Vous êtes sur la page 1sur 4

Impie et sacrilège

Andrée CHEDID, Rythmes (2003) L’oiseau s’affranchissait


Des liens de la terre

Rythmes Libre d’allégeance


Il s’éleva
Tout débuta Au-dessus des créatures
Dans l’arythmie Assujetties aux sols
Le chaos Et à leurs tyrannies

Des vents erratiques


S’emparaient de l’univers S’unissant
L’intempérie régna Aux jeux fondateurs
L’indéchiffrable détonation Des nuages et du vent
Fut notre prologue L’oiseau s’allia à l’espace
S’accoupla à l’étendue
S’emboîta dans la distance
Tout fut Se relia à l’immensité
Débâcle et dispersion Se noua à l’infini
Turbulences et gaspillage
Avant que le rythme
Ne prenne possession Tandis que lié au temps
De l’espace Et aux choses
Enfanté sur un sol
Suivirent de vastes accords Aux racines multiples
D’indéfectibles liaisons L’homme naquit tributaire
Des notes s’arrimèrent D’un passé indélibile
Au tissu du rien
Des courroies invisibles Le lieu prit possession
Liaient astres et planètes De sa chair
De son souffle
Du fond des eaux Les stigmates de l’histoire
Surgissaient Tatouèrent sa mémoire
Les remous de la vie Et sa peau

Dans la pavane Venu on ne sait d’où


Des univers Traversant les millénaires
Se prenant pour le noyau L’homme se trouva captif
La vie Des vestiges d’un monde
Se rythma Aux masques étranges
Se nuança Et menaçants
De leitmotiv Il s’en arrachait parfois
En parade Grâce aux sons et aux mots
De reprise Aux gestes et à l’image
En plain-chant A leurs pistes éloquentes
A leur sens continu

La vie devint ritournelle


Fugue Impromptu Pour mieux tenir debout
Refrain L’homme inventa la fable
Se fit dissonance Se vêtit de légendes
Mélodie Brisure Peupla le ciel d’idoles
Se fit battement Multiplia ses panthéons
Cadence Mesure Cumula ses utopies

Et se mira Se voulant éternel


Dans le destin Il fixa son oreille
Sur la coquille du monde
A l’écoute
D’une voix souterrraine
Qui l’escorte le guide
Et l’agrandit
Epreuves du langage
V
I.
Ainsi chemine
D’où vient le son Le langage
Qui nous ébranle De terre en terre
Où va le sens De voix en voix
Qui se dérobe Ainsi nous devance
D’où vient le mot Le poème
Qui libère Plus tenace que la soif
Où va le chant Plus affranchi que le vent !
Qui nous entraîne
D’où surgit la parole
Qui comble le vide
Quel est le signe
Le Rien
Qui fauche le temps ?
J’ai traversé le Rien
II. Aux jours de mon enfance
Déchiffrant la mort
Quel alphabet
En nos corps d’argile
Prend en compte
Et de brièveté
Nos clartés comme nos ombres
J’ai récusé l’orgueil
Quel langage
Disloqué les triomphes
Raboté par nos riens
Dévoilé notre escale
Ameute le souffle
Et sa précarité
Quel désir
Devient cadences Cependant j’y ai cru
Images métamorphoses A nos petites existences
Quel cri A ses saveurs d’orage
Se ramifie Aux foudres du bonheur
Pour reverdir ailleurs A ses éveils ses percées
Quel poème Ses troubles ou ses silences
Fructifie A ses fougues du présent
Pour se dire autrement ? A ses forges d’espérance
Au contenu des heures
III.
J’y ai cru tellement cru
Issu de notre chair Aux couleurs éphémères
Tissé de siècles Aux bienfaits de l’aube
Et d’océans Aux largesses des nuits
Quel verbe Oubliant que plus loin
Criblera nos murs Vers les courbures du temps
Sondera nos puits L’explosion fugace
Modèlera nos saisons ? Ne laissera aucune trace
Avec quels mots De nos vies consumées
Saisir les miettes
Et qu’un jour notre Planète
Du mystère
A bout de souffle
Qui nous enchâsse
Se détruirait
Ou de l’énigme
Qui nous surprend ?

IV
Que veut la Poésie
Qui dit
Sans vraiment dire
Qui dévoie la parole
Et multiplie l’horizon
Que cherche-t-elle
Devant les grilles
De l’indicible
Dont nous sommes
Fleur et racine
Mais jamais ne posséderons ?
Multiple

Je fonce vers l’horizon


Qui s’écarte
Je m’empare du temps
Qui me fuit
J’épouse mes visages
D’enfance Cette chair
J’adopte mes corps
En cette chair
D’aujourd’hui
Florissante ou putride
Je me grave Carnassière ou paisible
Dans mes turbulences
En ce tissu de fange
Je pénètre
En cette substance qui croît
Mes embellies
Pour un jour s’abolir
Je suis multiple
En ces fibres
Je ne suis personne
Où le verbe s’incarne
Je suis d’ailleurs
Où fermente le réel
Je suis d’ici
En cette matière
Sans me hâter
Où se greffe le cœur
Je m’acclimate
En cet éphémère perpétué
A l’immanence
De la nuit En cette trame obscure
S’implante la poésie
Réside toute pensée
En cette chair
De clémence ou de turpitudes
Liée à l’astre indélibile
L’Autre En cette chair
Au précaire équilibre
Mon autre
Entre espoir et affliction
Mon semblable
En cette chair En cette pulpe savoureuse
Qui nous compose Sillonée par le rêve
En ce cœur Ravagée par le temps
Qui se démène
Hors des gouffres de cette chair
En ce sang
Jusqu’aux épaules de l’espace
Qui cavalcade
S’élèveront les ailes
En ce complot
Du temps D’un infini improbable
En cette mort D’un chant indéfini
Qui nous guette D’un vol incandescent.
En cette fraternité
De nos fugaces vies
Mon semblable
Mon autre
Là où tu es
Je suis.

Vous aimerez peut-être aussi