime et nécessaire de
faire monter en puissance le sujet de la sobriété à l’échelle nationale et dans les territoires. Ils
ont estimé pertinent que soient poursuivies les réflexions sur le sujet et que soient
développés des outils pour aider les collectivités dans leur appropriation du sujet et dans
la conception de leurs politiques. A leurs yeux, plusieurs éléments de réflexion pourraient
être approfondis :
‐ une définition stabilisée de la politique territoriale de sobriété,
‐ l’identification des enjeux territoriaux de la sobriété (éléments généraux,
méthode…),
‐ la prise en compte de l’effet rebond dans les politiques,
‐ l’étude des conditions sociales d’élaboration des pratiques de sobriété et de
transformation des pratiques culturelles (conditions d’élaboration
d’expérimentations de sobriété, de viabilité de ces expériences), notamment avec une
approche comparative internationale,
‐ les indicateurs de sobriété (en vue de l’évaluation des actions déployées),
‐ les mécanismes de compensation sociale et autres mesures assurant l’équité des
actions promues,
‐ creuser et évaluer les aspects positifs de la sobriété pour construire un
argumentaire à partir de retours d’expériences.

Elles appellent à un travail de veille et de recueil des retours d’expérience, en vue d’une
diffusion à destination des collectivités, des professionnels, du grand public et des porteurs de
projet.

4.2. Sensibliser, former et diffuser de l’information


Pour développer les démarches territoriales de sobriété, les personnes interrogées estiment
également pertinent de développer les actions suivantes :
‐ sensibiliser les élus communautaires et municipaux à grande échelle (compte tenu
de la sur sollicitation fréquente des témoins : Labonne),
‐ promouvoir l’interrogation du besoin lors de la conception des actions, en
transmettant des éléments méthodologiques aux collectivités,
‐ diffuser les retours d’expérience rassemblés, valoriser les engagements (à
destination de tous les publics),
‐ diffuser les informations spécifiques issues du travail de veille (informations
techniques, évolutions de la réglementation, possibilités de financements, indicateurs
d’évaluation existants),
‐ diffuser un « kit de communication » pour aider les territoires à formaliser leur
discours sur la sobriété.

4.3. Animer une dynamique collective autour de la sobriété à l’échelle nationale


Les personnes interrogées ont souligné l’isolement des collectivités et des acteurs pionniers sur
le sujet de la sobriété. Ils ont donc exprimé un besoin d’animation territoriale, d’organisation
de temps d’échanges entre collectivités, et de mise en relation entre porteurs de projets.

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4.4. Soutenir les initiatives
Les entretiens font ressortir des attentes fortes pour :
‐ soutenir les projets innovants dans les territoires (mutualisations, tiers-lieux
accessibles à tous),
‐ accompagner les territoires-pilotes dans leur démarche d’expérimentation,
‐ encourager l’expérimentation et le recours à l’intelligence collective, la médiation
en amont des projets,
‐ mettre à disposition des collectivités et des acteurs porteurs de projets, des
outils, des guides méthodologiques (dont des outils, argumentaires de
communication), et formations,
‐ donner une grille de lecture commune pour positionner la collectivité par rapport à
d’autres collectivités : qu’elle puisse savoir si elle est en situation ou non « d’obésité
numérique »,
‐ apporter un soutien financier aux postes pour soutenir l’ingénierie territoriale, par
exemple en laissant la possibilité à la collectivité de s’organiser pour désigner un chef
de projet autre que le poste financé, qui viendrait appuyer les équipes. La conduite de
la démarche sobriété pourrait alors être confiée à un agent expérimenté,
‐ sensibiliser les élus.

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Annexe 1 : grille d’entretien utilisée

Structure interrogée XX
Axe de la sobriété
questionné
Interlocuteur (Nom,
Prénom)
Fonction de l’interlocuteur
Coordonnées
Présentation par l’enquêteur d’une première approche de la sobriété et des politiques territoriales de sobriété
La sobriété est une démarche qui consiste, dans la cadre d’une réflexion individuelle ou collective portant sur la manière
de répondre à ses besoins (individuels ou collectifs) en tenant compte des limites de la planète, à adopter de nouvelles
pratiques de modération et de mesure dans son mode de vie, contribuant ainsi à une réduction de sa consommation
de ressources et de son impact sur l’environnement (dont le climat). La sobriété se traduit donc par une maîtrise de la
demande. Sur cette base, il est considéré que les démarches territoriales de sobriété sont celles qui incitent les
personnes physiques ou morales d’un même territoire à engager cette réflexion et à mettre en œuvre des pratiques de
sobriété.

Cadrage sur la notion de sobriété et de politique territorial de sobriété


1. Pouvez-vous vous présenter ainsi que la structure que vous représentez ?
2. Suite à notre présentation de la notion de sobriété et des politiques territoriales de sobriété, comment
caractérisez-vous la sobriété au sein de vos projets ou des projets que vous suivez ?
3. Sur quel axe de la sobriété pensez-vous agir en priorité (Aménagement, Habitat, Mobilité, Numérique,
Consommation, Alimentation)
4. Que contiendrait selon-vous une politique territoriale de sobriété ?
5. Pouvez-vous nous décrire les actions que vous portez et la façon dont elles relèvent de la notion de sobriété
discutée ?
a. Description de vos actions
b. Partenaires associés (ou tentatives réalisées), lien éventuel avec des collectivités
c. Capacité de l’action à s’inscrire dans une dynamique territoriale (collaboration avec d’autres acteurs,
…)
d. Moyens mis en œuvre / Résultats obtenus
6. Dans quelle mesure les projets que vous portez (ou suivez) interrogent-ils le « besoin » des consommateurs
(habitants, entreprises ou collectivité)
7. Quelle est la place de la sobriété dans les projets que vous portez ?
a. Prioritaire
b. Secondaire
c. Prioritaire (dans la réflexion), mais secondaire (dans la mise en œuvre)
d. Non pensée comme telle jusqu’à présent
8. Quels sont les freins généraux qui ont été rencontrés (levés ou pas encore) au déploiement d’action de
sobriété ?
9. Quels sont les leviers généraux qui ont été ou sont identifiés pouvant permettre le déploiement d’action de
sobriété

Acceptabilité de l’action de sobriété

10. Quel type de public visez-vous? (échelle géographique, catégorie socio-économique..)


11. Comment le contenu de l’action/du discours prend-t-il en compte les caractéristiques socio-économiques et
culturelles du public ciblé ?
i. L’action comporte-t-elle un volet social ?
ii. Quelle concertation/consultation/association du public cible à l’élaboration de l’action de
sobriété?
12. Quels freins liés à l’acceptabilité de l’action par le public cible ont été rencontrés (levés ou pas encore)
13. Quels sont les leviers qui ont été ou sont identifiés pouvant permettre une meilleure acceptabilité de l’action
de sobriété ?

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Motivations, intentions et inspirations de l’acteur
14. Quel a été l’élément déclencheur de l’action de sobriété au sein de votre structure ?
15. Sur quels retours d’expériences vous êtes-vous appuyé pour déployer l’action ?
16. Quels ont été les questionnements internes qui ont pu être discutés avant d’agir vers la sobriété ?

Besoin pour déployer des politiques territoriales de sobriété ?


17. Quels types de soutiens identifiez-vous comme prioritaires pour enclencher des dynamiques de sobriété ?
a. Animation de réseau, centre de ressource
b. Soutien au poste (au sein de structure associative, au sein de collectivités…)
c. Autres soutiens (non fléché « poste »), si oui, sous quelle forme (subvention au fonctionnement, crédit
d’impôt, prêts TZ …) ?
18. Au-delà des soutiens directs de l’ADEME ? Qu’identifiez-vous d’autres pour lever les freins au déploiement de
politique territoriales de sobriété ?

Politiques territoriales de sobriété | 25 |


LES COLLECTIONS DE
L’ADEME

FAITS ET CHIFFRES
L'ADEME EN BREF L’ADEME référent : Elle fournit des
À l’ADEME - l’Agence de la transition écologique - nous analyses objectives à partir
sommes résolument engagés dans la lutte contre le d’indicateurs chiffrés régulièrement
mis à jour.
réchauffement climatique et la dégradation des
ressources.
CLÉS POUR AGIR
L’ADEME facilitateur : Elle élabore
Sur tous les fronts, nous mobilisons les citoyens, les
des guides pratiques pour aider les
acteurs économiques et les territoires, leur donnons les acteurs à mettre en œuvre leurs
moyens de progresser vers une société économe en projets de façon méthodique et/ou
ressources, plus sobre en carbone, plus juste et en conformité avec la
harmonieuse. réglementation.

Dans tous les domaines - énergie, air, économie ILS L’ONT FAIT
circulaire, alimentation, déchets, sols, etc., nous L’ADEME catalyseur : Les acteurs
conseillons, facilitons et aidons au financement de témoignent de leurs expériences et
nombreux projets, de la recherche jusqu’au partage des partagent leur savoir-faire.
solutions.
EXPERTISES
À tous les niveaux, nous mettons nos capacités L’ADEME expert : Elle rend compte
des résultats de recherches, études
d’expertise et de prospective au service des politiques
et réalisations collectives menées
publiques. sous son regard

L’ADEME est un établissement public sous la tutelle du


HORIZONS
ministère de la Transition écologique et du ministère de L’ADEME tournée vers l’avenir : Elle
l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de propose une vision prospective et
l’Innovation. réaliste des enjeux de la transition
énergétique et écologique, pour un
futur désirable à construire
ensemble.

Politiques territoriales de sobriété | 26 |


Politiques territoriales
de sobriété –
Entretiens avec les
acteurs de la sobriété

Les démarches territoriales de sobriété


peuvent être transversales ou thématiques
(alimentation, numérique, mobilité,
éclairage, aménagement...).
Une trentaine d’acteurs et d’expert
Ces démarches interrogent le besoin, une de la sobriété ont partagé leur regard
notion relative et multi-dimensionnelle. sur les démarches territoriales de
Ainsi, elles renouvellent et approfondissent sobriété
les politiques de transition écologique, et
contribuant à réduire l’impact des activités
humaines sur l’environnement. Novatrices, les démarches territoriales de
sobriété doivent passer par la mise en
Elles reposent d’abord sur des échanges et débat et en récit, pour atteindre leur
du débat, pour faire naître un récit collectif, force de transformation transversale des
et permettre que la modération, à l’échelle
pratiques et des modes de vie, au service
d’un territoire, relève d’un choix politique.
du bien-être collectif.
La démarche territoriale de sobriété se
heurte à la fois aux représentations
dominantes de réussite individuelle par
l’accès à l’abondance, au modèle historique
de développement économique territorial et
à un cadre administratif et fiscal peu adapté.
Rendre la sobriété désirable apparaît
possible par la sensibilisation, la mise en
débat et la mise en récit.
Différents outils peuvent être mobilisés pour
contribuer au développement des politiques
territoriales de sobriété, parmi lesquels la
programmation territoriale transversale, la
participation des citoyens, le soutien aux
initiatives, l’accompagnement des territoires
pilotes, la mise en réseau et la valorisation
d ll i i é i li é

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